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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12105 ***
+
+LA LUTTE
+
+POUR LA SANTÉ
+
+
+
+
+DU MÊME AUTEUR
+
+Considérations sur la folie paralytique Paris, J.-B. Baillière, 1874.
+
+Article Épilepsie du Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales
+(1886).
+
+Pratique de l'antisepsie dans les «maladies» contagieuses (Prix Stansky,
+de l'Académie de médecine). J.-B Baillière, éditeur (1892).
+
+Traitement de la Tuberculose par la créosote (Couronné par l'Institut,
+Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894.
+
+
+_En préparation_:
+
+Psychothérapie et Morale religieuse.
+
+
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+
+Dr. BURLUREAUX
+PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE
+
+
+
+
+LA LUTTE
+POUR LA SANTÉ
+
+
+ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE
+
+PARIS
+1908
+
+
+
+A MON CHER LUCIEN CLAUDE
+EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION
+ET EN SOUVENIR
+DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES
+
+
+
+
+PRÉFACE
+
+La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de ce livre n'est pas celle
+qu'ont entreprise, et que poursuivent avec un succès toujours plus
+marqué, nombre de ligues et sociétés philanthropiques. Certes, personne
+n'admire plus que moi l'effort généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse
+de combattre la mortalité infantile, ou de répandre et de faire
+appliquer les règles de l'hygiène, ou encore d'enrayer l'extension de
+ces trois plaies sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la syphilis,
+ce sont là des campagnes infiniment bienfaisantes; et je considère comme
+un honneur d'avoir pu, modestement, prendre ma part de quelques-unes
+d'entre elles.
+
+Mais à côté de cette grande lutte collective, il y a une autre «lutte
+pour la santé», tout individuelle, qui se livre tous les jours dans la
+vie de chacun de nous. Celle-là est une forme de la loi universelle
+de la lutte pour l'existence. Sans cesse, depuis l'instant où nous
+naissons, notre organisme tend à maintenir ou à rétablir cet équilibre
+de ses forces que l'on appelle «la santé»; et sans cesse une foule
+d'influences, intérieures ou venues du dehors, tendent à détruire cet
+équilibre, éminemment instable.
+
+Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge, le sexe, l'hérédité,
+les conditions de la vie: mais toutes travaillent, en nous, à la même
+fin; et l'on peut dire que l'histoire entière de notre vie physique
+n'est que l'histoire des péripéties de la «lutte» incessante qui se
+déroule entre elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer dans
+son être. Et si, parmi ces influences hostiles à notre santé, beaucoup
+ont un caractère fatal et inévitable, s'il y a malheureusement beaucoup
+de causes de «maladie» contre lesquelles nous sommes désarmés, il y en
+a aussi un très grand nombre qui peuvent être évitées, ou combattues
+victorieusement. Toute la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la
+nature dans sa lutte contre elles.
+
+
+Mais la médecine est moins une science qu'un art. De la multiplicité
+des circonstances, de la diversité des esprits, il résulte que chaque
+médecin, quand il est parvenu à un certain point de sa carrière,
+s'aperçoit que l'ensemble de ses observations et de ses réflexions l'a
+amené à se faire une expérience propre, personnelle, des conditions
+générales de la «lutte pour la santé» et des moyens d'aider l'organisme
+à la bien conduire. C'est le fruit de mon expérience particulière que
+j'ai essayé de recueillir et de présenter, dans le livre que voici.
+
+De longues années de pratique médicale m'ont donné l'occasion de
+voir, sous des aspects très variés, la naissance et l'évolution de la
+«maladie». J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de traitement,
+anciennes et nouvelles. Pénétré, dès le début, de l'importance de la
+tâche qui m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir aucun parti
+pris d'école ni de doctrine, de ne rien rejeter ni de ne rien admettre
+sans l'avoir contrôlé, de borner toujours mon ambition à empêcher ou à
+soulager la souffrance par tous les moyens,--que l'idée de ces moyens me
+vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou non approuvés par les
+autorités du moment, qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier ou à
+celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru déjà une grande partie
+de ma route, il m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter les
+autres de tout ce que mon expérience, ainsi acquise, pouvait contenir
+d'intéressant et d'utile pour eux.
+
+C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout le monde. Je n'ai pas
+voulu en faire une thèse scientifique, mais plutôt quelque chose
+comme ces _Conseillers de la Santé_ que l'on était assuré de trouver,
+autrefois, au chevet du lit de nos grands-parents. Laissant aux ouvrages
+spéciaux l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs extérieurs
+où notre organisme est sans cesse exposé, je m'en suis tenu aux
+différentes manifestations de ce que j'appellerai, d'un terme général,
+la «maladie», en entendant par là cette rupture de l'équilibre normal
+de nos forces, cette dépréciation plus ou moins complète de notre
+capital biologique, qui se produit, tôt ou tard, dans l'existence
+de chaque créature humaine, et s'exprime par une variété infinie de
+symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer les principales causes qui,
+aux différents âges, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent de
+compromettre ou de détruire la santé; et surtout j'ai essayé de montrer,
+au fur et à mesure, par quels moyens ces causes peuvent être évitées, ou
+leurs mauvais effets heureusement réparés.
+
+Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être le lecteur, accoutumé aux
+complications savantes de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité
+même lui semblera peut-être avoir quelque chose de révolutionnaire.
+C'est un danger que j'ai prévu, et que, certes, je n'affronte pas de
+gaîté de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon livre qui ne dérive,
+à la fois, d'une expérimentation méthodique et de réflexions patiemment
+mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque chose, en une matière
+aussi variable et aussi délicate, je suis sûr de l'efficacité des
+avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. Puissent-ils
+seulement être entendus, et porter leur fruit!
+
+
+Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant ouvrage
+de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur _Les Origines de la «maladie»_
+(1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de n'avoir pas pu en citer certaines
+pages qui s'accordent avec les idées que j'ai moi-même exprimées sur
+plusieurs points, et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop
+d'importance aux symptômes en pathologie.
+
+
+
+
+LA LUTTE POUR LA SANTÉ
+
+
+
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LE CAPITAL BIOLOGIQUE
+
+
+
+L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les connaissances humaines,
+un rôle considérable; ce n'est une nouveauté pour personne, mais cette
+vérité nous a été récemment rappelée, et exposée avec une clarté
+nouvelle, par le remarquable travail de M. Poincaré, intitulé: _La
+Science et l'Hypothèse._ Il y est démontré que ni les mathématiques,
+ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient exister si elles
+n'avaient pour point de départ des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré,
+plusieurs sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables, et, une fois
+confirmées par l'expérience, deviennent des vérités fécondes; les
+autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous être utiles en
+fixant notre pensée; d'autres enfin (comme le _postulatum_ d'Euclide) ne
+sont des hypothèses qu'en apparence, et se réduisent à des définitions
+et à des conventions déguisées». Plus encore que les sciences dites
+exactes, les études biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse,
+car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que «nous n'y savons le
+tout de rien.»
+
+Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser les sciences
+biologiques, mais simplement pour m'aider à fixer ma pensée, je
+demanderai, à mon tour, qu'on m'accorde une sorte de _postulatum_, qui
+nous aidera à nous rendre compte de la plupart des phénomènes de la
+biologie et de la pathologie.
+
+Voici ce _postulatum_:
+
+Je supposerai que chaque être, en naissant, reçoit un certain capital
+d'énergie vitale, de la valeur et de l'emploi duquel dépendront et
+sa santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts variables
+suivant chaque individu et suivant chaque période de la vie. J'ajouterai
+que ce capital peut être, à toute période de la vie, amoindri par une
+cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit sont également
+variables aux diverses périodes de la vie.
+
+Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent travail sera
+d'étudier, d'un bout à l'autre de la vie, la meilleure manière de faire
+valoir ce capital, et de le défendre contre les influences qui ne
+cessent pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on appelle les
+«causes morbigènes», et leurs assauts sont ce qu'on appelle les
+«maladies».
+
+L'homme malade est donc, dans notre hypothèse, celui qui vient de subir
+une de ces diminutions de son capital biologique: d'où il résulte que,
+avant d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous devons d'abord
+envisager le capital initial, et les causes qui en font varier la
+valeur.
+
+Considéré au point de vue théorique, c'est-à-dire en négligeant les
+influences qui peuvent le faire accidentellement diminuer, le capital
+initial est comparable à la force qui lance un projectile dans l'espace.
+Or, les mathématiciens savent exactement quelle doit être la courbe
+parcourue par le projectile, du moment qu'ils connaissent la vitesse
+initiale et la masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi,
+prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si nous pouvions
+connaître exactement le capital de vie qu'il apporte en naissant. Mais
+le fait est que, chez les différents êtres humains, le capital initial
+varie dans des proportions si énormes que nous ne pouvons guère nous
+flatter d'en avoir une notion précise.
+
+Pour des causes que nous chercherons à analyser, il y a des êtres chez
+qui le capital initial est nul: ce sont eux qui meurent en naissant,
+ou un ou deux jours après leur naissance, sans «maladies» ni lésions
+appréciables; tels certains enfants de syphilitiques, qui meurent parce
+qu'il n'ont pas la force de vivre.
+
+A l'autre extrémité de l'échelle se placent les aristocrates de la
+santé, doués d'un capital énorme, et qu'on voit atteindre à des âges
+avancés sans avoir jamais été malades, sans avoir jamais pris de
+précautions spéciales pour conserver leur santé. Ainsi, j'ai connu, non
+comme médecin, mais comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze ans,
+et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre indisposition. On peut
+même dire qu'il est mort sans «maladie»; il a tout simplement cessé
+de vivre, comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse de
+progresser et rentre dans l'immobilité.
+
+Entre ces deux extrêmes se trouve une variété infinie d'intermédiaires;
+et l'on peut dire qu'il n'y a pas deux personnes ayant le même capital
+biologique initial.
+
+Cependant les différences dans le capital initial ne sont pas si grandes
+qu'on ne puisse, tout au moins, en déterminer les causes principales,
+dont l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance majeure. Ces causes
+peuvent être groupées sous trois chefs:
+
+1° Les influences héréditaires;
+
+2° La valeur actuelle des générateurs au moment de la conception;
+
+3° Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation.
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+HÉRÉDITÉ
+
+
+
+L'hérédité tient une place considérable dans tous les problèmes de la
+vie; et, comme l'indique bien l'étymologie du mot _hoerere_, (être
+attaché), tout être vivant est relié à un long passé ancestral.
+Les végétaux eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le souci des
+horticulteurs n'est-il pas de créer, par de savants procédés de culture
+et d'habiles sélections, des types capables de transmettre par hérédité
+certaines qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au jour où, quand
+ils ont voulu trop profondément ou trop vite forcer la nature, la plante
+revient à son état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été trop
+surmenée. Et les mêmes observations sont familières aux éleveurs qui
+cherchent à perfectionner les races d'animaux domestiques.
+
+Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant que la constitution
+organique, la manière d'être physique ou mentale, se transmet des
+parents aux enfants ou aux descendants.
+
+L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui constitue les grands
+traits de caractère si différents de chaque race; c'est elle qui fait
+que les vertus, les vices, les passions, les haines, se transmettent
+dans le sein des familles aussi bien que la beauté, la couleur des yeux,
+la taille, etc. Souvent elle est directe, c'est-à-dire qu'elle provient
+du père ou de la mère; parfois elle saute une ou deux générations;
+d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le type d'un parent de
+la ligne collatérale qui prend la place. Mais il est rare que, dans le
+cours de la vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque.
+
+Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout temps. Dans son langage
+imagé, la Bible nous dit qu'«il a encore les dents agacées, celui dont
+l'ancêtre de la septième génération a mangé des raisins verts.» Si
+cette parole était l'expression exacte de la vérité, elle serait bien
+décevante, car elle paralyserait tous les efforts destinés à lutter
+contre les tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement
+protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des tares héréditaires; et la
+vérité est que l'influence de l'hérédité est modifiée grandement par la
+tendance qu'a tout être vivant à retourner à son type primitif, comme
+aussi par les influences du croisement, en vertu desquelles l'un des
+générateurs peut rectifier la tare transmise par son partenaire. Ce
+n'est que quand les deux générateurs ont les mêmes tares que l'hérédité
+sévit avec son maximum d'intensité; et alors non seulement les tares
+s'ajoutent, mais elles semblent se multiplier l'une par l'autre,
+au point de rendre l'enfant incapable de soutenir la lutte pour
+l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a pas la force de transmettre la
+vie. Ainsi s'éteignent les familles par les «maladies» héréditaires, à
+moins qu'un des membres de la race déchue, revenant pour ainsi dire
+au type primitif, ne porte en lui une force de réaction
+insoupçonnée,--héritage peut-être d'un passé plus lointain,--qui lui
+permette de reconstituer la famille.
+
+Telles sont les considérations générales qu'il m'a semblé utile
+d'indiquer, parce qu'il en pourrait sortir un grand nombre de
+conclusions pratiques pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent
+que j'insiste sur quelques détails plus particuliers.
+
+D'abord, l'hérédité de la longévité.
+
+Il est des familles où l'on meurt vieux, de père en fils. On dirait des
+horloges remontées pour sonner à peu près le même nombre d'heures. Il
+est d'autres familles où tout le monde meurt jeune, sans cependant qu'on
+puisse incriminer des «maladies» spéciales. Pourquoi? Force est bien de
+le dire, nous ne le savons pas.
+
+Notons, en passant, combien sont erronées les théories qui attribuent
+à l'homme moyen une longévité moyenne, calculée d'après l'époque de la
+soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la croissance: suivant les
+calculs de Flourens, cette moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est
+là une simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune observation
+sérieuse.
+
+Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur des moyennes de ce
+genre, et sur le calcul des probabilités, que sont basés les statuts des
+compagnies d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable de supputer
+la longévité probable d'un individu donné, quand on est en mesure
+d'apprécier son capital biologique et la façon dont il sait s'en servir.
+Mais dire que l'homme est bâti pour vivre cent ans, parce que, dans les
+espèces animales, la longévité a cinq fois la durée de la croissance,
+et que, chez l'homme, la durée de la croissance est de vingt ans, c'est
+établir une théorie sur des bases absolument fragiles.
+
+Plus importantes encore que la plus ou moins grande longévité des
+parents, sont, pour nous, certaines particularités de leur état
+pathologique, qui retentissent d'une façon souvent très profonde sur la
+valeur de leurs enfants.
+
+On sait, par exemple, les influences néfastes de l'alcoolisme
+héréditaire, qui non seulement restreint la natalité, mais condamne ceux
+qui naissent à une mort rapide.
+
+La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire, elle semble la
+favoriser, et tout le monde connaît, en effet, de ces nombreuses
+familles fauchées par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs
+s'obstinent à mettre au monde de nouvelles victimes: aucune ne survit, à
+moins qu'un traitement médical bien compris ne vienne mettre fin à cette
+lamentable situation [1].
+
+[Note 1: Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette
+polynatalité des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on
+serait tenté d'appeler la loi de protection des faibles.
+
+N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres sans
+défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction
+auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde animal. Les
+animaux puissants, armés pour la défense ou pour la lutte, sont toujours
+de médiocres générateurs; l'éléphant, par exemple, ne donne naissance
+qu'à un nombre très restreint d'individus, la femelle porte longtemps;
+même remarque pour le lion. Au contraire, les animaux sans défense, se
+multiplient avec une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les
+lapins d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette
+colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de toute
+mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau pour
+l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de moyens
+ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se cacher. Dans
+l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples admirablement
+bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas d'enfants? Nous ne
+parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, enfants; car ici intervient
+un autre facteur, la restriction volontaire; mais de ces ménages
+exemplaires, où la venue d'un enfant serait une joie, et qui restent
+stériles, sans que rien dans l'état des conjoints explique cette
+stérilité.
+
+Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point de vue de
+la santé, mettent au monde de nombreux enfants, qui bien souvent
+constituent pour eux une richesse négative. Ces malheureux portent le
+beau nom de prolétaires _(proles, race)_.
+
+Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini.
+Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi tel couple ne
+donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à des garçons?
+C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique de la mère était
+sensiblement inférieure à celle du père. Quand il y a une disproportion
+marquée entre les deux générateurs, l'enfant qui naît a le sexe du
+générateur qui vaut le moins.
+
+Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine de vie et
+de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque toujours un
+garçon.
+
+Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles s'observe
+pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans défense: elles
+pullulent partout, on les trouve sous toutes les latitudes, à toutes les
+altitudes; au contraire, celles qui se défendent, ont ce qu'on appelle
+en botanique des «aires» très limitées.
+
+Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi: les métaux qui
+se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément parce qu'ils
+sont rares et incorruptibles (mais non incorrupteurs) que l'homme les
+a pris comme représentant la valeur du travail. L'or, par exemple, que
+rien n'attaque, est plus rare que les métaux qui s'oxydent facilement,
+tels que le fer, le cuivre.
+
+Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une rareté
+qui lui donne tout son prix.
+
+C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids aux
+lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.) que résulte
+un équilibre presque stable dans le monde des êtres créés.]
+
+La syphilis est un des principaux facteurs de dégénérescence. On
+commence seulement à connaître l'étendue de ses ravages. On sait
+aujourd'hui qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les fait mourir
+avant leur naissance, ou le jour même de leur naissance; qu'elle se
+traduit plus souvent encore, dans les deux premiers mois qui suivent la
+naissance, par des accidents contagieux; que, dans les premières années
+de la vie, elle entraîne la mort par méningite (méningite spéciale que
+l'on prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse, et qui serait
+justiciable d'un énergique traitement anti-syphilitique).
+
+On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la syphilis des
+générateurs provoque, à l'âge de huit, dix, quinze ans, des dystrophies,
+parfois des accidents tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce sont
+là des curiosités scientifiques.
+
+Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle proportion la syphilis
+des parents diminue la valeur biologique des enfants en apparence bien
+nés, c'est son influence sur les produits de la deuxième et même de la
+troisième génération. C'est là la science de l'avenir[2].
+
+[Note 2: Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de
+la syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons
+laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les
+efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes vérités.
+
+Il existe une _Société internationale de prophylaxie sanitaire et
+morale_ contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles, et
+ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc., qui
+toutes poursuivent un but commun: faire connaître les méfaits des
+«maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du possible et par
+tous les moyens possibles.
+
+La société française est certainement l'une des plus actives: sous la
+vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur Fournier, elle a
+déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est fondée.
+
+Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies,
+dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et des
+nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle, l'opinion
+publique commence à s'intéresser au redoutable problème, on ose
+envisager en face la syphilis, on ose prononcer son nom, et tout fait
+espérer que l'action de la Société de prophylaxie sera au moins aussi
+utile que celle des ligues contre l'alcoolisme et la tuberculose.
+
+Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on ne
+modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la tuberculose?
+Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre état social, tant qu'il
+y aura l'affreuse misère et la promiscuité. Tandis qu'on peut beaucoup
+contre la syphilis, «maladie» évitable s'il en fut, «maladie»
+essentiellement curable. Mais il faut la faire connaître dans tous les
+milieux, son danger provenant de l'ignorance. C'est surtout contre cette
+ignorance que lutte la Société française de prophylaxie sanitaire et
+morale à laquelle devraient être affiliés tous les gens de bien, toutes
+les personne soucieuses de l'avenir de la nation.]
+
+L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable qu'on se plaisait à le
+dire? Non. Voilà, du moins, ce qu'affirment la science expérimentale et
+l'observation des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux. Mais,
+dans la pratique, il serait sage de se conduire comme si la tuberculose
+était héréditaire: 1° parce que les enfants de tuberculeux sont,
+par cela même qu'ils vivent dans un milieu contaminé, exposés à
+la contagion[3]; 2° parce que l'enfant, s'il n'hérite pas do la
+tuberculose, hérite incontestablement de la prédisposition à devenir
+tuberculeux. Il ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable: de
+sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension qu'avaient
+nos pères au sujet de l'hérédité de la tuberculose était parfaitement
+légitime.
+
+[Note 3: Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de
+tuberculeux a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est de
+prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore sains,
+pour les faire élever à la campagne dans des familles saines. C'est
+ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre la
+tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre
+scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à
+sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; elle a
+fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des demandes
+des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre la nécessité de se
+séparer de leurs enfants encore sains pour les confier à des familles
+de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés par ses médecins,
+et offrant toutes garanties de moralité. Cette Oeuvre, bienfaisante à
+plusieurs titres, est en outre _économique:_ chaque pupille ne coûte
+en effet qu'un franc par jour, parce que tous les dévouements sont
+gratuits. Cette faible somme d'un franc, bien employée, sans aucune
+fuite, sert ainsi les intérêts de deux familles et sauve la vie d'un
+enfant.]
+
+L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée. Tout est obscur dans
+la question du cancer: son étiologie, ses modes de transmission, ses
+variétés d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes ces
+incertitudes, malgré les belles promesses de la sérothérapie, de la
+vaccination anti-cancéreuse, et de la radiothérapie.
+
+En résumé, l'hérédité est le principal facteur de la valeur biologique
+des individus. Chacun, de par son hérédité, naît avec une valeur
+différente: l'inévitable inégalité sociale existe non seulement le jour
+de la naissance, mais le jour même de la conception.
+
+C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la différente valeur des
+différents organes. Beaucoup naissent avec un organe plus faible que les
+autres, de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir compte
+de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il se trouve en face d'un
+malade quelconque.
+
+Les organes qui subissent le plus notablement la tare héréditaire sont:
+le système nerveux, le coeur, et les reins.
+
+_A_) Les tares nerveuses se transmettent avec une constance redoutable;
+et c'est à juste titre qu'on craint les alliances avec des sujets
+dont les parents sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme
+exagéré.
+
+Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de l'hérédité nerveuse
+à des limites excessives: car, ainsi que je l'ai dit, nous devons
+compter avec une sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle l'être
+naissant est débarrassé de sa tare ancestrale; l'hérédité n'est jamais
+absolument fatale. Et nous devons prévoir aussi les atténuations que
+peuvent amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse du père peut
+très bien être atténuée par le bon équilibre nerveux de la mère, le
+croisement bien compris entraînant une sorte de régénération. Enfin, il
+est certaines «maladies» nerveuses qui ne se transmettent jamais par
+hérédité: telle la paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme est
+mort dans un asile, par le fait de la paralysie générale, il ne faut pas
+conclure que ses descendants soient menacés de folie, ou même de tares
+nerveuses. Le paralytique général a pris la «maladie» uniquement pour
+son compte, et il ne la transmet pas plus que ne transmettrait sa tare
+nerveuse un homme qui serait, accidentellement, empoisonné par le plomb.
+Tout ce qu'on peut dire du paralytique général, c'est que, neuf fois sur
+dix, c'est un syphilitique, et que sa descendance peut être entachée de
+syphilis au même titre que la descendance d'un syphilitique quelconque.
+
+_B_) L'hérédité des cardiopathies est également très intéressante à
+étudier: elle n'est pas assez connue.
+
+Il y a des familles dans lesquelles tous les membres succombent aux
+affections cardiaques. C'est donc que, là, les enfants apportent, en
+naissant, un point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose
+curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne devient perceptible,
+chez ses divers membres, qu'à des âges plus ou moins avancés. Vers
+trente ans, l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou sept ans
+plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre, tout en ayant le coeur
+sain à l'auscultation, succombera par le coeur, dans le cours d'une
+pneumonie. «La «maladie» était au poumon, et le danger au coeur»
+(Huchard). Un troisième membre mourra à cinquante ans, à son quatrième
+accès d'angine de poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la
+moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre affection capable
+de déterminer des lésions cardiaques. Enfin un quatrième aura de la
+tachycardie paroxystique. Et tout cela parce que la mère des quatre
+enfants aura eu, avant la naissance du premier, le coeur touché
+accidentellement par le rhumatisme; je connais même une famille où
+l'hérédité remonte à deux générations: presque tous les membres de cette
+famille sont des cardiopathes.
+
+C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale mérite d'être signalé au
+même titre. On connaît l'albuminurie héréditaire et familiale: mais les
+récents travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont démontré, en
+outre, qu'une mère atteinte de néphrite donne naissance à des
+enfants dont les reins sont moins résistants aux infections et aux
+intoxications, ou même sont altérés au point d'entraîner la mort dès les
+premiers jours de la vie. De plus, chacun naît avec une prédominance de
+tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le système nerveux qui
+présente un développement hors de proportion avec les autres systèmes
+organiques; chez d'autres, c'est le système musculaire.
+
+Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement parler, des malades,
+ni même des candidats à la «maladie»; ils peuvent avoir un excellent
+capital biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas commettre
+de fautes dans la direction à leur conseiller. Et nous retrouverons
+cette importante donnée quand nous parlerons des grands problèmes de
+l'éducation.
+
+Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette singulière
+prédominance d'un des côtés du corps sur l'autre que l'on observe chez
+la plupart des malades? En général, c'est le côté gauche qui est le plus
+faible; c'est lui qui est le siège des névralgies, des pneumonies, des
+misères variées que les malades accusent; c'est lui qui est le plus
+faible au dynamomètre; et tout le monde sait que la main gauche est, en
+général, moins habile que la main droite; le langage courant traduit
+cette infériorité, en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile. Chez
+d'autres, au contraire, c'est le côté droit du corps qui est le siège de
+toutes les douleurs névralgiques, rhumatismales, sans pour cela que
+ces malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir recherché la part de
+l'hérédité dans cette répartition inégale de l'influx nerveux, que je ne
+fais que signaler en passant.
+
+Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de voir, et qui doit en
+former pour nous la conclusion pratique, c'est que, pour difficile que
+soit la connaissance précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être n'y
+a-t-il pas de point sur lequel l'attention du clinicien doive se porter
+plus soigneusement! En présence d'un malade, notre premier effort
+doit être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses parents; et les
+résultats de cette première enquête doivent toujours nous être présents
+à l'esprit, tout dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais
+surtout quand nous aurons à diriger sa santé.
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+CONCEPTION
+
+
+
+L'influence de la valeur actuelle des générateurs, au moment de la
+conception, est à peine soupçonnée, et le fait est qu'il serait bien
+difficile de la démontrer; elle doit être, cependant, considérable, et
+il y a tout lieu de croire que la valeur d'un individu à naître varie
+du tout au tout selon qu'il a été conçu dans de bonnes ou de mauvaises
+conditions.
+
+Depuis longtemps, les médecins protestent contre les voyages de noces.
+On ne saurait trop faire campagne contre cette coutume, tout au moins
+antihygiénique. Considérez, en effet combien s'accumulent les conditions
+déplorables pour la procréation, chez deux conjoints dont le système
+nerveux a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires du
+mariage, par la fatigue des journées consacrées à sa célébration, par
+les émotions inséparables de cet acte important de la vie! Et voilà ces
+jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour un voyage lointain,
+qui s'exposent à des fatigues de toute sorte, à la déplorable
+alimentation de l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de
+résidence tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions que, sans
+recueillement, à la légère, ils accomplissent l'acte qui doit donner _la
+vie_.
+
+Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte conjugal s'opère à la
+suite de repas copieux, dans des conditions non moins déplorables.
+
+Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion de la jeune femme,
+trop souvent surprise par les conditions nouvelles de l'existence
+qu'elle a adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait le
+professeur Pinard: «En plein XXe siècle, nous procréons comme les
+hommes des cavernes.»
+
+Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose que d'appeler
+l'attention sur un mal dont presque personne ne soupçonne l'importance,
+en dehors du monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi dire,
+d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra le danger.
+
+Appelons aussi l'attention sur un point délicat: sur la nécessité de
+faire l'éducation de la jeune fille, pour qu'elle sache ce qu'est le
+grand acte de la procréation.
+
+Je vois d'ici les mères françaises frémir, et s'armer en guerre les
+bataillons de ceux qui confondent la pudeur avec la pudibonderie. Nul
+doute, cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans nos moeurs, à
+cet égard, et dans tous les milieux sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler
+ce que dit la Bible, dans le livre de _Tobie_, chapitre VII? Le fils
+du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël, allait épouser Sara,
+fille de Raquel, laquelle avait vu mourir subitement ses sept premiers
+maris, aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour lui éviter
+pareil sort, l'ange donnait au jeune homme les conseils suivants: «
+Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'elles
+bannissent Dieu de leur coeur et de leur esprit et qu'elles ne pensent
+qu'à satisfaire leur brutalité, comme les chevaux et les mulets qui sont
+sans raison, le démon a pouvoir sur elles. Mais pour toi, après que tu
+auras épousé cette fille, étant entré dans la chambre, vis avec elle en
+continence pendant trois jours, et ne pense à autre chose qu'à prier
+Dieu avec elle! La troisième nuit étant passée, tu prendras cette fille,
+dans la crainte du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants
+plutôt que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part à la
+bénédiction de Dieu.»
+
+Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend pas, pour procréer, plus
+de précautions qu'à l'époque des premières ardeurs; c'est également une
+faute dont se ressent le produit de la conception.
+
+Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de la procréation. Ce
+traité, conçu dans un esprit large, libéral, scientifique, qui tiendrait
+compte de tous les éléments du problème, c'est-à-dire non seulement du
+point de vue médical, mais aussi de l'élément passionnel, répondrait à
+un véritable besoin.
+
+Et un chapitre, et l'un des plus importants, devrait y être consacré
+au traitement préventif de la syphilis héréditaire. Combien d'hommes
+atteints de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, ignorent les
+bienfaits d'un traitement spécifique, qu'ils suivraient deux ou trois
+mois avant de se marier, pour préserver leurs enfants de la terrible
+«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer ce traitement
+préventif, alors même qu'ils savent que le générateur a eu la syphilis!
+Mais je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet.
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+GESTATION
+
+
+
+Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant la gestation, nous
+n'avons aucune donnée précise à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par
+exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse pénible, voire même
+des vomissements incoercibles, donnât naissance à un enfant plus
+spécialement faible; inversement même, bien des femmes d'une santé
+médiocre ont des grossesses superbes. J'étonnai fort une malade, un
+jour, en lui disant qu'elle ne devait aller bien que pendant ses
+grossesses. C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, et que la
+grossesse devait lui produire l'effet d'une sangle, en soutenant les
+organes. Mais il n'est guère vraisemblable qu'un état de santé
+aussi artificiel, et aussi transitoire, soit, pour le produit de la
+conception, un brevet de santé future.
+
+Par contre, les «maladies» de la mère pendant la grossesse ont une
+influence bien connue sur la valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne
+provoquent pas l'avortement, elles impriment à l'enfant une tare.
+
+J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif. Une jeune femme, au
+quatrième mois de sa première grossesse, avait eu une appendicite si
+nettement caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher, et
+moi-même, avions été sur le point de provoquer l'intervention d'un
+chirurgien. La malade avait pu, cependant, être traitée médicalement:
+mais l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance une intolérance
+intestinale véritablement anormale. Une première nourrice, choisie par
+l'accoucheur, lui a donné un lait qui a semblé trop fort, car l'enfant a
+eu, dès le deuxième jour, de la diarrhée verte et des vomissements. Dans
+l'espace de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours choisies
+avec le plus grand soin, n'ont pas eu plus de succès: à chaque nouvelle
+nourrice, vomissements, fièvre ardente, diminution rapide du poids.
+Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix des nourrices idéales, on
+était bien obligé de donner à l'enfant du simple lait de vache coupé;
+alors il allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait très
+vite, la vie revenait: de telle sorte que, après ces quatre tentatives
+d'allaitement par le lait de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin,
+pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet enfant a probablement
+un intestin extrêmement délicat, à cause de l'appendicite de sa mère
+pendant la gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé coupé!»
+Et il eut raison; grâce à d'infinies précautions, à une surveillance
+méthodique, l'enfant put être élevé.
+
+Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends pas faire le
+panégyrique de l'allaitement artificiel: je ne le cite que pour prouver
+comment la «maladie» d'un organe de la mère pourrait bien avoir une
+répercussion sur le fonctionnement du même organe, chez l'enfant qu'elle
+porte en son sein.
+
+Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions de la mère, pendant la
+grossesse, peuvent avoir un retentissement sur la qualité du produit.
+Et de là dérive le devoir strict, pour la société, de protéger la femme
+enceinte. Quelques philanthropes l'ont bien compris; mais cette notion
+n'a pas assez pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est un
+scandale, pour une nation civilisée, de voir le peu qui est fait pour
+assister la femme enceinte, pour lui épargner les soucis de l'avenir
+prochain et les fatigues des derniers jours de la gestation.
+
+Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme. S'ils naissent avant
+terme par le fait de la «maladie» des générateurs, de la syphilis par
+exemple, leur valeur biologique est sensiblement réduite, et peut même
+être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant terme accidentellement,
+par exemple à la suite d'une chute de leur mère, ou d'une intervention
+obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup moins compromis qu'on ne
+le croit dans le public non médical. Le tout est de leur assurer une
+température qui se rapproche de celle qu'ils avaient dans le sein
+maternel.
+
+Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les modèles de couveuses
+artificielles. Ces appareils, certes, peuvent rendre des services; mais
+il ne faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer, en préservant
+l'enfant du froid, ce qui s'obtient: 1° en chauffant convenablement sa
+chambre, et en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en sachant
+l'alimenter dès sa naissance. Ce second problème est difficile; pour
+le résoudre, il faut se rappeler une grande loi que nous retrouverons
+plusieurs fois dans le cours de cette étude, et qui consiste à
+proportionner la valeur nutritive de l'aliment, et le nombre de prises
+alimentaires, à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant terme,
+on donnera donc, toutes les demi-heures, une cuillerée à café de lait,
+coupé de 2/3 d'eau bouillie sucrée.
+
+L'enfant va naître; quel préjudice lui cause l'accouchement au forceps?
+Nous ne pouvons pas nous défendre de redouter, pour notre part, la
+compression colossale qu'impose l'application du forceps à la masse
+cérébrale de l'enfant. Mais l'étude approfondie de cette question, qui
+aurait pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a pas encore été
+faite, à notre connaissance du moins, d'une façon suffisante. En tout
+cas, on est en droit de considérer comme coupable une intervention au
+forceps faite pour gagner du temps, ou pour faire valoir l'importance
+des soins obstétricaux.
+
+
+
+CHAPITRE V
+
+LES INFLUENCES MORBIGÈNES ET LES SYMPTOMES MORBIDES
+
+
+
+L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne ne le sait, sauf dans
+les cas extrêmes où il vient au monde avec des apparences tellement
+misérables que, dès son premier vagissement, son infériorité saute aux
+yeux; c'est ce qui arrive chez les hérédo-syphilitiques, et rien n'est
+aussi navrant que l'apparition du petit monstre aux lieu et place d'un
+enfant bien vivant, attendu avec une légitime impatience. Il faut avoir
+assisté à ce spectacle pour en comprendre la poignante horreur. Tout le
+monde, sauf la mère, s'accorde alors à penser qu'il vaudrait mieux que
+l'enfant ne fût pas né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible
+de savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec lui; c'est son
+secret, qu'il gardera pendant toute la durée de son existence, mais que
+le médecin parviendra cependant à deviner en partie, s'il sait fouiller
+l'hérédité de son malade et s'inspirer des quelques principes que nous
+avons esquissés à grands traits dans le chapitre précédent.
+
+L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être une «lutte pour la
+santé», une suite d'efforts, volontaires ou instinctifs, pour défendre
+son capital naturel de santé contre les «influences morbigènes» qui vont
+le guetter à chaque pas.
+
+Ces influences morbigènes, que l'être vivant va rencontrer sur sa route,
+depuis le jour de sa naissance jusqu'à la fin de sa carrière, nous
+allons tout de suite les esquisser à grands traits.
+
+Au début, nous avions assimilé, pour les besoins de la théorie, l'être
+humain à un projectile lancé dans l'espace avec une vitesse initiale
+déterminée; mais, tandis que le projectile parcourt une courbe
+mathématique, qu'on appelle une parabole, la courbe évolutive de l'être
+humain est une courbe irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une
+influence morbigène survient, puis remonte pour osciller de nouveau,
+puis fléchir définitivement à partir d'un certain moment de la vie que
+nous appellerons le début de la période de déclin, et toujours avec des
+oscillations à amplitude de moins en moins considérable, jusqu'au moment
+où toutes les réserves se trouvent épuisées.
+
+La mort peut encore interrompre brusquement la courbe évolutive; c'est
+ce qui arrive quand la brèche faite au capital est irréparable, soit
+à cause de l'importance de l'assaut perturbateur, soit à cause de
+l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux influences se
+combinent; et le nombre de leurs combinaisons est incalculable.
+
+La variété des causes morbigènes est elle-même infinie; mais la nature
+n'a qu'un nombre limité de moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte
+que les causes les plus variées peuvent se traduire par les mêmes
+symptômes. Aussi accordons-nous relativement peu de valeur à l'étude
+du symptôme. Les symptômes s'associent de mille et une façons, pour
+constituer autant déformes morbides différentes. Que dis-je? Il n'est
+pas deux malades qui se ressemblent, Ce n'est que pour la facilité de
+l'étude que les pathologistes ont créé des cadres posologiques; mais
+on comprend assez que ces cadres devraient être aussi élastiques
+que possible. Le vrai médecin, après s'en être servi pour faire
+d'excellentes études, ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire
+abstraction, de penser et d'agir comme si les cadres n'existaient
+pas. Et un moment viendra même, quand son expérience clinique sera
+suffisante, où il aura tout intérêt à faire table rase des notions qu'il
+a péniblement accumulées par un travail assidu et prolongé; tout comme
+l'architecte, qui, une fois la construction terminée, fait enlever les
+énormes échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction de
+l'édifice.
+
+Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides est indispensable au
+clinicien, et l'on ne saurait apporter trop de soins à connaître, dans
+tous leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais il y a
+un écueil: c'est que, la théorie du moindre effort s'appliquant
+naturellement à l'esprit humain, on a une tendance involontaire à
+attribuer aux symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont pas; en
+d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une manifestation morbide
+devient, trop aisément, dans l'esprit du médecin, la cause de la
+«maladie».
+
+Prenons comme exemple la constipation: ce n'est en réalité qu'un
+symptôme, et qui peut se trouver chez une foule de malades différents.
+Nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est d'origine
+mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque, etc.). Un mot cependant, en
+passant, pour dire que le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces
+causes mécaniques, et de traiter par des moyens médicaux des malades
+dont une intervention chirurgicale aurait pu prolonger la vie ou
+atténuer les souffrances.
+
+Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires de la chirurgie,
+n'est-il pas vrai que la constipation est un symptôme banal, pouvant
+être attribué à une foule de causes? Parfois, elle est due à des lésions
+d'organes lointains, par un mécanisme réflexe à long circuit, suivant
+l'ingénieuse expression de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions
+utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, elle est due à
+un trouble profond du système nerveux, qui, avant l'apparition de la
+constipation, avait traduit son malaise par des plaintes variées.
+D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même temps que
+l'entéro-colite sa compagne, à la suite d'un choc brutal, moral ou
+traumatique.
+
+De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due tantôt à un manque,
+tantôt à un excès d'exercice musculaire. Les hommes qui ont besoin de
+beaucoup d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant les
+prédispositions héréditaires, ou des cérébraux, ou des goutteux, ou
+des lithiasiques, mais toujours des constipés: et leur constipation
+disparaît a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis de
+l'exercice qui leur convient. Inversement, les hommes qui prennent trop
+d'exercice deviennent dyspeptiques et constipés, et le lit est leur
+meilleur laxatif.
+
+Enfin la constipation peut tenir à une erreur de régime, soit à l'abus
+du lait (le cas est fréquent), soit à l'usage abusif de la viande: alors
+le régime semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer de
+régime pour voir disparaître la constipation.
+
+La constipation n'est donc qu'un symptôme.
+
+Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des répercussions à
+distance, en vertu de ce principe que le système nerveux abdominal a des
+relations intimes avec le système nerveux central, que, d'une façon plus
+générale, le trouble d'un département quelconque du système nerveux
+retentit sur les autres départements, la constipation, bien que
+symptomatique, contribue dans une certaine mesure à entretenir la
+«maladie», ne fût-ce que par la préoccupation qu'elle cause au malade,
+et qui peut dégénérer quelquefois en véritable obsession. Mais ce qu'il
+faut se rappeler, quand on aborde le problème thérapeutique, c'est que
+le système nerveux est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien nous
+accorder que la solidité d'une chaîne est égale à celle du plus faible
+de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a à rechercher quel
+est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du
+système nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guérir le constipé
+médical.
+
+Il n'y a donc pas de remède contre la constipation, et, pour
+l'atteindre, il faut atteindre la «maladie», dont elle constitue une
+des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite,
+les plus faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler paradoxal,
+j'affirme que la constipation est, de tous les symptômes observés chez
+le constipé médical, celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade
+qui souffre, depuis des années, de ces misères variées qu'on est
+convenu de désigner sous le nom un peu vague de neurasthénie, et
+parmi lesquelles la constipation joue un rôle capital; après enquête
+minutieuse, trouvez la formule exacte de son régime, et par régime je
+n'entends pas seulement le régime alimentaire, mais la réglementation
+minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail
+cérébral, etc.; supprimez les agents thérapeutiques qui entretiennent la
+«maladie» (douches froides, exercice forcé, médicaments variés, diète
+lactée); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble
+nerveux de son intestin, à savoir les purgatifs, lavages à grande eau,
+etc.: et vous serez étonné de voir la constipation disparaître, avant
+même toutes les autres misères. Le malade vous dira, au bout de huit
+jours: «Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tête, de
+l'estomac, du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence à retrouver
+le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma
+constipation, si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je n'ai
+presque plus de peaux dans les selles, et je commence à reprendre
+confiance.» A partir de ce moment précis vous tenez le malade, il a en
+vous une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner méthodiquement,
+si surtout des influences étrangères ne viennent pas contrecarrer la
+vôtre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entièrement
+à votre direction, vous lui rendrez, peu à peu, la santé. Il aura des
+rechutes inévitables: mais lui annoncer à l'avance ces rechutes,
+c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins
+importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne tracée par vous:
+s'il commet un écart de régime, un excès d'exercice, ou s'il a une
+commotion morale, l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée d'état
+gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fièvre
+quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez à
+lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui faire
+comprendre que cette rechute était évitable.
+
+Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous
+verrions qu'elle appartient, de même, à une foule d'affections. Le mal
+de tête, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus
+variés, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses?
+Heureusement pour les malades, il n'est encore venu à l'idée de personne
+de trouver un remède applicable à tous les cas de mal de tête. Nous
+en connaîtrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le
+divulguer: car, si la médecine «du symptôme» est détestable au point de
+vue de l'étude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue
+thérapeutique.
+
+Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptôme, ou un
+ensemble de symptômes (ce qu'on appelle un _syndrome_): on y trouve
+toujours en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans mon article
+_Epilepsie_ du _Dictionnaire Encyclopédique_, j'ai essayé de montrer
+combien il faut se méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir
+une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique utile des
+épileptiques. De même, en lisant ces jours-ci une intéressante étude du
+Dr Baraduc sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon, j'y
+voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on
+en juge par les quelques lignes que voici: «L'entéro-colite
+muco-membraneuse est un syndrome clinique dépendant d'un trouble
+fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et
+variées étant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de
+troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, à
+elle seule, pour produire l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité
+une prédisposition spéciale du système nerveux, et plus particulièrement
+du sympathique abdominal, à se troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette
+prédisposition nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire, est
+l'apanage des neuro-arthritiques.» Si l'auteur voulait bien avouer
+seulement que cette expression de «neuro-arthritiques» ne fait que
+dissimuler notre ignorance, nous serions tout à fait d'accord avec lui.
+
+En résumé, si le médecin doit bien connaître dans tous leurs détails,
+sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations
+morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie, et ne pas
+s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En un mot, il doit voir de haut
+pour voir loin, à condition toutefois de ne pas se perdre dans les
+nuages.
+
+Quelquefois, tous les systèmes organiques sont troublés à la fois sous
+l'influence d'une cause morbigène. C'est ce qui arrive, par exemple, à
+la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain,
+le blessé devenir à la fois dyspeptique, déséquilibré abdominal,
+constipé avec entérite muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et il
+peut rester longtemps dans ce misérable état qu'on désigne sous le nom
+d'_hystéro-neurasthénie traumatique._
+
+La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent également à la
+fois, tous les appareils de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la
+sidération peut être telle que le capital vital initial et les réserves
+antérieures se trouvent tout à coup épuisés: c'est la banqueroute
+totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les réserves ne sont
+que profondément entamés. C'est la «maladie» grave, aggravée encore par
+des médications et des pratiques intempestives; à un moment donné, le
+capital peut être réduit à si peu de chose, que la moindre dépense
+suffit pour l'anéantir. Le malade est une flamme vacillante que le
+moindre souffle peut éteindre, mais à laquelle un savant dosage
+d'oxygène rendra, peu à peu, la vie.
+
+Quand le capital est moins profondément atteint, ou quand la cause
+morbigène est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu
+d'être généralisés, atteignent plus spécialement tel ou tel organe:
+l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de
+l'hérédité ou par le fait d'une atteinte antérieure. Mais, en vertu de
+la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne
+reste pas longtemps limité à un organe ou à un système organique. Voyez
+le grand neurasthénique: il est à la fois dyspeptique, entéralgique,
+cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a été le premier
+atteint? Impossible de le dire, après deux ou trois ans de «maladie».
+Cependant une enquête bien conduite peut permettre souvent de
+reconstituer son histoire pathologique, de voir par où la «maladie» a
+commencé, quel était le point initial. Et c'est de la connaissance de ce
+point faible initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique.
+Le médecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il
+aura découvert, sans négliger, cependant, les perturbations secondaires
+attribuables à la synergie des fonctions de tout être vivant.
+
+Il arrive même, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les
+réserves sont bonnes, que le trouble de la santé ne se traduit que par
+un nombre très limité de symptômes, parfois même par un seul. Ainsi il
+y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont,
+comme manifestation morbide que le symptôme constipation, d'autres qui
+n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne
+clinique, et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il faut,
+presque de parti pris, les éliminer, et chercher au delà de la
+manifestation monosymptomatique. Presque toujours, alors, ou trouvera
+que la «maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence.
+
+De même que, dans une compagnie de chemins de fer, une irrégularité
+dans le service, minime en apparence, dénonce, si elle se renouvelle
+fréquemment, une mauvaise direction générale, de même, en biologie, il
+n'est pas d'indispositions insignifiantes, si limitées soient-elles à
+tel ou tel organe. L'apparition d'une douleur à l'épaule, par exemple,
+qui paraît une affection bien locale, est l'indice d'une perturbation
+plus profonde qu'on ne le croit du système nerveux central.
+
+Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est toute une doctrine qui
+est contenue dans cette affirmation; c'est que en effet c'est le système
+nerveux central qui à notre avis est le grand réservoir de l'énergie.
+C'est par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous
+sommes. C'est lui qui dirige le fonctionnement de tous les organes,
+de sorte que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement, la
+névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation spinale, la folie, la
+névropathie généralisée, etc., mais encore les troubles de circulation
+vaso-motrice des différents organes. En dernière analyse, il est la
+clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations se traduisent par
+les symptômes les plus variés, au point d'égarer presque fatalement le
+diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. Quelles que soient donc
+la forme, la gravité, l'apparence de la manifestation morbide, c'est
+toujours le système nerveux central qu'il faudra étudier, c'est sur lui
+que devra porter le grand effort thérapeutique.
+
+Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du malade et surtout la
+cause ou la série de causes qui ont fait fléchir momentanément son
+système nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa valeur
+biologique.
+
+Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont multiples. Il en est qui
+appartiennent à tous les âges, mais d'autres qui appartiennent plus
+spécialement à un âge déterminé.
+
+Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude, c'est d'après ce plan que
+nous passerons en revue les principales de ces causes morbigènes. Nous
+les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain: 1° depuis le jour
+de la naissance jusqu'au sevrage; 2° du sevrage à la puberté; 3° de la
+puberté à l'âge adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes
+phases du déclin; 6° pendant la vieillesse.
+
+Nous introduirons, en outre, des subdivisions, suivant que les
+influences pathogènes atteignent plus spécialement: 1° le système
+nerveux digestif; 2° le système nerveux musculaire; 3° le système
+nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie, nous mentionnerons
+les affections accidentelles qui portent atteinte à la fois à tous
+les systèmes organiques: nous voulons parler des «maladies» aiguës
+(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des intoxications
+(syphilis, intoxications alimentaires, etc.), toutes affections qui, par
+la brutalité de leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des
+gens du monde et de beaucoup de médecins, mais qui, en réalité, ne
+constituent que la partie la moins importante de la pathologie, surtout
+au point de vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera,
+j'espère, que cette formule n'est paradoxale qu'en apparence[4].
+
+[Note 4: Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont
+inévitables et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être
+vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui constituent
+le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail, en même temps qu'il
+dessinera à grands traits toute la pathologie, effleurera forcément
+les problèmes afférents à l'hygiène et a la thérapeutique, en d'autres
+termes, à la gestion du capital.
+
+L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté,
+l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun, constituée
+essentiellement par le capital initial, et par les intérêts qu'il
+rapporte.]
+
+
+
+CHAPITRE VI
+
+DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE (PUÉRICULTURE)
+
+
+
+Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou faible et qu'il sera
+bien ou mal géré, l'être vivant sera sain ou malade, donnera ou ne
+donnera pas son maximum de rendement, fournira ou ne fournira pas la
+carrière qui lui était originairement dévolue.
+
+Dans les premières années de la vie, la gestion du capital appartient
+tout entière aux parents. Bien peu savent élever leurs enfants; et s'il
+est des connaissances qu'on devrait répandre à profusion dans tous les
+milieux sociaux, ce sont celles relatives à la «puériculture», d'autant
+que les règles en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le démontre
+le _Traité de Puériculture_ du professeur Pinard, qui devrait être entre
+les mains de toutes les mères de famille.
+
+Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science de la puériculture.
+
+Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à tout propos et
+hors de propos, l'alimenter intelligemment, lui épargner toute
+médicamentation meurtrière, le préserver du froid et des changements
+brusques de température: et c'est tout.
+
+Si seulement on savait la manière d'économiser les vies d'enfants, on
+pourrait le faire dans les milieux en apparence les plus défectueux;
+c'est ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de MM.
+Schneider, la mortalité des enfants au-dessous d'un an n'est que de 110
+p. 1000, alors que, dans le canton de Vaud, renommé pour l'excellence
+de ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000. Ce magnifique
+résultat est dû surtout à l'élévation des salaires, qui permet aux mères
+de se consacrer librement à leur mission maternelle. Près de 80 p. 100
+des mères allaitent leurs enfants, toutes font de la puériculture avant
+la naissance. (_Rapport_ de M. le professeur Pinard, à l'Académie de
+médecine, 25 juillet 1905.)
+
+Il est bien évident que le capital initial ne suffit pour entretenir la
+vie que pendant quelques jours; il a besoin d'être sans cesse renouvelé
+et augmenté, pour permettre de faire des réserves, de donner à
+l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de transmettre la vie à
+son tour. C'est l'aliment qui pourvoit à ce besoin incessant; et par
+aliment nous entendons non seulement ce qui entre dans le tube digestif,
+mais aussi l'air, que les anciens définissaient très justement le
+_pabulum vitae_.
+
+Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa quantité, par une
+répartition vicieuse, la «maladie» ne tarde pas à naître; c'est là la
+cause essentielle de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait
+croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise alimentation du
+premier âge retentit sur toute la vie pathologique de l'individu.
+Quelques médecins le disent, le crient même, mais c'est dans le désert;
+la plupart le nient, ou passent indifférents à côté de cette vérité
+profonde. Quant aux gens du monde, ils en soupçonnent à peine
+l'importance.
+
+La vérité est que, quand un enfant a été mal nourri loin de sa famille,
+quand il revient de nourrice avec un gros ventre, on peut affirmer que,
+toute sa vie, il sera un valétudinaire.
+
+Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle de gens incompétents,
+ou quand, poussée par son médecin, qui veut mettre à l'abri sa
+responsabilité, une mère consent à abandonner les doux devoirs de
+la maternité et à confier à une nourrice l'enfant qu'elle aurait dû
+allaiter, quand à cette nourrice en succèdent deux ou trois autres,
+sous des prétextes quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de
+l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être insupportable, puis
+un écolier de quatrième ordre, dans son adolescence un raté,
+incapable de payer sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. Ces
+considérations doivent être présentes à l'esprit du clinicien qui, se
+trouvant en face d'un malade quelconque, arrivé à un âge quelconque,
+doit chercher à connaître ce que vaut ce malade.
+
+On comprend donc l'importance du problème de l'alimentation dans la
+première enfance. En principe, comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de
+la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut faire quelque chose
+qui soit puissamment efficace et fructueux, il est nécessaire, il est
+indispensable de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, et
+ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot, il faut permettre à la
+mère de donner ce qu'elle possède.» (_Rapport_ du professeur Pinard à
+l'Académie, juillet 1905.)
+
+Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir, il faut recourir
+immédiatement à l'alimentation artificielle, soit avec le lait stérilisé
+du commerce,--dont l'innocuité est quotidiennement démontrée par les
+résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville, au dispensaire
+très habilement dirigé par M. le Dr Variot,--soit encore avec le lait de
+vache bien surveillé, fraîchement et proprement trait, sucré, plus ou
+moins étendu d'eau, puis stérilisé dans la famille, avec des appareils
+Sosclet, ou mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire».
+
+C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette «Goutte de lait»
+de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait servir de modèle à toutes
+les institutions du même genre, à cause de la simplicité de son
+organisation.
+
+Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, maire de
+Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un subside de trente mille francs mis à
+sa disposition par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait» a déjà
+rendu d'importants services: elle a fait tomber la «maladie» des enfants
+de 0 à 1 an de 288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile le
+plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000.
+
+La consultation des nourrissons a lieu tous les dimanches matin, dans
+un local mis à la disposition de l'Oeuvre par la municipalité de
+Saint-Pol-sur-Mer: 120 enfants, en moyenne, sont présentés tous les
+dimanches.
+
+Les mères arrivent par séries, et se réunissent dans une grande
+salle chauffée où elles déshabillent leurs enfants. Elles pénètrent
+successivement dans la salle de consultation. Chaque enfant est pesé,
+puis examiné par le médecin, qui compare le poids actuel à celui du
+dimanche précédent, l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson,
+et fixe le régime pour la semaine qui va commencer. Toute mère reçoit,
+soit un important secours _en nature,_ si l'enfant est nourri au
+sein,--car on fait tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement
+maternel,--soit des biberons de lait _pasteurisé_, si l'enfant est à
+l'allaitement mixte ou artificiel.
+
+Le lait est distribué tous les jours au local de l'Oeuvre. Chaque enfant
+à l'allaitement artificiel a un double jeu de biberons et de paniers,
+qui lui sont personnels. En venant chercher les biberons prescrits, la
+mère remet ceux que l'enfant a vidés la veille. Un seul homme suffit
+pour assurer tout le service.
+
+Le lait est distribué gratuitement à tous les enfants indigents. Fourni
+à l'Oeuvre à son prix coûtant, il provient des étables du Sanatorium de
+Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans avoir été préalablement
+soumise à l'épreuve de la tuberculine.
+
+Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé Coutant:
+c'est-à-dire que, dans le biberon même où la mère devra l'utiliser pour
+son enfant, le lait est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement
+refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement brusque a été
+rendu possible par la contexture même du verre des flacons.
+
+Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes pathogènes, et, à
+l'inverse du lait stérilisé à 110°, a conservé toutes ses propriétés
+digestives et nutritives.
+
+Après la pasteurisation, les biberons restent plongés dans des bacs
+remplis d'eau froide, jusqu'à la livraison aux mères.
+
+La pathologie infantile est relativement simple. Faut-il donc, comme on
+le propose de divers côtés, faire faire à tous les étudiants en médecine
+un stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier aux mystères de
+cette pathologie? Remarquez que d'autres médecins demandent un stage
+spécial pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées; d'autres
+encore un stage pour l'étude des «maladies» nerveuses, sans parler de
+ceux qui voudraient un stage pour les «maladie» des yeux, des organes
+génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, pour celles des oreilles
+et du nez? et, à ce compte, combien de temps dureraient les études
+médicales? Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils étaient
+praticables; mais ils auraient pour effet de restreindre plus que de
+raison le nombre des futurs médecins, et de remplacer la pléthore
+médicale actuelle par une anémie encore plus regrettable.
+
+Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est qu'il lui reste
+beaucoup _à apprendre_, c'est que toute sa vie de praticien ne sera pas
+trop longue pour savoir lire dans le grand livre de la nature. Mais il
+nous semble que, pour ce qui concerne en particulier la pathologie des
+enfants, un peu de bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments,
+de la patience, suffisent pour faire de bonne thérapeutique infantile,
+quand, par ailleurs, on connaît les lois générales de la pathologie.
+
+Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants, je me rappelle
+avoir été appelé en consultation, en province, pour un enfant de six
+mois soigné par deux distingués confrères. Il avait, depuis cinq jours,
+une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement rapide. Pendant les
+trois quarts d'heure que dura mon enquête, je vis cet enfant passer
+successivement des bras de sa mère dans ceux de la nourrice _sèche_,
+puis dans ceux d'une tante affolée, le tout pour calmer les faibles cris
+qu'il avait encore la force de pousser. J'appris que ce manège durait
+depuis deux jours, que l'enfant avait pris du calomel, trois fois de
+grands lavages intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, à
+grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai simplement de mettre
+cet enfant dans son berceau et de l'y laisser, de lui appliquer sur le
+ventre un large cataplasme, de le laisser à la diète absolue pendant
+quatre heures puis de lui donner de l'eau panée, et de le laisser dormir
+si le sommeil pouvait venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé,
+l'enfant avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait
+naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau de riz; je conseillai
+de ne pas trop déranger l'enfant, de ne plus explorer son ventre. Le
+surlendemain, il prenait du lait écrémé pur, et j'appris qu'il avait
+retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé mit fin à la grave alerte, et
+aussi à la «maladie», qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime
+de soins trop empressés.
+
+Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le grand secret de la
+thérapeutique consiste à savoir réchauffer les enfants, tout en les
+tenant à la diète absolue pendant six ou douze heures, puis au régime
+«avec restriction des liquides» pendant deux ou trois jours.
+
+Avouons cependant que, parfois, les problèmes de pathologie infantile
+sont très difficiles à résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui
+ne supportait aucun lait de femme, pris en n'importe quelle quantité.
+D'autres fois, les enfants s'empoisonnent avec le lait même de leur
+mère. C'est, tout simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois;
+mais il faut quelquefois chercher longtemps pour trouver cette cause si
+simple. On ne se figure pas le nombre d'enfants qui ont des indigestions
+chroniques, parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout quand ils sont
+nourris par de plantureuses mercenaires qu'on ne sait comment tonifier,
+dans la pensée de donner plus de forces au précieux rejeton.
+
+Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies» des enfants est
+tellement difficile que les spécialistes se déclarent incompétents. Que
+d'erreurs de diagnostic commises à propos des méningites! Et comment
+aussi interpréter le cas suivant? Sans cause connue, un enfant d'un
+an, bien élevé au sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient
+grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre. Les jours suivants,
+la fièvre augmente, une pâleur inquiétante s'étend sur la face, un
+amaigrissement rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage; puis, au
+bout de quelques jours, sans qu'on ait rien fait que de laisser l'enfant
+bien tranquille, l'appétit revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout
+rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en consultation n'ont pas
+pu étiqueter cette «maladie», ni se prononcer sur son issue; mais,
+tous ayant eu le bon esprit de ne pas aggraver la situation par une
+médication intempestive, tout s'est terminé pour le mieux, et l'enfant a
+gardé son secret.
+
+La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de diagnostic n'est
+pas aux médecins, mais aux difficultés des problèmes cliniques. En les
+dénonçant, nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de la science:
+bien au contraire, ce que nous voulons dire, c'est qu'en thérapeutique
+infantile il faut avant tout de la sagacité, et que, dans certains cas,
+il faut que le médecin sache reconnaître son incompétence.
+
+Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une revanche éclatante,
+et c'est alors que le médecin est en droit de se féliciter d'avoir fait
+de bonnes études de pathologie générale.
+
+Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui vient bien pendant les
+six premières semaines; puis voici que, tout en continuant à prendre
+ardemment le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements, son poids
+cesse d'augmenter; il diminue de 200, de 300 grammes en quelques jours.
+Qu'est-ce à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique. Le
+traitement mercuriel, sous forme de liqueur de Van Swieten, de frictions
+mercurielles, ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose de 3 à
+5 milligrammes par jour, fait merveille et rétablit entièrement cet
+enfant.
+
+Nous avons dit plus haut combien souvent la méningite, qu'on croit
+tuberculeuse, et qui survient de deux à cinq ans, est d'origine
+syphilitique. Déjà en 1872, quand nous faisions nos études à
+Montpellier, le regretté professeur Fonsagrives nous disait qu'il avait
+sauvé beaucoup d'enfants, atteints de méningite tuberculeuse, en leur
+donnant de l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il s'agissait de
+méningites syphilitiques. Mais pour formuler un diagnostic de méningite
+syphilitique, pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen de
+l'enfant, soit par une enquête sur les parents, ne faut-il pas que le
+médecin ait beaucoup travaillé, beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle
+n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit se contenter de
+faire de l'expectation armée, il peut, dans beaucoup de cas, rendre aux
+enfants malades des services inappréciables.
+
+Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile, à un enfant atteint de
+pneumonie; de l'immersion alternative dans l'eau chaude et dans l'eau
+froide d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire, sinon
+que, dans certaines circonstances, le médecin opère ainsi de véritables
+résurrections?
+
+Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le rôle social du médecin,
+bien au contraire, ni introduire dans l'esprit des jeunes confrères un
+scepticisme infécond: ce que nous voulons, c'est leur dire qu'il ne faut
+pas se spécialiser dans l'étude de la pathologie infantile, et que, pour
+bien soigner un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout qu'il faut
+souvent savoir s'abstenir.
+
+En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en étant compliquée, comme
+tout ce qui touche au problème de la vie, nous semble être relativement
+simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un tube digestif percé
+aux deux bouts».
+
+Plus nous allons voir l'être humain avancer dans sa carrière, plus vont
+devenir nombreux et compliqués les problèmes de la vie. Le système
+nerveux ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une conditions
+défavorables qu'impose à l'homme le milieu cosmique vont imprimer à son
+capital biologique des dépenses qu'on ne peut certainement pas évaluer
+mathématiquement, mais qui se traduiront par une diminution de sa
+valeur. La vie ne va être de plus en plus qu'une série d'oscillations,
+de luttes entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les causes de
+destruction de l'être vivant; bref, un état d'équilibre instable, la
+santé n'étant qu'un bel accident passager.
+
+
+
+CHAPITRE VII
+
+DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ
+
+
+
+Il est logique d'introduire une subdivision dans ce chapitre, et
+d'étudier d'abord l'enfant de deux à sept ans, d'autant que, à cette
+période de la vie, il n'y a pas à tenir compte de la différence des
+sexes.
+
+I
+
+Pendant cette période, la nutrition a son activité maximum, l'enfant
+améliore son capital, accumule les réserves; mais il faut bien savoir
+qu'il a aussi des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux doit
+être dépensé pour faire connaissance avec le monde extérieur, pour
+apprendre le sens des mots, la notion des distances, etc.! On est
+effrayé en pensant au travail cérébral que supposent ces acquisitions.
+
+De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant toute fuite
+nerveuse inutile. Il faut presque se borner à le faire «boire, manger,
+dormir; manger, dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant de
+cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne devrait le réveiller. Pour
+démontrer combien peu d'enfants ont leur dose _optima_ de sommeil,
+prenez au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier jour,
+dormir à volonté; il s'octroiera douze heures de sommeil. Le lendemain,
+il se réveillera après onze heures, le surlendemain et les jours
+suivants après dix heures. C'est donc que, au moment précis où
+l'expérience a commencé, il avait un arriéré de besoin de sommeil.
+
+Quant au problème de l'alimentation, il est relativement simple, et
+l'expérience des mères de famille répond à la plupart des indications.
+L'enfant doit manger quatre fois par jour; mais, en général, il mange
+trop vite. Les parents devraient, pour leur usage personnel et pour le
+bien de leurs enfants, se rappeler qu'il existe des glandes salivaires
+sécrétant, chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par jour, et
+que, si une bonne digestion commence dans la cuisine, elle se continue
+dans la bouche.
+
+En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le moins d'influences
+nocives; et un peu de surveillance suffit pour que l'enfant se porte
+bien.
+
+Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent, en général, d'une
+façon bénigne, quand elles ne sont pas troublées par une thérapeutique
+incendiaire. De là la faible mortalité afférente à l'âge que nous
+étudions, dénoncée par les tables qui servent de base aux calculs des
+Compagnies d'assurances sur la vie.
+
+Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, scarlatine,
+rougeole, angine, il se rétablit avec une rapidité contrastant avec la
+lenteur de la convalescence chez l'adulte, et encore bien plus chez le
+vieillard. Voyez, par exemple, une angine herpétique! Elle occasionne
+chez l'enfant de tumultueux symptômes: de la fièvre, du délire; mais,
+au bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, quatre jours
+après, l'enfant paraît aussi bien portant qu'avant. Chez l'adulte, au
+contraire, le même nombre de points d'herpès sur la gorge provoque un
+état maladif moins tumultueux, mais qui se termine par une convalescence
+de quinze jours à un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou
+tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement nécessaires à l'enfant
+convalescent, doué de plus d'élasticité.
+
+A partir de sept ans s'esquisse, chez certains enfants, une
+différenciation qui ira s'accusant d'année en année. Un oeil attentif
+va percevoir si l'enfant appartient au type _musculaire_ ou au type
+_cérébral_. Le _musculaire_ est cet enfant actif, aimant à jouer,
+turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention pour un quart d'heure
+de suite, n'ayant, par conséquent, aucun goût pour l'étude telle qu'elle
+lui est imposée. Le _cérébral_ est l'enfant réfléchi, n'aimant pas les
+jeux bruyants, et dont l'esprit est en avance notable sur celui des
+enfants de son âge. A chacun de ces deux enfants conviendrait une
+éducation différente; malheureusement, les nécessités sociales les
+soumettent, l'un et l'autre, à la même discipline pédagogique,--bien
+comprise, il faut l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour
+ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement en vigueur
+s'approche autant que possible de la perfection, il faut bien dire qu'il
+convient moins aux types extrêmes que nous venons de mentionner. Le
+petit _musculaire_, condamné à de longues heures d'étude, s'agite,
+s'inquiète, devient de plus en plus dissipé, et ne tarde pas à entrer
+dans la catégorie des enfants dits «paresseux». Sa santé physique peut
+ne pas souffrir outre mesure du régime compressif auquel il est soumis;
+il grandit, se porte bien en apparence; mais son cerveau est, pour ainsi
+dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement inférieur. Chez le petit
+_cérébral_, au contraire, l'éducation moyenne peut amener des troubles
+de la santé physique: les récréations bruyantes et agitées, imposées
+après les repas, les longues promenades hebdomadaires, l'insuffisance
+du sommeil, une alimentation mal adaptée à son tube digestif, très
+vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la longue; et, d'un enfant
+qui aurait pu donner les plus belles espérances, la pédagogie officielle
+fait un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en un mot un
+malade.
+
+Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle? Oui, dans les cas
+extrêmes et dans des circonstances exceptionnelles.
+
+Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation collective et le
+surmenage cérébral imposé par nos programmes amènent les plus fâcheuses
+conséquences, pour le présent et pour l'avenir, c'est celle des enfants
+que l'hérédité n'a pas préparés au travail cérébral. Tels ces fils
+de cultivateurs qui ont une longue hérédité terrienne, et que leur
+intelligence hâtive semble désigner comme particulièrement aptes aux
+études supérieures. Ce sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils
+arrivent aux écoles supérieures: mais ils y arrivent malades, et seront
+malades toute leur vie.
+
+De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les «maladies» accidentelles
+sont presque inévitables, à cause de la promiscuité des enfants dans les
+écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité. Ce ne sont pas
+elles qui diminuent sensiblement le capital biologique individuel. Les
+fautes commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une bien plus grande
+importance.
+
+Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës qui ressemblent plus
+ou moins à la fièvre typhoïde, et qui sont dues à des indigestions! En
+général, l'hygiène alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée.
+Les enfants mangent trop vite, comme nous l'avons dit plus haut; et,
+très souvent, ils mangent trop, précisément parce qu'ils mangent trop
+vite, la sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction
+brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire mal élaborée. D'autre
+part, de trop nombreux parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on mange
+qui profite, mais ce qu'on assimile, se figurent qu'il faut que l'enfant
+mange beaucoup pour se donner des forces; et ce préjugé amène chez
+l'enfant des intoxications chroniques qui retentissent sur son système
+nerveux, sur sa croissance, jusqu'au moment où l'estomac surmené
+commence à protester. A partir de ce moment, le cercle vicieux est
+établi, et, si un régime alimentaire bien compris n'est pas institué,
+l'enfant devient un malade, et restera malade indéfiniment. C'est ce que
+M. le Dr Laumonier a très bien exposé dans un article du _Correspondant
+médical_ de 1905:
+
+Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils mangent
+beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil ne soit pas
+toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant on ne peut, à première
+vue, les accuser d'aucun trouble évident. Cependant, certains soirs
+principalement, ils se montrent tantôt plus énervés que d'habitude,
+tantôt plus abattus au contraire, et si, à ce moment, on prend leur
+température rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au
+delà. Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y
+paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance, et les
+parents se gardent bien, pour si peu de chose, de faire appeler le
+médecin; ils ont tort, car cette fièvre digestive est le symptôme
+de troubles fonctionnels d'assez grande importance, et qu'il est en
+conséquence nécessaire de soigner dès le début.
+
+Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de belle
+apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration de leurs
+parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et les belles couleurs
+disparaissent. Ils finissent ainsi par se transformer en enfants
+chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise haleine, présentant des
+alternatives de constipation et de diarrhée, souffrant parfois de
+douleurs stomacales vives; en un mot ce sont maintenant de véritables
+dyspeptiques.
+
+Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel extrême, pour
+ainsi dire, de troubles longtemps existants et dont les accès légers de
+fièvre digestive ont été l'un des premiers et des plus caractéristiques
+symptômes. Il suffit, pour s'en convaincre, de suivre avec quelque
+attention l'évolution progressive des phénomènes.
+
+Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles ont été,
+pendant leur première enfance, mal nourris, sinon comme qualité du lait,
+au moins comme quantité; en d'autres termes, leur ration a été trop
+copieuse. Puis, après le sevrage, ils ont été mis rapidement à la
+nourriture commune de la famille; ils ont mangé de tout, et trop;
+parfois aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du
+café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques.
+
+C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,--pas plus que l'homme,
+du reste--ne mange qu'à sa faim; toujours, ou presque toujours, à ce
+point de vue, la limite est dépassée. La quantité d'aliments ingérés
+est beaucoup plus une affaire d'habitude que de besoin réel, comme le
+prouvent manifestement les résultats du traitement imposé à ces petits
+malades. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent
+ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel les
+aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions digestives,
+stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales. D'où, d'une
+part, l'insuffisance et l'épuisement des glandes gastriques, la
+dilatation et l'atonie stomacales, et, d'autre part, la production des
+substances toxiques qui, résorbées, entraînent l'auto-intoxication et
+l'élévation thermique qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,--et
+c'est là un point essentiel,--que la fièvre digestive peut se produire
+et se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire et
+l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés;
+elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue un signe
+prodromique, avertissant que la limite digestive est dépassée, que
+l'estomac commence à se fatiguer, que l'auto-intoxication d'origine
+digestive est déjà manifeste.
+
+Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers de cet
+état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros foie... etc.,
+ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence; d'autres signes,
+plus incertains, dyspnée, terreurs nocturnes, manifestations cutanées,
+peuvent exister aussi, qui complètent la signification des premiers.
+Passons donc et arrivons au traitement.
+
+La première indication est de réduire la ration alimentaire à ce qui est
+strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge, le sexe, le poids,
+la taille, et de composer cette ration d'aliments faciles à digérer,
+fournissant le minimum de fermentation, tels que lait, oeufs, pain
+grillé, viande crue, purée de légumes. Sans en arriver au régime sec,
+qui a beaucoup d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la
+quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne qualité ou
+des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures hygiéniques générales,
+on assurera la liberté du ventre par des habitudes régulières ou à
+l'aide de quelques lavements tièdes, mais sans en abuser.
+
+
+DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE
+
+
+I.--CHEZ LA FILLE
+
+Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue un moment
+solennel dans l'existence. La plupart des mères de famille le savent,
+s'en inquiètent, mais ne connaissent pas les précautions à prendre. Ces
+précautions consistent à supprimer plus que jamais les fuites nerveuses.
+Ainsi, il convient alors de diminuer le travail cérébral, le travail
+musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la mettre à l'abri de
+toutes les influences qui, par action réflexe, retentissent sur son
+système nerveux (indigestions, coups de froid).
+
+Pendant les premières périodes menstruelles, le repos presque absolu au
+lit s'imposerait, si les règles étaient douloureuses ou trop abondantes;
+et un repos relatif s'impose même quand elles sont correctes. Ce qu'il
+faut bien savoir, c'est que l'anémie qui accompagne, en général, cette
+période de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, ni de
+la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, ce sont les
+précautions citées plus haut, et, par intervalles, quelques injections
+de cacodylate de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie. C'est là un
+des rares médicaments capables de rendre des services, à la condition
+formelle qu'il ne soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin.
+
+Une fois la menstruation établie, il ne faut pas s'inquiéter outre
+mesure si, pendant les premières années, les règles ne viennent pas à
+époques fixes, et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni
+douloureuses, ni trop abondantes.
+
+Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent de voir la santé
+des jeunes filles subir un assaut considérable, qui se traduit par de
+la chloro-anémie, avec état nerveux, suppression des règles, troubles
+dyspeptiques, constipation, etc.
+
+Les causes en sont multiples. Chez la jeune ouvrière, c'est, le plus
+souvent, le surmenage physique, la vie anti-hygiénique des ateliers,
+l'accumulation des privations. Dans d'autre milieux, c'est le fait du
+surmenage intellectuel pour l'obtention des brevets. Mais, plus souvent
+encore, ce sont les causes morales qui portent atteinte au système
+nerveux. C'est une vocation contrariée, une suite continue de petits
+malentendus avec la famille, avec la mère en particulier. La mère, ne
+se décidant pas à s'apercevoir que sa fille grandit, continue à vouloir
+exercer sur elle une autorité despotique, contre laquelle l'enfant se
+cabre en vain pendant de long mois, et dont elle souffre de jour en jour
+davantage.
+
+Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée, un mariage
+désiré qui se trouve rendu impossible par la volonté intransigeante des
+parents, ou par des circonstances indépendantes de toute volonté ou même
+c'est un vague et obscur besoin du mariage: pour suivre, en somme, les
+lois de la nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct de la
+maternité qui se rencontre chez la femme depuis son plus jeune âge, et
+se traduit, dans la première enfance, par le besoin de la poupée.
+
+Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement; puis, un jour,
+la «maladie» éclate, souvent à la suite d'une affection aiguë qui
+contribue à faire tomber brusquement la force de résistance du système
+nerveux.
+
+Si variés que soient les symptômes par lesquels le mal se traduit, la
+thérapeutique doit être la même. Elle consiste à ne pas aggraver la
+«maladie» par une médicamentation intempestive; ce ne sont ni les
+pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la douche froide qui
+pourront faire du bien à une jeune fille ainsi atteinte, ni même la
+suralimentation, malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut, c'est
+chercher la cause de la «maladie», et la supprimer ou l'amoindrir autant
+que possible.
+
+Quand c'est le surmenage physique, le repos absolu s'impose, et la jeune
+malade arrive très vite à la guérison. Quand le surmenage physique n'est
+pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus difficile que de doser le
+repos et l'exercice. Le plus souvent, le repos relatif est de rigueur.
+Dans d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en particulier, un
+exercice modéré, et même poussé assez loin, peut produire d'excellents
+effets. Le médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité de ce moyen
+thérapeutique, basera son jugement sur les résultats de l'enquête qu'il
+fera au sujet du passé de la malade, et il aura le droit de procéder par
+tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas graves où le repos absolu
+s'impose d'abord, rien n'est plus difficile que de doser l'exercice
+dès que la malade est capable de le supporter, mais le principe est de
+rester en deçà de ce que la malade peut donner.
+
+Quand la «maladie» de la jeune fille est due au milieu familial, le
+remède essentiel est de le lui faire quitter. Malheureusement, on attend
+souvent trop longtemps pour prendre ce parti radical; on attend que la
+vie soit devenue impossible, que la jeune fille ait perdu le sommeil,
+les forces, l'appétit, et soit dans un état d'excitation inquiétant. On
+l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie, où on lui
+impose le plus souvent, à notre avis, une séquestration trop radicale.
+Car la priver de toute visite, de toute correspondance, la soumettre à
+une discipline d'une sévérité exagérée, nous semble vraiment excessif.
+L'enfant se révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice
+relativement restreint. Elle prend sur elle pour simuler la guérison, et
+pour échapper à la tutelle des médecins; elle sort avec les apparences
+de la santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle retombe dans le
+milieu familial hostile, la «maladie» ne tarde pas à renaître de ses
+cendres, jusqu'au jour où une circonstance quelconque amène enfin un
+changement de vie radical, qui la guérit.
+
+Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, d'éloigner l'enfant, de
+temps à autre, du milieu familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui
+qui est l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente, soit
+même à une garde bien choisie, jusqu'au moment où on trouvera à la
+marier, chose qu'il ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui,
+dans bien des cas, est le remède par excellence? Pendant les absences de
+la jeune fille, l'état nerveux du milieu familial lui-même se calme, ce
+qui rend la vie commune acceptable par intermittences. Loin de nous,
+cependant, l'idée de porter atteinte à l'esprit de famille en proposant
+pareille mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle et
+comme un pis-aller, préférable souvent à la maison de santé, et, en
+définitive, moins onéreuse.
+
+Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource de la séparation,
+même momentanée. Heureusement, chez eux, les contacts entre parents et
+enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a toujours une certaine
+indépendance; elle n'est pas soumise à une tyrannie de tous les
+instants. En outre, son système nerveux est moins vulnérable, de sorte
+que l'influence néfaste du milieu familial est rarement une cause de
+«maladie». Nous connaissons cependant de jeunes ouvrières dont la
+santé a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel elles étaient
+condamnées à vivre: père alcoolique, qui les battait au retour de
+l'atelier, mère ou belle-mère acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre
+victime résiste tant qu'elle peut, jusqu'au jour où elle quitte avec
+éclat la maison paternelle, à moins que, victime résignée, elle ne voie
+peu à peu s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi une proie
+toute désignée pour la tuberculose, qui met fin à ses misères; souvent
+aussi sa déchéance se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile
+d'aliénés lui ouvre ses portes.
+
+D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation contrariée qui met
+la jeune fille en état de «maladie». Il n'y a pas à se le dissimuler,
+quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité des
+vocations religieuses, lorsqu'une vocation est sincère, toutes les
+entraves qu'on lui apportera ne serviront de rien. La jeune fille
+souffrira, deviendra de plus en plus malade, et force sera un jour de
+céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames intimes et ignorés, qui
+torturent même les familles chrétiennes; et le résultat final a toujours
+été le même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle a eu gain de
+cause.
+
+Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait respectueusement,
+depuis trois ans, contre sa famille, pour obtenir l'autorisation
+d'entrer au Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé de
+«maladie», restant des huit et quinze jours sans garde-robe, malgré
+l'hygiène intestinale la plus soignée, ne pouvant plus lire ni supporter
+une conversation; elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait plus
+quitter son lit, tant les forces physiques étaient diminuées. Gravement
+préoccupé de l'issue de cette «maladie», dont je connaissais la cause,
+je crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant l'avocat de la
+malade. Or, dès qu'elle eut obtenu l'autorisation sollicitée depuis si
+longtemps,--et que, par parenthèse, elle avait cessé de demander depuis
+un an, pour ne pas torturer sa famille,--nous vîmes la santé revenir
+avec une rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se remirent à
+fonctionner, et, un mois après, la jeune fille entrait au Carmel. Quelle
+ne fut pas notre stupéfaction d'apprendre que, le troisième jour, elle
+lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie et de bonne humeur!
+
+Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité des parents,
+il faut que cette autorité sache s'effacer devant la volonté ferme,
+réfléchie, bien arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et
+ajoutons que l'intérêt l'exige.
+
+Les mêmes considérations s'appliquent au cas où une jeune fille veut,
+envers et contre tous, épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf
+fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de ses parents, qui ont
+l'expérience de la vie. Mais l'expérience est semblable à un habit fait
+sur mesure, et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait. Aussi,
+lorsque, malgré les sages raisonnements, la jeune fille s'obstine et
+s'entête, estimons-nous qu'il faut lui céder après un délai raisonnable.
+On doit haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne.
+
+Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la jeune fille est victime
+de son tempérament, qui ne trouve pas dans les joies de la famille une
+satisfaction suffisante: elle éprouve le _besoin_ de se marier. C'est
+alors aux parents à l'aider dans son choix, car cet état d'âme peut
+amener la «maladie».
+
+Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, avant de se marier,
+subir un traitement médical; car elle n'a pas le droit de se marier en
+état de «maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait pas. Or
+il faut bien savoir que, au début de la vie conjugale surtout, elle
+n'a pas le droit d'être malade. C'est donc une raison de plus pour la
+soigner avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette cure est des
+plus simples: la cause de la «maladie» ayant disparu, et le capital
+biologique n'étant pas encore gravement entamé, le rôle de la
+thérapeutique se réduit à peu de chose.
+
+
+II.--CHEZ LE GARÇON
+
+
+Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte, les influences
+capables d'amener la «maladie» sont également multiples. Signalons,
+parmi les principales :
+
+I. Le surmenage scolaire;
+
+II. L'abus des sports;
+
+III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes solitaires et
+prématuration).
+
+I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, dont on a fait si grand
+bruit il y a quelques années? Les brillantes discussions de l'Académie
+de médecine n'ont pas empêché les programmes de se surcharger d'année en
+année; et ils se surchargeront encore davantage, cela est inévitable,
+c'est la loi même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir
+remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant surmenage ne nous
+effraie pas outre mesure, car il faut compter: 1° avec les nouvelles
+méthodes d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois; 2° avec une
+adaptation du cerveau des générations actuelles et futures à un travail
+cérébral plus considérable. N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui rend
+si dangereux le travail cérébral chez les «déracinés» dont nous avons
+dit un mot au chapitre précédent?
+
+Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des systèmes
+pédagogiques? Non. Le jeune homme ne travaille pas trop, mais il
+travaille mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne dort pas
+assez, et on n'a pas assez le respect de son sommeil: du sommeil qui
+dompte tout, suivant la forte expression d'Homère.
+
+Un groupe de médecins anglais vient de commencer une campagne de presse
+pour obtenir que l'élève des collèges anglais puisse dormir plus
+longtemps. Ils avaient été précédés dans cette voie par le Dr
+Chaillou[5], directeur de l'hygiène d'un grand établissement
+d'instruction, qui dès 1903, a eu l'idée excellente d'installer, dans le
+pensionnat, ce qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là, les jeunes
+gens fatigués momentanément vont, tout simplement, se reposer suivant
+leurs besoins; et jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de
+dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats aux écoles, et que
+l'intelligente discipline générale de la maison est de nature à prévenir
+tout abus.
+
+[Note 5: _Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans
+un grand collège moderne_, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut
+Pasteur. Paris 1903.]
+
+II. _Abus des sports_.--Si pour l'homme sain l'exercice est nécessaire
+à la santé, cet exercice, lorsqu'il est poussé à un degré excessif,
+devient un facteur important de «maladie».
+
+L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué, peut être poussé
+très loin sans provoquer d'accidents; c'est ainsi que, chez les
+professionnels des cirques, la santé se maintient excellente, comme j'ai
+pu m'en rendre compte par une enquête faite chez Barnum. Le médecin
+attaché à la troupe de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il
+n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre chirurgical.
+
+Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont _sélectionnés_, ce sont
+des professionnels: ils ne font pas autre chose que des tours de force;
+toute leur activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur ces
+questions d'exercice musculaire.
+
+Ajoutons que l'exercice est savamment gradué par des gens du métier, qui
+savent par expérience ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que
+les gens des cirques observent une sage hygiène; ils savent que tous les
+écarts se payent, et ils sont, à tous égards, d'une sobriété exemplaire.
+
+Tout autres sont les conditions dans lesquelles se trouve l'homme du
+monde qui fait du sport. Parfois il a une profession; c'est donc sur les
+loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, qu'il prend le
+temps de faire les exercices qui le passionnent; quand il n'a pas de
+profession, il est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée plus
+haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux qu'en exercice
+physique.
+
+Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du sportsman, c'est le
+_sport_, c'est-à-dire l'émulation qui existe presque fatalement entre
+ceux qui s'occupent avec passion d'exercices physiques, et qui fait que
+chacun d'eux veut devancer son voisin.
+
+Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver au surmenage; ce qui
+le fatigue, c'est de voyager en compagnie d'autres camarades, à cause de
+l'excitation qui se communique des uns aux autres, et qui les porte tous
+à donner plus qu'ils ne peuvent. L'escrime, souvent, n'aurait pas sa
+raison d'être, sans le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le
+danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se rappeler qu'il
+est pris, en général, dans un air confiné, qu'il exige une dépense
+considérable d'influx nerveux, une tension permanente de l'esprit, un
+excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra que c'est plus un
+exercice cérébral qu'un exercice musculaire, et que les gens qui croient
+se reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime sont bien vite
+détrompés. Le sage est celui qui, désirant se reposer du travail
+cérébral par l'exercice, s'attache aux exercices qui ne demandent pas
+d'attention, aux exercices automatiques dans lesquels la moelle seule
+intervient; marcher, ou mieux encore courir suivant les bons principes,
+scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, ramer, etc.
+
+L'automobilisme «tient le record» parmi les exercices qui épuisent le
+système nerveux; nous ne parlons pas, bien entendu, des hommes qui se
+servent de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, mais de ceux qui
+en font un moyen de distraction. Quelques-uns arrivent à une mentalité
+toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore reçu de nom, et
+qu'on pourrait appeler la folie de la vitesse: quand ils sont sur leur
+machine, ils ne voient que le ruban de route qui se déroule devant
+eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne voient point, ils
+n'entendent point: ce sont des mangeurs de kilomètres, ce ne sont
+plus des hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a pas besoin
+d'émulation, il se suggestionne lui-même, et devient le propre artisan
+de son délire.
+
+Mais les dangers des sports deviennent encore plus considérables quand
+ils sont pratiqués par des organismes en voie de formation, par des
+jeunes gens, par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait soufflé
+un vent, venu d'Angleterre, qui avait véritablement tourné la tête à
+certains hommes s'occupant des problèmes de pédagogie,--ou plutôt qui
+avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues subissaient le
+courant. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne parlait plus, dans les
+établissements scolaires, que de sports et de gymnastique. La culture
+intellectuelle paraissait devoir être mise au second plan. Mais on
+n'a pas tardé à voir qu'il y avait abus. Les excellents travaux du Dr
+Lagrange et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans la _Ligue
+des Pères de Famille_, ont mis un frein à cet engouement, qu'on ne
+rencontre plus que dans quelques institutions où l'on s'obstine à imiter
+l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos petits Français ne
+sont pas des Anglo-Saxons. Je me demande d'ailleurs si les petits
+Anglo-Saxons eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient
+bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres au pas gymnastique, sans
+progression et sans entraînement préalable, comme je sais qu'on en
+impose aux enfants dans les institutions dont je parle.
+
+III. _Déviations de l'hygiène sexuelle_.--Tous les pédagogues et tous
+les pères de famille soucieux de l'avenir de leurs enfants sont, à juste
+titre, préoccupés de l'important problème de l'éducation sexuelle; mais
+tous sont loin de le résoudre dans le même sens. Les uns estiment qu'il
+ne faut rien dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les autres,
+qu'il faut au contraire aborder le redoutable problème en face, et le
+plus tôt possible. La vérité, comme en bien d'autres circonstances, se
+trouve entre ces deux extrêmes.
+
+Il est bien certain qu'il faut que, à un moment donné, le jeune homme
+soit averti des dangers qu'il court en s'abandonnant à des aberrations
+de l'instinct génésique, ou encore à l'usage prématuré des fonctions
+sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse de bonne heure le péril
+vénérien. Mais quels moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père de
+famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il a suffisamment gagné
+la confiance de ses enfants, et s'il se sent capable de cette mission
+délicate; dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille que doit
+être dévolu ce soin; et, dans les pensions, lycées, institutions, c'est
+encore au médecin de la maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des
+professeurs qui vivent le plus avec les élèves.
+
+Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement collectif? La tentative
+a été faite, récemment, dans plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer
+qu'elle est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute attente.
+Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives partisan plutôt de
+l'enseignement individuel, compris dans un sens libéral, sous forme de
+causerie du professeur avec un petit nombre d'élèves.
+
+Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder devant les enfants ces
+délicats problèmes, le rôle de l'éducateur doit se borner à exercer
+autour d'eux une surveillance assidue, et à retarder le plus possible
+l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, il faut imposer
+à l'enfant de la fatigue physique, la pousser au maximum de la
+_tolérance_, dussent les études en souffrir momentanément. C'est de la
+bonne économie, sans cependant qu'on doive verser dans cet abus des
+sports que nous avons dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans
+tous les problèmes de l'hygiène, cette question de dosage, de mesure,
+qui comporte un nombre indéfini de solutions, d'après la variété des cas
+individuels.
+
+Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant à des aberrations de
+l'instinct sexuel sont moins grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont
+néanmoins considérables, et le capital nerveux de l'enfant est vite
+entamé par les habitudes vicieuses. De là ces formes vagues de
+neurasthénie avec difficulté pour le travail, timidité maladive,
+manque de confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés,
+amaigrissement, amoindrissement de la valeur du sujet. Un médecin
+éclairé ne s'y trompe pas. Il doit alors trouver moyen de prendre
+l'enfant à part, à la fin de la consultation, et lui dire à
+brûle-pourpoint, en le regardant fixement: «Mon ami, je sais la cause de
+votre mal!» Il faut ensuite provoquer quelques aveux _discrets_, et la
+consultation doit se terminer par une promesse formelle de l'enfant
+de se corriger. La psychothérapie, en ce cas, vaut mieux que les
+médications pharmaceutiques les plus savantes: elle manque bien rarement
+son effet et elle peut être grandement aidée, dans certains cas, par la
+psychothérapie hypnotique, dont nous parlerons plus loin.
+
+Quant au danger que fait courir la prématuration des fonctions
+sexuelles, c'est chose certaine que tout usage de ces fonctions devient
+un abus, tant que l'organisme n'a pas atteint son complet développement.
+L'être humain ne devrait aborder l'acte destiné à perpétuer la vie qu'à
+partir du moment où il est, lui-même, en pleine possession de toute
+sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence n'est pas
+préjudiciable. La question a été étudiée à fond, et résolue dans le même
+sens par les moralistes et par les hygiénistes. La continence n'est
+presque pas pénible, elle ne le devient que si des excitations
+factices ont éveillé de trop bonne heure l'instinct sexuel. Elle est
+recommandable au point de vue moral; elle entretient, chez le jeune
+homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer, «le respect de la
+femme»; et, à vrai dire, c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri
+des contaminations vénériennes.
+
+Le grand public commence à connaître le péril vénérien, et, surtout, à
+oser en parler. On ne saurait croire combien l'ingénieuse trouvaille de
+M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'_avarie_ la plus redoutable des
+«maladies» vénériennes, la syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion
+publique. Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et nous
+aimerions aussi voir employer le terme de «petite avarie» pour désigner
+la blennorragie, dont les méfaits sont plus considérables que ne le
+croit le public, et même que ne le croient beaucoup de médecins.
+
+Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel les jeunes gens sont
+le plus souvent contaminés. Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier,
+c'est beaucoup plus tôt qu'on ne se le figure généralement; et
+non seulement à Paris, mais partout, ainsi que le démontrent les
+statistiques de _toutes_ les armées, qui enregistrent beaucoup plus de
+«maladies» vénériennes à la première année de service qu'aux années
+ultérieures, parce que, parmi les malades enregistrés à la première
+année, figurent tous ceux qui étaient contaminés avant leur entrée au
+régiment.
+
+Nous ne saurions trop recommander à ce sujet la lecture et la méditation
+de l'excellente brochure du professeur A. Fournier: _Pour nos fils quand
+ils auront dix-huit ans_. En quelques pages s'y trouvent nettement
+indiquées, et sans aucune exagération, la gravité du péril vénérien, la
+conduite à tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour l'éviter.
+Cette brochure est bonne à lire, elle est nécessaire et suffisante aux
+conférenciers qui veulent répandre la vérité.
+
+Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de la syphilis. C'est
+toujours une «maladie» grave, quelquefois elle est très grave, et cela
+dès les premiers mois qui suivent son apparition. Elle se traduit alors
+par les plus importants symptômes de la déchéance organique, céphalée
+violente, anémie aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile de
+dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital biologique un déchet
+énorme. Heureusement le traitement mercuriel intensif est là pour
+réparer, dans une certaine mesure, le désastre.
+
+D'autres fois, la syphilis amène chez le malade de telles préoccupations
+morales qu'elle devient un danger imminent. L'angoisse peut même
+conduire au suicide. Il faut que le médecin et le père de famille
+connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner la victime, dans
+la mesure nécessaire. Mais dans tous les cas la syphilis, cause
+d'amoindrissement énorme de la valeur du sujet, devra être traitée
+énergiquement, dès le début et pendant un temps prolongé,--au moins
+quatre ans,--par des traitements successifs.
+
+Chez la jeune fille, la syphilis est également à redouter. Nombre de
+jeunes filles de la classe ouvrière connaissent tout ce qui est relatif
+aux questions vénériennes; elles n'en ignorent que le danger. C'est à
+leur usage que j'ai écrit naguère une petite brochure intitulée: _Pour
+nos filles_. Les services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas
+comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente brochure du
+professeur Fournier; et si je la mentionne, ce n'est certes point par
+une enfantine vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a
+affirmé qu'il était bon de la faire connaître.
+
+
+III--CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.--«MALADIES»
+ACCIDENTELLES
+
+
+C'est à dessein que nous plaçons ces observations à la suite de l'étude
+consacrée aux jeunes garçons, car les jeunes filles, entourées de
+soins à l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de «maladies»
+accidentelles. Chez le jeune homme, au contraire, plus ou moins mal
+surveillé, plus ou moins surmené par un travail cérébral auquel son
+cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou par le travail
+musculaire, pour lequel ses muscles, encore en état de développement, ne
+sont pas suffisamment préparés, la flore microbienne trouve un excellent
+terrain de culture. Nous ne pouvons pas passer en revue la pathologie de
+cet âge; faisons seulement remarquer que la «maladie» accidentelle ou
+bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat définitif sur un organe
+quelconque (endocardite du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que,
+à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement prolongé ou
+définitif de la valeur du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les
+jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une convalescence franche, sans
+ébranler l'organisme; à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme est
+doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement.
+
+Exception doit être faite pour la tuberculose; c'est, par excellence,
+la «maladie» de l'âge adulte. Contractée, le plus souvent, dans la
+plus tendre enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les mauvaises
+conditions de milieu, la misère physiologique, le surmenage, mettent le
+terrain en état de moindre résistance. De là son maximum de fréquence de
+dix-huit à trente-cinq ans.
+
+De cette conception, qui n'est pas encore classique, mais qui commence à
+pénétrer dans les esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher,
+et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la tuberculose dans
+l'armée, découle la véritable prophylaxie de la tuberculose. C'est en
+vain que l'on dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des sanatoria;
+le sanatorium ne convient qu'aux riches. C'est peut-être un bon
+instrument de cure: sûrement ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas
+«ce n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre la tuberculose
+en tant que «maladie» sociale» (Grancher). Voyez, en effet, ce qu'il
+faudrait pour qu'un sanatorium populaire donnât un rendement social
+appréciable! Il faudrait: 1°à l'entrée du sanatorium, un dispensaire de
+dépistage pour ouvrir la porte aux seuls malades légèrement atteints;
+2° pendant le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de secours pour
+sa femme et ses enfants; 3° à la sortie du sanatorium, la double ration
+de repos et la demi-ration de travail pendant un temps presque illimité!
+Le Congrès de la tuberculose de 1905 a d'ailleurs sonné le glas sur les
+sanatoria populaires, et les médecins de tous les pays, dans une heure
+de sens commun et de clarté, ont voté la même formule: «En fait de
+tuberculose, la préservation domine l'assistance.» Nous serons moins
+sévères dans notre appréciation des dispensaires: ils peuvent rendre
+quelques services pour l'éducation populaire; mais les véritables
+oeuvres de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les oeuvres de
+préservation, celles qui arrachent un enfant sain d'un milieu contaminé;
+ce sont les oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints de
+tuberculose locale et non contagieuse; ce sont les colonies de vacances,
+etc. Ce sont, surtout, les diverses oeuvres sociales luttant contre
+la misère: car la misère est le grand, le plus grand facteur de la
+tuberculose.
+
+
+
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+MATURITÉ
+
+
+
+Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine possession de tous
+ses moyens, son capital a été progressivement amélioré et lui rapporte
+de gros intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le faire
+valoir, d'obtenir de lui son rendement maximum.
+
+L'ère des ménagements est passée, il faut à tout prix que l'homme
+travaille et produise. On l'alimentera en conséquence: la dépense
+étant considérable, il faudra que l'aliment soit réparateur. Le point
+essentiel est de ne pas dépasser la dose des dépenses, d'utiliser le
+capital, mais non de l'amoindrir, de chauffer la machine, sinon à blanc,
+du moins à la température maxima tolérée, pour ne pas l'user trop vite,
+et surtout pour ne pas la faire éclater. Il faut, en somme, que l'homme
+produise; et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne ferait que
+s'empêcher de mourir. Bien plus; de même qu'un capitaliste avisé, quand
+il possède beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce qu'on appelle
+de la «surface», n'a pas peur, de temps à autre, de risquer une somme
+raisonnable dans une affaire qui n'est pas de tout repos; de même
+l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas craindre, à certains
+moments, de se dépenser un peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène,
+à la condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni trop prolongé,
+et qu'une période de repos succède à cette période de travail intensif.
+(De là la nécessité des vacances et du repos hebdomadaire).
+
+Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous croyons qu'il est bon
+que l'homme actif, intelligent, bien portant, donne de temps à autre
+ce qu'on appelle un «coup de collier», quitte à réparer sa dépense
+excessive par un repos plus ou moins prolongé, mais quel est le
+critérium? à quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas dépassé la
+mesure de ses forces, et qu'il ne court pas à la banqueroute?
+
+Le principe général est qu'il faut arriver aux confins de la fatigue,
+mais ne jamais atteindre la fatigue douloureuse. Quand il s'agit de
+travail musculaire, le critérium est relativement facile à trouver. On
+est averti qu'on a dépassé la mesure de ses forces par deux symptômes
+caractéristiques: la diminution d'appétit et la diminution de sommeil.
+
+Cette donnée pourrait même rendre de grands services aux chefs
+militaires, dont l'idéal, très légitime, est de faire produire à la
+machine humaine son maximum de rendement, sans épuiser cependant les
+forces des soldats. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux confondent
+l'entraînement et l'épuisement; ils arrivent à avoir des troupes qui
+n'ont pas de valeur réelle, tout en ayant les apparences de la force.
+Ces troupes, qui se sont présentées sous le plus bel aspect à des
+manoeuvres de quelques jours, seraient incapables d'entrer en campagne
+et de supporter des fatigues prolongées. Si les chefs de corps avaient
+eu la précaution de s'enquérir de la façon dont les soldats mangent,
+ou de _voir_, après une marche prolongée, comment ils mangent, de
+surveiller de temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui recueille
+tous les restes des repas, ils auraient vu que le travail excessif se
+traduit par une baisse dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans
+les chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à la suite de
+fatigues excessives les hommes ne dorment pas bien. Et rien ne les
+empêcherait, d'ailleurs, de prendre parfois l'avis de leurs médecins.
+
+Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème, d'autant que, chez
+l'homme qui a subi un entraînement méthodique, la sensation de _fatigue_
+disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la fatigue. L'épuisement,
+chez lui, se traduit exclusivement par la diminution du poids, de
+l'appétit et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire en
+particulier, par l'apparition des «maladies» dites accidentelles.
+
+Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit que de dépenses
+musculaires, il devient plus complexe encore quand il s'agit de dépenses
+cérébrales. Voici un commerçant obligé de brasser de grosses affaires.
+Il est réveillé, le matin, par le téléphone voisin de son lit; pendant
+toute la journée, il n'a pas un quart d'heure de tranquillité; il sent
+peser sur lui des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une série
+d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant viennent s'ajouter des
+chagrins de famille, etc., voici notre homme qui, tout d'un coup,
+tombe dans la «maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener le
+déclanchement: c'est une émotion un peu violente, c'est une perte
+d'argent, c'est une «maladie» infectieuse plus ou moins légère, qui
+ouvre la brèche, et voilà la «maladie» installée!
+
+Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme? A-t-il eu, depuis dix ans
+qu'il surmène son cerveau, un avertissement quelconque lui indiquant
+qu'il dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à pleines
+mains dans un capital insuffisamment réparé chaque jour? Oui, le plus
+souvent! C'est, par exemple, un vertige qui est apparu, à un moment
+donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on pourrait appeler «un
+avertissement sans frais», il aurait immédiatement diminué le travail,
+ou même l'aurait suspendu pendant quelques jours. Mais il n'en a pas
+tenu compte, il a pensé que _ça passerait_. D'autres fois, c'est une
+sorte d'endolorissement de la tête, non pas passager, mais permanent,
+qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements de l'oreille gauche.
+(Cette prédominance des bourdonnements à gauche, de la diminution de
+l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les phases de la
+«maladie».) D'autres fois encore, c'est une sorte de sensation
+de fatigue permanente, exagérée surtout le matin, avec diminution
+d'appétit, constipation, autrement dit avec les petits symptômes de
+la grande «maladie». Il est tout à fait exceptionnel que le krach se
+produise sans de tels phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant,
+et c'est chez les natures les plus admirablement douées en apparence.
+
+Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel et musculaire à
+la fois, il réalise les conditions les plus parfaites pour arriver à
+l'épuisement rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement
+contre le préjugé des gens du monde, qui se figurent que l'exercice
+musculaire repose du travail cérébral, et que le surmené cérébral doit,
+pour bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, de la marche
+forcée, à ses moments disponibles. C'est là une erreur énorme dont
+la pédagogie commence à faire justice. Certes il est des hommes,
+admirablement doués, qui peuvent supporter une dépense considérable à
+la fois au point de vue musculaire et au point de vue cérébral: mais ce
+qu'il faut bien se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers
+symptômes du surmenage, on doit aussitôt réduire la dépense totale, et
+la dépense musculaire en particulier; à ce prix seulement on aura chance
+d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre sur nous, de la
+«maladie».
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»
+
+
+
+Plusieurs fois déjà, dans le cours de ce travail, j'ai eu l'occasion de
+parler de la «maladie», sans préciser le sens exact que je donnais
+à ce mot. Mais le moment est venu de tenter, sinon une définition
+scientifique de la «maladie»,--définition aussi impossible que celles,
+par exemple, de la richesse, de la vertu, ou de la beauté,--tout au
+moins une explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette chose
+indéfinissable; des principaux caractères qui lui sont propres; et des
+traits qui la distinguent de ces manifestations pathologiques bien
+déterminées que l'on appelle communément les «maladies», et que
+j'appellerais volontiers des «accidents», par opposition à la nature
+plus générale, plus profonde, et infiniment plus complexe, de la
+«maladie».
+
+Voici quatre personnes qui, dans une même après-midi, se présentent à ma
+consultation. Ce sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc
+pour l'affirmer _a priori_. Mais voyons ce que nous enseignera l'étude
+détaillée, et surtout réfléchie, de chacune de ces quatre personnes, qui
+paraissent se ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une avec
+l'autre absolument rien de commun. L'une est grande et forte, l'autre
+petite et malingre; l'une est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante.
+Les souffrances que chacune accuse sonttout à fait différentes, de
+l'une à l'autre; les causes qui ont paru engendrer ces souffrances
+semblent opposées: chez l'une l'excès de fatigue, chez une autre
+l'excès d'oisiveté, etc.
+
+Essayons à présent d'approfondir un peu notre investigation. Ah! ce
+n'est pas un mince travail que d'étudier un malade, de fouiller son
+hérédité, de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire même de sa
+conception, de noter tous les incidents pathologiques de son enfance, de
+sa jeunesse, de son adolescence, d'apprécier son degré de santé pendant
+les périodes qui ont séparé ces divers incidents, de se reconnaître au
+milieu du luxe de détails avec lequel il décrit ses misères, en un mot
+de reconstituer à la fois le bilan complet de son état présent et le
+tableau du chemin qu'il a suivi pour y parvenir. Mais cette étude
+méticuleuse est nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, pas
+de traitement rationnel; d'elle seule pourra résulter la connaissance
+véritable du malade, c'est-à-dire l'appréciation de ce qu'il vaut, du
+point précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute que ce n'est
+que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines et des centaines de malades
+que l'on commence à avoir une idée nette de ce que c'est que la
+«maladie».
+
+Voici donc une première malade, que je connais depuis cinq ans. C'est
+une femme de trente-deux ans, dont on devine dès le premier abord la
+vivacité d'intelligence, et avec laquelle le médecin comprend tout de
+suite,--à sa grande satisfaction,--qu'il va pouvoir causer utilement.
+
+L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital initial excellent: un
+grand-père paternel mort à soixante-quinze ans, asthmatique, la
+grand'mère paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté de
+l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de tares transmissibles:
+le grand-père mort à soixante-quinze ans, la grand'mère vivant encore à
+quatre-vingt-deux ans. Il est vrai que l'hérédité directe est peut-être
+un peu moins parfaite. Le père de Mme X... est mort à cinquante-deux
+ans, d'une affection cérébrale, après avoir toujours été très nerveux.
+La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à se bien porter, à la
+condition de s'écouter vivre.
+
+Ce capital initial a été bien géré pendant les premières années de la
+vie. Nourrie au sein, Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable
+divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, la varicelle.
+A huit ans, cependant, s'est produit un épisode plus important: une
+jaunisse, qui a duré un mois, et qui semble indiquer que le système
+digestif était, chez cette malade, le point faible. Un médecin avisé,
+qui l'aurait suivie de près depuis lors, n'aurait pas manqué de
+remarquer qu'elle était, si l'on peut dire, une candidate à la
+dyspepsie.
+
+Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X... n'eut aucun
+phénomène grave, d'origine stomacale ou intestinale: mais elle avait
+de petits symptômes, un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la
+constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, ces petits symptômes
+ont passé inaperçus. L'enfant a été soumise, dans un couvent, à
+l'alimentation des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par
+conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour mettre en bon
+état son système nerveux abdominal, qui, sans protestations graves,
+fonctionnait déjà d'une façon défectueuse.
+
+De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux cérébral qui, seul,
+paraissait défectueux. Dès l'âge de onze ans, elle avait des tristesses
+vagues, des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer.
+
+A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait cet état de mélancolie.
+D'un caractère inégal, la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise,
+acceptant péniblement toute discipline.
+
+A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un violent chagrin; et cet
+assaut ébranla si fortement son système nerveux que, six semaines après,
+sans cause connue, sans refroidissement préalable, elle dut garder
+le lit pendant un mois, pour une «maladie» qualifiée «rhumatisme
+mono-articulaire», mais avec prédominance de symptômes nerveux graves
+(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se remit vraiment de cette
+crise qu'un an après, lorsque des projets de mariage opérèrent en elle
+une sorte de dérivation.
+
+Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à retomber dans le même état
+nerveux, auquel se joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie
+lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, et l'immobilisant
+pendant quelques heures. Puis vinrent des crises de nerfs, le plus
+souvent nocturnes, avec angoisses précordiales terribles, peur de toutes
+les «maladies», etc...
+
+C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; et, pendant la
+grossesse, elle se porta admirablement. Mais, aussitôt après sa
+délivrance, l'estomac, qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que
+par des phénomènes insignifiants, entra définitivement en scène: perte
+absolue d'appétit, crampes, gastralgie. Puis, l'année suivante, ce fut
+le tour de l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt
+apparition de selles noires, survenant trois à quatre fois par jour avec
+fortes coliques, et qui durèrent quatre mois. A la fin de cette période,
+l'état général était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment
+compromise.
+
+Heureusement une année passée dans l'isolement, et suivie d'une cure
+dans un sanatorium de Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis
+la malade pour la première fois, un an après son retour de Suisse, voici
+les principales constatations que je pus faire:
+
+Céphalée permanente,--picotement des yeux,--sciatique gauche
+survenant au moment des règles,--inquiétudes vagues,--peur de mourir
+subitement,--trois heures à peine de sommeil dans les meilleures nuits.
+L'estomac et l'intestin laissaient également à désirer: appétit nul,
+alternatives de diarrhée et de constipation.
+
+L'examen des organes me démontra qu'il n'y avait rien à la poitrine,
+mais qu'au coeur existait un souffle, au premier temps, à la base,
+perceptible seulement dans la position horizontale; ventre plat, peu
+élastique, sonorité basse et égale. La malade, qui pesait 50 kilogrammes
+à dix-huit ans, n'en pesait plus que 46.
+
+Voilà donc une jeune femme qui a toutes les apparences extérieures d'une
+personne très souffrante, et dont la vie est empoisonnée par une série
+ininterrompue de misères variées. Et cependant l'histoire même de ces
+misères prouve qu'il n'y a point chez elle d'organe particulièrement
+atteint, et que le capital biologique est, au fond, moins mauvais qu'il
+ne paraît l'être. Mon premier soin fut de la rassurer, notamment sur
+l'état de son coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait
+fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire un estomac, par
+un régime sévère, puis de plus en plus large. Je dirigeai son hygiène
+musculaire, intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans où je
+m'étais borné, en somme, à faciliter le retour à l'équilibre du système
+nerveux, Mme X... se vit délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée
+enfin à une vie des plus supportables.
+
+Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on Elle avait, sous une
+forme spéciale, ou plutôt sous plusieurs formes, ce que j'appelle la
+«maladie». Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux qui, chez
+elle, fléchissait. Tout son système nerveux était malade, et chacun de
+ses centres, tour à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation
+de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade, le centre le plus atteint
+était celui qui préside aux fonctions digestives; mais, si je m'étais
+limité à ne soigner que celui-là, toute ma peine aurait risqué d'être
+perdue. Il fallait, derrière les symptômes locaux, atteindre le trouble
+général; il fallait dépasser les incidents pour parer à la «maladie».
+
+Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez qui les
+manifestations morbides n'ont certainement rien de commun avec celles
+que je viens de signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui,
+lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait progressivement
+maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes, sans autre cause
+connaissable que certaines influences morales. Elle ne se plaignait de
+rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle l'était, puisqu'elle
+maigrissait sans cesse, puisqu'elle avait le teint terreux et la peau
+rugueuse, puisque ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas de
+lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: mais toute l'apparence
+d'une grande malade.
+
+Pourtant, après un examen plus approfondi, j'augurai bien de l'avenir,
+parce que le capital initial était assez bon, parce que Mlle T...
+n'avait pas eu de graves assauts dans son enfance, enfin parce qu'elle
+était jeune, et malade depuis peu de temps. Et le fait est qu'un
+traitement très simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par jour,
+puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord sans viande, puis avec un
+plat de viande à midi, et 30 injections de cacodylate de magnésie),
+amena un résultat extraordinaire: réapparition des règles, augmentation
+du poids, disparition de la rugosité cutanée, relèvement de l'appétit,
+etc.
+
+C'est que cette malade, qui ne présentait aucun trouble nerveux, n'en
+était pas moins une «nerveuse». Toutes ses misères ne venaient, comme
+chez Mme X..., que d'un ébranlement du système nerveux; quand ce système
+se trouva modifié, par le repos, le régime et la psychothérapie, la
+malade guérit.
+
+Elle revint alors dans son pays; six mois après, elle allait très bien,
+mangeant de tout, pesant 58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois
+plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin la mine sourdement;
+elle redevient «malade», maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans
+accuser la moindre douleur, et sans ressentir aucune souffrance. Un
+jour, le 25 décembre 1903, elle est tellement épuisée qu'elle a une
+syncope grave, et que son entourage est convaincu qu'elle va mourir.
+J'avoue que moi-même, quand je la vis alors avec le Dr C..., je fus
+épouvanté, malgré la bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique.
+C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle n'avait plus qu'un
+souffle de vie.
+
+Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? En juin 1904, elle fit
+une pleuro-pneumonie. Deux mois après, dès qu'elle fut transportable,
+elle voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois mois, aux
+injections d'huile créosotée. En octobre 1904, elle avait définitivement
+retrouvé sa santé.
+
+Comment douter que toutes les souffrances de cette jeune fille aient été
+surtout d'origine nerveuse? Et cependant voilà un cas où la perturbation
+du système nerveux central s'est traduite par des phénomènes qui
+n'avaient rien de ce que les neurologistes constatent d'ordinaire. Et
+c'est bien le système nerveux cérébral qui était en cause, chez cette
+malade: car ses deux grandes crises morbides n'ont absolument pas
+eu d'autre cause que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans
+manifestations nerveuses. Tout à fait comme Mme X..., malgré la
+dissemblance des symptômes, c'était une «malade», c'est-à-dire une
+personne dont le capital nerveux s'était trouvé entamé.
+
+Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite par des phénomènes
+cardiaques. Chaque fois qu'il y a eu chez le malade une défaillance du
+système nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner normalement,
+à tel point que tous les médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le
+traitaient infailliblement par la digitale et la caféine.
+
+En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même un faux cardiaque:
+c'est simplement un «malade» chez qui le système nerveux qui préside aux
+mouvements du coeur est plus spécialement impressionnable.
+
+Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un rhumatisme (sans
+endocardite), chaque fois qu'il y a eu un assaut quelconque dans la
+santé du malade, le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite d'une
+bronchite grippale, je constatai, pour la première fois, de l'arythmie,
+et un souffle au 2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce
+souffle persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois, il est
+imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est d'une netteté extrême:
+si bien que plusieurs médecins ont affirmé une lésion de la valvule de
+l'aorte.
+
+Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z. n'a jamais de pouls
+bondissant, et de nombreux tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange,
+démontrent qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand M. Z... va
+bien, son coeur va bien: quand il va mal, quand il se surmène, ou
+éprouve une émotion vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise par
+les manifestations les plus variées: syncopes, arythmie, fausses angines
+de poitrine.
+
+M. Z... est un de ces hommes qui sont faits pour le travail intensif:
+chez lui, quelle que soit l'énormité du travail, il n'y a jamais
+de surmenage cérébral; mais c'est un _sensitif_, que le surmenage
+émotionnel guette à tout instant. En 1898, à la suite d'émotions
+vives, tout son système nerveux entre en révolte: le système digestif
+(dyspepsie, constipation, etc.), le système nerveux central (insomnie
+absolue, tristesse, pâleur insolite, épuisement des forces). En même
+temps la glycosurie fait son apparition (10 grammes de sucre par litre).
+Enfin les troubles du coeur atteignent une intensité extrême et défient
+tous les traitements classiques (digitale, spartéine, bromures, etc.).
+
+Désirant me voir avant de mourir, le malade me fit appeler le 28 avril
+1898, et me raconta les soucis qui l'avaient accablé. Ces soucis
+étaient, sans aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une
+psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un régime alimentaire très
+modéré, réussit parfaitement à remettre le malade sur pied. Les deux
+années qui suivirent furent même excellentes.
+
+En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le trouble cardiaque,
+avec même, cette fois, un pouls bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous
+la direction du Dr Lagrange, produit un très bon résultat. En 1903, ni
+le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons plus le souffle coutumier.
+
+Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle émotion, reparaissent
+l'arythmie, le souffle, la glycosurie: de nouveau, une saison à Vichy
+supprime tout cela.
+
+En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles contrariétés,
+l'ébranlement du système nerveux se traduit par un lumbago, mais surtout
+par une anesthésie de la main et de la joue droites, qui effraie
+beaucoup le malade. Je le rassure encore, je le renvoie à Vichy, d'où il
+revient en parfait état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans,
+toujours avec une activité dévorante.
+
+C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux malades précédents, est
+simplement un «malade», avec cette particularité que c'est sur le
+coeur que se portent de préférence, chez lui, les plus importantes
+manifestations de la «maladie».
+
+Dans les trois observations que je viens de citer, c'était tel ou tel
+département du système nerveux qui manifestait plus spécialement les
+souffrances de l'être entier, et les périodes de malaise étaient
+séparées par des périodes de santé, tout au moins relative. Voici
+maintenant un cas où tous les éléments du système nerveux sont tellement
+excités que la «maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans
+qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission, depuis
+l'époque où le système nerveux a été ébranlé,--c'est-à-dire depuis l'âge
+de huit ans,--jusqu'à l'âge de la cessation des règles. La malade dont
+je vais parler a été vraiment, pendant plus de trente ans, un parfait
+musée pathologique. Mais, malgré mille misères qui se succédaient chez
+elle comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais désespéré de sa
+survie, ni de sa guérison, à cause même de la mobilité et de la variété
+des manifestations morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité des
+organes.
+
+La «maladie» de cette personne a commencé à huit ans, à la suite d'une
+fièvre typhoïde grave. Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par
+des migraines très intenses et très fréquentes; mais dès l'apparition
+des règles, aux migraines se sont jointes des douleurs d'estomac et de
+la constipation. Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral a
+manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements d'oreilles, etc.
+Deux ans après, c'est le tour de la moelle: douleurs rhumatismales
+et névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois ans, le système
+nerveux cardiaque donne sa note dans le concert: syncopes qui durent de
+dix minutes à une demi-heure, avec perte complète de connaissance.
+
+En octobre 1889, une crise gastralgique survient, qui se prolonge
+pendant trois jours consécutifs. L'année suivante, c'est une douleur
+intercostale gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs jours;
+mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement libre, les
+vertiges, la céphalée, ont disparu. En 1893, apparaît une dermalgie qui
+occupe les deux bras. Puis voici que la fièvre survient: la malade a
+jusqu'à 40°, sans cause connue, à l'époque de ses règles. En 1895, se
+produit un état de péritonisme,--avec douleurs très vives dans l'estomac
+et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,--qui semble mettre la
+vie en danger. Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant les
+dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement, de 93 à 87
+kilogrammes.
+
+L'année suivante fut très bonne. Le sommeil revint, l'estomac rentra
+dans l'ordre, la malade put croire que ses misères allaient prendre fin.
+Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de froid l'intestin à son
+tour se met de la partie: fausses membranes dans les selles, coliques,
+diarrhée et faux besoins d'exonération extrêmement pénibles. L'appendice
+même paraît touché: il y a une douleur très nette au point de Mac
+Burney. Un autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées,
+selles décolorées, fièvre; mais la menace ne persiste que quatre jours.
+En 1900, ulcère de l'estomac, vomissements noirs. La même année, je note
+une sorte d'inhibition du fonctionnement de la jambe droite, qui, à un
+moment donné, deux ou trois fois par mois, refuse tout service, au point
+que la malade tombe brusquement. Enfin, cette même année, se déclare un
+oedème des jambes, disparaissant après la marche;--c'est là un phénomène
+que j'ai souvent observé chez les «malades» dits _arthritiques_.
+
+Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904; la malade était,
+suivant son expression, un «faisceau de douleurs», mais elle avait un
+excellent moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle reviendrait
+à la santé. Or, le fait est que, depuis la fin de 1904, en même temps
+que disparaissaient ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon
+surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie, définitivement
+délivrée de toutes ses misères, promène joyeusement ses 105 kilogrammes
+et se déclare enchantée de vivre.
+
+C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses, même quand elle
+présentait les symptômes les plus inquiétants, cette personne n'était ni
+une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale, ni une gastrique, ni
+une cardiaque, mais simplement une «malade» à manifestations cérébrales,
+médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant les longues années
+où je lui ai donné des soins, toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à
+essayer de dynamiser son système nerveux, et de le dynamiser tout
+entier, sans presque chercher à atteindre, en particulier, tel ou tel de
+ses centres qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai eu le
+bonheur de deviner que cette personne avait les apparences de trop de
+«maladies» pour en avoir la réalité; et, de fait, quand son système
+nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la véritable «maladie»
+a aussitôt amené la guérison de toutes les pseudo-affections qui n'en
+étaient que le contre-coup.
+
+Le trouble du système nerveux central peut encore se traduire par
+les symptômes qui caractérisent, de la façon la plus formelle, des
+«maladies» organiques. J'ai parlé déjà, plus haut, de ce malade qui
+avait toutes les apparences d'une lésion du coeur, sans avoir le coeur
+lésé. On sait que, par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule
+les «maladies» organiques les plus variées. Les hystériques peuvent
+présenter les symptômes de la méningite, de la grossesse, voire même des
+«maladies» les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu un jeune
+soldat qui offrait tous les signes de la sclérose en plaques. Après
+trois mois d'examen, on a fini par le réformer; or, ce n'était qu'un
+hystérique. Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur: car on ne
+simule pas les symptômes de la sclérose en plaques!
+
+Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique, j'exprime mal ma
+pensée. En réalité, c'était un «malade». Je l'ai suivi pendant
+longtemps, après son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut plus
+le moindre phénomène médullaire; mais il eut de la dyspepsie, et j'ai
+su que, dans son enfance, il avait eu d'autres manifestations de ce que
+j'appelle la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée de sa vie,
+quand il s'est agi pour lui de faire son service militaire, que la
+«maladie» s'est traduite, pendant quelques mois, par ces troubles de
+l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler hystérie.
+
+Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux que j'ai cités suffiront,
+je crois, à donner une idée de ce que j'entends, à proprement parler,
+par la «maladie». D'une façon générale, je veux dire que la «maladie»
+embrasse tout le domaine pathologique qui n'appartient pas à ce qu'on
+pourrait appeler les «accidents»--accidents qui vont depuis les
+fractures et les intoxications jusqu'à des lésions d'organes (cancer,
+hémorragies cérébrales, etc.), en passant par toute la série des
+affections à microbes, connus et inconnus.--Au-dessous de ces
+«accidents» s'étend une série indéfinie de troubles pouvant revêtir
+toutes les formes et donner même l'illusion de toutes les «maladies»
+organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que d'origine nerveuse
+(en donnant à ce mot toute l'extension qu'il comporte), ainsi que cela
+apparaît clairement pour peu que l'on considère leurs causes, leur
+marche et leur terminaison. Dans la «maladie» rentrent donc toutes les
+névroses; la folie quand elle n'est pas produite par des lésions du
+cerveau, l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie, les
+algies, tous les troubles fonctionnels des divers organes, _tant que ces
+troubles fonctionnels n'ont pas amené de lésion des organes_.
+
+Les médecins voient quotidiennement la «maladie» sous une de ses formes
+préférées. C'est la forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le
+nom d' «embarras gastrique», synonyme d'embarras de diagnostic. Dans
+cette affection, il ne faut pas croire que le système nerveux soit
+indemne; les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges, souvent
+des bourdonnements d'oreille, un état de fatigue générale du système
+musculaire, de l'insomnie, de la difficulté pour lire, pour supporter
+une conversation; ils ne souhaitent que le repos et la tranquillité. Si
+on les leur accordait, si une médication perturbatrice n'intervenait
+pas, si on graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait,
+en général, aucune complication; et après quinze jours, un mois, ils
+reviendraient peu à peu à la santé[6].
+
+[Note 6: La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise
+urinaire. Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois même
+urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre, claires et
+abondantes. En même temps la température tombe, pendant deux ou trois
+jours, au-dessous de la normale, le sommeil reparaît, l'appétit
+également, et tout rentre dans l'ordre.]
+
+Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le mode chronique; et c'est
+pendant des mois et des années que l'on voit tout le système organique
+compromis dans son fonctionnement. Le système nerveux, l'estomac,
+l'intestin, laissent à désirer d'une façon à peu près égale. C'est chez
+ces grands malades qu'on est en droit de se demander si c'est le cerveau
+qui tient sous sa dépendance les troubles nerveux de l'estomac ou de
+l'intestin, ou si c'est l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle
+manière de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique exclusive: on
+s'acharne à remédier aux troubles du système nerveux, en négligeant les
+troubles digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a tort. Pour
+faire de la bonne thérapeutique, il faut _à la fois_ soigner le cerveau,
+l'estomac, l'intestin, la moelle, le malade entier, en un mot, tout en
+recherchant, si possible, quel est le système le plus compromis et dont
+le fonctionnement laisse le plus à désirer.
+
+C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais, maintenant,
+rechercher les causes les plus habituelles, avant d'en indiquer, dans
+ses grandes lignes, le mode de traitement: traitement qui doit être
+toujours _général_, puisque toujours la «maladie», même quand elle ne
+se traduit que par des troubles locaux, est, par son essence, d'ordre
+général.
+
+Quant au traitement particulier des «maladies» accidentelles, il va sans
+dire que je n'aurai pas à m'en préoccuper dans ce travail.
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES CAUSES DE LA «MALADIE»
+
+
+
+I.--CAUSES PHYSIQUES
+
+
+Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers toutes les circonstances
+de sa vie qui compromettent sa valeur, soit momentanément, soit d'une
+façon définitive et irrémédiable. Elles varient à l'infini; l'homme
+heureux seul n'a pas d'histoire, et l'homme heureux est un être de
+raison, qui n'existe pas dans la réalité.
+
+Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer que ce n'est pas
+le surmenage cérébral, ni le surmenage musculaire, ni même les vices
+d'alimentation, le défaut de confort, l'aération insuffisante, etc.,
+qui constituent les grands facteurs de la «maladie»: c'est le surmenage
+émotionnel, c'est le chagrin,--l'influence psychique, en un mot.
+
+Cependant les autres influences morbigènes méritent une mention
+détaillée. Je les rapporterai aux trois chefs suivants:
+
+I. Surmenage cérébral.
+
+II. Surmenage musculaire.
+
+III. Alimentation défectueuse ou insuffisante.
+
+1° _Surmenage cérébral_.--Le cerveau est fait pour fonctionner, comme le
+coeur est fait pour battre; et il est bien rare que le travail cérébral,
+à lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une cause de
+détérioration profonde, et surtout de déchéance définitive. C'est bien
+plutôt un élément de survie prolongée.--Voyez cet écrivain qui, à
+l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner le monde par les
+productions de son génie; il n'a jamais cessé de travailler, et il a pu
+faire les frais, à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet âge,
+est presque toujours fatale. Quel est donc son secret? Son secret, c'est
+de n'avoir aucune préoccupation étrangère à son travail; c'est d'avoir
+une femme qui pense pour lui à tous les détails de la vie; c'est d'avoir
+une excellente hygiène morale, la paix du coeur et de l'esprit.
+
+Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail cérébral
+insuffisant, et tout le monde sait que les désoeuvrés sont bien à
+plaindre. Ce sont des coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre
+sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils lui doivent; mais
+ce sont aussi des malheureux, car la «maladie» les guette. Le désoeuvré
+accidentel lui-même, habitué à un travail cérébral considérable, s'il
+est condamné trop longtemps au repos de l'esprit, sent qu'il lui manque
+quelque chose: il perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de reprendre
+le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire que l'air respirable.
+
+Quand, cependant, le travail cérébral est poussé à une limite
+véritablement excessive, il amène aussi ce que nous avons appelé la
+«maladie», c'est-à-dire la détérioration, quelquefois définitive ou
+prolongée pendant des années. On en voit des exemples chez les candidats
+aux écoles, à l'internat, à l'agrégation, etc. On serait porté à croire,
+_a priori_, que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe surmené;
+c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, même quand elle est de cause
+cérébrale, elle peut très bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de
+l'entérite, tout comme si elle avait été produite par une intoxication.
+Il faut toujours en revenir aux notions que nous avons développées au
+chapitre précédent: à la notion des points faibles, et à la variété des
+manifestations par lesquelles l'organisme traduit le malaise causé par
+une influence déterminée.
+
+2° _Surmenage musculaire_.--Il n'amène qu'exceptionnellement la
+«maladie». Chez le surmené musculaire, quelques jours ou quelques
+semaines de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions d'aplomb;
+et l'on ne saurait se figurer le rendement dont est capable la machine,
+quand, par ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la dépense
+cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers italiens produire un travail
+musculaire véritablement colossal, tout en ayant une alimentation très
+restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une fois par semaine,
+eau claire), et ce, sans le moindre préjudice pour leur santé. Ils se
+contentaient du salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal venu
+de proposer à nos ouvriers français.
+
+Il est cependant incontestable que le travail musculaire, poussé à de
+trop grands excès, peut devenir une cause de «maladie» momentanée, et
+préparer le terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous en
+avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement dans l'armée, et des
+sports chez les jeunes gens.
+
+3° _Vices d'alimentation_.--Ils jouent un rôle important dans
+la pathogénie de la «maladie», d'autant que, en dehors des cas
+d'intoxication aiguë, ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement,
+insidieusement. Le plus souvent, en effet, l'estomac et l'intestin ne
+se révoltent qu'après de longues années de protestations presque
+silencieuses. Mais, à partir du jour de cette révolte, la «maladie»
+est constituée. Les symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus
+souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour surprendre,
+puisque c'est l'estomac qui a été, dans ces cas, le plus spécialement
+molesté. Cependant, dans certains cas, les troubles dyspeptiques
+passeront à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement le
+diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique qui n'a, pour un examinateur
+superficiel, que des troubles cérébraux; il peut très bien se faire
+qu'il ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître par un bon
+régime. Dans ce cas, les phénomènes gastriques étaient au second plan
+pour le clinicien, alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au
+premier plan. Si donc le clinicien veut être bon thérapeute, il doit se
+rappeler les grandes lois que nous avons déjà formulées: s'il traite
+comme cérébral un sujet dont la «maladie» a été provoquée par des
+troubles alimentaires, il fait fausse route; de même qu'il ferait
+fausse route en traitant comme dyspeptique un sujet ayant des misères
+gastriques, intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique
+aurait été occasionné par du surmenage cérébral, médullaire, émotionnel.
+
+Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation défectueuse
+retentit sur l'ensemble de l'organisme.
+
+On a fait grand bruit, ces derniers temps, de l'auto-intoxication
+d'origine alimentaire; et beaucoup de médecins s'obstinent à ne voir
+dans la «maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout quand elle
+revêt la forme nerveuse, qu'une sorte d'empoisonnement de la cellule
+cérébrale par les toxines alimentaires.
+
+C'est là une hypothèse assez commode, et qui rend compte d'un nombre
+considérable de faits: mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et
+ne pouvant pas être démontrée par des observations véritablement
+scientifiques. On pourrait tout aussi bien expliquer les phénomènes
+rapportés à l'auto-intoxication par l'irritation que provoque, sur le
+plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore par l'irritation des
+extrémités nerveuses du pneumo-gastrique. On sait que ce nerf étend ses
+ramifications sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on s'expliquerait
+ainsi les irradiations à distance provoquées par l'irritation stomacale:
+la dyspnée, l'asthme, les fausses cardiopathies, etc.
+
+Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation peuvent incontestablement
+provoquer, à eux seuls, la «maladie». Mais, le plus souvent, ils
+s'associent à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, à la
+débauche, etc.
+
+Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se classer en quatre
+catégories distinctes:
+
+I. Alimentation excessive en quantité.
+
+II. Alimentation insuffisante en quantité.
+
+III. Alimentation insuffisante en qualité.
+
+IV. Abus de l'alcool.
+
+I. _Alimentation excessive_.--Nous ne voulons pas nous étendre ici sur
+les inconvénients, vraiment assez connus, de l'alimentation excessive.
+Disons seulement que l'alimentation excessive empoisonne peut-être la
+cellule nerveuse par les toxines alimentaires, mais que sûrement elle
+impose aux organes chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un
+travail exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de là, à la
+longue, le surmenage et les protestations de ces divers organes, se
+traduisant de mille et une façons (eczéma, urticaire, gravelle,
+etc.). Cette manière de voir donne satisfaction aux partisans de
+l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la théorie de l'irritation
+du pneumo-gastrique, ou du plexus solaire, on peut également comprendre
+comment cette irritation, presque permanente, des nerfs de l'estomac par
+une alimentation incendiaire, amène, par action réflexe, des troubles de
+coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon (asthme, dyspnée), du
+cerveau et de la moelle, voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi,
+d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la fois? ce ne serait, en
+tout cas, pas déraisonnable.
+
+Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose _optima_ d'aliments qui
+convient pour entretenir la vie et pour réparer les dépenses incessantes
+de l'organisme? Elle doit varier, évidemment, suivant le travail
+produit, et suivant les individus. Tous n'ont pas le même besoin
+d'alimentation, pas plus que, dans un régiment de cavalerie, tous les
+chevaux n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient obligés aux
+mêmes dépenses musculaires. On a essayé de fixer mathématiquement ce
+qu'on appelle la «ration d'entretien» et la «ration de travail»; et les
+différents chimistes qui se sont livrés à ce calcul sont arrivés à des
+chiffres qui variaient du simple au quadruple: mais tous s'accordent
+pour démontrer qu'il faut _très peu d'aliments_ pour subvenir à la
+«ration d'entretien», et même à la «ration de travail», de l'homme. La
+vérité est que nous mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la
+machine humaine soit bien admirablement construite pour qu'elle résiste
+aux assauts quotidiens que nous lui imposons.
+
+Comme ce problème de la ration physiologique m'a toujours intéressé, je
+me suis livré à une enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme
+que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est pour rien dans leur
+morbidité. Ils ont beaucoup moins de jours d'indisponibilité que
+la plupart des autres hommes du même âge, meurent plus vieux, et
+s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les Trappistes, le régime
+fort sévère n'est pas une cause de morbidité; j'ai même été étonné,
+à leur propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain, et de
+constater qu'un homme habitué à manger comme tout le monde pouvait, d'un
+jour à l'autre, sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint
+d'une Trappe.
+
+Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint chez les individus
+qui dépensent beaucoup? Oui, je l'ai étudié dans l'armée[7], et
+j'affirme, au nom d'une expérience de deux années, pendant lesquelles je
+me suis occupé de l'alimentation du soldat avec un colonel qui avait,
+de ce grave problème, tout le souci qu'il mérite, que, si le soldat
+français, le seul que je connaisse, avait la quantité et la qualité des
+aliments auxquels il a droit de par les règlements, et si ces aliments
+étaient préparés comme ils devraient et comme ils pourraient l'être dans
+toutes les garnisons, sa nourriture serait tout à fait suffisante. Elle
+n'est un peu au-dessous des besoins que pour les jeunes soldats, pendant
+les trois premiers mois de la nouvelle existence qui leur est imposée;
+aussi les officiers soucieux de la santé de leurs soldats réservent-ils
+pour les nouveaux arrivants les _boni_ qu'ils ont pu réaliser sur les
+hommes dits «de la classe».
+
+[Note 7: _La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de
+médecine légale_, février 1890).]
+
+Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des guides alpins, qui,
+non seulement, les jours d'excursion, se contentent d'une alimentation
+extrêmement réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits secs),
+mais, en temps ordinaire, mangent très peu, pour conserver leurs forces.
+Les professionnels du sport, également, savent que la sobriété est la
+condition de leur succès.
+
+Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs années, des soins à une
+dame qui, avec toutes les apparences de la santé, était constamment
+souffrante: migraines, eczéma, urticaire, affections cutanées
+polymorphes, palpitations, dyspnée, insomnies, caractère inquiet,
+émotivité exagérée, sensation de fatigue permanente, tendance à
+l'obésité,--et j'en passe, pour ne pas faire le tableau complet de ce
+qu'on est convenu d'appeler la «grande neurasthénie». Chose curieuse,
+elle avait peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation et
+des hémorroïdes. Elle avait même un vigoureux appétit, bien qu'elle prît
+fort peu d'exercice. En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation:
+précisément à cause de cet appétit de premier ordre, elle ne voulait
+pas entendre parler de régime restreint. Mais voici que l'adversité
+s'abattit sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en fut
+réduite à ne plus manger que des pommes de terre cuites dans le four
+d'un petit poêle en faïence, et des haricots; un demi-litre de lait
+était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce jour, elle alla bien.
+Toutes ses misères disparurent successivement, en trois ou quatre mois,
+y compris les misères nerveuses et les migraines; et force me fut
+d'attribuer au seul changement de régime la surprenante modification de
+sa santé. Car on croira peut-être que, pressée par le besoin, elle s'est
+mise à marcher davantage, pour chercher du travail, ou pour se créer
+des relations? Non, elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des
+relations quand on est dans l'extrême détresse; et je lui procurai un
+travail sédentaire, qui consistait à faire des adresses sur des bandes,
+pour un grand magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est pas,
+non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a pu modifier
+avantageusement sa mentalité. En dehors de ses douze heures de travail
+quotidien, elle avait des préoccupations angoissantes, qui auraient
+suffi pour ébranler un système nerveux moins équilibré. C'est donc bien
+uniquement, toute analyse faite, à la restriction du régime, et à cet
+élément seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je pourrais, là
+encore, multiplier les exemples: mais aucun ne peut être plus typique
+que celui que je viens de relater à grands traits.
+
+Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation insuffisante.
+
+II. _Alimentation insuffisante en quantité_.--Tout le monde connaît
+les désastres occasionnés par les famines qui sont encore, hélas! trop
+fréquentes en Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous estimons
+que personne ne doit avoir une alimentation insuffisante, et que c'est
+une honte pour une société civilisée d'avoir un seul de ses membres
+manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à proclamer que ce déshérité
+aurait, dans ce cas, le droit absolu de prendre ce qui est indispensable
+à sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre si un jour la
+capricieuse fortune venait à lui sourire. C'est d'ailleurs la doctrine
+de l'Église, nettement formulée par saint Thomas, et très bien expliquée
+dans un livre récent (_Socialisme et Christianisme_) de l'abbé
+Sertillanges, professeur de philosophie à l'Institut catholique. Mais
+laissons là ces considérations d'ordre social, renonçons au délicat
+plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers adjacents, et
+reprenons notre grande route! Ce qui est sûr, c'est que le problème de
+l'insuffisance d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez les
+gens bien portants; notre état social n'étant pas aussi détestable
+que se plaisent à le dire quelques pessimistes, ou encore quelques
+jouisseurs, qui semblent n'avoir pour but que de semer la haine par
+leurs discours et par leurs écrits. En France, personne ne meurt de
+faim, et bien peu de gens sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant
+donné le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter.
+
+Là où le problème de l'insuffisance alimentaire devient, pour le
+médecin, d'une douloureuse perplexité, c'est quand il s'agit de malades
+ne pouvant ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence rien
+digérer, vomissant tout ce qu'ils prennent, arrivés au dernier degré de
+la consomption, n'urinant presque plus, restant des semaines entières
+sans aller à la garde-robe, ne dormant plus, ne pouvant plus ni lire, ni
+supporter une conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu de ces
+grands malades sans lésions organiques, auxquels il est très difficile
+de faire du bien, et auxquels on fait trop facilement du mal par une
+intervention intempestive. Est-il admissible que la vie persiste dans
+ces conditions déplorables, et faut-il, oui ou non, forcer ces malades à
+manger?
+
+Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance du système
+nerveux, en domptant sa révolte, on arrive à des résultats remarquables.
+Chez de grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une seule
+application de la sonde oesophagienne suffit pour faire renaître
+l'appétit, et rendre à l'estomac la tolérance qu'il avait perdue depuis
+longtemps. Le plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard, est
+celui d'une jeune femme mariée à un capitaine au long cours. Dès le
+lendemain du mariage, il l'emmenait en voyage de noces à San Francisco,
+en passant par le détroit de Magellan, sur un navire à voiles. Pendant
+ce voyage, qui dura six mois, la jeune femme commença à éprouver divers
+symptômes morbides. Elle en arriva à être gravement atteinte, et on dut
+la faire revenir, par les voies les plus rapides, de San Francisco
+à Paris, où elle désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je
+trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes les apparences d'une
+tuberculeuse avancée; l'auscultation ne révélait cependant rien. Pendant
+les trois premières semaines de son séjour à Paris, elle avait une
+inappétence absolue, ne tolérait aucun aliment, pas même le lait coupé,
+et était dévorée par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La
+température s'abaissait à 40° le matin. Bien que la chaleur de la peau
+fût mordicante, bien que la malade n'eût aucun intérêt à me tromper
+puisque c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je me refusai à
+croire à la possibilité d'une fièvre aussi ardente et aussi continue. Je
+m'attachai à vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin les
+indications thermométriques; elles étaient parfaitement exactes. C'est
+alors que, en désespoir de cause, voyant que ni la quinine en injections
+ni les lotions fraîches ne modifiaient cette température, je me décidai
+à recourir aux lumières du Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je
+ne trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement pas
+d'impaludisme; nous sommes donc en présence d'une de ces hyperthermies
+comme on en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le plus pressé
+est d'empêcher cette femme de mourir de faim, et, puisqu'elle ne peut
+pas manger, il faut la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et,
+après cinq repas assez copieux donnés à la sonde, la malade retrouva
+l'appétit, la fièvre tomba, le sommeil revint. Deux mois après, elle
+pouvait quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais une lettre
+m'annonçant la naissance d'un enfant. Suivant la formule traditionnelle,
+la mère et l'enfant se portaient bien.
+
+Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme
+m'invita à voir l'un de ses malades, opéré depuis dix jours, et qui,
+depuis, ne voulait pas manger. Il était guéri de son opération, n'avait
+aucune fièvre, aucune lésion organique, mais il se refusait obstinément
+à avaler quoi que ce fût. C'était probablement le choc opératoire qui
+avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il
+maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai pas, alors, à lui donner du
+premier coup, par la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance
+possible, un repas complet; dès le même soir, il demandait à manger, et,
+s'étant mis à digérer, il était guéri. Huit jours après, il sortait de
+l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que, chez les aliénés, il
+ne soit du devoir strict du médecin de prolonger l'alimentation à la
+sonde aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après s'être toutefois
+bien enquis du fonctionnement du système digestif. Il y a là de grosses
+difficultés cliniques.
+
+D'une façon générale, cependant, nous hésitons toujours à employer ce
+moyen brutal qu'est la sonde oesophagienne; le plus souvent, quand
+l'alimentation est indiquée pour une grande neurasthénique qui ne veut
+ou ne peut pas manger, nous la lui imposons par suggestion à l'état
+de veille. Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La
+vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut alimenter. La
+responsabilité du médecin est, quelquefois, bien gravement engagée
+dans ce problème. S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même par
+suggestion ou par persuasion, il risque de donner à sa malade une
+indigestion formidable, avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il
+risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de vie qui soutiennent
+l'existence de la malade. Étant donné ce que nous avons dit du peu
+d'aliments qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à redouter
+d'une alimentation intempestive, nous croyons qu'il faut patienter le
+plus possible, et ne donner à ces malades que le régime ultra-restreint,
+sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage, toujours prêt à
+se figurer que la malade va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand,
+par une alimentation restreinte mais bien conduite, on a été assez
+heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,--et on y arrive
+toujours,--alors seulement on alimente plus généreusement.
+
+Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder habituelle de nos
+confrères renommés pour le traitement des grandes névroses; mais nous
+ne pouvons pas admettre que tous les malades, quel que soit le degré de
+leur «maladie», soient justiciables d'un même procédé thérapeutique, et
+que, après six jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise
+de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils mangent et qu'ils
+digèrent n'importe quoi. Ils mangeront peut-être, mais tous ne
+digéreront pas.
+
+III. _Alimentation insuffisante en qualité_.--Si l'insuffisance
+alimentaire quantitative joue, dans la pathogénie de la «maladie», un
+rôle relativement minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance
+qualitative; et la défectueuse qualité des aliments est un ennemi de
+tous les jours, d'autant plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On
+ne saurait croire combien les aliments les plus usuels sont frelatés.
+Si une chimie bienfaisante permet, par-ci par-là, de découvrir quelques
+fraudes, il est une chimie malfaisante qui fait tous les jours des
+progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous en doutions. Bientôt
+le dictionnaire des falsifications alimentaires atteindra le volume du
+Bottin. Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se mettent aussi
+de la partie, et, par les procédés de congélation, en particulier, on
+arrive à jeter sur les marchés des aliments de belle apparence, mais
+qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante. Prenons, à titre
+d'exemple, les poissons de mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans
+un port de mer, par la vue de gros blocs de glace que des pêcheurs
+emportaient avec eux. Ces blocs ne me disaient rien qui vaille; et
+j'appris, en effet, que ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours,
+et que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson, ils le mettaient
+dans la glace: de telle sorte que ce poisson congelé arrive sur nos
+marchés avec bel aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires
+avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état d'aliment
+toxique.
+
+Certains procédés de stérilisation sont également vus d'un mauvais oeil
+par l'hygiéniste. Pour les conserves de viande, notamment, on sait les
+préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire; et le problème
+vient seulement d'être résolu, grâce au zèle d'une commission composée
+de nos plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en bactériologie
+qui ont travaillé pendant de longs mois.
+
+Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est pourquoi il est si
+souvent un breuvage meurtrier, non seulement pour les enfants, mais même
+pour les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié, ou
+adultéré spontanément, qu'il est, chez les malades, d'un emploi si
+délicat. Remarquez que nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si
+le lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas parce qu'il
+est altéré, c'est parce qu'il est trop riche en crème, ou pris en trop
+grande quantité, c'est aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple
+bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou s'en abstenir, sans
+poursuivre le projet insensé de vaincre l'intolérance des malades. A
+cela on y arrive parfois, quand le malade est complaisant, mais le plus
+souvent on échoue.
+
+Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons, mollusques,
+viandes, provoquent des empoisonnements dont on néglige souvent de
+chercher la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la fièvre
+typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre ces deux extrêmes,
+toutes les variétés cliniques se rencontrent. D'autres fois, ils
+empruntent le masque du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que le
+traitement consiste à attendre que l'économie soit débarrassée de ces
+poisons (diète absolue d'abord, puis tisanes et repos); quant à chercher
+à favoriser l'élimination des poisons par des purgatifs ou des vomitifs,
+c'est très légitime en théorie, mais, en fait, très dangereux, car on
+ajoute ainsi un élément de perturbation qui aggrave parfois grandement
+l'état morbide.
+
+Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication alimentaire
+n'occasionne qu'à la longue la perturbation du système digestif; et
+c'est alors qu'il est si difficile de rapporter les effets directs et
+éloignés de cette perturbation à leur cause véritable.
+
+IV. _Alcool_.--Certes, l'alcool et toutes les boissons distillées,
+quelque pompeuse que soit l'étiquette de leur flacon récepteur,
+constituent un aliment meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en
+leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence pour la mémoire de
+Duclaux, qui a excité de si vives polémiques en écrivant que l'alcool
+était un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme sont de ceux
+que déplorent tout hygiéniste et tout bon citoyen; aussi ne saurait-on
+encourager trop les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de
+tempérance, etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts contre
+les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache aux conditions
+économiques de la société? L'alcoolisme durera aussi longtemps que
+l'impôt sur l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté à l'État
+358 392 000 francs (et dans ce chiffre ne sont pas compris les droits
+sur les vins, cidres, bières, etc.); aussi longtemps que la puissance
+électorale du marchand de vin; aussi longtemps que le malaise
+de l'ouvrier, poussé au cabaret par la destruction du foyer et
+l'insalubrité du logis...
+
+Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant sincèrement le
+succès des généreux efforts des ligues anti-alcooliques, de conserver un
+reste de pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool un oubli
+momentané aux misères humaines. C'est souvent leur malheur, et non leur
+faute, s'ils tombent dans la dégradation progressive qu'on déplore à
+trop juste titre.
+
+Mais autant est légitime la campagne contre les boissons distillées,
+autant, à notre avis, les boissons fermentées devraient trouver grâce
+devant la rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la ligue
+anti-alcoolique française, pour ne parler que d'elle, compromet d'une
+façon irrémédiable le résultat qu'elle poursuit, si elle continue à
+proscrire les boissons _fermentées_. Qu'un intellectuel dyspeptique ne
+tolère pas une goutte de vin à ses repas, c'est chose possible, et il
+fera bien de s'en abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre,
+c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a quelques années,
+on pouvait dire qu'un litre de vin représentait 100 grammes de mauvais
+alcool; mais depuis la surproduction des vignes françaises, et depuis
+qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin est devenu une boisson
+hygiénique, quand elle est prise à petite dose par des gens dont
+l'estomac n'est pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait
+mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en chambre, de dépenser
+à l'achat d'aliments azotés, ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense
+à acheter du vin; mais que deviendrait la vie si elle était soumise aux
+tyrannies des théoriciens hygiénistes?
+
+Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter que le vin
+entrât dans la ration réglementaire. Presque tous apprécient énormément
+le vin, et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du chef qui
+leur octroie aimablement un quart de litre de vin. Malheureusement, il
+ne faut pas songer avant longtemps à introduire l'usage régulier du vin
+dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on voulait se rappeler que,
+chaque fois qu'on augmente d'un centime par jour la dépense du soldat
+français, le budget se trouve grevé d'un million par an, on mettrait fin
+du coup à toutes les discussions, plus ou moins intéressées, qui font
+perdre à nos législateurs un temps précieux.
+
+Un esprit chagrin pourrait nous répondre que l'eau stérilisée que l'on
+donne aux soldats coûte plus cher que le vin, si l'on tient compte du
+prix d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du combustible, et
+surtout de la répugnance invincible qu'ont les soldats à boire cette eau
+cuite, presque toujours tiède malgré les soins qu'on met à la refroidir
+après la stérilisation; mais nous aurions mauvaise grâce à nous associer
+à ces critiques. Il ne faut décourager les efforts de personne.
+
+Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une boisson recommandable
+pour l'adulte valide, chez le malade le vin et les autres boissons
+fermentées sont, en général, de véritables toxiques; et c'est par
+la suspension du vin qu'il faut commencer le traitement de tous les
+dyspeptiques. Mais quand l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit
+d'aider à la reconstitution du système nerveux, le vin devient un
+adjuvant utile; et non pas sous une forme pharmaceutique quelconque,
+mais sous la forme de bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin
+d'Algérie, du Midi, etc.).
+
+En résumé, les erreurs de l'alimentation sont essentiellement
+regrettables, comme le sont toutes les erreurs contre la véritable
+hygiène; elles entrent pour une bonne part dans la genèse de la
+«maladie»; mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées à
+fond, tandis que les influences qui nous restent à passer en revue
+agissent plus profondément encore, d'une manière plus insidieuse et plus
+malfaisante; et leur rôle pathogénique n'est, en général, pas apprécié à
+sa juste valeur. Nous voulons parler des influences morales.
+
+
+II.--CAUSES MORALES
+
+
+Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence du moral sur le
+physique; mais, malgré les travaux de divers philosophes, les médecins
+en général ne connaissent pas encore assez cette influence du moral, et
+ne lui attribuent pas assez d'importance. En réalité, elle joue un rôle
+énorme, et dans presque tous les cas elle se rencontre, pour qui sait la
+chercher. Malheureusement, pour faire de semblables enquêtes, il faut
+beaucoup de temps, il faut que le médecin devienne le confident, l'ami
+de son malade, et qu'une regrettable suspicion de l'entourage ne
+l'empêche pas d'accomplir son oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin
+ait des qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la pensée du
+sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre à mots couverts.
+
+Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales de «maladie» sont
+multiples, et peuvent être rapportées aux quatre grands chefs suivants,
+que nous classons par ordre d'importance effective, sans aucune
+prétention psychologique:
+
+1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au jeu, etc., ambitions
+déçues.
+
+2° Influences qui compromettent, par une action lente et continue, la
+quiétude de l'âme (passions contrariées, chagrins d'amour).
+
+3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés par
+l'éloignement ou la perte d'êtres aimés).
+
+4° Choc moral et choc traumatique.
+
+1° _Pertes matérielles_.--Les pertes de fortune, les changements de
+situation, sont des facteurs moins importants qu'on ne se le figure
+d'ordinaire, relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois le
+premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez vite aux nouvelles
+conditions d'existence qui leur sont faites, si elles n'ont pas, par
+ailleurs, à s'alarmer pour leurs enfants, et si elles sont préalablement
+bien portantes. On pourrait paraphraser la pensée d'Horace, en disant:
+_Sanum et tenacem impavidum feriunt ruinae_. C'est ainsi qu'on a pu
+définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»; et c'est peut-être la
+meilleure définition qu'on en ait donnée.
+
+Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, les
+perturbations dans la situation sociale, les pertes d'argent, provoquent
+des assauts considérables,--que le médecin doit savoir deviner,--
+capables de produire la «maladie», et surtout de l'aggraver quand elle
+existe déjà à un degré quelconque. Voyez ce diabétique qui, d'un jour
+à l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez bien: c'est
+souvent parce qu'il a eu, la veille, une perte d'argent.
+
+Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes qu'une perte survenue
+accidentellement ou par imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une
+influence morbide considérable. Le joueur, en effet, vit dans un milieu
+anti-hygiénique; il joue, le plus souvent, la nuit, et se prive de
+sommeil; en outre, son surmenage émotionnel est doublé de surmenage
+cérébral; bref, la funeste habitude du jeu mérite une place d'honneur
+parmi les causes morales pathogènes.
+
+Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie avec les pertes au jeu.
+Ici l'enjeu, au lieu d'être une somme d'argent, est un grade, une
+décoration, un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue
+quelquefois une importance qui nous fait sourire, mais qui, cependant,
+lui tient grandement au coeur: car tout est relatif dans la vie, et
+l'ambition déçue après de longs efforts, après des tentatives souvent
+répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie». Qui ne connaît,
+dans son entourage, un officier navré d'avoir à prendre sa retraite sans
+avoir obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait le malheur
+d'une famille, et son propre malheur, au point d'en perdre la santé, ou
+quelquefois la vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais c'est de
+cette nourriture que vivent les hommes.
+
+2° _Influences qui compromettent la quiétude de l'âme_--Les unes
+agissent par leur continuité: ce sont les coups d'épingles incessants
+dans un ménage où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles
+de famille quotidiennes, l'impossibilité de fuir un milieu où l'on ne se
+sent pas à l'aise. C'est le fait d'être souvent en butte aux taquineries
+ou aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend pas, d'avoir à
+subir l'autorité malveillante d'un parent, d'une mère. La victime se
+trouve tiraillée à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion plus
+ou moins forte du devoir, et, d'un autre, poussée à la révolte par les
+vexations, réelles ou imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice
+incessant finit par «énerver»,--c'est le mot qu'on emploie
+journellement,--autrement dit, finit par amener la «maladie», à un degré
+variable: et l'une de ses formes les plus connues s'appelle le délire de
+la persécution, quand le trouble mental domine la scène morbide. Mais,
+si l'on étudie de près un «persécuté», on verra bien vite qu'il n'est
+pas malade que de la tête; il digère mal, il est constipé, il maigrit,
+il a souvent des battements de coeur, de la dyspnée, la peau sèche,
+etc., etc.; toutes ses fonctions sont en délire. Tout est fou chez
+l'aliéné, parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand malade».
+
+D'autres fois, c'est une passion vive, intense, qui compromet
+l'équilibre de la santé. La passion amoureuse mérite, à ce titre, d'être
+signalée au premier rang; nous en avons dit un mot déjà, à propos de la
+jeune fille: mais ici nous l'étudions dans sa forme ardente, fougueuse,
+la forme qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le système
+nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie, qui peut se traduire
+par la production de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de _Tristan
+et Yseult_, ou comme la _Nuit d'Octobre_, mais qui amène souvent, chez
+celui qui en est victime, une perturbation générale de la santé, quand
+un obstacle d'ordre moral ou matériel empêche cette passion de se
+satisfaire. La victime perd alors le sommeil, s'agite dans le vide,
+est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet les fonctions
+digestives; l'estomac entre en scène, le cercle vicieux s'établit; la
+«maladie» est constituée. Elle durera tant que durera sa cause, ou
+qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté le remède efficace. Bien
+souvent, d'ailleurs, le temps seul est le remède; et il faut savoir
+attendre, sans imposer au malade une médication perturbatrice, qui
+aggraverait son état.
+
+Lorsque la victime est obligée de garder pour elle son secret, sans
+pouvoir le communiquer à un confident, sa situation est encore plus
+lamentable. Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là
+l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer
+confiance à son malade et à provoquer chez lui des confidences, qui le
+soulagent plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité.
+
+Combien de femmes sont malheureuses en ménage sans que personne s'en
+doute! Elles dissimulent avec un soin jaloux à leur famille, à leurs
+amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et combien leur misère
+n'est-elle pas atténuée quand elles peuvent confier leur chagrin à un
+homme de bon conseil?
+
+3° _Inquiétudes d'origine altruiste_.--Les inquiétudes relatives à la
+santé d'un être cher sont souvent aussi une cause de neurasthénie, et il
+n'est pas rare de voir les divers membres d'une famille devenir, tour
+à tour, malades, par le fait des préoccupations et des fatigues qu'a
+causées l'atteinte d'un premier membre. Une mère qui, comme je l'ai vu,
+passe vingt jours et vingt nuits sans quitter le chevet de son enfant
+atteint de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant sera guéri.
+Elle pourra peut-être devenir, à son tour, une typhoïdique; mais, même
+si elle ne prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée pour
+longtemps. De même encore le fait d'avoir un enfant infirme, qu'on
+voit du matin au soir, empoisonne assez l'existence pour entraîner,
+quelquefois, la «maladie».
+
+Dans une famille bien unie, la névrose de l'un des membres ébranle
+tellement le système nerveux des autres, que la nécessité de la
+séparation s'impose. La contagion de la névrose n'est cependant pas une
+«contagion» au sens propre du mot; mais, en pratique, on est souvent
+appelé à traiter le malade comme s'il était contagieux, dans son propre
+intérêt et dans celui de son entourage.
+
+Le départ des êtres qui nous sont chers est un autre facteur important
+de «maladie»:--même la séparation momentanée, (femmes de marins ou de
+militaires partant en campagne),--sans compter que le chagrin de la
+séparation se double, en ce cas, d'inquiétude pour les dangers que va
+courir l'être aimé. On voit alors la «maladie» survenir au bout de
+quelque temps, revêtir une forme quelconque, avec des manifestations
+variant à l'infini (insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes
+traduisant le malaise du système nerveux central, qui ne s'atténuera
+que quand la cause disparaîtra. Et même, une fois la cause disparue, il
+pourra persister encore des mois et des années, parce que l'habitude
+morbide est prise, parce que le système nerveux a reçu le choc. La
+cellule continuera à vibrer de travers, comme la surface d'un lac
+continue à être agitée bien longtemps après la chute de la pierre qui a
+troublé son repos.
+
+Quand la séparation est définitive, le mal est plus profond encore, et
+l'expression de «vie brisée» est absolument juste. La perte d'un être
+cher atteint la vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un seul
+coup, le capital biologique. Le malade traînera une existence plus
+ou moins lamentable, et plus ou moins prolongée; mais les moyens
+thérapeutiques les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine
+philosophie atténuera ses maux, et le médecin a surtout à lui offrir une
+bonne psychothérapie. Le temps, aussi, devient un remède avec lequel il
+faut compter; le rôle principal du médecin, dans les cas de ce genre,
+doit être d'empêcher l'organisme de s'effondrer, pour permettre au temps
+d'accomplir son oeuvre réparatrice.
+
+4° _Choc moral et choc traumatique_.--Une émotion violente, quelle
+qu'en soit la cause, peut également amener la «maladie» sous une forme
+quelconque, et parfois lui faire revêtir immédiatement, sans transition,
+les formes les plus graves. Je connais un officier très distingué, et
+bien portant jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une chute
+de cheval sur la tête. Après deux jours de perte presque complète de
+connaissance, il recouvra successivement la parole, la mémoire, le
+mouvement, les forces; mais il était devenu un malade. Depuis douze
+ans, il traîne une existence pitoyable. Ce ne sont pas seulement les
+fonctions cérébrales qui sont atteintes, chez lui; elles sont même
+relativement respectées, il n'a que des vertiges, des bourdonnements de
+l'oreille gauche, des picotements dans les yeux, de la difficulté à lire
+et à causer. Au demeurant, son intelligence est restée intacte: mais
+toutes ses autres fonctions ont été perturbées. Il a des névralgies
+erratiques,--plusieurs médecins ont cru que c'était un candidat à
+l'ataxie locomotrice,--et surtout il a les troubles digestifs les plus
+variés (gastralgie, pesanteurs, gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse
+avec alternative de constipation opiniâtre et d'une diarrhée qu'il est
+difficile d'arrêter). Les forces sont tellement réduites qu'il peut
+à peine faire deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé les
+muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type de malade, atteint de ce
+qu'on appelle la «neurasthénie hystéro-traumatique», ce sont les
+troubles digestifs qui sont au premier plan, bien que le choc ait porté
+sur la tête.
+
+De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de _trauma_ véritable de la
+boîte crânienne, suffit pour amener le choc déterminant la «maladie».
+J'ai vu à la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le début du
+siège de Paris, devint folle pour avoir vu éclater un obus à ses pieds.
+On comprend donc qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au même
+résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés observée après le siège
+de Paris; de là, la multiplicité des cas de psychonévrose, d'aliénation
+mentale, signalés dans l'armée russe pendant le cours de la guerre
+russo-japonaise. Jamais, depuis que les hommes s'entre-tuent, le système
+nerveux des belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures épreuves.
+Tous les facteurs morbides s'accumulaient, chez les Russes, pour
+produire le désarroi du système nerveux. Éloignement de la patrie,
+voyage prolongé en chemin de fer, alimentation insuffisante, manque
+de confiance dans les chefs, menace incessante de surprise, surmenage
+physique s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est plus qu'il n'en faut
+pour rendre malade le malheureux soldat ou officier russe, pour peu
+qu'il soit prédisposé par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse. Mais
+que faire contre un semblable état de choses? L'homme sensé ne peut que
+déplorer l'inanité des efforts de tous les pacifistes.
+
+Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle la guerre, ne sont
+pas assez connues du monde extra-scientifique. On se figure volontiers
+que, quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est rien; c'est
+pendant quinze et vingt ans que les néfastes effets d'une guerre se font
+sentir. Pendant vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui
+avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la campagne de 1870,
+et surtout pendant la captivité.
+
+Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous les jours l'influence du
+choc chirurgical sur la genèse de la névrose. On commence à connaître
+les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations: mais c'est un
+point sur lequel il convient d'attirer l'attention, pour modérer le zèle
+chirurgical des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand l'opération
+est finie et bien finie, tout n'est pas terminé, et que le patient,
+sorti guéri de leurs mains, est quelquefois «un malade» qui restera tel
+pendant plusieurs années. Le choc traumatique produit par l'intervention
+chirurgicale suffit pour expliquer ces accidents tardifs.
+
+J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une dame qui, d'une très
+belle santé jusqu'à trente-huit ans, est devenue grande nerveuse, avec
+anorexie, amaigrissement, etc., immédiatement après une opération de
+tumeur bénigne du sein. Depuis lors, elle est sans cesse préoccupée de
+la récidive possible d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée par
+des malaises de tout genre qu'elle n'avait pas avant l'opération.
+
+Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, même de moindre
+importance encore, d'importance ultra-minime, peut mettre le système
+nerveux dans un état d'ébranlement durable: c'est quand elle occasionne
+une violente douleur. La douleur provoque une fuite nerveuse énorme.
+Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé antérieure, qui est
+devenue neurasthénique immédiatement après des opérations sur les dents.
+
+Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales sont
+pratiquées sur des personnes dont le système nerveux est déjà ébranlé
+plus ou moins, elles deviennent une cause d'aggravation notable.
+La seule crainte de l'opération possible suffit pour provoquer une
+aggravation de la névrose. Est-il un médecin qui n'ait pas vu accourir
+chez lui, forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a
+constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du sein? Et c'est bien
+autre chose encore quand le diagnostic est douteux, quand la malade
+va de chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis ferme; jusqu'à ce
+qu'elle soit fixée sur son sort, elle est dans un état d'anxiété que ne
+connaissent peut-être pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur
+dicter leur conduite non pas seulement au point de vue opératoire, mais
+au point de vue psychique.
+
+Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. Leur sang-froid, leur
+maîtrise d'eux-mêmes, leur habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux
+résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font les considérer, au
+total, comme de vrais bienfaiteurs de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir
+qu'ils ne m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer que,
+à côté de beaucoup de bien, ils font un peu de mal, et un mal qu'ils
+pourraient ne pas faire s'ils connaissaient mieux les répercussions
+qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention, et aussi les soins
+qu'ils donnent à leur malade après l'opération. Je voudrais ne les voir
+intervenir qu'en cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement
+contre les opérations qu'on pourrait appeler de complaisance:--comme
+celle qui a été pratiquée, contre mon avis, sur une malade qui se
+croyait atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que grande
+nerveuse. Cette malade avait déjà appelé, malgré moi, quatre chirurgiens
+qui n'avaient pas voulu opérer; un cinquième se décida à le faire, sans
+avoir de conviction absolue, au sujet de l'existence d'une appendicite,
+mais avec la persuasion que la malade, débarrassée de son obsession en
+même temps que de son appendice, recouvrerait la santé. Or il n'en fut
+rien: l'appendice était sain, et la malade, légèrement améliorée pendant
+un mois, par le fait du repos au lit, du régime sévère, de l'espoir
+qu'elle avait, et que je fus le premier à entretenir, vit bientôt son
+état devenir pire qu'avant l'intervention.
+
+Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens de tenir le moins
+possible les malades en suspens pour savoir si l'on opérera, et quel
+sera le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité, sont
+angoissantes au premier chef pour les personnes déjà nerveuses. Et je
+leur demanderai, enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale
+après l'opération... Je sais bien que, dans certains cas, le chirurgien
+doit suralimenter et même médicamenter son opéré, au risque de lui
+fatiguer l'estomac, et de compromettre les résultats qu'une savante
+hygiène alimentaire avait difficilement obtenus, pendant les mois ou les
+années qui ont précédé l'intervention. Là, il y a force majeure; et,
+dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il savait bien faire de
+la mauvaise besogne, mais il se comparait aux pompiers que n'arrête
+pas la considération de dégâts limités, quand il s'agit de sauver un
+immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré guérirait sans intervention
+médicale et sans champagne, sans suralimentation, sans médicaments, sans
+morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, au sortir de la maison
+d'opérations, son système nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est.
+Il serait plus vite remis du choc traumatique inévitable, qui, à lui
+seul, est un important facteur de dépréciation de la valeur biologique.
+
+Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de la morphine aux malades,
+et à des doses effrayantes? Je sais bien qu'en général ces doses
+invraisemblables,--de 1 à 2 centigrammes répétés deux fois par
+jour,--sont tolérées, pendant les premiers jours qui suivent
+l'opération, parce que l'opéré a une telle sidération du système
+nerveux qu'il ne réagit pas au poison[8]. Mais combien, aussi, ont des
+vomissements et des symptômes d'intoxication grave? Et plus fâcheux
+encore est le résultat quand le malade se met à aimer l'odieux poison,
+et devient morphinomane,--ce qui arrive quelquefois. De grâce, réservez
+donc la morphine pour les cas exceptionnels de souffrance, et n'en
+confiez pas l'administration à une garde, si bien intentionnée et si
+intelligente que vous la supposiez; vos malades n'en seront que plus
+vite guéris!
+
+[Note 8: J'ai traité plus longuement ce sujet dans le _Bulletin de
+la Société Thérapeutique_, novembre 1905.]
+
+Ou bien encore cette habitude de purger les malades, deux ou trois jours
+après l'opération, de leur donner des lavements, alors qu'ils auraient
+tant besoin de repos! La constipation n'est-elle donc pas un symptôme,
+une manifestation, presque inévitable, de l'ébranlement du système
+nerveux provoqué par le choc opératoire? Laissez le système nerveux
+reprendre son équilibre, et la constipation disparaîtra d'elle-même,
+quand l'opéré, sollicité par son appétit spontanément renaissant,
+recommencera à manger.
+
+Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie, une simple vue de
+l'esprit d'un rêveur qui n'a pas vu d'opérés! La démonstration a été
+faite pour moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience de
+laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme a bien
+voulu m'associer aux longues recherches qu'il a faites pour provoquer la
+constipation chez ses opérés. Or, de tâtonnements en tâtonnements, il en
+était arrivé à constiper tous les hommes ayant à subir des opérations
+dans les régions abdominales, inguinales et crurales; il évitait ainsi
+la souillure, et, par conséquent, le renouvellement des pansements. Et
+ce n'était pas une constipation de deux ou trois jours qu'il provoquait,
+mais bien de douze ou quinze jours. Chez un malade de mon service, opéré
+par lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation a été
+entretenue pendant dix-huit jours. J'ai demandé récemment à M.
+Delorme s'il était toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu
+affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi une statistique de
+laquelle il résulte que, depuis le jour où il m'avait convié à assister
+à ses premiers essais, en 1889, il avait opéré, après constipation
+provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de Vincennes, 1600 cures
+radicales de hernies, 50 cures radicales d'hémorroïdes, 500
+varicocèles, 30 castrations, 500 opérations variées de la sphère
+inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait constipé
+méthodiquement 15 hommes atteints de fractures de la cuisse, pour que
+leurs appareils contentifs ne fussent pas souillés.
+
+C'est une partie de ces faits que M. Delorme a brillamment exposés à la
+Société de Chirurgie, en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes
+thermiques, démontrant que la température n'a pas monté au-dessus de la
+normale, pendant toute la durée de la constipation, et que, même, elle
+a souvent été abaissée un peu au-dessous de la normale (90 fois sur ces
+160 observations). Dans quatre cas seulement, elle a dépassé la normale,
+mais c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication
+iodoformée, rhumatisme aigu, congestion pulmonaire (deux fois). Chez 110
+opérés de cures radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans la
+moindre importance. Elles disparaissaient après l'émission spontanée de
+gaz. La langue, saburrale les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect
+normal; l'appétit était conservé chez la majeure partie des constipés.
+Dès le troisième jour, on leur donnait à manger des potages, des oeufs,
+de la viande blanche, du vin, en évitant que les aliments capables de
+donner des déchets. Le sommeil restait bon, le caractère ne laissait
+voir aucune modification, la soif n'était pas excessive, et les analyses
+d'urines, faites par le professeur Burcker, ont démontré que l'économie
+ne subissait, du fait de la constipation provoquée, aucune influence
+néfaste. La première selle était, parfois, facile et spontanée; d'autres
+fois elle était pénible; c'est ainsi qu'un malade ne put aller à la
+garde-robe que le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur lui
+les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; ce n'est que quand on
+le fit marcher qu'il parvint à aller à la selle. Les selles suivantes
+étaient habituellement aisées, et les fonctions de l'intestin
+reprenaient leur régularité. «Ma communication, ajoutait M. Delorme,
+pourrait avoir plus qu'un intérêt clinique, étant donnée les théories
+qui ont cours sur l'importance et la fréquence des intoxications
+intestinales. Mais je désire rester exclusivement sur le terrain de la
+pratique, et je conclurai en disant que, chez les hommes adultes et
+sains surpris par un traumatisme chirurgical qui doit guérir par
+première intention, la constipation, provoquée pendant huit à quinze
+jours, n'a pas les inconvénients qu'on lui attribue généralement.»
+
+Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme est arrivé à obtenir ces
+constipations prolongées, si peu nuisibles aux opérés: car ce serait
+sortir de mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue
+digression, c'est que la constipation de quelques jours, survenant
+d'elle-même et presque fatalement chez les opérés, quels qu'ils soient,
+ne doit pas préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à imposer
+à leurs opérés des purgations qui, fatiguant leur système nerveux
+abdominal, ont forcément un retentissement sur leur système nerveux
+central, et contribuent à en faire des malades, alors qu'au début ils
+n'étaient que des blessés, ou bien à aggraver leur «maladie», quand ils
+étaient déjà des malades avant l'opération.
+
+Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs affirment que la
+constipation est l'ennemi des femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose
+pas m'inscrire en faux contre cette opinion générale: mais peut-être
+serait-elle, comme tant d'autres affirmations, passible d'un procès en
+révision.
+
+
+III.--CAUSES ACCIDENTELLES
+
+
+Nous venons d'énumérer les principales causes d'ordre psychique qui
+amènent la déchéance, totale ou progressive, du capital vital de l'homme
+ou de la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées ou non aux
+autres influences néfastes (surmenage cérébral, surmenage musculaire,
+alimentation défectueuse, etc.), provoquent le plus souvent la
+«maladie».
+
+Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier âge, comme chez
+l'adolescent, la «maladie», chez l'adulte, est provoquée par une
+affection aiguë qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre typhoïde,
+qui, véritable intoxication, surprend l'adulte dans le cours d'un état
+d'équilibre irréprochable, et qui, chose curieuse, paraît être d'autant
+plus grave que le sujet était plus robuste.
+
+La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer la «maladie».
+Ainsi, je connais un homme de quarante-huit ans, qui a vu sa santé
+irrémédiablement ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde survenue à
+l'âge de vingt ans. Mais le cas est rare; souvent, au contraire, on
+observe qu'une fièvre typhoïde, survenant chez un individu malingre, lui
+donne une santé, pour la suite, qu'il ne se connaissait pas jusqu'alors.
+Est-ce parce que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que la diète
+imposée par la fièvre typhoïde a remis l'organe en état? Est-ce parce
+que, jusqu'alors, il se soumettait à un exercice trop vigoureux pour ses
+forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant le repos, a rectifié
+ses erreurs d'hygiène musculaire? Est-ce enfin parce que la fièvre,
+en brûlant ce que les anciens appelaient ses «humeurs peccantes», l'a
+débarrassé de ses produits d'auto-intoxication antérieurs à l'affection
+aiguë? A vrai dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne pouvons que
+constater le fait. Trop heureux serait celui qui pourrait connaître les
+causes de tous les phénomènes de la vie!
+
+Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, pneumonies,
+etc., dans quelle mesure créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»?
+Nous pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles ne font que
+l'aggraver: car, toujours la «maladie» préexistait. Pour contracter
+un rhumatisme, une pneumonie, une angine, il faut déjà que le système
+nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit définitif, soit
+momentané. La première condition pour ne pas prendre les «maladies»,
+c'est de se bien porter.
+
+Mais il n'en est pas moins certain que l'affection accidentelle, en
+intervenant, imprime à la «maladie» un essor plus ou moins vigoureux,
+suivant l'importance de la cause pathogène accidentelle, et aussi
+suivant la valeur préalable du sujet.
+
+De toutes les affections accidentelles, celle qui est le plus
+remarquable, à cet égard, est la grippe. La déchéance post grippale est
+très fréquente, et parfois d'une longueur invraisemblable. On met des
+années, souvent, à se remettre d'une mauvaise grippe. Et cet ennemi est
+d'autant plus dangereux que, loin de créer l'immunité, il a une tendance
+à revenir à la charge; or, dans le cours de la «maladie», chaque
+atteinte de grippe fait faire un pas en arrière, et compromet les
+résultats péniblement acquis. La grippe est l'ennemie personnelle des
+sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien entendu, la forme
+symptomatique de leur «maladie».
+
+C'est aussi dans la période que nous étudions que se manifeste
+dangereusement la syphilis contractée à vingt ans, et insuffisamment
+soignée; elle se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte, des
+lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont personne ne soupçonne
+la cause, des ictus cérébraux, et toutes les manifestations de la
+syphilis tertiaire. Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et
+la paralysie générale, ou du moins elle prédispose singulièrement
+le terrain à l'apparition de ces cruelles «maladies», d'évolution
+fatalement progressive. On commence à connaître ses méfaits, dans le
+monde des assurances, et à savoir que la syphilis n'est pas un brevet de
+longue vie! D'un travail statistique fait par le Dr Rungberg pour une
+Compagnie d'assurances, il résulte que l'âge moyen de la mort des
+syphilitiques assurés à cette Compagnie a été de quarante-trois ans et
+quatre mois, et que, au point de vue des causes de mort, la syphilis
+vient immédiatement après la tuberculose.
+
+
+IV.--INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME
+
+
+Toutes les considérations que nous venons d'exposer peuvent s'appliquer
+également à l'un et à l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste
+privilège de pouvoir être frappée par des influences morbigènes qui
+n'atteignent pas le sexe masculin, et qui méritent d'être étudiées à
+part.
+
+La menstruation joue, dans la vie de la femme, un rôle de premier ordre.
+Chez la femme très bien portante, son influence est à peine perceptible,
+mais chez la femme déjà malade son influence est des plus nettes; chez
+l'aliénée, en particulier, on observe d'une façon constante, quelques
+jours avant les règles, une aggravation du délire; et, chez l'aliénée
+qui semble guérie, on ne doit prononcer le mot de guérison que quand
+deux périodes menstruelles se sont passées sans accident. Nous disons
+à dessein _deux_ périodes: car si, chez les grandes névrosées, les
+troubles menstruels sont mensuels, chez les malades moins atteintes ils
+nous ont semblé souvent ne survenir que tous les deux mois[9].
+
+[Note 9: Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation
+s'accompagne toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois
+jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.]
+
+Chez la grande neurasthénique qui a encore ses règles correctes, on peut
+affirmer que, douze jours avant l'apparition des règles, les misères
+nerveuses, abdominales, etc., s'accentuent considérablement, au grand
+désespoir des familles qui, ayant espéré la guérison, croient que tout
+est à refaire. Mais il n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre,
+quelquefois même pendant les règles, à partir du deuxième jour, et, le
+plus souvent, immédiatement après la cessation de l'écoulement. Les
+malades entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne semaine».
+
+Le médecin doit connaître ce détail, et avertir les malades et leurs
+familles de la rechute, qui est inévitable tant que la «maladie» bat son
+plein. Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles, ce qui est
+fréquent, c'est d'un pronostic assez important; et la réapparition des
+menstrues après deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs cas,
+indique que la malade entre enfin dans la voie de l'amélioration, alors
+même qu'elle continue à souffrir.
+
+L'influence de la grossesse est non moins évidente. Nous avons dit
+qu'elle était quelquefois salutaire, parce que l'utérus développé
+remplaçait la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois l'utérus
+revenu à son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu
+plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées, la ptose
+abdominale devient un des principaux éléments de la «maladie». C'est
+alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la
+forme du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables services.
+
+Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques.
+Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce
+qu'elles étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est parce que
+la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicité
+normale. Si on avait soigné la future ptosique en temps utile, alors
+qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du système nerveux, de
+l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle
+n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses
+multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument
+si merveilleux, ne doit, à notre avis, être considéré que comme un moyen
+thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer la malade et lui
+permettre de se passer de ceinture.
+
+On y parvient, sauf quand la déchéance est trop avancée, par une bonne
+hygiène générale, s'adaptant aux indications fournies par chaque
+individu. Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez les
+autres par le repos, chez les unes par une saison à Vichy, chez les
+autres par un régime restreint, chez toutes par la reconstitution du
+système nerveux, qui toujours laisse à désirer.
+
+La ceinture abdominale, pour en revenir à elle, ne sera employée que le
+moins de temps possible. Chez les femmes non surmenées musculairement,
+on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit
+par les exercices de plancher de la gymnastique suédoise, soit par la
+pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les
+Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la
+pulsion de l'air, on ne fasse à la fois de la bonne thérapeutique
+abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les
+chanteurs et même toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force
+extraordinaire des muscles droits antérieurs; en se contractant, ils
+repoussent la main qui les comprime[10].
+
+[Note 10: Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial
+pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce
+dynamomètre donnerait des indications très intéressantes sur la valeur
+biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant
+vaut l'individu.]
+
+On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion qui attribue à
+la ptose abdominale toutes les misères des dyspeptiques, des
+neurasthéniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme
+a de la ptose et mille misères variées: une ceinture fait disparaître
+presque toutes ces misères, c'est donc, conclut-on que la ptose était
+l'unique cause? Mais non; c'est toujours la théorie du moindre effort
+appliquée au raisonnement humain. La vérité est que la ptose est
+symptomatique, que la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la
+soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut déjà être malade
+pour devenir ptosique,--en dehors, bien entendu, des cas où la
+contention abdominale insuffisante serait due à une éventration.
+
+La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il existe même des ptoses
+qu'on pourrait appeler aiguës, si l'on nous permettait cette expression.
+Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le
+cours d'une bonne santé, à la suite d'un coup de froid, d'une émotion
+violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un
+jour à l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son
+élasticité, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pâteux, d'un
+chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni
+le caecum, ni le côlon. On perçoit, dans la fosse iliaque, un
+gargouillement dont l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la
+fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre typhoïde que parce
+qu'on l'y cherche.
+
+Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les
+«maladies» aiguës. Il est toujours l'indice d'une sidération du système
+nerveux abdominal; et, comme le système nerveux abdominal n'est pas
+sans avoir des relations intimes avec le système nerveux central,
+l'effondrement en question est toujours l'indice d'un état de «maladie»
+assez grave. Mais il peut n'être que passager, durer quinze jours, trois
+semaines; d'autres fois, il dure deux à trois mois, dans certains états
+subaigus; puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa
+forme, son élasticité, renaître: c'est le commencement de la guérison.
+
+En même temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose
+aiguë, la sonorité abdominale subit des modifications extrêmement
+intéressantes. Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal,
+ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes
+différentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le
+plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit et le
+gauche (octave supérieure au côté droit).[11]
+
+[Note 11: Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et
+la percussion, donne les renseignements les plus précieux sur la valeur
+digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime
+alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier,
+évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les
+sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la
+gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essayé
+d'apprendre cette lecture à ses contemporains. Mais, il ne faut pas se
+le dissimuler, l'exploration abdominale est chose très difficile; je la
+pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'être en relations
+scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la
+difficulté de cette étude, en même temps que j'en apprécie mieux toute
+l'importance.
+
+Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui résument
+ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous ne saurions trop
+affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil digestif est, pour
+le biologiste, une source de faits inépuisable. Quelle variété de
+renseignements, quelle précision dans l'observation, ne devons-nous pas
+attendre d'un procédé à la perfection duquel nous voyons concourir les
+données fournies, presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher?
+Ajouterons-nous que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son
+tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité,
+dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les
+plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune
+modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou
+rénal, nous constatons toujours des signes positifs du côté de la sphère
+gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils
+organiques sont impuissants à objectiver, le tube digestif les
+enregistre avec une fidélité remarquable et une variété de nuances que
+l'on n'a point soupçonnée jusqu'ici. Et toutes les modifications de
+forme et de volume, d'élasticité et de résistance du tissu abdominal,
+toutes les variations de sonorité des membranes digestives, ne sauraient
+être considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles
+portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent, d'une
+part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif, d'autre
+part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation
+générale des réactions de l'organisme correspond à ces modalités
+digestives.» (_Mémoire_ lu à la Société de Médecine de Gand, 4 avril
+1905.)
+
+Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient encore à
+être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale; c'est là un
+chapitre de séméiologie qui est tout entier à faire, et que je ne puis
+qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stéthoscope,
+ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une
+valeur insoupçonnée jusqu'à ce jour.]
+
+Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service
+momentané qui n'est pas à dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les
+guérit, quand il leur reste encore assez d'énergie vitale, c'est un
+régime approprié, et du repos ou un exercice gradué, suivant les cas. Le
+régime devra être celui qui donne le moins à travailler à l'estomac et
+à l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou semi-liquide. Les
+prises alimentaires devront être fréquentes,--très fréquentes, dans
+l'état aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en
+éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est
+le meilleur des agents thérapeutiques. Quand le ventre commence à se
+ressaisir, le régime devra être plus substantiel: potages épais, purées
+légères prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait
+un nouveau progrès, alimentation plus dense et moins fréquente (six
+repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purées
+épaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque
+normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque égaux, dont un
+avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passé, quand le
+ventre a retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension, alors
+seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit être
+assez copieux (café noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, composé
+en général de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes de terre
+en robe de chambre; 2° viande non saignante; 3° fromage, peu de pain,
+pas encore de vin, un verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas
+du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles: 1° potage épais;
+2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits.
+
+Telles sont les grandes lignes de la diététique des états aigus ou
+subaigus. En même temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'état
+aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une
+chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les
+malades au lit; puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal après
+les repas; et toujours beaucoup de sommeil, même diurne, le sommeil
+diurne étant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, à
+l'inverse de ce que l'on croit ordinairement.
+
+On comprend combien, dans cet état d'équilibre instable, une violente
+perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit
+par une alimentation trop hâtive, peut être défavorable au malade.
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+PSYCHOTHÉRAPIE
+
+
+
+Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué, les causes diverses qui
+produisent la «maladie». Mais cette étude même n'a fait encore que mieux
+nous montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine comme dans
+l'évolution de la «maladie», l'ébranlement du système nerveux. Et de là
+résulte l'importance, également prépondérante, d'une médication
+destinée à remonter le système nerveux: médication dont un des éléments
+essentiels est cette «psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a
+commencé à préoccuper vivement le monde médical, sans qu'on soit encore
+parvenu à en fixer exactement le domaine et l'application.
+
+A en croire un certain nombre de nos confrères, français et surtout
+étrangers, le psychothérapie serait simplement destinée à remplacer
+toute thérapeutique. L'imagination, d'après ces savants, jouerait dans
+la production et le développement des «maladies» un rôle si énorme,
+qu'il suffirait de découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux
+malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitôt la santé. La
+psychothérapie consisterait donc à étudier, à ce point de vue, l'état
+d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment s'emparer de
+sa confiance pour lui ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents
+défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes que les moyens de
+persuasion sont, jusqu'ici, très difficiles à trouver; et je dois dire,
+quant à moi, qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique me
+paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque peu fantaisiste.
+
+Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit des malades, et de ce
+qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle
+n'en tenait, hier encore, dans la médecine officielle. Mais j'estime
+que la psychothérapie peut faire mieux que d'imposer aux malades
+l'illusion,--toujours bien brève et bien fragile,--de se bien porter:
+elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus précieux de
+la guérison.
+
+Étant donnée l'idée que nous nous faisons de l'origine nerveuse de
+la «maladie», voici, à notre avis, la meilleure définition de la
+psychothérapie: «C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par
+lesquels on améliore ou on reconstitue le capital nerveux.» Son action
+s'étend: 1° à toutes les déviations mentales; 2° à un grand nombre de
+troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie,
+etc., l'incontinence d'urine, etc.
+
+Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilité de l'étude,
+être divisés en deux grandes catégories:
+
+1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses;
+
+2° Moyens par lesquels on augmente les recettes.
+
+
+I
+
+MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES
+
+
+Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le
+savoir; il faut leur apprendre à l'économiser, leur démontrer combien
+est fatigante, pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle,
+leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir prendre un parti dans
+les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti
+médiocre immédiat qu'un parti plus sage après hésitation. Or, pour
+savoir vite prendre parti et s'épargner la peine de remettre en
+discussion tous les motifs et mobiles qui doivent déterminer l'acte à
+accomplir, il y a un procédé très recommandable, qui consiste simplement
+à adopter des principes, et à se dire: «Dans telle circonstance, je
+ferai ceci, dans telle autre je ferai cela»; et puis, une fois le
+principe adopté, à y rester fidèle,--sans cependant en devenir esclave.
+Car il ne faut pas que l'entêtement remplace l'hésitation, que l'océan
+devienne terre ferme. Un petit moyen pratique à recommander aux
+hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire
+dans la journée et les jours suivants, puis, une fois la chose écrite,
+d'exécuter ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté parvient
+ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même temps qu'on s'évite des
+pertes considérables d'influx nerveux.
+
+D'une façon générale, il faut inspirer aux malades le respect du temps,
+leur faire comprendre que le temps, c'est l'étoffe dont la vie est
+faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est
+par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de
+choses utiles avec un minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre
+cette vérité, ils trouveront eux-mêmes, peu à peu, un _modus vivendi_,
+qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des économies de dépense
+nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes _d'ordre_, de
+tout régler dans leur vie,--les heures du lever, du coucher, des repas,
+etc.,--de donner à chaque chose, à chaque préoccupation, la place et
+l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur
+épargner les dépenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente
+psychothérapie.
+
+Appliquons ces idées générales à un cas particulier. Voici une jeune
+fille atteinte de ce qu'on appelle la «folie du doute»; dès son lever,
+elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et
+finira par reprendre la première; elle passera deux heures à faire sa
+toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se
+laver les mains; et toute sa journée se passera ainsi dans un état vague
+d'anxiété. Le soir, la situation est plus pénible encore: la malade ne
+parvient pas à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller,
+s'interrompant à tout instant pour confier à un petit cahier une foule
+d'idées qui ont torturé son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps.
+On dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant. J'ai chez moi
+plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspirés par
+ce même esprit. Or, cette agitation stérile, continue, occasionne une
+dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier une malade de ce
+genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tête, mais que tout
+est malade chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a
+des urines rares et chargées alternant avec des urines claires et
+abondantes. Elle est mal réglée, etc.
+
+Il lui faut donc, avant tout, un traitement général; dont nous
+indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un
+traitement psychothérapique.--Et lequel? La première chose est de lui
+dire combien cette manière de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de
+peine à le lui faire admettre, elle le sait très bien; le preuve,
+c'est qu'elle cache son infirmité avec le plus grand soin à tout son
+entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette dépense nerveuse,
+si stérile, la fatigue, et entretient ou cause sa «maladie» physique.
+Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au
+lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans
+un sens déterminé. A l'une, on fera apprendre une langue étrangère, à
+l'autre on proposera une autre occupation, non moins précise. Le
+médecin s'inspirera d'une foule de considérations d'ordre secondaire;
+l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la
+volonté et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par une bonne
+orientation de son activité. Nous avons pris là, à dessein, un cas des
+plus difficiles à guérir: et cependant nous affirmons que la guérison
+y est possible, quand, à la psychothérapie, on joint un traitement
+somatique convenable et suffisamment prolongé.
+
+Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la paralysie générale, dans
+tous les cas de délire aigu occasionnés par les «maladies» infectieuses,
+l'influx nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se font de
+toutes parts. La pensée est si rapide, chez le maniaque, que l'aliéniste
+expérimenté ne parvient pas à la suivre. Les associations d'idées se
+font avec une telle rapidité que le malade n'a pas le temps de les
+exprimer, et, quelle que soit sa volubilité, sa langue n'a pas un débit
+égal à celui de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être utile à
+des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai dire, son rôle est alors
+négatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas
+s'acharner à discuter avec le malade, à rectifier ses appréciations; il
+faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner à éviter au malade
+toute cause d'excitation prochaine ou éloignée. Il faut se rappeler,
+surtout, qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore à user
+d'extrêmes précautions, et à ménager le cerveau fragile.
+
+Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée, est limitée à un
+point fixe, la psychothérapie intervient d'une façon plus active. Voici
+un homme en proie à une obsession: une idée a envahi son cerveau, il y
+pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensées
+ont pour pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux qu'il estime
+pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne
+trouvant pas de solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de
+boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser à ce qui
+le préoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer
+inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les
+plus amples détails, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci
+fait, pour acquérir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre
+d'en parler, et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs. De même
+que, dans une hémorragie pulmonaire, le médecin bien avisé fait une
+saignée générale, qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute
+ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idée obsédante, mais faire
+naître des courants d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer
+une idée morbide par une série d'idées saines. C'est la psychothérapie
+_dérivative_.
+
+Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses, moyen à employer dans
+les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du
+fait acquis, en d'autres termes la résignation; c'est la psychothérapie
+_sédative_. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se
+cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent
+la «maladie», de se nourrir de son chagrin, de se remémorer les causes
+morales qui l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse énorme.
+Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif d'une sorte de sommeil
+de la cellule nerveuse.
+
+Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi dire passive, est un
+acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberté,
+sans restrictions, sans protestations, ses misères, pour les offrir
+dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la
+passivité, et déjà elle rentre dans la deuxième catégorie des moyens
+psychothérapiques. L'étude de cette résignation active va donc nous
+servir de transition toute naturelle.
+
+La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter plusieurs fois par
+jour qu'on se résigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de
+volonté; et encourager le malade à accomplir cet acte de volonté, c'est
+faire de l'excellente psychothérapie _reconstituante_. Malheureusement,
+cette résignation active est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose
+toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité humaine,
+de la réversibilité des mérites et des souffrances, en un mot la
+doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce
+à titre exceptionnel que les ressources de la résignation active peuvent
+être employées.
+
+Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin en face d'un malade
+qui va jusqu'à voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, _a
+priori_, que le médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est rien.
+Le médecin doit rester à son poste; et tout en encourageant le malade
+dans cette voie, en fortifiant sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas
+négliger les moyens thérapeutiques que réclame son état. Car enfin le
+résigné actif ne commet pas une erreur de logique en désirant guérir
+et en acceptant les soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la
+souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu, au contraire,
+de se résigner aussi à ce que veut pour lui la nature, c'est-à-dire à ne
+rien omettre pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une vie
+plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le résigné
+actif est d'ordinaire le plus obéissant, le plus stable des malades, le
+plus reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont donnés; c'est le
+malade de choix.
+
+
+II
+
+MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES
+
+
+La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques comprend, comme nous
+l'avons dit, ceux qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du
+capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de deux façons:
+
+1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante
+gymnastique de la volonté. (L'homme ne vaut que par sa volonté: donc
+discipliner, fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre le plus
+grand des services.)
+
+2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux étranger.
+
+Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci
+devient le collaborateur du médecin, dont le rôle se borne à indiquer
+les procédés de gymnastique de la volonté et à surveiller l'application.
+
+Dans le deuxième cas, une volonté étrangère vient en aide à la volonté
+défaillante, ou insuffisante, du patient.
+
+1° _Gymnastique de la volonté_.--Il y a des procédés d'éducation de la
+volonté,--cette faculté, comme la mémoire, comme l'attention, étant
+susceptible d'être améliorée par une bonne gymnastique. Le principe
+général, dans cette éducation, c'est de procéder lentement, de ne pas
+demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de
+lui demander, au début, un tout petit effort, qui sera augmenté tous
+les jours. Ainsi nous invitons nos malades à faire trois fois, tous les
+matins, trois mouvements déterminés des bras, puis six, puis douze,
+puis d'en faire autant avec les membres inférieurs. En ordonnant ces
+exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique
+musculaire elle-même que sur l'effort de volonté que nous obtenons du
+malade, avec son libre consentement. Dans le même esprit, nous envoyons
+certains de nos malades faire une gymnastique spéciale, tous les jours,
+par tous les temps, à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent
+supporter la fatigue d'un déplacement quotidien. Là, nous leur faisons
+faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien
+gradué d'après des règles précises, régularise la circulation du sang,
+les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en
+particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par conséquent,
+l'acte respiratoire. Grâce à cette gymnastique, on arrive, au bout d'un
+mois, à faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient
+pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher[12].
+
+[Note 12: Ajoutons que cette course ne provoque jamais
+d'essoufflement le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter
+l'essoufflement par une progression sage et bien réglée dans la longueur
+et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée par
+notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des études
+très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant
+toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est pas le lieu de parler
+avec détail de cette méthode d'entraînement; disons seulement qu'on ne
+se fait pas une idée, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur
+dans la progression à imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas
+gymnastique de l'armée ne doit être atteinte, chez l'homme même bien
+portant, qu'après quinze minutes de course progressivement plus rapide.
+C'est comme cela que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que
+le pas gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue.
+De même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure,
+c'est-à-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes
+de course en progression. Si, à cette prudence dans la progression, on
+joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui
+apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement. Mais si le coureur
+n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au bout de vingt à trente
+minutes, d'une transpiration énorme, telle que la course en flexion a
+pour complément indispensable, soit une friction sèche avec changement
+de linge, soit, mieux encore, une douche tiède. Cette nécessité de la
+douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et,
+par parenthèse, l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du
+commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au
+contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale,
+puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison
+d'hydrothérapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition
+par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement.
+
+Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction de
+moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinée,
+ne soient des facteurs importants dans l'excellent résultat total que
+j'obtiens de ce que j'ai appelé la _dromothérapie_; mais j'estime qu'une
+grande part du résultat utile revient à cette gymnastique de la volonté
+que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous
+les jours à ses progrès, il éprouve un vague sentiment de contentement
+à la pensée qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle.
+Dût-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la
+course en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie
+par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative,
+puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient
+vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers jours.]
+
+Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité de l'attrait dans
+l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de
+la _gymnastique respiratoire_. Cet exercice est souverainement ennuyeux,
+et c'est chose rare que nos malades les plus obéissants le continuent
+régulièrement plus de deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est,
+pour le psychothérapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un
+effort énorme de volonté. Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop
+le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur
+la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse
+de faire disparaître ces rougeurs émotives, si désagréables à certains
+neurasthéniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez
+les timides, car les personnes hardies et décidées leur payent aussi
+leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer l'obsession de la
+rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et mérite
+l'attention du clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les
+moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce symptôme, on voit qu'il
+s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et
+quelquefois de sensations précordiales; et c'est, sans doute, parce que
+l'exercice en question régularise la respiration, qu'il est le meilleur
+traitement de la rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain,
+je l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices sont, je le
+répète, extrêmement désagréables, il faut savoir les graduer de façon
+à ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses propres
+progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à faire faire au malade des
+mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et
+soir. On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de cette
+gymnastique méthodique, telle que les Suédois l'enseignent, c'est-à-dire
+faite d'après les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand
+elle est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal
+instruits, elle trouble les phénomènes de la circulation, et peut même
+amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant,
+mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la
+thérapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil
+qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire.
+Aux malades qui n'ont pas l'énergie de la faire simplement dans leur
+chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts
+mécanothérapiques.
+
+On peut exercer la volonté du malade, et, par conséquent, la fortifier,
+par mille autres moyens, qui seront inspirés par les diverses conditions
+de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire
+faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer
+les progrès, et surtout un travail qui ne demande pas une dépense, soit
+cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un côté
+ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le rôle du
+psychothérapeute doit prendre fin à un moment donné, quand le malade a
+reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres
+ailes. On doit alors l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement:
+il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le médecin imite
+le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son
+élève, puis l'abandonne momentanément, sans qu'il s'en doute; l'élève
+confiant continue à pédaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment où il
+est assez sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur le
+soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas de progrès.
+
+2° _Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux
+insuffisant_.--Dans les cas où la volonté est tellement défaillante que
+l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de
+fournir à son malade un apport étranger d'influx nerveux: il y arrive
+par le procédé de l'hypnose. Rien ne m'ôtera la conviction que, dans
+l'hypnose, il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son sujet,
+«influence» étant compris dans son sens étymologique (_fluere_, couler).
+L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de
+lui-même; il a une action personnelle; et les médecins qui prétendent
+le contraire, qui disent que les passes peuvent être remplacées par le
+braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule
+ou mobile comme un miroir à alouettes, ne me paraissent pas être dans la
+vérité.
+
+L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus
+variés; non seulement il peut rectifier des idées erronées, faire
+disparaître les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit
+encore pour ramener chez le malade la quiétude de l'esprit, la confiance
+en soi-même.
+
+Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus
+facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de
+faire disparaître des troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des
+vomissements, des métrorragies, de faire revenir les règles, le sommeil
+naturel, de régulariser les selles, etc.
+
+Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir
+l'influence hypnotique, et que, précisément, ceux qui en auraient le
+plus besoin se trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les
+hallucinés, les grandes hystériques, les malades atteints de délire
+systématisé, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est
+d'autant plus difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi,
+chez les aliénés, nous avons vu notre excellent maître le Dr A. Voisin
+s'acharner pendant des heures entières sans obtenir le moindre effet;
+mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait! Nous
+connaissons pour notre part de grands nerveux qui, très désireux de
+pouvoir être endormis, sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou
+tels confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance spéciale
+de l'hypnotisme, et toujours avec un insuccès complet.
+
+C'est là une première raison qui restreint grandement l'emploi de
+l'hypnose. Une deuxième raison qui doit le limiter, c'est que, quand
+on emploie l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans l'esprit du
+malade, si on ne réussit pas du premier coup, et alors on le prive du
+secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse
+manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance. Mais il existe des
+procédés permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable,
+de façon qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser de côté, sans
+en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables.
+
+Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que
+celle-ci, quand elle réussit, risque de devenir un moyen thérapeutique
+trop actif. Même avec la plus grande prudence, on ne parvient pas
+toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare souvent par
+trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien
+faire sans son conseil.
+
+J'ai connu un ingénieur des chemins de fer, renommé pour sa sévérité à
+l'égard des inférieurs, et névropathe de grande marque. Son médecin crut
+bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard,
+que c'était un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil
+hypnotique, le médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses
+inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès le lendemain, les
+procédés de cet homme à l'égard de ces inférieurs se firent tellement
+bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses
+subordonnés eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour ses chefs. Il ne
+parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarité humaine.
+On le crut fou; il ne l'était pas, mais il était devenu tellement
+différent de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin, averti de ce
+changement à vue, s'efforça, en plusieurs conversations, de modérer le
+zèle charitable du néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait
+avec lui les théories socialistes, et serait devenu le pire des
+utopistes. Il fallut une nouvelle séance d'hypnose pour atténuer, au
+point voulu, les effets de la suggestion première.
+
+Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant
+demander pourquoi l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire
+sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe à un cheval qui
+ne demande qu'à se laisser conduire? Réservons donc le mors arabe pour
+les cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif!
+
+Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le médecin doit cesser
+de recourir à l'hypnose, sous peine de compromettre le résultat final.
+Une fois le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction de
+sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensée, je prendrai la
+comparaison suivante: l'hypnose est à la défaillance du système nerveux
+ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance fonctionnelle
+du corps thyroïde, ce que l'opothérapie hépatique est à l'insuffisance
+fonctionnelle du foie. Or, de même que le médecin qui s'est servi
+de foie de porc pour remettre en état un hépatique, ne continue pas
+indéfiniment l'emploi du foie de porc, de même le psychothérapeute doit
+cesser l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat voulu,
+c'est-à-dire dès qu'il a remis le malade en assez bon état pour pouvoir
+compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort
+personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq séances
+suffisent, dans la majorité des cas.
+
+Toutes ces considérations expliquent la rareté des cas où l'hypnotisme
+est à conseiller. Mais quant à dire, comme le font les adversaires
+irréconciliables de la thérapeutique par l'hypnose, que quelques séances
+amènent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que
+l'hypnotisme «dissocie la personnalité normale du sujet» (Grasset),
+«aboutit à la ruine déplus en plus complète de ce moi qu'on voudrait
+sauver» (Duprat), c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme
+bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le
+service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque
+d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de
+l'hypnotisme ont quelque chose de dégradant pour la dignité humaine,
+parce que le médecin qui impose sa volonté au malade porte atteinte au
+dogme de la liberté, c'est énoncer une erreur non moins absolue, la
+suggestion hypnotique n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état
+de veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte, on n'aurait
+plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de
+l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discréditent le médecin, c'est
+affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait en rien, car le médecin
+n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le répétons, sa
+conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procédés
+hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades
+qu'avec leur assentiment formel, et en présence d'un tiers représentant
+la famille.
+
+Ajoutons enfin que le médecin _seul_ doit avoir recours à ce procédé
+thérapeutique; et que ce médecin doit agir uniquement pour le bien du
+malade, sans la moindre préoccupation étrangère, voire même sans aucune
+préoccupation scientifique.
+
+_Conseils pratiques pour l'application des procédés
+psychothérapiques._--Nous venons de passer en revue les moyens
+psychothérapiques par lesquels on peut améliorer le capital nerveux d'un
+malade. Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien voulant
+employer la psychothérapie; il semble donc utile de le compléter par des
+considérations d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées par une
+expérience personnelle.
+
+1° Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire
+de la bonne psychothérapie, il faut soigner le malade non seulement avec
+toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le médecin qui
+ne ferait que de la psychologie, démontant curieusement pièce à pièce
+tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est
+défectueux, sans se préoccuper avant tout d'être utile, ne ferait pas de
+bonne psychothérapie. Il lui faut être bon mécanicien, bon psychologue,
+c'est entendu; mais surtout il lui faut être un homme charitable. Je
+sais que le mot «charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle
+plus que d'altruisme, de solidarité, etc. Le mot «charité» pourra
+disparaître du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses
+soi-disant synonymes; mais la charité restera toujours au fond du coeur
+de l'homme, et sera, comme par le passé, l'inspiratrice des actions
+généreuses et véritablement utiles.
+
+2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime son malade. S'il veut
+avoir sur lui une autorité morale effective, il faut en outre qu'il ne
+soit pas pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il
+ne le soit pas en réalité. Savoir se donner tout entier à l'affaire
+présente est la première condition du succès, en psychothérapie. Il faut
+que, dès la première entrevue, s'établisse entre le malade et le médecin
+un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'établir que si le
+malade sent que le médecin s'intéresse profondément à lui, et ne lui
+ménage pas son temps. La première consultation, surtout, doit pouvoir
+durer tout le temps nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine
+que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut.
+
+3° Il faut encore que le médecin sache écouter, c'est-à-dire laisser
+parler le malade aussi longtemps qu'il le désire, surtout pendant les
+premières consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité
+d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter, parce qu'on apprend
+toujours quelque détail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de
+cette façon, le malade, par une sorte de discrétion inconsciente,
+arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser de la patience de
+son auditeur, et se contente de répondre aux quelques questions bien
+précises qu'il lui pose.
+
+Une fois que le médecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il
+donnera, non seulement sur l'hygiène mentale, mais sur l'hygiène
+alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'être suivis; et ainsi
+tout concourra à la guérison ou à l'amélioration cherchée.
+
+4° Un autre principe, c'est de dire au malade la vérité dans la mesure
+du possible. Évidemment, s'il y a une lésion organique incurable,
+le médecin doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les cas
+exceptionnels où le malade a des motifs sérieux pour savoir la vérité
+entière. Mais le plus souvent il faut dire la vérité au malade, lui dire
+très franchement l'idée que l'on se fait de son état, la durée probable
+du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des
+années, comme il arrive trop souvent chez les malades à capital
+restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: «Le traitement sera
+long, un peu pénible, mais la guérison est assurée.» Il faut encore,
+dès les premières entrevues, avertir le malade des rechutes possibles,
+probables, ou certaines: si c'est une femme, la prévenir que, dans les
+douze jours qui précéderont l'époque menstruelle, elle aura fatalement,
+durant quelques mois, une réapparition de toutes ses misères, mais à un
+degré de moins en moins marqué; dans tous les cas, avertir le patient,
+s'il s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir
+une légère aggravation, puis, quand son état s'améliorera, tous les
+trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause
+appréciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le système nerveux
+à protester d'une façon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir
+que toute émotion violente, et surtout que toute infraction au régime
+alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a été ou qui va lui être
+prescrit, se soldera inévitablement par une rechute plus ou moins grave,
+suivant la gravité de l'infraction,--une rechute qui, chose curieuse,
+ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'écart
+commis;--l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en
+particulier, fera faire un pas en arrière d'autant plus grand qu'elle
+aura été plus grave, et soignée plus tardivement; donner, par
+conséquent, au malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette, dans
+la mesure du possible, à l'abri des affections intercurrentes, et lui
+recommander de demander ou de prendre des soins immédiats, en lui
+faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves,
+en général, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignées dès leur début.
+
+5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui
+seraient plus pénibles que les malaises dont il se plaint. Il doit même
+éviter, en général, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque
+de décourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre
+égoïste et hypocondriaque, et d'entretenir sa «maladie» par le soin
+même apporté à la combattre. Aussi bien la thérapeutique est-elle, en
+général, plus simple qu'on ne croit, et les questions de régime, en
+particulier, sont presque toujours faciles à résoudre.
+
+Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une
+prescription, c'est de la mesure où il sera possible et facile, au
+malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrête jamais un programme
+de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec le malade, et, si
+possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade
+une feuille où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis l'heure
+du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où, aux heures prescrites, sont
+indiqués les menus des repas, voire même les livres à lire. J'ai soin,
+en outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis est défendu», en
+laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproché
+«tout ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le malade, pourvu de
+cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus
+possible, mais sans en devenir l'esclave.
+
+On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la «maladie»,
+si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient
+les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où ce
+traitement doit être simplifié au maximum: par exemple, chez une mère
+de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait
+souverainement absurde de proposer à cette malade un régime ou des soins
+personnels qui l'empêcheraient d'accomplir ses devoirs de tous les
+instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus
+importantes, en faisant comprendre à la malade que l'on ferait mieux
+si les circonstances de sa vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en
+définitive, le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et qu'on en sera
+quitte pour prolonger le traitement plus longtemps.
+
+En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent à un traitement
+méthodique proviennent de deux sources: 1° De l'absence de foi du
+malade, 2° de la mauvaise volonté de son entourage.
+
+1° Il est des malades qui viennent nous consulter malgré eux, sous la
+pression de leur famille, avec l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre
+une consultation de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les
+précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup, comprenne la
+mentalité des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut être fixé
+dès les premières paroles échangées, voire dès le premier abord. A lui,
+alors, de déployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y
+prendre, il peut arriver à faire, d'un malade irréductible en apparence,
+l'être le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et il parvient
+alors à des résultats inespérés. Les choses se passent ainsi huit fois
+sur dix.
+
+Plus difficiles à convaincre sont les malades qui n'ont pas d'énergie,
+qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises à l'avance, ou
+encore ceux qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent que la
+mort. En face de tous ces malheureux, le médecin ne doit pas se dérober,
+quelque souci que lui réservent les patients de cette sorte.
+
+Enfin, plus difficiles encore sont les malades à théories, qui ont leur
+siège fait, après avoir vu des médecins de tous les pays, suivi, dans
+les sanatoria les plus variés, les traitements les plus dissemblables;
+qui connaissent toutes les dernières nouveautés sur les choses
+médicales, le discours de la veille à l'Académie de médecine, les livres
+qui vont paraître. Avec ceux-là, rien à faire. Le mieux, pour ne pas
+perdre un temps précieux, est de leur déclarer de suite qu'on ne
+parviendrait pas à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs,
+ces cas sont assez rares.
+
+Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale qui commencent par
+dire toujours non, ou à le penser, ce qui est encore plus grave. La
+psychothérapie, comme tous les agents thérapeutiques, a à compter avec
+ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les «idiosyncrasies».
+
+2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient de l'hostilité de
+l'entourage du malade.
+
+On ne peut se faire une idée de l'influence néfaste qu'exerce cet
+entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du
+médecin, discute sa manière de penser, ses prescriptions; le malade,
+alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au médecin ou à
+l'entourage.
+
+Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement déclarée. Mais c'est
+pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, à propos
+des moindres prescriptions. Le malade sent très bien que le médecin est
+dans le vrai, qu'il a _compris_ sa «maladie»; il voudrait de tout son
+coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est là qui,
+sans dire un mot, proteste intérieurement et exécute à contre-coeur
+tout ce qui a été prescrit. La position est des plus difficiles. Cette
+contre-suggestion, qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer
+la confiance, si nécessaire, que le malade avait tout d'abord; les
+prescriptions ne sont qu'à moitié observées. Ces tiraillements continus
+sont véritablement lamentables.
+
+Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la
+femme, c'est souvent la mère ou la belle-mère, plus souvent encore des
+personnes qui touchent de moins près au malade. Les plus dangereux
+ennemis sont ceux qui ont à donner des soins immédiats; ce sont les
+gardes, qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout les
+domestiques. De là la dure nécessité pour le médecin d'être bien avec
+tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant
+avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou
+telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout
+le monde voudrait que le malade fît de l'exercice; le régime restreint,
+alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il
+prît du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la
+partie est perdue d'avance; et c'est alors que le médecin doit user
+de toute son autorité pour imposer l'isolement, tandis qu'il eût été
+quelquefois très simple de guérir à peu de frais le malade, en le
+laissant chez lui.
+
+Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la confiance d'un malade,
+et d'avoir conquis, non la neutralité,--elle n'existe nulle part,--mais
+l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne; il ne
+reste plus qu'à surveiller l'application du traitement, et surtout à
+entretenir la foi du malade en sa guérison à échéance plus ou moins
+éloignée. Pour remplir ce double but, il faut que le médecin ait avec le
+malade de fréquents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer,
+dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui
+démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer instamment,
+quelles que soient ses doléances, que la guérison est assurée.
+
+Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile. Il l'est, par
+exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers
+temps, pour calmer leur système nerveux. Ne dormant presque jamais, ces
+malheureux ont toutes les peines du monde à rester au lit; il faut leur
+faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable
+qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour au lit, mais de l'excitation
+du système nerveux; que cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze
+jours, pour faire place à une détente de bon aloi, avec sensation de
+fatigue énorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil réparateur,
+retour de l'appétit, disparition _spontanée_ de la constipation, etc.
+Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent,
+des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront être espacées:
+il faut savoir se faire désirer.
+
+Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser
+le malade en tête-à-tête avec le médecin. L'influence de celui-ci est,
+alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'épancher en toute
+liberté, tirent un grand bénéfice de la visite du médecin, qui ne tarde
+pas à devenir leur ami.
+
+C'est dans ces tête-à-tête que le médecin doit insister pour faire de
+la suggestion optimiste et de la véritable psychothérapie, d'après les
+principes que nous avons étudiés antérieurement.
+
+Nous avons parlé déjà, à propos de la névrose provoquée par les causes
+morales chez les jeunes femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir,
+à titre de confident de leurs misères: ce rôle est toujours difficile,
+et quelquefois dangereux. Le besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir
+confier sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues;
+c'est lui qui pousse les criminels à venir s'accuser d'un acte dont
+l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable,
+a excité un de mes malades à prendre sa femme, en tant que sa meilleure
+amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On
+comprend donc combien un confident sûr et discret peut rendre de
+services, chez les malades de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme
+l'a dit le poète:
+
+ En se plaignant on se console,
+ Et quelquefois une parole
+ Nous a délivrés d'un remords.
+
+Mais il est des cas où la douleur humaine ne peut être atténuée par une
+confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd
+tous ses droits.
+
+Il est d'autres cas où elle est également impuissante. C'est quand le
+malade ne _veut_ pas guérir,--s'il se complaît dans son chagrin, par
+exemple.--Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de
+se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guérir; dans
+leur égoïsme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage,
+véritables vampires qui épuisent jusqu'au bout la patience, les forces,
+les ressources pécuniaires de leurs proches, sans avoir un éclair de
+reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le médecin qui
+se dépense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles
+sont, avant tout, des malades, et ont droit à toute notre indulgence;
+leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme morbide. Ainsi j'ai soigné une
+dame qui, avant d'être malade, était exquise de bonté, de bienveillance,
+de politesse. Or, quelques mois après le début de sa «maladie», en
+même temps qu'elle devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en ne
+mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractère se modifia
+et la fit devenir le tyran dont j'esquisse à grand traits l'image.
+Aujourd'hui, elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter
+qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychothérapie
+est impuissante. Si habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue
+quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents
+thérapeutiques.
+
+
+PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX
+
+Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser, comme moyen
+psychothérapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse?
+Grave question qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion.
+
+En principe, le médecin ferait mieux de laisser ce soin au prêtre, ou au
+pasteur, ou au rabbin, à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces
+délicats problèmes; mais il est des circonstances où il ne peut pas se
+dérober, et il nous faut en dire quelques mots.
+
+Il est certain, en tout cas, que le médecin ne doit jamais aborder, le
+premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est
+pas son rôle, et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense d'une
+doctrine philosophique quelconque, pourrait être, et serait à juste
+titre, sévèrement jugée. Mais, d'autre part, il doit s'attendre à ce
+que, poussé par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à
+entrer avec lui dans ce domaine.
+
+Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui,
+pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité
+de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalité des
+consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'à son corps
+défendant, se sent, à un moment donné, préoccupé d'une façon insolite
+par les grands problèmes de l'au-delà, de la destinée humaine. Sans
+compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois
+n'ai-je pas entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur de quoi? Ils
+n'en savent rien; ce n'est pas, en général, d'avoir à quitter cette
+lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;--encore que
+parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de
+conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent
+une peur vague, animale; et, dans cette détresse morale, ils
+s'accrochent désespérément à tout ce qui peut leur donner du réconfort.
+
+Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve souvent le malade
+d'aborder des problèmes qui, en état de santé, lui étaient complètement
+indifférents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne
+religieuse, qui répondra à toutes les questions par de petites
+dévotionnettes ou des pratiques tout à fait en dehors des habitudes du
+malade, des pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les fervents,
+et qui risquent de révolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le
+sens caché? Est-ce avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant
+en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'à
+ses affaires pendant qu'il lui détaille ses misères, se borne à lui
+répondre: «Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il
+fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne
+l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors
+que la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde! Vraiment,
+tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux;
+non seulement ils ne sont d'aucune utilité, mais ils contribuent à
+entretenir la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du lit des
+patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le
+cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secrètes,
+n'ont plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient en partie
+à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue par des confidences
+réciproques; or, à partir du jour où le malade a été sérieusement
+touché, il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires de ses
+meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne s'intéresse qu'aux siennes,
+c'est-à-dire à sa «maladie».
+
+Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves préoccupations,
+les personnes de son entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.?
+
+Quelle médiocre ressource!--Certes, ce n'est ni le dévouement, ni la
+bienveillance, ni la tendre affection qui font défaut aux membres de
+la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins
+intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait
+d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de tout
+temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent, le prêtre n'a pas ses
+entrées dans la maison; et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état
+soit un peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut
+pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps
+d'appeler le prêtre quand le malade sera sans connaissance!
+
+Que reste-il donc?--Le médecin.
+
+Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé de son corps, lui donne
+une influence et une autorité morales supérieures à celles mêmes des
+parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui surtout que le
+malade est tenté de confier ses doutes, ses préoccupations d'au-delà,
+ses vagues espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui avec une
+abondance et une intensité inaccoutumées.
+
+Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa tâche, sur ce domaine
+particulier de la psychothérapie, dont l'importance est souvent
+capitale.
+
+Mais que doit-il faire? En présence d'un malade qu'il voit partagé entre
+des restes de foi plus ou moins effacés, et cet état d'incrédulité,
+active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence d'un
+malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir,
+et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour
+lui l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il
+retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la société de ceux qu'il a le
+plus aimés sur cette terre; en présence d'un tel malade, que doit faire
+le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde
+jamais de vue que le malade est semblable à un noyé qui cherche à se
+raccrocher à la moindre branche de salut; si donc il n'a à lui offrir
+que de froides théories philosophiques, aboutissant à la désespérance
+finale, s'il est lui-même bien convaincu que la mort signifie, pour le
+malade, la fin absolue, et la séparation à jamais d'avec ce qui lui
+est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des
+doctrines qui, en admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient
+être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est
+de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'espérance. Or, où
+trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit:
+«Venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?»
+
+L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les
+médecins qui se sont occupés des «maladies» nerveuses; et c'est avec
+plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr
+Dubois[13], de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage,
+développe avec complaisance des théories philosophiques fort éloignées
+de l'orthodoxie chrétienne:
+
+[Note 13: Dr Dubois. _Les Psychonévroses et leur traitement moral_,
+1904.]
+
+«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif contre ces
+«maladies» de l'âme, et le plus puissant moyen pour les guérir, si elle
+était assez vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme
+chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare, dans les milieux bien
+pensants, l'homme devient invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu,
+il ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber sous les
+coups d'une «maladie» physique, mais, moralement, il reste debout au
+milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux émotions pusillanimes
+des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV: «Ceux à qui leur
+tournure d'esprit permet encore la foi naïve trouveront un appui dans
+leurs convictions religieuses, à condition qu'elles soient sincères et
+vécues.»
+
+Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en résulte pas, pour le
+médecin psychothérapeute, d'encourager son malade dans ces convictions
+religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux émotions
+pusillanimes des névrosés»?
+
+Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez, vivante «pour créer
+un vrai stoïcisme chrétien», subsiste encore, et cherche vaguement à se
+raviver sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme mondains,
+est-ce que ce n'est pas une obligation pour le médecin de l'y aider,
+autant qu'il le peut?
+
+Voici donc le médecin transformé, malgré lui, en apôtre. Mais nous ne
+craignons pas de le redire: pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas
+préparé, il a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne doit
+s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain aussi dangereux.
+
+
+
+CHAPITRE V
+
+AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES
+
+
+
+La psychothérapie est la base du traitement, pour les malades chez qui
+les troubles nerveux et mentaux prédominent. Dans les autres formes de
+la déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un rôle important; de
+là les résultats remarquables obtenus, même dans les «maladies» à forme
+gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confrères,
+qui arrivent, en effet, à soulager et guérir un certain nombre de
+dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systématiquement toute
+préoccupation de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces confrères
+tombent dans l'exagération; même s'il n'y a pas de troubles gastriques,
+le régime du malade doit être surveillé; et à plus forte raison quand
+l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en réalité, joue, dans
+la thérapeutique des malades à phénomènes intestinaux et gastriques, un
+rôle au moins égal à celui de la psychothérapie.
+
+Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers: lorsque vous
+faites du régime, lorsque vous imposez à vos malades telle ou telle
+alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une
+maison de santé à l'autre, les bons résultats que vous obtenez sont dus,
+exclusivement, à la psychothérapie que vous faites sans le savoir. Si
+le docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du
+macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur
+estomac en état, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en
+fait, il les guérit par suggestion, et malgré le régime. Car le
+régime, ajoutent-ils, entretient plutôt l'idée de «maladie»: le malade
+s'auto-suggestionne à chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver
+de plus malheureux à un névropathe, c'est de trouver un médecin qui le
+soumette à un régime alimentaire, quel qu'il soit.
+
+Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir
+traiter, par la psychothérapie seule, telle ou telle jeune fille qui
+vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs
+semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs
+mettant sa vie en danger. Qu'on réussisse souvent à guérir les «malades»
+sans régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique, qui n'est en
+somme que la suralimentation, dans une maison de santé, c'est possible:
+le changement de milieu, l'éloignement des causes qui avaient produit et
+entretenu la «maladie», l'influence salutaire indiscutable du médecin,
+expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder
+de généraliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en même temps qu'on
+fait de la suggestion, instituer un régime alimentaire approprié au
+fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.
+
+
+I
+
+RÉGIME
+
+
+Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac et l'intestin, atteints
+d'une sorte d'inertie, se refusent à tout travail, et indiqué les
+symptômes physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie. Il
+est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac et à cet intestin un
+travail fréquent, mais peu actif; de là, nécessité de la diète liquide
+dans les cas très graves, parfois même de la diète absolue pendant
+vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diète semi-liquide dans les
+cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes
+les deux heures, suivant le degré d'inertie constaté.
+
+Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le nombre des aliments.
+Je me rappelle un malade qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux,
+qui depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait plus rien,
+avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se traîner,
+ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un régime
+consistant à s'alimenter exclusivement de Revalescière. Je lui ai donné,
+toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures,
+jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures
+pendant huit jours, uniquement de la Revalescière, cuite dans du
+bouillon de légumes et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac
+lui permit de tolérer d'autres potages, puis des purées, puis des oeufs
+et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il
+partit guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que
+je faisais, en même temps, de la psychothérapie! me dira-t-on encore?
+Sans doute, j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup pour
+faire accepter ce régime à mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait
+pas une «maladie» incurable, pour le faire rester à Paris, dans les
+conditions d'installation médiocre où il se trouvait, etc.; mais
+j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui l'a guéri, et que,
+malgré la confiance qu'il avait en moi, malgré toute l'autorité que
+j'exerçais sur lui, malgré le repos au lit, si je lui avais donné à
+manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si
+surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas
+guéri; et la preuve en est que, à partir du premier mois, sitôt que
+je m'écartais du régime méthodique, et que, pour essayer de gagner du
+temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet
+essai, si timide qu'il pût être, amenait invariablement un petit recul.
+Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement amené une rechute.
+
+Inutile de dire, après cela, que la Revalescière n'est nullement un
+spécifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amené le même
+résultat (panade bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root,
+phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de riz, etc)
+
+Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le régime
+ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le régime
+sec est d'un maniement difficile et doit être très vite remplacé par le
+régime «à restriction des boissons». Ces cas sont ceux où, à l'inertie,
+se joint un élément spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes
+les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois
+jours, des aliments secs à grignoter; et ce régime est spécialement
+indiqué chez les malades chroniques dont le capital est gravement
+atteint. Il est bien certain que la psychothérapie intervient assez peu
+dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à un
+malade qui aurait besoin d'un régime sec le régime liquide, ou même
+semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empêcher les
+fâcheux résultats d'une pareille erreur thérapeutique.
+
+Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas
+pouvoir digérer, et ne digère pas, en effet, simplement parce qu'il
+a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh! alors la
+psychothérapie fait merveille. On doit donc forcer le malade à manger,
+et à manger n'importe quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout
+digérer. Mais je ne conseillerai jamais à un médecin d'essayer ce
+système, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas étudié
+de très près le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de
+compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre.
+
+D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut procéder avec une
+sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments
+nécessaire à la conservation de la vie.
+
+Il nous est impossible de tracer, même à grands traits, les indications
+de régime qui conviennent aux divers malades. Théoriquement, le régime
+doit varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour à l'autre,
+pendant toute la durée de la «maladie». Mais, en pratique, les choses
+se passent plus simplement. Le principe général, c'est qu'il faut faire
+manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phénomènes
+spasmodiques (tiraillements d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut
+les faire manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour assurer
+le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris vers minuit, après le premier
+réveil, dans les cas où le régime doit être plutôt sec, une tasse de
+cacao dans les cas où le régime doit être plus liquide, font mieux, pour
+procurer le sommeil, que la meilleure des préparations opiacées.
+
+Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades après
+avoir mangé. Nous avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut
+qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position
+horizontale après les repas s'impose, et n'est pas moins nécessaire
+après le goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien de faire,
+après les repas, un exercice modéré; et il y a aussi quelques
+dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande
+exception.
+
+Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien
+portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre
+à table immédiatement après un travail musculaire. C'est ce qu'a
+parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur
+les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer
+mes lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur toutes les
+questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice.
+
+
+II
+
+MOYENS ACCESSOIRES
+
+
+Outre le régime, il est encore un grand nombre de petits moyens
+thérapeutiques que la psychothérapie ne remplacera certainement pas. Il
+est très simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le massage,
+la douche tiède, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce
+que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une
+conception par trop facile, et qui se trouve démentie par l'expérience.
+Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, indépendante de
+toute suggestion, action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils,
+tout comme l'hygiène alimentaire, être soumis à un contrôle sérieux,
+et ne pas être employés à tort et à travers: mais, quand ils sont bien
+maniés, ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique. Le
+principe général, c'est qu'il faut en user avec une extrême prudence, et
+que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir.
+
+_Hydrothérapie_.--L'hydrothérapie froide est rarement indiquée; on
+commence à le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital
+nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des désastres.
+
+Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la
+base du traitement de la folie, y on tous entièrement renoncé: la douche
+froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades
+ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunément
+soutirer une dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais la
+douche froide à la saignée faite chez les malades qui n'ont plus de
+pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignée peut parfois rendre
+le pouls et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée dans
+les cas d'oppression des forces». Or, pour pratiquer à coup sûr la
+saignée, dans ces cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il
+faut être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer convenablement
+l'hydrothérapie froide, chez les malades graves.
