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J.-B Baillière, éditeur (1892). + +Traitement de la Tuberculose par la créosote (Couronné par l'Institut, +Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894. + + +_En préparation_: + +Psychothérapie et Morale religieuse. + + + + +Dr. BURLUREAUX +PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE + + + + +LA LUTTE +POUR LA SANTÉ + + +ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE + +PARIS +1908 + + + +A MON CHER LUCIEN CLAUDE +EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION +ET EN SOUVENIR +DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES + + + + +PRÉFACE + +La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de ce livre n'est pas celle +qu'ont entreprise, et que poursuivent avec un succès toujours plus +marqué, nombre de ligues et sociétés philanthropiques. Certes, personne +n'admire plus que moi l'effort généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse +de combattre la mortalité infantile, ou de répandre et de faire +appliquer les règles de l'hygiène, ou encore d'enrayer l'extension de +ces trois plaies sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la syphilis, +ce sont là des campagnes infiniment bienfaisantes; et je considère comme +un honneur d'avoir pu, modestement, prendre ma part de quelques-unes +d'entre elles. + +Mais à côté de cette grande lutte collective, il y a une autre «lutte +pour la santé», tout individuelle, qui se livre tous les jours dans la +vie de chacun de nous. Celle-là est une forme de la loi universelle +de la lutte pour l'existence. Sans cesse, depuis l'instant où nous +naissons, notre organisme tend à maintenir ou à rétablir cet équilibre +de ses forces que l'on appelle «la santé»; et sans cesse une foule +d'influences, intérieures ou venues du dehors, tendent à détruire cet +équilibre, éminemment instable. + +Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge, le sexe, l'hérédité, +les conditions de la vie: mais toutes travaillent, en nous, à la même +fin; et l'on peut dire que l'histoire entière de notre vie physique +n'est que l'histoire des péripéties de la «lutte» incessante qui se +déroule entre elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer dans +son être. Et si, parmi ces influences hostiles à notre santé, beaucoup +ont un caractère fatal et inévitable, s'il y a malheureusement beaucoup +de causes de «maladie» contre lesquelles nous sommes désarmés, il y en +a aussi un très grand nombre qui peuvent être évitées, ou combattues +victorieusement. Toute la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la +nature dans sa lutte contre elles. + + +Mais la médecine est moins une science qu'un art. De la multiplicité +des circonstances, de la diversité des esprits, il résulte que chaque +médecin, quand il est parvenu à un certain point de sa carrière, +s'aperçoit que l'ensemble de ses observations et de ses réflexions l'a +amené à se faire une expérience propre, personnelle, des conditions +générales de la «lutte pour la santé» et des moyens d'aider l'organisme +à la bien conduire. C'est le fruit de mon expérience particulière que +j'ai essayé de recueillir et de présenter, dans le livre que voici. + +De longues années de pratique médicale m'ont donné l'occasion de +voir, sous des aspects très variés, la naissance et l'évolution de la +«maladie». J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de traitement, +anciennes et nouvelles. Pénétré, dès le début, de l'importance de la +tâche qui m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir aucun parti +pris d'école ni de doctrine, de ne rien rejeter ni de ne rien admettre +sans l'avoir contrôlé, de borner toujours mon ambition à empêcher ou à +soulager la souffrance par tous les moyens,--que l'idée de ces moyens me +vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou non approuvés par les +autorités du moment, qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier ou à +celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru déjà une grande partie +de ma route, il m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter les +autres de tout ce que mon expérience, ainsi acquise, pouvait contenir +d'intéressant et d'utile pour eux. + +C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout le monde. Je n'ai pas +voulu en faire une thèse scientifique, mais plutôt quelque chose +comme ces _Conseillers de la Santé_ que l'on était assuré de trouver, +autrefois, au chevet du lit de nos grands-parents. Laissant aux ouvrages +spéciaux l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs extérieurs +où notre organisme est sans cesse exposé, je m'en suis tenu aux +différentes manifestations de ce que j'appellerai, d'un terme général, +la «maladie», en entendant par là cette rupture de l'équilibre normal +de nos forces, cette dépréciation plus ou moins complète de notre +capital biologique, qui se produit, tôt ou tard, dans l'existence +de chaque créature humaine, et s'exprime par une variété infinie de +symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer les principales causes qui, +aux différents âges, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent de +compromettre ou de détruire la santé; et surtout j'ai essayé de montrer, +au fur et à mesure, par quels moyens ces causes peuvent être évitées, ou +leurs mauvais effets heureusement réparés. + +Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être le lecteur, accoutumé aux +complications savantes de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité +même lui semblera peut-être avoir quelque chose de révolutionnaire. +C'est un danger que j'ai prévu, et que, certes, je n'affronte pas de +gaîté de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon livre qui ne dérive, +à la fois, d'une expérimentation méthodique et de réflexions patiemment +mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque chose, en une matière +aussi variable et aussi délicate, je suis sûr de l'efficacité des +avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. Puissent-ils +seulement être entendus, et porter leur fruit! + + +Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant ouvrage +de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur _Les Origines de la «maladie»_ +(1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de n'avoir pas pu en citer certaines +pages qui s'accordent avec les idées que j'ai moi-même exprimées sur +plusieurs points, et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop +d'importance aux symptômes en pathologie. + + + + +LA LUTTE POUR LA SANTÉ + + + + +PREMIÈRE PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +LE CAPITAL BIOLOGIQUE + + + +L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les connaissances humaines, +un rôle considérable; ce n'est une nouveauté pour personne, mais cette +vérité nous a été récemment rappelée, et exposée avec une clarté +nouvelle, par le remarquable travail de M. Poincaré, intitulé: _La +Science et l'Hypothèse._ Il y est démontré que ni les mathématiques, +ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient exister si elles +n'avaient pour point de départ des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré, +plusieurs sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables, et, une fois +confirmées par l'expérience, deviennent des vérités fécondes; les +autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous être utiles en +fixant notre pensée; d'autres enfin (comme le _postulatum_ d'Euclide) ne +sont des hypothèses qu'en apparence, et se réduisent à des définitions +et à des conventions déguisées». Plus encore que les sciences dites +exactes, les études biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse, +car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que «nous n'y savons le +tout de rien.» + +Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser les sciences +biologiques, mais simplement pour m'aider à fixer ma pensée, je +demanderai, à mon tour, qu'on m'accorde une sorte de _postulatum_, qui +nous aidera à nous rendre compte de la plupart des phénomènes de la +biologie et de la pathologie. + +Voici ce _postulatum_: + +Je supposerai que chaque être, en naissant, reçoit un certain capital +d'énergie vitale, de la valeur et de l'emploi duquel dépendront et +sa santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts variables +suivant chaque individu et suivant chaque période de la vie. J'ajouterai +que ce capital peut être, à toute période de la vie, amoindri par une +cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit sont également +variables aux diverses périodes de la vie. + +Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent travail sera +d'étudier, d'un bout à l'autre de la vie, la meilleure manière de faire +valoir ce capital, et de le défendre contre les influences qui ne +cessent pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on appelle les +«causes morbigènes», et leurs assauts sont ce qu'on appelle les +«maladies». + +L'homme malade est donc, dans notre hypothèse, celui qui vient de subir +une de ces diminutions de son capital biologique: d'où il résulte que, +avant d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous devons d'abord +envisager le capital initial, et les causes qui en font varier la +valeur. + +Considéré au point de vue théorique, c'est-à -dire en négligeant les +influences qui peuvent le faire accidentellement diminuer, le capital +initial est comparable à la force qui lance un projectile dans l'espace. +Or, les mathématiciens savent exactement quelle doit être la courbe +parcourue par le projectile, du moment qu'ils connaissent la vitesse +initiale et la masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi, +prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si nous pouvions +connaître exactement le capital de vie qu'il apporte en naissant. Mais +le fait est que, chez les différents êtres humains, le capital initial +varie dans des proportions si énormes que nous ne pouvons guère nous +flatter d'en avoir une notion précise. + +Pour des causes que nous chercherons à analyser, il y a des êtres chez +qui le capital initial est nul: ce sont eux qui meurent en naissant, +ou un ou deux jours après leur naissance, sans «maladies» ni lésions +appréciables; tels certains enfants de syphilitiques, qui meurent parce +qu'il n'ont pas la force de vivre. + +A l'autre extrémité de l'échelle se placent les aristocrates de la +santé, doués d'un capital énorme, et qu'on voit atteindre à des âges +avancés sans avoir jamais été malades, sans avoir jamais pris de +précautions spéciales pour conserver leur santé. Ainsi, j'ai connu, non +comme médecin, mais comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze ans, +et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre indisposition. On peut +même dire qu'il est mort sans «maladie»; il a tout simplement cessé +de vivre, comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse de +progresser et rentre dans l'immobilité. + +Entre ces deux extrêmes se trouve une variété infinie d'intermédiaires; +et l'on peut dire qu'il n'y a pas deux personnes ayant le même capital +biologique initial. + +Cependant les différences dans le capital initial ne sont pas si grandes +qu'on ne puisse, tout au moins, en déterminer les causes principales, +dont l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance majeure. Ces causes +peuvent être groupées sous trois chefs: + +1° Les influences héréditaires; + +2° La valeur actuelle des générateurs au moment de la conception; + +3° Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation. + + + +CHAPITRE II + +HÉRÉDITÉ + + + +L'hérédité tient une place considérable dans tous les problèmes de la +vie; et, comme l'indique bien l'étymologie du mot _hoerere_, (être +attaché), tout être vivant est relié à un long passé ancestral. +Les végétaux eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le souci des +horticulteurs n'est-il pas de créer, par de savants procédés de culture +et d'habiles sélections, des types capables de transmettre par hérédité +certaines qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au jour où, quand +ils ont voulu trop profondément ou trop vite forcer la nature, la plante +revient à son état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été trop +surmenée. Et les mêmes observations sont familières aux éleveurs qui +cherchent à perfectionner les races d'animaux domestiques. + +Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant que la constitution +organique, la manière d'être physique ou mentale, se transmet des +parents aux enfants ou aux descendants. + +L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui constitue les grands +traits de caractère si différents de chaque race; c'est elle qui fait +que les vertus, les vices, les passions, les haines, se transmettent +dans le sein des familles aussi bien que la beauté, la couleur des yeux, +la taille, etc. Souvent elle est directe, c'est-à -dire qu'elle provient +du père ou de la mère; parfois elle saute une ou deux générations; +d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le type d'un parent de +la ligne collatérale qui prend la place. Mais il est rare que, dans le +cours de la vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque. + +Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout temps. Dans son langage +imagé, la Bible nous dit qu'«il a encore les dents agacées, celui dont +l'ancêtre de la septième génération a mangé des raisins verts.» Si +cette parole était l'expression exacte de la vérité, elle serait bien +décevante, car elle paralyserait tous les efforts destinés à lutter +contre les tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement +protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des tares héréditaires; et la +vérité est que l'influence de l'hérédité est modifiée grandement par la +tendance qu'a tout être vivant à retourner à son type primitif, comme +aussi par les influences du croisement, en vertu desquelles l'un des +générateurs peut rectifier la tare transmise par son partenaire. Ce +n'est que quand les deux générateurs ont les mêmes tares que l'hérédité +sévit avec son maximum d'intensité; et alors non seulement les tares +s'ajoutent, mais elles semblent se multiplier l'une par l'autre, +au point de rendre l'enfant incapable de soutenir la lutte pour +l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a pas la force de transmettre la +vie. Ainsi s'éteignent les familles par les «maladies» héréditaires, à +moins qu'un des membres de la race déchue, revenant pour ainsi dire +au type primitif, ne porte en lui une force de réaction +insoupçonnée,--héritage peut-être d'un passé plus lointain,--qui lui +permette de reconstituer la famille. + +Telles sont les considérations générales qu'il m'a semblé utile +d'indiquer, parce qu'il en pourrait sortir un grand nombre de +conclusions pratiques pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent +que j'insiste sur quelques détails plus particuliers. + +D'abord, l'hérédité de la longévité. + +Il est des familles où l'on meurt vieux, de père en fils. On dirait des +horloges remontées pour sonner à peu près le même nombre d'heures. Il +est d'autres familles où tout le monde meurt jeune, sans cependant qu'on +puisse incriminer des «maladies» spéciales. Pourquoi? Force est bien de +le dire, nous ne le savons pas. + +Notons, en passant, combien sont erronées les théories qui attribuent +à l'homme moyen une longévité moyenne, calculée d'après l'époque de la +soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la croissance: suivant les +calculs de Flourens, cette moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est +là une simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune observation +sérieuse. + +Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur des moyennes de ce +genre, et sur le calcul des probabilités, que sont basés les statuts des +compagnies d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable de supputer +la longévité probable d'un individu donné, quand on est en mesure +d'apprécier son capital biologique et la façon dont il sait s'en servir. +Mais dire que l'homme est bâti pour vivre cent ans, parce que, dans les +espèces animales, la longévité a cinq fois la durée de la croissance, +et que, chez l'homme, la durée de la croissance est de vingt ans, c'est +établir une théorie sur des bases absolument fragiles. + +Plus importantes encore que la plus ou moins grande longévité des +parents, sont, pour nous, certaines particularités de leur état +pathologique, qui retentissent d'une façon souvent très profonde sur la +valeur de leurs enfants. + +On sait, par exemple, les influences néfastes de l'alcoolisme +héréditaire, qui non seulement restreint la natalité, mais condamne ceux +qui naissent à une mort rapide. + +La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire, elle semble la +favoriser, et tout le monde connaît, en effet, de ces nombreuses +familles fauchées par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs +s'obstinent à mettre au monde de nouvelles victimes: aucune ne survit, à +moins qu'un traitement médical bien compris ne vienne mettre fin à cette +lamentable situation [1]. + +[Note 1: Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette +polynatalité des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on +serait tenté d'appeler la loi de protection des faibles. + +N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres sans +défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction +auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde animal. Les +animaux puissants, armés pour la défense ou pour la lutte, sont toujours +de médiocres générateurs; l'éléphant, par exemple, ne donne naissance +qu'à un nombre très restreint d'individus, la femelle porte longtemps; +même remarque pour le lion. Au contraire, les animaux sans défense, se +multiplient avec une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les +lapins d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette +colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de toute +mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau pour +l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de moyens +ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se cacher. Dans +l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples admirablement +bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas d'enfants? Nous ne +parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, enfants; car ici intervient +un autre facteur, la restriction volontaire; mais de ces ménages +exemplaires, où la venue d'un enfant serait une joie, et qui restent +stériles, sans que rien dans l'état des conjoints explique cette +stérilité. + +Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point de vue de +la santé, mettent au monde de nombreux enfants, qui bien souvent +constituent pour eux une richesse négative. Ces malheureux portent le +beau nom de prolétaires _(proles, race)_. + +Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini. +Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi tel couple ne +donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à des garçons? +C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique de la mère était +sensiblement inférieure à celle du père. Quand il y a une disproportion +marquée entre les deux générateurs, l'enfant qui naît a le sexe du +générateur qui vaut le moins. + +Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine de vie et +de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque toujours un +garçon. + +Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles s'observe +pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans défense: elles +pullulent partout, on les trouve sous toutes les latitudes, à toutes les +altitudes; au contraire, celles qui se défendent, ont ce qu'on appelle +en botanique des «aires» très limitées. + +Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi: les métaux qui +se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément parce qu'ils +sont rares et incorruptibles (mais non incorrupteurs) que l'homme les +a pris comme représentant la valeur du travail. L'or, par exemple, que +rien n'attaque, est plus rare que les métaux qui s'oxydent facilement, +tels que le fer, le cuivre. + +Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une rareté +qui lui donne tout son prix. + +C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids aux +lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.) que résulte +un équilibre presque stable dans le monde des êtres créés.] + +La syphilis est un des principaux facteurs de dégénérescence. On +commence seulement à connaître l'étendue de ses ravages. On sait +aujourd'hui qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les fait mourir +avant leur naissance, ou le jour même de leur naissance; qu'elle se +traduit plus souvent encore, dans les deux premiers mois qui suivent la +naissance, par des accidents contagieux; que, dans les premières années +de la vie, elle entraîne la mort par méningite (méningite spéciale que +l'on prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse, et qui serait +justiciable d'un énergique traitement anti-syphilitique). + +On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la syphilis des +générateurs provoque, à l'âge de huit, dix, quinze ans, des dystrophies, +parfois des accidents tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce sont +là des curiosités scientifiques. + +Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle proportion la syphilis +des parents diminue la valeur biologique des enfants en apparence bien +nés, c'est son influence sur les produits de la deuxième et même de la +troisième génération. C'est là la science de l'avenir[2]. + +[Note 2: Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de +la syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons +laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les +efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes vérités. + +Il existe une _Société internationale de prophylaxie sanitaire et +morale_ contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles, et +ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc., qui +toutes poursuivent un but commun: faire connaître les méfaits des +«maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du possible et par +tous les moyens possibles. + +La société française est certainement l'une des plus actives: sous la +vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur Fournier, elle a +déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est fondée. + +Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies, +dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et des +nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle, l'opinion +publique commence à s'intéresser au redoutable problème, on ose +envisager en face la syphilis, on ose prononcer son nom, et tout fait +espérer que l'action de la Société de prophylaxie sera au moins aussi +utile que celle des ligues contre l'alcoolisme et la tuberculose. + +Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on ne +modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la tuberculose? +Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre état social, tant qu'il +y aura l'affreuse misère et la promiscuité. Tandis qu'on peut beaucoup +contre la syphilis, «maladie» évitable s'il en fut, «maladie» +essentiellement curable. Mais il faut la faire connaître dans tous les +milieux, son danger provenant de l'ignorance. C'est surtout contre cette +ignorance que lutte la Société française de prophylaxie sanitaire et +morale à laquelle devraient être affiliés tous les gens de bien, toutes +les personne soucieuses de l'avenir de la nation.] + +L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable qu'on se plaisait à le +dire? Non. Voilà , du moins, ce qu'affirment la science expérimentale et +l'observation des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux. Mais, +dans la pratique, il serait sage de se conduire comme si la tuberculose +était héréditaire: 1° parce que les enfants de tuberculeux sont, +par cela même qu'ils vivent dans un milieu contaminé, exposés à +la contagion[3]; 2° parce que l'enfant, s'il n'hérite pas do la +tuberculose, hérite incontestablement de la prédisposition à devenir +tuberculeux. Il ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable: de +sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension qu'avaient +nos pères au sujet de l'hérédité de la tuberculose était parfaitement +légitime. + +[Note 3: Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de +tuberculeux a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est de +prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore sains, +pour les faire élever à la campagne dans des familles saines. C'est +ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre la +tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre +scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à +sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; elle a +fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des demandes +des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre la nécessité de se +séparer de leurs enfants encore sains pour les confier à des familles +de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés par ses médecins, +et offrant toutes garanties de moralité. Cette Oeuvre, bienfaisante à +plusieurs titres, est en outre _économique:_ chaque pupille ne coûte +en effet qu'un franc par jour, parce que tous les dévouements sont +gratuits. Cette faible somme d'un franc, bien employée, sans aucune +fuite, sert ainsi les intérêts de deux familles et sauve la vie d'un +enfant.] + +L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée. Tout est obscur dans +la question du cancer: son étiologie, ses modes de transmission, ses +variétés d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes ces +incertitudes, malgré les belles promesses de la sérothérapie, de la +vaccination anti-cancéreuse, et de la radiothérapie. + +En résumé, l'hérédité est le principal facteur de la valeur biologique +des individus. Chacun, de par son hérédité, naît avec une valeur +différente: l'inévitable inégalité sociale existe non seulement le jour +de la naissance, mais le jour même de la conception. + +C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la différente valeur des +différents organes. Beaucoup naissent avec un organe plus faible que les +autres, de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir compte +de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il se trouve en face d'un +malade quelconque. + +Les organes qui subissent le plus notablement la tare héréditaire sont: +le système nerveux, le coeur, et les reins. + +_A_) Les tares nerveuses se transmettent avec une constance redoutable; +et c'est à juste titre qu'on craint les alliances avec des sujets +dont les parents sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme +exagéré. + +Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de l'hérédité nerveuse +à des limites excessives: car, ainsi que je l'ai dit, nous devons +compter avec une sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle l'être +naissant est débarrassé de sa tare ancestrale; l'hérédité n'est jamais +absolument fatale. Et nous devons prévoir aussi les atténuations que +peuvent amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse du père peut +très bien être atténuée par le bon équilibre nerveux de la mère, le +croisement bien compris entraînant une sorte de régénération. Enfin, il +est certaines «maladies» nerveuses qui ne se transmettent jamais par +hérédité: telle la paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme est +mort dans un asile, par le fait de la paralysie générale, il ne faut pas +conclure que ses descendants soient menacés de folie, ou même de tares +nerveuses. Le paralytique général a pris la «maladie» uniquement pour +son compte, et il ne la transmet pas plus que ne transmettrait sa tare +nerveuse un homme qui serait, accidentellement, empoisonné par le plomb. +Tout ce qu'on peut dire du paralytique général, c'est que, neuf fois sur +dix, c'est un syphilitique, et que sa descendance peut être entachée de +syphilis au même titre que la descendance d'un syphilitique quelconque. + +_B_) L'hérédité des cardiopathies est également très intéressante à +étudier: elle n'est pas assez connue. + +Il y a des familles dans lesquelles tous les membres succombent aux +affections cardiaques. C'est donc que, là , les enfants apportent, en +naissant, un point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose +curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne devient perceptible, +chez ses divers membres, qu'à des âges plus ou moins avancés. Vers +trente ans, l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou sept ans +plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre, tout en ayant le coeur +sain à l'auscultation, succombera par le coeur, dans le cours d'une +pneumonie. «La «maladie» était au poumon, et le danger au coeur» +(Huchard). Un troisième membre mourra à cinquante ans, à son quatrième +accès d'angine de poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la +moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre affection capable +de déterminer des lésions cardiaques. Enfin un quatrième aura de la +tachycardie paroxystique. Et tout cela parce que la mère des quatre +enfants aura eu, avant la naissance du premier, le coeur touché +accidentellement par le rhumatisme; je connais même une famille où +l'hérédité remonte à deux générations: presque tous les membres de cette +famille sont des cardiopathes. + +C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale mérite d'être signalé au +même titre. On connaît l'albuminurie héréditaire et familiale: mais les +récents travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont démontré, en +outre, qu'une mère atteinte de néphrite donne naissance à des +enfants dont les reins sont moins résistants aux infections et aux +intoxications, ou même sont altérés au point d'entraîner la mort dès les +premiers jours de la vie. De plus, chacun naît avec une prédominance de +tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le système nerveux qui +présente un développement hors de proportion avec les autres systèmes +organiques; chez d'autres, c'est le système musculaire. + +Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement parler, des malades, +ni même des candidats à la «maladie»; ils peuvent avoir un excellent +capital biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas commettre +de fautes dans la direction à leur conseiller. Et nous retrouverons +cette importante donnée quand nous parlerons des grands problèmes de +l'éducation. + +Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette singulière +prédominance d'un des côtés du corps sur l'autre que l'on observe chez +la plupart des malades? En général, c'est le côté gauche qui est le plus +faible; c'est lui qui est le siège des névralgies, des pneumonies, des +misères variées que les malades accusent; c'est lui qui est le plus +faible au dynamomètre; et tout le monde sait que la main gauche est, en +général, moins habile que la main droite; le langage courant traduit +cette infériorité, en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile. Chez +d'autres, au contraire, c'est le côté droit du corps qui est le siège de +toutes les douleurs névralgiques, rhumatismales, sans pour cela que +ces malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir recherché la part de +l'hérédité dans cette répartition inégale de l'influx nerveux, que je ne +fais que signaler en passant. + +Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de voir, et qui doit en +former pour nous la conclusion pratique, c'est que, pour difficile que +soit la connaissance précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être n'y +a-t-il pas de point sur lequel l'attention du clinicien doive se porter +plus soigneusement! En présence d'un malade, notre premier effort +doit être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses parents; et les +résultats de cette première enquête doivent toujours nous être présents +à l'esprit, tout dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais +surtout quand nous aurons à diriger sa santé. + + + +CHAPITRE III + +CONCEPTION + + + +L'influence de la valeur actuelle des générateurs, au moment de la +conception, est à peine soupçonnée, et le fait est qu'il serait bien +difficile de la démontrer; elle doit être, cependant, considérable, et +il y a tout lieu de croire que la valeur d'un individu à naître varie +du tout au tout selon qu'il a été conçu dans de bonnes ou de mauvaises +conditions. + +Depuis longtemps, les médecins protestent contre les voyages de noces. +On ne saurait trop faire campagne contre cette coutume, tout au moins +antihygiénique. Considérez, en effet combien s'accumulent les conditions +déplorables pour la procréation, chez deux conjoints dont le système +nerveux a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires du +mariage, par la fatigue des journées consacrées à sa célébration, par +les émotions inséparables de cet acte important de la vie! Et voilà ces +jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour un voyage lointain, +qui s'exposent à des fatigues de toute sorte, à la déplorable +alimentation de l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de +résidence tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions que, sans +recueillement, à la légère, ils accomplissent l'acte qui doit donner _la +vie_. + +Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte conjugal s'opère à la +suite de repas copieux, dans des conditions non moins déplorables. + +Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion de la jeune femme, +trop souvent surprise par les conditions nouvelles de l'existence +qu'elle a adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait le +professeur Pinard: «En plein XXe siècle, nous procréons comme les +hommes des cavernes.» + +Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose que d'appeler +l'attention sur un mal dont presque personne ne soupçonne l'importance, +en dehors du monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi dire, +d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra le danger. + +Appelons aussi l'attention sur un point délicat: sur la nécessité de +faire l'éducation de la jeune fille, pour qu'elle sache ce qu'est le +grand acte de la procréation. + +Je vois d'ici les mères françaises frémir, et s'armer en guerre les +bataillons de ceux qui confondent la pudeur avec la pudibonderie. Nul +doute, cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans nos moeurs, à +cet égard, et dans tous les milieux sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler +ce que dit la Bible, dans le livre de _Tobie_, chapitre VII? Le fils +du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël, allait épouser Sara, +fille de Raquel, laquelle avait vu mourir subitement ses sept premiers +maris, aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour lui éviter +pareil sort, l'ange donnait au jeune homme les conseils suivants: « +Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'elles +bannissent Dieu de leur coeur et de leur esprit et qu'elles ne pensent +qu'à satisfaire leur brutalité, comme les chevaux et les mulets qui sont +sans raison, le démon a pouvoir sur elles. Mais pour toi, après que tu +auras épousé cette fille, étant entré dans la chambre, vis avec elle en +continence pendant trois jours, et ne pense à autre chose qu'à prier +Dieu avec elle! La troisième nuit étant passée, tu prendras cette fille, +dans la crainte du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants +plutôt que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part à la +bénédiction de Dieu.» + +Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend pas, pour procréer, plus +de précautions qu'à l'époque des premières ardeurs; c'est également une +faute dont se ressent le produit de la conception. + +Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de la procréation. Ce +traité, conçu dans un esprit large, libéral, scientifique, qui tiendrait +compte de tous les éléments du problème, c'est-à -dire non seulement du +point de vue médical, mais aussi de l'élément passionnel, répondrait à +un véritable besoin. + +Et un chapitre, et l'un des plus importants, devrait y être consacré +au traitement préventif de la syphilis héréditaire. Combien d'hommes +atteints de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, ignorent les +bienfaits d'un traitement spécifique, qu'ils suivraient deux ou trois +mois avant de se marier, pour préserver leurs enfants de la terrible +«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer ce traitement +préventif, alors même qu'ils savent que le générateur a eu la syphilis! +Mais je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet. + + + +CHAPITRE IV + +GESTATION + + + +Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant la gestation, nous +n'avons aucune donnée précise à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par +exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse pénible, voire même +des vomissements incoercibles, donnât naissance à un enfant plus +spécialement faible; inversement même, bien des femmes d'une santé +médiocre ont des grossesses superbes. J'étonnai fort une malade, un +jour, en lui disant qu'elle ne devait aller bien que pendant ses +grossesses. C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, et que la +grossesse devait lui produire l'effet d'une sangle, en soutenant les +organes. Mais il n'est guère vraisemblable qu'un état de santé +aussi artificiel, et aussi transitoire, soit, pour le produit de la +conception, un brevet de santé future. + +Par contre, les «maladies» de la mère pendant la grossesse ont une +influence bien connue sur la valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne +provoquent pas l'avortement, elles impriment à l'enfant une tare. + +J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif. Une jeune femme, au +quatrième mois de sa première grossesse, avait eu une appendicite si +nettement caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher, et +moi-même, avions été sur le point de provoquer l'intervention d'un +chirurgien. La malade avait pu, cependant, être traitée médicalement: +mais l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance une intolérance +intestinale véritablement anormale. Une première nourrice, choisie par +l'accoucheur, lui a donné un lait qui a semblé trop fort, car l'enfant a +eu, dès le deuxième jour, de la diarrhée verte et des vomissements. Dans +l'espace de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours choisies +avec le plus grand soin, n'ont pas eu plus de succès: à chaque nouvelle +nourrice, vomissements, fièvre ardente, diminution rapide du poids. +Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix des nourrices idéales, on +était bien obligé de donner à l'enfant du simple lait de vache coupé; +alors il allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait très +vite, la vie revenait: de telle sorte que, après ces quatre tentatives +d'allaitement par le lait de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin, +pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet enfant a probablement +un intestin extrêmement délicat, à cause de l'appendicite de sa mère +pendant la gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé coupé!» +Et il eut raison; grâce à d'infinies précautions, à une surveillance +méthodique, l'enfant put être élevé. + +Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends pas faire le +panégyrique de l'allaitement artificiel: je ne le cite que pour prouver +comment la «maladie» d'un organe de la mère pourrait bien avoir une +répercussion sur le fonctionnement du même organe, chez l'enfant qu'elle +porte en son sein. + +Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions de la mère, pendant la +grossesse, peuvent avoir un retentissement sur la qualité du produit. +Et de là dérive le devoir strict, pour la société, de protéger la femme +enceinte. Quelques philanthropes l'ont bien compris; mais cette notion +n'a pas assez pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est un +scandale, pour une nation civilisée, de voir le peu qui est fait pour +assister la femme enceinte, pour lui épargner les soucis de l'avenir +prochain et les fatigues des derniers jours de la gestation. + +Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme. S'ils naissent avant +terme par le fait de la «maladie» des générateurs, de la syphilis par +exemple, leur valeur biologique est sensiblement réduite, et peut même +être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant terme accidentellement, +par exemple à la suite d'une chute de leur mère, ou d'une intervention +obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup moins compromis qu'on ne +le croit dans le public non médical. Le tout est de leur assurer une +température qui se rapproche de celle qu'ils avaient dans le sein +maternel. + +Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les modèles de couveuses +artificielles. Ces appareils, certes, peuvent rendre des services; mais +il ne faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer, en préservant +l'enfant du froid, ce qui s'obtient: 1° en chauffant convenablement sa +chambre, et en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en sachant +l'alimenter dès sa naissance. Ce second problème est difficile; pour +le résoudre, il faut se rappeler une grande loi que nous retrouverons +plusieurs fois dans le cours de cette étude, et qui consiste à +proportionner la valeur nutritive de l'aliment, et le nombre de prises +alimentaires, à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant terme, +on donnera donc, toutes les demi-heures, une cuillerée à café de lait, +coupé de 2/3 d'eau bouillie sucrée. + +L'enfant va naître; quel préjudice lui cause l'accouchement au forceps? +Nous ne pouvons pas nous défendre de redouter, pour notre part, la +compression colossale qu'impose l'application du forceps à la masse +cérébrale de l'enfant. Mais l'étude approfondie de cette question, qui +aurait pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a pas encore été +faite, à notre connaissance du moins, d'une façon suffisante. En tout +cas, on est en droit de considérer comme coupable une intervention au +forceps faite pour gagner du temps, ou pour faire valoir l'importance +des soins obstétricaux. + + + +CHAPITRE V + +LES INFLUENCES MORBIGÈNES ET LES SYMPTOMES MORBIDES + + + +L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne ne le sait, sauf dans +les cas extrêmes où il vient au monde avec des apparences tellement +misérables que, dès son premier vagissement, son infériorité saute aux +yeux; c'est ce qui arrive chez les hérédo-syphilitiques, et rien n'est +aussi navrant que l'apparition du petit monstre aux lieu et place d'un +enfant bien vivant, attendu avec une légitime impatience. Il faut avoir +assisté à ce spectacle pour en comprendre la poignante horreur. Tout le +monde, sauf la mère, s'accorde alors à penser qu'il vaudrait mieux que +l'enfant ne fût pas né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible +de savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec lui; c'est son +secret, qu'il gardera pendant toute la durée de son existence, mais que +le médecin parviendra cependant à deviner en partie, s'il sait fouiller +l'hérédité de son malade et s'inspirer des quelques principes que nous +avons esquissés à grands traits dans le chapitre précédent. + +L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être une «lutte pour la +santé», une suite d'efforts, volontaires ou instinctifs, pour défendre +son capital naturel de santé contre les «influences morbigènes» qui vont +le guetter à chaque pas. + +Ces influences morbigènes, que l'être vivant va rencontrer sur sa route, +depuis le jour de sa naissance jusqu'à la fin de sa carrière, nous +allons tout de suite les esquisser à grands traits. + +Au début, nous avions assimilé, pour les besoins de la théorie, l'être +humain à un projectile lancé dans l'espace avec une vitesse initiale +déterminée; mais, tandis que le projectile parcourt une courbe +mathématique, qu'on appelle une parabole, la courbe évolutive de l'être +humain est une courbe irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une +influence morbigène survient, puis remonte pour osciller de nouveau, +puis fléchir définitivement à partir d'un certain moment de la vie que +nous appellerons le début de la période de déclin, et toujours avec des +oscillations à amplitude de moins en moins considérable, jusqu'au moment +où toutes les réserves se trouvent épuisées. + +La mort peut encore interrompre brusquement la courbe évolutive; c'est +ce qui arrive quand la brèche faite au capital est irréparable, soit +à cause de l'importance de l'assaut perturbateur, soit à cause de +l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux influences se +combinent; et le nombre de leurs combinaisons est incalculable. + +La variété des causes morbigènes est elle-même infinie; mais la nature +n'a qu'un nombre limité de moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte +que les causes les plus variées peuvent se traduire par les mêmes +symptômes. Aussi accordons-nous relativement peu de valeur à l'étude +du symptôme. Les symptômes s'associent de mille et une façons, pour +constituer autant déformes morbides différentes. Que dis-je? Il n'est +pas deux malades qui se ressemblent, Ce n'est que pour la facilité de +l'étude que les pathologistes ont créé des cadres posologiques; mais +on comprend assez que ces cadres devraient être aussi élastiques +que possible. Le vrai médecin, après s'en être servi pour faire +d'excellentes études, ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire +abstraction, de penser et d'agir comme si les cadres n'existaient +pas. Et un moment viendra même, quand son expérience clinique sera +suffisante, où il aura tout intérêt à faire table rase des notions qu'il +a péniblement accumulées par un travail assidu et prolongé; tout comme +l'architecte, qui, une fois la construction terminée, fait enlever les +énormes échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction de +l'édifice. + +Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides est indispensable au +clinicien, et l'on ne saurait apporter trop de soins à connaître, dans +tous leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais il y a +un écueil: c'est que, la théorie du moindre effort s'appliquant +naturellement à l'esprit humain, on a une tendance involontaire à +attribuer aux symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont pas; en +d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une manifestation morbide +devient, trop aisément, dans l'esprit du médecin, la cause de la +«maladie». + +Prenons comme exemple la constipation: ce n'est en réalité qu'un +symptôme, et qui peut se trouver chez une foule de malades différents. +Nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est d'origine +mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque, etc.). Un mot cependant, en +passant, pour dire que le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces +causes mécaniques, et de traiter par des moyens médicaux des malades +dont une intervention chirurgicale aurait pu prolonger la vie ou +atténuer les souffrances. + +Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires de la chirurgie, +n'est-il pas vrai que la constipation est un symptôme banal, pouvant +être attribué à une foule de causes? Parfois, elle est due à des lésions +d'organes lointains, par un mécanisme réflexe à long circuit, suivant +l'ingénieuse expression de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions +utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, elle est due à +un trouble profond du système nerveux, qui, avant l'apparition de la +constipation, avait traduit son malaise par des plaintes variées. +D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même temps que +l'entéro-colite sa compagne, à la suite d'un choc brutal, moral ou +traumatique. + +De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due tantôt à un manque, +tantôt à un excès d'exercice musculaire. Les hommes qui ont besoin de +beaucoup d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant les +prédispositions héréditaires, ou des cérébraux, ou des goutteux, ou +des lithiasiques, mais toujours des constipés: et leur constipation +disparaît a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis de +l'exercice qui leur convient. Inversement, les hommes qui prennent trop +d'exercice deviennent dyspeptiques et constipés, et le lit est leur +meilleur laxatif. + +Enfin la constipation peut tenir à une erreur de régime, soit à l'abus +du lait (le cas est fréquent), soit à l'usage abusif de la viande: alors +le régime semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer de +régime pour voir disparaître la constipation. + +La constipation n'est donc qu'un symptôme. + +Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des répercussions à +distance, en vertu de ce principe que le système nerveux abdominal a des +relations intimes avec le système nerveux central, que, d'une façon plus +générale, le trouble d'un département quelconque du système nerveux +retentit sur les autres départements, la constipation, bien que +symptomatique, contribue dans une certaine mesure à entretenir la +«maladie», ne fût-ce que par la préoccupation qu'elle cause au malade, +et qui peut dégénérer quelquefois en véritable obsession. Mais ce qu'il +faut se rappeler, quand on aborde le problème thérapeutique, c'est que +le système nerveux est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien nous +accorder que la solidité d'une chaîne est égale à celle du plus faible +de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a à rechercher quel +est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du +système nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guérir le constipé +médical. + +Il n'y a donc pas de remède contre la constipation, et, pour +l'atteindre, il faut atteindre la «maladie», dont elle constitue une +des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite, +les plus faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler paradoxal, +j'affirme que la constipation est, de tous les symptômes observés chez +le constipé médical, celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade +qui souffre, depuis des années, de ces misères variées qu'on est +convenu de désigner sous le nom un peu vague de neurasthénie, et +parmi lesquelles la constipation joue un rôle capital; après enquête +minutieuse, trouvez la formule exacte de son régime, et par régime je +n'entends pas seulement le régime alimentaire, mais la réglementation +minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail +cérébral, etc.; supprimez les agents thérapeutiques qui entretiennent la +«maladie» (douches froides, exercice forcé, médicaments variés, diète +lactée); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble +nerveux de son intestin, à savoir les purgatifs, lavages à grande eau, +etc.: et vous serez étonné de voir la constipation disparaître, avant +même toutes les autres misères. Le malade vous dira, au bout de huit +jours: «Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tête, de +l'estomac, du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence à retrouver +le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma +constipation, si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je n'ai +presque plus de peaux dans les selles, et je commence à reprendre +confiance.» A partir de ce moment précis vous tenez le malade, il a en +vous une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner méthodiquement, +si surtout des influences étrangères ne viennent pas contrecarrer la +vôtre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entièrement +à votre direction, vous lui rendrez, peu à peu, la santé. Il aura des +rechutes inévitables: mais lui annoncer à l'avance ces rechutes, +c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins +importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne tracée par vous: +s'il commet un écart de régime, un excès d'exercice, ou s'il a une +commotion morale, l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée d'état +gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fièvre +quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez à +lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui faire +comprendre que cette rechute était évitable. + +Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous +verrions qu'elle appartient, de même, à une foule d'affections. Le mal +de tête, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus +variés, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses? +Heureusement pour les malades, il n'est encore venu à l'idée de personne +de trouver un remède applicable à tous les cas de mal de tête. Nous +en connaîtrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le +divulguer: car, si la médecine «du symptôme» est détestable au point de +vue de l'étude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue +thérapeutique. + +Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptôme, ou un +ensemble de symptômes (ce qu'on appelle un _syndrome_): on y trouve +toujours en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans mon article +_Epilepsie_ du _Dictionnaire Encyclopédique_, j'ai essayé de montrer +combien il faut se méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir +une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique utile des +épileptiques. De même, en lisant ces jours-ci une intéressante étude du +Dr Baraduc sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon, j'y +voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on +en juge par les quelques lignes que voici: «L'entéro-colite +muco-membraneuse est un syndrome clinique dépendant d'un trouble +fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et +variées étant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de +troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, à +elle seule, pour produire l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité +une prédisposition spéciale du système nerveux, et plus particulièrement +du sympathique abdominal, à se troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette +prédisposition nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire, est +l'apanage des neuro-arthritiques.» Si l'auteur voulait bien avouer +seulement que cette expression de «neuro-arthritiques» ne fait que +dissimuler notre ignorance, nous serions tout à fait d'accord avec lui. + +En résumé, si le médecin doit bien connaître dans tous leurs détails, +sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations +morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie, et ne pas +s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En un mot, il doit voir de haut +pour voir loin, à condition toutefois de ne pas se perdre dans les +nuages. + +Quelquefois, tous les systèmes organiques sont troublés à la fois sous +l'influence d'une cause morbigène. C'est ce qui arrive, par exemple, à +la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain, +le blessé devenir à la fois dyspeptique, déséquilibré abdominal, +constipé avec entérite muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et il +peut rester longtemps dans ce misérable état qu'on désigne sous le nom +d'_hystéro-neurasthénie traumatique._ + +La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent également à la +fois, tous les appareils de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la +sidération peut être telle que le capital vital initial et les réserves +antérieures se trouvent tout à coup épuisés: c'est la banqueroute +totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les réserves ne sont +que profondément entamés. C'est la «maladie» grave, aggravée encore par +des médications et des pratiques intempestives; à un moment donné, le +capital peut être réduit à si peu de chose, que la moindre dépense +suffit pour l'anéantir. Le malade est une flamme vacillante que le +moindre souffle peut éteindre, mais à laquelle un savant dosage +d'oxygène rendra, peu à peu, la vie. + +Quand le capital est moins profondément atteint, ou quand la cause +morbigène est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu +d'être généralisés, atteignent plus spécialement tel ou tel organe: +l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de +l'hérédité ou par le fait d'une atteinte antérieure. Mais, en vertu de +la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne +reste pas longtemps limité à un organe ou à un système organique. Voyez +le grand neurasthénique: il est à la fois dyspeptique, entéralgique, +cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a été le premier +atteint? Impossible de le dire, après deux ou trois ans de «maladie». +Cependant une enquête bien conduite peut permettre souvent de +reconstituer son histoire pathologique, de voir par où la «maladie» a +commencé, quel était le point initial. Et c'est de la connaissance de ce +point faible initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique. +Le médecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il +aura découvert, sans négliger, cependant, les perturbations secondaires +attribuables à la synergie des fonctions de tout être vivant. + +Il arrive même, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les +réserves sont bonnes, que le trouble de la santé ne se traduit que par +un nombre très limité de symptômes, parfois même par un seul. Ainsi il +y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont, +comme manifestation morbide que le symptôme constipation, d'autres qui +n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne +clinique, et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il faut, +presque de parti pris, les éliminer, et chercher au delà de la +manifestation monosymptomatique. Presque toujours, alors, ou trouvera +que la «maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence. + +De même que, dans une compagnie de chemins de fer, une irrégularité +dans le service, minime en apparence, dénonce, si elle se renouvelle +fréquemment, une mauvaise direction générale, de même, en biologie, il +n'est pas d'indispositions insignifiantes, si limitées soient-elles à +tel ou tel organe. L'apparition d'une douleur à l'épaule, par exemple, +qui paraît une affection bien locale, est l'indice d'une perturbation +plus profonde qu'on ne le croit du système nerveux central. + +Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est toute une doctrine qui +est contenue dans cette affirmation; c'est que en effet c'est le système +nerveux central qui à notre avis est le grand réservoir de l'énergie. +C'est par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous +sommes. C'est lui qui dirige le fonctionnement de tous les organes, +de sorte que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement, la +névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation spinale, la folie, la +névropathie généralisée, etc., mais encore les troubles de circulation +vaso-motrice des différents organes. En dernière analyse, il est la +clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations se traduisent par +les symptômes les plus variés, au point d'égarer presque fatalement le +diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. Quelles que soient donc +la forme, la gravité, l'apparence de la manifestation morbide, c'est +toujours le système nerveux central qu'il faudra étudier, c'est sur lui +que devra porter le grand effort thérapeutique. + +Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du malade et surtout la +cause ou la série de causes qui ont fait fléchir momentanément son +système nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa valeur +biologique. + +Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont multiples. Il en est qui +appartiennent à tous les âges, mais d'autres qui appartiennent plus +spécialement à un âge déterminé. + +Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude, c'est d'après ce plan que +nous passerons en revue les principales de ces causes morbigènes. Nous +les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain: 1° depuis le jour +de la naissance jusqu'au sevrage; 2° du sevrage à la puberté; 3° de la +puberté à l'âge adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes +phases du déclin; 6° pendant la vieillesse. + +Nous introduirons, en outre, des subdivisions, suivant que les +influences pathogènes atteignent plus spécialement: 1° le système +nerveux digestif; 2° le système nerveux musculaire; 3° le système +nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie, nous mentionnerons +les affections accidentelles qui portent atteinte à la fois à tous +les systèmes organiques: nous voulons parler des «maladies» aiguës +(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des intoxications +(syphilis, intoxications alimentaires, etc.), toutes affections qui, par +la brutalité de leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des +gens du monde et de beaucoup de médecins, mais qui, en réalité, ne +constituent que la partie la moins importante de la pathologie, surtout +au point de vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera, +j'espère, que cette formule n'est paradoxale qu'en apparence[4]. + +[Note 4: Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont +inévitables et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être +vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui constituent +le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail, en même temps qu'il +dessinera à grands traits toute la pathologie, effleurera forcément +les problèmes afférents à l'hygiène et a la thérapeutique, en d'autres +termes, à la gestion du capital. + +L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté, +l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun, constituée +essentiellement par le capital initial, et par les intérêts qu'il +rapporte.] + + + +CHAPITRE VI + +DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE (PUÉRICULTURE) + + + +Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou faible et qu'il sera +bien ou mal géré, l'être vivant sera sain ou malade, donnera ou ne +donnera pas son maximum de rendement, fournira ou ne fournira pas la +carrière qui lui était originairement dévolue. + +Dans les premières années de la vie, la gestion du capital appartient +tout entière aux parents. Bien peu savent élever leurs enfants; et s'il +est des connaissances qu'on devrait répandre à profusion dans tous les +milieux sociaux, ce sont celles relatives à la «puériculture», d'autant +que les règles en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le démontre +le _Traité de Puériculture_ du professeur Pinard, qui devrait être entre +les mains de toutes les mères de famille. + +Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science de la puériculture. + +Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à tout propos et +hors de propos, l'alimenter intelligemment, lui épargner toute +médicamentation meurtrière, le préserver du froid et des changements +brusques de température: et c'est tout. + +Si seulement on savait la manière d'économiser les vies d'enfants, on +pourrait le faire dans les milieux en apparence les plus défectueux; +c'est ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de MM. +Schneider, la mortalité des enfants au-dessous d'un an n'est que de 110 +p. 1000, alors que, dans le canton de Vaud, renommé pour l'excellence +de ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000. Ce magnifique +résultat est dû surtout à l'élévation des salaires, qui permet aux mères +de se consacrer librement à leur mission maternelle. Près de 80 p. 100 +des mères allaitent leurs enfants, toutes font de la puériculture avant +la naissance. (_Rapport_ de M. le professeur Pinard, à l'Académie de +médecine, 25 juillet 1905.) + +Il est bien évident que le capital initial ne suffit pour entretenir la +vie que pendant quelques jours; il a besoin d'être sans cesse renouvelé +et augmenté, pour permettre de faire des réserves, de donner à +l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de transmettre la vie à +son tour. C'est l'aliment qui pourvoit à ce besoin incessant; et par +aliment nous entendons non seulement ce qui entre dans le tube digestif, +mais aussi l'air, que les anciens définissaient très justement le +_pabulum vitae_. + +Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa quantité, par une +répartition vicieuse, la «maladie» ne tarde pas à naître; c'est là la +cause essentielle de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait +croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise alimentation du +premier âge retentit sur toute la vie pathologique de l'individu. +Quelques médecins le disent, le crient même, mais c'est dans le désert; +la plupart le nient, ou passent indifférents à côté de cette vérité +profonde. Quant aux gens du monde, ils en soupçonnent à peine +l'importance. + +La vérité est que, quand un enfant a été mal nourri loin de sa famille, +quand il revient de nourrice avec un gros ventre, on peut affirmer que, +toute sa vie, il sera un valétudinaire. + +Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle de gens incompétents, +ou quand, poussée par son médecin, qui veut mettre à l'abri sa +responsabilité, une mère consent à abandonner les doux devoirs de +la maternité et à confier à une nourrice l'enfant qu'elle aurait dû +allaiter, quand à cette nourrice en succèdent deux ou trois autres, +sous des prétextes quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de +l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être insupportable, puis +un écolier de quatrième ordre, dans son adolescence un raté, +incapable de payer sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. Ces +considérations doivent être présentes à l'esprit du clinicien qui, se +trouvant en face d'un malade quelconque, arrivé à un âge quelconque, +doit chercher à connaître ce que vaut ce malade. + +On comprend donc l'importance du problème de l'alimentation dans la +première enfance. En principe, comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de +la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut faire quelque chose +qui soit puissamment efficace et fructueux, il est nécessaire, il est +indispensable de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, et +ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot, il faut permettre à la +mère de donner ce qu'elle possède.» (_Rapport_ du professeur Pinard à +l'Académie, juillet 1905.) + +Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir, il faut recourir +immédiatement à l'alimentation artificielle, soit avec le lait stérilisé +du commerce,--dont l'innocuité est quotidiennement démontrée par les +résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville, au dispensaire +très habilement dirigé par M. le Dr Variot,--soit encore avec le lait de +vache bien surveillé, fraîchement et proprement trait, sucré, plus ou +moins étendu d'eau, puis stérilisé dans la famille, avec des appareils +Sosclet, ou mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire». + +C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette «Goutte de lait» +de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait servir de modèle à toutes +les institutions du même genre, à cause de la simplicité de son +organisation. + +Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, maire de +Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un subside de trente mille francs mis à +sa disposition par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait» a déjà +rendu d'importants services: elle a fait tomber la «maladie» des enfants +de 0 à 1 an de 288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile le +plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000. + +La consultation des nourrissons a lieu tous les dimanches matin, dans +un local mis à la disposition de l'Oeuvre par la municipalité de +Saint-Pol-sur-Mer: 120 enfants, en moyenne, sont présentés tous les +dimanches. + +Les mères arrivent par séries, et se réunissent dans une grande +salle chauffée où elles déshabillent leurs enfants. Elles pénètrent +successivement dans la salle de consultation. Chaque enfant est pesé, +puis examiné par le médecin, qui compare le poids actuel à celui du +dimanche précédent, l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, +et fixe le régime pour la semaine qui va commencer. Toute mère reçoit, +soit un important secours _en nature,_ si l'enfant est nourri au +sein,--car on fait tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement +maternel,--soit des biberons de lait _pasteurisé_, si l'enfant est à +l'allaitement mixte ou artificiel. + +Le lait est distribué tous les jours au local de l'Oeuvre. Chaque enfant +à l'allaitement artificiel a un double jeu de biberons et de paniers, +qui lui sont personnels. En venant chercher les biberons prescrits, la +mère remet ceux que l'enfant a vidés la veille. Un seul homme suffit +pour assurer tout le service. + +Le lait est distribué gratuitement à tous les enfants indigents. Fourni +à l'Oeuvre à son prix coûtant, il provient des étables du Sanatorium de +Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans avoir été préalablement +soumise à l'épreuve de la tuberculine. + +Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé Coutant: +c'est-à -dire que, dans le biberon même où la mère devra l'utiliser pour +son enfant, le lait est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement +refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement brusque a été +rendu possible par la contexture même du verre des flacons. + +Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes pathogènes, et, à +l'inverse du lait stérilisé à 110°, a conservé toutes ses propriétés +digestives et nutritives. + +Après la pasteurisation, les biberons restent plongés dans des bacs +remplis d'eau froide, jusqu'à la livraison aux mères. + +La pathologie infantile est relativement simple. Faut-il donc, comme on +le propose de divers côtés, faire faire à tous les étudiants en médecine +un stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier aux mystères de +cette pathologie? Remarquez que d'autres médecins demandent un stage +spécial pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées; d'autres +encore un stage pour l'étude des «maladies» nerveuses, sans parler de +ceux qui voudraient un stage pour les «maladie» des yeux, des organes +génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, pour celles des oreilles +et du nez? et, à ce compte, combien de temps dureraient les études +médicales? Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils étaient +praticables; mais ils auraient pour effet de restreindre plus que de +raison le nombre des futurs médecins, et de remplacer la pléthore +médicale actuelle par une anémie encore plus regrettable. + +Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est qu'il lui reste +beaucoup _à apprendre_, c'est que toute sa vie de praticien ne sera pas +trop longue pour savoir lire dans le grand livre de la nature. Mais il +nous semble que, pour ce qui concerne en particulier la pathologie des +enfants, un peu de bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments, +de la patience, suffisent pour faire de bonne thérapeutique infantile, +quand, par ailleurs, on connaît les lois générales de la pathologie. + +Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants, je me rappelle +avoir été appelé en consultation, en province, pour un enfant de six +mois soigné par deux distingués confrères. Il avait, depuis cinq jours, +une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement rapide. Pendant les +trois quarts d'heure que dura mon enquête, je vis cet enfant passer +successivement des bras de sa mère dans ceux de la nourrice _sèche_, +puis dans ceux d'une tante affolée, le tout pour calmer les faibles cris +qu'il avait encore la force de pousser. J'appris que ce manège durait +depuis deux jours, que l'enfant avait pris du calomel, trois fois de +grands lavages intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, à +grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai simplement de mettre +cet enfant dans son berceau et de l'y laisser, de lui appliquer sur le +ventre un large cataplasme, de le laisser à la diète absolue pendant +quatre heures puis de lui donner de l'eau panée, et de le laisser dormir +si le sommeil pouvait venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé, +l'enfant avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait +naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau de riz; je conseillai +de ne pas trop déranger l'enfant, de ne plus explorer son ventre. Le +surlendemain, il prenait du lait écrémé pur, et j'appris qu'il avait +retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé mit fin à la grave alerte, et +aussi à la «maladie», qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime +de soins trop empressés. + +Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le grand secret de la +thérapeutique consiste à savoir réchauffer les enfants, tout en les +tenant à la diète absolue pendant six ou douze heures, puis au régime +«avec restriction des liquides» pendant deux ou trois jours. + +Avouons cependant que, parfois, les problèmes de pathologie infantile +sont très difficiles à résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui +ne supportait aucun lait de femme, pris en n'importe quelle quantité. +D'autres fois, les enfants s'empoisonnent avec le lait même de leur +mère. C'est, tout simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois; +mais il faut quelquefois chercher longtemps pour trouver cette cause si +simple. On ne se figure pas le nombre d'enfants qui ont des indigestions +chroniques, parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout quand ils sont +nourris par de plantureuses mercenaires qu'on ne sait comment tonifier, +dans la pensée de donner plus de forces au précieux rejeton. + +Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies» des enfants est +tellement difficile que les spécialistes se déclarent incompétents. Que +d'erreurs de diagnostic commises à propos des méningites! Et comment +aussi interpréter le cas suivant? Sans cause connue, un enfant d'un +an, bien élevé au sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient +grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre. Les jours suivants, +la fièvre augmente, une pâleur inquiétante s'étend sur la face, un +amaigrissement rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage; puis, au +bout de quelques jours, sans qu'on ait rien fait que de laisser l'enfant +bien tranquille, l'appétit revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout +rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en consultation n'ont pas +pu étiqueter cette «maladie», ni se prononcer sur son issue; mais, +tous ayant eu le bon esprit de ne pas aggraver la situation par une +médication intempestive, tout s'est terminé pour le mieux, et l'enfant a +gardé son secret. + +La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de diagnostic n'est +pas aux médecins, mais aux difficultés des problèmes cliniques. En les +dénonçant, nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de la science: +bien au contraire, ce que nous voulons dire, c'est qu'en thérapeutique +infantile il faut avant tout de la sagacité, et que, dans certains cas, +il faut que le médecin sache reconnaître son incompétence. + +Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une revanche éclatante, +et c'est alors que le médecin est en droit de se féliciter d'avoir fait +de bonnes études de pathologie générale. + +Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui vient bien pendant les +six premières semaines; puis voici que, tout en continuant à prendre +ardemment le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements, son poids +cesse d'augmenter; il diminue de 200, de 300 grammes en quelques jours. +Qu'est-ce à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique. Le +traitement mercuriel, sous forme de liqueur de Van Swieten, de frictions +mercurielles, ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose de 3 à +5 milligrammes par jour, fait merveille et rétablit entièrement cet +enfant. + +Nous avons dit plus haut combien souvent la méningite, qu'on croit +tuberculeuse, et qui survient de deux à cinq ans, est d'origine +syphilitique. Déjà en 1872, quand nous faisions nos études à +Montpellier, le regretté professeur Fonsagrives nous disait qu'il avait +sauvé beaucoup d'enfants, atteints de méningite tuberculeuse, en leur +donnant de l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il s'agissait de +méningites syphilitiques. Mais pour formuler un diagnostic de méningite +syphilitique, pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen de +l'enfant, soit par une enquête sur les parents, ne faut-il pas que le +médecin ait beaucoup travaillé, beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle +n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit se contenter de +faire de l'expectation armée, il peut, dans beaucoup de cas, rendre aux +enfants malades des services inappréciables. + +Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile, à un enfant atteint de +pneumonie; de l'immersion alternative dans l'eau chaude et dans l'eau +froide d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire, sinon +que, dans certaines circonstances, le médecin opère ainsi de véritables +résurrections? + +Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le rôle social du médecin, +bien au contraire, ni introduire dans l'esprit des jeunes confrères un +scepticisme infécond: ce que nous voulons, c'est leur dire qu'il ne faut +pas se spécialiser dans l'étude de la pathologie infantile, et que, pour +bien soigner un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout qu'il faut +souvent savoir s'abstenir. + +En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en étant compliquée, comme +tout ce qui touche au problème de la vie, nous semble être relativement +simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un tube digestif percé +aux deux bouts». + +Plus nous allons voir l'être humain avancer dans sa carrière, plus vont +devenir nombreux et compliqués les problèmes de la vie. Le système +nerveux ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une conditions +défavorables qu'impose à l'homme le milieu cosmique vont imprimer à son +capital biologique des dépenses qu'on ne peut certainement pas évaluer +mathématiquement, mais qui se traduiront par une diminution de sa +valeur. La vie ne va être de plus en plus qu'une série d'oscillations, +de luttes entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les causes de +destruction de l'être vivant; bref, un état d'équilibre instable, la +santé n'étant qu'un bel accident passager. + + + +CHAPITRE VII + +DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ + + + +Il est logique d'introduire une subdivision dans ce chapitre, et +d'étudier d'abord l'enfant de deux à sept ans, d'autant que, à cette +période de la vie, il n'y a pas à tenir compte de la différence des +sexes. + +I + +Pendant cette période, la nutrition a son activité maximum, l'enfant +améliore son capital, accumule les réserves; mais il faut bien savoir +qu'il a aussi des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux doit +être dépensé pour faire connaissance avec le monde extérieur, pour +apprendre le sens des mots, la notion des distances, etc.! On est +effrayé en pensant au travail cérébral que supposent ces acquisitions. + +De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant toute fuite +nerveuse inutile. Il faut presque se borner à le faire «boire, manger, +dormir; manger, dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant de +cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne devrait le réveiller. Pour +démontrer combien peu d'enfants ont leur dose _optima_ de sommeil, +prenez au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier jour, +dormir à volonté; il s'octroiera douze heures de sommeil. Le lendemain, +il se réveillera après onze heures, le surlendemain et les jours +suivants après dix heures. C'est donc que, au moment précis où +l'expérience a commencé, il avait un arriéré de besoin de sommeil. + +Quant au problème de l'alimentation, il est relativement simple, et +l'expérience des mères de famille répond à la plupart des indications. +L'enfant doit manger quatre fois par jour; mais, en général, il mange +trop vite. Les parents devraient, pour leur usage personnel et pour le +bien de leurs enfants, se rappeler qu'il existe des glandes salivaires +sécrétant, chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par jour, et +que, si une bonne digestion commence dans la cuisine, elle se continue +dans la bouche. + +En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le moins d'influences +nocives; et un peu de surveillance suffit pour que l'enfant se porte +bien. + +Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent, en général, d'une +façon bénigne, quand elles ne sont pas troublées par une thérapeutique +incendiaire. De là la faible mortalité afférente à l'âge que nous +étudions, dénoncée par les tables qui servent de base aux calculs des +Compagnies d'assurances sur la vie. + +Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, scarlatine, +rougeole, angine, il se rétablit avec une rapidité contrastant avec la +lenteur de la convalescence chez l'adulte, et encore bien plus chez le +vieillard. Voyez, par exemple, une angine herpétique! Elle occasionne +chez l'enfant de tumultueux symptômes: de la fièvre, du délire; mais, +au bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, quatre jours +après, l'enfant paraît aussi bien portant qu'avant. Chez l'adulte, au +contraire, le même nombre de points d'herpès sur la gorge provoque un +état maladif moins tumultueux, mais qui se termine par une convalescence +de quinze jours à un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou +tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement nécessaires à l'enfant +convalescent, doué de plus d'élasticité. + +A partir de sept ans s'esquisse, chez certains enfants, une +différenciation qui ira s'accusant d'année en année. Un oeil attentif +va percevoir si l'enfant appartient au type _musculaire_ ou au type +_cérébral_. Le _musculaire_ est cet enfant actif, aimant à jouer, +turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention pour un quart d'heure +de suite, n'ayant, par conséquent, aucun goût pour l'étude telle qu'elle +lui est imposée. Le _cérébral_ est l'enfant réfléchi, n'aimant pas les +jeux bruyants, et dont l'esprit est en avance notable sur celui des +enfants de son âge. A chacun de ces deux enfants conviendrait une +éducation différente; malheureusement, les nécessités sociales les +soumettent, l'un et l'autre, à la même discipline pédagogique,--bien +comprise, il faut l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour +ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement en vigueur +s'approche autant que possible de la perfection, il faut bien dire qu'il +convient moins aux types extrêmes que nous venons de mentionner. Le +petit _musculaire_, condamné à de longues heures d'étude, s'agite, +s'inquiète, devient de plus en plus dissipé, et ne tarde pas à entrer +dans la catégorie des enfants dits «paresseux». Sa santé physique peut +ne pas souffrir outre mesure du régime compressif auquel il est soumis; +il grandit, se porte bien en apparence; mais son cerveau est, pour ainsi +dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement inférieur. Chez le petit +_cérébral_, au contraire, l'éducation moyenne peut amener des troubles +de la santé physique: les récréations bruyantes et agitées, imposées +après les repas, les longues promenades hebdomadaires, l'insuffisance +du sommeil, une alimentation mal adaptée à son tube digestif, très +vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la longue; et, d'un enfant +qui aurait pu donner les plus belles espérances, la pédagogie officielle +fait un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en un mot un +malade. + +Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle? Oui, dans les cas +extrêmes et dans des circonstances exceptionnelles. + +Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation collective et le +surmenage cérébral imposé par nos programmes amènent les plus fâcheuses +conséquences, pour le présent et pour l'avenir, c'est celle des enfants +que l'hérédité n'a pas préparés au travail cérébral. Tels ces fils +de cultivateurs qui ont une longue hérédité terrienne, et que leur +intelligence hâtive semble désigner comme particulièrement aptes aux +études supérieures. Ce sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils +arrivent aux écoles supérieures: mais ils y arrivent malades, et seront +malades toute leur vie. + +De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les «maladies» accidentelles +sont presque inévitables, à cause de la promiscuité des enfants dans les +écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité. Ce ne sont pas +elles qui diminuent sensiblement le capital biologique individuel. Les +fautes commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une bien plus grande +importance. + +Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës qui ressemblent plus +ou moins à la fièvre typhoïde, et qui sont dues à des indigestions! En +général, l'hygiène alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée. +Les enfants mangent trop vite, comme nous l'avons dit plus haut; et, +très souvent, ils mangent trop, précisément parce qu'ils mangent trop +vite, la sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction +brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire mal élaborée. D'autre +part, de trop nombreux parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on mange +qui profite, mais ce qu'on assimile, se figurent qu'il faut que l'enfant +mange beaucoup pour se donner des forces; et ce préjugé amène chez +l'enfant des intoxications chroniques qui retentissent sur son système +nerveux, sur sa croissance, jusqu'au moment où l'estomac surmené +commence à protester. A partir de ce moment, le cercle vicieux est +établi, et, si un régime alimentaire bien compris n'est pas institué, +l'enfant devient un malade, et restera malade indéfiniment. C'est ce que +M. le Dr Laumonier a très bien exposé dans un article du _Correspondant +médical_ de 1905: + +Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils mangent +beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil ne soit pas +toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant on ne peut, à première +vue, les accuser d'aucun trouble évident. Cependant, certains soirs +principalement, ils se montrent tantôt plus énervés que d'habitude, +tantôt plus abattus au contraire, et si, à ce moment, on prend leur +température rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au +delà . Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y +paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance, et les +parents se gardent bien, pour si peu de chose, de faire appeler le +médecin; ils ont tort, car cette fièvre digestive est le symptôme +de troubles fonctionnels d'assez grande importance, et qu'il est en +conséquence nécessaire de soigner dès le début. + +Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de belle +apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration de leurs +parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et les belles couleurs +disparaissent. Ils finissent ainsi par se transformer en enfants +chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise haleine, présentant des +alternatives de constipation et de diarrhée, souffrant parfois de +douleurs stomacales vives; en un mot ce sont maintenant de véritables +dyspeptiques. + +Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel extrême, pour +ainsi dire, de troubles longtemps existants et dont les accès légers de +fièvre digestive ont été l'un des premiers et des plus caractéristiques +symptômes. Il suffit, pour s'en convaincre, de suivre avec quelque +attention l'évolution progressive des phénomènes. + +Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles ont été, +pendant leur première enfance, mal nourris, sinon comme qualité du lait, +au moins comme quantité; en d'autres termes, leur ration a été trop +copieuse. Puis, après le sevrage, ils ont été mis rapidement à la +nourriture commune de la famille; ils ont mangé de tout, et trop; +parfois aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du +café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques. + +C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,--pas plus que l'homme, +du reste--ne mange qu'à sa faim; toujours, ou presque toujours, à ce +point de vue, la limite est dépassée. La quantité d'aliments ingérés +est beaucoup plus une affaire d'habitude que de besoin réel, comme le +prouvent manifestement les résultats du traitement imposé à ces petits +malades. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent +ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel les +aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions digestives, +stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales. D'où, d'une +part, l'insuffisance et l'épuisement des glandes gastriques, la +dilatation et l'atonie stomacales, et, d'autre part, la production des +substances toxiques qui, résorbées, entraînent l'auto-intoxication et +l'élévation thermique qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,--et +c'est là un point essentiel,--que la fièvre digestive peut se produire +et se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire et +l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés; +elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue un signe +prodromique, avertissant que la limite digestive est dépassée, que +l'estomac commence à se fatiguer, que l'auto-intoxication d'origine +digestive est déjà manifeste. + +Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers de cet +état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros foie... etc., +ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence; d'autres signes, +plus incertains, dyspnée, terreurs nocturnes, manifestations cutanées, +peuvent exister aussi, qui complètent la signification des premiers. +Passons donc et arrivons au traitement. + +La première indication est de réduire la ration alimentaire à ce qui est +strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge, le sexe, le poids, +la taille, et de composer cette ration d'aliments faciles à digérer, +fournissant le minimum de fermentation, tels que lait, oeufs, pain +grillé, viande crue, purée de légumes. Sans en arriver au régime sec, +qui a beaucoup d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la +quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne qualité ou +des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures hygiéniques générales, +on assurera la liberté du ventre par des habitudes régulières ou à +l'aide de quelques lavements tièdes, mais sans en abuser. + + +DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE + + +I.--CHEZ LA FILLE + +Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue un moment +solennel dans l'existence. La plupart des mères de famille le savent, +s'en inquiètent, mais ne connaissent pas les précautions à prendre. Ces +précautions consistent à supprimer plus que jamais les fuites nerveuses. +Ainsi, il convient alors de diminuer le travail cérébral, le travail +musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la mettre à l'abri de +toutes les influences qui, par action réflexe, retentissent sur son +système nerveux (indigestions, coups de froid). + +Pendant les premières périodes menstruelles, le repos presque absolu au +lit s'imposerait, si les règles étaient douloureuses ou trop abondantes; +et un repos relatif s'impose même quand elles sont correctes. Ce qu'il +faut bien savoir, c'est que l'anémie qui accompagne, en général, cette +période de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, ni de +la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, ce sont les +précautions citées plus haut, et, par intervalles, quelques injections +de cacodylate de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie. C'est là un +des rares médicaments capables de rendre des services, à la condition +formelle qu'il ne soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin. + +Une fois la menstruation établie, il ne faut pas s'inquiéter outre +mesure si, pendant les premières années, les règles ne viennent pas à +époques fixes, et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni +douloureuses, ni trop abondantes. + +Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent de voir la santé +des jeunes filles subir un assaut considérable, qui se traduit par de +la chloro-anémie, avec état nerveux, suppression des règles, troubles +dyspeptiques, constipation, etc. + +Les causes en sont multiples. Chez la jeune ouvrière, c'est, le plus +souvent, le surmenage physique, la vie anti-hygiénique des ateliers, +l'accumulation des privations. Dans d'autre milieux, c'est le fait du +surmenage intellectuel pour l'obtention des brevets. Mais, plus souvent +encore, ce sont les causes morales qui portent atteinte au système +nerveux. C'est une vocation contrariée, une suite continue de petits +malentendus avec la famille, avec la mère en particulier. La mère, ne +se décidant pas à s'apercevoir que sa fille grandit, continue à vouloir +exercer sur elle une autorité despotique, contre laquelle l'enfant se +cabre en vain pendant de long mois, et dont elle souffre de jour en jour +davantage. + +Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée, un mariage +désiré qui se trouve rendu impossible par la volonté intransigeante des +parents, ou par des circonstances indépendantes de toute volonté ou même +c'est un vague et obscur besoin du mariage: pour suivre, en somme, les +lois de la nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct de la +maternité qui se rencontre chez la femme depuis son plus jeune âge, et +se traduit, dans la première enfance, par le besoin de la poupée. + +Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement; puis, un jour, +la «maladie» éclate, souvent à la suite d'une affection aiguë qui +contribue à faire tomber brusquement la force de résistance du système +nerveux. + +Si variés que soient les symptômes par lesquels le mal se traduit, la +thérapeutique doit être la même. Elle consiste à ne pas aggraver la +«maladie» par une médicamentation intempestive; ce ne sont ni les +pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la douche froide qui +pourront faire du bien à une jeune fille ainsi atteinte, ni même la +suralimentation, malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut, c'est +chercher la cause de la «maladie», et la supprimer ou l'amoindrir autant +que possible. + +Quand c'est le surmenage physique, le repos absolu s'impose, et la jeune +malade arrive très vite à la guérison. Quand le surmenage physique n'est +pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus difficile que de doser le +repos et l'exercice. Le plus souvent, le repos relatif est de rigueur. +Dans d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en particulier, un +exercice modéré, et même poussé assez loin, peut produire d'excellents +effets. Le médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité de ce moyen +thérapeutique, basera son jugement sur les résultats de l'enquête qu'il +fera au sujet du passé de la malade, et il aura le droit de procéder par +tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas graves où le repos absolu +s'impose d'abord, rien n'est plus difficile que de doser l'exercice +dès que la malade est capable de le supporter, mais le principe est de +rester en deçà de ce que la malade peut donner. + +Quand la «maladie» de la jeune fille est due au milieu familial, le +remède essentiel est de le lui faire quitter. Malheureusement, on attend +souvent trop longtemps pour prendre ce parti radical; on attend que la +vie soit devenue impossible, que la jeune fille ait perdu le sommeil, +les forces, l'appétit, et soit dans un état d'excitation inquiétant. On +l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie, où on lui +impose le plus souvent, à notre avis, une séquestration trop radicale. +Car la priver de toute visite, de toute correspondance, la soumettre à +une discipline d'une sévérité exagérée, nous semble vraiment excessif. +L'enfant se révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice +relativement restreint. Elle prend sur elle pour simuler la guérison, et +pour échapper à la tutelle des médecins; elle sort avec les apparences +de la santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle retombe dans le +milieu familial hostile, la «maladie» ne tarde pas à renaître de ses +cendres, jusqu'au jour où une circonstance quelconque amène enfin un +changement de vie radical, qui la guérit. + +Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, d'éloigner l'enfant, de +temps à autre, du milieu familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui +qui est l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente, soit +même à une garde bien choisie, jusqu'au moment où on trouvera à la +marier, chose qu'il ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui, +dans bien des cas, est le remède par excellence? Pendant les absences de +la jeune fille, l'état nerveux du milieu familial lui-même se calme, ce +qui rend la vie commune acceptable par intermittences. Loin de nous, +cependant, l'idée de porter atteinte à l'esprit de famille en proposant +pareille mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle et +comme un pis-aller, préférable souvent à la maison de santé, et, en +définitive, moins onéreuse. + +Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource de la séparation, +même momentanée. Heureusement, chez eux, les contacts entre parents et +enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a toujours une certaine +indépendance; elle n'est pas soumise à une tyrannie de tous les +instants. En outre, son système nerveux est moins vulnérable, de sorte +que l'influence néfaste du milieu familial est rarement une cause de +«maladie». Nous connaissons cependant de jeunes ouvrières dont la +santé a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel elles étaient +condamnées à vivre: père alcoolique, qui les battait au retour de +l'atelier, mère ou belle-mère acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre +victime résiste tant qu'elle peut, jusqu'au jour où elle quitte avec +éclat la maison paternelle, à moins que, victime résignée, elle ne voie +peu à peu s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi une proie +toute désignée pour la tuberculose, qui met fin à ses misères; souvent +aussi sa déchéance se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile +d'aliénés lui ouvre ses portes. + +D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation contrariée qui met +la jeune fille en état de «maladie». Il n'y a pas à se le dissimuler, +quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité des +vocations religieuses, lorsqu'une vocation est sincère, toutes les +entraves qu'on lui apportera ne serviront de rien. La jeune fille +souffrira, deviendra de plus en plus malade, et force sera un jour de +céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames intimes et ignorés, qui +torturent même les familles chrétiennes; et le résultat final a toujours +été le même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle a eu gain de +cause. + +Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait respectueusement, +depuis trois ans, contre sa famille, pour obtenir l'autorisation +d'entrer au Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé de +«maladie», restant des huit et quinze jours sans garde-robe, malgré +l'hygiène intestinale la plus soignée, ne pouvant plus lire ni supporter +une conversation; elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait plus +quitter son lit, tant les forces physiques étaient diminuées. Gravement +préoccupé de l'issue de cette «maladie», dont je connaissais la cause, +je crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant l'avocat de la +malade. Or, dès qu'elle eut obtenu l'autorisation sollicitée depuis si +longtemps,--et que, par parenthèse, elle avait cessé de demander depuis +un an, pour ne pas torturer sa famille,--nous vîmes la santé revenir +avec une rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se remirent à +fonctionner, et, un mois après, la jeune fille entrait au Carmel. Quelle +ne fut pas notre stupéfaction d'apprendre que, le troisième jour, elle +lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie et de bonne humeur! + +Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité des parents, +il faut que cette autorité sache s'effacer devant la volonté ferme, +réfléchie, bien arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et +ajoutons que l'intérêt l'exige. + +Les mêmes considérations s'appliquent au cas où une jeune fille veut, +envers et contre tous, épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf +fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de ses parents, qui ont +l'expérience de la vie. Mais l'expérience est semblable à un habit fait +sur mesure, et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait. Aussi, +lorsque, malgré les sages raisonnements, la jeune fille s'obstine et +s'entête, estimons-nous qu'il faut lui céder après un délai raisonnable. +On doit haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne. + +Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la jeune fille est victime +de son tempérament, qui ne trouve pas dans les joies de la famille une +satisfaction suffisante: elle éprouve le _besoin_ de se marier. C'est +alors aux parents à l'aider dans son choix, car cet état d'âme peut +amener la «maladie». + +Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, avant de se marier, +subir un traitement médical; car elle n'a pas le droit de se marier en +état de «maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait pas. Or +il faut bien savoir que, au début de la vie conjugale surtout, elle +n'a pas le droit d'être malade. C'est donc une raison de plus pour la +soigner avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette cure est des +plus simples: la cause de la «maladie» ayant disparu, et le capital +biologique n'étant pas encore gravement entamé, le rôle de la +thérapeutique se réduit à peu de chose. + + +II.--CHEZ LE GARÇON + + +Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte, les influences +capables d'amener la «maladie» sont également multiples. Signalons, +parmi les principales : + +I. Le surmenage scolaire; + +II. L'abus des sports; + +III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes solitaires et +prématuration). + +I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, dont on a fait si grand +bruit il y a quelques années? Les brillantes discussions de l'Académie +de médecine n'ont pas empêché les programmes de se surcharger d'année en +année; et ils se surchargeront encore davantage, cela est inévitable, +c'est la loi même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir +remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant surmenage ne nous +effraie pas outre mesure, car il faut compter: 1° avec les nouvelles +méthodes d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois; 2° avec une +adaptation du cerveau des générations actuelles et futures à un travail +cérébral plus considérable. N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui rend +si dangereux le travail cérébral chez les «déracinés» dont nous avons +dit un mot au chapitre précédent? + +Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des systèmes +pédagogiques? Non. Le jeune homme ne travaille pas trop, mais il +travaille mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne dort pas +assez, et on n'a pas assez le respect de son sommeil: du sommeil qui +dompte tout, suivant la forte expression d'Homère. + +Un groupe de médecins anglais vient de commencer une campagne de presse +pour obtenir que l'élève des collèges anglais puisse dormir plus +longtemps. Ils avaient été précédés dans cette voie par le Dr +Chaillou[5], directeur de l'hygiène d'un grand établissement +d'instruction, qui dès 1903, a eu l'idée excellente d'installer, dans le +pensionnat, ce qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là , les jeunes +gens fatigués momentanément vont, tout simplement, se reposer suivant +leurs besoins; et jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de +dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats aux écoles, et que +l'intelligente discipline générale de la maison est de nature à prévenir +tout abus. + +[Note 5: _Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans +un grand collège moderne_, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut +Pasteur. Paris 1903.] + +II. _Abus des sports_.--Si pour l'homme sain l'exercice est nécessaire +à la santé, cet exercice, lorsqu'il est poussé à un degré excessif, +devient un facteur important de «maladie». + +L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué, peut être poussé +très loin sans provoquer d'accidents; c'est ainsi que, chez les +professionnels des cirques, la santé se maintient excellente, comme j'ai +pu m'en rendre compte par une enquête faite chez Barnum. Le médecin +attaché à la troupe de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il +n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre chirurgical. + +Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont _sélectionnés_, ce sont +des professionnels: ils ne font pas autre chose que des tours de force; +toute leur activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur ces +questions d'exercice musculaire. + +Ajoutons que l'exercice est savamment gradué par des gens du métier, qui +savent par expérience ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que +les gens des cirques observent une sage hygiène; ils savent que tous les +écarts se payent, et ils sont, à tous égards, d'une sobriété exemplaire. + +Tout autres sont les conditions dans lesquelles se trouve l'homme du +monde qui fait du sport. Parfois il a une profession; c'est donc sur les +loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, qu'il prend le +temps de faire les exercices qui le passionnent; quand il n'a pas de +profession, il est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée plus +haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux qu'en exercice +physique. + +Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du sportsman, c'est le +_sport_, c'est-à -dire l'émulation qui existe presque fatalement entre +ceux qui s'occupent avec passion d'exercices physiques, et qui fait que +chacun d'eux veut devancer son voisin. + +Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver au surmenage; ce qui +le fatigue, c'est de voyager en compagnie d'autres camarades, à cause de +l'excitation qui se communique des uns aux autres, et qui les porte tous +à donner plus qu'ils ne peuvent. L'escrime, souvent, n'aurait pas sa +raison d'être, sans le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le +danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se rappeler qu'il +est pris, en général, dans un air confiné, qu'il exige une dépense +considérable d'influx nerveux, une tension permanente de l'esprit, un +excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra que c'est plus un +exercice cérébral qu'un exercice musculaire, et que les gens qui croient +se reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime sont bien vite +détrompés. Le sage est celui qui, désirant se reposer du travail +cérébral par l'exercice, s'attache aux exercices qui ne demandent pas +d'attention, aux exercices automatiques dans lesquels la moelle seule +intervient; marcher, ou mieux encore courir suivant les bons principes, +scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, ramer, etc. + +L'automobilisme «tient le record» parmi les exercices qui épuisent le +système nerveux; nous ne parlons pas, bien entendu, des hommes qui se +servent de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, mais de ceux qui +en font un moyen de distraction. Quelques-uns arrivent à une mentalité +toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore reçu de nom, et +qu'on pourrait appeler la folie de la vitesse: quand ils sont sur leur +machine, ils ne voient que le ruban de route qui se déroule devant +eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne voient point, ils +n'entendent point: ce sont des mangeurs de kilomètres, ce ne sont +plus des hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a pas besoin +d'émulation, il se suggestionne lui-même, et devient le propre artisan +de son délire. + +Mais les dangers des sports deviennent encore plus considérables quand +ils sont pratiqués par des organismes en voie de formation, par des +jeunes gens, par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait soufflé +un vent, venu d'Angleterre, qui avait véritablement tourné la tête à +certains hommes s'occupant des problèmes de pédagogie,--ou plutôt qui +avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues subissaient le +courant. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne parlait plus, dans les +établissements scolaires, que de sports et de gymnastique. La culture +intellectuelle paraissait devoir être mise au second plan. Mais on +n'a pas tardé à voir qu'il y avait abus. Les excellents travaux du Dr +Lagrange et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans la _Ligue +des Pères de Famille_, ont mis un frein à cet engouement, qu'on ne +rencontre plus que dans quelques institutions où l'on s'obstine à imiter +l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos petits Français ne +sont pas des Anglo-Saxons. Je me demande d'ailleurs si les petits +Anglo-Saxons eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient +bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres au pas gymnastique, sans +progression et sans entraînement préalable, comme je sais qu'on en +impose aux enfants dans les institutions dont je parle. + +III. _Déviations de l'hygiène sexuelle_.--Tous les pédagogues et tous +les pères de famille soucieux de l'avenir de leurs enfants sont, à juste +titre, préoccupés de l'important problème de l'éducation sexuelle; mais +tous sont loin de le résoudre dans le même sens. Les uns estiment qu'il +ne faut rien dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les autres, +qu'il faut au contraire aborder le redoutable problème en face, et le +plus tôt possible. La vérité, comme en bien d'autres circonstances, se +trouve entre ces deux extrêmes. + +Il est bien certain qu'il faut que, à un moment donné, le jeune homme +soit averti des dangers qu'il court en s'abandonnant à des aberrations +de l'instinct génésique, ou encore à l'usage prématuré des fonctions +sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse de bonne heure le péril +vénérien. Mais quels moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père de +famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il a suffisamment gagné +la confiance de ses enfants, et s'il se sent capable de cette mission +délicate; dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille que doit +être dévolu ce soin; et, dans les pensions, lycées, institutions, c'est +encore au médecin de la maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des +professeurs qui vivent le plus avec les élèves. + +Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement collectif? La tentative +a été faite, récemment, dans plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer +qu'elle est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute attente. +Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives partisan plutôt de +l'enseignement individuel, compris dans un sens libéral, sous forme de +causerie du professeur avec un petit nombre d'élèves. + +Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder devant les enfants ces +délicats problèmes, le rôle de l'éducateur doit se borner à exercer +autour d'eux une surveillance assidue, et à retarder le plus possible +l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, il faut imposer +à l'enfant de la fatigue physique, la pousser au maximum de la +_tolérance_, dussent les études en souffrir momentanément. C'est de la +bonne économie, sans cependant qu'on doive verser dans cet abus des +sports que nous avons dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans +tous les problèmes de l'hygiène, cette question de dosage, de mesure, +qui comporte un nombre indéfini de solutions, d'après la variété des cas +individuels. + +Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant à des aberrations de +l'instinct sexuel sont moins grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont +néanmoins considérables, et le capital nerveux de l'enfant est vite +entamé par les habitudes vicieuses. De là ces formes vagues de +neurasthénie avec difficulté pour le travail, timidité maladive, +manque de confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés, +amaigrissement, amoindrissement de la valeur du sujet. Un médecin +éclairé ne s'y trompe pas. Il doit alors trouver moyen de prendre +l'enfant à part, à la fin de la consultation, et lui dire à +brûle-pourpoint, en le regardant fixement: «Mon ami, je sais la cause de +votre mal!» Il faut ensuite provoquer quelques aveux _discrets_, et la +consultation doit se terminer par une promesse formelle de l'enfant +de se corriger. La psychothérapie, en ce cas, vaut mieux que les +médications pharmaceutiques les plus savantes: elle manque bien rarement +son effet et elle peut être grandement aidée, dans certains cas, par la +psychothérapie hypnotique, dont nous parlerons plus loin. + +Quant au danger que fait courir la prématuration des fonctions +sexuelles, c'est chose certaine que tout usage de ces fonctions devient +un abus, tant que l'organisme n'a pas atteint son complet développement. +L'être humain ne devrait aborder l'acte destiné à perpétuer la vie qu'à +partir du moment où il est, lui-même, en pleine possession de toute +sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence n'est pas +préjudiciable. La question a été étudiée à fond, et résolue dans le même +sens par les moralistes et par les hygiénistes. La continence n'est +presque pas pénible, elle ne le devient que si des excitations +factices ont éveillé de trop bonne heure l'instinct sexuel. Elle est +recommandable au point de vue moral; elle entretient, chez le jeune +homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer, «le respect de la +femme»; et, à vrai dire, c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri +des contaminations vénériennes. + +Le grand public commence à connaître le péril vénérien, et, surtout, à +oser en parler. On ne saurait croire combien l'ingénieuse trouvaille de +M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'_avarie_ la plus redoutable des +«maladies» vénériennes, la syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion +publique. Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et nous +aimerions aussi voir employer le terme de «petite avarie» pour désigner +la blennorragie, dont les méfaits sont plus considérables que ne le +croit le public, et même que ne le croient beaucoup de médecins. + +Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel les jeunes gens sont +le plus souvent contaminés. Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier, +c'est beaucoup plus tôt qu'on ne se le figure généralement; et +non seulement à Paris, mais partout, ainsi que le démontrent les +statistiques de _toutes_ les armées, qui enregistrent beaucoup plus de +«maladies» vénériennes à la première année de service qu'aux années +ultérieures, parce que, parmi les malades enregistrés à la première +année, figurent tous ceux qui étaient contaminés avant leur entrée au +régiment. + +Nous ne saurions trop recommander à ce sujet la lecture et la méditation +de l'excellente brochure du professeur A. Fournier: _Pour nos fils quand +ils auront dix-huit ans_. En quelques pages s'y trouvent nettement +indiquées, et sans aucune exagération, la gravité du péril vénérien, la +conduite à tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour l'éviter. +Cette brochure est bonne à lire, elle est nécessaire et suffisante aux +conférenciers qui veulent répandre la vérité. + +Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de la syphilis. C'est +toujours une «maladie» grave, quelquefois elle est très grave, et cela +dès les premiers mois qui suivent son apparition. Elle se traduit alors +par les plus importants symptômes de la déchéance organique, céphalée +violente, anémie aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile de +dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital biologique un déchet +énorme. Heureusement le traitement mercuriel intensif est là pour +réparer, dans une certaine mesure, le désastre. + +D'autres fois, la syphilis amène chez le malade de telles préoccupations +morales qu'elle devient un danger imminent. L'angoisse peut même +conduire au suicide. Il faut que le médecin et le père de famille +connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner la victime, dans +la mesure nécessaire. Mais dans tous les cas la syphilis, cause +d'amoindrissement énorme de la valeur du sujet, devra être traitée +énergiquement, dès le début et pendant un temps prolongé,--au moins +quatre ans,--par des traitements successifs. + +Chez la jeune fille, la syphilis est également à redouter. Nombre de +jeunes filles de la classe ouvrière connaissent tout ce qui est relatif +aux questions vénériennes; elles n'en ignorent que le danger. C'est à +leur usage que j'ai écrit naguère une petite brochure intitulée: _Pour +nos filles_. Les services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas +comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente brochure du +professeur Fournier; et si je la mentionne, ce n'est certes point par +une enfantine vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a +affirmé qu'il était bon de la faire connaître. + + +III--CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.--«MALADIES» +ACCIDENTELLES + + +C'est à dessein que nous plaçons ces observations à la suite de l'étude +consacrée aux jeunes garçons, car les jeunes filles, entourées de +soins à l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de «maladies» +accidentelles. Chez le jeune homme, au contraire, plus ou moins mal +surveillé, plus ou moins surmené par un travail cérébral auquel son +cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou par le travail +musculaire, pour lequel ses muscles, encore en état de développement, ne +sont pas suffisamment préparés, la flore microbienne trouve un excellent +terrain de culture. Nous ne pouvons pas passer en revue la pathologie de +cet âge; faisons seulement remarquer que la «maladie» accidentelle ou +bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat définitif sur un organe +quelconque (endocardite du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que, +à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement prolongé ou +définitif de la valeur du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les +jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une convalescence franche, sans +ébranler l'organisme; à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme est +doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement. + +Exception doit être faite pour la tuberculose; c'est, par excellence, +la «maladie» de l'âge adulte. Contractée, le plus souvent, dans la +plus tendre enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les mauvaises +conditions de milieu, la misère physiologique, le surmenage, mettent le +terrain en état de moindre résistance. De là son maximum de fréquence de +dix-huit à trente-cinq ans. + +De cette conception, qui n'est pas encore classique, mais qui commence à +pénétrer dans les esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher, +et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la tuberculose dans +l'armée, découle la véritable prophylaxie de la tuberculose. C'est en +vain que l'on dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des sanatoria; +le sanatorium ne convient qu'aux riches. C'est peut-être un bon +instrument de cure: sûrement ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas +«ce n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre la tuberculose +en tant que «maladie» sociale» (Grancher). Voyez, en effet, ce qu'il +faudrait pour qu'un sanatorium populaire donnât un rendement social +appréciable! Il faudrait: 1°à l'entrée du sanatorium, un dispensaire de +dépistage pour ouvrir la porte aux seuls malades légèrement atteints; +2° pendant le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de secours pour +sa femme et ses enfants; 3° à la sortie du sanatorium, la double ration +de repos et la demi-ration de travail pendant un temps presque illimité! +Le Congrès de la tuberculose de 1905 a d'ailleurs sonné le glas sur les +sanatoria populaires, et les médecins de tous les pays, dans une heure +de sens commun et de clarté, ont voté la même formule: «En fait de +tuberculose, la préservation domine l'assistance.» Nous serons moins +sévères dans notre appréciation des dispensaires: ils peuvent rendre +quelques services pour l'éducation populaire; mais les véritables +oeuvres de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les oeuvres de +préservation, celles qui arrachent un enfant sain d'un milieu contaminé; +ce sont les oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints de +tuberculose locale et non contagieuse; ce sont les colonies de vacances, +etc. Ce sont, surtout, les diverses oeuvres sociales luttant contre +la misère: car la misère est le grand, le plus grand facteur de la +tuberculose. + + + + +DEUXIÈME PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +MATURITÉ + + + +Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine possession de tous +ses moyens, son capital a été progressivement amélioré et lui rapporte +de gros intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le faire +valoir, d'obtenir de lui son rendement maximum. + +L'ère des ménagements est passée, il faut à tout prix que l'homme +travaille et produise. On l'alimentera en conséquence: la dépense +étant considérable, il faudra que l'aliment soit réparateur. Le point +essentiel est de ne pas dépasser la dose des dépenses, d'utiliser le +capital, mais non de l'amoindrir, de chauffer la machine, sinon à blanc, +du moins à la température maxima tolérée, pour ne pas l'user trop vite, +et surtout pour ne pas la faire éclater. Il faut, en somme, que l'homme +produise; et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne ferait que +s'empêcher de mourir. Bien plus; de même qu'un capitaliste avisé, quand +il possède beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce qu'on appelle +de la «surface», n'a pas peur, de temps à autre, de risquer une somme +raisonnable dans une affaire qui n'est pas de tout repos; de même +l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas craindre, à certains +moments, de se dépenser un peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène, +à la condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni trop prolongé, +et qu'une période de repos succède à cette période de travail intensif. +(De là la nécessité des vacances et du repos hebdomadaire). + +Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous croyons qu'il est bon +que l'homme actif, intelligent, bien portant, donne de temps à autre +ce qu'on appelle un «coup de collier», quitte à réparer sa dépense +excessive par un repos plus ou moins prolongé, mais quel est le +critérium? à quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas dépassé la +mesure de ses forces, et qu'il ne court pas à la banqueroute? + +Le principe général est qu'il faut arriver aux confins de la fatigue, +mais ne jamais atteindre la fatigue douloureuse. Quand il s'agit de +travail musculaire, le critérium est relativement facile à trouver. On +est averti qu'on a dépassé la mesure de ses forces par deux symptômes +caractéristiques: la diminution d'appétit et la diminution de sommeil. + +Cette donnée pourrait même rendre de grands services aux chefs +militaires, dont l'idéal, très légitime, est de faire produire à la +machine humaine son maximum de rendement, sans épuiser cependant les +forces des soldats. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux confondent +l'entraînement et l'épuisement; ils arrivent à avoir des troupes qui +n'ont pas de valeur réelle, tout en ayant les apparences de la force. +Ces troupes, qui se sont présentées sous le plus bel aspect à des +manoeuvres de quelques jours, seraient incapables d'entrer en campagne +et de supporter des fatigues prolongées. Si les chefs de corps avaient +eu la précaution de s'enquérir de la façon dont les soldats mangent, +ou de _voir_, après une marche prolongée, comment ils mangent, de +surveiller de temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui recueille +tous les restes des repas, ils auraient vu que le travail excessif se +traduit par une baisse dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans +les chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à la suite de +fatigues excessives les hommes ne dorment pas bien. Et rien ne les +empêcherait, d'ailleurs, de prendre parfois l'avis de leurs médecins. + +Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème, d'autant que, chez +l'homme qui a subi un entraînement méthodique, la sensation de _fatigue_ +disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la fatigue. L'épuisement, +chez lui, se traduit exclusivement par la diminution du poids, de +l'appétit et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire en +particulier, par l'apparition des «maladies» dites accidentelles. + +Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit que de dépenses +musculaires, il devient plus complexe encore quand il s'agit de dépenses +cérébrales. Voici un commerçant obligé de brasser de grosses affaires. +Il est réveillé, le matin, par le téléphone voisin de son lit; pendant +toute la journée, il n'a pas un quart d'heure de tranquillité; il sent +peser sur lui des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une série +d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant viennent s'ajouter des +chagrins de famille, etc., voici notre homme qui, tout d'un coup, +tombe dans la «maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener le +déclanchement: c'est une émotion un peu violente, c'est une perte +d'argent, c'est une «maladie» infectieuse plus ou moins légère, qui +ouvre la brèche, et voilà la «maladie» installée! + +Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme? A-t-il eu, depuis dix ans +qu'il surmène son cerveau, un avertissement quelconque lui indiquant +qu'il dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à pleines +mains dans un capital insuffisamment réparé chaque jour? Oui, le plus +souvent! C'est, par exemple, un vertige qui est apparu, à un moment +donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on pourrait appeler «un +avertissement sans frais», il aurait immédiatement diminué le travail, +ou même l'aurait suspendu pendant quelques jours. Mais il n'en a pas +tenu compte, il a pensé que _ça passerait_. D'autres fois, c'est une +sorte d'endolorissement de la tête, non pas passager, mais permanent, +qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements de l'oreille gauche. +(Cette prédominance des bourdonnements à gauche, de la diminution de +l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les phases de la +«maladie».) D'autres fois encore, c'est une sorte de sensation +de fatigue permanente, exagérée surtout le matin, avec diminution +d'appétit, constipation, autrement dit avec les petits symptômes de +la grande «maladie». Il est tout à fait exceptionnel que le krach se +produise sans de tels phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant, +et c'est chez les natures les plus admirablement douées en apparence. + +Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel et musculaire à +la fois, il réalise les conditions les plus parfaites pour arriver à +l'épuisement rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement +contre le préjugé des gens du monde, qui se figurent que l'exercice +musculaire repose du travail cérébral, et que le surmené cérébral doit, +pour bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, de la marche +forcée, à ses moments disponibles. C'est là une erreur énorme dont +la pédagogie commence à faire justice. Certes il est des hommes, +admirablement doués, qui peuvent supporter une dépense considérable à +la fois au point de vue musculaire et au point de vue cérébral: mais ce +qu'il faut bien se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers +symptômes du surmenage, on doit aussitôt réduire la dépense totale, et +la dépense musculaire en particulier; à ce prix seulement on aura chance +d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre sur nous, de la +«maladie». + + + +CHAPITRE II + +CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE» + + + +Plusieurs fois déjà , dans le cours de ce travail, j'ai eu l'occasion de +parler de la «maladie», sans préciser le sens exact que je donnais +à ce mot. Mais le moment est venu de tenter, sinon une définition +scientifique de la «maladie»,--définition aussi impossible que celles, +par exemple, de la richesse, de la vertu, ou de la beauté,--tout au +moins une explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette chose +indéfinissable; des principaux caractères qui lui sont propres; et des +traits qui la distinguent de ces manifestations pathologiques bien +déterminées que l'on appelle communément les «maladies», et que +j'appellerais volontiers des «accidents», par opposition à la nature +plus générale, plus profonde, et infiniment plus complexe, de la +«maladie». + +Voici quatre personnes qui, dans une même après-midi, se présentent à ma +consultation. Ce sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc +pour l'affirmer _a priori_. Mais voyons ce que nous enseignera l'étude +détaillée, et surtout réfléchie, de chacune de ces quatre personnes, qui +paraissent se ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une avec +l'autre absolument rien de commun. L'une est grande et forte, l'autre +petite et malingre; l'une est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante. +Les souffrances que chacune accuse sonttout à fait différentes, de +l'une à l'autre; les causes qui ont paru engendrer ces souffrances +semblent opposées: chez l'une l'excès de fatigue, chez une autre +l'excès d'oisiveté, etc. + +Essayons à présent d'approfondir un peu notre investigation. Ah! ce +n'est pas un mince travail que d'étudier un malade, de fouiller son +hérédité, de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire même de sa +conception, de noter tous les incidents pathologiques de son enfance, de +sa jeunesse, de son adolescence, d'apprécier son degré de santé pendant +les périodes qui ont séparé ces divers incidents, de se reconnaître au +milieu du luxe de détails avec lequel il décrit ses misères, en un mot +de reconstituer à la fois le bilan complet de son état présent et le +tableau du chemin qu'il a suivi pour y parvenir. Mais cette étude +méticuleuse est nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, pas +de traitement rationnel; d'elle seule pourra résulter la connaissance +véritable du malade, c'est-à -dire l'appréciation de ce qu'il vaut, du +point précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute que ce n'est +que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines et des centaines de malades +que l'on commence à avoir une idée nette de ce que c'est que la +«maladie». + +Voici donc une première malade, que je connais depuis cinq ans. C'est +une femme de trente-deux ans, dont on devine dès le premier abord la +vivacité d'intelligence, et avec laquelle le médecin comprend tout de +suite,--à sa grande satisfaction,--qu'il va pouvoir causer utilement. + +L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital initial excellent: un +grand-père paternel mort à soixante-quinze ans, asthmatique, la +grand'mère paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté de +l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de tares transmissibles: +le grand-père mort à soixante-quinze ans, la grand'mère vivant encore à +quatre-vingt-deux ans. Il est vrai que l'hérédité directe est peut-être +un peu moins parfaite. Le père de Mme X... est mort à cinquante-deux +ans, d'une affection cérébrale, après avoir toujours été très nerveux. +La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à se bien porter, à la +condition de s'écouter vivre. + +Ce capital initial a été bien géré pendant les premières années de la +vie. Nourrie au sein, Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable +divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, la varicelle. +A huit ans, cependant, s'est produit un épisode plus important: une +jaunisse, qui a duré un mois, et qui semble indiquer que le système +digestif était, chez cette malade, le point faible. Un médecin avisé, +qui l'aurait suivie de près depuis lors, n'aurait pas manqué de +remarquer qu'elle était, si l'on peut dire, une candidate à la +dyspepsie. + +Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X... n'eut aucun +phénomène grave, d'origine stomacale ou intestinale: mais elle avait +de petits symptômes, un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la +constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, ces petits symptômes +ont passé inaperçus. L'enfant a été soumise, dans un couvent, à +l'alimentation des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par +conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour mettre en bon +état son système nerveux abdominal, qui, sans protestations graves, +fonctionnait déjà d'une façon défectueuse. + +De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux cérébral qui, seul, +paraissait défectueux. Dès l'âge de onze ans, elle avait des tristesses +vagues, des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer. + +A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait cet état de mélancolie. +D'un caractère inégal, la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise, +acceptant péniblement toute discipline. + +A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un violent chagrin; et cet +assaut ébranla si fortement son système nerveux que, six semaines après, +sans cause connue, sans refroidissement préalable, elle dut garder +le lit pendant un mois, pour une «maladie» qualifiée «rhumatisme +mono-articulaire», mais avec prédominance de symptômes nerveux graves +(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se remit vraiment de cette +crise qu'un an après, lorsque des projets de mariage opérèrent en elle +une sorte de dérivation. + +Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à retomber dans le même état +nerveux, auquel se joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie +lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, et l'immobilisant +pendant quelques heures. Puis vinrent des crises de nerfs, le plus +souvent nocturnes, avec angoisses précordiales terribles, peur de toutes +les «maladies», etc... + +C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; et, pendant la +grossesse, elle se porta admirablement. Mais, aussitôt après sa +délivrance, l'estomac, qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que +par des phénomènes insignifiants, entra définitivement en scène: perte +absolue d'appétit, crampes, gastralgie. Puis, l'année suivante, ce fut +le tour de l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt +apparition de selles noires, survenant trois à quatre fois par jour avec +fortes coliques, et qui durèrent quatre mois. A la fin de cette période, +l'état général était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment +compromise. + +Heureusement une année passée dans l'isolement, et suivie d'une cure +dans un sanatorium de Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis +la malade pour la première fois, un an après son retour de Suisse, voici +les principales constatations que je pus faire: + +Céphalée permanente,--picotement des yeux,--sciatique gauche +survenant au moment des règles,--inquiétudes vagues,--peur de mourir +subitement,--trois heures à peine de sommeil dans les meilleures nuits. +L'estomac et l'intestin laissaient également à désirer: appétit nul, +alternatives de diarrhée et de constipation. + +L'examen des organes me démontra qu'il n'y avait rien à la poitrine, +mais qu'au coeur existait un souffle, au premier temps, à la base, +perceptible seulement dans la position horizontale; ventre plat, peu +élastique, sonorité basse et égale. La malade, qui pesait 50 kilogrammes +à dix-huit ans, n'en pesait plus que 46. + +Voilà donc une jeune femme qui a toutes les apparences extérieures d'une +personne très souffrante, et dont la vie est empoisonnée par une série +ininterrompue de misères variées. Et cependant l'histoire même de ces +misères prouve qu'il n'y a point chez elle d'organe particulièrement +atteint, et que le capital biologique est, au fond, moins mauvais qu'il +ne paraît l'être. Mon premier soin fut de la rassurer, notamment sur +l'état de son coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait +fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire un estomac, par +un régime sévère, puis de plus en plus large. Je dirigeai son hygiène +musculaire, intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans où je +m'étais borné, en somme, à faciliter le retour à l'équilibre du système +nerveux, Mme X... se vit délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée +enfin à une vie des plus supportables. + +Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on Elle avait, sous une +forme spéciale, ou plutôt sous plusieurs formes, ce que j'appelle la +«maladie». Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux qui, chez +elle, fléchissait. Tout son système nerveux était malade, et chacun de +ses centres, tour à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation +de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade, le centre le plus atteint +était celui qui préside aux fonctions digestives; mais, si je m'étais +limité à ne soigner que celui-là , toute ma peine aurait risqué d'être +perdue. Il fallait, derrière les symptômes locaux, atteindre le trouble +général; il fallait dépasser les incidents pour parer à la «maladie». + +Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez qui les +manifestations morbides n'ont certainement rien de commun avec celles +que je viens de signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui, +lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait progressivement +maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes, sans autre cause +connaissable que certaines influences morales. Elle ne se plaignait de +rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle l'était, puisqu'elle +maigrissait sans cesse, puisqu'elle avait le teint terreux et la peau +rugueuse, puisque ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas de +lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: mais toute l'apparence +d'une grande malade. + +Pourtant, après un examen plus approfondi, j'augurai bien de l'avenir, +parce que le capital initial était assez bon, parce que Mlle T... +n'avait pas eu de graves assauts dans son enfance, enfin parce qu'elle +était jeune, et malade depuis peu de temps. Et le fait est qu'un +traitement très simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par jour, +puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord sans viande, puis avec un +plat de viande à midi, et 30 injections de cacodylate de magnésie), +amena un résultat extraordinaire: réapparition des règles, augmentation +du poids, disparition de la rugosité cutanée, relèvement de l'appétit, +etc. + +C'est que cette malade, qui ne présentait aucun trouble nerveux, n'en +était pas moins une «nerveuse». Toutes ses misères ne venaient, comme +chez Mme X..., que d'un ébranlement du système nerveux; quand ce système +se trouva modifié, par le repos, le régime et la psychothérapie, la +malade guérit. + +Elle revint alors dans son pays; six mois après, elle allait très bien, +mangeant de tout, pesant 58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois +plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin la mine sourdement; +elle redevient «malade», maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans +accuser la moindre douleur, et sans ressentir aucune souffrance. Un +jour, le 25 décembre 1903, elle est tellement épuisée qu'elle a une +syncope grave, et que son entourage est convaincu qu'elle va mourir. +J'avoue que moi-même, quand je la vis alors avec le Dr C..., je fus +épouvanté, malgré la bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique. +C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle n'avait plus qu'un +souffle de vie. + +Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? En juin 1904, elle fit +une pleuro-pneumonie. Deux mois après, dès qu'elle fut transportable, +elle voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois mois, aux +injections d'huile créosotée. En octobre 1904, elle avait définitivement +retrouvé sa santé. + +Comment douter que toutes les souffrances de cette jeune fille aient été +surtout d'origine nerveuse? Et cependant voilà un cas où la perturbation +du système nerveux central s'est traduite par des phénomènes qui +n'avaient rien de ce que les neurologistes constatent d'ordinaire. Et +c'est bien le système nerveux cérébral qui était en cause, chez cette +malade: car ses deux grandes crises morbides n'ont absolument pas +eu d'autre cause que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans +manifestations nerveuses. Tout à fait comme Mme X..., malgré la +dissemblance des symptômes, c'était une «malade», c'est-à -dire une +personne dont le capital nerveux s'était trouvé entamé. + +Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite par des phénomènes +cardiaques. Chaque fois qu'il y a eu chez le malade une défaillance du +système nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner normalement, +à tel point que tous les médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le +traitaient infailliblement par la digitale et la caféine. + +En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même un faux cardiaque: +c'est simplement un «malade» chez qui le système nerveux qui préside aux +mouvements du coeur est plus spécialement impressionnable. + +Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un rhumatisme (sans +endocardite), chaque fois qu'il y a eu un assaut quelconque dans la +santé du malade, le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite d'une +bronchite grippale, je constatai, pour la première fois, de l'arythmie, +et un souffle au 2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce +souffle persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois, il est +imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est d'une netteté extrême: +si bien que plusieurs médecins ont affirmé une lésion de la valvule de +l'aorte. + +Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z. n'a jamais de pouls +bondissant, et de nombreux tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange, +démontrent qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand M. Z... va +bien, son coeur va bien: quand il va mal, quand il se surmène, ou +éprouve une émotion vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise par +les manifestations les plus variées: syncopes, arythmie, fausses angines +de poitrine. + +M. Z... est un de ces hommes qui sont faits pour le travail intensif: +chez lui, quelle que soit l'énormité du travail, il n'y a jamais +de surmenage cérébral; mais c'est un _sensitif_, que le surmenage +émotionnel guette à tout instant. En 1898, à la suite d'émotions +vives, tout son système nerveux entre en révolte: le système digestif +(dyspepsie, constipation, etc.), le système nerveux central (insomnie +absolue, tristesse, pâleur insolite, épuisement des forces). En même +temps la glycosurie fait son apparition (10 grammes de sucre par litre). +Enfin les troubles du coeur atteignent une intensité extrême et défient +tous les traitements classiques (digitale, spartéine, bromures, etc.). + +Désirant me voir avant de mourir, le malade me fit appeler le 28 avril +1898, et me raconta les soucis qui l'avaient accablé. Ces soucis +étaient, sans aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une +psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un régime alimentaire très +modéré, réussit parfaitement à remettre le malade sur pied. Les deux +années qui suivirent furent même excellentes. + +En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le trouble cardiaque, +avec même, cette fois, un pouls bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous +la direction du Dr Lagrange, produit un très bon résultat. En 1903, ni +le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons plus le souffle coutumier. + +Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle émotion, reparaissent +l'arythmie, le souffle, la glycosurie: de nouveau, une saison à Vichy +supprime tout cela. + +En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles contrariétés, +l'ébranlement du système nerveux se traduit par un lumbago, mais surtout +par une anesthésie de la main et de la joue droites, qui effraie +beaucoup le malade. Je le rassure encore, je le renvoie à Vichy, d'où il +revient en parfait état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans, +toujours avec une activité dévorante. + +C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux malades précédents, est +simplement un «malade», avec cette particularité que c'est sur le +coeur que se portent de préférence, chez lui, les plus importantes +manifestations de la «maladie». + +Dans les trois observations que je viens de citer, c'était tel ou tel +département du système nerveux qui manifestait plus spécialement les +souffrances de l'être entier, et les périodes de malaise étaient +séparées par des périodes de santé, tout au moins relative. Voici +maintenant un cas où tous les éléments du système nerveux sont tellement +excités que la «maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans +qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission, depuis +l'époque où le système nerveux a été ébranlé,--c'est-à -dire depuis l'âge +de huit ans,--jusqu'à l'âge de la cessation des règles. La malade dont +je vais parler a été vraiment, pendant plus de trente ans, un parfait +musée pathologique. Mais, malgré mille misères qui se succédaient chez +elle comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais désespéré de sa +survie, ni de sa guérison, à cause même de la mobilité et de la variété +des manifestations morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité des +organes. + +La «maladie» de cette personne a commencé à huit ans, à la suite d'une +fièvre typhoïde grave. Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par +des migraines très intenses et très fréquentes; mais dès l'apparition +des règles, aux migraines se sont jointes des douleurs d'estomac et de +la constipation. Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral a +manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements d'oreilles, etc. +Deux ans après, c'est le tour de la moelle: douleurs rhumatismales +et névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois ans, le système +nerveux cardiaque donne sa note dans le concert: syncopes qui durent de +dix minutes à une demi-heure, avec perte complète de connaissance. + +En octobre 1889, une crise gastralgique survient, qui se prolonge +pendant trois jours consécutifs. L'année suivante, c'est une douleur +intercostale gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs jours; +mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement libre, les +vertiges, la céphalée, ont disparu. En 1893, apparaît une dermalgie qui +occupe les deux bras. Puis voici que la fièvre survient: la malade a +jusqu'à 40°, sans cause connue, à l'époque de ses règles. En 1895, se +produit un état de péritonisme,--avec douleurs très vives dans l'estomac +et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,--qui semble mettre la +vie en danger. Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant les +dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement, de 93 à 87 +kilogrammes. + +L'année suivante fut très bonne. Le sommeil revint, l'estomac rentra +dans l'ordre, la malade put croire que ses misères allaient prendre fin. +Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de froid l'intestin à son +tour se met de la partie: fausses membranes dans les selles, coliques, +diarrhée et faux besoins d'exonération extrêmement pénibles. L'appendice +même paraît touché: il y a une douleur très nette au point de Mac +Burney. Un autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées, +selles décolorées, fièvre; mais la menace ne persiste que quatre jours. +En 1900, ulcère de l'estomac, vomissements noirs. La même année, je note +une sorte d'inhibition du fonctionnement de la jambe droite, qui, à un +moment donné, deux ou trois fois par mois, refuse tout service, au point +que la malade tombe brusquement. Enfin, cette même année, se déclare un +oedème des jambes, disparaissant après la marche;--c'est là un phénomène +que j'ai souvent observé chez les «malades» dits _arthritiques_. + +Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904; la malade était, +suivant son expression, un «faisceau de douleurs», mais elle avait un +excellent moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle reviendrait +à la santé. Or, le fait est que, depuis la fin de 1904, en même temps +que disparaissaient ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon +surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie, définitivement +délivrée de toutes ses misères, promène joyeusement ses 105 kilogrammes +et se déclare enchantée de vivre. + +C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses, même quand elle +présentait les symptômes les plus inquiétants, cette personne n'était ni +une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale, ni une gastrique, ni +une cardiaque, mais simplement une «malade» à manifestations cérébrales, +médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant les longues années +où je lui ai donné des soins, toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à +essayer de dynamiser son système nerveux, et de le dynamiser tout +entier, sans presque chercher à atteindre, en particulier, tel ou tel de +ses centres qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai eu le +bonheur de deviner que cette personne avait les apparences de trop de +«maladies» pour en avoir la réalité; et, de fait, quand son système +nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la véritable «maladie» +a aussitôt amené la guérison de toutes les pseudo-affections qui n'en +étaient que le contre-coup. + +Le trouble du système nerveux central peut encore se traduire par +les symptômes qui caractérisent, de la façon la plus formelle, des +«maladies» organiques. J'ai parlé déjà , plus haut, de ce malade qui +avait toutes les apparences d'une lésion du coeur, sans avoir le coeur +lésé. On sait que, par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule +les «maladies» organiques les plus variées. Les hystériques peuvent +présenter les symptômes de la méningite, de la grossesse, voire même des +«maladies» les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu un jeune +soldat qui offrait tous les signes de la sclérose en plaques. Après +trois mois d'examen, on a fini par le réformer; or, ce n'était qu'un +hystérique. Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur: car on ne +simule pas les symptômes de la sclérose en plaques! + +Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique, j'exprime mal ma +pensée. En réalité, c'était un «malade». Je l'ai suivi pendant +longtemps, après son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut plus +le moindre phénomène médullaire; mais il eut de la dyspepsie, et j'ai +su que, dans son enfance, il avait eu d'autres manifestations de ce que +j'appelle la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée de sa vie, +quand il s'est agi pour lui de faire son service militaire, que la +«maladie» s'est traduite, pendant quelques mois, par ces troubles de +l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler hystérie. + +Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux que j'ai cités suffiront, +je crois, à donner une idée de ce que j'entends, à proprement parler, +par la «maladie». D'une façon générale, je veux dire que la «maladie» +embrasse tout le domaine pathologique qui n'appartient pas à ce qu'on +pourrait appeler les «accidents»--accidents qui vont depuis les +fractures et les intoxications jusqu'à des lésions d'organes (cancer, +hémorragies cérébrales, etc.), en passant par toute la série des +affections à microbes, connus et inconnus.--Au-dessous de ces +«accidents» s'étend une série indéfinie de troubles pouvant revêtir +toutes les formes et donner même l'illusion de toutes les «maladies» +organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que d'origine nerveuse +(en donnant à ce mot toute l'extension qu'il comporte), ainsi que cela +apparaît clairement pour peu que l'on considère leurs causes, leur +marche et leur terminaison. Dans la «maladie» rentrent donc toutes les +névroses; la folie quand elle n'est pas produite par des lésions du +cerveau, l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie, les +algies, tous les troubles fonctionnels des divers organes, _tant que ces +troubles fonctionnels n'ont pas amené de lésion des organes_. + +Les médecins voient quotidiennement la «maladie» sous une de ses formes +préférées. C'est la forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le +nom d' «embarras gastrique», synonyme d'embarras de diagnostic. Dans +cette affection, il ne faut pas croire que le système nerveux soit +indemne; les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges, souvent +des bourdonnements d'oreille, un état de fatigue générale du système +musculaire, de l'insomnie, de la difficulté pour lire, pour supporter +une conversation; ils ne souhaitent que le repos et la tranquillité. Si +on les leur accordait, si une médication perturbatrice n'intervenait +pas, si on graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait, +en général, aucune complication; et après quinze jours, un mois, ils +reviendraient peu à peu à la santé[6]. + +[Note 6: La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise +urinaire. Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois même +urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre, claires et +abondantes. En même temps la température tombe, pendant deux ou trois +jours, au-dessous de la normale, le sommeil reparaît, l'appétit +également, et tout rentre dans l'ordre.] + +Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le mode chronique; et c'est +pendant des mois et des années que l'on voit tout le système organique +compromis dans son fonctionnement. Le système nerveux, l'estomac, +l'intestin, laissent à désirer d'une façon à peu près égale. C'est chez +ces grands malades qu'on est en droit de se demander si c'est le cerveau +qui tient sous sa dépendance les troubles nerveux de l'estomac ou de +l'intestin, ou si c'est l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle +manière de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique exclusive: on +s'acharne à remédier aux troubles du système nerveux, en négligeant les +troubles digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a tort. Pour +faire de la bonne thérapeutique, il faut _à la fois_ soigner le cerveau, +l'estomac, l'intestin, la moelle, le malade entier, en un mot, tout en +recherchant, si possible, quel est le système le plus compromis et dont +le fonctionnement laisse le plus à désirer. + +C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais, maintenant, +rechercher les causes les plus habituelles, avant d'en indiquer, dans +ses grandes lignes, le mode de traitement: traitement qui doit être +toujours _général_, puisque toujours la «maladie», même quand elle ne +se traduit que par des troubles locaux, est, par son essence, d'ordre +général. + +Quant au traitement particulier des «maladies» accidentelles, il va sans +dire que je n'aurai pas à m'en préoccuper dans ce travail. + + + +CHAPITRE III + +LES CAUSES DE LA «MALADIE» + + + +I.--CAUSES PHYSIQUES + + +Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers toutes les circonstances +de sa vie qui compromettent sa valeur, soit momentanément, soit d'une +façon définitive et irrémédiable. Elles varient à l'infini; l'homme +heureux seul n'a pas d'histoire, et l'homme heureux est un être de +raison, qui n'existe pas dans la réalité. + +Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer que ce n'est pas +le surmenage cérébral, ni le surmenage musculaire, ni même les vices +d'alimentation, le défaut de confort, l'aération insuffisante, etc., +qui constituent les grands facteurs de la «maladie»: c'est le surmenage +émotionnel, c'est le chagrin,--l'influence psychique, en un mot. + +Cependant les autres influences morbigènes méritent une mention +détaillée. Je les rapporterai aux trois chefs suivants: + +I. Surmenage cérébral. + +II. Surmenage musculaire. + +III. Alimentation défectueuse ou insuffisante. + +1° _Surmenage cérébral_.--Le cerveau est fait pour fonctionner, comme le +coeur est fait pour battre; et il est bien rare que le travail cérébral, +à lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une cause de +détérioration profonde, et surtout de déchéance définitive. C'est bien +plutôt un élément de survie prolongée.--Voyez cet écrivain qui, à +l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner le monde par les +productions de son génie; il n'a jamais cessé de travailler, et il a pu +faire les frais, à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet âge, +est presque toujours fatale. Quel est donc son secret? Son secret, c'est +de n'avoir aucune préoccupation étrangère à son travail; c'est d'avoir +une femme qui pense pour lui à tous les détails de la vie; c'est d'avoir +une excellente hygiène morale, la paix du coeur et de l'esprit. + +Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail cérébral +insuffisant, et tout le monde sait que les désoeuvrés sont bien à +plaindre. Ce sont des coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre +sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils lui doivent; mais +ce sont aussi des malheureux, car la «maladie» les guette. Le désoeuvré +accidentel lui-même, habitué à un travail cérébral considérable, s'il +est condamné trop longtemps au repos de l'esprit, sent qu'il lui manque +quelque chose: il perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de reprendre +le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire que l'air respirable. + +Quand, cependant, le travail cérébral est poussé à une limite +véritablement excessive, il amène aussi ce que nous avons appelé la +«maladie», c'est-à -dire la détérioration, quelquefois définitive ou +prolongée pendant des années. On en voit des exemples chez les candidats +aux écoles, à l'internat, à l'agrégation, etc. On serait porté à croire, +_a priori_, que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe surmené; +c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, même quand elle est de cause +cérébrale, elle peut très bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de +l'entérite, tout comme si elle avait été produite par une intoxication. +Il faut toujours en revenir aux notions que nous avons développées au +chapitre précédent: à la notion des points faibles, et à la variété des +manifestations par lesquelles l'organisme traduit le malaise causé par +une influence déterminée. + +2° _Surmenage musculaire_.--Il n'amène qu'exceptionnellement la +«maladie». Chez le surmené musculaire, quelques jours ou quelques +semaines de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions d'aplomb; +et l'on ne saurait se figurer le rendement dont est capable la machine, +quand, par ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la dépense +cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers italiens produire un travail +musculaire véritablement colossal, tout en ayant une alimentation très +restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une fois par semaine, +eau claire), et ce, sans le moindre préjudice pour leur santé. Ils se +contentaient du salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal venu +de proposer à nos ouvriers français. + +Il est cependant incontestable que le travail musculaire, poussé à de +trop grands excès, peut devenir une cause de «maladie» momentanée, et +préparer le terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous en +avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement dans l'armée, et des +sports chez les jeunes gens. + +3° _Vices d'alimentation_.--Ils jouent un rôle important dans +la pathogénie de la «maladie», d'autant que, en dehors des cas +d'intoxication aiguë, ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement, +insidieusement. Le plus souvent, en effet, l'estomac et l'intestin ne +se révoltent qu'après de longues années de protestations presque +silencieuses. Mais, à partir du jour de cette révolte, la «maladie» +est constituée. Les symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus +souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour surprendre, +puisque c'est l'estomac qui a été, dans ces cas, le plus spécialement +molesté. Cependant, dans certains cas, les troubles dyspeptiques +passeront à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement le +diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique qui n'a, pour un examinateur +superficiel, que des troubles cérébraux; il peut très bien se faire +qu'il ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître par un bon +régime. Dans ce cas, les phénomènes gastriques étaient au second plan +pour le clinicien, alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au +premier plan. Si donc le clinicien veut être bon thérapeute, il doit se +rappeler les grandes lois que nous avons déjà formulées: s'il traite +comme cérébral un sujet dont la «maladie» a été provoquée par des +troubles alimentaires, il fait fausse route; de même qu'il ferait +fausse route en traitant comme dyspeptique un sujet ayant des misères +gastriques, intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique +aurait été occasionné par du surmenage cérébral, médullaire, émotionnel. + +Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation défectueuse +retentit sur l'ensemble de l'organisme. + +On a fait grand bruit, ces derniers temps, de l'auto-intoxication +d'origine alimentaire; et beaucoup de médecins s'obstinent à ne voir +dans la «maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout quand elle +revêt la forme nerveuse, qu'une sorte d'empoisonnement de la cellule +cérébrale par les toxines alimentaires. + +C'est là une hypothèse assez commode, et qui rend compte d'un nombre +considérable de faits: mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et +ne pouvant pas être démontrée par des observations véritablement +scientifiques. On pourrait tout aussi bien expliquer les phénomènes +rapportés à l'auto-intoxication par l'irritation que provoque, sur le +plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore par l'irritation des +extrémités nerveuses du pneumo-gastrique. On sait que ce nerf étend ses +ramifications sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on s'expliquerait +ainsi les irradiations à distance provoquées par l'irritation stomacale: +la dyspnée, l'asthme, les fausses cardiopathies, etc. + +Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation peuvent incontestablement +provoquer, à eux seuls, la «maladie». Mais, le plus souvent, ils +s'associent à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, à la +débauche, etc. + +Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se classer en quatre +catégories distinctes: + +I. Alimentation excessive en quantité. + +II. Alimentation insuffisante en quantité. + +III. Alimentation insuffisante en qualité. + +IV. Abus de l'alcool. + +I. _Alimentation excessive_.--Nous ne voulons pas nous étendre ici sur +les inconvénients, vraiment assez connus, de l'alimentation excessive. +Disons seulement que l'alimentation excessive empoisonne peut-être la +cellule nerveuse par les toxines alimentaires, mais que sûrement elle +impose aux organes chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un +travail exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de là , à la +longue, le surmenage et les protestations de ces divers organes, se +traduisant de mille et une façons (eczéma, urticaire, gravelle, +etc.). Cette manière de voir donne satisfaction aux partisans de +l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la théorie de l'irritation +du pneumo-gastrique, ou du plexus solaire, on peut également comprendre +comment cette irritation, presque permanente, des nerfs de l'estomac par +une alimentation incendiaire, amène, par action réflexe, des troubles de +coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon (asthme, dyspnée), du +cerveau et de la moelle, voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi, +d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la fois? ce ne serait, en +tout cas, pas déraisonnable. + +Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose _optima_ d'aliments qui +convient pour entretenir la vie et pour réparer les dépenses incessantes +de l'organisme? Elle doit varier, évidemment, suivant le travail +produit, et suivant les individus. Tous n'ont pas le même besoin +d'alimentation, pas plus que, dans un régiment de cavalerie, tous les +chevaux n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient obligés aux +mêmes dépenses musculaires. On a essayé de fixer mathématiquement ce +qu'on appelle la «ration d'entretien» et la «ration de travail»; et les +différents chimistes qui se sont livrés à ce calcul sont arrivés à des +chiffres qui variaient du simple au quadruple: mais tous s'accordent +pour démontrer qu'il faut _très peu d'aliments_ pour subvenir à la +«ration d'entretien», et même à la «ration de travail», de l'homme. La +vérité est que nous mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la +machine humaine soit bien admirablement construite pour qu'elle résiste +aux assauts quotidiens que nous lui imposons. + +Comme ce problème de la ration physiologique m'a toujours intéressé, je +me suis livré à une enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme +que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est pour rien dans leur +morbidité. Ils ont beaucoup moins de jours d'indisponibilité que +la plupart des autres hommes du même âge, meurent plus vieux, et +s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les Trappistes, le régime +fort sévère n'est pas une cause de morbidité; j'ai même été étonné, +à leur propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain, et de +constater qu'un homme habitué à manger comme tout le monde pouvait, d'un +jour à l'autre, sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint +d'une Trappe. + +Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint chez les individus +qui dépensent beaucoup? Oui, je l'ai étudié dans l'armée[7], et +j'affirme, au nom d'une expérience de deux années, pendant lesquelles je +me suis occupé de l'alimentation du soldat avec un colonel qui avait, +de ce grave problème, tout le souci qu'il mérite, que, si le soldat +français, le seul que je connaisse, avait la quantité et la qualité des +aliments auxquels il a droit de par les règlements, et si ces aliments +étaient préparés comme ils devraient et comme ils pourraient l'être dans +toutes les garnisons, sa nourriture serait tout à fait suffisante. Elle +n'est un peu au-dessous des besoins que pour les jeunes soldats, pendant +les trois premiers mois de la nouvelle existence qui leur est imposée; +aussi les officiers soucieux de la santé de leurs soldats réservent-ils +pour les nouveaux arrivants les _boni_ qu'ils ont pu réaliser sur les +hommes dits «de la classe». + +[Note 7: _La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de +médecine légale_, février 1890).] + +Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des guides alpins, qui, +non seulement, les jours d'excursion, se contentent d'une alimentation +extrêmement réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits secs), +mais, en temps ordinaire, mangent très peu, pour conserver leurs forces. +Les professionnels du sport, également, savent que la sobriété est la +condition de leur succès. + +Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs années, des soins à une +dame qui, avec toutes les apparences de la santé, était constamment +souffrante: migraines, eczéma, urticaire, affections cutanées +polymorphes, palpitations, dyspnée, insomnies, caractère inquiet, +émotivité exagérée, sensation de fatigue permanente, tendance à +l'obésité,--et j'en passe, pour ne pas faire le tableau complet de ce +qu'on est convenu d'appeler la «grande neurasthénie». Chose curieuse, +elle avait peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation et +des hémorroïdes. Elle avait même un vigoureux appétit, bien qu'elle prît +fort peu d'exercice. En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation: +précisément à cause de cet appétit de premier ordre, elle ne voulait +pas entendre parler de régime restreint. Mais voici que l'adversité +s'abattit sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en fut +réduite à ne plus manger que des pommes de terre cuites dans le four +d'un petit poêle en faïence, et des haricots; un demi-litre de lait +était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce jour, elle alla bien. +Toutes ses misères disparurent successivement, en trois ou quatre mois, +y compris les misères nerveuses et les migraines; et force me fut +d'attribuer au seul changement de régime la surprenante modification de +sa santé. Car on croira peut-être que, pressée par le besoin, elle s'est +mise à marcher davantage, pour chercher du travail, ou pour se créer +des relations? Non, elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des +relations quand on est dans l'extrême détresse; et je lui procurai un +travail sédentaire, qui consistait à faire des adresses sur des bandes, +pour un grand magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est pas, +non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a pu modifier +avantageusement sa mentalité. En dehors de ses douze heures de travail +quotidien, elle avait des préoccupations angoissantes, qui auraient +suffi pour ébranler un système nerveux moins équilibré. C'est donc bien +uniquement, toute analyse faite, à la restriction du régime, et à cet +élément seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je pourrais, là +encore, multiplier les exemples: mais aucun ne peut être plus typique +que celui que je viens de relater à grands traits. + +Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation insuffisante. + +II. _Alimentation insuffisante en quantité_.--Tout le monde connaît +les désastres occasionnés par les famines qui sont encore, hélas! trop +fréquentes en Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous estimons +que personne ne doit avoir une alimentation insuffisante, et que c'est +une honte pour une société civilisée d'avoir un seul de ses membres +manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à proclamer que ce déshérité +aurait, dans ce cas, le droit absolu de prendre ce qui est indispensable +à sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre si un jour la +capricieuse fortune venait à lui sourire. C'est d'ailleurs la doctrine +de l'Église, nettement formulée par saint Thomas, et très bien expliquée +dans un livre récent (_Socialisme et Christianisme_) de l'abbé +Sertillanges, professeur de philosophie à l'Institut catholique. Mais +laissons là ces considérations d'ordre social, renonçons au délicat +plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers adjacents, et +reprenons notre grande route! Ce qui est sûr, c'est que le problème de +l'insuffisance d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez les +gens bien portants; notre état social n'étant pas aussi détestable +que se plaisent à le dire quelques pessimistes, ou encore quelques +jouisseurs, qui semblent n'avoir pour but que de semer la haine par +leurs discours et par leurs écrits. En France, personne ne meurt de +faim, et bien peu de gens sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant +donné le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter. + +Là où le problème de l'insuffisance alimentaire devient, pour le +médecin, d'une douloureuse perplexité, c'est quand il s'agit de malades +ne pouvant ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence rien +digérer, vomissant tout ce qu'ils prennent, arrivés au dernier degré de +la consomption, n'urinant presque plus, restant des semaines entières +sans aller à la garde-robe, ne dormant plus, ne pouvant plus ni lire, ni +supporter une conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu de ces +grands malades sans lésions organiques, auxquels il est très difficile +de faire du bien, et auxquels on fait trop facilement du mal par une +intervention intempestive. Est-il admissible que la vie persiste dans +ces conditions déplorables, et faut-il, oui ou non, forcer ces malades à +manger? + +Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance du système +nerveux, en domptant sa révolte, on arrive à des résultats remarquables. +Chez de grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une seule +application de la sonde oesophagienne suffit pour faire renaître +l'appétit, et rendre à l'estomac la tolérance qu'il avait perdue depuis +longtemps. Le plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard, est +celui d'une jeune femme mariée à un capitaine au long cours. Dès le +lendemain du mariage, il l'emmenait en voyage de noces à San Francisco, +en passant par le détroit de Magellan, sur un navire à voiles. Pendant +ce voyage, qui dura six mois, la jeune femme commença à éprouver divers +symptômes morbides. Elle en arriva à être gravement atteinte, et on dut +la faire revenir, par les voies les plus rapides, de San Francisco +à Paris, où elle désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je +trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes les apparences d'une +tuberculeuse avancée; l'auscultation ne révélait cependant rien. Pendant +les trois premières semaines de son séjour à Paris, elle avait une +inappétence absolue, ne tolérait aucun aliment, pas même le lait coupé, +et était dévorée par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La +température s'abaissait à 40° le matin. Bien que la chaleur de la peau +fût mordicante, bien que la malade n'eût aucun intérêt à me tromper +puisque c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je me refusai à +croire à la possibilité d'une fièvre aussi ardente et aussi continue. Je +m'attachai à vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin les +indications thermométriques; elles étaient parfaitement exactes. C'est +alors que, en désespoir de cause, voyant que ni la quinine en injections +ni les lotions fraîches ne modifiaient cette température, je me décidai +à recourir aux lumières du Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je +ne trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement pas +d'impaludisme; nous sommes donc en présence d'une de ces hyperthermies +comme on en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le plus pressé +est d'empêcher cette femme de mourir de faim, et, puisqu'elle ne peut +pas manger, il faut la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et, +après cinq repas assez copieux donnés à la sonde, la malade retrouva +l'appétit, la fièvre tomba, le sommeil revint. Deux mois après, elle +pouvait quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais une lettre +m'annonçant la naissance d'un enfant. Suivant la formule traditionnelle, +la mère et l'enfant se portaient bien. + +Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme +m'invita à voir l'un de ses malades, opéré depuis dix jours, et qui, +depuis, ne voulait pas manger. Il était guéri de son opération, n'avait +aucune fièvre, aucune lésion organique, mais il se refusait obstinément +à avaler quoi que ce fût. C'était probablement le choc opératoire qui +avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il +maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai pas, alors, à lui donner du +premier coup, par la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance +possible, un repas complet; dès le même soir, il demandait à manger, et, +s'étant mis à digérer, il était guéri. Huit jours après, il sortait de +l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que, chez les aliénés, il +ne soit du devoir strict du médecin de prolonger l'alimentation à la +sonde aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après s'être toutefois +bien enquis du fonctionnement du système digestif. Il y a là de grosses +difficultés cliniques. + +D'une façon générale, cependant, nous hésitons toujours à employer ce +moyen brutal qu'est la sonde oesophagienne; le plus souvent, quand +l'alimentation est indiquée pour une grande neurasthénique qui ne veut +ou ne peut pas manger, nous la lui imposons par suggestion à l'état +de veille. Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La +vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut alimenter. La +responsabilité du médecin est, quelquefois, bien gravement engagée +dans ce problème. S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même par +suggestion ou par persuasion, il risque de donner à sa malade une +indigestion formidable, avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il +risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de vie qui soutiennent +l'existence de la malade. Étant donné ce que nous avons dit du peu +d'aliments qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à redouter +d'une alimentation intempestive, nous croyons qu'il faut patienter le +plus possible, et ne donner à ces malades que le régime ultra-restreint, +sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage, toujours prêt à +se figurer que la malade va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand, +par une alimentation restreinte mais bien conduite, on a été assez +heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,--et on y arrive +toujours,--alors seulement on alimente plus généreusement. + +Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder habituelle de nos +confrères renommés pour le traitement des grandes névroses; mais nous +ne pouvons pas admettre que tous les malades, quel que soit le degré de +leur «maladie», soient justiciables d'un même procédé thérapeutique, et +que, après six jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise +de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils mangent et qu'ils +digèrent n'importe quoi. Ils mangeront peut-être, mais tous ne +digéreront pas. + +III. _Alimentation insuffisante en qualité_.--Si l'insuffisance +alimentaire quantitative joue, dans la pathogénie de la «maladie», un +rôle relativement minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance +qualitative; et la défectueuse qualité des aliments est un ennemi de +tous les jours, d'autant plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On +ne saurait croire combien les aliments les plus usuels sont frelatés. +Si une chimie bienfaisante permet, par-ci par-là , de découvrir quelques +fraudes, il est une chimie malfaisante qui fait tous les jours des +progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous en doutions. Bientôt +le dictionnaire des falsifications alimentaires atteindra le volume du +Bottin. Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se mettent aussi +de la partie, et, par les procédés de congélation, en particulier, on +arrive à jeter sur les marchés des aliments de belle apparence, mais +qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante. Prenons, à titre +d'exemple, les poissons de mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans +un port de mer, par la vue de gros blocs de glace que des pêcheurs +emportaient avec eux. Ces blocs ne me disaient rien qui vaille; et +j'appris, en effet, que ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours, +et que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson, ils le mettaient +dans la glace: de telle sorte que ce poisson congelé arrive sur nos +marchés avec bel aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires +avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état d'aliment +toxique. + +Certains procédés de stérilisation sont également vus d'un mauvais oeil +par l'hygiéniste. Pour les conserves de viande, notamment, on sait les +préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire; et le problème +vient seulement d'être résolu, grâce au zèle d'une commission composée +de nos plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en bactériologie +qui ont travaillé pendant de longs mois. + +Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est pourquoi il est si +souvent un breuvage meurtrier, non seulement pour les enfants, mais même +pour les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié, ou +adultéré spontanément, qu'il est, chez les malades, d'un emploi si +délicat. Remarquez que nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si +le lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas parce qu'il +est altéré, c'est parce qu'il est trop riche en crème, ou pris en trop +grande quantité, c'est aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple +bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou s'en abstenir, sans +poursuivre le projet insensé de vaincre l'intolérance des malades. A +cela on y arrive parfois, quand le malade est complaisant, mais le plus +souvent on échoue. + +Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons, mollusques, +viandes, provoquent des empoisonnements dont on néglige souvent de +chercher la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la fièvre +typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre ces deux extrêmes, +toutes les variétés cliniques se rencontrent. D'autres fois, ils +empruntent le masque du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que le +traitement consiste à attendre que l'économie soit débarrassée de ces +poisons (diète absolue d'abord, puis tisanes et repos); quant à chercher +à favoriser l'élimination des poisons par des purgatifs ou des vomitifs, +c'est très légitime en théorie, mais, en fait, très dangereux, car on +ajoute ainsi un élément de perturbation qui aggrave parfois grandement +l'état morbide. + +Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication alimentaire +n'occasionne qu'à la longue la perturbation du système digestif; et +c'est alors qu'il est si difficile de rapporter les effets directs et +éloignés de cette perturbation à leur cause véritable. + +IV. _Alcool_.--Certes, l'alcool et toutes les boissons distillées, +quelque pompeuse que soit l'étiquette de leur flacon récepteur, +constituent un aliment meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en +leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence pour la mémoire de +Duclaux, qui a excité de si vives polémiques en écrivant que l'alcool +était un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme sont de ceux +que déplorent tout hygiéniste et tout bon citoyen; aussi ne saurait-on +encourager trop les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de +tempérance, etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts contre +les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache aux conditions +économiques de la société? L'alcoolisme durera aussi longtemps que +l'impôt sur l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté à l'État +358 392 000 francs (et dans ce chiffre ne sont pas compris les droits +sur les vins, cidres, bières, etc.); aussi longtemps que la puissance +électorale du marchand de vin; aussi longtemps que le malaise +de l'ouvrier, poussé au cabaret par la destruction du foyer et +l'insalubrité du logis... + +Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant sincèrement le +succès des généreux efforts des ligues anti-alcooliques, de conserver un +reste de pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool un oubli +momentané aux misères humaines. C'est souvent leur malheur, et non leur +faute, s'ils tombent dans la dégradation progressive qu'on déplore à +trop juste titre. + +Mais autant est légitime la campagne contre les boissons distillées, +autant, à notre avis, les boissons fermentées devraient trouver grâce +devant la rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la ligue +anti-alcoolique française, pour ne parler que d'elle, compromet d'une +façon irrémédiable le résultat qu'elle poursuit, si elle continue à +proscrire les boissons _fermentées_. Qu'un intellectuel dyspeptique ne +tolère pas une goutte de vin à ses repas, c'est chose possible, et il +fera bien de s'en abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre, +c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a quelques années, +on pouvait dire qu'un litre de vin représentait 100 grammes de mauvais +alcool; mais depuis la surproduction des vignes françaises, et depuis +qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin est devenu une boisson +hygiénique, quand elle est prise à petite dose par des gens dont +l'estomac n'est pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait +mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en chambre, de dépenser +à l'achat d'aliments azotés, ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense +à acheter du vin; mais que deviendrait la vie si elle était soumise aux +tyrannies des théoriciens hygiénistes? + +Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter que le vin +entrât dans la ration réglementaire. Presque tous apprécient énormément +le vin, et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du chef qui +leur octroie aimablement un quart de litre de vin. Malheureusement, il +ne faut pas songer avant longtemps à introduire l'usage régulier du vin +dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on voulait se rappeler que, +chaque fois qu'on augmente d'un centime par jour la dépense du soldat +français, le budget se trouve grevé d'un million par an, on mettrait fin +du coup à toutes les discussions, plus ou moins intéressées, qui font +perdre à nos législateurs un temps précieux. + +Un esprit chagrin pourrait nous répondre que l'eau stérilisée que l'on +donne aux soldats coûte plus cher que le vin, si l'on tient compte du +prix d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du combustible, et +surtout de la répugnance invincible qu'ont les soldats à boire cette eau +cuite, presque toujours tiède malgré les soins qu'on met à la refroidir +après la stérilisation; mais nous aurions mauvaise grâce à nous associer +à ces critiques. Il ne faut décourager les efforts de personne. + +Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une boisson recommandable +pour l'adulte valide, chez le malade le vin et les autres boissons +fermentées sont, en général, de véritables toxiques; et c'est par +la suspension du vin qu'il faut commencer le traitement de tous les +dyspeptiques. Mais quand l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit +d'aider à la reconstitution du système nerveux, le vin devient un +adjuvant utile; et non pas sous une forme pharmaceutique quelconque, +mais sous la forme de bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin +d'Algérie, du Midi, etc.). + +En résumé, les erreurs de l'alimentation sont essentiellement +regrettables, comme le sont toutes les erreurs contre la véritable +hygiène; elles entrent pour une bonne part dans la genèse de la +«maladie»; mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées à +fond, tandis que les influences qui nous restent à passer en revue +agissent plus profondément encore, d'une manière plus insidieuse et plus +malfaisante; et leur rôle pathogénique n'est, en général, pas apprécié à +sa juste valeur. Nous voulons parler des influences morales. + + +II.