+
+Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions, les lotions, le
+manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien
+appliquées, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le
+peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionné
+par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les
+fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aéré, où son
+cerveau reste en jachère par le fait de l'horrible tristesse du milieu,
+et s'il s'y soumet à une alimentation plus raisonnable que celle qu'il
+avait chez lui. Tous ces éléments entrent pour une part indéniable,
+dans les remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent
+encore, à un moindre degré, ses successeurs et ses élèves, à Altkirch,
+en particulier.
+
+Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver
+de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit être employée que chez
+les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce
+genre, le maillot humide, notamment, constitué par un drap mouillé
+et tordu étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un
+procédé souvent très utile et à la portée de toutes les bourses. On
+entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant
+ensuite de trois couvertures préalablement étendues, sous le drap. Nous
+avons vu des malades, qui ne parvenaient pas à dormir, trouver, vingt
+minutes après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil réparateur.
+La durée des applications ne doit pas dépasser trois quarts d'heure; et
+leur nombre peut sans inconvénients atteindre 80, employées
+quotidiennement, même pendant les règles.
+
+L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses indications. Le _tub_
+tiède, pratiqué dans la matinée, avec une infusion de tilleul et
+l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sédatif, si le
+malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.
+
+Le bain répond aussi à de nombreuses indications; mais c'est un moyen
+beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des
+malades qui ne le supportent pas, que le bain, même de cinq minutes,
+énerve, empêche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilité,
+et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire.
+Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois amenés à donner des
+bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est là une médication très
+active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que les malades ont
+des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer
+autour d'eux. Les bains de six heures consécutives sont journellement
+employés à Louéche, et avec grand profit, pour les malades atteints de
+certaines formes d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une qualité
+particulière, qui rend tolérables ces bains prolongés; ce qu'il y a de
+certain, c'est que les bains de la même durée avec de l'eau de Paris,
+comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis, ne sont, en
+général, pas tolérés, et qu'on a dû réserver ce traitement pour les cas
+exceptionnels.
+
+C'est également une qualité particulière de l'eau qu'il faut invoquer
+pour expliquer la tolérance de certaines eaux minérales. A Badenweiller,
+en particulier, à Gastein, à Néris, les nerveux supportent des bains
+très prolongés (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un
+bain d'un quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable.
+
+Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau,
+même aux stations minérales que je viens d'indiquer; les médecins de ces
+stations auraient tort d'insister si, après les deux ou trois premiers
+bains, ils observaient une aggravation de l'état maladif.
+
+Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller
+la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de
+pieds les révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la figure
+avec très peu d'eau tiède, ou même avec du cold-cream. Dira-t-on que ce
+sont là des phobiques? Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne
+connaissons pas tous les degrés de susceptibilité du système nerveux,
+réactif d'une sensibilité invraisemblable; et cette intolérance de la
+peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparaît en
+même temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tête,
+et autres misères dont l'ensemble constitue la «maladie». Mais, aussi
+longtemps qu'existe cette intolérance, le médecin doit savoir la
+respecter, et ne pas s'obstiner à faire faire au malade l'hydrothérapie
+même la plus mitigée.
+
+C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur
+sèche. Un sac en caoutchouc, à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur
+l'estomac après les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds,
+est très apprécié de beaucoup de malades. Ce procédé, très simple,
+facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant,
+on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas,
+c'est la compresse froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas
+chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au
+patient.
+
+Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore être remplacé
+par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par
+la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion.
+Ces petits appareils, connus sous le nom de _dermothermes_ ou de
+_dermophores_, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une
+chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient d'être un peu lourds;
+aussi, quand l'installation le permet, leur préférons-nous un tissu
+métallique très léger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffé par
+un courant électrique à 70 volts.
+
+_Massage_.--Ce que nous disons de l'hydrothérapie s'applique, de point
+en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait
+jamais être pratiqué en dehors du médecin. Employé même légèrement, il
+fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier,
+qui a été fort en honneur il y a quelques années, constitue un procédé
+thérapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours
+pratiqué par une main expérimentée, c'est-à-dire avec la plus grande
+douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la
+paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler
+que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout à fait accessoire. Les
+médecins qui auraient la prétention de guérir la constipation par le
+massage abdominal exclusivement s'exposeraient à un échec certain, parce
+que la constipation n'est pas causée seulement par une inertie des
+muscles de l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état général,
+ainsi que nous l'avons déjà expliqué.
+
+Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de
+services que le massage, et sont d'une application plus facile,
+puisqu'elles peuvent être confiées à toutes les mains. Elles sont faites
+avec un gant de molleton, jamais ou très rarement avec le gant de crin;
+seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une
+grande somme de résistance, supportent la friction violente au gant de
+crin. Une bonne manière de faire la friction humide est la suivante:
+
+Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un
+des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibé d'une solution
+alcoolique tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un gant sec,
+frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la
+couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de même.
+Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut,
+puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos,
+n'importe en quel sens, l'étendre de nouveau, travailler légèrement le
+devant de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre. L'opération
+doit durer dix minutes. Elle est à recommander chez presque tous les
+malades, même chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien faite, et
+comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse.
+
+Les bains de vapeur sont en général bien supportés; mais les prendre
+dans des établissements spéciaux expose à une grande perte de temps, et
+à un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre à domicile, soit
+dans des boîtes portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans
+ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une forte lampe à
+alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tôle.
+Mais un procédé qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans
+des boites disposées _ad hoc_, mettre deux briques bien
+chauffées,--appliquer une de ces boîtes aux pieds du malade couché, une
+autre boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la transpiration
+survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce
+système permet: 1° de graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller
+les draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé de vapeur qui
+sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons ces bains d'air sec chez les
+malades obèses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.
+
+En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails: tout ce qui peut être
+utile au malade doit être l'objet de nos recherches; et c'est le soin
+des détails qui fait la force, et, disons-le franchement, le légitime
+succès de quelques-uns de nos confrères étrangers.
+
+_Électricité_.--L'électricité n'est pas, non plus, à négliger. Il est
+certain que les courants de haute fréquence ont, sur la nutrition en
+général, et sur le système nerveux en particulier, une action très
+puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr
+Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente
+de froid. Mais c'est là un procédé forcément limité, à cause des
+difficultés d'installation et du prix de revient. Les applications
+faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent également avoir
+leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif, et qui, fort
+heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile.
+
+Le tabouret électrique est souvent recommandable, à condition qu'on ne
+tire pas d'étincelles. Les machines statiques à domicile sont des jouets
+qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone
+qu'elles dégagent n'a pas une influence utile?
+
+Les bains électriques constituent aussi un moyen puissant, et,
+par conséquent, difficile à manier. Ce que nous avons dit des
+contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains électriques; il
+est des cas où le bain électrique, bien appliqué, rend d'excellents
+services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une façon
+générale, on peut dire que le bain électrique occasionne une courbature
+notable qui, à l'inverse de la courbature produite par l'excès
+d'exercice musculaire, amène le sommeil. Ces bains ne devraient être
+donnés que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale
+très exacte pendant toute la durée du bain. Dire qu'un pareil moyen
+agit par suggestion, c'est énoncer une affirmation qui n'a rien de
+scientifique.
+
+_Injections hypodermiques_.--Les injections hypodermiques constituent un
+des agents les plus utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux
+trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1° toute injection, en
+tant qu'injection, a une influence utile; 2° le médicament injecté a
+son action propre; 3° une part de suggestion s'attache à l'emploi des
+injections.
+
+I. On sait, depuis les remarquables études du Dr Chéron, que toute
+injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide
+injecté ne soit pas toxique, produit un relèvement momentané de la
+tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-être, de
+vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogénique plus ou moins
+prolongé, Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres
+conditions.
+
+Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de Brown-Séquard,
+de l'océanine, etc.; il y a toujours à compter avec cette action
+particulière de l'injection en tant qu'injection sous-cutanée ou
+intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine.
+De là l'utilité des doses massives de liquide, comme aussi la vogue
+qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de sérum
+artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes de sel marin pour
+un litre d'eau stérilisée. Malheureusement on sait, depuis quelques
+années, que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il peut devenir
+toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas très bien.
+Il faut donc en user avec grande prudence.
+
+Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer stérilisée
+(océanine). On donne de 300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs
+de ce nouveau médicament en disent merveille: il est possible que l'eau
+de mer soit un heureux mélange de substances utiles à l'organisme. Je
+n'ai pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essayé
+l'océanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie,
+sans résultats appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que
+des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite
+à la Société de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il
+résulte que ces injections, pratiquées à des doses plus fortes, ont des
+effets vraiment importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles
+n'ont pas les inconvénients graves des injections salées ordinaires, si
+bien mis en lumière par M. le Dr Hallion à la même séance de la Société.
+L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement
+un des précieux médicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon;
+d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent également en
+tant qu'injections de liquide non toxique.
+
+II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecté. Il existe,
+certainement, des médicaments doués d'une action reconstituante sur
+le système nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de soude et
+surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard, peut-être la lécithine,
+les phosphates, etc. Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces
+médicaments: disons seulement un mot des principaux.
+
+Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier
+ordre; on peut l'employer sans danger à des doses beaucoup plus élevées
+qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à la Société de
+Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicité du produit,
+ainsi que l'utilité des hautes doses longtemps continuées, dans certains
+cas exceptionnels[14]. Le plus souvent, la dose indiquée par le
+professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et
+il n'est pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette
+injection, à la condition de continuer le traitement pendant deux ou
+trois mois dans les cas moyens.
+
+J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée de l'action des
+cacodylates de soude et de magnésie, à la Société de Thérapeutique, en
+1902, en indiquant les très rares contre-indications, et en précisant,
+dans la mesure du possible, les indications[15]. Le cacodylate de fer en
+injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels où le fer
+est indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques, chloro-anémiques):
+mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites à raison de
+deux par semaine, nous ont toujours semblé suffisantes.
+
+[Note 14: Considérations sur la médication cacodylique, _in Ann. de
+dermatologie et Syphiliographie_, 6 mars 1902.]
+
+[Note 15: _Bull de la Soc. de Thérapeutique_, 27 mars 1901.]
+
+Les injections orchitiques de Brown-Séquard, après avoir eu un moment la
+faveur que l'on sait, sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la
+bonne fortune d'être en relations personnelles et suivies avec le vénéré
+maître, de recueillir de sa bouche des aperçus thérapeutiques de grande
+envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps de vérifier et
+d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'étude de
+l'action dynamogénique du liquide de Brown-Séquard, préciser les doses,
+le nombre des injections, etc. Ce travail n'a été qu'ébauché par le
+grand initiateur.
+
+D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble une méthode pleine de
+promesses; j'ai cité notamment, à la Société de Thérapeutique, en 1904,
+le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au dernier degré du
+marasme, avec muguet dans la bouche, qui a été comme ressuscitée par
+l'emploi de trois lavements quotidiens préparés avec une macération de
+200 grammes de foie de porc, fraîchement tué, dans 300 grammes d'eau
+bouillie. Cette dame, une grande malade avec phénomènes nerveux et
+dyspeptiques anciens, avait eu, à un moment donné, une insuffisance
+hépatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre
+intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxième mois
+de cette complication, elle était arrivée à l'état lamentable que j'ai
+indiqué, quand nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à son
+foie. Le résultat a dépassé toute espérance; trois heures après le
+premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit
+jours après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les selles
+régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger immédiat conjuré, il
+m'a encore fallu continuer à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin,
+la peau de ma malade: mais, trois mois après, elle put aller achever sa
+convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien.
+La complication hépatique n'avait été qu'un épisode dans le cours de la
+«maladie», qui évoluait depuis vingt années.
+
+D'une façon générale, les préparations opothérapiques, auxquelles un
+immense avenir semble réservé, ne rendront tous les services qu'elles
+peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par
+voie sous-cutanée, comme le faisait Brown-Séquard avec son liquide
+orchitique.
+
+Chez certains malades, les préparations de strychnine par injections
+hypodermiques ont un effet très utile: mais il ne faut pas dépasser en
+général la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arséniate
+de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, réparties sur
+trente jours.
+
+Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels
+qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurasthéniques. De là,
+la préoccupation constante que nous avons de faire la guerre à cette
+affection accidentelle, de la couper dès ses débuts. Or, il m'a bien
+semblé trouver, dans le _cacodylate de gaïacol_, un agent antigrippal
+spécifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes
+confrères, à la Société de Thérapeutique, en janvier 1906.
+
+Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de
+gaïacol, dans un gramme d'eau stérilisée, et préalablement saturée de
+gaïacol, fait merveille chez les grippés au début: elle les guérit
+en quelques heures. Deux ou trois injections consécutives suffisent
+toujours pour couper la grippe, même quand elle n'est pas prise au
+début, à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et,
+même alors, le cacodylate de gaïacol me semble très recommandable.
+Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui
+résistent à tous les traitements.
+
+Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même avec pneumonie, nous nous
+sommes très bien trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours de
+suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution
+suivante, introduite profondement dans le muscle, est très bien tolérée
+et n'occasionne jamais d'abcès:
+
+ Chlorhydrate neutre de quinine 3 grammes.
+ Antipyrine 2 --
+ Eau distillée 6 --
+
+Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les
+névralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui
+résistent même aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques,
+névralgies intercostales).
+
+Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces suites éloignées de la
+grippe, cas de grippe aiguë et de névralgies postgrippales,--on ne peut
+pas tout faire,--mais je crois bien que la quinine à petites doses,
+donnée en injections à tous les malades à dépréciation nerveuse
+momentanée, aurait un effet dynamogénique précieux.
+
+Dans certains cas de douleurs névralgiques trop pénibles, les injections
+d'héroïne sont indiquées; mais il faut savoir que l'héroïne doit se
+manier à doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes,
+on ne doit jamais dépasser un milligramme d'héroïne, surtout chez les
+malades dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique de
+l'héroïne nous a semblé supérieure à celle de la morphine; mais il faut
+bien se rappeler que l'héroïne est un médicament aussi dangereux que la
+morphine, auquel les malades s'habituent, et réserver son emploi pour
+les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me
+disposais, à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque, me ravisant,
+je me demandai si la névralgie crurale qui le torturait ne serait pas,
+par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire,
+j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment en cause; et une
+seule piqûre de calomel eut raison à tout jamais de cette névralgie
+si pénible; tant il est vrai que le médecin doit toujours penser à la
+syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.
+
+Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire,
+quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous
+semble être les injections mercurielles; celles au benzoate sont
+douloureuses, et donnent des nodosités désagréables; celles de biiodure
+en solution aqueuse sont très douloureuses. Nous préférons l'huile grise
+pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et
+l'huile au sublimé,--dont nous avons donné la formule en 1881 à la
+Société de Dermatologie,--chez les syphilitiques épuisés, auxquels
+l'huile sert d'aliment.
+
+Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de
+dire un mot de nos travaux antérieurs sur l'action dynamogénique de
+l'huile créosotée, en injections sous-cutanées _à dose maxima tolérée_.
+Nous les avons surtout employées et les employons encore chez les
+tuberculeux; mais nous étions guidé par une fausse conception théorique;
+et si la créosote _bien maniée_ reste,--et restera longtemps,--le
+médicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle
+agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle
+a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le système
+nerveux.
+
+La créosote est, en effet, un agent dynamogénique de premier ordre.
+Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'être les seuls malades qui
+puissent tirer parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais
+d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le
+moindre bénéfice, à cause de la difficulté que présente le maniement de
+la créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la fièvre. Là
+où les injections d'huile créosotée font merveille, c'est chez les
+pseudo-tuberculeux, qui sont tellement démolis par les troubles
+gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne
+l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée rend, en quelques jours,
+l'appétit, la force, en un mot la vie.
+
+Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra longtemps son
+emploi, c'est l'extrême difficulté qu'il y a à la manier. Pour ma
+part, je me suis attaché à surprendre les moindres manifestations de
+l'intolérance, et à les décrire minutieusement afin de permettre aux
+praticiens de ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention
+sur les intolérances accidentelles, qui doivent faire immédiatement
+suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptée les jours
+précédents. J'ai même tellement insisté sur les dangers de la créosote
+que quelques confrères m'ont accusé d'avoir fait son procès; mais la
+dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien
+maniée, elle rende des services[16].
+
+[Note 16: Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas
+seulement que la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par
+la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un
+mois, avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux,
+un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade est
+resté à la diète _absolue_, ce qui a donné à l'ulcère le temps de se
+cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de
+150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des injections
+huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'où
+peut résulter une embolie qui peut être mortelle; mais j'ai indiqué le
+moyen de se mettre _sûrement_ à l'abri de tout accident grave. Le secret
+consiste à bien connaître les moindres symptômes d'introduction de
+l'huile dans le torrent circulatoire, et à arrêter l'injection dès
+l'apparition de ces symptômes. Rien n'est plus facile que d'arrêter à
+temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais
+cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à
+fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont étudiés dans
+mon livre sur le _Traitement de la tuberculose par la créosote_.]
+
+III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent
+encore d'une autre façon. En dehors des propriétés particulières à
+chaque médicament, et de l'action dynamogénique reconnue à toute
+injection sous-cutanée et même intra-musculaire, elles agissent encore
+par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant
+que les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène cérébrale,
+médullaire, gastrique, intestinale, cutanée, etc., aient eu le temps de
+produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente,
+comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le malade serait vite
+découragé, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant,
+factice peut-être, mais certainement utile, et ayant une action
+évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance.
+
+La pratique des injections hypodermiques est également utile au médecin
+à un autre point de vue: elle lui permet d'apprécier très vite le degré
+de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de
+ce degré de confiance dérive, dans une notable mesure, le résultat
+thérapeutique final. Si le médecin sent que son malade a foi en lui,
+il déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son
+intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira à
+tout instant, gêné, paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas
+toute la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il y a, pour
+lui, à évaluer le degré de confiance qui lui est octroyé. Eh bien! pour
+l'apprécier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection
+hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci
+aveuglément, du premier coup, sans même demander la formule du liquide
+injecté, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade
+acceptera avec la même obéissance les diverses prescriptions qui lui
+seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non
+parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe,
+il acceptera avec la même passivité les prescriptions qui lui seront
+faites, et c'est là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou
+surtout son entourage, manifestent une curiosité inquiète, qu'on ne
+parvient pas à satisfaire par une réponse banale, quand ils expriment
+des appréhensions sur la nature et les effets du liquide injecté, on
+peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins médiocre; et le
+médecin aura beaucoup à faire pour conquérir la confiance.
+
+Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont légitimes, et ce que
+nous disons ici ce n'est pas pour les empêcher: mais il n'en est pas
+moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le médecin
+a intérêt à connaître afin de travailler à la faire cesser et d'établir
+ainsi, entre son malade et lui, cette confiance réciproque qui est la
+condition indispensable d'un traitement efficace.--Or l'attitude des
+malades en face des injections qu'on leur propose constitue, à ce
+point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral.
+
+Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des
+applications locales, révulsives ou dérivatives, qui étaient autrefois
+si en honneur, et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste.
+
+_Vésicatoires_.--Autant nous protestons contre les larges vésicatoires
+employés autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la
+cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait
+guérir; autant nous continuons à penser que le petit vésicatoire, sous
+forme de mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez les grands
+malades qui ont le système nerveux sens dessus dessous, une mouche,
+appliquée derrière l'oreille, peut faire un mal extrême et produit
+un état d'agitation inconcevable, non pas à cause de la douleur
+insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de
+circulation qu'elle produit à distance. Ce seul fait suffirait à prouver
+que l'application d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs,
+n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez certains malades qui ont
+encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquée derrière l'oreille
+droite, de préférence, produit une sédation des plus remarquables, amène
+le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles
+innommables qui constituent l'état nerveux; c'est sans doute à cause de
+l'infériorité fonctionnelle de la partie gauche du corps,--habituelle
+chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,--que la mouche appliquée
+derrière l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle
+produirait moins si elle était appliquée à gauche; en tout cas, c'est un
+fait d'observation. De même, la mouche sur le creux de l'estomac peut
+amener, si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop aigus, une
+aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient à son
+heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La
+mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remèdes à
+apporter à la constipation. Cette affirmation peut sembler singulière,
+mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours
+nerveuse, de la constipation.
+
+_Emplâtres_.--Les applications d'emplâtres d'opium ne sont jamais
+dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Étant donnée l'extrême
+susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se laisse impressionner
+par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout
+cas, j'affirme, au nom d'une expérience prolongée, qu'une mouche d'opium
+appliquée à la tempe est souvent très appréciée par les malades
+céphalalgiques, qu'un emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone,
+laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une
+façon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une
+série d'injections de morphine.
+
+De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué sur la colonne
+vertébrale, immédiatement au-dessous de la première vertèbre dorsale,
+sur une longueur de dix centimètres, atténue singulièrement certains
+phénomènes médullaires dont se plaignent les malades, en particulier
+les inquiétudes dans les jambes qui sont si fréquentes chez les grands
+neurasthéniques.
+
+Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à dédaigner. A eux seuls,
+ils seraient insuffisants; mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos
+méthodiquement dosé, aux applications hydrothérapiques raisonnables, et
+à la psychothérapie, ils amènent sûrement la guérison, lorsqu'il reste
+assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.
+
+_Purgatifs_.--Nous usons très peu des médicaments fournis par la
+pharmacopée, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin,
+et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents
+thérapeutiques à action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer?
+c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas.
+
+Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un médicament. J'ai
+mis, quant à moi, des années à étudier l'action du bromure, quand je
+m'occupais plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales; et
+quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier
+l'étude du cacodylate de soude, la première chose que je lui ai dite,
+c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet
+agent thérapeutique une appréciation ayant quelque valeur. Enfin,
+pour ce qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans à en
+connaître l'effet.
+
+Comment, alors, avoir confiance dans des publications hâtives sur des
+médicaments découverts de la veille? Et, en ce qui est des médicaments
+anciens, ayant fait leurs preuves, je répète que, en général, je les
+redoute, à cause de l'extrême sensibilité des malades, qui dépasse tout
+ce qu'on peut imaginer.
+
+Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une
+véritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons
+employer sans dommage, et même avec une apparence de succès qui
+saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs à une indication bien
+rationnelle, puisqu'il faut évacuer les résidus de la digestion qui
+empoisonneraient l'économie! Il nous faut réfuter ces objections en
+passant: qu'on donne un purgatif à un homme solide qui a un léger
+embarras gastrique, il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien;
+mais c'est une erreur d'interprétation, et si le purgatif ne lui a pas
+fait de mal appréciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains.
+Mais donner un purgatif à un malade grave dont le système nerveux
+est profondément atteint, c'est provoquer chez lui des réflexes dont
+personne ne connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son
+système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait
+jusqu'alors une certaine tonicité, devenir flasque, inerte, perdre toute
+réaction; l'intestin est alors inhibé dans son fonctionnement, et il
+faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se
+ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades
+constipés? La réponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur
+constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut les soigner en tant
+que malades; la constipation disparaîtra d'elle-même. Le moment nous
+semble venu de protester une dernière fois contre les idées des gens du
+monde, et des médecins, relatives à la constipation.
+
+Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de
+constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une façon
+de parler: car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument bien
+portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la
+vie commune, tout en ayant une constipation opiniâtre; de plus il y a
+beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipés.
+Une dame nous disait plaisamment, à ce sujet, que son intestin avait
+«horreur du vide». Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette
+obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés, elles tolèrent
+leur infirmité sans se douter qu'elle existe. Mais malheur à elles quand
+elles commencent à se préoccuper de leur constipation! C'est à partir de
+ce moment qu'elles rapportent à la constipation les mille et une misères
+qui sont l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles, surtout,
+quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la
+constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiède
+d'abord, puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours aux
+purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux
+grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur
+intestin, et qu'à leur constipation anodine succède l'entéro-colite
+membraneuse.
+
+A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle
+vicieux est établi. Plus elles irritent leur intestin, plus la
+constipation devient opiniâtre, et, pour lutter contre cette
+constipation opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin.
+L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent plus qu'à leurs
+fonctions alvines, à la liberté du ventre, qu'elles disent être la plus
+nécessaire des libertés. Elles donneraient la vie du genre humain pour
+obtenir une selle; elles se présentent à la garde-robe plusieurs fois
+dans la journée, sans succès ou avec des résultats insignifiants, et,
+cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus
+extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet état
+mental des constipés mérite d'être étudié de très près; et toute
+thérapeutique qui ne cherche pas à le modifier est, par avance,
+condamnée à l'impuissance.
+
+La première chose à faire, quand on se trouve en présence d'un de ces
+constipés à obsession, est de lui persuader que la constipation n'est
+pas l'ennemie, n'est pas la cause immédiate de toutes les misères
+qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptôme d'importance
+secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de défectueux
+dans le fonctionnement du système nerveux abdominal.
+
+Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller à la garde-robe tous
+les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils
+iront quotidiennement; invitez-les à ne s'y présenter qu'une fois par
+jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y
+aller en dehors de l'heure réglementaire. Recommandez-leur de ne pas
+lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont
+la constipation n'est qu'un symptôme, et, s'ils vous écoutent, si vous
+avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul à moitié guéris.
+
+Cependant, comme il faut tenir compte de leur état mental, et un peu
+aussi de la mentalité de l'entourage, on peut autoriser un petit
+lavement d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour de
+présentation inefficace, à l'heure réglementaire de la présentation,
+lavement qui sera gardé cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on
+croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir
+du troisième jour de présentation inefficace, un lavement d'huile, non
+pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerées
+à bouche d'huile pure, lavement destiné à être gardé toute la nuit; si
+l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le
+lendemain, un effet magique.
+
+Les pilules de belladone d'après la formule de Trousseau sont également
+recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas être
+nuisibles.
+
+Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide orchitique de
+Brown-Séquard; c'est de la bouche même du savant professeur que je tiens
+ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'était hier, le
+jour où il me disait ces paroles: «De tous les services que m'ont rendus
+à moi-même mes injections de suc orchitique, celui que je place en
+première ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont guéri
+d'une constipation opiniâtre». Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut
+avoir été, comme moi, torturé par la constipation pour savoir toutes les
+angoisses qu'elle occasionne».
+
+Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joué aucun rôle dans la
+circonstance, car M. Brown-Séquard ne s'attendait pas le moins du monde
+à cet effet des injections do liquide orchitique.
+
+Pour moi, utilisant ce précieux renseignement, j'ai traité et je
+traite encore par les injections de liquide orchitique les grands
+neurasthéniques atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite.
+
+_Eaux minérales_.--Si nous donnons peu de créance aux médicaments de
+la pharmacopée, nous croyons, par contre, que les eaux minérales
+constituent des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire, qui ne
+respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont été inventés par
+des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en
+général, les eaux sont le dernier conseil de la médecine poussée à bout.
+«On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remède.»
+
+Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient
+là de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit
+la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute
+antiquité, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles
+n'avaient pas vraiment une certaine efficacité.
+
+Certes, dans les bons effets des cures minérales, il faut compter, pour
+une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agréable
+du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile
+quelquefois, est quelquefois fâcheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux
+que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital
+n'est pas sérieusement compromis.
+
+Le changement de régime alimentaire qui est imposé aux malades, dans les
+stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part
+d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous savons, en effet, que,
+à un moment donné, il est utile de ne pas se confiner dans un régime
+alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains
+cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui
+souvent est utile, peut être dangereux, au contraire, quand le système
+nerveux n'est pas de taille à supporter le soudain assaut imposé.
+
+C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales, où le bon effet
+des eaux est, en grande partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène
+alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer, dans toutes les
+villes d'eaux, des «tables de régime» comme il en existe dans toutes les
+maisons de santé bien tenues, où chaque malade, pour ainsi dire, a le
+régime alimentaire qui lui convient, dosé et surveillé par le médecin de
+l'établissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos
+stations minérales, parce que les médecins n'y sont pas libres de tous
+leurs actes, et ont à compter avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à
+compter avec leurs chefs de cuisine.
+
+A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables de régime»; et j'y
+ai vu moi-même des menus imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils
+annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le papier. A Vichy, par
+contre, plusieurs médecins sont arrivés à imposer à des tenanciers de
+pensions de famille l'obligation de donner aux malades des régimes
+variés, suivant les prescriptions médicales.
+
+Quant aux indications des eaux minérales, elles varient à l'infini.
+
+Certaines eaux ont certainement une action prédominante sur tel on
+tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur
+d'observation, ou d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux
+de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique sur les troubles
+périphériques de la circulation (varices, hémorroïdes, phlébites).
+Les malades atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement, à
+Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs misères (troubles nerveux,
+dyspeptiques), mais plus particulièrement les misères locales causées
+par leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une action non douteuse
+sur le symptôme constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au
+contraire, favorise la constipation pendant la durée du traitement.
+
+De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains entéralgiques,
+convalescents d'appendicite, etc., une action véritablement spéciale. De
+même encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des
+symptômes de la «maladie», elles ont une bienfaisance incontestable,
+surtout si, à leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne
+bien comprise et bien réglée. Les eaux de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas
+d'action spéciale, mais elles rendent de précieux services aux nerveux
+fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées chez les malades
+dont le système nerveux digestif est en détresse, et la Grande Grille,
+en particulier, a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique
+pas plus par la théorie des _ions_ que par les théories chimiques, mais
+qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas là de psychothérapie ni de
+suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy
+est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se
+rappeler que c'est une arme difficile à manier, comme toutes les armes
+puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant
+encore une grande force de résistance vitale.
+
+Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des
+dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque année,
+il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptômes cérébraux
+prédominent, à condition, bien entendu, que ces symptômes ne soient pas
+en rapport avec des lésions organiques; et ces malades se trouvent
+au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptômes
+gastriques ou hépatiques.
+
+Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault les
+malades atteints de lésions organiques du cerveau ou de la moelle,
+hémiplégiques, congestifs, etc. Depuis quelques années, la physionomie
+de cette station a changé. Il y a eu des accidents provoqués par l'eau
+chaude sur les malades à artères friables; et l'on se borne actuellement
+à y envoyer les malades à troubles médullaires superficiels,
+connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou
+articulaires, sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de
+boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de
+grands services aux rhumatisants et aux obèses sans lésions organiques
+appréciables.
+
+Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège de recevoir des
+malades à lésions organiques nettement définies, et dont nous ne nous
+occupons pas dans ce travail.
+
+Vittel et Contrexéville conviennent aux malades chez lesquels le trouble
+de la nutrition, qui n'est, en général, qu'un trouble du système
+nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation
+de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins[17].
+
+[Note 17: Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon
+estomac, à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De là
+le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer à Vittel.
+Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez que, longtemps
+avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cérébraux, ne
+fût-ce que des migraines, de petits troubles cutanés, de l'obésité. Un
+beau jour, une colique néphrétique les surprend, et l'on se figure que
+c'est à partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien.
+La colique néphrétique n'a été chez eux, qu'un accident; bien avant
+de l'avoir, ils avaient, même du côté du rein, de petites misères qui
+passaient inaperçues: du lumbago, des urines chargées de sable. Et si,
+au moment où l'on s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait
+soignés méthodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas,
+par telle ou telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique
+hydrothérapique, telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu
+de coliques néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel.
+Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir
+au traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des
+manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une façon
+temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les
+guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.]
+
+Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos malades; la Bourboule en
+particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens.
+
+Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minérales françaises
+et étrangères. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux
+minérales sont un agent thérapeutique de premier ordre, un agent que
+tous les médecins doivent connaître, non seulement parce qu'ils voient
+dans les livres, non seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine
+d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils goûtent, par
+eux-mêmes, aux diverses sources, et qu'ils tâtent parfois des bains. Ils
+ne tarderont pas à voir que ce ne sont pas des agents indifférents: je
+leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn, à forte dose
+d'eau salée. Aussi le monde médical doit-il être très reconnaissant à
+celui de nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé, tous les
+ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux françaises;
+quinze jours de voyage sous une bonne direction médicale sont plus
+utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi à
+connaître non seulement les eaux, mais aussi les médecins des stations,
+parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idées générales très
+intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des villes d'eaux sont,
+d'ailleurs, pour les praticiens, de précieux collaborateurs, quand ils
+veulent bien ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson, les
+bains, les douches, etc., et consentir à faire, en même temps, oeuvre
+médicale véritable, c'est-à-dire surveiller le régime, doser avec soin
+le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie ne perd
+jamais ses droits.
+
+_Voyages_.--Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus
+grand bien aux malades en général, qu'à la suite d'un état aigu, par
+exemple, dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien
+loin de chez lui, et que, dans les états chroniques, ce déplacement
+lointain est la condition _sine qua non_ d'une guérison. Cette opinion
+est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain qu'un homme
+bien portant se trouve très bien d'un déplacement annuel, et les
+vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son
+âge et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien
+portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachère, prenne
+l'exercice dont il a été en partie privé pendant le reste de l'année.
+Ce temps consacré au repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du
+temps bien employé.
+
+Les vacances sont également nécessaires à l'enfant qui travaille: et par
+vacances nous entendons non seulement le repos cérébral, qui doit être
+presque absolu,--ce qui, par parenthèse, contre-indique l'usage des
+devoirs de vacances,--mais aussi, autant que possible, le changement de
+milieu, ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De là l'utilité
+des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle «des
+croisades de paix et de rédemption». Elles sont, dit-il très justement,
+la «première ligne de défense contre la tuberculose». M. Plantet a fait
+sur ce sujet, à la demande de l'Office central du travail, un rapport
+des plus intéressants et des plus complets, publié dans la _Réforme
+sociale_, (16 juin et 1er juillet 1905). Il résulte de ce rapport que la
+France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre,
+la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que
+le sixième rang dans la lutte des sociétés contre le dépérissement
+de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entrée dans le
+mouvement, et les colonies scolaires françaises sont déjà en nombre
+considérable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions
+privées parisiennes, 40 comités de patronage s'occupant de procurer des
+vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables
+fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en
+1902, 14000 petits Français ont bénéficié de ces institutions
+philanthropiques[18].
+
+[Note 18: Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces
+colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse se
+rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des résultats
+obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés en commun dans un
+même local (villas scolaires, écoles communales vacantes pendant l'été,
+propriétés privées, louées, acquises, spécialement aménagées pour
+abriter une collectivité à la campagne ou à la mer). C'est la colonie
+d'internat.
+
+Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes de
+deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables,
+moyennant un prix débattu, dans les régions réputées les plus saines.
+C'est le placement familial.--Les deux systèmes présentent des avantages
+et des inconvénients qui sont analysés de très près dans le travail
+que nous signalons.--En ce qui concerne la santé, tous les rapports
+constatent la plus-value dans toutes les régions, en montagne, en
+plaine, à la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les
+colonies familiales.
+
+Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de l'esprit
+qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner à de
+pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux à faire,
+on peut réaliser un bien plus durable: il faut viser à ce qu'ils
+rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne
+se devine guère. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensée dominante
+et le rêve du directeur. Le tout est de savoir choisir.]
+
+Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu
+fatigué par le surmenage cérébral, et par les petites émotions
+quotidiennes, se trouve très bien de changer d'air, de milieu, non
+seulement une fois par an, mais même chaque fois qu'il sent, chez lui,
+cette sorte de malaise cérébral prémonitoire de la neurasthénie, ou
+certains troubles digestifs mal définis qui prouvent que son système
+nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un
+déplacement de quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il aille,
+il verra son appétit renaître, sa constipation disparaître, la santé lui
+revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant
+ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de monter en chemin de
+fer produit des effets appréciables, et, le jour même du départ, on les
+voit transformées. Elles laissent à la première station leurs phobies,
+leurs inquiétudes; c'est un changement à vue, un véritable coup de
+théâtre.
+
+Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien portant, ou du candidat
+à la «maladie» dont le capital est encore presque intact, et autre
+l'hygiène du vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale, les gens
+du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré eux, par le fait d'un faux
+raisonnement, à croire que ce qui fait du bien à l'homme valide doit
+en faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck saignant est
+certainement utile à un travailleur bien portant; combien il doit être
+plus utile à un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des
+forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra,
+plus vite il sera guéri!» Le malade proteste, il affirme que la viande
+saignante lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en donne au moins
+autant que son estomac pourra en digérer, ce sera toujours pour son
+bien! On disait la même chose, autrefois, pour le vin; les gens
+intelligents commencent à comprendre que le vin, si utile à un
+travailleur bien portant, n'est pas un aliment héroïque quand il est
+donné à des malades, même sous forme de vins médicamenteux.
+
+De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modéré est utile aux
+gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau
+dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le peu d'appétit et de
+sommeil qu'il avait encore; c'est égal, il faut qu'il marche! On ne
+conçoit pas qu'il doive rester à la chambre, du moment qu'il peut se
+tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couché, il sent
+que le lit lui est utile; c'est encore là, dit-il, qu'il souffre le
+moins. Mais non, il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit
+constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigné, plus il a à
+lutter contre ces préjugés, qu'on parvient difficilement à déraciner
+même dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on,
+laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit!
+Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher
+malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales, et que le
+sommeil est le meilleur remède à apporter à cette excitation, et que,
+par conséquent, le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne! Quand
+donc aurez-vous une notion un peu précise et raisonnée sur la pathogénie
+de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»?
+
+C'est aussi par une faute grossière de raisonnement qu'on considère les
+voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux
+gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce
+qu'ils permettent à l'homme doué d'un beau capital biologique de faire
+de ces petites avances dont nous avons parlé déjà, de ces placements à
+gros intérêts qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai,
+il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive
+chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'énergie, et met
+quelquefois quinze jours à se refaire d'une excursion par trop fatigante.
+Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les gens bien portants,
+ces risques de dépenses exagérées sont réduits à très peu de chose. Le
+malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas
+dépenser à tort et à travers, mais il doit parcimonieusement, et avec
+un soin jaloux, garder le peu qu'il possède encore, et chercher à faire
+des économies. Si son indigence est momentanée, il se remettra assez
+vite à flot. Si elle est définitive, _a fortiori_ devra-t-il chercher à
+ne pas faire de fausses dépenses.
+
+Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une
+dépense; le changement d'habitudes, le surcroît de fatigue inévitable,
+à eux seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est un grand
+malade, le voyage peut même le tuer, comme il tue ces malheureux
+typhoïdiques qu'on est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se
+croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur des cacolets qui
+les secouent d'une façon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts à
+l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur état
+est extrêmement aggravé. Si on avait pu les soigner sur place, ou les
+évacuer à très petites journées, dût-on les tenir privés des ressources
+de la thérapeutique, et se borner à leur faire deux lotions fraîches par
+jour, ils auraient eu bien plus de chances de guérir. Je l'affirme au
+nom d'une expérience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie.
+Mais, sans parler des états aigus qui contre-indiquent absolument
+tout long déplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des états
+chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre
+malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le
+vain espoir de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver
+sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont
+aux eaux lointaines chercher la guérison promise, et en reviennent bien
+plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les tuberculeux
+avancés! ces tristes victimes des théories régnantes et de la crainte de
+la contagion.
+
+Vous prenez là, dira-t-on, les cas extrêmes, et on commence à comprendre
+que les grands déplacements ne sont pas favorables aux grands malades.
+
+Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades
+_moyens_.
+
+Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digère
+plus, qui dort mal, qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six
+mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux
+du Nord pour l'envoyer sur la côte d'Azur, on va lui faire le plus
+grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui
+paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle souhaitera, dans son for
+intérieur, de quitter le délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne
+pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut même
+se faire qu'à la longue son état s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera
+pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que
+son état s'aggrave assez pour que l'entourage se rende à l'évidence, et
+ramène à grands frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime
+dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter.
+
+En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en
+avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre manière de voir
+que nous exagérons, à dessein, la formule de notre pensée.
+
+Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au
+monde déplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et
+qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément, il existe toute une
+série d'intermédiaires auxquels les voyages peuvent rendre des services.
+Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut
+être utile à l'individu qui n'est que sur la frontière de la «maladie».
+Quitte à avoir dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins
+hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac, un dyspeptique pourra
+se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il
+laisse ses préoccupations incessantes, énervantes, de Paris. Comme toute
+chose humaine, le déplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne
+peut formuler de règles absolues pour les cas moyens; c'est au médecin,
+s'il est consulté, à peser le pour et le contre, et à donner les
+indications générales.
+
+Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade.
+C'est:
+
+1° De ne pas voyager de nuit.
+
+2° De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans
+les cas où, pour une raison quelconque, on est obligé de gagner les
+altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade
+des stations intermédiaires, car l'expérience démontre que rien n'est
+préjudiciable à une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une
+seule traite de Paris en Engadine. Elle peut être sûre que, en arrivant
+à destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau
+milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques
+jours, elle aura un malaise extrême, et, en particulier, de l'insomnie,
+tandis que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle n'aurait
+pas eu à payer ce tribut à la dépression barométrique.
+
+3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que
+le lever à l'aube est favorable à l'alpiniste bien portant, il soit
+également favorable aux neurasthéniques qui ont besoin de leur sommeil
+matinal.
+
+4° Une prescription importante, c'est encore de se reposer, à l'arrivée
+à destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de
+l'individu, pour réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce repos
+sera plus ou moins complet, suivant la gravité des cas. En principe, il
+vaut mieux pécher par excès que par défaut de prudence.
+
+5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra pas faire de sorties
+quotidiennes, sous le fallacieux prétexte de s'entraîner; l'entraînement
+convient aux gens bien portants, mais le mot «entraînement» doit
+disparaître du vocabulaire du malade. Certes, le rôle du médecin est
+d'entraîner le malade; mais cet entraînement, que j'appellerai médical,
+doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a, pour ainsi dire,
+rien de commun avec l'entraînement de l'homme bien portant et de l'homme
+de sport.
+
+Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et
+profiter des jours intermédiaires pour se reposer. Ainsi il parviendra à
+reconquérir des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner en dépensant
+tous les jours un peu plus de son misérable capital, il ira droit à la
+ruine.
+
+On comprend aisément qu'un des facteurs importants du voyage est sa
+longueur. Le voyage autour du monde ne convient à aucun malade; on peut
+dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller très loin. Le
+malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villégiature à
+Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extrême
+susceptibilité du malade au changement de milieu. Une simple promenade
+_extra muros_ impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais
+le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui
+ne peuvent pas aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une
+véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou
+trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptômes morbides?
+
+Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent que c'est affaire
+d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le
+médecin, qui connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait
+se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la
+famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans
+certains cas, par une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste
+d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la
+psychothérapie réconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le
+malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de
+Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus
+grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-même. Mais,
+avant de donner cette suggestion, le médecin doit bien étudier son
+sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui
+demandant un effort au-dessus de ses forces.
+
+Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de
+connaître la valeur exacte d'un système nerveux; c'est presque
+impossible pour le médecin qui voit le malade pour la première fois.
+Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait
+d'être préjudiciable; on se repent rarement d'avoir été trop prudent. Un
+élément d'appréciation qui est d'un grand secours pour le médecin, en
+pareille occurrence, c'est le désir du malade lui-même.
+
+S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y a gros à parier
+qu'il l'est en réalité. Le malade a toujours, en effet, une vague
+conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appréciation.
+Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de changer de milieu,
+c'est qu'il sent vaguement qu'il a des réserves de force nerveuse ayant
+besoin d'être utilisées; il a un sourd instinct qui, en général,
+le guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du médecin est
+singulièrement restreint; il consiste à s'enquérir plus ou moins
+discrètement des désirs du malade, et à les transformer habilement
+en prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait encore de la
+psychothérapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette façon.
+Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est
+dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés ataviques, dos théories
+plus ou moins scientifiques; et le rôle du médecin est, en ce cas, de
+remettre tout au point, de démontrer à son malade que son instinct, dans
+telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en
+ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors le
+beau titre de directeur de la santé.
+
+_La mer_.--Les voyages à la mer auraient dû, en bonne logique, être
+étudiés à la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de
+mer est un agent thérapeutique comparable aux bains d'eau salée qu'on
+va prendre à Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais
+nous les plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages, parce
+que, dans la pratique, le bain de mer est plutôt considéré comme voyage
+d'agrément que comme traitement médical. Cela est si vrai que le médecin
+est rarement consulté sur l'opportunité du traitement marin, sur le
+choix de la plage: et c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le
+traitement n'est pas surveillé comme il l'est dans les stations d'eau
+salée, et c'est également regrettable; car la médication par l'eau de
+mer est active, et son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il
+s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention
+fait du bien ou du mal.
+
+Les principaux conseils que nous ayons à donner aux malades livrés à
+eux-mêmes, à la mer, sont les suivants:
+
+1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se reposer des fatigues du
+voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire;
+
+2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même, une action appréciable,
+et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans
+certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par
+jour au bord de la mer;
+
+3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un
+véritable traitement minéral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir
+des effets sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable d'aller
+à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à la fatigue du voyage et de
+l'acclimatation sans aucun profit. _A fortiori_, ne doit-on pas prendre
+un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train
+spécial, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et
+se croient obligés de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils
+ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutôt
+fâcheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces
+émotions du revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur soutirer
+une réserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un état
+subaigu, au retour, qui reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se
+joignent souvent des douleurs rhumatismales.
+
+Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude rapide, les indications
+et contre-indications des bains de mer. Le principe général est qu'il ne
+faut pas en donner aux malades à capital restreint, et que, en réalité,
+ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est
+entamé, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain,
+au point de vue de sa fréquence et de sa durée. Tout ce qu'on peut dire,
+c'est qu'il faut, en général, le prendre très court, cinq minutes en
+moyenne.
+
+Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois
+premiers bains. S'ils amènent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop
+prolongés, ou trop fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut
+pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du
+mal, les suivants feront du bien. D'une façon générale, d'ailleurs,
+l'organisme ne s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les
+médications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de
+mal, même momentanément. Mais c'est là un point de doctrine dont la
+démonstration nous entraînerait trop loin, et en dehors de notre plan.
+
+
+
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA PÉRIODE DE DÉCLIN
+
+
+
+Nous avons à dessein placé dans l'étude de l'homme adulte la plus grosse
+part de nos considérations thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est
+l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de vue médical comme
+au point de vue social, et que c'est pendant cette période de la vie que
+le médecin peut faire le plus de bien au malade.
+
+Au contraire, à partir du moment où l'être humain est arrivé au
+sommet de sa courbe évolutive, et, par conséquent, où il va décliner,
+l'importance des agents thérapeutiques se limite de plus en plus,
+jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive à la fin de sa carrière.
+
+Dans les phases de la vie qui nous restent à étudier, la thérapeutique
+doit viser, avant tout, à éviter les dépenses de capital: mais son rôle
+pratique n'en reste pas moins très appréciable; et l'on ne sait
+pas assez combien une bonne direction médicale pourrait prolonger
+l'existence de l'homme arrivé à la période de déclin, voire même à une
+étape avancée de cette période.
+
+Théoriquement, la période de déclin peut commencer le jour de la
+naissance. C'est ce qu'on observe chez les enfants qui n'ont pas la
+force de vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A l'extrême
+opposé, on voit des individus qui ne commencent à décliner qu'à un âge
+très avancé, ou encore dont la vie est brutalement interrompue, à un
+âge relativement avancé, par un accident, avant que ne soit survenu le
+commencement de la période de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse
+santé sont venus au monde avec un excellent capital initial, que leurs
+parents ont su améliorer pendant la première enfance, et qu'ils ont
+ensuite amélioré eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive, ou
+en ne risquant qu'à bon escient une certaine partie du capital, pour lui
+faire rapporter davantage.
+
+Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes ont, comme
+nous l'avons dit, peu de prise. Ces privilégiés sont semblables à
+l'homme qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire fructifier,
+en rapporte dix autres, et reçoit encore, en surplus, une récompense.
+Chez ces individus, le déclin n'arrive que très tardivement, et ils
+peuvent atteindre soixante ans tout en restant jeunes de coeur, de
+corps, et d'esprit.
+
+Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires sont possibles; et
+nombreux sont les hommes qui commencent à décliner à trente ans, qui
+sont des vieillards à quarante ans. La plupart, cependant, commencent
+à décliner vers cinquante ans, et se maintiennent tant bien que mal
+pendant quelques années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de
+soixante ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent une
+pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie» accidentelle les détériore
+pour plusieurs mois, et l'on est tout étonné de la lenteur de leur
+convalescence. C'est à partir de ce moment que les tares organiques,
+latentes jusque-là, se révèlent, que l'homme qui avait une endocardite
+avec laquelle il vivait en bonne intelligence, et dont parfois même
+il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son coeur devenir
+au-dessous de sa tâche. A la suite d'un coup de froid insignifiant,
+d'une indigestion, d'un excès alimentaire, d'une émotion violente, d'une
+grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie, des palpitations,
+des intermittences du pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes
+choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le débarrasser cette
+première fois, parce qu'il n'est pas encore complètement usé. Mais, six
+mois après, sous l'influence d'une cause semblable, il a une nouvelle
+atteinte, un peu plus de dyspnée, un peu de congestion de la base gauche
+du poumon, ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure des
+jambes; et, cette fois, le repos au lit, la diète lactée, ne suffisent
+pas à le remettre en état.
+
+La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes par jour en
+infusion dans 200 grammes d'eau, que le malade prendra de deux heures en
+deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire crise urinaire.
+Grâce à ce précieux médicament ainsi administré, il fera encore les
+frais de cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes influences
+insignifiantes amèneront l'affolement du coeur avec albuminurie, et
+alors la déchéance pourra être irrémédiable.
+
+Il est certain que si, dans l'intervalle de ces assauts, notre homme
+s'était écouté vivre, s'il n'avait rien laissé au hasard, si une sage
+direction médicale avait dosé son alimentation, son travail, son
+sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si, pour conserver sa vie,
+il avait, en quelque sorte, cessé de vivre, il aurait survécu plus
+longtemps et n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il faut
+bien se rappeler, c'est que, dès sa première atteinte, ses jours étaient
+comptés. Cette première atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son
+système nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque la force voulue
+pour faire son office de pompe aspirante et foulante; le déclin, qui
+avait peut-être commencé quelques années avant, s'était traduit dès le
+jour de ce premier accroc.
+
+Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes revêtent parfois une
+gravité qui fait croire, à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche
+sérieuse ou irrémédiable dans le capital vital du malade, alors qu'il
+n'est touché que superficiellement. C'est au médecin qu'il appartient
+de faire un bon diagnostic, d'où découlent et le pronostic et le
+traitement. Certes, le problème est souvent difficile à résoudre,
+et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute sa finesse
+d'observation, de toute son expérience, de toute sa pénétration. C'est
+dans ces cas que la médecine est véritablement un art, et le médecin un
+artiste, appelé à utiliser de son mieux les données scientifiques que
+ses études antérieures lui ont fournies.
+
+Il aura naturellement, pour l'aider dans cette tâche, l'examen physique
+du malade, et, en particulier, l'exploration abdominale, le ventre
+étant, de tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement
+explorer, par la vue, le palper, la percussion; il aura, pour l'aider,
+l'analyse des urines, trop souvent négligée. Il sera également secondé
+par l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller l'hérédité,
+l'évolution antérieure de la vie, chez le sujet qu'il examine. Celui-ci
+a-t-il eu de grands assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce
+cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé prouve qu'il a une
+grande élasticité, un capital sérieux, et qu'il est possible que, dans
+la crise actuelle, il rebondisse encore une fois.--Au contraire n'a-t-il
+jamais eu d'assaut important? le problème devient alors plus difficile,
+car le médecin manque d'une base pour apprécier la valeur réelle du
+capital. Aussi fera-t-il bien de rester dans une prudente réserve, et
+si, dans le cas précédent, il a été en droit de rassurer la famille
+malgré la gravité apparente de l'état du malade, dans le second cas, au
+contraire, il ne doit dire qu'une chose: «Je ne sais pas.»
+
+Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes à santé insolente, n'ayant
+jamais eu besoin de soins, que je vois brusquement atteints par une
+«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier. Me trouvant sur
+un terrain inconnu, je me demande, tout d'abord, si leur capital était
+aussi bon qu'il le paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la
+faillite, la débâcle.
+
+Ce sont là, je le répète, des problèmes cliniques extrêmement difficiles
+à résoudre; mais ils ont un grand intérêt au point de vue du pronostic à
+porter, et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat: car
+si le médecin soupçonne, chez son malade, une altération profonde que ne
+traduit pas l'ensemble symptomatique, il doit redoubler de précautions,
+sa surveillance doit être incessante, son zèle doit prévoir les moindres
+incidents, ne rien laisser au hasard. Il a alors à lutter non seulement
+contre la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent indocile, et
+contre les familles, qui trouvent qu'on en fait trop, qu'on prend trop
+de soins, que le malade devrait se lever pour regagner des forces,
+sortir pour se distraire, reprendre une partie de ses occupations pour
+ne pas nuire à sa carrière; estimant, _in petto_, que le médecin userait
+de discrétion en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi qu'il arrive,
+ce sont de mauvais cas pour le médecin. Il est accusé, si le malade
+guérit, d'avoir retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne
+l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si bien portant! et qui
+succombe à la suite d'une grippe, presque sans fièvre! Sûrement, c'est
+le médecin qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la conscience
+du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut aussi se dire que, dans
+d'autres cas, on a attribué exclusivement à ses bons soins ce qui était
+dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a donc compensation.
+
+En somme, le médecin qui se trouve en face d'un malade quelconque est
+appelé à résoudre le problème suivant: Étant donnés la valeur antérieure
+du malade A, et le déchet que lui fait perdre la «maladie» B, quelle est
+la valeur du capital restant A--B? Le simple bon sens indique que
+cette équation ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque nous ne
+connaissons au juste ni A ni B. Aussi le médecin ne doit-il jamais
+quitter le terrain, relativement solide, que lui fournit la science,
+pour se perdre dans les abstractions. Il doit seulement se rappeler la
+parole d'Hippocrate: _Judicium difficile_, et faire de son mieux pour
+approcher le plus possible de la solution du problème, qui, sans être
+d'ordre mathématique, a cependant une solution.
+
+«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.» [V. HUGO]
+
+Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant d'affirmer que l'homme
+a atteint l'apogée de son évolution, et est sur la pente du déclin? Eh!
+non, tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins fort, moins
+actif, que pendant la période de croissance, il supporte moins les
+petits écarts de régime, les fatigues, il est plus vulnérable, en un
+mot, mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est en période de
+déclin. S'il veut éviter la «maladie», il le peut, dans une, certaine
+mesure, en s'écoutant vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en
+ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses exagérées, ou, s'il
+est obligé d'en faire par hasard, en les compensant aussitôt par une
+exagération momentanée de prudence. Bref, la période de déclin est la
+période des précautions. L'homme en déclin devrait se rappeler qu'il
+faut «être de sa santé» comme il faut «être de sa condition», comme il
+faut être «de son temps». En usant de ces précautions, il peut prolonger
+très longtemps la durée de sa phase évolutive, et atteindre ainsi
+sans transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également bien
+surveillée, le conduire, sans transition brusque, à la mort.
+
+Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances de la vie
+sont telles que, fatalement, il rencontre sur son chemin des influences
+qui font baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces influences
+inévitables? Ce sont toutes celles que nous avons déjà étudiées
+dans l'enfance, dans l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs
+d'alimentation, causes morales surtout, etc.
+
+Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui soient plus spéciales
+à la période de la vie que nous étudions, la période comprise entre
+cinquante et soixante-cinq ans?
+
+Chez la femme, tout le monde admet que la ménopause produit des
+perturbations considérables; la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler
+«âge critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause ramène
+souvent des troubles de santé qui avaient disparu depuis longtemps, et
+amène quelquefois des troubles nouveaux, tels que ces sueurs profuses
+dont se plaignent amèrement les malades. Nous avons en vain essayé
+contre elles l'emploi de l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que
+c'est un moyen non seulement inutile, mais dangereux, et que le mieux
+est de savoir attendre, en mettant la malade à un régime restreint.
+
+Dans les deux sexes, les émotions morales jouent encore, à cet âge,
+un rôle considérable. C'est une fille mal mariée, un fils qui fait le
+chagrin de sa famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la
+perte des amis de la première heure, l'âge des désillusions, l'automne
+de la vie, en un mot. Dans tous les cas, les pratiques de la
+psychothérapie sont d'un incontestable utilité: seules, elles ne
+suffisent pas à guérir un homme rendu malade par des influences morales;
+mais, associées aux autres agents thérapeutiques, elles sont toujours
+d'une grande utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus fait
+en réconciliant avec son fils un père que le chagrin avait terrassé,
+en lui démontrant la nécessité et la légitimité du pardon, qu'en
+le traitant, comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes les
+ressources de la pharmacopée et des agents physiques.--Le fonctionnaire
+qui prend sa retraite, et se voit brusquement condamné à une oisiveté
+forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain cherche-t-il, dans
+la société des hommes de son âge, un remède à son désoeuvrement; et
+quant à espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille un réconfort
+quelconque, il n'y doit pas songer. Les plus jeunes ont leurs affaires,
+et les affaires sont les affaires; c'est tout au plus si la fille vient
+faire ses couches à la maison.
+
+Bref, une série de chagrins multiples, auxquels on est encore sensible,
+sont l'apanage ordinaire de cette période de la vie. C'est à cet âge,
+aussi, que se soldent,--car tout se paie,--les erreurs du passé, les
+fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les traites imprévues, et, quand
+le capitaliste veut mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit
+trop tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas contenté de
+ses revenus et qu'il a écorné son capital. Mais, dira-t-on, pouvait-il
+s'apercevoir de la mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel
+problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse antique. C'était à
+lui de voir que, de temps à autre, il avait de ces petites défaillances
+de santé qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes
+banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements
+(l'avertissement sans frais du percepteur). Il aurait dû, en homme bien
+avisé, rester toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner.
+
+Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, sinon de le réparer
+complètement, au moins de l'atténuer dans une notable mesure, en se
+surveillant de près, et en ne laissant rien au hasard de ce qu'on peut
+lui enlever par prudence et par calcul.
+
+Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent pas qu'elles
+dépensent plus qu'elles ne devraient le faire; elles n'ont pas la
+bonne fortune de recevoir les petits avertissements que nous venons de
+signaler. Leur débordante santé fait l'envie de tout le monde; mais ces
+privilégiés sont souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il
+fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, brusquement, avec
+une affection accidentelle.
+
+Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se laisse entraîner par un
+renouveau de passion sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour
+sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer ses talents. Il
+faut aussi compter avec les aberrations de l'instinct sexuel, assez
+fréquentes à cet âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde pas à
+s'installer, sous une forme qui rappelle, par sa brutalité d'apparition
+et la gravité des symptômes, l'hystéro-neurasthénie traumatique.
+
+En effet, du jour au lendemain, cet homme, vaillant jusqu'alors,
+subit un véritable effondrement. Non seulement il perd tout d'un coup
+l'aptitude sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un grand chagrin,
+mais il perd, en même temps, l'appétit, le sommeil, les forces. La
+constipation entre en scène; des douleurs névralgiques variées,--ou,
+pour mieux dire, des _algies_, car la douleur ne suit pas le trajet des
+nerfs, le torturent nuit et jour. Il a une sensibilité excessive de
+l'ouïe, un éréthisme de tout le système nerveux, qui devient comme une
+lyre à cordes trop tendues que fait vibrer douloureusement le moindre
+souffle. Cet état peut n'être que passager, si le malade a le bon esprit
+de s'en avouer à lui-même la cause déterminante et de la supprimer.
+Mais cela même ne suffit pas toujours: _Sublata causa, non tollitur
+effectus._ Le branle est donné à la cellule nerveuse, le système
+nerveux, longtemps patient, s'est tout à coup révolté, et il faut des
+mois et des années de soins méthodiques pour lui rendre son équilibre.
+C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le médecin devra
+surveiller non seulement l'hygiène sexuelle, dont il n'est plus
+question, mais l'hygiène alimentaire, donner les repas fréquents que
+nécessite un estomac toujours sur le point d'entrer soit en état
+paralytique ou en état spasmodique; une alimentation non excitante
+(pâtes, purées), sans vin, et sans les toniques qui passent, à tort,
+pour réveiller les forces. Le repos physique est également indiqué.
+
+C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, bien compris, bien
+dirigé, peut être utile à divers titres. D'abord, il éloigne la victime
+de la cause initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier
+souvent les soins affectueux et tendres d'une femme momentanément
+négligée.
+
+La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans le traitement de ces
+malades qui, d'un jour à l'autre, sont devenus craintifs, scrupuleux à
+l'excès, ayant peur de mourir, tenaillés par des remords d'une intensité
+morbide. Le médecin animé d'un esprit large et charitable peut leur être
+d'un grand secours, en mettant toutes choses au point, et en rassérénant
+leur conscience dans la mesure qui convient.
+
+Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez l'homme, n'a rien
+d'exagéré. Nous avons observé plusieurs cas semblables, où des hommes
+bien portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts intempestifs.
+
+Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent chez des hommes qui,
+auparavant, n'étaient pas débauchés, offraient même le modèle d'une vie
+exemplaire; maintenus par des principes sévères, ils avaient été fidèles
+à la foi conjugale, et, alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient
+restés fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour, une occasion
+se présente et les surprend; c'est une Sapho quelconque rencontrée
+en chemin de fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation, il
+succombe, et, une première chute en entraînant de nombreuses à sa suite,
+il devient enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop engager l'homme
+mûr, trop confiant en lui-même, à veiller toujours, car le péril est
+insidieux et les risques sont grands.
+
+C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent les troubles
+prostatiques et urinaires, résultats tardifs de blennorragies mal
+soignées et considérées comme une bagatelle par le jeune homme, plutôt
+fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est vers cinquante-cinq ans
+que le rétrécissement du canal provoque des misères variées, que nous
+n'avons pas à décrire ici, mais qui finissent par amener la mort
+prématurée si le chirurgien n'intervient pas.
+
+Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement chez les hommes qui
+ont dépassé soixante-cinq ans: ceux qui avaient des rétrécissements sont
+morts avant cet âge.
+
+C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la prostate entre en scène.
+Certes, les affections de la prostate ne sont pas toujours d'origine
+blennorragique; mais elles sont, plus qu'on ne le croit, dues à des
+erreurs dans l'hygiène sexuelle.
+
+Quant aux autres affections capables de faire brusquement baisser le
+capital, elles ne donnent lieu à aucune considération particulière.
+Nous devons pourtant nous arrêter encore, en passant, sur trois
+manifestations morbides spécialement fréquentes à l'âge en question: le
+diabète, l'albuminurie, et l'obésité.
+
+_Diabète_.--L'apparition du diabète est, certes, chose fâcheuse; mais le
+plus grand malheur qui puisse arriver à un diabétique impressionnable,
+c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans ménagements, la
+fâcheuse nouvelle. A partir de ce moment commence, pour le malade,
+une incessante préoccupation morale, aggravée encore par un régime
+alimentaire qui lui cause plus de dommages que le diabète lui-même. Il
+est vrai de dire que, depuis quelques années, les médecins se sont
+un peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les rendait
+redoutables aux diabétiques. On veut bien admettre, désormais, que le
+régime des diabétiques comporte certains tempéraments, et que les pommes
+de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent être allouées, voire
+même en abondance.
+
+Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation d'un diabétique,
+traité d'après les principes classiques, est encore loin d'être
+réjouissante. Elle sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin
+qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés par le même régime,
+ou plutôt qu'il n'y a pas de régime du diabète, le diabète n'étant qu'un
+symptôme qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui.
+
+Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, aux autres la diète
+lactée absolue pendant quelques jours, et le régime des potages au lait
+ensuite. Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons du régime
+peuvent être indiquées. Le médecin doit imposer le repos au lit absolu
+au diabétique qui maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans les
+autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce que le diabétique a
+toujours des combustions exagérées, comme le professeur A. Robin l'a
+très élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi de l'état mental du
+malade, et à ne pas négliger la psychothérapie. Le diabète peut être
+provoqué, expérimentalement, en touchant un point précis du quatrième
+ventricule du cerveau; et les diabétiques vraiment graves sont ceux
+qui le deviennent à la suite d'une chute sur la tête: ces deux faits
+prouvent assez l'importance des troubles du système nerveux dans la
+pathogénie du diabète, et la nécessité de faire une grosse part aux
+soins moraux dans le traitement du diabétique.
+
+_Albuminurie_.--L'albuminurie donne lieu à des considérations de même
+ordre.
+
+Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant un état de
+détérioration générale de l'organisme; c'est, le plus souvent, un
+symptôme grave, mais quelquefois aussi un phénomène sans grande
+importance.
+
+Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence, intermittente,
+venant après la moindre fatigue. On sait encore que le seul fait de
+se lever du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit pour
+provoquer l'apparition de l'albumine, qui n'existait pas dans l'urine
+émise pendant que le sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle
+l'albuminurie _orthostatique_ ou _physiologique_,--terme détestable,
+parce qu'il n'y a pas d'albuminurie physiologique, pas plus que de
+glycosurique physiologique. Cette albuminurie de peu d'importance
+survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en bon état de santé,
+et indique, par conséquent, qu'ils doivent être tenus à vue, et soignés
+suivant les principes généraux que nous avons déjà énoncés.
+
+Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine dans l'urine est toujours
+d'un pronostic plus sérieux. Parfois cependant, là encore, l'albuminurie
+n'est que transitoire, et coïncide avec une décharge d'acide urique par
+les reins. Si l'on ne soumet pas le malade ainsi touché au régime lacté
+absolu, qui achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si on lui
+donne à prendre un peu de benzoate de soude, l'orage passe vite sans
+laisser de traces.
+
+D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire, est intermittente,
+même chez l'adulte. Nous connaissons un malade qui, depuis quatre ans
+que nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il monte à cheval.
+Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres à pied sans avoir d'albumine; mais
+une seule promenade à cheval fait réapparaître l'albumine et, malgré la
+dose considérable révélée par l'analyse après l'exercice du cheval, il
+est, au demeurant, bien portant en apparence, et a une vie des plus
+actives.--Je connais aussi un médecin qui a, depuis des années, de
+l'albumine en permanence; après s'en être beaucoup inquiété, et avoir
+suivi divers traitements et divers régimes, il a fini par ne plus faire
+que de l'hygiène générale, manger raisonnablement, éviter le surmenage;
+et il est, en somme, en aussi bon état que possible.
+
+J'ai cité, dans une étude sur le _Cacodylate de Soude_ que j'ai publiée
+en 1901, l'histoire d'une jeune malade ayant, depuis 1898, à la suite
+d'un coup de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai donné des
+doses considérables de cacodylate, en injections, pendant un mois. J'ai
+eu, à ce moment, le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au
+remède la survie de la malade. Or, elle s'est mariée en 1900: depuis,
+elle a cessé toute médication, pour se borner à prendre de la viande
+crue et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, 3 à 4 grammes
+d'albumine par jour, et va très bien.
+
+On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la valeur pronostique de
+l'albuminurie. Mais il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, la
+présence de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que nous étudions,
+est un symptôme qui doit inspirer au médecin des craintes sérieuses,
+surtout quand, en même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette
+combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de mort à brève échéance.
+
+Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique sera encore aggravée
+si le médecin s'obstine à lui imposer le régime dit des albuminuriques.
+Il n'y a pas de régime des albuminuriques: il y a le régime qui convient
+à tel ou tel albuminurique. Parfois le régime lacté fait merveille, mais
+c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger plus de quinze
+jours. D'autres fois, c'est le régime des pâtes, plus souvent encore le
+régime lacto-végétarien, qui, combiné au repos, aide le malade à sortir
+du mauvais pas, au moins momentanément.
+
+_Obésité_.--Au même titre que le diabète et l'albuminurie, l'obésité
+appartient en propre à la période de déclin. Mais, direz-vous, il est
+des enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est qu'ils ont commencé
+jeunes leur période de déclin. Mais, d'habitude, c'est aux environs de
+la ménopause que l'obésité devient, pour les femmes, une torture de tous
+les jours. Nous n'avons pas à en indiquer les inconvénients; rappelons
+seulement que l'obésité tend toujours à augmenter, parce qu'elle
+interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit immédiatement un
+cercle vicieux. Dans les cas d'obésité où l'exercice serait utile,
+l'obèse qui est condamné à en prendre de moins en moins, devient de plus
+en plus obèse.
+
+Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours utile aux
+obèses. L'obésité, étant un symptôme de la «maladie», est quelquefois
+entretenue par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de
+vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté des médecins
+de diverses nationalités, avait fini par suivre les conseils d'un
+empirique, qui n'avait rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que
+de mettre sa mère en relations avec un commandant de chasseurs à pied,
+de façon que ces deux dames pussent suivre tous les exercices du
+bataillon. Au bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la jeune
+fille grossissait toujours. Sous l'influence de l'exercice, elle
+mangeait davantage et buvait en conséquence. Mais vint un jour où
+l'estomac, fatigué par la suralimentation, se mit à protester; c'est
+alors que je prescrivis le régime ultra-restreint, pendant quelques
+jours, pour remettre l'estomac en état, le repos presque absolu pendant
+cette période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement de l'estomac
+et de l'intestin, avec un exercice modéré; et voici que, sous
+l'influence de ce traitement, la malade vit diminuer son obésité,
+et disparaître, successivement, d'autres troubles variés qui, comme
+l'obésité, étaient symptomatiques!
+
+Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime applicable à tel ou
+tel malade atteint d'obésité. Le plus souvent, le régime restreint
+est indiqué; d'autres fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est
+dangereux comme de le faire maigrir par insuffisance alimentaire. Il ne
+faut pas, non plus, le faire maigrir par l'emploi de la thyroïdine. Je
+dois dire, cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents
+obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de vingt ans qui, en six
+mois, a vu son poids baisser de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en
+soit résulté le moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine avait
+été maniée par le Dr Polin avec une prudence extrême (2 milligrammes
+par jour, et pendant six mois consécutifs).
+
+En général, il faut se méfier de ce médicament, qui demande une
+surveillance médicale sinon quotidienne, du moins hebdomadaire; il faut
+enfin se rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer l'obésité
+au point d'en supprimer les inconvénients, et aussi qu'il est toujours
+dangereux de faire trop maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop
+vite. Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe, il est vrai;
+mais c'est le commencement de l'effondrement. Son système nerveux tombe
+aussi. En y mettant le temps, au contraire, c'est-à-dire en ne brusquant
+pas la manière d'être du sujet, on peut toujours arriver à des résultats
+excellents.
+
+J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans, à une dame de
+soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. Elle est arrivée
+en dix-huit mois, à baisser, avec une progression continue, à 77
+kilogrammes... Depuis, elle garde son poids et sa santé; son déclin
+s'opère avec une lenteur telle qu'il est à peine perceptible. Inutile de
+dire que l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique.
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA VIEILLESSE
+
+
+
+Quelle que soit l'économie qui ait présidé à l'usage du capital
+biologique, il n'est pas possible que quelques mauvais placements
+n'aient été faits, dans le courant de l'existence; que des chocs
+accidentels, et indépendants de la volonté, n'aient, à diverses
+reprises, ébréché le capital. L'homme qui se condamnerait à vivre à
+seule fin de prolonger ses jours vivrait certainement très longtemps,
+mais la sentence d'Horace lui serait applicable: «Pour vivre, il aurait
+perdu les raisons de vivre.» _Et propter vitam vivendi perdere causas_.
+
+D'autre part, le capital diminue par le fait même de la vie, comme la
+vitesse initiale d'un projectile diminue progressivement par le fait de
+la résistance de l'air. Enfin il vient un moment où le capital, après
+avoir produit des intérêts considérables, ne donne plus que des intérêts
+de moins en moins élevés. Ce moment coïncide exactement avec la période
+de déclin, de sorte que, à partir de ce jour, quoi qu'il fasse et
+sans qu'il s'en doute, l'être vivant s'appauvrit fatalement et
+progressivement. Il en arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit
+rentier; et c'est alors la vieillesse.
+
+Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge; témoin ces enfants
+qui ont l'aspect de petits vieillards, comme on dit dans le langage
+courant; ces hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, des
+loques humaines. Mais, le plus souvent, la vieillesse survient à un
+âge plus tardif, que, pour le besoins de la cause, nous fixerons, par
+exemple, à soixante-cinq ans.
+
+A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner, comme le lui
+conseillaient les trois jeunes gens du fabuliste, «à songer à ses
+erreurs passées» Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de
+vastes pensées», à condition que ce ne soit pas pour lui, mais pour ses
+arrière-neveux. Il peut, en d'autres termes, jouir de son expérience et
+s'efforcer d'en faire profiter les autres; mais en se rappelant qu'il a
+atteint l'âge du repos, des ménagements et des précautions. Et de même
+que, dans la première période de la vie, il appartient aux parents
+de ménager pieusement et de faire sagement fructifier le capital de
+l'enfant; de même, à cette dernière période, il est du devoir des
+enfants de veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont la
+charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse, tout chagrin,
+tout souci, tout écart de régime, et de le préserver contre toute
+intervention thérapeutique brutale.
+
+Quelles sont les influences qui compromettent d'une façon spéciale le
+vieillard vivotant?
+
+Les influences psychiques sont beaucoup moins importantes que dans l'âge
+adulte. Quelques vieillards, il est vrai, gardent leur sensibilité et
+leur jeunesse de sentiments. L'expérience de la vie ayant tempéré la
+fougue de leurs jeunes années, leur ayant appris l'indulgence et la
+miséricorde, ils deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi
+agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la sensibilité
+s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve le vieillard de toute
+émotion nuisible. Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce
+de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné, mais l'émotion
+qu'il éprouve est surtout égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui
+donne de voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, et
+n'est pas comparable au chagrin poignant de l'homme adulte perdant un
+être aimé. Donc, de ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système
+musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple bon sens fait que le
+vieillard n'abuse pas, en général, de son restant de forces musculaires:
+exception faite cependant pour les cas où des parents ou des amis mal
+avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard à se déplacer sans
+relâche, pour passer l'hiver dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps
+ailleurs. Combien ne serait-il pas plus sage, en général, de le laisser
+tranquillement chez lui, dût-il ne pas quitter sa chambre? J'ai
+longtemps donné des soins à une vieille dame que ses enfants emmenaient
+en villégiature, toujours malgré elle, dans le centre de la France, et
+ramenaient à Paris en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un
+mois de soins assidus et de précautions pour effacer les traces de
+fatigue occasionnée par le déplacement.
+
+La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le séjour hivernal dans
+le Midi peut être recommandable, mais que, d'une façon générale, il
+faudrait se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant «qu'on ne
+doit pas transplanter un vieux chêne», et qu'on devrait regarder à deux
+fois avant de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard, soit un
+lointain changement de pays, soit même un changement d'appartement. Il
+faut, en général, tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir,
+qui est dicté par un vague instinct de conservation et qui trompe
+rarement.
+
+Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien entendu des
+affections accidentelles, ce sont les écarts dans l'alimentation. Une
+indigestion qui, chez un homme jeune, se serait traduite par un léger
+état gastrique, amène chez le vieillard un effondrement colossal; et,
+pour peu que la thérapeutique intervienne d'une façon inopportune
+sous la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la situation peut
+s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut alors des semaines pour remettre
+en état le système nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de
+s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme vacillante;
+irez-vous l'alimenter par un soufflet de forge, et charger le foyer de
+grosses bûches de bois? Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies
+précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est seulement ensuite
+que vous mettrez des fragments un peu plus volumineux, pour arriver
+enfin à la bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même chez le
+vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes gastriques, prudence
+extrême dans l'alimentation, fréquence de l'alimentation, et repos
+absolu: c'est la base du traitement.
+
+Mais combien, pour faire observer ces prescriptions si simples, ne
+faut-il pas au médecin d'énergie et de foi? Qu'on veuille donc bien
+se rappeler que le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation
+restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui lui sera profitable,
+mais bien ce qu'il assimilera, et que, chez lui, la puissance
+d'assimilation est extrêmement minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit,
+il proteste, plus ou moins énergiquement, contre les menus qu'un zèle
+mal éclairé s'ingénie à lui proposer.
+
+En dehors de ces états gastriques passagers, le régime du vieillard doit
+être, en général, peu substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le
+soir, s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il éprouve le
+besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, plutôt que beaucoup à la
+fois. Mais on ne saurait croire combien certains vieillards ont peu
+besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente une vieille dame qui
+avait trop mangé pendant toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une
+dyspepsie permanente accompagnée de misères variées, en tête desquelles
+venait la constipation. De là obsession de tous les instants; tant qu'on
+ne l'eût pas mise exactement au régime convenable, elle fut torturée par
+ce symptôme, restant huit ou quinze jours sans parvenir à aller à
+la garde-robe, malgré les lavements, les suppositoires, le massage
+abdominal, etc. On avait dû même, plusieurs fois, recourir au curetage.
+Or je me dis, un jour, que le régime relativement restreint que je lui
+avais imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore assez restreint.
+Comme elle n'avait jamais d'appétit, et qu'elle ne mangeait que pour
+faire plaisir à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention,
+qui fut de restreindre, sous ma surveillance, son alimentation
+progressivement, et dans la mesure extrême du possible. Après un mois de
+tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions arrivés à la formule
+suivante, que je transcris d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse
+à thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de semoule au lait,
+ou de panade, ou de farine de Hongrie, ou de crème de riz, ou de crème
+d'orge aux mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, un quart
+d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures, comme à midi; dans la nuit,
+une tasse à café de lait.»
+
+Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage absolument
+ridicule, finit par être accepté quand on vit la malade reprendre,
+progressivement, du sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et
+surtout quand on vit disparaître sa constipation. Ses fonctions
+s'exécutaient, en effet, très régulièrement tous les deux ou trois
+jours, spontanément. Le régime fut continué jusqu'à sa mort, qui
+survint trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à l'âge de
+quatre-vingt-quatre ans.
+
+Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, mais ils seraient
+tous calqués sur ce modèle.
+
+Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé un gros appétit:
+il faut savoir le respecter, tout en essayant de le modérer un peu, du
+moment que la santé reste bonne.
+
+Pour en finir avec la question de régime, disons qu'un peu de vin
+généreux, étendu d'eau, est, en général, une boisson excellente pour le
+vieillard, bien portant ou malade; et que le lait, par contre, lui est
+le plus souvent préjudiciable, sauf dans les états aigus ou subaigus
+prolongés.
+
+Quant aux affections accidentelles qui surviennent chez le vieillard, et
+qui compromettent son reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font,
+néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante de toutes est la
+pneumonie. C'est, très souvent, une pneumonie d'origine grippale: aussi
+ne saurait-on trop soigner la grippe dès son début, chez le vieillard
+plus encore que chez l'adulte. La pneumonie est insidieuse chez le
+vieillard. Elle ne se traduit que par un malaise général, avec très peu
+de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne toujours de fièvre.
+Si donc les familles savaient se servir du thermomètre, on aurait des
+chances de porter secours aux malades en temps utile; et alors une
+injection de cacodylate de gaïacol, quelques cachets de quinine, une
+certaine dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient, dans
+bon nombre de cas, à le sauver; tandis qu'en général, quand on appelle
+le médecin, il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que le
+diagnostic, et prévenir la famille de la gravité de la situation.
+
+Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent compromettre la
+survie du vieillard. Ordinairement, il échappe à la première atteinte,
+mais il en sort tellement amoindri, physiquement et intellectuellement,
+qu'on peut dire qu'il a cessé de vivre avant de mourir. Grâce aux soins
+dont il est entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même
+pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à ce qu'il se décide à
+mourir après une deuxième ou troisième attaque.
+
+Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées ne s'observe, le
+petit rentier qu'est le vieillard continue à vivoter plus ou moins
+longtemps, jusqu'au jour où, tout son capital et tous ses revenus étant
+épuisés, il cesse de vivre, tout simplement parce qu'il n'a plus la
+force de vivre. Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur qui
+a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon, très profondément
+philosophique, l'expression courante de «défunt», la traduction
+littérale du mot latin _defunctus_ étant: «Celui qui s'est acquitté.»
+Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet, en remerciant leur
+hôte. Heureux s'ils peuvent léguer à une nombreuse postérité «l'exemple
+de leur vie!»
+
+
+
+FIN
+
+
+
+
+INDEX ALPHABÉTIQUE
+
+Albuminurie:--permanente;--son régime. Alcool. Alimentation: de l'enfant
+né avant terme;--du premier âge;--Gouttes de lait;--chez le
+petit enfant;--chez l'enfant du deuxième âge;--défectueuse;
+excessive;--ration d'entretien;--observation d'une malade guérie par le
+régime restreint;--insuffisante en quantité;--à la sonde;--observation
+d'une malade fébricitante guérie par l'alimentation
+forcée;--insuffisante en qualité;--chez le vieillard.
+
+Aliments adultérés par les procédés chimiques; physiques.
+
+Auto-intoxication, (Hypothèse de l').
+
+Avarie.
+
+Bains: chauds dans les pneumonies;--prolongés;--de briques;--de
+vapeur;--électriques;--de mer.
+
+Blennorragie, ses dangers tardifs.
+
+Boissons: fermentées;--distillées;--le vin chez l'homme bien
+portant;--chez le malade:--dans la ration du soldat;--eau stérilisée en
+usage dans l'armée.
+
+Cancer, son hérédité.
+
+Capital biologique (hypothèse du).
+
+Causes morbigènes: ambitions déçues;--passion amoureuse;--inquiétudes;
+--vie brisée;--frayeur.
+
+Causes accidentelles.
+
+Chaleur sèche (dermotherme).
+
+Choc: traumatique;--chirurgical;--moral.
+
+Coeur: «maladies» du coeur--leur hérédité;--observation d'un faux
+cardiaque;--la période de déclin.
+
+Constipation;--et entéro-colite;--provoquée chez les opérés;--son
+innocuité;--guérison par le repos;--dangers des purgatifs;--obsession de
+la constipation;--lavements d'huile;--injections de Brown-Séquard;--chez
+le vieillard;--Convalescence, sa rapidité chez l'enfant.
+
+Course en flexion.
+
+Déclin: âge de déclin;--pouvant n'être qu'apparent;--problèmes cliniques
+à l'âge du déclin, leur difficulté.
+
+Diabète: régime;--traumatique, sa gravité.
+
+Dyspepsie: observation d'une malade avec prédominance de troubles
+dyspeptiques.
+
+Eaux minérales;--table de régime;--de Carlsbad;--Chatel-Guyon, Bagnoles,
+Brides, Vichy;--Vittel.
+
+Education: chez la jeune fille;--chez le jeune homme;--de la volonté;--
+
+Electricité;--bains électriques.
+
+Emplâtre.
+
+Enfants: préservation contre la tuberculose;--couveuses
+artificielles;--alimentation de l'enfant né avant terme:--le
+capital biologique de l'enfant doit être créé par les
+parents;--puériculture;--alimentation du premier âge, son importance
+pour toute la vie;--Goutte de lait;--pathologie infantile;--sa
+simplicité relative;--ses difficultés;--nécessité du sommeil
+prolongé;--mastication;--convalescence rapide;--enfants du type
+musculaire;--cérébral;--du deuxième âge, alimentation:--fièvre
+digestive.
+
+Epilepsie.
+
+Exploration abdominale.
+
+Exercice: difficulté de le doser chez les jeunes filles
+nerveuses; --dans un grand collège moderne;--chez les
+professionnels;--chez les jeunes gens (danger des sports);--et
+entraînement;--et gymnastique respiratoire;--Institut Zander;--chez
+les obèses.
+
+Fatigue;--et épuisement.
+
+Fièvre digestive des enfants;--typhoïde.
+
+Folie: chez la jeune fille:--délire de la persécution;--l'aliénation
+mentale et la «maladie»;--menstruation chez l'aliénée;--du
+doute;--obsession:--manie aiguë.
+
+Frictions.
+
+Grippe, son influence pathogène.
+
+Grossesse («maladies» de la mère pendant la).
+
+Hémorragies cérébrales, chez les vieillards. Hérédité:
+étymologie;--généralités;--protestation contre la fatalité des tares
+héréditaires;--de la longévité;--de la tuberculose;--du cancer;--des
+tares nerveuses, 15;--de la paralysie générale, 16;--des «maladies»
+de coeur, 16;--des affections rénales, 17.
+
+Hydrothérapie: froide, 223;--tiède 225;--maillot humide, 225.
+
+Hypnose, 189;--chez les aliénés, 191;--ses dangers, 194.
+
+Hygiène de la procréation, 21.
+
+Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114.
+
+Hypothèse (son rôle dans la science), 1.
+
+Injections: action dynamogénique de tout liquide
+injecté, 232;--hypodermiques d'eau de mer, 234;--de cacodylate de
+magnésie, 235;--de cacodylate de soude, 235;--de gaïacol, 238;--de
+quinine 239;--d'héroïne,239;--de mercure, 240;--de morphine,
+240;--huileuses,240;--d'huile mercurielle, 241;--d'huile créosotée,
+242;--etsuggestion, 244;--injections de Brown-Séquard, (constipation),
+353.
+
+Influences morbigènes, généralités, 30.
+
+Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70.
+
+Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;--éducation
+sexuelle--, 21;--menstruation--,66;--despotisme de certaines mères,
+68;--difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses,
+66;--aliénation mentale--, 71;--vocation contrariée, 72;--mariage
+contrarié--, 73;--utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses,
+74;--surmenage scolaire--, 75.
+
+Jeune homme: surmenage scolaire, 75;--nécessité du sommeil,
+76;--exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; --exercice
+physique chez les jeunes gens, 79; --éducation sexuelle,
+81;--psychothérapie, 83.
+
+Ligue des pères de famille, 80.
+
+Longévité: hérédité de la, 8;--humaine, 9.
+
+Malade: son entourage, 204;--ne voulant pas guérir, 207;--régime des
+grands malades, 217;--n'osant pas manger, 220;--danger des voyages, 267.
+
+«Maladies»: accidentelles, 42;--la «maladie», 94-95;--petits symptômes
+de la «maladie», 95,--la «maladie» et les «maladies» accidentelles,
+97;--causes morales, généralités, 142;--causes accidentelles de la
+«maladie», 162;--du coeur à la période du déclin, 279.
+
+Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73;--son utilité pour les
+jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74.
+
+Massage, 228;--abdominal, 229.
+
+Méningite, 55.
+
+Menstruation: utilité du repos, 66;--chez l'aliénée, 165;--chez la
+grande malade, 166;--ménopause, 296.
+
+Migraine, 40.
+
+Mort naturelle, 310.
+
+Névrose (sa contagion), 148.
+
+Obésité, 297;--exercice chez les obèses, 298;--régime chez les obèses,
+299.
+
+Obsession: de la constipation, 251;--de la rougeur, 187.
+
+Observations: d'une malade avec prédominance de troubles dyspeptiques,
+99;--d'une malade avec prédominance de troubles de nutrition, 105;--d'un
+faux cardiaque, 107;--d'une malade suivie pendant trente ans, chez
+laquelle presque tous les appareils ont été successivement atteints,
+110;--d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--d'une
+malade fébricitante guérie par l'alimentation forcée. 132.
+
+Opérés: opérations de complaisance, 155;--morphine chez les, 156;
+--rôle médical du chirurgien, 156;--purgation chez les,
+157;--constipation provoquée chez les, 158.
+
+Opothérapie: hépatique, 236;--ovarienne, 286.
+
+Paralysie générale, hérédité, 16.
+
+Pertes: matérielles, 143;--au jeu, 144.
+
+Pneumonie: bains chauds dans la;--chez le vieillard, 308. Protection,
+loi de protection des faibles, 10.
+
+Psychonévroses, leur traitement moral, 213.
+
+Psychothérapie: chez le jeune homme, 83;--savoir prendre un
+parti, 175;--respect du temps, 176;--dérivative. 180; --sédative,
+181;--reconstituante, 182;--résignation, 182;--foi religieuse, 208;--et
+problème religieux, 210.
+
+Ptôse: abdominale, 169;--et ceinture hypogastrique, 167;--passagère,
+169.
+
+Purgatifs et constipation, 249.
+
+Régime: ration d'entretien, 125,--des Chartreux, 125;--des Trappistes,
+125;--des soldats, 127-140;--des guides alpins, 127;--observation
+d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--en cas
+d'effondrement abdominal, 172;--et suggestion, 215;--des grands malades,
+217;--monotone, 218;--sec (ses dangers), 219;--à boisson restreinte,
+219;--et eaux minérales, 255;--des diabétiques, 293;--des
+albuminuriques, 297;--des obèses, 299;--lacté chez les vieillards, 308.
+
+Repos: dans les états aigus, 173;--cure de--, 205;--constipation guérie
+par le--, 205;--avant le repas, 221;--après le repas, 222;--au lit, 265.
+
+Sommeil: nécessité du sommeil chez l'enfant, 57;--nécessité du sommeil
+chez les jeunes gens, 76;--diurne (ses bons effets) 173;--l'aliment
+favorise le--, 221;--et repos au lit, 221.
+
+Sports, chez les jeunes gens (leur danger) 78.
+
+Suggestion et régime, 215.
+
+Symptômes morbides, 32;--petits symptômes de la «maladie», 95.
+
+Syphilis: polynatalité, 10;--et méningite, 12;--Société de prophylaxie
+sanitaire et morale, 13;--nécessité d'un traitement pour prévenir la
+transmission héréditaire de la, 23; --âge à laquelle se contracte
+la--, 84;--manifestations tertiaires, 164;--et assurances sur la vie,
+164.
+
+Travail: cérébral insuffisant, 119; --cérébral excessif,
+119;--musculaire excessif, 121;--ration de--, 125.
+
+Tuberculose hérédité, 13;--oeuvre de préservation de l'enfance contre
+la--, 14 et 89;--dans l'armée, 87;--et sanatorium populaire, 38;--et
+dispensaire, 88.
+
+Vacances: leur nécessité, 261;--colonies de--, 262.
+
+Vésicatoires, 255.
+
+Vieillards: voyages, 304;--alimentation, 306;--constipation,
+307;--pneumonie, 308;--régime lacté, 308;--hémorragie cérébrale, 309.
+
+Vin: chez l'homme bien portant, 139;--chez le malade. 141;
+
+Voyages: de noces (ses dangers), 20;--leur utilité chez les gens
+bien portants, 261;--leur danger chez les malades, 267;--chez les
+vieillards, 304.
+
+
+
+
+AUTEURS CITÉS
+
+ Dr BARADUC, 37.
+ BRIEUX, 83.
+ BROWN-SEQUARD, 236.
+ Dr CHARCOT, 194
+ Dr CAMPENON, 156.
+ Dr CHAILLOU, 76.
+ Dr DELORME, 158.
+ Dr DUBOIS, 213.
+ Dr DUPRAT, 194.
+ FLOURENS, 9.
+ Dr FONSAGRIVES, 55.
+ FONSAGRIVES (Abbé), 81.
+ Dr A. FOURNIER, 13.
+ Dr ED. FOURNIER, 84.
+ Dr GRANCHER, 14.
+ Dr GRASSET, 194.
+ Dr HUCHARD, 17.
+ Dr KELSCH, 87.
+ KNEIPP, 224.
+ Dr LAGRANGE, 79 et 86.
+ Dr LAUMONIER, 64.
+ Dr LEGENDRE, 80.
+ Dr LEREDDE, 231.
+ Dr MATHIEU, 33.
+ Dr PINARD, 21 et 45.
+ PLANTET, 262.
+ POINCARE, 1.
+ Dr ROBIN, 293.
+ Dr RUNGBERG, 164.
+ SERTILLANGES (Abbé), 125.
+ Dr SIGAUD, 171.
+ Dr R. SIMON, 234.
+ VANCAUWENBERGHE, 48.
+ Dr VARIOT, 47.
+ Dr A. VOISIN, 194.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIERES
+
+
+PRÉFACE
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+LE CAPITAL BIOLOGIQUE
+Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable selon chaque
+individu et selon chaque période de la vie. Capital initial; influences
+qui le font varier.
+
+
+CHAPITRE II
+
+HÉRÉDITÉ
+Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité. Rôle de
+l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; le cancer;
+les tares nerveuses: les «maladies» de coeur; des reins.
+
+
+CHAPITRE III
+
+CONCEPTION
+La valeur des générateurs au moment de la conception.--Loi de protection
+des faibles. Hygiène de la procréation: éducation sexuelle de la jeune
+fille.
+
+
+CHAPITRE IV
+
+GESTATION
+Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la
+gestation.--Emotions, misères physiologiques, «maladies» de la mère
+pendant la grossesse. Enfants nés avant terme.
+
+
+CHAPITRE V
+
+INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES
+La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive: les
+influences morbigènes modifient cette courbe. La même influence peut
+se traduire par des symptômes variés; et, inversement, des influences
+variées peuvent se traduire par le même symptôme (ex.: constipation) ou
+par le même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous les systèmes
+organiques peuvent être troublés à la fois. Le plus souvent, c'est
+l'organe le plus faible qui traduit le malaise. Le système nerveux est
+la clef de voûte de la pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les
+causes morbigènes.
+
+
+CHAPITRE VI
+
+DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.--PUÉRICULTURE
+Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la durée de la
+vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant. Gouttes de lait (de
+Belleville, de Saint-Pol). La pathologie enfantine est, le plus souvent,
+simple; quelquefois, de la plus grande difficulté. Succès thérapeutiques
+chez les petits enfants atteints de syphilis, de pneumonie.
+
+
+CHAPITRE VII
+
+DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ
+1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil prolongé, d'une
+mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles à cet âge évoluent
+vite, sans convalescence.--Chez l'enfant de sept ans à la puberté.
+Enfant du type musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral.
+Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies» très
+souvent provoquées par une alimentation défectueuse.
+
+
+CHAPITRE VIII
+
+DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE
+I. _Chez la fille_.--Précautions à prendre à l'apparition des règles.
+Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»:
+
+--A. Surmenage intellectuel.--B. Causes morales (despotisme de la mère,
+vocation contrariée); brevets: mariage rendu impossible; besoin du
+mariage.--C. Surmenage musculaire. Quelle que soit la cause, les
+symptômes sont les mêmes, mais le traitement varie avec la cause.
+Facilité relative de la guérison.
+
+II _Chez le garçon_.--1° Surmenage scolaire (insuffisance du
+sommeil).--2° Surmenage physique (abus des sports, de l'escrime, utilité
+des exercices automatiques _(Ligue des pères de famille_).--3° Déviation
+de l'hygiène sexuelle: éducation sexuelle. Par qui elle doit être
+donnée. Enseignement individuel et enseignement collectif. Utilité de
+l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations de l'instinct
+sexuel: psychothérapie.
+
+III. _Causes morbigènes communes aux deux sexes_.--«maladies»
+accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les dispensaires, oeuvres de
+préservation).
+
+
+
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+MATURITÉ
+L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes de repos. Le
+coup de collier. La fatigue. L'entraînement. L'épuisement (ses signes
+prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire (ses signes prémonitoires.
+La «maladie».
+
+
+CHAPITRE II
+
+CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»
+Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade. Quatre
+observations de patients atteints de la «maladie» sous ses diverses
+formes. Troubles fonctionnels pouvant simuler les affections avec
+lésions d'organes. Rôle du système nerveux central dans la pathogénie de
+la «maladie». Embarras gastrique.
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES CAUSES DE LA «MALADIE»
+I. _Causes physiques_.--1° Surmenage cérébral, travail cérébral
+insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral peut revêtir des
+formes cliniques très diverses.--2° Surmenage musculaire.--3° Vices
+d'alimentation. Généralités, auto-intoxication, irritation.--_A_.
+Alimentation excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des
+Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. Observation
+d'une grande malade guérie par le régime restreint.--_B_. Alimentation à
+la sonde.--_C_. Alimentation insuffisante en qualité. Adultération
+des aliments: _a_) par les procédés chimiques, _b_) par les procédés
+physiques. --_D_. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité. Boissons
+distillées, leur danger.
+
+II. _Causes morales_.--Leur importance prépondérante:
+
+_A_. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.--_B_. Influences
+compromettant la quiétude de l'âme. Passions. Incompatibilité
+d'humeur.--_C_. Inquiétudes d'origine altruiste. Séparation momentanée,
+définitive.--Choc traumatique: _a_) Hystéro-neurasthénie traumatique.
+_b_) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale des
+chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés. Des purgations.
+Constipation provoquée chez les opérés, ses avantages.
+
+III. _Causes accidentelles_.--Fièvre typhoïde. Grippe: son grand rôle
+pathogénique. Syphilis.
+
+IV. _Influences morbigènes spéciales à la femme_.--Menstruation.
+Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale.
+
+
+CHAPITRE IV
+
+PSYCHOTHÉRAPIE
+Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle 1° Son action
+s'étend aux déviations mentales.--2° A un grand nombre de troubles
+somatiques.--_A. Moyens par lesquels on diminue les dépenses d'influx
+nerveux:_ savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du
+temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes. Un cas de
+folie du doute. Psychothérapie dans la manie aiguë, dans les obsessions.
+Résignation passive et active.--_B. Moyens par lesquels on augmente les
+recettes._ 1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques
+(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).--Moyens par lesquels
+on augmente artificiellement le capital insuffisant: hypnose. Action
+personnelle de l'hypnotiseur, indications du traitement par l'hypnose.
+Ce qui limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que:
+1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles à
+hypnotiser.--2° C'est que c'est un moyen qui peut être trop actif.
+C'est un agent thérapeutique utile, non dangereux, s'il est bien manié;
+le médecin seul peut le bien manier.
+
+Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques.
+--1° Le médecin doit soigner avec son coeur, plus qu'avec son
+intelligence.--2° Paraître ne jamais être pressé.--3° Ni même être
+pressé.--4° Savoir parler au malade.--5° Ne lui imposer que le strict
+minimum de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique: 1°
+Absence de foi chez le malade (malades à théories médicales. Malades
+qui ne veulent pas guérir).--A l'hostilité de l'entourage. Le médecin
+confident.--Psychothérapie et sentiment religieux.
+
+
+CHAPITRE V
+
+AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES
+1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent pas
+seulement par suggestion). Diète liquide. Régime des potages. Régime à
+boisson restreinte. De la fréquence des repas. Du repos après et avant
+le repas.
+
+2° Moyens accessoires.--A. _Hydrothérapie_: froide, exceptionnellement
+indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé. Hydrothérapie tiède: tub,
+bain. Malades dont il ne faut pas mouiller la peau. Chaleur sèche.
+Massage. Frictions. Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.--B.
+_Injections hypodermiques._--1° Influence utile de l'injection en tant
+qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).--2° Action propre du
+liquide injecté. Cacodylate de soude, de magnésie, de fer. Injections de
+Brown-Séquard. Strychnine. Cacodylate de gaïacol dans la «maladie»
+post grippale. Quinine, héroïne et morphine, leurs dangers. Injections
+huileuses: _a_. Mercurielles. _b_. Créosotées. Rôle alimentaire de
+l'huile injectée.--3° Des injections hypodermiques comme procédé
+de suggestion.--C. Vésicatoires. Emplâtres. Purgatifs. Etude de la
+constipation et des constipés.--D. _Eaux minérales_, leurs indications.
+Les tables de régime. Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel.
+Châtel-Guyon, Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des
+eaux.--_Voyages_. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur danger
+chez de grands malades. Précautions à prendre pour qu'ils soient utiles
+aux malades moyens. La grande malade et le ciel de la Côte d'Azur.
+Voyage et entraînement. Vacances. Colonie de vacances.--F.
+_La mer_.--La cure marine. Le train des maris.
+
+
+
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA PÉRIODE DE DÉCLIN
+Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites extrêmes. Les
+tares organiques. Les cardiopathies se révèlent. Le déclin peut n'être
+qu'apparent (difficulté du diagnostic). Petits symptômes prémonitoires
+du déclin. Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales.
+Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique de l'homme.
+Forme que revêt souvent la «maladie» à cet âge. Traitement
+psychothérapique, régime, précautions. Le diabète. Rôle du système
+nerveux dans le diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même
+des diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente.
+Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de l'albuminurie, ni même des
+albuminuriques. Obésité. Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a
+pas de régime de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide.
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA VIEILLESSE
+Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la vieillesse de
+l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers des voyages. Alimentation
+restreinte. Accidents qui font mourir le vieillard. De la mort
+naturelle.
+
+
+INDEX.
+
+AUTEURS CITÉS.
+
+TABLE DES MATIÈRES.
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12105 ***
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+
+</style>
+
+</head>
+<body>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12105 ***</div>
+
+<H1>LA LUTTE<br>
+POUR LA SANTÉ</h1>
+
+<h4>DU MÊME AUTEUR</h4>
+
+<p><b>Considérations sur la folie paralytique</b> Paris, J.-B. Baillière,
+1874.</p>
+
+<p>Article <b>Épilepsie du Dictionnaire encyclopédique des Sciences
+médicales</b> (1886).</p>
+
+<p><b>Pratique de l'antisepsie dans les «maladies» contagieuses</b> (Prix
+Stansky, de l'Académie de médecine). J.-B Baillière, éditeur
+(1892).</p>
+
+<p><b>Traitement de la Tuberculose par la créosote</b> (Couronné par
+l'Institut, Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894.</p>
+
+<p><i>En préparation</i>:<br>
+
+<b>Psychothérapie et Morale religieuse.</b></p>
+<br><br><br>
+
+<h2>Dr. BURLUREAUX</h2>
+
+<h4>PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE</h4>
+
+
+
+<h1>LA LUTTE POUR LA SANTÉ</h1>
+
+
+
+<h3>ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE</h3><br><br>
+
+<p>PARIS<br>
+
+1908</p><br>
+
+A MON CHER LUCIEN CLAUDE<br>
+
+EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION<br>
+
+ET EN SOUVENIR<br>
+
+DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES<br><br><br>
+
+<h3>PRÉFACE</h3>
+
+
+<p>La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de
+ce livre n'est pas celle qu'ont entreprise, et que
+poursuivent avec un succès toujours plus marqué,
+nombre de ligues et sociétés philanthropiques.
+Certes, personne n'admire plus que moi l'effort
+généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse de combattre
+la mortalité infantile, ou de répandre et
+de faire appliquer les règles de l'hygiène, ou
+encore d'enrayer l'extension de ces trois plaies
+sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la
+syphilis, ce sont là des campagnes infiniment
+bienfaisantes; et je considère comme un honneur
+d'avoir pu, modestement, prendre ma part
+de quelques-unes d'entre elles.</p>
+
+<p>Mais à côté de cette grande lutte collective,
+il y a une autre «lutte pour la santé», tout
+individuelle, qui se livre tous les jours dans la
+vie de chacun de nous. Celle-là est une forme
+de la loi universelle de la lutte pour l'existence.
+Sans cesse, depuis l'instant où nous naissons,
+notre organisme tend à maintenir ou à rétablir
+cet équilibre de ses forces que l'on appelle «la
+santé»; et sans cesse une foule d'influences,
+intérieures ou venues du dehors, tendent à
+détruire cet équilibre, éminemment instable.</p>
+
+<p>Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge,
+le sexe, l'hérédité, les conditions de la vie:
+mais toutes travaillent, en nous, à la même fin;
+et l'on peut dire que l'histoire entière de notre
+vie physique n'est que l'histoire des péripéties
+de la «lutte» incessante qui se déroule entre
+elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer
+dans son être. Et si, parmi ces influences
+hostiles à notre santé, beaucoup ont un caractère
+fatal et inévitable, s'il y a malheureusement
+beaucoup de causes de «maladie» contre
+lesquelles nous sommes désarmés, il y en a
+aussi un très grand nombre qui peuvent être
+évitées, ou combattues victorieusement. Toute
+la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la
+nature dans sa lutte contre elles.</p>
+
+
+
+<p>Mais la médecine est moins une science qu'un
+art. De la multiplicité des circonstances, de la
+diversité des esprits, il résulte que chaque
+médecin, quand il est parvenu à un certain
+point de sa carrière, s'aperçoit que l'ensemble
+de ses observations et de ses réflexions l'a amené
+à se faire une expérience propre, personnelle,
+des conditions générales de la «lutte pour la
+santé» et des moyens d'aider l'organisme à la
+bien conduire. C'est le fruit de mon expérience
+particulière que j'ai essayé de recueillir et de
+présenter, dans le livre que voici.</p>
+
+<p>De longues années de pratique médicale m'ont
+donné l'occasion de voir, sous des aspects très
+variés, la naissance et l'évolution de la «maladie».
+J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de
+traitement, anciennes et nouvelles. Pénétré,
+dès le début, de l'importance de la tâche qui
+m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir
+aucun parti pris d'école ni de doctrine, de ne
+rien rejeter ni de ne rien admettre sans l'avoir
+contrôlé, de borner toujours mon ambition à
+empêcher ou à soulager la souffrance par tous
+les moyens,&mdash;que l'idée de ces moyens me
+vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou
+non approuvés par les autorités du moment,
+qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier
+ou à celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru
+déjà une grande partie de ma route, il
+m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter
+les autres de tout ce que mon expérience,
+ainsi acquise, pouvait contenir d'intéressant et
+d'utile pour eux.</p>
+
+<p>C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout
+le monde. Je n'ai pas voulu en faire une thèse
+scientifique, mais plutôt quelque chose comme
+ces <i>Conseillers de la Santé</i> que l'on était assuré
+de trouver, autrefois, au chevet du lit de nos
+grands-parents. Laissant aux ouvrages spéciaux
+l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs
+extérieurs où notre organisme est sans cesse
+exposé, je m'en suis tenu aux différentes manifestations
+de ce que j'appellerai, d'un terme
+général, la «maladie», en entendant par là
+cette rupture de l'équilibre normal de nos forces,
+cette dépréciation plus ou moins complète de
+notre capital biologique, qui se produit, tôt ou
+tard, dans l'existence de chaque créature
+humaine, et s'exprime par une variété infinie
+de symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer
+les principales causes qui, aux différents âges,
+depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent
+de compromettre ou de détruire la santé; et
+surtout j'ai essayé de montrer, au fur et à
+mesure, par quels moyens ces causes peuvent
+être évitées, ou leurs mauvais effets heureusement
+réparés.</p>
+
+<p>Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être
+le lecteur, accoutumé aux complications savantes
+de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité
+même lui semblera peut-être avoir quelque chose
+de révolutionnaire. C'est un danger que j'ai
+prévu, et que, certes, je n'affronte pas de gaîté
+de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon
+livre qui ne dérive, à la fois, d'une expérimentation
+méthodique et de réflexions patiemment
+mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque
+chose, en une matière aussi variable et aussi
+délicate, je suis sûr de l'efficacité des
+avertissements et des conseils qu'on trouvera ici.
+Puissent-ils seulement être entendus, et porter
+leur fruit!</p>
+
+
+
+<p>Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant
+ouvrage de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur <i>Les Origines
+de la «maladie»</i> (1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de
+n'avoir pas pu en citer certaines pages qui s'accordent avec
+les idées que j'ai moi-même exprimées sur plusieurs points,
+et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop
+d'importance aux symptômes en pathologie.</p>
+
+
+<br><br><br>
+<h2>LA LUTTE
+POUR LA SANTÉ</h2>
+
+
+
+<h3>PREMIÈRE PARTIE</h3>
+
+
+
+<h4>CHAPITRE I</h4>
+
+<h4>LE CAPITAL BIOLOGIQUE</h4>
+
+
+<p>L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les
+connaissances humaines, un rôle considérable; ce
+n'est une nouveauté pour personne, mais cette
+vérité nous a été récemment rappelée, et exposée
+avec une clarté nouvelle, par le remarquable travail
+de M. Poincaré, intitulé: <i>La Science et l'Hypothèse.</i>
+Il y est démontré que ni les mathématiques,
+ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient
+exister si elles n'avaient pour point de départ
+des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré, plusieurs
+sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables,
+et, une fois confirmées par l'expérience,
+deviennent des vérités fécondes; les autres, sans
+pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous
+être utiles en fixant notre pensée; d'autres enfin
+(comme le <i>postulatum</i> d'Euclide) ne sont des hypothèses
+qu'en apparence, et se réduisent à des définitions
+et à des conventions déguisées». Plus
+encore que les sciences dites exactes, les études
+biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse,
+car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que
+«nous n'y savons le tout de rien.»</p>
+
+<p>Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser
+les sciences biologiques, mais simplement
+pour m'aider à fixer ma pensée, je demanderai, à
+mon tour, qu'on m'accorde une sorte de <i>postulatum</i>,
+qui nous aidera à nous rendre compte de la plupart
+des phénomènes de la biologie et de la pathologie.</p>
+
+<p>Voici ce <i>postulatum</i>:</p>
+
+<p>Je supposerai que chaque être, en naissant,
+reçoit un certain capital d'énergie vitale, de la
+valeur et de l'emploi duquel dépendront et sa
+santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts
+variables suivant chaque individu et suivant
+chaque période de la vie. J'ajouterai que ce capital
+peut être, à toute période de la vie, amoindri par
+une cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit
+sont également variables aux diverses périodes
+de la vie.</p>
+
+<p>Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent
+travail sera d'étudier, d'un bout à l'autre de la
+vie, la meilleure manière de faire valoir ce capital, et
+de le défendre contre les influences qui ne cessent
+pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on
+appelle les «causes morbigènes», et leurs assauts
+sont ce qu'on appelle les «maladies».</p>
+
+<p>L'homme malade est donc, dans notre hypothèse,
+celui qui vient de subir une de ces diminutions de
+son capital biologique: d'où il résulte que, avant
+d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous
+devons d'abord envisager le capital initial, et les
+causes qui en font varier la valeur.</p>
+
+<p>Considéré au point de vue théorique, c'est-à-dire
+en négligeant les influences qui peuvent le faire
+accidentellement diminuer, le capital initial est
+comparable à la force qui lance un projectile dans
+l'espace. Or, les mathématiciens savent exactement
+quelle doit être la courbe parcourue par le projectile,
+du moment qu'ils connaissent la vitesse initiale et la
+masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi,
+prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si
+nous pouvions connaître exactement le capital de
+vie qu'il apporte en naissant. Mais le fait est que,
+chez les différents êtres humains, le capital initial
+varie dans des proportions si énormes que nous
+ne pouvons guère nous flatter d'en avoir une notion
+précise.</p>
+
+<p>Pour des causes que nous chercherons à analyser,
+il y a des êtres chez qui le capital initial est
+nul: ce sont eux qui meurent en naissant, ou un
+ou deux jours après leur naissance, sans «maladies»
+ni lésions appréciables; tels certains enfants de
+syphilitiques, qui meurent parce qu'il n'ont pas la
+force de vivre.</p>
+
+<p>A l'autre extrémité de l'échelle se placent les
+aristocrates de la santé, doués d'un capital énorme,
+et qu'on voit atteindre à des âges avancés sans avoir
+jamais été malades, sans avoir jamais pris de précautions
+spéciales pour conserver leur santé.
+Ainsi, j'ai connu, non comme médecin, mais
+comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze
+ans, et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre
+indisposition. On peut même dire qu'il est mort
+sans «maladie»; il a tout simplement cessé de vivre,
+comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse
+de progresser et rentre dans l'immobilité.</p>
+
+<p>Entre ces deux extrêmes se trouve une variété
+infinie d'intermédiaires; et l'on peut dire qu'il n'y
+a pas deux personnes ayant le même capital biologique
+initial.</p>
+
+<p>Cependant les différences dans le capital initial
+ne sont pas si grandes qu'on ne puisse, tout au
+moins, en déterminer les causes principales, dont
+l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance
+majeure. Ces causes peuvent être groupées sous
+trois chefs:</p>
+
+<p>1° Les influences héréditaires;</p>
+
+<p>2° La valeur actuelle des générateurs au moment
+de la conception;</p>
+
+<p>3° Les influences qui ont pu atteindre le produit
+pendant la gestation.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<h4>CHAPITRE II</h4>
+
+
+<h4>HÉRÉDITÉ</h4>
+
+<p>L'hérédité tient une place considérable dans tous
+les problèmes de la vie; et, comme l'indique bien
+l'étymologie du mot <i>hoerere</i>, (être attaché), tout être
+vivant est relié à un long passé ancestral. Les végétaux
+eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le
+souci des horticulteurs n'est-il pas de créer, par de
+savants procédés de culture et d'habiles sélections,
+des types capables de transmettre par hérédité certaines
+qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au
+jour où, quand ils ont voulu trop profondément ou
+trop vite forcer la nature, la plante revient à son
+état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été
+trop surmenée. Et les mêmes observations sont
+familières aux éleveurs qui cherchent à perfectionner
+les races d'animaux domestiques.</p>
+
+<p>Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant
+que la constitution organique, la manière
+d'être physique ou mentale, se transmet des parents
+aux enfants ou aux descendants.</p>
+
+<p>L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui
+constitue les grands traits de caractère si différents
+de chaque race; c'est elle qui fait que les vertus,
+les vices, les passions, les haines, se transmettent
+dans le sein des familles aussi bien que la beauté,
+la couleur des yeux, la taille, etc. Souvent elle est
+directe, c'est-à-dire qu'elle provient du père ou de
+la mère; parfois elle saute une ou deux générations;
+d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le
+type d'un parent de la ligne collatérale qui prend
+la place. Mais il est rare que, dans le cours de la
+vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque.</p>
+
+<p>Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout
+temps. Dans son langage imagé, la Bible nous dit
+qu'«il a encore les dents agacées, celui dont l'ancêtre
+de la septième génération a mangé des raisins
+verts.» Si cette parole était l'expression exacte de
+la vérité, elle serait bien décevante, car elle paralyserait
+tous les efforts destinés à lutter contre les
+tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement
+protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des
+tares héréditaires; et la vérité est que l'influence
+de l'hérédité est modifiée grandement par la tendance
+qu'a tout être vivant à retourner à son type
+primitif, comme aussi par les influences du croisement,
+en vertu desquelles l'un des générateurs
+peut rectifier la tare transmise par son partenaire.
+Ce n'est que quand les deux générateurs ont les
+mêmes tares que l'hérédité sévit avec son maximum
+d'intensité; et alors non seulement les tares s'ajoutent,
+mais elles semblent se multiplier l'une par
+l'autre, au point de rendre l'enfant incapable de soutenir
+la lutte pour l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a
+pas la force de transmettre la vie. Ainsi s'éteignent
+les familles par les «maladies» héréditaires, à moins
+qu'un des membres de la race déchue, revenant
+pour ainsi dire au type primitif, ne porte en lui une
+force de réaction insoupçonnée,&mdash;héritage peut-être
+d'un passé plus lointain,&mdash;qui lui permette de
+reconstituer la famille.</p>
+
+<p>Telles sont les considérations générales qu'il
+m'a semblé utile d'indiquer, parce qu'il en pourrait
+sortir un grand nombre de conclusions pratiques
+pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent que
+j'insiste sur quelques détails plus particuliers.</p>
+
+<p>D'abord, l'hérédité de la longévité.</p>
+
+<p>Il est des familles où l'on meurt vieux, de père
+en fils. On dirait des horloges remontées pour
+sonner à peu près le même nombre d'heures. Il
+est d'autres familles où tout le monde meurt jeune,
+sans cependant qu'on puisse incriminer des «maladies»
+spéciales. Pourquoi? Force est bien de le
+dire, nous ne le savons pas.</p>
+
+<p>Notons, en passant, combien sont erronées les
+théories qui attribuent à l'homme moyen une longévité
+moyenne, calculée d'après l'époque de la
+soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la
+croissance: suivant les calculs de Flourens, cette
+moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est là une
+simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune
+observation sérieuse.</p>
+
+<p>Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur
+des moyennes de ce genre, et sur le calcul des probabilités,
+que sont basés les statuts des compagnies
+d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable
+de supputer la longévité probable d'un individu
+donné, quand on est en mesure d'apprécier
+son capital biologique et la façon dont il sait s'en
+servir. Mais dire que l'homme est bâti pour vivre
+cent ans, parce que, dans les espèces animales, la
+longévité a cinq fois la durée de la croissance, et
+que, chez l'homme, la durée de la croissance est
+de vingt ans, c'est établir une théorie sur des
+bases absolument fragiles.</p>
+
+<p>Plus importantes encore que la plus ou moins
+grande longévité des parents, sont, pour nous, certaines
+particularités de leur état pathologique, qui
+retentissent d'une façon souvent très profonde sur
+la valeur de leurs enfants.</p>
+
+<p>On sait, par exemple, les influences néfastes de
+l'alcoolisme héréditaire, qui non seulement restreint
+la natalité, mais condamne ceux qui naissent
+à une mort rapide.</p>
+
+<p>La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire,
+elle semble la favoriser, et tout le monde
+connaît, en effet, de ces nombreuses familles fauchées
+par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs
+s'obstinent à mettre au monde de nouvelles
+victimes: aucune ne survit, à moins qu'un
+traitement médical bien compris ne vienne mettre
+fin à cette lamentable situation <a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup>1</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"></a><b>Note 1:</b><a href="#footnotetag1"> (retour) </a> Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette polynatalité
+des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on serait tenté
+d'appeler la loi de protection des faibles.<br>
+
+<p>N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres
+sans défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction
+auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde
+animal. Les animaux puissants, armés pour la défense ou pour
+la lutte, sont toujours de médiocres générateurs; l'éléphant, par
+exemple, ne donne naissance qu'à un nombre très restreint d'individus,
+la femelle porte longtemps; même remarque pour le
+lion. Au contraire, les animaux sans défense, se multiplient avec
+une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les lapins
+d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette
+colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de
+toute mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau
+pour l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de
+moyens ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se
+cacher. Dans l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples
+admirablement bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas
+d'enfants? Nous ne parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux,
+enfants; car ici intervient un autre facteur, la restriction
+volontaire; mais de ces ménages exemplaires, où la venue d'un enfant
+serait une joie, et qui restent stériles, sans que rien dans l'état
+des conjoints explique cette stérilité.</p>
+
+<p>Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point
+de vue de la santé, mettent au monde de nombreux enfants,
+qui bien souvent constituent pour eux une richesse négative.
+Ces malheureux portent le beau nom de prolétaires <i>(proles,
+race)</i>.</p>
+
+<p>Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini.
+Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi
+tel couple ne donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à
+des garçons? C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique
+de la mère était sensiblement inférieure à celle du père. Quand il
+y a une disproportion marquée entre les deux générateurs, l'enfant
+qui naît a le sexe du générateur qui vaut le moins.</p>
+
+<p>Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine
+de vie et de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque
+toujours un garçon.</p>
+
+<p>Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles
+s'observe pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans
+défense: elles pullulent partout, on les trouve sous toutes les
+latitudes, à toutes les altitudes; au contraire, celles qui se
+défendent, ont ce qu'on appelle en botanique des «aires» très
+limitées.</p>
+
+<p>Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi:
+les métaux qui se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément
+parce qu'ils sont rares et incorruptibles (mais non
+incorrupteurs) que l'homme les a pris comme représentant la
+valeur du travail. L'or, par exemple, que rien n'attaque, est plus
+rare que les métaux qui s'oxydent facilement, tels que le fer, le
+cuivre.</p>
+
+<p>Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une
+rareté qui lui donne tout son prix.</p>
+
+<p>C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids
+aux lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.)
+que résulte un équilibre presque stable dans le monde des êtres
+créés.</blockquote>
+
+<p>La syphilis est un des principaux facteurs de
+dégénérescence. On commence seulement à connaître
+l'étendue de ses ravages. On sait aujourd'hui
+qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les
+fait mourir avant leur naissance, ou le jour même de
+leur naissance; qu'elle se traduit plus souvent
+encore, dans les deux premiers mois qui suivent la
+naissance, par des accidents contagieux; que, dans
+les premières années de la vie, elle entraîne la
+mort par méningite (méningite spéciale que l'on
+prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse,
+et qui serait justiciable d'un énergique traitement
+anti-syphilitique).</p>
+
+<p>On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la
+syphilis des générateurs provoque, à l'âge de huit,
+dix, quinze ans, des dystrophies, parfois des accidents
+tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce
+sont là des curiosités scientifiques.</p>
+
+<p>Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle
+proportion la syphilis des parents diminue la
+valeur biologique des enfants en apparence bien
+nés, c'est son influence sur les produits de la
+deuxième et même de la troisième génération.
+C'est là la science de l'avenir<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup>2</sup></a>.</p>
+
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"></a><b>Note 2:</b><a href="#footnotetag2"> (retour) </a> Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de la
+syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons
+laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les
+efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes
+vérités.<br>
+
+<p>Il existe une <i>Société internationale de prophylaxie sanitaire et
+morale</i> contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles,
+et ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc.,
+qui toutes poursuivent un but commun: faire connaître les
+méfaits des «maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du
+possible et par tous les moyens possibles.</p>
+
+<p>La société française est certainement l'une des plus actives:
+sous la vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur
+Fournier, elle a déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est
+fondée.</p>
+
+<p>Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies,
+dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et
+des nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle,
+l'opinion publique commence à s'intéresser au redoutable problème,
+on ose envisager en face la syphilis, on ose prononcer
+son nom, et tout fait espérer que l'action de la Société de prophylaxie
+sera au moins aussi utile que celle des ligues contre l'alcoolisme
+et la tuberculose.</p>
+
+<p>Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on
+ne modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la
+tuberculose? Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre
+état social, tant qu'il y aura l'affreuse misère et la promiscuité.
+Tandis qu'on peut beaucoup contre la syphilis, «maladie» évitable
+s'il en fut, «maladie» essentiellement curable. Mais il faut la faire
+connaître dans tous les milieux, son danger provenant de l'ignorance.
+C'est surtout contre cette ignorance que lutte la Société
+française de prophylaxie sanitaire et morale à laquelle devraient
+être affiliés tous les gens de bien, toutes les personne soucieuses
+de l'avenir de la nation.</blockquote>
+
+<p>L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable
+qu'on se plaisait à le dire? Non. Voilà, du moins,
+ce qu'affirment la science expérimentale et l'observation
+des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux.
+Mais, dans la pratique, il serait sage de se
+conduire comme si la tuberculose était héréditaire:
+1° parce que les enfants de tuberculeux sont, par cela
+même qu'ils vivent dans un milieu contaminé,
+exposés à la contagion<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3"><sup>3</sup></a>; 2° parce que l'enfant, s'il
+n'hérite pas do la tuberculose, hérite incontestablement
+de la prédisposition à devenir tuberculeux. Il
+ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable:
+de sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension
+qu'avaient nos pères au sujet de l'hérédité
+de la tuberculose était parfaitement légitime.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" name="footnote3"></a><b>Note 3:</b><a href="#footnotetag3"> (retour) </a> Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de tuberculeux
+a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est
+de prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore
+sains, pour les faire élever à la campagne dans des familles saines.
+C'est ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre
+la tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre
+scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à
+sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique;
+elle a fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des
+demandes des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre
+la nécessité de se séparer de leurs enfants encore sains pour les
+confier à des familles de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés
+par ses médecins, et offrant toutes garanties de moralité. Cette
+Oeuvre, bienfaisante à plusieurs titres, est en outre <i>économique:</i>
+chaque pupille ne coûte en effet qu'un franc par jour, parce que
+tous les dévouements sont gratuits. Cette faible somme d'un
+franc, bien employée, sans aucune fuite, sert ainsi les intérêts de
+deux familles et sauve la vie d'un enfant.</blockquote>
+
+<p>L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée.
+Tout est obscur dans la question du cancer: son
+étiologie, ses modes de transmission, ses variétés
+d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes
+ces incertitudes, malgré les belles promesses de la
+sérothérapie, de la vaccination anti-cancéreuse, et
+de la radiothérapie.</p>
+
+<p>En résumé, l'hérédité est le principal facteur de
+la valeur biologique des individus. Chacun, de par
+son hérédité, naît avec une valeur différente: l'inévitable
+inégalité sociale existe non seulement le
+jour de la naissance, mais le jour même de la conception.</p>
+
+<p>C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la
+différente valeur des différents organes. Beaucoup
+naissent avec un organe plus faible que les autres,
+de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir
+compte de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il
+se trouve en face d'un malade quelconque.</p>
+
+<p>Les organes qui subissent le plus notablement
+la tare héréditaire sont: le système nerveux, le
+coeur, et les reins.</p>
+
+<p><i>A</i>) Les tares nerveuses se transmettent avec une
+constance redoutable; et c'est à juste titre qu'on
+craint les alliances avec des sujets dont les parents
+sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme
+exagéré.</p>
+
+<p>Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de
+l'hérédité nerveuse à des limites excessives: car,
+ainsi que je l'ai dit, nous devons compter avec une
+sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle
+l'être naissant est débarrassé de sa tare ancestrale;
+l'hérédité n'est jamais absolument fatale. Et nous
+devons prévoir aussi les atténuations que peuvent
+amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse
+du père peut très bien être atténuée par le bon
+équilibre nerveux de la mère, le croisement bien
+compris entraînant une sorte de régénération.
+Enfin, il est certaines «maladies» nerveuses qui ne
+se transmettent jamais par hérédité: telle la
+paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme
+est mort dans un asile, par le fait de la paralysie
+générale, il ne faut pas conclure que ses descendants
+soient menacés de folie, ou même de tares nerveuses.
+Le paralytique général a pris la «maladie»
+uniquement pour son compte, et il ne la transmet
+pas plus que ne transmettrait sa tare nerveuse
+un homme qui serait, accidentellement, empoisonné
+par le plomb. Tout ce qu'on peut dire du paralytique
+général, c'est que, neuf fois sur dix, c'est
+un syphilitique, et que sa descendance peut être
+entachée de syphilis au même titre que la descendance
+d'un syphilitique quelconque.</p>
+
+<p><i>B</i>) L'hérédité des cardiopathies est également
+très intéressante à étudier: elle n'est pas assez
+connue.</p>
+
+<p>Il y a des familles dans lesquelles tous les membres
+succombent aux affections cardiaques. C'est
+donc que, là, les enfants apportent, en naissant, un
+point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose
+curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne
+devient perceptible, chez ses divers membres, qu'à
+des âges plus ou moins avancés. Vers trente ans,
+l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou
+sept ans plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre,
+tout en ayant le coeur sain à l'auscultation, succombera
+par le coeur, dans le cours d'une pneumonie.
+«La «maladie» était au poumon, et le danger au
+coeur» (Huchard). Un troisième membre mourra à
+cinquante ans, à son quatrième accès d'angine de
+poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la
+moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre
+affection capable de déterminer des lésions cardiaques.
+Enfin un quatrième aura de la tachycardie
+paroxystique. Et tout cela parce que la mère des
+quatre enfants aura eu, avant la naissance du premier,
+le coeur touché accidentellement par le rhumatisme;
+je connais même une famille où l'hérédité
+remonte à deux générations: presque tous les
+membres de cette famille sont des cardiopathes.</p>
+
+<p>C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale
+mérite d'être signalé au même titre. On connaît l'albuminurie
+héréditaire et familiale: mais les récents
+travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont
+démontré, en outre, qu'une mère atteinte de
+néphrite donne naissance à des enfants dont les reins
+sont moins résistants aux infections et aux intoxications,
+ou même sont altérés au point d'entraîner
+la mort dès les premiers jours de la vie.
+De plus, chacun naît avec une prédominance de
+tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le
+système nerveux qui présente un développement
+hors de proportion avec les autres systèmes organiques;
+chez d'autres, c'est le système musculaire.</p>
+
+<p>Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement
+parler, des malades, ni même des candidats à la
+«maladie»; ils peuvent avoir un excellent capital
+biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas
+commettre de fautes dans la direction à leur conseiller.
+Et nous retrouverons cette importante
+donnée quand nous parlerons des grands problèmes
+de l'éducation.</p>
+
+<p>Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette
+singulière prédominance d'un des côtés du corps
+sur l'autre que l'on observe chez la plupart des
+malades? En général, c'est le côté gauche qui est le
+plus faible; c'est lui qui est le siège des névralgies,
+des pneumonies, des misères variées que les
+malades accusent; c'est lui qui est le plus faible
+au dynamomètre; et tout le monde sait que la main
+gauche est, en général, moins habile que la main
+droite; le langage courant traduit cette infériorité,
+en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile.
+Chez d'autres, au contraire, c'est le côté droit du
+corps qui est le siège de toutes les douleurs névralgiques,
+rhumatismales, sans pour cela que ces
+malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir
+recherché la part de l'hérédité dans cette répartition
+inégale de l'influx nerveux, que je ne fais
+que signaler en passant.</p>
+
+<p>Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de
+voir, et qui doit en former pour nous la conclusion
+pratique, c'est que, pour difficile que soit la connaissance
+précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être
+n'y a-t-il pas de point sur lequel l'attention
+du clinicien doive se porter plus soigneusement!
+En présence d'un malade, notre premier effort doit
+être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses
+parents; et les résultats de cette première enquête
+doivent toujours nous être présents à l'esprit, tout
+dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais
+surtout quand nous aurons à diriger sa santé.</p>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE III</h4>
+
+<h4>CONCEPTION</h4>
+
+<p>L'influence de la valeur actuelle des générateurs,
+au moment de la conception, est à peine soupçonnée,
+et le fait est qu'il serait bien difficile de la
+démontrer; elle doit être, cependant, considérable,
+et il y a tout lieu de croire que la valeur d'un
+individu à naître varie du tout au tout selon qu'il a
+été conçu dans de bonnes ou de mauvaises conditions.</p>
+
+<p>Depuis longtemps, les médecins protestent contre
+les voyages de noces. On ne saurait trop faire
+campagne contre cette coutume, tout au moins antihygiénique.
+Considérez, en effet combien s'accumulent
+les conditions déplorables pour la procréation,
+chez deux conjoints dont le système nerveux
+a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires
+du mariage, par la fatigue des journées
+consacrées à sa célébration, par les émotions inséparables
+de cet acte important de la vie! Et voilà
+ces jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour
+un voyage lointain, qui s'exposent à des fatigues
+de toute sorte, à la déplorable alimentation de
+l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de résidence
+tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions
+que, sans recueillement, à la légère, ils accomplissent
+l'acte qui doit donner <i>la vie</i>.</p>
+
+<p>Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte
+conjugal s'opère à la suite de repas copieux, dans
+des conditions non moins déplorables.</p>
+
+<p>Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion
+de la jeune femme, trop souvent surprise par
+les conditions nouvelles de l'existence qu'elle a
+adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait
+le professeur Pinard: « En plein XXe siècle, nous
+procréons comme les hommes des cavernes. »</p>
+
+<p>Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose
+que d'appeler l'attention sur un mal dont presque
+personne ne soupçonne l'importance, en dehors du
+monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi
+dire, d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra
+le danger.</p>
+
+<p>Appelons aussi l'attention sur un point délicat:
+sur la nécessité de faire l'éducation de la jeune
+fille, pour qu'elle sache ce qu'est le grand acte de
+la procréation.</p>
+
+<p>Je vois d'ici les mères françaises frémir, et
+s'armer en guerre les bataillons de ceux qui confondent
+la pudeur avec la pudibonderie. Nul doute,
+cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans
+nos moeurs, à cet égard, et dans tous les milieux
+sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler ce que dit la
+Bible, dans le livre de <i>Tobie</i>, chapitre VII? Le fils
+du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël,
+allait épouser Sara, fille de Raquel, laquelle avait
+vu mourir subitement ses sept premiers maris,
+aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour
+lui éviter pareil sort, l'ange donnait au jeune
+homme les conseils suivants: « Lorsque des personnes
+s'engagent tellement dans le mariage
+qu'elles bannissent Dieu de leur coeur et de leur
+esprit et qu'elles ne pensent qu'à satisfaire leur
+brutalité, comme les chevaux et les mulets qui
+sont sans raison, le démon a pouvoir sur elles.
+Mais pour toi, après que tu auras épousé cette fille,
+étant entré dans la chambre, vis avec elle en continence
+pendant trois jours, et ne pense à autre
+chose qu'à prier Dieu avec elle! La troisième nuit
+étant passée, tu prendras cette fille, dans la crainte
+du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants
+plutôt que par un mouvement de passion, afin que
+vous ayez part à la bénédiction de Dieu. »</p>
+
+<p>Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend
+pas, pour procréer, plus de précautions qu'à l'époque
+des premières ardeurs; c'est également une faute
+dont se ressent le produit de la conception.</p>
+
+<p>Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de
+la procréation. Ce traité, conçu dans un esprit
+large, libéral, scientifique, qui tiendrait compte de
+tous les éléments du problème, c'est-à-dire non
+seulement du point de vue médical, mais aussi de
+l'élément passionnel, répondrait à un véritable
+besoin.</p>
+
+<p>Et un chapitre, et l'un des plus importants,
+devrait y être consacré au traitement préventif de
+la syphilis héréditaire. Combien d'hommes atteints
+de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage,
+ignorent les bienfaits d'un traitement spécifique,
+qu'ils suivraient deux ou trois mois avant de se
+marier, pour préserver leurs enfants de la terrible
+«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer
+ce traitement préventif, alors même qu'ils
+savent que le générateur a eu la syphilis! Mais
+je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet.</p>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE IV</h4>
+
+<h4>GESTATION</h4>
+
+<p>Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant
+la gestation, nous n'avons aucune donnée précise
+à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par
+exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse
+pénible, voire même des vomissements incoercibles,
+donnât naissance à un enfant plus spécialement
+faible; inversement même, bien des femmes
+d'une santé médiocre ont des grossesses superbes.
+J'étonnai fort une malade, un jour, en lui disant
+qu'elle ne devait aller bien que pendant ses grossesses.
+C'est qu'elle avait de la ptose abdominale,
+et que la grossesse devait lui produire l'effet d'une
+sangle, en soutenant les organes. Mais il n'est
+guère vraisemblable qu'un état de santé aussi artificiel,
+et aussi transitoire, soit, pour le produit de
+la conception, un brevet de santé future.</p>
+
+<p>Par contre, les «maladies» de la mère pendant la
+grossesse ont une influence bien connue sur la
+valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne provoquent
+pas l'avortement, elles impriment à l'enfant
+une tare.</p>
+
+<p>J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif.
+Une jeune femme, au quatrième mois de sa première
+grossesse, avait eu une appendicite si nettement
+caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher,
+et moi-même, avions été sur le point de
+provoquer l'intervention d'un chirurgien. La malade
+avait pu, cependant, être traitée médicalement: mais
+l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance
+une intolérance intestinale véritablement anormale.
+Une première nourrice, choisie par l'accoucheur,
+lui a donné un lait qui a semblé trop fort,
+car l'enfant a eu, dès le deuxième jour, de la
+diarrhée verte et des vomissements. Dans l'espace
+de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours
+choisies avec le plus grand soin, n'ont pas eu
+plus de succès: à chaque nouvelle nourrice, vomissements,
+fièvre ardente, diminution rapide du
+poids. Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix
+des nourrices idéales, on était bien obligé de donner
+à l'enfant du simple lait de vache coupé; alors il
+allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait
+très vite, la vie revenait: de telle sorte que,
+après ces quatre tentatives d'allaitement par le lait
+de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin,
+pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet
+enfant a probablement un intestin extrêmement délicat,
+à cause de l'appendicite de sa mère pendant la
+gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé
+coupé!» Et il eut raison; grâce à d'infinies
+précautions, à une surveillance méthodique, l'enfant
+put être élevé.</p>
+
+<p>Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends
+pas faire le panégyrique de l'allaitement
+artificiel: je ne le cite que pour prouver comment
+la «maladie» d'un organe de la mère pourrait
+bien avoir une répercussion sur le fonctionnement
+du même organe, chez l'enfant qu'elle porte en son
+sein.</p>
+
+<p>Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions
+de la mère, pendant la grossesse, peuvent avoir un
+retentissement sur la qualité du produit. Et de là
+dérive le devoir strict, pour la société, de protéger
+la femme enceinte. Quelques philanthropes l'ont
+bien compris; mais cette notion n'a pas assez
+pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est
+un scandale, pour une nation civilisée, de voir le
+peu qui est fait pour assister la femme enceinte,
+pour lui épargner les soucis de l'avenir prochain et
+les fatigues des derniers jours de la gestation.</p>
+
+<p>Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme.
+S'ils naissent avant terme par le fait de la «maladie»
+des générateurs, de la syphilis par exemple, leur
+valeur biologique est sensiblement réduite, et peut
+même être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant
+terme accidentellement, par exemple à la suite
+d'une chute de leur mère, ou d'une intervention
+obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup
+moins compromis qu'on ne le croit dans le public
+non médical. Le tout est de leur assurer une température
+qui se rapproche de celle qu'ils avaient
+dans le sein maternel.</p>
+
+<p>Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les
+modèles de couveuses artificielles. Ces appareils,
+certes, peuvent rendre des services; mais il ne
+faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer,
+en préservant l'enfant du froid, ce qui s'obtient:
+1° en chauffant convenablement sa chambre, et
+en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en
+sachant l'alimenter dès sa naissance. Ce second
+problème est difficile; pour le résoudre, il faut se
+rappeler une grande loi que nous retrouverons
+plusieurs fois dans le cours de cette étude, et
+qui consiste à proportionner la valeur nutritive
+de l'aliment, et le nombre de prises alimentaires,
+à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant
+terme, on donnera donc, toutes les demi-heures,
+une cuillerée à café de lait, coupé de 2/3 d'eau
+bouillie sucrée.</p>
+
+<p>L'enfant va naître; quel préjudice lui cause
+l'accouchement au forceps? Nous ne pouvons pas
+nous défendre de redouter, pour notre part, la
+compression colossale qu'impose l'application du
+forceps à la masse cérébrale de l'enfant. Mais
+l'étude approfondie de cette question, qui aurait
+pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a
+pas encore été faite, à notre connaissance du
+moins, d'une façon suffisante. En tout cas, on est
+en droit de considérer comme coupable une intervention
+au forceps faite pour gagner du temps,
+ou pour faire valoir l'importance des soins obstétricaux.</p>
+
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE V</h4>
+
+
+<h4>LES INFLUENCES MORBIGÈNES
+ET LES SYMPTOMES MORBIDES</h4>
+
+<p>L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne
+ne le sait, sauf dans les cas extrêmes où il vient
+au monde avec des apparences tellement misérables
+que, dès son premier vagissement, son
+infériorité saute aux yeux; c'est ce qui arrive chez
+les hérédo-syphilitiques, et rien n'est aussi navrant
+que l'apparition du petit monstre aux lieu et
+place d'un enfant bien vivant, attendu avec une
+légitime impatience. Il faut avoir assisté à ce
+spectacle pour en comprendre la poignante horreur.
+Tout le monde, sauf la mère, s'accorde alors à
+penser qu'il vaudrait mieux que l'enfant ne fût pas
+né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible de
+savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec
+lui; c'est son secret, qu'il gardera pendant toute la
+durée de son existence, mais que le médecin parviendra
+cependant à deviner en partie, s'il sait
+fouiller l'hérédité de son malade et s'inspirer des
+quelques principes que nous avons esquissés à grands
+traits dans le chapitre précédent.</p>
+
+<p>L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être
+une «lutte pour la santé», une suite d'efforts,
+volontaires ou instinctifs, pour défendre son capital
+naturel de santé contre les «influences morbigènes»
+qui vont le guetter à chaque pas.</p>
+
+<p>Ces influences morbigènes, que l'être vivant va
+rencontrer sur sa route, depuis le jour de sa naissance
+jusqu'à la fin de sa carrière, nous allons
+tout de suite les esquisser à grands traits.</p>
+
+<p>Au début, nous avions assimilé, pour les besoins
+de la théorie, l'être humain à un projectile lancé
+dans l'espace avec une vitesse initiale déterminée;
+mais, tandis que le projectile parcourt une courbe
+mathématique, qu'on appelle une parabole, la
+courbe évolutive de l'être humain est une courbe
+irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une influence
+morbigène survient, puis remonte pour osciller de
+nouveau, puis fléchir définitivement à partir d'un
+certain moment de la vie que nous appellerons le
+début de la période de déclin, et toujours avec des
+oscillations à amplitude de moins en moins considérable,
+jusqu'au moment où toutes les réserves se
+trouvent épuisées.</p>
+
+<p>La mort peut encore interrompre brusquement la
+courbe évolutive; c'est ce qui arrive quand la brèche
+faite au capital est irréparable, soit à cause de l'importance
+de l'assaut perturbateur, soit à cause de
+l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux
+influences se combinent; et le nombre de leurs combinaisons
+est incalculable.</p>
+
+<p>La variété des causes morbigènes est elle-même
+infinie; mais la nature n'a qu'un nombre limité de
+moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte que
+les causes les plus variées peuvent se traduire par
+les mêmes symptômes. Aussi accordons-nous relativement
+peu de valeur à l'étude du symptôme. Les
+symptômes s'associent de mille et une façons, pour
+constituer autant déformes morbides différentes. Que
+dis-je? Il n'est pas deux malades qui se ressemblent,
+Ce n'est que pour la facilité de l'étude que les
+pathologistes ont créé des cadres posologiques;
+mais on comprend assez que ces cadres devraient
+être aussi élastiques que possible. Le vrai médecin,
+après s'en être servi pour faire d'excellentes études,
+ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire abstraction,
+de penser et d'agir comme si les cadres
+n'existaient pas. Et un moment viendra même,
+quand son expérience clinique sera suffisante, où
+il aura tout intérêt à faire table rase des notions
+qu'il a péniblement accumulées par un travail assidu
+et prolongé; tout comme l'architecte, qui, une fois
+la construction terminée, fait enlever les énormes
+échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction
+de l'édifice.</p>
+
+<p>Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides
+est indispensable au clinicien, et l'on ne
+saurait apporter trop de soins à connaître, dans tous
+leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais
+il y a un écueil: c'est que, la théorie du moindre
+effort s'appliquant naturellement à l'esprit humain,
+on a une tendance involontaire à attribuer aux
+symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont
+pas; en d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une
+manifestation morbide devient, trop aisément, dans
+l'esprit du médecin, la cause de la «maladie».</p>
+
+<p>Prenons comme exemple la constipation: ce n'est
+en réalité qu'un symptôme, et qui peut se trouver
+chez une foule de malades différents. Nous ne parlons
+pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est
+d'origine mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque,
+etc.). Un mot cependant, en passant, pour dire que
+le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces
+causes mécaniques, et de traiter par des moyens
+médicaux des malades dont une intervention chirurgicale
+aurait pu prolonger la vie ou atténuer les
+souffrances.</p>
+
+<p>Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires
+de la chirurgie, n'est-il pas vrai que la constipation
+est un symptôme banal, pouvant être attribué à
+une foule de causes? Parfois, elle est due à des
+lésions d'organes lointains, par un mécanisme
+réflexe à long circuit, suivant l'ingénieuse expression
+de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions
+utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore,
+elle est due à un trouble profond du système nerveux,
+qui, avant l'apparition de la constipation,
+avait traduit son malaise par des plaintes variées.
+D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même
+temps que l'entéro-colite sa compagne, à la suite
+d'un choc brutal, moral ou traumatique.</p>
+
+<p>De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due
+tantôt à un manque, tantôt à un excès d'exercice
+musculaire. Les hommes qui ont besoin de beaucoup
+d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant
+les prédispositions héréditaires, ou des cérébraux,
+ou des goutteux, ou des lithiasiques, mais
+toujours des constipés: et leur constipation disparaît
+a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis
+de l'exercice qui leur convient. Inversement, les
+hommes qui prennent trop d'exercice deviennent
+dyspeptiques et constipés, et le lit est leur meilleur
+laxatif.</p>
+
+<p>Enfin la constipation peut tenir à une erreur de
+régime, soit à l'abus du lait (le cas est fréquent),
+soit à l'usage abusif de la viande: alors le régime
+semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer
+de régime pour voir disparaître la constipation.</p>
+
+<p>La constipation n'est donc qu'un symptôme.</p>
+
+<p>Certes, en vertu de la synergie des fonctions,
+des répercussions à distance, en vertu de ce principe
+que le système nerveux abdominal a des relations
+intimes avec le système nerveux central, que,
+d'une façon plus générale, le trouble d'un département
+quelconque du système nerveux retentit sur
+les autres départements, la constipation, bien que
+symptomatique, contribue dans une certaine
+mesure à entretenir la «maladie», ne fût-ce que par la
+préoccupation qu'elle cause au malade, et qui peut
+dégénérer quelquefois en véritable obsession.
+Mais ce qu'il faut se rappeler, quand on aborde le
+problème thérapeutique, c'est que le système nerveux
+est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien
+nous accorder que la solidité d'une chaîne est égale
+à celle du plus faible de ses anneaux, on comprendra
+l'importance qu'il y a à rechercher quel
+est l'anneau le plus faible; en d'autres termes,
+quelle est la partie du système nerveux qu'il faut
+viser et consolider, pour guérir le constipé médical.</p>
+
+<p>Il n'y a donc pas de remède contre la constipation,
+et, pour l'atteindre, il faut atteindre la «maladie»,
+dont elle constitue une des manifestations les moins
+importantes et, disons-le tout de suite, les plus
+faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler
+paradoxal, j'affirme que la constipation est, de tous
+les symptômes observés chez le constipé médical,
+celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade
+qui souffre, depuis des années, de ces misères variées
+qu'on est convenu de désigner sous le nom un
+peu vague de neurasthénie, et parmi lesquelles
+la constipation joue un rôle capital; après enquête
+minutieuse, trouvez la formule exacte de son
+régime, et par régime je n'entends pas seulement
+le régime alimentaire, mais la réglementation
+minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et
+de son travail cérébral, etc.; supprimez les agents
+thérapeutiques qui entretiennent la «maladie» (douches
+froides, exercice forcé, médicaments variés,
+diète lactée); supprimez surtout les influences qui
+entretiennent le trouble nerveux de son intestin, à
+savoir les purgatifs, lavages à grande eau, etc.: et
+vous serez étonné de voir la constipation disparaître,
+avant même toutes les autres misères. Le malade
+vous dira, au bout de huit jours: «Chose curieuse,
+docteur, je souffre encore de la tête, de l'estomac,
+du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence
+à retrouver le sommeil, et surtout je vous
+suis bien reconnaissant parce que ma constipation,
+si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je
+n'ai presque plus de peaux dans les selles, et je
+commence à reprendre confiance.» A partir de ce
+moment précis vous tenez le malade, il a en vous
+une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner
+méthodiquement, si surtout des influences étrangères
+ne viennent pas contrecarrer la vôtre, si le
+malade est assez intelligent pour s'abandonner
+entièrement à votre direction, vous lui rendrez, peu
+à peu, la santé. Il aura des rechutes inévitables:
+mais lui annoncer à l'avance ces rechutes, c'est consolider
+sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins
+importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne
+tracée par vous: s'il commet un écart de régime,
+un excès d'exercice, ou s'il a une commotion morale,
+l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée
+d'état gastrique, de douleurs abdominales, de glaires
+sanguinolentes, de fièvre quelquefois; mais ce sera
+pour le bien du malade, si vous parvenez à lui faire
+toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui
+faire comprendre que cette rechute était évitable.</p>
+
+<p>Si nous prenions une autre manifestation morbide
+quelconque, nous verrions qu'elle appartient, de
+même, à une foule d'affections. Le mal de tête, par
+exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus
+variés, n'est-il pas produit par les influences les
+plus diverses? Heureusement pour les malades, il
+n'est encore venu à l'idée de personne de trouver
+un remède applicable à tous les cas de mal de tête.
+Nous en connaîtrions un, par hasard, que nous
+nous garderions bien de le divulguer: car, si la
+médecine «du symptôme» est détestable au point
+de vue de l'étude nosographique, elle l'est encore
+plus au point de vue thérapeutique.</p>
+
+<p>Mais qu'on lise une monographie quelconque
+sur un symptôme, ou un ensemble de symptômes
+(ce qu'on appelle un <i>syndrome</i>): on y trouve toujours
+en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans
+mon article <i>Epilepsie</i> du <i>Dictionnaire Encyclopédique</i>,
+j'ai essayé de montrer combien il faut se
+méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir
+une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique
+utile des épileptiques. De même, en lisant
+ces jours-ci une intéressante étude du Dr Baraduc
+sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon,
+j'y voyais une conception qui se rapproche grandement
+de la mienne. Qu'on en juge par les quelques
+lignes que voici: «L'entéro-colite muco-membraneuse
+est un syndrome clinique dépendant
+d'un trouble fonctionnel du grand sympathique
+abdominal, des causes nombreuses et variées étant
+capables de retentir sur les plexus intestinaux et de
+troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces
+causes n'est suffisante, à elle seule, pour produire
+l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité une prédisposition
+spéciale du système nerveux, et plus
+particulièrement du sympathique abdominal, à se
+troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette prédisposition
+nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire,
+est l'apanage des neuro-arthritiques.» Si
+l'auteur voulait bien avouer seulement que cette
+expression de «neuro-arthritiques» ne fait que
+dissimuler notre ignorance, nous serions tout à
+fait d'accord avec lui.</p>
+
+<p>En résumé, si le médecin doit bien connaître
+dans tous leurs détails, sous tous leurs aspects,
+dans leurs moindres nuances, les manifestations
+morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie,
+et ne pas s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En
+un mot, il doit voir de haut pour voir loin, à condition
+toutefois de ne pas se perdre dans les
+nuages.</p>
+
+<p>Quelquefois, tous les systèmes organiques sont
+troublés à la fois sous l'influence d'une cause morbigène.
+C'est ce qui arrive, par exemple, à la suite
+d'un choc traumatique violent, On voit, du jour
+au lendemain, le blessé devenir à la fois dyspeptique,
+déséquilibré abdominal, constipé avec entérite
+muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et
+il peut rester longtemps dans ce misérable état
+qu'on désigne sous le nom d'<i>hystéro-neurasthénie
+traumatique.</i></p>
+
+<p>La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent
+également à la fois, tous les appareils
+de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la
+sidération peut être telle que le capital vital initial
+et les réserves antérieures se trouvent tout à coup
+épuisés: c'est la banqueroute totale, c'est la mort.
+D'autres fois, le capital et les réserves ne sont
+que profondément entamés. C'est la «maladie» grave,
+aggravée encore par des médications et des pratiques
+intempestives; à un moment donné, le capital
+peut être réduit à si peu de chose, que la moindre
+dépense suffit pour l'anéantir. Le malade est une
+flamme vacillante que le moindre souffle peut
+éteindre, mais à laquelle un savant dosage d'oxygène
+rendra, peu à peu, la vie.</p>
+
+<p>Quand le capital est moins profondément atteint,
+ou quand la cause morbigène est moins importante,
+les troubles fonctionnels, au lieu d'être généralisés,
+atteignent plus spécialement tel ou tel
+organe: l'organe le plus faible, qu'il soit plus
+faible par le fait de l'hérédité ou par le fait d'une
+atteinte antérieure. Mais, en vertu de la synergie
+qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel
+ne reste pas longtemps limité à un organe
+ou à un système organique. Voyez le grand neurasthénique:
+il est à la fois dyspeptique, entéralgique,
+cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui,
+a été le premier atteint? Impossible de le dire, après
+deux ou trois ans de «maladie». Cependant une
+enquête bien conduite peut permettre souvent de
+reconstituer son histoire pathologique, de voir par
+où la «maladie» a commencé, quel était le point initial.
+Et c'est de la connaissance de ce point faible
+initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique.
+Le médecin portera la plupart de ses efforts
+sur le point faible qu'il aura découvert, sans
+négliger, cependant, les perturbations secondaires
+attribuables à la synergie des fonctions de tout être
+vivant.</p>
+
+<p>Il arrive même, quand l'influence morbide est
+peu intense, ou quand les réserves sont bonnes,
+que le trouble de la santé ne se traduit que par un
+nombre très limité de symptômes, parfois même
+par un seul. Ainsi il y a des migraineux qui n'ont
+que de la migraine, des malades qui n'ont, comme
+manifestation morbide que le symptôme constipation,
+d'autres qui n'ont que de la sciatique; mais
+ces cas sont exceptionnels, et, en bonne clinique,
+et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il
+faut, presque de parti pris, les éliminer, et chercher
+au delà de la manifestation monosymptomatique.
+Presque toujours, alors, ou trouvera que la
+«maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence.</p>
+
+<p>De même que, dans une compagnie de chemins
+de fer, une irrégularité dans le service, minime en
+apparence, dénonce, si elle se renouvelle fréquemment,
+une mauvaise direction générale, de même, en
+biologie, il n'est pas d'indispositions insignifiantes,
+si limitées soient-elles à tel ou tel organe. L'apparition
+d'une douleur à l'épaule, par exemple, qui
+paraît une affection bien locale, est l'indice d'une
+perturbation plus profonde qu'on ne le croit du système
+nerveux central.</p>
+
+<p>Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est
+toute une doctrine qui est contenue dans cette affirmation;
+c'est que en effet c'est le système nerveux
+central qui à notre avis est le grand réservoir de
+l'énergie. C'est par lui que nous vivons, que nous nous
+mouvons, et que nous sommes. C'est lui qui dirige
+le fonctionnement de tous les organes, de sorte
+que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement,
+la névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation
+spinale, la folie, la névropathie généralisée, etc.,
+mais encore les troubles de circulation vaso-motrice
+des différents organes. En dernière analyse,
+il est la clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations
+se traduisent par les symptômes les
+plus variés, au point d'égarer presque fatalement
+le diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls.
+Quelles que soient donc la forme, la gravité, l'apparence
+de la manifestation morbide, c'est toujours
+le système nerveux central qu'il faudra étudier,
+c'est sur lui que devra porter le grand effort thérapeutique.</p>
+
+<p>Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du
+malade et surtout la cause ou la série de causes
+qui ont fait fléchir momentanément son système
+nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa
+valeur biologique.</p>
+
+<p>Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont
+multiples. Il en est qui appartiennent à tous les
+âges, mais d'autres qui appartiennent plus spécialement
+à un âge déterminé.</p>
+
+<p>Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude,
+c'est d'après ce plan que nous passerons en revue
+les principales de ces causes morbigènes. Nous
+les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain:
+1° depuis le jour de la naissance jusqu'au sevrage;
+2° du sevrage à la puberté; 3° de la puberté à l'âge
+adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes
+phases du déclin; 6° pendant la vieillesse.</p>
+
+<p>Nous introduirons, en outre, des subdivisions,
+suivant que les influences pathogènes atteignent
+plus spécialement: 1° le système nerveux digestif;
+2° le système nerveux musculaire; 3° le système
+nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie,
+nous mentionnerons les affections accidentelles qui
+portent atteinte à la fois à tous les systèmes organiques:
+nous voulons parler des «maladies» aiguës
+(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des
+intoxications (syphilis, intoxications alimentaires,
+etc.), toutes affections qui, par la brutalité de
+leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des gens
+du monde et de beaucoup de médecins, mais qui,
+en réalité, ne constituent que la partie la moins
+importante de la pathologie, surtout au point de
+vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera,
+j'espère, que cette formule n'est paradoxale
+qu'en apparence<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4"><sup>4</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" name="footnote4"></a><b>Note 4:</b><a href="#footnotetag4"> (retour) </a> Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont inévitables
+et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être
+vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui
+constituent le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail,
+en même temps qu'il dessinera à grands traits toute la pathologie,
+effleurera forcément les problèmes afférents à l'hygiène et
+a la thérapeutique, en d'autres termes, à la gestion du capital.<br>
+
+<p>L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté,
+l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun,
+constituée essentiellement par le capital initial, et par les intérêts
+qu'il rapporte.</blockquote>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE VI</h4>
+
+
+<h4>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE
+(PUÉRICULTURE)</h4>
+
+<p>Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou
+faible et qu'il sera bien ou mal géré, l'être vivant
+sera sain ou malade, donnera ou ne donnera pas
+son maximum de rendement, fournira ou ne fournira
+pas la carrière qui lui était originairement
+dévolue.</p>
+
+<p>Dans les premières années de la vie, la gestion
+du capital appartient tout entière aux parents. Bien
+peu savent élever leurs enfants; et s'il est des
+connaissances qu'on devrait répandre à profusion
+dans tous les milieux sociaux, ce sont celles relatives
+à la «puériculture», d'autant que les règles
+en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le
+démontre le <i>Traité de Puériculture</i> du professeur
+Pinard, qui devrait être entre les mains de toutes
+les mères de famille.</p>
+
+<p>Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science
+de la puériculture.</p>
+
+<p>Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à
+tout propos et hors de propos, l'alimenter intelligemment,
+lui épargner toute médicamentation
+meurtrière, le préserver du froid et des changements
+brusques de température: et c'est tout.</p>
+
+<p>Si seulement on savait la manière d'économiser
+les vies d'enfants, on pourrait le faire dans les
+milieux en apparence les plus défectueux; c'est
+ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de
+MM. Schneider, la mortalité des enfants au-dessous
+d'un an n'est que de 110 p. 1000, alors que, dans
+le canton de Vaud, renommé pour l'excellence de
+ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000.
+Ce magnifique résultat est dû surtout à l'élévation
+des salaires, qui permet aux mères de se consacrer
+librement à leur mission maternelle. Près de
+80 p. 100 des mères allaitent leurs enfants, toutes
+font de la puériculture avant la naissance. (<i>Rapport</i>
+de M. le professeur Pinard, à l'Académie de médecine,
+25 juillet 1905.)</p>
+
+<p>Il est bien évident que le capital initial ne suffit
+pour entretenir la vie que pendant quelques jours;
+il a besoin d'être sans cesse renouvelé et augmenté,
+pour permettre de faire des réserves, de donner à
+l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de
+transmettre la vie à son tour. C'est l'aliment qui
+pourvoit à ce besoin incessant; et par aliment nous
+entendons non seulement ce qui entre dans le tube
+digestif, mais aussi l'air, que les anciens définissaient
+très justement le <i>pabulum vitae</i>.</p>
+
+<p>Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa
+quantité, par une répartition vicieuse, la «maladie»
+ne tarde pas à naître; c'est là la cause essentielle
+de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait
+croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise
+alimentation du premier âge retentit sur toute la vie
+pathologique de l'individu. Quelques médecins le
+disent, le crient même, mais c'est dans le désert;
+la plupart le nient, ou passent indifférents à côté
+de cette vérité profonde. Quant aux gens du monde,
+ils en soupçonnent à peine l'importance.</p>
+
+<p>La vérité est que, quand un enfant a été mal
+nourri loin de sa famille, quand il revient de nourrice
+avec un gros ventre, on peut affirmer que,
+toute sa vie, il sera un valétudinaire.</p>
+
+<p>Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle
+de gens incompétents, ou quand, poussée par son
+médecin, qui veut mettre à l'abri sa responsabilité,
+une mère consent à abandonner les doux devoirs
+de la maternité et à confier à une nourrice l'enfant
+qu'elle aurait dû allaiter, quand à cette nourrice en
+succèdent deux ou trois autres, sous des prétextes
+quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de
+l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être
+insupportable, puis un écolier de quatrième ordre,
+dans son adolescence un raté, incapable de payer
+sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux.
+Ces considérations doivent être présentes à l'esprit
+du clinicien qui, se trouvant en face d'un
+malade quelconque, arrivé à un âge quelconque,
+doit chercher à connaître ce que vaut ce malade.</p>
+
+<p>On comprend donc l'importance du problème de
+l'alimentation dans la première enfance. En principe,
+comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de
+la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut
+faire quelque chose qui soit puissamment efficace
+et fructueux, il est nécessaire, il est indispensable
+de faire tout d'abord ce que demandait la Convention,
+et ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot,
+il faut permettre à la mère de donner ce qu'elle
+possède.» (<i>Rapport</i> du professeur Pinard à l'Académie,
+juillet 1905.)</p>
+
+<p>Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir,
+il faut recourir immédiatement à l'alimentation
+artificielle, soit avec le lait stérilisé du commerce,&mdash;dont l'innocuité est quotidiennement démontrée
+par les résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville,
+au dispensaire très habilement dirigé par
+M. le Dr Variot,&mdash;soit encore avec le lait de vache
+bien surveillé, fraîchement et proprement trait,
+sucré, plus ou moins étendu d'eau, puis stérilisé
+dans la famille, avec des appareils Sosclet, ou
+mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire».</p>
+
+<p>C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette
+«Goutte de lait» de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait
+servir de modèle à toutes les institutions du même
+genre, à cause de la simplicité de son organisation.</p>
+
+<p>Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe,
+maire de Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un
+subside de trente mille francs mis à sa disposition
+par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait»
+a déjà rendu d'importants services: elle a fait
+tomber la «maladie» des enfants de 0 à 1 an de
+288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile
+le plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000.</p>
+
+<p>La consultation des nourrissons a lieu tous les
+dimanches matin, dans un local mis à la disposition
+de l'Oeuvre par la municipalité de Saint-Pol-sur-Mer:
+120 enfants, en moyenne, sont présentés
+tous les dimanches.</p>
+
+<p>Les mères arrivent par séries, et se réunissent
+dans une grande salle chauffée où elles déshabillent
+leurs enfants. Elles pénètrent successivement
+dans la salle de consultation. Chaque enfant est
+pesé, puis examiné par le médecin, qui compare
+le poids actuel à celui du dimanche précédent,
+l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, et
+fixe le régime pour la semaine qui va commencer.
+Toute mère reçoit, soit un important secours <i>en
+nature,</i> si l'enfant est nourri au sein,&mdash;car on fait
+tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement
+maternel,&mdash;soit des biberons de lait <i>pasteurisé</i>, si
+l'enfant est à l'allaitement mixte ou artificiel.</p>
+
+<p>Le lait est distribué tous les jours au local de
+l'Oeuvre. Chaque enfant à l'allaitement artificiel a
+un double jeu de biberons et de paniers, qui lui
+sont personnels. En venant chercher les biberons
+prescrits, la mère remet ceux que l'enfant a vidés
+la veille. Un seul homme suffit pour assurer tout le
+service.</p>
+
+<p>Le lait est distribué gratuitement à tous les
+enfants indigents. Fourni à l'Oeuvre à son prix
+coûtant, il provient des étables du Sanatorium de
+Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans
+avoir été préalablement soumise à l'épreuve de la
+tuberculine.</p>
+
+<p>Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé
+Coutant: c'est-à-dire que, dans le biberon même
+où la mère devra l'utiliser pour son enfant, le lait
+est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement
+refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement
+brusque a été rendu possible par la contexture
+même du verre des flacons.</p>
+
+<p>Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes
+pathogènes, et, à l'inverse du lait stérilisé à 110°, a
+conservé toutes ses propriétés digestives et nutritives.</p>
+
+<p>Après la pasteurisation, les biberons restent
+plongés dans des bacs remplis d'eau froide, jusqu'à
+la livraison aux mères.</p>
+
+<p>La pathologie infantile est relativement simple.
+Faut-il donc, comme on le propose de divers côtés,
+faire faire à tous les étudiants en médecine un
+stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier
+aux mystères de cette pathologie? Remarquez que
+d'autres médecins demandent un stage spécial
+pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées;
+d'autres encore un stage pour l'étude des «maladies»
+nerveuses, sans parler de ceux qui voudraient un
+stage pour les «maladies» des yeux, des organes
+génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi,
+pour celles des oreilles et du nez? et, à ce compte,
+combien de temps dureraient les études médicales?
+Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils
+étaient praticables; mais ils auraient pour effet de
+restreindre plus que de raison le nombre des futurs
+médecins, et de remplacer la pléthore médicale
+actuelle par une anémie encore plus regrettable.</p>
+
+<p>Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est
+qu'il lui reste beaucoup <i>à apprendre</i>, c'est que
+toute sa vie de praticien ne sera pas trop longue
+pour savoir lire dans le grand livre de la nature.
+Mais il nous semble que, pour ce qui concerne en
+particulier la pathologie des enfants, un peu de
+bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments,
+de la patience, suffisent pour faire de bonne
+thérapeutique infantile, quand, par ailleurs, on
+connaît les lois générales de la pathologie.</p>
+
+<p>Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants,
+je me rappelle avoir été appelé en consultation,
+en province, pour un enfant de six mois soigné
+par deux distingués confrères. Il avait, depuis
+cinq jours, une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement
+rapide. Pendant les trois quarts d'heure
+que dura mon enquête, je vis cet enfant passer
+successivement des bras de sa mère dans ceux de
+la nourrice <i>sèche</i>, puis dans ceux d'une tante
+affolée, le tout pour calmer les faibles cris qu'il
+avait encore la force de pousser. J'appris que ce
+manège durait depuis deux jours, que l'enfant
+avait pris du calomel, trois fois de grands lavages
+intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures,
+à grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai
+simplement de mettre cet enfant dans son berceau
+et de l'y laisser, de lui appliquer sur le ventre un
+large cataplasme, de le laisser à la diète absolue
+pendant quatre heures puis de lui donner de l'eau
+panée, et de le laisser dormir si le sommeil pouvait
+venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé, l'enfant
+avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait
+naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau
+de riz; je conseillai de ne pas trop déranger l'enfant,
+de ne plus explorer son ventre. Le surlendemain,
+il prenait du lait écrémé pur, et j'appris
+qu'il avait retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé
+mit fin à la grave alerte, et aussi à la «maladie»,
+qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime de
+soins trop empressés.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le
+grand secret de la thérapeutique consiste à savoir
+réchauffer les enfants, tout en les tenant à la diète
+absolue pendant six ou douze heures, puis au
+régime «avec restriction des liquides» pendant deux
+ou trois jours.</p>
+
+<p>Avouons cependant que, parfois, les problèmes
+de pathologie infantile sont très difficiles à
+résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui ne
+supportait aucun lait de femme, pris en n'importe
+quelle quantité. D'autres fois, les enfants s'empoisonnent
+avec le lait même de leur mère. C'est, tout
+simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois;
+mais il faut quelquefois chercher longtemps pour
+trouver cette cause si simple. On ne se figure pas
+le nombre d'enfants qui ont des indigestions chroniques,
+parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout
+quand ils sont nourris par de plantureuses mercenaires
+qu'on ne sait comment tonifier, dans la
+pensée de donner plus de forces au précieux rejeton.</p>
+
+<p>Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies»
+des enfants est tellement difficile que les spécialistes
+se déclarent incompétents. Que d'erreurs
+de diagnostic commises à propos des méningites!
+Et comment aussi interpréter le cas suivant? Sans
+cause connue, un enfant d'un an, bien élevé au
+sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient
+grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre.
+Les jours suivants, la fièvre augmente, une pâleur
+inquiétante s'étend sur la face, un amaigrissement
+rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage;
+puis, au bout de quelques jours, sans qu'on ait rien
+fait que de laisser l'enfant bien tranquille, l'appétit
+revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout
+rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en
+consultation n'ont pas pu étiqueter cette «maladie»,
+ni se prononcer sur son issue; mais, tous ayant eu
+le bon esprit de ne pas aggraver la situation par
+une médication intempestive, tout s'est terminé
+pour le mieux, et l'enfant a gardé son secret.</p>
+
+<p>La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de
+diagnostic n'est pas aux médecins, mais aux difficultés
+des problèmes cliniques. En les dénonçant,
+nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de
+la science: bien au contraire, ce que nous voulons
+dire, c'est qu'en thérapeutique infantile il faut avant
+tout de la sagacité, et que, dans certains cas, il faut
+que le médecin sache reconnaître son incompétence.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une
+revanche éclatante, et c'est alors que le médecin
+est en droit de se féliciter d'avoir fait de bonnes
+études de pathologie générale.</p>
+
+<p>Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui
+vient bien pendant les six premières semaines;
+puis voici que, tout en continuant à prendre ardemment
+le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements,
+son poids cesse d'augmenter; il diminue
+de 200, de 300 grammes en quelques jours. Qu'est-ce
+à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique.
+Le traitement mercuriel, sous forme
+de liqueur de Van Swieten, de frictions mercurielles,
+ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose
+de 3 à 5 milligrammes par jour, fait merveille et
+rétablit entièrement cet enfant.</p>
+
+<p>Nous avons dit plus haut combien souvent la
+méningite, qu'on croit tuberculeuse, et qui survient
+de deux à cinq ans, est d'origine syphilitique. Déjà
+en 1872, quand nous faisions nos études à Montpellier,
+le regretté professeur Fonsagrives nous
+disait qu'il avait sauvé beaucoup d'enfants, atteints
+de méningite tuberculeuse, en leur donnant de
+l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il
+s'agissait de méningites syphilitiques. Mais pour
+formuler un diagnostic de méningite syphilitique,
+pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen
+de l'enfant, soit par une enquête sur les parents,
+ne faut-il pas que le médecin ait beaucoup travaillé,
+beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle
+n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit
+se contenter de faire de l'expectation armée, il peut,
+dans beaucoup de cas, rendre aux enfants malades
+des services inappréciables.</p>
+
+<p>Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile,
+à un enfant atteint de pneumonie; de l'immersion
+alternative dans l'eau chaude et dans l'eau froide
+d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire,
+sinon que, dans certaines circonstances,
+le médecin opère ainsi de véritables résurrections?</p>
+
+<p>Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le
+rôle social du médecin, bien au contraire, ni introduire
+dans l'esprit des jeunes confrères un scepticisme
+infécond: ce que nous voulons, c'est leur
+dire qu'il ne faut pas se spécialiser dans l'étude de
+la pathologie infantile, et que, pour bien soigner
+un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout
+qu'il faut souvent savoir s'abstenir.</p>
+
+<p>En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en
+étant compliquée, comme tout ce qui touche au problème
+de la vie, nous semble être relativement
+simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un
+tube digestif percé aux deux bouts».</p>
+
+<p>Plus nous allons voir l'être humain avancer dans
+sa carrière, plus vont devenir nombreux et compliqués
+les problèmes de la vie. Le système nerveux
+ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une
+conditions défavorables qu'impose à l'homme le
+milieu cosmique vont imprimer à son capital biologique
+des dépenses qu'on ne peut certainement pas
+évaluer mathématiquement, mais qui se traduiront
+par une diminution de sa valeur. La vie ne va être
+de plus en plus qu'une série d'oscillations, de luttes
+entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les
+causes de destruction de l'être vivant; bref, un état
+d'équilibre instable, la santé n'étant qu'un bel accident
+passager.</p>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE VII</h4>
+
+<h4>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ</h4>
+
+<p>Il est logique d'introduire une subdivision dans
+ce chapitre, et d'étudier d'abord l'enfant de deux à
+sept ans, d'autant que, à cette période de la vie, il
+n'y a pas à tenir compte de la différence des sexes.</p>
+
+<h4>I</h4>
+
+<p>Pendant cette période, la nutrition a son activité
+maximum, l'enfant améliore son capital, accumule
+les réserves; mais il faut bien savoir qu'il a aussi
+des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux
+doit être dépensé pour faire connaissance avec le
+monde extérieur, pour apprendre le sens des mots, la
+notion des distances, etc.! On est effrayé en pensant
+au travail cérébral que supposent ces acquisitions.</p>
+
+<p>De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant
+toute fuite nerveuse inutile. Il faut presque se
+borner à le faire «boire, manger, dormir; manger,
+dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant
+de cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne
+devrait le réveiller. Pour démontrer combien peu
+d'enfants ont leur dose <i>optima</i> de sommeil, prenez
+au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier
+jour, dormir à volonté; il s'octroiera douze
+heures de sommeil. Le lendemain, il se réveillera
+après onze heures, le surlendemain et les jours suivants
+après dix heures. C'est donc que, au moment
+précis où l'expérience a commencé, il avait un
+arriéré de besoin de sommeil.</p>
+
+<p>Quant au problème de l'alimentation, il est relativement
+simple, et l'expérience des mères de famille
+répond à la plupart des indications. L'enfant doit
+manger quatre fois par jour; mais, en général,
+il mange trop vite. Les parents devraient, pour leur
+usage personnel et pour le bien de leurs enfants, se
+rappeler qu'il existe des glandes salivaires sécrétant,
+chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par
+jour, et que, si une bonne digestion commence dans
+la cuisine, elle se continue dans la bouche.</p>
+
+<p>En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le
+moins d'influences nocives; et un peu de surveillance
+suffit pour que l'enfant se porte bien.</p>
+
+<p>Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent,
+en général, d'une façon bénigne, quand elles ne
+sont pas troublées par une thérapeutique incendiaire.
+De là la faible mortalité afférente à l'âge que
+nous étudions, dénoncée par les tables qui servent
+de base aux calculs des Compagnies d'assurances
+sur la vie.</p>
+
+<p>Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque,
+scarlatine, rougeole, angine, il se rétablit
+avec une rapidité contrastant avec la lenteur de la
+convalescence chez l'adulte, et encore bien plus
+chez le vieillard. Voyez, par exemple, une angine
+herpétique! Elle occasionne chez l'enfant de tumultueux
+symptômes: de la fièvre, du délire; mais, au
+bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et,
+quatre jours après, l'enfant paraît aussi bien portant
+qu'avant. Chez l'adulte, au contraire, le même
+nombre de points d'herpès sur la gorge provoque
+un état maladif moins tumultueux, mais qui se
+termine par une convalescence de quinze jours à
+un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou
+tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement
+nécessaires à l'enfant convalescent, doué de plus
+d'élasticité.</p>
+
+<p>A partir de sept ans s'esquisse, chez certains
+enfants, une différenciation qui ira s'accusant d'année
+en année. Un oeil attentif va percevoir si l'enfant
+appartient au type <i>musculaire</i> ou au type <i>cérébral</i>.
+Le <i>musculaire</i> est cet enfant actif, aimant à jouer,
+turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention
+pour un quart d'heure de suite, n'ayant, par conséquent,
+aucun goût pour l'étude telle qu'elle lui
+est imposée. Le <i>cérébral</i> est l'enfant réfléchi, n'aimant
+pas les jeux bruyants, et dont l'esprit est en
+avance notable sur celui des enfants de son âge.
+A chacun de ces deux enfants conviendrait une
+éducation différente; malheureusement, les nécessités
+sociales les soumettent, l'un et l'autre, à la même
+discipline pédagogique,&mdash;bien comprise, il faut
+l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour
+ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement
+en vigueur s'approche autant que possible de
+la perfection, il faut bien dire qu'il convient moins
+aux types extrêmes que nous venons de mentionner.
+Le petit <i>musculaire</i>, condamné à de longues heures
+d'étude, s'agite, s'inquiète, devient de plus en plus
+dissipé, et ne tarde pas à entrer dans la catégorie
+des enfants dits «paresseux». Sa santé physique
+peut ne pas souffrir outre mesure du régime compressif
+auquel il est soumis; il grandit, se porte
+bien en apparence; mais son cerveau est, pour
+ainsi dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement
+inférieur. Chez le petit <i>cérébral</i>, au contraire, l'éducation
+moyenne peut amener des troubles de la
+santé physique: les récréations bruyantes et agitées,
+imposées après les repas, les longues promenades
+hebdomadaires, l'insuffisance du sommeil,
+une alimentation mal adaptée à son tube digestif,
+très vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la
+longue; et, d'un enfant qui aurait pu donner les
+plus belles espérances, la pédagogie officielle fait
+un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en
+un mot un malade.</p>
+
+<p>Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle?
+Oui, dans les cas extrêmes et dans des circonstances
+exceptionnelles.</p>
+
+<p>Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation
+collective et le surmenage cérébral imposé
+par nos programmes amènent les plus fâcheuses
+conséquences, pour le présent et pour l'avenir,
+c'est celle des enfants que l'hérédité n'a pas préparés
+au travail cérébral. Tels ces fils de cultivateurs
+qui ont une longue hérédité terrienne, et que
+leur intelligence hâtive semble désigner comme
+particulièrement aptes aux études supérieures. Ce
+sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils arrivent
+aux écoles supérieures: mais ils y arrivent
+malades, et seront malades toute leur vie.</p>
+
+<p>De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les
+«maladies» accidentelles sont presque inévitables, à
+cause de la promiscuité des enfants dans les
+écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité.
+Ce ne sont pas elles qui diminuent sensiblement
+le capital biologique individuel. Les fautes
+commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une
+bien plus grande importance.</p>
+
+<p>Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës
+qui ressemblent plus ou moins à la fièvre typhoïde,
+et qui sont dues à des indigestions! En général, l'hygiène
+alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée.
+Les enfants mangent trop vite, comme nous
+l'avons dit plus haut; et, très souvent, ils mangent
+trop, précisément parce qu'ils mangent trop vite, la
+sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction
+brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire
+mal élaborée. D'autre part, de trop nombreux
+parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on
+mange qui profite, mais ce qu'on assimile, se
+figurent qu'il faut que l'enfant mange beaucoup
+pour se donner des forces; et ce préjugé amène
+chez l'enfant des intoxications chroniques qui
+retentissent sur son système nerveux, sur sa croissance,
+jusqu'au moment où l'estomac surmené
+commence à protester. A partir de ce moment, le
+cercle vicieux est établi, et, si un régime alimentaire
+bien compris n'est pas institué, l'enfant
+devient un malade, et restera malade indéfiniment.
+C'est ce que M. le Dr Laumonier a très bien
+exposé dans un article du <i>Correspondant médical</i>
+de 1905:</p>
+
+<p>Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils
+mangent beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil
+ne soit pas toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant
+on ne peut, à première vue, les accuser d'aucun trouble évident.
+Cependant, certains soirs principalement, ils se montrent
+tantôt plus énervés que d'habitude, tantôt plus abattus
+au contraire, et si, à ce moment, on prend leur température
+rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au delà.
+Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y
+paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance,
+et les parents se gardent bien, pour si peu de chose,
+de faire appeler le médecin; ils ont tort, car cette fièvre
+digestive est le symptôme de troubles fonctionnels d'assez
+grande importance, et qu'il est en conséquence nécessaire de
+soigner dès le début.</p>
+
+<p>Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de
+belle apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration
+de leurs parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et
+les belles couleurs disparaissent. Ils finissent ainsi par se
+transformer en enfants chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise
+haleine, présentant des alternatives de constipation
+et de diarrhée, souffrant parfois de douleurs stomacales
+vives; en un mot ce sont maintenant de véritables dyspeptiques.</p>
+
+<p>Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel
+extrême, pour ainsi dire, de troubles longtemps existants et
+dont les accès légers de fièvre digestive ont été l'un des premiers
+et des plus caractéristiques symptômes. Il suffit, pour
+s'en convaincre, de suivre avec quelque attention l'évolution
+progressive des phénomènes.</p>
+
+<p>Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles
+ont été, pendant leur première enfance, mal nourris, sinon
+comme qualité du lait, au moins comme quantité; en
+d'autres termes, leur ration a été trop copieuse. Puis, après
+le sevrage, ils ont été mis rapidement à la nourriture commune
+de la famille; ils ont mangé de tout, et trop; parfois
+aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du
+café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques.</p>
+
+<p>C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,&mdash;pas plus
+que l'homme, du reste&mdash;ne mange qu'à sa faim; toujours,
+ou presque toujours, à ce point de vue, la limite est dépassée.
+La quantité d'aliments ingérés est beaucoup plus une affaire
+d'habitude que de besoin réel, comme le prouvent manifestement
+les résultats du traitement imposé à ces petits malades.
+Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent
+ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel
+les aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions
+digestives, stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales.
+D'où, d'une part, l'insuffisance et l'épuisement des
+glandes gastriques, la dilatation et l'atonie stomacales, et,
+d'autre part, la production des substances toxiques qui, résorbées,
+entraînent l'auto-intoxication et l'élévation thermique
+qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,&mdash;et c'est là un
+point essentiel,&mdash;que la fièvre digestive peut se produire et
+se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire
+et l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés;
+elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue
+un signe prodromique, avertissant que la limite digestive
+est dépassée, que l'estomac commence à se fatiguer,
+que l'auto-intoxication d'origine digestive est déjà manifeste.</p>
+
+<p>Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers
+de cet état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros
+foie... etc., ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence;
+d'autres signes, plus incertains, dyspnée, terreurs
+nocturnes, manifestations cutanées, peuvent exister aussi,
+qui complètent la signification des premiers. Passons donc
+et arrivons au traitement.</p>
+
+<p>La première indication est de réduire la ration alimentaire
+à ce qui est strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge,
+le sexe, le poids, la taille, et de composer cette ration d'aliments
+faciles à digérer, fournissant le minimum de fermentation,
+tels que lait, oeufs, pain grillé, viande crue, purée de
+légumes. Sans en arriver au régime sec, qui a beaucoup
+d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la
+quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne
+qualité ou des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures
+hygiéniques générales, on assurera la liberté du ventre par
+des habitudes régulières ou à l'aide de quelques lavements
+tièdes, mais sans en abuser.</p>
+
+
+
+<h4>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE</h4>
+
+<p>I.&mdash;CHEZ LA FILLE</p>
+
+<p>Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue
+un moment solennel dans l'existence. La
+plupart des mères de famille le savent, s'en inquiètent,
+mais ne connaissent pas les précautions à
+prendre. Ces précautions consistent à supprimer
+plus que jamais les fuites nerveuses. Ainsi, il convient
+alors de diminuer le travail cérébral, le travail
+musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la
+mettre à l'abri de toutes les influences qui, par
+action réflexe, retentissent sur son système nerveux
+(indigestions, coups de froid).</p>
+
+<p>Pendant les premières périodes menstruelles, le
+repos presque absolu au lit s'imposerait, si les
+règles étaient douloureuses ou trop abondantes;
+et un repos relatif s'impose même quand elles sont
+correctes. Ce qu'il faut bien savoir, c'est que l'anémie
+qui accompagne, en général, cette période
+de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina,
+ni de la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre,
+ce sont les précautions citées plus haut, et,
+par intervalles, quelques injections de cacodylate
+de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie.
+C'est là un des rares médicaments capables de
+rendre des services, à la condition formelle qu'il ne
+soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin.</p>
+
+<p>Une fois la menstruation établie, il ne faut pas
+s'inquiéter outre mesure si, pendant les premières
+années, les règles ne viennent pas à époques fixes,
+et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni
+douloureuses, ni trop abondantes.</p>
+
+<p>Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent
+de voir la santé des jeunes filles subir un assaut
+considérable, qui se traduit par de la chloro-anémie,
+avec état nerveux, suppression des règles, troubles
+dyspeptiques, constipation, etc.</p>
+
+<p>Les causes en sont multiples. Chez la jeune
+ouvrière, c'est, le plus souvent, le surmenage physique,
+la vie anti-hygiénique des ateliers, l'accumulation
+des privations. Dans d'autre milieux,
+c'est le fait du surmenage intellectuel pour l'obtention
+des brevets. Mais, plus souvent encore, ce
+sont les causes morales qui portent atteinte au
+système nerveux. C'est une vocation contrariée,
+une suite continue de petits malentendus avec la
+famille, avec la mère en particulier. La mère, ne
+se décidant pas à s'apercevoir que sa fille
+grandit, continue à vouloir exercer sur elle une
+autorité despotique, contre laquelle l'enfant se
+cabre en vain pendant de long mois, et dont elle
+souffre de jour en jour davantage.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée,
+un mariage désiré qui se trouve rendu
+impossible par la volonté intransigeante des parents,
+ou par des circonstances indépendantes de toute
+volonté ou même c'est un vague et obscur besoin
+du mariage: pour suivre, en somme, les lois de la
+nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct
+de la maternité qui se rencontre chez la femme
+depuis son plus jeune âge, et se traduit, dans la première
+enfance, par le besoin de la poupée.</p>
+
+<p>Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement;
+puis, un jour, la «maladie» éclate, souvent
+à la suite d'une affection aiguë qui contribue à
+faire tomber brusquement la force de résistance du
+système nerveux.</p>
+
+<p>Si variés que soient les symptômes par lesquels
+le mal se traduit, la thérapeutique doit être la
+même. Elle consiste à ne pas aggraver la «maladie»
+par une médicamentation intempestive; ce ne sont
+ni les pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la
+douche froide qui pourront faire du bien à une
+jeune fille ainsi atteinte, ni même la suralimentation,
+malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut,
+c'est chercher la cause de la «maladie», et la supprimer
+ou l'amoindrir autant que possible.</p>
+
+<p>Quand c'est le surmenage physique, le repos
+absolu s'impose, et la jeune malade arrive très
+vite à la guérison. Quand le surmenage physique
+n'est pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus
+difficile que de doser le repos et l'exercice. Le
+plus souvent, le repos relatif est de rigueur. Dans
+d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en
+particulier, un exercice modéré, et même poussé
+assez loin, peut produire d'excellents effets. Le
+médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité
+de ce moyen thérapeutique, basera son jugement
+sur les résultats de l'enquête qu'il fera au sujet du
+passé de la malade, et il aura le droit de procéder
+par tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas
+graves où le repos absolu s'impose d'abord, rien
+n'est plus difficile que de doser l'exercice dès que
+la malade est capable de le supporter, mais le principe
+est de rester en deçà de ce que la malade peut
+donner.</p>
+
+<p>Quand la «maladie» de la jeune fille est due au
+milieu familial, le remède essentiel est de le lui
+faire quitter. Malheureusement, on attend souvent
+trop longtemps pour prendre ce parti radical; on
+attend que la vie soit devenue impossible, que la
+jeune fille ait perdu le sommeil, les forces, l'appétit,
+et soit dans un état d'excitation inquiétant.
+On l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie,
+où on lui impose le plus souvent, à
+notre avis, une séquestration trop radicale. Car la
+priver de toute visite, de toute correspondance,
+la soumettre à une discipline d'une sévérité exagérée,
+nous semble vraiment excessif. L'enfant se
+révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice
+relativement restreint. Elle prend sur elle pour
+simuler la guérison, et pour échapper à la tutelle
+des médecins; elle sort avec les apparences de la
+santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle
+retombe dans le milieu familial hostile, la «maladie»
+ne tarde pas à renaître de ses cendres, jusqu'au
+jour où une circonstance quelconque amène enfin
+un changement de vie radical, qui la guérit.</p>
+
+<p>Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible,
+d'éloigner l'enfant, de temps à autre, du milieu
+familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui qui est
+l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente,
+soit même à une garde bien choisie, jusqu'au
+moment où on trouvera à la marier, chose qu'il
+ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui,
+dans bien des cas, est le remède par excellence?
+Pendant les absences de la jeune fille, l'état nerveux
+du milieu familial lui-même se calme, ce qui
+rend la vie commune acceptable par intermittences.
+Loin de nous, cependant, l'idée de porter
+atteinte à l'esprit de famille en proposant pareille
+mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle
+et comme un pis-aller, préférable souvent
+à la maison de santé, et, en définitive, moins
+onéreuse.</p>
+
+<p>Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource
+de la séparation, même momentanée. Heureusement,
+chez eux, les contacts entre parents et
+enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a
+toujours une certaine indépendance; elle n'est pas
+soumise à une tyrannie de tous les instants. En
+outre, son système nerveux est moins vulnérable,
+de sorte que l'influence néfaste du milieu familial
+est rarement une cause de «maladie». Nous connaissons
+cependant de jeunes ouvrières dont la santé
+a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel
+elles étaient condamnées à vivre: père alcoolique,
+qui les battait au retour de l'atelier, mère ou belle-mère
+acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre victime résiste tant
+qu'elle peut, jusqu'au jour où
+elle quitte avec éclat la maison paternelle, à moins
+que, victime résignée, elle ne voie peu à peu
+s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi
+une proie toute désignée pour la tuberculose, qui
+met fin à ses misères; souvent aussi sa déchéance
+se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile
+d'aliénés lui ouvre ses portes.</p>
+
+<p>D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation
+contrariée qui met la jeune fille en état de «maladie».
+Il n'y a pas à se le dissimuler, quelle que soit
+l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité
+des vocations religieuses, lorsqu'une vocation est
+sincère, toutes les entraves qu'on lui apportera ne
+serviront de rien. La jeune fille souffrira, deviendra
+de plus en plus malade, et force sera un jour de
+céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames
+intimes et ignorés, qui torturent même les familles
+chrétiennes; et le résultat final a toujours été le
+même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle
+a eu gain de cause.</p>
+
+<p>Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait
+respectueusement, depuis trois ans, contre
+sa famille, pour obtenir l'autorisation d'entrer au
+Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé
+de «maladie», restant des huit et quinze jours sans
+garde-robe, malgré l'hygiène intestinale la plus
+soignée, ne pouvant plus lire ni supporter une conversation;
+elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait
+plus quitter son lit, tant les forces physiques
+étaient diminuées. Gravement préoccupé de l'issue
+de cette «maladie», dont je connaissais la cause, je
+crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant
+l'avocat de la malade. Or, dès qu'elle eut
+obtenu l'autorisation sollicitée depuis si longtemps,&mdash;et
+que, par parenthèse, elle avait cessé de
+demander depuis un an, pour ne pas torturer sa
+famille,&mdash;nous vîmes la santé revenir avec une
+rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se
+remirent à fonctionner, et, un mois après, la jeune
+fille entrait au Carmel. Quelle ne fut pas notre stupéfaction
+d'apprendre que, le troisième jour, elle
+lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie
+et de bonne humeur!</p>
+
+<p>Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité
+des parents, il faut que cette autorité sache
+s'effacer devant la volonté ferme, réfléchie, bien
+arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et
+ajoutons que l'intérêt l'exige.</p>
+
+<p>Les mêmes considérations s'appliquent au cas
+où une jeune fille veut, envers et contre tous,
+épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf
+fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de
+ses parents, qui ont l'expérience de la vie. Mais
+l'expérience est semblable à un habit fait sur mesure,
+et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait.
+Aussi, lorsque, malgré les sages raisonnements, la
+jeune fille s'obstine et s'entête, estimons-nous qu'il
+faut lui céder après un délai raisonnable. On doit
+haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la
+jeune fille est victime de son tempérament, qui ne
+trouve pas dans les joies de la famille une satisfaction
+suffisante: elle éprouve le <i>besoin</i> de se marier.
+C'est alors aux parents à l'aider dans son choix,
+car cet état d'âme peut amener la «maladie».</p>
+
+<p>Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit,
+avant de se marier, subir un traitement médical;
+car elle n'a pas le droit de se marier en état de
+«maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait
+pas. Or il faut bien savoir que, au début de la
+vie conjugale surtout, elle n'a pas le droit d'être
+malade. C'est donc une raison de plus pour la soigner
+avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette
+cure est des plus simples: la cause de la «maladie»
+ayant disparu, et le capital biologique n'étant pas
+encore gravement entamé, le rôle de la thérapeutique
+se réduit à peu de chose.</p>
+
+<p>II.&mdash;CHEZ LE GARÇON</p>
+
+<p>Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte,
+les influences capables d'amener la «maladie» sont
+également multiples. Signalons, parmi les principales
+:</p>
+
+<p>I. Le surmenage scolaire;</p>
+
+<p>II. L'abus des sports;</p>
+
+<p>III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes
+solitaires et prématuration).</p>
+
+<p>I. Que faut-il penser du surmenage scolaire,
+dont on a fait si grand bruit il y a quelques années?
+Les brillantes discussions de l'Académie de médecine
+n'ont pas empêché les programmes de se surcharger
+d'année en année; et ils se surchargeront
+encore davantage, cela est inévitable, c'est la loi
+même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir
+remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant
+surmenage ne nous effraie pas outre mesure,
+car il faut compter: 1° avec les nouvelles méthodes
+d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois;
+2° avec une adaptation du cerveau des générations
+actuelles et futures à un travail cérébral plus considérable.
+N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui
+rend si dangereux le travail cérébral chez les
+«déracinés» dont nous avons dit un mot au chapitre
+précédent?</p>
+
+<p>Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le
+meilleur des systèmes pédagogiques? Non. Le
+jeune homme ne travaille pas trop, mais il travaille
+mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne
+dort pas assez, et on n'a pas assez le respect de
+son sommeil: du sommeil qui dompte tout, suivant
+la forte expression d'Homère.</p>
+
+<p>Un groupe de médecins anglais vient de commencer
+une campagne de presse pour obtenir que
+l'élève des collèges anglais puisse dormir plus longtemps.
+Ils avaient été précédés dans cette voie par
+le Dr Chaillou<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5"><sup>5</sup></a>, directeur de l'hygiène d'un grand
+établissement d'instruction, qui dès 1903, a eu
+l'idée excellente d'installer, dans le pensionnat, ce
+qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là, les
+jeunes gens fatigués momentanément vont, tout
+simplement, se reposer suivant leurs besoins; et
+jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de
+dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats
+aux écoles, et que l'intelligente discipline générale
+de la maison est de nature à prévenir tout abus.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" name="footnote5"></a><b>Note 5:</b><a href="#footnotetag5"> (retour) </a> <i>Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans un
+grand collège moderne</i>, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut
+Pasteur. Paris 1903.</blockquote>
+
+<p>II. <i>Abus des sports</i>.&mdash;Si pour l'homme sain l'exercice
+est nécessaire à la santé, cet exercice, lorsqu'il
+est poussé à un degré excessif, devient un facteur
+important de «maladie».</p>
+
+<p>L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué,
+peut être poussé très loin sans provoquer d'accidents;
+c'est ainsi que, chez les professionnels des
+cirques, la santé se maintient excellente, comme
+j'ai pu m'en rendre compte par une enquête faite
+chez Barnum. Le médecin attaché à la troupe
+de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il
+n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre
+chirurgical.</p>
+
+<p>Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont
+<i>sélectionnés</i>, ce sont des professionnels: ils ne font
+pas autre chose que des tours de force; toute leur
+activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur
+ces questions d'exercice musculaire.</p>
+
+<p>Ajoutons que l'exercice est savamment gradué
+par des gens du métier, qui savent par expérience
+ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que
+les gens des cirques observent une sage hygiène;
+ils savent que tous les écarts se payent, et ils sont,
+à tous égards, d'une sobriété exemplaire.</p>
+
+<p>Tout autres sont les conditions dans lesquelles
+se trouve l'homme du monde qui fait du sport.
+Parfois il a une profession; c'est donc sur les
+loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil,
+qu'il prend le temps de faire les exercices qui
+le passionnent; quand il n'a pas de profession, il
+est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée
+plus haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux
+qu'en exercice physique.</p>
+
+<p>Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du
+sportsman, c'est le <i>sport</i>, c'est-à-dire l'émulation
+qui existe presque fatalement entre ceux qui s'occupent
+avec passion d'exercices physiques, et qui
+fait que chacun d'eux veut devancer son voisin.</p>
+
+<p>Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver
+au surmenage; ce qui le fatigue, c'est de voyager
+en compagnie d'autres camarades, à cause de
+l'excitation qui se communique des uns aux autres,
+et qui les porte tous à donner plus qu'ils ne peuvent.
+L'escrime, souvent, n'aurait pas sa raison d'être, sans
+le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le
+danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se
+rappeler qu'il est pris, en général, dans un air confiné,
+qu'il exige une dépense considérable d'influx
+nerveux, une tension permanente de l'esprit, un
+excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra
+que c'est plus un exercice cérébral qu'un
+exercice musculaire, et que les gens qui croient se
+reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime
+sont bien vite détrompés. Le sage est celui qui,
+désirant se reposer du travail cérébral par l'exercice,
+s'attache aux exercices qui ne demandent
+pas d'attention, aux exercices automatiques dans
+lesquels la moelle seule intervient; marcher, ou
+mieux encore courir suivant les bons principes,
+scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer,
+ramer, etc.</p>
+
+<p>L'automobilisme «tient le record» parmi les
+exercices qui épuisent le système nerveux; nous ne
+parlons pas, bien entendu, des hommes qui se servent
+de l'automobile comme d'un moyen de locomotion,
+mais de ceux qui en font un moyen de distraction.
+Quelques-uns arrivent à une mentalité
+toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore
+reçu de nom, et qu'on pourrait appeler la folie de la
+vitesse: quand ils sont sur leur machine, ils ne
+voient que le ruban de route qui se déroule devant
+eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne
+voient point, ils n'entendent point: ce sont des
+mangeurs de kilomètres, ce ne sont plus des
+hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a
+pas besoin d'émulation, il se suggestionne lui-même,
+et devient le propre artisan de son délire.</p>
+
+<p>Mais les dangers des sports deviennent encore plus
+considérables quand ils sont pratiqués par des organismes
+en voie de formation, par des jeunes gens,
+par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait
+soufflé un vent, venu d'Angleterre, qui avait
+véritablement tourné la tête à certains hommes
+s'occupant des problèmes de pédagogie,&mdash;ou plutôt
+qui avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues
+subissaient le courant. Ce qu'il y a de certain,
+c'est qu'on ne parlait plus, dans les établissements
+scolaires, que de sports et de gymnastique. La
+culture intellectuelle paraissait devoir être mise au
+second plan. Mais on n'a pas tardé à voir qu'il y
+avait abus. Les excellents travaux du Dr Lagrange
+et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans
+la <i>Ligue des Pères de Famille</i>, ont mis un frein à
+cet engouement, qu'on ne rencontre plus que dans
+quelques institutions où l'on s'obstine à imiter
+l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos
+petits Français ne sont pas des Anglo-Saxons. Je
+me demande d'ailleurs si les petits Anglo-Saxons
+eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient
+bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres
+au pas gymnastique, sans progression et
+sans entraînement préalable, comme je sais qu'on
+en impose aux enfants dans les institutions dont je
+parle.</p>
+
+<p>III. <i>Déviations de l'hygiène sexuelle</i>.&mdash;Tous les
+pédagogues et tous les pères de famille soucieux de
+l'avenir de leurs enfants sont, à juste titre, préoccupés
+de l'important problème de l'éducation
+sexuelle; mais tous sont loin de le résoudre dans le
+même sens. Les uns estiment qu'il ne faut rien
+dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les
+autres, qu'il faut au contraire aborder le redoutable
+problème en face, et le plus tôt possible. La
+vérité, comme en bien d'autres circonstances, se
+trouve entre ces deux extrêmes.</p>
+
+<p>Il est bien certain qu'il faut que, à un moment
+donné, le jeune homme soit averti des dangers qu'il
+court en s'abandonnant à des aberrations de l'instinct
+génésique, ou encore à l'usage prématuré des
+fonctions sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse
+de bonne heure le péril vénérien. Mais quels
+moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père
+de famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il
+a suffisamment gagné la confiance de ses enfants,
+et s'il se sent capable de cette mission délicate;
+dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille
+que doit être dévolu ce soin; et, dans les pensions,
+lycées, institutions, c'est encore au médecin de la
+maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des
+professeurs qui vivent le plus avec les élèves.</p>
+
+<p>Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement
+collectif? La tentative a été faite, récemment, dans
+plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer qu'elle
+est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute
+attente. Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives
+partisan plutôt de l'enseignement individuel,
+compris dans un sens libéral, sous forme de causerie
+du professeur avec un petit nombre d'élèves.</p>
+
+<p>Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder
+devant les enfants ces délicats problèmes, le rôle
+de l'éducateur doit se borner à exercer autour d'eux
+une surveillance assidue, et à retarder le plus possible
+l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire,
+il faut imposer à l'enfant de la fatigue physique,
+la pousser au maximum de la <i>tolérance</i>, dussent
+les études en souffrir momentanément. C'est de la
+bonne économie, sans cependant qu'on doive
+verser dans cet abus des sports que nous avons
+dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans
+tous les problèmes de l'hygiène, cette question de
+dosage, de mesure, qui comporte un nombre indéfini
+de solutions, d'après la variété des cas individuels.</p>
+
+<p>Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant
+à des aberrations de l'instinct sexuel sont moins
+grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont néanmoins
+considérables, et le capital nerveux de l'enfant
+est vite entamé par les habitudes vicieuses. De
+là ces formes vagues de neurasthénie avec difficulté
+pour le travail, timidité maladive, manque de
+confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés,
+amaigrissement, amoindrissement de la valeur du
+sujet. Un médecin éclairé ne s'y trompe pas. Il
+doit alors trouver moyen de prendre l'enfant à part,
+à la fin de la consultation, et lui dire à brûle-pourpoint,
+en le regardant fixement: «Mon ami,
+je sais la cause de votre mal!» Il faut ensuite
+provoquer quelques aveux <i>discrets</i>, et la consultation
+doit se terminer par une promesse formelle
+de l'enfant de se corriger. La psychothérapie, en
+ce cas, vaut mieux que les médications pharmaceutiques
+les plus savantes: elle manque bien
+rarement son effet et elle peut être grandement
+aidée, dans certains cas, par la psychothérapie
+hypnotique, dont nous parlerons plus loin.</p>
+
+<p>Quant au danger que fait courir la prématuration
+des fonctions sexuelles, c'est chose certaine que
+tout usage de ces fonctions devient un abus, tant
+que l'organisme n'a pas atteint son complet développement.
+L'être humain ne devrait aborder l'acte
+destiné à perpétuer la vie qu'à partir du moment
+où il est, lui-même, en pleine possession de toute
+sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence
+n'est pas préjudiciable. La question a été
+étudiée à fond, et résolue dans le même sens par
+les moralistes et par les hygiénistes. La continence
+n'est presque pas pénible, elle ne le devient que
+si des excitations factices ont éveillé de trop bonne
+heure l'instinct sexuel. Elle est recommandable au
+point de vue moral; elle entretient, chez le jeune
+homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer,
+«le respect de la femme»; et, à vrai dire,
+c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri des
+contaminations vénériennes.</p>
+
+<p>Le grand public commence à connaître le péril
+vénérien, et, surtout, à oser en parler. On ne saurait
+croire combien l'ingénieuse trouvaille de
+M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'<i>avarie</i> la
+plus redoutable des «maladies» vénériennes, la
+syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion publique.
+Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et
+nous aimerions aussi voir employer le terme de
+«petite avarie» pour désigner la blennorragie,
+dont les méfaits sont plus considérables que ne le
+croit le public, et même que ne le croient beaucoup
+de médecins.</p>
+
+<p>Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel
+les jeunes gens sont le plus souvent contaminés.
+Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier, c'est beaucoup
+plus tôt qu'on ne se le figure généralement;
+et non seulement à Paris, mais partout, ainsi que
+le démontrent les statistiques de <i>toutes</i> les armées,
+qui enregistrent beaucoup plus de «maladies» vénériennes
+à la première année de service qu'aux
+années ultérieures, parce que, parmi les malades
+enregistrés à la première année, figurent tous ceux
+qui étaient contaminés avant leur entrée au régiment.</p>
+
+<p>Nous ne saurions trop recommander à ce sujet
+la lecture et la méditation de l'excellente brochure
+du professeur A. Fournier: <i>Pour nos fils quand ils
+auront dix-huit ans</i>. En quelques pages s'y trouvent
+nettement indiquées, et sans aucune exagération,
+la gravité du péril vénérien, la conduite à
+tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour
+l'éviter. Cette brochure est bonne à lire, elle est
+nécessaire et suffisante aux conférenciers qui veulent
+répandre la vérité.</p>
+
+<p>Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de
+la syphilis. C'est toujours une «maladie» grave, quelquefois
+elle est très grave, et cela dès les premiers
+mois qui suivent son apparition. Elle se traduit
+alors par les plus importants symptômes de la
+déchéance organique, céphalée violente, anémie
+aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile
+de dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital
+biologique un déchet énorme. Heureusement le
+traitement mercuriel intensif est là pour réparer,
+dans une certaine mesure, le désastre.</p>
+
+<p>D'autres fois, la syphilis amène chez le malade
+de telles préoccupations morales qu'elle devient un
+danger imminent. L'angoisse peut même conduire
+au suicide. Il faut que le médecin et le père de
+famille connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner
+la victime, dans la mesure nécessaire. Mais
+dans tous les cas la syphilis, cause d'amoindrissement
+énorme de la valeur du sujet, devra être
+traitée énergiquement, dès le début et pendant un
+temps prolongé,&mdash;au moins quatre ans,&mdash;par des
+traitements successifs.</p>
+
+<p>Chez la jeune fille, la syphilis est également à
+redouter. Nombre de jeunes filles de la classe
+ouvrière connaissent tout ce qui est relatif aux
+questions vénériennes; elles n'en ignorent que le
+danger. C'est à leur usage que j'ai écrit naguère
+une petite brochure intitulée: <i>Pour nos filles</i>. Les
+services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas
+comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente
+brochure du professeur Fournier; et si je la
+mentionne, ce n'est certes point par une enfantine
+vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a
+affirmé qu'il était bon de la faire connaître.</p>
+
+
+
+
+
+<p>III&mdash;CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.&mdash;
+«MALADIES» ACCIDENTELLES</p>
+
+<p>C'est à dessein que nous plaçons ces observations
+à la suite de l'étude consacrée aux jeunes
+garçons, car les jeunes filles, entourées de soins à
+l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de
+«maladies» accidentelles. Chez le jeune homme, au
+contraire, plus ou moins mal surveillé, plus ou
+moins surmené par un travail cérébral auquel son
+cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou
+par le travail musculaire, pour lequel ses muscles,
+encore en état de développement, ne sont pas suffisamment
+préparés, la flore microbienne trouve un
+excellent terrain de culture. Nous ne pouvons pas
+passer en revue la pathologie de cet âge; faisons
+seulement remarquer que la «maladie» accidentelle
+ou bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat
+définitif sur un organe quelconque (endocardite
+du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que,
+à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement
+prolongé ou définitif de la valeur
+du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les
+jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une
+convalescence franche, sans ébranler l'organisme;
+à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme
+est doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement.</p>
+
+<p>Exception doit être faite pour la tuberculose;
+c'est, par excellence, la «maladie» de l'âge adulte.
+Contractée, le plus souvent, dans la plus tendre
+enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les
+mauvaises conditions de milieu, la misère physiologique,
+le surmenage, mettent le terrain en état
+de moindre résistance. De là son maximum de
+fréquence de dix-huit à trente-cinq ans.</p>
+
+<p>De cette conception, qui n'est pas encore classique,
+mais qui commence à pénétrer dans les
+esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher,
+et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la
+tuberculose dans l'armée, découle la véritable prophylaxie
+de la tuberculose. C'est en vain que l'on
+dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des
+sanatoria; le sanatorium ne convient qu'aux riches.
+C'est peut-être un bon instrument de cure: sûrement
+ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas «ce
+n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre
+la tuberculose en tant que «maladie» sociale» (Grancher).
+Voyez, en effet, ce qu'il faudrait pour qu'un
+sanatorium populaire donnât un rendement social
+appréciable! Il faudrait: 1° à l'entrée du sanatorium,
+un dispensaire de dépistage pour ouvrir la porte
+aux seuls malades légèrement atteints; 2° pendant
+le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de
+secours pour sa femme et ses enfants; 3° à la
+sortie du sanatorium, la double ration de repos et
+la demi-ration de travail pendant un temps presque
+illimité! Le Congrès de la tuberculose de 1905
+a d'ailleurs sonné le glas sur les sanatoria
+populaires, et les médecins de tous les pays, dans
+une heure de sens commun et de clarté, ont voté
+la même formule: «En fait de tuberculose, la
+préservation domine l'assistance.» Nous serons
+moins sévères dans notre appréciation des dispensaires:
+ils peuvent rendre quelques services pour
+l'éducation populaire; mais les véritables oeuvres
+de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les
+oeuvres de préservation, celles qui arrachent un
+enfant sain d'un milieu contaminé; ce sont les
+oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints
+de tuberculose locale et non contagieuse; ce sont
+les colonies de vacances, etc. Ce sont, surtout, les
+diverses oeuvres sociales luttant contre la misère:
+car la misère est le grand, le plus grand facteur
+de la tuberculose.</p>
+
+<br><br><br>
+
+<h3>DEUXIÈME PARTIE</h3>
+
+<br><br>
+
+
+<h4>CHAPITRE I</h4>
+
+
+<h4>MATURITÉ</h4>
+
+<p>Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine
+possession de tous ses moyens, son capital a été
+progressivement amélioré et lui rapporte de gros
+intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le
+faire valoir, d'obtenir de lui son rendement
+maximum.</p>
+
+<p>L'ère des ménagements est passée, il faut à tout
+prix que l'homme travaille et produise. On l'alimentera
+en conséquence: la dépense étant considérable,
+il faudra que l'aliment soit réparateur. Le
+point essentiel est de ne pas dépasser la dose des
+dépenses, d'utiliser le capital, mais non de l'amoindrir,
+de chauffer la machine, sinon à blanc, du
+moins à la température maxima tolérée, pour ne
+pas l'user trop vite, et surtout pour ne pas la faire
+éclater. Il faut, en somme, que l'homme produise;
+et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne
+ferait que s'empêcher de mourir. Bien plus; de
+même qu'un capitaliste avisé, quand il possède
+beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce
+qu'on appelle de la «surface», n'a pas peur, de temps
+à autre, de risquer une somme raisonnable dans
+une affaire qui n'est pas de tout repos; de même
+l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas
+craindre, à certains moments, de se dépenser un
+peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène, à la
+condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni
+trop prolongé, et qu'une période de repos succède
+à cette période de travail intensif. (De là la
+nécessité des vacances et du repos hebdomadaire).</p>
+
+<p>Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous
+croyons qu'il est bon que l'homme actif, intelligent,
+bien portant, donne de temps à autre ce
+qu'on appelle un «coup de collier», quitte à
+réparer sa dépense excessive par un repos plus ou
+moins prolongé, mais quel est le critérium? à
+quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas
+dépassé la mesure de ses forces, et qu'il ne court
+pas à la banqueroute?</p>
+
+<p>Le principe général est qu'il faut arriver aux confins
+de la fatigue, mais ne jamais atteindre la
+fatigue douloureuse. Quand il s'agit de travail
+musculaire, le critérium est relativement facile à
+trouver. On est averti qu'on a dépassé la mesure
+de ses forces par deux symptômes caractéristiques:
+la diminution d'appétit et la diminution de
+sommeil.</p>
+
+<p>Cette donnée pourrait même rendre de grands
+services aux chefs militaires, dont l'idéal, très
+légitime, est de faire produire à la machine
+humaine son maximum de rendement, sans épuiser
+cependant les forces des soldats. Malheureusement,
+quelques-uns d'entre eux confondent l'entraînement
+et l'épuisement; ils arrivent à avoir
+des troupes qui n'ont pas de valeur réelle, tout en
+ayant les apparences de la force. Ces troupes, qui
+se sont présentées sous le plus bel aspect à des
+manoeuvres de quelques jours, seraient incapables
+d'entrer en campagne et de supporter des fatigues
+prolongées. Si les chefs de corps avaient eu la
+précaution de s'enquérir de la façon dont les
+soldats mangent, ou de <i>voir</i>, après une marche
+prolongée, comment ils mangent, de surveiller de
+temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui
+recueille tous les restes des repas, ils auraient vu
+que le travail excessif se traduit par une baisse
+dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans les
+chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à
+la suite de fatigues excessives les hommes ne
+dorment pas bien. Et rien ne les empêcherait, d'ailleurs,
+de prendre parfois l'avis de leurs médecins.</p>
+
+<p>Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème,
+d'autant que, chez l'homme qui a subi un
+entraînement méthodique, la sensation de <i>fatigue</i>
+disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la
+fatigue. L'épuisement, chez lui, se traduit exclusivement
+par la diminution du poids, de l'appétit
+et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire
+en particulier, par l'apparition des «maladies»
+dites accidentelles.</p>
+
+<p>Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit
+que de dépenses musculaires, il devient plus complexe
+encore quand il s'agit de dépenses cérébrales.
+Voici un commerçant obligé de brasser de grosses
+affaires. Il est réveillé, le matin, par le téléphone
+voisin de son lit; pendant toute la journée, il n'a pas
+un quart d'heure de tranquillité; il sent peser sur lui
+des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une
+série d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant
+viennent s'ajouter des chagrins de famille, etc.,
+voici notre homme qui, tout d'un coup, tombe dans la
+«maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener
+le déclanchement: c'est une émotion un peu violente,
+c'est une perte d'argent, c'est une «maladie»
+infectieuse plus ou moins légère, qui ouvre la
+brèche, et voilà la «maladie» installée!</p>
+
+<p>Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme?
+A-t-il eu, depuis dix ans qu'il surmène son cerveau,
+un avertissement quelconque lui indiquant qu'il
+dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à
+pleines mains dans un capital insuffisamment réparé
+chaque jour? Oui, le plus souvent! C'est, par
+exemple, un vertige qui est apparu, à un moment
+donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on
+pourrait appeler «un avertissement sans frais»,
+il aurait immédiatement diminué le travail, ou
+même l'aurait suspendu pendant quelques jours.
+Mais il n'en a pas tenu compte, il a pensé que <i>ça
+passerait</i>. D'autres fois, c'est une sorte d'endolorissement
+de la tête, non pas passager, mais permanent,
+qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements
+de l'oreille gauche. (Cette prédominance
+des bourdonnements à gauche, de la diminution de
+l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les
+phases de la «maladie».) D'autres fois encore, c'est
+une sorte de sensation de fatigue permanente,
+exagérée surtout le matin, avec diminution d'appétit,
+constipation, autrement dit avec les petits
+symptômes de la grande «maladie». Il est tout à fait
+exceptionnel que le krach se produise sans de tels
+phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant,
+et c'est chez les natures les plus admirablement
+douées en apparence.</p>
+
+<p>Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel
+et musculaire à la fois, il réalise les conditions
+les plus parfaites pour arriver à l'épuisement
+rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement
+contre le préjugé des gens du monde, qui
+se figurent que l'exercice musculaire repose du travail
+cérébral, et que le surmené cérébral doit, pour
+bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette,
+de la marche forcée, à ses moments disponibles. C'est
+là une erreur énorme dont la pédagogie commence
+à faire justice. Certes il est des hommes, admirablement
+doués, qui peuvent supporter une dépense
+considérable à la fois au point de vue musculaire
+et au point de vue cérébral: mais ce qu'il faut bien
+se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers
+symptômes du surmenage, on doit aussitôt
+réduire la dépense totale, et la dépense musculaire
+en particulier; à ce prix seulement on aura chance
+d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre
+sur nous, de la «maladie».</p>
+
+<h4>CHAPITRE II</h4>
+
+
+<h4>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»</h4>
+
+<p>Plusieurs fois déjà, dans le cours de ce travail,
+j'ai eu l'occasion de parler de la «maladie», sans
+préciser le sens exact que je donnais à ce mot. Mais
+le moment est venu de tenter, sinon une définition
+scientifique de la «maladie»,&mdash;définition aussi
+impossible que celles, par exemple, de la richesse,
+de la vertu, ou de la beauté,&mdash;tout au moins une
+explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette
+chose indéfinissable; des principaux caractères qui
+lui sont propres; et des traits qui la distinguent de
+ces manifestations pathologiques bien déterminées
+que l'on appelle communément les «maladies», et
+que j'appellerais volontiers des «accidents», par
+opposition à la nature plus générale, plus profonde,
+et infiniment plus complexe, de la «maladie».</p>
+
+<p>Voici quatre personnes qui, dans une même
+après-midi, se présentent à ma consultation. Ce
+sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc
+pour l'affirmer <i>a priori</i>. Mais voyons ce que nous
+enseignera l'étude détaillée, et surtout réfléchie, de
+chacune de ces quatre personnes, qui paraissent se
+ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une
+avec l'autre absolument rien de commun. L'une
+est grande et forte, l'autre petite et malingre; l'une
+est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante. Les
+souffrances que chacune accuse sont tout à fait différentes,
+de l'une à l'autre; les causes qui ont paru
+engendrer ces souffrances semblent opposées: chez
+l'une l'excès de fatigue, chez une autre l'excès d'oisiveté,
+etc.</p>
+
+<p>Essayons à présent d'approfondir un peu notre
+investigation. Ah! ce n'est pas un mince travail
+que d'étudier un malade, de fouiller son hérédité,
+de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire
+même de sa conception, de noter tous les incidents
+pathologiques de son enfance, de sa jeunesse, de
+son adolescence, d'apprécier son degré de santé
+pendant les périodes qui ont séparé ces divers incidents,
+de se reconnaître au milieu du luxe de
+détails avec lequel il décrit ses misères, en un
+mot de reconstituer à la fois le bilan complet de
+son état présent et le tableau du chemin qu'il a suivi
+pour y parvenir. Mais cette étude méticuleuse est
+nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible,
+pas de traitement rationnel; d'elle seule pourra
+résulter la connaissance véritable du malade, c'est-à-dire
+l'appréciation de ce qu'il vaut, du point
+précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute
+que ce n'est que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines
+et des centaines de malades que l'on commence
+à avoir une idée nette de ce que c'est que
+la «maladie».</p>
+
+<p>Voici donc une première malade, que je connais
+depuis cinq ans. C'est une femme de trente-deux
+ans, dont on devine dès le premier abord la vivacité
+d'intelligence, et avec laquelle le médecin
+comprend tout de suite,&mdash;à sa grande satisfaction,&mdash;qu'il
+va pouvoir causer utilement.</p>
+
+<p>L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital
+initial excellent: un grand-père paternel mort à
+soixante-quinze ans, asthmatique, la grand'mère
+paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté
+de l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de
+tares transmissibles: le grand-père mort à soixante-quinze
+ans, la grand'mère vivant encore à quatre-vingt-deux
+ans. Il est vrai que l'hérédité directe est
+peut-être un peu moins parfaite. Le père de
+Mme X... est mort à cinquante-deux ans, d'une affection
+cérébrale, après avoir toujours été très nerveux.
+La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à
+se bien porter, à la condition de s'écouter vivre.</p>
+
+<p>Ce capital initial a été bien géré pendant les
+premières années de la vie. Nourrie au sein,
+Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable
+divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole,
+la varicelle. A huit ans, cependant, s'est produit un
+épisode plus important: une jaunisse, qui a duré
+un mois, et qui semble indiquer que le système
+digestif était, chez cette malade, le point faible. Un
+médecin avisé, qui l'aurait suivie de près depuis
+lors, n'aurait pas manqué de remarquer qu'elle
+était, si l'on peut dire, une candidate à la dyspepsie.</p>
+
+<p>Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X...
+n'eut aucun phénomène grave, d'origine stomacale
+ou intestinale: mais elle avait de petits symptômes,
+un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la
+constipation, etc... Et, malheureusement pour elle,
+ces petits symptômes ont passé inaperçus. L'enfant
+a été soumise, dans un couvent, à l'alimentation
+des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par
+conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour
+mettre en bon état son système nerveux abdominal,
+qui, sans protestations graves, fonctionnait
+déjà d'une façon défectueuse.</p>
+
+<p>De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux
+cérébral qui, seul, paraissait défectueux. Dès
+l'âge de onze ans, elle avait des tristesses vagues,
+des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer.</p>
+
+<p>A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait
+cet état de mélancolie. D'un caractère inégal,
+la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise, acceptant
+péniblement toute discipline.</p>
+
+<p>A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un
+violent chagrin; et cet assaut ébranla si fortement
+son système nerveux que, six semaines après, sans
+cause connue, sans refroidissement préalable, elle
+dut garder le lit pendant un mois, pour une «maladie»
+qualifiée «rhumatisme mono-articulaire», mais
+avec prédominance de symptômes nerveux graves
+(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se
+remit vraiment de cette crise qu'un an après,
+lorsque des projets de mariage opérèrent en elle
+une sorte de dérivation.</p>
+
+<p>Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à
+retomber dans le même état nerveux, auquel se
+joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie
+lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement,
+et l'immobilisant pendant quelques heures.
+Puis vinrent des crises de nerfs, le plus souvent
+nocturnes, avec angoisses précordiales terribles,
+peur de toutes les «maladies», etc...</p>
+
+<p>C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte;
+et, pendant la grossesse, elle se porta admirablement.
+Mais, aussitôt après sa délivrance, l'estomac,
+qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que par
+des phénomènes insignifiants, entra définitivement
+en scène: perte absolue d'appétit, crampes, gastralgie.
+Puis, l'année suivante, ce fut le tour de
+l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt
+apparition de selles noires, survenant trois à quatre
+fois par jour avec fortes coliques, et qui durèrent
+quatre mois. A la fin de cette période, l'état général
+était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment
+compromise.</p>
+
+<p>Heureusement une année passée dans l'isolement,
+et suivie d'une cure dans un sanatorium de
+Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis
+la malade pour la première fois, un an après son
+retour de Suisse, voici les principales constatations
+que je pus faire:</p>
+
+<p>Céphalée permanente,&mdash;picotement des yeux,&mdash;sciatique
+gauche survenant au moment des
+règles,&mdash;inquiétudes vagues,&mdash;peur de mourir
+subitement,&mdash;trois heures à peine de sommeil
+dans les meilleures nuits. L'estomac et l'intestin
+laissaient également à désirer: appétit nul, alternatives
+de diarrhée et de constipation.</p>
+
+<p>L'examen des organes me démontra qu'il n'y
+avait rien à la poitrine, mais qu'au coeur existait
+un souffle, au premier temps, à la base, perceptible
+seulement dans la position horizontale; ventre
+plat, peu élastique, sonorité basse et égale. La
+malade, qui pesait 50 kilogrammes à dix-huit ans,
+n'en pesait plus que 46.</p>
+
+<p>Voilà donc une jeune femme qui a toutes les
+apparences extérieures d'une personne très souffrante,
+et dont la vie est empoisonnée par une
+série ininterrompue de misères variées. Et cependant
+l'histoire même de ces misères prouve qu'il
+n'y a point chez elle d'organe particulièrement
+atteint, et que le capital biologique est, au fond,
+moins mauvais qu'il ne paraît l'être. Mon premier
+soin fut de la rassurer, notamment sur l'état de son
+coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait
+fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire
+un estomac, par un régime sévère, puis de plus
+en plus large. Je dirigeai son hygiène musculaire,
+intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans
+où je m'étais borné, en somme, à faciliter le retour
+à l'équilibre du système nerveux, Mme X... se vit
+délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée
+enfin à une vie des plus supportables.</p>
+
+<p>Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on
+Elle avait, sous une forme spéciale, ou plutôt sous
+plusieurs formes, ce que j'appelle la «maladie».
+Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux
+qui, chez elle, fléchissait. Tout son système nerveux
+était malade, et chacun de ses centres, tour
+à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation
+de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade,
+le centre le plus atteint était celui qui préside aux
+fonctions digestives; mais, si je m'étais limité à ne
+soigner que celui-là, toute ma peine aurait risqué
+d'être perdue. Il fallait, derrière les symptômes
+locaux, atteindre le trouble général; il fallait
+dépasser les incidents pour parer à la «maladie».</p>
+
+<p>Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez
+qui les manifestations morbides n'ont certainement
+rien de commun avec celles que je viens de
+signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui,
+lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait
+progressivement maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes,
+sans autre cause connaissable que certaines
+influences morales. Elle ne se plaignait de
+rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle
+l'était, puisqu'elle maigrissait sans cesse, puisqu'elle
+avait le teint terreux et la peau rugueuse, puisque
+ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas
+de lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre:
+mais toute l'apparence d'une grande malade.</p>
+
+<p>Pourtant, après un examen plus approfondi,
+j'augurai bien de l'avenir, parce que le capital
+initial était assez bon, parce que Mlle T... n'avait
+pas eu de graves assauts dans son enfance,
+enfin parce qu'elle était jeune, et malade depuis
+peu de temps. Et le fait est qu'un traitement très
+simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par
+jour, puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord
+sans viande, puis avec un plat de viande à midi,
+et 30 injections de cacodylate de magnésie), amena
+un résultat extraordinaire: réapparition des règles,
+augmentation du poids, disparition de la rugosité
+cutanée, relèvement de l'appétit, etc.</p>
+
+<p>C'est que cette malade, qui ne présentait aucun
+trouble nerveux, n'en était pas moins une «nerveuse».
+Toutes ses misères ne venaient, comme
+chez Mme X..., que d'un ébranlement du système
+nerveux; quand ce système se trouva modifié, par
+le repos, le régime et la psychothérapie, la malade
+guérit.</p>
+
+<p>Elle revint alors dans son pays; six mois après,
+elle allait très bien, mangeant de tout, pesant
+58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois
+plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin
+la mine sourdement; elle redevient «malade»,
+maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans
+accuser la moindre douleur, et sans ressentir
+aucune souffrance. Un jour, le 25 décembre 1903,
+elle est tellement épuisée qu'elle a une syncope
+grave, et que son entourage est convaincu qu'elle
+va mourir. J'avoue que moi-même, quand je la vis
+alors avec le Dr C..., je fus épouvanté, malgré la
+bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique.
+C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle
+n'avait plus qu'un souffle de vie.</p>
+
+<p>Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je?
+En juin 1904, elle fit une pleuro-pneumonie. Deux
+mois après, dès qu'elle fut transportable, elle
+voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois
+mois, aux injections d'huile créosotée. En octobre
+1904, elle avait définitivement retrouvé sa santé.</p>
+
+<p>Comment douter que toutes les souffrances de
+cette jeune fille aient été surtout d'origine nerveuse?
+Et cependant voilà un cas où la perturbation
+du système nerveux central s'est traduite par
+des phénomènes qui n'avaient rien de ce que les
+neurologistes constatent d'ordinaire. Et c'est bien
+le système nerveux cérébral qui était en cause,
+chez cette malade: car ses deux grandes crises
+morbides n'ont absolument pas eu d'autre cause
+que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans
+manifestations nerveuses. Tout à fait comme
+Mme X..., malgré la dissemblance des symptômes,
+c'était une «malade», c'est-à-dire une personne
+dont le capital nerveux s'était trouvé entamé.</p>
+
+<p>Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite
+par des phénomènes cardiaques. Chaque fois
+qu'il y a eu chez le malade une défaillance du système
+nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner
+normalement, à tel point que tous les
+médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le traitaient
+infailliblement par la digitale et la caféine.</p>
+
+<p>En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même
+un faux cardiaque: c'est simplement un «malade»
+chez qui le système nerveux qui préside aux mouvements
+du coeur est plus spécialement impressionnable.</p>
+
+<p>Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un
+rhumatisme (sans endocardite), chaque fois qu'il y
+a eu un assaut quelconque dans la santé du malade,
+le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite
+d'une bronchite grippale, je constatai, pour la
+première fois, de l'arythmie, et un souffle au
+2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce souffle
+persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois,
+il est imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est
+d'une netteté extrême: si bien que plusieurs médecins
+ont affirmé une lésion de la valvule de l'aorte.</p>
+
+<p>Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z.
+n'a jamais de pouls bondissant, et de nombreux
+tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange, démontrent
+qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand
+M. Z... va bien, son coeur va bien: quand il va
+mal, quand il se surmène, ou éprouve une émotion
+vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise
+par les manifestations les plus variées: syncopes,
+arythmie, fausses angines de poitrine.</p>
+
+<p>M. Z... est un de ces hommes qui sont faits
+pour le travail intensif: chez lui, quelle que
+soit l'énormité du travail, il n'y a jamais de
+surmenage cérébral; mais c'est un <i>sensitif</i>, que
+le surmenage émotionnel guette à tout instant.
+En 1898, à la suite d'émotions vives, tout son
+système nerveux entre en révolte: le système
+digestif (dyspepsie, constipation, etc.), le système
+nerveux central (insomnie absolue, tristesse, pâleur
+insolite, épuisement des forces). En même temps
+la glycosurie fait son apparition (10 grammes de
+sucre par litre). Enfin les troubles du coeur atteignent
+une intensité extrême et défient tous les
+traitements classiques (digitale, spartéine, bromures,
+etc.).</p>
+
+<p>Désirant me voir avant de mourir, le malade me
+fit appeler le 28 avril 1898, et me raconta les soucis
+qui l'avaient accablé. Ces soucis étaient, sans
+aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une
+psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un
+régime alimentaire très modéré, réussit parfaitement
+à remettre le malade sur pied. Les deux
+années qui suivirent furent même excellentes.</p>
+
+<p>En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le
+trouble cardiaque, avec même, cette fois, un pouls
+bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous la direction
+du Dr Lagrange, produit un très bon résultat.
+En 1903, ni le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons
+plus le souffle coutumier.</p>
+
+<p>Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle
+émotion, reparaissent l'arythmie, le souffle, la glycosurie:
+de nouveau, une saison à Vichy supprime
+tout cela.</p>
+
+<p>En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles
+contrariétés, l'ébranlement du système nerveux se
+traduit par un lumbago, mais surtout par une
+anesthésie de la main et de la joue droites, qui
+effraie beaucoup le malade. Je le rassure encore,
+je le renvoie à Vichy, d'où il revient en parfait
+état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans,
+toujours avec une activité dévorante.</p>
+
+<p>C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux
+malades précédents, est simplement un «malade»,
+avec cette particularité que c'est sur le coeur que
+se portent de préférence, chez lui, les plus importantes
+manifestations de la «maladie».</p>
+
+<p>Dans les trois observations que je viens de citer,
+c'était tel ou tel département du système nerveux
+qui manifestait plus spécialement les souffrances de
+l'être entier, et les périodes de malaise étaient séparées
+par des périodes de santé, tout au moins relative.
+Voici maintenant un cas où tous les éléments
+du système nerveux sont tellement excités que la
+«maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans
+qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission,
+depuis l'époque où le système nerveux a été
+ébranlé,&mdash;c'est-à-dire depuis l'âge de huit ans,&mdash;jusqu'à
+l'âge de la cessation des règles. La malade
+dont je vais parler a été vraiment, pendant plus de
+trente ans, un parfait musée pathologique. Mais,
+malgré mille misères qui se succédaient chez elle
+comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais
+désespéré de sa survie, ni de sa guérison, à cause
+même de la mobilité et de la variété des manifestations
+morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité
+des organes.</p>
+
+<p>La «maladie» de cette personne a commencé à
+huit ans, à la suite d'une fièvre typhoïde grave.
+Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par des
+migraines très intenses et très fréquentes; mais
+dès l'apparition des règles, aux migraines se sont
+jointes des douleurs d'estomac et de la constipation.
+Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral
+a manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements
+d'oreilles, etc. Deux ans après, c'est le
+tour de la moelle: douleurs rhumatismales et
+névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois
+ans, le système nerveux cardiaque donne sa note
+dans le concert: syncopes qui durent de dix
+minutes à une demi-heure, avec perte complète de
+connaissance.</p>
+
+<p>En octobre 1889, une crise gastralgique survient,
+qui se prolonge pendant trois jours consécutifs.
+L'année suivante, c'est une douleur intercostale
+gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs
+jours; mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement
+libre, les vertiges, la céphalée, ont disparu.
+En 1893, apparaît une dermalgie qui occupe
+les deux bras. Puis voici que la fièvre survient:
+la malade a jusqu'à 40°, sans cause connue, à
+l'époque de ses règles. En 1895, se produit un état
+de péritonisme,&mdash;avec douleurs très vives dans
+l'estomac et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,&mdash;qui
+semble mettre la vie en danger.
+Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant
+les dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement,
+de 93 à 87 kilogrammes.</p>
+
+<p>L'année suivante fut très bonne. Le sommeil
+revint, l'estomac rentra dans l'ordre, la malade
+put croire que ses misères allaient prendre fin.
+Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de
+froid l'intestin à son tour se met de la partie:
+fausses membranes dans les selles, coliques, diarrhée
+et faux besoins d'exonération extrêmement
+pénibles. L'appendice même paraît touché: il y a
+une douleur très nette au point de Mac Burney. Un
+autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées,
+selles décolorées, fièvre; mais la menace ne
+persiste que quatre jours. En 1900, ulcère de l'estomac,
+vomissements noirs. La même année, je note
+une sorte d'inhibition du fonctionnement de la
+jambe droite, qui, à un moment donné, deux ou
+trois fois par mois, refuse tout service, au point
+que la malade tombe brusquement. Enfin, cette
+même année, se déclare un oedème des jambes, disparaissant
+après la marche;&mdash;c'est là un phénomène
+que j'ai souvent observé chez les «malades»
+dits <i>arthritiques</i>.</p>
+
+<p>Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904;
+la malade était, suivant son expression, un «faisceau
+de douleurs», mais elle avait un excellent
+moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle
+reviendrait à la santé. Or, le fait est que, depuis la
+fin de 1904, en même temps que disparaissaient
+ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon
+surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie,
+définitivement délivrée de toutes ses misères,
+promène joyeusement ses 105 kilogrammes et se
+déclare enchantée de vivre.</p>
+
+<p>C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses,
+même quand elle présentait les symptômes
+les plus inquiétants, cette personne n'était
+ni une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale,
+ni une gastrique, ni une cardiaque, mais simplement
+une «malade» à manifestations cérébrales,
+médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant
+les longues années où je lui ai donné des soins,
+toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à essayer
+de dynamiser son système nerveux, et de le
+dynamiser tout entier, sans presque chercher à
+atteindre, en particulier, tel ou tel de ses centres
+qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai
+eu le bonheur de deviner que cette personne
+avait les apparences de trop de «maladies» pour en
+avoir la réalité; et, de fait, quand son système
+nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la
+véritable «maladie» a aussitôt amené la guérison
+de toutes les pseudo-affections qui n'en étaient que
+le contre-coup.</p>
+
+<p>Le trouble du système nerveux central peut
+encore se traduire par les symptômes qui caractérisent,
+de la façon la plus formelle, des «maladies»
+organiques. J'ai parlé déjà, plus haut, de ce
+malade qui avait toutes les apparences d'une lésion
+du coeur, sans avoir le coeur lésé. On sait que,
+par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule les
+«maladies» organiques les plus variées. Les hystériques
+peuvent présenter les symptômes de la
+méningite, de la grossesse, voire même des «maladies»
+les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu
+un jeune soldat qui offrait tous les signes de la sclérose
+en plaques. Après trois mois d'examen, on a
+fini par le réformer; or, ce n'était qu'un hystérique.
+Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur:
+car on ne simule pas les symptômes de la sclérose
+en plaques!</p>
+
+<p>Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique,
+j'exprime mal ma pensée. En réalité, c'était un
+«malade». Je l'ai suivi pendant longtemps, après
+son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut
+plus le moindre phénomène médullaire; mais il
+eut de la dyspepsie, et j'ai su que, dans son enfance,
+il avait eu d'autres manifestations de ce que j'appelle
+la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée
+de sa vie, quand il s'est agi pour lui de faire
+son service militaire, que la «maladie» s'est traduite,
+pendant quelques mois, par ces troubles de
+l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler
+hystérie.</p>
+
+<p>Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux
+que j'ai cités suffiront, je crois, à donner une
+idée de ce que j'entends, à proprement parler, par la
+«maladie». D'une façon générale, je veux dire
+que la «maladie» embrasse tout le domaine pathologique
+qui n'appartient pas à ce qu'on pourrait
+appeler les «accidents»&mdash;accidents qui vont
+depuis les fractures et les intoxications jusqu'à
+des lésions d'organes (cancer, hémorragies cérébrales,
+etc.), en passant par toute la série des
+affections à microbes, connus et inconnus.&mdash;Au-dessous
+de ces «accidents» s'étend une série indéfinie
+de troubles pouvant revêtir toutes les formes
+et donner même l'illusion de toutes les «maladies»
+organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que
+d'origine nerveuse (en donnant à ce mot toute
+l'extension qu'il comporte), ainsi que cela apparaît
+clairement pour peu que l'on considère leurs causes,
+leur marche et leur terminaison. Dans la «maladie»
+rentrent donc toutes les névroses; la folie quand
+elle n'est pas produite par des lésions du cerveau,
+l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie,
+les algies, tous les troubles fonctionnels des
+divers organes, <i>tant que ces troubles fonctionnels
+n'ont pas amené de lésion des organes</i>.</p>
+
+<p>Les médecins voient quotidiennement la «maladie»
+sous une de ses formes préférées. C'est la
+forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le
+nom d'«embarras gastrique», synonyme d'embarras
+de diagnostic. Dans cette affection, il ne
+faut pas croire que le système nerveux soit indemne;
+les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges,
+souvent des bourdonnements d'oreille, un état de
+fatigue générale du système musculaire, de l'insomnie,
+de la difficulté pour lire, pour supporter une
+conversation; ils ne souhaitent que le repos et
+la tranquillité. Si on les leur accordait, si une
+médication perturbatrice n'intervenait pas, si on
+graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait,
+en général, aucune complication; et après
+quinze jours, un mois, ils reviendraient peu à peu
+à la santé<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6"><sup>6</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" name="footnote6"></a><b>Note 6:</b><a href="#footnotetag6"> (retour) </a> La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise urinaire.
+Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois
+même urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre,
+claires et abondantes. En même temps la température tombe,
+pendant deux ou trois jours, au-dessous de la normale, le sommeil
+reparaît, l'appétit également, et tout rentre dans l'ordre.</blockquote>
+
+<p>Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le
+mode chronique; et c'est pendant des mois et des
+années que l'on voit tout le système organique
+compromis dans son fonctionnement. Le système
+nerveux, l'estomac, l'intestin, laissent à désirer
+d'une façon à peu près égale. C'est chez ces grands
+malades qu'on est en droit de se demander si c'est
+le cerveau qui tient sous sa dépendance les troubles
+nerveux de l'estomac ou de l'intestin, ou si c'est
+l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle manière
+de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique
+exclusive: on s'acharne à remédier aux troubles
+du système nerveux, en négligeant les troubles
+digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a
+tort. Pour faire de la bonne thérapeutique, il faut
+<i>à la fois</i> soigner le cerveau, l'estomac, l'intestin,
+la moelle, le malade entier, en un mot, tout en
+recherchant, si possible, quel est le système le
+plus compromis et dont le fonctionnement laisse le
+plus à désirer.</p>
+
+<p>C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais,
+maintenant, rechercher les causes les plus
+habituelles, avant d'en indiquer, dans ses grandes
+lignes, le mode de traitement: traitement qui doit
+être toujours <i>général</i>, puisque toujours la «maladie»,
+même quand elle ne se traduit que par des
+troubles locaux, est, par son essence, d'ordre
+général.</p>
+
+<p>Quant au traitement particulier des «maladies»
+accidentelles, il va sans dire que je n'aurai pas à
+m'en préoccuper dans ce travail.</p>
+
+<h4>CHAPITRE III</h4>
+
+
+<h4>LES CAUSES DE LA «MALADIE»</h4>
+
+<p>I.&mdash;CAUSES PHYSIQUES</p>
+
+<p>Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers
+toutes les circonstances de sa vie qui compromettent
+sa valeur, soit momentanément, soit d'une
+façon définitive et irrémédiable. Elles varient à
+l'infini; l'homme heureux seul n'a pas d'histoire, et
+l'homme heureux est un être de raison, qui n'existe
+pas dans la réalité.</p>
+
+<p>Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer
+que ce n'est pas le surmenage cérébral, ni le
+surmenage musculaire, ni même les vices d'alimentation,
+le défaut de confort, l'aération insuffisante,
+etc., qui constituent les grands facteurs de
+la «maladie»: c'est le surmenage émotionnel, c'est le
+chagrin,&mdash;l'influence psychique, en un mot.</p>
+
+<p>Cependant les autres influences morbigènes
+méritent une mention détaillée. Je les rapporterai
+aux trois chefs suivants:</p>
+
+<p>I. Surmenage cérébral.</p>
+
+<p>II. Surmenage musculaire.</p>
+
+<p>III. Alimentation défectueuse ou insuffisante.</p>
+
+<p>1° <i>Surmenage cérébral</i>.&mdash;Le cerveau est fait
+pour fonctionner, comme le coeur est fait pour
+battre; et il est bien rare que le travail cérébral, à
+lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une
+cause de détérioration profonde, et surtout de
+déchéance définitive. C'est bien plutôt un élément
+de survie prolongée.&mdash;Voyez cet écrivain qui, à
+l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner
+le monde par les productions de son génie; il n'a
+jamais cessé de travailler, et il a pu faire les frais,
+à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet
+âge, est presque toujours fatale. Quel est donc son
+secret? Son secret, c'est de n'avoir aucune préoccupation
+étrangère à son travail; c'est d'avoir une
+femme qui pense pour lui à tous les détails de la
+vie; c'est d'avoir une excellente hygiène morale,
+la paix du coeur et de l'esprit.</p>
+
+<p>Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail
+cérébral insuffisant, et tout le monde sait que
+les désoeuvrés sont bien à plaindre. Ce sont des
+coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre
+sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils
+lui doivent; mais ce sont aussi des malheureux,
+car la «maladie» les guette. Le désoeuvré accidentel
+lui-même, habitué à un travail cérébral considérable,
+s'il est condamné trop longtemps au repos
+de l'esprit, sent qu'il lui manque quelque chose: il
+perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de
+reprendre le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire
+que l'air respirable.</p>
+
+<p>Quand, cependant, le travail cérébral est poussé
+à une limite véritablement excessive, il amène aussi
+ce que nous avons appelé la «maladie», c'est-à-dire
+la détérioration, quelquefois définitive ou prolongée
+pendant des années. On en voit des exemples
+chez les candidats aux écoles, à l'internat, à
+l'agrégation, etc. On serait porté à croire, <i>a priori</i>,
+que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe
+surmené; c'est vrai quelquefois, mais pas toujours,
+même quand elle est de cause cérébrale, elle peut très
+bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de l'entérite,
+tout comme si elle avait été produite par une
+intoxication. Il faut toujours en revenir aux notions
+que nous avons développées au chapitre précédent:
+à la notion des points faibles, et à la variété
+des manifestations par lesquelles l'organisme traduit
+le malaise causé par une influence déterminée.</p>
+
+<p>2° <i>Surmenage musculaire</i>.&mdash;Il n'amène qu'exceptionnellement
+la «maladie». Chez le surmené
+musculaire, quelques jours ou quelques semaines
+de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions
+d'aplomb; et l'on ne saurait se figurer le rendement
+dont est capable la machine, quand, par
+ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la
+dépense cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers
+italiens produire un travail musculaire véritablement
+colossal, tout en ayant une alimentation très
+restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une
+fois par semaine, eau claire), et ce, sans le moindre
+préjudice pour leur santé. Ils se contentaient du
+salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal
+venu de proposer à nos ouvriers français.</p>
+
+<p>Il est cependant incontestable que le travail musculaire,
+poussé à de trop grands excès, peut devenir
+une cause de «maladie» momentanée, et préparer le
+terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous
+en avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement
+dans l'armée, et des sports chez les jeunes gens.</p>
+
+<p>3° <i>Vices d'alimentation</i>.&mdash;Ils jouent un rôle
+important dans la pathogénie de la «maladie», d'autant
+que, en dehors des cas d'intoxication aiguë,
+ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement, insidieusement.
+Le plus souvent, en effet, l'estomac et
+l'intestin ne se révoltent qu'après de longues années
+de protestations presque silencieuses. Mais, à partir
+du jour de cette révolte, la «maladie» est constituée. Les
+symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus
+souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour
+surprendre, puisque c'est l'estomac qui a été, dans
+ces cas, le plus spécialement molesté. Cependant,
+dans certains cas, les troubles dyspeptiques passeront
+à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement
+le diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique
+qui n'a, pour un examinateur superficiel, que des
+troubles cérébraux; il peut très bien se faire qu'il
+ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître
+par un bon régime. Dans ce cas, les phénomènes
+gastriques étaient au second plan pour le clinicien,
+alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au
+premier plan. Si donc le clinicien veut être bon
+thérapeute, il doit se rappeler les grandes lois que
+nous avons déjà formulées: s'il traite comme cérébral
+un sujet dont la «maladie» a été provoquée par
+des troubles alimentaires, il fait fausse route; de
+même qu'il ferait fausse route en traitant comme
+dyspeptique un sujet ayant des misères gastriques,
+intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique
+aurait été occasionné par du surmenage cérébral,
+médullaire, émotionnel.</p>
+
+<p>Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation
+défectueuse retentit sur l'ensemble de
+l'organisme.</p>
+
+<p>On a fait grand bruit, ces derniers temps, de
+l'auto-intoxication d'origine alimentaire; et beaucoup
+de médecins s'obstinent à ne voir dans la
+«maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout
+quand elle revêt la forme nerveuse, qu'une sorte
+d'empoisonnement de la cellule cérébrale par les
+toxines alimentaires.</p>
+
+<p>C'est là une hypothèse assez commode, et qui
+rend compte d'un nombre considérable de faits:
+mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et ne
+pouvant pas être démontrée par des observations
+véritablement scientifiques. On pourrait tout aussi
+bien expliquer les phénomènes rapportés à l'auto-intoxication
+par l'irritation que provoque, sur le
+plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore
+par l'irritation des extrémités nerveuses du pneumo-gastrique.
+On sait que ce nerf étend ses ramifications
+sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on
+s'expliquerait ainsi les irradiations à distance provoquées
+par l'irritation stomacale: la dyspnée,
+l'asthme, les fausses cardiopathies, etc.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation
+peuvent incontestablement provoquer, à eux seuls,
+la «maladie». Mais, le plus souvent, ils s'associent
+à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage,
+à la débauche, etc.</p>
+
+<p>Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se
+classer en quatre catégories distinctes:</p>
+
+<p>I. Alimentation excessive en quantité.</p>
+
+<p>II. Alimentation insuffisante en quantité.</p>
+
+<p>III. Alimentation insuffisante en qualité.</p>
+
+<p>IV. Abus de l'alcool.</p>
+
+<p>I. <i>Alimentation excessive</i>.&mdash;Nous ne voulons
+pas nous étendre ici sur les inconvénients, vraiment
+assez connus, de l'alimentation excessive. Disons
+seulement que l'alimentation excessive empoisonne
+peut-être la cellule nerveuse par les toxines alimentaires,
+mais que sûrement elle impose aux organes
+chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un travail
+exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de
+là, à la longue, le surmenage et les protestations
+de ces divers organes, se traduisant de mille et une
+façons (eczéma, urticaire, gravelle, etc.). Cette
+manière de voir donne satisfaction aux partisans
+de l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la
+théorie de l'irritation du pneumo-gastrique, ou
+du plexus solaire, on peut également comprendre
+comment cette irritation, presque permanente,
+des nerfs de l'estomac par une alimentation incendiaire,
+amène, par action réflexe, des troubles de
+coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon
+(asthme, dyspnée), du cerveau et de la moelle,
+voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi,
+d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la
+fois? ce ne serait, en tout cas, pas déraisonnable.</p>
+
+<p>Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose <i>optima</i>
+d'aliments qui convient pour entretenir la vie et
+pour réparer les dépenses incessantes de l'organisme?
+Elle doit varier, évidemment, suivant le
+travail produit, et suivant les individus. Tous n'ont
+pas le même besoin d'alimentation, pas plus que,
+dans un régiment de cavalerie, tous les chevaux
+n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient
+obligés aux mêmes dépenses musculaires. On a
+essayé de fixer mathématiquement ce qu'on appelle
+la «ration d'entretien» et la «ration de travail»;
+et les différents chimistes qui se sont livrés à ce
+calcul sont arrivés à des chiffres qui variaient du
+simple au quadruple: mais tous s'accordent pour
+démontrer qu'il faut <i>très peu d'aliments</i> pour subvenir
+à la «ration d'entretien», et même à la «ration
+de travail», de l'homme. La vérité est que nous
+mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la
+machine humaine soit bien admirablement construite
+pour qu'elle résiste aux assauts quotidiens
+que nous lui imposons.</p>
+
+<p>Comme ce problème de la ration physiologique
+m'a toujours intéressé, je me suis livré à une
+enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme
+que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est
+pour rien dans leur morbidité. Ils ont beaucoup
+moins de jours d'indisponibilité que la plupart des
+autres hommes du même âge, meurent plus vieux,
+et s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les
+Trappistes, le régime fort sévère n'est pas une
+cause de morbidité; j'ai même été étonné, à leur
+propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain,
+et de constater qu'un homme habitué à manger
+comme tout le monde pouvait, d'un jour à l'autre,
+sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint
+d'une Trappe.</p>
+
+<p>Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint
+chez les individus qui dépensent beaucoup?
+Oui, je l'ai étudié dans l'armée<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7"><sup>7</sup></a>, et j'affirme, au nom
+d'une expérience de deux années, pendant lesquelles
+je me suis occupé de l'alimentation du soldat avec
+un colonel qui avait, de ce grave problème, tout le
+souci qu'il mérite, que, si le soldat français, le seul
+que je connaisse, avait la quantité et la qualité des
+aliments auxquels il a droit de par les règlements,
+et si ces aliments étaient préparés comme ils devraient
+et comme ils pourraient l'être dans toutes les garnisons,
+sa nourriture serait tout à fait suffisante.
+Elle n'est un peu au-dessous des besoins que pour
+les jeunes soldats, pendant les trois premiers mois
+de la nouvelle existence qui leur est imposée; aussi
+les officiers soucieux de la santé de leurs soldats
+réservent-ils pour les nouveaux arrivants les <i>boni</i>
+qu'ils ont pu réaliser sur les hommes dits «de la
+classe».</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" name="footnote7"></a><b>Note 7:</b><a href="#footnotetag7"> (retour) </a> <i>La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de médecine
+légale</i>, février 1890).</blockquote>
+
+<p>Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des
+guides alpins, qui, non seulement, les jours d'excursion,
+se contentent d'une alimentation extrêmement
+réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits
+secs), mais, en temps ordinaire, mangent très peu,
+pour conserver leurs forces. Les professionnels du
+sport, également, savent que la sobriété est la condition
+de leur succès.</p>
+
+<p>Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs
+années, des soins à une dame qui, avec toutes les
+apparences de la santé, était constamment souffrante:
+migraines, eczéma, urticaire, affections
+cutanées polymorphes, palpitations, dyspnée,
+insomnies, caractère inquiet, émotivité exagérée,
+sensation de fatigue permanente, tendance à l'obésité,&mdash;et
+j'en passe, pour ne pas faire le tableau
+complet de ce qu'on est convenu d'appeler la
+«grande neurasthénie». Chose curieuse, elle avait
+peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation
+et des hémorroïdes. Elle avait même un
+vigoureux appétit, bien qu'elle prît fort peu d'exercice.
+En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation:
+précisément à cause de cet appétit de premier
+ordre, elle ne voulait pas entendre parler de
+régime restreint. Mais voici que l'adversité s'abattit
+sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en
+fut réduite à ne plus manger que des pommes de
+terre cuites dans le four d'un petit poêle en
+faïence, et des haricots; un demi-litre de lait
+était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce
+jour, elle alla bien. Toutes ses misères disparurent
+successivement, en trois ou quatre mois,
+y compris les misères nerveuses et les migraines;
+et force me fut d'attribuer au seul changement de
+régime la surprenante modification de sa santé.
+Car on croira peut-être que, pressée par le besoin,
+elle s'est mise à marcher davantage, pour chercher
+du travail, ou pour se créer des relations? Non,
+elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des
+relations quand on est dans l'extrême détresse; et
+je lui procurai un travail sédentaire, qui consistait
+à faire des adresses sur des bandes, pour un grand
+magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est
+pas, non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a
+pu modifier avantageusement sa mentalité. En
+dehors de ses douze heures de travail quotidien,
+elle avait des préoccupations angoissantes, qui
+auraient suffi pour ébranler un système nerveux
+moins équilibré. C'est donc bien uniquement, toute
+analyse faite, à la restriction du régime, et à cet élément
+seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je
+pourrais, là encore, multiplier les exemples: mais
+aucun ne peut être plus typique que celui que je
+viens de relater à grands traits.</p>
+
+<p>Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation
+insuffisante.</p>
+
+<p>II. <i>Alimentation insuffisante en quantité</i>.&mdash;Tout
+le monde connaît les désastres occasionnés par les
+famines qui sont encore, hélas! trop fréquentes en
+Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous
+estimons que personne ne doit avoir une alimentation
+insuffisante, et que c'est une honte pour une
+société civilisée d'avoir un seul de ses membres
+manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à
+proclamer que ce déshérité aurait, dans ce cas, le
+droit absolu de prendre ce qui est indispensable à
+sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre
+si un jour la capricieuse fortune venait à lui sourire.
+C'est d'ailleurs la doctrine de l'Église, nettement
+formulée par saint Thomas, et très bien
+expliquée dans un livre récent (<i>Socialisme et Christianisme</i>)
+de l'abbé Sertillanges, professeur de
+philosophie à l'Institut catholique. Mais laissons
+là ces considérations d'ordre social, renonçons au
+délicat plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers
+adjacents, et reprenons notre grande route! Ce
+qui est sûr, c'est que le problème de l'insuffisance
+d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez
+les gens bien portants; notre état social n'étant pas
+aussi détestable que se plaisent à le dire quelques
+pessimistes, ou encore quelques jouisseurs, qui
+semblent n'avoir pour but que de semer la haine
+par leurs discours et par leurs écrits. En France,
+personne ne meurt de faim, et bien peu de gens
+sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant donné
+le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter.</p>
+
+<p>Là où le problème de l'insuffisance alimentaire
+devient, pour le médecin, d'une douloureuse perplexité,
+c'est quand il s'agit de malades ne pouvant
+ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence
+rien digérer, vomissant tout ce qu'ils
+prennent, arrivés au dernier degré de la consomption,
+n'urinant presque plus, restant des semaines
+entières sans aller à la garde-robe, ne dormant
+plus, ne pouvant plus ni lire, ni supporter une
+conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu
+de ces grands malades sans lésions organiques,
+auxquels il est très difficile de faire du bien, et
+auxquels on fait trop facilement du mal par une
+intervention intempestive. Est-il admissible que la
+vie persiste dans ces conditions déplorables, et
+faut-il, oui ou non, forcer ces malades à manger?</p>
+
+<p>Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance
+du système nerveux, en domptant sa révolte,
+on arrive à des résultats remarquables. Chez de
+grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une
+seule application de la sonde oesophagienne suffit
+pour faire renaître l'appétit, et rendre à l'estomac la
+tolérance qu'il avait perdue depuis longtemps. Le
+plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard,
+est celui d'une jeune femme mariée à un capitaine
+au long cours. Dès le lendemain du mariage, il l'emmenait
+en voyage de noces à San Francisco, en
+passant par le détroit de Magellan, sur un navire
+à voiles. Pendant ce voyage, qui dura six mois, la
+jeune femme commença à éprouver divers symptômes
+morbides. Elle en arriva à être gravement
+atteinte, et on dut la faire revenir, par les voies les
+plus rapides, de San Francisco à Paris, où elle
+désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je
+trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes
+les apparences d'une tuberculeuse avancée; l'auscultation
+ne révélait cependant rien. Pendant les
+trois premières semaines de son séjour à Paris,
+elle avait une inappétence absolue, ne tolérait aucun
+aliment, pas même le lait coupé, et était dévorée
+par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La température
+s'abaissait à 40° le matin. Bien que la
+chaleur de la peau fût mordicante, bien que la
+malade n'eût aucun intérêt à me tromper puisque
+c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je
+me refusai à croire à la possibilité d'une fièvre
+aussi ardente et aussi continue. Je m'attachai à
+vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin
+les indications thermométriques; elles étaient parfaitement
+exactes. C'est alors que, en désespoir de
+cause, voyant que ni la quinine en injections ni
+les lotions fraîches ne modifiaient cette température,
+je me décidai à recourir aux lumières du
+Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je ne
+trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement
+pas d'impaludisme; nous sommes donc
+en présence d'une de ces hyperthermies comme on
+en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le
+plus pressé est d'empêcher cette femme de mourir
+de faim, et, puisqu'elle ne peut pas manger, il faut
+la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et,
+après cinq repas assez copieux donnés à la sonde,
+la malade retrouva l'appétit, la fièvre tomba, le
+sommeil revint. Deux mois après, elle pouvait
+quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais
+une lettre m'annonçant la naissance d'un enfant.
+Suivant la formule traditionnelle, la mère et l'enfant
+se portaient bien.</p>
+
+<p>Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce,
+le professeur Delorme m'invita à voir l'un de ses
+malades, opéré depuis dix jours, et qui, depuis, ne
+voulait pas manger. Il était guéri de son opération,
+n'avait aucune fièvre, aucune lésion organique,
+mais il se refusait obstinément à avaler quoi que ce
+fût. C'était probablement le choc opératoire qui
+avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de
+certain, c'est qu'il maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai
+pas, alors, à lui donner du premier coup, par
+la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance
+possible, un repas complet; dès le même
+soir, il demandait à manger, et, s'étant mis à digérer,
+il était guéri. Huit jours après, il sortait de
+l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que,
+chez les aliénés, il ne soit du devoir strict du
+médecin de prolonger l'alimentation à la sonde
+aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après
+s'être toutefois bien enquis du fonctionnement du
+système digestif. Il y a là de grosses difficultés
+cliniques.</p>
+
+<p>D'une façon générale, cependant, nous hésitons
+toujours à employer ce moyen brutal qu'est la
+sonde oesophagienne; le plus souvent, quand l'alimentation
+est indiquée pour une grande neurasthénique
+qui ne veut ou ne peut pas manger, nous
+la lui imposons par suggestion à l'état de veille.
+Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La
+vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut
+alimenter. La responsabilité du médecin est, quelquefois,
+bien gravement engagée dans ce problème.
+S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même
+par suggestion ou par persuasion, il risque de
+donner à sa malade une indigestion formidable,
+avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il
+risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de
+vie qui soutiennent l'existence de la malade. Étant
+donné ce que nous avons dit du peu d'aliments
+qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à
+redouter d'une alimentation intempestive, nous
+croyons qu'il faut patienter le plus possible, et ne
+donner à ces malades que le régime ultra-restreint,
+sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage,
+toujours prêt à se figurer que la malade
+va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand, par
+une alimentation restreinte mais bien conduite, on
+a été assez heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,&mdash;et
+on y arrive toujours,&mdash;alors seulement
+on alimente plus généreusement.</p>
+
+<p>Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder
+habituelle de nos confrères renommés pour
+le traitement des grandes névroses; mais nous ne
+pouvons pas admettre que tous les malades, quel
+que soit le degré de leur «maladie», soient justiciables
+d'un même procédé thérapeutique, et que, après six
+jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise
+de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils
+mangent et qu'ils digèrent n'importe quoi. Ils mangeront
+peut-être, mais tous ne digéreront pas.</p>
+
+<p>III. <i>Alimentation insuffisante en qualité</i>.&mdash;Si
+l'insuffisance alimentaire quantitative joue, dans
+la pathogénie de la «maladie», un rôle relativement
+minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance
+qualitative; et la défectueuse qualité des
+aliments est un ennemi de tous les jours, d'autant
+plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On ne
+saurait croire combien les aliments les plus usuels
+sont frelatés. Si une chimie bienfaisante permet,
+par-ci par-là, de découvrir quelques fraudes, il est
+une chimie malfaisante qui fait tous les jours des
+progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous
+en doutions. Bientôt le dictionnaire des falsifications
+alimentaires atteindra le volume du Bottin.
+Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se
+mettent aussi de la partie, et, par les procédés de
+congélation, en particulier, on arrive à jeter sur
+les marchés des aliments de belle apparence, mais
+qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante.
+Prenons, à titre d'exemple, les poissons de
+mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans un
+port de mer, par la vue de gros blocs de glace que
+des pêcheurs emportaient avec eux. Ces blocs ne
+me disaient rien qui vaille; et j'appris, en effet, que
+ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours, et
+que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson,
+ils le mettaient dans la glace: de telle sorte que ce
+poisson congelé arrive sur nos marchés avec bel
+aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires
+avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état
+d'aliment toxique.</p>
+
+<p>Certains procédés de stérilisation sont également
+vus d'un mauvais oeil par l'hygiéniste. Pour
+les conserves de viande, notamment, on sait les
+préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire;
+et le problème vient seulement d'être résolu,
+grâce au zèle d'une commission composée de nos
+plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en
+bactériologie qui ont travaillé pendant de longs
+mois.</p>
+
+<p>Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est
+pourquoi il est si souvent un breuvage meurtrier,
+non seulement pour les enfants, mais même pour
+les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié,
+ou adultéré spontanément, qu'il est, chez les
+malades, d'un emploi si délicat. Remarquez que
+nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si le
+lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas
+parce qu'il est altéré, c'est parce qu'il est trop riche
+en crème, ou pris en trop grande quantité, c'est
+aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple
+bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou
+s'en abstenir, sans poursuivre le projet insensé de
+vaincre l'intolérance des malades. A cela on y
+arrive parfois, quand le malade est complaisant,
+mais le plus souvent on échoue.</p>
+
+<p>Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons,
+mollusques, viandes, provoquent des empoisonnements
+dont on néglige souvent de chercher
+la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la
+fièvre typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre
+ces deux extrêmes, toutes les variétés cliniques se
+rencontrent. D'autres fois, ils empruntent le masque
+du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que
+le traitement consiste à attendre que l'économie soit
+débarrassée de ces poisons (diète absolue d'abord,
+puis tisanes et repos); quant à chercher à favoriser
+l'élimination des poisons par des purgatifs ou des
+vomitifs, c'est très légitime en théorie, mais, en
+fait, très dangereux, car on ajoute ainsi un élément
+de perturbation qui aggrave parfois grandement
+l'état morbide.</p>
+
+<p>Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication
+alimentaire n'occasionne qu'à la longue la perturbation
+du système digestif; et c'est alors qu'il est si
+difficile de rapporter les effets directs et éloignés
+de cette perturbation à leur cause véritable.</p>
+
+<p>IV. <i>Alcool</i>.&mdash;Certes, l'alcool et toutes les boissons
+distillées, quelque pompeuse que soit l'étiquette
+de leur flacon récepteur, constituent un aliment
+meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en
+leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence
+pour la mémoire de Duclaux, qui a excité de
+si vives polémiques en écrivant que l'alcool était
+un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme
+sont de ceux que déplorent tout hygiéniste et tout
+bon citoyen; aussi ne saurait-on encourager trop
+les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de tempérance,
+etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts
+contre les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache
+aux conditions économiques de la société?
+L'alcoolisme durera aussi longtemps que l'impôt sur
+l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté
+à l'État 358 392 000 francs (et dans ce chiffre
+ne sont pas compris les droits sur les vins, cidres,
+bières, etc.); aussi longtemps que la puissance
+électorale du marchand de vin; aussi longtemps
+que le malaise de l'ouvrier, poussé au cabaret par
+la destruction du foyer et l'insalubrité du logis...</p>
+
+<p>Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant
+sincèrement le succès des généreux efforts des
+ligues anti-alcooliques, de conserver un reste de
+pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool
+un oubli momentané aux misères humaines. C'est
+souvent leur malheur, et non leur faute, s'ils tombent
+dans la dégradation progressive qu'on déplore
+à trop juste titre.</p>
+
+<p>Mais autant est légitime la campagne contre les
+boissons distillées, autant, à notre avis, les boissons
+fermentées devraient trouver grâce devant la
+rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la
+ligue anti-alcoolique française, pour ne parler que
+d'elle, compromet d'une façon irrémédiable le
+résultat qu'elle poursuit, si elle continue à proscrire
+les boissons <i>fermentées</i>. Qu'un intellectuel
+dyspeptique ne tolère pas une goutte de vin à ses
+repas, c'est chose possible, et il fera bien de s'en
+abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre,
+c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a
+quelques années, on pouvait dire qu'un litre de vin
+représentait 100 grammes de mauvais alcool; mais
+depuis la surproduction des vignes françaises, et
+depuis qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin
+est devenu une boisson hygiénique, quand elle est
+prise à petite dose par des gens dont l'estomac n'est
+pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait
+mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en
+chambre, de dépenser à l'achat d'aliments azotés,
+ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense à acheter
+du vin; mais que deviendrait la vie si elle était
+soumise aux tyrannies des théoriciens hygiénistes?</p>
+
+<p>Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter
+que le vin entrât dans la ration réglementaire.
+Presque tous apprécient énormément le vin,
+et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du
+chef qui leur octroie aimablement un quart de litre
+de vin. Malheureusement, il ne faut pas songer
+avant longtemps à introduire l'usage régulier du
+vin dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on
+voulait se rappeler que, chaque fois qu'on augmente
+d'un centime par jour la dépense du soldat français,
+le budget se trouve grevé d'un million par an, on
+mettrait fin du coup à toutes les discussions, plus
+ou moins intéressées, qui font perdre à nos législateurs
+un temps précieux.</p>
+
+<p>Un esprit chagrin pourrait nous répondre que
+l'eau stérilisée que l'on donne aux soldats coûte
+plus cher que le vin, si l'on tient compte du prix
+d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du
+combustible, et surtout de la répugnance invincible
+qu'ont les soldats à boire cette eau cuite, presque
+toujours tiède malgré les soins qu'on met à la
+refroidir après la stérilisation; mais nous aurions
+mauvaise grâce à nous associer à ces critiques. Il
+ne faut décourager les efforts de personne.</p>
+
+<p>Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une
+boisson recommandable pour l'adulte valide, chez le
+malade le vin et les autres boissons fermentées
+sont, en général, de véritables toxiques; et c'est
+par la suspension du vin qu'il faut commencer le
+traitement de tous les dyspeptiques. Mais quand
+l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit d'aider
+à la reconstitution du système nerveux, le vin
+devient un adjuvant utile; et non pas sous une forme
+pharmaceutique quelconque, mais sous la forme de
+bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin d'Algérie,
+du Midi, etc.).</p>
+
+<p>En résumé, les erreurs de l'alimentation sont
+essentiellement regrettables, comme le sont toutes
+les erreurs contre la véritable hygiène; elles entrent
+pour une bonne part dans la genèse de la «maladie»;
+mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées
+à fond, tandis que les influences qui nous restent
+à passer en revue agissent plus profondément
+encore, d'une manière plus insidieuse et plus malfaisante;
+et leur rôle pathogénique n'est, en général,
+pas apprécié à sa juste valeur. Nous voulons
+parler des influences morales.</p>
+
+<p>II.&mdash;CAUSES MORALES</p>
+
+<p>Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence
+du moral sur le physique; mais, malgré les
+travaux de divers philosophes, les médecins en général
+ne connaissent pas encore assez cette influence
+du moral, et ne lui attribuent pas assez d'importance.
+En réalité, elle joue un rôle énorme, et dans
+presque tous les cas elle se rencontre, pour qui
+sait la chercher. Malheureusement, pour faire de
+semblables enquêtes, il faut beaucoup de temps,
+il faut que le médecin devienne le confident, l'ami
+de son malade, et qu'une regrettable suspicion de
+l'entourage ne l'empêche pas d'accomplir son
+oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin ait des
+qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la
+pensée du sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre
+à mots couverts.</p>
+
+<p>Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales
+de «maladie» sont multiples, et peuvent être rapportées
+aux quatre grands chefs suivants, que nous
+classons par ordre d'importance effective, sans
+aucune prétention psychologique:</p>
+
+<p>1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au
+jeu, etc., ambitions déçues.</p>
+
+<p>2° Influences qui compromettent, par une action
+lente et continue, la quiétude de l'âme (passions
+contrariées, chagrins d'amour).</p>
+
+<p>3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés
+par l'éloignement ou la perte d'êtres
+aimés).</p>
+
+<p>4° Choc moral et choc traumatique.</p>
+
+<p>1° <i>Pertes matérielles</i>.&mdash;Les pertes de fortune,
+les changements de situation, sont des facteurs
+moins importants qu'on ne se le figure d'ordinaire,
+relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois
+le premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez
+vite aux nouvelles conditions d'existence qui leur
+sont faites, si elles n'ont pas, par ailleurs, à s'alarmer
+pour leurs enfants, et si elles sont préalablement
+bien portantes. On pourrait paraphraser la
+pensée d'Horace, en disant: <i>Sanum et tenacem
+impavidum feriunt ruinae</i>. C'est ainsi qu'on a pu
+définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»;
+et c'est peut-être la meilleure définition qu'on en
+ait donnée.</p>
+
+<p>Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains
+cas, les perturbations dans la situation sociale,
+les pertes d'argent, provoquent des assauts considérables,&mdash;que
+le médecin doit savoir deviner,&mdash;
+capables de produire la «maladie», et surtout de
+l'aggraver quand elle existe déjà à un degré quelconque.
+Voyez ce diabétique qui, d'un jour à
+l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez
+bien: c'est souvent parce qu'il a eu, la veille,
+une perte d'argent.</p>
+
+<p>Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes
+qu'une perte survenue accidentellement ou par
+imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une
+influence morbide considérable. Le joueur, en
+effet, vit dans un milieu anti-hygiénique; il joue,
+le plus souvent, la nuit, et se prive de sommeil;
+en outre, son surmenage émotionnel est doublé de
+surmenage cérébral; bref, la funeste habitude du
+jeu mérite une place d'honneur parmi les causes
+morales pathogènes.</p>
+
+<p>Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie
+avec les pertes au jeu. Ici l'enjeu, au lieu d'être
+une somme d'argent, est un grade, une décoration,
+un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue
+quelquefois une importance qui nous fait sourire,
+mais qui, cependant, lui tient grandement au coeur:
+car tout est relatif dans la vie, et l'ambition déçue
+après de longs efforts, après des tentatives souvent
+répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie».
+Qui ne connaît, dans son entourage, un officier
+navré d'avoir à prendre sa retraite sans avoir
+obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait
+le malheur d'une famille, et son propre malheur,
+au point d'en perdre la santé, ou quelquefois la
+vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais
+c'est de cette nourriture que vivent les hommes.</p>
+
+<p>2° <i>Influences qui compromettent la quiétude de
+l'âme</i>&mdash;Les unes agissent par leur continuité: ce
+sont les coups d'épingles incessants dans un ménage
+où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles
+de famille quotidiennes, l'impossibilité de
+fuir un milieu où l'on ne se sent pas à l'aise. C'est
+le fait d'être souvent en butte aux taquineries ou
+aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend
+pas, d'avoir à subir l'autorité malveillante d'un
+parent, d'une mère. La victime se trouve tiraillée
+à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion
+plus ou moins forte du devoir, et, d'un autre,
+poussée à la révolte par les vexations, réelles ou
+imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice incessant
+finit par «énerver»,&mdash;c'est le mot qu'on emploie
+journellement,&mdash;autrement dit, finit par amener
+la «maladie», à un degré variable: et l'une de ses
+formes les plus connues s'appelle le délire de la
+persécution, quand le trouble mental domine la scène
+morbide. Mais, si l'on étudie de près un «persécuté»,
+on verra bien vite qu'il n'est pas malade
+que de la tête; il digère mal, il est constipé, il
+maigrit, il a souvent des battements de coeur, de la
+dyspnée, la peau sèche, etc., etc.; toutes ses fonctions
+sont en délire. Tout est fou chez l'aliéné,
+parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand
+malade».</p>
+
+<p>D'autres fois, c'est une passion vive, intense,
+qui compromet l'équilibre de la santé. La passion
+amoureuse mérite, à ce titre, d'être signalée au
+premier rang; nous en avons dit un mot déjà, à
+propos de la jeune fille: mais ici nous l'étudions
+dans sa forme ardente, fougueuse, la forme
+qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le
+système nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie,
+qui peut se traduire par la production
+de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de
+<i>Tristan et Yseult</i>, ou comme la <i>Nuit d'Octobre</i>,
+mais qui amène souvent, chez celui qui en est
+victime, une perturbation générale de la santé,
+quand un obstacle d'ordre moral ou matériel
+empêche cette passion de se satisfaire. La victime
+perd alors le sommeil, s'agite dans le vide,
+est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet
+les fonctions digestives; l'estomac entre en
+scène, le cercle vicieux s'établit; la «maladie» est
+constituée. Elle durera tant que durera sa cause,
+ou qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté
+le remède efficace. Bien souvent, d'ailleurs, le
+temps seul est le remède; et il faut savoir attendre,
+sans imposer au malade une médication perturbatrice,
+qui aggraverait son état.</p>
+
+<p>Lorsque la victime est obligée de garder pour
+elle son secret, sans pouvoir le communiquer à un
+confident, sa situation est encore plus lamentable.
+Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là
+l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer confiance à son malade et à provoquer
+chez lui des confidences, qui le soulagent
+plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité.</p>
+
+<p>Combien de femmes sont malheureuses en
+ménage sans que personne s'en doute! Elles dissimulent
+avec un soin jaloux à leur famille, à leurs
+amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et
+combien leur misère n'est-elle pas atténuée quand
+elles peuvent confier leur chagrin à un homme de
+bon conseil?</p>
+
+<p>3° <i>Inquiétudes d'origine altruiste</i>.&mdash;Les inquiétudes
+relatives à la santé d'un être cher sont souvent
+aussi une cause de neurasthénie, et il n'est
+pas rare de voir les divers membres d'une famille
+devenir, tour à tour, malades, par le fait des
+préoccupations et des fatigues qu'a causées l'atteinte
+d'un premier membre. Une mère qui,
+comme je l'ai vu, passe vingt jours et vingt
+nuits sans quitter le chevet de son enfant atteint
+de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant
+sera guéri. Elle pourra peut-être devenir, à
+son tour, une typhoïdique; mais, même si elle ne
+prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée
+pour longtemps. De même encore le fait d'avoir
+un enfant infirme, qu'on voit du matin au soir,
+empoisonne assez l'existence pour entraîner, quelquefois,
+la «maladie».</p>
+
+<p>Dans une famille bien unie, la névrose de l'un
+des membres ébranle tellement le système nerveux
+des autres, que la nécessité de la séparation s'impose.
+La contagion de la névrose n'est cependant
+pas une «contagion» au sens propre du mot;
+mais, en pratique, on est souvent appelé à traiter
+le malade comme s'il était contagieux, dans son
+propre intérêt et dans celui de son entourage.</p>
+
+<p>Le départ des êtres qui nous sont chers est un
+autre facteur important de «maladie»:&mdash;même la
+séparation momentanée, (femmes de marins ou de
+militaires partant en campagne),&mdash;sans compter
+que le chagrin de la séparation se double, en ce cas,
+d'inquiétude pour les dangers que va courir l'être
+aimé. On voit alors la «maladie» survenir au
+bout de quelque temps, revêtir une forme quelconque,
+avec des manifestations variant à l'infini
+(insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes
+traduisant le malaise du système nerveux
+central, qui ne s'atténuera que quand la cause disparaîtra.
+Et même, une fois la cause disparue, il
+pourra persister encore des mois et des années,
+parce que l'habitude morbide est prise, parce que
+le système nerveux a reçu le choc. La cellule continuera
+à vibrer de travers, comme la surface d'un
+lac continue à être agitée bien longtemps après la
+chute de la pierre qui a troublé son repos.</p>
+
+<p>Quand la séparation est définitive, le mal est plus
+profond encore, et l'expression de «vie brisée» est
+absolument juste. La perte d'un être cher atteint la
+vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un
+seul coup, le capital biologique. Le malade traînera
+une existence plus ou moins lamentable, et plus ou
+moins prolongée; mais les moyens thérapeutiques
+les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine
+philosophie atténuera ses maux, et le médecin a
+surtout à lui offrir une bonne psychothérapie. Le
+temps, aussi, devient un remède avec lequel il faut
+compter; le rôle principal du médecin, dans les cas
+de ce genre, doit être d'empêcher l'organisme de
+s'effondrer, pour permettre au temps d'accomplir
+son oeuvre réparatrice.</p>
+
+<p>4° <i>Choc moral et choc traumatique</i>.&mdash;Une
+émotion violente, quelle qu'en soit la cause, peut
+également amener la «maladie» sous une forme quelconque,
+et parfois lui faire revêtir immédiatement,
+sans transition, les formes les plus graves. Je
+connais un officier très distingué, et bien portant
+jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une
+chute de cheval sur la tête. Après deux jours de
+perte presque complète de connaissance, il recouvra
+successivement la parole, la mémoire, le mouvement,
+les forces; mais il était devenu un malade.
+Depuis douze ans, il traîne une existence pitoyable.
+Ce ne sont pas seulement les fonctions cérébrales
+qui sont atteintes, chez lui; elles sont même relativement
+respectées, il n'a que des vertiges, des
+bourdonnements de l'oreille gauche, des picotements
+dans les yeux, de la difficulté à lire et à
+causer. Au demeurant, son intelligence est restée
+intacte: mais toutes ses autres fonctions ont été
+perturbées. Il a des névralgies erratiques,&mdash;plusieurs
+médecins ont cru que c'était un candidat
+à l'ataxie locomotrice,&mdash;et surtout il a les
+troubles digestifs les plus variés (gastralgie, pesanteurs,
+gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse
+avec alternative de constipation opiniâtre et d'une
+diarrhée qu'il est difficile d'arrêter). Les forces
+sont tellement réduites qu'il peut à peine faire
+deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé
+les muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type
+de malade, atteint de ce qu'on appelle la «neurasthénie
+hystéro-traumatique», ce sont les troubles
+digestifs qui sont au premier plan, bien que
+le choc ait porté sur la tête.</p>
+
+<p>De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de
+<i>trauma</i> véritable de la boîte crânienne, suffit pour
+amener le choc déterminant la «maladie». J'ai vu à
+la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le
+début du siège de Paris, devint folle pour avoir vu
+éclater un obus à ses pieds. On comprend donc
+qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au
+même résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés
+observée après le siège de Paris; de là, la multiplicité
+des cas de psychonévrose, d'aliénation mentale,
+signalés dans l'armée russe pendant le cours
+de la guerre russo-japonaise. Jamais, depuis que
+les hommes s'entre-tuent, le système nerveux des
+belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures
+épreuves. Tous les facteurs morbides s'accumulaient,
+chez les Russes, pour produire le désarroi
+du système nerveux. Éloignement de la patrie,
+voyage prolongé en chemin de fer, alimentation
+insuffisante, manque de confiance dans les chefs,
+menace incessante de surprise, surmenage physique
+s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est
+plus qu'il n'en faut pour rendre malade le malheureux
+soldat ou officier russe, pour peu qu'il soit prédisposé
+par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse.
+Mais que faire contre un semblable état de
+choses? L'homme sensé ne peut que déplorer l'inanité
+des efforts de tous les pacifistes.</p>
+
+<p>Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle
+la guerre, ne sont pas assez connues du monde
+extra-scientifique. On se figure volontiers que,
+quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est
+rien; c'est pendant quinze et vingt ans que les
+néfastes effets d'une guerre se font sentir. Pendant
+vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui
+avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la
+campagne de 1870, et surtout pendant la captivité.</p>
+
+<p>Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous
+les jours l'influence du choc chirurgical sur la
+genèse de la névrose. On commence à connaître
+les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations:
+mais c'est un point sur lequel il convient
+d'attirer l'attention, pour modérer le zèle chirurgical
+des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand
+l'opération est finie et bien finie, tout n'est pas terminé,
+et que le patient, sorti guéri de leurs mains,
+est quelquefois «un malade» qui restera tel pendant
+plusieurs années. Le choc traumatique produit
+par l'intervention chirurgicale suffit pour expliquer
+ces accidents tardifs.</p>
+
+<p>J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une
+dame qui, d'une très belle santé jusqu'à trente-huit
+ans, est devenue grande nerveuse, avec anorexie,
+amaigrissement, etc., immédiatement après une
+opération de tumeur bénigne du sein. Depuis lors,
+elle est sans cesse préoccupée de la récidive possible
+d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée
+par des malaises de tout genre qu'elle
+n'avait pas avant l'opération.</p>
+
+<p>Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale,
+même de moindre importance encore, d'importance
+ultra-minime, peut mettre le système nerveux
+dans un état d'ébranlement durable: c'est
+quand elle occasionne une violente douleur. La
+douleur provoque une fuite nerveuse énorme.
+Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé
+antérieure, qui est devenue neurasthénique immédiatement
+après des opérations sur les dents.</p>
+
+<p>Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales
+sont pratiquées sur des personnes dont
+le système nerveux est déjà ébranlé plus ou moins,
+elles deviennent une cause d'aggravation notable.
+La seule crainte de l'opération possible suffit pour
+provoquer une aggravation de la névrose. Est-il
+un médecin qui n'ait pas vu accourir chez lui,
+forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a
+constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du
+sein? Et c'est bien autre chose encore quand le
+diagnostic est douteux, quand la malade va de
+chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis
+ferme; jusqu'à ce qu'elle soit fixée sur son sort, elle
+est dans un état d'anxiété que ne connaissent peut-être
+pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur
+dicter leur conduite non pas seulement au point de
+vue opératoire, mais au point de vue psychique.</p>
+
+<p>Personne plus que moi n'admire les chirurgiens.
+Leur sang-froid, leur maîtrise d'eux-mêmes, leur
+habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux
+résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font
+les considérer, au total, comme de vrais bienfaiteurs
+de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir qu'ils ne
+m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer
+que, à côté de beaucoup de bien, ils font un
+peu de mal, et un mal qu'ils pourraient ne pas
+faire s'ils connaissaient mieux les répercussions
+qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention,
+et aussi les soins qu'ils donnent à leur malade après
+l'opération. Je voudrais ne les voir intervenir qu'en
+cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement
+contre les opérations qu'on pourrait appeler de
+complaisance:&mdash;comme celle qui a été pratiquée,
+contre mon avis, sur une malade qui se croyait
+atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que
+grande nerveuse. Cette malade avait déjà appelé,
+malgré moi, quatre chirurgiens qui n'avaient pas
+voulu opérer; un cinquième se décida à le faire,
+sans avoir de conviction absolue, au sujet de
+l'existence d'une appendicite, mais avec la persuasion
+que la malade, débarrassée de son obsession
+en même temps que de son appendice, recouvrerait
+la santé. Or il n'en fut rien: l'appendice
+était sain, et la malade, légèrement améliorée
+pendant un mois, par le fait du repos au lit, du
+régime sévère, de l'espoir qu'elle avait, et que je
+fus le premier à entretenir, vit bientôt son état
+devenir pire qu'avant l'intervention.</p>
+
+<p>Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens
+de tenir le moins possible les malades en
+suspens pour savoir si l'on opérera, et quel sera
+le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité,
+sont angoissantes au premier chef pour les
+personnes déjà nerveuses. Et je leur demanderai,
+enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale
+après l'opération... Je sais bien que, dans certains
+cas, le chirurgien doit suralimenter et même médicamenter
+son opéré, au risque de lui fatiguer l'estomac,
+et de compromettre les résultats qu'une
+savante hygiène alimentaire avait difficilement
+obtenus, pendant les mois ou les années qui ont
+précédé l'intervention. Là, il y a force majeure; et,
+dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il
+savait bien faire de la mauvaise besogne, mais il
+se comparait aux pompiers que n'arrête pas la
+considération de dégâts limités, quand il s'agit de
+sauver un immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré
+guérirait sans intervention médicale et sans champagne,
+sans suralimentation, sans médicaments,
+sans morphine, sans purgatifs, sans lavements, et,
+au sortir de la maison d'opérations, son système
+nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est. Il serait
+plus vite remis du choc traumatique inévitable,
+qui, à lui seul, est un important facteur de dépréciation
+de la valeur biologique.</p>
+
+<p>Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de
+la morphine aux malades, et à des doses effrayantes?
+Je sais bien qu'en général ces doses invraisemblables,&mdash;de
+1 à 2 centigrammes répétés deux fois
+par jour,&mdash;sont tolérées, pendant les premiers jours
+qui suivent l'opération, parce que l'opéré a une
+telle sidération du système nerveux qu'il ne réagit
+pas au poison<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8"><sup>8</sup></a>. Mais combien, aussi, ont des vomissements
+et des symptômes d'intoxication grave?
+Et plus fâcheux encore est le résultat quand le
+malade se met à aimer l'odieux poison, et devient
+morphinomane,&mdash;ce qui arrive quelquefois. De
+grâce, réservez donc la morphine pour les cas
+exceptionnels de souffrance, et n'en confiez pas
+l'administration à une garde, si bien intentionnée
+et si intelligente que vous la supposiez; vos malades
+n'en seront que plus vite guéris!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" name="footnote8"></a><b>Note 8:</b><a href="#footnotetag8"> (retour) </a> J'ai traité plus longuement ce sujet dans le <i>Bulletin de la
+Société Thérapeutique</i>, novembre 1905.</blockquote>
+
+<p>Ou bien encore cette habitude de purger les
+malades, deux ou trois jours après l'opération, de
+leur donner des lavements, alors qu'ils auraient
+tant besoin de repos! La constipation n'est-elle
+donc pas un symptôme, une manifestation, presque
+inévitable, de l'ébranlement du système nerveux
+provoqué par le choc opératoire? Laissez le système
+nerveux reprendre son équilibre, et la constipation
+disparaîtra d'elle-même, quand l'opéré,
+sollicité par son appétit spontanément renaissant,
+recommencera à manger.</p>
+
+<p>Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie,
+une simple vue de l'esprit d'un rêveur qui n'a pas
+vu d'opérés! La démonstration a été faite pour
+moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience
+de laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce,
+le professeur Delorme a bien voulu m'associer
+aux longues recherches qu'il a faites pour
+provoquer la constipation chez ses opérés. Or, de
+tâtonnements en tâtonnements, il en était arrivé à
+constiper tous les hommes ayant à subir des opérations
+dans les régions abdominales, inguinales et
+crurales; il évitait ainsi la souillure, et, par conséquent,
+le renouvellement des pansements. Et ce
+n'était pas une constipation de deux ou trois jours
+qu'il provoquait, mais bien de douze ou quinze
+jours. Chez un malade de mon service, opéré par
+lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation
+a été entretenue pendant dix-huit jours.
+J'ai demandé récemment à M. Delorme s'il était
+toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu
+affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi
+une statistique de laquelle il résulte que, depuis le
+jour où il m'avait convié à assister à ses premiers
+essais, en 1889, il avait opéré, après constipation
+provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de
+Vincennes, 1600 cures radicales de hernies,
+50 cures radicales d'hémorroïdes, 500 varicocèles,
+30 castrations, 500 opérations variées de la sphère
+inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait
+constipé méthodiquement 15 hommes atteints de
+fractures de la cuisse, pour que leurs appareils
+contentifs ne fussent pas souillés.</p>
+
+<p>C'est une partie de ces faits que M. Delorme a
+brillamment exposés à la Société de Chirurgie,
+en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes
+thermiques, démontrant que la température n'a
+pas monté au-dessus de la normale, pendant toute
+la durée de la constipation, et que, même, elle a souvent
+été abaissée un peu au-dessous de la normale
+(90 fois sur ces 160 observations). Dans quatre
+cas seulement, elle a dépassé la normale, mais
+c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication
+iodoformée, rhumatisme aigu, congestion
+pulmonaire (deux fois). Chez 110 opérés de cures
+radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans
+la moindre importance. Elles disparaissaient après
+l'émission spontanée de gaz. La langue, saburrale
+les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect normal;
+l'appétit était conservé chez la majeure
+partie des constipés. Dès le troisième jour, on leur
+donnait à manger des potages, des oeufs, de la
+viande blanche, du vin, en évitant que les aliments
+capables de donner des déchets. Le sommeil
+restait bon, le caractère ne laissait voir aucune
+modification, la soif n'était pas excessive, et les
+analyses d'urines, faites par le professeur Burcker,
+ont démontré que l'économie ne subissait, du fait
+de la constipation provoquée, aucune influence
+néfaste. La première selle était, parfois, facile et
+spontanée; d'autres fois elle était pénible; c'est
+ainsi qu'un malade ne put aller à la garde-robe que
+le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur
+lui les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours;
+ce n'est que quand on le fit marcher qu'il parvint
+à aller à la selle. Les selles suivantes étaient habituellement
+aisées, et les fonctions de l'intestin reprenaient
+leur régularité. «Ma communication, ajoutait
+M. Delorme, pourrait avoir plus qu'un intérêt
+clinique, étant donnée les théories qui ont cours sur
+l'importance et la fréquence des intoxications intestinales.
+Mais je désire rester exclusivement sur le
+terrain de la pratique, et je conclurai en disant
+que, chez les hommes adultes et sains surpris par
+un traumatisme chirurgical qui doit guérir par
+première intention, la constipation, provoquée pendant
+huit à quinze jours, n'a pas les inconvénients
+qu'on lui attribue généralement.»</p>
+
+<p>Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme
+est arrivé à obtenir ces constipations prolongées,
+si peu nuisibles aux opérés: car ce serait sortir de
+mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue
+digression, c'est que la constipation de quelques
+jours, survenant d'elle-même et presque fatalement
+chez les opérés, quels qu'ils soient, ne doit pas
+préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à
+imposer à leurs opérés des purgations qui, fatiguant
+leur système nerveux abdominal, ont forcément un
+retentissement sur leur système nerveux central, et
+contribuent à en faire des malades, alors qu'au
+début ils n'étaient que des blessés, ou bien à
+aggraver leur «maladie», quand ils étaient déjà des
+malades avant l'opération.</p>
+
+<p>Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs
+affirment que la constipation est l'ennemi des
+femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose pas
+m'inscrire en faux contre cette opinion générale:
+mais peut-être serait-elle, comme tant d'autres affirmations,
+passible d'un procès en révision.</p>
+
+<p>III.&mdash;CAUSES ACCIDENTELLES</p>
+
+
+<p>Nous venons d'énumérer les principales causes
+d'ordre psychique qui amènent la déchéance, totale
+ou progressive, du capital vital de l'homme ou de
+la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées
+ou non aux autres influences néfastes (surmenage
+cérébral, surmenage musculaire, alimentation défectueuse,
+etc.), provoquent le plus souvent la «maladie».</p>
+
+<p>Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier
+âge, comme chez l'adolescent, la «maladie»,
+chez l'adulte, est provoquée par une affection aiguë
+qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre
+typhoïde, qui, véritable intoxication, surprend
+l'adulte dans le cours d'un état d'équilibre irréprochable,
+et qui, chose curieuse, paraît être d'autant
+plus grave que le sujet était plus robuste.</p>
+
+<p>La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer
+la «maladie». Ainsi, je connais un homme
+de quarante-huit ans, qui a vu sa santé irrémédiablement
+ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde
+survenue à l'âge de vingt ans. Mais le cas est
+rare; souvent, au contraire, on observe qu'une
+fièvre typhoïde, survenant chez un individu
+malingre, lui donne une santé, pour la suite, qu'il
+ne se connaissait pas jusqu'alors. Est-ce parce
+que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que
+la diète imposée par la fièvre typhoïde a remis
+l'organe en état? Est-ce parce que, jusqu'alors, il
+se soumettait à un exercice trop vigoureux pour
+ses forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant
+le repos, a rectifié ses erreurs d'hygiène musculaire?
+Est-ce enfin parce que la fièvre, en brûlant
+ce que les anciens appelaient ses «humeurs
+peccantes», l'a débarrassé de ses produits d'auto-intoxication
+antérieurs à l'affection aiguë? A vrai
+dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne
+pouvons que constater le fait. Trop heureux serait
+celui qui pourrait connaître les causes de tous les
+phénomènes de la vie!</p>
+
+<p>Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes,
+pneumonies, etc., dans quelle mesure
+créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»? Nous
+pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles
+ne font que l'aggraver: car, toujours la «maladie»
+préexistait. Pour contracter un rhumatisme, une
+pneumonie, une angine, il faut déjà que le système
+nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit
+définitif, soit momentané. La première condition
+pour ne pas prendre les «maladies», c'est de se bien
+porter.</p>
+
+<p>Mais il n'en est pas moins certain que l'affection
+accidentelle, en intervenant, imprime à la «maladie»
+un essor plus ou moins vigoureux, suivant l'importance
+de la cause pathogène accidentelle, et aussi
+suivant la valeur préalable du sujet.</p>
+
+<p>De toutes les affections accidentelles, celle qui est
+le plus remarquable, à cet égard, est la grippe. La
+déchéance post grippale est très fréquente, et parfois
+d'une longueur invraisemblable. On met des
+années, souvent, à se remettre d'une mauvaise
+grippe. Et cet ennemi est d'autant plus dangereux
+que, loin de créer l'immunité, il a une tendance à
+revenir à la charge; or, dans le cours de la
+«maladie», chaque atteinte de grippe fait faire
+un pas en arrière, et compromet les résultats péniblement
+acquis. La grippe est l'ennemie personnelle
+des sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien
+entendu, la forme symptomatique de leur «maladie».</p>
+
+<p>C'est aussi dans la période que nous étudions
+que se manifeste dangereusement la syphilis contractée
+à vingt ans, et insuffisamment soignée; elle
+se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte,
+des lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont
+personne ne soupçonne la cause, des ictus cérébraux,
+et toutes les manifestations de la syphilis tertiaire.
+Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et
+la paralysie générale, ou du moins elle prédispose
+singulièrement le terrain à l'apparition de ces
+cruelles «maladies», d'évolution fatalement progressive.
+On commence à connaître ses méfaits, dans le
+monde des assurances, et à savoir que la syphilis
+n'est pas un brevet de longue vie! D'un travail
+statistique fait par le Dr Rungberg pour une Compagnie
+d'assurances, il résulte que l'âge moyen de
+la mort des syphilitiques assurés à cette Compagnie
+a été de quarante-trois ans et quatre mois, et que,
+au point de vue des causes de mort, la syphilis vient
+immédiatement après la tuberculose.</p>
+
+
+
+
+<p>IV.&mdash;INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME</p>
+
+
+<p>Toutes les considérations que nous venons d'exposer
+peuvent s'appliquer également à l'un et à
+l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste
+privilège de pouvoir être frappée par des influences
+morbigènes qui n'atteignent pas le sexe masculin,
+et qui méritent d'être étudiées à part.</p>
+
+<p>La menstruation joue, dans la vie de la femme,
+un rôle de premier ordre. Chez la femme très bien
+portante, son influence est à peine perceptible,
+mais chez la femme déjà malade son influence
+est des plus nettes; chez l'aliénée, en particulier,
+on observe d'une façon constante, quelques jours
+avant les règles, une aggravation du délire; et,
+chez l'aliénée qui semble guérie, on ne doit prononcer
+le mot de guérison que quand deux périodes
+menstruelles se sont passées sans accident. Nous
+disons à dessein <i>deux</i> périodes: car si, chez les
+grandes névrosées, les troubles menstruels sont
+mensuels, chez les malades moins atteintes ils nous
+ont semblé souvent ne survenir que tous les deux
+mois<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9"><sup>9</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" name="footnote9"></a><b>Note 9:</b><a href="#footnotetag9"> (retour) </a> Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation s'accompagne
+toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois
+jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.</blockquote>
+
+<p>Chez la grande neurasthénique qui a encore ses
+règles correctes, on peut affirmer que, douze jours
+avant l'apparition des règles, les misères nerveuses,
+abdominales, etc., s'accentuent considérablement,
+au grand désespoir des familles qui, ayant espéré
+la guérison, croient que tout est à refaire. Mais il
+n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre,
+quelquefois même pendant les règles, à partir du
+deuxième jour, et, le plus souvent, immédiatement
+après la cessation de l'écoulement. Les malades
+entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne
+semaine».</p>
+
+<p>Le médecin doit connaître ce détail, et avertir
+les malades et leurs familles de la rechute, qui
+est inévitable tant que la «maladie» bat son plein.
+Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles,
+ce qui est fréquent, c'est d'un pronostic assez
+important; et la réapparition des menstrues après
+deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs
+cas, indique que la malade entre enfin dans la voie
+de l'amélioration, alors même qu'elle continue à
+souffrir.</p>
+
+<p>L'influence de la grossesse est non moins évidente.
+Nous avons dit qu'elle était quelquefois
+salutaire, parce que l'utérus développé remplaçait
+la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois
+l'utérus revenu à son volume normal, la paroi
+abdominale se trouve encore un peu plus flasque
+qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées,
+la ptose abdominale devient un des principaux éléments
+de la «maladie». C'est alors qu'une ceinture
+bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la forme
+du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables
+services.</p>
+
+<p>Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas
+tout, chez les ptosiques. Car enfin, pourquoi les
+malades ont-elles de la ptose? C'est parce qu'elles
+étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est
+parce que la sangle que forment les muscles du
+ventre n'avait pas la tonicité normale. Si on avait
+soigné la future ptosique en temps utile, alors
+qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du
+système nerveux, de l'estomac, de l'intestin, elle
+ne serait pas devenue ptosique, elle n'aurait pas eu
+besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses
+multiples sans avoir de ptose. De sorte que
+la ceinture, cet instrument si merveilleux, ne doit,
+à notre avis, être considéré que comme un moyen
+thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer
+la malade et lui permettre de se passer de ceinture.</p>
+
+<p>On y parvient, sauf quand la déchéance est trop
+avancée, par une bonne hygiène générale, s'adaptant
+aux indications fournies par chaque individu.
+Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez
+les autres par le repos, chez les unes par une saison
+à Vichy, chez les autres par un régime restreint,
+chez toutes par la reconstitution du système
+nerveux, qui toujours laisse à désirer.</p>
+
+<p>La ceinture abdominale, pour en revenir à elle,
+ne sera employée que le moins de temps possible.
+Chez les femmes non surmenées musculairement,
+on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale
+naturelle, soit par les exercices de plancher de
+la gymnastique suédoise, soit par la pratique du
+chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent
+les Italiens. Nul doute que, en utilisant la
+pression abdominale pour la pulsion de l'air, on ne
+fasse à la fois de la bonne thérapeutique abdominale
+et de l'excellent travail au point de vue du
+chant. Tous les chanteurs et même toutes les chanteuses
+dignes de ce nom ont une force extraordinaire
+des muscles droits antérieurs; en se contractant,
+ils repoussent la main qui les comprime<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10"><sup>10</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" name="footnote10"></a><b>Note 10:</b><a href="#footnotetag10"> (retour) </a> Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial pour
+mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce dynamomètre
+donnerait des indications très intéressantes sur la valeur
+biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale,
+tant vaut l'individu.</blockquote>
+
+<p>On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion
+qui attribue à la ptose abdominale toutes les
+misères des dyspeptiques, des neurasthéniques, des
+malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme
+a de la ptose et mille misères variées: une ceinture
+fait disparaître presque toutes ces misères,
+c'est donc, conclut-on que la ptose était l'unique
+cause? Mais non; c'est toujours la théorie du
+moindre effort appliquée au raisonnement humain.
+La vérité est que la ptose est symptomatique, que
+la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la
+soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut
+déjà être malade pour devenir ptosique,&mdash;en
+dehors, bien entendu, des cas où la contention abdominale
+insuffisante serait due à une éventration.</p>
+
+<p>La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il
+existe même des ptoses qu'on pourrait appeler
+aiguës, si l'on nous permettait cette expression.
+Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement,
+dans le cours d'une bonne santé, à la
+suite d'un coup de froid, d'une émotion violente,
+d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une
+purgation. D'un jour à l'autre, on voit le ventre
+s'effondrer, se vider, perdre son élasticité, sa souplesse,
+donner la sensation d'un amas pâteux, d'un
+chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus
+alors de noter ni le caecum, ni le côlon. On perçoit,
+dans la fosse iliaque, un gargouillement dont
+l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la
+fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre
+typhoïde que parce qu'on l'y cherche.</p>
+
+<p>Cet effondrement abdominal s'observe en outre,
+dans presque toutes les «maladies» aiguës. Il est toujours
+l'indice d'une sidération du système nerveux
+abdominal; et, comme le système nerveux abdominal
+n'est pas sans avoir des relations intimes avec le
+système nerveux central, l'effondrement en question
+est toujours l'indice d'un état de «maladie» assez
+grave. Mais il peut n'être que passager, durer
+quinze jours, trois semaines; d'autres fois, il dure
+deux à trois mois, dans certains états subaigus;
+puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir,
+reprendre sa forme, son élasticité, renaître: c'est le
+commencement de la guérison.</p>
+
+<p>En même temps que le ventre s'effondre et que
+survient la ptose aiguë, la sonorité abdominale
+subit des modifications extrêmement intéressantes.
+Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal,
+ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion
+donne des notes différentes dans les deux
+fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le plus souvent,
+c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit
+et le gauche (octave supérieure au côté droit).<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11"><sup>11</sup></a></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" name="footnote11"></a><b>Note 11:</b><a href="#footnotetag11"> (retour) </a> Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et la percussion,
+donne les renseignements les plus précieux sur la valeur
+digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime
+alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier,
+évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du
+ventre et les sensations que donnent la palpation et la percussion.
+Ce sera la gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen,
+et d'avoir essayé d'apprendre cette lecture à ses contemporains.
+Mais, il ne faut pas se le dissimuler, l'exploration abdominale
+est chose très difficile; je la pratique depuis dix ans que j'ai la
+bonne fortune d'être en relations scientifiques avec le Dr Sigaud,
+et je vois mieux, de jour en jour, la difficulté de cette étude, en
+même temps que j'en apprécie mieux toute l'importance.<br>
+
+<p>Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui
+résument ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous
+ne saurions trop affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil
+digestif est, pour le biologiste, une source de faits inépuisable.
+Quelle variété de renseignements, quelle précision dans
+l'observation, ne devons-nous pas attendre d'un procédé à la perfection
+duquel nous voyons concourir les données fournies,
+presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher? Ajouterons-nous
+que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son
+tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité,
+dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les
+plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons
+aucune modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire,
+nerveux ou rénal, nous constatons toujours des signes
+positifs du côté de la sphère gastro-intestinale. Les oscillations
+vitales que les autres appareils organiques sont impuissants à
+objectiver, le tube digestif les enregistre avec une fidélité remarquable
+et une variété de nuances que l'on n'a point soupçonnée
+jusqu'ici. Et toutes les modifications de forme et de volume,
+d'élasticité et de résistance du tissu abdominal, toutes les variations
+de sonorité des membranes digestives, ne sauraient être
+considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles
+portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent,
+d'une part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif,
+d'autre part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir,
+l'orientation générale des réactions de l'organisme correspond à
+ces modalités digestives.» (<i>Mémoire</i> lu à la Société de Médecine
+de Gand, 4 avril 1905.)</p>
+
+<p>Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient
+encore à être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale;
+c'est là un chapitre de séméiologie qui est tout entier à
+faire, et que je ne puis qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir.
+Munis d'un bon stéthoscope, ils trouveront dans l'auscultation
+abdominale des renseignements d'une valeur insoupçonnée jusqu'à
+ce jour.</blockquote>
+
+<p>Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle
+leur rend un service momentané qui n'est pas à
+dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les guérit,
+quand il leur reste encore assez d'énergie vitale,
+c'est un régime approprié, et du repos ou un exercice
+gradué, suivant les cas. Le régime devra être celui
+qui donne le moins à travailler à l'estomac et à
+l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou
+semi-liquide. Les prises alimentaires devront être
+fréquentes,&mdash;très fréquentes, dans l'état aigu.
+Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs,
+en éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on
+peut dire que le lit est le meilleur des agents thérapeutiques.
+Quand le ventre commence à se ressaisir,
+le régime devra être plus substantiel:
+potages épais, purées légères prises toutes les
+trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait un
+nouveau progrès, alimentation plus dense et moins
+fréquente (six repas en vingt-quatre heures, dont un
+dans le courant de la nuit: purées épaisses, macaroni,
+riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu
+presque normal, quatre repas par jour, assez copieux,
+presque égaux, dont un avec viande non saignante.
+Enfin, quand l'orage est passé, quand le ventre a
+retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension,
+alors seulement il faut arriver aux trois repas: celui
+du matin, qui doit être assez copieux (café noir, oeuf
+ou viande froide); celui de midi, composé en général
+de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes
+de terre en robe de chambre; 2° viande non saignante;
+3° fromage, peu de pain, pas encore de vin, un
+verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas
+du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles:
+1° potage épais; 2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits.</p>
+
+<p>Telles sont les grandes lignes de la diététique des
+états aigus ou subaigus. En même temps, avons-nous
+dit, le repos s'impose: dans l'état aigu un
+repos absolu au lit; plus tard, deux heures de
+lever sur une chaise longue, entre les repas. Il
+faut faire longtemps manger les malades au lit;
+puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal
+après les repas; et toujours beaucoup de sommeil,
+même diurne, le sommeil diurne étant le meilleur
+agent provocateur du sommeil nocturne, à l'inverse
+de ce que l'on croit ordinairement.</p>
+
+<p>On comprend combien, dans cet état d'équilibre
+instable, une violente perturbation, produite soit
+par une purgation, soit par un vomitif, soit par une
+alimentation trop hâtive, peut être défavorable au
+malade.</p>
+
+<h4>CHAPITRE IV</h4>
+
+
+<h4>PSYCHOTHÉRAPIE</h4>
+
+<p>Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué,
+les causes diverses qui produisent la «maladie». Mais
+cette étude même n'a fait encore que mieux nous
+montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine
+comme dans l'évolution de la «maladie», l'ébranlement
+du système nerveux. Et de là résulte
+l'importance, également prépondérante, d'une médication
+destinée à remonter le système nerveux:
+médication dont un des éléments essentiels est cette
+«psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a
+commencé à préoccuper vivement le monde médical,
+sans qu'on soit encore parvenu à en fixer exactement
+le domaine et l'application.</p>
+
+<p>A en croire un certain nombre de nos confrères,
+français et surtout étrangers, le psychothérapie
+serait simplement destinée à remplacer toute thérapeutique.
+L'imagination, d'après ces savants,
+jouerait dans la production et le développement
+des «maladies» un rôle si énorme, qu'il suffirait de
+découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader
+aux malades qu'ils se portent bien, pour leur
+rendre aussitôt la santé. La psychothérapie consisterait
+donc à étudier, à ce point de vue, l'état
+d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment
+s'emparer de sa confiance pour lui
+ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents
+défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes
+que les moyens de persuasion sont, jusqu'ici, très
+difficiles à trouver; et je dois dire, quant à moi,
+qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique
+me paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque
+peu fantaisiste.</p>
+
+<p>Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit
+des malades, et de ce qu'on pourrait appeler la
+cure morale, doit tenir plus de place qu'elle n'en
+tenait, hier encore, dans la médecine officielle.
+Mais j'estime que la psychothérapie peut faire
+mieux que d'imposer aux malades l'illusion,&mdash;toujours
+bien brève et bien fragile,&mdash;de se bien
+porter: elle peut devenir un des agents les plus
+actifs et les plus précieux de la guérison.</p>
+
+<p>Étant donnée l'idée que nous nous faisons de
+l'origine nerveuse de la «maladie», voici, à notre
+avis, la meilleure définition de la psychothérapie:
+«C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique
+par lesquels on améliore ou on reconstitue le
+capital nerveux.» Son action s'étend: 1° à toutes
+les déviations mentales; 2° à un grand nombre de
+troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie,
+l'anorexie, etc., l'incontinence d'urine, etc.</p>
+
+<p>Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la
+facilité de l'étude, être divisés en deux grandes
+catégories:</p>
+
+<p>1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses;</p>
+
+<p>2° Moyens par lesquels on augmente les recettes.</p>
+
+
+
+
+<p><b>I</b></p>
+
+
+<p>MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES</p>
+
+<p>Il est une foule de malades qui gaspillent leur
+influx nerveux sans le savoir; il faut leur apprendre
+à l'économiser, leur démontrer combien est fatigante,
+pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle,
+leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir
+prendre un parti dans les moindres circonstances
+de la vie. Il vaut mieux prendre un parti médiocre
+immédiat qu'un parti plus sage après hésitation.
+Or, pour savoir vite prendre parti et s'épargner la
+peine de remettre en discussion tous les motifs et
+mobiles qui doivent déterminer l'acte à accomplir,
+il y a un procédé très recommandable, qui consiste
+simplement à adopter des principes, et à se dire:
+«Dans telle circonstance, je ferai ceci, dans telle
+autre je ferai cela»; et puis, une fois le principe
+adopté, à y rester fidèle,&mdash;sans cependant en
+devenir esclave. Car il ne faut pas que l'entêtement
+remplace l'hésitation, que l'océan devienne terre
+ferme. Un petit moyen pratique à recommander
+aux hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout
+ce qu'ils doivent faire dans la journée et les jours
+suivants, puis, une fois la chose écrite, d'exécuter
+ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté
+parvient ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même
+temps qu'on s'évite des pertes considérables d'influx
+nerveux.</p>
+
+<p>D'une façon générale, il faut inspirer aux malades
+le respect du temps, leur faire comprendre que le
+temps, c'est l'étoffe dont la vie est faite, et qu'il
+n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que
+c'est par le respect du temps qu'on trouve le
+moyen de faire une foule de choses utiles avec un
+minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre
+cette vérité, ils trouveront eux-mêmes,
+peu à peu, un <i>modus vivendi</i>, qui, sans qu'ils s'en
+doutent, leur fera faire des économies de dépense
+nerveuse. Recommander aux malades de prendre
+des habitudes <i>d'ordre</i>, de tout régler dans leur vie,&mdash;les
+heures du lever, du coucher, des repas, etc.,&mdash;de donner à
+chaque chose, à chaque préoccupation,
+la place et l'importance qui lui conviennent,
+est encore un moyen de leur épargner les dépenses
+nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente psychothérapie.</p>
+
+<p>Appliquons ces idées générales à un cas particulier.
+Voici une jeune fille atteinte de ce qu'on
+appelle la «folie du doute»; dès son lever, elle ne
+saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou
+quatre, et finira par reprendre la première; elle
+passera deux heures à faire sa toilette, ne sachant
+si elle doit commencer par se coiffer ou par se laver
+les mains; et toute sa journée se passera ainsi
+dans un état vague d'anxiété. Le soir, la situation
+est plus pénible encore: la malade ne parvient pas
+à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller,
+s'interrompant à tout instant pour confier à
+un petit cahier une foule d'idées qui ont torturé son
+cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. On
+dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant.
+J'ai chez moi plusieurs collections de petits registres
+qui sont tous inspirés par ce même esprit. Or,
+cette agitation stérile, continue, occasionne une
+dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier
+une malade de ce genre, on verra qu'elle n'est
+pas malade que de la tête, mais que tout est malade
+chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a
+des urines rares et chargées alternant avec des
+urines claires et abondantes. Elle est mal réglée, etc.</p>
+
+<p>Il lui faut donc, avant tout, un traitement général;
+dont nous indiquerons plus tard les grandes lignes,
+mais il lui faut aussi un traitement psychothérapique.&mdash;Et
+lequel? La première chose est de lui
+dire combien cette manière de faire est ridicule:
+cela, on n'aura pas de peine à le lui faire admettre,
+elle le sait très bien; le preuve, c'est qu'elle cache
+son infirmité avec le plus grand soin à tout son
+entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette
+dépense nerveuse, si stérile, la fatigue, et entretient
+ou cause sa «maladie» physique. Enfin, d'accord
+avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au
+lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour
+les diriger dans un sens déterminé. A l'une, on
+fera apprendre une langue étrangère, à l'autre on
+proposera une autre occupation, non moins précise.
+Le médecin s'inspirera d'une foule de considérations
+d'ordre secondaire; l'essentiel est qu'il
+atteigne son but, qui est de discipliner la volonté
+et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par
+une bonne orientation de son activité. Nous avons
+pris là, à dessein, un cas des plus difficiles à guérir:
+et cependant nous affirmons que la guérison y est
+possible, quand, à la psychothérapie, on joint un
+traitement somatique convenable et suffisamment
+prolongé.</p>
+
+<p>Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la
+paralysie générale, dans tous les cas de délire aigu
+occasionnés par les «maladies» infectieuses, l'influx
+nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se
+font de toutes parts. La pensée est si rapide, chez
+le maniaque, que l'aliéniste expérimenté ne parvient
+pas à la suivre. Les associations d'idées se
+font avec une telle rapidité que le malade n'a pas
+le temps de les exprimer, et, quelle que soit sa
+volubilité, sa langue n'a pas un débit égal à celui
+de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être
+utile à des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai
+dire, son rôle est alors négatif; il faut savoir ce qu'il
+ne faut pas faire; il faut ne pas s'acharner à discuter
+avec le malade, à rectifier ses appréciations; il faut,
+en un mot, laisser passer l'orage, et se borner
+à éviter au malade toute cause d'excitation prochaine
+ou éloignée. Il faut se rappeler, surtout,
+qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore
+à user d'extrêmes précautions, et à ménager le
+cerveau fragile.</p>
+
+<p>Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée,
+est limitée à un point fixe, la psychothérapie
+intervient d'une façon plus active. Voici un
+homme en proie à une obsession: une idée a
+envahi son cerveau, il y pense nuit et jour, en perd
+le boire et le manger. Toutes ses pensées ont pour
+pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux
+qu'il estime pouvoir le comprendre, il demande
+conseil, s'agite en vain, et, ne trouvant pas de
+solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer
+de boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit
+pas penser à ce qui le préoccupe? Mais c'est lui
+demander l'impossible, et le torturer inutilement. Il
+faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec
+les plus amples détails, les causes de sa souffrance
+morale; mais, ceci fait, pour acquérir sa confiance,
+il ne faut presque plus lui permettre d'en parler,
+et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs.
+De même que, dans une hémorragie pulmonaire,
+le médecin bien avisé fait une saignée générale,
+qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute
+ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre
+l'idée obsédante, mais faire naître des courants
+d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer une
+idée morbide par une série d'idées saines. C'est la
+psychothérapie <i>dérivative</i>.</p>
+
+<p>Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses,
+moyen à employer dans les cas exceptionnels,
+c'est de conseiller au malade l'acceptation
+du fait acquis, en d'autres termes la résignation;
+c'est la psychothérapie <i>sédative</i>. Que le
+malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se
+cabrer contre les circonstances qui ont produit ou
+qui entretiennent la «maladie», de se nourrir de son
+chagrin, de se remémorer les causes morales qui
+l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse
+énorme. Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif
+d'une sorte de sommeil de la cellule nerveuse.</p>
+
+<p>Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi
+dire passive, est un acte volontaire en vertu duquel
+le patient accepte, en toute liberté, sans restrictions,
+sans protestations, ses misères, pour les offrir dans
+une intention quelconque, elle devient tout le contraire
+de la passivité, et déjà elle rentre dans la
+deuxième catégorie des moyens psychothérapiques.
+L'étude de cette résignation active va donc nous
+servir de transition toute naturelle.</p>
+
+<p>La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter
+plusieurs fois par jour qu'on se résigne, c'est faire,
+plusieurs fois par jour, acte de volonté; et encourager
+le malade à accomplir cet acte de volonté,
+c'est faire de l'excellente psychothérapie <i>reconstituante</i>.
+Malheureusement, cette résignation active
+est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose toute
+une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité
+humaine, de la réversibilité des mérites et
+des souffrances, en un mot la doctrine du renoncement;
+et peu de malades la connaissent. Aussi
+est-ce à titre exceptionnel que les ressources de la
+résignation active peuvent être employées.</p>
+
+<p>Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin
+en face d'un malade qui va jusqu'à voir dans la
+souffrance un bienfait? On croirait, <i>a priori</i>, que le
+médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est
+rien. Le médecin doit rester à son poste; et tout en
+encourageant le malade dans cette voie, en fortifiant
+sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas négliger les
+moyens thérapeutiques que réclame son état. Car
+enfin le résigné actif ne commet pas une erreur de
+logique en désirant guérir et en acceptant les
+soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la
+souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu,
+au contraire, de se résigner aussi à ce que veut
+pour lui la nature, c'est-à-dire à ne rien omettre
+pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une
+vie plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs
+que, en fait, le résigné actif est d'ordinaire le
+plus obéissant, le plus stable des malades, le plus
+reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont
+donnés; c'est le malade de choix.</p>
+
+
+
+
+
+<p><b>II</b></p>
+
+
+<p>MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES</p>
+
+<p>La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques
+comprend, comme nous l'avons dit, ceux
+qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du
+capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de
+deux façons:</p>
+
+<p>1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux
+par une savante gymnastique de la volonté.
+(L'homme ne vaut que par sa volonté: donc discipliner,
+fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre
+le plus grand des services.)</p>
+
+<p>2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un
+fluide nerveux étranger.</p>
+
+<p>Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre
+du malade. Celui-ci devient le collaborateur du
+médecin, dont le rôle se borne à indiquer les procédés
+de gymnastique de la volonté et à surveiller
+l'application.</p>
+
+<p>Dans le deuxième cas, une volonté étrangère
+vient en aide à la volonté défaillante, ou insuffisante,
+du patient.</p>
+
+<p>1° <i>Gymnastique de la volonté</i>.&mdash;Il y a des procédés
+d'éducation de la volonté,&mdash;cette faculté,
+comme la mémoire, comme l'attention, étant susceptible
+d'être améliorée par une bonne gymnastique.
+Le principe général, dans cette éducation,
+c'est de procéder lentement, de ne pas demander
+au malade un effort qu'il serait incapable de fournir,
+mais de lui demander, au début, un tout petit
+effort, qui sera augmenté tous les jours. Ainsi nous
+invitons nos malades à faire trois fois, tous les
+matins, trois mouvements déterminés des bras, puis
+six, puis douze, puis d'en faire autant avec les
+membres inférieurs. En ordonnant ces exercices,
+nous comptons bien moins sur l'action utile de la
+gymnastique musculaire elle-même que sur l'effort
+de volonté que nous obtenons du malade, avec son
+libre consentement. Dans le même esprit, nous
+envoyons certains de nos malades faire une gymnastique
+spéciale, tous les jours, par tous les temps,
+à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent supporter
+la fatigue d'un déplacement quotidien. Là,
+nous leur faisons faire la course en flexion, exercice
+musculaire excellent, qui, bien gradué d'après
+des règles précises, régularise la circulation du
+sang, les battements du coeur, augmente la vigueur
+de tous les muscles, en particulier des muscles inspirateurs,
+et favorise, par conséquent, l'acte respiratoire.
+Grâce à cette gymnastique, on arrive, au
+bout d'un mois, à faire courir pendant vingt
+minutes des malades qui ne marchaient pas, ou qui
+ne croyaient pas pouvoir marcher<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12"><sup>12</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" name="footnote12"></a><b>Note 12:</b><a href="#footnotetag12"> (retour) </a> Ajoutons que cette course ne provoque jamais d'essoufflement
+le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter l'essoufflement
+par une progression sage et bien réglée dans la longueur
+et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée
+par notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait
+des études très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et
+pratiques pendant toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est
+pas le lieu de parler avec détail de cette méthode d'entraînement;
+disons seulement qu'on ne se fait pas une idée, dans le monde
+des gymnasiarques, de la lenteur dans la progression à imposer
+au coureur. Ainsi la vitesse du pas gymnastique de l'armée ne
+doit être atteinte, chez l'homme même bien portant, qu'après quinze
+minutes de course progressivement plus rapide. C'est comme cela
+que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que le pas
+gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue. De
+même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure,
+c'est-à-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq
+minutes de course en progression. Si, à cette prudence dans la
+progression, on joint le soin de faire respirer le malade en temps
+utile, et de lui apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement.
+Mais si le coureur n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au
+bout de vingt à trente minutes, d'une transpiration énorme,
+telle que la course en flexion a pour complément indispensable,
+soit une friction sèche avec changement de linge, soit, mieux
+encore, une douche tiède. Cette nécessité de la douche finale
+limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, par parenthèse,
+l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du commandant
+de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au
+contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale,
+puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison d'hydrothérapie
+d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition
+par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement.<br>
+
+<p>Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction
+de moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air,
+dans la matinée, ne soient des facteurs importants dans l'excellent
+résultat total que j'obtiens de ce que j'ai appelé la <i>dromothérapie</i>;
+mais j'estime qu'une grande part du résultat utile revient
+à cette gymnastique de la volonté que le malade fait, pour ainsi
+dire, sans s'en douter. Il assiste tous les jours à ses progrès, il
+éprouve un vague sentiment de contentement à la pensée qu'il a
+vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle. Dût-on m'accuser
+de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la course
+en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie
+par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative,
+puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui
+devient vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers
+jours.</blockquote>
+
+<p>Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité
+de l'attrait dans l'exercice physique. Or cet attrait
+manque absolument dans l'exercice de la <i>gymnastique
+respiratoire</i>. Cet exercice est souverainement
+ennuyeux, et c'est chose rare que nos malades les
+plus obéissants le continuent régulièrement plus de
+deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est,
+pour le psychothérapeute, un agent de premier
+ordre, puisqu'il exige un effort énorme de volonté.
+Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop le
+recommander. En outre, il produit les effets les
+plus favorables sur la circulation et la nutrition;
+c'est le seul moyen que je connaisse de faire disparaître
+ces rougeurs émotives, si désagréables à
+certains neurasthéniques des deux sexes, et qui
+ne s'observent pas seulement chez les timides, car
+les personnes hardies et décidées leur payent aussi
+leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer
+l'obsession de la rougeur, la peur de rougir rend
+la vie sociale insupportable, et mérite l'attention du
+clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les
+moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce
+symptôme, on voit qu'il s'accompagne, presque
+toujours, d'une perturbation respiratoire, et quelquefois
+de sensations précordiales; et c'est, sans
+doute, parce que l'exercice en question régularise
+la respiration, qu'il est le meilleur traitement de la
+rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain, je
+l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices
+sont, je le répète, extrêmement désagréables,
+il faut savoir les graduer de façon à ce que
+le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses
+propres progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à
+faire faire au malade des mouvements de respiration
+profonde pendant dix minutes, matin et soir.
+On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de
+cette gymnastique méthodique, telle que les Suédois
+l'enseignent, c'est-à-dire faite d'après les vrais
+principes de la physiologie; tandis que, quand elle
+est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des
+instructeurs mal instruits, elle trouble les phénomènes
+de la circulation, et peut même amener du
+vertige et de la syncope. C'est donc un moyen
+puissant, mais qu'il faut savoir manier, comme
+toutes les autres armes de la thérapeutique. Il existe,
+dans tous les Instituts Zander, un appareil qui fait
+faire automatiquement d'excellente gymnastique
+respiratoire. Aux malades qui n'ont pas l'énergie
+de la faire simplement dans leur chambre sans le
+moindre appareil, nous conseillerons les instituts
+mécanothérapiques.</p>
+
+<p>On peut exercer la volonté du malade, et, par
+conséquent, la fortifier, par mille autres moyens, qui
+seront inspirés par les diverses conditions de
+milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible,
+il faut faire faire au malade un travail utile, et dont
+il puisse facilement mesurer les progrès, et surtout
+un travail qui ne demande pas une dépense, soit
+cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on
+perdrait d'un côté ce qu'on gagne d'un autre. Il
+faut, enfin, se rappeler que le rôle du psychothérapeute
+doit prendre fin à un moment donné, quand
+le malade a reconquis une puissance suffisante pour
+pouvoir voler de ses propres ailes. On doit alors
+l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement:
+il faut, si l'on nous permet cette comparaison,
+que le médecin imite le professeur de bicyclette,
+qui soutient pendant un certain temps son
+élève, puis l'abandonne momentanément, sans
+qu'il s'en doute; l'élève confiant continue à pédaler,
+se croyant soutenu, jusqu'au moment où il est assez
+sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur
+le soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas
+de progrès.</p>
+
+<p>2° <i>Moyens d'augmenter artificiellement le capital
+nerveux insuffisant</i>.&mdash;Dans les cas où la volonté
+est tellement défaillante que l'on ne saurait faire
+aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de
+fournir à son malade un apport étranger d'influx
+nerveux: il y arrive par le procédé de l'hypnose.
+Rien ne m'ôtera la conviction que, dans l'hypnose,
+il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son
+sujet, «influence» étant compris dans son sens étymologique
+(<i>fluere</i>, couler). L'hypnotiseur envoie de
+l'influx nerveux, il donne quelque chose de lui-même;
+il a une action personnelle; et les médecins
+qui prétendent le contraire, qui disent que les passes
+peuvent être remplacées par le braidisme, par la
+fixation d'un objet brillant, immobile comme une
+boule ou mobile comme un miroir à alouettes, ne
+me paraissent pas être dans la vérité.</p>
+
+<p>L'hypnotisme peut rendre de grands services
+dans les cas les plus variés; non seulement il peut
+rectifier des idées erronées, faire disparaître les
+mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il
+agit encore pour ramener chez le malade la quiétude
+de l'esprit, la confiance en soi-même.</p>
+
+<p>Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien
+n'est, en effet, plus facile, chez un sujet hypnotisable,
+et qui est bien en main, que de faire disparaître des
+troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des
+vomissements, des métrorragies, de faire revenir
+les règles, le sommeil naturel, de régulariser les
+selles, etc.</p>
+
+<p>Le malheur est que tous les sujets ne sont pas
+susceptibles de subir l'influence hypnotique, et que,
+précisément, ceux qui en auraient le plus besoin se
+trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les
+hallucinés, les grandes hystériques, les malades
+atteints de délire systématisé, ne sont presque
+jamais hypnotisables. L'hypnose est d'autant plus
+difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi,
+chez les aliénés, nous avons vu notre excellent
+maître le Dr A. Voisin s'acharner pendant des
+heures entières sans obtenir le moindre effet; mais
+aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait!
+Nous connaissons pour notre part de grands
+nerveux qui, très désireux de pouvoir être endormis,
+sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou tels
+confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance
+spéciale de l'hypnotisme, et toujours avec
+un insuccès complet.</p>
+
+<p>C'est là une première raison qui restreint grandement
+l'emploi de l'hypnose. Une deuxième raison
+qui doit le limiter, c'est que, quand on emploie
+l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans
+l'esprit du malade, si on ne réussit pas du premier
+coup, et alors on le prive du secours qu'on aurait
+pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse
+manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance.
+Mais il existe des procédés permettant de savoir si
+oui ou non le malade est hypnotisable, de façon
+qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser
+de côté, sans en avoir l'air, les sujets non facilement
+hypnotisables.</p>
+
+<p>Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose:
+c'est que celle-ci, quand elle réussit, risque de
+devenir un moyen thérapeutique trop actif. Même
+avec la plus grande prudence, on ne parvient pas
+toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare
+souvent par trop de l'esprit du malade, au point
+que ce dernier ne peut plus rien faire sans son
+conseil.</p>
+
+<p>J'ai connu un ingénieur des chemins de fer,
+renommé pour sa sévérité à l'égard des inférieurs,
+et névropathe de grande marque. Son médecin
+crut bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se
+trouva, par hasard, que c'était un sujet de premier
+ordre. Un jour, pendant le sommeil hypnotique, le
+médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses
+inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès
+le lendemain, les procédés de cet homme à l'égard
+de ces inférieurs se firent tellement bienveillants,
+affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses subordonnés
+eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour
+ses chefs. Il ne parlait plus que de devoir social,
+d'altruisme, de solidarité humaine. On le crut fou; il
+ne l'était pas, mais il était devenu tellement différent
+de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin,
+averti de ce changement à vue, s'efforça, en plusieurs
+conversations, de modérer le zèle charitable du
+néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait
+avec lui les théories socialistes, et serait devenu
+le pire des utopistes. Il fallut une nouvelle séance
+d'hypnose pour atténuer, au point voulu, les effets
+de la suggestion première.</p>
+
+<p>Pourquoi employer un moyen aussi actif quand
+on peut s'en passer? Autant demander pourquoi
+l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire
+sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors
+arabe à un cheval qui ne demande qu'à se laisser
+conduire? Réservons donc le mors arabe pour les
+cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif!</p>
+
+<p>Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le
+médecin doit cesser de recourir à l'hypnose, sous
+peine de compromettre le résultat final. Une fois
+le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction
+de sa monture. Pour bien faire comprendre
+ma pensée, je prendrai la comparaison suivante:
+l'hypnose est à la défaillance du système nerveux
+ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance
+fonctionnelle du corps thyroïde, ce que l'opothérapie
+hépatique est à l'insuffisance fonctionnelle
+du foie. Or, de même que le médecin qui s'est
+servi de foie de porc pour remettre en état un hépatique,
+ne continue pas indéfiniment l'emploi du foie
+de porc, de même le psychothérapeute doit cesser
+l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat
+voulu, c'est-à-dire dès qu'il a remis le malade en
+assez bon état pour pouvoir compter sur sa collaboration
+consciente, et lui demander un effort personnel
+de gymnastique psychique; de sorte que
+quatre ou cinq séances suffisent, dans la majorité
+des cas.</p>
+
+<p>Toutes ces considérations expliquent la rareté
+des cas où l'hypnotisme est à conseiller. Mais quant
+à dire, comme le font les adversaires irréconciliables
+de la thérapeutique par l'hypnose, que
+quelques séances amènent, chez le malade, une
+perturbation d'esprit incurable, que l'hypnotisme
+«dissocie la personnalité normale du sujet»
+(Grasset), «aboutit à la ruine déplus en plus complète
+de ce moi qu'on voudrait sauver» (Duprat),
+c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme
+bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai
+vu qu'une fois, dans le service de Charcot, l'hypnose
+amener chez un homme une violente attaque
+d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que
+les pratiques de l'hypnotisme ont quelque chose de
+dégradant pour la dignité humaine, parce que le
+médecin qui impose sa volonté au malade porte
+atteinte au dogme de la liberté, c'est énoncer une
+erreur non moins absolue, la suggestion hypnotique
+n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état de
+veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte,
+on n'aurait plus le droit de donner un conseil. Enfin,
+dire que les pratiques de l'hypnose sont mal vues
+dans le monde, et discréditent le médecin, c'est
+affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait
+en rien, car le médecin n'est responsable que devant
+sa conscience. Or, nous le répétons, sa conscience
+peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des
+procédés hypnotiques, surtout s'il prend le soin de
+n'endormir les malades qu'avec leur assentiment
+formel, et en présence d'un tiers représentant la
+famille.</p>
+
+<p>Ajoutons enfin que le médecin <i>seul</i> doit avoir
+recours à ce procédé thérapeutique; et que ce
+médecin doit agir uniquement pour le bien du
+malade, sans la moindre préoccupation étrangère,
+voire même sans aucune préoccupation scientifique.</p>
+
+<p><i>Conseils pratiques pour l'application des procédés
+psychothérapiques.</i>&mdash;Nous venons de passer en
+revue les moyens psychothérapiques par lesquels
+on peut améliorer le capital nerveux d'un malade.
+Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien
+voulant employer la psychothérapie; il semble
+donc utile de le compléter par des considérations
+d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées
+par une expérience personnelle.</p>
+
+<p>1° Il est un principe qui domine tous les autres;
+c'est que, pour faire de la bonne psychothérapie,
+il faut soigner le malade non seulement avec toute
+son intelligence, mais surtout avec tout son coeur.
+Le médecin qui ne ferait que de la psychologie,
+démontant curieusement pièce à pièce tous les
+rouages du cerveau de son malade, pour chercher
+celui qui est défectueux, sans se préoccuper avant
+tout d'être utile, ne ferait pas de bonne psychothérapie.
+Il lui faut être bon mécanicien, bon
+psychologue, c'est entendu; mais surtout il lui
+faut être un homme charitable. Je sais que le mot
+«charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on
+ne parle plus que d'altruisme, de solidarité, etc.
+Le mot «charité» pourra disparaître du dictionnaire,
+bien qu'il exprime autre chose que ses soi-disant
+synonymes; mais la charité restera toujours
+au fond du coeur de l'homme, et sera, comme par
+le passé, l'inspiratrice des actions généreuses et
+véritablement utiles.</p>
+
+<p>2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime
+son malade. S'il veut avoir sur lui une autorité
+morale effective, il faut en outre qu'il ne soit pas
+pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas,
+mais qu'il ne le soit pas en réalité. Savoir se
+donner tout entier à l'affaire présente est la première
+condition du succès, en psychothérapie. Il
+faut que, dès la première entrevue, s'établisse entre
+le malade et le médecin un courant de sympathie;
+or ce courant ne peut s'établir que si le malade
+sent que le médecin s'intéresse profondément à lui,
+et ne lui ménage pas son temps. La première consultation,
+surtout, doit pouvoir durer tout le temps
+nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine
+que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut.</p>
+
+<p>3° Il faut encore que le médecin sache écouter,
+c'est-à-dire laisser parler le malade aussi longtemps
+qu'il le désire, surtout pendant les premières
+consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité
+d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter,
+parce qu'on apprend toujours quelque détail dont
+on pourra tirer profit: si l'on agit de cette façon,
+le malade, par une sorte de discrétion inconsciente,
+arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser
+de la patience de son auditeur, et se contente de
+répondre aux quelques questions bien précises
+qu'il lui pose.</p>
+
+<p>Une fois que le médecin aura ainsi pris position,
+les conseils qu'il donnera, non seulement sur l'hygiène
+mentale, mais sur l'hygiène alimentaire, musculaire,
+auront toutes chances d'être suivis; et ainsi
+tout concourra à la guérison ou à l'amélioration
+cherchée.</p>
+
+<p>4° Un autre principe, c'est de dire au malade la
+vérité dans la mesure du possible. Évidemment,
+s'il y a une lésion organique incurable, le médecin
+doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les
+cas exceptionnels où le malade a des motifs sérieux
+pour savoir la vérité entière. Mais le plus souvent
+il faut dire la vérité au malade, lui dire très
+franchement l'idée que l'on se fait de son état, la
+durée probable du traitement, etc. Si, cependant,
+le traitement doit demander des années, comme il
+arrive trop souvent chez les malades à capital restreint,
+mieux vaut rester dans le vague, et dire:
+«Le traitement sera long, un peu pénible, mais la
+guérison est assurée.» Il faut encore, dès les premières
+entrevues, avertir le malade des rechutes
+possibles, probables, ou certaines: si c'est une
+femme, la prévenir que, dans les douze jours qui précéderont
+l'époque menstruelle, elle aura fatalement,
+durant quelques mois, une réapparition de toutes
+ses misères, mais à un degré de moins en moins
+marqué; dans tous les cas, avertir le patient, s'il
+s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il
+risque d'avoir une légère aggravation, puis, quand
+son état s'améliorera, tous les trois jours, puis tous
+les huit jours, et ce, en dehors de toute cause appréciable,
+par le seul fait de cette tendance qu'a le
+système nerveux à protester d'une façon intermittente.
+Mais il faut, en outre, l'avertir que toute
+émotion violente, et surtout que toute infraction au
+régime alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a
+été ou qui va lui être prescrit, se soldera inévitablement
+par une rechute plus ou moins grave, suivant
+la gravité de l'infraction,&mdash;une rechute qui,
+chose curieuse, ne se manifestera que le lendemain
+ou le surlendemain de l'écart commis;&mdash;l'avertir
+enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en
+particulier, fera faire un pas en arrière d'autant
+plus grand qu'elle aura été plus grave, et soignée
+plus tardivement; donner, par conséquent, au
+malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette,
+dans la mesure du possible, à l'abri des affections
+intercurrentes, et lui recommander de demander
+ou de prendre des soins immédiats, en lui faisant
+bien remarquer que les affections accidentelles ne
+sont graves, en général, que lorsqu'elles ne sont
+pas bien soignées dès leur début.</p>
+
+<p>5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade
+des prescriptions qui lui seraient plus pénibles que
+les malaises dont il se plaint. Il doit même éviter,
+en général, de multiplier ses prescriptions, sans
+quoi il risque de décourager le patient, ou, ce qui
+est pire encore, de le rendre égoïste et hypocondriaque,
+et d'entretenir sa «maladie» par le soin
+même apporté à la combattre. Aussi bien la
+thérapeutique est-elle, en général, plus simple
+qu'on ne croit, et les questions de régime, en particulier,
+sont presque toujours faciles à résoudre.</p>
+
+<p>Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de
+formuler une prescription, c'est de la mesure où il
+sera possible et facile, au malade, de l'appliquer.
+Pour ma part, je n'arrête jamais un programme
+de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec
+le malade, et, si possible, avec l'un des membres
+de sa famille. Je donne alors au malade une feuille
+où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis
+l'heure du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où,
+aux heures prescrites, sont indiqués les menus des
+repas, voire même les livres à lire. J'ai soin, en
+outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis
+est défendu», en laissant entendre au patient que,
+dans un avenir plus ou moins rapproché «tout
+ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le
+malade, pourvu de cette feuille directrice, est averti
+qu'il doit s'en rapprocher le plus possible, mais
+sans en devenir l'esclave.</p>
+
+<p>On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace
+de la «maladie», si grave qu'elle soit, est toujours
+praticable, quelles que soient les conditions
+de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où
+ce traitement doit être simplifié au maximum: par
+exemple, chez une mère de famille ayant des occupations
+multiples de toutes sortes. Il serait souverainement
+absurde de proposer à cette malade un
+régime ou des soins personnels qui l'empêcheraient
+d'accomplir ses devoirs de tous les instants; on
+doit se borner, alors, aux prescriptions les plus
+importantes, en faisant comprendre à la malade
+que l'on ferait mieux si les circonstances de sa
+vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en définitive,
+le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et
+qu'on en sera quitte pour prolonger le traitement
+plus longtemps.</p>
+
+<p>En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent
+à un traitement méthodique proviennent de deux
+sources: 1° De l'absence de foi du malade, 2° de
+la mauvaise volonté de son entourage.</p>
+
+<p>1° Il est des malades qui viennent nous consulter
+malgré eux, sous la pression de leur famille, avec
+l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre une consultation
+de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les
+précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup,
+comprenne la mentalité des sujets de ce genre;
+avec l'habitude, il peut être fixé dès les premières
+paroles échangées, voire dès le premier abord. A
+lui, alors, de déployer toute sa puissance de suggestion.
+S'il sait s'y prendre, il peut arriver à
+faire, d'un malade irréductible en apparence, l'être
+le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et
+il parvient alors à des résultats inespérés. Les
+choses se passent ainsi huit fois sur dix.</p>
+
+<p>Plus difficiles à convaincre sont les malades qui
+n'ont pas d'énergie, qui, loin de se cabrer, semblent
+des victimes soumises à l'avance, ou encore ceux
+qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent
+que la mort. En face de tous ces malheureux, le
+médecin ne doit pas se dérober, quelque souci que
+lui réservent les patients de cette sorte.</p>
+
+<p>Enfin, plus difficiles encore sont les malades à
+théories, qui ont leur siège fait, après avoir vu des
+médecins de tous les pays, suivi, dans les sanatoria
+les plus variés, les traitements les plus dissemblables;
+qui connaissent toutes les dernières
+nouveautés sur les choses médicales, le discours
+de la veille à l'Académie de médecine, les livres
+qui vont paraître. Avec ceux-là, rien à faire. Le
+mieux, pour ne pas perdre un temps précieux, est
+de leur déclarer de suite qu'on ne parviendrait pas
+à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs,
+ces cas sont assez rares.</p>
+
+<p>Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale
+qui commencent par dire toujours non, ou à
+le penser, ce qui est encore plus grave. La psychothérapie,
+comme tous les agents thérapeutiques,
+a à compter avec ce que, dans notre langage
+barbare, nous appelons les «idiosyncrasies».</p>
+
+<p>2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient
+de l'hostilité de l'entourage du malade.</p>
+
+<p>On ne peut se faire une idée de l'influence
+néfaste qu'exerce cet entourage; quelquefois il contrecarre
+ouvertement les opinions du médecin, discute
+sa manière de penser, ses prescriptions; le
+malade, alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance
+au médecin ou à l'entourage.</p>
+
+<p>Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement
+déclarée. Mais c'est pis encore: c'est alors une
+lutte sourde, de tous les instants, à propos des
+moindres prescriptions. Le malade sent très bien
+que le médecin est dans le vrai, qu'il a <i>compris</i> sa
+«maladie»; il voudrait de tout son coeur suivre ponctuellement
+ses conseils: mais l'entourage est là
+qui, sans dire un mot, proteste intérieurement et
+exécute à contre-coeur tout ce qui a été prescrit.
+La position est des plus difficiles. Cette contre-suggestion,
+qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer
+la confiance, si nécessaire, que le malade
+avait tout d'abord; les prescriptions ne sont qu'à
+moitié observées. Ces tiraillements continus sont
+véritablement lamentables.</p>
+
+<p>Et que faut-il entendre par entourage? C'est
+rarement le mari ou la femme, c'est souvent la
+mère ou la belle-mère, plus souvent encore des
+personnes qui touchent de moins près au malade.
+Les plus dangereux ennemis sont ceux qui ont à
+donner des soins immédiats; ce sont les gardes,
+qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout
+les domestiques. De là la dure nécessité pour
+le médecin d'être bien avec tout le monde, dans la
+maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant
+avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi
+il prescrit telle ou telle chose qui semble inutile ou
+dangereuse: le repos, alors que tout le monde voudrait
+que le malade fît de l'exercice; le régime
+restreint, alors que, pour rendre du sang au
+patient, tout le monde voudrait qu'il prît du jus
+de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus
+souvent, la partie est perdue d'avance; et c'est alors
+que le médecin doit user de toute son autorité pour
+imposer l'isolement, tandis qu'il eût été quelquefois
+très simple de guérir à peu de frais le malade,
+en le laissant chez lui.</p>
+
+<p>Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la
+confiance d'un malade, et d'avoir conquis, non la
+neutralité,&mdash;elle n'existe nulle part,&mdash;mais l'assentiment
+de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne;
+il ne reste plus qu'à surveiller l'application du traitement,
+et surtout à entretenir la foi du malade en
+sa guérison à échéance plus ou moins éloignée.
+Pour remplir ce double but, il faut que le médecin
+ait avec le malade de fréquents entretiens, au cours
+desquels il doit lui expliquer, dans la mesure du
+possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui
+démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer
+instamment, quelles que soient ses doléances,
+que la guérison est assurée.</p>
+
+<p>Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile.
+Il l'est, par exemple, chez les malades qui ont
+besoin du lit, pendant les premiers temps, pour
+calmer leur système nerveux. Ne dormant presque
+jamais, ces malheureux ont toutes les peines du
+monde à rester au lit; il faut leur faire bien comprendre
+que cette agitation, ce malaise inexprimable
+qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour
+au lit, mais de l'excitation du système nerveux; que
+cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze
+jours, pour faire place à une détente de bon aloi,
+avec sensation de fatigue énorme, mais non plus douloureuse,
+avec sommeil réparateur, retour de l'appétit,
+disparition <i>spontanée</i> de la constipation, etc.
+Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le
+plus souvent, des visites quotidiennes. Plus tard, les
+visites pourront être espacées: il faut savoir se
+faire désirer.</p>
+
+<p>Dans les cas graves, il faut donner aux familles
+l'habitude de laisser le malade en tête-à-tête avec
+le médecin. L'influence de celui-ci est, alors, beaucoup
+plus active, et les malades, pouvant s'épancher
+en toute liberté, tirent un grand bénéfice de la visite
+du médecin, qui ne tarde pas à devenir leur ami.</p>
+
+<p>C'est dans ces tête-à-tête que le médecin doit
+insister pour faire de la suggestion optimiste et de
+la véritable psychothérapie, d'après les principes
+que nous avons étudiés antérieurement.</p>
+
+<p>Nous avons parlé déjà, à propos de la névrose
+provoquée par les causes morales chez les jeunes
+femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir,
+à titre de confident de leurs misères: ce rôle est
+toujours difficile, et quelquefois dangereux. Le
+besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir confier
+sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues;
+c'est lui qui pousse les criminels à
+venir s'accuser d'un acte dont l'auteur aurait pu
+rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable,
+a excité un de mes malades à prendre sa
+femme, en tant que sa meilleure amie, comme confidente
+d'une passion amoureuse qui le rongeait.
+On comprend donc combien un confident sûr et
+discret peut rendre de services, chez les malades
+de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme l'a
+dit le poète:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>En se plaignant on se console,</p>
+<p>Et quelquefois une parole</p>
+<p>Nous a délivrés d'un remords.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Mais il est des cas où la douleur humaine ne
+peut être atténuée par une confidence, si intime
+qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd tous
+ses droits.</p>
+
+<p>Il est d'autres cas où elle est également impuissante.
+C'est quand le malade ne <i>veut</i> pas guérir,&mdash;s'il
+se complaît dans son chagrin, par exemple.&mdash;Ou
+bien encore on voit des malades qui ont pris
+l'habitude de se faire plaindre, et qui, inconsciemment,
+ne veulent pas guérir; dans leur égoïsme
+morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage,
+véritables vampires qui épuisent jusqu'au
+bout la patience, les forces, les ressources pécuniaires
+de leurs proches, sans avoir un éclair de
+reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi,
+ni pour le médecin qui se dépense en pure perte.
+Rappelons-nous bien que ces malades terribles sont,
+avant tout, des malades, et ont droit à toute notre
+indulgence; leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme
+morbide. Ainsi j'ai soigné une dame qui,
+avant d'être malade, était exquise de bonté, de
+bienveillance, de politesse. Or, quelques mois après
+le début de sa «maladie», en même temps qu'elle
+devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en
+ne mangeant presque pas, grande malade en un
+mot, son caractère se modifia et la fit devenir le
+tyran dont j'esquisse à grand traits l'image. Aujourd'hui,
+elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile
+d'ajouter qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces
+malades, la psychothérapie est impuissante. Si
+habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue
+quelquefois; elle a cela de commun avec tous les
+autres agents thérapeutiques.</p>
+
+
+<p>PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX</p>
+
+<p>Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser,
+comme moyen psychothérapeutique, les ressources
+que peut fournir la foi religieuse? Grave question
+qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion.</p>
+
+<p>En principe, le médecin ferait mieux de laisser
+ce soin au prêtre, ou au pasteur, ou au rabbin,
+à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces
+délicats problèmes; mais il est des circonstances où
+il ne peut pas se dérober, et il nous faut en dire quelques
+mots.</p>
+
+<p>Il est certain, en tout cas, que le médecin ne
+doit jamais aborder, le premier, ces questions d'ordre
+philosophique et religieux; ce n'est pas son rôle,
+et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense
+d'une doctrine philosophique quelconque, pourrait
+être, et serait à juste titre, sévèrement jugée. Mais,
+d'autre part, il doit s'attendre à ce que, poussé par
+un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à
+entrer avec lui dans ce domaine.</p>
+
+<p>Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le
+figure: le malade qui, pendant ses douloureux
+loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité de
+toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la
+banalité des consolations habituelles, qu'il n'accepte
+d'ailleurs qu'à son corps défendant, se sent, à un
+moment donné, préoccupé d'une façon insolite
+par les grands problèmes de l'au-delà, de la destinée
+humaine. Sans compter qu'il est envahi d'une
+crainte angoissante. Combien de fois n'ai-je pas
+entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur
+de quoi? Ils n'en savent rien; ce n'est pas, en
+général, d'avoir à quitter cette lamentable existence,
+qui ne leur offre rien de bon;&mdash;encore que parfois,
+sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct
+de conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il
+en soit, ils ressentent une peur vague, animale; et,
+dans cette détresse morale, ils s'accrochent désespérément
+à tout ce qui peut leur donner du réconfort.</p>
+
+<p>Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve
+souvent le malade d'aborder des problèmes qui,
+en état de santé, lui étaient complètement indifférents.
+Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec
+la bonne religieuse, qui répondra à toutes les questions
+par de petites dévotionnettes ou des pratiques
+tout à fait en dehors des habitudes du malade, des
+pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les
+fervents, et qui risquent de révolter l'esprit de
+ceux qui n'en comprennent pas le sens caché? Est-ce
+avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant
+en coup de vent prendre des nouvelles du malade,
+et ne pensant qu'à ses affaires pendant qu'il lui
+détaille ses misères, se borne à lui répondre:
+«Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut,
+ou qu'il fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le
+malade, quand ces visiteurs ne l'assassinent pas en
+lui parlant de leurs affaires personnelles, alors que
+la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde!
+Vraiment, tous ces consolateurs de passage feraient
+mieux de rester chez eux; non seulement ils ne sont
+d'aucune utilité, mais ils contribuent à entretenir
+la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du
+lit des patients. Chose curieuse, les amis les plus
+intimes, ceux qui dans le cours ordinaire de la vie
+recevaient les confidences les plus secrètes, n'ont
+plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient
+en partie à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue
+par des confidences réciproques; or, à partir
+du jour où le malade a été sérieusement touché,
+il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires
+de ses meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne
+s'intéresse qu'aux siennes, c'est-à-dire à sa «maladie».</p>
+
+<p>Le malade prendra-t-il, comme confidents de
+ses graves préoccupations, les personnes de son
+entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.?</p>
+
+<p>Quelle médiocre ressource!&mdash;Certes, ce n'est ni
+le dévouement, ni la bienveillance, ni la tendre
+affection qui font défaut aux membres de la famille;
+mais le malade se garde bien de leur confier ses
+chagrins intimes, d'abord par crainte de les alarmer,
+et ensuite parce qu'il sait d'avance ce que
+pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de
+tout temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent,
+le prêtre n'a pas ses entrées dans la maison;
+et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état soit un
+peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce
+qu'elle peut pour retarder une visite qui risque de
+l'effrayer. Il sera bien temps d'appeler le prêtre
+quand le malade sera sans connaissance!</p>
+
+<p>Que reste-il donc?&mdash;Le médecin.</p>
+
+<p>Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé
+de son corps, lui donne une influence et une
+autorité morales supérieures à celles mêmes des
+parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui
+surtout que le malade est tenté de confier ses
+doutes, ses préoccupations d'au-delà, ses vagues
+espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui
+avec une abondance et une intensité inaccoutumées.</p>
+
+<p>Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa
+tâche, sur ce domaine particulier de la psychothérapie,
+dont l'importance est souvent capitale.</p>
+
+<p>Mais que doit-il faire? En présence d'un malade
+qu'il voit partagé entre des restes de foi plus ou
+moins effacés, et cet état d'incrédulité, active ou
+passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence
+d'un malade qui, sans croire qu'il va mourir,
+craint cependant de mourir, et se demande avec
+angoisse si cette mort signifiera vraiment pour lui
+l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques
+chances qu'il retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle,
+la société de ceux qu'il a le plus aimés sur
+cette terre; en présence d'un tel malade, que doit
+faire le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances,
+il ne perde jamais de vue que le malade
+est semblable à un noyé qui cherche à se raccrocher
+à la moindre branche de salut; si donc il n'a
+à lui offrir que de froides théories philosophiques,
+aboutissant à la désespérance finale, s'il est lui-même
+bien convaincu que la mort signifie, pour le
+malade, la fin absolue, et la séparation à jamais
+d'avec ce qui lui est cher, alors il fera mieux de se
+taire et de garder pour lui des doctrines qui, en
+admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient
+être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade
+a besoin, c'est de soutien moral, c'est de foi, c'est
+surtout d'espérance. Or, où trouvera-t-il tout cela
+en dehors de la doctrine de celui qui a dit: «Venez
+à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?»</p>
+
+<p>L'influence utile de la religion est, d'ailleurs,
+reconnue par tous les médecins qui se sont occupés
+des «maladies» nerveuses; et c'est avec plaisir que
+nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre
+du Dr Dubois<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13"><sup>13</sup></a>, de Berne, qui cependant, dans
+le reste de son ouvrage, développe avec complaisance
+des théories philosophiques fort éloignées de
+l'orthodoxie chrétienne:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" name="footnote13"></a><b>Note 13:</b><a href="#footnotetag13"> (retour) </a> Dr Dubois. <i>Les Psychonévroses et leur traitement moral</i>, 1904.</blockquote>
+
+<p>«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif
+contre ces «maladies» de l'âme, et le plus
+puissant moyen pour les guérir, si elle était assez
+vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme
+chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare,
+dans les milieux bien pensants, l'homme devient
+invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu, il
+ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber
+sous les coups d'une «maladie» physique, mais,
+moralement, il reste debout au milieu de sa souffrance,
+il est inaccessible aux émotions pusillanimes
+des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV:
+«Ceux à qui leur tournure d'esprit permet encore
+la foi naïve trouveront un appui dans leurs convictions
+religieuses, à condition qu'elles soient sincères
+et vécues.»</p>
+
+<p>Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en
+résulte pas, pour le médecin psychothérapeute,
+d'encourager son malade dans ces convictions
+religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux
+émotions pusillanimes des névrosés»?</p>
+
+<p>Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez,
+vivante «pour créer un vrai stoïcisme chrétien»,
+subsiste encore, et cherche vaguement à se raviver
+sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme
+mondains, est-ce que ce n'est pas une obligation
+pour le médecin de l'y aider, autant qu'il le
+peut?</p>
+
+<p>Voici donc le médecin transformé, malgré lui,
+en apôtre. Mais nous ne craignons pas de le redire:
+pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas préparé, il
+a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne
+doit s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain
+aussi dangereux.</p>
+
+<h4>CHAPITRE V</h4>
+
+
+<h4>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES</h4>
+
+<p>La psychothérapie est la base du traitement, pour
+les malades chez qui les troubles nerveux et mentaux
+prédominent. Dans les autres formes de la
+déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un
+rôle important; de là les résultats remarquables
+obtenus, même dans les «maladies» à forme gastrique,
+abdominale, etc., par quelques-uns de nos
+confrères, qui arrivent, en effet, à soulager et guérir
+un certain nombre de dyspeptiques et abdominaux,
+tout en excluant systématiquement toute préoccupation
+de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces
+confrères tombent dans l'exagération; même s'il n'y
+a pas de troubles gastriques, le régime du malade
+doit être surveillé; et à plus forte raison quand
+l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en
+réalité, joue, dans la thérapeutique des malades à
+phénomènes intestinaux et gastriques, un rôle au
+moins égal à celui de la psychothérapie.</p>
+
+<p>Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers:
+lorsque vous faites du régime, lorsque vous
+imposez à vos malades telle ou telle alimentation,
+qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une
+maison de santé à l'autre, les bons résultats que
+vous obtenez sont dus, exclusivement, à la psychothérapie
+que vous faites sans le savoir. Si le
+docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en
+leur donnant du macaroni sous toutes les formes,
+ce n'est pas parce qu'il remet leur estomac en état,
+c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance;
+en fait, il les guérit par suggestion, et malgré le
+régime. Car le régime, ajoutent-ils, entretient plutôt
+l'idée de «maladie»: le malade s'auto-suggestionne
+à chaque prise alimentaire, et ce qui peut
+arriver de plus malheureux à un névropathe, c'est
+de trouver un médecin qui le soumette à un régime
+alimentaire, quel qu'il soit.</p>
+
+<p>Cette opinion me semble absolument excessive.
+Je voudrais bien voir traiter, par la psychothérapie
+seule, telle ou telle jeune fille qui vomit tout ce
+qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs
+semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des
+troubles digestifs mettant sa vie en danger. Qu'on
+réussisse souvent à guérir les «malades» sans
+régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique,
+qui n'est en somme que la suralimentation,
+dans une maison de santé, c'est possible: le changement
+de milieu, l'éloignement des causes qui
+avaient produit et entretenu la «maladie», l'influence
+salutaire indiscutable du médecin, expliquent ces
+miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se
+garder de généraliser; et mon avis est qu'il faut
+toujours, en même temps qu'on fait de la suggestion,
+instituer un régime alimentaire approprié au
+fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.</p>
+
+
+
+<h4>I</h4>
+
+<h4>RÉGIME</h4>
+
+
+<p>Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac
+et l'intestin, atteints d'une sorte d'inertie,
+se refusent à tout travail, et indiqué les symptômes
+physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie.
+Il est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac
+et à cet intestin un travail fréquent, mais peu
+actif; de là, nécessité de la diète liquide dans
+les cas très graves, parfois même de la diète absolue
+pendant vingt-quatre ou trente-six heures, et
+de la diète semi-liquide dans les cas moins graves,
+avec prises alimentaires toutes les heures, ou
+toutes les deux heures, suivant le degré d'inertie
+constaté.</p>
+
+<p>Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le
+nombre des aliments. Je me rappelle un malade
+qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux, qui
+depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait
+plus rien, avait une constipation invraisemblable,
+ne pouvait plus se traîner, ne dormait
+plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un
+régime consistant à s'alimenter exclusivement de
+Revalescière. Je lui ai donné, toutes les demi-heures,
+pendant trois jours, puis toutes les heures,
+jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes
+les trois heures pendant huit jours, uniquement de
+la Revalescière, cuite dans du bouillon de légumes
+et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac
+lui permit de tolérer d'autres potages, puis
+des purées, puis des oeufs et du poisson, et enfin
+de la viande trois fois par semaine; et il partit
+guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois
+mois. C'est que je faisais, en même temps, de la
+psychothérapie! me dira-t-on encore? Sans doute,
+j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup
+pour faire accepter ce régime à mon malade, pour
+lui persuader qu'il n'avait pas une «maladie» incurable,
+pour le faire rester à Paris, dans les conditions
+d'installation médiocre où il se trouvait, etc.;
+mais j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui
+l'a guéri, et que, malgré la confiance qu'il avait en
+moi, malgré toute l'autorité que j'exerçais sur lui,
+malgré le repos au lit, si je lui avais donné à
+manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais
+mis au lait, si surtout j'avais fait de la suralimentation,
+ce malade n'aurait pas guéri; et la preuve
+en est que, à partir du premier mois, sitôt que je
+m'écartais du régime méthodique, et que, pour
+essayer de gagner du temps, je faisais un essai d'alimentation
+un peu substantielle, cet essai, si timide
+qu'il pût être, amenait invariablement un petit
+recul. Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement
+amené une rechute.</p>
+
+<p>Inutile de dire, après cela, que la Revalescière
+n'est nullement un spécifique. Tout autre aliment
+semi-liquide aurait amené le même résultat (panade
+bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root,
+phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de
+riz, etc)</p>
+
+<p>Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au
+contraire le régime ultra-sec qui convient mais
+pendant quelques jours seulement: Le régime sec
+est d'un maniement difficile et doit être très vite
+remplacé par le régime «à restriction des boissons».
+Ces cas sont ceux où, à l'inertie, se joint
+un élément spasmodique. Il faut alors donner au
+malade, toutes les demi-heures d'abord, puis toutes
+les heures, pendant deux ou trois jours, des aliments
+secs à grignoter; et ce régime est spécialement
+indiqué chez les malades chroniques dont le
+capital est gravement atteint. Il est bien certain que
+la psychothérapie intervient assez peu dans ces cas,
+et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à
+un malade qui aurait besoin d'un régime sec le
+régime liquide, ou même semi-liquide, il n'y a point
+de suggestion qui puisse empêcher les fâcheux
+résultats d'une pareille erreur thérapeutique.</p>
+
+<p>Dans certains autres cas graves, le malade maigrit,
+semble ne pas pouvoir digérer, et ne digère
+pas, en effet, simplement parce qu'il a peur de
+manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh!
+alors la psychothérapie fait merveille. On doit donc
+forcer le malade à manger, et à manger n'importe
+quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout digérer.
+Mais je ne conseillerai jamais à un médecin
+d'essayer ce système, de prime abord, chez un
+malade dont il n'aurait pas étudié de très près le
+fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de
+compromettre gravement la situation du malade, et
+la sienne propre.</p>
+
+<p>D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut
+procéder avec une sage lenteur, et se rappeler ce
+que nous avons dit du peu d'aliments nécessaire
+à la conservation de la vie.</p>
+
+<p>Il nous est impossible de tracer, même à grands
+traits, les indications de régime qui conviennent
+aux divers malades. Théoriquement, le régime doit
+varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour
+à l'autre, pendant toute la durée de la «maladie».
+Mais, en pratique, les choses se passent plus simplement.
+Le principe général, c'est qu'il faut faire
+manger souvent les malades, sans attendre qu'ils
+aient des phénomènes spasmodiques (tiraillements
+d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut les faire
+manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour
+assurer le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris
+vers minuit, après le premier réveil, dans les cas
+où le régime doit être plutôt sec, une tasse de cacao
+dans les cas où le régime doit être plus liquide,
+font mieux, pour procurer le sommeil, que la meilleure
+des préparations opiacées.</p>
+
+<p>Une seconde recommandation, c'est de faire
+reposer les malades après avoir mangé. Nous
+avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut qu'ils
+se couchent pour manger; dans les cas moins
+graves, la position horizontale après les repas
+s'impose, et n'est pas moins nécessaire après le
+goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien
+de faire, après les repas, un exercice modéré; et
+il y a aussi quelques dyspeptiques auxquels cet
+exercice est profitable: mais c'est la grande exception.</p>
+
+<p>Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique
+ni l'homme bien portant ne doivent oublier: c'est
+qu'il n'est pas bon de se mettre à table immédiatement
+après un travail musculaire. C'est ce qu'a
+parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses
+remarquables travaux sur les exercices physiques;
+et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer mes
+lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur
+toutes les questions de l'alimentation dans ses
+rapports avec l'exercice.</p>
+
+
+
+
+
+<h4>II</h4>
+
+<h4>MOYENS ACCESSOIRES</h4>
+
+
+<p>Outre le régime, il est encore un grand nombre
+de petits moyens thérapeutiques que la psychothérapie
+ne remplacera certainement pas. Il est très
+simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le
+massage, la douche tiède, paraissent faire du bien
+aux malades, c'est parce que ces agents provoquent
+des suggestions favorables. Mais c'est une
+conception par trop facile, et qui se trouve démentie
+par l'expérience. Tous ces moyens accessoires ont
+leur action propre, indépendante de toute suggestion,
+action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils,
+tout comme l'hygiène alimentaire, être
+soumis à un contrôle sérieux, et ne pas être employés
+à tort et à travers: mais, quand ils sont bien maniés,
+ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique.
+Le principe général, c'est qu'il faut en user
+avec une extrême prudence, et que, dans le doute,
+il vaut mieux s'en abstenir.</p>
+
+<p><i>Hydrothérapie</i>.&mdash;L'hydrothérapie froide est
+rarement indiquée; on commence à le savoir! Dans
+tous les cas graves, alors que le capital nerveux
+est vraiment compromis, elle peut occasionner des
+désastres.</p>
+
+<p>Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient
+de la douche froide la base du traitement de la
+folie, y on tous entièrement renoncé: la douche
+froide ne convient que dans les cas exceptionnels,
+chez les malades ayant encore un excellent capital,
+et auxquels on peut impunément soutirer une
+dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais
+la douche froide à la saignée faite chez les malades
+qui n'ont plus de pouls, qui sont moribonds, et
+auxquels une saignée peut parfois rendre le pouls
+et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée
+dans les cas d'oppression des forces». Or,
+pour pratiquer à coup sûr la saignée, dans ces
+cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il faut
+être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer
+convenablement l'hydrothérapie froide, chez les
+malades graves.</p>
+
+<p>Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions,
+les lotions, le manteau espagnol, etc., ont une
+action moins brutale que la douche. Bien appliquées,
+ces pratiques peuvent rendre de grands services.
+Elles le peuvent surtout si le malade, plein
+d'une foi aveugle, et suggestionné par avance,
+quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va,
+comme les fervents de Woerishoffen, dans un
+endroit tranquille, bien aéré, où son cerveau reste
+en jachère par le fait de l'horrible tristesse du
+milieu, et s'il s'y soumet à une alimentation plus
+raisonnable que celle qu'il avait chez lui. Tous ces
+éléments entrent pour une part indéniable, dans les
+remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et
+qu'obtiennent encore, à un moindre degré, ses successeurs
+et ses élèves, à Altkirch, en particulier.</p>
+
+<p>Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de
+parti pris, se priver de ses services, mais se rappeler
+qu'elle ne doit être employée que chez les
+malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez
+les malades de ce genre, le maillot humide, notamment,
+constitué par un drap mouillé et tordu
+étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette,
+est un procédé souvent très utile et à la portée de
+toutes les bourses. On entoure, avec le drap, le
+malade comme une momie, en l'enveloppant ensuite
+de trois couvertures préalablement étendues,
+sous le drap. Nous avons vu des malades, qui ne
+parvenaient pas à dormir, trouver, vingt minutes
+après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil
+réparateur. La durée des applications ne doit pas
+dépasser trois quarts d'heure; et leur nombre peut
+sans inconvénients atteindre 80, employées quotidiennement,
+même pendant les règles.</p>
+
+<p>L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses
+indications. Le <i>tub</i> tiède, pratiqué dans la matinée,
+avec une infusion de tilleul et l'enveloppement dans
+une couverture, est essentiellement sédatif, si le
+malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.</p>
+
+<p>Le bain répond aussi à de nombreuses indications;
+mais c'est un moyen beaucoup plus actif
+qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des
+malades qui ne le supportent pas, que le bain,
+même de cinq minutes, énerve, empêche de dormir;
+on doit tenir compte de cette susceptibilité, et ne
+pas insister si le malade affirme que le bain lui est
+contraire. Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois
+amenés à donner des bains de douze et de
+vingt-quatre heures: c'est là une médication très
+active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que
+les malades ont des syncopes dans le bain; c'est
+dire la surveillance qu'il faut exercer autour d'eux.
+Les bains de six heures consécutives sont journellement
+employés à Louéche, et avec grand
+profit, pour les malades atteints de certaines formes
+d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une
+qualité particulière, qui rend tolérables ces bains
+prolongés; ce qu'il y a de certain, c'est que les
+bains de la même durée avec de l'eau de Paris,
+comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis,
+ne sont, en général, pas tolérés, et qu'on a
+dû réserver ce traitement pour les cas exceptionnels.</p>
+
+<p>C'est également une qualité particulière de l'eau
+qu'il faut invoquer pour expliquer la tolérance de
+certaines eaux minérales. A Badenweiller, en particulier,
+à Gastein, à Néris, les nerveux supportent
+des bains très prolongés (pendant une et
+deux heures), alors que, chez eux, un bain d'un
+quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable.</p>
+
+<p>Il est cependant des malades qui ne supportent
+pas le contact de l'eau, même aux stations minérales
+que je viens d'indiquer; les médecins de ces
+stations auraient tort d'insister si, après les deux
+ou trois premiers bains, ils observaient une aggravation
+de l'état maladif.</p>
+
+<p>Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on
+ne doit pas mouiller la peau. L'application d'un
+cataplasme leur est odieuse, un bain de pieds les
+révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la
+figure avec très peu d'eau tiède, ou même avec du
+cold-cream. Dira-t-on que ce sont là des phobiques?
+Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne connaissons
+pas tous les degrés de susceptibilité du
+système nerveux, réactif d'une sensibilité invraisemblable;
+et cette intolérance de la peau pour
+l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle
+disparaît en même temps que les vertiges, gastralgie,
+constipation, maux de tête, et autres
+misères dont l'ensemble constitue la «maladie».
+Mais, aussi longtemps qu'existe cette intolérance,
+le médecin doit savoir la respecter, et ne pas s'obstiner
+à faire faire au malade l'hydrothérapie même
+la plus mitigée.</p>
+
+<p>C'est dans ces cas que convient souvent l'application
+de la chaleur sèche. Un sac en caoutchouc,
+à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur l'estomac
+après les repas, et, le soir, au lit, pour
+chauffer les pieds, est très apprécié de beaucoup
+de malades. Ce procédé, très simple, facilite la
+digestion, surtout chez les malades spasmodiques.
+Cependant, on ne doit pas le recommander dans
+les cas d'inertie. Dans ces cas, c'est la compresse
+froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas
+chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui
+rend service au patient.</p>
+
+<p>Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut
+encore être remplacé par un sac en caoutchouc
+contenant un produit solide, qui se dissout par la
+chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa
+chaleur de fusion. Ces petits appareils, connus
+sous le nom de <i>dermothermes</i> ou de <i>dermophores</i>,
+ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures
+une chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient
+d'être un peu lourds; aussi, quand l'installation
+le permet, leur préférons-nous un tissu métallique
+très léger, recouvert d'une enveloppe de soie,
+et chauffé par un courant électrique à 70 volts.</p>
+
+<p><i>Massage</i>.&mdash;Ce que nous disons de l'hydrothérapie
+s'applique, de point en point, au massage. Le
+massage est un moyen violent qui ne devrait jamais
+être pratiqué en dehors du médecin. Employé
+même légèrement, il fatigue beaucoup certains
+malades. Le massage abdominal, en particulier,
+qui a été fort en honneur il y a quelques années,
+constitue un procédé thérapeutique dangereux
+dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours
+pratiqué par une main expérimentée, c'est-à-dire
+avec la plus grande douceur. Il peut rendre alors
+quelques services, lutter contre la paresse de l'estomac
+et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler
+que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout
+à fait accessoire. Les médecins qui auraient la
+prétention de guérir la constipation par le massage
+abdominal exclusivement s'exposeraient à un
+échec certain, parce que la constipation n'est pas
+causée seulement par une inertie des muscles de
+l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état
+général, ainsi que nous l'avons déjà expliqué.</p>
+
+<p>Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au
+moins autant de services que le massage, et sont
+d'une application plus facile, puisqu'elles peuvent
+être confiées à toutes les mains. Elles sont faites
+avec un gant de molleton, jamais ou très rarement
+avec le gant de crin; seules les personnes
+bien portantes, ou les malades ayant encore une
+grande somme de résistance, supportent la friction
+violente au gant de crin. Une bonne manière de
+faire la friction humide est la suivante:</p>
+
+<p>Mettre le malade tout nu dans une couverture de
+flanelle; en extraire un des bras, le frotter de bas
+en haut avec le gant imbibé d'une solution alcoolique
+tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un
+gant sec, frictionner de bas en haut, remettre le
+bras du malade dans la couverture; s'emparer
+ensuite de l'autre bras, et agir de même. Frictionner
+successivement les deux jambes, toujours de bas
+en haut, puis faire asseoir le malade sur son lit,
+lui frictionner le dos, n'importe en quel sens, l'étendre
+de nouveau, travailler légèrement le devant
+de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre.
+L'opération doit durer dix minutes. Elle est à
+recommander chez presque tous les malades, même
+chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien
+faite, et comme nous venons de le dire, elle n'est
+jamais dangereuse.</p>
+
+<p>Les bains de vapeur sont en général bien supportés;
+mais les prendre dans des établissements
+spéciaux expose à une grande perte de temps, et à
+un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre
+à domicile, soit dans des boîtes portatives,
+soit, mieux encore, au lit. On peut, dans ce cas,
+utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une
+forte lampe à alcool, et conduites sous les couvertures
+du lit par un tuyau en tôle. Mais un procédé
+qui nous semble meilleur encore est le suivant:
+dans des boites disposées <i>ad hoc</i>, mettre
+deux briques bien chauffées,&mdash;appliquer une de
+ces boîtes aux pieds du malade couché, une autre
+boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la
+transpiration survienne. Elle arrive infailliblement,
+avec une douce lenteur, et ce système permet: 1° de
+graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller les
+draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé
+de vapeur qui sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons
+ces bains d'air sec chez les malades obèses,
+rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.</p>
+
+<p>En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails:
+tout ce qui peut être utile au malade doit être
+l'objet de nos recherches; et c'est le soin des
+détails qui fait la force, et, disons-le franchement,
+le légitime succès de quelques-uns de nos confrères
+étrangers.</p>
+
+<p><i>Électricité</i>.&mdash;L'électricité n'est pas, non plus,
+à négliger. Il est certain que les courants de haute
+fréquence ont, sur la nutrition en général, et sur
+le système nerveux en particulier, une action très
+puissante, notamment chez les nerveux atteints
+de prurit anal (Dr Leredde), et chez les malades
+envahis par une sensation permanente de froid.
+Mais c'est là un procédé forcément limité, à
+cause des difficultés d'installation et du prix de
+revient. Les applications faradiques ou galvaniques
+sur l'abdomen peuvent également avoir
+leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif,
+et qui, fort heureusement, n'est pas, non plus,
+d'un emploi facile.</p>
+
+<p>Le tabouret électrique est souvent recommandable,
+à condition qu'on ne tire pas d'étincelles.
+Les machines statiques à domicile sont des jouets
+qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant
+si le peu d'ozone qu'elles dégagent n'a pas une
+influence utile?</p>
+
+<p>Les bains électriques constituent aussi un moyen
+puissant, et, par conséquent, difficile à manier. Ce
+que nous avons dit des contre-indications du bain ne
+s'applique pas aux bains électriques; il est des
+cas où le bain électrique, bien appliqué, rend
+d'excellents services: tant vaut l'application, tant
+vaut le moyen. D'une façon générale, on peut dire
+que le bain électrique occasionne une courbature
+notable qui, à l'inverse de la courbature produite
+par l'excès d'exercice musculaire, amène le sommeil.
+Ces bains ne devraient être donnés que tous
+les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale
+très exacte pendant toute la durée du bain.
+Dire qu'un pareil moyen agit par suggestion, c'est
+énoncer une affirmation qui n'a rien de scientifique.</p>
+
+<p><i>Injections hypodermiques</i>.&mdash;Les injections
+hypodermiques constituent un des agents les plus
+utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux
+trois chefs suivants leur action bienfaisante:
+1° toute injection, en tant qu'injection, a une
+influence utile; 2° le médicament injecté a son
+action propre; 3° une part de suggestion s'attache
+à l'emploi des injections.</p>
+
+<p>I. On sait, depuis les remarquables études du
+Dr Chéron, que toute injection hypodermique, quelle
+qu'elle soit, pourvu que le liquide injecté ne soit
+pas toxique, produit un relèvement momentané de
+la tension vasculaire, se traduisant par une sensation
+de bien-être, de vigueur; produit, en un mot,
+un effet dynamogénique plus ou moins prolongé,
+Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres
+conditions.</p>
+
+<p>Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de
+Brown-Séquard, de l'océanine, etc.; il y a toujours
+à compter avec cette action particulière de l'injection
+en tant qu'injection sous-cutanée ou intramusculaire,
+en tant qu'agent modificateur de la
+pression sanguine. De là l'utilité des doses massives
+de liquide, comme aussi la vogue qu'ont eue,
+pendant un certain temps, les injections de sérum
+artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes
+de sel marin pour un litre d'eau stérilisée.
+Malheureusement on sait, depuis quelques années,
+que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il
+peut devenir toxique chez les malades dont les reins
+ne fonctionnent pas très bien. Il faut donc en user
+avec grande prudence.</p>
+
+<p>Depuis un an, on fait beaucoup d'injections
+d'eau de mer stérilisée (océanine). On donne de
+300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs
+de ce nouveau médicament en disent merveille: il
+est possible que l'eau de mer soit un heureux
+mélange de substances utiles à l'organisme. Je n'ai
+pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement
+que j'ai essayé l'océanine chez trois malades, vus
+en consultation avec le Dr Marie, sans résultats
+appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions
+que des doses de 30 grammes par jour. D'une
+communication sur ce sujet faite à la Société
+de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le
+Dr Marie, il résulte que ces injections, pratiquées
+à des doses plus fortes, ont des effets vraiment
+importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles
+n'ont pas les inconvénients graves des injections
+salées ordinaires, si bien mis en lumière par M. le
+Dr Hallion à la même séance de la Société. L'eau de
+mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est
+probablement un des précieux médicaments de
+l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; d'autant que
+les injections massives qu'on en fait agissent également
+en tant qu'injections de liquide non toxique.</p>
+
+<p>II. Il faut tenir compte de la nature du produit
+injecté. Il existe, certainement, des médicaments
+doués d'une action reconstituante sur le système
+nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de
+soude et surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard,
+peut-être la lécithine, les phosphates, etc.
+Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces
+médicaments: disons seulement un mot des principaux.</p>
+
+<p>Le cacodylate de soude est incontestablement un
+reconstituant de premier ordre; on peut l'employer
+sans danger à des doses beaucoup plus élevées
+qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à
+la Société de Dermatologie, des observations prouvant
+la non-toxicité du produit, ainsi que l'utilité
+des hautes doses longtemps continuées, dans certains
+cas exceptionnels<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14"><sup>14</sup></a>. Le plus souvent, la dose
+indiquée par le professeur Gautier, de 10 centigrammes
+par injection, est suffisante, et il n'est
+pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par
+semaine cette injection, à la condition de continuer
+le traitement pendant deux ou trois mois
+dans les cas moyens.</p>
+
+<p>J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée
+de l'action des cacodylates de soude et de magnésie,
+à la Société de Thérapeutique, en 1902, en indiquant
+les très rares contre-indications, et en précisant,
+dans la mesure du possible, les indications<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15"><sup>15</sup></a>.
+Le cacodylate de fer en injections rend aussi des
+services, dans les cas exceptionnels où le fer est
+indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques,
+chloro-anémiques): mais quatre ou cinq injections
+de 5 centigrammes, faites à raison de deux par
+semaine, nous ont toujours semblé suffisantes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" name="footnote14"></a><b>Note 14:</b><a href="#footnotetag14"> (retour) </a> Considérations sur la médication cacodylique, <i>in Ann. de
+dermatologie et Syphiliographie</i>, 6 mars 1902.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" name="footnote15"></a><b>Note 15:</b><a href="#footnotetag15"> (retour) </a> <i>Bull de la Soc. de Thérapeutique</i>, 27 mars 1901.</blockquote>
+
+<p>Les injections orchitiques de Brown-Séquard,
+après avoir eu un moment la faveur que l'on sait,
+sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la
+bonne fortune d'être en relations personnelles et
+suivies avec le vénéré maître, de recueillir de sa
+bouche des aperçus thérapeutiques de grande
+envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps
+de vérifier et d'enseigner, je reste convaincu qu'il
+faudra reprendre l'étude de l'action dynamogénique
+du liquide de Brown-Séquard, préciser les
+doses, le nombre des injections, etc. Ce travail n'a
+été qu'ébauché par le grand initiateur.</p>
+
+<p>D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble
+une méthode pleine de promesses; j'ai cité notamment,
+à la Société de Thérapeutique, en 1904,
+le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au
+dernier degré du marasme, avec muguet dans la
+bouche, qui a été comme ressuscitée par l'emploi
+de trois lavements quotidiens préparés avec une
+macération de 200 grammes de foie de porc, fraîchement
+tué, dans 300 grammes d'eau bouillie.
+Cette dame, une grande malade avec phénomènes
+nerveux et dyspeptiques anciens, avait eu, à un
+moment donné, une insuffisance hépatique; son
+foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre
+intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.);
+au deuxième mois de cette complication, elle était
+arrivée à l'état lamentable que j'ai indiqué, quand
+nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à
+son foie. Le résultat a dépassé toute espérance;
+trois heures après le premier lavement, la malade
+avait des urines claires et abondantes; huit jours
+après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les
+selles régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger
+immédiat conjuré, il m'a encore fallu continuer
+à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, la peau
+de ma malade: mais, trois mois après, elle put
+aller achever sa convalescence dans le Midi, et,
+depuis deux ans, elle va presque bien. La complication
+hépatique n'avait été qu'un épisode dans
+le cours de la «maladie», qui évoluait depuis
+vingt années.</p>
+
+<p>D'une façon générale, les préparations opothérapiques,
+auxquelles un immense avenir semble
+réservé, ne rendront tous les services qu'elles peuvent
+rendre que quand on trouvera le moyen de
+les donner par voie sous-cutanée, comme le faisait
+Brown-Séquard avec son liquide orchitique.</p>
+
+<p>Chez certains malades, les préparations de strychnine
+par injections hypodermiques ont un effet
+très utile: mais il ne faut pas dépasser en général
+la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux
+encore d'arséniate de strychnine, ni faire plus
+de huit ou dix injections, réparties sur trente
+jours.</p>
+
+<p>Nous avons dit combien la grippe est dangereuse
+pour les malades, quels qu'ils soient. C'est l'ennemie
+personnelle des neurasthéniques. De là, la
+préoccupation constante que nous avons de faire la
+guerre à cette affection accidentelle, de la couper
+dès ses débuts. Or, il m'a bien semblé trouver, dans
+le <i>cacodylate de gaïacol</i>, un agent antigrippal spécifique,
+sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention
+de mes confrères, à la Société de Thérapeutique,
+en janvier 1906.</p>
+
+<p>Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes
+de cacodylate de gaïacol, dans un gramme
+d'eau stérilisée, et préalablement saturée de gaïacol,
+fait merveille chez les grippés au début: elle les
+guérit en quelques heures. Deux ou trois injections
+consécutives suffisent toujours pour couper la
+grippe, même quand elle n'est pas prise au début,
+à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires,
+et, même alors, le cacodylate de gaïacol
+me semble très recommandable. Il l'est aussi
+dans ces convalescences interminables de grippe
+qui résistent à tous les traitements.</p>
+
+<p>Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même
+avec pneumonie, nous nous sommes très bien
+trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours
+de suite, des injections de quinine. Une seringue
+de Pravaz de la solution suivante, introduite profondement
+dans le muscle, est très bien tolérée
+et n'occasionne jamais d'abcès:</p>
+
+<table width="80%" align="center" summary="">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td valign="top" align="left" width="70%">
+ Chlorhydrate neutre de quinine<br>
+ Antipyrine<br>
+ Eau distillée<br>
+ </td>
+
+ <td valign="top" align="left" width="30%">
+ 3 grammes.<br>
+ 2 &nbsp;&nbsp;&nbsp; &mdash;<br>
+ 6 &nbsp;&nbsp;&nbsp; &mdash;<br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<p>Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux
+dans les névralgies postgrippales, qui
+sont quelquefois si tenaces, et qui résistent même
+aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques,
+névralgies intercostales).</p>
+
+<p>Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces
+suites éloignées de la grippe, cas de grippe aiguë et
+de névralgies postgrippales,&mdash;on ne peut pas tout
+faire,&mdash;mais je crois bien que la quinine à petites
+doses, donnée en injections à tous les malades à
+dépréciation nerveuse momentanée, aurait un effet
+dynamogénique précieux.</p>
+
+<p>Dans certains cas de douleurs névralgiques trop
+pénibles, les injections d'héroïne sont indiquées;
+mais il faut savoir que l'héroïne doit se manier à
+doses trois fois moindres que la morphine; en
+d'autres termes, on ne doit jamais dépasser un
+milligramme d'héroïne, surtout chez les malades
+dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique
+de l'héroïne nous a semblé supérieure
+à celle de la morphine; mais il faut bien se rappeler
+que l'héroïne est un médicament aussi dangereux
+que la morphine, auquel les malades s'habituent,
+et réserver son emploi pour les cas exceptionnels.
+J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me disposais,
+à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque,
+me ravisant, je me demandai si la névralgie crurale
+qui le torturait ne serait pas, par hasard, d'origine
+syphilitique. Or, en reconstituant son histoire,
+j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment
+en cause; et une seule piqûre de calomel eut raison
+à tout jamais de cette névralgie si pénible; tant
+il est vrai que le médecin doit toujours penser à la
+syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.</p>
+
+<p>Chez les adultes, le traitement de choix de la
+syphilis tertiaire, quelle que soit la manifestation
+syphilitique (aortite, gommes), nous semble être
+les injections mercurielles; celles au benzoate sont
+douloureuses, et donnent des nodosités désagréables;
+celles de biiodure en solution aqueuse sont
+très douloureuses. Nous préférons l'huile grise
+pour les cas moyens, le calomel pour les grandes
+circonstances, et l'huile au sublimé,&mdash;dont nous
+avons donné la formule en 1881 à la Société de
+Dermatologie,&mdash;chez les syphilitiques épuisés,
+auxquels l'huile sert d'aliment.</p>
+
+<p>Et puisque nous parlons d'injections huileuses,
+le moment est venu de dire un mot de nos travaux
+antérieurs sur l'action dynamogénique de l'huile
+créosotée, en injections sous-cutanées <i>à dose
+maxima tolérée</i>. Nous les avons surtout employées
+et les employons encore chez les tuberculeux;
+mais nous étions guidé par une fausse conception
+théorique; et si la créosote <i>bien maniée</i> reste,&mdash;et
+restera longtemps,&mdash;le médicament de choix
+chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle agit
+contre le bacille de Koch, comme antiseptique,
+c'est parce qu'elle a une action non douteuse, extraordinairement
+puissante, sur le système nerveux.</p>
+
+<p>La créosote est, en effet, un agent dynamogénique
+de premier ordre. Aussi les tuberculeux sont-ils
+loin d'être les seuls malades qui puissent tirer
+parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais
+d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce
+sont eux qui en tirent le moindre bénéfice, à cause
+de la difficulté que présente le maniement de la
+créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la
+fièvre. Là où les injections d'huile créosotée font
+merveille, c'est chez les pseudo-tuberculeux, qui
+sont tellement démolis par les troubles gastriques,
+nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout
+en ne l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée
+rend, en quelques jours, l'appétit, la force, en un
+mot la vie.</p>
+
+<p>Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra
+longtemps son emploi, c'est l'extrême difficulté
+qu'il y a à la manier. Pour ma part, je
+me suis attaché à surprendre les moindres manifestations
+de l'intolérance, et à les décrire minutieusement
+afin de permettre aux praticiens de
+ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention
+sur les intolérances accidentelles, qui doivent
+faire immédiatement suspendre le traitement, ou
+baisser la dose acceptée les jours précédents. J'ai
+même tellement insisté sur les dangers de la créosote
+que quelques confrères m'ont accusé d'avoir
+fait son procès; mais la dynamite aussi est une
+arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien
+maniée, elle rende des services<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16"><sup>16</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" name="footnote16"></a><b>Note 16:</b><a href="#footnotetag16"> (retour) </a> Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas seulement que
+la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par la peau, est
+un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un mois,
+avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux,
+un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade
+est resté à la diète <i>absolue</i>, ce qui a donné à l'ulcère le temps de
+se cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de
+150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des
+injections huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau
+sanguin, d'où peut résulter une embolie qui peut être mortelle;
+mais j'ai indiqué le moyen de se mettre <i>sûrement</i> à l'abri de tout
+accident grave. Le secret consiste à bien connaître les moindres
+symptômes d'introduction de l'huile dans le torrent circulatoire,
+et à arrêter l'injection dès l'apparition de ces symptômes.
+Rien n'est plus facile que d'arrêter à temps cette injection, si on la
+fait avec la lenteur voulue; mais cette lenteur n'est possible
+qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à fonctionnement automatique.
+Au reste tous ces points sont étudiés dans mon livre
+sur le <i>Traitement de la tuberculose par la créosote</i>.</blockquote>
+
+<p>III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles
+soient, agissent encore d'une autre façon. En dehors
+des propriétés particulières à chaque médicament,
+et de l'action dynamogénique reconnue à
+toute injection sous-cutanée et même intra-musculaire,
+elles agissent encore par suggestion. Elles
+font prendre patience au malade, en attendant que
+les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène
+cérébrale, médullaire, gastrique, intestinale, cutanée,
+etc., aient eu le temps de produire leurs effets.
+Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente,
+comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le
+malade serait vite découragé, si on ne lui donnait
+pas du premier coup, un remontant, factice peut-être,
+mais certainement utile, et ayant une action
+évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire
+confiance.</p>
+
+<p>La pratique des injections hypodermiques est
+également utile au médecin à un autre point de vue:
+elle lui permet d'apprécier très vite le degré de
+confiance que lui accordent le malade et son entourage.
+Or, de ce degré de confiance dérive, dans une
+notable mesure, le résultat thérapeutique final. Si
+le médecin sent que son malade a foi en lui, il
+déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources
+de son intelligence et de son coeur; dans
+le cas contraire, il se sentira à tout instant, gêné,
+paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas toute
+la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il
+y a, pour lui, à évaluer le degré de confiance qui
+lui est octroyé. Eh bien! pour l'apprécier, il n'y a
+pas de meilleure pierre de touche que l'injection
+hypodermique. Car si le malade et son entourage
+acceptent celle-ci aveuglément, du premier coup,
+sans même demander la formule du liquide injecté,
+c'est toujours signe que le terrain est bon, et que
+le malade acceptera avec la même obéissance les
+diverses prescriptions qui lui seront faites. Dans
+certains cas, il est vrai, le malade accepte, non
+parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie;
+peu importe, il acceptera avec la même passivité
+les prescriptions qui lui seront faites, et c'est
+là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou
+surtout son entourage, manifestent une curiosité
+inquiète, qu'on ne parvient pas à satisfaire par une
+réponse banale, quand ils expriment des appréhensions
+sur la nature et les effets du liquide
+injecté, on peut dire que le cas est mauvais, ou tout
+au moins médiocre; et le médecin aura beaucoup à
+faire pour conquérir la confiance.</p>
+
+<p>Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont
+légitimes, et ce que nous disons ici ce n'est pas pour
+les empêcher: mais il n'en est pas moins vrai
+qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le
+médecin a intérêt à connaître afin de travailler à la
+faire cesser et d'établir ainsi, entre son malade et
+lui, cette confiance réciproque qui est la condition
+indispensable d'un traitement efficace.&mdash;Or l'attitude
+des malades en face des injections qu'on leur
+propose constitue, à ce point de vue, un excellent
+moyen de diagnostic moral.</p>
+
+<p>Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut
+dire un mot des applications locales, révulsives ou
+dérivatives, qui étaient autrefois si en honneur,
+et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste.</p>
+
+<p><i>Vésicatoires</i>.&mdash;Autant nous protestons contre
+les larges vésicatoires employés autrefois, et qui,
+chez quelques malades, produisaient de la cystite,
+chez presque tous une douleur pire que le mal
+qu'on voulait guérir; autant nous continuons à
+penser que le petit vésicatoire, sous forme de
+mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez
+les grands malades qui ont le système nerveux
+sens dessus dessous, une mouche, appliquée derrière
+l'oreille, peut faire un mal extrême et produit
+un état d'agitation inconcevable, non pas à cause
+de la douleur insignifiante qu'elle provoque, mais
+par le fait du trouble de circulation qu'elle produit à
+distance. Ce seul fait suffirait à prouver que l'application
+d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs,
+n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez
+certains malades qui ont encore un bon capital nerveux,
+la mouche, appliquée derrière l'oreille droite,
+de préférence, produit une sédation des plus remarquables,
+amène le sommeil, dissipe le malaise mental
+et les divers troubles innommables qui constituent
+l'état nerveux; c'est sans doute à cause de l'infériorité
+fonctionnelle de la partie gauche du corps,&mdash;habituelle
+chez les malades, ainsi que nous
+l'avons dit,&mdash;que la mouche appliquée derrière
+l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle
+produirait moins si elle était appliquée à gauche;
+en tout cas, c'est un fait d'observation. De même,
+la mouche sur le creux de l'estomac peut amener,
+si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop
+aigus, une aggravation notable des troubles gastriques;
+mais si elle vient à son heure, elle provoque
+un apaisement notable des troubles digestifs. La
+mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un
+des meilleurs remèdes à apporter à la constipation.
+Cette affirmation peut sembler singulière, mais elle
+s'explique pour qui comprend l'origine, presque
+toujours nerveuse, de la constipation.</p>
+
+<p><i>Emplâtres</i>.&mdash;Les applications d'emplâtres
+d'opium ne sont jamais dangereuses, et font souvent
+le plus grand bien. Étant donnée l'extrême
+susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se
+laisse impressionner par les moindres influences,
+ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout cas, j'affirme,
+au nom d'une expérience prolongée, qu'une
+mouche d'opium appliquée à la tempe est souvent
+très appréciée par les malades céphalalgiques, qu'un
+emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone,
+laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux,
+ou du moins d'une façon plus continue, les douleurs
+gastralgiques, que ne le ferait une série d'injections
+de morphine.</p>
+
+<p>De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué
+sur la colonne vertébrale, immédiatement au-dessous
+de la première vertèbre dorsale, sur une longueur
+de dix centimètres, atténue singulièrement certains
+phénomènes médullaires dont se plaignent les
+malades, en particulier les inquiétudes dans les
+jambes qui sont si fréquentes chez les grands neurasthéniques.</p>
+
+<p>Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à
+dédaigner. A eux seuls, ils seraient insuffisants;
+mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos méthodiquement
+dosé, aux applications hydrothérapiques
+raisonnables, et à la psychothérapie, ils amènent
+sûrement la guérison, lorsqu'il reste assez de capital
+biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.</p>
+
+<p><i>Purgatifs</i>.&mdash;Nous usons très peu des médicaments
+fournis par la pharmacopée, pour ce motif bien
+simple que nous n'en avons pas besoin, et que nous
+avons une crainte presque instinctive de tous ces
+agents thérapeutiques à action violente et perturbatrice.
+Faut-il l'avouer? c'est aussi parce que nous
+ne les connaissons pas.</p>
+
+<p>Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un
+médicament. J'ai mis, quant à moi, des années à
+étudier l'action du bromure, quand je m'occupais
+plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales;
+et quand, en octobre 1898, le professeur
+Gautier a bien voulu me confier l'étude du cacodylate
+de soude, la première chose que je lui ai
+dite, c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour
+pouvoir lui donner sur cet agent thérapeutique une
+appréciation ayant quelque valeur. Enfin, pour ce
+qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans
+à en connaître l'effet.</p>
+
+<p>Comment, alors, avoir confiance dans des publications
+hâtives sur des médicaments découverts de
+la veille? Et, en ce qui est des médicaments anciens,
+ayant fait leurs preuves, je répète que, en général,
+je les redoute, à cause de l'extrême sensibilité des
+malades, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer.</p>
+
+<p>Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient,
+m'inspirent une véritable terreur. Mais, dira-t-on,
+tous les jours nous les voyons employer sans
+dommage, et même avec une apparence de succès
+qui saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs
+à une indication bien rationnelle, puisqu'il faut évacuer
+les résidus de la digestion qui empoisonneraient
+l'économie! Il nous faut réfuter ces objections
+en passant: qu'on donne un purgatif à un
+homme solide qui a un léger embarras gastrique,
+il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien;
+mais c'est une erreur d'interprétation, et si le
+purgatif ne lui a pas fait de mal appréciable, c'est
+que tout est sain chez les hommes sains. Mais
+donner un purgatif à un malade grave dont le
+système nerveux est profondément atteint, c'est
+provoquer chez lui des réflexes dont personne ne
+connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son
+système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit
+le ventre, qui avait jusqu'alors une certaine tonicité,
+devenir flasque, inerte, perdre toute réaction; l'intestin
+est alors inhibé dans son fonctionnement, et
+il faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse,
+quand il se ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il
+donc faire chez les malades constipés? La réponse
+est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur
+constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut
+les soigner en tant que malades; la constipation disparaîtra
+d'elle-même. Le moment nous semble venu
+de protester une dernière fois contre les idées des
+gens du monde, et des médecins, relatives à la constipation.</p>
+
+<p>Nombreux sont les gens soi-disant bien portants
+qui sont atteints de constipation chronique. Quand
+nous disons bien portants, c'est une façon de parler:
+car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument
+bien portants. Mais il en est beaucoup qui vont et
+viennent, vivent de la vie commune, tout en ayant
+une constipation opiniâtre; de plus il y a beaucoup
+de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont
+constipés. Une dame nous disait plaisamment, à ce
+sujet, que son intestin avait «horreur du vide».
+Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette
+obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés,
+elles tolèrent leur infirmité sans se douter
+qu'elle existe. Mais malheur à elles quand elles
+commencent à se préoccuper de leur constipation!
+C'est à partir de ce moment qu'elles rapportent à la
+constipation les mille et une misères qui sont
+l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles,
+surtout, quand elles entrent dans la voie des soi-disant
+traitements de la constipation! Elles commencent
+par user du lavement simple, tiède d'abord,
+puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours
+aux purgatifs doux, aux purgatifs plus violents,
+elles en arrivent aux grands lavages. Elles font
+tant et si bien qu'elles irritent leur intestin, et qu'à
+leur constipation anodine succède l'entéro-colite
+membraneuse.</p>
+
+<p>A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable
+et le cercle vicieux est établi. Plus elles
+irritent leur intestin, plus la constipation devient
+opiniâtre, et, pour lutter contre cette constipation
+opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin.
+L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent
+plus qu'à leurs fonctions alvines, à la liberté
+du ventre, qu'elles disent être la plus nécessaire
+des libertés. Elles donneraient la vie du genre
+humain pour obtenir une selle; elles se présentent
+à la garde-robe plusieurs fois dans la journée, sans
+succès ou avec des résultats insignifiants, et, cette
+impuissance les affolant, elles ont recours aux
+moyens les plus extraordinaires pour lutter contre
+l'odieuse constipation. Cet état mental des constipés
+mérite d'être étudié de très près; et toute thérapeutique
+qui ne cherche pas à le modifier est, par
+avance, condamnée à l'impuissance.</p>
+
+<p>La première chose à faire, quand on se trouve en
+présence d'un de ces constipés à obsession, est de
+lui persuader que la constipation n'est pas l'ennemie,
+n'est pas la cause immédiate de toutes les
+misères qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un
+symptôme d'importance secondaire, prouvant simplement
+qu'il y a quelque chose de défectueux dans
+le fonctionnement du système nerveux abdominal.</p>
+
+<p>Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller
+à la garde-robe tous les deux ou trois jours pour commencer,
+que, lorsqu'ils iront mieux, ils iront quotidiennement;
+invitez-les à ne s'y présenter qu'une
+fois par jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans
+la mesure du possible d'y aller en dehors de l'heure
+réglementaire. Recommandez-leur de ne pas lutter
+contre la constipation, mais bien contre le trouble
+nerveux dont la constipation n'est qu'un symptôme,
+et, s'ils vous écoutent, si vous avez le don de les convaincre,
+ils seront par cela seul à moitié guéris.</p>
+
+<p>Cependant, comme il faut tenir compte de leur
+état mental, et un peu aussi de la mentalité de
+l'entourage, on peut autoriser un petit lavement
+d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour
+de présentation inefficace, à l'heure réglementaire
+de la présentation, lavement qui sera gardé cinq
+minutes seulement. On peut encore, si l'on croit
+devoir faire de grandes concessions, permettre au
+malade, le soir du troisième jour de présentation
+inefficace, un lavement d'huile, non pas avec
+200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou
+cinq cuillerées à bouche d'huile pure, lavement
+destiné à être gardé toute la nuit; si l'on y ajoute
+une forte dose de suggestion, ce lavement aura,
+pour le lendemain, un effet magique.</p>
+
+<p>Les pilules de belladone d'après la formule de
+Trousseau sont également recommandables; elles
+ont tout au moins l'avantage de ne pas être nuisibles.</p>
+
+<p>Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide
+orchitique de Brown-Séquard; c'est de la bouche
+même du savant professeur que je tiens ce renseignement,
+et je me rappelle encore, comme si c'était
+hier, le jour où il me disait ces paroles: «De tous
+les services que m'ont rendus à moi-même mes
+injections de suc orchitique, celui que je place en
+première ligne, bien avant tous les autres, c'est
+qu'elles m'ont guéri d'une constipation opiniâtre».
+Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut avoir été,
+comme moi, torturé par la constipation pour savoir
+toutes les angoisses qu'elle occasionne».</p>
+
+<p>Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a
+joué aucun rôle dans la circonstance, car M. Brown-Séquard
+ne s'attendait pas le moins du monde à cet
+effet des injections do liquide orchitique.</p>
+
+<p>Pour moi, utilisant ce précieux renseignement,
+j'ai traité et je traite encore par les injections de
+liquide orchitique les grands neurasthéniques
+atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite.</p>
+
+<p><i>Eaux minérales</i>.&mdash;Si nous donnons peu de
+créance aux médicaments de la pharmacopée, nous
+croyons, par contre, que les eaux minérales constituent
+des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire,
+qui ne respectait rien, disait que les voyages
+aux eaux ont été inventés par des femmes qui s'ennuyaient
+chez elles, et Diderot affirmait que, en
+général, les eaux sont le dernier conseil de la
+médecine poussée à bout. «On compte plus, ajoutait-il,
+sur le voyage que sur le remède.»</p>
+
+<p>Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit,
+mais ils parlaient là de choses qu'ils ne connaissaient
+point. Si incommensurable que soit la
+sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui,
+depuis la plus haute antiquité, et ne jouiraient pas
+du renom qu'elles ont encore, si elles n'avaient pas
+vraiment une certaine efficacité.</p>
+
+<p>Certes, dans les bons effets des cures minérales,
+il faut compter, pour une certaine mesure, avec le
+changement de milieu, l'influence agréable du
+voyage; mais il ne faut pas oublier que cette
+influence, utile quelquefois, est quelquefois fâcheuse.
+Aussi faut-il n'envoyer aux eaux que les malades
+qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le
+capital n'est pas sérieusement compromis.</p>
+
+<p>Le changement de régime alimentaire qui est
+imposé aux malades, dans les stations thermales,
+leur est parfois favorable, et peut avoir une part
+d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous
+savons, en effet, que, à un moment donné, il est
+utile de ne pas se confiner dans un régime alimentaire
+suivi depuis trop longtemps, et aussi que,
+dans certains cas, il faut savoir brusquer l'estomac.
+Mais ce changement brusque, qui souvent est utile,
+peut être dangereux, au contraire, quand le système
+nerveux n'est pas de taille à supporter le
+soudain assaut imposé.</p>
+
+<p>C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales,
+où le bon effet des eaux est, en grande
+partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène
+alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer,
+dans toutes les villes d'eaux, des «tables de
+régime» comme il en existe dans toutes les maisons
+de santé bien tenues, où chaque malade, pour
+ainsi dire, a le régime alimentaire qui lui convient,
+dosé et surveillé par le médecin de l'établissement.
+Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans
+nos stations minérales, parce que les médecins n'y
+sont pas libres de tous leurs actes, et ont à compter
+avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à compter
+avec leurs chefs de cuisine.</p>
+
+<p>A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables
+de régime»; et j'y ai vu moi-même des menus
+imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils
+annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le
+papier. A Vichy, par contre, plusieurs médecins
+sont arrivés à imposer à des tenanciers de pensions
+de famille l'obligation de donner aux malades
+des régimes variés, suivant les prescriptions médicales.</p>
+
+<p>Quant aux indications des eaux minérales, elles
+varient à l'infini.</p>
+
+<p>Certaines eaux ont certainement une action prédominante
+sur tel on tel syndrome. Ainsi, ce n'est
+pas du tout en vertu d'une erreur d'observation, ou
+d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux
+de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique
+sur les troubles périphériques de la circulation
+(varices, hémorroïdes, phlébites). Les malades
+atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement,
+à Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs
+misères (troubles nerveux, dyspeptiques), mais plus
+particulièrement les misères locales causées par
+leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une
+action non douteuse sur le symptôme constipation,
+action que n'a pas Vichy, qui, au contraire,
+favorise la constipation pendant la durée du traitement.</p>
+
+<p>De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez
+certains entéralgiques, convalescents d'appendicite,
+etc., une action véritablement spéciale. De même
+encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons,
+n'est qu'un des symptômes de la «maladie», elles
+ont une bienfaisance incontestable, surtout si, à
+leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en
+montagne bien comprise et bien réglée. Les eaux
+de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas d'action spéciale,
+mais elles rendent de précieux services aux nerveux
+fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées
+chez les malades dont le système nerveux digestif
+est en détresse, et la Grande Grille, en particulier,
+a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique
+pas plus par la théorie des <i>ions</i> que par les
+théories chimiques, mais qui est indiscutable. Et il
+ne s'agit pas là de psychothérapie ni de suggestion;
+la Grande Grille a des effets qui lui sont
+propres, et Vichy est souvent un adjuvant dont on
+ne peut se passer. Mais il faut se rappeler que c'est
+une arme difficile à manier, comme toutes les armes
+puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que
+les malades ayant encore une grande force de résistance
+vitale.</p>
+
+<p>Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive
+y envoyer que des dyspeptiques. Parmi les 30
+ou 35 malades que j'y envoie, chaque année,
+il y en a au moins une dizaine chez lesquels les
+symptômes cérébraux prédominent, à condition,
+bien entendu, que ces symptômes ne soient pas en
+rapport avec des lésions organiques; et ces malades
+se trouvent au moins aussi bien de Vichy que ceux
+qui n'ont que des symptômes gastriques ou hépatiques.</p>
+
+<p>Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault
+les malades atteints de lésions
+organiques du cerveau ou de la moelle, hémiplégiques,
+congestifs, etc. Depuis quelques années, la
+physionomie de cette station a changé. Il y a eu des
+accidents provoqués par l'eau chaude sur les
+malades à artères friables; et l'on se borne actuellement
+à y envoyer les malades à troubles médullaires
+superficiels, connus vulgairement sous les
+vocables de rhumatismes chroniques ou articulaires,
+sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec
+ses bains de boue, Franzenbad avec ses bains
+d'acide carbonique, rendent aussi de grands services
+aux rhumatisants et aux obèses sans lésions
+organiques appréciables.</p>
+
+<p>Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège
+de recevoir des malades à lésions organiques nettement
+définies, et dont nous ne nous occupons pas
+dans ce travail.</p>
+
+<p>Vittel et Contrexéville conviennent aux malades
+chez lesquels le trouble de la nutrition, qui n'est,
+en général, qu'un trouble du système nerveux, se
+traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la
+formation de calculs, soit dans le foie, soit dans
+les reins<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17"><sup>17</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17" name="footnote17"></a><b>Note 17:</b><a href="#footnotetag17"> (retour) </a> Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon estomac,
+à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De
+là le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer
+à Vittel. Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez
+que, longtemps avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits
+troubles cérébraux, ne fût-ce que des migraines, de petits troubles
+cutanés, de l'obésité. Un beau jour, une colique néphrétique les
+surprend, et l'on se figure que c'est à partir de ce jour qu'ils sont
+devenus malades. Il n'en est rien. La colique néphrétique n'a été
+chez eux, qu'un accident; bien avant de l'avoir, ils avaient, même
+du côté du rein, de petites misères qui passaient inaperçues: du
+lumbago, des urines chargées de sable. Et si, au moment où l'on
+s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait soignés méthodiquement,
+par le repos ou l'exercice suivant les cas, par telle ou
+telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique hydrothérapique,
+telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu de coliques
+néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel. Mais,
+ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir au
+traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des
+manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une
+façon temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul
+ne les guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.</blockquote>
+
+<p>Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos
+malades; la Bourboule en particulier, Saint-Nectaire
+chez les enfants et les jeunes gens.</p>
+
+<p>Mais nous ne voulons pas faire une revue des
+eaux minérales françaises et étrangères. Tout ce
+que nous voulons prouver, c'est que les eaux minérales
+sont un agent thérapeutique de premier ordre,
+un agent que tous les médecins doivent connaître,
+non seulement parce qu'ils voient dans les livres, non
+seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine
+d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils
+goûtent, par eux-mêmes, aux diverses sources, et
+qu'ils tâtent parfois des bains. Ils ne tarderont pas
+à voir que ce ne sont pas des agents indifférents:
+je leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn,
+à forte dose d'eau salée. Aussi le monde
+médical doit-il être très reconnaissant à celui de
+nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé,
+tous les ans, des caravanes scientifiques pour
+visiter les eaux françaises; quinze jours de voyage
+sous une bonne direction médicale sont plus utiles
+que six mois de travail dans les livres. On apprend
+ainsi à connaître non seulement les eaux, mais
+aussi les médecins des stations, parmi lesquels il
+en est beaucoup qui ont des idées générales très
+intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des
+villes d'eaux sont, d'ailleurs, pour les praticiens,
+de précieux collaborateurs, quand ils veulent bien
+ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson,
+les bains, les douches, etc., et consentir à faire,
+en même temps, oeuvre médicale véritable, c'est-à-dire
+surveiller le régime, doser avec soin le repos
+et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie
+ne perd jamais ses droits.</p>
+
+<p><i>Voyages</i>.&mdash;Les gens du monde se figurent que
+les voyages font le plus grand bien aux malades en
+général, qu'à la suite d'un état aigu, par exemple,
+dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer
+bien loin de chez lui, et que, dans les états
+chroniques, ce déplacement lointain est la condition
+<i>sine qua non</i> d'une guérison. Cette opinion
+est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain
+qu'un homme bien portant se trouve très bien
+d'un déplacement annuel, et les vacances sont
+chose indispensable pour cet homme, quels que
+soient son âge et sa situation. Il faut que, au moins
+une fois par an, l'homme bien portant mette, pendant
+quelques jours, son cerveau en jachère,
+prenne l'exercice dont il a été en partie privé pendant
+le reste de l'année. Ce temps consacré au
+repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du
+temps bien employé.</p>
+
+<p>Les vacances sont également nécessaires à l'enfant
+qui travaille: et par vacances nous entendons
+non seulement le repos cérébral, qui doit être
+presque absolu,&mdash;ce qui, par parenthèse, contre-indique
+l'usage des devoirs de vacances,&mdash;mais
+aussi, autant que possible, le changement de milieu,
+ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De
+là l'utilité des colonies de vacances, que le professeur
+Landouzy appelle «des croisades de paix et
+de rédemption». Elles sont, dit-il très justement,
+la «première ligne de défense contre la tuberculose».
+M. Plantet a fait sur ce sujet, à la demande
+de l'Office central du travail, un rapport des plus
+intéressants et des plus complets, publié dans la
+<i>Réforme sociale</i>, (16 juin et 1er juillet 1905). Il
+résulte de ce rapport que la France est en retard
+sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre,
+la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que
+nous n'occupons, en somme, que le sixième rang
+dans la lutte des sociétés contre le dépérissement
+de leur race. Cependant, depuis 1882, la France
+est entrée dans le mouvement, et les colonies scolaires
+françaises sont déjà en nombre considérable:
+il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions
+privées parisiennes, 40 comités de patronage
+s'occupant de procurer des vacances aux enfants
+pauvres de la capitale; et des colonies semblables
+fonctionnant dans cinquante-six villes de France.
+Au total, en 1902, 14000 petits Français ont bénéficié
+de ces institutions philanthropiques<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18"><sup>18</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18" name="footnote18"></a><b>Note 18:</b><a href="#footnotetag18"> (retour) </a> Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces
+colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse
+se rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des
+résultats obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés
+en commun dans un même local (villas scolaires, écoles communales
+vacantes pendant l'été, propriétés privées, louées,
+acquises, spécialement aménagées pour abriter une collectivité à
+la campagne ou à la mer). C'est la colonie d'internat.<br>
+
+<p>Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes
+de deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables,
+moyennant un prix débattu, dans les régions réputées
+les plus saines. C'est le placement familial.&mdash;Les deux systèmes
+présentent des avantages et des inconvénients qui sont
+analysés de très près dans le travail que nous signalons.&mdash;En
+ce qui concerne la santé, tous les rapports constatent la plus-value
+dans toutes les régions, en montagne, en plaine, à la mer,
+aussi bien dans les colonies collectives que dans les colonies
+familiales.</p>
+
+<p>Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de
+l'esprit qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire
+gagner à de pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il
+y a mieux à faire, on peut réaliser un bien plus durable: il faut
+viser à ce qu'ils rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines
+colonies, un tel soin ne se devine guère. Dans d'autres, au contraire,
+c'est la pensée dominante et le rêve du directeur. Le tout
+est de savoir choisir.</blockquote>
+
+<p>Non seulement l'homme bien portant, mais celui
+qui n'est qu'un peu fatigué par le surmenage cérébral,
+et par les petites émotions quotidiennes, se
+trouve très bien de changer d'air, de milieu, non
+seulement une fois par an, mais même chaque fois
+qu'il sent, chez lui, cette sorte de malaise cérébral
+prémonitoire de la neurasthénie, ou certains
+troubles digestifs mal définis qui prouvent que son
+système nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement
+parfait. Pour lui, un déplacement de
+quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il
+aille, il verra son appétit renaître, sa constipation
+disparaître, la santé lui revenir. Que dis-je? chez
+certaines femmes nerveuses, mais au demeurant
+ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de
+monter en chemin de fer produit des effets appréciables,
+et, le jour même du départ, on les voit
+transformées. Elles laissent à la première station
+leurs phobies, leurs inquiétudes; c'est un changement
+à vue, un véritable coup de théâtre.</p>
+
+<p>Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien
+portant, ou du candidat à la «maladie» dont le capital
+est encore presque intact, et autre l'hygiène du
+vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale,
+les gens du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré
+eux, par le fait d'un faux raisonnement, à croire
+que ce qui fait du bien à l'homme valide doit en
+faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck
+saignant est certainement utile à un travailleur
+bien portant; combien il doit être plus utile à
+un malade affaibli! Il va certainement lui rendre
+des forces. Donnons-lui donc de la viande saignante;
+plus il en prendra, plus vite il sera guéri!»
+Le malade proteste, il affirme que la viande saignante
+lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en
+donne au moins autant que son estomac pourra en
+digérer, ce sera toujours pour son bien! On disait
+la même chose, autrefois, pour le vin; les gens
+intelligents commencent à comprendre que le vin,
+si utile à un travailleur bien portant, n'est pas un
+aliment héroïque quand il est donné à des malades,
+même sous forme de vins médicamenteux.</p>
+
+<p>De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice
+modéré est utile aux gens bien portants; il
+faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau
+dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le
+peu d'appétit et de sommeil qu'il avait encore; c'est
+égal, il faut qu'il marche! On ne conçoit pas qu'il
+doive rester à la chambre, du moment qu'il peut
+se tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait
+rester couché, il sent que le lit lui est utile; c'est
+encore là, dit-il, qu'il souffre le moins. Mais non,
+il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit constipe!
+Et plus le patient est soi-disant bien soigné,
+plus il a à lutter contre ces préjugés, qu'on parvient
+difficilement à déraciner même dans les
+milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on,
+laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne
+dormira pas la nuit! Malheureux, qui ne voulez
+pas comprendre que l'insomnie de votre cher
+malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales,
+et que le sommeil est le meilleur remède à
+apporter à cette excitation, et que, par conséquent,
+le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne!
+Quand donc aurez-vous une notion un peu
+précise et raisonnée sur la pathogénie de tous ces
+troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»?</p>
+
+<p>C'est aussi par une faute grossière de raisonnement
+qu'on considère les voyages comme utiles
+aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux
+gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se
+porte mieux, parce qu'ils permettent à l'homme
+doué d'un beau capital biologique de faire de ces
+petites avances dont nous avons parlé déjà, de ces
+placements à gros intérêts qui augmentent sa fortune.
+Accidentellement, il est vrai, il peut se faire
+que le placement soit malheureux: c'est ce qui
+arrive chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse
+somme d'énergie, et met quelquefois quinze jours
+à se refaire d'une excursion par trop fatigante.
+Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les
+gens bien portants, ces risques de dépenses exagérées
+sont réduits à très peu de chose. Le malade,
+au contraire, est un indigent. Non seulement il ne
+doit pas dépenser à tort et à travers, mais il doit
+parcimonieusement, et avec un soin jaloux, garder
+le peu qu'il possède encore, et chercher à faire des
+économies. Si son indigence est momentanée, il se
+remettra assez vite à flot. Si elle est définitive, <i>a
+fortiori</i> devra-t-il chercher à ne pas faire de fausses
+dépenses.</p>
+
+<p>Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade
+tout voyage est une dépense; le changement d'habitudes,
+le surcroît de fatigue inévitable, à eux
+seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est
+un grand malade, le voyage peut même le tuer,
+comme il tue ces malheureux typhoïdiques qu'on
+est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se
+croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur
+des cacolets qui les secouent d'une façon lamentable.
+Ils arrivent quelquefois morts à l'ambulance
+lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours
+leur état est extrêmement aggravé. Si on avait pu
+les soigner sur place, ou les évacuer à très petites
+journées, dût-on les tenir privés des ressources de
+la thérapeutique, et se borner à leur faire deux
+lotions fraîches par jour, ils auraient eu bien plus
+de chances de guérir. Je l'affirme au nom d'une
+expérience personnelle, faite pendant la campagne
+de Tunisie. Mais, sans parler des états aigus
+qui contre-indiquent absolument tout long déplacement,
+ne voyons-nous pas, tous les jours, des
+états chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs
+trajets? Cet illustre malade qui traverse toute la
+Russie pour aller au Caucase, dans le vain espoir
+de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver
+sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces
+albuminuriques qui vont aux eaux lointaines chercher
+la guérison promise, et en reviennent bien
+plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les
+tuberculeux avancés! ces tristes victimes des théories
+régnantes et de la crainte de la contagion.</p>
+
+<p>Vous prenez là, dira-t-on, les cas extrêmes, et
+on commence à comprendre que les grands déplacements
+ne sont pas favorables aux grands malades.</p>
+
+<p>Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus,
+favorables aux malades <i>moyens</i>.</p>
+
+<p>Pour me faire comprendre, voyez cette jeune
+femme nerveuse qui ne digère plus, qui dort mal,
+qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six
+mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter
+le climat brumeux du Nord pour l'envoyer sur la
+côte d'Azur, on va lui faire le plus grand bien; c'est
+une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi
+lui paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle
+souhaitera, dans son for intérieur, de quitter le
+délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne pas
+torturer son entourage, elle souffrira en silence;
+et il peut même se faire qu'à la longue son état
+s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera pas l'effet
+du changement de milieu. Et il peut bien se faire
+aussi que son état s'aggrave assez pour que l'entourage
+se rende à l'évidence, et ramène à grands
+frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime
+dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter.</p>
+
+<p>En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens
+qui paraissent n'en avoir pas besoin. C'est pour
+bien faire comprendre notre manière de voir que
+nous exagérons, à dessein, la formule de notre
+pensée.</p>
+
+<p>Il est bien certain qu'entre le malade grave,
+qu'on ne doit pour rien au monde déplacer, et
+l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant,
+et qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément,
+il existe toute une série d'intermédiaires auxquels
+les voyages peuvent rendre des services. Le changement
+radical de milieu, si dangereux pour le
+malade grave, peut être utile à l'individu qui n'est
+que sur la frontière de la «maladie». Quitte à avoir
+dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins
+hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac,
+un dyspeptique pourra se trouver bien de cette
+nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il laisse ses
+préoccupations incessantes, énervantes, de Paris.
+Comme toute chose humaine, le déplacement peut
+avoir du bon et du mauvais, et on ne peut formuler
+de règles absolues pour les cas moyens; c'est au
+médecin, s'il est consulté, à peser le pour et le
+contre, et à donner les indications générales.</p>
+
+<p>Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner
+toujours au malade. C'est:</p>
+
+<p>1° De ne pas voyager de nuit.</p>
+
+<p>2° De s'interdire les changements journaliers de
+stations, sauf dans les cas où, pour une raison
+quelconque, on est obligé de gagner les altitudes.
+Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer
+au malade des stations intermédiaires, car l'expérience
+démontre que rien n'est préjudiciable à une
+grande nerveuse, par exemple, comme le voyage
+en une seule traite de Paris en Engadine. Elle peut
+être sûre que, en arrivant à destination, il lui
+faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau
+milieu d'altitude, pour faire son acclimatation;
+pendant ces quelques jours, elle aura un malaise
+extrême, et, en particulier, de l'insomnie, tandis
+que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle
+n'aurait pas eu à payer ce tribut à la dépression
+barométrique.</p>
+
+<p>3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas
+croire que, parce que le lever à l'aube est favorable
+à l'alpiniste bien portant, il soit également favorable
+aux neurasthéniques qui ont besoin de leur
+sommeil matinal.</p>
+
+<p>4° Une prescription importante, c'est encore de
+se reposer, à l'arrivée à destination, pendant deux,
+quatre jours, suivant la valeur de l'individu, pour
+réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce
+repos sera plus ou moins complet, suivant la gravité
+des cas. En principe, il vaut mieux pécher par
+excès que par défaut de prudence.</p>
+
+<p>5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra
+pas faire de sorties quotidiennes, sous le fallacieux
+prétexte de s'entraîner; l'entraînement convient
+aux gens bien portants, mais le mot «entraînement»
+doit disparaître du vocabulaire du malade.
+Certes, le rôle du médecin est d'entraîner le malade;
+mais cet entraînement, que j'appellerai médical,
+doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a,
+pour ainsi dire, rien de commun avec l'entraînement
+de l'homme bien portant et de l'homme de
+sport.</p>
+
+<p>Le malade ne devra faire un effort que tous les
+deux ou trois jours, et profiter des jours intermédiaires
+pour se reposer. Ainsi il parviendra à reconquérir
+des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner
+en dépensant tous les jours un peu plus de son
+misérable capital, il ira droit à la ruine.</p>
+
+<p>On comprend aisément qu'un des facteurs importants
+du voyage est sa longueur. Le voyage autour
+du monde ne convient à aucun malade; on peut
+dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller
+très loin. Le malade parisien, par exemple, se
+trouvera mieux d'une villégiature à Montmorency
+que d'une lointaine expatriation. On ignore trop
+l'extrême susceptibilité du malade au changement
+de milieu. Une simple promenade <i>extra muros</i>
+impressionne le malade parisien, quelquefois en
+bien, mais le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous
+de personnes qui ne peuvent pas
+aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une
+véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil,
+et, les deux ou trois jours suivants, une
+aggravation de tous leurs symptômes morbides?</p>
+
+<p>Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent
+que c'est affaire d'imagination. Mais non, c'est
+un fait parfaitement explicable, et le médecin, qui
+connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait
+se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire
+chorus avec la famille et d'accabler le malade de
+conseils intempestifs. Certes, dans certains cas, par
+une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste
+d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres
+termes, de la psychothérapie réconfortante, il
+pourra, pour ainsi dire, dynamiser le malade et
+lui donner la force de supporter non seulement le
+voyage de Versailles, mais un voyage relativement
+lointain, et ce, pour le plus grand bien, car le
+malade reprend alors confiance en lui-même. Mais,
+avant de donner cette suggestion, le médecin doit
+bien étudier son sujet, et savoir au juste ce qu'il
+vaut, sous peine de lui nuire en lui demandant un
+effort au-dessus de ses forces.</p>
+
+<p>Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus
+difficile que de connaître la valeur exacte d'un système
+nerveux; c'est presque impossible pour le
+médecin qui voit le malade pour la première fois.
+Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une
+fatigue qui risquerait d'être préjudiciable; on se
+repent rarement d'avoir été trop prudent. Un élément
+d'appréciation qui est d'un grand secours pour
+le médecin, en pareille occurrence, c'est le désir du
+malade lui-même.</p>
+
+<p>S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y
+a gros à parier qu'il l'est en réalité. Le malade
+a toujours, en effet, une vague conscience de sa
+valeur, et il faut tenir compte de son appréciation.
+Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de
+changer de milieu, c'est qu'il sent vaguement qu'il
+a des réserves de force nerveuse ayant besoin d'être
+utilisées; il a un sourd instinct qui, en général, le
+guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du
+médecin est singulièrement restreint; il consiste à
+s'enquérir plus ou moins discrètement des désirs
+du malade, et à les transformer habilement en
+prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait
+encore de la psychothérapie; mais nous ne concevons
+pas les choses de cette façon. Quelquefois, il
+arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est
+dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés
+ataviques, dos théories plus ou moins scientifiques;
+et le rôle du médecin est, en ce cas, de remettre
+tout au point, de démontrer à son malade que
+son instinct, dans telle ou telle circonstance, le
+guide de travers; que, bien qu'il n'en ait pas envie,
+il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors
+le beau titre de directeur de la santé.</p>
+
+<p><i>La mer</i>.&mdash;Les voyages à la mer auraient dû,
+en bonne logique, être étudiés à la suite des cures
+thermales, parce que, en somme, le bain de mer
+est un agent thérapeutique comparable aux bains
+d'eau salée qu'on va prendre à Rheinfelden, Salies,
+Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais nous les
+plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages,
+parce que, dans la pratique, le bain de mer est
+plutôt considéré comme voyage d'agrément que
+comme traitement médical. Cela est si vrai que le
+médecin est rarement consulté sur l'opportunité
+du traitement marin, sur le choix de la plage: et
+c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le traitement
+n'est pas surveillé comme il l'est dans les
+stations d'eau salée, et c'est également regrettable;
+car la médication par l'eau de mer est active, et
+son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il
+s'agit de malades impressionnables, auxquels la
+moindre intervention fait du bien ou du mal.</p>
+
+<p>Les principaux conseils que nous ayons à donner
+aux malades livrés à eux-mêmes, à la mer, sont les
+suivants:</p>
+
+<p>1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se
+reposer des fatigues du voyage, comme nous avons
+dit qu'il fallait toujours le faire;</p>
+
+<p>2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même,
+une action appréciable, et qu'il n'est pas toujours
+utile de prendre des bains; qu'on peut, dans certains
+cas, se contenter de stationner pendant plusieurs
+heures par jour au bord de la mer;</p>
+
+<p>3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la
+mer constitue un véritable traitement minéral. Il
+faut donc au moins un mois pour obtenir des effets
+sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable
+d'aller à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à
+la fatigue du voyage et de l'acclimatation sans aucun
+profit. <i>A fortiori</i>, ne doit-on pas prendre un bain
+de mer accidentel, comme le font les maris qui,
+par train spécial, arrivent toutes les semaines aux
+plages voisines de Paris, et se croient obligés de
+prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils ont
+contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions
+plutôt fâcheuses, l'influence du changement
+brusque de milieu, les trop douces émotions du
+revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur
+soutirer une réserve d'influx nerveux. Le tout se
+solde, parfois, par un état subaigu, au retour, qui
+reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se
+joignent souvent des douleurs rhumatismales.</p>
+
+<p>Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude
+rapide, les indications et contre-indications des
+bains de mer. Le principe général est qu'il ne faut
+pas en donner aux malades à capital restreint, et
+que, en réalité, ils conviennent surtout aux gens
+bien portants. Plus le capital est entamé, plus aussi
+il faudra de prudence dans l'administration du
+bain, au point de vue de sa fréquence et de sa
+durée. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faut, en
+général, le prendre très court, cinq minutes en
+moyenne.</p>
+
+<p>Enfin, il faut tenir compte des effets produits par
+les deux ou trois premiers bains. S'ils amènent de
+l'insomnie, c'est qu'ils sont trop prolongés, ou trop
+fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut
+pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les
+premiers font du mal, les suivants feront du bien.
+D'une façon générale, d'ailleurs, l'organisme ne
+s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les médications,
+quelles qu'elles soient, ne doivent jamais
+faire de mal, même momentanément. Mais c'est là un
+point de doctrine dont la démonstration nous entraînerait
+trop loin, et en dehors de notre plan.</p>
+
+<br><br><br>
+<h3>TROISIÈME PARTIE</h3>
+<br><br>
+
+
+
+
+
+<h4>CHAPITRE I</h4>
+
+<h4>LA PÉRIODE DE DÉCLIN</h4>
+
+
+<p>Nous avons à dessein placé dans l'étude de
+l'homme adulte la plus grosse part de nos considérations
+thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est
+l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de
+vue médical comme au point de vue social, et que
+c'est pendant cette période de la vie que le médecin
+peut faire le plus de bien au malade.</p>
+
+<p>Au contraire, à partir du moment où l'être
+humain est arrivé au sommet de sa courbe évolutive,
+et, par conséquent, où il va décliner, l'importance
+des agents thérapeutiques se limite de plus
+en plus, jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive
+à la fin de sa carrière.</p>
+
+<p>Dans les phases de la vie qui nous restent à
+étudier, la thérapeutique doit viser, avant tout, à
+éviter les dépenses de capital: mais son rôle pratique
+n'en reste pas moins très appréciable; et l'on
+ne sait pas assez combien une bonne direction
+médicale pourrait prolonger l'existence de l'homme
+arrivé à la période de déclin, voire même à une
+étape avancée de cette période.</p>
+
+<p>Théoriquement, la période de déclin peut commencer
+le jour de la naissance. C'est ce qu'on
+observe chez les enfants qui n'ont pas la force de
+vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A
+l'extrême opposé, on voit des individus qui ne
+commencent à décliner qu'à un âge très avancé, ou
+encore dont la vie est brutalement interrompue, à
+un âge relativement avancé, par un accident, avant
+que ne soit survenu le commencement de la période
+de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse
+santé sont venus au monde avec un excellent capital
+initial, que leurs parents ont su améliorer pendant
+la première enfance, et qu'ils ont ensuite amélioré
+eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive,
+ou en ne risquant qu'à bon escient une certaine
+partie du capital, pour lui faire rapporter davantage.</p>
+
+<p>Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes
+ont, comme nous l'avons dit, peu de
+prise. Ces privilégiés sont semblables à l'homme
+qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire
+fructifier, en rapporte dix autres, et reçoit encore,
+en surplus, une récompense. Chez ces individus,
+le déclin n'arrive que très tardivement, et ils peuvent
+atteindre soixante ans tout en restant jeunes
+de coeur, de corps, et d'esprit.</p>
+
+<p>Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires
+sont possibles; et nombreux sont les hommes qui
+commencent à décliner à trente ans, qui sont des
+vieillards à quarante ans. La plupart, cependant,
+commencent à décliner vers cinquante ans, et se
+maintiennent tant bien que mal pendant quelques
+années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de soixante
+ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent
+une pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie»
+accidentelle les détériore pour plusieurs mois, et
+l'on est tout étonné de la lenteur de leur convalescence.
+C'est à partir de ce moment que les tares
+organiques, latentes jusque-là, se révèlent, que
+l'homme qui avait une endocardite avec laquelle il
+vivait en bonne intelligence, et dont parfois même
+il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son
+coeur devenir au-dessous de sa tâche. A la suite
+d'un coup de froid insignifiant, d'une indigestion,
+d'un excès alimentaire, d'une émotion violente,
+d'une grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie,
+des palpitations, des intermittences du
+pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes
+choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le
+débarrasser cette première fois, parce qu'il n'est
+pas encore complètement usé. Mais, six mois
+après, sous l'influence d'une cause semblable, il a
+une nouvelle atteinte, un peu plus de dyspnée, un
+peu de congestion de la base gauche du poumon,
+ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure
+des jambes; et, cette fois, le repos au lit, la
+diète lactée, ne suffisent pas à le remettre en état.</p>
+
+<p>La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes
+par jour en infusion dans 200 grammes
+d'eau, que le malade prendra de deux heures en
+deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire
+crise urinaire. Grâce à ce précieux médicament
+ainsi administré, il fera encore les frais de
+cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes
+influences insignifiantes amèneront l'affolement du
+coeur avec albuminurie, et alors la déchéance pourra
+être irrémédiable.</p>
+
+<p>Il est certain que si, dans l'intervalle de ces
+assauts, notre homme s'était écouté vivre, s'il n'avait
+rien laissé au hasard, si une sage direction
+médicale avait dosé son alimentation, son travail,
+son sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si,
+pour conserver sa vie, il avait, en quelque sorte,
+cessé de vivre, il aurait survécu plus longtemps et
+n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il
+faut bien se rappeler, c'est que, dès sa première
+atteinte, ses jours étaient comptés. Cette première
+atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son système
+nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque
+la force voulue pour faire son office de
+pompe aspirante et foulante; le déclin, qui avait
+peut-être commencé quelques années avant, s'était
+traduit dès le jour de ce premier accroc.</p>
+
+<p>Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes
+revêtent parfois une gravité qui fait croire,
+à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche sérieuse
+ou irrémédiable dans le capital vital du malade,
+alors qu'il n'est touché que superficiellement. C'est
+au médecin qu'il appartient de faire un bon diagnostic,
+d'où découlent et le pronostic et le traitement.
+Certes, le problème est souvent difficile à résoudre,
+et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute
+sa finesse d'observation, de toute son expérience,
+de toute sa pénétration. C'est dans ces cas que la
+médecine est véritablement un art, et le médecin
+un artiste, appelé à utiliser de son mieux les données
+scientifiques que ses études antérieures lui
+ont fournies.</p>
+
+<p>Il aura naturellement, pour l'aider dans cette
+tâche, l'examen physique du malade, et, en particulier,
+l'exploration abdominale, le ventre étant, de
+tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement
+explorer, par la vue, le palper, la percussion; il
+aura, pour l'aider, l'analyse des urines, trop souvent
+négligée. Il sera également secondé par
+l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller
+l'hérédité, l'évolution antérieure de la vie, chez le
+sujet qu'il examine. Celui-ci a-t-il eu de grands
+assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce
+cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé
+prouve qu'il a une grande élasticité, un capital
+sérieux, et qu'il est possible que, dans la crise
+actuelle, il rebondisse encore une fois.&mdash;Au
+contraire n'a-t-il jamais eu d'assaut important?
+le problème devient alors plus difficile, car le
+médecin manque d'une base pour apprécier la
+valeur réelle du capital. Aussi fera-t-il bien de rester
+dans une prudente réserve, et si, dans le cas précédent,
+il a été en droit de rassurer la famille malgré
+la gravité apparente de l'état du malade, dans le
+second cas, au contraire, il ne doit dire qu'une
+chose: «Je ne sais pas.»</p>
+
+<p>Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes
+à santé insolente, n'ayant jamais eu besoin de
+soins, que je vois brusquement atteints par une
+«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier.
+Me trouvant sur un terrain inconnu, je me demande,
+tout d'abord, si leur capital était aussi bon qu'il le
+paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la
+faillite, la débâcle.</p>
+
+<p>Ce sont là, je le répète, des problèmes cliniques
+extrêmement difficiles à résoudre; mais ils ont un
+grand intérêt au point de vue du pronostic à porter,
+et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat:
+car si le médecin soupçonne, chez son malade,
+une altération profonde que ne traduit pas l'ensemble
+symptomatique, il doit redoubler de précautions,
+sa surveillance doit être incessante, son zèle
+doit prévoir les moindres incidents, ne rien laisser
+au hasard. Il a alors à lutter non seulement contre
+la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent
+indocile, et contre les familles, qui trouvent qu'on
+en fait trop, qu'on prend trop de soins, que le
+malade devrait se lever pour regagner des forces,
+sortir pour se distraire, reprendre une partie de
+ses occupations pour ne pas nuire à sa carrière;
+estimant, <i>in petto</i>, que le médecin userait de discrétion
+en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi
+qu'il arrive, ce sont de mauvais cas pour le médecin.
+Il est accusé, si le malade guérit, d'avoir
+retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne
+l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si
+bien portant! et qui succombe à la suite d'une grippe,
+presque sans fièvre! Sûrement, c'est le médecin
+qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la
+conscience du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut
+aussi se dire que, dans d'autres cas, on a attribué
+exclusivement à ses bons soins ce qui était
+dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a
+donc compensation.</p>
+
+<p>En somme, le médecin qui se trouve en face d'un
+malade quelconque est appelé à résoudre le problème
+suivant: Étant donnés la valeur antérieure
+du malade A, et le déchet que lui fait perdre la
+«maladie» B, quelle est la valeur du capital restant
+A&mdash;B? Le simple bon sens indique que cette équation
+ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque
+nous ne connaissons au juste ni A ni B. Aussi le
+médecin ne doit-il jamais quitter le terrain, relativement
+solide, que lui fournit la science, pour se
+perdre dans les abstractions. Il doit seulement se
+rappeler la parole d'Hippocrate: <i>Judicium difficile</i>,
+et faire de son mieux pour approcher le plus
+possible de la solution du problème, qui, sans être
+d'ordre mathématique, a cependant une solution.</p>
+
+<p>«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.»
+[V. HUGO]</p>
+
+<p>Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant
+d'affirmer que l'homme a atteint l'apogée de son
+évolution, et est sur la pente du déclin? Eh! non,
+tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins
+fort, moins actif, que pendant la période de croissance,
+il supporte moins les petits écarts de régime,
+les fatigues, il est plus vulnérable, en un mot,
+mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est
+en période de déclin. S'il veut éviter la «maladie», il
+le peut, dans une, certaine mesure, en s'écoutant
+vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en
+ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses
+exagérées, ou, s'il est obligé d'en faire par hasard,
+en les compensant aussitôt par une exagération
+momentanée de prudence. Bref, la période de déclin
+est la période des précautions. L'homme en déclin
+devrait se rappeler qu'il faut «être de sa santé»
+comme il faut «être de sa condition», comme il
+faut être «de son temps». En usant de ces précautions,
+il peut prolonger très longtemps la durée
+de sa phase évolutive, et atteindre ainsi sans
+transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également
+bien surveillée, le conduire, sans transition
+brusque, à la mort.</p>
+
+<p>Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances
+de la vie sont telles que, fatalement, il
+rencontre sur son chemin des influences qui font
+baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces
+influences inévitables? Ce sont toutes celles que
+nous avons déjà étudiées dans l'enfance, dans
+l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs d'alimentation,
+causes morales surtout, etc.</p>
+
+<p>Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui
+soient plus spéciales à la période de la vie que nous
+étudions, la période comprise entre cinquante et
+soixante-cinq ans?</p>
+
+<p>Chez la femme, tout le monde admet que la
+ménopause produit des perturbations considérables;
+la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler «âge
+critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause
+ramène souvent des troubles de santé qui
+avaient disparu depuis longtemps, et amène quelquefois
+des troubles nouveaux, tels que ces sueurs
+profuses dont se plaignent amèrement les malades.
+Nous avons en vain essayé contre elles l'emploi de
+l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que c'est
+un moyen non seulement inutile, mais dangereux,
+et que le mieux est de savoir attendre, en mettant
+la malade à un régime restreint.</p>
+
+<p>Dans les deux sexes, les émotions morales jouent
+encore, à cet âge, un rôle considérable. C'est une
+fille mal mariée, un fils qui fait le chagrin de sa
+famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la
+perte des amis de la première heure, l'âge des
+désillusions, l'automne de la vie, en un mot. Dans
+tous les cas, les pratiques de la psychothérapie sont
+d'un incontestable utilité: seules, elles ne suffisent
+pas à guérir un homme rendu malade par des influences
+morales; mais, associées aux autres agents
+thérapeutiques, elles sont toujours d'une grande
+utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus
+fait en réconciliant avec son fils un père que le
+chagrin avait terrassé, en lui démontrant la nécessité
+et la légitimité du pardon, qu'en le traitant,
+comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes
+les ressources de la pharmacopée et des agents
+physiques.&mdash;Le fonctionnaire qui prend sa retraite,
+et se voit brusquement condamné à une oisiveté
+forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain
+cherche-t-il, dans la société des hommes de son
+âge, un remède à son désoeuvrement; et quant à
+espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille
+un réconfort quelconque, il n'y doit pas songer. Les
+plus jeunes ont leurs affaires, et les affaires sont
+les affaires; c'est tout au plus si la fille vient faire
+ses couches à la maison.</p>
+
+<p>Bref, une série de chagrins multiples, auxquels
+on est encore sensible, sont l'apanage ordinaire de
+cette période de la vie. C'est à cet âge, aussi, que
+se soldent,&mdash;car tout se paie,&mdash;les erreurs du
+passé, les fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les
+traites imprévues, et, quand le capitaliste veut
+mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit trop
+tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas
+contenté de ses revenus et qu'il a écorné son capital.
+Mais, dira-t-on, pouvait-il s'apercevoir de la
+mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel
+problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse
+antique. C'était à lui de voir que, de temps à
+autre, il avait de ces petites défaillances de santé
+qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes
+banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements
+(l'avertissement sans frais du percepteur).
+Il aurait dû, en homme bien avisé, rester
+toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner.</p>
+
+<p>Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps,
+sinon de le réparer complètement, au moins de
+l'atténuer dans une notable mesure, en se surveillant
+de près, et en ne laissant rien au hasard de ce
+qu'on peut lui enlever par prudence et par calcul.</p>
+
+<p>Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent
+pas qu'elles dépensent plus qu'elles ne
+devraient le faire; elles n'ont pas la bonne fortune
+de recevoir les petits avertissements que nous
+venons de signaler. Leur débordante santé fait
+l'envie de tout le monde; mais ces privilégiés sont
+souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il
+fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises,
+brusquement, avec une affection accidentelle.</p>
+
+<p>Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se
+laisse entraîner par un renouveau de passion
+sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour
+sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer
+ses talents. Il faut aussi compter avec les aberrations
+de l'instinct sexuel, assez fréquentes à cet
+âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde
+pas à s'installer, sous une forme qui rappelle, par
+sa brutalité d'apparition et la gravité des symptômes,
+l'hystéro-neurasthénie traumatique.</p>
+
+<p>En effet, du jour au lendemain, cet homme,
+vaillant jusqu'alors, subit un véritable effondrement.
+Non seulement il perd tout d'un coup l'aptitude
+sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un
+grand chagrin, mais il perd, en même temps, l'appétit,
+le sommeil, les forces. La constipation entre
+en scène; des douleurs névralgiques variées,&mdash;ou,
+pour mieux dire, des <i>algies</i>, car la douleur ne
+suit pas le trajet des nerfs, le torturent nuit et jour.
+Il a une sensibilité excessive de l'ouïe, un éréthisme
+de tout le système nerveux, qui devient
+comme une lyre à cordes trop tendues que fait
+vibrer douloureusement le moindre souffle. Cet
+état peut n'être que passager, si le malade a le bon
+esprit de s'en avouer à lui-même la cause déterminante
+et de la supprimer. Mais cela même ne
+suffit pas toujours: <i>Sublata causa, non tollitur effectus.</i>
+Le branle est donné à la cellule nerveuse, le
+système nerveux, longtemps patient, s'est tout à
+coup révolté, et il faut des mois et des années de
+soins méthodiques pour lui rendre son équilibre.
+C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le
+médecin devra surveiller non seulement l'hygiène
+sexuelle, dont il n'est plus question, mais l'hygiène
+alimentaire, donner les repas fréquents que nécessite
+un estomac toujours sur le point d'entrer soit
+en état paralytique ou en état spasmodique; une
+alimentation non excitante (pâtes, purées), sans
+vin, et sans les toniques qui passent, à tort, pour
+réveiller les forces. Le repos physique est également
+indiqué.</p>
+
+<p>C'est dans ces cas qu'un changement de milieu,
+bien compris, bien dirigé, peut être utile à divers
+titres. D'abord, il éloigne la victime de la cause
+initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier
+souvent les soins affectueux et tendres d'une
+femme momentanément négligée.</p>
+
+<p>La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans
+le traitement de ces malades qui, d'un jour à l'autre,
+sont devenus craintifs, scrupuleux à l'excès, ayant
+peur de mourir, tenaillés par des remords d'une
+intensité morbide. Le médecin animé d'un esprit
+large et charitable peut leur être d'un grand
+secours, en mettant toutes choses au point, et en
+rassérénant leur conscience dans la mesure qui
+convient.</p>
+
+<p>Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez
+l'homme, n'a rien d'exagéré. Nous avons observé
+plusieurs cas semblables, où des hommes bien
+portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts
+intempestifs.</p>
+
+<p>Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent
+chez des hommes qui, auparavant, n'étaient
+pas débauchés, offraient même le modèle d'une
+vie exemplaire; maintenus par des principes
+sévères, ils avaient été fidèles à la foi conjugale, et,
+alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient restés
+fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour,
+une occasion se présente et les surprend; c'est
+une Sapho quelconque rencontrée en chemin de
+fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation,
+il succombe, et, une première chute en
+entraînant de nombreuses à sa suite, il devient
+enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop
+engager l'homme mûr, trop confiant en lui-même,
+à veiller toujours, car le péril est insidieux et les
+risques sont grands.</p>
+
+<p>C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent
+les troubles prostatiques et urinaires, résultats
+tardifs de blennorragies mal soignées et considérées
+comme une bagatelle par le jeune homme,
+plutôt fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est
+vers cinquante-cinq ans que le rétrécissement du
+canal provoque des misères variées, que nous n'avons
+pas à décrire ici, mais qui finissent par amener
+la mort prématurée si le chirurgien n'intervient pas.</p>
+
+<p>Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement
+chez les hommes qui ont dépassé soixante-cinq ans:
+ceux qui avaient des rétrécissements sont morts
+avant cet âge.</p>
+
+<p>C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la
+prostate entre en scène. Certes, les affections de la
+prostate ne sont pas toujours d'origine blennorragique;
+mais elles sont, plus qu'on ne le croit,
+dues à des erreurs dans l'hygiène sexuelle.</p>
+
+<p>Quant aux autres affections capables de faire
+brusquement baisser le capital, elles ne donnent
+lieu à aucune considération particulière. Nous
+devons pourtant nous arrêter encore, en passant,
+sur trois manifestations morbides spécialement
+fréquentes à l'âge en question: le diabète, l'albuminurie,
+et l'obésité.</p>
+
+<p><i>Diabète</i>.&mdash;L'apparition du diabète est, certes,
+chose fâcheuse; mais le plus grand malheur qui
+puisse arriver à un diabétique impressionnable,
+c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans
+ménagements, la fâcheuse nouvelle. A partir de ce
+moment commence, pour le malade, une incessante
+préoccupation morale, aggravée encore par un
+régime alimentaire qui lui cause plus de dommages
+que le diabète lui-même. Il est vrai de dire que,
+depuis quelques années, les médecins se sont un
+peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les
+rendait redoutables aux diabétiques. On veut bien
+admettre, désormais, que le régime des diabétiques
+comporte certains tempéraments, et que les pommes
+de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent
+être allouées, voire même en abondance.</p>
+
+<p>Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation
+d'un diabétique, traité d'après les principes
+classiques, est encore loin d'être réjouissante. Elle
+sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin
+qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés
+par le même régime, ou plutôt qu'il n'y a pas de
+régime du diabète, le diabète n'étant qu'un symptôme
+qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui.</p>
+
+<p>Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin,
+aux autres la diète lactée absolue pendant quelques
+jours, et le régime des potages au lait ensuite.
+Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons
+du régime peuvent être indiquées. Le médecin
+doit imposer le repos au lit absolu au diabétique qui
+maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans
+les autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce
+que le diabétique a toujours des combustions
+exagérées, comme le professeur A. Robin l'a très
+élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi
+de l'état mental du malade, et à ne pas négliger la
+psychothérapie. Le diabète peut être provoqué,
+expérimentalement, en touchant un point précis du
+quatrième ventricule du cerveau; et les diabétiques
+vraiment graves sont ceux qui le deviennent à la
+suite d'une chute sur la tête: ces deux faits prouvent
+assez l'importance des troubles du système
+nerveux dans la pathogénie du diabète, et la nécessité
+de faire une grosse part aux soins moraux
+dans le traitement du diabétique.</p>
+
+<p><i>Albuminurie</i>.&mdash;L'albuminurie donne lieu à
+des considérations de même ordre.</p>
+
+<p>Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant
+un état de détérioration générale de l'organisme;
+c'est, le plus souvent, un symptôme grave,
+mais quelquefois aussi un phénomène sans grande
+importance.</p>
+
+<p>Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence,
+intermittente, venant après la moindre
+fatigue. On sait encore que le seul fait de se lever
+du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit
+pour provoquer l'apparition de l'albumine, qui
+n'existait pas dans l'urine émise pendant que le
+sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle l'albuminurie
+<i>orthostatique</i> ou <i>physiologique</i>,&mdash;terme
+détestable, parce qu'il n'y a pas d'albuminurie
+physiologique, pas plus que de glycosurique physiologique.
+Cette albuminurie de peu d'importance
+survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en
+bon état de santé, et indique, par conséquent, qu'ils
+doivent être tenus à vue, et soignés suivant les
+principes généraux que nous avons déjà énoncés.</p>
+
+<p>Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine
+dans l'urine est toujours d'un pronostic plus sérieux.
+Parfois cependant, là encore, l'albuminurie n'est
+que transitoire, et coïncide avec une décharge
+d'acide urique par les reins. Si l'on ne soumet pas
+le malade ainsi touché au régime lacté absolu, qui
+achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si
+on lui donne à prendre un peu de benzoate de soude,
+l'orage passe vite sans laisser de traces.</p>
+
+<p>D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire,
+est intermittente, même chez l'adulte. Nous
+connaissons un malade qui, depuis quatre ans que
+nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il
+monte à cheval. Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres
+à pied sans avoir d'albumine; mais une seule promenade
+à cheval fait réapparaître l'albumine et,
+malgré la dose considérable révélée par l'analyse
+après l'exercice du cheval, il est, au demeurant,
+bien portant en apparence, et a une vie des plus
+actives.&mdash;Je connais aussi un médecin qui a,
+depuis des années, de l'albumine en permanence;
+après s'en être beaucoup inquiété, et avoir suivi
+divers traitements et divers régimes, il a fini par ne
+plus faire que de l'hygiène générale, manger raisonnablement,
+éviter le surmenage; et il est, en
+somme, en aussi bon état que possible.</p>
+
+<p>J'ai cité, dans une étude sur le <i>Cacodylate de
+Soude</i> que j'ai publiée en 1901, l'histoire d'une jeune
+malade ayant, depuis 1898, à la suite d'un coup
+de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai
+donné des doses considérables de cacodylate, en
+injections, pendant un mois. J'ai eu, à ce moment,
+le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au
+remède la survie de la malade. Or, elle s'est
+mariée en 1900: depuis, elle a cessé toute médication,
+pour se borner à prendre de la viande crue
+et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement,
+3 à 4 grammes d'albumine par jour, et va très bien.</p>
+
+<p>On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la
+valeur pronostique de l'albuminurie. Mais il n'en
+est pas moins vrai que, le plus souvent, la présence
+de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que
+nous étudions, est un symptôme qui doit inspirer au
+médecin des craintes sérieuses, surtout quand, en
+même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette
+combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de
+mort à brève échéance.</p>
+
+<p>Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique
+sera encore aggravée si le médecin s'obstine
+à lui imposer le régime dit des albuminuriques. Il
+n'y a pas de régime des albuminuriques: il y
+a le régime qui convient à tel ou tel albuminurique.
+Parfois le régime lacté fait merveille, mais
+c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger
+plus de quinze jours. D'autres fois, c'est le régime
+des pâtes, plus souvent encore le régime lacto-végétarien,
+qui, combiné au repos, aide le malade à
+sortir du mauvais pas, au moins momentanément.</p>
+
+<p><i>Obésité</i>.&mdash;Au même titre que le diabète et l'albuminurie,
+l'obésité appartient en propre à la
+période de déclin. Mais, direz-vous, il est des
+enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est
+qu'ils ont commencé jeunes leur période de déclin.
+Mais, d'habitude, c'est aux environs de la ménopause
+que l'obésité devient, pour les femmes, une
+torture de tous les jours. Nous n'avons pas à en
+indiquer les inconvénients; rappelons seulement
+que l'obésité tend toujours à augmenter, parce
+qu'elle interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit
+immédiatement un cercle vicieux. Dans les cas
+d'obésité où l'exercice serait utile, l'obèse qui est
+condamné à en prendre de moins en moins, devient
+de plus en plus obèse.</p>
+
+<p>Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours
+utile aux obèses. L'obésité, étant un symptôme
+de la «maladie», est quelquefois entretenue
+par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de
+vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté
+des médecins de diverses nationalités, avait fini
+par suivre les conseils d'un empirique, qui n'avait
+rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que de
+mettre sa mère en relations avec un commandant
+de chasseurs à pied, de façon que ces deux dames
+pussent suivre tous les exercices du bataillon. Au
+bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la
+jeune fille grossissait toujours. Sous l'influence de
+l'exercice, elle mangeait davantage et buvait en
+conséquence. Mais vint un jour où l'estomac,
+fatigué par la suralimentation, se mit à protester;
+c'est alors que je prescrivis le régime ultra-restreint,
+pendant quelques jours, pour remettre l'estomac
+en état, le repos presque absolu pendant cette
+période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement
+de l'estomac et de l'intestin, avec un exercice
+modéré; et voici que, sous l'influence de ce
+traitement, la malade vit diminuer son obésité, et
+disparaître, successivement, d'autres troubles variés
+qui, comme l'obésité, étaient symptomatiques!</p>
+
+<p>Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime
+applicable à tel ou tel malade atteint d'obésité. Le
+plus souvent, le régime restreint est indiqué; d'autres
+fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est dangereux
+comme de le faire maigrir par insuffisance
+alimentaire. Il ne faut pas, non plus, le faire maigrir
+par l'emploi de la thyroïdine. Je dois dire,
+cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents
+obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de
+vingt ans qui, en six mois, a vu son poids baisser
+de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en soit résulté le
+moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine
+avait été maniée par le Dr Polin avec une prudence
+extrême (2 milligrammes par jour, et pendant six
+mois consécutifs).</p>
+
+<p>En général, il faut se méfier de ce médicament,
+qui demande une surveillance médicale sinon quotidienne,
+du moins hebdomadaire; il faut enfin se
+rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer
+l'obésité au point d'en supprimer les inconvénients,
+et aussi qu'il est toujours dangereux de faire trop
+maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop vite.
+Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe,
+il est vrai; mais c'est le commencement de l'effondrement.
+Son système nerveux tombe aussi. En y
+mettant le temps, au contraire, c'est-à-dire en ne
+brusquant pas la manière d'être du sujet, on peut
+toujours arriver à des résultats excellents.</p>
+
+<p>J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans,
+à une dame de soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes.
+Elle est arrivée en dix-huit mois, à
+baisser, avec une progression continue, à 77 kilogrammes...
+Depuis, elle garde son poids et sa
+santé; son déclin s'opère avec une lenteur telle
+qu'il est à peine perceptible. Inutile de dire que
+l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique.</p>
+
+<h3>CHAPITRE II</h3>
+
+
+<h3>LA VIEILLESSE</h3>
+
+<p>Quelle que soit l'économie qui ait présidé à
+l'usage du capital biologique, il n'est pas possible
+que quelques mauvais placements n'aient été faits,
+dans le courant de l'existence; que des chocs accidentels,
+et indépendants de la volonté, n'aient, à
+diverses reprises, ébréché le capital. L'homme qui
+se condamnerait à vivre à seule fin de prolonger
+ses jours vivrait certainement très longtemps,
+mais la sentence d'Horace lui serait applicable:
+«Pour vivre, il aurait perdu les raisons de vivre.»
+<i>Et propter vitam vivendi perdere causas</i>.</p>
+
+<p>D'autre part, le capital diminue par le fait même
+de la vie, comme la vitesse initiale d'un projectile
+diminue progressivement par le fait de la résistance
+de l'air. Enfin il vient un moment où le capital,
+après avoir produit des intérêts considérables,
+ne donne plus que des intérêts de moins en moins
+élevés. Ce moment coïncide exactement avec la
+période de déclin, de sorte que, à partir de ce jour,
+quoi qu'il fasse et sans qu'il s'en doute, l'être vivant
+s'appauvrit fatalement et progressivement. Il en
+arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit rentier;
+et c'est alors la vieillesse.</p>
+
+<p>Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge;
+témoin ces enfants qui ont l'aspect de petits vieillards,
+comme on dit dans le langage courant; ces
+hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards,
+des loques humaines. Mais, le plus souvent,
+la vieillesse survient à un âge plus tardif, que, pour
+le besoins de la cause, nous fixerons, par exemple,
+à soixante-cinq ans.</p>
+
+<p>A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner,
+comme le lui conseillaient les trois jeunes
+gens du fabuliste, «à songer à ses erreurs passées»
+Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de
+vastes pensées», à condition que ce ne soit pas
+pour lui, mais pour ses arrière-neveux. Il peut,
+en d'autres termes, jouir de son expérience et s'efforcer
+d'en faire profiter les autres; mais en se
+rappelant qu'il a atteint l'âge du repos, des ménagements
+et des précautions. Et de même que, dans
+la première période de la vie, il appartient aux
+parents de ménager pieusement et de faire sagement
+fructifier le capital de l'enfant; de même, à cette
+dernière période, il est du devoir des enfants de
+veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont
+la charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse,
+tout chagrin, tout souci, tout écart de régime, et
+de le préserver contre toute intervention thérapeutique
+brutale.</p>
+
+<p>Quelles sont les influences qui compromettent
+d'une façon spéciale le vieillard vivotant?</p>
+
+<p>Les influences psychiques sont beaucoup moins
+importantes que dans l'âge adulte. Quelques vieillards,
+il est vrai, gardent leur sensibilité et leur jeunesse
+de sentiments. L'expérience de la vie ayant
+tempéré la fougue de leurs jeunes années, leur
+ayant appris l'indulgence et la miséricorde, ils
+deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi
+agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la
+sensibilité s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve
+le vieillard de toute émotion nuisible.
+Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce
+de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné,
+mais l'émotion qu'il éprouve est surtout
+égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui donne de
+voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde,
+et n'est pas comparable au chagrin poignant
+de l'homme adulte perdant un être aimé. Donc, de
+ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système
+musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple
+bon sens fait que le vieillard n'abuse pas, en général,
+de son restant de forces musculaires: exception
+faite cependant pour les cas où des parents ou des
+amis mal avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard
+à se déplacer sans relâche, pour passer l'hiver
+dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps ailleurs.