--CAUSES MORALES + + +Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence du moral sur le +physique; mais, malgré les travaux de divers philosophes, les médecins +en général ne connaissent pas encore assez cette influence du moral, et +ne lui attribuent pas assez d'importance. En réalité, elle joue un rôle +énorme, et dans presque tous les cas elle se rencontre, pour qui sait la +chercher. Malheureusement, pour faire de semblables enquêtes, il faut +beaucoup de temps, il faut que le médecin devienne le confident, l'ami +de son malade, et qu'une regrettable suspicion de l'entourage ne +l'empêche pas d'accomplir son oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin +ait des qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la pensée du +sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre à mots couverts. + +Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales de «maladie» sont +multiples, et peuvent être rapportées aux quatre grands chefs suivants, +que nous classons par ordre d'importance effective, sans aucune +prétention psychologique: + +1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au jeu, etc., ambitions +déçues. + +2° Influences qui compromettent, par une action lente et continue, la +quiétude de l'âme (passions contrariées, chagrins d'amour). + +3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés par +l'éloignement ou la perte d'êtres aimés). + +4° Choc moral et choc traumatique. + +1° _Pertes matérielles_.--Les pertes de fortune, les changements de +situation, sont des facteurs moins importants qu'on ne se le figure +d'ordinaire, relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois le +premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez vite aux nouvelles +conditions d'existence qui leur sont faites, si elles n'ont pas, par +ailleurs, à s'alarmer pour leurs enfants, et si elles sont préalablement +bien portantes. On pourrait paraphraser la pensée d'Horace, en disant: +_Sanum et tenacem impavidum feriunt ruinae_. C'est ainsi qu'on a pu +définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»; et c'est peut-être la +meilleure définition qu'on en ait donnée. + +Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, les +perturbations dans la situation sociale, les pertes d'argent, provoquent +des assauts considérables,--que le médecin doit savoir deviner,-- +capables de produire la «maladie», et surtout de l'aggraver quand elle +existe déjà à un degré quelconque. Voyez ce diabétique qui, d'un jour +à l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez bien: c'est +souvent parce qu'il a eu, la veille, une perte d'argent. + +Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes qu'une perte survenue +accidentellement ou par imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une +influence morbide considérable. Le joueur, en effet, vit dans un milieu +anti-hygiénique; il joue, le plus souvent, la nuit, et se prive de +sommeil; en outre, son surmenage émotionnel est doublé de surmenage +cérébral; bref, la funeste habitude du jeu mérite une place d'honneur +parmi les causes morales pathogènes. + +Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie avec les pertes au jeu. +Ici l'enjeu, au lieu d'être une somme d'argent, est un grade, une +décoration, un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue +quelquefois une importance qui nous fait sourire, mais qui, cependant, +lui tient grandement au coeur: car tout est relatif dans la vie, et +l'ambition déçue après de longs efforts, après des tentatives souvent +répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie». Qui ne connaît, +dans son entourage, un officier navré d'avoir à prendre sa retraite sans +avoir obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait le malheur +d'une famille, et son propre malheur, au point d'en perdre la santé, ou +quelquefois la vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais c'est de +cette nourriture que vivent les hommes. + +2° _Influences qui compromettent la quiétude de l'âme_--Les unes +agissent par leur continuité: ce sont les coups d'épingles incessants +dans un ménage où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles +de famille quotidiennes, l'impossibilité de fuir un milieu où l'on ne se +sent pas à l'aise. C'est le fait d'être souvent en butte aux taquineries +ou aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend pas, d'avoir à +subir l'autorité malveillante d'un parent, d'une mère. La victime se +trouve tiraillée à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion plus +ou moins forte du devoir, et, d'un autre, poussée à la révolte par les +vexations, réelles ou imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice +incessant finit par «énerver»,--c'est le mot qu'on emploie +journellement,--autrement dit, finit par amener la «maladie», à un degré +variable: et l'une de ses formes les plus connues s'appelle le délire de +la persécution, quand le trouble mental domine la scène morbide. Mais, +si l'on étudie de près un «persécuté», on verra bien vite qu'il n'est +pas malade que de la tête; il digère mal, il est constipé, il maigrit, +il a souvent des battements de coeur, de la dyspnée, la peau sèche, +etc., etc.; toutes ses fonctions sont en délire. Tout est fou chez +l'aliéné, parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand malade». + +D'autres fois, c'est une passion vive, intense, qui compromet +l'équilibre de la santé. La passion amoureuse mérite, à ce titre, d'être +signalée au premier rang; nous en avons dit un mot déjà , à propos de la +jeune fille: mais ici nous l'étudions dans sa forme ardente, fougueuse, +la forme qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le système +nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie, qui peut se traduire +par la production de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de _Tristan +et Yseult_, ou comme la _Nuit d'Octobre_, mais qui amène souvent, chez +celui qui en est victime, une perturbation générale de la santé, quand +un obstacle d'ordre moral ou matériel empêche cette passion de se +satisfaire. La victime perd alors le sommeil, s'agite dans le vide, +est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet les fonctions +digestives; l'estomac entre en scène, le cercle vicieux s'établit; la +«maladie» est constituée. Elle durera tant que durera sa cause, ou +qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté le remède efficace. Bien +souvent, d'ailleurs, le temps seul est le remède; et il faut savoir +attendre, sans imposer au malade une médication perturbatrice, qui +aggraverait son état. + +Lorsque la victime est obligée de garder pour elle son secret, sans +pouvoir le communiquer à un confident, sa situation est encore plus +lamentable. Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là +l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer +confiance à son malade et à provoquer chez lui des confidences, qui le +soulagent plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité. + +Combien de femmes sont malheureuses en ménage sans que personne s'en +doute! Elles dissimulent avec un soin jaloux à leur famille, à leurs +amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et combien leur misère +n'est-elle pas atténuée quand elles peuvent confier leur chagrin à un +homme de bon conseil? + +3° _Inquiétudes d'origine altruiste_.--Les inquiétudes relatives à la +santé d'un être cher sont souvent aussi une cause de neurasthénie, et il +n'est pas rare de voir les divers membres d'une famille devenir, tour +à tour, malades, par le fait des préoccupations et des fatigues qu'a +causées l'atteinte d'un premier membre. Une mère qui, comme je l'ai vu, +passe vingt jours et vingt nuits sans quitter le chevet de son enfant +atteint de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant sera guéri. +Elle pourra peut-être devenir, à son tour, une typhoïdique; mais, même +si elle ne prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée pour +longtemps. De même encore le fait d'avoir un enfant infirme, qu'on +voit du matin au soir, empoisonne assez l'existence pour entraîner, +quelquefois, la «maladie». + +Dans une famille bien unie, la névrose de l'un des membres ébranle +tellement le système nerveux des autres, que la nécessité de la +séparation s'impose. La contagion de la névrose n'est cependant pas une +«contagion» au sens propre du mot; mais, en pratique, on est souvent +appelé à traiter le malade comme s'il était contagieux, dans son propre +intérêt et dans celui de son entourage. + +Le départ des êtres qui nous sont chers est un autre facteur important +de «maladie»:--même la séparation momentanée, (femmes de marins ou de +militaires partant en campagne),--sans compter que le chagrin de la +séparation se double, en ce cas, d'inquiétude pour les dangers que va +courir l'être aimé. On voit alors la «maladie» survenir au bout de +quelque temps, revêtir une forme quelconque, avec des manifestations +variant à l'infini (insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes +traduisant le malaise du système nerveux central, qui ne s'atténuera +que quand la cause disparaîtra. Et même, une fois la cause disparue, il +pourra persister encore des mois et des années, parce que l'habitude +morbide est prise, parce que le système nerveux a reçu le choc. La +cellule continuera à vibrer de travers, comme la surface d'un lac +continue à être agitée bien longtemps après la chute de la pierre qui a +troublé son repos. + +Quand la séparation est définitive, le mal est plus profond encore, et +l'expression de «vie brisée» est absolument juste. La perte d'un être +cher atteint la vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un seul +coup, le capital biologique. Le malade traînera une existence plus +ou moins lamentable, et plus ou moins prolongée; mais les moyens +thérapeutiques les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine +philosophie atténuera ses maux, et le médecin a surtout à lui offrir une +bonne psychothérapie. Le temps, aussi, devient un remède avec lequel il +faut compter; le rôle principal du médecin, dans les cas de ce genre, +doit être d'empêcher l'organisme de s'effondrer, pour permettre au temps +d'accomplir son oeuvre réparatrice. + +4° _Choc moral et choc traumatique_.--Une émotion violente, quelle +qu'en soit la cause, peut également amener la «maladie» sous une forme +quelconque, et parfois lui faire revêtir immédiatement, sans transition, +les formes les plus graves. Je connais un officier très distingué, et +bien portant jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une chute +de cheval sur la tête. Après deux jours de perte presque complète de +connaissance, il recouvra successivement la parole, la mémoire, le +mouvement, les forces; mais il était devenu un malade. Depuis douze +ans, il traîne une existence pitoyable. Ce ne sont pas seulement les +fonctions cérébrales qui sont atteintes, chez lui; elles sont même +relativement respectées, il n'a que des vertiges, des bourdonnements de +l'oreille gauche, des picotements dans les yeux, de la difficulté à lire +et à causer. Au demeurant, son intelligence est restée intacte: mais +toutes ses autres fonctions ont été perturbées. Il a des névralgies +erratiques,--plusieurs médecins ont cru que c'était un candidat à +l'ataxie locomotrice,--et surtout il a les troubles digestifs les plus +variés (gastralgie, pesanteurs, gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse +avec alternative de constipation opiniâtre et d'une diarrhée qu'il est +difficile d'arrêter). Les forces sont tellement réduites qu'il peut +à peine faire deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé les +muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type de malade, atteint de ce +qu'on appelle la «neurasthénie hystéro-traumatique», ce sont les +troubles digestifs qui sont au premier plan, bien que le choc ait porté +sur la tête. + +De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de _trauma_ véritable de la +boîte crânienne, suffit pour amener le choc déterminant la «maladie». +J'ai vu à la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le début du +siège de Paris, devint folle pour avoir vu éclater un obus à ses pieds. +On comprend donc qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au même +résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés observée après le siège +de Paris; de là , la multiplicité des cas de psychonévrose, d'aliénation +mentale, signalés dans l'armée russe pendant le cours de la guerre +russo-japonaise. Jamais, depuis que les hommes s'entre-tuent, le système +nerveux des belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures épreuves. +Tous les facteurs morbides s'accumulaient, chez les Russes, pour +produire le désarroi du système nerveux. Éloignement de la patrie, +voyage prolongé en chemin de fer, alimentation insuffisante, manque +de confiance dans les chefs, menace incessante de surprise, surmenage +physique s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est plus qu'il n'en faut +pour rendre malade le malheureux soldat ou officier russe, pour peu +qu'il soit prédisposé par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse. Mais +que faire contre un semblable état de choses? L'homme sensé ne peut que +déplorer l'inanité des efforts de tous les pacifistes. + +Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle la guerre, ne sont +pas assez connues du monde extra-scientifique. On se figure volontiers +que, quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est rien; c'est +pendant quinze et vingt ans que les néfastes effets d'une guerre se font +sentir. Pendant vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui +avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la campagne de 1870, +et surtout pendant la captivité. + +Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous les jours l'influence du +choc chirurgical sur la genèse de la névrose. On commence à connaître +les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations: mais c'est un +point sur lequel il convient d'attirer l'attention, pour modérer le zèle +chirurgical des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand l'opération +est finie et bien finie, tout n'est pas terminé, et que le patient, +sorti guéri de leurs mains, est quelquefois «un malade» qui restera tel +pendant plusieurs années. Le choc traumatique produit par l'intervention +chirurgicale suffit pour expliquer ces accidents tardifs. + +J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une dame qui, d'une très +belle santé jusqu'à trente-huit ans, est devenue grande nerveuse, avec +anorexie, amaigrissement, etc., immédiatement après une opération de +tumeur bénigne du sein. Depuis lors, elle est sans cesse préoccupée de +la récidive possible d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée par +des malaises de tout genre qu'elle n'avait pas avant l'opération. + +Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, même de moindre +importance encore, d'importance ultra-minime, peut mettre le système +nerveux dans un état d'ébranlement durable: c'est quand elle occasionne +une violente douleur. La douleur provoque une fuite nerveuse énorme. +Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé antérieure, qui est +devenue neurasthénique immédiatement après des opérations sur les dents. + +Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales sont +pratiquées sur des personnes dont le système nerveux est déjà ébranlé +plus ou moins, elles deviennent une cause d'aggravation notable. +La seule crainte de l'opération possible suffit pour provoquer une +aggravation de la névrose. Est-il un médecin qui n'ait pas vu accourir +chez lui, forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a +constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du sein? Et c'est bien +autre chose encore quand le diagnostic est douteux, quand la malade +va de chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis ferme; jusqu'à ce +qu'elle soit fixée sur son sort, elle est dans un état d'anxiété que ne +connaissent peut-être pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur +dicter leur conduite non pas seulement au point de vue opératoire, mais +au point de vue psychique. + +Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. Leur sang-froid, leur +maîtrise d'eux-mêmes, leur habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux +résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font les considérer, au +total, comme de vrais bienfaiteurs de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir +qu'ils ne m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer que, +à côté de beaucoup de bien, ils font un peu de mal, et un mal qu'ils +pourraient ne pas faire s'ils connaissaient mieux les répercussions +qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention, et aussi les soins +qu'ils donnent à leur malade après l'opération. Je voudrais ne les voir +intervenir qu'en cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement +contre les opérations qu'on pourrait appeler de complaisance:--comme +celle qui a été pratiquée, contre mon avis, sur une malade qui se +croyait atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que grande +nerveuse. Cette malade avait déjà appelé, malgré moi, quatre chirurgiens +qui n'avaient pas voulu opérer; un cinquième se décida à le faire, sans +avoir de conviction absolue, au sujet de l'existence d'une appendicite, +mais avec la persuasion que la malade, débarrassée de son obsession en +même temps que de son appendice, recouvrerait la santé. Or il n'en fut +rien: l'appendice était sain, et la malade, légèrement améliorée pendant +un mois, par le fait du repos au lit, du régime sévère, de l'espoir +qu'elle avait, et que je fus le premier à entretenir, vit bientôt son +état devenir pire qu'avant l'intervention. + +Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens de tenir le moins +possible les malades en suspens pour savoir si l'on opérera, et quel +sera le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité, sont +angoissantes au premier chef pour les personnes déjà nerveuses. Et je +leur demanderai, enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale +après l'opération... Je sais bien que, dans certains cas, le chirurgien +doit suralimenter et même médicamenter son opéré, au risque de lui +fatiguer l'estomac, et de compromettre les résultats qu'une savante +hygiène alimentaire avait difficilement obtenus, pendant les mois ou les +années qui ont précédé l'intervention. Là , il y a force majeure; et, +dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il savait bien faire de +la mauvaise besogne, mais il se comparait aux pompiers que n'arrête +pas la considération de dégâts limités, quand il s'agit de sauver un +immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré guérirait sans intervention +médicale et sans champagne, sans suralimentation, sans médicaments, sans +morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, au sortir de la maison +d'opérations, son système nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est. +Il serait plus vite remis du choc traumatique inévitable, qui, à lui +seul, est un important facteur de dépréciation de la valeur biologique. + +Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de la morphine aux malades, +et à des doses effrayantes? Je sais bien qu'en général ces doses +invraisemblables,--de 1 à 2 centigrammes répétés deux fois par +jour,--sont tolérées, pendant les premiers jours qui suivent +l'opération, parce que l'opéré a une telle sidération du système +nerveux qu'il ne réagit pas au poison[8]. Mais combien, aussi, ont des +vomissements et des symptômes d'intoxication grave? Et plus fâcheux +encore est le résultat quand le malade se met à aimer l'odieux poison, +et devient morphinomane,--ce qui arrive quelquefois. De grâce, réservez +donc la morphine pour les cas exceptionnels de souffrance, et n'en +confiez pas l'administration à une garde, si bien intentionnée et si +intelligente que vous la supposiez; vos malades n'en seront que plus +vite guéris! + +[Note 8: J'ai traité plus longuement ce sujet dans le _Bulletin de +la Société Thérapeutique_, novembre 1905.] + +Ou bien encore cette habitude de purger les malades, deux ou trois jours +après l'opération, de leur donner des lavements, alors qu'ils auraient +tant besoin de repos! La constipation n'est-elle donc pas un symptôme, +une manifestation, presque inévitable, de l'ébranlement du système +nerveux provoqué par le choc opératoire? Laissez le système nerveux +reprendre son équilibre, et la constipation disparaîtra d'elle-même, +quand l'opéré, sollicité par son appétit spontanément renaissant, +recommencera à manger. + +Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie, une simple vue de +l'esprit d'un rêveur qui n'a pas vu d'opérés! La démonstration a été +faite pour moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience de +laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme a bien +voulu m'associer aux longues recherches qu'il a faites pour provoquer la +constipation chez ses opérés. Or, de tâtonnements en tâtonnements, il en +était arrivé à constiper tous les hommes ayant à subir des opérations +dans les régions abdominales, inguinales et crurales; il évitait ainsi +la souillure, et, par conséquent, le renouvellement des pansements. Et +ce n'était pas une constipation de deux ou trois jours qu'il provoquait, +mais bien de douze ou quinze jours. Chez un malade de mon service, opéré +par lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation a été +entretenue pendant dix-huit jours. J'ai demandé récemment à M. +Delorme s'il était toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu +affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi une statistique de +laquelle il résulte que, depuis le jour où il m'avait convié à assister +à ses premiers essais, en 1889, il avait opéré, après constipation +provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de Vincennes, 1600 cures +radicales de hernies, 50 cures radicales d'hémorroïdes, 500 +varicocèles, 30 castrations, 500 opérations variées de la sphère +inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait constipé +méthodiquement 15 hommes atteints de fractures de la cuisse, pour que +leurs appareils contentifs ne fussent pas souillés. + +C'est une partie de ces faits que M. Delorme a brillamment exposés à la +Société de Chirurgie, en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes +thermiques, démontrant que la température n'a pas monté au-dessus de la +normale, pendant toute la durée de la constipation, et que, même, elle +a souvent été abaissée un peu au-dessous de la normale (90 fois sur ces +160 observations). Dans quatre cas seulement, elle a dépassé la normale, +mais c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication +iodoformée, rhumatisme aigu, congestion pulmonaire (deux fois). Chez 110 +opérés de cures radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans la +moindre importance. Elles disparaissaient après l'émission spontanée de +gaz. La langue, saburrale les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect +normal; l'appétit était conservé chez la majeure partie des constipés. +Dès le troisième jour, on leur donnait à manger des potages, des oeufs, +de la viande blanche, du vin, en évitant que les aliments capables de +donner des déchets. Le sommeil restait bon, le caractère ne laissait +voir aucune modification, la soif n'était pas excessive, et les analyses +d'urines, faites par le professeur Burcker, ont démontré que l'économie +ne subissait, du fait de la constipation provoquée, aucune influence +néfaste. La première selle était, parfois, facile et spontanée; d'autres +fois elle était pénible; c'est ainsi qu'un malade ne put aller à la +garde-robe que le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur lui +les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; ce n'est que quand on +le fit marcher qu'il parvint à aller à la selle. Les selles suivantes +étaient habituellement aisées, et les fonctions de l'intestin +reprenaient leur régularité. «Ma communication, ajoutait M. Delorme, +pourrait avoir plus qu'un intérêt clinique, étant donnée les théories +qui ont cours sur l'importance et la fréquence des intoxications +intestinales. Mais je désire rester exclusivement sur le terrain de la +pratique, et je conclurai en disant que, chez les hommes adultes et +sains surpris par un traumatisme chirurgical qui doit guérir par +première intention, la constipation, provoquée pendant huit à quinze +jours, n'a pas les inconvénients qu'on lui attribue généralement.» + +Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme est arrivé à obtenir ces +constipations prolongées, si peu nuisibles aux opérés: car ce serait +sortir de mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue +digression, c'est que la constipation de quelques jours, survenant +d'elle-même et presque fatalement chez les opérés, quels qu'ils soient, +ne doit pas préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à imposer +à leurs opérés des purgations qui, fatiguant leur système nerveux +abdominal, ont forcément un retentissement sur leur système nerveux +central, et contribuent à en faire des malades, alors qu'au début ils +n'étaient que des blessés, ou bien à aggraver leur «maladie», quand ils +étaient déjà des malades avant l'opération. + +Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs affirment que la +constipation est l'ennemi des femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose +pas m'inscrire en faux contre cette opinion générale: mais peut-être +serait-elle, comme tant d'autres affirmations, passible d'un procès en +révision. + + +III.--CAUSES ACCIDENTELLES + + +Nous venons d'énumérer les principales causes d'ordre psychique qui +amènent la déchéance, totale ou progressive, du capital vital de l'homme +ou de la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées ou non aux +autres influences néfastes (surmenage cérébral, surmenage musculaire, +alimentation défectueuse, etc.), provoquent le plus souvent la +«maladie». + +Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier âge, comme chez +l'adolescent, la «maladie», chez l'adulte, est provoquée par une +affection aiguë qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre typhoïde, +qui, véritable intoxication, surprend l'adulte dans le cours d'un état +d'équilibre irréprochable, et qui, chose curieuse, paraît être d'autant +plus grave que le sujet était plus robuste. + +La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer la «maladie». +Ainsi, je connais un homme de quarante-huit ans, qui a vu sa santé +irrémédiablement ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde survenue à +l'âge de vingt ans. Mais le cas est rare; souvent, au contraire, on +observe qu'une fièvre typhoïde, survenant chez un individu malingre, lui +donne une santé, pour la suite, qu'il ne se connaissait pas jusqu'alors. +Est-ce parce que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que la diète +imposée par la fièvre typhoïde a remis l'organe en état? Est-ce parce +que, jusqu'alors, il se soumettait à un exercice trop vigoureux pour ses +forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant le repos, a rectifié +ses erreurs d'hygiène musculaire? Est-ce enfin parce que la fièvre, +en brûlant ce que les anciens appelaient ses «humeurs peccantes», l'a +débarrassé de ses produits d'auto-intoxication antérieurs à l'affection +aiguë? A vrai dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne pouvons que +constater le fait. Trop heureux serait celui qui pourrait connaître les +causes de tous les phénomènes de la vie! + +Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, pneumonies, +etc., dans quelle mesure créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»? +Nous pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles ne font que +l'aggraver: car, toujours la «maladie» préexistait. Pour contracter +un rhumatisme, une pneumonie, une angine, il faut déjà que le système +nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit définitif, soit +momentané. La première condition pour ne pas prendre les «maladies», +c'est de se bien porter. + +Mais il n'en est pas moins certain que l'affection accidentelle, en +intervenant, imprime à la «maladie» un essor plus ou moins vigoureux, +suivant l'importance de la cause pathogène accidentelle, et aussi +suivant la valeur préalable du sujet. + +De toutes les affections accidentelles, celle qui est le plus +remarquable, à cet égard, est la grippe. La déchéance post grippale est +très fréquente, et parfois d'une longueur invraisemblable. On met des +années, souvent, à se remettre d'une mauvaise grippe. Et cet ennemi est +d'autant plus dangereux que, loin de créer l'immunité, il a une tendance +à revenir à la charge; or, dans le cours de la «maladie», chaque +atteinte de grippe fait faire un pas en arrière, et compromet les +résultats péniblement acquis. La grippe est l'ennemie personnelle des +sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien entendu, la forme +symptomatique de leur «maladie». + +C'est aussi dans la période que nous étudions que se manifeste +dangereusement la syphilis contractée à vingt ans, et insuffisamment +soignée; elle se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte, des +lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont personne ne soupçonne +la cause, des ictus cérébraux, et toutes les manifestations de la +syphilis tertiaire. Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et +la paralysie générale, ou du moins elle prédispose singulièrement +le terrain à l'apparition de ces cruelles «maladies», d'évolution +fatalement progressive. On commence à connaître ses méfaits, dans le +monde des assurances, et à savoir que la syphilis n'est pas un brevet de +longue vie! D'un travail statistique fait par le Dr Rungberg pour une +Compagnie d'assurances, il résulte que l'âge moyen de la mort des +syphilitiques assurés à cette Compagnie a été de quarante-trois ans et +quatre mois, et que, au point de vue des causes de mort, la syphilis +vient immédiatement après la tuberculose. + + +IV.--INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME + + +Toutes les considérations que nous venons d'exposer peuvent s'appliquer +également à l'un et à l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste +privilège de pouvoir être frappée par des influences morbigènes qui +n'atteignent pas le sexe masculin, et qui méritent d'être étudiées à +part. + +La menstruation joue, dans la vie de la femme, un rôle de premier ordre. +Chez la femme très bien portante, son influence est à peine perceptible, +mais chez la femme déjà malade son influence est des plus nettes; chez +l'aliénée, en particulier, on observe d'une façon constante, quelques +jours avant les règles, une aggravation du délire; et, chez l'aliénée +qui semble guérie, on ne doit prononcer le mot de guérison que quand +deux périodes menstruelles se sont passées sans accident. Nous disons +à dessein _deux_ périodes: car si, chez les grandes névrosées, les +troubles menstruels sont mensuels, chez les malades moins atteintes ils +nous ont semblé souvent ne survenir que tous les deux mois[9]. + +[Note 9: Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation +s'accompagne toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois +jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.] + +Chez la grande neurasthénique qui a encore ses règles correctes, on peut +affirmer que, douze jours avant l'apparition des règles, les misères +nerveuses, abdominales, etc., s'accentuent considérablement, au grand +désespoir des familles qui, ayant espéré la guérison, croient que tout +est à refaire. Mais il n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre, +quelquefois même pendant les règles, à partir du deuxième jour, et, le +plus souvent, immédiatement après la cessation de l'écoulement. Les +malades entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne semaine». + +Le médecin doit connaître ce détail, et avertir les malades et leurs +familles de la rechute, qui est inévitable tant que la «maladie» bat son +plein. Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles, ce qui est +fréquent, c'est d'un pronostic assez important; et la réapparition des +menstrues après deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs cas, +indique que la malade entre enfin dans la voie de l'amélioration, alors +même qu'elle continue à souffrir. + +L'influence de la grossesse est non moins évidente. Nous avons dit +qu'elle était quelquefois salutaire, parce que l'utérus développé +remplaçait la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois l'utérus +revenu à son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu +plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées, la ptose +abdominale devient un des principaux éléments de la «maladie». C'est +alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la +forme du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables services. + +Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques. +Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce +qu'elles étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est parce que +la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicité +normale. Si on avait soigné la future ptosique en temps utile, alors +qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du système nerveux, de +l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle +n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses +multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument +si merveilleux, ne doit, à notre avis, être considéré que comme un moyen +thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer la malade et lui +permettre de se passer de ceinture. + +On y parvient, sauf quand la déchéance est trop avancée, par une bonne +hygiène générale, s'adaptant aux indications fournies par chaque +individu. Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez les +autres par le repos, chez les unes par une saison à Vichy, chez les +autres par un régime restreint, chez toutes par la reconstitution du +système nerveux, qui toujours laisse à désirer. + +La ceinture abdominale, pour en revenir à elle, ne sera employée que le +moins de temps possible. Chez les femmes non surmenées musculairement, +on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit +par les exercices de plancher de la gymnastique suédoise, soit par la +pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les +Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la +pulsion de l'air, on ne fasse à la fois de la bonne thérapeutique +abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les +chanteurs et même toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force +extraordinaire des muscles droits antérieurs; en se contractant, ils +repoussent la main qui les comprime[10]. + +[Note 10: Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial +pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce +dynamomètre donnerait des indications très intéressantes sur la valeur +biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant +vaut l'individu.] + +On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion qui attribue à +la ptose abdominale toutes les misères des dyspeptiques, des +neurasthéniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme +a de la ptose et mille misères variées: une ceinture fait disparaître +presque toutes ces misères, c'est donc, conclut-on que la ptose était +l'unique cause? Mais non; c'est toujours la théorie du moindre effort +appliquée au raisonnement humain. La vérité est que la ptose est +symptomatique, que la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la +soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut déjà être malade +pour devenir ptosique,--en dehors, bien entendu, des cas où la +contention abdominale insuffisante serait due à une éventration. + +La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il existe même des ptoses +qu'on pourrait appeler aiguës, si l'on nous permettait cette expression. +Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le +cours d'une bonne santé, à la suite d'un coup de froid, d'une émotion +violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un +jour à l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son +élasticité, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pâteux, d'un +chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni +le caecum, ni le côlon. On perçoit, dans la fosse iliaque, un +gargouillement dont l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la +fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre typhoïde que parce +qu'on l'y cherche. + +Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les +«maladies» aiguës. Il est toujours l'indice d'une sidération du système +nerveux abdominal; et, comme le système nerveux abdominal n'est pas +sans avoir des relations intimes avec le système nerveux central, +l'effondrement en question est toujours l'indice d'un état de «maladie» +assez grave. Mais il peut n'être que passager, durer quinze jours, trois +semaines; d'autres fois, il dure deux à trois mois, dans certains états +subaigus; puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa +forme, son élasticité, renaître: c'est le commencement de la guérison. + +En même temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose +aiguë, la sonorité abdominale subit des modifications extrêmement +intéressantes. Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal, +ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes +différentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le +plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit et le +gauche (octave supérieure au côté droit).[11] + +[Note 11: Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et +la percussion, donne les renseignements les plus précieux sur la valeur +digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime +alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier, +évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les +sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la +gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essayé +d'apprendre cette lecture à ses contemporains. Mais, il ne faut pas se +le dissimuler, l'exploration abdominale est chose très difficile; je la +pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'être en relations +scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la +difficulté de cette étude, en même temps que j'en apprécie mieux toute +l'importance. + +Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui résument +ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous ne saurions trop +affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil digestif est, pour +le biologiste, une source de faits inépuisable. Quelle variété de +renseignements, quelle précision dans l'observation, ne devons-nous pas +attendre d'un procédé à la perfection duquel nous voyons concourir les +données fournies, presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher? +Ajouterons-nous que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son +tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité, +dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les +plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune +modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou +rénal, nous constatons toujours des signes positifs du côté de la sphère +gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils +organiques sont impuissants à objectiver, le tube digestif les +enregistre avec une fidélité remarquable et une variété de nuances que +l'on n'a point soupçonnée jusqu'ici. Et toutes les modifications de +forme et de volume, d'élasticité et de résistance du tissu abdominal, +toutes les variations de sonorité des membranes digestives, ne sauraient +être considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles +portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent, d'une +part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif, d'autre +part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation +générale des réactions de l'organisme correspond à ces modalités +digestives.» (_Mémoire_ lu à la Société de Médecine de Gand, 4 avril +1905.) + +Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient encore à +être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale; c'est là un +chapitre de séméiologie qui est tout entier à faire, et que je ne puis +qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stéthoscope, +ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une +valeur insoupçonnée jusqu'à ce jour.] + +Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service +momentané qui n'est pas à dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les +guérit, quand il leur reste encore assez d'énergie vitale, c'est un +régime approprié, et du repos ou un exercice gradué, suivant les cas. Le +régime devra être celui qui donne le moins à travailler à l'estomac et +à l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou semi-liquide. Les +prises alimentaires devront être fréquentes,--très fréquentes, dans +l'état aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en +éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est +le meilleur des agents thérapeutiques. Quand le ventre commence à se +ressaisir, le régime devra être plus substantiel: potages épais, purées +légères prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait +un nouveau progrès, alimentation plus dense et moins fréquente (six +repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purées +épaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque +normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque égaux, dont un +avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passé, quand le +ventre a retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension, alors +seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit être +assez copieux (café noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, composé +en général de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes de terre +en robe de chambre; 2° viande non saignante; 3° fromage, peu de pain, +pas encore de vin, un verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas +du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles: 1° potage épais; +2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits. + +Telles sont les grandes lignes de la diététique des états aigus ou +subaigus. En même temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'état +aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une +chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les +malades au lit; puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal après +les repas; et toujours beaucoup de sommeil, même diurne, le sommeil +diurne étant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, à +l'inverse de ce que l'on croit ordinairement. + +On comprend combien, dans cet état d'équilibre instable, une violente +perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit +par une alimentation trop hâtive, peut être défavorable au malade. + + + +CHAPITRE IV + +PSYCHOTHÉRAPIE + + + +Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué, les causes diverses qui +produisent la «maladie». Mais cette étude même n'a fait encore que mieux +nous montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine comme dans +l'évolution de la «maladie», l'ébranlement du système nerveux. Et de là +résulte l'importance, également prépondérante, d'une médication +destinée à remonter le système nerveux: médication dont un des éléments +essentiels est cette «psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a +commencé à préoccuper vivement le monde médical, sans qu'on soit encore +parvenu à en fixer exactement le domaine et l'application. + +A en croire un certain nombre de nos confrères, français et surtout +étrangers, le psychothérapie serait simplement destinée à remplacer +toute thérapeutique. L'imagination, d'après ces savants, jouerait dans +la production et le développement des «maladies» un rôle si énorme, +qu'il suffirait de découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux +malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitôt la santé. La +psychothérapie consisterait donc à étudier, à ce point de vue, l'état +d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment s'emparer de +sa confiance pour lui ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents +défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes que les moyens de +persuasion sont, jusqu'ici, très difficiles à trouver; et je dois dire, +quant à moi, qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique me +paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque peu fantaisiste. + +Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit des malades, et de ce +qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle +n'en tenait, hier encore, dans la médecine officielle. Mais j'estime +que la psychothérapie peut faire mieux que d'imposer aux malades +l'illusion,--toujours bien brève et bien fragile,--de se bien porter: +elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus précieux de +la guérison. + +Étant donnée l'idée que nous nous faisons de l'origine nerveuse de +la «maladie», voici, à notre avis, la meilleure définition de la +psychothérapie: «C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par +lesquels on améliore ou on reconstitue le capital nerveux.» Son action +s'étend: 1° à toutes les déviations mentales; 2° à un grand nombre de +troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie, +etc., l'incontinence d'urine, etc. + +Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilité de l'étude, +être divisés en deux grandes catégories: + +1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses; + +2° Moyens par lesquels on augmente les recettes. + + +I + +MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES + + +Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le +savoir; il faut leur apprendre à l'économiser, leur démontrer combien +est fatigante, pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle, +leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir prendre un parti dans +les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti +médiocre immédiat qu'un parti plus sage après hésitation. Or, pour +savoir vite prendre parti et s'épargner la peine de remettre en +discussion tous les motifs et mobiles qui doivent déterminer l'acte à +accomplir, il y a un procédé très recommandable, qui consiste simplement +à adopter des principes, et à se dire: «Dans telle circonstance, je +ferai ceci, dans telle autre je ferai cela»; et puis, une fois le +principe adopté, à y rester fidèle,--sans cependant en devenir esclave. +Car il ne faut pas que l'entêtement remplace l'hésitation, que l'océan +devienne terre ferme. Un petit moyen pratique à recommander aux +hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire +dans la journée et les jours suivants, puis, une fois la chose écrite, +d'exécuter ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté parvient +ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même temps qu'on s'évite des +pertes considérables d'influx nerveux. + +D'une façon générale, il faut inspirer aux malades le respect du temps, +leur faire comprendre que le temps, c'est l'étoffe dont la vie est +faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est +par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de +choses utiles avec un minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre +cette vérité, ils trouveront eux-mêmes, peu à peu, un _modus vivendi_, +qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des économies de dépense +nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes _d'ordre_, de +tout régler dans leur vie,--les heures du lever, du coucher, des repas, +etc.,--de donner à chaque chose, à chaque préoccupation, la place et +l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur +épargner les dépenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente +psychothérapie. + +Appliquons ces idées générales à un cas particulier. Voici une jeune +fille atteinte de ce qu'on appelle la «folie du doute»; dès son lever, +elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et +finira par reprendre la première; elle passera deux heures à faire sa +toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se +laver les mains; et toute sa journée se passera ainsi dans un état vague +d'anxiété. Le soir, la situation est plus pénible encore: la malade ne +parvient pas à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller, +s'interrompant à tout instant pour confier à un petit cahier une foule +d'idées qui ont torturé son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. +On dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant. J'ai chez moi +plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspirés par +ce même esprit. Or, cette agitation stérile, continue, occasionne une +dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier une malade de ce +genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tête, mais que tout +est malade chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a +des urines rares et chargées alternant avec des urines claires et +abondantes. Elle est mal réglée, etc. + +Il lui faut donc, avant tout, un traitement général; dont nous +indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un +traitement psychothérapique.--Et lequel? La première chose est de lui +dire combien cette manière de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de +peine à le lui faire admettre, elle le sait très bien; le preuve, +c'est qu'elle cache son infirmité avec le plus grand soin à tout son +entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette dépense nerveuse, +si stérile, la fatigue, et entretient ou cause sa «maladie» physique. +Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au +lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans +un sens déterminé. A l'une, on fera apprendre une langue étrangère, à +l'autre on proposera une autre occupation, non moins précise. Le +médecin s'inspirera d'une foule de considérations d'ordre secondaire; +l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la +volonté et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par une bonne +orientation de son activité. Nous avons pris là , à dessein, un cas des +plus difficiles à guérir: et cependant nous affirmons que la guérison +y est possible, quand, à la psychothérapie, on joint un traitement +somatique convenable et suffisamment prolongé. + +Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la paralysie générale, dans +tous les cas de délire aigu occasionnés par les «maladies» infectieuses, +l'influx nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se font de +toutes parts. La pensée est si rapide, chez le maniaque, que l'aliéniste +expérimenté ne parvient pas à la suivre. Les associations d'idées se +font avec une telle rapidité que le malade n'a pas le temps de les +exprimer, et, quelle que soit sa volubilité, sa langue n'a pas un débit +égal à celui de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être utile à +des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai dire, son rôle est alors +négatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas +s'acharner à discuter avec le malade, à rectifier ses appréciations; il +faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner à éviter au malade +toute cause d'excitation prochaine ou éloignée. Il faut se rappeler, +surtout, qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore à user +d'extrêmes précautions, et à ménager le cerveau fragile. + +Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée, est limitée à un +point fixe, la psychothérapie intervient d'une façon plus active. Voici +un homme en proie à une obsession: une idée a envahi son cerveau, il y +pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensées +ont pour pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux qu'il estime +pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne +trouvant pas de solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de +boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser à ce qui +le préoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer +inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les +plus amples détails, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci +fait, pour acquérir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre +d'en parler, et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs. De même +que, dans une hémorragie pulmonaire, le médecin bien avisé fait une +saignée générale, qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute +ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idée obsédante, mais faire +naître des courants d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer +une idée morbide par une série d'idées saines. C'est la psychothérapie +_dérivative_. + +Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses, moyen à employer dans +les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du +fait acquis, en d'autres termes la résignation; c'est la psychothérapie +_sédative_. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se +cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent +la «maladie», de se nourrir de son chagrin, de se remémorer les causes +morales qui l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse énorme. +Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif d'une sorte de sommeil +de la cellule nerveuse. + +Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi dire passive, est un +acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberté, +sans restrictions, sans protestations, ses misères, pour les offrir +dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la +passivité, et déjà elle rentre dans la deuxième catégorie des moyens +psychothérapiques. L'étude de cette résignation active va donc nous +servir de transition toute naturelle. + +La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter plusieurs fois par +jour qu'on se résigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de +volonté; et encourager le malade à accomplir cet acte de volonté, c'est +faire de l'excellente psychothérapie _reconstituante_. Malheureusement, +cette résignation active est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose +toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité humaine, +de la réversibilité des mérites et des souffrances, en un mot la +doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce +à titre exceptionnel que les ressources de la résignation active peuvent +être employées. + +Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin en face d'un malade +qui va jusqu'à voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, _a +priori_, que le médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est rien. +Le médecin doit rester à son poste; et tout en encourageant le malade +dans cette voie, en fortifiant sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas +négliger les moyens thérapeutiques que réclame son état. Car enfin le +résigné actif ne commet pas une erreur de logique en désirant guérir +et en acceptant les soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la +souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu, au contraire, +de se résigner aussi à ce que veut pour lui la nature, c'est-à -dire à ne +rien omettre pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une vie +plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le résigné +actif est d'ordinaire le plus obéissant, le plus stable des malades, le +plus reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont donnés; c'est le +malade de choix. + + +II + +MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES + + +La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques comprend, comme nous +l'avons dit, ceux qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du +capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de deux façons: + +1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante +gymnastique de la volonté. (L'homme ne vaut que par sa volonté: donc +discipliner, fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre le plus +grand des services.) + +2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux étranger. + +Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci +devient le collaborateur du médecin, dont le rôle se borne à indiquer +les procédés de gymnastique de la volonté et à surveiller l'application. + +Dans le deuxième cas, une volonté étrangère vient en aide à la volonté +défaillante, ou insuffisante, du patient. + +1° _Gymnastique de la volonté_.--Il y a des procédés d'éducation de la +volonté,--cette faculté, comme la mémoire, comme l'attention, étant +susceptible d'être améliorée par une bonne gymnastique. Le principe +général, dans cette éducation, c'est de procéder lentement, de ne pas +demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de +lui demander, au début, un tout petit effort, qui sera augmenté tous +les jours. Ainsi nous invitons nos malades à faire trois fois, tous les +matins, trois mouvements déterminés des bras, puis six, puis douze, +puis d'en faire autant avec les membres inférieurs. En ordonnant ces +exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique +musculaire elle-même que sur l'effort de volonté que nous obtenons du +malade, avec son libre consentement. Dans le même esprit, nous envoyons +certains de nos malades faire une gymnastique spéciale, tous les jours, +par tous les temps, à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent +supporter la fatigue d'un déplacement quotidien. Là , nous leur faisons +faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien +gradué d'après des règles précises, régularise la circulation du sang, +les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en +particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par conséquent, +l'acte respiratoire. Grâce à cette gymnastique, on arrive, au bout d'un +mois, à faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient +pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher[12]. + +[Note 12: Ajoutons que cette course ne provoque jamais +d'essoufflement le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter +l'essoufflement par une progression sage et bien réglée dans la longueur +et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée par +notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des études +très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant +toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est pas le lieu de parler +avec détail de cette méthode d'entraînement; disons seulement qu'on ne +se fait pas une idée, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur +dans la progression à imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas +gymnastique de l'armée ne doit être atteinte, chez l'homme même bien +portant, qu'après quinze minutes de course progressivement plus rapide. +C'est comme cela que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que +le pas gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue. +De même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure, +c'est-à -dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes +de course en progression. Si, à cette prudence dans la progression, on +joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui +apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement. Mais si le coureur +n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au bout de vingt à trente +minutes, d'une transpiration énorme, telle que la course en flexion a +pour complément indispensable, soit une friction sèche avec changement +de linge, soit, mieux encore, une douche tiède. Cette nécessité de la +douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, +par parenthèse, l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du +commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au +contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale, +puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison +d'hydrothérapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition +par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement. + +Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction de +moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinée, +ne soient des facteurs importants dans l'excellent résultat total que +j'obtiens de ce que j'ai appelé la _dromothérapie_; mais j'estime qu'une +grande part du résultat utile revient à cette gymnastique de la volonté +que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous +les jours à ses progrès, il éprouve un vague sentiment de contentement +à la pensée qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle. +Dût-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la +course en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie +par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative, +puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient +vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers jours.] + +Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité de l'attrait dans +l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de +la _gymnastique respiratoire_. Cet exercice est souverainement ennuyeux, +et c'est chose rare que nos malades les plus obéissants le continuent +régulièrement plus de deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est, +pour le psychothérapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un +effort énorme de volonté. Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop +le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur +la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse +de faire disparaître ces rougeurs émotives, si désagréables à certains +neurasthéniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez +les timides, car les personnes hardies et décidées leur payent aussi +leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer l'obsession de la +rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et mérite +l'attention du clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les +moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce symptôme, on voit qu'il +s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et +quelquefois de sensations précordiales; et c'est, sans doute, parce que +l'exercice en question régularise la respiration, qu'il est le meilleur +traitement de la rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain, +je l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices sont, je le +répète, extrêmement désagréables, il faut savoir les graduer de façon +à ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses propres +progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à faire faire au malade des +mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et +soir. On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de cette +gymnastique méthodique, telle que les Suédois l'enseignent, c'est-à -dire +faite d'après les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand +elle est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal +instruits, elle trouble les phénomènes de la circulation, et peut même +amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant, +mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la +thérapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil +qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire. +Aux malades qui n'ont pas l'énergie de la faire simplement dans leur +chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts +mécanothérapiques. + +On peut exercer la volonté du malade, et, par conséquent, la fortifier, +par mille autres moyens, qui seront inspirés par les diverses conditions +de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire +faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer +les progrès, et surtout un travail qui ne demande pas une dépense, soit +cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un côté +ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le rôle du +psychothérapeute doit prendre fin à un moment donné, quand le malade a +reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres +ailes. On doit alors l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement: +il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le médecin imite +le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son +élève, puis l'abandonne momentanément, sans qu'il s'en doute; l'élève +confiant continue à pédaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment où il +est assez sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur le +soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas de progrès. + +2° _Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux +insuffisant_.--Dans les cas où la volonté est tellement défaillante que +l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de +fournir à son malade un apport étranger d'influx nerveux: il y arrive +par le procédé de l'hypnose. Rien ne m'ôtera la conviction que, dans +l'hypnose, il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son sujet, +«influence» étant compris dans son sens étymologique (_fluere_, couler). +L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de +lui-même; il a une action personnelle; et les médecins qui prétendent +le contraire, qui disent que les passes peuvent être remplacées par le +braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule +ou mobile comme un miroir à alouettes, ne me paraissent pas être dans la +vérité. + +L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus +variés; non seulement il peut rectifier des idées erronées, faire +disparaître les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit +encore pour ramener chez le malade la quiétude de l'esprit, la confiance +en soi-même. + +Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus +facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de +faire disparaître des troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des +vomissements, des métrorragies, de faire revenir les règles, le sommeil +naturel, de régulariser les selles, etc. + +Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir +l'influence hypnotique, et que, précisément, ceux qui en auraient le +plus besoin se trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les +hallucinés, les grandes hystériques, les malades atteints de délire +systématisé, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est +d'autant plus difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi, +chez les aliénés, nous avons vu notre excellent maître le Dr A. Voisin +s'acharner pendant des heures entières sans obtenir le moindre effet; +mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait! Nous +connaissons pour notre part de grands nerveux qui, très désireux de +pouvoir être endormis, sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou +tels confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance spéciale +de l'hypnotisme, et toujours avec un insuccès complet. + +C'est là une première raison qui restreint grandement l'emploi de +l'hypnose. Une deuxième raison qui doit le limiter, c'est que, quand +on emploie l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans l'esprit du +malade, si on ne réussit pas du premier coup, et alors on le prive du +secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse +manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance. Mais il existe des +procédés permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable, +de façon qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser de côté, sans +en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables. + +Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que +celle-ci, quand elle réussit, risque de devenir un moyen thérapeutique +trop actif. Même avec la plus grande prudence, on ne parvient pas +toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare souvent par +trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien +faire sans son conseil. + +J'ai connu un ingénieur des chemins de fer, renommé pour sa sévérité à +l'égard des inférieurs, et névropathe de grande marque. Son médecin crut +bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard, +que c'était un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil +hypnotique, le médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses +inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès le lendemain, les +procédés de cet homme à l'égard de ces inférieurs se firent tellement +bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses +subordonnés eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour ses chefs. Il ne +parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarité humaine. +On le crut fou; il ne l'était pas, mais il était devenu tellement +différent de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin, averti de ce +changement à vue, s'efforça, en plusieurs conversations, de modérer le +zèle charitable du néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait +avec lui les théories socialistes, et serait devenu le pire des +utopistes. Il fallut une nouvelle séance d'hypnose pour atténuer, au +point voulu, les effets de la suggestion première. + +Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant +demander pourquoi l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire +sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe à un cheval qui +ne demande qu'à se laisser conduire? Réservons donc le mors arabe pour +les cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif! + +Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le médecin doit cesser +de recourir à l'hypnose, sous peine de compromettre le résultat final. +Une fois le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction de +sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensée, je prendrai la +comparaison suivante: l'hypnose est à la défaillance du système nerveux +ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance fonctionnelle +du corps thyroïde, ce que l'opothérapie hépatique est à l'insuffisance +fonctionnelle du foie. Or, de même que le médecin qui s'est servi +de foie de porc pour remettre en état un hépatique, ne continue pas +indéfiniment l'emploi du foie de porc, de même le psychothérapeute doit +cesser l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat voulu, +c'est-à -dire dès qu'il a remis le malade en assez bon état pour pouvoir +compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort +personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq séances +suffisent, dans la majorité des cas. + +Toutes ces considérations expliquent la rareté des cas où l'hypnotisme +est à conseiller. Mais quant à dire, comme le font les adversaires +irréconciliables de la thérapeutique par l'hypnose, que quelques séances +amènent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que +l'hypnotisme «dissocie la personnalité normale du sujet» (Grasset), +«aboutit à la ruine déplus en plus complète de ce moi qu'on voudrait +sauver» (Duprat), c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme +bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le +service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque +d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de +l'hypnotisme ont quelque chose de dégradant pour la dignité humaine, +parce que le médecin qui impose sa volonté au malade porte atteinte au +dogme de la liberté, c'est énoncer une erreur non moins absolue, la +suggestion hypnotique n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état +de veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte, on n'aurait +plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de +l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discréditent le médecin, c'est +affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait en rien, car le médecin +n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le répétons, sa +conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procédés +hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades +qu'avec leur assentiment formel, et en présence d'un tiers représentant +la famille. + +Ajoutons enfin que le médecin _seul_ doit avoir recours à ce procédé +thérapeutique; et que ce médecin doit agir uniquement pour le bien du +malade, sans la moindre préoccupation étrangère, voire même sans aucune +préoccupation scientifique. + +_Conseils pratiques pour l'application des procédés +psychothérapiques._--Nous venons de passer en revue les moyens +psychothérapiques par lesquels on peut améliorer le capital nerveux d'un +malade. Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien voulant +employer la psychothérapie; il semble donc utile de le compléter par des +considérations d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées par une +expérience personnelle. + +1° Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire +de la bonne psychothérapie, il faut soigner le malade non seulement avec +toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le médecin qui +ne ferait que de la psychologie, démontant curieusement pièce à pièce +tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est +défectueux, sans se préoccuper avant tout d'être utile, ne ferait pas de +bonne psychothérapie. Il lui faut être bon mécanicien, bon psychologue, +c'est entendu; mais surtout il lui faut être un homme charitable. Je +sais que le mot «charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle +plus que d'altruisme, de solidarité, etc. Le mot «charité» pourra +disparaître du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses +soi-disant synonymes; mais la charité restera toujours au fond du coeur +de l'homme, et sera, comme par le passé, l'inspiratrice des actions +généreuses et véritablement utiles. + +2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime son malade. S'il veut +avoir sur lui une autorité morale effective, il faut en outre qu'il ne +soit pas pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il +ne le soit pas en réalité. Savoir se donner tout entier à l'affaire +présente est la première condition du succès, en psychothérapie. Il faut +que, dès la première entrevue, s'établisse entre le malade et le médecin +un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'établir que si le +malade sent que le médecin s'intéresse profondément à lui, et ne lui +ménage pas son temps. La première consultation, surtout, doit pouvoir +durer tout le temps nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine +que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut. + +3° Il faut encore que le médecin sache écouter, c'est-à -dire laisser +parler le malade aussi longtemps qu'il le désire, surtout pendant les +premières consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité +d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter, parce qu'on apprend +toujours quelque détail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de +cette façon, le malade, par une sorte de discrétion inconsciente, +arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser de la patience de +son auditeur, et se contente de répondre aux quelques questions bien +précises qu'il lui pose. + +Une fois que le médecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il +donnera, non seulement sur l'hygiène mentale, mais sur l'hygiène +alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'être suivis; et ainsi +tout concourra à la guérison ou à l'amélioration cherchée. + +4° Un autre principe, c'est de dire au malade la vérité dans la mesure +du possible. Évidemment, s'il y a une lésion organique incurable, +le médecin doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les cas +exceptionnels où le malade a des motifs sérieux pour savoir la vérité +entière. Mais le plus souvent il faut dire la vérité au malade, lui dire +très franchement l'idée que l'on se fait de son état, la durée probable +du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des +années, comme il arrive trop souvent chez les malades à capital +restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: «Le traitement sera +long, un peu pénible, mais la guérison est assurée.» Il faut encore, +dès les premières entrevues, avertir le malade des rechutes possibles, +probables, ou certaines: si c'est une femme, la prévenir que, dans les +douze jours qui précéderont l'époque menstruelle, elle aura fatalement, +durant quelques mois, une réapparition de toutes ses misères, mais à un +degré de moins en moins marqué; dans tous les cas, avertir le patient, +s'il s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir +une légère aggravation, puis, quand son état s'améliorera, tous les +trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause +appréciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le système nerveux +à protester d'une façon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir +que toute émotion violente, et surtout que toute infraction au régime +alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a été ou qui va lui être +prescrit, se soldera inévitablement par une rechute plus ou moins grave, +suivant la gravité de l'infraction,--une rechute qui, chose curieuse, +ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'écart +commis;--l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en +particulier, fera faire un pas en arrière d'autant plus grand qu'elle +aura été plus grave, et soignée plus tardivement; donner, par +conséquent, au malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette, dans +la mesure du possible, à l'abri des affections intercurrentes, et lui +recommander de demander ou de prendre des soins immédiats, en lui +faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves, +en général, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignées dès leur début. + +5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui +seraient plus pénibles que les malaises dont il se plaint. Il doit même +éviter, en général, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque +de décourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre +égoïste et hypocondriaque, et d'entretenir sa «maladie» par le soin +même apporté à la combattre. Aussi bien la thérapeutique est-elle, en +général, plus simple qu'on ne croit, et les questions de régime, en +particulier, sont presque toujours faciles à résoudre. + +Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une +prescription, c'est de la mesure où il sera possible et facile, au +malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrête jamais un programme +de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec le malade, et, si +possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade +une feuille où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis l'heure +du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où, aux heures prescrites, sont +indiqués les menus des repas, voire même les livres à lire. J'ai soin, +en outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis est défendu», en +laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproché +«tout ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le malade, pourvu de +cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus +possible, mais sans en devenir l'esclave. + +On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la «maladie», +si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient +les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où ce +traitement doit être simplifié au maximum: par exemple, chez une mère +de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait +souverainement absurde de proposer à cette malade un régime ou des soins +personnels qui l'empêcheraient d'accomplir ses devoirs de tous les +instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus +importantes, en faisant comprendre à la malade que l'on ferait mieux +si les circonstances de sa vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en +définitive, le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et qu'on en sera +quitte pour prolonger le traitement plus longtemps. + +En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent à un traitement +méthodique proviennent de deux sources: 1° De l'absence de foi du +malade, 2° de la mauvaise volonté de son entourage. + +1° Il est des malades qui viennent nous consulter malgré eux, sous la +pression de leur famille, avec l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre +une consultation de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les +précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup, comprenne la +mentalité des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut être fixé +dès les premières paroles échangées, voire dès le premier abord. A lui, +alors, de déployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y +prendre, il peut arriver à faire, d'un malade irréductible en apparence, +l'être le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et il parvient +alors à des résultats inespérés. Les choses se passent ainsi huit fois +sur dix. + +Plus difficiles à convaincre sont les malades qui n'ont pas d'énergie, +qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises à l'avance, ou +encore ceux qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent que la +mort. En face de tous ces malheureux, le médecin ne doit pas se dérober, +quelque souci que lui réservent les patients de cette sorte. + +Enfin, plus difficiles encore sont les malades à théories, qui ont leur +siège fait, après avoir vu des médecins de tous les pays, suivi, dans +les sanatoria les plus variés, les traitements les plus dissemblables; +qui connaissent toutes les dernières nouveautés sur les choses +médicales, le discours de la veille à l'Académie de médecine, les livres +qui vont paraître. Avec ceux-là , rien à faire. Le mieux, pour ne pas +perdre un temps précieux, est de leur déclarer de suite qu'on ne +parviendrait pas à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs, +ces cas sont assez rares. + +Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale qui commencent par +dire toujours non, ou à le penser, ce qui est encore plus grave. La +psychothérapie, comme tous les agents thérapeutiques, a à compter avec +ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les «idiosyncrasies». + +2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient de l'hostilité de +l'entourage du malade. + +On ne peut se faire une idée de l'influence néfaste qu'exerce cet +entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du +médecin, discute sa manière de penser, ses prescriptions; le malade, +alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au médecin ou à +l'entourage. + +Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement déclarée. Mais c'est +pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, à propos +des moindres prescriptions. Le malade sent très bien que le médecin est +dans le vrai, qu'il a _compris_ sa «maladie»; il voudrait de tout son +coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est là qui, +sans dire un mot, proteste intérieurement et exécute à contre-coeur +tout ce qui a été prescrit. La position est des plus difficiles. Cette +contre-suggestion, qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer +la confiance, si nécessaire, que le malade avait tout d'abord; les +prescriptions ne sont qu'à moitié observées. Ces tiraillements continus +sont véritablement lamentables. + +Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la +femme, c'est souvent la mère ou la belle-mère, plus souvent encore des +personnes qui touchent de moins près au malade. Les plus dangereux +ennemis sont ceux qui ont à donner des soins immédiats; ce sont les +gardes, qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout les +domestiques. De là la dure nécessité pour le médecin d'être bien avec +tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant +avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou +telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout +le monde voudrait que le malade fît de l'exercice; le régime restreint, +alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il +prît du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la +partie est perdue d'avance; et c'est alors que le médecin doit user +de toute son autorité pour imposer l'isolement, tandis qu'il eût été +quelquefois très simple de guérir à peu de frais le malade, en le +laissant chez lui. + +Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la confiance d'un malade, +et d'avoir conquis, non la neutralité,--elle n'existe nulle part,--mais +l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne; il ne +reste plus qu'à surveiller l'application du traitement, et surtout à +entretenir la foi du malade en sa guérison à échéance plus ou moins +éloignée. Pour remplir ce double but, il faut que le médecin ait avec le +malade de fréquents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer, +dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui +démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer instamment, +quelles que soient ses doléances, que la guérison est assurée. + +Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile. Il l'est, par +exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers +temps, pour calmer leur système nerveux. Ne dormant presque jamais, ces +malheureux ont toutes les peines du monde à rester au lit; il faut leur +faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable +qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour au lit, mais de l'excitation +du système nerveux; que cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze +jours, pour faire place à une détente de bon aloi, avec sensation de +fatigue énorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil réparateur, +retour de l'appétit, disparition _spontanée_ de la constipation, etc. +Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent, +des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront être espacées: +il faut savoir se faire désirer. + +Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser +le malade en tête-à -tête avec le médecin. L'influence de celui-ci est, +alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'épancher en toute +liberté, tirent un grand bénéfice de la visite du médecin, qui ne tarde +pas à devenir leur ami. + +C'est dans ces tête-à -tête que le médecin doit insister pour faire de +la suggestion optimiste et de la véritable psychothérapie, d'après les +principes que nous avons étudiés antérieurement. + +Nous avons parlé déjà , à propos de la névrose provoquée par les causes +morales chez les jeunes femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir, +à titre de confident de leurs misères: ce rôle est toujours difficile, +et quelquefois dangereux. Le besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir +confier sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues; +c'est lui qui pousse les criminels à venir s'accuser d'un acte dont +l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable, +a excité un de mes malades à prendre sa femme, en tant que sa meilleure +amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On +comprend donc combien un confident sûr et discret peut rendre de +services, chez les malades de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme +l'a dit le poète: + + En se plaignant on se console, + Et quelquefois une parole + Nous a délivrés d'un remords. + +Mais il est des cas où la douleur humaine ne peut être atténuée par une +confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd +tous ses droits. + +Il est d'autres cas où elle est également impuissante. C'est quand le +malade ne _veut_ pas guérir,--s'il se complaît dans son chagrin, par +exemple.--Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de +se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guérir; dans +leur égoïsme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage, +véritables vampires qui épuisent jusqu'au bout la patience, les forces, +les ressources pécuniaires de leurs proches, sans avoir un éclair de +reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le médecin qui +se dépense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles +sont, avant tout, des malades, et ont droit à toute notre indulgence; +leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme morbide. Ainsi j'ai soigné une +dame qui, avant d'être malade, était exquise de bonté, de bienveillance, +de politesse. Or, quelques mois après le début de sa «maladie», en +même temps qu'elle devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en ne +mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractère se modifia +et la fit devenir le tyran dont j'esquisse à grand traits l'image. +Aujourd'hui, elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter +qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychothérapie +est impuissante. Si habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue +quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents +thérapeutiques. + + +PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX + +Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser, comme moyen +psychothérapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse? +Grave question qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion. + +En principe, le médecin ferait mieux de laisser ce soin au prêtre, ou au +pasteur, ou au rabbin, à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces +délicats problèmes; mais il est des circonstances où il ne peut pas se +dérober, et il nous faut en dire quelques mots. + +Il est certain, en tout cas, que le médecin ne doit jamais aborder, le +premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est +pas son rôle, et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense d'une +doctrine philosophique quelconque, pourrait être, et serait à juste +titre, sévèrement jugée. Mais, d'autre part, il doit s'attendre à ce +que, poussé par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à +entrer avec lui dans ce domaine. + +Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui, +pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité +de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalité des +consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'à son corps +défendant, se sent, à un moment donné, préoccupé d'une façon insolite +par les grands problèmes de l'au-delà , de la destinée humaine. Sans +compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois +n'ai-je pas entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur de quoi? Ils +n'en savent rien; ce n'est pas, en général, d'avoir à quitter cette +lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;--encore que +parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de +conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent +une peur vague, animale; et, dans cette détresse morale, ils +s'accrochent désespérément à tout ce qui peut leur donner du réconfort. + +Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve souvent le malade +d'aborder des problèmes qui, en état de santé, lui étaient complètement +indifférents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne +religieuse, qui répondra à toutes les questions par de petites +dévotionnettes ou des pratiques tout à fait en dehors des habitudes du +malade, des pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les fervents, +et qui risquent de révolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le +sens caché? Est-ce avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant +en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'à +ses affaires pendant qu'il lui détaille ses misères, se borne à lui +répondre: «Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il +fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne +l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors +que la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde! Vraiment, +tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux; +non seulement ils ne sont d'aucune utilité, mais ils contribuent à +entretenir la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du lit des +patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le +cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secrètes, +n'ont plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient en partie +à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue par des confidences +réciproques; or, à partir du jour où le malade a été sérieusement +touché, il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires de ses +meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne s'intéresse qu'aux siennes, +c'est-à -dire à sa «maladie». + +Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves préoccupations, +les personnes de son entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.? + +Quelle médiocre ressource!--Certes, ce n'est ni le dévouement, ni la +bienveillance, ni la tendre affection qui font défaut aux membres de +la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins +intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait +d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de tout +temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent, le prêtre n'a pas ses +entrées dans la maison; et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état +soit un peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut +pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps +d'appeler le prêtre quand le malade sera sans connaissance! + +Que reste-il donc?--Le médecin. + +Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé de son corps, lui donne +une influence et une autorité morales supérieures à celles mêmes des +parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui surtout que le +malade est tenté de confier ses doutes, ses préoccupations d'au-delà , +ses vagues espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui avec une +abondance et une intensité inaccoutumées. + +Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa tâche, sur ce domaine +particulier de la psychothérapie, dont l'importance est souvent +capitale. + +Mais que doit-il faire? En présence d'un malade qu'il voit partagé entre +des restes de foi plus ou moins effacés, et cet état d'incrédulité, +active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence d'un +malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir, +et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour +lui l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il +retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la société de ceux qu'il a le +plus aimés sur cette terre; en présence d'un tel malade, que doit faire +le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde +jamais de vue que le malade est semblable à un noyé qui cherche à se +raccrocher à la moindre branche de salut; si donc il n'a à lui offrir +que de froides théories philosophiques, aboutissant à la désespérance +finale, s'il est lui-même bien convaincu que la mort signifie, pour le +malade, la fin absolue, et la séparation à jamais d'avec ce qui lui +est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des +doctrines qui, en admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient +être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est +de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'espérance. Or, où +trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit: +«Venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?» + +L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les +médecins qui se sont occupés des «maladies» nerveuses; et c'est avec +plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr +Dubois[13], de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage, +développe avec complaisance des théories philosophiques fort éloignées +de l'orthodoxie chrétienne: + +[Note 13: Dr Dubois. _Les Psychonévroses et leur traitement moral_, +1904.] + +«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif contre ces +«maladies» de l'âme, et le plus puissant moyen pour les guérir, si elle +était assez vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme +chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare, dans les milieux bien +pensants, l'homme devient invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu, +il ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber sous les +coups d'une «maladie» physique, mais, moralement, il reste debout au +milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux émotions pusillanimes +des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV: «Ceux à qui leur +tournure d'esprit permet encore la foi naïve trouveront un appui dans +leurs convictions religieuses, à condition qu'elles soient sincères et +vécues.» + +Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en résulte pas, pour le +médecin psychothérapeute, d'encourager son malade dans ces convictions +religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux émotions +pusillanimes des névrosés»? + +Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez, vivante «pour créer +un vrai stoïcisme chrétien», subsiste encore, et cherche vaguement à se +raviver sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme mondains, +est-ce que ce n'est pas une obligation pour le médecin de l'y aider, +autant qu'il le peut? + +Voici donc le médecin transformé, malgré lui, en apôtre. Mais nous ne +craignons pas de le redire: pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas +préparé, il a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne doit +s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain aussi dangereux. + + + +CHAPITRE V + +AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES + + + +La psychothérapie est la base du traitement, pour les malades chez qui +les troubles nerveux et mentaux prédominent. Dans les autres formes de +la déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un rôle important; de +là les résultats remarquables obtenus, même dans les «maladies» à forme +gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confrères, +qui arrivent, en effet, à soulager et guérir un certain nombre de +dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systématiquement toute +préoccupation de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces confrères +tombent dans l'exagération; même s'il n'y a pas de troubles gastriques, +le régime du malade doit être surveillé; et à plus forte raison quand +l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en réalité, joue, dans +la thérapeutique des malades à phénomènes intestinaux et gastriques, un +rôle au moins égal à celui de la psychothérapie. + +Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers: lorsque vous +faites du régime, lorsque vous imposez à vos malades telle ou telle +alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une +maison de santé à l'autre, les bons résultats que vous obtenez sont dus, +exclusivement, à la psychothérapie que vous faites sans le savoir. Si +le docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du +macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur +estomac en état, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en +fait, il les guérit par suggestion, et malgré le régime. Car le +régime, ajoutent-ils, entretient plutôt l'idée de «maladie»: le malade +s'auto-suggestionne à chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver +de plus malheureux à un névropathe, c'est de trouver un médecin qui le +soumette à un régime alimentaire, quel qu'il soit. + +Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir +traiter, par la psychothérapie seule, telle ou telle jeune fille qui +vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs +semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs +mettant sa vie en danger. Qu'on réussisse souvent à guérir les «malades» +sans régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique, qui n'est en +somme que la suralimentation, dans une maison de santé, c'est possible: +le changement de milieu, l'éloignement des causes qui avaient produit et +entretenu la «maladie», l'influence salutaire indiscutable du médecin, +expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder +de généraliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en même temps qu'on +fait de la suggestion, instituer un régime alimentaire approprié au +fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades. + + +I + +RÉGIME + + +Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac et l'intestin, atteints +d'une sorte d'inertie, se refusent à tout travail, et indiqué les +symptômes physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie. Il +est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac et à cet intestin un +travail fréquent, mais peu actif; de là , nécessité de la diète liquide +dans les cas très graves, parfois même de la diète absolue pendant +vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diète semi-liquide dans les +cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes +les deux heures, suivant le degré d'inertie constaté. + +Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le nombre des aliments. +Je me rappelle un malade qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux, +qui depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait plus rien, +avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se traîner, +ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un régime +consistant à s'alimenter exclusivement de Revalescière. Je lui ai donné, +toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures, +jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures +pendant huit jours, uniquement de la Revalescière, cuite dans du +bouillon de légumes et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac +lui permit de tolérer d'autres potages, puis des purées, puis des oeufs +et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il +partit guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que +je faisais, en même temps, de la psychothérapie! me dira-t-on encore? +Sans doute, j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup pour +faire accepter ce régime à mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait +pas une «maladie» incurable, pour le faire rester à Paris, dans les +conditions d'installation médiocre où il se trouvait, etc.; mais +j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui l'a guéri, et que, +malgré la confiance qu'il avait en moi, malgré toute l'autorité que +j'exerçais sur lui, malgré le repos au lit, si je lui avais donné à +manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si +surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas +guéri; et la preuve en est que, à partir du premier mois, sitôt que +je m'écartais du régime méthodique, et que, pour essayer de gagner du +temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet +essai, si timide qu'il pût être, amenait invariablement un petit recul. +Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement amené une rechute. + +Inutile de dire, après cela, que la Revalescière n'est nullement un +spécifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amené le même +résultat (panade bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root, +phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de riz, etc) + +Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le régime +ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le régime +sec est d'un maniement difficile et doit être très vite remplacé par le +régime «à restriction des boissons». Ces cas sont ceux où, à l'inertie, +se joint un élément spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes +les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois +jours, des aliments secs à grignoter; et ce régime est spécialement +indiqué chez les malades chroniques dont le capital est gravement +atteint. Il est bien certain que la psychothérapie intervient assez peu +dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à un +malade qui aurait besoin d'un régime sec le régime liquide, ou même +semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empêcher les +fâcheux résultats d'une pareille erreur thérapeutique. + +Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas +pouvoir digérer, et ne digère pas, en effet, simplement parce qu'il +a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh! alors la +psychothérapie fait merveille. On doit donc forcer le malade à manger, +et à manger n'importe quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout +digérer. Mais je ne conseillerai jamais à un médecin d'essayer ce +système, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas étudié +de très près le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de +compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre. + +D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut procéder avec une +sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments +nécessaire à la conservation de la vie. + +Il nous est impossible de tracer, même à grands traits, les indications +de régime qui conviennent aux divers malades. Théoriquement, le régime +doit varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour à l'autre, +pendant toute la durée de la «maladie». Mais, en pratique, les choses +se passent plus simplement. Le principe général, c'est qu'il faut faire +manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phénomènes +spasmodiques (tiraillements d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut +les faire manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour assurer +le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris vers minuit, après le premier +réveil, dans les cas où le régime doit être plutôt sec, une tasse de +cacao dans les cas où le régime doit être plus liquide, font mieux, pour +procurer le sommeil, que la meilleure des préparations opiacées. + +Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades après +avoir mangé. Nous avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut +qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position +horizontale après les repas s'impose, et n'est pas moins nécessaire +après le goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien de faire, +après les repas, un exercice modéré; et il y a aussi quelques +dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande +exception. + +Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien +portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre +à table immédiatement après un travail musculaire. C'est ce qu'a +parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur +les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer +mes lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur toutes les +questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice. + + +II + +MOYENS ACCESSOIRES + + +Outre le régime, il est encore un grand nombre de petits moyens +thérapeutiques que la psychothérapie ne remplacera certainement pas. Il +est très simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le massage, +la douche tiède, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce +que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une +conception par trop facile, et qui se trouve démentie par l'expérience. +Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, indépendante de +toute suggestion, action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils, +tout comme l'hygiène alimentaire, être soumis à un contrôle sérieux, +et ne pas être employés à tort et à travers: mais, quand ils sont bien +maniés, ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique. Le +principe général, c'est qu'il faut en user avec une extrême prudence, et +que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir. + +_Hydrothérapie_.--L'hydrothérapie froide est rarement indiquée; on +commence à le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital +nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des désastres. + +Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la +base du traitement de la folie, y on tous entièrement renoncé: la douche +froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades +ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunément +soutirer une dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais la +douche froide à la saignée faite chez les malades qui n'ont plus de +pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignée peut parfois rendre +le pouls et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée dans +les cas d'oppression des forces». Or, pour pratiquer à coup sûr la +saignée, dans ces cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il +faut être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer convenablement +l'hydrothérapie froide, chez les malades graves. + +Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions, les lotions, le +manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien +appliquées, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le +peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionné +par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les +fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aéré, où son +cerveau reste en jachère par le fait de l'horrible tristesse du milieu, +et s'il s'y soumet à une alimentation plus raisonnable que celle qu'il +avait chez lui. Tous ces éléments entrent pour une part indéniable, +dans les remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent +encore, à un moindre degré, ses successeurs et ses élèves, à Altkirch, +en particulier. + +Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver +de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit être employée que chez +les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce +genre, le maillot humide, notamment, constitué par un drap mouillé +et tordu étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un +procédé souvent très utile et à la portée de toutes les bourses. On +entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant +ensuite de trois couvertures préalablement étendues, sous le drap. Nous +avons vu des malades, qui ne parvenaient pas à dormir, trouver, vingt +minutes après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil réparateur. +La durée des applications ne doit pas dépasser trois quarts d'heure; et +leur nombre peut sans inconvénients atteindre 80, employées +quotidiennement, même pendant les règles. + +L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses indications. Le _tub_ +tiède, pratiqué dans la matinée, avec une infusion de tilleul et +l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sédatif, si le +malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer. + +Le bain répond aussi à de nombreuses indications; mais c'est un moyen +beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des +malades qui ne le supportent pas, que le bain, même de cinq minutes, +énerve, empêche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilité, +et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire. +Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois amenés à donner des +bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est là une médication très +active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que les malades ont +des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer +autour d'eux. Les bains de six heures consécutives sont journellement +employés à Louéche, et avec grand profit, pour les malades atteints de +certaines formes d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une qualité +particulière, qui rend tolérables ces bains prolongés; ce qu'il y a de +certain, c'est que les bains de la même durée avec de l'eau de Paris, +comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis, ne sont, en +général, pas tolérés, et qu'on a dû réserver ce traitement pour les cas +exceptionnels. + +C'est également une qualité particulière de l'eau qu'il faut invoquer +pour expliquer la tolérance de certaines eaux minérales. A Badenweiller, +en particulier, à Gastein, à Néris, les nerveux supportent des bains +très prolongés (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un +bain d'un quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable. + +Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau, +même aux stations minérales que je viens d'indiquer; les médecins de ces +stations auraient tort d'insister si, après les deux ou trois premiers +bains, ils observaient une aggravation de l'état maladif. + +Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller +la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de +pieds les révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la figure +avec très peu d'eau tiède, ou même avec du cold-cream. Dira-t-on que ce +sont là des phobiques? Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne +connaissons pas tous les degrés de susceptibilité du système nerveux, +réactif d'une sensibilité invraisemblable; et cette intolérance de la +peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparaît en +même temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tête, +et autres misères dont l'ensemble constitue la «maladie». Mais, aussi +longtemps qu'existe cette intolérance, le médecin doit savoir la +respecter, et ne pas s'obstiner à faire faire au malade l'hydrothérapie +même la plus mitigée. + +C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur +sèche. Un sac en caoutchouc, à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur +l'estomac après les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds, +est très apprécié de beaucoup de malades. Ce procédé, très simple, +facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant, +on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas, +c'est la compresse froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas +chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au +patient. + +Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore être remplacé +par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par +la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion. +Ces petits appareils, connus sous le nom de _dermothermes_ ou de +_dermophores_, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une +chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient d'être un peu lourds; +aussi, quand l'installation le permet, leur préférons-nous un tissu +métallique très léger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffé par +un courant électrique à 70 volts. + +_Massage_.--Ce que nous disons de l'hydrothérapie s'applique, de point +en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait +jamais être pratiqué en dehors du médecin. Employé même légèrement, il +fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier, +qui a été fort en honneur il y a quelques années, constitue un procédé +thérapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours +pratiqué par une main expérimentée, c'est-à -dire avec la plus grande +douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la +paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler +que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout à fait accessoire. Les +médecins qui auraient la prétention de guérir la constipation par le +massage abdominal exclusivement s'exposeraient à un échec certain, parce +que la constipation n'est pas causée seulement par une inertie des +muscles de l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état général, +ainsi que nous l'avons déjà expliqué. + +Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de +services que le massage, et sont d'une application plus facile, +puisqu'elles peuvent être confiées à toutes les mains. Elles sont faites +avec un gant de molleton, jamais ou très rarement avec le gant de crin; +seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une +grande somme de résistance, supportent la friction violente au gant de +crin. Une bonne manière de faire la friction humide est la suivante: + +Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un +des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibé d'une solution +alcoolique tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un gant sec, +frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la +couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de même. +Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut, +puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos, +n'importe en quel sens, l'étendre de nouveau, travailler légèrement le +devant de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre. L'opération +doit durer dix minutes. Elle est à recommander chez presque tous les +malades, même chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien faite, et +comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse. + +Les bains de vapeur sont en général bien supportés; mais les prendre +dans des établissements spéciaux expose à une grande perte de temps, et +à un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre à domicile, soit +dans des boîtes portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans +ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une forte lampe à +alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tôle. +Mais un procédé qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans +des boites disposées _ad hoc_, mettre deux briques bien +chauffées,--appliquer une de ces boîtes aux pieds du malade couché, une +autre boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la transpiration +survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce +système permet: 1° de graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller +les draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé de vapeur qui +sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons ces bains d'air sec chez les +malades obèses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc. + +En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails: tout ce qui peut être +utile au malade doit être l'objet de nos recherches; et c'est le soin +des détails qui fait la force, et, disons-le franchement, le légitime +succès de quelques-uns de nos confrères étrangers. + +_Électricité_.--L'électricité n'est pas, non plus, à négliger. Il est +certain que les courants de haute fréquence ont, sur la nutrition en +général, et sur le système nerveux en particulier, une action très +puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr +Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente +de froid. Mais c'est là un procédé forcément limité, à cause des +difficultés d'installation et du prix de revient. Les applications +faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent également avoir +leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif, et qui, fort +heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile. + +Le tabouret électrique est souvent recommandable, à condition qu'on ne +tire pas d'étincelles. Les machines statiques à domicile sont des jouets +qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone +qu'elles dégagent n'a pas une influence utile? + +Les bains électriques constituent aussi un moyen puissant, et, +par conséquent, difficile à manier. Ce que nous avons dit des +contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains électriques; il +est des cas où le bain électrique, bien appliqué, rend d'excellents +services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une façon +générale, on peut dire que le bain électrique occasionne une courbature +notable qui, à l'inverse de la courbature produite par l'excès +d'exercice musculaire, amène le sommeil. Ces bains ne devraient être +donnés que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale +très exacte pendant toute la durée du bain. Dire qu'un pareil moyen +agit par suggestion, c'est énoncer une affirmation qui n'a rien de +scientifique. + +_Injections hypodermiques_.--Les injections hypodermiques constituent un +des agents les plus utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux +trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1° toute injection, en +tant qu'injection, a une influence utile; 2° le médicament injecté a +son action propre; 3° une part de suggestion s'attache à l'emploi des +injections. + +I. On sait, depuis les remarquables études du Dr Chéron, que toute +injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide +injecté ne soit pas toxique, produit un relèvement momentané de la +tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-être, de +vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogénique plus ou moins +prolongé, Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres +conditions. + +Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de Brown-Séquard, +de l'océanine, etc.; il y a toujours à compter avec cette action +particulière de l'injection en tant qu'injection sous-cutanée ou +intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine. +De là l'utilité des doses massives de liquide, comme aussi la vogue +qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de sérum +artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes de sel marin pour +un litre d'eau stérilisée. Malheureusement on sait, depuis quelques +années, que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il peut devenir +toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas très bien. +Il faut donc en user avec grande prudence. + +Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer stérilisée +(océanine). On donne de 300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs +de ce nouveau médicament en disent merveille: il est possible que l'eau +de mer soit un heureux mélange de substances utiles à l'organisme. Je +n'ai pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essayé +l'océanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie, +sans résultats appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que +des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite +à la Société de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il +résulte que ces injections, pratiquées à des doses plus fortes, ont des +effets vraiment importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles +n'ont pas les inconvénients graves des injections salées ordinaires, si +bien mis en lumière par M. le Dr Hallion à la même séance de la Société. +L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement +un des précieux médicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; +d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent également en +tant qu'injections de liquide non toxique. + +II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecté. Il existe, +certainement, des médicaments doués d'une action reconstituante sur +le système nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de soude et +surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard, peut-être la lécithine, +les phosphates, etc. Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces +médicaments: disons seulement un mot des principaux. + +Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier +ordre; on peut l'employer sans danger à des doses beaucoup plus élevées +qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à la Société de +Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicité du produit, +ainsi que l'utilité des hautes doses longtemps continuées, dans certains +cas exceptionnels[14]. Le plus souvent, la dose indiquée par le +professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et +il n'est pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette +injection, à la condition de continuer le traitement pendant deux ou +trois mois dans les cas moyens. + +J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée de l'action des +cacodylates de soude et de magnésie, à la Société de Thérapeutique, en +1902, en indiquant les très rares contre-indications, et en précisant, +dans la mesure du possible, les indications[15]. Le cacodylate de fer en +injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels où le fer +est indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques, chloro-anémiques): +mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites à raison de +deux par semaine, nous ont toujours semblé suffisantes. + +[Note 14: Considérations sur la médication cacodylique, _in Ann. de +dermatologie et Syphiliographie_, 6 mars 1902.] + +[Note 15: _Bull de la Soc. de Thérapeutique_, 27 mars 1901.] + +Les injections orchitiques de Brown-Séquard, après avoir eu un moment la +faveur que l'on sait, sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la +bonne fortune d'être en relations personnelles et suivies avec le vénéré +maître, de recueillir de sa bouche des aperçus thérapeutiques de grande +envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps de vérifier et +d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'étude de +l'action dynamogénique du liquide de Brown-Séquard, préciser les doses, +le nombre des injections, etc. Ce travail n'a été qu'ébauché par le +grand initiateur. + +D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble une méthode pleine de +promesses; j'ai cité notamment, à la Société de Thérapeutique, en 1904, +le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au dernier degré du +marasme, avec muguet dans la bouche, qui a été comme ressuscitée par +l'emploi de trois lavements quotidiens préparés avec une macération de +200 grammes de foie de porc, fraîchement tué, dans 300 grammes d'eau +bouillie. Cette dame, une grande malade avec phénomènes nerveux et +dyspeptiques anciens, avait eu, à un moment donné, une insuffisance +hépatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre +intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxième mois +de cette complication, elle était arrivée à l'état lamentable que j'ai +indiqué, quand nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à son +foie. Le résultat a dépassé toute espérance; trois heures après le +premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit +jours après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les selles +régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger immédiat conjuré, il +m'a encore fallu continuer à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, +la peau de ma malade: mais, trois mois après, elle put aller achever sa +convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien. +La complication hépatique n'avait été qu'un épisode dans le cours de la +«maladie», qui évoluait depuis vingt années. + +D'une façon générale, les préparations opothérapiques, auxquelles un +immense avenir semble réservé, ne rendront tous les services qu'elles +peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par +voie sous-cutanée, comme le faisait Brown-Séquard avec son liquide +orchitique. + +Chez certains malades, les préparations de strychnine par injections +hypodermiques ont un effet très utile: mais il ne faut pas dépasser en +général la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arséniate +de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, réparties sur +trente jours. + +Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels +qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurasthéniques. De là , +la préoccupation constante que nous avons de faire la guerre à cette +affection accidentelle, de la couper dès ses débuts. Or, il m'a bien +semblé trouver, dans le _cacodylate de gaïacol_, un agent antigrippal +spécifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes +confrères, à la Société de Thérapeutique, en janvier 1906. + +Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de +gaïacol, dans un gramme d'eau stérilisée, et préalablement saturée de +gaïacol, fait merveille chez les grippés au début: elle les guérit +en quelques heures. Deux ou trois injections consécutives suffisent +toujours pour couper la grippe, même quand elle n'est pas prise au +début, à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et, +même alors, le cacodylate de gaïacol me semble très recommandable. +Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui +résistent à tous les traitements. + +Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même avec pneumonie, nous nous +sommes très bien trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours de +suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution +suivante, introduite profondement dans le muscle, est très bien tolérée +et n'occasionne jamais d'abcès: + + Chlorhydrate neutre de quinine 3 grammes. + Antipyrine 2 -- + Eau distillée 6 -- + +Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les +névralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui +résistent même aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques, +névralgies intercostales). + +Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces suites éloignées de la +grippe, cas de grippe aiguë et de névralgies postgrippales,--on ne peut +pas tout faire,--mais je crois bien que la quinine à petites doses, +donnée en injections à tous les malades à dépréciation nerveuse +momentanée, aurait un effet dynamogénique précieux. + +Dans certains cas de douleurs névralgiques trop pénibles, les injections +d'héroïne sont indiquées; mais il faut savoir que l'héroïne doit se +manier à doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes, +on ne doit jamais dépasser un milligramme d'héroïne, surtout chez les +malades dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique de +l'héroïne nous a semblé supérieure à celle de la morphine; mais il faut +bien se rappeler que l'héroïne est un médicament aussi dangereux que la +morphine, auquel les malades s'habituent, et réserver son emploi pour +les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me +disposais, à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque, me ravisant, +je me demandai si la névralgie crurale qui le torturait ne serait pas, +par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire, +j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment en cause; et une +seule piqûre de calomel eut raison à tout jamais de cette névralgie +si pénible; tant il est vrai que le médecin doit toujours penser à la +syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui. + +Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire, +quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous +semble être les injections mercurielles; celles au benzoate sont +douloureuses, et donnent des nodosités désagréables; celles de biiodure +en solution aqueuse sont très douloureuses. Nous préférons l'huile grise +pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et +l'huile au sublimé,--dont nous avons donné la formule en 1881 à la +Société de Dermatologie,--chez les syphilitiques épuisés, auxquels +l'huile sert d'aliment. + +Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de +dire un mot de nos travaux antérieurs sur l'action dynamogénique de +l'huile créosotée, en injections sous-cutanées _à dose maxima tolérée_. +Nous les avons surtout employées et les employons encore chez les +tuberculeux; mais nous étions guidé par une fausse conception théorique; +et si la créosote _bien maniée_ reste,--et restera longtemps,--le +médicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle +agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle +a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le système +nerveux. + +La créosote est, en effet, un agent dynamogénique de premier ordre. +Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'être les seuls malades qui +puissent tirer parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais +d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le +moindre bénéfice, à cause de la difficulté que présente le maniement de +la créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la fièvre. Là +où les injections d'huile créosotée font merveille, c'est chez les +pseudo-tuberculeux, qui sont tellement démolis par les troubles +gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne +l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée rend, en quelques jours, +l'appétit, la force, en un mot la vie. + +Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra longtemps son +emploi, c'est l'extrême difficulté qu'il y a à la manier. Pour ma +part, je me suis attaché à surprendre les moindres manifestations de +l'intolérance, et à les décrire minutieusement afin de permettre aux +praticiens de ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention +sur les intolérances accidentelles, qui doivent faire immédiatement +suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptée les jours +précédents. J'ai même tellement insisté sur les dangers de la créosote +que quelques confrères m'ont accusé d'avoir fait son procès; mais la +dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien +maniée, elle rende des services[16]. + +[Note 16: Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas +seulement que la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par +la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un +mois, avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux, +un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade est +resté à la diète _absolue_, ce qui a donné à l'ulcère le temps de se +cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de +150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des injections +huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'où +peut résulter une embolie qui peut être mortelle; mais j'ai indiqué le +moyen de se mettre _sûrement_ à l'abri de tout accident grave. Le secret +consiste à bien connaître les moindres symptômes d'introduction de +l'huile dans le torrent circulatoire, et à arrêter l'injection dès +l'apparition de ces symptômes. Rien n'est plus facile que d'arrêter à +temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais +cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à +fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont étudiés dans +mon livre sur le _Traitement de la tuberculose par la créosote_.] + +III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent +encore d'une autre façon. En dehors des propriétés particulières à +chaque médicament, et de l'action dynamogénique reconnue à toute +injection sous-cutanée et même intra-musculaire, elles agissent encore +par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant +que les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène cérébrale, +médullaire, gastrique, intestinale, cutanée, etc., aient eu le temps de +produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente, +comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le malade serait vite +découragé, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant, +factice peut-être, mais certainement utile, et ayant une action +évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance. + +La pratique des injections hypodermiques est également utile au médecin +à un autre point de vue: elle lui permet d'apprécier très vite le degré +de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de +ce degré de confiance dérive, dans une notable mesure, le résultat +thérapeutique final. Si le médecin sent que son malade a foi en lui, +il déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son +intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira à +tout instant, gêné, paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas +toute la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il y a, pour +lui, à évaluer le degré de confiance qui lui est octroyé. Eh bien! pour +l'apprécier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection +hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci +aveuglément, du premier coup, sans même demander la formule du liquide +injecté, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade +acceptera avec la même obéissance les diverses prescriptions qui lui +seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non +parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe, +il acceptera avec la même passivité les prescriptions qui lui seront +faites, et c'est là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou +surtout son entourage, manifestent une curiosité inquiète, qu'on ne +parvient pas à satisfaire par une réponse banale, quand ils expriment +des appréhensions sur la nature et les effets du liquide injecté, on +peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins médiocre; et le +médecin aura beaucoup à faire pour conquérir la confiance. + +Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont légitimes, et ce que +nous disons ici ce n'est pas pour les empêcher: mais il n'en est pas +moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le médecin +a intérêt à connaître afin de travailler à la faire cesser et d'établir +ainsi, entre son malade et lui, cette confiance réciproque qui est la +condition indispensable d'un traitement efficace.--Or l'attitude des +malades en face des injections qu'on leur propose constitue, à ce +point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral. + +Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des +applications locales, révulsives ou dérivatives, qui étaient autrefois +si en honneur, et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste. + +_Vésicatoires_.--Autant nous protestons contre les larges vésicatoires +employés autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la +cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait +guérir; autant nous continuons à penser que le petit vésicatoire, sous +forme de mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez les grands +malades qui ont le système nerveux sens dessus dessous, une mouche, +appliquée derrière l'oreille, peut faire un mal extrême et produit +un état d'agitation inconcevable, non pas à cause de la douleur +insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de +circulation qu'elle produit à distance. Ce seul fait suffirait à prouver +que l'application d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs, +n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez certains malades qui ont +encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquée derrière l'oreille +droite, de préférence, produit une sédation des plus remarquables, amène +le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles +innommables qui constituent l'état nerveux; c'est sans doute à cause de +l'infériorité fonctionnelle de la partie gauche du corps,--habituelle +chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,--que la mouche appliquée +derrière l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle +produirait moins si elle était appliquée à gauche; en tout cas, c'est un +fait d'observation. De même, la mouche sur le creux de l'estomac peut +amener, si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop aigus, une +aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient à son +heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La +mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remèdes à +apporter à la constipation. Cette affirmation peut sembler singulière, +mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours +nerveuse, de la constipation. + +_Emplâtres_.--Les applications d'emplâtres d'opium ne sont jamais +dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Étant donnée l'extrême +susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se laisse impressionner +par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout +cas, j'affirme, au nom d'une expérience prolongée, qu'une mouche d'opium +appliquée à la tempe est souvent très appréciée par les malades +céphalalgiques, qu'un emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone, +laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une +façon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une +série d'injections de morphine. + +De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué sur la colonne +vertébrale, immédiatement au-dessous de la première vertèbre dorsale, +sur une longueur de dix centimètres, atténue singulièrement certains +phénomènes médullaires dont se plaignent les malades, en particulier +les inquiétudes dans les jambes qui sont si fréquentes chez les grands +neurasthéniques. + +Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à dédaigner. A eux seuls, +ils seraient insuffisants; mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos +méthodiquement dosé, aux applications hydrothérapiques raisonnables, et +à la psychothérapie, ils amènent sûrement la guérison, lorsqu'il reste +assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible. + +_Purgatifs_.--Nous usons très peu des médicaments fournis par la +pharmacopée, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin, +et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents +thérapeutiques à action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer? +c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas. + +Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un médicament. J'ai +mis, quant à moi, des années à étudier l'action du bromure, quand je +m'occupais plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales; et +quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier +l'étude du cacodylate de soude, la première chose que je lui ai dite, +c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet +agent thérapeutique une appréciation ayant quelque valeur. Enfin, +pour ce qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans à en +connaître l'effet. + +Comment, alors, avoir confiance dans des publications hâtives sur des +médicaments découverts de la veille? Et, en ce qui est des médicaments +anciens, ayant fait leurs preuves, je répète que, en général, je les +redoute, à cause de l'extrême sensibilité des malades, qui dépasse tout +ce qu'on peut imaginer. + +Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une +véritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons +employer sans dommage, et même avec une apparence de succès qui +saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs à une indication bien +rationnelle, puisqu'il faut évacuer les résidus de la digestion qui +empoisonneraient l'économie! Il nous faut réfuter ces objections en +passant: qu'on donne un purgatif à un homme solide qui a un léger +embarras gastrique, il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien; +mais c'est une erreur d'interprétation, et si le purgatif ne lui a pas +fait de mal appréciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains. +Mais donner un purgatif à un malade grave dont le système nerveux +est profondément atteint, c'est provoquer chez lui des réflexes dont +personne ne connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son +système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait +jusqu'alors une certaine tonicité, devenir flasque, inerte, perdre toute +réaction; l'intestin est alors inhibé dans son fonctionnement, et il +faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se +ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades +constipés? La réponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur +constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut les soigner en tant +que malades; la constipation disparaîtra d'elle-même. Le moment nous +semble venu de protester une dernière fois contre les idées des gens du +monde, et des médecins, relatives à la constipation. + +Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de +constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une façon +de parler: car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument bien +portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la +vie commune, tout en ayant une constipation opiniâtre; de plus il y a +beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipés. +Une dame nous disait plaisamment, à ce sujet, que son intestin avait +«horreur du vide». Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette +obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés, elles tolèrent +leur infirmité sans se douter qu'elle existe. Mais malheur à elles quand +elles commencent à se préoccuper de leur constipation! C'est à partir de +ce moment qu'elles rapportent à la constipation les mille et une misères +qui sont l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles, surtout, +quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la +constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiède +d'abord, puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours aux +purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux +grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur +intestin, et qu'à leur constipation anodine succède l'entéro-colite +membraneuse. + +A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle +vicieux est établi. Plus elles irritent leur intestin, plus la +constipation devient opiniâtre, et, pour lutter contre cette +constipation opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin. +L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent plus qu'à leurs +fonctions alvines, à la liberté du ventre, qu'elles disent être la plus +nécessaire des libertés. Elles donneraient la vie du genre humain pour +obtenir une selle; elles se présentent à la garde-robe plusieurs fois +dans la journée, sans succès ou avec des résultats insignifiants, et, +cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus +extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet état +mental des constipés mérite d'être étudié de très près; et toute +thérapeutique qui ne cherche pas à le modifier est, par avance, +condamnée à l'impuissance. + +La première chose à faire, quand on se trouve en présence d'un de ces +constipés à obsession, est de lui persuader que la constipation n'est +pas l'ennemie, n'est pas la cause immédiate de toutes les misères +qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptôme d'importance +secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de défectueux +dans le fonctionnement du système nerveux abdominal. + +Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller à la garde-robe tous +les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils +iront quotidiennement; invitez-les à ne s'y présenter qu'une fois par +jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y +aller en dehors de l'heure réglementaire. Recommandez-leur de ne pas +lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont +la constipation n'est qu'un symptôme, et, s'ils vous écoutent, si vous +avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul à moitié guéris. + +Cependant, comme il faut tenir compte de leur état mental, et un peu +aussi de la mentalité de l'entourage, on peut autoriser un petit +lavement d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour de +présentation inefficace, à l'heure réglementaire de la présentation, +lavement qui sera gardé cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on +croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir +du troisième jour de présentation inefficace, un lavement d'huile, non +pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerées +à bouche d'huile pure, lavement destiné à être gardé toute la nuit; si +l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le +lendemain, un effet magique. + +Les pilules de belladone d'après la formule de Trousseau sont également +recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas être +nuisibles. + +Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide orchitique de +Brown-Séquard; c'est de la bouche même du savant professeur que je tiens +ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'était hier, le +jour où il me disait ces paroles: «De tous les services que m'ont rendus +à moi-même mes injections de suc orchitique, celui que je place en +première ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont guéri +d'une constipation opiniâtre». Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut +avoir été, comme moi, torturé par la constipation pour savoir toutes les +angoisses qu'elle occasionne». + +Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joué aucun rôle dans la +circonstance, car M. Brown-Séquard ne s'attendait pas le moins du monde +à cet effet des injections do liquide orchitique. + +Pour moi, utilisant ce précieux renseignement, j'ai traité et je +traite encore par les injections de liquide orchitique les grands +neurasthéniques atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite. + +_Eaux minérales_.--Si nous donnons peu de créance aux médicaments de +la pharmacopée, nous croyons, par contre, que les eaux minérales +constituent des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire, qui ne +respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont été inventés par +des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en +général, les eaux sont le dernier conseil de la médecine poussée à bout. +«On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remède.» + +Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient +là de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit +la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute +antiquité, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles +n'avaient pas vraiment une certaine efficacité. + +Certes, dans les bons effets des cures minérales, il faut compter, pour +une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agréable +du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile +quelquefois, est quelquefois fâcheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux +que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital +n'est pas sérieusement compromis. + +Le changement de régime alimentaire qui est imposé aux malades, dans les +stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part +d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous savons, en effet, que, +à un moment donné, il est utile de ne pas se confiner dans un régime +alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains +cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui +souvent est utile, peut être dangereux, au contraire, quand le système +nerveux n'est pas de taille à supporter le soudain assaut imposé. + +C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales, où le bon effet +des eaux est, en grande partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène +alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer, dans toutes les +villes d'eaux, des «tables de régime» comme il en existe dans toutes les +maisons de santé bien tenues, où chaque malade, pour ainsi dire, a le +régime alimentaire qui lui convient, dosé et surveillé par le médecin de +l'établissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos +stations minérales, parce que les médecins n'y sont pas libres de tous +leurs actes, et ont à compter avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à +compter avec leurs chefs de cuisine. + +A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables de régime»; et j'y +ai vu moi-même des menus imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils +annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le papier. A Vichy, par +contre, plusieurs médecins sont arrivés à imposer à des tenanciers de +pensions de famille l'obligation de donner aux malades des régimes +variés, suivant les prescriptions médicales. + +Quant aux indications des eaux minérales, elles varient à l'infini. + +Certaines eaux ont certainement une action prédominante sur tel on +tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur +d'observation, ou d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux +de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique sur les troubles +périphériques de la circulation (varices, hémorroïdes, phlébites). +Les malades atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement, à +Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs misères (troubles nerveux, +dyspeptiques), mais plus particulièrement les misères locales causées +par leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une action non douteuse +sur le symptôme constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au +contraire, favorise la constipation pendant la durée du traitement. + +De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains entéralgiques, +convalescents d'appendicite, etc., une action véritablement spéciale. De +même encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des +symptômes de la «maladie», elles ont une bienfaisance incontestable, +surtout si, à leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne +bien comprise et bien réglée. Les eaux de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas +d'action spéciale, mais elles rendent de précieux services aux nerveux +fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées chez les malades +dont le système nerveux digestif est en détresse, et la Grande Grille, +en particulier, a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique +pas plus par la théorie des _ions_ que par les théories chimiques, mais +qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas là de psychothérapie ni de +suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy +est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se +rappeler que c'est une arme difficile à manier, comme toutes les armes +puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant +encore une grande force de résistance vitale. + +Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des +dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque année, +il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptômes cérébraux +prédominent, à condition, bien entendu, que ces symptômes ne soient pas +en rapport avec des lésions organiques; et ces malades se trouvent +au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptômes +gastriques ou hépatiques. + +Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault les +malades atteints de lésions organiques du cerveau ou de la moelle, +hémiplégiques, congestifs, etc. Depuis quelques années, la physionomie +de cette station a changé. Il y a eu des accidents provoqués par l'eau +chaude sur les malades à artères friables; et l'on se borne actuellement +à y envoyer les malades à troubles médullaires superficiels, +connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou +articulaires, sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de +boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de +grands services aux rhumatisants et aux obèses sans lésions organiques +appréciables. + +Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège de recevoir des +malades à lésions organiques nettement définies, et dont nous ne nous +occupons pas dans ce travail. + +Vittel et Contrexéville conviennent aux malades chez lesquels le trouble +de la nutrition, qui n'est, en général, qu'un trouble du système +nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation +de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins[17]. + +[Note 17: Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon +estomac, à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De là +le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer à Vittel. +Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez que, longtemps +avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cérébraux, ne +fût-ce que des migraines, de petits troubles cutanés, de l'obésité. Un +beau jour, une colique néphrétique les surprend, et l'on se figure que +c'est à partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien. +La colique néphrétique n'a été chez eux, qu'un accident; bien avant +de l'avoir, ils avaient, même du côté du rein, de petites misères qui +passaient inaperçues: du lumbago, des urines chargées de sable. Et si, +au moment où l'on s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait +soignés méthodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas, +par telle ou telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique +hydrothérapique, telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu +de coliques néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel. +Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir +au traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des +manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une façon +temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les +guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.] + +Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos malades; la Bourboule en +particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens. + +Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minérales françaises +et étrangères. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux +minérales sont un agent thérapeutique de premier ordre, un agent que +tous les médecins doivent connaître, non seulement parce qu'ils voient +dans les livres, non seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine +d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils goûtent, par +eux-mêmes, aux diverses sources, et qu'ils tâtent parfois des bains. Ils +ne tarderont pas à voir que ce ne sont pas des agents indifférents: je +leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn, à forte dose +d'eau salée. Aussi le monde médical doit-il être très reconnaissant à +celui de nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé, tous les +ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux françaises; +quinze jours de voyage sous une bonne direction médicale sont plus +utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi à +connaître non seulement les eaux, mais aussi les médecins des stations, +parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idées générales très +intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des villes d'eaux sont, +d'ailleurs, pour les praticiens, de précieux collaborateurs, quand ils +veulent bien ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson, les +bains, les douches, etc., et consentir à faire, en même temps, oeuvre +médicale véritable, c'est-à -dire surveiller le régime, doser avec soin +le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie ne perd +jamais ses droits. + +_Voyages_.--Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus +grand bien aux malades en général, qu'à la suite d'un état aigu, par +exemple, dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien +loin de chez lui, et que, dans les états chroniques, ce déplacement +lointain est la condition _sine qua non_ d'une guérison. Cette opinion +est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain qu'un homme +bien portant se trouve très bien d'un déplacement annuel, et les +vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son +âge et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien +portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachère, prenne +l'exercice dont il a été en partie privé pendant le reste de l'année. +Ce temps consacré au repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du +temps bien employé. + +Les vacances sont également nécessaires à l'enfant qui travaille: et par +vacances nous entendons non seulement le repos cérébral, qui doit être +presque absolu,--ce qui, par parenthèse, contre-indique l'usage des +devoirs de vacances,--mais aussi, autant que possible, le changement de +milieu, ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De là l'utilité +des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle «des +croisades de paix et de rédemption». Elles sont, dit-il très justement, +la «première ligne de défense contre la tuberculose». M. Plantet a fait +sur ce sujet, à la demande de l'Office central du travail, un rapport +des plus intéressants et des plus complets, publié dans la _Réforme +sociale_, (16 juin et 1er juillet 1905). Il résulte de ce rapport que la +France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre, +la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que +le sixième rang dans la lutte des sociétés contre le dépérissement +de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entrée dans le +mouvement, et les colonies scolaires françaises sont déjà en nombre +considérable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions +privées parisiennes, 40 comités de patronage s'occupant de procurer des +vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables +fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en +1902, 14000 petits Français ont bénéficié de ces institutions +philanthropiques[18]. + +[Note 18: Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces +colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse se +rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des résultats +obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés en commun dans un +même local (villas scolaires, écoles communales vacantes pendant l'été, +propriétés privées, louées, acquises, spécialement aménagées pour +abriter une collectivité à la campagne ou à la mer). C'est la colonie +d'internat. + +Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes de +deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables, +moyennant un prix débattu, dans les régions réputées les plus saines. +C'est le placement familial.--Les deux systèmes présentent des avantages +et des inconvénients qui sont analysés de très près dans le travail +que nous signalons.--En ce qui concerne la santé, tous les rapports +constatent la plus-value dans toutes les régions, en montagne, en +plaine, à la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les +colonies familiales. + +Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de l'esprit +qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner à de +pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux à faire, +on peut réaliser un bien plus durable: il faut viser à ce qu'ils +rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne +se devine guère. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensée dominante +et le rêve du directeur. Le tout est de savoir choisir.] + +Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu +fatigué par le surmenage cérébral, et par les petites émotions +quotidiennes, se trouve très bien de changer d'air, de milieu, non +seulement une fois par an, mais même chaque fois qu'il sent, chez lui, +cette sorte de malaise cérébral prémonitoire de la neurasthénie, ou +certains troubles digestifs mal définis qui prouvent que son système +nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un +déplacement de quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il aille, +il verra son appétit renaître, sa constipation disparaître, la santé lui +revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant +ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de monter en chemin de +fer produit des effets appréciables, et, le jour même du départ, on les +voit transformées. Elles laissent à la première station leurs phobies, +leurs inquiétudes; c'est un changement à vue, un véritable coup de +théâtre. + +Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien portant, ou du candidat +à la «maladie» dont le capital est encore presque intact, et autre +l'hygiène du vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale, les gens +du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré eux, par le fait d'un faux +raisonnement, à croire que ce qui fait du bien à l'homme valide doit +en faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck saignant est +certainement utile à un travailleur bien portant; combien il doit être +plus utile à un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des +forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra, +plus vite il sera guéri!» Le malade proteste, il affirme que la viande +saignante lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en donne au moins +autant que son estomac pourra en digérer, ce sera toujours pour son +bien! On disait la même chose, autrefois, pour le vin; les gens +intelligents commencent à comprendre que le vin, si utile à un +travailleur bien portant, n'est pas un aliment héroïque quand il est +donné à des malades, même sous forme de vins médicamenteux. + +De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modéré est utile aux +gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau +dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le peu d'appétit et de +sommeil qu'il avait encore; c'est égal, il faut qu'il marche! On ne +conçoit pas qu'il doive rester à la chambre, du moment qu'il peut se +tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couché, il sent +que le lit lui est utile; c'est encore là , dit-il, qu'il souffre le +moins. Mais non, il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit +constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigné, plus il a à +lutter contre ces préjugés, qu'on parvient difficilement à déraciner +même dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on, +laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit! +Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher +malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales, et que le +sommeil est le meilleur remède à apporter à cette excitation, et que, +par conséquent, le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne! Quand +donc aurez-vous une notion un peu précise et raisonnée sur la pathogénie +de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»? + +C'est aussi par une faute grossière de raisonnement qu'on considère les +voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux +gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce +qu'ils permettent à l'homme doué d'un beau capital biologique de faire +de ces petites avances dont nous avons parlé déjà , de ces placements à +gros intérêts qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai, +il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive +chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'énergie, et met +quelquefois quinze jours à se refaire d'une excursion par trop fatigante. +Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les gens bien portants, +ces risques de dépenses exagérées sont réduits à très peu de chose. Le +malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas +dépenser à tort et à travers, mais il doit parcimonieusement, et avec +un soin jaloux, garder le peu qu'il possède encore, et chercher à faire +des économies. Si son indigence est momentanée, il se remettra assez +vite à flot. Si elle est définitive, _a fortiori_ devra-t-il chercher à +ne pas faire de fausses dépenses. + +Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une +dépense; le changement d'habitudes, le surcroît de fatigue inévitable, +à eux seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est un grand +malade, le voyage peut même le tuer, comme il tue ces malheureux +typhoïdiques qu'on est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se +croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur des cacolets qui +les secouent d'une façon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts à +l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur état +est extrêmement aggravé. Si on avait pu les soigner sur place, ou les +évacuer à très petites journées, dût-on les tenir privés des ressources +de la thérapeutique, et se borner à leur faire deux lotions fraîches par +jour, ils auraient eu bien plus de chances de guérir. Je l'affirme au +nom d'une expérience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie. +Mais, sans parler des états aigus qui contre-indiquent absolument +tout long déplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des états +chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre +malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le +vain espoir de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver +sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont +aux eaux lointaines chercher la guérison promise, et en reviennent bien +plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les tuberculeux +avancés! ces tristes victimes des théories régnantes et de la crainte de +la contagion. + +Vous prenez là , dira-t-on, les cas extrêmes, et on commence à comprendre +que les grands déplacements ne sont pas favorables aux grands malades. + +Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades +_moyens_. + +Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digère +plus, qui dort mal, qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six +mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux +du Nord pour l'envoyer sur la côte d'Azur, on va lui faire le plus +grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui +paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle souhaitera, dans son for +intérieur, de quitter le délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne +pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut même +se faire qu'à la longue son état s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera +pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que +son état s'aggrave assez pour que l'entourage se rende à l'évidence, et +ramène à grands frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime +dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter. + +En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en +avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre manière de voir +que nous exagérons, à dessein, la formule de notre pensée. + +Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au +monde déplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et +qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément, il existe toute une +série d'intermédiaires auxquels les voyages peuvent rendre des services. +Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut +être utile à l'individu qui n'est que sur la frontière de la «maladie». +Quitte à avoir dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins +hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac, un dyspeptique pourra +se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il +laisse ses préoccupations incessantes, énervantes, de Paris. Comme toute +chose humaine, le déplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne +peut formuler de règles absolues pour les cas moyens; c'est au médecin, +s'il est consulté, à peser le pour et le contre, et à donner les +indications générales. + +Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade. +C'est: + +1° De ne pas voyager de nuit. + +2° De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans +les cas où, pour une raison quelconque, on est obligé de gagner les +altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade +des stations intermédiaires, car l'expérience démontre que rien n'est +préjudiciable à une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une +seule traite de Paris en Engadine. Elle peut être sûre que, en arrivant +à destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau +milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques +jours, elle aura un malaise extrême, et, en particulier, de l'insomnie, +tandis que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle n'aurait +pas eu à payer ce tribut à la dépression barométrique. + +3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que +le lever à l'aube est favorable à l'alpiniste bien portant, il soit +également favorable aux neurasthéniques qui ont besoin de leur sommeil +matinal. + +4° Une prescription importante, c'est encore de se reposer, à l'arrivée +à destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de +l'individu, pour réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce repos +sera plus ou moins complet, suivant la gravité des cas. En principe, il +vaut mieux pécher par excès que par défaut de prudence. + +5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra pas faire de sorties +quotidiennes, sous le fallacieux prétexte de s'entraîner; l'entraînement +convient aux gens bien portants, mais le mot «entraînement» doit +disparaître du vocabulaire du malade. Certes, le rôle du médecin est +d'entraîner le malade; mais cet entraînement, que j'appellerai médical, +doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a, pour ainsi dire, +rien de commun avec l'entraînement de l'homme bien portant et de l'homme +de sport. + +Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et +profiter des jours intermédiaires pour se reposer. Ainsi il parviendra à +reconquérir des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner en dépensant +tous les jours un peu plus de son misérable capital, il ira droit à la +ruine. + +On comprend aisément qu'un des facteurs importants du voyage est sa +longueur. Le voyage autour du monde ne convient à aucun malade; on peut +dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller très loin. Le +malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villégiature à +Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extrême +susceptibilité du malade au changement de milieu. Une simple promenade +_extra muros_ impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais +le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui +ne peuvent pas aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une +véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou +trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptômes morbides? + +Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent que c'est affaire +d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le +médecin, qui connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait +se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la +famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans +certains cas, par une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste +d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la +psychothérapie réconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le +malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de +Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus +grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-même. Mais, +avant de donner cette suggestion, le médecin doit bien étudier son +sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui +demandant un effort au-dessus de ses forces. + +Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de +connaître la valeur exacte d'un système nerveux; c'est presque +impossible pour le médecin qui voit le malade pour la première fois. +Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait +d'être préjudiciable; on se repent rarement d'avoir été trop prudent. Un +élément d'appréciation qui est d'un grand secours pour le médecin, en +pareille occurrence, c'est le désir du malade lui-même. + +S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y a gros à parier +qu'il l'est en réalité. Le malade a toujours, en effet, une vague +conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appréciation. +Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de changer de milieu, +c'est qu'il sent vaguement qu'il a des réserves de force nerveuse ayant +besoin d'être utilisées; il a un sourd instinct qui, en général, +le guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du médecin est +singulièrement restreint; il consiste à s'enquérir plus ou moins +discrètement des désirs du malade, et à les transformer habilement +en prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait encore de la +psychothérapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette façon. +Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est +dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés ataviques, dos théories +plus ou moins scientifiques; et le rôle du médecin est, en ce cas, de +remettre tout au point, de démontrer à son malade que son instinct, dans +telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en +ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors le +beau titre de directeur de la santé. + +_La mer_.--Les voyages à la mer auraient dû, en bonne logique, être +étudiés à la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de +mer est un agent thérapeutique comparable aux bains d'eau salée qu'on +va prendre à Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais +nous les plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages, parce +que, dans la pratique, le bain de mer est plutôt considéré comme voyage +d'agrément que comme traitement médical. Cela est si vrai que le médecin +est rarement consulté sur l'opportunité du traitement marin, sur le +choix de la plage: et c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le +traitement n'est pas surveillé comme il l'est dans les stations d'eau +salée, et c'est également regrettable; car la médication par l'eau de +mer est active, et son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il +s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention +fait du bien ou du mal. + +Les principaux conseils que nous ayons à donner aux malades livrés à +eux-mêmes, à la mer, sont les suivants: + +1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se reposer des fatigues du +voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire; + +2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même, une action appréciable, +et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans +certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par +jour au bord de la mer; + +3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un +véritable traitement minéral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir +des effets sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable d'aller +à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à la fatigue du voyage et de +l'acclimatation sans aucun profit. _A fortiori_, ne doit-on pas prendre +un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train +spécial, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et +se croient obligés de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils +ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutôt +fâcheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces +émotions du revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur soutirer +une réserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un état +subaigu, au retour, qui reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se +joignent souvent des douleurs rhumatismales. + +Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude rapide, les indications +et contre-indications des bains de mer. Le principe général est qu'il ne +faut pas en donner aux malades à capital restreint, et que, en réalité, +ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est +entamé, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain, +au point de vue de sa fréquence et de sa durée. Tout ce qu'on peut dire, +c'est qu'il faut, en général, le prendre très court, cinq minutes en +moyenne. + +Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois +premiers bains. S'ils amènent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop +prolongés, ou trop fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut +pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du +mal, les suivants feront du bien. D'une façon générale, d'ailleurs, +l'organisme ne s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les +médications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de +mal, même momentanément. Mais c'est là un point de doctrine dont la +démonstration nous entraînerait trop loin, et en dehors de notre plan. + + + + +TROISIÈME PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +LA PÉRIODE DE DÉCLIN + + + +Nous avons à dessein placé dans l'étude de l'homme adulte la plus grosse +part de nos considérations thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est +l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de vue médical comme +au point de vue social, et que c'est pendant cette période de la vie que +le médecin peut faire le plus de bien au malade. + +Au contraire, à partir du moment où l'être humain est arrivé au +sommet de sa courbe évolutive, et, par conséquent, où il va décliner, +l'importance des agents thérapeutiques se limite de plus en plus, +jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive à la fin de sa carrière. + +Dans les phases de la vie qui nous restent à étudier, la thérapeutique +doit viser, avant tout, à éviter les dépenses de capital: mais son rôle +pratique n'en reste pas moins très appréciable; et l'on ne sait +pas assez combien une bonne direction médicale pourrait prolonger +l'existence de l'homme arrivé à la période de déclin, voire même à une +étape avancée de cette période. + +Théoriquement, la période de déclin peut commencer le jour de la +naissance. C'est ce qu'on observe chez les enfants qui n'ont pas la +force de vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A l'extrême +opposé, on voit des individus qui ne commencent à décliner qu'à un âge +très avancé, ou encore dont la vie est brutalement interrompue, à un +âge relativement avancé, par un accident, avant que ne soit survenu le +commencement de la période de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse +santé sont venus au monde avec un excellent capital initial, que leurs +parents ont su améliorer pendant la première enfance, et qu'ils ont +ensuite amélioré eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive, ou +en ne risquant qu'à bon escient une certaine partie du capital, pour lui +faire rapporter davantage. + +Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes ont, comme +nous l'avons dit, peu de prise. Ces privilégiés sont semblables à +l'homme qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire fructifier, +en rapporte dix autres, et reçoit encore, en surplus, une récompense. +Chez ces individus, le déclin n'arrive que très tardivement, et ils +peuvent atteindre soixante ans tout en restant jeunes de coeur, de +corps, et d'esprit. + +Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires sont possibles; et +nombreux sont les hommes qui commencent à décliner à trente ans, qui +sont des vieillards à quarante ans. La plupart, cependant, commencent +à décliner vers cinquante ans, et se maintiennent tant bien que mal +pendant quelques années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de +soixante ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent une +pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie» accidentelle les détériore +pour plusieurs mois, et l'on est tout étonné de la lenteur de leur +convalescence. C'est à partir de ce moment que les tares organiques, +latentes jusque-là , se révèlent, que l'homme qui avait une endocardite +avec laquelle il vivait en bonne intelligence, et dont parfois même +il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son coeur devenir +au-dessous de sa tâche. A la suite d'un coup de froid insignifiant, +d'une indigestion, d'un excès alimentaire, d'une émotion violente, d'une +grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie, des palpitations, +des intermittences du pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes +choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le débarrasser cette +première fois, parce qu'il n'est pas encore complètement usé. Mais, six +mois après, sous l'influence d'une cause semblable, il a une nouvelle +atteinte, un peu plus de dyspnée, un peu de congestion de la base gauche +du poumon, ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure des +jambes; et, cette fois, le repos au lit, la diète lactée, ne suffisent +pas à le remettre en état. + +La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes par jour en +infusion dans 200 grammes d'eau, que le malade prendra de deux heures en +deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire crise urinaire. +Grâce à ce précieux médicament ainsi administré, il fera encore les +frais de cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes influences +insignifiantes amèneront l'affolement du coeur avec albuminurie, et +alors la déchéance pourra être irrémédiable. + +Il est certain que si, dans l'intervalle de ces assauts, notre homme +s'était écouté vivre, s'il n'avait rien laissé au hasard, si une sage +direction médicale avait dosé son alimentation, son travail, son +sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si, pour conserver sa vie, +il avait, en quelque sorte, cessé de vivre, il aurait survécu plus +longtemps et n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il faut +bien se rappeler, c'est que, dès sa première atteinte, ses jours étaient +comptés. Cette première atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son +système nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque la force voulue +pour faire son office de pompe aspirante et foulante; le déclin, qui +avait peut-être commencé quelques années avant, s'était traduit dès le +jour de ce premier accroc. + +Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes revêtent parfois une +gravité qui fait croire, à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche +sérieuse ou irrémédiable dans le capital vital du malade, alors qu'il +n'est touché que superficiellement. C'est au médecin qu'il appartient +de faire un bon diagnostic, d'où découlent et le pronostic et le +traitement. Certes, le problème est souvent difficile à résoudre, +et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute sa finesse +d'observation, de toute son expérience, de toute sa pénétration. C'est +dans ces cas que la médecine est véritablement un art, et le médecin un +artiste, appelé à utiliser de son mieux les données scientifiques que +ses études antérieures lui ont fournies. + +Il aura naturellement, pour l'aider dans cette tâche, l'examen physique +du malade, et, en particulier, l'exploration abdominale, le ventre +étant, de tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement +explorer, par la vue, le palper, la percussion; il aura, pour l'aider, +l'analyse des urines, trop souvent négligée. Il sera également secondé +par l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller l'hérédité, +l'évolution antérieure de la vie, chez le sujet qu'il examine. Celui-ci +a-t-il eu de grands assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce +cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé prouve qu'il a une +grande élasticité, un capital sérieux, et qu'il est possible que, dans +la crise actuelle, il rebondisse encore une fois.--Au contraire n'a-t-il +jamais eu d'assaut important? le problème devient alors plus difficile, +car le médecin manque d'une base pour apprécier la valeur réelle du +capital. Aussi fera-t-il bien de rester dans une prudente réserve, et +si, dans le cas précédent, il a été en droit de rassurer la famille +malgré la gravité apparente de l'état du malade, dans le second cas, au +contraire, il ne doit dire qu'une chose: «Je ne sais pas.» + +Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes à santé insolente, n'ayant +jamais eu besoin de soins, que je vois brusquement atteints par une +«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier. Me trouvant sur +un terrain inconnu, je me demande, tout d'abord, si leur capital était +aussi bon qu'il le paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la +faillite, la débâcle. + +Ce sont là , je le répète, des problèmes cliniques extrêmement difficiles +à résoudre; mais ils ont un grand intérêt au point de vue du pronostic à +porter, et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat: car +si le médecin soupçonne, chez son malade, une altération profonde que ne +traduit pas l'ensemble symptomatique, il doit redoubler de précautions, +sa surveillance doit être incessante, son zèle doit prévoir les moindres +incidents, ne rien laisser au hasard. Il a alors à lutter non seulement +contre la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent indocile, et +contre les familles, qui trouvent qu'on en fait trop, qu'on prend trop +de soins, que le malade devrait se lever pour regagner des forces, +sortir pour se distraire, reprendre une partie de ses occupations pour +ne pas nuire à sa carrière; estimant, _in petto_, que le médecin userait +de discrétion en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi qu'il arrive, +ce sont de mauvais cas pour le médecin. Il est accusé, si le malade +guérit, d'avoir retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne +l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si bien portant! et qui +succombe à la suite d'une grippe, presque sans fièvre! Sûrement, c'est +le médecin qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la conscience +du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut aussi se dire que, dans +d'autres cas, on a attribué exclusivement à ses bons soins ce qui était +dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a donc compensation. + +En somme, le médecin qui se trouve en face d'un malade quelconque est +appelé à résoudre le problème suivant: Étant donnés la valeur antérieure +du malade A, et le déchet que lui fait perdre la «maladie» B, quelle est +la valeur du capital restant A--B? Le simple bon sens indique que +cette équation ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque nous ne +connaissons au juste ni A ni B. Aussi le médecin ne doit-il jamais +quitter le terrain, relativement solide, que lui fournit la science, +pour se perdre dans les abstractions. Il doit seulement se rappeler la +parole d'Hippocrate: _Judicium difficile_, et faire de son mieux pour +approcher le plus possible de la solution du problème, qui, sans être +d'ordre mathématique, a cependant une solution. + +«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.» [V. HUGO] + +Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant d'affirmer que l'homme +a atteint l'apogée de son évolution, et est sur la pente du déclin? Eh! +non, tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins fort, moins +actif, que pendant la période de croissance, il supporte moins les +petits écarts de régime, les fatigues, il est plus vulnérable, en un +mot, mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est en période de +déclin. S'il veut éviter la «maladie», il le peut, dans une, certaine +mesure, en s'écoutant vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en +ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses exagérées, ou, s'il +est obligé d'en faire par hasard, en les compensant aussitôt par une +exagération momentanée de prudence. Bref, la période de déclin est la +période des précautions. L'homme en déclin devrait se rappeler qu'il +faut «être de sa santé» comme il faut «être de sa condition», comme il +faut être «de son temps». En usant de ces précautions, il peut prolonger +très longtemps la durée de sa phase évolutive, et atteindre ainsi +sans transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également bien +surveillée, le conduire, sans transition brusque, à la mort. + +Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances de la vie +sont telles que, fatalement, il rencontre sur son chemin des influences +qui font baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces influences +inévitables? Ce sont toutes celles que nous avons déjà étudiées +dans l'enfance, dans l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs +d'alimentation, causes morales surtout, etc. + +Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui soient plus spéciales +à la période de la vie que nous étudions, la période comprise entre +cinquante et soixante-cinq ans? + +Chez la femme, tout le monde admet que la ménopause produit des +perturbations considérables; la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler +«âge critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause ramène +souvent des troubles de santé qui avaient disparu depuis longtemps, et +amène quelquefois des troubles nouveaux, tels que ces sueurs profuses +dont se plaignent amèrement les malades. Nous avons en vain essayé +contre elles l'emploi de l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que +c'est un moyen non seulement inutile, mais dangereux, et que le mieux +est de savoir attendre, en mettant la malade à un régime restreint. + +Dans les deux sexes, les émotions morales jouent encore, à cet âge, +un rôle considérable. C'est une fille mal mariée, un fils qui fait le +chagrin de sa famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la +perte des amis de la première heure, l'âge des désillusions, l'automne +de la vie, en un mot. Dans tous les cas, les pratiques de la +psychothérapie sont d'un incontestable utilité: seules, elles ne +suffisent pas à guérir un homme rendu malade par des influences morales; +mais, associées aux autres agents thérapeutiques, elles sont toujours +d'une grande utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus fait +en réconciliant avec son fils un père que le chagrin avait terrassé, +en lui démontrant la nécessité et la légitimité du pardon, qu'en +le traitant, comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes les +ressources de la pharmacopée et des agents physiques.--Le fonctionnaire +qui prend sa retraite, et se voit brusquement condamné à une oisiveté +forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain cherche-t-il, dans +la société des hommes de son âge, un remède à son désoeuvrement; et +quant à espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille un réconfort +quelconque, il n'y doit pas songer. Les plus jeunes ont leurs affaires, +et les affaires sont les affaires; c'est tout au plus si la fille vient +faire ses couches à la maison. + +Bref, une série de chagrins multiples, auxquels on est encore sensible, +sont l'apanage ordinaire de cette période de la vie. C'est à cet âge, +aussi, que se soldent,--car tout se paie,--les erreurs du passé, les +fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les traites imprévues, et, quand +le capitaliste veut mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit +trop tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas contenté de +ses revenus et qu'il a écorné son capital. Mais, dira-t-on, pouvait-il +s'apercevoir de la mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel +problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse antique. C'était à +lui de voir que, de temps à autre, il avait de ces petites défaillances +de santé qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes +banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements +(l'avertissement sans frais du percepteur). Il aurait dû, en homme bien +avisé, rester toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner. + +Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, sinon de le réparer +complètement, au moins de l'atténuer dans une notable mesure, en se +surveillant de près, et en ne laissant rien au hasard de ce qu'on peut +lui enlever par prudence et par calcul. + +Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent pas qu'elles +dépensent plus qu'elles ne devraient le faire; elles n'ont pas la +bonne fortune de recevoir les petits avertissements que nous venons de +signaler. Leur débordante santé fait l'envie de tout le monde; mais ces +privilégiés sont souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il +fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, brusquement, avec +une affection accidentelle. + +Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se laisse entraîner par un +renouveau de passion sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour +sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer ses talents. Il +faut aussi compter avec les aberrations de l'instinct sexuel, assez +fréquentes à cet âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde pas à +s'installer, sous une forme qui rappelle, par sa brutalité d'apparition +et la gravité des symptômes, l'hystéro-neurasthénie traumatique. + +En effet, du jour au lendemain, cet homme, vaillant jusqu'alors, +subit un véritable effondrement. Non seulement il perd tout d'un coup +l'aptitude sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un grand chagrin, +mais il perd, en même temps, l'appétit, le sommeil, les forces. La +constipation entre en scène; des douleurs névralgiques variées,--ou, +pour mieux dire, des _algies_, car la douleur ne suit pas le trajet des +nerfs, le torturent nuit et jour. Il a une sensibilité excessive de +l'ouïe, un éréthisme de tout le système nerveux, qui devient comme une +lyre à cordes trop tendues que fait vibrer douloureusement le moindre +souffle. Cet état peut n'être que passager, si le malade a le bon esprit +de s'en avouer à lui-même la cause déterminante et de la supprimer. +Mais cela même ne suffit pas toujours: _Sublata causa, non tollitur +effectus._ Le branle est donné à la cellule nerveuse, le système +nerveux, longtemps patient, s'est tout à coup révolté, et il faut des +mois et des années de soins méthodiques pour lui rendre son équilibre. +C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le médecin devra +surveiller non seulement l'hygiène sexuelle, dont il n'est plus +question, mais l'hygiène alimentaire, donner les repas fréquents que +nécessite un estomac toujours sur le point d'entrer soit en état +paralytique ou en état spasmodique; une alimentation non excitante +(pâtes, purées), sans vin, et sans les toniques qui passent, à tort, +pour réveiller les forces. Le repos physique est également indiqué. + +C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, bien compris, bien +dirigé, peut être utile à divers titres. D'abord, il éloigne la victime +de la cause initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier +souvent les soins affectueux et tendres d'une femme momentanément +négligée. + +La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans le traitement de ces +malades qui, d'un jour à l'autre, sont devenus craintifs, scrupuleux à +l'excès, ayant peur de mourir, tenaillés par des remords d'une intensité +morbide. Le médecin animé d'un esprit large et charitable peut leur être +d'un grand secours, en mettant toutes choses au point, et en rassérénant +leur conscience dans la mesure qui convient. + +Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez l'homme, n'a rien +d'exagéré. Nous avons observé plusieurs cas semblables, où des hommes +bien portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts intempestifs. + +Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent chez des hommes qui, +auparavant, n'étaient pas débauchés, offraient même le modèle d'une vie +exemplaire; maintenus par des principes sévères, ils avaient été fidèles +à la foi conjugale, et, alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient +restés fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour, une occasion +se présente et les surprend; c'est une Sapho quelconque rencontrée +en chemin de fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation, il +succombe, et, une première chute en entraînant de nombreuses à sa suite, +il devient enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop engager l'homme +mûr, trop confiant en lui-même, à veiller toujours, car le péril est +insidieux et les risques sont grands. + +C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent les troubles +prostatiques et urinaires, résultats tardifs de blennorragies mal +soignées et considérées comme une bagatelle par le jeune homme, plutôt +fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est vers cinquante-cinq ans +que le rétrécissement du canal provoque des misères variées, que nous +n'avons pas à décrire ici, mais qui finissent par amener la mort +prématurée si le chirurgien n'intervient pas. + +Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement chez les hommes qui +ont dépassé soixante-cinq ans: ceux qui avaient des rétrécissements sont +morts avant cet âge. + +C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la prostate entre en scène. +Certes, les affections de la prostate ne sont pas toujours d'origine +blennorragique; mais elles sont, plus qu'on ne le croit, dues à des +erreurs dans l'hygiène sexuelle. + +Quant aux autres affections capables de faire brusquement baisser le +capital, elles ne donnent lieu à aucune considération particulière. +Nous devons pourtant nous arrêter encore, en passant, sur trois +manifestations morbides spécialement fréquentes à l'âge en question: le +diabète, l'albuminurie, et l'obésité. + +_Diabète_.--L'apparition du diabète est, certes, chose fâcheuse; mais le +plus grand malheur qui puisse arriver à un diabétique impressionnable, +c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans ménagements, la +fâcheuse nouvelle. A partir de ce moment commence, pour le malade, +une incessante préoccupation morale, aggravée encore par un régime +alimentaire qui lui cause plus de dommages que le diabète lui-même. Il +est vrai de dire que, depuis quelques années, les médecins se sont +un peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les rendait +redoutables aux diabétiques. On veut bien admettre, désormais, que le +régime des diabétiques comporte certains tempéraments, et que les pommes +de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent être allouées, voire +même en abondance. + +Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation d'un diabétique, +traité d'après les principes classiques, est encore loin d'être +réjouissante. Elle sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin +qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés par le même régime, +ou plutôt qu'il n'y a pas de régime du diabète, le diabète n'étant qu'un +symptôme qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui. + +Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, aux autres la diète +lactée absolue pendant quelques jours, et le régime des potages au lait +ensuite. Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons du régime +peuvent être indiquées. Le médecin doit imposer le repos au lit absolu +au diabétique qui maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans les +autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce que le diabétique a +toujours des combustions exagérées, comme le professeur A. Robin l'a +très élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi de l'état mental du +malade, et à ne pas négliger la psychothérapie. Le diabète peut être +provoqué, expérimentalement, en touchant un point précis du quatrième +ventricule du cerveau; et les diabétiques vraiment graves sont ceux +qui le deviennent à la suite d'une chute sur la tête: ces deux faits +prouvent assez l'importance des troubles du système nerveux dans la +pathogénie du diabète, et la nécessité de faire une grosse part aux +soins moraux dans le traitement du diabétique. + +_Albuminurie_.--L'albuminurie donne lieu à des considérations de même +ordre. + +Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant un état de +détérioration générale de l'organisme; c'est, le plus souvent, un +symptôme grave, mais quelquefois aussi un phénomène sans grande +importance. + +Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence, intermittente, +venant après la moindre fatigue. On sait encore que le seul fait de +se lever du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit pour +provoquer l'apparition de l'albumine, qui n'existait pas dans l'urine +émise pendant que le sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle +l'albuminurie _orthostatique_ ou _physiologique_,--terme détestable, +parce qu'il n'y a pas d'albuminurie physiologique, pas plus que de +glycosurique physiologique. Cette albuminurie de peu d'importance +survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en bon état de santé, +et indique, par conséquent, qu'ils doivent être tenus à vue, et soignés +suivant les principes généraux que nous avons déjà énoncés. + +Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine dans l'urine est toujours +d'un pronostic plus sérieux. Parfois cependant, là encore, l'albuminurie +n'est que transitoire, et coïncide avec une décharge d'acide urique par +les reins. Si l'on ne soumet pas le malade ainsi touché au régime lacté +absolu, qui achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si on lui +donne à prendre un peu de benzoate de soude, l'orage passe vite sans +laisser de traces. + +D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire, est intermittente, +même chez l'adulte. Nous connaissons un malade qui, depuis quatre ans +que nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il monte à cheval. +Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres à pied sans avoir d'albumine; mais +une seule promenade à cheval fait réapparaître l'albumine et, malgré la +dose considérable révélée par l'analyse après l'exercice du cheval, il +est, au demeurant, bien portant en apparence, et a une vie des plus +actives.--Je connais aussi un médecin qui a, depuis des années, de +l'albumine en permanence; après s'en être beaucoup inquiété, et avoir +suivi divers traitements et divers régimes, il a fini par ne plus faire +que de l'hygiène générale, manger raisonnablement, éviter le surmenage; +et il est, en somme, en aussi bon état que possible. + +J'ai cité, dans une étude sur le _Cacodylate de Soude_ que j'ai publiée +en 1901, l'histoire d'une jeune malade ayant, depuis 1898, à la suite +d'un coup de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai donné des +doses considérables de cacodylate, en injections, pendant un mois. J'ai +eu, à ce moment, le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au +remède la survie de la malade. Or, elle s'est mariée en 1900: depuis, +elle a cessé toute médication, pour se borner à prendre de la viande +crue et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, 3 à 4 grammes +d'albumine par jour, et va très bien. + +On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la valeur pronostique de +l'albuminurie. Mais il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, la +présence de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que nous étudions, +est un symptôme qui doit inspirer au médecin des craintes sérieuses, +surtout quand, en même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette +combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de mort à brève échéance. + +Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique sera encore aggravée +si le médecin s'obstine à lui imposer le régime dit des albuminuriques. +Il n'y a pas de régime des albuminuriques: il y a le régime qui convient +à tel ou tel albuminurique. Parfois le régime lacté fait merveille, mais +c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger plus de quinze +jours. D'autres fois, c'est le régime des pâtes, plus souvent encore le +régime lacto-végétarien, qui, combiné au repos, aide le malade à sortir +du mauvais pas, au moins momentanément. + +_Obésité_.--Au même titre que le diabète et l'albuminurie, l'obésité +appartient en propre à la période de déclin. Mais, direz-vous, il est +des enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est qu'ils ont commencé +jeunes leur période de déclin. Mais, d'habitude, c'est aux environs de +la ménopause que l'obésité devient, pour les femmes, une torture de tous +les jours. Nous n'avons pas à en indiquer les inconvénients; rappelons +seulement que l'obésité tend toujours à augmenter, parce qu'elle +interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit immédiatement un +cercle vicieux. Dans les cas d'obésité où l'exercice serait utile, +l'obèse qui est condamné à en prendre de moins en moins, devient de plus +en plus obèse. + +Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours utile aux +obèses. L'obésité, étant un symptôme de la «maladie», est quelquefois +entretenue par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de +vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté des médecins +de diverses nationalités, avait fini par suivre les conseils d'un +empirique, qui n'avait rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que +de mettre sa mère en relations avec un commandant de chasseurs à pied, +de façon que ces deux dames pussent suivre tous les exercices du +bataillon. Au bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la jeune +fille grossissait toujours. Sous l'influence de l'exercice, elle +mangeait davantage et buvait en conséquence. Mais vint un jour où +l'estomac, fatigué par la suralimentation, se mit à protester; c'est +alors que je prescrivis le régime ultra-restreint, pendant quelques +jours, pour remettre l'estomac en état, le repos presque absolu pendant +cette période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement de l'estomac +et de l'intestin, avec un exercice modéré; et voici que, sous +l'influence de ce traitement, la malade vit diminuer son obésité, +et disparaître, successivement, d'autres troubles variés qui, comme +l'obésité, étaient symptomatiques! + +Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime applicable à tel ou +tel malade atteint d'obésité. Le plus souvent, le régime restreint +est indiqué; d'autres fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est +dangereux comme de le faire maigrir par insuffisance alimentaire. Il ne +faut pas, non plus, le faire maigrir par l'emploi de la thyroïdine. Je +dois dire, cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents +obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de vingt ans qui, en six +mois, a vu son poids baisser de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en +soit résulté le moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine avait +été maniée par le Dr Polin avec une prudence extrême (2 milligrammes +par jour, et pendant six mois consécutifs). + +En général, il faut se méfier de ce médicament, qui demande une +surveillance médicale sinon quotidienne, du moins hebdomadaire; il faut +enfin se rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer l'obésité +au point d'en supprimer les inconvénients, et aussi qu'il est toujours +dangereux de faire trop maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop +vite. Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe, il est vrai; +mais c'est le commencement de l'effondrement. Son système nerveux tombe +aussi. En y mettant le temps, au contraire, c'est-à -dire en ne brusquant +pas la manière d'être du sujet, on peut toujours arriver à des résultats +excellents. + +J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans, à une dame de +soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. Elle est arrivée +en dix-huit mois, à baisser, avec une progression continue, à 77 +kilogrammes... Depuis, elle garde son poids et sa santé; son déclin +s'opère avec une lenteur telle qu'il est à peine perceptible. Inutile de +dire que l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique. + + + +CHAPITRE II + +LA VIEILLESSE + + + +Quelle que soit l'économie qui ait présidé à l'usage du capital +biologique, il n'est pas possible que quelques mauvais placements +n'aient été faits, dans le courant de l'existence; que des chocs +accidentels, et indépendants de la volonté, n'aient, à diverses +reprises, ébréché le capital. L'homme qui se condamnerait à vivre à +seule fin de prolonger ses jours vivrait certainement très longtemps, +mais la sentence d'Horace lui serait applicable: «Pour vivre, il aurait +perdu les raisons de vivre.» _Et propter vitam vivendi perdere causas_. + +D'autre part, le capital diminue par le fait même de la vie, comme la +vitesse initiale d'un projectile diminue progressivement par le fait de +la résistance de l'air. Enfin il vient un moment où le capital, après +avoir produit des intérêts considérables, ne donne plus que des intérêts +de moins en moins élevés. Ce moment coïncide exactement avec la période +de déclin, de sorte que, à partir de ce jour, quoi qu'il fasse et +sans qu'il s'en doute, l'être vivant s'appauvrit fatalement et +progressivement. Il en arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit +rentier; et c'est alors la vieillesse. + +Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge; témoin ces enfants +qui ont l'aspect de petits vieillards, comme on dit dans le langage +courant; ces hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, des +loques humaines. Mais, le plus souvent, la vieillesse survient à un +âge plus tardif, que, pour le besoins de la cause, nous fixerons, par +exemple, à soixante-cinq ans. + +A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner, comme le lui +conseillaient les trois jeunes gens du fabuliste, «à songer à ses +erreurs passées» Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de +vastes pensées», à condition que ce ne soit pas pour lui, mais pour ses +arrière-neveux. Il peut, en d'autres termes, jouir de son expérience et +s'efforcer d'en faire profiter les autres; mais en se rappelant qu'il a +atteint l'âge du repos, des ménagements et des précautions. Et de même +que, dans la première période de la vie, il appartient aux parents +de ménager pieusement et de faire sagement fructifier le capital de +l'enfant; de même, à cette dernière période, il est du devoir des +enfants de veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont la +charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse, tout chagrin, +tout souci, tout écart de régime, et de le préserver contre toute +intervention thérapeutique brutale. + +Quelles sont les influences qui compromettent d'une façon spéciale le +vieillard vivotant? + +Les influences psychiques sont beaucoup moins importantes que dans l'âge +adulte. Quelques vieillards, il est vrai, gardent leur sensibilité et +leur jeunesse de sentiments. L'expérience de la vie ayant tempéré la +fougue de leurs jeunes années, leur ayant appris l'indulgence et la +miséricorde, ils deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi +agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la sensibilité +s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve le vieillard de toute +émotion nuisible. Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce +de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné, mais l'émotion +qu'il éprouve est surtout égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui +donne de voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, et +n'est pas comparable au chagrin poignant de l'homme adulte perdant un +être aimé. Donc, de ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système +musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple bon sens fait que le +vieillard n'abuse pas, en général, de son restant de forces musculaires: +exception faite cependant pour les cas où des parents ou des amis mal +avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard à se déplacer sans +relâche, pour passer l'hiver dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps +ailleurs. Combien ne serait-il pas plus sage, en général, de le laisser +tranquillement chez lui, dût-il ne pas quitter sa chambre? J'ai +longtemps donné des soins à une vieille dame que ses enfants emmenaient +en villégiature, toujours malgré elle, dans le centre de la France, et +ramenaient à Paris en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un +mois de soins assidus et de précautions pour effacer les traces de +fatigue occasionnée par le déplacement. + +La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le séjour hivernal dans +le Midi peut être recommandable, mais que, d'une façon générale, il +faudrait se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant «qu'on ne +doit pas transplanter un vieux chêne», et qu'on devrait regarder à deux +fois avant de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard, soit un +lointain changement de pays, soit même un changement d'appartement. Il +faut, en général, tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir, +qui est dicté par un vague instinct de conservation et qui trompe +rarement. + +Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien entendu des +affections accidentelles, ce sont les écarts dans l'alimentation. Une +indigestion qui, chez un homme jeune, se serait traduite par un léger +état gastrique, amène chez le vieillard un effondrement colossal; et, +pour peu que la thérapeutique intervienne d'une façon inopportune +sous la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la situation peut +s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut alors des semaines pour remettre +en état le système nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de +s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme vacillante; +irez-vous l'alimenter par un soufflet de forge, et charger le foyer de +grosses bûches de bois? Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies +précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est seulement ensuite +que vous mettrez des fragments un peu plus volumineux, pour arriver +enfin à la bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même chez le +vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes gastriques, prudence +extrême dans l'alimentation, fréquence de l'alimentation, et repos +absolu: c'est la base du traitement. + +Mais combien, pour faire observer ces prescriptions si simples, ne +faut-il pas au médecin d'énergie et de foi? Qu'on veuille donc bien +se rappeler que le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation +restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui lui sera profitable, +mais bien ce qu'il assimilera, et que, chez lui, la puissance +d'assimilation est extrêmement minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit, +il proteste, plus ou moins énergiquement, contre les menus qu'un zèle +mal éclairé s'ingénie à lui proposer. + +En dehors de ces états gastriques passagers, le régime du vieillard doit +être, en général, peu substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le +soir, s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il éprouve le +besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, plutôt que beaucoup à la +fois. Mais on ne saurait croire combien certains vieillards ont peu +besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente une vieille dame qui +avait trop mangé pendant toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une +dyspepsie permanente accompagnée de misères variées, en tête desquelles +venait la constipation. De là obsession de tous les instants; tant qu'on +ne l'eût pas mise exactement au régime convenable, elle fut torturée par +ce symptôme, restant huit ou quinze jours sans parvenir à aller à +la garde-robe, malgré les lavements, les suppositoires, le massage +abdominal, etc. On avait dû même, plusieurs fois, recourir au curetage. +Or je me dis, un jour, que le régime relativement restreint que je lui +avais imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore assez restreint. +Comme elle n'avait jamais d'appétit, et qu'elle ne mangeait que pour +faire plaisir à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention, +qui fut de restreindre, sous ma surveillance, son alimentation +progressivement, et dans la mesure extrême du possible. Après un mois de +tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions arrivés à la formule +suivante, que je transcris d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse +à thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de semoule au lait, +ou de panade, ou de farine de Hongrie, ou de crème de riz, ou de crème +d'orge aux mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, un quart +d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures, comme à midi; dans la nuit, +une tasse à café de lait.» + +Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage absolument +ridicule, finit par être accepté quand on vit la malade reprendre, +progressivement, du sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et +surtout quand on vit disparaître sa constipation. Ses fonctions +s'exécutaient, en effet, très régulièrement tous les deux ou trois +jours, spontanément. Le régime fut continué jusqu'à sa mort, qui +survint trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à l'âge de +quatre-vingt-quatre ans. + +Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, mais ils seraient +tous calqués sur ce modèle. + +Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé un gros appétit: +il faut savoir le respecter, tout en essayant de le modérer un peu, du +moment que la santé reste bonne. + +Pour en finir avec la question de régime, disons qu'un peu de vin +généreux, étendu d'eau, est, en général, une boisson excellente pour le +vieillard, bien portant ou malade; et que le lait, par contre, lui est +le plus souvent préjudiciable, sauf dans les états aigus ou subaigus +prolongés. + +Quant aux affections accidentelles qui surviennent chez le vieillard, et +qui compromettent son reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font, +néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante de toutes est la +pneumonie. C'est, très souvent, une pneumonie d'origine grippale: aussi +ne saurait-on trop soigner la grippe dès son début, chez le vieillard +plus encore que chez l'adulte. La pneumonie est insidieuse chez le +vieillard. Elle ne se traduit que par un malaise général, avec très peu +de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne toujours de fièvre. +Si donc les familles savaient se servir du thermomètre, on aurait des +chances de porter secours aux malades en temps utile; et alors une +injection de cacodylate de gaïacol, quelques cachets de quinine, une +certaine dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient, dans +bon nombre de cas, à le sauver; tandis qu'en général, quand on appelle +le médecin, il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que le +diagnostic, et prévenir la famille de la gravité de la situation. + +Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent compromettre la +survie du vieillard. Ordinairement, il échappe à la première atteinte, +mais il en sort tellement amoindri, physiquement et intellectuellement, +qu'on peut dire qu'il a cessé de vivre avant de mourir. Grâce aux soins +dont il est entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même +pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à ce qu'il se décide à +mourir après une deuxième ou troisième attaque. + +Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées ne s'observe, le +petit rentier qu'est le vieillard continue à vivoter plus ou moins +longtemps, jusqu'au jour où, tout son capital et tous ses revenus étant +épuisés, il cesse de vivre, tout simplement parce qu'il n'a plus la +force de vivre. Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur qui +a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon, très profondément +philosophique, l'expression courante de «défunt», la traduction +littérale du mot latin _defunctus_ étant: «Celui qui s'est acquitté.» +Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet, en remerciant leur +hôte. Heureux s'ils peuvent léguer à une nombreuse postérité «l'exemple +de leur vie!» + + + +FIN + + + + +INDEX ALPHABÉTIQUE + +Albuminurie:--permanente;--son régime. Alcool. Alimentation: de l'enfant +né avant terme;--du premier âge;--Gouttes de lait;--chez le +petit enfant;--chez l'enfant du deuxième âge;--défectueuse; +excessive;--ration d'entretien;--observation d'une malade guérie par le +régime restreint;--insuffisante en quantité;--à la sonde;--observation +d'une malade fébricitante guérie par l'alimentation +forcée;--insuffisante en qualité;--chez le vieillard. + +Aliments adultérés par les procédés chimiques; physiques. + +Auto-intoxication, (Hypothèse de l'). + +Avarie. + +Bains: chauds dans les pneumonies;--prolongés;--de briques;--de +vapeur;--électriques;--de mer. + +Blennorragie, ses dangers tardifs. + +Boissons: fermentées;--distillées;--le vin chez l'homme bien +portant;--chez le malade:--dans la ration du soldat;--eau stérilisée en +usage dans l'armée. + +Cancer, son hérédité. + +Capital biologique (hypothèse du). + +Causes morbigènes: ambitions déçues;--passion amoureuse;--inquiétudes; +--vie brisée;--frayeur. + +Causes accidentelles. + +Chaleur sèche (dermotherme). + +Choc: traumatique;--chirurgical;--moral. + +Coeur: «maladies» du coeur--leur hérédité;--observation d'un faux +cardiaque;--la période de déclin. + +Constipation;--et entéro-colite;--provoquée chez les opérés;--son +innocuité;--guérison par le repos;--dangers des purgatifs;--obsession de +la constipation;--lavements d'huile;--injections de Brown-Séquard;--chez +le vieillard;--Convalescence, sa rapidité chez l'enfant. + +Course en flexion. + +Déclin: âge de déclin;--pouvant n'être qu'apparent;--problèmes cliniques +à l'âge du déclin, leur difficulté. + +Diabète: régime;--traumatique, sa gravité. + +Dyspepsie: observation d'une malade avec prédominance de troubles +dyspeptiques. + +Eaux minérales;--table de régime;--de Carlsbad;--Chatel-Guyon, Bagnoles, +Brides, Vichy;--Vittel. + +Education: chez la jeune fille;--chez le jeune homme;--de la volonté;-- + +Electricité;--bains électriques. + +Emplâtre. + +Enfants: préservation contre la tuberculose;--couveuses +artificielles;--alimentation de l'enfant né avant terme:--le +capital biologique de l'enfant doit être créé par les +parents;--puériculture;--alimentation du premier âge, son importance +pour toute la vie;--Goutte de lait;--pathologie infantile;--sa +simplicité relative;--ses difficultés;--nécessité du sommeil +prolongé;--mastication;--convalescence rapide;--enfants du type +musculaire;--cérébral;--du deuxième âge, alimentation:--fièvre +digestive. + +Epilepsie. + +Exploration abdominale. + +Exercice: difficulté de le doser chez les jeunes filles +nerveuses; --dans un grand collège moderne;--chez les +professionnels;--chez les jeunes gens (danger des sports);--et +entraînement;--et gymnastique respiratoire;--Institut Zander;--chez +les obèses. + +Fatigue;--et épuisement. + +Fièvre digestive des enfants;--typhoïde. + +Folie: chez la jeune fille:--délire de la persécution;--l'aliénation +mentale et la «maladie»;--menstruation chez l'aliénée;--du +doute;--obsession:--manie aiguë. + +Frictions. + +Grippe, son influence pathogène. + +Grossesse («maladies» de la mère pendant la). + +Hémorragies cérébrales, chez les vieillards. Hérédité: +étymologie;--généralités;--protestation contre la fatalité des tares +héréditaires;--de la longévité;--de la tuberculose;--du cancer;--des +tares nerveuses, 15;--de la paralysie générale, 16;--des «maladies» +de coeur, 16;--des affections rénales, 17. + +Hydrothérapie: froide, 223;--tiède 225;--maillot humide, 225. + +Hypnose, 189;--chez les aliénés, 191;--ses dangers, 194. + +Hygiène de la procréation, 21. + +Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114. + +Hypothèse (son rôle dans la science), 1. + +Injections: action dynamogénique de tout liquide +injecté, 232;--hypodermiques d'eau de mer, 234;--de cacodylate de +magnésie, 235;--de cacodylate de soude, 235;--de gaïacol, 238;--de +quinine 239;--d'héroïne,239;--de mercure, 240;--de morphine, +240;--huileuses,240;--d'huile mercurielle, 241;--d'huile créosotée, +242;--etsuggestion, 244;--injections de Brown-Séquard, (constipation), +353. + +Influences morbigènes, généralités, 30. + +Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70. + +Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;--éducation +sexuelle--, 21;--menstruation--,66;--despotisme de certaines mères, +68;--difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, +66;--aliénation mentale--, 71;--vocation contrariée, 72;--mariage +contrarié--, 73;--utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses, +74;--surmenage scolaire--, 75. + +Jeune homme: surmenage scolaire, 75;--nécessité du sommeil, +76;--exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; --exercice +physique chez les jeunes gens, 79; --éducation sexuelle, +81;--psychothérapie, 83. + +Ligue des pères de famille, 80. + +Longévité: hérédité de la, 8;--humaine, 9. + +Malade: son entourage, 204;--ne voulant pas guérir, 207;--régime des +grands malades, 217;--n'osant pas manger, 220;--danger des voyages, 267. + +«Maladies»: accidentelles, 42;--la «maladie», 94-95;--petits symptômes +de la «maladie», 95,--la «maladie» et les «maladies» accidentelles, +97;--causes morales, généralités, 142;--causes accidentelles de la +«maladie», 162;--du coeur à la période du déclin, 279. + +Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73;--son utilité pour les +jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74. + +Massage, 228;--abdominal, 229. + +Méningite, 55. + +Menstruation: utilité du repos, 66;--chez l'aliénée, 165;--chez la +grande malade, 166;--ménopause, 296. + +Migraine, 40. + +Mort naturelle, 310. + +Névrose (sa contagion), 148. + +Obésité, 297;--exercice chez les obèses, 298;--régime chez les obèses, +299. + +Obsession: de la constipation, 251;--de la rougeur, 187. + +Observations: d'une malade avec prédominance de troubles dyspeptiques, +99;--d'une malade avec prédominance de troubles de nutrition, 105;--d'un +faux cardiaque, 107;--d'une malade suivie pendant trente ans, chez +laquelle presque tous les appareils ont été successivement atteints, +110;--d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--d'une +malade fébricitante guérie par l'alimentation forcée. 132. + +Opérés: opérations de complaisance, 155;--morphine chez les, 156; +--rôle médical du chirurgien, 156;--purgation chez les, +157;--constipation provoquée chez les, 158. + +Opothérapie: hépatique, 236;--ovarienne, 286. + +Paralysie générale, hérédité, 16. + +Pertes: matérielles, 143;--au jeu, 144. + +Pneumonie: bains chauds dans la;--chez le vieillard, 308. Protection, +loi de protection des faibles, 10. + +Psychonévroses, leur traitement moral, 213. + +Psychothérapie: chez le jeune homme, 83;--savoir prendre un +parti, 175;--respect du temps, 176;--dérivative. 180; --sédative, +181;--reconstituante, 182;--résignation, 182;--foi religieuse, 208;--et +problème religieux, 210. + +Ptôse: abdominale, 169;--et ceinture hypogastrique, 167;--passagère, +169. + +Purgatifs et constipation, 249. + +Régime: ration d'entretien, 125,--des Chartreux, 125;--des Trappistes, +125;--des soldats, 127-140;--des guides alpins, 127;--observation +d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--en cas +d'effondrement abdominal, 172;--et suggestion, 215;--des grands malades, +217;--monotone, 218;--sec (ses dangers), 219;--à boisson restreinte, +219;--et eaux minérales, 255;--des diabétiques, 293;--des +albuminuriques, 297;--des obèses, 299;--lacté chez les vieillards, 308. + +Repos: dans les états aigus, 173;--cure de--, 205;--constipation guérie +par le--, 205;--avant le repas, 221;--après le repas, 222;--au lit, 265. + +Sommeil: nécessité du sommeil chez l'enfant, 57;--nécessité du sommeil +chez les jeunes gens, 76;--diurne (ses bons effets) 173;--l'aliment +favorise le--, 221;--et repos au lit, 221. + +Sports, chez les jeunes gens (leur danger) 78. + +Suggestion et régime, 215. + +Symptômes morbides, 32;--petits symptômes de la «maladie», 95. + +Syphilis: polynatalité, 10;--et méningite, 12;--Société de prophylaxie +sanitaire et morale, 13;--nécessité d'un traitement pour prévenir la +transmission héréditaire de la, 23; --âge à laquelle se contracte +la--, 84;--manifestations tertiaires, 164;--et assurances sur la vie, +164. + +Travail: cérébral insuffisant, 119; --cérébral excessif, +119;--musculaire excessif, 121;--ration de--, 125. + +Tuberculose hérédité, 13;--oeuvre de préservation de l'enfance contre +la--, 14 et 89;--dans l'armée, 87;--et sanatorium populaire, 38;--et +dispensaire, 88. + +Vacances: leur nécessité, 261;--colonies de--, 262. + +Vésicatoires, 255. + +Vieillards: voyages, 304;--alimentation, 306;--constipation, +307;--pneumonie, 308;--régime lacté, 308;--hémorragie cérébrale, 309. + +Vin: chez l'homme bien portant, 139;--chez le malade. 141; + +Voyages: de noces (ses dangers), 20;--leur utilité chez les gens +bien portants, 261;--leur danger chez les malades, 267;--chez les +vieillards, 304. + + + + +AUTEURS CITÉS + + Dr BARADUC, 37. + BRIEUX, 83. + BROWN-SEQUARD, 236. + Dr CHARCOT, 194 + Dr CAMPENON, 156. + Dr CHAILLOU, 76. + Dr DELORME, 158. + Dr DUBOIS, 213. + Dr DUPRAT, 194. + FLOURENS, 9. + Dr FONSAGRIVES, 55. + FONSAGRIVES (Abbé), 81. + Dr A. FOURNIER, 13. + Dr ED. FOURNIER, 84. + Dr GRANCHER, 14. + Dr GRASSET, 194. + Dr HUCHARD, 17. + Dr KELSCH, 87. + KNEIPP, 224. + Dr LAGRANGE, 79 et 86. + Dr LAUMONIER, 64. + Dr LEGENDRE, 80. + Dr LEREDDE, 231. + Dr MATHIEU, 33. + Dr PINARD, 21 et 45. + PLANTET, 262. + POINCARE, 1. + Dr ROBIN, 293. + Dr RUNGBERG, 164. + SERTILLANGES (Abbé), 125. + Dr SIGAUD, 171. + Dr R. SIMON, 234. + VANCAUWENBERGHE, 48. + Dr VARIOT, 47. + Dr A. VOISIN, 194. + + + + +TABLE DES MATIERES + + +PRÉFACE + +PREMIÈRE PARTIE + + +CHAPITRE I + +LE CAPITAL BIOLOGIQUE +Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable selon chaque +individu et selon chaque période de la vie. Capital initial; influences +qui le font varier. + + +CHAPITRE II + +HÉRÉDITÉ +Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité. Rôle de +l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; le cancer; +les tares nerveuses: les «maladies» de coeur; des reins. + + +CHAPITRE III + +CONCEPTION +La valeur des générateurs au moment de la conception.--Loi de protection +des faibles. Hygiène de la procréation: éducation sexuelle de la jeune +fille. + + +CHAPITRE IV + +GESTATION +Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la +gestation.--Emotions, misères physiologiques, «maladies» de la mère +pendant la grossesse. Enfants nés avant terme. + + +CHAPITRE V + +INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES +La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive: les +influences morbigènes modifient cette courbe. La même influence peut +se traduire par des symptômes variés; et, inversement, des influences +variées peuvent se traduire par le même symptôme (ex.: constipation) ou +par le même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous les systèmes +organiques peuvent être troublés à la fois. Le plus souvent, c'est +l'organe le plus faible qui traduit le malaise. Le système nerveux est +la clef de voûte de la pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les +causes morbigènes. + + +CHAPITRE VI + +DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.--PUÉRICULTURE +Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la durée de la +vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant. Gouttes de lait (de +Belleville, de Saint-Pol). La pathologie enfantine est, le plus souvent, +simple; quelquefois, de la plus grande difficulté. Succès thérapeutiques +chez les petits enfants atteints de syphilis, de pneumonie. + + +CHAPITRE VII + +DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ +1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil prolongé, d'une +mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles à cet âge évoluent +vite, sans convalescence.--Chez l'enfant de sept ans à la puberté. +Enfant du type musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral. +Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies» très +souvent provoquées par une alimentation défectueuse. + + +CHAPITRE VIII + +DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE +I. _Chez la fille_.--Précautions à prendre à l'apparition des règles. +Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»: + +--A. Surmenage intellectuel.--B. Causes morales (despotisme de la mère, +vocation contrariée); brevets: mariage rendu impossible; besoin du +mariage.--C. Surmenage musculaire. Quelle que soit la cause, les +symptômes sont les mêmes, mais le traitement varie avec la cause. +Facilité relative de la guérison. + +II _Chez le garçon_.--1° Surmenage scolaire (insuffisance du +sommeil).--2° Surmenage physique (abus des sports, de l'escrime, utilité +des exercices automatiques _(Ligue des pères de famille_).--3° Déviation +de l'hygiène sexuelle: éducation sexuelle. Par qui elle doit être +donnée. Enseignement individuel et enseignement collectif. Utilité de +l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations de l'instinct +sexuel: psychothérapie. + +III. _Causes morbigènes communes aux deux sexes_.--«maladies» +accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les dispensaires, oeuvres de +préservation). + + + + +DEUXIÈME PARTIE + + +CHAPITRE I + +MATURITÉ +L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes de repos. Le +coup de collier. La fatigue. L'entraînement. L'épuisement (ses signes +prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire (ses signes prémonitoires. +La «maladie». + + +CHAPITRE II + +CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE» +Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade. Quatre +observations de patients atteints de la «maladie» sous ses diverses +formes. Troubles fonctionnels pouvant simuler les affections avec +lésions d'organes. Rôle du système nerveux central dans la pathogénie de +la «maladie». Embarras gastrique. + + +CHAPITRE III + +LES CAUSES DE LA «MALADIE» +I. _Causes physiques_.--1° Surmenage cérébral, travail cérébral +insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral peut revêtir des +formes cliniques très diverses.--2° Surmenage musculaire.--3° Vices +d'alimentation. Généralités, auto-intoxication, irritation.--_A_. +Alimentation excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des +Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. Observation +d'une grande malade guérie par le régime restreint.--_B_. Alimentation à +la sonde.--_C_. Alimentation insuffisante en qualité. Adultération +des aliments: _a_) par les procédés chimiques, _b_) par les procédés +physiques. --_D_. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité. Boissons +distillées, leur danger. + +II. _Causes morales_.--Leur importance prépondérante: + +_A_. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.--_B_. Influences +compromettant la quiétude de l'âme. Passions. Incompatibilité +d'humeur.--_C_. Inquiétudes d'origine altruiste. Séparation momentanée, +définitive.--Choc traumatique: _a_) Hystéro-neurasthénie traumatique. +_b_) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale des +chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés. Des purgations. +Constipation provoquée chez les opérés, ses avantages. + +III. _Causes accidentelles_.--Fièvre typhoïde. Grippe: son grand rôle +pathogénique. Syphilis. + +IV. _Influences morbigènes spéciales à la femme_.--Menstruation. +Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale. + + +CHAPITRE IV + +PSYCHOTHÉRAPIE +Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle 1° Son action +s'étend aux déviations mentales.--2° A un grand nombre de troubles +somatiques.--_A. Moyens par lesquels on diminue les dépenses d'influx +nerveux:_ savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du +temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes. Un cas de +folie du doute. Psychothérapie dans la manie aiguë, dans les obsessions. +Résignation passive et active.--_B. Moyens par lesquels on augmente les +recettes._ 1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques +(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).--Moyens par lesquels +on augmente artificiellement le capital insuffisant: hypnose. Action +personnelle de l'hypnotiseur, indications du traitement par l'hypnose. +Ce qui limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que: +1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles à +hypnotiser.--2° C'est que c'est un moyen qui peut être trop actif. +C'est un agent thérapeutique utile, non dangereux, s'il est bien manié; +le médecin seul peut le bien manier. + +Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques. +--1° Le médecin doit soigner avec son coeur, plus qu'avec son +intelligence.--2° Paraître ne jamais être pressé.--3° Ni même être +pressé.--4° Savoir parler au malade.--5° Ne lui imposer que le strict +minimum de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique: 1° +Absence de foi chez le malade (malades à théories médicales. Malades +qui ne veulent pas guérir).--A l'hostilité de l'entourage. Le médecin +confident.--Psychothérapie et sentiment religieux. + + +CHAPITRE V + +AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES +1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent pas +seulement par suggestion). Diète liquide. Régime des potages. Régime à +boisson restreinte. De la fréquence des repas. Du repos après et avant +le repas. + +2° Moyens accessoires.--A. _Hydrothérapie_: froide, exceptionnellement +indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé. Hydrothérapie tiède: tub, +bain. Malades dont il ne faut pas mouiller la peau. Chaleur sèche. +Massage. Frictions. Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.--B. +_Injections hypodermiques._--1° Influence utile de l'injection en tant +qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).--2° Action propre du +liquide injecté. Cacodylate de soude, de magnésie, de fer. Injections de +Brown-Séquard. Strychnine. Cacodylate de gaïacol dans la «maladie» +post grippale. Quinine, héroïne et morphine, leurs dangers. Injections +huileuses: _a_. Mercurielles. _b_. Créosotées. Rôle alimentaire de +l'huile injectée.--3° Des injections hypodermiques comme procédé +de suggestion.--C. Vésicatoires. Emplâtres. Purgatifs. Etude de la +constipation et des constipés.--D. _Eaux minérales_, leurs indications. +Les tables de régime. Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. +Châtel-Guyon, Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des +eaux.--_Voyages_. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur danger +chez de grands malades. Précautions à prendre pour qu'ils soient utiles +aux malades moyens. La grande malade et le ciel de la Côte d'Azur. +Voyage et entraînement. Vacances. Colonie de vacances.--F. +_La mer_.--La cure marine. Le train des maris. + + + + +TROISIÈME PARTIE + + +CHAPITRE I + +LA PÉRIODE DE DÉCLIN +Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites extrêmes. Les +tares organiques. Les cardiopathies se révèlent. Le déclin peut n'être +qu'apparent (difficulté du diagnostic). Petits symptômes prémonitoires +du déclin. Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales. +Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique de l'homme. +Forme que revêt souvent la «maladie» à cet âge. Traitement +psychothérapique, régime, précautions. Le diabète. Rôle du système +nerveux dans le diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même +des diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente. +Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de l'albuminurie, ni même des +albuminuriques. Obésité. Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a +pas de régime de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide. + + +CHAPITRE II + +LA VIEILLESSE +Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la vieillesse de +l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers des voyages. Alimentation +restreinte. Accidents qui font mourir le vieillard. De la mort +naturelle. + + +INDEX. + +AUTEURS CITÉS. + +TABLE DES MATIÈRES. + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12105 *** diff --git a/12105-h/12105-h.htm b/12105-h/12105-h.htm new file mode 100644 index 0000000..d62b1c0 --- /dev/null +++ b/12105-h/12105-h.htm @@ -0,0 +1,9760 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=UTF-8"> + <title>The book</title> + <meta name="author" content=" "> + +<style type=text/css> + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 20%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; font-weight: bold; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; + width: 25%; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +span.pagenum {font-size: 8pt; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} + + + +a:link {color: blue; text-decoration: none} +link {color: blue; text-decoration: none} +a:visited {color: blue; text-decoration: none} +a:hover {color: red} + + +</style> + +</head> +<body> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12105 ***</div> + +<H1>LA LUTTE<br> +POUR LA SANTÉ</h1> + +<h4>DU MÊME AUTEUR</h4> + +<p><b>Considérations sur la folie paralytique</b> Paris, J.-B. Baillière, +1874.</p> + +<p>Article <b>Épilepsie du Dictionnaire encyclopédique des Sciences +médicales</b> (1886).</p> + +<p><b>Pratique de l'antisepsie dans les «maladies» contagieuses</b> (Prix +Stansky, de l'Académie de médecine). J.-B Baillière, éditeur +(1892).</p> + +<p><b>Traitement de la Tuberculose par la créosote</b> (Couronné par +l'Institut, Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894.</p> + +<p><i>En préparation</i>:<br> + +<b>Psychothérapie et Morale religieuse.</b></p> +<br><br><br> + +<h2>Dr. BURLUREAUX</h2> + +<h4>PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE</h4> + + + +<h1>LA LUTTE POUR LA SANTÉ</h1> + + + +<h3>ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE</h3><br><br> + +<p>PARIS<br> + +1908</p><br> + +A MON CHER LUCIEN CLAUDE<br> + +EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION<br> + +ET EN SOUVENIR<br> + +DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES<br><br><br> + +<h3>PRÉFACE</h3> + + +<p>La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de +ce livre n'est pas celle qu'ont entreprise, et que +poursuivent avec un succès toujours plus marqué, +nombre de ligues et sociétés philanthropiques. +Certes, personne n'admire plus que moi l'effort +généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse de combattre +la mortalité infantile, ou de répandre et +de faire appliquer les règles de l'hygiène, ou +encore d'enrayer l'extension de ces trois plaies +sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la +syphilis, ce sont là des campagnes infiniment +bienfaisantes; et je considère comme un honneur +d'avoir pu, modestement, prendre ma part +de quelques-unes d'entre elles.</p> + +<p>Mais à côté de cette grande lutte collective, +il y a une autre «lutte pour la santé», tout +individuelle, qui se livre tous les jours dans la +vie de chacun de nous. Celle-là est une forme +de la loi universelle de la lutte pour l'existence. +Sans cesse, depuis l'instant où nous naissons, +notre organisme tend à maintenir ou à rétablir +cet équilibre de ses forces que l'on appelle «la +santé»; et sans cesse une foule d'influences, +intérieures ou venues du dehors, tendent à +détruire cet équilibre, éminemment instable.</p> + +<p>Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge, +le sexe, l'hérédité, les conditions de la vie: +mais toutes travaillent, en nous, à la même fin; +et l'on peut dire que l'histoire entière de notre +vie physique n'est que l'histoire des péripéties +de la «lutte» incessante qui se déroule entre +elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer +dans son être. Et si, parmi ces influences +hostiles à notre santé, beaucoup ont un caractère +fatal et inévitable, s'il y a malheureusement +beaucoup de causes de «maladie» contre +lesquelles nous sommes désarmés, il y en a +aussi un très grand nombre qui peuvent être +évitées, ou combattues victorieusement. Toute +la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la +nature dans sa lutte contre elles.</p> + + + +<p>Mais la médecine est moins une science qu'un +art. De la multiplicité des circonstances, de la +diversité des esprits, il résulte que chaque +médecin, quand il est parvenu à un certain +point de sa carrière, s'aperçoit que l'ensemble +de ses observations et de ses réflexions l'a amené +à se faire une expérience propre, personnelle, +des conditions générales de la «lutte pour la +santé» et des moyens d'aider l'organisme à la +bien conduire. C'est le fruit de mon expérience +particulière que j'ai essayé de recueillir et de +présenter, dans le livre que voici.</p> + +<p>De longues années de pratique médicale m'ont +donné l'occasion de voir, sous des aspects très +variés, la naissance et l'évolution de la «maladie». +J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de +traitement, anciennes et nouvelles. Pénétré, +dès le début, de l'importance de la tâche qui +m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir +aucun parti pris d'école ni de doctrine, de ne +rien rejeter ni de ne rien admettre sans l'avoir +contrôlé, de borner toujours mon ambition à +empêcher ou à soulager la souffrance par tous +les moyens,—que l'idée de ces moyens me +vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou +non approuvés par les autorités du moment, +qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier +ou à celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru +déjà une grande partie de ma route, il +m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter +les autres de tout ce que mon expérience, +ainsi acquise, pouvait contenir d'intéressant et +d'utile pour eux.</p> + +<p>C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout +le monde. Je n'ai pas voulu en faire une thèse +scientifique, mais plutôt quelque chose comme +ces <i>Conseillers de la Santé</i> que l'on était assuré +de trouver, autrefois, au chevet du lit de nos +grands-parents. Laissant aux ouvrages spéciaux +l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs +extérieurs où notre organisme est sans cesse +exposé, je m'en suis tenu aux différentes manifestations +de ce que j'appellerai, d'un terme +général, la «maladie», en entendant par là +cette rupture de l'équilibre normal de nos forces, +cette dépréciation plus ou moins complète de +notre capital biologique, qui se produit, tôt ou +tard, dans l'existence de chaque créature +humaine, et s'exprime par une variété infinie +de symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer +les principales causes qui, aux différents âges, +depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent +de compromettre ou de détruire la santé; et +surtout j'ai essayé de montrer, au fur et à +mesure, par quels moyens ces causes peuvent +être évitées, ou leurs mauvais effets heureusement +réparés.</p> + +<p>Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être +le lecteur, accoutumé aux complications savantes +de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité +même lui semblera peut-être avoir quelque chose +de révolutionnaire. C'est un danger que j'ai +prévu, et que, certes, je n'affronte pas de gaîté +de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon +livre qui ne dérive, à la fois, d'une expérimentation +méthodique et de réflexions patiemment +mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque +chose, en une matière aussi variable et aussi +délicate, je suis sûr de l'efficacité des +avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. +Puissent-ils seulement être entendus, et porter +leur fruit!</p> + + + +<p>Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant +ouvrage de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur <i>Les Origines +de la «maladie»</i> (1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de +n'avoir pas pu en citer certaines pages qui s'accordent avec +les idées que j'ai moi-même exprimées sur plusieurs points, +et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop +d'importance aux symptômes en pathologie.</p> + + +<br><br><br> +<h2>LA LUTTE +POUR LA SANTÉ</h2> + + + +<h3>PREMIÈRE PARTIE</h3> + + + +<h4>CHAPITRE I</h4> + +<h4>LE CAPITAL BIOLOGIQUE</h4> + + +<p>L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les +connaissances humaines, un rôle considérable; ce +n'est une nouveauté pour personne, mais cette +vérité nous a été récemment rappelée, et exposée +avec une clarté nouvelle, par le remarquable travail +de M. Poincaré, intitulé: <i>La Science et l'Hypothèse.</i> +Il y est démontré que ni les mathématiques, +ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient +exister si elles n'avaient pour point de départ +des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré, plusieurs +sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables, +et, une fois confirmées par l'expérience, +deviennent des vérités fécondes; les autres, sans +pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous +être utiles en fixant notre pensée; d'autres enfin +(comme le <i>postulatum</i> d'Euclide) ne sont des hypothèses +qu'en apparence, et se réduisent à des définitions +et à des conventions déguisées». Plus +encore que les sciences dites exactes, les études +biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse, +car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que +«nous n'y savons le tout de rien.»</p> + +<p>Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser +les sciences biologiques, mais simplement +pour m'aider à fixer ma pensée, je demanderai, à +mon tour, qu'on m'accorde une sorte de <i>postulatum</i>, +qui nous aidera à nous rendre compte de la plupart +des phénomènes de la biologie et de la pathologie.</p> + +<p>Voici ce <i>postulatum</i>:</p> + +<p>Je supposerai que chaque être, en naissant, +reçoit un certain capital d'énergie vitale, de la +valeur et de l'emploi duquel dépendront et sa +santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts +variables suivant chaque individu et suivant +chaque période de la vie. J'ajouterai que ce capital +peut être, à toute période de la vie, amoindri par +une cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit +sont également variables aux diverses périodes +de la vie.</p> + +<p>Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent +travail sera d'étudier, d'un bout à l'autre de la +vie, la meilleure manière de faire valoir ce capital, et +de le défendre contre les influences qui ne cessent +pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on +appelle les «causes morbigènes», et leurs assauts +sont ce qu'on appelle les «maladies».</p> + +<p>L'homme malade est donc, dans notre hypothèse, +celui qui vient de subir une de ces diminutions de +son capital biologique: d'où il résulte que, avant +d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous +devons d'abord envisager le capital initial, et les +causes qui en font varier la valeur.</p> + +<p>Considéré au point de vue théorique, c'est-à -dire +en négligeant les influences qui peuvent le faire +accidentellement diminuer, le capital initial est +comparable à la force qui lance un projectile dans +l'espace. Or, les mathématiciens savent exactement +quelle doit être la courbe parcourue par le projectile, +du moment qu'ils connaissent la vitesse initiale et la +masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi, +prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si +nous pouvions connaître exactement le capital de +vie qu'il apporte en naissant. Mais le fait est que, +chez les différents êtres humains, le capital initial +varie dans des proportions si énormes que nous +ne pouvons guère nous flatter d'en avoir une notion +précise.</p> + +<p>Pour des causes que nous chercherons à analyser, +il y a des êtres chez qui le capital initial est +nul: ce sont eux qui meurent en naissant, ou un +ou deux jours après leur naissance, sans «maladies» +ni lésions appréciables; tels certains enfants de +syphilitiques, qui meurent parce qu'il n'ont pas la +force de vivre.</p> + +<p>A l'autre extrémité de l'échelle se placent les +aristocrates de la santé, doués d'un capital énorme, +et qu'on voit atteindre à des âges avancés sans avoir +jamais été malades, sans avoir jamais pris de précautions +spéciales pour conserver leur santé. +Ainsi, j'ai connu, non comme médecin, mais +comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze +ans, et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre +indisposition. On peut même dire qu'il est mort +sans «maladie»; il a tout simplement cessé de vivre, +comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse +de progresser et rentre dans l'immobilité.</p> + +<p>Entre ces deux extrêmes se trouve une variété +infinie d'intermédiaires; et l'on peut dire qu'il n'y +a pas deux personnes ayant le même capital biologique +initial.</p> + +<p>Cependant les différences dans le capital initial +ne sont pas si grandes qu'on ne puisse, tout au +moins, en déterminer les causes principales, dont +l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance +majeure. Ces causes peuvent être groupées sous +trois chefs:</p> + +<p>1° Les influences héréditaires;</p> + +<p>2° La valeur actuelle des générateurs au moment +de la conception;</p> + +<p>3° Les influences qui ont pu atteindre le produit +pendant la gestation.</p> +<br><br><br> + + +<h4>CHAPITRE II</h4> + + +<h4>HÉRÉDITÉ</h4> + +<p>L'hérédité tient une place considérable dans tous +les problèmes de la vie; et, comme l'indique bien +l'étymologie du mot <i>hoerere</i>, (être attaché), tout être +vivant est relié à un long passé ancestral. Les végétaux +eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le +souci des horticulteurs n'est-il pas de créer, par de +savants procédés de culture et d'habiles sélections, +des types capables de transmettre par hérédité certaines +qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au +jour où, quand ils ont voulu trop profondément ou +trop vite forcer la nature, la plante revient à son +état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été +trop surmenée. Et les mêmes observations sont +familières aux éleveurs qui cherchent à perfectionner +les races d'animaux domestiques.</p> + +<p>Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant +que la constitution organique, la manière +d'être physique ou mentale, se transmet des parents +aux enfants ou aux descendants.</p> + +<p>L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui +constitue les grands traits de caractère si différents +de chaque race; c'est elle qui fait que les vertus, +les vices, les passions, les haines, se transmettent +dans le sein des familles aussi bien que la beauté, +la couleur des yeux, la taille, etc. Souvent elle est +directe, c'est-à -dire qu'elle provient du père ou de +la mère; parfois elle saute une ou deux générations; +d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le +type d'un parent de la ligne collatérale qui prend +la place. Mais il est rare que, dans le cours de la +vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque.</p> + +<p>Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout +temps. Dans son langage imagé, la Bible nous dit +qu'«il a encore les dents agacées, celui dont l'ancêtre +de la septième génération a mangé des raisins +verts.» Si cette parole était l'expression exacte de +la vérité, elle serait bien décevante, car elle paralyserait +tous les efforts destinés à lutter contre les +tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement +protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des +tares héréditaires; et la vérité est que l'influence +de l'hérédité est modifiée grandement par la tendance +qu'a tout être vivant à retourner à son type +primitif, comme aussi par les influences du croisement, +en vertu desquelles l'un des générateurs +peut rectifier la tare transmise par son partenaire. +Ce n'est que quand les deux générateurs ont les +mêmes tares que l'hérédité sévit avec son maximum +d'intensité; et alors non seulement les tares s'ajoutent, +mais elles semblent se multiplier l'une par +l'autre, au point de rendre l'enfant incapable de soutenir +la lutte pour l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a +pas la force de transmettre la vie. Ainsi s'éteignent +les familles par les «maladies» héréditaires, à moins +qu'un des membres de la race déchue, revenant +pour ainsi dire au type primitif, ne porte en lui une +force de réaction insoupçonnée,—héritage peut-être +d'un passé plus lointain,—qui lui permette de +reconstituer la famille.</p> + +<p>Telles sont les considérations générales qu'il +m'a semblé utile d'indiquer, parce qu'il en pourrait +sortir un grand nombre de conclusions pratiques +pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent que +j'insiste sur quelques détails plus particuliers.</p> + +<p>D'abord, l'hérédité de la longévité.</p> + +<p>Il est des familles où l'on meurt vieux, de père +en fils. On dirait des horloges remontées pour +sonner à peu près le même nombre d'heures. Il +est d'autres familles où tout le monde meurt jeune, +sans cependant qu'on puisse incriminer des «maladies» +spéciales. Pourquoi? Force est bien de le +dire, nous ne le savons pas.</p> + +<p>Notons, en passant, combien sont erronées les +théories qui attribuent à l'homme moyen une longévité +moyenne, calculée d'après l'époque de la +soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la +croissance: suivant les calculs de Flourens, cette +moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est là une +simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune +observation sérieuse.</p> + +<p>Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur +des moyennes de ce genre, et sur le calcul des probabilités, +que sont basés les statuts des compagnies +d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable +de supputer la longévité probable d'un individu +donné, quand on est en mesure d'apprécier +son capital biologique et la façon dont il sait s'en +servir. Mais dire que l'homme est bâti pour vivre +cent ans, parce que, dans les espèces animales, la +longévité a cinq fois la durée de la croissance, et +que, chez l'homme, la durée de la croissance est +de vingt ans, c'est établir une théorie sur des +bases absolument fragiles.</p> + +<p>Plus importantes encore que la plus ou moins +grande longévité des parents, sont, pour nous, certaines +particularités de leur état pathologique, qui +retentissent d'une façon souvent très profonde sur +la valeur de leurs enfants.</p> + +<p>On sait, par exemple, les influences néfastes de +l'alcoolisme héréditaire, qui non seulement restreint +la natalité, mais condamne ceux qui naissent +à une mort rapide.</p> + +<p>La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire, +elle semble la favoriser, et tout le monde +connaît, en effet, de ces nombreuses familles fauchées +par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs +s'obstinent à mettre au monde de nouvelles +victimes: aucune ne survit, à moins qu'un +traitement médical bien compris ne vienne mettre +fin à cette lamentable situation <a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup>1</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"></a><b>Note 1:</b><a href="#footnotetag1"> (retour) </a> Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette polynatalité +des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on serait tenté +d'appeler la loi de protection des faibles.<br> + +<p>N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres +sans défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction +auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde +animal. Les animaux puissants, armés pour la défense ou pour +la lutte, sont toujours de médiocres générateurs; l'éléphant, par +exemple, ne donne naissance qu'à un nombre très restreint d'individus, +la femelle porte longtemps; même remarque pour le +lion. Au contraire, les animaux sans défense, se multiplient avec +une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les lapins +d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette +colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de +toute mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau +pour l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de +moyens ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se +cacher. Dans l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples +admirablement bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas +d'enfants? Nous ne parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, +enfants; car ici intervient un autre facteur, la restriction +volontaire; mais de ces ménages exemplaires, où la venue d'un enfant +serait une joie, et qui restent stériles, sans que rien dans l'état +des conjoints explique cette stérilité.</p> + +<p>Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point +de vue de la santé, mettent au monde de nombreux enfants, +qui bien souvent constituent pour eux une richesse négative. +Ces malheureux portent le beau nom de prolétaires <i>(proles, +race)</i>.</p> + +<p>Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini. +Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi +tel couple ne donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à +des garçons? C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique +de la mère était sensiblement inférieure à celle du père. Quand il +y a une disproportion marquée entre les deux générateurs, l'enfant +qui naît a le sexe du générateur qui vaut le moins.</p> + +<p>Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine +de vie et de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque +toujours un garçon.</p> + +<p>Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles +s'observe pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans +défense: elles pullulent partout, on les trouve sous toutes les +latitudes, à toutes les altitudes; au contraire, celles qui se +défendent, ont ce qu'on appelle en botanique des «aires» très +limitées.</p> + +<p>Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi: +les métaux qui se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément +parce qu'ils sont rares et incorruptibles (mais non +incorrupteurs) que l'homme les a pris comme représentant la +valeur du travail. L'or, par exemple, que rien n'attaque, est plus +rare que les métaux qui s'oxydent facilement, tels que le fer, le +cuivre.</p> + +<p>Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une +rareté qui lui donne tout son prix.</p> + +<p>C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids +aux lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.) +que résulte un équilibre presque stable dans le monde des êtres +créés.</blockquote> + +<p>La syphilis est un des principaux facteurs de +dégénérescence. On commence seulement à connaître +l'étendue de ses ravages. On sait aujourd'hui +qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les +fait mourir avant leur naissance, ou le jour même de +leur naissance; qu'elle se traduit plus souvent +encore, dans les deux premiers mois qui suivent la +naissance, par des accidents contagieux; que, dans +les premières années de la vie, elle entraîne la +mort par méningite (méningite spéciale que l'on +prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse, +et qui serait justiciable d'un énergique traitement +anti-syphilitique).</p> + +<p>On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la +syphilis des générateurs provoque, à l'âge de huit, +dix, quinze ans, des dystrophies, parfois des accidents +tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce +sont là des curiosités scientifiques.</p> + +<p>Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle +proportion la syphilis des parents diminue la +valeur biologique des enfants en apparence bien +nés, c'est son influence sur les produits de la +deuxième et même de la troisième génération. +C'est là la science de l'avenir<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup>2</sup></a>.</p> + + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"></a><b>Note 2:</b><a href="#footnotetag2"> (retour) </a> Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de la +syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons +laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les +efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes +vérités.<br> + +<p>Il existe une <i>Société internationale de prophylaxie sanitaire et +morale</i> contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles, +et ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc., +qui toutes poursuivent un but commun: faire connaître les +méfaits des «maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du +possible et par tous les moyens possibles.</p> + +<p>La société française est certainement l'une des plus actives: +sous la vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur +Fournier, elle a déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est +fondée.</p> + +<p>Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies, +dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et +des nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle, +l'opinion publique commence à s'intéresser au redoutable problème, +on ose envisager en face la syphilis, on ose prononcer +son nom, et tout fait espérer que l'action de la Société de prophylaxie +sera au moins aussi utile que celle des ligues contre l'alcoolisme +et la tuberculose.</p> + +<p>Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on +ne modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la +tuberculose? Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre +état social, tant qu'il y aura l'affreuse misère et la promiscuité. +Tandis qu'on peut beaucoup contre la syphilis, «maladie» évitable +s'il en fut, «maladie» essentiellement curable. Mais il faut la faire +connaître dans tous les milieux, son danger provenant de l'ignorance. +C'est surtout contre cette ignorance que lutte la Société +française de prophylaxie sanitaire et morale à laquelle devraient +être affiliés tous les gens de bien, toutes les personne soucieuses +de l'avenir de la nation.</blockquote> + +<p>L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable +qu'on se plaisait à le dire? Non. Voilà , du moins, +ce qu'affirment la science expérimentale et l'observation +des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux. +Mais, dans la pratique, il serait sage de se +conduire comme si la tuberculose était héréditaire: +1° parce que les enfants de tuberculeux sont, par cela +même qu'ils vivent dans un milieu contaminé, +exposés à la contagion<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3"><sup>3</sup></a>; 2° parce que l'enfant, s'il +n'hérite pas do la tuberculose, hérite incontestablement +de la prédisposition à devenir tuberculeux. Il +ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable: +de sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension +qu'avaient nos pères au sujet de l'hérédité +de la tuberculose était parfaitement légitime.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" name="footnote3"></a><b>Note 3:</b><a href="#footnotetag3"> (retour) </a> Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de tuberculeux +a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est +de prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore +sains, pour les faire élever à la campagne dans des familles saines. +C'est ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre +la tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre +scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à +sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; +elle a fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des +demandes des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre +la nécessité de se séparer de leurs enfants encore sains pour les +confier à des familles de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés +par ses médecins, et offrant toutes garanties de moralité. Cette +Oeuvre, bienfaisante à plusieurs titres, est en outre <i>économique:</i> +chaque pupille ne coûte en effet qu'un franc par jour, parce que +tous les dévouements sont gratuits. Cette faible somme d'un +franc, bien employée, sans aucune fuite, sert ainsi les intérêts de +deux familles et sauve la vie d'un enfant.</blockquote> + +<p>L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée. +Tout est obscur dans la question du cancer: son +étiologie, ses modes de transmission, ses variétés +d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes +ces incertitudes, malgré les belles promesses de la +sérothérapie, de la vaccination anti-cancéreuse, et +de la radiothérapie.</p> + +<p>En résumé, l'hérédité est le principal facteur de +la valeur biologique des individus. Chacun, de par +son hérédité, naît avec une valeur différente: l'inévitable +inégalité sociale existe non seulement le +jour de la naissance, mais le jour même de la conception.</p> + +<p>C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la +différente valeur des différents organes. Beaucoup +naissent avec un organe plus faible que les autres, +de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir +compte de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il +se trouve en face d'un malade quelconque.</p> + +<p>Les organes qui subissent le plus notablement +la tare héréditaire sont: le système nerveux, le +coeur, et les reins.</p> + +<p><i>A</i>) Les tares nerveuses se transmettent avec une +constance redoutable; et c'est à juste titre qu'on +craint les alliances avec des sujets dont les parents +sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme +exagéré.</p> + +<p>Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de +l'hérédité nerveuse à des limites excessives: car, +ainsi que je l'ai dit, nous devons compter avec une +sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle +l'être naissant est débarrassé de sa tare ancestrale; +l'hérédité n'est jamais absolument fatale. Et nous +devons prévoir aussi les atténuations que peuvent +amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse +du père peut très bien être atténuée par le bon +équilibre nerveux de la mère, le croisement bien +compris entraînant une sorte de régénération. +Enfin, il est certaines «maladies» nerveuses qui ne +se transmettent jamais par hérédité: telle la +paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme +est mort dans un asile, par le fait de la paralysie +générale, il ne faut pas conclure que ses descendants +soient menacés de folie, ou même de tares nerveuses. +Le paralytique général a pris la «maladie» +uniquement pour son compte, et il ne la transmet +pas plus que ne transmettrait sa tare nerveuse +un homme qui serait, accidentellement, empoisonné +par le plomb. Tout ce qu'on peut dire du paralytique +général, c'est que, neuf fois sur dix, c'est +un syphilitique, et que sa descendance peut être +entachée de syphilis au même titre que la descendance +d'un syphilitique quelconque.</p> + +<p><i>B</i>) L'hérédité des cardiopathies est également +très intéressante à étudier: elle n'est pas assez +connue.</p> + +<p>Il y a des familles dans lesquelles tous les membres +succombent aux affections cardiaques. C'est +donc que, là , les enfants apportent, en naissant, un +point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose +curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne +devient perceptible, chez ses divers membres, qu'à +des âges plus ou moins avancés. Vers trente ans, +l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou +sept ans plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre, +tout en ayant le coeur sain à l'auscultation, succombera +par le coeur, dans le cours d'une pneumonie. +«La «maladie» était au poumon, et le danger au +coeur» (Huchard). Un troisième membre mourra à +cinquante ans, à son quatrième accès d'angine de +poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la +moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre +affection capable de déterminer des lésions cardiaques. +Enfin un quatrième aura de la tachycardie +paroxystique. Et tout cela parce que la mère des +quatre enfants aura eu, avant la naissance du premier, +le coeur touché accidentellement par le rhumatisme; +je connais même une famille où l'hérédité +remonte à deux générations: presque tous les +membres de cette famille sont des cardiopathes.</p> + +<p>C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale +mérite d'être signalé au même titre. On connaît l'albuminurie +héréditaire et familiale: mais les récents +travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont +démontré, en outre, qu'une mère atteinte de +néphrite donne naissance à des enfants dont les reins +sont moins résistants aux infections et aux intoxications, +ou même sont altérés au point d'entraîner +la mort dès les premiers jours de la vie. +De plus, chacun naît avec une prédominance de +tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le +système nerveux qui présente un développement +hors de proportion avec les autres systèmes organiques; +chez d'autres, c'est le système musculaire.</p> + +<p>Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement +parler, des malades, ni même des candidats à la +«maladie»; ils peuvent avoir un excellent capital +biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas +commettre de fautes dans la direction à leur conseiller. +Et nous retrouverons cette importante +donnée quand nous parlerons des grands problèmes +de l'éducation.</p> + +<p>Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette +singulière prédominance d'un des côtés du corps +sur l'autre que l'on observe chez la plupart des +malades? En général, c'est le côté gauche qui est le +plus faible; c'est lui qui est le siège des névralgies, +des pneumonies, des misères variées que les +malades accusent; c'est lui qui est le plus faible +au dynamomètre; et tout le monde sait que la main +gauche est, en général, moins habile que la main +droite; le langage courant traduit cette infériorité, +en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile. +Chez d'autres, au contraire, c'est le côté droit du +corps qui est le siège de toutes les douleurs névralgiques, +rhumatismales, sans pour cela que ces +malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir +recherché la part de l'hérédité dans cette répartition +inégale de l'influx nerveux, que je ne fais +que signaler en passant.</p> + +<p>Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de +voir, et qui doit en former pour nous la conclusion +pratique, c'est que, pour difficile que soit la connaissance +précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être +n'y a-t-il pas de point sur lequel l'attention +du clinicien doive se porter plus soigneusement! +En présence d'un malade, notre premier effort doit +être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses +parents; et les résultats de cette première enquête +doivent toujours nous être présents à l'esprit, tout +dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais +surtout quand nous aurons à diriger sa santé.</p> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE III</h4> + +<h4>CONCEPTION</h4> + +<p>L'influence de la valeur actuelle des générateurs, +au moment de la conception, est à peine soupçonnée, +et le fait est qu'il serait bien difficile de la +démontrer; elle doit être, cependant, considérable, +et il y a tout lieu de croire que la valeur d'un +individu à naître varie du tout au tout selon qu'il a +été conçu dans de bonnes ou de mauvaises conditions.</p> + +<p>Depuis longtemps, les médecins protestent contre +les voyages de noces. On ne saurait trop faire +campagne contre cette coutume, tout au moins antihygiénique. +Considérez, en effet combien s'accumulent +les conditions déplorables pour la procréation, +chez deux conjoints dont le système nerveux +a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires +du mariage, par la fatigue des journées +consacrées à sa célébration, par les émotions inséparables +de cet acte important de la vie! Et voilà +ces jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour +un voyage lointain, qui s'exposent à des fatigues +de toute sorte, à la déplorable alimentation de +l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de résidence +tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions +que, sans recueillement, à la légère, ils accomplissent +l'acte qui doit donner <i>la vie</i>.</p> + +<p>Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte +conjugal s'opère à la suite de repas copieux, dans +des conditions non moins déplorables.</p> + +<p>Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion +de la jeune femme, trop souvent surprise par +les conditions nouvelles de l'existence qu'elle a +adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait +le professeur Pinard: « En plein XXe siècle, nous +procréons comme les hommes des cavernes. »</p> + +<p>Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose +que d'appeler l'attention sur un mal dont presque +personne ne soupçonne l'importance, en dehors du +monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi +dire, d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra +le danger.</p> + +<p>Appelons aussi l'attention sur un point délicat: +sur la nécessité de faire l'éducation de la jeune +fille, pour qu'elle sache ce qu'est le grand acte de +la procréation.</p> + +<p>Je vois d'ici les mères françaises frémir, et +s'armer en guerre les bataillons de ceux qui confondent +la pudeur avec la pudibonderie. Nul doute, +cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans +nos moeurs, à cet égard, et dans tous les milieux +sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler ce que dit la +Bible, dans le livre de <i>Tobie</i>, chapitre VII? Le fils +du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël, +allait épouser Sara, fille de Raquel, laquelle avait +vu mourir subitement ses sept premiers maris, +aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour +lui éviter pareil sort, l'ange donnait au jeune +homme les conseils suivants: « Lorsque des personnes +s'engagent tellement dans le mariage +qu'elles bannissent Dieu de leur coeur et de leur +esprit et qu'elles ne pensent qu'à satisfaire leur +brutalité, comme les chevaux et les mulets qui +sont sans raison, le démon a pouvoir sur elles. +Mais pour toi, après que tu auras épousé cette fille, +étant entré dans la chambre, vis avec elle en continence +pendant trois jours, et ne pense à autre +chose qu'à prier Dieu avec elle! La troisième nuit +étant passée, tu prendras cette fille, dans la crainte +du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants +plutôt que par un mouvement de passion, afin que +vous ayez part à la bénédiction de Dieu. »</p> + +<p>Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend +pas, pour procréer, plus de précautions qu'à l'époque +des premières ardeurs; c'est également une faute +dont se ressent le produit de la conception.</p> + +<p>Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de +la procréation. Ce traité, conçu dans un esprit +large, libéral, scientifique, qui tiendrait compte de +tous les éléments du problème, c'est-à -dire non +seulement du point de vue médical, mais aussi de +l'élément passionnel, répondrait à un véritable +besoin.</p> + +<p>Et un chapitre, et l'un des plus importants, +devrait y être consacré au traitement préventif de +la syphilis héréditaire. Combien d'hommes atteints +de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, +ignorent les bienfaits d'un traitement spécifique, +qu'ils suivraient deux ou trois mois avant de se +marier, pour préserver leurs enfants de la terrible +«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer +ce traitement préventif, alors même qu'ils +savent que le générateur a eu la syphilis! Mais +je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet.</p> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE IV</h4> + +<h4>GESTATION</h4> + +<p>Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant +la gestation, nous n'avons aucune donnée précise +à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par +exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse +pénible, voire même des vomissements incoercibles, +donnât naissance à un enfant plus spécialement +faible; inversement même, bien des femmes +d'une santé médiocre ont des grossesses superbes. +J'étonnai fort une malade, un jour, en lui disant +qu'elle ne devait aller bien que pendant ses grossesses. +C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, +et que la grossesse devait lui produire l'effet d'une +sangle, en soutenant les organes. Mais il n'est +guère vraisemblable qu'un état de santé aussi artificiel, +et aussi transitoire, soit, pour le produit de +la conception, un brevet de santé future.</p> + +<p>Par contre, les «maladies» de la mère pendant la +grossesse ont une influence bien connue sur la +valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne provoquent +pas l'avortement, elles impriment à l'enfant +une tare.</p> + +<p>J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif. +Une jeune femme, au quatrième mois de sa première +grossesse, avait eu une appendicite si nettement +caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher, +et moi-même, avions été sur le point de +provoquer l'intervention d'un chirurgien. La malade +avait pu, cependant, être traitée médicalement: mais +l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance +une intolérance intestinale véritablement anormale. +Une première nourrice, choisie par l'accoucheur, +lui a donné un lait qui a semblé trop fort, +car l'enfant a eu, dès le deuxième jour, de la +diarrhée verte et des vomissements. Dans l'espace +de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours +choisies avec le plus grand soin, n'ont pas eu +plus de succès: à chaque nouvelle nourrice, vomissements, +fièvre ardente, diminution rapide du +poids. Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix +des nourrices idéales, on était bien obligé de donner +à l'enfant du simple lait de vache coupé; alors il +allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait +très vite, la vie revenait: de telle sorte que, +après ces quatre tentatives d'allaitement par le lait +de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin, +pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet +enfant a probablement un intestin extrêmement délicat, +à cause de l'appendicite de sa mère pendant la +gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé +coupé!» Et il eut raison; grâce à d'infinies +précautions, à une surveillance méthodique, l'enfant +put être élevé.</p> + +<p>Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends +pas faire le panégyrique de l'allaitement +artificiel: je ne le cite que pour prouver comment +la «maladie» d'un organe de la mère pourrait +bien avoir une répercussion sur le fonctionnement +du même organe, chez l'enfant qu'elle porte en son +sein.</p> + +<p>Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions +de la mère, pendant la grossesse, peuvent avoir un +retentissement sur la qualité du produit. Et de là +dérive le devoir strict, pour la société, de protéger +la femme enceinte. Quelques philanthropes l'ont +bien compris; mais cette notion n'a pas assez +pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est +un scandale, pour une nation civilisée, de voir le +peu qui est fait pour assister la femme enceinte, +pour lui épargner les soucis de l'avenir prochain et +les fatigues des derniers jours de la gestation.</p> + +<p>Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme. +S'ils naissent avant terme par le fait de la «maladie» +des générateurs, de la syphilis par exemple, leur +valeur biologique est sensiblement réduite, et peut +même être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant +terme accidentellement, par exemple à la suite +d'une chute de leur mère, ou d'une intervention +obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup +moins compromis qu'on ne le croit dans le public +non médical. Le tout est de leur assurer une température +qui se rapproche de celle qu'ils avaient +dans le sein maternel.</p> + +<p>Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les +modèles de couveuses artificielles. Ces appareils, +certes, peuvent rendre des services; mais il ne +faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer, +en préservant l'enfant du froid, ce qui s'obtient: +1° en chauffant convenablement sa chambre, et +en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en +sachant l'alimenter dès sa naissance. Ce second +problème est difficile; pour le résoudre, il faut se +rappeler une grande loi que nous retrouverons +plusieurs fois dans le cours de cette étude, et +qui consiste à proportionner la valeur nutritive +de l'aliment, et le nombre de prises alimentaires, +à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant +terme, on donnera donc, toutes les demi-heures, +une cuillerée à café de lait, coupé de 2/3 d'eau +bouillie sucrée.</p> + +<p>L'enfant va naître; quel préjudice lui cause +l'accouchement au forceps? Nous ne pouvons pas +nous défendre de redouter, pour notre part, la +compression colossale qu'impose l'application du +forceps à la masse cérébrale de l'enfant. Mais +l'étude approfondie de cette question, qui aurait +pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a +pas encore été faite, à notre connaissance du +moins, d'une façon suffisante. En tout cas, on est +en droit de considérer comme coupable une intervention +au forceps faite pour gagner du temps, +ou pour faire valoir l'importance des soins obstétricaux.</p> + + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE V</h4> + + +<h4>LES INFLUENCES MORBIGÈNES +ET LES SYMPTOMES MORBIDES</h4> + +<p>L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne +ne le sait, sauf dans les cas extrêmes où il vient +au monde avec des apparences tellement misérables +que, dès son premier vagissement, son +infériorité saute aux yeux; c'est ce qui arrive chez +les hérédo-syphilitiques, et rien n'est aussi navrant +que l'apparition du petit monstre aux lieu et +place d'un enfant bien vivant, attendu avec une +légitime impatience. Il faut avoir assisté à ce +spectacle pour en comprendre la poignante horreur. +Tout le monde, sauf la mère, s'accorde alors à +penser qu'il vaudrait mieux que l'enfant ne fût pas +né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible de +savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec +lui; c'est son secret, qu'il gardera pendant toute la +durée de son existence, mais que le médecin parviendra +cependant à deviner en partie, s'il sait +fouiller l'hérédité de son malade et s'inspirer des +quelques principes que nous avons esquissés à grands +traits dans le chapitre précédent.</p> + +<p>L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être +une «lutte pour la santé», une suite d'efforts, +volontaires ou instinctifs, pour défendre son capital +naturel de santé contre les «influences morbigènes» +qui vont le guetter à chaque pas.</p> + +<p>Ces influences morbigènes, que l'être vivant va +rencontrer sur sa route, depuis le jour de sa naissance +jusqu'à la fin de sa carrière, nous allons +tout de suite les esquisser à grands traits.</p> + +<p>Au début, nous avions assimilé, pour les besoins +de la théorie, l'être humain à un projectile lancé +dans l'espace avec une vitesse initiale déterminée; +mais, tandis que le projectile parcourt une courbe +mathématique, qu'on appelle une parabole, la +courbe évolutive de l'être humain est une courbe +irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une influence +morbigène survient, puis remonte pour osciller de +nouveau, puis fléchir définitivement à partir d'un +certain moment de la vie que nous appellerons le +début de la période de déclin, et toujours avec des +oscillations à amplitude de moins en moins considérable, +jusqu'au moment où toutes les réserves se +trouvent épuisées.</p> + +<p>La mort peut encore interrompre brusquement la +courbe évolutive; c'est ce qui arrive quand la brèche +faite au capital est irréparable, soit à cause de l'importance +de l'assaut perturbateur, soit à cause de +l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux +influences se combinent; et le nombre de leurs combinaisons +est incalculable.</p> + +<p>La variété des causes morbigènes est elle-même +infinie; mais la nature n'a qu'un nombre limité de +moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte que +les causes les plus variées peuvent se traduire par +les mêmes symptômes. Aussi accordons-nous relativement +peu de valeur à l'étude du symptôme. Les +symptômes s'associent de mille et une façons, pour +constituer autant déformes morbides différentes. Que +dis-je? Il n'est pas deux malades qui se ressemblent, +Ce n'est que pour la facilité de l'étude que les +pathologistes ont créé des cadres posologiques; +mais on comprend assez que ces cadres devraient +être aussi élastiques que possible. Le vrai médecin, +après s'en être servi pour faire d'excellentes études, +ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire abstraction, +de penser et d'agir comme si les cadres +n'existaient pas. Et un moment viendra même, +quand son expérience clinique sera suffisante, où +il aura tout intérêt à faire table rase des notions +qu'il a péniblement accumulées par un travail assidu +et prolongé; tout comme l'architecte, qui, une fois +la construction terminée, fait enlever les énormes +échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction +de l'édifice.</p> + +<p>Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides +est indispensable au clinicien, et l'on ne +saurait apporter trop de soins à connaître, dans tous +leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais +il y a un écueil: c'est que, la théorie du moindre +effort s'appliquant naturellement à l'esprit humain, +on a une tendance involontaire à attribuer aux +symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont +pas; en d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une +manifestation morbide devient, trop aisément, dans +l'esprit du médecin, la cause de la «maladie».</p> + +<p>Prenons comme exemple la constipation: ce n'est +en réalité qu'un symptôme, et qui peut se trouver +chez une foule de malades différents. Nous ne parlons +pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est +d'origine mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque, +etc.). Un mot cependant, en passant, pour dire que +le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces +causes mécaniques, et de traiter par des moyens +médicaux des malades dont une intervention chirurgicale +aurait pu prolonger la vie ou atténuer les +souffrances.</p> + +<p>Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires +de la chirurgie, n'est-il pas vrai que la constipation +est un symptôme banal, pouvant être attribué à +une foule de causes? Parfois, elle est due à des +lésions d'organes lointains, par un mécanisme +réflexe à long circuit, suivant l'ingénieuse expression +de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions +utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, +elle est due à un trouble profond du système nerveux, +qui, avant l'apparition de la constipation, +avait traduit son malaise par des plaintes variées. +D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même +temps que l'entéro-colite sa compagne, à la suite +d'un choc brutal, moral ou traumatique.</p> + +<p>De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due +tantôt à un manque, tantôt à un excès d'exercice +musculaire. Les hommes qui ont besoin de beaucoup +d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant +les prédispositions héréditaires, ou des cérébraux, +ou des goutteux, ou des lithiasiques, mais +toujours des constipés: et leur constipation disparaît +a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis +de l'exercice qui leur convient. Inversement, les +hommes qui prennent trop d'exercice deviennent +dyspeptiques et constipés, et le lit est leur meilleur +laxatif.</p> + +<p>Enfin la constipation peut tenir à une erreur de +régime, soit à l'abus du lait (le cas est fréquent), +soit à l'usage abusif de la viande: alors le régime +semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer +de régime pour voir disparaître la constipation.</p> + +<p>La constipation n'est donc qu'un symptôme.</p> + +<p>Certes, en vertu de la synergie des fonctions, +des répercussions à distance, en vertu de ce principe +que le système nerveux abdominal a des relations +intimes avec le système nerveux central, que, +d'une façon plus générale, le trouble d'un département +quelconque du système nerveux retentit sur +les autres départements, la constipation, bien que +symptomatique, contribue dans une certaine +mesure à entretenir la «maladie», ne fût-ce que par la +préoccupation qu'elle cause au malade, et qui peut +dégénérer quelquefois en véritable obsession. +Mais ce qu'il faut se rappeler, quand on aborde le +problème thérapeutique, c'est que le système nerveux +est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien +nous accorder que la solidité d'une chaîne est égale +à celle du plus faible de ses anneaux, on comprendra +l'importance qu'il y a à rechercher quel +est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, +quelle est la partie du système nerveux qu'il faut +viser et consolider, pour guérir le constipé médical.</p> + +<p>Il n'y a donc pas de remède contre la constipation, +et, pour l'atteindre, il faut atteindre la «maladie», +dont elle constitue une des manifestations les moins +importantes et, disons-le tout de suite, les plus +faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler +paradoxal, j'affirme que la constipation est, de tous +les symptômes observés chez le constipé médical, +celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade +qui souffre, depuis des années, de ces misères variées +qu'on est convenu de désigner sous le nom un +peu vague de neurasthénie, et parmi lesquelles +la constipation joue un rôle capital; après enquête +minutieuse, trouvez la formule exacte de son +régime, et par régime je n'entends pas seulement +le régime alimentaire, mais la réglementation +minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et +de son travail cérébral, etc.; supprimez les agents +thérapeutiques qui entretiennent la «maladie» (douches +froides, exercice forcé, médicaments variés, +diète lactée); supprimez surtout les influences qui +entretiennent le trouble nerveux de son intestin, à +savoir les purgatifs, lavages à grande eau, etc.: et +vous serez étonné de voir la constipation disparaître, +avant même toutes les autres misères. Le malade +vous dira, au bout de huit jours: «Chose curieuse, +docteur, je souffre encore de la tête, de l'estomac, +du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence +à retrouver le sommeil, et surtout je vous +suis bien reconnaissant parce que ma constipation, +si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je +n'ai presque plus de peaux dans les selles, et je +commence à reprendre confiance.» A partir de ce +moment précis vous tenez le malade, il a en vous +une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner +méthodiquement, si surtout des influences étrangères +ne viennent pas contrecarrer la vôtre, si le +malade est assez intelligent pour s'abandonner +entièrement à votre direction, vous lui rendrez, peu +à peu, la santé. Il aura des rechutes inévitables: +mais lui annoncer à l'avance ces rechutes, c'est consolider +sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins +importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne +tracée par vous: s'il commet un écart de régime, +un excès d'exercice, ou s'il a une commotion morale, +l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée +d'état gastrique, de douleurs abdominales, de glaires +sanguinolentes, de fièvre quelquefois; mais ce sera +pour le bien du malade, si vous parvenez à lui faire +toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui +faire comprendre que cette rechute était évitable.</p> + +<p>Si nous prenions une autre manifestation morbide +quelconque, nous verrions qu'elle appartient, de +même, à une foule d'affections. Le mal de tête, par +exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus +variés, n'est-il pas produit par les influences les +plus diverses? Heureusement pour les malades, il +n'est encore venu à l'idée de personne de trouver +un remède applicable à tous les cas de mal de tête. +Nous en connaîtrions un, par hasard, que nous +nous garderions bien de le divulguer: car, si la +médecine «du symptôme» est détestable au point +de vue de l'étude nosographique, elle l'est encore +plus au point de vue thérapeutique.</p> + +<p>Mais qu'on lise une monographie quelconque +sur un symptôme, ou un ensemble de symptômes +(ce qu'on appelle un <i>syndrome</i>): on y trouve toujours +en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans +mon article <i>Epilepsie</i> du <i>Dictionnaire Encyclopédique</i>, +j'ai essayé de montrer combien il faut se +méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir +une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique +utile des épileptiques. De même, en lisant +ces jours-ci une intéressante étude du Dr Baraduc +sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon, +j'y voyais une conception qui se rapproche grandement +de la mienne. Qu'on en juge par les quelques +lignes que voici: «L'entéro-colite muco-membraneuse +est un syndrome clinique dépendant +d'un trouble fonctionnel du grand sympathique +abdominal, des causes nombreuses et variées étant +capables de retentir sur les plexus intestinaux et de +troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces +causes n'est suffisante, à elle seule, pour produire +l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité une prédisposition +spéciale du système nerveux, et plus +particulièrement du sympathique abdominal, à se +troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette prédisposition +nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire, +est l'apanage des neuro-arthritiques.» Si +l'auteur voulait bien avouer seulement que cette +expression de «neuro-arthritiques» ne fait que +dissimuler notre ignorance, nous serions tout à +fait d'accord avec lui.</p> + +<p>En résumé, si le médecin doit bien connaître +dans tous leurs détails, sous tous leurs aspects, +dans leurs moindres nuances, les manifestations +morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie, +et ne pas s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En +un mot, il doit voir de haut pour voir loin, à condition +toutefois de ne pas se perdre dans les +nuages.</p> + +<p>Quelquefois, tous les systèmes organiques sont +troublés à la fois sous l'influence d'une cause morbigène. +C'est ce qui arrive, par exemple, à la suite +d'un choc traumatique violent, On voit, du jour +au lendemain, le blessé devenir à la fois dyspeptique, +déséquilibré abdominal, constipé avec entérite +muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et +il peut rester longtemps dans ce misérable état +qu'on désigne sous le nom d'<i>hystéro-neurasthénie +traumatique.</i></p> + +<p>La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent +également à la fois, tous les appareils +de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la +sidération peut être telle que le capital vital initial +et les réserves antérieures se trouvent tout à coup +épuisés: c'est la banqueroute totale, c'est la mort. +D'autres fois, le capital et les réserves ne sont +que profondément entamés. C'est la «maladie» grave, +aggravée encore par des médications et des pratiques +intempestives; à un moment donné, le capital +peut être réduit à si peu de chose, que la moindre +dépense suffit pour l'anéantir. Le malade est une +flamme vacillante que le moindre souffle peut +éteindre, mais à laquelle un savant dosage d'oxygène +rendra, peu à peu, la vie.</p> + +<p>Quand le capital est moins profondément atteint, +ou quand la cause morbigène est moins importante, +les troubles fonctionnels, au lieu d'être généralisés, +atteignent plus spécialement tel ou tel +organe: l'organe le plus faible, qu'il soit plus +faible par le fait de l'hérédité ou par le fait d'une +atteinte antérieure. Mais, en vertu de la synergie +qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel +ne reste pas longtemps limité à un organe +ou à un système organique. Voyez le grand neurasthénique: +il est à la fois dyspeptique, entéralgique, +cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, +a été le premier atteint? Impossible de le dire, après +deux ou trois ans de «maladie». Cependant une +enquête bien conduite peut permettre souvent de +reconstituer son histoire pathologique, de voir par +où la «maladie» a commencé, quel était le point initial. +Et c'est de la connaissance de ce point faible +initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique. +Le médecin portera la plupart de ses efforts +sur le point faible qu'il aura découvert, sans +négliger, cependant, les perturbations secondaires +attribuables à la synergie des fonctions de tout être +vivant.</p> + +<p>Il arrive même, quand l'influence morbide est +peu intense, ou quand les réserves sont bonnes, +que le trouble de la santé ne se traduit que par un +nombre très limité de symptômes, parfois même +par un seul. Ainsi il y a des migraineux qui n'ont +que de la migraine, des malades qui n'ont, comme +manifestation morbide que le symptôme constipation, +d'autres qui n'ont que de la sciatique; mais +ces cas sont exceptionnels, et, en bonne clinique, +et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il +faut, presque de parti pris, les éliminer, et chercher +au delà de la manifestation monosymptomatique. +Presque toujours, alors, ou trouvera que la +«maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence.</p> + +<p>De même que, dans une compagnie de chemins +de fer, une irrégularité dans le service, minime en +apparence, dénonce, si elle se renouvelle fréquemment, +une mauvaise direction générale, de même, en +biologie, il n'est pas d'indispositions insignifiantes, +si limitées soient-elles à tel ou tel organe. L'apparition +d'une douleur à l'épaule, par exemple, qui +paraît une affection bien locale, est l'indice d'une +perturbation plus profonde qu'on ne le croit du système +nerveux central.</p> + +<p>Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est +toute une doctrine qui est contenue dans cette affirmation; +c'est que en effet c'est le système nerveux +central qui à notre avis est le grand réservoir de +l'énergie. C'est par lui que nous vivons, que nous nous +mouvons, et que nous sommes. C'est lui qui dirige +le fonctionnement de tous les organes, de sorte +que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement, +la névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation +spinale, la folie, la névropathie généralisée, etc., +mais encore les troubles de circulation vaso-motrice +des différents organes. En dernière analyse, +il est la clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations +se traduisent par les symptômes les +plus variés, au point d'égarer presque fatalement +le diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. +Quelles que soient donc la forme, la gravité, l'apparence +de la manifestation morbide, c'est toujours +le système nerveux central qu'il faudra étudier, +c'est sur lui que devra porter le grand effort thérapeutique.</p> + +<p>Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du +malade et surtout la cause ou la série de causes +qui ont fait fléchir momentanément son système +nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa +valeur biologique.</p> + +<p>Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont +multiples. Il en est qui appartiennent à tous les +âges, mais d'autres qui appartiennent plus spécialement +à un âge déterminé.</p> + +<p>Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude, +c'est d'après ce plan que nous passerons en revue +les principales de ces causes morbigènes. Nous +les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain: +1° depuis le jour de la naissance jusqu'au sevrage; +2° du sevrage à la puberté; 3° de la puberté à l'âge +adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes +phases du déclin; 6° pendant la vieillesse.</p> + +<p>Nous introduirons, en outre, des subdivisions, +suivant que les influences pathogènes atteignent +plus spécialement: 1° le système nerveux digestif; +2° le système nerveux musculaire; 3° le système +nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie, +nous mentionnerons les affections accidentelles qui +portent atteinte à la fois à tous les systèmes organiques: +nous voulons parler des «maladies» aiguës +(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des +intoxications (syphilis, intoxications alimentaires, +etc.), toutes affections qui, par la brutalité de +leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des gens +du monde et de beaucoup de médecins, mais qui, +en réalité, ne constituent que la partie la moins +importante de la pathologie, surtout au point de +vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera, +j'espère, que cette formule n'est paradoxale +qu'en apparence<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4"><sup>4</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" name="footnote4"></a><b>Note 4:</b><a href="#footnotetag4"> (retour) </a> Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont inévitables +et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être +vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui +constituent le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail, +en même temps qu'il dessinera à grands traits toute la pathologie, +effleurera forcément les problèmes afférents à l'hygiène et +a la thérapeutique, en d'autres termes, à la gestion du capital.<br> + +<p>L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté, +l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun, +constituée essentiellement par le capital initial, et par les intérêts +qu'il rapporte.</blockquote> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE VI</h4> + + +<h4>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE +(PUÉRICULTURE)</h4> + +<p>Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou +faible et qu'il sera bien ou mal géré, l'être vivant +sera sain ou malade, donnera ou ne donnera pas +son maximum de rendement, fournira ou ne fournira +pas la carrière qui lui était originairement +dévolue.</p> + +<p>Dans les premières années de la vie, la gestion +du capital appartient tout entière aux parents. Bien +peu savent élever leurs enfants; et s'il est des +connaissances qu'on devrait répandre à profusion +dans tous les milieux sociaux, ce sont celles relatives +à la «puériculture», d'autant que les règles +en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le +démontre le <i>Traité de Puériculture</i> du professeur +Pinard, qui devrait être entre les mains de toutes +les mères de famille.</p> + +<p>Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science +de la puériculture.</p> + +<p>Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à +tout propos et hors de propos, l'alimenter intelligemment, +lui épargner toute médicamentation +meurtrière, le préserver du froid et des changements +brusques de température: et c'est tout.</p> + +<p>Si seulement on savait la manière d'économiser +les vies d'enfants, on pourrait le faire dans les +milieux en apparence les plus défectueux; c'est +ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de +MM. Schneider, la mortalité des enfants au-dessous +d'un an n'est que de 110 p. 1000, alors que, dans +le canton de Vaud, renommé pour l'excellence de +ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000. +Ce magnifique résultat est dû surtout à l'élévation +des salaires, qui permet aux mères de se consacrer +librement à leur mission maternelle. Près de +80 p. 100 des mères allaitent leurs enfants, toutes +font de la puériculture avant la naissance. (<i>Rapport</i> +de M. le professeur Pinard, à l'Académie de médecine, +25 juillet 1905.)</p> + +<p>Il est bien évident que le capital initial ne suffit +pour entretenir la vie que pendant quelques jours; +il a besoin d'être sans cesse renouvelé et augmenté, +pour permettre de faire des réserves, de donner à +l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de +transmettre la vie à son tour. C'est l'aliment qui +pourvoit à ce besoin incessant; et par aliment nous +entendons non seulement ce qui entre dans le tube +digestif, mais aussi l'air, que les anciens définissaient +très justement le <i>pabulum vitae</i>.</p> + +<p>Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa +quantité, par une répartition vicieuse, la «maladie» +ne tarde pas à naître; c'est là la cause essentielle +de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait +croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise +alimentation du premier âge retentit sur toute la vie +pathologique de l'individu. Quelques médecins le +disent, le crient même, mais c'est dans le désert; +la plupart le nient, ou passent indifférents à côté +de cette vérité profonde. Quant aux gens du monde, +ils en soupçonnent à peine l'importance.</p> + +<p>La vérité est que, quand un enfant a été mal +nourri loin de sa famille, quand il revient de nourrice +avec un gros ventre, on peut affirmer que, +toute sa vie, il sera un valétudinaire.</p> + +<p>Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle +de gens incompétents, ou quand, poussée par son +médecin, qui veut mettre à l'abri sa responsabilité, +une mère consent à abandonner les doux devoirs +de la maternité et à confier à une nourrice l'enfant +qu'elle aurait dû allaiter, quand à cette nourrice en +succèdent deux ou trois autres, sous des prétextes +quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de +l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être +insupportable, puis un écolier de quatrième ordre, +dans son adolescence un raté, incapable de payer +sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. +Ces considérations doivent être présentes à l'esprit +du clinicien qui, se trouvant en face d'un +malade quelconque, arrivé à un âge quelconque, +doit chercher à connaître ce que vaut ce malade.</p> + +<p>On comprend donc l'importance du problème de +l'alimentation dans la première enfance. En principe, +comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de +la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut +faire quelque chose qui soit puissamment efficace +et fructueux, il est nécessaire, il est indispensable +de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, +et ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot, +il faut permettre à la mère de donner ce qu'elle +possède.» (<i>Rapport</i> du professeur Pinard à l'Académie, +juillet 1905.)</p> + +<p>Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir, +il faut recourir immédiatement à l'alimentation +artificielle, soit avec le lait stérilisé du commerce,—dont l'innocuité est quotidiennement démontrée +par les résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville, +au dispensaire très habilement dirigé par +M. le Dr Variot,—soit encore avec le lait de vache +bien surveillé, fraîchement et proprement trait, +sucré, plus ou moins étendu d'eau, puis stérilisé +dans la famille, avec des appareils Sosclet, ou +mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire».</p> + +<p>C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette +«Goutte de lait» de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait +servir de modèle à toutes les institutions du même +genre, à cause de la simplicité de son organisation.</p> + +<p>Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, +maire de Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un +subside de trente mille francs mis à sa disposition +par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait» +a déjà rendu d'importants services: elle a fait +tomber la «maladie» des enfants de 0 à 1 an de +288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile +le plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000.</p> + +<p>La consultation des nourrissons a lieu tous les +dimanches matin, dans un local mis à la disposition +de l'Oeuvre par la municipalité de Saint-Pol-sur-Mer: +120 enfants, en moyenne, sont présentés +tous les dimanches.</p> + +<p>Les mères arrivent par séries, et se réunissent +dans une grande salle chauffée où elles déshabillent +leurs enfants. Elles pénètrent successivement +dans la salle de consultation. Chaque enfant est +pesé, puis examiné par le médecin, qui compare +le poids actuel à celui du dimanche précédent, +l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, et +fixe le régime pour la semaine qui va commencer. +Toute mère reçoit, soit un important secours <i>en +nature,</i> si l'enfant est nourri au sein,—car on fait +tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement +maternel,—soit des biberons de lait <i>pasteurisé</i>, si +l'enfant est à l'allaitement mixte ou artificiel.</p> + +<p>Le lait est distribué tous les jours au local de +l'Oeuvre. Chaque enfant à l'allaitement artificiel a +un double jeu de biberons et de paniers, qui lui +sont personnels. En venant chercher les biberons +prescrits, la mère remet ceux que l'enfant a vidés +la veille. Un seul homme suffit pour assurer tout le +service.</p> + +<p>Le lait est distribué gratuitement à tous les +enfants indigents. Fourni à l'Oeuvre à son prix +coûtant, il provient des étables du Sanatorium de +Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans +avoir été préalablement soumise à l'épreuve de la +tuberculine.</p> + +<p>Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé +Coutant: c'est-à -dire que, dans le biberon même +où la mère devra l'utiliser pour son enfant, le lait +est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement +refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement +brusque a été rendu possible par la contexture +même du verre des flacons.</p> + +<p>Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes +pathogènes, et, à l'inverse du lait stérilisé à 110°, a +conservé toutes ses propriétés digestives et nutritives.</p> + +<p>Après la pasteurisation, les biberons restent +plongés dans des bacs remplis d'eau froide, jusqu'à +la livraison aux mères.</p> + +<p>La pathologie infantile est relativement simple. +Faut-il donc, comme on le propose de divers côtés, +faire faire à tous les étudiants en médecine un +stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier +aux mystères de cette pathologie? Remarquez que +d'autres médecins demandent un stage spécial +pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées; +d'autres encore un stage pour l'étude des «maladies» +nerveuses, sans parler de ceux qui voudraient un +stage pour les «maladies» des yeux, des organes +génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, +pour celles des oreilles et du nez? et, à ce compte, +combien de temps dureraient les études médicales? +Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils +étaient praticables; mais ils auraient pour effet de +restreindre plus que de raison le nombre des futurs +médecins, et de remplacer la pléthore médicale +actuelle par une anémie encore plus regrettable.</p> + +<p>Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est +qu'il lui reste beaucoup <i>à apprendre</i>, c'est que +toute sa vie de praticien ne sera pas trop longue +pour savoir lire dans le grand livre de la nature. +Mais il nous semble que, pour ce qui concerne en +particulier la pathologie des enfants, un peu de +bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments, +de la patience, suffisent pour faire de bonne +thérapeutique infantile, quand, par ailleurs, on +connaît les lois générales de la pathologie.</p> + +<p>Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants, +je me rappelle avoir été appelé en consultation, +en province, pour un enfant de six mois soigné +par deux distingués confrères. Il avait, depuis +cinq jours, une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement +rapide. Pendant les trois quarts d'heure +que dura mon enquête, je vis cet enfant passer +successivement des bras de sa mère dans ceux de +la nourrice <i>sèche</i>, puis dans ceux d'une tante +affolée, le tout pour calmer les faibles cris qu'il +avait encore la force de pousser. J'appris que ce +manège durait depuis deux jours, que l'enfant +avait pris du calomel, trois fois de grands lavages +intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, +à grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai +simplement de mettre cet enfant dans son berceau +et de l'y laisser, de lui appliquer sur le ventre un +large cataplasme, de le laisser à la diète absolue +pendant quatre heures puis de lui donner de l'eau +panée, et de le laisser dormir si le sommeil pouvait +venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé, l'enfant +avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait +naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau +de riz; je conseillai de ne pas trop déranger l'enfant, +de ne plus explorer son ventre. Le surlendemain, +il prenait du lait écrémé pur, et j'appris +qu'il avait retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé +mit fin à la grave alerte, et aussi à la «maladie», +qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime de +soins trop empressés.</p> + +<p>Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le +grand secret de la thérapeutique consiste à savoir +réchauffer les enfants, tout en les tenant à la diète +absolue pendant six ou douze heures, puis au +régime «avec restriction des liquides» pendant deux +ou trois jours.</p> + +<p>Avouons cependant que, parfois, les problèmes +de pathologie infantile sont très difficiles à +résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui ne +supportait aucun lait de femme, pris en n'importe +quelle quantité. D'autres fois, les enfants s'empoisonnent +avec le lait même de leur mère. C'est, tout +simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois; +mais il faut quelquefois chercher longtemps pour +trouver cette cause si simple. On ne se figure pas +le nombre d'enfants qui ont des indigestions chroniques, +parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout +quand ils sont nourris par de plantureuses mercenaires +qu'on ne sait comment tonifier, dans la +pensée de donner plus de forces au précieux rejeton.</p> + +<p>Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies» +des enfants est tellement difficile que les spécialistes +se déclarent incompétents. Que d'erreurs +de diagnostic commises à propos des méningites! +Et comment aussi interpréter le cas suivant? Sans +cause connue, un enfant d'un an, bien élevé au +sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient +grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre. +Les jours suivants, la fièvre augmente, une pâleur +inquiétante s'étend sur la face, un amaigrissement +rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage; +puis, au bout de quelques jours, sans qu'on ait rien +fait que de laisser l'enfant bien tranquille, l'appétit +revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout +rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en +consultation n'ont pas pu étiqueter cette «maladie», +ni se prononcer sur son issue; mais, tous ayant eu +le bon esprit de ne pas aggraver la situation par +une médication intempestive, tout s'est terminé +pour le mieux, et l'enfant a gardé son secret.</p> + +<p>La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de +diagnostic n'est pas aux médecins, mais aux difficultés +des problèmes cliniques. En les dénonçant, +nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de +la science: bien au contraire, ce que nous voulons +dire, c'est qu'en thérapeutique infantile il faut avant +tout de la sagacité, et que, dans certains cas, il faut +que le médecin sache reconnaître son incompétence.</p> + +<p>Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une +revanche éclatante, et c'est alors que le médecin +est en droit de se féliciter d'avoir fait de bonnes +études de pathologie générale.</p> + +<p>Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui +vient bien pendant les six premières semaines; +puis voici que, tout en continuant à prendre ardemment +le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements, +son poids cesse d'augmenter; il diminue +de 200, de 300 grammes en quelques jours. Qu'est-ce +à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique. +Le traitement mercuriel, sous forme +de liqueur de Van Swieten, de frictions mercurielles, +ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose +de 3 à 5 milligrammes par jour, fait merveille et +rétablit entièrement cet enfant.</p> + +<p>Nous avons dit plus haut combien souvent la +méningite, qu'on croit tuberculeuse, et qui survient +de deux à cinq ans, est d'origine syphilitique. Déjà +en 1872, quand nous faisions nos études à Montpellier, +le regretté professeur Fonsagrives nous +disait qu'il avait sauvé beaucoup d'enfants, atteints +de méningite tuberculeuse, en leur donnant de +l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il +s'agissait de méningites syphilitiques. Mais pour +formuler un diagnostic de méningite syphilitique, +pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen +de l'enfant, soit par une enquête sur les parents, +ne faut-il pas que le médecin ait beaucoup travaillé, +beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle +n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit +se contenter de faire de l'expectation armée, il peut, +dans beaucoup de cas, rendre aux enfants malades +des services inappréciables.</p> + +<p>Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile, +à un enfant atteint de pneumonie; de l'immersion +alternative dans l'eau chaude et dans l'eau froide +d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire, +sinon que, dans certaines circonstances, +le médecin opère ainsi de véritables résurrections?</p> + +<p>Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le +rôle social du médecin, bien au contraire, ni introduire +dans l'esprit des jeunes confrères un scepticisme +infécond: ce que nous voulons, c'est leur +dire qu'il ne faut pas se spécialiser dans l'étude de +la pathologie infantile, et que, pour bien soigner +un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout +qu'il faut souvent savoir s'abstenir.</p> + +<p>En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en +étant compliquée, comme tout ce qui touche au problème +de la vie, nous semble être relativement +simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un +tube digestif percé aux deux bouts».</p> + +<p>Plus nous allons voir l'être humain avancer dans +sa carrière, plus vont devenir nombreux et compliqués +les problèmes de la vie. Le système nerveux +ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une +conditions défavorables qu'impose à l'homme le +milieu cosmique vont imprimer à son capital biologique +des dépenses qu'on ne peut certainement pas +évaluer mathématiquement, mais qui se traduiront +par une diminution de sa valeur. La vie ne va être +de plus en plus qu'une série d'oscillations, de luttes +entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les +causes de destruction de l'être vivant; bref, un état +d'équilibre instable, la santé n'étant qu'un bel accident +passager.</p> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE VII</h4> + +<h4>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ</h4> + +<p>Il est logique d'introduire une subdivision dans +ce chapitre, et d'étudier d'abord l'enfant de deux à +sept ans, d'autant que, à cette période de la vie, il +n'y a pas à tenir compte de la différence des sexes.</p> + +<h4>I</h4> + +<p>Pendant cette période, la nutrition a son activité +maximum, l'enfant améliore son capital, accumule +les réserves; mais il faut bien savoir qu'il a aussi +des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux +doit être dépensé pour faire connaissance avec le +monde extérieur, pour apprendre le sens des mots, la +notion des distances, etc.! On est effrayé en pensant +au travail cérébral que supposent ces acquisitions.</p> + +<p>De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant +toute fuite nerveuse inutile. Il faut presque se +borner à le faire «boire, manger, dormir; manger, +dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant +de cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne +devrait le réveiller. Pour démontrer combien peu +d'enfants ont leur dose <i>optima</i> de sommeil, prenez +au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier +jour, dormir à volonté; il s'octroiera douze +heures de sommeil. Le lendemain, il se réveillera +après onze heures, le surlendemain et les jours suivants +après dix heures. C'est donc que, au moment +précis où l'expérience a commencé, il avait un +arriéré de besoin de sommeil.</p> + +<p>Quant au problème de l'alimentation, il est relativement +simple, et l'expérience des mères de famille +répond à la plupart des indications. L'enfant doit +manger quatre fois par jour; mais, en général, +il mange trop vite. Les parents devraient, pour leur +usage personnel et pour le bien de leurs enfants, se +rappeler qu'il existe des glandes salivaires sécrétant, +chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par +jour, et que, si une bonne digestion commence dans +la cuisine, elle se continue dans la bouche.</p> + +<p>En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le +moins d'influences nocives; et un peu de surveillance +suffit pour que l'enfant se porte bien.</p> + +<p>Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent, +en général, d'une façon bénigne, quand elles ne +sont pas troublées par une thérapeutique incendiaire. +De là la faible mortalité afférente à l'âge que +nous étudions, dénoncée par les tables qui servent +de base aux calculs des Compagnies d'assurances +sur la vie.</p> + +<p>Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, +scarlatine, rougeole, angine, il se rétablit +avec une rapidité contrastant avec la lenteur de la +convalescence chez l'adulte, et encore bien plus +chez le vieillard. Voyez, par exemple, une angine +herpétique! Elle occasionne chez l'enfant de tumultueux +symptômes: de la fièvre, du délire; mais, au +bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, +quatre jours après, l'enfant paraît aussi bien portant +qu'avant. Chez l'adulte, au contraire, le même +nombre de points d'herpès sur la gorge provoque +un état maladif moins tumultueux, mais qui se +termine par une convalescence de quinze jours à +un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou +tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement +nécessaires à l'enfant convalescent, doué de plus +d'élasticité.</p> + +<p>A partir de sept ans s'esquisse, chez certains +enfants, une différenciation qui ira s'accusant d'année +en année. Un oeil attentif va percevoir si l'enfant +appartient au type <i>musculaire</i> ou au type <i>cérébral</i>. +Le <i>musculaire</i> est cet enfant actif, aimant à jouer, +turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention +pour un quart d'heure de suite, n'ayant, par conséquent, +aucun goût pour l'étude telle qu'elle lui +est imposée. Le <i>cérébral</i> est l'enfant réfléchi, n'aimant +pas les jeux bruyants, et dont l'esprit est en +avance notable sur celui des enfants de son âge. +A chacun de ces deux enfants conviendrait une +éducation différente; malheureusement, les nécessités +sociales les soumettent, l'un et l'autre, à la même +discipline pédagogique,—bien comprise, il faut +l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour +ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement +en vigueur s'approche autant que possible de +la perfection, il faut bien dire qu'il convient moins +aux types extrêmes que nous venons de mentionner. +Le petit <i>musculaire</i>, condamné à de longues heures +d'étude, s'agite, s'inquiète, devient de plus en plus +dissipé, et ne tarde pas à entrer dans la catégorie +des enfants dits «paresseux». Sa santé physique +peut ne pas souffrir outre mesure du régime compressif +auquel il est soumis; il grandit, se porte +bien en apparence; mais son cerveau est, pour +ainsi dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement +inférieur. Chez le petit <i>cérébral</i>, au contraire, l'éducation +moyenne peut amener des troubles de la +santé physique: les récréations bruyantes et agitées, +imposées après les repas, les longues promenades +hebdomadaires, l'insuffisance du sommeil, +une alimentation mal adaptée à son tube digestif, +très vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la +longue; et, d'un enfant qui aurait pu donner les +plus belles espérances, la pédagogie officielle fait +un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en +un mot un malade.</p> + +<p>Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle? +Oui, dans les cas extrêmes et dans des circonstances +exceptionnelles.</p> + +<p>Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation +collective et le surmenage cérébral imposé +par nos programmes amènent les plus fâcheuses +conséquences, pour le présent et pour l'avenir, +c'est celle des enfants que l'hérédité n'a pas préparés +au travail cérébral. Tels ces fils de cultivateurs +qui ont une longue hérédité terrienne, et que +leur intelligence hâtive semble désigner comme +particulièrement aptes aux études supérieures. Ce +sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils arrivent +aux écoles supérieures: mais ils y arrivent +malades, et seront malades toute leur vie.</p> + +<p>De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les +«maladies» accidentelles sont presque inévitables, à +cause de la promiscuité des enfants dans les +écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité. +Ce ne sont pas elles qui diminuent sensiblement +le capital biologique individuel. Les fautes +commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une +bien plus grande importance.</p> + +<p>Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës +qui ressemblent plus ou moins à la fièvre typhoïde, +et qui sont dues à des indigestions! En général, l'hygiène +alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée. +Les enfants mangent trop vite, comme nous +l'avons dit plus haut; et, très souvent, ils mangent +trop, précisément parce qu'ils mangent trop vite, la +sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction +brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire +mal élaborée. D'autre part, de trop nombreux +parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on +mange qui profite, mais ce qu'on assimile, se +figurent qu'il faut que l'enfant mange beaucoup +pour se donner des forces; et ce préjugé amène +chez l'enfant des intoxications chroniques qui +retentissent sur son système nerveux, sur sa croissance, +jusqu'au moment où l'estomac surmené +commence à protester. A partir de ce moment, le +cercle vicieux est établi, et, si un régime alimentaire +bien compris n'est pas institué, l'enfant +devient un malade, et restera malade indéfiniment. +C'est ce que M. le Dr Laumonier a très bien +exposé dans un article du <i>Correspondant médical</i> +de 1905:</p> + +<p>Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils +mangent beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil +ne soit pas toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant +on ne peut, à première vue, les accuser d'aucun trouble évident. +Cependant, certains soirs principalement, ils se montrent +tantôt plus énervés que d'habitude, tantôt plus abattus +au contraire, et si, à ce moment, on prend leur température +rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au delà . +Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y +paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance, +et les parents se gardent bien, pour si peu de chose, +de faire appeler le médecin; ils ont tort, car cette fièvre +digestive est le symptôme de troubles fonctionnels d'assez +grande importance, et qu'il est en conséquence nécessaire de +soigner dès le début.</p> + +<p>Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de +belle apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration +de leurs parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et +les belles couleurs disparaissent. Ils finissent ainsi par se +transformer en enfants chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise +haleine, présentant des alternatives de constipation +et de diarrhée, souffrant parfois de douleurs stomacales +vives; en un mot ce sont maintenant de véritables dyspeptiques.</p> + +<p>Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel +extrême, pour ainsi dire, de troubles longtemps existants et +dont les accès légers de fièvre digestive ont été l'un des premiers +et des plus caractéristiques symptômes. Il suffit, pour +s'en convaincre, de suivre avec quelque attention l'évolution +progressive des phénomènes.</p> + +<p>Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles +ont été, pendant leur première enfance, mal nourris, sinon +comme qualité du lait, au moins comme quantité; en +d'autres termes, leur ration a été trop copieuse. Puis, après +le sevrage, ils ont été mis rapidement à la nourriture commune +de la famille; ils ont mangé de tout, et trop; parfois +aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du +café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques.</p> + +<p>C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,—pas plus +que l'homme, du reste—ne mange qu'à sa faim; toujours, +ou presque toujours, à ce point de vue, la limite est dépassée. +La quantité d'aliments ingérés est beaucoup plus une affaire +d'habitude que de besoin réel, comme le prouvent manifestement +les résultats du traitement imposé à ces petits malades. +Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent +ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel +les aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions +digestives, stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales. +D'où, d'une part, l'insuffisance et l'épuisement des +glandes gastriques, la dilatation et l'atonie stomacales, et, +d'autre part, la production des substances toxiques qui, résorbées, +entraînent l'auto-intoxication et l'élévation thermique +qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,—et c'est là un +point essentiel,—que la fièvre digestive peut se produire et +se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire +et l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés; +elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue +un signe prodromique, avertissant que la limite digestive +est dépassée, que l'estomac commence à se fatiguer, +que l'auto-intoxication d'origine digestive est déjà manifeste.</p> + +<p>Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers +de cet état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros +foie... etc., ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence; +d'autres signes, plus incertains, dyspnée, terreurs +nocturnes, manifestations cutanées, peuvent exister aussi, +qui complètent la signification des premiers. Passons donc +et arrivons au traitement.</p> + +<p>La première indication est de réduire la ration alimentaire +à ce qui est strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge, +le sexe, le poids, la taille, et de composer cette ration d'aliments +faciles à digérer, fournissant le minimum de fermentation, +tels que lait, oeufs, pain grillé, viande crue, purée de +légumes. Sans en arriver au régime sec, qui a beaucoup +d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la +quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne +qualité ou des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures +hygiéniques générales, on assurera la liberté du ventre par +des habitudes régulières ou à l'aide de quelques lavements +tièdes, mais sans en abuser.</p> + + + +<h4>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE</h4> + +<p>I.—CHEZ LA FILLE</p> + +<p>Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue +un moment solennel dans l'existence. La +plupart des mères de famille le savent, s'en inquiètent, +mais ne connaissent pas les précautions à +prendre. Ces précautions consistent à supprimer +plus que jamais les fuites nerveuses. Ainsi, il convient +alors de diminuer le travail cérébral, le travail +musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la +mettre à l'abri de toutes les influences qui, par +action réflexe, retentissent sur son système nerveux +(indigestions, coups de froid).</p> + +<p>Pendant les premières périodes menstruelles, le +repos presque absolu au lit s'imposerait, si les +règles étaient douloureuses ou trop abondantes; +et un repos relatif s'impose même quand elles sont +correctes. Ce qu'il faut bien savoir, c'est que l'anémie +qui accompagne, en général, cette période +de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, +ni de la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, +ce sont les précautions citées plus haut, et, +par intervalles, quelques injections de cacodylate +de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie. +C'est là un des rares médicaments capables de +rendre des services, à la condition formelle qu'il ne +soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin.</p> + +<p>Une fois la menstruation établie, il ne faut pas +s'inquiéter outre mesure si, pendant les premières +années, les règles ne viennent pas à époques fixes, +et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni +douloureuses, ni trop abondantes.</p> + +<p>Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent +de voir la santé des jeunes filles subir un assaut +considérable, qui se traduit par de la chloro-anémie, +avec état nerveux, suppression des règles, troubles +dyspeptiques, constipation, etc.</p> + +<p>Les causes en sont multiples. Chez la jeune +ouvrière, c'est, le plus souvent, le surmenage physique, +la vie anti-hygiénique des ateliers, l'accumulation +des privations. Dans d'autre milieux, +c'est le fait du surmenage intellectuel pour l'obtention +des brevets. Mais, plus souvent encore, ce +sont les causes morales qui portent atteinte au +système nerveux. C'est une vocation contrariée, +une suite continue de petits malentendus avec la +famille, avec la mère en particulier. La mère, ne +se décidant pas à s'apercevoir que sa fille +grandit, continue à vouloir exercer sur elle une +autorité despotique, contre laquelle l'enfant se +cabre en vain pendant de long mois, et dont elle +souffre de jour en jour davantage.</p> + +<p>Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée, +un mariage désiré qui se trouve rendu +impossible par la volonté intransigeante des parents, +ou par des circonstances indépendantes de toute +volonté ou même c'est un vague et obscur besoin +du mariage: pour suivre, en somme, les lois de la +nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct +de la maternité qui se rencontre chez la femme +depuis son plus jeune âge, et se traduit, dans la première +enfance, par le besoin de la poupée.</p> + +<p>Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement; +puis, un jour, la «maladie» éclate, souvent +à la suite d'une affection aiguë qui contribue à +faire tomber brusquement la force de résistance du +système nerveux.</p> + +<p>Si variés que soient les symptômes par lesquels +le mal se traduit, la thérapeutique doit être la +même. Elle consiste à ne pas aggraver la «maladie» +par une médicamentation intempestive; ce ne sont +ni les pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la +douche froide qui pourront faire du bien à une +jeune fille ainsi atteinte, ni même la suralimentation, +malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut, +c'est chercher la cause de la «maladie», et la supprimer +ou l'amoindrir autant que possible.</p> + +<p>Quand c'est le surmenage physique, le repos +absolu s'impose, et la jeune malade arrive très +vite à la guérison. Quand le surmenage physique +n'est pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus +difficile que de doser le repos et l'exercice. Le +plus souvent, le repos relatif est de rigueur. Dans +d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en +particulier, un exercice modéré, et même poussé +assez loin, peut produire d'excellents effets. Le +médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité +de ce moyen thérapeutique, basera son jugement +sur les résultats de l'enquête qu'il fera au sujet du +passé de la malade, et il aura le droit de procéder +par tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas +graves où le repos absolu s'impose d'abord, rien +n'est plus difficile que de doser l'exercice dès que +la malade est capable de le supporter, mais le principe +est de rester en deçà de ce que la malade peut +donner.</p> + +<p>Quand la «maladie» de la jeune fille est due au +milieu familial, le remède essentiel est de le lui +faire quitter. Malheureusement, on attend souvent +trop longtemps pour prendre ce parti radical; on +attend que la vie soit devenue impossible, que la +jeune fille ait perdu le sommeil, les forces, l'appétit, +et soit dans un état d'excitation inquiétant. +On l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie, +où on lui impose le plus souvent, à +notre avis, une séquestration trop radicale. Car la +priver de toute visite, de toute correspondance, +la soumettre à une discipline d'une sévérité exagérée, +nous semble vraiment excessif. L'enfant se +révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice +relativement restreint. Elle prend sur elle pour +simuler la guérison, et pour échapper à la tutelle +des médecins; elle sort avec les apparences de la +santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle +retombe dans le milieu familial hostile, la «maladie» +ne tarde pas à renaître de ses cendres, jusqu'au +jour où une circonstance quelconque amène enfin +un changement de vie radical, qui la guérit.</p> + +<p>Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, +d'éloigner l'enfant, de temps à autre, du milieu +familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui qui est +l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente, +soit même à une garde bien choisie, jusqu'au +moment où on trouvera à la marier, chose qu'il +ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui, +dans bien des cas, est le remède par excellence? +Pendant les absences de la jeune fille, l'état nerveux +du milieu familial lui-même se calme, ce qui +rend la vie commune acceptable par intermittences. +Loin de nous, cependant, l'idée de porter +atteinte à l'esprit de famille en proposant pareille +mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle +et comme un pis-aller, préférable souvent +à la maison de santé, et, en définitive, moins +onéreuse.</p> + +<p>Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource +de la séparation, même momentanée. Heureusement, +chez eux, les contacts entre parents et +enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a +toujours une certaine indépendance; elle n'est pas +soumise à une tyrannie de tous les instants. En +outre, son système nerveux est moins vulnérable, +de sorte que l'influence néfaste du milieu familial +est rarement une cause de «maladie». Nous connaissons +cependant de jeunes ouvrières dont la santé +a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel +elles étaient condamnées à vivre: père alcoolique, +qui les battait au retour de l'atelier, mère ou belle-mère +acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre victime résiste tant +qu'elle peut, jusqu'au jour où +elle quitte avec éclat la maison paternelle, à moins +que, victime résignée, elle ne voie peu à peu +s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi +une proie toute désignée pour la tuberculose, qui +met fin à ses misères; souvent aussi sa déchéance +se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile +d'aliénés lui ouvre ses portes.</p> + +<p>D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation +contrariée qui met la jeune fille en état de «maladie». +Il n'y a pas à se le dissimuler, quelle que soit +l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité +des vocations religieuses, lorsqu'une vocation est +sincère, toutes les entraves qu'on lui apportera ne +serviront de rien. La jeune fille souffrira, deviendra +de plus en plus malade, et force sera un jour de +céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames +intimes et ignorés, qui torturent même les familles +chrétiennes; et le résultat final a toujours été le +même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle +a eu gain de cause.</p> + +<p>Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait +respectueusement, depuis trois ans, contre +sa famille, pour obtenir l'autorisation d'entrer au +Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé +de «maladie», restant des huit et quinze jours sans +garde-robe, malgré l'hygiène intestinale la plus +soignée, ne pouvant plus lire ni supporter une conversation; +elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait +plus quitter son lit, tant les forces physiques +étaient diminuées. Gravement préoccupé de l'issue +de cette «maladie», dont je connaissais la cause, je +crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant +l'avocat de la malade. Or, dès qu'elle eut +obtenu l'autorisation sollicitée depuis si longtemps,—et +que, par parenthèse, elle avait cessé de +demander depuis un an, pour ne pas torturer sa +famille,—nous vîmes la santé revenir avec une +rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se +remirent à fonctionner, et, un mois après, la jeune +fille entrait au Carmel. Quelle ne fut pas notre stupéfaction +d'apprendre que, le troisième jour, elle +lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie +et de bonne humeur!</p> + +<p>Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité +des parents, il faut que cette autorité sache +s'effacer devant la volonté ferme, réfléchie, bien +arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et +ajoutons que l'intérêt l'exige.</p> + +<p>Les mêmes considérations s'appliquent au cas +où une jeune fille veut, envers et contre tous, +épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf +fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de +ses parents, qui ont l'expérience de la vie. Mais +l'expérience est semblable à un habit fait sur mesure, +et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait. +Aussi, lorsque, malgré les sages raisonnements, la +jeune fille s'obstine et s'entête, estimons-nous qu'il +faut lui céder après un délai raisonnable. On doit +haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne.</p> + +<p>Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la +jeune fille est victime de son tempérament, qui ne +trouve pas dans les joies de la famille une satisfaction +suffisante: elle éprouve le <i>besoin</i> de se marier. +C'est alors aux parents à l'aider dans son choix, +car cet état d'âme peut amener la «maladie».</p> + +<p>Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, +avant de se marier, subir un traitement médical; +car elle n'a pas le droit de se marier en état de +«maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait +pas. Or il faut bien savoir que, au début de la +vie conjugale surtout, elle n'a pas le droit d'être +malade. C'est donc une raison de plus pour la soigner +avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette +cure est des plus simples: la cause de la «maladie» +ayant disparu, et le capital biologique n'étant pas +encore gravement entamé, le rôle de la thérapeutique +se réduit à peu de chose.</p> + +<p>II.—CHEZ LE GARÇON</p> + +<p>Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte, +les influences capables d'amener la «maladie» sont +également multiples. Signalons, parmi les principales +:</p> + +<p>I. Le surmenage scolaire;</p> + +<p>II. L'abus des sports;</p> + +<p>III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes +solitaires et prématuration).</p> + +<p>I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, +dont on a fait si grand bruit il y a quelques années? +Les brillantes discussions de l'Académie de médecine +n'ont pas empêché les programmes de se surcharger +d'année en année; et ils se surchargeront +encore davantage, cela est inévitable, c'est la loi +même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir +remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant +surmenage ne nous effraie pas outre mesure, +car il faut compter: 1° avec les nouvelles méthodes +d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois; +2° avec une adaptation du cerveau des générations +actuelles et futures à un travail cérébral plus considérable. +N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui +rend si dangereux le travail cérébral chez les +«déracinés» dont nous avons dit un mot au chapitre +précédent?</p> + +<p>Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le +meilleur des systèmes pédagogiques? Non. Le +jeune homme ne travaille pas trop, mais il travaille +mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne +dort pas assez, et on n'a pas assez le respect de +son sommeil: du sommeil qui dompte tout, suivant +la forte expression d'Homère.</p> + +<p>Un groupe de médecins anglais vient de commencer +une campagne de presse pour obtenir que +l'élève des collèges anglais puisse dormir plus longtemps. +Ils avaient été précédés dans cette voie par +le Dr Chaillou<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5"><sup>5</sup></a>, directeur de l'hygiène d'un grand +établissement d'instruction, qui dès 1903, a eu +l'idée excellente d'installer, dans le pensionnat, ce +qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là , les +jeunes gens fatigués momentanément vont, tout +simplement, se reposer suivant leurs besoins; et +jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de +dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats +aux écoles, et que l'intelligente discipline générale +de la maison est de nature à prévenir tout abus.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" name="footnote5"></a><b>Note 5:</b><a href="#footnotetag5"> (retour) </a> <i>Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans un +grand collège moderne</i>, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut +Pasteur. Paris 1903.</blockquote> + +<p>II. <i>Abus des sports</i>.—Si pour l'homme sain l'exercice +est nécessaire à la santé, cet exercice, lorsqu'il +est poussé à un degré excessif, devient un facteur +important de «maladie».</p> + +<p>L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué, +peut être poussé très loin sans provoquer d'accidents; +c'est ainsi que, chez les professionnels des +cirques, la santé se maintient excellente, comme +j'ai pu m'en rendre compte par une enquête faite +chez Barnum. Le médecin attaché à la troupe +de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il +n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre +chirurgical.</p> + +<p>Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont +<i>sélectionnés</i>, ce sont des professionnels: ils ne font +pas autre chose que des tours de force; toute leur +activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur +ces questions d'exercice musculaire.</p> + +<p>Ajoutons que l'exercice est savamment gradué +par des gens du métier, qui savent par expérience +ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que +les gens des cirques observent une sage hygiène; +ils savent que tous les écarts se payent, et ils sont, +à tous égards, d'une sobriété exemplaire.</p> + +<p>Tout autres sont les conditions dans lesquelles +se trouve l'homme du monde qui fait du sport. +Parfois il a une profession; c'est donc sur les +loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, +qu'il prend le temps de faire les exercices qui +le passionnent; quand il n'a pas de profession, il +est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée +plus haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux +qu'en exercice physique.</p> + +<p>Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du +sportsman, c'est le <i>sport</i>, c'est-à -dire l'émulation +qui existe presque fatalement entre ceux qui s'occupent +avec passion d'exercices physiques, et qui +fait que chacun d'eux veut devancer son voisin.</p> + +<p>Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver +au surmenage; ce qui le fatigue, c'est de voyager +en compagnie d'autres camarades, à cause de +l'excitation qui se communique des uns aux autres, +et qui les porte tous à donner plus qu'ils ne peuvent. +L'escrime, souvent, n'aurait pas sa raison d'être, sans +le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le +danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se +rappeler qu'il est pris, en général, dans un air confiné, +qu'il exige une dépense considérable d'influx +nerveux, une tension permanente de l'esprit, un +excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra +que c'est plus un exercice cérébral qu'un +exercice musculaire, et que les gens qui croient se +reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime +sont bien vite détrompés. Le sage est celui qui, +désirant se reposer du travail cérébral par l'exercice, +s'attache aux exercices qui ne demandent +pas d'attention, aux exercices automatiques dans +lesquels la moelle seule intervient; marcher, ou +mieux encore courir suivant les bons principes, +scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, +ramer, etc.</p> + +<p>L'automobilisme «tient le record» parmi les +exercices qui épuisent le système nerveux; nous ne +parlons pas, bien entendu, des hommes qui se servent +de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, +mais de ceux qui en font un moyen de distraction. +Quelques-uns arrivent à une mentalité +toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore +reçu de nom, et qu'on pourrait appeler la folie de la +vitesse: quand ils sont sur leur machine, ils ne +voient que le ruban de route qui se déroule devant +eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne +voient point, ils n'entendent point: ce sont des +mangeurs de kilomètres, ce ne sont plus des +hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a +pas besoin d'émulation, il se suggestionne lui-même, +et devient le propre artisan de son délire.</p> + +<p>Mais les dangers des sports deviennent encore plus +considérables quand ils sont pratiqués par des organismes +en voie de formation, par des jeunes gens, +par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait +soufflé un vent, venu d'Angleterre, qui avait +véritablement tourné la tête à certains hommes +s'occupant des problèmes de pédagogie,—ou plutôt +qui avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues +subissaient le courant. Ce qu'il y a de certain, +c'est qu'on ne parlait plus, dans les établissements +scolaires, que de sports et de gymnastique. La +culture intellectuelle paraissait devoir être mise au +second plan. Mais on n'a pas tardé à voir qu'il y +avait abus. Les excellents travaux du Dr Lagrange +et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans +la <i>Ligue des Pères de Famille</i>, ont mis un frein à +cet engouement, qu'on ne rencontre plus que dans +quelques institutions où l'on s'obstine à imiter +l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos +petits Français ne sont pas des Anglo-Saxons. Je +me demande d'ailleurs si les petits Anglo-Saxons +eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient +bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres +au pas gymnastique, sans progression et +sans entraînement préalable, comme je sais qu'on +en impose aux enfants dans les institutions dont je +parle.</p> + +<p>III. <i>Déviations de l'hygiène sexuelle</i>.—Tous les +pédagogues et tous les pères de famille soucieux de +l'avenir de leurs enfants sont, à juste titre, préoccupés +de l'important problème de l'éducation +sexuelle; mais tous sont loin de le résoudre dans le +même sens. Les uns estiment qu'il ne faut rien +dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les +autres, qu'il faut au contraire aborder le redoutable +problème en face, et le plus tôt possible. La +vérité, comme en bien d'autres circonstances, se +trouve entre ces deux extrêmes.</p> + +<p>Il est bien certain qu'il faut que, à un moment +donné, le jeune homme soit averti des dangers qu'il +court en s'abandonnant à des aberrations de l'instinct +génésique, ou encore à l'usage prématuré des +fonctions sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse +de bonne heure le péril vénérien. Mais quels +moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père +de famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il +a suffisamment gagné la confiance de ses enfants, +et s'il se sent capable de cette mission délicate; +dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille +que doit être dévolu ce soin; et, dans les pensions, +lycées, institutions, c'est encore au médecin de la +maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des +professeurs qui vivent le plus avec les élèves.</p> + +<p>Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement +collectif? La tentative a été faite, récemment, dans +plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer qu'elle +est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute +attente. Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives +partisan plutôt de l'enseignement individuel, +compris dans un sens libéral, sous forme de causerie +du professeur avec un petit nombre d'élèves.</p> + +<p>Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder +devant les enfants ces délicats problèmes, le rôle +de l'éducateur doit se borner à exercer autour d'eux +une surveillance assidue, et à retarder le plus possible +l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, +il faut imposer à l'enfant de la fatigue physique, +la pousser au maximum de la <i>tolérance</i>, dussent +les études en souffrir momentanément. C'est de la +bonne économie, sans cependant qu'on doive +verser dans cet abus des sports que nous avons +dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans +tous les problèmes de l'hygiène, cette question de +dosage, de mesure, qui comporte un nombre indéfini +de solutions, d'après la variété des cas individuels.</p> + +<p>Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant +à des aberrations de l'instinct sexuel sont moins +grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont néanmoins +considérables, et le capital nerveux de l'enfant +est vite entamé par les habitudes vicieuses. De +là ces formes vagues de neurasthénie avec difficulté +pour le travail, timidité maladive, manque de +confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés, +amaigrissement, amoindrissement de la valeur du +sujet. Un médecin éclairé ne s'y trompe pas. Il +doit alors trouver moyen de prendre l'enfant à part, +à la fin de la consultation, et lui dire à brûle-pourpoint, +en le regardant fixement: «Mon ami, +je sais la cause de votre mal!» Il faut ensuite +provoquer quelques aveux <i>discrets</i>, et la consultation +doit se terminer par une promesse formelle +de l'enfant de se corriger. La psychothérapie, en +ce cas, vaut mieux que les médications pharmaceutiques +les plus savantes: elle manque bien +rarement son effet et elle peut être grandement +aidée, dans certains cas, par la psychothérapie +hypnotique, dont nous parlerons plus loin.</p> + +<p>Quant au danger que fait courir la prématuration +des fonctions sexuelles, c'est chose certaine que +tout usage de ces fonctions devient un abus, tant +que l'organisme n'a pas atteint son complet développement. +L'être humain ne devrait aborder l'acte +destiné à perpétuer la vie qu'à partir du moment +où il est, lui-même, en pleine possession de toute +sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence +n'est pas préjudiciable. La question a été +étudiée à fond, et résolue dans le même sens par +les moralistes et par les hygiénistes. La continence +n'est presque pas pénible, elle ne le devient que +si des excitations factices ont éveillé de trop bonne +heure l'instinct sexuel. Elle est recommandable au +point de vue moral; elle entretient, chez le jeune +homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer, +«le respect de la femme»; et, à vrai dire, +c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri des +contaminations vénériennes.</p> + +<p>Le grand public commence à connaître le péril +vénérien, et, surtout, à oser en parler. On ne saurait +croire combien l'ingénieuse trouvaille de +M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'<i>avarie</i> la +plus redoutable des «maladies» vénériennes, la +syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion publique. +Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et +nous aimerions aussi voir employer le terme de +«petite avarie» pour désigner la blennorragie, +dont les méfaits sont plus considérables que ne le +croit le public, et même que ne le croient beaucoup +de médecins.</p> + +<p>Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel +les jeunes gens sont le plus souvent contaminés. +Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier, c'est beaucoup +plus tôt qu'on ne se le figure généralement; +et non seulement à Paris, mais partout, ainsi que +le démontrent les statistiques de <i>toutes</i> les armées, +qui enregistrent beaucoup plus de «maladies» vénériennes +à la première année de service qu'aux +années ultérieures, parce que, parmi les malades +enregistrés à la première année, figurent tous ceux +qui étaient contaminés avant leur entrée au régiment.</p> + +<p>Nous ne saurions trop recommander à ce sujet +la lecture et la méditation de l'excellente brochure +du professeur A. Fournier: <i>Pour nos fils quand ils +auront dix-huit ans</i>. En quelques pages s'y trouvent +nettement indiquées, et sans aucune exagération, +la gravité du péril vénérien, la conduite à +tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour +l'éviter. Cette brochure est bonne à lire, elle est +nécessaire et suffisante aux conférenciers qui veulent +répandre la vérité.</p> + +<p>Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de +la syphilis. C'est toujours une «maladie» grave, quelquefois +elle est très grave, et cela dès les premiers +mois qui suivent son apparition. Elle se traduit +alors par les plus importants symptômes de la +déchéance organique, céphalée violente, anémie +aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile +de dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital +biologique un déchet énorme. Heureusement le +traitement mercuriel intensif est là pour réparer, +dans une certaine mesure, le désastre.</p> + +<p>D'autres fois, la syphilis amène chez le malade +de telles préoccupations morales qu'elle devient un +danger imminent. L'angoisse peut même conduire +au suicide. Il faut que le médecin et le père de +famille connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner +la victime, dans la mesure nécessaire. Mais +dans tous les cas la syphilis, cause d'amoindrissement +énorme de la valeur du sujet, devra être +traitée énergiquement, dès le début et pendant un +temps prolongé,—au moins quatre ans,—par des +traitements successifs.</p> + +<p>Chez la jeune fille, la syphilis est également à +redouter. Nombre de jeunes filles de la classe +ouvrière connaissent tout ce qui est relatif aux +questions vénériennes; elles n'en ignorent que le +danger. C'est à leur usage que j'ai écrit naguère +une petite brochure intitulée: <i>Pour nos filles</i>. Les +services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas +comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente +brochure du professeur Fournier; et si je la +mentionne, ce n'est certes point par une enfantine +vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a +affirmé qu'il était bon de la faire connaître.</p> + + + + + +<p>III—CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.— +«MALADIES» ACCIDENTELLES</p> + +<p>C'est à dessein que nous plaçons ces observations +à la suite de l'étude consacrée aux jeunes +garçons, car les jeunes filles, entourées de soins à +l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de +«maladies» accidentelles. Chez le jeune homme, au +contraire, plus ou moins mal surveillé, plus ou +moins surmené par un travail cérébral auquel son +cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou +par le travail musculaire, pour lequel ses muscles, +encore en état de développement, ne sont pas suffisamment +préparés, la flore microbienne trouve un +excellent terrain de culture. Nous ne pouvons pas +passer en revue la pathologie de cet âge; faisons +seulement remarquer que la «maladie» accidentelle +ou bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat +définitif sur un organe quelconque (endocardite +du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que, +à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement +prolongé ou définitif de la valeur +du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les +jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une +convalescence franche, sans ébranler l'organisme; +à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme +est doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement.</p> + +<p>Exception doit être faite pour la tuberculose; +c'est, par excellence, la «maladie» de l'âge adulte. +Contractée, le plus souvent, dans la plus tendre +enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les +mauvaises conditions de milieu, la misère physiologique, +le surmenage, mettent le terrain en état +de moindre résistance. De là son maximum de +fréquence de dix-huit à trente-cinq ans.</p> + +<p>De cette conception, qui n'est pas encore classique, +mais qui commence à pénétrer dans les +esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher, +et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la +tuberculose dans l'armée, découle la véritable prophylaxie +de la tuberculose. C'est en vain que l'on +dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des +sanatoria; le sanatorium ne convient qu'aux riches. +C'est peut-être un bon instrument de cure: sûrement +ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas «ce +n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre +la tuberculose en tant que «maladie» sociale» (Grancher). +Voyez, en effet, ce qu'il faudrait pour qu'un +sanatorium populaire donnât un rendement social +appréciable! Il faudrait: 1° à l'entrée du sanatorium, +un dispensaire de dépistage pour ouvrir la porte +aux seuls malades légèrement atteints; 2° pendant +le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de +secours pour sa femme et ses enfants; 3° à la +sortie du sanatorium, la double ration de repos et +la demi-ration de travail pendant un temps presque +illimité! Le Congrès de la tuberculose de 1905 +a d'ailleurs sonné le glas sur les sanatoria +populaires, et les médecins de tous les pays, dans +une heure de sens commun et de clarté, ont voté +la même formule: «En fait de tuberculose, la +préservation domine l'assistance.» Nous serons +moins sévères dans notre appréciation des dispensaires: +ils peuvent rendre quelques services pour +l'éducation populaire; mais les véritables oeuvres +de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les +oeuvres de préservation, celles qui arrachent un +enfant sain d'un milieu contaminé; ce sont les +oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints +de tuberculose locale et non contagieuse; ce sont +les colonies de vacances, etc. Ce sont, surtout, les +diverses oeuvres sociales luttant contre la misère: +car la misère est le grand, le plus grand facteur +de la tuberculose.</p> + +<br><br><br> + +<h3>DEUXIÈME PARTIE</h3> + +<br><br> + + +<h4>CHAPITRE I</h4> + + +<h4>MATURITÉ</h4> + +<p>Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine +possession de tous ses moyens, son capital a été +progressivement amélioré et lui rapporte de gros +intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le +faire valoir, d'obtenir de lui son rendement +maximum.</p> + +<p>L'ère des ménagements est passée, il faut à tout +prix que l'homme travaille et produise. On l'alimentera +en conséquence: la dépense étant considérable, +il faudra que l'aliment soit réparateur. Le +point essentiel est de ne pas dépasser la dose des +dépenses, d'utiliser le capital, mais non de l'amoindrir, +de chauffer la machine, sinon à blanc, du +moins à la température maxima tolérée, pour ne +pas l'user trop vite, et surtout pour ne pas la faire +éclater. Il faut, en somme, que l'homme produise; +et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne +ferait que s'empêcher de mourir. Bien plus; de +même qu'un capitaliste avisé, quand il possède +beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce +qu'on appelle de la «surface», n'a pas peur, de temps +à autre, de risquer une somme raisonnable dans +une affaire qui n'est pas de tout repos; de même +l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas +craindre, à certains moments, de se dépenser un +peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène, à la +condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni +trop prolongé, et qu'une période de repos succède +à cette période de travail intensif. (De là la +nécessité des vacances et du repos hebdomadaire).</p> + +<p>Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous +croyons qu'il est bon que l'homme actif, intelligent, +bien portant, donne de temps à autre ce +qu'on appelle un «coup de collier», quitte à +réparer sa dépense excessive par un repos plus ou +moins prolongé, mais quel est le critérium? à +quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas +dépassé la mesure de ses forces, et qu'il ne court +pas à la banqueroute?</p> + +<p>Le principe général est qu'il faut arriver aux confins +de la fatigue, mais ne jamais atteindre la +fatigue douloureuse. Quand il s'agit de travail +musculaire, le critérium est relativement facile à +trouver. On est averti qu'on a dépassé la mesure +de ses forces par deux symptômes caractéristiques: +la diminution d'appétit et la diminution de +sommeil.</p> + +<p>Cette donnée pourrait même rendre de grands +services aux chefs militaires, dont l'idéal, très +légitime, est de faire produire à la machine +humaine son maximum de rendement, sans épuiser +cependant les forces des soldats. Malheureusement, +quelques-uns d'entre eux confondent l'entraînement +et l'épuisement; ils arrivent à avoir +des troupes qui n'ont pas de valeur réelle, tout en +ayant les apparences de la force. Ces troupes, qui +se sont présentées sous le plus bel aspect à des +manoeuvres de quelques jours, seraient incapables +d'entrer en campagne et de supporter des fatigues +prolongées. Si les chefs de corps avaient eu la +précaution de s'enquérir de la façon dont les +soldats mangent, ou de <i>voir</i>, après une marche +prolongée, comment ils mangent, de surveiller de +temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui +recueille tous les restes des repas, ils auraient vu +que le travail excessif se traduit par une baisse +dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans les +chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à +la suite de fatigues excessives les hommes ne +dorment pas bien. Et rien ne les empêcherait, d'ailleurs, +de prendre parfois l'avis de leurs médecins.</p> + +<p>Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème, +d'autant que, chez l'homme qui a subi un +entraînement méthodique, la sensation de <i>fatigue</i> +disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la +fatigue. L'épuisement, chez lui, se traduit exclusivement +par la diminution du poids, de l'appétit +et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire +en particulier, par l'apparition des «maladies» +dites accidentelles.</p> + +<p>Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit +que de dépenses musculaires, il devient plus complexe +encore quand il s'agit de dépenses cérébrales. +Voici un commerçant obligé de brasser de grosses +affaires. Il est réveillé, le matin, par le téléphone +voisin de son lit; pendant toute la journée, il n'a pas +un quart d'heure de tranquillité; il sent peser sur lui +des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une +série d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant +viennent s'ajouter des chagrins de famille, etc., +voici notre homme qui, tout d'un coup, tombe dans la +«maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener +le déclanchement: c'est une émotion un peu violente, +c'est une perte d'argent, c'est une «maladie» +infectieuse plus ou moins légère, qui ouvre la +brèche, et voilà la «maladie» installée!</p> + +<p>Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme? +A-t-il eu, depuis dix ans qu'il surmène son cerveau, +un avertissement quelconque lui indiquant qu'il +dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à +pleines mains dans un capital insuffisamment réparé +chaque jour? Oui, le plus souvent! C'est, par +exemple, un vertige qui est apparu, à un moment +donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on +pourrait appeler «un avertissement sans frais», +il aurait immédiatement diminué le travail, ou +même l'aurait suspendu pendant quelques jours. +Mais il n'en a pas tenu compte, il a pensé que <i>ça +passerait</i>. D'autres fois, c'est une sorte d'endolorissement +de la tête, non pas passager, mais permanent, +qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements +de l'oreille gauche. (Cette prédominance +des bourdonnements à gauche, de la diminution de +l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les +phases de la «maladie».) D'autres fois encore, c'est +une sorte de sensation de fatigue permanente, +exagérée surtout le matin, avec diminution d'appétit, +constipation, autrement dit avec les petits +symptômes de la grande «maladie». Il est tout à fait +exceptionnel que le krach se produise sans de tels +phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant, +et c'est chez les natures les plus admirablement +douées en apparence.