+Combien ne serait-il pas plus sage, en général,
+de le laisser tranquillement chez lui, dût-il ne
+pas quitter sa chambre? J'ai longtemps donné
+des soins à une vieille dame que ses enfants
+emmenaient en villégiature, toujours malgré elle,
+dans le centre de la France, et ramenaient à Paris
+en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un
+mois de soins assidus et de précautions pour effacer
+les traces de fatigue occasionnée par le déplacement.</p>
+
+<p>La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le
+séjour hivernal dans le Midi peut être recommandable,
+mais que, d'une façon générale, il faudrait
+se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant
+«qu'on ne doit pas transplanter un vieux
+chêne», et qu'on devrait regarder à deux fois avant
+de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard,
+soit un lointain changement de pays, soit même un
+changement d'appartement. Il faut, en général,
+tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir,
+qui est dicté par un vague instinct de conservation
+et qui trompe rarement.</p>
+
+<p>Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien
+entendu des affections accidentelles, ce sont les
+écarts dans l'alimentation. Une indigestion qui,
+chez un homme jeune, se serait traduite par un
+léger état gastrique, amène chez le vieillard un
+effondrement colossal; et, pour peu que la thérapeutique
+intervienne d'une façon inopportune sous
+la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la
+situation peut s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut
+alors des semaines pour remettre en état le système
+nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de
+s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme
+vacillante; irez-vous l'alimenter par un soufflet de
+forge, et charger le foyer de grosses bûches de bois?
+Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies
+précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est
+seulement ensuite que vous mettrez des fragments
+un peu plus volumineux, pour arriver enfin à la
+bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même
+chez le vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes
+gastriques, prudence extrême dans l'alimentation,
+fréquence de l'alimentation, et repos
+absolu: c'est la base du traitement.</p>
+
+<p>Mais combien, pour faire observer ces prescriptions
+si simples, ne faut-il pas au médecin d'énergie
+et de foi? Qu'on veuille donc bien se rappeler que
+le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation
+restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui
+lui sera profitable, mais bien ce qu'il assimilera, et
+que, chez lui, la puissance d'assimilation est extrêmement
+minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit,
+il proteste, plus ou moins énergiquement, contre
+les menus qu'un zèle mal éclairé s'ingénie à lui
+proposer.</p>
+
+<p>En dehors de ces états gastriques passagers, le
+régime du vieillard doit être, en général, peu
+substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le soir,
+s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il
+éprouve le besoin de se nourrir, qu'il mange souvent,
+plutôt que beaucoup à la fois. Mais on ne
+saurait croire combien certains vieillards ont peu
+besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente
+une vieille dame qui avait trop mangé pendant
+toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une dyspepsie
+permanente accompagnée de misères variées, en
+tête desquelles venait la constipation. De là obsession
+de tous les instants; tant qu'on ne l'eût pas
+mise exactement au régime convenable, elle fut
+torturée par ce symptôme, restant huit ou quinze
+jours sans parvenir à aller à la garde-robe, malgré
+les lavements, les suppositoires, le massage abdominal,
+etc. On avait dû même, plusieurs fois,
+recourir au curetage. Or je me dis, un jour, que le
+régime relativement restreint que je lui avais
+imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore
+assez restreint. Comme elle n'avait jamais d'appétit,
+et qu'elle ne mangeait que pour faire plaisir
+à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention,
+qui fut de restreindre, sous ma surveillance,
+son alimentation progressivement, et dans
+la mesure extrême du possible. Après un mois de
+tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions
+arrivés à la formule suivante, que je transcris
+d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse à
+thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de
+semoule au lait, ou de panade, ou de farine de Hongrie,
+ou de crème de riz, ou de crème d'orge aux
+mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi,
+un quart d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures,
+comme à midi; dans la nuit, une tasse à café de
+lait.»</p>
+
+<p>Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage
+absolument ridicule, finit par être accepté quand
+on vit la malade reprendre, progressivement, du
+sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et surtout
+quand on vit disparaître sa constipation. Ses
+fonctions s'exécutaient, en effet, très régulièrement
+tous les deux ou trois jours, spontanément. Le
+régime fut continué jusqu'à sa mort, qui survint
+trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à
+l'âge de quatre-vingt-quatre ans.</p>
+
+<p>Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables,
+mais ils seraient tous calqués sur ce modèle.</p>
+
+<p>Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé
+un gros appétit: il faut savoir le respecter, tout en
+essayant de le modérer un peu, du moment que la
+santé reste bonne.</p>
+
+<p>Pour en finir avec la question de régime, disons
+qu'un peu de vin généreux, étendu d'eau, est, en
+général, une boisson excellente pour le vieillard,
+bien portant ou malade; et que le lait, par contre,
+lui est le plus souvent préjudiciable, sauf dans les
+états aigus ou subaigus prolongés.</p>
+
+<p>Quant aux affections accidentelles qui surviennent
+chez le vieillard, et qui compromettent son
+reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font,
+néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante
+de toutes est la pneumonie. C'est, très souvent,
+une pneumonie d'origine grippale: aussi ne
+saurait-on trop soigner la grippe dès son début,
+chez le vieillard plus encore que chez l'adulte. La
+pneumonie est insidieuse chez le vieillard. Elle ne
+se traduit que par un malaise général, avec très
+peu de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne
+toujours de fièvre. Si donc les familles
+savaient se servir du thermomètre, on aurait des
+chances de porter secours aux malades en temps
+utile; et alors une injection de cacodylate de
+gaïacol, quelques cachets de quinine, une certaine
+dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient,
+dans bon nombre de cas, à le sauver;
+tandis qu'en général, quand on appelle le médecin,
+il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que
+le diagnostic, et prévenir la famille de la gravité
+de la situation.</p>
+
+<p>Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent
+compromettre la survie du vieillard. Ordinairement,
+il échappe à la première atteinte, mais
+il en sort tellement amoindri, physiquement et
+intellectuellement, qu'on peut dire qu'il a cessé de
+vivre avant de mourir. Grâce aux soins dont il est
+entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même
+pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à
+ce qu'il se décide à mourir après une deuxième
+ou troisième attaque.</p>
+
+<p>Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées
+ne s'observe, le petit rentier qu'est le
+vieillard continue à vivoter plus ou moins longtemps,
+jusqu'au jour où, tout son capital et tous
+ses revenus étant épuisés, il cesse de vivre, tout
+simplement parce qu'il n'a plus la force de vivre.
+Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur
+qui a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon,
+très profondément philosophique, l'expression courante
+de «défunt», la traduction littérale du mot
+latin <i>defunctus</i> étant: «Celui qui s'est acquitté.»
+Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet,
+en remerciant leur hôte. Heureux s'ils peuvent
+léguer à une nombreuse postérité «l'exemple
+de leur vie!»</p>
+
+<br><br>
+<h5>FIN</h5>
+<br><br>
+
+<h3>INDEX ALPHABÉTIQUE</h3>
+
+<p>Albuminurie:&mdash;permanente;&mdash;son régime.
+Alcool.
+Alimentation: de l'enfant né avant
+terme;&mdash;du premier âge;&mdash;Gouttes de lait;&mdash;chez
+le petit enfant;&mdash;chez
+l'enfant du deuxième âge;&mdash;défectueuse;
+excessive;&mdash;ration d'entretien;&mdash;observation d'une malade
+guérie par le régime restreint;&mdash;insuffisante en quantité;&mdash;à
+la sonde;&mdash;observation
+d'une malade fébricitante
+guérie par l'alimentation
+forcée;&mdash;insuffisante
+en qualité;&mdash;chez le
+vieillard.</p>
+
+<p>Aliments adultérés par les procédés
+chimiques; physiques.</p>
+
+<p>Auto-intoxication, (Hypothèse de l').</p>
+
+<p>Avarie.</p>
+
+<p>Bains: chauds dans les pneumonies;&mdash;prolongés;&mdash;de
+briques;&mdash;de
+vapeur;&mdash;électriques;&mdash;de mer.</p>
+
+<p>Blennorragie, ses dangers tardifs.</p>
+
+<p>Boissons: fermentées;&mdash;distillées;&mdash;le vin chez
+l'homme bien portant;&mdash;chez
+le malade:&mdash;dans
+la ration du soldat;&mdash;eau
+stérilisée en usage dans
+l'armée.</p>
+
+<p>Cancer, son hérédité.</p>
+
+<p>Capital biologique (hypothèse du).</p>
+
+<p>Causes morbigènes: ambitions
+déçues;&mdash;passion amoureuse;&mdash;inquiétudes;&mdash;vie brisée;&mdash;frayeur.</p>
+
+<p>Causes accidentelles.</p>
+
+<p>Chaleur sèche (dermotherme).</p>
+
+<p>Choc: traumatique;&mdash;chirurgical;&mdash;moral.</p>
+
+<p>Coeur: «maladies» du coeur (leur
+hérédité;&mdash;observation
+d'un faux cardiaque;&mdash;
+la période de déclin.</p>
+
+<p>Constipation;&mdash;et
+entéro-colite;&mdash;provoquée
+chez les opérés;&mdash;son
+innocuité;&mdash;guérison par
+le repos;&mdash;dangers des
+purgatifs;&mdash;obsession de
+la constipation;&mdash;lavements
+d'huile;&mdash;injections
+de Brown-Séquard;&mdash;chez le vieillard;&mdash;Convalescence,
+sa rapidité chez l'enfant.</p>
+
+<p>Course en flexion.</p>
+
+<p>Déclin: âge de déclin;&mdash;pouvant
+n'être qu'apparent;&mdash;problèmes cliniques à
+l'âge du déclin, leur difficulté.</p>
+
+<p>Diabète: régime;&mdash;traumatique,
+sa gravité.</p>
+
+<p>Dyspepsie: observation d'une
+malade avec prédominance de
+troubles dyspeptiques.</p>
+
+<p>Eaux minérales;&mdash;table
+de régime;&mdash;de Carlsbad;&mdash;Chatel-Guyon, Bagnoles,
+Brides, Vichy;&mdash;Vittel.</p>
+
+<p>Education: chez la jeune fille;&mdash;chez le jeune homme;&mdash;de la volonté.</p>
+
+<p>Electricité;&mdash;bains électriques.</p>
+
+<p>Emplâtre.</p>
+
+<p>Enfants: préservation contre la
+tuberculose;&mdash;couveuses
+artificielles;&mdash;alimentation
+de l'enfant né avant terme:&mdash;le capital biologique de
+l'enfant doit être créé par les
+parents;&mdash;puériculture;&mdash;alimentation du premier
+âge, son importance pour toute
+la vie;&mdash;Goutte de lait;&mdash;pathologie infantile;&mdash;sa
+simplicité relative;&mdash;ses
+difficultés;&mdash;nécessité
+du sommeil prolongé;&mdash;mastication;&mdash;convalescence
+rapide;&mdash;enfants du
+type musculaire;&mdash;cérébral;&mdash;du deuxième âge,
+alimentation:&mdash;fièvre digestive.</p>
+
+<p>Epilepsie.</p>
+
+<p>Exploration abdominale.</p>
+
+<p>Exercice: difficulté de le doser
+chez les jeunes filles nerveuses;&mdash;dans un grand collège
+moderne;&mdash;chez les professionnels;&mdash;chez les
+jeunes gens (danger des sports);&mdash;et entraînement;&mdash;et gymnastique respiratoire;&mdash;Institut Zander;&mdash;chez
+les obèses.</p>
+
+<p>Fatigue;&mdash;et épuisement.</p>
+
+<p>Fièvre digestive des enfants;&mdash;typhoïde.</p>
+
+<p>Folie: chez la jeune fille:&mdash;délire
+de la persécution;&mdash;l'aliénation mentale et la
+«maladie»;&mdash;menstruation
+chez l'aliénée;&mdash;du
+doute;&mdash;obsession:&mdash;manie
+aiguë.</p>
+
+<p>Frictions.</p>
+
+<p>Grippe, son influence pathogène.</p>
+
+<p>Grossesse («maladies» de la mère
+pendant la).</p>
+
+<p>Hémorragies cérébrales, chez les
+vieillards.</p>
+
+<p>Hérédité: étymologie;&mdash;généralités;&mdash;protestation contre
+la fatalité des tares héréditaires;&mdash;de la longévité;&mdash;de la tuberculose;&mdash;du
+cancer;&mdash;des tares
+ nerveuses, 15;
+ &mdash;de la paralysie générale, 16;
+ &mdash;des «maladies» de coeur, 16;
+ &mdash;des affections rénales, 17.</p>
+
+<p>Hydrothérapie: froide, 223;
+ &mdash;tiède 225;
+ &mdash;maillot humide, 225.</p>
+
+<p>Hypnose, 189;
+ &mdash;chez les aliénés, 191;
+ &mdash;ses dangers, 194.</p>
+
+<p>Hygiène de la procréation, 21.</p>
+
+<p>Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114.</p>
+
+<p>Hypothèse (son rôle dans la science), 1.</p>
+
+
+<p>Injections: action dynamogénique de tout liquide injecté, 232;
+ &mdash;hypodermiques d'eau de mer, 234;
+ &mdash;de cacodylate de magnésie, 235;
+ &mdash;de cacodylate de soude, 235;
+ &mdash;de gaïacol, 238;
+ &mdash;de quinine 239;
+ &mdash;d'héroïne, 239;
+ &mdash;de mercure, 240;
+ &mdash;de morphine, 240;
+ &mdash;huileuses, 240;
+ &mdash;d'huile mercurielle, 241;
+ &mdash;d'huile créosotée, 242;
+ &mdash;et suggestion, 244;
+ &mdash;injections de Brown-Séquard, (constipation), 353.</p>
+
+<p>Influences morbigènes, généralités, 30.</p>
+
+<p>Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70.</p>
+
+
+<p>Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;
+ &mdash;éducation sexuelle&mdash;, 21;
+ &mdash;menstruation&mdash;, 66;
+ despotisme de certaines mères, 68;
+ &mdash;difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, 66;
+ &mdash;aliénation mentale&mdash;, 71;
+ &mdash;vocation contrariée, 72;
+ &mdash;mariage contrarié&mdash;, 73;
+ &mdash;utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses, 74;
+ &mdash;surmenage scolaire&mdash;, 75.</p>
+
+<p>Jeune homme: surmenage scolaire, 75;
+ &mdash;nécessité du sommeil, 76;
+ &mdash;exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78;
+ &mdash;exercice physique chez les jeunes gens, 79;
+ &mdash;éducation sexuelle, 81;
+ &mdash;psychothérapie, 83.</p>
+
+<p>Ligue des pères de famille, 80.</p>
+
+<p>Longévité: hérédité de la, 8;
+ &mdash;humaine, 9.</p>
+
+<p>Malade: son entourage, 204;
+ &mdash;ne voulant pas guérir, 207;
+ &mdash;régime des grands malades, 217;
+ &mdash;n'osant pas manger, 220;
+ &mdash;danger des voyages, 267.</p>
+
+<p>«Maladies»: accidentelles, 42;
+ &mdash;la «maladie», 94-95;
+ &mdash;petits symptômes de la «maladie», 95,
+ &mdash;la «maladie» et les «maladies» accidentelles, 97;
+ &mdash;causes morales, généralités, 142;
+ &mdash;causes accidentelles de la «maladie», 162;
+ &mdash;du coeur à la période du déclin, 279.</p>
+
+<p>Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73;
+ &mdash;son utilité pour les jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74.</p>
+
+<p>Massage, 228;
+ &mdash;abdominal, 229.</p>
+
+<p>Méningite, 55.</p>
+
+<p>Menstruation: utilité du repos, 66;
+ &mdash;chez l'aliénée, 165;
+ &mdash;chez la grande malade, 166;
+ &mdash;ménopause, 296.</p>
+
+<p>Migraine, 40.</p>
+
+<p>Mort naturelle, 310.</p>
+
+<p>Névrose (sa contagion), 148.</p>
+
+<p>Obésité, 297;&mdash;exercice chez les
+obèses, 298;&mdash;régime chez les
+obèses, 299.</p>
+
+<p>Obsession: de la constipation,
+251;&mdash;de la rougeur, 187.</p>
+
+<p>Observations: d'une malade avec
+prédominance de troubles dyspeptiques,
+99;&mdash;d'une malade
+avec prédominance de troubles
+de nutrition, 105;&mdash;d'un faux
+cardiaque, 107;&mdash;d'une malade
+suivie pendant trente ans, chez
+laquelle presque tous les appareils
+ont été successivement
+atteints, 110;&mdash;d'une grande
+malade guérie par le régime
+restreint, 128;&mdash;d'une malade
+fébricitante guérie par l'alimentation
+forcée. 132.</p>
+
+<p>Opérés: opérations de complaisance,
+155;&mdash;morphine chez
+les&mdash;, 156;&mdash;rôle médical du
+chirurgien, 156;&mdash;purgation
+chez les, 157;&mdash;constipation
+provoquée chez les&mdash;, 158.</p>
+
+<p>Opothérapie: hépatique, 236;&mdash;ovarienne,
+286.</p>
+
+<p>Paralysie générale, hérédité, 16.</p>
+
+<p>Pertes: matérielles, 143;&mdash;au jeu,
+144.</p>
+
+<p>Pneumonie: bains chauds dans
+la;&mdash;chez le vieillard, 308.
+Protection, loi de protection des
+faibles, 10.</p>
+
+<p>Psychonévroses, leur traitement
+moral, 213.</p>
+
+<p>Psychothérapie: chez le jeune
+homme, 83;&mdash;savoir prendre
+un parti, 175;&mdash;respect du
+temps, 176;&mdash;dérivative. 180;
+&mdash;sédative, 181;&mdash;reconstituante,
+182;&mdash;résignation, 182;
+&mdash;foi religieuse, 208;&mdash;et problème
+religieux, 210.</p>
+
+<p>Ptôse: abdominale, 169;&mdash;et ceinture
+hypogastrique, 167;&mdash;passagère,
+169.</p>
+
+<p>Purgatifs et constipation, 249.</p>
+
+<p>Régime: ration d'entretien, 125,
+&mdash;des Chartreux, 125;&mdash;des
+Trappistes, 125;&mdash;des soldats,
+127-140;&mdash;des guides alpins,
+127;&mdash;observation d'une
+grande malade guérie par le
+régime restreint, 128;&mdash;en
+cas d'effondrement abdominal,
+172;&mdash;et suggestion, 215;&mdash;des
+grands malades, 217;&mdash;monotone,
+218;&mdash;sec (ses dangers),
+219;&mdash;à boisson restreinte,
+219;&mdash;et eaux minérales,
+255;&mdash;des diabétiques,
+293;&mdash;des albuminuriques,
+297;&mdash;des obèses, 299;&mdash;lacté
+chez les vieillards, 308.</p>
+
+<p>Repos: dans les états aigus, 173;&mdash;cure
+de&mdash;, 205;&mdash;constipation
+guérie par le&mdash;, 205;&mdash;avant le
+repas, 221;&mdash;après le repas,
+222;&mdash;au lit, 265.</p>
+
+
+<p>Sommeil: nécessité du sommeil
+chez l'enfant, 57;&mdash;nécessité
+du sommeil chez les jeunes
+gens, 76;&mdash;diurne (ses bons
+effets) 173;&mdash;l'aliment favorise
+le&mdash;, 221;&mdash;et repos au lit, 221.</p>
+
+<p>Sports, chez les jeunes gens (leur
+danger) 78.</p>
+
+<p>Suggestion et régime, 215.</p>
+
+<p>Symptômes morbides, 32;&mdash;petits
+symptômes de la «maladie»,
+95.</p>
+
+<p>Syphilis: polynatalité, 10;&mdash;et
+méningite, 12;&mdash;Société de
+prophylaxie sanitaire et morale,
+13;&mdash;nécessité d'un traitement
+pour prévenir la transmission
+héréditaire de la, 23;
+&mdash;âge à laquelle se contracte
+la&mdash;, 84;&mdash;manifestations tertiaires,
+164;&mdash;et assurances sur
+la vie, 164.</p>
+
+
+<p>Travail: cérébral insuffisant, 119;
+&mdash;cérébral excessif, 119;&mdash;musculaire
+excessif, 121;&mdash;ration
+de&mdash;, 125.</p>
+
+<p>Tuberculose hérédité, 13;&mdash;oeuvre
+de préservation de l'enfance
+contre la&mdash;, 14 et 89;&mdash;dans
+l'armée, 87;&mdash;et sanatorium
+populaire, 38;&mdash;et dispensaire, 88.</p>
+
+
+<p>Vacances: leur nécessité, 261;&mdash;colonies
+de&mdash;, 262.</p>
+
+<p>Vésicatoires, 255.</p>
+
+<p>Vieillards: voyages, 304;&mdash;alimentation,
+306;&mdash;constipation,
+307;&mdash;pneumonie, 308;&mdash;régime
+lacté, 308;&mdash;hémorragie
+cérébrale, 309.</p>
+
+<p>Vin: chez l'homme bien portant,
+139;&mdash;chez le malade. 141;</p>
+
+<p>Voyages: de noces (ses dangers),
+20;&mdash;leur utilité chez les gens
+bien portants, 261;&mdash;leur
+danger chez les malades, 267;
+&mdash;chez les vieillards, 304.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<h3>AUTEURS CITÉS</h3>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Dr BARADUC, 37.</p>
+<p>BRIEUX, 83.</p>
+<p>BROWN-SEQUARD, 236.</p>
+<p>Dr CHARCOT, 194</p>
+<p>Dr CAMPENON, 156.</p>
+<p>Dr CHAILLOU, 76.</p>
+<p>Dr DELORME, 158.</p>
+<p>Dr DUBOIS, 213.</p>
+<p>Dr DUPRAT, 194.</p>
+<p>FLOURENS, 9.</p>
+<p>Dr FONSAGRIVES, 55.</p>
+<p>FONSAGRIVES (Abbé), 81.</p>
+<p>Dr A. FOURNIER, 13.</p>
+<p>Dr ED. FOURNIER, 84.</p>
+<p>Dr GRANCHER, 14.</p>
+<p>Dr GRASSET, 194.</p>
+<p>Dr HUCHARD, 17.</p>
+<p>Dr KELSCH, 87.</p>
+<p>KNEIPP, 224.</p>
+<p>Dr LAGRANGE, 79 et 86.</p>
+<p>Dr LAUMONIER, 64.</p>
+<p>Dr LEGENDRE, 80.</p>
+<p>Dr LEREDDE, 231.</p>
+<p>Dr MATHIEU, 33.</p>
+<p>Dr PINARD, 21 et 45.</p>
+<p>PLANTET, 262.</p>
+<p>POINCARE, 1.</p>
+<p>Dr ROBIN, 293.</p>
+<p>Dr RUNGBERG, 164.</p>
+<p>SERTILLANGES (Abbé), 125.</p>
+<p>Dr SIGAUD, 171.</p>
+<p>Dr R. SIMON, 234.</p>
+<p>VANCAUWENBERGHE, 48.</p>
+<p>Dr VARIOT, 47.</p>
+<p>Dr A. VOISIN, 194.</p>
+ </div> </div>
+
+
+<br><br><br>
+<h3>TABLE DES MATIÈRES</h3>
+
+<p>PRÉFACE</p>
+
+
+<p><b>PREMIÈRE PARTIE</b></p>
+
+
+<p>CHAPITRE I</p>
+
+<p>LE CAPITAL BIOLOGIQUE<br>
+Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable
+selon chaque individu et selon chaque période de la vie.
+Capital initial; influences qui le font varier.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE II</p>
+
+<p>HÉRÉDITÉ<br>
+Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité.
+Rôle de l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose;
+le cancer; les tares nerveuses: les «maladies» de
+coeur; des reins.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE III</p>
+
+<p>CONCEPTION<br>
+La valeur des générateurs au moment de la conception.&mdash;Loi
+de protection des faibles. Hygiène de la procréation:
+éducation sexuelle de la jeune fille.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE IV</p>
+
+<p>GESTATION<br>
+Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la
+gestation.&mdash;Emotions, misères physiologiques, «maladies»
+de la mère pendant la grossesse. Enfants nés avant terme.</p>
+
+<p>CHAPITRE V</p>
+
+<p>INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES<br>
+La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive:
+les influences morbigènes modifient cette courbe. La
+même influence peut se traduire par des symptômes variés;
+et, inversement, des influences variées peuvent se traduire
+par le même symptôme (ex.: constipation) ou par le
+même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous
+les systèmes organiques peuvent être troublés à la fois.
+Le plus souvent, c'est l'organe le plus faible qui traduit
+le malaise. Le système nerveux est la clef de voûte de la
+pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les causes morbigènes.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE VI</p>
+
+<p>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.&mdash;PUÉRICULTURE<br>
+Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la
+durée de la vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant.
+Gouttes de lait (de Belleville, de Saint-Pol). La pathologie
+enfantine est, le plus souvent, simple; quelquefois, de la
+plus grande difficulté. Succès thérapeutiques chez les petits
+enfants atteints de syphilis, de pneumonie.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE VII</p>
+
+<p>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ<br>
+
+1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil
+prolongé, d'une mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles
+à cet âge évoluent vite, sans convalescence.&mdash;
+Chez l'enfant de sept ans à la puberté. Enfant du type
+musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral.
+Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies»
+très souvent provoquées par une alimentation défectueuse.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE VIII</p>
+
+<p>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE<br>
+
+I. <i>Chez la fille</i>.&mdash;Précautions à prendre à l'apparition
+des règles. Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»:<br>
+
+&mdash;A. Surmenage intellectuel.&mdash;B. Causes morales (despotisme
+de la mère, vocation contrariée); brevets: mariage
+rendu impossible; besoin du mariage.&mdash;C. Surmenage
+musculaire. Quelle que soit la cause, les symptômes sont
+les mêmes, mais le traitement varie avec la cause. Facilité
+relative de la guérison.</p>
+
+<p>II <i>Chez le garçon</i>.&mdash;1° Surmenage scolaire (insuffisance
+du sommeil).&mdash;2° Surmenage physique (abus des sports,
+de l'escrime, utilité des exercices automatiques <i>(Ligue des
+pères de famille</i>).&mdash;3° Déviation de l'hygiène sexuelle:
+éducation sexuelle. Par qui elle doit être donnée. Enseignement
+individuel et enseignement collectif. Utilité de
+l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations
+de l'instinct sexuel: psychothérapie.</p>
+
+<p>III. <i>Causes morbigènes communes aux deux sexes</i>.&mdash;«maladies»
+accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les
+dispensaires, oeuvres de préservation).</p>
+
+
+<p><b>DEUXIÈME PARTIE</b></p>
+
+
+<p>CHAPITRE I</p>
+
+<p>MATURITÉ<br>
+L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes
+de repos. Le coup de collier. La fatigue. L'entraînement.
+L'épuisement (ses signes prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire
+(ses signes prémonitoires. La «maladie».</p>
+
+
+<p>CHAPITRE II</p>
+
+<p>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»<br>
+Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade.
+Quatre observations de patients atteints de la «maladie»
+sous ses diverses formes. Troubles fonctionnels pouvant
+simuler les affections avec lésions d'organes. Rôle du
+système nerveux central dans la pathogénie de la «maladie».
+Embarras gastrique.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE III</p>
+
+<p>LES CAUSES DE LA «MALADIE»<br>
+
+I. <i>Causes physiques</i>.&mdash;1° Surmenage cérébral, travail
+cérébral insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral
+peut revêtir des formes cliniques très diverses.&mdash;
+2° Surmenage musculaire.&mdash;3° Vices d'alimentation.
+Généralités, auto-intoxication, irritation.&mdash;<i>A</i>. Alimentation
+excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des
+Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins.
+Observation d'une grande malade guérie par le régime
+restreint.&mdash;<i>B</i>. Alimentation à la sonde.&mdash;<i>C</i>. Alimentation
+insuffisante en qualité. Adultération des aliments:
+<i>a</i>) par les procédés chimiques, <i>b</i>) par les procédés physiques.
+&mdash;<i>D</i>. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité.
+Boissons distillées, leur danger.</p>
+
+<p>II. <i>Causes morales</i>.&mdash;Leur importance prépondérante:</p>
+
+<p><i>A</i>. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.&mdash;
+<i>B</i>. Influences compromettant la quiétude de l'âme. Passions.
+Incompatibilité d'humeur.&mdash;<i>C</i>. Inquiétudes d'origine
+altruiste. Séparation momentanée, définitive.&mdash;
+Choc traumatique: <i>a</i>) Hystéro-neurasthénie traumatique.
+<i>b</i>) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale
+des chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés.
+Des purgations. Constipation provoquée chez les opérés,
+ses avantages.</p>
+
+<p>III. <i>Causes accidentelles</i>.&mdash;Fièvre typhoïde. Grippe:
+son grand rôle pathogénique. Syphilis.</p>
+
+<p>IV. <i>Influences morbigènes spéciales à la femme</i>.&mdash;Menstruation.
+Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE IV</p>
+
+<p>PSYCHOTHÉRAPIE<br>
+Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle
+1° Son action s'étend aux déviations mentales.&mdash;2° A
+un grand nombre de troubles somatiques.&mdash;<i>A. Moyens
+par lesquels on diminue les dépenses d'influx nerveux:</i>
+savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du
+temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes.
+Un cas de folie du doute. Psychothérapie dans la
+manie aiguë, dans les obsessions. Résignation passive et
+active.&mdash;<i>B. Moyens par lesquels on augmente les recettes.</i>
+1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques
+(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).&mdash;
+Moyens par lesquels on augmente artificiellement le
+
+capital insuffisant: hypnose. Action personnelle de l'hypnotiseur,
+indications du traitement par l'hypnose. Ce qui
+limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que:
+1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles
+à hypnotiser.&mdash;2° C'est que c'est un moyen qui
+peut être trop actif. C'est un agent thérapeutique utile,
+non dangereux, s'il est bien manié; le médecin seul
+peut le bien manier.<br>
+
+Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques.
+&mdash;1° Le médecin doit soigner avec son coeur,
+plus qu'avec son intelligence.&mdash;2° Paraître ne jamais
+être pressé.&mdash;3° Ni même être pressé.&mdash;4° Savoir parler
+au malade.&mdash;5° Ne lui imposer que le strict minimum
+de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique:
+1° Absence de foi chez le malade (malades à théories
+médicales. Malades qui ne veulent pas guérir).&mdash;
+A l'hostilité de l'entourage. Le médecin confident.&mdash;Psychothérapie
+et sentiment religieux.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE V</p>
+
+<p>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES<br>
+
+1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent
+pas seulement par suggestion). Diète liquide. Régime
+des potages. Régime à boisson restreinte. De la fréquence
+des repas. Du repos après et avant le repas.<br>
+
+2° Moyens accessoires.&mdash;A. <i>Hydrothérapie</i>: froide, exceptionnellement
+indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé.
+Hydrothérapie tiède: tub, bain. Malades dont il ne faut
+pas mouiller la peau. Chaleur sèche. Massage. Frictions.
+Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.&mdash;B. <i>Injections
+hypodermiques.</i>&mdash;1° Influence utile de l'injection en
+tant qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).&mdash;2° Action
+propre du liquide injecté. Cacodylate de soude, de
+magnésie, de fer. Injections de Brown-Séquard. Strychnine.
+Cacodylate de gaïacol dans la «maladie» post grippale. Quinine,
+héroïne et morphine, leurs dangers. Injections huileuses:
+<i>a</i>. Mercurielles. <i>b</i>. Créosotées. Rôle alimentaire
+de l'huile injectée.&mdash;3° Des injections hypodermiques
+comme procédé de suggestion.&mdash;C. Vésicatoires. Emplâtres.
+Purgatifs. Etude de la constipation et des constipés.
+&mdash;D. <i>Eaux minérales</i>, leurs indications. Les tables de régime.
+Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. Châtel-Guyon.
+Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des eaux.&mdash;
+<i>Voyages</i>. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur
+danger chez de grands malades. Précautions à prendre
+pour qu'ils soient utiles aux malades moyens. La grande
+malade et le ciel de la Côte d'Azur. Voyage et entraînement.
+Vacances. Colonie de vacances.&mdash;F. <i>La mer</i>.&mdash;La
+cure marine. Le train des maris.</p>
+
+
+<p><b>TROISIÈME PARTIE</b></p>
+
+
+<p>CHAPITRE I</p>
+
+<p>LA PÉRIODE DE DÉCLIN<br>
+Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites
+extrêmes. Les tares organiques. Les cardiopathies se révèlent.
+Le déclin peut n'être qu'apparent (difficulté du diagnostic).
+Petits symptômes prémonitoires du déclin.
+Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales.
+Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique
+de l'homme. Forme que revêt souvent la «maladie» à
+cet âge. Traitement psychothérapique, régime, précautions.
+Le diabète. Rôle du système nerveux dans le
+diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même des
+diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente.
+Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de
+l'albuminurie, ni même des albuminuriques. Obésité.
+Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a pas de régime
+de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE II</p>
+
+<p>LA VIEILLESSE<br>
+Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la
+vieillesse de l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers
+des voyages. Alimentation restreinte. Accidents qui font
+mourir le vieillard. De la mort naturelle.</p>
+
+
+<p>INDEX.</p>
+
+<p>AUTEURS CITÉS.</p>
+
+<p>TABLE DES MATIÈRES.</p>
+<br><br><br>
+
+ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12105 ***</div>
+</body>
+</html>
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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+The Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: La lutte pour la santé
+
+Author: Dr. Burlureaux
+
+Release Date: April 21, 2004 [EBook #12105]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ ***
+
+
+
+
+Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed
+Proofreading Team.
+
+
+
+
+
+
+
+LA LUTTE
+
+POUR LA SANTÉ
+
+
+
+
+DU MÊME AUTEUR
+
+Considérations sur la folie paralytique Paris, J.-B. Baillière, 1874.
+
+Article Épilepsie du Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales
+(1886).
+
+Pratique de l'antisepsie dans les «maladies» contagieuses (Prix Stansky,
+de l'Académie de médecine). J.-B Baillière, éditeur (1892).
+
+Traitement de la Tuberculose par la créosote (Couronné par l'Institut,
+Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894.
+
+
+_En préparation_:
+
+Psychothérapie et Morale religieuse.
+
+
+
+
+Dr. BURLUREAUX
+PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE
+
+
+
+
+LA LUTTE
+POUR LA SANTÉ
+
+
+ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE
+
+PARIS
+1908
+
+
+
+A MON CHER LUCIEN CLAUDE
+EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION
+ET EN SOUVENIR
+DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES
+
+
+
+
+PRÉFACE
+
+La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de ce livre n'est pas celle
+qu'ont entreprise, et que poursuivent avec un succès toujours plus
+marqué, nombre de ligues et sociétés philanthropiques. Certes, personne
+n'admire plus que moi l'effort généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse
+de combattre la mortalité infantile, ou de répandre et de faire
+appliquer les règles de l'hygiène, ou encore d'enrayer l'extension de
+ces trois plaies sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la syphilis,
+ce sont là des campagnes infiniment bienfaisantes; et je considère comme
+un honneur d'avoir pu, modestement, prendre ma part de quelques-unes
+d'entre elles.
+
+Mais à côté de cette grande lutte collective, il y a une autre «lutte
+pour la santé», tout individuelle, qui se livre tous les jours dans la
+vie de chacun de nous. Celle-là est une forme de la loi universelle
+de la lutte pour l'existence. Sans cesse, depuis l'instant où nous
+naissons, notre organisme tend à maintenir ou à rétablir cet équilibre
+de ses forces que l'on appelle «la santé»; et sans cesse une foule
+d'influences, intérieures ou venues du dehors, tendent à détruire cet
+équilibre, éminemment instable.
+
+Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge, le sexe, l'hérédité,
+les conditions de la vie: mais toutes travaillent, en nous, à la même
+fin; et l'on peut dire que l'histoire entière de notre vie physique
+n'est que l'histoire des péripéties de la «lutte» incessante qui se
+déroule entre elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer dans
+son être. Et si, parmi ces influences hostiles à notre santé, beaucoup
+ont un caractère fatal et inévitable, s'il y a malheureusement beaucoup
+de causes de «maladie» contre lesquelles nous sommes désarmés, il y en
+a aussi un très grand nombre qui peuvent être évitées, ou combattues
+victorieusement. Toute la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la
+nature dans sa lutte contre elles.
+
+
+Mais la médecine est moins une science qu'un art. De la multiplicité
+des circonstances, de la diversité des esprits, il résulte que chaque
+médecin, quand il est parvenu à un certain point de sa carrière,
+s'aperçoit que l'ensemble de ses observations et de ses réflexions l'a
+amené à se faire une expérience propre, personnelle, des conditions
+générales de la «lutte pour la santé» et des moyens d'aider l'organisme
+à la bien conduire. C'est le fruit de mon expérience particulière que
+j'ai essayé de recueillir et de présenter, dans le livre que voici.
+
+De longues années de pratique médicale m'ont donné l'occasion de
+voir, sous des aspects très variés, la naissance et l'évolution de la
+«maladie». J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de traitement,
+anciennes et nouvelles. Pénétré, dès le début, de l'importance de la
+tâche qui m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir aucun parti
+pris d'école ni de doctrine, de ne rien rejeter ni de ne rien admettre
+sans l'avoir contrôlé, de borner toujours mon ambition à empêcher ou à
+soulager la souffrance par tous les moyens,--que l'idée de ces moyens me
+vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou non approuvés par les
+autorités du moment, qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier ou à
+celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru déjà une grande partie
+de ma route, il m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter les
+autres de tout ce que mon expérience, ainsi acquise, pouvait contenir
+d'intéressant et d'utile pour eux.
+
+C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout le monde. Je n'ai pas
+voulu en faire une thèse scientifique, mais plutôt quelque chose
+comme ces _Conseillers de la Santé_ que l'on était assuré de trouver,
+autrefois, au chevet du lit de nos grands-parents. Laissant aux ouvrages
+spéciaux l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs extérieurs
+où notre organisme est sans cesse exposé, je m'en suis tenu aux
+différentes manifestations de ce que j'appellerai, d'un terme général,
+la «maladie», en entendant par là cette rupture de l'équilibre normal
+de nos forces, cette dépréciation plus ou moins complète de notre
+capital biologique, qui se produit, tôt ou tard, dans l'existence
+de chaque créature humaine, et s'exprime par une variété infinie de
+symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer les principales causes qui,
+aux différents âges, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent de
+compromettre ou de détruire la santé; et surtout j'ai essayé de montrer,
+au fur et à mesure, par quels moyens ces causes peuvent être évitées, ou
+leurs mauvais effets heureusement réparés.
+
+Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être le lecteur, accoutumé aux
+complications savantes de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité
+même lui semblera peut-être avoir quelque chose de révolutionnaire.
+C'est un danger que j'ai prévu, et que, certes, je n'affronte pas de
+gaîté de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon livre qui ne dérive,
+à la fois, d'une expérimentation méthodique et de réflexions patiemment
+mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque chose, en une matière
+aussi variable et aussi délicate, je suis sûr de l'efficacité des
+avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. Puissent-ils
+seulement être entendus, et porter leur fruit!
+
+
+Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant ouvrage
+de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur _Les Origines de la «maladie»_
+(1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de n'avoir pas pu en citer certaines
+pages qui s'accordent avec les idées que j'ai moi-même exprimées sur
+plusieurs points, et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop
+d'importance aux symptômes en pathologie.
+
+
+
+
+LA LUTTE POUR LA SANTÉ
+
+
+
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LE CAPITAL BIOLOGIQUE
+
+
+
+L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les connaissances humaines,
+un rôle considérable; ce n'est une nouveauté pour personne, mais cette
+vérité nous a été récemment rappelée, et exposée avec une clarté
+nouvelle, par le remarquable travail de M. Poincaré, intitulé: _La
+Science et l'Hypothèse._ Il y est démontré que ni les mathématiques,
+ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient exister si elles
+n'avaient pour point de départ des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré,
+plusieurs sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables, et, une fois
+confirmées par l'expérience, deviennent des vérités fécondes; les
+autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous être utiles en
+fixant notre pensée; d'autres enfin (comme le _postulatum_ d'Euclide) ne
+sont des hypothèses qu'en apparence, et se réduisent à des définitions
+et à des conventions déguisées». Plus encore que les sciences dites
+exactes, les études biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse,
+car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que «nous n'y savons le
+tout de rien.»
+
+Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser les sciences
+biologiques, mais simplement pour m'aider à fixer ma pensée, je
+demanderai, à mon tour, qu'on m'accorde une sorte de _postulatum_, qui
+nous aidera à nous rendre compte de la plupart des phénomènes de la
+biologie et de la pathologie.
+
+Voici ce _postulatum_:
+
+Je supposerai que chaque être, en naissant, reçoit un certain capital
+d'énergie vitale, de la valeur et de l'emploi duquel dépendront et
+sa santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts variables
+suivant chaque individu et suivant chaque période de la vie. J'ajouterai
+que ce capital peut être, à toute période de la vie, amoindri par une
+cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit sont également
+variables aux diverses périodes de la vie.
+
+Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent travail sera
+d'étudier, d'un bout à l'autre de la vie, la meilleure manière de faire
+valoir ce capital, et de le défendre contre les influences qui ne
+cessent pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on appelle les
+«causes morbigènes», et leurs assauts sont ce qu'on appelle les
+«maladies».
+
+L'homme malade est donc, dans notre hypothèse, celui qui vient de subir
+une de ces diminutions de son capital biologique: d'où il résulte que,
+avant d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous devons d'abord
+envisager le capital initial, et les causes qui en font varier la
+valeur.
+
+Considéré au point de vue théorique, c'est-à-dire en négligeant les
+influences qui peuvent le faire accidentellement diminuer, le capital
+initial est comparable à la force qui lance un projectile dans l'espace.
+Or, les mathématiciens savent exactement quelle doit être la courbe
+parcourue par le projectile, du moment qu'ils connaissent la vitesse
+initiale et la masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi,
+prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si nous pouvions
+connaître exactement le capital de vie qu'il apporte en naissant. Mais
+le fait est que, chez les différents êtres humains, le capital initial
+varie dans des proportions si énormes que nous ne pouvons guère nous
+flatter d'en avoir une notion précise.
+
+Pour des causes que nous chercherons à analyser, il y a des êtres chez
+qui le capital initial est nul: ce sont eux qui meurent en naissant,
+ou un ou deux jours après leur naissance, sans «maladies» ni lésions
+appréciables; tels certains enfants de syphilitiques, qui meurent parce
+qu'il n'ont pas la force de vivre.
+
+A l'autre extrémité de l'échelle se placent les aristocrates de la
+santé, doués d'un capital énorme, et qu'on voit atteindre à des âges
+avancés sans avoir jamais été malades, sans avoir jamais pris de
+précautions spéciales pour conserver leur santé. Ainsi, j'ai connu, non
+comme médecin, mais comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze ans,
+et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre indisposition. On peut
+même dire qu'il est mort sans «maladie»; il a tout simplement cessé
+de vivre, comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse de
+progresser et rentre dans l'immobilité.
+
+Entre ces deux extrêmes se trouve une variété infinie d'intermédiaires;
+et l'on peut dire qu'il n'y a pas deux personnes ayant le même capital
+biologique initial.
+
+Cependant les différences dans le capital initial ne sont pas si grandes
+qu'on ne puisse, tout au moins, en déterminer les causes principales,
+dont l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance majeure. Ces causes
+peuvent être groupées sous trois chefs:
+
+1° Les influences héréditaires;
+
+2° La valeur actuelle des générateurs au moment de la conception;
+
+3° Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation.
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+HÉRÉDITÉ
+
+
+
+L'hérédité tient une place considérable dans tous les problèmes de la
+vie; et, comme l'indique bien l'étymologie du mot _hoerere_, (être
+attaché), tout être vivant est relié à un long passé ancestral.
+Les végétaux eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le souci des
+horticulteurs n'est-il pas de créer, par de savants procédés de culture
+et d'habiles sélections, des types capables de transmettre par hérédité
+certaines qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au jour où, quand
+ils ont voulu trop profondément ou trop vite forcer la nature, la plante
+revient à son état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été trop
+surmenée. Et les mêmes observations sont familières aux éleveurs qui
+cherchent à perfectionner les races d'animaux domestiques.
+
+Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant que la constitution
+organique, la manière d'être physique ou mentale, se transmet des
+parents aux enfants ou aux descendants.
+
+L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui constitue les grands
+traits de caractère si différents de chaque race; c'est elle qui fait
+que les vertus, les vices, les passions, les haines, se transmettent
+dans le sein des familles aussi bien que la beauté, la couleur des yeux,
+la taille, etc. Souvent elle est directe, c'est-à-dire qu'elle provient
+du père ou de la mère; parfois elle saute une ou deux générations;
+d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le type d'un parent de
+la ligne collatérale qui prend la place. Mais il est rare que, dans le
+cours de la vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque.
+
+Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout temps. Dans son langage
+imagé, la Bible nous dit qu'«il a encore les dents agacées, celui dont
+l'ancêtre de la septième génération a mangé des raisins verts.» Si
+cette parole était l'expression exacte de la vérité, elle serait bien
+décevante, car elle paralyserait tous les efforts destinés à lutter
+contre les tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement
+protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des tares héréditaires; et la
+vérité est que l'influence de l'hérédité est modifiée grandement par la
+tendance qu'a tout être vivant à retourner à son type primitif, comme
+aussi par les influences du croisement, en vertu desquelles l'un des
+générateurs peut rectifier la tare transmise par son partenaire. Ce
+n'est que quand les deux générateurs ont les mêmes tares que l'hérédité
+sévit avec son maximum d'intensité; et alors non seulement les tares
+s'ajoutent, mais elles semblent se multiplier l'une par l'autre,
+au point de rendre l'enfant incapable de soutenir la lutte pour
+l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a pas la force de transmettre la
+vie. Ainsi s'éteignent les familles par les «maladies» héréditaires, à
+moins qu'un des membres de la race déchue, revenant pour ainsi dire
+au type primitif, ne porte en lui une force de réaction
+insoupçonnée,--héritage peut-être d'un passé plus lointain,--qui lui
+permette de reconstituer la famille.
+
+Telles sont les considérations générales qu'il m'a semblé utile
+d'indiquer, parce qu'il en pourrait sortir un grand nombre de
+conclusions pratiques pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent
+que j'insiste sur quelques détails plus particuliers.
+
+D'abord, l'hérédité de la longévité.
+
+Il est des familles où l'on meurt vieux, de père en fils. On dirait des
+horloges remontées pour sonner à peu près le même nombre d'heures. Il
+est d'autres familles où tout le monde meurt jeune, sans cependant qu'on
+puisse incriminer des «maladies» spéciales. Pourquoi? Force est bien de
+le dire, nous ne le savons pas.
+
+Notons, en passant, combien sont erronées les théories qui attribuent
+à l'homme moyen une longévité moyenne, calculée d'après l'époque de la
+soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la croissance: suivant les
+calculs de Flourens, cette moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est
+là une simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune observation
+sérieuse.
+
+Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur des moyennes de ce
+genre, et sur le calcul des probabilités, que sont basés les statuts des
+compagnies d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable de supputer
+la longévité probable d'un individu donné, quand on est en mesure
+d'apprécier son capital biologique et la façon dont il sait s'en servir.
+Mais dire que l'homme est bâti pour vivre cent ans, parce que, dans les
+espèces animales, la longévité a cinq fois la durée de la croissance,
+et que, chez l'homme, la durée de la croissance est de vingt ans, c'est
+établir une théorie sur des bases absolument fragiles.
+
+Plus importantes encore que la plus ou moins grande longévité des
+parents, sont, pour nous, certaines particularités de leur état
+pathologique, qui retentissent d'une façon souvent très profonde sur la
+valeur de leurs enfants.
+
+On sait, par exemple, les influences néfastes de l'alcoolisme
+héréditaire, qui non seulement restreint la natalité, mais condamne ceux
+qui naissent à une mort rapide.
+
+La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire, elle semble la
+favoriser, et tout le monde connaît, en effet, de ces nombreuses
+familles fauchées par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs
+s'obstinent à mettre au monde de nouvelles victimes: aucune ne survit, à
+moins qu'un traitement médical bien compris ne vienne mettre fin à cette
+lamentable situation [1].
+
+[Note 1: Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette
+polynatalité des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on
+serait tenté d'appeler la loi de protection des faibles.
+
+N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres sans
+défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction
+auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde animal. Les
+animaux puissants, armés pour la défense ou pour la lutte, sont toujours
+de médiocres générateurs; l'éléphant, par exemple, ne donne naissance
+qu'à un nombre très restreint d'individus, la femelle porte longtemps;
+même remarque pour le lion. Au contraire, les animaux sans défense, se
+multiplient avec une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les
+lapins d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette
+colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de toute
+mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau pour
+l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de moyens
+ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se cacher. Dans
+l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples admirablement
+bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas d'enfants? Nous ne
+parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, enfants; car ici intervient
+un autre facteur, la restriction volontaire; mais de ces ménages
+exemplaires, où la venue d'un enfant serait une joie, et qui restent
+stériles, sans que rien dans l'état des conjoints explique cette
+stérilité.
+
+Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point de vue de
+la santé, mettent au monde de nombreux enfants, qui bien souvent
+constituent pour eux une richesse négative. Ces malheureux portent le
+beau nom de prolétaires _(proles, race)_.
+
+Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini.
+Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi tel couple ne
+donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à des garçons?
+C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique de la mère était
+sensiblement inférieure à celle du père. Quand il y a une disproportion
+marquée entre les deux générateurs, l'enfant qui naît a le sexe du
+générateur qui vaut le moins.
+
+Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine de vie et
+de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque toujours un
+garçon.
+
+Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles s'observe
+pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans défense: elles
+pullulent partout, on les trouve sous toutes les latitudes, à toutes les
+altitudes; au contraire, celles qui se défendent, ont ce qu'on appelle
+en botanique des «aires» très limitées.
+
+Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi: les métaux qui
+se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément parce qu'ils
+sont rares et incorruptibles (mais non incorrupteurs) que l'homme les
+a pris comme représentant la valeur du travail. L'or, par exemple, que
+rien n'attaque, est plus rare que les métaux qui s'oxydent facilement,
+tels que le fer, le cuivre.
+
+Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une rareté
+qui lui donne tout son prix.
+
+C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids aux
+lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.) que résulte
+un équilibre presque stable dans le monde des êtres créés.]
+
+La syphilis est un des principaux facteurs de dégénérescence. On
+commence seulement à connaître l'étendue de ses ravages. On sait
+aujourd'hui qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les fait mourir
+avant leur naissance, ou le jour même de leur naissance; qu'elle se
+traduit plus souvent encore, dans les deux premiers mois qui suivent la
+naissance, par des accidents contagieux; que, dans les premières années
+de la vie, elle entraîne la mort par méningite (méningite spéciale que
+l'on prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse, et qui serait
+justiciable d'un énergique traitement anti-syphilitique).
+
+On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la syphilis des
+générateurs provoque, à l'âge de huit, dix, quinze ans, des dystrophies,
+parfois des accidents tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce sont
+là des curiosités scientifiques.
+
+Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle proportion la syphilis
+des parents diminue la valeur biologique des enfants en apparence bien
+nés, c'est son influence sur les produits de la deuxième et même de la
+troisième génération. C'est là la science de l'avenir[2].
+
+[Note 2: Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de
+la syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons
+laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les
+efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes vérités.
+
+Il existe une _Société internationale de prophylaxie sanitaire et
+morale_ contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles, et
+ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc., qui
+toutes poursuivent un but commun: faire connaître les méfaits des
+«maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du possible et par
+tous les moyens possibles.
+
+La société française est certainement l'une des plus actives: sous la
+vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur Fournier, elle a
+déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est fondée.
+
+Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies,
+dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et des
+nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle, l'opinion
+publique commence à s'intéresser au redoutable problème, on ose
+envisager en face la syphilis, on ose prononcer son nom, et tout fait
+espérer que l'action de la Société de prophylaxie sera au moins aussi
+utile que celle des ligues contre l'alcoolisme et la tuberculose.
+
+Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on ne
+modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la tuberculose?
+Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre état social, tant qu'il
+y aura l'affreuse misère et la promiscuité. Tandis qu'on peut beaucoup
+contre la syphilis, «maladie» évitable s'il en fut, «maladie»
+essentiellement curable. Mais il faut la faire connaître dans tous les
+milieux, son danger provenant de l'ignorance. C'est surtout contre cette
+ignorance que lutte la Société française de prophylaxie sanitaire et
+morale à laquelle devraient être affiliés tous les gens de bien, toutes
+les personne soucieuses de l'avenir de la nation.]
+
+L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable qu'on se plaisait à le
+dire? Non. Voilà, du moins, ce qu'affirment la science expérimentale et
+l'observation des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux. Mais,
+dans la pratique, il serait sage de se conduire comme si la tuberculose
+était héréditaire: 1° parce que les enfants de tuberculeux sont,
+par cela même qu'ils vivent dans un milieu contaminé, exposés à
+la contagion[3]; 2° parce que l'enfant, s'il n'hérite pas do la
+tuberculose, hérite incontestablement de la prédisposition à devenir
+tuberculeux. Il ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable: de
+sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension qu'avaient
+nos pères au sujet de l'hérédité de la tuberculose était parfaitement
+légitime.
+
+[Note 3: Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de
+tuberculeux a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est de
+prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore sains,
+pour les faire élever à la campagne dans des familles saines. C'est
+ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre la
+tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre
+scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à
+sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; elle a
+fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des demandes
+des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre la nécessité de se
+séparer de leurs enfants encore sains pour les confier à des familles
+de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés par ses médecins,
+et offrant toutes garanties de moralité. Cette Oeuvre, bienfaisante à
+plusieurs titres, est en outre _économique:_ chaque pupille ne coûte
+en effet qu'un franc par jour, parce que tous les dévouements sont
+gratuits. Cette faible somme d'un franc, bien employée, sans aucune
+fuite, sert ainsi les intérêts de deux familles et sauve la vie d'un
+enfant.]
+
+L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée. Tout est obscur dans
+la question du cancer: son étiologie, ses modes de transmission, ses
+variétés d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes ces
+incertitudes, malgré les belles promesses de la sérothérapie, de la
+vaccination anti-cancéreuse, et de la radiothérapie.
+
+En résumé, l'hérédité est le principal facteur de la valeur biologique
+des individus. Chacun, de par son hérédité, naît avec une valeur
+différente: l'inévitable inégalité sociale existe non seulement le jour
+de la naissance, mais le jour même de la conception.
+
+C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la différente valeur des
+différents organes. Beaucoup naissent avec un organe plus faible que les
+autres, de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir compte
+de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il se trouve en face d'un
+malade quelconque.
+
+Les organes qui subissent le plus notablement la tare héréditaire sont:
+le système nerveux, le coeur, et les reins.
+
+_A_) Les tares nerveuses se transmettent avec une constance redoutable;
+et c'est à juste titre qu'on craint les alliances avec des sujets
+dont les parents sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme
+exagéré.
+
+Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de l'hérédité nerveuse
+à des limites excessives: car, ainsi que je l'ai dit, nous devons
+compter avec une sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle l'être
+naissant est débarrassé de sa tare ancestrale; l'hérédité n'est jamais
+absolument fatale. Et nous devons prévoir aussi les atténuations que
+peuvent amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse du père peut
+très bien être atténuée par le bon équilibre nerveux de la mère, le
+croisement bien compris entraînant une sorte de régénération. Enfin, il
+est certaines «maladies» nerveuses qui ne se transmettent jamais par
+hérédité: telle la paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme est
+mort dans un asile, par le fait de la paralysie générale, il ne faut pas
+conclure que ses descendants soient menacés de folie, ou même de tares
+nerveuses. Le paralytique général a pris la «maladie» uniquement pour
+son compte, et il ne la transmet pas plus que ne transmettrait sa tare
+nerveuse un homme qui serait, accidentellement, empoisonné par le plomb.
+Tout ce qu'on peut dire du paralytique général, c'est que, neuf fois sur
+dix, c'est un syphilitique, et que sa descendance peut être entachée de
+syphilis au même titre que la descendance d'un syphilitique quelconque.
+
+_B_) L'hérédité des cardiopathies est également très intéressante à
+étudier: elle n'est pas assez connue.
+
+Il y a des familles dans lesquelles tous les membres succombent aux
+affections cardiaques. C'est donc que, là, les enfants apportent, en
+naissant, un point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose
+curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne devient perceptible,
+chez ses divers membres, qu'à des âges plus ou moins avancés. Vers
+trente ans, l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou sept ans
+plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre, tout en ayant le coeur
+sain à l'auscultation, succombera par le coeur, dans le cours d'une
+pneumonie. «La «maladie» était au poumon, et le danger au coeur»
+(Huchard). Un troisième membre mourra à cinquante ans, à son quatrième
+accès d'angine de poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la
+moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre affection capable
+de déterminer des lésions cardiaques. Enfin un quatrième aura de la
+tachycardie paroxystique. Et tout cela parce que la mère des quatre
+enfants aura eu, avant la naissance du premier, le coeur touché
+accidentellement par le rhumatisme; je connais même une famille où
+l'hérédité remonte à deux générations: presque tous les membres de cette
+famille sont des cardiopathes.
+
+C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale mérite d'être signalé au
+même titre. On connaît l'albuminurie héréditaire et familiale: mais les
+récents travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont démontré, en
+outre, qu'une mère atteinte de néphrite donne naissance à des
+enfants dont les reins sont moins résistants aux infections et aux
+intoxications, ou même sont altérés au point d'entraîner la mort dès les
+premiers jours de la vie. De plus, chacun naît avec une prédominance de
+tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le système nerveux qui
+présente un développement hors de proportion avec les autres systèmes
+organiques; chez d'autres, c'est le système musculaire.
+
+Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement parler, des malades,
+ni même des candidats à la «maladie»; ils peuvent avoir un excellent
+capital biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas commettre
+de fautes dans la direction à leur conseiller. Et nous retrouverons
+cette importante donnée quand nous parlerons des grands problèmes de
+l'éducation.
+
+Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette singulière
+prédominance d'un des côtés du corps sur l'autre que l'on observe chez
+la plupart des malades? En général, c'est le côté gauche qui est le plus
+faible; c'est lui qui est le siège des névralgies, des pneumonies, des
+misères variées que les malades accusent; c'est lui qui est le plus
+faible au dynamomètre; et tout le monde sait que la main gauche est, en
+général, moins habile que la main droite; le langage courant traduit
+cette infériorité, en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile. Chez
+d'autres, au contraire, c'est le côté droit du corps qui est le siège de
+toutes les douleurs névralgiques, rhumatismales, sans pour cela que
+ces malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir recherché la part de
+l'hérédité dans cette répartition inégale de l'influx nerveux, que je ne
+fais que signaler en passant.
+
+Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de voir, et qui doit en
+former pour nous la conclusion pratique, c'est que, pour difficile que
+soit la connaissance précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être n'y
+a-t-il pas de point sur lequel l'attention du clinicien doive se porter
+plus soigneusement! En présence d'un malade, notre premier effort
+doit être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses parents; et les
+résultats de cette première enquête doivent toujours nous être présents
+à l'esprit, tout dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais
+surtout quand nous aurons à diriger sa santé.
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+CONCEPTION
+
+
+
+L'influence de la valeur actuelle des générateurs, au moment de la
+conception, est à peine soupçonnée, et le fait est qu'il serait bien
+difficile de la démontrer; elle doit être, cependant, considérable, et
+il y a tout lieu de croire que la valeur d'un individu à naître varie
+du tout au tout selon qu'il a été conçu dans de bonnes ou de mauvaises
+conditions.
+
+Depuis longtemps, les médecins protestent contre les voyages de noces.
+On ne saurait trop faire campagne contre cette coutume, tout au moins
+antihygiénique. Considérez, en effet combien s'accumulent les conditions
+déplorables pour la procréation, chez deux conjoints dont le système
+nerveux a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires du
+mariage, par la fatigue des journées consacrées à sa célébration, par
+les émotions inséparables de cet acte important de la vie! Et voilà ces
+jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour un voyage lointain,
+qui s'exposent à des fatigues de toute sorte, à la déplorable
+alimentation de l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de
+résidence tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions que, sans
+recueillement, à la légère, ils accomplissent l'acte qui doit donner _la
+vie_.
+
+Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte conjugal s'opère à la
+suite de repas copieux, dans des conditions non moins déplorables.
+
+Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion de la jeune femme,
+trop souvent surprise par les conditions nouvelles de l'existence
+qu'elle a adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait le
+professeur Pinard: «En plein XXe siècle, nous procréons comme les
+hommes des cavernes.»
+
+Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose que d'appeler
+l'attention sur un mal dont presque personne ne soupçonne l'importance,
+en dehors du monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi dire,
+d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra le danger.
+
+Appelons aussi l'attention sur un point délicat: sur la nécessité de
+faire l'éducation de la jeune fille, pour qu'elle sache ce qu'est le
+grand acte de la procréation.
+
+Je vois d'ici les mères françaises frémir, et s'armer en guerre les
+bataillons de ceux qui confondent la pudeur avec la pudibonderie. Nul
+doute, cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans nos moeurs, à
+cet égard, et dans tous les milieux sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler
+ce que dit la Bible, dans le livre de _Tobie_, chapitre VII? Le fils
+du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël, allait épouser Sara,
+fille de Raquel, laquelle avait vu mourir subitement ses sept premiers
+maris, aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour lui éviter
+pareil sort, l'ange donnait au jeune homme les conseils suivants: «
+Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'elles
+bannissent Dieu de leur coeur et de leur esprit et qu'elles ne pensent
+qu'à satisfaire leur brutalité, comme les chevaux et les mulets qui sont
+sans raison, le démon a pouvoir sur elles. Mais pour toi, après que tu
+auras épousé cette fille, étant entré dans la chambre, vis avec elle en
+continence pendant trois jours, et ne pense à autre chose qu'à prier
+Dieu avec elle! La troisième nuit étant passée, tu prendras cette fille,
+dans la crainte du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants
+plutôt que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part à la
+bénédiction de Dieu.»
+
+Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend pas, pour procréer, plus
+de précautions qu'à l'époque des premières ardeurs; c'est également une
+faute dont se ressent le produit de la conception.
+
+Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de la procréation. Ce
+traité, conçu dans un esprit large, libéral, scientifique, qui tiendrait
+compte de tous les éléments du problème, c'est-à-dire non seulement du
+point de vue médical, mais aussi de l'élément passionnel, répondrait à
+un véritable besoin.
+
+Et un chapitre, et l'un des plus importants, devrait y être consacré
+au traitement préventif de la syphilis héréditaire. Combien d'hommes
+atteints de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, ignorent les
+bienfaits d'un traitement spécifique, qu'ils suivraient deux ou trois
+mois avant de se marier, pour préserver leurs enfants de la terrible
+«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer ce traitement
+préventif, alors même qu'ils savent que le générateur a eu la syphilis!
+Mais je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet.
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+GESTATION
+
+
+
+Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant la gestation, nous
+n'avons aucune donnée précise à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par
+exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse pénible, voire même
+des vomissements incoercibles, donnât naissance à un enfant plus
+spécialement faible; inversement même, bien des femmes d'une santé
+médiocre ont des grossesses superbes. J'étonnai fort une malade, un
+jour, en lui disant qu'elle ne devait aller bien que pendant ses
+grossesses. C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, et que la
+grossesse devait lui produire l'effet d'une sangle, en soutenant les
+organes. Mais il n'est guère vraisemblable qu'un état de santé
+aussi artificiel, et aussi transitoire, soit, pour le produit de la
+conception, un brevet de santé future.
+
+Par contre, les «maladies» de la mère pendant la grossesse ont une
+influence bien connue sur la valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne
+provoquent pas l'avortement, elles impriment à l'enfant une tare.
+
+J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif. Une jeune femme, au
+quatrième mois de sa première grossesse, avait eu une appendicite si
+nettement caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher, et
+moi-même, avions été sur le point de provoquer l'intervention d'un
+chirurgien. La malade avait pu, cependant, être traitée médicalement:
+mais l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance une intolérance
+intestinale véritablement anormale. Une première nourrice, choisie par
+l'accoucheur, lui a donné un lait qui a semblé trop fort, car l'enfant a
+eu, dès le deuxième jour, de la diarrhée verte et des vomissements. Dans
+l'espace de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours choisies
+avec le plus grand soin, n'ont pas eu plus de succès: à chaque nouvelle
+nourrice, vomissements, fièvre ardente, diminution rapide du poids.
+Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix des nourrices idéales, on
+était bien obligé de donner à l'enfant du simple lait de vache coupé;
+alors il allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait très
+vite, la vie revenait: de telle sorte que, après ces quatre tentatives
+d'allaitement par le lait de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin,
+pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet enfant a probablement
+un intestin extrêmement délicat, à cause de l'appendicite de sa mère
+pendant la gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé coupé!»
+Et il eut raison; grâce à d'infinies précautions, à une surveillance
+méthodique, l'enfant put être élevé.
+
+Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends pas faire le
+panégyrique de l'allaitement artificiel: je ne le cite que pour prouver
+comment la «maladie» d'un organe de la mère pourrait bien avoir une
+répercussion sur le fonctionnement du même organe, chez l'enfant qu'elle
+porte en son sein.
+
+Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions de la mère, pendant la
+grossesse, peuvent avoir un retentissement sur la qualité du produit.
+Et de là dérive le devoir strict, pour la société, de protéger la femme
+enceinte. Quelques philanthropes l'ont bien compris; mais cette notion
+n'a pas assez pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est un
+scandale, pour une nation civilisée, de voir le peu qui est fait pour
+assister la femme enceinte, pour lui épargner les soucis de l'avenir
+prochain et les fatigues des derniers jours de la gestation.
+
+Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme. S'ils naissent avant
+terme par le fait de la «maladie» des générateurs, de la syphilis par
+exemple, leur valeur biologique est sensiblement réduite, et peut même
+être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant terme accidentellement,
+par exemple à la suite d'une chute de leur mère, ou d'une intervention
+obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup moins compromis qu'on ne
+le croit dans le public non médical. Le tout est de leur assurer une
+température qui se rapproche de celle qu'ils avaient dans le sein
+maternel.
+
+Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les modèles de couveuses
+artificielles. Ces appareils, certes, peuvent rendre des services; mais
+il ne faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer, en préservant
+l'enfant du froid, ce qui s'obtient: 1° en chauffant convenablement sa
+chambre, et en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en sachant
+l'alimenter dès sa naissance. Ce second problème est difficile; pour
+le résoudre, il faut se rappeler une grande loi que nous retrouverons
+plusieurs fois dans le cours de cette étude, et qui consiste à
+proportionner la valeur nutritive de l'aliment, et le nombre de prises
+alimentaires, à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant terme,
+on donnera donc, toutes les demi-heures, une cuillerée à café de lait,
+coupé de 2/3 d'eau bouillie sucrée.
+
+L'enfant va naître; quel préjudice lui cause l'accouchement au forceps?
+Nous ne pouvons pas nous défendre de redouter, pour notre part, la
+compression colossale qu'impose l'application du forceps à la masse
+cérébrale de l'enfant. Mais l'étude approfondie de cette question, qui
+aurait pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a pas encore été
+faite, à notre connaissance du moins, d'une façon suffisante. En tout
+cas, on est en droit de considérer comme coupable une intervention au
+forceps faite pour gagner du temps, ou pour faire valoir l'importance
+des soins obstétricaux.
+
+
+
+CHAPITRE V
+
+LES INFLUENCES MORBIGÈNES ET LES SYMPTOMES MORBIDES
+
+
+
+L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne ne le sait, sauf dans
+les cas extrêmes où il vient au monde avec des apparences tellement
+misérables que, dès son premier vagissement, son infériorité saute aux
+yeux; c'est ce qui arrive chez les hérédo-syphilitiques, et rien n'est
+aussi navrant que l'apparition du petit monstre aux lieu et place d'un
+enfant bien vivant, attendu avec une légitime impatience. Il faut avoir
+assisté à ce spectacle pour en comprendre la poignante horreur. Tout le
+monde, sauf la mère, s'accorde alors à penser qu'il vaudrait mieux que
+l'enfant ne fût pas né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible
+de savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec lui; c'est son
+secret, qu'il gardera pendant toute la durée de son existence, mais que
+le médecin parviendra cependant à deviner en partie, s'il sait fouiller
+l'hérédité de son malade et s'inspirer des quelques principes que nous
+avons esquissés à grands traits dans le chapitre précédent.
+
+L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être une «lutte pour la
+santé», une suite d'efforts, volontaires ou instinctifs, pour défendre
+son capital naturel de santé contre les «influences morbigènes» qui vont
+le guetter à chaque pas.
+
+Ces influences morbigènes, que l'être vivant va rencontrer sur sa route,
+depuis le jour de sa naissance jusqu'à la fin de sa carrière, nous
+allons tout de suite les esquisser à grands traits.
+
+Au début, nous avions assimilé, pour les besoins de la théorie, l'être
+humain à un projectile lancé dans l'espace avec une vitesse initiale
+déterminée; mais, tandis que le projectile parcourt une courbe
+mathématique, qu'on appelle une parabole, la courbe évolutive de l'être
+humain est une courbe irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une
+influence morbigène survient, puis remonte pour osciller de nouveau,
+puis fléchir définitivement à partir d'un certain moment de la vie que
+nous appellerons le début de la période de déclin, et toujours avec des
+oscillations à amplitude de moins en moins considérable, jusqu'au moment
+où toutes les réserves se trouvent épuisées.
+
+La mort peut encore interrompre brusquement la courbe évolutive; c'est
+ce qui arrive quand la brèche faite au capital est irréparable, soit
+à cause de l'importance de l'assaut perturbateur, soit à cause de
+l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux influences se
+combinent; et le nombre de leurs combinaisons est incalculable.
+
+La variété des causes morbigènes est elle-même infinie; mais la nature
+n'a qu'un nombre limité de moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte
+que les causes les plus variées peuvent se traduire par les mêmes
+symptômes. Aussi accordons-nous relativement peu de valeur à l'étude
+du symptôme. Les symptômes s'associent de mille et une façons, pour
+constituer autant déformes morbides différentes. Que dis-je? Il n'est
+pas deux malades qui se ressemblent, Ce n'est que pour la facilité de
+l'étude que les pathologistes ont créé des cadres posologiques; mais
+on comprend assez que ces cadres devraient être aussi élastiques
+que possible. Le vrai médecin, après s'en être servi pour faire
+d'excellentes études, ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire
+abstraction, de penser et d'agir comme si les cadres n'existaient
+pas. Et un moment viendra même, quand son expérience clinique sera
+suffisante, où il aura tout intérêt à faire table rase des notions qu'il
+a péniblement accumulées par un travail assidu et prolongé; tout comme
+l'architecte, qui, une fois la construction terminée, fait enlever les
+énormes échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction de
+l'édifice.
+
+Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides est indispensable au
+clinicien, et l'on ne saurait apporter trop de soins à connaître, dans
+tous leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais il y a
+un écueil: c'est que, la théorie du moindre effort s'appliquant
+naturellement à l'esprit humain, on a une tendance involontaire à
+attribuer aux symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont pas; en
+d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une manifestation morbide
+devient, trop aisément, dans l'esprit du médecin, la cause de la
+«maladie».
+
+Prenons comme exemple la constipation: ce n'est en réalité qu'un
+symptôme, et qui peut se trouver chez une foule de malades différents.
+Nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est d'origine
+mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque, etc.). Un mot cependant, en
+passant, pour dire que le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces
+causes mécaniques, et de traiter par des moyens médicaux des malades
+dont une intervention chirurgicale aurait pu prolonger la vie ou
+atténuer les souffrances.
+
+Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires de la chirurgie,
+n'est-il pas vrai que la constipation est un symptôme banal, pouvant
+être attribué à une foule de causes? Parfois, elle est due à des lésions
+d'organes lointains, par un mécanisme réflexe à long circuit, suivant
+l'ingénieuse expression de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions
+utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, elle est due à
+un trouble profond du système nerveux, qui, avant l'apparition de la
+constipation, avait traduit son malaise par des plaintes variées.
+D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même temps que
+l'entéro-colite sa compagne, à la suite d'un choc brutal, moral ou
+traumatique.
+
+De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due tantôt à un manque,
+tantôt à un excès d'exercice musculaire. Les hommes qui ont besoin de
+beaucoup d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant les
+prédispositions héréditaires, ou des cérébraux, ou des goutteux, ou
+des lithiasiques, mais toujours des constipés: et leur constipation
+disparaît a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis de
+l'exercice qui leur convient. Inversement, les hommes qui prennent trop
+d'exercice deviennent dyspeptiques et constipés, et le lit est leur
+meilleur laxatif.
+
+Enfin la constipation peut tenir à une erreur de régime, soit à l'abus
+du lait (le cas est fréquent), soit à l'usage abusif de la viande: alors
+le régime semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer de
+régime pour voir disparaître la constipation.
+
+La constipation n'est donc qu'un symptôme.
+
+Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des répercussions à
+distance, en vertu de ce principe que le système nerveux abdominal a des
+relations intimes avec le système nerveux central, que, d'une façon plus
+générale, le trouble d'un département quelconque du système nerveux
+retentit sur les autres départements, la constipation, bien que
+symptomatique, contribue dans une certaine mesure à entretenir la
+«maladie», ne fût-ce que par la préoccupation qu'elle cause au malade,
+et qui peut dégénérer quelquefois en véritable obsession. Mais ce qu'il
+faut se rappeler, quand on aborde le problème thérapeutique, c'est que
+le système nerveux est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien nous
+accorder que la solidité d'une chaîne est égale à celle du plus faible
+de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a à rechercher quel
+est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du
+système nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guérir le constipé
+médical.
+
+Il n'y a donc pas de remède contre la constipation, et, pour
+l'atteindre, il faut atteindre la «maladie», dont elle constitue une
+des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite,
+les plus faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler paradoxal,
+j'affirme que la constipation est, de tous les symptômes observés chez
+le constipé médical, celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade
+qui souffre, depuis des années, de ces misères variées qu'on est
+convenu de désigner sous le nom un peu vague de neurasthénie, et
+parmi lesquelles la constipation joue un rôle capital; après enquête
+minutieuse, trouvez la formule exacte de son régime, et par régime je
+n'entends pas seulement le régime alimentaire, mais la réglementation
+minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail
+cérébral, etc.; supprimez les agents thérapeutiques qui entretiennent la
+«maladie» (douches froides, exercice forcé, médicaments variés, diète
+lactée); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble
+nerveux de son intestin, à savoir les purgatifs, lavages à grande eau,
+etc.: et vous serez étonné de voir la constipation disparaître, avant
+même toutes les autres misères. Le malade vous dira, au bout de huit
+jours: «Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tête, de
+l'estomac, du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence à retrouver
+le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma
+constipation, si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je n'ai
+presque plus de peaux dans les selles, et je commence à reprendre
+confiance.» A partir de ce moment précis vous tenez le malade, il a en
+vous une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner méthodiquement,
+si surtout des influences étrangères ne viennent pas contrecarrer la
+vôtre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entièrement
+à votre direction, vous lui rendrez, peu à peu, la santé. Il aura des
+rechutes inévitables: mais lui annoncer à l'avance ces rechutes,
+c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins
+importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne tracée par vous:
+s'il commet un écart de régime, un excès d'exercice, ou s'il a une
+commotion morale, l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée d'état
+gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fièvre
+quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez à
+lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui faire
+comprendre que cette rechute était évitable.
+
+Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous
+verrions qu'elle appartient, de même, à une foule d'affections. Le mal
+de tête, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus
+variés, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses?
+Heureusement pour les malades, il n'est encore venu à l'idée de personne
+de trouver un remède applicable à tous les cas de mal de tête. Nous
+en connaîtrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le
+divulguer: car, si la médecine «du symptôme» est détestable au point de
+vue de l'étude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue
+thérapeutique.
+
+Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptôme, ou un
+ensemble de symptômes (ce qu'on appelle un _syndrome_): on y trouve
+toujours en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans mon article
+_Epilepsie_ du _Dictionnaire Encyclopédique_, j'ai essayé de montrer
+combien il faut se méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir
+une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique utile des
+épileptiques. De même, en lisant ces jours-ci une intéressante étude du
+Dr Baraduc sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon, j'y
+voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on
+en juge par les quelques lignes que voici: «L'entéro-colite
+muco-membraneuse est un syndrome clinique dépendant d'un trouble
+fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et
+variées étant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de
+troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, à
+elle seule, pour produire l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité
+une prédisposition spéciale du système nerveux, et plus particulièrement
+du sympathique abdominal, à se troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette
+prédisposition nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire, est
+l'apanage des neuro-arthritiques.» Si l'auteur voulait bien avouer
+seulement que cette expression de «neuro-arthritiques» ne fait que
+dissimuler notre ignorance, nous serions tout à fait d'accord avec lui.
+
+En résumé, si le médecin doit bien connaître dans tous leurs détails,
+sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations
+morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie, et ne pas
+s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En un mot, il doit voir de haut
+pour voir loin, à condition toutefois de ne pas se perdre dans les
+nuages.
+
+Quelquefois, tous les systèmes organiques sont troublés à la fois sous
+l'influence d'une cause morbigène. C'est ce qui arrive, par exemple, à
+la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain,
+le blessé devenir à la fois dyspeptique, déséquilibré abdominal,
+constipé avec entérite muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et il
+peut rester longtemps dans ce misérable état qu'on désigne sous le nom
+d'_hystéro-neurasthénie traumatique._
+
+La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent également à la
+fois, tous les appareils de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la
+sidération peut être telle que le capital vital initial et les réserves
+antérieures se trouvent tout à coup épuisés: c'est la banqueroute
+totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les réserves ne sont
+que profondément entamés. C'est la «maladie» grave, aggravée encore par
+des médications et des pratiques intempestives; à un moment donné, le
+capital peut être réduit à si peu de chose, que la moindre dépense
+suffit pour l'anéantir. Le malade est une flamme vacillante que le
+moindre souffle peut éteindre, mais à laquelle un savant dosage
+d'oxygène rendra, peu à peu, la vie.
+
+Quand le capital est moins profondément atteint, ou quand la cause
+morbigène est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu
+d'être généralisés, atteignent plus spécialement tel ou tel organe:
+l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de
+l'hérédité ou par le fait d'une atteinte antérieure. Mais, en vertu de
+la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne
+reste pas longtemps limité à un organe ou à un système organique. Voyez
+le grand neurasthénique: il est à la fois dyspeptique, entéralgique,
+cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a été le premier
+atteint? Impossible de le dire, après deux ou trois ans de «maladie».
+Cependant une enquête bien conduite peut permettre souvent de
+reconstituer son histoire pathologique, de voir par où la «maladie» a
+commencé, quel était le point initial. Et c'est de la connaissance de ce
+point faible initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique.
+Le médecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il
+aura découvert, sans négliger, cependant, les perturbations secondaires
+attribuables à la synergie des fonctions de tout être vivant.
+
+Il arrive même, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les
+réserves sont bonnes, que le trouble de la santé ne se traduit que par
+un nombre très limité de symptômes, parfois même par un seul. Ainsi il
+y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont,
+comme manifestation morbide que le symptôme constipation, d'autres qui
+n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne
+clinique, et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il faut,
+presque de parti pris, les éliminer, et chercher au delà de la
+manifestation monosymptomatique. Presque toujours, alors, ou trouvera
+que la «maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence.
+
+De même que, dans une compagnie de chemins de fer, une irrégularité
+dans le service, minime en apparence, dénonce, si elle se renouvelle
+fréquemment, une mauvaise direction générale, de même, en biologie, il
+n'est pas d'indispositions insignifiantes, si limitées soient-elles à
+tel ou tel organe. L'apparition d'une douleur à l'épaule, par exemple,
+qui paraît une affection bien locale, est l'indice d'une perturbation
+plus profonde qu'on ne le croit du système nerveux central.
+
+Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est toute une doctrine qui
+est contenue dans cette affirmation; c'est que en effet c'est le système
+nerveux central qui à notre avis est le grand réservoir de l'énergie.
+C'est par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous
+sommes. C'est lui qui dirige le fonctionnement de tous les organes,
+de sorte que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement, la
+névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation spinale, la folie, la
+névropathie généralisée, etc., mais encore les troubles de circulation
+vaso-motrice des différents organes. En dernière analyse, il est la
+clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations se traduisent par
+les symptômes les plus variés, au point d'égarer presque fatalement le
+diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. Quelles que soient donc
+la forme, la gravité, l'apparence de la manifestation morbide, c'est
+toujours le système nerveux central qu'il faudra étudier, c'est sur lui
+que devra porter le grand effort thérapeutique.
+
+Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du malade et surtout la
+cause ou la série de causes qui ont fait fléchir momentanément son
+système nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa valeur
+biologique.
+
+Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont multiples. Il en est qui
+appartiennent à tous les âges, mais d'autres qui appartiennent plus
+spécialement à un âge déterminé.
+
+Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude, c'est d'après ce plan que
+nous passerons en revue les principales de ces causes morbigènes. Nous
+les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain: 1° depuis le jour
+de la naissance jusqu'au sevrage; 2° du sevrage à la puberté; 3° de la
+puberté à l'âge adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes
+phases du déclin; 6° pendant la vieillesse.
+
+Nous introduirons, en outre, des subdivisions, suivant que les
+influences pathogènes atteignent plus spécialement: 1° le système
+nerveux digestif; 2° le système nerveux musculaire; 3° le système
+nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie, nous mentionnerons
+les affections accidentelles qui portent atteinte à la fois à tous
+les systèmes organiques: nous voulons parler des «maladies» aiguës
+(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des intoxications
+(syphilis, intoxications alimentaires, etc.), toutes affections qui, par
+la brutalité de leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des
+gens du monde et de beaucoup de médecins, mais qui, en réalité, ne
+constituent que la partie la moins importante de la pathologie, surtout
+au point de vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera,
+j'espère, que cette formule n'est paradoxale qu'en apparence[4].
+
+[Note 4: Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont
+inévitables et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être
+vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui constituent
+le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail, en même temps qu'il
+dessinera à grands traits toute la pathologie, effleurera forcément
+les problèmes afférents à l'hygiène et a la thérapeutique, en d'autres
+termes, à la gestion du capital.
+
+L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté,
+l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun, constituée
+essentiellement par le capital initial, et par les intérêts qu'il
+rapporte.]
+
+
+
+CHAPITRE VI
+
+DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE (PUÉRICULTURE)
+
+
+
+Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou faible et qu'il sera
+bien ou mal géré, l'être vivant sera sain ou malade, donnera ou ne
+donnera pas son maximum de rendement, fournira ou ne fournira pas la
+carrière qui lui était originairement dévolue.
+
+Dans les premières années de la vie, la gestion du capital appartient
+tout entière aux parents. Bien peu savent élever leurs enfants; et s'il
+est des connaissances qu'on devrait répandre à profusion dans tous les
+milieux sociaux, ce sont celles relatives à la «puériculture», d'autant
+que les règles en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le démontre
+le _Traité de Puériculture_ du professeur Pinard, qui devrait être entre
+les mains de toutes les mères de famille.
+
+Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science de la puériculture.
+
+Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à tout propos et
+hors de propos, l'alimenter intelligemment, lui épargner toute
+médicamentation meurtrière, le préserver du froid et des changements
+brusques de température: et c'est tout.
+
+Si seulement on savait la manière d'économiser les vies d'enfants, on
+pourrait le faire dans les milieux en apparence les plus défectueux;
+c'est ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de MM.
+Schneider, la mortalité des enfants au-dessous d'un an n'est que de 110
+p. 1000, alors que, dans le canton de Vaud, renommé pour l'excellence
+de ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000. Ce magnifique
+résultat est dû surtout à l'élévation des salaires, qui permet aux mères
+de se consacrer librement à leur mission maternelle. Près de 80 p. 100
+des mères allaitent leurs enfants, toutes font de la puériculture avant
+la naissance. (_Rapport_ de M. le professeur Pinard, à l'Académie de
+médecine, 25 juillet 1905.)
+
+Il est bien évident que le capital initial ne suffit pour entretenir la
+vie que pendant quelques jours; il a besoin d'être sans cesse renouvelé
+et augmenté, pour permettre de faire des réserves, de donner à
+l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de transmettre la vie à
+son tour. C'est l'aliment qui pourvoit à ce besoin incessant; et par
+aliment nous entendons non seulement ce qui entre dans le tube digestif,
+mais aussi l'air, que les anciens définissaient très justement le
+_pabulum vitae_.
+
+Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa quantité, par une
+répartition vicieuse, la «maladie» ne tarde pas à naître; c'est là la
+cause essentielle de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait
+croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise alimentation du
+premier âge retentit sur toute la vie pathologique de l'individu.
+Quelques médecins le disent, le crient même, mais c'est dans le désert;
+la plupart le nient, ou passent indifférents à côté de cette vérité
+profonde. Quant aux gens du monde, ils en soupçonnent à peine
+l'importance.
+
+La vérité est que, quand un enfant a été mal nourri loin de sa famille,
+quand il revient de nourrice avec un gros ventre, on peut affirmer que,
+toute sa vie, il sera un valétudinaire.
+
+Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle de gens incompétents,
+ou quand, poussée par son médecin, qui veut mettre à l'abri sa
+responsabilité, une mère consent à abandonner les doux devoirs de
+la maternité et à confier à une nourrice l'enfant qu'elle aurait dû
+allaiter, quand à cette nourrice en succèdent deux ou trois autres,
+sous des prétextes quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de
+l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être insupportable, puis
+un écolier de quatrième ordre, dans son adolescence un raté,
+incapable de payer sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. Ces
+considérations doivent être présentes à l'esprit du clinicien qui, se
+trouvant en face d'un malade quelconque, arrivé à un âge quelconque,
+doit chercher à connaître ce que vaut ce malade.
+
+On comprend donc l'importance du problème de l'alimentation dans la
+première enfance. En principe, comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de
+la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut faire quelque chose
+qui soit puissamment efficace et fructueux, il est nécessaire, il est
+indispensable de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, et
+ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot, il faut permettre à la
+mère de donner ce qu'elle possède.» (_Rapport_ du professeur Pinard à
+l'Académie, juillet 1905.)
+
+Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir, il faut recourir
+immédiatement à l'alimentation artificielle, soit avec le lait stérilisé
+du commerce,--dont l'innocuité est quotidiennement démontrée par les
+résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville, au dispensaire
+très habilement dirigé par M. le Dr Variot,--soit encore avec le lait de
+vache bien surveillé, fraîchement et proprement trait, sucré, plus ou
+moins étendu d'eau, puis stérilisé dans la famille, avec des appareils
+Sosclet, ou mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire».
+
+C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette «Goutte de lait»
+de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait servir de modèle à toutes
+les institutions du même genre, à cause de la simplicité de son
+organisation.
+
+Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, maire de
+Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un subside de trente mille francs mis à
+sa disposition par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait» a déjà
+rendu d'importants services: elle a fait tomber la «maladie» des enfants
+de 0 à 1 an de 288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile le
+plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000.
+
+La consultation des nourrissons a lieu tous les dimanches matin, dans
+un local mis à la disposition de l'Oeuvre par la municipalité de
+Saint-Pol-sur-Mer: 120 enfants, en moyenne, sont présentés tous les
+dimanches.
+
+Les mères arrivent par séries, et se réunissent dans une grande
+salle chauffée où elles déshabillent leurs enfants. Elles pénètrent
+successivement dans la salle de consultation. Chaque enfant est pesé,
+puis examiné par le médecin, qui compare le poids actuel à celui du
+dimanche précédent, l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson,
+et fixe le régime pour la semaine qui va commencer. Toute mère reçoit,
+soit un important secours _en nature,_ si l'enfant est nourri au
+sein,--car on fait tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement
+maternel,--soit des biberons de lait _pasteurisé_, si l'enfant est à
+l'allaitement mixte ou artificiel.
+
+Le lait est distribué tous les jours au local de l'Oeuvre. Chaque enfant
+à l'allaitement artificiel a un double jeu de biberons et de paniers,
+qui lui sont personnels. En venant chercher les biberons prescrits, la
+mère remet ceux que l'enfant a vidés la veille. Un seul homme suffit
+pour assurer tout le service.
+
+Le lait est distribué gratuitement à tous les enfants indigents. Fourni
+à l'Oeuvre à son prix coûtant, il provient des étables du Sanatorium de
+Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans avoir été préalablement
+soumise à l'épreuve de la tuberculine.
+
+Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé Coutant:
+c'est-à-dire que, dans le biberon même où la mère devra l'utiliser pour
+son enfant, le lait est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement
+refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement brusque a été
+rendu possible par la contexture même du verre des flacons.
+
+Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes pathogènes, et, à
+l'inverse du lait stérilisé à 110°, a conservé toutes ses propriétés
+digestives et nutritives.
+
+Après la pasteurisation, les biberons restent plongés dans des bacs
+remplis d'eau froide, jusqu'à la livraison aux mères.
+
+La pathologie infantile est relativement simple. Faut-il donc, comme on
+le propose de divers côtés, faire faire à tous les étudiants en médecine
+un stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier aux mystères de
+cette pathologie? Remarquez que d'autres médecins demandent un stage
+spécial pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées; d'autres
+encore un stage pour l'étude des «maladies» nerveuses, sans parler de
+ceux qui voudraient un stage pour les «maladie» des yeux, des organes
+génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, pour celles des oreilles
+et du nez? et, à ce compte, combien de temps dureraient les études
+médicales? Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils étaient
+praticables; mais ils auraient pour effet de restreindre plus que de
+raison le nombre des futurs médecins, et de remplacer la pléthore
+médicale actuelle par une anémie encore plus regrettable.
+
+Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est qu'il lui reste
+beaucoup _à apprendre_, c'est que toute sa vie de praticien ne sera pas
+trop longue pour savoir lire dans le grand livre de la nature. Mais il
+nous semble que, pour ce qui concerne en particulier la pathologie des
+enfants, un peu de bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments,
+de la patience, suffisent pour faire de bonne thérapeutique infantile,
+quand, par ailleurs, on connaît les lois générales de la pathologie.
+
+Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants, je me rappelle
+avoir été appelé en consultation, en province, pour un enfant de six
+mois soigné par deux distingués confrères. Il avait, depuis cinq jours,
+une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement rapide. Pendant les
+trois quarts d'heure que dura mon enquête, je vis cet enfant passer
+successivement des bras de sa mère dans ceux de la nourrice _sèche_,
+puis dans ceux d'une tante affolée, le tout pour calmer les faibles cris
+qu'il avait encore la force de pousser. J'appris que ce manège durait
+depuis deux jours, que l'enfant avait pris du calomel, trois fois de
+grands lavages intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, à
+grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai simplement de mettre
+cet enfant dans son berceau et de l'y laisser, de lui appliquer sur le
+ventre un large cataplasme, de le laisser à la diète absolue pendant
+quatre heures puis de lui donner de l'eau panée, et de le laisser dormir
+si le sommeil pouvait venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé,
+l'enfant avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait
+naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau de riz; je conseillai
+de ne pas trop déranger l'enfant, de ne plus explorer son ventre. Le
+surlendemain, il prenait du lait écrémé pur, et j'appris qu'il avait
+retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé mit fin à la grave alerte, et
+aussi à la «maladie», qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime
+de soins trop empressés.
+
+Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le grand secret de la
+thérapeutique consiste à savoir réchauffer les enfants, tout en les
+tenant à la diète absolue pendant six ou douze heures, puis au régime
+«avec restriction des liquides» pendant deux ou trois jours.
+
+Avouons cependant que, parfois, les problèmes de pathologie infantile
+sont très difficiles à résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui
+ne supportait aucun lait de femme, pris en n'importe quelle quantité.
+D'autres fois, les enfants s'empoisonnent avec le lait même de leur
+mère. C'est, tout simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois;
+mais il faut quelquefois chercher longtemps pour trouver cette cause si
+simple. On ne se figure pas le nombre d'enfants qui ont des indigestions
+chroniques, parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout quand ils sont
+nourris par de plantureuses mercenaires qu'on ne sait comment tonifier,
+dans la pensée de donner plus de forces au précieux rejeton.
+
+Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies» des enfants est
+tellement difficile que les spécialistes se déclarent incompétents. Que
+d'erreurs de diagnostic commises à propos des méningites! Et comment
+aussi interpréter le cas suivant? Sans cause connue, un enfant d'un
+an, bien élevé au sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient
+grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre. Les jours suivants,
+la fièvre augmente, une pâleur inquiétante s'étend sur la face, un
+amaigrissement rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage; puis, au
+bout de quelques jours, sans qu'on ait rien fait que de laisser l'enfant
+bien tranquille, l'appétit revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout
+rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en consultation n'ont pas
+pu étiqueter cette «maladie», ni se prononcer sur son issue; mais,
+tous ayant eu le bon esprit de ne pas aggraver la situation par une
+médication intempestive, tout s'est terminé pour le mieux, et l'enfant a
+gardé son secret.
+
+La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de diagnostic n'est
+pas aux médecins, mais aux difficultés des problèmes cliniques. En les
+dénonçant, nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de la science:
+bien au contraire, ce que nous voulons dire, c'est qu'en thérapeutique
+infantile il faut avant tout de la sagacité, et que, dans certains cas,
+il faut que le médecin sache reconnaître son incompétence.
+
+Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une revanche éclatante,
+et c'est alors que le médecin est en droit de se féliciter d'avoir fait
+de bonnes études de pathologie générale.
+
+Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui vient bien pendant les
+six premières semaines; puis voici que, tout en continuant à prendre
+ardemment le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements, son poids
+cesse d'augmenter; il diminue de 200, de 300 grammes en quelques jours.
+Qu'est-ce à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique. Le
+traitement mercuriel, sous forme de liqueur de Van Swieten, de frictions
+mercurielles, ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose de 3 à
+5 milligrammes par jour, fait merveille et rétablit entièrement cet
+enfant.
+
+Nous avons dit plus haut combien souvent la méningite, qu'on croit
+tuberculeuse, et qui survient de deux à cinq ans, est d'origine
+syphilitique. Déjà en 1872, quand nous faisions nos études à
+Montpellier, le regretté professeur Fonsagrives nous disait qu'il avait
+sauvé beaucoup d'enfants, atteints de méningite tuberculeuse, en leur
+donnant de l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il s'agissait de
+méningites syphilitiques. Mais pour formuler un diagnostic de méningite
+syphilitique, pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen de
+l'enfant, soit par une enquête sur les parents, ne faut-il pas que le
+médecin ait beaucoup travaillé, beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle
+n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit se contenter de
+faire de l'expectation armée, il peut, dans beaucoup de cas, rendre aux
+enfants malades des services inappréciables.
+
+Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile, à un enfant atteint de
+pneumonie; de l'immersion alternative dans l'eau chaude et dans l'eau
+froide d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire, sinon
+que, dans certaines circonstances, le médecin opère ainsi de véritables
+résurrections?
+
+Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le rôle social du médecin,
+bien au contraire, ni introduire dans l'esprit des jeunes confrères un
+scepticisme infécond: ce que nous voulons, c'est leur dire qu'il ne faut
+pas se spécialiser dans l'étude de la pathologie infantile, et que, pour
+bien soigner un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout qu'il faut
+souvent savoir s'abstenir.
+
+En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en étant compliquée, comme
+tout ce qui touche au problème de la vie, nous semble être relativement
+simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un tube digestif percé
+aux deux bouts».
+
+Plus nous allons voir l'être humain avancer dans sa carrière, plus vont
+devenir nombreux et compliqués les problèmes de la vie. Le système
+nerveux ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une conditions
+défavorables qu'impose à l'homme le milieu cosmique vont imprimer à son
+capital biologique des dépenses qu'on ne peut certainement pas évaluer
+mathématiquement, mais qui se traduiront par une diminution de sa
+valeur. La vie ne va être de plus en plus qu'une série d'oscillations,
+de luttes entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les causes de
+destruction de l'être vivant; bref, un état d'équilibre instable, la
+santé n'étant qu'un bel accident passager.
+
+
+
+CHAPITRE VII
+
+DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ
+
+
+
+Il est logique d'introduire une subdivision dans ce chapitre, et
+d'étudier d'abord l'enfant de deux à sept ans, d'autant que, à cette
+période de la vie, il n'y a pas à tenir compte de la différence des
+sexes.
+
+I
+
+Pendant cette période, la nutrition a son activité maximum, l'enfant
+améliore son capital, accumule les réserves; mais il faut bien savoir
+qu'il a aussi des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux doit
+être dépensé pour faire connaissance avec le monde extérieur, pour
+apprendre le sens des mots, la notion des distances, etc.! On est
+effrayé en pensant au travail cérébral que supposent ces acquisitions.
+
+De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant toute fuite
+nerveuse inutile. Il faut presque se borner à le faire «boire, manger,
+dormir; manger, dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant de
+cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne devrait le réveiller. Pour
+démontrer combien peu d'enfants ont leur dose _optima_ de sommeil,
+prenez au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier jour,
+dormir à volonté; il s'octroiera douze heures de sommeil. Le lendemain,
+il se réveillera après onze heures, le surlendemain et les jours
+suivants après dix heures. C'est donc que, au moment précis où
+l'expérience a commencé, il avait un arriéré de besoin de sommeil.
+
+Quant au problème de l'alimentation, il est relativement simple, et
+l'expérience des mères de famille répond à la plupart des indications.
+L'enfant doit manger quatre fois par jour; mais, en général, il mange
+trop vite. Les parents devraient, pour leur usage personnel et pour le
+bien de leurs enfants, se rappeler qu'il existe des glandes salivaires
+sécrétant, chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par jour, et
+que, si une bonne digestion commence dans la cuisine, elle se continue
+dans la bouche.
+
+En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le moins d'influences
+nocives; et un peu de surveillance suffit pour que l'enfant se porte
+bien.
+
+Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent, en général, d'une
+façon bénigne, quand elles ne sont pas troublées par une thérapeutique
+incendiaire. De là la faible mortalité afférente à l'âge que nous
+étudions, dénoncée par les tables qui servent de base aux calculs des
+Compagnies d'assurances sur la vie.
+
+Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, scarlatine,
+rougeole, angine, il se rétablit avec une rapidité contrastant avec la
+lenteur de la convalescence chez l'adulte, et encore bien plus chez le
+vieillard. Voyez, par exemple, une angine herpétique! Elle occasionne
+chez l'enfant de tumultueux symptômes: de la fièvre, du délire; mais,
+au bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, quatre jours
+après, l'enfant paraît aussi bien portant qu'avant. Chez l'adulte, au
+contraire, le même nombre de points d'herpès sur la gorge provoque un
+état maladif moins tumultueux, mais qui se termine par une convalescence
+de quinze jours à un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou
+tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement nécessaires à l'enfant
+convalescent, doué de plus d'élasticité.
+
+A partir de sept ans s'esquisse, chez certains enfants, une
+différenciation qui ira s'accusant d'année en année. Un oeil attentif
+va percevoir si l'enfant appartient au type _musculaire_ ou au type
+_cérébral_. Le _musculaire_ est cet enfant actif, aimant à jouer,
+turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention pour un quart d'heure
+de suite, n'ayant, par conséquent, aucun goût pour l'étude telle qu'elle
+lui est imposée. Le _cérébral_ est l'enfant réfléchi, n'aimant pas les
+jeux bruyants, et dont l'esprit est en avance notable sur celui des
+enfants de son âge. A chacun de ces deux enfants conviendrait une
+éducation différente; malheureusement, les nécessités sociales les
+soumettent, l'un et l'autre, à la même discipline pédagogique,--bien
+comprise, il faut l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour
+ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement en vigueur
+s'approche autant que possible de la perfection, il faut bien dire qu'il
+convient moins aux types extrêmes que nous venons de mentionner. Le
+petit _musculaire_, condamné à de longues heures d'étude, s'agite,
+s'inquiète, devient de plus en plus dissipé, et ne tarde pas à entrer
+dans la catégorie des enfants dits «paresseux». Sa santé physique peut
+ne pas souffrir outre mesure du régime compressif auquel il est soumis;
+il grandit, se porte bien en apparence; mais son cerveau est, pour ainsi
+dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement inférieur. Chez le petit
+_cérébral_, au contraire, l'éducation moyenne peut amener des troubles
+de la santé physique: les récréations bruyantes et agitées, imposées
+après les repas, les longues promenades hebdomadaires, l'insuffisance
+du sommeil, une alimentation mal adaptée à son tube digestif, très
+vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la longue; et, d'un enfant
+qui aurait pu donner les plus belles espérances, la pédagogie officielle
+fait un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en un mot un
+malade.
+
+Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle? Oui, dans les cas
+extrêmes et dans des circonstances exceptionnelles.
+
+Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation collective et le
+surmenage cérébral imposé par nos programmes amènent les plus fâcheuses
+conséquences, pour le présent et pour l'avenir, c'est celle des enfants
+que l'hérédité n'a pas préparés au travail cérébral. Tels ces fils
+de cultivateurs qui ont une longue hérédité terrienne, et que leur
+intelligence hâtive semble désigner comme particulièrement aptes aux
+études supérieures. Ce sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils
+arrivent aux écoles supérieures: mais ils y arrivent malades, et seront
+malades toute leur vie.
+
+De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les «maladies» accidentelles
+sont presque inévitables, à cause de la promiscuité des enfants dans les
+écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité. Ce ne sont pas
+elles qui diminuent sensiblement le capital biologique individuel. Les
+fautes commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une bien plus grande
+importance.
+
+Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës qui ressemblent plus
+ou moins à la fièvre typhoïde, et qui sont dues à des indigestions! En
+général, l'hygiène alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée.
+Les enfants mangent trop vite, comme nous l'avons dit plus haut; et,
+très souvent, ils mangent trop, précisément parce qu'ils mangent trop
+vite, la sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction
+brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire mal élaborée. D'autre
+part, de trop nombreux parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on mange
+qui profite, mais ce qu'on assimile, se figurent qu'il faut que l'enfant
+mange beaucoup pour se donner des forces; et ce préjugé amène chez
+l'enfant des intoxications chroniques qui retentissent sur son système
+nerveux, sur sa croissance, jusqu'au moment où l'estomac surmené
+commence à protester. A partir de ce moment, le cercle vicieux est
+établi, et, si un régime alimentaire bien compris n'est pas institué,
+l'enfant devient un malade, et restera malade indéfiniment. C'est ce que
+M. le Dr Laumonier a très bien exposé dans un article du _Correspondant
+médical_ de 1905:
+
+Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils mangent
+beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil ne soit pas
+toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant on ne peut, à première
+vue, les accuser d'aucun trouble évident. Cependant, certains soirs
+principalement, ils se montrent tantôt plus énervés que d'habitude,
+tantôt plus abattus au contraire, et si, à ce moment, on prend leur
+température rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au
+delà. Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y
+paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance, et les
+parents se gardent bien, pour si peu de chose, de faire appeler le
+médecin; ils ont tort, car cette fièvre digestive est le symptôme
+de troubles fonctionnels d'assez grande importance, et qu'il est en
+conséquence nécessaire de soigner dès le début.
+
+Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de belle
+apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration de leurs
+parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et les belles couleurs
+disparaissent. Ils finissent ainsi par se transformer en enfants
+chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise haleine, présentant des
+alternatives de constipation et de diarrhée, souffrant parfois de
+douleurs stomacales vives; en un mot ce sont maintenant de véritables
+dyspeptiques.
+
+Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel extrême, pour
+ainsi dire, de troubles longtemps existants et dont les accès légers de
+fièvre digestive ont été l'un des premiers et des plus caractéristiques
+symptômes. Il suffit, pour s'en convaincre, de suivre avec quelque
+attention l'évolution progressive des phénomènes.
+
+Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles ont été,
+pendant leur première enfance, mal nourris, sinon comme qualité du lait,
+au moins comme quantité; en d'autres termes, leur ration a été trop
+copieuse. Puis, après le sevrage, ils ont été mis rapidement à la
+nourriture commune de la famille; ils ont mangé de tout, et trop;
+parfois aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du
+café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques.
+
+C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,--pas plus que l'homme,
+du reste--ne mange qu'à sa faim; toujours, ou presque toujours, à ce
+point de vue, la limite est dépassée. La quantité d'aliments ingérés
+est beaucoup plus une affaire d'habitude que de besoin réel, comme le
+prouvent manifestement les résultats du traitement imposé à ces petits
+malades. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent
+ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel les
+aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions digestives,
+stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales. D'où, d'une
+part, l'insuffisance et l'épuisement des glandes gastriques, la
+dilatation et l'atonie stomacales, et, d'autre part, la production des
+substances toxiques qui, résorbées, entraînent l'auto-intoxication et
+l'élévation thermique qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,--et
+c'est là un point essentiel,--que la fièvre digestive peut se produire
+et se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire et
+l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés;
+elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue un signe
+prodromique, avertissant que la limite digestive est dépassée, que
+l'estomac commence à se fatiguer, que l'auto-intoxication d'origine
+digestive est déjà manifeste.
+
+Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers de cet
+état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros foie... etc.,
+ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence; d'autres signes,
+plus incertains, dyspnée, terreurs nocturnes, manifestations cutanées,
+peuvent exister aussi, qui complètent la signification des premiers.
+Passons donc et arrivons au traitement.
+
+La première indication est de réduire la ration alimentaire à ce qui est
+strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge, le sexe, le poids,
+la taille, et de composer cette ration d'aliments faciles à digérer,
+fournissant le minimum de fermentation, tels que lait, oeufs, pain
+grillé, viande crue, purée de légumes. Sans en arriver au régime sec,
+qui a beaucoup d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la
+quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne qualité ou
+des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures hygiéniques générales,
+on assurera la liberté du ventre par des habitudes régulières ou à
+l'aide de quelques lavements tièdes, mais sans en abuser.
+
+
+DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE
+
+
+I.--CHEZ LA FILLE
+
+Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue un moment
+solennel dans l'existence. La plupart des mères de famille le savent,
+s'en inquiètent, mais ne connaissent pas les précautions à prendre. Ces
+précautions consistent à supprimer plus que jamais les fuites nerveuses.
+Ainsi, il convient alors de diminuer le travail cérébral, le travail
+musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la mettre à l'abri de
+toutes les influences qui, par action réflexe, retentissent sur son
+système nerveux (indigestions, coups de froid).
+
+Pendant les premières périodes menstruelles, le repos presque absolu au
+lit s'imposerait, si les règles étaient douloureuses ou trop abondantes;
+et un repos relatif s'impose même quand elles sont correctes. Ce qu'il
+faut bien savoir, c'est que l'anémie qui accompagne, en général, cette
+période de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, ni de
+la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, ce sont les
+précautions citées plus haut, et, par intervalles, quelques injections
+de cacodylate de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie. C'est là un
+des rares médicaments capables de rendre des services, à la condition
+formelle qu'il ne soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin.
+
+Une fois la menstruation établie, il ne faut pas s'inquiéter outre
+mesure si, pendant les premières années, les règles ne viennent pas à
+époques fixes, et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni
+douloureuses, ni trop abondantes.
+
+Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent de voir la santé
+des jeunes filles subir un assaut considérable, qui se traduit par de
+la chloro-anémie, avec état nerveux, suppression des règles, troubles
+dyspeptiques, constipation, etc.
+
+Les causes en sont multiples. Chez la jeune ouvrière, c'est, le plus
+souvent, le surmenage physique, la vie anti-hygiénique des ateliers,
+l'accumulation des privations. Dans d'autre milieux, c'est le fait du
+surmenage intellectuel pour l'obtention des brevets. Mais, plus souvent
+encore, ce sont les causes morales qui portent atteinte au système
+nerveux. C'est une vocation contrariée, une suite continue de petits
+malentendus avec la famille, avec la mère en particulier. La mère, ne
+se décidant pas à s'apercevoir que sa fille grandit, continue à vouloir
+exercer sur elle une autorité despotique, contre laquelle l'enfant se
+cabre en vain pendant de long mois, et dont elle souffre de jour en jour
+davantage.
+
+Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée, un mariage
+désiré qui se trouve rendu impossible par la volonté intransigeante des
+parents, ou par des circonstances indépendantes de toute volonté ou même
+c'est un vague et obscur besoin du mariage: pour suivre, en somme, les
+lois de la nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct de la
+maternité qui se rencontre chez la femme depuis son plus jeune âge, et
+se traduit, dans la première enfance, par le besoin de la poupée.
+
+Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement; puis, un jour,
+la «maladie» éclate, souvent à la suite d'une affection aiguë qui
+contribue à faire tomber brusquement la force de résistance du système
+nerveux.
+
+Si variés que soient les symptômes par lesquels le mal se traduit, la
+thérapeutique doit être la même. Elle consiste à ne pas aggraver la
+«maladie» par une médicamentation intempestive; ce ne sont ni les
+pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la douche froide qui
+pourront faire du bien à une jeune fille ainsi atteinte, ni même la
+suralimentation, malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut, c'est
+chercher la cause de la «maladie», et la supprimer ou l'amoindrir autant
+que possible.
+
+Quand c'est le surmenage physique, le repos absolu s'impose, et la jeune
+malade arrive très vite à la guérison. Quand le surmenage physique n'est
+pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus difficile que de doser le
+repos et l'exercice. Le plus souvent, le repos relatif est de rigueur.
+Dans d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en particulier, un
+exercice modéré, et même poussé assez loin, peut produire d'excellents
+effets. Le médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité de ce moyen
+thérapeutique, basera son jugement sur les résultats de l'enquête qu'il
+fera au sujet du passé de la malade, et il aura le droit de procéder par
+tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas graves où le repos absolu
+s'impose d'abord, rien n'est plus difficile que de doser l'exercice
+dès que la malade est capable de le supporter, mais le principe est de
+rester en deçà de ce que la malade peut donner.
+
+Quand la «maladie» de la jeune fille est due au milieu familial, le
+remède essentiel est de le lui faire quitter. Malheureusement, on attend
+souvent trop longtemps pour prendre ce parti radical; on attend que la
+vie soit devenue impossible, que la jeune fille ait perdu le sommeil,
+les forces, l'appétit, et soit dans un état d'excitation inquiétant. On
+l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie, où on lui
+impose le plus souvent, à notre avis, une séquestration trop radicale.
+Car la priver de toute visite, de toute correspondance, la soumettre à
+une discipline d'une sévérité exagérée, nous semble vraiment excessif.
+L'enfant se révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice
+relativement restreint. Elle prend sur elle pour simuler la guérison, et
+pour échapper à la tutelle des médecins; elle sort avec les apparences
+de la santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle retombe dans le
+milieu familial hostile, la «maladie» ne tarde pas à renaître de ses
+cendres, jusqu'au jour où une circonstance quelconque amène enfin un
+changement de vie radical, qui la guérit.
+
+Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, d'éloigner l'enfant, de
+temps à autre, du milieu familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui
+qui est l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente, soit
+même à une garde bien choisie, jusqu'au moment où on trouvera à la
+marier, chose qu'il ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui,
+dans bien des cas, est le remède par excellence? Pendant les absences de
+la jeune fille, l'état nerveux du milieu familial lui-même se calme, ce
+qui rend la vie commune acceptable par intermittences. Loin de nous,
+cependant, l'idée de porter atteinte à l'esprit de famille en proposant
+pareille mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle et
+comme un pis-aller, préférable souvent à la maison de santé, et, en
+définitive, moins onéreuse.
+
+Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource de la séparation,
+même momentanée. Heureusement, chez eux, les contacts entre parents et
+enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a toujours une certaine
+indépendance; elle n'est pas soumise à une tyrannie de tous les
+instants. En outre, son système nerveux est moins vulnérable, de sorte
+que l'influence néfaste du milieu familial est rarement une cause de
+«maladie». Nous connaissons cependant de jeunes ouvrières dont la
+santé a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel elles étaient
+condamnées à vivre: père alcoolique, qui les battait au retour de
+l'atelier, mère ou belle-mère acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre
+victime résiste tant qu'elle peut, jusqu'au jour où elle quitte avec
+éclat la maison paternelle, à moins que, victime résignée, elle ne voie
+peu à peu s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi une proie
+toute désignée pour la tuberculose, qui met fin à ses misères; souvent
+aussi sa déchéance se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile
+d'aliénés lui ouvre ses portes.
+
+D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation contrariée qui met
+la jeune fille en état de «maladie». Il n'y a pas à se le dissimuler,
+quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité des
+vocations religieuses, lorsqu'une vocation est sincère, toutes les
+entraves qu'on lui apportera ne serviront de rien. La jeune fille
+souffrira, deviendra de plus en plus malade, et force sera un jour de
+céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames intimes et ignorés, qui
+torturent même les familles chrétiennes; et le résultat final a toujours
+été le même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle a eu gain de
+cause.
+
+Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait respectueusement,
+depuis trois ans, contre sa famille, pour obtenir l'autorisation
+d'entrer au Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé de
+«maladie», restant des huit et quinze jours sans garde-robe, malgré
+l'hygiène intestinale la plus soignée, ne pouvant plus lire ni supporter
+une conversation; elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait plus
+quitter son lit, tant les forces physiques étaient diminuées. Gravement
+préoccupé de l'issue de cette «maladie», dont je connaissais la cause,
+je crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant l'avocat de la
+malade. Or, dès qu'elle eut obtenu l'autorisation sollicitée depuis si
+longtemps,--et que, par parenthèse, elle avait cessé de demander depuis
+un an, pour ne pas torturer sa famille,--nous vîmes la santé revenir
+avec une rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se remirent à
+fonctionner, et, un mois après, la jeune fille entrait au Carmel. Quelle
+ne fut pas notre stupéfaction d'apprendre que, le troisième jour, elle
+lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie et de bonne humeur!
+
+Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité des parents,
+il faut que cette autorité sache s'effacer devant la volonté ferme,
+réfléchie, bien arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et
+ajoutons que l'intérêt l'exige.
+
+Les mêmes considérations s'appliquent au cas où une jeune fille veut,
+envers et contre tous, épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf
+fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de ses parents, qui ont
+l'expérience de la vie. Mais l'expérience est semblable à un habit fait
+sur mesure, et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait. Aussi,
+lorsque, malgré les sages raisonnements, la jeune fille s'obstine et
+s'entête, estimons-nous qu'il faut lui céder après un délai raisonnable.
+On doit haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne.
+
+Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la jeune fille est victime
+de son tempérament, qui ne trouve pas dans les joies de la famille une
+satisfaction suffisante: elle éprouve le _besoin_ de se marier. C'est
+alors aux parents à l'aider dans son choix, car cet état d'âme peut
+amener la «maladie».
+
+Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, avant de se marier,
+subir un traitement médical; car elle n'a pas le droit de se marier en
+état de «maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait pas. Or
+il faut bien savoir que, au début de la vie conjugale surtout, elle
+n'a pas le droit d'être malade. C'est donc une raison de plus pour la
+soigner avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette cure est des
+plus simples: la cause de la «maladie» ayant disparu, et le capital
+biologique n'étant pas encore gravement entamé, le rôle de la
+thérapeutique se réduit à peu de chose.
+
+
+II.--CHEZ LE GARÇON
+
+
+Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte, les influences
+capables d'amener la «maladie» sont également multiples. Signalons,
+parmi les principales :
+
+I. Le surmenage scolaire;
+
+II. L'abus des sports;
+
+III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes solitaires et
+prématuration).
+
+I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, dont on a fait si grand
+bruit il y a quelques années? Les brillantes discussions de l'Académie
+de médecine n'ont pas empêché les programmes de se surcharger d'année en
+année; et ils se surchargeront encore davantage, cela est inévitable,
+c'est la loi même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir
+remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant surmenage ne nous
+effraie pas outre mesure, car il faut compter: 1° avec les nouvelles
+méthodes d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois; 2° avec une
+adaptation du cerveau des générations actuelles et futures à un travail
+cérébral plus considérable. N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui rend
+si dangereux le travail cérébral chez les «déracinés» dont nous avons
+dit un mot au chapitre précédent?
+
+Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des systèmes
+pédagogiques? Non. Le jeune homme ne travaille pas trop, mais il
+travaille mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne dort pas
+assez, et on n'a pas assez le respect de son sommeil: du sommeil qui
+dompte tout, suivant la forte expression d'Homère.
+
+Un groupe de médecins anglais vient de commencer une campagne de presse
+pour obtenir que l'élève des collèges anglais puisse dormir plus
+longtemps. Ils avaient été précédés dans cette voie par le Dr
+Chaillou[5], directeur de l'hygiène d'un grand établissement
+d'instruction, qui dès 1903, a eu l'idée excellente d'installer, dans le
+pensionnat, ce qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là, les jeunes
+gens fatigués momentanément vont, tout simplement, se reposer suivant
+leurs besoins; et jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de
+dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats aux écoles, et que
+l'intelligente discipline générale de la maison est de nature à prévenir
+tout abus.
+
+[Note 5: _Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans
+un grand collège moderne_, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut
+Pasteur. Paris 1903.]
+
+II. _Abus des sports_.--Si pour l'homme sain l'exercice est nécessaire
+à la santé, cet exercice, lorsqu'il est poussé à un degré excessif,
+devient un facteur important de «maladie».
+
+L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué, peut être poussé
+très loin sans provoquer d'accidents; c'est ainsi que, chez les
+professionnels des cirques, la santé se maintient excellente, comme j'ai
+pu m'en rendre compte par une enquête faite chez Barnum. Le médecin
+attaché à la troupe de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il
+n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre chirurgical.
+
+Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont _sélectionnés_, ce sont
+des professionnels: ils ne font pas autre chose que des tours de force;
+toute leur activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur ces
+questions d'exercice musculaire.
+
+Ajoutons que l'exercice est savamment gradué par des gens du métier, qui
+savent par expérience ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que
+les gens des cirques observent une sage hygiène; ils savent que tous les
+écarts se payent, et ils sont, à tous égards, d'une sobriété exemplaire.
+
+Tout autres sont les conditions dans lesquelles se trouve l'homme du
+monde qui fait du sport. Parfois il a une profession; c'est donc sur les
+loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, qu'il prend le
+temps de faire les exercices qui le passionnent; quand il n'a pas de
+profession, il est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée plus
+haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux qu'en exercice
+physique.
+
+Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du sportsman, c'est le
+_sport_, c'est-à-dire l'émulation qui existe presque fatalement entre
+ceux qui s'occupent avec passion d'exercices physiques, et qui fait que
+chacun d'eux veut devancer son voisin.
+
+Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver au surmenage; ce qui
+le fatigue, c'est de voyager en compagnie d'autres camarades, à cause de
+l'excitation qui se communique des uns aux autres, et qui les porte tous
+à donner plus qu'ils ne peuvent. L'escrime, souvent, n'aurait pas sa
+raison d'être, sans le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le
+danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se rappeler qu'il
+est pris, en général, dans un air confiné, qu'il exige une dépense
+considérable d'influx nerveux, une tension permanente de l'esprit, un
+excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra que c'est plus un
+exercice cérébral qu'un exercice musculaire, et que les gens qui croient
+se reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime sont bien vite
+détrompés. Le sage est celui qui, désirant se reposer du travail
+cérébral par l'exercice, s'attache aux exercices qui ne demandent pas
+d'attention, aux exercices automatiques dans lesquels la moelle seule
+intervient; marcher, ou mieux encore courir suivant les bons principes,
+scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, ramer, etc.
+
+L'automobilisme «tient le record» parmi les exercices qui épuisent le
+système nerveux; nous ne parlons pas, bien entendu, des hommes qui se
+servent de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, mais de ceux qui
+en font un moyen de distraction. Quelques-uns arrivent à une mentalité
+toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore reçu de nom, et
+qu'on pourrait appeler la folie de la vitesse: quand ils sont sur leur
+machine, ils ne voient que le ruban de route qui se déroule devant
+eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne voient point, ils
+n'entendent point: ce sont des mangeurs de kilomètres, ce ne sont
+plus des hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a pas besoin
+d'émulation, il se suggestionne lui-même, et devient le propre artisan
+de son délire.
+
+Mais les dangers des sports deviennent encore plus considérables quand
+ils sont pratiqués par des organismes en voie de formation, par des
+jeunes gens, par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait soufflé
+un vent, venu d'Angleterre, qui avait véritablement tourné la tête à
+certains hommes s'occupant des problèmes de pédagogie,--ou plutôt qui
+avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues subissaient le
+courant. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne parlait plus, dans les
+établissements scolaires, que de sports et de gymnastique. La culture
+intellectuelle paraissait devoir être mise au second plan. Mais on
+n'a pas tardé à voir qu'il y avait abus. Les excellents travaux du Dr
+Lagrange et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans la _Ligue
+des Pères de Famille_, ont mis un frein à cet engouement, qu'on ne
+rencontre plus que dans quelques institutions où l'on s'obstine à imiter
+l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos petits Français ne
+sont pas des Anglo-Saxons. Je me demande d'ailleurs si les petits
+Anglo-Saxons eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient
+bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres au pas gymnastique, sans
+progression et sans entraînement préalable, comme je sais qu'on en
+impose aux enfants dans les institutions dont je parle.
+
+III. _Déviations de l'hygiène sexuelle_.--Tous les pédagogues et tous
+les pères de famille soucieux de l'avenir de leurs enfants sont, à juste
+titre, préoccupés de l'important problème de l'éducation sexuelle; mais
+tous sont loin de le résoudre dans le même sens. Les uns estiment qu'il
+ne faut rien dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les autres,
+qu'il faut au contraire aborder le redoutable problème en face, et le
+plus tôt possible. La vérité, comme en bien d'autres circonstances, se
+trouve entre ces deux extrêmes.
+
+Il est bien certain qu'il faut que, à un moment donné, le jeune homme
+soit averti des dangers qu'il court en s'abandonnant à des aberrations
+de l'instinct génésique, ou encore à l'usage prématuré des fonctions
+sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse de bonne heure le péril
+vénérien. Mais quels moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père de
+famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il a suffisamment gagné
+la confiance de ses enfants, et s'il se sent capable de cette mission
+délicate; dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille que doit
+être dévolu ce soin; et, dans les pensions, lycées, institutions, c'est
+encore au médecin de la maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des
+professeurs qui vivent le plus avec les élèves.
+
+Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement collectif? La tentative
+a été faite, récemment, dans plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer
+qu'elle est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute attente.
+Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives partisan plutôt de
+l'enseignement individuel, compris dans un sens libéral, sous forme de
+causerie du professeur avec un petit nombre d'élèves.
+
+Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder devant les enfants ces
+délicats problèmes, le rôle de l'éducateur doit se borner à exercer
+autour d'eux une surveillance assidue, et à retarder le plus possible
+l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, il faut imposer
+à l'enfant de la fatigue physique, la pousser au maximum de la
+_tolérance_, dussent les études en souffrir momentanément. C'est de la
+bonne économie, sans cependant qu'on doive verser dans cet abus des
+sports que nous avons dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans
+tous les problèmes de l'hygiène, cette question de dosage, de mesure,
+qui comporte un nombre indéfini de solutions, d'après la variété des cas
+individuels.
+
+Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant à des aberrations de
+l'instinct sexuel sont moins grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont
+néanmoins considérables, et le capital nerveux de l'enfant est vite
+entamé par les habitudes vicieuses. De là ces formes vagues de
+neurasthénie avec difficulté pour le travail, timidité maladive,
+manque de confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés,
+amaigrissement, amoindrissement de la valeur du sujet. Un médecin
+éclairé ne s'y trompe pas. Il doit alors trouver moyen de prendre
+l'enfant à part, à la fin de la consultation, et lui dire à
+brûle-pourpoint, en le regardant fixement: «Mon ami, je sais la cause de
+votre mal!» Il faut ensuite provoquer quelques aveux _discrets_, et la
+consultation doit se terminer par une promesse formelle de l'enfant
+de se corriger. La psychothérapie, en ce cas, vaut mieux que les
+médications pharmaceutiques les plus savantes: elle manque bien rarement
+son effet et elle peut être grandement aidée, dans certains cas, par la
+psychothérapie hypnotique, dont nous parlerons plus loin.
+
+Quant au danger que fait courir la prématuration des fonctions
+sexuelles, c'est chose certaine que tout usage de ces fonctions devient
+un abus, tant que l'organisme n'a pas atteint son complet développement.
+L'être humain ne devrait aborder l'acte destiné à perpétuer la vie qu'à
+partir du moment où il est, lui-même, en pleine possession de toute
+sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence n'est pas
+préjudiciable. La question a été étudiée à fond, et résolue dans le même
+sens par les moralistes et par les hygiénistes. La continence n'est
+presque pas pénible, elle ne le devient que si des excitations
+factices ont éveillé de trop bonne heure l'instinct sexuel. Elle est
+recommandable au point de vue moral; elle entretient, chez le jeune
+homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer, «le respect de la
+femme»; et, à vrai dire, c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri
+des contaminations vénériennes.
+
+Le grand public commence à connaître le péril vénérien, et, surtout, à
+oser en parler. On ne saurait croire combien l'ingénieuse trouvaille de
+M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'_avarie_ la plus redoutable des
+«maladies» vénériennes, la syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion
+publique. Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et nous
+aimerions aussi voir employer le terme de «petite avarie» pour désigner
+la blennorragie, dont les méfaits sont plus considérables que ne le
+croit le public, et même que ne le croient beaucoup de médecins.
+
+Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel les jeunes gens sont
+le plus souvent contaminés. Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier,
+c'est beaucoup plus tôt qu'on ne se le figure généralement; et
+non seulement à Paris, mais partout, ainsi que le démontrent les
+statistiques de _toutes_ les armées, qui enregistrent beaucoup plus de
+«maladies» vénériennes à la première année de service qu'aux années
+ultérieures, parce que, parmi les malades enregistrés à la première
+année, figurent tous ceux qui étaient contaminés avant leur entrée au
+régiment.
+
+Nous ne saurions trop recommander à ce sujet la lecture et la méditation
+de l'excellente brochure du professeur A. Fournier: _Pour nos fils quand
+ils auront dix-huit ans_. En quelques pages s'y trouvent nettement
+indiquées, et sans aucune exagération, la gravité du péril vénérien, la
+conduite à tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour l'éviter.
+Cette brochure est bonne à lire, elle est nécessaire et suffisante aux
+conférenciers qui veulent répandre la vérité.
+
+Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de la syphilis. C'est
+toujours une «maladie» grave, quelquefois elle est très grave, et cela
+dès les premiers mois qui suivent son apparition. Elle se traduit alors
+par les plus importants symptômes de la déchéance organique, céphalée
+violente, anémie aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile de
+dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital biologique un déchet
+énorme. Heureusement le traitement mercuriel intensif est là pour
+réparer, dans une certaine mesure, le désastre.
+
+D'autres fois, la syphilis amène chez le malade de telles préoccupations
+morales qu'elle devient un danger imminent. L'angoisse peut même
+conduire au suicide. Il faut que le médecin et le père de famille
+connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner la victime, dans
+la mesure nécessaire. Mais dans tous les cas la syphilis, cause
+d'amoindrissement énorme de la valeur du sujet, devra être traitée
+énergiquement, dès le début et pendant un temps prolongé,--au moins
+quatre ans,--par des traitements successifs.
+
+Chez la jeune fille, la syphilis est également à redouter. Nombre de
+jeunes filles de la classe ouvrière connaissent tout ce qui est relatif
+aux questions vénériennes; elles n'en ignorent que le danger. C'est à
+leur usage que j'ai écrit naguère une petite brochure intitulée: _Pour
+nos filles_. Les services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas
+comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente brochure du
+professeur Fournier; et si je la mentionne, ce n'est certes point par
+une enfantine vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a
+affirmé qu'il était bon de la faire connaître.
+
+
+III--CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.--«MALADIES»
+ACCIDENTELLES
+
+
+C'est à dessein que nous plaçons ces observations à la suite de l'étude
+consacrée aux jeunes garçons, car les jeunes filles, entourées de
+soins à l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de «maladies»
+accidentelles. Chez le jeune homme, au contraire, plus ou moins mal
+surveillé, plus ou moins surmené par un travail cérébral auquel son
+cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou par le travail
+musculaire, pour lequel ses muscles, encore en état de développement, ne
+sont pas suffisamment préparés, la flore microbienne trouve un excellent
+terrain de culture. Nous ne pouvons pas passer en revue la pathologie de
+cet âge; faisons seulement remarquer que la «maladie» accidentelle ou
+bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat définitif sur un organe
+quelconque (endocardite du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que,
+à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement prolongé ou
+définitif de la valeur du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les
+jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une convalescence franche, sans
+ébranler l'organisme; à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme est
+doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement.
+
+Exception doit être faite pour la tuberculose; c'est, par excellence,
+la «maladie» de l'âge adulte. Contractée, le plus souvent, dans la
+plus tendre enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les mauvaises
+conditions de milieu, la misère physiologique, le surmenage, mettent le
+terrain en état de moindre résistance. De là son maximum de fréquence de
+dix-huit à trente-cinq ans.
+
+De cette conception, qui n'est pas encore classique, mais qui commence à
+pénétrer dans les esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher,
+et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la tuberculose dans
+l'armée, découle la véritable prophylaxie de la tuberculose. C'est en
+vain que l'on dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des sanatoria;
+le sanatorium ne convient qu'aux riches. C'est peut-être un bon
+instrument de cure: sûrement ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas
+«ce n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre la tuberculose
+en tant que «maladie» sociale» (Grancher). Voyez, en effet, ce qu'il
+faudrait pour qu'un sanatorium populaire donnât un rendement social
+appréciable! Il faudrait: 1°à l'entrée du sanatorium, un dispensaire de
+dépistage pour ouvrir la porte aux seuls malades légèrement atteints;
+2° pendant le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de secours pour
+sa femme et ses enfants; 3° à la sortie du sanatorium, la double ration
+de repos et la demi-ration de travail pendant un temps presque illimité!
+Le Congrès de la tuberculose de 1905 a d'ailleurs sonné le glas sur les
+sanatoria populaires, et les médecins de tous les pays, dans une heure
+de sens commun et de clarté, ont voté la même formule: «En fait de
+tuberculose, la préservation domine l'assistance.» Nous serons moins
+sévères dans notre appréciation des dispensaires: ils peuvent rendre
+quelques services pour l'éducation populaire; mais les véritables
+oeuvres de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les oeuvres de
+préservation, celles qui arrachent un enfant sain d'un milieu contaminé;
+ce sont les oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints de
+tuberculose locale et non contagieuse; ce sont les colonies de vacances,
+etc. Ce sont, surtout, les diverses oeuvres sociales luttant contre
+la misère: car la misère est le grand, le plus grand facteur de la
+tuberculose.
+
+
+
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+MATURITÉ
+
+
+
+Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine possession de tous
+ses moyens, son capital a été progressivement amélioré et lui rapporte
+de gros intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le faire
+valoir, d'obtenir de lui son rendement maximum.
+
+L'ère des ménagements est passée, il faut à tout prix que l'homme
+travaille et produise. On l'alimentera en conséquence: la dépense
+étant considérable, il faudra que l'aliment soit réparateur. Le point
+essentiel est de ne pas dépasser la dose des dépenses, d'utiliser le
+capital, mais non de l'amoindrir, de chauffer la machine, sinon à blanc,
+du moins à la température maxima tolérée, pour ne pas l'user trop vite,
+et surtout pour ne pas la faire éclater. Il faut, en somme, que l'homme
+produise; et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne ferait que
+s'empêcher de mourir. Bien plus; de même qu'un capitaliste avisé, quand
+il possède beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce qu'on appelle
+de la «surface», n'a pas peur, de temps à autre, de risquer une somme
+raisonnable dans une affaire qui n'est pas de tout repos; de même
+l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas craindre, à certains
+moments, de se dépenser un peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène,
+à la condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni trop prolongé,
+et qu'une période de repos succède à cette période de travail intensif.
+(De là la nécessité des vacances et du repos hebdomadaire).
+
+Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous croyons qu'il est bon
+que l'homme actif, intelligent, bien portant, donne de temps à autre
+ce qu'on appelle un «coup de collier», quitte à réparer sa dépense
+excessive par un repos plus ou moins prolongé, mais quel est le
+critérium? à quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas dépassé la
+mesure de ses forces, et qu'il ne court pas à la banqueroute?
+
+Le principe général est qu'il faut arriver aux confins de la fatigue,
+mais ne jamais atteindre la fatigue douloureuse. Quand il s'agit de
+travail musculaire, le critérium est relativement facile à trouver. On
+est averti qu'on a dépassé la mesure de ses forces par deux symptômes
+caractéristiques: la diminution d'appétit et la diminution de sommeil.
+
+Cette donnée pourrait même rendre de grands services aux chefs
+militaires, dont l'idéal, très légitime, est de faire produire à la
+machine humaine son maximum de rendement, sans épuiser cependant les
+forces des soldats. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux confondent
+l'entraînement et l'épuisement; ils arrivent à avoir des troupes qui
+n'ont pas de valeur réelle, tout en ayant les apparences de la force.
+Ces troupes, qui se sont présentées sous le plus bel aspect à des
+manoeuvres de quelques jours, seraient incapables d'entrer en campagne
+et de supporter des fatigues prolongées. Si les chefs de corps avaient
+eu la précaution de s'enquérir de la façon dont les soldats mangent,
+ou de _voir_, après une marche prolongée, comment ils mangent, de
+surveiller de temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui recueille
+tous les restes des repas, ils auraient vu que le travail excessif se
+traduit par une baisse dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans
+les chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à la suite de
+fatigues excessives les hommes ne dorment pas bien. Et rien ne les
+empêcherait, d'ailleurs, de prendre parfois l'avis de leurs médecins.
+
+Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème, d'autant que, chez
+l'homme qui a subi un entraînement méthodique, la sensation de _fatigue_
+disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la fatigue. L'épuisement,
+chez lui, se traduit exclusivement par la diminution du poids, de
+l'appétit et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire en
+particulier, par l'apparition des «maladies» dites accidentelles.
+
+Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit que de dépenses
+musculaires, il devient plus complexe encore quand il s'agit de dépenses
+cérébrales. Voici un commerçant obligé de brasser de grosses affaires.
+Il est réveillé, le matin, par le téléphone voisin de son lit; pendant
+toute la journée, il n'a pas un quart d'heure de tranquillité; il sent
+peser sur lui des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une série
+d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant viennent s'ajouter des
+chagrins de famille, etc., voici notre homme qui, tout d'un coup,
+tombe dans la «maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener le
+déclanchement: c'est une émotion un peu violente, c'est une perte
+d'argent, c'est une «maladie» infectieuse plus ou moins légère, qui
+ouvre la brèche, et voilà la «maladie» installée!
+
+Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme? A-t-il eu, depuis dix ans
+qu'il surmène son cerveau, un avertissement quelconque lui indiquant
+qu'il dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à pleines
+mains dans un capital insuffisamment réparé chaque jour? Oui, le plus
+souvent! C'est, par exemple, un vertige qui est apparu, à un moment
+donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on pourrait appeler «un
+avertissement sans frais», il aurait immédiatement diminué le travail,
+ou même l'aurait suspendu pendant quelques jours. Mais il n'en a pas
+tenu compte, il a pensé que _ça passerait_. D'autres fois, c'est une
+sorte d'endolorissement de la tête, non pas passager, mais permanent,
+qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements de l'oreille gauche.
+(Cette prédominance des bourdonnements à gauche, de la diminution de
+l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les phases de la
+«maladie».) D'autres fois encore, c'est une sorte de sensation
+de fatigue permanente, exagérée surtout le matin, avec diminution
+d'appétit, constipation, autrement dit avec les petits symptômes de
+la grande «maladie». Il est tout à fait exceptionnel que le krach se
+produise sans de tels phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant,
+et c'est chez les natures les plus admirablement douées en apparence.
+
+Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel et musculaire à
+la fois, il réalise les conditions les plus parfaites pour arriver à
+l'épuisement rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement
+contre le préjugé des gens du monde, qui se figurent que l'exercice
+musculaire repose du travail cérébral, et que le surmené cérébral doit,
+pour bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, de la marche
+forcée, à ses moments disponibles. C'est là une erreur énorme dont
+la pédagogie commence à faire justice. Certes il est des hommes,
+admirablement doués, qui peuvent supporter une dépense considérable à
+la fois au point de vue musculaire et au point de vue cérébral: mais ce
+qu'il faut bien se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers
+symptômes du surmenage, on doit aussitôt réduire la dépense totale, et
+la dépense musculaire en particulier; à ce prix seulement on aura chance
+d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre sur nous, de la
+«maladie».
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»
+
+
+
+Plusieurs fois déjà, dans le cours de ce travail, j'ai eu l'occasion de
+parler de la «maladie», sans préciser le sens exact que je donnais
+à ce mot. Mais le moment est venu de tenter, sinon une définition
+scientifique de la «maladie»,--définition aussi impossible que celles,
+par exemple, de la richesse, de la vertu, ou de la beauté,--tout au
+moins une explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette chose
+indéfinissable; des principaux caractères qui lui sont propres; et des
+traits qui la distinguent de ces manifestations pathologiques bien
+déterminées que l'on appelle communément les «maladies», et que
+j'appellerais volontiers des «accidents», par opposition à la nature
+plus générale, plus profonde, et infiniment plus complexe, de la
+«maladie».
+
+Voici quatre personnes qui, dans une même après-midi, se présentent à ma
+consultation. Ce sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc
+pour l'affirmer _a priori_. Mais voyons ce que nous enseignera l'étude
+détaillée, et surtout réfléchie, de chacune de ces quatre personnes, qui
+paraissent se ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une avec
+l'autre absolument rien de commun. L'une est grande et forte, l'autre
+petite et malingre; l'une est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante.
+Les souffrances que chacune accuse sonttout à fait différentes, de
+l'une à l'autre; les causes qui ont paru engendrer ces souffrances
+semblent opposées: chez l'une l'excès de fatigue, chez une autre
+l'excès d'oisiveté, etc.
+
+Essayons à présent d'approfondir un peu notre investigation. Ah! ce
+n'est pas un mince travail que d'étudier un malade, de fouiller son
+hérédité, de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire même de sa
+conception, de noter tous les incidents pathologiques de son enfance, de
+sa jeunesse, de son adolescence, d'apprécier son degré de santé pendant
+les périodes qui ont séparé ces divers incidents, de se reconnaître au
+milieu du luxe de détails avec lequel il décrit ses misères, en un mot
+de reconstituer à la fois le bilan complet de son état présent et le
+tableau du chemin qu'il a suivi pour y parvenir. Mais cette étude
+méticuleuse est nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, pas
+de traitement rationnel; d'elle seule pourra résulter la connaissance
+véritable du malade, c'est-à-dire l'appréciation de ce qu'il vaut, du
+point précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute que ce n'est
+que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines et des centaines de malades
+que l'on commence à avoir une idée nette de ce que c'est que la
+«maladie».
+
+Voici donc une première malade, que je connais depuis cinq ans. C'est
+une femme de trente-deux ans, dont on devine dès le premier abord la
+vivacité d'intelligence, et avec laquelle le médecin comprend tout de
+suite,--à sa grande satisfaction,--qu'il va pouvoir causer utilement.
+
+L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital initial excellent: un
+grand-père paternel mort à soixante-quinze ans, asthmatique, la
+grand'mère paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté de
+l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de tares transmissibles:
+le grand-père mort à soixante-quinze ans, la grand'mère vivant encore à
+quatre-vingt-deux ans. Il est vrai que l'hérédité directe est peut-être
+un peu moins parfaite. Le père de Mme X... est mort à cinquante-deux
+ans, d'une affection cérébrale, après avoir toujours été très nerveux.
+La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à se bien porter, à la
+condition de s'écouter vivre.
+
+Ce capital initial a été bien géré pendant les premières années de la
+vie. Nourrie au sein, Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable
+divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, la varicelle.
+A huit ans, cependant, s'est produit un épisode plus important: une
+jaunisse, qui a duré un mois, et qui semble indiquer que le système
+digestif était, chez cette malade, le point faible. Un médecin avisé,
+qui l'aurait suivie de près depuis lors, n'aurait pas manqué de
+remarquer qu'elle était, si l'on peut dire, une candidate à la
+dyspepsie.
+
+Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X... n'eut aucun
+phénomène grave, d'origine stomacale ou intestinale: mais elle avait
+de petits symptômes, un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la
+constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, ces petits symptômes
+ont passé inaperçus. L'enfant a été soumise, dans un couvent, à
+l'alimentation des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par
+conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour mettre en bon
+état son système nerveux abdominal, qui, sans protestations graves,
+fonctionnait déjà d'une façon défectueuse.
+
+De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux cérébral qui, seul,
+paraissait défectueux. Dès l'âge de onze ans, elle avait des tristesses
+vagues, des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer.
+
+A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait cet état de mélancolie.
+D'un caractère inégal, la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise,
+acceptant péniblement toute discipline.
+
+A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un violent chagrin; et cet
+assaut ébranla si fortement son système nerveux que, six semaines après,
+sans cause connue, sans refroidissement préalable, elle dut garder
+le lit pendant un mois, pour une «maladie» qualifiée «rhumatisme
+mono-articulaire», mais avec prédominance de symptômes nerveux graves
+(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se remit vraiment de cette
+crise qu'un an après, lorsque des projets de mariage opérèrent en elle
+une sorte de dérivation.
+
+Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à retomber dans le même état
+nerveux, auquel se joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie
+lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, et l'immobilisant
+pendant quelques heures. Puis vinrent des crises de nerfs, le plus
+souvent nocturnes, avec angoisses précordiales terribles, peur de toutes
+les «maladies», etc...
+
+C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; et, pendant la
+grossesse, elle se porta admirablement. Mais, aussitôt après sa
+délivrance, l'estomac, qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que
+par des phénomènes insignifiants, entra définitivement en scène: perte
+absolue d'appétit, crampes, gastralgie. Puis, l'année suivante, ce fut
+le tour de l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt
+apparition de selles noires, survenant trois à quatre fois par jour avec
+fortes coliques, et qui durèrent quatre mois. A la fin de cette période,
+l'état général était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment
+compromise.
+
+Heureusement une année passée dans l'isolement, et suivie d'une cure
+dans un sanatorium de Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis
+la malade pour la première fois, un an après son retour de Suisse, voici
+les principales constatations que je pus faire:
+
+Céphalée permanente,--picotement des yeux,--sciatique gauche
+survenant au moment des règles,--inquiétudes vagues,--peur de mourir
+subitement,--trois heures à peine de sommeil dans les meilleures nuits.
+L'estomac et l'intestin laissaient également à désirer: appétit nul,
+alternatives de diarrhée et de constipation.
+
+L'examen des organes me démontra qu'il n'y avait rien à la poitrine,
+mais qu'au coeur existait un souffle, au premier temps, à la base,
+perceptible seulement dans la position horizontale; ventre plat, peu
+élastique, sonorité basse et égale. La malade, qui pesait 50 kilogrammes
+à dix-huit ans, n'en pesait plus que 46.
+
+Voilà donc une jeune femme qui a toutes les apparences extérieures d'une
+personne très souffrante, et dont la vie est empoisonnée par une série
+ininterrompue de misères variées. Et cependant l'histoire même de ces
+misères prouve qu'il n'y a point chez elle d'organe particulièrement
+atteint, et que le capital biologique est, au fond, moins mauvais qu'il
+ne paraît l'être. Mon premier soin fut de la rassurer, notamment sur
+l'état de son coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait
+fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire un estomac, par
+un régime sévère, puis de plus en plus large. Je dirigeai son hygiène
+musculaire, intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans où je
+m'étais borné, en somme, à faciliter le retour à l'équilibre du système
+nerveux, Mme X... se vit délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée
+enfin à une vie des plus supportables.
+
+Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on Elle avait, sous une
+forme spéciale, ou plutôt sous plusieurs formes, ce que j'appelle la
+«maladie». Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux qui, chez
+elle, fléchissait. Tout son système nerveux était malade, et chacun de
+ses centres, tour à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation
+de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade, le centre le plus atteint
+était celui qui préside aux fonctions digestives; mais, si je m'étais
+limité à ne soigner que celui-là, toute ma peine aurait risqué d'être
+perdue. Il fallait, derrière les symptômes locaux, atteindre le trouble
+général; il fallait dépasser les incidents pour parer à la «maladie».
+
+Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez qui les
+manifestations morbides n'ont certainement rien de commun avec celles
+que je viens de signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui,
+lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait progressivement
+maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes, sans autre cause
+connaissable que certaines influences morales. Elle ne se plaignait de
+rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle l'était, puisqu'elle
+maigrissait sans cesse, puisqu'elle avait le teint terreux et la peau
+rugueuse, puisque ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas de
+lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: mais toute l'apparence
+d'une grande malade.
+
+Pourtant, après un examen plus approfondi, j'augurai bien de l'avenir,
+parce que le capital initial était assez bon, parce que Mlle T...
+n'avait pas eu de graves assauts dans son enfance, enfin parce qu'elle
+était jeune, et malade depuis peu de temps. Et le fait est qu'un
+traitement très simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par jour,
+puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord sans viande, puis avec un
+plat de viande à midi, et 30 injections de cacodylate de magnésie),
+amena un résultat extraordinaire: réapparition des règles, augmentation
+du poids, disparition de la rugosité cutanée, relèvement de l'appétit,
+etc.
+
+C'est que cette malade, qui ne présentait aucun trouble nerveux, n'en
+était pas moins une «nerveuse». Toutes ses misères ne venaient, comme
+chez Mme X..., que d'un ébranlement du système nerveux; quand ce système
+se trouva modifié, par le repos, le régime et la psychothérapie, la
+malade guérit.
+
+Elle revint alors dans son pays; six mois après, elle allait très bien,
+mangeant de tout, pesant 58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois
+plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin la mine sourdement;
+elle redevient «malade», maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans
+accuser la moindre douleur, et sans ressentir aucune souffrance. Un
+jour, le 25 décembre 1903, elle est tellement épuisée qu'elle a une
+syncope grave, et que son entourage est convaincu qu'elle va mourir.
+J'avoue que moi-même, quand je la vis alors avec le Dr C..., je fus
+épouvanté, malgré la bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique.
+C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle n'avait plus qu'un
+souffle de vie.
+
+Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? En juin 1904, elle fit
+une pleuro-pneumonie. Deux mois après, dès qu'elle fut transportable,
+elle voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois mois, aux
+injections d'huile créosotée. En octobre 1904, elle avait définitivement
+retrouvé sa santé.
+
+Comment douter que toutes les souffrances de cette jeune fille aient été
+surtout d'origine nerveuse? Et cependant voilà un cas où la perturbation
+du système nerveux central s'est traduite par des phénomènes qui
+n'avaient rien de ce que les neurologistes constatent d'ordinaire. Et
+c'est bien le système nerveux cérébral qui était en cause, chez cette
+malade: car ses deux grandes crises morbides n'ont absolument pas
+eu d'autre cause que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans
+manifestations nerveuses. Tout à fait comme Mme X..., malgré la
+dissemblance des symptômes, c'était une «malade», c'est-à-dire une
+personne dont le capital nerveux s'était trouvé entamé.
+
+Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite par des phénomènes
+cardiaques. Chaque fois qu'il y a eu chez le malade une défaillance du
+système nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner normalement,
+à tel point que tous les médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le
+traitaient infailliblement par la digitale et la caféine.
+
+En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même un faux cardiaque:
+c'est simplement un «malade» chez qui le système nerveux qui préside aux
+mouvements du coeur est plus spécialement impressionnable.
+
+Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un rhumatisme (sans
+endocardite), chaque fois qu'il y a eu un assaut quelconque dans la
+santé du malade, le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite d'une
+bronchite grippale, je constatai, pour la première fois, de l'arythmie,
+et un souffle au 2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce
+souffle persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois, il est
+imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est d'une netteté extrême:
+si bien que plusieurs médecins ont affirmé une lésion de la valvule de
+l'aorte.
+
+Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z. n'a jamais de pouls
+bondissant, et de nombreux tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange,
+démontrent qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand M. Z... va
+bien, son coeur va bien: quand il va mal, quand il se surmène, ou
+éprouve une émotion vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise par
+les manifestations les plus variées: syncopes, arythmie, fausses angines
+de poitrine.
+
+M. Z... est un de ces hommes qui sont faits pour le travail intensif:
+chez lui, quelle que soit l'énormité du travail, il n'y a jamais
+de surmenage cérébral; mais c'est un _sensitif_, que le surmenage
+émotionnel guette à tout instant. En 1898, à la suite d'émotions
+vives, tout son système nerveux entre en révolte: le système digestif
+(dyspepsie, constipation, etc.), le système nerveux central (insomnie
+absolue, tristesse, pâleur insolite, épuisement des forces). En même
+temps la glycosurie fait son apparition (10 grammes de sucre par litre).
+Enfin les troubles du coeur atteignent une intensité extrême et défient
+tous les traitements classiques (digitale, spartéine, bromures, etc.).
+
+Désirant me voir avant de mourir, le malade me fit appeler le 28 avril
+1898, et me raconta les soucis qui l'avaient accablé. Ces soucis
+étaient, sans aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une
+psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un régime alimentaire très
+modéré, réussit parfaitement à remettre le malade sur pied. Les deux
+années qui suivirent furent même excellentes.
+
+En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le trouble cardiaque,
+avec même, cette fois, un pouls bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous
+la direction du Dr Lagrange, produit un très bon résultat. En 1903, ni
+le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons plus le souffle coutumier.
+
+Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle émotion, reparaissent
+l'arythmie, le souffle, la glycosurie: de nouveau, une saison à Vichy
+supprime tout cela.
+
+En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles contrariétés,
+l'ébranlement du système nerveux se traduit par un lumbago, mais surtout
+par une anesthésie de la main et de la joue droites, qui effraie
+beaucoup le malade. Je le rassure encore, je le renvoie à Vichy, d'où il
+revient en parfait état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans,
+toujours avec une activité dévorante.
+
+C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux malades précédents, est
+simplement un «malade», avec cette particularité que c'est sur le
+coeur que se portent de préférence, chez lui, les plus importantes
+manifestations de la «maladie».
+
+Dans les trois observations que je viens de citer, c'était tel ou tel
+département du système nerveux qui manifestait plus spécialement les
+souffrances de l'être entier, et les périodes de malaise étaient
+séparées par des périodes de santé, tout au moins relative. Voici
+maintenant un cas où tous les éléments du système nerveux sont tellement
+excités que la «maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans
+qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission, depuis
+l'époque où le système nerveux a été ébranlé,--c'est-à-dire depuis l'âge
+de huit ans,--jusqu'à l'âge de la cessation des règles. La malade dont
+je vais parler a été vraiment, pendant plus de trente ans, un parfait
+musée pathologique. Mais, malgré mille misères qui se succédaient chez
+elle comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais désespéré de sa
+survie, ni de sa guérison, à cause même de la mobilité et de la variété
+des manifestations morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité des
+organes.
+
+La «maladie» de cette personne a commencé à huit ans, à la suite d'une
+fièvre typhoïde grave. Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par
+des migraines très intenses et très fréquentes; mais dès l'apparition
+des règles, aux migraines se sont jointes des douleurs d'estomac et de
+la constipation. Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral a
+manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements d'oreilles, etc.
+Deux ans après, c'est le tour de la moelle: douleurs rhumatismales
+et névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois ans, le système
+nerveux cardiaque donne sa note dans le concert: syncopes qui durent de
+dix minutes à une demi-heure, avec perte complète de connaissance.
+
+En octobre 1889, une crise gastralgique survient, qui se prolonge
+pendant trois jours consécutifs. L'année suivante, c'est une douleur
+intercostale gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs jours;
+mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement libre, les
+vertiges, la céphalée, ont disparu. En 1893, apparaît une dermalgie qui
+occupe les deux bras. Puis voici que la fièvre survient: la malade a
+jusqu'à 40°, sans cause connue, à l'époque de ses règles. En 1895, se
+produit un état de péritonisme,--avec douleurs très vives dans l'estomac
+et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,--qui semble mettre la
+vie en danger. Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant les
+dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement, de 93 à 87
+kilogrammes.
+
+L'année suivante fut très bonne. Le sommeil revint, l'estomac rentra
+dans l'ordre, la malade put croire que ses misères allaient prendre fin.
+Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de froid l'intestin à son
+tour se met de la partie: fausses membranes dans les selles, coliques,
+diarrhée et faux besoins d'exonération extrêmement pénibles. L'appendice
+même paraît touché: il y a une douleur très nette au point de Mac
+Burney. Un autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées,
+selles décolorées, fièvre; mais la menace ne persiste que quatre jours.
+En 1900, ulcère de l'estomac, vomissements noirs. La même année, je note
+une sorte d'inhibition du fonctionnement de la jambe droite, qui, à un
+moment donné, deux ou trois fois par mois, refuse tout service, au point
+que la malade tombe brusquement. Enfin, cette même année, se déclare un
+oedème des jambes, disparaissant après la marche;--c'est là un phénomène
+que j'ai souvent observé chez les «malades» dits _arthritiques_.
+
+Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904; la malade était,
+suivant son expression, un «faisceau de douleurs», mais elle avait un
+excellent moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle reviendrait
+à la santé. Or, le fait est que, depuis la fin de 1904, en même temps
+que disparaissaient ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon
+surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie, définitivement
+délivrée de toutes ses misères, promène joyeusement ses 105 kilogrammes
+et se déclare enchantée de vivre.
+
+C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses, même quand elle
+présentait les symptômes les plus inquiétants, cette personne n'était ni
+une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale, ni une gastrique, ni
+une cardiaque, mais simplement une «malade» à manifestations cérébrales,
+médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant les longues années
+où je lui ai donné des soins, toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à
+essayer de dynamiser son système nerveux, et de le dynamiser tout
+entier, sans presque chercher à atteindre, en particulier, tel ou tel de
+ses centres qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai eu le
+bonheur de deviner que cette personne avait les apparences de trop de
+«maladies» pour en avoir la réalité; et, de fait, quand son système
+nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la véritable «maladie»
+a aussitôt amené la guérison de toutes les pseudo-affections qui n'en
+étaient que le contre-coup.
+
+Le trouble du système nerveux central peut encore se traduire par
+les symptômes qui caractérisent, de la façon la plus formelle, des
+«maladies» organiques. J'ai parlé déjà, plus haut, de ce malade qui
+avait toutes les apparences d'une lésion du coeur, sans avoir le coeur
+lésé. On sait que, par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule
+les «maladies» organiques les plus variées. Les hystériques peuvent
+présenter les symptômes de la méningite, de la grossesse, voire même des
+«maladies» les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu un jeune
+soldat qui offrait tous les signes de la sclérose en plaques. Après
+trois mois d'examen, on a fini par le réformer; or, ce n'était qu'un
+hystérique. Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur: car on ne
+simule pas les symptômes de la sclérose en plaques!
+
+Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique, j'exprime mal ma
+pensée. En réalité, c'était un «malade». Je l'ai suivi pendant
+longtemps, après son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut plus
+le moindre phénomène médullaire; mais il eut de la dyspepsie, et j'ai
+su que, dans son enfance, il avait eu d'autres manifestations de ce que
+j'appelle la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée de sa vie,
+quand il s'est agi pour lui de faire son service militaire, que la
+«maladie» s'est traduite, pendant quelques mois, par ces troubles de
+l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler hystérie.
+
+Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux que j'ai cités suffiront,
+je crois, à donner une idée de ce que j'entends, à proprement parler,
+par la «maladie». D'une façon générale, je veux dire que la «maladie»
+embrasse tout le domaine pathologique qui n'appartient pas à ce qu'on
+pourrait appeler les «accidents»--accidents qui vont depuis les
+fractures et les intoxications jusqu'à des lésions d'organes (cancer,
+hémorragies cérébrales, etc.), en passant par toute la série des
+affections à microbes, connus et inconnus.--Au-dessous de ces
+«accidents» s'étend une série indéfinie de troubles pouvant revêtir
+toutes les formes et donner même l'illusion de toutes les «maladies»
+organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que d'origine nerveuse
+(en donnant à ce mot toute l'extension qu'il comporte), ainsi que cela
+apparaît clairement pour peu que l'on considère leurs causes, leur
+marche et leur terminaison. Dans la «maladie» rentrent donc toutes les
+névroses; la folie quand elle n'est pas produite par des lésions du
+cerveau, l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie, les
+algies, tous les troubles fonctionnels des divers organes, _tant que ces
+troubles fonctionnels n'ont pas amené de lésion des organes_.
+
+Les médecins voient quotidiennement la «maladie» sous une de ses formes
+préférées. C'est la forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le
+nom d' «embarras gastrique», synonyme d'embarras de diagnostic. Dans
+cette affection, il ne faut pas croire que le système nerveux soit
+indemne; les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges, souvent
+des bourdonnements d'oreille, un état de fatigue générale du système
+musculaire, de l'insomnie, de la difficulté pour lire, pour supporter
+une conversation; ils ne souhaitent que le repos et la tranquillité. Si
+on les leur accordait, si une médication perturbatrice n'intervenait
+pas, si on graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait,
+en général, aucune complication; et après quinze jours, un mois, ils
+reviendraient peu à peu à la santé[6].
+
+[Note 6: La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise
+urinaire. Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois même
+urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre, claires et
+abondantes. En même temps la température tombe, pendant deux ou trois
+jours, au-dessous de la normale, le sommeil reparaît, l'appétit
+également, et tout rentre dans l'ordre.]
+
+Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le mode chronique; et c'est
+pendant des mois et des années que l'on voit tout le système organique
+compromis dans son fonctionnement. Le système nerveux, l'estomac,
+l'intestin, laissent à désirer d'une façon à peu près égale. C'est chez
+ces grands malades qu'on est en droit de se demander si c'est le cerveau
+qui tient sous sa dépendance les troubles nerveux de l'estomac ou de
+l'intestin, ou si c'est l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle
+manière de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique exclusive: on
+s'acharne à remédier aux troubles du système nerveux, en négligeant les
+troubles digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a tort. Pour
+faire de la bonne thérapeutique, il faut _à la fois_ soigner le cerveau,
+l'estomac, l'intestin, la moelle, le malade entier, en un mot, tout en
+recherchant, si possible, quel est le système le plus compromis et dont
+le fonctionnement laisse le plus à désirer.
+
+C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais, maintenant,
+rechercher les causes les plus habituelles, avant d'en indiquer, dans
+ses grandes lignes, le mode de traitement: traitement qui doit être
+toujours _général_, puisque toujours la «maladie», même quand elle ne
+se traduit que par des troubles locaux, est, par son essence, d'ordre
+général.
+
+Quant au traitement particulier des «maladies» accidentelles, il va sans
+dire que je n'aurai pas à m'en préoccuper dans ce travail.
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES CAUSES DE LA «MALADIE»
+
+
+
+I.--CAUSES PHYSIQUES
+
+
+Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers toutes les circonstances
+de sa vie qui compromettent sa valeur, soit momentanément, soit d'une
+façon définitive et irrémédiable. Elles varient à l'infini; l'homme
+heureux seul n'a pas d'histoire, et l'homme heureux est un être de
+raison, qui n'existe pas dans la réalité.
+
+Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer que ce n'est pas
+le surmenage cérébral, ni le surmenage musculaire, ni même les vices
+d'alimentation, le défaut de confort, l'aération insuffisante, etc.,
+qui constituent les grands facteurs de la «maladie»: c'est le surmenage
+émotionnel, c'est le chagrin,--l'influence psychique, en un mot.
+
+Cependant les autres influences morbigènes méritent une mention
+détaillée. Je les rapporterai aux trois chefs suivants:
+
+I. Surmenage cérébral.
+
+II. Surmenage musculaire.
+
+III. Alimentation défectueuse ou insuffisante.
+
+1° _Surmenage cérébral_.--Le cerveau est fait pour fonctionner, comme le
+coeur est fait pour battre; et il est bien rare que le travail cérébral,
+à lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une cause de
+détérioration profonde, et surtout de déchéance définitive. C'est bien
+plutôt un élément de survie prolongée.--Voyez cet écrivain qui, à
+l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner le monde par les
+productions de son génie; il n'a jamais cessé de travailler, et il a pu
+faire les frais, à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet âge,
+est presque toujours fatale. Quel est donc son secret? Son secret, c'est
+de n'avoir aucune préoccupation étrangère à son travail; c'est d'avoir
+une femme qui pense pour lui à tous les détails de la vie; c'est d'avoir
+une excellente hygiène morale, la paix du coeur et de l'esprit.
+
+Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail cérébral
+insuffisant, et tout le monde sait que les désoeuvrés sont bien à
+plaindre. Ce sont des coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre
+sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils lui doivent; mais
+ce sont aussi des malheureux, car la «maladie» les guette. Le désoeuvré
+accidentel lui-même, habitué à un travail cérébral considérable, s'il
+est condamné trop longtemps au repos de l'esprit, sent qu'il lui manque
+quelque chose: il perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de reprendre
+le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire que l'air respirable.
+
+Quand, cependant, le travail cérébral est poussé à une limite
+véritablement excessive, il amène aussi ce que nous avons appelé la
+«maladie», c'est-à-dire la détérioration, quelquefois définitive ou
+prolongée pendant des années. On en voit des exemples chez les candidats
+aux écoles, à l'internat, à l'agrégation, etc. On serait porté à croire,
+_a priori_, que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe surmené;
+c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, même quand elle est de cause
+cérébrale, elle peut très bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de
+l'entérite, tout comme si elle avait été produite par une intoxication.
+Il faut toujours en revenir aux notions que nous avons développées au
+chapitre précédent: à la notion des points faibles, et à la variété des
+manifestations par lesquelles l'organisme traduit le malaise causé par
+une influence déterminée.
+
+2° _Surmenage musculaire_.--Il n'amène qu'exceptionnellement la
+«maladie». Chez le surmené musculaire, quelques jours ou quelques
+semaines de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions d'aplomb;
+et l'on ne saurait se figurer le rendement dont est capable la machine,
+quand, par ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la dépense
+cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers italiens produire un travail
+musculaire véritablement colossal, tout en ayant une alimentation très
+restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une fois par semaine,
+eau claire), et ce, sans le moindre préjudice pour leur santé. Ils se
+contentaient du salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal venu
+de proposer à nos ouvriers français.
+
+Il est cependant incontestable que le travail musculaire, poussé à de
+trop grands excès, peut devenir une cause de «maladie» momentanée, et
+préparer le terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous en
+avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement dans l'armée, et des
+sports chez les jeunes gens.
+
+3° _Vices d'alimentation_.--Ils jouent un rôle important dans
+la pathogénie de la «maladie», d'autant que, en dehors des cas
+d'intoxication aiguë, ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement,
+insidieusement. Le plus souvent, en effet, l'estomac et l'intestin ne
+se révoltent qu'après de longues années de protestations presque
+silencieuses. Mais, à partir du jour de cette révolte, la «maladie»
+est constituée. Les symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus
+souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour surprendre,
+puisque c'est l'estomac qui a été, dans ces cas, le plus spécialement
+molesté. Cependant, dans certains cas, les troubles dyspeptiques
+passeront à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement le
+diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique qui n'a, pour un examinateur
+superficiel, que des troubles cérébraux; il peut très bien se faire
+qu'il ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître par un bon
+régime. Dans ce cas, les phénomènes gastriques étaient au second plan
+pour le clinicien, alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au
+premier plan. Si donc le clinicien veut être bon thérapeute, il doit se
+rappeler les grandes lois que nous avons déjà formulées: s'il traite
+comme cérébral un sujet dont la «maladie» a été provoquée par des
+troubles alimentaires, il fait fausse route; de même qu'il ferait
+fausse route en traitant comme dyspeptique un sujet ayant des misères
+gastriques, intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique
+aurait été occasionné par du surmenage cérébral, médullaire, émotionnel.
+
+Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation défectueuse
+retentit sur l'ensemble de l'organisme.
+
+On a fait grand bruit, ces derniers temps, de l'auto-intoxication
+d'origine alimentaire; et beaucoup de médecins s'obstinent à ne voir
+dans la «maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout quand elle
+revêt la forme nerveuse, qu'une sorte d'empoisonnement de la cellule
+cérébrale par les toxines alimentaires.
+
+C'est là une hypothèse assez commode, et qui rend compte d'un nombre
+considérable de faits: mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et
+ne pouvant pas être démontrée par des observations véritablement
+scientifiques. On pourrait tout aussi bien expliquer les phénomènes
+rapportés à l'auto-intoxication par l'irritation que provoque, sur le
+plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore par l'irritation des
+extrémités nerveuses du pneumo-gastrique. On sait que ce nerf étend ses
+ramifications sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on s'expliquerait
+ainsi les irradiations à distance provoquées par l'irritation stomacale:
+la dyspnée, l'asthme, les fausses cardiopathies, etc.
+
+Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation peuvent incontestablement
+provoquer, à eux seuls, la «maladie». Mais, le plus souvent, ils
+s'associent à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, à la
+débauche, etc.
+
+Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se classer en quatre
+catégories distinctes:
+
+I. Alimentation excessive en quantité.
+
+II. Alimentation insuffisante en quantité.
+
+III. Alimentation insuffisante en qualité.
+
+IV. Abus de l'alcool.
+
+I. _Alimentation excessive_.--Nous ne voulons pas nous étendre ici sur
+les inconvénients, vraiment assez connus, de l'alimentation excessive.
+Disons seulement que l'alimentation excessive empoisonne peut-être la
+cellule nerveuse par les toxines alimentaires, mais que sûrement elle
+impose aux organes chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un
+travail exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de là, à la
+longue, le surmenage et les protestations de ces divers organes, se
+traduisant de mille et une façons (eczéma, urticaire, gravelle,
+etc.). Cette manière de voir donne satisfaction aux partisans de
+l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la théorie de l'irritation
+du pneumo-gastrique, ou du plexus solaire, on peut également comprendre
+comment cette irritation, presque permanente, des nerfs de l'estomac par
+une alimentation incendiaire, amène, par action réflexe, des troubles de
+coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon (asthme, dyspnée), du
+cerveau et de la moelle, voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi,
+d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la fois? ce ne serait, en
+tout cas, pas déraisonnable.
+
+Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose _optima_ d'aliments qui
+convient pour entretenir la vie et pour réparer les dépenses incessantes
+de l'organisme? Elle doit varier, évidemment, suivant le travail
+produit, et suivant les individus. Tous n'ont pas le même besoin
+d'alimentation, pas plus que, dans un régiment de cavalerie, tous les
+chevaux n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient obligés aux
+mêmes dépenses musculaires. On a essayé de fixer mathématiquement ce
+qu'on appelle la «ration d'entretien» et la «ration de travail»; et les
+différents chimistes qui se sont livrés à ce calcul sont arrivés à des
+chiffres qui variaient du simple au quadruple: mais tous s'accordent
+pour démontrer qu'il faut _très peu d'aliments_ pour subvenir à la
+«ration d'entretien», et même à la «ration de travail», de l'homme. La
+vérité est que nous mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la
+machine humaine soit bien admirablement construite pour qu'elle résiste
+aux assauts quotidiens que nous lui imposons.
+
+Comme ce problème de la ration physiologique m'a toujours intéressé, je
+me suis livré à une enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme
+que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est pour rien dans leur
+morbidité. Ils ont beaucoup moins de jours d'indisponibilité que
+la plupart des autres hommes du même âge, meurent plus vieux, et
+s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les Trappistes, le régime
+fort sévère n'est pas une cause de morbidité; j'ai même été étonné,
+à leur propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain, et de
+constater qu'un homme habitué à manger comme tout le monde pouvait, d'un
+jour à l'autre, sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint
+d'une Trappe.
+
+Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint chez les individus
+qui dépensent beaucoup? Oui, je l'ai étudié dans l'armée[7], et
+j'affirme, au nom d'une expérience de deux années, pendant lesquelles je
+me suis occupé de l'alimentation du soldat avec un colonel qui avait,
+de ce grave problème, tout le souci qu'il mérite, que, si le soldat
+français, le seul que je connaisse, avait la quantité et la qualité des
+aliments auxquels il a droit de par les règlements, et si ces aliments
+étaient préparés comme ils devraient et comme ils pourraient l'être dans
+toutes les garnisons, sa nourriture serait tout à fait suffisante. Elle
+n'est un peu au-dessous des besoins que pour les jeunes soldats, pendant
+les trois premiers mois de la nouvelle existence qui leur est imposée;
+aussi les officiers soucieux de la santé de leurs soldats réservent-ils
+pour les nouveaux arrivants les _boni_ qu'ils ont pu réaliser sur les
+hommes dits «de la classe».
+
+[Note 7: _La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de
+médecine légale_, février 1890).]
+
+Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des guides alpins, qui,
+non seulement, les jours d'excursion, se contentent d'une alimentation
+extrêmement réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits secs),
+mais, en temps ordinaire, mangent très peu, pour conserver leurs forces.
+Les professionnels du sport, également, savent que la sobriété est la
+condition de leur succès.
+
+Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs années, des soins à une
+dame qui, avec toutes les apparences de la santé, était constamment
+souffrante: migraines, eczéma, urticaire, affections cutanées
+polymorphes, palpitations, dyspnée, insomnies, caractère inquiet,
+émotivité exagérée, sensation de fatigue permanente, tendance à
+l'obésité,--et j'en passe, pour ne pas faire le tableau complet de ce
+qu'on est convenu d'appeler la «grande neurasthénie». Chose curieuse,
+elle avait peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation et
+des hémorroïdes. Elle avait même un vigoureux appétit, bien qu'elle prît
+fort peu d'exercice. En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation:
+précisément à cause de cet appétit de premier ordre, elle ne voulait
+pas entendre parler de régime restreint. Mais voici que l'adversité
+s'abattit sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en fut
+réduite à ne plus manger que des pommes de terre cuites dans le four
+d'un petit poêle en faïence, et des haricots; un demi-litre de lait
+était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce jour, elle alla bien.
+Toutes ses misères disparurent successivement, en trois ou quatre mois,
+y compris les misères nerveuses et les migraines; et force me fut
+d'attribuer au seul changement de régime la surprenante modification de
+sa santé. Car on croira peut-être que, pressée par le besoin, elle s'est
+mise à marcher davantage, pour chercher du travail, ou pour se créer
+des relations? Non, elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des
+relations quand on est dans l'extrême détresse; et je lui procurai un
+travail sédentaire, qui consistait à faire des adresses sur des bandes,
+pour un grand magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est pas,
+non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a pu modifier
+avantageusement sa mentalité. En dehors de ses douze heures de travail
+quotidien, elle avait des préoccupations angoissantes, qui auraient
+suffi pour ébranler un système nerveux moins équilibré. C'est donc bien
+uniquement, toute analyse faite, à la restriction du régime, et à cet
+élément seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je pourrais, là
+encore, multiplier les exemples: mais aucun ne peut être plus typique
+que celui que je viens de relater à grands traits.
+
+Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation insuffisante.
+
+II. _Alimentation insuffisante en quantité_.--Tout le monde connaît
+les désastres occasionnés par les famines qui sont encore, hélas! trop
+fréquentes en Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous estimons
+que personne ne doit avoir une alimentation insuffisante, et que c'est
+une honte pour une société civilisée d'avoir un seul de ses membres
+manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à proclamer que ce déshérité
+aurait, dans ce cas, le droit absolu de prendre ce qui est indispensable
+à sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre si un jour la
+capricieuse fortune venait à lui sourire. C'est d'ailleurs la doctrine
+de l'Église, nettement formulée par saint Thomas, et très bien expliquée
+dans un livre récent (_Socialisme et Christianisme_) de l'abbé
+Sertillanges, professeur de philosophie à l'Institut catholique. Mais
+laissons là ces considérations d'ordre social, renonçons au délicat
+plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers adjacents, et
+reprenons notre grande route! Ce qui est sûr, c'est que le problème de
+l'insuffisance d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez les
+gens bien portants; notre état social n'étant pas aussi détestable
+que se plaisent à le dire quelques pessimistes, ou encore quelques
+jouisseurs, qui semblent n'avoir pour but que de semer la haine par
+leurs discours et par leurs écrits. En France, personne ne meurt de
+faim, et bien peu de gens sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant
+donné le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter.
+
+Là où le problème de l'insuffisance alimentaire devient, pour le
+médecin, d'une douloureuse perplexité, c'est quand il s'agit de malades
+ne pouvant ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence rien
+digérer, vomissant tout ce qu'ils prennent, arrivés au dernier degré de
+la consomption, n'urinant presque plus, restant des semaines entières
+sans aller à la garde-robe, ne dormant plus, ne pouvant plus ni lire, ni
+supporter une conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu de ces
+grands malades sans lésions organiques, auxquels il est très difficile
+de faire du bien, et auxquels on fait trop facilement du mal par une
+intervention intempestive. Est-il admissible que la vie persiste dans
+ces conditions déplorables, et faut-il, oui ou non, forcer ces malades à
+manger?
+
+Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance du système
+nerveux, en domptant sa révolte, on arrive à des résultats remarquables.
+Chez de grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une seule
+application de la sonde oesophagienne suffit pour faire renaître
+l'appétit, et rendre à l'estomac la tolérance qu'il avait perdue depuis
+longtemps. Le plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard, est
+celui d'une jeune femme mariée à un capitaine au long cours. Dès le
+lendemain du mariage, il l'emmenait en voyage de noces à San Francisco,
+en passant par le détroit de Magellan, sur un navire à voiles. Pendant
+ce voyage, qui dura six mois, la jeune femme commença à éprouver divers
+symptômes morbides. Elle en arriva à être gravement atteinte, et on dut
+la faire revenir, par les voies les plus rapides, de San Francisco
+à Paris, où elle désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je
+trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes les apparences d'une
+tuberculeuse avancée; l'auscultation ne révélait cependant rien. Pendant
+les trois premières semaines de son séjour à Paris, elle avait une
+inappétence absolue, ne tolérait aucun aliment, pas même le lait coupé,
+et était dévorée par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La
+température s'abaissait à 40° le matin. Bien que la chaleur de la peau
+fût mordicante, bien que la malade n'eût aucun intérêt à me tromper
+puisque c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je me refusai à
+croire à la possibilité d'une fièvre aussi ardente et aussi continue. Je
+m'attachai à vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin les
+indications thermométriques; elles étaient parfaitement exactes. C'est
+alors que, en désespoir de cause, voyant que ni la quinine en injections
+ni les lotions fraîches ne modifiaient cette température, je me décidai
+à recourir aux lumières du Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je
+ne trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement pas
+d'impaludisme; nous sommes donc en présence d'une de ces hyperthermies
+comme on en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le plus pressé
+est d'empêcher cette femme de mourir de faim, et, puisqu'elle ne peut
+pas manger, il faut la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et,
+après cinq repas assez copieux donnés à la sonde, la malade retrouva
+l'appétit, la fièvre tomba, le sommeil revint. Deux mois après, elle
+pouvait quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais une lettre
+m'annonçant la naissance d'un enfant. Suivant la formule traditionnelle,
+la mère et l'enfant se portaient bien.
+
+Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme
+m'invita à voir l'un de ses malades, opéré depuis dix jours, et qui,
+depuis, ne voulait pas manger. Il était guéri de son opération, n'avait
+aucune fièvre, aucune lésion organique, mais il se refusait obstinément
+à avaler quoi que ce fût. C'était probablement le choc opératoire qui
+avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il
+maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai pas, alors, à lui donner du
+premier coup, par la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance
+possible, un repas complet; dès le même soir, il demandait à manger, et,
+s'étant mis à digérer, il était guéri. Huit jours après, il sortait de
+l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que, chez les aliénés, il
+ne soit du devoir strict du médecin de prolonger l'alimentation à la
+sonde aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après s'être toutefois
+bien enquis du fonctionnement du système digestif. Il y a là de grosses
+difficultés cliniques.
+
+D'une façon générale, cependant, nous hésitons toujours à employer ce
+moyen brutal qu'est la sonde oesophagienne; le plus souvent, quand
+l'alimentation est indiquée pour une grande neurasthénique qui ne veut
+ou ne peut pas manger, nous la lui imposons par suggestion à l'état
+de veille. Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La
+vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut alimenter. La
+responsabilité du médecin est, quelquefois, bien gravement engagée
+dans ce problème. S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même par
+suggestion ou par persuasion, il risque de donner à sa malade une
+indigestion formidable, avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il
+risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de vie qui soutiennent
+l'existence de la malade. Étant donné ce que nous avons dit du peu
+d'aliments qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à redouter
+d'une alimentation intempestive, nous croyons qu'il faut patienter le
+plus possible, et ne donner à ces malades que le régime ultra-restreint,
+sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage, toujours prêt à
+se figurer que la malade va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand,
+par une alimentation restreinte mais bien conduite, on a été assez
+heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,--et on y arrive
+toujours,--alors seulement on alimente plus généreusement.
+
+Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder habituelle de nos
+confrères renommés pour le traitement des grandes névroses; mais nous
+ne pouvons pas admettre que tous les malades, quel que soit le degré de
+leur «maladie», soient justiciables d'un même procédé thérapeutique, et
+que, après six jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise
+de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils mangent et qu'ils
+digèrent n'importe quoi. Ils mangeront peut-être, mais tous ne
+digéreront pas.
+
+III. _Alimentation insuffisante en qualité_.--Si l'insuffisance
+alimentaire quantitative joue, dans la pathogénie de la «maladie», un
+rôle relativement minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance
+qualitative; et la défectueuse qualité des aliments est un ennemi de
+tous les jours, d'autant plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On
+ne saurait croire combien les aliments les plus usuels sont frelatés.
+Si une chimie bienfaisante permet, par-ci par-là, de découvrir quelques
+fraudes, il est une chimie malfaisante qui fait tous les jours des
+progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous en doutions. Bientôt
+le dictionnaire des falsifications alimentaires atteindra le volume du
+Bottin. Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se mettent aussi
+de la partie, et, par les procédés de congélation, en particulier, on
+arrive à jeter sur les marchés des aliments de belle apparence, mais
+qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante. Prenons, à titre
+d'exemple, les poissons de mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans
+un port de mer, par la vue de gros blocs de glace que des pêcheurs
+emportaient avec eux. Ces blocs ne me disaient rien qui vaille; et
+j'appris, en effet, que ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours,
+et que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson, ils le mettaient
+dans la glace: de telle sorte que ce poisson congelé arrive sur nos
+marchés avec bel aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires
+avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état d'aliment
+toxique.
+
+Certains procédés de stérilisation sont également vus d'un mauvais oeil
+par l'hygiéniste. Pour les conserves de viande, notamment, on sait les
+préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire; et le problème
+vient seulement d'être résolu, grâce au zèle d'une commission composée
+de nos plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en bactériologie
+qui ont travaillé pendant de longs mois.
+
+Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est pourquoi il est si
+souvent un breuvage meurtrier, non seulement pour les enfants, mais même
+pour les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié, ou
+adultéré spontanément, qu'il est, chez les malades, d'un emploi si
+délicat. Remarquez que nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si
+le lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas parce qu'il
+est altéré, c'est parce qu'il est trop riche en crème, ou pris en trop
+grande quantité, c'est aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple
+bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou s'en abstenir, sans
+poursuivre le projet insensé de vaincre l'intolérance des malades. A
+cela on y arrive parfois, quand le malade est complaisant, mais le plus
+souvent on échoue.
+
+Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons, mollusques,
+viandes, provoquent des empoisonnements dont on néglige souvent de
+chercher la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la fièvre
+typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre ces deux extrêmes,
+toutes les variétés cliniques se rencontrent. D'autres fois, ils
+empruntent le masque du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que le
+traitement consiste à attendre que l'économie soit débarrassée de ces
+poisons (diète absolue d'abord, puis tisanes et repos); quant à chercher
+à favoriser l'élimination des poisons par des purgatifs ou des vomitifs,
+c'est très légitime en théorie, mais, en fait, très dangereux, car on
+ajoute ainsi un élément de perturbation qui aggrave parfois grandement
+l'état morbide.
+
+Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication alimentaire
+n'occasionne qu'à la longue la perturbation du système digestif; et
+c'est alors qu'il est si difficile de rapporter les effets directs et
+éloignés de cette perturbation à leur cause véritable.
+
+IV. _Alcool_.--Certes, l'alcool et toutes les boissons distillées,
+quelque pompeuse que soit l'étiquette de leur flacon récepteur,
+constituent un aliment meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en
+leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence pour la mémoire de
+Duclaux, qui a excité de si vives polémiques en écrivant que l'alcool
+était un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme sont de ceux
+que déplorent tout hygiéniste et tout bon citoyen; aussi ne saurait-on
+encourager trop les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de
+tempérance, etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts contre
+les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache aux conditions
+économiques de la société? L'alcoolisme durera aussi longtemps que
+l'impôt sur l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté à l'État
+358 392 000 francs (et dans ce chiffre ne sont pas compris les droits
+sur les vins, cidres, bières, etc.); aussi longtemps que la puissance
+électorale du marchand de vin; aussi longtemps que le malaise
+de l'ouvrier, poussé au cabaret par la destruction du foyer et
+l'insalubrité du logis...
+
+Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant sincèrement le
+succès des généreux efforts des ligues anti-alcooliques, de conserver un
+reste de pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool un oubli
+momentané aux misères humaines. C'est souvent leur malheur, et non leur
+faute, s'ils tombent dans la dégradation progressive qu'on déplore à
+trop juste titre.
+
+Mais autant est légitime la campagne contre les boissons distillées,
+autant, à notre avis, les boissons fermentées devraient trouver grâce
+devant la rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la ligue
+anti-alcoolique française, pour ne parler que d'elle, compromet d'une
+façon irrémédiable le résultat qu'elle poursuit, si elle continue à
+proscrire les boissons _fermentées_. Qu'un intellectuel dyspeptique ne
+tolère pas une goutte de vin à ses repas, c'est chose possible, et il
+fera bien de s'en abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre,
+c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a quelques années,
+on pouvait dire qu'un litre de vin représentait 100 grammes de mauvais
+alcool; mais depuis la surproduction des vignes françaises, et depuis
+qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin est devenu une boisson
+hygiénique, quand elle est prise à petite dose par des gens dont
+l'estomac n'est pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait
+mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en chambre, de dépenser
+à l'achat d'aliments azotés, ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense
+à acheter du vin; mais que deviendrait la vie si elle était soumise aux
+tyrannies des théoriciens hygiénistes?
+
+Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter que le vin
+entrât dans la ration réglementaire. Presque tous apprécient énormément
+le vin, et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du chef qui
+leur octroie aimablement un quart de litre de vin. Malheureusement, il
+ne faut pas songer avant longtemps à introduire l'usage régulier du vin
+dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on voulait se rappeler que,
+chaque fois qu'on augmente d'un centime par jour la dépense du soldat
+français, le budget se trouve grevé d'un million par an, on mettrait fin
+du coup à toutes les discussions, plus ou moins intéressées, qui font
+perdre à nos législateurs un temps précieux.
+
+Un esprit chagrin pourrait nous répondre que l'eau stérilisée que l'on
+donne aux soldats coûte plus cher que le vin, si l'on tient compte du
+prix d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du combustible, et
+surtout de la répugnance invincible qu'ont les soldats à boire cette eau
+cuite, presque toujours tiède malgré les soins qu'on met à la refroidir
+après la stérilisation; mais nous aurions mauvaise grâce à nous associer
+à ces critiques. Il ne faut décourager les efforts de personne.
+
+Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une boisson recommandable
+pour l'adulte valide, chez le malade le vin et les autres boissons
+fermentées sont, en général, de véritables toxiques; et c'est par
+la suspension du vin qu'il faut commencer le traitement de tous les
+dyspeptiques. Mais quand l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit
+d'aider à la reconstitution du système nerveux, le vin devient un
+adjuvant utile; et non pas sous une forme pharmaceutique quelconque,
+mais sous la forme de bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin
+d'Algérie, du Midi, etc.).
+
+En résumé, les erreurs de l'alimentation sont essentiellement
+regrettables, comme le sont toutes les erreurs contre la véritable
+hygiène; elles entrent pour une bonne part dans la genèse de la
+«maladie»; mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées à
+fond, tandis que les influences qui nous restent à passer en revue
+agissent plus profondément encore, d'une manière plus insidieuse et plus
+malfaisante; et leur rôle pathogénique n'est, en général, pas apprécié à
+sa juste valeur. Nous voulons parler des influences morales.
+
+
+II.--CAUSES MORALES
+
+
+Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence du moral sur le
+physique; mais, malgré les travaux de divers philosophes, les médecins
+en général ne connaissent pas encore assez cette influence du moral, et
+ne lui attribuent pas assez d'importance. En réalité, elle joue un rôle
+énorme, et dans presque tous les cas elle se rencontre, pour qui sait la
+chercher. Malheureusement, pour faire de semblables enquêtes, il faut
+beaucoup de temps, il faut que le médecin devienne le confident, l'ami
+de son malade, et qu'une regrettable suspicion de l'entourage ne
+l'empêche pas d'accomplir son oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin
+ait des qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la pensée du
+sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre à mots couverts.
+
+Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales de «maladie» sont
+multiples, et peuvent être rapportées aux quatre grands chefs suivants,
+que nous classons par ordre d'importance effective, sans aucune
+prétention psychologique:
+
+1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au jeu, etc., ambitions
+déçues.
+
+2° Influences qui compromettent, par une action lente et continue, la
+quiétude de l'âme (passions contrariées, chagrins d'amour).
+
+3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés par
+l'éloignement ou la perte d'êtres aimés).
+
+4° Choc moral et choc traumatique.
+
+1° _Pertes matérielles_.--Les pertes de fortune, les changements de
+situation, sont des facteurs moins importants qu'on ne se le figure
+d'ordinaire, relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois le
+premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez vite aux nouvelles
+conditions d'existence qui leur sont faites, si elles n'ont pas, par
+ailleurs, à s'alarmer pour leurs enfants, et si elles sont préalablement
+bien portantes. On pourrait paraphraser la pensée d'Horace, en disant:
+_Sanum et tenacem impavidum feriunt ruinae_. C'est ainsi qu'on a pu
+définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»; et c'est peut-être la
+meilleure définition qu'on en ait donnée.
+
+Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, les
+perturbations dans la situation sociale, les pertes d'argent, provoquent
+des assauts considérables,--que le médecin doit savoir deviner,--
+capables de produire la «maladie», et surtout de l'aggraver quand elle
+existe déjà à un degré quelconque. Voyez ce diabétique qui, d'un jour
+à l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez bien: c'est
+souvent parce qu'il a eu, la veille, une perte d'argent.
+
+Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes qu'une perte survenue
+accidentellement ou par imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une
+influence morbide considérable. Le joueur, en effet, vit dans un milieu
+anti-hygiénique; il joue, le plus souvent, la nuit, et se prive de
+sommeil; en outre, son surmenage émotionnel est doublé de surmenage
+cérébral; bref, la funeste habitude du jeu mérite une place d'honneur
+parmi les causes morales pathogènes.
+
+Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie avec les pertes au jeu.
+Ici l'enjeu, au lieu d'être une somme d'argent, est un grade, une
+décoration, un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue
+quelquefois une importance qui nous fait sourire, mais qui, cependant,
+lui tient grandement au coeur: car tout est relatif dans la vie, et
+l'ambition déçue après de longs efforts, après des tentatives souvent
+répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie». Qui ne connaît,
+dans son entourage, un officier navré d'avoir à prendre sa retraite sans
+avoir obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait le malheur
+d'une famille, et son propre malheur, au point d'en perdre la santé, ou
+quelquefois la vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais c'est de
+cette nourriture que vivent les hommes.
+
+2° _Influences qui compromettent la quiétude de l'âme_--Les unes
+agissent par leur continuité: ce sont les coups d'épingles incessants
+dans un ménage où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles
+de famille quotidiennes, l'impossibilité de fuir un milieu où l'on ne se
+sent pas à l'aise. C'est le fait d'être souvent en butte aux taquineries
+ou aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend pas, d'avoir à
+subir l'autorité malveillante d'un parent, d'une mère. La victime se
+trouve tiraillée à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion plus
+ou moins forte du devoir, et, d'un autre, poussée à la révolte par les
+vexations, réelles ou imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice
+incessant finit par «énerver»,--c'est le mot qu'on emploie
+journellement,--autrement dit, finit par amener la «maladie», à un degré
+variable: et l'une de ses formes les plus connues s'appelle le délire de
+la persécution, quand le trouble mental domine la scène morbide. Mais,
+si l'on étudie de près un «persécuté», on verra bien vite qu'il n'est
+pas malade que de la tête; il digère mal, il est constipé, il maigrit,
+il a souvent des battements de coeur, de la dyspnée, la peau sèche,
+etc., etc.; toutes ses fonctions sont en délire. Tout est fou chez
+l'aliéné, parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand malade».
+
+D'autres fois, c'est une passion vive, intense, qui compromet
+l'équilibre de la santé. La passion amoureuse mérite, à ce titre, d'être
+signalée au premier rang; nous en avons dit un mot déjà, à propos de la
+jeune fille: mais ici nous l'étudions dans sa forme ardente, fougueuse,
+la forme qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le système
+nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie, qui peut se traduire
+par la production de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de _Tristan
+et Yseult_, ou comme la _Nuit d'Octobre_, mais qui amène souvent, chez
+celui qui en est victime, une perturbation générale de la santé, quand
+un obstacle d'ordre moral ou matériel empêche cette passion de se
+satisfaire. La victime perd alors le sommeil, s'agite dans le vide,
+est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet les fonctions
+digestives; l'estomac entre en scène, le cercle vicieux s'établit; la
+«maladie» est constituée. Elle durera tant que durera sa cause, ou
+qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté le remède efficace. Bien
+souvent, d'ailleurs, le temps seul est le remède; et il faut savoir
+attendre, sans imposer au malade une médication perturbatrice, qui
+aggraverait son état.
+
+Lorsque la victime est obligée de garder pour elle son secret, sans
+pouvoir le communiquer à un confident, sa situation est encore plus
+lamentable. Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là
+l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer
+confiance à son malade et à provoquer chez lui des confidences, qui le
+soulagent plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité.
+
+Combien de femmes sont malheureuses en ménage sans que personne s'en
+doute! Elles dissimulent avec un soin jaloux à leur famille, à leurs
+amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et combien leur misère
+n'est-elle pas atténuée quand elles peuvent confier leur chagrin à un
+homme de bon conseil?
+
+3° _Inquiétudes d'origine altruiste_.--Les inquiétudes relatives à la
+santé d'un être cher sont souvent aussi une cause de neurasthénie, et il
+n'est pas rare de voir les divers membres d'une famille devenir, tour
+à tour, malades, par le fait des préoccupations et des fatigues qu'a
+causées l'atteinte d'un premier membre. Une mère qui, comme je l'ai vu,
+passe vingt jours et vingt nuits sans quitter le chevet de son enfant
+atteint de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant sera guéri.
+Elle pourra peut-être devenir, à son tour, une typhoïdique; mais, même
+si elle ne prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée pour
+longtemps. De même encore le fait d'avoir un enfant infirme, qu'on
+voit du matin au soir, empoisonne assez l'existence pour entraîner,
+quelquefois, la «maladie».
+
+Dans une famille bien unie, la névrose de l'un des membres ébranle
+tellement le système nerveux des autres, que la nécessité de la
+séparation s'impose. La contagion de la névrose n'est cependant pas une
+«contagion» au sens propre du mot; mais, en pratique, on est souvent
+appelé à traiter le malade comme s'il était contagieux, dans son propre
+intérêt et dans celui de son entourage.
+
+Le départ des êtres qui nous sont chers est un autre facteur important
+de «maladie»:--même la séparation momentanée, (femmes de marins ou de
+militaires partant en campagne),--sans compter que le chagrin de la
+séparation se double, en ce cas, d'inquiétude pour les dangers que va
+courir l'être aimé. On voit alors la «maladie» survenir au bout de
+quelque temps, revêtir une forme quelconque, avec des manifestations
+variant à l'infini (insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes
+traduisant le malaise du système nerveux central, qui ne s'atténuera
+que quand la cause disparaîtra. Et même, une fois la cause disparue, il
+pourra persister encore des mois et des années, parce que l'habitude
+morbide est prise, parce que le système nerveux a reçu le choc. La
+cellule continuera à vibrer de travers, comme la surface d'un lac
+continue à être agitée bien longtemps après la chute de la pierre qui a
+troublé son repos.
+
+Quand la séparation est définitive, le mal est plus profond encore, et
+l'expression de «vie brisée» est absolument juste. La perte d'un être
+cher atteint la vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un seul
+coup, le capital biologique. Le malade traînera une existence plus
+ou moins lamentable, et plus ou moins prolongée; mais les moyens
+thérapeutiques les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine
+philosophie atténuera ses maux, et le médecin a surtout à lui offrir une
+bonne psychothérapie. Le temps, aussi, devient un remède avec lequel il
+faut compter; le rôle principal du médecin, dans les cas de ce genre,
+doit être d'empêcher l'organisme de s'effondrer, pour permettre au temps
+d'accomplir son oeuvre réparatrice.
+
+4° _Choc moral et choc traumatique_.--Une émotion violente, quelle
+qu'en soit la cause, peut également amener la «maladie» sous une forme
+quelconque, et parfois lui faire revêtir immédiatement, sans transition,
+les formes les plus graves. Je connais un officier très distingué, et
+bien portant jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une chute
+de cheval sur la tête. Après deux jours de perte presque complète de
+connaissance, il recouvra successivement la parole, la mémoire, le
+mouvement, les forces; mais il était devenu un malade. Depuis douze
+ans, il traîne une existence pitoyable. Ce ne sont pas seulement les
+fonctions cérébrales qui sont atteintes, chez lui; elles sont même
+relativement respectées, il n'a que des vertiges, des bourdonnements de
+l'oreille gauche, des picotements dans les yeux, de la difficulté à lire
+et à causer. Au demeurant, son intelligence est restée intacte: mais
+toutes ses autres fonctions ont été perturbées. Il a des névralgies
+erratiques,--plusieurs médecins ont cru que c'était un candidat à
+l'ataxie locomotrice,--et surtout il a les troubles digestifs les plus
+variés (gastralgie, pesanteurs, gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse
+avec alternative de constipation opiniâtre et d'une diarrhée qu'il est
+difficile d'arrêter). Les forces sont tellement réduites qu'il peut
+à peine faire deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé les
+muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type de malade, atteint de ce
+qu'on appelle la «neurasthénie hystéro-traumatique», ce sont les
+troubles digestifs qui sont au premier plan, bien que le choc ait porté
+sur la tête.
+
+De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de _trauma_ véritable de la
+boîte crânienne, suffit pour amener le choc déterminant la «maladie».
+J'ai vu à la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le début du
+siège de Paris, devint folle pour avoir vu éclater un obus à ses pieds.
+On comprend donc qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au même
+résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés observée après le siège
+de Paris; de là, la multiplicité des cas de psychonévrose, d'aliénation
+mentale, signalés dans l'armée russe pendant le cours de la guerre
+russo-japonaise. Jamais, depuis que les hommes s'entre-tuent, le système
+nerveux des belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures épreuves.
+Tous les facteurs morbides s'accumulaient, chez les Russes, pour
+produire le désarroi du système nerveux. Éloignement de la patrie,
+voyage prolongé en chemin de fer, alimentation insuffisante, manque
+de confiance dans les chefs, menace incessante de surprise, surmenage
+physique s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est plus qu'il n'en faut
+pour rendre malade le malheureux soldat ou officier russe, pour peu
+qu'il soit prédisposé par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse. Mais
+que faire contre un semblable état de choses? L'homme sensé ne peut que
+déplorer l'inanité des efforts de tous les pacifistes.
+
+Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle la guerre, ne sont
+pas assez connues du monde extra-scientifique. On se figure volontiers
+que, quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est rien; c'est
+pendant quinze et vingt ans que les néfastes effets d'une guerre se font
+sentir. Pendant vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui
+avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la campagne de 1870,
+et surtout pendant la captivité.
+
+Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous les jours l'influence du
+choc chirurgical sur la genèse de la névrose. On commence à connaître
+les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations: mais c'est un
+point sur lequel il convient d'attirer l'attention, pour modérer le zèle
+chirurgical des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand l'opération
+est finie et bien finie, tout n'est pas terminé, et que le patient,
+sorti guéri de leurs mains, est quelquefois «un malade» qui restera tel
+pendant plusieurs années. Le choc traumatique produit par l'intervention
+chirurgicale suffit pour expliquer ces accidents tardifs.
+
+J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une dame qui, d'une très
+belle santé jusqu'à trente-huit ans, est devenue grande nerveuse, avec
+anorexie, amaigrissement, etc., immédiatement après une opération de
+tumeur bénigne du sein. Depuis lors, elle est sans cesse préoccupée de
+la récidive possible d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée par
+des malaises de tout genre qu'elle n'avait pas avant l'opération.
+
+Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, même de moindre
+importance encore, d'importance ultra-minime, peut mettre le système
+nerveux dans un état d'ébranlement durable: c'est quand elle occasionne
+une violente douleur. La douleur provoque une fuite nerveuse énorme.
+Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé antérieure, qui est
+devenue neurasthénique immédiatement après des opérations sur les dents.
+
+Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales sont
+pratiquées sur des personnes dont le système nerveux est déjà ébranlé
+plus ou moins, elles deviennent une cause d'aggravation notable.
+La seule crainte de l'opération possible suffit pour provoquer une
+aggravation de la névrose. Est-il un médecin qui n'ait pas vu accourir
+chez lui, forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a
+constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du sein? Et c'est bien
+autre chose encore quand le diagnostic est douteux, quand la malade
+va de chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis ferme; jusqu'à ce
+qu'elle soit fixée sur son sort, elle est dans un état d'anxiété que ne
+connaissent peut-être pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur
+dicter leur conduite non pas seulement au point de vue opératoire, mais
+au point de vue psychique.
+
+Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. Leur sang-froid, leur
+maîtrise d'eux-mêmes, leur habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux
+résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font les considérer, au
+total, comme de vrais bienfaiteurs de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir
+qu'ils ne m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer que,
+à côté de beaucoup de bien, ils font un peu de mal, et un mal qu'ils
+pourraient ne pas faire s'ils connaissaient mieux les répercussions
+qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention, et aussi les soins
+qu'ils donnent à leur malade après l'opération. Je voudrais ne les voir
+intervenir qu'en cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement
+contre les opérations qu'on pourrait appeler de complaisance:--comme
+celle qui a été pratiquée, contre mon avis, sur une malade qui se
+croyait atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que grande
+nerveuse. Cette malade avait déjà appelé, malgré moi, quatre chirurgiens
+qui n'avaient pas voulu opérer; un cinquième se décida à le faire, sans
+avoir de conviction absolue, au sujet de l'existence d'une appendicite,
+mais avec la persuasion que la malade, débarrassée de son obsession en
+même temps que de son appendice, recouvrerait la santé. Or il n'en fut
+rien: l'appendice était sain, et la malade, légèrement améliorée pendant
+un mois, par le fait du repos au lit, du régime sévère, de l'espoir
+qu'elle avait, et que je fus le premier à entretenir, vit bientôt son
+état devenir pire qu'avant l'intervention.
+
+Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens de tenir le moins
+possible les malades en suspens pour savoir si l'on opérera, et quel
+sera le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité, sont
+angoissantes au premier chef pour les personnes déjà nerveuses. Et je
+leur demanderai, enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale
+après l'opération... Je sais bien que, dans certains cas, le chirurgien
+doit suralimenter et même médicamenter son opéré, au risque de lui
+fatiguer l'estomac, et de compromettre les résultats qu'une savante
+hygiène alimentaire avait difficilement obtenus, pendant les mois ou les
+années qui ont précédé l'intervention. Là, il y a force majeure; et,
+dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il savait bien faire de
+la mauvaise besogne, mais il se comparait aux pompiers que n'arrête
+pas la considération de dégâts limités, quand il s'agit de sauver un
+immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré guérirait sans intervention
+médicale et sans champagne, sans suralimentation, sans médicaments, sans
+morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, au sortir de la maison
+d'opérations, son système nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est.
+Il serait plus vite remis du choc traumatique inévitable, qui, à lui
+seul, est un important facteur de dépréciation de la valeur biologique.
+
+Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de la morphine aux malades,
+et à des doses effrayantes? Je sais bien qu'en général ces doses
+invraisemblables,--de 1 à 2 centigrammes répétés deux fois par
+jour,--sont tolérées, pendant les premiers jours qui suivent
+l'opération, parce que l'opéré a une telle sidération du système
+nerveux qu'il ne réagit pas au poison[8]. Mais combien, aussi, ont des
+vomissements et des symptômes d'intoxication grave? Et plus fâcheux
+encore est le résultat quand le malade se met à aimer l'odieux poison,
+et devient morphinomane,--ce qui arrive quelquefois. De grâce, réservez
+donc la morphine pour les cas exceptionnels de souffrance, et n'en
+confiez pas l'administration à une garde, si bien intentionnée et si
+intelligente que vous la supposiez; vos malades n'en seront que plus
+vite guéris!
+
+[Note 8: J'ai traité plus longuement ce sujet dans le _Bulletin de
+la Société Thérapeutique_, novembre 1905.]
+
+Ou bien encore cette habitude de purger les malades, deux ou trois jours
+après l'opération, de leur donner des lavements, alors qu'ils auraient
+tant besoin de repos! La constipation n'est-elle donc pas un symptôme,
+une manifestation, presque inévitable, de l'ébranlement du système
+nerveux provoqué par le choc opératoire? Laissez le système nerveux
+reprendre son équilibre, et la constipation disparaîtra d'elle-même,
+quand l'opéré, sollicité par son appétit spontanément renaissant,
+recommencera à manger.
+
+Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie, une simple vue de
+l'esprit d'un rêveur qui n'a pas vu d'opérés! La démonstration a été
+faite pour moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience de
+laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme a bien
+voulu m'associer aux longues recherches qu'il a faites pour provoquer la
+constipation chez ses opérés. Or, de tâtonnements en tâtonnements, il en
+était arrivé à constiper tous les hommes ayant à subir des opérations
+dans les régions abdominales, inguinales et crurales; il évitait ainsi
+la souillure, et, par conséquent, le renouvellement des pansements. Et
+ce n'était pas une constipation de deux ou trois jours qu'il provoquait,
+mais bien de douze ou quinze jours. Chez un malade de mon service, opéré
+par lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation a été
+entretenue pendant dix-huit jours. J'ai demandé récemment à M.
+Delorme s'il était toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu
+affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi une statistique de
+laquelle il résulte que, depuis le jour où il m'avait convié à assister
+à ses premiers essais, en 1889, il avait opéré, après constipation
+provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de Vincennes, 1600 cures
+radicales de hernies, 50 cures radicales d'hémorroïdes, 500
+varicocèles, 30 castrations, 500 opérations variées de la sphère
+inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait constipé
+méthodiquement 15 hommes atteints de fractures de la cuisse, pour que
+leurs appareils contentifs ne fussent pas souillés.
+
+C'est une partie de ces faits que M. Delorme a brillamment exposés à la
+Société de Chirurgie, en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes
+thermiques, démontrant que la température n'a pas monté au-dessus de la
+normale, pendant toute la durée de la constipation, et que, même, elle
+a souvent été abaissée un peu au-dessous de la normale (90 fois sur ces
+160 observations). Dans quatre cas seulement, elle a dépassé la normale,
+mais c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication
+iodoformée, rhumatisme aigu, congestion pulmonaire (deux fois). Chez 110
+opérés de cures radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans la
+moindre importance. Elles disparaissaient après l'émission spontanée de
+gaz. La langue, saburrale les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect
+normal; l'appétit était conservé chez la majeure partie des constipés.
+Dès le troisième jour, on leur donnait à manger des potages, des oeufs,
+de la viande blanche, du vin, en évitant que les aliments capables de
+donner des déchets. Le sommeil restait bon, le caractère ne laissait
+voir aucune modification, la soif n'était pas excessive, et les analyses
+d'urines, faites par le professeur Burcker, ont démontré que l'économie
+ne subissait, du fait de la constipation provoquée, aucune influence
+néfaste. La première selle était, parfois, facile et spontanée; d'autres
+fois elle était pénible; c'est ainsi qu'un malade ne put aller à la
+garde-robe que le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur lui
+les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; ce n'est que quand on
+le fit marcher qu'il parvint à aller à la selle. Les selles suivantes
+étaient habituellement aisées, et les fonctions de l'intestin
+reprenaient leur régularité. «Ma communication, ajoutait M. Delorme,
+pourrait avoir plus qu'un intérêt clinique, étant donnée les théories
+qui ont cours sur l'importance et la fréquence des intoxications
+intestinales. Mais je désire rester exclusivement sur le terrain de la
+pratique, et je conclurai en disant que, chez les hommes adultes et
+sains surpris par un traumatisme chirurgical qui doit guérir par
+première intention, la constipation, provoquée pendant huit à quinze
+jours, n'a pas les inconvénients qu'on lui attribue généralement.»
+
+Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme est arrivé à obtenir ces
+constipations prolongées, si peu nuisibles aux opérés: car ce serait
+sortir de mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue
+digression, c'est que la constipation de quelques jours, survenant
+d'elle-même et presque fatalement chez les opérés, quels qu'ils soient,
+ne doit pas préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à imposer
+à leurs opérés des purgations qui, fatiguant leur système nerveux
+abdominal, ont forcément un retentissement sur leur système nerveux
+central, et contribuent à en faire des malades, alors qu'au début ils
+n'étaient que des blessés, ou bien à aggraver leur «maladie», quand ils
+étaient déjà des malades avant l'opération.
+
+Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs affirment que la
+constipation est l'ennemi des femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose
+pas m'inscrire en faux contre cette opinion générale: mais peut-être
+serait-elle, comme tant d'autres affirmations, passible d'un procès en
+révision.
+
+
+III.--CAUSES ACCIDENTELLES
+
+
+Nous venons d'énumérer les principales causes d'ordre psychique qui
+amènent la déchéance, totale ou progressive, du capital vital de l'homme
+ou de la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées ou non aux
+autres influences néfastes (surmenage cérébral, surmenage musculaire,
+alimentation défectueuse, etc.), provoquent le plus souvent la
+«maladie».
+
+Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier âge, comme chez
+l'adolescent, la «maladie», chez l'adulte, est provoquée par une
+affection aiguë qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre typhoïde,
+qui, véritable intoxication, surprend l'adulte dans le cours d'un état
+d'équilibre irréprochable, et qui, chose curieuse, paraît être d'autant
+plus grave que le sujet était plus robuste.
+
+La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer la «maladie».
+Ainsi, je connais un homme de quarante-huit ans, qui a vu sa santé
+irrémédiablement ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde survenue à
+l'âge de vingt ans. Mais le cas est rare; souvent, au contraire, on
+observe qu'une fièvre typhoïde, survenant chez un individu malingre, lui
+donne une santé, pour la suite, qu'il ne se connaissait pas jusqu'alors.
+Est-ce parce que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que la diète
+imposée par la fièvre typhoïde a remis l'organe en état? Est-ce parce
+que, jusqu'alors, il se soumettait à un exercice trop vigoureux pour ses
+forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant le repos, a rectifié
+ses erreurs d'hygiène musculaire? Est-ce enfin parce que la fièvre,
+en brûlant ce que les anciens appelaient ses «humeurs peccantes», l'a
+débarrassé de ses produits d'auto-intoxication antérieurs à l'affection
+aiguë? A vrai dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne pouvons que
+constater le fait. Trop heureux serait celui qui pourrait connaître les
+causes de tous les phénomènes de la vie!
+
+Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, pneumonies,
+etc., dans quelle mesure créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»?
+Nous pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles ne font que
+l'aggraver: car, toujours la «maladie» préexistait. Pour contracter
+un rhumatisme, une pneumonie, une angine, il faut déjà que le système
+nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit définitif, soit
+momentané. La première condition pour ne pas prendre les «maladies»,
+c'est de se bien porter.
+
+Mais il n'en est pas moins certain que l'affection accidentelle, en
+intervenant, imprime à la «maladie» un essor plus ou moins vigoureux,
+suivant l'importance de la cause pathogène accidentelle, et aussi
+suivant la valeur préalable du sujet.
+
+De toutes les affections accidentelles, celle qui est le plus
+remarquable, à cet égard, est la grippe. La déchéance post grippale est
+très fréquente, et parfois d'une longueur invraisemblable. On met des
+années, souvent, à se remettre d'une mauvaise grippe. Et cet ennemi est
+d'autant plus dangereux que, loin de créer l'immunité, il a une tendance
+à revenir à la charge; or, dans le cours de la «maladie», chaque
+atteinte de grippe fait faire un pas en arrière, et compromet les
+résultats péniblement acquis. La grippe est l'ennemie personnelle des
+sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien entendu, la forme
+symptomatique de leur «maladie».
+
+C'est aussi dans la période que nous étudions que se manifeste
+dangereusement la syphilis contractée à vingt ans, et insuffisamment
+soignée; elle se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte, des
+lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont personne ne soupçonne
+la cause, des ictus cérébraux, et toutes les manifestations de la
+syphilis tertiaire. Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et
+la paralysie générale, ou du moins elle prédispose singulièrement
+le terrain à l'apparition de ces cruelles «maladies», d'évolution
+fatalement progressive. On commence à connaître ses méfaits, dans le
+monde des assurances, et à savoir que la syphilis n'est pas un brevet de
+longue vie! D'un travail statistique fait par le Dr Rungberg pour une
+Compagnie d'assurances, il résulte que l'âge moyen de la mort des
+syphilitiques assurés à cette Compagnie a été de quarante-trois ans et
+quatre mois, et que, au point de vue des causes de mort, la syphilis
+vient immédiatement après la tuberculose.
+
+
+IV.--INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME
+
+
+Toutes les considérations que nous venons d'exposer peuvent s'appliquer
+également à l'un et à l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste
+privilège de pouvoir être frappée par des influences morbigènes qui
+n'atteignent pas le sexe masculin, et qui méritent d'être étudiées à
+part.
+
+La menstruation joue, dans la vie de la femme, un rôle de premier ordre.
+Chez la femme très bien portante, son influence est à peine perceptible,
+mais chez la femme déjà malade son influence est des plus nettes; chez
+l'aliénée, en particulier, on observe d'une façon constante, quelques
+jours avant les règles, une aggravation du délire; et, chez l'aliénée
+qui semble guérie, on ne doit prononcer le mot de guérison que quand
+deux périodes menstruelles se sont passées sans accident. Nous disons
+à dessein _deux_ périodes: car si, chez les grandes névrosées, les
+troubles menstruels sont mensuels, chez les malades moins atteintes ils
+nous ont semblé souvent ne survenir que tous les deux mois[9].
+
+[Note 9: Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation
+s'accompagne toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois
+jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.]
+
+Chez la grande neurasthénique qui a encore ses règles correctes, on peut
+affirmer que, douze jours avant l'apparition des règles, les misères
+nerveuses, abdominales, etc., s'accentuent considérablement, au grand
+désespoir des familles qui, ayant espéré la guérison, croient que tout
+est à refaire. Mais il n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre,
+quelquefois même pendant les règles, à partir du deuxième jour, et, le
+plus souvent, immédiatement après la cessation de l'écoulement. Les
+malades entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne semaine».
+
+Le médecin doit connaître ce détail, et avertir les malades et leurs
+familles de la rechute, qui est inévitable tant que la «maladie» bat son
+plein. Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles, ce qui est
+fréquent, c'est d'un pronostic assez important; et la réapparition des
+menstrues après deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs cas,
+indique que la malade entre enfin dans la voie de l'amélioration, alors
+même qu'elle continue à souffrir.
+
+L'influence de la grossesse est non moins évidente. Nous avons dit
+qu'elle était quelquefois salutaire, parce que l'utérus développé
+remplaçait la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois l'utérus
+revenu à son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu
+plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées, la ptose
+abdominale devient un des principaux éléments de la «maladie». C'est
+alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la
+forme du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables services.
+
+Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques.
+Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce
+qu'elles étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est parce que
+la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicité
+normale. Si on avait soigné la future ptosique en temps utile, alors
+qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du système nerveux, de
+l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle
+n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses
+multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument
+si merveilleux, ne doit, à notre avis, être considéré que comme un moyen
+thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer la malade et lui
+permettre de se passer de ceinture.
+
+On y parvient, sauf quand la déchéance est trop avancée, par une bonne
+hygiène générale, s'adaptant aux indications fournies par chaque
+individu. Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez les
+autres par le repos, chez les unes par une saison à Vichy, chez les
+autres par un régime restreint, chez toutes par la reconstitution du
+système nerveux, qui toujours laisse à désirer.
+
+La ceinture abdominale, pour en revenir à elle, ne sera employée que le
+moins de temps possible. Chez les femmes non surmenées musculairement,
+on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit
+par les exercices de plancher de la gymnastique suédoise, soit par la
+pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les
+Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la
+pulsion de l'air, on ne fasse à la fois de la bonne thérapeutique
+abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les
+chanteurs et même toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force
+extraordinaire des muscles droits antérieurs; en se contractant, ils
+repoussent la main qui les comprime[10].
+
+[Note 10: Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial
+pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce
+dynamomètre donnerait des indications très intéressantes sur la valeur
+biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant
+vaut l'individu.]
+
+On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion qui attribue à
+la ptose abdominale toutes les misères des dyspeptiques, des
+neurasthéniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme
+a de la ptose et mille misères variées: une ceinture fait disparaître
+presque toutes ces misères, c'est donc, conclut-on que la ptose était
+l'unique cause? Mais non; c'est toujours la théorie du moindre effort
+appliquée au raisonnement humain. La vérité est que la ptose est
+symptomatique, que la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la
+soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut déjà être malade
+pour devenir ptosique,--en dehors, bien entendu, des cas où la
+contention abdominale insuffisante serait due à une éventration.
+
+La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il existe même des ptoses
+qu'on pourrait appeler aiguës, si l'on nous permettait cette expression.
+Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le
+cours d'une bonne santé, à la suite d'un coup de froid, d'une émotion
+violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un
+jour à l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son
+élasticité, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pâteux, d'un
+chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni
+le caecum, ni le côlon. On perçoit, dans la fosse iliaque, un
+gargouillement dont l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la
+fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre typhoïde que parce
+qu'on l'y cherche.
+
+Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les
+«maladies» aiguës. Il est toujours l'indice d'une sidération du système
+nerveux abdominal; et, comme le système nerveux abdominal n'est pas
+sans avoir des relations intimes avec le système nerveux central,
+l'effondrement en question est toujours l'indice d'un état de «maladie»
+assez grave. Mais il peut n'être que passager, durer quinze jours, trois
+semaines; d'autres fois, il dure deux à trois mois, dans certains états
+subaigus; puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa
+forme, son élasticité, renaître: c'est le commencement de la guérison.
+
+En même temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose
+aiguë, la sonorité abdominale subit des modifications extrêmement
+intéressantes. Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal,
+ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes
+différentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le
+plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit et le
+gauche (octave supérieure au côté droit).[11]
+
+[Note 11: Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et
+la percussion, donne les renseignements les plus précieux sur la valeur
+digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime
+alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier,
+évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les
+sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la
+gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essayé
+d'apprendre cette lecture à ses contemporains. Mais, il ne faut pas se
+le dissimuler, l'exploration abdominale est chose très difficile; je la
+pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'être en relations
+scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la
+difficulté de cette étude, en même temps que j'en apprécie mieux toute
+l'importance.
+
+Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui résument
+ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous ne saurions trop
+affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil digestif est, pour
+le biologiste, une source de faits inépuisable. Quelle variété de
+renseignements, quelle précision dans l'observation, ne devons-nous pas
+attendre d'un procédé à la perfection duquel nous voyons concourir les
+données fournies, presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher?
+Ajouterons-nous que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son
+tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité,
+dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les
+plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune
+modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou
+rénal, nous constatons toujours des signes positifs du côté de la sphère
+gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils
+organiques sont impuissants à objectiver, le tube digestif les
+enregistre avec une fidélité remarquable et une variété de nuances que
+l'on n'a point soupçonnée jusqu'ici. Et toutes les modifications de
+forme et de volume, d'élasticité et de résistance du tissu abdominal,
+toutes les variations de sonorité des membranes digestives, ne sauraient
+être considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles
+portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent, d'une
+part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif, d'autre
+part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation
+générale des réactions de l'organisme correspond à ces modalités
+digestives.» (_Mémoire_ lu à la Société de Médecine de Gand, 4 avril
+1905.)
+
+Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient encore à
+être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale; c'est là un
+chapitre de séméiologie qui est tout entier à faire, et que je ne puis
+qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stéthoscope,
+ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une
+valeur insoupçonnée jusqu'à ce jour.]
+
+Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service
+momentané qui n'est pas à dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les
+guérit, quand il leur reste encore assez d'énergie vitale, c'est un
+régime approprié, et du repos ou un exercice gradué, suivant les cas. Le
+régime devra être celui qui donne le moins à travailler à l'estomac et
+à l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou semi-liquide. Les
+prises alimentaires devront être fréquentes,--très fréquentes, dans
+l'état aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en
+éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est
+le meilleur des agents thérapeutiques. Quand le ventre commence à se
+ressaisir, le régime devra être plus substantiel: potages épais, purées
+légères prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait
+un nouveau progrès, alimentation plus dense et moins fréquente (six
+repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purées
+épaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque
+normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque égaux, dont un
+avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passé, quand le
+ventre a retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension, alors
+seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit être
+assez copieux (café noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, composé
+en général de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes de terre
+en robe de chambre; 2° viande non saignante; 3° fromage, peu de pain,
+pas encore de vin, un verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas
+du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles: 1° potage épais;
+2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits.
+
+Telles sont les grandes lignes de la diététique des états aigus ou
+subaigus. En même temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'état
+aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une
+chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les
+malades au lit; puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal après
+les repas; et toujours beaucoup de sommeil, même diurne, le sommeil
+diurne étant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, à
+l'inverse de ce que l'on croit ordinairement.
+
+On comprend combien, dans cet état d'équilibre instable, une violente
+perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit
+par une alimentation trop hâtive, peut être défavorable au malade.
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+PSYCHOTHÉRAPIE
+
+
+
+Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué, les causes diverses qui
+produisent la «maladie». Mais cette étude même n'a fait encore que mieux
+nous montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine comme dans
+l'évolution de la «maladie», l'ébranlement du système nerveux. Et de là
+résulte l'importance, également prépondérante, d'une médication
+destinée à remonter le système nerveux: médication dont un des éléments
+essentiels est cette «psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a
+commencé à préoccuper vivement le monde médical, sans qu'on soit encore
+parvenu à en fixer exactement le domaine et l'application.
+
+A en croire un certain nombre de nos confrères, français et surtout
+étrangers, le psychothérapie serait simplement destinée à remplacer
+toute thérapeutique. L'imagination, d'après ces savants, jouerait dans
+la production et le développement des «maladies» un rôle si énorme,
+qu'il suffirait de découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux
+malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitôt la santé. La
+psychothérapie consisterait donc à étudier, à ce point de vue, l'état
+d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment s'emparer de
+sa confiance pour lui ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents
+défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes que les moyens de
+persuasion sont, jusqu'ici, très difficiles à trouver; et je dois dire,
+quant à moi, qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique me
+paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque peu fantaisiste.
+
+Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit des malades, et de ce
+qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle
+n'en tenait, hier encore, dans la médecine officielle. Mais j'estime
+que la psychothérapie peut faire mieux que d'imposer aux malades
+l'illusion,--toujours bien brève et bien fragile,--de se bien porter:
+elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus précieux de
+la guérison.
+
+Étant donnée l'idée que nous nous faisons de l'origine nerveuse de
+la «maladie», voici, à notre avis, la meilleure définition de la
+psychothérapie: «C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par
+lesquels on améliore ou on reconstitue le capital nerveux.» Son action
+s'étend: 1° à toutes les déviations mentales; 2° à un grand nombre de
+troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie,
+etc., l'incontinence d'urine, etc.
+
+Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilité de l'étude,
+être divisés en deux grandes catégories:
+
+1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses;
+
+2° Moyens par lesquels on augmente les recettes.
+
+
+I
+
+MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES
+
+
+Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le
+savoir; il faut leur apprendre à l'économiser, leur démontrer combien
+est fatigante, pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle,
+leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir prendre un parti dans
+les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti
+médiocre immédiat qu'un parti plus sage après hésitation. Or, pour
+savoir vite prendre parti et s'épargner la peine de remettre en
+discussion tous les motifs et mobiles qui doivent déterminer l'acte à
+accomplir, il y a un procédé très recommandable, qui consiste simplement
+à adopter des principes, et à se dire: «Dans telle circonstance, je
+ferai ceci, dans telle autre je ferai cela»; et puis, une fois le
+principe adopté, à y rester fidèle,--sans cependant en devenir esclave.
+Car il ne faut pas que l'entêtement remplace l'hésitation, que l'océan
+devienne terre ferme. Un petit moyen pratique à recommander aux
+hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire
+dans la journée et les jours suivants, puis, une fois la chose écrite,
+d'exécuter ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté parvient
+ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même temps qu'on s'évite des
+pertes considérables d'influx nerveux.
+
+D'une façon générale, il faut inspirer aux malades le respect du temps,
+leur faire comprendre que le temps, c'est l'étoffe dont la vie est
+faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est
+par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de
+choses utiles avec un minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre
+cette vérité, ils trouveront eux-mêmes, peu à peu, un _modus vivendi_,
+qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des économies de dépense
+nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes _d'ordre_, de
+tout régler dans leur vie,--les heures du lever, du coucher, des repas,
+etc.,--de donner à chaque chose, à chaque préoccupation, la place et
+l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur
+épargner les dépenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente
+psychothérapie.
+
+Appliquons ces idées générales à un cas particulier. Voici une jeune
+fille atteinte de ce qu'on appelle la «folie du doute»; dès son lever,
+elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et
+finira par reprendre la première; elle passera deux heures à faire sa
+toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se
+laver les mains; et toute sa journée se passera ainsi dans un état vague
+d'anxiété. Le soir, la situation est plus pénible encore: la malade ne
+parvient pas à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller,
+s'interrompant à tout instant pour confier à un petit cahier une foule
+d'idées qui ont torturé son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps.
+On dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant. J'ai chez moi
+plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspirés par
+ce même esprit. Or, cette agitation stérile, continue, occasionne une
+dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier une malade de ce
+genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tête, mais que tout
+est malade chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a
+des urines rares et chargées alternant avec des urines claires et
+abondantes. Elle est mal réglée, etc.
+
+Il lui faut donc, avant tout, un traitement général; dont nous
+indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un
+traitement psychothérapique.--Et lequel? La première chose est de lui
+dire combien cette manière de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de
+peine à le lui faire admettre, elle le sait très bien; le preuve,
+c'est qu'elle cache son infirmité avec le plus grand soin à tout son
+entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette dépense nerveuse,
+si stérile, la fatigue, et entretient ou cause sa «maladie» physique.
+Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au
+lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans
+un sens déterminé. A l'une, on fera apprendre une langue étrangère, à
+l'autre on proposera une autre occupation, non moins précise. Le
+médecin s'inspirera d'une foule de considérations d'ordre secondaire;
+l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la
+volonté et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par une bonne
+orientation de son activité. Nous avons pris là, à dessein, un cas des
+plus difficiles à guérir: et cependant nous affirmons que la guérison
+y est possible, quand, à la psychothérapie, on joint un traitement
+somatique convenable et suffisamment prolongé.
+
+Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la paralysie générale, dans
+tous les cas de délire aigu occasionnés par les «maladies» infectieuses,
+l'influx nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se font de
+toutes parts. La pensée est si rapide, chez le maniaque, que l'aliéniste
+expérimenté ne parvient pas à la suivre. Les associations d'idées se
+font avec une telle rapidité que le malade n'a pas le temps de les
+exprimer, et, quelle que soit sa volubilité, sa langue n'a pas un débit
+égal à celui de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être utile à
+des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai dire, son rôle est alors
+négatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas
+s'acharner à discuter avec le malade, à rectifier ses appréciations; il
+faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner à éviter au malade
+toute cause d'excitation prochaine ou éloignée. Il faut se rappeler,
+surtout, qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore à user
+d'extrêmes précautions, et à ménager le cerveau fragile.
+
+Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée, est limitée à un
+point fixe, la psychothérapie intervient d'une façon plus active. Voici
+un homme en proie à une obsession: une idée a envahi son cerveau, il y
+pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensées
+ont pour pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux qu'il estime
+pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne
+trouvant pas de solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de
+boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser à ce qui
+le préoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer
+inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les
+plus amples détails, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci
+fait, pour acquérir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre
+d'en parler, et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs. De même
+que, dans une hémorragie pulmonaire, le médecin bien avisé fait une
+saignée générale, qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute
+ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idée obsédante, mais faire
+naître des courants d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer
+une idée morbide par une série d'idées saines. C'est la psychothérapie
+_dérivative_.
+
+Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses, moyen à employer dans
+les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du
+fait acquis, en d'autres termes la résignation; c'est la psychothérapie
+_sédative_. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se
+cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent
+la «maladie», de se nourrir de son chagrin, de se remémorer les causes
+morales qui l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse énorme.
+Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif d'une sorte de sommeil
+de la cellule nerveuse.
+
+Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi dire passive, est un
+acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberté,
+sans restrictions, sans protestations, ses misères, pour les offrir
+dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la
+passivité, et déjà elle rentre dans la deuxième catégorie des moyens
+psychothérapiques. L'étude de cette résignation active va donc nous
+servir de transition toute naturelle.
+
+La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter plusieurs fois par
+jour qu'on se résigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de
+volonté; et encourager le malade à accomplir cet acte de volonté, c'est
+faire de l'excellente psychothérapie _reconstituante_. Malheureusement,
+cette résignation active est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose
+toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité humaine,
+de la réversibilité des mérites et des souffrances, en un mot la
+doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce
+à titre exceptionnel que les ressources de la résignation active peuvent
+être employées.
+
+Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin en face d'un malade
+qui va jusqu'à voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, _a
+priori_, que le médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est rien.
+Le médecin doit rester à son poste; et tout en encourageant le malade
+dans cette voie, en fortifiant sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas
+négliger les moyens thérapeutiques que réclame son état. Car enfin le
+résigné actif ne commet pas une erreur de logique en désirant guérir
+et en acceptant les soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la
+souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu, au contraire,
+de se résigner aussi à ce que veut pour lui la nature, c'est-à-dire à ne
+rien omettre pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une vie
+plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le résigné
+actif est d'ordinaire le plus obéissant, le plus stable des malades, le
+plus reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont donnés; c'est le
+malade de choix.
+
+
+II
+
+MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES
+
+
+La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques comprend, comme nous
+l'avons dit, ceux qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du
+capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de deux façons:
+
+1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante
+gymnastique de la volonté. (L'homme ne vaut que par sa volonté: donc
+discipliner, fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre le plus
+grand des services.)
+
+2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux étranger.
+
+Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci
+devient le collaborateur du médecin, dont le rôle se borne à indiquer
+les procédés de gymnastique de la volonté et à surveiller l'application.
+
+Dans le deuxième cas, une volonté étrangère vient en aide à la volonté
+défaillante, ou insuffisante, du patient.
+
+1° _Gymnastique de la volonté_.--Il y a des procédés d'éducation de la
+volonté,--cette faculté, comme la mémoire, comme l'attention, étant
+susceptible d'être améliorée par une bonne gymnastique. Le principe
+général, dans cette éducation, c'est de procéder lentement, de ne pas
+demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de
+lui demander, au début, un tout petit effort, qui sera augmenté tous
+les jours. Ainsi nous invitons nos malades à faire trois fois, tous les
+matins, trois mouvements déterminés des bras, puis six, puis douze,
+puis d'en faire autant avec les membres inférieurs. En ordonnant ces
+exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique
+musculaire elle-même que sur l'effort de volonté que nous obtenons du
+malade, avec son libre consentement. Dans le même esprit, nous envoyons
+certains de nos malades faire une gymnastique spéciale, tous les jours,
+par tous les temps, à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent
+supporter la fatigue d'un déplacement quotidien. Là, nous leur faisons
+faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien
+gradué d'après des règles précises, régularise la circulation du sang,
+les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en
+particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par conséquent,
+l'acte respiratoire. Grâce à cette gymnastique, on arrive, au bout d'un
+mois, à faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient
+pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher[12].
+
+[Note 12: Ajoutons que cette course ne provoque jamais
+d'essoufflement le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter
+l'essoufflement par une progression sage et bien réglée dans la longueur
+et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée par
+notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des études
+très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant
+toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est pas le lieu de parler
+avec détail de cette méthode d'entraînement; disons seulement qu'on ne
+se fait pas une idée, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur
+dans la progression à imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas
+gymnastique de l'armée ne doit être atteinte, chez l'homme même bien
+portant, qu'après quinze minutes de course progressivement plus rapide.
+C'est comme cela que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que
+le pas gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue.
+De même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure,
+c'est-à-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes
+de course en progression. Si, à cette prudence dans la progression, on
+joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui
+apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement. Mais si le coureur
+n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au bout de vingt à trente
+minutes, d'une transpiration énorme, telle que la course en flexion a
+pour complément indispensable, soit une friction sèche avec changement
+de linge, soit, mieux encore, une douche tiède. Cette nécessité de la
+douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et,
+par parenthèse, l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du
+commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au
+contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale,
+puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison
+d'hydrothérapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition
+par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement.
+
+Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction de
+moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinée,
+ne soient des facteurs importants dans l'excellent résultat total que
+j'obtiens de ce que j'ai appelé la _dromothérapie_; mais j'estime qu'une
+grande part du résultat utile revient à cette gymnastique de la volonté
+que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous
+les jours à ses progrès, il éprouve un vague sentiment de contentement
+à la pensée qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle.
+Dût-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la
+course en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie
+par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative,
+puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient
+vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers jours.]
+
+Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité de l'attrait dans
+l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de
+la _gymnastique respiratoire_. Cet exercice est souverainement ennuyeux,
+et c'est chose rare que nos malades les plus obéissants le continuent
+régulièrement plus de deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est,
+pour le psychothérapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un
+effort énorme de volonté. Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop
+le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur
+la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse
+de faire disparaître ces rougeurs émotives, si désagréables à certains
+neurasthéniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez
+les timides, car les personnes hardies et décidées leur payent aussi
+leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer l'obsession de la
+rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et mérite
+l'attention du clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les
+moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce symptôme, on voit qu'il
+s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et
+quelquefois de sensations précordiales; et c'est, sans doute, parce que
+l'exercice en question régularise la respiration, qu'il est le meilleur
+traitement de la rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain,
+je l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices sont, je le
+répète, extrêmement désagréables, il faut savoir les graduer de façon
+à ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses propres
+progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à faire faire au malade des
+mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et
+soir. On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de cette
+gymnastique méthodique, telle que les Suédois l'enseignent, c'est-à-dire
+faite d'après les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand
+elle est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal
+instruits, elle trouble les phénomènes de la circulation, et peut même
+amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant,
+mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la
+thérapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil
+qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire.
+Aux malades qui n'ont pas l'énergie de la faire simplement dans leur
+chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts
+mécanothérapiques.
+
+On peut exercer la volonté du malade, et, par conséquent, la fortifier,
+par mille autres moyens, qui seront inspirés par les diverses conditions
+de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire
+faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer
+les progrès, et surtout un travail qui ne demande pas une dépense, soit
+cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un côté
+ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le rôle du
+psychothérapeute doit prendre fin à un moment donné, quand le malade a
+reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres
+ailes. On doit alors l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement:
+il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le médecin imite
+le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son
+élève, puis l'abandonne momentanément, sans qu'il s'en doute; l'élève
+confiant continue à pédaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment où il
+est assez sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur le
+soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas de progrès.
+
+2° _Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux
+insuffisant_.--Dans les cas où la volonté est tellement défaillante que
+l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de
+fournir à son malade un apport étranger d'influx nerveux: il y arrive
+par le procédé de l'hypnose. Rien ne m'ôtera la conviction que, dans
+l'hypnose, il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son sujet,
+«influence» étant compris dans son sens étymologique (_fluere_, couler).
+L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de
+lui-même; il a une action personnelle; et les médecins qui prétendent
+le contraire, qui disent que les passes peuvent être remplacées par le
+braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule
+ou mobile comme un miroir à alouettes, ne me paraissent pas être dans la
+vérité.
+
+L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus
+variés; non seulement il peut rectifier des idées erronées, faire
+disparaître les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit
+encore pour ramener chez le malade la quiétude de l'esprit, la confiance
+en soi-même.
+
+Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus
+facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de
+faire disparaître des troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des
+vomissements, des métrorragies, de faire revenir les règles, le sommeil
+naturel, de régulariser les selles, etc.
+
+Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir
+l'influence hypnotique, et que, précisément, ceux qui en auraient le
+plus besoin se trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les
+hallucinés, les grandes hystériques, les malades atteints de délire
+systématisé, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est
+d'autant plus difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi,
+chez les aliénés, nous avons vu notre excellent maître le Dr A. Voisin
+s'acharner pendant des heures entières sans obtenir le moindre effet;
+mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait! Nous
+connaissons pour notre part de grands nerveux qui, très désireux de
+pouvoir être endormis, sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou
+tels confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance spéciale
+de l'hypnotisme, et toujours avec un insuccès complet.
+
+C'est là une première raison qui restreint grandement l'emploi de
+l'hypnose. Une deuxième raison qui doit le limiter, c'est que, quand
+on emploie l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans l'esprit du
+malade, si on ne réussit pas du premier coup, et alors on le prive du
+secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse
+manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance. Mais il existe des
+procédés permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable,
+de façon qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser de côté, sans
+en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables.
+
+Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que
+celle-ci, quand elle réussit, risque de devenir un moyen thérapeutique
+trop actif. Même avec la plus grande prudence, on ne parvient pas
+toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare souvent par
+trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien
+faire sans son conseil.
+
+J'ai connu un ingénieur des chemins de fer, renommé pour sa sévérité à
+l'égard des inférieurs, et névropathe de grande marque. Son médecin crut
+bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard,
+que c'était un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil
+hypnotique, le médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses
+inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès le lendemain, les
+procédés de cet homme à l'égard de ces inférieurs se firent tellement
+bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses
+subordonnés eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour ses chefs. Il ne
+parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarité humaine.
+On le crut fou; il ne l'était pas, mais il était devenu tellement
+différent de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin, averti de ce
+changement à vue, s'efforça, en plusieurs conversations, de modérer le
+zèle charitable du néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait
+avec lui les théories socialistes, et serait devenu le pire des
+utopistes. Il fallut une nouvelle séance d'hypnose pour atténuer, au
+point voulu, les effets de la suggestion première.
+
+Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant
+demander pourquoi l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire
+sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe à un cheval qui
+ne demande qu'à se laisser conduire? Réservons donc le mors arabe pour
+les cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif!
+
+Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le médecin doit cesser
+de recourir à l'hypnose, sous peine de compromettre le résultat final.
+Une fois le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction de
+sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensée, je prendrai la
+comparaison suivante: l'hypnose est à la défaillance du système nerveux
+ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance fonctionnelle
+du corps thyroïde, ce que l'opothérapie hépatique est à l'insuffisance
+fonctionnelle du foie. Or, de même que le médecin qui s'est servi
+de foie de porc pour remettre en état un hépatique, ne continue pas
+indéfiniment l'emploi du foie de porc, de même le psychothérapeute doit
+cesser l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat voulu,
+c'est-à-dire dès qu'il a remis le malade en assez bon état pour pouvoir
+compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort
+personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq séances
+suffisent, dans la majorité des cas.
+
+Toutes ces considérations expliquent la rareté des cas où l'hypnotisme
+est à conseiller. Mais quant à dire, comme le font les adversaires
+irréconciliables de la thérapeutique par l'hypnose, que quelques séances
+amènent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que
+l'hypnotisme «dissocie la personnalité normale du sujet» (Grasset),
+«aboutit à la ruine déplus en plus complète de ce moi qu'on voudrait
+sauver» (Duprat), c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme
+bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le
+service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque
+d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de
+l'hypnotisme ont quelque chose de dégradant pour la dignité humaine,
+parce que le médecin qui impose sa volonté au malade porte atteinte au
+dogme de la liberté, c'est énoncer une erreur non moins absolue, la
+suggestion hypnotique n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état
+de veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte, on n'aurait
+plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de
+l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discréditent le médecin, c'est
+affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait en rien, car le médecin
+n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le répétons, sa
+conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procédés
+hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades
+qu'avec leur assentiment formel, et en présence d'un tiers représentant
+la famille.
+
+Ajoutons enfin que le médecin _seul_ doit avoir recours à ce procédé
+thérapeutique; et que ce médecin doit agir uniquement pour le bien du
+malade, sans la moindre préoccupation étrangère, voire même sans aucune
+préoccupation scientifique.
+
+_Conseils pratiques pour l'application des procédés
+psychothérapiques._--Nous venons de passer en revue les moyens
+psychothérapiques par lesquels on peut améliorer le capital nerveux d'un
+malade. Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien voulant
+employer la psychothérapie; il semble donc utile de le compléter par des
+considérations d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées par une
+expérience personnelle.
+
+1° Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire
+de la bonne psychothérapie, il faut soigner le malade non seulement avec
+toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le médecin qui
+ne ferait que de la psychologie, démontant curieusement pièce à pièce
+tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est
+défectueux, sans se préoccuper avant tout d'être utile, ne ferait pas de
+bonne psychothérapie. Il lui faut être bon mécanicien, bon psychologue,
+c'est entendu; mais surtout il lui faut être un homme charitable. Je
+sais que le mot «charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle
+plus que d'altruisme, de solidarité, etc. Le mot «charité» pourra
+disparaître du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses
+soi-disant synonymes; mais la charité restera toujours au fond du coeur
+de l'homme, et sera, comme par le passé, l'inspiratrice des actions
+généreuses et véritablement utiles.
+
+2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime son malade. S'il veut
+avoir sur lui une autorité morale effective, il faut en outre qu'il ne
+soit pas pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il
+ne le soit pas en réalité. Savoir se donner tout entier à l'affaire
+présente est la première condition du succès, en psychothérapie. Il faut
+que, dès la première entrevue, s'établisse entre le malade et le médecin
+un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'établir que si le
+malade sent que le médecin s'intéresse profondément à lui, et ne lui
+ménage pas son temps. La première consultation, surtout, doit pouvoir
+durer tout le temps nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine
+que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut.
+
+3° Il faut encore que le médecin sache écouter, c'est-à-dire laisser
+parler le malade aussi longtemps qu'il le désire, surtout pendant les
+premières consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité
+d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter, parce qu'on apprend
+toujours quelque détail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de
+cette façon, le malade, par une sorte de discrétion inconsciente,
+arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser de la patience de
+son auditeur, et se contente de répondre aux quelques questions bien
+précises qu'il lui pose.
+
+Une fois que le médecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il
+donnera, non seulement sur l'hygiène mentale, mais sur l'hygiène
+alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'être suivis; et ainsi
+tout concourra à la guérison ou à l'amélioration cherchée.
+
+4° Un autre principe, c'est de dire au malade la vérité dans la mesure
+du possible. Évidemment, s'il y a une lésion organique incurable,
+le médecin doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les cas
+exceptionnels où le malade a des motifs sérieux pour savoir la vérité
+entière. Mais le plus souvent il faut dire la vérité au malade, lui dire
+très franchement l'idée que l'on se fait de son état, la durée probable
+du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des
+années, comme il arrive trop souvent chez les malades à capital
+restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: «Le traitement sera
+long, un peu pénible, mais la guérison est assurée.» Il faut encore,
+dès les premières entrevues, avertir le malade des rechutes possibles,
+probables, ou certaines: si c'est une femme, la prévenir que, dans les
+douze jours qui précéderont l'époque menstruelle, elle aura fatalement,
+durant quelques mois, une réapparition de toutes ses misères, mais à un
+degré de moins en moins marqué; dans tous les cas, avertir le patient,
+s'il s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir
+une légère aggravation, puis, quand son état s'améliorera, tous les
+trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause
+appréciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le système nerveux
+à protester d'une façon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir
+que toute émotion violente, et surtout que toute infraction au régime
+alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a été ou qui va lui être
+prescrit, se soldera inévitablement par une rechute plus ou moins grave,
+suivant la gravité de l'infraction,--une rechute qui, chose curieuse,
+ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'écart
+commis;--l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en
+particulier, fera faire un pas en arrière d'autant plus grand qu'elle
+aura été plus grave, et soignée plus tardivement; donner, par
+conséquent, au malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette, dans
+la mesure du possible, à l'abri des affections intercurrentes, et lui
+recommander de demander ou de prendre des soins immédiats, en lui
+faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves,
+en général, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignées dès leur début.
+
+5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui
+seraient plus pénibles que les malaises dont il se plaint. Il doit même
+éviter, en général, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque
+de décourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre
+égoïste et hypocondriaque, et d'entretenir sa «maladie» par le soin
+même apporté à la combattre. Aussi bien la thérapeutique est-elle, en
+général, plus simple qu'on ne croit, et les questions de régime, en
+particulier, sont presque toujours faciles à résoudre.
+
+Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une
+prescription, c'est de la mesure où il sera possible et facile, au
+malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrête jamais un programme
+de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec le malade, et, si
+possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade
+une feuille où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis l'heure
+du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où, aux heures prescrites, sont
+indiqués les menus des repas, voire même les livres à lire. J'ai soin,
+en outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis est défendu», en
+laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproché
+«tout ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le malade, pourvu de
+cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus
+possible, mais sans en devenir l'esclave.
+
+On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la «maladie»,
+si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient
+les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où ce
+traitement doit être simplifié au maximum: par exemple, chez une mère
+de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait
+souverainement absurde de proposer à cette malade un régime ou des soins
+personnels qui l'empêcheraient d'accomplir ses devoirs de tous les
+instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus
+importantes, en faisant comprendre à la malade que l'on ferait mieux
+si les circonstances de sa vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en
+définitive, le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et qu'on en sera
+quitte pour prolonger le traitement plus longtemps.
+
+En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent à un traitement
+méthodique proviennent de deux sources: 1° De l'absence de foi du
+malade, 2° de la mauvaise volonté de son entourage.
+
+1° Il est des malades qui viennent nous consulter malgré eux, sous la
+pression de leur famille, avec l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre
+une consultation de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les
+précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup, comprenne la
+mentalité des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut être fixé
+dès les premières paroles échangées, voire dès le premier abord. A lui,
+alors, de déployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y
+prendre, il peut arriver à faire, d'un malade irréductible en apparence,
+l'être le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et il parvient
+alors à des résultats inespérés. Les choses se passent ainsi huit fois
+sur dix.
+
+Plus difficiles à convaincre sont les malades qui n'ont pas d'énergie,
+qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises à l'avance, ou
+encore ceux qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent que la
+mort. En face de tous ces malheureux, le médecin ne doit pas se dérober,
+quelque souci que lui réservent les patients de cette sorte.
+
+Enfin, plus difficiles encore sont les malades à théories, qui ont leur
+siège fait, après avoir vu des médecins de tous les pays, suivi, dans
+les sanatoria les plus variés, les traitements les plus dissemblables;
+qui connaissent toutes les dernières nouveautés sur les choses
+médicales, le discours de la veille à l'Académie de médecine, les livres
+qui vont paraître. Avec ceux-là, rien à faire. Le mieux, pour ne pas
+perdre un temps précieux, est de leur déclarer de suite qu'on ne
+parviendrait pas à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs,
+ces cas sont assez rares.
+
+Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale qui commencent par
+dire toujours non, ou à le penser, ce qui est encore plus grave. La
+psychothérapie, comme tous les agents thérapeutiques, a à compter avec
+ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les «idiosyncrasies».
+
+2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient de l'hostilité de
+l'entourage du malade.
+
+On ne peut se faire une idée de l'influence néfaste qu'exerce cet
+entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du
+médecin, discute sa manière de penser, ses prescriptions; le malade,
+alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au médecin ou à
+l'entourage.
+
+Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement déclarée. Mais c'est
+pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, à propos
+des moindres prescriptions. Le malade sent très bien que le médecin est
+dans le vrai, qu'il a _compris_ sa «maladie»; il voudrait de tout son
+coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est là qui,
+sans dire un mot, proteste intérieurement et exécute à contre-coeur
+tout ce qui a été prescrit. La position est des plus difficiles. Cette
+contre-suggestion, qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer
+la confiance, si nécessaire, que le malade avait tout d'abord; les
+prescriptions ne sont qu'à moitié observées. Ces tiraillements continus
+sont véritablement lamentables.
+
+Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la
+femme, c'est souvent la mère ou la belle-mère, plus souvent encore des
+personnes qui touchent de moins près au malade. Les plus dangereux
+ennemis sont ceux qui ont à donner des soins immédiats; ce sont les
+gardes, qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout les
+domestiques. De là la dure nécessité pour le médecin d'être bien avec
+tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant
+avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou
+telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout
+le monde voudrait que le malade fît de l'exercice; le régime restreint,
+alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il
+prît du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la
+partie est perdue d'avance; et c'est alors que le médecin doit user
+de toute son autorité pour imposer l'isolement, tandis qu'il eût été
+quelquefois très simple de guérir à peu de frais le malade, en le
+laissant chez lui.
+
+Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la confiance d'un malade,
+et d'avoir conquis, non la neutralité,--elle n'existe nulle part,--mais
+l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne; il ne
+reste plus qu'à surveiller l'application du traitement, et surtout à
+entretenir la foi du malade en sa guérison à échéance plus ou moins
+éloignée. Pour remplir ce double but, il faut que le médecin ait avec le
+malade de fréquents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer,
+dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui
+démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer instamment,
+quelles que soient ses doléances, que la guérison est assurée.
+
+Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile. Il l'est, par
+exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers
+temps, pour calmer leur système nerveux. Ne dormant presque jamais, ces
+malheureux ont toutes les peines du monde à rester au lit; il faut leur
+faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable
+qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour au lit, mais de l'excitation
+du système nerveux; que cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze
+jours, pour faire place à une détente de bon aloi, avec sensation de
+fatigue énorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil réparateur,
+retour de l'appétit, disparition _spontanée_ de la constipation, etc.
+Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent,
+des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront être espacées:
+il faut savoir se faire désirer.
+
+Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser
+le malade en tête-à-tête avec le médecin. L'influence de celui-ci est,
+alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'épancher en toute
+liberté, tirent un grand bénéfice de la visite du médecin, qui ne tarde
+pas à devenir leur ami.
+
+C'est dans ces tête-à-tête que le médecin doit insister pour faire de
+la suggestion optimiste et de la véritable psychothérapie, d'après les
+principes que nous avons étudiés antérieurement.
+
+Nous avons parlé déjà, à propos de la névrose provoquée par les causes
+morales chez les jeunes femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir,
+à titre de confident de leurs misères: ce rôle est toujours difficile,
+et quelquefois dangereux. Le besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir
+confier sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues;
+c'est lui qui pousse les criminels à venir s'accuser d'un acte dont
+l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable,
+a excité un de mes malades à prendre sa femme, en tant que sa meilleure
+amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On
+comprend donc combien un confident sûr et discret peut rendre de
+services, chez les malades de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme
+l'a dit le poète:
+
+ En se plaignant on se console,
+ Et quelquefois une parole
+ Nous a délivrés d'un remords.
+
+Mais il est des cas où la douleur humaine ne peut être atténuée par une
+confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd
+tous ses droits.
+
+Il est d'autres cas où elle est également impuissante. C'est quand le
+malade ne _veut_ pas guérir,--s'il se complaît dans son chagrin, par
+exemple.--Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de
+se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guérir; dans
+leur égoïsme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage,
+véritables vampires qui épuisent jusqu'au bout la patience, les forces,
+les ressources pécuniaires de leurs proches, sans avoir un éclair de
+reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le médecin qui
+se dépense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles
+sont, avant tout, des malades, et ont droit à toute notre indulgence;
+leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme morbide. Ainsi j'ai soigné une
+dame qui, avant d'être malade, était exquise de bonté, de bienveillance,
+de politesse. Or, quelques mois après le début de sa «maladie», en
+même temps qu'elle devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en ne
+mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractère se modifia
+et la fit devenir le tyran dont j'esquisse à grand traits l'image.
+Aujourd'hui, elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter
+qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychothérapie
+est impuissante. Si habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue
+quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents
+thérapeutiques.
+
+
+PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX
+
+Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser, comme moyen
+psychothérapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse?
+Grave question qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion.
+
+En principe, le médecin ferait mieux de laisser ce soin au prêtre, ou au
+pasteur, ou au rabbin, à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces
+délicats problèmes; mais il est des circonstances où il ne peut pas se
+dérober, et il nous faut en dire quelques mots.
+
+Il est certain, en tout cas, que le médecin ne doit jamais aborder, le
+premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est
+pas son rôle, et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense d'une
+doctrine philosophique quelconque, pourrait être, et serait à juste
+titre, sévèrement jugée. Mais, d'autre part, il doit s'attendre à ce
+que, poussé par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à
+entrer avec lui dans ce domaine.
+
+Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui,
+pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité
+de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalité des
+consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'à son corps
+défendant, se sent, à un moment donné, préoccupé d'une façon insolite
+par les grands problèmes de l'au-delà, de la destinée humaine. Sans
+compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois
+n'ai-je pas entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur de quoi? Ils
+n'en savent rien; ce n'est pas, en général, d'avoir à quitter cette
+lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;--encore que
+parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de
+conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent
+une peur vague, animale; et, dans cette détresse morale, ils
+s'accrochent désespérément à tout ce qui peut leur donner du réconfort.
+
+Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve souvent le malade
+d'aborder des problèmes qui, en état de santé, lui étaient complètement
+indifférents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne
+religieuse, qui répondra à toutes les questions par de petites
+dévotionnettes ou des pratiques tout à fait en dehors des habitudes du
+malade, des pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les fervents,
+et qui risquent de révolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le
+sens caché? Est-ce avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant
+en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'à
+ses affaires pendant qu'il lui détaille ses misères, se borne à lui
+répondre: «Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il
+fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne
+l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors
+que la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde! Vraiment,
+tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux;
+non seulement ils ne sont d'aucune utilité, mais ils contribuent à
+entretenir la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du lit des
+patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le
+cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secrètes,
+n'ont plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient en partie
+à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue par des confidences
+réciproques; or, à partir du jour où le malade a été sérieusement
+touché, il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires de ses
+meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne s'intéresse qu'aux siennes,
+c'est-à-dire à sa «maladie».
+
+Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves préoccupations,
+les personnes de son entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.?
+
+Quelle médiocre ressource!--Certes, ce n'est ni le dévouement, ni la
+bienveillance, ni la tendre affection qui font défaut aux membres de
+la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins
+intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait
+d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de tout
+temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent, le prêtre n'a pas ses
+entrées dans la maison; et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état
+soit un peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut
+pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps
+d'appeler le prêtre quand le malade sera sans connaissance!
+
+Que reste-il donc?--Le médecin.
+
+Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé de son corps, lui donne
+une influence et une autorité morales supérieures à celles mêmes des
+parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui surtout que le
+malade est tenté de confier ses doutes, ses préoccupations d'au-delà,
+ses vagues espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui avec une
+abondance et une intensité inaccoutumées.
+
+Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa tâche, sur ce domaine
+particulier de la psychothérapie, dont l'importance est souvent
+capitale.
+
+Mais que doit-il faire? En présence d'un malade qu'il voit partagé entre
+des restes de foi plus ou moins effacés, et cet état d'incrédulité,
+active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence d'un
+malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir,
+et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour
+lui l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il
+retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la société de ceux qu'il a le
+plus aimés sur cette terre; en présence d'un tel malade, que doit faire
+le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde
+jamais de vue que le malade est semblable à un noyé qui cherche à se
+raccrocher à la moindre branche de salut; si donc il n'a à lui offrir
+que de froides théories philosophiques, aboutissant à la désespérance
+finale, s'il est lui-même bien convaincu que la mort signifie, pour le
+malade, la fin absolue, et la séparation à jamais d'avec ce qui lui
+est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des
+doctrines qui, en admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient
+être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est
+de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'espérance. Or, où
+trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit:
+«Venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?»
+
+L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les
+médecins qui se sont occupés des «maladies» nerveuses; et c'est avec
+plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr
+Dubois[13], de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage,
+développe avec complaisance des théories philosophiques fort éloignées
+de l'orthodoxie chrétienne:
+
+[Note 13: Dr Dubois. _Les Psychonévroses et leur traitement moral_,
+1904.]
+
+«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif contre ces
+«maladies» de l'âme, et le plus puissant moyen pour les guérir, si elle
+était assez vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme
+chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare, dans les milieux bien
+pensants, l'homme devient invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu,
+il ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber sous les
+coups d'une «maladie» physique, mais, moralement, il reste debout au
+milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux émotions pusillanimes
+des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV: «Ceux à qui leur
+tournure d'esprit permet encore la foi naïve trouveront un appui dans
+leurs convictions religieuses, à condition qu'elles soient sincères et
+vécues.»
+
+Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en résulte pas, pour le
+médecin psychothérapeute, d'encourager son malade dans ces convictions
+religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux émotions
+pusillanimes des névrosés»?
+
+Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez, vivante «pour créer
+un vrai stoïcisme chrétien», subsiste encore, et cherche vaguement à se
+raviver sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme mondains,
+est-ce que ce n'est pas une obligation pour le médecin de l'y aider,
+autant qu'il le peut?
+
+Voici donc le médecin transformé, malgré lui, en apôtre. Mais nous ne
+craignons pas de le redire: pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas
+préparé, il a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne doit
+s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain aussi dangereux.
+
+
+
+CHAPITRE V
+
+AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES
+
+
+
+La psychothérapie est la base du traitement, pour les malades chez qui
+les troubles nerveux et mentaux prédominent. Dans les autres formes de
+la déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un rôle important; de
+là les résultats remarquables obtenus, même dans les «maladies» à forme
+gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confrères,
+qui arrivent, en effet, à soulager et guérir un certain nombre de
+dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systématiquement toute
+préoccupation de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces confrères
+tombent dans l'exagération; même s'il n'y a pas de troubles gastriques,
+le régime du malade doit être surveillé; et à plus forte raison quand
+l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en réalité, joue, dans
+la thérapeutique des malades à phénomènes intestinaux et gastriques, un
+rôle au moins égal à celui de la psychothérapie.
+
+Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers: lorsque vous
+faites du régime, lorsque vous imposez à vos malades telle ou telle
+alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une
+maison de santé à l'autre, les bons résultats que vous obtenez sont dus,
+exclusivement, à la psychothérapie que vous faites sans le savoir. Si
+le docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du
+macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur
+estomac en état, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en
+fait, il les guérit par suggestion, et malgré le régime. Car le
+régime, ajoutent-ils, entretient plutôt l'idée de «maladie»: le malade
+s'auto-suggestionne à chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver
+de plus malheureux à un névropathe, c'est de trouver un médecin qui le
+soumette à un régime alimentaire, quel qu'il soit.
+
+Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir
+traiter, par la psychothérapie seule, telle ou telle jeune fille qui
+vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs
+semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs
+mettant sa vie en danger. Qu'on réussisse souvent à guérir les «malades»
+sans régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique, qui n'est en
+somme que la suralimentation, dans une maison de santé, c'est possible:
+le changement de milieu, l'éloignement des causes qui avaient produit et
+entretenu la «maladie», l'influence salutaire indiscutable du médecin,
+expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder
+de généraliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en même temps qu'on
+fait de la suggestion, instituer un régime alimentaire approprié au
+fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.
+
+
+I
+
+RÉGIME
+
+
+Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac et l'intestin, atteints
+d'une sorte d'inertie, se refusent à tout travail, et indiqué les
+symptômes physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie. Il
+est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac et à cet intestin un
+travail fréquent, mais peu actif; de là, nécessité de la diète liquide
+dans les cas très graves, parfois même de la diète absolue pendant
+vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diète semi-liquide dans les
+cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes
+les deux heures, suivant le degré d'inertie constaté.
+
+Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le nombre des aliments.
+Je me rappelle un malade qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux,
+qui depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait plus rien,
+avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se traîner,
+ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un régime
+consistant à s'alimenter exclusivement de Revalescière. Je lui ai donné,
+toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures,
+jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures
+pendant huit jours, uniquement de la Revalescière, cuite dans du
+bouillon de légumes et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac
+lui permit de tolérer d'autres potages, puis des purées, puis des oeufs
+et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il
+partit guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que
+je faisais, en même temps, de la psychothérapie! me dira-t-on encore?
+Sans doute, j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup pour
+faire accepter ce régime à mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait
+pas une «maladie» incurable, pour le faire rester à Paris, dans les
+conditions d'installation médiocre où il se trouvait, etc.; mais
+j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui l'a guéri, et que,
+malgré la confiance qu'il avait en moi, malgré toute l'autorité que
+j'exerçais sur lui, malgré le repos au lit, si je lui avais donné à
+manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si
+surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas
+guéri; et la preuve en est que, à partir du premier mois, sitôt que
+je m'écartais du régime méthodique, et que, pour essayer de gagner du
+temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet
+essai, si timide qu'il pût être, amenait invariablement un petit recul.
+Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement amené une rechute.
+
+Inutile de dire, après cela, que la Revalescière n'est nullement un
+spécifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amené le même
+résultat (panade bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root,
+phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de riz, etc)
+
+Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le régime
+ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le régime
+sec est d'un maniement difficile et doit être très vite remplacé par le
+régime «à restriction des boissons». Ces cas sont ceux où, à l'inertie,
+se joint un élément spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes
+les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois
+jours, des aliments secs à grignoter; et ce régime est spécialement
+indiqué chez les malades chroniques dont le capital est gravement
+atteint. Il est bien certain que la psychothérapie intervient assez peu
+dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à un
+malade qui aurait besoin d'un régime sec le régime liquide, ou même
+semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empêcher les
+fâcheux résultats d'une pareille erreur thérapeutique.
+
+Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas
+pouvoir digérer, et ne digère pas, en effet, simplement parce qu'il
+a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh! alors la
+psychothérapie fait merveille. On doit donc forcer le malade à manger,
+et à manger n'importe quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout
+digérer. Mais je ne conseillerai jamais à un médecin d'essayer ce
+système, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas étudié
+de très près le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de
+compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre.
+
+D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut procéder avec une
+sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments
+nécessaire à la conservation de la vie.
+
+Il nous est impossible de tracer, même à grands traits, les indications
+de régime qui conviennent aux divers malades. Théoriquement, le régime
+doit varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour à l'autre,
+pendant toute la durée de la «maladie». Mais, en pratique, les choses
+se passent plus simplement. Le principe général, c'est qu'il faut faire
+manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phénomènes
+spasmodiques (tiraillements d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut
+les faire manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour assurer
+le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris vers minuit, après le premier
+réveil, dans les cas où le régime doit être plutôt sec, une tasse de
+cacao dans les cas où le régime doit être plus liquide, font mieux, pour
+procurer le sommeil, que la meilleure des préparations opiacées.
+
+Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades après
+avoir mangé. Nous avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut
+qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position
+horizontale après les repas s'impose, et n'est pas moins nécessaire
+après le goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien de faire,
+après les repas, un exercice modéré; et il y a aussi quelques
+dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande
+exception.
+
+Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien
+portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre
+à table immédiatement après un travail musculaire. C'est ce qu'a
+parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur
+les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer
+mes lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur toutes les
+questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice.
+
+
+II
+
+MOYENS ACCESSOIRES
+
+
+Outre le régime, il est encore un grand nombre de petits moyens
+thérapeutiques que la psychothérapie ne remplacera certainement pas. Il
+est très simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le massage,
+la douche tiède, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce
+que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une
+conception par trop facile, et qui se trouve démentie par l'expérience.
+Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, indépendante de
+toute suggestion, action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils,
+tout comme l'hygiène alimentaire, être soumis à un contrôle sérieux,
+et ne pas être employés à tort et à travers: mais, quand ils sont bien
+maniés, ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique. Le
+principe général, c'est qu'il faut en user avec une extrême prudence, et
+que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir.
+
+_Hydrothérapie_.--L'hydrothérapie froide est rarement indiquée; on
+commence à le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital
+nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des désastres.
+
+Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la
+base du traitement de la folie, y on tous entièrement renoncé: la douche
+froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades
+ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunément
+soutirer une dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais la
+douche froide à la saignée faite chez les malades qui n'ont plus de
+pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignée peut parfois rendre
+le pouls et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée dans
+les cas d'oppression des forces». Or, pour pratiquer à coup sûr la
+saignée, dans ces cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il
+faut être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer convenablement
+l'hydrothérapie froide, chez les malades graves.
+
+Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions, les lotions, le
+manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien
+appliquées, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le
+peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionné
+par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les
+fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aéré, où son
+cerveau reste en jachère par le fait de l'horrible tristesse du milieu,
+et s'il s'y soumet à une alimentation plus raisonnable que celle qu'il
+avait chez lui. Tous ces éléments entrent pour une part indéniable,
+dans les remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent
+encore, à un moindre degré, ses successeurs et ses élèves, à Altkirch,
+en particulier.
+
+Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver
+de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit être employée que chez
+les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce
+genre, le maillot humide, notamment, constitué par un drap mouillé
+et tordu étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un
+procédé souvent très utile et à la portée de toutes les bourses. On
+entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant
+ensuite de trois couvertures préalablement étendues, sous le drap. Nous
+avons vu des malades, qui ne parvenaient pas à dormir, trouver, vingt
+minutes après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil réparateur.
+La durée des applications ne doit pas dépasser trois quarts d'heure; et
+leur nombre peut sans inconvénients atteindre 80, employées
+quotidiennement, même pendant les règles.
+
+L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses indications. Le _tub_
+tiède, pratiqué dans la matinée, avec une infusion de tilleul et
+l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sédatif, si le
+malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.
+
+Le bain répond aussi à de nombreuses indications; mais c'est un moyen
+beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des
+malades qui ne le supportent pas, que le bain, même de cinq minutes,
+énerve, empêche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilité,
+et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire.
+Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois amenés à donner des
+bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est là une médication très
+active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que les malades ont
+des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer
+autour d'eux. Les bains de six heures consécutives sont journellement
+employés à Louéche, et avec grand profit, pour les malades atteints de
+certaines formes d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une qualité
+particulière, qui rend tolérables ces bains prolongés; ce qu'il y a de
+certain, c'est que les bains de la même durée avec de l'eau de Paris,
+comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis, ne sont, en
+général, pas tolérés, et qu'on a dû réserver ce traitement pour les cas
+exceptionnels.
+
+C'est également une qualité particulière de l'eau qu'il faut invoquer
+pour expliquer la tolérance de certaines eaux minérales. A Badenweiller,
+en particulier, à Gastein, à Néris, les nerveux supportent des bains
+très prolongés (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un
+bain d'un quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable.
+
+Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau,
+même aux stations minérales que je viens d'indiquer; les médecins de ces
+stations auraient tort d'insister si, après les deux ou trois premiers
+bains, ils observaient une aggravation de l'état maladif.
+
+Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller
+la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de
+pieds les révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la figure
+avec très peu d'eau tiède, ou même avec du cold-cream. Dira-t-on que ce
+sont là des phobiques? Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne
+connaissons pas tous les degrés de susceptibilité du système nerveux,
+réactif d'une sensibilité invraisemblable; et cette intolérance de la
+peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparaît en
+même temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tête,
+et autres misères dont l'ensemble constitue la «maladie». Mais, aussi
+longtemps qu'existe cette intolérance, le médecin doit savoir la
+respecter, et ne pas s'obstiner à faire faire au malade l'hydrothérapie
+même la plus mitigée.
+
+C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur
+sèche. Un sac en caoutchouc, à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur
+l'estomac après les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds,
+est très apprécié de beaucoup de malades. Ce procédé, très simple,
+facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant,
+on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas,
+c'est la compresse froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas
+chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au
+patient.
+
+Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore être remplacé
+par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par
+la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion.
+Ces petits appareils, connus sous le nom de _dermothermes_ ou de
+_dermophores_, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une
+chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient d'être un peu lourds;
+aussi, quand l'installation le permet, leur préférons-nous un tissu
+métallique très léger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffé par
+un courant électrique à 70 volts.
+
+_Massage_.--Ce que nous disons de l'hydrothérapie s'applique, de point
+en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait
+jamais être pratiqué en dehors du médecin. Employé même légèrement, il
+fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier,
+qui a été fort en honneur il y a quelques années, constitue un procédé
+thérapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours
+pratiqué par une main expérimentée, c'est-à-dire avec la plus grande
+douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la
+paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler
+que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout à fait accessoire. Les
+médecins qui auraient la prétention de guérir la constipation par le
+massage abdominal exclusivement s'exposeraient à un échec certain, parce
+que la constipation n'est pas causée seulement par une inertie des
+muscles de l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état général,
+ainsi que nous l'avons déjà expliqué.
+
+Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de
+services que le massage, et sont d'une application plus facile,
+puisqu'elles peuvent être confiées à toutes les mains. Elles sont faites
+avec un gant de molleton, jamais ou très rarement avec le gant de crin;
+seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une
+grande somme de résistance, supportent la friction violente au gant de
+crin. Une bonne manière de faire la friction humide est la suivante:
+
+Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un
+des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibé d'une solution
+alcoolique tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un gant sec,
+frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la
+couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de même.
+Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut,
+puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos,
+n'importe en quel sens, l'étendre de nouveau, travailler légèrement le
+devant de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre. L'opération
+doit durer dix minutes. Elle est à recommander chez presque tous les
+malades, même chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien faite, et
+comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse.
+
+Les bains de vapeur sont en général bien supportés; mais les prendre
+dans des établissements spéciaux expose à une grande perte de temps, et
+à un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre à domicile, soit
+dans des boîtes portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans
+ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une forte lampe à
+alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tôle.
+Mais un procédé qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans
+des boites disposées _ad hoc_, mettre deux briques bien
+chauffées,--appliquer une de ces boîtes aux pieds du malade couché, une
+autre boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la transpiration
+survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce
+système permet: 1° de graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller
+les draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé de vapeur qui
+sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons ces bains d'air sec chez les
+malades obèses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.
+
+En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails: tout ce qui peut être
+utile au malade doit être l'objet de nos recherches; et c'est le soin
+des détails qui fait la force, et, disons-le franchement, le légitime
+succès de quelques-uns de nos confrères étrangers.
+
+_Électricité_.--L'électricité n'est pas, non plus, à négliger. Il est
+certain que les courants de haute fréquence ont, sur la nutrition en
+général, et sur le système nerveux en particulier, une action très
+puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr
+Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente
+de froid. Mais c'est là un procédé forcément limité, à cause des
+difficultés d'installation et du prix de revient. Les applications
+faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent également avoir
+leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif, et qui, fort
+heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile.
+
+Le tabouret électrique est souvent recommandable, à condition qu'on ne
+tire pas d'étincelles. Les machines statiques à domicile sont des jouets
+qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone
+qu'elles dégagent n'a pas une influence utile?
+
+Les bains électriques constituent aussi un moyen puissant, et,
+par conséquent, difficile à manier. Ce que nous avons dit des
+contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains électriques; il
+est des cas où le bain électrique, bien appliqué, rend d'excellents
+services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une façon
+générale, on peut dire que le bain électrique occasionne une courbature
+notable qui, à l'inverse de la courbature produite par l'excès
+d'exercice musculaire, amène le sommeil. Ces bains ne devraient être
+donnés que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale
+très exacte pendant toute la durée du bain. Dire qu'un pareil moyen
+agit par suggestion, c'est énoncer une affirmation qui n'a rien de
+scientifique.
+
+_Injections hypodermiques_.--Les injections hypodermiques constituent un
+des agents les plus utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux
+trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1° toute injection, en
+tant qu'injection, a une influence utile; 2° le médicament injecté a
+son action propre; 3° une part de suggestion s'attache à l'emploi des
+injections.
+
+I. On sait, depuis les remarquables études du Dr Chéron, que toute
+injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide
+injecté ne soit pas toxique, produit un relèvement momentané de la
+tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-être, de
+vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogénique plus ou moins
+prolongé, Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres
+conditions.
+
+Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de Brown-Séquard,
+de l'océanine, etc.; il y a toujours à compter avec cette action
+particulière de l'injection en tant qu'injection sous-cutanée ou
+intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine.
+De là l'utilité des doses massives de liquide, comme aussi la vogue
+qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de sérum
+artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes de sel marin pour
+un litre d'eau stérilisée. Malheureusement on sait, depuis quelques
+années, que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il peut devenir
+toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas très bien.
+Il faut donc en user avec grande prudence.
+
+Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer stérilisée
+(océanine). On donne de 300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs
+de ce nouveau médicament en disent merveille: il est possible que l'eau
+de mer soit un heureux mélange de substances utiles à l'organisme. Je
+n'ai pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essayé
+l'océanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie,
+sans résultats appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que
+des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite
+à la Société de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il
+résulte que ces injections, pratiquées à des doses plus fortes, ont des
+effets vraiment importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles
+n'ont pas les inconvénients graves des injections salées ordinaires, si
+bien mis en lumière par M. le Dr Hallion à la même séance de la Société.
+L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement
+un des précieux médicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon;
+d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent également en
+tant qu'injections de liquide non toxique.
+
+II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecté. Il existe,
+certainement, des médicaments doués d'une action reconstituante sur
+le système nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de soude et
+surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard, peut-être la lécithine,
+les phosphates, etc. Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces
+médicaments: disons seulement un mot des principaux.
+
+Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier
+ordre; on peut l'employer sans danger à des doses beaucoup plus élevées
+qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à la Société de
+Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicité du produit,
+ainsi que l'utilité des hautes doses longtemps continuées, dans certains
+cas exceptionnels[14]. Le plus souvent, la dose indiquée par le
+professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et
+il n'est pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette
+injection, à la condition de continuer le traitement pendant deux ou
+trois mois dans les cas moyens.
+
+J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée de l'action des
+cacodylates de soude et de magnésie, à la Société de Thérapeutique, en
+1902, en indiquant les très rares contre-indications, et en précisant,
+dans la mesure du possible, les indications[15]. Le cacodylate de fer en
+injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels où le fer
+est indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques, chloro-anémiques):
+mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites à raison de
+deux par semaine, nous ont toujours semblé suffisantes.
+
+[Note 14: Considérations sur la médication cacodylique, _in Ann. de
+dermatologie et Syphiliographie_, 6 mars 1902.]
+
+[Note 15: _Bull de la Soc. de Thérapeutique_, 27 mars 1901.]
+
+Les injections orchitiques de Brown-Séquard, après avoir eu un moment la
+faveur que l'on sait, sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la
+bonne fortune d'être en relations personnelles et suivies avec le vénéré
+maître, de recueillir de sa bouche des aperçus thérapeutiques de grande
+envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps de vérifier et
+d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'étude de
+l'action dynamogénique du liquide de Brown-Séquard, préciser les doses,
+le nombre des injections, etc. Ce travail n'a été qu'ébauché par le
+grand initiateur.
+
+D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble une méthode pleine de
+promesses; j'ai cité notamment, à la Société de Thérapeutique, en 1904,
+le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au dernier degré du
+marasme, avec muguet dans la bouche, qui a été comme ressuscitée par
+l'emploi de trois lavements quotidiens préparés avec une macération de
+200 grammes de foie de porc, fraîchement tué, dans 300 grammes d'eau
+bouillie. Cette dame, une grande malade avec phénomènes nerveux et
+dyspeptiques anciens, avait eu, à un moment donné, une insuffisance
+hépatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre
+intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxième mois
+de cette complication, elle était arrivée à l'état lamentable que j'ai
+indiqué, quand nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à son
+foie. Le résultat a dépassé toute espérance; trois heures après le
+premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit
+jours après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les selles
+régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger immédiat conjuré, il
+m'a encore fallu continuer à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin,
+la peau de ma malade: mais, trois mois après, elle put aller achever sa
+convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien.
+La complication hépatique n'avait été qu'un épisode dans le cours de la
+«maladie», qui évoluait depuis vingt années.
+
+D'une façon générale, les préparations opothérapiques, auxquelles un
+immense avenir semble réservé, ne rendront tous les services qu'elles
+peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par
+voie sous-cutanée, comme le faisait Brown-Séquard avec son liquide
+orchitique.
+
+Chez certains malades, les préparations de strychnine par injections
+hypodermiques ont un effet très utile: mais il ne faut pas dépasser en
+général la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arséniate
+de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, réparties sur
+trente jours.
+
+Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels
+qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurasthéniques. De là,
+la préoccupation constante que nous avons de faire la guerre à cette
+affection accidentelle, de la couper dès ses débuts. Or, il m'a bien
+semblé trouver, dans le _cacodylate de gaïacol_, un agent antigrippal
+spécifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes
+confrères, à la Société de Thérapeutique, en janvier 1906.
+
+Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de
+gaïacol, dans un gramme d'eau stérilisée, et préalablement saturée de
+gaïacol, fait merveille chez les grippés au début: elle les guérit
+en quelques heures. Deux ou trois injections consécutives suffisent
+toujours pour couper la grippe, même quand elle n'est pas prise au
+début, à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et,
+même alors, le cacodylate de gaïacol me semble très recommandable.
+Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui
+résistent à tous les traitements.
+
+Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même avec pneumonie, nous nous
+sommes très bien trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours de
+suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution
+suivante, introduite profondement dans le muscle, est très bien tolérée
+et n'occasionne jamais d'abcès:
+
+ Chlorhydrate neutre de quinine 3 grammes.
+ Antipyrine 2 --
+ Eau distillée 6 --
+
+Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les
+névralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui
+résistent même aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques,
+névralgies intercostales).
+
+Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces suites éloignées de la
+grippe, cas de grippe aiguë et de névralgies postgrippales,--on ne peut
+pas tout faire,--mais je crois bien que la quinine à petites doses,
+donnée en injections à tous les malades à dépréciation nerveuse
+momentanée, aurait un effet dynamogénique précieux.
+
+Dans certains cas de douleurs névralgiques trop pénibles, les injections
+d'héroïne sont indiquées; mais il faut savoir que l'héroïne doit se
+manier à doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes,
+on ne doit jamais dépasser un milligramme d'héroïne, surtout chez les
+malades dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique de
+l'héroïne nous a semblé supérieure à celle de la morphine; mais il faut
+bien se rappeler que l'héroïne est un médicament aussi dangereux que la
+morphine, auquel les malades s'habituent, et réserver son emploi pour
+les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me
+disposais, à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque, me ravisant,
+je me demandai si la névralgie crurale qui le torturait ne serait pas,
+par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire,
+j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment en cause; et une
+seule piqûre de calomel eut raison à tout jamais de cette névralgie
+si pénible; tant il est vrai que le médecin doit toujours penser à la
+syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.
+
+Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire,
+quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous
+semble être les injections mercurielles; celles au benzoate sont
+douloureuses, et donnent des nodosités désagréables; celles de biiodure
+en solution aqueuse sont très douloureuses. Nous préférons l'huile grise
+pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et
+l'huile au sublimé,--dont nous avons donné la formule en 1881 à la
+Société de Dermatologie,--chez les syphilitiques épuisés, auxquels
+l'huile sert d'aliment.
+
+Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de
+dire un mot de nos travaux antérieurs sur l'action dynamogénique de
+l'huile créosotée, en injections sous-cutanées _à dose maxima tolérée_.
+Nous les avons surtout employées et les employons encore chez les
+tuberculeux; mais nous étions guidé par une fausse conception théorique;
+et si la créosote _bien maniée_ reste,--et restera longtemps,--le
+médicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle
+agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle
+a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le système
+nerveux.
+
+La créosote est, en effet, un agent dynamogénique de premier ordre.
+Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'être les seuls malades qui
+puissent tirer parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais
+d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le
+moindre bénéfice, à cause de la difficulté que présente le maniement de
+la créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la fièvre. Là
+où les injections d'huile créosotée font merveille, c'est chez les
+pseudo-tuberculeux, qui sont tellement démolis par les troubles
+gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne
+l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée rend, en quelques jours,
+l'appétit, la force, en un mot la vie.
+
+Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra longtemps son
+emploi, c'est l'extrême difficulté qu'il y a à la manier. Pour ma
+part, je me suis attaché à surprendre les moindres manifestations de
+l'intolérance, et à les décrire minutieusement afin de permettre aux
+praticiens de ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention
+sur les intolérances accidentelles, qui doivent faire immédiatement
+suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptée les jours
+précédents. J'ai même tellement insisté sur les dangers de la créosote
+que quelques confrères m'ont accusé d'avoir fait son procès; mais la
+dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien
+maniée, elle rende des services[16].
+
+[Note 16: Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas
+seulement que la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par
+la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un
+mois, avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux,
+un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade est
+resté à la diète _absolue_, ce qui a donné à l'ulcère le temps de se
+cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de
+150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des injections
+huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'où
+peut résulter une embolie qui peut être mortelle; mais j'ai indiqué le
+moyen de se mettre _sûrement_ à l'abri de tout accident grave. Le secret
+consiste à bien connaître les moindres symptômes d'introduction de
+l'huile dans le torrent circulatoire, et à arrêter l'injection dès
+l'apparition de ces symptômes. Rien n'est plus facile que d'arrêter à
+temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais
+cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à
+fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont étudiés dans
+mon livre sur le _Traitement de la tuberculose par la créosote_.]
+
+III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent
+encore d'une autre façon. En dehors des propriétés particulières à
+chaque médicament, et de l'action dynamogénique reconnue à toute
+injection sous-cutanée et même intra-musculaire, elles agissent encore
+par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant
+que les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène cérébrale,
+médullaire, gastrique, intestinale, cutanée, etc., aient eu le temps de
+produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente,
+comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le malade serait vite
+découragé, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant,
+factice peut-être, mais certainement utile, et ayant une action
+évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance.
+
+La pratique des injections hypodermiques est également utile au médecin
+à un autre point de vue: elle lui permet d'apprécier très vite le degré
+de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de
+ce degré de confiance dérive, dans une notable mesure, le résultat
+thérapeutique final. Si le médecin sent que son malade a foi en lui,
+il déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son
+intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira à
+tout instant, gêné, paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas
+toute la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il y a, pour
+lui, à évaluer le degré de confiance qui lui est octroyé. Eh bien! pour
+l'apprécier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection
+hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci
+aveuglément, du premier coup, sans même demander la formule du liquide
+injecté, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade
+acceptera avec la même obéissance les diverses prescriptions qui lui
+seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non
+parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe,
+il acceptera avec la même passivité les prescriptions qui lui seront
+faites, et c'est là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou
+surtout son entourage, manifestent une curiosité inquiète, qu'on ne
+parvient pas à satisfaire par une réponse banale, quand ils expriment
+des appréhensions sur la nature et les effets du liquide injecté, on
+peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins médiocre; et le
+médecin aura beaucoup à faire pour conquérir la confiance.
+
+Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont légitimes, et ce que
+nous disons ici ce n'est pas pour les empêcher: mais il n'en est pas
+moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le médecin
+a intérêt à connaître afin de travailler à la faire cesser et d'établir
+ainsi, entre son malade et lui, cette confiance réciproque qui est la
+condition indispensable d'un traitement efficace.--Or l'attitude des
+malades en face des injections qu'on leur propose constitue, à ce
+point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral.
+
+Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des
+applications locales, révulsives ou dérivatives, qui étaient autrefois
+si en honneur, et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste.
+
+_Vésicatoires_.--Autant nous protestons contre les larges vésicatoires
+employés autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la
+cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait
+guérir; autant nous continuons à penser que le petit vésicatoire, sous
+forme de mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez les grands
+malades qui ont le système nerveux sens dessus dessous, une mouche,
+appliquée derrière l'oreille, peut faire un mal extrême et produit
+un état d'agitation inconcevable, non pas à cause de la douleur
+insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de
+circulation qu'elle produit à distance. Ce seul fait suffirait à prouver
+que l'application d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs,
+n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez certains malades qui ont
+encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquée derrière l'oreille
+droite, de préférence, produit une sédation des plus remarquables, amène
+le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles
+innommables qui constituent l'état nerveux; c'est sans doute à cause de
+l'infériorité fonctionnelle de la partie gauche du corps,--habituelle
+chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,--que la mouche appliquée
+derrière l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle
+produirait moins si elle était appliquée à gauche; en tout cas, c'est un
+fait d'observation. De même, la mouche sur le creux de l'estomac peut
+amener, si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop aigus, une
+aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient à son
+heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La
+mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remèdes à
+apporter à la constipation. Cette affirmation peut sembler singulière,
+mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours
+nerveuse, de la constipation.
+
+_Emplâtres_.--Les applications d'emplâtres d'opium ne sont jamais
+dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Étant donnée l'extrême
+susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se laisse impressionner
+par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout
+cas, j'affirme, au nom d'une expérience prolongée, qu'une mouche d'opium
+appliquée à la tempe est souvent très appréciée par les malades
+céphalalgiques, qu'un emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone,
+laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une
+façon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une
+série d'injections de morphine.
+
+De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué sur la colonne
+vertébrale, immédiatement au-dessous de la première vertèbre dorsale,
+sur une longueur de dix centimètres, atténue singulièrement certains
+phénomènes médullaires dont se plaignent les malades, en particulier
+les inquiétudes dans les jambes qui sont si fréquentes chez les grands
+neurasthéniques.
+
+Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à dédaigner. A eux seuls,
+ils seraient insuffisants; mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos
+méthodiquement dosé, aux applications hydrothérapiques raisonnables, et
+à la psychothérapie, ils amènent sûrement la guérison, lorsqu'il reste
+assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.
+
+_Purgatifs_.--Nous usons très peu des médicaments fournis par la
+pharmacopée, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin,
+et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents
+thérapeutiques à action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer?
+c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas.
+
+Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un médicament. J'ai
+mis, quant à moi, des années à étudier l'action du bromure, quand je
+m'occupais plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales; et
+quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier
+l'étude du cacodylate de soude, la première chose que je lui ai dite,
+c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet
+agent thérapeutique une appréciation ayant quelque valeur. Enfin,
+pour ce qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans à en
+connaître l'effet.
+
+Comment, alors, avoir confiance dans des publications hâtives sur des
+médicaments découverts de la veille? Et, en ce qui est des médicaments
+anciens, ayant fait leurs preuves, je répète que, en général, je les
+redoute, à cause de l'extrême sensibilité des malades, qui dépasse tout
+ce qu'on peut imaginer.
+
+Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une
+véritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons
+employer sans dommage, et même avec une apparence de succès qui
+saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs à une indication bien
+rationnelle, puisqu'il faut évacuer les résidus de la digestion qui
+empoisonneraient l'économie! Il nous faut réfuter ces objections en
+passant: qu'on donne un purgatif à un homme solide qui a un léger
+embarras gastrique, il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien;
+mais c'est une erreur d'interprétation, et si le purgatif ne lui a pas
+fait de mal appréciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains.
+Mais donner un purgatif à un malade grave dont le système nerveux
+est profondément atteint, c'est provoquer chez lui des réflexes dont
+personne ne connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son
+système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait
+jusqu'alors une certaine tonicité, devenir flasque, inerte, perdre toute
+réaction; l'intestin est alors inhibé dans son fonctionnement, et il
+faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se
+ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades
+constipés? La réponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur
+constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut les soigner en tant
+que malades; la constipation disparaîtra d'elle-même. Le moment nous
+semble venu de protester une dernière fois contre les idées des gens du
+monde, et des médecins, relatives à la constipation.
+
+Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de
+constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une façon
+de parler: car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument bien
+portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la
+vie commune, tout en ayant une constipation opiniâtre; de plus il y a
+beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipés.
+Une dame nous disait plaisamment, à ce sujet, que son intestin avait
+«horreur du vide». Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette
+obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés, elles tolèrent
+leur infirmité sans se douter qu'elle existe. Mais malheur à elles quand
+elles commencent à se préoccuper de leur constipation! C'est à partir de
+ce moment qu'elles rapportent à la constipation les mille et une misères
+qui sont l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles, surtout,
+quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la
+constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiède
+d'abord, puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours aux
+purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux
+grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur
+intestin, et qu'à leur constipation anodine succède l'entéro-colite
+membraneuse.
+
+A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle
+vicieux est établi. Plus elles irritent leur intestin, plus la
+constipation devient opiniâtre, et, pour lutter contre cette
+constipation opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin.
+L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent plus qu'à leurs
+fonctions alvines, à la liberté du ventre, qu'elles disent être la plus
+nécessaire des libertés. Elles donneraient la vie du genre humain pour
+obtenir une selle; elles se présentent à la garde-robe plusieurs fois
+dans la journée, sans succès ou avec des résultats insignifiants, et,
+cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus
+extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet état
+mental des constipés mérite d'être étudié de très près; et toute
+thérapeutique qui ne cherche pas à le modifier est, par avance,
+condamnée à l'impuissance.
+
+La première chose à faire, quand on se trouve en présence d'un de ces
+constipés à obsession, est de lui persuader que la constipation n'est
+pas l'ennemie, n'est pas la cause immédiate de toutes les misères
+qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptôme d'importance
+secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de défectueux
+dans le fonctionnement du système nerveux abdominal.
+
+Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller à la garde-robe tous
+les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils
+iront quotidiennement; invitez-les à ne s'y présenter qu'une fois par
+jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y
+aller en dehors de l'heure réglementaire. Recommandez-leur de ne pas
+lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont
+la constipation n'est qu'un symptôme, et, s'ils vous écoutent, si vous
+avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul à moitié guéris.
+
+Cependant, comme il faut tenir compte de leur état mental, et un peu
+aussi de la mentalité de l'entourage, on peut autoriser un petit
+lavement d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour de
+présentation inefficace, à l'heure réglementaire de la présentation,
+lavement qui sera gardé cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on
+croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir
+du troisième jour de présentation inefficace, un lavement d'huile, non
+pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerées
+à bouche d'huile pure, lavement destiné à être gardé toute la nuit; si
+l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le
+lendemain, un effet magique.
+
+Les pilules de belladone d'après la formule de Trousseau sont également
+recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas être
+nuisibles.
+
+Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide orchitique de
+Brown-Séquard; c'est de la bouche même du savant professeur que je tiens
+ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'était hier, le
+jour où il me disait ces paroles: «De tous les services que m'ont rendus
+à moi-même mes injections de suc orchitique, celui que je place en
+première ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont guéri
+d'une constipation opiniâtre». Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut
+avoir été, comme moi, torturé par la constipation pour savoir toutes les
+angoisses qu'elle occasionne».
+
+Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joué aucun rôle dans la
+circonstance, car M. Brown-Séquard ne s'attendait pas le moins du monde
+à cet effet des injections do liquide orchitique.
+
+Pour moi, utilisant ce précieux renseignement, j'ai traité et je
+traite encore par les injections de liquide orchitique les grands
+neurasthéniques atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite.
+
+_Eaux minérales_.--Si nous donnons peu de créance aux médicaments de
+la pharmacopée, nous croyons, par contre, que les eaux minérales
+constituent des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire, qui ne
+respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont été inventés par
+des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en
+général, les eaux sont le dernier conseil de la médecine poussée à bout.
+«On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remède.»
+
+Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient
+là de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit
+la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute
+antiquité, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles
+n'avaient pas vraiment une certaine efficacité.
+
+Certes, dans les bons effets des cures minérales, il faut compter, pour
+une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agréable
+du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile
+quelquefois, est quelquefois fâcheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux
+que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital
+n'est pas sérieusement compromis.
+
+Le changement de régime alimentaire qui est imposé aux malades, dans les
+stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part
+d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous savons, en effet, que,
+à un moment donné, il est utile de ne pas se confiner dans un régime
+alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains
+cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui
+souvent est utile, peut être dangereux, au contraire, quand le système
+nerveux n'est pas de taille à supporter le soudain assaut imposé.
+
+C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales, où le bon effet
+des eaux est, en grande partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène
+alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer, dans toutes les
+villes d'eaux, des «tables de régime» comme il en existe dans toutes les
+maisons de santé bien tenues, où chaque malade, pour ainsi dire, a le
+régime alimentaire qui lui convient, dosé et surveillé par le médecin de
+l'établissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos
+stations minérales, parce que les médecins n'y sont pas libres de tous
+leurs actes, et ont à compter avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à
+compter avec leurs chefs de cuisine.
+
+A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables de régime»; et j'y
+ai vu moi-même des menus imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils
+annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le papier. A Vichy, par
+contre, plusieurs médecins sont arrivés à imposer à des tenanciers de
+pensions de famille l'obligation de donner aux malades des régimes
+variés, suivant les prescriptions médicales.
+
+Quant aux indications des eaux minérales, elles varient à l'infini.
+
+Certaines eaux ont certainement une action prédominante sur tel on
+tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur
+d'observation, ou d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux
+de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique sur les troubles
+périphériques de la circulation (varices, hémorroïdes, phlébites).
+Les malades atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement, à
+Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs misères (troubles nerveux,
+dyspeptiques), mais plus particulièrement les misères locales causées
+par leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une action non douteuse
+sur le symptôme constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au
+contraire, favorise la constipation pendant la durée du traitement.
+
+De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains entéralgiques,
+convalescents d'appendicite, etc., une action véritablement spéciale. De
+même encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des
+symptômes de la «maladie», elles ont une bienfaisance incontestable,
+surtout si, à leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne
+bien comprise et bien réglée. Les eaux de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas
+d'action spéciale, mais elles rendent de précieux services aux nerveux
+fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées chez les malades
+dont le système nerveux digestif est en détresse, et la Grande Grille,
+en particulier, a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique
+pas plus par la théorie des _ions_ que par les théories chimiques, mais
+qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas là de psychothérapie ni de
+suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy
+est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se
+rappeler que c'est une arme difficile à manier, comme toutes les armes
+puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant
+encore une grande force de résistance vitale.
+
+Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des
+dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque année,
+il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptômes cérébraux
+prédominent, à condition, bien entendu, que ces symptômes ne soient pas
+en rapport avec des lésions organiques; et ces malades se trouvent
+au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptômes
+gastriques ou hépatiques.
+
+Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault les
+malades atteints de lésions organiques du cerveau ou de la moelle,
+hémiplégiques, congestifs, etc. Depuis quelques années, la physionomie
+de cette station a changé. Il y a eu des accidents provoqués par l'eau
+chaude sur les malades à artères friables; et l'on se borne actuellement
+à y envoyer les malades à troubles médullaires superficiels,
+connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou
+articulaires, sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de
+boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de
+grands services aux rhumatisants et aux obèses sans lésions organiques
+appréciables.
+
+Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège de recevoir des
+malades à lésions organiques nettement définies, et dont nous ne nous
+occupons pas dans ce travail.
+
+Vittel et Contrexéville conviennent aux malades chez lesquels le trouble
+de la nutrition, qui n'est, en général, qu'un trouble du système
+nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation
+de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins[17].
+
+[Note 17: Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon
+estomac, à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De là
+le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer à Vittel.
+Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez que, longtemps
+avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cérébraux, ne
+fût-ce que des migraines, de petits troubles cutanés, de l'obésité. Un
+beau jour, une colique néphrétique les surprend, et l'on se figure que
+c'est à partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien.
+La colique néphrétique n'a été chez eux, qu'un accident; bien avant
+de l'avoir, ils avaient, même du côté du rein, de petites misères qui
+passaient inaperçues: du lumbago, des urines chargées de sable. Et si,
+au moment où l'on s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait
+soignés méthodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas,
+par telle ou telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique
+hydrothérapique, telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu
+de coliques néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel.
+Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir
+au traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des
+manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une façon
+temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les
+guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.]
+
+Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos malades; la Bourboule en
+particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens.
+
+Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minérales françaises
+et étrangères. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux
+minérales sont un agent thérapeutique de premier ordre, un agent que
+tous les médecins doivent connaître, non seulement parce qu'ils voient
+dans les livres, non seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine
+d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils goûtent, par
+eux-mêmes, aux diverses sources, et qu'ils tâtent parfois des bains. Ils
+ne tarderont pas à voir que ce ne sont pas des agents indifférents: je
+leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn, à forte dose
+d'eau salée. Aussi le monde médical doit-il être très reconnaissant à
+celui de nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé, tous les
+ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux françaises;
+quinze jours de voyage sous une bonne direction médicale sont plus
+utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi à
+connaître non seulement les eaux, mais aussi les médecins des stations,
+parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idées générales très
+intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des villes d'eaux sont,
+d'ailleurs, pour les praticiens, de précieux collaborateurs, quand ils
+veulent bien ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson, les
+bains, les douches, etc., et consentir à faire, en même temps, oeuvre
+médicale véritable, c'est-à-dire surveiller le régime, doser avec soin
+le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie ne perd
+jamais ses droits.
+
+_Voyages_.--Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus
+grand bien aux malades en général, qu'à la suite d'un état aigu, par
+exemple, dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien
+loin de chez lui, et que, dans les états chroniques, ce déplacement
+lointain est la condition _sine qua non_ d'une guérison. Cette opinion
+est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain qu'un homme
+bien portant se trouve très bien d'un déplacement annuel, et les
+vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son
+âge et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien
+portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachère, prenne
+l'exercice dont il a été en partie privé pendant le reste de l'année.
+Ce temps consacré au repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du
+temps bien employé.
+
+Les vacances sont également nécessaires à l'enfant qui travaille: et par
+vacances nous entendons non seulement le repos cérébral, qui doit être
+presque absolu,--ce qui, par parenthèse, contre-indique l'usage des
+devoirs de vacances,--mais aussi, autant que possible, le changement de
+milieu, ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De là l'utilité
+des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle «des
+croisades de paix et de rédemption». Elles sont, dit-il très justement,
+la «première ligne de défense contre la tuberculose». M. Plantet a fait
+sur ce sujet, à la demande de l'Office central du travail, un rapport
+des plus intéressants et des plus complets, publié dans la _Réforme
+sociale_, (16 juin et 1er juillet 1905). Il résulte de ce rapport que la
+France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre,
+la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que
+le sixième rang dans la lutte des sociétés contre le dépérissement
+de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entrée dans le
+mouvement, et les colonies scolaires françaises sont déjà en nombre
+considérable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions
+privées parisiennes, 40 comités de patronage s'occupant de procurer des
+vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables
+fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en
+1902, 14000 petits Français ont bénéficié de ces institutions
+philanthropiques[18].
+
+[Note 18: Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces
+colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse se
+rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des résultats
+obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés en commun dans un
+même local (villas scolaires, écoles communales vacantes pendant l'été,
+propriétés privées, louées, acquises, spécialement aménagées pour
+abriter une collectivité à la campagne ou à la mer). C'est la colonie
+d'internat.
+
+Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes de
+deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables,
+moyennant un prix débattu, dans les régions réputées les plus saines.
+C'est le placement familial.--Les deux systèmes présentent des avantages
+et des inconvénients qui sont analysés de très près dans le travail
+que nous signalons.--En ce qui concerne la santé, tous les rapports
+constatent la plus-value dans toutes les régions, en montagne, en
+plaine, à la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les
+colonies familiales.
+
+Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de l'esprit
+qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner à de
+pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux à faire,
+on peut réaliser un bien plus durable: il faut viser à ce qu'ils
+rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne
+se devine guère. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensée dominante
+et le rêve du directeur. Le tout est de savoir choisir.]
+
+Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu
+fatigué par le surmenage cérébral, et par les petites émotions
+quotidiennes, se trouve très bien de changer d'air, de milieu, non
+seulement une fois par an, mais même chaque fois qu'il sent, chez lui,
+cette sorte de malaise cérébral prémonitoire de la neurasthénie, ou
+certains troubles digestifs mal définis qui prouvent que son système
+nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un
+déplacement de quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il aille,
+il verra son appétit renaître, sa constipation disparaître, la santé lui
+revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant
+ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de monter en chemin de
+fer produit des effets appréciables, et, le jour même du départ, on les
+voit transformées. Elles laissent à la première station leurs phobies,
+leurs inquiétudes; c'est un changement à vue, un véritable coup de
+théâtre.
+
+Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien portant, ou du candidat
+à la «maladie» dont le capital est encore presque intact, et autre
+l'hygiène du vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale, les gens
+du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré eux, par le fait d'un faux
+raisonnement, à croire que ce qui fait du bien à l'homme valide doit
+en faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck saignant est
+certainement utile à un travailleur bien portant; combien il doit être
+plus utile à un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des
+forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra,
+plus vite il sera guéri!» Le malade proteste, il affirme que la viande
+saignante lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en donne au moins
+autant que son estomac pourra en digérer, ce sera toujours pour son
+bien! On disait la même chose, autrefois, pour le vin; les gens
+intelligents commencent à comprendre que le vin, si utile à un
+travailleur bien portant, n'est pas un aliment héroïque quand il est
+donné à des malades, même sous forme de vins médicamenteux.
+
+De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modéré est utile aux
+gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau
+dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le peu d'appétit et de
+sommeil qu'il avait encore; c'est égal, il faut qu'il marche! On ne
+conçoit pas qu'il doive rester à la chambre, du moment qu'il peut se
+tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couché, il sent
+que le lit lui est utile; c'est encore là, dit-il, qu'il souffre le
+moins. Mais non, il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit
+constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigné, plus il a à
+lutter contre ces préjugés, qu'on parvient difficilement à déraciner
+même dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on,
+laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit!
+Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher
+malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales, et que le
+sommeil est le meilleur remède à apporter à cette excitation, et que,
+par conséquent, le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne! Quand
+donc aurez-vous une notion un peu précise et raisonnée sur la pathogénie
+de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»?
+
+C'est aussi par une faute grossière de raisonnement qu'on considère les
+voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux
+gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce
+qu'ils permettent à l'homme doué d'un beau capital biologique de faire
+de ces petites avances dont nous avons parlé déjà, de ces placements à
+gros intérêts qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai,
+il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive
+chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'énergie, et met
+quelquefois quinze jours à se refaire d'une excursion par trop fatigante.
+Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les gens bien portants,
+ces risques de dépenses exagérées sont réduits à très peu de chose. Le
+malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas
+dépenser à tort et à travers, mais il doit parcimonieusement, et avec
+un soin jaloux, garder le peu qu'il possède encore, et chercher à faire
+des économies. Si son indigence est momentanée, il se remettra assez
+vite à flot. Si elle est définitive, _a fortiori_ devra-t-il chercher à
+ne pas faire de fausses dépenses.
+
+Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une
+dépense; le changement d'habitudes, le surcroît de fatigue inévitable,
+à eux seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est un grand
+malade, le voyage peut même le tuer, comme il tue ces malheureux
+typhoïdiques qu'on est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se
+croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur des cacolets qui
+les secouent d'une façon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts à
+l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur état
+est extrêmement aggravé. Si on avait pu les soigner sur place, ou les
+évacuer à très petites journées, dût-on les tenir privés des ressources
+de la thérapeutique, et se borner à leur faire deux lotions fraîches par
+jour, ils auraient eu bien plus de chances de guérir. Je l'affirme au
+nom d'une expérience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie.
+Mais, sans parler des états aigus qui contre-indiquent absolument
+tout long déplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des états
+chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre
+malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le
+vain espoir de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver
+sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont
+aux eaux lointaines chercher la guérison promise, et en reviennent bien
+plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les tuberculeux
+avancés! ces tristes victimes des théories régnantes et de la crainte de
+la contagion.
+
+Vous prenez là, dira-t-on, les cas extrêmes, et on commence à comprendre
+que les grands déplacements ne sont pas favorables aux grands malades.
+
+Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades
+_moyens_.
+
+Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digère
+plus, qui dort mal, qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six
+mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux
+du Nord pour l'envoyer sur la côte d'Azur, on va lui faire le plus
+grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui
+paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle souhaitera, dans son for
+intérieur, de quitter le délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne
+pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut même
+se faire qu'à la longue son état s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera
+pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que
+son état s'aggrave assez pour que l'entourage se rende à l'évidence, et
+ramène à grands frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime
+dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter.
+
+En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en
+avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre manière de voir
+que nous exagérons, à dessein, la formule de notre pensée.
+
+Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au
+monde déplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et
+qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément, il existe toute une
+série d'intermédiaires auxquels les voyages peuvent rendre des services.
+Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut
+être utile à l'individu qui n'est que sur la frontière de la «maladie».
+Quitte à avoir dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins
+hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac, un dyspeptique pourra
+se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il
+laisse ses préoccupations incessantes, énervantes, de Paris. Comme toute
+chose humaine, le déplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne
+peut formuler de règles absolues pour les cas moyens; c'est au médecin,
+s'il est consulté, à peser le pour et le contre, et à donner les
+indications générales.
+
+Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade.
+C'est:
+
+1° De ne pas voyager de nuit.
+
+2° De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans
+les cas où, pour une raison quelconque, on est obligé de gagner les
+altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade
+des stations intermédiaires, car l'expérience démontre que rien n'est
+préjudiciable à une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une
+seule traite de Paris en Engadine. Elle peut être sûre que, en arrivant
+à destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau
+milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques
+jours, elle aura un malaise extrême, et, en particulier, de l'insomnie,
+tandis que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle n'aurait
+pas eu à payer ce tribut à la dépression barométrique.
+
+3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que
+le lever à l'aube est favorable à l'alpiniste bien portant, il soit
+également favorable aux neurasthéniques qui ont besoin de leur sommeil
+matinal.
+
+4° Une prescription importante, c'est encore de se reposer, à l'arrivée
+à destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de
+l'individu, pour réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce repos
+sera plus ou moins complet, suivant la gravité des cas. En principe, il
+vaut mieux pécher par excès que par défaut de prudence.
+
+5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra pas faire de sorties
+quotidiennes, sous le fallacieux prétexte de s'entraîner; l'entraînement
+convient aux gens bien portants, mais le mot «entraînement» doit
+disparaître du vocabulaire du malade. Certes, le rôle du médecin est
+d'entraîner le malade; mais cet entraînement, que j'appellerai médical,
+doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a, pour ainsi dire,
+rien de commun avec l'entraînement de l'homme bien portant et de l'homme
+de sport.
+
+Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et
+profiter des jours intermédiaires pour se reposer. Ainsi il parviendra à
+reconquérir des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner en dépensant
+tous les jours un peu plus de son misérable capital, il ira droit à la
+ruine.
+
+On comprend aisément qu'un des facteurs importants du voyage est sa
+longueur. Le voyage autour du monde ne convient à aucun malade; on peut
+dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller très loin. Le
+malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villégiature à
+Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extrême
+susceptibilité du malade au changement de milieu. Une simple promenade
+_extra muros_ impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais
+le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui
+ne peuvent pas aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une
+véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou
+trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptômes morbides?
+
+Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent que c'est affaire
+d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le
+médecin, qui connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait
+se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la
+famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans
+certains cas, par une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste
+d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la
+psychothérapie réconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le
+malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de
+Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus
+grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-même. Mais,
+avant de donner cette suggestion, le médecin doit bien étudier son
+sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui
+demandant un effort au-dessus de ses forces.
+
+Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de
+connaître la valeur exacte d'un système nerveux; c'est presque
+impossible pour le médecin qui voit le malade pour la première fois.
+Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait
+d'être préjudiciable; on se repent rarement d'avoir été trop prudent. Un
+élément d'appréciation qui est d'un grand secours pour le médecin, en
+pareille occurrence, c'est le désir du malade lui-même.
+
+S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y a gros à parier
+qu'il l'est en réalité. Le malade a toujours, en effet, une vague
+conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appréciation.
+Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de changer de milieu,
+c'est qu'il sent vaguement qu'il a des réserves de force nerveuse ayant
+besoin d'être utilisées; il a un sourd instinct qui, en général,
+le guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du médecin est
+singulièrement restreint; il consiste à s'enquérir plus ou moins
+discrètement des désirs du malade, et à les transformer habilement
+en prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait encore de la
+psychothérapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette façon.
+Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est
+dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés ataviques, dos théories
+plus ou moins scientifiques; et le rôle du médecin est, en ce cas, de
+remettre tout au point, de démontrer à son malade que son instinct, dans
+telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en
+ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors le
+beau titre de directeur de la santé.
+
+_La mer_.--Les voyages à la mer auraient dû, en bonne logique, être
+étudiés à la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de
+mer est un agent thérapeutique comparable aux bains d'eau salée qu'on
+va prendre à Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais
+nous les plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages, parce
+que, dans la pratique, le bain de mer est plutôt considéré comme voyage
+d'agrément que comme traitement médical. Cela est si vrai que le médecin
+est rarement consulté sur l'opportunité du traitement marin, sur le
+choix de la plage: et c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le
+traitement n'est pas surveillé comme il l'est dans les stations d'eau
+salée, et c'est également regrettable; car la médication par l'eau de
+mer est active, et son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il
+s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention
+fait du bien ou du mal.
+
+Les principaux conseils que nous ayons à donner aux malades livrés à
+eux-mêmes, à la mer, sont les suivants:
+
+1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se reposer des fatigues du
+voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire;
+
+2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même, une action appréciable,
+et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans
+certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par
+jour au bord de la mer;
+
+3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un
+véritable traitement minéral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir
+des effets sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable d'aller
+à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à la fatigue du voyage et de
+l'acclimatation sans aucun profit. _A fortiori_, ne doit-on pas prendre
+un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train
+spécial, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et
+se croient obligés de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils
+ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutôt
+fâcheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces
+émotions du revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur soutirer
+une réserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un état
+subaigu, au retour, qui reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se
+joignent souvent des douleurs rhumatismales.
+
+Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude rapide, les indications
+et contre-indications des bains de mer. Le principe général est qu'il ne
+faut pas en donner aux malades à capital restreint, et que, en réalité,
+ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est
+entamé, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain,
+au point de vue de sa fréquence et de sa durée. Tout ce qu'on peut dire,
+c'est qu'il faut, en général, le prendre très court, cinq minutes en
+moyenne.
+
+Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois
+premiers bains. S'ils amènent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop
+prolongés, ou trop fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut
+pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du
+mal, les suivants feront du bien. D'une façon générale, d'ailleurs,
+l'organisme ne s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les
+médications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de
+mal, même momentanément. Mais c'est là un point de doctrine dont la
+démonstration nous entraînerait trop loin, et en dehors de notre plan.
+
+
+
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA PÉRIODE DE DÉCLIN
+
+
+
+Nous avons à dessein placé dans l'étude de l'homme adulte la plus grosse
+part de nos considérations thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est
+l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de vue médical comme
+au point de vue social, et que c'est pendant cette période de la vie que
+le médecin peut faire le plus de bien au malade.
+
+Au contraire, à partir du moment où l'être humain est arrivé au
+sommet de sa courbe évolutive, et, par conséquent, où il va décliner,
+l'importance des agents thérapeutiques se limite de plus en plus,
+jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive à la fin de sa carrière.
+
+Dans les phases de la vie qui nous restent à étudier, la thérapeutique
+doit viser, avant tout, à éviter les dépenses de capital: mais son rôle
+pratique n'en reste pas moins très appréciable; et l'on ne sait
+pas assez combien une bonne direction médicale pourrait prolonger
+l'existence de l'homme arrivé à la période de déclin, voire même à une
+étape avancée de cette période.
+
+Théoriquement, la période de déclin peut commencer le jour de la
+naissance. C'est ce qu'on observe chez les enfants qui n'ont pas la
+force de vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A l'extrême
+opposé, on voit des individus qui ne commencent à décliner qu'à un âge
+très avancé, ou encore dont la vie est brutalement interrompue, à un
+âge relativement avancé, par un accident, avant que ne soit survenu le
+commencement de la période de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse
+santé sont venus au monde avec un excellent capital initial, que leurs
+parents ont su améliorer pendant la première enfance, et qu'ils ont
+ensuite amélioré eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive, ou
+en ne risquant qu'à bon escient une certaine partie du capital, pour lui
+faire rapporter davantage.
+
+Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes ont, comme
+nous l'avons dit, peu de prise. Ces privilégiés sont semblables à
+l'homme qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire fructifier,
+en rapporte dix autres, et reçoit encore, en surplus, une récompense.
+Chez ces individus, le déclin n'arrive que très tardivement, et ils
+peuvent atteindre soixante ans tout en restant jeunes de coeur, de
+corps, et d'esprit.
+
+Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires sont possibles; et
+nombreux sont les hommes qui commencent à décliner à trente ans, qui
+sont des vieillards à quarante ans. La plupart, cependant, commencent
+à décliner vers cinquante ans, et se maintiennent tant bien que mal
+pendant quelques années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de
+soixante ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent une
+pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie» accidentelle les détériore
+pour plusieurs mois, et l'on est tout étonné de la lenteur de leur
+convalescence. C'est à partir de ce moment que les tares organiques,
+latentes jusque-là, se révèlent, que l'homme qui avait une endocardite
+avec laquelle il vivait en bonne intelligence, et dont parfois même
+il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son coeur devenir
+au-dessous de sa tâche. A la suite d'un coup de froid insignifiant,
+d'une indigestion, d'un excès alimentaire, d'une émotion violente, d'une
+grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie, des palpitations,
+des intermittences du pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes
+choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le débarrasser cette
+première fois, parce qu'il n'est pas encore complètement usé. Mais, six
+mois après, sous l'influence d'une cause semblable, il a une nouvelle
+atteinte, un peu plus de dyspnée, un peu de congestion de la base gauche
+du poumon, ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure des
+jambes; et, cette fois, le repos au lit, la diète lactée, ne suffisent
+pas à le remettre en état.
+
+La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes par jour en
+infusion dans 200 grammes d'eau, que le malade prendra de deux heures en
+deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire crise urinaire.
+Grâce à ce précieux médicament ainsi administré, il fera encore les
+frais de cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes influences
+insignifiantes amèneront l'affolement du coeur avec albuminurie, et
+alors la déchéance pourra être irrémédiable.
+
+Il est certain que si, dans l'intervalle de ces assauts, notre homme
+s'était écouté vivre, s'il n'avait rien laissé au hasard, si une sage
+direction médicale avait dosé son alimentation, son travail, son
+sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si, pour conserver sa vie,
+il avait, en quelque sorte, cessé de vivre, il aurait survécu plus
+longtemps et n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il faut
+bien se rappeler, c'est que, dès sa première atteinte, ses jours étaient
+comptés. Cette première atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son
+système nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque la force voulue
+pour faire son office de pompe aspirante et foulante; le déclin, qui
+avait peut-être commencé quelques années avant, s'était traduit dès le
+jour de ce premier accroc.
+
+Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes revêtent parfois une
+gravité qui fait croire, à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche
+sérieuse ou irrémédiable dans le capital vital du malade, alors qu'il
+n'est touché que superficiellement. C'est au médecin qu'il appartient
+de faire un bon diagnostic, d'où découlent et le pronostic et le
+traitement. Certes, le problème est souvent difficile à résoudre,
+et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute sa finesse
+d'observation, de toute son expérience, de toute sa pénétration. C'est
+dans ces cas que la médecine est véritablement un art, et le médecin un
+artiste, appelé à utiliser de son mieux les données scientifiques que
+ses études antérieures lui ont fournies.
+
+Il aura naturellement, pour l'aider dans cette tâche, l'examen physique
+du malade, et, en particulier, l'exploration abdominale, le ventre
+étant, de tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement
+explorer, par la vue, le palper, la percussion; il aura, pour l'aider,
+l'analyse des urines, trop souvent négligée. Il sera également secondé
+par l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller l'hérédité,
+l'évolution antérieure de la vie, chez le sujet qu'il examine. Celui-ci
+a-t-il eu de grands assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce
+cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé prouve qu'il a une
+grande élasticité, un capital sérieux, et qu'il est possible que, dans
+la crise actuelle, il rebondisse encore une fois.--Au contraire n'a-t-il
+jamais eu d'assaut important? le problème devient alors plus difficile,
+car le médecin manque d'une base pour apprécier la valeur réelle du
+capital. Aussi fera-t-il bien de rester dans une prudente réserve, et
+si, dans le cas précédent, il a été en droit de rassurer la famille
+malgré la gravité apparente de l'état du malade, dans le second cas, au
+contraire, il ne doit dire qu'une chose: «Je ne sais pas.»
+
+Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes à santé insolente, n'ayant
+jamais eu besoin de soins, que je vois brusquement atteints par une
+«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier. Me trouvant sur
+un terrain inconnu, je me demande, tout d'abord, si leur capital était
+aussi bon qu'il le paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la
+faillite, la débâcle.
+
+Ce sont là, je le répète, des problèmes cliniques extrêmement difficiles
+à résoudre; mais ils ont un grand intérêt au point de vue du pronostic à
+porter, et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat: car
+si le médecin soupçonne, chez son malade, une altération profonde que ne
+traduit pas l'ensemble symptomatique, il doit redoubler de précautions,
+sa surveillance doit être incessante, son zèle doit prévoir les moindres
+incidents, ne rien laisser au hasard. Il a alors à lutter non seulement
+contre la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent indocile, et
+contre les familles, qui trouvent qu'on en fait trop, qu'on prend trop
+de soins, que le malade devrait se lever pour regagner des forces,
+sortir pour se distraire, reprendre une partie de ses occupations pour
+ne pas nuire à sa carrière; estimant, _in petto_, que le médecin userait
+de discrétion en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi qu'il arrive,
+ce sont de mauvais cas pour le médecin. Il est accusé, si le malade
+guérit, d'avoir retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne
+l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si bien portant! et qui
+succombe à la suite d'une grippe, presque sans fièvre! Sûrement, c'est
+le médecin qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la conscience
+du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut aussi se dire que, dans
+d'autres cas, on a attribué exclusivement à ses bons soins ce qui était
+dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a donc compensation.
+
+En somme, le médecin qui se trouve en face d'un malade quelconque est
+appelé à résoudre le problème suivant: Étant donnés la valeur antérieure
+du malade A, et le déchet que lui fait perdre la «maladie» B, quelle est
+la valeur du capital restant A--B? Le simple bon sens indique que
+cette équation ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque nous ne
+connaissons au juste ni A ni B. Aussi le médecin ne doit-il jamais
+quitter le terrain, relativement solide, que lui fournit la science,
+pour se perdre dans les abstractions. Il doit seulement se rappeler la
+parole d'Hippocrate: _Judicium difficile_, et faire de son mieux pour
+approcher le plus possible de la solution du problème, qui, sans être
+d'ordre mathématique, a cependant une solution.
+
+«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.» [V. HUGO]
+
+Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant d'affirmer que l'homme
+a atteint l'apogée de son évolution, et est sur la pente du déclin? Eh!
+non, tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins fort, moins
+actif, que pendant la période de croissance, il supporte moins les
+petits écarts de régime, les fatigues, il est plus vulnérable, en un
+mot, mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est en période de
+déclin. S'il veut éviter la «maladie», il le peut, dans une, certaine
+mesure, en s'écoutant vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en
+ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses exagérées, ou, s'il
+est obligé d'en faire par hasard, en les compensant aussitôt par une
+exagération momentanée de prudence. Bref, la période de déclin est la
+période des précautions. L'homme en déclin devrait se rappeler qu'il
+faut «être de sa santé» comme il faut «être de sa condition», comme il
+faut être «de son temps». En usant de ces précautions, il peut prolonger
+très longtemps la durée de sa phase évolutive, et atteindre ainsi
+sans transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également bien
+surveillée, le conduire, sans transition brusque, à la mort.
+
+Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances de la vie
+sont telles que, fatalement, il rencontre sur son chemin des influences
+qui font baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces influences
+inévitables? Ce sont toutes celles que nous avons déjà étudiées
+dans l'enfance, dans l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs
+d'alimentation, causes morales surtout, etc.
+
+Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui soient plus spéciales
+à la période de la vie que nous étudions, la période comprise entre
+cinquante et soixante-cinq ans?
+
+Chez la femme, tout le monde admet que la ménopause produit des
+perturbations considérables; la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler
+«âge critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause ramène
+souvent des troubles de santé qui avaient disparu depuis longtemps, et
+amène quelquefois des troubles nouveaux, tels que ces sueurs profuses
+dont se plaignent amèrement les malades. Nous avons en vain essayé
+contre elles l'emploi de l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que
+c'est un moyen non seulement inutile, mais dangereux, et que le mieux
+est de savoir attendre, en mettant la malade à un régime restreint.
+
+Dans les deux sexes, les émotions morales jouent encore, à cet âge,
+un rôle considérable. C'est une fille mal mariée, un fils qui fait le
+chagrin de sa famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la
+perte des amis de la première heure, l'âge des désillusions, l'automne
+de la vie, en un mot. Dans tous les cas, les pratiques de la
+psychothérapie sont d'un incontestable utilité: seules, elles ne
+suffisent pas à guérir un homme rendu malade par des influences morales;
+mais, associées aux autres agents thérapeutiques, elles sont toujours
+d'une grande utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus fait
+en réconciliant avec son fils un père que le chagrin avait terrassé,
+en lui démontrant la nécessité et la légitimité du pardon, qu'en
+le traitant, comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes les
+ressources de la pharmacopée et des agents physiques.--Le fonctionnaire
+qui prend sa retraite, et se voit brusquement condamné à une oisiveté
+forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain cherche-t-il, dans
+la société des hommes de son âge, un remède à son désoeuvrement; et
+quant à espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille un réconfort
+quelconque, il n'y doit pas songer. Les plus jeunes ont leurs affaires,
+et les affaires sont les affaires; c'est tout au plus si la fille vient
+faire ses couches à la maison.
+
+Bref, une série de chagrins multiples, auxquels on est encore sensible,
+sont l'apanage ordinaire de cette période de la vie. C'est à cet âge,
+aussi, que se soldent,--car tout se paie,--les erreurs du passé, les
+fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les traites imprévues, et, quand
+le capitaliste veut mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit
+trop tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas contenté de
+ses revenus et qu'il a écorné son capital. Mais, dira-t-on, pouvait-il
+s'apercevoir de la mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel
+problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse antique. C'était à
+lui de voir que, de temps à autre, il avait de ces petites défaillances
+de santé qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes
+banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements
+(l'avertissement sans frais du percepteur). Il aurait dû, en homme bien
+avisé, rester toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner.
+
+Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, sinon de le réparer
+complètement, au moins de l'atténuer dans une notable mesure, en se
+surveillant de près, et en ne laissant rien au hasard de ce qu'on peut
+lui enlever par prudence et par calcul.
+
+Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent pas qu'elles
+dépensent plus qu'elles ne devraient le faire; elles n'ont pas la
+bonne fortune de recevoir les petits avertissements que nous venons de
+signaler. Leur débordante santé fait l'envie de tout le monde; mais ces
+privilégiés sont souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il
+fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, brusquement, avec
+une affection accidentelle.
+
+Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se laisse entraîner par un
+renouveau de passion sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour
+sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer ses talents. Il
+faut aussi compter avec les aberrations de l'instinct sexuel, assez
+fréquentes à cet âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde pas à
+s'installer, sous une forme qui rappelle, par sa brutalité d'apparition
+et la gravité des symptômes, l'hystéro-neurasthénie traumatique.
+
+En effet, du jour au lendemain, cet homme, vaillant jusqu'alors,
+subit un véritable effondrement. Non seulement il perd tout d'un coup
+l'aptitude sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un grand chagrin,
+mais il perd, en même temps, l'appétit, le sommeil, les forces. La
+constipation entre en scène; des douleurs névralgiques variées,--ou,
+pour mieux dire, des _algies_, car la douleur ne suit pas le trajet des
+nerfs, le torturent nuit et jour. Il a une sensibilité excessive de
+l'ouïe, un éréthisme de tout le système nerveux, qui devient comme une
+lyre à cordes trop tendues que fait vibrer douloureusement le moindre
+souffle. Cet état peut n'être que passager, si le malade a le bon esprit
+de s'en avouer à lui-même la cause déterminante et de la supprimer.
+Mais cela même ne suffit pas toujours: _Sublata causa, non tollitur
+effectus._ Le branle est donné à la cellule nerveuse, le système
+nerveux, longtemps patient, s'est tout à coup révolté, et il faut des
+mois et des années de soins méthodiques pour lui rendre son équilibre.
+C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le médecin devra
+surveiller non seulement l'hygiène sexuelle, dont il n'est plus
+question, mais l'hygiène alimentaire, donner les repas fréquents que
+nécessite un estomac toujours sur le point d'entrer soit en état
+paralytique ou en état spasmodique; une alimentation non excitante
+(pâtes, purées), sans vin, et sans les toniques qui passent, à tort,
+pour réveiller les forces. Le repos physique est également indiqué.
+
+C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, bien compris, bien
+dirigé, peut être utile à divers titres. D'abord, il éloigne la victime
+de la cause initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier
+souvent les soins affectueux et tendres d'une femme momentanément
+négligée.
+
+La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans le traitement de ces
+malades qui, d'un jour à l'autre, sont devenus craintifs, scrupuleux à
+l'excès, ayant peur de mourir, tenaillés par des remords d'une intensité
+morbide. Le médecin animé d'un esprit large et charitable peut leur être
+d'un grand secours, en mettant toutes choses au point, et en rassérénant
+leur conscience dans la mesure qui convient.
+
+Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez l'homme, n'a rien
+d'exagéré. Nous avons observé plusieurs cas semblables, où des hommes
+bien portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts intempestifs.
+
+Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent chez des hommes qui,
+auparavant, n'étaient pas débauchés, offraient même le modèle d'une vie
+exemplaire; maintenus par des principes sévères, ils avaient été fidèles
+à la foi conjugale, et, alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient
+restés fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour, une occasion
+se présente et les surprend; c'est une Sapho quelconque rencontrée
+en chemin de fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation, il
+succombe, et, une première chute en entraînant de nombreuses à sa suite,
+il devient enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop engager l'homme
+mûr, trop confiant en lui-même, à veiller toujours, car le péril est
+insidieux et les risques sont grands.
+
+C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent les troubles
+prostatiques et urinaires, résultats tardifs de blennorragies mal
+soignées et considérées comme une bagatelle par le jeune homme, plutôt
+fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est vers cinquante-cinq ans
+que le rétrécissement du canal provoque des misères variées, que nous
+n'avons pas à décrire ici, mais qui finissent par amener la mort
+prématurée si le chirurgien n'intervient pas.
+
+Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement chez les hommes qui
+ont dépassé soixante-cinq ans: ceux qui avaient des rétrécissements sont
+morts avant cet âge.
+
+C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la prostate entre en scène.
+Certes, les affections de la prostate ne sont pas toujours d'origine
+blennorragique; mais elles sont, plus qu'on ne le croit, dues à des
+erreurs dans l'hygiène sexuelle.
+
+Quant aux autres affections capables de faire brusquement baisser le
+capital, elles ne donnent lieu à aucune considération particulière.
+Nous devons pourtant nous arrêter encore, en passant, sur trois
+manifestations morbides spécialement fréquentes à l'âge en question: le
+diabète, l'albuminurie, et l'obésité.
+
+_Diabète_.--L'apparition du diabète est, certes, chose fâcheuse; mais le
+plus grand malheur qui puisse arriver à un diabétique impressionnable,
+c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans ménagements, la
+fâcheuse nouvelle. A partir de ce moment commence, pour le malade,
+une incessante préoccupation morale, aggravée encore par un régime
+alimentaire qui lui cause plus de dommages que le diabète lui-même. Il
+est vrai de dire que, depuis quelques années, les médecins se sont
+un peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les rendait
+redoutables aux diabétiques. On veut bien admettre, désormais, que le
+régime des diabétiques comporte certains tempéraments, et que les pommes
+de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent être allouées, voire
+même en abondance.
+
+Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation d'un diabétique,
+traité d'après les principes classiques, est encore loin d'être
+réjouissante. Elle sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin
+qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés par le même régime,
+ou plutôt qu'il n'y a pas de régime du diabète, le diabète n'étant qu'un
+symptôme qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui.
+
+Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, aux autres la diète
+lactée absolue pendant quelques jours, et le régime des potages au lait
+ensuite. Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons du régime
+peuvent être indiquées. Le médecin doit imposer le repos au lit absolu
+au diabétique qui maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans les
+autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce que le diabétique a
+toujours des combustions exagérées, comme le professeur A. Robin l'a
+très élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi de l'état mental du
+malade, et à ne pas négliger la psychothérapie. Le diabète peut être
+provoqué, expérimentalement, en touchant un point précis du quatrième
+ventricule du cerveau; et les diabétiques vraiment graves sont ceux
+qui le deviennent à la suite d'une chute sur la tête: ces deux faits
+prouvent assez l'importance des troubles du système nerveux dans la
+pathogénie du diabète, et la nécessité de faire une grosse part aux
+soins moraux dans le traitement du diabétique.
+
+_Albuminurie_.--L'albuminurie donne lieu à des considérations de même
+ordre.
+
+Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant un état de
+détérioration générale de l'organisme; c'est, le plus souvent, un
+symptôme grave, mais quelquefois aussi un phénomène sans grande
+importance.
+
+Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence, intermittente,
+venant après la moindre fatigue. On sait encore que le seul fait de
+se lever du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit pour
+provoquer l'apparition de l'albumine, qui n'existait pas dans l'urine
+émise pendant que le sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle
+l'albuminurie _orthostatique_ ou _physiologique_,--terme détestable,
+parce qu'il n'y a pas d'albuminurie physiologique, pas plus que de
+glycosurique physiologique. Cette albuminurie de peu d'importance
+survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en bon état de santé,
+et indique, par conséquent, qu'ils doivent être tenus à vue, et soignés
+suivant les principes généraux que nous avons déjà énoncés.
+
+Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine dans l'urine est toujours
+d'un pronostic plus sérieux. Parfois cependant, là encore, l'albuminurie
+n'est que transitoire, et coïncide avec une décharge d'acide urique par
+les reins. Si l'on ne soumet pas le malade ainsi touché au régime lacté
+absolu, qui achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si on lui
+donne à prendre un peu de benzoate de soude, l'orage passe vite sans
+laisser de traces.
+
+D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire, est intermittente,
+même chez l'adulte. Nous connaissons un malade qui, depuis quatre ans
+que nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il monte à cheval.
+Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres à pied sans avoir d'albumine; mais
+une seule promenade à cheval fait réapparaître l'albumine et, malgré la
+dose considérable révélée par l'analyse après l'exercice du cheval, il
+est, au demeurant, bien portant en apparence, et a une vie des plus
+actives.--Je connais aussi un médecin qui a, depuis des années, de
+l'albumine en permanence; après s'en être beaucoup inquiété, et avoir
+suivi divers traitements et divers régimes, il a fini par ne plus faire
+que de l'hygiène générale, manger raisonnablement, éviter le surmenage;
+et il est, en somme, en aussi bon état que possible.
+
+J'ai cité, dans une étude sur le _Cacodylate de Soude_ que j'ai publiée
+en 1901, l'histoire d'une jeune malade ayant, depuis 1898, à la suite
+d'un coup de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai donné des
+doses considérables de cacodylate, en injections, pendant un mois. J'ai
+eu, à ce moment, le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au
+remède la survie de la malade. Or, elle s'est mariée en 1900: depuis,
+elle a cessé toute médication, pour se borner à prendre de la viande
+crue et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, 3 à 4 grammes
+d'albumine par jour, et va très bien.
+
+On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la valeur pronostique de
+l'albuminurie. Mais il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, la
+présence de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que nous étudions,
+est un symptôme qui doit inspirer au médecin des craintes sérieuses,
+surtout quand, en même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette
+combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de mort à brève échéance.
+
+Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique sera encore aggravée
+si le médecin s'obstine à lui imposer le régime dit des albuminuriques.
+Il n'y a pas de régime des albuminuriques: il y a le régime qui convient
+à tel ou tel albuminurique. Parfois le régime lacté fait merveille, mais
+c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger plus de quinze
+jours. D'autres fois, c'est le régime des pâtes, plus souvent encore le
+régime lacto-végétarien, qui, combiné au repos, aide le malade à sortir
+du mauvais pas, au moins momentanément.
+
+_Obésité_.--Au même titre que le diabète et l'albuminurie, l'obésité
+appartient en propre à la période de déclin. Mais, direz-vous, il est
+des enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est qu'ils ont commencé
+jeunes leur période de déclin. Mais, d'habitude, c'est aux environs de
+la ménopause que l'obésité devient, pour les femmes, une torture de tous
+les jours. Nous n'avons pas à en indiquer les inconvénients; rappelons
+seulement que l'obésité tend toujours à augmenter, parce qu'elle
+interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit immédiatement un
+cercle vicieux. Dans les cas d'obésité où l'exercice serait utile,
+l'obèse qui est condamné à en prendre de moins en moins, devient de plus
+en plus obèse.
+
+Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours utile aux
+obèses. L'obésité, étant un symptôme de la «maladie», est quelquefois
+entretenue par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de
+vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté des médecins
+de diverses nationalités, avait fini par suivre les conseils d'un
+empirique, qui n'avait rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que
+de mettre sa mère en relations avec un commandant de chasseurs à pied,
+de façon que ces deux dames pussent suivre tous les exercices du
+bataillon. Au bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la jeune
+fille grossissait toujours. Sous l'influence de l'exercice, elle
+mangeait davantage et buvait en conséquence. Mais vint un jour où
+l'estomac, fatigué par la suralimentation, se mit à protester; c'est
+alors que je prescrivis le régime ultra-restreint, pendant quelques
+jours, pour remettre l'estomac en état, le repos presque absolu pendant
+cette période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement de l'estomac
+et de l'intestin, avec un exercice modéré; et voici que, sous
+l'influence de ce traitement, la malade vit diminuer son obésité,
+et disparaître, successivement, d'autres troubles variés qui, comme
+l'obésité, étaient symptomatiques!
+
+Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime applicable à tel ou
+tel malade atteint d'obésité. Le plus souvent, le régime restreint
+est indiqué; d'autres fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est
+dangereux comme de le faire maigrir par insuffisance alimentaire. Il ne
+faut pas, non plus, le faire maigrir par l'emploi de la thyroïdine. Je
+dois dire, cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents
+obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de vingt ans qui, en six
+mois, a vu son poids baisser de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en
+soit résulté le moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine avait
+été maniée par le Dr Polin avec une prudence extrême (2 milligrammes
+par jour, et pendant six mois consécutifs).
+
+En général, il faut se méfier de ce médicament, qui demande une
+surveillance médicale sinon quotidienne, du moins hebdomadaire; il faut
+enfin se rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer l'obésité
+au point d'en supprimer les inconvénients, et aussi qu'il est toujours
+dangereux de faire trop maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop
+vite. Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe, il est vrai;
+mais c'est le commencement de l'effondrement. Son système nerveux tombe
+aussi. En y mettant le temps, au contraire, c'est-à-dire en ne brusquant
+pas la manière d'être du sujet, on peut toujours arriver à des résultats
+excellents.
+
+J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans, à une dame de
+soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. Elle est arrivée
+en dix-huit mois, à baisser, avec une progression continue, à 77
+kilogrammes... Depuis, elle garde son poids et sa santé; son déclin
+s'opère avec une lenteur telle qu'il est à peine perceptible. Inutile de
+dire que l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique.
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA VIEILLESSE
+
+
+
+Quelle que soit l'économie qui ait présidé à l'usage du capital
+biologique, il n'est pas possible que quelques mauvais placements
+n'aient été faits, dans le courant de l'existence; que des chocs
+accidentels, et indépendants de la volonté, n'aient, à diverses
+reprises, ébréché le capital. L'homme qui se condamnerait à vivre à
+seule fin de prolonger ses jours vivrait certainement très longtemps,
+mais la sentence d'Horace lui serait applicable: «Pour vivre, il aurait
+perdu les raisons de vivre.» _Et propter vitam vivendi perdere causas_.
+
+D'autre part, le capital diminue par le fait même de la vie, comme la
+vitesse initiale d'un projectile diminue progressivement par le fait de
+la résistance de l'air. Enfin il vient un moment où le capital, après
+avoir produit des intérêts considérables, ne donne plus que des intérêts
+de moins en moins élevés. Ce moment coïncide exactement avec la période
+de déclin, de sorte que, à partir de ce jour, quoi qu'il fasse et
+sans qu'il s'en doute, l'être vivant s'appauvrit fatalement et
+progressivement. Il en arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit
+rentier; et c'est alors la vieillesse.
+
+Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge; témoin ces enfants
+qui ont l'aspect de petits vieillards, comme on dit dans le langage
+courant; ces hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, des
+loques humaines. Mais, le plus souvent, la vieillesse survient à un
+âge plus tardif, que, pour le besoins de la cause, nous fixerons, par
+exemple, à soixante-cinq ans.
+
+A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner, comme le lui
+conseillaient les trois jeunes gens du fabuliste, «à songer à ses
+erreurs passées» Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de
+vastes pensées», à condition que ce ne soit pas pour lui, mais pour ses
+arrière-neveux. Il peut, en d'autres termes, jouir de son expérience et
+s'efforcer d'en faire profiter les autres; mais en se rappelant qu'il a
+atteint l'âge du repos, des ménagements et des précautions. Et de même
+que, dans la première période de la vie, il appartient aux parents
+de ménager pieusement et de faire sagement fructifier le capital de
+l'enfant; de même, à cette dernière période, il est du devoir des
+enfants de veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont la
+charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse, tout chagrin,
+tout souci, tout écart de régime, et de le préserver contre toute
+intervention thérapeutique brutale.
+
+Quelles sont les influences qui compromettent d'une façon spéciale le
+vieillard vivotant?
+
+Les influences psychiques sont beaucoup moins importantes que dans l'âge
+adulte. Quelques vieillards, il est vrai, gardent leur sensibilité et
+leur jeunesse de sentiments. L'expérience de la vie ayant tempéré la
+fougue de leurs jeunes années, leur ayant appris l'indulgence et la
+miséricorde, ils deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi
+agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la sensibilité
+s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve le vieillard de toute
+émotion nuisible. Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce
+de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné, mais l'émotion
+qu'il éprouve est surtout égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui
+donne de voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, et
+n'est pas comparable au chagrin poignant de l'homme adulte perdant un
+être aimé. Donc, de ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système
+musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple bon sens fait que le
+vieillard n'abuse pas, en général, de son restant de forces musculaires:
+exception faite cependant pour les cas où des parents ou des amis mal
+avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard à se déplacer sans
+relâche, pour passer l'hiver dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps
+ailleurs. Combien ne serait-il pas plus sage, en général, de le laisser
+tranquillement chez lui, dût-il ne pas quitter sa chambre? J'ai
+longtemps donné des soins à une vieille dame que ses enfants emmenaient
+en villégiature, toujours malgré elle, dans le centre de la France, et
+ramenaient à Paris en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un
+mois de soins assidus et de précautions pour effacer les traces de
+fatigue occasionnée par le déplacement.
+
+La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le séjour hivernal dans
+le Midi peut être recommandable, mais que, d'une façon générale, il
+faudrait se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant «qu'on ne
+doit pas transplanter un vieux chêne», et qu'on devrait regarder à deux
+fois avant de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard, soit un
+lointain changement de pays, soit même un changement d'appartement. Il
+faut, en général, tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir,
+qui est dicté par un vague instinct de conservation et qui trompe
+rarement.
+
+Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien entendu des
+affections accidentelles, ce sont les écarts dans l'alimentation. Une
+indigestion qui, chez un homme jeune, se serait traduite par un léger
+état gastrique, amène chez le vieillard un effondrement colossal; et,
+pour peu que la thérapeutique intervienne d'une façon inopportune
+sous la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la situation peut
+s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut alors des semaines pour remettre
+en état le système nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de
+s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme vacillante;
+irez-vous l'alimenter par un soufflet de forge, et charger le foyer de
+grosses bûches de bois? Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies
+précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est seulement ensuite
+que vous mettrez des fragments un peu plus volumineux, pour arriver
+enfin à la bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même chez le
+vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes gastriques, prudence
+extrême dans l'alimentation, fréquence de l'alimentation, et repos
+absolu: c'est la base du traitement.
+
+Mais combien, pour faire observer ces prescriptions si simples, ne
+faut-il pas au médecin d'énergie et de foi? Qu'on veuille donc bien
+se rappeler que le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation
+restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui lui sera profitable,
+mais bien ce qu'il assimilera, et que, chez lui, la puissance
+d'assimilation est extrêmement minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit,
+il proteste, plus ou moins énergiquement, contre les menus qu'un zèle
+mal éclairé s'ingénie à lui proposer.
+
+En dehors de ces états gastriques passagers, le régime du vieillard doit
+être, en général, peu substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le
+soir, s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il éprouve le
+besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, plutôt que beaucoup à la
+fois. Mais on ne saurait croire combien certains vieillards ont peu
+besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente une vieille dame qui
+avait trop mangé pendant toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une
+dyspepsie permanente accompagnée de misères variées, en tête desquelles
+venait la constipation. De là obsession de tous les instants; tant qu'on
+ne l'eût pas mise exactement au régime convenable, elle fut torturée par
+ce symptôme, restant huit ou quinze jours sans parvenir à aller à
+la garde-robe, malgré les lavements, les suppositoires, le massage
+abdominal, etc. On avait dû même, plusieurs fois, recourir au curetage.
+Or je me dis, un jour, que le régime relativement restreint que je lui
+avais imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore assez restreint.
+Comme elle n'avait jamais d'appétit, et qu'elle ne mangeait que pour
+faire plaisir à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention,
+qui fut de restreindre, sous ma surveillance, son alimentation
+progressivement, et dans la mesure extrême du possible. Après un mois de
+tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions arrivés à la formule
+suivante, que je transcris d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse
+à thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de semoule au lait,
+ou de panade, ou de farine de Hongrie, ou de crème de riz, ou de crème
+d'orge aux mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, un quart
+d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures, comme à midi; dans la nuit,
+une tasse à café de lait.»
+
+Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage absolument
+ridicule, finit par être accepté quand on vit la malade reprendre,
+progressivement, du sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et
+surtout quand on vit disparaître sa constipation. Ses fonctions
+s'exécutaient, en effet, très régulièrement tous les deux ou trois
+jours, spontanément. Le régime fut continué jusqu'à sa mort, qui
+survint trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à l'âge de
+quatre-vingt-quatre ans.
+
+Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, mais ils seraient
+tous calqués sur ce modèle.
+
+Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé un gros appétit:
+il faut savoir le respecter, tout en essayant de le modérer un peu, du
+moment que la santé reste bonne.
+
+Pour en finir avec la question de régime, disons qu'un peu de vin
+généreux, étendu d'eau, est, en général, une boisson excellente pour le
+vieillard, bien portant ou malade; et que le lait, par contre, lui est
+le plus souvent préjudiciable, sauf dans les états aigus ou subaigus
+prolongés.
+
+Quant aux affections accidentelles qui surviennent chez le vieillard, et
+qui compromettent son reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font,
+néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante de toutes est la
+pneumonie. C'est, très souvent, une pneumonie d'origine grippale: aussi
+ne saurait-on trop soigner la grippe dès son début, chez le vieillard
+plus encore que chez l'adulte. La pneumonie est insidieuse chez le
+vieillard. Elle ne se traduit que par un malaise général, avec très peu
+de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne toujours de fièvre.
+Si donc les familles savaient se servir du thermomètre, on aurait des
+chances de porter secours aux malades en temps utile; et alors une
+injection de cacodylate de gaïacol, quelques cachets de quinine, une
+certaine dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient, dans
+bon nombre de cas, à le sauver; tandis qu'en général, quand on appelle
+le médecin, il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que le
+diagnostic, et prévenir la famille de la gravité de la situation.
+
+Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent compromettre la
+survie du vieillard. Ordinairement, il échappe à la première atteinte,
+mais il en sort tellement amoindri, physiquement et intellectuellement,
+qu'on peut dire qu'il a cessé de vivre avant de mourir. Grâce aux soins
+dont il est entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même
+pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à ce qu'il se décide à
+mourir après une deuxième ou troisième attaque.
+
+Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées ne s'observe, le
+petit rentier qu'est le vieillard continue à vivoter plus ou moins
+longtemps, jusqu'au jour où, tout son capital et tous ses revenus étant
+épuisés, il cesse de vivre, tout simplement parce qu'il n'a plus la
+force de vivre. Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur qui
+a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon, très profondément
+philosophique, l'expression courante de «défunt», la traduction
+littérale du mot latin _defunctus_ étant: «Celui qui s'est acquitté.»
+Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet, en remerciant leur
+hôte. Heureux s'ils peuvent léguer à une nombreuse postérité «l'exemple
+de leur vie!»
+
+
+
+FIN
+
+
+
+
+INDEX ALPHABÉTIQUE
+
+Albuminurie:--permanente;--son régime. Alcool. Alimentation: de l'enfant
+né avant terme;--du premier âge;--Gouttes de lait;--chez le
+petit enfant;--chez l'enfant du deuxième âge;--défectueuse;
+excessive;--ration d'entretien;--observation d'une malade guérie par le
+régime restreint;--insuffisante en quantité;--à la sonde;--observation
+d'une malade fébricitante guérie par l'alimentation
+forcée;--insuffisante en qualité;--chez le vieillard.
+
+Aliments adultérés par les procédés chimiques; physiques.
+
+Auto-intoxication, (Hypothèse de l').
+
+Avarie.
+
+Bains: chauds dans les pneumonies;--prolongés;--de briques;--de
+vapeur;--électriques;--de mer.
+
+Blennorragie, ses dangers tardifs.
+
+Boissons: fermentées;--distillées;--le vin chez l'homme bien
+portant;--chez le malade:--dans la ration du soldat;--eau stérilisée en
+usage dans l'armée.
+
+Cancer, son hérédité.
+
+Capital biologique (hypothèse du).
+
+Causes morbigènes: ambitions déçues;--passion amoureuse;--inquiétudes;
+--vie brisée;--frayeur.
+
+Causes accidentelles.
+
+Chaleur sèche (dermotherme).
+
+Choc: traumatique;--chirurgical;--moral.
+
+Coeur: «maladies» du coeur--leur hérédité;--observation d'un faux
+cardiaque;--la période de déclin.
+
+Constipation;--et entéro-colite;--provoquée chez les opérés;--son
+innocuité;--guérison par le repos;--dangers des purgatifs;--obsession de
+la constipation;--lavements d'huile;--injections de Brown-Séquard;--chez
+le vieillard;--Convalescence, sa rapidité chez l'enfant.
+
+Course en flexion.
+
+Déclin: âge de déclin;--pouvant n'être qu'apparent;--problèmes cliniques
+à l'âge du déclin, leur difficulté.
+
+Diabète: régime;--traumatique, sa gravité.
+
+Dyspepsie: observation d'une malade avec prédominance de troubles
+dyspeptiques.
+
+Eaux minérales;--table de régime;--de Carlsbad;--Chatel-Guyon, Bagnoles,
+Brides, Vichy;--Vittel.
+
+Education: chez la jeune fille;--chez le jeune homme;--de la volonté;--
+
+Electricité;--bains électriques.
+
+Emplâtre.
+
+Enfants: préservation contre la tuberculose;--couveuses
+artificielles;--alimentation de l'enfant né avant terme:--le
+capital biologique de l'enfant doit être créé par les
+parents;--puériculture;--alimentation du premier âge, son importance
+pour toute la vie;--Goutte de lait;--pathologie infantile;--sa
+simplicité relative;--ses difficultés;--nécessité du sommeil
+prolongé;--mastication;--convalescence rapide;--enfants du type
+musculaire;--cérébral;--du deuxième âge, alimentation:--fièvre
+digestive.
+
+Epilepsie.
+
+Exploration abdominale.
+
+Exercice: difficulté de le doser chez les jeunes filles
+nerveuses; --dans un grand collège moderne;--chez les
+professionnels;--chez les jeunes gens (danger des sports);--et
+entraînement;--et gymnastique respiratoire;--Institut Zander;--chez
+les obèses.
+
+Fatigue;--et épuisement.
+
+Fièvre digestive des enfants;--typhoïde.
+
+Folie: chez la jeune fille:--délire de la persécution;--l'aliénation
+mentale et la «maladie»;--menstruation chez l'aliénée;--du
+doute;--obsession:--manie aiguë.
+
+Frictions.
+
+Grippe, son influence pathogène.
+
+Grossesse («maladies» de la mère pendant la).
+
+Hémorragies cérébrales, chez les vieillards. Hérédité:
+étymologie;--généralités;--protestation contre la fatalité des tares
+héréditaires;--de la longévité;--de la tuberculose;--du cancer;--des
+tares nerveuses, 15;--de la paralysie générale, 16;--des «maladies»
+de coeur, 16;--des affections rénales, 17.
+
+Hydrothérapie: froide, 223;--tiède 225;--maillot humide, 225.
+
+Hypnose, 189;--chez les aliénés, 191;--ses dangers, 194.
+
+Hygiène de la procréation, 21.
+
+Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114.
+
+Hypothèse (son rôle dans la science), 1.
+
+Injections: action dynamogénique de tout liquide
+injecté, 232;--hypodermiques d'eau de mer, 234;--de cacodylate de
+magnésie, 235;--de cacodylate de soude, 235;--de gaïacol, 238;--de
+quinine 239;--d'héroïne,239;--de mercure, 240;--de morphine,
+240;--huileuses,240;--d'huile mercurielle, 241;--d'huile créosotée,
+242;--etsuggestion, 244;--injections de Brown-Séquard, (constipation),
+353.
+
+Influences morbigènes, généralités, 30.
+
+Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70.
+
+Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;--éducation
+sexuelle--, 21;--menstruation--,66;--despotisme de certaines mères,
+68;--difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses,
+66;--aliénation mentale--, 71;--vocation contrariée, 72;--mariage
+contrarié--, 73;--utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses,
+74;--surmenage scolaire--, 75.
+
+Jeune homme: surmenage scolaire, 75;--nécessité du sommeil,
+76;--exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; --exercice
+physique chez les jeunes gens, 79; --éducation sexuelle,
+81;--psychothérapie, 83.
+
+Ligue des pères de famille, 80.
+
+Longévité: hérédité de la, 8;--humaine, 9.
+
+Malade: son entourage, 204;--ne voulant pas guérir, 207;--régime des
+grands malades, 217;--n'osant pas manger, 220;--danger des voyages, 267.
+
+«Maladies»: accidentelles, 42;--la «maladie», 94-95;--petits symptômes
+de la «maladie», 95,--la «maladie» et les «maladies» accidentelles,
+97;--causes morales, généralités, 142;--causes accidentelles de la
+«maladie», 162;--du coeur à la période du déclin, 279.
+
+Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73;--son utilité pour les
+jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74.
+
+Massage, 228;--abdominal, 229.
+
+Méningite, 55.
+
+Menstruation: utilité du repos, 66;--chez l'aliénée, 165;--chez la
+grande malade, 166;--ménopause, 296.
+
+Migraine, 40.
+
+Mort naturelle, 310.
+
+Névrose (sa contagion), 148.
+
+Obésité, 297;--exercice chez les obèses, 298;--régime chez les obèses,
+299.
+
+Obsession: de la constipation, 251;--de la rougeur, 187.
+
+Observations: d'une malade avec prédominance de troubles dyspeptiques,
+99;--d'une malade avec prédominance de troubles de nutrition, 105;--d'un
+faux cardiaque, 107;--d'une malade suivie pendant trente ans, chez
+laquelle presque tous les appareils ont été successivement atteints,
+110;--d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--d'une
+malade fébricitante guérie par l'alimentation forcée. 132.
+
+Opérés: opérations de complaisance, 155;--morphine chez les, 156;
+--rôle médical du chirurgien, 156;--purgation chez les,
+157;--constipation provoquée chez les, 158.
+
+Opothérapie: hépatique, 236;--ovarienne, 286.
+
+Paralysie générale, hérédité, 16.
+
+Pertes: matérielles, 143;--au jeu, 144.
+
+Pneumonie: bains chauds dans la;--chez le vieillard, 308. Protection,
+loi de protection des faibles, 10.
+
+Psychonévroses, leur traitement moral, 213.
+
+Psychothérapie: chez le jeune homme, 83;--savoir prendre un
+parti, 175;--respect du temps, 176;--dérivative. 180; --sédative,
+181;--reconstituante, 182;--résignation, 182;--foi religieuse, 208;--et
+problème religieux, 210.
+
+Ptôse: abdominale, 169;--et ceinture hypogastrique, 167;--passagère,
+169.
+
+Purgatifs et constipation, 249.
+
+Régime: ration d'entretien, 125,--des Chartreux, 125;--des Trappistes,
+125;--des soldats, 127-140;--des guides alpins, 127;--observation
+d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--en cas
+d'effondrement abdominal, 172;--et suggestion, 215;--des grands malades,
+217;--monotone, 218;--sec (ses dangers), 219;--à boisson restreinte,
+219;--et eaux minérales, 255;--des diabétiques, 293;--des
+albuminuriques, 297;--des obèses, 299;--lacté chez les vieillards, 308.
+
+Repos: dans les états aigus, 173;--cure de--, 205;--constipation guérie
+par le--, 205;--avant le repas, 221;--après le repas, 222;--au lit, 265.
+
+Sommeil: nécessité du sommeil chez l'enfant, 57;--nécessité du sommeil
+chez les jeunes gens, 76;--diurne (ses bons effets) 173;--l'aliment
+favorise le--, 221;--et repos au lit, 221.
+
+Sports, chez les jeunes gens (leur danger) 78.
+
+Suggestion et régime, 215.
+
+Symptômes morbides, 32;--petits symptômes de la «maladie», 95.
+
+Syphilis: polynatalité, 10;--et méningite, 12;--Société de prophylaxie
+sanitaire et morale, 13;--nécessité d'un traitement pour prévenir la
+transmission héréditaire de la, 23; --âge à laquelle se contracte
+la--, 84;--manifestations tertiaires, 164;--et assurances sur la vie,
+164.
+
+Travail: cérébral insuffisant, 119; --cérébral excessif,
+119;--musculaire excessif, 121;--ration de--, 125.
+
+Tuberculose hérédité, 13;--oeuvre de préservation de l'enfance contre
+la--, 14 et 89;--dans l'armée, 87;--et sanatorium populaire, 38;--et
+dispensaire, 88.
+
+Vacances: leur nécessité, 261;--colonies de--, 262.
+
+Vésicatoires, 255.
+
+Vieillards: voyages, 304;--alimentation, 306;--constipation,
+307;--pneumonie, 308;--régime lacté, 308;--hémorragie cérébrale, 309.
+
+Vin: chez l'homme bien portant, 139;--chez le malade. 141;
+
+Voyages: de noces (ses dangers), 20;--leur utilité chez les gens
+bien portants, 261;--leur danger chez les malades, 267;--chez les
+vieillards, 304.
+
+
+
+
+AUTEURS CITÉS
+
+ Dr BARADUC, 37.
+ BRIEUX, 83.
+ BROWN-SEQUARD, 236.
+ Dr CHARCOT, 194
+ Dr CAMPENON, 156.
+ Dr CHAILLOU, 76.
+ Dr DELORME, 158.
+ Dr DUBOIS, 213.
+ Dr DUPRAT, 194.
+ FLOURENS, 9.
+ Dr FONSAGRIVES, 55.
+ FONSAGRIVES (Abbé), 81.
+ Dr A. FOURNIER, 13.
+ Dr ED. FOURNIER, 84.
+ Dr GRANCHER, 14.
+ Dr GRASSET, 194.
+ Dr HUCHARD, 17.
+ Dr KELSCH, 87.
+ KNEIPP, 224.
+ Dr LAGRANGE, 79 et 86.
+ Dr LAUMONIER, 64.
+ Dr LEGENDRE, 80.
+ Dr LEREDDE, 231.
+ Dr MATHIEU, 33.
+ Dr PINARD, 21 et 45.
+ PLANTET, 262.
+ POINCARE, 1.
+ Dr ROBIN, 293.
+ Dr RUNGBERG, 164.
+ SERTILLANGES (Abbé), 125.
+ Dr SIGAUD, 171.
+ Dr R. SIMON, 234.
+ VANCAUWENBERGHE, 48.
+ Dr VARIOT, 47.
+ Dr A. VOISIN, 194.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIERES
+
+
+PRÉFACE
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+LE CAPITAL BIOLOGIQUE
+Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable selon chaque
+individu et selon chaque période de la vie. Capital initial; influences
+qui le font varier.
+
+
+CHAPITRE II
+
+HÉRÉDITÉ
+Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité. Rôle de
+l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; le cancer;
+les tares nerveuses: les «maladies» de coeur; des reins.
+
+
+CHAPITRE III
+
+CONCEPTION
+La valeur des générateurs au moment de la conception.--Loi de protection
+des faibles. Hygiène de la procréation: éducation sexuelle de la jeune
+fille.
+
+
+CHAPITRE IV
+
+GESTATION
+Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la
+gestation.--Emotions, misères physiologiques, «maladies» de la mère
+pendant la grossesse. Enfants nés avant terme.
+
+
+CHAPITRE V
+
+INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES
+La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive: les
+influences morbigènes modifient cette courbe. La même influence peut
+se traduire par des symptômes variés; et, inversement, des influences
+variées peuvent se traduire par le même symptôme (ex.: constipation) ou
+par le même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous les systèmes
+organiques peuvent être troublés à la fois. Le plus souvent, c'est
+l'organe le plus faible qui traduit le malaise. Le système nerveux est
+la clef de voûte de la pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les
+causes morbigènes.
+
+
+CHAPITRE VI
+
+DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.--PUÉRICULTURE
+Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la durée de la
+vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant. Gouttes de lait (de
+Belleville, de Saint-Pol). La pathologie enfantine est, le plus souvent,
+simple; quelquefois, de la plus grande difficulté. Succès thérapeutiques
+chez les petits enfants atteints de syphilis, de pneumonie.
+
+
+CHAPITRE VII
+
+DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ
+1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil prolongé, d'une
+mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles à cet âge évoluent
+vite, sans convalescence.--Chez l'enfant de sept ans à la puberté.
+Enfant du type musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral.
+Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies» très
+souvent provoquées par une alimentation défectueuse.
+
+
+CHAPITRE VIII
+
+DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE
+I. _Chez la fille_.--Précautions à prendre à l'apparition des règles.
+Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»:
+
+--A. Surmenage intellectuel.--B. Causes morales (despotisme de la mère,
+vocation contrariée); brevets: mariage rendu impossible; besoin du
+mariage.--C. Surmenage musculaire. Quelle que soit la cause, les
+symptômes sont les mêmes, mais le traitement varie avec la cause.
+Facilité relative de la guérison.
+
+II _Chez le garçon_.--1° Surmenage scolaire (insuffisance du
+sommeil).--2° Surmenage physique (abus des sports, de l'escrime, utilité
+des exercices automatiques _(Ligue des pères de famille_).--3° Déviation
+de l'hygiène sexuelle: éducation sexuelle. Par qui elle doit être
+donnée. Enseignement individuel et enseignement collectif. Utilité de
+l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations de l'instinct
+sexuel: psychothérapie.
+
+III. _Causes morbigènes communes aux deux sexes_.--«maladies»
+accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les dispensaires, oeuvres de
+préservation).
+
+
+
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+MATURITÉ
+L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes de repos. Le
+coup de collier. La fatigue. L'entraînement. L'épuisement (ses signes
+prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire (ses signes prémonitoires.
+La «maladie».
+
+
+CHAPITRE II
+
+CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»
+Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade. Quatre
+observations de patients atteints de la «maladie» sous ses diverses
+formes. Troubles fonctionnels pouvant simuler les affections avec
+lésions d'organes. Rôle du système nerveux central dans la pathogénie de
+la «maladie». Embarras gastrique.
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES CAUSES DE LA «MALADIE»
+I. _Causes physiques_.--1° Surmenage cérébral, travail cérébral
+insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral peut revêtir des
+formes cliniques très diverses.--2° Surmenage musculaire.--3° Vices
+d'alimentation. Généralités, auto-intoxication, irritation.--_A_.
+Alimentation excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des
+Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. Observation
+d'une grande malade guérie par le régime restreint.--_B_. Alimentation à
+la sonde.--_C_. Alimentation insuffisante en qualité. Adultération
+des aliments: _a_) par les procédés chimiques, _b_) par les procédés
+physiques. --_D_. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité. Boissons
+distillées, leur danger.
+
+II. _Causes morales_.--Leur importance prépondérante:
+
+_A_. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.--_B_. Influences
+compromettant la quiétude de l'âme. Passions. Incompatibilité
+d'humeur.--_C_. Inquiétudes d'origine altruiste. Séparation momentanée,
+définitive.--Choc traumatique: _a_) Hystéro-neurasthénie traumatique.
+_b_) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale des
+chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés. Des purgations.
+Constipation provoquée chez les opérés, ses avantages.
+
+III. _Causes accidentelles_.--Fièvre typhoïde. Grippe: son grand rôle
+pathogénique. Syphilis.
+
+IV. _Influences morbigènes spéciales à la femme_.--Menstruation.
+Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale.
+
+
+CHAPITRE IV
+
+PSYCHOTHÉRAPIE
+Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle 1° Son action
+s'étend aux déviations mentales.--2° A un grand nombre de troubles
+somatiques.--_A. Moyens par lesquels on diminue les dépenses d'influx
+nerveux:_ savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du
+temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes. Un cas de
+folie du doute. Psychothérapie dans la manie aiguë, dans les obsessions.
+Résignation passive et active.--_B. Moyens par lesquels on augmente les
+recettes._ 1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques
+(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).--Moyens par lesquels
+on augmente artificiellement le capital insuffisant: hypnose. Action
+personnelle de l'hypnotiseur, indications du traitement par l'hypnose.
+Ce qui limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que:
+1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles à
+hypnotiser.--2° C'est que c'est un moyen qui peut être trop actif.
+C'est un agent thérapeutique utile, non dangereux, s'il est bien manié;
+le médecin seul peut le bien manier.
+
+Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques.
+--1° Le médecin doit soigner avec son coeur, plus qu'avec son
+intelligence.--2° Paraître ne jamais être pressé.--3° Ni même être
+pressé.--4° Savoir parler au malade.--5° Ne lui imposer que le strict
+minimum de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique: 1°
+Absence de foi chez le malade (malades à théories médicales. Malades
+qui ne veulent pas guérir).--A l'hostilité de l'entourage. Le médecin
+confident.--Psychothérapie et sentiment religieux.
+
+
+CHAPITRE V
+
+AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES
+1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent pas
+seulement par suggestion). Diète liquide. Régime des potages. Régime à
+boisson restreinte. De la fréquence des repas. Du repos après et avant
+le repas.
+
+2° Moyens accessoires.--A. _Hydrothérapie_: froide, exceptionnellement
+indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé. Hydrothérapie tiède: tub,
+bain. Malades dont il ne faut pas mouiller la peau. Chaleur sèche.
+Massage. Frictions. Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.--B.
+_Injections hypodermiques._--1° Influence utile de l'injection en tant
+qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).--2° Action propre du
+liquide injecté. Cacodylate de soude, de magnésie, de fer. Injections de
+Brown-Séquard. Strychnine. Cacodylate de gaïacol dans la «maladie»
+post grippale. Quinine, héroïne et morphine, leurs dangers. Injections
+huileuses: _a_. Mercurielles. _b_. Créosotées. Rôle alimentaire de
+l'huile injectée.--3° Des injections hypodermiques comme procédé
+de suggestion.--C. Vésicatoires. Emplâtres. Purgatifs. Etude de la
+constipation et des constipés.--D. _Eaux minérales_, leurs indications.
+Les tables de régime. Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel.
+Châtel-Guyon, Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des
+eaux.--_Voyages_. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur danger
+chez de grands malades. Précautions à prendre pour qu'ils soient utiles
+aux malades moyens. La grande malade et le ciel de la Côte d'Azur.
+Voyage et entraînement. Vacances. Colonie de vacances.--F.
+_La mer_.--La cure marine. Le train des maris.
+
+
+
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA PÉRIODE DE DÉCLIN
+Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites extrêmes. Les
+tares organiques. Les cardiopathies se révèlent. Le déclin peut n'être
+qu'apparent (difficulté du diagnostic). Petits symptômes prémonitoires
+du déclin. Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales.
+Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique de l'homme.
+Forme que revêt souvent la «maladie» à cet âge. Traitement
+psychothérapique, régime, précautions. Le diabète. Rôle du système
+nerveux dans le diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même
+des diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente.
+Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de l'albuminurie, ni même des
+albuminuriques. Obésité. Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a
+pas de régime de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide.
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA VIEILLESSE
+Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la vieillesse de
+l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers des voyages. Alimentation
+restreinte. Accidents qui font mourir le vieillard. De la mort
+naturelle.
+
+
+INDEX.
+
+AUTEURS CITÉS.
+
+TABLE DES MATIÈRES.
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ ***
+
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+Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed
+Proofreading Team.
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+will be renamed.
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+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
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+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
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+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
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+all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
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+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
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+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
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+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
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+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
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+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
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+1.E.9.
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+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
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+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
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+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
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+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
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+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
+eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
+compressed (zipped), HTML and others.
+
+Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
+the old filename and etext number. The replaced older file is renamed.
+VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
+new filenames and etext numbers.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000,
+are filed in directories based on their release date. If you want to
+download any of these eBooks directly, rather than using the regular
+search system you may utilize the following addresses and just
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+
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+ 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90)
+
+EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are
+filed in a different way. The year of a release date is no longer part
+of the directory path. The path is based on the etext number (which is
+identical to the filename). The path to the file is made up of single
+digits corresponding to all but the last digit in the filename. For
+example an eBook of filename 10234 would be found at:
+
+ https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234
+
+or filename 24689 would be found at:
+ https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689
+
+An alternative method of locating eBooks:
+ https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL
+
+
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new file mode 100644
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diff --git a/old/12105-h.zip b/old/12105-h.zip
new file mode 100644
index 0000000..633b32c
--- /dev/null
+++ b/old/12105-h.zip
Binary files differ
diff --git a/old/12105-h/12105-h.htm b/old/12105-h/12105-h.htm
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index 0000000..abdd3e4
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@@ -0,0 +1,10209 @@
+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN">
+<html>
+<head>
+ <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1">
+ <title>The book</title>
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+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: La lutte pour la santé
+
+Author: Dr. Burlureaux
+
+Release Date: April 21, 2004 [EBook #12105]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ ***
+
+
+
+
+Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed
+Proofreading Team.
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+<H1>LA LUTTE<br>
+POUR LA SANTÉ</h1>
+
+<h4>DU MÊME AUTEUR</h4>
+
+<p><b>Considérations sur la folie paralytique</b> Paris, J.-B. Baillière,
+1874.</p>
+
+<p>Article <b>Épilepsie du Dictionnaire encyclopédique des Sciences
+médicales</b> (1886).</p>
+
+<p><b>Pratique de l'antisepsie dans les «maladies» contagieuses</b> (Prix
+Stansky, de l'Académie de médecine). J.-B Baillière, éditeur
+(1892).</p>
+
+<p><b>Traitement de la Tuberculose par la créosote</b> (Couronné par
+l'Institut, Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894.</p>
+
+<p><i>En préparation</i>:<br>
+
+<b>Psychothérapie et Morale religieuse.</b></p>
+<br><br><br>
+
+<h2>Dr. BURLUREAUX</h2>
+
+<h4>PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE</h4>
+
+
+
+<h1>LA LUTTE POUR LA SANTÉ</h1>
+
+
+
+<h3>ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE</h3><br><br>
+
+<p>PARIS<br>
+
+1908</p><br>
+
+A MON CHER LUCIEN CLAUDE<br>
+
+EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION<br>
+
+ET EN SOUVENIR<br>
+
+DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES<br><br><br>
+
+<h3>PRÉFACE</h3>
+
+
+<p>La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de
+ce livre n'est pas celle qu'ont entreprise, et que
+poursuivent avec un succès toujours plus marqué,
+nombre de ligues et sociétés philanthropiques.
+Certes, personne n'admire plus que moi l'effort
+généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse de combattre
+la mortalité infantile, ou de répandre et
+de faire appliquer les règles de l'hygiène, ou
+encore d'enrayer l'extension de ces trois plaies
+sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la
+syphilis, ce sont là des campagnes infiniment
+bienfaisantes; et je considère comme un honneur
+d'avoir pu, modestement, prendre ma part
+de quelques-unes d'entre elles.</p>
+
+<p>Mais à côté de cette grande lutte collective,
+il y a une autre «lutte pour la santé», tout
+individuelle, qui se livre tous les jours dans la
+vie de chacun de nous. Celle-là est une forme
+de la loi universelle de la lutte pour l'existence.
+Sans cesse, depuis l'instant où nous naissons,
+notre organisme tend à maintenir ou à rétablir
+cet équilibre de ses forces que l'on appelle «la
+santé»; et sans cesse une foule d'influences,
+intérieures ou venues du dehors, tendent à
+détruire cet équilibre, éminemment instable.</p>
+
+<p>Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge,
+le sexe, l'hérédité, les conditions de la vie:
+mais toutes travaillent, en nous, à la même fin;
+et l'on peut dire que l'histoire entière de notre
+vie physique n'est que l'histoire des péripéties
+de la «lutte» incessante qui se déroule entre
+elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer
+dans son être. Et si, parmi ces influences
+hostiles à notre santé, beaucoup ont un caractère
+fatal et inévitable, s'il y a malheureusement
+beaucoup de causes de «maladie» contre
+lesquelles nous sommes désarmés, il y en a
+aussi un très grand nombre qui peuvent être
+évitées, ou combattues victorieusement. Toute
+la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la
+nature dans sa lutte contre elles.</p>
+
+
+
+<p>Mais la médecine est moins une science qu'un
+art. De la multiplicité des circonstances, de la
+diversité des esprits, il résulte que chaque
+médecin, quand il est parvenu à un certain
+point de sa carrière, s'aperçoit que l'ensemble
+de ses observations et de ses réflexions l'a amené
+à se faire une expérience propre, personnelle,
+des conditions générales de la «lutte pour la
+santé» et des moyens d'aider l'organisme à la
+bien conduire. C'est le fruit de mon expérience
+particulière que j'ai essayé de recueillir et de
+présenter, dans le livre que voici.</p>
+
+<p>De longues années de pratique médicale m'ont
+donné l'occasion de voir, sous des aspects très
+variés, la naissance et l'évolution de la «maladie».
+J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de
+traitement, anciennes et nouvelles. Pénétré,
+dès le début, de l'importance de la tâche qui
+m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir
+aucun parti pris d'école ni de doctrine, de ne
+rien rejeter ni de ne rien admettre sans l'avoir
+contrôlé, de borner toujours mon ambition à
+empêcher ou à soulager la souffrance par tous
+les moyens,&mdash;que l'idée de ces moyens me
+vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou
+non approuvés par les autorités du moment,
+qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier
+ou à celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru
+déjà une grande partie de ma route, il
+m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter
+les autres de tout ce que mon expérience,
+ainsi acquise, pouvait contenir d'intéressant et
+d'utile pour eux.</p>
+
+<p>C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout
+le monde. Je n'ai pas voulu en faire une thèse
+scientifique, mais plutôt quelque chose comme
+ces <i>Conseillers de la Santé</i> que l'on était assuré
+de trouver, autrefois, au chevet du lit de nos
+grands-parents. Laissant aux ouvrages spéciaux
+l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs
+extérieurs où notre organisme est sans cesse
+exposé, je m'en suis tenu aux différentes manifestations
+de ce que j'appellerai, d'un terme
+général, la «maladie», en entendant par là
+cette rupture de l'équilibre normal de nos forces,
+cette dépréciation plus ou moins complète de
+notre capital biologique, qui se produit, tôt ou
+tard, dans l'existence de chaque créature
+humaine, et s'exprime par une variété infinie
+de symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer
+les principales causes qui, aux différents âges,
+depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent
+de compromettre ou de détruire la santé; et
+surtout j'ai essayé de montrer, au fur et à
+mesure, par quels moyens ces causes peuvent
+être évitées, ou leurs mauvais effets heureusement
+réparés.</p>
+
+<p>Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être
+le lecteur, accoutumé aux complications savantes
+de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité
+même lui semblera peut-être avoir quelque chose
+de révolutionnaire. C'est un danger que j'ai
+prévu, et que, certes, je n'affronte pas de gaîté
+de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon
+livre qui ne dérive, à la fois, d'une expérimentation
+méthodique et de réflexions patiemment
+mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque
+chose, en une matière aussi variable et aussi
+délicate, je suis sûr de l'efficacité des
+avertissements et des conseils qu'on trouvera ici.
+Puissent-ils seulement être entendus, et porter
+leur fruit!</p>
+
+
+
+<p>Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant
+ouvrage de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur <i>Les Origines
+de la «maladie»</i> (1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de
+n'avoir pas pu en citer certaines pages qui s'accordent avec
+les idées que j'ai moi-même exprimées sur plusieurs points,
+et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop
+d'importance aux symptômes en pathologie.</p>
+
+
+<br><br><br>
+<h2>LA LUTTE
+POUR LA SANTÉ</h2>
+
+
+
+<h3>PREMIÈRE PARTIE</h3>
+
+
+
+<h4>CHAPITRE I</h4>
+
+<h4>LE CAPITAL BIOLOGIQUE</h4>
+
+
+<p>L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les
+connaissances humaines, un rôle considérable; ce
+n'est une nouveauté pour personne, mais cette
+vérité nous a été récemment rappelée, et exposée
+avec une clarté nouvelle, par le remarquable travail
+de M. Poincaré, intitulé: <i>La Science et l'Hypothèse.</i>
+Il y est démontré que ni les mathématiques,
+ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient
+exister si elles n'avaient pour point de départ
+des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré, plusieurs
+sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables,
+et, une fois confirmées par l'expérience,
+deviennent des vérités fécondes; les autres, sans
+pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous
+être utiles en fixant notre pensée; d'autres enfin
+(comme le <i>postulatum</i> d'Euclide) ne sont des hypothèses
+qu'en apparence, et se réduisent à des définitions
+et à des conventions déguisées». Plus
+encore que les sciences dites exactes, les études
+biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse,
+car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que
+«nous n'y savons le tout de rien.»</p>
+
+<p>Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser
+les sciences biologiques, mais simplement
+pour m'aider à fixer ma pensée, je demanderai, à
+mon tour, qu'on m'accorde une sorte de <i>postulatum</i>,
+qui nous aidera à nous rendre compte de la plupart
+des phénomènes de la biologie et de la pathologie.</p>
+
+<p>Voici ce <i>postulatum</i>:</p>
+
+<p>Je supposerai que chaque être, en naissant,
+reçoit un certain capital d'énergie vitale, de la
+valeur et de l'emploi duquel dépendront et sa
+santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts
+variables suivant chaque individu et suivant
+chaque période de la vie. J'ajouterai que ce capital
+peut être, à toute période de la vie, amoindri par
+une cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit
+sont également variables aux diverses périodes
+de la vie.</p>
+
+<p>Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent
+travail sera d'étudier, d'un bout à l'autre de la
+vie, la meilleure manière de faire valoir ce capital, et
+de le défendre contre les influences qui ne cessent
+pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on
+appelle les «causes morbigènes», et leurs assauts
+sont ce qu'on appelle les «maladies».</p>
+
+<p>L'homme malade est donc, dans notre hypothèse,
+celui qui vient de subir une de ces diminutions de
+son capital biologique: d'où il résulte que, avant
+d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous
+devons d'abord envisager le capital initial, et les
+causes qui en font varier la valeur.</p>
+
+<p>Considéré au point de vue théorique, c'est-à-dire
+en négligeant les influences qui peuvent le faire
+accidentellement diminuer, le capital initial est
+comparable à la force qui lance un projectile dans
+l'espace. Or, les mathématiciens savent exactement
+quelle doit être la courbe parcourue par le projectile,
+du moment qu'ils connaissent la vitesse initiale et la
+masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi,
+prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si
+nous pouvions connaître exactement le capital de
+vie qu'il apporte en naissant. Mais le fait est que,
+chez les différents êtres humains, le capital initial
+varie dans des proportions si énormes que nous
+ne pouvons guère nous flatter d'en avoir une notion
+précise.</p>
+
+<p>Pour des causes que nous chercherons à analyser,
+il y a des êtres chez qui le capital initial est
+nul: ce sont eux qui meurent en naissant, ou un
+ou deux jours après leur naissance, sans «maladies»
+ni lésions appréciables; tels certains enfants de
+syphilitiques, qui meurent parce qu'il n'ont pas la
+force de vivre.</p>
+
+<p>A l'autre extrémité de l'échelle se placent les
+aristocrates de la santé, doués d'un capital énorme,
+et qu'on voit atteindre à des âges avancés sans avoir
+jamais été malades, sans avoir jamais pris de précautions
+spéciales pour conserver leur santé.
+Ainsi, j'ai connu, non comme médecin, mais
+comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze
+ans, et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre
+indisposition. On peut même dire qu'il est mort
+sans «maladie»; il a tout simplement cessé de vivre,
+comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse
+de progresser et rentre dans l'immobilité.</p>
+
+<p>Entre ces deux extrêmes se trouve une variété
+infinie d'intermédiaires; et l'on peut dire qu'il n'y
+a pas deux personnes ayant le même capital biologique
+initial.</p>
+
+<p>Cependant les différences dans le capital initial
+ne sont pas si grandes qu'on ne puisse, tout au
+moins, en déterminer les causes principales, dont
+l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance
+majeure. Ces causes peuvent être groupées sous
+trois chefs:</p>
+
+<p>1° Les influences héréditaires;</p>
+
+<p>2° La valeur actuelle des générateurs au moment
+de la conception;</p>
+
+<p>3° Les influences qui ont pu atteindre le produit
+pendant la gestation.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<h4>CHAPITRE II</h4>
+
+
+<h4>HÉRÉDITÉ</h4>
+
+<p>L'hérédité tient une place considérable dans tous
+les problèmes de la vie; et, comme l'indique bien
+l'étymologie du mot <i>hoerere</i>, (être attaché), tout être
+vivant est relié à un long passé ancestral. Les végétaux
+eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le
+souci des horticulteurs n'est-il pas de créer, par de
+savants procédés de culture et d'habiles sélections,
+des types capables de transmettre par hérédité certaines
+qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au
+jour où, quand ils ont voulu trop profondément ou
+trop vite forcer la nature, la plante revient à son
+état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été
+trop surmenée. Et les mêmes observations sont
+familières aux éleveurs qui cherchent à perfectionner
+les races d'animaux domestiques.</p>
+
+<p>Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant
+que la constitution organique, la manière
+d'être physique ou mentale, se transmet des parents
+aux enfants ou aux descendants.</p>
+
+<p>L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui
+constitue les grands traits de caractère si différents
+de chaque race; c'est elle qui fait que les vertus,
+les vices, les passions, les haines, se transmettent
+dans le sein des familles aussi bien que la beauté,
+la couleur des yeux, la taille, etc. Souvent elle est
+directe, c'est-à-dire qu'elle provient du père ou de
+la mère; parfois elle saute une ou deux générations;
+d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le
+type d'un parent de la ligne collatérale qui prend
+la place. Mais il est rare que, dans le cours de la
+vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque.</p>
+
+<p>Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout
+temps. Dans son langage imagé, la Bible nous dit
+qu'«il a encore les dents agacées, celui dont l'ancêtre
+de la septième génération a mangé des raisins
+verts.» Si cette parole était l'expression exacte de
+la vérité, elle serait bien décevante, car elle paralyserait
+tous les efforts destinés à lutter contre les
+tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement
+protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des
+tares héréditaires; et la vérité est que l'influence
+de l'hérédité est modifiée grandement par la tendance
+qu'a tout être vivant à retourner à son type
+primitif, comme aussi par les influences du croisement,
+en vertu desquelles l'un des générateurs
+peut rectifier la tare transmise par son partenaire.
+Ce n'est que quand les deux générateurs ont les
+mêmes tares que l'hérédité sévit avec son maximum
+d'intensité; et alors non seulement les tares s'ajoutent,
+mais elles semblent se multiplier l'une par
+l'autre, au point de rendre l'enfant incapable de soutenir
+la lutte pour l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a
+pas la force de transmettre la vie. Ainsi s'éteignent
+les familles par les «maladies» héréditaires, à moins
+qu'un des membres de la race déchue, revenant
+pour ainsi dire au type primitif, ne porte en lui une
+force de réaction insoupçonnée,&mdash;héritage peut-être
+d'un passé plus lointain,&mdash;qui lui permette de
+reconstituer la famille.</p>
+
+<p>Telles sont les considérations générales qu'il
+m'a semblé utile d'indiquer, parce qu'il en pourrait
+sortir un grand nombre de conclusions pratiques
+pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent que
+j'insiste sur quelques détails plus particuliers.</p>
+
+<p>D'abord, l'hérédité de la longévité.</p>
+
+<p>Il est des familles où l'on meurt vieux, de père
+en fils. On dirait des horloges remontées pour
+sonner à peu près le même nombre d'heures. Il
+est d'autres familles où tout le monde meurt jeune,
+sans cependant qu'on puisse incriminer des «maladies»
+spéciales. Pourquoi? Force est bien de le
+dire, nous ne le savons pas.</p>
+
+<p>Notons, en passant, combien sont erronées les
+théories qui attribuent à l'homme moyen une longévité
+moyenne, calculée d'après l'époque de la
+soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la
+croissance: suivant les calculs de Flourens, cette
+moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est là une
+simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune
+observation sérieuse.</p>
+
+<p>Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur
+des moyennes de ce genre, et sur le calcul des probabilités,
+que sont basés les statuts des compagnies
+d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable
+de supputer la longévité probable d'un individu
+donné, quand on est en mesure d'apprécier
+son capital biologique et la façon dont il sait s'en
+servir. Mais dire que l'homme est bâti pour vivre
+cent ans, parce que, dans les espèces animales, la
+longévité a cinq fois la durée de la croissance, et
+que, chez l'homme, la durée de la croissance est
+de vingt ans, c'est établir une théorie sur des
+bases absolument fragiles.</p>
+
+<p>Plus importantes encore que la plus ou moins
+grande longévité des parents, sont, pour nous, certaines
+particularités de leur état pathologique, qui
+retentissent d'une façon souvent très profonde sur
+la valeur de leurs enfants.</p>
+
+<p>On sait, par exemple, les influences néfastes de
+l'alcoolisme héréditaire, qui non seulement restreint
+la natalité, mais condamne ceux qui naissent
+à une mort rapide.</p>
+
+<p>La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire,
+elle semble la favoriser, et tout le monde
+connaît, en effet, de ces nombreuses familles fauchées
+par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs
+s'obstinent à mettre au monde de nouvelles
+victimes: aucune ne survit, à moins qu'un
+traitement médical bien compris ne vienne mettre
+fin à cette lamentable situation <a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup>1</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"></a><b>Note 1:</b><a href="#footnotetag1"> (retour) </a> Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette polynatalité
+des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on serait tenté
+d'appeler la loi de protection des faibles.<br>
+
+<p>N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres
+sans défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction
+auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde
+animal. Les animaux puissants, armés pour la défense ou pour
+la lutte, sont toujours de médiocres générateurs; l'éléphant, par
+exemple, ne donne naissance qu'à un nombre très restreint d'individus,
+la femelle porte longtemps; même remarque pour le
+lion. Au contraire, les animaux sans défense, se multiplient avec
+une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les lapins
+d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette
+colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de
+toute mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau
+pour l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de
+moyens ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se
+cacher. Dans l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples
+admirablement bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas
+d'enfants? Nous ne parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux,
+enfants; car ici intervient un autre facteur, la restriction
+volontaire; mais de ces ménages exemplaires, où la venue d'un enfant
+serait une joie, et qui restent stériles, sans que rien dans l'état
+des conjoints explique cette stérilité.</p>
+
+<p>Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point
+de vue de la santé, mettent au monde de nombreux enfants,
+qui bien souvent constituent pour eux une richesse négative.
+Ces malheureux portent le beau nom de prolétaires <i>(proles,
+race)</i>.</p>
+
+<p>Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini.
+Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi
+tel couple ne donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à
+des garçons? C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique
+de la mère était sensiblement inférieure à celle du père. Quand il
+y a une disproportion marquée entre les deux générateurs, l'enfant
+qui naît a le sexe du générateur qui vaut le moins.</p>
+
+<p>Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine
+de vie et de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque
+toujours un garçon.</p>
+
+<p>Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles
+s'observe pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans
+défense: elles pullulent partout, on les trouve sous toutes les
+latitudes, à toutes les altitudes; au contraire, celles qui se
+défendent, ont ce qu'on appelle en botanique des «aires» très
+limitées.</p>
+
+<p>Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi:
+les métaux qui se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément
+parce qu'ils sont rares et incorruptibles (mais non
+incorrupteurs) que l'homme les a pris comme représentant la
+valeur du travail. L'or, par exemple, que rien n'attaque, est plus
+rare que les métaux qui s'oxydent facilement, tels que le fer, le
+cuivre.</p>
+
+<p>Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une
+rareté qui lui donne tout son prix.</p>
+
+<p>C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids
+aux lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.)
+que résulte un équilibre presque stable dans le monde des êtres
+créés.</blockquote>
+
+<p>La syphilis est un des principaux facteurs de
+dégénérescence. On commence seulement à connaître
+l'étendue de ses ravages. On sait aujourd'hui
+qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les
+fait mourir avant leur naissance, ou le jour même de
+leur naissance; qu'elle se traduit plus souvent
+encore, dans les deux premiers mois qui suivent la
+naissance, par des accidents contagieux; que, dans
+les premières années de la vie, elle entraîne la
+mort par méningite (méningite spéciale que l'on
+prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse,
+et qui serait justiciable d'un énergique traitement
+anti-syphilitique).</p>
+
+<p>On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la
+syphilis des générateurs provoque, à l'âge de huit,
+dix, quinze ans, des dystrophies, parfois des accidents
+tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce
+sont là des curiosités scientifiques.</p>
+
+<p>Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle
+proportion la syphilis des parents diminue la
+valeur biologique des enfants en apparence bien
+nés, c'est son influence sur les produits de la
+deuxième et même de la troisième génération.
+C'est là la science de l'avenir<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup>2</sup></a>.</p>
+
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"></a><b>Note 2:</b><a href="#footnotetag2"> (retour) </a> Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de la
+syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons
+laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les
+efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes
+vérités.<br>
+
+<p>Il existe une <i>Société internationale de prophylaxie sanitaire et
+morale</i> contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles,
+et ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc.,
+qui toutes poursuivent un but commun: faire connaître les
+méfaits des «maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du
+possible et par tous les moyens possibles.</p>
+
+<p>La société française est certainement l'une des plus actives:
+sous la vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur
+Fournier, elle a déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est
+fondée.</p>
+
+<p>Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies,
+dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et
+des nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle,
+l'opinion publique commence à s'intéresser au redoutable problème,
+on ose envisager en face la syphilis, on ose prononcer
+son nom, et tout fait espérer que l'action de la Société de prophylaxie
+sera au moins aussi utile que celle des ligues contre l'alcoolisme
+et la tuberculose.</p>
+
+<p>Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on
+ne modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la
+tuberculose? Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre
+état social, tant qu'il y aura l'affreuse misère et la promiscuité.
+Tandis qu'on peut beaucoup contre la syphilis, «maladie» évitable
+s'il en fut, «maladie» essentiellement curable. Mais il faut la faire
+connaître dans tous les milieux, son danger provenant de l'ignorance.
+C'est surtout contre cette ignorance que lutte la Société
+française de prophylaxie sanitaire et morale à laquelle devraient
+être affiliés tous les gens de bien, toutes les personne soucieuses
+de l'avenir de la nation.</blockquote>
+
+<p>L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable
+qu'on se plaisait à le dire? Non. Voilà, du moins,
+ce qu'affirment la science expérimentale et l'observation
+des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux.
+Mais, dans la pratique, il serait sage de se
+conduire comme si la tuberculose était héréditaire:
+1° parce que les enfants de tuberculeux sont, par cela
+même qu'ils vivent dans un milieu contaminé,
+exposés à la contagion<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3"><sup>3</sup></a>; 2° parce que l'enfant, s'il
+n'hérite pas do la tuberculose, hérite incontestablement
+de la prédisposition à devenir tuberculeux. Il
+ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable:
+de sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension
+qu'avaient nos pères au sujet de l'hérédité
+de la tuberculose était parfaitement légitime.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" name="footnote3"></a><b>Note 3:</b><a href="#footnotetag3"> (retour) </a> Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de tuberculeux
+a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est
+de prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore
+sains, pour les faire élever à la campagne dans des familles saines.
+C'est ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre
+la tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre
+scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à
+sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique;
+elle a fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des
+demandes des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre
+la nécessité de se séparer de leurs enfants encore sains pour les
+confier à des familles de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés
+par ses médecins, et offrant toutes garanties de moralité. Cette
+Oeuvre, bienfaisante à plusieurs titres, est en outre <i>économique:</i>
+chaque pupille ne coûte en effet qu'un franc par jour, parce que
+tous les dévouements sont gratuits. Cette faible somme d'un
+franc, bien employée, sans aucune fuite, sert ainsi les intérêts de
+deux familles et sauve la vie d'un enfant.</blockquote>
+
+<p>L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée.
+Tout est obscur dans la question du cancer: son
+étiologie, ses modes de transmission, ses variétés
+d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes
+ces incertitudes, malgré les belles promesses de la
+sérothérapie, de la vaccination anti-cancéreuse, et
+de la radiothérapie.</p>
+
+<p>En résumé, l'hérédité est le principal facteur de
+la valeur biologique des individus. Chacun, de par
+son hérédité, naît avec une valeur différente: l'inévitable
+inégalité sociale existe non seulement le
+jour de la naissance, mais le jour même de la conception.</p>
+
+<p>C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la
+différente valeur des différents organes. Beaucoup
+naissent avec un organe plus faible que les autres,
+de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir
+compte de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il
+se trouve en face d'un malade quelconque.</p>
+
+<p>Les organes qui subissent le plus notablement
+la tare héréditaire sont: le système nerveux, le
+coeur, et les reins.</p>
+
+<p><i>A</i>) Les tares nerveuses se transmettent avec une
+constance redoutable; et c'est à juste titre qu'on
+craint les alliances avec des sujets dont les parents
+sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme
+exagéré.</p>
+
+<p>Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de
+l'hérédité nerveuse à des limites excessives: car,
+ainsi que je l'ai dit, nous devons compter avec une
+sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle
+l'être naissant est débarrassé de sa tare ancestrale;
+l'hérédité n'est jamais absolument fatale. Et nous
+devons prévoir aussi les atténuations que peuvent
+amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse
+du père peut très bien être atténuée par le bon
+équilibre nerveux de la mère, le croisement bien
+compris entraînant une sorte de régénération.
+Enfin, il est certaines «maladies» nerveuses qui ne
+se transmettent jamais par hérédité: telle la
+paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme
+est mort dans un asile, par le fait de la paralysie
+générale, il ne faut pas conclure que ses descendants
+soient menacés de folie, ou même de tares nerveuses.
+Le paralytique général a pris la «maladie»
+uniquement pour son compte, et il ne la transmet
+pas plus que ne transmettrait sa tare nerveuse
+un homme qui serait, accidentellement, empoisonné
+par le plomb. Tout ce qu'on peut dire du paralytique
+général, c'est que, neuf fois sur dix, c'est
+un syphilitique, et que sa descendance peut être
+entachée de syphilis au même titre que la descendance
+d'un syphilitique quelconque.</p>
+
+<p><i>B</i>) L'hérédité des cardiopathies est également
+très intéressante à étudier: elle n'est pas assez
+connue.</p>
+
+<p>Il y a des familles dans lesquelles tous les membres
+succombent aux affections cardiaques. C'est
+donc que, là, les enfants apportent, en naissant, un
+point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose
+curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne
+devient perceptible, chez ses divers membres, qu'à
+des âges plus ou moins avancés. Vers trente ans,
+l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou
+sept ans plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre,
+tout en ayant le coeur sain à l'auscultation, succombera
+par le coeur, dans le cours d'une pneumonie.
+«La «maladie» était au poumon, et le danger au
+coeur» (Huchard). Un troisième membre mourra à
+cinquante ans, à son quatrième accès d'angine de
+poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la
+moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre
+affection capable de déterminer des lésions cardiaques.
+Enfin un quatrième aura de la tachycardie
+paroxystique. Et tout cela parce que la mère des
+quatre enfants aura eu, avant la naissance du premier,
+le coeur touché accidentellement par le rhumatisme;
+je connais même une famille où l'hérédité
+remonte à deux générations: presque tous les
+membres de cette famille sont des cardiopathes.</p>
+
+<p>C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale
+mérite d'être signalé au même titre. On connaît l'albuminurie
+héréditaire et familiale: mais les récents
+travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont
+démontré, en outre, qu'une mère atteinte de
+néphrite donne naissance à des enfants dont les reins
+sont moins résistants aux infections et aux intoxications,
+ou même sont altérés au point d'entraîner
+la mort dès les premiers jours de la vie.
+De plus, chacun naît avec une prédominance de
+tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le
+système nerveux qui présente un développement
+hors de proportion avec les autres systèmes organiques;
+chez d'autres, c'est le système musculaire.</p>
+
+<p>Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement
+parler, des malades, ni même des candidats à la
+«maladie»; ils peuvent avoir un excellent capital
+biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas
+commettre de fautes dans la direction à leur conseiller.
+Et nous retrouverons cette importante
+donnée quand nous parlerons des grands problèmes
+de l'éducation.</p>
+
+<p>Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette
+singulière prédominance d'un des côtés du corps
+sur l'autre que l'on observe chez la plupart des
+malades? En général, c'est le côté gauche qui est le
+plus faible; c'est lui qui est le siège des névralgies,
+des pneumonies, des misères variées que les
+malades accusent; c'est lui qui est le plus faible
+au dynamomètre; et tout le monde sait que la main
+gauche est, en général, moins habile que la main
+droite; le langage courant traduit cette infériorité,
+en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile.
+Chez d'autres, au contraire, c'est le côté droit du
+corps qui est le siège de toutes les douleurs névralgiques,
+rhumatismales, sans pour cela que ces
+malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir
+recherché la part de l'hérédité dans cette répartition
+inégale de l'influx nerveux, que je ne fais
+que signaler en passant.</p>
+
+<p>Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de
+voir, et qui doit en former pour nous la conclusion
+pratique, c'est que, pour difficile que soit la connaissance
+précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être
+n'y a-t-il pas de point sur lequel l'attention
+du clinicien doive se porter plus soigneusement!
+En présence d'un malade, notre premier effort doit
+être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses
+parents; et les résultats de cette première enquête
+doivent toujours nous être présents à l'esprit, tout
+dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais
+surtout quand nous aurons à diriger sa santé.</p>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE III</h4>
+
+<h4>CONCEPTION</h4>
+
+<p>L'influence de la valeur actuelle des générateurs,
+au moment de la conception, est à peine soupçonnée,
+et le fait est qu'il serait bien difficile de la
+démontrer; elle doit être, cependant, considérable,
+et il y a tout lieu de croire que la valeur d'un
+individu à naître varie du tout au tout selon qu'il a
+été conçu dans de bonnes ou de mauvaises conditions.</p>
+
+<p>Depuis longtemps, les médecins protestent contre
+les voyages de noces. On ne saurait trop faire
+campagne contre cette coutume, tout au moins antihygiénique.
+Considérez, en effet combien s'accumulent
+les conditions déplorables pour la procréation,
+chez deux conjoints dont le système nerveux
+a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires
+du mariage, par la fatigue des journées
+consacrées à sa célébration, par les émotions inséparables
+de cet acte important de la vie! Et voilà
+ces jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour
+un voyage lointain, qui s'exposent à des fatigues
+de toute sorte, à la déplorable alimentation de
+l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de résidence
+tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions
+que, sans recueillement, à la légère, ils accomplissent
+l'acte qui doit donner <i>la vie</i>.</p>
+
+<p>Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte
+conjugal s'opère à la suite de repas copieux, dans
+des conditions non moins déplorables.</p>
+
+<p>Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion
+de la jeune femme, trop souvent surprise par
+les conditions nouvelles de l'existence qu'elle a
+adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait
+le professeur Pinard: « En plein XXe siècle, nous
+procréons comme les hommes des cavernes. »</p>
+
+<p>Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose
+que d'appeler l'attention sur un mal dont presque
+personne ne soupçonne l'importance, en dehors du
+monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi
+dire, d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra
+le danger.</p>
+
+<p>Appelons aussi l'attention sur un point délicat:
+sur la nécessité de faire l'éducation de la jeune
+fille, pour qu'elle sache ce qu'est le grand acte de
+la procréation.</p>
+
+<p>Je vois d'ici les mères françaises frémir, et
+s'armer en guerre les bataillons de ceux qui confondent
+la pudeur avec la pudibonderie. Nul doute,
+cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans
+nos moeurs, à cet égard, et dans tous les milieux
+sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler ce que dit la
+Bible, dans le livre de <i>Tobie</i>, chapitre VII? Le fils
+du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël,
+allait épouser Sara, fille de Raquel, laquelle avait
+vu mourir subitement ses sept premiers maris,
+aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour
+lui éviter pareil sort, l'ange donnait au jeune
+homme les conseils suivants: « Lorsque des personnes
+s'engagent tellement dans le mariage
+qu'elles bannissent Dieu de leur coeur et de leur
+esprit et qu'elles ne pensent qu'à satisfaire leur
+brutalité, comme les chevaux et les mulets qui
+sont sans raison, le démon a pouvoir sur elles.
+Mais pour toi, après que tu auras épousé cette fille,
+étant entré dans la chambre, vis avec elle en continence
+pendant trois jours, et ne pense à autre
+chose qu'à prier Dieu avec elle! La troisième nuit
+étant passée, tu prendras cette fille, dans la crainte
+du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants
+plutôt que par un mouvement de passion, afin que
+vous ayez part à la bénédiction de Dieu. »</p>
+
+<p>Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend
+pas, pour procréer, plus de précautions qu'à l'époque
+des premières ardeurs; c'est également une faute
+dont se ressent le produit de la conception.</p>
+
+<p>Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de
+la procréation. Ce traité, conçu dans un esprit
+large, libéral, scientifique, qui tiendrait compte de
+tous les éléments du problème, c'est-à-dire non
+seulement du point de vue médical, mais aussi de
+l'élément passionnel, répondrait à un véritable
+besoin.</p>
+
+<p>Et un chapitre, et l'un des plus importants,
+devrait y être consacré au traitement préventif de
+la syphilis héréditaire. Combien d'hommes atteints
+de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage,
+ignorent les bienfaits d'un traitement spécifique,
+qu'ils suivraient deux ou trois mois avant de se
+marier, pour préserver leurs enfants de la terrible
+«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer
+ce traitement préventif, alors même qu'ils
+savent que le générateur a eu la syphilis! Mais
+je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet.</p>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE IV</h4>
+
+<h4>GESTATION</h4>
+
+<p>Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant
+la gestation, nous n'avons aucune donnée précise
+à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par
+exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse
+pénible, voire même des vomissements incoercibles,
+donnât naissance à un enfant plus spécialement
+faible; inversement même, bien des femmes
+d'une santé médiocre ont des grossesses superbes.
+J'étonnai fort une malade, un jour, en lui disant
+qu'elle ne devait aller bien que pendant ses grossesses.
+C'est qu'elle avait de la ptose abdominale,
+et que la grossesse devait lui produire l'effet d'une
+sangle, en soutenant les organes. Mais il n'est
+guère vraisemblable qu'un état de santé aussi artificiel,
+et aussi transitoire, soit, pour le produit de
+la conception, un brevet de santé future.</p>
+
+<p>Par contre, les «maladies» de la mère pendant la
+grossesse ont une influence bien connue sur la
+valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne provoquent
+pas l'avortement, elles impriment à l'enfant
+une tare.</p>
+
+<p>J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif.
+Une jeune femme, au quatrième mois de sa première
+grossesse, avait eu une appendicite si nettement
+caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher,
+et moi-même, avions été sur le point de
+provoquer l'intervention d'un chirurgien. La malade
+avait pu, cependant, être traitée médicalement: mais
+l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance
+une intolérance intestinale véritablement anormale.
+Une première nourrice, choisie par l'accoucheur,
+lui a donné un lait qui a semblé trop fort,
+car l'enfant a eu, dès le deuxième jour, de la
+diarrhée verte et des vomissements. Dans l'espace
+de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours
+choisies avec le plus grand soin, n'ont pas eu
+plus de succès: à chaque nouvelle nourrice, vomissements,
+fièvre ardente, diminution rapide du
+poids. Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix
+des nourrices idéales, on était bien obligé de donner
+à l'enfant du simple lait de vache coupé; alors il
+allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait
+très vite, la vie revenait: de telle sorte que,
+après ces quatre tentatives d'allaitement par le lait
+de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin,
+pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet
+enfant a probablement un intestin extrêmement délicat,
+à cause de l'appendicite de sa mère pendant la
+gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé
+coupé!» Et il eut raison; grâce à d'infinies
+précautions, à une surveillance méthodique, l'enfant
+put être élevé.</p>
+
+<p>Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends
+pas faire le panégyrique de l'allaitement
+artificiel: je ne le cite que pour prouver comment
+la «maladie» d'un organe de la mère pourrait
+bien avoir une répercussion sur le fonctionnement
+du même organe, chez l'enfant qu'elle porte en son
+sein.</p>
+
+<p>Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions
+de la mère, pendant la grossesse, peuvent avoir un
+retentissement sur la qualité du produit. Et de là
+dérive le devoir strict, pour la société, de protéger
+la femme enceinte. Quelques philanthropes l'ont
+bien compris; mais cette notion n'a pas assez
+pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est
+un scandale, pour une nation civilisée, de voir le
+peu qui est fait pour assister la femme enceinte,
+pour lui épargner les soucis de l'avenir prochain et
+les fatigues des derniers jours de la gestation.</p>
+
+<p>Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme.
+S'ils naissent avant terme par le fait de la «maladie»
+des générateurs, de la syphilis par exemple, leur
+valeur biologique est sensiblement réduite, et peut
+même être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant
+terme accidentellement, par exemple à la suite
+d'une chute de leur mère, ou d'une intervention
+obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup
+moins compromis qu'on ne le croit dans le public
+non médical. Le tout est de leur assurer une température
+qui se rapproche de celle qu'ils avaient
+dans le sein maternel.</p>
+
+<p>Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les
+modèles de couveuses artificielles. Ces appareils,
+certes, peuvent rendre des services; mais il ne
+faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer,
+en préservant l'enfant du froid, ce qui s'obtient:
+1° en chauffant convenablement sa chambre, et
+en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en
+sachant l'alimenter dès sa naissance. Ce second
+problème est difficile; pour le résoudre, il faut se
+rappeler une grande loi que nous retrouverons
+plusieurs fois dans le cours de cette étude, et
+qui consiste à proportionner la valeur nutritive
+de l'aliment, et le nombre de prises alimentaires,
+à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant
+terme, on donnera donc, toutes les demi-heures,
+une cuillerée à café de lait, coupé de 2/3 d'eau
+bouillie sucrée.</p>
+
+<p>L'enfant va naître; quel préjudice lui cause
+l'accouchement au forceps? Nous ne pouvons pas
+nous défendre de redouter, pour notre part, la
+compression colossale qu'impose l'application du
+forceps à la masse cérébrale de l'enfant. Mais
+l'étude approfondie de cette question, qui aurait
+pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a
+pas encore été faite, à notre connaissance du
+moins, d'une façon suffisante. En tout cas, on est
+en droit de considérer comme coupable une intervention
+au forceps faite pour gagner du temps,
+ou pour faire valoir l'importance des soins obstétricaux.</p>
+
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE V</h4>
+
+
+<h4>LES INFLUENCES MORBIGÈNES
+ET LES SYMPTOMES MORBIDES</h4>
+
+<p>L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne
+ne le sait, sauf dans les cas extrêmes où il vient
+au monde avec des apparences tellement misérables
+que, dès son premier vagissement, son
+infériorité saute aux yeux; c'est ce qui arrive chez
+les hérédo-syphilitiques, et rien n'est aussi navrant
+que l'apparition du petit monstre aux lieu et
+place d'un enfant bien vivant, attendu avec une
+légitime impatience. Il faut avoir assisté à ce
+spectacle pour en comprendre la poignante horreur.
+Tout le monde, sauf la mère, s'accorde alors à
+penser qu'il vaudrait mieux que l'enfant ne fût pas
+né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible de
+savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec
+lui; c'est son secret, qu'il gardera pendant toute la
+durée de son existence, mais que le médecin parviendra
+cependant à deviner en partie, s'il sait
+fouiller l'hérédité de son malade et s'inspirer des
+quelques principes que nous avons esquissés à grands
+traits dans le chapitre précédent.</p>
+
+<p>L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être
+une «lutte pour la santé», une suite d'efforts,
+volontaires ou instinctifs, pour défendre son capital
+naturel de santé contre les «influences morbigènes»
+qui vont le guetter à chaque pas.</p>
+
+<p>Ces influences morbigènes, que l'être vivant va
+rencontrer sur sa route, depuis le jour de sa naissance
+jusqu'à la fin de sa carrière, nous allons
+tout de suite les esquisser à grands traits.</p>
+
+<p>Au début, nous avions assimilé, pour les besoins
+de la théorie, l'être humain à un projectile lancé
+dans l'espace avec une vitesse initiale déterminée;
+mais, tandis que le projectile parcourt une courbe
+mathématique, qu'on appelle une parabole, la
+courbe évolutive de l'être humain est une courbe
+irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une influence
+morbigène survient, puis remonte pour osciller de
+nouveau, puis fléchir définitivement à partir d'un
+certain moment de la vie que nous appellerons le
+début de la période de déclin, et toujours avec des
+oscillations à amplitude de moins en moins considérable,
+jusqu'au moment où toutes les réserves se
+trouvent épuisées.</p>
+
+<p>La mort peut encore interrompre brusquement la
+courbe évolutive; c'est ce qui arrive quand la brèche
+faite au capital est irréparable, soit à cause de l'importance
+de l'assaut perturbateur, soit à cause de
+l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux
+influences se combinent; et le nombre de leurs combinaisons
+est incalculable.</p>
+
+<p>La variété des causes morbigènes est elle-même
+infinie; mais la nature n'a qu'un nombre limité de
+moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte que
+les causes les plus variées peuvent se traduire par
+les mêmes symptômes. Aussi accordons-nous relativement
+peu de valeur à l'étude du symptôme. Les
+symptômes s'associent de mille et une façons, pour
+constituer autant déformes morbides différentes. Que
+dis-je? Il n'est pas deux malades qui se ressemblent,
+Ce n'est que pour la facilité de l'étude que les
+pathologistes ont créé des cadres posologiques;
+mais on comprend assez que ces cadres devraient
+être aussi élastiques que possible. Le vrai médecin,
+après s'en être servi pour faire d'excellentes études,
+ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire abstraction,
+de penser et d'agir comme si les cadres
+n'existaient pas. Et un moment viendra même,
+quand son expérience clinique sera suffisante, où
+il aura tout intérêt à faire table rase des notions
+qu'il a péniblement accumulées par un travail assidu
+et prolongé; tout comme l'architecte, qui, une fois
+la construction terminée, fait enlever les énormes
+échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction
+de l'édifice.</p>
+
+<p>Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides
+est indispensable au clinicien, et l'on ne
+saurait apporter trop de soins à connaître, dans tous
+leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais
+il y a un écueil: c'est que, la théorie du moindre
+effort s'appliquant naturellement à l'esprit humain,
+on a une tendance involontaire à attribuer aux
+symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont
+pas; en d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une
+manifestation morbide devient, trop aisément, dans
+l'esprit du médecin, la cause de la «maladie».</p>
+
+<p>Prenons comme exemple la constipation: ce n'est
+en réalité qu'un symptôme, et qui peut se trouver
+chez une foule de malades différents. Nous ne parlons
+pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est
+d'origine mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque,
+etc.). Un mot cependant, en passant, pour dire que
+le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces
+causes mécaniques, et de traiter par des moyens
+médicaux des malades dont une intervention chirurgicale
+aurait pu prolonger la vie ou atténuer les
+souffrances.</p>
+
+<p>Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires
+de la chirurgie, n'est-il pas vrai que la constipation
+est un symptôme banal, pouvant être attribué à
+une foule de causes? Parfois, elle est due à des
+lésions d'organes lointains, par un mécanisme
+réflexe à long circuit, suivant l'ingénieuse expression
+de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions
+utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore,
+elle est due à un trouble profond du système nerveux,
+qui, avant l'apparition de la constipation,
+avait traduit son malaise par des plaintes variées.
+D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même
+temps que l'entéro-colite sa compagne, à la suite
+d'un choc brutal, moral ou traumatique.</p>
+
+<p>De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due
+tantôt à un manque, tantôt à un excès d'exercice
+musculaire. Les hommes qui ont besoin de beaucoup
+d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant
+les prédispositions héréditaires, ou des cérébraux,
+ou des goutteux, ou des lithiasiques, mais
+toujours des constipés: et leur constipation disparaît
+a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis
+de l'exercice qui leur convient. Inversement, les
+hommes qui prennent trop d'exercice deviennent
+dyspeptiques et constipés, et le lit est leur meilleur
+laxatif.</p>
+
+<p>Enfin la constipation peut tenir à une erreur de
+régime, soit à l'abus du lait (le cas est fréquent),
+soit à l'usage abusif de la viande: alors le régime
+semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer
+de régime pour voir disparaître la constipation.</p>
+
+<p>La constipation n'est donc qu'un symptôme.</p>
+
+<p>Certes, en vertu de la synergie des fonctions,
+des répercussions à distance, en vertu de ce principe
+que le système nerveux abdominal a des relations
+intimes avec le système nerveux central, que,
+d'une façon plus générale, le trouble d'un département
+quelconque du système nerveux retentit sur
+les autres départements, la constipation, bien que
+symptomatique, contribue dans une certaine
+mesure à entretenir la «maladie», ne fût-ce que par la
+préoccupation qu'elle cause au malade, et qui peut
+dégénérer quelquefois en véritable obsession.
+Mais ce qu'il faut se rappeler, quand on aborde le
+problème thérapeutique, c'est que le système nerveux
+est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien
+nous accorder que la solidité d'une chaîne est égale
+à celle du plus faible de ses anneaux, on comprendra
+l'importance qu'il y a à rechercher quel
+est l'anneau le plus faible; en d'autres termes,
+quelle est la partie du système nerveux qu'il faut
+viser et consolider, pour guérir le constipé médical.</p>
+
+<p>Il n'y a donc pas de remède contre la constipation,
+et, pour l'atteindre, il faut atteindre la «maladie»,
+dont elle constitue une des manifestations les moins
+importantes et, disons-le tout de suite, les plus
+faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler
+paradoxal, j'affirme que la constipation est, de tous
+les symptômes observés chez le constipé médical,
+celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade
+qui souffre, depuis des années, de ces misères variées
+qu'on est convenu de désigner sous le nom un
+peu vague de neurasthénie, et parmi lesquelles
+la constipation joue un rôle capital; après enquête
+minutieuse, trouvez la formule exacte de son
+régime, et par régime je n'entends pas seulement
+le régime alimentaire, mais la réglementation
+minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et
+de son travail cérébral, etc.; supprimez les agents
+thérapeutiques qui entretiennent la «maladie» (douches
+froides, exercice forcé, médicaments variés,
+diète lactée); supprimez surtout les influences qui
+entretiennent le trouble nerveux de son intestin, à
+savoir les purgatifs, lavages à grande eau, etc.: et
+vous serez étonné de voir la constipation disparaître,
+avant même toutes les autres misères. Le malade
+vous dira, au bout de huit jours: «Chose curieuse,
+docteur, je souffre encore de la tête, de l'estomac,
+du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence
+à retrouver le sommeil, et surtout je vous
+suis bien reconnaissant parce que ma constipation,
+si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je
+n'ai presque plus de peaux dans les selles, et je
+commence à reprendre confiance.» A partir de ce
+moment précis vous tenez le malade, il a en vous
+une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner
+méthodiquement, si surtout des influences étrangères
+ne viennent pas contrecarrer la vôtre, si le
+malade est assez intelligent pour s'abandonner
+entièrement à votre direction, vous lui rendrez, peu
+à peu, la santé. Il aura des rechutes inévitables:
+mais lui annoncer à l'avance ces rechutes, c'est consolider
+sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins
+importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne
+tracée par vous: s'il commet un écart de régime,
+un excès d'exercice, ou s'il a une commotion morale,
+l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée
+d'état gastrique, de douleurs abdominales, de glaires
+sanguinolentes, de fièvre quelquefois; mais ce sera
+pour le bien du malade, si vous parvenez à lui faire
+toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui
+faire comprendre que cette rechute était évitable.</p>
+
+<p>Si nous prenions une autre manifestation morbide
+quelconque, nous verrions qu'elle appartient, de
+même, à une foule d'affections. Le mal de tête, par
+exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus
+variés, n'est-il pas produit par les influences les
+plus diverses? Heureusement pour les malades, il
+n'est encore venu à l'idée de personne de trouver
+un remède applicable à tous les cas de mal de tête.
+Nous en connaîtrions un, par hasard, que nous
+nous garderions bien de le divulguer: car, si la
+médecine «du symptôme» est détestable au point
+de vue de l'étude nosographique, elle l'est encore
+plus au point de vue thérapeutique.</p>
+
+<p>Mais qu'on lise une monographie quelconque
+sur un symptôme, ou un ensemble de symptômes
+(ce qu'on appelle un <i>syndrome</i>): on y trouve toujours
+en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans
+mon article <i>Epilepsie</i> du <i>Dictionnaire Encyclopédique</i>,
+j'ai essayé de montrer combien il faut se
+méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir
+une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique
+utile des épileptiques. De même, en lisant
+ces jours-ci une intéressante étude du Dr Baraduc
+sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon,
+j'y voyais une conception qui se rapproche grandement
+de la mienne. Qu'on en juge par les quelques
+lignes que voici: «L'entéro-colite muco-membraneuse
+est un syndrome clinique dépendant
+d'un trouble fonctionnel du grand sympathique
+abdominal, des causes nombreuses et variées étant
+capables de retentir sur les plexus intestinaux et de
+troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces
+causes n'est suffisante, à elle seule, pour produire
+l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité une prédisposition
+spéciale du système nerveux, et plus
+particulièrement du sympathique abdominal, à se
+troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette prédisposition
+nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire,
+est l'apanage des neuro-arthritiques.» Si
+l'auteur voulait bien avouer seulement que cette
+expression de «neuro-arthritiques» ne fait que
+dissimuler notre ignorance, nous serions tout à
+fait d'accord avec lui.</p>
+
+<p>En résumé, si le médecin doit bien connaître
+dans tous leurs détails, sous tous leurs aspects,
+dans leurs moindres nuances, les manifestations
+morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie,
+et ne pas s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En
+un mot, il doit voir de haut pour voir loin, à condition
+toutefois de ne pas se perdre dans les
+nuages.</p>
+
+<p>Quelquefois, tous les systèmes organiques sont
+troublés à la fois sous l'influence d'une cause morbigène.
+C'est ce qui arrive, par exemple, à la suite
+d'un choc traumatique violent, On voit, du jour
+au lendemain, le blessé devenir à la fois dyspeptique,
+déséquilibré abdominal, constipé avec entérite
+muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et
+il peut rester longtemps dans ce misérable état
+qu'on désigne sous le nom d'<i>hystéro-neurasthénie
+traumatique.</i></p>
+
+<p>La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent
+également à la fois, tous les appareils
+de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la
+sidération peut être telle que le capital vital initial
+et les réserves antérieures se trouvent tout à coup
+épuisés: c'est la banqueroute totale, c'est la mort.
+D'autres fois, le capital et les réserves ne sont
+que profondément entamés. C'est la «maladie» grave,
+aggravée encore par des médications et des pratiques
+intempestives; à un moment donné, le capital
+peut être réduit à si peu de chose, que la moindre
+dépense suffit pour l'anéantir. Le malade est une
+flamme vacillante que le moindre souffle peut
+éteindre, mais à laquelle un savant dosage d'oxygène
+rendra, peu à peu, la vie.</p>
+
+<p>Quand le capital est moins profondément atteint,
+ou quand la cause morbigène est moins importante,
+les troubles fonctionnels, au lieu d'être généralisés,
+atteignent plus spécialement tel ou tel
+organe: l'organe le plus faible, qu'il soit plus
+faible par le fait de l'hérédité ou par le fait d'une
+atteinte antérieure. Mais, en vertu de la synergie
+qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel
+ne reste pas longtemps limité à un organe
+ou à un système organique. Voyez le grand neurasthénique:
+il est à la fois dyspeptique, entéralgique,
+cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui,
+a été le premier atteint? Impossible de le dire, après
+deux ou trois ans de «maladie». Cependant une
+enquête bien conduite peut permettre souvent de
+reconstituer son histoire pathologique, de voir par
+où la «maladie» a commencé, quel était le point initial.
+Et c'est de la connaissance de ce point faible
+initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique.
+Le médecin portera la plupart de ses efforts
+sur le point faible qu'il aura découvert, sans
+négliger, cependant, les perturbations secondaires
+attribuables à la synergie des fonctions de tout être
+vivant.</p>
+
+<p>Il arrive même, quand l'influence morbide est
+peu intense, ou quand les réserves sont bonnes,
+que le trouble de la santé ne se traduit que par un
+nombre très limité de symptômes, parfois même
+par un seul. Ainsi il y a des migraineux qui n'ont
+que de la migraine, des malades qui n'ont, comme
+manifestation morbide que le symptôme constipation,
+d'autres qui n'ont que de la sciatique; mais
+ces cas sont exceptionnels, et, en bonne clinique,
+et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il
+faut, presque de parti pris, les éliminer, et chercher
+au delà de la manifestation monosymptomatique.
+Presque toujours, alors, ou trouvera que la
+«maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence.</p>
+
+<p>De même que, dans une compagnie de chemins
+de fer, une irrégularité dans le service, minime en
+apparence, dénonce, si elle se renouvelle fréquemment,
+une mauvaise direction générale, de même, en
+biologie, il n'est pas d'indispositions insignifiantes,
+si limitées soient-elles à tel ou tel organe. L'apparition
+d'une douleur à l'épaule, par exemple, qui
+paraît une affection bien locale, est l'indice d'une
+perturbation plus profonde qu'on ne le croit du système
+nerveux central.</p>
+
+<p>Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est
+toute une doctrine qui est contenue dans cette affirmation;
+c'est que en effet c'est le système nerveux
+central qui à notre avis est le grand réservoir de
+l'énergie. C'est par lui que nous vivons, que nous nous
+mouvons, et que nous sommes. C'est lui qui dirige
+le fonctionnement de tous les organes, de sorte
+que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement,
+la névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation
+spinale, la folie, la névropathie généralisée, etc.,
+mais encore les troubles de circulation vaso-motrice
+des différents organes. En dernière analyse,
+il est la clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations
+se traduisent par les symptômes les
+plus variés, au point d'égarer presque fatalement
+le diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls.
+Quelles que soient donc la forme, la gravité, l'apparence
+de la manifestation morbide, c'est toujours
+le système nerveux central qu'il faudra étudier,
+c'est sur lui que devra porter le grand effort thérapeutique.</p>
+
+<p>Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du
+malade et surtout la cause ou la série de causes
+qui ont fait fléchir momentanément son système
+nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa
+valeur biologique.</p>
+
+<p>Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont
+multiples. Il en est qui appartiennent à tous les
+âges, mais d'autres qui appartiennent plus spécialement
+à un âge déterminé.</p>
+
+<p>Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude,
+c'est d'après ce plan que nous passerons en revue
+les principales de ces causes morbigènes. Nous
+les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain:
+1° depuis le jour de la naissance jusqu'au sevrage;
+2° du sevrage à la puberté; 3° de la puberté à l'âge
+adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes
+phases du déclin; 6° pendant la vieillesse.</p>
+
+<p>Nous introduirons, en outre, des subdivisions,
+suivant que les influences pathogènes atteignent
+plus spécialement: 1° le système nerveux digestif;
+2° le système nerveux musculaire; 3° le système
+nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie,
+nous mentionnerons les affections accidentelles qui
+portent atteinte à la fois à tous les systèmes organiques:
+nous voulons parler des «maladies» aiguës
+(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des
+intoxications (syphilis, intoxications alimentaires,
+etc.), toutes affections qui, par la brutalité de
+leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des gens
+du monde et de beaucoup de médecins, mais qui,
+en réalité, ne constituent que la partie la moins
+importante de la pathologie, surtout au point de
+vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera,
+j'espère, que cette formule n'est paradoxale
+qu'en apparence<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4"><sup>4</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" name="footnote4"></a><b>Note 4:</b><a href="#footnotetag4"> (retour) </a> Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont inévitables
+et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être
+vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui
+constituent le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail,
+en même temps qu'il dessinera à grands traits toute la pathologie,
+effleurera forcément les problèmes afférents à l'hygiène et
+a la thérapeutique, en d'autres termes, à la gestion du capital.<br>
+
+<p>L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté,
+l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun,
+constituée essentiellement par le capital initial, et par les intérêts
+qu'il rapporte.</blockquote>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE VI</h4>
+
+
+<h4>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE
+(PUÉRICULTURE)</h4>
+
+<p>Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou
+faible et qu'il sera bien ou mal géré, l'être vivant
+sera sain ou malade, donnera ou ne donnera pas
+son maximum de rendement, fournira ou ne fournira
+pas la carrière qui lui était originairement
+dévolue.</p>
+
+<p>Dans les premières années de la vie, la gestion
+du capital appartient tout entière aux parents. Bien
+peu savent élever leurs enfants; et s'il est des
+connaissances qu'on devrait répandre à profusion
+dans tous les milieux sociaux, ce sont celles relatives
+à la «puériculture», d'autant que les règles
+en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le
+démontre le <i>Traité de Puériculture</i> du professeur
+Pinard, qui devrait être entre les mains de toutes
+les mères de famille.</p>
+
+<p>Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science
+de la puériculture.</p>
+
+<p>Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à
+tout propos et hors de propos, l'alimenter intelligemment,
+lui épargner toute médicamentation
+meurtrière, le préserver du froid et des changements
+brusques de température: et c'est tout.</p>
+
+<p>Si seulement on savait la manière d'économiser
+les vies d'enfants, on pourrait le faire dans les
+milieux en apparence les plus défectueux; c'est
+ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de
+MM. Schneider, la mortalité des enfants au-dessous
+d'un an n'est que de 110 p. 1000, alors que, dans
+le canton de Vaud, renommé pour l'excellence de
+ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000.
+Ce magnifique résultat est dû surtout à l'élévation
+des salaires, qui permet aux mères de se consacrer
+librement à leur mission maternelle. Près de
+80 p. 100 des mères allaitent leurs enfants, toutes
+font de la puériculture avant la naissance. (<i>Rapport</i>
+de M. le professeur Pinard, à l'Académie de médecine,
+25 juillet 1905.)</p>
+
+<p>Il est bien évident que le capital initial ne suffit
+pour entretenir la vie que pendant quelques jours;
+il a besoin d'être sans cesse renouvelé et augmenté,
+pour permettre de faire des réserves, de donner à
+l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de
+transmettre la vie à son tour. C'est l'aliment qui
+pourvoit à ce besoin incessant; et par aliment nous
+entendons non seulement ce qui entre dans le tube
+digestif, mais aussi l'air, que les anciens définissaient
+très justement le <i>pabulum vitae</i>.</p>
+
+<p>Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa
+quantité, par une répartition vicieuse, la «maladie»
+ne tarde pas à naître; c'est là la cause essentielle
+de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait
+croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise
+alimentation du premier âge retentit sur toute la vie
+pathologique de l'individu. Quelques médecins le
+disent, le crient même, mais c'est dans le désert;
+la plupart le nient, ou passent indifférents à côté
+de cette vérité profonde. Quant aux gens du monde,
+ils en soupçonnent à peine l'importance.</p>
+
+<p>La vérité est que, quand un enfant a été mal
+nourri loin de sa famille, quand il revient de nourrice
+avec un gros ventre, on peut affirmer que,
+toute sa vie, il sera un valétudinaire.</p>
+
+<p>Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle
+de gens incompétents, ou quand, poussée par son
+médecin, qui veut mettre à l'abri sa responsabilité,
+une mère consent à abandonner les doux devoirs
+de la maternité et à confier à une nourrice l'enfant
+qu'elle aurait dû allaiter, quand à cette nourrice en
+succèdent deux ou trois autres, sous des prétextes
+quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de
+l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être
+insupportable, puis un écolier de quatrième ordre,
+dans son adolescence un raté, incapable de payer
+sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux.
+Ces considérations doivent être présentes à l'esprit
+du clinicien qui, se trouvant en face d'un
+malade quelconque, arrivé à un âge quelconque,
+doit chercher à connaître ce que vaut ce malade.</p>
+
+<p>On comprend donc l'importance du problème de
+l'alimentation dans la première enfance. En principe,
+comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de
+la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut
+faire quelque chose qui soit puissamment efficace
+et fructueux, il est nécessaire, il est indispensable
+de faire tout d'abord ce que demandait la Convention,
+et ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot,
+il faut permettre à la mère de donner ce qu'elle
+possède.» (<i>Rapport</i> du professeur Pinard à l'Académie,
+juillet 1905.)</p>
+
+<p>Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir,
+il faut recourir immédiatement à l'alimentation
+artificielle, soit avec le lait stérilisé du commerce,&mdash;dont l'innocuité est quotidiennement démontrée
+par les résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville,
+au dispensaire très habilement dirigé par
+M. le Dr Variot,&mdash;soit encore avec le lait de vache
+bien surveillé, fraîchement et proprement trait,
+sucré, plus ou moins étendu d'eau, puis stérilisé
+dans la famille, avec des appareils Sosclet, ou
+mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire».</p>
+
+<p>C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette
+«Goutte de lait» de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait
+servir de modèle à toutes les institutions du même
+genre, à cause de la simplicité de son organisation.</p>
+
+<p>Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe,
+maire de Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un
+subside de trente mille francs mis à sa disposition
+par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait»
+a déjà rendu d'importants services: elle a fait
+tomber la «maladie» des enfants de 0 à 1 an de
+288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile
+le plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000.</p>
+
+<p>La consultation des nourrissons a lieu tous les
+dimanches matin, dans un local mis à la disposition
+de l'Oeuvre par la municipalité de Saint-Pol-sur-Mer:
+120 enfants, en moyenne, sont présentés
+tous les dimanches.</p>
+
+<p>Les mères arrivent par séries, et se réunissent
+dans une grande salle chauffée où elles déshabillent
+leurs enfants. Elles pénètrent successivement
+dans la salle de consultation. Chaque enfant est
+pesé, puis examiné par le médecin, qui compare
+le poids actuel à celui du dimanche précédent,
+l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, et
+fixe le régime pour la semaine qui va commencer.
+Toute mère reçoit, soit un important secours <i>en
+nature,</i> si l'enfant est nourri au sein,&mdash;car on fait
+tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement
+maternel,&mdash;soit des biberons de lait <i>pasteurisé</i>, si
+l'enfant est à l'allaitement mixte ou artificiel.</p>
+
+<p>Le lait est distribué tous les jours au local de
+l'Oeuvre. Chaque enfant à l'allaitement artificiel a
+un double jeu de biberons et de paniers, qui lui
+sont personnels. En venant chercher les biberons
+prescrits, la mère remet ceux que l'enfant a vidés
+la veille. Un seul homme suffit pour assurer tout le
+service.</p>
+
+<p>Le lait est distribué gratuitement à tous les
+enfants indigents. Fourni à l'Oeuvre à son prix
+coûtant, il provient des étables du Sanatorium de
+Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans
+avoir été préalablement soumise à l'épreuve de la
+tuberculine.</p>
+
+<p>Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé
+Coutant: c'est-à-dire que, dans le biberon même
+où la mère devra l'utiliser pour son enfant, le lait
+est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement
+refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement
+brusque a été rendu possible par la contexture
+même du verre des flacons.</p>
+
+<p>Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes
+pathogènes, et, à l'inverse du lait stérilisé à 110°, a
+conservé toutes ses propriétés digestives et nutritives.</p>
+
+<p>Après la pasteurisation, les biberons restent
+plongés dans des bacs remplis d'eau froide, jusqu'à
+la livraison aux mères.</p>
+
+<p>La pathologie infantile est relativement simple.
+Faut-il donc, comme on le propose de divers côtés,
+faire faire à tous les étudiants en médecine un
+stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier
+aux mystères de cette pathologie? Remarquez que
+d'autres médecins demandent un stage spécial
+pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées;
+d'autres encore un stage pour l'étude des «maladies»
+nerveuses, sans parler de ceux qui voudraient un
+stage pour les «maladies» des yeux, des organes
+génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi,
+pour celles des oreilles et du nez? et, à ce compte,
+combien de temps dureraient les études médicales?
+Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils
+étaient praticables; mais ils auraient pour effet de
+restreindre plus que de raison le nombre des futurs
+médecins, et de remplacer la pléthore médicale
+actuelle par une anémie encore plus regrettable.</p>
+
+<p>Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est
+qu'il lui reste beaucoup <i>à apprendre</i>, c'est que
+toute sa vie de praticien ne sera pas trop longue
+pour savoir lire dans le grand livre de la nature.
+Mais il nous semble que, pour ce qui concerne en
+particulier la pathologie des enfants, un peu de
+bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments,
+de la patience, suffisent pour faire de bonne
+thérapeutique infantile, quand, par ailleurs, on
+connaît les lois générales de la pathologie.</p>
+
+<p>Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants,
+je me rappelle avoir été appelé en consultation,
+en province, pour un enfant de six mois soigné
+par deux distingués confrères. Il avait, depuis
+cinq jours, une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement
+rapide. Pendant les trois quarts d'heure
+que dura mon enquête, je vis cet enfant passer
+successivement des bras de sa mère dans ceux de
+la nourrice <i>sèche</i>, puis dans ceux d'une tante
+affolée, le tout pour calmer les faibles cris qu'il
+avait encore la force de pousser. J'appris que ce
+manège durait depuis deux jours, que l'enfant
+avait pris du calomel, trois fois de grands lavages
+intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures,
+à grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai
+simplement de mettre cet enfant dans son berceau
+et de l'y laisser, de lui appliquer sur le ventre un
+large cataplasme, de le laisser à la diète absolue
+pendant quatre heures puis de lui donner de l'eau
+panée, et de le laisser dormir si le sommeil pouvait
+venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé, l'enfant
+avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait
+naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau
+de riz; je conseillai de ne pas trop déranger l'enfant,
+de ne plus explorer son ventre. Le surlendemain,
+il prenait du lait écrémé pur, et j'appris
+qu'il avait retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé
+mit fin à la grave alerte, et aussi à la «maladie»,
+qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime de
+soins trop empressés.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le
+grand secret de la thérapeutique consiste à savoir
+réchauffer les enfants, tout en les tenant à la diète
+absolue pendant six ou douze heures, puis au
+régime «avec restriction des liquides» pendant deux
+ou trois jours.</p>
+
+<p>Avouons cependant que, parfois, les problèmes
+de pathologie infantile sont très difficiles à
+résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui ne
+supportait aucun lait de femme, pris en n'importe
+quelle quantité. D'autres fois, les enfants s'empoisonnent
+avec le lait même de leur mère. C'est, tout
+simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois;
+mais il faut quelquefois chercher longtemps pour
+trouver cette cause si simple. On ne se figure pas
+le nombre d'enfants qui ont des indigestions chroniques,
+parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout
+quand ils sont nourris par de plantureuses mercenaires
+qu'on ne sait comment tonifier, dans la
+pensée de donner plus de forces au précieux rejeton.</p>
+
+<p>Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies»
+des enfants est tellement difficile que les spécialistes
+se déclarent incompétents. Que d'erreurs
+de diagnostic commises à propos des méningites!
+Et comment aussi interpréter le cas suivant? Sans
+cause connue, un enfant d'un an, bien élevé au
+sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient
+grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre.
+Les jours suivants, la fièvre augmente, une pâleur
+inquiétante s'étend sur la face, un amaigrissement
+rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage;
+puis, au bout de quelques jours, sans qu'on ait rien
+fait que de laisser l'enfant bien tranquille, l'appétit
+revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout
+rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en
+consultation n'ont pas pu étiqueter cette «maladie»,
+ni se prononcer sur son issue; mais, tous ayant eu
+le bon esprit de ne pas aggraver la situation par
+une médication intempestive, tout s'est terminé
+pour le mieux, et l'enfant a gardé son secret.</p>
+
+<p>La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de
+diagnostic n'est pas aux médecins, mais aux difficultés
+des problèmes cliniques. En les dénonçant,
+nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de
+la science: bien au contraire, ce que nous voulons
+dire, c'est qu'en thérapeutique infantile il faut avant
+tout de la sagacité, et que, dans certains cas, il faut
+que le médecin sache reconnaître son incompétence.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une
+revanche éclatante, et c'est alors que le médecin
+est en droit de se féliciter d'avoir fait de bonnes
+études de pathologie générale.</p>
+
+<p>Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui
+vient bien pendant les six premières semaines;
+puis voici que, tout en continuant à prendre ardemment
+le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements,
+son poids cesse d'augmenter; il diminue
+de 200, de 300 grammes en quelques jours. Qu'est-ce
+à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique.
+Le traitement mercuriel, sous forme
+de liqueur de Van Swieten, de frictions mercurielles,
+ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose
+de 3 à 5 milligrammes par jour, fait merveille et
+rétablit entièrement cet enfant.</p>
+
+<p>Nous avons dit plus haut combien souvent la
+méningite, qu'on croit tuberculeuse, et qui survient
+de deux à cinq ans, est d'origine syphilitique. Déjà
+en 1872, quand nous faisions nos études à Montpellier,
+le regretté professeur Fonsagrives nous
+disait qu'il avait sauvé beaucoup d'enfants, atteints
+de méningite tuberculeuse, en leur donnant de
+l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il
+s'agissait de méningites syphilitiques. Mais pour
+formuler un diagnostic de méningite syphilitique,
+pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen
+de l'enfant, soit par une enquête sur les parents,
+ne faut-il pas que le médecin ait beaucoup travaillé,
+beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle
+n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit
+se contenter de faire de l'expectation armée, il peut,
+dans beaucoup de cas, rendre aux enfants malades
+des services inappréciables.</p>
+
+<p>Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile,
+à un enfant atteint de pneumonie; de l'immersion
+alternative dans l'eau chaude et dans l'eau froide
+d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire,
+sinon que, dans certaines circonstances,
+le médecin opère ainsi de véritables résurrections?</p>
+
+<p>Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le
+rôle social du médecin, bien au contraire, ni introduire
+dans l'esprit des jeunes confrères un scepticisme
+infécond: ce que nous voulons, c'est leur
+dire qu'il ne faut pas se spécialiser dans l'étude de
+la pathologie infantile, et que, pour bien soigner
+un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout
+qu'il faut souvent savoir s'abstenir.</p>
+
+<p>En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en
+étant compliquée, comme tout ce qui touche au problème
+de la vie, nous semble être relativement
+simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un
+tube digestif percé aux deux bouts».</p>
+
+<p>Plus nous allons voir l'être humain avancer dans
+sa carrière, plus vont devenir nombreux et compliqués
+les problèmes de la vie. Le système nerveux
+ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une
+conditions défavorables qu'impose à l'homme le
+milieu cosmique vont imprimer à son capital biologique
+des dépenses qu'on ne peut certainement pas
+évaluer mathématiquement, mais qui se traduiront
+par une diminution de sa valeur. La vie ne va être
+de plus en plus qu'une série d'oscillations, de luttes
+entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les
+causes de destruction de l'être vivant; bref, un état
+d'équilibre instable, la santé n'étant qu'un bel accident
+passager.</p>
+
+<br><br><br>
+<h4>CHAPITRE VII</h4>
+
+<h4>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ</h4>
+
+<p>Il est logique d'introduire une subdivision dans
+ce chapitre, et d'étudier d'abord l'enfant de deux à
+sept ans, d'autant que, à cette période de la vie, il
+n'y a pas à tenir compte de la différence des sexes.</p>
+
+<h4>I</h4>
+
+<p>Pendant cette période, la nutrition a son activité
+maximum, l'enfant améliore son capital, accumule
+les réserves; mais il faut bien savoir qu'il a aussi
+des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux
+doit être dépensé pour faire connaissance avec le
+monde extérieur, pour apprendre le sens des mots, la
+notion des distances, etc.! On est effrayé en pensant
+au travail cérébral que supposent ces acquisitions.</p>
+
+<p>De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant
+toute fuite nerveuse inutile. Il faut presque se
+borner à le faire «boire, manger, dormir; manger,
+dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant
+de cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne
+devrait le réveiller. Pour démontrer combien peu
+d'enfants ont leur dose <i>optima</i> de sommeil, prenez
+au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier
+jour, dormir à volonté; il s'octroiera douze
+heures de sommeil. Le lendemain, il se réveillera
+après onze heures, le surlendemain et les jours suivants
+après dix heures. C'est donc que, au moment
+précis où l'expérience a commencé, il avait un
+arriéré de besoin de sommeil.</p>
+
+<p>Quant au problème de l'alimentation, il est relativement
+simple, et l'expérience des mères de famille
+répond à la plupart des indications. L'enfant doit
+manger quatre fois par jour; mais, en général,
+il mange trop vite. Les parents devraient, pour leur
+usage personnel et pour le bien de leurs enfants, se
+rappeler qu'il existe des glandes salivaires sécrétant,
+chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par
+jour, et que, si une bonne digestion commence dans
+la cuisine, elle se continue dans la bouche.</p>
+
+<p>En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le
+moins d'influences nocives; et un peu de surveillance
+suffit pour que l'enfant se porte bien.</p>
+
+<p>Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent,
+en général, d'une façon bénigne, quand elles ne
+sont pas troublées par une thérapeutique incendiaire.
+De là la faible mortalité afférente à l'âge que
+nous étudions, dénoncée par les tables qui servent
+de base aux calculs des Compagnies d'assurances
+sur la vie.</p>
+
+<p>Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque,
+scarlatine, rougeole, angine, il se rétablit
+avec une rapidité contrastant avec la lenteur de la
+convalescence chez l'adulte, et encore bien plus
+chez le vieillard. Voyez, par exemple, une angine
+herpétique! Elle occasionne chez l'enfant de tumultueux
+symptômes: de la fièvre, du délire; mais, au
+bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et,
+quatre jours après, l'enfant paraît aussi bien portant
+qu'avant. Chez l'adulte, au contraire, le même
+nombre de points d'herpès sur la gorge provoque
+un état maladif moins tumultueux, mais qui se
+termine par une convalescence de quinze jours à
+un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou
+tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement
+nécessaires à l'enfant convalescent, doué de plus
+d'élasticité.</p>
+
+<p>A partir de sept ans s'esquisse, chez certains
+enfants, une différenciation qui ira s'accusant d'année
+en année. Un oeil attentif va percevoir si l'enfant
+appartient au type <i>musculaire</i> ou au type <i>cérébral</i>.
+Le <i>musculaire</i> est cet enfant actif, aimant à jouer,
+turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention
+pour un quart d'heure de suite, n'ayant, par conséquent,
+aucun goût pour l'étude telle qu'elle lui
+est imposée. Le <i>cérébral</i> est l'enfant réfléchi, n'aimant
+pas les jeux bruyants, et dont l'esprit est en
+avance notable sur celui des enfants de son âge.
+A chacun de ces deux enfants conviendrait une
+éducation différente; malheureusement, les nécessités
+sociales les soumettent, l'un et l'autre, à la même
+discipline pédagogique,&mdash;bien comprise, il faut
+l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour
+ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement
+en vigueur s'approche autant que possible de
+la perfection, il faut bien dire qu'il convient moins
+aux types extrêmes que nous venons de mentionner.
+Le petit <i>musculaire</i>, condamné à de longues heures
+d'étude, s'agite, s'inquiète, devient de plus en plus
+dissipé, et ne tarde pas à entrer dans la catégorie
+des enfants dits «paresseux». Sa santé physique
+peut ne pas souffrir outre mesure du régime compressif
+auquel il est soumis; il grandit, se porte
+bien en apparence; mais son cerveau est, pour
+ainsi dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement
+inférieur. Chez le petit <i>cérébral</i>, au contraire, l'éducation
+moyenne peut amener des troubles de la
+santé physique: les récréations bruyantes et agitées,
+imposées après les repas, les longues promenades
+hebdomadaires, l'insuffisance du sommeil,
+une alimentation mal adaptée à son tube digestif,
+très vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la
+longue; et, d'un enfant qui aurait pu donner les
+plus belles espérances, la pédagogie officielle fait
+un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en
+un mot un malade.</p>
+
+<p>Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle?
+Oui, dans les cas extrêmes et dans des circonstances
+exceptionnelles.</p>
+
+<p>Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation
+collective et le surmenage cérébral imposé
+par nos programmes amènent les plus fâcheuses
+conséquences, pour le présent et pour l'avenir,
+c'est celle des enfants que l'hérédité n'a pas préparés
+au travail cérébral. Tels ces fils de cultivateurs
+qui ont une longue hérédité terrienne, et que
+leur intelligence hâtive semble désigner comme
+particulièrement aptes aux études supérieures. Ce
+sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils arrivent
+aux écoles supérieures: mais ils y arrivent
+malades, et seront malades toute leur vie.</p>
+
+<p>De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les
+«maladies» accidentelles sont presque inévitables, à
+cause de la promiscuité des enfants dans les
+écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité.
+Ce ne sont pas elles qui diminuent sensiblement
+le capital biologique individuel. Les fautes
+commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une
+bien plus grande importance.</p>
+
+<p>Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës
+qui ressemblent plus ou moins à la fièvre typhoïde,
+et qui sont dues à des indigestions! En général, l'hygiène
+alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée.
+Les enfants mangent trop vite, comme nous
+l'avons dit plus haut; et, très souvent, ils mangent
+trop, précisément parce qu'ils mangent trop vite, la
+sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction
+brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire
+mal élaborée. D'autre part, de trop nombreux
+parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on
+mange qui profite, mais ce qu'on assimile, se
+figurent qu'il faut que l'enfant mange beaucoup
+pour se donner des forces; et ce préjugé amène
+chez l'enfant des intoxications chroniques qui
+retentissent sur son système nerveux, sur sa croissance,
+jusqu'au moment où l'estomac surmené
+commence à protester. A partir de ce moment, le
+cercle vicieux est établi, et, si un régime alimentaire
+bien compris n'est pas institué, l'enfant
+devient un malade, et restera malade indéfiniment.
+C'est ce que M. le Dr Laumonier a très bien
+exposé dans un article du <i>Correspondant médical</i>
+de 1905:</p>
+
+<p>Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils
+mangent beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil
+ne soit pas toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant
+on ne peut, à première vue, les accuser d'aucun trouble évident.
+Cependant, certains soirs principalement, ils se montrent
+tantôt plus énervés que d'habitude, tantôt plus abattus
+au contraire, et si, à ce moment, on prend leur température
+rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au delà.
+Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y
+paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance,
+et les parents se gardent bien, pour si peu de chose,
+de faire appeler le médecin; ils ont tort, car cette fièvre
+digestive est le symptôme de troubles fonctionnels d'assez
+grande importance, et qu'il est en conséquence nécessaire de
+soigner dès le début.</p>
+
+<p>Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de
+belle apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration
+de leurs parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et
+les belles couleurs disparaissent. Ils finissent ainsi par se
+transformer en enfants chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise
+haleine, présentant des alternatives de constipation
+et de diarrhée, souffrant parfois de douleurs stomacales
+vives; en un mot ce sont maintenant de véritables dyspeptiques.</p>
+
+<p>Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel
+extrême, pour ainsi dire, de troubles longtemps existants et
+dont les accès légers de fièvre digestive ont été l'un des premiers
+et des plus caractéristiques symptômes. Il suffit, pour
+s'en convaincre, de suivre avec quelque attention l'évolution
+progressive des phénomènes.</p>
+
+<p>Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles
+ont été, pendant leur première enfance, mal nourris, sinon
+comme qualité du lait, au moins comme quantité; en
+d'autres termes, leur ration a été trop copieuse. Puis, après
+le sevrage, ils ont été mis rapidement à la nourriture commune
+de la famille; ils ont mangé de tout, et trop; parfois
+aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du
+café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques.</p>
+
+<p>C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,&mdash;pas plus
+que l'homme, du reste&mdash;ne mange qu'à sa faim; toujours,
+ou presque toujours, à ce point de vue, la limite est dépassée.
+La quantité d'aliments ingérés est beaucoup plus une affaire
+d'habitude que de besoin réel, comme le prouvent manifestement
+les résultats du traitement imposé à ces petits malades.
+Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent
+ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel
+les aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions
+digestives, stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales.
+D'où, d'une part, l'insuffisance et l'épuisement des
+glandes gastriques, la dilatation et l'atonie stomacales, et,
+d'autre part, la production des substances toxiques qui, résorbées,
+entraînent l'auto-intoxication et l'élévation thermique
+qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,&mdash;et c'est là un
+point essentiel,&mdash;que la fièvre digestive peut se produire et
+se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire
+et l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés;
+elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue
+un signe prodromique, avertissant que la limite digestive
+est dépassée, que l'estomac commence à se fatiguer,
+que l'auto-intoxication d'origine digestive est déjà manifeste.</p>
+
+<p>Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers
+de cet état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros
+foie... etc., ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence;
+d'autres signes, plus incertains, dyspnée, terreurs
+nocturnes, manifestations cutanées, peuvent exister aussi,
+qui complètent la signification des premiers. Passons donc
+et arrivons au traitement.</p>
+
+<p>La première indication est de réduire la ration alimentaire
+à ce qui est strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge,
+le sexe, le poids, la taille, et de composer cette ration d'aliments
+faciles à digérer, fournissant le minimum de fermentation,
+tels que lait, oeufs, pain grillé, viande crue, purée de
+légumes. Sans en arriver au régime sec, qui a beaucoup
+d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la
+quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne
+qualité ou des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures
+hygiéniques générales, on assurera la liberté du ventre par
+des habitudes régulières ou à l'aide de quelques lavements
+tièdes, mais sans en abuser.</p>
+
+
+
+<h4>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE</h4>
+
+<p>I.&mdash;CHEZ LA FILLE</p>
+
+<p>Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue
+un moment solennel dans l'existence. La
+plupart des mères de famille le savent, s'en inquiètent,
+mais ne connaissent pas les précautions à
+prendre. Ces précautions consistent à supprimer
+plus que jamais les fuites nerveuses. Ainsi, il convient
+alors de diminuer le travail cérébral, le travail
+musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la
+mettre à l'abri de toutes les influences qui, par
+action réflexe, retentissent sur son système nerveux
+(indigestions, coups de froid).</p>
+
+<p>Pendant les premières périodes menstruelles, le
+repos presque absolu au lit s'imposerait, si les
+règles étaient douloureuses ou trop abondantes;
+et un repos relatif s'impose même quand elles sont
+correctes. Ce qu'il faut bien savoir, c'est que l'anémie
+qui accompagne, en général, cette période
+de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina,
+ni de la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre,
+ce sont les précautions citées plus haut, et,
+par intervalles, quelques injections de cacodylate
+de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie.
+C'est là un des rares médicaments capables de
+rendre des services, à la condition formelle qu'il ne
+soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin.</p>
+
+<p>Une fois la menstruation établie, il ne faut pas
+s'inquiéter outre mesure si, pendant les premières
+années, les règles ne viennent pas à époques fixes,
+et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni
+douloureuses, ni trop abondantes.</p>
+
+<p>Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent
+de voir la santé des jeunes filles subir un assaut
+considérable, qui se traduit par de la chloro-anémie,
+avec état nerveux, suppression des règles, troubles
+dyspeptiques, constipation, etc.</p>
+
+<p>Les causes en sont multiples. Chez la jeune
+ouvrière, c'est, le plus souvent, le surmenage physique,
+la vie anti-hygiénique des ateliers, l'accumulation
+des privations. Dans d'autre milieux,
+c'est le fait du surmenage intellectuel pour l'obtention
+des brevets. Mais, plus souvent encore, ce
+sont les causes morales qui portent atteinte au
+système nerveux. C'est une vocation contrariée,
+une suite continue de petits malentendus avec la
+famille, avec la mère en particulier. La mère, ne
+se décidant pas à s'apercevoir que sa fille
+grandit, continue à vouloir exercer sur elle une
+autorité despotique, contre laquelle l'enfant se
+cabre en vain pendant de long mois, et dont elle
+souffre de jour en jour davantage.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée,
+un mariage désiré qui se trouve rendu
+impossible par la volonté intransigeante des parents,
+ou par des circonstances indépendantes de toute
+volonté ou même c'est un vague et obscur besoin
+du mariage: pour suivre, en somme, les lois de la
+nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct
+de la maternité qui se rencontre chez la femme
+depuis son plus jeune âge, et se traduit, dans la première
+enfance, par le besoin de la poupée.</p>
+
+<p>Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement;
+puis, un jour, la «maladie» éclate, souvent
+à la suite d'une affection aiguë qui contribue à
+faire tomber brusquement la force de résistance du
+système nerveux.</p>
+
+<p>Si variés que soient les symptômes par lesquels
+le mal se traduit, la thérapeutique doit être la
+même. Elle consiste à ne pas aggraver la «maladie»
+par une médicamentation intempestive; ce ne sont
+ni les pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la
+douche froide qui pourront faire du bien à une
+jeune fille ainsi atteinte, ni même la suralimentation,
+malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut,
+c'est chercher la cause de la «maladie», et la supprimer
+ou l'amoindrir autant que possible.</p>
+
+<p>Quand c'est le surmenage physique, le repos
+absolu s'impose, et la jeune malade arrive très
+vite à la guérison. Quand le surmenage physique
+n'est pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus
+difficile que de doser le repos et l'exercice. Le
+plus souvent, le repos relatif est de rigueur. Dans
+d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en
+particulier, un exercice modéré, et même poussé
+assez loin, peut produire d'excellents effets. Le
+médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité
+de ce moyen thérapeutique, basera son jugement
+sur les résultats de l'enquête qu'il fera au sujet du
+passé de la malade, et il aura le droit de procéder
+par tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas
+graves où le repos absolu s'impose d'abord, rien
+n'est plus difficile que de doser l'exercice dès que
+la malade est capable de le supporter, mais le principe
+est de rester en deçà de ce que la malade peut
+donner.</p>
+
+<p>Quand la «maladie» de la jeune fille est due au
+milieu familial, le remède essentiel est de le lui
+faire quitter. Malheureusement, on attend souvent
+trop longtemps pour prendre ce parti radical; on
+attend que la vie soit devenue impossible, que la
+jeune fille ait perdu le sommeil, les forces, l'appétit,
+et soit dans un état d'excitation inquiétant.
+On l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie,
+où on lui impose le plus souvent, à
+notre avis, une séquestration trop radicale. Car la
+priver de toute visite, de toute correspondance,
+la soumettre à une discipline d'une sévérité exagérée,
+nous semble vraiment excessif. L'enfant se
+révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice
+relativement restreint. Elle prend sur elle pour
+simuler la guérison, et pour échapper à la tutelle
+des médecins; elle sort avec les apparences de la
+santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle
+retombe dans le milieu familial hostile, la «maladie»
+ne tarde pas à renaître de ses cendres, jusqu'au
+jour où une circonstance quelconque amène enfin
+un changement de vie radical, qui la guérit.</p>
+
+<p>Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible,
+d'éloigner l'enfant, de temps à autre, du milieu
+familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui qui est
+l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente,
+soit même à une garde bien choisie, jusqu'au
+moment où on trouvera à la marier, chose qu'il
+ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui,
+dans bien des cas, est le remède par excellence?
+Pendant les absences de la jeune fille, l'état nerveux
+du milieu familial lui-même se calme, ce qui
+rend la vie commune acceptable par intermittences.
+Loin de nous, cependant, l'idée de porter
+atteinte à l'esprit de famille en proposant pareille
+mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle
+et comme un pis-aller, préférable souvent
+à la maison de santé, et, en définitive, moins
+onéreuse.</p>
+
+<p>Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource
+de la séparation, même momentanée. Heureusement,
+chez eux, les contacts entre parents et
+enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a
+toujours une certaine indépendance; elle n'est pas
+soumise à une tyrannie de tous les instants. En
+outre, son système nerveux est moins vulnérable,
+de sorte que l'influence néfaste du milieu familial
+est rarement une cause de «maladie». Nous connaissons
+cependant de jeunes ouvrières dont la santé
+a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel
+elles étaient condamnées à vivre: père alcoolique,
+qui les battait au retour de l'atelier, mère ou belle-mère
+acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre victime résiste tant
+qu'elle peut, jusqu'au jour où
+elle quitte avec éclat la maison paternelle, à moins
+que, victime résignée, elle ne voie peu à peu
+s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi
+une proie toute désignée pour la tuberculose, qui
+met fin à ses misères; souvent aussi sa déchéance
+se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile
+d'aliénés lui ouvre ses portes.</p>
+
+<p>D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation
+contrariée qui met la jeune fille en état de «maladie».
+Il n'y a pas à se le dissimuler, quelle que soit
+l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité
+des vocations religieuses, lorsqu'une vocation est
+sincère, toutes les entraves qu'on lui apportera ne
+serviront de rien. La jeune fille souffrira, deviendra
+de plus en plus malade, et force sera un jour de
+céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames
+intimes et ignorés, qui torturent même les familles
+chrétiennes; et le résultat final a toujours été le
+même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle
+a eu gain de cause.</p>
+
+<p>Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait
+respectueusement, depuis trois ans, contre
+sa famille, pour obtenir l'autorisation d'entrer au
+Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé
+de «maladie», restant des huit et quinze jours sans
+garde-robe, malgré l'hygiène intestinale la plus
+soignée, ne pouvant plus lire ni supporter une conversation;
+elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait
+plus quitter son lit, tant les forces physiques
+étaient diminuées. Gravement préoccupé de l'issue
+de cette «maladie», dont je connaissais la cause, je
+crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant
+l'avocat de la malade. Or, dès qu'elle eut
+obtenu l'autorisation sollicitée depuis si longtemps,&mdash;et
+que, par parenthèse, elle avait cessé de
+demander depuis un an, pour ne pas torturer sa
+famille,&mdash;nous vîmes la santé revenir avec une
+rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se
+remirent à fonctionner, et, un mois après, la jeune
+fille entrait au Carmel. Quelle ne fut pas notre stupéfaction
+d'apprendre que, le troisième jour, elle
+lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie
+et de bonne humeur!</p>
+
+<p>Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité
+des parents, il faut que cette autorité sache
+s'effacer devant la volonté ferme, réfléchie, bien
+arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et
+ajoutons que l'intérêt l'exige.</p>
+
+<p>Les mêmes considérations s'appliquent au cas
+où une jeune fille veut, envers et contre tous,
+épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf
+fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de
+ses parents, qui ont l'expérience de la vie. Mais
+l'expérience est semblable à un habit fait sur mesure,
+et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait.
+Aussi, lorsque, malgré les sages raisonnements, la
+jeune fille s'obstine et s'entête, estimons-nous qu'il
+faut lui céder après un délai raisonnable. On doit
+haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne.</p>
+
+<p>Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la
+jeune fille est victime de son tempérament, qui ne
+trouve pas dans les joies de la famille une satisfaction
+suffisante: elle éprouve le <i>besoin</i> de se marier.
+C'est alors aux parents à l'aider dans son choix,
+car cet état d'âme peut amener la «maladie».</p>
+
+<p>Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit,
+avant de se marier, subir un traitement médical;
+car elle n'a pas le droit de se marier en état de
+«maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait
+pas. Or il faut bien savoir que, au début de la
+vie conjugale surtout, elle n'a pas le droit d'être
+malade. C'est donc une raison de plus pour la soigner
+avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette
+cure est des plus simples: la cause de la «maladie»
+ayant disparu, et le capital biologique n'étant pas
+encore gravement entamé, le rôle de la thérapeutique
+se réduit à peu de chose.</p>
+
+<p>II.&mdash;CHEZ LE GARÇON</p>
+
+<p>Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte,
+les influences capables d'amener la «maladie» sont
+également multiples. Signalons, parmi les principales
+:</p>
+
+<p>I. Le surmenage scolaire;</p>
+
+<p>II. L'abus des sports;</p>
+
+<p>III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes
+solitaires et prématuration).</p>
+
+<p>I. Que faut-il penser du surmenage scolaire,
+dont on a fait si grand bruit il y a quelques années?
+Les brillantes discussions de l'Académie de médecine
+n'ont pas empêché les programmes de se surcharger
+d'année en année; et ils se surchargeront
+encore davantage, cela est inévitable, c'est la loi
+même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir
+remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant
+surmenage ne nous effraie pas outre mesure,
+car il faut compter: 1° avec les nouvelles méthodes
+d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois;
+2° avec une adaptation du cerveau des générations
+actuelles et futures à un travail cérébral plus considérable.
+N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui
+rend si dangereux le travail cérébral chez les
+«déracinés» dont nous avons dit un mot au chapitre
+précédent?</p>
+
+<p>Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le
+meilleur des systèmes pédagogiques? Non. Le
+jeune homme ne travaille pas trop, mais il travaille
+mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne
+dort pas assez, et on n'a pas assez le respect de
+son sommeil: du sommeil qui dompte tout, suivant
+la forte expression d'Homère.</p>
+
+<p>Un groupe de médecins anglais vient de commencer
+une campagne de presse pour obtenir que
+l'élève des collèges anglais puisse dormir plus longtemps.
+Ils avaient été précédés dans cette voie par
+le Dr Chaillou<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5"><sup>5</sup></a>, directeur de l'hygiène d'un grand
+établissement d'instruction, qui dès 1903, a eu
+l'idée excellente d'installer, dans le pensionnat, ce
+qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là, les
+jeunes gens fatigués momentanément vont, tout
+simplement, se reposer suivant leurs besoins; et
+jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de
+dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats
+aux écoles, et que l'intelligente discipline générale
+de la maison est de nature à prévenir tout abus.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" name="footnote5"></a><b>Note 5:</b><a href="#footnotetag5"> (retour) </a> <i>Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans un
+grand collège moderne</i>, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut
+Pasteur. Paris 1903.</blockquote>
+
+<p>II. <i>Abus des sports</i>.&mdash;Si pour l'homme sain l'exercice
+est nécessaire à la santé, cet exercice, lorsqu'il
+est poussé à un degré excessif, devient un facteur
+important de «maladie».</p>
+
+<p>L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué,
+peut être poussé très loin sans provoquer d'accidents;
+c'est ainsi que, chez les professionnels des
+cirques, la santé se maintient excellente, comme
+j'ai pu m'en rendre compte par une enquête faite
+chez Barnum. Le médecin attaché à la troupe
+de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il
+n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre
+chirurgical.</p>
+
+<p>Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont
+<i>sélectionnés</i>, ce sont des professionnels: ils ne font
+pas autre chose que des tours de force; toute leur
+activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur
+ces questions d'exercice musculaire.</p>
+
+<p>Ajoutons que l'exercice est savamment gradué
+par des gens du métier, qui savent par expérience
+ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que
+les gens des cirques observent une sage hygiène;
+ils savent que tous les écarts se payent, et ils sont,
+à tous égards, d'une sobriété exemplaire.</p>
+
+<p>Tout autres sont les conditions dans lesquelles
+se trouve l'homme du monde qui fait du sport.