</p> + +<p>Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel +et musculaire à la fois, il réalise les conditions +les plus parfaites pour arriver à l'épuisement +rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement +contre le préjugé des gens du monde, qui +se figurent que l'exercice musculaire repose du travail +cérébral, et que le surmené cérébral doit, pour +bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, +de la marche forcée, à ses moments disponibles. C'est +là une erreur énorme dont la pédagogie commence +à faire justice. Certes il est des hommes, admirablement +doués, qui peuvent supporter une dépense +considérable à la fois au point de vue musculaire +et au point de vue cérébral: mais ce qu'il faut bien +se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers +symptômes du surmenage, on doit aussitôt +réduire la dépense totale, et la dépense musculaire +en particulier; à ce prix seulement on aura chance +d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre +sur nous, de la «maladie».</p> + +<h4>CHAPITRE II</h4> + + +<h4>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»</h4> + +<p>Plusieurs fois déjà , dans le cours de ce travail, +j'ai eu l'occasion de parler de la «maladie», sans +préciser le sens exact que je donnais à ce mot. Mais +le moment est venu de tenter, sinon une définition +scientifique de la «maladie»,—définition aussi +impossible que celles, par exemple, de la richesse, +de la vertu, ou de la beauté,—tout au moins une +explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette +chose indéfinissable; des principaux caractères qui +lui sont propres; et des traits qui la distinguent de +ces manifestations pathologiques bien déterminées +que l'on appelle communément les «maladies», et +que j'appellerais volontiers des «accidents», par +opposition à la nature plus générale, plus profonde, +et infiniment plus complexe, de la «maladie».</p> + +<p>Voici quatre personnes qui, dans une même +après-midi, se présentent à ma consultation. Ce +sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc +pour l'affirmer <i>a priori</i>. Mais voyons ce que nous +enseignera l'étude détaillée, et surtout réfléchie, de +chacune de ces quatre personnes, qui paraissent se +ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une +avec l'autre absolument rien de commun. L'une +est grande et forte, l'autre petite et malingre; l'une +est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante. Les +souffrances que chacune accuse sont tout à fait différentes, +de l'une à l'autre; les causes qui ont paru +engendrer ces souffrances semblent opposées: chez +l'une l'excès de fatigue, chez une autre l'excès d'oisiveté, +etc.</p> + +<p>Essayons à présent d'approfondir un peu notre +investigation. Ah! ce n'est pas un mince travail +que d'étudier un malade, de fouiller son hérédité, +de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire +même de sa conception, de noter tous les incidents +pathologiques de son enfance, de sa jeunesse, de +son adolescence, d'apprécier son degré de santé +pendant les périodes qui ont séparé ces divers incidents, +de se reconnaître au milieu du luxe de +détails avec lequel il décrit ses misères, en un +mot de reconstituer à la fois le bilan complet de +son état présent et le tableau du chemin qu'il a suivi +pour y parvenir. Mais cette étude méticuleuse est +nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, +pas de traitement rationnel; d'elle seule pourra +résulter la connaissance véritable du malade, c'est-à -dire +l'appréciation de ce qu'il vaut, du point +précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute +que ce n'est que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines +et des centaines de malades que l'on commence +à avoir une idée nette de ce que c'est que +la «maladie».</p> + +<p>Voici donc une première malade, que je connais +depuis cinq ans. C'est une femme de trente-deux +ans, dont on devine dès le premier abord la vivacité +d'intelligence, et avec laquelle le médecin +comprend tout de suite,—à sa grande satisfaction,—qu'il +va pouvoir causer utilement.</p> + +<p>L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital +initial excellent: un grand-père paternel mort à +soixante-quinze ans, asthmatique, la grand'mère +paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté +de l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de +tares transmissibles: le grand-père mort à soixante-quinze +ans, la grand'mère vivant encore à quatre-vingt-deux +ans. Il est vrai que l'hérédité directe est +peut-être un peu moins parfaite. Le père de +Mme X... est mort à cinquante-deux ans, d'une affection +cérébrale, après avoir toujours été très nerveux. +La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à +se bien porter, à la condition de s'écouter vivre.</p> + +<p>Ce capital initial a été bien géré pendant les +premières années de la vie. Nourrie au sein, +Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable +divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, +la varicelle. A huit ans, cependant, s'est produit un +épisode plus important: une jaunisse, qui a duré +un mois, et qui semble indiquer que le système +digestif était, chez cette malade, le point faible. Un +médecin avisé, qui l'aurait suivie de près depuis +lors, n'aurait pas manqué de remarquer qu'elle +était, si l'on peut dire, une candidate à la dyspepsie.</p> + +<p>Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X... +n'eut aucun phénomène grave, d'origine stomacale +ou intestinale: mais elle avait de petits symptômes, +un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la +constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, +ces petits symptômes ont passé inaperçus. L'enfant +a été soumise, dans un couvent, à l'alimentation +des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par +conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour +mettre en bon état son système nerveux abdominal, +qui, sans protestations graves, fonctionnait +déjà d'une façon défectueuse.</p> + +<p>De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux +cérébral qui, seul, paraissait défectueux. Dès +l'âge de onze ans, elle avait des tristesses vagues, +des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer.</p> + +<p>A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait +cet état de mélancolie. D'un caractère inégal, +la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise, acceptant +péniblement toute discipline.</p> + +<p>A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un +violent chagrin; et cet assaut ébranla si fortement +son système nerveux que, six semaines après, sans +cause connue, sans refroidissement préalable, elle +dut garder le lit pendant un mois, pour une «maladie» +qualifiée «rhumatisme mono-articulaire», mais +avec prédominance de symptômes nerveux graves +(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se +remit vraiment de cette crise qu'un an après, +lorsque des projets de mariage opérèrent en elle +une sorte de dérivation.</p> + +<p>Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à +retomber dans le même état nerveux, auquel se +joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie +lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, +et l'immobilisant pendant quelques heures. +Puis vinrent des crises de nerfs, le plus souvent +nocturnes, avec angoisses précordiales terribles, +peur de toutes les «maladies», etc...</p> + +<p>C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; +et, pendant la grossesse, elle se porta admirablement. +Mais, aussitôt après sa délivrance, l'estomac, +qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que par +des phénomènes insignifiants, entra définitivement +en scène: perte absolue d'appétit, crampes, gastralgie. +Puis, l'année suivante, ce fut le tour de +l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt +apparition de selles noires, survenant trois à quatre +fois par jour avec fortes coliques, et qui durèrent +quatre mois. A la fin de cette période, l'état général +était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment +compromise.</p> + +<p>Heureusement une année passée dans l'isolement, +et suivie d'une cure dans un sanatorium de +Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis +la malade pour la première fois, un an après son +retour de Suisse, voici les principales constatations +que je pus faire:</p> + +<p>Céphalée permanente,—picotement des yeux,—sciatique +gauche survenant au moment des +règles,—inquiétudes vagues,—peur de mourir +subitement,—trois heures à peine de sommeil +dans les meilleures nuits. L'estomac et l'intestin +laissaient également à désirer: appétit nul, alternatives +de diarrhée et de constipation.</p> + +<p>L'examen des organes me démontra qu'il n'y +avait rien à la poitrine, mais qu'au coeur existait +un souffle, au premier temps, à la base, perceptible +seulement dans la position horizontale; ventre +plat, peu élastique, sonorité basse et égale. La +malade, qui pesait 50 kilogrammes à dix-huit ans, +n'en pesait plus que 46.</p> + +<p>Voilà donc une jeune femme qui a toutes les +apparences extérieures d'une personne très souffrante, +et dont la vie est empoisonnée par une +série ininterrompue de misères variées. Et cependant +l'histoire même de ces misères prouve qu'il +n'y a point chez elle d'organe particulièrement +atteint, et que le capital biologique est, au fond, +moins mauvais qu'il ne paraît l'être. Mon premier +soin fut de la rassurer, notamment sur l'état de son +coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait +fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire +un estomac, par un régime sévère, puis de plus +en plus large. Je dirigeai son hygiène musculaire, +intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans +où je m'étais borné, en somme, à faciliter le retour +à l'équilibre du système nerveux, Mme X... se vit +délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée +enfin à une vie des plus supportables.</p> + +<p>Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on +Elle avait, sous une forme spéciale, ou plutôt sous +plusieurs formes, ce que j'appelle la «maladie». +Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux +qui, chez elle, fléchissait. Tout son système nerveux +était malade, et chacun de ses centres, tour +à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation +de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade, +le centre le plus atteint était celui qui préside aux +fonctions digestives; mais, si je m'étais limité à ne +soigner que celui-là , toute ma peine aurait risqué +d'être perdue. Il fallait, derrière les symptômes +locaux, atteindre le trouble général; il fallait +dépasser les incidents pour parer à la «maladie».</p> + +<p>Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez +qui les manifestations morbides n'ont certainement +rien de commun avec celles que je viens de +signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui, +lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait +progressivement maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes, +sans autre cause connaissable que certaines +influences morales. Elle ne se plaignait de +rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle +l'était, puisqu'elle maigrissait sans cesse, puisqu'elle +avait le teint terreux et la peau rugueuse, puisque +ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas +de lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: +mais toute l'apparence d'une grande malade.</p> + +<p>Pourtant, après un examen plus approfondi, +j'augurai bien de l'avenir, parce que le capital +initial était assez bon, parce que Mlle T... n'avait +pas eu de graves assauts dans son enfance, +enfin parce qu'elle était jeune, et malade depuis +peu de temps. Et le fait est qu'un traitement très +simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par +jour, puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord +sans viande, puis avec un plat de viande à midi, +et 30 injections de cacodylate de magnésie), amena +un résultat extraordinaire: réapparition des règles, +augmentation du poids, disparition de la rugosité +cutanée, relèvement de l'appétit, etc.</p> + +<p>C'est que cette malade, qui ne présentait aucun +trouble nerveux, n'en était pas moins une «nerveuse». +Toutes ses misères ne venaient, comme +chez Mme X..., que d'un ébranlement du système +nerveux; quand ce système se trouva modifié, par +le repos, le régime et la psychothérapie, la malade +guérit.</p> + +<p>Elle revint alors dans son pays; six mois après, +elle allait très bien, mangeant de tout, pesant +58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois +plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin +la mine sourdement; elle redevient «malade», +maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans +accuser la moindre douleur, et sans ressentir +aucune souffrance. Un jour, le 25 décembre 1903, +elle est tellement épuisée qu'elle a une syncope +grave, et que son entourage est convaincu qu'elle +va mourir. J'avoue que moi-même, quand je la vis +alors avec le Dr C..., je fus épouvanté, malgré la +bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique. +C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle +n'avait plus qu'un souffle de vie.</p> + +<p>Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? +En juin 1904, elle fit une pleuro-pneumonie. Deux +mois après, dès qu'elle fut transportable, elle +voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois +mois, aux injections d'huile créosotée. En octobre +1904, elle avait définitivement retrouvé sa santé.</p> + +<p>Comment douter que toutes les souffrances de +cette jeune fille aient été surtout d'origine nerveuse? +Et cependant voilà un cas où la perturbation +du système nerveux central s'est traduite par +des phénomènes qui n'avaient rien de ce que les +neurologistes constatent d'ordinaire. Et c'est bien +le système nerveux cérébral qui était en cause, +chez cette malade: car ses deux grandes crises +morbides n'ont absolument pas eu d'autre cause +que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans +manifestations nerveuses. Tout à fait comme +Mme X..., malgré la dissemblance des symptômes, +c'était une «malade», c'est-à -dire une personne +dont le capital nerveux s'était trouvé entamé.</p> + +<p>Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite +par des phénomènes cardiaques. Chaque fois +qu'il y a eu chez le malade une défaillance du système +nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner +normalement, à tel point que tous les +médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le traitaient +infailliblement par la digitale et la caféine.</p> + +<p>En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même +un faux cardiaque: c'est simplement un «malade» +chez qui le système nerveux qui préside aux mouvements +du coeur est plus spécialement impressionnable.</p> + +<p>Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un +rhumatisme (sans endocardite), chaque fois qu'il y +a eu un assaut quelconque dans la santé du malade, +le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite +d'une bronchite grippale, je constatai, pour la +première fois, de l'arythmie, et un souffle au +2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce souffle +persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois, +il est imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est +d'une netteté extrême: si bien que plusieurs médecins +ont affirmé une lésion de la valvule de l'aorte.</p> + +<p>Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z. +n'a jamais de pouls bondissant, et de nombreux +tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange, démontrent +qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand +M. Z... va bien, son coeur va bien: quand il va +mal, quand il se surmène, ou éprouve une émotion +vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise +par les manifestations les plus variées: syncopes, +arythmie, fausses angines de poitrine.</p> + +<p>M. Z... est un de ces hommes qui sont faits +pour le travail intensif: chez lui, quelle que +soit l'énormité du travail, il n'y a jamais de +surmenage cérébral; mais c'est un <i>sensitif</i>, que +le surmenage émotionnel guette à tout instant. +En 1898, à la suite d'émotions vives, tout son +système nerveux entre en révolte: le système +digestif (dyspepsie, constipation, etc.), le système +nerveux central (insomnie absolue, tristesse, pâleur +insolite, épuisement des forces). En même temps +la glycosurie fait son apparition (10 grammes de +sucre par litre). Enfin les troubles du coeur atteignent +une intensité extrême et défient tous les +traitements classiques (digitale, spartéine, bromures, +etc.).</p> + +<p>Désirant me voir avant de mourir, le malade me +fit appeler le 28 avril 1898, et me raconta les soucis +qui l'avaient accablé. Ces soucis étaient, sans +aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une +psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un +régime alimentaire très modéré, réussit parfaitement +à remettre le malade sur pied. Les deux +années qui suivirent furent même excellentes.</p> + +<p>En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le +trouble cardiaque, avec même, cette fois, un pouls +bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous la direction +du Dr Lagrange, produit un très bon résultat. +En 1903, ni le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons +plus le souffle coutumier.</p> + +<p>Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle +émotion, reparaissent l'arythmie, le souffle, la glycosurie: +de nouveau, une saison à Vichy supprime +tout cela.</p> + +<p>En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles +contrariétés, l'ébranlement du système nerveux se +traduit par un lumbago, mais surtout par une +anesthésie de la main et de la joue droites, qui +effraie beaucoup le malade. Je le rassure encore, +je le renvoie à Vichy, d'où il revient en parfait +état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans, +toujours avec une activité dévorante.</p> + +<p>C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux +malades précédents, est simplement un «malade», +avec cette particularité que c'est sur le coeur que +se portent de préférence, chez lui, les plus importantes +manifestations de la «maladie».</p> + +<p>Dans les trois observations que je viens de citer, +c'était tel ou tel département du système nerveux +qui manifestait plus spécialement les souffrances de +l'être entier, et les périodes de malaise étaient séparées +par des périodes de santé, tout au moins relative. +Voici maintenant un cas où tous les éléments +du système nerveux sont tellement excités que la +«maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans +qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission, +depuis l'époque où le système nerveux a été +ébranlé,—c'est-à -dire depuis l'âge de huit ans,—jusqu'à +l'âge de la cessation des règles. La malade +dont je vais parler a été vraiment, pendant plus de +trente ans, un parfait musée pathologique. Mais, +malgré mille misères qui se succédaient chez elle +comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais +désespéré de sa survie, ni de sa guérison, à cause +même de la mobilité et de la variété des manifestations +morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité +des organes.</p> + +<p>La «maladie» de cette personne a commencé à +huit ans, à la suite d'une fièvre typhoïde grave. +Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par des +migraines très intenses et très fréquentes; mais +dès l'apparition des règles, aux migraines se sont +jointes des douleurs d'estomac et de la constipation. +Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral +a manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements +d'oreilles, etc. Deux ans après, c'est le +tour de la moelle: douleurs rhumatismales et +névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois +ans, le système nerveux cardiaque donne sa note +dans le concert: syncopes qui durent de dix +minutes à une demi-heure, avec perte complète de +connaissance.</p> + +<p>En octobre 1889, une crise gastralgique survient, +qui se prolonge pendant trois jours consécutifs. +L'année suivante, c'est une douleur intercostale +gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs +jours; mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement +libre, les vertiges, la céphalée, ont disparu. +En 1893, apparaît une dermalgie qui occupe +les deux bras. Puis voici que la fièvre survient: +la malade a jusqu'à 40°, sans cause connue, à +l'époque de ses règles. En 1895, se produit un état +de péritonisme,—avec douleurs très vives dans +l'estomac et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,—qui +semble mettre la vie en danger. +Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant +les dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement, +de 93 à 87 kilogrammes.</p> + +<p>L'année suivante fut très bonne. Le sommeil +revint, l'estomac rentra dans l'ordre, la malade +put croire que ses misères allaient prendre fin. +Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de +froid l'intestin à son tour se met de la partie: +fausses membranes dans les selles, coliques, diarrhée +et faux besoins d'exonération extrêmement +pénibles. L'appendice même paraît touché: il y a +une douleur très nette au point de Mac Burney. Un +autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées, +selles décolorées, fièvre; mais la menace ne +persiste que quatre jours. En 1900, ulcère de l'estomac, +vomissements noirs. La même année, je note +une sorte d'inhibition du fonctionnement de la +jambe droite, qui, à un moment donné, deux ou +trois fois par mois, refuse tout service, au point +que la malade tombe brusquement. Enfin, cette +même année, se déclare un oedème des jambes, disparaissant +après la marche;—c'est là un phénomène +que j'ai souvent observé chez les «malades» +dits <i>arthritiques</i>.</p> + +<p>Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904; +la malade était, suivant son expression, un «faisceau +de douleurs», mais elle avait un excellent +moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle +reviendrait à la santé. Or, le fait est que, depuis la +fin de 1904, en même temps que disparaissaient +ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon +surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie, +définitivement délivrée de toutes ses misères, +promène joyeusement ses 105 kilogrammes et se +déclare enchantée de vivre.</p> + +<p>C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses, +même quand elle présentait les symptômes +les plus inquiétants, cette personne n'était +ni une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale, +ni une gastrique, ni une cardiaque, mais simplement +une «malade» à manifestations cérébrales, +médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant +les longues années où je lui ai donné des soins, +toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à essayer +de dynamiser son système nerveux, et de le +dynamiser tout entier, sans presque chercher à +atteindre, en particulier, tel ou tel de ses centres +qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai +eu le bonheur de deviner que cette personne +avait les apparences de trop de «maladies» pour en +avoir la réalité; et, de fait, quand son système +nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la +véritable «maladie» a aussitôt amené la guérison +de toutes les pseudo-affections qui n'en étaient que +le contre-coup.</p> + +<p>Le trouble du système nerveux central peut +encore se traduire par les symptômes qui caractérisent, +de la façon la plus formelle, des «maladies» +organiques. J'ai parlé déjà , plus haut, de ce +malade qui avait toutes les apparences d'une lésion +du coeur, sans avoir le coeur lésé. On sait que, +par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule les +«maladies» organiques les plus variées. Les hystériques +peuvent présenter les symptômes de la +méningite, de la grossesse, voire même des «maladies» +les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu +un jeune soldat qui offrait tous les signes de la sclérose +en plaques. Après trois mois d'examen, on a +fini par le réformer; or, ce n'était qu'un hystérique. +Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur: +car on ne simule pas les symptômes de la sclérose +en plaques!</p> + +<p>Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique, +j'exprime mal ma pensée. En réalité, c'était un +«malade». Je l'ai suivi pendant longtemps, après +son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut +plus le moindre phénomène médullaire; mais il +eut de la dyspepsie, et j'ai su que, dans son enfance, +il avait eu d'autres manifestations de ce que j'appelle +la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée +de sa vie, quand il s'est agi pour lui de faire +son service militaire, que la «maladie» s'est traduite, +pendant quelques mois, par ces troubles de +l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler +hystérie.</p> + +<p>Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux +que j'ai cités suffiront, je crois, à donner une +idée de ce que j'entends, à proprement parler, par la +«maladie». D'une façon générale, je veux dire +que la «maladie» embrasse tout le domaine pathologique +qui n'appartient pas à ce qu'on pourrait +appeler les «accidents»—accidents qui vont +depuis les fractures et les intoxications jusqu'à +des lésions d'organes (cancer, hémorragies cérébrales, +etc.), en passant par toute la série des +affections à microbes, connus et inconnus.—Au-dessous +de ces «accidents» s'étend une série indéfinie +de troubles pouvant revêtir toutes les formes +et donner même l'illusion de toutes les «maladies» +organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que +d'origine nerveuse (en donnant à ce mot toute +l'extension qu'il comporte), ainsi que cela apparaît +clairement pour peu que l'on considère leurs causes, +leur marche et leur terminaison. Dans la «maladie» +rentrent donc toutes les névroses; la folie quand +elle n'est pas produite par des lésions du cerveau, +l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie, +les algies, tous les troubles fonctionnels des +divers organes, <i>tant que ces troubles fonctionnels +n'ont pas amené de lésion des organes</i>.</p> + +<p>Les médecins voient quotidiennement la «maladie» +sous une de ses formes préférées. C'est la +forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le +nom d'«embarras gastrique», synonyme d'embarras +de diagnostic. Dans cette affection, il ne +faut pas croire que le système nerveux soit indemne; +les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges, +souvent des bourdonnements d'oreille, un état de +fatigue générale du système musculaire, de l'insomnie, +de la difficulté pour lire, pour supporter une +conversation; ils ne souhaitent que le repos et +la tranquillité. Si on les leur accordait, si une +médication perturbatrice n'intervenait pas, si on +graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait, +en général, aucune complication; et après +quinze jours, un mois, ils reviendraient peu à peu +à la santé<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6"><sup>6</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" name="footnote6"></a><b>Note 6:</b><a href="#footnotetag6"> (retour) </a> La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise urinaire. +Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois +même urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre, +claires et abondantes. En même temps la température tombe, +pendant deux ou trois jours, au-dessous de la normale, le sommeil +reparaît, l'appétit également, et tout rentre dans l'ordre.</blockquote> + +<p>Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le +mode chronique; et c'est pendant des mois et des +années que l'on voit tout le système organique +compromis dans son fonctionnement. Le système +nerveux, l'estomac, l'intestin, laissent à désirer +d'une façon à peu près égale. C'est chez ces grands +malades qu'on est en droit de se demander si c'est +le cerveau qui tient sous sa dépendance les troubles +nerveux de l'estomac ou de l'intestin, ou si c'est +l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle manière +de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique +exclusive: on s'acharne à remédier aux troubles +du système nerveux, en négligeant les troubles +digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a +tort. Pour faire de la bonne thérapeutique, il faut +<i>à la fois</i> soigner le cerveau, l'estomac, l'intestin, +la moelle, le malade entier, en un mot, tout en +recherchant, si possible, quel est le système le +plus compromis et dont le fonctionnement laisse le +plus à désirer.</p> + +<p>C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais, +maintenant, rechercher les causes les plus +habituelles, avant d'en indiquer, dans ses grandes +lignes, le mode de traitement: traitement qui doit +être toujours <i>général</i>, puisque toujours la «maladie», +même quand elle ne se traduit que par des +troubles locaux, est, par son essence, d'ordre +général.</p> + +<p>Quant au traitement particulier des «maladies» +accidentelles, il va sans dire que je n'aurai pas à +m'en préoccuper dans ce travail.</p> + +<h4>CHAPITRE III</h4> + + +<h4>LES CAUSES DE LA «MALADIE»</h4> + +<p>I.—CAUSES PHYSIQUES</p> + +<p>Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers +toutes les circonstances de sa vie qui compromettent +sa valeur, soit momentanément, soit d'une +façon définitive et irrémédiable. Elles varient à +l'infini; l'homme heureux seul n'a pas d'histoire, et +l'homme heureux est un être de raison, qui n'existe +pas dans la réalité.</p> + +<p>Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer +que ce n'est pas le surmenage cérébral, ni le +surmenage musculaire, ni même les vices d'alimentation, +le défaut de confort, l'aération insuffisante, +etc., qui constituent les grands facteurs de +la «maladie»: c'est le surmenage émotionnel, c'est le +chagrin,—l'influence psychique, en un mot.</p> + +<p>Cependant les autres influences morbigènes +méritent une mention détaillée. Je les rapporterai +aux trois chefs suivants:</p> + +<p>I. Surmenage cérébral.</p> + +<p>II. Surmenage musculaire.</p> + +<p>III. Alimentation défectueuse ou insuffisante.</p> + +<p>1° <i>Surmenage cérébral</i>.—Le cerveau est fait +pour fonctionner, comme le coeur est fait pour +battre; et il est bien rare que le travail cérébral, à +lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une +cause de détérioration profonde, et surtout de +déchéance définitive. C'est bien plutôt un élément +de survie prolongée.—Voyez cet écrivain qui, à +l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner +le monde par les productions de son génie; il n'a +jamais cessé de travailler, et il a pu faire les frais, +à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet +âge, est presque toujours fatale. Quel est donc son +secret? Son secret, c'est de n'avoir aucune préoccupation +étrangère à son travail; c'est d'avoir une +femme qui pense pour lui à tous les détails de la +vie; c'est d'avoir une excellente hygiène morale, +la paix du coeur et de l'esprit.</p> + +<p>Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail +cérébral insuffisant, et tout le monde sait que +les désoeuvrés sont bien à plaindre. Ce sont des +coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre +sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils +lui doivent; mais ce sont aussi des malheureux, +car la «maladie» les guette. Le désoeuvré accidentel +lui-même, habitué à un travail cérébral considérable, +s'il est condamné trop longtemps au repos +de l'esprit, sent qu'il lui manque quelque chose: il +perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de +reprendre le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire +que l'air respirable.</p> + +<p>Quand, cependant, le travail cérébral est poussé +à une limite véritablement excessive, il amène aussi +ce que nous avons appelé la «maladie», c'est-à -dire +la détérioration, quelquefois définitive ou prolongée +pendant des années. On en voit des exemples +chez les candidats aux écoles, à l'internat, à +l'agrégation, etc. On serait porté à croire, <i>a priori</i>, +que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe +surmené; c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, +même quand elle est de cause cérébrale, elle peut très +bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de l'entérite, +tout comme si elle avait été produite par une +intoxication. Il faut toujours en revenir aux notions +que nous avons développées au chapitre précédent: +à la notion des points faibles, et à la variété +des manifestations par lesquelles l'organisme traduit +le malaise causé par une influence déterminée.</p> + +<p>2° <i>Surmenage musculaire</i>.—Il n'amène qu'exceptionnellement +la «maladie». Chez le surmené +musculaire, quelques jours ou quelques semaines +de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions +d'aplomb; et l'on ne saurait se figurer le rendement +dont est capable la machine, quand, par +ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la +dépense cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers +italiens produire un travail musculaire véritablement +colossal, tout en ayant une alimentation très +restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une +fois par semaine, eau claire), et ce, sans le moindre +préjudice pour leur santé. Ils se contentaient du +salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal +venu de proposer à nos ouvriers français.</p> + +<p>Il est cependant incontestable que le travail musculaire, +poussé à de trop grands excès, peut devenir +une cause de «maladie» momentanée, et préparer le +terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous +en avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement +dans l'armée, et des sports chez les jeunes gens.</p> + +<p>3° <i>Vices d'alimentation</i>.—Ils jouent un rôle +important dans la pathogénie de la «maladie», d'autant +que, en dehors des cas d'intoxication aiguë, +ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement, insidieusement. +Le plus souvent, en effet, l'estomac et +l'intestin ne se révoltent qu'après de longues années +de protestations presque silencieuses. Mais, à partir +du jour de cette révolte, la «maladie» est constituée. Les +symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus +souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour +surprendre, puisque c'est l'estomac qui a été, dans +ces cas, le plus spécialement molesté. Cependant, +dans certains cas, les troubles dyspeptiques passeront +à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement +le diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique +qui n'a, pour un examinateur superficiel, que des +troubles cérébraux; il peut très bien se faire qu'il +ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître +par un bon régime. Dans ce cas, les phénomènes +gastriques étaient au second plan pour le clinicien, +alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au +premier plan. Si donc le clinicien veut être bon +thérapeute, il doit se rappeler les grandes lois que +nous avons déjà formulées: s'il traite comme cérébral +un sujet dont la «maladie» a été provoquée par +des troubles alimentaires, il fait fausse route; de +même qu'il ferait fausse route en traitant comme +dyspeptique un sujet ayant des misères gastriques, +intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique +aurait été occasionné par du surmenage cérébral, +médullaire, émotionnel.</p> + +<p>Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation +défectueuse retentit sur l'ensemble de +l'organisme.</p> + +<p>On a fait grand bruit, ces derniers temps, de +l'auto-intoxication d'origine alimentaire; et beaucoup +de médecins s'obstinent à ne voir dans la +«maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout +quand elle revêt la forme nerveuse, qu'une sorte +d'empoisonnement de la cellule cérébrale par les +toxines alimentaires.</p> + +<p>C'est là une hypothèse assez commode, et qui +rend compte d'un nombre considérable de faits: +mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et ne +pouvant pas être démontrée par des observations +véritablement scientifiques. On pourrait tout aussi +bien expliquer les phénomènes rapportés à l'auto-intoxication +par l'irritation que provoque, sur le +plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore +par l'irritation des extrémités nerveuses du pneumo-gastrique. +On sait que ce nerf étend ses ramifications +sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on +s'expliquerait ainsi les irradiations à distance provoquées +par l'irritation stomacale: la dyspnée, +l'asthme, les fausses cardiopathies, etc.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation +peuvent incontestablement provoquer, à eux seuls, +la «maladie». Mais, le plus souvent, ils s'associent +à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, +à la débauche, etc.</p> + +<p>Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se +classer en quatre catégories distinctes:</p> + +<p>I. Alimentation excessive en quantité.</p> + +<p>II. Alimentation insuffisante en quantité.</p> + +<p>III. Alimentation insuffisante en qualité.</p> + +<p>IV. Abus de l'alcool.</p> + +<p>I. <i>Alimentation excessive</i>.—Nous ne voulons +pas nous étendre ici sur les inconvénients, vraiment +assez connus, de l'alimentation excessive. Disons +seulement que l'alimentation excessive empoisonne +peut-être la cellule nerveuse par les toxines alimentaires, +mais que sûrement elle impose aux organes +chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un travail +exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de +là , à la longue, le surmenage et les protestations +de ces divers organes, se traduisant de mille et une +façons (eczéma, urticaire, gravelle, etc.). Cette +manière de voir donne satisfaction aux partisans +de l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la +théorie de l'irritation du pneumo-gastrique, ou +du plexus solaire, on peut également comprendre +comment cette irritation, presque permanente, +des nerfs de l'estomac par une alimentation incendiaire, +amène, par action réflexe, des troubles de +coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon +(asthme, dyspnée), du cerveau et de la moelle, +voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi, +d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la +fois? ce ne serait, en tout cas, pas déraisonnable.</p> + +<p>Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose <i>optima</i> +d'aliments qui convient pour entretenir la vie et +pour réparer les dépenses incessantes de l'organisme? +Elle doit varier, évidemment, suivant le +travail produit, et suivant les individus. Tous n'ont +pas le même besoin d'alimentation, pas plus que, +dans un régiment de cavalerie, tous les chevaux +n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient +obligés aux mêmes dépenses musculaires. On a +essayé de fixer mathématiquement ce qu'on appelle +la «ration d'entretien» et la «ration de travail»; +et les différents chimistes qui se sont livrés à ce +calcul sont arrivés à des chiffres qui variaient du +simple au quadruple: mais tous s'accordent pour +démontrer qu'il faut <i>très peu d'aliments</i> pour subvenir +à la «ration d'entretien», et même à la «ration +de travail», de l'homme. La vérité est que nous +mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la +machine humaine soit bien admirablement construite +pour qu'elle résiste aux assauts quotidiens +que nous lui imposons.</p> + +<p>Comme ce problème de la ration physiologique +m'a toujours intéressé, je me suis livré à une +enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme +que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est +pour rien dans leur morbidité. Ils ont beaucoup +moins de jours d'indisponibilité que la plupart des +autres hommes du même âge, meurent plus vieux, +et s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les +Trappistes, le régime fort sévère n'est pas une +cause de morbidité; j'ai même été étonné, à leur +propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain, +et de constater qu'un homme habitué à manger +comme tout le monde pouvait, d'un jour à l'autre, +sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint +d'une Trappe.</p> + +<p>Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint +chez les individus qui dépensent beaucoup? +Oui, je l'ai étudié dans l'armée<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7"><sup>7</sup></a>, et j'affirme, au nom +d'une expérience de deux années, pendant lesquelles +je me suis occupé de l'alimentation du soldat avec +un colonel qui avait, de ce grave problème, tout le +souci qu'il mérite, que, si le soldat français, le seul +que je connaisse, avait la quantité et la qualité des +aliments auxquels il a droit de par les règlements, +et si ces aliments étaient préparés comme ils devraient +et comme ils pourraient l'être dans toutes les garnisons, +sa nourriture serait tout à fait suffisante. +Elle n'est un peu au-dessous des besoins que pour +les jeunes soldats, pendant les trois premiers mois +de la nouvelle existence qui leur est imposée; aussi +les officiers soucieux de la santé de leurs soldats +réservent-ils pour les nouveaux arrivants les <i>boni</i> +qu'ils ont pu réaliser sur les hommes dits «de la +classe».</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" name="footnote7"></a><b>Note 7:</b><a href="#footnotetag7"> (retour) </a> <i>La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de médecine +légale</i>, février 1890).</blockquote> + +<p>Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des +guides alpins, qui, non seulement, les jours d'excursion, +se contentent d'une alimentation extrêmement +réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits +secs), mais, en temps ordinaire, mangent très peu, +pour conserver leurs forces. Les professionnels du +sport, également, savent que la sobriété est la condition +de leur succès.</p> + +<p>Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs +années, des soins à une dame qui, avec toutes les +apparences de la santé, était constamment souffrante: +migraines, eczéma, urticaire, affections +cutanées polymorphes, palpitations, dyspnée, +insomnies, caractère inquiet, émotivité exagérée, +sensation de fatigue permanente, tendance à l'obésité,—et +j'en passe, pour ne pas faire le tableau +complet de ce qu'on est convenu d'appeler la +«grande neurasthénie». Chose curieuse, elle avait +peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation +et des hémorroïdes. Elle avait même un +vigoureux appétit, bien qu'elle prît fort peu d'exercice. +En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation: +précisément à cause de cet appétit de premier +ordre, elle ne voulait pas entendre parler de +régime restreint. Mais voici que l'adversité s'abattit +sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en +fut réduite à ne plus manger que des pommes de +terre cuites dans le four d'un petit poêle en +faïence, et des haricots; un demi-litre de lait +était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce +jour, elle alla bien. Toutes ses misères disparurent +successivement, en trois ou quatre mois, +y compris les misères nerveuses et les migraines; +et force me fut d'attribuer au seul changement de +régime la surprenante modification de sa santé. +Car on croira peut-être que, pressée par le besoin, +elle s'est mise à marcher davantage, pour chercher +du travail, ou pour se créer des relations? Non, +elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des +relations quand on est dans l'extrême détresse; et +je lui procurai un travail sédentaire, qui consistait +à faire des adresses sur des bandes, pour un grand +magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est +pas, non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a +pu modifier avantageusement sa mentalité. En +dehors de ses douze heures de travail quotidien, +elle avait des préoccupations angoissantes, qui +auraient suffi pour ébranler un système nerveux +moins équilibré. C'est donc bien uniquement, toute +analyse faite, à la restriction du régime, et à cet élément +seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je +pourrais, là encore, multiplier les exemples: mais +aucun ne peut être plus typique que celui que je +viens de relater à grands traits.</p> + +<p>Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation +insuffisante.</p> + +<p>II. <i>Alimentation insuffisante en quantité</i>.—Tout +le monde connaît les désastres occasionnés par les +famines qui sont encore, hélas! trop fréquentes en +Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous +estimons que personne ne doit avoir une alimentation +insuffisante, et que c'est une honte pour une +société civilisée d'avoir un seul de ses membres +manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à +proclamer que ce déshérité aurait, dans ce cas, le +droit absolu de prendre ce qui est indispensable à +sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre +si un jour la capricieuse fortune venait à lui sourire. +C'est d'ailleurs la doctrine de l'Église, nettement +formulée par saint Thomas, et très bien +expliquée dans un livre récent (<i>Socialisme et Christianisme</i>) +de l'abbé Sertillanges, professeur de +philosophie à l'Institut catholique. Mais laissons +là ces considérations d'ordre social, renonçons au +délicat plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers +adjacents, et reprenons notre grande route! Ce +qui est sûr, c'est que le problème de l'insuffisance +d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez +les gens bien portants; notre état social n'étant pas +aussi détestable que se plaisent à le dire quelques +pessimistes, ou encore quelques jouisseurs, qui +semblent n'avoir pour but que de semer la haine +par leurs discours et par leurs écrits. En France, +personne ne meurt de faim, et bien peu de gens +sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant donné +le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter.</p> + +<p>Là où le problème de l'insuffisance alimentaire +devient, pour le médecin, d'une douloureuse perplexité, +c'est quand il s'agit de malades ne pouvant +ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence +rien digérer, vomissant tout ce qu'ils +prennent, arrivés au dernier degré de la consomption, +n'urinant presque plus, restant des semaines +entières sans aller à la garde-robe, ne dormant +plus, ne pouvant plus ni lire, ni supporter une +conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu +de ces grands malades sans lésions organiques, +auxquels il est très difficile de faire du bien, et +auxquels on fait trop facilement du mal par une +intervention intempestive. Est-il admissible que la +vie persiste dans ces conditions déplorables, et +faut-il, oui ou non, forcer ces malades à manger?</p> + +<p>Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance +du système nerveux, en domptant sa révolte, +on arrive à des résultats remarquables. Chez de +grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une +seule application de la sonde oesophagienne suffit +pour faire renaître l'appétit, et rendre à l'estomac la +tolérance qu'il avait perdue depuis longtemps. Le +plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard, +est celui d'une jeune femme mariée à un capitaine +au long cours. Dès le lendemain du mariage, il l'emmenait +en voyage de noces à San Francisco, en +passant par le détroit de Magellan, sur un navire +à voiles. Pendant ce voyage, qui dura six mois, la +jeune femme commença à éprouver divers symptômes +morbides. Elle en arriva à être gravement +atteinte, et on dut la faire revenir, par les voies les +plus rapides, de San Francisco à Paris, où elle +désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je +trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes +les apparences d'une tuberculeuse avancée; l'auscultation +ne révélait cependant rien. Pendant les +trois premières semaines de son séjour à Paris, +elle avait une inappétence absolue, ne tolérait aucun +aliment, pas même le lait coupé, et était dévorée +par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La température +s'abaissait à 40° le matin. Bien que la +chaleur de la peau fût mordicante, bien que la +malade n'eût aucun intérêt à me tromper puisque +c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je +me refusai à croire à la possibilité d'une fièvre +aussi ardente et aussi continue. Je m'attachai à +vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin +les indications thermométriques; elles étaient parfaitement +exactes. C'est alors que, en désespoir de +cause, voyant que ni la quinine en injections ni +les lotions fraîches ne modifiaient cette température, +je me décidai à recourir aux lumières du +Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je ne +trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement +pas d'impaludisme; nous sommes donc +en présence d'une de ces hyperthermies comme on +en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le +plus pressé est d'empêcher cette femme de mourir +de faim, et, puisqu'elle ne peut pas manger, il faut +la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et, +après cinq repas assez copieux donnés à la sonde, +la malade retrouva l'appétit, la fièvre tomba, le +sommeil revint. Deux mois après, elle pouvait +quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais +une lettre m'annonçant la naissance d'un enfant. +Suivant la formule traditionnelle, la mère et l'enfant +se portaient bien.</p> + +<p>Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce, +le professeur Delorme m'invita à voir l'un de ses +malades, opéré depuis dix jours, et qui, depuis, ne +voulait pas manger. Il était guéri de son opération, +n'avait aucune fièvre, aucune lésion organique, +mais il se refusait obstinément à avaler quoi que ce +fût. C'était probablement le choc opératoire qui +avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de +certain, c'est qu'il maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai +pas, alors, à lui donner du premier coup, par +la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance +possible, un repas complet; dès le même +soir, il demandait à manger, et, s'étant mis à digérer, +il était guéri. Huit jours après, il sortait de +l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que, +chez les aliénés, il ne soit du devoir strict du +médecin de prolonger l'alimentation à la sonde +aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après +s'être toutefois bien enquis du fonctionnement du +système digestif. Il y a là de grosses difficultés +cliniques.</p> + +<p>D'une façon générale, cependant, nous hésitons +toujours à employer ce moyen brutal qu'est la +sonde oesophagienne; le plus souvent, quand l'alimentation +est indiquée pour une grande neurasthénique +qui ne veut ou ne peut pas manger, nous +la lui imposons par suggestion à l'état de veille. +Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La +vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut +alimenter. La responsabilité du médecin est, quelquefois, +bien gravement engagée dans ce problème. +S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même +par suggestion ou par persuasion, il risque de +donner à sa malade une indigestion formidable, +avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il +risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de +vie qui soutiennent l'existence de la malade. Étant +donné ce que nous avons dit du peu d'aliments +qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à +redouter d'une alimentation intempestive, nous +croyons qu'il faut patienter le plus possible, et ne +donner à ces malades que le régime ultra-restreint, +sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage, +toujours prêt à se figurer que la malade +va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand, par +une alimentation restreinte mais bien conduite, on +a été assez heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,—et +on y arrive toujours,—alors seulement +on alimente plus généreusement.</p> + +<p>Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder +habituelle de nos confrères renommés pour +le traitement des grandes névroses; mais nous ne +pouvons pas admettre que tous les malades, quel +que soit le degré de leur «maladie», soient justiciables +d'un même procédé thérapeutique, et que, après six +jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise +de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils +mangent et qu'ils digèrent n'importe quoi. Ils mangeront +peut-être, mais tous ne digéreront pas.</p> + +<p>III. <i>Alimentation insuffisante en qualité</i>.—Si +l'insuffisance alimentaire quantitative joue, dans +la pathogénie de la «maladie», un rôle relativement +minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance +qualitative; et la défectueuse qualité des +aliments est un ennemi de tous les jours, d'autant +plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On ne +saurait croire combien les aliments les plus usuels +sont frelatés. Si une chimie bienfaisante permet, +par-ci par-là , de découvrir quelques fraudes, il est +une chimie malfaisante qui fait tous les jours des +progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous +en doutions. Bientôt le dictionnaire des falsifications +alimentaires atteindra le volume du Bottin. +Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se +mettent aussi de la partie, et, par les procédés de +congélation, en particulier, on arrive à jeter sur +les marchés des aliments de belle apparence, mais +qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante. +Prenons, à titre d'exemple, les poissons de +mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans un +port de mer, par la vue de gros blocs de glace que +des pêcheurs emportaient avec eux. Ces blocs ne +me disaient rien qui vaille; et j'appris, en effet, que +ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours, et +que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson, +ils le mettaient dans la glace: de telle sorte que ce +poisson congelé arrive sur nos marchés avec bel +aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires +avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état +d'aliment toxique.</p> + +<p>Certains procédés de stérilisation sont également +vus d'un mauvais oeil par l'hygiéniste. Pour +les conserves de viande, notamment, on sait les +préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire; +et le problème vient seulement d'être résolu, +grâce au zèle d'une commission composée de nos +plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en +bactériologie qui ont travaillé pendant de longs +mois.</p> + +<p>Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est +pourquoi il est si souvent un breuvage meurtrier, +non seulement pour les enfants, mais même pour +les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié, +ou adultéré spontanément, qu'il est, chez les +malades, d'un emploi si délicat. Remarquez que +nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si le +lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas +parce qu'il est altéré, c'est parce qu'il est trop riche +en crème, ou pris en trop grande quantité, c'est +aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple +bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou +s'en abstenir, sans poursuivre le projet insensé de +vaincre l'intolérance des malades. A cela on y +arrive parfois, quand le malade est complaisant, +mais le plus souvent on échoue.</p> + +<p>Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons, +mollusques, viandes, provoquent des empoisonnements +dont on néglige souvent de chercher +la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la +fièvre typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre +ces deux extrêmes, toutes les variétés cliniques se +rencontrent. D'autres fois, ils empruntent le masque +du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que +le traitement consiste à attendre que l'économie soit +débarrassée de ces poisons (diète absolue d'abord, +puis tisanes et repos); quant à chercher à favoriser +l'élimination des poisons par des purgatifs ou des +vomitifs, c'est très légitime en théorie, mais, en +fait, très dangereux, car on ajoute ainsi un élément +de perturbation qui aggrave parfois grandement +l'état morbide.</p> + +<p>Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication +alimentaire n'occasionne qu'à la longue la perturbation +du système digestif; et c'est alors qu'il est si +difficile de rapporter les effets directs et éloignés +de cette perturbation à leur cause véritable.</p> + +<p>IV. <i>Alcool</i>.—Certes, l'alcool et toutes les boissons +distillées, quelque pompeuse que soit l'étiquette +de leur flacon récepteur, constituent un aliment +meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en +leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence +pour la mémoire de Duclaux, qui a excité de +si vives polémiques en écrivant que l'alcool était +un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme +sont de ceux que déplorent tout hygiéniste et tout +bon citoyen; aussi ne saurait-on encourager trop +les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de tempérance, +etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts +contre les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache +aux conditions économiques de la société? +L'alcoolisme durera aussi longtemps que l'impôt sur +l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté +à l'État 358 392 000 francs (et dans ce chiffre +ne sont pas compris les droits sur les vins, cidres, +bières, etc.); aussi longtemps que la puissance +électorale du marchand de vin; aussi longtemps +que le malaise de l'ouvrier, poussé au cabaret par +la destruction du foyer et l'insalubrité du logis...</p> + +<p>Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant +sincèrement le succès des généreux efforts des +ligues anti-alcooliques, de conserver un reste de +pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool +un oubli momentané aux misères humaines. C'est +souvent leur malheur, et non leur faute, s'ils tombent +dans la dégradation progressive qu'on déplore +à trop juste titre.</p> + +<p>Mais autant est légitime la campagne contre les +boissons distillées, autant, à notre avis, les boissons +fermentées devraient trouver grâce devant la +rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la +ligue anti-alcoolique française, pour ne parler que +d'elle, compromet d'une façon irrémédiable le +résultat qu'elle poursuit, si elle continue à proscrire +les boissons <i>fermentées</i>. Qu'un intellectuel +dyspeptique ne tolère pas une goutte de vin à ses +repas, c'est chose possible, et il fera bien de s'en +abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre, +c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a +quelques années, on pouvait dire qu'un litre de vin +représentait 100 grammes de mauvais alcool; mais +depuis la surproduction des vignes françaises, et +depuis qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin +est devenu une boisson hygiénique, quand elle est +prise à petite dose par des gens dont l'estomac n'est +pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait +mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en +chambre, de dépenser à l'achat d'aliments azotés, +ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense à acheter +du vin; mais que deviendrait la vie si elle était +soumise aux tyrannies des théoriciens hygiénistes?</p> + +<p>Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter +que le vin entrât dans la ration réglementaire. +Presque tous apprécient énormément le vin, +et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du +chef qui leur octroie aimablement un quart de litre +de vin. Malheureusement, il ne faut pas songer +avant longtemps à introduire l'usage régulier du +vin dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on +voulait se rappeler que, chaque fois qu'on augmente +d'un centime par jour la dépense du soldat français, +le budget se trouve grevé d'un million par an, on +mettrait fin du coup à toutes les discussions, plus +ou moins intéressées, qui font perdre à nos législateurs +un temps précieux.</p> + +<p>Un esprit chagrin pourrait nous répondre que +l'eau stérilisée que l'on donne aux soldats coûte +plus cher que le vin, si l'on tient compte du prix +d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du +combustible, et surtout de la répugnance invincible +qu'ont les soldats à boire cette eau cuite, presque +toujours tiède malgré les soins qu'on met à la +refroidir après la stérilisation; mais nous aurions +mauvaise grâce à nous associer à ces critiques. Il +ne faut décourager les efforts de personne.</p> + +<p>Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une +boisson recommandable pour l'adulte valide, chez le +malade le vin et les autres boissons fermentées +sont, en général, de véritables toxiques; et c'est +par la suspension du vin qu'il faut commencer le +traitement de tous les dyspeptiques. Mais quand +l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit d'aider +à la reconstitution du système nerveux, le vin +devient un adjuvant utile; et non pas sous une forme +pharmaceutique quelconque, mais sous la forme de +bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin d'Algérie, +du Midi, etc.).</p> + +<p>En résumé, les erreurs de l'alimentation sont +essentiellement regrettables, comme le sont toutes +les erreurs contre la véritable hygiène; elles entrent +pour une bonne part dans la genèse de la «maladie»; +mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées +à fond, tandis que les influences qui nous restent +à passer en revue agissent plus profondément +encore, d'une manière plus insidieuse et plus malfaisante; +et leur rôle pathogénique n'est, en général, +pas apprécié à sa juste valeur. Nous voulons +parler des influences morales.</p> + +<p>II.—CAUSES MORALES</p> + +<p>Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence +du moral sur le physique; mais, malgré les +travaux de divers philosophes, les médecins en général +ne connaissent pas encore assez cette influence +du moral, et ne lui attribuent pas assez d'importance. +En réalité, elle joue un rôle énorme, et dans +presque tous les cas elle se rencontre, pour qui +sait la chercher. Malheureusement, pour faire de +semblables enquêtes, il faut beaucoup de temps, +il faut que le médecin devienne le confident, l'ami +de son malade, et qu'une regrettable suspicion de +l'entourage ne l'empêche pas d'accomplir son +oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin ait des +qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la +pensée du sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre +à mots couverts.</p> + +<p>Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales +de «maladie» sont multiples, et peuvent être rapportées +aux quatre grands chefs suivants, que nous +classons par ordre d'importance effective, sans +aucune prétention psychologique:</p> + +<p>1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au +jeu, etc., ambitions déçues.</p> + +<p>2° Influences qui compromettent, par une action +lente et continue, la quiétude de l'âme (passions +contrariées, chagrins d'amour).</p> + +<p>3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés +par l'éloignement ou la perte d'êtres +aimés).</p> + +<p>4° Choc moral et choc traumatique.</p> + +<p>1° <i>Pertes matérielles</i>.—Les pertes de fortune, +les changements de situation, sont des facteurs +moins importants qu'on ne se le figure d'ordinaire, +relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois +le premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez +vite aux nouvelles conditions d'existence qui leur +sont faites, si elles n'ont pas, par ailleurs, à s'alarmer +pour leurs enfants, et si elles sont préalablement +bien portantes. On pourrait paraphraser la +pensée d'Horace, en disant: <i>Sanum et tenacem +impavidum feriunt ruinae</i>. C'est ainsi qu'on a pu +définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»; +et c'est peut-être la meilleure définition qu'on en +ait donnée.</p> + +<p>Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains +cas, les perturbations dans la situation sociale, +les pertes d'argent, provoquent des assauts considérables,—que +le médecin doit savoir deviner,— +capables de produire la «maladie», et surtout de +l'aggraver quand elle existe déjà à un degré quelconque. +Voyez ce diabétique qui, d'un jour à +l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez +bien: c'est souvent parce qu'il a eu, la veille, +une perte d'argent.</p> + +<p>Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes +qu'une perte survenue accidentellement ou par +imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une +influence morbide considérable. Le joueur, en +effet, vit dans un milieu anti-hygiénique; il joue, +le plus souvent, la nuit, et se prive de sommeil; +en outre, son surmenage émotionnel est doublé de +surmenage cérébral; bref, la funeste habitude du +jeu mérite une place d'honneur parmi les causes +morales pathogènes.</p> + +<p>Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie +avec les pertes au jeu. Ici l'enjeu, au lieu d'être +une somme d'argent, est un grade, une décoration, +un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue +quelquefois une importance qui nous fait sourire, +mais qui, cependant, lui tient grandement au coeur: +car tout est relatif dans la vie, et l'ambition déçue +après de longs efforts, après des tentatives souvent +répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie». +Qui ne connaît, dans son entourage, un officier +navré d'avoir à prendre sa retraite sans avoir +obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait +le malheur d'une famille, et son propre malheur, +au point d'en perdre la santé, ou quelquefois la +vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais +c'est de cette nourriture que vivent les hommes.</p> + +<p>2° <i>Influences qui compromettent la quiétude de +l'âme</i>—Les unes agissent par leur continuité: ce +sont les coups d'épingles incessants dans un ménage +où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles +de famille quotidiennes, l'impossibilité de +fuir un milieu où l'on ne se sent pas à l'aise. C'est +le fait d'être souvent en butte aux taquineries ou +aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend +pas, d'avoir à subir l'autorité malveillante d'un +parent, d'une mère. La victime se trouve tiraillée +à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion +plus ou moins forte du devoir, et, d'un autre, +poussée à la révolte par les vexations, réelles ou +imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice incessant +finit par «énerver»,—c'est le mot qu'on emploie +journellement,—autrement dit, finit par amener +la «maladie», à un degré variable: et l'une de ses +formes les plus connues s'appelle le délire de la +persécution, quand le trouble mental domine la scène +morbide. Mais, si l'on étudie de près un «persécuté», +on verra bien vite qu'il n'est pas malade +que de la tête; il digère mal, il est constipé, il +maigrit, il a souvent des battements de coeur, de la +dyspnée, la peau sèche, etc., etc.; toutes ses fonctions +sont en délire. Tout est fou chez l'aliéné, +parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand +malade».</p> + +<p>D'autres fois, c'est une passion vive, intense, +qui compromet l'équilibre de la santé. La passion +amoureuse mérite, à ce titre, d'être signalée au +premier rang; nous en avons dit un mot déjà , à +propos de la jeune fille: mais ici nous l'étudions +dans sa forme ardente, fougueuse, la forme +qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le +système nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie, +qui peut se traduire par la production +de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de +<i>Tristan et Yseult</i>, ou comme la <i>Nuit d'Octobre</i>, +mais qui amène souvent, chez celui qui en est +victime, une perturbation générale de la santé, +quand un obstacle d'ordre moral ou matériel +empêche cette passion de se satisfaire. La victime +perd alors le sommeil, s'agite dans le vide, +est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet +les fonctions digestives; l'estomac entre en +scène, le cercle vicieux s'établit; la «maladie» est +constituée. Elle durera tant que durera sa cause, +ou qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté +le remède efficace. Bien souvent, d'ailleurs, le +temps seul est le remède; et il faut savoir attendre, +sans imposer au malade une médication perturbatrice, +qui aggraverait son état.</p> + +<p>Lorsque la victime est obligée de garder pour +elle son secret, sans pouvoir le communiquer à un +confident, sa situation est encore plus lamentable. +Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là +l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer confiance à son malade et à provoquer +chez lui des confidences, qui le soulagent +plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité.</p> + +<p>Combien de femmes sont malheureuses en +ménage sans que personne s'en doute! Elles dissimulent +avec un soin jaloux à leur famille, à leurs +amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et +combien leur misère n'est-elle pas atténuée quand +elles peuvent confier leur chagrin à un homme de +bon conseil?</p> + +<p>3° <i>Inquiétudes d'origine altruiste</i>.—Les inquiétudes +relatives à la santé d'un être cher sont souvent +aussi une cause de neurasthénie, et il n'est +pas rare de voir les divers membres d'une famille +devenir, tour à tour, malades, par le fait des +préoccupations et des fatigues qu'a causées l'atteinte +d'un premier membre. Une mère qui, +comme je l'ai vu, passe vingt jours et vingt +nuits sans quitter le chevet de son enfant atteint +de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant +sera guéri. Elle pourra peut-être devenir, à +son tour, une typhoïdique; mais, même si elle ne +prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée +pour longtemps. De même encore le fait d'avoir +un enfant infirme, qu'on voit du matin au soir, +empoisonne assez l'existence pour entraîner, quelquefois, +la «maladie».</p> + +<p>Dans une famille bien unie, la névrose de l'un +des membres ébranle tellement le système nerveux +des autres, que la nécessité de la séparation s'impose. +La contagion de la névrose n'est cependant +pas une «contagion» au sens propre du mot; +mais, en pratique, on est souvent appelé à traiter +le malade comme s'il était contagieux, dans son +propre intérêt et dans celui de son entourage.</p> + +<p>Le départ des êtres qui nous sont chers est un +autre facteur important de «maladie»:—même la +séparation momentanée, (femmes de marins ou de +militaires partant en campagne),—sans compter +que le chagrin de la séparation se double, en ce cas, +d'inquiétude pour les dangers que va courir l'être +aimé. On voit alors la «maladie» survenir au +bout de quelque temps, revêtir une forme quelconque, +avec des manifestations variant à l'infini +(insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes +traduisant le malaise du système nerveux +central, qui ne s'atténuera que quand la cause disparaîtra. +Et même, une fois la cause disparue, il +pourra persister encore des mois et des années, +parce que l'habitude morbide est prise, parce que +le système nerveux a reçu le choc. La cellule continuera +à vibrer de travers, comme la surface d'un +lac continue à être agitée bien longtemps après la +chute de la pierre qui a troublé son repos.</p> + +<p>Quand la séparation est définitive, le mal est plus +profond encore, et l'expression de «vie brisée» est +absolument juste. La perte d'un être cher atteint la +vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un +seul coup, le capital biologique. Le malade traînera +une existence plus ou moins lamentable, et plus ou +moins prolongée; mais les moyens thérapeutiques +les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine +philosophie atténuera ses maux, et le médecin a +surtout à lui offrir une bonne psychothérapie. Le +temps, aussi, devient un remède avec lequel il faut +compter; le rôle principal du médecin, dans les cas +de ce genre, doit être d'empêcher l'organisme de +s'effondrer, pour permettre au temps d'accomplir +son oeuvre réparatrice.</p> + +<p>4° <i>Choc moral et choc traumatique</i>.—Une +émotion violente, quelle qu'en soit la cause, peut +également amener la «maladie» sous une forme quelconque, +et parfois lui faire revêtir immédiatement, +sans transition, les formes les plus graves. Je +connais un officier très distingué, et bien portant +jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une +chute de cheval sur la tête. Après deux jours de +perte presque complète de connaissance, il recouvra +successivement la parole, la mémoire, le mouvement, +les forces; mais il était devenu un malade. +Depuis douze ans, il traîne une existence pitoyable. +Ce ne sont pas seulement les fonctions cérébrales +qui sont atteintes, chez lui; elles sont même relativement +respectées, il n'a que des vertiges, des +bourdonnements de l'oreille gauche, des picotements +dans les yeux, de la difficulté à lire et à +causer. Au demeurant, son intelligence est restée +intacte: mais toutes ses autres fonctions ont été +perturbées. Il a des névralgies erratiques,—plusieurs +médecins ont cru que c'était un candidat +à l'ataxie locomotrice,—et surtout il a les +troubles digestifs les plus variés (gastralgie, pesanteurs, +gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse +avec alternative de constipation opiniâtre et d'une +diarrhée qu'il est difficile d'arrêter). Les forces +sont tellement réduites qu'il peut à peine faire +deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé +les muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type +de malade, atteint de ce qu'on appelle la «neurasthénie +hystéro-traumatique», ce sont les troubles +digestifs qui sont au premier plan, bien que +le choc ait porté sur la tête.</p> + +<p>De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de +<i>trauma</i> véritable de la boîte crânienne, suffit pour +amener le choc déterminant la «maladie». J'ai vu à +la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le +début du siège de Paris, devint folle pour avoir vu +éclater un obus à ses pieds. On comprend donc +qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au +même résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés +observée après le siège de Paris; de là , la multiplicité +des cas de psychonévrose, d'aliénation mentale, +signalés dans l'armée russe pendant le cours +de la guerre russo-japonaise. Jamais, depuis que +les hommes s'entre-tuent, le système nerveux des +belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures +épreuves. Tous les facteurs morbides s'accumulaient, +chez les Russes, pour produire le désarroi +du système nerveux. Éloignement de la patrie, +voyage prolongé en chemin de fer, alimentation +insuffisante, manque de confiance dans les chefs, +menace incessante de surprise, surmenage physique +s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est +plus qu'il n'en faut pour rendre malade le malheureux +soldat ou officier russe, pour peu qu'il soit prédisposé +par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse. +Mais que faire contre un semblable état de +choses? L'homme sensé ne peut que déplorer l'inanité +des efforts de tous les pacifistes.</p> + +<p>Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle +la guerre, ne sont pas assez connues du monde +extra-scientifique. On se figure volontiers que, +quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est +rien; c'est pendant quinze et vingt ans que les +néfastes effets d'une guerre se font sentir. Pendant +vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui +avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la +campagne de 1870, et surtout pendant la captivité.</p> + +<p>Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous +les jours l'influence du choc chirurgical sur la +genèse de la névrose. On commence à connaître +les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations: +mais c'est un point sur lequel il convient +d'attirer l'attention, pour modérer le zèle chirurgical +des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand +l'opération est finie et bien finie, tout n'est pas terminé, +et que le patient, sorti guéri de leurs mains, +est quelquefois «un malade» qui restera tel pendant +plusieurs années. Le choc traumatique produit +par l'intervention chirurgicale suffit pour expliquer +ces accidents tardifs.</p> + +<p>J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une +dame qui, d'une très belle santé jusqu'à trente-huit +ans, est devenue grande nerveuse, avec anorexie, +amaigrissement, etc., immédiatement après une +opération de tumeur bénigne du sein. Depuis lors, +elle est sans cesse préoccupée de la récidive possible +d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée +par des malaises de tout genre qu'elle +n'avait pas avant l'opération.</p> + +<p>Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, +même de moindre importance encore, d'importance +ultra-minime, peut mettre le système nerveux +dans un état d'ébranlement durable: c'est +quand elle occasionne une violente douleur. La +douleur provoque une fuite nerveuse énorme. +Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé +antérieure, qui est devenue neurasthénique immédiatement +après des opérations sur les dents.</p> + +<p>Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales +sont pratiquées sur des personnes dont +le système nerveux est déjà ébranlé plus ou moins, +elles deviennent une cause d'aggravation notable. +La seule crainte de l'opération possible suffit pour +provoquer une aggravation de la névrose. Est-il +un médecin qui n'ait pas vu accourir chez lui, +forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a +constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du +sein? Et c'est bien autre chose encore quand le +diagnostic est douteux, quand la malade va de +chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis +ferme; jusqu'à ce qu'elle soit fixée sur son sort, elle +est dans un état d'anxiété que ne connaissent peut-être +pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur +dicter leur conduite non pas seulement au point de +vue opératoire, mais au point de vue psychique.</p> + +<p>Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. +Leur sang-froid, leur maîtrise d'eux-mêmes, leur +habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux +résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font +les considérer, au total, comme de vrais bienfaiteurs +de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir qu'ils ne +m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer +que, à côté de beaucoup de bien, ils font un +peu de mal, et un mal qu'ils pourraient ne pas +faire s'ils connaissaient mieux les répercussions +qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention, +et aussi les soins qu'ils donnent à leur malade après +l'opération. Je voudrais ne les voir intervenir qu'en +cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement +contre les opérations qu'on pourrait appeler de +complaisance:—comme celle qui a été pratiquée, +contre mon avis, sur une malade qui se croyait +atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que +grande nerveuse. Cette malade avait déjà appelé, +malgré moi, quatre chirurgiens qui n'avaient pas +voulu opérer; un cinquième se décida à le faire, +sans avoir de conviction absolue, au sujet de +l'existence d'une appendicite, mais avec la persuasion +que la malade, débarrassée de son obsession +en même temps que de son appendice, recouvrerait +la santé. Or il n'en fut rien: l'appendice +était sain, et la malade, légèrement améliorée +pendant un mois, par le fait du repos au lit, du +régime sévère, de l'espoir qu'elle avait, et que je +fus le premier à entretenir, vit bientôt son état +devenir pire qu'avant l'intervention.</p> + +<p>Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens +de tenir le moins possible les malades en +suspens pour savoir si l'on opérera, et quel sera +le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité, +sont angoissantes au premier chef pour les +personnes déjà nerveuses. Et je leur demanderai, +enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale +après l'opération... Je sais bien que, dans certains +cas, le chirurgien doit suralimenter et même médicamenter +son opéré, au risque de lui fatiguer l'estomac, +et de compromettre les résultats qu'une +savante hygiène alimentaire avait difficilement +obtenus, pendant les mois ou les années qui ont +précédé l'intervention. Là , il y a force majeure; et, +dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il +savait bien faire de la mauvaise besogne, mais il +se comparait aux pompiers que n'arrête pas la +considération de dégâts limités, quand il s'agit de +sauver un immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré +guérirait sans intervention médicale et sans champagne, +sans suralimentation, sans médicaments, +sans morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, +au sortir de la maison d'opérations, son système +nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est. Il serait +plus vite remis du choc traumatique inévitable, +qui, à lui seul, est un important facteur de dépréciation +de la valeur biologique.</p> + +<p>Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de +la morphine aux malades, et à des doses effrayantes? +Je sais bien qu'en général ces doses invraisemblables,—de +1 à 2 centigrammes répétés deux fois +par jour,—sont tolérées, pendant les premiers jours +qui suivent l'opération, parce que l'opéré a une +telle sidération du système nerveux qu'il ne réagit +pas au poison<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8"><sup>8</sup></a>. Mais combien, aussi, ont des vomissements +et des symptômes d'intoxication grave? +Et plus fâcheux encore est le résultat quand le +malade se met à aimer l'odieux poison, et devient +morphinomane,—ce qui arrive quelquefois. De +grâce, réservez donc la morphine pour les cas +exceptionnels de souffrance, et n'en confiez pas +l'administration à une garde, si bien intentionnée +et si intelligente que vous la supposiez; vos malades +n'en seront que plus vite guéris!</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" name="footnote8"></a><b>Note 8:</b><a href="#footnotetag8"> (retour) </a> J'ai traité plus longuement ce sujet dans le <i>Bulletin de la +Société Thérapeutique</i>, novembre 1905.</blockquote> + +<p>Ou bien encore cette habitude de purger les +malades, deux ou trois jours après l'opération, de +leur donner des lavements, alors qu'ils auraient +tant besoin de repos! La constipation n'est-elle +donc pas un symptôme, une manifestation, presque +inévitable, de l'ébranlement du système nerveux +provoqué par le choc opératoire? Laissez le système +nerveux reprendre son équilibre, et la constipation +disparaîtra d'elle-même, quand l'opéré, +sollicité par son appétit spontanément renaissant, +recommencera à manger.</p> + +<p>Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie, +une simple vue de l'esprit d'un rêveur qui n'a pas +vu d'opérés! La démonstration a été faite pour +moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience +de laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce, +le professeur Delorme a bien voulu m'associer +aux longues recherches qu'il a faites pour +provoquer la constipation chez ses opérés. Or, de +tâtonnements en tâtonnements, il en était arrivé à +constiper tous les hommes ayant à subir des opérations +dans les régions abdominales, inguinales et +crurales; il évitait ainsi la souillure, et, par conséquent, +le renouvellement des pansements. Et ce +n'était pas une constipation de deux ou trois jours +qu'il provoquait, mais bien de douze ou quinze +jours. Chez un malade de mon service, opéré par +lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation +a été entretenue pendant dix-huit jours. +J'ai demandé récemment à M. Delorme s'il était +toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu +affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi +une statistique de laquelle il résulte que, depuis le +jour où il m'avait convié à assister à ses premiers +essais, en 1889, il avait opéré, après constipation +provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de +Vincennes, 1600 cures radicales de hernies, +50 cures radicales d'hémorroïdes, 500 varicocèles, +30 castrations, 500 opérations variées de la sphère +inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait +constipé méthodiquement 15 hommes atteints de +fractures de la cuisse, pour que leurs appareils +contentifs ne fussent pas souillés.</p> + +<p>C'est une partie de ces faits que M. Delorme a +brillamment exposés à la Société de Chirurgie, +en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes +thermiques, démontrant que la température n'a +pas monté au-dessus de la normale, pendant toute +la durée de la constipation, et que, même, elle a souvent +été abaissée un peu au-dessous de la normale +(90 fois sur ces 160 observations). Dans quatre +cas seulement, elle a dépassé la normale, mais +c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication +iodoformée, rhumatisme aigu, congestion +pulmonaire (deux fois). Chez 110 opérés de cures +radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans +la moindre importance. Elles disparaissaient après +l'émission spontanée de gaz. La langue, saburrale +les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect normal; +l'appétit était conservé chez la majeure +partie des constipés. Dès le troisième jour, on leur +donnait à manger des potages, des oeufs, de la +viande blanche, du vin, en évitant que les aliments +capables de donner des déchets. Le sommeil +restait bon, le caractère ne laissait voir aucune +modification, la soif n'était pas excessive, et les +analyses d'urines, faites par le professeur Burcker, +ont démontré que l'économie ne subissait, du fait +de la constipation provoquée, aucune influence +néfaste. La première selle était, parfois, facile et +spontanée; d'autres fois elle était pénible; c'est +ainsi qu'un malade ne put aller à la garde-robe que +le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur +lui les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; +ce n'est que quand on le fit marcher qu'il parvint +à aller à la selle. Les selles suivantes étaient habituellement +aisées, et les fonctions de l'intestin reprenaient +leur régularité. «Ma communication, ajoutait +M. Delorme, pourrait avoir plus qu'un intérêt +clinique, étant donnée les théories qui ont cours sur +l'importance et la fréquence des intoxications intestinales. +Mais je désire rester exclusivement sur le +terrain de la pratique, et je conclurai en disant +que, chez les hommes adultes et sains surpris par +un traumatisme chirurgical qui doit guérir par +première intention, la constipation, provoquée pendant +huit à quinze jours, n'a pas les inconvénients +qu'on lui attribue généralement.»</p> + +<p>Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme +est arrivé à obtenir ces constipations prolongées, +si peu nuisibles aux opérés: car ce serait sortir de +mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue +digression, c'est que la constipation de quelques +jours, survenant d'elle-même et presque fatalement +chez les opérés, quels qu'ils soient, ne doit pas +préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à +imposer à leurs opérés des purgations qui, fatiguant +leur système nerveux abdominal, ont forcément un +retentissement sur leur système nerveux central, et +contribuent à en faire des malades, alors qu'au +début ils n'étaient que des blessés, ou bien à +aggraver leur «maladie», quand ils étaient déjà des +malades avant l'opération.</p> + +<p>Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs +affirment que la constipation est l'ennemi des +femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose pas +m'inscrire en faux contre cette opinion générale: +mais peut-être serait-elle, comme tant d'autres affirmations, +passible d'un procès en révision.</p> + +<p>III.—CAUSES ACCIDENTELLES</p> + + +<p>Nous venons d'énumérer les principales causes +d'ordre psychique qui amènent la déchéance, totale +ou progressive, du capital vital de l'homme ou de +la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées +ou non aux autres influences néfastes (surmenage +cérébral, surmenage musculaire, alimentation défectueuse, +etc.), provoquent le plus souvent la «maladie».</p> + +<p>Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier +âge, comme chez l'adolescent, la «maladie», +chez l'adulte, est provoquée par une affection aiguë +qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre +typhoïde, qui, véritable intoxication, surprend +l'adulte dans le cours d'un état d'équilibre irréprochable, +et qui, chose curieuse, paraît être d'autant +plus grave que le sujet était plus robuste.</p> + +<p>La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer +la «maladie». Ainsi, je connais un homme +de quarante-huit ans, qui a vu sa santé irrémédiablement +ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde +survenue à l'âge de vingt ans. Mais le cas est +rare; souvent, au contraire, on observe qu'une +fièvre typhoïde, survenant chez un individu +malingre, lui donne une santé, pour la suite, qu'il +ne se connaissait pas jusqu'alors. Est-ce parce +que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que +la diète imposée par la fièvre typhoïde a remis +l'organe en état? Est-ce parce que, jusqu'alors, il +se soumettait à un exercice trop vigoureux pour +ses forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant +le repos, a rectifié ses erreurs d'hygiène musculaire? +Est-ce enfin parce que la fièvre, en brûlant +ce que les anciens appelaient ses «humeurs +peccantes», l'a débarrassé de ses produits d'auto-intoxication +antérieurs à l'affection aiguë? A vrai +dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne +pouvons que constater le fait. Trop heureux serait +celui qui pourrait connaître les causes de tous les +phénomènes de la vie!</p> + +<p>Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, +pneumonies, etc., dans quelle mesure +créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»? Nous +pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles +ne font que l'aggraver: car, toujours la «maladie» +préexistait. Pour contracter un rhumatisme, une +pneumonie, une angine, il faut déjà que le système +nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit +définitif, soit momentané. La première condition +pour ne pas prendre les «maladies», c'est de se bien +porter.</p> + +<p>Mais il n'en est pas moins certain que l'affection +accidentelle, en intervenant, imprime à la «maladie» +un essor plus ou moins vigoureux, suivant l'importance +de la cause pathogène accidentelle, et aussi +suivant la valeur préalable du sujet.</p> + +<p>De toutes les affections accidentelles, celle qui est +le plus remarquable, à cet égard, est la grippe. La +déchéance post grippale est très fréquente, et parfois +d'une longueur invraisemblable. On met des +années, souvent, à se remettre d'une mauvaise +grippe. Et cet ennemi est d'autant plus dangereux +que, loin de créer l'immunité, il a une tendance à +revenir à la charge; or, dans le cours de la +«maladie», chaque atteinte de grippe fait faire +un pas en arrière, et compromet les résultats péniblement +acquis. La grippe est l'ennemie personnelle +des sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien +entendu, la forme symptomatique de leur «maladie».</p> + +<p>C'est aussi dans la période que nous étudions +que se manifeste dangereusement la syphilis contractée +à vingt ans, et insuffisamment soignée; elle +se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte, +des lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont +personne ne soupçonne la cause, des ictus cérébraux, +et toutes les manifestations de la syphilis tertiaire. +Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et +la paralysie générale, ou du moins elle prédispose +singulièrement le terrain à l'apparition de ces +cruelles «maladies», d'évolution fatalement progressive. +On commence à connaître ses méfaits, dans le +monde des assurances, et à savoir que la syphilis +n'est pas un brevet de longue vie! D'un travail +statistique fait par le Dr Rungberg pour une Compagnie +d'assurances, il résulte que l'âge moyen de +la mort des syphilitiques assurés à cette Compagnie +a été de quarante-trois ans et quatre mois, et que, +au point de vue des causes de mort, la syphilis vient +immédiatement après la tuberculose.</p> + + + + +<p>IV.—INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME</p> + + +<p>Toutes les considérations que nous venons d'exposer +peuvent s'appliquer également à l'un et à +l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste +privilège de pouvoir être frappée par des influences +morbigènes qui n'atteignent pas le sexe masculin, +et qui méritent d'être étudiées à part.</p> + +<p>La menstruation joue, dans la vie de la femme, +un rôle de premier ordre. Chez la femme très bien +portante, son influence est à peine perceptible, +mais chez la femme déjà malade son influence +est des plus nettes; chez l'aliénée, en particulier, +on observe d'une façon constante, quelques jours +avant les règles, une aggravation du délire; et, +chez l'aliénée qui semble guérie, on ne doit prononcer +le mot de guérison que quand deux périodes +menstruelles se sont passées sans accident. Nous +disons à dessein <i>deux</i> périodes: car si, chez les +grandes névrosées, les troubles menstruels sont +mensuels, chez les malades moins atteintes ils nous +ont semblé souvent ne survenir que tous les deux +mois<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9"><sup>9</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" name="footnote9"></a><b>Note 9:</b><a href="#footnotetag9"> (retour) </a> Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation s'accompagne +toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois +jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.</blockquote> + +<p>Chez la grande neurasthénique qui a encore ses +règles correctes, on peut affirmer que, douze jours +avant l'apparition des règles, les misères nerveuses, +abdominales, etc., s'accentuent considérablement, +au grand désespoir des familles qui, ayant espéré +la guérison, croient que tout est à refaire. Mais il +n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre, +quelquefois même pendant les règles, à partir du +deuxième jour, et, le plus souvent, immédiatement +après la cessation de l'écoulement. Les malades +entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne +semaine».</p> + +<p>Le médecin doit connaître ce détail, et avertir +les malades et leurs familles de la rechute, qui +est inévitable tant que la «maladie» bat son plein. +Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles, +ce qui est fréquent, c'est d'un pronostic assez +important; et la réapparition des menstrues après +deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs +cas, indique que la malade entre enfin dans la voie +de l'amélioration, alors même qu'elle continue à +souffrir.</p> + +<p>L'influence de la grossesse est non moins évidente. +Nous avons dit qu'elle était quelquefois +salutaire, parce que l'utérus développé remplaçait +la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois +l'utérus revenu à son volume normal, la paroi +abdominale se trouve encore un peu plus flasque +qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées, +la ptose abdominale devient un des principaux éléments +de la «maladie». C'est alors qu'une ceinture +bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la forme +du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables +services.</p> + +<p>Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas +tout, chez les ptosiques. Car enfin, pourquoi les +malades ont-elles de la ptose? C'est parce qu'elles +étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est +parce que la sangle que forment les muscles du +ventre n'avait pas la tonicité normale. Si on avait +soigné la future ptosique en temps utile, alors +qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du +système nerveux, de l'estomac, de l'intestin, elle +ne serait pas devenue ptosique, elle n'aurait pas eu +besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses +multiples sans avoir de ptose. De sorte que +la ceinture, cet instrument si merveilleux, ne doit, +à notre avis, être considéré que comme un moyen +thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer +la malade et lui permettre de se passer de ceinture.</p> + +<p>On y parvient, sauf quand la déchéance est trop +avancée, par une bonne hygiène générale, s'adaptant +aux indications fournies par chaque individu. +Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez +les autres par le repos, chez les unes par une saison +à Vichy, chez les autres par un régime restreint, +chez toutes par la reconstitution du système +nerveux, qui toujours laisse à désirer.</p> + +<p>La ceinture abdominale, pour en revenir à elle, +ne sera employée que le moins de temps possible. +Chez les femmes non surmenées musculairement, +on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale +naturelle, soit par les exercices de plancher de +la gymnastique suédoise, soit par la pratique du +chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent +les Italiens. Nul doute que, en utilisant la +pression abdominale pour la pulsion de l'air, on ne +fasse à la fois de la bonne thérapeutique abdominale +et de l'excellent travail au point de vue du +chant. Tous les chanteurs et même toutes les chanteuses +dignes de ce nom ont une force extraordinaire +des muscles droits antérieurs; en se contractant, +ils repoussent la main qui les comprime<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10"><sup>10</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" name="footnote10"></a><b>Note 10:</b><a href="#footnotetag10"> (retour) </a> Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial pour +mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce dynamomètre +donnerait des indications très intéressantes sur la valeur +biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, +tant vaut l'individu.</blockquote> + +<p>On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion +qui attribue à la ptose abdominale toutes les +misères des dyspeptiques, des neurasthéniques, des +malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme +a de la ptose et mille misères variées: une ceinture +fait disparaître presque toutes ces misères, +c'est donc, conclut-on que la ptose était l'unique +cause? Mais non; c'est toujours la théorie du +moindre effort appliquée au raisonnement humain. +La vérité est que la ptose est symptomatique, que +la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la +soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut +déjà être malade pour devenir ptosique,—en +dehors, bien entendu, des cas où la contention abdominale +insuffisante serait due à une éventration.</p> + +<p>La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il +existe même des ptoses qu'on pourrait appeler +aiguës, si l'on nous permettait cette expression. +Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, +dans le cours d'une bonne santé, à la +suite d'un coup de froid, d'une émotion violente, +d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une +purgation. D'un jour à l'autre, on voit le ventre +s'effondrer, se vider, perdre son élasticité, sa souplesse, +donner la sensation d'un amas pâteux, d'un +chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus +alors de noter ni le caecum, ni le côlon. On perçoit, +dans la fosse iliaque, un gargouillement dont +l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la +fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre +typhoïde que parce qu'on l'y cherche.</p> + +<p>Cet effondrement abdominal s'observe en outre, +dans presque toutes les «maladies» aiguës. Il est toujours +l'indice d'une sidération du système nerveux +abdominal; et, comme le système nerveux abdominal +n'est pas sans avoir des relations intimes avec le +système nerveux central, l'effondrement en question +est toujours l'indice d'un état de «maladie» assez +grave. Mais il peut n'être que passager, durer +quinze jours, trois semaines; d'autres fois, il dure +deux à trois mois, dans certains états subaigus; +puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir, +reprendre sa forme, son élasticité, renaître: c'est le +commencement de la guérison.</p> + +<p>En même temps que le ventre s'effondre et que +survient la ptose aiguë, la sonorité abdominale +subit des modifications extrêmement intéressantes. +Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal, +ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion +donne des notes différentes dans les deux +fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le plus souvent, +c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit +et le gauche (octave supérieure au côté droit).<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11"><sup>11</sup></a></p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" name="footnote11"></a><b>Note 11:</b><a href="#footnotetag11"> (retour) </a> Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et la percussion, +donne les renseignements les plus précieux sur la valeur +digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime +alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier, +évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du +ventre et les sensations que donnent la palpation et la percussion. +Ce sera la gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, +et d'avoir essayé d'apprendre cette lecture à ses contemporains. +Mais, il ne faut pas se le dissimuler, l'exploration abdominale +est chose très difficile; je la pratique depuis dix ans que j'ai la +bonne fortune d'être en relations scientifiques avec le Dr Sigaud, +et je vois mieux, de jour en jour, la difficulté de cette étude, en +même temps que j'en apprécie mieux toute l'importance.<br> + +<p>Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui +résument ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous +ne saurions trop affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil +digestif est, pour le biologiste, une source de faits inépuisable. +Quelle variété de renseignements, quelle précision dans +l'observation, ne devons-nous pas attendre d'un procédé à la perfection +duquel nous voyons concourir les données fournies, +presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher? Ajouterons-nous +que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son +tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité, +dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les +plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons +aucune modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire, +nerveux ou rénal, nous constatons toujours des signes +positifs du côté de la sphère gastro-intestinale. Les oscillations +vitales que les autres appareils organiques sont impuissants à +objectiver, le tube digestif les enregistre avec une fidélité remarquable +et une variété de nuances que l'on n'a point soupçonnée +jusqu'ici. Et toutes les modifications de forme et de volume, +d'élasticité et de résistance du tissu abdominal, toutes les variations +de sonorité des membranes digestives, ne sauraient être +considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles +portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent, +d'une part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif, +d'autre part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, +l'orientation générale des réactions de l'organisme correspond à +ces modalités digestives.» (<i>Mémoire</i> lu à la Société de Médecine +de Gand, 4 avril 1905.)</p> + +<p>Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient +encore à être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale; +c'est là un chapitre de séméiologie qui est tout entier à +faire, et que je ne puis qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. +Munis d'un bon stéthoscope, ils trouveront dans l'auscultation +abdominale des renseignements d'une valeur insoupçonnée jusqu'à +ce jour.</blockquote> + +<p>Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle +leur rend un service momentané qui n'est pas à +dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les guérit, +quand il leur reste encore assez d'énergie vitale, +c'est un régime approprié, et du repos ou un exercice +gradué, suivant les cas. Le régime devra être celui +qui donne le moins à travailler à l'estomac et à +l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou +semi-liquide. Les prises alimentaires devront être +fréquentes,—très fréquentes, dans l'état aigu. +Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, +en éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on +peut dire que le lit est le meilleur des agents thérapeutiques. +Quand le ventre commence à se ressaisir, +le régime devra être plus substantiel: +potages épais, purées légères prises toutes les +trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait un +nouveau progrès, alimentation plus dense et moins +fréquente (six repas en vingt-quatre heures, dont un +dans le courant de la nuit: purées épaisses, macaroni, +riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu +presque normal, quatre repas par jour, assez copieux, +presque égaux, dont un avec viande non saignante. +Enfin, quand l'orage est passé, quand le ventre a +retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension, +alors seulement il faut arriver aux trois repas: celui +du matin, qui doit être assez copieux (café noir, oeuf +ou viande froide); celui de midi, composé en général +de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes +de terre en robe de chambre; 2° viande non saignante; +3° fromage, peu de pain, pas encore de vin, un +verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas +du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles: +1° potage épais; 2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits.</p> + +<p>Telles sont les grandes lignes de la diététique des +états aigus ou subaigus. En même temps, avons-nous +dit, le repos s'impose: dans l'état aigu un +repos absolu au lit; plus tard, deux heures de +lever sur une chaise longue, entre les repas. Il +faut faire longtemps manger les malades au lit; +puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal +après les repas; et toujours beaucoup de sommeil, +même diurne, le sommeil diurne étant le meilleur +agent provocateur du sommeil nocturne, à l'inverse +de ce que l'on croit ordinairement.</p> + +<p>On comprend combien, dans cet état d'équilibre +instable, une violente perturbation, produite soit +par une purgation, soit par un vomitif, soit par une +alimentation trop hâtive, peut être défavorable au +malade.</p> + +<h4>CHAPITRE IV</h4> + + +<h4>PSYCHOTHÉRAPIE</h4> + +<p>Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué, +les causes diverses qui produisent la «maladie». Mais +cette étude même n'a fait encore que mieux nous +montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine +comme dans l'évolution de la «maladie», l'ébranlement +du système nerveux. Et de là résulte +l'importance, également prépondérante, d'une médication +destinée à remonter le système nerveux: +médication dont un des éléments essentiels est cette +«psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a +commencé à préoccuper vivement le monde médical, +sans qu'on soit encore parvenu à en fixer exactement +le domaine et l'application.</p> + +<p>A en croire un certain nombre de nos confrères, +français et surtout étrangers, le psychothérapie +serait simplement destinée à remplacer toute thérapeutique. +L'imagination, d'après ces savants, +jouerait dans la production et le développement +des «maladies» un rôle si énorme, qu'il suffirait de +découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader +aux malades qu'ils se portent bien, pour leur +rendre aussitôt la santé. La psychothérapie consisterait +donc à étudier, à ce point de vue, l'état +d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment +s'emparer de sa confiance pour lui +ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents +défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes +que les moyens de persuasion sont, jusqu'ici, très +difficiles à trouver; et je dois dire, quant à moi, +qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique +me paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque +peu fantaisiste.</p> + +<p>Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit +des malades, et de ce qu'on pourrait appeler la +cure morale, doit tenir plus de place qu'elle n'en +tenait, hier encore, dans la médecine officielle. +Mais j'estime que la psychothérapie peut faire +mieux que d'imposer aux malades l'illusion,—toujours +bien brève et bien fragile,—de se bien +porter: elle peut devenir un des agents les plus +actifs et les plus précieux de la guérison.</p> + +<p>Étant donnée l'idée que nous nous faisons de +l'origine nerveuse de la «maladie», voici, à notre +avis, la meilleure définition de la psychothérapie: +«C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique +par lesquels on améliore ou on reconstitue le +capital nerveux.» Son action s'étend: 1° à toutes +les déviations mentales; 2° à un grand nombre de +troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, +l'anorexie, etc., l'incontinence d'urine, etc.</p> + +<p>Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la +facilité de l'étude, être divisés en deux grandes +catégories:</p> + +<p>1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses;</p> + +<p>2° Moyens par lesquels on augmente les recettes.</p> + + + + +<p><b>I</b></p> + + +<p>MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES</p> + +<p>Il est une foule de malades qui gaspillent leur +influx nerveux sans le savoir; il faut leur apprendre +à l'économiser, leur démontrer combien est fatigante, +pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle, +leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir +prendre un parti dans les moindres circonstances +de la vie. Il vaut mieux prendre un parti médiocre +immédiat qu'un parti plus sage après hésitation. +Or, pour savoir vite prendre parti et s'épargner la +peine de remettre en discussion tous les motifs et +mobiles qui doivent déterminer l'acte à accomplir, +il y a un procédé très recommandable, qui consiste +simplement à adopter des principes, et à se dire: +«Dans telle circonstance, je ferai ceci, dans telle +autre je ferai cela»; et puis, une fois le principe +adopté, à y rester fidèle,—sans cependant en +devenir esclave. Car il ne faut pas que l'entêtement +remplace l'hésitation, que l'océan devienne terre +ferme. Un petit moyen pratique à recommander +aux hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout +ce qu'ils doivent faire dans la journée et les jours +suivants, puis, une fois la chose écrite, d'exécuter +ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté +parvient ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même +temps qu'on s'évite des pertes considérables d'influx +nerveux.</p> + +<p>D'une façon générale, il faut inspirer aux malades +le respect du temps, leur faire comprendre que le +temps, c'est l'étoffe dont la vie est faite, et qu'il +n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que +c'est par le respect du temps qu'on trouve le +moyen de faire une foule de choses utiles avec un +minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre +cette vérité, ils trouveront eux-mêmes, +peu à peu, un <i>modus vivendi</i>, qui, sans qu'ils s'en +doutent, leur fera faire des économies de dépense +nerveuse. Recommander aux malades de prendre +des habitudes <i>d'ordre</i>, de tout régler dans leur vie,—les +heures du lever, du coucher, des repas, etc.,—de donner à +chaque chose, à chaque préoccupation, +la place et l'importance qui lui conviennent, +est encore un moyen de leur épargner les dépenses +nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente psychothérapie.</p> + +<p>Appliquons ces idées générales à un cas particulier. +Voici une jeune fille atteinte de ce qu'on +appelle la «folie du doute»; dès son lever, elle ne +saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou +quatre, et finira par reprendre la première; elle +passera deux heures à faire sa toilette, ne sachant +si elle doit commencer par se coiffer ou par se laver +les mains; et toute sa journée se passera ainsi +dans un état vague d'anxiété. Le soir, la situation +est plus pénible encore: la malade ne parvient pas +à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller, +s'interrompant à tout instant pour confier à +un petit cahier une foule d'idées qui ont torturé son +cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. On +dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant. +J'ai chez moi plusieurs collections de petits registres +qui sont tous inspirés par ce même esprit. Or, +cette agitation stérile, continue, occasionne une +dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier +une malade de ce genre, on verra qu'elle n'est +pas malade que de la tête, mais que tout est malade +chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a +des urines rares et chargées alternant avec des +urines claires et abondantes. Elle est mal réglée, etc.</p> + +<p>Il lui faut donc, avant tout, un traitement général; +dont nous indiquerons plus tard les grandes lignes, +mais il lui faut aussi un traitement psychothérapique.—Et +lequel? La première chose est de lui +dire combien cette manière de faire est ridicule: +cela, on n'aura pas de peine à le lui faire admettre, +elle le sait très bien; le preuve, c'est qu'elle cache +son infirmité avec le plus grand soin à tout son +entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette +dépense nerveuse, si stérile, la fatigue, et entretient +ou cause sa «maladie» physique. Enfin, d'accord +avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au +lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour +les diriger dans un sens déterminé. A l'une, on +fera apprendre une langue étrangère, à l'autre on +proposera une autre occupation, non moins précise. +Le médecin s'inspirera d'une foule de considérations +d'ordre secondaire; l'essentiel est qu'il +atteigne son but, qui est de discipliner la volonté +et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par +une bonne orientation de son activité. Nous avons +pris là , à dessein, un cas des plus difficiles à guérir: +et cependant nous affirmons que la guérison y est +possible, quand, à la psychothérapie, on joint un +traitement somatique convenable et suffisamment +prolongé.</p> + +<p>Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la +paralysie générale, dans tous les cas de délire aigu +occasionnés par les «maladies» infectieuses, l'influx +nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se +font de toutes parts. La pensée est si rapide, chez +le maniaque, que l'aliéniste expérimenté ne parvient +pas à la suivre. Les associations d'idées se +font avec une telle rapidité que le malade n'a pas +le temps de les exprimer, et, quelle que soit sa +volubilité, sa langue n'a pas un débit égal à celui +de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être +utile à des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai +dire, son rôle est alors négatif; il faut savoir ce qu'il +ne faut pas faire; il faut ne pas s'acharner à discuter +avec le malade, à rectifier ses appréciations; il faut, +en un mot, laisser passer l'orage, et se borner +à éviter au malade toute cause d'excitation prochaine +ou éloignée. Il faut se rappeler, surtout, +qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore +à user d'extrêmes précautions, et à ménager le +cerveau fragile.</p> + +<p>Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée, +est limitée à un point fixe, la psychothérapie +intervient d'une façon plus active. Voici un +homme en proie à une obsession: une idée a +envahi son cerveau, il y pense nuit et jour, en perd +le boire et le manger. Toutes ses pensées ont pour +pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux +qu'il estime pouvoir le comprendre, il demande +conseil, s'agite en vain, et, ne trouvant pas de +solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer +de boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit +pas penser à ce qui le préoccupe? Mais c'est lui +demander l'impossible, et le torturer inutilement. Il +faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec +les plus amples détails, les causes de sa souffrance +morale; mais, ceci fait, pour acquérir sa confiance, +il ne faut presque plus lui permettre d'en parler, +et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs. +De même que, dans une hémorragie pulmonaire, +le médecin bien avisé fait une saignée générale, +qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute +ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre +l'idée obsédante, mais faire naître des courants +d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer une +idée morbide par une série d'idées saines. C'est la +psychothérapie <i>dérivative</i>.</p> + +<p>Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses, +moyen à employer dans les cas exceptionnels, +c'est de conseiller au malade l'acceptation +du fait acquis, en d'autres termes la résignation; +c'est la psychothérapie <i>sédative</i>. Que le +malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se +cabrer contre les circonstances qui ont produit ou +qui entretiennent la «maladie», de se nourrir de son +chagrin, de se remémorer les causes morales qui +l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse +énorme. Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif +d'une sorte de sommeil de la cellule nerveuse.</p> + +<p>Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi +dire passive, est un acte volontaire en vertu duquel +le patient accepte, en toute liberté, sans restrictions, +sans protestations, ses misères, pour les offrir dans +une intention quelconque, elle devient tout le contraire +de la passivité, et déjà elle rentre dans la +deuxième catégorie des moyens psychothérapiques. +L'étude de cette résignation active va donc nous +servir de transition toute naturelle.</p> + +<p>La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter +plusieurs fois par jour qu'on se résigne, c'est faire, +plusieurs fois par jour, acte de volonté; et encourager +le malade à accomplir cet acte de volonté, +c'est faire de l'excellente psychothérapie <i>reconstituante</i>. +Malheureusement, cette résignation active +est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose toute +une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité +humaine, de la réversibilité des mérites et +des souffrances, en un mot la doctrine du renoncement; +et peu de malades la connaissent. Aussi +est-ce à titre exceptionnel que les ressources de la +résignation active peuvent être employées.</p> + +<p>Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin +en face d'un malade qui va jusqu'à voir dans la +souffrance un bienfait? On croirait, <i>a priori</i>, que le +médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est +rien. Le médecin doit rester à son poste; et tout en +encourageant le malade dans cette voie, en fortifiant +sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas négliger les +moyens thérapeutiques que réclame son état. Car +enfin le résigné actif ne commet pas une erreur de +logique en désirant guérir et en acceptant les +soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la +souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu, +au contraire, de se résigner aussi à ce que veut +pour lui la nature, c'est-à -dire à ne rien omettre +pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une +vie plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs +que, en fait, le résigné actif est d'ordinaire le +plus obéissant, le plus stable des malades, le plus +reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont +donnés; c'est le malade de choix.</p> + + + + + +<p><b>II</b></p> + + +<p>MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES</p> + +<p>La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques +comprend, comme nous l'avons dit, ceux +qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du +capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de +deux façons:</p> + +<p>1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux +par une savante gymnastique de la volonté. +(L'homme ne vaut que par sa volonté: donc discipliner, +fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre +le plus grand des services.)</p> + +<p>2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un +fluide nerveux étranger.</p> + +<p>Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre +du malade. Celui-ci devient le collaborateur du +médecin, dont le rôle se borne à indiquer les procédés +de gymnastique de la volonté et à surveiller +l'application.</p> + +<p>Dans le deuxième cas, une volonté étrangère +vient en aide à la volonté défaillante, ou insuffisante, +du patient.</p> + +<p>1° <i>Gymnastique de la volonté</i>.—Il y a des procédés +d'éducation de la volonté,—cette faculté, +comme la mémoire, comme l'attention, étant susceptible +d'être améliorée par une bonne gymnastique. +Le principe général, dans cette éducation, +c'est de procéder lentement, de ne pas demander +au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, +mais de lui demander, au début, un tout petit +effort, qui sera augmenté tous les jours. Ainsi nous +invitons nos malades à faire trois fois, tous les +matins, trois mouvements déterminés des bras, puis +six, puis douze, puis d'en faire autant avec les +membres inférieurs. En ordonnant ces exercices, +nous comptons bien moins sur l'action utile de la +gymnastique musculaire elle-même que sur l'effort +de volonté que nous obtenons du malade, avec son +libre consentement. Dans le même esprit, nous +envoyons certains de nos malades faire une gymnastique +spéciale, tous les jours, par tous les temps, +à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent supporter +la fatigue d'un déplacement quotidien. Là , +nous leur faisons faire la course en flexion, exercice +musculaire excellent, qui, bien gradué d'après +des règles précises, régularise la circulation du +sang, les battements du coeur, augmente la vigueur +de tous les muscles, en particulier des muscles inspirateurs, +et favorise, par conséquent, l'acte respiratoire. +Grâce à cette gymnastique, on arrive, au +bout d'un mois, à faire courir pendant vingt +minutes des malades qui ne marchaient pas, ou qui +ne croyaient pas pouvoir marcher<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12"><sup>12</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" name="footnote12"></a><b>Note 12:</b><a href="#footnotetag12"> (retour) </a> Ajoutons que cette course ne provoque jamais d'essoufflement +le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter l'essoufflement +par une progression sage et bien réglée dans la longueur +et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée +par notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait +des études très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et +pratiques pendant toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est +pas le lieu de parler avec détail de cette méthode d'entraînement; +disons seulement qu'on ne se fait pas une idée, dans le monde +des gymnasiarques, de la lenteur dans la progression à imposer +au coureur. Ainsi la vitesse du pas gymnastique de l'armée ne +doit être atteinte, chez l'homme même bien portant, qu'après quinze +minutes de course progressivement plus rapide. C'est comme cela +que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que le pas +gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue. De +même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure, +c'est-à -dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq +minutes de course en progression. Si, à cette prudence dans la +progression, on joint le soin de faire respirer le malade en temps +utile, et de lui apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement. +Mais si le coureur n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au +bout de vingt à trente minutes, d'une transpiration énorme, +telle que la course en flexion a pour complément indispensable, +soit une friction sèche avec changement de linge, soit, mieux +encore, une douche tiède. Cette nécessité de la douche finale +limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, par parenthèse, +l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du commandant +de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au +contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale, +puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison d'hydrothérapie +d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition +par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement.<br> + +<p>Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction +de moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air, +dans la matinée, ne soient des facteurs importants dans l'excellent +résultat total que j'obtiens de ce que j'ai appelé la <i>dromothérapie</i>; +mais j'estime qu'une grande part du résultat utile revient +à cette gymnastique de la volonté que le malade fait, pour ainsi +dire, sans s'en douter. Il assiste tous les jours à ses progrès, il +éprouve un vague sentiment de contentement à la pensée qu'il a +vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle. Dût-on m'accuser +de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la course +en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie +par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative, +puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui +devient vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers +jours.</blockquote> + +<p>Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité +de l'attrait dans l'exercice physique. Or cet attrait +manque absolument dans l'exercice de la <i>gymnastique +respiratoire</i>. Cet exercice est souverainement +ennuyeux, et c'est chose rare que nos malades les +plus obéissants le continuent régulièrement plus de +deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est, +pour le psychothérapeute, un agent de premier +ordre, puisqu'il exige un effort énorme de volonté. +Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop le +recommander. En outre, il produit les effets les +plus favorables sur la circulation et la nutrition; +c'est le seul moyen que je connaisse de faire disparaître +ces rougeurs émotives, si désagréables à +certains neurasthéniques des deux sexes, et qui +ne s'observent pas seulement chez les timides, car +les personnes hardies et décidées leur payent aussi +leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer +l'obsession de la rougeur, la peur de rougir rend +la vie sociale insupportable, et mérite l'attention du +clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les +moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce +symptôme, on voit qu'il s'accompagne, presque +toujours, d'une perturbation respiratoire, et quelquefois +de sensations précordiales; et c'est, sans +doute, parce que l'exercice en question régularise +la respiration, qu'il est le meilleur traitement de la +rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain, je +l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices +sont, je le répète, extrêmement désagréables, +il faut savoir les graduer de façon à ce que +le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses +propres progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à +faire faire au malade des mouvements de respiration +profonde pendant dix minutes, matin et soir. +On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de +cette gymnastique méthodique, telle que les Suédois +l'enseignent, c'est-à -dire faite d'après les vrais +principes de la physiologie; tandis que, quand elle +est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des +instructeurs mal instruits, elle trouble les phénomènes +de la circulation, et peut même amener du +vertige et de la syncope. C'est donc un moyen +puissant, mais qu'il faut savoir manier, comme +toutes les autres armes de la thérapeutique. Il existe, +dans tous les Instituts Zander, un appareil qui fait +faire automatiquement d'excellente gymnastique +respiratoire. Aux malades qui n'ont pas l'énergie +de la faire simplement dans leur chambre sans le +moindre appareil, nous conseillerons les instituts +mécanothérapiques.</p> + +<p>On peut exercer la volonté du malade, et, par +conséquent, la fortifier, par mille autres moyens, qui +seront inspirés par les diverses conditions de +milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, +il faut faire faire au malade un travail utile, et dont +il puisse facilement mesurer les progrès, et surtout +un travail qui ne demande pas une dépense, soit +cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on +perdrait d'un côté ce qu'on gagne d'un autre. Il +faut, enfin, se rappeler que le rôle du psychothérapeute +doit prendre fin à un moment donné, quand +le malade a reconquis une puissance suffisante pour +pouvoir voler de ses propres ailes. On doit alors +l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement: +il faut, si l'on nous permet cette comparaison, +que le médecin imite le professeur de bicyclette, +qui soutient pendant un certain temps son +élève, puis l'abandonne momentanément, sans +qu'il s'en doute; l'élève confiant continue à pédaler, +se croyant soutenu, jusqu'au moment où il est assez +sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur +le soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas +de progrès.</p> + +<p>2° <i>Moyens d'augmenter artificiellement le capital +nerveux insuffisant</i>.—Dans les cas où la volonté +est tellement défaillante que l'on ne saurait faire +aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de +fournir à son malade un apport étranger d'influx +nerveux: il y arrive par le procédé de l'hypnose. +Rien ne m'ôtera la conviction que, dans l'hypnose, +il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son +sujet, «influence» étant compris dans son sens étymologique +(<i>fluere</i>, couler). L'hypnotiseur envoie de +l'influx nerveux, il donne quelque chose de lui-même; +il a une action personnelle; et les médecins +qui prétendent le contraire, qui disent que les passes +peuvent être remplacées par le braidisme, par la +fixation d'un objet brillant, immobile comme une +boule ou mobile comme un miroir à alouettes, ne +me paraissent pas être dans la vérité.</p> + +<p>L'hypnotisme peut rendre de grands services +dans les cas les plus variés; non seulement il peut +rectifier des idées erronées, faire disparaître les +mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il +agit encore pour ramener chez le malade la quiétude +de l'esprit, la confiance en soi-même.</p> + +<p>Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien +n'est, en effet, plus facile, chez un sujet hypnotisable, +et qui est bien en main, que de faire disparaître des +troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des +vomissements, des métrorragies, de faire revenir +les règles, le sommeil naturel, de régulariser les +selles, etc.</p> + +<p>Le malheur est que tous les sujets ne sont pas +susceptibles de subir l'influence hypnotique, et que, +précisément, ceux qui en auraient le plus besoin se +trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les +hallucinés, les grandes hystériques, les malades +atteints de délire systématisé, ne sont presque +jamais hypnotisables. L'hypnose est d'autant plus +difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi, +chez les aliénés, nous avons vu notre excellent +maître le Dr A. Voisin s'acharner pendant des +heures entières sans obtenir le moindre effet; mais +aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait! +Nous connaissons pour notre part de grands +nerveux qui, très désireux de pouvoir être endormis, +sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou tels +confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance +spéciale de l'hypnotisme, et toujours avec +un insuccès complet.</p> + +<p>C'est là une première raison qui restreint grandement +l'emploi de l'hypnose. Une deuxième raison +qui doit le limiter, c'est que, quand on emploie +l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans +l'esprit du malade, si on ne réussit pas du premier +coup, et alors on le prive du secours qu'on aurait +pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse +manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance. +Mais il existe des procédés permettant de savoir si +oui ou non le malade est hypnotisable, de façon +qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser +de côté, sans en avoir l'air, les sujets non facilement +hypnotisables.</p> + +<p>Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: +c'est que celle-ci, quand elle réussit, risque de +devenir un moyen thérapeutique trop actif. Même +avec la plus grande prudence, on ne parvient pas +toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare +souvent par trop de l'esprit du malade, au point +que ce dernier ne peut plus rien faire sans son +conseil.</p> + +<p>J'ai connu un ingénieur des chemins de fer, +renommé pour sa sévérité à l'égard des inférieurs, +et névropathe de grande marque. Son médecin +crut bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se +trouva, par hasard, que c'était un sujet de premier +ordre. Un jour, pendant le sommeil hypnotique, le +médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses +inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès +le lendemain, les procédés de cet homme à l'égard +de ces inférieurs se firent tellement bienveillants, +affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses subordonnés +eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour +ses chefs. Il ne parlait plus que de devoir social, +d'altruisme, de solidarité humaine. On le crut fou; il +ne l'était pas, mais il était devenu tellement différent +de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin, +averti de ce changement à vue, s'efforça, en plusieurs +conversations, de modérer le zèle charitable du +néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait +avec lui les théories socialistes, et serait devenu +le pire des utopistes. Il fallut une nouvelle séance +d'hypnose pour atténuer, au point voulu, les effets +de la suggestion première.</p> + +<p>Pourquoi employer un moyen aussi actif quand +on peut s'en passer? Autant demander pourquoi +l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire +sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors +arabe à un cheval qui ne demande qu'à se laisser +conduire? Réservons donc le mors arabe pour les +cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif!</p> + +<p>Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le +médecin doit cesser de recourir à l'hypnose, sous +peine de compromettre le résultat final. Une fois +le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction +de sa monture. Pour bien faire comprendre +ma pensée, je prendrai la comparaison suivante: +l'hypnose est à la défaillance du système nerveux +ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance +fonctionnelle du corps thyroïde, ce que l'opothérapie +hépatique est à l'insuffisance fonctionnelle +du foie. Or, de même que le médecin qui s'est +servi de foie de porc pour remettre en état un hépatique, +ne continue pas indéfiniment l'emploi du foie +de porc, de même le psychothérapeute doit cesser +l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat +voulu, c'est-à -dire dès qu'il a remis le malade en +assez bon état pour pouvoir compter sur sa collaboration +consciente, et lui demander un effort personnel +de gymnastique psychique; de sorte que +quatre ou cinq séances suffisent, dans la majorité +des cas.</p> + +<p>Toutes ces considérations expliquent la rareté +des cas où l'hypnotisme est à conseiller. Mais quant +à dire, comme le font les adversaires irréconciliables +de la thérapeutique par l'hypnose, que +quelques séances amènent, chez le malade, une +perturbation d'esprit incurable, que l'hypnotisme +«dissocie la personnalité normale du sujet» +(Grasset), «aboutit à la ruine déplus en plus complète +de ce moi qu'on voudrait sauver» (Duprat), +c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme +bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai +vu qu'une fois, dans le service de Charcot, l'hypnose +amener chez un homme une violente attaque +d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que +les pratiques de l'hypnotisme ont quelque chose de +dégradant pour la dignité humaine, parce que le +médecin qui impose sa volonté au malade porte +atteinte au dogme de la liberté, c'est énoncer une +erreur non moins absolue, la suggestion hypnotique +n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état de +veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte, +on n'aurait plus le droit de donner un conseil. Enfin, +dire que les pratiques de l'hypnose sont mal vues +dans le monde, et discréditent le médecin, c'est +affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait +en rien, car le médecin n'est responsable que devant +sa conscience. Or, nous le répétons, sa conscience +peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des +procédés hypnotiques, surtout s'il prend le soin de +n'endormir les malades qu'avec leur assentiment +formel, et en présence d'un tiers représentant la +famille.</p> + +<p>Ajoutons enfin que le médecin <i>seul</i> doit avoir +recours à ce procédé thérapeutique; et que ce +médecin doit agir uniquement pour le bien du +malade, sans la moindre préoccupation étrangère, +voire même sans aucune préoccupation scientifique.</p> + +<p><i>Conseils pratiques pour l'application des procédés +psychothérapiques.</i>—Nous venons de passer en +revue les moyens psychothérapiques par lesquels +on peut améliorer le capital nerveux d'un malade. +Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien +voulant employer la psychothérapie; il semble +donc utile de le compléter par des considérations +d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées +par une expérience personnelle.</p> + +<p>1° Il est un principe qui domine tous les autres; +c'est que, pour faire de la bonne psychothérapie, +il faut soigner le malade non seulement avec toute +son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. +Le médecin qui ne ferait que de la psychologie, +démontant curieusement pièce à pièce tous les +rouages du cerveau de son malade, pour chercher +celui qui est défectueux, sans se préoccuper avant +tout d'être utile, ne ferait pas de bonne psychothérapie. +Il lui faut être bon mécanicien, bon +psychologue, c'est entendu; mais surtout il lui +faut être un homme charitable. Je sais que le mot +«charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on +ne parle plus que d'altruisme, de solidarité, etc. +Le mot «charité» pourra disparaître du dictionnaire, +bien qu'il exprime autre chose que ses soi-disant +synonymes; mais la charité restera toujours +au fond du coeur de l'homme, et sera, comme par +le passé, l'inspiratrice des actions généreuses et +véritablement utiles.</p> + +<p>2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime +son malade. S'il veut avoir sur lui une autorité +morale effective, il faut en outre qu'il ne soit pas +pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas, +mais qu'il ne le soit pas en réalité. Savoir se +donner tout entier à l'affaire présente est la première +condition du succès, en psychothérapie. Il +faut que, dès la première entrevue, s'établisse entre +le malade et le médecin un courant de sympathie; +or ce courant ne peut s'établir que si le malade +sent que le médecin s'intéresse profondément à lui, +et ne lui ménage pas son temps. La première consultation, +surtout, doit pouvoir durer tout le temps +nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine +que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut.</p> + +<p>3° Il faut encore que le médecin sache écouter, +c'est-à -dire laisser parler le malade aussi longtemps +qu'il le désire, surtout pendant les premières +consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité +d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter, +parce qu'on apprend toujours quelque détail dont +on pourra tirer profit: si l'on agit de cette façon, +le malade, par une sorte de discrétion inconsciente, +arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser +de la patience de son auditeur, et se contente de +répondre aux quelques questions bien précises +qu'il lui pose.</p> + +<p>Une fois que le médecin aura ainsi pris position, +les conseils qu'il donnera, non seulement sur l'hygiène +mentale, mais sur l'hygiène alimentaire, musculaire, +auront toutes chances d'être suivis; et ainsi +tout concourra à la guérison ou à l'amélioration +cherchée.</p> + +<p>4° Un autre principe, c'est de dire au malade la +vérité dans la mesure du possible. Évidemment, +s'il y a une lésion organique incurable, le médecin +doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les +cas exceptionnels où le malade a des motifs sérieux +pour savoir la vérité entière. Mais le plus souvent +il faut dire la vérité au malade, lui dire très +franchement l'idée que l'on se fait de son état, la +durée probable du traitement, etc. Si, cependant, +le traitement doit demander des années, comme il +arrive trop souvent chez les malades à capital restreint, +mieux vaut rester dans le vague, et dire: +«Le traitement sera long, un peu pénible, mais la +guérison est assurée.» Il faut encore, dès les premières +entrevues, avertir le malade des rechutes +possibles, probables, ou certaines: si c'est une +femme, la prévenir que, dans les douze jours qui précéderont +l'époque menstruelle, elle aura fatalement, +durant quelques mois, une réapparition de toutes +ses misères, mais à un degré de moins en moins +marqué; dans tous les cas, avertir le patient, s'il +s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il +risque d'avoir une légère aggravation, puis, quand +son état s'améliorera, tous les trois jours, puis tous +les huit jours, et ce, en dehors de toute cause appréciable, +par le seul fait de cette tendance qu'a le +système nerveux à protester d'une façon intermittente. +Mais il faut, en outre, l'avertir que toute +émotion violente, et surtout que toute infraction au +régime alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a +été ou qui va lui être prescrit, se soldera inévitablement +par une rechute plus ou moins grave, suivant +la gravité de l'infraction,—une rechute qui, +chose curieuse, ne se manifestera que le lendemain +ou le surlendemain de l'écart commis;—l'avertir +enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en +particulier, fera faire un pas en arrière d'autant +plus grand qu'elle aura été plus grave, et soignée +plus tardivement; donner, par conséquent, au +malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette, +dans la mesure du possible, à l'abri des affections +intercurrentes, et lui recommander de demander +ou de prendre des soins immédiats, en lui faisant +bien remarquer que les affections accidentelles ne +sont graves, en général, que lorsqu'elles ne sont +pas bien soignées dès leur début.</p> + +<p>5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade +des prescriptions qui lui seraient plus pénibles que +les malaises dont il se plaint. Il doit même éviter, +en général, de multiplier ses prescriptions, sans +quoi il risque de décourager le patient, ou, ce qui +est pire encore, de le rendre égoïste et hypocondriaque, +et d'entretenir sa «maladie» par le soin +même apporté à la combattre. Aussi bien la +thérapeutique est-elle, en général, plus simple +qu'on ne croit, et les questions de régime, en particulier, +sont presque toujours faciles à résoudre.</p> + +<p>Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de +formuler une prescription, c'est de la mesure où il +sera possible et facile, au malade, de l'appliquer. +Pour ma part, je n'arrête jamais un programme +de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec +le malade, et, si possible, avec l'un des membres +de sa famille. Je donne alors au malade une feuille +où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis +l'heure du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où, +aux heures prescrites, sont indiqués les menus des +repas, voire même les livres à lire. J'ai soin, en +outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis +est défendu», en laissant entendre au patient que, +dans un avenir plus ou moins rapproché «tout +ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le +malade, pourvu de cette feuille directrice, est averti +qu'il doit s'en rapprocher le plus possible, mais +sans en devenir l'esclave.</p> + +<p>On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace +de la «maladie», si grave qu'elle soit, est toujours +praticable, quelles que soient les conditions +de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où +ce traitement doit être simplifié au maximum: par +exemple, chez une mère de famille ayant des occupations +multiples de toutes sortes. Il serait souverainement +absurde de proposer à cette malade un +régime ou des soins personnels qui l'empêcheraient +d'accomplir ses devoirs de tous les instants; on +doit se borner, alors, aux prescriptions les plus +importantes, en faisant comprendre à la malade +que l'on ferait mieux si les circonstances de sa +vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en définitive, +le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et +qu'on en sera quitte pour prolonger le traitement +plus longtemps.</p> + +<p>En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent +à un traitement méthodique proviennent de deux +sources: 1° De l'absence de foi du malade, 2° de +la mauvaise volonté de son entourage.</p> + +<p>1° Il est des malades qui viennent nous consulter +malgré eux, sous la pression de leur famille, avec +l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre une consultation +de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les +précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup, +comprenne la mentalité des sujets de ce genre; +avec l'habitude, il peut être fixé dès les premières +paroles échangées, voire dès le premier abord. A +lui, alors, de déployer toute sa puissance de suggestion. +S'il sait s'y prendre, il peut arriver à +faire, d'un malade irréductible en apparence, l'être +le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et +il parvient alors à des résultats inespérés. Les +choses se passent ainsi huit fois sur dix.</p> + +<p>Plus difficiles à convaincre sont les malades qui +n'ont pas d'énergie, qui, loin de se cabrer, semblent +des victimes soumises à l'avance, ou encore ceux +qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent +que la mort. En face de tous ces malheureux, le +médecin ne doit pas se dérober, quelque souci que +lui réservent les patients de cette sorte.</p> + +<p>Enfin, plus difficiles encore sont les malades à +théories, qui ont leur siège fait, après avoir vu des +médecins de tous les pays, suivi, dans les sanatoria +les plus variés, les traitements les plus dissemblables; +qui connaissent toutes les dernières +nouveautés sur les choses médicales, le discours +de la veille à l'Académie de médecine, les livres +qui vont paraître. Avec ceux-là , rien à faire. Le +mieux, pour ne pas perdre un temps précieux, est +de leur déclarer de suite qu'on ne parviendrait pas +à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs, +ces cas sont assez rares.</p> + +<p>Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale +qui commencent par dire toujours non, ou à +le penser, ce qui est encore plus grave. La psychothérapie, +comme tous les agents thérapeutiques, +a à compter avec ce que, dans notre langage +barbare, nous appelons les «idiosyncrasies».</p> + +<p>2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient +de l'hostilité de l'entourage du malade.</p> + +<p>On ne peut se faire une idée de l'influence +néfaste qu'exerce cet entourage; quelquefois il contrecarre +ouvertement les opinions du médecin, discute +sa manière de penser, ses prescriptions; le +malade, alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance +au médecin ou à l'entourage.</p> + +<p>Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement +déclarée. Mais c'est pis encore: c'est alors une +lutte sourde, de tous les instants, à propos des +moindres prescriptions. Le malade sent très bien +que le médecin est dans le vrai, qu'il a <i>compris</i> sa +«maladie»; il voudrait de tout son coeur suivre ponctuellement +ses conseils: mais l'entourage est là +qui, sans dire un mot, proteste intérieurement et +exécute à contre-coeur tout ce qui a été prescrit. +La position est des plus difficiles. Cette contre-suggestion, +qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer +la confiance, si nécessaire, que le malade +avait tout d'abord; les prescriptions ne sont qu'à +moitié observées. Ces tiraillements continus sont +véritablement lamentables.</p> + +<p>Et que faut-il entendre par entourage? C'est +rarement le mari ou la femme, c'est souvent la +mère ou la belle-mère, plus souvent encore des +personnes qui touchent de moins près au malade. +Les plus dangereux ennemis sont ceux qui ont à +donner des soins immédiats; ce sont les gardes, +qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout +les domestiques. De là la dure nécessité pour +le médecin d'être bien avec tout le monde, dans la +maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant +avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi +il prescrit telle ou telle chose qui semble inutile ou +dangereuse: le repos, alors que tout le monde voudrait +que le malade fît de l'exercice; le régime +restreint, alors que, pour rendre du sang au +patient, tout le monde voudrait qu'il prît du jus +de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus +souvent, la partie est perdue d'avance; et c'est alors +que le médecin doit user de toute son autorité pour +imposer l'isolement, tandis qu'il eût été quelquefois +très simple de guérir à peu de frais le malade, +en le laissant chez lui.</p> + +<p>Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la +confiance d'un malade, et d'avoir conquis, non la +neutralité,—elle n'existe nulle part,—mais l'assentiment +de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne; +il ne reste plus qu'à surveiller l'application du traitement, +et surtout à entretenir la foi du malade en +sa guérison à échéance plus ou moins éloignée. +Pour remplir ce double but, il faut que le médecin +ait avec le malade de fréquents entretiens, au cours +desquels il doit lui expliquer, dans la mesure du +possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui +démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer +instamment, quelles que soient ses doléances, +que la guérison est assurée.</p> + +<p>Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile. +Il l'est, par exemple, chez les malades qui ont +besoin du lit, pendant les premiers temps, pour +calmer leur système nerveux. Ne dormant presque +jamais, ces malheureux ont toutes les peines du +monde à rester au lit; il faut leur faire bien comprendre +que cette agitation, ce malaise inexprimable +qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour +au lit, mais de l'excitation du système nerveux; que +cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze +jours, pour faire place à une détente de bon aloi, +avec sensation de fatigue énorme, mais non plus douloureuse, +avec sommeil réparateur, retour de l'appétit, +disparition <i>spontanée</i> de la constipation, etc. +Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le +plus souvent, des visites quotidiennes. Plus tard, les +visites pourront être espacées: il faut savoir se +faire désirer.</p> + +<p>Dans les cas graves, il faut donner aux familles +l'habitude de laisser le malade en tête-à -tête avec +le médecin. L'influence de celui-ci est, alors, beaucoup +plus active, et les malades, pouvant s'épancher +en toute liberté, tirent un grand bénéfice de la visite +du médecin, qui ne tarde pas à devenir leur ami.</p> + +<p>C'est dans ces tête-à -tête que le médecin doit +insister pour faire de la suggestion optimiste et de +la véritable psychothérapie, d'après les principes +que nous avons étudiés antérieurement.</p> + +<p>Nous avons parlé déjà , à propos de la névrose +provoquée par les causes morales chez les jeunes +femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir, +à titre de confident de leurs misères: ce rôle est +toujours difficile, et quelquefois dangereux. Le +besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir confier +sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues; +c'est lui qui pousse les criminels à +venir s'accuser d'un acte dont l'auteur aurait pu +rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable, +a excité un de mes malades à prendre sa +femme, en tant que sa meilleure amie, comme confidente +d'une passion amoureuse qui le rongeait. +On comprend donc combien un confident sûr et +discret peut rendre de services, chez les malades +de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme l'a +dit le poète:</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>En se plaignant on se console,</p> +<p>Et quelquefois une parole</p> +<p>Nous a délivrés d'un remords.</p> + </div> </div> + +<p>Mais il est des cas où la douleur humaine ne +peut être atténuée par une confidence, si intime +qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd tous +ses droits.</p> + +<p>Il est d'autres cas où elle est également impuissante. +C'est quand le malade ne <i>veut</i> pas guérir,—s'il +se complaît dans son chagrin, par exemple.—Ou +bien encore on voit des malades qui ont pris +l'habitude de se faire plaindre, et qui, inconsciemment, +ne veulent pas guérir; dans leur égoïsme +morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage, +véritables vampires qui épuisent jusqu'au +bout la patience, les forces, les ressources pécuniaires +de leurs proches, sans avoir un éclair de +reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, +ni pour le médecin qui se dépense en pure perte. +Rappelons-nous bien que ces malades terribles sont, +avant tout, des malades, et ont droit à toute notre +indulgence; leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme +morbide. Ainsi j'ai soigné une dame qui, +avant d'être malade, était exquise de bonté, de +bienveillance, de politesse. Or, quelques mois après +le début de sa «maladie», en même temps qu'elle +devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en +ne mangeant presque pas, grande malade en un +mot, son caractère se modifia et la fit devenir le +tyran dont j'esquisse à grand traits l'image. Aujourd'hui, +elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile +d'ajouter qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces +malades, la psychothérapie est impuissante. Si +habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue +quelquefois; elle a cela de commun avec tous les +autres agents thérapeutiques.</p> + + +<p>PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX</p> + +<p>Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser, +comme moyen psychothérapeutique, les ressources +que peut fournir la foi religieuse? Grave question +qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion.</p> + +<p>En principe, le médecin ferait mieux de laisser +ce soin au prêtre, ou au pasteur, ou au rabbin, +à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces +délicats problèmes; mais il est des circonstances où +il ne peut pas se dérober, et il nous faut en dire quelques +mots.</p> + +<p>Il est certain, en tout cas, que le médecin ne +doit jamais aborder, le premier, ces questions d'ordre +philosophique et religieux; ce n'est pas son rôle, +et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense +d'une doctrine philosophique quelconque, pourrait +être, et serait à juste titre, sévèrement jugée. Mais, +d'autre part, il doit s'attendre à ce que, poussé par +un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à +entrer avec lui dans ce domaine.</p> + +<p>Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le +figure: le malade qui, pendant ses douloureux +loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité de +toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la +banalité des consolations habituelles, qu'il n'accepte +d'ailleurs qu'à son corps défendant, se sent, à un +moment donné, préoccupé d'une façon insolite +par les grands problèmes de l'au-delà , de la destinée +humaine. Sans compter qu'il est envahi d'une +crainte angoissante. Combien de fois n'ai-je pas +entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur +de quoi? Ils n'en savent rien; ce n'est pas, en +général, d'avoir à quitter cette lamentable existence, +qui ne leur offre rien de bon;—encore que parfois, +sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct +de conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il +en soit, ils ressentent une peur vague, animale; et, +dans cette détresse morale, ils s'accrochent désespérément +à tout ce qui peut leur donner du réconfort.</p> + +<p>Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve +souvent le malade d'aborder des problèmes qui, +en état de santé, lui étaient complètement indifférents. +Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec +la bonne religieuse, qui répondra à toutes les questions +par de petites dévotionnettes ou des pratiques +tout à fait en dehors des habitudes du malade, des +pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les +fervents, et qui risquent de révolter l'esprit de +ceux qui n'en comprennent pas le sens caché? Est-ce +avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant +en coup de vent prendre des nouvelles du malade, +et ne pensant qu'à ses affaires pendant qu'il lui +détaille ses misères, se borne à lui répondre: +«Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, +ou qu'il fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le +malade, quand ces visiteurs ne l'assassinent pas en +lui parlant de leurs affaires personnelles, alors que +la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde! +Vraiment, tous ces consolateurs de passage feraient +mieux de rester chez eux; non seulement ils ne sont +d'aucune utilité, mais ils contribuent à entretenir +la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du +lit des patients. Chose curieuse, les amis les plus +intimes, ceux qui dans le cours ordinaire de la vie +recevaient les confidences les plus secrètes, n'ont +plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient +en partie à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue +par des confidences réciproques; or, à partir +du jour où le malade a été sérieusement touché, +il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires +de ses meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne +s'intéresse qu'aux siennes, c'est-à -dire à sa «maladie».</p> + +<p>Le malade prendra-t-il, comme confidents de +ses graves préoccupations, les personnes de son +entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.?</p> + +<p>Quelle médiocre ressource!—Certes, ce n'est ni +le dévouement, ni la bienveillance, ni la tendre +affection qui font défaut aux membres de la famille; +mais le malade se garde bien de leur confier ses +chagrins intimes, d'abord par crainte de les alarmer, +et ensuite parce qu'il sait d'avance ce que +pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de +tout temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent, +le prêtre n'a pas ses entrées dans la maison; +et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état soit un +peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce +qu'elle peut pour retarder une visite qui risque de +l'effrayer. Il sera bien temps d'appeler le prêtre +quand le malade sera sans connaissance!</p> + +<p>Que reste-il donc?—Le médecin.</p> + +<p>Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé +de son corps, lui donne une influence et une +autorité morales supérieures à celles mêmes des +parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui +surtout que le malade est tenté de confier ses +doutes, ses préoccupations d'au-delà , ses vagues +espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui +avec une abondance et une intensité inaccoutumées.</p> + +<p>Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa +tâche, sur ce domaine particulier de la psychothérapie, +dont l'importance est souvent capitale.</p> + +<p>Mais que doit-il faire? En présence d'un malade +qu'il voit partagé entre des restes de foi plus ou +moins effacés, et cet état d'incrédulité, active ou +passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence +d'un malade qui, sans croire qu'il va mourir, +craint cependant de mourir, et se demande avec +angoisse si cette mort signifiera vraiment pour lui +l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques +chances qu'il retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, +la société de ceux qu'il a le plus aimés sur +cette terre; en présence d'un tel malade, que doit +faire le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, +il ne perde jamais de vue que le malade +est semblable à un noyé qui cherche à se raccrocher +à la moindre branche de salut; si donc il n'a +à lui offrir que de froides théories philosophiques, +aboutissant à la désespérance finale, s'il est lui-même +bien convaincu que la mort signifie, pour le +malade, la fin absolue, et la séparation à jamais +d'avec ce qui lui est cher, alors il fera mieux de se +taire et de garder pour lui des doctrines qui, en +admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient +être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade +a besoin, c'est de soutien moral, c'est de foi, c'est +surtout d'espérance. Or, où trouvera-t-il tout cela +en dehors de la doctrine de celui qui a dit: «Venez +à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?»</p> + +<p>L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, +reconnue par tous les médecins qui se sont occupés +des «maladies» nerveuses; et c'est avec plaisir que +nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre +du Dr Dubois<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13"><sup>13</sup></a>, de Berne, qui cependant, dans +le reste de son ouvrage, développe avec complaisance +des théories philosophiques fort éloignées de +l'orthodoxie chrétienne:</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" name="footnote13"></a><b>Note 13:</b><a href="#footnotetag13"> (retour) </a> Dr Dubois. <i>Les Psychonévroses et leur traitement moral</i>, 1904.</blockquote> + +<p>«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif +contre ces «maladies» de l'âme, et le plus +puissant moyen pour les guérir, si elle était assez +vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme +chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare, +dans les milieux bien pensants, l'homme devient +invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu, il +ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber +sous les coups d'une «maladie» physique, mais, +moralement, il reste debout au milieu de sa souffrance, +il est inaccessible aux émotions pusillanimes +des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV: +«Ceux à qui leur tournure d'esprit permet encore +la foi naïve trouveront un appui dans leurs convictions +religieuses, à condition qu'elles soient sincères +et vécues.»</p> + +<p>Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en +résulte pas, pour le médecin psychothérapeute, +d'encourager son malade dans ces convictions +religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux +émotions pusillanimes des névrosés»?</p> + +<p>Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez, +vivante «pour créer un vrai stoïcisme chrétien», +subsiste encore, et cherche vaguement à se raviver +sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme +mondains, est-ce que ce n'est pas une obligation +pour le médecin de l'y aider, autant qu'il le +peut?</p> + +<p>Voici donc le médecin transformé, malgré lui, +en apôtre. Mais nous ne craignons pas de le redire: +pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas préparé, il +a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne +doit s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain +aussi dangereux.</p> + +<h4>CHAPITRE V</h4> + + +<h4>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES</h4> + +<p>La psychothérapie est la base du traitement, pour +les malades chez qui les troubles nerveux et mentaux +prédominent. Dans les autres formes de la +déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un +rôle important; de là les résultats remarquables +obtenus, même dans les «maladies» à forme gastrique, +abdominale, etc., par quelques-uns de nos +confrères, qui arrivent, en effet, à soulager et guérir +un certain nombre de dyspeptiques et abdominaux, +tout en excluant systématiquement toute préoccupation +de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces +confrères tombent dans l'exagération; même s'il n'y +a pas de troubles gastriques, le régime du malade +doit être surveillé; et à plus forte raison quand +l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en +réalité, joue, dans la thérapeutique des malades à +phénomènes intestinaux et gastriques, un rôle au +moins égal à celui de la psychothérapie.</p> + +<p>Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers: +lorsque vous faites du régime, lorsque vous +imposez à vos malades telle ou telle alimentation, +qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une +maison de santé à l'autre, les bons résultats que +vous obtenez sont dus, exclusivement, à la psychothérapie +que vous faites sans le savoir. Si le +docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en +leur donnant du macaroni sous toutes les formes, +ce n'est pas parce qu'il remet leur estomac en état, +c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; +en fait, il les guérit par suggestion, et malgré le +régime. Car le régime, ajoutent-ils, entretient plutôt +l'idée de «maladie»: le malade s'auto-suggestionne +à chaque prise alimentaire, et ce qui peut +arriver de plus malheureux à un névropathe, c'est +de trouver un médecin qui le soumette à un régime +alimentaire, quel qu'il soit.</p> + +<p>Cette opinion me semble absolument excessive. +Je voudrais bien voir traiter, par la psychothérapie +seule, telle ou telle jeune fille qui vomit tout ce +qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs +semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des +troubles digestifs mettant sa vie en danger. Qu'on +réussisse souvent à guérir les «malades» sans +régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique, +qui n'est en somme que la suralimentation, +dans une maison de santé, c'est possible: le changement +de milieu, l'éloignement des causes qui +avaient produit et entretenu la «maladie», l'influence +salutaire indiscutable du médecin, expliquent ces +miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se +garder de généraliser; et mon avis est qu'il faut +toujours, en même temps qu'on fait de la suggestion, +instituer un régime alimentaire approprié au +fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.</p> + + + +<h4>I</h4> + +<h4>RÉGIME</h4> + + +<p>Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac +et l'intestin, atteints d'une sorte d'inertie, +se refusent à tout travail, et indiqué les symptômes +physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie. +Il est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac +et à cet intestin un travail fréquent, mais peu +actif; de là , nécessité de la diète liquide dans +les cas très graves, parfois même de la diète absolue +pendant vingt-quatre ou trente-six heures, et +de la diète semi-liquide dans les cas moins graves, +avec prises alimentaires toutes les heures, ou +toutes les deux heures, suivant le degré d'inertie +constaté.</p> + +<p>Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le +nombre des aliments. Je me rappelle un malade +qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux, qui +depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait +plus rien, avait une constipation invraisemblable, +ne pouvait plus se traîner, ne dormait +plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un +régime consistant à s'alimenter exclusivement de +Revalescière. Je lui ai donné, toutes les demi-heures, +pendant trois jours, puis toutes les heures, +jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes +les trois heures pendant huit jours, uniquement de +la Revalescière, cuite dans du bouillon de légumes +et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac +lui permit de tolérer d'autres potages, puis +des purées, puis des oeufs et du poisson, et enfin +de la viande trois fois par semaine; et il partit +guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois +mois. C'est que je faisais, en même temps, de la +psychothérapie! me dira-t-on encore? Sans doute, +j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup +pour faire accepter ce régime à mon malade, pour +lui persuader qu'il n'avait pas une «maladie» incurable, +pour le faire rester à Paris, dans les conditions +d'installation médiocre où il se trouvait, etc.; +mais j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui +l'a guéri, et que, malgré la confiance qu'il avait en +moi, malgré toute l'autorité que j'exerçais sur lui, +malgré le repos au lit, si je lui avais donné à +manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais +mis au lait, si surtout j'avais fait de la suralimentation, +ce malade n'aurait pas guéri; et la preuve +en est que, à partir du premier mois, sitôt que je +m'écartais du régime méthodique, et que, pour +essayer de gagner du temps, je faisais un essai d'alimentation +un peu substantielle, cet essai, si timide +qu'il pût être, amenait invariablement un petit +recul. Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement +amené une rechute.</p> + +<p>Inutile de dire, après cela, que la Revalescière +n'est nullement un spécifique. Tout autre aliment +semi-liquide aurait amené le même résultat (panade +bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root, +phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de +riz, etc)</p> + +<p>Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au +contraire le régime ultra-sec qui convient mais +pendant quelques jours seulement: Le régime sec +est d'un maniement difficile et doit être très vite +remplacé par le régime «à restriction des boissons». +Ces cas sont ceux où, à l'inertie, se joint +un élément spasmodique. Il faut alors donner au +malade, toutes les demi-heures d'abord, puis toutes +les heures, pendant deux ou trois jours, des aliments +secs à grignoter; et ce régime est spécialement +indiqué chez les malades chroniques dont le +capital est gravement atteint. Il est bien certain que +la psychothérapie intervient assez peu dans ces cas, +et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à +un malade qui aurait besoin d'un régime sec le +régime liquide, ou même semi-liquide, il n'y a point +de suggestion qui puisse empêcher les fâcheux +résultats d'une pareille erreur thérapeutique.</p> + +<p>Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, +semble ne pas pouvoir digérer, et ne digère +pas, en effet, simplement parce qu'il a peur de +manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh! +alors la psychothérapie fait merveille. On doit donc +forcer le malade à manger, et à manger n'importe +quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout digérer. +Mais je ne conseillerai jamais à un médecin +d'essayer ce système, de prime abord, chez un +malade dont il n'aurait pas étudié de très près le +fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de +compromettre gravement la situation du malade, et +la sienne propre.</p> + +<p>D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut +procéder avec une sage lenteur, et se rappeler ce +que nous avons dit du peu d'aliments nécessaire +à la conservation de la vie.</p> + +<p>Il nous est impossible de tracer, même à grands +traits, les indications de régime qui conviennent +aux divers malades. Théoriquement, le régime doit +varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour +à l'autre, pendant toute la durée de la «maladie». +Mais, en pratique, les choses se passent plus simplement. +Le principe général, c'est qu'il faut faire +manger souvent les malades, sans attendre qu'ils +aient des phénomènes spasmodiques (tiraillements +d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut les faire +manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour +assurer le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris +vers minuit, après le premier réveil, dans les cas +où le régime doit être plutôt sec, une tasse de cacao +dans les cas où le régime doit être plus liquide, +font mieux, pour procurer le sommeil, que la meilleure +des préparations opiacées.</p> + +<p>Une seconde recommandation, c'est de faire +reposer les malades après avoir mangé. Nous +avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut qu'ils +se couchent pour manger; dans les cas moins +graves, la position horizontale après les repas +s'impose, et n'est pas moins nécessaire après le +goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien +de faire, après les repas, un exercice modéré; et +il y a aussi quelques dyspeptiques auxquels cet +exercice est profitable: mais c'est la grande exception.</p> + +<p>Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique +ni l'homme bien portant ne doivent oublier: c'est +qu'il n'est pas bon de se mettre à table immédiatement +après un travail musculaire. C'est ce qu'a +parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses +remarquables travaux sur les exercices physiques; +et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer mes +lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur +toutes les questions de l'alimentation dans ses +rapports avec l'exercice.</p> + + + + + +<h4>II</h4> + +<h4>MOYENS ACCESSOIRES</h4> + + +<p>Outre le régime, il est encore un grand nombre +de petits moyens thérapeutiques que la psychothérapie +ne remplacera certainement pas. Il est très +simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le +massage, la douche tiède, paraissent faire du bien +aux malades, c'est parce que ces agents provoquent +des suggestions favorables. Mais c'est une +conception par trop facile, et qui se trouve démentie +par l'expérience. Tous ces moyens accessoires ont +leur action propre, indépendante de toute suggestion, +action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils, +tout comme l'hygiène alimentaire, être +soumis à un contrôle sérieux, et ne pas être employés +à tort et à travers: mais, quand ils sont bien maniés, +ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique. +Le principe général, c'est qu'il faut en user +avec une extrême prudence, et que, dans le doute, +il vaut mieux s'en abstenir.</p> + +<p><i>Hydrothérapie</i>.—L'hydrothérapie froide est +rarement indiquée; on commence à le savoir! Dans +tous les cas graves, alors que le capital nerveux +est vraiment compromis, elle peut occasionner des +désastres.</p> + +<p>Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient +de la douche froide la base du traitement de la +folie, y on tous entièrement renoncé: la douche +froide ne convient que dans les cas exceptionnels, +chez les malades ayant encore un excellent capital, +et auxquels on peut impunément soutirer une +dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais +la douche froide à la saignée faite chez les malades +qui n'ont plus de pouls, qui sont moribonds, et +auxquels une saignée peut parfois rendre le pouls +et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée +dans les cas d'oppression des forces». Or, +pour pratiquer à coup sûr la saignée, dans ces +cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il faut +être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer +convenablement l'hydrothérapie froide, chez les +malades graves.</p> + +<p>Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions, +les lotions, le manteau espagnol, etc., ont une +action moins brutale que la douche. Bien appliquées, +ces pratiques peuvent rendre de grands services. +Elles le peuvent surtout si le malade, plein +d'une foi aveugle, et suggestionné par avance, +quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, +comme les fervents de Woerishoffen, dans un +endroit tranquille, bien aéré, où son cerveau reste +en jachère par le fait de l'horrible tristesse du +milieu, et s'il s'y soumet à une alimentation plus +raisonnable que celle qu'il avait chez lui. Tous ces +éléments entrent pour une part indéniable, dans les +remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et +qu'obtiennent encore, à un moindre degré, ses successeurs +et ses élèves, à Altkirch, en particulier.</p> + +<p>Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de +parti pris, se priver de ses services, mais se rappeler +qu'elle ne doit être employée que chez les +malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez +les malades de ce genre, le maillot humide, notamment, +constitué par un drap mouillé et tordu +étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, +est un procédé souvent très utile et à la portée de +toutes les bourses. On entoure, avec le drap, le +malade comme une momie, en l'enveloppant ensuite +de trois couvertures préalablement étendues, +sous le drap. Nous avons vu des malades, qui ne +parvenaient pas à dormir, trouver, vingt minutes +après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil +réparateur. La durée des applications ne doit pas +dépasser trois quarts d'heure; et leur nombre peut +sans inconvénients atteindre 80, employées quotidiennement, +même pendant les règles.</p> + +<p>L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses +indications. Le <i>tub</i> tiède, pratiqué dans la matinée, +avec une infusion de tilleul et l'enveloppement dans +une couverture, est essentiellement sédatif, si le +malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.</p> + +<p>Le bain répond aussi à de nombreuses indications; +mais c'est un moyen beaucoup plus actif +qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des +malades qui ne le supportent pas, que le bain, +même de cinq minutes, énerve, empêche de dormir; +on doit tenir compte de cette susceptibilité, et ne +pas insister si le malade affirme que le bain lui est +contraire. Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois +amenés à donner des bains de douze et de +vingt-quatre heures: c'est là une médication très +active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que +les malades ont des syncopes dans le bain; c'est +dire la surveillance qu'il faut exercer autour d'eux. +Les bains de six heures consécutives sont journellement +employés à Louéche, et avec grand +profit, pour les malades atteints de certaines formes +d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une +qualité particulière, qui rend tolérables ces bains +prolongés; ce qu'il y a de certain, c'est que les +bains de la même durée avec de l'eau de Paris, +comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis, +ne sont, en général, pas tolérés, et qu'on a +dû réserver ce traitement pour les cas exceptionnels.</p> + +<p>C'est également une qualité particulière de l'eau +qu'il faut invoquer pour expliquer la tolérance de +certaines eaux minérales. A Badenweiller, en particulier, +à Gastein, à Néris, les nerveux supportent +des bains très prolongés (pendant une et +deux heures), alors que, chez eux, un bain d'un +quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable.</p> + +<p>Il est cependant des malades qui ne supportent +pas le contact de l'eau, même aux stations minérales +que je viens d'indiquer; les médecins de ces +stations auraient tort d'insister si, après les deux +ou trois premiers bains, ils observaient une aggravation +de l'état maladif.</p> + +<p>Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on +ne doit pas mouiller la peau. L'application d'un +cataplasme leur est odieuse, un bain de pieds les +révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la +figure avec très peu d'eau tiède, ou même avec du +cold-cream. Dira-t-on que ce sont là des phobiques? +Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne connaissons +pas tous les degrés de susceptibilité du +système nerveux, réactif d'une sensibilité invraisemblable; +et cette intolérance de la peau pour +l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle +disparaît en même temps que les vertiges, gastralgie, +constipation, maux de tête, et autres +misères dont l'ensemble constitue la «maladie». +Mais, aussi longtemps qu'existe cette intolérance, +le médecin doit savoir la respecter, et ne pas s'obstiner +à faire faire au malade l'hydrothérapie même +la plus mitigée.</p> + +<p>C'est dans ces cas que convient souvent l'application +de la chaleur sèche. Un sac en caoutchouc, +à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur l'estomac +après les repas, et, le soir, au lit, pour +chauffer les pieds, est très apprécié de beaucoup +de malades. Ce procédé, très simple, facilite la +digestion, surtout chez les malades spasmodiques. +Cependant, on ne doit pas le recommander dans +les cas d'inertie. Dans ces cas, c'est la compresse +froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas +chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui +rend service au patient.</p> + +<p>Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut +encore être remplacé par un sac en caoutchouc +contenant un produit solide, qui se dissout par la +chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa +chaleur de fusion. Ces petits appareils, connus +sous le nom de <i>dermothermes</i> ou de <i>dermophores</i>, +ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures +une chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient +d'être un peu lourds; aussi, quand l'installation +le permet, leur préférons-nous un tissu métallique +très léger, recouvert d'une enveloppe de soie, +et chauffé par un courant électrique à 70 volts.</p> + +<p><i>Massage</i>.—Ce que nous disons de l'hydrothérapie +s'applique, de point en point, au massage. Le +massage est un moyen violent qui ne devrait jamais +être pratiqué en dehors du médecin. Employé +même légèrement, il fatigue beaucoup certains +malades. Le massage abdominal, en particulier, +qui a été fort en honneur il y a quelques années, +constitue un procédé thérapeutique dangereux +dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours +pratiqué par une main expérimentée, c'est-à -dire +avec la plus grande douceur. Il peut rendre alors +quelques services, lutter contre la paresse de l'estomac +et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler +que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout +à fait accessoire. Les médecins qui auraient la +prétention de guérir la constipation par le massage +abdominal exclusivement s'exposeraient à un +échec certain, parce que la constipation n'est pas +causée seulement par une inertie des muscles de +l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état +général, ainsi que nous l'avons déjà expliqué.</p> + +<p>Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au +moins autant de services que le massage, et sont +d'une application plus facile, puisqu'elles peuvent +être confiées à toutes les mains. Elles sont faites +avec un gant de molleton, jamais ou très rarement +avec le gant de crin; seules les personnes +bien portantes, ou les malades ayant encore une +grande somme de résistance, supportent la friction +violente au gant de crin. Une bonne manière de +faire la friction humide est la suivante:</p> + +<p>Mettre le malade tout nu dans une couverture de +flanelle; en extraire un des bras, le frotter de bas +en haut avec le gant imbibé d'une solution alcoolique +tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un +gant sec, frictionner de bas en haut, remettre le +bras du malade dans la couverture; s'emparer +ensuite de l'autre bras, et agir de même. Frictionner +successivement les deux jambes, toujours de bas +en haut, puis faire asseoir le malade sur son lit, +lui frictionner le dos, n'importe en quel sens, l'étendre +de nouveau, travailler légèrement le devant +de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre. +L'opération doit durer dix minutes. Elle est à +recommander chez presque tous les malades, même +chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien +faite, et comme nous venons de le dire, elle n'est +jamais dangereuse.</p> + +<p>Les bains de vapeur sont en général bien supportés; +mais les prendre dans des établissements +spéciaux expose à une grande perte de temps, et à +un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre +à domicile, soit dans des boîtes portatives, +soit, mieux encore, au lit. On peut, dans ce cas, +utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une +forte lampe à alcool, et conduites sous les couvertures +du lit par un tuyau en tôle. Mais un procédé +qui nous semble meilleur encore est le suivant: +dans des boites disposées <i>ad hoc</i>, mettre +deux briques bien chauffées,—appliquer une de +ces boîtes aux pieds du malade couché, une autre +boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la +transpiration survienne. Elle arrive infailliblement, +avec une douce lenteur, et ce système permet: 1° de +graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller les +draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé +de vapeur qui sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons +ces bains d'air sec chez les malades obèses, +rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.</p> + +<p>En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails: +tout ce qui peut être utile au malade doit être +l'objet de nos recherches; et c'est le soin des +détails qui fait la force, et, disons-le franchement, +le légitime succès de quelques-uns de nos confrères +étrangers.</p> + +<p><i>Électricité</i>.—L'électricité n'est pas, non plus, +à négliger. Il est certain que les courants de haute +fréquence ont, sur la nutrition en général, et sur +le système nerveux en particulier, une action très +puissante, notamment chez les nerveux atteints +de prurit anal (Dr Leredde), et chez les malades +envahis par une sensation permanente de froid. +Mais c'est là un procédé forcément limité, à +cause des difficultés d'installation et du prix de +revient. Les applications faradiques ou galvaniques +sur l'abdomen peuvent également avoir +leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif, +et qui, fort heureusement, n'est pas, non plus, +d'un emploi facile.</p> + +<p>Le tabouret électrique est souvent recommandable, +à condition qu'on ne tire pas d'étincelles. +Les machines statiques à domicile sont des jouets +qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant +si le peu d'ozone qu'elles dégagent n'a pas une +influence utile?</p> + +<p>Les bains électriques constituent aussi un moyen +puissant, et, par conséquent, difficile à manier. Ce +que nous avons dit des contre-indications du bain ne +s'applique pas aux bains électriques; il est des +cas où le bain électrique, bien appliqué, rend +d'excellents services: tant vaut l'application, tant +vaut le moyen. D'une façon générale, on peut dire +que le bain électrique occasionne une courbature +notable qui, à l'inverse de la courbature produite +par l'excès d'exercice musculaire, amène le sommeil. +Ces bains ne devraient être donnés que tous +les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale +très exacte pendant toute la durée du bain. +Dire qu'un pareil moyen agit par suggestion, c'est +énoncer une affirmation qui n'a rien de scientifique.</p> + +<p><i>Injections hypodermiques</i>.—Les injections +hypodermiques constituent un des agents les plus +utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux +trois chefs suivants leur action bienfaisante: +1° toute injection, en tant qu'injection, a une +influence utile; 2° le médicament injecté a son +action propre; 3° une part de suggestion s'attache +à l'emploi des injections.