+Parfois il a une profession; c'est donc sur les
+loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil,
+qu'il prend le temps de faire les exercices qui
+le passionnent; quand il n'a pas de profession, il
+est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée
+plus haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux
+qu'en exercice physique.</p>
+
+<p>Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du
+sportsman, c'est le <i>sport</i>, c'est-à-dire l'émulation
+qui existe presque fatalement entre ceux qui s'occupent
+avec passion d'exercices physiques, et qui
+fait que chacun d'eux veut devancer son voisin.</p>
+
+<p>Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver
+au surmenage; ce qui le fatigue, c'est de voyager
+en compagnie d'autres camarades, à cause de
+l'excitation qui se communique des uns aux autres,
+et qui les porte tous à donner plus qu'ils ne peuvent.
+L'escrime, souvent, n'aurait pas sa raison d'être, sans
+le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le
+danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se
+rappeler qu'il est pris, en général, dans un air confiné,
+qu'il exige une dépense considérable d'influx
+nerveux, une tension permanente de l'esprit, un
+excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra
+que c'est plus un exercice cérébral qu'un
+exercice musculaire, et que les gens qui croient se
+reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime
+sont bien vite détrompés. Le sage est celui qui,
+désirant se reposer du travail cérébral par l'exercice,
+s'attache aux exercices qui ne demandent
+pas d'attention, aux exercices automatiques dans
+lesquels la moelle seule intervient; marcher, ou
+mieux encore courir suivant les bons principes,
+scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer,
+ramer, etc.</p>
+
+<p>L'automobilisme «tient le record» parmi les
+exercices qui épuisent le système nerveux; nous ne
+parlons pas, bien entendu, des hommes qui se servent
+de l'automobile comme d'un moyen de locomotion,
+mais de ceux qui en font un moyen de distraction.
+Quelques-uns arrivent à une mentalité
+toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore
+reçu de nom, et qu'on pourrait appeler la folie de la
+vitesse: quand ils sont sur leur machine, ils ne
+voient que le ruban de route qui se déroule devant
+eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne
+voient point, ils n'entendent point: ce sont des
+mangeurs de kilomètres, ce ne sont plus des
+hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a
+pas besoin d'émulation, il se suggestionne lui-même,
+et devient le propre artisan de son délire.</p>
+
+<p>Mais les dangers des sports deviennent encore plus
+considérables quand ils sont pratiqués par des organismes
+en voie de formation, par des jeunes gens,
+par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait
+soufflé un vent, venu d'Angleterre, qui avait
+véritablement tourné la tête à certains hommes
+s'occupant des problèmes de pédagogie,&mdash;ou plutôt
+qui avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues
+subissaient le courant. Ce qu'il y a de certain,
+c'est qu'on ne parlait plus, dans les établissements
+scolaires, que de sports et de gymnastique. La
+culture intellectuelle paraissait devoir être mise au
+second plan. Mais on n'a pas tardé à voir qu'il y
+avait abus. Les excellents travaux du Dr Lagrange
+et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans
+la <i>Ligue des Pères de Famille</i>, ont mis un frein à
+cet engouement, qu'on ne rencontre plus que dans
+quelques institutions où l'on s'obstine à imiter
+l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos
+petits Français ne sont pas des Anglo-Saxons. Je
+me demande d'ailleurs si les petits Anglo-Saxons
+eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient
+bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres
+au pas gymnastique, sans progression et
+sans entraînement préalable, comme je sais qu'on
+en impose aux enfants dans les institutions dont je
+parle.</p>
+
+<p>III. <i>Déviations de l'hygiène sexuelle</i>.&mdash;Tous les
+pédagogues et tous les pères de famille soucieux de
+l'avenir de leurs enfants sont, à juste titre, préoccupés
+de l'important problème de l'éducation
+sexuelle; mais tous sont loin de le résoudre dans le
+même sens. Les uns estiment qu'il ne faut rien
+dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les
+autres, qu'il faut au contraire aborder le redoutable
+problème en face, et le plus tôt possible. La
+vérité, comme en bien d'autres circonstances, se
+trouve entre ces deux extrêmes.</p>
+
+<p>Il est bien certain qu'il faut que, à un moment
+donné, le jeune homme soit averti des dangers qu'il
+court en s'abandonnant à des aberrations de l'instinct
+génésique, ou encore à l'usage prématuré des
+fonctions sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse
+de bonne heure le péril vénérien. Mais quels
+moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père
+de famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il
+a suffisamment gagné la confiance de ses enfants,
+et s'il se sent capable de cette mission délicate;
+dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille
+que doit être dévolu ce soin; et, dans les pensions,
+lycées, institutions, c'est encore au médecin de la
+maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des
+professeurs qui vivent le plus avec les élèves.</p>
+
+<p>Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement
+collectif? La tentative a été faite, récemment, dans
+plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer qu'elle
+est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute
+attente. Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives
+partisan plutôt de l'enseignement individuel,
+compris dans un sens libéral, sous forme de causerie
+du professeur avec un petit nombre d'élèves.</p>
+
+<p>Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder
+devant les enfants ces délicats problèmes, le rôle
+de l'éducateur doit se borner à exercer autour d'eux
+une surveillance assidue, et à retarder le plus possible
+l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire,
+il faut imposer à l'enfant de la fatigue physique,
+la pousser au maximum de la <i>tolérance</i>, dussent
+les études en souffrir momentanément. C'est de la
+bonne économie, sans cependant qu'on doive
+verser dans cet abus des sports que nous avons
+dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans
+tous les problèmes de l'hygiène, cette question de
+dosage, de mesure, qui comporte un nombre indéfini
+de solutions, d'après la variété des cas individuels.</p>
+
+<p>Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant
+à des aberrations de l'instinct sexuel sont moins
+grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont néanmoins
+considérables, et le capital nerveux de l'enfant
+est vite entamé par les habitudes vicieuses. De
+là ces formes vagues de neurasthénie avec difficulté
+pour le travail, timidité maladive, manque de
+confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés,
+amaigrissement, amoindrissement de la valeur du
+sujet. Un médecin éclairé ne s'y trompe pas. Il
+doit alors trouver moyen de prendre l'enfant à part,
+à la fin de la consultation, et lui dire à brûle-pourpoint,
+en le regardant fixement: «Mon ami,
+je sais la cause de votre mal!» Il faut ensuite
+provoquer quelques aveux <i>discrets</i>, et la consultation
+doit se terminer par une promesse formelle
+de l'enfant de se corriger. La psychothérapie, en
+ce cas, vaut mieux que les médications pharmaceutiques
+les plus savantes: elle manque bien
+rarement son effet et elle peut être grandement
+aidée, dans certains cas, par la psychothérapie
+hypnotique, dont nous parlerons plus loin.</p>
+
+<p>Quant au danger que fait courir la prématuration
+des fonctions sexuelles, c'est chose certaine que
+tout usage de ces fonctions devient un abus, tant
+que l'organisme n'a pas atteint son complet développement.
+L'être humain ne devrait aborder l'acte
+destiné à perpétuer la vie qu'à partir du moment
+où il est, lui-même, en pleine possession de toute
+sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence
+n'est pas préjudiciable. La question a été
+étudiée à fond, et résolue dans le même sens par
+les moralistes et par les hygiénistes. La continence
+n'est presque pas pénible, elle ne le devient que
+si des excitations factices ont éveillé de trop bonne
+heure l'instinct sexuel. Elle est recommandable au
+point de vue moral; elle entretient, chez le jeune
+homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer,
+«le respect de la femme»; et, à vrai dire,
+c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri des
+contaminations vénériennes.</p>
+
+<p>Le grand public commence à connaître le péril
+vénérien, et, surtout, à oser en parler. On ne saurait
+croire combien l'ingénieuse trouvaille de
+M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'<i>avarie</i> la
+plus redoutable des «maladies» vénériennes, la
+syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion publique.
+Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et
+nous aimerions aussi voir employer le terme de
+«petite avarie» pour désigner la blennorragie,
+dont les méfaits sont plus considérables que ne le
+croit le public, et même que ne le croient beaucoup
+de médecins.</p>
+
+<p>Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel
+les jeunes gens sont le plus souvent contaminés.
+Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier, c'est beaucoup
+plus tôt qu'on ne se le figure généralement;
+et non seulement à Paris, mais partout, ainsi que
+le démontrent les statistiques de <i>toutes</i> les armées,
+qui enregistrent beaucoup plus de «maladies» vénériennes
+à la première année de service qu'aux
+années ultérieures, parce que, parmi les malades
+enregistrés à la première année, figurent tous ceux
+qui étaient contaminés avant leur entrée au régiment.</p>
+
+<p>Nous ne saurions trop recommander à ce sujet
+la lecture et la méditation de l'excellente brochure
+du professeur A. Fournier: <i>Pour nos fils quand ils
+auront dix-huit ans</i>. En quelques pages s'y trouvent
+nettement indiquées, et sans aucune exagération,
+la gravité du péril vénérien, la conduite à
+tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour
+l'éviter. Cette brochure est bonne à lire, elle est
+nécessaire et suffisante aux conférenciers qui veulent
+répandre la vérité.</p>
+
+<p>Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de
+la syphilis. C'est toujours une «maladie» grave, quelquefois
+elle est très grave, et cela dès les premiers
+mois qui suivent son apparition. Elle se traduit
+alors par les plus importants symptômes de la
+déchéance organique, céphalée violente, anémie
+aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile
+de dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital
+biologique un déchet énorme. Heureusement le
+traitement mercuriel intensif est là pour réparer,
+dans une certaine mesure, le désastre.</p>
+
+<p>D'autres fois, la syphilis amène chez le malade
+de telles préoccupations morales qu'elle devient un
+danger imminent. L'angoisse peut même conduire
+au suicide. Il faut que le médecin et le père de
+famille connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner
+la victime, dans la mesure nécessaire. Mais
+dans tous les cas la syphilis, cause d'amoindrissement
+énorme de la valeur du sujet, devra être
+traitée énergiquement, dès le début et pendant un
+temps prolongé,&mdash;au moins quatre ans,&mdash;par des
+traitements successifs.</p>
+
+<p>Chez la jeune fille, la syphilis est également à
+redouter. Nombre de jeunes filles de la classe
+ouvrière connaissent tout ce qui est relatif aux
+questions vénériennes; elles n'en ignorent que le
+danger. C'est à leur usage que j'ai écrit naguère
+une petite brochure intitulée: <i>Pour nos filles</i>. Les
+services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas
+comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente
+brochure du professeur Fournier; et si je la
+mentionne, ce n'est certes point par une enfantine
+vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a
+affirmé qu'il était bon de la faire connaître.</p>
+
+
+
+
+
+<p>III&mdash;CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.&mdash;
+«MALADIES» ACCIDENTELLES</p>
+
+<p>C'est à dessein que nous plaçons ces observations
+à la suite de l'étude consacrée aux jeunes
+garçons, car les jeunes filles, entourées de soins à
+l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de
+«maladies» accidentelles. Chez le jeune homme, au
+contraire, plus ou moins mal surveillé, plus ou
+moins surmené par un travail cérébral auquel son
+cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou
+par le travail musculaire, pour lequel ses muscles,
+encore en état de développement, ne sont pas suffisamment
+préparés, la flore microbienne trouve un
+excellent terrain de culture. Nous ne pouvons pas
+passer en revue la pathologie de cet âge; faisons
+seulement remarquer que la «maladie» accidentelle
+ou bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat
+définitif sur un organe quelconque (endocardite
+du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que,
+à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement
+prolongé ou définitif de la valeur
+du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les
+jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une
+convalescence franche, sans ébranler l'organisme;
+à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme
+est doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement.</p>
+
+<p>Exception doit être faite pour la tuberculose;
+c'est, par excellence, la «maladie» de l'âge adulte.
+Contractée, le plus souvent, dans la plus tendre
+enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les
+mauvaises conditions de milieu, la misère physiologique,
+le surmenage, mettent le terrain en état
+de moindre résistance. De là son maximum de
+fréquence de dix-huit à trente-cinq ans.</p>
+
+<p>De cette conception, qui n'est pas encore classique,
+mais qui commence à pénétrer dans les
+esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher,
+et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la
+tuberculose dans l'armée, découle la véritable prophylaxie
+de la tuberculose. C'est en vain que l'on
+dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des
+sanatoria; le sanatorium ne convient qu'aux riches.
+C'est peut-être un bon instrument de cure: sûrement
+ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas «ce
+n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre
+la tuberculose en tant que «maladie» sociale» (Grancher).
+Voyez, en effet, ce qu'il faudrait pour qu'un
+sanatorium populaire donnât un rendement social
+appréciable! Il faudrait: 1° à l'entrée du sanatorium,
+un dispensaire de dépistage pour ouvrir la porte
+aux seuls malades légèrement atteints; 2° pendant
+le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de
+secours pour sa femme et ses enfants; 3° à la
+sortie du sanatorium, la double ration de repos et
+la demi-ration de travail pendant un temps presque
+illimité! Le Congrès de la tuberculose de 1905
+a d'ailleurs sonné le glas sur les sanatoria
+populaires, et les médecins de tous les pays, dans
+une heure de sens commun et de clarté, ont voté
+la même formule: «En fait de tuberculose, la
+préservation domine l'assistance.» Nous serons
+moins sévères dans notre appréciation des dispensaires:
+ils peuvent rendre quelques services pour
+l'éducation populaire; mais les véritables oeuvres
+de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les
+oeuvres de préservation, celles qui arrachent un
+enfant sain d'un milieu contaminé; ce sont les
+oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints
+de tuberculose locale et non contagieuse; ce sont
+les colonies de vacances, etc. Ce sont, surtout, les
+diverses oeuvres sociales luttant contre la misère:
+car la misère est le grand, le plus grand facteur
+de la tuberculose.</p>
+
+<br><br><br>
+
+<h3>DEUXIÈME PARTIE</h3>
+
+<br><br>
+
+
+<h4>CHAPITRE I</h4>
+
+
+<h4>MATURITÉ</h4>
+
+<p>Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine
+possession de tous ses moyens, son capital a été
+progressivement amélioré et lui rapporte de gros
+intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le
+faire valoir, d'obtenir de lui son rendement
+maximum.</p>
+
+<p>L'ère des ménagements est passée, il faut à tout
+prix que l'homme travaille et produise. On l'alimentera
+en conséquence: la dépense étant considérable,
+il faudra que l'aliment soit réparateur. Le
+point essentiel est de ne pas dépasser la dose des
+dépenses, d'utiliser le capital, mais non de l'amoindrir,
+de chauffer la machine, sinon à blanc, du
+moins à la température maxima tolérée, pour ne
+pas l'user trop vite, et surtout pour ne pas la faire
+éclater. Il faut, en somme, que l'homme produise;
+et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne
+ferait que s'empêcher de mourir. Bien plus; de
+même qu'un capitaliste avisé, quand il possède
+beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce
+qu'on appelle de la «surface», n'a pas peur, de temps
+à autre, de risquer une somme raisonnable dans
+une affaire qui n'est pas de tout repos; de même
+l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas
+craindre, à certains moments, de se dépenser un
+peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène, à la
+condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni
+trop prolongé, et qu'une période de repos succède
+à cette période de travail intensif. (De là la
+nécessité des vacances et du repos hebdomadaire).</p>
+
+<p>Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous
+croyons qu'il est bon que l'homme actif, intelligent,
+bien portant, donne de temps à autre ce
+qu'on appelle un «coup de collier», quitte à
+réparer sa dépense excessive par un repos plus ou
+moins prolongé, mais quel est le critérium? à
+quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas
+dépassé la mesure de ses forces, et qu'il ne court
+pas à la banqueroute?</p>
+
+<p>Le principe général est qu'il faut arriver aux confins
+de la fatigue, mais ne jamais atteindre la
+fatigue douloureuse. Quand il s'agit de travail
+musculaire, le critérium est relativement facile à
+trouver. On est averti qu'on a dépassé la mesure
+de ses forces par deux symptômes caractéristiques:
+la diminution d'appétit et la diminution de
+sommeil.</p>
+
+<p>Cette donnée pourrait même rendre de grands
+services aux chefs militaires, dont l'idéal, très
+légitime, est de faire produire à la machine
+humaine son maximum de rendement, sans épuiser
+cependant les forces des soldats. Malheureusement,
+quelques-uns d'entre eux confondent l'entraînement
+et l'épuisement; ils arrivent à avoir
+des troupes qui n'ont pas de valeur réelle, tout en
+ayant les apparences de la force. Ces troupes, qui
+se sont présentées sous le plus bel aspect à des
+manoeuvres de quelques jours, seraient incapables
+d'entrer en campagne et de supporter des fatigues
+prolongées. Si les chefs de corps avaient eu la
+précaution de s'enquérir de la façon dont les
+soldats mangent, ou de <i>voir</i>, après une marche
+prolongée, comment ils mangent, de surveiller de
+temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui
+recueille tous les restes des repas, ils auraient vu
+que le travail excessif se traduit par une baisse
+dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans les
+chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à
+la suite de fatigues excessives les hommes ne
+dorment pas bien. Et rien ne les empêcherait, d'ailleurs,
+de prendre parfois l'avis de leurs médecins.</p>
+
+<p>Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème,
+d'autant que, chez l'homme qui a subi un
+entraînement méthodique, la sensation de <i>fatigue</i>
+disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la
+fatigue. L'épuisement, chez lui, se traduit exclusivement
+par la diminution du poids, de l'appétit
+et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire
+en particulier, par l'apparition des «maladies»
+dites accidentelles.</p>
+
+<p>Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit
+que de dépenses musculaires, il devient plus complexe
+encore quand il s'agit de dépenses cérébrales.
+Voici un commerçant obligé de brasser de grosses
+affaires. Il est réveillé, le matin, par le téléphone
+voisin de son lit; pendant toute la journée, il n'a pas
+un quart d'heure de tranquillité; il sent peser sur lui
+des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une
+série d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant
+viennent s'ajouter des chagrins de famille, etc.,
+voici notre homme qui, tout d'un coup, tombe dans la
+«maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener
+le déclanchement: c'est une émotion un peu violente,
+c'est une perte d'argent, c'est une «maladie»
+infectieuse plus ou moins légère, qui ouvre la
+brèche, et voilà la «maladie» installée!</p>
+
+<p>Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme?
+A-t-il eu, depuis dix ans qu'il surmène son cerveau,
+un avertissement quelconque lui indiquant qu'il
+dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à
+pleines mains dans un capital insuffisamment réparé
+chaque jour? Oui, le plus souvent! C'est, par
+exemple, un vertige qui est apparu, à un moment
+donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on
+pourrait appeler «un avertissement sans frais»,
+il aurait immédiatement diminué le travail, ou
+même l'aurait suspendu pendant quelques jours.
+Mais il n'en a pas tenu compte, il a pensé que <i>ça
+passerait</i>. D'autres fois, c'est une sorte d'endolorissement
+de la tête, non pas passager, mais permanent,
+qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements
+de l'oreille gauche. (Cette prédominance
+des bourdonnements à gauche, de la diminution de
+l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les
+phases de la «maladie».) D'autres fois encore, c'est
+une sorte de sensation de fatigue permanente,
+exagérée surtout le matin, avec diminution d'appétit,
+constipation, autrement dit avec les petits
+symptômes de la grande «maladie». Il est tout à fait
+exceptionnel que le krach se produise sans de tels
+phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant,
+et c'est chez les natures les plus admirablement
+douées en apparence.</p>
+
+<p>Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel
+et musculaire à la fois, il réalise les conditions
+les plus parfaites pour arriver à l'épuisement
+rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement
+contre le préjugé des gens du monde, qui
+se figurent que l'exercice musculaire repose du travail
+cérébral, et que le surmené cérébral doit, pour
+bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette,
+de la marche forcée, à ses moments disponibles. C'est
+là une erreur énorme dont la pédagogie commence
+à faire justice. Certes il est des hommes, admirablement
+doués, qui peuvent supporter une dépense
+considérable à la fois au point de vue musculaire
+et au point de vue cérébral: mais ce qu'il faut bien
+se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers
+symptômes du surmenage, on doit aussitôt
+réduire la dépense totale, et la dépense musculaire
+en particulier; à ce prix seulement on aura chance
+d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre
+sur nous, de la «maladie».</p>
+
+<h4>CHAPITRE II</h4>
+
+
+<h4>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»</h4>
+
+<p>Plusieurs fois déjà, dans le cours de ce travail,
+j'ai eu l'occasion de parler de la «maladie», sans
+préciser le sens exact que je donnais à ce mot. Mais
+le moment est venu de tenter, sinon une définition
+scientifique de la «maladie»,&mdash;définition aussi
+impossible que celles, par exemple, de la richesse,
+de la vertu, ou de la beauté,&mdash;tout au moins une
+explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette
+chose indéfinissable; des principaux caractères qui
+lui sont propres; et des traits qui la distinguent de
+ces manifestations pathologiques bien déterminées
+que l'on appelle communément les «maladies», et
+que j'appellerais volontiers des «accidents», par
+opposition à la nature plus générale, plus profonde,
+et infiniment plus complexe, de la «maladie».</p>
+
+<p>Voici quatre personnes qui, dans une même
+après-midi, se présentent à ma consultation. Ce
+sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc
+pour l'affirmer <i>a priori</i>. Mais voyons ce que nous
+enseignera l'étude détaillée, et surtout réfléchie, de
+chacune de ces quatre personnes, qui paraissent se
+ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une
+avec l'autre absolument rien de commun. L'une
+est grande et forte, l'autre petite et malingre; l'une
+est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante. Les
+souffrances que chacune accuse sont tout à fait différentes,
+de l'une à l'autre; les causes qui ont paru
+engendrer ces souffrances semblent opposées: chez
+l'une l'excès de fatigue, chez une autre l'excès d'oisiveté,
+etc.</p>
+
+<p>Essayons à présent d'approfondir un peu notre
+investigation. Ah! ce n'est pas un mince travail
+que d'étudier un malade, de fouiller son hérédité,
+de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire
+même de sa conception, de noter tous les incidents
+pathologiques de son enfance, de sa jeunesse, de
+son adolescence, d'apprécier son degré de santé
+pendant les périodes qui ont séparé ces divers incidents,
+de se reconnaître au milieu du luxe de
+détails avec lequel il décrit ses misères, en un
+mot de reconstituer à la fois le bilan complet de
+son état présent et le tableau du chemin qu'il a suivi
+pour y parvenir. Mais cette étude méticuleuse est
+nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible,
+pas de traitement rationnel; d'elle seule pourra
+résulter la connaissance véritable du malade, c'est-à-dire
+l'appréciation de ce qu'il vaut, du point
+précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute
+que ce n'est que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines
+et des centaines de malades que l'on commence
+à avoir une idée nette de ce que c'est que
+la «maladie».</p>
+
+<p>Voici donc une première malade, que je connais
+depuis cinq ans. C'est une femme de trente-deux
+ans, dont on devine dès le premier abord la vivacité
+d'intelligence, et avec laquelle le médecin
+comprend tout de suite,&mdash;à sa grande satisfaction,&mdash;qu'il
+va pouvoir causer utilement.</p>
+
+<p>L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital
+initial excellent: un grand-père paternel mort à
+soixante-quinze ans, asthmatique, la grand'mère
+paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté
+de l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de
+tares transmissibles: le grand-père mort à soixante-quinze
+ans, la grand'mère vivant encore à quatre-vingt-deux
+ans. Il est vrai que l'hérédité directe est
+peut-être un peu moins parfaite. Le père de
+Mme X... est mort à cinquante-deux ans, d'une affection
+cérébrale, après avoir toujours été très nerveux.
+La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à
+se bien porter, à la condition de s'écouter vivre.</p>
+
+<p>Ce capital initial a été bien géré pendant les
+premières années de la vie. Nourrie au sein,
+Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable
+divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole,
+la varicelle. A huit ans, cependant, s'est produit un
+épisode plus important: une jaunisse, qui a duré
+un mois, et qui semble indiquer que le système
+digestif était, chez cette malade, le point faible. Un
+médecin avisé, qui l'aurait suivie de près depuis
+lors, n'aurait pas manqué de remarquer qu'elle
+était, si l'on peut dire, une candidate à la dyspepsie.</p>
+
+<p>Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X...
+n'eut aucun phénomène grave, d'origine stomacale
+ou intestinale: mais elle avait de petits symptômes,
+un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la
+constipation, etc... Et, malheureusement pour elle,
+ces petits symptômes ont passé inaperçus. L'enfant
+a été soumise, dans un couvent, à l'alimentation
+des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par
+conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour
+mettre en bon état son système nerveux abdominal,
+qui, sans protestations graves, fonctionnait
+déjà d'une façon défectueuse.</p>
+
+<p>De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux
+cérébral qui, seul, paraissait défectueux. Dès
+l'âge de onze ans, elle avait des tristesses vagues,
+des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer.</p>
+
+<p>A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait
+cet état de mélancolie. D'un caractère inégal,
+la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise, acceptant
+péniblement toute discipline.</p>
+
+<p>A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un
+violent chagrin; et cet assaut ébranla si fortement
+son système nerveux que, six semaines après, sans
+cause connue, sans refroidissement préalable, elle
+dut garder le lit pendant un mois, pour une «maladie»
+qualifiée «rhumatisme mono-articulaire», mais
+avec prédominance de symptômes nerveux graves
+(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se
+remit vraiment de cette crise qu'un an après,
+lorsque des projets de mariage opérèrent en elle
+une sorte de dérivation.</p>
+
+<p>Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à
+retomber dans le même état nerveux, auquel se
+joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie
+lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement,
+et l'immobilisant pendant quelques heures.
+Puis vinrent des crises de nerfs, le plus souvent
+nocturnes, avec angoisses précordiales terribles,
+peur de toutes les «maladies», etc...</p>
+
+<p>C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte;
+et, pendant la grossesse, elle se porta admirablement.
+Mais, aussitôt après sa délivrance, l'estomac,
+qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que par
+des phénomènes insignifiants, entra définitivement
+en scène: perte absolue d'appétit, crampes, gastralgie.
+Puis, l'année suivante, ce fut le tour de
+l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt
+apparition de selles noires, survenant trois à quatre
+fois par jour avec fortes coliques, et qui durèrent
+quatre mois. A la fin de cette période, l'état général
+était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment
+compromise.</p>
+
+<p>Heureusement une année passée dans l'isolement,
+et suivie d'une cure dans un sanatorium de
+Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis
+la malade pour la première fois, un an après son
+retour de Suisse, voici les principales constatations
+que je pus faire:</p>
+
+<p>Céphalée permanente,&mdash;picotement des yeux,&mdash;sciatique
+gauche survenant au moment des
+règles,&mdash;inquiétudes vagues,&mdash;peur de mourir
+subitement,&mdash;trois heures à peine de sommeil
+dans les meilleures nuits. L'estomac et l'intestin
+laissaient également à désirer: appétit nul, alternatives
+de diarrhée et de constipation.</p>
+
+<p>L'examen des organes me démontra qu'il n'y
+avait rien à la poitrine, mais qu'au coeur existait
+un souffle, au premier temps, à la base, perceptible
+seulement dans la position horizontale; ventre
+plat, peu élastique, sonorité basse et égale. La
+malade, qui pesait 50 kilogrammes à dix-huit ans,
+n'en pesait plus que 46.</p>
+
+<p>Voilà donc une jeune femme qui a toutes les
+apparences extérieures d'une personne très souffrante,
+et dont la vie est empoisonnée par une
+série ininterrompue de misères variées. Et cependant
+l'histoire même de ces misères prouve qu'il
+n'y a point chez elle d'organe particulièrement
+atteint, et que le capital biologique est, au fond,
+moins mauvais qu'il ne paraît l'être. Mon premier
+soin fut de la rassurer, notamment sur l'état de son
+coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait
+fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire
+un estomac, par un régime sévère, puis de plus
+en plus large. Je dirigeai son hygiène musculaire,
+intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans
+où je m'étais borné, en somme, à faciliter le retour
+à l'équilibre du système nerveux, Mme X... se vit
+délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée
+enfin à une vie des plus supportables.</p>
+
+<p>Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on
+Elle avait, sous une forme spéciale, ou plutôt sous
+plusieurs formes, ce que j'appelle la «maladie».
+Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux
+qui, chez elle, fléchissait. Tout son système nerveux
+était malade, et chacun de ses centres, tour
+à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation
+de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade,
+le centre le plus atteint était celui qui préside aux
+fonctions digestives; mais, si je m'étais limité à ne
+soigner que celui-là, toute ma peine aurait risqué
+d'être perdue. Il fallait, derrière les symptômes
+locaux, atteindre le trouble général; il fallait
+dépasser les incidents pour parer à la «maladie».</p>
+
+<p>Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez
+qui les manifestations morbides n'ont certainement
+rien de commun avec celles que je viens de
+signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui,
+lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait
+progressivement maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes,
+sans autre cause connaissable que certaines
+influences morales. Elle ne se plaignait de
+rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle
+l'était, puisqu'elle maigrissait sans cesse, puisqu'elle
+avait le teint terreux et la peau rugueuse, puisque
+ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas
+de lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre:
+mais toute l'apparence d'une grande malade.</p>
+
+<p>Pourtant, après un examen plus approfondi,
+j'augurai bien de l'avenir, parce que le capital
+initial était assez bon, parce que Mlle T... n'avait
+pas eu de graves assauts dans son enfance,
+enfin parce qu'elle était jeune, et malade depuis
+peu de temps. Et le fait est qu'un traitement très
+simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par
+jour, puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord
+sans viande, puis avec un plat de viande à midi,
+et 30 injections de cacodylate de magnésie), amena
+un résultat extraordinaire: réapparition des règles,
+augmentation du poids, disparition de la rugosité
+cutanée, relèvement de l'appétit, etc.</p>
+
+<p>C'est que cette malade, qui ne présentait aucun
+trouble nerveux, n'en était pas moins une «nerveuse».
+Toutes ses misères ne venaient, comme
+chez Mme X..., que d'un ébranlement du système
+nerveux; quand ce système se trouva modifié, par
+le repos, le régime et la psychothérapie, la malade
+guérit.</p>
+
+<p>Elle revint alors dans son pays; six mois après,
+elle allait très bien, mangeant de tout, pesant
+58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois
+plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin
+la mine sourdement; elle redevient «malade»,
+maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans
+accuser la moindre douleur, et sans ressentir
+aucune souffrance. Un jour, le 25 décembre 1903,
+elle est tellement épuisée qu'elle a une syncope
+grave, et que son entourage est convaincu qu'elle
+va mourir. J'avoue que moi-même, quand je la vis
+alors avec le Dr C..., je fus épouvanté, malgré la
+bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique.
+C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle
+n'avait plus qu'un souffle de vie.</p>
+
+<p>Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je?
+En juin 1904, elle fit une pleuro-pneumonie. Deux
+mois après, dès qu'elle fut transportable, elle
+voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois
+mois, aux injections d'huile créosotée. En octobre
+1904, elle avait définitivement retrouvé sa santé.</p>
+
+<p>Comment douter que toutes les souffrances de
+cette jeune fille aient été surtout d'origine nerveuse?
+Et cependant voilà un cas où la perturbation
+du système nerveux central s'est traduite par
+des phénomènes qui n'avaient rien de ce que les
+neurologistes constatent d'ordinaire. Et c'est bien
+le système nerveux cérébral qui était en cause,
+chez cette malade: car ses deux grandes crises
+morbides n'ont absolument pas eu d'autre cause
+que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans
+manifestations nerveuses. Tout à fait comme
+Mme X..., malgré la dissemblance des symptômes,
+c'était une «malade», c'est-à-dire une personne
+dont le capital nerveux s'était trouvé entamé.</p>
+
+<p>Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite
+par des phénomènes cardiaques. Chaque fois
+qu'il y a eu chez le malade une défaillance du système
+nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner
+normalement, à tel point que tous les
+médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le traitaient
+infailliblement par la digitale et la caféine.</p>
+
+<p>En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même
+un faux cardiaque: c'est simplement un «malade»
+chez qui le système nerveux qui préside aux mouvements
+du coeur est plus spécialement impressionnable.</p>
+
+<p>Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un
+rhumatisme (sans endocardite), chaque fois qu'il y
+a eu un assaut quelconque dans la santé du malade,
+le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite
+d'une bronchite grippale, je constatai, pour la
+première fois, de l'arythmie, et un souffle au
+2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce souffle
+persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois,
+il est imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est
+d'une netteté extrême: si bien que plusieurs médecins
+ont affirmé une lésion de la valvule de l'aorte.</p>
+
+<p>Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z.
+n'a jamais de pouls bondissant, et de nombreux
+tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange, démontrent
+qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand
+M. Z... va bien, son coeur va bien: quand il va
+mal, quand il se surmène, ou éprouve une émotion
+vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise
+par les manifestations les plus variées: syncopes,
+arythmie, fausses angines de poitrine.</p>
+
+<p>M. Z... est un de ces hommes qui sont faits
+pour le travail intensif: chez lui, quelle que
+soit l'énormité du travail, il n'y a jamais de
+surmenage cérébral; mais c'est un <i>sensitif</i>, que
+le surmenage émotionnel guette à tout instant.
+En 1898, à la suite d'émotions vives, tout son
+système nerveux entre en révolte: le système
+digestif (dyspepsie, constipation, etc.), le système
+nerveux central (insomnie absolue, tristesse, pâleur
+insolite, épuisement des forces). En même temps
+la glycosurie fait son apparition (10 grammes de
+sucre par litre). Enfin les troubles du coeur atteignent
+une intensité extrême et défient tous les
+traitements classiques (digitale, spartéine, bromures,
+etc.).</p>
+
+<p>Désirant me voir avant de mourir, le malade me
+fit appeler le 28 avril 1898, et me raconta les soucis
+qui l'avaient accablé. Ces soucis étaient, sans
+aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une
+psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un
+régime alimentaire très modéré, réussit parfaitement
+à remettre le malade sur pied. Les deux
+années qui suivirent furent même excellentes.</p>
+
+<p>En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le
+trouble cardiaque, avec même, cette fois, un pouls
+bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous la direction
+du Dr Lagrange, produit un très bon résultat.
+En 1903, ni le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons
+plus le souffle coutumier.</p>
+
+<p>Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle
+émotion, reparaissent l'arythmie, le souffle, la glycosurie:
+de nouveau, une saison à Vichy supprime
+tout cela.</p>
+
+<p>En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles
+contrariétés, l'ébranlement du système nerveux se
+traduit par un lumbago, mais surtout par une
+anesthésie de la main et de la joue droites, qui
+effraie beaucoup le malade. Je le rassure encore,
+je le renvoie à Vichy, d'où il revient en parfait
+état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans,
+toujours avec une activité dévorante.</p>
+
+<p>C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux
+malades précédents, est simplement un «malade»,
+avec cette particularité que c'est sur le coeur que
+se portent de préférence, chez lui, les plus importantes
+manifestations de la «maladie».</p>
+
+<p>Dans les trois observations que je viens de citer,
+c'était tel ou tel département du système nerveux
+qui manifestait plus spécialement les souffrances de
+l'être entier, et les périodes de malaise étaient séparées
+par des périodes de santé, tout au moins relative.
+Voici maintenant un cas où tous les éléments
+du système nerveux sont tellement excités que la
+«maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans
+qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission,
+depuis l'époque où le système nerveux a été
+ébranlé,&mdash;c'est-à-dire depuis l'âge de huit ans,&mdash;jusqu'à
+l'âge de la cessation des règles. La malade
+dont je vais parler a été vraiment, pendant plus de
+trente ans, un parfait musée pathologique. Mais,
+malgré mille misères qui se succédaient chez elle
+comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais
+désespéré de sa survie, ni de sa guérison, à cause
+même de la mobilité et de la variété des manifestations
+morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité
+des organes.</p>
+
+<p>La «maladie» de cette personne a commencé à
+huit ans, à la suite d'une fièvre typhoïde grave.
+Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par des
+migraines très intenses et très fréquentes; mais
+dès l'apparition des règles, aux migraines se sont
+jointes des douleurs d'estomac et de la constipation.
+Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral
+a manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements
+d'oreilles, etc. Deux ans après, c'est le
+tour de la moelle: douleurs rhumatismales et
+névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois
+ans, le système nerveux cardiaque donne sa note
+dans le concert: syncopes qui durent de dix
+minutes à une demi-heure, avec perte complète de
+connaissance.</p>
+
+<p>En octobre 1889, une crise gastralgique survient,
+qui se prolonge pendant trois jours consécutifs.
+L'année suivante, c'est une douleur intercostale
+gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs
+jours; mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement
+libre, les vertiges, la céphalée, ont disparu.
+En 1893, apparaît une dermalgie qui occupe
+les deux bras. Puis voici que la fièvre survient:
+la malade a jusqu'à 40°, sans cause connue, à
+l'époque de ses règles. En 1895, se produit un état
+de péritonisme,&mdash;avec douleurs très vives dans
+l'estomac et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,&mdash;qui
+semble mettre la vie en danger.
+Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant
+les dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement,
+de 93 à 87 kilogrammes.</p>
+
+<p>L'année suivante fut très bonne. Le sommeil
+revint, l'estomac rentra dans l'ordre, la malade
+put croire que ses misères allaient prendre fin.
+Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de
+froid l'intestin à son tour se met de la partie:
+fausses membranes dans les selles, coliques, diarrhée
+et faux besoins d'exonération extrêmement
+pénibles. L'appendice même paraît touché: il y a
+une douleur très nette au point de Mac Burney. Un
+autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées,
+selles décolorées, fièvre; mais la menace ne
+persiste que quatre jours. En 1900, ulcère de l'estomac,
+vomissements noirs. La même année, je note
+une sorte d'inhibition du fonctionnement de la
+jambe droite, qui, à un moment donné, deux ou
+trois fois par mois, refuse tout service, au point
+que la malade tombe brusquement. Enfin, cette
+même année, se déclare un oedème des jambes, disparaissant
+après la marche;&mdash;c'est là un phénomène
+que j'ai souvent observé chez les «malades»
+dits <i>arthritiques</i>.</p>
+
+<p>Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904;
+la malade était, suivant son expression, un «faisceau
+de douleurs», mais elle avait un excellent
+moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle
+reviendrait à la santé. Or, le fait est que, depuis la
+fin de 1904, en même temps que disparaissaient
+ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon
+surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie,
+définitivement délivrée de toutes ses misères,
+promène joyeusement ses 105 kilogrammes et se
+déclare enchantée de vivre.</p>
+
+<p>C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses,
+même quand elle présentait les symptômes
+les plus inquiétants, cette personne n'était
+ni une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale,
+ni une gastrique, ni une cardiaque, mais simplement
+une «malade» à manifestations cérébrales,
+médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant
+les longues années où je lui ai donné des soins,
+toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à essayer
+de dynamiser son système nerveux, et de le
+dynamiser tout entier, sans presque chercher à
+atteindre, en particulier, tel ou tel de ses centres
+qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai
+eu le bonheur de deviner que cette personne
+avait les apparences de trop de «maladies» pour en
+avoir la réalité; et, de fait, quand son système
+nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la
+véritable «maladie» a aussitôt amené la guérison
+de toutes les pseudo-affections qui n'en étaient que
+le contre-coup.</p>
+
+<p>Le trouble du système nerveux central peut
+encore se traduire par les symptômes qui caractérisent,
+de la façon la plus formelle, des «maladies»
+organiques. J'ai parlé déjà, plus haut, de ce
+malade qui avait toutes les apparences d'une lésion
+du coeur, sans avoir le coeur lésé. On sait que,
+par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule les
+«maladies» organiques les plus variées. Les hystériques
+peuvent présenter les symptômes de la
+méningite, de la grossesse, voire même des «maladies»
+les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu
+un jeune soldat qui offrait tous les signes de la sclérose
+en plaques. Après trois mois d'examen, on a
+fini par le réformer; or, ce n'était qu'un hystérique.
+Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur:
+car on ne simule pas les symptômes de la sclérose
+en plaques!</p>
+
+<p>Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique,
+j'exprime mal ma pensée. En réalité, c'était un
+«malade». Je l'ai suivi pendant longtemps, après
+son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut
+plus le moindre phénomène médullaire; mais il
+eut de la dyspepsie, et j'ai su que, dans son enfance,
+il avait eu d'autres manifestations de ce que j'appelle
+la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée
+de sa vie, quand il s'est agi pour lui de faire
+son service militaire, que la «maladie» s'est traduite,
+pendant quelques mois, par ces troubles de
+l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler
+hystérie.</p>
+
+<p>Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux
+que j'ai cités suffiront, je crois, à donner une
+idée de ce que j'entends, à proprement parler, par la
+«maladie». D'une façon générale, je veux dire
+que la «maladie» embrasse tout le domaine pathologique
+qui n'appartient pas à ce qu'on pourrait
+appeler les «accidents»&mdash;accidents qui vont
+depuis les fractures et les intoxications jusqu'à
+des lésions d'organes (cancer, hémorragies cérébrales,
+etc.), en passant par toute la série des
+affections à microbes, connus et inconnus.&mdash;Au-dessous
+de ces «accidents» s'étend une série indéfinie
+de troubles pouvant revêtir toutes les formes
+et donner même l'illusion de toutes les «maladies»
+organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que
+d'origine nerveuse (en donnant à ce mot toute
+l'extension qu'il comporte), ainsi que cela apparaît
+clairement pour peu que l'on considère leurs causes,
+leur marche et leur terminaison. Dans la «maladie»
+rentrent donc toutes les névroses; la folie quand
+elle n'est pas produite par des lésions du cerveau,
+l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie,
+les algies, tous les troubles fonctionnels des
+divers organes, <i>tant que ces troubles fonctionnels
+n'ont pas amené de lésion des organes</i>.</p>
+
+<p>Les médecins voient quotidiennement la «maladie»
+sous une de ses formes préférées. C'est la
+forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le
+nom d'«embarras gastrique», synonyme d'embarras
+de diagnostic. Dans cette affection, il ne
+faut pas croire que le système nerveux soit indemne;
+les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges,
+souvent des bourdonnements d'oreille, un état de
+fatigue générale du système musculaire, de l'insomnie,
+de la difficulté pour lire, pour supporter une
+conversation; ils ne souhaitent que le repos et
+la tranquillité. Si on les leur accordait, si une
+médication perturbatrice n'intervenait pas, si on
+graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait,
+en général, aucune complication; et après
+quinze jours, un mois, ils reviendraient peu à peu
+à la santé<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6"><sup>6</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" name="footnote6"></a><b>Note 6:</b><a href="#footnotetag6"> (retour) </a> La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise urinaire.
+Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois
+même urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre,
+claires et abondantes. En même temps la température tombe,
+pendant deux ou trois jours, au-dessous de la normale, le sommeil
+reparaît, l'appétit également, et tout rentre dans l'ordre.</blockquote>
+
+<p>Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le
+mode chronique; et c'est pendant des mois et des
+années que l'on voit tout le système organique
+compromis dans son fonctionnement. Le système
+nerveux, l'estomac, l'intestin, laissent à désirer
+d'une façon à peu près égale. C'est chez ces grands
+malades qu'on est en droit de se demander si c'est
+le cerveau qui tient sous sa dépendance les troubles
+nerveux de l'estomac ou de l'intestin, ou si c'est
+l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle manière
+de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique
+exclusive: on s'acharne à remédier aux troubles
+du système nerveux, en négligeant les troubles
+digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a
+tort. Pour faire de la bonne thérapeutique, il faut
+<i>à la fois</i> soigner le cerveau, l'estomac, l'intestin,
+la moelle, le malade entier, en un mot, tout en
+recherchant, si possible, quel est le système le
+plus compromis et dont le fonctionnement laisse le
+plus à désirer.</p>
+
+<p>C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais,
+maintenant, rechercher les causes les plus
+habituelles, avant d'en indiquer, dans ses grandes
+lignes, le mode de traitement: traitement qui doit
+être toujours <i>général</i>, puisque toujours la «maladie»,
+même quand elle ne se traduit que par des
+troubles locaux, est, par son essence, d'ordre
+général.</p>
+
+<p>Quant au traitement particulier des «maladies»
+accidentelles, il va sans dire que je n'aurai pas à
+m'en préoccuper dans ce travail.</p>
+
+<h4>CHAPITRE III</h4>
+
+
+<h4>LES CAUSES DE LA «MALADIE»</h4>
+
+<p>I.&mdash;CAUSES PHYSIQUES</p>
+
+<p>Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers
+toutes les circonstances de sa vie qui compromettent
+sa valeur, soit momentanément, soit d'une
+façon définitive et irrémédiable. Elles varient à
+l'infini; l'homme heureux seul n'a pas d'histoire, et
+l'homme heureux est un être de raison, qui n'existe
+pas dans la réalité.</p>
+
+<p>Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer
+que ce n'est pas le surmenage cérébral, ni le
+surmenage musculaire, ni même les vices d'alimentation,
+le défaut de confort, l'aération insuffisante,
+etc., qui constituent les grands facteurs de
+la «maladie»: c'est le surmenage émotionnel, c'est le
+chagrin,&mdash;l'influence psychique, en un mot.</p>
+
+<p>Cependant les autres influences morbigènes
+méritent une mention détaillée. Je les rapporterai
+aux trois chefs suivants:</p>
+
+<p>I. Surmenage cérébral.</p>
+
+<p>II. Surmenage musculaire.</p>
+
+<p>III. Alimentation défectueuse ou insuffisante.</p>
+
+<p>1° <i>Surmenage cérébral</i>.&mdash;Le cerveau est fait
+pour fonctionner, comme le coeur est fait pour
+battre; et il est bien rare que le travail cérébral, à
+lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une
+cause de détérioration profonde, et surtout de
+déchéance définitive. C'est bien plutôt un élément
+de survie prolongée.&mdash;Voyez cet écrivain qui, à
+l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner
+le monde par les productions de son génie; il n'a
+jamais cessé de travailler, et il a pu faire les frais,
+à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet
+âge, est presque toujours fatale. Quel est donc son
+secret? Son secret, c'est de n'avoir aucune préoccupation
+étrangère à son travail; c'est d'avoir une
+femme qui pense pour lui à tous les détails de la
+vie; c'est d'avoir une excellente hygiène morale,
+la paix du coeur et de l'esprit.</p>
+
+<p>Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail
+cérébral insuffisant, et tout le monde sait que
+les désoeuvrés sont bien à plaindre. Ce sont des
+coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre
+sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils
+lui doivent; mais ce sont aussi des malheureux,
+car la «maladie» les guette. Le désoeuvré accidentel
+lui-même, habitué à un travail cérébral considérable,
+s'il est condamné trop longtemps au repos
+de l'esprit, sent qu'il lui manque quelque chose: il
+perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de
+reprendre le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire
+que l'air respirable.</p>
+
+<p>Quand, cependant, le travail cérébral est poussé
+à une limite véritablement excessive, il amène aussi
+ce que nous avons appelé la «maladie», c'est-à-dire
+la détérioration, quelquefois définitive ou prolongée
+pendant des années. On en voit des exemples
+chez les candidats aux écoles, à l'internat, à
+l'agrégation, etc. On serait porté à croire, <i>a priori</i>,
+que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe
+surmené; c'est vrai quelquefois, mais pas toujours,
+même quand elle est de cause cérébrale, elle peut très
+bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de l'entérite,
+tout comme si elle avait été produite par une
+intoxication. Il faut toujours en revenir aux notions
+que nous avons développées au chapitre précédent:
+à la notion des points faibles, et à la variété
+des manifestations par lesquelles l'organisme traduit
+le malaise causé par une influence déterminée.</p>
+
+<p>2° <i>Surmenage musculaire</i>.&mdash;Il n'amène qu'exceptionnellement
+la «maladie». Chez le surmené
+musculaire, quelques jours ou quelques semaines
+de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions
+d'aplomb; et l'on ne saurait se figurer le rendement
+dont est capable la machine, quand, par
+ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la
+dépense cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers
+italiens produire un travail musculaire véritablement
+colossal, tout en ayant une alimentation très
+restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une
+fois par semaine, eau claire), et ce, sans le moindre
+préjudice pour leur santé. Ils se contentaient du
+salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal
+venu de proposer à nos ouvriers français.</p>
+
+<p>Il est cependant incontestable que le travail musculaire,
+poussé à de trop grands excès, peut devenir
+une cause de «maladie» momentanée, et préparer le
+terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous
+en avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement
+dans l'armée, et des sports chez les jeunes gens.</p>
+
+<p>3° <i>Vices d'alimentation</i>.&mdash;Ils jouent un rôle
+important dans la pathogénie de la «maladie», d'autant
+que, en dehors des cas d'intoxication aiguë,
+ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement, insidieusement.
+Le plus souvent, en effet, l'estomac et
+l'intestin ne se révoltent qu'après de longues années
+de protestations presque silencieuses. Mais, à partir
+du jour de cette révolte, la «maladie» est constituée. Les
+symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus
+souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour
+surprendre, puisque c'est l'estomac qui a été, dans
+ces cas, le plus spécialement molesté. Cependant,
+dans certains cas, les troubles dyspeptiques passeront
+à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement
+le diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique
+qui n'a, pour un examinateur superficiel, que des
+troubles cérébraux; il peut très bien se faire qu'il
+ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître
+par un bon régime. Dans ce cas, les phénomènes
+gastriques étaient au second plan pour le clinicien,
+alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au
+premier plan. Si donc le clinicien veut être bon
+thérapeute, il doit se rappeler les grandes lois que
+nous avons déjà formulées: s'il traite comme cérébral
+un sujet dont la «maladie» a été provoquée par
+des troubles alimentaires, il fait fausse route; de
+même qu'il ferait fausse route en traitant comme
+dyspeptique un sujet ayant des misères gastriques,
+intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique
+aurait été occasionné par du surmenage cérébral,
+médullaire, émotionnel.</p>
+
+<p>Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation
+défectueuse retentit sur l'ensemble de
+l'organisme.</p>
+
+<p>On a fait grand bruit, ces derniers temps, de
+l'auto-intoxication d'origine alimentaire; et beaucoup
+de médecins s'obstinent à ne voir dans la
+«maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout
+quand elle revêt la forme nerveuse, qu'une sorte
+d'empoisonnement de la cellule cérébrale par les
+toxines alimentaires.</p>
+
+<p>C'est là une hypothèse assez commode, et qui
+rend compte d'un nombre considérable de faits:
+mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et ne
+pouvant pas être démontrée par des observations
+véritablement scientifiques. On pourrait tout aussi
+bien expliquer les phénomènes rapportés à l'auto-intoxication
+par l'irritation que provoque, sur le
+plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore
+par l'irritation des extrémités nerveuses du pneumo-gastrique.
+On sait que ce nerf étend ses ramifications
+sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on
+s'expliquerait ainsi les irradiations à distance provoquées
+par l'irritation stomacale: la dyspnée,
+l'asthme, les fausses cardiopathies, etc.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation
+peuvent incontestablement provoquer, à eux seuls,
+la «maladie». Mais, le plus souvent, ils s'associent
+à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage,
+à la débauche, etc.</p>
+
+<p>Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se
+classer en quatre catégories distinctes:</p>
+
+<p>I. Alimentation excessive en quantité.</p>
+
+<p>II. Alimentation insuffisante en quantité.</p>
+
+<p>III. Alimentation insuffisante en qualité.</p>
+
+<p>IV. Abus de l'alcool.</p>
+
+<p>I. <i>Alimentation excessive</i>.&mdash;Nous ne voulons
+pas nous étendre ici sur les inconvénients, vraiment
+assez connus, de l'alimentation excessive. Disons
+seulement que l'alimentation excessive empoisonne
+peut-être la cellule nerveuse par les toxines alimentaires,
+mais que sûrement elle impose aux organes
+chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un travail
+exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de
+là, à la longue, le surmenage et les protestations
+de ces divers organes, se traduisant de mille et une
+façons (eczéma, urticaire, gravelle, etc.). Cette
+manière de voir donne satisfaction aux partisans
+de l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la
+théorie de l'irritation du pneumo-gastrique, ou
+du plexus solaire, on peut également comprendre
+comment cette irritation, presque permanente,
+des nerfs de l'estomac par une alimentation incendiaire,
+amène, par action réflexe, des troubles de
+coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon
+(asthme, dyspnée), du cerveau et de la moelle,
+voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi,
+d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la
+fois? ce ne serait, en tout cas, pas déraisonnable.</p>
+
+<p>Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose <i>optima</i>
+d'aliments qui convient pour entretenir la vie et
+pour réparer les dépenses incessantes de l'organisme?
+Elle doit varier, évidemment, suivant le
+travail produit, et suivant les individus. Tous n'ont
+pas le même besoin d'alimentation, pas plus que,
+dans un régiment de cavalerie, tous les chevaux
+n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient
+obligés aux mêmes dépenses musculaires. On a
+essayé de fixer mathématiquement ce qu'on appelle
+la «ration d'entretien» et la «ration de travail»;
+et les différents chimistes qui se sont livrés à ce
+calcul sont arrivés à des chiffres qui variaient du
+simple au quadruple: mais tous s'accordent pour
+démontrer qu'il faut <i>très peu d'aliments</i> pour subvenir
+à la «ration d'entretien», et même à la «ration
+de travail», de l'homme. La vérité est que nous
+mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la
+machine humaine soit bien admirablement construite
+pour qu'elle résiste aux assauts quotidiens
+que nous lui imposons.</p>
+
+<p>Comme ce problème de la ration physiologique
+m'a toujours intéressé, je me suis livré à une
+enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme
+que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est
+pour rien dans leur morbidité. Ils ont beaucoup
+moins de jours d'indisponibilité que la plupart des
+autres hommes du même âge, meurent plus vieux,
+et s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les
+Trappistes, le régime fort sévère n'est pas une
+cause de morbidité; j'ai même été étonné, à leur
+propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain,
+et de constater qu'un homme habitué à manger
+comme tout le monde pouvait, d'un jour à l'autre,
+sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint
+d'une Trappe.</p>
+
+<p>Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint
+chez les individus qui dépensent beaucoup?
+Oui, je l'ai étudié dans l'armée<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7"><sup>7</sup></a>, et j'affirme, au nom
+d'une expérience de deux années, pendant lesquelles
+je me suis occupé de l'alimentation du soldat avec
+un colonel qui avait, de ce grave problème, tout le
+souci qu'il mérite, que, si le soldat français, le seul
+que je connaisse, avait la quantité et la qualité des
+aliments auxquels il a droit de par les règlements,
+et si ces aliments étaient préparés comme ils devraient
+et comme ils pourraient l'être dans toutes les garnisons,
+sa nourriture serait tout à fait suffisante.
+Elle n'est un peu au-dessous des besoins que pour
+les jeunes soldats, pendant les trois premiers mois
+de la nouvelle existence qui leur est imposée; aussi
+les officiers soucieux de la santé de leurs soldats
+réservent-ils pour les nouveaux arrivants les <i>boni</i>
+qu'ils ont pu réaliser sur les hommes dits «de la
+classe».</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" name="footnote7"></a><b>Note 7:</b><a href="#footnotetag7"> (retour) </a> <i>La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de médecine
+légale</i>, février 1890).</blockquote>
+
+<p>Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des
+guides alpins, qui, non seulement, les jours d'excursion,
+se contentent d'une alimentation extrêmement
+réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits
+secs), mais, en temps ordinaire, mangent très peu,
+pour conserver leurs forces. Les professionnels du
+sport, également, savent que la sobriété est la condition
+de leur succès.</p>
+
+<p>Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs
+années, des soins à une dame qui, avec toutes les
+apparences de la santé, était constamment souffrante:
+migraines, eczéma, urticaire, affections
+cutanées polymorphes, palpitations, dyspnée,
+insomnies, caractère inquiet, émotivité exagérée,
+sensation de fatigue permanente, tendance à l'obésité,&mdash;et
+j'en passe, pour ne pas faire le tableau
+complet de ce qu'on est convenu d'appeler la
+«grande neurasthénie». Chose curieuse, elle avait
+peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation
+et des hémorroïdes. Elle avait même un
+vigoureux appétit, bien qu'elle prît fort peu d'exercice.
+En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation:
+précisément à cause de cet appétit de premier
+ordre, elle ne voulait pas entendre parler de
+régime restreint. Mais voici que l'adversité s'abattit
+sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en
+fut réduite à ne plus manger que des pommes de
+terre cuites dans le four d'un petit poêle en
+faïence, et des haricots; un demi-litre de lait
+était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce
+jour, elle alla bien. Toutes ses misères disparurent
+successivement, en trois ou quatre mois,
+y compris les misères nerveuses et les migraines;
+et force me fut d'attribuer au seul changement de
+régime la surprenante modification de sa santé.
+Car on croira peut-être que, pressée par le besoin,
+elle s'est mise à marcher davantage, pour chercher
+du travail, ou pour se créer des relations? Non,
+elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des
+relations quand on est dans l'extrême détresse; et
+je lui procurai un travail sédentaire, qui consistait
+à faire des adresses sur des bandes, pour un grand
+magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est
+pas, non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a
+pu modifier avantageusement sa mentalité. En
+dehors de ses douze heures de travail quotidien,
+elle avait des préoccupations angoissantes, qui
+auraient suffi pour ébranler un système nerveux
+moins équilibré. C'est donc bien uniquement, toute
+analyse faite, à la restriction du régime, et à cet élément
+seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je
+pourrais, là encore, multiplier les exemples: mais
+aucun ne peut être plus typique que celui que je
+viens de relater à grands traits.</p>
+
+<p>Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation
+insuffisante.</p>
+
+<p>II. <i>Alimentation insuffisante en quantité</i>.&mdash;Tout
+le monde connaît les désastres occasionnés par les
+famines qui sont encore, hélas! trop fréquentes en
+Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous
+estimons que personne ne doit avoir une alimentation
+insuffisante, et que c'est une honte pour une
+société civilisée d'avoir un seul de ses membres
+manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à
+proclamer que ce déshérité aurait, dans ce cas, le
+droit absolu de prendre ce qui est indispensable à
+sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre
+si un jour la capricieuse fortune venait à lui sourire.
+C'est d'ailleurs la doctrine de l'Église, nettement
+formulée par saint Thomas, et très bien
+expliquée dans un livre récent (<i>Socialisme et Christianisme</i>)
+de l'abbé Sertillanges, professeur de
+philosophie à l'Institut catholique. Mais laissons
+là ces considérations d'ordre social, renonçons au
+délicat plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers
+adjacents, et reprenons notre grande route! Ce
+qui est sûr, c'est que le problème de l'insuffisance
+d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez
+les gens bien portants; notre état social n'étant pas
+aussi détestable que se plaisent à le dire quelques
+pessimistes, ou encore quelques jouisseurs, qui
+semblent n'avoir pour but que de semer la haine
+par leurs discours et par leurs écrits. En France,
+personne ne meurt de faim, et bien peu de gens
+sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant donné
+le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter.</p>
+
+<p>Là où le problème de l'insuffisance alimentaire
+devient, pour le médecin, d'une douloureuse perplexité,
+c'est quand il s'agit de malades ne pouvant
+ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence
+rien digérer, vomissant tout ce qu'ils
+prennent, arrivés au dernier degré de la consomption,
+n'urinant presque plus, restant des semaines
+entières sans aller à la garde-robe, ne dormant
+plus, ne pouvant plus ni lire, ni supporter une
+conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu
+de ces grands malades sans lésions organiques,
+auxquels il est très difficile de faire du bien, et
+auxquels on fait trop facilement du mal par une
+intervention intempestive. Est-il admissible que la
+vie persiste dans ces conditions déplorables, et
+faut-il, oui ou non, forcer ces malades à manger?</p>
+
+<p>Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance
+du système nerveux, en domptant sa révolte,
+on arrive à des résultats remarquables. Chez de
+grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une
+seule application de la sonde oesophagienne suffit
+pour faire renaître l'appétit, et rendre à l'estomac la
+tolérance qu'il avait perdue depuis longtemps. Le
+plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard,
+est celui d'une jeune femme mariée à un capitaine
+au long cours. Dès le lendemain du mariage, il l'emmenait
+en voyage de noces à San Francisco, en
+passant par le détroit de Magellan, sur un navire
+à voiles. Pendant ce voyage, qui dura six mois, la
+jeune femme commença à éprouver divers symptômes
+morbides. Elle en arriva à être gravement
+atteinte, et on dut la faire revenir, par les voies les
+plus rapides, de San Francisco à Paris, où elle
+désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je
+trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes
+les apparences d'une tuberculeuse avancée; l'auscultation
+ne révélait cependant rien. Pendant les
+trois premières semaines de son séjour à Paris,
+elle avait une inappétence absolue, ne tolérait aucun
+aliment, pas même le lait coupé, et était dévorée
+par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La température
+s'abaissait à 40° le matin. Bien que la
+chaleur de la peau fût mordicante, bien que la
+malade n'eût aucun intérêt à me tromper puisque
+c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je
+me refusai à croire à la possibilité d'une fièvre
+aussi ardente et aussi continue. Je m'attachai à
+vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin
+les indications thermométriques; elles étaient parfaitement
+exactes. C'est alors que, en désespoir de
+cause, voyant que ni la quinine en injections ni
+les lotions fraîches ne modifiaient cette température,
+je me décidai à recourir aux lumières du
+Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je ne
+trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement
+pas d'impaludisme; nous sommes donc
+en présence d'une de ces hyperthermies comme on
+en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le
+plus pressé est d'empêcher cette femme de mourir
+de faim, et, puisqu'elle ne peut pas manger, il faut
+la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et,
+après cinq repas assez copieux donnés à la sonde,
+la malade retrouva l'appétit, la fièvre tomba, le
+sommeil revint. Deux mois après, elle pouvait
+quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais
+une lettre m'annonçant la naissance d'un enfant.
+Suivant la formule traditionnelle, la mère et l'enfant
+se portaient bien.</p>
+
+<p>Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce,
+le professeur Delorme m'invita à voir l'un de ses
+malades, opéré depuis dix jours, et qui, depuis, ne
+voulait pas manger. Il était guéri de son opération,
+n'avait aucune fièvre, aucune lésion organique,
+mais il se refusait obstinément à avaler quoi que ce
+fût. C'était probablement le choc opératoire qui
+avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de
+certain, c'est qu'il maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai
+pas, alors, à lui donner du premier coup, par
+la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance
+possible, un repas complet; dès le même
+soir, il demandait à manger, et, s'étant mis à digérer,
+il était guéri. Huit jours après, il sortait de
+l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que,
+chez les aliénés, il ne soit du devoir strict du
+médecin de prolonger l'alimentation à la sonde
+aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après
+s'être toutefois bien enquis du fonctionnement du
+système digestif. Il y a là de grosses difficultés
+cliniques.</p>
+
+<p>D'une façon générale, cependant, nous hésitons
+toujours à employer ce moyen brutal qu'est la
+sonde oesophagienne; le plus souvent, quand l'alimentation
+est indiquée pour une grande neurasthénique
+qui ne veut ou ne peut pas manger, nous
+la lui imposons par suggestion à l'état de veille.
+Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La
+vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut
+alimenter. La responsabilité du médecin est, quelquefois,
+bien gravement engagée dans ce problème.
+S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même
+par suggestion ou par persuasion, il risque de
+donner à sa malade une indigestion formidable,
+avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il
+risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de
+vie qui soutiennent l'existence de la malade. Étant
+donné ce que nous avons dit du peu d'aliments
+qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à
+redouter d'une alimentation intempestive, nous
+croyons qu'il faut patienter le plus possible, et ne
+donner à ces malades que le régime ultra-restreint,
+sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage,
+toujours prêt à se figurer que la malade
+va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand, par
+une alimentation restreinte mais bien conduite, on
+a été assez heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,&mdash;et
+on y arrive toujours,&mdash;alors seulement
+on alimente plus généreusement.</p>
+
+<p>Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder
+habituelle de nos confrères renommés pour
+le traitement des grandes névroses; mais nous ne
+pouvons pas admettre que tous les malades, quel
+que soit le degré de leur «maladie», soient justiciables
+d'un même procédé thérapeutique, et que, après six
+jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise
+de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils
+mangent et qu'ils digèrent n'importe quoi. Ils mangeront
+peut-être, mais tous ne digéreront pas.</p>
+
+<p>III. <i>Alimentation insuffisante en qualité</i>.&mdash;Si
+l'insuffisance alimentaire quantitative joue, dans
+la pathogénie de la «maladie», un rôle relativement
+minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance
+qualitative; et la défectueuse qualité des
+aliments est un ennemi de tous les jours, d'autant
+plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On ne
+saurait croire combien les aliments les plus usuels
+sont frelatés. Si une chimie bienfaisante permet,
+par-ci par-là, de découvrir quelques fraudes, il est
+une chimie malfaisante qui fait tous les jours des
+progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous
+en doutions. Bientôt le dictionnaire des falsifications
+alimentaires atteindra le volume du Bottin.
+Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se
+mettent aussi de la partie, et, par les procédés de
+congélation, en particulier, on arrive à jeter sur
+les marchés des aliments de belle apparence, mais
+qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante.
+Prenons, à titre d'exemple, les poissons de
+mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans un
+port de mer, par la vue de gros blocs de glace que
+des pêcheurs emportaient avec eux. Ces blocs ne
+me disaient rien qui vaille; et j'appris, en effet, que
+ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours, et
+que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson,
+ils le mettaient dans la glace: de telle sorte que ce
+poisson congelé arrive sur nos marchés avec bel
+aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires
+avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état
+d'aliment toxique.</p>
+
+<p>Certains procédés de stérilisation sont également
+vus d'un mauvais oeil par l'hygiéniste. Pour
+les conserves de viande, notamment, on sait les
+préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire;
+et le problème vient seulement d'être résolu,
+grâce au zèle d'une commission composée de nos
+plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en
+bactériologie qui ont travaillé pendant de longs
+mois.</p>
+
+<p>Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est
+pourquoi il est si souvent un breuvage meurtrier,
+non seulement pour les enfants, mais même pour
+les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié,
+ou adultéré spontanément, qu'il est, chez les
+malades, d'un emploi si délicat. Remarquez que
+nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si le
+lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas
+parce qu'il est altéré, c'est parce qu'il est trop riche
+en crème, ou pris en trop grande quantité, c'est
+aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple
+bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou
+s'en abstenir, sans poursuivre le projet insensé de
+vaincre l'intolérance des malades. A cela on y
+arrive parfois, quand le malade est complaisant,
+mais le plus souvent on échoue.</p>
+
+<p>Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons,
+mollusques, viandes, provoquent des empoisonnements
+dont on néglige souvent de chercher
+la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la
+fièvre typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre
+ces deux extrêmes, toutes les variétés cliniques se
+rencontrent. D'autres fois, ils empruntent le masque
+du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que
+le traitement consiste à attendre que l'économie soit
+débarrassée de ces poisons (diète absolue d'abord,
+puis tisanes et repos); quant à chercher à favoriser
+l'élimination des poisons par des purgatifs ou des
+vomitifs, c'est très légitime en théorie, mais, en
+fait, très dangereux, car on ajoute ainsi un élément
+de perturbation qui aggrave parfois grandement
+l'état morbide.</p>
+
+<p>Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication
+alimentaire n'occasionne qu'à la longue la perturbation
+du système digestif; et c'est alors qu'il est si
+difficile de rapporter les effets directs et éloignés
+de cette perturbation à leur cause véritable.</p>
+
+<p>IV. <i>Alcool</i>.&mdash;Certes, l'alcool et toutes les boissons
+distillées, quelque pompeuse que soit l'étiquette
+de leur flacon récepteur, constituent un aliment
+meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en
+leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence
+pour la mémoire de Duclaux, qui a excité de
+si vives polémiques en écrivant que l'alcool était
+un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme
+sont de ceux que déplorent tout hygiéniste et tout
+bon citoyen; aussi ne saurait-on encourager trop
+les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de tempérance,
+etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts
+contre les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache
+aux conditions économiques de la société?
+L'alcoolisme durera aussi longtemps que l'impôt sur
+l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté
+à l'État 358 392 000 francs (et dans ce chiffre
+ne sont pas compris les droits sur les vins, cidres,
+bières, etc.); aussi longtemps que la puissance
+électorale du marchand de vin; aussi longtemps
+que le malaise de l'ouvrier, poussé au cabaret par
+la destruction du foyer et l'insalubrité du logis...</p>
+
+<p>Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant
+sincèrement le succès des généreux efforts des
+ligues anti-alcooliques, de conserver un reste de
+pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool
+un oubli momentané aux misères humaines. C'est
+souvent leur malheur, et non leur faute, s'ils tombent
+dans la dégradation progressive qu'on déplore
+à trop juste titre.</p>
+
+<p>Mais autant est légitime la campagne contre les
+boissons distillées, autant, à notre avis, les boissons
+fermentées devraient trouver grâce devant la
+rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la
+ligue anti-alcoolique française, pour ne parler que
+d'elle, compromet d'une façon irrémédiable le
+résultat qu'elle poursuit, si elle continue à proscrire
+les boissons <i>fermentées</i>. Qu'un intellectuel
+dyspeptique ne tolère pas une goutte de vin à ses
+repas, c'est chose possible, et il fera bien de s'en
+abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre,
+c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a
+quelques années, on pouvait dire qu'un litre de vin
+représentait 100 grammes de mauvais alcool; mais
+depuis la surproduction des vignes françaises, et
+depuis qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin
+est devenu une boisson hygiénique, quand elle est
+prise à petite dose par des gens dont l'estomac n'est
+pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait
+mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en
+chambre, de dépenser à l'achat d'aliments azotés,
+ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense à acheter
+du vin; mais que deviendrait la vie si elle était
+soumise aux tyrannies des théoriciens hygiénistes?</p>
+
+<p>Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter
+que le vin entrât dans la ration réglementaire.
+Presque tous apprécient énormément le vin,
+et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du
+chef qui leur octroie aimablement un quart de litre
+de vin. Malheureusement, il ne faut pas songer
+avant longtemps à introduire l'usage régulier du
+vin dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on
+voulait se rappeler que, chaque fois qu'on augmente
+d'un centime par jour la dépense du soldat français,
+le budget se trouve grevé d'un million par an, on
+mettrait fin du coup à toutes les discussions, plus
+ou moins intéressées, qui font perdre à nos législateurs
+un temps précieux.</p>
+
+<p>Un esprit chagrin pourrait nous répondre que
+l'eau stérilisée que l'on donne aux soldats coûte
+plus cher que le vin, si l'on tient compte du prix
+d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du
+combustible, et surtout de la répugnance invincible
+qu'ont les soldats à boire cette eau cuite, presque
+toujours tiède malgré les soins qu'on met à la
+refroidir après la stérilisation; mais nous aurions
+mauvaise grâce à nous associer à ces critiques. Il
+ne faut décourager les efforts de personne.</p>
+
+<p>Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une
+boisson recommandable pour l'adulte valide, chez le
+malade le vin et les autres boissons fermentées
+sont, en général, de véritables toxiques; et c'est
+par la suspension du vin qu'il faut commencer le
+traitement de tous les dyspeptiques. Mais quand
+l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit d'aider
+à la reconstitution du système nerveux, le vin
+devient un adjuvant utile; et non pas sous une forme
+pharmaceutique quelconque, mais sous la forme de
+bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin d'Algérie,
+du Midi, etc.).</p>
+
+<p>En résumé, les erreurs de l'alimentation sont
+essentiellement regrettables, comme le sont toutes
+les erreurs contre la véritable hygiène; elles entrent
+pour une bonne part dans la genèse de la «maladie»;
+mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées
+à fond, tandis que les influences qui nous restent
+à passer en revue agissent plus profondément
+encore, d'une manière plus insidieuse et plus malfaisante;
+et leur rôle pathogénique n'est, en général,
+pas apprécié à sa juste valeur. Nous voulons
+parler des influences morales.</p>
+
+<p>II.&mdash;CAUSES MORALES</p>
+
+<p>Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence
+du moral sur le physique; mais, malgré les
+travaux de divers philosophes, les médecins en général
+ne connaissent pas encore assez cette influence
+du moral, et ne lui attribuent pas assez d'importance.
+En réalité, elle joue un rôle énorme, et dans
+presque tous les cas elle se rencontre, pour qui
+sait la chercher. Malheureusement, pour faire de
+semblables enquêtes, il faut beaucoup de temps,
+il faut que le médecin devienne le confident, l'ami
+de son malade, et qu'une regrettable suspicion de
+l'entourage ne l'empêche pas d'accomplir son
+oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin ait des
+qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la
+pensée du sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre
+à mots couverts.</p>
+
+<p>Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales
+de «maladie» sont multiples, et peuvent être rapportées
+aux quatre grands chefs suivants, que nous
+classons par ordre d'importance effective, sans
+aucune prétention psychologique:</p>
+
+<p>1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au
+jeu, etc., ambitions déçues.</p>
+
+<p>2° Influences qui compromettent, par une action
+lente et continue, la quiétude de l'âme (passions
+contrariées, chagrins d'amour).</p>
+
+<p>3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés
+par l'éloignement ou la perte d'êtres
+aimés).</p>
+
+<p>4° Choc moral et choc traumatique.</p>
+
+<p>1° <i>Pertes matérielles</i>.&mdash;Les pertes de fortune,
+les changements de situation, sont des facteurs
+moins importants qu'on ne se le figure d'ordinaire,
+relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois
+le premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez
+vite aux nouvelles conditions d'existence qui leur
+sont faites, si elles n'ont pas, par ailleurs, à s'alarmer
+pour leurs enfants, et si elles sont préalablement
+bien portantes. On pourrait paraphraser la
+pensée d'Horace, en disant: <i>Sanum et tenacem
+impavidum feriunt ruinae</i>. C'est ainsi qu'on a pu
+définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»;
+et c'est peut-être la meilleure définition qu'on en
+ait donnée.</p>
+
+<p>Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains
+cas, les perturbations dans la situation sociale,
+les pertes d'argent, provoquent des assauts considérables,&mdash;que
+le médecin doit savoir deviner,&mdash;
+capables de produire la «maladie», et surtout de
+l'aggraver quand elle existe déjà à un degré quelconque.
+Voyez ce diabétique qui, d'un jour à
+l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez
+bien: c'est souvent parce qu'il a eu, la veille,
+une perte d'argent.</p>
+
+<p>Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes
+qu'une perte survenue accidentellement ou par
+imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une
+influence morbide considérable. Le joueur, en
+effet, vit dans un milieu anti-hygiénique; il joue,
+le plus souvent, la nuit, et se prive de sommeil;
+en outre, son surmenage émotionnel est doublé de
+surmenage cérébral; bref, la funeste habitude du
+jeu mérite une place d'honneur parmi les causes
+morales pathogènes.</p>
+
+<p>Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie
+avec les pertes au jeu. Ici l'enjeu, au lieu d'être
+une somme d'argent, est un grade, une décoration,
+un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue
+quelquefois une importance qui nous fait sourire,
+mais qui, cependant, lui tient grandement au coeur:
+car tout est relatif dans la vie, et l'ambition déçue
+après de longs efforts, après des tentatives souvent
+répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie».
+Qui ne connaît, dans son entourage, un officier
+navré d'avoir à prendre sa retraite sans avoir
+obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait
+le malheur d'une famille, et son propre malheur,
+au point d'en perdre la santé, ou quelquefois la
+vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais
+c'est de cette nourriture que vivent les hommes.</p>
+
+<p>2° <i>Influences qui compromettent la quiétude de
+l'âme</i>&mdash;Les unes agissent par leur continuité: ce
+sont les coups d'épingles incessants dans un ménage
+où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles
+de famille quotidiennes, l'impossibilité de
+fuir un milieu où l'on ne se sent pas à l'aise. C'est
+le fait d'être souvent en butte aux taquineries ou
+aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend
+pas, d'avoir à subir l'autorité malveillante d'un
+parent, d'une mère. La victime se trouve tiraillée
+à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion
+plus ou moins forte du devoir, et, d'un autre,
+poussée à la révolte par les vexations, réelles ou
+imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice incessant
+finit par «énerver»,&mdash;c'est le mot qu'on emploie
+journellement,&mdash;autrement dit, finit par amener
+la «maladie», à un degré variable: et l'une de ses
+formes les plus connues s'appelle le délire de la
+persécution, quand le trouble mental domine la scène
+morbide. Mais, si l'on étudie de près un «persécuté»,
+on verra bien vite qu'il n'est pas malade
+que de la tête; il digère mal, il est constipé, il
+maigrit, il a souvent des battements de coeur, de la
+dyspnée, la peau sèche, etc., etc.; toutes ses fonctions
+sont en délire. Tout est fou chez l'aliéné,
+parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand
+malade».</p>
+
+<p>D'autres fois, c'est une passion vive, intense,
+qui compromet l'équilibre de la santé. La passion
+amoureuse mérite, à ce titre, d'être signalée au
+premier rang; nous en avons dit un mot déjà, à
+propos de la jeune fille: mais ici nous l'étudions
+dans sa forme ardente, fougueuse, la forme
+qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le
+système nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie,
+qui peut se traduire par la production
+de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de
+<i>Tristan et Yseult</i>, ou comme la <i>Nuit d'Octobre</i>,
+mais qui amène souvent, chez celui qui en est
+victime, une perturbation générale de la santé,
+quand un obstacle d'ordre moral ou matériel
+empêche cette passion de se satisfaire. La victime
+perd alors le sommeil, s'agite dans le vide,
+est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet
+les fonctions digestives; l'estomac entre en
+scène, le cercle vicieux s'établit; la «maladie» est
+constituée. Elle durera tant que durera sa cause,
+ou qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté
+le remède efficace. Bien souvent, d'ailleurs, le
+temps seul est le remède; et il faut savoir attendre,
+sans imposer au malade une médication perturbatrice,
+qui aggraverait son état.</p>
+
+<p>Lorsque la victime est obligée de garder pour
+elle son secret, sans pouvoir le communiquer à un
+confident, sa situation est encore plus lamentable.
+Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là
+l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer confiance à son malade et à provoquer
+chez lui des confidences, qui le soulagent
+plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité.</p>
+
+<p>Combien de femmes sont malheureuses en
+ménage sans que personne s'en doute! Elles dissimulent
+avec un soin jaloux à leur famille, à leurs
+amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et
+combien leur misère n'est-elle pas atténuée quand
+elles peuvent confier leur chagrin à un homme de
+bon conseil?</p>
+
+<p>3° <i>Inquiétudes d'origine altruiste</i>.&mdash;Les inquiétudes
+relatives à la santé d'un être cher sont souvent
+aussi une cause de neurasthénie, et il n'est
+pas rare de voir les divers membres d'une famille
+devenir, tour à tour, malades, par le fait des
+préoccupations et des fatigues qu'a causées l'atteinte
+d'un premier membre. Une mère qui,
+comme je l'ai vu, passe vingt jours et vingt
+nuits sans quitter le chevet de son enfant atteint
+de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant
+sera guéri. Elle pourra peut-être devenir, à
+son tour, une typhoïdique; mais, même si elle ne
+prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée
+pour longtemps. De même encore le fait d'avoir
+un enfant infirme, qu'on voit du matin au soir,
+empoisonne assez l'existence pour entraîner, quelquefois,
+la «maladie».</p>
+
+<p>Dans une famille bien unie, la névrose de l'un
+des membres ébranle tellement le système nerveux
+des autres, que la nécessité de la séparation s'impose.
+La contagion de la névrose n'est cependant
+pas une «contagion» au sens propre du mot;
+mais, en pratique, on est souvent appelé à traiter
+le malade comme s'il était contagieux, dans son
+propre intérêt et dans celui de son entourage.</p>
+
+<p>Le départ des êtres qui nous sont chers est un
+autre facteur important de «maladie»:&mdash;même la
+séparation momentanée, (femmes de marins ou de
+militaires partant en campagne),&mdash;sans compter
+que le chagrin de la séparation se double, en ce cas,
+d'inquiétude pour les dangers que va courir l'être
+aimé. On voit alors la «maladie» survenir au
+bout de quelque temps, revêtir une forme quelconque,
+avec des manifestations variant à l'infini
+(insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes
+traduisant le malaise du système nerveux
+central, qui ne s'atténuera que quand la cause disparaîtra.
+Et même, une fois la cause disparue, il
+pourra persister encore des mois et des années,
+parce que l'habitude morbide est prise, parce que
+le système nerveux a reçu le choc. La cellule continuera
+à vibrer de travers, comme la surface d'un
+lac continue à être agitée bien longtemps après la
+chute de la pierre qui a troublé son repos.</p>
+
+<p>Quand la séparation est définitive, le mal est plus
+profond encore, et l'expression de «vie brisée» est
+absolument juste. La perte d'un être cher atteint la
+vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un
+seul coup, le capital biologique. Le malade traînera
+une existence plus ou moins lamentable, et plus ou
+moins prolongée; mais les moyens thérapeutiques
+les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine
+philosophie atténuera ses maux, et le médecin a
+surtout à lui offrir une bonne psychothérapie. Le
+temps, aussi, devient un remède avec lequel il faut
+compter; le rôle principal du médecin, dans les cas
+de ce genre, doit être d'empêcher l'organisme de
+s'effondrer, pour permettre au temps d'accomplir
+son oeuvre réparatrice.</p>
+
+<p>4° <i>Choc moral et choc traumatique</i>.&mdash;Une
+émotion violente, quelle qu'en soit la cause, peut
+également amener la «maladie» sous une forme quelconque,
+et parfois lui faire revêtir immédiatement,
+sans transition, les formes les plus graves. Je
+connais un officier très distingué, et bien portant
+jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une
+chute de cheval sur la tête. Après deux jours de
+perte presque complète de connaissance, il recouvra
+successivement la parole, la mémoire, le mouvement,
+les forces; mais il était devenu un malade.
+Depuis douze ans, il traîne une existence pitoyable.
+Ce ne sont pas seulement les fonctions cérébrales
+qui sont atteintes, chez lui; elles sont même relativement
+respectées, il n'a que des vertiges, des
+bourdonnements de l'oreille gauche, des picotements
+dans les yeux, de la difficulté à lire et à
+causer. Au demeurant, son intelligence est restée
+intacte: mais toutes ses autres fonctions ont été
+perturbées. Il a des névralgies erratiques,&mdash;plusieurs
+médecins ont cru que c'était un candidat
+à l'ataxie locomotrice,&mdash;et surtout il a les
+troubles digestifs les plus variés (gastralgie, pesanteurs,
+gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse
+avec alternative de constipation opiniâtre et d'une
+diarrhée qu'il est difficile d'arrêter). Les forces
+sont tellement réduites qu'il peut à peine faire
+deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé
+les muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type
+de malade, atteint de ce qu'on appelle la «neurasthénie
+hystéro-traumatique», ce sont les troubles
+digestifs qui sont au premier plan, bien que
+le choc ait porté sur la tête.</p>
+
+<p>De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de
+<i>trauma</i> véritable de la boîte crânienne, suffit pour
+amener le choc déterminant la «maladie». J'ai vu à
+la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le
+début du siège de Paris, devint folle pour avoir vu
+éclater un obus à ses pieds. On comprend donc
+qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au
+même résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés
+observée après le siège de Paris; de là, la multiplicité
+des cas de psychonévrose, d'aliénation mentale,
+signalés dans l'armée russe pendant le cours
+de la guerre russo-japonaise. Jamais, depuis que
+les hommes s'entre-tuent, le système nerveux des
+belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures
+épreuves. Tous les facteurs morbides s'accumulaient,
+chez les Russes, pour produire le désarroi
+du système nerveux. Éloignement de la patrie,
+voyage prolongé en chemin de fer, alimentation
+insuffisante, manque de confiance dans les chefs,
+menace incessante de surprise, surmenage physique
+s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est
+plus qu'il n'en faut pour rendre malade le malheureux
+soldat ou officier russe, pour peu qu'il soit prédisposé
+par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse.
+Mais que faire contre un semblable état de
+choses? L'homme sensé ne peut que déplorer l'inanité
+des efforts de tous les pacifistes.</p>
+
+<p>Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle
+la guerre, ne sont pas assez connues du monde
+extra-scientifique. On se figure volontiers que,
+quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est
+rien; c'est pendant quinze et vingt ans que les
+néfastes effets d'une guerre se font sentir. Pendant
+vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui
+avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la
+campagne de 1870, et surtout pendant la captivité.</p>
+
+<p>Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous
+les jours l'influence du choc chirurgical sur la
+genèse de la névrose. On commence à connaître
+les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations:
+mais c'est un point sur lequel il convient
+d'attirer l'attention, pour modérer le zèle chirurgical
+des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand
+l'opération est finie et bien finie, tout n'est pas terminé,
+et que le patient, sorti guéri de leurs mains,
+est quelquefois «un malade» qui restera tel pendant
+plusieurs années. Le choc traumatique produit
+par l'intervention chirurgicale suffit pour expliquer
+ces accidents tardifs.</p>
+
+<p>J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une
+dame qui, d'une très belle santé jusqu'à trente-huit
+ans, est devenue grande nerveuse, avec anorexie,
+amaigrissement, etc., immédiatement après une
+opération de tumeur bénigne du sein. Depuis lors,
+elle est sans cesse préoccupée de la récidive possible
+d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée
+par des malaises de tout genre qu'elle
+n'avait pas avant l'opération.</p>
+
+<p>Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale,
+même de moindre importance encore, d'importance
+ultra-minime, peut mettre le système nerveux
+dans un état d'ébranlement durable: c'est
+quand elle occasionne une violente douleur. La
+douleur provoque une fuite nerveuse énorme.
+Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé
+antérieure, qui est devenue neurasthénique immédiatement
+après des opérations sur les dents.</p>
+
+<p>Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales
+sont pratiquées sur des personnes dont
+le système nerveux est déjà ébranlé plus ou moins,
+elles deviennent une cause d'aggravation notable.
+La seule crainte de l'opération possible suffit pour
+provoquer une aggravation de la névrose. Est-il
+un médecin qui n'ait pas vu accourir chez lui,
+forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a
+constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du
+sein? Et c'est bien autre chose encore quand le
+diagnostic est douteux, quand la malade va de
+chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis
+ferme; jusqu'à ce qu'elle soit fixée sur son sort, elle
+est dans un état d'anxiété que ne connaissent peut-être
+pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur
+dicter leur conduite non pas seulement au point de
+vue opératoire, mais au point de vue psychique.</p>
+
+<p>Personne plus que moi n'admire les chirurgiens.
+Leur sang-froid, leur maîtrise d'eux-mêmes, leur
+habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux
+résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font
+les considérer, au total, comme de vrais bienfaiteurs
+de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir qu'ils ne
+m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer
+que, à côté de beaucoup de bien, ils font un
+peu de mal, et un mal qu'ils pourraient ne pas
+faire s'ils connaissaient mieux les répercussions
+qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention,
+et aussi les soins qu'ils donnent à leur malade après
+l'opération. Je voudrais ne les voir intervenir qu'en
+cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement
+contre les opérations qu'on pourrait appeler de
+complaisance:&mdash;comme celle qui a été pratiquée,
+contre mon avis, sur une malade qui se croyait
+atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que
+grande nerveuse. Cette malade avait déjà appelé,
+malgré moi, quatre chirurgiens qui n'avaient pas
+voulu opérer; un cinquième se décida à le faire,
+sans avoir de conviction absolue, au sujet de
+l'existence d'une appendicite, mais avec la persuasion
+que la malade, débarrassée de son obsession
+en même temps que de son appendice, recouvrerait
+la santé. Or il n'en fut rien: l'appendice
+était sain, et la malade, légèrement améliorée
+pendant un mois, par le fait du repos au lit, du
+régime sévère, de l'espoir qu'elle avait, et que je
+fus le premier à entretenir, vit bientôt son état
+devenir pire qu'avant l'intervention.</p>
+
+<p>Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens
+de tenir le moins possible les malades en
+suspens pour savoir si l'on opérera, et quel sera
+le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité,
+sont angoissantes au premier chef pour les
+personnes déjà nerveuses. Et je leur demanderai,
+enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale
+après l'opération... Je sais bien que, dans certains
+cas, le chirurgien doit suralimenter et même médicamenter
+son opéré, au risque de lui fatiguer l'estomac,
+et de compromettre les résultats qu'une
+savante hygiène alimentaire avait difficilement
+obtenus, pendant les mois ou les années qui ont
+précédé l'intervention. Là, il y a force majeure; et,
+dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il
+savait bien faire de la mauvaise besogne, mais il
+se comparait aux pompiers que n'arrête pas la
+considération de dégâts limités, quand il s'agit de
+sauver un immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré
+guérirait sans intervention médicale et sans champagne,
+sans suralimentation, sans médicaments,
+sans morphine, sans purgatifs, sans lavements, et,
+au sortir de la maison d'opérations, son système
+nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est. Il serait
+plus vite remis du choc traumatique inévitable,
+qui, à lui seul, est un important facteur de dépréciation
+de la valeur biologique.</p>
+
+<p>Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de
+la morphine aux malades, et à des doses effrayantes?
+Je sais bien qu'en général ces doses invraisemblables,&mdash;de
+1 à 2 centigrammes répétés deux fois
+par jour,&mdash;sont tolérées, pendant les premiers jours
+qui suivent l'opération, parce que l'opéré a une
+telle sidération du système nerveux qu'il ne réagit
+pas au poison<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8"><sup>8</sup></a>. Mais combien, aussi, ont des vomissements
+et des symptômes d'intoxication grave?
+Et plus fâcheux encore est le résultat quand le
+malade se met à aimer l'odieux poison, et devient
+morphinomane,&mdash;ce qui arrive quelquefois. De
+grâce, réservez donc la morphine pour les cas
+exceptionnels de souffrance, et n'en confiez pas
+l'administration à une garde, si bien intentionnée
+et si intelligente que vous la supposiez; vos malades
+n'en seront que plus vite guéris!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" name="footnote8"></a><b>Note 8:</b><a href="#footnotetag8"> (retour) </a> J'ai traité plus longuement ce sujet dans le <i>Bulletin de la
+Société Thérapeutique</i>, novembre 1905.</blockquote>
+
+<p>Ou bien encore cette habitude de purger les
+malades, deux ou trois jours après l'opération, de
+leur donner des lavements, alors qu'ils auraient
+tant besoin de repos! La constipation n'est-elle
+donc pas un symptôme, une manifestation, presque
+inévitable, de l'ébranlement du système nerveux
+provoqué par le choc opératoire? Laissez le système
+nerveux reprendre son équilibre, et la constipation
+disparaîtra d'elle-même, quand l'opéré,
+sollicité par son appétit spontanément renaissant,
+recommencera à manger.</p>
+
+<p>Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie,
+une simple vue de l'esprit d'un rêveur qui n'a pas
+vu d'opérés! La démonstration a été faite pour
+moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience
+de laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce,
+le professeur Delorme a bien voulu m'associer
+aux longues recherches qu'il a faites pour
+provoquer la constipation chez ses opérés. Or, de
+tâtonnements en tâtonnements, il en était arrivé à
+constiper tous les hommes ayant à subir des opérations
+dans les régions abdominales, inguinales et
+crurales; il évitait ainsi la souillure, et, par conséquent,
+le renouvellement des pansements. Et ce
+n'était pas une constipation de deux ou trois jours
+qu'il provoquait, mais bien de douze ou quinze
+jours. Chez un malade de mon service, opéré par
+lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation
+a été entretenue pendant dix-huit jours.
+J'ai demandé récemment à M. Delorme s'il était
+toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu
+affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi
+une statistique de laquelle il résulte que, depuis le
+jour où il m'avait convié à assister à ses premiers
+essais, en 1889, il avait opéré, après constipation
+provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de
+Vincennes, 1600 cures radicales de hernies,
+50 cures radicales d'hémorroïdes, 500 varicocèles,
+30 castrations, 500 opérations variées de la sphère
+inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait
+constipé méthodiquement 15 hommes atteints de
+fractures de la cuisse, pour que leurs appareils
+contentifs ne fussent pas souillés.</p>
+
+<p>C'est une partie de ces faits que M. Delorme a
+brillamment exposés à la Société de Chirurgie,
+en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes
+thermiques, démontrant que la température n'a
+pas monté au-dessus de la normale, pendant toute
+la durée de la constipation, et que, même, elle a souvent
+été abaissée un peu au-dessous de la normale
+(90 fois sur ces 160 observations). Dans quatre
+cas seulement, elle a dépassé la normale, mais
+c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication
+iodoformée, rhumatisme aigu, congestion
+pulmonaire (deux fois). Chez 110 opérés de cures
+radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans
+la moindre importance. Elles disparaissaient après
+l'émission spontanée de gaz. La langue, saburrale
+les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect normal;
+l'appétit était conservé chez la majeure
+partie des constipés. Dès le troisième jour, on leur
+donnait à manger des potages, des oeufs, de la
+viande blanche, du vin, en évitant que les aliments
+capables de donner des déchets. Le sommeil
+restait bon, le caractère ne laissait voir aucune
+modification, la soif n'était pas excessive, et les
+analyses d'urines, faites par le professeur Burcker,
+ont démontré que l'économie ne subissait, du fait
+de la constipation provoquée, aucune influence
+néfaste. La première selle était, parfois, facile et
+spontanée; d'autres fois elle était pénible; c'est
+ainsi qu'un malade ne put aller à la garde-robe que
+le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur
+lui les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours;
+ce n'est que quand on le fit marcher qu'il parvint
+à aller à la selle. Les selles suivantes étaient habituellement
+aisées, et les fonctions de l'intestin reprenaient
+leur régularité. «Ma communication, ajoutait
+M. Delorme, pourrait avoir plus qu'un intérêt
+clinique, étant donnée les théories qui ont cours sur
+l'importance et la fréquence des intoxications intestinales.
+Mais je désire rester exclusivement sur le
+terrain de la pratique, et je conclurai en disant
+que, chez les hommes adultes et sains surpris par
+un traumatisme chirurgical qui doit guérir par
+première intention, la constipation, provoquée pendant
+huit à quinze jours, n'a pas les inconvénients
+qu'on lui attribue généralement.»</p>
+
+<p>Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme
+est arrivé à obtenir ces constipations prolongées,
+si peu nuisibles aux opérés: car ce serait sortir de
+mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue
+digression, c'est que la constipation de quelques
+jours, survenant d'elle-même et presque fatalement
+chez les opérés, quels qu'ils soient, ne doit pas
+préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à
+imposer à leurs opérés des purgations qui, fatiguant
+leur système nerveux abdominal, ont forcément un
+retentissement sur leur système nerveux central, et
+contribuent à en faire des malades, alors qu'au
+début ils n'étaient que des blessés, ou bien à
+aggraver leur «maladie», quand ils étaient déjà des
+malades avant l'opération.</p>
+
+<p>Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs
+affirment que la constipation est l'ennemi des
+femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose pas
+m'inscrire en faux contre cette opinion générale:
+mais peut-être serait-elle, comme tant d'autres affirmations,
+passible d'un procès en révision.</p>
+
+<p>III.&mdash;CAUSES ACCIDENTELLES</p>
+
+
+<p>Nous venons d'énumérer les principales causes
+d'ordre psychique qui amènent la déchéance, totale
+ou progressive, du capital vital de l'homme ou de
+la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées
+ou non aux autres influences néfastes (surmenage
+cérébral, surmenage musculaire, alimentation défectueuse,
+etc.), provoquent le plus souvent la «maladie».</p>
+
+<p>Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier
+âge, comme chez l'adolescent, la «maladie»,
+chez l'adulte, est provoquée par une affection aiguë
+qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre
+typhoïde, qui, véritable intoxication, surprend
+l'adulte dans le cours d'un état d'équilibre irréprochable,
+et qui, chose curieuse, paraît être d'autant
+plus grave que le sujet était plus robuste.</p>
+
+<p>La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer
+la «maladie». Ainsi, je connais un homme
+de quarante-huit ans, qui a vu sa santé irrémédiablement
+ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde
+survenue à l'âge de vingt ans. Mais le cas est
+rare; souvent, au contraire, on observe qu'une
+fièvre typhoïde, survenant chez un individu
+malingre, lui donne une santé, pour la suite, qu'il
+ne se connaissait pas jusqu'alors. Est-ce parce
+que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que
+la diète imposée par la fièvre typhoïde a remis
+l'organe en état? Est-ce parce que, jusqu'alors, il
+se soumettait à un exercice trop vigoureux pour
+ses forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant
+le repos, a rectifié ses erreurs d'hygiène musculaire?
+Est-ce enfin parce que la fièvre, en brûlant
+ce que les anciens appelaient ses «humeurs
+peccantes», l'a débarrassé de ses produits d'auto-intoxication
+antérieurs à l'affection aiguë? A vrai
+dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne
+pouvons que constater le fait. Trop heureux serait
+celui qui pourrait connaître les causes de tous les
+phénomènes de la vie!</p>
+
+<p>Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes,
+pneumonies, etc., dans quelle mesure
+créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»? Nous
+pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles
+ne font que l'aggraver: car, toujours la «maladie»
+préexistait. Pour contracter un rhumatisme, une
+pneumonie, une angine, il faut déjà que le système
+nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit
+définitif, soit momentané. La première condition
+pour ne pas prendre les «maladies», c'est de se bien
+porter.</p>
+
+<p>Mais il n'en est pas moins certain que l'affection
+accidentelle, en intervenant, imprime à la «maladie»
+un essor plus ou moins vigoureux, suivant l'importance
+de la cause pathogène accidentelle, et aussi
+suivant la valeur préalable du sujet.</p>
+
+<p>De toutes les affections accidentelles, celle qui est
+le plus remarquable, à cet égard, est la grippe. La
+déchéance post grippale est très fréquente, et parfois
+d'une longueur invraisemblable. On met des
+années, souvent, à se remettre d'une mauvaise
+grippe. Et cet ennemi est d'autant plus dangereux
+que, loin de créer l'immunité, il a une tendance à
+revenir à la charge; or, dans le cours de la
+«maladie», chaque atteinte de grippe fait faire
+un pas en arrière, et compromet les résultats péniblement
+acquis. La grippe est l'ennemie personnelle
+des sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien
+entendu, la forme symptomatique de leur «maladie».</p>
+
+<p>C'est aussi dans la période que nous étudions
+que se manifeste dangereusement la syphilis contractée
+à vingt ans, et insuffisamment soignée; elle
+se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte,
+des lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont
+personne ne soupçonne la cause, des ictus cérébraux,
+et toutes les manifestations de la syphilis tertiaire.
+Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et
+la paralysie générale, ou du moins elle prédispose
+singulièrement le terrain à l'apparition de ces
+cruelles «maladies», d'évolution fatalement progressive.
+On commence à connaître ses méfaits, dans le
+monde des assurances, et à savoir que la syphilis
+n'est pas un brevet de longue vie! D'un travail
+statistique fait par le Dr Rungberg pour une Compagnie
+d'assurances, il résulte que l'âge moyen de
+la mort des syphilitiques assurés à cette Compagnie
+a été de quarante-trois ans et quatre mois, et que,
+au point de vue des causes de mort, la syphilis vient
+immédiatement après la tuberculose.</p>
+
+
+
+
+<p>IV.&mdash;INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME</p>
+
+
+<p>Toutes les considérations que nous venons d'exposer
+peuvent s'appliquer également à l'un et à
+l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste
+privilège de pouvoir être frappée par des influences
+morbigènes qui n'atteignent pas le sexe masculin,
+et qui méritent d'être étudiées à part.</p>
+
+<p>La menstruation joue, dans la vie de la femme,
+un rôle de premier ordre. Chez la femme très bien
+portante, son influence est à peine perceptible,
+mais chez la femme déjà malade son influence
+est des plus nettes; chez l'aliénée, en particulier,
+on observe d'une façon constante, quelques jours
+avant les règles, une aggravation du délire; et,
+chez l'aliénée qui semble guérie, on ne doit prononcer
+le mot de guérison que quand deux périodes
+menstruelles se sont passées sans accident. Nous
+disons à dessein <i>deux</i> périodes: car si, chez les
+grandes névrosées, les troubles menstruels sont
+mensuels, chez les malades moins atteintes ils nous
+ont semblé souvent ne survenir que tous les deux
+mois<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9"><sup>9</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" name="footnote9"></a><b>Note 9:</b><a href="#footnotetag9"> (retour) </a> Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation s'accompagne
+toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois
+jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.</blockquote>
+
+<p>Chez la grande neurasthénique qui a encore ses
+règles correctes, on peut affirmer que, douze jours
+avant l'apparition des règles, les misères nerveuses,
+abdominales, etc., s'accentuent considérablement,
+au grand désespoir des familles qui, ayant espéré
+la guérison, croient que tout est à refaire. Mais il
+n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre,
+quelquefois même pendant les règles, à partir du
+deuxième jour, et, le plus souvent, immédiatement
+après la cessation de l'écoulement. Les malades
+entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne
+semaine».</p>
+
+<p>Le médecin doit connaître ce détail, et avertir
+les malades et leurs familles de la rechute, qui
+est inévitable tant que la «maladie» bat son plein.
+Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles,
+ce qui est fréquent, c'est d'un pronostic assez
+important; et la réapparition des menstrues après
+deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs
+cas, indique que la malade entre enfin dans la voie
+de l'amélioration, alors même qu'elle continue à
+souffrir.</p>
+
+<p>L'influence de la grossesse est non moins évidente.
+Nous avons dit qu'elle était quelquefois
+salutaire, parce que l'utérus développé remplaçait
+la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois
+l'utérus revenu à son volume normal, la paroi
+abdominale se trouve encore un peu plus flasque
+qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées,
+la ptose abdominale devient un des principaux éléments
+de la «maladie». C'est alors qu'une ceinture
+bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la forme
+du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables
+services.</p>
+
+<p>Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas
+tout, chez les ptosiques. Car enfin, pourquoi les
+malades ont-elles de la ptose? C'est parce qu'elles
+étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est
+parce que la sangle que forment les muscles du
+ventre n'avait pas la tonicité normale. Si on avait
+soigné la future ptosique en temps utile, alors
+qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du
+système nerveux, de l'estomac, de l'intestin, elle
+ne serait pas devenue ptosique, elle n'aurait pas eu
+besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses
+multiples sans avoir de ptose. De sorte que
+la ceinture, cet instrument si merveilleux, ne doit,
+à notre avis, être considéré que comme un moyen
+thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer
+la malade et lui permettre de se passer de ceinture.</p>
+
+<p>On y parvient, sauf quand la déchéance est trop
+avancée, par une bonne hygiène générale, s'adaptant
+aux indications fournies par chaque individu.
+Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez
+les autres par le repos, chez les unes par une saison
+à Vichy, chez les autres par un régime restreint,
+chez toutes par la reconstitution du système
+nerveux, qui toujours laisse à désirer.</p>
+
+<p>La ceinture abdominale, pour en revenir à elle,
+ne sera employée que le moins de temps possible.
+Chez les femmes non surmenées musculairement,
+on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale
+naturelle, soit par les exercices de plancher de
+la gymnastique suédoise, soit par la pratique du
+chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent
+les Italiens. Nul doute que, en utilisant la
+pression abdominale pour la pulsion de l'air, on ne
+fasse à la fois de la bonne thérapeutique abdominale
+et de l'excellent travail au point de vue du
+chant. Tous les chanteurs et même toutes les chanteuses
+dignes de ce nom ont une force extraordinaire
+des muscles droits antérieurs; en se contractant,
+ils repoussent la main qui les comprime<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10"><sup>10</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" name="footnote10"></a><b>Note 10:</b><a href="#footnotetag10"> (retour) </a> Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial pour
+mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce dynamomètre
+donnerait des indications très intéressantes sur la valeur
+biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale,
+tant vaut l'individu.</blockquote>
+
+<p>On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion
+qui attribue à la ptose abdominale toutes les
+misères des dyspeptiques, des neurasthéniques, des
+malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme
+a de la ptose et mille misères variées: une ceinture
+fait disparaître presque toutes ces misères,
+c'est donc, conclut-on que la ptose était l'unique
+cause? Mais non; c'est toujours la théorie du
+moindre effort appliquée au raisonnement humain.
+La vérité est que la ptose est symptomatique, que
+la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la
+soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut
+déjà être malade pour devenir ptosique,&mdash;en
+dehors, bien entendu, des cas où la contention abdominale
+insuffisante serait due à une éventration.</p>
+
+<p>La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il
+existe même des ptoses qu'on pourrait appeler
+aiguës, si l'on nous permettait cette expression.
+Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement,
+dans le cours d'une bonne santé, à la
+suite d'un coup de froid, d'une émotion violente,
+d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une
+purgation. D'un jour à l'autre, on voit le ventre
+s'effondrer, se vider, perdre son élasticité, sa souplesse,
+donner la sensation d'un amas pâteux, d'un
+chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus
+alors de noter ni le caecum, ni le côlon. On perçoit,
+dans la fosse iliaque, un gargouillement dont
+l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la
+fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre
+typhoïde que parce qu'on l'y cherche.</p>
+
+<p>Cet effondrement abdominal s'observe en outre,
+dans presque toutes les «maladies» aiguës. Il est toujours
+l'indice d'une sidération du système nerveux
+abdominal; et, comme le système nerveux abdominal
+n'est pas sans avoir des relations intimes avec le
+système nerveux central, l'effondrement en question
+est toujours l'indice d'un état de «maladie» assez
+grave. Mais il peut n'être que passager, durer
+quinze jours, trois semaines; d'autres fois, il dure
+deux à trois mois, dans certains états subaigus;
+puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir,
+reprendre sa forme, son élasticité, renaître: c'est le
+commencement de la guérison.</p>
+
+<p>En même temps que le ventre s'effondre et que
+survient la ptose aiguë, la sonorité abdominale
+subit des modifications extrêmement intéressantes.
+Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal,
+ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion
+donne des notes différentes dans les deux
+fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le plus souvent,
+c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit
+et le gauche (octave supérieure au côté droit).<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11"><sup>11</sup></a></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" name="footnote11"></a><b>Note 11:</b><a href="#footnotetag11"> (retour) </a> Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et la percussion,
+donne les renseignements les plus précieux sur la valeur
+digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime
+alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier,
+évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du
+ventre et les sensations que donnent la palpation et la percussion.
+Ce sera la gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen,
+et d'avoir essayé d'apprendre cette lecture à ses contemporains.
+Mais, il ne faut pas se le dissimuler, l'exploration abdominale
+est chose très difficile; je la pratique depuis dix ans que j'ai la
+bonne fortune d'être en relations scientifiques avec le Dr Sigaud,
+et je vois mieux, de jour en jour, la difficulté de cette étude, en
+même temps que j'en apprécie mieux toute l'importance.<br>
+
+<p>Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui
+résument ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous
+ne saurions trop affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil
+digestif est, pour le biologiste, une source de faits inépuisable.
+Quelle variété de renseignements, quelle précision dans
+l'observation, ne devons-nous pas attendre d'un procédé à la perfection
+duquel nous voyons concourir les données fournies,
+presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher? Ajouterons-nous
+que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son
+tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité,
+dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les
+plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons
+aucune modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire,
+nerveux ou rénal, nous constatons toujours des signes
+positifs du côté de la sphère gastro-intestinale. Les oscillations
+vitales que les autres appareils organiques sont impuissants à
+objectiver, le tube digestif les enregistre avec une fidélité remarquable
+et une variété de nuances que l'on n'a point soupçonnée
+jusqu'ici. Et toutes les modifications de forme et de volume,
+d'élasticité et de résistance du tissu abdominal, toutes les variations
+de sonorité des membranes digestives, ne sauraient être
+considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles
+portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent,
+d'une part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif,
+d'autre part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir,
+l'orientation générale des réactions de l'organisme correspond à
+ces modalités digestives.» (<i>Mémoire</i> lu à la Société de Médecine
+de Gand, 4 avril 1905.)</p>
+
+<p>Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient
+encore à être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale;
+c'est là un chapitre de séméiologie qui est tout entier à
+faire, et que je ne puis qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir.
+Munis d'un bon stéthoscope, ils trouveront dans l'auscultation
+abdominale des renseignements d'une valeur insoupçonnée jusqu'à
+ce jour.</blockquote>
+
+<p>Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle
+leur rend un service momentané qui n'est pas à
+dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les guérit,
+quand il leur reste encore assez d'énergie vitale,
+c'est un régime approprié, et du repos ou un exercice
+gradué, suivant les cas. Le régime devra être celui
+qui donne le moins à travailler à l'estomac et à
+l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou
+semi-liquide. Les prises alimentaires devront être
+fréquentes,&mdash;très fréquentes, dans l'état aigu.
+Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs,
+en éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on
+peut dire que le lit est le meilleur des agents thérapeutiques.
+Quand le ventre commence à se ressaisir,
+le régime devra être plus substantiel:
+potages épais, purées légères prises toutes les
+trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait un
+nouveau progrès, alimentation plus dense et moins
+fréquente (six repas en vingt-quatre heures, dont un
+dans le courant de la nuit: purées épaisses, macaroni,
+riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu
+presque normal, quatre repas par jour, assez copieux,
+presque égaux, dont un avec viande non saignante.
+Enfin, quand l'orage est passé, quand le ventre a
+retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension,
+alors seulement il faut arriver aux trois repas: celui
+du matin, qui doit être assez copieux (café noir, oeuf
+ou viande froide); celui de midi, composé en général
+de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes
+de terre en robe de chambre; 2° viande non saignante;
+3° fromage, peu de pain, pas encore de vin, un
+verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas
+du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles:
+1° potage épais; 2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits.</p>
+
+<p>Telles sont les grandes lignes de la diététique des
+états aigus ou subaigus. En même temps, avons-nous
+dit, le repos s'impose: dans l'état aigu un
+repos absolu au lit; plus tard, deux heures de
+lever sur une chaise longue, entre les repas. Il
+faut faire longtemps manger les malades au lit;
+puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal
+après les repas; et toujours beaucoup de sommeil,
+même diurne, le sommeil diurne étant le meilleur
+agent provocateur du sommeil nocturne, à l'inverse
+de ce que l'on croit ordinairement.</p>
+
+<p>On comprend combien, dans cet état d'équilibre
+instable, une violente perturbation, produite soit
+par une purgation, soit par un vomitif, soit par une
+alimentation trop hâtive, peut être défavorable au
+malade.</p>
+
+<h4>CHAPITRE IV</h4>
+
+
+<h4>PSYCHOTHÉRAPIE</h4>
+
+<p>Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué,
+les causes diverses qui produisent la «maladie». Mais
+cette étude même n'a fait encore que mieux nous
+montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine
+comme dans l'évolution de la «maladie», l'ébranlement
+du système nerveux. Et de là résulte
+l'importance, également prépondérante, d'une médication
+destinée à remonter le système nerveux:
+médication dont un des éléments essentiels est cette
+«psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a
+commencé à préoccuper vivement le monde médical,
+sans qu'on soit encore parvenu à en fixer exactement
+le domaine et l'application.</p>
+
+<p>A en croire un certain nombre de nos confrères,
+français et surtout étrangers, le psychothérapie
+serait simplement destinée à remplacer toute thérapeutique.
+L'imagination, d'après ces savants,
+jouerait dans la production et le développement
+des «maladies» un rôle si énorme, qu'il suffirait de
+découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader
+aux malades qu'ils se portent bien, pour leur
+rendre aussitôt la santé. La psychothérapie consisterait
+donc à étudier, à ce point de vue, l'état
+d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment
+s'emparer de sa confiance pour lui
+ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents
+défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes
+que les moyens de persuasion sont, jusqu'ici, très
+difficiles à trouver; et je dois dire, quant à moi,
+qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique
+me paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque
+peu fantaisiste.</p>
+
+<p>Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit
+des malades, et de ce qu'on pourrait appeler la
+cure morale, doit tenir plus de place qu'elle n'en
+tenait, hier encore, dans la médecine officielle.
+Mais j'estime que la psychothérapie peut faire
+mieux que d'imposer aux malades l'illusion,&mdash;toujours
+bien brève et bien fragile,&mdash;de se bien
+porter: elle peut devenir un des agents les plus
+actifs et les plus précieux de la guérison.</p>
+
+<p>Étant donnée l'idée que nous nous faisons de
+l'origine nerveuse de la «maladie», voici, à notre
+avis, la meilleure définition de la psychothérapie:
+«C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique
+par lesquels on améliore ou on reconstitue le
+capital nerveux.» Son action s'étend: 1° à toutes
+les déviations mentales; 2° à un grand nombre de
+troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie,
+l'anorexie, etc., l'incontinence d'urine, etc.</p>
+
+<p>Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la
+facilité de l'étude, être divisés en deux grandes
+catégories:</p>
+
+<p>1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses;</p>
+
+<p>2° Moyens par lesquels on augmente les recettes.</p>
+
+
+
+
+<p><b>I</b></p>
+
+
+<p>MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES</p>
+
+<p>Il est une foule de malades qui gaspillent leur
+influx nerveux sans le savoir; il faut leur apprendre
+à l'économiser, leur démontrer combien est fatigante,
+pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle,
+leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir
+prendre un parti dans les moindres circonstances
+de la vie. Il vaut mieux prendre un parti médiocre
+immédiat qu'un parti plus sage après hésitation.
+Or, pour savoir vite prendre parti et s'épargner la
+peine de remettre en discussion tous les motifs et
+mobiles qui doivent déterminer l'acte à accomplir,
+il y a un procédé très recommandable, qui consiste
+simplement à adopter des principes, et à se dire:
+«Dans telle circonstance, je ferai ceci, dans telle
+autre je ferai cela»; et puis, une fois le principe
+adopté, à y rester fidèle,&mdash;sans cependant en
+devenir esclave. Car il ne faut pas que l'entêtement
+remplace l'hésitation, que l'océan devienne terre
+ferme. Un petit moyen pratique à recommander
+aux hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout
+ce qu'ils doivent faire dans la journée et les jours
+suivants, puis, une fois la chose écrite, d'exécuter
+ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté
+parvient ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même
+temps qu'on s'évite des pertes considérables d'influx
+nerveux.</p>
+
+<p>D'une façon générale, il faut inspirer aux malades
+le respect du temps, leur faire comprendre que le
+temps, c'est l'étoffe dont la vie est faite, et qu'il
+n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que
+c'est par le respect du temps qu'on trouve le
+moyen de faire une foule de choses utiles avec un
+minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre
+cette vérité, ils trouveront eux-mêmes,
+peu à peu, un <i>modus vivendi</i>, qui, sans qu'ils s'en
+doutent, leur fera faire des économies de dépense
+nerveuse. Recommander aux malades de prendre
+des habitudes <i>d'ordre</i>, de tout régler dans leur vie,&mdash;les
+heures du lever, du coucher, des repas, etc.,&mdash;de donner à
+chaque chose, à chaque préoccupation,
+la place et l'importance qui lui conviennent,
+est encore un moyen de leur épargner les dépenses
+nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente psychothérapie.</p>
+
+<p>Appliquons ces idées générales à un cas particulier.
+Voici une jeune fille atteinte de ce qu'on
+appelle la «folie du doute»; dès son lever, elle ne
+saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou
+quatre, et finira par reprendre la première; elle
+passera deux heures à faire sa toilette, ne sachant
+si elle doit commencer par se coiffer ou par se laver
+les mains; et toute sa journée se passera ainsi
+dans un état vague d'anxiété. Le soir, la situation
+est plus pénible encore: la malade ne parvient pas
+à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller,
+s'interrompant à tout instant pour confier à
+un petit cahier une foule d'idées qui ont torturé son
+cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. On
+dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant.
+J'ai chez moi plusieurs collections de petits registres
+qui sont tous inspirés par ce même esprit. Or,
+cette agitation stérile, continue, occasionne une
+dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier
+une malade de ce genre, on verra qu'elle n'est
+pas malade que de la tête, mais que tout est malade
+chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a
+des urines rares et chargées alternant avec des
+urines claires et abondantes. Elle est mal réglée, etc.</p>
+
+<p>Il lui faut donc, avant tout, un traitement général;
+dont nous indiquerons plus tard les grandes lignes,
+mais il lui faut aussi un traitement psychothérapique.&mdash;Et
+lequel? La première chose est de lui
+dire combien cette manière de faire est ridicule:
+cela, on n'aura pas de peine à le lui faire admettre,
+elle le sait très bien; le preuve, c'est qu'elle cache
+son infirmité avec le plus grand soin à tout son
+entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette
+dépense nerveuse, si stérile, la fatigue, et entretient
+ou cause sa «maladie» physique. Enfin, d'accord
+avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au
+lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour
+les diriger dans un sens déterminé. A l'une, on
+fera apprendre une langue étrangère, à l'autre on
+proposera une autre occupation, non moins précise.
+Le médecin s'inspirera d'une foule de considérations
+d'ordre secondaire; l'essentiel est qu'il
+atteigne son but, qui est de discipliner la volonté
+et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par
+une bonne orientation de son activité. Nous avons
+pris là, à dessein, un cas des plus difficiles à guérir:
+et cependant nous affirmons que la guérison y est
+possible, quand, à la psychothérapie, on joint un
+traitement somatique convenable et suffisamment
+prolongé.</p>
+
+<p>Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la
+paralysie générale, dans tous les cas de délire aigu
+occasionnés par les «maladies» infectieuses, l'influx
+nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se
+font de toutes parts. La pensée est si rapide, chez
+le maniaque, que l'aliéniste expérimenté ne parvient
+pas à la suivre. Les associations d'idées se
+font avec une telle rapidité que le malade n'a pas
+le temps de les exprimer, et, quelle que soit sa
+volubilité, sa langue n'a pas un débit égal à celui
+de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être
+utile à des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai
+dire, son rôle est alors négatif; il faut savoir ce qu'il
+ne faut pas faire; il faut ne pas s'acharner à discuter
+avec le malade, à rectifier ses appréciations; il faut,
+en un mot, laisser passer l'orage, et se borner
+à éviter au malade toute cause d'excitation prochaine
+ou éloignée. Il faut se rappeler, surtout,
+qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore
+à user d'extrêmes précautions, et à ménager le
+cerveau fragile.</p>
+
+<p>Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée,
+est limitée à un point fixe, la psychothérapie
+intervient d'une façon plus active. Voici un
+homme en proie à une obsession: une idée a
+envahi son cerveau, il y pense nuit et jour, en perd
+le boire et le manger. Toutes ses pensées ont pour
+pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux
+qu'il estime pouvoir le comprendre, il demande
+conseil, s'agite en vain, et, ne trouvant pas de
+solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer
+de boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit
+pas penser à ce qui le préoccupe? Mais c'est lui
+demander l'impossible, et le torturer inutilement. Il
+faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec
+les plus amples détails, les causes de sa souffrance
+morale; mais, ceci fait, pour acquérir sa confiance,
+il ne faut presque plus lui permettre d'en parler,
+et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs.
+De même que, dans une hémorragie pulmonaire,
+le médecin bien avisé fait une saignée générale,
+qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute
+ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre
+l'idée obsédante, mais faire naître des courants
+d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer une
+idée morbide par une série d'idées saines. C'est la
+psychothérapie <i>dérivative</i>.</p>
+
+<p>Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses,
+moyen à employer dans les cas exceptionnels,
+c'est de conseiller au malade l'acceptation
+du fait acquis, en d'autres termes la résignation;
+c'est la psychothérapie <i>sédative</i>. Que le
+malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se
+cabrer contre les circonstances qui ont produit ou
+qui entretiennent la «maladie», de se nourrir de son
+chagrin, de se remémorer les causes morales qui
+l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse
+énorme. Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif
+d'une sorte de sommeil de la cellule nerveuse.</p>
+
+<p>Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi
+dire passive, est un acte volontaire en vertu duquel
+le patient accepte, en toute liberté, sans restrictions,
+sans protestations, ses misères, pour les offrir dans
+une intention quelconque, elle devient tout le contraire
+de la passivité, et déjà elle rentre dans la
+deuxième catégorie des moyens psychothérapiques.
+L'étude de cette résignation active va donc nous
+servir de transition toute naturelle.</p>
+
+<p>La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter
+plusieurs fois par jour qu'on se résigne, c'est faire,
+plusieurs fois par jour, acte de volonté; et encourager
+le malade à accomplir cet acte de volonté,
+c'est faire de l'excellente psychothérapie <i>reconstituante</i>.
+Malheureusement, cette résignation active
+est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose toute
+une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité
+humaine, de la réversibilité des mérites et
+des souffrances, en un mot la doctrine du renoncement;
+et peu de malades la connaissent. Aussi
+est-ce à titre exceptionnel que les ressources de la
+résignation active peuvent être employées.</p>
+
+<p>Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin
+en face d'un malade qui va jusqu'à voir dans la
+souffrance un bienfait? On croirait, <i>a priori</i>, que le
+médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est
+rien. Le médecin doit rester à son poste; et tout en
+encourageant le malade dans cette voie, en fortifiant
+sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas négliger les
+moyens thérapeutiques que réclame son état. Car
+enfin le résigné actif ne commet pas une erreur de
+logique en désirant guérir et en acceptant les
+soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la
+souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu,
+au contraire, de se résigner aussi à ce que veut
+pour lui la nature, c'est-à-dire à ne rien omettre
+pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une
+vie plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs
+que, en fait, le résigné actif est d'ordinaire le
+plus obéissant, le plus stable des malades, le plus
+reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont
+donnés; c'est le malade de choix.</p>
+
+
+
+
+
+<p><b>II</b></p>
+
+
+<p>MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES</p>
+
+<p>La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques
+comprend, comme nous l'avons dit, ceux
+qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du
+capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de
+deux façons:</p>
+
+<p>1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux
+par une savante gymnastique de la volonté.
+(L'homme ne vaut que par sa volonté: donc discipliner,
+fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre
+le plus grand des services.)</p>
+
+<p>2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un
+fluide nerveux étranger.</p>
+
+<p>Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre
+du malade. Celui-ci devient le collaborateur du
+médecin, dont le rôle se borne à indiquer les procédés
+de gymnastique de la volonté et à surveiller
+l'application.</p>
+
+<p>Dans le deuxième cas, une volonté étrangère
+vient en aide à la volonté défaillante, ou insuffisante,
+du patient.</p>
+
+<p>1° <i>Gymnastique de la volonté</i>.&mdash;Il y a des procédés
+d'éducation de la volonté,&mdash;cette faculté,
+comme la mémoire, comme l'attention, étant susceptible
+d'être améliorée par une bonne gymnastique.
+Le principe général, dans cette éducation,
+c'est de procéder lentement, de ne pas demander
+au malade un effort qu'il serait incapable de fournir,
+mais de lui demander, au début, un tout petit
+effort, qui sera augmenté tous les jours. Ainsi nous
+invitons nos malades à faire trois fois, tous les
+matins, trois mouvements déterminés des bras, puis
+six, puis douze, puis d'en faire autant avec les
+membres inférieurs. En ordonnant ces exercices,
+nous comptons bien moins sur l'action utile de la
+gymnastique musculaire elle-même que sur l'effort
+de volonté que nous obtenons du malade, avec son
+libre consentement. Dans le même esprit, nous
+envoyons certains de nos malades faire une gymnastique
+spéciale, tous les jours, par tous les temps,
+à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent supporter
+la fatigue d'un déplacement quotidien. Là,
+nous leur faisons faire la course en flexion, exercice
+musculaire excellent, qui, bien gradué d'après
+des règles précises, régularise la circulation du
+sang, les battements du coeur, augmente la vigueur
+de tous les muscles, en particulier des muscles inspirateurs,
+et favorise, par conséquent, l'acte respiratoire.
+Grâce à cette gymnastique, on arrive, au
+bout d'un mois, à faire courir pendant vingt
+minutes des malades qui ne marchaient pas, ou qui
+ne croyaient pas pouvoir marcher<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12"><sup>12</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" name="footnote12"></a><b>Note 12:</b><a href="#footnotetag12"> (retour) </a> Ajoutons que cette course ne provoque jamais d'essoufflement
+le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter l'essoufflement
+par une progression sage et bien réglée dans la longueur
+et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée
+par notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait
+des études très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et
+pratiques pendant toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est
+pas le lieu de parler avec détail de cette méthode d'entraînement;
+disons seulement qu'on ne se fait pas une idée, dans le monde
+des gymnasiarques, de la lenteur dans la progression à imposer
+au coureur. Ainsi la vitesse du pas gymnastique de l'armée ne
+doit être atteinte, chez l'homme même bien portant, qu'après quinze
+minutes de course progressivement plus rapide. C'est comme cela
+que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que le pas
+gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue. De
+même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure,
+c'est-à-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq
+minutes de course en progression. Si, à cette prudence dans la
+progression, on joint le soin de faire respirer le malade en temps
+utile, et de lui apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement.
+Mais si le coureur n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au
+bout de vingt à trente minutes, d'une transpiration énorme,
+telle que la course en flexion a pour complément indispensable,
+soit une friction sèche avec changement de linge, soit, mieux
+encore, une douche tiède. Cette nécessité de la douche finale
+limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, par parenthèse,
+l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du commandant
+de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au
+contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale,
+puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison d'hydrothérapie
+d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition
+par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement.<br>
+
+<p>Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction
+de moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air,
+dans la matinée, ne soient des facteurs importants dans l'excellent
+résultat total que j'obtiens de ce que j'ai appelé la <i>dromothérapie</i>;
+mais j'estime qu'une grande part du résultat utile revient
+à cette gymnastique de la volonté que le malade fait, pour ainsi
+dire, sans s'en douter. Il assiste tous les jours à ses progrès, il
+éprouve un vague sentiment de contentement à la pensée qu'il a
+vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle. Dût-on m'accuser
+de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la course
+en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie
+par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative,
+puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui
+devient vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers
+jours.</blockquote>
+
+<p>Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité
+de l'attrait dans l'exercice physique. Or cet attrait
+manque absolument dans l'exercice de la <i>gymnastique
+respiratoire</i>. Cet exercice est souverainement
+ennuyeux, et c'est chose rare que nos malades les
+plus obéissants le continuent régulièrement plus de
+deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est,
+pour le psychothérapeute, un agent de premier
+ordre, puisqu'il exige un effort énorme de volonté.
+Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop le
+recommander. En outre, il produit les effets les
+plus favorables sur la circulation et la nutrition;
+c'est le seul moyen que je connaisse de faire disparaître
+ces rougeurs émotives, si désagréables à
+certains neurasthéniques des deux sexes, et qui
+ne s'observent pas seulement chez les timides, car
+les personnes hardies et décidées leur payent aussi
+leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer
+l'obsession de la rougeur, la peur de rougir rend
+la vie sociale insupportable, et mérite l'attention du
+clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les
+moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce
+symptôme, on voit qu'il s'accompagne, presque
+toujours, d'une perturbation respiratoire, et quelquefois
+de sensations précordiales; et c'est, sans
+doute, parce que l'exercice en question régularise
+la respiration, qu'il est le meilleur traitement de la
+rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain, je
+l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices
+sont, je le répète, extrêmement désagréables,
+il faut savoir les graduer de façon à ce que
+le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses
+propres progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à
+faire faire au malade des mouvements de respiration
+profonde pendant dix minutes, matin et soir.
+On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de
+cette gymnastique méthodique, telle que les Suédois
+l'enseignent, c'est-à-dire faite d'après les vrais
+principes de la physiologie; tandis que, quand elle
+est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des
+instructeurs mal instruits, elle trouble les phénomènes
+de la circulation, et peut même amener du
+vertige et de la syncope. C'est donc un moyen
+puissant, mais qu'il faut savoir manier, comme
+toutes les autres armes de la thérapeutique. Il existe,
+dans tous les Instituts Zander, un appareil qui fait
+faire automatiquement d'excellente gymnastique
+respiratoire. Aux malades qui n'ont pas l'énergie
+de la faire simplement dans leur chambre sans le
+moindre appareil, nous conseillerons les instituts
+mécanothérapiques.</p>
+
+<p>On peut exercer la volonté du malade, et, par
+conséquent, la fortifier, par mille autres moyens, qui
+seront inspirés par les diverses conditions de
+milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible,
+il faut faire faire au malade un travail utile, et dont
+il puisse facilement mesurer les progrès, et surtout
+un travail qui ne demande pas une dépense, soit
+cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on
+perdrait d'un côté ce qu'on gagne d'un autre. Il
+faut, enfin, se rappeler que le rôle du psychothérapeute
+doit prendre fin à un moment donné, quand
+le malade a reconquis une puissance suffisante pour
+pouvoir voler de ses propres ailes. On doit alors
+l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement:
+il faut, si l'on nous permet cette comparaison,
+que le médecin imite le professeur de bicyclette,
+qui soutient pendant un certain temps son
+élève, puis l'abandonne momentanément, sans
+qu'il s'en doute; l'élève confiant continue à pédaler,
+se croyant soutenu, jusqu'au moment où il est assez
+sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur
+le soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas
+de progrès.</p>
+
+<p>2° <i>Moyens d'augmenter artificiellement le capital
+nerveux insuffisant</i>.&mdash;Dans les cas où la volonté
+est tellement défaillante que l'on ne saurait faire
+aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de
+fournir à son malade un apport étranger d'influx
+nerveux: il y arrive par le procédé de l'hypnose.
+Rien ne m'ôtera la conviction que, dans l'hypnose,
+il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son
+sujet, «influence» étant compris dans son sens étymologique
+(<i>fluere</i>, couler). L'hypnotiseur envoie de
+l'influx nerveux, il donne quelque chose de lui-même;
+il a une action personnelle; et les médecins
+qui prétendent le contraire, qui disent que les passes
+peuvent être remplacées par le braidisme, par la
+fixation d'un objet brillant, immobile comme une
+boule ou mobile comme un miroir à alouettes, ne
+me paraissent pas être dans la vérité.</p>
+
+<p>L'hypnotisme peut rendre de grands services
+dans les cas les plus variés; non seulement il peut
+rectifier des idées erronées, faire disparaître les
+mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il
+agit encore pour ramener chez le malade la quiétude
+de l'esprit, la confiance en soi-même.</p>
+
+<p>Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien
+n'est, en effet, plus facile, chez un sujet hypnotisable,
+et qui est bien en main, que de faire disparaître des
+troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des
+vomissements, des métrorragies, de faire revenir
+les règles, le sommeil naturel, de régulariser les
+selles, etc.</p>
+
+<p>Le malheur est que tous les sujets ne sont pas
+susceptibles de subir l'influence hypnotique, et que,
+précisément, ceux qui en auraient le plus besoin se
+trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les
+hallucinés, les grandes hystériques, les malades
+atteints de délire systématisé, ne sont presque
+jamais hypnotisables. L'hypnose est d'autant plus
+difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi,
+chez les aliénés, nous avons vu notre excellent
+maître le Dr A. Voisin s'acharner pendant des
+heures entières sans obtenir le moindre effet; mais
+aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait!
+Nous connaissons pour notre part de grands
+nerveux qui, très désireux de pouvoir être endormis,
+sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou tels
+confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance
+spéciale de l'hypnotisme, et toujours avec
+un insuccès complet.</p>
+
+<p>C'est là une première raison qui restreint grandement
+l'emploi de l'hypnose. Une deuxième raison
+qui doit le limiter, c'est que, quand on emploie
+l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans
+l'esprit du malade, si on ne réussit pas du premier
+coup, et alors on le prive du secours qu'on aurait
+pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse
+manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance.
+Mais il existe des procédés permettant de savoir si
+oui ou non le malade est hypnotisable, de façon
+qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser
+de côté, sans en avoir l'air, les sujets non facilement
+hypnotisables.</p>
+
+<p>Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose:
+c'est que celle-ci, quand elle réussit, risque de
+devenir un moyen thérapeutique trop actif. Même
+avec la plus grande prudence, on ne parvient pas
+toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare
+souvent par trop de l'esprit du malade, au point
+que ce dernier ne peut plus rien faire sans son
+conseil.</p>
+
+<p>J'ai connu un ingénieur des chemins de fer,
+renommé pour sa sévérité à l'égard des inférieurs,
+et névropathe de grande marque. Son médecin
+crut bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se
+trouva, par hasard, que c'était un sujet de premier
+ordre. Un jour, pendant le sommeil hypnotique, le
+médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses
+inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès
+le lendemain, les procédés de cet homme à l'égard
+de ces inférieurs se firent tellement bienveillants,
+affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses subordonnés
+eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour
+ses chefs. Il ne parlait plus que de devoir social,
+d'altruisme, de solidarité humaine. On le crut fou; il
+ne l'était pas, mais il était devenu tellement différent
+de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin,
+averti de ce changement à vue, s'efforça, en plusieurs
+conversations, de modérer le zèle charitable du
+néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait
+avec lui les théories socialistes, et serait devenu
+le pire des utopistes. Il fallut une nouvelle séance
+d'hypnose pour atténuer, au point voulu, les effets
+de la suggestion première.</p>
+
+<p>Pourquoi employer un moyen aussi actif quand
+on peut s'en passer? Autant demander pourquoi
+l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire
+sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors
+arabe à un cheval qui ne demande qu'à se laisser
+conduire? Réservons donc le mors arabe pour les
+cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif!</p>
+
+<p>Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le
+médecin doit cesser de recourir à l'hypnose, sous
+peine de compromettre le résultat final. Une fois
+le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction
+de sa monture. Pour bien faire comprendre
+ma pensée, je prendrai la comparaison suivante:
+l'hypnose est à la défaillance du système nerveux
+ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance
+fonctionnelle du corps thyroïde, ce que l'opothérapie
+hépatique est à l'insuffisance fonctionnelle
+du foie. Or, de même que le médecin qui s'est
+servi de foie de porc pour remettre en état un hépatique,
+ne continue pas indéfiniment l'emploi du foie
+de porc, de même le psychothérapeute doit cesser
+l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat
+voulu, c'est-à-dire dès qu'il a remis le malade en
+assez bon état pour pouvoir compter sur sa collaboration
+consciente, et lui demander un effort personnel
+de gymnastique psychique; de sorte que
+quatre ou cinq séances suffisent, dans la majorité
+des cas.</p>
+
+<p>Toutes ces considérations expliquent la rareté
+des cas où l'hypnotisme est à conseiller. Mais quant
+à dire, comme le font les adversaires irréconciliables
+de la thérapeutique par l'hypnose, que
+quelques séances amènent, chez le malade, une
+perturbation d'esprit incurable, que l'hypnotisme
+«dissocie la personnalité normale du sujet»
+(Grasset), «aboutit à la ruine déplus en plus complète
+de ce moi qu'on voudrait sauver» (Duprat),
+c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme
+bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai
+vu qu'une fois, dans le service de Charcot, l'hypnose
+amener chez un homme une violente attaque
+d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que
+les pratiques de l'hypnotisme ont quelque chose de
+dégradant pour la dignité humaine, parce que le
+médecin qui impose sa volonté au malade porte
+atteinte au dogme de la liberté, c'est énoncer une
+erreur non moins absolue, la suggestion hypnotique
+n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état de
+veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte,
+on n'aurait plus le droit de donner un conseil. Enfin,
+dire que les pratiques de l'hypnose sont mal vues
+dans le monde, et discréditent le médecin, c'est
+affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait
+en rien, car le médecin n'est responsable que devant
+sa conscience. Or, nous le répétons, sa conscience
+peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des
+procédés hypnotiques, surtout s'il prend le soin de
+n'endormir les malades qu'avec leur assentiment
+formel, et en présence d'un tiers représentant la
+famille.</p>
+
+<p>Ajoutons enfin que le médecin <i>seul</i> doit avoir
+recours à ce procédé thérapeutique; et que ce
+médecin doit agir uniquement pour le bien du
+malade, sans la moindre préoccupation étrangère,
+voire même sans aucune préoccupation scientifique.</p>
+
+<p><i>Conseils pratiques pour l'application des procédés
+psychothérapiques.</i>&mdash;Nous venons de passer en
+revue les moyens psychothérapiques par lesquels
+on peut améliorer le capital nerveux d'un malade.
+Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien
+voulant employer la psychothérapie; il semble
+donc utile de le compléter par des considérations
+d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées
+par une expérience personnelle.</p>
+
+<p>1° Il est un principe qui domine tous les autres;
+c'est que, pour faire de la bonne psychothérapie,
+il faut soigner le malade non seulement avec toute
+son intelligence, mais surtout avec tout son coeur.
+Le médecin qui ne ferait que de la psychologie,
+démontant curieusement pièce à pièce tous les
+rouages du cerveau de son malade, pour chercher
+celui qui est défectueux, sans se préoccuper avant
+tout d'être utile, ne ferait pas de bonne psychothérapie.
+Il lui faut être bon mécanicien, bon
+psychologue, c'est entendu; mais surtout il lui
+faut être un homme charitable. Je sais que le mot
+«charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on
+ne parle plus que d'altruisme, de solidarité, etc.
+Le mot «charité» pourra disparaître du dictionnaire,
+bien qu'il exprime autre chose que ses soi-disant
+synonymes; mais la charité restera toujours
+au fond du coeur de l'homme, et sera, comme par
+le passé, l'inspiratrice des actions généreuses et
+véritablement utiles.</p>
+
+<p>2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime
+son malade. S'il veut avoir sur lui une autorité
+morale effective, il faut en outre qu'il ne soit pas
+pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas,
+mais qu'il ne le soit pas en réalité. Savoir se
+donner tout entier à l'affaire présente est la première
+condition du succès, en psychothérapie. Il
+faut que, dès la première entrevue, s'établisse entre
+le malade et le médecin un courant de sympathie;
+or ce courant ne peut s'établir que si le malade
+sent que le médecin s'intéresse profondément à lui,
+et ne lui ménage pas son temps. La première consultation,
+surtout, doit pouvoir durer tout le temps
+nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine
+que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut.</p>
+
+<p>3° Il faut encore que le médecin sache écouter,
+c'est-à-dire laisser parler le malade aussi longtemps
+qu'il le désire, surtout pendant les premières
+consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité
+d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter,
+parce qu'on apprend toujours quelque détail dont
+on pourra tirer profit: si l'on agit de cette façon,
+le malade, par une sorte de discrétion inconsciente,
+arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser
+de la patience de son auditeur, et se contente de
+répondre aux quelques questions bien précises
+qu'il lui pose.</p>
+
+<p>Une fois que le médecin aura ainsi pris position,
+les conseils qu'il donnera, non seulement sur l'hygiène
+mentale, mais sur l'hygiène alimentaire, musculaire,
+auront toutes chances d'être suivis; et ainsi
+tout concourra à la guérison ou à l'amélioration
+cherchée.</p>
+
+<p>4° Un autre principe, c'est de dire au malade la
+vérité dans la mesure du possible. Évidemment,
+s'il y a une lésion organique incurable, le médecin
+doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les
+cas exceptionnels où le malade a des motifs sérieux
+pour savoir la vérité entière. Mais le plus souvent
+il faut dire la vérité au malade, lui dire très
+franchement l'idée que l'on se fait de son état, la
+durée probable du traitement, etc. Si, cependant,
+le traitement doit demander des années, comme il
+arrive trop souvent chez les malades à capital restreint,
+mieux vaut rester dans le vague, et dire:
+«Le traitement sera long, un peu pénible, mais la
+guérison est assurée.» Il faut encore, dès les premières
+entrevues, avertir le malade des rechutes
+possibles, probables, ou certaines: si c'est une
+femme, la prévenir que, dans les douze jours qui précéderont
+l'époque menstruelle, elle aura fatalement,
+durant quelques mois, une réapparition de toutes
+ses misères, mais à un degré de moins en moins
+marqué; dans tous les cas, avertir le patient, s'il
+s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il
+risque d'avoir une légère aggravation, puis, quand
+son état s'améliorera, tous les trois jours, puis tous
+les huit jours, et ce, en dehors de toute cause appréciable,
+par le seul fait de cette tendance qu'a le
+système nerveux à protester d'une façon intermittente.
+Mais il faut, en outre, l'avertir que toute
+émotion violente, et surtout que toute infraction au
+régime alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a
+été ou qui va lui être prescrit, se soldera inévitablement
+par une rechute plus ou moins grave, suivant
+la gravité de l'infraction,&mdash;une rechute qui,
+chose curieuse, ne se manifestera que le lendemain
+ou le surlendemain de l'écart commis;&mdash;l'avertir
+enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en
+particulier, fera faire un pas en arrière d'autant
+plus grand qu'elle aura été plus grave, et soignée
+plus tardivement; donner, par conséquent, au
+malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette,
+dans la mesure du possible, à l'abri des affections
+intercurrentes, et lui recommander de demander
+ou de prendre des soins immédiats, en lui faisant
+bien remarquer que les affections accidentelles ne
+sont graves, en général, que lorsqu'elles ne sont
+pas bien soignées dès leur début.</p>
+
+<p>5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade
+des prescriptions qui lui seraient plus pénibles que
+les malaises dont il se plaint. Il doit même éviter,
+en général, de multiplier ses prescriptions, sans
+quoi il risque de décourager le patient, ou, ce qui
+est pire encore, de le rendre égoïste et hypocondriaque,
+et d'entretenir sa «maladie» par le soin
+même apporté à la combattre. Aussi bien la
+thérapeutique est-elle, en général, plus simple
+qu'on ne croit, et les questions de régime, en particulier,
+sont presque toujours faciles à résoudre.</p>
+
+<p>Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de
+formuler une prescription, c'est de la mesure où il
+sera possible et facile, au malade, de l'appliquer.
+Pour ma part, je n'arrête jamais un programme
+de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec
+le malade, et, si possible, avec l'un des membres
+de sa famille. Je donne alors au malade une feuille
+où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis
+l'heure du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où,
+aux heures prescrites, sont indiqués les menus des
+repas, voire même les livres à lire. J'ai soin, en
+outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis
+est défendu», en laissant entendre au patient que,
+dans un avenir plus ou moins rapproché «tout
+ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le
+malade, pourvu de cette feuille directrice, est averti
+qu'il doit s'en rapprocher le plus possible, mais
+sans en devenir l'esclave.</p>
+
+<p>On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace
+de la «maladie», si grave qu'elle soit, est toujours
+praticable, quelles que soient les conditions
+de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où
+ce traitement doit être simplifié au maximum: par
+exemple, chez une mère de famille ayant des occupations
+multiples de toutes sortes. Il serait souverainement
+absurde de proposer à cette malade un
+régime ou des soins personnels qui l'empêcheraient
+d'accomplir ses devoirs de tous les instants; on
+doit se borner, alors, aux prescriptions les plus
+importantes, en faisant comprendre à la malade
+que l'on ferait mieux si les circonstances de sa
+vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en définitive,
+le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et
+qu'on en sera quitte pour prolonger le traitement
+plus longtemps.</p>
+
+<p>En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent
+à un traitement méthodique proviennent de deux
+sources: 1° De l'absence de foi du malade, 2° de
+la mauvaise volonté de son entourage.</p>
+
+<p>1° Il est des malades qui viennent nous consulter
+malgré eux, sous la pression de leur famille, avec
+l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre une consultation
+de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les
+précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup,
+comprenne la mentalité des sujets de ce genre;
+avec l'habitude, il peut être fixé dès les premières
+paroles échangées, voire dès le premier abord. A
+lui, alors, de déployer toute sa puissance de suggestion.
+S'il sait s'y prendre, il peut arriver à
+faire, d'un malade irréductible en apparence, l'être
+le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et
+il parvient alors à des résultats inespérés. Les
+choses se passent ainsi huit fois sur dix.</p>
+
+<p>Plus difficiles à convaincre sont les malades qui
+n'ont pas d'énergie, qui, loin de se cabrer, semblent
+des victimes soumises à l'avance, ou encore ceux
+qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent
+que la mort. En face de tous ces malheureux, le
+médecin ne doit pas se dérober, quelque souci que
+lui réservent les patients de cette sorte.</p>
+
+<p>Enfin, plus difficiles encore sont les malades à
+théories, qui ont leur siège fait, après avoir vu des
+médecins de tous les pays, suivi, dans les sanatoria
+les plus variés, les traitements les plus dissemblables;
+qui connaissent toutes les dernières
+nouveautés sur les choses médicales, le discours
+de la veille à l'Académie de médecine, les livres
+qui vont paraître. Avec ceux-là, rien à faire. Le
+mieux, pour ne pas perdre un temps précieux, est
+de leur déclarer de suite qu'on ne parviendrait pas
+à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs,
+ces cas sont assez rares.</p>
+
+<p>Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale
+qui commencent par dire toujours non, ou à
+le penser, ce qui est encore plus grave. La psychothérapie,
+comme tous les agents thérapeutiques,
+a à compter avec ce que, dans notre langage
+barbare, nous appelons les «idiosyncrasies».</p>
+
+<p>2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient
+de l'hostilité de l'entourage du malade.</p>
+
+<p>On ne peut se faire une idée de l'influence
+néfaste qu'exerce cet entourage; quelquefois il contrecarre
+ouvertement les opinions du médecin, discute
+sa manière de penser, ses prescriptions; le
+malade, alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance
+au médecin ou à l'entourage.</p>
+
+<p>Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement
+déclarée. Mais c'est pis encore: c'est alors une
+lutte sourde, de tous les instants, à propos des
+moindres prescriptions. Le malade sent très bien
+que le médecin est dans le vrai, qu'il a <i>compris</i> sa
+«maladie»; il voudrait de tout son coeur suivre ponctuellement
+ses conseils: mais l'entourage est là
+qui, sans dire un mot, proteste intérieurement et
+exécute à contre-coeur tout ce qui a été prescrit.
+La position est des plus difficiles. Cette contre-suggestion,
+qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer
+la confiance, si nécessaire, que le malade
+avait tout d'abord; les prescriptions ne sont qu'à
+moitié observées. Ces tiraillements continus sont
+véritablement lamentables.</p>
+
+<p>Et que faut-il entendre par entourage? C'est
+rarement le mari ou la femme, c'est souvent la
+mère ou la belle-mère, plus souvent encore des
+personnes qui touchent de moins près au malade.
+Les plus dangereux ennemis sont ceux qui ont à
+donner des soins immédiats; ce sont les gardes,
+qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout
+les domestiques. De là la dure nécessité pour
+le médecin d'être bien avec tout le monde, dans la
+maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant
+avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi
+il prescrit telle ou telle chose qui semble inutile ou
+dangereuse: le repos, alors que tout le monde voudrait
+que le malade fît de l'exercice; le régime
+restreint, alors que, pour rendre du sang au
+patient, tout le monde voudrait qu'il prît du jus
+de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus
+souvent, la partie est perdue d'avance; et c'est alors
+que le médecin doit user de toute son autorité pour
+imposer l'isolement, tandis qu'il eût été quelquefois
+très simple de guérir à peu de frais le malade,
+en le laissant chez lui.</p>
+
+<p>Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la
+confiance d'un malade, et d'avoir conquis, non la
+neutralité,&mdash;elle n'existe nulle part,&mdash;mais l'assentiment
+de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne;
+il ne reste plus qu'à surveiller l'application du traitement,
+et surtout à entretenir la foi du malade en
+sa guérison à échéance plus ou moins éloignée.
+Pour remplir ce double but, il faut que le médecin
+ait avec le malade de fréquents entretiens, au cours
+desquels il doit lui expliquer, dans la mesure du
+possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui
+démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer
+instamment, quelles que soient ses doléances,
+que la guérison est assurée.</p>
+
+<p>Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile.
+Il l'est, par exemple, chez les malades qui ont
+besoin du lit, pendant les premiers temps, pour
+calmer leur système nerveux. Ne dormant presque
+jamais, ces malheureux ont toutes les peines du
+monde à rester au lit; il faut leur faire bien comprendre
+que cette agitation, ce malaise inexprimable
+qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour
+au lit, mais de l'excitation du système nerveux; que
+cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze
+jours, pour faire place à une détente de bon aloi,
+avec sensation de fatigue énorme, mais non plus douloureuse,
+avec sommeil réparateur, retour de l'appétit,
+disparition <i>spontanée</i> de la constipation, etc.
+Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le
+plus souvent, des visites quotidiennes. Plus tard, les
+visites pourront être espacées: il faut savoir se
+faire désirer.</p>
+
+<p>Dans les cas graves, il faut donner aux familles
+l'habitude de laisser le malade en tête-à-tête avec
+le médecin. L'influence de celui-ci est, alors, beaucoup
+plus active, et les malades, pouvant s'épancher
+en toute liberté, tirent un grand bénéfice de la visite
+du médecin, qui ne tarde pas à devenir leur ami.</p>
+
+<p>C'est dans ces tête-à-tête que le médecin doit
+insister pour faire de la suggestion optimiste et de
+la véritable psychothérapie, d'après les principes
+que nous avons étudiés antérieurement.</p>
+
+<p>Nous avons parlé déjà, à propos de la névrose
+provoquée par les causes morales chez les jeunes
+femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir,
+à titre de confident de leurs misères: ce rôle est
+toujours difficile, et quelquefois dangereux. Le
+besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir confier
+sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues;
+c'est lui qui pousse les criminels à
+venir s'accuser d'un acte dont l'auteur aurait pu
+rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable,
+a excité un de mes malades à prendre sa
+femme, en tant que sa meilleure amie, comme confidente
+d'une passion amoureuse qui le rongeait.
+On comprend donc combien un confident sûr et
+discret peut rendre de services, chez les malades
+de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme l'a
+dit le poète:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>En se plaignant on se console,</p>
+<p>Et quelquefois une parole</p>
+<p>Nous a délivrés d'un remords.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Mais il est des cas où la douleur humaine ne
+peut être atténuée par une confidence, si intime
+qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd tous
+ses droits.</p>
+
+<p>Il est d'autres cas où elle est également impuissante.
+C'est quand le malade ne <i>veut</i> pas guérir,&mdash;s'il
+se complaît dans son chagrin, par exemple.&mdash;Ou
+bien encore on voit des malades qui ont pris
+l'habitude de se faire plaindre, et qui, inconsciemment,
+ne veulent pas guérir; dans leur égoïsme
+morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage,
+véritables vampires qui épuisent jusqu'au
+bout la patience, les forces, les ressources pécuniaires
+de leurs proches, sans avoir un éclair de
+reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi,
+ni pour le médecin qui se dépense en pure perte.
+Rappelons-nous bien que ces malades terribles sont,
+avant tout, des malades, et ont droit à toute notre
+indulgence; leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme
+morbide. Ainsi j'ai soigné une dame qui,
+avant d'être malade, était exquise de bonté, de
+bienveillance, de politesse. Or, quelques mois après
+le début de sa «maladie», en même temps qu'elle
+devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en
+ne mangeant presque pas, grande malade en un
+mot, son caractère se modifia et la fit devenir le
+tyran dont j'esquisse à grand traits l'image. Aujourd'hui,
+elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile
+d'ajouter qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces
+malades, la psychothérapie est impuissante. Si
+habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue
+quelquefois; elle a cela de commun avec tous les
+autres agents thérapeutiques.</p>
+
+
+<p>PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX</p>
+
+<p>Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser,
+comme moyen psychothérapeutique, les ressources
+que peut fournir la foi religieuse? Grave question
+qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion.</p>
+
+<p>En principe, le médecin ferait mieux de laisser
+ce soin au prêtre, ou au pasteur, ou au rabbin,
+à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces
+délicats problèmes; mais il est des circonstances où
+il ne peut pas se dérober, et il nous faut en dire quelques
+mots.</p>
+
+<p>Il est certain, en tout cas, que le médecin ne
+doit jamais aborder, le premier, ces questions d'ordre
+philosophique et religieux; ce n'est pas son rôle,
+et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense
+d'une doctrine philosophique quelconque, pourrait
+être, et serait à juste titre, sévèrement jugée. Mais,
+d'autre part, il doit s'attendre à ce que, poussé par
+un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à
+entrer avec lui dans ce domaine.</p>
+
+<p>Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le
+figure: le malade qui, pendant ses douloureux
+loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité de
+toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la
+banalité des consolations habituelles, qu'il n'accepte
+d'ailleurs qu'à son corps défendant, se sent, à un
+moment donné, préoccupé d'une façon insolite
+par les grands problèmes de l'au-delà, de la destinée
+humaine. Sans compter qu'il est envahi d'une
+crainte angoissante. Combien de fois n'ai-je pas
+entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur
+de quoi? Ils n'en savent rien; ce n'est pas, en
+général, d'avoir à quitter cette lamentable existence,
+qui ne leur offre rien de bon;&mdash;encore que parfois,
+sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct
+de conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il
+en soit, ils ressentent une peur vague, animale; et,
+dans cette détresse morale, ils s'accrochent désespérément
+à tout ce qui peut leur donner du réconfort.</p>
+
+<p>Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve
+souvent le malade d'aborder des problèmes qui,
+en état de santé, lui étaient complètement indifférents.
+Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec
+la bonne religieuse, qui répondra à toutes les questions
+par de petites dévotionnettes ou des pratiques
+tout à fait en dehors des habitudes du malade, des
+pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les
+fervents, et qui risquent de révolter l'esprit de
+ceux qui n'en comprennent pas le sens caché? Est-ce
+avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant
+en coup de vent prendre des nouvelles du malade,
+et ne pensant qu'à ses affaires pendant qu'il lui
+détaille ses misères, se borne à lui répondre:
+«Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut,
+ou qu'il fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le
+malade, quand ces visiteurs ne l'assassinent pas en
+lui parlant de leurs affaires personnelles, alors que
+la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde!
+Vraiment, tous ces consolateurs de passage feraient
+mieux de rester chez eux; non seulement ils ne sont
+d'aucune utilité, mais ils contribuent à entretenir
+la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du
+lit des patients. Chose curieuse, les amis les plus
+intimes, ceux qui dans le cours ordinaire de la vie
+recevaient les confidences les plus secrètes, n'ont
+plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient
+en partie à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue
+par des confidences réciproques; or, à partir
+du jour où le malade a été sérieusement touché,
+il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires
+de ses meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne
+s'intéresse qu'aux siennes, c'est-à-dire à sa «maladie».</p>
+
+<p>Le malade prendra-t-il, comme confidents de
+ses graves préoccupations, les personnes de son
+entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.?</p>
+
+<p>Quelle médiocre ressource!&mdash;Certes, ce n'est ni
+le dévouement, ni la bienveillance, ni la tendre
+affection qui font défaut aux membres de la famille;
+mais le malade se garde bien de leur confier ses
+chagrins intimes, d'abord par crainte de les alarmer,
+et ensuite parce qu'il sait d'avance ce que
+pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de
+tout temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent,
+le prêtre n'a pas ses entrées dans la maison;
+et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état soit un
+peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce
+qu'elle peut pour retarder une visite qui risque de
+l'effrayer. Il sera bien temps d'appeler le prêtre
+quand le malade sera sans connaissance!</p>
+
+<p>Que reste-il donc?&mdash;Le médecin.</p>
+
+<p>Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé
+de son corps, lui donne une influence et une
+autorité morales supérieures à celles mêmes des
+parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui
+surtout que le malade est tenté de confier ses
+doutes, ses préoccupations d'au-delà, ses vagues
+espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui
+avec une abondance et une intensité inaccoutumées.</p>
+
+<p>Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa
+tâche, sur ce domaine particulier de la psychothérapie,
+dont l'importance est souvent capitale.</p>
+
+<p>Mais que doit-il faire? En présence d'un malade
+qu'il voit partagé entre des restes de foi plus ou
+moins effacés, et cet état d'incrédulité, active ou
+passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence
+d'un malade qui, sans croire qu'il va mourir,
+craint cependant de mourir, et se demande avec
+angoisse si cette mort signifiera vraiment pour lui
+l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques
+chances qu'il retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle,
+la société de ceux qu'il a le plus aimés sur
+cette terre; en présence d'un tel malade, que doit
+faire le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances,
+il ne perde jamais de vue que le malade
+est semblable à un noyé qui cherche à se raccrocher
+à la moindre branche de salut; si donc il n'a
+à lui offrir que de froides théories philosophiques,
+aboutissant à la désespérance finale, s'il est lui-même
+bien convaincu que la mort signifie, pour le
+malade, la fin absolue, et la séparation à jamais
+d'avec ce qui lui est cher, alors il fera mieux de se
+taire et de garder pour lui des doctrines qui, en
+admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient
+être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade
+a besoin, c'est de soutien moral, c'est de foi, c'est
+surtout d'espérance. Or, où trouvera-t-il tout cela
+en dehors de la doctrine de celui qui a dit: «Venez
+à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?»</p>
+
+<p>L'influence utile de la religion est, d'ailleurs,
+reconnue par tous les médecins qui se sont occupés
+des «maladies» nerveuses; et c'est avec plaisir que
+nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre
+du Dr Dubois<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13"><sup>13</sup></a>, de Berne, qui cependant, dans
+le reste de son ouvrage, développe avec complaisance
+des théories philosophiques fort éloignées de
+l'orthodoxie chrétienne:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" name="footnote13"></a><b>Note 13:</b><a href="#footnotetag13"> (retour) </a> Dr Dubois. <i>Les Psychonévroses et leur traitement moral</i>, 1904.</blockquote>
+
+<p>«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif
+contre ces «maladies» de l'âme, et le plus
+puissant moyen pour les guérir, si elle était assez
+vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme
+chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare,
+dans les milieux bien pensants, l'homme devient
+invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu, il
+ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber
+sous les coups d'une «maladie» physique, mais,
+moralement, il reste debout au milieu de sa souffrance,
+il est inaccessible aux émotions pusillanimes
+des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV:
+«Ceux à qui leur tournure d'esprit permet encore
+la foi naïve trouveront un appui dans leurs convictions
+religieuses, à condition qu'elles soient sincères
+et vécues.»</p>
+
+<p>Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en
+résulte pas, pour le médecin psychothérapeute,
+d'encourager son malade dans ces convictions
+religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux
+émotions pusillanimes des névrosés»?</p>
+
+<p>Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez,
+vivante «pour créer un vrai stoïcisme chrétien»,
+subsiste encore, et cherche vaguement à se raviver
+sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme
+mondains, est-ce que ce n'est pas une obligation
+pour le médecin de l'y aider, autant qu'il le
+peut?</p>
+
+<p>Voici donc le médecin transformé, malgré lui,
+en apôtre. Mais nous ne craignons pas de le redire:
+pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas préparé, il
+a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne
+doit s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain
+aussi dangereux.</p>
+
+<h4>CHAPITRE V</h4>
+
+
+<h4>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES</h4>
+
+<p>La psychothérapie est la base du traitement, pour
+les malades chez qui les troubles nerveux et mentaux
+prédominent. Dans les autres formes de la
+déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un
+rôle important; de là les résultats remarquables
+obtenus, même dans les «maladies» à forme gastrique,
+abdominale, etc., par quelques-uns de nos
+confrères, qui arrivent, en effet, à soulager et guérir
+un certain nombre de dyspeptiques et abdominaux,
+tout en excluant systématiquement toute préoccupation
+de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces
+confrères tombent dans l'exagération; même s'il n'y
+a pas de troubles gastriques, le régime du malade
+doit être surveillé; et à plus forte raison quand
+l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en
+réalité, joue, dans la thérapeutique des malades à
+phénomènes intestinaux et gastriques, un rôle au
+moins égal à celui de la psychothérapie.</p>
+
+<p>Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers:
+lorsque vous faites du régime, lorsque vous
+imposez à vos malades telle ou telle alimentation,
+qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une
+maison de santé à l'autre, les bons résultats que
+vous obtenez sont dus, exclusivement, à la psychothérapie
+que vous faites sans le savoir. Si le
+docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en
+leur donnant du macaroni sous toutes les formes,
+ce n'est pas parce qu'il remet leur estomac en état,
+c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance;
+en fait, il les guérit par suggestion, et malgré le
+régime. Car le régime, ajoutent-ils, entretient plutôt
+l'idée de «maladie»: le malade s'auto-suggestionne
+à chaque prise alimentaire, et ce qui peut
+arriver de plus malheureux à un névropathe, c'est
+de trouver un médecin qui le soumette à un régime
+alimentaire, quel qu'il soit.</p>
+
+<p>Cette opinion me semble absolument excessive.
+Je voudrais bien voir traiter, par la psychothérapie
+seule, telle ou telle jeune fille qui vomit tout ce
+qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs
+semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des
+troubles digestifs mettant sa vie en danger. Qu'on
+réussisse souvent à guérir les «malades» sans
+régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique,
+qui n'est en somme que la suralimentation,
+dans une maison de santé, c'est possible: le changement
+de milieu, l'éloignement des causes qui
+avaient produit et entretenu la «maladie», l'influence
+salutaire indiscutable du médecin, expliquent ces
+miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se
+garder de généraliser; et mon avis est qu'il faut
+toujours, en même temps qu'on fait de la suggestion,
+instituer un régime alimentaire approprié au
+fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.</p>
+
+
+
+<h4>I</h4>
+
+<h4>RÉGIME</h4>
+
+
+<p>Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac
+et l'intestin, atteints d'une sorte d'inertie,
+se refusent à tout travail, et indiqué les symptômes
+physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie.
+Il est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac
+et à cet intestin un travail fréquent, mais peu
+actif; de là, nécessité de la diète liquide dans
+les cas très graves, parfois même de la diète absolue
+pendant vingt-quatre ou trente-six heures, et
+de la diète semi-liquide dans les cas moins graves,
+avec prises alimentaires toutes les heures, ou
+toutes les deux heures, suivant le degré d'inertie
+constaté.</p>
+
+<p>Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le
+nombre des aliments. Je me rappelle un malade
+qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux, qui
+depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait
+plus rien, avait une constipation invraisemblable,
+ne pouvait plus se traîner, ne dormait
+plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un
+régime consistant à s'alimenter exclusivement de
+Revalescière. Je lui ai donné, toutes les demi-heures,
+pendant trois jours, puis toutes les heures,
+jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes
+les trois heures pendant huit jours, uniquement de
+la Revalescière, cuite dans du bouillon de légumes
+et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac
+lui permit de tolérer d'autres potages, puis
+des purées, puis des oeufs et du poisson, et enfin
+de la viande trois fois par semaine; et il partit
+guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois
+mois. C'est que je faisais, en même temps, de la
+psychothérapie! me dira-t-on encore? Sans doute,
+j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup
+pour faire accepter ce régime à mon malade, pour
+lui persuader qu'il n'avait pas une «maladie» incurable,
+pour le faire rester à Paris, dans les conditions
+d'installation médiocre où il se trouvait, etc.;
+mais j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui
+l'a guéri, et que, malgré la confiance qu'il avait en
+moi, malgré toute l'autorité que j'exerçais sur lui,
+malgré le repos au lit, si je lui avais donné à
+manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais
+mis au lait, si surtout j'avais fait de la suralimentation,
+ce malade n'aurait pas guéri; et la preuve
+en est que, à partir du premier mois, sitôt que je
+m'écartais du régime méthodique, et que, pour
+essayer de gagner du temps, je faisais un essai d'alimentation
+un peu substantielle, cet essai, si timide
+qu'il pût être, amenait invariablement un petit
+recul. Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement
+amené une rechute.</p>
+
+<p>Inutile de dire, après cela, que la Revalescière
+n'est nullement un spécifique. Tout autre aliment
+semi-liquide aurait amené le même résultat (panade
+bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root,
+phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de
+riz, etc)</p>
+
+<p>Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au
+contraire le régime ultra-sec qui convient mais
+pendant quelques jours seulement: Le régime sec
+est d'un maniement difficile et doit être très vite
+remplacé par le régime «à restriction des boissons».
+Ces cas sont ceux où, à l'inertie, se joint
+un élément spasmodique. Il faut alors donner au
+malade, toutes les demi-heures d'abord, puis toutes
+les heures, pendant deux ou trois jours, des aliments
+secs à grignoter; et ce régime est spécialement
+indiqué chez les malades chroniques dont le
+capital est gravement atteint. Il est bien certain que
+la psychothérapie intervient assez peu dans ces cas,
+et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à
+un malade qui aurait besoin d'un régime sec le
+régime liquide, ou même semi-liquide, il n'y a point
+de suggestion qui puisse empêcher les fâcheux
+résultats d'une pareille erreur thérapeutique.</p>
+
+<p>Dans certains autres cas graves, le malade maigrit,
+semble ne pas pouvoir digérer, et ne digère
+pas, en effet, simplement parce qu'il a peur de
+manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh!
+alors la psychothérapie fait merveille. On doit donc
+forcer le malade à manger, et à manger n'importe
+quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout digérer.
+Mais je ne conseillerai jamais à un médecin
+d'essayer ce système, de prime abord, chez un
+malade dont il n'aurait pas étudié de très près le
+fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de
+compromettre gravement la situation du malade, et
+la sienne propre.</p>
+
+<p>D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut
+procéder avec une sage lenteur, et se rappeler ce
+que nous avons dit du peu d'aliments nécessaire
+à la conservation de la vie.</p>
+
+<p>Il nous est impossible de tracer, même à grands
+traits, les indications de régime qui conviennent
+aux divers malades. Théoriquement, le régime doit
+varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour
+à l'autre, pendant toute la durée de la «maladie».
+Mais, en pratique, les choses se passent plus simplement.
+Le principe général, c'est qu'il faut faire
+manger souvent les malades, sans attendre qu'ils
+aient des phénomènes spasmodiques (tiraillements
+d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut les faire
+manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour
+assurer le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris
+vers minuit, après le premier réveil, dans les cas
+où le régime doit être plutôt sec, une tasse de cacao
+dans les cas où le régime doit être plus liquide,
+font mieux, pour procurer le sommeil, que la meilleure
+des préparations opiacées.</p>
+
+<p>Une seconde recommandation, c'est de faire
+reposer les malades après avoir mangé. Nous
+avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut qu'ils
+se couchent pour manger; dans les cas moins
+graves, la position horizontale après les repas
+s'impose, et n'est pas moins nécessaire après le
+goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien
+de faire, après les repas, un exercice modéré; et
+il y a aussi quelques dyspeptiques auxquels cet
+exercice est profitable: mais c'est la grande exception.</p>
+
+<p>Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique
+ni l'homme bien portant ne doivent oublier: c'est
+qu'il n'est pas bon de se mettre à table immédiatement
+après un travail musculaire. C'est ce qu'a
+parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses
+remarquables travaux sur les exercices physiques;
+et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer mes
+lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur
+toutes les questions de l'alimentation dans ses
+rapports avec l'exercice.</p>
+
+
+
+
+
+<h4>II</h4>
+
+<h4>MOYENS ACCESSOIRES</h4>
+
+
+<p>Outre le régime, il est encore un grand nombre
+de petits moyens thérapeutiques que la psychothérapie
+ne remplacera certainement pas. Il est très
+simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le
+massage, la douche tiède, paraissent faire du bien
+aux malades, c'est parce que ces agents provoquent
+des suggestions favorables. Mais c'est une
+conception par trop facile, et qui se trouve démentie
+par l'expérience. Tous ces moyens accessoires ont
+leur action propre, indépendante de toute suggestion,
+action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils,
+tout comme l'hygiène alimentaire, être
+soumis à un contrôle sérieux, et ne pas être employés
+à tort et à travers: mais, quand ils sont bien maniés,
+ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique.
+Le principe général, c'est qu'il faut en user
+avec une extrême prudence, et que, dans le doute,
+il vaut mieux s'en abstenir.</p>
+
+<p><i>Hydrothérapie</i>.&mdash;L'hydrothérapie froide est
+rarement indiquée; on commence à le savoir! Dans
+tous les cas graves, alors que le capital nerveux
+est vraiment compromis, elle peut occasionner des
+désastres.</p>
+
+<p>Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient
+de la douche froide la base du traitement de la
+folie, y on tous entièrement renoncé: la douche
+froide ne convient que dans les cas exceptionnels,
+chez les malades ayant encore un excellent capital,
+et auxquels on peut impunément soutirer une
+dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais
+la douche froide à la saignée faite chez les malades
+qui n'ont plus de pouls, qui sont moribonds, et
+auxquels une saignée peut parfois rendre le pouls
+et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée
+dans les cas d'oppression des forces». Or,
+pour pratiquer à coup sûr la saignée, dans ces
+cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il faut
+être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer
+convenablement l'hydrothérapie froide, chez les
+malades graves.</p>
+
+<p>Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions,
+les lotions, le manteau espagnol, etc., ont une
+action moins brutale que la douche. Bien appliquées,
+ces pratiques peuvent rendre de grands services.
+Elles le peuvent surtout si le malade, plein
+d'une foi aveugle, et suggestionné par avance,
+quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va,
+comme les fervents de Woerishoffen, dans un
+endroit tranquille, bien aéré, où son cerveau reste
+en jachère par le fait de l'horrible tristesse du
+milieu, et s'il s'y soumet à une alimentation plus
+raisonnable que celle qu'il avait chez lui. Tous ces
+éléments entrent pour une part indéniable, dans les
+remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et
+qu'obtiennent encore, à un moindre degré, ses successeurs
+et ses élèves, à Altkirch, en particulier.</p>
+
+<p>Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de
+parti pris, se priver de ses services, mais se rappeler
+qu'elle ne doit être employée que chez les
+malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez
+les malades de ce genre, le maillot humide, notamment,
+constitué par un drap mouillé et tordu
+étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette,
+est un procédé souvent très utile et à la portée de
+toutes les bourses. On entoure, avec le drap, le
+malade comme une momie, en l'enveloppant ensuite
+de trois couvertures préalablement étendues,
+sous le drap. Nous avons vu des malades, qui ne
+parvenaient pas à dormir, trouver, vingt minutes
+après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil
+réparateur. La durée des applications ne doit pas
+dépasser trois quarts d'heure; et leur nombre peut
+sans inconvénients atteindre 80, employées quotidiennement,
+même pendant les règles.</p>
+
+<p>L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses
+indications. Le <i>tub</i> tiède, pratiqué dans la matinée,
+avec une infusion de tilleul et l'enveloppement dans
+une couverture, est essentiellement sédatif, si le
+malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.</p>
+
+<p>Le bain répond aussi à de nombreuses indications;
+mais c'est un moyen beaucoup plus actif
+qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des
+malades qui ne le supportent pas, que le bain,
+même de cinq minutes, énerve, empêche de dormir;
+on doit tenir compte de cette susceptibilité, et ne
+pas insister si le malade affirme que le bain lui est
+contraire. Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois
+amenés à donner des bains de douze et de
+vingt-quatre heures: c'est là une médication très
+active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que
+les malades ont des syncopes dans le bain; c'est
+dire la surveillance qu'il faut exercer autour d'eux.
+Les bains de six heures consécutives sont journellement
+employés à Louéche, et avec grand
+profit, pour les malades atteints de certaines formes
+d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une
+qualité particulière, qui rend tolérables ces bains
+prolongés; ce qu'il y a de certain, c'est que les
+bains de la même durée avec de l'eau de Paris,
+comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis,
+ne sont, en général, pas tolérés, et qu'on a
+dû réserver ce traitement pour les cas exceptionnels.</p>
+
+<p>C'est également une qualité particulière de l'eau
+qu'il faut invoquer pour expliquer la tolérance de
+certaines eaux minérales. A Badenweiller, en particulier,
+à Gastein, à Néris, les nerveux supportent
+des bains très prolongés (pendant une et
+deux heures), alors que, chez eux, un bain d'un
+quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable.</p>
+
+<p>Il est cependant des malades qui ne supportent
+pas le contact de l'eau, même aux stations minérales
+que je viens d'indiquer; les médecins de ces
+stations auraient tort d'insister si, après les deux
+ou trois premiers bains, ils observaient une aggravation
+de l'état maladif.</p>
+
+<p>Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on
+ne doit pas mouiller la peau. L'application d'un
+cataplasme leur est odieuse, un bain de pieds les
+révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la
+figure avec très peu d'eau tiède, ou même avec du
+cold-cream. Dira-t-on que ce sont là des phobiques?
+Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne connaissons
+pas tous les degrés de susceptibilité du
+système nerveux, réactif d'une sensibilité invraisemblable;
+et cette intolérance de la peau pour
+l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle
+disparaît en même temps que les vertiges, gastralgie,
+constipation, maux de tête, et autres
+misères dont l'ensemble constitue la «maladie».
+Mais, aussi longtemps qu'existe cette intolérance,
+le médecin doit savoir la respecter, et ne pas s'obstiner
+à faire faire au malade l'hydrothérapie même
+la plus mitigée.</p>
+
+<p>C'est dans ces cas que convient souvent l'application
+de la chaleur sèche. Un sac en caoutchouc,
+à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur l'estomac
+après les repas, et, le soir, au lit, pour
+chauffer les pieds, est très apprécié de beaucoup
+de malades. Ce procédé, très simple, facilite la
+digestion, surtout chez les malades spasmodiques.
+Cependant, on ne doit pas le recommander dans
+les cas d'inertie. Dans ces cas, c'est la compresse
+froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas
+chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui
+rend service au patient.</p>
+
+<p>Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut
+encore être remplacé par un sac en caoutchouc
+contenant un produit solide, qui se dissout par la
+chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa
+chaleur de fusion. Ces petits appareils, connus
+sous le nom de <i>dermothermes</i> ou de <i>dermophores</i>,
+ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures
+une chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient
+d'être un peu lourds; aussi, quand l'installation
+le permet, leur préférons-nous un tissu métallique
+très léger, recouvert d'une enveloppe de soie,
+et chauffé par un courant électrique à 70 volts.</p>
+
+<p><i>Massage</i>.&mdash;Ce que nous disons de l'hydrothérapie
+s'applique, de point en point, au massage. Le
+massage est un moyen violent qui ne devrait jamais
+être pratiqué en dehors du médecin. Employé
+même légèrement, il fatigue beaucoup certains
+malades. Le massage abdominal, en particulier,
+qui a été fort en honneur il y a quelques années,
+constitue un procédé thérapeutique dangereux
+dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours
+pratiqué par une main expérimentée, c'est-à-dire
+avec la plus grande douceur. Il peut rendre alors
+quelques services, lutter contre la paresse de l'estomac
+et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler
+que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout
+à fait accessoire. Les médecins qui auraient la
+prétention de guérir la constipation par le massage
+abdominal exclusivement s'exposeraient à un
+échec certain, parce que la constipation n'est pas
+causée seulement par une inertie des muscles de
+l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état
+général, ainsi que nous l'avons déjà expliqué.</p>
+
+<p>Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au
+moins autant de services que le massage, et sont
+d'une application plus facile, puisqu'elles peuvent
+être confiées à toutes les mains. Elles sont faites
+avec un gant de molleton, jamais ou très rarement
+avec le gant de crin; seules les personnes
+bien portantes, ou les malades ayant encore une
+grande somme de résistance, supportent la friction
+violente au gant de crin. Une bonne manière de
+faire la friction humide est la suivante:</p>
+
+<p>Mettre le malade tout nu dans une couverture de
+flanelle; en extraire un des bras, le frotter de bas
+en haut avec le gant imbibé d'une solution alcoolique
+tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un
+gant sec, frictionner de bas en haut, remettre le
+bras du malade dans la couverture; s'emparer
+ensuite de l'autre bras, et agir de même. Frictionner
+successivement les deux jambes, toujours de bas
+en haut, puis faire asseoir le malade sur son lit,
+lui frictionner le dos, n'importe en quel sens, l'étendre
+de nouveau, travailler légèrement le devant
+de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre.
+L'opération doit durer dix minutes. Elle est à
+recommander chez presque tous les malades, même
+chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien
+faite, et comme nous venons de le dire, elle n'est
+jamais dangereuse.</p>
+
+<p>Les bains de vapeur sont en général bien supportés;
+mais les prendre dans des établissements
+spéciaux expose à une grande perte de temps, et à
+un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre
+à domicile, soit dans des boîtes portatives,
+soit, mieux encore, au lit. On peut, dans ce cas,
+utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une
+forte lampe à alcool, et conduites sous les couvertures
+du lit par un tuyau en tôle. Mais un procédé
+qui nous semble meilleur encore est le suivant:
+dans des boites disposées <i>ad hoc</i>, mettre
+deux briques bien chauffées,&mdash;appliquer une de
+ces boîtes aux pieds du malade couché, une autre
+boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la
+transpiration survienne. Elle arrive infailliblement,
+avec une douce lenteur, et ce système permet: 1° de
+graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller les
+draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé
+de vapeur qui sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons
+ces bains d'air sec chez les malades obèses,
+rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.</p>
+
+<p>En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails:
+tout ce qui peut être utile au malade doit être
+l'objet de nos recherches; et c'est le soin des
+détails qui fait la force, et, disons-le franchement,
+le légitime succès de quelques-uns de nos confrères
+étrangers.</p>
+
+<p><i>Électricité</i>.&mdash;L'électricité n'est pas, non plus,
+à négliger. Il est certain que les courants de haute
+fréquence ont, sur la nutrition en général, et sur
+le système nerveux en particulier, une action très
+puissante, notamment chez les nerveux atteints
+de prurit anal (Dr Leredde), et chez les malades
+envahis par une sensation permanente de froid.
+Mais c'est là un procédé forcément limité, à
+cause des difficultés d'installation et du prix de
+revient. Les applications faradiques ou galvaniques
+sur l'abdomen peuvent également avoir
+leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif,
+et qui, fort heureusement, n'est pas, non plus,
+d'un emploi facile.</p>
+
+<p>Le tabouret électrique est souvent recommandable,
+à condition qu'on ne tire pas d'étincelles.
+Les machines statiques à domicile sont des jouets
+qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant
+si le peu d'ozone qu'elles dégagent n'a pas une
+influence utile?</p>
+
+<p>Les bains électriques constituent aussi un moyen
+puissant, et, par conséquent, difficile à manier. Ce
+que nous avons dit des contre-indications du bain ne
+s'applique pas aux bains électriques; il est des
+cas où le bain électrique, bien appliqué, rend
+d'excellents services: tant vaut l'application, tant
+vaut le moyen. D'une façon générale, on peut dire
+que le bain électrique occasionne une courbature
+notable qui, à l'inverse de la courbature produite
+par l'excès d'exercice musculaire, amène le sommeil.
+Ces bains ne devraient être donnés que tous
+les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale
+très exacte pendant toute la durée du bain.
+Dire qu'un pareil moyen agit par suggestion, c'est
+énoncer une affirmation qui n'a rien de scientifique.</p>
+
+<p><i>Injections hypodermiques</i>.&mdash;Les injections
+hypodermiques constituent un des agents les plus
+utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux
+trois chefs suivants leur action bienfaisante:
+1° toute injection, en tant qu'injection, a une
+influence utile; 2° le médicament injecté a son
+action propre; 3° une part de suggestion s'attache
+à l'emploi des injections.</p>
+
+<p>I. On sait, depuis les remarquables études du
+Dr Chéron, que toute injection hypodermique, quelle
+qu'elle soit, pourvu que le liquide injecté ne soit
+pas toxique, produit un relèvement momentané de
+la tension vasculaire, se traduisant par une sensation
+de bien-être, de vigueur; produit, en un mot,
+un effet dynamogénique plus ou moins prolongé,
+Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres
+conditions.</p>
+
+<p>Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de
+Brown-Séquard, de l'océanine, etc.; il y a toujours
+à compter avec cette action particulière de l'injection
+en tant qu'injection sous-cutanée ou intramusculaire,
+en tant qu'agent modificateur de la
+pression sanguine. De là l'utilité des doses massives
+de liquide, comme aussi la vogue qu'ont eue,
+pendant un certain temps, les injections de sérum
+artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes
+de sel marin pour un litre d'eau stérilisée.
+Malheureusement on sait, depuis quelques années,
+que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il
+peut devenir toxique chez les malades dont les reins
+ne fonctionnent pas très bien. Il faut donc en user
+avec grande prudence.</p>
+
+<p>Depuis un an, on fait beaucoup d'injections
+d'eau de mer stérilisée (océanine). On donne de
+300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs
+de ce nouveau médicament en disent merveille: il
+est possible que l'eau de mer soit un heureux
+mélange de substances utiles à l'organisme. Je n'ai
+pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement
+que j'ai essayé l'océanine chez trois malades, vus
+en consultation avec le Dr Marie, sans résultats
+appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions
+que des doses de 30 grammes par jour. D'une
+communication sur ce sujet faite à la Société
+de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le
+Dr Marie, il résulte que ces injections, pratiquées
+à des doses plus fortes, ont des effets vraiment
+importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles
+n'ont pas les inconvénients graves des injections
+salées ordinaires, si bien mis en lumière par M. le
+Dr Hallion à la même séance de la Société. L'eau de
+mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est
+probablement un des précieux médicaments de
+l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; d'autant que
+les injections massives qu'on en fait agissent également
+en tant qu'injections de liquide non toxique.</p>
+
+<p>II. Il faut tenir compte de la nature du produit
+injecté. Il existe, certainement, des médicaments
+doués d'une action reconstituante sur le système
+nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de
+soude et surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard,
+peut-être la lécithine, les phosphates, etc.
+Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces
+médicaments: disons seulement un mot des principaux.</p>
+
+<p>Le cacodylate de soude est incontestablement un
+reconstituant de premier ordre; on peut l'employer
+sans danger à des doses beaucoup plus élevées
+qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à
+la Société de Dermatologie, des observations prouvant
+la non-toxicité du produit, ainsi que l'utilité
+des hautes doses longtemps continuées, dans certains
+cas exceptionnels<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14"><sup>14</sup></a>. Le plus souvent, la dose
+indiquée par le professeur Gautier, de 10 centigrammes
+par injection, est suffisante, et il n'est
+pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par
+semaine cette injection, à la condition de continuer
+le traitement pendant deux ou trois mois
+dans les cas moyens.</p>
+
+<p>J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée
+de l'action des cacodylates de soude et de magnésie,
+à la Société de Thérapeutique, en 1902, en indiquant
+les très rares contre-indications, et en précisant,
+dans la mesure du possible, les indications<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15"><sup>15</sup></a>.
+Le cacodylate de fer en injections rend aussi des
+services, dans les cas exceptionnels où le fer est
+indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques,
+chloro-anémiques): mais quatre ou cinq injections
+de 5 centigrammes, faites à raison de deux par
+semaine, nous ont toujours semblé suffisantes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" name="footnote14"></a><b>Note 14:</b><a href="#footnotetag14"> (retour) </a> Considérations sur la médication cacodylique, <i>in Ann. de
+dermatologie et Syphiliographie</i>, 6 mars 1902.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" name="footnote15"></a><b>Note 15:</b><a href="#footnotetag15"> (retour) </a> <i>Bull de la Soc. de Thérapeutique</i>, 27 mars 1901.</blockquote>
+
+<p>Les injections orchitiques de Brown-Séquard,
+après avoir eu un moment la faveur que l'on sait,
+sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la
+bonne fortune d'être en relations personnelles et
+suivies avec le vénéré maître, de recueillir de sa
+bouche des aperçus thérapeutiques de grande
+envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps
+de vérifier et d'enseigner, je reste convaincu qu'il
+faudra reprendre l'étude de l'action dynamogénique
+du liquide de Brown-Séquard, préciser les
+doses, le nombre des injections, etc. Ce travail n'a
+été qu'ébauché par le grand initiateur.</p>
+
+<p>D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble
+une méthode pleine de promesses; j'ai cité notamment,
+à la Société de Thérapeutique, en 1904,
+le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au
+dernier degré du marasme, avec muguet dans la
+bouche, qui a été comme ressuscitée par l'emploi
+de trois lavements quotidiens préparés avec une
+macération de 200 grammes de foie de porc, fraîchement
+tué, dans 300 grammes d'eau bouillie.
+Cette dame, une grande malade avec phénomènes
+nerveux et dyspeptiques anciens, avait eu, à un
+moment donné, une insuffisance hépatique; son
+foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre
+intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.);
+au deuxième mois de cette complication, elle était
+arrivée à l'état lamentable que j'ai indiqué, quand
+nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à
+son foie. Le résultat a dépassé toute espérance;
+trois heures après le premier lavement, la malade
+avait des urines claires et abondantes; huit jours
+après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les
+selles régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger
+immédiat conjuré, il m'a encore fallu continuer
+à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, la peau
+de ma malade: mais, trois mois après, elle put
+aller achever sa convalescence dans le Midi, et,
+depuis deux ans, elle va presque bien. La complication
+hépatique n'avait été qu'un épisode dans
+le cours de la «maladie», qui évoluait depuis
+vingt années.</p>
+
+<p>D'une façon générale, les préparations opothérapiques,
+auxquelles un immense avenir semble
+réservé, ne rendront tous les services qu'elles peuvent
+rendre que quand on trouvera le moyen de
+les donner par voie sous-cutanée, comme le faisait
+Brown-Séquard avec son liquide orchitique.</p>
+
+<p>Chez certains malades, les préparations de strychnine
+par injections hypodermiques ont un effet
+très utile: mais il ne faut pas dépasser en général
+la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux
+encore d'arséniate de strychnine, ni faire plus
+de huit ou dix injections, réparties sur trente
+jours.</p>
+
+<p>Nous avons dit combien la grippe est dangereuse
+pour les malades, quels qu'ils soient. C'est l'ennemie
+personnelle des neurasthéniques. De là, la
+préoccupation constante que nous avons de faire la
+guerre à cette affection accidentelle, de la couper
+dès ses débuts. Or, il m'a bien semblé trouver, dans
+le <i>cacodylate de gaïacol</i>, un agent antigrippal spécifique,
+sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention
+de mes confrères, à la Société de Thérapeutique,
+en janvier 1906.</p>
+
+<p>Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes
+de cacodylate de gaïacol, dans un gramme
+d'eau stérilisée, et préalablement saturée de gaïacol,
+fait merveille chez les grippés au début: elle les
+guérit en quelques heures. Deux ou trois injections
+consécutives suffisent toujours pour couper la
+grippe, même quand elle n'est pas prise au début,
+à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires,
+et, même alors, le cacodylate de gaïacol
+me semble très recommandable. Il l'est aussi
+dans ces convalescences interminables de grippe
+qui résistent à tous les traitements.</p>
+
+<p>Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même
+avec pneumonie, nous nous sommes très bien
+trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours
+de suite, des injections de quinine. Une seringue
+de Pravaz de la solution suivante, introduite profondement
+dans le muscle, est très bien tolérée
+et n'occasionne jamais d'abcès:</p>
+
+<table width="80%" align="center" summary="">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td valign="top" align="left" width="70%">
+ Chlorhydrate neutre de quinine<br>
+ Antipyrine<br>
+ Eau distillée<br>
+ </td>
+
+ <td valign="top" align="left" width="30%">
+ 3 grammes.<br>
+ 2 &nbsp;&nbsp;&nbsp; &mdash;<br>
+ 6 &nbsp;&nbsp;&nbsp; &mdash;<br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<p>Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux
+dans les névralgies postgrippales, qui
+sont quelquefois si tenaces, et qui résistent même
+aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques,
+névralgies intercostales).</p>
+
+<p>Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces
+suites éloignées de la grippe, cas de grippe aiguë et
+de névralgies postgrippales,&mdash;on ne peut pas tout
+faire,&mdash;mais je crois bien que la quinine à petites
+doses, donnée en injections à tous les malades à
+dépréciation nerveuse momentanée, aurait un effet
+dynamogénique précieux.</p>
+
+<p>Dans certains cas de douleurs névralgiques trop
+pénibles, les injections d'héroïne sont indiquées;
+mais il faut savoir que l'héroïne doit se manier à
+doses trois fois moindres que la morphine; en
+d'autres termes, on ne doit jamais dépasser un
+milligramme d'héroïne, surtout chez les malades
+dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique
+de l'héroïne nous a semblé supérieure
+à celle de la morphine; mais il faut bien se rappeler
+que l'héroïne est un médicament aussi dangereux
+que la morphine, auquel les malades s'habituent,
+et réserver son emploi pour les cas exceptionnels.
+J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me disposais,
+à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque,
+me ravisant, je me demandai si la névralgie crurale
+qui le torturait ne serait pas, par hasard, d'origine
+syphilitique. Or, en reconstituant son histoire,
+j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment
+en cause; et une seule piqûre de calomel eut raison
+à tout jamais de cette névralgie si pénible; tant
+il est vrai que le médecin doit toujours penser à la
+syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.</p>
+
+<p>Chez les adultes, le traitement de choix de la
+syphilis tertiaire, quelle que soit la manifestation
+syphilitique (aortite, gommes), nous semble être
+les injections mercurielles; celles au benzoate sont
+douloureuses, et donnent des nodosités désagréables;
+celles de biiodure en solution aqueuse sont
+très douloureuses. Nous préférons l'huile grise
+pour les cas moyens, le calomel pour les grandes
+circonstances, et l'huile au sublimé,&mdash;dont nous
+avons donné la formule en 1881 à la Société de
+Dermatologie,&mdash;chez les syphilitiques épuisés,
+auxquels l'huile sert d'aliment.</p>
+
+<p>Et puisque nous parlons d'injections huileuses,
+le moment est venu de dire un mot de nos travaux
+antérieurs sur l'action dynamogénique de l'huile
+créosotée, en injections sous-cutanées <i>à dose
+maxima tolérée</i>. Nous les avons surtout employées
+et les employons encore chez les tuberculeux;
+mais nous étions guidé par une fausse conception
+théorique; et si la créosote <i>bien maniée</i> reste,&mdash;et
+restera longtemps,&mdash;le médicament de choix
+chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle agit
+contre le bacille de Koch, comme antiseptique,
+c'est parce qu'elle a une action non douteuse, extraordinairement
+puissante, sur le système nerveux.</p>
+
+<p>La créosote est, en effet, un agent dynamogénique
+de premier ordre. Aussi les tuberculeux sont-ils
+loin d'être les seuls malades qui puissent tirer
+parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais
+d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce
+sont eux qui en tirent le moindre bénéfice, à cause
+de la difficulté que présente le maniement de la
+créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la
+fièvre. Là où les injections d'huile créosotée font
+merveille, c'est chez les pseudo-tuberculeux, qui
+sont tellement démolis par les troubles gastriques,
+nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout
+en ne l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée
+rend, en quelques jours, l'appétit, la force, en un
+mot la vie.</p>
+
+<p>Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra
+longtemps son emploi, c'est l'extrême difficulté
+qu'il y a à la manier. Pour ma part, je
+me suis attaché à surprendre les moindres manifestations
+de l'intolérance, et à les décrire minutieusement
+afin de permettre aux praticiens de
+ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention
+sur les intolérances accidentelles, qui doivent
+faire immédiatement suspendre le traitement, ou
+baisser la dose acceptée les jours précédents. J'ai
+même tellement insisté sur les dangers de la créosote
+que quelques confrères m'ont accusé d'avoir
+fait son procès; mais la dynamite aussi est une
+arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien
+maniée, elle rende des services<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16"><sup>16</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" name="footnote16"></a><b>Note 16:</b><a href="#footnotetag16"> (retour) </a> Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas seulement que
+la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par la peau, est
+un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un mois,
+avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux,
+un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade
+est resté à la diète <i>absolue</i>, ce qui a donné à l'ulcère le temps de
+se cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de
+150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des
+injections huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau
+sanguin, d'où peut résulter une embolie qui peut être mortelle;
+mais j'ai indiqué le moyen de se mettre <i>sûrement</i> à l'abri de tout
+accident grave. Le secret consiste à bien connaître les moindres
+symptômes d'introduction de l'huile dans le torrent circulatoire,
+et à arrêter l'injection dès l'apparition de ces symptômes.
+Rien n'est plus facile que d'arrêter à temps cette injection, si on la
+fait avec la lenteur voulue; mais cette lenteur n'est possible
+qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à fonctionnement automatique.
+Au reste tous ces points sont étudiés dans mon livre
+sur le <i>Traitement de la tuberculose par la créosote</i>.</blockquote>
+
+<p>III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles
+soient, agissent encore d'une autre façon. En dehors
+des propriétés particulières à chaque médicament,
+et de l'action dynamogénique reconnue à
+toute injection sous-cutanée et même intra-musculaire,
+elles agissent encore par suggestion. Elles
+font prendre patience au malade, en attendant que
+les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène
+cérébrale, médullaire, gastrique, intestinale, cutanée,
+etc., aient eu le temps de produire leurs effets.
+Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente,
+comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le
+malade serait vite découragé, si on ne lui donnait
+pas du premier coup, un remontant, factice peut-être,
+mais certainement utile, et ayant une action
+évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire
+confiance.</p>
+
+<p>La pratique des injections hypodermiques est
+également utile au médecin à un autre point de vue:
+elle lui permet d'apprécier très vite le degré de
+confiance que lui accordent le malade et son entourage.
+Or, de ce degré de confiance dérive, dans une
+notable mesure, le résultat thérapeutique final. Si
+le médecin sent que son malade a foi en lui, il
+déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources
+de son intelligence et de son coeur; dans
+le cas contraire, il se sentira à tout instant, gêné,
+paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas toute
+la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il
+y a, pour lui, à évaluer le degré de confiance qui
+lui est octroyé. Eh bien! pour l'apprécier, il n'y a
+pas de meilleure pierre de touche que l'injection
+hypodermique. Car si le malade et son entourage
+acceptent celle-ci aveuglément, du premier coup,
+sans même demander la formule du liquide injecté,
+c'est toujours signe que le terrain est bon, et que
+le malade acceptera avec la même obéissance les
+diverses prescriptions qui lui seront faites. Dans
+certains cas, il est vrai, le malade accepte, non
+parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie;
+peu importe, il acceptera avec la même passivité
+les prescriptions qui lui seront faites, et c'est
+là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou
+surtout son entourage, manifestent une curiosité
+inquiète, qu'on ne parvient pas à satisfaire par une
+réponse banale, quand ils expriment des appréhensions
+sur la nature et les effets du liquide
+injecté, on peut dire que le cas est mauvais, ou tout
+au moins médiocre; et le médecin aura beaucoup à
+faire pour conquérir la confiance.</p>
+
+<p>Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont
+légitimes, et ce que nous disons ici ce n'est pas pour
+les empêcher: mais il n'en est pas moins vrai
+qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le
+médecin a intérêt à connaître afin de travailler à la
+faire cesser et d'établir ainsi, entre son malade et
+lui, cette confiance réciproque qui est la condition
+indispensable d'un traitement efficace.&mdash;Or l'attitude
+des malades en face des injections qu'on leur
+propose constitue, à ce point de vue, un excellent
+moyen de diagnostic moral.</p>
+
+<p>Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut
+dire un mot des applications locales, révulsives ou
+dérivatives, qui étaient autrefois si en honneur,
+et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste.</p>
+
+<p><i>Vésicatoires</i>.&mdash;Autant nous protestons contre
+les larges vésicatoires employés autrefois, et qui,
+chez quelques malades, produisaient de la cystite,
+chez presque tous une douleur pire que le mal
+qu'on voulait guérir; autant nous continuons à
+penser que le petit vésicatoire, sous forme de
+mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez
+les grands malades qui ont le système nerveux
+sens dessus dessous, une mouche, appliquée derrière
+l'oreille, peut faire un mal extrême et produit
+un état d'agitation inconcevable, non pas à cause
+de la douleur insignifiante qu'elle provoque, mais
+par le fait du trouble de circulation qu'elle produit à
+distance. Ce seul fait suffirait à prouver que l'application
+d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs,
+n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez
+certains malades qui ont encore un bon capital nerveux,
+la mouche, appliquée derrière l'oreille droite,
+de préférence, produit une sédation des plus remarquables,
+amène le sommeil, dissipe le malaise mental
+et les divers troubles innommables qui constituent
+l'état nerveux; c'est sans doute à cause de l'infériorité
+fonctionnelle de la partie gauche du corps,&mdash;habituelle
+chez les malades, ainsi que nous
+l'avons dit,&mdash;que la mouche appliquée derrière
+l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle
+produirait moins si elle était appliquée à gauche;
+en tout cas, c'est un fait d'observation. De même,
+la mouche sur le creux de l'estomac peut amener,
+si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop
+aigus, une aggravation notable des troubles gastriques;
+mais si elle vient à son heure, elle provoque
+un apaisement notable des troubles digestifs. La
+mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un
+des meilleurs remèdes à apporter à la constipation.
+Cette affirmation peut sembler singulière, mais elle
+s'explique pour qui comprend l'origine, presque
+toujours nerveuse, de la constipation.</p>
+
+<p><i>Emplâtres</i>.&mdash;Les applications d'emplâtres
+d'opium ne sont jamais dangereuses, et font souvent
+le plus grand bien. Étant donnée l'extrême
+susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se
+laisse impressionner par les moindres influences,
+ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout cas, j'affirme,
+au nom d'une expérience prolongée, qu'une
+mouche d'opium appliquée à la tempe est souvent
+très appréciée par les malades céphalalgiques, qu'un
+emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone,
+laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux,
+ou du moins d'une façon plus continue, les douleurs
+gastralgiques, que ne le ferait une série d'injections
+de morphine.</p>
+
+<p>De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué
+sur la colonne vertébrale, immédiatement au-dessous
+de la première vertèbre dorsale, sur une longueur
+de dix centimètres, atténue singulièrement certains
+phénomènes médullaires dont se plaignent les
+malades, en particulier les inquiétudes dans les
+jambes qui sont si fréquentes chez les grands neurasthéniques.</p>
+
+<p>Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à
+dédaigner. A eux seuls, ils seraient insuffisants;
+mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos méthodiquement
+dosé, aux applications hydrothérapiques
+raisonnables, et à la psychothérapie, ils amènent
+sûrement la guérison, lorsqu'il reste assez de capital
+biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.</p>
+
+<p><i>Purgatifs</i>.&mdash;Nous usons très peu des médicaments
+fournis par la pharmacopée, pour ce motif bien
+simple que nous n'en avons pas besoin, et que nous
+avons une crainte presque instinctive de tous ces
+agents thérapeutiques à action violente et perturbatrice.
+Faut-il l'avouer? c'est aussi parce que nous
+ne les connaissons pas.</p>
+
+<p>Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un
+médicament. J'ai mis, quant à moi, des années à
+étudier l'action du bromure, quand je m'occupais
+plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales;
+et quand, en octobre 1898, le professeur
+Gautier a bien voulu me confier l'étude du cacodylate
+de soude, la première chose que je lui ai
+dite, c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour
+pouvoir lui donner sur cet agent thérapeutique une
+appréciation ayant quelque valeur. Enfin, pour ce
+qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans
+à en connaître l'effet.</p>
+
+<p>Comment, alors, avoir confiance dans des publications
+hâtives sur des médicaments découverts de
+la veille? Et, en ce qui est des médicaments anciens,
+ayant fait leurs preuves, je répète que, en général,
+je les redoute, à cause de l'extrême sensibilité des
+malades, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer.</p>
+
+<p>Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient,
+m'inspirent une véritable terreur. Mais, dira-t-on,
+tous les jours nous les voyons employer sans
+dommage, et même avec une apparence de succès
+qui saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs
+à une indication bien rationnelle, puisqu'il faut évacuer
+les résidus de la digestion qui empoisonneraient
+l'économie! Il nous faut réfuter ces objections
+en passant: qu'on donne un purgatif à un
+homme solide qui a un léger embarras gastrique,
+il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien;
+mais c'est une erreur d'interprétation, et si le
+purgatif ne lui a pas fait de mal appréciable, c'est
+que tout est sain chez les hommes sains. Mais
+donner un purgatif à un malade grave dont le
+système nerveux est profondément atteint, c'est
+provoquer chez lui des réflexes dont personne ne
+connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son
+système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit
+le ventre, qui avait jusqu'alors une certaine tonicité,
+devenir flasque, inerte, perdre toute réaction; l'intestin
+est alors inhibé dans son fonctionnement, et
+il faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse,
+quand il se ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il
+donc faire chez les malades constipés? La réponse
+est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur
+constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut
+les soigner en tant que malades; la constipation disparaîtra
+d'elle-même. Le moment nous semble venu
+de protester une dernière fois contre les idées des
+gens du monde, et des médecins, relatives à la constipation.</p>
+
+<p>Nombreux sont les gens soi-disant bien portants
+qui sont atteints de constipation chronique. Quand
+nous disons bien portants, c'est une façon de parler:
+car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument
+bien portants. Mais il en est beaucoup qui vont et
+viennent, vivent de la vie commune, tout en ayant
+une constipation opiniâtre; de plus il y a beaucoup
+de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont
+constipés. Une dame nous disait plaisamment, à ce
+sujet, que son intestin avait «horreur du vide».
+Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette
+obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés,
+elles tolèrent leur infirmité sans se douter
+qu'elle existe. Mais malheur à elles quand elles
+commencent à se préoccuper de leur constipation!
+C'est à partir de ce moment qu'elles rapportent à la
+constipation les mille et une misères qui sont
+l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles,
+surtout, quand elles entrent dans la voie des soi-disant
+traitements de la constipation! Elles commencent
+par user du lavement simple, tiède d'abord,
+puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours
+aux purgatifs doux, aux purgatifs plus violents,
+elles en arrivent aux grands lavages. Elles font
+tant et si bien qu'elles irritent leur intestin, et qu'à
+leur constipation anodine succède l'entéro-colite
+membraneuse.</p>
+
+<p>A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable
+et le cercle vicieux est établi. Plus elles
+irritent leur intestin, plus la constipation devient
+opiniâtre, et, pour lutter contre cette constipation
+opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin.
+L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent
+plus qu'à leurs fonctions alvines, à la liberté
+du ventre, qu'elles disent être la plus nécessaire
+des libertés. Elles donneraient la vie du genre
+humain pour obtenir une selle; elles se présentent
+à la garde-robe plusieurs fois dans la journée, sans
+succès ou avec des résultats insignifiants, et, cette
+impuissance les affolant, elles ont recours aux
+moyens les plus extraordinaires pour lutter contre
+l'odieuse constipation. Cet état mental des constipés
+mérite d'être étudié de très près; et toute thérapeutique
+qui ne cherche pas à le modifier est, par
+avance, condamnée à l'impuissance.</p>
+
+<p>La première chose à faire, quand on se trouve en
+présence d'un de ces constipés à obsession, est de
+lui persuader que la constipation n'est pas l'ennemie,
+n'est pas la cause immédiate de toutes les
+misères qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un
+symptôme d'importance secondaire, prouvant simplement
+qu'il y a quelque chose de défectueux dans
+le fonctionnement du système nerveux abdominal.</p>
+
+<p>Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller
+à la garde-robe tous les deux ou trois jours pour commencer,
+que, lorsqu'ils iront mieux, ils iront quotidiennement;
+invitez-les à ne s'y présenter qu'une
+fois par jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans
+la mesure du possible d'y aller en dehors de l'heure
+réglementaire. Recommandez-leur de ne pas lutter
+contre la constipation, mais bien contre le trouble
+nerveux dont la constipation n'est qu'un symptôme,
+et, s'ils vous écoutent, si vous avez le don de les convaincre,
+ils seront par cela seul à moitié guéris.</p>
+
+<p>Cependant, comme il faut tenir compte de leur
+état mental, et un peu aussi de la mentalité de
+l'entourage, on peut autoriser un petit lavement
+d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour
+de présentation inefficace, à l'heure réglementaire
+de la présentation, lavement qui sera gardé cinq
+minutes seulement. On peut encore, si l'on croit
+devoir faire de grandes concessions, permettre au
+malade, le soir du troisième jour de présentation
+inefficace, un lavement d'huile, non pas avec
+200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou
+cinq cuillerées à bouche d'huile pure, lavement
+destiné à être gardé toute la nuit; si l'on y ajoute
+une forte dose de suggestion, ce lavement aura,
+pour le lendemain, un effet magique.</p>
+
+<p>Les pilules de belladone d'après la formule de
+Trousseau sont également recommandables; elles
+ont tout au moins l'avantage de ne pas être nuisibles.</p>
+
+<p>Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide
+orchitique de Brown-Séquard; c'est de la bouche
+même du savant professeur que je tiens ce renseignement,
+et je me rappelle encore, comme si c'était
+hier, le jour où il me disait ces paroles: «De tous
+les services que m'ont rendus à moi-même mes
+injections de suc orchitique, celui que je place en
+première ligne, bien avant tous les autres, c'est
+qu'elles m'ont guéri d'une constipation opiniâtre».
+Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut avoir été,
+comme moi, torturé par la constipation pour savoir
+toutes les angoisses qu'elle occasionne».</p>
+
+<p>Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a
+joué aucun rôle dans la circonstance, car M. Brown-Séquard
+ne s'attendait pas le moins du monde à cet
+effet des injections do liquide orchitique.</p>
+
+<p>Pour moi, utilisant ce précieux renseignement,
+j'ai traité et je traite encore par les injections de
+liquide orchitique les grands neurasthéniques
+atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite.</p>
+
+<p><i>Eaux minérales</i>.&mdash;Si nous donnons peu de
+créance aux médicaments de la pharmacopée, nous
+croyons, par contre, que les eaux minérales constituent
+des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire,
+qui ne respectait rien, disait que les voyages
+aux eaux ont été inventés par des femmes qui s'ennuyaient
+chez elles, et Diderot affirmait que, en
+général, les eaux sont le dernier conseil de la
+médecine poussée à bout. «On compte plus, ajoutait-il,
+sur le voyage que sur le remède.»</p>
+
+<p>Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit,
+mais ils parlaient là de choses qu'ils ne connaissaient
+point. Si incommensurable que soit la
+sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui,
+depuis la plus haute antiquité, et ne jouiraient pas
+du renom qu'elles ont encore, si elles n'avaient pas
+vraiment une certaine efficacité.</p>
+
+<p>Certes, dans les bons effets des cures minérales,
+il faut compter, pour une certaine mesure, avec le
+changement de milieu, l'influence agréable du
+voyage; mais il ne faut pas oublier que cette
+influence, utile quelquefois, est quelquefois fâcheuse.
+Aussi faut-il n'envoyer aux eaux que les malades
+qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le
+capital n'est pas sérieusement compromis.</p>
+
+<p>Le changement de régime alimentaire qui est
+imposé aux malades, dans les stations thermales,
+leur est parfois favorable, et peut avoir une part
+d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous
+savons, en effet, que, à un moment donné, il est
+utile de ne pas se confiner dans un régime alimentaire
+suivi depuis trop longtemps, et aussi que,
+dans certains cas, il faut savoir brusquer l'estomac.
+Mais ce changement brusque, qui souvent est utile,
+peut être dangereux, au contraire, quand le système
+nerveux n'est pas de taille à supporter le
+soudain assaut imposé.</p>
+
+<p>C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales,
+où le bon effet des eaux est, en grande
+partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène
+alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer,
+dans toutes les villes d'eaux, des «tables de
+régime» comme il en existe dans toutes les maisons
+de santé bien tenues, où chaque malade, pour
+ainsi dire, a le régime alimentaire qui lui convient,
+dosé et surveillé par le médecin de l'établissement.
+Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans
+nos stations minérales, parce que les médecins n'y
+sont pas libres de tous leurs actes, et ont à compter
+avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à compter
+avec leurs chefs de cuisine.</p>
+
+<p>A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables
+de régime»; et j'y ai vu moi-même des menus
+imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils
+annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le
+papier. A Vichy, par contre, plusieurs médecins
+sont arrivés à imposer à des tenanciers de pensions
+de famille l'obligation de donner aux malades
+des régimes variés, suivant les prescriptions médicales.</p>
+
+<p>Quant aux indications des eaux minérales, elles
+varient à l'infini.</p>
+
+<p>Certaines eaux ont certainement une action prédominante
+sur tel on tel syndrome. Ainsi, ce n'est
+pas du tout en vertu d'une erreur d'observation, ou
+d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux
+de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique
+sur les troubles périphériques de la circulation
+(varices, hémorroïdes, phlébites). Les malades
+atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement,
+à Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs
+misères (troubles nerveux, dyspeptiques), mais plus
+particulièrement les misères locales causées par
+leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une
+action non douteuse sur le symptôme constipation,
+action que n'a pas Vichy, qui, au contraire,
+favorise la constipation pendant la durée du traitement.</p>
+
+<p>De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez
+certains entéralgiques, convalescents d'appendicite,
+etc., une action véritablement spéciale. De même
+encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons,
+n'est qu'un des symptômes de la «maladie», elles
+ont une bienfaisance incontestable, surtout si, à
+leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en
+montagne bien comprise et bien réglée. Les eaux
+de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas d'action spéciale,
+mais elles rendent de précieux services aux nerveux
+fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées
+chez les malades dont le système nerveux digestif
+est en détresse, et la Grande Grille, en particulier,
+a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique
+pas plus par la théorie des <i>ions</i> que par les
+théories chimiques, mais qui est indiscutable. Et il
+ne s'agit pas là de psychothérapie ni de suggestion;
+la Grande Grille a des effets qui lui sont
+propres, et Vichy est souvent un adjuvant dont on
+ne peut se passer. Mais il faut se rappeler que c'est
+une arme difficile à manier, comme toutes les armes
+puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que
+les malades ayant encore une grande force de résistance
+vitale.</p>
+
+<p>Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive
+y envoyer que des dyspeptiques. Parmi les 30
+ou 35 malades que j'y envoie, chaque année,
+il y en a au moins une dizaine chez lesquels les
+symptômes cérébraux prédominent, à condition,
+bien entendu, que ces symptômes ne soient pas en
+rapport avec des lésions organiques; et ces malades
+se trouvent au moins aussi bien de Vichy que ceux
+qui n'ont que des symptômes gastriques ou hépatiques.</p>
+
+<p>Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault
+les malades atteints de lésions
+organiques du cerveau ou de la moelle, hémiplégiques,
+congestifs, etc. Depuis quelques années, la
+physionomie de cette station a changé. Il y a eu des
+accidents provoqués par l'eau chaude sur les
+malades à artères friables; et l'on se borne actuellement
+à y envoyer les malades à troubles médullaires
+superficiels, connus vulgairement sous les
+vocables de rhumatismes chroniques ou articulaires,
+sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec
+ses bains de boue, Franzenbad avec ses bains
+d'acide carbonique, rendent aussi de grands services
+aux rhumatisants et aux obèses sans lésions
+organiques appréciables.</p>
+
+<p>Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège
+de recevoir des malades à lésions organiques nettement
+définies, et dont nous ne nous occupons pas
+dans ce travail.</p>
+
+<p>Vittel et Contrexéville conviennent aux malades
+chez lesquels le trouble de la nutrition, qui n'est,
+en général, qu'un trouble du système nerveux, se
+traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la
+formation de calculs, soit dans le foie, soit dans
+les reins<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17"><sup>17</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17" name="footnote17"></a><b>Note 17:</b><a href="#footnotetag17"> (retour) </a> Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon estomac,
+à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De
+là le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer
+à Vittel. Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez
+que, longtemps avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits
+troubles cérébraux, ne fût-ce que des migraines, de petits troubles
+cutanés, de l'obésité. Un beau jour, une colique néphrétique les
+surprend, et l'on se figure que c'est à partir de ce jour qu'ils sont
+devenus malades. Il n'en est rien. La colique néphrétique n'a été
+chez eux, qu'un accident; bien avant de l'avoir, ils avaient, même
+du côté du rein, de petites misères qui passaient inaperçues: du
+lumbago, des urines chargées de sable. Et si, au moment où l'on
+s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait soignés méthodiquement,
+par le repos ou l'exercice suivant les cas, par telle ou
+telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique hydrothérapique,
+telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu de coliques
+néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel. Mais,
+ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir au
+traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des
+manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une
+façon temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul
+ne les guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.</blockquote>
+
+<p>Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos
+malades; la Bourboule en particulier, Saint-Nectaire
+chez les enfants et les jeunes gens.</p>
+
+<p>Mais nous ne voulons pas faire une revue des
+eaux minérales françaises et étrangères. Tout ce
+que nous voulons prouver, c'est que les eaux minérales
+sont un agent thérapeutique de premier ordre,
+un agent que tous les médecins doivent connaître,
+non seulement parce qu'ils voient dans les livres, non
+seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine
+d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils
+goûtent, par eux-mêmes, aux diverses sources, et
+qu'ils tâtent parfois des bains. Ils ne tarderont pas
+à voir que ce ne sont pas des agents indifférents:
+je leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn,
+à forte dose d'eau salée. Aussi le monde
+médical doit-il être très reconnaissant à celui de
+nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé,
+tous les ans, des caravanes scientifiques pour
+visiter les eaux françaises; quinze jours de voyage
+sous une bonne direction médicale sont plus utiles
+que six mois de travail dans les livres. On apprend
+ainsi à connaître non seulement les eaux, mais
+aussi les médecins des stations, parmi lesquels il
+en est beaucoup qui ont des idées générales très
+intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des
+villes d'eaux sont, d'ailleurs, pour les praticiens,
+de précieux collaborateurs, quand ils veulent bien
+ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson,
+les bains, les douches, etc., et consentir à faire,
+en même temps, oeuvre médicale véritable, c'est-à-dire
+surveiller le régime, doser avec soin le repos
+et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie
+ne perd jamais ses droits.</p>
+
+<p><i>Voyages</i>.&mdash;Les gens du monde se figurent que
+les voyages font le plus grand bien aux malades en
+général, qu'à la suite d'un état aigu, par exemple,
+dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer
+bien loin de chez lui, et que, dans les états
+chroniques, ce déplacement lointain est la condition
+<i>sine qua non</i> d'une guérison. Cette opinion
+est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain
+qu'un homme bien portant se trouve très bien
+d'un déplacement annuel, et les vacances sont
+chose indispensable pour cet homme, quels que
+soient son âge et sa situation. Il faut que, au moins
+une fois par an, l'homme bien portant mette, pendant
+quelques jours, son cerveau en jachère,
+prenne l'exercice dont il a été en partie privé pendant
+le reste de l'année. Ce temps consacré au
+repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du
+temps bien employé.</p>
+
+<p>Les vacances sont également nécessaires à l'enfant
+qui travaille: et par vacances nous entendons
+non seulement le repos cérébral, qui doit être
+presque absolu,&mdash;ce qui, par parenthèse, contre-indique
+l'usage des devoirs de vacances,&mdash;mais
+aussi, autant que possible, le changement de milieu,
+ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De
+là l'utilité des colonies de vacances, que le professeur
+Landouzy appelle «des croisades de paix et
+de rédemption». Elles sont, dit-il très justement,
+la «première ligne de défense contre la tuberculose».
+M. Plantet a fait sur ce sujet, à la demande
+de l'Office central du travail, un rapport des plus
+intéressants et des plus complets, publié dans la
+<i>Réforme sociale</i>, (16 juin et 1er juillet 1905). Il
+résulte de ce rapport que la France est en retard
+sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre,
+la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que
+nous n'occupons, en somme, que le sixième rang
+dans la lutte des sociétés contre le dépérissement
+de leur race. Cependant, depuis 1882, la France
+est entrée dans le mouvement, et les colonies scolaires
+françaises sont déjà en nombre considérable:
+il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions
+privées parisiennes, 40 comités de patronage
+s'occupant de procurer des vacances aux enfants
+pauvres de la capitale; et des colonies semblables
+fonctionnant dans cinquante-six villes de France.
+Au total, en 1902, 14000 petits Français ont bénéficié
+de ces institutions philanthropiques<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18"><sup>18</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18" name="footnote18"></a><b>Note 18:</b><a href="#footnotetag18"> (retour) </a> Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces
+colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse
+se rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des
+résultats obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés
+en commun dans un même local (villas scolaires, écoles communales
+vacantes pendant l'été, propriétés privées, louées,
+acquises, spécialement aménagées pour abriter une collectivité à
+la campagne ou à la mer). C'est la colonie d'internat.<br>
+
+<p>Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes
+de deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables,
+moyennant un prix débattu, dans les régions réputées
+les plus saines. C'est le placement familial.&mdash;Les deux systèmes
+présentent des avantages et des inconvénients qui sont
+analysés de très près dans le travail que nous signalons.&mdash;En
+ce qui concerne la santé, tous les rapports constatent la plus-value
+dans toutes les régions, en montagne, en plaine, à la mer,
+aussi bien dans les colonies collectives que dans les colonies
+familiales.</p>
+
+<p>Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de
+l'esprit qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire
+gagner à de pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il
+y a mieux à faire, on peut réaliser un bien plus durable: il faut
+viser à ce qu'ils rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines
+colonies, un tel soin ne se devine guère. Dans d'autres, au contraire,
+c'est la pensée dominante et le rêve du directeur. Le tout
+est de savoir choisir.</blockquote>
+
+<p>Non seulement l'homme bien portant, mais celui
+qui n'est qu'un peu fatigué par le surmenage cérébral,
+et par les petites émotions quotidiennes, se
+trouve très bien de changer d'air, de milieu, non
+seulement une fois par an, mais même chaque fois
+qu'il sent, chez lui, cette sorte de malaise cérébral
+prémonitoire de la neurasthénie, ou certains
+troubles digestifs mal définis qui prouvent que son
+système nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement
+parfait. Pour lui, un déplacement de
+quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il
+aille, il verra son appétit renaître, sa constipation
+disparaître, la santé lui revenir. Que dis-je? chez
+certaines femmes nerveuses, mais au demeurant
+ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de
+monter en chemin de fer produit des effets appréciables,
+et, le jour même du départ, on les voit
+transformées. Elles laissent à la première station
+leurs phobies, leurs inquiétudes; c'est un changement
+à vue, un véritable coup de théâtre.</p>
+
+<p>Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien
+portant, ou du candidat à la «maladie» dont le capital
+est encore presque intact, et autre l'hygiène du
+vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale,
+les gens du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré
+eux, par le fait d'un faux raisonnement, à croire
+que ce qui fait du bien à l'homme valide doit en
+faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck
+saignant est certainement utile à un travailleur
+bien portant; combien il doit être plus utile à
+un malade affaibli! Il va certainement lui rendre
+des forces. Donnons-lui donc de la viande saignante;
+plus il en prendra, plus vite il sera guéri!»
+Le malade proteste, il affirme que la viande saignante
+lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en
+donne au moins autant que son estomac pourra en
+digérer, ce sera toujours pour son bien! On disait
+la même chose, autrefois, pour le vin; les gens
+intelligents commencent à comprendre que le vin,
+si utile à un travailleur bien portant, n'est pas un
+aliment héroïque quand il est donné à des malades,
+même sous forme de vins médicamenteux.</p>
+
+<p>De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice
+modéré est utile aux gens bien portants; il
+faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau
+dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le
+peu d'appétit et de sommeil qu'il avait encore; c'est
+égal, il faut qu'il marche! On ne conçoit pas qu'il
+doive rester à la chambre, du moment qu'il peut
+se tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait
+rester couché, il sent que le lit lui est utile; c'est
+encore là, dit-il, qu'il souffre le moins. Mais non,
+il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit constipe!
+Et plus le patient est soi-disant bien soigné,
+plus il a à lutter contre ces préjugés, qu'on parvient
+difficilement à déraciner même dans les
+milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on,
+laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne
+dormira pas la nuit! Malheureux, qui ne voulez
+pas comprendre que l'insomnie de votre cher
+malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales,
+et que le sommeil est le meilleur remède à
+apporter à cette excitation, et que, par conséquent,
+le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne!
+Quand donc aurez-vous une notion un peu
+précise et raisonnée sur la pathogénie de tous ces
+troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»?</p>
+
+<p>C'est aussi par une faute grossière de raisonnement
+qu'on considère les voyages comme utiles
+aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux
+gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se
+porte mieux, parce qu'ils permettent à l'homme
+doué d'un beau capital biologique de faire de ces
+petites avances dont nous avons parlé déjà, de ces
+placements à gros intérêts qui augmentent sa fortune.
+Accidentellement, il est vrai, il peut se faire
+que le placement soit malheureux: c'est ce qui
+arrive chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse
+somme d'énergie, et met quelquefois quinze jours
+à se refaire d'une excursion par trop fatigante.
+Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les
+gens bien portants, ces risques de dépenses exagérées
+sont réduits à très peu de chose. Le malade,
+au contraire, est un indigent. Non seulement il ne
+doit pas dépenser à tort et à travers, mais il doit
+parcimonieusement, et avec un soin jaloux, garder
+le peu qu'il possède encore, et chercher à faire des
+économies. Si son indigence est momentanée, il se
+remettra assez vite à flot. Si elle est définitive, <i>a
+fortiori</i> devra-t-il chercher à ne pas faire de fausses
+dépenses.</p>
+
+<p>Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade
+tout voyage est une dépense; le changement d'habitudes,
+le surcroît de fatigue inévitable, à eux
+seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est
+un grand malade, le voyage peut même le tuer,
+comme il tue ces malheureux typhoïdiques qu'on
+est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se
+croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur
+des cacolets qui les secouent d'une façon lamentable.
+Ils arrivent quelquefois morts à l'ambulance
+lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours
+leur état est extrêmement aggravé. Si on avait pu
+les soigner sur place, ou les évacuer à très petites
+journées, dût-on les tenir privés des ressources de
+la thérapeutique, et se borner à leur faire deux
+lotions fraîches par jour, ils auraient eu bien plus
+de chances de guérir. Je l'affirme au nom d'une
+expérience personnelle, faite pendant la campagne
+de Tunisie. Mais, sans parler des états aigus
+qui contre-indiquent absolument tout long déplacement,
+ne voyons-nous pas, tous les jours, des
+états chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs
+trajets? Cet illustre malade qui traverse toute la
+Russie pour aller au Caucase, dans le vain espoir
+de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver
+sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces
+albuminuriques qui vont aux eaux lointaines chercher
+la guérison promise, et en reviennent bien
+plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les
+tuberculeux avancés! ces tristes victimes des théories
+régnantes et de la crainte de la contagion.</p>
+
+<p>Vous prenez là, dira-t-on, les cas extrêmes, et
+on commence à comprendre que les grands déplacements
+ne sont pas favorables aux grands malades.</p>
+
+<p>Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus,
+favorables aux malades <i>moyens</i>.</p>
+
+<p>Pour me faire comprendre, voyez cette jeune
+femme nerveuse qui ne digère plus, qui dort mal,
+qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six
+mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter
+le climat brumeux du Nord pour l'envoyer sur la
+côte d'Azur, on va lui faire le plus grand bien; c'est
+une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi
+lui paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle
+souhaitera, dans son for intérieur, de quitter le
+délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne pas
+torturer son entourage, elle souffrira en silence;
+et il peut même se faire qu'à la longue son état
+s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera pas l'effet
+du changement de milieu. Et il peut bien se faire
+aussi que son état s'aggrave assez pour que l'entourage
+se rende à l'évidence, et ramène à grands
+frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime
+dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter.</p>
+
+<p>En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens
+qui paraissent n'en avoir pas besoin. C'est pour
+bien faire comprendre notre manière de voir que
+nous exagérons, à dessein, la formule de notre
+pensée.</p>
+
+<p>Il est bien certain qu'entre le malade grave,
+qu'on ne doit pour rien au monde déplacer, et
+l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant,
+et qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément,
+il existe toute une série d'intermédiaires auxquels
+les voyages peuvent rendre des services. Le changement
+radical de milieu, si dangereux pour le
+malade grave, peut être utile à l'individu qui n'est
+que sur la frontière de la «maladie». Quitte à avoir
+dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins
+hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac,
+un dyspeptique pourra se trouver bien de cette
+nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il laisse ses
+préoccupations incessantes, énervantes, de Paris.
+Comme toute chose humaine, le déplacement peut
+avoir du bon et du mauvais, et on ne peut formuler
+de règles absolues pour les cas moyens; c'est au
+médecin, s'il est consulté, à peser le pour et le
+contre, et à donner les indications générales.</p>
+
+<p>Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner
+toujours au malade. C'est:</p>
+
+<p>1° De ne pas voyager de nuit.</p>
+
+<p>2° De s'interdire les changements journaliers de
+stations, sauf dans les cas où, pour une raison
+quelconque, on est obligé de gagner les altitudes.
+Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer
+au malade des stations intermédiaires, car l'expérience
+démontre que rien n'est préjudiciable à une
+grande nerveuse, par exemple, comme le voyage
+en une seule traite de Paris en Engadine. Elle peut
+être sûre que, en arrivant à destination, il lui
+faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau
+milieu d'altitude, pour faire son acclimatation;
+pendant ces quelques jours, elle aura un malaise
+extrême, et, en particulier, de l'insomnie, tandis
+que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle
+n'aurait pas eu à payer ce tribut à la dépression
+barométrique.</p>
+
+<p>3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas
+croire que, parce que le lever à l'aube est favorable
+à l'alpiniste bien portant, il soit également favorable
+aux neurasthéniques qui ont besoin de leur
+sommeil matinal.</p>
+
+<p>4° Une prescription importante, c'est encore de
+se reposer, à l'arrivée à destination, pendant deux,
+quatre jours, suivant la valeur de l'individu, pour
+réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce
+repos sera plus ou moins complet, suivant la gravité
+des cas. En principe, il vaut mieux pécher par
+excès que par défaut de prudence.</p>
+
+<p>5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra
+pas faire de sorties quotidiennes, sous le fallacieux
+prétexte de s'entraîner; l'entraînement convient
+aux gens bien portants, mais le mot «entraînement»
+doit disparaître du vocabulaire du malade.
+Certes, le rôle du médecin est d'entraîner le malade;
+mais cet entraînement, que j'appellerai médical,
+doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a,
+pour ainsi dire, rien de commun avec l'entraînement
+de l'homme bien portant et de l'homme de
+sport.</p>
+
+<p>Le malade ne devra faire un effort que tous les
+deux ou trois jours, et profiter des jours intermédiaires
+pour se reposer. Ainsi il parviendra à reconquérir
+des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner
+en dépensant tous les jours un peu plus de son
+misérable capital, il ira droit à la ruine.</p>
+
+<p>On comprend aisément qu'un des facteurs importants
+du voyage est sa longueur. Le voyage autour
+du monde ne convient à aucun malade; on peut
+dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller
+très loin. Le malade parisien, par exemple, se
+trouvera mieux d'une villégiature à Montmorency
+que d'une lointaine expatriation. On ignore trop
+l'extrême susceptibilité du malade au changement
+de milieu. Une simple promenade <i>extra muros</i>
+impressionne le malade parisien, quelquefois en
+bien, mais le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous
+de personnes qui ne peuvent pas
+aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une
+véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil,
+et, les deux ou trois jours suivants, une
+aggravation de tous leurs symptômes morbides?</p>
+
+<p>Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent
+que c'est affaire d'imagination. Mais non, c'est
+un fait parfaitement explicable, et le médecin, qui
+connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait
+se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire
+chorus avec la famille et d'accabler le malade de
+conseils intempestifs. Certes, dans certains cas, par
+une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste
+d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres
+termes, de la psychothérapie réconfortante, il
+pourra, pour ainsi dire, dynamiser le malade et
+lui donner la force de supporter non seulement le
+voyage de Versailles, mais un voyage relativement
+lointain, et ce, pour le plus grand bien, car le
+malade reprend alors confiance en lui-même. Mais,
+avant de donner cette suggestion, le médecin doit
+bien étudier son sujet, et savoir au juste ce qu'il
+vaut, sous peine de lui nuire en lui demandant un
+effort au-dessus de ses forces.</p>
+
+<p>Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus
+difficile que de connaître la valeur exacte d'un système
+nerveux; c'est presque impossible pour le
+médecin qui voit le malade pour la première fois.
+Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une
+fatigue qui risquerait d'être préjudiciable; on se
+repent rarement d'avoir été trop prudent. Un élément
+d'appréciation qui est d'un grand secours pour
+le médecin, en pareille occurrence, c'est le désir du
+malade lui-même.</p>
+
+<p>S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y
+a gros à parier qu'il l'est en réalité. Le malade
+a toujours, en effet, une vague conscience de sa
+valeur, et il faut tenir compte de son appréciation.
+Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de
+changer de milieu, c'est qu'il sent vaguement qu'il
+a des réserves de force nerveuse ayant besoin d'être
+utilisées; il a un sourd instinct qui, en général, le
+guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du
+médecin est singulièrement restreint; il consiste à
+s'enquérir plus ou moins discrètement des désirs
+du malade, et à les transformer habilement en
+prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait
+encore de la psychothérapie; mais nous ne concevons
+pas les choses de cette façon. Quelquefois, il
+arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est
+dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés
+ataviques, dos théories plus ou moins scientifiques;
+et le rôle du médecin est, en ce cas, de remettre
+tout au point, de démontrer à son malade que
+son instinct, dans telle ou telle circonstance, le
+guide de travers; que, bien qu'il n'en ait pas envie,
+il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors
+le beau titre de directeur de la santé.</p>
+
+<p><i>La mer</i>.&mdash;Les voyages à la mer auraient dû,
+en bonne logique, être étudiés à la suite des cures
+thermales, parce que, en somme, le bain de mer
+est un agent thérapeutique comparable aux bains
+d'eau salée qu'on va prendre à Rheinfelden, Salies,
+Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais nous les
+plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages,
+parce que, dans la pratique, le bain de mer est
+plutôt considéré comme voyage d'agrément que
+comme traitement médical. Cela est si vrai que le
+médecin est rarement consulté sur l'opportunité
+du traitement marin, sur le choix de la plage: et
+c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le traitement
+n'est pas surveillé comme il l'est dans les
+stations d'eau salée, et c'est également regrettable;
+car la médication par l'eau de mer est active, et
+son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il
+s'agit de malades impressionnables, auxquels la
+moindre intervention fait du bien ou du mal.</p>
+
+<p>Les principaux conseils que nous ayons à donner
+aux malades livrés à eux-mêmes, à la mer, sont les
+suivants:</p>
+
+<p>1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se
+reposer des fatigues du voyage, comme nous avons
+dit qu'il fallait toujours le faire;</p>
+
+<p>2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même,
+une action appréciable, et qu'il n'est pas toujours
+utile de prendre des bains; qu'on peut, dans certains
+cas, se contenter de stationner pendant plusieurs
+heures par jour au bord de la mer;</p>
+
+<p>3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la
+mer constitue un véritable traitement minéral. Il
+faut donc au moins un mois pour obtenir des effets
+sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable
+d'aller à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à
+la fatigue du voyage et de l'acclimatation sans aucun
+profit. <i>A fortiori</i>, ne doit-on pas prendre un bain
+de mer accidentel, comme le font les maris qui,
+par train spécial, arrivent toutes les semaines aux
+plages voisines de Paris, et se croient obligés de
+prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils ont
+contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions
+plutôt fâcheuses, l'influence du changement
+brusque de milieu, les trop douces émotions du
+revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur
+soutirer une réserve d'influx nerveux. Le tout se
+solde, parfois, par un état subaigu, au retour, qui
+reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se
+joignent souvent des douleurs rhumatismales.</p>
+
+<p>Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude
+rapide, les indications et contre-indications des
+bains de mer. Le principe général est qu'il ne faut
+pas en donner aux malades à capital restreint, et
+que, en réalité, ils conviennent surtout aux gens
+bien portants. Plus le capital est entamé, plus aussi
+il faudra de prudence dans l'administration du
+bain, au point de vue de sa fréquence et de sa
+durée. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faut, en
+général, le prendre très court, cinq minutes en
+moyenne.</p>
+
+<p>Enfin, il faut tenir compte des effets produits par
+les deux ou trois premiers bains. S'ils amènent de
+l'insomnie, c'est qu'ils sont trop prolongés, ou trop
+fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut
+pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les
+premiers font du mal, les suivants feront du bien.
+D'une façon générale, d'ailleurs, l'organisme ne
+s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les médications,
+quelles qu'elles soient, ne doivent jamais
+faire de mal, même momentanément. Mais c'est là un
+point de doctrine dont la démonstration nous entraînerait
+trop loin, et en dehors de notre plan.</p>
+
+<br><br><br>
+<h3>TROISIÈME PARTIE</h3>
+<br><br>
+
+
+
+
+
+<h4>CHAPITRE I</h4>
+
+<h4>LA PÉRIODE DE DÉCLIN</h4>
+
+
+<p>Nous avons à dessein placé dans l'étude de
+l'homme adulte la plus grosse part de nos considérations
+thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est
+l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de
+vue médical comme au point de vue social, et que
+c'est pendant cette période de la vie que le médecin
+peut faire le plus de bien au malade.</p>
+
+<p>Au contraire, à partir du moment où l'être
+humain est arrivé au sommet de sa courbe évolutive,
+et, par conséquent, où il va décliner, l'importance
+des agents thérapeutiques se limite de plus
+en plus, jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive
+à la fin de sa carrière.</p>
+
+<p>Dans les phases de la vie qui nous restent à
+étudier, la thérapeutique doit viser, avant tout, à
+éviter les dépenses de capital: mais son rôle pratique
+n'en reste pas moins très appréciable; et l'on
+ne sait pas assez combien une bonne direction
+médicale pourrait prolonger l'existence de l'homme
+arrivé à la période de déclin, voire même à une
+étape avancée de cette période.</p>
+
+<p>Théoriquement, la période de déclin peut commencer
+le jour de la naissance. C'est ce qu'on
+observe chez les enfants qui n'ont pas la force de
+vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A
+l'extrême opposé, on voit des individus qui ne
+commencent à décliner qu'à un âge très avancé, ou
+encore dont la vie est brutalement interrompue, à
+un âge relativement avancé, par un accident, avant
+que ne soit survenu le commencement de la période
+de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse
+santé sont venus au monde avec un excellent capital
+initial, que leurs parents ont su améliorer pendant
+la première enfance, et qu'ils ont ensuite amélioré
+eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive,
+ou en ne risquant qu'à bon escient une certaine
+partie du capital, pour lui faire rapporter davantage.</p>
+
+<p>Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes
+ont, comme nous l'avons dit, peu de
+prise. Ces privilégiés sont semblables à l'homme
+qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire
+fructifier, en rapporte dix autres, et reçoit encore,
+en surplus, une récompense. Chez ces individus,
+le déclin n'arrive que très tardivement, et ils peuvent
+atteindre soixante ans tout en restant jeunes
+de coeur, de corps, et d'esprit.</p>
+
+<p>Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires
+sont possibles; et nombreux sont les hommes qui
+commencent à décliner à trente ans, qui sont des
+vieillards à quarante ans. La plupart, cependant,
+commencent à décliner vers cinquante ans, et se
+maintiennent tant bien que mal pendant quelques
+années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de soixante
+ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent
+une pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie»
+accidentelle les détériore pour plusieurs mois, et
+l'on est tout étonné de la lenteur de leur convalescence.
+C'est à partir de ce moment que les tares
+organiques, latentes jusque-là, se révèlent, que
+l'homme qui avait une endocardite avec laquelle il
+vivait en bonne intelligence, et dont parfois même
+il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son
+coeur devenir au-dessous de sa tâche. A la suite
+d'un coup de froid insignifiant, d'une indigestion,
+d'un excès alimentaire, d'une émotion violente,
+d'une grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie,
+des palpitations, des intermittences du
+pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes
+choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le
+débarrasser cette première fois, parce qu'il n'est
+pas encore complètement usé. Mais, six mois
+après, sous l'influence d'une cause semblable, il a
+une nouvelle atteinte, un peu plus de dyspnée, un
+peu de congestion de la base gauche du poumon,
+ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure
+des jambes; et, cette fois, le repos au lit, la
+diète lactée, ne suffisent pas à le remettre en état.</p>
+
+<p>La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes
+par jour en infusion dans 200 grammes
+d'eau, que le malade prendra de deux heures en
+deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire
+crise urinaire. Grâce à ce précieux médicament
+ainsi administré, il fera encore les frais de
+cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes
+influences insignifiantes amèneront l'affolement du
+coeur avec albuminurie, et alors la déchéance pourra
+être irrémédiable.</p>
+
+<p>Il est certain que si, dans l'intervalle de ces
+assauts, notre homme s'était écouté vivre, s'il n'avait
+rien laissé au hasard, si une sage direction
+médicale avait dosé son alimentation, son travail,
+son sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si,
+pour conserver sa vie, il avait, en quelque sorte,
+cessé de vivre, il aurait survécu plus longtemps et
+n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il
+faut bien se rappeler, c'est que, dès sa première
+atteinte, ses jours étaient comptés. Cette première
+atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son système
+nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque
+la force voulue pour faire son office de
+pompe aspirante et foulante; le déclin, qui avait
+peut-être commencé quelques années avant, s'était
+traduit dès le jour de ce premier accroc.</p>
+
+<p>Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes
+revêtent parfois une gravité qui fait croire,
+à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche sérieuse
+ou irrémédiable dans le capital vital du malade,
+alors qu'il n'est touché que superficiellement. C'est
+au médecin qu'il appartient de faire un bon diagnostic,
+d'où découlent et le pronostic et le traitement.
+Certes, le problème est souvent difficile à résoudre,
+et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute
+sa finesse d'observation, de toute son expérience,
+de toute sa pénétration. C'est dans ces cas que la
+médecine est véritablement un art, et le médecin
+un artiste, appelé à utiliser de son mieux les données
+scientifiques que ses études antérieures lui
+ont fournies.</p>
+
+<p>Il aura naturellement, pour l'aider dans cette
+tâche, l'examen physique du malade, et, en particulier,
+l'exploration abdominale, le ventre étant, de
+tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement
+explorer, par la vue, le palper, la percussion; il
+aura, pour l'aider, l'analyse des urines, trop souvent
+négligée. Il sera également secondé par
+l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller
+l'hérédité, l'évolution antérieure de la vie, chez le
+sujet qu'il examine. Celui-ci a-t-il eu de grands
+assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce
+cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé
+prouve qu'il a une grande élasticité, un capital
+sérieux, et qu'il est possible que, dans la crise
+actuelle, il rebondisse encore une fois.&mdash;Au
+contraire n'a-t-il jamais eu d'assaut important?
+le problème devient alors plus difficile, car le
+médecin manque d'une base pour apprécier la
+valeur réelle du capital. Aussi fera-t-il bien de rester
+dans une prudente réserve, et si, dans le cas précédent,
+il a été en droit de rassurer la famille malgré
+la gravité apparente de l'état du malade, dans le
+second cas, au contraire, il ne doit dire qu'une
+chose: «Je ne sais pas.»</p>
+
+<p>Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes
+à santé insolente, n'ayant jamais eu besoin de
+soins, que je vois brusquement atteints par une
+«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier.
+Me trouvant sur un terrain inconnu, je me demande,
+tout d'abord, si leur capital était aussi bon qu'il le
+paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la
+faillite, la débâcle.</p>
+
+<p>Ce sont là, je le répète, des problèmes cliniques
+extrêmement difficiles à résoudre; mais ils ont un
+grand intérêt au point de vue du pronostic à porter,
+et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat:
+car si le médecin soupçonne, chez son malade,
+une altération profonde que ne traduit pas l'ensemble
+symptomatique, il doit redoubler de précautions,
+sa surveillance doit être incessante, son zèle
+doit prévoir les moindres incidents, ne rien laisser
+au hasard. Il a alors à lutter non seulement contre
+la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent
+indocile, et contre les familles, qui trouvent qu'on
+en fait trop, qu'on prend trop de soins, que le
+malade devrait se lever pour regagner des forces,
+sortir pour se distraire, reprendre une partie de
+ses occupations pour ne pas nuire à sa carrière;
+estimant, <i>in petto</i>, que le médecin userait de discrétion
+en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi
+qu'il arrive, ce sont de mauvais cas pour le médecin.
+Il est accusé, si le malade guérit, d'avoir
+retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne
+l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si
+bien portant! et qui succombe à la suite d'une grippe,
+presque sans fièvre! Sûrement, c'est le médecin
+qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la
+conscience du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut
+aussi se dire que, dans d'autres cas, on a attribué
+exclusivement à ses bons soins ce qui était
+dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a
+donc compensation.</p>
+
+<p>En somme, le médecin qui se trouve en face d'un
+malade quelconque est appelé à résoudre le problème
+suivant: Étant donnés la valeur antérieure
+du malade A, et le déchet que lui fait perdre la
+«maladie» B, quelle est la valeur du capital restant
+A&mdash;B? Le simple bon sens indique que cette équation
+ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque
+nous ne connaissons au juste ni A ni B. Aussi le
+médecin ne doit-il jamais quitter le terrain, relativement
+solide, que lui fournit la science, pour se
+perdre dans les abstractions. Il doit seulement se
+rappeler la parole d'Hippocrate: <i>Judicium difficile</i>,
+et faire de son mieux pour approcher le plus
+possible de la solution du problème, qui, sans être
+d'ordre mathématique, a cependant une solution.</p>
+
+<p>«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.»
+[V. HUGO]</p>
+
+<p>Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant
+d'affirmer que l'homme a atteint l'apogée de son
+évolution, et est sur la pente du déclin? Eh! non,
+tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins
+fort, moins actif, que pendant la période de croissance,
+il supporte moins les petits écarts de régime,
+les fatigues, il est plus vulnérable, en un mot,
+mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est
+en période de déclin. S'il veut éviter la «maladie», il
+le peut, dans une, certaine mesure, en s'écoutant
+vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en
+ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses
+exagérées, ou, s'il est obligé d'en faire par hasard,
+en les compensant aussitôt par une exagération
+momentanée de prudence. Bref, la période de déclin
+est la période des précautions. L'homme en déclin
+devrait se rappeler qu'il faut «être de sa santé»
+comme il faut «être de sa condition», comme il
+faut être «de son temps». En usant de ces précautions,
+il peut prolonger très longtemps la durée
+de sa phase évolutive, et atteindre ainsi sans
+transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également
+bien surveillée, le conduire, sans transition
+brusque, à la mort.</p>
+
+<p>Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances
+de la vie sont telles que, fatalement, il
+rencontre sur son chemin des influences qui font
+baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces
+influences inévitables? Ce sont toutes celles que
+nous avons déjà étudiées dans l'enfance, dans
+l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs d'alimentation,
+causes morales surtout, etc.</p>
+
+<p>Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui
+soient plus spéciales à la période de la vie que nous
+étudions, la période comprise entre cinquante et
+soixante-cinq ans?</p>
+
+<p>Chez la femme, tout le monde admet que la
+ménopause produit des perturbations considérables;
+la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler «âge
+critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause
+ramène souvent des troubles de santé qui
+avaient disparu depuis longtemps, et amène quelquefois
+des troubles nouveaux, tels que ces sueurs
+profuses dont se plaignent amèrement les malades.
+Nous avons en vain essayé contre elles l'emploi de
+l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que c'est
+un moyen non seulement inutile, mais dangereux,
+et que le mieux est de savoir attendre, en mettant
+la malade à un régime restreint.</p>
+
+<p>Dans les deux sexes, les émotions morales jouent
+encore, à cet âge, un rôle considérable. C'est une
+fille mal mariée, un fils qui fait le chagrin de sa
+famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la
+perte des amis de la première heure, l'âge des
+désillusions, l'automne de la vie, en un mot. Dans
+tous les cas, les pratiques de la psychothérapie sont
+d'un incontestable utilité: seules, elles ne suffisent
+pas à guérir un homme rendu malade par des influences
+morales; mais, associées aux autres agents
+thérapeutiques, elles sont toujours d'une grande
+utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus
+fait en réconciliant avec son fils un père que le
+chagrin avait terrassé, en lui démontrant la nécessité
+et la légitimité du pardon, qu'en le traitant,
+comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes
+les ressources de la pharmacopée et des agents
+physiques.&mdash;Le fonctionnaire qui prend sa retraite,
+et se voit brusquement condamné à une oisiveté
+forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain
+cherche-t-il, dans la société des hommes de son
+âge, un remède à son désoeuvrement; et quant à
+espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille
+un réconfort quelconque, il n'y doit pas songer. Les
+plus jeunes ont leurs affaires, et les affaires sont
+les affaires; c'est tout au plus si la fille vient faire
+ses couches à la maison.</p>
+
+<p>Bref, une série de chagrins multiples, auxquels
+on est encore sensible, sont l'apanage ordinaire de
+cette période de la vie. C'est à cet âge, aussi, que
+se soldent,&mdash;car tout se paie,&mdash;les erreurs du
+passé, les fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les
+traites imprévues, et, quand le capitaliste veut
+mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit trop
+tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas
+contenté de ses revenus et qu'il a écorné son capital.
+Mais, dira-t-on, pouvait-il s'apercevoir de la
+mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel
+problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse
+antique. C'était à lui de voir que, de temps à
+autre, il avait de ces petites défaillances de santé
+qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes
+banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements
+(l'avertissement sans frais du percepteur).
+Il aurait dû, en homme bien avisé, rester
+toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner.</p>
+
+<p>Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps,
+sinon de le réparer complètement, au moins de
+l'atténuer dans une notable mesure, en se surveillant
+de près, et en ne laissant rien au hasard de ce
+qu'on peut lui enlever par prudence et par calcul.</p>
+
+<p>Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent
+pas qu'elles dépensent plus qu'elles ne
+devraient le faire; elles n'ont pas la bonne fortune
+de recevoir les petits avertissements que nous
+venons de signaler. Leur débordante santé fait
+l'envie de tout le monde; mais ces privilégiés sont
+souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il
+fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises,
+brusquement, avec une affection accidentelle.</p>
+
+<p>Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se
+laisse entraîner par un renouveau de passion
+sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour
+sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer
+ses talents. Il faut aussi compter avec les aberrations
+de l'instinct sexuel, assez fréquentes à cet
+âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde
+pas à s'installer, sous une forme qui rappelle, par
+sa brutalité d'apparition et la gravité des symptômes,
+l'hystéro-neurasthénie traumatique.</p>
+
+<p>En effet, du jour au lendemain, cet homme,
+vaillant jusqu'alors, subit un véritable effondrement.
+Non seulement il perd tout d'un coup l'aptitude
+sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un
+grand chagrin, mais il perd, en même temps, l'appétit,
+le sommeil, les forces. La constipation entre
+en scène; des douleurs névralgiques variées,&mdash;ou,
+pour mieux dire, des <i>algies</i>, car la douleur ne
+suit pas le trajet des nerfs, le torturent nuit et jour.
+Il a une sensibilité excessive de l'ouïe, un éréthisme
+de tout le système nerveux, qui devient
+comme une lyre à cordes trop tendues que fait
+vibrer douloureusement le moindre souffle. Cet
+état peut n'être que passager, si le malade a le bon
+esprit de s'en avouer à lui-même la cause déterminante
+et de la supprimer. Mais cela même ne
+suffit pas toujours: <i>Sublata causa, non tollitur effectus.</i>
+Le branle est donné à la cellule nerveuse, le
+système nerveux, longtemps patient, s'est tout à
+coup révolté, et il faut des mois et des années de
+soins méthodiques pour lui rendre son équilibre.
+C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le
+médecin devra surveiller non seulement l'hygiène
+sexuelle, dont il n'est plus question, mais l'hygiène
+alimentaire, donner les repas fréquents que nécessite
+un estomac toujours sur le point d'entrer soit
+en état paralytique ou en état spasmodique; une
+alimentation non excitante (pâtes, purées), sans
+vin, et sans les toniques qui passent, à tort, pour
+réveiller les forces. Le repos physique est également
+indiqué.</p>
+
+<p>C'est dans ces cas qu'un changement de milieu,
+bien compris, bien dirigé, peut être utile à divers
+titres. D'abord, il éloigne la victime de la cause
+initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier
+souvent les soins affectueux et tendres d'une
+femme momentanément négligée.</p>
+
+<p>La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans
+le traitement de ces malades qui, d'un jour à l'autre,
+sont devenus craintifs, scrupuleux à l'excès, ayant
+peur de mourir, tenaillés par des remords d'une
+intensité morbide. Le médecin animé d'un esprit
+large et charitable peut leur être d'un grand
+secours, en mettant toutes choses au point, et en
+rassérénant leur conscience dans la mesure qui
+convient.</p>
+
+<p>Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez
+l'homme, n'a rien d'exagéré. Nous avons observé
+plusieurs cas semblables, où des hommes bien
+portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts
+intempestifs.</p>
+
+<p>Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent
+chez des hommes qui, auparavant, n'étaient
+pas débauchés, offraient même le modèle d'une
+vie exemplaire; maintenus par des principes
+sévères, ils avaient été fidèles à la foi conjugale, et,
+alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient restés
+fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour,
+une occasion se présente et les surprend; c'est
+une Sapho quelconque rencontrée en chemin de
+fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation,
+il succombe, et, une première chute en
+entraînant de nombreuses à sa suite, il devient
+enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop
+engager l'homme mûr, trop confiant en lui-même,
+à veiller toujours, car le péril est insidieux et les
+risques sont grands.</p>
+
+<p>C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent
+les troubles prostatiques et urinaires, résultats
+tardifs de blennorragies mal soignées et considérées
+comme une bagatelle par le jeune homme,
+plutôt fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est
+vers cinquante-cinq ans que le rétrécissement du
+canal provoque des misères variées, que nous n'avons
+pas à décrire ici, mais qui finissent par amener
+la mort prématurée si le chirurgien n'intervient pas.</p>
+
+<p>Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement
+chez les hommes qui ont dépassé soixante-cinq ans:
+ceux qui avaient des rétrécissements sont morts
+avant cet âge.</p>
+
+<p>C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la
+prostate entre en scène. Certes, les affections de la
+prostate ne sont pas toujours d'origine blennorragique;
+mais elles sont, plus qu'on ne le croit,
+dues à des erreurs dans l'hygiène sexuelle.</p>
+
+<p>Quant aux autres affections capables de faire
+brusquement baisser le capital, elles ne donnent
+lieu à aucune considération particulière. Nous
+devons pourtant nous arrêter encore, en passant,
+sur trois manifestations morbides spécialement
+fréquentes à l'âge en question: le diabète, l'albuminurie,
+et l'obésité.</p>
+
+<p><i>Diabète</i>.&mdash;L'apparition du diabète est, certes,
+chose fâcheuse; mais le plus grand malheur qui
+puisse arriver à un diabétique impressionnable,
+c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans
+ménagements, la fâcheuse nouvelle. A partir de ce
+moment commence, pour le malade, une incessante
+préoccupation morale, aggravée encore par un
+régime alimentaire qui lui cause plus de dommages
+que le diabète lui-même. Il est vrai de dire que,
+depuis quelques années, les médecins se sont un
+peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les
+rendait redoutables aux diabétiques. On veut bien
+admettre, désormais, que le régime des diabétiques
+comporte certains tempéraments, et que les pommes
+de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent
+être allouées, voire même en abondance.</p>
+
+<p>Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation
+d'un diabétique, traité d'après les principes
+classiques, est encore loin d'être réjouissante. Elle
+sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin
+qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés
+par le même régime, ou plutôt qu'il n'y a pas de
+régime du diabète, le diabète n'étant qu'un symptôme
+qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui.</p>
+
+<p>Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin,
+aux autres la diète lactée absolue pendant quelques
+jours, et le régime des potages au lait ensuite.
+Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons
+du régime peuvent être indiquées. Le médecin
+doit imposer le repos au lit absolu au diabétique qui
+maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans
+les autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce
+que le diabétique a toujours des combustions
+exagérées, comme le professeur A. Robin l'a très
+élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi
+de l'état mental du malade, et à ne pas négliger la
+psychothérapie. Le diabète peut être provoqué,
+expérimentalement, en touchant un point précis du
+quatrième ventricule du cerveau; et les diabétiques
+vraiment graves sont ceux qui le deviennent à la
+suite d'une chute sur la tête: ces deux faits prouvent
+assez l'importance des troubles du système
+nerveux dans la pathogénie du diabète, et la nécessité
+de faire une grosse part aux soins moraux
+dans le traitement du diabétique.</p>
+
+<p><i>Albuminurie</i>.&mdash;L'albuminurie donne lieu à
+des considérations de même ordre.</p>
+
+<p>Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant
+un état de détérioration générale de l'organisme;
+c'est, le plus souvent, un symptôme grave,
+mais quelquefois aussi un phénomène sans grande
+importance.</p>
+
+<p>Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence,
+intermittente, venant après la moindre
+fatigue. On sait encore que le seul fait de se lever
+du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit
+pour provoquer l'apparition de l'albumine, qui
+n'existait pas dans l'urine émise pendant que le
+sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle l'albuminurie
+<i>orthostatique</i> ou <i>physiologique</i>,&mdash;terme
+détestable, parce qu'il n'y a pas d'albuminurie
+physiologique, pas plus que de glycosurique physiologique.
+Cette albuminurie de peu d'importance
+survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en
+bon état de santé, et indique, par conséquent, qu'ils
+doivent être tenus à vue, et soignés suivant les
+principes généraux que nous avons déjà énoncés.</p>
+
+<p>Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine
+dans l'urine est toujours d'un pronostic plus sérieux.
+Parfois cependant, là encore, l'albuminurie n'est
+que transitoire, et coïncide avec une décharge
+d'acide urique par les reins. Si l'on ne soumet pas
+le malade ainsi touché au régime lacté absolu, qui
+achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si
+on lui donne à prendre un peu de benzoate de soude,
+l'orage passe vite sans laisser de traces.</p>
+
+<p>D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire,
+est intermittente, même chez l'adulte. Nous
+connaissons un malade qui, depuis quatre ans que
+nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il
+monte à cheval. Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres
+à pied sans avoir d'albumine; mais une seule promenade
+à cheval fait réapparaître l'albumine et,
+malgré la dose considérable révélée par l'analyse
+après l'exercice du cheval, il est, au demeurant,
+bien portant en apparence, et a une vie des plus
+actives.&mdash;Je connais aussi un médecin qui a,
+depuis des années, de l'albumine en permanence;
+après s'en être beaucoup inquiété, et avoir suivi
+divers traitements et divers régimes, il a fini par ne
+plus faire que de l'hygiène générale, manger raisonnablement,
+éviter le surmenage; et il est, en
+somme, en aussi bon état que possible.</p>
+
+<p>J'ai cité, dans une étude sur le <i>Cacodylate de
+Soude</i> que j'ai publiée en 1901, l'histoire d'une jeune
+malade ayant, depuis 1898, à la suite d'un coup
+de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai
+donné des doses considérables de cacodylate, en
+injections, pendant un mois. J'ai eu, à ce moment,
+le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au
+remède la survie de la malade. Or, elle s'est
+mariée en 1900: depuis, elle a cessé toute médication,
+pour se borner à prendre de la viande crue
+et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement,
+3 à 4 grammes d'albumine par jour, et va très bien.</p>
+
+<p>On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la
+valeur pronostique de l'albuminurie. Mais il n'en
+est pas moins vrai que, le plus souvent, la présence
+de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que
+nous étudions, est un symptôme qui doit inspirer au
+médecin des craintes sérieuses, surtout quand, en
+même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette
+combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de
+mort à brève échéance.</p>
+
+<p>Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique
+sera encore aggravée si le médecin s'obstine
+à lui imposer le régime dit des albuminuriques. Il
+n'y a pas de régime des albuminuriques: il y
+a le régime qui convient à tel ou tel albuminurique.
+Parfois le régime lacté fait merveille, mais
+c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger
+plus de quinze jours. D'autres fois, c'est le régime
+des pâtes, plus souvent encore le régime lacto-végétarien,
+qui, combiné au repos, aide le malade à
+sortir du mauvais pas, au moins momentanément.</p>
+
+<p><i>Obésité</i>.&mdash;Au même titre que le diabète et l'albuminurie,
+l'obésité appartient en propre à la
+période de déclin. Mais, direz-vous, il est des
+enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est
+qu'ils ont commencé jeunes leur période de déclin.
+Mais, d'habitude, c'est aux environs de la ménopause
+que l'obésité devient, pour les femmes, une
+torture de tous les jours. Nous n'avons pas à en
+indiquer les inconvénients; rappelons seulement
+que l'obésité tend toujours à augmenter, parce
+qu'elle interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit
+immédiatement un cercle vicieux. Dans les cas
+d'obésité où l'exercice serait utile, l'obèse qui est
+condamné à en prendre de moins en moins, devient
+de plus en plus obèse.</p>
+
+<p>Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours
+utile aux obèses. L'obésité, étant un symptôme
+de la «maladie», est quelquefois entretenue
+par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de
+vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté
+des médecins de diverses nationalités, avait fini
+par suivre les conseils d'un empirique, qui n'avait
+rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que de
+mettre sa mère en relations avec un commandant
+de chasseurs à pied, de façon que ces deux dames
+pussent suivre tous les exercices du bataillon. Au
+bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la
+jeune fille grossissait toujours. Sous l'influence de
+l'exercice, elle mangeait davantage et buvait en
+conséquence. Mais vint un jour où l'estomac,
+fatigué par la suralimentation, se mit à protester;
+c'est alors que je prescrivis le régime ultra-restreint,
+pendant quelques jours, pour remettre l'estomac
+en état, le repos presque absolu pendant cette
+période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement
+de l'estomac et de l'intestin, avec un exercice
+modéré; et voici que, sous l'influence de ce
+traitement, la malade vit diminuer son obésité, et
+disparaître, successivement, d'autres troubles variés
+qui, comme l'obésité, étaient symptomatiques!</p>
+
+<p>Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime
+applicable à tel ou tel malade atteint d'obésité. Le
+plus souvent, le régime restreint est indiqué; d'autres
+fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est dangereux
+comme de le faire maigrir par insuffisance
+alimentaire. Il ne faut pas, non plus, le faire maigrir
+par l'emploi de la thyroïdine. Je dois dire,
+cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents
+obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de
+vingt ans qui, en six mois, a vu son poids baisser
+de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en soit résulté le
+moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine
+avait été maniée par le Dr Polin avec une prudence
+extrême (2 milligrammes par jour, et pendant six
+mois consécutifs).</p>
+
+<p>En général, il faut se méfier de ce médicament,
+qui demande une surveillance médicale sinon quotidienne,
+du moins hebdomadaire; il faut enfin se
+rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer
+l'obésité au point d'en supprimer les inconvénients,
+et aussi qu'il est toujours dangereux de faire trop
+maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop vite.
+Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe,
+il est vrai; mais c'est le commencement de l'effondrement.
+Son système nerveux tombe aussi. En y
+mettant le temps, au contraire, c'est-à-dire en ne
+brusquant pas la manière d'être du sujet, on peut
+toujours arriver à des résultats excellents.</p>
+
+<p>J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans,
+à une dame de soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes.
+Elle est arrivée en dix-huit mois, à
+baisser, avec une progression continue, à 77 kilogrammes...
+Depuis, elle garde son poids et sa
+santé; son déclin s'opère avec une lenteur telle
+qu'il est à peine perceptible. Inutile de dire que
+l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique.</p>
+
+<h3>CHAPITRE II</h3>
+
+
+<h3>LA VIEILLESSE</h3>
+
+<p>Quelle que soit l'économie qui ait présidé à
+l'usage du capital biologique, il n'est pas possible
+que quelques mauvais placements n'aient été faits,
+dans le courant de l'existence; que des chocs accidentels,
+et indépendants de la volonté, n'aient, à
+diverses reprises, ébréché le capital. L'homme qui
+se condamnerait à vivre à seule fin de prolonger
+ses jours vivrait certainement très longtemps,
+mais la sentence d'Horace lui serait applicable:
+«Pour vivre, il aurait perdu les raisons de vivre.»
+<i>Et propter vitam vivendi perdere causas</i>.</p>
+
+<p>D'autre part, le capital diminue par le fait même
+de la vie, comme la vitesse initiale d'un projectile
+diminue progressivement par le fait de la résistance
+de l'air. Enfin il vient un moment où le capital,
+après avoir produit des intérêts considérables,
+ne donne plus que des intérêts de moins en moins
+élevés. Ce moment coïncide exactement avec la
+période de déclin, de sorte que, à partir de ce jour,
+quoi qu'il fasse et sans qu'il s'en doute, l'être vivant
+s'appauvrit fatalement et progressivement. Il en
+arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit rentier;
+et c'est alors la vieillesse.</p>
+
+<p>Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge;
+témoin ces enfants qui ont l'aspect de petits vieillards,
+comme on dit dans le langage courant; ces
+hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards,
+des loques humaines. Mais, le plus souvent,
+la vieillesse survient à un âge plus tardif, que, pour
+le besoins de la cause, nous fixerons, par exemple,
+à soixante-cinq ans.</p>
+
+<p>A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner,
+comme le lui conseillaient les trois jeunes
+gens du fabuliste, «à songer à ses erreurs passées»
+Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de
+vastes pensées», à condition que ce ne soit pas
+pour lui, mais pour ses arrière-neveux. Il peut,
+en d'autres termes, jouir de son expérience et s'efforcer
+d'en faire profiter les autres; mais en se
+rappelant qu'il a atteint l'âge du repos, des ménagements
+et des précautions. Et de même que, dans
+la première période de la vie, il appartient aux
+parents de ménager pieusement et de faire sagement
+fructifier le capital de l'enfant; de même, à cette
+dernière période, il est du devoir des enfants de
+veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont
+la charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse,
+tout chagrin, tout souci, tout écart de régime, et
+de le préserver contre toute intervention thérapeutique
+brutale.</p>
+
+<p>Quelles sont les influences qui compromettent
+d'une façon spéciale le vieillard vivotant?</p>
+
+<p>Les influences psychiques sont beaucoup moins
+importantes que dans l'âge adulte. Quelques vieillards,
+il est vrai, gardent leur sensibilité et leur jeunesse
+de sentiments. L'expérience de la vie ayant
+tempéré la fougue de leurs jeunes années, leur
+ayant appris l'indulgence et la miséricorde, ils
+deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi
+agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la
+sensibilité s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve
+le vieillard de toute émotion nuisible.
+Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce
+de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné,
+mais l'émotion qu'il éprouve est surtout
+égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui donne de
+voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde,
+et n'est pas comparable au chagrin poignant
+de l'homme adulte perdant un être aimé. Donc, de
+ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système
+musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple
+bon sens fait que le vieillard n'abuse pas, en général,
+de son restant de forces musculaires: exception
+faite cependant pour les cas où des parents ou des
+amis mal avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard
+à se déplacer sans relâche, pour passer l'hiver
+dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps ailleurs.
+Combien ne serait-il pas plus sage, en général,
+de le laisser tranquillement chez lui, dût-il ne
+pas quitter sa chambre? J'ai longtemps donné
+des soins à une vieille dame que ses enfants
+emmenaient en villégiature, toujours malgré elle,
+dans le centre de la France, et ramenaient à Paris
+en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un
+mois de soins assidus et de précautions pour effacer
+les traces de fatigue occasionnée par le déplacement.</p>
+
+<p>La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le
+séjour hivernal dans le Midi peut être recommandable,
+mais que, d'une façon générale, il faudrait
+se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant
+«qu'on ne doit pas transplanter un vieux
+chêne», et qu'on devrait regarder à deux fois avant
+de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard,
+soit un lointain changement de pays, soit même un
+changement d'appartement. Il faut, en général,
+tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir,
+qui est dicté par un vague instinct de conservation
+et qui trompe rarement.</p>
+
+<p>Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien
+entendu des affections accidentelles, ce sont les
+écarts dans l'alimentation. Une indigestion qui,
+chez un homme jeune, se serait traduite par un
+léger état gastrique, amène chez le vieillard un
+effondrement colossal; et, pour peu que la thérapeutique
+intervienne d'une façon inopportune sous
+la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la
+situation peut s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut
+alors des semaines pour remettre en état le système
+nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de
+s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme
+vacillante; irez-vous l'alimenter par un soufflet de
+forge, et charger le foyer de grosses bûches de bois?
+Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies
+précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est
+seulement ensuite que vous mettrez des fragments
+un peu plus volumineux, pour arriver enfin à la
+bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même
+chez le vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes
+gastriques, prudence extrême dans l'alimentation,
+fréquence de l'alimentation, et repos
+absolu: c'est la base du traitement.</p>
+
+<p>Mais combien, pour faire observer ces prescriptions
+si simples, ne faut-il pas au médecin d'énergie
+et de foi? Qu'on veuille donc bien se rappeler que
+le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation
+restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui
+lui sera profitable, mais bien ce qu'il assimilera, et
+que, chez lui, la puissance d'assimilation est extrêmement
+minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit,
+il proteste, plus ou moins énergiquement, contre
+les menus qu'un zèle mal éclairé s'ingénie à lui
+proposer.</p>
+
+<p>En dehors de ces états gastriques passagers, le
+régime du vieillard doit être, en général, peu
+substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le soir,
+s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il
+éprouve le besoin de se nourrir, qu'il mange souvent,
+plutôt que beaucoup à la fois. Mais on ne
+saurait croire combien certains vieillards ont peu
+besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente
+une vieille dame qui avait trop mangé pendant
+toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une dyspepsie
+permanente accompagnée de misères variées, en
+tête desquelles venait la constipation. De là obsession
+de tous les instants; tant qu'on ne l'eût pas
+mise exactement au régime convenable, elle fut
+torturée par ce symptôme, restant huit ou quinze
+jours sans parvenir à aller à la garde-robe, malgré
+les lavements, les suppositoires, le massage abdominal,
+etc. On avait dû même, plusieurs fois,
+recourir au curetage. Or je me dis, un jour, que le
+régime relativement restreint que je lui avais
+imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore
+assez restreint. Comme elle n'avait jamais d'appétit,
+et qu'elle ne mangeait que pour faire plaisir
+à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention,
+qui fut de restreindre, sous ma surveillance,
+son alimentation progressivement, et dans
+la mesure extrême du possible. Après un mois de
+tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions
+arrivés à la formule suivante, que je transcris
+d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse à
+thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de
+semoule au lait, ou de panade, ou de farine de Hongrie,
+ou de crème de riz, ou de crème d'orge aux
+mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi,
+un quart d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures,
+comme à midi; dans la nuit, une tasse à café de
+lait.»</p>
+
+<p>Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage
+absolument ridicule, finit par être accepté quand
+on vit la malade reprendre, progressivement, du
+sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et surtout
+quand on vit disparaître sa constipation. Ses
+fonctions s'exécutaient, en effet, très régulièrement
+tous les deux ou trois jours, spontanément. Le
+régime fut continué jusqu'à sa mort, qui survint
+trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à
+l'âge de quatre-vingt-quatre ans.</p>
+
+<p>Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables,
+mais ils seraient tous calqués sur ce modèle.</p>
+
+<p>Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé
+un gros appétit: il faut savoir le respecter, tout en
+essayant de le modérer un peu, du moment que la
+santé reste bonne.</p>
+
+<p>Pour en finir avec la question de régime, disons
+qu'un peu de vin généreux, étendu d'eau, est, en
+général, une boisson excellente pour le vieillard,
+bien portant ou malade; et que le lait, par contre,
+lui est le plus souvent préjudiciable, sauf dans les
+états aigus ou subaigus prolongés.</p>
+
+<p>Quant aux affections accidentelles qui surviennent
+chez le vieillard, et qui compromettent son
+reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font,
+néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante
+de toutes est la pneumonie. C'est, très souvent,
+une pneumonie d'origine grippale: aussi ne
+saurait-on trop soigner la grippe dès son début,
+chez le vieillard plus encore que chez l'adulte. La
+pneumonie est insidieuse chez le vieillard. Elle ne
+se traduit que par un malaise général, avec très
+peu de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne
+toujours de fièvre. Si donc les familles
+savaient se servir du thermomètre, on aurait des
+chances de porter secours aux malades en temps
+utile; et alors une injection de cacodylate de
+gaïacol, quelques cachets de quinine, une certaine
+dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient,
+dans bon nombre de cas, à le sauver;
+tandis qu'en général, quand on appelle le médecin,
+il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que
+le diagnostic, et prévenir la famille de la gravité
+de la situation.</p>
+
+<p>Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent
+compromettre la survie du vieillard. Ordinairement,
+il échappe à la première atteinte, mais
+il en sort tellement amoindri, physiquement et
+intellectuellement, qu'on peut dire qu'il a cessé de
+vivre avant de mourir. Grâce aux soins dont il est
+entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même
+pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à
+ce qu'il se décide à mourir après une deuxième
+ou troisième attaque.</p>
+
+<p>Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées
+ne s'observe, le petit rentier qu'est le
+vieillard continue à vivoter plus ou moins longtemps,
+jusqu'au jour où, tout son capital et tous
+ses revenus étant épuisés, il cesse de vivre, tout
+simplement parce qu'il n'a plus la force de vivre.
+Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur
+qui a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon,
+très profondément philosophique, l'expression courante
+de «défunt», la traduction littérale du mot
+latin <i>defunctus</i> étant: «Celui qui s'est acquitté.»
+Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet,
+en remerciant leur hôte. Heureux s'ils peuvent
+léguer à une nombreuse postérité «l'exemple
+de leur vie!»</p>
+
+<br><br>
+<h5>FIN</h5>
+<br><br>
+
+<h3>INDEX ALPHABÉTIQUE</h3>
+
+<p>Albuminurie:&mdash;permanente;&mdash;son régime.
+Alcool.
+Alimentation: de l'enfant né avant
+terme;&mdash;du premier âge;&mdash;Gouttes de lait;&mdash;chez
+le petit enfant;&mdash;chez
+l'enfant du deuxième âge;&mdash;défectueuse;
+excessive;&mdash;ration d'entretien;&mdash;observation d'une malade
+guérie par le régime restreint;&mdash;insuffisante en quantité;&mdash;à
+la sonde;&mdash;observation
+d'une malade fébricitante
+guérie par l'alimentation
+forcée;&mdash;insuffisante
+en qualité;&mdash;chez le
+vieillard.</p>
+
+<p>Aliments adultérés par les procédés
+chimiques; physiques.</p>
+
+<p>Auto-intoxication, (Hypothèse de l').</p>
+
+<p>Avarie.</p>
+
+<p>Bains: chauds dans les pneumonies;&mdash;prolongés;&mdash;de
+briques;&mdash;de
+vapeur;&mdash;électriques;&mdash;de mer.</p>
+
+<p>Blennorragie, ses dangers tardifs.</p>
+
+<p>Boissons: fermentées;&mdash;distillées;&mdash;le vin chez
+l'homme bien portant;&mdash;chez
+le malade:&mdash;dans
+la ration du soldat;&mdash;eau
+stérilisée en usage dans
+l'armée.</p>
+
+<p>Cancer, son hérédité.</p>
+
+<p>Capital biologique (hypothèse du).</p>
+
+<p>Causes morbigènes: ambitions
+déçues;&mdash;passion amoureuse;&mdash;inquiétudes;&mdash;vie brisée;&mdash;frayeur.</p>
+
+<p>Causes accidentelles.</p>
+
+<p>Chaleur sèche (dermotherme).</p>
+
+<p>Choc: traumatique;&mdash;chirurgical;&mdash;moral.</p>
+
+<p>Coeur: «maladies» du coeur (leur
+hérédité;&mdash;observation
+d'un faux cardiaque;&mdash;
+la période de déclin.</p>
+
+<p>Constipation;&mdash;et
+entéro-colite;&mdash;provoquée
+chez les opérés;&mdash;son
+innocuité;&mdash;guérison par
+le repos;&mdash;dangers des
+purgatifs;&mdash;obsession de
+la constipation;&mdash;lavements
+d'huile;&mdash;injections
+de Brown-Séquard;&mdash;chez le vieillard;&mdash;Convalescence,
+sa rapidité chez l'enfant.</p>
+
+<p>Course en flexion.</p>
+
+<p>Déclin: âge de déclin;&mdash;pouvant
+n'être qu'apparent;&mdash;problèmes cliniques à
+l'âge du déclin, leur difficulté.</p>
+
+<p>Diabète: régime;&mdash;traumatique,
+sa gravité.</p>
+
+<p>Dyspepsie: observation d'une
+malade avec prédominance de
+troubles dyspeptiques.</p>
+
+<p>Eaux minérales;&mdash;table
+de régime;&mdash;de Carlsbad;&mdash;Chatel-Guyon, Bagnoles,
+Brides, Vichy;&mdash;Vittel.</p>
+
+<p>Education: chez la jeune fille;&mdash;chez le jeune homme;&mdash;de la volonté.</p>
+
+<p>Electricité;&mdash;bains électriques.</p>
+
+<p>Emplâtre.</p>
+
+<p>Enfants: préservation contre la
+tuberculose;&mdash;couveuses
+artificielles;&mdash;alimentation
+de l'enfant né avant terme:&mdash;le capital biologique de
+l'enfant doit être créé par les
+parents;&mdash;puériculture;&mdash;alimentation du premier
+âge, son importance pour toute
+la vie;&mdash;Goutte de lait;&mdash;pathologie infantile;&mdash;sa
+simplicité relative;&mdash;ses
+difficultés;&mdash;nécessité
+du sommeil prolongé;&mdash;mastication;&mdash;convalescence
+rapide;&mdash;enfants du
+type musculaire;&mdash;cérébral;&mdash;du deuxième âge,
+alimentation:&mdash;fièvre digestive.</p>
+
+<p>Epilepsie.</p>
+
+<p>Exploration abdominale.</p>
+
+<p>Exercice: difficulté de le doser
+chez les jeunes filles nerveuses;&mdash;dans un grand collège
+moderne;&mdash;chez les professionnels;&mdash;chez les
+jeunes gens (danger des sports);&mdash;et entraînement;&mdash;et gymnastique respiratoire;&mdash;Institut Zander;&mdash;chez
+les obèses.</p>
+
+<p>Fatigue;&mdash;et épuisement.</p>
+
+<p>Fièvre digestive des enfants;&mdash;typhoïde.</p>
+
+<p>Folie: chez la jeune fille:&mdash;délire
+de la persécution;&mdash;l'aliénation mentale et la
+«maladie»;&mdash;menstruation
+chez l'aliénée;&mdash;du
+doute;&mdash;obsession:&mdash;manie
+aiguë.</p>
+
+<p>Frictions.</p>
+
+<p>Grippe, son influence pathogène.</p>
+
+<p>Grossesse («maladies» de la mère
+pendant la).</p>
+
+<p>Hémorragies cérébrales, chez les
+vieillards.</p>
+
+<p>Hérédité: étymologie;&mdash;généralités;&mdash;protestation contre
+la fatalité des tares héréditaires;&mdash;de la longévité;&mdash;de la tuberculose;&mdash;du
+cancer;&mdash;des tares
+ nerveuses, 15;
+ &mdash;de la paralysie générale, 16;
+ &mdash;des «maladies» de coeur, 16;
+ &mdash;des affections rénales, 17.</p>
+
+<p>Hydrothérapie: froide, 223;
+ &mdash;tiède 225;
+ &mdash;maillot humide, 225.</p>
+
+<p>Hypnose, 189;
+ &mdash;chez les aliénés, 191;
+ &mdash;ses dangers, 194.</p>
+
+<p>Hygiène de la procréation, 21.</p>
+
+<p>Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114.</p>
+
+<p>Hypothèse (son rôle dans la science), 1.</p>
+
+
+<p>Injections: action dynamogénique de tout liquide injecté, 232;
+ &mdash;hypodermiques d'eau de mer, 234;
+ &mdash;de cacodylate de magnésie, 235;
+ &mdash;de cacodylate de soude, 235;
+ &mdash;de gaïacol, 238;
+ &mdash;de quinine 239;
+ &mdash;d'héroïne, 239;
+ &mdash;de mercure, 240;
+ &mdash;de morphine, 240;
+ &mdash;huileuses, 240;
+ &mdash;d'huile mercurielle, 241;
+ &mdash;d'huile créosotée, 242;
+ &mdash;et suggestion, 244;
+ &mdash;injections de Brown-Séquard, (constipation), 353.</p>
+
+<p>Influences morbigènes, généralités, 30.</p>
+
+<p>Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70.</p>
+
+
+<p>Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;
+ &mdash;éducation sexuelle&mdash;, 21;
+ &mdash;menstruation&mdash;, 66;
+ despotisme de certaines mères, 68;
+ &mdash;difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, 66;
+ &mdash;aliénation mentale&mdash;, 71;
+ &mdash;vocation contrariée, 72;
+ &mdash;mariage contrarié&mdash;, 73;
+ &mdash;utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses, 74;
+ &mdash;surmenage scolaire&mdash;, 75.</p>
+
+<p>Jeune homme: surmenage scolaire, 75;
+ &mdash;nécessité du sommeil, 76;
+ &mdash;exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78;
+ &mdash;exercice physique chez les jeunes gens, 79;
+ &mdash;éducation sexuelle, 81;
+ &mdash;psychothérapie, 83.</p>
+
+<p>Ligue des pères de famille, 80.</p>
+
+<p>Longévité: hérédité de la, 8;
+ &mdash;humaine, 9.</p>
+
+<p>Malade: son entourage, 204;
+ &mdash;ne voulant pas guérir, 207;
+ &mdash;régime des grands malades, 217;
+ &mdash;n'osant pas manger, 220;
+ &mdash;danger des voyages, 267.</p>
+
+<p>«Maladies»: accidentelles, 42;
+ &mdash;la «maladie», 94-95;
+ &mdash;petits symptômes de la «maladie», 95,
+ &mdash;la «maladie» et les «maladies» accidentelles, 97;
+ &mdash;causes morales, généralités, 142;
+ &mdash;causes accidentelles de la «maladie», 162;
+ &mdash;du coeur à la période du déclin, 279.</p>
+
+<p>Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73;
+ &mdash;son utilité pour les jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74.</p>
+
+<p>Massage, 228;
+ &mdash;abdominal, 229.</p>
+
+<p>Méningite, 55.</p>
+
+<p>Menstruation: utilité du repos, 66;
+ &mdash;chez l'aliénée, 165;
+ &mdash;chez la grande malade, 166;
+ &mdash;ménopause, 296.</p>
+
+<p>Migraine, 40.</p>
+
+<p>Mort naturelle, 310.</p>
+
+<p>Névrose (sa contagion), 148.</p>
+
+<p>Obésité, 297;&mdash;exercice chez les
+obèses, 298;&mdash;régime chez les
+obèses, 299.</p>
+
+<p>Obsession: de la constipation,
+251;&mdash;de la rougeur, 187.</p>
+
+<p>Observations: d'une malade avec
+prédominance de troubles dyspeptiques,
+99;&mdash;d'une malade
+avec prédominance de troubles
+de nutrition, 105;&mdash;d'un faux
+cardiaque, 107;&mdash;d'une malade
+suivie pendant trente ans, chez
+laquelle presque tous les appareils
+ont été successivement
+atteints, 110;&mdash;d'une grande
+malade guérie par le régime
+restreint, 128;&mdash;d'une malade
+fébricitante guérie par l'alimentation
+forcée. 132.</p>
+
+<p>Opérés: opérations de complaisance,
+155;&mdash;morphine chez
+les&mdash;, 156;&mdash;rôle médical du
+chirurgien, 156;&mdash;purgation
+chez les, 157;&mdash;constipation
+provoquée chez les&mdash;, 158.</p>
+
+<p>Opothérapie: hépatique, 236;&mdash;ovarienne,
+286.</p>
+
+<p>Paralysie générale, hérédité, 16.</p>
+
+<p>Pertes: matérielles, 143;&mdash;au jeu,
+144.</p>
+
+<p>Pneumonie: bains chauds dans
+la;&mdash;chez le vieillard, 308.
+Protection, loi de protection des
+faibles, 10.</p>
+
+<p>Psychonévroses, leur traitement
+moral, 213.</p>
+
+<p>Psychothérapie: chez le jeune
+homme, 83;&mdash;savoir prendre
+un parti, 175;&mdash;respect du
+temps, 176;&mdash;dérivative. 180;
+&mdash;sédative, 181;&mdash;reconstituante,
+182;&mdash;résignation, 182;
+&mdash;foi religieuse, 208;&mdash;et problème
+religieux, 210.</p>
+
+<p>Ptôse: abdominale, 169;&mdash;et ceinture
+hypogastrique, 167;&mdash;passagère,
+169.</p>
+
+<p>Purgatifs et constipation, 249.</p>
+
+<p>Régime: ration d'entretien, 125,
+&mdash;des Chartreux, 125;&mdash;des
+Trappistes, 125;&mdash;des soldats,
+127-140;&mdash;des guides alpins,
+127;&mdash;observation d'une
+grande malade guérie par le
+régime restreint, 128;&mdash;en
+cas d'effondrement abdominal,
+172;&mdash;et suggestion, 215;&mdash;des
+grands malades, 217;&mdash;monotone,
+218;&mdash;sec (ses dangers),
+219;&mdash;à boisson restreinte,
+219;&mdash;et eaux minérales,
+255;&mdash;des diabétiques,
+293;&mdash;des albuminuriques,
+297;&mdash;des obèses, 299;&mdash;lacté
+chez les vieillards, 308.</p>
+
+<p>Repos: dans les états aigus, 173;&mdash;cure
+de&mdash;, 205;&mdash;constipation
+guérie par le&mdash;, 205;&mdash;avant le
+repas, 221;&mdash;après le repas,
+222;&mdash;au lit, 265.</p>
+
+
+<p>Sommeil: nécessité du sommeil
+chez l'enfant, 57;&mdash;nécessité
+du sommeil chez les jeunes
+gens, 76;&mdash;diurne (ses bons
+effets) 173;&mdash;l'aliment favorise
+le&mdash;, 221;&mdash;et repos au lit, 221.</p>
+
+<p>Sports, chez les jeunes gens (leur
+danger) 78.</p>
+
+<p>Suggestion et régime, 215.</p>
+
+<p>Symptômes morbides, 32;&mdash;petits
+symptômes de la «maladie»,
+95.</p>
+
+<p>Syphilis: polynatalité, 10;&mdash;et
+méningite, 12;&mdash;Société de
+prophylaxie sanitaire et morale,
+13;&mdash;nécessité d'un traitement
+pour prévenir la transmission
+héréditaire de la, 23;
+&mdash;âge à laquelle se contracte
+la&mdash;, 84;&mdash;manifestations tertiaires,
+164;&mdash;et assurances sur
+la vie, 164.</p>
+
+
+<p>Travail: cérébral insuffisant, 119;
+&mdash;cérébral excessif, 119;&mdash;musculaire
+excessif, 121;&mdash;ration
+de&mdash;, 125.</p>
+
+<p>Tuberculose hérédité, 13;&mdash;oeuvre
+de préservation de l'enfance
+contre la&mdash;, 14 et 89;&mdash;dans
+l'armée, 87;&mdash;et sanatorium
+populaire, 38;&mdash;et dispensaire, 88.</p>
+
+
+<p>Vacances: leur nécessité, 261;&mdash;colonies
+de&mdash;, 262.</p>
+
+<p>Vésicatoires, 255.</p>
+
+<p>Vieillards: voyages, 304;&mdash;alimentation,
+306;&mdash;constipation,
+307;&mdash;pneumonie, 308;&mdash;régime
+lacté, 308;&mdash;hémorragie
+cérébrale, 309.</p>
+
+<p>Vin: chez l'homme bien portant,
+139;&mdash;chez le malade. 141;</p>
+
+<p>Voyages: de noces (ses dangers),
+20;&mdash;leur utilité chez les gens
+bien portants, 261;&mdash;leur
+danger chez les malades, 267;
+&mdash;chez les vieillards, 304.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<h3>AUTEURS CITÉS</h3>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Dr BARADUC, 37.</p>
+<p>BRIEUX, 83.</p>
+<p>BROWN-SEQUARD, 236.</p>
+<p>Dr CHARCOT, 194</p>
+<p>Dr CAMPENON, 156.</p>
+<p>Dr CHAILLOU, 76.</p>
+<p>Dr DELORME, 158.</p>
+<p>Dr DUBOIS, 213.</p>
+<p>Dr DUPRAT, 194.</p>
+<p>FLOURENS, 9.</p>
+<p>Dr FONSAGRIVES, 55.</p>
+<p>FONSAGRIVES (Abbé), 81.</p>
+<p>Dr A. FOURNIER, 13.</p>
+<p>Dr ED. FOURNIER, 84.</p>
+<p>Dr GRANCHER, 14.</p>
+<p>Dr GRASSET, 194.</p>
+<p>Dr HUCHARD, 17.</p>
+<p>Dr KELSCH, 87.</p>
+<p>KNEIPP, 224.</p>
+<p>Dr LAGRANGE, 79 et 86.</p>
+<p>Dr LAUMONIER, 64.</p>
+<p>Dr LEGENDRE, 80.</p>
+<p>Dr LEREDDE, 231.</p>
+<p>Dr MATHIEU, 33.</p>
+<p>Dr PINARD, 21 et 45.</p>
+<p>PLANTET, 262.</p>
+<p>POINCARE, 1.</p>
+<p>Dr ROBIN, 293.</p>
+<p>Dr RUNGBERG, 164.</p>
+<p>SERTILLANGES (Abbé), 125.</p>
+<p>Dr SIGAUD, 171.</p>
+<p>Dr R. SIMON, 234.</p>
+<p>VANCAUWENBERGHE, 48.</p>
+<p>Dr VARIOT, 47.</p>
+<p>Dr A. VOISIN, 194.</p>
+ </div> </div>
+
+
+<br><br><br>
+<h3>TABLE DES MATIÈRES</h3>
+
+<p>PRÉFACE</p>
+
+
+<p><b>PREMIÈRE PARTIE</b></p>
+
+
+<p>CHAPITRE I</p>
+
+<p>LE CAPITAL BIOLOGIQUE<br>
+Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable
+selon chaque individu et selon chaque période de la vie.
+Capital initial; influences qui le font varier.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE II</p>
+
+<p>HÉRÉDITÉ<br>
+Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité.
+Rôle de l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose;
+le cancer; les tares nerveuses: les «maladies» de
+coeur; des reins.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE III</p>
+
+<p>CONCEPTION<br>
+La valeur des générateurs au moment de la conception.&mdash;Loi
+de protection des faibles. Hygiène de la procréation:
+éducation sexuelle de la jeune fille.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE IV</p>
+
+<p>GESTATION<br>
+Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la
+gestation.&mdash;Emotions, misères physiologiques, «maladies»
+de la mère pendant la grossesse. Enfants nés avant terme.</p>
+
+<p>CHAPITRE V</p>
+
+<p>INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES<br>
+La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive:
+les influences morbigènes modifient cette courbe. La
+même influence peut se traduire par des symptômes variés;
+et, inversement, des influences variées peuvent se traduire
+par le même symptôme (ex.: constipation) ou par le
+même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous
+les systèmes organiques peuvent être troublés à la fois.
+Le plus souvent, c'est l'organe le plus faible qui traduit
+le malaise. Le système nerveux est la clef de voûte de la
+pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les causes morbigènes.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE VI</p>
+
+<p>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.&mdash;PUÉRICULTURE<br>
+Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la
+durée de la vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant.
+Gouttes de lait (de Belleville, de Saint-Pol). La pathologie
+enfantine est, le plus souvent, simple; quelquefois, de la
+plus grande difficulté. Succès thérapeutiques chez les petits
+enfants atteints de syphilis, de pneumonie.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE VII</p>
+
+<p>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ<br>
+
+1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil
+prolongé, d'une mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles
+à cet âge évoluent vite, sans convalescence.&mdash;
+Chez l'enfant de sept ans à la puberté. Enfant du type
+musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral.
+Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies»
+très souvent provoquées par une alimentation défectueuse.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE VIII</p>
+
+<p>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE<br>
+
+I. <i>Chez la fille</i>.&mdash;Précautions à prendre à l'apparition
+des règles. Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»:<br>
+
+&mdash;A. Surmenage intellectuel.&mdash;B. Causes morales (despotisme
+de la mère, vocation contrariée); brevets: mariage
+rendu impossible; besoin du mariage.&mdash;C. Surmenage
+musculaire. Quelle que soit la cause, les symptômes sont
+les mêmes, mais le traitement varie avec la cause. Facilité
+relative de la guérison.</p>
+
+<p>II <i>Chez le garçon</i>.&mdash;1° Surmenage scolaire (insuffisance
+du sommeil).&mdash;2° Surmenage physique (abus des sports,
+de l'escrime, utilité des exercices automatiques <i>(Ligue des
+pères de famille</i>).&mdash;3° Déviation de l'hygiène sexuelle:
+éducation sexuelle. Par qui elle doit être donnée. Enseignement
+individuel et enseignement collectif. Utilité de
+l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations
+de l'instinct sexuel: psychothérapie.</p>
+
+<p>III. <i>Causes morbigènes communes aux deux sexes</i>.&mdash;«maladies»
+accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les
+dispensaires, oeuvres de préservation).</p>
+
+
+<p><b>DEUXIÈME PARTIE</b></p>
+
+
+<p>CHAPITRE I</p>
+
+<p>MATURITÉ<br>
+L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes
+de repos. Le coup de collier. La fatigue. L'entraînement.
+L'épuisement (ses signes prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire
+(ses signes prémonitoires. La «maladie».</p>
+
+
+<p>CHAPITRE II</p>
+
+<p>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»<br>
+Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade.
+Quatre observations de patients atteints de la «maladie»
+sous ses diverses formes. Troubles fonctionnels pouvant
+simuler les affections avec lésions d'organes. Rôle du
+système nerveux central dans la pathogénie de la «maladie».
+Embarras gastrique.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE III</p>
+
+<p>LES CAUSES DE LA «MALADIE»<br>
+
+I. <i>Causes physiques</i>.&mdash;1° Surmenage cérébral, travail
+cérébral insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral
+peut revêtir des formes cliniques très diverses.&mdash;
+2° Surmenage musculaire.&mdash;3° Vices d'alimentation.
+Généralités, auto-intoxication, irritation.&mdash;<i>A</i>. Alimentation
+excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des
+Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins.
+Observation d'une grande malade guérie par le régime
+restreint.&mdash;<i>B</i>. Alimentation à la sonde.&mdash;<i>C</i>. Alimentation
+insuffisante en qualité. Adultération des aliments:
+<i>a</i>) par les procédés chimiques, <i>b</i>) par les procédés physiques.
+&mdash;<i>D</i>. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité.
+Boissons distillées, leur danger.</p>
+
+<p>II. <i>Causes morales</i>.&mdash;Leur importance prépondérante:</p>
+
+<p><i>A</i>. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.&mdash;
+<i>B</i>. Influences compromettant la quiétude de l'âme. Passions.
+Incompatibilité d'humeur.&mdash;<i>C</i>. Inquiétudes d'origine
+altruiste. Séparation momentanée, définitive.&mdash;
+Choc traumatique: <i>a</i>) Hystéro-neurasthénie traumatique.
+<i>b</i>) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale
+des chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés.
+Des purgations. Constipation provoquée chez les opérés,
+ses avantages.</p>
+
+<p>III. <i>Causes accidentelles</i>.&mdash;Fièvre typhoïde. Grippe:
+son grand rôle pathogénique. Syphilis.</p>
+
+<p>IV. <i>Influences morbigènes spéciales à la femme</i>.&mdash;Menstruation.
+Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE IV</p>
+
+<p>PSYCHOTHÉRAPIE<br>
+Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle
+1° Son action s'étend aux déviations mentales.&mdash;2° A
+un grand nombre de troubles somatiques.&mdash;<i>A. Moyens
+par lesquels on diminue les dépenses d'influx nerveux:</i>
+savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du
+temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes.
+Un cas de folie du doute. Psychothérapie dans la
+manie aiguë, dans les obsessions. Résignation passive et
+active.&mdash;<i>B. Moyens par lesquels on augmente les recettes.</i>
+1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques
+(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).&mdash;
+Moyens par lesquels on augmente artificiellement le
+
+capital insuffisant: hypnose. Action personnelle de l'hypnotiseur,
+indications du traitement par l'hypnose. Ce qui
+limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que:
+1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles
+à hypnotiser.&mdash;2° C'est que c'est un moyen qui
+peut être trop actif. C'est un agent thérapeutique utile,
+non dangereux, s'il est bien manié; le médecin seul
+peut le bien manier.<br>
+
+Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques.
+&mdash;1° Le médecin doit soigner avec son coeur,
+plus qu'avec son intelligence.&mdash;2° Paraître ne jamais
+être pressé.&mdash;3° Ni même être pressé.&mdash;4° Savoir parler
+au malade.&mdash;5° Ne lui imposer que le strict minimum
+de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique:
+1° Absence de foi chez le malade (malades à théories
+médicales. Malades qui ne veulent pas guérir).&mdash;
+A l'hostilité de l'entourage. Le médecin confident.&mdash;Psychothérapie
+et sentiment religieux.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE V</p>
+
+<p>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES<br>
+
+1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent
+pas seulement par suggestion). Diète liquide. Régime
+des potages. Régime à boisson restreinte. De la fréquence
+des repas. Du repos après et avant le repas.<br>
+
+2° Moyens accessoires.&mdash;A. <i>Hydrothérapie</i>: froide, exceptionnellement
+indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé.
+Hydrothérapie tiède: tub, bain. Malades dont il ne faut
+pas mouiller la peau. Chaleur sèche. Massage. Frictions.
+Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.&mdash;B. <i>Injections
+hypodermiques.</i>&mdash;1° Influence utile de l'injection en
+tant qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).&mdash;2° Action
+propre du liquide injecté. Cacodylate de soude, de
+magnésie, de fer. Injections de Brown-Séquard. Strychnine.
+Cacodylate de gaïacol dans la «maladie» post grippale. Quinine,
+héroïne et morphine, leurs dangers. Injections huileuses:
+<i>a</i>. Mercurielles. <i>b</i>. Créosotées. Rôle alimentaire
+de l'huile injectée.&mdash;3° Des injections hypodermiques
+comme procédé de suggestion.&mdash;C. Vésicatoires. Emplâtres.
+Purgatifs. Etude de la constipation et des constipés.
+&mdash;D. <i>Eaux minérales</i>, leurs indications. Les tables de régime.
+Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. Châtel-Guyon.
+Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des eaux.&mdash;
+<i>Voyages</i>. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur
+danger chez de grands malades. Précautions à prendre
+pour qu'ils soient utiles aux malades moyens. La grande
+malade et le ciel de la Côte d'Azur. Voyage et entraînement.
+Vacances. Colonie de vacances.&mdash;F. <i>La mer</i>.&mdash;La
+cure marine. Le train des maris.</p>
+
+
+<p><b>TROISIÈME PARTIE</b></p>
+
+
+<p>CHAPITRE I</p>
+
+<p>LA PÉRIODE DE DÉCLIN<br>
+Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites
+extrêmes. Les tares organiques. Les cardiopathies se révèlent.
+Le déclin peut n'être qu'apparent (difficulté du diagnostic).
+Petits symptômes prémonitoires du déclin.
+Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales.
+Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique
+de l'homme. Forme que revêt souvent la «maladie» à
+cet âge. Traitement psychothérapique, régime, précautions.
+Le diabète. Rôle du système nerveux dans le
+diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même des
+diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente.
+Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de
+l'albuminurie, ni même des albuminuriques. Obésité.
+Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a pas de régime
+de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide.</p>
+
+
+<p>CHAPITRE II</p>
+
+<p>LA VIEILLESSE<br>
+Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la
+vieillesse de l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers
+des voyages. Alimentation restreinte. Accidents qui font
+mourir le vieillard. De la mort naturelle.</p>
+
+
+<p>INDEX.</p>
+
+<p>AUTEURS CITÉS.</p>
+
+<p>TABLE DES MATIÈRES.</p>
+<br><br><br>
+
+ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ ***
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+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
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+The Project Gutenberg EBook of La lutte pour la sante, by Dr. Burlureaux
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: La lutte pour la sante
+
+Author: Dr. Burlureaux
+
+Release Date: April 21, 2004 [EBook #12105]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ASCII
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTE ***
+
+
+
+
+Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed
+Proofreading Team.
+
+
+
+
+
+
+
+LA LUTTE
+
+POUR LA SANTE
+
+
+
+
+DU MEME AUTEUR
+
+Considerations sur la folie paralytique Paris, J.-B. Bailliere, 1874.
+
+Article Epilepsie du Dictionnaire encyclopedique des Sciences medicales
+(1886).
+
+Pratique de l'antisepsie dans les "maladies" contagieuses (Prix Stansky,
+de l'Academie de medecine). J.-B Bailliere, editeur (1892).
+
+Traitement de la Tuberculose par la creosote (Couronne par l'Institut,
+Prix Breant). 1 vol. in-8 deg., Rueff, editeur, 1894.
+
+
+_En preparation_:
+
+Psychotherapie et Morale religieuse.
+
+
+
+
+Dr. BURLUREAUX
+PROFESSEUR AGREGE LIBRE DU VAL-DE-GRACE
+
+
+
+
+LA LUTTE
+POUR LA SANTE
+
+
+ESSAI DE PATHOLOGIE GENERALE
+
+PARIS
+1908
+
+
+
+A MON CHER LUCIEN CLAUDE
+EN TEMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION
+ET EN SOUVENIR
+DE NOS CAUSERIES MEDICO-PHILOSOPHIQUES
+
+
+
+
+PREFACE
+
+La "lutte pour la sante" qui fait le sujet de ce livre n'est pas celle
+qu'ont entreprise, et que poursuivent avec un succes toujours plus
+marque, nombre de ligues et societes philanthropiques. Certes, personne
+n'admire plus que moi l'effort genereux de ces societes. Qu'il s'agisse
+de combattre la mortalite infantile, ou de repandre et de faire
+appliquer les regles de l'hygiene, ou encore d'enrayer l'extension de
+ces trois plaies sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la syphilis,
+ce sont la des campagnes infiniment bienfaisantes; et je considere comme
+un honneur d'avoir pu, modestement, prendre ma part de quelques-unes
+d'entre elles.
+
+Mais a cote de cette grande lutte collective, il y a une autre "lutte
+pour la sante", tout individuelle, qui se livre tous les jours dans la
+vie de chacun de nous. Celle-la est une forme de la loi universelle
+de la lutte pour l'existence. Sans cesse, depuis l'instant ou nous
+naissons, notre organisme tend a maintenir ou a retablir cet equilibre
+de ses forces que l'on appelle "la sante"; et sans cesse une foule
+d'influences, interieures ou venues du dehors, tendent a detruire cet
+equilibre, eminemment instable.
+
+Ces influences varient a l'infini, suivant l'age, le sexe, l'heredite,
+les conditions de la vie: mais toutes travaillent, en nous, a la meme
+fin; et l'on peut dire que l'histoire entiere de notre vie physique
+n'est que l'histoire des peripeties de la "lutte" incessante qui se
+deroule entre elles et la tendance naturelle de l'etre a perseverer dans
+son etre. Et si, parmi ces influences hostiles a notre sante, beaucoup
+ont un caractere fatal et inevitable, s'il y a malheureusement beaucoup
+de causes de "maladie" contre lesquelles nous sommes desarmes, il y en
+a aussi un tres grand nombre qui peuvent etre evitees, ou combattues
+victorieusement. Toute la medecine, en fait, ne consiste qu'a aider la
+nature dans sa lutte contre elles.
+
+
+Mais la medecine est moins une science qu'un art. De la multiplicite
+des circonstances, de la diversite des esprits, il resulte que chaque
+medecin, quand il est parvenu a un certain point de sa carriere,
+s'apercoit que l'ensemble de ses observations et de ses reflexions l'a
+amene a se faire une experience propre, personnelle, des conditions
+generales de la "lutte pour la sante" et des moyens d'aider l'organisme
+a la bien conduire. C'est le fruit de mon experience particuliere que
+j'ai essaye de recueillir et de presenter, dans le livre que voici.
+
+De longues annees de pratique medicale m'ont donne l'occasion de
+voir, sous des aspects tres varies, la naissance et l'evolution de la
+"maladie". J'ai aussi vu a l'oeuvre bien des methodes de traitement,
+anciennes et nouvelles. Penetre, des le debut, de l'importance de la
+tache qui m'etait confiee, je me suis efforce de ne subir aucun parti
+pris d'ecole ni de doctrine, de ne rien rejeter ni de ne rien admettre
+sans l'avoir controle, de borner toujours mon ambition a empecher ou a
+soulager la souffrance par tous les moyens,--que l'idee de ces moyens me
+vint de moi-meme ou d'autrui, qu'ils fussent ou non approuves par les
+autorites du moment, qu'ils appartinssent a la therapeutique d'hier ou a
+celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru deja une grande partie
+de ma route, il m'a semble que j'avais le devoir de faire profiter les
+autres de tout ce que mon experience, ainsi acquise, pouvait contenir
+d'interessant et d'utile pour eux.
+
+C'est dire que ce petit livre s'adresse a tout le monde. Je n'ai pas
+voulu en faire une these scientifique, mais plutot quelque chose
+comme ces _Conseillers de la Sante_ que l'on etait assure de trouver,
+autrefois, au chevet du lit de nos grands-parents. Laissant aux ouvrages
+speciaux l'etude des "maladies" accidentelles, de ces chocs exterieurs
+ou notre organisme est sans cesse expose, je m'en suis tenu aux
+differentes manifestations de ce que j'appellerai, d'un terme general,
+la "maladie", en entendant par la cette rupture de l'equilibre normal
+de nos forces, cette depreciation plus ou moins complete de notre
+capital biologique, qui se produit, tot ou tard, dans l'existence
+de chaque creature humaine, et s'exprime par une variete infinie de
+symptomes morbides. J'ai essaye d'indiquer les principales causes qui,
+aux differents ages, depuis l'enfance jusqu'a la vieillesse, risquent de
+compromettre ou de detruire la sante; et surtout j'ai essaye de montrer,
+au fur et a mesure, par quels moyens ces causes peuvent etre evitees, ou
+leurs mauvais effets heureusement repares.
+
+Plusieurs de ces moyens etonneront peut-etre le lecteur, accoutume aux
+complications savantes de la medecine d'aujourd'hui; et leur simplicite
+meme lui semblera peut-etre avoir quelque chose de revolutionnaire.
+C'est un danger que j'ai prevu, et que, certes, je n'affronte pas de
+gaite de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon livre qui ne derive,
+a la fois, d'une experimentation methodique et de reflexions patiemment
+muries. Si jamais l'on peut etre sur de quelque chose, en une matiere
+aussi variable et aussi delicate, je suis sur de l'efficacite des
+avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. Puissent-ils
+seulement etre entendus, et porter leur fruit!
+
+
+Ce livre etait deja sous presse lorsque j'ai recu l'interessant ouvrage
+de mon confrere et ami le Dr. Sigaud sur _Les Origines de la "maladie"_
+(1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de n'avoir pas pu en citer certaines
+pages qui s'accordent avec les idees que j'ai moi-meme exprimees sur
+plusieurs points, et, notamment, sur le danger qu'il y a a attacher trop
+d'importance aux symptomes en pathologie.
+
+
+
+
+LA LUTTE POUR LA SANTE
+
+
+
+
+PREMIERE PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LE CAPITAL BIOLOGIQUE
+
+
+
+L'hypothese joue, dans les progres do toutes les connaissances humaines,
+un role considerable; ce n'est une nouveaute pour personne, mais cette
+verite nous a ete recemment rappelee, et exposee avec une clarte
+nouvelle, par le remarquable travail de M. Poincare, intitule: _La
+Science et l'Hypothese._ Il y est demontre que ni les mathematiques,
+ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient exister si elles
+n'avaient pour point de depart des hypotheses. "Il y a, dit M. Poincare,
+plusieurs sortes d'hypotheses: les unes sont verifiables, et, une fois
+confirmees par l'experience, deviennent des verites fecondes; les
+autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous etre utiles en
+fixant notre pensee; d'autres enfin (comme le _postulatum_ d'Euclide) ne
+sont des hypotheses qu'en apparence, et se reduisent a des definitions
+et a des conventions deguisees". Plus encore que les sciences dites
+exactes, les etudes biologiques ont besoin du secours de l'hypothese,
+car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que "nous n'y savons le
+tout de rien."
+
+Sans avoir aucunement la pretention de bouleverser les sciences
+biologiques, mais simplement pour m'aider a fixer ma pensee, je
+demanderai, a mon tour, qu'on m'accorde une sorte de _postulatum_, qui
+nous aidera a nous rendre compte de la plupart des phenomenes de la
+biologie et de la pathologie.
+
+Voici ce _postulatum_:
+
+Je supposerai que chaque etre, en naissant, recoit un certain capital
+d'energie vitale, de la valeur et de l'emploi duquel dependront et
+sa sante, et sa longevite: un capital donnant des interets variables
+suivant chaque individu et suivant chaque periode de la vie. J'ajouterai
+que ce capital peut etre, a toute periode de la vie, amoindri par une
+cause accidentelle, et que les interets qu'il produit sont egalement
+variables aux diverses periodes de la vie.
+
+Or, cette hypothese etant accordee, l'objet du present travail sera
+d'etudier, d'un bout a l'autre de la vie, la meilleure maniere de faire
+valoir ce capital, et de le defendre contre les influences qui ne
+cessent pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on appelle les
+"causes morbigenes", et leurs assauts sont ce qu'on appelle les
+"maladies".
+
+L'homme malade est donc, dans notre hypothese, celui qui vient de subir
+une de ces diminutions de son capital biologique: d'ou il resulte que,
+avant d'etudier le malade, et les causes morbigenes, nous devons d'abord
+envisager le capital initial, et les causes qui en font varier la
+valeur.
+
+Considere au point de vue theorique, c'est-a-dire en negligeant les
+influences qui peuvent le faire accidentellement diminuer, le capital
+initial est comparable a la force qui lance un projectile dans l'espace.
+Or, les mathematiciens savent exactement quelle doit etre la courbe
+parcourue par le projectile, du moment qu'ils connaissent la vitesse
+initiale et la masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi,
+prevoir la courbe que suivra la sante d'un sujet, si nous pouvions
+connaitre exactement le capital de vie qu'il apporte en naissant. Mais
+le fait est que, chez les differents etres humains, le capital initial
+varie dans des proportions si enormes que nous ne pouvons guere nous
+flatter d'en avoir une notion precise.
+
+Pour des causes que nous chercherons a analyser, il y a des etres chez
+qui le capital initial est nul: ce sont eux qui meurent en naissant,
+ou un ou deux jours apres leur naissance, sans "maladies" ni lesions
+appreciables; tels certains enfants de syphilitiques, qui meurent parce
+qu'il n'ont pas la force de vivre.
+
+A l'autre extremite de l'echelle se placent les aristocrates de la
+sante, doues d'un capital enorme, et qu'on voit atteindre a des ages
+avances sans avoir jamais ete malades, sans avoir jamais pris de
+precautions speciales pour conserver leur sante. Ainsi, j'ai connu, non
+comme medecin, mais comme ami, un general mort a quatre-vingt-douze ans,
+et qui n'avait jamais ete arrete par la moindre indisposition. On peut
+meme dire qu'il est mort sans "maladie"; il a tout simplement cesse
+de vivre, comme le boulet, arrive a la fin de sa course, cesse de
+progresser et rentre dans l'immobilite.
+
+Entre ces deux extremes se trouve une variete infinie d'intermediaires;
+et l'on peut dire qu'il n'y a pas deux personnes ayant le meme capital
+biologique initial.
+
+Cependant les differences dans le capital initial ne sont pas si grandes
+qu'on ne puisse, tout au moins, en determiner les causes principales,
+dont l'etude se trouve etre, ainsi, d'une importance majeure. Ces causes
+peuvent etre groupees sous trois chefs:
+
+1 deg. Les influences hereditaires;
+
+2 deg. La valeur actuelle des generateurs au moment de la conception;
+
+3 deg. Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation.
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+HEREDITE
+
+
+
+L'heredite tient une place considerable dans tous les problemes de la
+vie; et, comme l'indique bien l'etymologie du mot _hoerere_, (etre
+attache), tout etre vivant est relie a un long passe ancestral.
+Les vegetaux eux-memes n'echappent point a cette loi: le souci des
+horticulteurs n'est-il pas de creer, par de savants procedes de culture
+et d'habiles selections, des types capables de transmettre par heredite
+certaines qualites developpees? Ils y arrivent jusqu'au jour ou, quand
+ils ont voulu trop profondement ou trop vite forcer la nature, la plante
+revient a son etat sauvage, ou demeure sterile pour avoir ete trop
+surmenee. Et les memes observations sont familieres aux eleveurs qui
+cherchent a perfectionner les races d'animaux domestiques.
+
+Heredite est donc un terme de physiologie signifiant que la constitution
+organique, la maniere d'etre physique ou mentale, se transmet des
+parents aux enfants ou aux descendants.
+
+L'heredite se rencontre partout; c'est elle qui constitue les grands
+traits de caractere si differents de chaque race; c'est elle qui fait
+que les vertus, les vices, les passions, les haines, se transmettent
+dans le sein des familles aussi bien que la beaute, la couleur des yeux,
+la taille, etc. Souvent elle est directe, c'est-a-dire qu'elle provient
+du pere ou de la mere; parfois elle saute une ou deux generations;
+d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le type d'un parent de
+la ligne collaterale qui prend la place. Mais il est rare que, dans le
+cours de la vie, elle ne se manifeste pas d'une maniere quelconque.
+
+Le role de l'heredite a ete reconnu de tout temps. Dans son langage
+image, la Bible nous dit qu'"il a encore les dents agacees, celui dont
+l'ancetre de la septieme generation a mange des raisins verts." Si
+cette parole etait l'expression exacte de la verite, elle serait bien
+decevante, car elle paralyserait tous les efforts destines a lutter
+contre les tares ancestrales. Mais deja Ezechiel avait energiquement
+proteste (chap. XVIII) contre la fatalite des tares hereditaires; et la
+verite est que l'influence de l'heredite est modifiee grandement par la
+tendance qu'a tout etre vivant a retourner a son type primitif, comme
+aussi par les influences du croisement, en vertu desquelles l'un des
+generateurs peut rectifier la tare transmise par son partenaire. Ce
+n'est que quand les deux generateurs ont les memes tares que l'heredite
+sevit avec son maximum d'intensite; et alors non seulement les tares
+s'ajoutent, mais elles semblent se multiplier l'une par l'autre,
+au point de rendre l'enfant incapable de soutenir la lutte pour
+l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a pas la force de transmettre la
+vie. Ainsi s'eteignent les familles par les "maladies" hereditaires, a
+moins qu'un des membres de la race dechue, revenant pour ainsi dire
+au type primitif, ne porte en lui une force de reaction
+insoupconnee,--heritage peut-etre d'un passe plus lointain,--qui lui
+permette de reconstituer la famille.
+
+Telles sont les considerations generales qu'il m'a semble utile
+d'indiquer, parce qu'il en pourrait sortir un grand nombre de
+conclusions pratiques pour qui sait reflechir. Mais il faut a present
+que j'insiste sur quelques details plus particuliers.
+
+D'abord, l'heredite de la longevite.
+
+Il est des familles ou l'on meurt vieux, de pere en fils. On dirait des
+horloges remontees pour sonner a peu pres le meme nombre d'heures. Il
+est d'autres familles ou tout le monde meurt jeune, sans cependant qu'on
+puisse incriminer des "maladies" speciales. Pourquoi? Force est bien de
+le dire, nous ne le savons pas.
+
+Notons, en passant, combien sont erronees les theories qui attribuent
+a l'homme moyen une longevite moyenne, calculee d'apres l'epoque de la
+soudure des epiphyses, ou d'apres la duree de la croissance: suivant les
+calculs de Flourens, cette moyenne devrait etre de cent ans. Mais c'est
+la une simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune observation
+serieuse.
+
+Certes, on peut etablir des moyennes. C'est sur des moyennes de ce
+genre, et sur le calcul des probabilites, que sont bases les statuts des
+compagnies d'assurance. De meme, il n'est pas deraisonnable de supputer
+la longevite probable d'un individu donne, quand on est en mesure
+d'apprecier son capital biologique et la facon dont il sait s'en servir.
+Mais dire que l'homme est bati pour vivre cent ans, parce que, dans les
+especes animales, la longevite a cinq fois la duree de la croissance,
+et que, chez l'homme, la duree de la croissance est de vingt ans, c'est
+etablir une theorie sur des bases absolument fragiles.
+
+Plus importantes encore que la plus ou moins grande longevite des
+parents, sont, pour nous, certaines particularites de leur etat
+pathologique, qui retentissent d'une facon souvent tres profonde sur la
+valeur de leurs enfants.
+
+On sait, par exemple, les influences nefastes de l'alcoolisme
+hereditaire, qui non seulement restreint la natalite, mais condamne ceux
+qui naissent a une mort rapide.
+
+La syphilis ne reduit pas la natalite; au contraire, elle semble la
+favoriser, et tout le monde connait, en effet, de ces nombreuses
+familles fauchees par la syphilis hereditaire. En vain les generateurs
+s'obstinent a mettre au monde de nouvelles victimes: aucune ne survit, a
+moins qu'un traitement medical bien compris ne vienne mettre fin a cette
+lamentable situation [1].
+
+[Note 1: Je ne puis m'empecher de reconnaitre, dans cette
+polynatalite des heredo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on
+serait tente d'appeler la loi de protection des faibles.
+
+N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les etres sans
+defense luttent par leur polynatalite contre les causes de destruction
+auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde animal. Les
+animaux puissants, armes pour la defense ou pour la lutte, sont toujours
+de mediocres generateurs; l'elephant, par exemple, ne donne naissance
+qu'a un nombre tres restreint d'individus, la femelle porte longtemps;
+meme remarque pour le lion. Au contraire, les animaux sans defense, se
+multiplient avec une rapidite qui les rend parfois redoutables: tels les
+lapins d'Australie. Il a suffi d'un couple importe par hasard dans cette
+colonie pour que ces animaux se soient multiplies au dela de toute
+mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fleau pour
+l'agriculture. C'est que le lapin est un etre faible, qui n'a de moyens
+ni d'attaque, ni de defense, ne sachant que fuir et se cacher. Dans
+l'espece humaine, combien ne voit-on pas de ces couples admirablement
+bien assortis, de sante parfaite, et qui n'ont pas d'enfants? Nous ne
+parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, enfants; car ici intervient
+un autre facteur, la restriction volontaire; mais de ces menages
+exemplaires, ou la venue d'un enfant serait une joie, et qui restent
+steriles, sans que rien dans l'etat des conjoints explique cette
+sterilite.
+
+Au contraire, des generateurs de mediocre valeur, au point de vue de
+la sante, mettent au monde de nombreux enfants, qui bien souvent
+constituent pour eux une richesse negative. Ces malheureux portent le
+beau nom de proletaires _(proles, race)_.
+
+Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'etend a l'infini.
+Pourquoi nait-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi tel couple ne
+donne-t-il naissance qu'a des filles, tel autre qu'a des garcons?
+C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique de la mere etait
+sensiblement inferieure a celle du pere. Quand il y a une disproportion
+marquee entre les deux generateurs, l'enfant qui nait a le sexe du
+generateur qui vaut le moins.
+
+Quand un homme vieux et use epouse une jeune femme pleine de vie et
+de sante, l'enfant qui naitra de leur union sera presque toujours un
+garcon.
+
+Dans le monde vegetal, la meme loi de protection des faibles s'observe
+pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans defense: elles
+pullulent partout, on les trouve sous toutes les latitudes, a toutes les
+altitudes; au contraire, celles qui se defendent, ont ce qu'on appelle
+en botanique des "aires" tres limitees.
+
+Dans le monde mineral lui-meme, on observe la meme loi: les metaux qui
+se defendent sont des metaux rares, et c'est precisement parce qu'ils
+sont rares et incorruptibles (mais non incorrupteurs) que l'homme les
+a pris comme representant la valeur du travail. L'or, par exemple, que
+rien n'attaque, est plus rare que les metaux qui s'oxydent facilement,
+tels que le fer, le cuivre.
+
+Le diamant inalterable, qui defie l'injure du temps, est d'une rarete
+qui lui donne tout son prix.
+
+C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids aux
+lois darwiniennes (selection, adaptation aux milieux, etc.) que resulte
+un equilibre presque stable dans le monde des etres crees.]
+
+La syphilis est un des principaux facteurs de degenerescence. On
+commence seulement a connaitre l'etendue de ses ravages. On sait
+aujourd'hui qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les fait mourir
+avant leur naissance, ou le jour meme de leur naissance; qu'elle se
+traduit plus souvent encore, dans les deux premiers mois qui suivent la
+naissance, par des accidents contagieux; que, dans les premieres annees
+de la vie, elle entraine la mort par meningite (meningite speciale que
+l'on prend trop souvent pour une meningite tuberculeuse, et qui serait
+justiciable d'un energique traitement anti-syphilitique).
+
+On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la syphilis des
+generateurs provoque, a l'age de huit, dix, quinze ans, des dystrophies,
+parfois des accidents tertiaires (epilepsie, gommes, etc.): mais ce sont
+la des curiosites scientifiques.
+
+Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle proportion la syphilis
+des parents diminue la valeur biologique des enfants en apparence bien
+nes, c'est son influence sur les produits de la deuxieme et meme de la
+troisieme generation. C'est la la science de l'avenir[2].
+
+[Note 2: Nous ne voulons pas insister davantage sur les mefaits de
+la syphilis, envisagee en tant que peril social, mais nous ne pouvons
+laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les
+efforts tentes pour faire connaitre au grand public ces tristes verites.
+
+Il existe une _Societe internationale de prophylaxie sanitaire et
+morale_ contre les "maladies" veneriennes, siegeant a Bruxelles, et
+ayant comme filiales des societes francaises, allemandes, etc., qui
+toutes poursuivent un but commun: faire connaitre les mefaits des
+"maladies" veneriennes, les eteindre dans la mesure du possible et par
+tous les moyens possibles.
+
+La societe francaise est certainement l'une des plus actives: sous la
+vigoureuse impulsion de son president, M. le professeur Fournier, elle a
+deja fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est fondee.
+
+Elle a etudie la syphilis dans l'armee, dans la marine, les colonies,
+dans les populations ouvrieres; la syphilis des nourrices et des
+nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grace a elle, l'opinion
+publique commence a s'interesser au redoutable probleme, on ose
+envisager en face la syphilis, on ose prononcer son nom, et tout fait
+esperer que l'action de la Societe de prophylaxie sera au moins aussi
+utile que celle des ligues contre l'alcoolisme et la tuberculose.
+
+Car, en realite, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on ne
+modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la tuberculose?
+Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre etat social, tant qu'il
+y aura l'affreuse misere et la promiscuite. Tandis qu'on peut beaucoup
+contre la syphilis, "maladie" evitable s'il en fut, "maladie"
+essentiellement curable. Mais il faut la faire connaitre dans tous les
+milieux, son danger provenant de l'ignorance. C'est surtout contre cette
+ignorance que lutte la Societe francaise de prophylaxie sanitaire et
+morale a laquelle devraient etre affilies tous les gens de bien, toutes
+les personne soucieuses de l'avenir de la nation.]
+
+L'heredite tuberculeuse est-elle aussi redoutable qu'on se plaisait a le
+dire? Non. Voila, du moins, ce qu'affirment la science experimentale et
+l'observation des jeunes animaux issus de generateurs tuberculeux. Mais,
+dans la pratique, il serait sage de se conduire comme si la tuberculose
+etait hereditaire: 1 deg. parce que les enfants de tuberculeux sont,
+par cela meme qu'ils vivent dans un milieu contamine, exposes a
+la contagion[3]; 2 deg. parce que l'enfant, s'il n'herite pas do la
+tuberculose, herite incontestablement de la predisposition a devenir
+tuberculeux. Il ne nait pas tuberculeux, mais il nait tuberculisable: de
+sorte que, au point de vue scientifique, l'apprehension qu'avaient
+nos peres au sujet de l'heredite de la tuberculose etait parfaitement
+legitime.
+
+[Note 3: Le souci de soustraire au milieu contamine les enfants de
+tuberculeux a inspire au professeur Grancher une idee geniale: c'est de
+prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore sains,
+pour les faire elever a la campagne dans des familles saines. C'est
+ce que realise "l'Oeuvre de preservation de l'enfance contre la
+tuberculose". (Siege social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre
+scientifique, puisque, suivant le precepte de Pasteur, elle cherche a
+sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; elle a
+fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixieme des demandes
+des parents tuberculeux, qui commencent a comprendre la necessite de se
+separer de leurs enfants encore sains pour les confier a des familles
+de braves gens designees par l'oeuvre, surveilles par ses medecins,
+et offrant toutes garanties de moralite. Cette Oeuvre, bienfaisante a
+plusieurs titres, est en outre _economique:_ chaque pupille ne coute
+en effet qu'un franc par jour, parce que tous les devouements sont
+gratuits. Cette faible somme d'un franc, bien employee, sans aucune
+fuite, sert ainsi les interets de deux familles et sauve la vie d'un
+enfant.]
+
+L'heredite du cancer est loin d'etre demontree. Tout est obscur dans
+la question du cancer: son etiologie, ses modes de transmission, ses
+varietes d'evolution; et la therapeutique se ressent de toutes ces
+incertitudes, malgre les belles promesses de la serotherapie, de la
+vaccination anti-cancereuse, et de la radiotherapie.
+
+En resume, l'heredite est le principal facteur de la valeur biologique
+des individus. Chacun, de par son heredite, nait avec une valeur
+differente: l'inevitable inegalite sociale existe non seulement le jour
+de la naissance, mais le jour meme de la conception.
+
+C'est encore a l'heredite qu'il faut attribuer la differente valeur des
+differents organes. Beaucoup naissent avec un organe plus faible que les
+autres, de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir compte
+de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il se trouve en face d'un
+malade quelconque.
+
+Les organes qui subissent le plus notablement la tare hereditaire sont:
+le systeme nerveux, le coeur, et les reins.
+
+_A_) Les tares nerveuses se transmettent avec une constance redoutable;
+et c'est a juste titre qu'on craint les alliances avec des sujets
+dont les parents sont entaches d'alienation mentale, ou de nervosisme
+exagere.
+
+Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de l'heredite nerveuse
+a des limites excessives: car, ainsi que je l'ai dit, nous devons
+compter avec une sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle l'etre
+naissant est debarrasse de sa tare ancestrale; l'heredite n'est jamais
+absolument fatale. Et nous devons prevoir aussi les attenuations que
+peuvent amener les croisements. Ainsi l'heredite nerveuse du pere peut
+tres bien etre attenuee par le bon equilibre nerveux de la mere, le
+croisement bien compris entrainant une sorte de regeneration. Enfin, il
+est certaines "maladies" nerveuses qui ne se transmettent jamais par
+heredite: telle la paralysie generale des alienes. De ce qu'un homme est
+mort dans un asile, par le fait de la paralysie generale, il ne faut pas
+conclure que ses descendants soient menaces de folie, ou meme de tares
+nerveuses. Le paralytique general a pris la "maladie" uniquement pour
+son compte, et il ne la transmet pas plus que ne transmettrait sa tare
+nerveuse un homme qui serait, accidentellement, empoisonne par le plomb.
+Tout ce qu'on peut dire du paralytique general, c'est que, neuf fois sur
+dix, c'est un syphilitique, et que sa descendance peut etre entachee de
+syphilis au meme titre que la descendance d'un syphilitique quelconque.
+
+_B_) L'heredite des cardiopathies est egalement tres interessante a
+etudier: elle n'est pas assez connue.
+
+Il y a des familles dans lesquelles tous les membres succombent aux
+affections cardiaques. C'est donc que, la, les enfants apportent, en
+naissant, un point de plus faible resistance du cote du coeur. Chose
+curieuse: dans ces familles, la lesion cardiaque ne devient perceptible,
+chez ses divers membres, qu'a des ages plus ou moins avances. Vers
+trente ans, l'un d'eux eprouvera de l'arythmie, suivie, six ou sept ans
+plus tard, de myocardite sclereuse. Un autre, tout en ayant le coeur
+sain a l'auscultation, succombera par le coeur, dans le cours d'une
+pneumonie. "La "maladie" etait au poumon, et le danger au coeur"
+(Huchard). Un troisieme membre mourra a cinquante ans, a son quatrieme
+acces d'angine de poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la
+moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre affection capable
+de determiner des lesions cardiaques. Enfin un quatrieme aura de la
+tachycardie paroxystique. Et tout cela parce que la mere des quatre
+enfants aura eu, avant la naissance du premier, le coeur touche
+accidentellement par le rhumatisme; je connais meme une famille ou
+l'heredite remonte a deux generations: presque tous les membres de cette
+famille sont des cardiopathes.
+
+C) Le role de l'heredite pathologique renale merite d'etre signale au
+meme titre. On connait l'albuminurie hereditaire et familiale: mais les
+recents travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont demontre, en
+outre, qu'une mere atteinte de nephrite donne naissance a des
+enfants dont les reins sont moins resistants aux infections et aux
+intoxications, ou meme sont alteres au point d'entrainer la mort des les
+premiers jours de la vie. De plus, chacun nait avec une predominance de
+tel ou tel systeme organique. Chez les uns, c'est le systeme nerveux qui
+presente un developpement hors de proportion avec les autres systemes
+organiques; chez d'autres, c'est le systeme musculaire.
+
+Ni les uns ni les autres ne sont, a proprement parler, des malades,
+ni meme des candidats a la "maladie"; ils peuvent avoir un excellent
+capital biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas commettre
+de fautes dans la direction a leur conseiller. Et nous retrouverons
+cette importante donnee quand nous parlerons des grands problemes de
+l'education.
+
+Est-ce encore a l'heredite qu'il faut attribuer cette singuliere
+predominance d'un des cotes du corps sur l'autre que l'on observe chez
+la plupart des malades? En general, c'est le cote gauche qui est le plus
+faible; c'est lui qui est le siege des nevralgies, des pneumonies, des
+miseres variees que les malades accusent; c'est lui qui est le plus
+faible au dynamometre; et tout le monde sait que la main gauche est, en
+general, moins habile que la main droite; le langage courant traduit
+cette inferiorite, en faisant de "gauche" le synonyme de malhabile. Chez
+d'autres, au contraire, c'est le cote droit du corps qui est le siege de
+toutes les douleurs nevralgiques, rhumatismales, sans pour cela que
+ces malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir recherche la part de
+l'heredite dans cette repartition inegale de l'influx nerveux, que je ne
+fais que signaler en passant.
+
+Mais ce qui resulte de tout ce que nous venons de voir, et qui doit en
+former pour nous la conclusion pratique, c'est que, pour difficile que
+soit la connaissance precise de l'heredite d'un sujet, peut-etre n'y
+a-t-il pas de point sur lequel l'attention du clinicien doive se porter
+plus soigneusement! En presence d'un malade, notre premier effort
+doit etre de determiner ce qu'il a pu recevoir de ses parents; et les
+resultats de cette premiere enquete doivent toujours nous etre presents
+a l'esprit, tout dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais
+surtout quand nous aurons a diriger sa sante.
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+CONCEPTION
+
+
+
+L'influence de la valeur actuelle des generateurs, au moment de la
+conception, est a peine soupconnee, et le fait est qu'il serait bien
+difficile de la demontrer; elle doit etre, cependant, considerable, et
+il y a tout lieu de croire que la valeur d'un individu a naitre varie
+du tout au tout selon qu'il a ete concu dans de bonnes ou de mauvaises
+conditions.
+
+Depuis longtemps, les medecins protestent contre les voyages de noces.
+On ne saurait trop faire campagne contre cette coutume, tout au moins
+antihygienique. Considerez, en effet combien s'accumulent les conditions
+deplorables pour la procreation, chez deux conjoints dont le systeme
+nerveux a ete mis a l'epreuve par les preoccupations premonitoires du
+mariage, par la fatigue des journees consacrees a sa celebration, par
+les emotions inseparables de cet acte important de la vie! Et voila ces
+jeunes gens qui, aussitot apres, se pressent pour un voyage lointain,
+qui s'exposent a des fatigues de toute sorte, a la deplorable
+alimentation de l'hotel, qui s'infligent le souci de changer de
+residence tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions que, sans
+recueillement, a la legere, ils accomplissent l'acte qui doit donner _la
+vie_.
+
+Dans d'autres milieux moins favorises, l'acte conjugal s'opere a la
+suite de repas copieux, dans des conditions non moins deplorables.
+
+Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'emotion de la jeune femme,
+trop souvent surprise par les conditions nouvelles de l'existence
+qu'elle a adoptee, ou qui lui a ete imposee? Comme le disait le
+professeur Pinard: "En plein XXe siecle, nous procreons comme les
+hommes des cavernes."
+
+Que faire a tout cela? C'est deja quelque chose que d'appeler
+l'attention sur un mal dont presque personne ne soupconne l'importance,
+en dehors du monde medical. Les remedes viendront, pour ainsi dire,
+d'eux-memes, a partir du jour ou l'on connaitra le danger.
+
+Appelons aussi l'attention sur un point delicat: sur la necessite de
+faire l'education de la jeune fille, pour qu'elle sache ce qu'est le
+grand acte de la procreation.
+
+Je vois d'ici les meres francaises fremir, et s'armer en guerre les
+bataillons de ceux qui confondent la pudeur avec la pudibonderie. Nul
+doute, cependant, qu'il y ait une reforme a operer dans nos moeurs, a
+cet egard, et dans tous les milieux sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler
+ce que dit la Bible, dans le livre de _Tobie_, chapitre VII? Le fils
+du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphael, allait epouser Sara,
+fille de Raquel, laquelle avait vu mourir subitement ses sept premiers
+maris, aussitot qu'ils s'etaient approches d'elle; et, pour lui eviter
+pareil sort, l'ange donnait au jeune homme les conseils suivants: "
+Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'elles
+bannissent Dieu de leur coeur et de leur esprit et qu'elles ne pensent
+qu'a satisfaire leur brutalite, comme les chevaux et les mulets qui sont
+sans raison, le demon a pouvoir sur elles. Mais pour toi, apres que tu
+auras epouse cette fille, etant entre dans la chambre, vis avec elle en
+continence pendant trois jours, et ne pense a autre chose qu'a prier
+Dieu avec elle! La troisieme nuit etant passee, tu prendras cette fille,
+dans la crainte du Seigneur, et dans le desir d'avoir des enfants
+plutot que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part a la
+benediction de Dieu."
+
+Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend pas, pour procreer, plus
+de precautions qu'a l'epoque des premieres ardeurs; c'est egalement une
+faute dont se ressent le produit de la conception.
+
+Il y aurait a faire tout un traite sur l'hygiene de la procreation. Ce
+traite, concu dans un esprit large, liberal, scientifique, qui tiendrait
+compte de tous les elements du probleme, c'est-a-dire non seulement du
+point de vue medical, mais aussi de l'element passionnel, repondrait a
+un veritable besoin.
+
+Et un chapitre, et l'un des plus importants, devrait y etre consacre
+au traitement preventif de la syphilis hereditaire. Combien d'hommes
+atteints de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, ignorent les
+bienfaits d'un traitement specifique, qu'ils suivraient deux ou trois
+mois avant de se marier, pour preserver leurs enfants de la terrible
+"maladie"! Combien peu de medecins pensent a instituer ce traitement
+preventif, alors meme qu'ils savent que le generateur a eu la syphilis!
+Mais je ne sauvais m'etendre ici davantage sur ce sujet.
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+GESTATION
+
+
+
+Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant la gestation, nous
+n'avons aucune donnee precise a fournir. Nous n'avons pas remarque, par
+exemple, qu'une mere ayant eu une grossesse penible, voire meme
+des vomissements incoercibles, donnat naissance a un enfant plus
+specialement faible; inversement meme, bien des femmes d'une sante
+mediocre ont des grossesses superbes. J'etonnai fort une malade, un
+jour, en lui disant qu'elle ne devait aller bien que pendant ses
+grossesses. C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, et que la
+grossesse devait lui produire l'effet d'une sangle, en soutenant les
+organes. Mais il n'est guere vraisemblable qu'un etat de sante
+aussi artificiel, et aussi transitoire, soit, pour le produit de la
+conception, un brevet de sante future.
+
+Par contre, les "maladies" de la mere pendant la grossesse ont une
+influence bien connue sur la valeur de l'enfant a naitre. Quand elles ne
+provoquent pas l'avortement, elles impriment a l'enfant une tare.
+
+J'ai observe, a cet egard, un fait bien suggestif. Une jeune femme, au
+quatrieme mois de sa premiere grossesse, avait eu une appendicite si
+nettement caracterisee que le confrere qui devait l'accoucher, et
+moi-meme, avions ete sur le point de provoquer l'intervention d'un
+chirurgien. La malade avait pu, cependant, etre traitee medicalement:
+mais l'enfant, ne a terme, a presente des sa naissance une intolerance
+intestinale veritablement anormale. Une premiere nourrice, choisie par
+l'accoucheur, lui a donne un lait qui a semble trop fort, car l'enfant a
+eu, des le deuxieme jour, de la diarrhee verte et des vomissements. Dans
+l'espace de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours choisies
+avec le plus grand soin, n'ont pas eu plus de succes: a chaque nouvelle
+nourrice, vomissements, fievre ardente, diminution rapide du poids.
+Mais, pendant qu'on cherchait a grand prix des nourrices ideales, on
+etait bien oblige de donner a l'enfant du simple lait de vache coupe;
+alors il allait mieux, la fievre tombait, le poids augmentait tres
+vite, la vie revenait: de telle sorte que, apres ces quatre tentatives
+d'allaitement par le lait de femme, l'accoucheur me dit: "Mais enfin,
+pourquoi s'obstiner a trouver une nourrice? Cet enfant a probablement
+un intestin extremement delicat, a cause de l'appendicite de sa mere
+pendant la gestation; donnons-lui simplement du lait sterilise coupe!"
+Et il eut raison; grace a d'infinies precautions, a une surveillance
+methodique, l'enfant put etre eleve.
+
+Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends pas faire le
+panegyrique de l'allaitement artificiel: je ne le cite que pour prouver
+comment la "maladie" d'un organe de la mere pourrait bien avoir une
+repercussion sur le fonctionnement du meme organe, chez l'enfant qu'elle
+porte en son sein.
+
+Ce que l'on sait encore, c'est que les emotions de la mere, pendant la
+grossesse, peuvent avoir un retentissement sur la qualite du produit.
+Et de la derive le devoir strict, pour la societe, de proteger la femme
+enceinte. Quelques philanthropes l'ont bien compris; mais cette notion
+n'a pas assez penetre dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est un
+scandale, pour une nation civilisee, de voir le peu qui est fait pour
+assister la femme enceinte, pour lui epargner les soucis de l'avenir
+prochain et les fatigues des derniers jours de la gestation.
+
+Un mot, enfin, sur les enfants nes avant terme. S'ils naissent avant
+terme par le fait de la "maladie" des generateurs, de la syphilis par
+exemple, leur valeur biologique est sensiblement reduite, et peut meme
+etre reduite a zero. Mais s'ils naissent avant terme accidentellement,
+par exemple a la suite d'une chute de leur mere, ou d'une intervention
+obstetricale raisonnee, leur sort est beaucoup moins compromis qu'on ne
+le croit dans le public non medical. Le tout est de leur assurer une
+temperature qui se rapproche de celle qu'ils avaient dans le sein
+maternel.
+
+Pour ce faire, les inventeurs ont multiplie les modeles de couveuses
+artificielles. Ces appareils, certes, peuvent rendre des services; mais
+il ne faut pas oublier qu'on peut tres bien s'en passer, en preservant
+l'enfant du froid, ce qui s'obtient: 1 deg. en chauffant convenablement sa
+chambre, et en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2 deg. en sachant
+l'alimenter des sa naissance. Ce second probleme est difficile; pour
+le resoudre, il faut se rappeler une grande loi que nous retrouverons
+plusieurs fois dans le cours de cette etude, et qui consiste a
+proportionner la valeur nutritive de l'aliment, et le nombre de prises
+alimentaires, a la puissance de l'estomac. Chez l'enfant ne avant terme,
+on donnera donc, toutes les demi-heures, une cuilleree a cafe de lait,
+coupe de 2/3 d'eau bouillie sucree.
+
+L'enfant va naitre; quel prejudice lui cause l'accouchement au forceps?
+Nous ne pouvons pas nous defendre de redouter, pour notre part, la
+compression colossale qu'impose l'application du forceps a la masse
+cerebrale de l'enfant. Mais l'etude approfondie de cette question, qui
+aurait pourtant de quoi interesser les neurologistes, n'a pas encore ete
+faite, a notre connaissance du moins, d'une facon suffisante. En tout
+cas, on est en droit de considerer comme coupable une intervention au
+forceps faite pour gagner du temps, ou pour faire valoir l'importance
+des soins obstetricaux.
+
+
+
+CHAPITRE V
+
+LES INFLUENCES MORBIGENES ET LES SYMPTOMES MORBIDES
+
+
+
+L'enfant est ne; il vaut ce qu'il vaut. Personne ne le sait, sauf dans
+les cas extremes ou il vient au monde avec des apparences tellement
+miserables que, des son premier vagissement, son inferiorite saute aux
+yeux; c'est ce qui arrive chez les heredo-syphilitiques, et rien n'est
+aussi navrant que l'apparition du petit monstre aux lieu et place d'un
+enfant bien vivant, attendu avec une legitime impatience. Il faut avoir
+assiste a ce spectacle pour en comprendre la poignante horreur. Tout le
+monde, sauf la mere, s'accorde alors a penser qu'il vaudrait mieux que
+l'enfant ne fut pas ne. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible
+de savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec lui; c'est son
+secret, qu'il gardera pendant toute la duree de son existence, mais que
+le medecin parviendra cependant a deviner en partie, s'il sait fouiller
+l'heredite de son malade et s'inspirer des quelques principes que nous
+avons esquisses a grands traits dans le chapitre precedent.
+
+L'enfant est ne: toute sa vie, desormais, va etre une "lutte pour la
+sante", une suite d'efforts, volontaires ou instinctifs, pour defendre
+son capital naturel de sante contre les "influences morbigenes" qui vont
+le guetter a chaque pas.
+
+Ces influences morbigenes, que l'etre vivant va rencontrer sur sa route,
+depuis le jour de sa naissance jusqu'a la fin de sa carriere, nous
+allons tout de suite les esquisser a grands traits.
+
+Au debut, nous avions assimile, pour les besoins de la theorie, l'etre
+humain a un projectile lance dans l'espace avec une vitesse initiale
+determinee; mais, tandis que le projectile parcourt une courbe
+mathematique, qu'on appelle une parabole, la courbe evolutive de l'etre
+humain est une courbe irreguliere qui flechit chaque fois qu'une
+influence morbigene survient, puis remonte pour osciller de nouveau,
+puis flechir definitivement a partir d'un certain moment de la vie que
+nous appellerons le debut de la periode de declin, et toujours avec des
+oscillations a amplitude de moins en moins considerable, jusqu'au moment
+ou toutes les reserves se trouvent epuisees.
+
+La mort peut encore interrompre brusquement la courbe evolutive; c'est
+ce qui arrive quand la breche faite au capital est irreparable, soit
+a cause de l'importance de l'assaut perturbateur, soit a cause de
+l'insuffisance des reserves, ou bien quand ces deux influences se
+combinent; et le nombre de leurs combinaisons est incalculable.
+
+La variete des causes morbigenes est elle-meme infinie; mais la nature
+n'a qu'un nombre limite de moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte
+que les causes les plus variees peuvent se traduire par les memes
+symptomes. Aussi accordons-nous relativement peu de valeur a l'etude
+du symptome. Les symptomes s'associent de mille et une facons, pour
+constituer autant deformes morbides differentes. Que dis-je? Il n'est
+pas deux malades qui se ressemblent, Ce n'est que pour la facilite de
+l'etude que les pathologistes ont cree des cadres posologiques; mais
+on comprend assez que ces cadres devraient etre aussi elastiques
+que possible. Le vrai medecin, apres s'en etre servi pour faire
+d'excellentes etudes, ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire
+abstraction, de penser et d'agir comme si les cadres n'existaient
+pas. Et un moment viendra meme, quand son experience clinique sera
+suffisante, ou il aura tout interet a faire table rase des notions qu'il
+a peniblement accumulees par un travail assidu et prolonge; tout comme
+l'architecte, qui, une fois la construction terminee, fait enlever les
+enormes echafaudages qui avaient ete necessaires a la construction de
+l'edifice.
+
+Certes, l'etude approfondie des symptomes morbides est indispensable au
+clinicien, et l'on ne saurait apporter trop de soins a connaitre, dans
+tous leurs details, les divers troubles de la sante. Mais il y a
+un ecueil: c'est que, la theorie du moindre effort s'appliquant
+naturellement a l'esprit humain, on a une tendance involontaire a
+attribuer aux symptomes une influence pathologique qu'ils n'ont pas; en
+d'autres termes, ce qui n'est en realite qu'une manifestation morbide
+devient, trop aisement, dans l'esprit du medecin, la cause de la
+"maladie".
+
+Prenons comme exemple la constipation: ce n'est en realite qu'un
+symptome, et qui peut se trouver chez une foule de malades differents.
+Nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est d'origine
+mecanique (cancer du rectum, de l'iliaque, etc.). Un mot cependant, en
+passant, pour dire que le medecin a le tort de ne pas assez penser a ces
+causes mecaniques, et de traiter par des moyens medicaux des malades
+dont une intervention chirurgicale aurait pu prolonger la vie ou
+attenuer les souffrances.
+
+Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires de la chirurgie,
+n'est-il pas vrai que la constipation est un symptome banal, pouvant
+etre attribue a une foule de causes? Parfois, elle est due a des lesions
+d'organes lointains, par un mecanisme reflexe a long circuit, suivant
+l'ingenieuse expression de M. Mathieu (appendicite chronique, lesions
+uterines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, elle est due a
+un trouble profond du systeme nerveux, qui, avant l'apparition de la
+constipation, avait traduit son malaise par des plaintes variees.
+D'autres fois, elle apparait brusquement, en meme temps que
+l'entero-colite sa compagne, a la suite d'un choc brutal, moral ou
+traumatique.
+
+De plus, tout le monde sait qu'elle peut etre due tantot a un manque,
+tantot a un exces d'exercice musculaire. Les hommes qui ont besoin de
+beaucoup d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant les
+predispositions hereditaires, ou des cerebraux, ou des goutteux, ou
+des lithiasiques, mais toujours des constipes: et leur constipation
+disparait a partir du jour ou l'on a trouve le dosage precis de
+l'exercice qui leur convient. Inversement, les hommes qui prennent trop
+d'exercice deviennent dyspeptiques et constipes, et le lit est leur
+meilleur laxatif.
+
+Enfin la constipation peut tenir a une erreur de regime, soit a l'abus
+du lait (le cas est frequent), soit a l'usage abusif de la viande: alors
+le regime semi-vegetarien serait indique, et il suffit de changer de
+regime pour voir disparaitre la constipation.
+
+La constipation n'est donc qu'un symptome.
+
+Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des repercussions a
+distance, en vertu de ce principe que le systeme nerveux abdominal a des
+relations intimes avec le systeme nerveux central, que, d'une facon plus
+generale, le trouble d'un departement quelconque du systeme nerveux
+retentit sur les autres departements, la constipation, bien que
+symptomatique, contribue dans une certaine mesure a entretenir la
+"maladie", ne fut-ce que par la preoccupation qu'elle cause au malade,
+et qui peut degenerer quelquefois en veritable obsession. Mais ce qu'il
+faut se rappeler, quand on aborde le probleme therapeutique, c'est que
+le systeme nerveux est une chaine sans fin. Or, si l'on veut bien nous
+accorder que la solidite d'une chaine est egale a celle du plus faible
+de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a a rechercher quel
+est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du
+systeme nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guerir le constipe
+medical.
+
+Il n'y a donc pas de remede contre la constipation, et, pour
+l'atteindre, il faut atteindre la "maladie", dont elle constitue une
+des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite,
+les plus faciles a faire disparaitre. Oui, dusse-je sembler paradoxal,
+j'affirme que la constipation est, de tous les symptomes observes chez
+le constipe medical, celui qui disparait le plus vite. Prenez un malade
+qui souffre, depuis des annees, de ces miseres variees qu'on est
+convenu de designer sous le nom un peu vague de neurasthenie, et
+parmi lesquelles la constipation joue un role capital; apres enquete
+minutieuse, trouvez la formule exacte de son regime, et par regime je
+n'entends pas seulement le regime alimentaire, mais la reglementation
+minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail
+cerebral, etc.; supprimez les agents therapeutiques qui entretiennent la
+"maladie" (douches froides, exercice force, medicaments varies, diete
+lactee); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble
+nerveux de son intestin, a savoir les purgatifs, lavages a grande eau,
+etc.: et vous serez etonne de voir la constipation disparaitre, avant
+meme toutes les autres miseres. Le malade vous dira, au bout de huit
+jours: "Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tete, de
+l'estomac, du dos, d'une faiblesse extreme, mais je commence a retrouver
+le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma
+constipation, si rebelle, est presque entierement vaincue. Je n'ai
+presque plus de peaux dans les selles, et je commence a reprendre
+confiance." A partir de ce moment precis vous tenez le malade, il a en
+vous une foi aveugle, et, si vous continuez a le soigner methodiquement,
+si surtout des influences etrangeres ne viennent pas contrecarrer la
+votre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entierement
+a votre direction, vous lui rendrez, peu a peu, la sante. Il aura des
+rechutes inevitables: mais lui annoncer a l'avance ces rechutes,
+c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins
+importantes, chaque fois qu'il s'ecartera de la ligne tracee par vous:
+s'il commet un ecart de regime, un exces d'exercice, ou s'il a une
+commotion morale, l'odieuse constipation reparaitra, accompagnee d'etat
+gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fievre
+quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez a
+lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et a lui faire
+comprendre que cette rechute etait evitable.
+
+Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous
+verrions qu'elle appartient, de meme, a une foule d'affections. Le mal
+de tete, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus
+varies, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses?
+Heureusement pour les malades, il n'est encore venu a l'idee de personne
+de trouver un remede applicable a tous les cas de mal de tete. Nous
+en connaitrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le
+divulguer: car, si la medecine "du symptome" est detestable au point de
+vue de l'etude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue
+therapeutique.
+
+Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptome, ou un
+ensemble de symptomes (ce qu'on appelle un _syndrome_): on y trouve
+toujours en germe la pathologie tout entiere. Ainsi dans mon article
+_Epilepsie_ du _Dictionnaire Encyclopedique_, j'ai essaye de montrer
+combien il faut se mefier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir
+une conception nette de l'epilepsie, et une therapeutique utile des
+epileptiques. De meme, en lisant ces jours-ci une interessante etude du
+Dr Baraduc sur l'entero-colite et son traitement a Chatel-Guyon, j'y
+voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on
+en juge par les quelques lignes que voici: "L'entero-colite
+muco-membraneuse est un syndrome clinique dependant d'un trouble
+fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et
+variees etant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de
+troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, a
+elle seule, pour produire l'entero-colite. Il faut de toute necessite
+une predisposition speciale du systeme nerveux, et plus particulierement
+du sympathique abdominal, a se troubler aux chocs qu'il recoit. Cette
+predisposition necessaire speciale, le plus souvent hereditaire, est
+l'apanage des neuro-arthritiques." Si l'auteur voulait bien avouer
+seulement que cette expression de "neuro-arthritiques" ne fait que
+dissimuler notre ignorance, nous serions tout a fait d'accord avec lui.
+
+En resume, si le medecin doit bien connaitre dans tous leurs details,
+sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations
+morbides, il doit surtout chercher leur pathogenie, et ne pas
+s'hypnotiser sur tel ou tel symptome. En un mot, il doit voir de haut
+pour voir loin, a condition toutefois de ne pas se perdre dans les
+nuages.
+
+Quelquefois, tous les systemes organiques sont troubles a la fois sous
+l'influence d'une cause morbigene. C'est ce qui arrive, par exemple, a
+la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain,
+le blesse devenir a la fois dyspeptique, desequilibre abdominal,
+constipe avec enterite muco-membraneuse, desequilibre cerebral; et il
+peut rester longtemps dans ce miserable etat qu'on designe sous le nom
+d'_hystero-neurasthenie traumatique._
+
+La fievre typhoide, la grippe infectieuse, impressionnent egalement a la
+fois, tous les appareils de l'organisme, a des degres divers. Tantot la
+sideration peut etre telle que le capital vital initial et les reserves
+anterieures se trouvent tout a coup epuises: c'est la banqueroute
+totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les reserves ne sont
+que profondement entames. C'est la "maladie" grave, aggravee encore par
+des medications et des pratiques intempestives; a un moment donne, le
+capital peut etre reduit a si peu de chose, que la moindre depense
+suffit pour l'aneantir. Le malade est une flamme vacillante que le
+moindre souffle peut eteindre, mais a laquelle un savant dosage
+d'oxygene rendra, peu a peu, la vie.
+
+Quand le capital est moins profondement atteint, ou quand la cause
+morbigene est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu
+d'etre generalises, atteignent plus specialement tel ou tel organe:
+l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de
+l'heredite ou par le fait d'une atteinte anterieure. Mais, en vertu de
+la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne
+reste pas longtemps limite a un organe ou a un systeme organique. Voyez
+le grand neurasthenique: il est a la fois dyspeptique, enteralgique,
+cerebral, medullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a ete le premier
+atteint? Impossible de le dire, apres deux ou trois ans de "maladie".
+Cependant une enquete bien conduite peut permettre souvent de
+reconstituer son histoire pathologique, de voir par ou la "maladie" a
+commence, quel etait le point initial. Et c'est de la connaissance de ce
+point faible initial que derivera, en grande partie, la therapeutique.
+Le medecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il
+aura decouvert, sans negliger, cependant, les perturbations secondaires
+attribuables a la synergie des fonctions de tout etre vivant.
+
+Il arrive meme, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les
+reserves sont bonnes, que le trouble de la sante ne se traduit que par
+un nombre tres limite de symptomes, parfois meme par un seul. Ainsi il
+y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont,
+comme manifestation morbide que le symptome constipation, d'autres qui
+n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne
+clinique, et surtout pour faire de la bonne therapeutique, il faut,
+presque de parti pris, les eliminer, et chercher au dela de la
+manifestation monosymptomatique. Presque toujours, alors, ou trouvera
+que la "maladie" n'est monosymptomatique qu'en apparence.
+
+De meme que, dans une compagnie de chemins de fer, une irregularite
+dans le service, minime en apparence, denonce, si elle se renouvelle
+frequemment, une mauvaise direction generale, de meme, en biologie, il
+n'est pas d'indispositions insignifiantes, si limitees soient-elles a
+tel ou tel organe. L'apparition d'une douleur a l'epaule, par exemple,
+qui parait une affection bien locale, est l'indice d'une perturbation
+plus profonde qu'on ne le croit du systeme nerveux central.
+
+Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est toute une doctrine qui
+est contenue dans cette affirmation; c'est que en effet c'est le systeme
+nerveux central qui a notre avis est le grand reservoir de l'energie.
+C'est par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous
+sommes. C'est lui qui dirige le fonctionnement de tous les organes,
+de sorte que quand il est perturbe, il n'engendre pas seulement, la
+nevrose, la neurasthenie, l'hysterie, l'irritation spinale, la folie, la
+nevropathie generalisee, etc., mais encore les troubles de circulation
+vaso-motrice des differents organes. En derniere analyse, il est la
+clef de voute de la pathologie. Ses perturbations se traduisent par
+les symptomes les plus varies, au point d'egarer presque fatalement le
+diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. Quelles que soient donc
+la forme, la gravite, l'apparence de la manifestation morbide, c'est
+toujours le systeme nerveux central qu'il faudra etudier, c'est sur lui
+que devra porter le grand effort therapeutique.
+
+Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du malade et surtout la
+cause ou la serie de causes qui ont fait flechir momentanement son
+systeme nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminue sa valeur
+biologique.
+
+Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont multiples. Il en est qui
+appartiennent a tous les ages, mais d'autres qui appartiennent plus
+specialement a un age determine.
+
+Pour mettre un peu d'ordre dans cette etude, c'est d'apres ce plan que
+nous passerons en revue les principales de ces causes morbigenes. Nous
+les etudierons donc suivant l'age de l'etre humain: 1 deg. depuis le jour
+de la naissance jusqu'au sevrage; 2 deg. du sevrage a la puberte; 3 deg. de la
+puberte a l'age adulte; 4 deg. pendant l'age adulte; 5 deg. aux differentes
+phases du declin; 6 deg. pendant la vieillesse.
+
+Nous introduirons, en outre, des subdivisions, suivant que les
+influences pathogenes atteignent plus specialement: 1 deg. le systeme
+nerveux digestif; 2 deg. le systeme nerveux musculaire; 3 deg. le systeme
+nerveux central. Enfin, pour chaque age de la vie, nous mentionnerons
+les affections accidentelles qui portent atteinte a la fois a tous
+les systemes organiques: nous voulons parler des "maladies" aigues
+(rougeole, scarlatine, fievre typhoide, etc.), des intoxications
+(syphilis, intoxications alimentaires, etc.), toutes affections qui, par
+la brutalite de leurs assauts, ont surtout attire l'attention des
+gens du monde et de beaucoup de medecins, mais qui, en realite, ne
+constituent que la partie la moins importante de la pathologie, surtout
+au point de vue therapeutique. La suite de ce travail demontrera,
+j'espere, que cette formule n'est paradoxale qu'en apparence[4].
+
+[Note 4: Certes, quelques-unes de ces influences morbigenes sont
+inevitables et la prudence la plus vigilante n'en preserve pas l'etre
+vivant. Mais beaucoup seraient evitables: ce sont celles qui constituent
+le domaine de l'hygiene, de sorte que notre travail, en meme temps qu'il
+dessinera a grands traits toute la pathologie, effleurera forcement
+les problemes afferents a l'hygiene et a la therapeutique, en d'autres
+termes, a la gestion du capital.
+
+L'hygiene publique est la gestion de la fortune de la communaute,
+l'hygiene privee est la gestion de la fortune de chacun, constituee
+essentiellement par le capital initial, et par les interets qu'il
+rapporte.]
+
+
+
+CHAPITRE VI
+
+DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE (PUERICULTURE)
+
+
+
+Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou faible et qu'il sera
+bien ou mal gere, l'etre vivant sera sain ou malade, donnera ou ne
+donnera pas son maximum de rendement, fournira ou ne fournira pas la
+carriere qui lui etait originairement devolue.
+
+Dans les premieres annees de la vie, la gestion du capital appartient
+tout entiere aux parents. Bien peu savent elever leurs enfants; et s'il
+est des connaissances qu'on devrait repandre a profusion dans tous les
+milieux sociaux, ce sont celles relatives a la "puericulture", d'autant
+que les regles en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le demontre
+le _Traite de Puericulture_ du professeur Pinard, qui devrait etre entre
+les mains de toutes les meres de famille.
+
+Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science de la puericulture.
+
+Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter a tout propos et
+hors de propos, l'alimenter intelligemment, lui epargner toute
+medicamentation meurtriere, le preserver du froid et des changements
+brusques de temperature: et c'est tout.
+
+Si seulement on savait la maniere d'economiser les vies d'enfants, on
+pourrait le faire dans les milieux en apparence les plus defectueux;
+c'est ainsi qu'au Creusot, grace aux incessants efforts de MM.
+Schneider, la mortalite des enfants au-dessous d'un an n'est que de 110
+p. 1000, alors que, dans le canton de Vaud, renomme pour l'excellence
+de ses conditions hygieniques, elle atteint 155 p. 1000. Ce magnifique
+resultat est du surtout a l'elevation des salaires, qui permet aux meres
+de se consacrer librement a leur mission maternelle. Pres de 80 p. 100
+des meres allaitent leurs enfants, toutes font de la puericulture avant
+la naissance. (_Rapport_ de M. le professeur Pinard, a l'Academie de
+medecine, 25 juillet 1905.)
+
+Il est bien evident que le capital initial ne suffit pour entretenir la
+vie que pendant quelques jours; il a besoin d'etre sans cesse renouvele
+et augmente, pour permettre de faire des reserves, de donner a
+l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de transmettre la vie a
+son tour. C'est l'aliment qui pourvoit a ce besoin incessant; et par
+aliment nous entendons non seulement ce qui entre dans le tube digestif,
+mais aussi l'air, que les anciens definissaient tres justement le
+_pabulum vitae_.
+
+Quand l'aliment peche par sa qualite, par sa quantite, par une
+repartition vicieuse, la "maladie" ne tarde pas a naitre; c'est la la
+cause essentielle de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait
+croire, en verite, dans quelle mesure une mauvaise alimentation du
+premier age retentit sur toute la vie pathologique de l'individu.
+Quelques medecins le disent, le crient meme, mais c'est dans le desert;
+la plupart le nient, ou passent indifferents a cote de cette verite
+profonde. Quant aux gens du monde, ils en soupconnent a peine
+l'importance.
+
+La verite est que, quand un enfant a ete mal nourri loin de sa famille,
+quand il revient de nourrice avec un gros ventre, on peut affirmer que,
+toute sa vie, il sera un valetudinaire.
+
+Quand, pour obeir aux injonctions d'un cenacle de gens incompetents,
+ou quand, poussee par son medecin, qui veut mettre a l'abri sa
+responsabilite, une mere consent a abandonner les doux devoirs de
+la maternite et a confier a une nourrice l'enfant qu'elle aurait du
+allaiter, quand a cette nourrice en succedent deux ou trois autres,
+sous des pretextes quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de
+l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un etre insupportable, puis
+un ecolier de quatrieme ordre, dans son adolescence un rate,
+incapable de payer sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. Ces
+considerations doivent etre presentes a l'esprit du clinicien qui, se
+trouvant en face d'un malade quelconque, arrive a un age quelconque,
+doit chercher a connaitre ce que vaut ce malade.
+
+On comprend donc l'importance du probleme de l'alimentation dans la
+premiere enfance. En principe, comme l'a bien dit M. Pinard, "le lait de
+la mere appartient a l'enfant"; et "si l'on veut faire quelque chose
+qui soit puissamment efficace et fructueux, il est necessaire, il est
+indispensable de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, et
+ce qu'ont realise MM. Schneider au Creusot, il faut permettre a la
+mere de donner ce qu'elle possede." (_Rapport_ du professeur Pinard a
+l'Academie, juillet 1905.)
+
+Mais si la mere ne peut absolument pas nourrir, il faut recourir
+immediatement a l'alimentation artificielle, soit avec le lait sterilise
+du commerce,--dont l'innocuite est quotidiennement demontree par les
+resultats obtenus, a la Goutte de lait de Belleville, au dispensaire
+tres habilement dirige par M. le Dr Variot,--soit encore avec le lait de
+vache bien surveille, fraichement et proprement trait, sucre, plus ou
+moins etendu d'eau, puis sterilise dans la famille, avec des appareils
+Sosclet, ou mieux encore avec l'appareil "la Tutelaire".
+
+C'est ce dernier appareil qui est utilise a cette "Goutte de lait"
+de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait servir de modele a toutes
+les institutions du meme genre, a cause de la simplicite de son
+organisation.
+
+Fondee, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, maire de
+Saint-Pol-sur-Mer, a l'aide d'un subside de trente mille francs mis a
+sa disposition par un autre philanthrope, cette "Goutte de lait" a deja
+rendu d'importants services: elle a fait tomber la "maladie" des enfants
+de 0 a 1 an de 288 p. 1000 (c'etait le chiffre de mortalite infantile le
+plus eleve de toute la France) a 51 p. 1000.
+
+La consultation des nourrissons a lieu tous les dimanches matin, dans
+un local mis a la disposition de l'Oeuvre par la municipalite de
+Saint-Pol-sur-Mer: 120 enfants, en moyenne, sont presentes tous les
+dimanches.
+
+Les meres arrivent par series, et se reunissent dans une grande
+salle chauffee ou elles deshabillent leurs enfants. Elles penetrent
+successivement dans la salle de consultation. Chaque enfant est pese,
+puis examine par le medecin, qui compare le poids actuel a celui du
+dimanche precedent, l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson,
+et fixe le regime pour la semaine qui va commencer. Toute mere recoit,
+soit un important secours _en nature,_ si l'enfant est nourri au
+sein,--car on fait tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement
+maternel,--soit des biberons de lait _pasteurise_, si l'enfant est a
+l'allaitement mixte ou artificiel.
+
+Le lait est distribue tous les jours au local de l'Oeuvre. Chaque enfant
+a l'allaitement artificiel a un double jeu de biberons et de paniers,
+qui lui sont personnels. En venant chercher les biberons prescrits, la
+mere remet ceux que l'enfant a vides la veille. Un seul homme suffit
+pour assurer tout le service.
+
+Le lait est distribue gratuitement a tous les enfants indigents. Fourni
+a l'Oeuvre a son prix coutant, il provient des etables du Sanatorium de
+Saint-Pol-sur-Mer, ou aucune vache n'entre sans avoir ete prealablement
+soumise a l'epreuve de la tuberculine.
+
+Aussitot recu, il est pasteurise suivant le procede Coutant:
+c'est-a-dire que, dans le biberon meme ou la mere devra l'utiliser pour
+son enfant, le lait est porte a 75 deg., puis les flacons sont brusquement
+refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement brusque a ete
+rendu possible par la contexture meme du verre des flacons.
+
+Le lait ainsi traite a perdu tous ses microbes pathogenes, et, a
+l'inverse du lait sterilise a 110 deg., a conserve toutes ses proprietes
+digestives et nutritives.
+
+Apres la pasteurisation, les biberons restent plonges dans des bacs
+remplis d'eau froide, jusqu'a la livraison aux meres.
+
+La pathologie infantile est relativement simple. Faut-il donc, comme on
+le propose de divers cotes, faire faire a tous les etudiants en medecine
+un stage dans les hopitaux d'enfants, pour les initier aux mysteres de
+cette pathologie? Remarquez que d'autres medecins demandent un stage
+special pour l'etude des "maladies" veneriennes et cutanees; d'autres
+encore un stage pour l'etude des "maladies" nerveuses, sans parler de
+ceux qui voudraient un stage pour les "maladie" des yeux, des organes
+genito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, pour celles des oreilles
+et du nez? et, a ce compte, combien de temps dureraient les etudes
+medicales? Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils etaient
+praticables; mais ils auraient pour effet de restreindre plus que de
+raison le nombre des futurs medecins, et de remplacer la plethore
+medicale actuelle par une anemie encore plus regrettable.
+
+Non, ce qu'il faut apprendre a l'etudiant, c'est qu'il lui reste
+beaucoup _a apprendre_, c'est que toute sa vie de praticien ne sera pas
+trop longue pour savoir lire dans le grand livre de la nature. Mais il
+nous semble que, pour ce qui concerne en particulier la pathologie des
+enfants, un peu de bon sens, beaucoup de prudence, pas de medicaments,
+de la patience, suffisent pour faire de bonne therapeutique infantile,
+quand, par ailleurs, on connait les lois generales de la pathologie.
+
+Sans etre specialiste pour les "maladies" d'enfants, je me rappelle
+avoir ete appele en consultation, en province, pour un enfant de six
+mois soigne par deux distingues confreres. Il avait, depuis cinq jours,
+une enterite aigue avec fievre, amaigrissement rapide. Pendant les
+trois quarts d'heure que dura mon enquete, je vis cet enfant passer
+successivement des bras de sa mere dans ceux de la nourrice _seche_,
+puis dans ceux d'une tante affolee, le tout pour calmer les faibles cris
+qu'il avait encore la force de pousser. J'appris que ce manege durait
+depuis deux jours, que l'enfant avait pris du calomel, trois fois de
+grands lavages intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, a
+grand'peine, avec du lait sterilise! Je proposai simplement de mettre
+cet enfant dans son berceau et de l'y laisser, de lui appliquer sur le
+ventre un large cataplasme, de le laisser a la diete absolue pendant
+quatre heures puis de lui donner de l'eau panee, et de le laisser dormir
+si le sommeil pouvait venir. Le lendemain, la fievre avait cesse,
+l'enfant avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait
+naturel, ecreme et coupe avec parties egales d'eau de riz; je conseillai
+de ne pas trop deranger l'enfant, de ne plus explorer son ventre. Le
+surlendemain, il prenait du lait ecreme pur, et j'appris qu'il avait
+retrouve sa gaite. Un sommeil prolonge mit fin a la grave alerte, et
+aussi a la "maladie", qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime
+de soins trop empresses.
+
+Dans d'autres cas d'enterite choleriforme, le grand secret de la
+therapeutique consiste a savoir rechauffer les enfants, tout en les
+tenant a la diete absolue pendant six ou douze heures, puis au regime
+"avec restriction des liquides" pendant deux ou trois jours.
+
+Avouons cependant que, parfois, les problemes de pathologie infantile
+sont tres difficiles a resoudre. J'ai parle plus haut de cet enfant qui
+ne supportait aucun lait de femme, pris en n'importe quelle quantite.
+D'autres fois, les enfants s'empoisonnent avec le lait meme de leur
+mere. C'est, tout simplement, parce qu'ils en prennent trop a la fois;
+mais il faut quelquefois chercher longtemps pour trouver cette cause si
+simple. On ne se figure pas le nombre d'enfants qui ont des indigestions
+chroniques, parce qu'ils ne sont pas rationnes, surtout quand ils sont
+nourris par de plantureuses mercenaires qu'on ne sait comment tonifier,
+dans la pensee de donner plus de forces au precieux rejeton.
+
+Dans certains cas, meme, le diagnostic des "maladies" des enfants est
+tellement difficile que les specialistes se declarent incompetents. Que
+d'erreurs de diagnostic commises a propos des meningites! Et comment
+aussi interpreter le cas suivant? Sans cause connue, un enfant d'un
+an, bien eleve au sein maternel, eprouve un malaise insolite, devient
+grognon, refuse de prendre le sein, a de la fievre. Les jours suivants,
+la fievre augmente, une paleur inquietante s'etend sur la face, un
+amaigrissement rapide preoccupe a juste titre tout l'entourage; puis, au
+bout de quelques jours, sans qu'on ait rien fait que de laisser l'enfant
+bien tranquille, l'appetit revient peu a peu, la fievre diminue, et tout
+rentre dans l'ordre. Divers confreres appeles en consultation n'ont pas
+pu etiqueter cette "maladie", ni se prononcer sur son issue; mais,
+tous ayant eu le bon esprit de ne pas aggraver la situation par une
+medication intempestive, tout s'est termine pour le mieux, et l'enfant a
+garde son secret.
+
+La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de diagnostic n'est
+pas aux medecins, mais aux difficultes des problemes cliniques. En les
+denoncant, nous ne voulons nullement denoncer la faillite de la science:
+bien au contraire, ce que nous voulons dire, c'est qu'en therapeutique
+infantile il faut avant tout de la sagacite, et que, dans certains cas,
+il faut que le medecin sache reconnaitre son incompetence.
+
+Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une revanche eclatante,
+et c'est alors que le medecin est en droit de se feliciter d'avoir fait
+de bonnes etudes de pathologie generale.
+
+Voyez, par exemple, cet enfant ne a terme, et qui vient bien pendant les
+six premieres semaines; puis voici que, tout en continuant a prendre
+ardemment le sein, sans avoir ni diarrhee, ni vomissements, son poids
+cesse d'augmenter; il diminue de 200, de 300 grammes en quelques jours.
+Qu'est-ce a dire? Mais c'est que l'enfant est un heredo-syphilitique. Le
+traitement mercuriel, sous forme de liqueur de Van Swieten, de frictions
+mercurielles, ou mieux encore d'injections de sublime a la dose de 3 a
+5 milligrammes par jour, fait merveille et retablit entierement cet
+enfant.
+
+Nous avons dit plus haut combien souvent la meningite, qu'on croit
+tuberculeuse, et qui survient de deux a cinq ans, est d'origine
+syphilitique. Deja en 1872, quand nous faisions nos etudes a
+Montpellier, le regrette professeur Fonsagrives nous disait qu'il avait
+sauve beaucoup d'enfants, atteints de meningite tuberculeuse, en leur
+donnant de l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il s'agissait de
+meningites syphilitiques. Mais pour formuler un diagnostic de meningite
+syphilitique, pour depister l'heredo-syphilis, soit par l'examen de
+l'enfant, soit par une enquete sur les parents, ne faut-il pas que le
+medecin ait beaucoup travaille, beaucoup vu et beaucoup retenu? Son role
+n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit se contenter de
+faire de l'expectation armee, il peut, dans beaucoup de cas, rendre aux
+enfants malades des services inappreciables.
+
+Que dire d'un bain chaud donne, en temps utile, a un enfant atteint de
+pneumonie; de l'immersion alternative dans l'eau chaude et dans l'eau
+froide d'un enfant nouveau-ne atteint de congestion pulmonaire, sinon
+que, dans certaines circonstances, le medecin opere ainsi de veritables
+resurrections?
+
+Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le role social du medecin,
+bien au contraire, ni introduire dans l'esprit des jeunes confreres un
+scepticisme infecond: ce que nous voulons, c'est leur dire qu'il ne faut
+pas se specialiser dans l'etude de la pathologie infantile, et que, pour
+bien soigner un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout qu'il faut
+souvent savoir s'abstenir.
+
+En resume, la pathologie de l'enfance, tout en etant compliquee, comme
+tout ce qui touche au probleme de la vie, nous semble etre relativement
+simple, l'enfant n'etant, pour ainsi dire, "qu'un tube digestif perce
+aux deux bouts".
+
+Plus nous allons voir l'etre humain avancer dans sa carriere, plus vont
+devenir nombreux et compliques les problemes de la vie. Le systeme
+nerveux ne va pas tarder a entrer en scene, les mille et une conditions
+defavorables qu'impose a l'homme le milieu cosmique vont imprimer a son
+capital biologique des depenses qu'on ne peut certainement pas evaluer
+mathematiquement, mais qui se traduiront par une diminution de sa
+valeur. La vie ne va etre de plus en plus qu'une serie d'oscillations,
+de luttes entre la tendance a "perseverer dans l'etre" et les causes de
+destruction de l'etre vivant; bref, un etat d'equilibre instable, la
+sante n'etant qu'un bel accident passager.
+
+
+
+CHAPITRE VII
+
+DU SEVRAGE A LA PUBERTE
+
+
+
+Il est logique d'introduire une subdivision dans ce chapitre, et
+d'etudier d'abord l'enfant de deux a sept ans, d'autant que, a cette
+periode de la vie, il n'y a pas a tenir compte de la difference des
+sexes.
+
+I
+
+Pendant cette periode, la nutrition a son activite maximum, l'enfant
+ameliore son capital, accumule les reserves; mais il faut bien savoir
+qu'il a aussi des depenses colossales. Combien d'influx nerveux doit
+etre depense pour faire connaissance avec le monde exterieur, pour
+apprendre le sens des mots, la notion des distances, etc.! On est
+effraye en pensant au travail cerebral que supposent ces acquisitions.
+
+De la ce grand principe, qu'il faut eviter a l'enfant toute fuite
+nerveuse inutile. Il faut presque se borner a le faire "boire, manger,
+dormir; manger, dormir et boire". Il faut avant tout, que l'enfant de
+cet age dorme beaucoup. En aucun cas, on ne devrait le reveiller. Pour
+demontrer combien peu d'enfants ont leur dose _optima_ de sommeil,
+prenez au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier jour,
+dormir a volonte; il s'octroiera douze heures de sommeil. Le lendemain,
+il se reveillera apres onze heures, le surlendemain et les jours
+suivants apres dix heures. C'est donc que, au moment precis ou
+l'experience a commence, il avait un arriere de besoin de sommeil.
+
+Quant au probleme de l'alimentation, il est relativement simple, et
+l'experience des meres de famille repond a la plupart des indications.
+L'enfant doit manger quatre fois par jour; mais, en general, il mange
+trop vite. Les parents devraient, pour leur usage personnel et pour le
+bien de leurs enfants, se rappeler qu'il existe des glandes salivaires
+secretant, chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par jour, et
+que, si une bonne digestion commence dans la cuisine, elle se continue
+dans la bouche.
+
+En realite, cet age de la vie est celui ou il y a le moins d'influences
+nocives; et un peu de surveillance suffit pour que l'enfant se porte
+bien.
+
+Les "maladies" accidentelles elles-memes evoluent, en general, d'une
+facon benigne, quand elles ne sont pas troublees par une therapeutique
+incendiaire. De la la faible mortalite afferente a l'age que nous
+etudions, denoncee par les tables qui servent de base aux calculs des
+Compagnies d'assurances sur la vie.
+
+Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, scarlatine,
+rougeole, angine, il se retablit avec une rapidite contrastant avec la
+lenteur de la convalescence chez l'adulte, et encore bien plus chez le
+vieillard. Voyez, par exemple, une angine herpetique! Elle occasionne
+chez l'enfant de tumultueux symptomes: de la fievre, du delire; mais,
+au bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, quatre jours
+apres, l'enfant parait aussi bien portant qu'avant. Chez l'adulte, au
+contraire, le meme nombre de points d'herpes sur la gorge provoque un
+etat maladif moins tumultueux, mais qui se termine par une convalescence
+de quinze jours a un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou
+tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement necessaires a l'enfant
+convalescent, doue de plus d'elasticite.
+
+A partir de sept ans s'esquisse, chez certains enfants, une
+differenciation qui ira s'accusant d'annee en annee. Un oeil attentif
+va percevoir si l'enfant appartient au type _musculaire_ ou au type
+_cerebral_. Le _musculaire_ est cet enfant actif, aimant a jouer,
+turbulent, ne parvenant pas a fixer son intention pour un quart d'heure
+de suite, n'ayant, par consequent, aucun gout pour l'etude telle qu'elle
+lui est imposee. Le _cerebral_ est l'enfant reflechi, n'aimant pas les
+jeux bruyants, et dont l'esprit est en avance notable sur celui des
+enfants de son age. A chacun de ces deux enfants conviendrait une
+education differente; malheureusement, les necessites sociales les
+soumettent, l'un et l'autre, a la meme discipline pedagogique,--bien
+comprise, il faut l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour
+ces enfants moyens, le systeme pedagogique actuellement en vigueur
+s'approche autant que possible de la perfection, il faut bien dire qu'il
+convient moins aux types extremes que nous venons de mentionner. Le
+petit _musculaire_, condamne a de longues heures d'etude, s'agite,
+s'inquiete, devient de plus en plus dissipe, et ne tarde pas a entrer
+dans la categorie des enfants dits "paresseux". Sa sante physique peut
+ne pas souffrir outre mesure du regime compressif auquel il est soumis;
+il grandit, se porte bien en apparence; mais son cerveau est, pour ainsi
+dire, fausse, et ne donnera qu'un rendement inferieur. Chez le petit
+_cerebral_, au contraire, l'education moyenne peut amener des troubles
+de la sante physique: les recreations bruyantes et agitees, imposees
+apres les repas, les longues promenades hebdomadaires, l'insuffisance
+du sommeil, une alimentation mal adaptee a son tube digestif, tres
+vulnerable le plus souvent, le fatiguent a la longue; et, d'un enfant
+qui aurait pu donner les plus belles esperances, la pedagogie officielle
+fait un etre malingre, nerveux, a terreurs nocturnes, en un mot un
+malade.
+
+Faut-il donc preconiser l'education individuelle? Oui, dans les cas
+extremes et dans des circonstances exceptionnelles.
+
+Une autre classe d'enfants chez lesquels l'education collective et le
+surmenage cerebral impose par nos programmes amenent les plus facheuses
+consequences, pour le present et pour l'avenir, c'est celle des enfants
+que l'heredite n'a pas prepares au travail cerebral. Tels ces fils
+de cultivateurs qui ont une longue heredite terrienne, et que leur
+intelligence hative semble designer comme particulierement aptes aux
+etudes superieures. Ce sont, quelquefois, de tres brillants eleves; ils
+arrivent aux ecoles superieures: mais ils y arrivent malades, et seront
+malades toute leur vie.
+
+De l'age de sept ans a celui de la puberte, les "maladies" accidentelles
+sont presque inevitables, a cause de la promiscuite des enfants dans les
+ecoles; mais elles sont, en general, de peu de gravite. Ce ne sont pas
+elles qui diminuent sensiblement le capital biologique individuel. Les
+fautes commises contre l'hygiene alimentaire sont d'une bien plus grande
+importance.
+
+Combien on voit, notamment, de "maladies" aigues qui ressemblent plus
+ou moins a la fievre typhoide, et qui sont dues a des indigestions! En
+general, l'hygiene alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillee.
+Les enfants mangent trop vite, comme nous l'avons dit plus haut; et,
+tres souvent, ils mangent trop, precisement parce qu'ils mangent trop
+vite, la sensation de faim n'etant pas calmee par l'introduction
+brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire mal elaboree. D'autre
+part, de trop nombreux parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on mange
+qui profite, mais ce qu'on assimile, se figurent qu'il faut que l'enfant
+mange beaucoup pour se donner des forces; et ce prejuge amene chez
+l'enfant des intoxications chroniques qui retentissent sur son systeme
+nerveux, sur sa croissance, jusqu'au moment ou l'estomac surmene
+commence a protester. A partir de ce moment, le cercle vicieux est
+etabli, et, si un regime alimentaire bien compris n'est pas institue,
+l'enfant devient un malade, et restera malade indefiniment. C'est ce que
+M. le Dr Laumonier a tres bien expose dans un article du _Correspondant
+medical_ de 1905:
+
+Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils mangent
+beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil ne soit pas
+toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant on ne peut, a premiere
+vue, les accuser d'aucun trouble evident. Cependant, certains soirs
+principalement, ils se montrent tantot plus enerves que d'habitude,
+tantot plus abattus au contraire, et si, a ce moment, on prend leur
+temperature rectale, on constate 38 deg. C, 38 deg.5, parfois meme 39 deg. et au
+dela. Cet acces febrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y
+parait plus. On ne lui attribue generalement aucune importance, et les
+parents se gardent bien, pour si peu de chose, de faire appeler le
+medecin; ils ont tort, car cette fievre digestive est le symptome
+de troubles fonctionnels d'assez grande importance, et qu'il est en
+consequence necessaire de soigner des le debut.
+
+Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de belle
+apparence: peu a peu leur appetit, qui faisait l'admiration de leurs
+parents, flechit; et aussitot l'embonpoint et les belles couleurs
+disparaissent. Ils finissent ainsi par se transformer en enfants
+chetifs, maigres, pales, ayant mauvaise haleine, presentant des
+alternatives de constipation et de diarrhee, souffrant parfois de
+douleurs stomacales vives; en un mot ce sont maintenant de veritables
+dyspeptiques.
+
+Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel extreme, pour
+ainsi dire, de troubles longtemps existants et dont les acces legers de
+fievre digestive ont ete l'un des premiers et des plus caracteristiques
+symptomes. Il suffit, pour s'en convaincre, de suivre avec quelque
+attention l'evolution progressive des phenomenes.
+
+Tres souvent, les enfants qui manifestent ces acces febriles ont ete,
+pendant leur premiere enfance, mal nourris, sinon comme qualite du lait,
+au moins comme quantite; en d'autres termes, leur ration a ete trop
+copieuse. Puis, apres le sevrage, ils ont ete mis rapidement a la
+nourriture commune de la famille; ils ont mange de tout, et trop;
+parfois aussi on leur a laisse prendre l'habitude de boire du vin, du
+cafe. Peu a peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques.
+
+C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,--pas plus que l'homme,
+du reste--ne mange qu'a sa faim; toujours, ou presque toujours, a ce
+point de vue, la limite est depassee. La quantite d'aliments ingeres
+est beaucoup plus une affaire d'habitude que de besoin reel, comme le
+prouvent manifestement les resultats du traitement impose a ces petits
+malades. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, depassent
+ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel les
+aliments, etant insuffisamment elabores par les secretions digestives,
+stagnent et donnent lieu a des fermentations anormales. D'ou, d'une
+part, l'insuffisance et l'epuisement des glandes gastriques, la
+dilatation et l'atonie stomacales, et, d'autre part, la production des
+substances toxiques qui, resorbees, entrainent l'auto-intoxication et
+l'elevation thermique qui en est la consequence. Notons d'ailleurs,--et
+c'est la un point essentiel,--que la fievre digestive peut se produire
+et se produit ordinairement avant que l'epuisement glandulaire et
+l'atonie ou l'ectasie gastriques soient completement realises;
+elle coexiste plutot a la phase de polyphagie et constitue un signe
+prodromique, avertissant que la limite digestive est depassee, que
+l'estomac commence a se fatiguer, que l'auto-intoxication d'origine
+digestive est deja manifeste.
+
+Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers de cet
+etat, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros foie... etc.,
+ils sont bien connus et faciles a mettre en evidence; d'autres signes,
+plus incertains, dyspnee, terreurs nocturnes, manifestations cutanees,
+peuvent exister aussi, qui completent la signification des premiers.
+Passons donc et arrivons au traitement.
+
+La premiere indication est de reduire la ration alimentaire a ce qui est
+strictement necessaire a l'enfant, suivant l'age, le sexe, le poids,
+la taille, et de composer cette ration d'aliments faciles a digerer,
+fournissant le minimum de fermentation, tels que lait, oeufs, pain
+grille, viande crue, puree de legumes. Sans en arriver au regime sec,
+qui a beaucoup d'inconvenients, on reduira cependant le plus possible la
+quantite de la boisson, constituee par de l'eau pure de bonne qualite ou
+des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures hygieniques generales,
+on assurera la liberte du ventre par des habitudes regulieres ou a
+l'aide de quelques lavements tiedes, mais sans en abuser.
+
+
+DE LA PUBERTE A L'AGE ADULTE
+
+
+I.--CHEZ LA FILLE
+
+Chez la petite fille, l'apparition des regles constitue un moment
+solennel dans l'existence. La plupart des meres de famille le savent,
+s'en inquietent, mais ne connaissent pas les precautions a prendre. Ces
+precautions consistent a supprimer plus que jamais les fuites nerveuses.
+Ainsi, il convient alors de diminuer le travail cerebral, le travail
+musculaire, d'eviter a l'enfant les emotions, de la mettre a l'abri de
+toutes les influences qui, par action reflexe, retentissent sur son
+systeme nerveux (indigestions, coups de froid).
+
+Pendant les premieres periodes menstruelles, le repos presque absolu au
+lit s'imposerait, si les regles etaient douloureuses ou trop abondantes;
+et un repos relatif s'impose meme quand elles sont correctes. Ce qu'il
+faut bien savoir, c'est que l'anemie qui accompagne, en general, cette
+periode de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, ni de
+la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, ce sont les
+precautions citees plus haut, et, par intervalles, quelques injections
+de cacodylate de soude, ou mieux, de cacodylate de magnesie. C'est la un
+des rares medicaments capables de rendre des services, a la condition
+formelle qu'il ne soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin.
+
+Une fois la menstruation etablie, il ne faut pas s'inquieter outre
+mesure si, pendant les premieres annees, les regles ne viennent pas a
+epoques fixes, et il faut se declarer satisfait si elles ne sont ni
+douloureuses, ni trop abondantes.
+
+Plus tard, vers l'age de dix-huit ans, il est frequent de voir la sante
+des jeunes filles subir un assaut considerable, qui se traduit par de
+la chloro-anemie, avec etat nerveux, suppression des regles, troubles
+dyspeptiques, constipation, etc.
+
+Les causes en sont multiples. Chez la jeune ouvriere, c'est, le plus
+souvent, le surmenage physique, la vie anti-hygienique des ateliers,
+l'accumulation des privations. Dans d'autre milieux, c'est le fait du
+surmenage intellectuel pour l'obtention des brevets. Mais, plus souvent
+encore, ce sont les causes morales qui portent atteinte au systeme
+nerveux. C'est une vocation contrariee, une suite continue de petits
+malentendus avec la famille, avec la mere en particulier. La mere, ne
+se decidant pas a s'apercevoir que sa fille grandit, continue a vouloir
+exercer sur elle une autorite despotique, contre laquelle l'enfant se
+cabre en vain pendant de long mois, et dont elle souffre de jour en jour
+davantage.
+
+Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariee, un mariage
+desire qui se trouve rendu impossible par la volonte intransigeante des
+parents, ou par des circonstances independantes de toute volonte ou meme
+c'est un vague et obscur besoin du mariage: pour suivre, en somme, les
+lois de la nature, et donner satisfaction a cette sorte d'instinct de la
+maternite qui se rencontre chez la femme depuis son plus jeune age, et
+se traduit, dans la premiere enfance, par le besoin de la poupee.
+
+Quelle que soit la cause, le mal se prepare sourdement; puis, un jour,
+la "maladie" eclate, souvent a la suite d'une affection aigue qui
+contribue a faire tomber brusquement la force de resistance du systeme
+nerveux.
+
+Si varies que soient les symptomes par lesquels le mal se traduit, la
+therapeutique doit etre la meme. Elle consiste a ne pas aggraver la
+"maladie" par une medicamentation intempestive; ce ne sont ni les
+pilules de fer, ni le drap mouille, ni la douche froide qui
+pourront faire du bien a une jeune fille ainsi atteinte, ni meme la
+suralimentation, malgre l'anemie evidente. Non: ce qu'il faut, c'est
+chercher la cause de la "maladie", et la supprimer ou l'amoindrir autant
+que possible.
+
+Quand c'est le surmenage physique, le repos absolu s'impose, et la jeune
+malade arrive tres vite a la guerison. Quand le surmenage physique n'est
+pas la seule cause a invoquer, rien n'est plus difficile que de doser le
+repos et l'exercice. Le plus souvent, le repos relatif est de rigueur.
+Dans d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en particulier, un
+exercice modere, et meme pousse assez loin, peut produire d'excellents
+effets. Le medecin, appele a se prononcer sur l'opportunite de ce moyen
+therapeutique, basera son jugement sur les resultats de l'enquete qu'il
+fera au sujet du passe de la malade, et il aura le droit de proceder par
+tatonnements. J'ajouterai que, dans les cas graves ou le repos absolu
+s'impose d'abord, rien n'est plus difficile que de doser l'exercice
+des que la malade est capable de le supporter, mais le principe est de
+rester en deca de ce que la malade peut donner.
+
+Quand la "maladie" de la jeune fille est due au milieu familial, le
+remede essentiel est de le lui faire quitter. Malheureusement, on attend
+souvent trop longtemps pour prendre ce parti radical; on attend que la
+vie soit devenue impossible, que la jeune fille ait perdu le sommeil,
+les forces, l'appetit, et soit dans un etat d'excitation inquietant. On
+l'isole alors dans une maison de sante ou d'hydrotherapie, ou on lui
+impose le plus souvent, a notre avis, une sequestration trop radicale.
+Car la priver de toute visite, de toute correspondance, la soumettre a
+une discipline d'une severite exageree, nous semble vraiment excessif.
+L'enfant se revolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un benefice
+relativement restreint. Elle prend sur elle pour simuler la guerison, et
+pour echapper a la tutelle des medecins; elle sort avec les apparences
+de la sante; mais elle n'est pas guerie, et, comme elle retombe dans le
+milieu familial hostile, la "maladie" ne tarde pas a renaitre de ses
+cendres, jusqu'au jour ou une circonstance quelconque amene enfin un
+changement de vie radical, qui la guerit.
+
+Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, d'eloigner l'enfant, de
+temps a autre, du milieu familial, des qu'on s'apercoit que c'est lui
+qui est l'ennemi, en la confiant soit a une parente intelligente, soit
+meme a une garde bien choisie, jusqu'au moment ou on trouvera a la
+marier, chose qu'il ne faudra faire qu'apres mure reflexion, mais qui,
+dans bien des cas, est le remede par excellence? Pendant les absences de
+la jeune fille, l'etat nerveux du milieu familial lui-meme se calme, ce
+qui rend la vie commune acceptable par intermittences. Loin de nous,
+cependant, l'idee de porter atteinte a l'esprit de famille en proposant
+pareille mesure; nous ne la considerons que comme exceptionnelle et
+comme un pis-aller, preferable souvent a la maison de sante, et, en
+definitive, moins onereuse.
+
+Chez les gens peu fortunes, on n'a pas la ressource de la separation,
+meme momentanee. Heureusement, chez eux, les contacts entre parents et
+enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a toujours une certaine
+independance; elle n'est pas soumise a une tyrannie de tous les
+instants. En outre, son systeme nerveux est moins vulnerable, de sorte
+que l'influence nefaste du milieu familial est rarement une cause de
+"maladie". Nous connaissons cependant de jeunes ouvrieres dont la
+sante a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel elles etaient
+condamnees a vivre: pere alcoolique, qui les battait au retour de
+l'atelier, mere ou belle-mere acariatre, frere debauche, etc. La pauvre
+victime resiste tant qu'elle peut, jusqu'au jour ou elle quitte avec
+eclat la maison paternelle, a moins que, victime resignee, elle ne voie
+peu a peu s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi une proie
+toute designee pour la tuberculose, qui met fin a ses miseres; souvent
+aussi sa decheance se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile
+d'alienes lui ouvre ses portes.
+
+D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation contrariee qui met
+la jeune fille en etat de "maladie". Il n'y a pas a se le dissimuler,
+quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la legitimite des
+vocations religieuses, lorsqu'une vocation est sincere, toutes les
+entraves qu'on lui apportera ne serviront de rien. La jeune fille
+souffrira, deviendra de plus en plus malade, et force sera un jour de
+ceder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames intimes et ignores, qui
+torturent meme les familles chretiennes; et le resultat final a toujours
+ete le meme: la jeune fille a retrouve la sante des qu'elle a eu gain de
+cause.
+
+Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait respectueusement,
+depuis trois ans, contre sa famille, pour obtenir l'autorisation
+d'entrer au Carmel. Elle en etait arrivee a un degre avance de
+"maladie", restant des huit et quinze jours sans garde-robe, malgre
+l'hygiene intestinale la plus soignee, ne pouvant plus lire ni supporter
+une conversation; elle maigrissait a vue d'oeil, et ne pouvait plus
+quitter son lit, tant les forces physiques etaient diminuees. Gravement
+preoccupe de l'issue de cette "maladie", dont je connaissais la cause,
+je crus remplir mon role de medecin en m'instituant l'avocat de la
+malade. Or, des qu'elle eut obtenu l'autorisation sollicitee depuis si
+longtemps,--et que, par parenthese, elle avait cesse de demander depuis
+un an, pour ne pas torturer sa famille,--nous vimes la sante revenir
+avec une rapidite prodigieuse. Tous les organes inhibes se remirent a
+fonctionner, et, un mois apres, la jeune fille entrait au Carmel. Quelle
+ne fut pas notre stupefaction d'apprendre que, le troisieme jour, elle
+lavait les escaliers a grande eau, pleine d'energie et de bonne humeur!
+
+Quelque respectueux que l'on doive etre de l'autorite des parents,
+il faut que cette autorite sache s'effacer devant la volonte ferme,
+reflechie, bien arretee d'une jeune fille; la justice le demande, et
+ajoutons que l'interet l'exige.
+
+Les memes considerations s'appliquent au cas ou une jeune fille veut,
+envers et contre tous, epouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf
+fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de ses parents, qui ont
+l'experience de la vie. Mais l'experience est semblable a un habit fait
+sur mesure, et qui ne va bien qu'a celui pour lequel il est fait. Aussi,
+lorsque, malgre les sages raisonnements, la jeune fille s'obstine et
+s'entete, estimons-nous qu'il faut lui ceder apres un delai raisonnable.
+On doit hair la persecution, de quelque part qu'elle vienne.
+
+Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la jeune fille est victime
+de son temperament, qui ne trouve pas dans les joies de la famille une
+satisfaction suffisante: elle eprouve le _besoin_ de se marier. C'est
+alors aux parents a l'aider dans son choix, car cet etat d'ame peut
+amener la "maladie".
+
+Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, avant de se marier,
+subir un traitement medical; car elle n'a pas le droit de se marier en
+etat de "maladie". Le mariage, le plus souvent, ne la guerirait pas. Or
+il faut bien savoir que, au debut de la vie conjugale surtout, elle
+n'a pas le droit d'etre malade. C'est donc une raison de plus pour la
+soigner avant le mariage. En general, d'ailleurs, cette cure est des
+plus simples: la cause de la "maladie" ayant disparu, et le capital
+biologique n'etant pas encore gravement entame, le role de la
+therapeutique se reduit a peu de chose.
+
+
+II.--CHEZ LE GARCON
+
+
+Chez le jeune garcon, de la puberte a l'age adulte, les influences
+capables d'amener la "maladie" sont egalement multiples. Signalons,
+parmi les principales :
+
+I. Le surmenage scolaire;
+
+II. L'abus des sports;
+
+III. Les deviations de l'hygiene sexuelle (habitudes solitaires et
+prematuration).
+
+I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, dont on a fait si grand
+bruit il y a quelques annees? Les brillantes discussions de l'Academie
+de medecine n'ont pas empeche les programmes de se surcharger d'annee en
+annee; et ils se surchargeront encore davantage, cela est inevitable,
+c'est la loi meme du progres; vouloir aller contre, c'est vouloir
+remonter le courant. Mais, a la verite, ce soi-disant surmenage ne nous
+effraie pas outre mesure, car il faut compter: 1 deg. avec les nouvelles
+methodes d'enseignement, superieures a celles d'autrefois; 2 deg. avec une
+adaptation du cerveau des generations actuelles et futures a un travail
+cerebral plus considerable. N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui rend
+si dangereux le travail cerebral chez les "deracines" dont nous avons
+dit un mot au chapitre precedent?
+
+Est-ce a dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des systemes
+pedagogiques? Non. Le jeune homme ne travaille pas trop, mais il
+travaille mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne dort pas
+assez, et on n'a pas assez le respect de son sommeil: du sommeil qui
+dompte tout, suivant la forte expression d'Homere.
+
+Un groupe de medecins anglais vient de commencer une campagne de presse
+pour obtenir que l'eleve des colleges anglais puisse dormir plus
+longtemps. Ils avaient ete precedes dans cette voie par le Dr
+Chaillou[5], directeur de l'hygiene d'un grand etablissement
+d'instruction, qui des 1903, a eu l'idee excellente d'installer, dans le
+pensionnat, ce qu'il appelle une "chambre des dormeurs". La, les jeunes
+gens fatigues momentanement vont, tout simplement, se reposer suivant
+leurs besoins; et jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de
+dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats aux ecoles, et que
+l'intelligente discipline generale de la maison est de nature a prevenir
+tout abus.
+
+[Note 5: _Hygiene, exercices physiques, et services medicaux dans
+un grand college moderne_, par le Dr Chaillou, attache a l'Institut
+Pasteur. Paris 1903.]
+
+II. _Abus des sports_.--Si pour l'homme sain l'exercice est necessaire
+a la sante, cet exercice, lorsqu'il est pousse a un degre excessif,
+devient un facteur important de "maladie".
+
+L'exercice, quand il est methodique, bien gradue, peut etre pousse
+tres loin sans provoquer d'accidents; c'est ainsi que, chez les
+professionnels des cirques, la sante se maintient excellente, comme j'ai
+pu m'en rendre compte par une enquete faite chez Barnum. Le medecin
+attache a la troupe de Barnum jouirait d'une veritable sinecure, s'il
+n'avait pas a compter avec les accidents d'ordre chirurgical.
+
+Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont _selectionnes_, ce sont
+des professionnels: ils ne font pas autre chose que des tours de force;
+toute leur activite, physique, intellectuelle, est concentree sur ces
+questions d'exercice musculaire.
+
+Ajoutons que l'exercice est savamment gradue par des gens du metier, qui
+savent par experience ce que c'est que l'entrainement; disons enfin que
+les gens des cirques observent une sage hygiene; ils savent que tous les
+ecarts se payent, et ils sont, a tous egards, d'une sobriete exemplaire.
+
+Tout autres sont les conditions dans lesquelles se trouve l'homme du
+monde qui fait du sport. Parfois il a une profession; c'est donc sur les
+loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, qu'il prend le
+temps de faire les exercices qui le passionnent; quand il n'a pas de
+profession, il est rare qu'il ait la moderation exemplaire signalee plus
+haut, et, alors, il ne depense pas son influx nerveux qu'en exercice
+physique.
+
+Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du sportsman, c'est le
+_sport_, c'est-a-dire l'emulation qui existe presque fatalement entre
+ceux qui s'occupent avec passion d'exercices physiques, et qui fait que
+chacun d'eux veut devancer son voisin.
+
+Le bicycliste isole risquerait rarement d'arriver au surmenage; ce qui
+le fatigue, c'est de voyager en compagnie d'autres camarades, a cause de
+l'excitation qui se communique des uns aux autres, et qui les porte tous
+a donner plus qu'ils ne peuvent. L'escrime, souvent, n'aurait pas sa
+raison d'etre, sans le desir de l'emporter sur ses partenaires; de la le
+danger special de cet exercice. Si l'on veut bien se rappeler qu'il
+est pris, en general, dans un air confine, qu'il exige une depense
+considerable d'influx nerveux, une tension permanente de l'esprit, un
+exces de rapidite dans les mouvements, on comprendra que c'est plus un
+exercice cerebral qu'un exercice musculaire, et que les gens qui croient
+se reposer du travail cerebral en faisant de l'escrime sont bien vite
+detrompes. Le sage est celui qui, desirant se reposer du travail
+cerebral par l'exercice, s'attache aux exercices qui ne demandent pas
+d'attention, aux exercices automatiques dans lesquels la moelle seule
+intervient; marcher, ou mieux encore courir suivant les bons principes,
+scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, ramer, etc.
+
+L'automobilisme "tient le record" parmi les exercices qui epuisent le
+systeme nerveux; nous ne parlons pas, bien entendu, des hommes qui se
+servent de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, mais de ceux qui
+en font un moyen de distraction. Quelques-uns arrivent a une mentalite
+toute speciale, a un etat de folie qui n'a pas encore recu de nom, et
+qu'on pourrait appeler la folie de la vitesse: quand ils sont sur leur
+machine, ils ne voient que le ruban de route qui se deroule devant
+eux, le reste de la terre a cesse d'exister. Ils ne voient point, ils
+n'entendent point: ce sont des mangeurs de kilometres, ce ne sont
+plus des hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a pas besoin
+d'emulation, il se suggestionne lui-meme, et devient le propre artisan
+de son delire.
+
+Mais les dangers des sports deviennent encore plus considerables quand
+ils sont pratiques par des organismes en voie de formation, par des
+jeunes gens, par des ecoliers. Or, il y a quelques annees, avait souffle
+un vent, venu d'Angleterre, qui avait veritablement tourne la tete a
+certains hommes s'occupant des problemes de pedagogie,--ou plutot qui
+avait affole l'opinion publique, et les pedagogues subissaient le
+courant. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne parlait plus, dans les
+etablissements scolaires, que de sports et de gymnastique. La culture
+intellectuelle paraissait devoir etre mise au second plan. Mais on
+n'a pas tarde a voir qu'il y avait abus. Les excellents travaux du Dr
+Lagrange et du Dr Legendre, l'intervention des medecins dans la _Ligue
+des Peres de Famille_, ont mis un frein a cet engouement, qu'on ne
+rencontre plus que dans quelques institutions ou l'on s'obstine a imiter
+l'education anglaise, sans se rappeler que nos petits Francais ne
+sont pas des Anglo-Saxons. Je me demande d'ailleurs si les petits
+Anglo-Saxons eux-memes de l'age de douze et treize ans se trouveraient
+bien de faire des courses de 4 et 5 kilometres au pas gymnastique, sans
+progression et sans entrainement prealable, comme je sais qu'on en
+impose aux enfants dans les institutions dont je parle.
+
+III. _Deviations de l'hygiene sexuelle_.--Tous les pedagogues et tous
+les peres de famille soucieux de l'avenir de leurs enfants sont, a juste
+titre, preoccupes de l'important probleme de l'education sexuelle; mais
+tous sont loin de le resoudre dans le meme sens. Les uns estiment qu'il
+ne faut rien dire aux enfants, ni meme aux jeunes gens; les autres,
+qu'il faut au contraire aborder le redoutable probleme en face, et le
+plus tot possible. La verite, comme en bien d'autres circonstances, se
+trouve entre ces deux extremes.
+
+Il est bien certain qu'il faut que, a un moment donne, le jeune homme
+soit averti des dangers qu'il court en s'abandonnant a des aberrations
+de l'instinct genesique, ou encore a l'usage premature des fonctions
+sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse de bonne heure le peril
+venerien. Mais quels moyens employer pour l'instruire? Est-ce au pere de
+famille que revient ce role educateur? Oui, s'il a suffisamment gagne
+la confiance de ses enfants, et s'il se sent capable de cette mission
+delicate; dans d'autres cas, c'est au medecin de la famille que doit
+etre devolu ce soin; et, dans les pensions, lycees, institutions, c'est
+encore au medecin de la maison, et, dans une certaine mesure, a ceux des
+professeurs qui vivent le plus avec les eleves.
+
+Convient-il de donner a ceux-ci un enseignement collectif? La tentative
+a ete faite, recemment, dans plusieurs lycees de Paris. Il faut avouer
+qu'elle est ardue, mais les bons resultats ont depasse toute attente.
+Cependant je suis avec M. l'abbe Fonsagrives partisan plutot de
+l'enseignement individuel, compris dans un sens liberal, sous forme de
+causerie du professeur avec un petit nombre d'eleves.
+
+Jusqu'au moment ou il est raisonnable d'aborder devant les enfants ces
+delicats problemes, le role de l'educateur doit se borner a exercer
+autour d'eux une surveillance assidue, et a retarder le plus possible
+l'eclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, il faut imposer
+a l'enfant de la fatigue physique, la pousser au maximum de la
+_tolerance_, dussent les etudes en souffrir momentanement. C'est de la
+bonne economie, sans cependant qu'on doive verser dans cet abus des
+sports que nous avons denonce plus haut. Ici se retrouve, comme dans
+tous les problemes de l'hygiene, cette question de dosage, de mesure,
+qui comporte un nombre indefini de solutions, d'apres la variete des cas
+individuels.
+
+Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant a des aberrations de
+l'instinct sexuel sont moins grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont
+neanmoins considerables, et le capital nerveux de l'enfant est vite
+entame par les habitudes vicieuses. De la ces formes vagues de
+neurasthenie avec difficulte pour le travail, timidite maladive,
+manque de confiance en soi, cephalee, traits tires, yeux cernes,
+amaigrissement, amoindrissement de la valeur du sujet. Un medecin
+eclaire ne s'y trompe pas. Il doit alors trouver moyen de prendre
+l'enfant a part, a la fin de la consultation, et lui dire a
+brule-pourpoint, en le regardant fixement: "Mon ami, je sais la cause de
+votre mal!" Il faut ensuite provoquer quelques aveux _discrets_, et la
+consultation doit se terminer par une promesse formelle de l'enfant
+de se corriger. La psychotherapie, en ce cas, vaut mieux que les
+medications pharmaceutiques les plus savantes: elle manque bien rarement
+son effet et elle peut etre grandement aidee, dans certains cas, par la
+psychotherapie hypnotique, dont nous parlerons plus loin.
+
+Quant au danger que fait courir la prematuration des fonctions
+sexuelles, c'est chose certaine que tout usage de ces fonctions devient
+un abus, tant que l'organisme n'a pas atteint son complet developpement.
+L'etre humain ne devrait aborder l'acte destine a perpetuer la vie qu'a
+partir du moment ou il est, lui-meme, en pleine possession de toute
+sa vigueur physique. Jusqu'a ce moment, la continence n'est pas
+prejudiciable. La question a ete etudiee a fond, et resolue dans le meme
+sens par les moralistes et par les hygienistes. La continence n'est
+presque pas penible, elle ne le devient que si des excitations
+factices ont eveille de trop bonne heure l'instinct sexuel. Elle est
+recommandable au point de vue moral; elle entretient, chez le jeune
+homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop developper, "le respect de la
+femme"; et, a vrai dire, c'est elle seule qui le met surement a l'abri
+des contaminations veneriennes.
+
+Le grand public commence a connaitre le peril venerien, et, surtout, a
+oser en parler. On ne saurait croire combien l'ingenieuse trouvaille de
+M. Brieux, qui a designe sous le nom d'_avarie_ la plus redoutable des
+"maladies" veneriennes, la syphilis, a fait faire de progres a l'opinion
+publique. Le mot, d'ailleurs, meritait de faire fortune; et nous
+aimerions aussi voir employer le terme de "petite avarie" pour designer
+la blennorragie, dont les mefaits sont plus considerables que ne le
+croit le public, et meme que ne le croient beaucoup de medecins.
+
+Ce que le public ignore encore, c'est l'age auquel les jeunes gens sont
+le plus souvent contamines. Ainsi que l'a demontre le Dr Ed Fournier,
+c'est beaucoup plus tot qu'on ne se le figure generalement; et
+non seulement a Paris, mais partout, ainsi que le demontrent les
+statistiques de _toutes_ les armees, qui enregistrent beaucoup plus de
+"maladies" veneriennes a la premiere annee de service qu'aux annees
+ulterieures, parce que, parmi les malades enregistres a la premiere
+annee, figurent tous ceux qui etaient contamines avant leur entree au
+regiment.
+
+Nous ne saurions trop recommander a ce sujet la lecture et la meditation
+de l'excellente brochure du professeur A. Fournier: _Pour nos fils quand
+ils auront dix-huit ans_. En quelques pages s'y trouvent nettement
+indiquees, et sans aucune exageration, la gravite du peril venerien, la
+conduite a tenir pour l'attenuer quand on est atteint, et pour l'eviter.
+Cette brochure est bonne a lire, elle est necessaire et suffisante aux
+conferenciers qui veulent repandre la verite.
+
+Nous n'avons pas a insister ici sur les mefaits de la syphilis. C'est
+toujours une "maladie" grave, quelquefois elle est tres grave, et cela
+des les premiers mois qui suivent son apparition. Elle se traduit alors
+par les plus importants symptomes de la decheance organique, cephalee
+violente, anemie aigue, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile de
+dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital biologique un dechet
+enorme. Heureusement le traitement mercuriel intensif est la pour
+reparer, dans une certaine mesure, le desastre.
+
+D'autres fois, la syphilis amene chez le malade de telles preoccupations
+morales qu'elle devient un danger imminent. L'angoisse peut meme
+conduire au suicide. Il faut que le medecin et le pere de famille
+connaissent cette syphilophobie, pour rasserener la victime, dans
+la mesure necessaire. Mais dans tous les cas la syphilis, cause
+d'amoindrissement enorme de la valeur du sujet, devra etre traitee
+energiquement, des le debut et pendant un temps prolonge,--au moins
+quatre ans,--par des traitements successifs.
+
+Chez la jeune fille, la syphilis est egalement a redouter. Nombre de
+jeunes filles de la classe ouvriere connaissent tout ce qui est relatif
+aux questions veneriennes; elles n'en ignorent que le danger. C'est a
+leur usage que j'ai ecrit naguere une petite brochure intitulee: _Pour
+nos filles_. Les services qu'elle est appelee a rendre ne sont pas
+comparables a ceux que rendra sa soeur ainee, l'excellente brochure du
+professeur Fournier; et si je la mentionne, ce n'est certes point par
+une enfantine vanite d'auteur: c'est que, de divers cotes, on m'a
+affirme qu'il etait bon de la faire connaitre.
+
+
+III--CAUSES MORBIGENES COMMUNES AUX DEUX SEXES.--"MALADIES"
+ACCIDENTELLES
+
+
+C'est a dessein que nous placons ces observations a la suite de l'etude
+consacree aux jeunes garcons, car les jeunes filles, entourees de
+soins a l'age qui nous occupe, ont relativement peu de "maladies"
+accidentelles. Chez le jeune homme, au contraire, plus ou moins mal
+surveille, plus ou moins surmene par un travail cerebral auquel son
+cerveau n'est pas encore completement adapte, ou par le travail
+musculaire, pour lequel ses muscles, encore en etat de developpement, ne
+sont pas suffisamment prepares, la flore microbienne trouve un excellent
+terrain de culture. Nous ne pouvons pas passer en revue la pathologie de
+cet age; faisons seulement remarquer que la "maladie" accidentelle ou
+bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat definitif sur un organe
+quelconque (endocardite du rhumatisme, etc.): mais il est tres rare que,
+a cette periode de la vie, elle amene l'amoindrissement prolonge ou
+definitif de la valeur du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les
+jeunes gens, l'affection aigue aboutit a une convalescence franche, sans
+ebranler l'organisme; a cet age, comme dans l'enfance, l'organisme est
+doue d'une grande elasticite, et rebondit facilement.
+
+Exception doit etre faite pour la tuberculose; c'est, par excellence,
+la "maladie" de l'age adulte. Contractee, le plus souvent, dans la
+plus tendre enfance, elle sommeille jusqu'au moment ou les mauvaises
+conditions de milieu, la misere physiologique, le surmenage, mettent le
+terrain en etat de moindre resistance. De la son maximum de frequence de
+dix-huit a trente-cinq ans.
+
+De cette conception, qui n'est pas encore classique, mais qui commence a
+penetrer dans les esprits, grace aux travaux du professeur Grancher,
+et a ceux de M. le medecin inspecteur Kelsch, sur la tuberculose dans
+l'armee, decoule la veritable prophylaxie de la tuberculose. C'est en
+vain que l'on depenserait beaucoup d'argent pour fonder des sanatoria;
+le sanatorium ne convient qu'aux riches. C'est peut-etre un bon
+instrument de cure: surement ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas
+"ce n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre la tuberculose
+en tant que "maladie" sociale" (Grancher). Voyez, en effet, ce qu'il
+faudrait pour qu'un sanatorium populaire donnat un rendement social
+appreciable! Il faudrait: 1 deg.a l'entree du sanatorium, un dispensaire de
+depistage pour ouvrir la porte aux seuls malades legerement atteints;
+2 deg. pendant le sejour du malade au sanatorium, une oeuvre de secours pour
+sa femme et ses enfants; 3 deg. a la sortie du sanatorium, la double ration
+de repos et la demi-ration de travail pendant un temps presque illimite!
+Le Congres de la tuberculose de 1905 a d'ailleurs sonne le glas sur les
+sanatoria populaires, et les medecins de tous les pays, dans une heure
+de sens commun et de clarte, ont vote la meme formule: "En fait de
+tuberculose, la preservation domine l'assistance." Nous serons moins
+severes dans notre appreciation des dispensaires: ils peuvent rendre
+quelques services pour l'education populaire; mais les veritables
+oeuvres de l'avenir, on ne saurait trop le repeter, sont les oeuvres de
+preservation, celles qui arrachent un enfant sain d'un milieu contamine;
+ce sont les oeuvres d'hopitaux marins, pour les enfants atteints de
+tuberculose locale et non contagieuse; ce sont les colonies de vacances,
+etc. Ce sont, surtout, les diverses oeuvres sociales luttant contre
+la misere: car la misere est le grand, le plus grand facteur de la
+tuberculose.
+
+
+
+
+DEUXIEME PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+MATURITE
+
+
+
+Voici l'homme arrive a l'age adulte; il est en pleine possession de tous
+ses moyens, son capital a ete progressivement ameliore et lui rapporte
+de gros interets; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le faire
+valoir, d'obtenir de lui son rendement maximum.
+
+L'ere des menagements est passee, il faut a tout prix que l'homme
+travaille et produise. On l'alimentera en consequence: la depense
+etant considerable, il faudra que l'aliment soit reparateur. Le point
+essentiel est de ne pas depasser la dose des depenses, d'utiliser le
+capital, mais non de l'amoindrir, de chauffer la machine, sinon a blanc,
+du moins a la temperature maxima toleree, pour ne pas l'user trop vite,
+et surtout pour ne pas la faire eclater. Il faut, en somme, que l'homme
+produise; et, a s'ecouter vivre avec trop de prudence, il ne ferait que
+s'empecher de mourir. Bien plus; de meme qu'un capitaliste avise, quand
+il possede beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce qu'on appelle
+de la "surface", n'a pas peur, de temps a autre, de risquer une somme
+raisonnable dans une affaire qui n'est pas de tout repos; de meme
+l'homme bien portant, a capital solide, ne doit pas craindre, a certains
+moments, de se depenser un peu plus que ne l'exigerait la sage hygiene,
+a la condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni trop prolonge,
+et qu'une periode de repos succede a cette periode de travail intensif.
+(De la la necessite des vacances et du repos hebdomadaire).
+
+Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous croyons qu'il est bon
+que l'homme actif, intelligent, bien portant, donne de temps a autre
+ce qu'on appelle un "coup de collier", quitte a reparer sa depense
+excessive par un repos plus ou moins prolonge, mais quel est le
+criterium? a quel signe reconnaitrez-vous que l'homme n'a pas depasse la
+mesure de ses forces, et qu'il ne court pas a la banqueroute?
+
+Le principe general est qu'il faut arriver aux confins de la fatigue,
+mais ne jamais atteindre la fatigue douloureuse. Quand il s'agit de
+travail musculaire, le criterium est relativement facile a trouver. On
+est averti qu'on a depasse la mesure de ses forces par deux symptomes
+caracteristiques: la diminution d'appetit et la diminution de sommeil.
+
+Cette donnee pourrait meme rendre de grands services aux chefs
+militaires, dont l'ideal, tres legitime, est de faire produire a la
+machine humaine son maximum de rendement, sans epuiser cependant les
+forces des soldats. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux confondent
+l'entrainement et l'epuisement; ils arrivent a avoir des troupes qui
+n'ont pas de valeur reelle, tout en ayant les apparences de la force.
+Ces troupes, qui se sont presentees sous le plus bel aspect a des
+manoeuvres de quelques jours, seraient incapables d'entrer en campagne
+et de supporter des fatigues prolongees. Si les chefs de corps avaient
+eu la precaution de s'enquerir de la facon dont les soldats mangent,
+ou de _voir_, apres une marche prolongee, comment ils mangent, de
+surveiller de temps a autre le tonneau des eaux grasses, qui recueille
+tous les restes des repas, ils auraient vu que le travail excessif se
+traduit par une baisse dans l'appetit. S'ils passaient, le soir, dans
+les chambrees, d'une facon inopinee, ils verraient qu'a la suite de
+fatigues excessives les hommes ne dorment pas bien. Et rien ne les
+empecherait, d'ailleurs, de prendre parfois l'avis de leurs medecins.
+
+Nous ne dissimulons pas la difficulte du probleme, d'autant que, chez
+l'homme qui a subi un entrainement methodique, la sensation de _fatigue_
+disparait; l'homme entraine ne connait pas la fatigue. L'epuisement,
+chez lui, se traduit exclusivement par la diminution du poids, de
+l'appetit et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire en
+particulier, par l'apparition des "maladies" dites accidentelles.
+
+Et si le probleme est difficile tant qu'il ne s'agit que de depenses
+musculaires, il devient plus complexe encore quand il s'agit de depenses
+cerebrales. Voici un commercant oblige de brasser de grosses affaires.
+Il est reveille, le matin, par le telephone voisin de son lit; pendant
+toute la journee, il n'a pas un quart d'heure de tranquillite; il sent
+peser sur lui des responsabilites ecrasantes; sa vie n'est qu'une serie
+d'inquietudes. Qu'a ce surmenage incessant viennent s'ajouter des
+chagrins de famille, etc., voici notre homme qui, tout d'un coup,
+tombe dans la "maladie". Le moindre pretexte suffit pour amener le
+declanchement: c'est une emotion un peu violente, c'est une perte
+d'argent, c'est une "maladie" infectieuse plus ou moins legere, qui
+ouvre la breche, et voila la "maladie" installee!
+
+Cet homme aurait-il pu eviter le cataclysme? A-t-il eu, depuis dix ans
+qu'il surmene son cerveau, un avertissement quelconque lui indiquant
+qu'il depasse les limites de son elasticite, et qu'il puise a pleines
+mains dans un capital insuffisamment repare chaque jour? Oui, le plus
+souvent! C'est, par exemple, un vertige qui est apparu, a un moment
+donne. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on pourrait appeler "un
+avertissement sans frais", il aurait immediatement diminue le travail,
+ou meme l'aurait suspendu pendant quelques jours. Mais il n'en a pas
+tenu compte, il a pense que _ca passerait_. D'autres fois, c'est une
+sorte d'endolorissement de la tete, non pas passager, mais permanent,
+qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements de l'oreille gauche.
+(Cette predominance des bourdonnements a gauche, de la diminution de
+l'acuite auditive a gauche, se rencontre a toutes les phases de la
+"maladie".) D'autres fois encore, c'est une sorte de sensation
+de fatigue permanente, exageree surtout le matin, avec diminution
+d'appetit, constipation, autrement dit avec les petits symptomes de
+la grande "maladie". Il est tout a fait exceptionnel que le krach se
+produise sans de tels phenomenes premonitoires. Cela arrive, cependant,
+et c'est chez les natures les plus admirablement douees en apparence.
+
+Quand le sujet est soumis a un surmenage intellectuel et musculaire a
+la fois, il realise les conditions les plus parfaites pour arriver a
+l'epuisement rapide; aussi ne saurait-on protester trop energiquement
+contre le prejuge des gens du monde, qui se figurent que l'exercice
+musculaire repose du travail cerebral, et que le surmene cerebral doit,
+pour bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, de la marche
+forcee, a ses moments disponibles. C'est la une erreur enorme dont
+la pedagogie commence a faire justice. Certes il est des hommes,
+admirablement doues, qui peuvent supporter une depense considerable a
+la fois au point de vue musculaire et au point de vue cerebral: mais ce
+qu'il faut bien se rappeler, c'est que, des que surviennent les premiers
+symptomes du surmenage, on doit aussitot reduire la depense totale, et
+la depense musculaire en particulier; a ce prix seulement on aura chance
+d'echapper aux griffes, toujours pretes a s'abattre sur nous, de la
+"maladie".
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+CARACTERES GENERAUX DE LA "MALADIE"
+
+
+
+Plusieurs fois deja, dans le cours de ce travail, j'ai eu l'occasion de
+parler de la "maladie", sans preciser le sens exact que je donnais
+a ce mot. Mais le moment est venu de tenter, sinon une definition
+scientifique de la "maladie",--definition aussi impossible que celles,
+par exemple, de la richesse, de la vertu, ou de la beaute,--tout au
+moins une explication sommaire de ce qu'est, a mes yeux, cette chose
+indefinissable; des principaux caracteres qui lui sont propres; et des
+traits qui la distinguent de ces manifestations pathologiques bien
+determinees que l'on appelle communement les "maladies", et que
+j'appellerais volontiers des "accidents", par opposition a la nature
+plus generale, plus profonde, et infiniment plus complexe, de la
+"maladie".
+
+Voici quatre personnes qui, dans une meme apres-midi, se presentent a ma
+consultation. Ce sont quatre malades: il ne faut pas etre grand clerc
+pour l'affirmer _a priori_. Mais voyons ce que nous enseignera l'etude
+detaillee, et surtout reflechie, de chacune de ces quatre personnes, qui
+paraissent se ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une avec
+l'autre absolument rien de commun. L'une est grande et forte, l'autre
+petite et malingre; l'une est obese, l'autre d'une maigreur inquietante.
+Les souffrances que chacune accuse sonttout a fait differentes, de
+l'une a l'autre; les causes qui ont paru engendrer ces souffrances
+semblent opposees: chez l'une l'exces de fatigue, chez une autre
+l'exces d'oisivete, etc.
+
+Essayons a present d'approfondir un peu notre investigation. Ah! ce
+n'est pas un mince travail que d'etudier un malade, de fouiller son
+heredite, de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire meme de sa
+conception, de noter tous les incidents pathologiques de son enfance, de
+sa jeunesse, de son adolescence, d'apprecier son degre de sante pendant
+les periodes qui ont separe ces divers incidents, de se reconnaitre au
+milieu du luxe de details avec lequel il decrit ses miseres, en un mot
+de reconstituer a la fois le bilan complet de son etat present et le
+tableau du chemin qu'il a suivi pour y parvenir. Mais cette etude
+meticuleuse est necessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, pas
+de traitement rationnel; d'elle seule pourra resulter la connaissance
+veritable du malade, c'est-a-dire l'appreciation de ce qu'il vaut, du
+point precis ou il en est dans son evolution. Et j'ajoute que ce n'est
+que lorsqu'on a etudie ainsi des centaines et des centaines de malades
+que l'on commence a avoir une idee nette de ce que c'est que la
+"maladie".
+
+Voici donc une premiere malade, que je connais depuis cinq ans. C'est
+une femme de trente-deux ans, dont on devine des le premier abord la
+vivacite d'intelligence, et avec laquelle le medecin comprend tout de
+suite,--a sa grande satisfaction,--qu'il va pouvoir causer utilement.
+
+L'enquete m'apprend qu'elle a eu un capital initial excellent: un
+grand-pere paternel mort a soixante-quinze ans, asthmatique, la
+grand'mere paternelle morte a quatre-vingt-quatre ans. Du cote de
+l'heredite maternelle, il n'y a pas non plus de tares transmissibles:
+le grand-pere mort a soixante-quinze ans, la grand'mere vivant encore a
+quatre-vingt-deux ans. Il est vrai que l'heredite directe est peut-etre
+un peu moins parfaite. Le pere de Mme X... est mort a cinquante-deux
+ans, d'une affection cerebrale, apres avoir toujours ete tres nerveux.
+La mere, d'autre part, un peu delicate, continue a se bien porter, a la
+condition de s'ecouter vivre.
+
+Ce capital initial a ete bien gere pendant les premieres annees de la
+vie. Nourrie au sein, Mme X... a pu supporter sans dommage appreciable
+divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, la varicelle.
+A huit ans, cependant, s'est produit un episode plus important: une
+jaunisse, qui a dure un mois, et qui semble indiquer que le systeme
+digestif etait, chez cette malade, le point faible. Un medecin avise,
+qui l'aurait suivie de pres depuis lors, n'aurait pas manque de
+remarquer qu'elle etait, si l'on peut dire, une candidate a la
+dyspepsie.
+
+Toutefois, jusqu'a l'age de vingt-six ans, Mme X... n'eut aucun
+phenomene grave, d'origine stomacale ou intestinale: mais elle avait
+de petits symptomes, un manque d'appetit entremele de fringales, de la
+constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, ces petits symptomes
+ont passe inapercus. L'enfant a ete soumise, dans un couvent, a
+l'alimentation des autres pensionnaires; elle a mange vite, par
+consequent mange mal; bref, rien n'a ete fait pour mettre en bon
+etat son systeme nerveux abdominal, qui, sans protestations graves,
+fonctionnait deja d'une facon defectueuse.
+
+De onze a vingt-six ans, c'etait le systeme nerveux cerebral qui, seul,
+paraissait defectueux. Des l'age de onze ans, elle avait des tristesses
+vagues, des idees de mort, qui ne firent que s'accentuer.
+
+A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait cet etat de melancolie.
+D'un caractere inegal, la jeune fille ne travaillait qu'a sa guise,
+acceptant peniblement toute discipline.
+
+A dix-huit ans, la mort de son pere lui causa un violent chagrin; et cet
+assaut ebranla si fortement son systeme nerveux que, six semaines apres,
+sans cause connue, sans refroidissement prealable, elle dut garder
+le lit pendant un mois, pour une "maladie" qualifiee "rhumatisme
+mono-articulaire", mais avec predominance de symptomes nerveux graves
+(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se remit vraiment de cette
+crise qu'un an apres, lorsque des projets de mariage opererent en elle
+une sorte de derivation.
+
+Mariee a dix-neuf ans, elle ne tarda pas a retomber dans le meme etat
+nerveux, auquel se joignirent des phenomenes nevralgiques (nevralgie
+lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, et l'immobilisant
+pendant quelques heures. Puis vinrent des crises de nerfs, le plus
+souvent nocturnes, avec angoisses precordiales terribles, peur de toutes
+les "maladies", etc...
+
+C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; et, pendant la
+grossesse, elle se porta admirablement. Mais, aussitot apres sa
+delivrance, l'estomac, qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que
+par des phenomenes insignifiants, entra definitivement en scene: perte
+absolue d'appetit, crampes, gastralgie. Puis, l'annee suivante, ce fut
+le tour de l'intestin: diarrhees frequentes, incoercibles, bientot
+apparition de selles noires, survenant trois a quatre fois par jour avec
+fortes coliques, et qui durerent quatre mois. A la fin de cette periode,
+l'etat general etait des plus mauvais, et la vie semblait vraiment
+compromise.
+
+Heureusement une annee passee dans l'isolement, et suivie d'une cure
+dans un sanatorium de Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis
+la malade pour la premiere fois, un an apres son retour de Suisse, voici
+les principales constatations que je pus faire:
+
+Cephalee permanente,--picotement des yeux,--sciatique gauche
+survenant au moment des regles,--inquietudes vagues,--peur de mourir
+subitement,--trois heures a peine de sommeil dans les meilleures nuits.
+L'estomac et l'intestin laissaient egalement a desirer: appetit nul,
+alternatives de diarrhee et de constipation.
+
+L'examen des organes me demontra qu'il n'y avait rien a la poitrine,
+mais qu'au coeur existait un souffle, au premier temps, a la base,
+perceptible seulement dans la position horizontale; ventre plat, peu
+elastique, sonorite basse et egale. La malade, qui pesait 50 kilogrammes
+a dix-huit ans, n'en pesait plus que 46.
+
+Voila donc une jeune femme qui a toutes les apparences exterieures d'une
+personne tres souffrante, et dont la vie est empoisonnee par une serie
+ininterrompue de miseres variees. Et cependant l'histoire meme de ces
+miseres prouve qu'il n'y a point chez elle d'organe particulierement
+atteint, et que le capital biologique est, au fond, moins mauvais qu'il
+ne parait l'etre. Mon premier soin fut de la rassurer, notamment sur
+l'etat de son coeur, sur lequel un confrere un peu imprudent l'avait
+fort inquietee. Je m'efforcai ensuite de lui refaire un estomac, par
+un regime severe, puis de plus en plus large. Je dirigeai son hygiene
+musculaire, intellectuelle et morale. Et ainsi, apres deux ans ou je
+m'etais borne, en somme, a faciliter le retour a l'equilibre du systeme
+nerveux, Mme X... se vit delivree de la plupart de ses maux, et ramenee
+enfin a une vie des plus supportables.
+
+Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on Elle avait, sous une
+forme speciale, ou plutot sous plusieurs formes, ce que j'appelle la
+"maladie". Sous toutes ces miseres, c'etait le systeme nerveux qui, chez
+elle, flechissait. Tout son systeme nerveux etait malade, et chacun de
+ses centres, tour a tour, avait accuse le contre-coup de la depreciation
+de l'ensemble. Au moment ou j'ai vu la malade, le centre le plus atteint
+etait celui qui preside aux fonctions digestives; mais, si je m'etais
+limite a ne soigner que celui-la, toute ma peine aurait risque d'etre
+perdue. Il fallait, derriere les symptomes locaux, atteindre le trouble
+general; il fallait depasser les incidents pour parer a la "maladie".
+
+Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez qui les
+manifestations morbides n'ont certainement rien de commun avec celles
+que je viens de signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui,
+lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait progressivement
+maigri, en six mois, de 50 a 41 kilogrammes, sans autre cause
+connaissable que certaines influences morales. Elle ne se plaignait de
+rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle l'etait, puisqu'elle
+maigrissait sans cesse, puisqu'elle avait le teint terreux et la peau
+rugueuse, puisque ses regles etaient supprimees depuis un an. Pas de
+lesions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: mais toute l'apparence
+d'une grande malade.
+
+Pourtant, apres un examen plus approfondi, j'augurai bien de l'avenir,
+parce que le capital initial etait assez bon, parce que Mlle T...
+n'avait pas eu de graves assauts dans son enfance, enfin parce qu'elle
+etait jeune, et malade depuis peu de temps. Et le fait est qu'un
+traitement tres simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par jour,
+puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord sans viande, puis avec un
+plat de viande a midi, et 30 injections de cacodylate de magnesie),
+amena un resultat extraordinaire: reapparition des regles, augmentation
+du poids, disparition de la rugosite cutanee, relevement de l'appetit,
+etc.
+
+C'est que cette malade, qui ne presentait aucun trouble nerveux, n'en
+etait pas moins une "nerveuse". Toutes ses miseres ne venaient, comme
+chez Mme X..., que d'un ebranlement du systeme nerveux; quand ce systeme
+se trouva modifie, par le repos, le regime et la psychotherapie, la
+malade guerit.
+
+Elle revint alors dans son pays; six mois apres, elle allait tres bien,
+mangeant de tout, pesant 58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois
+plus tard, elle perd sa mere. De nouveau le chagrin la mine sourdement;
+elle redevient "malade", maigrit jusqu'a 37 kilogrammes, toujours sans
+accuser la moindre douleur, et sans ressentir aucune souffrance. Un
+jour, le 25 decembre 1903, elle est tellement epuisee qu'elle a une
+syncope grave, et que son entourage est convaincu qu'elle va mourir.
+J'avoue que moi-meme, quand je la vis alors avec le Dr C..., je fus
+epouvante, malgre la bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique.
+C'etait litteralement un squelette (34 kil.), elle n'avait plus qu'un
+souffle de vie.
+
+Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? En juin 1904, elle fit
+une pleuro-pneumonie. Deux mois apres, des qu'elle fut transportable,
+elle voulut venir a Paris, et se soumit, pendant trois mois, aux
+injections d'huile creosotee. En octobre 1904, elle avait definitivement
+retrouve sa sante.
+
+Comment douter que toutes les souffrances de cette jeune fille aient ete
+surtout d'origine nerveuse? Et cependant voila un cas ou la perturbation
+du systeme nerveux central s'est traduite par des phenomenes qui
+n'avaient rien de ce que les neurologistes constatent d'ordinaire. Et
+c'est bien le systeme nerveux cerebral qui etait en cause, chez cette
+malade: car ses deux grandes crises morbides n'ont absolument pas
+eu d'autre cause que le chagrin. Mlle T... etait une nevrosee sans
+manifestations nerveuses. Tout a fait comme Mme X..., malgre la
+dissemblance des symptomes, c'etait une "malade", c'est-a-dire une
+personne dont le capital nerveux s'etait trouve entame.
+
+Dans l'exemple suivant, la "maladie" s'est traduite par des phenomenes
+cardiaques. Chaque fois qu'il y a eu chez le malade une defaillance du
+systeme nerveux, c'est le coeur qui a cesse de fonctionner normalement,
+a tel point que tous les medecins qui ne connaissaient pas M. Z... le
+traitaient infailliblement par la digitale et la cafeine.
+
+En realite, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni meme un faux cardiaque:
+c'est simplement un "malade" chez qui le systeme nerveux qui preside aux
+mouvements du coeur est plus specialement impressionnable.
+
+Depuis l'age de vingt et un ans, a la suite d'un rhumatisme (sans
+endocardite), chaque fois qu'il y a eu un assaut quelconque dans la
+sante du malade, le coeur a aussitot proteste. En 1886, a la suite d'une
+bronchite grippale, je constatai, pour la premiere fois, de l'arythmie,
+et un souffle au 2e temps, a la base du coeur. Depuis lors, ce
+souffle persiste, mais avec une telle inegalite que, parfois, il est
+imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est d'une nettete extreme:
+si bien que plusieurs medecins ont affirme une lesion de la valvule de
+l'aorte.
+
+Or, je le repete, il n'y a pas de lesions: M. Z. n'a jamais de pouls
+bondissant, et de nombreux traces de pouls, pris par le Dr Lagrange,
+demontrent qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand M. Z... va
+bien, son coeur va bien: quand il va mal, quand il se surmene, ou
+eprouve une emotion vive, son coeur se fache, et traduit son malaise par
+les manifestations les plus variees: syncopes, arythmie, fausses angines
+de poitrine.
+
+M. Z... est un de ces hommes qui sont faits pour le travail intensif:
+chez lui, quelle que soit l'enormite du travail, il n'y a jamais
+de surmenage cerebral; mais c'est un _sensitif_, que le surmenage
+emotionnel guette a tout instant. En 1898, a la suite d'emotions
+vives, tout son systeme nerveux entre en revolte: le systeme digestif
+(dyspepsie, constipation, etc.), le systeme nerveux central (insomnie
+absolue, tristesse, paleur insolite, epuisement des forces). En meme
+temps la glycosurie fait son apparition (10 grammes de sucre par litre).
+Enfin les troubles du coeur atteignent une intensite extreme et defient
+tous les traitements classiques (digitale, sparteine, bromures, etc.).
+
+Desirant me voir avant de mourir, le malade me fit appeler le 28 avril
+1898, et me raconta les soucis qui l'avaient accable. Ces soucis
+etaient, sans aucun doute, l'unique cause de la "maladie": une
+psychotherapie prolongee, et accompagnee d'un regime alimentaire tres
+modere, reussit parfaitement a remettre le malade sur pied. Les deux
+annees qui suivirent furent meme excellentes.
+
+En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le trouble cardiaque,
+avec meme, cette fois, un pouls bi-gemine. Mais une saison a Vichy, sous
+la direction du Dr Lagrange, produit un tres bon resultat. En 1903, ni
+le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons plus le souffle coutumier.
+
+Mais voici qu'en 1904, a la suite d'une nouvelle emotion, reparaissent
+l'arythmie, le souffle, la glycosurie: de nouveau, une saison a Vichy
+supprime tout cela.
+
+En avril 1905, enfin, a la suite de nouvelles contrarietes,
+l'ebranlement du systeme nerveux se traduit par un lumbago, mais surtout
+par une anesthesie de la main et de la joue droites, qui effraie
+beaucoup le malade. Je le rassure encore, je le renvoie a Vichy, d'ou il
+revient en parfait etat, toujours jeune, malgre ses cinquante-deux ans,
+toujours avec une activite devorante.
+
+C'est que ce pretendu cardiaque, comme les deux malades precedents, est
+simplement un "malade", avec cette particularite que c'est sur le
+coeur que se portent de preference, chez lui, les plus importantes
+manifestations de la "maladie".
+
+Dans les trois observations que je viens de citer, c'etait tel ou tel
+departement du systeme nerveux qui manifestait plus specialement les
+souffrances de l'etre entier, et les periodes de malaise etaient
+separees par des periodes de sante, tout au moins relative. Voici
+maintenant un cas ou tous les elements du systeme nerveux sont tellement
+excites que la "maladie" revet les formes les plus diverses, et sans
+qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de remission, depuis
+l'epoque ou le systeme nerveux a ete ebranle,--c'est-a-dire depuis l'age
+de huit ans,--jusqu'a l'age de la cessation des regles. La malade dont
+je vais parler a ete vraiment, pendant plus de trente ans, un parfait
+musee pathologique. Mais, malgre mille miseres qui se succedaient chez
+elle comme les figures d'un kaleidoscope, je n'ai jamais desespere de sa
+survie, ni de sa guerison, a cause meme de la mobilite et de la variete
+des manifestations morbides, etant donne, d'autre part, l'integrite des
+organes.
+
+La "maladie" de cette personne a commence a huit ans, a la suite d'une
+fievre typhoide grave. Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par
+des migraines tres intenses et tres frequentes; mais des l'apparition
+des regles, aux migraines se sont jointes des douleurs d'estomac et de
+la constipation. Vers l'age de trente ans, le systeme nerveux cerebral a
+manifeste son trouble par des vertiges, bourdonnements d'oreilles, etc.
+Deux ans apres, c'est le tour de la moelle: douleurs rhumatismales
+et nevralgies erratiques. Vers l'age de trente-trois ans, le systeme
+nerveux cardiaque donne sa note dans le concert: syncopes qui durent de
+dix minutes a une demi-heure, avec perte complete de connaissance.
+
+En octobre 1889, une crise gastralgique survient, qui se prolonge
+pendant trois jours consecutifs. L'annee suivante, c'est une douleur
+intercostale gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs jours;
+mais, par contre, la tete est redevenue parfaitement libre, les
+vertiges, la cephalee, ont disparu. En 1893, apparait une dermalgie qui
+occupe les deux bras. Puis voici que la fievre survient: la malade a
+jusqu'a 40 deg., sans cause connue, a l'epoque de ses regles. En 1895, se
+produit un etat de peritonisme,--avec douleurs tres vives dans l'estomac
+et le foie, urines acajou chargees d'urobiline,--qui semble mettre la
+vie en danger. Mais la malade sort de cette epreuve; et, pendant les
+dix mois qui suivent, elle maigrit, tres heureusement, de 93 a 87
+kilogrammes.
+
+L'annee suivante fut tres bonne. Le sommeil revint, l'estomac rentra
+dans l'ordre, la malade put croire que ses miseres allaient prendre fin.
+Mais voici que, en 1897, a la suite d'un coup de froid l'intestin a son
+tour se met de la partie: fausses membranes dans les selles, coliques,
+diarrhee et faux besoins d'exoneration extremement penibles. L'appendice
+meme parait touche: il y a une douleur tres nette au point de Mac
+Burney. Un autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncees,
+selles decolorees, fievre; mais la menace ne persiste que quatre jours.
+En 1900, ulcere de l'estomac, vomissements noirs. La meme annee, je note
+une sorte d'inhibition du fonctionnement de la jambe droite, qui, a un
+moment donne, deux ou trois fois par mois, refuse tout service, au point
+que la malade tombe brusquement. Enfin, cette meme annee, se declare un
+oedeme des jambes, disparaissant apres la marche;--c'est la un phenomene
+que j'ai souvent observe chez les "malades" dits _arthritiques_.
+
+Cet etat lamentable s'est prolonge jusqu'en 1904; la malade etait,
+suivant son expression, un "faisceau de douleurs", mais elle avait un
+excellent moral, et restait sure qu'un jour ou l'autre elle reviendrait
+a la sante. Or, le fait est que, depuis la fin de 1904, en meme temps
+que disparaissaient ses regles, l'etat general s'ameliorait d'une facon
+surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guerie, definitivement
+delivree de toutes ses miseres, promene joyeusement ses 105 kilogrammes
+et se declare enchantee de vivre.
+
+C'est que, meme dans ses epreuves les plus douloureuses, meme quand elle
+presentait les symptomes les plus inquietants, cette personne n'etait ni
+une hepatique, ni une medullaire, ni une cerebrale, ni une gastrique, ni
+une cardiaque, mais simplement une "malade" a manifestations cerebrales,
+medullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant les longues annees
+ou je lui ai donne des soins, toute ma therapeutique n'a consiste qu'a
+essayer de dynamiser son systeme nerveux, et de le dynamiser tout
+entier, sans presque chercher a atteindre, en particulier, tel ou tel de
+ses centres qui semblait, provisoirement, le plus ebranle. J'ai eu le
+bonheur de deviner que cette personne avait les apparences de trop de
+"maladies" pour en avoir la realite; et, de fait, quand son systeme
+nerveux a retrouve l'equilibre, la guerison de la veritable "maladie"
+a aussitot amene la guerison de toutes les pseudo-affections qui n'en
+etaient que le contre-coup.
+
+Le trouble du systeme nerveux central peut encore se traduire par
+les symptomes qui caracterisent, de la facon la plus formelle, des
+"maladies" organiques. J'ai parle deja, plus haut, de ce malade qui
+avait toutes les apparences d'une lesion du coeur, sans avoir le coeur
+lese. On sait que, par ailleurs, ce qu'on appelle l'hysterie simule
+les "maladies" organiques les plus variees. Les hysteriques peuvent
+presenter les symptomes de la meningite, de la grossesse, voire meme des
+"maladies" les plus graves de la moelle epiniere. Ainsi j'ai vu un jeune
+soldat qui offrait tous les signes de la sclerose en plaques. Apres
+trois mois d'examen, on a fini par le reformer; or, ce n'etait qu'un
+hysterique. Non pas que ce jeune homme ait ete un simulateur: car on ne
+simule pas les symptomes de la sclerose en plaques!
+
+Et quand je dis que ce n'etait qu'un hysterique, j'exprime mal ma
+pensee. En realite, c'etait un "malade". Je l'ai suivi pendant
+longtemps, apres son depart du regiment. Une fois reforme, il n'eut plus
+le moindre phenomene medullaire; mais il eut de la dyspepsie, et j'ai
+su que, dans son enfance, il avait eu d'autres manifestations de ce que
+j'appelle la "maladie". Ce n'est qu'a une phase determinee de sa vie,
+quand il s'est agi pour lui de faire son service militaire, que la
+"maladie" s'est traduite, pendant quelques mois, par ces troubles de
+l'axe cerebro-spinal qu'on est convenu d'appeler hysterie.
+
+Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux que j'ai cites suffiront,
+je crois, a donner une idee de ce que j'entends, a proprement parler,
+par la "maladie". D'une facon generale, je veux dire que la "maladie"
+embrasse tout le domaine pathologique qui n'appartient pas a ce qu'on
+pourrait appeler les "accidents"--accidents qui vont depuis les
+fractures et les intoxications jusqu'a des lesions d'organes (cancer,
+hemorragies cerebrales, etc.), en passant par toute la serie des
+affections a microbes, connus et inconnus.--Au-dessous de ces
+"accidents" s'etend une serie indefinie de troubles pouvant revetir
+toutes les formes et donner meme l'illusion de toutes les "maladies"
+organiques, mais qui, en realite, ne sont tous que d'origine nerveuse
+(en donnant a ce mot toute l'extension qu'il comporte), ainsi que cela
+apparait clairement pour peu que l'on considere leurs causes, leur
+marche et leur terminaison. Dans la "maladie" rentrent donc toutes les
+nevroses; la folie quand elle n'est pas produite par des lesions du
+cerveau, l'hysterie, l'epilepsie dite idiopathique, la neurasthenie, les
+algies, tous les troubles fonctionnels des divers organes, _tant que ces
+troubles fonctionnels n'ont pas amene de lesion des organes_.
+
+Les medecins voient quotidiennement la "maladie" sous une de ses formes
+preferees. C'est la forme gastrique, qu'on designe vulgairement sous le
+nom d' "embarras gastrique", synonyme d'embarras de diagnostic. Dans
+cette affection, il ne faut pas croire que le systeme nerveux soit
+indemne; les malades eprouvent de la cephalee, des vertiges, souvent
+des bourdonnements d'oreille, un etat de fatigue generale du systeme
+musculaire, de l'insomnie, de la difficulte pour lire, pour supporter
+une conversation; ils ne souhaitent que le repos et la tranquillite. Si
+on les leur accordait, si une medication perturbatrice n'intervenait
+pas, si on graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait,
+en general, aucune complication; et apres quinze jours, un mois, ils
+reviendraient peu a peu a la sante[6].
+
+[Note 6: La guerison, souvent, s'annonce chez eux par une crise
+urinaire. Les urines, qui avaient ete tres uraliques, quelquefois meme
+urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour a l'autre, claires et
+abondantes. En meme temps la temperature tombe, pendant deux ou trois
+jours, au-dessous de la normale, le sommeil reparait, l'appetit
+egalement, et tout rentre dans l'ordre.]
+
+Dans d'autres cas, la "maladie" evolue sur le mode chronique; et c'est
+pendant des mois et des annees que l'on voit tout le systeme organique
+compromis dans son fonctionnement. Le systeme nerveux, l'estomac,
+l'intestin, laissent a desirer d'une facon a peu pres egale. C'est chez
+ces grands malades qu'on est en droit de se demander si c'est le cerveau
+qui tient sous sa dependance les troubles nerveux de l'estomac ou de
+l'intestin, ou si c'est l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle
+maniere de voir, on adopte telle ou telle therapeutique exclusive: on
+s'acharne a remedier aux troubles du systeme nerveux, en negligeant les
+troubles digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a tort. Pour
+faire de la bonne therapeutique, il faut _a la fois_ soigner le cerveau,
+l'estomac, l'intestin, la moelle, le malade entier, en un mot, tout en
+recherchant, si possible, quel est le systeme le plus compromis et dont
+le fonctionnement laisse le plus a desirer.
+
+C'est de la "maladie" ainsi comprise que je voudrais, maintenant,
+rechercher les causes les plus habituelles, avant d'en indiquer, dans
+ses grandes lignes, le mode de traitement: traitement qui doit etre
+toujours _general_, puisque toujours la "maladie", meme quand elle ne
+se traduit que par des troubles locaux, est, par son essence, d'ordre
+general.
+
+Quant au traitement particulier des "maladies" accidentelles, il va sans
+dire que je n'aurai pas a m'en preoccuper dans ce travail.
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES CAUSES DE LA "MALADIE"
+
+
+
+I.--CAUSES PHYSIQUES
+
+
+Je ne saurais songer a suivre l'homme a travers toutes les circonstances
+de sa vie qui compromettent sa valeur, soit momentanement, soit d'une
+facon definitive et irremediable. Elles varient a l'infini; l'homme
+heureux seul n'a pas d'histoire, et l'homme heureux est un etre de
+raison, qui n'existe pas dans la realite.
+
+Mais, d'une facon generale, je puis faire remarquer que ce n'est pas
+le surmenage cerebral, ni le surmenage musculaire, ni meme les vices
+d'alimentation, le defaut de confort, l'aeration insuffisante, etc.,
+qui constituent les grands facteurs de la "maladie": c'est le surmenage
+emotionnel, c'est le chagrin,--l'influence psychique, en un mot.
+
+Cependant les autres influences morbigenes meritent une mention
+detaillee. Je les rapporterai aux trois chefs suivants:
+
+I. Surmenage cerebral.
+
+II. Surmenage musculaire.
+
+III. Alimentation defectueuse ou insuffisante.
+
+1 deg. _Surmenage cerebral_.--Le cerveau est fait pour fonctionner, comme le
+coeur est fait pour battre; et il est bien rare que le travail cerebral,
+a lui seul, si excessif qu'il puisse paraitre, soit une cause de
+deterioration profonde, et surtout de decheance definitive. C'est bien
+plutot un element de survie prolongee.--Voyez cet ecrivain qui, a
+l'age de soixante-dix-huit ans, continue a etonner le monde par les
+productions de son genie; il n'a jamais cesse de travailler, et il a pu
+faire les frais, a soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, a cet age,
+est presque toujours fatale. Quel est donc son secret? Son secret, c'est
+de n'avoir aucune preoccupation etrangere a son travail; c'est d'avoir
+une femme qui pense pour lui a tous les details de la vie; c'est d'avoir
+une excellente hygiene morale, la paix du coeur et de l'esprit.
+
+Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail cerebral
+insuffisant, et tout le monde sait que les desoeuvres sont bien a
+plaindre. Ce sont des coupables, puisqu'ils n'apportent pas a l'oeuvre
+sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils lui doivent; mais
+ce sont aussi des malheureux, car la "maladie" les guette. Le desoeuvre
+accidentel lui-meme, habitue a un travail cerebral considerable, s'il
+est condamne trop longtemps au repos de l'esprit, sent qu'il lui manque
+quelque chose: il perd son bon sommeil coutumier, et a hate de reprendre
+le travail cerebral, qui lui est aussi necessaire que l'air respirable.
+
+Quand, cependant, le travail cerebral est pousse a une limite
+veritablement excessive, il amene aussi ce que nous avons appele la
+"maladie", c'est-a-dire la deterioration, quelquefois definitive ou
+prolongee pendant des annees. On en voit des exemples chez les candidats
+aux ecoles, a l'internat, a l'agregation, etc. On serait porte a croire,
+_a priori_, que, dans ces cas, la "maladie" atteint l'organe surmene;
+c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, meme quand elle est de cause
+cerebrale, elle peut tres bien revetir les symptomes de la dyspepsie, de
+l'enterite, tout comme si elle avait ete produite par une intoxication.
+Il faut toujours en revenir aux notions que nous avons developpees au
+chapitre precedent: a la notion des points faibles, et a la variete des
+manifestations par lesquelles l'organisme traduit le malaise cause par
+une influence determinee.
+
+2 deg. _Surmenage musculaire_.--Il n'amene qu'exceptionnellement la
+"maladie". Chez le surmene musculaire, quelques jours ou quelques
+semaines de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions d'aplomb;
+et l'on ne saurait se figurer le rendement dont est capable la machine,
+quand, par ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnees par la depense
+cerebrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers italiens produire un travail
+musculaire veritablement colossal, tout en ayant une alimentation tres
+restreinte (polenta, macaroni, gruyere, viande une fois par semaine,
+eau claire), et ce, sans le moindre prejudice pour leur sante. Ils se
+contentaient du salaire dit "de famine", salaire qu'on serait mal venu
+de proposer a nos ouvriers francais.
+
+Il est cependant incontestable que le travail musculaire, pousse a de
+trop grands exces, peut devenir une cause de "maladie" momentanee, et
+preparer le terrain a l'eclosion des affections accidentelles. Nous en
+avons deja dit un mot a propos de l'entrainement dans l'armee, et des
+sports chez les jeunes gens.
+
+3 deg. _Vices d'alimentation_.--Ils jouent un role important dans
+la pathogenie de la "maladie", d'autant que, en dehors des cas
+d'intoxication aigue, ils n'agissent qu'a la longue, traitreusement,
+insidieusement. Le plus souvent, en effet, l'estomac et l'intestin ne
+se revoltent qu'apres de longues annees de protestations presque
+silencieuses. Mais, a partir du jour de cette revolte, la "maladie"
+est constituee. Les symptomes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus
+souvent la premiere place, ce qui n'est pas fait pour surprendre,
+puisque c'est l'estomac qui a ete, dans ces cas, le plus specialement
+moleste. Cependant, dans certains cas, les troubles dyspeptiques
+passeront a l'arriere-plan, au point d'egarer completement le
+diagnostic. Voyez cet hystero-epileptique qui n'a, pour un examinateur
+superficiel, que des troubles cerebraux; il peut tres bien se faire
+qu'il ait de l'epilepsie gastrique, qu'on fera disparaitre par un bon
+regime. Dans ce cas, les phenomenes gastriques etaient au second plan
+pour le clinicien, alors que, pour le therapeute, ils doivent etre au
+premier plan. Si donc le clinicien veut etre bon therapeute, il doit se
+rappeler les grandes lois que nous avons deja formulees: s'il traite
+comme cerebral un sujet dont la "maladie" a ete provoquee par des
+troubles alimentaires, il fait fausse route; de meme qu'il ferait
+fausse route en traitant comme dyspeptique un sujet ayant des miseres
+gastriques, intestinales, hepatiques, mais dont l'etat pathologique
+aurait ete occasionne par du surmenage cerebral, medullaire, emotionnel.
+
+Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation defectueuse
+retentit sur l'ensemble de l'organisme.
+
+On a fait grand bruit, ces derniers temps, de l'auto-intoxication
+d'origine alimentaire; et beaucoup de medecins s'obstinent a ne voir
+dans la "maladie", quelle qu'en soit la forme, et surtout quand elle
+revet la forme nerveuse, qu'une sorte d'empoisonnement de la cellule
+cerebrale par les toxines alimentaires.
+
+C'est la une hypothese assez commode, et qui rend compte d'un nombre
+considerable de faits: mais ce n'est, en somme, qu'une hypothese, et
+ne pouvant pas etre demontree par des observations veritablement
+scientifiques. On pourrait tout aussi bien expliquer les phenomenes
+rapportes a l'auto-intoxication par l'irritation que provoque, sur le
+plexus solaire, un aliment defectueux, ou encore par l'irritation des
+extremites nerveuses du pneumo-gastrique. On sait que ce nerf etend ses
+ramifications sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on s'expliquerait
+ainsi les irradiations a distance provoquees par l'irritation stomacale:
+la dyspnee, l'asthme, les fausses cardiopathies, etc.
+
+Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation peuvent incontestablement
+provoquer, a eux seuls, la "maladie". Mais, le plus souvent, ils
+s'associent a d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, a la
+debauche, etc.
+
+Les vices d'alimentation peuvent, a leur tour, se classer en quatre
+categories distinctes:
+
+I. Alimentation excessive en quantite.
+
+II. Alimentation insuffisante en quantite.
+
+III. Alimentation insuffisante en qualite.
+
+IV. Abus de l'alcool.
+
+I. _Alimentation excessive_.--Nous ne voulons pas nous etendre ici sur
+les inconvenients, vraiment assez connus, de l'alimentation excessive.
+Disons seulement que l'alimentation excessive empoisonne peut-etre la
+cellule nerveuse par les toxines alimentaires, mais que surement elle
+impose aux organes charges de l'elimination (foie, reins, peau), un
+travail exagere, inutile, et par consequent nuisible; de la, a la
+longue, le surmenage et les protestations de ces divers organes, se
+traduisant de mille et une facons (eczema, urticaire, gravelle,
+etc.). Cette maniere de voir donne satisfaction aux partisans de
+l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la theorie de l'irritation
+du pneumo-gastrique, ou du plexus solaire, on peut egalement comprendre
+comment cette irritation, presque permanente, des nerfs de l'estomac par
+une alimentation incendiaire, amene, par action reflexe, des troubles de
+coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon (asthme, dyspnee), du
+cerveau et de la moelle, voire meme des troubles cutanes, etc. Pourquoi,
+d'ailleurs, ne pas adopter les deux theories a la fois? ce ne serait, en
+tout cas, pas deraisonnable.
+
+Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose _optima_ d'aliments qui
+convient pour entretenir la vie et pour reparer les depenses incessantes
+de l'organisme? Elle doit varier, evidemment, suivant le travail
+produit, et suivant les individus. Tous n'ont pas le meme besoin
+d'alimentation, pas plus que, dans un regiment de cavalerie, tous les
+chevaux n'ont pas les memes besoins, bien qu'ils soient obliges aux
+memes depenses musculaires. On a essaye de fixer mathematiquement ce
+qu'on appelle la "ration d'entretien" et la "ration de travail"; et les
+differents chimistes qui se sont livres a ce calcul sont arrives a des
+chiffres qui variaient du simple au quadruple: mais tous s'accordent
+pour demontrer qu'il faut _tres peu d'aliments_ pour subvenir a la
+"ration d'entretien", et meme a la "ration de travail", de l'homme. La
+verite est que nous mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la
+machine humaine soit bien admirablement construite pour qu'elle resiste
+aux assauts quotidiens que nous lui imposons.
+
+Comme ce probleme de la ration physiologique m'a toujours interesse, je
+me suis livre a une enquete sur le regime des Chartreux; et j'affirme
+que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est pour rien dans leur
+morbidite. Ils ont beaucoup moins de jours d'indisponibilite que
+la plupart des autres hommes du meme age, meurent plus vieux, et
+s'eteignent sans "maladie". Pareillement, chez les Trappistes, le regime
+fort severe n'est pas une cause de morbidite; j'ai meme ete etonne,
+a leur propos, de voir la flexibilite de l'organisme humain, et de
+constater qu'un homme habitue a manger comme tout le monde pouvait, d'un
+jour a l'autre, sans troubler sa sante, passer au regime ultra-restreint
+d'une Trappe.
+
+Mais, dira-t-on, avez-vous etudie le regime restreint chez les individus
+qui depensent beaucoup? Oui, je l'ai etudie dans l'armee[7], et
+j'affirme, au nom d'une experience de deux annees, pendant lesquelles je
+me suis occupe de l'alimentation du soldat avec un colonel qui avait,
+de ce grave probleme, tout le souci qu'il merite, que, si le soldat
+francais, le seul que je connaisse, avait la quantite et la qualite des
+aliments auxquels il a droit de par les reglements, et si ces aliments
+etaient prepares comme ils devraient et comme ils pourraient l'etre dans
+toutes les garnisons, sa nourriture serait tout a fait suffisante. Elle
+n'est un peu au-dessous des besoins que pour les jeunes soldats, pendant
+les trois premiers mois de la nouvelle existence qui leur est imposee;
+aussi les officiers soucieux de la sante de leurs soldats reservent-ils
+pour les nouveaux arrivants les _boni_ qu'ils ont pu realiser sur les
+hommes dits "de la classe".
+
+[Note 7: _La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de
+medecine legale_, fevrier 1890).]
+
+Tout le monde, du reste, connait la sobriete des guides alpins, qui,
+non seulement, les jours d'excursion, se contentent d'une alimentation
+extremement reduite (quelques morceaux de sucre et des fruits secs),
+mais, en temps ordinaire, mangent tres peu, pour conserver leurs forces.
+Les professionnels du sport, egalement, savent que la sobriete est la
+condition de leur succes.
+
+Autre exemple: j'ai donne, pendant plusieurs annees, des soins a une
+dame qui, avec toutes les apparences de la sante, etait constamment
+souffrante: migraines, eczema, urticaire, affections cutanees
+polymorphes, palpitations, dyspnee, insomnies, caractere inquiet,
+emotivite exageree, sensation de fatigue permanente, tendance a
+l'obesite,--et j'en passe, pour ne pas faire le tableau complet de ce
+qu'on est convenu d'appeler la "grande neurasthenie". Chose curieuse,
+elle avait peu de phenomenes digestifs, seulement de la constipation et
+des hemorroides. Elle avait meme un vigoureux appetit, bien qu'elle prit
+fort peu d'exercice. En vain, je m'acharnai a diminuer son alimentation:
+precisement a cause de cet appetit de premier ordre, elle ne voulait
+pas entendre parler de regime restreint. Mais voici que l'adversite
+s'abattit sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en fut
+reduite a ne plus manger que des pommes de terre cuites dans le four
+d'un petit poele en faience, et des haricots; un demi-litre de lait
+etait pour elle un grand extra. Or, a partir de ce jour, elle alla bien.