</p> + +<p>I. On sait, depuis les remarquables études du +Dr Chéron, que toute injection hypodermique, quelle +qu'elle soit, pourvu que le liquide injecté ne soit +pas toxique, produit un relèvement momentané de +la tension vasculaire, se traduisant par une sensation +de bien-être, de vigueur; produit, en un mot, +un effet dynamogénique plus ou moins prolongé, +Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres +conditions.</p> + +<p>Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de +Brown-Séquard, de l'océanine, etc.; il y a toujours +à compter avec cette action particulière de l'injection +en tant qu'injection sous-cutanée ou intramusculaire, +en tant qu'agent modificateur de la +pression sanguine. De là l'utilité des doses massives +de liquide, comme aussi la vogue qu'ont eue, +pendant un certain temps, les injections de sérum +artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes +de sel marin pour un litre d'eau stérilisée. +Malheureusement on sait, depuis quelques années, +que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il +peut devenir toxique chez les malades dont les reins +ne fonctionnent pas très bien. Il faut donc en user +avec grande prudence.</p> + +<p>Depuis un an, on fait beaucoup d'injections +d'eau de mer stérilisée (océanine). On donne de +300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs +de ce nouveau médicament en disent merveille: il +est possible que l'eau de mer soit un heureux +mélange de substances utiles à l'organisme. Je n'ai +pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement +que j'ai essayé l'océanine chez trois malades, vus +en consultation avec le Dr Marie, sans résultats +appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions +que des doses de 30 grammes par jour. D'une +communication sur ce sujet faite à la Société +de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le +Dr Marie, il résulte que ces injections, pratiquées +à des doses plus fortes, ont des effets vraiment +importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles +n'ont pas les inconvénients graves des injections +salées ordinaires, si bien mis en lumière par M. le +Dr Hallion à la même séance de la Société. L'eau de +mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est +probablement un des précieux médicaments de +l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; d'autant que +les injections massives qu'on en fait agissent également +en tant qu'injections de liquide non toxique.</p> + +<p>II. Il faut tenir compte de la nature du produit +injecté. Il existe, certainement, des médicaments +doués d'une action reconstituante sur le système +nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de +soude et surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard, +peut-être la lécithine, les phosphates, etc. +Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces +médicaments: disons seulement un mot des principaux.</p> + +<p>Le cacodylate de soude est incontestablement un +reconstituant de premier ordre; on peut l'employer +sans danger à des doses beaucoup plus élevées +qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à +la Société de Dermatologie, des observations prouvant +la non-toxicité du produit, ainsi que l'utilité +des hautes doses longtemps continuées, dans certains +cas exceptionnels<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14"><sup>14</sup></a>. Le plus souvent, la dose +indiquée par le professeur Gautier, de 10 centigrammes +par injection, est suffisante, et il n'est +pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par +semaine cette injection, à la condition de continuer +le traitement pendant deux ou trois mois +dans les cas moyens.</p> + +<p>J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée +de l'action des cacodylates de soude et de magnésie, +à la Société de Thérapeutique, en 1902, en indiquant +les très rares contre-indications, et en précisant, +dans la mesure du possible, les indications<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15"><sup>15</sup></a>. +Le cacodylate de fer en injections rend aussi des +services, dans les cas exceptionnels où le fer est +indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques, +chloro-anémiques): mais quatre ou cinq injections +de 5 centigrammes, faites à raison de deux par +semaine, nous ont toujours semblé suffisantes.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" name="footnote14"></a><b>Note 14:</b><a href="#footnotetag14"> (retour) </a> Considérations sur la médication cacodylique, <i>in Ann. de +dermatologie et Syphiliographie</i>, 6 mars 1902.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" name="footnote15"></a><b>Note 15:</b><a href="#footnotetag15"> (retour) </a> <i>Bull de la Soc. de Thérapeutique</i>, 27 mars 1901.</blockquote> + +<p>Les injections orchitiques de Brown-Séquard, +après avoir eu un moment la faveur que l'on sait, +sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la +bonne fortune d'être en relations personnelles et +suivies avec le vénéré maître, de recueillir de sa +bouche des aperçus thérapeutiques de grande +envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps +de vérifier et d'enseigner, je reste convaincu qu'il +faudra reprendre l'étude de l'action dynamogénique +du liquide de Brown-Séquard, préciser les +doses, le nombre des injections, etc. Ce travail n'a +été qu'ébauché par le grand initiateur.</p> + +<p>D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble +une méthode pleine de promesses; j'ai cité notamment, +à la Société de Thérapeutique, en 1904, +le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au +dernier degré du marasme, avec muguet dans la +bouche, qui a été comme ressuscitée par l'emploi +de trois lavements quotidiens préparés avec une +macération de 200 grammes de foie de porc, fraîchement +tué, dans 300 grammes d'eau bouillie. +Cette dame, une grande malade avec phénomènes +nerveux et dyspeptiques anciens, avait eu, à un +moment donné, une insuffisance hépatique; son +foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre +intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.); +au deuxième mois de cette complication, elle était +arrivée à l'état lamentable que j'ai indiqué, quand +nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à +son foie. Le résultat a dépassé toute espérance; +trois heures après le premier lavement, la malade +avait des urines claires et abondantes; huit jours +après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les +selles régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger +immédiat conjuré, il m'a encore fallu continuer +à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, la peau +de ma malade: mais, trois mois après, elle put +aller achever sa convalescence dans le Midi, et, +depuis deux ans, elle va presque bien. La complication +hépatique n'avait été qu'un épisode dans +le cours de la «maladie», qui évoluait depuis +vingt années.</p> + +<p>D'une façon générale, les préparations opothérapiques, +auxquelles un immense avenir semble +réservé, ne rendront tous les services qu'elles peuvent +rendre que quand on trouvera le moyen de +les donner par voie sous-cutanée, comme le faisait +Brown-Séquard avec son liquide orchitique.</p> + +<p>Chez certains malades, les préparations de strychnine +par injections hypodermiques ont un effet +très utile: mais il ne faut pas dépasser en général +la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux +encore d'arséniate de strychnine, ni faire plus +de huit ou dix injections, réparties sur trente +jours.</p> + +<p>Nous avons dit combien la grippe est dangereuse +pour les malades, quels qu'ils soient. C'est l'ennemie +personnelle des neurasthéniques. De là , la +préoccupation constante que nous avons de faire la +guerre à cette affection accidentelle, de la couper +dès ses débuts. Or, il m'a bien semblé trouver, dans +le <i>cacodylate de gaïacol</i>, un agent antigrippal spécifique, +sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention +de mes confrères, à la Société de Thérapeutique, +en janvier 1906.</p> + +<p>Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes +de cacodylate de gaïacol, dans un gramme +d'eau stérilisée, et préalablement saturée de gaïacol, +fait merveille chez les grippés au début: elle les +guérit en quelques heures. Deux ou trois injections +consécutives suffisent toujours pour couper la +grippe, même quand elle n'est pas prise au début, +à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, +et, même alors, le cacodylate de gaïacol +me semble très recommandable. Il l'est aussi +dans ces convalescences interminables de grippe +qui résistent à tous les traitements.</p> + +<p>Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même +avec pneumonie, nous nous sommes très bien +trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours +de suite, des injections de quinine. Une seringue +de Pravaz de la solution suivante, introduite profondement +dans le muscle, est très bien tolérée +et n'occasionne jamais d'abcès:</p> + +<table width="80%" align="center" summary=""> + <tbody> + <tr> + <td valign="top" align="left" width="70%"> + Chlorhydrate neutre de quinine<br> + Antipyrine<br> + Eau distillée<br> + </td> + + <td valign="top" align="left" width="30%"> + 3 grammes.<br> + 2 —<br> + 6 —<br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<p>Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux +dans les névralgies postgrippales, qui +sont quelquefois si tenaces, et qui résistent même +aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques, +névralgies intercostales).</p> + +<p>Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces +suites éloignées de la grippe, cas de grippe aiguë et +de névralgies postgrippales,—on ne peut pas tout +faire,—mais je crois bien que la quinine à petites +doses, donnée en injections à tous les malades à +dépréciation nerveuse momentanée, aurait un effet +dynamogénique précieux.</p> + +<p>Dans certains cas de douleurs névralgiques trop +pénibles, les injections d'héroïne sont indiquées; +mais il faut savoir que l'héroïne doit se manier à +doses trois fois moindres que la morphine; en +d'autres termes, on ne doit jamais dépasser un +milligramme d'héroïne, surtout chez les malades +dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique +de l'héroïne nous a semblé supérieure +à celle de la morphine; mais il faut bien se rappeler +que l'héroïne est un médicament aussi dangereux +que la morphine, auquel les malades s'habituent, +et réserver son emploi pour les cas exceptionnels. +J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me disposais, +à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque, +me ravisant, je me demandai si la névralgie crurale +qui le torturait ne serait pas, par hasard, d'origine +syphilitique. Or, en reconstituant son histoire, +j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment +en cause; et une seule piqûre de calomel eut raison +à tout jamais de cette névralgie si pénible; tant +il est vrai que le médecin doit toujours penser à la +syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.</p> + +<p>Chez les adultes, le traitement de choix de la +syphilis tertiaire, quelle que soit la manifestation +syphilitique (aortite, gommes), nous semble être +les injections mercurielles; celles au benzoate sont +douloureuses, et donnent des nodosités désagréables; +celles de biiodure en solution aqueuse sont +très douloureuses. Nous préférons l'huile grise +pour les cas moyens, le calomel pour les grandes +circonstances, et l'huile au sublimé,—dont nous +avons donné la formule en 1881 à la Société de +Dermatologie,—chez les syphilitiques épuisés, +auxquels l'huile sert d'aliment.</p> + +<p>Et puisque nous parlons d'injections huileuses, +le moment est venu de dire un mot de nos travaux +antérieurs sur l'action dynamogénique de l'huile +créosotée, en injections sous-cutanées <i>à dose +maxima tolérée</i>. Nous les avons surtout employées +et les employons encore chez les tuberculeux; +mais nous étions guidé par une fausse conception +théorique; et si la créosote <i>bien maniée</i> reste,—et +restera longtemps,—le médicament de choix +chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle agit +contre le bacille de Koch, comme antiseptique, +c'est parce qu'elle a une action non douteuse, extraordinairement +puissante, sur le système nerveux.</p> + +<p>La créosote est, en effet, un agent dynamogénique +de premier ordre. Aussi les tuberculeux sont-ils +loin d'être les seuls malades qui puissent tirer +parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais +d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce +sont eux qui en tirent le moindre bénéfice, à cause +de la difficulté que présente le maniement de la +créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la +fièvre. Là où les injections d'huile créosotée font +merveille, c'est chez les pseudo-tuberculeux, qui +sont tellement démolis par les troubles gastriques, +nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout +en ne l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée +rend, en quelques jours, l'appétit, la force, en un +mot la vie.</p> + +<p>Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra +longtemps son emploi, c'est l'extrême difficulté +qu'il y a à la manier. Pour ma part, je +me suis attaché à surprendre les moindres manifestations +de l'intolérance, et à les décrire minutieusement +afin de permettre aux praticiens de +ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention +sur les intolérances accidentelles, qui doivent +faire immédiatement suspendre le traitement, ou +baisser la dose acceptée les jours précédents. J'ai +même tellement insisté sur les dangers de la créosote +que quelques confrères m'ont accusé d'avoir +fait son procès; mais la dynamite aussi est une +arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien +maniée, elle rende des services<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16"><sup>16</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" name="footnote16"></a><b>Note 16:</b><a href="#footnotetag16"> (retour) </a> Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas seulement que +la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par la peau, est +un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un mois, +avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux, +un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade +est resté à la diète <i>absolue</i>, ce qui a donné à l'ulcère le temps de +se cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de +150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des +injections huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau +sanguin, d'où peut résulter une embolie qui peut être mortelle; +mais j'ai indiqué le moyen de se mettre <i>sûrement</i> à l'abri de tout +accident grave. Le secret consiste à bien connaître les moindres +symptômes d'introduction de l'huile dans le torrent circulatoire, +et à arrêter l'injection dès l'apparition de ces symptômes. +Rien n'est plus facile que d'arrêter à temps cette injection, si on la +fait avec la lenteur voulue; mais cette lenteur n'est possible +qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à fonctionnement automatique. +Au reste tous ces points sont étudiés dans mon livre +sur le <i>Traitement de la tuberculose par la créosote</i>.</blockquote> + +<p>III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles +soient, agissent encore d'une autre façon. En dehors +des propriétés particulières à chaque médicament, +et de l'action dynamogénique reconnue à +toute injection sous-cutanée et même intra-musculaire, +elles agissent encore par suggestion. Elles +font prendre patience au malade, en attendant que +les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène +cérébrale, médullaire, gastrique, intestinale, cutanée, +etc., aient eu le temps de produire leurs effets. +Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente, +comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le +malade serait vite découragé, si on ne lui donnait +pas du premier coup, un remontant, factice peut-être, +mais certainement utile, et ayant une action +évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire +confiance.</p> + +<p>La pratique des injections hypodermiques est +également utile au médecin à un autre point de vue: +elle lui permet d'apprécier très vite le degré de +confiance que lui accordent le malade et son entourage. +Or, de ce degré de confiance dérive, dans une +notable mesure, le résultat thérapeutique final. Si +le médecin sent que son malade a foi en lui, il +déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources +de son intelligence et de son coeur; dans +le cas contraire, il se sentira à tout instant, gêné, +paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas toute +la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il +y a, pour lui, à évaluer le degré de confiance qui +lui est octroyé. Eh bien! pour l'apprécier, il n'y a +pas de meilleure pierre de touche que l'injection +hypodermique. Car si le malade et son entourage +acceptent celle-ci aveuglément, du premier coup, +sans même demander la formule du liquide injecté, +c'est toujours signe que le terrain est bon, et que +le malade acceptera avec la même obéissance les +diverses prescriptions qui lui seront faites. Dans +certains cas, il est vrai, le malade accepte, non +parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; +peu importe, il acceptera avec la même passivité +les prescriptions qui lui seront faites, et c'est +là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou +surtout son entourage, manifestent une curiosité +inquiète, qu'on ne parvient pas à satisfaire par une +réponse banale, quand ils expriment des appréhensions +sur la nature et les effets du liquide +injecté, on peut dire que le cas est mauvais, ou tout +au moins médiocre; et le médecin aura beaucoup à +faire pour conquérir la confiance.</p> + +<p>Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont +légitimes, et ce que nous disons ici ce n'est pas pour +les empêcher: mais il n'en est pas moins vrai +qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le +médecin a intérêt à connaître afin de travailler à la +faire cesser et d'établir ainsi, entre son malade et +lui, cette confiance réciproque qui est la condition +indispensable d'un traitement efficace.—Or l'attitude +des malades en face des injections qu'on leur +propose constitue, à ce point de vue, un excellent +moyen de diagnostic moral.</p> + +<p>Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut +dire un mot des applications locales, révulsives ou +dérivatives, qui étaient autrefois si en honneur, +et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste.</p> + +<p><i>Vésicatoires</i>.—Autant nous protestons contre +les larges vésicatoires employés autrefois, et qui, +chez quelques malades, produisaient de la cystite, +chez presque tous une douleur pire que le mal +qu'on voulait guérir; autant nous continuons à +penser que le petit vésicatoire, sous forme de +mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez +les grands malades qui ont le système nerveux +sens dessus dessous, une mouche, appliquée derrière +l'oreille, peut faire un mal extrême et produit +un état d'agitation inconcevable, non pas à cause +de la douleur insignifiante qu'elle provoque, mais +par le fait du trouble de circulation qu'elle produit à +distance. Ce seul fait suffirait à prouver que l'application +d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs, +n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez +certains malades qui ont encore un bon capital nerveux, +la mouche, appliquée derrière l'oreille droite, +de préférence, produit une sédation des plus remarquables, +amène le sommeil, dissipe le malaise mental +et les divers troubles innommables qui constituent +l'état nerveux; c'est sans doute à cause de l'infériorité +fonctionnelle de la partie gauche du corps,—habituelle +chez les malades, ainsi que nous +l'avons dit,—que la mouche appliquée derrière +l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle +produirait moins si elle était appliquée à gauche; +en tout cas, c'est un fait d'observation. De même, +la mouche sur le creux de l'estomac peut amener, +si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop +aigus, une aggravation notable des troubles gastriques; +mais si elle vient à son heure, elle provoque +un apaisement notable des troubles digestifs. La +mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un +des meilleurs remèdes à apporter à la constipation. +Cette affirmation peut sembler singulière, mais elle +s'explique pour qui comprend l'origine, presque +toujours nerveuse, de la constipation.</p> + +<p><i>Emplâtres</i>.—Les applications d'emplâtres +d'opium ne sont jamais dangereuses, et font souvent +le plus grand bien. Étant donnée l'extrême +susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se +laisse impressionner par les moindres influences, +ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout cas, j'affirme, +au nom d'une expérience prolongée, qu'une +mouche d'opium appliquée à la tempe est souvent +très appréciée par les malades céphalalgiques, qu'un +emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone, +laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, +ou du moins d'une façon plus continue, les douleurs +gastralgiques, que ne le ferait une série d'injections +de morphine.</p> + +<p>De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué +sur la colonne vertébrale, immédiatement au-dessous +de la première vertèbre dorsale, sur une longueur +de dix centimètres, atténue singulièrement certains +phénomènes médullaires dont se plaignent les +malades, en particulier les inquiétudes dans les +jambes qui sont si fréquentes chez les grands neurasthéniques.</p> + +<p>Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à +dédaigner. A eux seuls, ils seraient insuffisants; +mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos méthodiquement +dosé, aux applications hydrothérapiques +raisonnables, et à la psychothérapie, ils amènent +sûrement la guérison, lorsqu'il reste assez de capital +biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.</p> + +<p><i>Purgatifs</i>.—Nous usons très peu des médicaments +fournis par la pharmacopée, pour ce motif bien +simple que nous n'en avons pas besoin, et que nous +avons une crainte presque instinctive de tous ces +agents thérapeutiques à action violente et perturbatrice. +Faut-il l'avouer? c'est aussi parce que nous +ne les connaissons pas.</p> + +<p>Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un +médicament. J'ai mis, quant à moi, des années à +étudier l'action du bromure, quand je m'occupais +plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales; +et quand, en octobre 1898, le professeur +Gautier a bien voulu me confier l'étude du cacodylate +de soude, la première chose que je lui ai +dite, c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour +pouvoir lui donner sur cet agent thérapeutique une +appréciation ayant quelque valeur. Enfin, pour ce +qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans +à en connaître l'effet.</p> + +<p>Comment, alors, avoir confiance dans des publications +hâtives sur des médicaments découverts de +la veille? Et, en ce qui est des médicaments anciens, +ayant fait leurs preuves, je répète que, en général, +je les redoute, à cause de l'extrême sensibilité des +malades, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer.</p> + +<p>Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, +m'inspirent une véritable terreur. Mais, dira-t-on, +tous les jours nous les voyons employer sans +dommage, et même avec une apparence de succès +qui saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs +à une indication bien rationnelle, puisqu'il faut évacuer +les résidus de la digestion qui empoisonneraient +l'économie! Il nous faut réfuter ces objections +en passant: qu'on donne un purgatif à un +homme solide qui a un léger embarras gastrique, +il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien; +mais c'est une erreur d'interprétation, et si le +purgatif ne lui a pas fait de mal appréciable, c'est +que tout est sain chez les hommes sains. Mais +donner un purgatif à un malade grave dont le +système nerveux est profondément atteint, c'est +provoquer chez lui des réflexes dont personne ne +connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son +système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit +le ventre, qui avait jusqu'alors une certaine tonicité, +devenir flasque, inerte, perdre toute réaction; l'intestin +est alors inhibé dans son fonctionnement, et +il faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, +quand il se ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il +donc faire chez les malades constipés? La réponse +est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur +constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut +les soigner en tant que malades; la constipation disparaîtra +d'elle-même. Le moment nous semble venu +de protester une dernière fois contre les idées des +gens du monde, et des médecins, relatives à la constipation.</p> + +<p>Nombreux sont les gens soi-disant bien portants +qui sont atteints de constipation chronique. Quand +nous disons bien portants, c'est une façon de parler: +car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument +bien portants. Mais il en est beaucoup qui vont et +viennent, vivent de la vie commune, tout en ayant +une constipation opiniâtre; de plus il y a beaucoup +de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont +constipés. Une dame nous disait plaisamment, à ce +sujet, que son intestin avait «horreur du vide». +Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette +obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés, +elles tolèrent leur infirmité sans se douter +qu'elle existe. Mais malheur à elles quand elles +commencent à se préoccuper de leur constipation! +C'est à partir de ce moment qu'elles rapportent à la +constipation les mille et une misères qui sont +l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles, +surtout, quand elles entrent dans la voie des soi-disant +traitements de la constipation! Elles commencent +par user du lavement simple, tiède d'abord, +puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours +aux purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, +elles en arrivent aux grands lavages. Elles font +tant et si bien qu'elles irritent leur intestin, et qu'à +leur constipation anodine succède l'entéro-colite +membraneuse.</p> + +<p>A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable +et le cercle vicieux est établi. Plus elles +irritent leur intestin, plus la constipation devient +opiniâtre, et, pour lutter contre cette constipation +opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin. +L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent +plus qu'à leurs fonctions alvines, à la liberté +du ventre, qu'elles disent être la plus nécessaire +des libertés. Elles donneraient la vie du genre +humain pour obtenir une selle; elles se présentent +à la garde-robe plusieurs fois dans la journée, sans +succès ou avec des résultats insignifiants, et, cette +impuissance les affolant, elles ont recours aux +moyens les plus extraordinaires pour lutter contre +l'odieuse constipation. Cet état mental des constipés +mérite d'être étudié de très près; et toute thérapeutique +qui ne cherche pas à le modifier est, par +avance, condamnée à l'impuissance.</p> + +<p>La première chose à faire, quand on se trouve en +présence d'un de ces constipés à obsession, est de +lui persuader que la constipation n'est pas l'ennemie, +n'est pas la cause immédiate de toutes les +misères qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un +symptôme d'importance secondaire, prouvant simplement +qu'il y a quelque chose de défectueux dans +le fonctionnement du système nerveux abdominal.</p> + +<p>Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller +à la garde-robe tous les deux ou trois jours pour commencer, +que, lorsqu'ils iront mieux, ils iront quotidiennement; +invitez-les à ne s'y présenter qu'une +fois par jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans +la mesure du possible d'y aller en dehors de l'heure +réglementaire. Recommandez-leur de ne pas lutter +contre la constipation, mais bien contre le trouble +nerveux dont la constipation n'est qu'un symptôme, +et, s'ils vous écoutent, si vous avez le don de les convaincre, +ils seront par cela seul à moitié guéris.</p> + +<p>Cependant, comme il faut tenir compte de leur +état mental, et un peu aussi de la mentalité de +l'entourage, on peut autoriser un petit lavement +d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour +de présentation inefficace, à l'heure réglementaire +de la présentation, lavement qui sera gardé cinq +minutes seulement. On peut encore, si l'on croit +devoir faire de grandes concessions, permettre au +malade, le soir du troisième jour de présentation +inefficace, un lavement d'huile, non pas avec +200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou +cinq cuillerées à bouche d'huile pure, lavement +destiné à être gardé toute la nuit; si l'on y ajoute +une forte dose de suggestion, ce lavement aura, +pour le lendemain, un effet magique.</p> + +<p>Les pilules de belladone d'après la formule de +Trousseau sont également recommandables; elles +ont tout au moins l'avantage de ne pas être nuisibles.</p> + +<p>Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide +orchitique de Brown-Séquard; c'est de la bouche +même du savant professeur que je tiens ce renseignement, +et je me rappelle encore, comme si c'était +hier, le jour où il me disait ces paroles: «De tous +les services que m'ont rendus à moi-même mes +injections de suc orchitique, celui que je place en +première ligne, bien avant tous les autres, c'est +qu'elles m'ont guéri d'une constipation opiniâtre». +Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut avoir été, +comme moi, torturé par la constipation pour savoir +toutes les angoisses qu'elle occasionne».</p> + +<p>Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a +joué aucun rôle dans la circonstance, car M. Brown-Séquard +ne s'attendait pas le moins du monde à cet +effet des injections do liquide orchitique.</p> + +<p>Pour moi, utilisant ce précieux renseignement, +j'ai traité et je traite encore par les injections de +liquide orchitique les grands neurasthéniques +atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite.</p> + +<p><i>Eaux minérales</i>.—Si nous donnons peu de +créance aux médicaments de la pharmacopée, nous +croyons, par contre, que les eaux minérales constituent +des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire, +qui ne respectait rien, disait que les voyages +aux eaux ont été inventés par des femmes qui s'ennuyaient +chez elles, et Diderot affirmait que, en +général, les eaux sont le dernier conseil de la +médecine poussée à bout. «On compte plus, ajoutait-il, +sur le voyage que sur le remède.»</p> + +<p>Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit, +mais ils parlaient là de choses qu'ils ne connaissaient +point. Si incommensurable que soit la +sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, +depuis la plus haute antiquité, et ne jouiraient pas +du renom qu'elles ont encore, si elles n'avaient pas +vraiment une certaine efficacité.</p> + +<p>Certes, dans les bons effets des cures minérales, +il faut compter, pour une certaine mesure, avec le +changement de milieu, l'influence agréable du +voyage; mais il ne faut pas oublier que cette +influence, utile quelquefois, est quelquefois fâcheuse. +Aussi faut-il n'envoyer aux eaux que les malades +qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le +capital n'est pas sérieusement compromis.</p> + +<p>Le changement de régime alimentaire qui est +imposé aux malades, dans les stations thermales, +leur est parfois favorable, et peut avoir une part +d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous +savons, en effet, que, à un moment donné, il est +utile de ne pas se confiner dans un régime alimentaire +suivi depuis trop longtemps, et aussi que, +dans certains cas, il faut savoir brusquer l'estomac. +Mais ce changement brusque, qui souvent est utile, +peut être dangereux, au contraire, quand le système +nerveux n'est pas de taille à supporter le +soudain assaut imposé.</p> + +<p>C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales, +où le bon effet des eaux est, en grande +partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène +alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer, +dans toutes les villes d'eaux, des «tables de +régime» comme il en existe dans toutes les maisons +de santé bien tenues, où chaque malade, pour +ainsi dire, a le régime alimentaire qui lui convient, +dosé et surveillé par le médecin de l'établissement. +Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans +nos stations minérales, parce que les médecins n'y +sont pas libres de tous leurs actes, et ont à compter +avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à compter +avec leurs chefs de cuisine.</p> + +<p>A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables +de régime»; et j'y ai vu moi-même des menus +imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils +annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le +papier. A Vichy, par contre, plusieurs médecins +sont arrivés à imposer à des tenanciers de pensions +de famille l'obligation de donner aux malades +des régimes variés, suivant les prescriptions médicales.</p> + +<p>Quant aux indications des eaux minérales, elles +varient à l'infini.</p> + +<p>Certaines eaux ont certainement une action prédominante +sur tel on tel syndrome. Ainsi, ce n'est +pas du tout en vertu d'une erreur d'observation, ou +d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux +de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique +sur les troubles périphériques de la circulation +(varices, hémorroïdes, phlébites). Les malades +atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement, +à Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs +misères (troubles nerveux, dyspeptiques), mais plus +particulièrement les misères locales causées par +leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une +action non douteuse sur le symptôme constipation, +action que n'a pas Vichy, qui, au contraire, +favorise la constipation pendant la durée du traitement.</p> + +<p>De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez +certains entéralgiques, convalescents d'appendicite, +etc., une action véritablement spéciale. De même +encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons, +n'est qu'un des symptômes de la «maladie», elles +ont une bienfaisance incontestable, surtout si, à +leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en +montagne bien comprise et bien réglée. Les eaux +de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas d'action spéciale, +mais elles rendent de précieux services aux nerveux +fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées +chez les malades dont le système nerveux digestif +est en détresse, et la Grande Grille, en particulier, +a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique +pas plus par la théorie des <i>ions</i> que par les +théories chimiques, mais qui est indiscutable. Et il +ne s'agit pas là de psychothérapie ni de suggestion; +la Grande Grille a des effets qui lui sont +propres, et Vichy est souvent un adjuvant dont on +ne peut se passer. Mais il faut se rappeler que c'est +une arme difficile à manier, comme toutes les armes +puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que +les malades ayant encore une grande force de résistance +vitale.</p> + +<p>Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive +y envoyer que des dyspeptiques. Parmi les 30 +ou 35 malades que j'y envoie, chaque année, +il y en a au moins une dizaine chez lesquels les +symptômes cérébraux prédominent, à condition, +bien entendu, que ces symptômes ne soient pas en +rapport avec des lésions organiques; et ces malades +se trouvent au moins aussi bien de Vichy que ceux +qui n'ont que des symptômes gastriques ou hépatiques.</p> + +<p>Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault +les malades atteints de lésions +organiques du cerveau ou de la moelle, hémiplégiques, +congestifs, etc. Depuis quelques années, la +physionomie de cette station a changé. Il y a eu des +accidents provoqués par l'eau chaude sur les +malades à artères friables; et l'on se borne actuellement +à y envoyer les malades à troubles médullaires +superficiels, connus vulgairement sous les +vocables de rhumatismes chroniques ou articulaires, +sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec +ses bains de boue, Franzenbad avec ses bains +d'acide carbonique, rendent aussi de grands services +aux rhumatisants et aux obèses sans lésions +organiques appréciables.</p> + +<p>Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège +de recevoir des malades à lésions organiques nettement +définies, et dont nous ne nous occupons pas +dans ce travail.</p> + +<p>Vittel et Contrexéville conviennent aux malades +chez lesquels le trouble de la nutrition, qui n'est, +en général, qu'un trouble du système nerveux, se +traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la +formation de calculs, soit dans le foie, soit dans +les reins<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17"><sup>17</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote17" name="footnote17"></a><b>Note 17:</b><a href="#footnotetag17"> (retour) </a> Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon estomac, +à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De +là le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer +à Vittel. Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez +que, longtemps avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits +troubles cérébraux, ne fût-ce que des migraines, de petits troubles +cutanés, de l'obésité. Un beau jour, une colique néphrétique les +surprend, et l'on se figure que c'est à partir de ce jour qu'ils sont +devenus malades. Il n'en est rien. La colique néphrétique n'a été +chez eux, qu'un accident; bien avant de l'avoir, ils avaient, même +du côté du rein, de petites misères qui passaient inaperçues: du +lumbago, des urines chargées de sable. Et si, au moment où l'on +s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait soignés méthodiquement, +par le repos ou l'exercice suivant les cas, par telle ou +telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique hydrothérapique, +telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu de coliques +néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel. Mais, +ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir au +traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des +manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une +façon temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul +ne les guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.</blockquote> + +<p>Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos +malades; la Bourboule en particulier, Saint-Nectaire +chez les enfants et les jeunes gens.</p> + +<p>Mais nous ne voulons pas faire une revue des +eaux minérales françaises et étrangères. Tout ce +que nous voulons prouver, c'est que les eaux minérales +sont un agent thérapeutique de premier ordre, +un agent que tous les médecins doivent connaître, +non seulement parce qu'ils voient dans les livres, non +seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine +d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils +goûtent, par eux-mêmes, aux diverses sources, et +qu'ils tâtent parfois des bains. Ils ne tarderont pas +à voir que ce ne sont pas des agents indifférents: +je leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn, +à forte dose d'eau salée. Aussi le monde +médical doit-il être très reconnaissant à celui de +nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé, +tous les ans, des caravanes scientifiques pour +visiter les eaux françaises; quinze jours de voyage +sous une bonne direction médicale sont plus utiles +que six mois de travail dans les livres. On apprend +ainsi à connaître non seulement les eaux, mais +aussi les médecins des stations, parmi lesquels il +en est beaucoup qui ont des idées générales très +intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des +villes d'eaux sont, d'ailleurs, pour les praticiens, +de précieux collaborateurs, quand ils veulent bien +ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson, +les bains, les douches, etc., et consentir à faire, +en même temps, oeuvre médicale véritable, c'est-à -dire +surveiller le régime, doser avec soin le repos +et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie +ne perd jamais ses droits.</p> + +<p><i>Voyages</i>.—Les gens du monde se figurent que +les voyages font le plus grand bien aux malades en +général, qu'à la suite d'un état aigu, par exemple, +dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer +bien loin de chez lui, et que, dans les états +chroniques, ce déplacement lointain est la condition +<i>sine qua non</i> d'une guérison. Cette opinion +est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain +qu'un homme bien portant se trouve très bien +d'un déplacement annuel, et les vacances sont +chose indispensable pour cet homme, quels que +soient son âge et sa situation. Il faut que, au moins +une fois par an, l'homme bien portant mette, pendant +quelques jours, son cerveau en jachère, +prenne l'exercice dont il a été en partie privé pendant +le reste de l'année. Ce temps consacré au +repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du +temps bien employé.</p> + +<p>Les vacances sont également nécessaires à l'enfant +qui travaille: et par vacances nous entendons +non seulement le repos cérébral, qui doit être +presque absolu,—ce qui, par parenthèse, contre-indique +l'usage des devoirs de vacances,—mais +aussi, autant que possible, le changement de milieu, +ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De +là l'utilité des colonies de vacances, que le professeur +Landouzy appelle «des croisades de paix et +de rédemption». Elles sont, dit-il très justement, +la «première ligne de défense contre la tuberculose». +M. Plantet a fait sur ce sujet, à la demande +de l'Office central du travail, un rapport des plus +intéressants et des plus complets, publié dans la +<i>Réforme sociale</i>, (16 juin et 1er juillet 1905). Il +résulte de ce rapport que la France est en retard +sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre, +la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que +nous n'occupons, en somme, que le sixième rang +dans la lutte des sociétés contre le dépérissement +de leur race. Cependant, depuis 1882, la France +est entrée dans le mouvement, et les colonies scolaires +françaises sont déjà en nombre considérable: +il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions +privées parisiennes, 40 comités de patronage +s'occupant de procurer des vacances aux enfants +pauvres de la capitale; et des colonies semblables +fonctionnant dans cinquante-six villes de France. +Au total, en 1902, 14000 petits Français ont bénéficié +de ces institutions philanthropiques<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18"><sup>18</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote18" name="footnote18"></a><b>Note 18:</b><a href="#footnotetag18"> (retour) </a> Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces +colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse +se rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des +résultats obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés +en commun dans un même local (villas scolaires, écoles communales +vacantes pendant l'été, propriétés privées, louées, +acquises, spécialement aménagées pour abriter une collectivité à +la campagne ou à la mer). C'est la colonie d'internat.<br> + +<p>Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes +de deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables, +moyennant un prix débattu, dans les régions réputées +les plus saines. C'est le placement familial.—Les deux systèmes +présentent des avantages et des inconvénients qui sont +analysés de très près dans le travail que nous signalons.—En +ce qui concerne la santé, tous les rapports constatent la plus-value +dans toutes les régions, en montagne, en plaine, à la mer, +aussi bien dans les colonies collectives que dans les colonies +familiales.</p> + +<p>Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de +l'esprit qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire +gagner à de pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il +y a mieux à faire, on peut réaliser un bien plus durable: il faut +viser à ce qu'ils rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines +colonies, un tel soin ne se devine guère. Dans d'autres, au contraire, +c'est la pensée dominante et le rêve du directeur. Le tout +est de savoir choisir.</blockquote> + +<p>Non seulement l'homme bien portant, mais celui +qui n'est qu'un peu fatigué par le surmenage cérébral, +et par les petites émotions quotidiennes, se +trouve très bien de changer d'air, de milieu, non +seulement une fois par an, mais même chaque fois +qu'il sent, chez lui, cette sorte de malaise cérébral +prémonitoire de la neurasthénie, ou certains +troubles digestifs mal définis qui prouvent que son +système nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement +parfait. Pour lui, un déplacement de +quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il +aille, il verra son appétit renaître, sa constipation +disparaître, la santé lui revenir. Que dis-je? chez +certaines femmes nerveuses, mais au demeurant +ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de +monter en chemin de fer produit des effets appréciables, +et, le jour même du départ, on les voit +transformées. Elles laissent à la première station +leurs phobies, leurs inquiétudes; c'est un changement +à vue, un véritable coup de théâtre.</p> + +<p>Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien +portant, ou du candidat à la «maladie» dont le capital +est encore presque intact, et autre l'hygiène du +vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale, +les gens du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré +eux, par le fait d'un faux raisonnement, à croire +que ce qui fait du bien à l'homme valide doit en +faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck +saignant est certainement utile à un travailleur +bien portant; combien il doit être plus utile à +un malade affaibli! Il va certainement lui rendre +des forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; +plus il en prendra, plus vite il sera guéri!» +Le malade proteste, il affirme que la viande saignante +lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en +donne au moins autant que son estomac pourra en +digérer, ce sera toujours pour son bien! On disait +la même chose, autrefois, pour le vin; les gens +intelligents commencent à comprendre que le vin, +si utile à un travailleur bien portant, n'est pas un +aliment héroïque quand il est donné à des malades, +même sous forme de vins médicamenteux.</p> + +<p>De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice +modéré est utile aux gens bien portants; il +faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau +dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le +peu d'appétit et de sommeil qu'il avait encore; c'est +égal, il faut qu'il marche! On ne conçoit pas qu'il +doive rester à la chambre, du moment qu'il peut +se tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait +rester couché, il sent que le lit lui est utile; c'est +encore là , dit-il, qu'il souffre le moins. Mais non, +il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit constipe! +Et plus le patient est soi-disant bien soigné, +plus il a à lutter contre ces préjugés, qu'on parvient +difficilement à déraciner même dans les +milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on, +laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne +dormira pas la nuit! Malheureux, qui ne voulez +pas comprendre que l'insomnie de votre cher +malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales, +et que le sommeil est le meilleur remède à +apporter à cette excitation, et que, par conséquent, +le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne! +Quand donc aurez-vous une notion un peu +précise et raisonnée sur la pathogénie de tous ces +troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»?</p> + +<p>C'est aussi par une faute grossière de raisonnement +qu'on considère les voyages comme utiles +aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux +gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se +porte mieux, parce qu'ils permettent à l'homme +doué d'un beau capital biologique de faire de ces +petites avances dont nous avons parlé déjà , de ces +placements à gros intérêts qui augmentent sa fortune. +Accidentellement, il est vrai, il peut se faire +que le placement soit malheureux: c'est ce qui +arrive chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse +somme d'énergie, et met quelquefois quinze jours +à se refaire d'une excursion par trop fatigante. +Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les +gens bien portants, ces risques de dépenses exagérées +sont réduits à très peu de chose. Le malade, +au contraire, est un indigent. Non seulement il ne +doit pas dépenser à tort et à travers, mais il doit +parcimonieusement, et avec un soin jaloux, garder +le peu qu'il possède encore, et chercher à faire des +économies. Si son indigence est momentanée, il se +remettra assez vite à flot. Si elle est définitive, <i>a +fortiori</i> devra-t-il chercher à ne pas faire de fausses +dépenses.</p> + +<p>Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade +tout voyage est une dépense; le changement d'habitudes, +le surcroît de fatigue inévitable, à eux +seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est +un grand malade, le voyage peut même le tuer, +comme il tue ces malheureux typhoïdiques qu'on +est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se +croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur +des cacolets qui les secouent d'une façon lamentable. +Ils arrivent quelquefois morts à l'ambulance +lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours +leur état est extrêmement aggravé. Si on avait pu +les soigner sur place, ou les évacuer à très petites +journées, dût-on les tenir privés des ressources de +la thérapeutique, et se borner à leur faire deux +lotions fraîches par jour, ils auraient eu bien plus +de chances de guérir. Je l'affirme au nom d'une +expérience personnelle, faite pendant la campagne +de Tunisie. Mais, sans parler des états aigus +qui contre-indiquent absolument tout long déplacement, +ne voyons-nous pas, tous les jours, des +états chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs +trajets? Cet illustre malade qui traverse toute la +Russie pour aller au Caucase, dans le vain espoir +de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver +sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces +albuminuriques qui vont aux eaux lointaines chercher +la guérison promise, et en reviennent bien +plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les +tuberculeux avancés! ces tristes victimes des théories +régnantes et de la crainte de la contagion.</p> + +<p>Vous prenez là , dira-t-on, les cas extrêmes, et +on commence à comprendre que les grands déplacements +ne sont pas favorables aux grands malades.</p> + +<p>Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, +favorables aux malades <i>moyens</i>.</p> + +<p>Pour me faire comprendre, voyez cette jeune +femme nerveuse qui ne digère plus, qui dort mal, +qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six +mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter +le climat brumeux du Nord pour l'envoyer sur la +côte d'Azur, on va lui faire le plus grand bien; c'est +une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi +lui paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle +souhaitera, dans son for intérieur, de quitter le +délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne pas +torturer son entourage, elle souffrira en silence; +et il peut même se faire qu'à la longue son état +s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera pas l'effet +du changement de milieu. Et il peut bien se faire +aussi que son état s'aggrave assez pour que l'entourage +se rende à l'évidence, et ramène à grands +frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime +dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter.</p> + +<p>En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens +qui paraissent n'en avoir pas besoin. C'est pour +bien faire comprendre notre manière de voir que +nous exagérons, à dessein, la formule de notre +pensée.</p> + +<p>Il est bien certain qu'entre le malade grave, +qu'on ne doit pour rien au monde déplacer, et +l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, +et qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément, +il existe toute une série d'intermédiaires auxquels +les voyages peuvent rendre des services. Le changement +radical de milieu, si dangereux pour le +malade grave, peut être utile à l'individu qui n'est +que sur la frontière de la «maladie». Quitte à avoir +dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins +hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac, +un dyspeptique pourra se trouver bien de cette +nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il laisse ses +préoccupations incessantes, énervantes, de Paris. +Comme toute chose humaine, le déplacement peut +avoir du bon et du mauvais, et on ne peut formuler +de règles absolues pour les cas moyens; c'est au +médecin, s'il est consulté, à peser le pour et le +contre, et à donner les indications générales.</p> + +<p>Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner +toujours au malade. C'est:</p> + +<p>1° De ne pas voyager de nuit.</p> + +<p>2° De s'interdire les changements journaliers de +stations, sauf dans les cas où, pour une raison +quelconque, on est obligé de gagner les altitudes. +Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer +au malade des stations intermédiaires, car l'expérience +démontre que rien n'est préjudiciable à une +grande nerveuse, par exemple, comme le voyage +en une seule traite de Paris en Engadine. Elle peut +être sûre que, en arrivant à destination, il lui +faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau +milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; +pendant ces quelques jours, elle aura un malaise +extrême, et, en particulier, de l'insomnie, tandis +que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle +n'aurait pas eu à payer ce tribut à la dépression +barométrique.</p> + +<p>3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas +croire que, parce que le lever à l'aube est favorable +à l'alpiniste bien portant, il soit également favorable +aux neurasthéniques qui ont besoin de leur +sommeil matinal.</p> + +<p>4° Une prescription importante, c'est encore de +se reposer, à l'arrivée à destination, pendant deux, +quatre jours, suivant la valeur de l'individu, pour +réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce +repos sera plus ou moins complet, suivant la gravité +des cas. En principe, il vaut mieux pécher par +excès que par défaut de prudence.</p> + +<p>5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra +pas faire de sorties quotidiennes, sous le fallacieux +prétexte de s'entraîner; l'entraînement convient +aux gens bien portants, mais le mot «entraînement» +doit disparaître du vocabulaire du malade. +Certes, le rôle du médecin est d'entraîner le malade; +mais cet entraînement, que j'appellerai médical, +doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a, +pour ainsi dire, rien de commun avec l'entraînement +de l'homme bien portant et de l'homme de +sport.</p> + +<p>Le malade ne devra faire un effort que tous les +deux ou trois jours, et profiter des jours intermédiaires +pour se reposer. Ainsi il parviendra à reconquérir +des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner +en dépensant tous les jours un peu plus de son +misérable capital, il ira droit à la ruine.</p> + +<p>On comprend aisément qu'un des facteurs importants +du voyage est sa longueur. Le voyage autour +du monde ne convient à aucun malade; on peut +dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller +très loin. Le malade parisien, par exemple, se +trouvera mieux d'une villégiature à Montmorency +que d'une lointaine expatriation. On ignore trop +l'extrême susceptibilité du malade au changement +de milieu. Une simple promenade <i>extra muros</i> +impressionne le malade parisien, quelquefois en +bien, mais le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous +de personnes qui ne peuvent pas +aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une +véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, +et, les deux ou trois jours suivants, une +aggravation de tous leurs symptômes morbides?</p> + +<p>Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent +que c'est affaire d'imagination. Mais non, c'est +un fait parfaitement explicable, et le médecin, qui +connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait +se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire +chorus avec la famille et d'accabler le malade de +conseils intempestifs. Certes, dans certains cas, par +une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste +d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres +termes, de la psychothérapie réconfortante, il +pourra, pour ainsi dire, dynamiser le malade et +lui donner la force de supporter non seulement le +voyage de Versailles, mais un voyage relativement +lointain, et ce, pour le plus grand bien, car le +malade reprend alors confiance en lui-même. Mais, +avant de donner cette suggestion, le médecin doit +bien étudier son sujet, et savoir au juste ce qu'il +vaut, sous peine de lui nuire en lui demandant un +effort au-dessus de ses forces.</p> + +<p>Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus +difficile que de connaître la valeur exacte d'un système +nerveux; c'est presque impossible pour le +médecin qui voit le malade pour la première fois. +Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une +fatigue qui risquerait d'être préjudiciable; on se +repent rarement d'avoir été trop prudent. Un élément +d'appréciation qui est d'un grand secours pour +le médecin, en pareille occurrence, c'est le désir du +malade lui-même.</p> + +<p>S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y +a gros à parier qu'il l'est en réalité. Le malade +a toujours, en effet, une vague conscience de sa +valeur, et il faut tenir compte de son appréciation. +Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de +changer de milieu, c'est qu'il sent vaguement qu'il +a des réserves de force nerveuse ayant besoin d'être +utilisées; il a un sourd instinct qui, en général, le +guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du +médecin est singulièrement restreint; il consiste à +s'enquérir plus ou moins discrètement des désirs +du malade, et à les transformer habilement en +prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait +encore de la psychothérapie; mais nous ne concevons +pas les choses de cette façon. Quelquefois, il +arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est +dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés +ataviques, dos théories plus ou moins scientifiques; +et le rôle du médecin est, en ce cas, de remettre +tout au point, de démontrer à son malade que +son instinct, dans telle ou telle circonstance, le +guide de travers; que, bien qu'il n'en ait pas envie, +il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors +le beau titre de directeur de la santé.</p> + +<p><i>La mer</i>.—Les voyages à la mer auraient dû, +en bonne logique, être étudiés à la suite des cures +thermales, parce que, en somme, le bain de mer +est un agent thérapeutique comparable aux bains +d'eau salée qu'on va prendre à Rheinfelden, Salies, +Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais nous les +plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages, +parce que, dans la pratique, le bain de mer est +plutôt considéré comme voyage d'agrément que +comme traitement médical. Cela est si vrai que le +médecin est rarement consulté sur l'opportunité +du traitement marin, sur le choix de la plage: et +c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le traitement +n'est pas surveillé comme il l'est dans les +stations d'eau salée, et c'est également regrettable; +car la médication par l'eau de mer est active, et +son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il +s'agit de malades impressionnables, auxquels la +moindre intervention fait du bien ou du mal.</p> + +<p>Les principaux conseils que nous ayons à donner +aux malades livrés à eux-mêmes, à la mer, sont les +suivants:</p> + +<p>1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se +reposer des fatigues du voyage, comme nous avons +dit qu'il fallait toujours le faire;</p> + +<p>2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même, +une action appréciable, et qu'il n'est pas toujours +utile de prendre des bains; qu'on peut, dans certains +cas, se contenter de stationner pendant plusieurs +heures par jour au bord de la mer;</p> + +<p>3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la +mer constitue un véritable traitement minéral. Il +faut donc au moins un mois pour obtenir des effets +sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable +d'aller à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à +la fatigue du voyage et de l'acclimatation sans aucun +profit. <i>A fortiori</i>, ne doit-on pas prendre un bain +de mer accidentel, comme le font les maris qui, +par train spécial, arrivent toutes les semaines aux +plages voisines de Paris, et se croient obligés de +prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils ont +contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions +plutôt fâcheuses, l'influence du changement +brusque de milieu, les trop douces émotions du +revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur +soutirer une réserve d'influx nerveux. Le tout se +solde, parfois, par un état subaigu, au retour, qui +reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se +joignent souvent des douleurs rhumatismales.</p> + +<p>Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude +rapide, les indications et contre-indications des +bains de mer. Le principe général est qu'il ne faut +pas en donner aux malades à capital restreint, et +que, en réalité, ils conviennent surtout aux gens +bien portants. Plus le capital est entamé, plus aussi +il faudra de prudence dans l'administration du +bain, au point de vue de sa fréquence et de sa +durée. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faut, en +général, le prendre très court, cinq minutes en +moyenne.</p> + +<p>Enfin, il faut tenir compte des effets produits par +les deux ou trois premiers bains. S'ils amènent de +l'insomnie, c'est qu'ils sont trop prolongés, ou trop +fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut +pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les +premiers font du mal, les suivants feront du bien. +D'une façon générale, d'ailleurs, l'organisme ne +s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les médications, +quelles qu'elles soient, ne doivent jamais +faire de mal, même momentanément. Mais c'est là un +point de doctrine dont la démonstration nous entraînerait +trop loin, et en dehors de notre plan.</p> + +<br><br><br> +<h3>TROISIÈME PARTIE</h3> +<br><br> + + + + + +<h4>CHAPITRE I</h4> + +<h4>LA PÉRIODE DE DÉCLIN</h4> + + +<p>Nous avons à dessein placé dans l'étude de +l'homme adulte la plus grosse part de nos considérations +thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est +l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de +vue médical comme au point de vue social, et que +c'est pendant cette période de la vie que le médecin +peut faire le plus de bien au malade.</p> + +<p>Au contraire, à partir du moment où l'être +humain est arrivé au sommet de sa courbe évolutive, +et, par conséquent, où il va décliner, l'importance +des agents thérapeutiques se limite de plus +en plus, jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive +à la fin de sa carrière.</p> + +<p>Dans les phases de la vie qui nous restent à +étudier, la thérapeutique doit viser, avant tout, à +éviter les dépenses de capital: mais son rôle pratique +n'en reste pas moins très appréciable; et l'on +ne sait pas assez combien une bonne direction +médicale pourrait prolonger l'existence de l'homme +arrivé à la période de déclin, voire même à une +étape avancée de cette période.</p> + +<p>Théoriquement, la période de déclin peut commencer +le jour de la naissance. C'est ce qu'on +observe chez les enfants qui n'ont pas la force de +vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A +l'extrême opposé, on voit des individus qui ne +commencent à décliner qu'à un âge très avancé, ou +encore dont la vie est brutalement interrompue, à +un âge relativement avancé, par un accident, avant +que ne soit survenu le commencement de la période +de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse +santé sont venus au monde avec un excellent capital +initial, que leurs parents ont su améliorer pendant +la première enfance, et qu'ils ont ensuite amélioré +eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive, +ou en ne risquant qu'à bon escient une certaine +partie du capital, pour lui faire rapporter davantage.</p> + +<p>Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes +ont, comme nous l'avons dit, peu de +prise. Ces privilégiés sont semblables à l'homme +qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire +fructifier, en rapporte dix autres, et reçoit encore, +en surplus, une récompense. Chez ces individus, +le déclin n'arrive que très tardivement, et ils peuvent +atteindre soixante ans tout en restant jeunes +de coeur, de corps, et d'esprit.</p> + +<p>Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires +sont possibles; et nombreux sont les hommes qui +commencent à décliner à trente ans, qui sont des +vieillards à quarante ans. La plupart, cependant, +commencent à décliner vers cinquante ans, et se +maintiennent tant bien que mal pendant quelques +années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de soixante +ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent +une pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie» +accidentelle les détériore pour plusieurs mois, et +l'on est tout étonné de la lenteur de leur convalescence. +C'est à partir de ce moment que les tares +organiques, latentes jusque-là , se révèlent, que +l'homme qui avait une endocardite avec laquelle il +vivait en bonne intelligence, et dont parfois même +il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son +coeur devenir au-dessous de sa tâche. A la suite +d'un coup de froid insignifiant, d'une indigestion, +d'un excès alimentaire, d'une émotion violente, +d'une grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie, +des palpitations, des intermittences du +pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes +choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le +débarrasser cette première fois, parce qu'il n'est +pas encore complètement usé. Mais, six mois +après, sous l'influence d'une cause semblable, il a +une nouvelle atteinte, un peu plus de dyspnée, un +peu de congestion de la base gauche du poumon, +ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure +des jambes; et, cette fois, le repos au lit, la +diète lactée, ne suffisent pas à le remettre en état.</p> + +<p>La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes +par jour en infusion dans 200 grammes +d'eau, que le malade prendra de deux heures en +deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire +crise urinaire. Grâce à ce précieux médicament +ainsi administré, il fera encore les frais de +cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes +influences insignifiantes amèneront l'affolement du +coeur avec albuminurie, et alors la déchéance pourra +être irrémédiable.</p> + +<p>Il est certain que si, dans l'intervalle de ces +assauts, notre homme s'était écouté vivre, s'il n'avait +rien laissé au hasard, si une sage direction +médicale avait dosé son alimentation, son travail, +son sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si, +pour conserver sa vie, il avait, en quelque sorte, +cessé de vivre, il aurait survécu plus longtemps et +n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il +faut bien se rappeler, c'est que, dès sa première +atteinte, ses jours étaient comptés. Cette première +atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son système +nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque +la force voulue pour faire son office de +pompe aspirante et foulante; le déclin, qui avait +peut-être commencé quelques années avant, s'était +traduit dès le jour de ce premier accroc.</p> + +<p>Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes +revêtent parfois une gravité qui fait croire, +à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche sérieuse +ou irrémédiable dans le capital vital du malade, +alors qu'il n'est touché que superficiellement. C'est +au médecin qu'il appartient de faire un bon diagnostic, +d'où découlent et le pronostic et le traitement. +Certes, le problème est souvent difficile à résoudre, +et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute +sa finesse d'observation, de toute son expérience, +de toute sa pénétration. C'est dans ces cas que la +médecine est véritablement un art, et le médecin +un artiste, appelé à utiliser de son mieux les données +scientifiques que ses études antérieures lui +ont fournies.</p> + +<p>Il aura naturellement, pour l'aider dans cette +tâche, l'examen physique du malade, et, en particulier, +l'exploration abdominale, le ventre étant, de +tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement +explorer, par la vue, le palper, la percussion; il +aura, pour l'aider, l'analyse des urines, trop souvent +négligée. Il sera également secondé par +l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller +l'hérédité, l'évolution antérieure de la vie, chez le +sujet qu'il examine. Celui-ci a-t-il eu de grands +assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce +cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé +prouve qu'il a une grande élasticité, un capital +sérieux, et qu'il est possible que, dans la crise +actuelle, il rebondisse encore une fois.—Au +contraire n'a-t-il jamais eu d'assaut important? +le problème devient alors plus difficile, car le +médecin manque d'une base pour apprécier la +valeur réelle du capital. Aussi fera-t-il bien de rester +dans une prudente réserve, et si, dans le cas précédent, +il a été en droit de rassurer la famille malgré +la gravité apparente de l'état du malade, dans le +second cas, au contraire, il ne doit dire qu'une +chose: «Je ne sais pas.»</p> + +<p>Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes +à santé insolente, n'ayant jamais eu besoin de +soins, que je vois brusquement atteints par une +«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier. +Me trouvant sur un terrain inconnu, je me demande, +tout d'abord, si leur capital était aussi bon qu'il le +paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la +faillite, la débâcle.</p> + +<p>Ce sont là , je le répète, des problèmes cliniques +extrêmement difficiles à résoudre; mais ils ont un +grand intérêt au point de vue du pronostic à porter, +et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat: +car si le médecin soupçonne, chez son malade, +une altération profonde que ne traduit pas l'ensemble +symptomatique, il doit redoubler de précautions, +sa surveillance doit être incessante, son zèle +doit prévoir les moindres incidents, ne rien laisser +au hasard. Il a alors à lutter non seulement contre +la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent +indocile, et contre les familles, qui trouvent qu'on +en fait trop, qu'on prend trop de soins, que le +malade devrait se lever pour regagner des forces, +sortir pour se distraire, reprendre une partie de +ses occupations pour ne pas nuire à sa carrière; +estimant, <i>in petto</i>, que le médecin userait de discrétion +en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi +qu'il arrive, ce sont de mauvais cas pour le médecin. +Il est accusé, si le malade guérit, d'avoir +retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne +l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si +bien portant! et qui succombe à la suite d'une grippe, +presque sans fièvre! Sûrement, c'est le médecin +qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la +conscience du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut +aussi se dire que, dans d'autres cas, on a attribué +exclusivement à ses bons soins ce qui était +dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a +donc compensation.</p> + +<p>En somme, le médecin qui se trouve en face d'un +malade quelconque est appelé à résoudre le problème +suivant: Étant donnés la valeur antérieure +du malade A, et le déchet que lui fait perdre la +«maladie» B, quelle est la valeur du capital restant +A—B? Le simple bon sens indique que cette équation +ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque +nous ne connaissons au juste ni A ni B. Aussi le +médecin ne doit-il jamais quitter le terrain, relativement +solide, que lui fournit la science, pour se +perdre dans les abstractions. Il doit seulement se +rappeler la parole d'Hippocrate: <i>Judicium difficile</i>, +et faire de son mieux pour approcher le plus +possible de la solution du problème, qui, sans être +d'ordre mathématique, a cependant une solution.</p> + +<p>«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.» +[V. HUGO]</p> + +<p>Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant +d'affirmer que l'homme a atteint l'apogée de son +évolution, et est sur la pente du déclin? Eh! non, +tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins +fort, moins actif, que pendant la période de croissance, +il supporte moins les petits écarts de régime, +les fatigues, il est plus vulnérable, en un mot, +mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est +en période de déclin. S'il veut éviter la «maladie», il +le peut, dans une, certaine mesure, en s'écoutant +vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en +ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses +exagérées, ou, s'il est obligé d'en faire par hasard, +en les compensant aussitôt par une exagération +momentanée de prudence. Bref, la période de déclin +est la période des précautions. L'homme en déclin +devrait se rappeler qu'il faut «être de sa santé» +comme il faut «être de sa condition», comme il +faut être «de son temps». En usant de ces précautions, +il peut prolonger très longtemps la durée +de sa phase évolutive, et atteindre ainsi sans +transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également +bien surveillée, le conduire, sans transition +brusque, à la mort.</p> + +<p>Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances +de la vie sont telles que, fatalement, il +rencontre sur son chemin des influences qui font +baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces +influences inévitables? Ce sont toutes celles que +nous avons déjà étudiées dans l'enfance, dans +l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs d'alimentation, +causes morales surtout, etc.</p> + +<p>Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui +soient plus spéciales à la période de la vie que nous +étudions, la période comprise entre cinquante et +soixante-cinq ans?</p> + +<p>Chez la femme, tout le monde admet que la +ménopause produit des perturbations considérables; +la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler «âge +critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause +ramène souvent des troubles de santé qui +avaient disparu depuis longtemps, et amène quelquefois +des troubles nouveaux, tels que ces sueurs +profuses dont se plaignent amèrement les malades. +Nous avons en vain essayé contre elles l'emploi de +l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que c'est +un moyen non seulement inutile, mais dangereux, +et que le mieux est de savoir attendre, en mettant +la malade à un régime restreint.</p> + +<p>Dans les deux sexes, les émotions morales jouent +encore, à cet âge, un rôle considérable. C'est une +fille mal mariée, un fils qui fait le chagrin de sa +famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la +perte des amis de la première heure, l'âge des +désillusions, l'automne de la vie, en un mot. Dans +tous les cas, les pratiques de la psychothérapie sont +d'un incontestable utilité: seules, elles ne suffisent +pas à guérir un homme rendu malade par des influences +morales; mais, associées aux autres agents +thérapeutiques, elles sont toujours d'une grande +utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus +fait en réconciliant avec son fils un père que le +chagrin avait terrassé, en lui démontrant la nécessité +et la légitimité du pardon, qu'en le traitant, +comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes +les ressources de la pharmacopée et des agents +physiques.—Le fonctionnaire qui prend sa retraite, +et se voit brusquement condamné à une oisiveté +forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain +cherche-t-il, dans la société des hommes de son +âge, un remède à son désoeuvrement; et quant à +espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille +un réconfort quelconque, il n'y doit pas songer. Les +plus jeunes ont leurs affaires, et les affaires sont +les affaires; c'est tout au plus si la fille vient faire +ses couches à la maison.</p> + +<p>Bref, une série de chagrins multiples, auxquels +on est encore sensible, sont l'apanage ordinaire de +cette période de la vie. C'est à cet âge, aussi, que +se soldent,—car tout se paie,—les erreurs du +passé, les fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les +traites imprévues, et, quand le capitaliste veut +mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit trop +tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas +contenté de ses revenus et qu'il a écorné son capital. +Mais, dira-t-on, pouvait-il s'apercevoir de la +mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel +problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse +antique. C'était à lui de voir que, de temps à +autre, il avait de ces petites défaillances de santé +qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes +banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements +(l'avertissement sans frais du percepteur). +Il aurait dû, en homme bien avisé, rester +toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner.</p> + +<p>Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, +sinon de le réparer complètement, au moins de +l'atténuer dans une notable mesure, en se surveillant +de près, et en ne laissant rien au hasard de ce +qu'on peut lui enlever par prudence et par calcul.</p> + +<p>Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent +pas qu'elles dépensent plus qu'elles ne +devraient le faire; elles n'ont pas la bonne fortune +de recevoir les petits avertissements que nous +venons de signaler. Leur débordante santé fait +l'envie de tout le monde; mais ces privilégiés sont +souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il +fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, +brusquement, avec une affection accidentelle.</p> + +<p>Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se +laisse entraîner par un renouveau de passion +sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour +sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer +ses talents. Il faut aussi compter avec les aberrations +de l'instinct sexuel, assez fréquentes à cet +âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde +pas à s'installer, sous une forme qui rappelle, par +sa brutalité d'apparition et la gravité des symptômes, +l'hystéro-neurasthénie traumatique.</p> + +<p>En effet, du jour au lendemain, cet homme, +vaillant jusqu'alors, subit un véritable effondrement. +Non seulement il perd tout d'un coup l'aptitude +sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un +grand chagrin, mais il perd, en même temps, l'appétit, +le sommeil, les forces. La constipation entre +en scène; des douleurs névralgiques variées,—ou, +pour mieux dire, des <i>algies</i>, car la douleur ne +suit pas le trajet des nerfs, le torturent nuit et jour. +Il a une sensibilité excessive de l'ouïe, un éréthisme +de tout le système nerveux, qui devient +comme une lyre à cordes trop tendues que fait +vibrer douloureusement le moindre souffle. Cet +état peut n'être que passager, si le malade a le bon +esprit de s'en avouer à lui-même la cause déterminante +et de la supprimer. Mais cela même ne +suffit pas toujours: <i>Sublata causa, non tollitur effectus.</i> +Le branle est donné à la cellule nerveuse, le +système nerveux, longtemps patient, s'est tout à +coup révolté, et il faut des mois et des années de +soins méthodiques pour lui rendre son équilibre. +C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le +médecin devra surveiller non seulement l'hygiène +sexuelle, dont il n'est plus question, mais l'hygiène +alimentaire, donner les repas fréquents que nécessite +un estomac toujours sur le point d'entrer soit +en état paralytique ou en état spasmodique; une +alimentation non excitante (pâtes, purées), sans +vin, et sans les toniques qui passent, à tort, pour +réveiller les forces. Le repos physique est également +indiqué.</p> + +<p>C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, +bien compris, bien dirigé, peut être utile à divers +titres. D'abord, il éloigne la victime de la cause +initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier +souvent les soins affectueux et tendres d'une +femme momentanément négligée.</p> + +<p>La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans +le traitement de ces malades qui, d'un jour à l'autre, +sont devenus craintifs, scrupuleux à l'excès, ayant +peur de mourir, tenaillés par des remords d'une +intensité morbide. Le médecin animé d'un esprit +large et charitable peut leur être d'un grand +secours, en mettant toutes choses au point, et en +rassérénant leur conscience dans la mesure qui +convient.</p> + +<p>Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez +l'homme, n'a rien d'exagéré. Nous avons observé +plusieurs cas semblables, où des hommes bien +portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts +intempestifs.</p> + +<p>Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent +chez des hommes qui, auparavant, n'étaient +pas débauchés, offraient même le modèle d'une +vie exemplaire; maintenus par des principes +sévères, ils avaient été fidèles à la foi conjugale, et, +alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient restés +fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour, +une occasion se présente et les surprend; c'est +une Sapho quelconque rencontrée en chemin de +fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation, +il succombe, et, une première chute en +entraînant de nombreuses à sa suite, il devient +enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop +engager l'homme mûr, trop confiant en lui-même, +à veiller toujours, car le péril est insidieux et les +risques sont grands.</p> + +<p>C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent +les troubles prostatiques et urinaires, résultats +tardifs de blennorragies mal soignées et considérées +comme une bagatelle par le jeune homme, +plutôt fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est +vers cinquante-cinq ans que le rétrécissement du +canal provoque des misères variées, que nous n'avons +pas à décrire ici, mais qui finissent par amener +la mort prématurée si le chirurgien n'intervient pas.</p> + +<p>Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement +chez les hommes qui ont dépassé soixante-cinq ans: +ceux qui avaient des rétrécissements sont morts +avant cet âge.</p> + +<p>C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la +prostate entre en scène. Certes, les affections de la +prostate ne sont pas toujours d'origine blennorragique; +mais elles sont, plus qu'on ne le croit, +dues à des erreurs dans l'hygiène sexuelle.</p> + +<p>Quant aux autres affections capables de faire +brusquement baisser le capital, elles ne donnent +lieu à aucune considération particulière. Nous +devons pourtant nous arrêter encore, en passant, +sur trois manifestations morbides spécialement +fréquentes à l'âge en question: le diabète, l'albuminurie, +et l'obésité.</p> + +<p><i>Diabète</i>.—L'apparition du diabète est, certes, +chose fâcheuse; mais le plus grand malheur qui +puisse arriver à un diabétique impressionnable, +c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans +ménagements, la fâcheuse nouvelle. A partir de ce +moment commence, pour le malade, une incessante +préoccupation morale, aggravée encore par un +régime alimentaire qui lui cause plus de dommages +que le diabète lui-même. Il est vrai de dire que, +depuis quelques années, les médecins se sont un +peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les +rendait redoutables aux diabétiques. On veut bien +admettre, désormais, que le régime des diabétiques +comporte certains tempéraments, et que les pommes +de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent +être allouées, voire même en abondance.</p> + +<p>Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation +d'un diabétique, traité d'après les principes +classiques, est encore loin d'être réjouissante. Elle +sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin +qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés +par le même régime, ou plutôt qu'il n'y a pas de +régime du diabète, le diabète n'étant qu'un symptôme +qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui.</p> + +<p>Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, +aux autres la diète lactée absolue pendant quelques +jours, et le régime des potages au lait ensuite. +Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons +du régime peuvent être indiquées. Le médecin +doit imposer le repos au lit absolu au diabétique qui +maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans +les autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce +que le diabétique a toujours des combustions +exagérées, comme le professeur A. Robin l'a très +élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi +de l'état mental du malade, et à ne pas négliger la +psychothérapie. Le diabète peut être provoqué, +expérimentalement, en touchant un point précis du +quatrième ventricule du cerveau; et les diabétiques +vraiment graves sont ceux qui le deviennent à la +suite d'une chute sur la tête: ces deux faits prouvent +assez l'importance des troubles du système +nerveux dans la pathogénie du diabète, et la nécessité +de faire une grosse part aux soins moraux +dans le traitement du diabétique.</p> + +<p><i>Albuminurie</i>.—L'albuminurie donne lieu à +des considérations de même ordre.</p> + +<p>Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant +un état de détérioration générale de l'organisme; +c'est, le plus souvent, un symptôme grave, +mais quelquefois aussi un phénomène sans grande +importance.</p> + +<p>Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence, +intermittente, venant après la moindre +fatigue. On sait encore que le seul fait de se lever +du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit +pour provoquer l'apparition de l'albumine, qui +n'existait pas dans l'urine émise pendant que le +sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle l'albuminurie +<i>orthostatique</i> ou <i>physiologique</i>,—terme +détestable, parce qu'il n'y a pas d'albuminurie +physiologique, pas plus que de glycosurique physiologique. +Cette albuminurie de peu d'importance +survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en +bon état de santé, et indique, par conséquent, qu'ils +doivent être tenus à vue, et soignés suivant les +principes généraux que nous avons déjà énoncés.</p> + +<p>Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine +dans l'urine est toujours d'un pronostic plus sérieux. +Parfois cependant, là encore, l'albuminurie n'est +que transitoire, et coïncide avec une décharge +d'acide urique par les reins. Si l'on ne soumet pas +le malade ainsi touché au régime lacté absolu, qui +achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si +on lui donne à prendre un peu de benzoate de soude, +l'orage passe vite sans laisser de traces.</p> + +<p>D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire, +est intermittente, même chez l'adulte. Nous +connaissons un malade qui, depuis quatre ans que +nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il +monte à cheval. Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres +à pied sans avoir d'albumine; mais une seule promenade +à cheval fait réapparaître l'albumine et, +malgré la dose considérable révélée par l'analyse +après l'exercice du cheval, il est, au demeurant, +bien portant en apparence, et a une vie des plus +actives.—Je connais aussi un médecin qui a, +depuis des années, de l'albumine en permanence; +après s'en être beaucoup inquiété, et avoir suivi +divers traitements et divers régimes, il a fini par ne +plus faire que de l'hygiène générale, manger raisonnablement, +éviter le surmenage; et il est, en +somme, en aussi bon état que possible.</p> + +<p>J'ai cité, dans une étude sur le <i>Cacodylate de +Soude</i> que j'ai publiée en 1901, l'histoire d'une jeune +malade ayant, depuis 1898, à la suite d'un coup +de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai +donné des doses considérables de cacodylate, en +injections, pendant un mois. J'ai eu, à ce moment, +le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au +remède la survie de la malade. Or, elle s'est +mariée en 1900: depuis, elle a cessé toute médication, +pour se borner à prendre de la viande crue +et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, +3 à 4 grammes d'albumine par jour, et va très bien.</p> + +<p>On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la +valeur pronostique de l'albuminurie. Mais il n'en +est pas moins vrai que, le plus souvent, la présence +de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que +nous étudions, est un symptôme qui doit inspirer au +médecin des craintes sérieuses, surtout quand, en +même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette +combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de +mort à brève échéance.</p> + +<p>Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique +sera encore aggravée si le médecin s'obstine +à lui imposer le régime dit des albuminuriques. Il +n'y a pas de régime des albuminuriques: il y +a le régime qui convient à tel ou tel albuminurique. +Parfois le régime lacté fait merveille, mais +c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger +plus de quinze jours. D'autres fois, c'est le régime +des pâtes, plus souvent encore le régime lacto-végétarien, +qui, combiné au repos, aide le malade à +sortir du mauvais pas, au moins momentanément.</p> + +<p><i>Obésité</i>.—Au même titre que le diabète et l'albuminurie, +l'obésité appartient en propre à la +période de déclin. Mais, direz-vous, il est des +enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est +qu'ils ont commencé jeunes leur période de déclin. +Mais, d'habitude, c'est aux environs de la ménopause +que l'obésité devient, pour les femmes, une +torture de tous les jours. Nous n'avons pas à en +indiquer les inconvénients; rappelons seulement +que l'obésité tend toujours à augmenter, parce +qu'elle interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit +immédiatement un cercle vicieux. Dans les cas +d'obésité où l'exercice serait utile, l'obèse qui est +condamné à en prendre de moins en moins, devient +de plus en plus obèse.</p> + +<p>Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours +utile aux obèses. L'obésité, étant un symptôme +de la «maladie», est quelquefois entretenue +par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de +vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté +des médecins de diverses nationalités, avait fini +par suivre les conseils d'un empirique, qui n'avait +rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que de +mettre sa mère en relations avec un commandant +de chasseurs à pied, de façon que ces deux dames +pussent suivre tous les exercices du bataillon. Au +bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la +jeune fille grossissait toujours. Sous l'influence de +l'exercice, elle mangeait davantage et buvait en +conséquence. Mais vint un jour où l'estomac, +fatigué par la suralimentation, se mit à protester; +c'est alors que je prescrivis le régime ultra-restreint, +pendant quelques jours, pour remettre l'estomac +en état, le repos presque absolu pendant cette +période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement +de l'estomac et de l'intestin, avec un exercice +modéré; et voici que, sous l'influence de ce +traitement, la malade vit diminuer son obésité, et +disparaître, successivement, d'autres troubles variés +qui, comme l'obésité, étaient symptomatiques!</p> + +<p>Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime +applicable à tel ou tel malade atteint d'obésité. Le +plus souvent, le régime restreint est indiqué; d'autres +fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est dangereux +comme de le faire maigrir par insuffisance +alimentaire. Il ne faut pas, non plus, le faire maigrir +par l'emploi de la thyroïdine. Je dois dire, +cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents +obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de +vingt ans qui, en six mois, a vu son poids baisser +de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en soit résulté le +moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine +avait été maniée par le Dr Polin avec une prudence +extrême (2 milligrammes par jour, et pendant six +mois consécutifs).</p> + +<p>En général, il faut se méfier de ce médicament, +qui demande une surveillance médicale sinon quotidienne, +du moins hebdomadaire; il faut enfin se +rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer +l'obésité au point d'en supprimer les inconvénients, +et aussi qu'il est toujours dangereux de faire trop +maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop vite. +Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe, +il est vrai; mais c'est le commencement de l'effondrement. +Son système nerveux tombe aussi. En y +mettant le temps, au contraire, c'est-à -dire en ne +brusquant pas la manière d'être du sujet, on peut +toujours arriver à des résultats excellents.</p> + +<p>J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans, +à une dame de soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. +Elle est arrivée en dix-huit mois, à +baisser, avec une progression continue, à 77 kilogrammes... +Depuis, elle garde son poids et sa +santé; son déclin s'opère avec une lenteur telle +qu'il est à peine perceptible. Inutile de dire que +l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique.</p> + +<h3>CHAPITRE II</h3> + + +<h3>LA VIEILLESSE</h3> + +<p>Quelle que soit l'économie qui ait présidé à +l'usage du capital biologique, il n'est pas possible +que quelques mauvais placements n'aient été faits, +dans le courant de l'existence; que des chocs accidentels, +et indépendants de la volonté, n'aient, à +diverses reprises, ébréché le capital. L'homme qui +se condamnerait à vivre à seule fin de prolonger +ses jours vivrait certainement très longtemps, +mais la sentence d'Horace lui serait applicable: +«Pour vivre, il aurait perdu les raisons de vivre.» +<i>Et propter vitam vivendi perdere causas</i>.</p> + +<p>D'autre part, le capital diminue par le fait même +de la vie, comme la vitesse initiale d'un projectile +diminue progressivement par le fait de la résistance +de l'air. Enfin il vient un moment où le capital, +après avoir produit des intérêts considérables, +ne donne plus que des intérêts de moins en moins +élevés. Ce moment coïncide exactement avec la +période de déclin, de sorte que, à partir de ce jour, +quoi qu'il fasse et sans qu'il s'en doute, l'être vivant +s'appauvrit fatalement et progressivement. Il en +arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit rentier; +et c'est alors la vieillesse.</p> + +<p>Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge; +témoin ces enfants qui ont l'aspect de petits vieillards, +comme on dit dans le langage courant; ces +hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, +des loques humaines. Mais, le plus souvent, +la vieillesse survient à un âge plus tardif, que, pour +le besoins de la cause, nous fixerons, par exemple, +à soixante-cinq ans.</p> + +<p>A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner, +comme le lui conseillaient les trois jeunes +gens du fabuliste, «à songer à ses erreurs passées» +Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de +vastes pensées», à condition que ce ne soit pas +pour lui, mais pour ses arrière-neveux. Il peut, +en d'autres termes, jouir de son expérience et s'efforcer +d'en faire profiter les autres; mais en se +rappelant qu'il a atteint l'âge du repos, des ménagements +et des précautions. Et de même que, dans +la première période de la vie, il appartient aux +parents de ménager pieusement et de faire sagement +fructifier le capital de l'enfant; de même, à cette +dernière période, il est du devoir des enfants de +veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont +la charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse, +tout chagrin, tout souci, tout écart de régime, et +de le préserver contre toute intervention thérapeutique +brutale.</p> + +<p>Quelles sont les influences qui compromettent +d'une façon spéciale le vieillard vivotant?</p> + +<p>Les influences psychiques sont beaucoup moins +importantes que dans l'âge adulte. Quelques vieillards, +il est vrai, gardent leur sensibilité et leur jeunesse +de sentiments. L'expérience de la vie ayant +tempéré la fougue de leurs jeunes années, leur +ayant appris l'indulgence et la miséricorde, ils +deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi +agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la +sensibilité s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve +le vieillard de toute émotion nuisible. +Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce +de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné, +mais l'émotion qu'il éprouve est surtout +égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui donne de +voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, +et n'est pas comparable au chagrin poignant +de l'homme adulte perdant un être aimé. Donc, de +ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système +musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple +bon sens fait que le vieillard n'abuse pas, en général, +de son restant de forces musculaires: exception +faite cependant pour les cas où des parents ou des +amis mal avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard +à se déplacer sans relâche, pour passer l'hiver +dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps ailleurs. +Combien ne serait-il pas plus sage, en général, +de le laisser tranquillement chez lui, dût-il ne +pas quitter sa chambre? J'ai longtemps donné +des soins à une vieille dame que ses enfants +emmenaient en villégiature, toujours malgré elle, +dans le centre de la France, et ramenaient à Paris +en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un +mois de soins assidus et de précautions pour effacer +les traces de fatigue occasionnée par le déplacement.</p> + +<p>La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le +séjour hivernal dans le Midi peut être recommandable, +mais que, d'une façon générale, il faudrait +se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant +«qu'on ne doit pas transplanter un vieux +chêne», et qu'on devrait regarder à deux fois avant +de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard, +soit un lointain changement de pays, soit même un +changement d'appartement. Il faut, en général, +tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir, +qui est dicté par un vague instinct de conservation +et qui trompe rarement.</p> + +<p>Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien +entendu des affections accidentelles, ce sont les +écarts dans l'alimentation. Une indigestion qui, +chez un homme jeune, se serait traduite par un +léger état gastrique, amène chez le vieillard un +effondrement colossal; et, pour peu que la thérapeutique +intervienne d'une façon inopportune sous +la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la +situation peut s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut +alors des semaines pour remettre en état le système +nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de +s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme +vacillante; irez-vous l'alimenter par un soufflet de +forge, et charger le foyer de grosses bûches de bois? +Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies +précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est +seulement ensuite que vous mettrez des fragments +un peu plus volumineux, pour arriver enfin à la +bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même +chez le vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes +gastriques, prudence extrême dans l'alimentation, +fréquence de l'alimentation, et repos +absolu: c'est la base du traitement.</p> + +<p>Mais combien, pour faire observer ces prescriptions +si simples, ne faut-il pas au médecin d'énergie +et de foi? Qu'on veuille donc bien se rappeler que +le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation +restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui +lui sera profitable, mais bien ce qu'il assimilera, et +que, chez lui, la puissance d'assimilation est extrêmement +minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit, +il proteste, plus ou moins énergiquement, contre +les menus qu'un zèle mal éclairé s'ingénie à lui +proposer.</p> + +<p>En dehors de ces états gastriques passagers, le +régime du vieillard doit être, en général, peu +substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le soir, +s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il +éprouve le besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, +plutôt que beaucoup à la fois. Mais on ne +saurait croire combien certains vieillards ont peu +besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente +une vieille dame qui avait trop mangé pendant +toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une dyspepsie +permanente accompagnée de misères variées, en +tête desquelles venait la constipation. De là obsession +de tous les instants; tant qu'on ne l'eût pas +mise exactement au régime convenable, elle fut +torturée par ce symptôme, restant huit ou quinze +jours sans parvenir à aller à la garde-robe, malgré +les lavements, les suppositoires, le massage abdominal, +etc. On avait dû même, plusieurs fois, +recourir au curetage. Or je me dis, un jour, que le +régime relativement restreint que je lui avais +imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore +assez restreint. Comme elle n'avait jamais d'appétit, +et qu'elle ne mangeait que pour faire plaisir +à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention, +qui fut de restreindre, sous ma surveillance, +son alimentation progressivement, et dans +la mesure extrême du possible. Après un mois de +tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions +arrivés à la formule suivante, que je transcris +d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse à +thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de +semoule au lait, ou de panade, ou de farine de Hongrie, +ou de crème de riz, ou de crème d'orge aux +mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, +un quart d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures, +comme à midi; dans la nuit, une tasse à café de +lait.»</p> + +<p>Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage +absolument ridicule, finit par être accepté quand +on vit la malade reprendre, progressivement, du +sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et surtout +quand on vit disparaître sa constipation. Ses +fonctions s'exécutaient, en effet, très régulièrement +tous les deux ou trois jours, spontanément. Le +régime fut continué jusqu'à sa mort, qui survint +trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à +l'âge de quatre-vingt-quatre ans.</p> + +<p>Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, +mais ils seraient tous calqués sur ce modèle.</p> + +<p>Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé +un gros appétit: il faut savoir le respecter, tout en +essayant de le modérer un peu, du moment que la +santé reste bonne.</p> + +<p>Pour en finir avec la question de régime, disons +qu'un peu de vin généreux, étendu d'eau, est, en +général, une boisson excellente pour le vieillard, +bien portant ou malade; et que le lait, par contre, +lui est le plus souvent préjudiciable, sauf dans les +états aigus ou subaigus prolongés.</p> + +<p>Quant aux affections accidentelles qui surviennent +chez le vieillard, et qui compromettent son +reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font, +néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante +de toutes est la pneumonie. C'est, très souvent, +une pneumonie d'origine grippale: aussi ne +saurait-on trop soigner la grippe dès son début, +chez le vieillard plus encore que chez l'adulte. La +pneumonie est insidieuse chez le vieillard. Elle ne +se traduit que par un malaise général, avec très +peu de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne +toujours de fièvre. Si donc les familles +savaient se servir du thermomètre, on aurait des +chances de porter secours aux malades en temps +utile; et alors une injection de cacodylate de +gaïacol, quelques cachets de quinine, une certaine +dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient, +dans bon nombre de cas, à le sauver; +tandis qu'en général, quand on appelle le médecin, +il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que +le diagnostic, et prévenir la famille de la gravité +de la situation.</p> + +<p>Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent +compromettre la survie du vieillard. Ordinairement, +il échappe à la première atteinte, mais +il en sort tellement amoindri, physiquement et +intellectuellement, qu'on peut dire qu'il a cessé de +vivre avant de mourir. Grâce aux soins dont il est +entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même +pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à +ce qu'il se décide à mourir après une deuxième +ou troisième attaque.</p> + +<p>Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées +ne s'observe, le petit rentier qu'est le +vieillard continue à vivoter plus ou moins longtemps, +jusqu'au jour où, tout son capital et tous +ses revenus étant épuisés, il cesse de vivre, tout +simplement parce qu'il n'a plus la force de vivre. +Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur +qui a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon, +très profondément philosophique, l'expression courante +de «défunt», la traduction littérale du mot +latin <i>defunctus</i> étant: «Celui qui s'est acquitté.» +Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet, +en remerciant leur hôte. Heureux s'ils peuvent +léguer à une nombreuse postérité «l'exemple +de leur vie!»</p> + +<br><br> +<h5>FIN</h5> +<br><br> + +<h3>INDEX ALPHABÉTIQUE</h3> + +<p>Albuminurie:—permanente;—son régime. +Alcool. +Alimentation: de l'enfant né avant +terme;—du premier âge;—Gouttes de lait;—chez +le petit enfant;—chez +l'enfant du deuxième âge;—défectueuse; +excessive;—ration d'entretien;—observation d'une malade +guérie par le régime restreint;—insuffisante en quantité;—à +la sonde;—observation +d'une malade fébricitante +guérie par l'alimentation +forcée;—insuffisante +en qualité;—chez le +vieillard.</p> + +<p>Aliments adultérés par les procédés +chimiques; physiques.</p> + +<p>Auto-intoxication, (Hypothèse de l').</p> + +<p>Avarie.</p> + +<p>Bains: chauds dans les pneumonies;—prolongés;—de +briques;—de +vapeur;—électriques;—de mer.</p> + +<p>Blennorragie, ses dangers tardifs.</p> + +<p>Boissons: fermentées;—distillées;—le vin chez +l'homme bien portant;—chez +le malade:—dans +la ration du soldat;—eau +stérilisée en usage dans +l'armée.</p> + +<p>Cancer, son hérédité.</p> + +<p>Capital biologique (hypothèse du).</p> + +<p>Causes morbigènes: ambitions +déçues;—passion amoureuse;—inquiétudes;—vie brisée;—frayeur.</p> + +<p>Causes accidentelles.</p> + +<p>Chaleur sèche (dermotherme).</p> + +<p>Choc: traumatique;—chirurgical;—moral.</p> + +<p>Coeur: «maladies» du coeur (leur +hérédité;—observation +d'un faux cardiaque;— +la période de déclin.</p> + +<p>Constipation;—et +entéro-colite;—provoquée +chez les opérés;—son +innocuité;—guérison par +le repos;—dangers des +purgatifs;—obsession de +la constipation;—lavements +d'huile;—injections +de Brown-Séquard;—chez le vieillard;—Convalescence, +sa rapidité chez l'enfant.</p> + +<p>Course en flexion.</p> + +<p>Déclin: âge de déclin;—pouvant +n'être qu'apparent;—problèmes cliniques à +l'âge du déclin, leur difficulté.</p> + +<p>Diabète: régime;—traumatique, +sa gravité.</p> + +<p>Dyspepsie: observation d'une +malade avec prédominance de +troubles dyspeptiques.</p> + +<p>Eaux minérales;—table +de régime;—de Carlsbad;—Chatel-Guyon, Bagnoles, +Brides, Vichy;—Vittel.</p> + +<p>Education: chez la jeune fille;—chez le jeune homme;—de la volonté.</p> + +<p>Electricité;—bains électriques.</p> + +<p>Emplâtre.</p> + +<p>Enfants: préservation contre la +tuberculose;—couveuses +artificielles;—alimentation +de l'enfant né avant terme:—le capital biologique de +l'enfant doit être créé par les +parents;—puériculture;—alimentation du premier +âge, son importance pour toute +la vie;—Goutte de lait;—pathologie infantile;—sa +simplicité relative;—ses +difficultés;—nécessité +du sommeil prolongé;—mastication;—convalescence +rapide;—enfants du +type musculaire;—cérébral;—du deuxième âge, +alimentation:—fièvre digestive.</p> + +<p>Epilepsie.</p> + +<p>Exploration abdominale.</p> + +<p>Exercice: difficulté de le doser +chez les jeunes filles nerveuses;—dans un grand collège +moderne;—chez les professionnels;—chez les +jeunes gens (danger des sports);—et entraînement;—et gymnastique respiratoire;—Institut Zander;—chez +les obèses.</p> + +<p>Fatigue;—et épuisement.</p> + +<p>Fièvre digestive des enfants;—typhoïde.</p> + +<p>Folie: chez la jeune fille:—délire +de la persécution;—l'aliénation mentale et la +«maladie»;—menstruation +chez l'aliénée;—du +doute;—obsession:—manie +aiguë.</p> + +<p>Frictions.</p> + +<p>Grippe, son influence pathogène.</p> + +<p>Grossesse («maladies» de la mère +pendant la).</p> + +<p>Hémorragies cérébrales, chez les +vieillards.</p> + +<p>Hérédité: étymologie;—généralités;—protestation contre +la fatalité des tares héréditaires;—de la longévité;—de la tuberculose;—du +cancer;—des tares + nerveuses, 15; + —de la paralysie générale, 16; + —des «maladies» de coeur, 16; + —des affections rénales, 17.</p> + +<p>Hydrothérapie: froide, 223; + —tiède 225; + —maillot humide, 225.</p> + +<p>Hypnose, 189; + —chez les aliénés, 191; + —ses dangers, 194.</p> + +<p>Hygiène de la procréation, 21.</p> + +<p>Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114.</p> + +<p>Hypothèse (son rôle dans la science), 1.</p> + + +<p>Injections: action dynamogénique de tout liquide injecté, 232; + —hypodermiques d'eau de mer, 234; + —de cacodylate de magnésie, 235; + —de cacodylate de soude, 235; + —de gaïacol, 238; + —de quinine 239; + —d'héroïne, 239; + —de mercure, 240; + —de morphine, 240; + —huileuses, 240; + —d'huile mercurielle, 241; + —d'huile créosotée, 242; + —et suggestion, 244; + —injections de Brown-Séquard, (constipation), 353.</p> + +<p>Influences morbigènes, généralités, 30.</p> + +<p>Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70.</p> + + +<p>Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20; + —éducation sexuelle—, 21; + —menstruation—, 66; + despotisme de certaines mères, 68; + —difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, 66; + —aliénation mentale—, 71; + —vocation contrariée, 72; + —mariage contrarié—, 73; + —utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses, 74; + —surmenage scolaire—, 75.</p> + +<p>Jeune homme: surmenage scolaire, 75; + —nécessité du sommeil, 76; + —exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; + —exercice physique chez les jeunes gens, 79; + —éducation sexuelle, 81; + —psychothérapie, 83.</p> + +<p>Ligue des pères de famille, 80.</p> + +<p>Longévité: hérédité de la, 8; + —humaine, 9.</p> + +<p>Malade: son entourage, 204; + —ne voulant pas guérir, 207; + —régime des grands malades, 217; + —n'osant pas manger, 220; + —danger des voyages, 267.</p> + +<p>«Maladies»: accidentelles, 42; + —la «maladie», 94-95; + —petits symptômes de la «maladie», 95, + —la «maladie» et les «maladies» accidentelles, 97; + —causes morales, généralités, 142; + —causes accidentelles de la «maladie», 162; + —du coeur à la période du déclin, 279.</p> + +<p>Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73; + —son utilité pour les jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74.</p> + +<p>Massage, 228; + —abdominal, 229.</p> + +<p>Méningite, 55.</p> + +<p>Menstruation: utilité du repos, 66; + —chez l'aliénée, 165; + —chez la grande malade, 166; + —ménopause, 296.</p> + +<p>Migraine, 40.</p> + +<p>Mort naturelle, 310.</p> + +<p>Névrose (sa contagion), 148.</p> + +<p>Obésité, 297;—exercice chez les +obèses, 298;—régime chez les +obèses, 299.</p> + +<p>Obsession: de la constipation, +251;—de la rougeur, 187.</p> + +<p>Observations: d'une malade avec +prédominance de troubles dyspeptiques, +99;—d'une malade +avec prédominance de troubles +de nutrition, 105;—d'un faux +cardiaque, 107;—d'une malade +suivie pendant trente ans, chez +laquelle presque tous les appareils +ont été successivement +atteints, 110;—d'une grande +malade guérie par le régime +restreint, 128;—d'une malade +fébricitante guérie par l'alimentation +forcée. 132.</p> + +<p>Opérés: opérations de complaisance, +155;—morphine chez +les—, 156;—rôle médical du +chirurgien, 156;—purgation +chez les, 157;—constipation +provoquée chez les—, 158.</p> + +<p>Opothérapie: hépatique, 236;—ovarienne, +286.</p> + +<p>Paralysie générale, hérédité, 16.</p> + +<p>Pertes: matérielles, 143;—au jeu, +144.</p> + +<p>Pneumonie: bains chauds dans +la;—chez le vieillard, 308. +Protection, loi de protection des +faibles, 10.</p> + +<p>Psychonévroses, leur traitement +moral, 213.</p> + +<p>Psychothérapie: chez le jeune +homme, 83;—savoir prendre +un parti, 175;—respect du +temps, 176;—dérivative. 180; +—sédative, 181;—reconstituante, +182;—résignation, 182; +—foi religieuse, 208;—et problème +religieux, 210.</p> + +<p>Ptôse: abdominale, 169;—et ceinture +hypogastrique, 167;—passagère, +169.</p> + +<p>Purgatifs et constipation, 249.</p> + +<p>Régime: ration d'entretien, 125, +—des Chartreux, 125;—des +Trappistes, 125;—des soldats, +127-140;—des guides alpins, +127;—observation d'une +grande malade guérie par le +régime restreint, 128;—en +cas d'effondrement abdominal, +172;—et suggestion, 215;—des +grands malades, 217;—monotone, +218;—sec (ses dangers), +219;—à boisson restreinte, +219;—et eaux minérales, +255;—des diabétiques, +293;—des albuminuriques, +297;—des obèses, 299;—lacté +chez les vieillards, 308.</p> + +<p>Repos: dans les états aigus, 173;—cure +de—, 205;—constipation +guérie par le—, 205;—avant le +repas, 221;—après le repas, +222;—au lit, 265.</p> + + +<p>Sommeil: nécessité du sommeil +chez l'enfant, 57;—nécessité +du sommeil chez les jeunes +gens, 76;—diurne (ses bons +effets) 173;—l'aliment favorise +le—, 221;—et repos au lit, 221.</p> + +<p>Sports, chez les jeunes gens (leur +danger) 78.</p> + +<p>Suggestion et régime, 215.</p> + +<p>Symptômes morbides, 32;—petits +symptômes de la «maladie», +95.</p> + +<p>Syphilis: polynatalité, 10;—et +méningite, 12;—Société de +prophylaxie sanitaire et morale, +13;—nécessité d'un traitement +pour prévenir la transmission +héréditaire de la, 23; +—âge à laquelle se contracte +la—, 84;—manifestations tertiaires, +164;—et assurances sur +la vie, 164.</p> + + +<p>Travail: cérébral insuffisant, 119; +—cérébral excessif, 119;—musculaire +excessif, 121;—ration +de—, 125.</p> + +<p>Tuberculose hérédité, 13;—oeuvre +de préservation de l'enfance +contre la—, 14 et 89;—dans +l'armée, 87;—et sanatorium +populaire, 38;—et dispensaire, 88.</p> + + +<p>Vacances: leur nécessité, 261;—colonies +de—, 262.</p> + +<p>Vésicatoires, 255.</p> + +<p>Vieillards: voyages, 304;—alimentation, +306;—constipation, +307;—pneumonie, 308;—régime +lacté, 308;—hémorragie +cérébrale, 309.</p> + +<p>Vin: chez l'homme bien portant, +139;—chez le malade. 141;</p> + +<p>Voyages: de noces (ses dangers), +20;—leur utilité chez les gens +bien portants, 261;—leur +danger chez les malades, 267; +—chez les vieillards, 304.</p> +<br><br><br> + + +<h3>AUTEURS CITÉS</h3> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Dr BARADUC, 37.</p> +<p>BRIEUX, 83.</p> +<p>BROWN-SEQUARD, 236.</p> +<p>Dr CHARCOT, 194</p> +<p>Dr CAMPENON, 156.</p> +<p>Dr CHAILLOU, 76.</p> +<p>Dr DELORME, 158.</p> +<p>Dr DUBOIS, 213.</p> +<p>Dr DUPRAT, 194.</p> +<p>FLOURENS, 9.</p> +<p>Dr FONSAGRIVES, 55.</p> +<p>FONSAGRIVES (Abbé), 81.</p> +<p>Dr A. FOURNIER, 13.</p> +<p>Dr ED. FOURNIER, 84.</p> +<p>Dr GRANCHER, 14.</p> +<p>Dr GRASSET, 194.</p> +<p>Dr HUCHARD, 17.</p> +<p>Dr KELSCH, 87.</p> +<p>KNEIPP, 224.</p> +<p>Dr LAGRANGE, 79 et 86.</p> +<p>Dr LAUMONIER, 64.</p> +<p>Dr LEGENDRE, 80.</p> +<p>Dr LEREDDE, 231.</p> +<p>Dr MATHIEU, 33.</p> +<p>Dr PINARD, 21 et 45.</p> +<p>PLANTET, 262.</p> +<p>POINCARE, 1.</p> +<p>Dr ROBIN, 293.</p> +<p>Dr RUNGBERG, 164.</p> +<p>SERTILLANGES (Abbé), 125.</p> +<p>Dr SIGAUD, 171.</p> +<p>Dr R. SIMON, 234.</p> +<p>VANCAUWENBERGHE, 48.</p> +<p>Dr VARIOT, 47.</p> +<p>Dr A. VOISIN, 194.</p> + </div> </div> + + +<br><br><br> +<h3>TABLE DES MATIÈRES</h3> + +<p>PRÉFACE</p> + + +<p><b>PREMIÈRE PARTIE</b></p> + + +<p>CHAPITRE I</p> + +<p>LE CAPITAL BIOLOGIQUE<br> +Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable +selon chaque individu et selon chaque période de la vie. +Capital initial; influences qui le font varier.</p> + + +<p>CHAPITRE II</p> + +<p>HÉRÉDITÉ<br> +Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité. +Rôle de l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; +le cancer; les tares nerveuses: les «maladies» de +coeur; des reins.</p> + + +<p>CHAPITRE III</p> + +<p>CONCEPTION<br> +La valeur des générateurs au moment de la conception.—Loi +de protection des faibles. Hygiène de la procréation: +éducation sexuelle de la jeune fille.</p> + + +<p>CHAPITRE IV</p> + +<p>GESTATION<br> +Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la +gestation.—Emotions, misères physiologiques, «maladies» +de la mère pendant la grossesse. Enfants nés avant terme.</p> + +<p>CHAPITRE V</p> + +<p>INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES<br> +La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive: +les influences morbigènes modifient cette courbe. La +même influence peut se traduire par des symptômes variés; +et, inversement, des influences variées peuvent se traduire +par le même symptôme (ex.: constipation) ou par le +même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous +les systèmes organiques peuvent être troublés à la fois. +Le plus souvent, c'est l'organe le plus faible qui traduit +le malaise. Le système nerveux est la clef de voûte de la +pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les causes morbigènes.</p> + + +<p>CHAPITRE VI</p> + +<p>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.—PUÉRICULTURE<br> +Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la +durée de la vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant. +Gouttes de lait (de Belleville, de Saint-Pol). La pathologie +enfantine est, le plus souvent, simple; quelquefois, de la +plus grande difficulté. Succès thérapeutiques chez les petits +enfants atteints de syphilis, de pneumonie.</p> + + +<p>CHAPITRE VII</p> + +<p>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ<br> + +1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil +prolongé, d'une mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles +à cet âge évoluent vite, sans convalescence.— +Chez l'enfant de sept ans à la puberté. Enfant du type +musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral. +Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies» +très souvent provoquées par une alimentation défectueuse.</p> + + +<p>CHAPITRE VIII</p> + +<p>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE<br> + +I. <i>Chez la fille</i>.—Précautions à prendre à l'apparition +des règles. Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»:<br> + +—A. Surmenage intellectuel.—B. Causes morales (despotisme +de la mère, vocation contrariée); brevets: mariage +rendu impossible; besoin du mariage.—C. Surmenage +musculaire. Quelle que soit la cause, les symptômes sont +les mêmes, mais le traitement varie avec la cause. Facilité +relative de la guérison.</p> + +<p>II <i>Chez le garçon</i>.—1° Surmenage scolaire (insuffisance +du sommeil).—2° Surmenage physique (abus des sports, +de l'escrime, utilité des exercices automatiques <i>(Ligue des +pères de famille</i>).—3° Déviation de l'hygiène sexuelle: +éducation sexuelle. Par qui elle doit être donnée. Enseignement +individuel et enseignement collectif. Utilité de +l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations +de l'instinct sexuel: psychothérapie.</p> + +<p>III. <i>Causes morbigènes communes aux deux sexes</i>.—«maladies» +accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les +dispensaires, oeuvres de préservation).</p> + + +<p><b>DEUXIÈME PARTIE</b></p> + + +<p>CHAPITRE I</p> + +<p>MATURITÉ<br> +L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes +de repos. Le coup de collier. La fatigue. L'entraînement. +L'épuisement (ses signes prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire +(ses signes prémonitoires. La «maladie».</p> + + +<p>CHAPITRE II</p> + +<p>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»<br> +Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade. +Quatre observations de patients atteints de la «maladie» +sous ses diverses formes. Troubles fonctionnels pouvant +simuler les affections avec lésions d'organes. Rôle du +système nerveux central dans la pathogénie de la «maladie». +Embarras gastrique.</p> + + +<p>CHAPITRE III</p> + +<p>LES CAUSES DE LA «MALADIE»<br> + +I. <i>Causes physiques</i>.—1° Surmenage cérébral, travail +cérébral insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral +peut revêtir des formes cliniques très diverses.— +2° Surmenage musculaire.—3° Vices d'alimentation. +Généralités, auto-intoxication, irritation.—<i>A</i>. Alimentation +excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des +Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. +Observation d'une grande malade guérie par le régime +restreint.—<i>B</i>. Alimentation à la sonde.—<i>C</i>. Alimentation +insuffisante en qualité. Adultération des aliments: +<i>a</i>) par les procédés chimiques, <i>b</i>) par les procédés physiques. +—<i>D</i>. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité. +Boissons distillées, leur danger.</p> + +<p>II. <i>Causes morales</i>.—Leur importance prépondérante:</p> + +<p><i>A</i>. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.— +<i>B</i>. Influences compromettant la quiétude de l'âme. Passions. +Incompatibilité d'humeur.—<i>C</i>. Inquiétudes d'origine +altruiste. Séparation momentanée, définitive.— +Choc traumatique: <i>a</i>) Hystéro-neurasthénie traumatique. +<i>b</i>) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale +des chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés. +Des purgations. Constipation provoquée chez les opérés, +ses avantages.</p> + +<p>III. <i>Causes accidentelles</i>.—Fièvre typhoïde. Grippe: +son grand rôle pathogénique. Syphilis.</p> + +<p>IV. <i>Influences morbigènes spéciales à la femme</i>.—Menstruation. +Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale.</p> + + +<p>CHAPITRE IV</p> + +<p>PSYCHOTHÉRAPIE<br> +Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle +1° Son action s'étend aux déviations mentales.—2° A +un grand nombre de troubles somatiques.—<i>A. Moyens +par lesquels on diminue les dépenses d'influx nerveux:</i> +savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du +temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes. +Un cas de folie du doute. Psychothérapie dans la +manie aiguë, dans les obsessions. Résignation passive et +active.—<i>B. Moyens par lesquels on augmente les recettes.</i> +1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques +(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).— +Moyens par lesquels on augmente artificiellement le + +capital insuffisant: hypnose. Action personnelle de l'hypnotiseur, +indications du traitement par l'hypnose. Ce qui +limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que: +1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles +à hypnotiser.—2° C'est que c'est un moyen qui +peut être trop actif. C'est un agent thérapeutique utile, +non dangereux, s'il est bien manié; le médecin seul +peut le bien manier.<br> + +Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques. +—1° Le médecin doit soigner avec son coeur, +plus qu'avec son intelligence.—2° Paraître ne jamais +être pressé.—3° Ni même être pressé.—4° Savoir parler +au malade.—5° Ne lui imposer que le strict minimum +de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique: +1° Absence de foi chez le malade (malades à théories +médicales. Malades qui ne veulent pas guérir).— +A l'hostilité de l'entourage. Le médecin confident.—Psychothérapie +et sentiment religieux.</p> + + +<p>CHAPITRE V</p> + +<p>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES<br> + +1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent +pas seulement par suggestion). Diète liquide. Régime +des potages. Régime à boisson restreinte. De la fréquence +des repas. Du repos après et avant le repas.<br> + +2° Moyens accessoires.—A. <i>Hydrothérapie</i>: froide, exceptionnellement +indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé. +Hydrothérapie tiède: tub, bain. Malades dont il ne faut +pas mouiller la peau. Chaleur sèche. Massage. Frictions. +Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.—B. <i>Injections +hypodermiques.</i>—1° Influence utile de l'injection en +tant qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).—2° Action +propre du liquide injecté. Cacodylate de soude, de +magnésie, de fer. Injections de Brown-Séquard. Strychnine. +Cacodylate de gaïacol dans la «maladie» post grippale. Quinine, +héroïne et morphine, leurs dangers. Injections huileuses: +<i>a</i>. Mercurielles. <i>b</i>. Créosotées. Rôle alimentaire +de l'huile injectée.—3° Des injections hypodermiques +comme procédé de suggestion.—C. Vésicatoires. Emplâtres. +Purgatifs. Etude de la constipation et des constipés. +—D. <i>Eaux minérales</i>, leurs indications. Les tables de régime. +Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. Châtel-Guyon. +Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des eaux.— +<i>Voyages</i>. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur +danger chez de grands malades. Précautions à prendre +pour qu'ils soient utiles aux malades moyens. La grande +malade et le ciel de la Côte d'Azur. Voyage et entraînement. +Vacances. Colonie de vacances.—F. <i>La mer</i>.—La +cure marine. Le train des maris.</p> + + +<p><b>TROISIÈME PARTIE</b></p> + + +<p>CHAPITRE I</p> + +<p>LA PÉRIODE DE DÉCLIN<br> +Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites +extrêmes. Les tares organiques. Les cardiopathies se révèlent. +Le déclin peut n'être qu'apparent (difficulté du diagnostic). +Petits symptômes prémonitoires du déclin. +Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales. +Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique +de l'homme. Forme que revêt souvent la «maladie» à +cet âge. Traitement psychothérapique, régime, précautions. +Le diabète. Rôle du système nerveux dans le +diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même des +diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente. +Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de +l'albuminurie, ni même des albuminuriques. Obésité. +Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a pas de régime +de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide.</p> + + +<p>CHAPITRE II</p> + +<p>LA VIEILLESSE<br> +Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la +vieillesse de l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers +des voyages. Alimentation restreinte. Accidents qui font +mourir le vieillard. De la mort naturelle.</p> + + +<p>INDEX.</p> + +<p>AUTEURS CITÉS.</p> + +<p>TABLE DES MATIÈRES.</p> +<br><br><br> + +ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12105 ***</div> +</body> +</html> diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..c13e90b --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #12105 (https://www.gutenberg.org/ebooks/12105) diff --git a/old/12105-8.txt b/old/12105-8.txt new file mode 100644 index 0000000..d102466 --- /dev/null +++ b/old/12105-8.txt @@ -0,0 +1,7897 @@ +The Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La lutte pour la santé + +Author: Dr. Burlureaux + +Release Date: April 21, 2004 [EBook #12105] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ *** + + + + +Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed +Proofreading Team. + + + + + + + +LA LUTTE + +POUR LA SANTÉ + + + + +DU MÊME AUTEUR + +Considérations sur la folie paralytique Paris, J.-B. Baillière, 1874. + +Article Épilepsie du Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales +(1886). + +Pratique de l'antisepsie dans les «maladies» contagieuses (Prix Stansky, +de l'Académie de médecine). J.-B Baillière, éditeur (1892). + +Traitement de la Tuberculose par la créosote (Couronné par l'Institut, +Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894. + + +_En préparation_: + +Psychothérapie et Morale religieuse. + + + + +Dr. BURLUREAUX +PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE + + + + +LA LUTTE +POUR LA SANTÉ + + +ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE + +PARIS +1908 + + + +A MON CHER LUCIEN CLAUDE +EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION +ET EN SOUVENIR +DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES + + + + +PRÉFACE + +La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de ce livre n'est pas celle +qu'ont entreprise, et que poursuivent avec un succès toujours plus +marqué, nombre de ligues et sociétés philanthropiques. Certes, personne +n'admire plus que moi l'effort généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse +de combattre la mortalité infantile, ou de répandre et de faire +appliquer les règles de l'hygiène, ou encore d'enrayer l'extension de +ces trois plaies sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la syphilis, +ce sont là des campagnes infiniment bienfaisantes; et je considère comme +un honneur d'avoir pu, modestement, prendre ma part de quelques-unes +d'entre elles. + +Mais à côté de cette grande lutte collective, il y a une autre «lutte +pour la santé», tout individuelle, qui se livre tous les jours dans la +vie de chacun de nous. Celle-là est une forme de la loi universelle +de la lutte pour l'existence. Sans cesse, depuis l'instant où nous +naissons, notre organisme tend à maintenir ou à rétablir cet équilibre +de ses forces que l'on appelle «la santé»; et sans cesse une foule +d'influences, intérieures ou venues du dehors, tendent à détruire cet +équilibre, éminemment instable. + +Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge, le sexe, l'hérédité, +les conditions de la vie: mais toutes travaillent, en nous, à la même +fin; et l'on peut dire que l'histoire entière de notre vie physique +n'est que l'histoire des péripéties de la «lutte» incessante qui se +déroule entre elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer dans +son être. Et si, parmi ces influences hostiles à notre santé, beaucoup +ont un caractère fatal et inévitable, s'il y a malheureusement beaucoup +de causes de «maladie» contre lesquelles nous sommes désarmés, il y en +a aussi un très grand nombre qui peuvent être évitées, ou combattues +victorieusement. Toute la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la +nature dans sa lutte contre elles. + + +Mais la médecine est moins une science qu'un art. De la multiplicité +des circonstances, de la diversité des esprits, il résulte que chaque +médecin, quand il est parvenu à un certain point de sa carrière, +s'aperçoit que l'ensemble de ses observations et de ses réflexions l'a +amené à se faire une expérience propre, personnelle, des conditions +générales de la «lutte pour la santé» et des moyens d'aider l'organisme +à la bien conduire. C'est le fruit de mon expérience particulière que +j'ai essayé de recueillir et de présenter, dans le livre que voici. + +De longues années de pratique médicale m'ont donné l'occasion de +voir, sous des aspects très variés, la naissance et l'évolution de la +«maladie». J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de traitement, +anciennes et nouvelles. Pénétré, dès le début, de l'importance de la +tâche qui m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir aucun parti +pris d'école ni de doctrine, de ne rien rejeter ni de ne rien admettre +sans l'avoir contrôlé, de borner toujours mon ambition à empêcher ou à +soulager la souffrance par tous les moyens,--que l'idée de ces moyens me +vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou non approuvés par les +autorités du moment, qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier ou à +celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru déjà une grande partie +de ma route, il m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter les +autres de tout ce que mon expérience, ainsi acquise, pouvait contenir +d'intéressant et d'utile pour eux. + +C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout le monde. Je n'ai pas +voulu en faire une thèse scientifique, mais plutôt quelque chose +comme ces _Conseillers de la Santé_ que l'on était assuré de trouver, +autrefois, au chevet du lit de nos grands-parents. Laissant aux ouvrages +spéciaux l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs extérieurs +où notre organisme est sans cesse exposé, je m'en suis tenu aux +différentes manifestations de ce que j'appellerai, d'un terme général, +la «maladie», en entendant par là cette rupture de l'équilibre normal +de nos forces, cette dépréciation plus ou moins complète de notre +capital biologique, qui se produit, tôt ou tard, dans l'existence +de chaque créature humaine, et s'exprime par une variété infinie de +symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer les principales causes qui, +aux différents âges, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent de +compromettre ou de détruire la santé; et surtout j'ai essayé de montrer, +au fur et à mesure, par quels moyens ces causes peuvent être évitées, ou +leurs mauvais effets heureusement réparés. + +Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être le lecteur, accoutumé aux +complications savantes de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité +même lui semblera peut-être avoir quelque chose de révolutionnaire. +C'est un danger que j'ai prévu, et que, certes, je n'affronte pas de +gaîté de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon livre qui ne dérive, +à la fois, d'une expérimentation méthodique et de réflexions patiemment +mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque chose, en une matière +aussi variable et aussi délicate, je suis sûr de l'efficacité des +avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. Puissent-ils +seulement être entendus, et porter leur fruit! + + +Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant ouvrage +de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur _Les Origines de la «maladie»_ +(1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de n'avoir pas pu en citer certaines +pages qui s'accordent avec les idées que j'ai moi-même exprimées sur +plusieurs points, et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop +d'importance aux symptômes en pathologie. + + + + +LA LUTTE POUR LA SANTÉ + + + + +PREMIÈRE PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +LE CAPITAL BIOLOGIQUE + + + +L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les connaissances humaines, +un rôle considérable; ce n'est une nouveauté pour personne, mais cette +vérité nous a été récemment rappelée, et exposée avec une clarté +nouvelle, par le remarquable travail de M. Poincaré, intitulé: _La +Science et l'Hypothèse._ Il y est démontré que ni les mathématiques, +ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient exister si elles +n'avaient pour point de départ des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré, +plusieurs sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables, et, une fois +confirmées par l'expérience, deviennent des vérités fécondes; les +autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous être utiles en +fixant notre pensée; d'autres enfin (comme le _postulatum_ d'Euclide) ne +sont des hypothèses qu'en apparence, et se réduisent à des définitions +et à des conventions déguisées». Plus encore que les sciences dites +exactes, les études biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse, +car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que «nous n'y savons le +tout de rien.» + +Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser les sciences +biologiques, mais simplement pour m'aider à fixer ma pensée, je +demanderai, à mon tour, qu'on m'accorde une sorte de _postulatum_, qui +nous aidera à nous rendre compte de la plupart des phénomènes de la +biologie et de la pathologie. + +Voici ce _postulatum_: + +Je supposerai que chaque être, en naissant, reçoit un certain capital +d'énergie vitale, de la valeur et de l'emploi duquel dépendront et +sa santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts variables +suivant chaque individu et suivant chaque période de la vie. J'ajouterai +que ce capital peut être, à toute période de la vie, amoindri par une +cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit sont également +variables aux diverses périodes de la vie. + +Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent travail sera +d'étudier, d'un bout à l'autre de la vie, la meilleure manière de faire +valoir ce capital, et de le défendre contre les influences qui ne +cessent pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on appelle les +«causes morbigènes», et leurs assauts sont ce qu'on appelle les +«maladies». + +L'homme malade est donc, dans notre hypothèse, celui qui vient de subir +une de ces diminutions de son capital biologique: d'où il résulte que, +avant d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous devons d'abord +envisager le capital initial, et les causes qui en font varier la +valeur. + +Considéré au point de vue théorique, c'est-à-dire en négligeant les +influences qui peuvent le faire accidentellement diminuer, le capital +initial est comparable à la force qui lance un projectile dans l'espace. +Or, les mathématiciens savent exactement quelle doit être la courbe +parcourue par le projectile, du moment qu'ils connaissent la vitesse +initiale et la masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi, +prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si nous pouvions +connaître exactement le capital de vie qu'il apporte en naissant. Mais +le fait est que, chez les différents êtres humains, le capital initial +varie dans des proportions si énormes que nous ne pouvons guère nous +flatter d'en avoir une notion précise. + +Pour des causes que nous chercherons à analyser, il y a des êtres chez +qui le capital initial est nul: ce sont eux qui meurent en naissant, +ou un ou deux jours après leur naissance, sans «maladies» ni lésions +appréciables; tels certains enfants de syphilitiques, qui meurent parce +qu'il n'ont pas la force de vivre. + +A l'autre extrémité de l'échelle se placent les aristocrates de la +santé, doués d'un capital énorme, et qu'on voit atteindre à des âges +avancés sans avoir jamais été malades, sans avoir jamais pris de +précautions spéciales pour conserver leur santé. Ainsi, j'ai connu, non +comme médecin, mais comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze ans, +et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre indisposition. On peut +même dire qu'il est mort sans «maladie»; il a tout simplement cessé +de vivre, comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse de +progresser et rentre dans l'immobilité. + +Entre ces deux extrêmes se trouve une variété infinie d'intermédiaires; +et l'on peut dire qu'il n'y a pas deux personnes ayant le même capital +biologique initial. + +Cependant les différences dans le capital initial ne sont pas si grandes +qu'on ne puisse, tout au moins, en déterminer les causes principales, +dont l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance majeure. Ces causes +peuvent être groupées sous trois chefs: + +1° Les influences héréditaires; + +2° La valeur actuelle des générateurs au moment de la conception; + +3° Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation. + + + +CHAPITRE II + +HÉRÉDITÉ + + + +L'hérédité tient une place considérable dans tous les problèmes de la +vie; et, comme l'indique bien l'étymologie du mot _hoerere_, (être +attaché), tout être vivant est relié à un long passé ancestral. +Les végétaux eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le souci des +horticulteurs n'est-il pas de créer, par de savants procédés de culture +et d'habiles sélections, des types capables de transmettre par hérédité +certaines qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au jour où, quand +ils ont voulu trop profondément ou trop vite forcer la nature, la plante +revient à son état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été trop +surmenée. Et les mêmes observations sont familières aux éleveurs qui +cherchent à perfectionner les races d'animaux domestiques. + +Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant que la constitution +organique, la manière d'être physique ou mentale, se transmet des +parents aux enfants ou aux descendants. + +L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui constitue les grands +traits de caractère si différents de chaque race; c'est elle qui fait +que les vertus, les vices, les passions, les haines, se transmettent +dans le sein des familles aussi bien que la beauté, la couleur des yeux, +la taille, etc. Souvent elle est directe, c'est-à-dire qu'elle provient +du père ou de la mère; parfois elle saute une ou deux générations; +d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le type d'un parent de +la ligne collatérale qui prend la place. Mais il est rare que, dans le +cours de la vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque. + +Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout temps. Dans son langage +imagé, la Bible nous dit qu'«il a encore les dents agacées, celui dont +l'ancêtre de la septième génération a mangé des raisins verts.» Si +cette parole était l'expression exacte de la vérité, elle serait bien +décevante, car elle paralyserait tous les efforts destinés à lutter +contre les tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement +protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des tares héréditaires; et la +vérité est que l'influence de l'hérédité est modifiée grandement par la +tendance qu'a tout être vivant à retourner à son type primitif, comme +aussi par les influences du croisement, en vertu desquelles l'un des +générateurs peut rectifier la tare transmise par son partenaire. Ce +n'est que quand les deux générateurs ont les mêmes tares que l'hérédité +sévit avec son maximum d'intensité; et alors non seulement les tares +s'ajoutent, mais elles semblent se multiplier l'une par l'autre, +au point de rendre l'enfant incapable de soutenir la lutte pour +l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a pas la force de transmettre la +vie. Ainsi s'éteignent les familles par les «maladies» héréditaires, à +moins qu'un des membres de la race déchue, revenant pour ainsi dire +au type primitif, ne porte en lui une force de réaction +insoupçonnée,--héritage peut-être d'un passé plus lointain,--qui lui +permette de reconstituer la famille. + +Telles sont les considérations générales qu'il m'a semblé utile +d'indiquer, parce qu'il en pourrait sortir un grand nombre de +conclusions pratiques pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent +que j'insiste sur quelques détails plus particuliers. + +D'abord, l'hérédité de la longévité. + +Il est des familles où l'on meurt vieux, de père en fils. On dirait des +horloges remontées pour sonner à peu près le même nombre d'heures. Il +est d'autres familles où tout le monde meurt jeune, sans cependant qu'on +puisse incriminer des «maladies» spéciales. Pourquoi? Force est bien de +le dire, nous ne le savons pas. + +Notons, en passant, combien sont erronées les théories qui attribuent +à l'homme moyen une longévité moyenne, calculée d'après l'époque de la +soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la croissance: suivant les +calculs de Flourens, cette moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est +là une simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune observation +sérieuse. + +Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur des moyennes de ce +genre, et sur le calcul des probabilités, que sont basés les statuts des +compagnies d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable de supputer +la longévité probable d'un individu donné, quand on est en mesure +d'apprécier son capital biologique et la façon dont il sait s'en servir. +Mais dire que l'homme est bâti pour vivre cent ans, parce que, dans les +espèces animales, la longévité a cinq fois la durée de la croissance, +et que, chez l'homme, la durée de la croissance est de vingt ans, c'est +établir une théorie sur des bases absolument fragiles. + +Plus importantes encore que la plus ou moins grande longévité des +parents, sont, pour nous, certaines particularités de leur état +pathologique, qui retentissent d'une façon souvent très profonde sur la +valeur de leurs enfants. + +On sait, par exemple, les influences néfastes de l'alcoolisme +héréditaire, qui non seulement restreint la natalité, mais condamne ceux +qui naissent à une mort rapide. + +La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire, elle semble la +favoriser, et tout le monde connaît, en effet, de ces nombreuses +familles fauchées par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs +s'obstinent à mettre au monde de nouvelles victimes: aucune ne survit, à +moins qu'un traitement médical bien compris ne vienne mettre fin à cette +lamentable situation [1]. + +[Note 1: Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette +polynatalité des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on +serait tenté d'appeler la loi de protection des faibles. + +N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres sans +défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction +auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde animal. Les +animaux puissants, armés pour la défense ou pour la lutte, sont toujours +de médiocres générateurs; l'éléphant, par exemple, ne donne naissance +qu'à un nombre très restreint d'individus, la femelle porte longtemps; +même remarque pour le lion. Au contraire, les animaux sans défense, se +multiplient avec une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les +lapins d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette +colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de toute +mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau pour +l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de moyens +ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se cacher. Dans +l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples admirablement +bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas d'enfants? Nous ne +parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, enfants; car ici intervient +un autre facteur, la restriction volontaire; mais de ces ménages +exemplaires, où la venue d'un enfant serait une joie, et qui restent +stériles, sans que rien dans l'état des conjoints explique cette +stérilité. + +Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point de vue de +la santé, mettent au monde de nombreux enfants, qui bien souvent +constituent pour eux une richesse négative. Ces malheureux portent le +beau nom de prolétaires _(proles, race)_. + +Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini. +Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi tel couple ne +donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à des garçons? +C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique de la mère était +sensiblement inférieure à celle du père. Quand il y a une disproportion +marquée entre les deux générateurs, l'enfant qui naît a le sexe du +générateur qui vaut le moins. + +Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine de vie et +de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque toujours un +garçon. + +Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles s'observe +pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans défense: elles +pullulent partout, on les trouve sous toutes les latitudes, à toutes les +altitudes; au contraire, celles qui se défendent, ont ce qu'on appelle +en botanique des «aires» très limitées. + +Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi: les métaux qui +se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément parce qu'ils +sont rares et incorruptibles (mais non incorrupteurs) que l'homme les +a pris comme représentant la valeur du travail. L'or, par exemple, que +rien n'attaque, est plus rare que les métaux qui s'oxydent facilement, +tels que le fer, le cuivre. + +Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une rareté +qui lui donne tout son prix. + +C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids aux +lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.) que résulte +un équilibre presque stable dans le monde des êtres créés.] + +La syphilis est un des principaux facteurs de dégénérescence. On +commence seulement à connaître l'étendue de ses ravages. On sait +aujourd'hui qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les fait mourir +avant leur naissance, ou le jour même de leur naissance; qu'elle se +traduit plus souvent encore, dans les deux premiers mois qui suivent la +naissance, par des accidents contagieux; que, dans les premières années +de la vie, elle entraîne la mort par méningite (méningite spéciale que +l'on prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse, et qui serait +justiciable d'un énergique traitement anti-syphilitique). + +On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la syphilis des +générateurs provoque, à l'âge de huit, dix, quinze ans, des dystrophies, +parfois des accidents tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce sont +là des curiosités scientifiques. + +Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle proportion la syphilis +des parents diminue la valeur biologique des enfants en apparence bien +nés, c'est son influence sur les produits de la deuxième et même de la +troisième génération. C'est là la science de l'avenir[2]. + +[Note 2: Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de +la syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons +laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les +efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes vérités. + +Il existe une _Société internationale de prophylaxie sanitaire et +morale_ contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles, et +ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc., qui +toutes poursuivent un but commun: faire connaître les méfaits des +«maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du possible et par +tous les moyens possibles. + +La société française est certainement l'une des plus actives: sous la +vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur Fournier, elle a +déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est fondée. + +Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies, +dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et des +nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle, l'opinion +publique commence à s'intéresser au redoutable problème, on ose +envisager en face la syphilis, on ose prononcer son nom, et tout fait +espérer que l'action de la Société de prophylaxie sera au moins aussi +utile que celle des ligues contre l'alcoolisme et la tuberculose. + +Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on ne +modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la tuberculose? +Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre état social, tant qu'il +y aura l'affreuse misère et la promiscuité. Tandis qu'on peut beaucoup +contre la syphilis, «maladie» évitable s'il en fut, «maladie» +essentiellement curable. Mais il faut la faire connaître dans tous les +milieux, son danger provenant de l'ignorance. C'est surtout contre cette +ignorance que lutte la Société française de prophylaxie sanitaire et +morale à laquelle devraient être affiliés tous les gens de bien, toutes +les personne soucieuses de l'avenir de la nation.] + +L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable qu'on se plaisait à le +dire? Non. Voilà, du moins, ce qu'affirment la science expérimentale et +l'observation des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux. Mais, +dans la pratique, il serait sage de se conduire comme si la tuberculose +était héréditaire: 1° parce que les enfants de tuberculeux sont, +par cela même qu'ils vivent dans un milieu contaminé, exposés à +la contagion[3]; 2° parce que l'enfant, s'il n'hérite pas do la +tuberculose, hérite incontestablement de la prédisposition à devenir +tuberculeux. Il ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable: de +sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension qu'avaient +nos pères au sujet de l'hérédité de la tuberculose était parfaitement +légitime. + +[Note 3: Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de +tuberculeux a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est de +prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore sains, +pour les faire élever à la campagne dans des familles saines. C'est +ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre la +tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre +scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à +sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; elle a +fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des demandes +des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre la nécessité de se +séparer de leurs enfants encore sains pour les confier à des familles +de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés par ses médecins, +et offrant toutes garanties de moralité. Cette Oeuvre, bienfaisante à +plusieurs titres, est en outre _économique:_ chaque pupille ne coûte +en effet qu'un franc par jour, parce que tous les dévouements sont +gratuits. Cette faible somme d'un franc, bien employée, sans aucune +fuite, sert ainsi les intérêts de deux familles et sauve la vie d'un +enfant.] + +L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée. Tout est obscur dans +la question du cancer: son étiologie, ses modes de transmission, ses +variétés d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes ces +incertitudes, malgré les belles promesses de la sérothérapie, de la +vaccination anti-cancéreuse, et de la radiothérapie. + +En résumé, l'hérédité est le principal facteur de la valeur biologique +des individus. Chacun, de par son hérédité, naît avec une valeur +différente: l'inévitable inégalité sociale existe non seulement le jour +de la naissance, mais le jour même de la conception. + +C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la différente valeur des +différents organes. Beaucoup naissent avec un organe plus faible que les +autres, de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir compte +de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il se trouve en face d'un +malade quelconque. + +Les organes qui subissent le plus notablement la tare héréditaire sont: +le système nerveux, le coeur, et les reins. + +_A_) Les tares nerveuses se transmettent avec une constance redoutable; +et c'est à juste titre qu'on craint les alliances avec des sujets +dont les parents sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme +exagéré. + +Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de l'hérédité nerveuse +à des limites excessives: car, ainsi que je l'ai dit, nous devons +compter avec une sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle l'être +naissant est débarrassé de sa tare ancestrale; l'hérédité n'est jamais +absolument fatale. Et nous devons prévoir aussi les atténuations que +peuvent amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse du père peut +très bien être atténuée par le bon équilibre nerveux de la mère, le +croisement bien compris entraînant une sorte de régénération. Enfin, il +est certaines «maladies» nerveuses qui ne se transmettent jamais par +hérédité: telle la paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme est +mort dans un asile, par le fait de la paralysie générale, il ne faut pas +conclure que ses descendants soient menacés de folie, ou même de tares +nerveuses. Le paralytique général a pris la «maladie» uniquement pour +son compte, et il ne la transmet pas plus que ne transmettrait sa tare +nerveuse un homme qui serait, accidentellement, empoisonné par le plomb. +Tout ce qu'on peut dire du paralytique général, c'est que, neuf fois sur +dix, c'est un syphilitique, et que sa descendance peut être entachée de +syphilis au même titre que la descendance d'un syphilitique quelconque. + +_B_) L'hérédité des cardiopathies est également très intéressante à +étudier: elle n'est pas assez connue. + +Il y a des familles dans lesquelles tous les membres succombent aux +affections cardiaques. C'est donc que, là, les enfants apportent, en +naissant, un point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose +curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne devient perceptible, +chez ses divers membres, qu'à des âges plus ou moins avancés. Vers +trente ans, l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou sept ans +plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre, tout en ayant le coeur +sain à l'auscultation, succombera par le coeur, dans le cours d'une +pneumonie. «La «maladie» était au poumon, et le danger au coeur» +(Huchard). Un troisième membre mourra à cinquante ans, à son quatrième +accès d'angine de poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la +moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre affection capable +de déterminer des lésions cardiaques. Enfin un quatrième aura de la +tachycardie paroxystique. Et tout cela parce que la mère des quatre +enfants aura eu, avant la naissance du premier, le coeur touché +accidentellement par le rhumatisme; je connais même une famille où +l'hérédité remonte à deux générations: presque tous les membres de cette +famille sont des cardiopathes. + +C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale mérite d'être signalé au +même titre. On connaît l'albuminurie héréditaire et familiale: mais les +récents travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont démontré, en +outre, qu'une mère atteinte de néphrite donne naissance à des +enfants dont les reins sont moins résistants aux infections et aux +intoxications, ou même sont altérés au point d'entraîner la mort dès les +premiers jours de la vie. De plus, chacun naît avec une prédominance de +tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le système nerveux qui +présente un développement hors de proportion avec les autres systèmes +organiques; chez d'autres, c'est le système musculaire. + +Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement parler, des malades, +ni même des candidats à la «maladie»; ils peuvent avoir un excellent +capital biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas commettre +de fautes dans la direction à leur conseiller. Et nous retrouverons +cette importante donnée quand nous parlerons des grands problèmes de +l'éducation. + +Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette singulière +prédominance d'un des côtés du corps sur l'autre que l'on observe chez +la plupart des malades? En général, c'est le côté gauche qui est le plus +faible; c'est lui qui est le siège des névralgies, des pneumonies, des +misères variées que les malades accusent; c'est lui qui est le plus +faible au dynamomètre; et tout le monde sait que la main gauche est, en +général, moins habile que la main droite; le langage courant traduit +cette infériorité, en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile. Chez +d'autres, au contraire, c'est le côté droit du corps qui est le siège de +toutes les douleurs névralgiques, rhumatismales, sans pour cela que +ces malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir recherché la part de +l'hérédité dans cette répartition inégale de l'influx nerveux, que je ne +fais que signaler en passant. + +Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de voir, et qui doit en +former pour nous la conclusion pratique, c'est que, pour difficile que +soit la connaissance précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être n'y +a-t-il pas de point sur lequel l'attention du clinicien doive se porter +plus soigneusement! En présence d'un malade, notre premier effort +doit être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses parents; et les +résultats de cette première enquête doivent toujours nous être présents +à l'esprit, tout dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais +surtout quand nous aurons à diriger sa santé. + + + +CHAPITRE III + +CONCEPTION + + + +L'influence de la valeur actuelle des générateurs, au moment de la +conception, est à peine soupçonnée, et le fait est qu'il serait bien +difficile de la démontrer; elle doit être, cependant, considérable, et +il y a tout lieu de croire que la valeur d'un individu à naître varie +du tout au tout selon qu'il a été conçu dans de bonnes ou de mauvaises +conditions. + +Depuis longtemps, les médecins protestent contre les voyages de noces. +On ne saurait trop faire campagne contre cette coutume, tout au moins +antihygiénique. Considérez, en effet combien s'accumulent les conditions +déplorables pour la procréation, chez deux conjoints dont le système +nerveux a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires du +mariage, par la fatigue des journées consacrées à sa célébration, par +les émotions inséparables de cet acte important de la vie! Et voilà ces +jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour un voyage lointain, +qui s'exposent à des fatigues de toute sorte, à la déplorable +alimentation de l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de +résidence tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions que, sans +recueillement, à la légère, ils accomplissent l'acte qui doit donner _la +vie_. + +Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte conjugal s'opère à la +suite de repas copieux, dans des conditions non moins déplorables. + +Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion de la jeune femme, +trop souvent surprise par les conditions nouvelles de l'existence +qu'elle a adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait le +professeur Pinard: «En plein XXe siècle, nous procréons comme les +hommes des cavernes.» + +Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose que d'appeler +l'attention sur un mal dont presque personne ne soupçonne l'importance, +en dehors du monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi dire, +d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra le danger. + +Appelons aussi l'attention sur un point délicat: sur la nécessité de +faire l'éducation de la jeune fille, pour qu'elle sache ce qu'est le +grand acte de la procréation. + +Je vois d'ici les mères françaises frémir, et s'armer en guerre les +bataillons de ceux qui confondent la pudeur avec la pudibonderie. Nul +doute, cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans nos moeurs, à +cet égard, et dans tous les milieux sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler +ce que dit la Bible, dans le livre de _Tobie_, chapitre VII? Le fils +du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël, allait épouser Sara, +fille de Raquel, laquelle avait vu mourir subitement ses sept premiers +maris, aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour lui éviter +pareil sort, l'ange donnait au jeune homme les conseils suivants: « +Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'elles +bannissent Dieu de leur coeur et de leur esprit et qu'elles ne pensent +qu'à satisfaire leur brutalité, comme les chevaux et les mulets qui sont +sans raison, le démon a pouvoir sur elles. Mais pour toi, après que tu +auras épousé cette fille, étant entré dans la chambre, vis avec elle en +continence pendant trois jours, et ne pense à autre chose qu'à prier +Dieu avec elle! La troisième nuit étant passée, tu prendras cette fille, +dans la crainte du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants +plutôt que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part à la +bénédiction de Dieu.» + +Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend pas, pour procréer, plus +de précautions qu'à l'époque des premières ardeurs; c'est également une +faute dont se ressent le produit de la conception. + +Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de la procréation. Ce +traité, conçu dans un esprit large, libéral, scientifique, qui tiendrait +compte de tous les éléments du problème, c'est-à-dire non seulement du +point de vue médical, mais aussi de l'élément passionnel, répondrait à +un véritable besoin. + +Et un chapitre, et l'un des plus importants, devrait y être consacré +au traitement préventif de la syphilis héréditaire. Combien d'hommes +atteints de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, ignorent les +bienfaits d'un traitement spécifique, qu'ils suivraient deux ou trois +mois avant de se marier, pour préserver leurs enfants de la terrible +«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer ce traitement +préventif, alors même qu'ils savent que le générateur a eu la syphilis! +Mais je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet. + + + +CHAPITRE IV + +GESTATION + + + +Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant la gestation, nous +n'avons aucune donnée précise à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par +exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse pénible, voire même +des vomissements incoercibles, donnât naissance à un enfant plus +spécialement faible; inversement même, bien des femmes d'une santé +médiocre ont des grossesses superbes. J'étonnai fort une malade, un +jour, en lui disant qu'elle ne devait aller bien que pendant ses +grossesses. C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, et que la +grossesse devait lui produire l'effet d'une sangle, en soutenant les +organes. Mais il n'est guère vraisemblable qu'un état de santé +aussi artificiel, et aussi transitoire, soit, pour le produit de la +conception, un brevet de santé future. + +Par contre, les «maladies» de la mère pendant la grossesse ont une +influence bien connue sur la valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne +provoquent pas l'avortement, elles impriment à l'enfant une tare. + +J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif. Une jeune femme, au +quatrième mois de sa première grossesse, avait eu une appendicite si +nettement caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher, et +moi-même, avions été sur le point de provoquer l'intervention d'un +chirurgien. La malade avait pu, cependant, être traitée médicalement: +mais l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance une intolérance +intestinale véritablement anormale. Une première nourrice, choisie par +l'accoucheur, lui a donné un lait qui a semblé trop fort, car l'enfant a +eu, dès le deuxième jour, de la diarrhée verte et des vomissements. Dans +l'espace de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours choisies +avec le plus grand soin, n'ont pas eu plus de succès: à chaque nouvelle +nourrice, vomissements, fièvre ardente, diminution rapide du poids. +Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix des nourrices idéales, on +était bien obligé de donner à l'enfant du simple lait de vache coupé; +alors il allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait très +vite, la vie revenait: de telle sorte que, après ces quatre tentatives +d'allaitement par le lait de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin, +pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet enfant a probablement +un intestin extrêmement délicat, à cause de l'appendicite de sa mère +pendant la gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé coupé!» +Et il eut raison; grâce à d'infinies précautions, à une surveillance +méthodique, l'enfant put être élevé. + +Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends pas faire le +panégyrique de l'allaitement artificiel: je ne le cite que pour prouver +comment la «maladie» d'un organe de la mère pourrait bien avoir une +répercussion sur le fonctionnement du même organe, chez l'enfant qu'elle +porte en son sein. + +Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions de la mère, pendant la +grossesse, peuvent avoir un retentissement sur la qualité du produit. +Et de là dérive le devoir strict, pour la société, de protéger la femme +enceinte. Quelques philanthropes l'ont bien compris; mais cette notion +n'a pas assez pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est un +scandale, pour une nation civilisée, de voir le peu qui est fait pour +assister la femme enceinte, pour lui épargner les soucis de l'avenir +prochain et les fatigues des derniers jours de la gestation. + +Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme. S'ils naissent avant +terme par le fait de la «maladie» des générateurs, de la syphilis par +exemple, leur valeur biologique est sensiblement réduite, et peut même +être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant terme accidentellement, +par exemple à la suite d'une chute de leur mère, ou d'une intervention +obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup moins compromis qu'on ne +le croit dans le public non médical. Le tout est de leur assurer une +température qui se rapproche de celle qu'ils avaient dans le sein +maternel. + +Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les modèles de couveuses +artificielles. Ces appareils, certes, peuvent rendre des services; mais +il ne faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer, en préservant +l'enfant du froid, ce qui s'obtient: 1° en chauffant convenablement sa +chambre, et en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en sachant +l'alimenter dès sa naissance. Ce second problème est difficile; pour +le résoudre, il faut se rappeler une grande loi que nous retrouverons +plusieurs fois dans le cours de cette étude, et qui consiste à +proportionner la valeur nutritive de l'aliment, et le nombre de prises +alimentaires, à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant terme, +on donnera donc, toutes les demi-heures, une cuillerée à café de lait, +coupé de 2/3 d'eau bouillie sucrée. + +L'enfant va naître; quel préjudice lui cause l'accouchement au forceps? +Nous ne pouvons pas nous défendre de redouter, pour notre part, la +compression colossale qu'impose l'application du forceps à la masse +cérébrale de l'enfant. Mais l'étude approfondie de cette question, qui +aurait pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a pas encore été +faite, à notre connaissance du moins, d'une façon suffisante. En tout +cas, on est en droit de considérer comme coupable une intervention au +forceps faite pour gagner du temps, ou pour faire valoir l'importance +des soins obstétricaux. + + + +CHAPITRE V + +LES INFLUENCES MORBIGÈNES ET LES SYMPTOMES MORBIDES + + + +L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne ne le sait, sauf dans +les cas extrêmes où il vient au monde avec des apparences tellement +misérables que, dès son premier vagissement, son infériorité saute aux +yeux; c'est ce qui arrive chez les hérédo-syphilitiques, et rien n'est +aussi navrant que l'apparition du petit monstre aux lieu et place d'un +enfant bien vivant, attendu avec une légitime impatience. Il faut avoir +assisté à ce spectacle pour en comprendre la poignante horreur. Tout le +monde, sauf la mère, s'accorde alors à penser qu'il vaudrait mieux que +l'enfant ne fût pas né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible +de savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec lui; c'est son +secret, qu'il gardera pendant toute la durée de son existence, mais que +le médecin parviendra cependant à deviner en partie, s'il sait fouiller +l'hérédité de son malade et s'inspirer des quelques principes que nous +avons esquissés à grands traits dans le chapitre précédent. + +L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être une «lutte pour la +santé», une suite d'efforts, volontaires ou instinctifs, pour défendre +son capital naturel de santé contre les «influences morbigènes» qui vont +le guetter à chaque pas. + +Ces influences morbigènes, que l'être vivant va rencontrer sur sa route, +depuis le jour de sa naissance jusqu'à la fin de sa carrière, nous +allons tout de suite les esquisser à grands traits. + +Au début, nous avions assimilé, pour les besoins de la théorie, l'être +humain à un projectile lancé dans l'espace avec une vitesse initiale +déterminée; mais, tandis que le projectile parcourt une courbe +mathématique, qu'on appelle une parabole, la courbe évolutive de l'être +humain est une courbe irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une +influence morbigène survient, puis remonte pour osciller de nouveau, +puis fléchir définitivement à partir d'un certain moment de la vie que +nous appellerons le début de la période de déclin, et toujours avec des +oscillations à amplitude de moins en moins considérable, jusqu'au moment +où toutes les réserves se trouvent épuisées. + +La mort peut encore interrompre brusquement la courbe évolutive; c'est +ce qui arrive quand la brèche faite au capital est irréparable, soit +à cause de l'importance de l'assaut perturbateur, soit à cause de +l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux influences se +combinent; et le nombre de leurs combinaisons est incalculable. + +La variété des causes morbigènes est elle-même infinie; mais la nature +n'a qu'un nombre limité de moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte +que les causes les plus variées peuvent se traduire par les mêmes +symptômes. Aussi accordons-nous relativement peu de valeur à l'étude +du symptôme. Les symptômes s'associent de mille et une façons, pour +constituer autant déformes morbides différentes. Que dis-je? Il n'est +pas deux malades qui se ressemblent, Ce n'est que pour la facilité de +l'étude que les pathologistes ont créé des cadres posologiques; mais +on comprend assez que ces cadres devraient être aussi élastiques +que possible. Le vrai médecin, après s'en être servi pour faire +d'excellentes études, ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire +abstraction, de penser et d'agir comme si les cadres n'existaient +pas. Et un moment viendra même, quand son expérience clinique sera +suffisante, où il aura tout intérêt à faire table rase des notions qu'il +a péniblement accumulées par un travail assidu et prolongé; tout comme +l'architecte, qui, une fois la construction terminée, fait enlever les +énormes échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction de +l'édifice. + +Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides est indispensable au +clinicien, et l'on ne saurait apporter trop de soins à connaître, dans +tous leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais il y a +un écueil: c'est que, la théorie du moindre effort s'appliquant +naturellement à l'esprit humain, on a une tendance involontaire à +attribuer aux symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont pas; en +d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une manifestation morbide +devient, trop aisément, dans l'esprit du médecin, la cause de la +«maladie». + +Prenons comme exemple la constipation: ce n'est en réalité qu'un +symptôme, et qui peut se trouver chez une foule de malades différents. +Nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est d'origine +mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque, etc.). Un mot cependant, en +passant, pour dire que le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces +causes mécaniques, et de traiter par des moyens médicaux des malades +dont une intervention chirurgicale aurait pu prolonger la vie ou +atténuer les souffrances. + +Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires de la chirurgie, +n'est-il pas vrai que la constipation est un symptôme banal, pouvant +être attribué à une foule de causes? Parfois, elle est due à des lésions +d'organes lointains, par un mécanisme réflexe à long circuit, suivant +l'ingénieuse expression de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions +utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, elle est due à +un trouble profond du système nerveux, qui, avant l'apparition de la +constipation, avait traduit son malaise par des plaintes variées. +D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même temps que +l'entéro-colite sa compagne, à la suite d'un choc brutal, moral ou +traumatique. + +De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due tantôt à un manque, +tantôt à un excès d'exercice musculaire. Les hommes qui ont besoin de +beaucoup d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant les +prédispositions héréditaires, ou des cérébraux, ou des goutteux, ou +des lithiasiques, mais toujours des constipés: et leur constipation +disparaît a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis de +l'exercice qui leur convient. Inversement, les hommes qui prennent trop +d'exercice deviennent dyspeptiques et constipés, et le lit est leur +meilleur laxatif. + +Enfin la constipation peut tenir à une erreur de régime, soit à l'abus +du lait (le cas est fréquent), soit à l'usage abusif de la viande: alors +le régime semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer de +régime pour voir disparaître la constipation. + +La constipation n'est donc qu'un symptôme. + +Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des répercussions à +distance, en vertu de ce principe que le système nerveux abdominal a des +relations intimes avec le système nerveux central, que, d'une façon plus +générale, le trouble d'un département quelconque du système nerveux +retentit sur les autres départements, la constipation, bien que +symptomatique, contribue dans une certaine mesure à entretenir la +«maladie», ne fût-ce que par la préoccupation qu'elle cause au malade, +et qui peut dégénérer quelquefois en véritable obsession. Mais ce qu'il +faut se rappeler, quand on aborde le problème thérapeutique, c'est que +le système nerveux est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien nous +accorder que la solidité d'une chaîne est égale à celle du plus faible +de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a à rechercher quel +est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du +système nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guérir le constipé +médical. + +Il n'y a donc pas de remède contre la constipation, et, pour +l'atteindre, il faut atteindre la «maladie», dont elle constitue une +des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite, +les plus faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler paradoxal, +j'affirme que la constipation est, de tous les symptômes observés chez +le constipé médical, celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade +qui souffre, depuis des années, de ces misères variées qu'on est +convenu de désigner sous le nom un peu vague de neurasthénie, et +parmi lesquelles la constipation joue un rôle capital; après enquête +minutieuse, trouvez la formule exacte de son régime, et par régime je +n'entends pas seulement le régime alimentaire, mais la réglementation +minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail +cérébral, etc.; supprimez les agents thérapeutiques qui entretiennent la +«maladie» (douches froides, exercice forcé, médicaments variés, diète +lactée); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble +nerveux de son intestin, à savoir les purgatifs, lavages à grande eau, +etc.: et vous serez étonné de voir la constipation disparaître, avant +même toutes les autres misères. Le malade vous dira, au bout de huit +jours: «Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tête, de +l'estomac, du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence à retrouver +le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma +constipation, si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je n'ai +presque plus de peaux dans les selles, et je commence à reprendre +confiance.» A partir de ce moment précis vous tenez le malade, il a en +vous une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner méthodiquement, +si surtout des influences étrangères ne viennent pas contrecarrer la +vôtre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entièrement +à votre direction, vous lui rendrez, peu à peu, la santé. Il aura des +rechutes inévitables: mais lui annoncer à l'avance ces rechutes, +c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins +importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne tracée par vous: +s'il commet un écart de régime, un excès d'exercice, ou s'il a une +commotion morale, l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée d'état +gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fièvre +quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez à +lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui faire +comprendre que cette rechute était évitable. + +Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous +verrions qu'elle appartient, de même, à une foule d'affections. Le mal +de tête, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus +variés, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses? +Heureusement pour les malades, il n'est encore venu à l'idée de personne +de trouver un remède applicable à tous les cas de mal de tête. Nous +en connaîtrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le +divulguer: car, si la médecine «du symptôme» est détestable au point de +vue de l'étude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue +thérapeutique. + +Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptôme, ou un +ensemble de symptômes (ce qu'on appelle un _syndrome_): on y trouve +toujours en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans mon article +_Epilepsie_ du _Dictionnaire Encyclopédique_, j'ai essayé de montrer +combien il faut se méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir +une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique utile des +épileptiques. De même, en lisant ces jours-ci une intéressante étude du +Dr Baraduc sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon, j'y +voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on +en juge par les quelques lignes que voici: «L'entéro-colite +muco-membraneuse est un syndrome clinique dépendant d'un trouble +fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et +variées étant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de +troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, à +elle seule, pour produire l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité +une prédisposition spéciale du système nerveux, et plus particulièrement +du sympathique abdominal, à se troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette +prédisposition nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire, est +l'apanage des neuro-arthritiques.» Si l'auteur voulait bien avouer +seulement que cette expression de «neuro-arthritiques» ne fait que +dissimuler notre ignorance, nous serions tout à fait d'accord avec lui. + +En résumé, si le médecin doit bien connaître dans tous leurs détails, +sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations +morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie, et ne pas +s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En un mot, il doit voir de haut +pour voir loin, à condition toutefois de ne pas se perdre dans les +nuages. + +Quelquefois, tous les systèmes organiques sont troublés à la fois sous +l'influence d'une cause morbigène. C'est ce qui arrive, par exemple, à +la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain, +le blessé devenir à la fois dyspeptique, déséquilibré abdominal, +constipé avec entérite muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et il +peut rester longtemps dans ce misérable état qu'on désigne sous le nom +d'_hystéro-neurasthénie traumatique._ + +La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent également à la +fois, tous les appareils de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la +sidération peut être telle que le capital vital initial et les réserves +antérieures se trouvent tout à coup épuisés: c'est la banqueroute +totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les réserves ne sont +que profondément entamés. C'est la «maladie» grave, aggravée encore par +des médications et des pratiques intempestives; à un moment donné, le +capital peut être réduit à si peu de chose, que la moindre dépense +suffit pour l'anéantir. Le malade est une flamme vacillante que le +moindre souffle peut éteindre, mais à laquelle un savant dosage +d'oxygène rendra, peu à peu, la vie. + +Quand le capital est moins profondément atteint, ou quand la cause +morbigène est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu +d'être généralisés, atteignent plus spécialement tel ou tel organe: +l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de +l'hérédité ou par le fait d'une atteinte antérieure. Mais, en vertu de +la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne +reste pas longtemps limité à un organe ou à un système organique. Voyez +le grand neurasthénique: il est à la fois dyspeptique, entéralgique, +cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a été le premier +atteint? Impossible de le dire, après deux ou trois ans de «maladie». +Cependant une enquête bien conduite peut permettre souvent de +reconstituer son histoire pathologique, de voir par où la «maladie» a +commencé, quel était le point initial. Et c'est de la connaissance de ce +point faible initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique. +Le médecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il +aura découvert, sans négliger, cependant, les perturbations secondaires +attribuables à la synergie des fonctions de tout être vivant. + +Il arrive même, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les +réserves sont bonnes, que le trouble de la santé ne se traduit que par +un nombre très limité de symptômes, parfois même par un seul. Ainsi il +y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont, +comme manifestation morbide que le symptôme constipation, d'autres qui +n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne +clinique, et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il faut, +presque de parti pris, les éliminer, et chercher au delà de la +manifestation monosymptomatique. Presque toujours, alors, ou trouvera +que la «maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence. + +De même que, dans une compagnie de chemins de fer, une irrégularité +dans le service, minime en apparence, dénonce, si elle se renouvelle +fréquemment, une mauvaise direction générale, de même, en biologie, il +n'est pas d'indispositions insignifiantes, si limitées soient-elles à +tel ou tel organe. L'apparition d'une douleur à l'épaule, par exemple, +qui paraît une affection bien locale, est l'indice d'une perturbation +plus profonde qu'on ne le croit du système nerveux central. + +Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est toute une doctrine qui +est contenue dans cette affirmation; c'est que en effet c'est le système +nerveux central qui à notre avis est le grand réservoir de l'énergie. +C'est par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous +sommes. C'est lui qui dirige le fonctionnement de tous les organes, +de sorte que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement, la +névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation spinale, la folie, la +névropathie généralisée, etc., mais encore les troubles de circulation +vaso-motrice des différents organes. En dernière analyse, il est la +clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations se traduisent par +les symptômes les plus variés, au point d'égarer presque fatalement le +diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. Quelles que soient donc +la forme, la gravité, l'apparence de la manifestation morbide, c'est +toujours le système nerveux central qu'il faudra étudier, c'est sur lui +que devra porter le grand effort thérapeutique. + +Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du malade et surtout la +cause ou la série de causes qui ont fait fléchir momentanément son +système nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa valeur +biologique. + +Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont multiples. Il en est qui +appartiennent à tous les âges, mais d'autres qui appartiennent plus +spécialement à un âge déterminé. + +Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude, c'est d'après ce plan que +nous passerons en revue les principales de ces causes morbigènes. Nous +les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain: 1° depuis le jour +de la naissance jusqu'au sevrage; 2° du sevrage à la puberté; 3° de la +puberté à l'âge adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes +phases du déclin; 6° pendant la vieillesse. + +Nous introduirons, en outre, des subdivisions, suivant que les +influences pathogènes atteignent plus spécialement: 1° le système +nerveux digestif; 2° le système nerveux musculaire; 3° le système +nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie, nous mentionnerons +les affections accidentelles qui portent atteinte à la fois à tous +les systèmes organiques: nous voulons parler des «maladies» aiguës +(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des intoxications +(syphilis, intoxications alimentaires, etc.), toutes affections qui, par +la brutalité de leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des +gens du monde et de beaucoup de médecins, mais qui, en réalité, ne +constituent que la partie la moins importante de la pathologie, surtout +au point de vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera, +j'espère, que cette formule n'est paradoxale qu'en apparence[4]. + +[Note 4: Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont +inévitables et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être +vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui constituent +le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail, en même temps qu'il +dessinera à grands traits toute la pathologie, effleurera forcément +les problèmes afférents à l'hygiène et a la thérapeutique, en d'autres +termes, à la gestion du capital. + +L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté, +l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun, constituée +essentiellement par le capital initial, et par les intérêts qu'il +rapporte.] + + + +CHAPITRE VI + +DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE (PUÉRICULTURE) + + + +Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou faible et qu'il sera +bien ou mal géré, l'être vivant sera sain ou malade, donnera ou ne +donnera pas son maximum de rendement, fournira ou ne fournira pas la +carrière qui lui était originairement dévolue. + +Dans les premières années de la vie, la gestion du capital appartient +tout entière aux parents. Bien peu savent élever leurs enfants; et s'il +est des connaissances qu'on devrait répandre à profusion dans tous les +milieux sociaux, ce sont celles relatives à la «puériculture», d'autant +que les règles en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le démontre +le _Traité de Puériculture_ du professeur Pinard, qui devrait être entre +les mains de toutes les mères de famille. + +Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science de la puériculture. + +Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à tout propos et +hors de propos, l'alimenter intelligemment, lui épargner toute +médicamentation meurtrière, le préserver du froid et des changements +brusques de température: et c'est tout. + +Si seulement on savait la manière d'économiser les vies d'enfants, on +pourrait le faire dans les milieux en apparence les plus défectueux; +c'est ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de MM. +Schneider, la mortalité des enfants au-dessous d'un an n'est que de 110 +p. 1000, alors que, dans le canton de Vaud, renommé pour l'excellence +de ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000. Ce magnifique +résultat est dû surtout à l'élévation des salaires, qui permet aux mères +de se consacrer librement à leur mission maternelle. Près de 80 p. 100 +des mères allaitent leurs enfants, toutes font de la puériculture avant +la naissance. (_Rapport_ de M. le professeur Pinard, à l'Académie de +médecine, 25 juillet 1905.) + +Il est bien évident que le capital initial ne suffit pour entretenir la +vie que pendant quelques jours; il a besoin d'être sans cesse renouvelé +et augmenté, pour permettre de faire des réserves, de donner à +l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de transmettre la vie à +son tour. C'est l'aliment qui pourvoit à ce besoin incessant; et par +aliment nous entendons non seulement ce qui entre dans le tube digestif, +mais aussi l'air, que les anciens définissaient très justement le +_pabulum vitae_. + +Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa quantité, par une +répartition vicieuse, la «maladie» ne tarde pas à naître; c'est là la +cause essentielle de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait +croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise alimentation du +premier âge retentit sur toute la vie pathologique de l'individu. +Quelques médecins le disent, le crient même, mais c'est dans le désert; +la plupart le nient, ou passent indifférents à côté de cette vérité +profonde. Quant aux gens du monde, ils en soupçonnent à peine +l'importance. + +La vérité est que, quand un enfant a été mal nourri loin de sa famille, +quand il revient de nourrice avec un gros ventre, on peut affirmer que, +toute sa vie, il sera un valétudinaire. + +Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle de gens incompétents, +ou quand, poussée par son médecin, qui veut mettre à l'abri sa +responsabilité, une mère consent à abandonner les doux devoirs de +la maternité et à confier à une nourrice l'enfant qu'elle aurait dû +allaiter, quand à cette nourrice en succèdent deux ou trois autres, +sous des prétextes quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de +l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être insupportable, puis +un écolier de quatrième ordre, dans son adolescence un raté, +incapable de payer sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. Ces +considérations doivent être présentes à l'esprit du clinicien qui, se +trouvant en face d'un malade quelconque, arrivé à un âge quelconque, +doit chercher à connaître ce que vaut ce malade. + +On comprend donc l'importance du problème de l'alimentation dans la +première enfance. En principe, comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de +la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut faire quelque chose +qui soit puissamment efficace et fructueux, il est nécessaire, il est +indispensable de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, et +ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot, il faut permettre à la +mère de donner ce qu'elle possède.» (_Rapport_ du professeur Pinard à +l'Académie, juillet 1905.) + +Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir, il faut recourir +immédiatement à l'alimentation artificielle, soit avec le lait stérilisé +du commerce,--dont l'innocuité est quotidiennement démontrée par les +résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville, au dispensaire +très habilement dirigé par M. le Dr Variot,--soit encore avec le lait de +vache bien surveillé, fraîchement et proprement trait, sucré, plus ou +moins étendu d'eau, puis stérilisé dans la famille, avec des appareils +Sosclet, ou mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire». + +C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette «Goutte de lait» +de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait servir de modèle à toutes +les institutions du même genre, à cause de la simplicité de son +organisation. + +Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, maire de +Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un subside de trente mille francs mis à +sa disposition par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait» a déjà +rendu d'importants services: elle a fait tomber la «maladie» des enfants +de 0 à 1 an de 288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile le +plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000. + +La consultation des nourrissons a lieu tous les dimanches matin, dans +un local mis à la disposition de l'Oeuvre par la municipalité de +Saint-Pol-sur-Mer: 120 enfants, en moyenne, sont présentés tous les +dimanches. + +Les mères arrivent par séries, et se réunissent dans une grande +salle chauffée où elles déshabillent leurs enfants. Elles pénètrent +successivement dans la salle de consultation. Chaque enfant est pesé, +puis examiné par le médecin, qui compare le poids actuel à celui du +dimanche précédent, l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, +et fixe le régime pour la semaine qui va commencer. Toute mère reçoit, +soit un important secours _en nature,_ si l'enfant est nourri au +sein,--car on fait tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement +maternel,--soit des biberons de lait _pasteurisé_, si l'enfant est à +l'allaitement mixte ou artificiel. + +Le lait est distribué tous les jours au local de l'Oeuvre. Chaque enfant +à l'allaitement artificiel a un double jeu de biberons et de paniers, +qui lui sont personnels. En venant chercher les biberons prescrits, la +mère remet ceux que l'enfant a vidés la veille. Un seul homme suffit +pour assurer tout le service. + +Le lait est distribué gratuitement à tous les enfants indigents. Fourni +à l'Oeuvre à son prix coûtant, il provient des étables du Sanatorium de +Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans avoir été préalablement +soumise à l'épreuve de la tuberculine. + +Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé Coutant: +c'est-à-dire que, dans le biberon même où la mère devra l'utiliser pour +son enfant, le lait est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement +refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement brusque a été +rendu possible par la contexture même du verre des flacons. + +Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes pathogènes, et, à +l'inverse du lait stérilisé à 110°, a conservé toutes ses propriétés +digestives et nutritives. + +Après la pasteurisation, les biberons restent plongés dans des bacs +remplis d'eau froide, jusqu'à la livraison aux mères. + +La pathologie infantile est relativement simple. Faut-il donc, comme on +le propose de divers côtés, faire faire à tous les étudiants en médecine +un stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier aux mystères de +cette pathologie? Remarquez que d'autres médecins demandent un stage +spécial pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées; d'autres +encore un stage pour l'étude des «maladies» nerveuses, sans parler de +ceux qui voudraient un stage pour les «maladie» des yeux, des organes +génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, pour celles des oreilles +et du nez? et, à ce compte, combien de temps dureraient les études +médicales? Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils étaient +praticables; mais ils auraient pour effet de restreindre plus que de +raison le nombre des futurs médecins, et de remplacer la pléthore +médicale actuelle par une anémie encore plus regrettable. + +Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est qu'il lui reste +beaucoup _à apprendre_, c'est que toute sa vie de praticien ne sera pas +trop longue pour savoir lire dans le grand livre de la nature. Mais il +nous semble que, pour ce qui concerne en particulier la pathologie des +enfants, un peu de bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments, +de la patience, suffisent pour faire de bonne thérapeutique infantile, +quand, par ailleurs, on connaît les lois générales de la pathologie. + +Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants, je me rappelle +avoir été appelé en consultation, en province, pour un enfant de six +mois soigné par deux distingués confrères. Il avait, depuis cinq jours, +une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement rapide. Pendant les +trois quarts d'heure que dura mon enquête, je vis cet enfant passer +successivement des bras de sa mère dans ceux de la nourrice _sèche_, +puis dans ceux d'une tante affolée, le tout pour calmer les faibles cris +qu'il avait encore la force de pousser. J'appris que ce manège durait +depuis deux jours, que l'enfant avait pris du calomel, trois fois de +grands lavages intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, à +grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai simplement de mettre +cet enfant dans son berceau et de l'y laisser, de lui appliquer sur le +ventre un large cataplasme, de le laisser à la diète absolue pendant +quatre heures puis de lui donner de l'eau panée, et de le laisser dormir +si le sommeil pouvait venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé, +l'enfant avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait +naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau de riz; je conseillai +de ne pas trop déranger l'enfant, de ne plus explorer son ventre. Le +surlendemain, il prenait du lait écrémé pur, et j'appris qu'il avait +retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé mit fin à la grave alerte, et +aussi à la «maladie», qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime +de soins trop empressés. + +Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le grand secret de la +thérapeutique consiste à savoir réchauffer les enfants, tout en les +tenant à la diète absolue pendant six ou douze heures, puis au régime +«avec restriction des liquides» pendant deux ou trois jours. + +Avouons cependant que, parfois, les problèmes de pathologie infantile +sont très difficiles à résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui +ne supportait aucun lait de femme, pris en n'importe quelle quantité. +D'autres fois, les enfants s'empoisonnent avec le lait même de leur +mère. C'est, tout simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois; +mais il faut quelquefois chercher longtemps pour trouver cette cause si +simple. On ne se figure pas le nombre d'enfants qui ont des indigestions +chroniques, parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout quand ils sont +nourris par de plantureuses mercenaires qu'on ne sait comment tonifier, +dans la pensée de donner plus de forces au précieux rejeton. + +Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies» des enfants est +tellement difficile que les spécialistes se déclarent incompétents. Que +d'erreurs de diagnostic commises à propos des méningites! Et comment +aussi interpréter le cas suivant? Sans cause connue, un enfant d'un +an, bien élevé au sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient +grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre. Les jours suivants, +la fièvre augmente, une pâleur inquiétante s'étend sur la face, un +amaigrissement rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage; puis, au +bout de quelques jours, sans qu'on ait rien fait que de laisser l'enfant +bien tranquille, l'appétit revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout +rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en consultation n'ont pas +pu étiqueter cette «maladie», ni se prononcer sur son issue; mais, +tous ayant eu le bon esprit de ne pas aggraver la situation par une +médication intempestive, tout s'est terminé pour le mieux, et l'enfant a +gardé son secret. + +La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de diagnostic n'est +pas aux médecins, mais aux difficultés des problèmes cliniques. En les +dénonçant, nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de la science: +bien au contraire, ce que nous voulons dire, c'est qu'en thérapeutique +infantile il faut avant tout de la sagacité, et que, dans certains cas, +il faut que le médecin sache reconnaître son incompétence. + +Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une revanche éclatante, +et c'est alors que le médecin est en droit de se féliciter d'avoir fait +de bonnes études de pathologie générale. + +Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui vient bien pendant les +six premières semaines; puis voici que, tout en continuant à prendre +ardemment le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements, son poids +cesse d'augmenter; il diminue de 200, de 300 grammes en quelques jours. +Qu'est-ce à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique. Le +traitement mercuriel, sous forme de liqueur de Van Swieten, de frictions +mercurielles, ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose de 3 à +5 milligrammes par jour, fait merveille et rétablit entièrement cet +enfant. + +Nous avons dit plus haut combien souvent la méningite, qu'on croit +tuberculeuse, et qui survient de deux à cinq ans, est d'origine +syphilitique. Déjà en 1872, quand nous faisions nos études à +Montpellier, le regretté professeur Fonsagrives nous disait qu'il avait +sauvé beaucoup d'enfants, atteints de méningite tuberculeuse, en leur +donnant de l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il s'agissait de +méningites syphilitiques. Mais pour formuler un diagnostic de méningite +syphilitique, pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen de +l'enfant, soit par une enquête sur les parents, ne faut-il pas que le +médecin ait beaucoup travaillé, beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle +n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit se contenter de +faire de l'expectation armée, il peut, dans beaucoup de cas, rendre aux +enfants malades des services inappréciables. + +Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile, à un enfant atteint de +pneumonie; de l'immersion alternative dans l'eau chaude et dans l'eau +froide d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire, sinon +que, dans certaines circonstances, le médecin opère ainsi de véritables +résurrections? + +Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le rôle social du médecin, +bien au contraire, ni introduire dans l'esprit des jeunes confrères un +scepticisme infécond: ce que nous voulons, c'est leur dire qu'il ne faut +pas se spécialiser dans l'étude de la pathologie infantile, et que, pour +bien soigner un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout qu'il faut +souvent savoir s'abstenir. + +En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en étant compliquée, comme +tout ce qui touche au problème de la vie, nous semble être relativement +simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un tube digestif percé +aux deux bouts». + +Plus nous allons voir l'être humain avancer dans sa carrière, plus vont +devenir nombreux et compliqués les problèmes de la vie. Le système +nerveux ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une conditions +défavorables qu'impose à l'homme le milieu cosmique vont imprimer à son +capital biologique des dépenses qu'on ne peut certainement pas évaluer +mathématiquement, mais qui se traduiront par une diminution de sa +valeur. La vie ne va être de plus en plus qu'une série d'oscillations, +de luttes entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les causes de +destruction de l'être vivant; bref, un état d'équilibre instable, la +santé n'étant qu'un bel accident passager. + + + +CHAPITRE VII + +DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ + + + +Il est logique d'introduire une subdivision dans ce chapitre, et +d'étudier d'abord l'enfant de deux à sept ans, d'autant que, à cette +période de la vie, il n'y a pas à tenir compte de la différence des +sexes. + +I + +Pendant cette période, la nutrition a son activité maximum, l'enfant +améliore son capital, accumule les réserves; mais il faut bien savoir +qu'il a aussi des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux doit +être dépensé pour faire connaissance avec le monde extérieur, pour +apprendre le sens des mots, la notion des distances, etc.! On est +effrayé en pensant au travail cérébral que supposent ces acquisitions. + +De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant toute fuite +nerveuse inutile. Il faut presque se borner à le faire «boire, manger, +dormir; manger, dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant de +cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne devrait le réveiller. Pour +démontrer combien peu d'enfants ont leur dose _optima_ de sommeil, +prenez au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier jour, +dormir à volonté; il s'octroiera douze heures de sommeil. Le lendemain, +il se réveillera après onze heures, le surlendemain et les jours +suivants après dix heures. C'est donc que, au moment précis où +l'expérience a commencé, il avait un arriéré de besoin de sommeil. + +Quant au problème de l'alimentation, il est relativement simple, et +l'expérience des mères de famille répond à la plupart des indications. +L'enfant doit manger quatre fois par jour; mais, en général, il mange +trop vite. Les parents devraient, pour leur usage personnel et pour le +bien de leurs enfants, se rappeler qu'il existe des glandes salivaires +sécrétant, chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par jour, et +que, si une bonne digestion commence dans la cuisine, elle se continue +dans la bouche. + +En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le moins d'influences +nocives; et un peu de surveillance suffit pour que l'enfant se porte +bien. + +Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent, en général, d'une +façon bénigne, quand elles ne sont pas troublées par une thérapeutique +incendiaire. De là la faible mortalité afférente à l'âge que nous +étudions, dénoncée par les tables qui servent de base aux calculs des +Compagnies d'assurances sur la vie. + +Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, scarlatine, +rougeole, angine, il se rétablit avec une rapidité contrastant avec la +lenteur de la convalescence chez l'adulte, et encore bien plus chez le +vieillard. Voyez, par exemple, une angine herpétique! Elle occasionne +chez l'enfant de tumultueux symptômes: de la fièvre, du délire; mais, +au bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, quatre jours +après, l'enfant paraît aussi bien portant qu'avant. Chez l'adulte, au +contraire, le même nombre de points d'herpès sur la gorge provoque un +état maladif moins tumultueux, mais qui se termine par une convalescence +de quinze jours à un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou +tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement nécessaires à l'enfant +convalescent, doué de plus d'élasticité. + +A partir de sept ans s'esquisse, chez certains enfants, une +différenciation qui ira s'accusant d'année en année. Un oeil attentif +va percevoir si l'enfant appartient au type _musculaire_ ou au type +_cérébral_. Le _musculaire_ est cet enfant actif, aimant à jouer, +turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention pour un quart d'heure +de suite, n'ayant, par conséquent, aucun goût pour l'étude telle qu'elle +lui est imposée. Le _cérébral_ est l'enfant réfléchi, n'aimant pas les +jeux bruyants, et dont l'esprit est en avance notable sur celui des +enfants de son âge. A chacun de ces deux enfants conviendrait une +éducation différente; malheureusement, les nécessités sociales les +soumettent, l'un et l'autre, à la même discipline pédagogique,--bien +comprise, il faut l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour +ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement en vigueur +s'approche autant que possible de la perfection, il faut bien dire qu'il +convient moins aux types extrêmes que nous venons de mentionner. Le +petit _musculaire_, condamné à de longues heures d'étude, s'agite, +s'inquiète, devient de plus en plus dissipé, et ne tarde pas à entrer +dans la catégorie des enfants dits «paresseux». Sa santé physique peut +ne pas souffrir outre mesure du régime compressif auquel il est soumis; +il grandit, se porte bien en apparence; mais son cerveau est, pour ainsi +dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement inférieur. Chez le petit +_cérébral_, au contraire, l'éducation moyenne peut amener des troubles +de la santé physique: les récréations bruyantes et agitées, imposées +après les repas, les longues promenades hebdomadaires, l'insuffisance +du sommeil, une alimentation mal adaptée à son tube digestif, très +vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la longue; et, d'un enfant +qui aurait pu donner les plus belles espérances, la pédagogie officielle +fait un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en un mot un +malade. + +Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle? Oui, dans les cas +extrêmes et dans des circonstances exceptionnelles. + +Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation collective et le +surmenage cérébral imposé par nos programmes amènent les plus fâcheuses +conséquences, pour le présent et pour l'avenir, c'est celle des enfants +que l'hérédité n'a pas préparés au travail cérébral. Tels ces fils +de cultivateurs qui ont une longue hérédité terrienne, et que leur +intelligence hâtive semble désigner comme particulièrement aptes aux +études supérieures. Ce sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils +arrivent aux écoles supérieures: mais ils y arrivent malades, et seront +malades toute leur vie. + +De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les «maladies» accidentelles +sont presque inévitables, à cause de la promiscuité des enfants dans les +écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité. Ce ne sont pas +elles qui diminuent sensiblement le capital biologique individuel. Les +fautes commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une bien plus grande +importance. + +Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës qui ressemblent plus +ou moins à la fièvre typhoïde, et qui sont dues à des indigestions! En +général, l'hygiène alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée. +Les enfants mangent trop vite, comme nous l'avons dit plus haut; et, +très souvent, ils mangent trop, précisément parce qu'ils mangent trop +vite, la sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction +brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire mal élaborée. D'autre +part, de trop nombreux parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on mange +qui profite, mais ce qu'on assimile, se figurent qu'il faut que l'enfant +mange beaucoup pour se donner des forces; et ce préjugé amène chez +l'enfant des intoxications chroniques qui retentissent sur son système +nerveux, sur sa croissance, jusqu'au moment où l'estomac surmené +commence à protester. A partir de ce moment, le cercle vicieux est +établi, et, si un régime alimentaire bien compris n'est pas institué, +l'enfant devient un malade, et restera malade indéfiniment. C'est ce que +M. le Dr Laumonier a très bien exposé dans un article du _Correspondant +médical_ de 1905: + +Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils mangent +beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil ne soit pas +toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant on ne peut, à première +vue, les accuser d'aucun trouble évident. Cependant, certains soirs +principalement, ils se montrent tantôt plus énervés que d'habitude, +tantôt plus abattus au contraire, et si, à ce moment, on prend leur +température rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au +delà. Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y +paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance, et les +parents se gardent bien, pour si peu de chose, de faire appeler le +médecin; ils ont tort, car cette fièvre digestive est le symptôme +de troubles fonctionnels d'assez grande importance, et qu'il est en +conséquence nécessaire de soigner dès le début. + +Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de belle +apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration de leurs +parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et les belles couleurs +disparaissent. Ils finissent ainsi par se transformer en enfants +chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise haleine, présentant des +alternatives de constipation et de diarrhée, souffrant parfois de +douleurs stomacales vives; en un mot ce sont maintenant de véritables +dyspeptiques. + +Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel extrême, pour +ainsi dire, de troubles longtemps existants et dont les accès légers de +fièvre digestive ont été l'un des premiers et des plus caractéristiques +symptômes. Il suffit, pour s'en convaincre, de suivre avec quelque +attention l'évolution progressive des phénomènes. + +Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles ont été, +pendant leur première enfance, mal nourris, sinon comme qualité du lait, +au moins comme quantité; en d'autres termes, leur ration a été trop +copieuse. Puis, après le sevrage, ils ont été mis rapidement à la +nourriture commune de la famille; ils ont mangé de tout, et trop; +parfois aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du +café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques. + +C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,--pas plus que l'homme, +du reste--ne mange qu'à sa faim; toujours, ou presque toujours, à ce +point de vue, la limite est dépassée. La quantité d'aliments ingérés +est beaucoup plus une affaire d'habitude que de besoin réel, comme le +prouvent manifestement les résultats du traitement imposé à ces petits +malades. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent +ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel les +aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions digestives, +stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales. D'où, d'une +part, l'insuffisance et l'épuisement des glandes gastriques, la +dilatation et l'atonie stomacales, et, d'autre part, la production des +substances toxiques qui, résorbées, entraînent l'auto-intoxication et +l'élévation thermique qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,--et +c'est là un point essentiel,--que la fièvre digestive peut se produire +et se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire et +l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés; +elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue un signe +prodromique, avertissant que la limite digestive est dépassée, que +l'estomac commence à se fatiguer, que l'auto-intoxication d'origine +digestive est déjà manifeste. + +Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers de cet +état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros foie... etc., +ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence; d'autres signes, +plus incertains, dyspnée, terreurs nocturnes, manifestations cutanées, +peuvent exister aussi, qui complètent la signification des premiers. +Passons donc et arrivons au traitement. + +La première indication est de réduire la ration alimentaire à ce qui est +strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge, le sexe, le poids, +la taille, et de composer cette ration d'aliments faciles à digérer, +fournissant le minimum de fermentation, tels que lait, oeufs, pain +grillé, viande crue, purée de légumes. Sans en arriver au régime sec, +qui a beaucoup d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la +quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne qualité ou +des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures hygiéniques générales, +on assurera la liberté du ventre par des habitudes régulières ou à +l'aide de quelques lavements tièdes, mais sans en abuser. + + +DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE + + +I.--CHEZ LA FILLE + +Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue un moment +solennel dans l'existence. La plupart des mères de famille le savent, +s'en inquiètent, mais ne connaissent pas les précautions à prendre. Ces +précautions consistent à supprimer plus que jamais les fuites nerveuses. +Ainsi, il convient alors de diminuer le travail cérébral, le travail +musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la mettre à l'abri de +toutes les influences qui, par action réflexe, retentissent sur son +système nerveux (indigestions, coups de froid). + +Pendant les premières périodes menstruelles, le repos presque absolu au +lit s'imposerait, si les règles étaient douloureuses ou trop abondantes; +et un repos relatif s'impose même quand elles sont correctes. Ce qu'il +faut bien savoir, c'est que l'anémie qui accompagne, en général, cette +période de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, ni de +la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, ce sont les +précautions citées plus haut, et, par intervalles, quelques injections +de cacodylate de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie. C'est là un +des rares médicaments capables de rendre des services, à la condition +formelle qu'il ne soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin. + +Une fois la menstruation établie, il ne faut pas s'inquiéter outre +mesure si, pendant les premières années, les règles ne viennent pas à +époques fixes, et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni +douloureuses, ni trop abondantes. + +Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent de voir la santé +des jeunes filles subir un assaut considérable, qui se traduit par de +la chloro-anémie, avec état nerveux, suppression des règles, troubles +dyspeptiques, constipation, etc. + +Les causes en sont multiples. Chez la jeune ouvrière, c'est, le plus +souvent, le surmenage physique, la vie anti-hygiénique des ateliers, +l'accumulation des privations. Dans d'autre milieux, c'est le fait du +surmenage intellectuel pour l'obtention des brevets. Mais, plus souvent +encore, ce sont les causes morales qui portent atteinte au système +nerveux. C'est une vocation contrariée, une suite continue de petits +malentendus avec la famille, avec la mère en particulier. La mère, ne +se décidant pas à s'apercevoir que sa fille grandit, continue à vouloir +exercer sur elle une autorité despotique, contre laquelle l'enfant se +cabre en vain pendant de long mois, et dont elle souffre de jour en jour +davantage. + +Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée, un mariage +désiré qui se trouve rendu impossible par la volonté intransigeante des +parents, ou par des circonstances indépendantes de toute volonté ou même +c'est un vague et obscur besoin du mariage: pour suivre, en somme, les +lois de la nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct de la +maternité qui se rencontre chez la femme depuis son plus jeune âge, et +se traduit, dans la première enfance, par le besoin de la poupée. + +Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement; puis, un jour, +la «maladie» éclate, souvent à la suite d'une affection aiguë qui +contribue à faire tomber brusquement la force de résistance du système +nerveux. + +Si variés que soient les symptômes par lesquels le mal se traduit, la +thérapeutique doit être la même. Elle consiste à ne pas aggraver la +«maladie» par une médicamentation intempestive; ce ne sont ni les +pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la douche froide qui +pourront faire du bien à une jeune fille ainsi atteinte, ni même la +suralimentation, malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut, c'est +chercher la cause de la «maladie», et la supprimer ou l'amoindrir autant +que possible. + +Quand c'est le surmenage physique, le repos absolu s'impose, et la jeune +malade arrive très vite à la guérison. Quand le surmenage physique n'est +pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus difficile que de doser le +repos et l'exercice. Le plus souvent, le repos relatif est de rigueur. +Dans d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en particulier, un +exercice modéré, et même poussé assez loin, peut produire d'excellents +effets. Le médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité de ce moyen +thérapeutique, basera son jugement sur les résultats de l'enquête qu'il +fera au sujet du passé de la malade, et il aura le droit de procéder par +tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas graves où le repos absolu +s'impose d'abord, rien n'est plus difficile que de doser l'exercice +dès que la malade est capable de le supporter, mais le principe est de +rester en deçà de ce que la malade peut donner. + +Quand la «maladie» de la jeune fille est due au milieu familial, le +remède essentiel est de le lui faire quitter. Malheureusement, on attend +souvent trop longtemps pour prendre ce parti radical; on attend que la +vie soit devenue impossible, que la jeune fille ait perdu le sommeil, +les forces, l'appétit, et soit dans un état d'excitation inquiétant. On +l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie, où on lui +impose le plus souvent, à notre avis, une séquestration trop radicale. +Car la priver de toute visite, de toute correspondance, la soumettre à +une discipline d'une sévérité exagérée, nous semble vraiment excessif. +L'enfant se révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice +relativement restreint. Elle prend sur elle pour simuler la guérison, et +pour échapper à la tutelle des médecins; elle sort avec les apparences +de la santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle retombe dans le +milieu familial hostile, la «maladie» ne tarde pas à renaître de ses +cendres, jusqu'au jour où une circonstance quelconque amène enfin un +changement de vie radical, qui la guérit. + +Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, d'éloigner l'enfant, de +temps à autre, du milieu familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui +qui est l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente, soit +même à une garde bien choisie, jusqu'au moment où on trouvera à la +marier, chose qu'il ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui, +dans bien des cas, est le remède par excellence? Pendant les absences de +la jeune fille, l'état nerveux du milieu familial lui-même se calme, ce +qui rend la vie commune acceptable par intermittences. Loin de nous, +cependant, l'idée de porter atteinte à l'esprit de famille en proposant +pareille mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle et +comme un pis-aller, préférable souvent à la maison de santé, et, en +définitive, moins onéreuse. + +Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource de la séparation, +même momentanée. Heureusement, chez eux, les contacts entre parents et +enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a toujours une certaine +indépendance; elle n'est pas soumise à une tyrannie de tous les +instants. En outre, son système nerveux est moins vulnérable, de sorte +que l'influence néfaste du milieu familial est rarement une cause de +«maladie». Nous connaissons cependant de jeunes ouvrières dont la +santé a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel elles étaient +condamnées à vivre: père alcoolique, qui les battait au retour de +l'atelier, mère ou belle-mère acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre +victime résiste tant qu'elle peut, jusqu'au jour où elle quitte avec +éclat la maison paternelle, à moins que, victime résignée, elle ne voie +peu à peu s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi une proie +toute désignée pour la tuberculose, qui met fin à ses misères; souvent +aussi sa déchéance se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile +d'aliénés lui ouvre ses portes. + +D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation contrariée qui met +la jeune fille en état de «maladie». Il n'y a pas à se le dissimuler, +quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité des +vocations religieuses, lorsqu'une vocation est sincère, toutes les +entraves qu'on lui apportera ne serviront de rien. La jeune fille +souffrira, deviendra de plus en plus malade, et force sera un jour de +céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames intimes et ignorés, qui +torturent même les familles chrétiennes; et le résultat final a toujours +été le même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle a eu gain de +cause. + +Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait respectueusement, +depuis trois ans, contre sa famille, pour obtenir l'autorisation +d'entrer au Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé de +«maladie», restant des huit et quinze jours sans garde-robe, malgré +l'hygiène intestinale la plus soignée, ne pouvant plus lire ni supporter +une conversation; elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait plus +quitter son lit, tant les forces physiques étaient diminuées. Gravement +préoccupé de l'issue de cette «maladie», dont je connaissais la cause, +je crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant l'avocat de la +malade. Or, dès qu'elle eut obtenu l'autorisation sollicitée depuis si +longtemps,--et que, par parenthèse, elle avait cessé de demander depuis +un an, pour ne pas torturer sa famille,--nous vîmes la santé revenir +avec une rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se remirent à +fonctionner, et, un mois après, la jeune fille entrait au Carmel. Quelle +ne fut pas notre stupéfaction d'apprendre que, le troisième jour, elle +lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie et de bonne humeur! + +Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité des parents, +il faut que cette autorité sache s'effacer devant la volonté ferme, +réfléchie, bien arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et +ajoutons que l'intérêt l'exige. + +Les mêmes considérations s'appliquent au cas où une jeune fille veut, +envers et contre tous, épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf +fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de ses parents, qui ont +l'expérience de la vie. Mais l'expérience est semblable à un habit fait +sur mesure, et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait. Aussi, +lorsque, malgré les sages raisonnements, la jeune fille s'obstine et +s'entête, estimons-nous qu'il faut lui céder après un délai raisonnable. +On doit haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne. + +Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la jeune fille est victime +de son tempérament, qui ne trouve pas dans les joies de la famille une +satisfaction suffisante: elle éprouve le _besoin_ de se marier. C'est +alors aux parents à l'aider dans son choix, car cet état d'âme peut +amener la «maladie». + +Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, avant de se marier, +subir un traitement médical; car elle n'a pas le droit de se marier en +état de «maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait pas. Or +il faut bien savoir que, au début de la vie conjugale surtout, elle +n'a pas le droit d'être malade. C'est donc une raison de plus pour la +soigner avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette cure est des +plus simples: la cause de la «maladie» ayant disparu, et le capital +biologique n'étant pas encore gravement entamé, le rôle de la +thérapeutique se réduit à peu de chose. + + +II.--CHEZ LE GARÇON + + +Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte, les influences +capables d'amener la «maladie» sont également multiples. Signalons, +parmi les principales : + +I. Le surmenage scolaire; + +II. L'abus des sports; + +III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes solitaires et +prématuration). + +I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, dont on a fait si grand +bruit il y a quelques années? Les brillantes discussions de l'Académie +de médecine n'ont pas empêché les programmes de se surcharger d'année en +année; et ils se surchargeront encore davantage, cela est inévitable, +c'est la loi même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir +remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant surmenage ne nous +effraie pas outre mesure, car il faut compter: 1° avec les nouvelles +méthodes d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois; 2° avec une +adaptation du cerveau des générations actuelles et futures à un travail +cérébral plus considérable. N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui rend +si dangereux le travail cérébral chez les «déracinés» dont nous avons +dit un mot au chapitre précédent? + +Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des systèmes +pédagogiques? Non. Le jeune homme ne travaille pas trop, mais il +travaille mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne dort pas +assez, et on n'a pas assez le respect de son sommeil: du sommeil qui +dompte tout, suivant la forte expression d'Homère. + +Un groupe de médecins anglais vient de commencer une campagne de presse +pour obtenir que l'élève des collèges anglais puisse dormir plus +longtemps. Ils avaient été précédés dans cette voie par le Dr +Chaillou[5], directeur de l'hygiène d'un grand établissement +d'instruction, qui dès 1903, a eu l'idée excellente d'installer, dans le +pensionnat, ce qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là, les jeunes +gens fatigués momentanément vont, tout simplement, se reposer suivant +leurs besoins; et jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de +dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats aux écoles, et que +l'intelligente discipline générale de la maison est de nature à prévenir +tout abus. + +[Note 5: _Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans +un grand collège moderne_, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut +Pasteur. Paris 1903.] + +II. _Abus des sports_.--Si pour l'homme sain l'exercice est nécessaire +à la santé, cet exercice, lorsqu'il est poussé à un degré excessif, +devient un facteur important de «maladie». + +L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué, peut être poussé +très loin sans provoquer d'accidents; c'est ainsi que, chez les +professionnels des cirques, la santé se maintient excellente, comme j'ai +pu m'en rendre compte par une enquête faite chez Barnum. Le médecin +attaché à la troupe de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il +n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre chirurgical. + +Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont _sélectionnés_, ce sont +des professionnels: ils ne font pas autre chose que des tours de force; +toute leur activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur ces +questions d'exercice musculaire. + +Ajoutons que l'exercice est savamment gradué par des gens du métier, qui +savent par expérience ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que +les gens des cirques observent une sage hygiène; ils savent que tous les +écarts se payent, et ils sont, à tous égards, d'une sobriété exemplaire. + +Tout autres sont les conditions dans lesquelles se trouve l'homme du +monde qui fait du sport. Parfois il a une profession; c'est donc sur les +loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, qu'il prend le +temps de faire les exercices qui le passionnent; quand il n'a pas de +profession, il est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée plus +haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux qu'en exercice +physique. + +Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du sportsman, c'est le +_sport_, c'est-à-dire l'émulation qui existe presque fatalement entre +ceux qui s'occupent avec passion d'exercices physiques, et qui fait que +chacun d'eux veut devancer son voisin. + +Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver au surmenage; ce qui +le fatigue, c'est de voyager en compagnie d'autres camarades, à cause de +l'excitation qui se communique des uns aux autres, et qui les porte tous +à donner plus qu'ils ne peuvent. L'escrime, souvent, n'aurait pas sa +raison d'être, sans le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le +danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se rappeler qu'il +est pris, en général, dans un air confiné, qu'il exige une dépense +considérable d'influx nerveux, une tension permanente de l'esprit, un +excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra que c'est plus un +exercice cérébral qu'un exercice musculaire, et que les gens qui croient +se reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime sont bien vite +détrompés. Le sage est celui qui, désirant se reposer du travail +cérébral par l'exercice, s'attache aux exercices qui ne demandent pas +d'attention, aux exercices automatiques dans lesquels la moelle seule +intervient; marcher, ou mieux encore courir suivant les bons principes, +scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, ramer, etc. + +L'automobilisme «tient le record» parmi les exercices qui épuisent le +système nerveux; nous ne parlons pas, bien entendu, des hommes qui se +servent de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, mais de ceux qui +en font un moyen de distraction. Quelques-uns arrivent à une mentalité +toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore reçu de nom, et +qu'on pourrait appeler la folie de la vitesse: quand ils sont sur leur +machine, ils ne voient que le ruban de route qui se déroule devant +eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne voient point, ils +n'entendent point: ce sont des mangeurs de kilomètres, ce ne sont +plus des hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a pas besoin +d'émulation, il se suggestionne lui-même, et devient le propre artisan +de son délire. + +Mais les dangers des sports deviennent encore plus considérables quand +ils sont pratiqués par des organismes en voie de formation, par des +jeunes gens, par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait soufflé +un vent, venu d'Angleterre, qui avait véritablement tourné la tête à +certains hommes s'occupant des problèmes de pédagogie,--ou plutôt qui +avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues subissaient le +courant. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne parlait plus, dans les +établissements scolaires, que de sports et de gymnastique. La culture +intellectuelle paraissait devoir être mise au second plan. Mais on +n'a pas tardé à voir qu'il y avait abus. Les excellents travaux du Dr +Lagrange et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans la _Ligue +des Pères de Famille_, ont mis un frein à cet engouement, qu'on ne +rencontre plus que dans quelques institutions où l'on s'obstine à imiter +l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos petits Français ne +sont pas des Anglo-Saxons. Je me demande d'ailleurs si les petits +Anglo-Saxons eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient +bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres au pas gymnastique, sans +progression et sans entraînement préalable, comme je sais qu'on en +impose aux enfants dans les institutions dont je parle. + +III. _Déviations de l'hygiène sexuelle_.--Tous les pédagogues et tous +les pères de famille soucieux de l'avenir de leurs enfants sont, à juste +titre, préoccupés de l'important problème de l'éducation sexuelle; mais +tous sont loin de le résoudre dans le même sens. Les uns estiment qu'il +ne faut rien dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les autres, +qu'il faut au contraire aborder le redoutable problème en face, et le +plus tôt possible. La vérité, comme en bien d'autres circonstances, se +trouve entre ces deux extrêmes. + +Il est bien certain qu'il faut que, à un moment donné, le jeune homme +soit averti des dangers qu'il court en s'abandonnant à des aberrations +de l'instinct génésique, ou encore à l'usage prématuré des fonctions +sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse de bonne heure le péril +vénérien. Mais quels moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père de +famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il a suffisamment gagné +la confiance de ses enfants, et s'il se sent capable de cette mission +délicate; dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille que doit +être dévolu ce soin; et, dans les pensions, lycées, institutions, c'est +encore au médecin de la maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des +professeurs qui vivent le plus avec les élèves. + +Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement collectif? La tentative +a été faite, récemment, dans plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer +qu'elle est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute attente. +Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives partisan plutôt de +l'enseignement individuel, compris dans un sens libéral, sous forme de +causerie du professeur avec un petit nombre d'élèves. + +Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder devant les enfants ces +délicats problèmes, le rôle de l'éducateur doit se borner à exercer +autour d'eux une surveillance assidue, et à retarder le plus possible +l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, il faut imposer +à l'enfant de la fatigue physique, la pousser au maximum de la +_tolérance_, dussent les études en souffrir momentanément. C'est de la +bonne économie, sans cependant qu'on doive verser dans cet abus des +sports que nous avons dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans +tous les problèmes de l'hygiène, cette question de dosage, de mesure, +qui comporte un nombre indéfini de solutions, d'après la variété des cas +individuels. + +Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant à des aberrations de +l'instinct sexuel sont moins grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont +néanmoins considérables, et le capital nerveux de l'enfant est vite +entamé par les habitudes vicieuses. De là ces formes vagues de +neurasthénie avec difficulté pour le travail, timidité maladive, +manque de confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés, +amaigrissement, amoindrissement de la valeur du sujet. Un médecin +éclairé ne s'y trompe pas. Il doit alors trouver moyen de prendre +l'enfant à part, à la fin de la consultation, et lui dire à +brûle-pourpoint, en le regardant fixement: «Mon ami, je sais la cause de +votre mal!» Il faut ensuite provoquer quelques aveux _discrets_, et la +consultation doit se terminer par une promesse formelle de l'enfant +de se corriger. La psychothérapie, en ce cas, vaut mieux que les +médications pharmaceutiques les plus savantes: elle manque bien rarement +son effet et elle peut être grandement aidée, dans certains cas, par la +psychothérapie hypnotique, dont nous parlerons plus loin. + +Quant au danger que fait courir la prématuration des fonctions +sexuelles, c'est chose certaine que tout usage de ces fonctions devient +un abus, tant que l'organisme n'a pas atteint son complet développement. +L'être humain ne devrait aborder l'acte destiné à perpétuer la vie qu'à +partir du moment où il est, lui-même, en pleine possession de toute +sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence n'est pas +préjudiciable. La question a été étudiée à fond, et résolue dans le même +sens par les moralistes et par les hygiénistes. La continence n'est +presque pas pénible, elle ne le devient que si des excitations +factices ont éveillé de trop bonne heure l'instinct sexuel. Elle est +recommandable au point de vue moral; elle entretient, chez le jeune +homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer, «le respect de la +femme»; et, à vrai dire, c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri +des contaminations vénériennes. + +Le grand public commence à connaître le péril vénérien, et, surtout, à +oser en parler. On ne saurait croire combien l'ingénieuse trouvaille de +M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'_avarie_ la plus redoutable des +«maladies» vénériennes, la syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion +publique. Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et nous +aimerions aussi voir employer le terme de «petite avarie» pour désigner +la blennorragie, dont les méfaits sont plus considérables que ne le +croit le public, et même que ne le croient beaucoup de médecins. + +Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel les jeunes gens sont +le plus souvent contaminés. Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier, +c'est beaucoup plus tôt qu'on ne se le figure généralement; et +non seulement à Paris, mais partout, ainsi que le démontrent les +statistiques de _toutes_ les armées, qui enregistrent beaucoup plus de +«maladies» vénériennes à la première année de service qu'aux années +ultérieures, parce que, parmi les malades enregistrés à la première +année, figurent tous ceux qui étaient contaminés avant leur entrée au +régiment. + +Nous ne saurions trop recommander à ce sujet la lecture et la méditation +de l'excellente brochure du professeur A. Fournier: _Pour nos fils quand +ils auront dix-huit ans_. En quelques pages s'y trouvent nettement +indiquées, et sans aucune exagération, la gravité du péril vénérien, la +conduite à tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour l'éviter. +Cette brochure est bonne à lire, elle est nécessaire et suffisante aux +conférenciers qui veulent répandre la vérité. + +Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de la syphilis. C'est +toujours une «maladie» grave, quelquefois elle est très grave, et cela +dès les premiers mois qui suivent son apparition. Elle se traduit alors +par les plus importants symptômes de la déchéance organique, céphalée +violente, anémie aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile de +dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital biologique un déchet +énorme. Heureusement le traitement mercuriel intensif est là pour +réparer, dans une certaine mesure, le désastre. + +D'autres fois, la syphilis amène chez le malade de telles préoccupations +morales qu'elle devient un danger imminent. L'angoisse peut même +conduire au suicide. Il faut que le médecin et le père de famille +connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner la victime, dans +la mesure nécessaire. Mais dans tous les cas la syphilis, cause +d'amoindrissement énorme de la valeur du sujet, devra être traitée +énergiquement, dès le début et pendant un temps prolongé,--au moins +quatre ans,--par des traitements successifs. + +Chez la jeune fille, la syphilis est également à redouter. Nombre de +jeunes filles de la classe ouvrière connaissent tout ce qui est relatif +aux questions vénériennes; elles n'en ignorent que le danger. C'est à +leur usage que j'ai écrit naguère une petite brochure intitulée: _Pour +nos filles_. Les services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas +comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente brochure du +professeur Fournier; et si je la mentionne, ce n'est certes point par +une enfantine vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a +affirmé qu'il était bon de la faire connaître. + + +III--CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.--«MALADIES» +ACCIDENTELLES + + +C'est à dessein que nous plaçons ces observations à la suite de l'étude +consacrée aux jeunes garçons, car les jeunes filles, entourées de +soins à l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de «maladies» +accidentelles. Chez le jeune homme, au contraire, plus ou moins mal +surveillé, plus ou moins surmené par un travail cérébral auquel son +cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou par le travail +musculaire, pour lequel ses muscles, encore en état de développement, ne +sont pas suffisamment préparés, la flore microbienne trouve un excellent +terrain de culture. Nous ne pouvons pas passer en revue la pathologie de +cet âge; faisons seulement remarquer que la «maladie» accidentelle ou +bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat définitif sur un organe +quelconque (endocardite du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que, +à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement prolongé ou +définitif de la valeur du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les +jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une convalescence franche, sans +ébranler l'organisme; à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme est +doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement. + +Exception doit être faite pour la tuberculose; c'est, par excellence, +la «maladie» de l'âge adulte. Contractée, le plus souvent, dans la +plus tendre enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les mauvaises +conditions de milieu, la misère physiologique, le surmenage, mettent le +terrain en état de moindre résistance. De là son maximum de fréquence de +dix-huit à trente-cinq ans. + +De cette conception, qui n'est pas encore classique, mais qui commence à +pénétrer dans les esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher, +et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la tuberculose dans +l'armée, découle la véritable prophylaxie de la tuberculose. C'est en +vain que l'on dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des sanatoria; +le sanatorium ne convient qu'aux riches. C'est peut-être un bon +instrument de cure: sûrement ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas +«ce n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre la tuberculose +en tant que «maladie» sociale» (Grancher). Voyez, en effet, ce qu'il +faudrait pour qu'un sanatorium populaire donnât un rendement social +appréciable! Il faudrait: 1°à l'entrée du sanatorium, un dispensaire de +dépistage pour ouvrir la porte aux seuls malades légèrement atteints; +2° pendant le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de secours pour +sa femme et ses enfants; 3° à la sortie du sanatorium, la double ration +de repos et la demi-ration de travail pendant un temps presque illimité! +Le Congrès de la tuberculose de 1905 a d'ailleurs sonné le glas sur les +sanatoria populaires, et les médecins de tous les pays, dans une heure +de sens commun et de clarté, ont voté la même formule: «En fait de +tuberculose, la préservation domine l'assistance.» Nous serons moins +sévères dans notre appréciation des dispensaires: ils peuvent rendre +quelques services pour l'éducation populaire; mais les véritables +oeuvres de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les oeuvres de +préservation, celles qui arrachent un enfant sain d'un milieu contaminé; +ce sont les oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints de +tuberculose locale et non contagieuse; ce sont les colonies de vacances, +etc. Ce sont, surtout, les diverses oeuvres sociales luttant contre +la misère: car la misère est le grand, le plus grand facteur de la +tuberculose. + + + + +DEUXIÈME PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +MATURITÉ + + + +Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine possession de tous +ses moyens, son capital a été progressivement amélioré et lui rapporte +de gros intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le faire +valoir, d'obtenir de lui son rendement maximum. + +L'ère des ménagements est passée, il faut à tout prix que l'homme +travaille et produise. On l'alimentera en conséquence: la dépense +étant considérable, il faudra que l'aliment soit réparateur. Le point +essentiel est de ne pas dépasser la dose des dépenses, d'utiliser le +capital, mais non de l'amoindrir, de chauffer la machine, sinon à blanc, +du moins à la température maxima tolérée, pour ne pas l'user trop vite, +et surtout pour ne pas la faire éclater. Il faut, en somme, que l'homme +produise; et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne ferait que +s'empêcher de mourir. Bien plus; de même qu'un capitaliste avisé, quand +il possède beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce qu'on appelle +de la «surface», n'a pas peur, de temps à autre, de risquer une somme +raisonnable dans une affaire qui n'est pas de tout repos; de même +l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas craindre, à certains +moments, de se dépenser un peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène, +à la condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni trop prolongé, +et qu'une période de repos succède à cette période de travail intensif. +(De là la nécessité des vacances et du repos hebdomadaire). + +Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous croyons qu'il est bon +que l'homme actif, intelligent, bien portant, donne de temps à autre +ce qu'on appelle un «coup de collier», quitte à réparer sa dépense +excessive par un repos plus ou moins prolongé, mais quel est le +critérium? à quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas dépassé la +mesure de ses forces, et qu'il ne court pas à la banqueroute? + +Le principe général est qu'il faut arriver aux confins de la fatigue, +mais ne jamais atteindre la fatigue douloureuse. Quand il s'agit de +travail musculaire, le critérium est relativement facile à trouver. On +est averti qu'on a dépassé la mesure de ses forces par deux symptômes +caractéristiques: la diminution d'appétit et la diminution de sommeil. + +Cette donnée pourrait même rendre de grands services aux chefs +militaires, dont l'idéal, très légitime, est de faire produire à la +machine humaine son maximum de rendement, sans épuiser cependant les +forces des soldats. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux confondent +l'entraînement et l'épuisement; ils arrivent à avoir des troupes qui +n'ont pas de valeur réelle, tout en ayant les apparences de la force. +Ces troupes, qui se sont présentées sous le plus bel aspect à des +manoeuvres de quelques jours, seraient incapables d'entrer en campagne +et de supporter des fatigues prolongées. Si les chefs de corps avaient +eu la précaution de s'enquérir de la façon dont les soldats mangent, +ou de _voir_, après une marche prolongée, comment ils mangent, de +surveiller de temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui recueille +tous les restes des repas, ils auraient vu que le travail excessif se +traduit par une baisse dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans +les chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à la suite de +fatigues excessives les hommes ne dorment pas bien. Et rien ne les +empêcherait, d'ailleurs, de prendre parfois l'avis de leurs médecins. + +Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème, d'autant que, chez +l'homme qui a subi un entraînement méthodique, la sensation de _fatigue_ +disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la fatigue. L'épuisement, +chez lui, se traduit exclusivement par la diminution du poids, de +l'appétit et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire en +particulier, par l'apparition des «maladies» dites accidentelles. + +Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit que de dépenses +musculaires, il devient plus complexe encore quand il s'agit de dépenses +cérébrales. Voici un commerçant obligé de brasser de grosses affaires. +Il est réveillé, le matin, par le téléphone voisin de son lit; pendant +toute la journée, il n'a pas un quart d'heure de tranquillité; il sent +peser sur lui des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une série +d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant viennent s'ajouter des +chagrins de famille, etc., voici notre homme qui, tout d'un coup, +tombe dans la «maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener le +déclanchement: c'est une émotion un peu violente, c'est une perte +d'argent, c'est une «maladie» infectieuse plus ou moins légère, qui +ouvre la brèche, et voilà la «maladie» installée! + +Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme? A-t-il eu, depuis dix ans +qu'il surmène son cerveau, un avertissement quelconque lui indiquant +qu'il dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à pleines +mains dans un capital insuffisamment réparé chaque jour? Oui, le plus +souvent! C'est, par exemple, un vertige qui est apparu, à un moment +donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on pourrait appeler «un +avertissement sans frais», il aurait immédiatement diminué le travail, +ou même l'aurait suspendu pendant quelques jours. Mais il n'en a pas +tenu compte, il a pensé que _ça passerait_. D'autres fois, c'est une +sorte d'endolorissement de la tête, non pas passager, mais permanent, +qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements de l'oreille gauche. +(Cette prédominance des bourdonnements à gauche, de la diminution de +l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les phases de la +«maladie».) D'autres fois encore, c'est une sorte de sensation +de fatigue permanente, exagérée surtout le matin, avec diminution +d'appétit, constipation, autrement dit avec les petits symptômes de +la grande «maladie». Il est tout à fait exceptionnel que le krach se +produise sans de tels phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant, +et c'est chez les natures les plus admirablement douées en apparence. + +Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel et musculaire à +la fois, il réalise les conditions les plus parfaites pour arriver à +l'épuisement rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement +contre le préjugé des gens du monde, qui se figurent que l'exercice +musculaire repose du travail cérébral, et que le surmené cérébral doit, +pour bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, de la marche +forcée, à ses moments disponibles. C'est là une erreur énorme dont +la pédagogie commence à faire justice. Certes il est des hommes, +admirablement doués, qui peuvent supporter une dépense considérable à +la fois au point de vue musculaire et au point de vue cérébral: mais ce +qu'il faut bien se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers +symptômes du surmenage, on doit aussitôt réduire la dépense totale, et +la dépense musculaire en particulier; à ce prix seulement on aura chance +d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre sur nous, de la +«maladie». + + + +CHAPITRE II + +CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE» + + + +Plusieurs fois déjà, dans le cours de ce travail, j'ai eu l'occasion de +parler de la «maladie», sans préciser le sens exact que je donnais +à ce mot. Mais le moment est venu de tenter, sinon une définition +scientifique de la «maladie»,--définition aussi impossible que celles, +par exemple, de la richesse, de la vertu, ou de la beauté,--tout au +moins une explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette chose +indéfinissable; des principaux caractères qui lui sont propres; et des +traits qui la distinguent de ces manifestations pathologiques bien +déterminées que l'on appelle communément les «maladies», et que +j'appellerais volontiers des «accidents», par opposition à la nature +plus générale, plus profonde, et infiniment plus complexe, de la +«maladie». + +Voici quatre personnes qui, dans une même après-midi, se présentent à ma +consultation. Ce sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc +pour l'affirmer _a priori_. Mais voyons ce que nous enseignera l'étude +détaillée, et surtout réfléchie, de chacune de ces quatre personnes, qui +paraissent se ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une avec +l'autre absolument rien de commun. L'une est grande et forte, l'autre +petite et malingre; l'une est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante. +Les souffrances que chacune accuse sonttout à fait différentes, de +l'une à l'autre; les causes qui ont paru engendrer ces souffrances +semblent opposées: chez l'une l'excès de fatigue, chez une autre +l'excès d'oisiveté, etc. + +Essayons à présent d'approfondir un peu notre investigation. Ah! ce +n'est pas un mince travail que d'étudier un malade, de fouiller son +hérédité, de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire même de sa +conception, de noter tous les incidents pathologiques de son enfance, de +sa jeunesse, de son adolescence, d'apprécier son degré de santé pendant +les périodes qui ont séparé ces divers incidents, de se reconnaître au +milieu du luxe de détails avec lequel il décrit ses misères, en un mot +de reconstituer à la fois le bilan complet de son état présent et le +tableau du chemin qu'il a suivi pour y parvenir. Mais cette étude +méticuleuse est nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, pas +de traitement rationnel; d'elle seule pourra résulter la connaissance +véritable du malade, c'est-à-dire l'appréciation de ce qu'il vaut, du +point précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute que ce n'est +que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines et des centaines de malades +que l'on commence à avoir une idée nette de ce que c'est que la +«maladie». + +Voici donc une première malade, que je connais depuis cinq ans. C'est +une femme de trente-deux ans, dont on devine dès le premier abord la +vivacité d'intelligence, et avec laquelle le médecin comprend tout de +suite,--à sa grande satisfaction,--qu'il va pouvoir causer utilement. + +L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital initial excellent: un +grand-père paternel mort à soixante-quinze ans, asthmatique, la +grand'mère paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté de +l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de tares transmissibles: +le grand-père mort à soixante-quinze ans, la grand'mère vivant encore à +quatre-vingt-deux ans. Il est vrai que l'hérédité directe est peut-être +un peu moins parfaite. Le père de Mme X... est mort à cinquante-deux +ans, d'une affection cérébrale, après avoir toujours été très nerveux. +La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à se bien porter, à la +condition de s'écouter vivre. + +Ce capital initial a été bien géré pendant les premières années de la +vie. Nourrie au sein, Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable +divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, la varicelle. +A huit ans, cependant, s'est produit un épisode plus important: une +jaunisse, qui a duré un mois, et qui semble indiquer que le système +digestif était, chez cette malade, le point faible. Un médecin avisé, +qui l'aurait suivie de près depuis lors, n'aurait pas manqué de +remarquer qu'elle était, si l'on peut dire, une candidate à la +dyspepsie. + +Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X... n'eut aucun +phénomène grave, d'origine stomacale ou intestinale: mais elle avait +de petits symptômes, un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la +constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, ces petits symptômes +ont passé inaperçus. L'enfant a été soumise, dans un couvent, à +l'alimentation des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par +conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour mettre en bon +état son système nerveux abdominal, qui, sans protestations graves, +fonctionnait déjà d'une façon défectueuse. + +De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux cérébral qui, seul, +paraissait défectueux. Dès l'âge de onze ans, elle avait des tristesses +vagues, des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer. + +A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait cet état de mélancolie. +D'un caractère inégal, la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise, +acceptant péniblement toute discipline. + +A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un violent chagrin; et cet +assaut ébranla si fortement son système nerveux que, six semaines après, +sans cause connue, sans refroidissement préalable, elle dut garder +le lit pendant un mois, pour une «maladie» qualifiée «rhumatisme +mono-articulaire», mais avec prédominance de symptômes nerveux graves +(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se remit vraiment de cette +crise qu'un an après, lorsque des projets de mariage opérèrent en elle +une sorte de dérivation. + +Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à retomber dans le même état +nerveux, auquel se joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie +lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, et l'immobilisant +pendant quelques heures. Puis vinrent des crises de nerfs, le plus +souvent nocturnes, avec angoisses précordiales terribles, peur de toutes +les «maladies», etc... + +C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; et, pendant la +grossesse, elle se porta admirablement. Mais, aussitôt après sa +délivrance, l'estomac, qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que +par des phénomènes insignifiants, entra définitivement en scène: perte +absolue d'appétit, crampes, gastralgie. Puis, l'année suivante, ce fut +le tour de l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt +apparition de selles noires, survenant trois à quatre fois par jour avec +fortes coliques, et qui durèrent quatre mois. A la fin de cette période, +l'état général était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment +compromise. + +Heureusement une année passée dans l'isolement, et suivie d'une cure +dans un sanatorium de Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis +la malade pour la première fois, un an après son retour de Suisse, voici +les principales constatations que je pus faire: + +Céphalée permanente,--picotement des yeux,--sciatique gauche +survenant au moment des règles,--inquiétudes vagues,--peur de mourir +subitement,--trois heures à peine de sommeil dans les meilleures nuits. +L'estomac et l'intestin laissaient également à désirer: appétit nul, +alternatives de diarrhée et de constipation. + +L'examen des organes me démontra qu'il n'y avait rien à la poitrine, +mais qu'au coeur existait un souffle, au premier temps, à la base, +perceptible seulement dans la position horizontale; ventre plat, peu +élastique, sonorité basse et égale. La malade, qui pesait 50 kilogrammes +à dix-huit ans, n'en pesait plus que 46. + +Voilà donc une jeune femme qui a toutes les apparences extérieures d'une +personne très souffrante, et dont la vie est empoisonnée par une série +ininterrompue de misères variées. Et cependant l'histoire même de ces +misères prouve qu'il n'y a point chez elle d'organe particulièrement +atteint, et que le capital biologique est, au fond, moins mauvais qu'il +ne paraît l'être. Mon premier soin fut de la rassurer, notamment sur +l'état de son coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait +fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire un estomac, par +un régime sévère, puis de plus en plus large. Je dirigeai son hygiène +musculaire, intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans où je +m'étais borné, en somme, à faciliter le retour à l'équilibre du système +nerveux, Mme X... se vit délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée +enfin à une vie des plus supportables. + +Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on Elle avait, sous une +forme spéciale, ou plutôt sous plusieurs formes, ce que j'appelle la +«maladie». Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux qui, chez +elle, fléchissait. Tout son système nerveux était malade, et chacun de +ses centres, tour à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation +de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade, le centre le plus atteint +était celui qui préside aux fonctions digestives; mais, si je m'étais +limité à ne soigner que celui-là, toute ma peine aurait risqué d'être +perdue. Il fallait, derrière les symptômes locaux, atteindre le trouble +général; il fallait dépasser les incidents pour parer à la «maladie». + +Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez qui les +manifestations morbides n'ont certainement rien de commun avec celles +que je viens de signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui, +lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait progressivement +maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes, sans autre cause +connaissable que certaines influences morales. Elle ne se plaignait de +rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle l'était, puisqu'elle +maigrissait sans cesse, puisqu'elle avait le teint terreux et la peau +rugueuse, puisque ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas de +lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: mais toute l'apparence +d'une grande malade. + +Pourtant, après un examen plus approfondi, j'augurai bien de l'avenir, +parce que le capital initial était assez bon, parce que Mlle T... +n'avait pas eu de graves assauts dans son enfance, enfin parce qu'elle +était jeune, et malade depuis peu de temps. Et le fait est qu'un +traitement très simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par jour, +puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord sans viande, puis avec un +plat de viande à midi, et 30 injections de cacodylate de magnésie), +amena un résultat extraordinaire: réapparition des règles, augmentation +du poids, disparition de la rugosité cutanée, relèvement de l'appétit, +etc. + +C'est que cette malade, qui ne présentait aucun trouble nerveux, n'en +était pas moins une «nerveuse». Toutes ses misères ne venaient, comme +chez Mme X..., que d'un ébranlement du système nerveux; quand ce système +se trouva modifié, par le repos, le régime et la psychothérapie, la +malade guérit. + +Elle revint alors dans son pays; six mois après, elle allait très bien, +mangeant de tout, pesant 58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois +plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin la mine sourdement; +elle redevient «malade», maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans +accuser la moindre douleur, et sans ressentir aucune souffrance. Un +jour, le 25 décembre 1903, elle est tellement épuisée qu'elle a une +syncope grave, et que son entourage est convaincu qu'elle va mourir. +J'avoue que moi-même, quand je la vis alors avec le Dr C..., je fus +épouvanté, malgré la bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique. +C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle n'avait plus qu'un +souffle de vie. + +Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? En juin 1904, elle fit +une pleuro-pneumonie. Deux mois après, dès qu'elle fut transportable, +elle voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois mois, aux +injections d'huile créosotée. En octobre 1904, elle avait définitivement +retrouvé sa santé. + +Comment douter que toutes les souffrances de cette jeune fille aient été +surtout d'origine nerveuse? Et cependant voilà un cas où la perturbation +du système nerveux central s'est traduite par des phénomènes qui +n'avaient rien de ce que les neurologistes constatent d'ordinaire. Et +c'est bien le système nerveux cérébral qui était en cause, chez cette +malade: car ses deux grandes crises morbides n'ont absolument pas +eu d'autre cause que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans +manifestations nerveuses. Tout à fait comme Mme X..., malgré la +dissemblance des symptômes, c'était une «malade», c'est-à-dire une +personne dont le capital nerveux s'était trouvé entamé. + +Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite par des phénomènes +cardiaques. Chaque fois qu'il y a eu chez le malade une défaillance du +système nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner normalement, +à tel point que tous les médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le +traitaient infailliblement par la digitale et la caféine. + +En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même un faux cardiaque: +c'est simplement un «malade» chez qui le système nerveux qui préside aux +mouvements du coeur est plus spécialement impressionnable. + +Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un rhumatisme (sans +endocardite), chaque fois qu'il y a eu un assaut quelconque dans la +santé du malade, le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite d'une +bronchite grippale, je constatai, pour la première fois, de l'arythmie, +et un souffle au 2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce +souffle persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois, il est +imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est d'une netteté extrême: +si bien que plusieurs médecins ont affirmé une lésion de la valvule de +l'aorte. + +Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z. n'a jamais de pouls +bondissant, et de nombreux tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange, +démontrent qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand M. Z... va +bien, son coeur va bien: quand il va mal, quand il se surmène, ou +éprouve une émotion vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise par +les manifestations les plus variées: syncopes, arythmie, fausses angines +de poitrine. + +M. Z... est un de ces hommes qui sont faits pour le travail intensif: +chez lui, quelle que soit l'énormité du travail, il n'y a jamais +de surmenage cérébral; mais c'est un _sensitif_, que le surmenage +émotionnel guette à tout instant. En 1898, à la suite d'émotions +vives, tout son système nerveux entre en révolte: le système digestif +(dyspepsie, constipation, etc.), le système nerveux central (insomnie +absolue, tristesse, pâleur insolite, épuisement des forces). En même +temps la glycosurie fait son apparition (10 grammes de sucre par litre). +Enfin les troubles du coeur atteignent une intensité extrême et défient +tous les traitements classiques (digitale, spartéine, bromures, etc.). + +Désirant me voir avant de mourir, le malade me fit appeler le 28 avril +1898, et me raconta les soucis qui l'avaient accablé. Ces soucis +étaient, sans aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une +psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un régime alimentaire très +modéré, réussit parfaitement à remettre le malade sur pied. Les deux +années qui suivirent furent même excellentes. + +En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le trouble cardiaque, +avec même, cette fois, un pouls bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous +la direction du Dr Lagrange, produit un très bon résultat. En 1903, ni +le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons plus le souffle coutumier. + +Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle émotion, reparaissent +l'arythmie, le souffle, la glycosurie: de nouveau, une saison à Vichy +supprime tout cela. + +En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles contrariétés, +l'ébranlement du système nerveux se traduit par un lumbago, mais surtout +par une anesthésie de la main et de la joue droites, qui effraie +beaucoup le malade. Je le rassure encore, je le renvoie à Vichy, d'où il +revient en parfait état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans, +toujours avec une activité dévorante. + +C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux malades précédents, est +simplement un «malade», avec cette particularité que c'est sur le +coeur que se portent de préférence, chez lui, les plus importantes +manifestations de la «maladie». + +Dans les trois observations que je viens de citer, c'était tel ou tel +département du système nerveux qui manifestait plus spécialement les +souffrances de l'être entier, et les périodes de malaise étaient +séparées par des périodes de santé, tout au moins relative. Voici +maintenant un cas où tous les éléments du système nerveux sont tellement +excités que la «maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans +qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission, depuis +l'époque où le système nerveux a été ébranlé,--c'est-à-dire depuis l'âge +de huit ans,--jusqu'à l'âge de la cessation des règles. La malade dont +je vais parler a été vraiment, pendant plus de trente ans, un parfait +musée pathologique. Mais, malgré mille misères qui se succédaient chez +elle comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais désespéré de sa +survie, ni de sa guérison, à cause même de la mobilité et de la variété +des manifestations morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité des +organes. + +La «maladie» de cette personne a commencé à huit ans, à la suite d'une +fièvre typhoïde grave. Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par +des migraines très intenses et très fréquentes; mais dès l'apparition +des règles, aux migraines se sont jointes des douleurs d'estomac et de +la constipation. Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral a +manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements d'oreilles, etc. +Deux ans après, c'est le tour de la moelle: douleurs rhumatismales +et névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois ans, le système +nerveux cardiaque donne sa note dans le concert: syncopes qui durent de +dix minutes à une demi-heure, avec perte complète de connaissance. + +En octobre 1889, une crise gastralgique survient, qui se prolonge +pendant trois jours consécutifs. L'année suivante, c'est une douleur +intercostale gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs jours; +mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement libre, les +vertiges, la céphalée, ont disparu. En 1893, apparaît une dermalgie qui +occupe les deux bras. Puis voici que la fièvre survient: la malade a +jusqu'à 40°, sans cause connue, à l'époque de ses règles. En 1895, se +produit un état de péritonisme,--avec douleurs très vives dans l'estomac +et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,--qui semble mettre la +vie en danger. Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant les +dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement, de 93 à 87 +kilogrammes. + +L'année suivante fut très bonne. Le sommeil revint, l'estomac rentra +dans l'ordre, la malade put croire que ses misères allaient prendre fin. +Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de froid l'intestin à son +tour se met de la partie: fausses membranes dans les selles, coliques, +diarrhée et faux besoins d'exonération extrêmement pénibles. L'appendice +même paraît touché: il y a une douleur très nette au point de Mac +Burney. Un autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées, +selles décolorées, fièvre; mais la menace ne persiste que quatre jours. +En 1900, ulcère de l'estomac, vomissements noirs. La même année, je note +une sorte d'inhibition du fonctionnement de la jambe droite, qui, à un +moment donné, deux ou trois fois par mois, refuse tout service, au point +que la malade tombe brusquement. Enfin, cette même année, se déclare un +oedème des jambes, disparaissant après la marche;--c'est là un phénomène +que j'ai souvent observé chez les «malades» dits _arthritiques_. + +Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904; la malade était, +suivant son expression, un «faisceau de douleurs», mais elle avait un +excellent moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle reviendrait +à la santé. Or, le fait est que, depuis la fin de 1904, en même temps +que disparaissaient ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon +surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie, définitivement +délivrée de toutes ses misères, promène joyeusement ses 105 kilogrammes +et se déclare enchantée de vivre. + +C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses, même quand elle +présentait les symptômes les plus inquiétants, cette personne n'était ni +une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale, ni une gastrique, ni +une cardiaque, mais simplement une «malade» à manifestations cérébrales, +médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant les longues années +où je lui ai donné des soins, toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à +essayer de dynamiser son système nerveux, et de le dynamiser tout +entier, sans presque chercher à atteindre, en particulier, tel ou tel de +ses centres qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai eu le +bonheur de deviner que cette personne avait les apparences de trop de +«maladies» pour en avoir la réalité; et, de fait, quand son système +nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la véritable «maladie» +a aussitôt amené la guérison de toutes les pseudo-affections qui n'en +étaient que le contre-coup. + +Le trouble du système nerveux central peut encore se traduire par +les symptômes qui caractérisent, de la façon la plus formelle, des +«maladies» organiques. J'ai parlé déjà, plus haut, de ce malade qui +avait toutes les apparences d'une lésion du coeur, sans avoir le coeur +lésé. On sait que, par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule +les «maladies» organiques les plus variées. Les hystériques peuvent +présenter les symptômes de la méningite, de la grossesse, voire même des +«maladies» les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu un jeune +soldat qui offrait tous les signes de la sclérose en plaques. Après +trois mois d'examen, on a fini par le réformer; or, ce n'était qu'un +hystérique. Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur: car on ne +simule pas les symptômes de la sclérose en plaques! + +Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique, j'exprime mal ma +pensée. En réalité, c'était un «malade». Je l'ai suivi pendant +longtemps, après son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut plus +le moindre phénomène médullaire; mais il eut de la dyspepsie, et j'ai +su que, dans son enfance, il avait eu d'autres manifestations de ce que +j'appelle la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée de sa vie, +quand il s'est agi pour lui de faire son service militaire, que la +«maladie» s'est traduite, pendant quelques mois, par ces troubles de +l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler hystérie. + +Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux que j'ai cités suffiront, +je crois, à donner une idée de ce que j'entends, à proprement parler, +par la «maladie». D'une façon générale, je veux dire que la «maladie» +embrasse tout le domaine pathologique qui n'appartient pas à ce qu'on +pourrait appeler les «accidents»--accidents qui vont depuis les +fractures et les intoxications jusqu'à des lésions d'organes (cancer, +hémorragies cérébrales, etc.), en passant par toute la série des +affections à microbes, connus et inconnus.--Au-dessous de ces +«accidents» s'étend une série indéfinie de troubles pouvant revêtir +toutes les formes et donner même l'illusion de toutes les «maladies» +organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que d'origine nerveuse +(en donnant à ce mot toute l'extension qu'il comporte), ainsi que cela +apparaît clairement pour peu que l'on considère leurs causes, leur +marche et leur terminaison. Dans la «maladie» rentrent donc toutes les +névroses; la folie quand elle n'est pas produite par des lésions du +cerveau, l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie, les +algies, tous les troubles fonctionnels des divers organes, _tant que ces +troubles fonctionnels n'ont pas amené de lésion des organes_. + +Les médecins voient quotidiennement la «maladie» sous une de ses formes +préférées. C'est la forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le +nom d' «embarras gastrique», synonyme d'embarras de diagnostic. Dans +cette affection, il ne faut pas croire que le système nerveux soit +indemne; les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges, souvent +des bourdonnements d'oreille, un état de fatigue générale du système +musculaire, de l'insomnie, de la difficulté pour lire, pour supporter +une conversation; ils ne souhaitent que le repos et la tranquillité. Si +on les leur accordait, si une médication perturbatrice n'intervenait +pas, si on graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait, +en général, aucune complication; et après quinze jours, un mois, ils +reviendraient peu à peu à la santé[6]. + +[Note 6: La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise +urinaire. Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois même +urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre, claires et +abondantes. En même temps la température tombe, pendant deux ou trois +jours, au-dessous de la normale, le sommeil reparaît, l'appétit +également, et tout rentre dans l'ordre.] + +Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le mode chronique; et c'est +pendant des mois et des années que l'on voit tout le système organique +compromis dans son fonctionnement. Le système nerveux, l'estomac, +l'intestin, laissent à désirer d'une façon à peu près égale. C'est chez +ces grands malades qu'on est en droit de se demander si c'est le cerveau +qui tient sous sa dépendance les troubles nerveux de l'estomac ou de +l'intestin, ou si c'est l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle +manière de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique exclusive: on +s'acharne à remédier aux troubles du système nerveux, en négligeant les +troubles digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a tort. Pour +faire de la bonne thérapeutique, il faut _à la fois_ soigner le cerveau, +l'estomac, l'intestin, la moelle, le malade entier, en un mot, tout en +recherchant, si possible, quel est le système le plus compromis et dont +le fonctionnement laisse le plus à désirer. + +C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais, maintenant, +rechercher les causes les plus habituelles, avant d'en indiquer, dans +ses grandes lignes, le mode de traitement: traitement qui doit être +toujours _général_, puisque toujours la «maladie», même quand elle ne +se traduit que par des troubles locaux, est, par son essence, d'ordre +général. + +Quant au traitement particulier des «maladies» accidentelles, il va sans +dire que je n'aurai pas à m'en préoccuper dans ce travail. + + + +CHAPITRE III + +LES CAUSES DE LA «MALADIE» + + + +I.--CAUSES PHYSIQUES + + +Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers toutes les circonstances +de sa vie qui compromettent sa valeur, soit momentanément, soit d'une +façon définitive et irrémédiable. Elles varient à l'infini; l'homme +heureux seul n'a pas d'histoire, et l'homme heureux est un être de +raison, qui n'existe pas dans la réalité. + +Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer que ce n'est pas +le surmenage cérébral, ni le surmenage musculaire, ni même les vices +d'alimentation, le défaut de confort, l'aération insuffisante, etc., +qui constituent les grands facteurs de la «maladie»: c'est le surmenage +émotionnel, c'est le chagrin,--l'influence psychique, en un mot. + +Cependant les autres influences morbigènes méritent une mention +détaillée. Je les rapporterai aux trois chefs suivants: + +I. Surmenage cérébral. + +II. Surmenage musculaire. + +III. Alimentation défectueuse ou insuffisante. + +1° _Surmenage cérébral_.--Le cerveau est fait pour fonctionner, comme le +coeur est fait pour battre; et il est bien rare que le travail cérébral, +à lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une cause de +détérioration profonde, et surtout de déchéance définitive. C'est bien +plutôt un élément de survie prolongée.--Voyez cet écrivain qui, à +l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner le monde par les +productions de son génie; il n'a jamais cessé de travailler, et il a pu +faire les frais, à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet âge, +est presque toujours fatale. Quel est donc son secret? Son secret, c'est +de n'avoir aucune préoccupation étrangère à son travail; c'est d'avoir +une femme qui pense pour lui à tous les détails de la vie; c'est d'avoir +une excellente hygiène morale, la paix du coeur et de l'esprit. + +Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail cérébral +insuffisant, et tout le monde sait que les désoeuvrés sont bien à +plaindre. Ce sont des coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre +sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils lui doivent; mais +ce sont aussi des malheureux, car la «maladie» les guette. Le désoeuvré +accidentel lui-même, habitué à un travail cérébral considérable, s'il +est condamné trop longtemps au repos de l'esprit, sent qu'il lui manque +quelque chose: il perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de reprendre +le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire que l'air respirable. + +Quand, cependant, le travail cérébral est poussé à une limite +véritablement excessive, il amène aussi ce que nous avons appelé la +«maladie», c'est-à-dire la détérioration, quelquefois définitive ou +prolongée pendant des années. On en voit des exemples chez les candidats +aux écoles, à l'internat, à l'agrégation, etc. On serait porté à croire, +_a priori_, que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe surmené; +c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, même quand elle est de cause +cérébrale, elle peut très bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de +l'entérite, tout comme si elle avait été produite par une intoxication. +Il faut toujours en revenir aux notions que nous avons développées au +chapitre précédent: à la notion des points faibles, et à la variété des +manifestations par lesquelles l'organisme traduit le malaise causé par +une influence déterminée. + +2° _Surmenage musculaire_.--Il n'amène qu'exceptionnellement la +«maladie». Chez le surmené musculaire, quelques jours ou quelques +semaines de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions d'aplomb; +et l'on ne saurait se figurer le rendement dont est capable la machine, +quand, par ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la dépense +cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers italiens produire un travail +musculaire véritablement colossal, tout en ayant une alimentation très +restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une fois par semaine, +eau claire), et ce, sans le moindre préjudice pour leur santé. Ils se +contentaient du salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal venu +de proposer à nos ouvriers français. + +Il est cependant incontestable que le travail musculaire, poussé à de +trop grands excès, peut devenir une cause de «maladie» momentanée, et +préparer le terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous en +avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement dans l'armée, et des +sports chez les jeunes gens. + +3° _Vices d'alimentation_.--Ils jouent un rôle important dans +la pathogénie de la «maladie», d'autant que, en dehors des cas +d'intoxication aiguë, ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement, +insidieusement. Le plus souvent, en effet, l'estomac et l'intestin ne +se révoltent qu'après de longues années de protestations presque +silencieuses. Mais, à partir du jour de cette révolte, la «maladie» +est constituée. Les symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus +souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour surprendre, +puisque c'est l'estomac qui a été, dans ces cas, le plus spécialement +molesté. Cependant, dans certains cas, les troubles dyspeptiques +passeront à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement le +diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique qui n'a, pour un examinateur +superficiel, que des troubles cérébraux; il peut très bien se faire +qu'il ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître par un bon +régime. Dans ce cas, les phénomènes gastriques étaient au second plan +pour le clinicien, alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au +premier plan. Si donc le clinicien veut être bon thérapeute, il doit se +rappeler les grandes lois que nous avons déjà formulées: s'il traite +comme cérébral un sujet dont la «maladie» a été provoquée par des +troubles alimentaires, il fait fausse route; de même qu'il ferait +fausse route en traitant comme dyspeptique un sujet ayant des misères +gastriques, intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique +aurait été occasionné par du surmenage cérébral, médullaire, émotionnel. + +Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation défectueuse +retentit sur l'ensemble de l'organisme. + +On a fait grand bruit, ces derniers temps, de l'auto-intoxication +d'origine alimentaire; et beaucoup de médecins s'obstinent à ne voir +dans la «maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout quand elle +revêt la forme nerveuse, qu'une sorte d'empoisonnement de la cellule +cérébrale par les toxines alimentaires. + +C'est là une hypothèse assez commode, et qui rend compte d'un nombre +considérable de faits: mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et +ne pouvant pas être démontrée par des observations véritablement +scientifiques. On pourrait tout aussi bien expliquer les phénomènes +rapportés à l'auto-intoxication par l'irritation que provoque, sur le +plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore par l'irritation des +extrémités nerveuses du pneumo-gastrique. On sait que ce nerf étend ses +ramifications sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on s'expliquerait +ainsi les irradiations à distance provoquées par l'irritation stomacale: +la dyspnée, l'asthme, les fausses cardiopathies, etc. + +Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation peuvent incontestablement +provoquer, à eux seuls, la «maladie». Mais, le plus souvent, ils +s'associent à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, à la +débauche, etc. + +Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se classer en quatre +catégories distinctes: + +I. Alimentation excessive en quantité. + +II. Alimentation insuffisante en quantité. + +III. Alimentation insuffisante en qualité. + +IV. Abus de l'alcool. + +I. _Alimentation excessive_.--Nous ne voulons pas nous étendre ici sur +les inconvénients, vraiment assez connus, de l'alimentation excessive. +Disons seulement que l'alimentation excessive empoisonne peut-être la +cellule nerveuse par les toxines alimentaires, mais que sûrement elle +impose aux organes chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un +travail exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de là, à la +longue, le surmenage et les protestations de ces divers organes, se +traduisant de mille et une façons (eczéma, urticaire, gravelle, +etc.). Cette manière de voir donne satisfaction aux partisans de +l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la théorie de l'irritation +du pneumo-gastrique, ou du plexus solaire, on peut également comprendre +comment cette irritation, presque permanente, des nerfs de l'estomac par +une alimentation incendiaire, amène, par action réflexe, des troubles de +coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon (asthme, dyspnée), du +cerveau et de la moelle, voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi, +d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la fois? ce ne serait, en +tout cas, pas déraisonnable. + +Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose _optima_ d'aliments qui +convient pour entretenir la vie et pour réparer les dépenses incessantes +de l'organisme? Elle doit varier, évidemment, suivant le travail +produit, et suivant les individus. Tous n'ont pas le même besoin +d'alimentation, pas plus que, dans un régiment de cavalerie, tous les +chevaux n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient obligés aux +mêmes dépenses musculaires. On a essayé de fixer mathématiquement ce +qu'on appelle la «ration d'entretien» et la «ration de travail»; et les +différents chimistes qui se sont livrés à ce calcul sont arrivés à des +chiffres qui variaient du simple au quadruple: mais tous s'accordent +pour démontrer qu'il faut _très peu d'aliments_ pour subvenir à la +«ration d'entretien», et même à la «ration de travail», de l'homme. La +vérité est que nous mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la +machine humaine soit bien admirablement construite pour qu'elle résiste +aux assauts quotidiens que nous lui imposons. + +Comme ce problème de la ration physiologique m'a toujours intéressé, je +me suis livré à une enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme +que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est pour rien dans leur +morbidité. Ils ont beaucoup moins de jours d'indisponibilité que +la plupart des autres hommes du même âge, meurent plus vieux, et +s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les Trappistes, le régime +fort sévère n'est pas une cause de morbidité; j'ai même été étonné, +à leur propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain, et de +constater qu'un homme habitué à manger comme tout le monde pouvait, d'un +jour à l'autre, sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint +d'une Trappe. + +Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint chez les individus +qui dépensent beaucoup? Oui, je l'ai étudié dans l'armée[7], et +j'affirme, au nom d'une expérience de deux années, pendant lesquelles je +me suis occupé de l'alimentation du soldat avec un colonel qui avait, +de ce grave problème, tout le souci qu'il mérite, que, si le soldat +français, le seul que je connaisse, avait la quantité et la qualité des +aliments auxquels il a droit de par les règlements, et si ces aliments +étaient préparés comme ils devraient et comme ils pourraient l'être dans +toutes les garnisons, sa nourriture serait tout à fait suffisante. Elle +n'est un peu au-dessous des besoins que pour les jeunes soldats, pendant +les trois premiers mois de la nouvelle existence qui leur est imposée; +aussi les officiers soucieux de la santé de leurs soldats réservent-ils +pour les nouveaux arrivants les _boni_ qu'ils ont pu réaliser sur les +hommes dits «de la classe». + +[Note 7: _La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de +médecine légale_, février 1890).] + +Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des guides alpins, qui, +non seulement, les jours d'excursion, se contentent d'une alimentation +extrêmement réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits secs), +mais, en temps ordinaire, mangent très peu, pour conserver leurs forces. +Les professionnels du sport, également, savent que la sobriété est la +condition de leur succès. + +Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs années, des soins à une +dame qui, avec toutes les apparences de la santé, était constamment +souffrante: migraines, eczéma, urticaire, affections cutanées +polymorphes, palpitations, dyspnée, insomnies, caractère inquiet, +émotivité exagérée, sensation de fatigue permanente, tendance à +l'obésité,--et j'en passe, pour ne pas faire le tableau complet de ce +qu'on est convenu d'appeler la «grande neurasthénie». Chose curieuse, +elle avait peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation et +des hémorroïdes. Elle avait même un vigoureux appétit, bien qu'elle prît +fort peu d'exercice. En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation: +précisément à cause de cet appétit de premier ordre, elle ne voulait +pas entendre parler de régime restreint. Mais voici que l'adversité +s'abattit sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en fut +réduite à ne plus manger que des pommes de terre cuites dans le four +d'un petit poêle en faïence, et des haricots; un demi-litre de lait +était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce jour, elle alla bien. +Toutes ses misères disparurent successivement, en trois ou quatre mois, +y compris les misères nerveuses et les migraines; et force me fut +d'attribuer au seul changement de régime la surprenante modification de +sa santé. Car on croira peut-être que, pressée par le besoin, elle s'est +mise à marcher davantage, pour chercher du travail, ou pour se créer +des relations? Non, elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des +relations quand on est dans l'extrême détresse; et je lui procurai un +travail sédentaire, qui consistait à faire des adresses sur des bandes, +pour un grand magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est pas, +non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a pu modifier +avantageusement sa mentalité. En dehors de ses douze heures de travail +quotidien, elle avait des préoccupations angoissantes, qui auraient +suffi pour ébranler un système nerveux moins équilibré. C'est donc bien +uniquement, toute analyse faite, à la restriction du régime, et à cet +élément seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je pourrais, là +encore, multiplier les exemples: mais aucun ne peut être plus typique +que celui que je viens de relater à grands traits. + +Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation insuffisante. + +II. _Alimentation insuffisante en quantité_.--Tout le monde connaît +les désastres occasionnés par les famines qui sont encore, hélas! trop +fréquentes en Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous estimons +que personne ne doit avoir une alimentation insuffisante, et que c'est +une honte pour une société civilisée d'avoir un seul de ses membres +manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à proclamer que ce déshérité +aurait, dans ce cas, le droit absolu de prendre ce qui est indispensable +à sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre si un jour la +capricieuse fortune venait à lui sourire. C'est d'ailleurs la doctrine +de l'Église, nettement formulée par saint Thomas, et très bien expliquée +dans un livre récent (_Socialisme et Christianisme_) de l'abbé +Sertillanges, professeur de philosophie à l'Institut catholique. Mais +laissons là ces considérations d'ordre social, renonçons au délicat +plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers adjacents, et +reprenons notre grande route! Ce qui est sûr, c'est que le problème de +l'insuffisance d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez les +gens bien portants; notre état social n'étant pas aussi détestable +que se plaisent à le dire quelques pessimistes, ou encore quelques +jouisseurs, qui semblent n'avoir pour but que de semer la haine par +leurs discours et par leurs écrits. En France, personne ne meurt de +faim, et bien peu de gens sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant +donné le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter. + +Là où le problème de l'insuffisance alimentaire devient, pour le +médecin, d'une douloureuse perplexité, c'est quand il s'agit de malades +ne pouvant ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence rien +digérer, vomissant tout ce qu'ils prennent, arrivés au dernier degré de +la consomption, n'urinant presque plus, restant des semaines entières +sans aller à la garde-robe, ne dormant plus, ne pouvant plus ni lire, ni +supporter une conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu de ces +grands malades sans lésions organiques, auxquels il est très difficile +de faire du bien, et auxquels on fait trop facilement du mal par une +intervention intempestive. Est-il admissible que la vie persiste dans +ces conditions déplorables, et faut-il, oui ou non, forcer ces malades à +manger? + +Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance du système +nerveux, en domptant sa révolte, on arrive à des résultats remarquables. +Chez de grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une seule +application de la sonde oesophagienne suffit pour faire renaître +l'appétit, et rendre à l'estomac la tolérance qu'il avait perdue depuis +longtemps. Le plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard, est +celui d'une jeune femme mariée à un capitaine au long cours. Dès le +lendemain du mariage, il l'emmenait en voyage de noces à San Francisco, +en passant par le détroit de Magellan, sur un navire à voiles. Pendant +ce voyage, qui dura six mois, la jeune femme commença à éprouver divers +symptômes morbides. Elle en arriva à être gravement atteinte, et on dut +la faire revenir, par les voies les plus rapides, de San Francisco +à Paris, où elle désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je +trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes les apparences d'une +tuberculeuse avancée; l'auscultation ne révélait cependant rien. Pendant +les trois premières semaines de son séjour à Paris, elle avait une +inappétence absolue, ne tolérait aucun aliment, pas même le lait coupé, +et était dévorée par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La +température s'abaissait à 40° le matin. Bien que la chaleur de la peau +fût mordicante, bien que la malade n'eût aucun intérêt à me tromper +puisque c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je me refusai à +croire à la possibilité d'une fièvre aussi ardente et aussi continue. Je +m'attachai à vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin les +indications thermométriques; elles étaient parfaitement exactes. C'est +alors que, en désespoir de cause, voyant que ni la quinine en injections +ni les lotions fraîches ne modifiaient cette température, je me décidai +à recourir aux lumières du Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je +ne trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement pas +d'impaludisme; nous sommes donc en présence d'une de ces hyperthermies +comme on en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le plus pressé +est d'empêcher cette femme de mourir de faim, et, puisqu'elle ne peut +pas manger, il faut la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et, +après cinq repas assez copieux donnés à la sonde, la malade retrouva +l'appétit, la fièvre tomba, le sommeil revint. Deux mois après, elle +pouvait quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais une lettre +m'annonçant la naissance d'un enfant. Suivant la formule traditionnelle, +la mère et l'enfant se portaient bien. + +Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme +m'invita à voir l'un de ses malades, opéré depuis dix jours, et qui, +depuis, ne voulait pas manger. Il était guéri de son opération, n'avait +aucune fièvre, aucune lésion organique, mais il se refusait obstinément +à avaler quoi que ce fût. C'était probablement le choc opératoire qui +avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il +maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai pas, alors, à lui donner du +premier coup, par la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance +possible, un repas complet; dès le même soir, il demandait à manger, et, +s'étant mis à digérer, il était guéri. Huit jours après, il sortait de +l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que, chez les aliénés, il +ne soit du devoir strict du médecin de prolonger l'alimentation à la +sonde aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après s'être toutefois +bien enquis du fonctionnement du système digestif. Il y a là de grosses +difficultés cliniques. + +D'une façon générale, cependant, nous hésitons toujours à employer ce +moyen brutal qu'est la sonde oesophagienne; le plus souvent, quand +l'alimentation est indiquée pour une grande neurasthénique qui ne veut +ou ne peut pas manger, nous la lui imposons par suggestion à l'état +de veille. Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La +vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut alimenter. La +responsabilité du médecin est, quelquefois, bien gravement engagée +dans ce problème. S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même par +suggestion ou par persuasion, il risque de donner à sa malade une +indigestion formidable, avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il +risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de vie qui soutiennent +l'existence de la malade. Étant donné ce que nous avons dit du peu +d'aliments qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à redouter +d'une alimentation intempestive, nous croyons qu'il faut patienter le +plus possible, et ne donner à ces malades que le régime ultra-restreint, +sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage, toujours prêt à +se figurer que la malade va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand, +par une alimentation restreinte mais bien conduite, on a été assez +heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,--et on y arrive +toujours,--alors seulement on alimente plus généreusement. + +Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder habituelle de nos +confrères renommés pour le traitement des grandes névroses; mais nous +ne pouvons pas admettre que tous les malades, quel que soit le degré de +leur «maladie», soient justiciables d'un même procédé thérapeutique, et +que, après six jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise +de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils mangent et qu'ils +digèrent n'importe quoi. Ils mangeront peut-être, mais tous ne +digéreront pas. + +III. _Alimentation insuffisante en qualité_.--Si l'insuffisance +alimentaire quantitative joue, dans la pathogénie de la «maladie», un +rôle relativement minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance +qualitative; et la défectueuse qualité des aliments est un ennemi de +tous les jours, d'autant plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On +ne saurait croire combien les aliments les plus usuels sont frelatés. +Si une chimie bienfaisante permet, par-ci par-là, de découvrir quelques +fraudes, il est une chimie malfaisante qui fait tous les jours des +progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous en doutions. Bientôt +le dictionnaire des falsifications alimentaires atteindra le volume du +Bottin. Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se mettent aussi +de la partie, et, par les procédés de congélation, en particulier, on +arrive à jeter sur les marchés des aliments de belle apparence, mais +qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante. Prenons, à titre +d'exemple, les poissons de mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans +un port de mer, par la vue de gros blocs de glace que des pêcheurs +emportaient avec eux. Ces blocs ne me disaient rien qui vaille; et +j'appris, en effet, que ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours, +et que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson, ils le mettaient +dans la glace: de telle sorte que ce poisson congelé arrive sur nos +marchés avec bel aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires +avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état d'aliment +toxique. + +Certains procédés de stérilisation sont également vus d'un mauvais oeil +par l'hygiéniste. Pour les conserves de viande, notamment, on sait les +préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire; et le problème +vient seulement d'être résolu, grâce au zèle d'une commission composée +de nos plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en bactériologie +qui ont travaillé pendant de longs mois. + +Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est pourquoi il est si +souvent un breuvage meurtrier, non seulement pour les enfants, mais même +pour les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié, ou +adultéré spontanément, qu'il est, chez les malades, d'un emploi si +délicat. Remarquez que nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si +le lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas parce qu'il +est altéré, c'est parce qu'il est trop riche en crème, ou pris en trop +grande quantité, c'est aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple +bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou s'en abstenir, sans +poursuivre le projet insensé de vaincre l'intolérance des malades. A +cela on y arrive parfois, quand le malade est complaisant, mais le plus +souvent on échoue. + +Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons, mollusques, +viandes, provoquent des empoisonnements dont on néglige souvent de +chercher la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la fièvre +typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre ces deux extrêmes, +toutes les variétés cliniques se rencontrent. D'autres fois, ils +empruntent le masque du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que le +traitement consiste à attendre que l'économie soit débarrassée de ces +poisons (diète absolue d'abord, puis tisanes et repos); quant à chercher +à favoriser l'élimination des poisons par des purgatifs ou des vomitifs, +c'est très légitime en théorie, mais, en fait, très dangereux, car on +ajoute ainsi un élément de perturbation qui aggrave parfois grandement +l'état morbide. + +Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication alimentaire +n'occasionne qu'à la longue la perturbation du système digestif; et +c'est alors qu'il est si difficile de rapporter les effets directs et +éloignés de cette perturbation à leur cause véritable. + +IV. _Alcool_.--Certes, l'alcool et toutes les boissons distillées, +quelque pompeuse que soit l'étiquette de leur flacon récepteur, +constituent un aliment meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en +leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence pour la mémoire de +Duclaux, qui a excité de si vives polémiques en écrivant que l'alcool +était un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme sont de ceux +que déplorent tout hygiéniste et tout bon citoyen; aussi ne saurait-on +encourager trop les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de +tempérance, etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts contre +les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache aux conditions +économiques de la société? L'alcoolisme durera aussi longtemps que +l'impôt sur l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté à l'État +358 392 000 francs (et dans ce chiffre ne sont pas compris les droits +sur les vins, cidres, bières, etc.); aussi longtemps que la puissance +électorale du marchand de vin; aussi longtemps que le malaise +de l'ouvrier, poussé au cabaret par la destruction du foyer et +l'insalubrité du logis... + +Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant sincèrement le +succès des généreux efforts des ligues anti-alcooliques, de conserver un +reste de pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool un oubli +momentané aux misères humaines. C'est souvent leur malheur, et non leur +faute, s'ils tombent dans la dégradation progressive qu'on déplore à +trop juste titre. + +Mais autant est légitime la campagne contre les boissons distillées, +autant, à notre avis, les boissons fermentées devraient trouver grâce +devant la rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la ligue +anti-alcoolique française, pour ne parler que d'elle, compromet d'une +façon irrémédiable le résultat qu'elle poursuit, si elle continue à +proscrire les boissons _fermentées_. Qu'un intellectuel dyspeptique ne +tolère pas une goutte de vin à ses repas, c'est chose possible, et il +fera bien de s'en abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre, +c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a quelques années, +on pouvait dire qu'un litre de vin représentait 100 grammes de mauvais +alcool; mais depuis la surproduction des vignes françaises, et depuis +qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin est devenu une boisson +hygiénique, quand elle est prise à petite dose par des gens dont +l'estomac n'est pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait +mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en chambre, de dépenser +à l'achat d'aliments azotés, ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense +à acheter du vin; mais que deviendrait la vie si elle était soumise aux +tyrannies des théoriciens hygiénistes? + +Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter que le vin +entrât dans la ration réglementaire. Presque tous apprécient énormément +le vin, et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du chef qui +leur octroie aimablement un quart de litre de vin. Malheureusement, il +ne faut pas songer avant longtemps à introduire l'usage régulier du vin +dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on voulait se rappeler que, +chaque fois qu'on augmente d'un centime par jour la dépense du soldat +français, le budget se trouve grevé d'un million par an, on mettrait fin +du coup à toutes les discussions, plus ou moins intéressées, qui font +perdre à nos législateurs un temps précieux. + +Un esprit chagrin pourrait nous répondre que l'eau stérilisée que l'on +donne aux soldats coûte plus cher que le vin, si l'on tient compte du +prix d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du combustible, et +surtout de la répugnance invincible qu'ont les soldats à boire cette eau +cuite, presque toujours tiède malgré les soins qu'on met à la refroidir +après la stérilisation; mais nous aurions mauvaise grâce à nous associer +à ces critiques. Il ne faut décourager les efforts de personne. + +Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une boisson recommandable +pour l'adulte valide, chez le malade le vin et les autres boissons +fermentées sont, en général, de véritables toxiques; et c'est par +la suspension du vin qu'il faut commencer le traitement de tous les +dyspeptiques. Mais quand l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit +d'aider à la reconstitution du système nerveux, le vin devient un +adjuvant utile; et non pas sous une forme pharmaceutique quelconque, +mais sous la forme de bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin +d'Algérie, du Midi, etc.). + +En résumé, les erreurs de l'alimentation sont essentiellement +regrettables, comme le sont toutes les erreurs contre la véritable +hygiène; elles entrent pour une bonne part dans la genèse de la +«maladie»; mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées à +fond, tandis que les influences qui nous restent à passer en revue +agissent plus profondément encore, d'une manière plus insidieuse et plus +malfaisante; et leur rôle pathogénique n'est, en général, pas apprécié à +sa juste valeur. Nous voulons parler des influences morales. + + +II.--CAUSES MORALES + + +Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence du moral sur le +physique; mais, malgré les travaux de divers philosophes, les médecins +en général ne connaissent pas encore assez cette influence du moral, et +ne lui attribuent pas assez d'importance. En réalité, elle joue un rôle +énorme, et dans presque tous les cas elle se rencontre, pour qui sait la +chercher. Malheureusement, pour faire de semblables enquêtes, il faut +beaucoup de temps, il faut que le médecin devienne le confident, l'ami +de son malade, et qu'une regrettable suspicion de l'entourage ne +l'empêche pas d'accomplir son oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin +ait des qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la pensée du +sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre à mots couverts. + +Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales de «maladie» sont +multiples, et peuvent être rapportées aux quatre grands chefs suivants, +que nous classons par ordre d'importance effective, sans aucune +prétention psychologique: + +1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au jeu, etc., ambitions +déçues. + +2° Influences qui compromettent, par une action lente et continue, la +quiétude de l'âme (passions contrariées, chagrins d'amour). + +3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés par +l'éloignement ou la perte d'êtres aimés). + +4° Choc moral et choc traumatique. + +1° _Pertes matérielles_.--Les pertes de fortune, les changements de +situation, sont des facteurs moins importants qu'on ne se le figure +d'ordinaire, relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois le +premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez vite aux nouvelles +conditions d'existence qui leur sont faites, si elles n'ont pas, par +ailleurs, à s'alarmer pour leurs enfants, et si elles sont préalablement +bien portantes. On pourrait paraphraser la pensée d'Horace, en disant: +_Sanum et tenacem impavidum feriunt ruinae_. C'est ainsi qu'on a pu +définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»; et c'est peut-être la +meilleure définition qu'on en ait donnée. + +Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, les +perturbations dans la situation sociale, les pertes d'argent, provoquent +des assauts considérables,--que le médecin doit savoir deviner,-- +capables de produire la «maladie», et surtout de l'aggraver quand elle +existe déjà à un degré quelconque. Voyez ce diabétique qui, d'un jour +à l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez bien: c'est +souvent parce qu'il a eu, la veille, une perte d'argent. + +Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes qu'une perte survenue +accidentellement ou par imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une +influence morbide considérable. Le joueur, en effet, vit dans un milieu +anti-hygiénique; il joue, le plus souvent, la nuit, et se prive de +sommeil; en outre, son surmenage émotionnel est doublé de surmenage +cérébral; bref, la funeste habitude du jeu mérite une place d'honneur +parmi les causes morales pathogènes. + +Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie avec les pertes au jeu. +Ici l'enjeu, au lieu d'être une somme d'argent, est un grade, une +décoration, un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue +quelquefois une importance qui nous fait sourire, mais qui, cependant, +lui tient grandement au coeur: car tout est relatif dans la vie, et +l'ambition déçue après de longs efforts, après des tentatives souvent +répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie». Qui ne connaît, +dans son entourage, un officier navré d'avoir à prendre sa retraite sans +avoir obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait le malheur +d'une famille, et son propre malheur, au point d'en perdre la santé, ou +quelquefois la vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais c'est de +cette nourriture que vivent les hommes. + +2° _Influences qui compromettent la quiétude de l'âme_--Les unes +agissent par leur continuité: ce sont les coups d'épingles incessants +dans un ménage où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles +de famille quotidiennes, l'impossibilité de fuir un milieu où l'on ne se +sent pas à l'aise. C'est le fait d'être souvent en butte aux taquineries +ou aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend pas, d'avoir à +subir l'autorité malveillante d'un parent, d'une mère. La victime se +trouve tiraillée à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion plus +ou moins forte du devoir, et, d'un autre, poussée à la révolte par les +vexations, réelles ou imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice +incessant finit par «énerver»,--c'est le mot qu'on emploie +journellement,--autrement dit, finit par amener la «maladie», à un degré +variable: et l'une de ses formes les plus connues s'appelle le délire de +la persécution, quand le trouble mental domine la scène morbide. Mais, +si l'on étudie de près un «persécuté», on verra bien vite qu'il n'est +pas malade que de la tête; il digère mal, il est constipé, il maigrit, +il a souvent des battements de coeur, de la dyspnée, la peau sèche, +etc., etc.; toutes ses fonctions sont en délire. Tout est fou chez +l'aliéné, parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand malade». + +D'autres fois, c'est une passion vive, intense, qui compromet +l'équilibre de la santé. La passion amoureuse mérite, à ce titre, d'être +signalée au premier rang; nous en avons dit un mot déjà, à propos de la +jeune fille: mais ici nous l'étudions dans sa forme ardente, fougueuse, +la forme qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le système +nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie, qui peut se traduire +par la production de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de _Tristan +et Yseult_, ou comme la _Nuit d'Octobre_, mais qui amène souvent, chez +celui qui en est victime, une perturbation générale de la santé, quand +un obstacle d'ordre moral ou matériel empêche cette passion de se +satisfaire. La victime perd alors le sommeil, s'agite dans le vide, +est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet les fonctions +digestives; l'estomac entre en scène, le cercle vicieux s'établit; la +«maladie» est constituée. Elle durera tant que durera sa cause, ou +qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté le remède efficace. Bien +souvent, d'ailleurs, le temps seul est le remède; et il faut savoir +attendre, sans imposer au malade une médication perturbatrice, qui +aggraverait son état. + +Lorsque la victime est obligée de garder pour elle son secret, sans +pouvoir le communiquer à un confident, sa situation est encore plus +lamentable. Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là +l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer +confiance à son malade et à provoquer chez lui des confidences, qui le +soulagent plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité. + +Combien de femmes sont malheureuses en ménage sans que personne s'en +doute! Elles dissimulent avec un soin jaloux à leur famille, à leurs +amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et combien leur misère +n'est-elle pas atténuée quand elles peuvent confier leur chagrin à un +homme de bon conseil? + +3° _Inquiétudes d'origine altruiste_.--Les inquiétudes relatives à la +santé d'un être cher sont souvent aussi une cause de neurasthénie, et il +n'est pas rare de voir les divers membres d'une famille devenir, tour +à tour, malades, par le fait des préoccupations et des fatigues qu'a +causées l'atteinte d'un premier membre. Une mère qui, comme je l'ai vu, +passe vingt jours et vingt nuits sans quitter le chevet de son enfant +atteint de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant sera guéri. +Elle pourra peut-être devenir, à son tour, une typhoïdique; mais, même +si elle ne prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée pour +longtemps. De même encore le fait d'avoir un enfant infirme, qu'on +voit du matin au soir, empoisonne assez l'existence pour entraîner, +quelquefois, la «maladie». + +Dans une famille bien unie, la névrose de l'un des membres ébranle +tellement le système nerveux des autres, que la nécessité de la +séparation s'impose. La contagion de la névrose n'est cependant pas une +«contagion» au sens propre du mot; mais, en pratique, on est souvent +appelé à traiter le malade comme s'il était contagieux, dans son propre +intérêt et dans celui de son entourage. + +Le départ des êtres qui nous sont chers est un autre facteur important +de «maladie»:--même la séparation momentanée, (femmes de marins ou de +militaires partant en campagne),--sans compter que le chagrin de la +séparation se double, en ce cas, d'inquiétude pour les dangers que va +courir l'être aimé. On voit alors la «maladie» survenir au bout de +quelque temps, revêtir une forme quelconque, avec des manifestations +variant à l'infini (insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes +traduisant le malaise du système nerveux central, qui ne s'atténuera +que quand la cause disparaîtra. Et même, une fois la cause disparue, il +pourra persister encore des mois et des années, parce que l'habitude +morbide est prise, parce que le système nerveux a reçu le choc. La +cellule continuera à vibrer de travers, comme la surface d'un lac +continue à être agitée bien longtemps après la chute de la pierre qui a +troublé son repos. + +Quand la séparation est définitive, le mal est plus profond encore, et +l'expression de «vie brisée» est absolument juste. La perte d'un être +cher atteint la vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un seul +coup, le capital biologique. Le malade traînera une existence plus +ou moins lamentable, et plus ou moins prolongée; mais les moyens +thérapeutiques les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine +philosophie atténuera ses maux, et le médecin a surtout à lui offrir une +bonne psychothérapie. Le temps, aussi, devient un remède avec lequel il +faut compter; le rôle principal du médecin, dans les cas de ce genre, +doit être d'empêcher l'organisme de s'effondrer, pour permettre au temps +d'accomplir son oeuvre réparatrice. + +4° _Choc moral et choc traumatique_.--Une émotion violente, quelle +qu'en soit la cause, peut également amener la «maladie» sous une forme +quelconque, et parfois lui faire revêtir immédiatement, sans transition, +les formes les plus graves. Je connais un officier très distingué, et +bien portant jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une chute +de cheval sur la tête. Après deux jours de perte presque complète de +connaissance, il recouvra successivement la parole, la mémoire, le +mouvement, les forces; mais il était devenu un malade. Depuis douze +ans, il traîne une existence pitoyable. Ce ne sont pas seulement les +fonctions cérébrales qui sont atteintes, chez lui; elles sont même +relativement respectées, il n'a que des vertiges, des bourdonnements de +l'oreille gauche, des picotements dans les yeux, de la difficulté à lire +et à causer. Au demeurant, son intelligence est restée intacte: mais +toutes ses autres fonctions ont été perturbées. Il a des névralgies +erratiques,--plusieurs médecins ont cru que c'était un candidat à +l'ataxie locomotrice,--et surtout il a les troubles digestifs les plus +variés (gastralgie, pesanteurs, gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse +avec alternative de constipation opiniâtre et d'une diarrhée qu'il est +difficile d'arrêter). Les forces sont tellement réduites qu'il peut +à peine faire deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé les +muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type de malade, atteint de ce +qu'on appelle la «neurasthénie hystéro-traumatique», ce sont les +troubles digestifs qui sont au premier plan, bien que le choc ait porté +sur la tête. + +De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de _trauma_ véritable de la +boîte crânienne, suffit pour amener le choc déterminant la «maladie». +J'ai vu à la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le début du +siège de Paris, devint folle pour avoir vu éclater un obus à ses pieds. +On comprend donc qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au même +résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés observée après le siège +de Paris; de là, la multiplicité des cas de psychonévrose, d'aliénation +mentale, signalés dans l'armée russe pendant le cours de la guerre +russo-japonaise. Jamais, depuis que les hommes s'entre-tuent, le système +nerveux des belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures épreuves. +Tous les facteurs morbides s'accumulaient, chez les Russes, pour +produire le désarroi du système nerveux. Éloignement de la patrie, +voyage prolongé en chemin de fer, alimentation insuffisante, manque +de confiance dans les chefs, menace incessante de surprise, surmenage +physique s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est plus qu'il n'en faut +pour rendre malade le malheureux soldat ou officier russe, pour peu +qu'il soit prédisposé par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse. Mais +que faire contre un semblable état de choses? L'homme sensé ne peut que +déplorer l'inanité des efforts de tous les pacifistes. + +Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle la guerre, ne sont +pas assez connues du monde extra-scientifique. On se figure volontiers +que, quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est rien; c'est +pendant quinze et vingt ans que les néfastes effets d'une guerre se font +sentir. Pendant vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui +avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la campagne de 1870, +et surtout pendant la captivité. + +Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous les jours l'influence du +choc chirurgical sur la genèse de la névrose. On commence à connaître +les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations: mais c'est un +point sur lequel il convient d'attirer l'attention, pour modérer le zèle +chirurgical des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand l'opération +est finie et bien finie, tout n'est pas terminé, et que le patient, +sorti guéri de leurs mains, est quelquefois «un malade» qui restera tel +pendant plusieurs années. Le choc traumatique produit par l'intervention +chirurgicale suffit pour expliquer ces accidents tardifs. + +J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une dame qui, d'une très +belle santé jusqu'à trente-huit ans, est devenue grande nerveuse, avec +anorexie, amaigrissement, etc., immédiatement après une opération de +tumeur bénigne du sein. Depuis lors, elle est sans cesse préoccupée de +la récidive possible d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée par +des malaises de tout genre qu'elle n'avait pas avant l'opération. + +Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, même de moindre +importance encore, d'importance ultra-minime, peut mettre le système +nerveux dans un état d'ébranlement durable: c'est quand elle occasionne +une violente douleur. La douleur provoque une fuite nerveuse énorme. +Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé antérieure, qui est +devenue neurasthénique immédiatement après des opérations sur les dents. + +Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales sont +pratiquées sur des personnes dont le système nerveux est déjà ébranlé +plus ou moins, elles deviennent une cause d'aggravation notable. +La seule crainte de l'opération possible suffit pour provoquer une +aggravation de la névrose. Est-il un médecin qui n'ait pas vu accourir +chez lui, forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a +constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du sein? Et c'est bien +autre chose encore quand le diagnostic est douteux, quand la malade +va de chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis ferme; jusqu'à ce +qu'elle soit fixée sur son sort, elle est dans un état d'anxiété que ne +connaissent peut-être pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur +dicter leur conduite non pas seulement au point de vue opératoire, mais +au point de vue psychique. + +Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. Leur sang-froid, leur +maîtrise d'eux-mêmes, leur habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux +résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font les considérer, au +total, comme de vrais bienfaiteurs de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir +qu'ils ne m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer que, +à côté de beaucoup de bien, ils font un peu de mal, et un mal qu'ils +pourraient ne pas faire s'ils connaissaient mieux les répercussions +qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention, et aussi les soins +qu'ils donnent à leur malade après l'opération. Je voudrais ne les voir +intervenir qu'en cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement +contre les opérations qu'on pourrait appeler de complaisance:--comme +celle qui a été pratiquée, contre mon avis, sur une malade qui se +croyait atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que grande +nerveuse. Cette malade avait déjà appelé, malgré moi, quatre chirurgiens +qui n'avaient pas voulu opérer; un cinquième se décida à le faire, sans +avoir de conviction absolue, au sujet de l'existence d'une appendicite, +mais avec la persuasion que la malade, débarrassée de son obsession en +même temps que de son appendice, recouvrerait la santé. Or il n'en fut +rien: l'appendice était sain, et la malade, légèrement améliorée pendant +un mois, par le fait du repos au lit, du régime sévère, de l'espoir +qu'elle avait, et que je fus le premier à entretenir, vit bientôt son +état devenir pire qu'avant l'intervention. + +Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens de tenir le moins +possible les malades en suspens pour savoir si l'on opérera, et quel +sera le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité, sont +angoissantes au premier chef pour les personnes déjà nerveuses. Et je +leur demanderai, enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale +après l'opération... Je sais bien que, dans certains cas, le chirurgien +doit suralimenter et même médicamenter son opéré, au risque de lui +fatiguer l'estomac, et de compromettre les résultats qu'une savante +hygiène alimentaire avait difficilement obtenus, pendant les mois ou les +années qui ont précédé l'intervention. Là, il y a force majeure; et, +dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il savait bien faire de +la mauvaise besogne, mais il se comparait aux pompiers que n'arrête +pas la considération de dégâts limités, quand il s'agit de sauver un +immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré guérirait sans intervention +médicale et sans champagne, sans suralimentation, sans médicaments, sans +morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, au sortir de la maison +d'opérations, son système nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est. +Il serait plus vite remis du choc traumatique inévitable, qui, à lui +seul, est un important facteur de dépréciation de la valeur biologique. + +Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de la morphine aux malades, +et à des doses effrayantes? Je sais bien qu'en général ces doses +invraisemblables,--de 1 à 2 centigrammes répétés deux fois par +jour,--sont tolérées, pendant les premiers jours qui suivent +l'opération, parce que l'opéré a une telle sidération du système +nerveux qu'il ne réagit pas au poison[8]. Mais combien, aussi, ont des +vomissements et des symptômes d'intoxication grave? Et plus fâcheux +encore est le résultat quand le malade se met à aimer l'odieux poison, +et devient morphinomane,--ce qui arrive quelquefois. De grâce, réservez +donc la morphine pour les cas exceptionnels de souffrance, et n'en +confiez pas l'administration à une garde, si bien intentionnée et si +intelligente que vous la supposiez; vos malades n'en seront que plus +vite guéris! + +[Note 8: J'ai traité plus longuement ce sujet dans le _Bulletin de +la Société Thérapeutique_, novembre 1905.] + +Ou bien encore cette habitude de purger les malades, deux ou trois jours +après l'opération, de leur donner des lavements, alors qu'ils auraient +tant besoin de repos! La constipation n'est-elle donc pas un symptôme, +une manifestation, presque inévitable, de l'ébranlement du système +nerveux provoqué par le choc opératoire? Laissez le système nerveux +reprendre son équilibre, et la constipation disparaîtra d'elle-même, +quand l'opéré, sollicité par son appétit spontanément renaissant, +recommencera à manger. + +Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie, une simple vue de +l'esprit d'un rêveur qui n'a pas vu d'opérés! La démonstration a été +faite pour moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience de +laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce, le professeur Delorme a bien +voulu m'associer aux longues recherches qu'il a faites pour provoquer la +constipation chez ses opérés. Or, de tâtonnements en tâtonnements, il en +était arrivé à constiper tous les hommes ayant à subir des opérations +dans les régions abdominales, inguinales et crurales; il évitait ainsi +la souillure, et, par conséquent, le renouvellement des pansements. Et +ce n'était pas une constipation de deux ou trois jours qu'il provoquait, +mais bien de douze ou quinze jours. Chez un malade de mon service, opéré +par lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation a été +entretenue pendant dix-huit jours. J'ai demandé récemment à M. +Delorme s'il était toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu +affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi une statistique de +laquelle il résulte que, depuis le jour où il m'avait convié à assister +à ses premiers essais, en 1889, il avait opéré, après constipation +provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de Vincennes, 1600 cures +radicales de hernies, 50 cures radicales d'hémorroïdes, 500 +varicocèles, 30 castrations, 500 opérations variées de la sphère +inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait constipé +méthodiquement 15 hommes atteints de fractures de la cuisse, pour que +leurs appareils contentifs ne fussent pas souillés. + +C'est une partie de ces faits que M. Delorme a brillamment exposés à la +Société de Chirurgie, en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes +thermiques, démontrant que la température n'a pas monté au-dessus de la +normale, pendant toute la durée de la constipation, et que, même, elle +a souvent été abaissée un peu au-dessous de la normale (90 fois sur ces +160 observations). Dans quatre cas seulement, elle a dépassé la normale, +mais c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication +iodoformée, rhumatisme aigu, congestion pulmonaire (deux fois). Chez 110 +opérés de cures radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans la +moindre importance. Elles disparaissaient après l'émission spontanée de +gaz. La langue, saburrale les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect +normal; l'appétit était conservé chez la majeure partie des constipés. +Dès le troisième jour, on leur donnait à manger des potages, des oeufs, +de la viande blanche, du vin, en évitant que les aliments capables de +donner des déchets. Le sommeil restait bon, le caractère ne laissait +voir aucune modification, la soif n'était pas excessive, et les analyses +d'urines, faites par le professeur Burcker, ont démontré que l'économie +ne subissait, du fait de la constipation provoquée, aucune influence +néfaste. La première selle était, parfois, facile et spontanée; d'autres +fois elle était pénible; c'est ainsi qu'un malade ne put aller à la +garde-robe que le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur lui +les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; ce n'est que quand on +le fit marcher qu'il parvint à aller à la selle. Les selles suivantes +étaient habituellement aisées, et les fonctions de l'intestin +reprenaient leur régularité. «Ma communication, ajoutait M. Delorme, +pourrait avoir plus qu'un intérêt clinique, étant donnée les théories +qui ont cours sur l'importance et la fréquence des intoxications +intestinales. Mais je désire rester exclusivement sur le terrain de la +pratique, et je conclurai en disant que, chez les hommes adultes et +sains surpris par un traumatisme chirurgical qui doit guérir par +première intention, la constipation, provoquée pendant huit à quinze +jours, n'a pas les inconvénients qu'on lui attribue généralement.» + +Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme est arrivé à obtenir ces +constipations prolongées, si peu nuisibles aux opérés: car ce serait +sortir de mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue +digression, c'est que la constipation de quelques jours, survenant +d'elle-même et presque fatalement chez les opérés, quels qu'ils soient, +ne doit pas préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à imposer +à leurs opérés des purgations qui, fatiguant leur système nerveux +abdominal, ont forcément un retentissement sur leur système nerveux +central, et contribuent à en faire des malades, alors qu'au début ils +n'étaient que des blessés, ou bien à aggraver leur «maladie», quand ils +étaient déjà des malades avant l'opération. + +Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs affirment que la +constipation est l'ennemi des femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose +pas m'inscrire en faux contre cette opinion générale: mais peut-être +serait-elle, comme tant d'autres affirmations, passible d'un procès en +révision. + + +III.--CAUSES ACCIDENTELLES + + +Nous venons d'énumérer les principales causes d'ordre psychique qui +amènent la déchéance, totale ou progressive, du capital vital de l'homme +ou de la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées ou non aux +autres influences néfastes (surmenage cérébral, surmenage musculaire, +alimentation défectueuse, etc.), provoquent le plus souvent la +«maladie». + +Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier âge, comme chez +l'adolescent, la «maladie», chez l'adulte, est provoquée par une +affection aiguë qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre typhoïde, +qui, véritable intoxication, surprend l'adulte dans le cours d'un état +d'équilibre irréprochable, et qui, chose curieuse, paraît être d'autant +plus grave que le sujet était plus robuste. + +La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer la «maladie». +Ainsi, je connais un homme de quarante-huit ans, qui a vu sa santé +irrémédiablement ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde survenue à +l'âge de vingt ans. Mais le cas est rare; souvent, au contraire, on +observe qu'une fièvre typhoïde, survenant chez un individu malingre, lui +donne une santé, pour la suite, qu'il ne se connaissait pas jusqu'alors. +Est-ce parce que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que la diète +imposée par la fièvre typhoïde a remis l'organe en état? Est-ce parce +que, jusqu'alors, il se soumettait à un exercice trop vigoureux pour ses +forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant le repos, a rectifié +ses erreurs d'hygiène musculaire? Est-ce enfin parce que la fièvre, +en brûlant ce que les anciens appelaient ses «humeurs peccantes», l'a +débarrassé de ses produits d'auto-intoxication antérieurs à l'affection +aiguë? A vrai dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne pouvons que +constater le fait. Trop heureux serait celui qui pourrait connaître les +causes de tous les phénomènes de la vie! + +Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, pneumonies, +etc., dans quelle mesure créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»? +Nous pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles ne font que +l'aggraver: car, toujours la «maladie» préexistait. Pour contracter +un rhumatisme, une pneumonie, une angine, il faut déjà que le système +nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit définitif, soit +momentané. La première condition pour ne pas prendre les «maladies», +c'est de se bien porter. + +Mais il n'en est pas moins certain que l'affection accidentelle, en +intervenant, imprime à la «maladie» un essor plus ou moins vigoureux, +suivant l'importance de la cause pathogène accidentelle, et aussi +suivant la valeur préalable du sujet. + +De toutes les affections accidentelles, celle qui est le plus +remarquable, à cet égard, est la grippe. La déchéance post grippale est +très fréquente, et parfois d'une longueur invraisemblable. On met des +années, souvent, à se remettre d'une mauvaise grippe. Et cet ennemi est +d'autant plus dangereux que, loin de créer l'immunité, il a une tendance +à revenir à la charge; or, dans le cours de la «maladie», chaque +atteinte de grippe fait faire un pas en arrière, et compromet les +résultats péniblement acquis. La grippe est l'ennemie personnelle des +sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien entendu, la forme +symptomatique de leur «maladie». + +C'est aussi dans la période que nous étudions que se manifeste +dangereusement la syphilis contractée à vingt ans, et insuffisamment +soignée; elle se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte, des +lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont personne ne soupçonne +la cause, des ictus cérébraux, et toutes les manifestations de la +syphilis tertiaire. Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et +la paralysie générale, ou du moins elle prédispose singulièrement +le terrain à l'apparition de ces cruelles «maladies», d'évolution +fatalement progressive. On commence à connaître ses méfaits, dans le +monde des assurances, et à savoir que la syphilis n'est pas un brevet de +longue vie! D'un travail statistique fait par le Dr Rungberg pour une +Compagnie d'assurances, il résulte que l'âge moyen de la mort des +syphilitiques assurés à cette Compagnie a été de quarante-trois ans et +quatre mois, et que, au point de vue des causes de mort, la syphilis +vient immédiatement après la tuberculose. + + +IV.--INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME + + +Toutes les considérations que nous venons d'exposer peuvent s'appliquer +également à l'un et à l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste +privilège de pouvoir être frappée par des influences morbigènes qui +n'atteignent pas le sexe masculin, et qui méritent d'être étudiées à +part. + +La menstruation joue, dans la vie de la femme, un rôle de premier ordre. +Chez la femme très bien portante, son influence est à peine perceptible, +mais chez la femme déjà malade son influence est des plus nettes; chez +l'aliénée, en particulier, on observe d'une façon constante, quelques +jours avant les règles, une aggravation du délire; et, chez l'aliénée +qui semble guérie, on ne doit prononcer le mot de guérison que quand +deux périodes menstruelles se sont passées sans accident. Nous disons +à dessein _deux_ périodes: car si, chez les grandes névrosées, les +troubles menstruels sont mensuels, chez les malades moins atteintes ils +nous ont semblé souvent ne survenir que tous les deux mois[9]. + +[Note 9: Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation +s'accompagne toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois +jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.] + +Chez la grande neurasthénique qui a encore ses règles correctes, on peut +affirmer que, douze jours avant l'apparition des règles, les misères +nerveuses, abdominales, etc., s'accentuent considérablement, au grand +désespoir des familles qui, ayant espéré la guérison, croient que tout +est à refaire. Mais il n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre, +quelquefois même pendant les règles, à partir du deuxième jour, et, le +plus souvent, immédiatement après la cessation de l'écoulement. Les +malades entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne semaine». + +Le médecin doit connaître ce détail, et avertir les malades et leurs +familles de la rechute, qui est inévitable tant que la «maladie» bat son +plein. Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles, ce qui est +fréquent, c'est d'un pronostic assez important; et la réapparition des +menstrues après deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs cas, +indique que la malade entre enfin dans la voie de l'amélioration, alors +même qu'elle continue à souffrir. + +L'influence de la grossesse est non moins évidente. Nous avons dit +qu'elle était quelquefois salutaire, parce que l'utérus développé +remplaçait la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois l'utérus +revenu à son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu +plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées, la ptose +abdominale devient un des principaux éléments de la «maladie». C'est +alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la +forme du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables services. + +Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques. +Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce +qu'elles étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est parce que +la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicité +normale. Si on avait soigné la future ptosique en temps utile, alors +qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du système nerveux, de +l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle +n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses +multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument +si merveilleux, ne doit, à notre avis, être considéré que comme un moyen +thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer la malade et lui +permettre de se passer de ceinture. + +On y parvient, sauf quand la déchéance est trop avancée, par une bonne +hygiène générale, s'adaptant aux indications fournies par chaque +individu. Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez les +autres par le repos, chez les unes par une saison à Vichy, chez les +autres par un régime restreint, chez toutes par la reconstitution du +système nerveux, qui toujours laisse à désirer. + +La ceinture abdominale, pour en revenir à elle, ne sera employée que le +moins de temps possible. Chez les femmes non surmenées musculairement, +on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit +par les exercices de plancher de la gymnastique suédoise, soit par la +pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les +Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la +pulsion de l'air, on ne fasse à la fois de la bonne thérapeutique +abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les +chanteurs et même toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force +extraordinaire des muscles droits antérieurs; en se contractant, ils +repoussent la main qui les comprime[10]. + +[Note 10: Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial +pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce +dynamomètre donnerait des indications très intéressantes sur la valeur +biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant +vaut l'individu.] + +On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion qui attribue à +la ptose abdominale toutes les misères des dyspeptiques, des +neurasthéniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme +a de la ptose et mille misères variées: une ceinture fait disparaître +presque toutes ces misères, c'est donc, conclut-on que la ptose était +l'unique cause? Mais non; c'est toujours la théorie du moindre effort +appliquée au raisonnement humain. La vérité est que la ptose est +symptomatique, que la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la +soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut déjà être malade +pour devenir ptosique,--en dehors, bien entendu, des cas où la +contention abdominale insuffisante serait due à une éventration. + +La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il existe même des ptoses +qu'on pourrait appeler aiguës, si l'on nous permettait cette expression. +Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le +cours d'une bonne santé, à la suite d'un coup de froid, d'une émotion +violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un +jour à l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son +élasticité, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pâteux, d'un +chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni +le caecum, ni le côlon. On perçoit, dans la fosse iliaque, un +gargouillement dont l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la +fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre typhoïde que parce +qu'on l'y cherche. + +Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les +«maladies» aiguës. Il est toujours l'indice d'une sidération du système +nerveux abdominal; et, comme le système nerveux abdominal n'est pas +sans avoir des relations intimes avec le système nerveux central, +l'effondrement en question est toujours l'indice d'un état de «maladie» +assez grave. Mais il peut n'être que passager, durer quinze jours, trois +semaines; d'autres fois, il dure deux à trois mois, dans certains états +subaigus; puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa +forme, son élasticité, renaître: c'est le commencement de la guérison. + +En même temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose +aiguë, la sonorité abdominale subit des modifications extrêmement +intéressantes. Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal, +ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes +différentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le +plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit et le +gauche (octave supérieure au côté droit).[11] + +[Note 11: Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et +la percussion, donne les renseignements les plus précieux sur la valeur +digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime +alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier, +évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les +sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la +gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essayé +d'apprendre cette lecture à ses contemporains. Mais, il ne faut pas se +le dissimuler, l'exploration abdominale est chose très difficile; je la +pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'être en relations +scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la +difficulté de cette étude, en même temps que j'en apprécie mieux toute +l'importance. + +Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui résument +ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous ne saurions trop +affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil digestif est, pour +le biologiste, une source de faits inépuisable. Quelle variété de +renseignements, quelle précision dans l'observation, ne devons-nous pas +attendre d'un procédé à la perfection duquel nous voyons concourir les +données fournies, presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher? +Ajouterons-nous que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son +tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité, +dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les +plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune +modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou +rénal, nous constatons toujours des signes positifs du côté de la sphère +gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils +organiques sont impuissants à objectiver, le tube digestif les +enregistre avec une fidélité remarquable et une variété de nuances que +l'on n'a point soupçonnée jusqu'ici. Et toutes les modifications de +forme et de volume, d'élasticité et de résistance du tissu abdominal, +toutes les variations de sonorité des membranes digestives, ne sauraient +être considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles +portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent, d'une +part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif, d'autre +part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation +générale des réactions de l'organisme correspond à ces modalités +digestives.» (_Mémoire_ lu à la Société de Médecine de Gand, 4 avril +1905.) + +Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient encore à +être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale; c'est là un +chapitre de séméiologie qui est tout entier à faire, et que je ne puis +qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stéthoscope, +ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une +valeur insoupçonnée jusqu'à ce jour.] + +Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service +momentané qui n'est pas à dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les +guérit, quand il leur reste encore assez d'énergie vitale, c'est un +régime approprié, et du repos ou un exercice gradué, suivant les cas. Le +régime devra être celui qui donne le moins à travailler à l'estomac et +à l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou semi-liquide. Les +prises alimentaires devront être fréquentes,--très fréquentes, dans +l'état aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en +éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est +le meilleur des agents thérapeutiques. Quand le ventre commence à se +ressaisir, le régime devra être plus substantiel: potages épais, purées +légères prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait +un nouveau progrès, alimentation plus dense et moins fréquente (six +repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purées +épaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque +normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque égaux, dont un +avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passé, quand le +ventre a retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension, alors +seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit être +assez copieux (café noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, composé +en général de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes de terre +en robe de chambre; 2° viande non saignante; 3° fromage, peu de pain, +pas encore de vin, un verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas +du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles: 1° potage épais; +2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits. + +Telles sont les grandes lignes de la diététique des états aigus ou +subaigus. En même temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'état +aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une +chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les +malades au lit; puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal après +les repas; et toujours beaucoup de sommeil, même diurne, le sommeil +diurne étant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, à +l'inverse de ce que l'on croit ordinairement. + +On comprend combien, dans cet état d'équilibre instable, une violente +perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit +par une alimentation trop hâtive, peut être défavorable au malade. + + + +CHAPITRE IV + +PSYCHOTHÉRAPIE + + + +Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué, les causes diverses qui +produisent la «maladie». Mais cette étude même n'a fait encore que mieux +nous montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine comme dans +l'évolution de la «maladie», l'ébranlement du système nerveux. Et de là +résulte l'importance, également prépondérante, d'une médication +destinée à remonter le système nerveux: médication dont un des éléments +essentiels est cette «psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a +commencé à préoccuper vivement le monde médical, sans qu'on soit encore +parvenu à en fixer exactement le domaine et l'application. + +A en croire un certain nombre de nos confrères, français et surtout +étrangers, le psychothérapie serait simplement destinée à remplacer +toute thérapeutique. L'imagination, d'après ces savants, jouerait dans +la production et le développement des «maladies» un rôle si énorme, +qu'il suffirait de découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux +malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitôt la santé. La +psychothérapie consisterait donc à étudier, à ce point de vue, l'état +d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment s'emparer de +sa confiance pour lui ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents +défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes que les moyens de +persuasion sont, jusqu'ici, très difficiles à trouver; et je dois dire, +quant à moi, qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique me +paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque peu fantaisiste. + +Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit des malades, et de ce +qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle +n'en tenait, hier encore, dans la médecine officielle. Mais j'estime +que la psychothérapie peut faire mieux que d'imposer aux malades +l'illusion,--toujours bien brève et bien fragile,--de se bien porter: +elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus précieux de +la guérison. + +Étant donnée l'idée que nous nous faisons de l'origine nerveuse de +la «maladie», voici, à notre avis, la meilleure définition de la +psychothérapie: «C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par +lesquels on améliore ou on reconstitue le capital nerveux.» Son action +s'étend: 1° à toutes les déviations mentales; 2° à un grand nombre de +troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie, +etc., l'incontinence d'urine, etc. + +Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilité de l'étude, +être divisés en deux grandes catégories: + +1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses; + +2° Moyens par lesquels on augmente les recettes. + + +I + +MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES + + +Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le +savoir; il faut leur apprendre à l'économiser, leur démontrer combien +est fatigante, pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle, +leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir prendre un parti dans +les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti +médiocre immédiat qu'un parti plus sage après hésitation. Or, pour +savoir vite prendre parti et s'épargner la peine de remettre en +discussion tous les motifs et mobiles qui doivent déterminer l'acte à +accomplir, il y a un procédé très recommandable, qui consiste simplement +à adopter des principes, et à se dire: «Dans telle circonstance, je +ferai ceci, dans telle autre je ferai cela»; et puis, une fois le +principe adopté, à y rester fidèle,--sans cependant en devenir esclave. +Car il ne faut pas que l'entêtement remplace l'hésitation, que l'océan +devienne terre ferme. Un petit moyen pratique à recommander aux +hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire +dans la journée et les jours suivants, puis, une fois la chose écrite, +d'exécuter ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté parvient +ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même temps qu'on s'évite des +pertes considérables d'influx nerveux. + +D'une façon générale, il faut inspirer aux malades le respect du temps, +leur faire comprendre que le temps, c'est l'étoffe dont la vie est +faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est +par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de +choses utiles avec un minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre +cette vérité, ils trouveront eux-mêmes, peu à peu, un _modus vivendi_, +qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des économies de dépense +nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes _d'ordre_, de +tout régler dans leur vie,--les heures du lever, du coucher, des repas, +etc.,--de donner à chaque chose, à chaque préoccupation, la place et +l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur +épargner les dépenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente +psychothérapie. + +Appliquons ces idées générales à un cas particulier. Voici une jeune +fille atteinte de ce qu'on appelle la «folie du doute»; dès son lever, +elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et +finira par reprendre la première; elle passera deux heures à faire sa +toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se +laver les mains; et toute sa journée se passera ainsi dans un état vague +d'anxiété. Le soir, la situation est plus pénible encore: la malade ne +parvient pas à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller, +s'interrompant à tout instant pour confier à un petit cahier une foule +d'idées qui ont torturé son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. +On dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant. J'ai chez moi +plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspirés par +ce même esprit. Or, cette agitation stérile, continue, occasionne une +dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier une malade de ce +genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tête, mais que tout +est malade chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a +des urines rares et chargées alternant avec des urines claires et +abondantes. Elle est mal réglée, etc. + +Il lui faut donc, avant tout, un traitement général; dont nous +indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un +traitement psychothérapique.--Et lequel? La première chose est de lui +dire combien cette manière de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de +peine à le lui faire admettre, elle le sait très bien; le preuve, +c'est qu'elle cache son infirmité avec le plus grand soin à tout son +entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette dépense nerveuse, +si stérile, la fatigue, et entretient ou cause sa «maladie» physique. +Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au +lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans +un sens déterminé. A l'une, on fera apprendre une langue étrangère, à +l'autre on proposera une autre occupation, non moins précise. Le +médecin s'inspirera d'une foule de considérations d'ordre secondaire; +l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la +volonté et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par une bonne +orientation de son activité. Nous avons pris là, à dessein, un cas des +plus difficiles à guérir: et cependant nous affirmons que la guérison +y est possible, quand, à la psychothérapie, on joint un traitement +somatique convenable et suffisamment prolongé. + +Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la paralysie générale, dans +tous les cas de délire aigu occasionnés par les «maladies» infectieuses, +l'influx nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se font de +toutes parts. La pensée est si rapide, chez le maniaque, que l'aliéniste +expérimenté ne parvient pas à la suivre. Les associations d'idées se +font avec une telle rapidité que le malade n'a pas le temps de les +exprimer, et, quelle que soit sa volubilité, sa langue n'a pas un débit +égal à celui de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être utile à +des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai dire, son rôle est alors +négatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas +s'acharner à discuter avec le malade, à rectifier ses appréciations; il +faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner à éviter au malade +toute cause d'excitation prochaine ou éloignée. Il faut se rappeler, +surtout, qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore à user +d'extrêmes précautions, et à ménager le cerveau fragile. + +Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée, est limitée à un +point fixe, la psychothérapie intervient d'une façon plus active. Voici +un homme en proie à une obsession: une idée a envahi son cerveau, il y +pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensées +ont pour pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux qu'il estime +pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne +trouvant pas de solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de +boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser à ce qui +le préoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer +inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les +plus amples détails, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci +fait, pour acquérir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre +d'en parler, et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs. De même +que, dans une hémorragie pulmonaire, le médecin bien avisé fait une +saignée générale, qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute +ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idée obsédante, mais faire +naître des courants d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer +une idée morbide par une série d'idées saines. C'est la psychothérapie +_dérivative_. + +Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses, moyen à employer dans +les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du +fait acquis, en d'autres termes la résignation; c'est la psychothérapie +_sédative_. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se +cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent +la «maladie», de se nourrir de son chagrin, de se remémorer les causes +morales qui l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse énorme. +Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif d'une sorte de sommeil +de la cellule nerveuse. + +Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi dire passive, est un +acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberté, +sans restrictions, sans protestations, ses misères, pour les offrir +dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la +passivité, et déjà elle rentre dans la deuxième catégorie des moyens +psychothérapiques. L'étude de cette résignation active va donc nous +servir de transition toute naturelle. + +La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter plusieurs fois par +jour qu'on se résigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de +volonté; et encourager le malade à accomplir cet acte de volonté, c'est +faire de l'excellente psychothérapie _reconstituante_. Malheureusement, +cette résignation active est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose +toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité humaine, +de la réversibilité des mérites et des souffrances, en un mot la +doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce +à titre exceptionnel que les ressources de la résignation active peuvent +être employées. + +Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin en face d'un malade +qui va jusqu'à voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, _a +priori_, que le médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est rien. +Le médecin doit rester à son poste; et tout en encourageant le malade +dans cette voie, en fortifiant sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas +négliger les moyens thérapeutiques que réclame son état. Car enfin le +résigné actif ne commet pas une erreur de logique en désirant guérir +et en acceptant les soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la +souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu, au contraire, +de se résigner aussi à ce que veut pour lui la nature, c'est-à-dire à ne +rien omettre pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une vie +plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le résigné +actif est d'ordinaire le plus obéissant, le plus stable des malades, le +plus reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont donnés; c'est le +malade de choix. + + +II + +MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES + + +La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques comprend, comme nous +l'avons dit, ceux qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du +capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de deux façons: + +1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante +gymnastique de la volonté. (L'homme ne vaut que par sa volonté: donc +discipliner, fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre le plus +grand des services.) + +2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux étranger. + +Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci +devient le collaborateur du médecin, dont le rôle se borne à indiquer +les procédés de gymnastique de la volonté et à surveiller l'application. + +Dans le deuxième cas, une volonté étrangère vient en aide à la volonté +défaillante, ou insuffisante, du patient. + +1° _Gymnastique de la volonté_.