+Toutes ses miseres disparurent successivement, en trois ou quatre mois,
+y compris les miseres nerveuses et les migraines; et force me fut
+d'attribuer au seul changement de regime la surprenante modification de
+sa sante. Car on croira peut-etre que, pressee par le besoin, elle s'est
+mise a marcher davantage, pour chercher du travail, ou pour se creer
+des relations? Non, elle savait trop bien ce qu'il faut esperer des
+relations quand on est dans l'extreme detresse; et je lui procurai un
+travail sedentaire, qui consistait a faire des adresses sur des bandes,
+pour un grand magasin de nouveautes. On avouera que ce n'est pas,
+non plus, l'interet palpitant de ce travail qui a pu modifier
+avantageusement sa mentalite. En dehors de ses douze heures de travail
+quotidien, elle avait des preoccupations angoissantes, qui auraient
+suffi pour ebranler un systeme nerveux moins equilibre. C'est donc bien
+uniquement, toute analyse faite, a la restriction du regime, et a cet
+element seul, qu'elle a du son retour a la sante. Et je pourrais, la
+encore, multiplier les exemples: mais aucun ne peut etre plus typique
+que celui que je viens de relater a grands traits.
+
+Ceci etant, j'aurai peu de choses a dire de l'alimentation insuffisante.
+
+II. _Alimentation insuffisante en quantite_.--Tout le monde connait
+les desastres occasionnes par les famines qui sont encore, helas! trop
+frequentes en Russie, aux Indes, en Algerie. En France, nous estimons
+que personne ne doit avoir une alimentation insuffisante, et que c'est
+une honte pour une societe civilisee d'avoir un seul de ses membres
+manquant du necessaire. Nous n'hesitons pas a proclamer que ce desherite
+aurait, dans ce cas, le droit absolu de prendre ce qui est indispensable
+a sa vie, et cela sans etre meme tenu de le rendre si un jour la
+capricieuse fortune venait a lui sourire. C'est d'ailleurs la doctrine
+de l'Eglise, nettement formulee par saint Thomas, et tres bien expliquee
+dans un livre recent (_Socialisme et Christianisme_) de l'abbe
+Sertillanges, professeur de philosophie a l'Institut catholique. Mais
+laissons la ces considerations d'ordre social, renoncons au delicat
+plaisir qu'il y aurait a errer dans les sentiers adjacents, et
+reprenons notre grande route! Ce qui est sur, c'est que le probleme de
+l'insuffisance d'alimentation n'a pas souvent a etre resolu, chez les
+gens bien portants; notre etat social n'etant pas aussi detestable
+que se plaisent a le dire quelques pessimistes, ou encore quelques
+jouisseurs, qui semblent n'avoir pour but que de semer la haine par
+leurs discours et par leurs ecrits. En France, personne ne meurt de
+faim, et bien peu de gens sont menaces d'insuffisance alimentaire, etant
+donne le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter.
+
+La ou le probleme de l'insuffisance alimentaire devient, pour le
+medecin, d'une douloureuse perplexite, c'est quand il s'agit de malades
+ne pouvant ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence rien
+digerer, vomissant tout ce qu'ils prennent, arrives au dernier degre de
+la consomption, n'urinant presque plus, restant des semaines entieres
+sans aller a la garde-robe, ne dormant plus, ne pouvant plus ni lire, ni
+supporter une conversation, ni penser. Tous les medecins ont vu de ces
+grands malades sans lesions organiques, auxquels il est tres difficile
+de faire du bien, et auxquels on fait trop facilement du mal par une
+intervention intempestive. Est-il admissible que la vie persiste dans
+ces conditions deplorables, et faut-il, oui ou non, forcer ces malades a
+manger?
+
+Il est certain que, parfois, en brusquant la resistance du systeme
+nerveux, en domptant sa revolte, on arrive a des resultats remarquables.
+Chez de grands nevropathes, on est tout etonne de voir qu'une seule
+application de la sonde oesophagienne suffit pour faire renaitre
+l'appetit, et rendre a l'estomac la tolerance qu'il avait perdue depuis
+longtemps. Le plus bel exemple dont j'aie souvenance, a cet egard, est
+celui d'une jeune femme mariee a un capitaine au long cours. Des le
+lendemain du mariage, il l'emmenait en voyage de noces a San Francisco,
+en passant par le detroit de Magellan, sur un navire a voiles. Pendant
+ce voyage, qui dura six mois, la jeune femme commenca a eprouver divers
+symptomes morbides. Elle en arriva a etre gravement atteinte, et on dut
+la faire revenir, par les voies les plus rapides, de San Francisco
+a Paris, ou elle desirait se confier a mes soins. A son arrivee, je
+trouvai une veritable loque humaine, ayant toutes les apparences d'une
+tuberculeuse avancee; l'auscultation ne revelait cependant rien. Pendant
+les trois premieres semaines de son sejour a Paris, elle avait une
+inappetence absolue, ne tolerait aucun aliment, pas meme le lait coupe,
+et etait devoree par une fievre qui atteignait, le soir, 44 deg.. La
+temperature s'abaissait a 40 deg. le matin. Bien que la chaleur de la peau
+fut mordicante, bien que la malade n'eut aucun interet a me tromper
+puisque c'est de son plein gre qu'elle m'avait appele, je me refusai a
+croire a la possibilite d'une fievre aussi ardente et aussi continue. Je
+m'attachai a verifier et a faire verifier avec le plus grand soin les
+indications thermometriques; elles etaient parfaitement exactes. C'est
+alors que, en desespoir de cause, voyant que ni la quinine en injections
+ni les lotions fraiches ne modifiaient cette temperature, je me decidai
+a recourir aux lumieres du Dr Babinski, qui, apres examen, me dit: "Je
+ne trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement pas
+d'impaludisme; nous sommes donc en presence d'une de ces hyperthermies
+comme on en rencontre chez les grandes hysteriques. Mais le plus presse
+est d'empecher cette femme de mourir de faim, et, puisqu'elle ne peut
+pas manger, il faut la suralimenter par la sonde." Ainsi fut fait; et,
+apres cinq repas assez copieux donnes a la sonde, la malade retrouva
+l'appetit, la fievre tomba, le sommeil revint. Deux mois apres, elle
+pouvait quitter Paris, et, vingt-huit mois apres, je recevais une lettre
+m'annoncant la naissance d'un enfant. Suivant la formule traditionnelle,
+la mere et l'enfant se portaient bien.
+
+Autre exemple. Quand j'etais au Val-de-Grace, le professeur Delorme
+m'invita a voir l'un de ses malades, opere depuis dix jours, et qui,
+depuis, ne voulait pas manger. Il etait gueri de son operation, n'avait
+aucune fievre, aucune lesion organique, mais il se refusait obstinement
+a avaler quoi que ce fut. C'etait probablement le choc operatoire qui
+avait produit une folie passagere. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il
+maigrissait a vue d'oeil. Je n'hesitai pas, alors, a lui donner du
+premier coup, par la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance
+possible, un repas complet; des le meme soir, il demandait a manger, et,
+s'etant mis a digerer, il etait gueri. Huit jours apres, il sortait de
+l'hopital en tres bon etat. Nul doute encore que, chez les alienes, il
+ne soit du devoir strict du medecin de prolonger l'alimentation a la
+sonde aussi longtemps qu'elle est necessaire, apres s'etre toutefois
+bien enquis du fonctionnement du systeme digestif. Il y a la de grosses
+difficultes cliniques.
+
+D'une facon generale, cependant, nous hesitons toujours a employer ce
+moyen brutal qu'est la sonde oesophagienne; le plus souvent, quand
+l'alimentation est indiquee pour une grande neurasthenique qui ne veut
+ou ne peut pas manger, nous la lui imposons par suggestion a l'etat
+de veille. Mais la n'est pas encore la difficulte veritable. La
+vraie difficulte est de savoir a quel moment il faut alimenter. La
+responsabilite du medecin est, quelquefois, bien gravement engagee
+dans ce probleme. S'il alimente a tort, soit a la sonde, ou meme par
+suggestion ou par persuasion, il risque de donner a sa malade une
+indigestion formidable, avec fievre ardente et quelquefois collapsus; il
+risque, en d'autres termes, d'epuiser les lueurs de vie qui soutiennent
+l'existence de la malade. Etant donne ce que nous avons dit du peu
+d'aliments qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques a redouter
+d'une alimentation intempestive, nous croyons qu'il faut patienter le
+plus possible, et ne donner a ces malades que le regime ultra-restreint,
+sans se laisser emouvoir par la tyrannie de l'entourage, toujours pret a
+se figurer que la malade va mourir de faim. Et puis, peu a peu, quand,
+par une alimentation restreinte mais bien conduite, on a ete assez
+heureux pour vaincre l'intolerance gastrique,--et on y arrive
+toujours,--alors seulement on alimente plus genereusement.
+
+Nous savons que ce n'est pas la maniere de proceder habituelle de nos
+confreres renommes pour le traitement des grandes nevroses; mais nous
+ne pouvons pas admettre que tous les malades, quel que soit le degre de
+leur "maladie", soient justiciables d'un meme procede therapeutique, et
+que, apres six jours de repos au lit et de regime lacte, il suffise
+de leur dire: "Mangez, je l'ordonne!" pour qu'ils mangent et qu'ils
+digerent n'importe quoi. Ils mangeront peut-etre, mais tous ne
+digereront pas.
+
+III. _Alimentation insuffisante en qualite_.--Si l'insuffisance
+alimentaire quantitative joue, dans la pathogenie de la "maladie", un
+role relativement minime, il n'en est pas de meme de l'insuffisance
+qualitative; et la defectueuse qualite des aliments est un ennemi de
+tous les jours, d'autant plus dangereux qu'on ne le soupconne point. On
+ne saurait croire combien les aliments les plus usuels sont frelates.
+Si une chimie bienfaisante permet, par-ci par-la, de decouvrir quelques
+fraudes, il est une chimie malfaisante qui fait tous les jours des
+progres, et qui nous empoisonne sans que nous nous en doutions. Bientot
+le dictionnaire des falsifications alimentaires atteindra le volume du
+Bottin. Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se mettent aussi
+de la partie, et, par les procedes de congelation, en particulier, on
+arrive a jeter sur les marches des aliments de belle apparence, mais
+qui deviennent toxiques avec une rapidite surprenante. Prenons, a titre
+d'exemple, les poissons de mer. Je me souviens d'avoir ete frappe, dans
+un port de mer, par la vue de gros blocs de glace que des pecheurs
+emportaient avec eux. Ces blocs ne me disaient rien qui vaille; et
+j'appris, en effet, que ces pecheurs partaient pour huit ou dix jours,
+et que, au fur et a mesure qu'ils prenaient du poisson, ils le mettaient
+dans la glace: de telle sorte que ce poisson congele arrive sur nos
+marches avec bel aspect, mais, passant par cinq ou six intermediaires
+avant de parvenir a notre table, il y parvient a l'etat d'aliment
+toxique.
+
+Certains procedes de sterilisation sont egalement vus d'un mauvais oeil
+par l'hygieniste. Pour les conserves de viande, notamment, on sait les
+preoccupations bien legitimes de l'autorite militaire; et le probleme
+vient seulement d'etre resolu, grace au zele d'une commission composee
+de nos plus distingues maitres, en hygiene, en chimie, en bacteriologie
+qui ont travaille pendant de longs mois.
+
+Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est pourquoi il est si
+souvent un breuvage meurtrier, non seulement pour les enfants, mais meme
+pour les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifie, ou
+adultere spontanement, qu'il est, chez les malades, d'un emploi si
+delicat. Remarquez que nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si
+le lait n'est pas supporte par les malades, ce n'est pas parce qu'il
+est altere, c'est parce qu'il est trop riche en creme, ou pris en trop
+grande quantite, c'est aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple
+bon sens indique alors qu'il faut soit l'ecremer, ou s'en abstenir, sans
+poursuivre le projet insense de vaincre l'intolerance des malades. A
+cela on y arrive parfois, quand le malade est complaisant, mais le plus
+souvent on echoue.
+
+Les aliments adulteres, quels qu'ils soient, poissons, mollusques,
+viandes, provoquent des empoisonnements dont on neglige souvent de
+chercher la cause. Ils revetent parfois les apparences de la fievre
+typhoide grave, ou de la typhoidette, et, entre ces deux extremes,
+toutes les varietes cliniques se rencontrent. D'autres fois, ils
+empruntent le masque du cholera ou de la cholerine. Il va de soi que le
+traitement consiste a attendre que l'economie soit debarrassee de ces
+poisons (diete absolue d'abord, puis tisanes et repos); quant a chercher
+a favoriser l'elimination des poisons par des purgatifs ou des vomitifs,
+c'est tres legitime en theorie, mais, en fait, tres dangereux, car on
+ajoute ainsi un element de perturbation qui aggrave parfois grandement
+l'etat morbide.
+
+Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication alimentaire
+n'occasionne qu'a la longue la perturbation du systeme digestif; et
+c'est alors qu'il est si difficile de rapporter les effets directs et
+eloignes de cette perturbation a leur cause veritable.
+
+IV. _Alcool_.--Certes, l'alcool et toutes les boissons distillees,
+quelque pompeuse que soit l'etiquette de leur flacon recepteur,
+constituent un aliment meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en
+leur conservant le nom d'aliment. C'est par deference pour la memoire de
+Duclaux, qui a excite de si vives polemiques en ecrivant que l'alcool
+etait un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme sont de ceux
+que deplorent tout hygieniste et tout bon citoyen; aussi ne saurait-on
+encourager trop les ligues contre l'alcoolisme, les societes de
+temperance, etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts contre
+les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache aux conditions
+economiques de la societe? L'alcoolisme durera aussi longtemps que
+l'impot sur l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporte a l'Etat
+358 392 000 francs (et dans ce chiffre ne sont pas compris les droits
+sur les vins, cidres, bieres, etc.); aussi longtemps que la puissance
+electorale du marchand de vin; aussi longtemps que le malaise
+de l'ouvrier, pousse au cabaret par la destruction du foyer et
+l'insalubrite du logis...
+
+Et l'on ne peut meme s'empecher, tout en souhaitant sincerement le
+succes des genereux efforts des ligues anti-alcooliques, de conserver un
+reste de pitie pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool un oubli
+momentane aux miseres humaines. C'est souvent leur malheur, et non leur
+faute, s'ils tombent dans la degradation progressive qu'on deplore a
+trop juste titre.
+
+Mais autant est legitime la campagne contre les boissons distillees,
+autant, a notre avis, les boissons fermentees devraient trouver grace
+devant la rigueur des hygienistes; et nous pensons que la ligue
+anti-alcoolique francaise, pour ne parler que d'elle, compromet d'une
+facon irremediable le resultat qu'elle poursuit, si elle continue a
+proscrire les boissons _fermentees_. Qu'un intellectuel dyspeptique ne
+tolere pas une goutte de vin a ses repas, c'est chose possible, et il
+fera bien de s'en abstenir; mais proscrire le vin, la biere, le cidre,
+c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a quelques annees,
+on pouvait dire qu'un litre de vin representait 100 grammes de mauvais
+alcool; mais depuis la surproduction des vignes francaises, et depuis
+qu'on a diminue les droits d'octroi, le vin est devenu une boisson
+hygienique, quand elle est prise a petite dose par des gens dont
+l'estomac n'est pas delabre. Certes, l'ouvrier charge de famille ferait
+mieux, comme le lui conseillent les hygienistes en chambre, de depenser
+a l'achat d'aliments azotes, ou hydro-carbones, le franc qu'il depense
+a acheter du vin; mais que deviendrait la vie si elle etait soumise aux
+tyrannies des theoriciens hygienistes?
+
+Pour les soldats, en particulier, il serait a souhaiter que le vin
+entrat dans la ration reglementaire. Presque tous apprecient enormement
+le vin, et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du chef qui
+leur octroie aimablement un quart de litre de vin. Malheureusement, il
+ne faut pas songer avant longtemps a introduire l'usage regulier du vin
+dans l'armee, a cause de la depense: si l'on voulait se rappeler que,
+chaque fois qu'on augmente d'un centime par jour la depense du soldat
+francais, le budget se trouve greve d'un million par an, on mettrait fin
+du coup a toutes les discussions, plus ou moins interessees, qui font
+perdre a nos legislateurs un temps precieux.
+
+Un esprit chagrin pourrait nous repondre que l'eau sterilisee que l'on
+donne aux soldats coute plus cher que le vin, si l'on tient compte du
+prix d'achat des appareils sterilisateurs, du prix du combustible, et
+surtout de la repugnance invincible qu'ont les soldats a boire cette eau
+cuite, presque toujours tiede malgre les soins qu'on met a la refroidir
+apres la sterilisation; mais nous aurions mauvaise grace a nous associer
+a ces critiques. Il ne faut decourager les efforts de personne.
+
+Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une boisson recommandable
+pour l'adulte valide, chez le malade le vin et les autres boissons
+fermentees sont, en general, de veritables toxiques; et c'est par
+la suspension du vin qu'il faut commencer le traitement de tous les
+dyspeptiques. Mais quand l'estomac a cesse de protester, quand il s'agit
+d'aider a la reconstitution du systeme nerveux, le vin devient un
+adjuvant utile; et non pas sous une forme pharmaceutique quelconque,
+mais sous la forme de bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin
+d'Algerie, du Midi, etc.).
+
+En resume, les erreurs de l'alimentation sont essentiellement
+regrettables, comme le sont toutes les erreurs contre la veritable
+hygiene; elles entrent pour une bonne part dans la genese de la
+"maladie"; mais elles ont ete denoncees de toutes parts, etudiees a
+fond, tandis que les influences qui nous restent a passer en revue
+agissent plus profondement encore, d'une maniere plus insidieuse et plus
+malfaisante; et leur role pathogenique n'est, en general, pas apprecie a
+sa juste valeur. Nous voulons parler des influences morales.
+
+
+II.--CAUSES MORALES
+
+
+Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence du moral sur le
+physique; mais, malgre les travaux de divers philosophes, les medecins
+en general ne connaissent pas encore assez cette influence du moral, et
+ne lui attribuent pas assez d'importance. En realite, elle joue un role
+enorme, et dans presque tous les cas elle se rencontre, pour qui sait la
+chercher. Malheureusement, pour faire de semblables enquetes, il faut
+beaucoup de temps, il faut que le medecin devienne le confident, l'ami
+de son malade, et qu'une regrettable suspicion de l'entourage ne
+l'empeche pas d'accomplir son oeuvre. Il faut, en outre, que le medecin
+ait des qualites de psychologue. Il doit savoir lire dans la pensee du
+sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre a mots couverts.
+
+Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales de "maladie" sont
+multiples, et peuvent etre rapportees aux quatre grands chefs suivants,
+que nous classons par ordre d'importance effective, sans aucune
+pretention psychologique:
+
+1 deg. Pertes materielles, pertes de fortune, pertes au jeu, etc., ambitions
+decues.
+
+2 deg. Influences qui compromettent, par une action lente et continue, la
+quietude de l'ame (passions contrariees, chagrins d'amour).
+
+3 deg. Inquietudes d'origine altruiste (chagrins occasionnes par
+l'eloignement ou la perte d'etres aimes).
+
+4 deg. Choc moral et choc traumatique.
+
+1 deg. _Pertes materielles_.--Les pertes de fortune, les changements de
+situation, sont des facteurs moins importants qu'on ne se le figure
+d'ordinaire, relativement a l'eclosion de la "maladie". Une fois le
+premier choc recu, les victimes s'adaptent assez vite aux nouvelles
+conditions d'existence qui leur sont faites, si elles n'ont pas, par
+ailleurs, a s'alarmer pour leurs enfants, et si elles sont prealablement
+bien portantes. On pourrait paraphraser la pensee d'Horace, en disant:
+_Sanum et tenacem impavidum feriunt ruinae_. C'est ainsi qu'on a pu
+definir l'homme: "Un etre qui s'habitue a tout"; et c'est peut-etre la
+meilleure definition qu'on en ait donnee.
+
+Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, les
+perturbations dans la situation sociale, les pertes d'argent, provoquent
+des assauts considerables,--que le medecin doit savoir deviner,--
+capables de produire la "maladie", et surtout de l'aggraver quand elle
+existe deja a un degre quelconque. Voyez ce diabetique qui, d'un jour
+a l'autre, rend une quantite triple de sucre, et cherchez bien: c'est
+souvent parce qu'il a eu, la veille, une perte d'argent.
+
+Les pertes au jeu sont encore plus pathogenes qu'une perte survenue
+accidentellement ou par imprudence; c'est que le jeu, en lui-meme, a une
+influence morbide considerable. Le joueur, en effet, vit dans un milieu
+anti-hygienique; il joue, le plus souvent, la nuit, et se prive de
+sommeil; en outre, son surmenage emotionnel est double de surmenage
+cerebral; bref, la funeste habitude du jeu merite une place d'honneur
+parmi les causes morales pathogenes.
+
+Les ambitions decues ont beaucoup d'analogie avec les pertes au jeu.
+Ici l'enjeu, au lieu d'etre une somme d'argent, est un grade, une
+decoration, un hochet quelconque, auquel l'interesse attribue
+quelquefois une importance qui nous fait sourire, mais qui, cependant,
+lui tient grandement au coeur: car tout est relatif dans la vie, et
+l'ambition decue apres de longs efforts, apres des tentatives souvent
+repetees, se traduit par l'apparition de la "maladie". Qui ne connait,
+dans son entourage, un officier navre d'avoir a prendre sa retraite sans
+avoir obtenu le grade ou la distinction reves, et qui fait le malheur
+d'une famille, et son propre malheur, au point d'en perdre la sante, ou
+quelquefois la vie? "Vanite des vanites", disait le sage; mais c'est de
+cette nourriture que vivent les hommes.
+
+2 deg. _Influences qui compromettent la quietude de l'ame_--Les unes
+agissent par leur continuite: ce sont les coups d'epingles incessants
+dans un menage ou il y a incompatibilite d'humeur, les petites querelles
+de famille quotidiennes, l'impossibilite de fuir un milieu ou l'on ne se
+sent pas a l'aise. C'est le fait d'etre souvent en butte aux taquineries
+ou aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend pas, d'avoir a
+subir l'autorite malveillante d'un parent, d'une mere. La victime se
+trouve tiraillee a tout instant, retenue, d'un cote, par la notion plus
+ou moins forte du devoir, et, d'un autre, poussee a la revolte par les
+vexations, reelles ou imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice
+incessant finit par "enerver",--c'est le mot qu'on emploie
+journellement,--autrement dit, finit par amener la "maladie", a un degre
+variable: et l'une de ses formes les plus connues s'appelle le delire de
+la persecution, quand le trouble mental domine la scene morbide. Mais,
+si l'on etudie de pres un "persecute", on verra bien vite qu'il n'est
+pas malade que de la tete; il digere mal, il est constipe, il maigrit,
+il a souvent des battements de coeur, de la dyspnee, la peau seche,
+etc., etc.; toutes ses fonctions sont en delire. Tout est fou chez
+l'aliene, parce que l'aliene n'est pas autre chose qu'un "grand malade".
+
+D'autres fois, c'est une passion vive, intense, qui compromet
+l'equilibre de la sante. La passion amoureuse merite, a ce titre, d'etre
+signalee au premier rang; nous en avons dit un mot deja, a propos de la
+jeune fille: mais ici nous l'etudions dans sa forme ardente, fougueuse,
+la forme qu'elle revet chez l'etre adulte. Alors elle met le systeme
+nerveux dans un etat d'erethisme, d'hyperesthesie, qui peut se traduire
+par la production de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de _Tristan
+et Yseult_, ou comme la _Nuit d'Octobre_, mais qui amene souvent, chez
+celui qui en est victime, une perturbation generale de la sante, quand
+un obstacle d'ordre moral ou materiel empeche cette passion de se
+satisfaire. La victime perd alors le sommeil, s'agite dans le vide,
+est dans un etat d'inquietude mentale qui compromet les fonctions
+digestives; l'estomac entre en scene, le cercle vicieux s'etablit; la
+"maladie" est constituee. Elle durera tant que durera sa cause, ou
+qu'une savante hygiene morale n'aura pas porte le remede efficace. Bien
+souvent, d'ailleurs, le temps seul est le remede; et il faut savoir
+attendre, sans imposer au malade une medication perturbatrice, qui
+aggraverait son etat.
+
+Lorsque la victime est obligee de garder pour elle son secret, sans
+pouvoir le communiquer a un confident, sa situation est encore plus
+lamentable. Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de la
+l'importance que prend le medecin, lorsqu'il parvient a inspirer
+confiance a son malade et a provoquer chez lui des confidences, qui le
+soulagent plus que ne le feraient l'hydrotherapie ou l'electricite.
+
+Combien de femmes sont malheureuses en menage sans que personne s'en
+doute! Elles dissimulent avec un soin jaloux a leur famille, a leurs
+amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et combien leur misere
+n'est-elle pas attenuee quand elles peuvent confier leur chagrin a un
+homme de bon conseil?
+
+3 deg. _Inquietudes d'origine altruiste_.--Les inquietudes relatives a la
+sante d'un etre cher sont souvent aussi une cause de neurasthenie, et il
+n'est pas rare de voir les divers membres d'une famille devenir, tour
+a tour, malades, par le fait des preoccupations et des fatigues qu'a
+causees l'atteinte d'un premier membre. Une mere qui, comme je l'ai vu,
+passe vingt jours et vingt nuits sans quitter le chevet de son enfant
+atteint de fievre typhoide, sera une malade lorsque l'enfant sera gueri.
+Elle pourra peut-etre devenir, a son tour, une typhoidique; mais, meme
+si elle ne prend pas la fievre typhoide, sa sante sera ebranlee pour
+longtemps. De meme encore le fait d'avoir un enfant infirme, qu'on
+voit du matin au soir, empoisonne assez l'existence pour entrainer,
+quelquefois, la "maladie".
+
+Dans une famille bien unie, la nevrose de l'un des membres ebranle
+tellement le systeme nerveux des autres, que la necessite de la
+separation s'impose. La contagion de la nevrose n'est cependant pas une
+"contagion" au sens propre du mot; mais, en pratique, on est souvent
+appele a traiter le malade comme s'il etait contagieux, dans son propre
+interet et dans celui de son entourage.
+
+Le depart des etres qui nous sont chers est un autre facteur important
+de "maladie":--meme la separation momentanee, (femmes de marins ou de
+militaires partant en campagne),--sans compter que le chagrin de la
+separation se double, en ce cas, d'inquietude pour les dangers que va
+courir l'etre aime. On voit alors la "maladie" survenir au bout de
+quelque temps, revetir une forme quelconque, avec des manifestations
+variant a l'infini (insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptomes
+traduisant le malaise du systeme nerveux central, qui ne s'attenuera
+que quand la cause disparaitra. Et meme, une fois la cause disparue, il
+pourra persister encore des mois et des annees, parce que l'habitude
+morbide est prise, parce que le systeme nerveux a recu le choc. La
+cellule continuera a vibrer de travers, comme la surface d'un lac
+continue a etre agitee bien longtemps apres la chute de la pierre qui a
+trouble son repos.
+
+Quand la separation est definitive, le mal est plus profond encore, et
+l'expression de "vie brisee" est absolument juste. La perte d'un etre
+cher atteint la vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un seul
+coup, le capital biologique. Le malade trainera une existence plus
+ou moins lamentable, et plus ou moins prolongee; mais les moyens
+therapeutiques les plus actifs ne le gueriront pas. Seule une saine
+philosophie attenuera ses maux, et le medecin a surtout a lui offrir une
+bonne psychotherapie. Le temps, aussi, devient un remede avec lequel il
+faut compter; le role principal du medecin, dans les cas de ce genre,
+doit etre d'empecher l'organisme de s'effondrer, pour permettre au temps
+d'accomplir son oeuvre reparatrice.
+
+4 deg. _Choc moral et choc traumatique_.--Une emotion violente, quelle
+qu'en soit la cause, peut egalement amener la "maladie" sous une forme
+quelconque, et parfois lui faire revetir immediatement, sans transition,
+les formes les plus graves. Je connais un officier tres distingue, et
+bien portant jusqu'alors, qui, etant a l'Ecole de guerre, fit une chute
+de cheval sur la tete. Apres deux jours de perte presque complete de
+connaissance, il recouvra successivement la parole, la memoire, le
+mouvement, les forces; mais il etait devenu un malade. Depuis douze
+ans, il traine une existence pitoyable. Ce ne sont pas seulement les
+fonctions cerebrales qui sont atteintes, chez lui; elles sont meme
+relativement respectees, il n'a que des vertiges, des bourdonnements de
+l'oreille gauche, des picotements dans les yeux, de la difficulte a lire
+et a causer. Au demeurant, son intelligence est restee intacte: mais
+toutes ses autres fonctions ont ete perturbees. Il a des nevralgies
+erratiques,--plusieurs medecins ont cru que c'etait un candidat a
+l'ataxie locomotrice,--et surtout il a les troubles digestifs les plus
+varies (gastralgie, pesanteurs, gaz, ainsi que de l'enterite membraneuse
+avec alternative de constipation opiniatre et d'une diarrhee qu'il est
+difficile d'arreter). Les forces sont tellement reduites qu'il peut
+a peine faire deux ou trois kilometres, bien qu'il ait conserve les
+muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type de malade, atteint de ce
+qu'on appelle la "neurasthenie hystero-traumatique", ce sont les
+troubles digestifs qui sont au premier plan, bien que le choc ait porte
+sur la tete.
+
+De meme une frayeur, sans qu'il y ait eu de _trauma_ veritable de la
+boite cranienne, suffit pour amener le choc determinant la "maladie".
+J'ai vu a la Salpetriere, autrefois, une malade qui, des le debut du
+siege de Paris, devint folle pour avoir vu eclater un obus a ses pieds.
+On comprend donc qu'une serie d'emotions et de frayeurs arrive au meme
+resultat. De la l'enorme proportion d'alienes observee apres le siege
+de Paris; de la, la multiplicite des cas de psychonevrose, d'alienation
+mentale, signales dans l'armee russe pendant le cours de la guerre
+russo-japonaise. Jamais, depuis que les hommes s'entre-tuent, le systeme
+nerveux des belligerants n'avait ete soumis a d'aussi dures epreuves.
+Tous les facteurs morbides s'accumulaient, chez les Russes, pour
+produire le desarroi du systeme nerveux. Eloignement de la patrie,
+voyage prolonge en chemin de fer, alimentation insuffisante, manque
+de confiance dans les chefs, menace incessante de surprise, surmenage
+physique s'ajoutant au surmenage emotionnel; c'est plus qu'il n'en faut
+pour rendre malade le malheureux soldat ou officier russe, pour peu
+qu'il soit predispose par l'alcoolisme ou par l'heredite nerveuse. Mais
+que faire contre un semblable etat de choses? L'homme sense ne peut que
+deplorer l'inanite des efforts de tous les pacifistes.
+
+Ces "maladies", consecutives au fleau qu'on appelle la guerre, ne sont
+pas assez connues du monde extra-scientifique. On se figure volontiers
+que, quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est rien; c'est
+pendant quinze et vingt ans que les nefastes effets d'une guerre se font
+sentir. Pendant vingt ans, nous avons eu a soigner des officiers qui
+avaient pris le germe de leurs "maladies" pendant la campagne de 1870,
+et surtout pendant la captivite.
+
+Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous les jours l'influence du
+choc chirurgical sur la genese de la nevrose. On commence a connaitre
+les psycho-nevroses consecutives aux grandes operations: mais c'est un
+point sur lequel il convient d'attirer l'attention, pour moderer le zele
+chirurgical des operateurs. Ils doivent savoir que, quand l'operation
+est finie et bien finie, tout n'est pas termine, et que le patient,
+sorti gueri de leurs mains, est quelquefois "un malade" qui restera tel
+pendant plusieurs annees. Le choc traumatique produit par l'intervention
+chirurgicale suffit pour expliquer ces accidents tardifs.
+
+J'ai, pendant longtemps, donne des soins a une dame qui, d'une tres
+belle sante jusqu'a trente-huit ans, est devenue grande nerveuse, avec
+anorexie, amaigrissement, etc., immediatement apres une operation de
+tumeur benigne du sein. Depuis lors, elle est sans cesse preoccupee de
+la recidive possible d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnee par
+des malaises de tout genre qu'elle n'avait pas avant l'operation.
+
+Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, meme de moindre
+importance encore, d'importance ultra-minime, peut mettre le systeme
+nerveux dans un etat d'ebranlement durable: c'est quand elle occasionne
+une violente douleur. La douleur provoque une fuite nerveuse enorme.
+Ainsi je connais une jeune fille, de bonne sante anterieure, qui est
+devenue neurasthenique immediatement apres des operations sur les dents.
+
+Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales sont
+pratiquees sur des personnes dont le systeme nerveux est deja ebranle
+plus ou moins, elles deviennent une cause d'aggravation notable.
+La seule crainte de l'operation possible suffit pour provoquer une
+aggravation de la nevrose. Est-il un medecin qui n'ait pas vu accourir
+chez lui, forcant sa porte, une cliente, affolee parce qu'elle a
+constate sur elle, ou cru constater, une tumeur du sein? Et c'est bien
+autre chose encore quand le diagnostic est douteux, quand la malade
+va de chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis ferme; jusqu'a ce
+qu'elle soit fixee sur son sort, elle est dans un etat d'anxiete que ne
+connaissent peut-etre pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur
+dicter leur conduite non pas seulement au point de vue operatoire, mais
+au point de vue psychique.
+
+Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. Leur sang-froid, leur
+maitrise d'eux-memes, leur habilete manuelle m'etonnent; les merveilleux
+resultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font les considerer, au
+total, comme de vrais bienfaiteurs de l'humanite. Aussi ai-je l'espoir
+qu'ils ne m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer que,
+a cote de beaucoup de bien, ils font un peu de mal, et un mal qu'ils
+pourraient ne pas faire s'ils connaissaient mieux les repercussions
+qu'ont, sur le systeme nerveux, leur intervention, et aussi les soins
+qu'ils donnent a leur malade apres l'operation. Je voudrais ne les voir
+intervenir qu'en cas d'absolue necessite, se defendre energiquement
+contre les operations qu'on pourrait appeler de complaisance:--comme
+celle qui a ete pratiquee, contre mon avis, sur une malade qui se
+croyait atteinte d'appendicite chronique, et qui n'etait que grande
+nerveuse. Cette malade avait deja appele, malgre moi, quatre chirurgiens
+qui n'avaient pas voulu operer; un cinquieme se decida a le faire, sans
+avoir de conviction absolue, au sujet de l'existence d'une appendicite,
+mais avec la persuasion que la malade, debarrassee de son obsession en
+meme temps que de son appendice, recouvrerait la sante. Or il n'en fut
+rien: l'appendice etait sain, et la malade, legerement amelioree pendant
+un mois, par le fait du repos au lit, du regime severe, de l'espoir
+qu'elle avait, et que je fus le premier a entretenir, vit bientot son
+etat devenir pire qu'avant l'intervention.
+
+Je demanderai aussi a nos confreres les chirurgiens de tenir le moins
+possible les malades en suspens pour savoir si l'on operera, et quel
+sera le jour de l'operation. Cette attente, cette perplexite, sont
+angoissantes au premier chef pour les personnes deja nerveuses. Et je
+leur demanderai, enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre medicale
+apres l'operation... Je sais bien que, dans certains cas, le chirurgien
+doit suralimenter et meme medicamenter son opere, au risque de lui
+fatiguer l'estomac, et de compromettre les resultats qu'une savante
+hygiene alimentaire avait difficilement obtenus, pendant les mois ou les
+annees qui ont precede l'intervention. La, il y a force majeure; et,
+dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il savait bien faire de
+la mauvaise besogne, mais il se comparait aux pompiers que n'arrete
+pas la consideration de degats limites, quand il s'agit de sauver un
+immeuble. Mais, le plus souvent, l'opere guerirait sans intervention
+medicale et sans champagne, sans suralimentation, sans medicaments, sans
+morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, au sortir de la maison
+d'operations, son systeme nerveux serait moins ebranle qu'il ne l'est.
+Il serait plus vite remis du choc traumatique inevitable, qui, a lui
+seul, est un important facteur de depreciation de la valeur biologique.
+
+Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de la morphine aux malades,
+et a des doses effrayantes? Je sais bien qu'en general ces doses
+invraisemblables,--de 1 a 2 centigrammes repetes deux fois par
+jour,--sont tolerees, pendant les premiers jours qui suivent
+l'operation, parce que l'opere a une telle sideration du systeme
+nerveux qu'il ne reagit pas au poison[8]. Mais combien, aussi, ont des
+vomissements et des symptomes d'intoxication grave? Et plus facheux
+encore est le resultat quand le malade se met a aimer l'odieux poison,
+et devient morphinomane,--ce qui arrive quelquefois. De grace, reservez
+donc la morphine pour les cas exceptionnels de souffrance, et n'en
+confiez pas l'administration a une garde, si bien intentionnee et si
+intelligente que vous la supposiez; vos malades n'en seront que plus
+vite gueris!
+
+[Note 8: J'ai traite plus longuement ce sujet dans le _Bulletin de
+la Societe Therapeutique_, novembre 1905.]
+
+Ou bien encore cette habitude de purger les malades, deux ou trois jours
+apres l'operation, de leur donner des lavements, alors qu'ils auraient
+tant besoin de repos! La constipation n'est-elle donc pas un symptome,
+une manifestation, presque inevitable, de l'ebranlement du systeme
+nerveux provoque par le choc operatoire? Laissez le systeme nerveux
+reprendre son equilibre, et la constipation disparaitra d'elle-meme,
+quand l'opere, sollicite par son appetit spontanement renaissant,
+recommencera a manger.
+
+Et ne croyez pas que ce soit la de la theorie, une simple vue de
+l'esprit d'un reveur qui n'a pas vu d'operes! La demonstration a ete
+faite pour moi, d'une facon decisive, comme dans une experience de
+laboratoire. Quand j'etais au Val-de-Grace, le professeur Delorme a bien
+voulu m'associer aux longues recherches qu'il a faites pour provoquer la
+constipation chez ses operes. Or, de tatonnements en tatonnements, il en
+etait arrive a constiper tous les hommes ayant a subir des operations
+dans les regions abdominales, inguinales et crurales; il evitait ainsi
+la souillure, et, par consequent, le renouvellement des pansements. Et
+ce n'etait pas une constipation de deux ou trois jours qu'il provoquait,
+mais bien de douze ou quinze jours. Chez un malade de mon service, opere
+par lui pour une cure radicale d'hemorroides, la constipation a ete
+entretenue pendant dix-huit jours. J'ai demande recemment a M.
+Delorme s'il etait toujours fidele a cette pratique; il m'a repondu
+affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi une statistique de
+laquelle il resulte que, depuis le jour ou il m'avait convie a assister
+a ses premiers essais, en 1889, il avait opere, apres constipation
+provoquee, tant au Val-de-Grace qu'a l'hopital de Vincennes, 1600 cures
+radicales de hernies, 50 cures radicales d'hemorroides, 500
+varicoceles, 30 castrations, 500 operations variees de la sphere
+inguino-genito-perineo-fessiere, enfin qu'il avait constipe
+methodiquement 15 hommes atteints de fractures de la cuisse, pour que
+leurs appareils contentifs ne fussent pas souilles.
+
+C'est une partie de ces faits que M. Delorme a brillamment exposes a la
+Societe de Chirurgie, en 1892. Il y a presente une serie de 160 courbes
+thermiques, demontrant que la temperature n'a pas monte au-dessus de la
+normale, pendant toute la duree de la constipation, et que, meme, elle
+a souvent ete abaissee un peu au-dessous de la normale (90 fois sur ces
+160 observations). Dans quatre cas seulement, elle a depasse la normale,
+mais c'etait par le fait de "maladies" accidentelles: intoxication
+iodoformee, rhumatisme aigu, congestion pulmonaire (deux fois). Chez 110
+operes de cures radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans la
+moindre importance. Elles disparaissaient apres l'emission spontanee de
+gaz. La langue, saburrale les premiers jours, reprenait bientot l'aspect
+normal; l'appetit etait conserve chez la majeure partie des constipes.
+Des le troisieme jour, on leur donnait a manger des potages, des oeufs,
+de la viande blanche, du vin, en evitant que les aliments capables de
+donner des dechets. Le sommeil restait bon, le caractere ne laissait
+voir aucune modification, la soif n'etait pas excessive, et les analyses
+d'urines, faites par le professeur Burcker, ont demontre que l'economie
+ne subissait, du fait de la constipation provoquee, aucune influence
+nefaste. La premiere selle etait, parfois, facile et spontanee; d'autres
+fois elle etait penible; c'est ainsi qu'un malade ne put aller a la
+garde-robe que le vingt-deuxieme jour. En vain avait-on essaye sur lui
+les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; ce n'est que quand on
+le fit marcher qu'il parvint a aller a la selle. Les selles suivantes
+etaient habituellement aisees, et les fonctions de l'intestin
+reprenaient leur regularite. "Ma communication, ajoutait M. Delorme,
+pourrait avoir plus qu'un interet clinique, etant donnee les theories
+qui ont cours sur l'importance et la frequence des intoxications
+intestinales. Mais je desire rester exclusivement sur le terrain de la
+pratique, et je conclurai en disant que, chez les hommes adultes et
+sains surpris par un traumatisme chirurgical qui doit guerir par
+premiere intention, la constipation, provoquee pendant huit a quinze
+jours, n'a pas les inconvenients qu'on lui attribue generalement."
+
+Je ne dirai pas par quels procedes M. Delorme est arrive a obtenir ces
+constipations prolongees, si peu nuisibles aux operes: car ce serait
+sortir de mon sujet; mais ce qui resulte de cette trop longue
+digression, c'est que la constipation de quelques jours, survenant
+d'elle-meme et presque fatalement chez les operes, quels qu'ils soient,
+ne doit pas preoccuper les chirurgiens, ni les entrainer a imposer
+a leurs operes des purgations qui, fatiguant leur systeme nerveux
+abdominal, ont forcement un retentissement sur leur systeme nerveux
+central, et contribuent a en faire des malades, alors qu'au debut ils
+n'etaient que des blesses, ou bien a aggraver leur "maladie", quand ils
+etaient deja des malades avant l'operation.
+
+Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs affirment que la
+constipation est l'ennemi des femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose
+pas m'inscrire en faux contre cette opinion generale: mais peut-etre
+serait-elle, comme tant d'autres affirmations, passible d'un proces en
+revision.
+
+
+III.--CAUSES ACCIDENTELLES
+
+
+Nous venons d'enumerer les principales causes d'ordre psychique qui
+amenent la decheance, totale ou progressive, du capital vital de l'homme
+ou de la femme adultes. Ce sont elles qui, combinees ou non aux
+autres influences nefastes (surmenage cerebral, surmenage musculaire,
+alimentation defectueuse, etc.), provoquent le plus souvent la
+"maladie".
+
+Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier age, comme chez
+l'adolescent, la "maladie", chez l'adulte, est provoquee par une
+affection aigue qui le frappe en pleine sante: telle la fievre typhoide,
+qui, veritable intoxication, surprend l'adulte dans le cours d'un etat
+d'equilibre irreprochable, et qui, chose curieuse, parait etre d'autant
+plus grave que le sujet etait plus robuste.
+
+La fievre typhoide, dis-je, peut parfois provoquer la "maladie".
+Ainsi, je connais un homme de quarante-huit ans, qui a vu sa sante
+irremediablement ebranlee a la suite d'une fievre typhoide survenue a
+l'age de vingt ans. Mais le cas est rare; souvent, au contraire, on
+observe qu'une fievre typhoide, survenant chez un individu malingre, lui
+donne une sante, pour la suite, qu'il ne se connaissait pas jusqu'alors.
+Est-ce parce que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que la diete
+imposee par la fievre typhoide a remis l'organe en etat? Est-ce parce
+que, jusqu'alors, il se soumettait a un exercice trop vigoureux pour ses
+forces, et que la fievre typhoide, en lui imposant le repos, a rectifie
+ses erreurs d'hygiene musculaire? Est-ce enfin parce que la fievre,
+en brulant ce que les anciens appelaient ses "humeurs peccantes", l'a
+debarrasse de ses produits d'auto-intoxication anterieurs a l'affection
+aigue? A vrai dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne pouvons que
+constater le fait. Trop heureux serait celui qui pourrait connaitre les
+causes de tous les phenomenes de la vie!
+
+Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, pneumonies,
+etc., dans quelle mesure creent-elles, de toutes pieces, la "maladie"?
+Nous pensons qu'elles ne la creent jamais, et qu'elles ne font que
+l'aggraver: car, toujours la "maladie" preexistait. Pour contracter
+un rhumatisme, une pneumonie, une angine, il faut deja que le systeme
+nerveux se trouve dans un etat d'inferiorite, soit definitif, soit
+momentane. La premiere condition pour ne pas prendre les "maladies",
+c'est de se bien porter.
+
+Mais il n'en est pas moins certain que l'affection accidentelle, en
+intervenant, imprime a la "maladie" un essor plus ou moins vigoureux,
+suivant l'importance de la cause pathogene accidentelle, et aussi
+suivant la valeur prealable du sujet.
+
+De toutes les affections accidentelles, celle qui est le plus
+remarquable, a cet egard, est la grippe. La decheance post grippale est
+tres frequente, et parfois d'une longueur invraisemblable. On met des
+annees, souvent, a se remettre d'une mauvaise grippe. Et cet ennemi est
+d'autant plus dangereux que, loin de creer l'immunite, il a une tendance
+a revenir a la charge; or, dans le cours de la "maladie", chaque
+atteinte de grippe fait faire un pas en arriere, et compromet les
+resultats peniblement acquis. La grippe est l'ennemie personnelle des
+sujets a capital defectueux, quelle que soit, bien entendu, la forme
+symptomatique de leur "maladie".
+
+C'est aussi dans la periode que nous etudions que se manifeste
+dangereusement la syphilis contractee a vingt ans, et insuffisamment
+soignee; elle se traduit, maintenant, par de l'anevrisme de l'aorte, des
+lesions du muscle cardiaque, de la nephrite dont personne ne soupconne
+la cause, des ictus cerebraux, et toutes les manifestations de la
+syphilis tertiaire. Elle cree de toutes pieces l'ataxie locomotrice et
+la paralysie generale, ou du moins elle predispose singulierement
+le terrain a l'apparition de ces cruelles "maladies", d'evolution
+fatalement progressive. On commence a connaitre ses mefaits, dans le
+monde des assurances, et a savoir que la syphilis n'est pas un brevet de
+longue vie! D'un travail statistique fait par le Dr Rungberg pour une
+Compagnie d'assurances, il resulte que l'age moyen de la mort des
+syphilitiques assures a cette Compagnie a ete de quarante-trois ans et
+quatre mois, et que, au point de vue des causes de mort, la syphilis
+vient immediatement apres la tuberculose.
+
+
+IV.--INFLUENCES MORBIGENES SPECIALES A LA FEMME
+
+
+Toutes les considerations que nous venons d'exposer peuvent s'appliquer
+egalement a l'un et a l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste
+privilege de pouvoir etre frappee par des influences morbigenes qui
+n'atteignent pas le sexe masculin, et qui meritent d'etre etudiees a
+part.
+
+La menstruation joue, dans la vie de la femme, un role de premier ordre.
+Chez la femme tres bien portante, son influence est a peine perceptible,
+mais chez la femme deja malade son influence est des plus nettes; chez
+l'alienee, en particulier, on observe d'une facon constante, quelques
+jours avant les regles, une aggravation du delire; et, chez l'alienee
+qui semble guerie, on ne doit prononcer le mot de guerison que quand
+deux periodes menstruelles se sont passees sans accident. Nous disons
+a dessein _deux_ periodes: car si, chez les grandes nevrosees, les
+troubles menstruels sont mensuels, chez les malades moins atteintes ils
+nous ont semble souvent ne survenir que tous les deux mois[9].
+
+[Note 9: Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation
+s'accompagne toujours d'une fievre ardente, se prolongeant deux ou trois
+jours, et bien capable d'egarer le diagnostic.]
+
+Chez la grande neurasthenique qui a encore ses regles correctes, on peut
+affirmer que, douze jours avant l'apparition des regles, les miseres
+nerveuses, abdominales, etc., s'accentuent considerablement, au grand
+desespoir des familles qui, ayant espere la guerison, croient que tout
+est a refaire. Mais il n'en est rien: bientot tout rentre dans l'ordre,
+quelquefois meme pendant les regles, a partir du deuxieme jour, et, le
+plus souvent, immediatement apres la cessation de l'ecoulement. Les
+malades entrent alors dans ce qu'elles appellent leur "bonne semaine".
+
+Le medecin doit connaitre ce detail, et avertir les malades et leurs
+familles de la rechute, qui est inevitable tant que la "maladie" bat son
+plein. Quand les grandes malades n'ont plus leurs regles, ce qui est
+frequent, c'est d'un pronostic assez important; et la reapparition des
+menstrues apres deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs cas,
+indique que la malade entre enfin dans la voie de l'amelioration, alors
+meme qu'elle continue a souffrir.
+
+L'influence de la grossesse est non moins evidente. Nous avons dit
+qu'elle etait quelquefois salutaire, parce que l'uterus developpe
+remplacait la sangle abdominale defectueuse; mais, une fois l'uterus
+revenu a son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu
+plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont repetees, la ptose
+abdominale devient un des principaux elements de la "maladie". C'est
+alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote a air suivant la
+forme du ventre, peut rendre a la malade d'inappreciables services.
+
+Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques.
+Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce
+qu'elles etaient deja desequilibrees anterieurement, c'est parce que
+la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicite
+normale. Si on avait soigne la future ptosique en temps utile, alors
+qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du systeme nerveux, de
+l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle
+n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses
+multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument
+si merveilleux, ne doit, a notre avis, etre considere que comme un moyen
+therapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est regenerer la malade et lui
+permettre de se passer de ceinture.
+
+On y parvient, sauf quand la decheance est trop avancee, par une bonne
+hygiene generale, s'adaptant aux indications fournies par chaque
+individu. Chez les unes, la ptose guerira par l'exercice, chez les
+autres par le repos, chez les unes par une saison a Vichy, chez les
+autres par un regime restreint, chez toutes par la reconstitution du
+systeme nerveux, qui toujours laisse a desirer.
+
+La ceinture abdominale, pour en revenir a elle, ne sera employee que le
+moins de temps possible. Chez les femmes non surmenees musculairement,
+on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit
+par les exercices de plancher de la gymnastique suedoise, soit par la
+pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les
+Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la
+pulsion de l'air, on ne fasse a la fois de la bonne therapeutique
+abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les
+chanteurs et meme toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force
+extraordinaire des muscles droits anterieurs; en se contractant, ils
+repoussent la main qui les comprime[10].
+
+[Note 10: Il serait interessant d'inventer un dynamometre special
+pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce
+dynamometre donnerait des indications tres interessantes sur la valeur
+biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant
+vaut l'individu.]
+
+On voit combien nous sommes eloignes de l'opinion qui attribue a
+la ptose abdominale toutes les miseres des dyspeptiques, des
+neurastheniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme
+a de la ptose et mille miseres variees: une ceinture fait disparaitre
+presque toutes ces miseres, c'est donc, conclut-on que la ptose etait
+l'unique cause? Mais non; c'est toujours la theorie du moindre effort
+appliquee au raisonnement humain. La verite est que la ptose est
+symptomatique, que la ceinture ne guerit pas la malade, ne fait que la
+soulager d'une partie de ses miseres, et qu'il faut deja etre malade
+pour devenir ptosique,--en dehors, bien entendu, des cas ou la
+contention abdominale insuffisante serait due a une eventration.
+
+La ptose peut d'ailleurs n'etre que passagere. Il existe meme des ptoses
+qu'on pourrait appeler aigues, si l'on nous permettait cette expression.
+Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le
+cours d'une bonne sante, a la suite d'un coup de froid, d'une emotion
+violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un
+jour a l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son
+elasticite, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pateux, d'un
+chiffon mouille: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni
+le caecum, ni le colon. On percoit, dans la fosse iliaque, un
+gargouillement dont l'on enseigne a tort qu'il appartient en propre a la
+fievre typhoide: on ne le rencontre dans la fievre typhoide que parce
+qu'on l'y cherche.
+
+Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les
+"maladies" aigues. Il est toujours l'indice d'une sideration du systeme
+nerveux abdominal; et, comme le systeme nerveux abdominal n'est pas
+sans avoir des relations intimes avec le systeme nerveux central,
+l'effondrement en question est toujours l'indice d'un etat de "maladie"
+assez grave. Mais il peut n'etre que passager, durer quinze jours, trois
+semaines; d'autres fois, il dure deux a trois mois, dans certains etats
+subaigus; puis, peu a peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa
+forme, son elasticite, renaitre: c'est le commencement de la guerison.
+
+En meme temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose
+aigue, la sonorite abdominale subit des modifications extremement
+interessantes. Le son devient uniforme, tandis que, a l'etat normal,
+ou des que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes
+differentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne mediane. Le
+plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le cote droit et le
+gauche (octave superieure au cote droit).[11]
+
+[Note 11: Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et
+la percussion, donne les renseignements les plus precieux sur la valeur
+digestive de chacun, et des indications tres nettes sur le regime
+alimentaire qu'il convient d'imposer: regime qui doit varier,
+evidemment, d'un jour a l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les
+sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la
+gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essaye
+d'apprendre cette lecture a ses contemporains. Mais, il ne faut pas se
+le dissimuler, l'exploration abdominale est chose tres difficile; je la
+pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'etre en relations
+scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la
+difficulte de cette etude, en meme temps que j'en apprecie mieux toute
+l'importance.
+
+Laissons d'ailleurs la parole a MM. Sigaud et Vincent, qui resument
+ainsi les donnees de l'exploration abdominale: "Nous ne saurions trop
+affirmer que l'exploration methodique de l'appareil digestif est, pour
+le biologiste, une source de faits inepuisable. Quelle variete de
+renseignements, quelle precision dans l'observation, ne devons-nous pas
+attendre d'un procede a la perfection duquel nous voyons concourir les
+donnees fournies, presque simultanement, par l'ouie, la vue, le toucher?
+Ajouterons-nous que, en raison de la nature speciale cavitaire de son
+tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densite,
+dans sa consistance, sous les influences les plus legeres et les
+plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune
+modification du cote des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou
+renal, nous constatons toujours des signes positifs du cote de la sphere
+gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils
+organiques sont impuissants a objectiver, le tube digestif les
+enregistre avec une fidelite remarquable et une variete de nuances que
+l'on n'a point soupconnee jusqu'ici. Et toutes les modifications de
+forme et de volume, d'elasticite et de resistance du tissu abdominal,
+toutes les variations de sonorite des membranes digestives, ne sauraient
+etre considerees comme des faits de valeur mediocre inutilisable. Elles
+portent en elles-memes un double enseignement: elles traduisent, d'une
+part, les diverses modalites fonctionnelles du tube digestif, d'autre
+part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation
+generale des reactions de l'organisme correspond a ces modalites
+digestives." (_Memoire_ lu a la Societe de Medecine de Gand, 4 avril
+1905.)
+
+Les interessantes etudes de MM. Sigaud et Vincent auraient encore a
+etre completees par l'etude de l'auscultation abdominale; c'est la un
+chapitre de semeiologie qui est tout entier a faire, et que je ne puis
+qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stethoscope,
+ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une
+valeur insoupconnee jusqu'a ce jour.]
+
+Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service
+momentane qui n'est pas a dedaigner. Elle les soulage: mais ce qui les
+guerit, quand il leur reste encore assez d'energie vitale, c'est un
+regime approprie, et du repos ou un exercice gradue, suivant les cas. Le
+regime devra etre celui qui donne le moins a travailler a l'estomac et
+a l'intestin sideres; il devra donc etre liquide ou semi-liquide. Les
+prises alimentaires devront etre frequentes,--tres frequentes, dans
+l'etat aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en
+eprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est
+le meilleur des agents therapeutiques. Quand le ventre commence a se
+ressaisir, le regime devra etre plus substantiel: potages epais, purees
+legeres prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait
+un nouveau progres, alimentation plus dense et moins frequente (six
+repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purees
+epaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque
+normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque egaux, dont un
+avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passe, quand le
+ventre a retrouve sa souplesse, son elasticite et sa tension, alors
+seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit etre
+assez copieux (cafe noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, compose
+en general de trois articles: 1 deg. macaroni, ou puree, ou pommes de terre
+en robe de chambre; 2 deg. viande non saignante; 3 deg. fromage, peu de pain,
+pas encore de vin, un verre de liquide a la fin du repas; enfin le repas
+du soir, plus leger, comprenant aussi trois articles: 1 deg. potage epais;
+2 deg. oeufs ou poisson; 3 deg. fruits cuits.
+
+Telles sont les grandes lignes de la dietetique des etats aigus ou
+subaigus. En meme temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'etat
+aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une
+chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les
+malades au lit; puis, jusqu'a guerison complete, repos horizontal apres
+les repas; et toujours beaucoup de sommeil, meme diurne, le sommeil
+diurne etant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, a
+l'inverse de ce que l'on croit ordinairement.
+
+On comprend combien, dans cet etat d'equilibre instable, une violente
+perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit
+par une alimentation trop hative, peut etre defavorable au malade.
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+PSYCHOTHERAPIE
+
+
+
+Nous avons, maintenant, suffisamment indique, les causes diverses qui
+produisent la "maladie". Mais cette etude meme n'a fait encore que mieux
+nous montrer le role preponderant que joue, dans l'origine comme dans
+l'evolution de la "maladie", l'ebranlement du systeme nerveux. Et de la
+resulte l'importance, egalement preponderante, d'une medication
+destinee a remonter le systeme nerveux: medication dont un des elements
+essentiels est cette "psychotherapie" qui, depuis quelque temps, a
+commence a preoccuper vivement le monde medical, sans qu'on soit encore
+parvenu a en fixer exactement le domaine et l'application.
+
+A en croire un certain nombre de nos confreres, francais et surtout
+etrangers, le psychotherapie serait simplement destinee a remplacer
+toute therapeutique. L'imagination, d'apres ces savants, jouerait dans
+la production et le developpement des "maladies" un role si enorme,
+qu'il suffirait de decouvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux
+malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitot la sante. La
+psychotherapie consisterait donc a etudier, a ce point de vue, l'etat
+d'esprit de chaque malade, de facon a pouvoir suffisamment s'emparer de
+sa confiance pour lui ordonner de se croire gueri. Mais les plus recents
+defenseurs de cette doctrine avouent eux-memes que les moyens de
+persuasion sont, jusqu'ici, tres difficiles a trouver; et je dois dire,
+quant a moi, qu'une conception aussi simpliste de la therapeutique me
+parait, jusqu'a nouvel ordre, quelque peu fantaisiste.
+
+Oui certes, la preoccupation de l'etat d'esprit des malades, et de ce
+qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle
+n'en tenait, hier encore, dans la medecine officielle. Mais j'estime
+que la psychotherapie peut faire mieux que d'imposer aux malades
+l'illusion,--toujours bien breve et bien fragile,--de se bien porter:
+elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus precieux de
+la guerison.
+
+Etant donnee l'idee que nous nous faisons de l'origine nerveuse de
+la "maladie", voici, a notre avis, la meilleure definition de la
+psychotherapie: "C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par
+lesquels on ameliore ou on reconstitue le capital nerveux." Son action
+s'etend: 1 deg. a toutes les deviations mentales; 2 deg. a un grand nombre de
+troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie,
+etc., l'incontinence d'urine, etc.
+
+Quant a ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilite de l'etude,
+etre divises en deux grandes categories:
+
+1 deg. Moyens par lesquels on diminue les depenses;
+
+2 deg. Moyens par lesquels on augmente les recettes.
+
+
+I
+
+MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DEPENSES
+
+
+Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le
+savoir; il faut leur apprendre a l'economiser, leur demontrer combien
+est fatigante, pour le systeme nerveux, l'hesitation perpetuelle,
+leur enseigner l'utilite qu'il y a a savoir prendre un parti dans
+les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti
+mediocre immediat qu'un parti plus sage apres hesitation. Or, pour
+savoir vite prendre parti et s'epargner la peine de remettre en
+discussion tous les motifs et mobiles qui doivent determiner l'acte a
+accomplir, il y a un procede tres recommandable, qui consiste simplement
+a adopter des principes, et a se dire: "Dans telle circonstance, je
+ferai ceci, dans telle autre je ferai cela"; et puis, une fois le
+principe adopte, a y rester fidele,--sans cependant en devenir esclave.
+Car il ne faut pas que l'entetement remplace l'hesitation, que l'ocean
+devienne terre ferme. Un petit moyen pratique a recommander aux
+hesitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire
+dans la journee et les jours suivants, puis, une fois la chose ecrite,
+d'executer ponctuellement ce qui aura ete arrete. La volonte parvient
+ainsi, peu a peu, a se discipliner, en meme temps qu'on s'evite des
+pertes considerables d'influx nerveux.
+
+D'une facon generale, il faut inspirer aux malades le respect du temps,
+leur faire comprendre que le temps, c'est l'etoffe dont la vie est
+faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est
+par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de
+choses utiles avec un minimum de depense. S'ils parviennent a comprendre
+cette verite, ils trouveront eux-memes, peu a peu, un _modus vivendi_,
+qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des economies de depense
+nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes _d'ordre_, de
+tout regler dans leur vie,--les heures du lever, du coucher, des repas,
+etc.,--de donner a chaque chose, a chaque preoccupation, la place et
+l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur
+epargner les depenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente
+psychotherapie.
+
+Appliquons ces idees generales a un cas particulier. Voici une jeune
+fille atteinte de ce qu'on appelle la "folie du doute"; des son lever,
+elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et
+finira par reprendre la premiere; elle passera deux heures a faire sa
+toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se
+laver les mains; et toute sa journee se passera ainsi dans un etat vague
+d'anxiete. Le soir, la situation est plus penible encore: la malade ne
+parvient pas a se coucher, elle met deux heures pour se deshabiller,
+s'interrompant a tout instant pour confier a un petit cahier une foule
+d'idees qui ont torture son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps.
+On dirait qu'elle cherche a les fixer en les ecrivant. J'ai chez moi
+plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspires par
+ce meme esprit. Or, cette agitation sterile, continue, occasionne une
+depense cerebrale enorme. Si l'on veut bien etudier une malade de ce
+genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tete, mais que tout
+est malade chez elle. Elle digere mal, elle est amaigrie, elle a
+des urines rares et chargees alternant avec des urines claires et
+abondantes. Elle est mal reglee, etc.
+
+Il lui faut donc, avant tout, un traitement general; dont nous
+indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un
+traitement psychotherapique.--Et lequel? La premiere chose est de lui
+dire combien cette maniere de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de
+peine a le lui faire admettre, elle le sait tres bien; le preuve,
+c'est qu'elle cache son infirmite avec le plus grand soin a tout son
+entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette depense nerveuse,
+si sterile, la fatigue, et entretient ou cause sa "maladie" physique.
+Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au
+lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans
+un sens determine. A l'une, on fera apprendre une langue etrangere, a
+l'autre on proposera une autre occupation, non moins precise. Le
+medecin s'inspirera d'une foule de considerations d'ordre secondaire;
+l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la
+volonte et d'eviter a la malade les pertes nerveuses, par une bonne
+orientation de son activite. Nous avons pris la, a dessein, un cas des
+plus difficiles a guerir: et cependant nous affirmons que la guerison
+y est possible, quand, a la psychotherapie, on joint un traitement
+somatique convenable et suffisamment prolonge.
+
+Dans la manie aigue, ou certaines phases de la paralysie generale, dans
+tous les cas de delire aigu occasionnes par les "maladies" infectieuses,
+l'influx nerveux subit des depenses colossales; les fuites se font de
+toutes parts. La pensee est si rapide, chez le maniaque, que l'alieniste
+experimente ne parvient pas a la suivre. Les associations d'idees se
+font avec une telle rapidite que le malade n'a pas le temps de les
+exprimer, et, quelle que soit sa volubilite, sa langue n'a pas un debit
+egal a celui de son cerveau. La psychotherapie peut-elle etre utile a
+des malades de ce genre? Oui, mais, a vrai dire, son role est alors
+negatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas
+s'acharner a discuter avec le malade, a rectifier ses appreciations; il
+faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner a eviter au malade
+toute cause d'excitation prochaine ou eloignee. Il faut se rappeler,
+surtout, qu'une fois l'orage passe, on aura longtemps encore a user
+d'extremes precautions, et a menager le cerveau fragile.
+
+Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'etre disseminee, est limitee a un
+point fixe, la psychotherapie intervient d'une facon plus active. Voici
+un homme en proie a une obsession: une idee a envahi son cerveau, il y
+pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensees
+ont pour pivot l'idee maitresse, il en parle a tous ceux qu'il estime
+pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne
+trouvant pas de solution, il s'epuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de
+boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser a ce qui
+le preoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer
+inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les
+plus amples details, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci
+fait, pour acquerir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre
+d'en parler, et, en echange, il faut lui trouver des derivatifs. De meme
+que, dans une hemorragie pulmonaire, le medecin bien avise fait une
+saignee generale, qui arrete l'hemorragie, de meme le psychotherapeute
+ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idee obsedante, mais faire
+naitre des courants d'idees derivatifs; en d'autres termes, remplacer
+une idee morbide par une serie d'idees saines. C'est la psychotherapie
+_derivative_.
+
+Un autre moyen d'economiser les fuites nerveuses, moyen a employer dans
+les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du
+fait acquis, en d'autres termes la resignation; c'est la psychotherapie
+_sedative_. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se
+cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent
+la "maladie", de se nourrir de son chagrin, de se rememorer les causes
+morales qui l'ont amene; et il s'evitera une fatigue nerveuse enorme.
+Cette passivite produira sur lui l'effet sedatif d'une sorte de sommeil
+de la cellule nerveuse.
+
+Quand la resignation, au lieu d'etre pour ainsi dire passive, est un
+acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberte,
+sans restrictions, sans protestations, ses miseres, pour les offrir
+dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la
+passivite, et deja elle rentre dans la deuxieme categorie des moyens
+psychotherapiques. L'etude de cette resignation active va donc nous
+servir de transition toute naturelle.
+
+La resignation ainsi comprise est un acte. Repeter plusieurs fois par
+jour qu'on se resigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de
+volonte; et encourager le malade a accomplir cet acte de volonte, c'est
+faire de l'excellente psychotherapie _reconstituante_. Malheureusement,
+cette resignation active est a la portee de peu d'inities. Elle suppose
+toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarite humaine,
+de la reversibilite des merites et des souffrances, en un mot la
+doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce
+a titre exceptionnel que les ressources de la resignation active peuvent
+etre employees.
+
+Mais, dira-t-on, quel peut etre le role du medecin en face d'un malade
+qui va jusqu'a voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, _a
+priori_, que le medecin n'a qu'a disparaitre; en fait, il n'en est rien.
+Le medecin doit rester a son poste; et tout en encourageant le malade
+dans cette voie, en fortifiant sa volonte, il doit l'exhorter a ne pas
+negliger les moyens therapeutiques que reclame son etat. Car enfin le
+resigne actif ne commet pas une erreur de logique en desirant guerir
+et en acceptant les soins medicaux. S'il fait bien de se resigner a la
+souffrance lorsque celle-ci est inevitable, il est tenu, au contraire,
+de se resigner aussi a ce que veut pour lui la nature, c'est-a-dire a ne
+rien omettre pour reconquerir, avec la sante, la possibilite d'une vie
+plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le resigne
+actif est d'ordinaire le plus obeissant, le plus stable des malades, le
+plus reconnaissant pour les soins medicaux qui lui sont donnes; c'est le
+malade de choix.
+
+
+II
+
+MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES
+
+
+La deuxieme categorie des moyens psychotherapiques comprend, comme nous
+l'avons dit, ceux qui ont pour but d'ameliorer la part subsistante du
+capital nerveux. On peut parvenir a ce resultat de deux facons:
+
+1 deg. En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante
+gymnastique de la volonte. (L'homme ne vaut que par sa volonte: donc
+discipliner, fortifier, renforcer sa volonte, c'est lui rendre le plus
+grand des services.)
+
+2 deg. En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux etranger.
+
+Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci
+devient le collaborateur du medecin, dont le role se borne a indiquer
+les procedes de gymnastique de la volonte et a surveiller l'application.
+
+Dans le deuxieme cas, une volonte etrangere vient en aide a la volonte
+defaillante, ou insuffisante, du patient.
+
+1 deg. _Gymnastique de la volonte_.--Il y a des procedes d'education de la
+volonte,--cette faculte, comme la memoire, comme l'attention, etant
+susceptible d'etre amelioree par une bonne gymnastique. Le principe
+general, dans cette education, c'est de proceder lentement, de ne pas
+demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de
+lui demander, au debut, un tout petit effort, qui sera augmente tous
+les jours. Ainsi nous invitons nos malades a faire trois fois, tous les
+matins, trois mouvements determines des bras, puis six, puis douze,
+puis d'en faire autant avec les membres inferieurs. En ordonnant ces
+exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique
+musculaire elle-meme que sur l'effort de volonte que nous obtenons du
+malade, avec son libre consentement. Dans le meme esprit, nous envoyons
+certains de nos malades faire une gymnastique speciale, tous les jours,
+par tous les temps, a l'extremite de Paris, aussitot qu'ils peuvent
+supporter la fatigue d'un deplacement quotidien. La, nous leur faisons
+faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien
+gradue d'apres des regles precises, regularise la circulation du sang,
+les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en
+particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par consequent,
+l'acte respiratoire. Grace a cette gymnastique, on arrive, au bout d'un
+mois, a faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient
+pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher[12].
+
+[Note 12: Ajoutons que cette course ne provoque jamais
+d'essoufflement le principe de la methode etant, avant tout, d'eviter
+l'essoufflement par une progression sage et bien reglee dans la longueur
+et la rapidite du pas. La methode dont nous parlons a ete instituee par
+notre regrette ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des etudes
+tres serieuses, theoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant
+toute la duree de sa carriere militaire. Ce n'est pas le lieu de parler
+avec detail de cette methode d'entrainement; disons seulement qu'on ne
+se fait pas une idee, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur
+dans la progression a imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas
+gymnastique de l'armee ne doit etre atteinte, chez l'homme meme bien
+portant, qu'apres quinze minutes de course progressivement plus rapide.
+C'est comme cela que l'on arrive a obtenir le rendement maximum, et que
+le pas gymnastique peut etre prolonge tres longtemps sans fatigue.
+De meme, avant d'arriver a la vitesse de six kilometres a l'heure,
+c'est-a-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes
+de course en progression. Si, a cette prudence dans la progression, on
+joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui
+apprendre a respirer, on lui evite l'essoufflement. Mais si le coureur
+n'est pas essouffle, par contre il est envahi, au bout de vingt a trente
+minutes, d'une transpiration enorme, telle que la course en flexion a
+pour complement indispensable, soit une friction seche avec changement
+de linge, soit, mieux encore, une douche tiede. Cette necessite de la
+douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et,
+par parenthese, l'interdit a l'armee, pour laquelle, dans l'esprit du
+commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquee. Nos malades, au
+contraire, trouvent toute facilite pour prendre la douche terminale,
+puisque la course a lieu dans le jardin attenant a la maison
+d'hydrotherapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis a notre disposition
+par le Dr Oberthur, directeur de l'etablissement.
+
+Nul doute que cet exercice musculaire tres gradue, sous la direction de
+moniteurs competents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinee,
+ne soient des facteurs importants dans l'excellent resultat total que
+j'obtiens de ce que j'ai appele la _dromotherapie_; mais j'estime qu'une
+grande part du resultat utile revient a cette gymnastique de la volonte
+que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous
+les jours a ses progres, il eprouve un vague sentiment de contentement
+a la pensee qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulte nouvelle.
+Dut-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant a un malade la
+course en flexion, fait-on surtout de la psychotherapie: psychotherapie
+par exercice de la volonte, et aussi psychotherapie derivative,
+puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient
+vraiment une recreation, apres les trois ou quatre premiers jours.]
+
+Le Dr Lagrange a tres justement insiste sur l'utilite de l'attrait dans
+l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de
+la _gymnastique respiratoire_. Cet exercice est souverainement ennuyeux,
+et c'est chose rare que nos malades les plus obeissants le continuent
+regulierement plus de deux mois; mais c'est precisement pourquoi il est,
+pour le psychotherapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un
+effort enorme de volonte. Aussi, a ce titre meme, ne saurions-nous trop
+le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur
+la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse
+de faire disparaitre ces rougeurs emotives, si desagreables a certains
+neurastheniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez
+les timides, car les personnes hardies et decidees leur payent aussi
+leur tribut. Quand cette infirmite arrive a provoquer l'obsession de la
+rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et merite
+l'attention du clinicien, d'ailleurs desarme s'il n'emploie que les
+moyens classiques. Or, si l'on etudie de pres ce symptome, on voit qu'il
+s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et
+quelquefois de sensations precordiales; et c'est, sans doute, parce que
+l'exercice en question regularise la respiration, qu'il est le meilleur
+traitement de la rougeur emotive. En tout cas, le fait est certain,
+je l'ai plusieurs fois observe. Mais comme ces exercices sont, je le
+repete, extremement desagreables, il faut savoir les graduer de facon
+a ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister a ses propres
+progres. On arrive ainsi, peu a peu, a faire faire au malade des
+mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et
+soir. On ne saurait croire l'effet utile, a divers titres, de cette
+gymnastique methodique, telle que les Suedois l'enseignent, c'est-a-dire
+faite d'apres les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand
+elle est enseignee, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal
+instruits, elle trouble les phenomenes de la circulation, et peut meme
+amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant,
+mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la
+therapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil
+qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire.
+Aux malades qui n'ont pas l'energie de la faire simplement dans leur
+chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts
+mecanotherapiques.
+
+On peut exercer la volonte du malade, et, par consequent, la fortifier,
+par mille autres moyens, qui seront inspires par les diverses conditions
+de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire
+faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer
+les progres, et surtout un travail qui ne demande pas une depense, soit
+cerebrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un cote
+ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le role du
+psychotherapeute doit prendre fin a un moment donne, quand le malade a
+reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres
+ailes. On doit alors l'abandonner a lui-meme, mais non pas brusquement:
+il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le medecin imite
+le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son
+eleve, puis l'abandonne momentanement, sans qu'il s'en doute; l'eleve
+confiant continue a pedaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment ou il
+est assez sur de lui-meme pour aller tout seul. Si le professeur le
+soutenait indefiniment, l'eleve ne ferait pas de progres.
+
+2 deg. _Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux
+insuffisant_.--Dans les cas ou la volonte est tellement defaillante que
+l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le medecin peut essayer de
+fournir a son malade un apport etranger d'influx nerveux: il y arrive
+par le procede de l'hypnose. Rien ne m'otera la conviction que, dans
+l'hypnose, il y a une "influence" de l'hypnotiseur sur son sujet,
+"influence" etant compris dans son sens etymologique (_fluere_, couler).
+L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de
+lui-meme; il a une action personnelle; et les medecins qui pretendent
+le contraire, qui disent que les passes peuvent etre remplacees par le
+braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule
+ou mobile comme un miroir a alouettes, ne me paraissent pas etre dans la
+verite.
+
+L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus
+varies; non seulement il peut rectifier des idees erronees, faire
+disparaitre les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit
+encore pour ramener chez le malade la quietude de l'esprit, la confiance
+en soi-meme.
+
+Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus
+facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de
+faire disparaitre des troubles dyspeptiques, nevralgiques, d'arreter des
+vomissements, des metrorragies, de faire revenir les regles, le sommeil
+naturel, de regulariser les selles, etc.
+
+Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir
+l'influence hypnotique, et que, precisement, ceux qui en auraient le
+plus besoin se trouvent etre refractaires; ainsi les alienes, les
+hallucines, les grandes hysteriques, les malades atteints de delire
+systematise, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est
+d'autant plus difficile a obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi,
+chez les alienes, nous avons vu notre excellent maitre le Dr A. Voisin
+s'acharner pendant des heures entieres sans obtenir le moindre effet;
+mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il reussissait! Nous
+connaissons pour notre part de grands nerveux qui, tres desireux de
+pouvoir etre endormis, sont alles, sur notre conseil, consulter tels ou
+tels confreres renommes pour leur habilete ou leur connaissance speciale
+de l'hypnotisme, et toujours avec un insucces complet.
+
+C'est la une premiere raison qui restreint grandement l'emploi de
+l'hypnose. Une deuxieme raison qui doit le limiter, c'est que, quand
+on emploie l'hypnotisme, on risque de se discrediter, dans l'esprit du
+malade, si on ne reussit pas du premier coup, et alors on le prive du
+secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse
+manoeuvre, perdu irremediablement sa confiance. Mais il existe des
+procedes permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable,
+de facon qu'on puisse ne marcher qu'a coup sur, et laisser de cote, sans
+en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables.
+
+Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que
+celle-ci, quand elle reussit, risque de devenir un moyen therapeutique
+trop actif. Meme avec la plus grande prudence, on ne parvient pas
+toujours a en graduer les effets, et le medecin s'empare souvent par
+trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien
+faire sans son conseil.
+
+J'ai connu un ingenieur des chemins de fer, renomme pour sa severite a
+l'egard des inferieurs, et nevropathe de grande marque. Son medecin crut
+bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard,
+que c'etait un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil
+hypnotique, le medecin lui intima l'ordre d'avoir, a l'egard de ses
+inferieurs, plus de bienveillance; et voici que, des le lendemain, les
+procedes de cet homme a l'egard de ces inferieurs se firent tellement
+bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risee de ses
+subordonnes eux-memes, et un sujet d'etonnement pour ses chefs. Il ne
+parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarite humaine.
+On le crut fou; il ne l'etait pas, mais il etait devenu tellement
+different de lui-meme qu'il fallait aviser. Le medecin, averti de ce
+changement a vue, s'efforca, en plusieurs conversations, de moderer le
+zele charitable du neophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait
+avec lui les theories socialistes, et serait devenu le pire des
+utopistes. Il fallut une nouvelle seance d'hypnose pour attenuer, au
+point voulu, les effets de la suggestion premiere.
+
+Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant
+demander pourquoi l'ingenieur ne se sert pas de dynamite pour faire
+sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe a un cheval qui
+ne demande qu'a se laisser conduire? Reservons donc le mors arabe pour
+les cas ou l'animal est indocile, indomptable, et retif!
+
+Ajoutons que, une fois produit l'effet a obtenir, le medecin doit cesser
+de recourir a l'hypnose, sous peine de compromettre le resultat final.
+Une fois le blesse remis en selle, on doit lui rendre la direction de
+sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensee, je prendrai la
+comparaison suivante: l'hypnose est a la defaillance du systeme nerveux
+ce que l'opotherapie thyroidienne est a l'insuffisance fonctionnelle
+du corps thyroide, ce que l'opotherapie hepatique est a l'insuffisance
+fonctionnelle du foie. Or, de meme que le medecin qui s'est servi
+de foie de porc pour remettre en etat un hepatique, ne continue pas
+indefiniment l'emploi du foie de porc, de meme le psychotherapeute doit
+cesser l'emploi de l'hypnose des qu'il a obtenu le resultat voulu,
+c'est-a-dire des qu'il a remis le malade en assez bon etat pour pouvoir
+compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort
+personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq seances
+suffisent, dans la majorite des cas.
+
+Toutes ces considerations expliquent la rarete des cas ou l'hypnotisme
+est a conseiller. Mais quant a dire, comme le font les adversaires
+irreconciliables de la therapeutique par l'hypnose, que quelques seances
+amenent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que
+l'hypnotisme "dissocie la personnalite normale du sujet" (Grasset),
+"aboutit a la ruine deplus en plus complete de ce moi qu'on voudrait
+sauver" (Duprat), c'est tout simplement enoncer une erreur. L'hypnotisme
+bien manie n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le
+service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque
+d'hysterie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de
+l'hypnotisme ont quelque chose de degradant pour la dignite humaine,
+parce que le medecin qui impose sa volonte au malade porte atteinte au
+dogme de la liberte, c'est enoncer une erreur non moins absolue, la
+suggestion hypnotique n'etant pas autre chose que la suggestion a l'etat
+de veille poussee a sa deuxieme puissance; a ce compte, on n'aurait
+plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de
+l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discreditent le medecin, c'est
+affirmer une verite, mais qui ne nous toucherait en rien, car le medecin
+n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le repetons, sa
+conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procedes
+hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades
+qu'avec leur assentiment formel, et en presence d'un tiers representant
+la famille.
+
+Ajoutons enfin que le medecin _seul_ doit avoir recours a ce procede
+therapeutique; et que ce medecin doit agir uniquement pour le bien du
+malade, sans la moindre preoccupation etrangere, voire meme sans aucune
+preoccupation scientifique.
+
+_Conseils pratiques pour l'application des procedes
+psychotherapiques._--Nous venons de passer en revue les moyens
+psychotherapiques par lesquels on peut ameliorer le capital nerveux d'un
+malade. Mais un apercu theorique ne suffirait pas au praticien voulant
+employer la psychotherapie; il semble donc utile de le completer par des
+considerations d'ordre tout a fait pratique, clinique, suggerees par une
+experience personnelle.
+
+1 deg. Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire
+de la bonne psychotherapie, il faut soigner le malade non seulement avec
+toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le medecin qui
+ne ferait que de la psychologie, demontant curieusement piece a piece
+tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est
+defectueux, sans se preoccuper avant tout d'etre utile, ne ferait pas de
+bonne psychotherapie. Il lui faut etre bon mecanicien, bon psychologue,
+c'est entendu; mais surtout il lui faut etre un homme charitable. Je
+sais que le mot "charite" sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle
+plus que d'altruisme, de solidarite, etc. Le mot "charite" pourra
+disparaitre du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses
+soi-disant synonymes; mais la charite restera toujours au fond du coeur
+de l'homme, et sera, comme par le passe, l'inspiratrice des actions
+genereuses et veritablement utiles.
+
+2 deg. Encore n'est-ce pas assez que le medecin aime son malade. S'il veut
+avoir sur lui une autorite morale effective, il faut en outre qu'il ne
+soit pas presse: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il
+ne le soit pas en realite. Savoir se donner tout entier a l'affaire
+presente est la premiere condition du succes, en psychotherapie. Il faut
+que, des la premiere entrevue, s'etablisse entre le malade et le medecin
+un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'etablir que si le
+malade sent que le medecin s'interesse profondement a lui, et ne lui
+menage pas son temps. La premiere consultation, surtout, doit pouvoir
+durer tout le temps necessaire: mieux vaudrait la remettre a huitaine
+que de l'ebaucher si le temps materiel fait defaut.
+
+3 deg. Il faut encore que le medecin sache ecouter, c'est-a-dire laisser
+parler le malade aussi longtemps qu'il le desire, surtout pendant les
+premieres consultations. Quelle que soit la prolixite, la volubilite
+d'un malade, il y a toujours interet a l'ecouter, parce qu'on apprend
+toujours quelque detail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de
+cette facon, le malade, par une sorte de discretion inconsciente,
+arrive, apres quelques entrevues, a ne plus abuser de la patience de
+son auditeur, et se contente de repondre aux quelques questions bien
+precises qu'il lui pose.
+
+Une fois que le medecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il
+donnera, non seulement sur l'hygiene mentale, mais sur l'hygiene
+alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'etre suivis; et ainsi
+tout concourra a la guerison ou a l'amelioration cherchee.
+
+4 deg. Un autre principe, c'est de dire au malade la verite dans la mesure
+du possible. Evidemment, s'il y a une lesion organique incurable,
+le medecin doit avoir la discretion de se taire, sauf dans les cas
+exceptionnels ou le malade a des motifs serieux pour savoir la verite
+entiere. Mais le plus souvent il faut dire la verite au malade, lui dire
+tres franchement l'idee que l'on se fait de son etat, la duree probable
+du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des
+annees, comme il arrive trop souvent chez les malades a capital
+restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: "Le traitement sera
+long, un peu penible, mais la guerison est assuree." Il faut encore,
+des les premieres entrevues, avertir le malade des rechutes possibles,
+probables, ou certaines: si c'est une femme, la prevenir que, dans les
+douze jours qui precederont l'epoque menstruelle, elle aura fatalement,
+durant quelques mois, une reapparition de toutes ses miseres, mais a un
+degre de moins en moins marque; dans tous les cas, avertir le patient,
+s'il s'agit d'un etat grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir
+une legere aggravation, puis, quand son etat s'ameliorera, tous les
+trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause
+appreciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le systeme nerveux
+a protester d'une facon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir
+que toute emotion violente, et surtout que toute infraction au regime
+alimentaire, musculaire, cerebral, qui lui a ete ou qui va lui etre
+prescrit, se soldera inevitablement par une rechute plus ou moins grave,
+suivant la gravite de l'infraction,--une rechute qui, chose curieuse,
+ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'ecart
+commis;--l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en
+particulier, fera faire un pas en arriere d'autant plus grand qu'elle
+aura ete plus grave, et soignee plus tardivement; donner, par
+consequent, au malade des conseils preventifs, pour qu'il se mette, dans
+la mesure du possible, a l'abri des affections intercurrentes, et lui
+recommander de demander ou de prendre des soins immediats, en lui
+faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves,
+en general, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignees des leur debut.
+
+5 deg. Le medecin doit eviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui
+seraient plus penibles que les malaises dont il se plaint. Il doit meme
+eviter, en general, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque
+de decourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre
+egoiste et hypocondriaque, et d'entretenir sa "maladie" par le soin
+meme apporte a la combattre. Aussi bien la therapeutique est-elle, en
+general, plus simple qu'on ne croit, et les questions de regime, en
+particulier, sont presque toujours faciles a resoudre.
+
+Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une
+prescription, c'est de la mesure ou il sera possible et facile, au
+malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrete jamais un programme
+de vie sans l'avoir discute, point par point, avec le malade, et, si
+possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade
+une feuille ou est marquee la ligne de conduite a suivre depuis l'heure
+du reveil jusqu'a l'heure du coucher, et ou, aux heures prescrites, sont
+indiques les menus des repas, voire meme les livres a lire. J'ai soin,
+en outre, d'indiquer que "tout ce qui n'est pas permis est defendu", en
+laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproche
+"tout ce qui ne sera pas defendu sera permis". Le malade, pourvu de
+cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus
+possible, mais sans en devenir l'esclave.
+
+On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la "maladie",
+si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient
+les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas ou ce
+traitement doit etre simplifie au maximum: par exemple, chez une mere
+de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait
+souverainement absurde de proposer a cette malade un regime ou des soins
+personnels qui l'empecheraient d'accomplir ses devoirs de tous les
+instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus
+importantes, en faisant comprendre a la malade que l'on ferait mieux
+si les circonstances de sa vie n'etaient pas un obstacle, mais que, en
+definitive, le peu qu'on va faire sera deja tres utile, et qu'on en sera
+quitte pour prolonger le traitement plus longtemps.
+
+En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent a un traitement
+methodique proviennent de deux sources: 1 deg. De l'absence de foi du
+malade, 2 deg. de la mauvaise volonte de son entourage.
+
+1 deg. Il est des malades qui viennent nous consulter malgre eux, sous la
+pression de leur famille, avec l'idee bien arretee qu'ils vont prendre
+une consultation de plus, tout aussi derisoire et inutile que les
+precedentes. Il faut que le medecin, du premier coup, comprenne la
+mentalite des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut etre fixe
+des les premieres paroles echangees, voire des le premier abord. A lui,
+alors, de deployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y
+prendre, il peut arriver a faire, d'un malade irreductible en apparence,
+l'etre le plus doux, le plus confiant, le plus obeissant, et il parvient
+alors a des resultats inesperes. Les choses se passent ainsi huit fois
+sur dix.
+
+Plus difficiles a convaincre sont les malades qui n'ont pas d'energie,
+qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises a l'avance, ou
+encore ceux qui, desabuses, desesperant de tout, ne souhaitent que la
+mort. En face de tous ces malheureux, le medecin ne doit pas se derober,
+quelque souci que lui reservent les patients de cette sorte.
+
+Enfin, plus difficiles encore sont les malades a theories, qui ont leur
+siege fait, apres avoir vu des medecins de tous les pays, suivi, dans
+les sanatoria les plus varies, les traitements les plus dissemblables;
+qui connaissent toutes les dernieres nouveautes sur les choses
+medicales, le discours de la veille a l'Academie de medecine, les livres
+qui vont paraitre. Avec ceux-la, rien a faire. Le mieux, pour ne pas
+perdre un temps precieux, est de leur declarer de suite qu'on ne
+parviendrait pas a s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs,
+ces cas sont assez rares.
+
+Ajoutons qu'il est des malades a mentalite speciale qui commencent par
+dire toujours non, ou a le penser, ce qui est encore plus grave. La
+psychotherapie, comme tous les agents therapeutiques, a a compter avec
+ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les "idiosyncrasies".
+
+2 deg. L'autre obstacle, beaucoup plus frequent, provient de l'hostilite de
+l'entourage du malade.
+
+On ne peut se faire une idee de l'influence nefaste qu'exerce cet
+entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du
+medecin, discute sa maniere de penser, ses prescriptions; le malade,
+alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au medecin ou a
+l'entourage.
+
+Le plus souvent, l'hostilite n'est pas franchement declaree. Mais c'est
+pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, a propos
+des moindres prescriptions. Le malade sent tres bien que le medecin est
+dans le vrai, qu'il a _compris_ sa "maladie"; il voudrait de tout son
+coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est la qui,
+sans dire un mot, proteste interieurement et execute a contre-coeur
+tout ce qui a ete prescrit. La position est des plus difficiles. Cette
+contre-suggestion, qui s'exerce a tout instant, finit par diminuer
+la confiance, si necessaire, que le malade avait tout d'abord; les
+prescriptions ne sont qu'a moitie observees. Ces tiraillements continus
+sont veritablement lamentables.
+
+Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la
+femme, c'est souvent la mere ou la belle-mere, plus souvent encore des
+personnes qui touchent de moins pres au malade. Les plus dangereux
+ennemis sont ceux qui ont a donner des soins immediats; ce sont les
+gardes, qui protestent par un silence eloquent, ce sont surtout les
+domestiques. De la la dure necessite pour le medecin d'etre bien avec
+tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant
+avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou
+telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout
+le monde voudrait que le malade fit de l'exercice; le regime restreint,
+alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il
+prit du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la
+partie est perdue d'avance; et c'est alors que le medecin doit user
+de toute son autorite pour imposer l'isolement, tandis qu'il eut ete
+quelquefois tres simple de guerir a peu de frais le malade, en le
+laissant chez lui.
+
+Quand on a la bonne fortune de s'etre gagne la confiance d'un malade,
+et d'avoir conquis, non la neutralite,--elle n'existe nulle part,--mais
+l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitie de la besogne; il ne
+reste plus qu'a surveiller l'application du traitement, et surtout a
+entretenir la foi du malade en sa guerison a echeance plus ou moins
+eloignee. Pour remplir ce double but, il faut que le medecin ait avec le
+malade de frequents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer,
+dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui
+demontrer ses erreurs d'interpretation, et lui affirmer instamment,
+quelles que soient ses doleances, que la guerison est assuree.
+
+Le role du medecin, au debut, est souvent difficile. Il l'est, par
+exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers
+temps, pour calmer leur systeme nerveux. Ne dormant presque jamais, ces
+malheureux ont toutes les peines du monde a rester au lit; il faut leur
+faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable
+qu'ils eprouvent, proviennent non du sejour au lit, mais de l'excitation
+du systeme nerveux; que cette excitation disparaitra dans huit ou quinze
+jours, pour faire place a une detente de bon aloi, avec sensation de
+fatigue enorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil reparateur,
+retour de l'appetit, disparition _spontanee_ de la constipation, etc.
+Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent,
+des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront etre espacees:
+il faut savoir se faire desirer.
+
+Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser
+le malade en tete-a-tete avec le medecin. L'influence de celui-ci est,
+alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'epancher en toute
+liberte, tirent un grand benefice de la visite du medecin, qui ne tarde
+pas a devenir leur ami.
+
+C'est dans ces tete-a-tete que le medecin doit insister pour faire de
+la suggestion optimiste et de la veritable psychotherapie, d'apres les
+principes que nous avons etudies anterieurement.
+
+Nous avons parle deja, a propos de la nevrose provoquee par les causes
+morales chez les jeunes femmes, du role que le medecin pouvait acquerir,
+a titre de confident de leurs miseres: ce role est toujours difficile,
+et quelquefois dangereux. Le besoin qu'eprouve l'etre humain de pouvoir
+confier sa pensee a autrui est bien connu de tous les psychologues;
+c'est lui qui pousse les criminels a venir s'accuser d'un acte dont
+l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable,
+a excite un de mes malades a prendre sa femme, en tant que sa meilleure
+amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On
+comprend donc combien un confident sur et discret peut rendre de
+services, chez les malades de tout age atteints de psycho-nevrose. Comme
+l'a dit le poete:
+
+ En se plaignant on se console,
+ Et quelquefois une parole
+ Nous a delivres d'un remords.
+
+Mais il est des cas ou la douleur humaine ne peut etre attenuee par une
+confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychotherapie perd
+tous ses droits.
+
+Il est d'autres cas ou elle est egalement impuissante. C'est quand le
+malade ne _veut_ pas guerir,--s'il se complait dans son chagrin, par
+exemple.--Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de
+se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guerir; dans
+leur egoisme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage,
+veritables vampires qui epuisent jusqu'au bout la patience, les forces,
+les ressources pecuniaires de leurs proches, sans avoir un eclair de
+reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le medecin qui
+se depense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles
+sont, avant tout, des malades, et ont droit a toute notre indulgence;
+leur egoisme feroce n'est qu'un symptome morbide. Ainsi j'ai soigne une
+dame qui, avant d'etre malade, etait exquise de bonte, de bienveillance,
+de politesse. Or, quelques mois apres le debut de sa "maladie", en
+meme temps qu'elle devenait dyspeptique, constipee, obese, tout en ne
+mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractere se modifia
+et la fit devenir le tyran dont j'esquisse a grand traits l'image.
+Aujourd'hui, elle fait le desespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter
+qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychotherapie
+est impuissante. Si habilement maniee qu'on le suppose, elle echoue
+quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents
+therapeutiques.
+
+
+PSYCHOTHERAPIE ET PROBLEME RELIGIEUX
+
+Dans quelle mesure le medecin peut-il utiliser, comme moyen
+psychotherapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse?
+Grave question qui ne saurait etre traitee avec trop de discretion.
+
+En principe, le medecin ferait mieux de laisser ce soin au pretre, ou au
+pasteur, ou au rabbin, a des manieurs d'ames plus habitues que lui a ces
+delicats problemes; mais il est des circonstances ou il ne peut pas se
+derober, et il nous faut en dire quelques mots.
+
+Il est certain, en tout cas, que le medecin ne doit jamais aborder, le
+premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est
+pas son role, et un zele immodere, de sa part, pour la defense d'une
+doctrine philosophique quelconque, pourrait etre, et serait a juste
+titre, severement jugee. Mais, d'autre part, il doit s'attendre a ce
+que, pousse par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige a
+entrer avec lui dans ce domaine.
+
+Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui,
+pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprecier l'inanite
+de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalite des
+consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'a son corps
+defendant, se sent, a un moment donne, preoccupe d'une facon insolite
+par les grands problemes de l'au-dela, de la destinee humaine. Sans
+compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois
+n'ai-je pas entendu des malades me dire: "J'ai peur!" Peur de quoi? Ils
+n'en savent rien; ce n'est pas, en general, d'avoir a quitter cette
+lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;--encore que
+parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de
+conservation parle la en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent
+une peur vague, animale; et, dans cette detresse morale, ils
+s'accrochent desesperement a tout ce qui peut leur donner du reconfort.
+
+Ces deux motifs expliquent le besoin qu'eprouve souvent le malade
+d'aborder des problemes qui, en etat de sante, lui etaient completement
+indifferents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne
+religieuse, qui repondra a toutes les questions par de petites
+devotionnettes ou des pratiques tout a fait en dehors des habitudes du
+malade, des pratiques qui n'ont de raison d'etre que pour les fervents,
+et qui risquent de revolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le
+sens cache? Est-ce avec le visiteur plus ou moins presse qui, entrant
+en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'a
+ses affaires pendant qu'il lui detaille ses miseres, se borne a lui
+repondre: "Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il
+fait chaud, etc."? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne
+l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors
+que la victime n'a qu'une affaire qui l'interesse au monde! Vraiment,
+tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux;
+non seulement ils ne sont d'aucune utilite, mais ils contribuent a
+entretenir la "maladie", surtout quand ils se succedent pres du lit des
+patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le
+cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secretes,
+n'ont plus, pres du malade, le credit anterieur. Cela tient en partie
+a ce que l'amitie d'autrefois etait entretenue par des confidences
+reciproques; or, a partir du jour ou le malade a ete serieusement
+touche, il n'y a plus de reciprocite possible, car les affaires de ses
+meilleurs amis ne l'interessent plus, il ne s'interesse qu'aux siennes,
+c'est-a-dire a sa "maladie".
+
+Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves preoccupations,
+les personnes de son entourage immediat, pere, mere, mari, femme, etc.?
+
+Quelle mediocre ressource!--Certes, ce n'est ni le devouement, ni la
+bienveillance, ni la tendre affection qui font defaut aux membres de
+la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins
+intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait
+d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connait de tout
+temps. Qui alors? Le pretre? Mais, bien souvent, le pretre n'a pas ses
+entrees dans la maison; et meme, s'il s'agit d'un malade dont l'etat
+soit un peu inquietant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut
+pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps
+d'appeler le pretre quand le malade sera sans connaissance!
+
+Que reste-il donc?--Le medecin.
+
+Le besoin qu'a de lui le malade, pour la sante de son corps, lui donne
+une influence et une autorite morales superieures a celles memes des
+parents ou des amis les plus respectes. C'est a lui surtout que le
+malade est tente de confier ses doutes, ses preoccupations d'au-dela,
+ses vagues espoirs, tout ce monde d'idees qui s'agitent en lui avec une
+abondance et une intensite inaccoutumees.
+
+Au medecin, donc, d'etre a la hauteur de sa tache, sur ce domaine
+particulier de la psychotherapie, dont l'importance est souvent
+capitale.
+
+Mais que doit-il faire? En presence d'un malade qu'il voit partage entre
+des restes de foi plus ou moins effaces, et cet etat d'incredulite,
+active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en presence d'un
+malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir,
+et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour
+lui l'aneantissement eternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il
+retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la societe de ceux qu'il a le
+plus aimes sur cette terre; en presence d'un tel malade, que doit faire
+le medecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde
+jamais de vue que le malade est semblable a un noye qui cherche a se
+raccrocher a la moindre branche de salut; si donc il n'a a lui offrir
+que de froides theories philosophiques, aboutissant a la desesperance
+finale, s'il est lui-meme bien convaincu que la mort signifie, pour le
+malade, la fin absolue, et la separation a jamais d'avec ce qui lui
+est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des
+doctrines qui, en admettant meme qu'elles fussent exactes, ne pourraient
+etre, ici, d'aucun reconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est
+de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'esperance. Or, ou
+trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit:
+"Venez a moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?"
+
+L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les
+medecins qui se sont occupes des "maladies" nerveuses; et c'est avec
+plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr
+Dubois[13], de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage,
+developpe avec complaisance des theories philosophiques fort eloignees
+de l'orthodoxie chretienne:
+
+[Note 13: Dr Dubois. _Les Psychonevroses et leur traitement moral_,
+1904.]
+
+"La foi religieuse pourrait etre le meilleur preservatif contre ces
+"maladies" de l'ame, et le plus puissant moyen pour les guerir, si elle
+etait assez vivante pour creer, chez ses adeptes, un vrai stoicisme
+chretien. Dans cet etat d'ame, helas! si rare, dans les milieux bien
+pensants, l'homme devient invulnerable; se sentant soutenu par son Dieu,
+il ne craint ni la "maladie" ni la mort. Il peut succomber sous les
+coups d'une "maladie" physique, mais, moralement, il reste debout au
+milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux emotions pusillanimes
+des nevroses." Et, plus loin, a la lecon, XXXV: "Ceux a qui leur
+tournure d'esprit permet encore la foi naive trouveront un appui dans
+leurs convictions religieuses, a condition qu'elles soient sinceres et
+vecues."
+
+Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en resulte pas, pour le
+medecin psychotherapeute, d'encourager son malade dans ces convictions
+religieuses qui peuvent le rendre "inaccessible aux emotions
+pusillanimes des nevroses"?
+
+Dans les cas ou la foi religieuse, sans etre assez, vivante "pour creer
+un vrai stoicisme chretien", subsiste encore, et cherche vaguement a se
+raviver sous l'enveloppe de l'indifference ou du scepticisme mondains,
+est-ce que ce n'est pas une obligation pour le medecin de l'y aider,
+autant qu'il le peut?
+
+Voici donc le medecin transforme, malgre lui, en apotre. Mais nous ne
+craignons pas de le redire: pour soutenir ce role, auquel il n'est pas
+prepare, il a toujours besoin d'une discretion extreme, et il ne doit
+s'avancer qu'a pas mesures sur un terrain aussi dangereux.
+
+
+
+CHAPITRE V
+
+AUTRES AGENTS THERAPEUTIQUES
+
+
+
+La psychotherapie est la base du traitement, pour les malades chez qui
+les troubles nerveux et mentaux predominent. Dans les autres formes de
+la decheance du capital nerveux, elle joue aussi un role important; de
+la les resultats remarquables obtenus, meme dans les "maladies" a forme
+gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confreres,
+qui arrivent, en effet, a soulager et guerir un certain nombre de
+dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systematiquement toute
+preoccupation de regime alimentaire. Mais, a mon avis, ces confreres
+tombent dans l'exageration; meme s'il n'y a pas de troubles gastriques,
+le regime du malade doit etre surveille; et a plus forte raison quand
+l'estomac ou l'intestin protestent. Le regime, en realite, joue, dans
+la therapeutique des malades a phenomenes intestinaux et gastriques, un
+role au moins egal a celui de la psychotherapie.
+
+Erreur, repondent les psychotherapeutes outranciers: lorsque vous
+faites du regime, lorsque vous imposez a vos malades telle ou telle
+alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude a l'autre, d'une
+maison de sante a l'autre, les bons resultats que vous obtenez sont dus,
+exclusivement, a la psychotherapie que vous faites sans le savoir. Si
+le docteur un tel guerit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du
+macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur
+estomac en etat, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en
+fait, il les guerit par suggestion, et malgre le regime. Car le
+regime, ajoutent-ils, entretient plutot l'idee de "maladie": le malade
+s'auto-suggestionne a chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver
+de plus malheureux a un nevropathe, c'est de trouver un medecin qui le
+soumette a un regime alimentaire, quel qu'il soit.
+
+Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir
+traiter, par la psychotherapie seule, telle ou telle jeune fille qui
+vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs
+semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs
+mettant sa vie en danger. Qu'on reussisse souvent a guerir les "malades"
+sans regime, ou avec un regime qui n'a rien de methodique, qui n'est en
+somme que la suralimentation, dans une maison de sante, c'est possible:
+le changement de milieu, l'eloignement des causes qui avaient produit et
+entretenu la "maladie", l'influence salutaire indiscutable du medecin,
+expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder
+de generaliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en meme temps qu'on
+fait de la suggestion, instituer un regime alimentaire approprie au
+fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.
+
+
+I
+
+REGIME
+
+
+Nous avons deja mentionne des cas ou l'estomac et l'intestin, atteints
+d'une sorte d'inertie, se refusent a tout travail, et indique les
+symptomes physiques qui permettent d'affirmer cet etat d'inertie. Il
+est evident qu'alors il faut fournir a cet estomac et a cet intestin un
+travail frequent, mais peu actif; de la, necessite de la diete liquide
+dans les cas tres graves, parfois meme de la diete absolue pendant
+vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diete semi-liquide dans les
+cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes
+les deux heures, suivant le degre d'inertie constate.
+
+Il n'est point necessaire de varier a l'infini le nombre des aliments.
+Je me rappelle un malade qui avait tout a fait l'aspect d'un cancereux,
+qui depuis deux mois maigrissait a vue d'oeil, ne digerait plus rien,
+avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se trainer,
+ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouve d'un regime
+consistant a s'alimenter exclusivement de Revalesciere. Je lui ai donne,
+toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures,
+jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures
+pendant huit jours, uniquement de la Revalesciere, cuite dans du
+bouillon de legumes et de poulet. Apres ces deux semaines, son estomac
+lui permit de tolerer d'autres potages, puis des purees, puis des oeufs
+et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il
+partit gueri, ayant augmente de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que
+je faisais, en meme temps, de la psychotherapie! me dira-t-on encore?
+Sans doute, j'en faisais, et j'ai meme du me depenser beaucoup pour
+faire accepter ce regime a mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait
+pas une "maladie" incurable, pour le faire rester a Paris, dans les
+conditions d'installation mediocre ou il se trouvait, etc.; mais
+j'affirme que ce n'est pas la psychotherapie qui l'a gueri, et que,
+malgre la confiance qu'il avait en moi, malgre toute l'autorite que
+j'exercais sur lui, malgre le repos au lit, si je lui avais donne a
+manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si
+surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas
+gueri; et la preuve en est que, a partir du premier mois, sitot que
+je m'ecartais du regime methodique, et que, pour essayer de gagner du
+temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet
+essai, si timide qu'il put etre, amenait invariablement un petit recul.
+Si cet essai avait ete prolonge, il aurait surement amene une rechute.
+
+Inutile de dire, apres cela, que la Revalesciere n'est nullement un
+specifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amene le meme
+resultat (panade bien cuite et bien passee, tapioca, arrow-root,
+phosphatine, avenose, aristose, creme d'orge, de riz, etc)
+
+Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le regime
+ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le regime
+sec est d'un maniement difficile et doit etre tres vite remplace par le
+regime "a restriction des boissons". Ces cas sont ceux ou, a l'inertie,
+se joint un element spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes
+les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois
+jours, des aliments secs a grignoter; et ce regime est specialement
+indique chez les malades chroniques dont le capital est gravement
+atteint. Il est bien certain que la psychotherapie intervient assez peu
+dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne a un
+malade qui aurait besoin d'un regime sec le regime liquide, ou meme
+semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empecher les
+facheux resultats d'une pareille erreur therapeutique.
+
+Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas
+pouvoir digerer, et ne digere pas, en effet, simplement parce qu'il
+a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-meme. Oh! alors la
+psychotherapie fait merveille. On doit donc forcer le malade a manger,
+et a manger n'importe quoi, pour lui bien demontrer qu'il peut tout
+digerer. Mais je ne conseillerai jamais a un medecin d'essayer ce
+systeme, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas etudie
+de tres pres le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de
+compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre.
+
+D'une facon generale, dans le doute, mieux vaut proceder avec une
+sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments
+necessaire a la conservation de la vie.
+
+Il nous est impossible de tracer, meme a grands traits, les indications
+de regime qui conviennent aux divers malades. Theoriquement, le regime
+doit varier d'un individu a l'autre, et meme d'un jour a l'autre,
+pendant toute la duree de la "maladie". Mais, en pratique, les choses
+se passent plus simplement. Le principe general, c'est qu'il faut faire
+manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phenomenes
+spasmodiques (tiraillements d'estomac, baillements, etc.), et qu'il faut
+les faire manger des le reveil, et meme pendant la nuit pour assurer
+le sommeil. La moitie d'un oeuf dur pris vers minuit, apres le premier
+reveil, dans les cas ou le regime doit etre plutot sec, une tasse de
+cacao dans les cas ou le regime doit etre plus liquide, font mieux, pour
+procurer le sommeil, que la meilleure des preparations opiacees.
+
+Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades apres
+avoir mange. Nous avons deja dit que, dans les cas graves, il faut
+qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position
+horizontale apres les repas s'impose, et n'est pas moins necessaire
+apres le gouter. L'homme tout a fait valide se trouve bien de faire,
+apres les repas, un exercice modere; et il y a aussi quelques
+dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande
+exception.
+
+Et enfin, il y a un precepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien
+portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre
+a table immediatement apres un travail musculaire. C'est ce qu'a
+parfaitement explique le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur
+les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer
+mes lecteurs, s'ils desirent etre renseignes en detail sur toutes les
+questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice.
+
+
+II
+
+MOYENS ACCESSOIRES
+
+
+Outre le regime, il est encore un grand nombre de petits moyens
+therapeutiques que la psychotherapie ne remplacera certainement pas. Il
+est tres simple, en verite, de dire que, si l'electricite, le massage,
+la douche tiede, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce
+que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une
+conception par trop facile, et qui se trouve dementie par l'experience.
+Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, independante de
+toute suggestion, action quelquefois tres puissante; aussi doivent-ils,
+tout comme l'hygiene alimentaire, etre soumis a un controle serieux,
+et ne pas etre employes a tort et a travers: mais, quand ils sont bien
+manies, ils jouent un role incontestable dans la therapeutique. Le
+principe general, c'est qu'il faut en user avec une extreme prudence, et
+que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir.
+
+_Hydrotherapie_.--L'hydrotherapie froide est rarement indiquee; on
+commence a le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital
+nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des desastres.
+
+Les medecins alienistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la
+base du traitement de la folie, y on tous entierement renonce: la douche
+froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades
+ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunement
+soutirer une dose considerable d'influx nerveux. Je comparerais la
+douche froide a la saignee faite chez les malades qui n'ont plus de
+pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignee peut parfois rendre
+le pouls et la vie. C'est ce que nos peres appelaient "la saignee dans
+les cas d'oppression des forces". Or, pour pratiquer a coup sur la
+saignee, dans ces cas, il fallait etre un virtuose; et, de meme, il
+faut etre doue d'un doigte exceptionnel pour appliquer convenablement
+l'hydrotherapie froide, chez les malades graves.
+
+Que dirai-je de la methode Kneipp? Les affusions, les lotions, le
+manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien
+appliquees, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le
+peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionne
+par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les
+fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aere, ou son
+cerveau reste en jachere par le fait de l'horrible tristesse du milieu,
+et s'il s'y soumet a une alimentation plus raisonnable que celle qu'il
+avait chez lui. Tous ces elements entrent pour une part indeniable,
+dans les remarquables succes qu'a obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent
+encore, a un moindre degre, ses successeurs et ses eleves, a Altkirch,
+en particulier.
+
+Pour en revenir a l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver
+de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit etre employee que chez
+les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce
+genre, le maillot humide, notamment, constitue par un drap mouille
+et tordu etendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un
+procede souvent tres utile et a la portee de toutes les bourses. On
+entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant
+ensuite de trois couvertures prealablement etendues, sous le drap. Nous
+avons vu des malades, qui ne parvenaient pas a dormir, trouver, vingt
+minutes apres qu'ils etaient dans ce maillot, un sommeil reparateur.
+La duree des applications ne doit pas depasser trois quarts d'heure; et
+leur nombre peut sans inconvenients atteindre 80, employees
+quotidiennement, meme pendant les regles.
+
+L'hydrotherapie tiede trouve plus souvent ses indications. Le _tub_
+tiede, pratique dans la matinee, avec une infusion de tilleul et
+l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sedatif, si le
+malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.
+
+Le bain repond aussi a de nombreuses indications; mais c'est un moyen
+beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des
+malades qui ne le supportent pas, que le bain, meme de cinq minutes,
+enerve, empeche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilite,
+et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire.
+Les medecins alienistes se trouvent quelquefois amenes a donner des
+bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est la une medication tres
+active, et difficile a manier. Il arrive, en effet, que les malades ont
+des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer
+autour d'eux. Les bains de six heures consecutives sont journellement
+employes a Loueche, et avec grand profit, pour les malades atteints de
+certaines formes d'eczema. Les eaux de Loueche ont peut-etre une qualite
+particuliere, qui rend tolerables ces bains prolonges; ce qu'il y a de
+certain, c'est que les bains de la meme duree avec de l'eau de Paris,
+comme on les employait autrefois a l'hopital Saint-Louis, ne sont, en
+general, pas toleres, et qu'on a du reserver ce traitement pour les cas
+exceptionnels.
+
+C'est egalement une qualite particuliere de l'eau qu'il faut invoquer
+pour expliquer la tolerance de certaines eaux minerales. A Badenweiller,
+en particulier, a Gastein, a Neris, les nerveux supportent des bains
+tres prolonges (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un
+bain d'un quart d'heure les mettrait dans un etat pitoyable.
+
+Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau,
+meme aux stations minerales que je viens d'indiquer; les medecins de ces
+stations auraient tort d'insister si, apres les deux ou trois premiers
+bains, ils observaient une aggravation de l'etat maladif.
+
+Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller
+la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de
+pieds les revolutionne, ils eprouvent le besoin de se laver la figure
+avec tres peu d'eau tiede, ou meme avec du cold-cream. Dira-t-on que ce
+sont la des phobiques? Il n'en est rien. La verite, c'est que nous ne
+connaissons pas tous les degres de susceptibilite du systeme nerveux,
+reactif d'une sensibilite invraisemblable; et cette intolerance de la
+peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparait en
+meme temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tete,
+et autres miseres dont l'ensemble constitue la "maladie". Mais, aussi
+longtemps qu'existe cette intolerance, le medecin doit savoir la
+respecter, et ne pas s'obstiner a faire faire au malade l'hydrotherapie
+meme la plus mitigee.
+
+C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur
+seche. Un sac en caoutchouc, a moitie rempli d'eau chaude, applique sur
+l'estomac apres les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds,
+est tres apprecie de beaucoup de malades. Ce procede, tres simple,
+facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant,
+on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas,
+c'est la compresse froide, etendue sur le ventre, recouverte de taffetas
+chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au
+patient.
+
+Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore etre remplace
+par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par
+la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion.
+Ces petits appareils, connus sous le nom de _dermothermes_ ou de
+_dermophores_, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une
+chaleur egale. Ils ont, par contre, l'inconvenient d'etre un peu lourds;
+aussi, quand l'installation le permet, leur preferons-nous un tissu
+metallique tres leger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffe par
+un courant electrique a 70 volts.
+
+_Massage_.--Ce que nous disons de l'hydrotherapie s'applique, de point
+en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait
+jamais etre pratique en dehors du medecin. Employe meme legerement, il
+fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier,
+qui a ete fort en honneur il y a quelques annees, constitue un procede
+therapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours
+pratique par une main experimentee, c'est-a-dire avec la plus grande
+douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la
+paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler
+que, meme alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout a fait accessoire. Les
+medecins qui auraient la pretention de guerir la constipation par le
+massage abdominal exclusivement s'exposeraient a un echec certain, parce
+que la constipation n'est pas causee seulement par une inertie des
+muscles de l'intestin, mais n'est que le symptome d'un etat general,
+ainsi que nous l'avons deja explique.
+
+Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de
+services que le massage, et sont d'une application plus facile,
+puisqu'elles peuvent etre confiees a toutes les mains. Elles sont faites
+avec un gant de molleton, jamais ou tres rarement avec le gant de crin;
+seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une
+grande somme de resistance, supportent la friction violente au gant de
+crin. Une bonne maniere de faire la friction humide est la suivante:
+
+Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un
+des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibe d'une solution
+alcoolique tiedie; oter ce gant, le remplacer par un gant sec,
+frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la
+couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de meme.
+Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut,
+puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos,
+n'importe en quel sens, l'etendre de nouveau, travailler legerement le
+devant de la poitrine sans toucher a l'estomac ni au ventre. L'operation
+doit durer dix minutes. Elle est a recommander chez presque tous les
+malades, meme chez ceux qui sont tres gravement touches. Bien faite, et
+comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse.
+
+Les bains de vapeur sont en general bien supportes; mais les prendre
+dans des etablissements speciaux expose a une grande perte de temps, et
+a un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre a domicile, soit
+dans des boites portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans
+ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud emanant d'une forte lampe a
+alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tole.
+Mais un procede qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans
+des boites disposees _ad hoc_, mettre deux briques bien
+chauffees,--appliquer une de ces boites aux pieds du malade couche, une
+autre boite a chacun de ses cotes, et attendre que la transpiration
+survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce
+systeme permet: 1 deg. de graduer la transpiration; 2 deg. de ne pas mouiller
+les draps et les couvertures, comme le fait l'air sature de vapeur qui
+sort d'une lampe a alcool. Nous preconisons ces bains d'air sec chez les
+malades obeses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.
+
+En therapeutique, il n'y a pas de menus details: tout ce qui peut etre
+utile au malade doit etre l'objet de nos recherches; et c'est le soin
+des details qui fait la force, et, disons-le franchement, le legitime
+succes de quelques-uns de nos confreres etrangers.
+
+_Electricite_.--L'electricite n'est pas, non plus, a negliger. Il est
+certain que les courants de haute frequence ont, sur la nutrition en
+general, et sur le systeme nerveux en particulier, une action tres
+puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr
+Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente
+de froid. Mais c'est la un procede forcement limite, a cause des
+difficultes d'installation et du prix de revient. Les applications
+faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent egalement avoir
+leur efficacite; mais c'est la un procede tres actif, et qui, fort
+heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile.
+
+Le tabouret electrique est souvent recommandable, a condition qu'on ne
+tire pas d'etincelles. Les machines statiques a domicile sont des jouets
+qu'on peut conceder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone
+qu'elles degagent n'a pas une influence utile?
+
+Les bains electriques constituent aussi un moyen puissant, et,
+par consequent, difficile a manier. Ce que nous avons dit des
+contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains electriques; il
+est des cas ou le bain electrique, bien applique, rend d'excellents
+services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une facon
+generale, on peut dire que le bain electrique occasionne une courbature
+notable qui, a l'inverse de la courbature produite par l'exces
+d'exercice musculaire, amene le sommeil. Ces bains ne devraient etre
+donnes que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance medicale
+tres exacte pendant toute la duree du bain. Dire qu'un pareil moyen
+agit par suggestion, c'est enoncer une affirmation qui n'a rien de
+scientifique.
+
+_Injections hypodermiques_.--Les injections hypodermiques constituent un
+des agents les plus utiles de la therapeutique. On peut rapporter aux
+trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1 deg. toute injection, en
+tant qu'injection, a une influence utile; 2 deg. le medicament injecte a
+son action propre; 3 deg. une part de suggestion s'attache a l'emploi des
+injections.
+
+I. On sait, depuis les remarquables etudes du Dr Cheron, que toute
+injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide
+injecte ne soit pas toxique, produit un relevement momentane de la
+tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-etre, de
+vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogenique plus ou moins
+prolonge, Suivant la dose injectee, et suivant une foule d'autres
+conditions.
+
+Ainsi, qu'on injecte de l'eau salee, du liquide de Brown-Sequard,
+de l'oceanine, etc.; il y a toujours a compter avec cette action
+particuliere de l'injection en tant qu'injection sous-cutanee ou
+intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine.
+De la l'utilite des doses massives de liquide, comme aussi la vogue
+qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de serum
+artificiel, dont la formule habituelle est a 7 grammes de sel marin pour
+un litre d'eau sterilisee. Malheureusement on sait, depuis quelques
+annees, que le sel n'est pas un agent indifferent, et qu'il peut devenir
+toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas tres bien.
+Il faut donc en user avec grande prudence.
+
+Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer sterilisee
+(oceanine). On donne de 300 a 500 grammes de liquide, et les promoteurs
+de ce nouveau medicament en disent merveille: il est possible que l'eau
+de mer soit un heureux melange de substances utiles a l'organisme. Je
+n'ai pas fait d'etudes sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essaye
+l'oceanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie,
+sans resultats appreciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que
+des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite
+a la Societe de Therapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il
+resulte que ces injections, pratiquees a des doses plus fortes, ont des
+effets vraiment importants chez les nerveux, les alienes, et qu'elles
+n'ont pas les inconvenients graves des injections salees ordinaires, si
+bien mis en lumiere par M. le Dr Hallion a la meme seance de la Societe.
+L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement
+un des precieux medicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon;
+d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent egalement en
+tant qu'injections de liquide non toxique.
+
+II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecte. Il existe,
+certainement, des medicaments doues d'une action reconstituante sur
+le systeme nerveux: les glycerophosphates, le cacodylate de soude et
+surtout de magnesie, le serum de Brown-Sequard, peut-etre la lecithine,
+les phosphates, etc. Loin de nous l'idee d'etudier l'action de tous ces
+medicaments: disons seulement un mot des principaux.
+
+Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier
+ordre; on peut l'employer sans danger a des doses beaucoup plus elevees
+qu'on ne l'indique generalement, et j'ai publie, a la Societe de
+Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicite du produit,
+ainsi que l'utilite des hautes doses longtemps continuees, dans certains
+cas exceptionnels[14]. Le plus souvent, la dose indiquee par le
+professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et
+il n'est pas necessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette
+injection, a la condition de continuer le traitement pendant deux ou
+trois mois dans les cas moyens.
+
+J'ai, d'ailleurs, fait une etude clinique detaillee de l'action des
+cacodylates de soude et de magnesie, a la Societe de Therapeutique, en
+1902, en indiquant les tres rares contre-indications, et en precisant,
+dans la mesure du possible, les indications[15]. Le cacodylate de fer en
+injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels ou le fer
+est indique (chez certaines jeunes filles anemiques, chloro-anemiques):
+mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites a raison de
+deux par semaine, nous ont toujours semble suffisantes.
+
+[Note 14: Considerations sur la medication cacodylique, _in Ann. de
+dermatologie et Syphiliographie_, 6 mars 1902.]
+
+[Note 15: _Bull de la Soc. de Therapeutique_, 27 mars 1901.]
+
+Les injections orchitiques de Brown-Sequard, apres avoir eu un moment la
+faveur que l'on sait, sont tombees dans un injuste oubli. Ayant eu la
+bonne fortune d'etre en relations personnelles et suivies avec le venere
+maitre, de recueillir de sa bouche des apercus therapeutiques de grande
+envergure, que la mort ne lui a pas laisse le temps de verifier et
+d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'etude de
+l'action dynamogenique du liquide de Brown-Sequard, preciser les doses,
+le nombre des injections, etc. Ce travail n'a ete qu'ebauche par le
+grand initiateur.
+
+D'ailleurs l'opotherapie, en general, nous semble une methode pleine de
+promesses; j'ai cite notamment, a la Societe de Therapeutique, en 1904,
+le cas d'une malade a foie defectueux arrivee au dernier degre du
+marasme, avec muguet dans la bouche, qui a ete comme ressuscitee par
+l'emploi de trois lavements quotidiens prepares avec une maceration de
+200 grammes de foie de porc, fraichement tue, dans 300 grammes d'eau
+bouillie. Cette dame, une grande malade avec phenomenes nerveux et
+dyspeptiques anciens, avait eu, a un moment donne, une insuffisance
+hepatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fievre
+intermittente hepatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxieme mois
+de cette complication, elle etait arrivee a l'etat lamentable que j'ai
+indique, quand nous eumes l'idee de lui rendre ce qui manquait a son
+foie. Le resultat a depasse toute esperance; trois heures apres le
+premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit
+jours apres, elle avait retrouve le sommeil et l'appetit, les selles
+regulieres, etc. Une fois l'orage passe, le danger immediat conjure, il
+m'a encore fallu continuer a soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin,
+la peau de ma malade: mais, trois mois apres, elle put aller achever sa
+convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien.
+La complication hepatique n'avait ete qu'un episode dans le cours de la
+"maladie", qui evoluait depuis vingt annees.
+
+D'une facon generale, les preparations opotherapiques, auxquelles un
+immense avenir semble reserve, ne rendront tous les services qu'elles
+peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par
+voie sous-cutanee, comme le faisait Brown-Sequard avec son liquide
+orchitique.
+
+Chez certains malades, les preparations de strychnine par injections
+hypodermiques ont un effet tres utile: mais il ne faut pas depasser en
+general la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arseniate
+de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, reparties sur
+trente jours.
+
+Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels
+qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurastheniques. De la,
+la preoccupation constante que nous avons de faire la guerre a cette
+affection accidentelle, de la couper des ses debuts. Or, il m'a bien
+semble trouver, dans le _cacodylate de gaiacol_, un agent antigrippal
+specifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes
+confreres, a la Societe de Therapeutique, en janvier 1906.
+
+Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de
+gaiacol, dans un gramme d'eau sterilisee, et prealablement saturee de
+gaiacol, fait merveille chez les grippes au debut: elle les guerit
+en quelques heures. Deux ou trois injections consecutives suffisent
+toujours pour couper la grippe, meme quand elle n'est pas prise au
+debut, a moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et,
+meme alors, le cacodylate de gaiacol me semble tres recommandable.
+Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui
+resistent a tous les traitements.
+
+Dans les cas de grippe avec fievre, voire meme avec pneumonie, nous nous
+sommes tres bien trouves de donner, pendant trois ou quatre jours de
+suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution
+suivante, introduite profondement dans le muscle, est tres bien toleree
+et n'occasionne jamais d'abces:
+
+ Chlorhydrate neutre de quinine 3 grammes.
+ Antipyrine 2 --
+ Eau distillee 6 --
+
+Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les
+nevralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui
+resistent meme aux opiaces (nevralgies sous-orbitaires, sciatiques,
+nevralgies intercostales).
+
+Je n'ai pas essaye la quinine en dehors de ces suites eloignees de la
+grippe, cas de grippe aigue et de nevralgies postgrippales,--on ne peut
+pas tout faire,--mais je crois bien que la quinine a petites doses,
+donnee en injections a tous les malades a depreciation nerveuse
+momentanee, aurait un effet dynamogenique precieux.
+
+Dans certains cas de douleurs nevralgiques trop penibles, les injections
+d'heroine sont indiquees; mais il faut savoir que l'heroine doit se
+manier a doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes,
+on ne doit jamais depasser un milligramme d'heroine, surtout chez les
+malades dont on ne connait pas la tolerance. L'action antinevralgique de
+l'heroine nous a semble superieure a celle de la morphine; mais il faut
+bien se rappeler que l'heroine est un medicament aussi dangereux que la
+morphine, auquel les malades s'habituent, et reserver son emploi pour
+les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me
+disposais, a contre-coeur, a employer l'heroine, lorsque, me ravisant,
+je me demandai si la nevralgie crurale qui le torturait ne serait pas,
+par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire,
+j'acquis la conviction que la syphilis etait vraiment en cause; et une
+seule piqure de calomel eut raison a tout jamais de cette nevralgie
+si penible; tant il est vrai que le medecin doit toujours penser a la
+syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.
+
+Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire,
+quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous
+semble etre les injections mercurielles; celles au benzoate sont
+douloureuses, et donnent des nodosites desagreables; celles de biiodure
+en solution aqueuse sont tres douloureuses. Nous preferons l'huile grise
+pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et
+l'huile au sublime,--dont nous avons donne la formule en 1881 a la
+Societe de Dermatologie,--chez les syphilitiques epuises, auxquels
+l'huile sert d'aliment.
+
+Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de
+dire un mot de nos travaux anterieurs sur l'action dynamogenique de
+l'huile creosotee, en injections sous-cutanees _a dose maxima toleree_.
+Nous les avons surtout employees et les employons encore chez les
+tuberculeux; mais nous etions guide par une fausse conception theorique;
+et si la creosote _bien maniee_ reste,--et restera longtemps,--le
+medicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle
+agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle
+a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le systeme
+nerveux.
+
+La creosote est, en effet, un agent dynamogenique de premier ordre.
+Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'etre les seuls malades qui
+puissent tirer parti de ce precieux medicament; et si je ne craignais
+d'etre accuse de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le
+moindre benefice, a cause de la difficulte que presente le maniement de
+la creosote chez ces malades, toujours prets a avoir la fievre. La
+ou les injections d'huile creosotee font merveille, c'est chez les
+pseudo-tuberculeux, qui sont tellement demolis par les troubles
+gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne
+l'etant pas. Chez eux, la creosote bien maniee rend, en quelques jours,
+l'appetit, la force, en un mot la vie.
+
+Le seul inconvenient de la creosote, et qui restreindra longtemps son
+emploi, c'est l'extreme difficulte qu'il y a a la manier. Pour ma
+part, je me suis attache a surprendre les moindres manifestations de
+l'intolerance, et a les decrire minutieusement afin de permettre aux
+praticiens de ne jamais depasser la dose utile; a appeler l'attention
+sur les intolerances accidentelles, qui doivent faire immediatement
+suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptee les jours
+precedents. J'ai meme tellement insiste sur les dangers de la creosote
+que quelques confreres m'ont accuse d'avoir fait son proces; mais la
+dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empeche pas que, bien
+maniee, elle rende des services[16].
+
+[Note 16: Dans les injections d'huile creosotee, il n'y a pas
+seulement que la creosote qui soit utile. L'huile absorbee, digeree par
+la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un
+mois, avec des injections sous-cutanees d'huile et des lavements aqueux,
+un malade atteint d'ulcere de l'estomac. Un mois durant, ce malade est
+reste a la diete _absolue_, ce qui a donne a l'ulcere le temps de se
+cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de
+150 grammes d'huile convenablement preparee. Le danger des injections
+huileuses est la penetration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'ou
+peut resulter une embolie qui peut etre mortelle; mais j'ai indique le
+moyen de se mettre _surement_ a l'abri de tout accident grave. Le secret
+consiste a bien connaitre les moindres symptomes d'introduction de
+l'huile dans le torrent circulatoire, et a arreter l'injection des
+l'apparition de ces symptomes. Rien n'est plus facile que d'arreter a
+temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais
+cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil special, a
+fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont etudies dans
+mon livre sur le _Traitement de la tuberculose par la creosote_.]
+
+III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent
+encore d'une autre facon. En dehors des proprietes particulieres a
+chaque medicament, et de l'action dynamogenique reconnue a toute
+injection sous-cutanee et meme intra-musculaire, elles agissent encore
+par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant
+que les autres agents therapeutiques, qui visent l'hygiene cerebrale,
+medullaire, gastrique, intestinale, cutanee, etc., aient eu le temps de
+produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente,
+comme ils ne procurent pas de resultat immediat, le malade serait vite
+decourage, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant,
+factice peut-etre, mais certainement utile, et ayant une action
+evidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance.
+
+La pratique des injections hypodermiques est egalement utile au medecin
+a un autre point de vue: elle lui permet d'apprecier tres vite le degre
+de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de
+ce degre de confiance derive, dans une notable mesure, le resultat
+therapeutique final. Si le medecin sent que son malade a foi en lui,
+il deploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son
+intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira a
+tout instant, gene, paralyse, inhibe, et il risquera de n'avoir pas
+toute la clairvoyance necessaire. De la l'importance qu'il y a, pour
+lui, a evaluer le degre de confiance qui lui est octroye. Eh bien! pour
+l'apprecier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection
+hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci
+aveuglement, du premier coup, sans meme demander la formule du liquide
+injecte, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade
+acceptera avec la meme obeissance les diverses prescriptions qui lui
+seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non
+parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe,
+il acceptera avec la meme passivite les prescriptions qui lui seront
+faites, et c'est la l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou
+surtout son entourage, manifestent une curiosite inquiete, qu'on ne
+parvient pas a satisfaire par une reponse banale, quand ils expriment
+des apprehensions sur la nature et les effets du liquide injecte, on
+peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins mediocre; et le
+medecin aura beaucoup a faire pour conquerir la confiance.
+
+Certes, cette curiosite et ces apprehensions sont legitimes, et ce que
+nous disons ici ce n'est pas pour les empecher: mais il n'en est pas
+moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le medecin
+a interet a connaitre afin de travailler a la faire cesser et d'etablir
+ainsi, entre son malade et lui, cette confiance reciproque qui est la
+condition indispensable d'un traitement efficace.--Or l'attitude des
+malades en face des injections qu'on leur propose constitue, a ce
+point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral.
+
+Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des
+applications locales, revulsives ou derivatives, qui etaient autrefois
+si en honneur, et qui sont tombees dans un discredit bien injuste.
+
+_Vesicatoires_.--Autant nous protestons contre les larges vesicatoires
+employes autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la
+cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait
+guerir; autant nous continuons a penser que le petit vesicatoire, sous
+forme de mouche de Milan, ne doit pas etre dedaigne. Chez les grands
+malades qui ont le systeme nerveux sens dessus dessous, une mouche,
+appliquee derriere l'oreille, peut faire un mal extreme et produit
+un etat d'agitation inconcevable, non pas a cause de la douleur
+insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de
+circulation qu'elle produit a distance. Ce seul fait suffirait a prouver
+que l'application d'une mouche n'est pas indifferente; rien, d'ailleurs,
+n'est indifferent en therapeutique. Mais chez certains malades qui ont
+encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquee derriere l'oreille
+droite, de preference, produit une sedation des plus remarquables, amene
+le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles
+innommables qui constituent l'etat nerveux; c'est sans doute a cause de
+l'inferiorite fonctionnelle de la partie gauche du corps,--habituelle
+chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,--que la mouche appliquee
+derriere l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle
+produirait moins si elle etait appliquee a gauche; en tout cas, c'est un
+fait d'observation. De meme, la mouche sur le creux de l'estomac peut
+amener, si elle est appliquee trop tot, ou dans les cas trop aigus, une
+aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient a son
+heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La
+mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remedes a
+apporter a la constipation. Cette affirmation peut sembler singuliere,
+mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours
+nerveuse, de la constipation.
+
+_Emplatres_.--Les applications d'emplatres d'opium ne sont jamais
+dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Etant donnee l'extreme
+susceptibilite d'un systeme nerveux malade, qui se laisse impressionner
+par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout
+cas, j'affirme, au nom d'une experience prolongee, qu'une mouche d'opium
+appliquee a la tempe est souvent tres appreciee par les malades
+cephalalgiques, qu'un emplatre d'opium, ou de cigue et de belladone,
+laisse sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une
+facon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une
+serie d'injections de morphine.
+
+De meme, l'emplatre a l'oxyde de zinc, applique sur la colonne
+vertebrale, immediatement au-dessous de la premiere vertebre dorsale,
+sur une longueur de dix centimetres, attenue singulierement certains
+phenomenes medullaires dont se plaignent les malades, en particulier
+les inquietudes dans les jambes qui sont si frequentes chez les grands
+neurastheniques.
+
+Tous ces moyens si simples ne sont donc pas a dedaigner. A eux seuls,
+ils seraient insuffisants; mais, ajoutes au regime alimentaire, au repos
+methodiquement dose, aux applications hydrotherapiques raisonnables, et
+a la psychotherapie, ils amenent surement la guerison, lorsqu'il reste
+assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.
+
+_Purgatifs_.--Nous usons tres peu des medicaments fournis par la
+pharmacopee, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin,
+et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents
+therapeutiques a action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer?
+c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas.
+
+Rien n'est, en effet, difficile comme l'etude d'un medicament. J'ai
+mis, quant a moi, des annees a etudier l'action du bromure, quand je
+m'occupais plus specialement des "maladies" nerveuses et mentales; et
+quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier
+l'etude du cacodylate de soude, la premiere chose que je lui ai dite,
+c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet
+agent therapeutique une appreciation ayant quelque valeur. Enfin,
+pour ce qui est de la creosote et du gaiacol, j'ai mis cinq ans a en
+connaitre l'effet.
+
+Comment, alors, avoir confiance dans des publications hatives sur des
+medicaments decouverts de la veille? Et, en ce qui est des medicaments
+anciens, ayant fait leurs preuves, je repete que, en general, je les
+redoute, a cause de l'extreme sensibilite des malades, qui depasse tout
+ce qu'on peut imaginer.
+
+Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une
+veritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons
+employer sans dommage, et meme avec une apparence de succes qui
+saute aux yeux! Leur emploi repond d'ailleurs a une indication bien
+rationnelle, puisqu'il faut evacuer les residus de la digestion qui
+empoisonneraient l'economie! Il nous faut refuter ces objections en
+passant: qu'on donne un purgatif a un homme solide qui a un leger
+embarras gastrique, il le tolerera, et paraitra meme s'en trouver bien;
+mais c'est une erreur d'interpretation, et si le purgatif ne lui a pas
+fait de mal appreciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains.
+Mais donner un purgatif a un malade grave dont le systeme nerveux
+est profondement atteint, c'est provoquer chez lui des reflexes dont
+personne ne connait l'importance, c'est quelquefois siderer son
+systeme nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait
+jusqu'alors une certaine tonicite, devenir flasque, inerte, perdre toute
+reaction; l'intestin est alors inhibe dans son fonctionnement, et il
+faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se
+ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades
+constipes? La reponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur
+constipation, qui n'est qu'un symptome, et il faut les soigner en tant
+que malades; la constipation disparaitra d'elle-meme. Le moment nous
+semble venu de protester une derniere fois contre les idees des gens du
+monde, et des medecins, relatives a la constipation.
+
+Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de
+constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une facon
+de parler: car, en realite, les constipes ne sont pas absolument bien
+portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la
+vie commune, tout en ayant une constipation opiniatre; de plus il y a
+beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipes.
+Une dame nous disait plaisamment, a ce sujet, que son intestin avait
+"horreur du vide". Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette
+obsession speciale qui empoisonne la vie des constipes, elles tolerent
+leur infirmite sans se douter qu'elle existe. Mais malheur a elles quand
+elles commencent a se preoccuper de leur constipation! C'est a partir de
+ce moment qu'elles rapportent a la constipation les mille et une miseres
+qui sont l'apanage des neurastheniques. Malheur a elles, surtout,
+quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la
+constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiede
+d'abord, puis tres chaud, puis tres froid; puis elles ont recours aux
+purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux
+grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur
+intestin, et qu'a leur constipation anodine succede l'entero-colite
+membraneuse.
+
+A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle
+vicieux est etabli. Plus elles irritent leur intestin, plus la
+constipation devient opiniatre, et, pour lutter contre cette
+constipation opiniatre, elles irritent de plus en plus leur intestin.
+L'obsession entre alors en scene, elles ne pensent plus qu'a leurs
+fonctions alvines, a la liberte du ventre, qu'elles disent etre la plus
+necessaire des libertes. Elles donneraient la vie du genre humain pour
+obtenir une selle; elles se presentent a la garde-robe plusieurs fois
+dans la journee, sans succes ou avec des resultats insignifiants, et,
+cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus
+extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet etat
+mental des constipes merite d'etre etudie de tres pres; et toute
+therapeutique qui ne cherche pas a le modifier est, par avance,
+condamnee a l'impuissance.
+
+La premiere chose a faire, quand on se trouve en presence d'un de ces
+constipes a obsession, est de lui persuader que la constipation n'est
+pas l'ennemie, n'est pas la cause immediate de toutes les miseres
+qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptome d'importance
+secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de defectueux
+dans le fonctionnement du systeme nerveux abdominal.
+
+Persuadez a vos malades qu'il leur suffit d'aller a la garde-robe tous
+les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils
+iront quotidiennement; invitez-les a ne s'y presenter qu'une fois par
+jour, a heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y
+aller en dehors de l'heure reglementaire. Recommandez-leur de ne pas
+lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont
+la constipation n'est qu'un symptome, et, s'ils vous ecoutent, si vous
+avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul a moitie gueris.
+
+Cependant, comme il faut tenir compte de leur etat mental, et un peu
+aussi de la mentalite de l'entourage, on peut autoriser un petit
+lavement d'eau bouillie a prendre le matin du troisieme jour de
+presentation inefficace, a l'heure reglementaire de la presentation,
+lavement qui sera garde cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on
+croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir
+du troisieme jour de presentation inefficace, un lavement d'huile, non
+pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerees
+a bouche d'huile pure, lavement destine a etre garde toute la nuit; si
+l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le
+lendemain, un effet magique.
+
+Les pilules de belladone d'apres la formule de Trousseau sont egalement
+recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas etre
+nuisibles.
+
+Mais un agent veritablement utile, c'est le liquide orchitique de
+Brown-Sequard; c'est de la bouche meme du savant professeur que je tiens
+ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'etait hier, le
+jour ou il me disait ces paroles: "De tous les services que m'ont rendus
+a moi-meme mes injections de suc orchitique, celui que je place en
+premiere ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont gueri
+d'une constipation opiniatre". Et, ajoutait l'illustre maitre, "il faut
+avoir ete, comme moi, torture par la constipation pour savoir toutes les
+angoisses qu'elle occasionne".
+
+Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joue aucun role dans la
+circonstance, car M. Brown-Sequard ne s'attendait pas le moins du monde
+a cet effet des injections do liquide orchitique.
+
+Pour moi, utilisant ce precieux renseignement, j'ai traite et je
+traite encore par les injections de liquide orchitique les grands
+neurastheniques atteints de constipation opiniatre avec entero-colite.
+
+_Eaux minerales_.--Si nous donnons peu de creance aux medicaments de
+la pharmacopee, nous croyons, par contre, que les eaux minerales
+constituent des agents therapeutiques tres actifs. Voltaire, qui ne
+respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont ete inventes par
+des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en
+general, les eaux sont le dernier conseil de la medecine poussee a bout.
+"On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remede."
+
+Tous les deux etaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient
+la de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit
+la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute
+antiquite, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles
+n'avaient pas vraiment une certaine efficacite.
+
+Certes, dans les bons effets des cures minerales, il faut compter, pour
+une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agreable
+du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile
+quelquefois, est quelquefois facheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux
+que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital
+n'est pas serieusement compromis.
+
+Le changement de regime alimentaire qui est impose aux malades, dans les
+stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part
+d'influence dans les bons resultats obtenus. Nous savons, en effet, que,
+a un moment donne, il est utile de ne pas se confiner dans un regime
+alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains
+cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui
+souvent est utile, peut etre dangereux, au contraire, quand le systeme
+nerveux n'est pas de taille a supporter le soudain assaut impose.
+
+C'est ce qui arrive souvent aux stations minerales, ou le bon effet
+des eaux est, en grande partie, contre-balance par la mauvaise hygiene
+alimentaire. De la l'utilite qu'il y aurait a instituer, dans toutes les
+villes d'eaux, des "tables de regime" comme il en existe dans toutes les
+maisons de sante bien tenues, ou chaque malade, pour ainsi dire, a le
+regime alimentaire qui lui convient, dose et surveille par le medecin de
+l'etablissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos
+stations minerales, parce que les medecins n'y sont pas libres de tous
+leurs actes, et ont a compter avec les hoteliers qui, eux-memes, ont a
+compter avec leurs chefs de cuisine.
+
+A Carlsbad, on a bien essaye de faire des "tables de regime"; et j'y
+ai vu moi-meme des menus imprimes; mais un bon nombre des mets qu'ils
+annoncaient se sont trouves n'exister que sur le papier. A Vichy, par
+contre, plusieurs medecins sont arrives a imposer a des tenanciers de
+pensions de famille l'obligation de donner aux malades des regimes
+varies, suivant les prescriptions medicales.
+
+Quant aux indications des eaux minerales, elles varient a l'infini.
+
+Certaines eaux ont certainement une action predominante sur tel on
+tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur
+d'observation, ou d'un engouement irreflechi, qu'on attribue aux eaux
+de Bagnoles de l'Orne une action presque specifique sur les troubles
+peripheriques de la circulation (varices, hemorroides, phlebites).
+Les malades atteints d'hemorroides, par exemple, voient surement, a
+Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs miseres (troubles nerveux,
+dyspeptiques), mais plus particulierement les miseres locales causees
+par leurs hemorroides. De meme Chatel-Guyon a une action non douteuse
+sur le symptome constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au
+contraire, favorise la constipation pendant la duree du traitement.
+
+De meme, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains enteralgiques,
+convalescents d'appendicite, etc., une action veritablement speciale. De
+meme encore, dans l'obesite, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des
+symptomes de la "maladie", elles ont une bienfaisance incontestable,
+surtout si, a leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne
+bien comprise et bien reglee. Les eaux de Bagneres-de-Bigorre n'ont pas
+d'action speciale, mais elles rendent de precieux services aux nerveux
+fatigues. Celles de Vichy sont absolument indiquees chez les malades
+dont le systeme nerveux digestif est en detresse, et la Grande Grille,
+en particulier, a une action d'une puissance extreme, qui ne s'explique
+pas plus par la theorie des _ions_ que par les theories chimiques, mais
+qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas la de psychotherapie ni de
+suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy
+est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se
+rappeler que c'est une arme difficile a manier, comme toutes les armes
+puissantes, et qu'a Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant
+encore une grande force de resistance vitale.
+
+Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des
+dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque annee,
+il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptomes cerebraux
+predominent, a condition, bien entendu, que ces symptomes ne soient pas
+en rapport avec des lesions organiques; et ces malades se trouvent
+au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptomes
+gastriques ou hepatiques.
+
+Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer a Bourbon-l'Archambault les
+malades atteints de lesions organiques du cerveau ou de la moelle,
+hemiplegiques, congestifs, etc. Depuis quelques annees, la physionomie
+de cette station a change. Il y a eu des accidents provoques par l'eau
+chaude sur les malades a arteres friables; et l'on se borne actuellement
+a y envoyer les malades a troubles medullaires superficiels,
+connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou
+articulaires, sciatiques, nevralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de
+boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de
+grands services aux rhumatisants et aux obeses sans lesions organiques
+appreciables.
+
+Seule, la station de Lamalou a garde le privilege de recevoir des
+malades a lesions organiques nettement definies, et dont nous ne nous
+occupons pas dans ce travail.
+
+Vittel et Contrexeville conviennent aux malades chez lesquels le trouble
+de la nutrition, qui n'est, en general, qu'un trouble du systeme
+nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation
+de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins[17].
+
+[Note 17: Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon
+estomac, a cause de la quantite d'eau qu'on est oblige de boire. De la
+le nombre relativement limite de malades qu'on peut envoyer a Vittel.
+Mais fouillez le passe de ces malades, et vous verrez que, longtemps
+avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cerebraux, ne
+fut-ce que des migraines, de petits troubles cutanes, de l'obesite. Un
+beau jour, une colique nephretique les surprend, et l'on se figure que
+c'est a partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien.
+La colique nephretique n'a ete chez eux, qu'un accident; bien avant
+de l'avoir, ils avaient, meme du cote du rein, de petites miseres qui
+passaient inapercues: du lumbago, des urines chargees de sable. Et si,
+au moment ou l'on s'est apercu de ces petits symptomes, on les avait
+soignes methodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas,
+par telle ou telle hygiene alimentaire, telle ou telle pratique
+hydrotherapique, telle ou telle hygiene cerebrale, ils n'auraient pas eu
+de coliques nephretiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller a Vittel.
+Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir
+au traitement bienfaisant de Vittel pour se debarrasser d'une des
+manifestations importantes de leur "maladie", au moins d'une facon
+temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les
+guerira pas, quand meme ils y retourneraient tous les ans.]
+
+Les eaux arsenicales conviennent souvent a nos malades; la Bourboule en
+particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens.
+
+Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minerales francaises
+et etrangeres. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux
+minerales sont un agent therapeutique de premier ordre, un agent que
+tous les medecins doivent connaitre, non seulement parce qu'ils voient
+dans les livres, non seulement par oui-dire, mais en se donnant la peine
+d'aller les visiter. Il n'est meme pas mauvais qu'ils goutent, par
+eux-memes, aux diverses sources, et qu'ils tatent parfois des bains. Ils
+ne tarderont pas a voir que ce ne sont pas des agents indifferents: je
+leur recommande, en particulier, un bain a Salies-de-Bearn, a forte dose
+d'eau salee. Aussi le monde medical doit-il etre tres reconnaissant a
+celui de nos maitres, le professeur Landouzy, qui a organise, tous les
+ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux francaises;
+quinze jours de voyage sous une bonne direction medicale sont plus
+utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi a
+connaitre non seulement les eaux, mais aussi les medecins des stations,
+parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idees generales tres
+interessantes sur la pathologie. Ces medecins des villes d'eaux sont,
+d'ailleurs, pour les praticiens, de precieux collaborateurs, quand ils
+veulent bien ne pas se borner a prescrire les eaux en boisson, les
+bains, les douches, etc., et consentir a faire, en meme temps, oeuvre
+medicale veritable, c'est-a-dire surveiller le regime, doser avec soin
+le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychotherapie ne perd
+jamais ses droits.
+
+_Voyages_.--Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus
+grand bien aux malades en general, qu'a la suite d'un etat aigu, par
+exemple, des que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien
+loin de chez lui, et que, dans les etats chroniques, ce deplacement
+lointain est la condition _sine qua non_ d'une guerison. Cette opinion
+est basee sur une erreur d'interpretation. Il est certain qu'un homme
+bien portant se trouve tres bien d'un deplacement annuel, et les
+vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son
+age et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien
+portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachere, prenne
+l'exercice dont il a ete en partie prive pendant le reste de l'annee.
+Ce temps consacre au repos cerebral n'est pas du temps perdu, c'est du
+temps bien employe.
+
+Les vacances sont egalement necessaires a l'enfant qui travaille: et par
+vacances nous entendons non seulement le repos cerebral, qui doit etre
+presque absolu,--ce qui, par parenthese, contre-indique l'usage des
+devoirs de vacances,--mais aussi, autant que possible, le changement de
+milieu, ne fut-ce que pendant une trentaine de jours. De la l'utilite
+des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle "des
+croisades de paix et de redemption". Elles sont, dit-il tres justement,
+la "premiere ligne de defense contre la tuberculose". M. Plantet a fait
+sur ce sujet, a la demande de l'Office central du travail, un rapport
+des plus interessants et des plus complets, publie dans la _Reforme
+sociale_, (16 juin et 1er juillet 1905). Il resulte de ce rapport que la
+France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre,
+la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que
+le sixieme rang dans la lutte des societes contre le deperissement
+de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entree dans le
+mouvement, et les colonies scolaires francaises sont deja en nombre
+considerable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions
+privees parisiennes, 40 comites de patronage s'occupant de procurer des
+vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables
+fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en
+1902, 14000 petits Francais ont beneficie de ces institutions
+philanthropiques[18].
+
+[Note 18: Dans l'interessant rapport de M. Plantet, chacune de ces
+colonies est etudiee avec des details suffisants pour qu'on puisse se
+rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des resultats
+obtenus. Dans un premier type, les enfants sont loges en commun dans un
+meme local (villas scolaires, ecoles communales vacantes pendant l'ete,
+proprietes privees, louees, acquises, specialement amenagees pour
+abriter une collectivite a la campagne ou a la mer). C'est la colonie
+d'internat.
+
+Dans un second type, les enfants sont confies par petits groupes de
+deux a quatre au plus, a des familles de cultivateurs recommandables,
+moyennant un prix debattu, dans les regions reputees les plus saines.
+C'est le placement familial.--Les deux systemes presentent des avantages
+et des inconvenients qui sont analyses de tres pres dans le travail
+que nous signalons.--En ce qui concerne la sante, tous les rapports
+constatent la plus-value dans toutes les regions, en montagne, en
+plaine, a la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les
+colonies familiales.
+
+Quant aux resultats moraux, tout depend de la colonie et de l'esprit
+qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner a de
+pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux a faire,
+on peut realiser un bien plus durable: il faut viser a ce qu'ils
+rentrent meilleurs a leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne
+se devine guere. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensee dominante
+et le reve du directeur. Le tout est de savoir choisir.]
+
+Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu
+fatigue par le surmenage cerebral, et par les petites emotions
+quotidiennes, se trouve tres bien de changer d'air, de milieu, non
+seulement une fois par an, mais meme chaque fois qu'il sent, chez lui,
+cette sorte de malaise cerebral premonitoire de la neurasthenie, ou
+certains troubles digestifs mal definis qui prouvent que son systeme
+nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un
+deplacement de quelques jours est extremement favorable. Ou qu'il aille,
+il verra son appetit renaitre, sa constipation disparaitre, la sante lui
+revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant
+ayant encore un capital serieux, l'unique fait de monter en chemin de
+fer produit des effets appreciables, et, le jour meme du depart, on les
+voit transformees. Elles laissent a la premiere station leurs phobies,
+leurs inquietudes; c'est un changement a vue, un veritable coup de
+theatre.
+
+Mais autre chose est l'hygiene de l'homme bien portant, ou du candidat
+a la "maladie" dont le capital est encore presque intact, et autre
+l'hygiene du vrai malade. Voila ce que, d'une facon generale, les gens
+du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgre eux, par le fait d'un faux
+raisonnement, a croire que ce qui fait du bien a l'homme valide doit
+en faire encore plus a l'homme malade. "Un bon bifteck saignant est
+certainement utile a un travailleur bien portant; combien il doit etre
+plus utile a un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des
+forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra,
+plus vite il sera gueri!" Le malade proteste, il affirme que la viande
+saignante lui fait du mal: c'est egal, qu'on lui en donne au moins
+autant que son estomac pourra en digerer, ce sera toujours pour son
+bien! On disait la meme chose, autrefois, pour le vin; les gens
+intelligents commencent a comprendre que le vin, si utile a un
+travailleur bien portant, n'est pas un aliment heroique quand il est
+donne a des malades, meme sous forme de vins medicamenteux.
+
+De meme l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modere est utile aux
+gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau
+dire que la moindre marche le fatigue, lui ote le peu d'appetit et de
+sommeil qu'il avait encore; c'est egal, il faut qu'il marche! On ne
+concoit pas qu'il doive rester a la chambre, du moment qu'il peut se
+tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couche, il sent
+que le lit lui est utile; c'est encore la, dit-il, qu'il souffre le
+moins. Mais non, il faut qu'il se leve! Le lit ote les forces, le lit
+constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigne, plus il a a
+lutter contre ces prejuges, qu'on parvient difficilement a deraciner
+meme dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on,
+laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit!
+Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher
+malade "tient a une excitation de ses cellules cerebrales, et que le
+sommeil est le meilleur remede a apporter a cette excitation, et que,
+par consequent, le sommeil du jour predispose au sommeil nocturne! Quand
+donc aurez-vous une notion un peu precise et raisonnee sur la pathogenie
+de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la "maladie"?
+
+C'est aussi par une faute grossiere de raisonnement qu'on considere les
+voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux
+gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce
+qu'ils permettent a l'homme doue d'un beau capital biologique de faire
+de ces petites avances dont nous avons parle deja, de ces placements a
+gros interets qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai,
+il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive
+chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'energie, et met
+quelquefois quinze jours a se refaire d'une excursion par trop fatigante.
+Mais enfin, en general, on peut dire que, chez les gens bien portants,
+ces risques de depenses exagerees sont reduits a tres peu de chose. Le
+malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas
+depenser a tort et a travers, mais il doit parcimonieusement, et avec
+un soin jaloux, garder le peu qu'il possede encore, et chercher a faire
+des economies. Si son indigence est momentanee, il se remettra assez
+vite a flot. Si elle est definitive, _a fortiori_ devra-t-il chercher a
+ne pas faire de fausses depenses.
+
+Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une
+depense; le changement d'habitudes, le surcroit de fatigue inevitable,
+a eux seuls, occasionnent de la depense nerveuse. Si c'est un grand
+malade, le voyage peut meme le tuer, comme il tue ces malheureux
+typhoidiques qu'on est quelquefois oblige, en campagne, ou qu'on se
+croit oblige d'evacuer a de longues distances, sur des cacolets qui
+les secouent d'une facon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts a
+l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur etat
+est extremement aggrave. Si on avait pu les soigner sur place, ou les
+evacuer a tres petites journees, dut-on les tenir prives des ressources
+de la therapeutique, et se borner a leur faire deux lotions fraiches par
+jour, ils auraient eu bien plus de chances de guerir. Je l'affirme au
+nom d'une experience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie.
+Mais, sans parler des etats aigus qui contre-indiquent absolument
+tout long deplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des etats
+chroniques aggraves a vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre
+malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le
+vain espoir de retrouver la sante, et qui voit son etat s'aggraver
+sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont
+aux eaux lointaines chercher la guerison promise, et en reviennent bien
+plus fatigues que s'ils etaient restes chez eux? Et les tuberculeux
+avances! ces tristes victimes des theories regnantes et de la crainte de
+la contagion.
+
+Vous prenez la, dira-t-on, les cas extremes, et on commence a comprendre
+que les grands deplacements ne sont pas favorables aux grands malades.
+
+Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades
+_moyens_.
+
+Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digere
+plus, qui dort mal, qui est constipee, qui n'a pas ses regles depuis six
+mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux
+du Nord pour l'envoyer sur la cote d'Azur, on va lui faire le plus
+grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui
+paraitra odieux, et, apres quelques jours, elle souhaitera, dans son for
+interieur, de quitter le delicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne
+pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut meme
+se faire qu'a la longue son etat s'ameliore; mais, surement, ce ne sera
+pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que
+son etat s'aggrave assez pour que l'entourage se rende a l'evidence, et
+ramene a grands frais, et avec d'infinies precautions, la pauvre victime
+dans le milieu qu'elle n'aurait pas du quitter.
+
+En realite, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en
+avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre maniere de voir
+que nous exagerons, a dessein, la formule de notre pensee.
+
+Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au
+monde deplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et
+qui a tout interet a faire des voyages d'agrement, il existe toute une
+serie d'intermediaires auxquels les voyages peuvent rendre des services.
+Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut
+etre utile a l'individu qui n'est que sur la frontiere de la "maladie".
+Quitte a avoir dans un hotel une nourriture moins bonne, moins
+hygienique, moins adaptee a l'etat de son estomac, un dyspeptique pourra
+se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant a l'hotel, il
+laisse ses preoccupations incessantes, enervantes, de Paris. Comme toute
+chose humaine, le deplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne
+peut formuler de regles absolues pour les cas moyens; c'est au medecin,
+s'il est consulte, a peser le pour et le contre, et a donner les
+indications generales.
+
+Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade.
+C'est:
+
+1 deg. De ne pas voyager de nuit.
+
+2 deg. De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans
+les cas ou, pour une raison quelconque, on est oblige de gagner les
+altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade
+des stations intermediaires, car l'experience demontre que rien n'est
+prejudiciable a une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une
+seule traite de Paris en Engadine. Elle peut etre sure que, en arrivant
+a destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau
+milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques
+jours, elle aura un malaise extreme, et, en particulier, de l'insomnie,
+tandis que, si elle s'etait arretee deux fois en route, elle n'aurait
+pas eu a payer ce tribut a la depression barometrique.
+
+3 deg. De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que
+le lever a l'aube est favorable a l'alpiniste bien portant, il soit
+egalement favorable aux neurastheniques qui ont besoin de leur sommeil
+matinal.
+
+4 deg. Une prescription importante, c'est encore de se reposer, a l'arrivee
+a destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de
+l'individu, pour reparer la depense occasionnee par le voyage. Ce repos
+sera plus ou moins complet, suivant la gravite des cas. En principe, il
+vaut mieux pecher par exces que par defaut de prudence.
+
+5 deg. Pendant ces villegiatures, le malade ne devra pas faire de sorties
+quotidiennes, sous le fallacieux pretexte de s'entrainer; l'entrainement
+convient aux gens bien portants, mais le mot "entrainement" doit
+disparaitre du vocabulaire du malade. Certes, le role du medecin est
+d'entrainer le malade; mais cet entrainement, que j'appellerai medical,
+doit etre tellement progressif et mesure qu'il n'a, pour ainsi dire,
+rien de commun avec l'entrainement de l'homme bien portant et de l'homme
+de sport.
+
+Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et
+profiter des jours intermediaires pour se reposer. Ainsi il parviendra a
+reconquerir des forces, tandis que, s'il espere s'entrainer en depensant
+tous les jours un peu plus de son miserable capital, il ira droit a la
+ruine.
+
+On comprend aisement qu'un des facteurs importants du voyage est sa
+longueur. Le voyage autour du monde ne convient a aucun malade; on peut
+dire que, en general, il n'est pas necessaire d'aller tres loin. Le
+malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villegiature a
+Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extreme
+susceptibilite du malade au changement de milieu. Une simple promenade
+_extra muros_ impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais
+le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui
+ne peuvent pas aller jusqu'a Versailles sans avoir, au retour, une
+veritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou
+trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptomes morbides?
+
+Leurs parents, qui n'y comprennent rien, pretendent que c'est affaire
+d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le
+medecin, qui connait cette susceptibilite invraisemblable, devrait
+se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la
+famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans
+certains cas, par une suggestion puissante, en reveillant ce qui reste
+d'energie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la
+psychotherapie reconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le
+malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de
+Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus
+grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-meme. Mais,
+avant de donner cette suggestion, le medecin doit bien etudier son
+sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui
+demandant un effort au-dessus de ses forces.
+
+Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de
+connaitre la valeur exacte d'un systeme nerveux; c'est presque
+impossible pour le medecin qui voit le malade pour la premiere fois.
+Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait
+d'etre prejudiciable; on se repent rarement d'avoir ete trop prudent. Un
+element d'appreciation qui est d'un grand secours pour le medecin, en
+pareille occurrence, c'est le desir du malade lui-meme.
+
+S'il ne desire pas voyager, s'il se dit fatigue, il y a gros a parier
+qu'il l'est en realite. Le malade a toujours, en effet, une vague
+conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appreciation.
+Si, au contraire, il manifeste vivement le desir de changer de milieu,
+c'est qu'il sent vaguement qu'il a des reserves de force nerveuse ayant
+besoin d'etre utilisees; il a un sourd instinct qui, en general,
+le guide bien. Mais alors, direz-vous, le role du medecin est
+singulierement restreint; il consiste a s'enquerir plus ou moins
+discretement des desirs du malade, et a les transformer habilement
+en prescriptions medicales? A vrai dire, ce serait encore de la
+psychotherapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette facon.
+Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est
+devoye par des auto-suggestions, des prejuges ataviques, dos theories
+plus ou moins scientifiques; et le role du medecin est, en ce cas, de
+remettre tout au point, de demontrer a son malade que son instinct, dans
+telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en
+ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le medecin merite alors le
+beau titre de directeur de la sante.
+
+_La mer_.--Les voyages a la mer auraient du, en bonne logique, etre
+etudies a la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de
+mer est un agent therapeutique comparable aux bains d'eau salee qu'on
+va prendre a Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais
+nous les placons a dessein a la suite de l'etude des voyages, parce
+que, dans la pratique, le bain de mer est plutot considere comme voyage
+d'agrement que comme traitement medical. Cela est si vrai que le medecin
+est rarement consulte sur l'opportunite du traitement marin, sur le
+choix de la plage: et c'est a tort. D'autre part, aux bains de mer, le
+traitement n'est pas surveille comme il l'est dans les stations d'eau
+salee, et c'est egalement regrettable; car la medication par l'eau de
+mer est active, et son emploi n'est pas indifferent, surtout lorsqu'il
+s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention
+fait du bien ou du mal.
+
+Les principaux conseils que nous ayons a donner aux malades livres a
+eux-memes, a la mer, sont les suivants:
+
+1 deg. Ne pas prendre de bains des l'arrivee, et se reposer des fatigues du
+voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire;
+
+2 deg. Se rappeler que l'air marin a, par lui-meme, une action appreciable,
+et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans
+certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par
+jour au bord de la mer;
+
+3 deg. Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un
+veritable traitement mineral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir
+des effets serieux; et, par consequent, il n'est pas raisonnable d'aller
+a la mer pour huit jours; c'est s'exposer a la fatigue du voyage et de
+l'acclimatation sans aucun profit. _A fortiori_, ne doit-on pas prendre
+un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train
+special, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et
+se croient obliges de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils
+ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutot
+facheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces
+emotions du revoir conjugal, et le bain de mer acheve de leur soutirer
+une reserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un etat
+subaigu, au retour, qui recoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se
+joignent souvent des douleurs rhumatismales.
+
+Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette etude rapide, les indications
+et contre-indications des bains de mer. Le principe general est qu'il ne
+faut pas en donner aux malades a capital restreint, et que, en realite,
+ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est
+entame, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain,
+au point de vue de sa frequence et de sa duree. Tout ce qu'on peut dire,
+c'est qu'il faut, en general, le prendre tres court, cinq minutes en
+moyenne.
+
+Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois
+premiers bains. S'ils amenent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop
+prolonges, ou trop frequents, ou tout a fait contre-indiques. Il ne faut
+pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du
+mal, les suivants feront du bien. D'une facon generale, d'ailleurs,
+l'organisme ne s'habitue pas a ce qui lui est nuisible; et les
+medications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de
+mal, meme momentanement. Mais c'est la un point de doctrine dont la
+demonstration nous entrainerait trop loin, et en dehors de notre plan.
+
+
+
+
+TROISIEME PARTIE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA PERIODE DE DECLIN
+
+
+
+Nous avons a dessein place dans l'etude de l'homme adulte la plus grosse
+part de nos considerations therapeutiques, parce que, a vrai dire, c'est
+l'age adulte qui est le plus interessant au point de vue medical comme
+au point de vue social, et que c'est pendant cette periode de la vie que
+le medecin peut faire le plus de bien au malade.
+
+Au contraire, a partir du moment ou l'etre humain est arrive au
+sommet de sa courbe evolutive, et, par consequent, ou il va decliner,
+l'importance des agents therapeutiques se limite de plus en plus,
+jusqu'a aboutir a zero quand l'homme arrive a la fin de sa carriere.
+
+Dans les phases de la vie qui nous restent a etudier, la therapeutique
+doit viser, avant tout, a eviter les depenses de capital: mais son role
+pratique n'en reste pas moins tres appreciable; et l'on ne sait
+pas assez combien une bonne direction medicale pourrait prolonger
+l'existence de l'homme arrive a la periode de declin, voire meme a une
+etape avancee de cette periode.
+
+Theoriquement, la periode de declin peut commencer le jour de la
+naissance. C'est ce qu'on observe chez les enfants qui n'ont pas la
+force de vivre, et qui meurent apres deux ou trois jours. A l'extreme
+oppose, on voit des individus qui ne commencent a decliner qu'a un age
+tres avance, ou encore dont la vie est brutalement interrompue, a un
+age relativement avance, par un accident, avant que ne soit survenu le
+commencement de la periode de declin. C'est que ces hommes a prodigieuse
+sante sont venus au monde avec un excellent capital initial, que leurs
+parents ont su ameliorer pendant la premiere enfance, et qu'ils ont
+ensuite ameliore eux-memes en s'interdisant toute depense excessive, ou
+en ne risquant qu'a bon escient une certaine partie du capital, pour lui
+faire rapporter davantage.
+
+Chez ces individus fortunes, les affections intercurrentes ont, comme
+nous l'avons dit, peu de prise. Ces privilegies sont semblables a
+l'homme qui a recu les dix talents et qui, sachant les faire fructifier,
+en rapporte dix autres, et recoit encore, en surplus, une recompense.
+Chez ces individus, le declin n'arrive que tres tardivement, et ils
+peuvent atteindre soixante ans tout en restant jeunes de coeur, de
+corps, et d'esprit.
+
+Entre ces deux extremes, tous les intermediaires sont possibles; et
+nombreux sont les hommes qui commencent a decliner a trente ans, qui
+sont des vieillards a quarante ans. La plupart, cependant, commencent
+a decliner vers cinquante ans, et se maintiennent tant bien que mal
+pendant quelques annees, puis declinent a vue d'oeil a partir de
+soixante ans. Malheur a eux quand, a cet age, ils prennent une
+pneumonie! D'ailleurs la moindre "maladie" accidentelle les deteriore
+pour plusieurs mois, et l'on est tout etonne de la lenteur de leur
+convalescence. C'est a partir de ce moment que les tares organiques,
+latentes jusque-la, se revelent, que l'homme qui avait une endocardite
+avec laquelle il vivait en bonne intelligence, et dont parfois meme
+il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son coeur devenir
+au-dessous de sa tache. A la suite d'un coup de froid insignifiant,
+d'une indigestion, d'un exces alimentaire, d'une emotion violente, d'une
+grippe qui paraissait benigne, il a de la dyspepsie, des palpitations,
+des intermittences du pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes
+choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le debarrasser cette
+premiere fois, parce qu'il n'est pas encore completement use. Mais, six
+mois apres, sous l'influence d'une cause semblable, il a une nouvelle
+atteinte, un peu plus de dyspnee, un peu de congestion de la base gauche
+du poumon, ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure des
+jambes; et, cette fois, le repos au lit, la diete lactee, ne suffisent
+pas a le remettre en etat.
+
+La digitale est alors indiquee, a la dose de 10 centigrammes par jour en
+infusion dans 200 grammes d'eau, que le malade prendra de deux heures en
+deux heures, jusqu'au moment ou il aura une salutaire crise urinaire.
+Grace a ce precieux medicament ainsi administre, il fera encore les
+frais de cet assaut; mais, la fois suivante, les memes influences
+insignifiantes ameneront l'affolement du coeur avec albuminurie, et
+alors la decheance pourra etre irremediable.
+
+Il est certain que si, dans l'intervalle de ces assauts, notre homme
+s'etait ecoute vivre, s'il n'avait rien laisse au hasard, si une sage
+direction medicale avait dose son alimentation, son travail, son
+sommeil, s'il n'avait pas eu d'emotions, si, pour conserver sa vie,
+il avait, en quelque sorte, cesse de vivre, il aurait survecu plus
+longtemps et n'aurait pas eu sa deuxieme atteinte; mais ce qu'il faut
+bien se rappeler, c'est que, des sa premiere atteinte, ses jours etaient
+comptes. Cette premiere atteinte denoncait deja l'insuffisance de son
+systeme nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque la force voulue
+pour faire son office de pompe aspirante et foulante; le declin, qui
+avait peut-etre commence quelques annees avant, s'etait traduit des le
+jour de ce premier accroc.
+
+Le declin peut n'etre qu'apparent; et les symptomes revetent parfois une
+gravite qui fait croire, a tort, a l'entourage qu'il existe une breche
+serieuse ou irremediable dans le capital vital du malade, alors qu'il
+n'est touche que superficiellement. C'est au medecin qu'il appartient
+de faire un bon diagnostic, d'ou decoulent et le pronostic et le
+traitement. Certes, le probleme est souvent difficile a resoudre,
+et, pour y arriver, le medecin n'a pas trop de toute sa finesse
+d'observation, de toute son experience, de toute sa penetration. C'est
+dans ces cas que la medecine est veritablement un art, et le medecin un
+artiste, appele a utiliser de son mieux les donnees scientifiques que
+ses etudes anterieures lui ont fournies.
+
+Il aura naturellement, pour l'aider dans cette tache, l'examen physique
+du malade, et, en particulier, l'exploration abdominale, le ventre
+etant, de tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement
+explorer, par la vue, le palper, la percussion; il aura, pour l'aider,
+l'analyse des urines, trop souvent negligee. Il sera egalement seconde
+par l'etude du passe: il ne manquera pas de fouiller l'heredite,
+l'evolution anterieure de la vie, chez le sujet qu'il examine. Celui-ci
+a-t-il eu de grands assauts, et s'est-il ressaisi completement? En ce
+cas, c'est une presomption en sa faveur: ce passe prouve qu'il a une
+grande elasticite, un capital serieux, et qu'il est possible que, dans
+la crise actuelle, il rebondisse encore une fois.--Au contraire n'a-t-il
+jamais eu d'assaut important? le probleme devient alors plus difficile,
+car le medecin manque d'une base pour apprecier la valeur reelle du
+capital. Aussi fera-t-il bien de rester dans une prudente reserve, et
+si, dans le cas precedent, il a ete en droit de rassurer la famille
+malgre la gravite apparente de l'etat du malade, dans le second cas, au
+contraire, il ne doit dire qu'une chose: "Je ne sais pas."
+
+Pour ma part, je me mefie beaucoup des hommes a sante insolente, n'ayant
+jamais eu besoin de soins, que je vois brusquement atteints par une
+"maladie" accidentelle, par la grippe en particulier. Me trouvant sur
+un terrain inconnu, je me demande, tout d'abord, si leur capital etait
+aussi bon qu'il le paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la
+faillite, la debacle.
+
+Ce sont la, je le repete, des problemes cliniques extremement difficiles
+a resoudre; mais ils ont un grand interet au point de vue du pronostic a
+porter, et du traitement a instituer. Et cet interet est immediat: car
+si le medecin soupconne, chez son malade, une alteration profonde que ne
+traduit pas l'ensemble symptomatique, il doit redoubler de precautions,
+sa surveillance doit etre incessante, son zele doit prevoir les moindres
+incidents, ne rien laisser au hasard. Il a alors a lutter non seulement
+contre la "maladie", mais aussi contre le malade, souvent indocile, et
+contre les familles, qui trouvent qu'on en fait trop, qu'on prend trop
+de soins, que le malade devrait se lever pour regagner des forces,
+sortir pour se distraire, reprendre une partie de ses occupations pour
+ne pas nuire a sa carriere; estimant, _in petto_, que le medecin userait
+de discretion en espacant davantage ses visites, etc. Quoi qu'il arrive,
+ce sont de mauvais cas pour le medecin. Il est accuse, si le malade
+guerit, d'avoir retarde sa convalescence, et, s'il succombe, de ne
+l'avoir pas bien soigne. Car enfin, un homme si bien portant! et qui
+succombe a la suite d'une grippe, presque sans fievre! Surement, c'est
+le medecin qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la conscience
+du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut aussi se dire que, dans
+d'autres cas, on a attribue exclusivement a ses bons soins ce qui etait
+du, en grande partie, a la valeur du sujet; il y a donc compensation.
+
+En somme, le medecin qui se trouve en face d'un malade quelconque est
+appele a resoudre le probleme suivant: Etant donnes la valeur anterieure
+du malade A, et le dechet que lui fait perdre la "maladie" B, quelle est
+la valeur du capital restant A--B? Le simple bon sens indique que
+cette equation ne peut pas se resoudre par l'algebre, puisque nous ne
+connaissons au juste ni A ni B. Aussi le medecin ne doit-il jamais
+quitter le terrain, relativement solide, que lui fournit la science,
+pour se perdre dans les abstractions. Il doit seulement se rappeler la
+parole d'Hippocrate: _Judicium difficile_, et faire de son mieux pour
+approcher le plus possible de la solution du probleme, qui, sans etre
+d'ordre mathematique, a cependant une solution.
+
+"Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable." [V. HUGO]
+
+Existe-t-il, du moins, des symptomes permettant d'affirmer que l'homme
+a atteint l'apogee de son evolution, et est sur la pente du declin? Eh!
+non, tant qu'il est bien portant Il est evidemment moins fort, moins
+actif, que pendant la periode de croissance, il supporte moins les
+petits ecarts de regime, les fatigues, il est plus vulnerable, en un
+mot, mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est en periode de
+declin. S'il veut eviter la "maladie", il le peut, dans une, certaine
+mesure, en s'ecoutant vivre, en surveillent son hygiene quotidienne, en
+ne faisant pas de fausses depenses ou de depenses exagerees, ou, s'il
+est oblige d'en faire par hasard, en les compensant aussitot par une
+exageration momentanee de prudence. Bref, la periode de declin est la
+periode des precautions. L'homme en declin devrait se rappeler qu'il
+faut "etre de sa sante" comme il faut "etre de sa condition", comme il
+faut etre "de son temps". En usant de ces precautions, il peut prolonger
+tres longtemps la duree de sa phase evolutive, et atteindre ainsi
+sans transition la vieillesse, qui pourra, si elle est egalement bien
+surveillee, le conduire, sans transition brusque, a la mort.
+
+Mais, quelques precautions qu'il prenne, les circonstances de la vie
+sont telles que, fatalement, il rencontre sur son chemin des influences
+qui font baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces influences
+inevitables? Ce sont toutes celles que nous avons deja etudiees
+dans l'enfance, dans l'adolescence, et dans l'age adulte: erreurs
+d'alimentation, causes morales surtout, etc.
+
+Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui soient plus speciales
+a la periode de la vie que nous etudions, la periode comprise entre
+cinquante et soixante-cinq ans?
+
+Chez la femme, tout le monde admet que la menopause produit des
+perturbations considerables; la preuve, c'est qu'on s'accorde a appeler
+"age critique" l'age de la cessation des regles. La menopause ramene
+souvent des troubles de sante qui avaient disparu depuis longtemps, et
+amene quelquefois des troubles nouveaux, tels que ces sueurs profuses
+dont se plaignent amerement les malades. Nous avons en vain essaye
+contre elles l'emploi de l'opotherapie ovarienne, et nous croyons que
+c'est un moyen non seulement inutile, mais dangereux, et que le mieux
+est de savoir attendre, en mettant la malade a un regime restreint.
+
+Dans les deux sexes, les emotions morales jouent encore, a cet age,
+un role considerable. C'est une fille mal mariee, un fils qui fait le
+chagrin de sa famille, c'est l'isolement au milieu d'indifferents, la
+perte des amis de la premiere heure, l'age des desillusions, l'automne
+de la vie, en un mot. Dans tous les cas, les pratiques de la
+psychotherapie sont d'un incontestable utilite: seules, elles ne
+suffisent pas a guerir un homme rendu malade par des influences morales;
+mais, associees aux autres agents therapeutiques, elles sont toujours
+d'une grande utilite et souvent d'une necessite absolue. J'ai plus fait
+en reconciliant avec son fils un pere que le chagrin avait terrasse,
+en lui demontrant la necessite et la legitimite du pardon, qu'en
+le traitant, comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes les
+ressources de la pharmacopee et des agents physiques.--Le fonctionnaire
+qui prend sa retraite, et se voit brusquement condamne a une oisivete
+forcee, ne sait pas que faire de son temps. En vain cherche-t-il, dans
+la societe des hommes de son age, un remede a son desoeuvrement; et
+quant a esperer trouver chez les gens jeunes de sa famille un reconfort
+quelconque, il n'y doit pas songer. Les plus jeunes ont leurs affaires,
+et les affaires sont les affaires; c'est tout au plus si la fille vient
+faire ses couches a la maison.
+
+Bref, une serie de chagrins multiples, auxquels on est encore sensible,
+sont l'apanage ordinaire de cette periode de la vie. C'est a cet age,
+aussi, que se soldent,--car tout se paie,--les erreurs du passe, les
+fautes contre l'hygiene. Alors arrivent les traites imprevues, et, quand
+le capitaliste veut mettre de l'ordre a ses affaires, il s'apercoit
+trop tard que, depuis plusieurs annees, il ne s'est pas contente de
+ses revenus et qu'il a ecorne son capital. Mais, dira-t-on, pouvait-il
+s'apercevoir de la mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'eternel
+probleme du "Connais-toi, toi-meme!" de la sagesse antique. C'etait a
+lui de voir que, de temps a autre, il avait de ces petites defaillances
+de sante qu'il traitait a la legere, en leur attribuant des causes
+banales et qui auraient du etre, pour lui, des avertissements
+(l'avertissement sans frais du percepteur). Il aurait du, en homme bien
+avise, rester toujours en deca de ce qu'il pouvait donner.
+
+Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, sinon de le reparer
+completement, au moins de l'attenuer dans une notable mesure, en se
+surveillant de pres, et en ne laissant rien au hasard de ce qu'on peut
+lui enlever par prudence et par calcul.
+
+Certaines natures ultra-genereuses ne s'apercoivent pas qu'elles
+depensent plus qu'elles ne devraient le faire; elles n'ont pas la
+bonne fortune de recevoir les petits avertissements que nous venons de
+signaler. Leur debordante sante fait l'envie de tout le monde; mais ces
+privilegies sont souvent des desherites. Nous avons dit deja ce qu'il
+fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, brusquement, avec
+une affection accidentelle.
+
+Malheur aussi a l'homme qui, a cet age, se laisse entrainer par un
+renouveau de passion sexuelle! Il s'impose des depenses trop fortes pour
+sa reserve de sante, surtout s'il en arrive a forcer ses talents. Il
+faut aussi compter avec les aberrations de l'instinct sexuel, assez
+frequentes a cet age; et alors la neurasthenie vengeresse ne tarde pas a
+s'installer, sous une forme qui rappelle, par sa brutalite d'apparition
+et la gravite des symptomes, l'hystero-neurasthenie traumatique.
+
+En effet, du jour au lendemain, cet homme, vaillant jusqu'alors,
+subit un veritable effondrement. Non seulement il perd tout d'un coup
+l'aptitude sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un grand chagrin,
+mais il perd, en meme temps, l'appetit, le sommeil, les forces. La
+constipation entre en scene; des douleurs nevralgiques variees,--ou,
+pour mieux dire, des _algies_, car la douleur ne suit pas le trajet des
+nerfs, le torturent nuit et jour. Il a une sensibilite excessive de
+l'ouie, un erethisme de tout le systeme nerveux, qui devient comme une
+lyre a cordes trop tendues que fait vibrer douloureusement le moindre
+souffle. Cet etat peut n'etre que passager, si le malade a le bon esprit
+de s'en avouer a lui-meme la cause determinante et de la supprimer.
+Mais cela meme ne suffit pas toujours: _Sublata causa, non tollitur
+effectus._ Le branle est donne a la cellule nerveuse, le systeme
+nerveux, longtemps patient, s'est tout a coup revolte, et il faut des
+mois et des annees de soins methodiques pour lui rendre son equilibre.
+C'est dire que, pendant ces mois et ces annees, le medecin devra
+surveiller non seulement l'hygiene sexuelle, dont il n'est plus
+question, mais l'hygiene alimentaire, donner les repas frequents que
+necessite un estomac toujours sur le point d'entrer soit en etat
+paralytique ou en etat spasmodique; une alimentation non excitante
+(pates, purees), sans vin, et sans les toniques qui passent, a tort,
+pour reveiller les forces. Le repos physique est egalement indique.
+
+C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, bien compris, bien
+dirige, peut etre utile a divers titres. D'abord, il eloigne la victime
+de la cause initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprecier
+souvent les soins affectueux et tendres d'une femme momentanement
+negligee.
+
+La psychotherapie joue aussi un role enorme dans le traitement de ces
+malades qui, d'un jour a l'autre, sont devenus craintifs, scrupuleux a
+l'exces, ayant peur de mourir, tenailles par des remords d'une intensite
+morbide. Le medecin anime d'un esprit large et charitable peut leur etre
+d'un grand secours, en mettant toutes choses au point, et en rasserenant
+leur conscience dans la mesure qui convient.
+
+Ce tableau de la "maladie" de l'age critique, chez l'homme, n'a rien
+d'exagere. Nous avons observe plusieurs cas semblables, ou des hommes
+bien portants jusqu'alors ont paye cher leurs ecarts intempestifs.
+
+Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent chez des hommes qui,
+auparavant, n'etaient pas debauches, offraient meme le modele d'une vie
+exemplaire; maintenus par des principes severes, ils avaient ete fideles
+a la foi conjugale, et, alors meme qu'ils etaient veufs, ils etaient
+restes fideles au dela du tombeau; et puis, un beau jour, une occasion
+se presente et les surprend; c'est une Sapho quelconque rencontree
+en chemin de fer; l'homme se trouve desarme devant la tentation, il
+succombe, et, une premiere chute en entrainant de nombreuses a sa suite,
+il devient enrage de vice. Aussi ne saurions-nous trop engager l'homme
+mur, trop confiant en lui-meme, a veiller toujours, car le peril est
+insidieux et les risques sont grands.
+
+C'est a l'age que nous etudions que se manifestent les troubles
+prostatiques et urinaires, resultats tardifs de blennorragies mal
+soignees et considerees comme une bagatelle par le jeune homme, plutot
+fier d'avoir pris un brevet de virilite. C'est vers cinquante-cinq ans
+que le retrecissement du canal provoque des miseres variees, que nous
+n'avons pas a decrire ici, mais qui finissent par amener la mort
+prematuree si le chirurgien n'intervient pas.
+
+Ainsi s'explique l'absence de tout retrecissement chez les hommes qui
+ont depasse soixante-cinq ans: ceux qui avaient des retrecissements sont
+morts avant cet age.
+
+C'est aussi vers l'age de soixante ans que la prostate entre en scene.
+Certes, les affections de la prostate ne sont pas toujours d'origine
+blennorragique; mais elles sont, plus qu'on ne le croit, dues a des
+erreurs dans l'hygiene sexuelle.
+
+Quant aux autres affections capables de faire brusquement baisser le
+capital, elles ne donnent lieu a aucune consideration particuliere.
+Nous devons pourtant nous arreter encore, en passant, sur trois
+manifestations morbides specialement frequentes a l'age en question: le
+diabete, l'albuminurie, et l'obesite.
+
+_Diabete_.--L'apparition du diabete est, certes, chose facheuse; mais le
+plus grand malheur qui puisse arriver a un diabetique impressionnable,
+c'est de trouver un medecin qui lui annonce, sans menagements, la
+facheuse nouvelle. A partir de ce moment commence, pour le malade,
+une incessante preoccupation morale, aggravee encore par un regime
+alimentaire qui lui cause plus de dommages que le diabete lui-meme. Il
+est vrai de dire que, depuis quelques annees, les medecins se sont
+un peu departis de la cruelle severite qui, autrefois, les rendait
+redoutables aux diabetiques. On veut bien admettre, desormais, que le
+regime des diabetiques comporte certains temperaments, et que les pommes
+de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent etre allouees, voire
+meme en abondance.
+
+Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation d'un diabetique,
+traite d'apres les principes classiques, est encore loin d'etre
+rejouissante. Elle sera telle jusqu'au jour ou l'on comprendra enfin
+qu'il n'y a pas deux diabetiques devant etre soignes par le meme regime,
+ou plutot qu'il n'y a pas de regime du diabete, le diabete n'etant qu'un
+symptome qui ne merite pas qu'on s'acharne sur lui.
+
+Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, aux autres la diete
+lactee absolue pendant quelques jours, et le regime des potages au lait
+ensuite. Et entre ces deux extremes, toutes les combinaisons du regime
+peuvent etre indiquees. Le medecin doit imposer le repos au lit absolu
+au diabetique qui maigrit et perd ses forces, l'exercice modere dans les
+autres cas, mais, jamais d'exercice force, parce que le diabetique a
+toujours des combustions exagerees, comme le professeur A. Robin l'a
+tres elegamment demontre. On aura a s'occuper aussi de l'etat mental du
+malade, et a ne pas negliger la psychotherapie. Le diabete peut etre
+provoque, experimentalement, en touchant un point precis du quatrieme
+ventricule du cerveau; et les diabetiques vraiment graves sont ceux
+qui le deviennent a la suite d'une chute sur la tete: ces deux faits
+prouvent assez l'importance des troubles du systeme nerveux dans la
+pathogenie du diabete, et la necessite de faire une grosse part aux
+soins moraux dans le traitement du diabetique.
+
+_Albuminurie_.--L'albuminurie donne lieu a des considerations de meme
+ordre.
+
+Comme le diabete, elle est un symptome indiquant un etat de
+deterioration generale de l'organisme; c'est, le plus souvent, un
+symptome grave, mais quelquefois aussi un phenomene sans grande
+importance.
+
+Tout le monde connait l'albuminurie de l'adolescence, intermittente,
+venant apres la moindre fatigue. On sait encore que le seul fait de
+se lever du lit et de proceder aux soins de la toilette suffit pour
+provoquer l'apparition de l'albumine, qui n'existait pas dans l'urine
+emise pendant que le sujet etait au lit: c'est ce qu'on appelle
+l'albuminurie _orthostatique_ ou _physiologique_,--terme detestable,
+parce qu'il n'y a pas d'albuminurie physiologique, pas plus que de
+glycosurique physiologique. Cette albuminurie de peu d'importance
+survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en bon etat de sante,
+et indique, par consequent, qu'ils doivent etre tenus a vue, et soignes
+suivant les principes generaux que nous avons deja enonces.
+
+Chez l'homme adulte, la presence de l'albumine dans l'urine est toujours
+d'un pronostic plus serieux. Parfois cependant, la encore, l'albuminurie
+n'est que transitoire, et coincide avec une decharge d'acide urique par
+les reins. Si l'on ne soumet pas le malade ainsi touche au regime lacte
+absolu, qui acheverait de l'epuiser, si on le laisse au repos, si on lui
+donne a prendre un peu de benzoate de soude, l'orage passe vite sans
+laisser de traces.
+
+D'autres fois, l'albuminurie, sans etre transitoire, est intermittente,
+meme chez l'adulte. Nous connaissons un malade qui, depuis quatre ans
+que nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il monte a cheval.
+Il peut faire jusqu'a 20 kilometres a pied sans avoir d'albumine; mais
+une seule promenade a cheval fait reapparaitre l'albumine et, malgre la
+dose considerable revelee par l'analyse apres l'exercice du cheval, il
+est, au demeurant, bien portant en apparence, et a une vie des plus
+actives.--Je connais aussi un medecin qui a, depuis des annees, de
+l'albumine en permanence; apres s'en etre beaucoup inquiete, et avoir
+suivi divers traitements et divers regimes, il a fini par ne plus faire
+que de l'hygiene generale, manger raisonnablement, eviter le surmenage;
+et il est, en somme, en aussi bon etat que possible.
+
+J'ai cite, dans une etude sur le _Cacodylate de Soude_ que j'ai publiee
+en 1901, l'histoire d'une jeune malade ayant, depuis 1898, a la suite
+d'un coup de froid, beaucoup d'albumine, et a laquelle j'ai donne des
+doses considerables de cacodylate, en injections, pendant un mois. J'ai
+eu, a ce moment, le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au
+remede la survie de la malade. Or, elle s'est mariee en 1900: depuis,
+elle a cesse toute medication, pour se borner a prendre de la viande
+crue et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, 3 a 4 grammes
+d'albumine par jour, et va tres bien.
+
+On voit que tout est loin d'avoir ete dit sur la valeur pronostique de
+l'albuminurie. Mais il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, la
+presence de l'albumine chez l'etre humain, a l'age que nous etudions,
+est un symptome qui doit inspirer au medecin des craintes serieuses,
+surtout quand, en meme temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette
+combinaison m'a toujours semble etre un arret de mort a breve echeance.
+
+Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique sera encore aggravee
+si le medecin s'obstine a lui imposer le regime dit des albuminuriques.
+Il n'y a pas de regime des albuminuriques: il y a le regime qui convient
+a tel ou tel albuminurique. Parfois le regime lacte fait merveille, mais
+c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger plus de quinze
+jours. D'autres fois, c'est le regime des pates, plus souvent encore le
+regime lacto-vegetarien, qui, combine au repos, aide le malade a sortir
+du mauvais pas, au moins momentanement.
+
+_Obesite_.--Au meme titre que le diabete et l'albuminurie, l'obesite
+appartient en propre a la periode de declin. Mais, direz-vous, il est
+des enfants et des adultes obeses! Qu'importe? C'est qu'ils ont commence
+jeunes leur periode de declin. Mais, d'habitude, c'est aux environs de
+la menopause que l'obesite devient, pour les femmes, une torture de tous
+les jours. Nous n'avons pas a en indiquer les inconvenients; rappelons
+seulement que l'obesite tend toujours a augmenter, parce qu'elle
+interdit au malade l'exercice, et qu'il s'etablit immediatement un
+cercle vicieux. Dans les cas d'obesite ou l'exercice serait utile,
+l'obese qui est condamne a en prendre de moins en moins, devient de plus
+en plus obese.
+
+Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours utile aux
+obeses. L'obesite, etant un symptome de la "maladie", est quelquefois
+entretenue par un exces d'exercice. J'ai connu une jeune fille de
+vingt-huit ans, tres obese, qui, apres avoir consulte des medecins
+de diverses nationalites, avait fini par suivre les conseils d'un
+empirique, qui n'avait rien trouve de mieux, pour la faire maigrir, que
+de mettre sa mere en relations avec un commandant de chasseurs a pied,
+de facon que ces deux dames pussent suivre tous les exercices du
+bataillon. Au bout d'un mois, la mere etait demi-morte, et la jeune
+fille grossissait toujours. Sous l'influence de l'exercice, elle
+mangeait davantage et buvait en consequence. Mais vint un jour ou
+l'estomac, fatigue par la suralimentation, se mit a protester; c'est
+alors que je prescrivis le regime ultra-restreint, pendant quelques
+jours, pour remettre l'estomac en etat, le repos presque absolu pendant
+cette periode, puis un regime s'adaptant au fonctionnement de l'estomac
+et de l'intestin, avec un exercice modere; et voici que, sous
+l'influence de ce traitement, la malade vit diminuer son obesite,
+et disparaitre, successivement, d'autres troubles varies qui, comme
+l'obesite, etaient symptomatiques!
+
+Il n'y a pas de regime des obeses: il y a le regime applicable a tel ou
+tel malade atteint d'obesite. Le plus souvent, le regime restreint
+est indique; d'autres fois, il faut alimenter l'obese, et rien n'est
+dangereux comme de le faire maigrir par insuffisance alimentaire. Il ne
+faut pas, non plus, le faire maigrir par l'emploi de la thyroidine. Je
+dois dire, cependant, que j'ai ete surpris des resultats excellents
+obtenus, par la thyroidine, chez un obese de vingt ans qui, en six
+mois, a vu son poids baisser de 105 a 80 kilogrammes, sans qu'il en
+soit resulte le moindre trouble pour la sante. Mais la thyroidine avait
+ete maniee par le Dr Polin avec une prudence extreme (2 milligrammes
+par jour, et pendant six mois consecutifs).
+
+En general, il faut se mefier de ce medicament, qui demande une
+surveillance medicale sinon quotidienne, du moins hebdomadaire; il faut
+enfin se rappeler que l'hygiene suffit toujours pour attenuer l'obesite
+au point d'en supprimer les inconvenients, et aussi qu'il est toujours
+dangereux de faire trop maigrir un obese, ou de le faire maigrir trop
+vite. Quand un obese maigrit trop vite, son ventre tombe, il est vrai;
+mais c'est le commencement de l'effondrement. Son systeme nerveux tombe
+aussi. En y mettant le temps, au contraire, c'est-a-dire en ne brusquant
+pas la maniere d'etre du sujet, on peut toujours arriver a des resultats
+excellents.
+
+J'ai commence a donner des soins il y a dix ans, a une dame de
+soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. Elle est arrivee
+en dix-huit mois, a baisser, avec une progression continue, a 77
+kilogrammes... Depuis, elle garde son poids et sa sante; son declin
+s'opere avec une lenteur telle qu'il est a peine perceptible. Inutile de
+dire que l'hygiene seule a fait les frais de la therapeutique.
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA VIEILLESSE
+
+
+
+Quelle que soit l'economie qui ait preside a l'usage du capital
+biologique, il n'est pas possible que quelques mauvais placements
+n'aient ete faits, dans le courant de l'existence; que des chocs
+accidentels, et independants de la volonte, n'aient, a diverses
+reprises, ebreche le capital. L'homme qui se condamnerait a vivre a
+seule fin de prolonger ses jours vivrait certainement tres longtemps,
+mais la sentence d'Horace lui serait applicable: "Pour vivre, il aurait
+perdu les raisons de vivre." _Et propter vitam vivendi perdere causas_.
+
+D'autre part, le capital diminue par le fait meme de la vie, comme la
+vitesse initiale d'un projectile diminue progressivement par le fait de
+la resistance de l'air. Enfin il vient un moment ou le capital, apres
+avoir produit des interets considerables, ne donne plus que des interets
+de moins en moins eleves. Ce moment coincide exactement avec la periode
+de declin, de sorte que, a partir de ce jour, quoi qu'il fasse et
+sans qu'il s'en doute, l'etre vivant s'appauvrit fatalement et
+progressivement. Il en arrive enfin a n'etre plus qu'un mediocre petit
+rentier; et c'est alors la vieillesse.
+
+Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir a tout age; temoin ces enfants
+qui ont l'aspect de petits vieillards, comme on dit dans le langage
+courant; ces hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, des
+loques humaines. Mais, le plus souvent, la vieillesse survient a un
+age plus tardif, que, pour le besoins de la cause, nous fixerons, par
+exemple, a soixante-cinq ans.
+
+A partir de cet age, l'homme ne doit pas se borner, comme le lui
+conseillaient les trois jeunes gens du fabuliste, "a songer a ses
+erreurs passees" Il peut meme encore avoir "de longs espoirs et de
+vastes pensees", a condition que ce ne soit pas pour lui, mais pour ses
+arriere-neveux. Il peut, en d'autres termes, jouir de son experience et
+s'efforcer d'en faire profiter les autres; mais en se rappelant qu'il a
+atteint l'age du repos, des menagements et des precautions. Et de meme
+que, dans la premiere periode de la vie, il appartient aux parents
+de menager pieusement et de faire sagement fructifier le capital de
+l'enfant; de meme, a cette derniere periode, il est du devoir des
+enfants de veiller avec zele sur la frele existence dont ils ont la
+charge; d'eviter au vieillard toute fuite nerveuse, tout chagrin,
+tout souci, tout ecart de regime, et de le preserver contre toute
+intervention therapeutique brutale.
+
+Quelles sont les influences qui compromettent d'une facon speciale le
+vieillard vivotant?
+
+Les influences psychiques sont beaucoup moins importantes que dans l'age
+adulte. Quelques vieillards, il est vrai, gardent leur sensibilite et
+leur jeunesse de sentiments. L'experience de la vie ayant tempere la
+fougue de leurs jeunes annees, leur ayant appris l'indulgence et la
+misericorde, ils deviennent des etres exquis, d'un commerce aussi
+agreable que profitable. Mais, le plus souvent, la sensibilite
+s'emousse, et un egoisme tranquille preserve le vieillard de toute
+emotion nuisible. Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fut-ce
+de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagrine, mais l'emotion
+qu'il eprouve est surtout egoiste, a cause de la crainte qu'elle lui
+donne de voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, et
+n'est pas comparable au chagrin poignant de l'homme adulte perdant un
+etre aime. Donc, de ce cote, peu de fuites nerveuses. Du cote du systeme
+musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple bon sens fait que le
+vieillard n'abuse pas, en general, de son restant de forces musculaires:
+exception faite cependant pour les cas ou des parents ou des amis mal
+avises, croyant bien faire, forcent le vieillard a se deplacer sans
+relache, pour passer l'hiver dans le Midi, l'ete en Suisse, le printemps
+ailleurs. Combien ne serait-il pas plus sage, en general, de le laisser
+tranquillement chez lui, dut-il ne pas quitter sa chambre? J'ai
+longtemps donne des soins a une vieille dame que ses enfants emmenaient
+en villegiature, toujours malgre elle, dans le centre de la France, et
+ramenaient a Paris en octobre. Or, apres chaque voyage, il fallait un
+mois de soins assidus et de precautions pour effacer les traces de
+fatigue occasionnee par le deplacement.
+
+La verite est que, dans les cas exceptionnels, le sejour hivernal dans
+le Midi peut etre recommandable, mais que, d'une facon generale, il
+faudrait se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant "qu'on ne
+doit pas transplanter un vieux chene", et qu'on devrait regarder a deux
+fois avant de proposer, et surtout d'imposer a un vieillard, soit un
+lointain changement de pays, soit meme un changement d'appartement. Il
+faut, en general, tenir plus de compte qu'on ne le fait de son desir,
+qui est dicte par un vague instinct de conservation et qui trompe
+rarement.
+
+Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien entendu des
+affections accidentelles, ce sont les ecarts dans l'alimentation. Une
+indigestion qui, chez un homme jeune, se serait traduite par un leger
+etat gastrique, amene chez le vieillard un effondrement colossal; et,
+pour peu que la therapeutique intervienne d'une facon inopportune
+sous la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la situation peut
+s'aggraver d'un jour a l'autre. Il faut alors des semaines pour remettre
+en etat le systeme nerveux bouleverse. Imaginez un foyer pres de
+s'eteindre, ou il ne reste plus qu'une petite flamme vacillante;
+irez-vous l'alimenter par un soufflet de forge, et charger le foyer de
+grosses buches de bois? Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies
+precautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est seulement ensuite
+que vous mettrez des fragments un peu plus volumineux, pour arriver
+enfin a la buche qui entretiendra la vie du foyer. De meme chez le
+vieillard malade, surtout quand il a des phenomenes gastriques, prudence
+extreme dans l'alimentation, frequence de l'alimentation, et repos
+absolu: c'est la base du traitement.
+
+Mais combien, pour faire observer ces prescriptions si simples, ne
+faut-il pas au medecin d'energie et de foi? Qu'on veuille donc bien
+se rappeler que le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation
+restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui lui sera profitable,
+mais bien ce qu'il assimilera, et que, chez lui, la puissance
+d'assimilation est extremement minime! Lui-meme, d'ailleurs, il le dit,
+il proteste, plus ou moins energiquement, contre les menus qu'un zele
+mal eclaire s'ingenie a lui proposer.
+
+En dehors de ces etats gastriques passagers, le regime du vieillard doit
+etre, en general, peu substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le
+soir, s'il tient a avoir quelques heures de sommeil. S'il eprouve le
+besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, plutot que beaucoup a la
+fois. Mais on ne saurait croire combien certains vieillards ont peu
+besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente une vieille dame qui
+avait trop mange pendant toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une
+dyspepsie permanente accompagnee de miseres variees, en tete desquelles
+venait la constipation. De la obsession de tous les instants; tant qu'on
+ne l'eut pas mise exactement au regime convenable, elle fut torturee par
+ce symptome, restant huit ou quinze jours sans parvenir a aller a
+la garde-robe, malgre les lavements, les suppositoires, le massage
+abdominal, etc. On avait du meme, plusieurs fois, recourir au curetage.
+Or je me dis, un jour, que le regime relativement restreint que je lui
+avais impose tout d'abord n'etait peut-etre pas encore assez restreint.
+Comme elle n'avait jamais d'appetit, et qu'elle ne mangeait que pour
+faire plaisir a son entourage, je fis avec elle une sorte de convention,
+qui fut de restreindre, sous ma surveillance, son alimentation
+progressivement, et dans la mesure extreme du possible. Apres un mois de
+tatonnements, ma collaboratrice et moi en etions arrives a la formule
+suivante, que je transcris d'apres mes notes: "7 heures matin, une tasse
+a the de cafe au lait; 10 heures, une tasse a cafe de semoule au lait,
+ou de panade, ou de farine de Hongrie, ou de creme de riz, ou de creme
+d'orge aux memes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, un quart
+d'echaude; 5 heures, cafe au lait; 7 heures, comme a midi; dans la nuit,
+une tasse a cafe de lait."
+
+Ce regime, qui d'abord paraissait a l'entourage absolument
+ridicule, finit par etre accepte quand on vit la malade reprendre,
+progressivement, du sommeil, un peu de force, un peu d'appetit, et
+surtout quand on vit disparaitre sa constipation. Ses fonctions
+s'executaient, en effet, tres regulierement tous les deux ou trois
+jours, spontanement. Le regime fut continue jusqu'a sa mort, qui
+survint trois ans apres. Elle s'eteignit sans souffrance a l'age de
+quatre-vingt-quatre ans.
+
+Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, mais ils seraient
+tous calques sur ce modele.
+
+Il est, par contre, des vieillards qui ont conserve un gros appetit:
+il faut savoir le respecter, tout en essayant de le moderer un peu, du
+moment que la sante reste bonne.
+
+Pour en finir avec la question de regime, disons qu'un peu de vin
+genereux, etendu d'eau, est, en general, une boisson excellente pour le
+vieillard, bien portant ou malade; et que le lait, par contre, lui est
+le plus souvent prejudiciable, sauf dans les etats aigus ou subaigus
+prolonges.
+
+Quant aux affections accidentelles qui surviennent chez le vieillard, et
+qui compromettent son reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font,
+neanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante de toutes est la
+pneumonie. C'est, tres souvent, une pneumonie d'origine grippale: aussi
+ne saurait-on trop soigner la grippe des son debut, chez le vieillard
+plus encore que chez l'adulte. La pneumonie est insidieuse chez le
+vieillard. Elle ne se traduit que par un malaise general, avec tres peu
+de phenomenes pulmonaires, mais elle s'accompagne toujours de fievre.
+Si donc les familles savaient se servir du thermometre, on aurait des
+chances de porter secours aux malades en temps utile; et alors une
+injection de cacodylate de gaiacol, quelques cachets de quinine, une
+certaine dose de cognac ou de vin tres genereux, parviendraient, dans
+bon nombre de cas, a le sauver; tandis qu'en general, quand on appelle
+le medecin, il est trop tard, le medecin ne peut plus faire que le
+diagnostic, et prevenir la famille de la gravite de la situation.
+
+Les petites hemorragies cerebrales viennent souvent compromettre la
+survie du vieillard. Ordinairement, il echappe a la premiere atteinte,
+mais il en sort tellement amoindri, physiquement et intellectuellement,
+qu'on peut dire qu'il a cesse de vivre avant de mourir. Grace aux soins
+dont il est entoure, a partir de ce moment, il se survit a lui-meme
+pendant quelquefois plusieurs annees, jusqu'a ce qu'il se decide a
+mourir apres une deuxieme ou troisieme attaque.
+
+Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnees ne s'observe, le
+petit rentier qu'est le vieillard continue a vivoter plus ou moins
+longtemps, jusqu'au jour ou, tout son capital et tous ses revenus etant
+epuises, il cesse de vivre, tout simplement parce qu'il n'a plus la
+force de vivre. Il s'eteint alors et se repose comme le travailleur qui
+a fini sa tache. C'est ce que traduit d'une facon, tres profondement
+philosophique, l'expression courante de "defunt", la traduction
+litterale du mot latin _defunctus_ etant: "Celui qui s'est acquitte."
+Les privilegies sortent de la vie comme d'un banquet, en remerciant leur
+hote. Heureux s'ils peuvent leguer a une nombreuse posterite "l'exemple
+de leur vie!"
+
+
+
+FIN
+
+
+
+
+INDEX ALPHABETIQUE
+
+Albuminurie:--permanente;--son regime. Alcool. Alimentation: de l'enfant
+ne avant terme;--du premier age;--Gouttes de lait;--chez le
+petit enfant;--chez l'enfant du deuxieme age;--defectueuse;
+excessive;--ration d'entretien;--observation d'une malade guerie par le
+regime restreint;--insuffisante en quantite;--a la sonde;--observation
+d'une malade febricitante guerie par l'alimentation
+forcee;--insuffisante en qualite;--chez le vieillard.
+
+Aliments adulteres par les procedes chimiques; physiques.
+
+Auto-intoxication, (Hypothese de l').
+
+Avarie.
+
+Bains: chauds dans les pneumonies;--prolonges;--de briques;--de
+vapeur;--electriques;--de mer.
+
+Blennorragie, ses dangers tardifs.
+
+Boissons: fermentees;--distillees;--le vin chez l'homme bien
+portant;--chez le malade:--dans la ration du soldat;--eau sterilisee en
+usage dans l'armee.
+
+Cancer, son heredite.
+
+Capital biologique (hypothese du).
+
+Causes morbigenes: ambitions decues;--passion amoureuse;--inquietudes;
+--vie brisee;--frayeur.
+
+Causes accidentelles.
+
+Chaleur seche (dermotherme).
+
+Choc: traumatique;--chirurgical;--moral.
+
+Coeur: "maladies" du coeur--leur heredite;--observation d'un faux
+cardiaque;--la periode de declin.
+
+Constipation;--et entero-colite;--provoquee chez les operes;--son
+innocuite;--guerison par le repos;--dangers des purgatifs;--obsession de
+la constipation;--lavements d'huile;--injections de Brown-Sequard;--chez
+le vieillard;--Convalescence, sa rapidite chez l'enfant.
+
+Course en flexion.
+
+Declin: age de declin;--pouvant n'etre qu'apparent;--problemes cliniques
+a l'age du declin, leur difficulte.
+
+Diabete: regime;--traumatique, sa gravite.
+
+Dyspepsie: observation d'une malade avec predominance de troubles
+dyspeptiques.
+
+Eaux minerales;--table de regime;--de Carlsbad;--Chatel-Guyon, Bagnoles,
+Brides, Vichy;--Vittel.
+
+Education: chez la jeune fille;--chez le jeune homme;--de la volonte;--
+
+Electricite;--bains electriques.
+
+Emplatre.
+
+Enfants: preservation contre la tuberculose;--couveuses
+artificielles;--alimentation de l'enfant ne avant terme:--le
+capital biologique de l'enfant doit etre cree par les
+parents;--puericulture;--alimentation du premier age, son importance
+pour toute la vie;--Goutte de lait;--pathologie infantile;--sa
+simplicite relative;--ses difficultes;--necessite du sommeil
+prolonge;--mastication;--convalescence rapide;--enfants du type
+musculaire;--cerebral;--du deuxieme age, alimentation:--fievre
+digestive.
+
+Epilepsie.
+
+Exploration abdominale.
+
+Exercice: difficulte de le doser chez les jeunes filles
+nerveuses; --dans un grand college moderne;--chez les
+professionnels;--chez les jeunes gens (danger des sports);--et
+entrainement;--et gymnastique respiratoire;--Institut Zander;--chez
+les obeses.
+
+Fatigue;--et epuisement.
+
+Fievre digestive des enfants;--typhoide.
+
+Folie: chez la jeune fille:--delire de la persecution;--l'alienation
+mentale et la "maladie";--menstruation chez l'alienee;--du
+doute;--obsession:--manie aigue.
+
+Frictions.
+
+Grippe, son influence pathogene.
+
+Grossesse ("maladies" de la mere pendant la).
+
+Hemorragies cerebrales, chez les vieillards. Heredite:
+etymologie;--generalites;--protestation contre la fatalite des tares
+hereditaires;--de la longevite;--de la tuberculose;--du cancer;--des
+tares nerveuses, 15;--de la paralysie generale, 16;--des "maladies"
+de coeur, 16;--des affections renales, 17.
+
+Hydrotherapie: froide, 223;--tiede 225;--maillot humide, 225.
+
+Hypnose, 189;--chez les alienes, 191;--ses dangers, 194.
+
+Hygiene de la procreation, 21.
+
+Hysterie (simulant une "maladie" organique de la moelle), 114.
+
+Hypothese (son role dans la science), 1.
+
+Injections: action dynamogenique de tout liquide
+injecte, 232;--hypodermiques d'eau de mer, 234;--de cacodylate de
+magnesie, 235;--de cacodylate de soude, 235;--de gaiacol, 238;--de
+quinine 239;--d'heroine,239;--de mercure, 240;--de morphine,
+240;--huileuses,240;--d'huile mercurielle, 241;--d'huile creosotee,
+242;--etsuggestion, 244;--injections de Brown-Sequard, (constipation),
+353.
+
+Influences morbigenes, generalites, 30.
+
+Isolement (en maison de sante, ses dangers), 70.
+
+Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;--education
+sexuelle--, 21;--menstruation--,66;--despotisme de certaines meres,
+68;--difficulte de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses,
+66;--alienation mentale--, 71;--vocation contrariee, 72;--mariage
+contrarie--, 73;--utilite du mariage chez les jeunes filles nerveuses,
+74;--surmenage scolaire--, 75.
+
+Jeune homme: surmenage scolaire, 75;--necessite du sommeil,
+76;--exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; --exercice
+physique chez les jeunes gens, 79; --education sexuelle,
+81;--psychotherapie, 83.
+
+Ligue des peres de famille, 80.
+
+Longevite: heredite de la, 8;--humaine, 9.
+
+Malade: son entourage, 204;--ne voulant pas guerir, 207;--regime des
+grands malades, 217;--n'osant pas manger, 220;--danger des voyages, 267.
+
+"Maladies": accidentelles, 42;--la "maladie", 94-95;--petits symptomes
+de la "maladie", 95,--la "maladie" et les "maladies" accidentelles,
+97;--causes morales, generalites, 142;--causes accidentelles de la
+"maladie", 162;--du coeur a la periode du declin, 279.
+
+Mariage: contrarie chez la jeune fille, 73;--son utilite pour les
+jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74.
+
+Massage, 228;--abdominal, 229.
+
+Meningite, 55.
+
+Menstruation: utilite du repos, 66;--chez l'alienee, 165;--chez la
+grande malade, 166;--menopause, 296.
+
+Migraine, 40.
+
+Mort naturelle, 310.
+
+Nevrose (sa contagion), 148.
+
+Obesite, 297;--exercice chez les obeses, 298;--regime chez les obeses,
+299.
+
+Obsession: de la constipation, 251;--de la rougeur, 187.
+
+Observations: d'une malade avec predominance de troubles dyspeptiques,
+99;--d'une malade avec predominance de troubles de nutrition, 105;--d'un
+faux cardiaque, 107;--d'une malade suivie pendant trente ans, chez
+laquelle presque tous les appareils ont ete successivement atteints,
+110;--d'une grande malade guerie par le regime restreint, 128;--d'une
+malade febricitante guerie par l'alimentation forcee. 132.
+
+Operes: operations de complaisance, 155;--morphine chez les, 156;
+--role medical du chirurgien, 156;--purgation chez les,
+157;--constipation provoquee chez les, 158.
+
+Opotherapie: hepatique, 236;--ovarienne, 286.
+
+Paralysie generale, heredite, 16.
+
+Pertes: materielles, 143;--au jeu, 144.
+
+Pneumonie: bains chauds dans la;--chez le vieillard, 308. Protection,
+loi de protection des faibles, 10.
+
+Psychonevroses, leur traitement moral, 213.
+
+Psychotherapie: chez le jeune homme, 83;--savoir prendre un
+parti, 175;--respect du temps, 176;--derivative. 180; --sedative,
+181;--reconstituante, 182;--resignation, 182;--foi religieuse, 208;--et
+probleme religieux, 210.
+
+Ptose: abdominale, 169;--et ceinture hypogastrique, 167;--passagere,
+169.
+
+Purgatifs et constipation, 249.
+
+Regime: ration d'entretien, 125,--des Chartreux, 125;--des Trappistes,
+125;--des soldats, 127-140;--des guides alpins, 127;--observation
+d'une grande malade guerie par le regime restreint, 128;--en cas
+d'effondrement abdominal, 172;--et suggestion, 215;--des grands malades,
+217;--monotone, 218;--sec (ses dangers), 219;--a boisson restreinte,
+219;--et eaux minerales, 255;--des diabetiques, 293;--des
+albuminuriques, 297;--des obeses, 299;--lacte chez les vieillards, 308.
+
+Repos: dans les etats aigus, 173;--cure de--, 205;--constipation guerie
+par le--, 205;--avant le repas, 221;--apres le repas, 222;--au lit, 265.
+
+Sommeil: necessite du sommeil chez l'enfant, 57;--necessite du sommeil
+chez les jeunes gens, 76;--diurne (ses bons effets) 173;--l'aliment
+favorise le--, 221;--et repos au lit, 221.
+
+Sports, chez les jeunes gens (leur danger) 78.
+
+Suggestion et regime, 215.
+
+Symptomes morbides, 32;--petits symptomes de la "maladie", 95.
+
+Syphilis: polynatalite, 10;--et meningite, 12;--Societe de prophylaxie
+sanitaire et morale, 13;--necessite d'un traitement pour prevenir la
+transmission hereditaire de la, 23; --age a laquelle se contracte
+la--, 84;--manifestations tertiaires, 164;--et assurances sur la vie,
+164.
+
+Travail: cerebral insuffisant, 119; --cerebral excessif,
+119;--musculaire excessif, 121;--ration de--, 125.
+
+Tuberculose heredite, 13;--oeuvre de preservation de l'enfance contre
+la--, 14 et 89;--dans l'armee, 87;--et sanatorium populaire, 38;--et
+dispensaire, 88.
+
+Vacances: leur necessite, 261;--colonies de--, 262.
+
+Vesicatoires, 255.
+
+Vieillards: voyages, 304;--alimentation, 306;--constipation,
+307;--pneumonie, 308;--regime lacte, 308;--hemorragie cerebrale, 309.
+
+Vin: chez l'homme bien portant, 139;--chez le malade. 141;
+
+Voyages: de noces (ses dangers), 20;--leur utilite chez les gens
+bien portants, 261;--leur danger chez les malades, 267;--chez les
+vieillards, 304.
+
+
+
+
+AUTEURS CITES
+
+ Dr BARADUC, 37.
+ BRIEUX, 83.
+ BROWN-SEQUARD, 236.
+ Dr CHARCOT, 194
+ Dr CAMPENON, 156.
+ Dr CHAILLOU, 76.
+ Dr DELORME, 158.
+ Dr DUBOIS, 213.
+ Dr DUPRAT, 194.
+ FLOURENS, 9.
+ Dr FONSAGRIVES, 55.
+ FONSAGRIVES (Abbe), 81.
+ Dr A. FOURNIER, 13.
+ Dr ED. FOURNIER, 84.
+ Dr GRANCHER, 14.
+ Dr GRASSET, 194.
+ Dr HUCHARD, 17.
+ Dr KELSCH, 87.
+ KNEIPP, 224.
+ Dr LAGRANGE, 79 et 86.
+ Dr LAUMONIER, 64.
+ Dr LEGENDRE, 80.
+ Dr LEREDDE, 231.
+ Dr MATHIEU, 33.
+ Dr PINARD, 21 et 45.
+ PLANTET, 262.
+ POINCARE, 1.
+ Dr ROBIN, 293.
+ Dr RUNGBERG, 164.
+ SERTILLANGES (Abbe), 125.
+ Dr SIGAUD, 171.
+ Dr R. SIMON, 234.
+ VANCAUWENBERGHE, 48.
+ Dr VARIOT, 47.
+ Dr A. VOISIN, 194.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIERES
+
+
+PREFACE
+
+PREMIERE PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+LE CAPITAL BIOLOGIQUE
+Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable selon chaque
+individu et selon chaque periode de la vie. Capital initial; influences
+qui le font varier.
+
+
+CHAPITRE II
+
+HEREDITE
+Definition de l'heredite; son role. Heredite de la longevite. Role de
+l'heredite dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; le cancer;
+les tares nerveuses: les "maladies" de coeur; des reins.
+
+
+CHAPITRE III
+
+CONCEPTION
+La valeur des generateurs au moment de la conception.--Loi de protection
+des faibles. Hygiene de la procreation: education sexuelle de la jeune
+fille.
+
+
+CHAPITRE IV
+
+GESTATION
+Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la
+gestation.--Emotions, miseres physiologiques, "maladies" de la mere
+pendant la grossesse. Enfants nes avant terme.
+
+
+CHAPITRE V
+
+INFLUENCES MORBIGENES ET SYMPTOMES MORBIDES
+La vie de l'etre humain peut etre figuree par une courbe evolutive: les
+influences morbigenes modifient cette courbe. La meme influence peut
+se traduire par des symptomes varies; et, inversement, des influences
+variees peuvent se traduire par le meme symptome (ex.: constipation) ou
+par le meme ensemble de symptomes (ex.: epilepsie). Tous les systemes
+organiques peuvent etre troubles a la fois. Le plus souvent, c'est
+l'organe le plus faible qui traduit le malaise. Le systeme nerveux est
+la clef de voute de la pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les
+causes morbigenes.
+
+
+CHAPITRE VI
+
+DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.--PUERICULTURE
+Importance de l'alimentation du premier age pour toute la duree de la
+vie. Le lait de la mere appartient a l'enfant. Gouttes de lait (de
+Belleville, de Saint-Pol). La pathologie enfantine est, le plus souvent,
+simple; quelquefois, de la plus grande difficulte. Succes therapeutiques
+chez les petits enfants atteints de syphilis, de pneumonie.
+
+
+CHAPITRE VII
+
+DU SEVRAGE A LA PUBERTE
+1 deg. Chez l'enfant du deuxieme age. Necessite du sommeil prolonge, d'une
+mastication parfaite. Les "maladies" accidentelles a cet age evoluent
+vite, sans convalescence.--Chez l'enfant de sept ans a la puberte.
+Enfant du type musculaire (hygiene qui lui convient); du type cerebral.
+Les deracines. "maladies" accidentelles chez l'enfant. "maladies" tres
+souvent provoquees par une alimentation defectueuse.
+
+
+CHAPITRE VIII
+
+DE LA PUBERTE A L'AGE ADULTE
+I. _Chez la fille_.--Precautions a prendre a l'apparition des regles.
+Chloro-anemie. Causes speciales de "maladie":
+
+--A. Surmenage intellectuel.--B. Causes morales (despotisme de la mere,
+vocation contrariee); brevets: mariage rendu impossible; besoin du
+mariage.--C. Surmenage musculaire. Quelle que soit la cause, les
+symptomes sont les memes, mais le traitement varie avec la cause.
+Facilite relative de la guerison.
+
+II _Chez le garcon_.--1 deg. Surmenage scolaire (insuffisance du
+sommeil).--2 deg. Surmenage physique (abus des sports, de l'escrime, utilite
+des exercices automatiques _(Ligue des peres de famille_).--3 deg. Deviation
+de l'hygiene sexuelle: education sexuelle. Par qui elle doit etre
+donnee. Enseignement individuel et enseignement collectif. Utilite de
+l'exercice pousse au maximum de la tolerance. Aberrations de l'instinct
+sexuel: psychotherapie.
+
+III. _Causes morbigenes communes aux deux sexes_.--"maladies"
+accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les dispensaires, oeuvres de
+preservation).
+
+
+
+
+DEUXIEME PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+MATURITE
+L'homme doit travailler et produire. Necessite des periodes de repos. Le
+coup de collier. La fatigue. L'entrainement. L'epuisement (ses signes
+premonitoires). Surmenage cerebral-musculaire (ses signes premonitoires.
+La "maladie".
+
+
+CHAPITRE II
+
+CARACTERES GENERAUX DE LA "MALADIE"
+Ce que c'est que la "maladie". Maniere d'etudier un malade. Quatre
+observations de patients atteints de la "maladie" sous ses diverses
+formes. Troubles fonctionnels pouvant simuler les affections avec
+lesions d'organes. Role du systeme nerveux central dans la pathogenie de
+la "maladie". Embarras gastrique.
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES CAUSES DE LA "MALADIE"
+I. _Causes physiques_.--1 deg. Surmenage cerebral, travail cerebral
+insuffisant. La "maladie" due au surmenage cerebral peut revetir des
+formes cliniques tres diverses.--2 deg. Surmenage musculaire.--3 deg. Vices
+d'alimentation. Generalites, auto-intoxication, irritation.--_A_.
+Alimentation excessive en quantite. Ration d'entretien. Regime des
+Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. Observation
+d'une grande malade guerie par le regime restreint.--_B_. Alimentation a
+la sonde.--_C_. Alimentation insuffisante en qualite. Adulteration
+des aliments: _a_) par les procedes chimiques, _b_) par les procedes
+physiques. --_D_. Alcool. Boissons fermentees, leur utilite. Boissons
+distillees, leur danger.
+
+II. _Causes morales_.--Leur importance preponderante:
+
+_A_. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions decues.--_B_. Influences
+compromettant la quietude de l'ame. Passions. Incompatibilite
+d'humeur.--_C_. Inquietudes d'origine altruiste. Separation momentanee,
+definitive.--Choc traumatique: _a_) Hystero-neurasthenie traumatique.
+_b_) Choc chirurgical. Danger de l'intervention medicale des
+chirurgiens. Danger de la morphine aux operes. Des purgations.
+Constipation provoquee chez les operes, ses avantages.
+
+III. _Causes accidentelles_.--Fievre typhoide. Grippe: son grand role
+pathogenique. Syphilis.
+
+IV. _Influences morbigenes speciales a la femme_.--Menstruation.
+Grossesse. Ptose abdominale: Exploration abdominale.
+
+
+CHAPITRE IV
+
+PSYCHOTHERAPIE
+Definition. Ne pas s'exagerer l'importance de son role 1 deg. Son action
+s'etend aux deviations mentales.--2 deg. A un grand nombre de troubles
+somatiques.--_A. Moyens par lesquels on diminue les depenses d'influx
+nerveux:_ savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du
+temps; des habitudes d'ordre. Application de ces preceptes. Un cas de
+folie du doute. Psychotherapie dans la manie aigue, dans les obsessions.
+Resignation passive et active.--_B. Moyens par lesquels on augmente les
+recettes._ 1 deg. Gymnastique de la volonte, quelques procedes pratiques
+(gymnastique respiratoire, gymnastique suedoise).--Moyens par lesquels
+on augmente artificiellement le capital insuffisant: hypnose. Action
+personnelle de l'hypnotiseur, indications du traitement par l'hypnose.
+Ce qui limite l'emploi de l'hypnose en therapeutique, c'est que:
+1 deg. ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles a
+hypnotiser.--2 deg. C'est que c'est un moyen qui peut etre trop actif.
+C'est un agent therapeutique utile, non dangereux, s'il est bien manie;
+le medecin seul peut le bien manier.
+
+Conseils pratiques pour l'application des procedes psychotherapiques.
+--1 deg. Le medecin doit soigner avec son coeur, plus qu'avec son
+intelligence.--2 deg. Paraitre ne jamais etre presse.--3 deg. Ni meme etre
+presse.--4 deg. Savoir parler au malade.--5 deg. Ne lui imposer que le strict
+minimum de prescriptions. Difficultes du traitement psychotherapique: 1 deg.
+Absence de foi chez le malade (malades a theories medicales. Malades
+qui ne veulent pas guerir).--A l'hostilite de l'entourage. Le medecin
+confident.--Psychotherapie et sentiment religieux.
+
+
+CHAPITRE V
+
+AUTRES AGENTS THERAPEUTIQUES
+1 deg. Regime alimentaire (les prescriptions dietetiques n'agissent pas
+seulement par suggestion). Diete liquide. Regime des potages. Regime a
+boisson restreinte. De la frequence des repas. Du repos apres et avant
+le repas.
+
+2 deg. Moyens accessoires.--A. _Hydrotherapie_: froide, exceptionnellement
+indiquee. Methode de Kneipp. Drap mouille. Hydrotherapie tiede: tub,
+bain. Malades dont il ne faut pas mouiller la peau. Chaleur seche.
+Massage. Frictions. Bains de vapeur. Bains electriques. Electricite.--B.
+_Injections hypodermiques._--1 deg. Influence utile de l'injection en tant
+qu'injection (serum artificiel, eau de mer).--2 deg. Action propre du
+liquide injecte. Cacodylate de soude, de magnesie, de fer. Injections de
+Brown-Sequard. Strychnine. Cacodylate de gaiacol dans la "maladie"
+post grippale. Quinine, heroine et morphine, leurs dangers. Injections
+huileuses: _a_. Mercurielles. _b_. Creosotees. Role alimentaire de
+l'huile injectee.--3 deg. Des injections hypodermiques comme procede
+de suggestion.--C. Vesicatoires. Emplatres. Purgatifs. Etude de la
+constipation et des constipes.--D. _Eaux minerales_, leurs indications.
+Les tables de regime. Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel.
+Chatel-Guyon, Bourbon l'Archambault, etc. Les medecins des
+eaux.--_Voyages_. Leur utilite chez les gens bien portants. Leur danger
+chez de grands malades. Precautions a prendre pour qu'ils soient utiles
+aux malades moyens. La grande malade et le ciel de la Cote d'Azur.
+Voyage et entrainement. Vacances. Colonie de vacances.--F.
+_La mer_.--La cure marine. Le train des maris.
+
+
+
+
+TROISIEME PARTIE
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA PERIODE DE DECLIN
+Le declin peut survenir a tout age. Exemples de limites extremes. Les
+tares organiques. Les cardiopathies se revelent. Le declin peut n'etre
+qu'apparent (difficulte du diagnostic). Petits symptomes premonitoires
+du declin. Menopause. Opotherapie ovarienne. Influences morales.
+Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique de l'homme.
+Forme que revet souvent la "maladie" a cet age. Traitement
+psychotherapique, regime, precautions. Le diabete. Role du systeme
+nerveux dans le diabete. Il n'y a pas de regime du diabete, ni meme
+des diabetiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente.
+Pronostic variable. Il n'y a pas de regime de l'albuminurie, ni meme des
+albuminuriques. Obesite. Exercice chez les obeses. Thyroidine. Il n'y a
+pas de regime de l'obesite. Danger de l'amaigrissement rapide.
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA VIEILLESSE
+Elle peut survenir a tout age. Influences speciales a la vieillesse de
+l'homme age. Necessite du repos et dangers des voyages. Alimentation
+restreinte. Accidents qui font mourir le vieillard. De la mort
+naturelle.
+
+
+INDEX.
+
+AUTEURS CITES.
+
+TABLE DES MATIERES.
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la sante, by Dr. Burlureaux
+
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
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+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
+eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
+compressed (zipped), HTML and others.
+
+Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
+the old filename and etext number. The replaced older file is renamed.
+VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
+new filenames and etext numbers.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+are filed in directories based on their release date. If you want to
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+search system you may utilize the following addresses and just
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+filed in a different way. The year of a release date is no longer part
+of the directory path. The path is based on the etext number (which is
+identical to the filename). The path to the file is made up of single
+digits corresponding to all but the last digit in the filename. For
+example an eBook of filename 10234 would be found at:
+
+ https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234
+
+or filename 24689 would be found at:
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