--Il y a des procédés d'éducation de la +volonté,--cette faculté, comme la mémoire, comme l'attention, étant +susceptible d'être améliorée par une bonne gymnastique. Le principe +général, dans cette éducation, c'est de procéder lentement, de ne pas +demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de +lui demander, au début, un tout petit effort, qui sera augmenté tous +les jours. Ainsi nous invitons nos malades à faire trois fois, tous les +matins, trois mouvements déterminés des bras, puis six, puis douze, +puis d'en faire autant avec les membres inférieurs. En ordonnant ces +exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique +musculaire elle-même que sur l'effort de volonté que nous obtenons du +malade, avec son libre consentement. Dans le même esprit, nous envoyons +certains de nos malades faire une gymnastique spéciale, tous les jours, +par tous les temps, à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent +supporter la fatigue d'un déplacement quotidien. Là, nous leur faisons +faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien +gradué d'après des règles précises, régularise la circulation du sang, +les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en +particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par conséquent, +l'acte respiratoire. Grâce à cette gymnastique, on arrive, au bout d'un +mois, à faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient +pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher[12]. + +[Note 12: Ajoutons que cette course ne provoque jamais +d'essoufflement le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter +l'essoufflement par une progression sage et bien réglée dans la longueur +et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée par +notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des études +très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant +toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est pas le lieu de parler +avec détail de cette méthode d'entraînement; disons seulement qu'on ne +se fait pas une idée, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur +dans la progression à imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas +gymnastique de l'armée ne doit être atteinte, chez l'homme même bien +portant, qu'après quinze minutes de course progressivement plus rapide. +C'est comme cela que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que +le pas gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue. +De même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure, +c'est-à-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes +de course en progression. Si, à cette prudence dans la progression, on +joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui +apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement. Mais si le coureur +n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au bout de vingt à trente +minutes, d'une transpiration énorme, telle que la course en flexion a +pour complément indispensable, soit une friction sèche avec changement +de linge, soit, mieux encore, une douche tiède. Cette nécessité de la +douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, +par parenthèse, l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du +commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au +contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale, +puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison +d'hydrothérapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition +par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement. + +Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction de +moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinée, +ne soient des facteurs importants dans l'excellent résultat total que +j'obtiens de ce que j'ai appelé la _dromothérapie_; mais j'estime qu'une +grande part du résultat utile revient à cette gymnastique de la volonté +que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous +les jours à ses progrès, il éprouve un vague sentiment de contentement +à la pensée qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle. +Dût-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la +course en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie +par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative, +puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient +vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers jours.] + +Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité de l'attrait dans +l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de +la _gymnastique respiratoire_. Cet exercice est souverainement ennuyeux, +et c'est chose rare que nos malades les plus obéissants le continuent +régulièrement plus de deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est, +pour le psychothérapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un +effort énorme de volonté. Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop +le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur +la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse +de faire disparaître ces rougeurs émotives, si désagréables à certains +neurasthéniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez +les timides, car les personnes hardies et décidées leur payent aussi +leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer l'obsession de la +rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et mérite +l'attention du clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les +moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce symptôme, on voit qu'il +s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et +quelquefois de sensations précordiales; et c'est, sans doute, parce que +l'exercice en question régularise la respiration, qu'il est le meilleur +traitement de la rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain, +je l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices sont, je le +répète, extrêmement désagréables, il faut savoir les graduer de façon +à ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses propres +progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à faire faire au malade des +mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et +soir. On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de cette +gymnastique méthodique, telle que les Suédois l'enseignent, c'est-à-dire +faite d'après les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand +elle est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal +instruits, elle trouble les phénomènes de la circulation, et peut même +amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant, +mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la +thérapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil +qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire. +Aux malades qui n'ont pas l'énergie de la faire simplement dans leur +chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts +mécanothérapiques. + +On peut exercer la volonté du malade, et, par conséquent, la fortifier, +par mille autres moyens, qui seront inspirés par les diverses conditions +de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire +faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer +les progrès, et surtout un travail qui ne demande pas une dépense, soit +cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un côté +ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le rôle du +psychothérapeute doit prendre fin à un moment donné, quand le malade a +reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres +ailes. On doit alors l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement: +il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le médecin imite +le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son +élève, puis l'abandonne momentanément, sans qu'il s'en doute; l'élève +confiant continue à pédaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment où il +est assez sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur le +soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas de progrès. + +2° _Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux +insuffisant_.--Dans les cas où la volonté est tellement défaillante que +l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de +fournir à son malade un apport étranger d'influx nerveux: il y arrive +par le procédé de l'hypnose. Rien ne m'ôtera la conviction que, dans +l'hypnose, il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son sujet, +«influence» étant compris dans son sens étymologique (_fluere_, couler). +L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de +lui-même; il a une action personnelle; et les médecins qui prétendent +le contraire, qui disent que les passes peuvent être remplacées par le +braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule +ou mobile comme un miroir à alouettes, ne me paraissent pas être dans la +vérité. + +L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus +variés; non seulement il peut rectifier des idées erronées, faire +disparaître les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit +encore pour ramener chez le malade la quiétude de l'esprit, la confiance +en soi-même. + +Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus +facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de +faire disparaître des troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des +vomissements, des métrorragies, de faire revenir les règles, le sommeil +naturel, de régulariser les selles, etc. + +Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir +l'influence hypnotique, et que, précisément, ceux qui en auraient le +plus besoin se trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les +hallucinés, les grandes hystériques, les malades atteints de délire +systématisé, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est +d'autant plus difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi, +chez les aliénés, nous avons vu notre excellent maître le Dr A. Voisin +s'acharner pendant des heures entières sans obtenir le moindre effet; +mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait! Nous +connaissons pour notre part de grands nerveux qui, très désireux de +pouvoir être endormis, sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou +tels confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance spéciale +de l'hypnotisme, et toujours avec un insuccès complet. + +C'est là une première raison qui restreint grandement l'emploi de +l'hypnose. Une deuxième raison qui doit le limiter, c'est que, quand +on emploie l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans l'esprit du +malade, si on ne réussit pas du premier coup, et alors on le prive du +secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse +manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance. Mais il existe des +procédés permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable, +de façon qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser de côté, sans +en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables. + +Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que +celle-ci, quand elle réussit, risque de devenir un moyen thérapeutique +trop actif. Même avec la plus grande prudence, on ne parvient pas +toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare souvent par +trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien +faire sans son conseil. + +J'ai connu un ingénieur des chemins de fer, renommé pour sa sévérité à +l'égard des inférieurs, et névropathe de grande marque. Son médecin crut +bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard, +que c'était un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil +hypnotique, le médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses +inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès le lendemain, les +procédés de cet homme à l'égard de ces inférieurs se firent tellement +bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses +subordonnés eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour ses chefs. Il ne +parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarité humaine. +On le crut fou; il ne l'était pas, mais il était devenu tellement +différent de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin, averti de ce +changement à vue, s'efforça, en plusieurs conversations, de modérer le +zèle charitable du néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait +avec lui les théories socialistes, et serait devenu le pire des +utopistes. Il fallut une nouvelle séance d'hypnose pour atténuer, au +point voulu, les effets de la suggestion première. + +Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant +demander pourquoi l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire +sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe à un cheval qui +ne demande qu'à se laisser conduire? Réservons donc le mors arabe pour +les cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif! + +Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le médecin doit cesser +de recourir à l'hypnose, sous peine de compromettre le résultat final. +Une fois le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction de +sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensée, je prendrai la +comparaison suivante: l'hypnose est à la défaillance du système nerveux +ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance fonctionnelle +du corps thyroïde, ce que l'opothérapie hépatique est à l'insuffisance +fonctionnelle du foie. Or, de même que le médecin qui s'est servi +de foie de porc pour remettre en état un hépatique, ne continue pas +indéfiniment l'emploi du foie de porc, de même le psychothérapeute doit +cesser l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat voulu, +c'est-à-dire dès qu'il a remis le malade en assez bon état pour pouvoir +compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort +personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq séances +suffisent, dans la majorité des cas. + +Toutes ces considérations expliquent la rareté des cas où l'hypnotisme +est à conseiller. Mais quant à dire, comme le font les adversaires +irréconciliables de la thérapeutique par l'hypnose, que quelques séances +amènent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que +l'hypnotisme «dissocie la personnalité normale du sujet» (Grasset), +«aboutit à la ruine déplus en plus complète de ce moi qu'on voudrait +sauver» (Duprat), c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme +bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le +service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque +d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de +l'hypnotisme ont quelque chose de dégradant pour la dignité humaine, +parce que le médecin qui impose sa volonté au malade porte atteinte au +dogme de la liberté, c'est énoncer une erreur non moins absolue, la +suggestion hypnotique n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état +de veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte, on n'aurait +plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de +l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discréditent le médecin, c'est +affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait en rien, car le médecin +n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le répétons, sa +conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procédés +hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades +qu'avec leur assentiment formel, et en présence d'un tiers représentant +la famille. + +Ajoutons enfin que le médecin _seul_ doit avoir recours à ce procédé +thérapeutique; et que ce médecin doit agir uniquement pour le bien du +malade, sans la moindre préoccupation étrangère, voire même sans aucune +préoccupation scientifique. + +_Conseils pratiques pour l'application des procédés +psychothérapiques._--Nous venons de passer en revue les moyens +psychothérapiques par lesquels on peut améliorer le capital nerveux d'un +malade. Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien voulant +employer la psychothérapie; il semble donc utile de le compléter par des +considérations d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées par une +expérience personnelle. + +1° Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire +de la bonne psychothérapie, il faut soigner le malade non seulement avec +toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le médecin qui +ne ferait que de la psychologie, démontant curieusement pièce à pièce +tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est +défectueux, sans se préoccuper avant tout d'être utile, ne ferait pas de +bonne psychothérapie. Il lui faut être bon mécanicien, bon psychologue, +c'est entendu; mais surtout il lui faut être un homme charitable. Je +sais que le mot «charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle +plus que d'altruisme, de solidarité, etc. Le mot «charité» pourra +disparaître du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses +soi-disant synonymes; mais la charité restera toujours au fond du coeur +de l'homme, et sera, comme par le passé, l'inspiratrice des actions +généreuses et véritablement utiles. + +2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime son malade. S'il veut +avoir sur lui une autorité morale effective, il faut en outre qu'il ne +soit pas pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il +ne le soit pas en réalité. Savoir se donner tout entier à l'affaire +présente est la première condition du succès, en psychothérapie. Il faut +que, dès la première entrevue, s'établisse entre le malade et le médecin +un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'établir que si le +malade sent que le médecin s'intéresse profondément à lui, et ne lui +ménage pas son temps. La première consultation, surtout, doit pouvoir +durer tout le temps nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine +que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut. + +3° Il faut encore que le médecin sache écouter, c'est-à-dire laisser +parler le malade aussi longtemps qu'il le désire, surtout pendant les +premières consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité +d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter, parce qu'on apprend +toujours quelque détail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de +cette façon, le malade, par une sorte de discrétion inconsciente, +arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser de la patience de +son auditeur, et se contente de répondre aux quelques questions bien +précises qu'il lui pose. + +Une fois que le médecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il +donnera, non seulement sur l'hygiène mentale, mais sur l'hygiène +alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'être suivis; et ainsi +tout concourra à la guérison ou à l'amélioration cherchée. + +4° Un autre principe, c'est de dire au malade la vérité dans la mesure +du possible. Évidemment, s'il y a une lésion organique incurable, +le médecin doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les cas +exceptionnels où le malade a des motifs sérieux pour savoir la vérité +entière. Mais le plus souvent il faut dire la vérité au malade, lui dire +très franchement l'idée que l'on se fait de son état, la durée probable +du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des +années, comme il arrive trop souvent chez les malades à capital +restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: «Le traitement sera +long, un peu pénible, mais la guérison est assurée.» Il faut encore, +dès les premières entrevues, avertir le malade des rechutes possibles, +probables, ou certaines: si c'est une femme, la prévenir que, dans les +douze jours qui précéderont l'époque menstruelle, elle aura fatalement, +durant quelques mois, une réapparition de toutes ses misères, mais à un +degré de moins en moins marqué; dans tous les cas, avertir le patient, +s'il s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir +une légère aggravation, puis, quand son état s'améliorera, tous les +trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause +appréciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le système nerveux +à protester d'une façon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir +que toute émotion violente, et surtout que toute infraction au régime +alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a été ou qui va lui être +prescrit, se soldera inévitablement par une rechute plus ou moins grave, +suivant la gravité de l'infraction,--une rechute qui, chose curieuse, +ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'écart +commis;--l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en +particulier, fera faire un pas en arrière d'autant plus grand qu'elle +aura été plus grave, et soignée plus tardivement; donner, par +conséquent, au malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette, dans +la mesure du possible, à l'abri des affections intercurrentes, et lui +recommander de demander ou de prendre des soins immédiats, en lui +faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves, +en général, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignées dès leur début. + +5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui +seraient plus pénibles que les malaises dont il se plaint. Il doit même +éviter, en général, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque +de décourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre +égoïste et hypocondriaque, et d'entretenir sa «maladie» par le soin +même apporté à la combattre. Aussi bien la thérapeutique est-elle, en +général, plus simple qu'on ne croit, et les questions de régime, en +particulier, sont presque toujours faciles à résoudre. + +Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une +prescription, c'est de la mesure où il sera possible et facile, au +malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrête jamais un programme +de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec le malade, et, si +possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade +une feuille où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis l'heure +du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où, aux heures prescrites, sont +indiqués les menus des repas, voire même les livres à lire. J'ai soin, +en outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis est défendu», en +laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproché +«tout ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le malade, pourvu de +cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus +possible, mais sans en devenir l'esclave. + +On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la «maladie», +si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient +les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où ce +traitement doit être simplifié au maximum: par exemple, chez une mère +de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait +souverainement absurde de proposer à cette malade un régime ou des soins +personnels qui l'empêcheraient d'accomplir ses devoirs de tous les +instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus +importantes, en faisant comprendre à la malade que l'on ferait mieux +si les circonstances de sa vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en +définitive, le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et qu'on en sera +quitte pour prolonger le traitement plus longtemps. + +En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent à un traitement +méthodique proviennent de deux sources: 1° De l'absence de foi du +malade, 2° de la mauvaise volonté de son entourage. + +1° Il est des malades qui viennent nous consulter malgré eux, sous la +pression de leur famille, avec l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre +une consultation de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les +précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup, comprenne la +mentalité des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut être fixé +dès les premières paroles échangées, voire dès le premier abord. A lui, +alors, de déployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y +prendre, il peut arriver à faire, d'un malade irréductible en apparence, +l'être le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et il parvient +alors à des résultats inespérés. Les choses se passent ainsi huit fois +sur dix. + +Plus difficiles à convaincre sont les malades qui n'ont pas d'énergie, +qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises à l'avance, ou +encore ceux qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent que la +mort. En face de tous ces malheureux, le médecin ne doit pas se dérober, +quelque souci que lui réservent les patients de cette sorte. + +Enfin, plus difficiles encore sont les malades à théories, qui ont leur +siège fait, après avoir vu des médecins de tous les pays, suivi, dans +les sanatoria les plus variés, les traitements les plus dissemblables; +qui connaissent toutes les dernières nouveautés sur les choses +médicales, le discours de la veille à l'Académie de médecine, les livres +qui vont paraître. Avec ceux-là, rien à faire. Le mieux, pour ne pas +perdre un temps précieux, est de leur déclarer de suite qu'on ne +parviendrait pas à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs, +ces cas sont assez rares. + +Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale qui commencent par +dire toujours non, ou à le penser, ce qui est encore plus grave. La +psychothérapie, comme tous les agents thérapeutiques, a à compter avec +ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les «idiosyncrasies». + +2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient de l'hostilité de +l'entourage du malade. + +On ne peut se faire une idée de l'influence néfaste qu'exerce cet +entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du +médecin, discute sa manière de penser, ses prescriptions; le malade, +alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au médecin ou à +l'entourage. + +Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement déclarée. Mais c'est +pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, à propos +des moindres prescriptions. Le malade sent très bien que le médecin est +dans le vrai, qu'il a _compris_ sa «maladie»; il voudrait de tout son +coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est là qui, +sans dire un mot, proteste intérieurement et exécute à contre-coeur +tout ce qui a été prescrit. La position est des plus difficiles. Cette +contre-suggestion, qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer +la confiance, si nécessaire, que le malade avait tout d'abord; les +prescriptions ne sont qu'à moitié observées. Ces tiraillements continus +sont véritablement lamentables. + +Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la +femme, c'est souvent la mère ou la belle-mère, plus souvent encore des +personnes qui touchent de moins près au malade. Les plus dangereux +ennemis sont ceux qui ont à donner des soins immédiats; ce sont les +gardes, qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout les +domestiques. De là la dure nécessité pour le médecin d'être bien avec +tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant +avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou +telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout +le monde voudrait que le malade fît de l'exercice; le régime restreint, +alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il +prît du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la +partie est perdue d'avance; et c'est alors que le médecin doit user +de toute son autorité pour imposer l'isolement, tandis qu'il eût été +quelquefois très simple de guérir à peu de frais le malade, en le +laissant chez lui. + +Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la confiance d'un malade, +et d'avoir conquis, non la neutralité,--elle n'existe nulle part,--mais +l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne; il ne +reste plus qu'à surveiller l'application du traitement, et surtout à +entretenir la foi du malade en sa guérison à échéance plus ou moins +éloignée. Pour remplir ce double but, il faut que le médecin ait avec le +malade de fréquents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer, +dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui +démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer instamment, +quelles que soient ses doléances, que la guérison est assurée. + +Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile. Il l'est, par +exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers +temps, pour calmer leur système nerveux. Ne dormant presque jamais, ces +malheureux ont toutes les peines du monde à rester au lit; il faut leur +faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable +qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour au lit, mais de l'excitation +du système nerveux; que cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze +jours, pour faire place à une détente de bon aloi, avec sensation de +fatigue énorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil réparateur, +retour de l'appétit, disparition _spontanée_ de la constipation, etc. +Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent, +des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront être espacées: +il faut savoir se faire désirer. + +Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser +le malade en tête-à-tête avec le médecin. L'influence de celui-ci est, +alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'épancher en toute +liberté, tirent un grand bénéfice de la visite du médecin, qui ne tarde +pas à devenir leur ami. + +C'est dans ces tête-à-tête que le médecin doit insister pour faire de +la suggestion optimiste et de la véritable psychothérapie, d'après les +principes que nous avons étudiés antérieurement. + +Nous avons parlé déjà, à propos de la névrose provoquée par les causes +morales chez les jeunes femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir, +à titre de confident de leurs misères: ce rôle est toujours difficile, +et quelquefois dangereux. Le besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir +confier sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues; +c'est lui qui pousse les criminels à venir s'accuser d'un acte dont +l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable, +a excité un de mes malades à prendre sa femme, en tant que sa meilleure +amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On +comprend donc combien un confident sûr et discret peut rendre de +services, chez les malades de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme +l'a dit le poète: + + En se plaignant on se console, + Et quelquefois une parole + Nous a délivrés d'un remords. + +Mais il est des cas où la douleur humaine ne peut être atténuée par une +confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd +tous ses droits. + +Il est d'autres cas où elle est également impuissante. C'est quand le +malade ne _veut_ pas guérir,--s'il se complaît dans son chagrin, par +exemple.--Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de +se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guérir; dans +leur égoïsme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage, +véritables vampires qui épuisent jusqu'au bout la patience, les forces, +les ressources pécuniaires de leurs proches, sans avoir un éclair de +reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le médecin qui +se dépense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles +sont, avant tout, des malades, et ont droit à toute notre indulgence; +leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme morbide. Ainsi j'ai soigné une +dame qui, avant d'être malade, était exquise de bonté, de bienveillance, +de politesse. Or, quelques mois après le début de sa «maladie», en +même temps qu'elle devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en ne +mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractère se modifia +et la fit devenir le tyran dont j'esquisse à grand traits l'image. +Aujourd'hui, elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter +qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychothérapie +est impuissante. Si habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue +quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents +thérapeutiques. + + +PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX + +Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser, comme moyen +psychothérapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse? +Grave question qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion. + +En principe, le médecin ferait mieux de laisser ce soin au prêtre, ou au +pasteur, ou au rabbin, à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces +délicats problèmes; mais il est des circonstances où il ne peut pas se +dérober, et il nous faut en dire quelques mots. + +Il est certain, en tout cas, que le médecin ne doit jamais aborder, le +premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est +pas son rôle, et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense d'une +doctrine philosophique quelconque, pourrait être, et serait à juste +titre, sévèrement jugée. Mais, d'autre part, il doit s'attendre à ce +que, poussé par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à +entrer avec lui dans ce domaine. + +Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui, +pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité +de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalité des +consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'à son corps +défendant, se sent, à un moment donné, préoccupé d'une façon insolite +par les grands problèmes de l'au-delà, de la destinée humaine. Sans +compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois +n'ai-je pas entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur de quoi? Ils +n'en savent rien; ce n'est pas, en général, d'avoir à quitter cette +lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;--encore que +parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de +conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent +une peur vague, animale; et, dans cette détresse morale, ils +s'accrochent désespérément à tout ce qui peut leur donner du réconfort. + +Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve souvent le malade +d'aborder des problèmes qui, en état de santé, lui étaient complètement +indifférents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne +religieuse, qui répondra à toutes les questions par de petites +dévotionnettes ou des pratiques tout à fait en dehors des habitudes du +malade, des pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les fervents, +et qui risquent de révolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le +sens caché? Est-ce avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant +en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'à +ses affaires pendant qu'il lui détaille ses misères, se borne à lui +répondre: «Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il +fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne +l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors +que la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde! Vraiment, +tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux; +non seulement ils ne sont d'aucune utilité, mais ils contribuent à +entretenir la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du lit des +patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le +cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secrètes, +n'ont plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient en partie +à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue par des confidences +réciproques; or, à partir du jour où le malade a été sérieusement +touché, il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires de ses +meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne s'intéresse qu'aux siennes, +c'est-à-dire à sa «maladie». + +Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves préoccupations, +les personnes de son entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.? + +Quelle médiocre ressource!--Certes, ce n'est ni le dévouement, ni la +bienveillance, ni la tendre affection qui font défaut aux membres de +la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins +intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait +d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de tout +temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent, le prêtre n'a pas ses +entrées dans la maison; et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état +soit un peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut +pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps +d'appeler le prêtre quand le malade sera sans connaissance! + +Que reste-il donc?--Le médecin. + +Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé de son corps, lui donne +une influence et une autorité morales supérieures à celles mêmes des +parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui surtout que le +malade est tenté de confier ses doutes, ses préoccupations d'au-delà, +ses vagues espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui avec une +abondance et une intensité inaccoutumées. + +Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa tâche, sur ce domaine +particulier de la psychothérapie, dont l'importance est souvent +capitale. + +Mais que doit-il faire? En présence d'un malade qu'il voit partagé entre +des restes de foi plus ou moins effacés, et cet état d'incrédulité, +active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence d'un +malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir, +et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour +lui l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il +retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la société de ceux qu'il a le +plus aimés sur cette terre; en présence d'un tel malade, que doit faire +le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde +jamais de vue que le malade est semblable à un noyé qui cherche à se +raccrocher à la moindre branche de salut; si donc il n'a à lui offrir +que de froides théories philosophiques, aboutissant à la désespérance +finale, s'il est lui-même bien convaincu que la mort signifie, pour le +malade, la fin absolue, et la séparation à jamais d'avec ce qui lui +est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des +doctrines qui, en admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient +être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est +de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'espérance. Or, où +trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit: +«Venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?» + +L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les +médecins qui se sont occupés des «maladies» nerveuses; et c'est avec +plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr +Dubois[13], de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage, +développe avec complaisance des théories philosophiques fort éloignées +de l'orthodoxie chrétienne: + +[Note 13: Dr Dubois. _Les Psychonévroses et leur traitement moral_, +1904.] + +«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif contre ces +«maladies» de l'âme, et le plus puissant moyen pour les guérir, si elle +était assez vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme +chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare, dans les milieux bien +pensants, l'homme devient invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu, +il ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber sous les +coups d'une «maladie» physique, mais, moralement, il reste debout au +milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux émotions pusillanimes +des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV: «Ceux à qui leur +tournure d'esprit permet encore la foi naïve trouveront un appui dans +leurs convictions religieuses, à condition qu'elles soient sincères et +vécues.» + +Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en résulte pas, pour le +médecin psychothérapeute, d'encourager son malade dans ces convictions +religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux émotions +pusillanimes des névrosés»? + +Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez, vivante «pour créer +un vrai stoïcisme chrétien», subsiste encore, et cherche vaguement à se +raviver sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme mondains, +est-ce que ce n'est pas une obligation pour le médecin de l'y aider, +autant qu'il le peut? + +Voici donc le médecin transformé, malgré lui, en apôtre. Mais nous ne +craignons pas de le redire: pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas +préparé, il a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne doit +s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain aussi dangereux. + + + +CHAPITRE V + +AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES + + + +La psychothérapie est la base du traitement, pour les malades chez qui +les troubles nerveux et mentaux prédominent. Dans les autres formes de +la déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un rôle important; de +là les résultats remarquables obtenus, même dans les «maladies» à forme +gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confrères, +qui arrivent, en effet, à soulager et guérir un certain nombre de +dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systématiquement toute +préoccupation de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces confrères +tombent dans l'exagération; même s'il n'y a pas de troubles gastriques, +le régime du malade doit être surveillé; et à plus forte raison quand +l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en réalité, joue, dans +la thérapeutique des malades à phénomènes intestinaux et gastriques, un +rôle au moins égal à celui de la psychothérapie. + +Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers: lorsque vous +faites du régime, lorsque vous imposez à vos malades telle ou telle +alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une +maison de santé à l'autre, les bons résultats que vous obtenez sont dus, +exclusivement, à la psychothérapie que vous faites sans le savoir. Si +le docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du +macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur +estomac en état, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en +fait, il les guérit par suggestion, et malgré le régime. Car le +régime, ajoutent-ils, entretient plutôt l'idée de «maladie»: le malade +s'auto-suggestionne à chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver +de plus malheureux à un névropathe, c'est de trouver un médecin qui le +soumette à un régime alimentaire, quel qu'il soit. + +Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir +traiter, par la psychothérapie seule, telle ou telle jeune fille qui +vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs +semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs +mettant sa vie en danger. Qu'on réussisse souvent à guérir les «malades» +sans régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique, qui n'est en +somme que la suralimentation, dans une maison de santé, c'est possible: +le changement de milieu, l'éloignement des causes qui avaient produit et +entretenu la «maladie», l'influence salutaire indiscutable du médecin, +expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder +de généraliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en même temps qu'on +fait de la suggestion, instituer un régime alimentaire approprié au +fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades. + + +I + +RÉGIME + + +Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac et l'intestin, atteints +d'une sorte d'inertie, se refusent à tout travail, et indiqué les +symptômes physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie. Il +est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac et à cet intestin un +travail fréquent, mais peu actif; de là, nécessité de la diète liquide +dans les cas très graves, parfois même de la diète absolue pendant +vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diète semi-liquide dans les +cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes +les deux heures, suivant le degré d'inertie constaté. + +Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le nombre des aliments. +Je me rappelle un malade qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux, +qui depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait plus rien, +avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se traîner, +ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un régime +consistant à s'alimenter exclusivement de Revalescière. Je lui ai donné, +toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures, +jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures +pendant huit jours, uniquement de la Revalescière, cuite dans du +bouillon de légumes et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac +lui permit de tolérer d'autres potages, puis des purées, puis des oeufs +et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il +partit guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que +je faisais, en même temps, de la psychothérapie! me dira-t-on encore? +Sans doute, j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup pour +faire accepter ce régime à mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait +pas une «maladie» incurable, pour le faire rester à Paris, dans les +conditions d'installation médiocre où il se trouvait, etc.; mais +j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui l'a guéri, et que, +malgré la confiance qu'il avait en moi, malgré toute l'autorité que +j'exerçais sur lui, malgré le repos au lit, si je lui avais donné à +manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si +surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas +guéri; et la preuve en est que, à partir du premier mois, sitôt que +je m'écartais du régime méthodique, et que, pour essayer de gagner du +temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet +essai, si timide qu'il pût être, amenait invariablement un petit recul. +Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement amené une rechute. + +Inutile de dire, après cela, que la Revalescière n'est nullement un +spécifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amené le même +résultat (panade bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root, +phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de riz, etc) + +Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le régime +ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le régime +sec est d'un maniement difficile et doit être très vite remplacé par le +régime «à restriction des boissons». Ces cas sont ceux où, à l'inertie, +se joint un élément spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes +les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois +jours, des aliments secs à grignoter; et ce régime est spécialement +indiqué chez les malades chroniques dont le capital est gravement +atteint. Il est bien certain que la psychothérapie intervient assez peu +dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à un +malade qui aurait besoin d'un régime sec le régime liquide, ou même +semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empêcher les +fâcheux résultats d'une pareille erreur thérapeutique. + +Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas +pouvoir digérer, et ne digère pas, en effet, simplement parce qu'il +a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh! alors la +psychothérapie fait merveille. On doit donc forcer le malade à manger, +et à manger n'importe quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout +digérer. Mais je ne conseillerai jamais à un médecin d'essayer ce +système, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas étudié +de très près le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de +compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre. + +D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut procéder avec une +sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments +nécessaire à la conservation de la vie. + +Il nous est impossible de tracer, même à grands traits, les indications +de régime qui conviennent aux divers malades. Théoriquement, le régime +doit varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour à l'autre, +pendant toute la durée de la «maladie». Mais, en pratique, les choses +se passent plus simplement. Le principe général, c'est qu'il faut faire +manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phénomènes +spasmodiques (tiraillements d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut +les faire manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour assurer +le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris vers minuit, après le premier +réveil, dans les cas où le régime doit être plutôt sec, une tasse de +cacao dans les cas où le régime doit être plus liquide, font mieux, pour +procurer le sommeil, que la meilleure des préparations opiacées. + +Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades après +avoir mangé. Nous avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut +qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position +horizontale après les repas s'impose, et n'est pas moins nécessaire +après le goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien de faire, +après les repas, un exercice modéré; et il y a aussi quelques +dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande +exception. + +Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien +portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre +à table immédiatement après un travail musculaire. C'est ce qu'a +parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur +les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer +mes lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur toutes les +questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice. + + +II + +MOYENS ACCESSOIRES + + +Outre le régime, il est encore un grand nombre de petits moyens +thérapeutiques que la psychothérapie ne remplacera certainement pas. Il +est très simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le massage, +la douche tiède, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce +que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une +conception par trop facile, et qui se trouve démentie par l'expérience. +Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, indépendante de +toute suggestion, action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils, +tout comme l'hygiène alimentaire, être soumis à un contrôle sérieux, +et ne pas être employés à tort et à travers: mais, quand ils sont bien +maniés, ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique. Le +principe général, c'est qu'il faut en user avec une extrême prudence, et +que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir. + +_Hydrothérapie_.--L'hydrothérapie froide est rarement indiquée; on +commence à le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital +nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des désastres. + +Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la +base du traitement de la folie, y on tous entièrement renoncé: la douche +froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades +ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunément +soutirer une dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais la +douche froide à la saignée faite chez les malades qui n'ont plus de +pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignée peut parfois rendre +le pouls et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée dans +les cas d'oppression des forces». Or, pour pratiquer à coup sûr la +saignée, dans ces cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il +faut être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer convenablement +l'hydrothérapie froide, chez les malades graves. + +Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions, les lotions, le +manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien +appliquées, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le +peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionné +par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les +fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aéré, où son +cerveau reste en jachère par le fait de l'horrible tristesse du milieu, +et s'il s'y soumet à une alimentation plus raisonnable que celle qu'il +avait chez lui. Tous ces éléments entrent pour une part indéniable, +dans les remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent +encore, à un moindre degré, ses successeurs et ses élèves, à Altkirch, +en particulier. + +Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver +de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit être employée que chez +les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce +genre, le maillot humide, notamment, constitué par un drap mouillé +et tordu étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un +procédé souvent très utile et à la portée de toutes les bourses. On +entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant +ensuite de trois couvertures préalablement étendues, sous le drap. Nous +avons vu des malades, qui ne parvenaient pas à dormir, trouver, vingt +minutes après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil réparateur. +La durée des applications ne doit pas dépasser trois quarts d'heure; et +leur nombre peut sans inconvénients atteindre 80, employées +quotidiennement, même pendant les règles. + +L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses indications. Le _tub_ +tiède, pratiqué dans la matinée, avec une infusion de tilleul et +l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sédatif, si le +malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer. + +Le bain répond aussi à de nombreuses indications; mais c'est un moyen +beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des +malades qui ne le supportent pas, que le bain, même de cinq minutes, +énerve, empêche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilité, +et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire. +Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois amenés à donner des +bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est là une médication très +active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que les malades ont +des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer +autour d'eux. Les bains de six heures consécutives sont journellement +employés à Louéche, et avec grand profit, pour les malades atteints de +certaines formes d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une qualité +particulière, qui rend tolérables ces bains prolongés; ce qu'il y a de +certain, c'est que les bains de la même durée avec de l'eau de Paris, +comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis, ne sont, en +général, pas tolérés, et qu'on a dû réserver ce traitement pour les cas +exceptionnels. + +C'est également une qualité particulière de l'eau qu'il faut invoquer +pour expliquer la tolérance de certaines eaux minérales. A Badenweiller, +en particulier, à Gastein, à Néris, les nerveux supportent des bains +très prolongés (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un +bain d'un quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable. + +Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau, +même aux stations minérales que je viens d'indiquer; les médecins de ces +stations auraient tort d'insister si, après les deux ou trois premiers +bains, ils observaient une aggravation de l'état maladif. + +Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller +la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de +pieds les révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la figure +avec très peu d'eau tiède, ou même avec du cold-cream. Dira-t-on que ce +sont là des phobiques? Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne +connaissons pas tous les degrés de susceptibilité du système nerveux, +réactif d'une sensibilité invraisemblable; et cette intolérance de la +peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparaît en +même temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tête, +et autres misères dont l'ensemble constitue la «maladie». Mais, aussi +longtemps qu'existe cette intolérance, le médecin doit savoir la +respecter, et ne pas s'obstiner à faire faire au malade l'hydrothérapie +même la plus mitigée. + +C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur +sèche. Un sac en caoutchouc, à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur +l'estomac après les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds, +est très apprécié de beaucoup de malades. Ce procédé, très simple, +facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant, +on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas, +c'est la compresse froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas +chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au +patient. + +Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore être remplacé +par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par +la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion. +Ces petits appareils, connus sous le nom de _dermothermes_ ou de +_dermophores_, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une +chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient d'être un peu lourds; +aussi, quand l'installation le permet, leur préférons-nous un tissu +métallique très léger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffé par +un courant électrique à 70 volts. + +_Massage_.--Ce que nous disons de l'hydrothérapie s'applique, de point +en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait +jamais être pratiqué en dehors du médecin. Employé même légèrement, il +fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier, +qui a été fort en honneur il y a quelques années, constitue un procédé +thérapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours +pratiqué par une main expérimentée, c'est-à-dire avec la plus grande +douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la +paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler +que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout à fait accessoire. Les +médecins qui auraient la prétention de guérir la constipation par le +massage abdominal exclusivement s'exposeraient à un échec certain, parce +que la constipation n'est pas causée seulement par une inertie des +muscles de l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état général, +ainsi que nous l'avons déjà expliqué. + +Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de +services que le massage, et sont d'une application plus facile, +puisqu'elles peuvent être confiées à toutes les mains. Elles sont faites +avec un gant de molleton, jamais ou très rarement avec le gant de crin; +seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une +grande somme de résistance, supportent la friction violente au gant de +crin. Une bonne manière de faire la friction humide est la suivante: + +Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un +des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibé d'une solution +alcoolique tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un gant sec, +frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la +couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de même. +Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut, +puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos, +n'importe en quel sens, l'étendre de nouveau, travailler légèrement le +devant de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre. L'opération +doit durer dix minutes. Elle est à recommander chez presque tous les +malades, même chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien faite, et +comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse. + +Les bains de vapeur sont en général bien supportés; mais les prendre +dans des établissements spéciaux expose à une grande perte de temps, et +à un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre à domicile, soit +dans des boîtes portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans +ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une forte lampe à +alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tôle. +Mais un procédé qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans +des boites disposées _ad hoc_, mettre deux briques bien +chauffées,--appliquer une de ces boîtes aux pieds du malade couché, une +autre boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la transpiration +survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce +système permet: 1° de graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller +les draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé de vapeur qui +sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons ces bains d'air sec chez les +malades obèses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc. + +En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails: tout ce qui peut être +utile au malade doit être l'objet de nos recherches; et c'est le soin +des détails qui fait la force, et, disons-le franchement, le légitime +succès de quelques-uns de nos confrères étrangers. + +_Électricité_.--L'électricité n'est pas, non plus, à négliger. Il est +certain que les courants de haute fréquence ont, sur la nutrition en +général, et sur le système nerveux en particulier, une action très +puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr +Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente +de froid. Mais c'est là un procédé forcément limité, à cause des +difficultés d'installation et du prix de revient. Les applications +faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent également avoir +leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif, et qui, fort +heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile. + +Le tabouret électrique est souvent recommandable, à condition qu'on ne +tire pas d'étincelles. Les machines statiques à domicile sont des jouets +qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone +qu'elles dégagent n'a pas une influence utile? + +Les bains électriques constituent aussi un moyen puissant, et, +par conséquent, difficile à manier. Ce que nous avons dit des +contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains électriques; il +est des cas où le bain électrique, bien appliqué, rend d'excellents +services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une façon +générale, on peut dire que le bain électrique occasionne une courbature +notable qui, à l'inverse de la courbature produite par l'excès +d'exercice musculaire, amène le sommeil. Ces bains ne devraient être +donnés que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale +très exacte pendant toute la durée du bain. Dire qu'un pareil moyen +agit par suggestion, c'est énoncer une affirmation qui n'a rien de +scientifique. + +_Injections hypodermiques_.--Les injections hypodermiques constituent un +des agents les plus utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux +trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1° toute injection, en +tant qu'injection, a une influence utile; 2° le médicament injecté a +son action propre; 3° une part de suggestion s'attache à l'emploi des +injections. + +I. On sait, depuis les remarquables études du Dr Chéron, que toute +injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide +injecté ne soit pas toxique, produit un relèvement momentané de la +tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-être, de +vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogénique plus ou moins +prolongé, Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres +conditions. + +Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de Brown-Séquard, +de l'océanine, etc.; il y a toujours à compter avec cette action +particulière de l'injection en tant qu'injection sous-cutanée ou +intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine. +De là l'utilité des doses massives de liquide, comme aussi la vogue +qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de sérum +artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes de sel marin pour +un litre d'eau stérilisée. Malheureusement on sait, depuis quelques +années, que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il peut devenir +toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas très bien. +Il faut donc en user avec grande prudence. + +Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer stérilisée +(océanine). On donne de 300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs +de ce nouveau médicament en disent merveille: il est possible que l'eau +de mer soit un heureux mélange de substances utiles à l'organisme. Je +n'ai pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essayé +l'océanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie, +sans résultats appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que +des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite +à la Société de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il +résulte que ces injections, pratiquées à des doses plus fortes, ont des +effets vraiment importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles +n'ont pas les inconvénients graves des injections salées ordinaires, si +bien mis en lumière par M. le Dr Hallion à la même séance de la Société. +L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement +un des précieux médicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; +d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent également en +tant qu'injections de liquide non toxique. + +II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecté. Il existe, +certainement, des médicaments doués d'une action reconstituante sur +le système nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de soude et +surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard, peut-être la lécithine, +les phosphates, etc. Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces +médicaments: disons seulement un mot des principaux. + +Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier +ordre; on peut l'employer sans danger à des doses beaucoup plus élevées +qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à la Société de +Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicité du produit, +ainsi que l'utilité des hautes doses longtemps continuées, dans certains +cas exceptionnels[14]. Le plus souvent, la dose indiquée par le +professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et +il n'est pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette +injection, à la condition de continuer le traitement pendant deux ou +trois mois dans les cas moyens. + +J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée de l'action des +cacodylates de soude et de magnésie, à la Société de Thérapeutique, en +1902, en indiquant les très rares contre-indications, et en précisant, +dans la mesure du possible, les indications[15]. Le cacodylate de fer en +injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels où le fer +est indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques, chloro-anémiques): +mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites à raison de +deux par semaine, nous ont toujours semblé suffisantes. + +[Note 14: Considérations sur la médication cacodylique, _in Ann. de +dermatologie et Syphiliographie_, 6 mars 1902.] + +[Note 15: _Bull de la Soc. de Thérapeutique_, 27 mars 1901.] + +Les injections orchitiques de Brown-Séquard, après avoir eu un moment la +faveur que l'on sait, sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la +bonne fortune d'être en relations personnelles et suivies avec le vénéré +maître, de recueillir de sa bouche des aperçus thérapeutiques de grande +envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps de vérifier et +d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'étude de +l'action dynamogénique du liquide de Brown-Séquard, préciser les doses, +le nombre des injections, etc. Ce travail n'a été qu'ébauché par le +grand initiateur. + +D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble une méthode pleine de +promesses; j'ai cité notamment, à la Société de Thérapeutique, en 1904, +le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au dernier degré du +marasme, avec muguet dans la bouche, qui a été comme ressuscitée par +l'emploi de trois lavements quotidiens préparés avec une macération de +200 grammes de foie de porc, fraîchement tué, dans 300 grammes d'eau +bouillie. Cette dame, une grande malade avec phénomènes nerveux et +dyspeptiques anciens, avait eu, à un moment donné, une insuffisance +hépatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre +intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxième mois +de cette complication, elle était arrivée à l'état lamentable que j'ai +indiqué, quand nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à son +foie. Le résultat a dépassé toute espérance; trois heures après le +premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit +jours après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les selles +régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger immédiat conjuré, il +m'a encore fallu continuer à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, +la peau de ma malade: mais, trois mois après, elle put aller achever sa +convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien. +La complication hépatique n'avait été qu'un épisode dans le cours de la +«maladie», qui évoluait depuis vingt années. + +D'une façon générale, les préparations opothérapiques, auxquelles un +immense avenir semble réservé, ne rendront tous les services qu'elles +peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par +voie sous-cutanée, comme le faisait Brown-Séquard avec son liquide +orchitique. + +Chez certains malades, les préparations de strychnine par injections +hypodermiques ont un effet très utile: mais il ne faut pas dépasser en +général la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arséniate +de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, réparties sur +trente jours. + +Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels +qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurasthéniques. De là, +la préoccupation constante que nous avons de faire la guerre à cette +affection accidentelle, de la couper dès ses débuts. Or, il m'a bien +semblé trouver, dans le _cacodylate de gaïacol_, un agent antigrippal +spécifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes +confrères, à la Société de Thérapeutique, en janvier 1906. + +Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de +gaïacol, dans un gramme d'eau stérilisée, et préalablement saturée de +gaïacol, fait merveille chez les grippés au début: elle les guérit +en quelques heures. Deux ou trois injections consécutives suffisent +toujours pour couper la grippe, même quand elle n'est pas prise au +début, à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et, +même alors, le cacodylate de gaïacol me semble très recommandable. +Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui +résistent à tous les traitements. + +Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même avec pneumonie, nous nous +sommes très bien trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours de +suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution +suivante, introduite profondement dans le muscle, est très bien tolérée +et n'occasionne jamais d'abcès: + + Chlorhydrate neutre de quinine 3 grammes. + Antipyrine 2 -- + Eau distillée 6 -- + +Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les +névralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui +résistent même aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques, +névralgies intercostales). + +Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces suites éloignées de la +grippe, cas de grippe aiguë et de névralgies postgrippales,--on ne peut +pas tout faire,--mais je crois bien que la quinine à petites doses, +donnée en injections à tous les malades à dépréciation nerveuse +momentanée, aurait un effet dynamogénique précieux. + +Dans certains cas de douleurs névralgiques trop pénibles, les injections +d'héroïne sont indiquées; mais il faut savoir que l'héroïne doit se +manier à doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes, +on ne doit jamais dépasser un milligramme d'héroïne, surtout chez les +malades dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique de +l'héroïne nous a semblé supérieure à celle de la morphine; mais il faut +bien se rappeler que l'héroïne est un médicament aussi dangereux que la +morphine, auquel les malades s'habituent, et réserver son emploi pour +les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me +disposais, à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque, me ravisant, +je me demandai si la névralgie crurale qui le torturait ne serait pas, +par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire, +j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment en cause; et une +seule piqûre de calomel eut raison à tout jamais de cette névralgie +si pénible; tant il est vrai que le médecin doit toujours penser à la +syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui. + +Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire, +quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous +semble être les injections mercurielles; celles au benzoate sont +douloureuses, et donnent des nodosités désagréables; celles de biiodure +en solution aqueuse sont très douloureuses. Nous préférons l'huile grise +pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et +l'huile au sublimé,--dont nous avons donné la formule en 1881 à la +Société de Dermatologie,--chez les syphilitiques épuisés, auxquels +l'huile sert d'aliment. + +Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de +dire un mot de nos travaux antérieurs sur l'action dynamogénique de +l'huile créosotée, en injections sous-cutanées _à dose maxima tolérée_. +Nous les avons surtout employées et les employons encore chez les +tuberculeux; mais nous étions guidé par une fausse conception théorique; +et si la créosote _bien maniée_ reste,--et restera longtemps,--le +médicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle +agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle +a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le système +nerveux. + +La créosote est, en effet, un agent dynamogénique de premier ordre. +Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'être les seuls malades qui +puissent tirer parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais +d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le +moindre bénéfice, à cause de la difficulté que présente le maniement de +la créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la fièvre. Là +où les injections d'huile créosotée font merveille, c'est chez les +pseudo-tuberculeux, qui sont tellement démolis par les troubles +gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne +l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée rend, en quelques jours, +l'appétit, la force, en un mot la vie. + +Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra longtemps son +emploi, c'est l'extrême difficulté qu'il y a à la manier. Pour ma +part, je me suis attaché à surprendre les moindres manifestations de +l'intolérance, et à les décrire minutieusement afin de permettre aux +praticiens de ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention +sur les intolérances accidentelles, qui doivent faire immédiatement +suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptée les jours +précédents. J'ai même tellement insisté sur les dangers de la créosote +que quelques confrères m'ont accusé d'avoir fait son procès; mais la +dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien +maniée, elle rende des services[16]. + +[Note 16: Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas +seulement que la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par +la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un +mois, avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux, +un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade est +resté à la diète _absolue_, ce qui a donné à l'ulcère le temps de se +cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de +150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des injections +huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'où +peut résulter une embolie qui peut être mortelle; mais j'ai indiqué le +moyen de se mettre _sûrement_ à l'abri de tout accident grave. Le secret +consiste à bien connaître les moindres symptômes d'introduction de +l'huile dans le torrent circulatoire, et à arrêter l'injection dès +l'apparition de ces symptômes. Rien n'est plus facile que d'arrêter à +temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais +cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à +fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont étudiés dans +mon livre sur le _Traitement de la tuberculose par la créosote_.] + +III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent +encore d'une autre façon. En dehors des propriétés particulières à +chaque médicament, et de l'action dynamogénique reconnue à toute +injection sous-cutanée et même intra-musculaire, elles agissent encore +par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant +que les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène cérébrale, +médullaire, gastrique, intestinale, cutanée, etc., aient eu le temps de +produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente, +comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le malade serait vite +découragé, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant, +factice peut-être, mais certainement utile, et ayant une action +évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance. + +La pratique des injections hypodermiques est également utile au médecin +à un autre point de vue: elle lui permet d'apprécier très vite le degré +de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de +ce degré de confiance dérive, dans une notable mesure, le résultat +thérapeutique final. Si le médecin sent que son malade a foi en lui, +il déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son +intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira à +tout instant, gêné, paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas +toute la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il y a, pour +lui, à évaluer le degré de confiance qui lui est octroyé. Eh bien! pour +l'apprécier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection +hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci +aveuglément, du premier coup, sans même demander la formule du liquide +injecté, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade +acceptera avec la même obéissance les diverses prescriptions qui lui +seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non +parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe, +il acceptera avec la même passivité les prescriptions qui lui seront +faites, et c'est là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou +surtout son entourage, manifestent une curiosité inquiète, qu'on ne +parvient pas à satisfaire par une réponse banale, quand ils expriment +des appréhensions sur la nature et les effets du liquide injecté, on +peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins médiocre; et le +médecin aura beaucoup à faire pour conquérir la confiance. + +Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont légitimes, et ce que +nous disons ici ce n'est pas pour les empêcher: mais il n'en est pas +moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le médecin +a intérêt à connaître afin de travailler à la faire cesser et d'établir +ainsi, entre son malade et lui, cette confiance réciproque qui est la +condition indispensable d'un traitement efficace.--Or l'attitude des +malades en face des injections qu'on leur propose constitue, à ce +point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral. + +Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des +applications locales, révulsives ou dérivatives, qui étaient autrefois +si en honneur, et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste. + +_Vésicatoires_.--Autant nous protestons contre les larges vésicatoires +employés autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la +cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait +guérir; autant nous continuons à penser que le petit vésicatoire, sous +forme de mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez les grands +malades qui ont le système nerveux sens dessus dessous, une mouche, +appliquée derrière l'oreille, peut faire un mal extrême et produit +un état d'agitation inconcevable, non pas à cause de la douleur +insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de +circulation qu'elle produit à distance. Ce seul fait suffirait à prouver +que l'application d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs, +n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez certains malades qui ont +encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquée derrière l'oreille +droite, de préférence, produit une sédation des plus remarquables, amène +le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles +innommables qui constituent l'état nerveux; c'est sans doute à cause de +l'infériorité fonctionnelle de la partie gauche du corps,--habituelle +chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,--que la mouche appliquée +derrière l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle +produirait moins si elle était appliquée à gauche; en tout cas, c'est un +fait d'observation. De même, la mouche sur le creux de l'estomac peut +amener, si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop aigus, une +aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient à son +heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La +mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remèdes à +apporter à la constipation. Cette affirmation peut sembler singulière, +mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours +nerveuse, de la constipation. + +_Emplâtres_.--Les applications d'emplâtres d'opium ne sont jamais +dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Étant donnée l'extrême +susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se laisse impressionner +par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout +cas, j'affirme, au nom d'une expérience prolongée, qu'une mouche d'opium +appliquée à la tempe est souvent très appréciée par les malades +céphalalgiques, qu'un emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone, +laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une +façon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une +série d'injections de morphine. + +De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué sur la colonne +vertébrale, immédiatement au-dessous de la première vertèbre dorsale, +sur une longueur de dix centimètres, atténue singulièrement certains +phénomènes médullaires dont se plaignent les malades, en particulier +les inquiétudes dans les jambes qui sont si fréquentes chez les grands +neurasthéniques. + +Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à dédaigner. A eux seuls, +ils seraient insuffisants; mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos +méthodiquement dosé, aux applications hydrothérapiques raisonnables, et +à la psychothérapie, ils amènent sûrement la guérison, lorsqu'il reste +assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible. + +_Purgatifs_.--Nous usons très peu des médicaments fournis par la +pharmacopée, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin, +et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents +thérapeutiques à action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer? +c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas. + +Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un médicament. J'ai +mis, quant à moi, des années à étudier l'action du bromure, quand je +m'occupais plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales; et +quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier +l'étude du cacodylate de soude, la première chose que je lui ai dite, +c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet +agent thérapeutique une appréciation ayant quelque valeur. Enfin, +pour ce qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans à en +connaître l'effet. + +Comment, alors, avoir confiance dans des publications hâtives sur des +médicaments découverts de la veille? Et, en ce qui est des médicaments +anciens, ayant fait leurs preuves, je répète que, en général, je les +redoute, à cause de l'extrême sensibilité des malades, qui dépasse tout +ce qu'on peut imaginer. + +Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une +véritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons +employer sans dommage, et même avec une apparence de succès qui +saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs à une indication bien +rationnelle, puisqu'il faut évacuer les résidus de la digestion qui +empoisonneraient l'économie! Il nous faut réfuter ces objections en +passant: qu'on donne un purgatif à un homme solide qui a un léger +embarras gastrique, il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien; +mais c'est une erreur d'interprétation, et si le purgatif ne lui a pas +fait de mal appréciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains. +Mais donner un purgatif à un malade grave dont le système nerveux +est profondément atteint, c'est provoquer chez lui des réflexes dont +personne ne connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son +système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait +jusqu'alors une certaine tonicité, devenir flasque, inerte, perdre toute +réaction; l'intestin est alors inhibé dans son fonctionnement, et il +faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se +ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades +constipés? La réponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur +constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut les soigner en tant +que malades; la constipation disparaîtra d'elle-même. Le moment nous +semble venu de protester une dernière fois contre les idées des gens du +monde, et des médecins, relatives à la constipation. + +Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de +constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une façon +de parler: car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument bien +portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la +vie commune, tout en ayant une constipation opiniâtre; de plus il y a +beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipés. +Une dame nous disait plaisamment, à ce sujet, que son intestin avait +«horreur du vide». Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette +obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés, elles tolèrent +leur infirmité sans se douter qu'elle existe. Mais malheur à elles quand +elles commencent à se préoccuper de leur constipation! C'est à partir de +ce moment qu'elles rapportent à la constipation les mille et une misères +qui sont l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles, surtout, +quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la +constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiède +d'abord, puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours aux +purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux +grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur +intestin, et qu'à leur constipation anodine succède l'entéro-colite +membraneuse. + +A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle +vicieux est établi. Plus elles irritent leur intestin, plus la +constipation devient opiniâtre, et, pour lutter contre cette +constipation opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin. +L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent plus qu'à leurs +fonctions alvines, à la liberté du ventre, qu'elles disent être la plus +nécessaire des libertés. Elles donneraient la vie du genre humain pour +obtenir une selle; elles se présentent à la garde-robe plusieurs fois +dans la journée, sans succès ou avec des résultats insignifiants, et, +cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus +extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet état +mental des constipés mérite d'être étudié de très près; et toute +thérapeutique qui ne cherche pas à le modifier est, par avance, +condamnée à l'impuissance. + +La première chose à faire, quand on se trouve en présence d'un de ces +constipés à obsession, est de lui persuader que la constipation n'est +pas l'ennemie, n'est pas la cause immédiate de toutes les misères +qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptôme d'importance +secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de défectueux +dans le fonctionnement du système nerveux abdominal. + +Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller à la garde-robe tous +les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils +iront quotidiennement; invitez-les à ne s'y présenter qu'une fois par +jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y +aller en dehors de l'heure réglementaire. Recommandez-leur de ne pas +lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont +la constipation n'est qu'un symptôme, et, s'ils vous écoutent, si vous +avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul à moitié guéris. + +Cependant, comme il faut tenir compte de leur état mental, et un peu +aussi de la mentalité de l'entourage, on peut autoriser un petit +lavement d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour de +présentation inefficace, à l'heure réglementaire de la présentation, +lavement qui sera gardé cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on +croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir +du troisième jour de présentation inefficace, un lavement d'huile, non +pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerées +à bouche d'huile pure, lavement destiné à être gardé toute la nuit; si +l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le +lendemain, un effet magique. + +Les pilules de belladone d'après la formule de Trousseau sont également +recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas être +nuisibles. + +Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide orchitique de +Brown-Séquard; c'est de la bouche même du savant professeur que je tiens +ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'était hier, le +jour où il me disait ces paroles: «De tous les services que m'ont rendus +à moi-même mes injections de suc orchitique, celui que je place en +première ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont guéri +d'une constipation opiniâtre». Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut +avoir été, comme moi, torturé par la constipation pour savoir toutes les +angoisses qu'elle occasionne». + +Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joué aucun rôle dans la +circonstance, car M. Brown-Séquard ne s'attendait pas le moins du monde +à cet effet des injections do liquide orchitique. + +Pour moi, utilisant ce précieux renseignement, j'ai traité et je +traite encore par les injections de liquide orchitique les grands +neurasthéniques atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite. + +_Eaux minérales_.--Si nous donnons peu de créance aux médicaments de +la pharmacopée, nous croyons, par contre, que les eaux minérales +constituent des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire, qui ne +respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont été inventés par +des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en +général, les eaux sont le dernier conseil de la médecine poussée à bout. +«On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remède.» + +Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient +là de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit +la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute +antiquité, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles +n'avaient pas vraiment une certaine efficacité. + +Certes, dans les bons effets des cures minérales, il faut compter, pour +une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agréable +du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile +quelquefois, est quelquefois fâcheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux +que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital +n'est pas sérieusement compromis. + +Le changement de régime alimentaire qui est imposé aux malades, dans les +stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part +d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous savons, en effet, que, +à un moment donné, il est utile de ne pas se confiner dans un régime +alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains +cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui +souvent est utile, peut être dangereux, au contraire, quand le système +nerveux n'est pas de taille à supporter le soudain assaut imposé. + +C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales, où le bon effet +des eaux est, en grande partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène +alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer, dans toutes les +villes d'eaux, des «tables de régime» comme il en existe dans toutes les +maisons de santé bien tenues, où chaque malade, pour ainsi dire, a le +régime alimentaire qui lui convient, dosé et surveillé par le médecin de +l'établissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos +stations minérales, parce que les médecins n'y sont pas libres de tous +leurs actes, et ont à compter avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à +compter avec leurs chefs de cuisine. + +A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables de régime»; et j'y +ai vu moi-même des menus imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils +annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le papier. A Vichy, par +contre, plusieurs médecins sont arrivés à imposer à des tenanciers de +pensions de famille l'obligation de donner aux malades des régimes +variés, suivant les prescriptions médicales. + +Quant aux indications des eaux minérales, elles varient à l'infini. + +Certaines eaux ont certainement une action prédominante sur tel on +tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur +d'observation, ou d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux +de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique sur les troubles +périphériques de la circulation (varices, hémorroïdes, phlébites). +Les malades atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement, à +Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs misères (troubles nerveux, +dyspeptiques), mais plus particulièrement les misères locales causées +par leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une action non douteuse +sur le symptôme constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au +contraire, favorise la constipation pendant la durée du traitement. + +De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains entéralgiques, +convalescents d'appendicite, etc., une action véritablement spéciale. De +même encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des +symptômes de la «maladie», elles ont une bienfaisance incontestable, +surtout si, à leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne +bien comprise et bien réglée. Les eaux de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas +d'action spéciale, mais elles rendent de précieux services aux nerveux +fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées chez les malades +dont le système nerveux digestif est en détresse, et la Grande Grille, +en particulier, a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique +pas plus par la théorie des _ions_ que par les théories chimiques, mais +qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas là de psychothérapie ni de +suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy +est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se +rappeler que c'est une arme difficile à manier, comme toutes les armes +puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant +encore une grande force de résistance vitale. + +Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des +dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque année, +il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptômes cérébraux +prédominent, à condition, bien entendu, que ces symptômes ne soient pas +en rapport avec des lésions organiques; et ces malades se trouvent +au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptômes +gastriques ou hépatiques. + +Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault les +malades atteints de lésions organiques du cerveau ou de la moelle, +hémiplégiques, congestifs, etc. Depuis quelques années, la physionomie +de cette station a changé. Il y a eu des accidents provoqués par l'eau +chaude sur les malades à artères friables; et l'on se borne actuellement +à y envoyer les malades à troubles médullaires superficiels, +connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou +articulaires, sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de +boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de +grands services aux rhumatisants et aux obèses sans lésions organiques +appréciables. + +Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège de recevoir des +malades à lésions organiques nettement définies, et dont nous ne nous +occupons pas dans ce travail. + +Vittel et Contrexéville conviennent aux malades chez lesquels le trouble +de la nutrition, qui n'est, en général, qu'un trouble du système +nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation +de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins[17]. + +[Note 17: Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon +estomac, à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De là +le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer à Vittel. +Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez que, longtemps +avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cérébraux, ne +fût-ce que des migraines, de petits troubles cutanés, de l'obésité. Un +beau jour, une colique néphrétique les surprend, et l'on se figure que +c'est à partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien. +La colique néphrétique n'a été chez eux, qu'un accident; bien avant +de l'avoir, ils avaient, même du côté du rein, de petites misères qui +passaient inaperçues: du lumbago, des urines chargées de sable. Et si, +au moment où l'on s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait +soignés méthodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas, +par telle ou telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique +hydrothérapique, telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu +de coliques néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel. +Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir +au traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des +manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une façon +temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les +guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.] + +Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos malades; la Bourboule en +particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens. + +Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minérales françaises +et étrangères. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux +minérales sont un agent thérapeutique de premier ordre, un agent que +tous les médecins doivent connaître, non seulement parce qu'ils voient +dans les livres, non seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine +d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils goûtent, par +eux-mêmes, aux diverses sources, et qu'ils tâtent parfois des bains. Ils +ne tarderont pas à voir que ce ne sont pas des agents indifférents: je +leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn, à forte dose +d'eau salée. Aussi le monde médical doit-il être très reconnaissant à +celui de nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé, tous les +ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux françaises; +quinze jours de voyage sous une bonne direction médicale sont plus +utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi à +connaître non seulement les eaux, mais aussi les médecins des stations, +parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idées générales très +intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des villes d'eaux sont, +d'ailleurs, pour les praticiens, de précieux collaborateurs, quand ils +veulent bien ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson, les +bains, les douches, etc., et consentir à faire, en même temps, oeuvre +médicale véritable, c'est-à-dire surveiller le régime, doser avec soin +le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie ne perd +jamais ses droits. + +_Voyages_.--Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus +grand bien aux malades en général, qu'à la suite d'un état aigu, par +exemple, dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien +loin de chez lui, et que, dans les états chroniques, ce déplacement +lointain est la condition _sine qua non_ d'une guérison. Cette opinion +est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain qu'un homme +bien portant se trouve très bien d'un déplacement annuel, et les +vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son +âge et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien +portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachère, prenne +l'exercice dont il a été en partie privé pendant le reste de l'année. +Ce temps consacré au repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du +temps bien employé. + +Les vacances sont également nécessaires à l'enfant qui travaille: et par +vacances nous entendons non seulement le repos cérébral, qui doit être +presque absolu,--ce qui, par parenthèse, contre-indique l'usage des +devoirs de vacances,--mais aussi, autant que possible, le changement de +milieu, ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De là l'utilité +des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle «des +croisades de paix et de rédemption». Elles sont, dit-il très justement, +la «première ligne de défense contre la tuberculose». M. Plantet a fait +sur ce sujet, à la demande de l'Office central du travail, un rapport +des plus intéressants et des plus complets, publié dans la _Réforme +sociale_, (16 juin et 1er juillet 1905). Il résulte de ce rapport que la +France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre, +la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que +le sixième rang dans la lutte des sociétés contre le dépérissement +de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entrée dans le +mouvement, et les colonies scolaires françaises sont déjà en nombre +considérable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions +privées parisiennes, 40 comités de patronage s'occupant de procurer des +vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables +fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en +1902, 14000 petits Français ont bénéficié de ces institutions +philanthropiques[18]. + +[Note 18: Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces +colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse se +rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des résultats +obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés en commun dans un +même local (villas scolaires, écoles communales vacantes pendant l'été, +propriétés privées, louées, acquises, spécialement aménagées pour +abriter une collectivité à la campagne ou à la mer). C'est la colonie +d'internat. + +Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes de +deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables, +moyennant un prix débattu, dans les régions réputées les plus saines. +C'est le placement familial.--Les deux systèmes présentent des avantages +et des inconvénients qui sont analysés de très près dans le travail +que nous signalons.--En ce qui concerne la santé, tous les rapports +constatent la plus-value dans toutes les régions, en montagne, en +plaine, à la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les +colonies familiales. + +Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de l'esprit +qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner à de +pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux à faire, +on peut réaliser un bien plus durable: il faut viser à ce qu'ils +rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne +se devine guère. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensée dominante +et le rêve du directeur. Le tout est de savoir choisir.] + +Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu +fatigué par le surmenage cérébral, et par les petites émotions +quotidiennes, se trouve très bien de changer d'air, de milieu, non +seulement une fois par an, mais même chaque fois qu'il sent, chez lui, +cette sorte de malaise cérébral prémonitoire de la neurasthénie, ou +certains troubles digestifs mal définis qui prouvent que son système +nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un +déplacement de quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il aille, +il verra son appétit renaître, sa constipation disparaître, la santé lui +revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant +ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de monter en chemin de +fer produit des effets appréciables, et, le jour même du départ, on les +voit transformées. Elles laissent à la première station leurs phobies, +leurs inquiétudes; c'est un changement à vue, un véritable coup de +théâtre. + +Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien portant, ou du candidat +à la «maladie» dont le capital est encore presque intact, et autre +l'hygiène du vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale, les gens +du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré eux, par le fait d'un faux +raisonnement, à croire que ce qui fait du bien à l'homme valide doit +en faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck saignant est +certainement utile à un travailleur bien portant; combien il doit être +plus utile à un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des +forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra, +plus vite il sera guéri!» Le malade proteste, il affirme que la viande +saignante lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en donne au moins +autant que son estomac pourra en digérer, ce sera toujours pour son +bien! On disait la même chose, autrefois, pour le vin; les gens +intelligents commencent à comprendre que le vin, si utile à un +travailleur bien portant, n'est pas un aliment héroïque quand il est +donné à des malades, même sous forme de vins médicamenteux. + +De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modéré est utile aux +gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau +dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le peu d'appétit et de +sommeil qu'il avait encore; c'est égal, il faut qu'il marche! On ne +conçoit pas qu'il doive rester à la chambre, du moment qu'il peut se +tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couché, il sent +que le lit lui est utile; c'est encore là, dit-il, qu'il souffre le +moins. Mais non, il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit +constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigné, plus il a à +lutter contre ces préjugés, qu'on parvient difficilement à déraciner +même dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on, +laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit! +Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher +malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales, et que le +sommeil est le meilleur remède à apporter à cette excitation, et que, +par conséquent, le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne! Quand +donc aurez-vous une notion un peu précise et raisonnée sur la pathogénie +de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»? + +C'est aussi par une faute grossière de raisonnement qu'on considère les +voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux +gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce +qu'ils permettent à l'homme doué d'un beau capital biologique de faire +de ces petites avances dont nous avons parlé déjà, de ces placements à +gros intérêts qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai, +il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive +chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'énergie, et met +quelquefois quinze jours à se refaire d'une excursion par trop fatigante. +Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les gens bien portants, +ces risques de dépenses exagérées sont réduits à très peu de chose. Le +malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas +dépenser à tort et à travers, mais il doit parcimonieusement, et avec +un soin jaloux, garder le peu qu'il possède encore, et chercher à faire +des économies. Si son indigence est momentanée, il se remettra assez +vite à flot. Si elle est définitive, _a fortiori_ devra-t-il chercher à +ne pas faire de fausses dépenses. + +Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une +dépense; le changement d'habitudes, le surcroît de fatigue inévitable, +à eux seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est un grand +malade, le voyage peut même le tuer, comme il tue ces malheureux +typhoïdiques qu'on est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se +croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur des cacolets qui +les secouent d'une façon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts à +l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur état +est extrêmement aggravé. Si on avait pu les soigner sur place, ou les +évacuer à très petites journées, dût-on les tenir privés des ressources +de la thérapeutique, et se borner à leur faire deux lotions fraîches par +jour, ils auraient eu bien plus de chances de guérir. Je l'affirme au +nom d'une expérience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie. +Mais, sans parler des états aigus qui contre-indiquent absolument +tout long déplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des états +chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre +malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le +vain espoir de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver +sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont +aux eaux lointaines chercher la guérison promise, et en reviennent bien +plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les tuberculeux +avancés! ces tristes victimes des théories régnantes et de la crainte de +la contagion. + +Vous prenez là, dira-t-on, les cas extrêmes, et on commence à comprendre +que les grands déplacements ne sont pas favorables aux grands malades. + +Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades +_moyens_. + +Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digère +plus, qui dort mal, qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six +mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux +du Nord pour l'envoyer sur la côte d'Azur, on va lui faire le plus +grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui +paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle souhaitera, dans son for +intérieur, de quitter le délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne +pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut même +se faire qu'à la longue son état s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera +pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que +son état s'aggrave assez pour que l'entourage se rende à l'évidence, et +ramène à grands frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime +dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter. + +En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en +avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre manière de voir +que nous exagérons, à dessein, la formule de notre pensée. + +Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au +monde déplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et +qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément, il existe toute une +série d'intermédiaires auxquels les voyages peuvent rendre des services. +Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut +être utile à l'individu qui n'est que sur la frontière de la «maladie». +Quitte à avoir dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins +hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac, un dyspeptique pourra +se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il +laisse ses préoccupations incessantes, énervantes, de Paris. Comme toute +chose humaine, le déplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne +peut formuler de règles absolues pour les cas moyens; c'est au médecin, +s'il est consulté, à peser le pour et le contre, et à donner les +indications générales. + +Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade. +C'est: + +1° De ne pas voyager de nuit. + +2° De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans +les cas où, pour une raison quelconque, on est obligé de gagner les +altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade +des stations intermédiaires, car l'expérience démontre que rien n'est +préjudiciable à une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une +seule traite de Paris en Engadine. Elle peut être sûre que, en arrivant +à destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau +milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques +jours, elle aura un malaise extrême, et, en particulier, de l'insomnie, +tandis que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle n'aurait +pas eu à payer ce tribut à la dépression barométrique. + +3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que +le lever à l'aube est favorable à l'alpiniste bien portant, il soit +également favorable aux neurasthéniques qui ont besoin de leur sommeil +matinal. + +4° Une prescription importante, c'est encore de se reposer, à l'arrivée +à destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de +l'individu, pour réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce repos +sera plus ou moins complet, suivant la gravité des cas. En principe, il +vaut mieux pécher par excès que par défaut de prudence. + +5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra pas faire de sorties +quotidiennes, sous le fallacieux prétexte de s'entraîner; l'entraînement +convient aux gens bien portants, mais le mot «entraînement» doit +disparaître du vocabulaire du malade. Certes, le rôle du médecin est +d'entraîner le malade; mais cet entraînement, que j'appellerai médical, +doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a, pour ainsi dire, +rien de commun avec l'entraînement de l'homme bien portant et de l'homme +de sport. + +Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et +profiter des jours intermédiaires pour se reposer. Ainsi il parviendra à +reconquérir des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner en dépensant +tous les jours un peu plus de son misérable capital, il ira droit à la +ruine. + +On comprend aisément qu'un des facteurs importants du voyage est sa +longueur. Le voyage autour du monde ne convient à aucun malade; on peut +dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller très loin. Le +malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villégiature à +Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extrême +susceptibilité du malade au changement de milieu. Une simple promenade +_extra muros_ impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais +le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui +ne peuvent pas aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une +véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou +trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptômes morbides? + +Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent que c'est affaire +d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le +médecin, qui connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait +se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la +famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans +certains cas, par une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste +d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la +psychothérapie réconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le +malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de +Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus +grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-même. Mais, +avant de donner cette suggestion, le médecin doit bien étudier son +sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui +demandant un effort au-dessus de ses forces. + +Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de +connaître la valeur exacte d'un système nerveux; c'est presque +impossible pour le médecin qui voit le malade pour la première fois. +Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait +d'être préjudiciable; on se repent rarement d'avoir été trop prudent. Un +élément d'appréciation qui est d'un grand secours pour le médecin, en +pareille occurrence, c'est le désir du malade lui-même. + +S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y a gros à parier +qu'il l'est en réalité. Le malade a toujours, en effet, une vague +conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appréciation. +Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de changer de milieu, +c'est qu'il sent vaguement qu'il a des réserves de force nerveuse ayant +besoin d'être utilisées; il a un sourd instinct qui, en général, +le guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du médecin est +singulièrement restreint; il consiste à s'enquérir plus ou moins +discrètement des désirs du malade, et à les transformer habilement +en prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait encore de la +psychothérapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette façon. +Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est +dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés ataviques, dos théories +plus ou moins scientifiques; et le rôle du médecin est, en ce cas, de +remettre tout au point, de démontrer à son malade que son instinct, dans +telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en +ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors le +beau titre de directeur de la santé. + +_La mer_.--Les voyages à la mer auraient dû, en bonne logique, être +étudiés à la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de +mer est un agent thérapeutique comparable aux bains d'eau salée qu'on +va prendre à Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais +nous les plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages, parce +que, dans la pratique, le bain de mer est plutôt considéré comme voyage +d'agrément que comme traitement médical. Cela est si vrai que le médecin +est rarement consulté sur l'opportunité du traitement marin, sur le +choix de la plage: et c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le +traitement n'est pas surveillé comme il l'est dans les stations d'eau +salée, et c'est également regrettable; car la médication par l'eau de +mer est active, et son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il +s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention +fait du bien ou du mal. + +Les principaux conseils que nous ayons à donner aux malades livrés à +eux-mêmes, à la mer, sont les suivants: + +1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se reposer des fatigues du +voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire; + +2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même, une action appréciable, +et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans +certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par +jour au bord de la mer; + +3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un +véritable traitement minéral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir +des effets sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable d'aller +à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à la fatigue du voyage et de +l'acclimatation sans aucun profit. _A fortiori_, ne doit-on pas prendre +un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train +spécial, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et +se croient obligés de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils +ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutôt +fâcheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces +émotions du revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur soutirer +une réserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un état +subaigu, au retour, qui reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se +joignent souvent des douleurs rhumatismales. + +Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude rapide, les indications +et contre-indications des bains de mer. Le principe général est qu'il ne +faut pas en donner aux malades à capital restreint, et que, en réalité, +ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est +entamé, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain, +au point de vue de sa fréquence et de sa durée. Tout ce qu'on peut dire, +c'est qu'il faut, en général, le prendre très court, cinq minutes en +moyenne. + +Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois +premiers bains. S'ils amènent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop +prolongés, ou trop fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut +pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du +mal, les suivants feront du bien. D'une façon générale, d'ailleurs, +l'organisme ne s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les +médications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de +mal, même momentanément. Mais c'est là un point de doctrine dont la +démonstration nous entraînerait trop loin, et en dehors de notre plan. + + + + +TROISIÈME PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +LA PÉRIODE DE DÉCLIN + + + +Nous avons à dessein placé dans l'étude de l'homme adulte la plus grosse +part de nos considérations thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est +l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de vue médical comme +au point de vue social, et que c'est pendant cette période de la vie que +le médecin peut faire le plus de bien au malade. + +Au contraire, à partir du moment où l'être humain est arrivé au +sommet de sa courbe évolutive, et, par conséquent, où il va décliner, +l'importance des agents thérapeutiques se limite de plus en plus, +jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive à la fin de sa carrière. + +Dans les phases de la vie qui nous restent à étudier, la thérapeutique +doit viser, avant tout, à éviter les dépenses de capital: mais son rôle +pratique n'en reste pas moins très appréciable; et l'on ne sait +pas assez combien une bonne direction médicale pourrait prolonger +l'existence de l'homme arrivé à la période de déclin, voire même à une +étape avancée de cette période. + +Théoriquement, la période de déclin peut commencer le jour de la +naissance. C'est ce qu'on observe chez les enfants qui n'ont pas la +force de vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A l'extrême +opposé, on voit des individus qui ne commencent à décliner qu'à un âge +très avancé, ou encore dont la vie est brutalement interrompue, à un +âge relativement avancé, par un accident, avant que ne soit survenu le +commencement de la période de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse +santé sont venus au monde avec un excellent capital initial, que leurs +parents ont su améliorer pendant la première enfance, et qu'ils ont +ensuite amélioré eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive, ou +en ne risquant qu'à bon escient une certaine partie du capital, pour lui +faire rapporter davantage. + +Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes ont, comme +nous l'avons dit, peu de prise. Ces privilégiés sont semblables à +l'homme qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire fructifier, +en rapporte dix autres, et reçoit encore, en surplus, une récompense. +Chez ces individus, le déclin n'arrive que très tardivement, et ils +peuvent atteindre soixante ans tout en restant jeunes de coeur, de +corps, et d'esprit. + +Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires sont possibles; et +nombreux sont les hommes qui commencent à décliner à trente ans, qui +sont des vieillards à quarante ans. La plupart, cependant, commencent +à décliner vers cinquante ans, et se maintiennent tant bien que mal +pendant quelques années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de +soixante ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent une +pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie» accidentelle les détériore +pour plusieurs mois, et l'on est tout étonné de la lenteur de leur +convalescence. C'est à partir de ce moment que les tares organiques, +latentes jusque-là, se révèlent, que l'homme qui avait une endocardite +avec laquelle il vivait en bonne intelligence, et dont parfois même +il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son coeur devenir +au-dessous de sa tâche. A la suite d'un coup de froid insignifiant, +d'une indigestion, d'un excès alimentaire, d'une émotion violente, d'une +grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie, des palpitations, +des intermittences du pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes +choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le débarrasser cette +première fois, parce qu'il n'est pas encore complètement usé. Mais, six +mois après, sous l'influence d'une cause semblable, il a une nouvelle +atteinte, un peu plus de dyspnée, un peu de congestion de la base gauche +du poumon, ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure des +jambes; et, cette fois, le repos au lit, la diète lactée, ne suffisent +pas à le remettre en état. + +La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes par jour en +infusion dans 200 grammes d'eau, que le malade prendra de deux heures en +deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire crise urinaire. +Grâce à ce précieux médicament ainsi administré, il fera encore les +frais de cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes influences +insignifiantes amèneront l'affolement du coeur avec albuminurie, et +alors la déchéance pourra être irrémédiable. + +Il est certain que si, dans l'intervalle de ces assauts, notre homme +s'était écouté vivre, s'il n'avait rien laissé au hasard, si une sage +direction médicale avait dosé son alimentation, son travail, son +sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si, pour conserver sa vie, +il avait, en quelque sorte, cessé de vivre, il aurait survécu plus +longtemps et n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il faut +bien se rappeler, c'est que, dès sa première atteinte, ses jours étaient +comptés. Cette première atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son +système nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque la force voulue +pour faire son office de pompe aspirante et foulante; le déclin, qui +avait peut-être commencé quelques années avant, s'était traduit dès le +jour de ce premier accroc. + +Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes revêtent parfois une +gravité qui fait croire, à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche +sérieuse ou irrémédiable dans le capital vital du malade, alors qu'il +n'est touché que superficiellement. C'est au médecin qu'il appartient +de faire un bon diagnostic, d'où découlent et le pronostic et le +traitement. Certes, le problème est souvent difficile à résoudre, +et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute sa finesse +d'observation, de toute son expérience, de toute sa pénétration. C'est +dans ces cas que la médecine est véritablement un art, et le médecin un +artiste, appelé à utiliser de son mieux les données scientifiques que +ses études antérieures lui ont fournies. + +Il aura naturellement, pour l'aider dans cette tâche, l'examen physique +du malade, et, en particulier, l'exploration abdominale, le ventre +étant, de tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement +explorer, par la vue, le palper, la percussion; il aura, pour l'aider, +l'analyse des urines, trop souvent négligée. Il sera également secondé +par l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller l'hérédité, +l'évolution antérieure de la vie, chez le sujet qu'il examine. Celui-ci +a-t-il eu de grands assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce +cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé prouve qu'il a une +grande élasticité, un capital sérieux, et qu'il est possible que, dans +la crise actuelle, il rebondisse encore une fois.--Au contraire n'a-t-il +jamais eu d'assaut important? le problème devient alors plus difficile, +car le médecin manque d'une base pour apprécier la valeur réelle du +capital. Aussi fera-t-il bien de rester dans une prudente réserve, et +si, dans le cas précédent, il a été en droit de rassurer la famille +malgré la gravité apparente de l'état du malade, dans le second cas, au +contraire, il ne doit dire qu'une chose: «Je ne sais pas.» + +Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes à santé insolente, n'ayant +jamais eu besoin de soins, que je vois brusquement atteints par une +«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier. Me trouvant sur +un terrain inconnu, je me demande, tout d'abord, si leur capital était +aussi bon qu'il le paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la +faillite, la débâcle. + +Ce sont là, je le répète, des problèmes cliniques extrêmement difficiles +à résoudre; mais ils ont un grand intérêt au point de vue du pronostic à +porter, et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat: car +si le médecin soupçonne, chez son malade, une altération profonde que ne +traduit pas l'ensemble symptomatique, il doit redoubler de précautions, +sa surveillance doit être incessante, son zèle doit prévoir les moindres +incidents, ne rien laisser au hasard. Il a alors à lutter non seulement +contre la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent indocile, et +contre les familles, qui trouvent qu'on en fait trop, qu'on prend trop +de soins, que le malade devrait se lever pour regagner des forces, +sortir pour se distraire, reprendre une partie de ses occupations pour +ne pas nuire à sa carrière; estimant, _in petto_, que le médecin userait +de discrétion en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi qu'il arrive, +ce sont de mauvais cas pour le médecin. Il est accusé, si le malade +guérit, d'avoir retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne +l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si bien portant! et qui +succombe à la suite d'une grippe, presque sans fièvre! Sûrement, c'est +le médecin qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la conscience +du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut aussi se dire que, dans +d'autres cas, on a attribué exclusivement à ses bons soins ce qui était +dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a donc compensation. + +En somme, le médecin qui se trouve en face d'un malade quelconque est +appelé à résoudre le problème suivant: Étant donnés la valeur antérieure +du malade A, et le déchet que lui fait perdre la «maladie» B, quelle est +la valeur du capital restant A--B? Le simple bon sens indique que +cette équation ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque nous ne +connaissons au juste ni A ni B. Aussi le médecin ne doit-il jamais +quitter le terrain, relativement solide, que lui fournit la science, +pour se perdre dans les abstractions. Il doit seulement se rappeler la +parole d'Hippocrate: _Judicium difficile_, et faire de son mieux pour +approcher le plus possible de la solution du problème, qui, sans être +d'ordre mathématique, a cependant une solution. + +«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.» [V. HUGO] + +Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant d'affirmer que l'homme +a atteint l'apogée de son évolution, et est sur la pente du déclin? Eh! +non, tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins fort, moins +actif, que pendant la période de croissance, il supporte moins les +petits écarts de régime, les fatigues, il est plus vulnérable, en un +mot, mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est en période de +déclin. S'il veut éviter la «maladie», il le peut, dans une, certaine +mesure, en s'écoutant vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en +ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses exagérées, ou, s'il +est obligé d'en faire par hasard, en les compensant aussitôt par une +exagération momentanée de prudence. Bref, la période de déclin est la +période des précautions. L'homme en déclin devrait se rappeler qu'il +faut «être de sa santé» comme il faut «être de sa condition», comme il +faut être «de son temps». En usant de ces précautions, il peut prolonger +très longtemps la durée de sa phase évolutive, et atteindre ainsi +sans transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également bien +surveillée, le conduire, sans transition brusque, à la mort. + +Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances de la vie +sont telles que, fatalement, il rencontre sur son chemin des influences +qui font baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces influences +inévitables? Ce sont toutes celles que nous avons déjà étudiées +dans l'enfance, dans l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs +d'alimentation, causes morales surtout, etc. + +Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui soient plus spéciales +à la période de la vie que nous étudions, la période comprise entre +cinquante et soixante-cinq ans? + +Chez la femme, tout le monde admet que la ménopause produit des +perturbations considérables; la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler +«âge critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause ramène +souvent des troubles de santé qui avaient disparu depuis longtemps, et +amène quelquefois des troubles nouveaux, tels que ces sueurs profuses +dont se plaignent amèrement les malades. Nous avons en vain essayé +contre elles l'emploi de l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que +c'est un moyen non seulement inutile, mais dangereux, et que le mieux +est de savoir attendre, en mettant la malade à un régime restreint. + +Dans les deux sexes, les émotions morales jouent encore, à cet âge, +un rôle considérable. C'est une fille mal mariée, un fils qui fait le +chagrin de sa famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la +perte des amis de la première heure, l'âge des désillusions, l'automne +de la vie, en un mot. Dans tous les cas, les pratiques de la +psychothérapie sont d'un incontestable utilité: seules, elles ne +suffisent pas à guérir un homme rendu malade par des influences morales; +mais, associées aux autres agents thérapeutiques, elles sont toujours +d'une grande utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus fait +en réconciliant avec son fils un père que le chagrin avait terrassé, +en lui démontrant la nécessité et la légitimité du pardon, qu'en +le traitant, comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes les +ressources de la pharmacopée et des agents physiques.--Le fonctionnaire +qui prend sa retraite, et se voit brusquement condamné à une oisiveté +forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain cherche-t-il, dans +la société des hommes de son âge, un remède à son désoeuvrement; et +quant à espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille un réconfort +quelconque, il n'y doit pas songer. Les plus jeunes ont leurs affaires, +et les affaires sont les affaires; c'est tout au plus si la fille vient +faire ses couches à la maison. + +Bref, une série de chagrins multiples, auxquels on est encore sensible, +sont l'apanage ordinaire de cette période de la vie. C'est à cet âge, +aussi, que se soldent,--car tout se paie,--les erreurs du passé, les +fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les traites imprévues, et, quand +le capitaliste veut mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit +trop tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas contenté de +ses revenus et qu'il a écorné son capital. Mais, dira-t-on, pouvait-il +s'apercevoir de la mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel +problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse antique. C'était à +lui de voir que, de temps à autre, il avait de ces petites défaillances +de santé qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes +banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements +(l'avertissement sans frais du percepteur). Il aurait dû, en homme bien +avisé, rester toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner. + +Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, sinon de le réparer +complètement, au moins de l'atténuer dans une notable mesure, en se +surveillant de près, et en ne laissant rien au hasard de ce qu'on peut +lui enlever par prudence et par calcul. + +Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent pas qu'elles +dépensent plus qu'elles ne devraient le faire; elles n'ont pas la +bonne fortune de recevoir les petits avertissements que nous venons de +signaler. Leur débordante santé fait l'envie de tout le monde; mais ces +privilégiés sont souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il +fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, brusquement, avec +une affection accidentelle. + +Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se laisse entraîner par un +renouveau de passion sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour +sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer ses talents. Il +faut aussi compter avec les aberrations de l'instinct sexuel, assez +fréquentes à cet âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde pas à +s'installer, sous une forme qui rappelle, par sa brutalité d'apparition +et la gravité des symptômes, l'hystéro-neurasthénie traumatique. + +En effet, du jour au lendemain, cet homme, vaillant jusqu'alors, +subit un véritable effondrement. Non seulement il perd tout d'un coup +l'aptitude sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un grand chagrin, +mais il perd, en même temps, l'appétit, le sommeil, les forces. La +constipation entre en scène; des douleurs névralgiques variées,--ou, +pour mieux dire, des _algies_, car la douleur ne suit pas le trajet des +nerfs, le torturent nuit et jour. Il a une sensibilité excessive de +l'ouïe, un éréthisme de tout le système nerveux, qui devient comme une +lyre à cordes trop tendues que fait vibrer douloureusement le moindre +souffle. Cet état peut n'être que passager, si le malade a le bon esprit +de s'en avouer à lui-même la cause déterminante et de la supprimer. +Mais cela même ne suffit pas toujours: _Sublata causa, non tollitur +effectus._ Le branle est donné à la cellule nerveuse, le système +nerveux, longtemps patient, s'est tout à coup révolté, et il faut des +mois et des années de soins méthodiques pour lui rendre son équilibre. +C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le médecin devra +surveiller non seulement l'hygiène sexuelle, dont il n'est plus +question, mais l'hygiène alimentaire, donner les repas fréquents que +nécessite un estomac toujours sur le point d'entrer soit en état +paralytique ou en état spasmodique; une alimentation non excitante +(pâtes, purées), sans vin, et sans les toniques qui passent, à tort, +pour réveiller les forces. Le repos physique est également indiqué. + +C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, bien compris, bien +dirigé, peut être utile à divers titres. D'abord, il éloigne la victime +de la cause initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier +souvent les soins affectueux et tendres d'une femme momentanément +négligée. + +La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans le traitement de ces +malades qui, d'un jour à l'autre, sont devenus craintifs, scrupuleux à +l'excès, ayant peur de mourir, tenaillés par des remords d'une intensité +morbide. Le médecin animé d'un esprit large et charitable peut leur être +d'un grand secours, en mettant toutes choses au point, et en rassérénant +leur conscience dans la mesure qui convient. + +Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez l'homme, n'a rien +d'exagéré. Nous avons observé plusieurs cas semblables, où des hommes +bien portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts intempestifs. + +Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent chez des hommes qui, +auparavant, n'étaient pas débauchés, offraient même le modèle d'une vie +exemplaire; maintenus par des principes sévères, ils avaient été fidèles +à la foi conjugale, et, alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient +restés fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour, une occasion +se présente et les surprend; c'est une Sapho quelconque rencontrée +en chemin de fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation, il +succombe, et, une première chute en entraînant de nombreuses à sa suite, +il devient enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop engager l'homme +mûr, trop confiant en lui-même, à veiller toujours, car le péril est +insidieux et les risques sont grands. + +C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent les troubles +prostatiques et urinaires, résultats tardifs de blennorragies mal +soignées et considérées comme une bagatelle par le jeune homme, plutôt +fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est vers cinquante-cinq ans +que le rétrécissement du canal provoque des misères variées, que nous +n'avons pas à décrire ici, mais qui finissent par amener la mort +prématurée si le chirurgien n'intervient pas. + +Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement chez les hommes qui +ont dépassé soixante-cinq ans: ceux qui avaient des rétrécissements sont +morts avant cet âge. + +C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la prostate entre en scène. +Certes, les affections de la prostate ne sont pas toujours d'origine +blennorragique; mais elles sont, plus qu'on ne le croit, dues à des +erreurs dans l'hygiène sexuelle. + +Quant aux autres affections capables de faire brusquement baisser le +capital, elles ne donnent lieu à aucune considération particulière. +Nous devons pourtant nous arrêter encore, en passant, sur trois +manifestations morbides spécialement fréquentes à l'âge en question: le +diabète, l'albuminurie, et l'obésité. + +_Diabète_.--L'apparition du diabète est, certes, chose fâcheuse; mais le +plus grand malheur qui puisse arriver à un diabétique impressionnable, +c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans ménagements, la +fâcheuse nouvelle. A partir de ce moment commence, pour le malade, +une incessante préoccupation morale, aggravée encore par un régime +alimentaire qui lui cause plus de dommages que le diabète lui-même. Il +est vrai de dire que, depuis quelques années, les médecins se sont +un peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les rendait +redoutables aux diabétiques. On veut bien admettre, désormais, que le +régime des diabétiques comporte certains tempéraments, et que les pommes +de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent être allouées, voire +même en abondance. + +Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation d'un diabétique, +traité d'après les principes classiques, est encore loin d'être +réjouissante. Elle sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin +qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés par le même régime, +ou plutôt qu'il n'y a pas de régime du diabète, le diabète n'étant qu'un +symptôme qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui. + +Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, aux autres la diète +lactée absolue pendant quelques jours, et le régime des potages au lait +ensuite. Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons du régime +peuvent être indiquées. Le médecin doit imposer le repos au lit absolu +au diabétique qui maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans les +autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce que le diabétique a +toujours des combustions exagérées, comme le professeur A. Robin l'a +très élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi de l'état mental du +malade, et à ne pas négliger la psychothérapie. Le diabète peut être +provoqué, expérimentalement, en touchant un point précis du quatrième +ventricule du cerveau; et les diabétiques vraiment graves sont ceux +qui le deviennent à la suite d'une chute sur la tête: ces deux faits +prouvent assez l'importance des troubles du système nerveux dans la +pathogénie du diabète, et la nécessité de faire une grosse part aux +soins moraux dans le traitement du diabétique. + +_Albuminurie_.--L'albuminurie donne lieu à des considérations de même +ordre. + +Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant un état de +détérioration générale de l'organisme; c'est, le plus souvent, un +symptôme grave, mais quelquefois aussi un phénomène sans grande +importance. + +Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence, intermittente, +venant après la moindre fatigue. On sait encore que le seul fait de +se lever du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit pour +provoquer l'apparition de l'albumine, qui n'existait pas dans l'urine +émise pendant que le sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle +l'albuminurie _orthostatique_ ou _physiologique_,--terme détestable, +parce qu'il n'y a pas d'albuminurie physiologique, pas plus que de +glycosurique physiologique. Cette albuminurie de peu d'importance +survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en bon état de santé, +et indique, par conséquent, qu'ils doivent être tenus à vue, et soignés +suivant les principes généraux que nous avons déjà énoncés. + +Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine dans l'urine est toujours +d'un pronostic plus sérieux. Parfois cependant, là encore, l'albuminurie +n'est que transitoire, et coïncide avec une décharge d'acide urique par +les reins. Si l'on ne soumet pas le malade ainsi touché au régime lacté +absolu, qui achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si on lui +donne à prendre un peu de benzoate de soude, l'orage passe vite sans +laisser de traces. + +D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire, est intermittente, +même chez l'adulte. Nous connaissons un malade qui, depuis quatre ans +que nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il monte à cheval. +Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres à pied sans avoir d'albumine; mais +une seule promenade à cheval fait réapparaître l'albumine et, malgré la +dose considérable révélée par l'analyse après l'exercice du cheval, il +est, au demeurant, bien portant en apparence, et a une vie des plus +actives.--Je connais aussi un médecin qui a, depuis des années, de +l'albumine en permanence; après s'en être beaucoup inquiété, et avoir +suivi divers traitements et divers régimes, il a fini par ne plus faire +que de l'hygiène générale, manger raisonnablement, éviter le surmenage; +et il est, en somme, en aussi bon état que possible. + +J'ai cité, dans une étude sur le _Cacodylate de Soude_ que j'ai publiée +en 1901, l'histoire d'une jeune malade ayant, depuis 1898, à la suite +d'un coup de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai donné des +doses considérables de cacodylate, en injections, pendant un mois. J'ai +eu, à ce moment, le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au +remède la survie de la malade. Or, elle s'est mariée en 1900: depuis, +elle a cessé toute médication, pour se borner à prendre de la viande +crue et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, 3 à 4 grammes +d'albumine par jour, et va très bien. + +On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la valeur pronostique de +l'albuminurie. Mais il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, la +présence de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que nous étudions, +est un symptôme qui doit inspirer au médecin des craintes sérieuses, +surtout quand, en même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette +combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de mort à brève échéance. + +Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique sera encore aggravée +si le médecin s'obstine à lui imposer le régime dit des albuminuriques. +Il n'y a pas de régime des albuminuriques: il y a le régime qui convient +à tel ou tel albuminurique. Parfois le régime lacté fait merveille, mais +c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger plus de quinze +jours. D'autres fois, c'est le régime des pâtes, plus souvent encore le +régime lacto-végétarien, qui, combiné au repos, aide le malade à sortir +du mauvais pas, au moins momentanément. + +_Obésité_.--Au même titre que le diabète et l'albuminurie, l'obésité +appartient en propre à la période de déclin. Mais, direz-vous, il est +des enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est qu'ils ont commencé +jeunes leur période de déclin. Mais, d'habitude, c'est aux environs de +la ménopause que l'obésité devient, pour les femmes, une torture de tous +les jours. Nous n'avons pas à en indiquer les inconvénients; rappelons +seulement que l'obésité tend toujours à augmenter, parce qu'elle +interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit immédiatement un +cercle vicieux. Dans les cas d'obésité où l'exercice serait utile, +l'obèse qui est condamné à en prendre de moins en moins, devient de plus +en plus obèse. + +Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours utile aux +obèses. L'obésité, étant un symptôme de la «maladie», est quelquefois +entretenue par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de +vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté des médecins +de diverses nationalités, avait fini par suivre les conseils d'un +empirique, qui n'avait rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que +de mettre sa mère en relations avec un commandant de chasseurs à pied, +de façon que ces deux dames pussent suivre tous les exercices du +bataillon. Au bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la jeune +fille grossissait toujours. Sous l'influence de l'exercice, elle +mangeait davantage et buvait en conséquence. Mais vint un jour où +l'estomac, fatigué par la suralimentation, se mit à protester; c'est +alors que je prescrivis le régime ultra-restreint, pendant quelques +jours, pour remettre l'estomac en état, le repos presque absolu pendant +cette période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement de l'estomac +et de l'intestin, avec un exercice modéré; et voici que, sous +l'influence de ce traitement, la malade vit diminuer son obésité, +et disparaître, successivement, d'autres troubles variés qui, comme +l'obésité, étaient symptomatiques! + +Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime applicable à tel ou +tel malade atteint d'obésité. Le plus souvent, le régime restreint +est indiqué; d'autres fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est +dangereux comme de le faire maigrir par insuffisance alimentaire. Il ne +faut pas, non plus, le faire maigrir par l'emploi de la thyroïdine. Je +dois dire, cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents +obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de vingt ans qui, en six +mois, a vu son poids baisser de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en +soit résulté le moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine avait +été maniée par le Dr Polin avec une prudence extrême (2 milligrammes +par jour, et pendant six mois consécutifs). + +En général, il faut se méfier de ce médicament, qui demande une +surveillance médicale sinon quotidienne, du moins hebdomadaire; il faut +enfin se rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer l'obésité +au point d'en supprimer les inconvénients, et aussi qu'il est toujours +dangereux de faire trop maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop +vite. Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe, il est vrai; +mais c'est le commencement de l'effondrement. Son système nerveux tombe +aussi. En y mettant le temps, au contraire, c'est-à-dire en ne brusquant +pas la manière d'être du sujet, on peut toujours arriver à des résultats +excellents. + +J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans, à une dame de +soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. Elle est arrivée +en dix-huit mois, à baisser, avec une progression continue, à 77 +kilogrammes... Depuis, elle garde son poids et sa santé; son déclin +s'opère avec une lenteur telle qu'il est à peine perceptible. Inutile de +dire que l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique. + + + +CHAPITRE II + +LA VIEILLESSE + + + +Quelle que soit l'économie qui ait présidé à l'usage du capital +biologique, il n'est pas possible que quelques mauvais placements +n'aient été faits, dans le courant de l'existence; que des chocs +accidentels, et indépendants de la volonté, n'aient, à diverses +reprises, ébréché le capital. L'homme qui se condamnerait à vivre à +seule fin de prolonger ses jours vivrait certainement très longtemps, +mais la sentence d'Horace lui serait applicable: «Pour vivre, il aurait +perdu les raisons de vivre.» _Et propter vitam vivendi perdere causas_. + +D'autre part, le capital diminue par le fait même de la vie, comme la +vitesse initiale d'un projectile diminue progressivement par le fait de +la résistance de l'air. Enfin il vient un moment où le capital, après +avoir produit des intérêts considérables, ne donne plus que des intérêts +de moins en moins élevés. Ce moment coïncide exactement avec la période +de déclin, de sorte que, à partir de ce jour, quoi qu'il fasse et +sans qu'il s'en doute, l'être vivant s'appauvrit fatalement et +progressivement. Il en arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit +rentier; et c'est alors la vieillesse. + +Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge; témoin ces enfants +qui ont l'aspect de petits vieillards, comme on dit dans le langage +courant; ces hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, des +loques humaines. Mais, le plus souvent, la vieillesse survient à un +âge plus tardif, que, pour le besoins de la cause, nous fixerons, par +exemple, à soixante-cinq ans. + +A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner, comme le lui +conseillaient les trois jeunes gens du fabuliste, «à songer à ses +erreurs passées» Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de +vastes pensées», à condition que ce ne soit pas pour lui, mais pour ses +arrière-neveux. Il peut, en d'autres termes, jouir de son expérience et +s'efforcer d'en faire profiter les autres; mais en se rappelant qu'il a +atteint l'âge du repos, des ménagements et des précautions. Et de même +que, dans la première période de la vie, il appartient aux parents +de ménager pieusement et de faire sagement fructifier le capital de +l'enfant; de même, à cette dernière période, il est du devoir des +enfants de veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont la +charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse, tout chagrin, +tout souci, tout écart de régime, et de le préserver contre toute +intervention thérapeutique brutale. + +Quelles sont les influences qui compromettent d'une façon spéciale le +vieillard vivotant? + +Les influences psychiques sont beaucoup moins importantes que dans l'âge +adulte. Quelques vieillards, il est vrai, gardent leur sensibilité et +leur jeunesse de sentiments. L'expérience de la vie ayant tempéré la +fougue de leurs jeunes années, leur ayant appris l'indulgence et la +miséricorde, ils deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi +agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la sensibilité +s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve le vieillard de toute +émotion nuisible. Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce +de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné, mais l'émotion +qu'il éprouve est surtout égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui +donne de voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, et +n'est pas comparable au chagrin poignant de l'homme adulte perdant un +être aimé. Donc, de ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système +musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple bon sens fait que le +vieillard n'abuse pas, en général, de son restant de forces musculaires: +exception faite cependant pour les cas où des parents ou des amis mal +avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard à se déplacer sans +relâche, pour passer l'hiver dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps +ailleurs. Combien ne serait-il pas plus sage, en général, de le laisser +tranquillement chez lui, dût-il ne pas quitter sa chambre? J'ai +longtemps donné des soins à une vieille dame que ses enfants emmenaient +en villégiature, toujours malgré elle, dans le centre de la France, et +ramenaient à Paris en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un +mois de soins assidus et de précautions pour effacer les traces de +fatigue occasionnée par le déplacement. + +La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le séjour hivernal dans +le Midi peut être recommandable, mais que, d'une façon générale, il +faudrait se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant «qu'on ne +doit pas transplanter un vieux chêne», et qu'on devrait regarder à deux +fois avant de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard, soit un +lointain changement de pays, soit même un changement d'appartement. Il +faut, en général, tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir, +qui est dicté par un vague instinct de conservation et qui trompe +rarement. + +Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien entendu des +affections accidentelles, ce sont les écarts dans l'alimentation. Une +indigestion qui, chez un homme jeune, se serait traduite par un léger +état gastrique, amène chez le vieillard un effondrement colossal; et, +pour peu que la thérapeutique intervienne d'une façon inopportune +sous la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la situation peut +s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut alors des semaines pour remettre +en état le système nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de +s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme vacillante; +irez-vous l'alimenter par un soufflet de forge, et charger le foyer de +grosses bûches de bois? Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies +précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est seulement ensuite +que vous mettrez des fragments un peu plus volumineux, pour arriver +enfin à la bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même chez le +vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes gastriques, prudence +extrême dans l'alimentation, fréquence de l'alimentation, et repos +absolu: c'est la base du traitement. + +Mais combien, pour faire observer ces prescriptions si simples, ne +faut-il pas au médecin d'énergie et de foi? Qu'on veuille donc bien +se rappeler que le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation +restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui lui sera profitable, +mais bien ce qu'il assimilera, et que, chez lui, la puissance +d'assimilation est extrêmement minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit, +il proteste, plus ou moins énergiquement, contre les menus qu'un zèle +mal éclairé s'ingénie à lui proposer. + +En dehors de ces états gastriques passagers, le régime du vieillard doit +être, en général, peu substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le +soir, s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il éprouve le +besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, plutôt que beaucoup à la +fois. Mais on ne saurait croire combien certains vieillards ont peu +besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente une vieille dame qui +avait trop mangé pendant toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une +dyspepsie permanente accompagnée de misères variées, en tête desquelles +venait la constipation. De là obsession de tous les instants; tant qu'on +ne l'eût pas mise exactement au régime convenable, elle fut torturée par +ce symptôme, restant huit ou quinze jours sans parvenir à aller à +la garde-robe, malgré les lavements, les suppositoires, le massage +abdominal, etc. On avait dû même, plusieurs fois, recourir au curetage. +Or je me dis, un jour, que le régime relativement restreint que je lui +avais imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore assez restreint. +Comme elle n'avait jamais d'appétit, et qu'elle ne mangeait que pour +faire plaisir à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention, +qui fut de restreindre, sous ma surveillance, son alimentation +progressivement, et dans la mesure extrême du possible. Après un mois de +tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions arrivés à la formule +suivante, que je transcris d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse +à thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de semoule au lait, +ou de panade, ou de farine de Hongrie, ou de crème de riz, ou de crème +d'orge aux mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, un quart +d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures, comme à midi; dans la nuit, +une tasse à café de lait.» + +Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage absolument +ridicule, finit par être accepté quand on vit la malade reprendre, +progressivement, du sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et +surtout quand on vit disparaître sa constipation. Ses fonctions +s'exécutaient, en effet, très régulièrement tous les deux ou trois +jours, spontanément. Le régime fut continué jusqu'à sa mort, qui +survint trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à l'âge de +quatre-vingt-quatre ans. + +Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, mais ils seraient +tous calqués sur ce modèle. + +Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé un gros appétit: +il faut savoir le respecter, tout en essayant de le modérer un peu, du +moment que la santé reste bonne. + +Pour en finir avec la question de régime, disons qu'un peu de vin +généreux, étendu d'eau, est, en général, une boisson excellente pour le +vieillard, bien portant ou malade; et que le lait, par contre, lui est +le plus souvent préjudiciable, sauf dans les états aigus ou subaigus +prolongés. + +Quant aux affections accidentelles qui surviennent chez le vieillard, et +qui compromettent son reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font, +néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante de toutes est la +pneumonie. C'est, très souvent, une pneumonie d'origine grippale: aussi +ne saurait-on trop soigner la grippe dès son début, chez le vieillard +plus encore que chez l'adulte. La pneumonie est insidieuse chez le +vieillard. Elle ne se traduit que par un malaise général, avec très peu +de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne toujours de fièvre. +Si donc les familles savaient se servir du thermomètre, on aurait des +chances de porter secours aux malades en temps utile; et alors une +injection de cacodylate de gaïacol, quelques cachets de quinine, une +certaine dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient, dans +bon nombre de cas, à le sauver; tandis qu'en général, quand on appelle +le médecin, il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que le +diagnostic, et prévenir la famille de la gravité de la situation. + +Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent compromettre la +survie du vieillard. Ordinairement, il échappe à la première atteinte, +mais il en sort tellement amoindri, physiquement et intellectuellement, +qu'on peut dire qu'il a cessé de vivre avant de mourir. Grâce aux soins +dont il est entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même +pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à ce qu'il se décide à +mourir après une deuxième ou troisième attaque. + +Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées ne s'observe, le +petit rentier qu'est le vieillard continue à vivoter plus ou moins +longtemps, jusqu'au jour où, tout son capital et tous ses revenus étant +épuisés, il cesse de vivre, tout simplement parce qu'il n'a plus la +force de vivre. Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur qui +a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon, très profondément +philosophique, l'expression courante de «défunt», la traduction +littérale du mot latin _defunctus_ étant: «Celui qui s'est acquitté.» +Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet, en remerciant leur +hôte. Heureux s'ils peuvent léguer à une nombreuse postérité «l'exemple +de leur vie!» + + + +FIN + + + + +INDEX ALPHABÉTIQUE + +Albuminurie:--permanente;--son régime. Alcool. Alimentation: de l'enfant +né avant terme;--du premier âge;--Gouttes de lait;--chez le +petit enfant;--chez l'enfant du deuxième âge;--défectueuse; +excessive;--ration d'entretien;--observation d'une malade guérie par le +régime restreint;--insuffisante en quantité;--à la sonde;--observation +d'une malade fébricitante guérie par l'alimentation +forcée;--insuffisante en qualité;--chez le vieillard. + +Aliments adultérés par les procédés chimiques; physiques. + +Auto-intoxication, (Hypothèse de l'). + +Avarie. + +Bains: chauds dans les pneumonies;--prolongés;--de briques;--de +vapeur;--électriques;--de mer. + +Blennorragie, ses dangers tardifs. + +Boissons: fermentées;--distillées;--le vin chez l'homme bien +portant;--chez le malade:--dans la ration du soldat;--eau stérilisée en +usage dans l'armée. + +Cancer, son hérédité. + +Capital biologique (hypothèse du). + +Causes morbigènes: ambitions déçues;--passion amoureuse;--inquiétudes; +--vie brisée;--frayeur. + +Causes accidentelles. + +Chaleur sèche (dermotherme). + +Choc: traumatique;--chirurgical;--moral. + +Coeur: «maladies» du coeur--leur hérédité;--observation d'un faux +cardiaque;--la période de déclin. + +Constipation;--et entéro-colite;--provoquée chez les opérés;--son +innocuité;--guérison par le repos;--dangers des purgatifs;--obsession de +la constipation;--lavements d'huile;--injections de Brown-Séquard;--chez +le vieillard;--Convalescence, sa rapidité chez l'enfant. + +Course en flexion. + +Déclin: âge de déclin;--pouvant n'être qu'apparent;--problèmes cliniques +à l'âge du déclin, leur difficulté. + +Diabète: régime;--traumatique, sa gravité. + +Dyspepsie: observation d'une malade avec prédominance de troubles +dyspeptiques. + +Eaux minérales;--table de régime;--de Carlsbad;--Chatel-Guyon, Bagnoles, +Brides, Vichy;--Vittel. + +Education: chez la jeune fille;--chez le jeune homme;--de la volonté;-- + +Electricité;--bains électriques. + +Emplâtre. + +Enfants: préservation contre la tuberculose;--couveuses +artificielles;--alimentation de l'enfant né avant terme:--le +capital biologique de l'enfant doit être créé par les +parents;--puériculture;--alimentation du premier âge, son importance +pour toute la vie;--Goutte de lait;--pathologie infantile;--sa +simplicité relative;--ses difficultés;--nécessité du sommeil +prolongé;--mastication;--convalescence rapide;--enfants du type +musculaire;--cérébral;--du deuxième âge, alimentation:--fièvre +digestive. + +Epilepsie. + +Exploration abdominale. + +Exercice: difficulté de le doser chez les jeunes filles +nerveuses; --dans un grand collège moderne;--chez les +professionnels;--chez les jeunes gens (danger des sports);--et +entraînement;--et gymnastique respiratoire;--Institut Zander;--chez +les obèses. + +Fatigue;--et épuisement. + +Fièvre digestive des enfants;--typhoïde. + +Folie: chez la jeune fille:--délire de la persécution;--l'aliénation +mentale et la «maladie»;--menstruation chez l'aliénée;--du +doute;--obsession:--manie aiguë. + +Frictions. + +Grippe, son influence pathogène. + +Grossesse («maladies» de la mère pendant la). + +Hémorragies cérébrales, chez les vieillards. Hérédité: +étymologie;--généralités;--protestation contre la fatalité des tares +héréditaires;--de la longévité;--de la tuberculose;--du cancer;--des +tares nerveuses, 15;--de la paralysie générale, 16;--des «maladies» +de coeur, 16;--des affections rénales, 17. + +Hydrothérapie: froide, 223;--tiède 225;--maillot humide, 225. + +Hypnose, 189;--chez les aliénés, 191;--ses dangers, 194. + +Hygiène de la procréation, 21. + +Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114. + +Hypothèse (son rôle dans la science), 1. + +Injections: action dynamogénique de tout liquide +injecté, 232;--hypodermiques d'eau de mer, 234;--de cacodylate de +magnésie, 235;--de cacodylate de soude, 235;--de gaïacol, 238;--de +quinine 239;--d'héroïne,239;--de mercure, 240;--de morphine, +240;--huileuses,240;--d'huile mercurielle, 241;--d'huile créosotée, +242;--etsuggestion, 244;--injections de Brown-Séquard, (constipation), +353. + +Influences morbigènes, généralités, 30. + +Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70. + +Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;--éducation +sexuelle--, 21;--menstruation--,66;--despotisme de certaines mères, +68;--difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, +66;--aliénation mentale--, 71;--vocation contrariée, 72;--mariage +contrarié--, 73;--utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses, +74;--surmenage scolaire--, 75. + +Jeune homme: surmenage scolaire, 75;--nécessité du sommeil, +76;--exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; --exercice +physique chez les jeunes gens, 79; --éducation sexuelle, +81;--psychothérapie, 83. + +Ligue des pères de famille, 80. + +Longévité: hérédité de la, 8;--humaine, 9. + +Malade: son entourage, 204;--ne voulant pas guérir, 207;--régime des +grands malades, 217;--n'osant pas manger, 220;--danger des voyages, 267. + +«Maladies»: accidentelles, 42;--la «maladie», 94-95;--petits symptômes +de la «maladie», 95,--la «maladie» et les «maladies» accidentelles, +97;--causes morales, généralités, 142;--causes accidentelles de la +«maladie», 162;--du coeur à la période du déclin, 279. + +Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73;--son utilité pour les +jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74. + +Massage, 228;--abdominal, 229. + +Méningite, 55. + +Menstruation: utilité du repos, 66;--chez l'aliénée, 165;--chez la +grande malade, 166;--ménopause, 296. + +Migraine, 40. + +Mort naturelle, 310. + +Névrose (sa contagion), 148. + +Obésité, 297;--exercice chez les obèses, 298;--régime chez les obèses, +299. + +Obsession: de la constipation, 251;--de la rougeur, 187. + +Observations: d'une malade avec prédominance de troubles dyspeptiques, +99;--d'une malade avec prédominance de troubles de nutrition, 105;--d'un +faux cardiaque, 107;--d'une malade suivie pendant trente ans, chez +laquelle presque tous les appareils ont été successivement atteints, +110;--d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--d'une +malade fébricitante guérie par l'alimentation forcée. 132. + +Opérés: opérations de complaisance, 155;--morphine chez les, 156; +--rôle médical du chirurgien, 156;--purgation chez les, +157;--constipation provoquée chez les, 158. + +Opothérapie: hépatique, 236;--ovarienne, 286. + +Paralysie générale, hérédité, 16. + +Pertes: matérielles, 143;--au jeu, 144. + +Pneumonie: bains chauds dans la;--chez le vieillard, 308. Protection, +loi de protection des faibles, 10. + +Psychonévroses, leur traitement moral, 213. + +Psychothérapie: chez le jeune homme, 83;--savoir prendre un +parti, 175;--respect du temps, 176;--dérivative. 180; --sédative, +181;--reconstituante, 182;--résignation, 182;--foi religieuse, 208;--et +problème religieux, 210. + +Ptôse: abdominale, 169;--et ceinture hypogastrique, 167;--passagère, +169. + +Purgatifs et constipation, 249. + +Régime: ration d'entretien, 125,--des Chartreux, 125;--des Trappistes, +125;--des soldats, 127-140;--des guides alpins, 127;--observation +d'une grande malade guérie par le régime restreint, 128;--en cas +d'effondrement abdominal, 172;--et suggestion, 215;--des grands malades, +217;--monotone, 218;--sec (ses dangers), 219;--à boisson restreinte, +219;--et eaux minérales, 255;--des diabétiques, 293;--des +albuminuriques, 297;--des obèses, 299;--lacté chez les vieillards, 308. + +Repos: dans les états aigus, 173;--cure de--, 205;--constipation guérie +par le--, 205;--avant le repas, 221;--après le repas, 222;--au lit, 265. + +Sommeil: nécessité du sommeil chez l'enfant, 57;--nécessité du sommeil +chez les jeunes gens, 76;--diurne (ses bons effets) 173;--l'aliment +favorise le--, 221;--et repos au lit, 221. + +Sports, chez les jeunes gens (leur danger) 78. + +Suggestion et régime, 215. + +Symptômes morbides, 32;--petits symptômes de la «maladie», 95. + +Syphilis: polynatalité, 10;--et méningite, 12;--Société de prophylaxie +sanitaire et morale, 13;--nécessité d'un traitement pour prévenir la +transmission héréditaire de la, 23; --âge à laquelle se contracte +la--, 84;--manifestations tertiaires, 164;--et assurances sur la vie, +164. + +Travail: cérébral insuffisant, 119; --cérébral excessif, +119;--musculaire excessif, 121;--ration de--, 125. + +Tuberculose hérédité, 13;--oeuvre de préservation de l'enfance contre +la--, 14 et 89;--dans l'armée, 87;--et sanatorium populaire, 38;--et +dispensaire, 88. + +Vacances: leur nécessité, 261;--colonies de--, 262. + +Vésicatoires, 255. + +Vieillards: voyages, 304;--alimentation, 306;--constipation, +307;--pneumonie, 308;--régime lacté, 308;--hémorragie cérébrale, 309. + +Vin: chez l'homme bien portant, 139;--chez le malade. 141; + +Voyages: de noces (ses dangers), 20;--leur utilité chez les gens +bien portants, 261;--leur danger chez les malades, 267;--chez les +vieillards, 304. + + + + +AUTEURS CITÉS + + Dr BARADUC, 37. + BRIEUX, 83. + BROWN-SEQUARD, 236. + Dr CHARCOT, 194 + Dr CAMPENON, 156. + Dr CHAILLOU, 76. + Dr DELORME, 158. + Dr DUBOIS, 213. + Dr DUPRAT, 194. + FLOURENS, 9. + Dr FONSAGRIVES, 55. + FONSAGRIVES (Abbé), 81. + Dr A. FOURNIER, 13. + Dr ED. FOURNIER, 84. + Dr GRANCHER, 14. + Dr GRASSET, 194. + Dr HUCHARD, 17. + Dr KELSCH, 87. + KNEIPP, 224. + Dr LAGRANGE, 79 et 86. + Dr LAUMONIER, 64. + Dr LEGENDRE, 80. + Dr LEREDDE, 231. + Dr MATHIEU, 33. + Dr PINARD, 21 et 45. + PLANTET, 262. + POINCARE, 1. + Dr ROBIN, 293. + Dr RUNGBERG, 164. + SERTILLANGES (Abbé), 125. + Dr SIGAUD, 171. + Dr R. SIMON, 234. + VANCAUWENBERGHE, 48. + Dr VARIOT, 47. + Dr A. VOISIN, 194. + + + + +TABLE DES MATIERES + + +PRÉFACE + +PREMIÈRE PARTIE + + +CHAPITRE I + +LE CAPITAL BIOLOGIQUE +Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable selon chaque +individu et selon chaque période de la vie. Capital initial; influences +qui le font varier. + + +CHAPITRE II + +HÉRÉDITÉ +Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité. Rôle de +l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; le cancer; +les tares nerveuses: les «maladies» de coeur; des reins. + + +CHAPITRE III + +CONCEPTION +La valeur des générateurs au moment de la conception.--Loi de protection +des faibles. Hygiène de la procréation: éducation sexuelle de la jeune +fille. + + +CHAPITRE IV + +GESTATION +Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la +gestation.--Emotions, misères physiologiques, «maladies» de la mère +pendant la grossesse. Enfants nés avant terme. + + +CHAPITRE V + +INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES +La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive: les +influences morbigènes modifient cette courbe. La même influence peut +se traduire par des symptômes variés; et, inversement, des influences +variées peuvent se traduire par le même symptôme (ex.: constipation) ou +par le même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous les systèmes +organiques peuvent être troublés à la fois. Le plus souvent, c'est +l'organe le plus faible qui traduit le malaise. Le système nerveux est +la clef de voûte de la pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les +causes morbigènes. + + +CHAPITRE VI + +DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.--PUÉRICULTURE +Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la durée de la +vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant. Gouttes de lait (de +Belleville, de Saint-Pol). La pathologie enfantine est, le plus souvent, +simple; quelquefois, de la plus grande difficulté. Succès thérapeutiques +chez les petits enfants atteints de syphilis, de pneumonie. + + +CHAPITRE VII + +DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ +1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil prolongé, d'une +mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles à cet âge évoluent +vite, sans convalescence.--Chez l'enfant de sept ans à la puberté. +Enfant du type musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral. +Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies» très +souvent provoquées par une alimentation défectueuse. + + +CHAPITRE VIII + +DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE +I. _Chez la fille_.--Précautions à prendre à l'apparition des règles. +Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»: + +--A. Surmenage intellectuel.--B. Causes morales (despotisme de la mère, +vocation contrariée); brevets: mariage rendu impossible; besoin du +mariage.--C. Surmenage musculaire. Quelle que soit la cause, les +symptômes sont les mêmes, mais le traitement varie avec la cause. +Facilité relative de la guérison. + +II _Chez le garçon_.--1° Surmenage scolaire (insuffisance du +sommeil).--2° Surmenage physique (abus des sports, de l'escrime, utilité +des exercices automatiques _(Ligue des pères de famille_).--3° Déviation +de l'hygiène sexuelle: éducation sexuelle. Par qui elle doit être +donnée. Enseignement individuel et enseignement collectif. Utilité de +l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations de l'instinct +sexuel: psychothérapie. + +III. _Causes morbigènes communes aux deux sexes_.--«maladies» +accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les dispensaires, oeuvres de +préservation). + + + + +DEUXIÈME PARTIE + + +CHAPITRE I + +MATURITÉ +L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes de repos. Le +coup de collier. La fatigue. L'entraînement. L'épuisement (ses signes +prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire (ses signes prémonitoires. +La «maladie». + + +CHAPITRE II + +CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE» +Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade. Quatre +observations de patients atteints de la «maladie» sous ses diverses +formes. Troubles fonctionnels pouvant simuler les affections avec +lésions d'organes. Rôle du système nerveux central dans la pathogénie de +la «maladie». Embarras gastrique. + + +CHAPITRE III + +LES CAUSES DE LA «MALADIE» +I. _Causes physiques_.--1° Surmenage cérébral, travail cérébral +insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral peut revêtir des +formes cliniques très diverses.--2° Surmenage musculaire.--3° Vices +d'alimentation. Généralités, auto-intoxication, irritation.--_A_. +Alimentation excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des +Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. Observation +d'une grande malade guérie par le régime restreint.--_B_. Alimentation à +la sonde.--_C_. Alimentation insuffisante en qualité. Adultération +des aliments: _a_) par les procédés chimiques, _b_) par les procédés +physiques. --_D_. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité. Boissons +distillées, leur danger. + +II. _Causes morales_.--Leur importance prépondérante: + +_A_. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.--_B_. Influences +compromettant la quiétude de l'âme. Passions. Incompatibilité +d'humeur.--_C_. Inquiétudes d'origine altruiste. Séparation momentanée, +définitive.--Choc traumatique: _a_) Hystéro-neurasthénie traumatique. +_b_) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale des +chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés. Des purgations. +Constipation provoquée chez les opérés, ses avantages. + +III. _Causes accidentelles_.--Fièvre typhoïde. Grippe: son grand rôle +pathogénique. Syphilis. + +IV. _Influences morbigènes spéciales à la femme_.--Menstruation. +Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale. + + +CHAPITRE IV + +PSYCHOTHÉRAPIE +Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle 1° Son action +s'étend aux déviations mentales.--2° A un grand nombre de troubles +somatiques.--_A. Moyens par lesquels on diminue les dépenses d'influx +nerveux:_ savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du +temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes. Un cas de +folie du doute. Psychothérapie dans la manie aiguë, dans les obsessions. +Résignation passive et active.--_B. Moyens par lesquels on augmente les +recettes._ 1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques +(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).--Moyens par lesquels +on augmente artificiellement le capital insuffisant: hypnose. Action +personnelle de l'hypnotiseur, indications du traitement par l'hypnose. +Ce qui limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que: +1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles à +hypnotiser.--2° C'est que c'est un moyen qui peut être trop actif. +C'est un agent thérapeutique utile, non dangereux, s'il est bien manié; +le médecin seul peut le bien manier. + +Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques. +--1° Le médecin doit soigner avec son coeur, plus qu'avec son +intelligence.--2° Paraître ne jamais être pressé.--3° Ni même être +pressé.--4° Savoir parler au malade.--5° Ne lui imposer que le strict +minimum de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique: 1° +Absence de foi chez le malade (malades à théories médicales. Malades +qui ne veulent pas guérir).--A l'hostilité de l'entourage. Le médecin +confident.--Psychothérapie et sentiment religieux. + + +CHAPITRE V + +AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES +1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent pas +seulement par suggestion). Diète liquide. Régime des potages. Régime à +boisson restreinte. De la fréquence des repas. Du repos après et avant +le repas. + +2° Moyens accessoires.--A. _Hydrothérapie_: froide, exceptionnellement +indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé. Hydrothérapie tiède: tub, +bain. Malades dont il ne faut pas mouiller la peau. Chaleur sèche. +Massage. Frictions. Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.--B. +_Injections hypodermiques._--1° Influence utile de l'injection en tant +qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).--2° Action propre du +liquide injecté. Cacodylate de soude, de magnésie, de fer. Injections de +Brown-Séquard. Strychnine. Cacodylate de gaïacol dans la «maladie» +post grippale. Quinine, héroïne et morphine, leurs dangers. Injections +huileuses: _a_. Mercurielles. _b_. Créosotées. Rôle alimentaire de +l'huile injectée.--3° Des injections hypodermiques comme procédé +de suggestion.--C. Vésicatoires. Emplâtres. Purgatifs. Etude de la +constipation et des constipés.--D. _Eaux minérales_, leurs indications. +Les tables de régime. Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. +Châtel-Guyon, Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des +eaux.--_Voyages_. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur danger +chez de grands malades. Précautions à prendre pour qu'ils soient utiles +aux malades moyens. La grande malade et le ciel de la Côte d'Azur. +Voyage et entraînement. Vacances. Colonie de vacances.--F. +_La mer_.--La cure marine. Le train des maris. + + + + +TROISIÈME PARTIE + + +CHAPITRE I + +LA PÉRIODE DE DÉCLIN +Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites extrêmes. Les +tares organiques. Les cardiopathies se révèlent. Le déclin peut n'être +qu'apparent (difficulté du diagnostic). Petits symptômes prémonitoires +du déclin. Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales. +Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique de l'homme. +Forme que revêt souvent la «maladie» à cet âge. Traitement +psychothérapique, régime, précautions. Le diabète. Rôle du système +nerveux dans le diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même +des diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente. +Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de l'albuminurie, ni même des +albuminuriques. Obésité. Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a +pas de régime de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide. + + +CHAPITRE II + +LA VIEILLESSE +Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la vieillesse de +l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers des voyages. Alimentation +restreinte. Accidents qui font mourir le vieillard. De la mort +naturelle. + + +INDEX. + +AUTEURS CITÉS. + +TABLE DES MATIÈRES. + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ *** + +***** This file should be named 12105-8.txt or 12105-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/1/0/12105/ + +Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed +Proofreading Team. + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La lutte pour la santé + +Author: Dr. Burlureaux + +Release Date: April 21, 2004 [EBook #12105] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ *** + + + + +Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed +Proofreading Team. + + + + + + +</pre> + + + +<H1>LA LUTTE<br> +POUR LA SANTÉ</h1> + +<h4>DU MÊME AUTEUR</h4> + +<p><b>Considérations sur la folie paralytique</b> Paris, J.-B. Baillière, +1874.</p> + +<p>Article <b>Épilepsie du Dictionnaire encyclopédique des Sciences +médicales</b> (1886).</p> + +<p><b>Pratique de l'antisepsie dans les «maladies» contagieuses</b> (Prix +Stansky, de l'Académie de médecine). J.-B Baillière, éditeur +(1892).</p> + +<p><b>Traitement de la Tuberculose par la créosote</b> (Couronné par +l'Institut, Prix Bréant). 1 vol. in-8°, Rueff, éditeur, 1894.</p> + +<p><i>En préparation</i>:<br> + +<b>Psychothérapie et Morale religieuse.</b></p> +<br><br><br> + +<h2>Dr. BURLUREAUX</h2> + +<h4>PROFESSEUR AGRÉGÉ LIBRE DU VAL-DE-GRACE</h4> + + + +<h1>LA LUTTE POUR LA SANTÉ</h1> + + + +<h3>ESSAI DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE</h3><br><br> + +<p>PARIS<br> + +1908</p><br> + +A MON CHER LUCIEN CLAUDE<br> + +EN TÉMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION<br> + +ET EN SOUVENIR<br> + +DE NOS CAUSERIES MÉDICO-PHILOSOPHIQUES<br><br><br> + +<h3>PRÉFACE</h3> + + +<p>La «lutte pour la santé» qui fait le sujet de +ce livre n'est pas celle qu'ont entreprise, et que +poursuivent avec un succès toujours plus marqué, +nombre de ligues et sociétés philanthropiques. +Certes, personne n'admire plus que moi l'effort +généreux de ces sociétés. Qu'il s'agisse de combattre +la mortalité infantile, ou de répandre et +de faire appliquer les règles de l'hygiène, ou +encore d'enrayer l'extension de ces trois plaies +sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la +syphilis, ce sont là des campagnes infiniment +bienfaisantes; et je considère comme un honneur +d'avoir pu, modestement, prendre ma part +de quelques-unes d'entre elles.</p> + +<p>Mais à côté de cette grande lutte collective, +il y a une autre «lutte pour la santé», tout +individuelle, qui se livre tous les jours dans la +vie de chacun de nous. Celle-là est une forme +de la loi universelle de la lutte pour l'existence. +Sans cesse, depuis l'instant où nous naissons, +notre organisme tend à maintenir ou à rétablir +cet équilibre de ses forces que l'on appelle «la +santé»; et sans cesse une foule d'influences, +intérieures ou venues du dehors, tendent à +détruire cet équilibre, éminemment instable.</p> + +<p>Ces influences varient à l'infini, suivant l'âge, +le sexe, l'hérédité, les conditions de la vie: +mais toutes travaillent, en nous, à la même fin; +et l'on peut dire que l'histoire entière de notre +vie physique n'est que l'histoire des péripéties +de la «lutte» incessante qui se déroule entre +elles et la tendance naturelle de l'être à persévérer +dans son être. Et si, parmi ces influences +hostiles à notre santé, beaucoup ont un caractère +fatal et inévitable, s'il y a malheureusement +beaucoup de causes de «maladie» contre +lesquelles nous sommes désarmés, il y en a +aussi un très grand nombre qui peuvent être +évitées, ou combattues victorieusement. Toute +la médecine, en fait, ne consiste qu'à aider la +nature dans sa lutte contre elles.</p> + + + +<p>Mais la médecine est moins une science qu'un +art. De la multiplicité des circonstances, de la +diversité des esprits, il résulte que chaque +médecin, quand il est parvenu à un certain +point de sa carrière, s'aperçoit que l'ensemble +de ses observations et de ses réflexions l'a amené +à se faire une expérience propre, personnelle, +des conditions générales de la «lutte pour la +santé» et des moyens d'aider l'organisme à la +bien conduire. C'est le fruit de mon expérience +particulière que j'ai essayé de recueillir et de +présenter, dans le livre que voici.</p> + +<p>De longues années de pratique médicale m'ont +donné l'occasion de voir, sous des aspects très +variés, la naissance et l'évolution de la «maladie». +J'ai aussi vu à l'oeuvre bien des méthodes de +traitement, anciennes et nouvelles. Pénétré, +dès le début, de l'importance de la tâche qui +m'était confiée, je me suis efforcé de ne subir +aucun parti pris d'école ni de doctrine, de ne +rien rejeter ni de ne rien admettre sans l'avoir +contrôlé, de borner toujours mon ambition à +empêcher ou à soulager la souffrance par tous +les moyens,—que l'idée de ces moyens me +vînt de moi-même ou d'autrui, qu'ils fussent ou +non approuvés par les autorités du moment, +qu'ils appartinssent à la thérapeutique d'hier +ou à celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru +déjà une grande partie de ma route, il +m'a semblé que j'avais le devoir de faire profiter +les autres de tout ce que mon expérience, +ainsi acquise, pouvait contenir d'intéressant et +d'utile pour eux.</p> + +<p>C'est dire que ce petit livre s'adresse à tout +le monde. Je n'ai pas voulu en faire une thèse +scientifique, mais plutôt quelque chose comme +ces <i>Conseillers de la Santé</i> que l'on était assuré +de trouver, autrefois, au chevet du lit de nos +grands-parents. Laissant aux ouvrages spéciaux +l'étude des «maladies» accidentelles, de ces chocs +extérieurs où notre organisme est sans cesse +exposé, je m'en suis tenu aux différentes manifestations +de ce que j'appellerai, d'un terme +général, la «maladie», en entendant par là +cette rupture de l'équilibre normal de nos forces, +cette dépréciation plus ou moins complète de +notre capital biologique, qui se produit, tôt ou +tard, dans l'existence de chaque créature +humaine, et s'exprime par une variété infinie +de symptômes morbides. J'ai essayé d'indiquer +les principales causes qui, aux différents âges, +depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, risquent +de compromettre ou de détruire la santé; et +surtout j'ai essayé de montrer, au fur et à +mesure, par quels moyens ces causes peuvent +être évitées, ou leurs mauvais effets heureusement +réparés.</p> + +<p>Plusieurs de ces moyens étonneront peut-être +le lecteur, accoutumé aux complications savantes +de la médecine d'aujourd'hui; et leur simplicité +même lui semblera peut-être avoir quelque chose +de révolutionnaire. C'est un danger que j'ai +prévu, et que, certes, je n'affronte pas de gaîté +de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon +livre qui ne dérive, à la fois, d'une expérimentation +méthodique et de réflexions patiemment +mûries. Si jamais l'on peut être sûr de quelque +chose, en une matière aussi variable et aussi +délicate, je suis sûr de l'efficacité des +avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. +Puissent-ils seulement être entendus, et porter +leur fruit!</p> + + + +<p>Ce livre était déjà sous presse lorsque j'ai reçu l'intéressant +ouvrage de mon confrère et ami le Dr. Sigaud sur <i>Les Origines +de la «maladie»</i> (1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de +n'avoir pas pu en citer certaines pages qui s'accordent avec +les idées que j'ai moi-même exprimées sur plusieurs points, +et, notamment, sur le danger qu'il y a à attacher trop +d'importance aux symptômes en pathologie.</p> + + +<br><br><br> +<h2>LA LUTTE +POUR LA SANTÉ</h2> + + + +<h3>PREMIÈRE PARTIE</h3> + + + +<h4>CHAPITRE I</h4> + +<h4>LE CAPITAL BIOLOGIQUE</h4> + + +<p>L'hypothèse joue, dans les progrès do toutes les +connaissances humaines, un rôle considérable; ce +n'est une nouveauté pour personne, mais cette +vérité nous a été récemment rappelée, et exposée +avec une clarté nouvelle, par le remarquable travail +de M. Poincaré, intitulé: <i>La Science et l'Hypothèse.</i> +Il y est démontré que ni les mathématiques, +ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient +exister si elles n'avaient pour point de départ +des hypothèses. «Il y a, dit M. Poincaré, plusieurs +sortes d'hypothèses: les unes sont vérifiables, +et, une fois confirmées par l'expérience, +deviennent des vérités fécondes; les autres, sans +pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous +être utiles en fixant notre pensée; d'autres enfin +(comme le <i>postulatum</i> d'Euclide) ne sont des hypothèses +qu'en apparence, et se réduisent à des définitions +et à des conventions déguisées». Plus +encore que les sciences dites exactes, les études +biologiques ont besoin du secours de l'hypothèse, +car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que +«nous n'y savons le tout de rien.»</p> + +<p>Sans avoir aucunement la prétention de bouleverser +les sciences biologiques, mais simplement +pour m'aider à fixer ma pensée, je demanderai, à +mon tour, qu'on m'accorde une sorte de <i>postulatum</i>, +qui nous aidera à nous rendre compte de la plupart +des phénomènes de la biologie et de la pathologie.</p> + +<p>Voici ce <i>postulatum</i>:</p> + +<p>Je supposerai que chaque être, en naissant, +reçoit un certain capital d'énergie vitale, de la +valeur et de l'emploi duquel dépendront et sa +santé, et sa longévité: un capital donnant des intérêts +variables suivant chaque individu et suivant +chaque période de la vie. J'ajouterai que ce capital +peut être, à toute période de la vie, amoindri par +une cause accidentelle, et que les intérêts qu'il produit +sont également variables aux diverses périodes +de la vie.</p> + +<p>Or, cette hypothèse étant accordée, l'objet du présent +travail sera d'étudier, d'un bout à l'autre de la +vie, la meilleure manière de faire valoir ce capital, et +de le défendre contre les influences qui ne cessent +pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on +appelle les «causes morbigènes», et leurs assauts +sont ce qu'on appelle les «maladies».</p> + +<p>L'homme malade est donc, dans notre hypothèse, +celui qui vient de subir une de ces diminutions de +son capital biologique: d'où il résulte que, avant +d'étudier le malade, et les causes morbigènes, nous +devons d'abord envisager le capital initial, et les +causes qui en font varier la valeur.</p> + +<p>Considéré au point de vue théorique, c'est-à-dire +en négligeant les influences qui peuvent le faire +accidentellement diminuer, le capital initial est +comparable à la force qui lance un projectile dans +l'espace. Or, les mathématiciens savent exactement +quelle doit être la courbe parcourue par le projectile, +du moment qu'ils connaissent la vitesse initiale et la +masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi, +prévoir la courbe que suivra la santé d'un sujet, si +nous pouvions connaître exactement le capital de +vie qu'il apporte en naissant. Mais le fait est que, +chez les différents êtres humains, le capital initial +varie dans des proportions si énormes que nous +ne pouvons guère nous flatter d'en avoir une notion +précise.</p> + +<p>Pour des causes que nous chercherons à analyser, +il y a des êtres chez qui le capital initial est +nul: ce sont eux qui meurent en naissant, ou un +ou deux jours après leur naissance, sans «maladies» +ni lésions appréciables; tels certains enfants de +syphilitiques, qui meurent parce qu'il n'ont pas la +force de vivre.</p> + +<p>A l'autre extrémité de l'échelle se placent les +aristocrates de la santé, doués d'un capital énorme, +et qu'on voit atteindre à des âges avancés sans avoir +jamais été malades, sans avoir jamais pris de précautions +spéciales pour conserver leur santé. +Ainsi, j'ai connu, non comme médecin, mais +comme ami, un général mort à quatre-vingt-douze +ans, et qui n'avait jamais été arrêté par la moindre +indisposition. On peut même dire qu'il est mort +sans «maladie»; il a tout simplement cessé de vivre, +comme le boulet, arrivé à la fin de sa course, cesse +de progresser et rentre dans l'immobilité.</p> + +<p>Entre ces deux extrêmes se trouve une variété +infinie d'intermédiaires; et l'on peut dire qu'il n'y +a pas deux personnes ayant le même capital biologique +initial.</p> + +<p>Cependant les différences dans le capital initial +ne sont pas si grandes qu'on ne puisse, tout au +moins, en déterminer les causes principales, dont +l'étude se trouve être, ainsi, d'une importance +majeure. Ces causes peuvent être groupées sous +trois chefs:</p> + +<p>1° Les influences héréditaires;</p> + +<p>2° La valeur actuelle des générateurs au moment +de la conception;</p> + +<p>3° Les influences qui ont pu atteindre le produit +pendant la gestation.</p> +<br><br><br> + + +<h4>CHAPITRE II</h4> + + +<h4>HÉRÉDITÉ</h4> + +<p>L'hérédité tient une place considérable dans tous +les problèmes de la vie; et, comme l'indique bien +l'étymologie du mot <i>hoerere</i>, (être attaché), tout être +vivant est relié à un long passé ancestral. Les végétaux +eux-mêmes n'échappent point à cette loi: le +souci des horticulteurs n'est-il pas de créer, par de +savants procédés de culture et d'habiles sélections, +des types capables de transmettre par hérédité certaines +qualités développées? Ils y arrivent jusqu'au +jour où, quand ils ont voulu trop profondément ou +trop vite forcer la nature, la plante revient à son +état sauvage, ou demeure stérile pour avoir été +trop surmenée. Et les mêmes observations sont +familières aux éleveurs qui cherchent à perfectionner +les races d'animaux domestiques.</p> + +<p>Hérédité est donc un terme de physiologie signifiant +que la constitution organique, la manière +d'être physique ou mentale, se transmet des parents +aux enfants ou aux descendants.</p> + +<p>L'hérédité se rencontre partout; c'est elle qui +constitue les grands traits de caractère si différents +de chaque race; c'est elle qui fait que les vertus, +les vices, les passions, les haines, se transmettent +dans le sein des familles aussi bien que la beauté, +la couleur des yeux, la taille, etc. Souvent elle est +directe, c'est-à-dire qu'elle provient du père ou de +la mère; parfois elle saute une ou deux générations; +d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le +type d'un parent de la ligne collatérale qui prend +la place. Mais il est rare que, dans le cours de la +vie, elle ne se manifeste pas d'une manière quelconque.</p> + +<p>Le rôle de l'hérédité a été reconnu de tout +temps. Dans son langage imagé, la Bible nous dit +qu'«il a encore les dents agacées, celui dont l'ancêtre +de la septième génération a mangé des raisins +verts.» Si cette parole était l'expression exacte de +la vérité, elle serait bien décevante, car elle paralyserait +tous les efforts destinés à lutter contre les +tares ancestrales. Mais déjà Ezechiel avait énergiquement +protesté (chap. XVIII) contre la fatalité des +tares héréditaires; et la vérité est que l'influence +de l'hérédité est modifiée grandement par la tendance +qu'a tout être vivant à retourner à son type +primitif, comme aussi par les influences du croisement, +en vertu desquelles l'un des générateurs +peut rectifier la tare transmise par son partenaire. +Ce n'est que quand les deux générateurs ont les +mêmes tares que l'hérédité sévit avec son maximum +d'intensité; et alors non seulement les tares s'ajoutent, +mais elles semblent se multiplier l'une par +l'autre, au point de rendre l'enfant incapable de soutenir +la lutte pour l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a +pas la force de transmettre la vie. Ainsi s'éteignent +les familles par les «maladies» héréditaires, à moins +qu'un des membres de la race déchue, revenant +pour ainsi dire au type primitif, ne porte en lui une +force de réaction insoupçonnée,—héritage peut-être +d'un passé plus lointain,—qui lui permette de +reconstituer la famille.</p> + +<p>Telles sont les considérations générales qu'il +m'a semblé utile d'indiquer, parce qu'il en pourrait +sortir un grand nombre de conclusions pratiques +pour qui sait réfléchir. Mais il faut à présent que +j'insiste sur quelques détails plus particuliers.</p> + +<p>D'abord, l'hérédité de la longévité.</p> + +<p>Il est des familles où l'on meurt vieux, de père +en fils. On dirait des horloges remontées pour +sonner à peu près le même nombre d'heures. Il +est d'autres familles où tout le monde meurt jeune, +sans cependant qu'on puisse incriminer des «maladies» +spéciales. Pourquoi? Force est bien de le +dire, nous ne le savons pas.</p> + +<p>Notons, en passant, combien sont erronées les +théories qui attribuent à l'homme moyen une longévité +moyenne, calculée d'après l'époque de la +soudure des épiphyses, ou d'après la durée de la +croissance: suivant les calculs de Flourens, cette +moyenne devrait être de cent ans. Mais c'est là une +simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune +observation sérieuse.</p> + +<p>Certes, on peut établir des moyennes. C'est sur +des moyennes de ce genre, et sur le calcul des probabilités, +que sont basés les statuts des compagnies +d'assurance. De même, il n'est pas déraisonnable +de supputer la longévité probable d'un individu +donné, quand on est en mesure d'apprécier +son capital biologique et la façon dont il sait s'en +servir. Mais dire que l'homme est bâti pour vivre +cent ans, parce que, dans les espèces animales, la +longévité a cinq fois la durée de la croissance, et +que, chez l'homme, la durée de la croissance est +de vingt ans, c'est établir une théorie sur des +bases absolument fragiles.</p> + +<p>Plus importantes encore que la plus ou moins +grande longévité des parents, sont, pour nous, certaines +particularités de leur état pathologique, qui +retentissent d'une façon souvent très profonde sur +la valeur de leurs enfants.</p> + +<p>On sait, par exemple, les influences néfastes de +l'alcoolisme héréditaire, qui non seulement restreint +la natalité, mais condamne ceux qui naissent +à une mort rapide.</p> + +<p>La syphilis ne réduit pas la natalité; au contraire, +elle semble la favoriser, et tout le monde +connaît, en effet, de ces nombreuses familles fauchées +par la syphilis héréditaire. En vain les générateurs +s'obstinent à mettre au monde de nouvelles +victimes: aucune ne survit, à moins qu'un +traitement médical bien compris ne vienne mettre +fin à cette lamentable situation <a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup>1</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"></a><b>Note 1:</b><a href="#footnotetag1"> (retour) </a> Je ne puis m'empêcher de reconnaître, dans cette polynatalité +des hérédo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on serait tenté +d'appeler la loi de protection des faibles.<br> + +<p>N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les êtres +sans défense luttent par leur polynatalité contre les causes de destruction +auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde +animal. Les animaux puissants, armés pour la défense ou pour +la lutte, sont toujours de médiocres générateurs; l'éléphant, par +exemple, ne donne naissance qu'à un nombre très restreint d'individus, +la femelle porte longtemps; même remarque pour le +lion. Au contraire, les animaux sans défense, se multiplient avec +une rapidité qui les rend parfois redoutables: tels les lapins +d'Australie. Il a suffi d'un couple importé par hasard dans cette +colonie pour que ces animaux se soient multipliés au delà de +toute mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fléau +pour l'agriculture. C'est que le lapin est un être faible, qui n'a de +moyens ni d'attaque, ni de défense, ne sachant que fuir et se +cacher. Dans l'espèce humaine, combien ne voit-on pas de ces couples +admirablement bien assortis, de santé parfaite, et qui n'ont pas +d'enfants? Nous ne parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, +enfants; car ici intervient un autre facteur, la restriction +volontaire; mais de ces ménages exemplaires, où la venue d'un enfant +serait une joie, et qui restent stériles, sans que rien dans l'état +des conjoints explique cette stérilité.</p> + +<p>Au contraire, des générateurs de médiocre valeur, au point +de vue de la santé, mettent au monde de nombreux enfants, +qui bien souvent constituent pour eux une richesse négative. +Ces malheureux portent le beau nom de prolétaires <i>(proles, +race)</i>.</p> + +<p>Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'étend à l'infini. +Pourquoi naît-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi +tel couple ne donne-t-il naissance qu'à des filles, tel autre qu'à +des garçons? C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique +de la mère était sensiblement inférieure à celle du père. Quand il +y a une disproportion marquée entre les deux générateurs, l'enfant +qui naît a le sexe du générateur qui vaut le moins.</p> + +<p>Quand un homme vieux et usé épouse une jeune femme pleine +de vie et de santé, l'enfant qui naîtra de leur union sera presque +toujours un garçon.</p> + +<p>Dans le monde végétal, la même loi de protection des faibles +s'observe pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans +défense: elles pullulent partout, on les trouve sous toutes les +latitudes, à toutes les altitudes; au contraire, celles qui se +défendent, ont ce qu'on appelle en botanique des «aires» très +limitées.</p> + +<p>Dans le monde minéral lui-même, on observe la même loi: +les métaux qui se défendent sont des métaux rares, et c'est précisément +parce qu'ils sont rares et incorruptibles (mais non +incorrupteurs) que l'homme les a pris comme représentant la +valeur du travail. L'or, par exemple, que rien n'attaque, est plus +rare que les métaux qui s'oxydent facilement, tels que le fer, le +cuivre.</p> + +<p>Le diamant inaltérable, qui défie l'injure du temps, est d'une +rareté qui lui donne tout son prix.</p> + +<p>C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids +aux lois darwiniennes (sélection, adaptation aux milieux, etc.) +que résulte un équilibre presque stable dans le monde des êtres +créés.</blockquote> + +<p>La syphilis est un des principaux facteurs de +dégénérescence. On commence seulement à connaître +l'étendue de ses ravages. On sait aujourd'hui +qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les +fait mourir avant leur naissance, ou le jour même de +leur naissance; qu'elle se traduit plus souvent +encore, dans les deux premiers mois qui suivent la +naissance, par des accidents contagieux; que, dans +les premières années de la vie, elle entraîne la +mort par méningite (méningite spéciale que l'on +prend trop souvent pour une méningite tuberculeuse, +et qui serait justiciable d'un énergique traitement +anti-syphilitique).</p> + +<p>On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la +syphilis des générateurs provoque, à l'âge de huit, +dix, quinze ans, des dystrophies, parfois des accidents +tertiaires (épilepsie, gommes, etc.): mais ce +sont là des curiosités scientifiques.</p> + +<p>Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle +proportion la syphilis des parents diminue la +valeur biologique des enfants en apparence bien +nés, c'est son influence sur les produits de la +deuxième et même de la troisième génération. +C'est là la science de l'avenir<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup>2</sup></a>.</p> + + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"></a><b>Note 2:</b><a href="#footnotetag2"> (retour) </a> Nous ne voulons pas insister davantage sur les méfaits de la +syphilis, envisagée en tant que péril social, mais nous ne pouvons +laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les +efforts tentés pour faire connaître au grand public ces tristes +vérités.<br> + +<p>Il existe une <i>Société internationale de prophylaxie sanitaire et +morale</i> contre les «maladies» vénériennes, siégeant à Bruxelles, +et ayant comme filiales des sociétés françaises, allemandes, etc., +qui toutes poursuivent un but commun: faire connaître les +méfaits des «maladies» vénériennes, les éteindre dans la mesure du +possible et par tous les moyens possibles.</p> + +<p>La société française est certainement l'une des plus actives: +sous la vigoureuse impulsion de son président, M. le professeur +Fournier, elle a déjà fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est +fondée.</p> + +<p>Elle a étudié la syphilis dans l'armée, dans la marine, les colonies, +dans les populations ouvrières; la syphilis des nourrices et +des nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grâce à elle, +l'opinion publique commence à s'intéresser au redoutable problème, +on ose envisager en face la syphilis, on ose prononcer +son nom, et tout fait espérer que l'action de la Société de prophylaxie +sera au moins aussi utile que celle des ligues contre l'alcoolisme +et la tuberculose.</p> + +<p>Car, en réalité, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on +ne modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la +tuberculose? Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre +état social, tant qu'il y aura l'affreuse misère et la promiscuité. +Tandis qu'on peut beaucoup contre la syphilis, «maladie» évitable +s'il en fut, «maladie» essentiellement curable. Mais il faut la faire +connaître dans tous les milieux, son danger provenant de l'ignorance. +C'est surtout contre cette ignorance que lutte la Société +française de prophylaxie sanitaire et morale à laquelle devraient +être affiliés tous les gens de bien, toutes les personne soucieuses +de l'avenir de la nation.</blockquote> + +<p>L'hérédité tuberculeuse est-elle aussi redoutable +qu'on se plaisait à le dire? Non. Voilà, du moins, +ce qu'affirment la science expérimentale et l'observation +des jeunes animaux issus de générateurs tuberculeux. +Mais, dans la pratique, il serait sage de se +conduire comme si la tuberculose était héréditaire: +1° parce que les enfants de tuberculeux sont, par cela +même qu'ils vivent dans un milieu contaminé, +exposés à la contagion<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3"><sup>3</sup></a>; 2° parce que l'enfant, s'il +n'hérite pas do la tuberculose, hérite incontestablement +de la prédisposition à devenir tuberculeux. Il +ne naît pas tuberculeux, mais il naît tuberculisable: +de sorte que, au point de vue scientifique, l'appréhension +qu'avaient nos pères au sujet de l'hérédité +de la tuberculose était parfaitement légitime.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" name="footnote3"></a><b>Note 3:</b><a href="#footnotetag3"> (retour) </a> Le souci de soustraire au milieu contaminé les enfants de tuberculeux +a inspiré au professeur Grancher une idée géniale: c'est +de prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore +sains, pour les faire élever à la campagne dans des familles saines. +C'est ce que réalise «l'Oeuvre de préservation de l'enfance contre +la tuberculose». (Siège social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre +scientifique, puisque, suivant le précepte de Pasteur, elle cherche à +sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; +elle a fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixième des +demandes des parents tuberculeux, qui commencent à comprendre +la nécessité de se séparer de leurs enfants encore sains pour les +confier à des familles de braves gens désignées par l'oeuvre, surveillés +par ses médecins, et offrant toutes garanties de moralité. Cette +Oeuvre, bienfaisante à plusieurs titres, est en outre <i>économique:</i> +chaque pupille ne coûte en effet qu'un franc par jour, parce que +tous les dévouements sont gratuits. Cette faible somme d'un +franc, bien employée, sans aucune fuite, sert ainsi les intérêts de +deux familles et sauve la vie d'un enfant.</blockquote> + +<p>L'hérédité du cancer est loin d'être démontrée. +Tout est obscur dans la question du cancer: son +étiologie, ses modes de transmission, ses variétés +d'évolution; et la thérapeutique se ressent de toutes +ces incertitudes, malgré les belles promesses de la +sérothérapie, de la vaccination anti-cancéreuse, et +de la radiothérapie.</p> + +<p>En résumé, l'hérédité est le principal facteur de +la valeur biologique des individus. Chacun, de par +son hérédité, naît avec une valeur différente: l'inévitable +inégalité sociale existe non seulement le +jour de la naissance, mais le jour même de la conception.</p> + +<p>C'est encore à l'hérédité qu'il faut attribuer la +différente valeur des différents organes. Beaucoup +naissent avec un organe plus faible que les autres, +de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir +compte de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il +se trouve en face d'un malade quelconque.</p> + +<p>Les organes qui subissent le plus notablement +la tare héréditaire sont: le système nerveux, le +coeur, et les reins.</p> + +<p><i>A</i>) Les tares nerveuses se transmettent avec une +constance redoutable; et c'est à juste titre qu'on +craint les alliances avec des sujets dont les parents +sont entachés d'aliénation mentale, ou de nervosisme +exagéré.</p> + +<p>Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de +l'hérédité nerveuse à des limites excessives: car, +ainsi que je l'ai dit, nous devons compter avec une +sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle +l'être naissant est débarrassé de sa tare ancestrale; +l'hérédité n'est jamais absolument fatale. Et nous +devons prévoir aussi les atténuations que peuvent +amener les croisements. Ainsi l'hérédité nerveuse +du père peut très bien être atténuée par le bon +équilibre nerveux de la mère, le croisement bien +compris entraînant une sorte de régénération. +Enfin, il est certaines «maladies» nerveuses qui ne +se transmettent jamais par hérédité: telle la +paralysie générale des aliénés. De ce qu'un homme +est mort dans un asile, par le fait de la paralysie +générale, il ne faut pas conclure que ses descendants +soient menacés de folie, ou même de tares nerveuses. +Le paralytique général a pris la «maladie» +uniquement pour son compte, et il ne la transmet +pas plus que ne transmettrait sa tare nerveuse +un homme qui serait, accidentellement, empoisonné +par le plomb. Tout ce qu'on peut dire du paralytique +général, c'est que, neuf fois sur dix, c'est +un syphilitique, et que sa descendance peut être +entachée de syphilis au même titre que la descendance +d'un syphilitique quelconque.</p> + +<p><i>B</i>) L'hérédité des cardiopathies est également +très intéressante à étudier: elle n'est pas assez +connue.</p> + +<p>Il y a des familles dans lesquelles tous les membres +succombent aux affections cardiaques. C'est +donc que, là, les enfants apportent, en naissant, un +point de plus faible résistance du côté du coeur. Chose +curieuse: dans ces familles, la lésion cardiaque ne +devient perceptible, chez ses divers membres, qu'à +des âges plus ou moins avancés. Vers trente ans, +l'un d'eux éprouvera de l'arythmie, suivie, six ou +sept ans plus tard, de myocardite scléreuse. Un autre, +tout en ayant le coeur sain à l'auscultation, succombera +par le coeur, dans le cours d'une pneumonie. +«La «maladie» était au poumon, et le danger au +coeur» (Huchard). Un troisième membre mourra à +cinquante ans, à son quatrième accès d'angine de +poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la +moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre +affection capable de déterminer des lésions cardiaques. +Enfin un quatrième aura de la tachycardie +paroxystique. Et tout cela parce que la mère des +quatre enfants aura eu, avant la naissance du premier, +le coeur touché accidentellement par le rhumatisme; +je connais même une famille où l'hérédité +remonte à deux générations: presque tous les +membres de cette famille sont des cardiopathes.</p> + +<p>C) Le rôle de l'hérédité pathologique rénale +mérite d'être signalé au même titre. On connaît l'albuminurie +héréditaire et familiale: mais les récents +travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont +démontré, en outre, qu'une mère atteinte de +néphrite donne naissance à des enfants dont les reins +sont moins résistants aux infections et aux intoxications, +ou même sont altérés au point d'entraîner +la mort dès les premiers jours de la vie. +De plus, chacun naît avec une prédominance de +tel ou tel système organique. Chez les uns, c'est le +système nerveux qui présente un développement +hors de proportion avec les autres systèmes organiques; +chez d'autres, c'est le système musculaire.</p> + +<p>Ni les uns ni les autres ne sont, à proprement +parler, des malades, ni même des candidats à la +«maladie»; ils peuvent avoir un excellent capital +biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas +commettre de fautes dans la direction à leur conseiller. +Et nous retrouverons cette importante +donnée quand nous parlerons des grands problèmes +de l'éducation.</p> + +<p>Est-ce encore à l'hérédité qu'il faut attribuer cette +singulière prédominance d'un des côtés du corps +sur l'autre que l'on observe chez la plupart des +malades? En général, c'est le côté gauche qui est le +plus faible; c'est lui qui est le siège des névralgies, +des pneumonies, des misères variées que les +malades accusent; c'est lui qui est le plus faible +au dynamomètre; et tout le monde sait que la main +gauche est, en général, moins habile que la main +droite; le langage courant traduit cette infériorité, +en faisant de «gauche» le synonyme de malhabile. +Chez d'autres, au contraire, c'est le côté droit du +corps qui est le siège de toutes les douleurs névralgiques, +rhumatismales, sans pour cela que ces +malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir +recherché la part de l'hérédité dans cette répartition +inégale de l'influx nerveux, que je ne fais +que signaler en passant.</p> + +<p>Mais ce qui résulte de tout ce que nous venons de +voir, et qui doit en former pour nous la conclusion +pratique, c'est que, pour difficile que soit la connaissance +précise de l'hérédité d'un sujet, peut-être +n'y a-t-il pas de point sur lequel l'attention +du clinicien doive se porter plus soigneusement! +En présence d'un malade, notre premier effort doit +être de déterminer ce qu'il a pu recevoir de ses +parents; et les résultats de cette première enquête +doivent toujours nous être présents à l'esprit, tout +dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais +surtout quand nous aurons à diriger sa santé.</p> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE III</h4> + +<h4>CONCEPTION</h4> + +<p>L'influence de la valeur actuelle des générateurs, +au moment de la conception, est à peine soupçonnée, +et le fait est qu'il serait bien difficile de la +démontrer; elle doit être, cependant, considérable, +et il y a tout lieu de croire que la valeur d'un +individu à naître varie du tout au tout selon qu'il a +été conçu dans de bonnes ou de mauvaises conditions.</p> + +<p>Depuis longtemps, les médecins protestent contre +les voyages de noces. On ne saurait trop faire +campagne contre cette coutume, tout au moins antihygiénique. +Considérez, en effet combien s'accumulent +les conditions déplorables pour la procréation, +chez deux conjoints dont le système nerveux +a été mis à l'épreuve par les préoccupations prémonitoires +du mariage, par la fatigue des journées +consacrées à sa célébration, par les émotions inséparables +de cet acte important de la vie! Et voilà +ces jeunes gens qui, aussitôt après, se pressent pour +un voyage lointain, qui s'exposent à des fatigues +de toute sorte, à la déplorable alimentation de +l'hôtel, qui s'infligent le souci de changer de résidence +tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions +que, sans recueillement, à la légère, ils accomplissent +l'acte qui doit donner <i>la vie</i>.</p> + +<p>Dans d'autres milieux moins favorisés, l'acte +conjugal s'opère à la suite de repas copieux, dans +des conditions non moins déplorables.</p> + +<p>Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'émotion +de la jeune femme, trop souvent surprise par +les conditions nouvelles de l'existence qu'elle a +adoptée, ou qui lui a été imposée? Comme le disait +le professeur Pinard: « En plein XXe siècle, nous +procréons comme les hommes des cavernes. »</p> + +<p>Que faire à tout cela? C'est déjà quelque chose +que d'appeler l'attention sur un mal dont presque +personne ne soupçonne l'importance, en dehors du +monde médical. Les remèdes viendront, pour ainsi +dire, d'eux-mêmes, à partir du jour où l'on connaîtra +le danger.</p> + +<p>Appelons aussi l'attention sur un point délicat: +sur la nécessité de faire l'éducation de la jeune +fille, pour qu'elle sache ce qu'est le grand acte de +la procréation.</p> + +<p>Je vois d'ici les mères françaises frémir, et +s'armer en guerre les bataillons de ceux qui confondent +la pudeur avec la pudibonderie. Nul doute, +cependant, qu'il y ait une réforme à opérer dans +nos moeurs, à cet égard, et dans tous les milieux +sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler ce que dit la +Bible, dans le livre de <i>Tobie</i>, chapitre VII? Le fils +du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphaël, +allait épouser Sara, fille de Raquel, laquelle avait +vu mourir subitement ses sept premiers maris, +aussitôt qu'ils s'étaient approchés d'elle; et, pour +lui éviter pareil sort, l'ange donnait au jeune +homme les conseils suivants: « Lorsque des personnes +s'engagent tellement dans le mariage +qu'elles bannissent Dieu de leur coeur et de leur +esprit et qu'elles ne pensent qu'à satisfaire leur +brutalité, comme les chevaux et les mulets qui +sont sans raison, le démon a pouvoir sur elles. +Mais pour toi, après que tu auras épousé cette fille, +étant entré dans la chambre, vis avec elle en continence +pendant trois jours, et ne pense à autre +chose qu'à prier Dieu avec elle! La troisième nuit +étant passée, tu prendras cette fille, dans la crainte +du Seigneur, et dans le désir d'avoir des enfants +plutôt que par un mouvement de passion, afin que +vous ayez part à la bénédiction de Dieu. »</p> + +<p>Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend +pas, pour procréer, plus de précautions qu'à l'époque +des premières ardeurs; c'est également une faute +dont se ressent le produit de la conception.</p> + +<p>Il y aurait à faire tout un traité sur l'hygiène de +la procréation. Ce traité, conçu dans un esprit +large, libéral, scientifique, qui tiendrait compte de +tous les éléments du problème, c'est-à-dire non +seulement du point de vue médical, mais aussi de +l'élément passionnel, répondrait à un véritable +besoin.</p> + +<p>Et un chapitre, et l'un des plus importants, +devrait y être consacré au traitement préventif de +la syphilis héréditaire. Combien d'hommes atteints +de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, +ignorent les bienfaits d'un traitement spécifique, +qu'ils suivraient deux ou trois mois avant de se +marier, pour préserver leurs enfants de la terrible +«maladie»! Combien peu de médecins pensent à instituer +ce traitement préventif, alors même qu'ils +savent que le générateur a eu la syphilis! Mais +je ne sauvais m'étendre ici davantage sur ce sujet.</p> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE IV</h4> + +<h4>GESTATION</h4> + +<p>Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant +la gestation, nous n'avons aucune donnée précise +à fournir. Nous n'avons pas remarqué, par +exemple, qu'une mère ayant eu une grossesse +pénible, voire même des vomissements incoercibles, +donnât naissance à un enfant plus spécialement +faible; inversement même, bien des femmes +d'une santé médiocre ont des grossesses superbes. +J'étonnai fort une malade, un jour, en lui disant +qu'elle ne devait aller bien que pendant ses grossesses. +C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, +et que la grossesse devait lui produire l'effet d'une +sangle, en soutenant les organes. Mais il n'est +guère vraisemblable qu'un état de santé aussi artificiel, +et aussi transitoire, soit, pour le produit de +la conception, un brevet de santé future.</p> + +<p>Par contre, les «maladies» de la mère pendant la +grossesse ont une influence bien connue sur la +valeur de l'enfant à naître. Quand elles ne provoquent +pas l'avortement, elles impriment à l'enfant +une tare.</p> + +<p>J'ai observé, à cet égard, un fait bien suggestif. +Une jeune femme, au quatrième mois de sa première +grossesse, avait eu une appendicite si nettement +caractérisée que le confrère qui devait l'accoucher, +et moi-même, avions été sur le point de +provoquer l'intervention d'un chirurgien. La malade +avait pu, cependant, être traitée médicalement: mais +l'enfant, né à terme, a présenté dès sa naissance +une intolérance intestinale véritablement anormale. +Une première nourrice, choisie par l'accoucheur, +lui a donné un lait qui a semblé trop fort, +car l'enfant a eu, dès le deuxième jour, de la +diarrhée verte et des vomissements. Dans l'espace +de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours +choisies avec le plus grand soin, n'ont pas eu +plus de succès: à chaque nouvelle nourrice, vomissements, +fièvre ardente, diminution rapide du +poids. Mais, pendant qu'on cherchait à grand prix +des nourrices idéales, on était bien obligé de donner +à l'enfant du simple lait de vache coupé; alors il +allait mieux, la fièvre tombait, le poids augmentait +très vite, la vie revenait: de telle sorte que, +après ces quatre tentatives d'allaitement par le lait +de femme, l'accoucheur me dit: «Mais enfin, +pourquoi s'obstiner à trouver une nourrice? Cet +enfant a probablement un intestin extrêmement délicat, +à cause de l'appendicite de sa mère pendant la +gestation; donnons-lui simplement du lait stérilisé +coupé!» Et il eut raison; grâce à d'infinies +précautions, à une surveillance méthodique, l'enfant +put être élevé.</p> + +<p>Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends +pas faire le panégyrique de l'allaitement +artificiel: je ne le cite que pour prouver comment +la «maladie» d'un organe de la mère pourrait +bien avoir une répercussion sur le fonctionnement +du même organe, chez l'enfant qu'elle porte en son +sein.</p> + +<p>Ce que l'on sait encore, c'est que les émotions +de la mère, pendant la grossesse, peuvent avoir un +retentissement sur la qualité du produit. Et de là +dérive le devoir strict, pour la société, de protéger +la femme enceinte. Quelques philanthropes l'ont +bien compris; mais cette notion n'a pas assez +pénétré dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est +un scandale, pour une nation civilisée, de voir le +peu qui est fait pour assister la femme enceinte, +pour lui épargner les soucis de l'avenir prochain et +les fatigues des derniers jours de la gestation.</p> + +<p>Un mot, enfin, sur les enfants nés avant terme. +S'ils naissent avant terme par le fait de la «maladie» +des générateurs, de la syphilis par exemple, leur +valeur biologique est sensiblement réduite, et peut +même être réduite à zéro. Mais s'ils naissent avant +terme accidentellement, par exemple à la suite +d'une chute de leur mère, ou d'une intervention +obstétricale raisonnée, leur sort est beaucoup +moins compromis qu'on ne le croit dans le public +non médical. Le tout est de leur assurer une température +qui se rapproche de celle qu'ils avaient +dans le sein maternel.</p> + +<p>Pour ce faire, les inventeurs ont multiplié les +modèles de couveuses artificielles. Ces appareils, +certes, peuvent rendre des services; mais il ne +faut pas oublier qu'on peut très bien s'en passer, +en préservant l'enfant du froid, ce qui s'obtient: +1° en chauffant convenablement sa chambre, et +en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2° en +sachant l'alimenter dès sa naissance. Ce second +problème est difficile; pour le résoudre, il faut se +rappeler une grande loi que nous retrouverons +plusieurs fois dans le cours de cette étude, et +qui consiste à proportionner la valeur nutritive +de l'aliment, et le nombre de prises alimentaires, +à la puissance de l'estomac. Chez l'enfant né avant +terme, on donnera donc, toutes les demi-heures, +une cuillerée à café de lait, coupé de 2/3 d'eau +bouillie sucrée.</p> + +<p>L'enfant va naître; quel préjudice lui cause +l'accouchement au forceps? Nous ne pouvons pas +nous défendre de redouter, pour notre part, la +compression colossale qu'impose l'application du +forceps à la masse cérébrale de l'enfant. Mais +l'étude approfondie de cette question, qui aurait +pourtant de quoi intéresser les neurologistes, n'a +pas encore été faite, à notre connaissance du +moins, d'une façon suffisante. En tout cas, on est +en droit de considérer comme coupable une intervention +au forceps faite pour gagner du temps, +ou pour faire valoir l'importance des soins obstétricaux.</p> + + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE V</h4> + + +<h4>LES INFLUENCES MORBIGÈNES +ET LES SYMPTOMES MORBIDES</h4> + +<p>L'enfant est né; il vaut ce qu'il vaut. Personne +ne le sait, sauf dans les cas extrêmes où il vient +au monde avec des apparences tellement misérables +que, dès son premier vagissement, son +infériorité saute aux yeux; c'est ce qui arrive chez +les hérédo-syphilitiques, et rien n'est aussi navrant +que l'apparition du petit monstre aux lieu et +place d'un enfant bien vivant, attendu avec une +légitime impatience. Il faut avoir assisté à ce +spectacle pour en comprendre la poignante horreur. +Tout le monde, sauf la mère, s'accorde alors à +penser qu'il vaudrait mieux que l'enfant ne fût pas +né. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible de +savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec +lui; c'est son secret, qu'il gardera pendant toute la +durée de son existence, mais que le médecin parviendra +cependant à deviner en partie, s'il sait +fouiller l'hérédité de son malade et s'inspirer des +quelques principes que nous avons esquissés à grands +traits dans le chapitre précédent.</p> + +<p>L'enfant est né: toute sa vie, désormais, va être +une «lutte pour la santé», une suite d'efforts, +volontaires ou instinctifs, pour défendre son capital +naturel de santé contre les «influences morbigènes» +qui vont le guetter à chaque pas.</p> + +<p>Ces influences morbigènes, que l'être vivant va +rencontrer sur sa route, depuis le jour de sa naissance +jusqu'à la fin de sa carrière, nous allons +tout de suite les esquisser à grands traits.</p> + +<p>Au début, nous avions assimilé, pour les besoins +de la théorie, l'être humain à un projectile lancé +dans l'espace avec une vitesse initiale déterminée; +mais, tandis que le projectile parcourt une courbe +mathématique, qu'on appelle une parabole, la +courbe évolutive de l'être humain est une courbe +irrégulière qui fléchit chaque fois qu'une influence +morbigène survient, puis remonte pour osciller de +nouveau, puis fléchir définitivement à partir d'un +certain moment de la vie que nous appellerons le +début de la période de déclin, et toujours avec des +oscillations à amplitude de moins en moins considérable, +jusqu'au moment où toutes les réserves se +trouvent épuisées.</p> + +<p>La mort peut encore interrompre brusquement la +courbe évolutive; c'est ce qui arrive quand la brèche +faite au capital est irréparable, soit à cause de l'importance +de l'assaut perturbateur, soit à cause de +l'insuffisance des réserves, ou bien quand ces deux +influences se combinent; et le nombre de leurs combinaisons +est incalculable.</p> + +<p>La variété des causes morbigènes est elle-même +infinie; mais la nature n'a qu'un nombre limité de +moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte que +les causes les plus variées peuvent se traduire par +les mêmes symptômes. Aussi accordons-nous relativement +peu de valeur à l'étude du symptôme. Les +symptômes s'associent de mille et une façons, pour +constituer autant déformes morbides différentes. Que +dis-je? Il n'est pas deux malades qui se ressemblent, +Ce n'est que pour la facilité de l'étude que les +pathologistes ont créé des cadres posologiques; +mais on comprend assez que ces cadres devraient +être aussi élastiques que possible. Le vrai médecin, +après s'en être servi pour faire d'excellentes études, +ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire abstraction, +de penser et d'agir comme si les cadres +n'existaient pas. Et un moment viendra même, +quand son expérience clinique sera suffisante, où +il aura tout intérêt à faire table rase des notions +qu'il a péniblement accumulées par un travail assidu +et prolongé; tout comme l'architecte, qui, une fois +la construction terminée, fait enlever les énormes +échafaudages qui avaient été nécessaires à la construction +de l'édifice.</p> + +<p>Certes, l'étude approfondie des symptômes morbides +est indispensable au clinicien, et l'on ne +saurait apporter trop de soins à connaître, dans tous +leurs détails, les divers troubles de la santé. Mais +il y a un écueil: c'est que, la théorie du moindre +effort s'appliquant naturellement à l'esprit humain, +on a une tendance involontaire à attribuer aux +symptômes une influence pathologique qu'ils n'ont +pas; en d'autres termes, ce qui n'est en réalité qu'une +manifestation morbide devient, trop aisément, dans +l'esprit du médecin, la cause de la «maladie».</p> + +<p>Prenons comme exemple la constipation: ce n'est +en réalité qu'un symptôme, et qui peut se trouver +chez une foule de malades différents. Nous ne parlons +pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est +d'origine mécanique (cancer du rectum, de l'iliaque, +etc.). Un mot cependant, en passant, pour dire que +le médecin a le tort de ne pas assez penser à ces +causes mécaniques, et de traiter par des moyens +médicaux des malades dont une intervention chirurgicale +aurait pu prolonger la vie ou atténuer les +souffrances.</p> + +<p>Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires +de la chirurgie, n'est-il pas vrai que la constipation +est un symptôme banal, pouvant être attribué à +une foule de causes? Parfois, elle est due à des +lésions d'organes lointains, par un mécanisme +réflexe à long circuit, suivant l'ingénieuse expression +de M. Mathieu (appendicite chronique, lésions +utérines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, +elle est due à un trouble profond du système nerveux, +qui, avant l'apparition de la constipation, +avait traduit son malaise par des plaintes variées. +D'autres fois, elle apparaît brusquement, en même +temps que l'entéro-colite sa compagne, à la suite +d'un choc brutal, moral ou traumatique.</p> + +<p>De plus, tout le monde sait qu'elle peut être due +tantôt à un manque, tantôt à un excès d'exercice +musculaire. Les hommes qui ont besoin de beaucoup +d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant +les prédispositions héréditaires, ou des cérébraux, +ou des goutteux, ou des lithiasiques, mais +toujours des constipés: et leur constipation disparaît +a partir du jour où l'on a trouvé le dosage précis +de l'exercice qui leur convient. Inversement, les +hommes qui prennent trop d'exercice deviennent +dyspeptiques et constipés, et le lit est leur meilleur +laxatif.</p> + +<p>Enfin la constipation peut tenir à une erreur de +régime, soit à l'abus du lait (le cas est fréquent), +soit à l'usage abusif de la viande: alors le régime +semi-végétarien serait indiqué, et il suffit de changer +de régime pour voir disparaître la constipation.</p> + +<p>La constipation n'est donc qu'un symptôme.</p> + +<p>Certes, en vertu de la synergie des fonctions, +des répercussions à distance, en vertu de ce principe +que le système nerveux abdominal a des relations +intimes avec le système nerveux central, que, +d'une façon plus générale, le trouble d'un département +quelconque du système nerveux retentit sur +les autres départements, la constipation, bien que +symptomatique, contribue dans une certaine +mesure à entretenir la «maladie», ne fût-ce que par la +préoccupation qu'elle cause au malade, et qui peut +dégénérer quelquefois en véritable obsession. +Mais ce qu'il faut se rappeler, quand on aborde le +problème thérapeutique, c'est que le système nerveux +est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien +nous accorder que la solidité d'une chaîne est égale +à celle du plus faible de ses anneaux, on comprendra +l'importance qu'il y a à rechercher quel +est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, +quelle est la partie du système nerveux qu'il faut +viser et consolider, pour guérir le constipé médical.</p> + +<p>Il n'y a donc pas de remède contre la constipation, +et, pour l'atteindre, il faut atteindre la «maladie», +dont elle constitue une des manifestations les moins +importantes et, disons-le tout de suite, les plus +faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler +paradoxal, j'affirme que la constipation est, de tous +les symptômes observés chez le constipé médical, +celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade +qui souffre, depuis des années, de ces misères variées +qu'on est convenu de désigner sous le nom un +peu vague de neurasthénie, et parmi lesquelles +la constipation joue un rôle capital; après enquête +minutieuse, trouvez la formule exacte de son +régime, et par régime je n'entends pas seulement +le régime alimentaire, mais la réglementation +minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et +de son travail cérébral, etc.; supprimez les agents +thérapeutiques qui entretiennent la «maladie» (douches +froides, exercice forcé, médicaments variés, +diète lactée); supprimez surtout les influences qui +entretiennent le trouble nerveux de son intestin, à +savoir les purgatifs, lavages à grande eau, etc.: et +vous serez étonné de voir la constipation disparaître, +avant même toutes les autres misères. Le malade +vous dira, au bout de huit jours: «Chose curieuse, +docteur, je souffre encore de la tête, de l'estomac, +du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence +à retrouver le sommeil, et surtout je vous +suis bien reconnaissant parce que ma constipation, +si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je +n'ai presque plus de peaux dans les selles, et je +commence à reprendre confiance.» A partir de ce +moment précis vous tenez le malade, il a en vous +une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner +méthodiquement, si surtout des influences étrangères +ne viennent pas contrecarrer la vôtre, si le +malade est assez intelligent pour s'abandonner +entièrement à votre direction, vous lui rendrez, peu +à peu, la santé. Il aura des rechutes inévitables: +mais lui annoncer à l'avance ces rechutes, c'est consolider +sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins +importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne +tracée par vous: s'il commet un écart de régime, +un excès d'exercice, ou s'il a une commotion morale, +l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée +d'état gastrique, de douleurs abdominales, de glaires +sanguinolentes, de fièvre quelquefois; mais ce sera +pour le bien du malade, si vous parvenez à lui faire +toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui +faire comprendre que cette rechute était évitable.</p> + +<p>Si nous prenions une autre manifestation morbide +quelconque, nous verrions qu'elle appartient, de +même, à une foule d'affections. Le mal de tête, par +exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus +variés, n'est-il pas produit par les influences les +plus diverses? Heureusement pour les malades, il +n'est encore venu à l'idée de personne de trouver +un remède applicable à tous les cas de mal de tête. +Nous en connaîtrions un, par hasard, que nous +nous garderions bien de le divulguer: car, si la +médecine «du symptôme» est détestable au point +de vue de l'étude nosographique, elle l'est encore +plus au point de vue thérapeutique.</p> + +<p>Mais qu'on lise une monographie quelconque +sur un symptôme, ou un ensemble de symptômes +(ce qu'on appelle un <i>syndrome</i>): on y trouve toujours +en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans +mon article <i>Epilepsie</i> du <i>Dictionnaire Encyclopédique</i>, +j'ai essayé de montrer combien il faut se +méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir +une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique +utile des épileptiques. De même, en lisant +ces jours-ci une intéressante étude du Dr Baraduc +sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon, +j'y voyais une conception qui se rapproche grandement +de la mienne. Qu'on en juge par les quelques +lignes que voici: «L'entéro-colite muco-membraneuse +est un syndrome clinique dépendant +d'un trouble fonctionnel du grand sympathique +abdominal, des causes nombreuses et variées étant +capables de retentir sur les plexus intestinaux et de +troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces +causes n'est suffisante, à elle seule, pour produire +l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité une prédisposition +spéciale du système nerveux, et plus +particulièrement du sympathique abdominal, à se +troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette prédisposition +nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire, +est l'apanage des neuro-arthritiques.» Si +l'auteur voulait bien avouer seulement que cette +expression de «neuro-arthritiques» ne fait que +dissimuler notre ignorance, nous serions tout à +fait d'accord avec lui.</p> + +<p>En résumé, si le médecin doit bien connaître +dans tous leurs détails, sous tous leurs aspects, +dans leurs moindres nuances, les manifestations +morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie, +et ne pas s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En +un mot, il doit voir de haut pour voir loin, à condition +toutefois de ne pas se perdre dans les +nuages.</p> + +<p>Quelquefois, tous les systèmes organiques sont +troublés à la fois sous l'influence d'une cause morbigène. +C'est ce qui arrive, par exemple, à la suite +d'un choc traumatique violent, On voit, du jour +au lendemain, le blessé devenir à la fois dyspeptique, +déséquilibré abdominal, constipé avec entérite +muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et +il peut rester longtemps dans ce misérable état +qu'on désigne sous le nom d'<i>hystéro-neurasthénie +traumatique.</i></p> + +<p>La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent +également à la fois, tous les appareils +de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la +sidération peut être telle que le capital vital initial +et les réserves antérieures se trouvent tout à coup +épuisés: c'est la banqueroute totale, c'est la mort. +D'autres fois, le capital et les réserves ne sont +que profondément entamés. C'est la «maladie» grave, +aggravée encore par des médications et des pratiques +intempestives; à un moment donné, le capital +peut être réduit à si peu de chose, que la moindre +dépense suffit pour l'anéantir. Le malade est une +flamme vacillante que le moindre souffle peut +éteindre, mais à laquelle un savant dosage d'oxygène +rendra, peu à peu, la vie.</p> + +<p>Quand le capital est moins profondément atteint, +ou quand la cause morbigène est moins importante, +les troubles fonctionnels, au lieu d'être généralisés, +atteignent plus spécialement tel ou tel +organe: l'organe le plus faible, qu'il soit plus +faible par le fait de l'hérédité ou par le fait d'une +atteinte antérieure. Mais, en vertu de la synergie +qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel +ne reste pas longtemps limité à un organe +ou à un système organique. Voyez le grand neurasthénique: +il est à la fois dyspeptique, entéralgique, +cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, +a été le premier atteint? Impossible de le dire, après +deux ou trois ans de «maladie». Cependant une +enquête bien conduite peut permettre souvent de +reconstituer son histoire pathologique, de voir par +où la «maladie» a commencé, quel était le point initial. +Et c'est de la connaissance de ce point faible +initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique. +Le médecin portera la plupart de ses efforts +sur le point faible qu'il aura découvert, sans +négliger, cependant, les perturbations secondaires +attribuables à la synergie des fonctions de tout être +vivant.</p> + +<p>Il arrive même, quand l'influence morbide est +peu intense, ou quand les réserves sont bonnes, +que le trouble de la santé ne se traduit que par un +nombre très limité de symptômes, parfois même +par un seul. Ainsi il y a des migraineux qui n'ont +que de la migraine, des malades qui n'ont, comme +manifestation morbide que le symptôme constipation, +d'autres qui n'ont que de la sciatique; mais +ces cas sont exceptionnels, et, en bonne clinique, +et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il +faut, presque de parti pris, les éliminer, et chercher +au delà de la manifestation monosymptomatique. +Presque toujours, alors, ou trouvera que la +«maladie» n'est monosymptomatique qu'en apparence.</p> + +<p>De même que, dans une compagnie de chemins +de fer, une irrégularité dans le service, minime en +apparence, dénonce, si elle se renouvelle fréquemment, +une mauvaise direction générale, de même, en +biologie, il n'est pas d'indispositions insignifiantes, +si limitées soient-elles à tel ou tel organe. L'apparition +d'une douleur à l'épaule, par exemple, qui +paraît une affection bien locale, est l'indice d'une +perturbation plus profonde qu'on ne le croit du système +nerveux central.</p> + +<p>Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est +toute une doctrine qui est contenue dans cette affirmation; +c'est que en effet c'est le système nerveux +central qui à notre avis est le grand réservoir de +l'énergie. C'est par lui que nous vivons, que nous nous +mouvons, et que nous sommes. C'est lui qui dirige +le fonctionnement de tous les organes, de sorte +que quand il est perturbé, il n'engendre pas seulement, +la névrose, la neurasthénie, l'hystérie, l'irritation +spinale, la folie, la névropathie généralisée, etc., +mais encore les troubles de circulation vaso-motrice +des différents organes. En dernière analyse, +il est la clef de voûte de la pathologie. Ses perturbations +se traduisent par les symptômes les +plus variés, au point d'égarer presque fatalement +le diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. +Quelles que soient donc la forme, la gravité, l'apparence +de la manifestation morbide, c'est toujours +le système nerveux central qu'il faudra étudier, +c'est sur lui que devra porter le grand effort thérapeutique.</p> + +<p>Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du +malade et surtout la cause ou la série de causes +qui ont fait fléchir momentanément son système +nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminué sa +valeur biologique.</p> + +<p>Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont +multiples. Il en est qui appartiennent à tous les +âges, mais d'autres qui appartiennent plus spécialement +à un âge déterminé.</p> + +<p>Pour mettre un peu d'ordre dans cette étude, +c'est d'après ce plan que nous passerons en revue +les principales de ces causes morbigènes. Nous +les étudierons donc suivant l'âge de l'être humain: +1° depuis le jour de la naissance jusqu'au sevrage; +2° du sevrage à la puberté; 3° de la puberté à l'âge +adulte; 4° pendant l'âge adulte; 5° aux différentes +phases du déclin; 6° pendant la vieillesse.</p> + +<p>Nous introduirons, en outre, des subdivisions, +suivant que les influences pathogènes atteignent +plus spécialement: 1° le système nerveux digestif; +2° le système nerveux musculaire; 3° le système +nerveux central. Enfin, pour chaque âge de la vie, +nous mentionnerons les affections accidentelles qui +portent atteinte à la fois à tous les systèmes organiques: +nous voulons parler des «maladies» aiguës +(rougeole, scarlatine, fièvre typhoïde, etc.), des +intoxications (syphilis, intoxications alimentaires, +etc.), toutes affections qui, par la brutalité de +leurs assauts, ont surtout attiré l'attention des gens +du monde et de beaucoup de médecins, mais qui, +en réalité, ne constituent que la partie la moins +importante de la pathologie, surtout au point de +vue thérapeutique. La suite de ce travail démontrera, +j'espère, que cette formule n'est paradoxale +qu'en apparence<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4"><sup>4</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" name="footnote4"></a><b>Note 4:</b><a href="#footnotetag4"> (retour) </a> Certes, quelques-unes de ces influences morbigènes sont inévitables +et la prudence la plus vigilante n'en préserve pas l'être +vivant. Mais beaucoup seraient évitables: ce sont celles qui +constituent le domaine de l'hygiène, de sorte que notre travail, +en même temps qu'il dessinera à grands traits toute la pathologie, +effleurera forcément les problèmes afférents à l'hygiène et +a la thérapeutique, en d'autres termes, à la gestion du capital.<br> + +<p>L'hygiène publique est la gestion de la fortune de la communauté, +l'hygiène privée est la gestion de la fortune de chacun, +constituée essentiellement par le capital initial, et par les intérêts +qu'il rapporte.</blockquote> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE VI</h4> + + +<h4>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE +(PUÉRICULTURE)</h4> + +<p>Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou +faible et qu'il sera bien ou mal géré, l'être vivant +sera sain ou malade, donnera ou ne donnera pas +son maximum de rendement, fournira ou ne fournira +pas la carrière qui lui était originairement +dévolue.</p> + +<p>Dans les premières années de la vie, la gestion +du capital appartient tout entière aux parents. Bien +peu savent élever leurs enfants; et s'il est des +connaissances qu'on devrait répandre à profusion +dans tous les milieux sociaux, ce sont celles relatives +à la «puériculture», d'autant que les règles +en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le +démontre le <i>Traité de Puériculture</i> du professeur +Pinard, qui devrait être entre les mains de toutes +les mères de famille.</p> + +<p>Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science +de la puériculture.</p> + +<p>Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter à +tout propos et hors de propos, l'alimenter intelligemment, +lui épargner toute médicamentation +meurtrière, le préserver du froid et des changements +brusques de température: et c'est tout.</p> + +<p>Si seulement on savait la manière d'économiser +les vies d'enfants, on pourrait le faire dans les +milieux en apparence les plus défectueux; c'est +ainsi qu'au Creusot, grâce aux incessants efforts de +MM. Schneider, la mortalité des enfants au-dessous +d'un an n'est que de 110 p. 1000, alors que, dans +le canton de Vaud, renommé pour l'excellence de +ses conditions hygiéniques, elle atteint 155 p. 1000. +Ce magnifique résultat est dû surtout à l'élévation +des salaires, qui permet aux mères de se consacrer +librement à leur mission maternelle. Près de +80 p. 100 des mères allaitent leurs enfants, toutes +font de la puériculture avant la naissance. (<i>Rapport</i> +de M. le professeur Pinard, à l'Académie de médecine, +25 juillet 1905.)</p> + +<p>Il est bien évident que le capital initial ne suffit +pour entretenir la vie que pendant quelques jours; +il a besoin d'être sans cesse renouvelé et augmenté, +pour permettre de faire des réserves, de donner à +l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de +transmettre la vie à son tour. C'est l'aliment qui +pourvoit à ce besoin incessant; et par aliment nous +entendons non seulement ce qui entre dans le tube +digestif, mais aussi l'air, que les anciens définissaient +très justement le <i>pabulum vitae</i>.</p> + +<p>Quand l'aliment pèche par sa qualité, par sa +quantité, par une répartition vicieuse, la «maladie» +ne tarde pas à naître; c'est là la cause essentielle +de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait +croire, en vérité, dans quelle mesure une mauvaise +alimentation du premier âge retentit sur toute la vie +pathologique de l'individu. Quelques médecins le +disent, le crient même, mais c'est dans le désert; +la plupart le nient, ou passent indifférents à côté +de cette vérité profonde. Quant aux gens du monde, +ils en soupçonnent à peine l'importance.</p> + +<p>La vérité est que, quand un enfant a été mal +nourri loin de sa famille, quand il revient de nourrice +avec un gros ventre, on peut affirmer que, +toute sa vie, il sera un valétudinaire.</p> + +<p>Quand, pour obéir aux injonctions d'un cénacle +de gens incompétents, ou quand, poussée par son +médecin, qui veut mettre à l'abri sa responsabilité, +une mère consent à abandonner les doux devoirs +de la maternité et à confier à une nourrice l'enfant +qu'elle aurait dû allaiter, quand à cette nourrice en +succèdent deux ou trois autres, sous des prétextes +quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de +l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un être +insupportable, puis un écolier de quatrième ordre, +dans son adolescence un raté, incapable de payer +sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. +Ces considérations doivent être présentes à l'esprit +du clinicien qui, se trouvant en face d'un +malade quelconque, arrivé à un âge quelconque, +doit chercher à connaître ce que vaut ce malade.</p> + +<p>On comprend donc l'importance du problème de +l'alimentation dans la première enfance. En principe, +comme l'a bien dit M. Pinard, «le lait de +la mère appartient à l'enfant»; et «si l'on veut +faire quelque chose qui soit puissamment efficace +et fructueux, il est nécessaire, il est indispensable +de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, +et ce qu'ont réalisé MM. Schneider au Creusot, +il faut permettre à la mère de donner ce qu'elle +possède.» (<i>Rapport</i> du professeur Pinard à l'Académie, +juillet 1905.)</p> + +<p>Mais si la mère ne peut absolument pas nourrir, +il faut recourir immédiatement à l'alimentation +artificielle, soit avec le lait stérilisé du commerce,—dont l'innocuité est quotidiennement démontrée +par les résultats obtenus, à la Goutte de lait de Belleville, +au dispensaire très habilement dirigé par +M. le Dr Variot,—soit encore avec le lait de vache +bien surveillé, fraîchement et proprement trait, +sucré, plus ou moins étendu d'eau, puis stérilisé +dans la famille, avec des appareils Sosclet, ou +mieux encore avec l'appareil «la Tutélaire».</p> + +<p>C'est ce dernier appareil qui est utilisé à cette +«Goutte de lait» de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait +servir de modèle à toutes les institutions du même +genre, à cause de la simplicité de son organisation.</p> + +<p>Fondée, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, +maire de Saint-Pol-sur-Mer, à l'aide d'un +subside de trente mille francs mis à sa disposition +par un autre philanthrope, cette «Goutte de lait» +a déjà rendu d'importants services: elle a fait +tomber la «maladie» des enfants de 0 à 1 an de +288 p. 1000 (c'était le chiffre de mortalité infantile +le plus élevé de toute la France) à 51 p. 1000.</p> + +<p>La consultation des nourrissons a lieu tous les +dimanches matin, dans un local mis à la disposition +de l'Oeuvre par la municipalité de Saint-Pol-sur-Mer: +120 enfants, en moyenne, sont présentés +tous les dimanches.</p> + +<p>Les mères arrivent par séries, et se réunissent +dans une grande salle chauffée où elles déshabillent +leurs enfants. Elles pénètrent successivement +dans la salle de consultation. Chaque enfant est +pesé, puis examiné par le médecin, qui compare +le poids actuel à celui du dimanche précédent, +l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, et +fixe le régime pour la semaine qui va commencer. +Toute mère reçoit, soit un important secours <i>en +nature,</i> si l'enfant est nourri au sein,—car on fait +tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement +maternel,—soit des biberons de lait <i>pasteurisé</i>, si +l'enfant est à l'allaitement mixte ou artificiel.</p> + +<p>Le lait est distribué tous les jours au local de +l'Oeuvre. Chaque enfant à l'allaitement artificiel a +un double jeu de biberons et de paniers, qui lui +sont personnels. En venant chercher les biberons +prescrits, la mère remet ceux que l'enfant a vidés +la veille. Un seul homme suffit pour assurer tout le +service.</p> + +<p>Le lait est distribué gratuitement à tous les +enfants indigents. Fourni à l'Oeuvre à son prix +coûtant, il provient des étables du Sanatorium de +Saint-Pol-sur-Mer, où aucune vache n'entre sans +avoir été préalablement soumise à l'épreuve de la +tuberculine.</p> + +<p>Aussitôt reçu, il est pasteurisé suivant le procédé +Coutant: c'est-à-dire que, dans le biberon même +où la mère devra l'utiliser pour son enfant, le lait +est porté à 75°, puis les flacons sont brusquement +refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement +brusque a été rendu possible par la contexture +même du verre des flacons.</p> + +<p>Le lait ainsi traité a perdu tous ses microbes +pathogènes, et, à l'inverse du lait stérilisé à 110°, a +conservé toutes ses propriétés digestives et nutritives.</p> + +<p>Après la pasteurisation, les biberons restent +plongés dans des bacs remplis d'eau froide, jusqu'à +la livraison aux mères.</p> + +<p>La pathologie infantile est relativement simple. +Faut-il donc, comme on le propose de divers côtés, +faire faire à tous les étudiants en médecine un +stage dans les hôpitaux d'enfants, pour les initier +aux mystères de cette pathologie? Remarquez que +d'autres médecins demandent un stage spécial +pour l'étude des «maladies» vénériennes et cutanées; +d'autres encore un stage pour l'étude des «maladies» +nerveuses, sans parler de ceux qui voudraient un +stage pour les «maladies» des yeux, des organes +génito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, +pour celles des oreilles et du nez? et, à ce compte, +combien de temps dureraient les études médicales? +Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils +étaient praticables; mais ils auraient pour effet de +restreindre plus que de raison le nombre des futurs +médecins, et de remplacer la pléthore médicale +actuelle par une anémie encore plus regrettable.</p> + +<p>Non, ce qu'il faut apprendre à l'étudiant, c'est +qu'il lui reste beaucoup <i>à apprendre</i>, c'est que +toute sa vie de praticien ne sera pas trop longue +pour savoir lire dans le grand livre de la nature. +Mais il nous semble que, pour ce qui concerne en +particulier la pathologie des enfants, un peu de +bon sens, beaucoup de prudence, pas de médicaments, +de la patience, suffisent pour faire de bonne +thérapeutique infantile, quand, par ailleurs, on +connaît les lois générales de la pathologie.</p> + +<p>Sans être spécialiste pour les «maladies» d'enfants, +je me rappelle avoir été appelé en consultation, +en province, pour un enfant de six mois soigné +par deux distingués confrères. Il avait, depuis +cinq jours, une entérite aiguë avec fièvre, amaigrissement +rapide. Pendant les trois quarts d'heure +que dura mon enquête, je vis cet enfant passer +successivement des bras de sa mère dans ceux de +la nourrice <i>sèche</i>, puis dans ceux d'une tante +affolée, le tout pour calmer les faibles cris qu'il +avait encore la force de pousser. J'appris que ce +manège durait depuis deux jours, que l'enfant +avait pris du calomel, trois fois de grands lavages +intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, +à grand'peine, avec du lait stérilisé! Je proposai +simplement de mettre cet enfant dans son berceau +et de l'y laisser, de lui appliquer sur le ventre un +large cataplasme, de le laisser à la diète absolue +pendant quatre heures puis de lui donner de l'eau +panée, et de le laisser dormir si le sommeil pouvait +venir. Le lendemain, la fièvre avait cessé, l'enfant +avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait +naturel, écrémé et coupé avec parties égales d'eau +de riz; je conseillai de ne pas trop déranger l'enfant, +de ne plus explorer son ventre. Le surlendemain, +il prenait du lait écrémé pur, et j'appris +qu'il avait retrouvé sa gaîté. Un sommeil prolongé +mit fin à la grave alerte, et aussi à la «maladie», +qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime de +soins trop empressés.</p> + +<p>Dans d'autres cas d'entérite cholériforme, le +grand secret de la thérapeutique consiste à savoir +réchauffer les enfants, tout en les tenant à la diète +absolue pendant six ou douze heures, puis au +régime «avec restriction des liquides» pendant deux +ou trois jours.</p> + +<p>Avouons cependant que, parfois, les problèmes +de pathologie infantile sont très difficiles à +résoudre. J'ai parlé plus haut de cet enfant qui ne +supportait aucun lait de femme, pris en n'importe +quelle quantité. D'autres fois, les enfants s'empoisonnent +avec le lait même de leur mère. C'est, tout +simplement, parce qu'ils en prennent trop à la fois; +mais il faut quelquefois chercher longtemps pour +trouver cette cause si simple. On ne se figure pas +le nombre d'enfants qui ont des indigestions chroniques, +parce qu'ils ne sont pas rationnés, surtout +quand ils sont nourris par de plantureuses mercenaires +qu'on ne sait comment tonifier, dans la +pensée de donner plus de forces au précieux rejeton.</p> + +<p>Dans certains cas, même, le diagnostic des «maladies» +des enfants est tellement difficile que les spécialistes +se déclarent incompétents. Que d'erreurs +de diagnostic commises à propos des méningites! +Et comment aussi interpréter le cas suivant? Sans +cause connue, un enfant d'un an, bien élevé au +sein maternel, éprouve un malaise insolite, devient +grognon, refuse de prendre le sein, a de la fièvre. +Les jours suivants, la fièvre augmente, une pâleur +inquiétante s'étend sur la face, un amaigrissement +rapide préoccupe à juste titre tout l'entourage; +puis, au bout de quelques jours, sans qu'on ait rien +fait que de laisser l'enfant bien tranquille, l'appétit +revient peu à peu, la fièvre diminue, et tout +rentre dans l'ordre. Divers confrères appelés en +consultation n'ont pas pu étiqueter cette «maladie», +ni se prononcer sur son issue; mais, tous ayant eu +le bon esprit de ne pas aggraver la situation par +une médication intempestive, tout s'est terminé +pour le mieux, et l'enfant a gardé son secret.</p> + +<p>La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de +diagnostic n'est pas aux médecins, mais aux difficultés +des problèmes cliniques. En les dénonçant, +nous ne voulons nullement dénoncer la faillite de +la science: bien au contraire, ce que nous voulons +dire, c'est qu'en thérapeutique infantile il faut avant +tout de la sagacité, et que, dans certains cas, il faut +que le médecin sache reconnaître son incompétence.</p> + +<p>Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une +revanche éclatante, et c'est alors que le médecin +est en droit de se féliciter d'avoir fait de bonnes +études de pathologie générale.</p> + +<p>Voyez, par exemple, cet enfant né à terme, et qui +vient bien pendant les six premières semaines; +puis voici que, tout en continuant à prendre ardemment +le sein, sans avoir ni diarrhée, ni vomissements, +son poids cesse d'augmenter; il diminue +de 200, de 300 grammes en quelques jours. Qu'est-ce +à dire? Mais c'est que l'enfant est un hérédo-syphilitique. +Le traitement mercuriel, sous forme +de liqueur de Van Swieten, de frictions mercurielles, +ou mieux encore d'injections de sublimé à la dose +de 3 à 5 milligrammes par jour, fait merveille et +rétablit entièrement cet enfant.</p> + +<p>Nous avons dit plus haut combien souvent la +méningite, qu'on croit tuberculeuse, et qui survient +de deux à cinq ans, est d'origine syphilitique. Déjà +en 1872, quand nous faisions nos études à Montpellier, +le regretté professeur Fonsagrives nous +disait qu'il avait sauvé beaucoup d'enfants, atteints +de méningite tuberculeuse, en leur donnant de +l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il +s'agissait de méningites syphilitiques. Mais pour +formuler un diagnostic de méningite syphilitique, +pour dépister l'hérédo-syphilis, soit par l'examen +de l'enfant, soit par une enquête sur les parents, +ne faut-il pas que le médecin ait beaucoup travaillé, +beaucoup vu et beaucoup retenu? Son rôle +n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit +se contenter de faire de l'expectation armée, il peut, +dans beaucoup de cas, rendre aux enfants malades +des services inappréciables.</p> + +<p>Que dire d'un bain chaud donné, en temps utile, +à un enfant atteint de pneumonie; de l'immersion +alternative dans l'eau chaude et dans l'eau froide +d'un enfant nouveau-né atteint de congestion pulmonaire, +sinon que, dans certaines circonstances, +le médecin opère ainsi de véritables résurrections?</p> + +<p>Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le +rôle social du médecin, bien au contraire, ni introduire +dans l'esprit des jeunes confrères un scepticisme +infécond: ce que nous voulons, c'est leur +dire qu'il ne faut pas se spécialiser dans l'étude de +la pathologie infantile, et que, pour bien soigner +un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout +qu'il faut souvent savoir s'abstenir.</p> + +<p>En résumé, la pathologie de l'enfance, tout en +étant compliquée, comme tout ce qui touche au problème +de la vie, nous semble être relativement +simple, l'enfant n'étant, pour ainsi dire, «qu'un +tube digestif percé aux deux bouts».</p> + +<p>Plus nous allons voir l'être humain avancer dans +sa carrière, plus vont devenir nombreux et compliqués +les problèmes de la vie. Le système nerveux +ne va pas tarder à entrer en scène, les mille et une +conditions défavorables qu'impose à l'homme le +milieu cosmique vont imprimer à son capital biologique +des dépenses qu'on ne peut certainement pas +évaluer mathématiquement, mais qui se traduiront +par une diminution de sa valeur. La vie ne va être +de plus en plus qu'une série d'oscillations, de luttes +entre la tendance à «persévérer dans l'être» et les +causes de destruction de l'être vivant; bref, un état +d'équilibre instable, la santé n'étant qu'un bel accident +passager.</p> + +<br><br><br> +<h4>CHAPITRE VII</h4> + +<h4>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ</h4> + +<p>Il est logique d'introduire une subdivision dans +ce chapitre, et d'étudier d'abord l'enfant de deux à +sept ans, d'autant que, à cette période de la vie, il +n'y a pas à tenir compte de la différence des sexes.</p> + +<h4>I</h4> + +<p>Pendant cette période, la nutrition a son activité +maximum, l'enfant améliore son capital, accumule +les réserves; mais il faut bien savoir qu'il a aussi +des dépenses colossales. Combien d'influx nerveux +doit être dépensé pour faire connaissance avec le +monde extérieur, pour apprendre le sens des mots, la +notion des distances, etc.! On est effrayé en pensant +au travail cérébral que supposent ces acquisitions.</p> + +<p>De là ce grand principe, qu'il faut éviter à l'enfant +toute fuite nerveuse inutile. Il faut presque se +borner à le faire «boire, manger, dormir; manger, +dormir et boire». Il faut avant tout, que l'enfant +de cet âge dorme beaucoup. En aucun cas, on ne +devrait le réveiller. Pour démontrer combien peu +d'enfants ont leur dose <i>optima</i> de sommeil, prenez +au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier +jour, dormir à volonté; il s'octroiera douze +heures de sommeil. Le lendemain, il se réveillera +après onze heures, le surlendemain et les jours suivants +après dix heures. C'est donc que, au moment +précis où l'expérience a commencé, il avait un +arriéré de besoin de sommeil.</p> + +<p>Quant au problème de l'alimentation, il est relativement +simple, et l'expérience des mères de famille +répond à la plupart des indications. L'enfant doit +manger quatre fois par jour; mais, en général, +il mange trop vite. Les parents devraient, pour leur +usage personnel et pour le bien de leurs enfants, se +rappeler qu'il existe des glandes salivaires sécrétant, +chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par +jour, et que, si une bonne digestion commence dans +la cuisine, elle se continue dans la bouche.</p> + +<p>En réalité, cet âge de la vie est celui où il y a le +moins d'influences nocives; et un peu de surveillance +suffit pour que l'enfant se porte bien.</p> + +<p>Les «maladies» accidentelles elles-mêmes évoluent, +en général, d'une façon bénigne, quand elles ne +sont pas troublées par une thérapeutique incendiaire. +De là la faible mortalité afférente à l'âge que +nous étudions, dénoncée par les tables qui servent +de base aux calculs des Compagnies d'assurances +sur la vie.</p> + +<p>Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, +scarlatine, rougeole, angine, il se rétablit +avec une rapidité contrastant avec la lenteur de la +convalescence chez l'adulte, et encore bien plus +chez le vieillard. Voyez, par exemple, une angine +herpétique! Elle occasionne chez l'enfant de tumultueux +symptômes: de la fièvre, du délire; mais, au +bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, +quatre jours après, l'enfant paraît aussi bien portant +qu'avant. Chez l'adulte, au contraire, le même +nombre de points d'herpès sur la gorge provoque +un état maladif moins tumultueux, mais qui se +termine par une convalescence de quinze jours à +un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou +tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement +nécessaires à l'enfant convalescent, doué de plus +d'élasticité.</p> + +<p>A partir de sept ans s'esquisse, chez certains +enfants, une différenciation qui ira s'accusant d'année +en année. Un oeil attentif va percevoir si l'enfant +appartient au type <i>musculaire</i> ou au type <i>cérébral</i>. +Le <i>musculaire</i> est cet enfant actif, aimant à jouer, +turbulent, ne parvenant pas à fixer son intention +pour un quart d'heure de suite, n'ayant, par conséquent, +aucun goût pour l'étude telle qu'elle lui +est imposée. Le <i>cérébral</i> est l'enfant réfléchi, n'aimant +pas les jeux bruyants, et dont l'esprit est en +avance notable sur celui des enfants de son âge. +A chacun de ces deux enfants conviendrait une +éducation différente; malheureusement, les nécessités +sociales les soumettent, l'un et l'autre, à la même +discipline pédagogique,—bien comprise, il faut +l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour +ces enfants moyens, le système pédagogique actuellement +en vigueur s'approche autant que possible de +la perfection, il faut bien dire qu'il convient moins +aux types extrêmes que nous venons de mentionner. +Le petit <i>musculaire</i>, condamné à de longues heures +d'étude, s'agite, s'inquiète, devient de plus en plus +dissipé, et ne tarde pas à entrer dans la catégorie +des enfants dits «paresseux». Sa santé physique +peut ne pas souffrir outre mesure du régime compressif +auquel il est soumis; il grandit, se porte +bien en apparence; mais son cerveau est, pour +ainsi dire, faussé, et ne donnera qu'un rendement +inférieur. Chez le petit <i>cérébral</i>, au contraire, l'éducation +moyenne peut amener des troubles de la +santé physique: les récréations bruyantes et agitées, +imposées après les repas, les longues promenades +hebdomadaires, l'insuffisance du sommeil, +une alimentation mal adaptée à son tube digestif, +très vulnérable le plus souvent, le fatiguent à la +longue; et, d'un enfant qui aurait pu donner les +plus belles espérances, la pédagogie officielle fait +un être malingre, nerveux, à terreurs nocturnes, en +un mot un malade.</p> + +<p>Faut-il donc préconiser l'éducation individuelle? +Oui, dans les cas extrêmes et dans des circonstances +exceptionnelles.</p> + +<p>Une autre classe d'enfants chez lesquels l'éducation +collective et le surmenage cérébral imposé +par nos programmes amènent les plus fâcheuses +conséquences, pour le présent et pour l'avenir, +c'est celle des enfants que l'hérédité n'a pas préparés +au travail cérébral. Tels ces fils de cultivateurs +qui ont une longue hérédité terrienne, et que +leur intelligence hâtive semble désigner comme +particulièrement aptes aux études supérieures. Ce +sont, quelquefois, de très brillants élèves; ils arrivent +aux écoles supérieures: mais ils y arrivent +malades, et seront malades toute leur vie.</p> + +<p>De l'âge de sept ans à celui de la puberté, les +«maladies» accidentelles sont presque inévitables, à +cause de la promiscuité des enfants dans les +écoles; mais elles sont, en général, de peu de gravité. +Ce ne sont pas elles qui diminuent sensiblement +le capital biologique individuel. Les fautes +commises contre l'hygiène alimentaire sont d'une +bien plus grande importance.</p> + +<p>Combien on voit, notamment, de «maladies» aiguës +qui ressemblent plus ou moins à la fièvre typhoïde, +et qui sont dues à des indigestions! En général, l'hygiène +alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillée. +Les enfants mangent trop vite, comme nous +l'avons dit plus haut; et, très souvent, ils mangent +trop, précisément parce qu'ils mangent trop vite, la +sensation de faim n'étant pas calmée par l'introduction +brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire +mal élaborée. D'autre part, de trop nombreux +parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on +mange qui profite, mais ce qu'on assimile, se +figurent qu'il faut que l'enfant mange beaucoup +pour se donner des forces; et ce préjugé amène +chez l'enfant des intoxications chroniques qui +retentissent sur son système nerveux, sur sa croissance, +jusqu'au moment où l'estomac surmené +commence à protester. A partir de ce moment, le +cercle vicieux est établi, et, si un régime alimentaire +bien compris n'est pas institué, l'enfant +devient un malade, et restera malade indéfiniment. +C'est ce que M. le Dr Laumonier a très bien +exposé dans un article du <i>Correspondant médical</i> +de 1905:</p> + +<p>Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils +mangent beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil +ne soit pas toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant +on ne peut, à première vue, les accuser d'aucun trouble évident. +Cependant, certains soirs principalement, ils se montrent +tantôt plus énervés que d'habitude, tantôt plus abattus +au contraire, et si, à ce moment, on prend leur température +rectale, on constate 38° C, 38°5, parfois même 39° et au delà. +Cet accès fébrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y +paraît plus. On ne lui attribue généralement aucune importance, +et les parents se gardent bien, pour si peu de chose, +de faire appeler le médecin; ils ont tort, car cette fièvre +digestive est le symptôme de troubles fonctionnels d'assez +grande importance, et qu'il est en conséquence nécessaire de +soigner dès le début.</p> + +<p>Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de +belle apparence: peu à peu leur appétit, qui faisait l'admiration +de leurs parents, fléchit; et aussitôt l'embonpoint et +les belles couleurs disparaissent. Ils finissent ainsi par se +transformer en enfants chétifs, maigres, pâles, ayant mauvaise +haleine, présentant des alternatives de constipation +et de diarrhée, souffrant parfois de douleurs stomacales +vives; en un mot ce sont maintenant de véritables dyspeptiques.</p> + +<p>Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel +extrême, pour ainsi dire, de troubles longtemps existants et +dont les accès légers de fièvre digestive ont été l'un des premiers +et des plus caractéristiques symptômes. Il suffit, pour +s'en convaincre, de suivre avec quelque attention l'évolution +progressive des phénomènes.</p> + +<p>Très souvent, les enfants qui manifestent ces accès fébriles +ont été, pendant leur première enfance, mal nourris, sinon +comme qualité du lait, au moins comme quantité; en +d'autres termes, leur ration a été trop copieuse. Puis, après +le sevrage, ils ont été mis rapidement à la nourriture commune +de la famille; ils ont mangé de tout, et trop; parfois +aussi on leur a laissé prendre l'habitude de boire du vin, du +café. Peu à peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques.</p> + +<p>C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,—pas plus +que l'homme, du reste—ne mange qu'à sa faim; toujours, +ou presque toujours, à ce point de vue, la limite est dépassée. +La quantité d'aliments ingérés est beaucoup plus une affaire +d'habitude que de besoin réel, comme le prouvent manifestement +les résultats du traitement imposé à ces petits malades. +Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, dépassent +ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel +les aliments, étant insuffisamment élaborés par les sécrétions +digestives, stagnent et donnent lieu à des fermentations anormales. +D'où, d'une part, l'insuffisance et l'épuisement des +glandes gastriques, la dilatation et l'atonie stomacales, et, +d'autre part, la production des substances toxiques qui, résorbées, +entraînent l'auto-intoxication et l'élévation thermique +qui en est la conséquence. Notons d'ailleurs,—et c'est là un +point essentiel,—que la fièvre digestive peut se produire et +se produit ordinairement avant que l'épuisement glandulaire +et l'atonie ou l'ectasie gastriques soient complètement réalisés; +elle coexiste plutôt à la phase de polyphagie et constitue +un signe prodromique, avertissant que la limite digestive +est dépassée, que l'estomac commence à se fatiguer, +que l'auto-intoxication d'origine digestive est déjà manifeste.</p> + +<p>Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers +de cet état, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros +foie... etc., ils sont bien connus et faciles à mettre en évidence; +d'autres signes, plus incertains, dyspnée, terreurs +nocturnes, manifestations cutanées, peuvent exister aussi, +qui complètent la signification des premiers. Passons donc +et arrivons au traitement.</p> + +<p>La première indication est de réduire la ration alimentaire +à ce qui est strictement nécessaire à l'enfant, suivant l'âge, +le sexe, le poids, la taille, et de composer cette ration d'aliments +faciles à digérer, fournissant le minimum de fermentation, +tels que lait, oeufs, pain grillé, viande crue, purée de +légumes. Sans en arriver au régime sec, qui a beaucoup +d'inconvénients, on réduira cependant le plus possible la +quantité de la boisson, constituée par de l'eau pure de bonne +qualité ou des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures +hygiéniques générales, on assurera la liberté du ventre par +des habitudes régulières ou à l'aide de quelques lavements +tièdes, mais sans en abuser.</p> + + + +<h4>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE</h4> + +<p>I.—CHEZ LA FILLE</p> + +<p>Chez la petite fille, l'apparition des règles constitue +un moment solennel dans l'existence. La +plupart des mères de famille le savent, s'en inquiètent, +mais ne connaissent pas les précautions à +prendre. Ces précautions consistent à supprimer +plus que jamais les fuites nerveuses. Ainsi, il convient +alors de diminuer le travail cérébral, le travail +musculaire, d'éviter à l'enfant les émotions, de la +mettre à l'abri de toutes les influences qui, par +action réflexe, retentissent sur son système nerveux +(indigestions, coups de froid).</p> + +<p>Pendant les premières périodes menstruelles, le +repos presque absolu au lit s'imposerait, si les +règles étaient douloureuses ou trop abondantes; +et un repos relatif s'impose même quand elles sont +correctes. Ce qu'il faut bien savoir, c'est que l'anémie +qui accompagne, en général, cette période +de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, +ni de la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, +ce sont les précautions citées plus haut, et, +par intervalles, quelques injections de cacodylate +de soude, ou mieux, de cacodylate de magnésie. +C'est là un des rares médicaments capables de +rendre des services, à la condition formelle qu'il ne +soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin.</p> + +<p>Une fois la menstruation établie, il ne faut pas +s'inquiéter outre mesure si, pendant les premières +années, les règles ne viennent pas à époques fixes, +et il faut se déclarer satisfait si elles ne sont ni +douloureuses, ni trop abondantes.</p> + +<p>Plus tard, vers l'âge de dix-huit ans, il est fréquent +de voir la santé des jeunes filles subir un assaut +considérable, qui se traduit par de la chloro-anémie, +avec état nerveux, suppression des règles, troubles +dyspeptiques, constipation, etc.</p> + +<p>Les causes en sont multiples. Chez la jeune +ouvrière, c'est, le plus souvent, le surmenage physique, +la vie anti-hygiénique des ateliers, l'accumulation +des privations. Dans d'autre milieux, +c'est le fait du surmenage intellectuel pour l'obtention +des brevets. Mais, plus souvent encore, ce +sont les causes morales qui portent atteinte au +système nerveux. C'est une vocation contrariée, +une suite continue de petits malentendus avec la +famille, avec la mère en particulier. La mère, ne +se décidant pas à s'apercevoir que sa fille +grandit, continue à vouloir exercer sur elle une +autorité despotique, contre laquelle l'enfant se +cabre en vain pendant de long mois, et dont elle +souffre de jour en jour davantage.</p> + +<p>Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariée, +un mariage désiré qui se trouve rendu +impossible par la volonté intransigeante des parents, +ou par des circonstances indépendantes de toute +volonté ou même c'est un vague et obscur besoin +du mariage: pour suivre, en somme, les lois de la +nature, et donner satisfaction à cette sorte d'instinct +de la maternité qui se rencontre chez la femme +depuis son plus jeune âge, et se traduit, dans la première +enfance, par le besoin de la poupée.</p> + +<p>Quelle que soit la cause, le mal se prépare sourdement; +puis, un jour, la «maladie» éclate, souvent +à la suite d'une affection aiguë qui contribue à +faire tomber brusquement la force de résistance du +système nerveux.</p> + +<p>Si variés que soient les symptômes par lesquels +le mal se traduit, la thérapeutique doit être la +même. Elle consiste à ne pas aggraver la «maladie» +par une médicamentation intempestive; ce ne sont +ni les pilules de fer, ni le drap mouillé, ni la +douche froide qui pourront faire du bien à une +jeune fille ainsi atteinte, ni même la suralimentation, +malgré l'anémie évidente. Non: ce qu'il faut, +c'est chercher la cause de la «maladie», et la supprimer +ou l'amoindrir autant que possible.</p> + +<p>Quand c'est le surmenage physique, le repos +absolu s'impose, et la jeune malade arrive très +vite à la guérison. Quand le surmenage physique +n'est pas la seule cause à invoquer, rien n'est plus +difficile que de doser le repos et l'exercice. Le +plus souvent, le repos relatif est de rigueur. Dans +d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en +particulier, un exercice modéré, et même poussé +assez loin, peut produire d'excellents effets. Le +médecin, appelé à se prononcer sur l'opportunité +de ce moyen thérapeutique, basera son jugement +sur les résultats de l'enquête qu'il fera au sujet du +passé de la malade, et il aura le droit de procéder +par tâtonnements. J'ajouterai que, dans les cas +graves où le repos absolu s'impose d'abord, rien +n'est plus difficile que de doser l'exercice dès que +la malade est capable de le supporter, mais le principe +est de rester en deçà de ce que la malade peut +donner.</p> + +<p>Quand la «maladie» de la jeune fille est due au +milieu familial, le remède essentiel est de le lui +faire quitter. Malheureusement, on attend souvent +trop longtemps pour prendre ce parti radical; on +attend que la vie soit devenue impossible, que la +jeune fille ait perdu le sommeil, les forces, l'appétit, +et soit dans un état d'excitation inquiétant. +On l'isole alors dans une maison de santé ou d'hydrothérapie, +où on lui impose le plus souvent, à +notre avis, une séquestration trop radicale. Car la +priver de toute visite, de toute correspondance, +la soumettre à une discipline d'une sévérité exagérée, +nous semble vraiment excessif. L'enfant se +révolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un bénéfice +relativement restreint. Elle prend sur elle pour +simuler la guérison, et pour échapper à la tutelle +des médecins; elle sort avec les apparences de la +santé; mais elle n'est pas guérie, et, comme elle +retombe dans le milieu familial hostile, la «maladie» +ne tarde pas à renaître de ses cendres, jusqu'au +jour où une circonstance quelconque amène enfin +un changement de vie radical, qui la guérit.</p> + +<p>Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, +d'éloigner l'enfant, de temps à autre, du milieu +familial, dès qu'on s'aperçoit que c'est lui qui est +l'ennemi, en la confiant soit à une parente intelligente, +soit même à une garde bien choisie, jusqu'au +moment où on trouvera à la marier, chose qu'il +ne faudra faire qu'après mûre réflexion, mais qui, +dans bien des cas, est le remède par excellence? +Pendant les absences de la jeune fille, l'état nerveux +du milieu familial lui-même se calme, ce qui +rend la vie commune acceptable par intermittences. +Loin de nous, cependant, l'idée de porter +atteinte à l'esprit de famille en proposant pareille +mesure; nous ne la considérons que comme exceptionnelle +et comme un pis-aller, préférable souvent +à la maison de santé, et, en définitive, moins +onéreuse.</p> + +<p>Chez les gens peu fortunés, on n'a pas la ressource +de la séparation, même momentanée. Heureusement, +chez eux, les contacts entre parents et +enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a +toujours une certaine indépendance; elle n'est pas +soumise à une tyrannie de tous les instants. En +outre, son système nerveux est moins vulnérable, +de sorte que l'influence néfaste du milieu familial +est rarement une cause de «maladie». Nous connaissons +cependant de jeunes ouvrières dont la santé +a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel +elles étaient condamnées à vivre: père alcoolique, +qui les battait au retour de l'atelier, mère ou belle-mère +acariâtre, frère débauché, etc. La pauvre victime résiste tant +qu'elle peut, jusqu'au jour où +elle quitte avec éclat la maison paternelle, à moins +que, victime résignée, elle ne voie peu à peu +s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi +une proie toute désignée pour la tuberculose, qui +met fin à ses misères; souvent aussi sa déchéance +se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile +d'aliénés lui ouvre ses portes.</p> + +<p>D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation +contrariée qui met la jeune fille en état de «maladie». +Il n'y a pas à se le dissimuler, quelle que soit +l'opinion que l'on puisse avoir sur la légitimité +des vocations religieuses, lorsqu'une vocation est +sincère, toutes les entraves qu'on lui apportera ne +serviront de rien. La jeune fille souffrira, deviendra +de plus en plus malade, et force sera un jour de +céder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames +intimes et ignorés, qui torturent même les familles +chrétiennes; et le résultat final a toujours été le +même: la jeune fille a retrouvé la santé dès qu'elle +a eu gain de cause.</p> + +<p>Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait +respectueusement, depuis trois ans, contre +sa famille, pour obtenir l'autorisation d'entrer au +Carmel. Elle en était arrivée à un degré avancé +de «maladie», restant des huit et quinze jours sans +garde-robe, malgré l'hygiène intestinale la plus +soignée, ne pouvant plus lire ni supporter une conversation; +elle maigrissait à vue d'oeil, et ne pouvait +plus quitter son lit, tant les forces physiques +étaient diminuées. Gravement préoccupé de l'issue +de cette «maladie», dont je connaissais la cause, je +crus remplir mon rôle de médecin en m'instituant +l'avocat de la malade. Or, dès qu'elle eut +obtenu l'autorisation sollicitée depuis si longtemps,—et +que, par parenthèse, elle avait cessé de +demander depuis un an, pour ne pas torturer sa +famille,—nous vîmes la santé revenir avec une +rapidité prodigieuse. Tous les organes inhibés se +remirent à fonctionner, et, un mois après, la jeune +fille entrait au Carmel. Quelle ne fut pas notre stupéfaction +d'apprendre que, le troisième jour, elle +lavait les escaliers à grande eau, pleine d'énergie +et de bonne humeur!</p> + +<p>Quelque respectueux que l'on doive être de l'autorité +des parents, il faut que cette autorité sache +s'effacer devant la volonté ferme, réfléchie, bien +arrêtée d'une jeune fille; la justice le demande, et +ajoutons que l'intérêt l'exige.</p> + +<p>Les mêmes considérations s'appliquent au cas +où une jeune fille veut, envers et contre tous, +épouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf +fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de +ses parents, qui ont l'expérience de la vie. Mais +l'expérience est semblable à un habit fait sur mesure, +et qui ne va bien qu'à celui pour lequel il est fait. +Aussi, lorsque, malgré les sages raisonnements, la +jeune fille s'obstine et s'entête, estimons-nous qu'il +faut lui céder après un délai raisonnable. On doit +haïr la persécution, de quelque part qu'elle vienne.</p> + +<p>Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la +jeune fille est victime de son tempérament, qui ne +trouve pas dans les joies de la famille une satisfaction +suffisante: elle éprouve le <i>besoin</i> de se marier. +C'est alors aux parents à l'aider dans son choix, +car cet état d'âme peut amener la «maladie».</p> + +<p>Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, +avant de se marier, subir un traitement médical; +car elle n'a pas le droit de se marier en état de +«maladie». Le mariage, le plus souvent, ne la guérirait +pas. Or il faut bien savoir que, au début de la +vie conjugale surtout, elle n'a pas le droit d'être +malade. C'est donc une raison de plus pour la soigner +avant le mariage. En général, d'ailleurs, cette +cure est des plus simples: la cause de la «maladie» +ayant disparu, et le capital biologique n'étant pas +encore gravement entamé, le rôle de la thérapeutique +se réduit à peu de chose.</p> + +<p>II.—CHEZ LE GARÇON</p> + +<p>Chez le jeune garçon, de la puberté à l'âge adulte, +les influences capables d'amener la «maladie» sont +également multiples. Signalons, parmi les principales +:</p> + +<p>I. Le surmenage scolaire;</p> + +<p>II. L'abus des sports;</p> + +<p>III. Les déviations de l'hygiène sexuelle (habitudes +solitaires et prématuration).</p> + +<p>I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, +dont on a fait si grand bruit il y a quelques années? +Les brillantes discussions de l'Académie de médecine +n'ont pas empêché les programmes de se surcharger +d'année en année; et ils se surchargeront +encore davantage, cela est inévitable, c'est la loi +même du progrès; vouloir aller contre, c'est vouloir +remonter le courant. Mais, à la vérité, ce soi-disant +surmenage ne nous effraie pas outre mesure, +car il faut compter: 1° avec les nouvelles méthodes +d'enseignement, supérieures à celles d'autrefois; +2° avec une adaptation du cerveau des générations +actuelles et futures à un travail cérébral plus considérable. +N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui +rend si dangereux le travail cérébral chez les +«déracinés» dont nous avons dit un mot au chapitre +précédent?</p> + +<p>Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le +meilleur des systèmes pédagogiques? Non. Le +jeune homme ne travaille pas trop, mais il travaille +mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne +dort pas assez, et on n'a pas assez le respect de +son sommeil: du sommeil qui dompte tout, suivant +la forte expression d'Homère.</p> + +<p>Un groupe de médecins anglais vient de commencer +une campagne de presse pour obtenir que +l'élève des collèges anglais puisse dormir plus longtemps. +Ils avaient été précédés dans cette voie par +le Dr Chaillou<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5"><sup>5</sup></a>, directeur de l'hygiène d'un grand +établissement d'instruction, qui dès 1903, a eu +l'idée excellente d'installer, dans le pensionnat, ce +qu'il appelle une «chambre des dormeurs». Là, les +jeunes gens fatigués momentanément vont, tout +simplement, se reposer suivant leurs besoins; et +jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de +dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats +aux écoles, et que l'intelligente discipline générale +de la maison est de nature à prévenir tout abus.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" name="footnote5"></a><b>Note 5:</b><a href="#footnotetag5"> (retour) </a> <i>Hygiène, exercices physiques, et services médicaux dans un +grand collège moderne</i>, par le Dr Chaillou, attaché à l'Institut +Pasteur. Paris 1903.</blockquote> + +<p>II. <i>Abus des sports</i>.—Si pour l'homme sain l'exercice +est nécessaire à la santé, cet exercice, lorsqu'il +est poussé à un degré excessif, devient un facteur +important de «maladie».</p> + +<p>L'exercice, quand il est méthodique, bien gradué, +peut être poussé très loin sans provoquer d'accidents; +c'est ainsi que, chez les professionnels des +cirques, la santé se maintient excellente, comme +j'ai pu m'en rendre compte par une enquête faite +chez Barnum. Le médecin attaché à la troupe +de Barnum jouirait d'une véritable sinécure, s'il +n'avait pas à compter avec les accidents d'ordre +chirurgical.</p> + +<p>Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont +<i>sélectionnés</i>, ce sont des professionnels: ils ne font +pas autre chose que des tours de force; toute leur +activité, physique, intellectuelle, est concentrée sur +ces questions d'exercice musculaire.</p> + +<p>Ajoutons que l'exercice est savamment gradué +par des gens du métier, qui savent par expérience +ce que c'est que l'entraînement; disons enfin que +les gens des cirques observent une sage hygiène; +ils savent que tous les écarts se payent, et ils sont, +à tous égards, d'une sobriété exemplaire.</p> + +<p>Tout autres sont les conditions dans lesquelles +se trouve l'homme du monde qui fait du sport. +Parfois il a une profession; c'est donc sur les +loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, +qu'il prend le temps de faire les exercices qui +le passionnent; quand il n'a pas de profession, il +est rare qu'il ait la modération exemplaire signalée +plus haut, et, alors, il ne dépense pas son influx nerveux +qu'en exercice physique.</p> + +<p>Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du +sportsman, c'est le <i>sport</i>, c'est-à-dire l'émulation +qui existe presque fatalement entre ceux qui s'occupent +avec passion d'exercices physiques, et qui +fait que chacun d'eux veut devancer son voisin.</p> + +<p>Le bicycliste isolé risquerait rarement d'arriver +au surmenage; ce qui le fatigue, c'est de voyager +en compagnie d'autres camarades, à cause de +l'excitation qui se communique des uns aux autres, +et qui les porte tous à donner plus qu'ils ne peuvent. +L'escrime, souvent, n'aurait pas sa raison d'être, sans +le désir de l'emporter sur ses partenaires; de là le +danger spécial de cet exercice. Si l'on veut bien se +rappeler qu'il est pris, en général, dans un air confiné, +qu'il exige une dépense considérable d'influx +nerveux, une tension permanente de l'esprit, un +excès de rapidité dans les mouvements, on comprendra +que c'est plus un exercice cérébral qu'un +exercice musculaire, et que les gens qui croient se +reposer du travail cérébral en faisant de l'escrime +sont bien vite détrompés. Le sage est celui qui, +désirant se reposer du travail cérébral par l'exercice, +s'attache aux exercices qui ne demandent +pas d'attention, aux exercices automatiques dans +lesquels la moelle seule intervient; marcher, ou +mieux encore courir suivant les bons principes, +scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, +ramer, etc.</p> + +<p>L'automobilisme «tient le record» parmi les +exercices qui épuisent le système nerveux; nous ne +parlons pas, bien entendu, des hommes qui se servent +de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, +mais de ceux qui en font un moyen de distraction. +Quelques-uns arrivent à une mentalité +toute spéciale, à un état de folie qui n'a pas encore +reçu de nom, et qu'on pourrait appeler la folie de la +vitesse: quand ils sont sur leur machine, ils ne +voient que le ruban de route qui se déroule devant +eux, le reste de la terre a cessé d'exister. Ils ne +voient point, ils n'entendent point: ce sont des +mangeurs de kilomètres, ce ne sont plus des +hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a +pas besoin d'émulation, il se suggestionne lui-même, +et devient le propre artisan de son délire.</p> + +<p>Mais les dangers des sports deviennent encore plus +considérables quand ils sont pratiqués par des organismes +en voie de formation, par des jeunes gens, +par des écoliers. Or, il y a quelques années, avait +soufflé un vent, venu d'Angleterre, qui avait +véritablement tourné la tête à certains hommes +s'occupant des problèmes de pédagogie,—ou plutôt +qui avait affolé l'opinion publique, et les pédagogues +subissaient le courant. Ce qu'il y a de certain, +c'est qu'on ne parlait plus, dans les établissements +scolaires, que de sports et de gymnastique. La +culture intellectuelle paraissait devoir être mise au +second plan. Mais on n'a pas tardé à voir qu'il y +avait abus. Les excellents travaux du Dr Lagrange +et du Dr Legendre, l'intervention des médecins dans +la <i>Ligue des Pères de Famille</i>, ont mis un frein à +cet engouement, qu'on ne rencontre plus que dans +quelques institutions où l'on s'obstine à imiter +l'éducation anglaise, sans se rappeler que nos +petits Français ne sont pas des Anglo-Saxons. Je +me demande d'ailleurs si les petits Anglo-Saxons +eux-mêmes de l'âge de douze et treize ans se trouveraient +bien de faire des courses de 4 et 5 kilomètres +au pas gymnastique, sans progression et +sans entraînement préalable, comme je sais qu'on +en impose aux enfants dans les institutions dont je +parle.</p> + +<p>III. <i>Déviations de l'hygiène sexuelle</i>.—Tous les +pédagogues et tous les pères de famille soucieux de +l'avenir de leurs enfants sont, à juste titre, préoccupés +de l'important problème de l'éducation +sexuelle; mais tous sont loin de le résoudre dans le +même sens. Les uns estiment qu'il ne faut rien +dire aux enfants, ni même aux jeunes gens; les +autres, qu'il faut au contraire aborder le redoutable +problème en face, et le plus tôt possible. La +vérité, comme en bien d'autres circonstances, se +trouve entre ces deux extrêmes.</p> + +<p>Il est bien certain qu'il faut que, à un moment +donné, le jeune homme soit averti des dangers qu'il +court en s'abandonnant à des aberrations de l'instinct +génésique, ou encore à l'usage prématuré des +fonctions sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse +de bonne heure le péril vénérien. Mais quels +moyens employer pour l'instruire? Est-ce au père +de famille que revient ce rôle éducateur? Oui, s'il +a suffisamment gagné la confiance de ses enfants, +et s'il se sent capable de cette mission délicate; +dans d'autres cas, c'est au médecin de la famille +que doit être dévolu ce soin; et, dans les pensions, +lycées, institutions, c'est encore au médecin de la +maison, et, dans une certaine mesure, à ceux des +professeurs qui vivent le plus avec les élèves.</p> + +<p>Convient-il de donner à ceux-ci un enseignement +collectif? La tentative a été faite, récemment, dans +plusieurs lycées de Paris. Il faut avouer qu'elle +est ardue, mais les bons résultats ont dépassé toute +attente. Cependant je suis avec M. l'abbé Fonsagrives +partisan plutôt de l'enseignement individuel, +compris dans un sens libéral, sous forme de causerie +du professeur avec un petit nombre d'élèves.</p> + +<p>Jusqu'au moment où il est raisonnable d'aborder +devant les enfants ces délicats problèmes, le rôle +de l'éducateur doit se borner à exercer autour d'eux +une surveillance assidue, et à retarder le plus possible +l'éclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, +il faut imposer à l'enfant de la fatigue physique, +la pousser au maximum de la <i>tolérance</i>, dussent +les études en souffrir momentanément. C'est de la +bonne économie, sans cependant qu'on doive +verser dans cet abus des sports que nous avons +dénoncé plus haut. Ici se retrouve, comme dans +tous les problèmes de l'hygiène, cette question de +dosage, de mesure, qui comporte un nombre indéfini +de solutions, d'après la variété des cas individuels.</p> + +<p>Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant +à des aberrations de l'instinct sexuel sont moins +grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont néanmoins +considérables, et le capital nerveux de l'enfant +est vite entamé par les habitudes vicieuses. De +là ces formes vagues de neurasthénie avec difficulté +pour le travail, timidité maladive, manque de +confiance en soi, céphalée, traits tirés, yeux cernés, +amaigrissement, amoindrissement de la valeur du +sujet. Un médecin éclairé ne s'y trompe pas. Il +doit alors trouver moyen de prendre l'enfant à part, +à la fin de la consultation, et lui dire à brûle-pourpoint, +en le regardant fixement: «Mon ami, +je sais la cause de votre mal!» Il faut ensuite +provoquer quelques aveux <i>discrets</i>, et la consultation +doit se terminer par une promesse formelle +de l'enfant de se corriger. La psychothérapie, en +ce cas, vaut mieux que les médications pharmaceutiques +les plus savantes: elle manque bien +rarement son effet et elle peut être grandement +aidée, dans certains cas, par la psychothérapie +hypnotique, dont nous parlerons plus loin.</p> + +<p>Quant au danger que fait courir la prématuration +des fonctions sexuelles, c'est chose certaine que +tout usage de ces fonctions devient un abus, tant +que l'organisme n'a pas atteint son complet développement. +L'être humain ne devrait aborder l'acte +destiné à perpétuer la vie qu'à partir du moment +où il est, lui-même, en pleine possession de toute +sa vigueur physique. Jusqu'à ce moment, la continence +n'est pas préjudiciable. La question a été +étudiée à fond, et résolue dans le même sens par +les moralistes et par les hygiénistes. La continence +n'est presque pas pénible, elle ne le devient que +si des excitations factices ont éveillé de trop bonne +heure l'instinct sexuel. Elle est recommandable au +point de vue moral; elle entretient, chez le jeune +homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop développer, +«le respect de la femme»; et, à vrai dire, +c'est elle seule qui le met sûrement à l'abri des +contaminations vénériennes.</p> + +<p>Le grand public commence à connaître le péril +vénérien, et, surtout, à oser en parler. On ne saurait +croire combien l'ingénieuse trouvaille de +M. Brieux, qui a désigné sous le nom d'<i>avarie</i> la +plus redoutable des «maladies» vénériennes, la +syphilis, a fait faire de progrès à l'opinion publique. +Le mot, d'ailleurs, méritait de faire fortune; et +nous aimerions aussi voir employer le terme de +«petite avarie» pour désigner la blennorragie, +dont les méfaits sont plus considérables que ne le +croit le public, et même que ne le croient beaucoup +de médecins.</p> + +<p>Ce que le public ignore encore, c'est l'âge auquel +les jeunes gens sont le plus souvent contaminés. +Ainsi que l'a démontré le Dr Ed Fournier, c'est beaucoup +plus tôt qu'on ne se le figure généralement; +et non seulement à Paris, mais partout, ainsi que +le démontrent les statistiques de <i>toutes</i> les armées, +qui enregistrent beaucoup plus de «maladies» vénériennes +à la première année de service qu'aux +années ultérieures, parce que, parmi les malades +enregistrés à la première année, figurent tous ceux +qui étaient contaminés avant leur entrée au régiment.</p> + +<p>Nous ne saurions trop recommander à ce sujet +la lecture et la méditation de l'excellente brochure +du professeur A. Fournier: <i>Pour nos fils quand ils +auront dix-huit ans</i>. En quelques pages s'y trouvent +nettement indiquées, et sans aucune exagération, +la gravité du péril vénérien, la conduite à +tenir pour l'atténuer quand on est atteint, et pour +l'éviter. Cette brochure est bonne à lire, elle est +nécessaire et suffisante aux conférenciers qui veulent +répandre la vérité.</p> + +<p>Nous n'avons pas à insister ici sur les méfaits de +la syphilis. C'est toujours une «maladie» grave, quelquefois +elle est très grave, et cela dès les premiers +mois qui suivent son apparition. Elle se traduit +alors par les plus importants symptômes de la +déchéance organique, céphalée violente, anémie +aiguë, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile +de dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital +biologique un déchet énorme. Heureusement le +traitement mercuriel intensif est là pour réparer, +dans une certaine mesure, le désastre.</p> + +<p>D'autres fois, la syphilis amène chez le malade +de telles préoccupations morales qu'elle devient un +danger imminent. L'angoisse peut même conduire +au suicide. Il faut que le médecin et le père de +famille connaissent cette syphilophobie, pour rasséréner +la victime, dans la mesure nécessaire. Mais +dans tous les cas la syphilis, cause d'amoindrissement +énorme de la valeur du sujet, devra être +traitée énergiquement, dès le début et pendant un +temps prolongé,—au moins quatre ans,—par des +traitements successifs.</p> + +<p>Chez la jeune fille, la syphilis est également à +redouter. Nombre de jeunes filles de la classe +ouvrière connaissent tout ce qui est relatif aux +questions vénériennes; elles n'en ignorent que le +danger. C'est à leur usage que j'ai écrit naguère +une petite brochure intitulée: <i>Pour nos filles</i>. Les +services qu'elle est appelée à rendre ne sont pas +comparables à ceux que rendra sa soeur aînée, l'excellente +brochure du professeur Fournier; et si je la +mentionne, ce n'est certes point par une enfantine +vanité d'auteur: c'est que, de divers côtés, on m'a +affirmé qu'il était bon de la faire connaître.</p> + + + + + +<p>III—CAUSES MORBIGÈNES COMMUNES AUX DEUX SEXES.— +«MALADIES» ACCIDENTELLES</p> + +<p>C'est à dessein que nous plaçons ces observations +à la suite de l'étude consacrée aux jeunes +garçons, car les jeunes filles, entourées de soins à +l'âge qui nous occupe, ont relativement peu de +«maladies» accidentelles. Chez le jeune homme, au +contraire, plus ou moins mal surveillé, plus ou +moins surmené par un travail cérébral auquel son +cerveau n'est pas encore complètement adapté, ou +par le travail musculaire, pour lequel ses muscles, +encore en état de développement, ne sont pas suffisamment +préparés, la flore microbienne trouve un +excellent terrain de culture. Nous ne pouvons pas +passer en revue la pathologie de cet âge; faisons +seulement remarquer que la «maladie» accidentelle +ou bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat +définitif sur un organe quelconque (endocardite +du rhumatisme, etc.): mais il est très rare que, +à cette période de la vie, elle amène l'amoindrissement +prolongé ou définitif de la valeur +du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les +jeunes gens, l'affection aiguë aboutit à une +convalescence franche, sans ébranler l'organisme; +à cet âge, comme dans l'enfance, l'organisme +est doué d'une grande élasticité, et rebondit facilement.</p> + +<p>Exception doit être faite pour la tuberculose; +c'est, par excellence, la «maladie» de l'âge adulte. +Contractée, le plus souvent, dans la plus tendre +enfance, elle sommeille jusqu'au moment où les +mauvaises conditions de milieu, la misère physiologique, +le surmenage, mettent le terrain en état +de moindre résistance. De là son maximum de +fréquence de dix-huit à trente-cinq ans.</p> + +<p>De cette conception, qui n'est pas encore classique, +mais qui commence à pénétrer dans les +esprits, grâce aux travaux du professeur Grancher, +et à ceux de M. le médecin inspecteur Kelsch, sur la +tuberculose dans l'armée, découle la véritable prophylaxie +de la tuberculose. C'est en vain que l'on +dépenserait beaucoup d'argent pour fonder des +sanatoria; le sanatorium ne convient qu'aux riches. +C'est peut-être un bon instrument de cure: sûrement +ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas «ce +n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre +la tuberculose en tant que «maladie» sociale» (Grancher). +Voyez, en effet, ce qu'il faudrait pour qu'un +sanatorium populaire donnât un rendement social +appréciable! Il faudrait: 1° à l'entrée du sanatorium, +un dispensaire de dépistage pour ouvrir la porte +aux seuls malades légèrement atteints; 2° pendant +le séjour du malade au sanatorium, une oeuvre de +secours pour sa femme et ses enfants; 3° à la +sortie du sanatorium, la double ration de repos et +la demi-ration de travail pendant un temps presque +illimité! Le Congrès de la tuberculose de 1905 +a d'ailleurs sonné le glas sur les sanatoria +populaires, et les médecins de tous les pays, dans +une heure de sens commun et de clarté, ont voté +la même formule: «En fait de tuberculose, la +préservation domine l'assistance.» Nous serons +moins sévères dans notre appréciation des dispensaires: +ils peuvent rendre quelques services pour +l'éducation populaire; mais les véritables oeuvres +de l'avenir, on ne saurait trop le répéter, sont les +oeuvres de préservation, celles qui arrachent un +enfant sain d'un milieu contaminé; ce sont les +oeuvres d'hôpitaux marins, pour les enfants atteints +de tuberculose locale et non contagieuse; ce sont +les colonies de vacances, etc. Ce sont, surtout, les +diverses oeuvres sociales luttant contre la misère: +car la misère est le grand, le plus grand facteur +de la tuberculose.</p> + +<br><br><br> + +<h3>DEUXIÈME PARTIE</h3> + +<br><br> + + +<h4>CHAPITRE I</h4> + + +<h4>MATURITÉ</h4> + +<p>Voici l'homme arrivé à l'âge adulte; il est en pleine +possession de tous ses moyens, son capital a été +progressivement amélioré et lui rapporte de gros +intérêts; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le +faire valoir, d'obtenir de lui son rendement +maximum.</p> + +<p>L'ère des ménagements est passée, il faut à tout +prix que l'homme travaille et produise. On l'alimentera +en conséquence: la dépense étant considérable, +il faudra que l'aliment soit réparateur. Le +point essentiel est de ne pas dépasser la dose des +dépenses, d'utiliser le capital, mais non de l'amoindrir, +de chauffer la machine, sinon à blanc, du +moins à la température maxima tolérée, pour ne +pas l'user trop vite, et surtout pour ne pas la faire +éclater. Il faut, en somme, que l'homme produise; +et, à s'écouter vivre avec trop de prudence, il ne +ferait que s'empêcher de mourir. Bien plus; de +même qu'un capitaliste avisé, quand il possède +beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce +qu'on appelle de la «surface», n'a pas peur, de temps +à autre, de risquer une somme raisonnable dans +une affaire qui n'est pas de tout repos; de même +l'homme bien portant, à capital solide, ne doit pas +craindre, à certains moments, de se dépenser un +peu plus que ne l'exigerait la sage hygiène, à la +condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni +trop prolongé, et qu'une période de repos succède +à cette période de travail intensif. (De là la +nécessité des vacances et du repos hebdomadaire).</p> + +<p>Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous +croyons qu'il est bon que l'homme actif, intelligent, +bien portant, donne de temps à autre ce +qu'on appelle un «coup de collier», quitte à +réparer sa dépense excessive par un repos plus ou +moins prolongé, mais quel est le critérium? à +quel signe reconnaîtrez-vous que l'homme n'a pas +dépassé la mesure de ses forces, et qu'il ne court +pas à la banqueroute?</p> + +<p>Le principe général est qu'il faut arriver aux confins +de la fatigue, mais ne jamais atteindre la +fatigue douloureuse. Quand il s'agit de travail +musculaire, le critérium est relativement facile à +trouver. On est averti qu'on a dépassé la mesure +de ses forces par deux symptômes caractéristiques: +la diminution d'appétit et la diminution de +sommeil.</p> + +<p>Cette donnée pourrait même rendre de grands +services aux chefs militaires, dont l'idéal, très +légitime, est de faire produire à la machine +humaine son maximum de rendement, sans épuiser +cependant les forces des soldats. Malheureusement, +quelques-uns d'entre eux confondent l'entraînement +et l'épuisement; ils arrivent à avoir +des troupes qui n'ont pas de valeur réelle, tout en +ayant les apparences de la force. Ces troupes, qui +se sont présentées sous le plus bel aspect à des +manoeuvres de quelques jours, seraient incapables +d'entrer en campagne et de supporter des fatigues +prolongées. Si les chefs de corps avaient eu la +précaution de s'enquérir de la façon dont les +soldats mangent, ou de <i>voir</i>, après une marche +prolongée, comment ils mangent, de surveiller de +temps à autre le tonneau des eaux grasses, qui +recueille tous les restes des repas, ils auraient vu +que le travail excessif se traduit par une baisse +dans l'appétit. S'ils passaient, le soir, dans les +chambrées, d'une façon inopinée, ils verraient qu'à +la suite de fatigues excessives les hommes ne +dorment pas bien. Et rien ne les empêcherait, d'ailleurs, +de prendre parfois l'avis de leurs médecins.</p> + +<p>Nous ne dissimulons pas la difficulté du problème, +d'autant que, chez l'homme qui a subi un +entraînement méthodique, la sensation de <i>fatigue</i> +disparaît; l'homme entraîné ne connaît pas la +fatigue. L'épuisement, chez lui, se traduit exclusivement +par la diminution du poids, de l'appétit +et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire +en particulier, par l'apparition des «maladies» +dites accidentelles.</p> + +<p>Et si le problème est difficile tant qu'il ne s'agit +que de dépenses musculaires, il devient plus complexe +encore quand il s'agit de dépenses cérébrales. +Voici un commerçant obligé de brasser de grosses +affaires. Il est réveillé, le matin, par le téléphone +voisin de son lit; pendant toute la journée, il n'a pas +un quart d'heure de tranquillité; il sent peser sur lui +des responsabilités écrasantes; sa vie n'est qu'une +série d'inquiétudes. Qu'à ce surmenage incessant +viennent s'ajouter des chagrins de famille, etc., +voici notre homme qui, tout d'un coup, tombe dans la +«maladie». Le moindre prétexte suffit pour amener +le déclanchement: c'est une émotion un peu violente, +c'est une perte d'argent, c'est une «maladie» +infectieuse plus ou moins légère, qui ouvre la +brèche, et voilà la «maladie» installée!</p> + +<p>Cet homme aurait-il pu éviter le cataclysme? +A-t-il eu, depuis dix ans qu'il surmène son cerveau, +un avertissement quelconque lui indiquant qu'il +dépasse les limites de son élasticité, et qu'il puise à +pleines mains dans un capital insuffisamment réparé +chaque jour? Oui, le plus souvent! C'est, par +exemple, un vertige qui est apparu, à un moment +donné. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on +pourrait appeler «un avertissement sans frais», +il aurait immédiatement diminué le travail, ou +même l'aurait suspendu pendant quelques jours. +Mais il n'en a pas tenu compte, il a pensé que <i>ça +passerait</i>. D'autres fois, c'est une sorte d'endolorissement +de la tête, non pas passager, mais permanent, +qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements +de l'oreille gauche. (Cette prédominance +des bourdonnements à gauche, de la diminution de +l'acuité auditive à gauche, se rencontre à toutes les +phases de la «maladie».) D'autres fois encore, c'est +une sorte de sensation de fatigue permanente, +exagérée surtout le matin, avec diminution d'appétit, +constipation, autrement dit avec les petits +symptômes de la grande «maladie». Il est tout à fait +exceptionnel que le krach se produise sans de tels +phénomènes prémonitoires. Cela arrive, cependant, +et c'est chez les natures les plus admirablement +douées en apparence.</p> + +<p>Quand le sujet est soumis à un surmenage intellectuel +et musculaire à la fois, il réalise les conditions +les plus parfaites pour arriver à l'épuisement +rapide; aussi ne saurait-on protester trop énergiquement +contre le préjugé des gens du monde, qui +se figurent que l'exercice musculaire repose du travail +cérébral, et que le surmené cérébral doit, pour +bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, +de la marche forcée, à ses moments disponibles. C'est +là une erreur énorme dont la pédagogie commence +à faire justice. Certes il est des hommes, admirablement +doués, qui peuvent supporter une dépense +considérable à la fois au point de vue musculaire +et au point de vue cérébral: mais ce qu'il faut bien +se rappeler, c'est que, dès que surviennent les premiers +symptômes du surmenage, on doit aussitôt +réduire la dépense totale, et la dépense musculaire +en particulier; à ce prix seulement on aura chance +d'échapper aux griffes, toujours prêtes à s'abattre +sur nous, de la «maladie».</p> + +<h4>CHAPITRE II</h4> + + +<h4>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»</h4> + +<p>Plusieurs fois déjà, dans le cours de ce travail, +j'ai eu l'occasion de parler de la «maladie», sans +préciser le sens exact que je donnais à ce mot. Mais +le moment est venu de tenter, sinon une définition +scientifique de la «maladie»,—définition aussi +impossible que celles, par exemple, de la richesse, +de la vertu, ou de la beauté,—tout au moins une +explication sommaire de ce qu'est, à mes yeux, cette +chose indéfinissable; des principaux caractères qui +lui sont propres; et des traits qui la distinguent de +ces manifestations pathologiques bien déterminées +que l'on appelle communément les «maladies», et +que j'appellerais volontiers des «accidents», par +opposition à la nature plus générale, plus profonde, +et infiniment plus complexe, de la «maladie».</p> + +<p>Voici quatre personnes qui, dans une même +après-midi, se présentent à ma consultation. Ce +sont quatre malades: il ne faut pas être grand clerc +pour l'affirmer <i>a priori</i>. Mais voyons ce que nous +enseignera l'étude détaillée, et surtout réfléchie, de +chacune de ces quatre personnes, qui paraissent se +ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une +avec l'autre absolument rien de commun. L'une +est grande et forte, l'autre petite et malingre; l'une +est obèse, l'autre d'une maigreur inquiétante. Les +souffrances que chacune accuse sont tout à fait différentes, +de l'une à l'autre; les causes qui ont paru +engendrer ces souffrances semblent opposées: chez +l'une l'excès de fatigue, chez une autre l'excès d'oisiveté, +etc.</p> + +<p>Essayons à présent d'approfondir un peu notre +investigation. Ah! ce n'est pas un mince travail +que d'étudier un malade, de fouiller son hérédité, +de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire +même de sa conception, de noter tous les incidents +pathologiques de son enfance, de sa jeunesse, de +son adolescence, d'apprécier son degré de santé +pendant les périodes qui ont séparé ces divers incidents, +de se reconnaître au milieu du luxe de +détails avec lequel il décrit ses misères, en un +mot de reconstituer à la fois le bilan complet de +son état présent et le tableau du chemin qu'il a suivi +pour y parvenir. Mais cette étude méticuleuse est +nécessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, +pas de traitement rationnel; d'elle seule pourra +résulter la connaissance véritable du malade, c'est-à-dire +l'appréciation de ce qu'il vaut, du point +précis où il en est dans son évolution. Et j'ajoute +que ce n'est que lorsqu'on a étudié ainsi des centaines +et des centaines de malades que l'on commence +à avoir une idée nette de ce que c'est que +la «maladie».</p> + +<p>Voici donc une première malade, que je connais +depuis cinq ans. C'est une femme de trente-deux +ans, dont on devine dès le premier abord la vivacité +d'intelligence, et avec laquelle le médecin +comprend tout de suite,—à sa grande satisfaction,—qu'il +va pouvoir causer utilement.</p> + +<p>L'enquête m'apprend qu'elle a eu un capital +initial excellent: un grand-père paternel mort à +soixante-quinze ans, asthmatique, la grand'mère +paternelle morte à quatre-vingt-quatre ans. Du côté +de l'hérédité maternelle, il n'y a pas non plus de +tares transmissibles: le grand-père mort à soixante-quinze +ans, la grand'mère vivant encore à quatre-vingt-deux +ans. Il est vrai que l'hérédité directe est +peut-être un peu moins parfaite. Le père de +Mme X... est mort à cinquante-deux ans, d'une affection +cérébrale, après avoir toujours été très nerveux. +La mère, d'autre part, un peu délicate, continue à +se bien porter, à la condition de s'écouter vivre.</p> + +<p>Ce capital initial a été bien géré pendant les +premières années de la vie. Nourrie au sein, +Mme X... a pu supporter sans dommage appréciable +divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, +la varicelle. A huit ans, cependant, s'est produit un +épisode plus important: une jaunisse, qui a duré +un mois, et qui semble indiquer que le système +digestif était, chez cette malade, le point faible. Un +médecin avisé, qui l'aurait suivie de près depuis +lors, n'aurait pas manqué de remarquer qu'elle +était, si l'on peut dire, une candidate à la dyspepsie.</p> + +<p>Toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, Mme X... +n'eut aucun phénomène grave, d'origine stomacale +ou intestinale: mais elle avait de petits symptômes, +un manque d'appétit entremêlé de fringales, de la +constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, +ces petits symptômes ont passé inaperçus. L'enfant +a été soumise, dans un couvent, à l'alimentation +des autres pensionnaires; elle a mangé vite, par +conséquent mangé mal; bref, rien n'a été fait pour +mettre en bon état son système nerveux abdominal, +qui, sans protestations graves, fonctionnait +déjà d'une façon défectueuse.</p> + +<p>De onze à vingt-six ans, c'était le système nerveux +cérébral qui, seul, paraissait défectueux. Dès +l'âge de onze ans, elle avait des tristesses vagues, +des idées de mort, qui ne firent que s'accentuer.</p> + +<p>A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait +cet état de mélancolie. D'un caractère inégal, +la jeune fille ne travaillait qu'à sa guise, acceptant +péniblement toute discipline.</p> + +<p>A dix-huit ans, la mort de son père lui causa un +violent chagrin; et cet assaut ébranla si fortement +son système nerveux que, six semaines après, sans +cause connue, sans refroidissement préalable, elle +dut garder le lit pendant un mois, pour une «maladie» +qualifiée «rhumatisme mono-articulaire», mais +avec prédominance de symptômes nerveux graves +(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se +remit vraiment de cette crise qu'un an après, +lorsque des projets de mariage opérèrent en elle +une sorte de dérivation.</p> + +<p>Mariée à dix-neuf ans, elle ne tarda pas à +retomber dans le même état nerveux, auquel se +joignirent des phénomènes névralgiques (névralgie +lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, +et l'immobilisant pendant quelques heures. +Puis vinrent des crises de nerfs, le plus souvent +nocturnes, avec angoisses précordiales terribles, +peur de toutes les «maladies», etc...</p> + +<p>C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; +et, pendant la grossesse, elle se porta admirablement. +Mais, aussitôt après sa délivrance, l'estomac, +qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que par +des phénomènes insignifiants, entra définitivement +en scène: perte absolue d'appétit, crampes, gastralgie. +Puis, l'année suivante, ce fut le tour de +l'intestin: diarrhées fréquentes, incoercibles, bientôt +apparition de selles noires, survenant trois à quatre +fois par jour avec fortes coliques, et qui durèrent +quatre mois. A la fin de cette période, l'état général +était des plus mauvais, et la vie semblait vraiment +compromise.</p> + +<p>Heureusement une année passée dans l'isolement, +et suivie d'une cure dans un sanatorium de +Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis +la malade pour la première fois, un an après son +retour de Suisse, voici les principales constatations +que je pus faire:</p> + +<p>Céphalée permanente,—picotement des yeux,—sciatique +gauche survenant au moment des +règles,—inquiétudes vagues,—peur de mourir +subitement,—trois heures à peine de sommeil +dans les meilleures nuits. L'estomac et l'intestin +laissaient également à désirer: appétit nul, alternatives +de diarrhée et de constipation.</p> + +<p>L'examen des organes me démontra qu'il n'y +avait rien à la poitrine, mais qu'au coeur existait +un souffle, au premier temps, à la base, perceptible +seulement dans la position horizontale; ventre +plat, peu élastique, sonorité basse et égale. La +malade, qui pesait 50 kilogrammes à dix-huit ans, +n'en pesait plus que 46.</p> + +<p>Voilà donc une jeune femme qui a toutes les +apparences extérieures d'une personne très souffrante, +et dont la vie est empoisonnée par une +série ininterrompue de misères variées. Et cependant +l'histoire même de ces misères prouve qu'il +n'y a point chez elle d'organe particulièrement +atteint, et que le capital biologique est, au fond, +moins mauvais qu'il ne paraît l'être. Mon premier +soin fut de la rassurer, notamment sur l'état de son +coeur, sur lequel un confrère un peu imprudent l'avait +fort inquiétée. Je m'efforçai ensuite de lui refaire +un estomac, par un régime sévère, puis de plus +en plus large. Je dirigeai son hygiène musculaire, +intellectuelle et morale. Et ainsi, après deux ans +où je m'étais borné, en somme, à faciliter le retour +à l'équilibre du système nerveux, Mme X... se vit +délivrée de la plupart de ses maux, et ramenée +enfin à une vie des plus supportables.</p> + +<p>Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on +Elle avait, sous une forme spéciale, ou plutôt sous +plusieurs formes, ce que j'appelle la «maladie». +Sous toutes ces misères, c'était le système nerveux +qui, chez elle, fléchissait. Tout son système nerveux +était malade, et chacun de ses centres, tour +à tour, avait accusé le contre-coup de la dépréciation +de l'ensemble. Au moment où j'ai vu la malade, +le centre le plus atteint était celui qui préside aux +fonctions digestives; mais, si je m'étais limité à ne +soigner que celui-là, toute ma peine aurait risqué +d'être perdue. Il fallait, derrière les symptômes +locaux, atteindre le trouble général; il fallait +dépasser les incidents pour parer à la «maladie».</p> + +<p>Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez +qui les manifestations morbides n'ont certainement +rien de commun avec celles que je viens de +signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui, +lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait +progressivement maigri, en six mois, de 50 à 41 kilogrammes, +sans autre cause connaissable que certaines +influences morales. Elle ne se plaignait de +rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle +l'était, puisqu'elle maigrissait sans cesse, puisqu'elle +avait le teint terreux et la peau rugueuse, puisque +ses règles étaient supprimées depuis un an. Pas +de lésions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: +mais toute l'apparence d'une grande malade.</p> + +<p>Pourtant, après un examen plus approfondi, +j'augurai bien de l'avenir, parce que le capital +initial était assez bon, parce que Mlle T... n'avait +pas eu de graves assauts dans son enfance, +enfin parce qu'elle était jeune, et malade depuis +peu de temps. Et le fait est qu'un traitement très +simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par +jour, puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord +sans viande, puis avec un plat de viande à midi, +et 30 injections de cacodylate de magnésie), amena +un résultat extraordinaire: réapparition des règles, +augmentation du poids, disparition de la rugosité +cutanée, relèvement de l'appétit, etc.</p> + +<p>C'est que cette malade, qui ne présentait aucun +trouble nerveux, n'en était pas moins une «nerveuse». +Toutes ses misères ne venaient, comme +chez Mme X..., que d'un ébranlement du système +nerveux; quand ce système se trouva modifié, par +le repos, le régime et la psychothérapie, la malade +guérit.</p> + +<p>Elle revint alors dans son pays; six mois après, +elle allait très bien, mangeant de tout, pesant +58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois +plus tard, elle perd sa mère. De nouveau le chagrin +la mine sourdement; elle redevient «malade», +maigrit jusqu'à 37 kilogrammes, toujours sans +accuser la moindre douleur, et sans ressentir +aucune souffrance. Un jour, le 25 décembre 1903, +elle est tellement épuisée qu'elle a une syncope +grave, et que son entourage est convaincu qu'elle +va mourir. J'avoue que moi-même, quand je la vis +alors avec le Dr C..., je fus épouvanté, malgré la +bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique. +C'était littéralement un squelette (34 kil.), elle +n'avait plus qu'un souffle de vie.</p> + +<p>Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? +En juin 1904, elle fit une pleuro-pneumonie. Deux +mois après, dès qu'elle fut transportable, elle +voulut venir à Paris, et se soumit, pendant trois +mois, aux injections d'huile créosotée. En octobre +1904, elle avait définitivement retrouvé sa santé.</p> + +<p>Comment douter que toutes les souffrances de +cette jeune fille aient été surtout d'origine nerveuse? +Et cependant voilà un cas où la perturbation +du système nerveux central s'est traduite par +des phénomènes qui n'avaient rien de ce que les +neurologistes constatent d'ordinaire. Et c'est bien +le système nerveux cérébral qui était en cause, +chez cette malade: car ses deux grandes crises +morbides n'ont absolument pas eu d'autre cause +que le chagrin. Mlle T... était une névrosée sans +manifestations nerveuses. Tout à fait comme +Mme X..., malgré la dissemblance des symptômes, +c'était une «malade», c'est-à-dire une personne +dont le capital nerveux s'était trouvé entamé.</p> + +<p>Dans l'exemple suivant, la «maladie» s'est traduite +par des phénomènes cardiaques. Chaque fois +qu'il y a eu chez le malade une défaillance du système +nerveux, c'est le coeur qui a cessé de fonctionner +normalement, à tel point que tous les +médecins qui ne connaissaient pas M. Z... le traitaient +infailliblement par la digitale et la caféine.</p> + +<p>En réalité, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni même +un faux cardiaque: c'est simplement un «malade» +chez qui le système nerveux qui préside aux mouvements +du coeur est plus spécialement impressionnable.</p> + +<p>Depuis l'âge de vingt et un ans, à la suite d'un +rhumatisme (sans endocardite), chaque fois qu'il y +a eu un assaut quelconque dans la santé du malade, +le coeur a aussitôt protesté. En 1886, à la suite +d'une bronchite grippale, je constatai, pour la +première fois, de l'arythmie, et un souffle au +2e temps, à la base du coeur. Depuis lors, ce souffle +persiste, mais avec une telle inégalité que, parfois, +il est imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est +d'une netteté extrême: si bien que plusieurs médecins +ont affirmé une lésion de la valvule de l'aorte.</p> + +<p>Or, je le répète, il n'y a pas de lésions: M. Z. +n'a jamais de pouls bondissant, et de nombreux +tracés de pouls, pris par le Dr Lagrange, démontrent +qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand +M. Z... va bien, son coeur va bien: quand il va +mal, quand il se surmène, ou éprouve une émotion +vive, son coeur se fâche, et traduit son malaise +par les manifestations les plus variées: syncopes, +arythmie, fausses angines de poitrine.</p> + +<p>M. Z... est un de ces hommes qui sont faits +pour le travail intensif: chez lui, quelle que +soit l'énormité du travail, il n'y a jamais de +surmenage cérébral; mais c'est un <i>sensitif</i>, que +le surmenage émotionnel guette à tout instant. +En 1898, à la suite d'émotions vives, tout son +système nerveux entre en révolte: le système +digestif (dyspepsie, constipation, etc.), le système +nerveux central (insomnie absolue, tristesse, pâleur +insolite, épuisement des forces). En même temps +la glycosurie fait son apparition (10 grammes de +sucre par litre). Enfin les troubles du coeur atteignent +une intensité extrême et défient tous les +traitements classiques (digitale, spartéine, bromures, +etc.).</p> + +<p>Désirant me voir avant de mourir, le malade me +fit appeler le 28 avril 1898, et me raconta les soucis +qui l'avaient accablé. Ces soucis étaient, sans +aucun doute, l'unique cause de la «maladie»: une +psychothérapie prolongée, et accompagnée d'un +régime alimentaire très modéré, réussit parfaitement +à remettre le malade sur pied. Les deux +années qui suivirent furent même excellentes.</p> + +<p>En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le +trouble cardiaque, avec même, cette fois, un pouls +bi-géminé. Mais une saison à Vichy, sous la direction +du Dr Lagrange, produit un très bon résultat. +En 1903, ni le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons +plus le souffle coutumier.</p> + +<p>Mais voici qu'en 1904, à la suite d'une nouvelle +émotion, reparaissent l'arythmie, le souffle, la glycosurie: +de nouveau, une saison à Vichy supprime +tout cela.</p> + +<p>En avril 1905, enfin, à la suite de nouvelles +contrariétés, l'ébranlement du système nerveux se +traduit par un lumbago, mais surtout par une +anesthésie de la main et de la joue droites, qui +effraie beaucoup le malade. Je le rassure encore, +je le renvoie à Vichy, d'où il revient en parfait +état, toujours jeune, malgré ses cinquante-deux ans, +toujours avec une activité dévorante.</p> + +<p>C'est que ce prétendu cardiaque, comme les deux +malades précédents, est simplement un «malade», +avec cette particularité que c'est sur le coeur que +se portent de préférence, chez lui, les plus importantes +manifestations de la «maladie».</p> + +<p>Dans les trois observations que je viens de citer, +c'était tel ou tel département du système nerveux +qui manifestait plus spécialement les souffrances de +l'être entier, et les périodes de malaise étaient séparées +par des périodes de santé, tout au moins relative. +Voici maintenant un cas où tous les éléments +du système nerveux sont tellement excités que la +«maladie» revêt les formes les plus diverses, et sans +qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de rémission, +depuis l'époque où le système nerveux a été +ébranlé,—c'est-à-dire depuis l'âge de huit ans,—jusqu'à +l'âge de la cessation des règles. La malade +dont je vais parler a été vraiment, pendant plus de +trente ans, un parfait musée pathologique. Mais, +malgré mille misères qui se succédaient chez elle +comme les figures d'un kaléidoscope, je n'ai jamais +désespéré de sa survie, ni de sa guérison, à cause +même de la mobilité et de la variété des manifestations +morbides, étant donné, d'autre part, l'intégrité +des organes.</p> + +<p>La «maladie» de cette personne a commencé à +huit ans, à la suite d'une fièvre typhoïde grave. +Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par des +migraines très intenses et très fréquentes; mais +dès l'apparition des règles, aux migraines se sont +jointes des douleurs d'estomac et de la constipation. +Vers l'âge de trente ans, le système nerveux cérébral +a manifesté son trouble par des vertiges, bourdonnements +d'oreilles, etc. Deux ans après, c'est le +tour de la moelle: douleurs rhumatismales et +névralgies erratiques. Vers l'âge de trente-trois +ans, le système nerveux cardiaque donne sa note +dans le concert: syncopes qui durent de dix +minutes à une demi-heure, avec perte complète de +connaissance.</p> + +<p>En octobre 1889, une crise gastralgique survient, +qui se prolonge pendant trois jours consécutifs. +L'année suivante, c'est une douleur intercostale +gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs +jours; mais, par contre, la tête est redevenue parfaitement +libre, les vertiges, la céphalée, ont disparu. +En 1893, apparaît une dermalgie qui occupe +les deux bras. Puis voici que la fièvre survient: +la malade a jusqu'à 40°, sans cause connue, à +l'époque de ses règles. En 1895, se produit un état +de péritonisme,—avec douleurs très vives dans +l'estomac et le foie, urines acajou chargées d'urobiline,—qui +semble mettre la vie en danger. +Mais la malade sort de cette épreuve; et, pendant +les dix mois qui suivent, elle maigrit, très heureusement, +de 93 à 87 kilogrammes.</p> + +<p>L'année suivante fut très bonne. Le sommeil +revint, l'estomac rentra dans l'ordre, la malade +put croire que ses misères allaient prendre fin. +Mais voici que, en 1897, à la suite d'un coup de +froid l'intestin à son tour se met de la partie: +fausses membranes dans les selles, coliques, diarrhée +et faux besoins d'exonération extrêmement +pénibles. L'appendice même paraît touché: il y a +une douleur très nette au point de Mac Burney. Un +autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncées, +selles décolorées, fièvre; mais la menace ne +persiste que quatre jours. En 1900, ulcère de l'estomac, +vomissements noirs. La même année, je note +une sorte d'inhibition du fonctionnement de la +jambe droite, qui, à un moment donné, deux ou +trois fois par mois, refuse tout service, au point +que la malade tombe brusquement. Enfin, cette +même année, se déclare un oedème des jambes, disparaissant +après la marche;—c'est là un phénomène +que j'ai souvent observé chez les «malades» +dits <i>arthritiques</i>.</p> + +<p>Cet état lamentable s'est prolongé jusqu'en 1904; +la malade était, suivant son expression, un «faisceau +de douleurs», mais elle avait un excellent +moral, et restait sûre qu'un jour ou l'autre elle +reviendrait à la santé. Or, le fait est que, depuis la +fin de 1904, en même temps que disparaissaient +ses règles, l'état général s'améliorait d'une façon +surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guérie, +définitivement délivrée de toutes ses misères, +promène joyeusement ses 105 kilogrammes et se +déclare enchantée de vivre.</p> + +<p>C'est que, même dans ses épreuves les plus douloureuses, +même quand elle présentait les symptômes +les plus inquiétants, cette personne n'était +ni une hépatique, ni une médullaire, ni une cérébrale, +ni une gastrique, ni une cardiaque, mais simplement +une «malade» à manifestations cérébrales, +médullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant +les longues années où je lui ai donné des soins, +toute ma thérapeutique n'a consisté qu'à essayer +de dynamiser son système nerveux, et de le +dynamiser tout entier, sans presque chercher à +atteindre, en particulier, tel ou tel de ses centres +qui semblait, provisoirement, le plus ébranlé. J'ai +eu le bonheur de deviner que cette personne +avait les apparences de trop de «maladies» pour en +avoir la réalité; et, de fait, quand son système +nerveux a retrouvé l'équilibre, la guérison de la +véritable «maladie» a aussitôt amené la guérison +de toutes les pseudo-affections qui n'en étaient que +le contre-coup.</p> + +<p>Le trouble du système nerveux central peut +encore se traduire par les symptômes qui caractérisent, +de la façon la plus formelle, des «maladies» +organiques. J'ai parlé déjà, plus haut, de ce +malade qui avait toutes les apparences d'une lésion +du coeur, sans avoir le coeur lésé. On sait que, +par ailleurs, ce qu'on appelle l'hystérie simule les +«maladies» organiques les plus variées. Les hystériques +peuvent présenter les symptômes de la +méningite, de la grossesse, voire même des «maladies» +les plus graves de la moelle épinière. Ainsi j'ai vu +un jeune soldat qui offrait tous les signes de la sclérose +en plaques. Après trois mois d'examen, on a +fini par le réformer; or, ce n'était qu'un hystérique. +Non pas que ce jeune homme ait été un simulateur: +car on ne simule pas les symptômes de la sclérose +en plaques!</p> + +<p>Et quand je dis que ce n'était qu'un hystérique, +j'exprime mal ma pensée. En réalité, c'était un +«malade». Je l'ai suivi pendant longtemps, après +son départ du régiment. Une fois réformé, il n'eut +plus le moindre phénomène médullaire; mais il +eut de la dyspepsie, et j'ai su que, dans son enfance, +il avait eu d'autres manifestations de ce que j'appelle +la «maladie». Ce n'est qu'à une phase déterminée +de sa vie, quand il s'est agi pour lui de faire +son service militaire, que la «maladie» s'est traduite, +pendant quelques mois, par ces troubles de +l'axe cérébro-spinal qu'on est convenu d'appeler +hystérie.</p> + +<p>Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux +que j'ai cités suffiront, je crois, à donner une +idée de ce que j'entends, à proprement parler, par la +«maladie». D'une façon générale, je veux dire +que la «maladie» embrasse tout le domaine pathologique +qui n'appartient pas à ce qu'on pourrait +appeler les «accidents»—accidents qui vont +depuis les fractures et les intoxications jusqu'à +des lésions d'organes (cancer, hémorragies cérébrales, +etc.), en passant par toute la série des +affections à microbes, connus et inconnus.—Au-dessous +de ces «accidents» s'étend une série indéfinie +de troubles pouvant revêtir toutes les formes +et donner même l'illusion de toutes les «maladies» +organiques, mais qui, en réalité, ne sont tous que +d'origine nerveuse (en donnant à ce mot toute +l'extension qu'il comporte), ainsi que cela apparaît +clairement pour peu que l'on considère leurs causes, +leur marche et leur terminaison. Dans la «maladie» +rentrent donc toutes les névroses; la folie quand +elle n'est pas produite par des lésions du cerveau, +l'hystérie, l'épilepsie dite idiopathique, la neurasthénie, +les algies, tous les troubles fonctionnels des +divers organes, <i>tant que ces troubles fonctionnels +n'ont pas amené de lésion des organes</i>.</p> + +<p>Les médecins voient quotidiennement la «maladie» +sous une de ses formes préférées. C'est la +forme gastrique, qu'on désigne vulgairement sous le +nom d'«embarras gastrique», synonyme d'embarras +de diagnostic. Dans cette affection, il ne +faut pas croire que le système nerveux soit indemne; +les malades éprouvent de la céphalée, des vertiges, +souvent des bourdonnements d'oreille, un état de +fatigue générale du système musculaire, de l'insomnie, +de la difficulté pour lire, pour supporter une +conversation; ils ne souhaitent que le repos et +la tranquillité. Si on les leur accordait, si une +médication perturbatrice n'intervenait pas, si on +graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait, +en général, aucune complication; et après +quinze jours, un mois, ils reviendraient peu à peu +à la santé<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6"><sup>6</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" name="footnote6"></a><b>Note 6:</b><a href="#footnotetag6"> (retour) </a> La guérison, souvent, s'annonce chez eux par une crise urinaire. +Les urines, qui avaient été très uraliques, quelquefois +même urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour à l'autre, +claires et abondantes. En même temps la température tombe, +pendant deux ou trois jours, au-dessous de la normale, le sommeil +reparaît, l'appétit également, et tout rentre dans l'ordre.</blockquote> + +<p>Dans d'autres cas, la «maladie» évolue sur le +mode chronique; et c'est pendant des mois et des +années que l'on voit tout le système organique +compromis dans son fonctionnement. Le système +nerveux, l'estomac, l'intestin, laissent à désirer +d'une façon à peu près égale. C'est chez ces grands +malades qu'on est en droit de se demander si c'est +le cerveau qui tient sous sa dépendance les troubles +nerveux de l'estomac ou de l'intestin, ou si c'est +l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle manière +de voir, on adopte telle ou telle thérapeutique +exclusive: on s'acharne à remédier aux troubles +du système nerveux, en négligeant les troubles +digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a +tort. Pour faire de la bonne thérapeutique, il faut +<i>à la fois</i> soigner le cerveau, l'estomac, l'intestin, +la moelle, le malade entier, en un mot, tout en +recherchant, si possible, quel est le système le +plus compromis et dont le fonctionnement laisse le +plus à désirer.</p> + +<p>C'est de la «maladie» ainsi comprise que je voudrais, +maintenant, rechercher les causes les plus +habituelles, avant d'en indiquer, dans ses grandes +lignes, le mode de traitement: traitement qui doit +être toujours <i>général</i>, puisque toujours la «maladie», +même quand elle ne se traduit que par des +troubles locaux, est, par son essence, d'ordre +général.</p> + +<p>Quant au traitement particulier des «maladies» +accidentelles, il va sans dire que je n'aurai pas à +m'en préoccuper dans ce travail.</p> + +<h4>CHAPITRE III</h4> + + +<h4>LES CAUSES DE LA «MALADIE»</h4> + +<p>I.—CAUSES PHYSIQUES</p> + +<p>Je ne saurais songer à suivre l'homme à travers +toutes les circonstances de sa vie qui compromettent +sa valeur, soit momentanément, soit d'une +façon définitive et irrémédiable. Elles varient à +l'infini; l'homme heureux seul n'a pas d'histoire, et +l'homme heureux est un être de raison, qui n'existe +pas dans la réalité.</p> + +<p>Mais, d'une façon générale, je puis faire remarquer +que ce n'est pas le surmenage cérébral, ni le +surmenage musculaire, ni même les vices d'alimentation, +le défaut de confort, l'aération insuffisante, +etc., qui constituent les grands facteurs de +la «maladie»: c'est le surmenage émotionnel, c'est le +chagrin,—l'influence psychique, en un mot.</p> + +<p>Cependant les autres influences morbigènes +méritent une mention détaillée. Je les rapporterai +aux trois chefs suivants:</p> + +<p>I. Surmenage cérébral.</p> + +<p>II. Surmenage musculaire.</p> + +<p>III. Alimentation défectueuse ou insuffisante.</p> + +<p>1° <i>Surmenage cérébral</i>.—Le cerveau est fait +pour fonctionner, comme le coeur est fait pour +battre; et il est bien rare que le travail cérébral, à +lui seul, si excessif qu'il puisse paraître, soit une +cause de détérioration profonde, et surtout de +déchéance définitive. C'est bien plutôt un élément +de survie prolongée.—Voyez cet écrivain qui, à +l'âge de soixante-dix-huit ans, continue à étonner +le monde par les productions de son génie; il n'a +jamais cessé de travailler, et il a pu faire les frais, +à soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, à cet +âge, est presque toujours fatale. Quel est donc son +secret? Son secret, c'est de n'avoir aucune préoccupation +étrangère à son travail; c'est d'avoir une +femme qui pense pour lui à tous les détails de la +vie; c'est d'avoir une excellente hygiène morale, +la paix du coeur et de l'esprit.</p> + +<p>Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail +cérébral insuffisant, et tout le monde sait que +les désoeuvrés sont bien à plaindre. Ce sont des +coupables, puisqu'ils n'apportent pas à l'oeuvre +sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils +lui doivent; mais ce sont aussi des malheureux, +car la «maladie» les guette. Le désoeuvré accidentel +lui-même, habitué à un travail cérébral considérable, +s'il est condamné trop longtemps au repos +de l'esprit, sent qu'il lui manque quelque chose: il +perd son bon sommeil coutumier, et a hâte de +reprendre le travail cérébral, qui lui est aussi nécessaire +que l'air respirable.</p> + +<p>Quand, cependant, le travail cérébral est poussé +à une limite véritablement excessive, il amène aussi +ce que nous avons appelé la «maladie», c'est-à-dire +la détérioration, quelquefois définitive ou prolongée +pendant des années. On en voit des exemples +chez les candidats aux écoles, à l'internat, à +l'agrégation, etc. On serait porté à croire, <i>a priori</i>, +que, dans ces cas, la «maladie» atteint l'organe +surmené; c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, +même quand elle est de cause cérébrale, elle peut très +bien revêtir les symptômes de la dyspepsie, de l'entérite, +tout comme si elle avait été produite par une +intoxication. Il faut toujours en revenir aux notions +que nous avons développées au chapitre précédent: +à la notion des points faibles, et à la variété +des manifestations par lesquelles l'organisme traduit +le malaise causé par une influence déterminée.</p> + +<p>2° <i>Surmenage musculaire</i>.—Il n'amène qu'exceptionnellement +la «maladie». Chez le surmené +musculaire, quelques jours ou quelques semaines +de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions +d'aplomb; et l'on ne saurait se figurer le rendement +dont est capable la machine, quand, par +ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnées par la +dépense cérébrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers +italiens produire un travail musculaire véritablement +colossal, tout en ayant une alimentation très +restreinte (polenta, macaroni, gruyère, viande une +fois par semaine, eau claire), et ce, sans le moindre +préjudice pour leur santé. Ils se contentaient du +salaire dit «de famine», salaire qu'on serait mal +venu de proposer à nos ouvriers français.</p> + +<p>Il est cependant incontestable que le travail musculaire, +poussé à de trop grands excès, peut devenir +une cause de «maladie» momentanée, et préparer le +terrain à l'éclosion des affections accidentelles. Nous +en avons déjà dit un mot à propos de l'entraînement +dans l'armée, et des sports chez les jeunes gens.</p> + +<p>3° <i>Vices d'alimentation</i>.—Ils jouent un rôle +important dans la pathogénie de la «maladie», d'autant +que, en dehors des cas d'intoxication aiguë, +ils n'agissent qu'à la longue, traîtreusement, insidieusement. +Le plus souvent, en effet, l'estomac et +l'intestin ne se révoltent qu'après de longues années +de protestations presque silencieuses. Mais, à partir +du jour de cette révolte, la «maladie» est constituée. Les +symptômes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus +souvent la première place, ce qui n'est pas fait pour +surprendre, puisque c'est l'estomac qui a été, dans +ces cas, le plus spécialement molesté. Cependant, +dans certains cas, les troubles dyspeptiques passeront +à l'arrière-plan, au point d'égarer complètement +le diagnostic. Voyez cet hystéro-épileptique +qui n'a, pour un examinateur superficiel, que des +troubles cérébraux; il peut très bien se faire qu'il +ait de l'épilepsie gastrique, qu'on fera disparaître +par un bon régime. Dans ce cas, les phénomènes +gastriques étaient au second plan pour le clinicien, +alors que, pour le thérapeute, ils doivent être au +premier plan. Si donc le clinicien veut être bon +thérapeute, il doit se rappeler les grandes lois que +nous avons déjà formulées: s'il traite comme cérébral +un sujet dont la «maladie» a été provoquée par +des troubles alimentaires, il fait fausse route; de +même qu'il ferait fausse route en traitant comme +dyspeptique un sujet ayant des misères gastriques, +intestinales, hépatiques, mais dont l'état pathologique +aurait été occasionné par du surmenage cérébral, +médullaire, émotionnel.</p> + +<p>Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation +défectueuse retentit sur l'ensemble de +l'organisme.</p> + +<p>On a fait grand bruit, ces derniers temps, de +l'auto-intoxication d'origine alimentaire; et beaucoup +de médecins s'obstinent à ne voir dans la +«maladie», quelle qu'en soit la forme, et surtout +quand elle revêt la forme nerveuse, qu'une sorte +d'empoisonnement de la cellule cérébrale par les +toxines alimentaires.</p> + +<p>C'est là une hypothèse assez commode, et qui +rend compte d'un nombre considérable de faits: +mais ce n'est, en somme, qu'une hypothèse, et ne +pouvant pas être démontrée par des observations +véritablement scientifiques. On pourrait tout aussi +bien expliquer les phénomènes rapportés à l'auto-intoxication +par l'irritation que provoque, sur le +plexus solaire, un aliment défectueux, ou encore +par l'irritation des extrémités nerveuses du pneumo-gastrique. +On sait que ce nerf étend ses ramifications +sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on +s'expliquerait ainsi les irradiations à distance provoquées +par l'irritation stomacale: la dyspnée, +l'asthme, les fausses cardiopathies, etc.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation +peuvent incontestablement provoquer, à eux seuls, +la «maladie». Mais, le plus souvent, ils s'associent +à d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, +à la débauche, etc.</p> + +<p>Les vices d'alimentation peuvent, à leur tour, se +classer en quatre catégories distinctes:</p> + +<p>I. Alimentation excessive en quantité.</p> + +<p>II. Alimentation insuffisante en quantité.</p> + +<p>III. Alimentation insuffisante en qualité.</p> + +<p>IV. Abus de l'alcool.</p> + +<p>I. <i>Alimentation excessive</i>.—Nous ne voulons +pas nous étendre ici sur les inconvénients, vraiment +assez connus, de l'alimentation excessive. Disons +seulement que l'alimentation excessive empoisonne +peut-être la cellule nerveuse par les toxines alimentaires, +mais que sûrement elle impose aux organes +chargés de l'élimination (foie, reins, peau), un travail +exagéré, inutile, et par conséquent nuisible; de +là, à la longue, le surmenage et les protestations +de ces divers organes, se traduisant de mille et une +façons (eczéma, urticaire, gravelle, etc.). Cette +manière de voir donne satisfaction aux partisans +de l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la +théorie de l'irritation du pneumo-gastrique, ou +du plexus solaire, on peut également comprendre +comment cette irritation, presque permanente, +des nerfs de l'estomac par une alimentation incendiaire, +amène, par action réflexe, des troubles de +coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon +(asthme, dyspnée), du cerveau et de la moelle, +voire même des troubles cutanés, etc. Pourquoi, +d'ailleurs, ne pas adopter les deux théories à la +fois? ce ne serait, en tout cas, pas déraisonnable.</p> + +<p>Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose <i>optima</i> +d'aliments qui convient pour entretenir la vie et +pour réparer les dépenses incessantes de l'organisme? +Elle doit varier, évidemment, suivant le +travail produit, et suivant les individus. Tous n'ont +pas le même besoin d'alimentation, pas plus que, +dans un régiment de cavalerie, tous les chevaux +n'ont pas les mêmes besoins, bien qu'ils soient +obligés aux mêmes dépenses musculaires. On a +essayé de fixer mathématiquement ce qu'on appelle +la «ration d'entretien» et la «ration de travail»; +et les différents chimistes qui se sont livrés à ce +calcul sont arrivés à des chiffres qui variaient du +simple au quadruple: mais tous s'accordent pour +démontrer qu'il faut <i>très peu d'aliments</i> pour subvenir +à la «ration d'entretien», et même à la «ration +de travail», de l'homme. La vérité est que nous +mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la +machine humaine soit bien admirablement construite +pour qu'elle résiste aux assauts quotidiens +que nous lui imposons.</p> + +<p>Comme ce problème de la ration physiologique +m'a toujours intéressé, je me suis livré à une +enquête sur le régime des Chartreux; et j'affirme +que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est +pour rien dans leur morbidité. Ils ont beaucoup +moins de jours d'indisponibilité que la plupart des +autres hommes du même âge, meurent plus vieux, +et s'éteignent sans «maladie». Pareillement, chez les +Trappistes, le régime fort sévère n'est pas une +cause de morbidité; j'ai même été étonné, à leur +propos, de voir la flexibilité de l'organisme humain, +et de constater qu'un homme habitué à manger +comme tout le monde pouvait, d'un jour à l'autre, +sans troubler sa santé, passer au régime ultra-restreint +d'une Trappe.</p> + +<p>Mais, dira-t-on, avez-vous étudié le régime restreint +chez les individus qui dépensent beaucoup? +Oui, je l'ai étudié dans l'armée<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7"><sup>7</sup></a>, et j'affirme, au nom +d'une expérience de deux années, pendant lesquelles +je me suis occupé de l'alimentation du soldat avec +un colonel qui avait, de ce grave problème, tout le +souci qu'il mérite, que, si le soldat français, le seul +que je connaisse, avait la quantité et la qualité des +aliments auxquels il a droit de par les règlements, +et si ces aliments étaient préparés comme ils devraient +et comme ils pourraient l'être dans toutes les garnisons, +sa nourriture serait tout à fait suffisante. +Elle n'est un peu au-dessous des besoins que pour +les jeunes soldats, pendant les trois premiers mois +de la nouvelle existence qui leur est imposée; aussi +les officiers soucieux de la santé de leurs soldats +réservent-ils pour les nouveaux arrivants les <i>boni</i> +qu'ils ont pu réaliser sur les hommes dits «de la +classe».</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" name="footnote7"></a><b>Note 7:</b><a href="#footnotetag7"> (retour) </a> <i>La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de médecine +légale</i>, février 1890).</blockquote> + +<p>Tout le monde, du reste, connaît la sobriété des +guides alpins, qui, non seulement, les jours d'excursion, +se contentent d'une alimentation extrêmement +réduite (quelques morceaux de sucre et des fruits +secs), mais, en temps ordinaire, mangent très peu, +pour conserver leurs forces. Les professionnels du +sport, également, savent que la sobriété est la condition +de leur succès.</p> + +<p>Autre exemple: j'ai donné, pendant plusieurs +années, des soins à une dame qui, avec toutes les +apparences de la santé, était constamment souffrante: +migraines, eczéma, urticaire, affections +cutanées polymorphes, palpitations, dyspnée, +insomnies, caractère inquiet, émotivité exagérée, +sensation de fatigue permanente, tendance à l'obésité,—et +j'en passe, pour ne pas faire le tableau +complet de ce qu'on est convenu d'appeler la +«grande neurasthénie». Chose curieuse, elle avait +peu de phénomènes digestifs, seulement de la constipation +et des hémorroïdes. Elle avait même un +vigoureux appétit, bien qu'elle prît fort peu d'exercice. +En vain, je m'acharnai à diminuer son alimentation: +précisément à cause de cet appétit de premier +ordre, elle ne voulait pas entendre parler de +régime restreint. Mais voici que l'adversité s'abattit +sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en +fut réduite à ne plus manger que des pommes de +terre cuites dans le four d'un petit poêle en +faïence, et des haricots; un demi-litre de lait +était pour elle un grand extra. Or, à partir de ce +jour, elle alla bien. Toutes ses misères disparurent +successivement, en trois ou quatre mois, +y compris les misères nerveuses et les migraines; +et force me fut d'attribuer au seul changement de +régime la surprenante modification de sa santé. +Car on croira peut-être que, pressée par le besoin, +elle s'est mise à marcher davantage, pour chercher +du travail, ou pour se créer des relations? Non, +elle savait trop bien ce qu'il faut espérer des +relations quand on est dans l'extrême détresse; et +je lui procurai un travail sédentaire, qui consistait +à faire des adresses sur des bandes, pour un grand +magasin de nouveautés. On avouera que ce n'est +pas, non plus, l'intérêt palpitant de ce travail qui a +pu modifier avantageusement sa mentalité. En +dehors de ses douze heures de travail quotidien, +elle avait des préoccupations angoissantes, qui +auraient suffi pour ébranler un système nerveux +moins équilibré. C'est donc bien uniquement, toute +analyse faite, à la restriction du régime, et à cet élément +seul, qu'elle a dû son retour à la santé. Et je +pourrais, là encore, multiplier les exemples: mais +aucun ne peut être plus typique que celui que je +viens de relater à grands traits.</p> + +<p>Ceci étant, j'aurai peu de choses à dire de l'alimentation +insuffisante.</p> + +<p>II. <i>Alimentation insuffisante en quantité</i>.—Tout +le monde connaît les désastres occasionnés par les +famines qui sont encore, hélas! trop fréquentes en +Russie, aux Indes, en Algérie. En France, nous +estimons que personne ne doit avoir une alimentation +insuffisante, et que c'est une honte pour une +société civilisée d'avoir un seul de ses membres +manquant du nécessaire. Nous n'hésitons pas à +proclamer que ce déshérité aurait, dans ce cas, le +droit absolu de prendre ce qui est indispensable à +sa vie, et cela sans être même tenu de le rendre +si un jour la capricieuse fortune venait à lui sourire. +C'est d'ailleurs la doctrine de l'Église, nettement +formulée par saint Thomas, et très bien +expliquée dans un livre récent (<i>Socialisme et Christianisme</i>) +de l'abbé Sertillanges, professeur de +philosophie à l'Institut catholique. Mais laissons +là ces considérations d'ordre social, renonçons au +délicat plaisir qu'il y aurait à errer dans les sentiers +adjacents, et reprenons notre grande route! Ce +qui est sûr, c'est que le problème de l'insuffisance +d'alimentation n'a pas souvent à être résolu, chez +les gens bien portants; notre état social n'étant pas +aussi détestable que se plaisent à le dire quelques +pessimistes, ou encore quelques jouisseurs, qui +semblent n'avoir pour but que de semer la haine +par leurs discours et par leurs écrits. En France, +personne ne meurt de faim, et bien peu de gens +sont menacés d'insuffisance alimentaire, étant donné +le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter.</p> + +<p>Là où le problème de l'insuffisance alimentaire +devient, pour le médecin, d'une douloureuse perplexité, +c'est quand il s'agit de malades ne pouvant +ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence +rien digérer, vomissant tout ce qu'ils +prennent, arrivés au dernier degré de la consomption, +n'urinant presque plus, restant des semaines +entières sans aller à la garde-robe, ne dormant +plus, ne pouvant plus ni lire, ni supporter une +conversation, ni penser. Tous les médecins ont vu +de ces grands malades sans lésions organiques, +auxquels il est très difficile de faire du bien, et +auxquels on fait trop facilement du mal par une +intervention intempestive. Est-il admissible que la +vie persiste dans ces conditions déplorables, et +faut-il, oui ou non, forcer ces malades à manger?</p> + +<p>Il est certain que, parfois, en brusquant la résistance +du système nerveux, en domptant sa révolte, +on arrive à des résultats remarquables. Chez de +grands névropathes, on est tout étonné de voir qu'une +seule application de la sonde oesophagienne suffit +pour faire renaître l'appétit, et rendre à l'estomac la +tolérance qu'il avait perdue depuis longtemps. Le +plus bel exemple dont j'aie souvenance, à cet égard, +est celui d'une jeune femme mariée à un capitaine +au long cours. Dès le lendemain du mariage, il l'emmenait +en voyage de noces à San Francisco, en +passant par le détroit de Magellan, sur un navire +à voiles. Pendant ce voyage, qui dura six mois, la +jeune femme commença à éprouver divers symptômes +morbides. Elle en arriva à être gravement +atteinte, et on dut la faire revenir, par les voies les +plus rapides, de San Francisco à Paris, où elle +désirait se confier à mes soins. A son arrivée, je +trouvai une véritable loque humaine, ayant toutes +les apparences d'une tuberculeuse avancée; l'auscultation +ne révélait cependant rien. Pendant les +trois premières semaines de son séjour à Paris, +elle avait une inappétence absolue, ne tolérait aucun +aliment, pas même le lait coupé, et était dévorée +par une fièvre qui atteignait, le soir, 44°. La température +s'abaissait à 40° le matin. Bien que la +chaleur de la peau fût mordicante, bien que la +malade n'eût aucun intérêt à me tromper puisque +c'est de son plein gré qu'elle m'avait appelé, je +me refusai à croire à la possibilité d'une fièvre +aussi ardente et aussi continue. Je m'attachai à +vérifier et à faire vérifier avec le plus grand soin +les indications thermométriques; elles étaient parfaitement +exactes. C'est alors que, en désespoir de +cause, voyant que ni la quinine en injections ni +les lotions fraîches ne modifiaient cette température, +je me décidai à recourir aux lumières du +Dr Babinski, qui, après examen, me dit: «Je ne +trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement +pas d'impaludisme; nous sommes donc +en présence d'une de ces hyperthermies comme on +en rencontre chez les grandes hystériques. Mais le +plus pressé est d'empêcher cette femme de mourir +de faim, et, puisqu'elle ne peut pas manger, il faut +la suralimenter par la sonde.» Ainsi fut fait; et, +après cinq repas assez copieux donnés à la sonde, +la malade retrouva l'appétit, la fièvre tomba, le +sommeil revint. Deux mois après, elle pouvait +quitter Paris, et, vingt-huit mois après, je recevais +une lettre m'annonçant la naissance d'un enfant. +Suivant la formule traditionnelle, la mère et l'enfant +se portaient bien.</p> + +<p>Autre exemple. Quand j'étais au Val-de-Grâce, +le professeur Delorme m'invita à voir l'un de ses +malades, opéré depuis dix jours, et qui, depuis, ne +voulait pas manger. Il était guéri de son opération, +n'avait aucune fièvre, aucune lésion organique, +mais il se refusait obstinément à avaler quoi que ce +fût. C'était probablement le choc opératoire qui +avait produit une folie passagère. Ce qu'il y a de +certain, c'est qu'il maigrissait à vue d'oeil. Je n'hésitai +pas, alors, à lui donner du premier coup, par +la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance +possible, un repas complet; dès le même +soir, il demandait à manger, et, s'étant mis à digérer, +il était guéri. Huit jours après, il sortait de +l'hôpital en très bon état. Nul doute encore que, +chez les aliénés, il ne soit du devoir strict du +médecin de prolonger l'alimentation à la sonde +aussi longtemps qu'elle est nécessaire, après +s'être toutefois bien enquis du fonctionnement du +système digestif. Il y a là de grosses difficultés +cliniques.</p> + +<p>D'une façon générale, cependant, nous hésitons +toujours à employer ce moyen brutal qu'est la +sonde oesophagienne; le plus souvent, quand l'alimentation +est indiquée pour une grande neurasthénique +qui ne veut ou ne peut pas manger, nous +la lui imposons par suggestion à l'état de veille. +Mais là n'est pas encore la difficulté véritable. La +vraie difficulté est de savoir à quel moment il faut +alimenter. La responsabilité du médecin est, quelquefois, +bien gravement engagée dans ce problème. +S'il alimente à tort, soit à la sonde, ou même +par suggestion ou par persuasion, il risque de +donner à sa malade une indigestion formidable, +avec fièvre ardente et quelquefois collapsus; il +risque, en d'autres termes, d'épuiser les lueurs de +vie qui soutiennent l'existence de la malade. Étant +donné ce que nous avons dit du peu d'aliments +qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques à +redouter d'une alimentation intempestive, nous +croyons qu'il faut patienter le plus possible, et ne +donner à ces malades que le régime ultra-restreint, +sans se laisser émouvoir par la tyrannie de l'entourage, +toujours prêt à se figurer que la malade +va mourir de faim. Et puis, peu à peu, quand, par +une alimentation restreinte mais bien conduite, on +a été assez heureux pour vaincre l'intolérance gastrique,—et +on y arrive toujours,—alors seulement +on alimente plus généreusement.</p> + +<p>Nous savons que ce n'est pas la manière de procéder +habituelle de nos confrères renommés pour +le traitement des grandes névroses; mais nous ne +pouvons pas admettre que tous les malades, quel +que soit le degré de leur «maladie», soient justiciables +d'un même procédé thérapeutique, et que, après six +jours de repos au lit et de régime lacté, il suffise +de leur dire: «Mangez, je l'ordonne!» pour qu'ils +mangent et qu'ils digèrent n'importe quoi. Ils mangeront +peut-être, mais tous ne digéreront pas.</p> + +<p>III. <i>Alimentation insuffisante en qualité</i>.—Si +l'insuffisance alimentaire quantitative joue, dans +la pathogénie de la «maladie», un rôle relativement +minime, il n'en est pas de même de l'insuffisance +qualitative; et la défectueuse qualité des +aliments est un ennemi de tous les jours, d'autant +plus dangereux qu'on ne le soupçonne point. On ne +saurait croire combien les aliments les plus usuels +sont frelatés. Si une chimie bienfaisante permet, +par-ci par-là, de découvrir quelques fraudes, il est +une chimie malfaisante qui fait tous les jours des +progrès, et qui nous empoisonne sans que nous nous +en doutions. Bientôt le dictionnaire des falsifications +alimentaires atteindra le volume du Bottin. +Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se +mettent aussi de la partie, et, par les procédés de +congélation, en particulier, on arrive à jeter sur +les marchés des aliments de belle apparence, mais +qui deviennent toxiques avec une rapidité surprenante. +Prenons, à titre d'exemple, les poissons de +mer. Je me souviens d'avoir été frappé, dans un +port de mer, par la vue de gros blocs de glace que +des pêcheurs emportaient avec eux. Ces blocs ne +me disaient rien qui vaille; et j'appris, en effet, que +ces pêcheurs partaient pour huit ou dix jours, et +que, au fur et à mesure qu'ils prenaient du poisson, +ils le mettaient dans la glace: de telle sorte que ce +poisson congelé arrive sur nos marchés avec bel +aspect, mais, passant par cinq ou six intermédiaires +avant de parvenir à notre table, il y parvient à l'état +d'aliment toxique.</p> + +<p>Certains procédés de stérilisation sont également +vus d'un mauvais oeil par l'hygiéniste. Pour +les conserves de viande, notamment, on sait les +préoccupations bien légitimes de l'autorité militaire; +et le problème vient seulement d'être résolu, +grâce au zèle d'une commission composée de nos +plus distingués maîtres, en hygiène, en chimie, en +bactériologie qui ont travaillé pendant de longs +mois.</p> + +<p>Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est +pourquoi il est si souvent un breuvage meurtrier, +non seulement pour les enfants, mais même pour +les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifié, +ou adultéré spontanément, qu'il est, chez les +malades, d'un emploi si délicat. Remarquez que +nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si le +lait n'est pas supporté par les malades, ce n'est pas +parce qu'il est altéré, c'est parce qu'il est trop riche +en crème, ou pris en trop grande quantité, c'est +aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple +bon sens indique alors qu'il faut soit l'écrémer, ou +s'en abstenir, sans poursuivre le projet insensé de +vaincre l'intolérance des malades. A cela on y +arrive parfois, quand le malade est complaisant, +mais le plus souvent on échoue.</p> + +<p>Les aliments adultérés, quels qu'ils soient, poissons, +mollusques, viandes, provoquent des empoisonnements +dont on néglige souvent de chercher +la cause. Ils revêtent parfois les apparences de la +fièvre typhoïde grave, ou de la typhoïdette, et, entre +ces deux extrêmes, toutes les variétés cliniques se +rencontrent. D'autres fois, ils empruntent le masque +du choléra ou de la cholérine. Il va de soi que +le traitement consiste à attendre que l'économie soit +débarrassée de ces poisons (diète absolue d'abord, +puis tisanes et repos); quant à chercher à favoriser +l'élimination des poisons par des purgatifs ou des +vomitifs, c'est très légitime en théorie, mais, en +fait, très dangereux, car on ajoute ainsi un élément +de perturbation qui aggrave parfois grandement +l'état morbide.</p> + +<p>Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication +alimentaire n'occasionne qu'à la longue la perturbation +du système digestif; et c'est alors qu'il est si +difficile de rapporter les effets directs et éloignés +de cette perturbation à leur cause véritable.</p> + +<p>IV. <i>Alcool</i>.—Certes, l'alcool et toutes les boissons +distillées, quelque pompeuse que soit l'étiquette +de leur flacon récepteur, constituent un aliment +meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en +leur conservant le nom d'aliment. C'est par déférence +pour la mémoire de Duclaux, qui a excité de +si vives polémiques en écrivant que l'alcool était +un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme +sont de ceux que déplorent tout hygiéniste et tout +bon citoyen; aussi ne saurait-on encourager trop +les ligues contre l'alcoolisme, les sociétés de tempérance, +etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts +contre les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache +aux conditions économiques de la société? +L'alcoolisme durera aussi longtemps que l'impôt sur +l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporté +à l'État 358 392 000 francs (et dans ce chiffre +ne sont pas compris les droits sur les vins, cidres, +bières, etc.); aussi longtemps que la puissance +électorale du marchand de vin; aussi longtemps +que le malaise de l'ouvrier, poussé au cabaret par +la destruction du foyer et l'insalubrité du logis...</p> + +<p>Et l'on ne peut même s'empêcher, tout en souhaitant +sincèrement le succès des généreux efforts des +ligues anti-alcooliques, de conserver un reste de +pitié pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool +un oubli momentané aux misères humaines. C'est +souvent leur malheur, et non leur faute, s'ils tombent +dans la dégradation progressive qu'on déplore +à trop juste titre.</p> + +<p>Mais autant est légitime la campagne contre les +boissons distillées, autant, à notre avis, les boissons +fermentées devraient trouver grâce devant la +rigueur des hygiénistes; et nous pensons que la +ligue anti-alcoolique française, pour ne parler que +d'elle, compromet d'une façon irrémédiable le +résultat qu'elle poursuit, si elle continue à proscrire +les boissons <i>fermentées</i>. Qu'un intellectuel +dyspeptique ne tolère pas une goutte de vin à ses +repas, c'est chose possible, et il fera bien de s'en +abstenir; mais proscrire le vin, la bière, le cidre, +c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a +quelques années, on pouvait dire qu'un litre de vin +représentait 100 grammes de mauvais alcool; mais +depuis la surproduction des vignes françaises, et +depuis qu'on a diminué les droits d'octroi, le vin +est devenu une boisson hygiénique, quand elle est +prise à petite dose par des gens dont l'estomac n'est +pas délabré. Certes, l'ouvrier chargé de famille ferait +mieux, comme le lui conseillent les hygiénistes en +chambre, de dépenser à l'achat d'aliments azotés, +ou hydro-carbonés, le franc qu'il dépense à acheter +du vin; mais que deviendrait la vie si elle était +soumise aux tyrannies des théoriciens hygiénistes?</p> + +<p>Pour les soldats, en particulier, il serait à souhaiter +que le vin entrât dans la ration réglementaire. +Presque tous apprécient énormément le vin, +et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du +chef qui leur octroie aimablement un quart de litre +de vin. Malheureusement, il ne faut pas songer +avant longtemps à introduire l'usage régulier du +vin dans l'armée, à cause de la dépense: si l'on +voulait se rappeler que, chaque fois qu'on augmente +d'un centime par jour la dépense du soldat français, +le budget se trouve grevé d'un million par an, on +mettrait fin du coup à toutes les discussions, plus +ou moins intéressées, qui font perdre à nos législateurs +un temps précieux.</p> + +<p>Un esprit chagrin pourrait nous répondre que +l'eau stérilisée que l'on donne aux soldats coûte +plus cher que le vin, si l'on tient compte du prix +d'achat des appareils stérilisateurs, du prix du +combustible, et surtout de la répugnance invincible +qu'ont les soldats à boire cette eau cuite, presque +toujours tiède malgré les soins qu'on met à la +refroidir après la stérilisation; mais nous aurions +mauvaise grâce à nous associer à ces critiques. Il +ne faut décourager les efforts de personne.</p> + +<p>Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une +boisson recommandable pour l'adulte valide, chez le +malade le vin et les autres boissons fermentées +sont, en général, de véritables toxiques; et c'est +par la suspension du vin qu'il faut commencer le +traitement de tous les dyspeptiques. Mais quand +l'estomac a cessé de protester, quand il s'agit d'aider +à la reconstitution du système nerveux, le vin +devient un adjuvant utile; et non pas sous une forme +pharmaceutique quelconque, mais sous la forme de +bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin d'Algérie, +du Midi, etc.).</p> + +<p>En résumé, les erreurs de l'alimentation sont +essentiellement regrettables, comme le sont toutes +les erreurs contre la véritable hygiène; elles entrent +pour une bonne part dans la genèse de la «maladie»; +mais elles ont été dénoncées de toutes parts, étudiées +à fond, tandis que les influences qui nous restent +à passer en revue agissent plus profondément +encore, d'une manière plus insidieuse et plus malfaisante; +et leur rôle pathogénique n'est, en général, +pas apprécié à sa juste valeur. Nous voulons +parler des influences morales.</p> + +<p>II.—CAUSES MORALES</p> + +<p>Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence +du moral sur le physique; mais, malgré les +travaux de divers philosophes, les médecins en général +ne connaissent pas encore assez cette influence +du moral, et ne lui attribuent pas assez d'importance. +En réalité, elle joue un rôle énorme, et dans +presque tous les cas elle se rencontre, pour qui +sait la chercher. Malheureusement, pour faire de +semblables enquêtes, il faut beaucoup de temps, +il faut que le médecin devienne le confident, l'ami +de son malade, et qu'une regrettable suspicion de +l'entourage ne l'empêche pas d'accomplir son +oeuvre. Il faut, en outre, que le médecin ait des +qualités de psychologue. Il doit savoir lire dans la +pensée du sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre +à mots couverts.</p> + +<p>Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales +de «maladie» sont multiples, et peuvent être rapportées +aux quatre grands chefs suivants, que nous +classons par ordre d'importance effective, sans +aucune prétention psychologique:</p> + +<p>1° Pertes matérielles, pertes de fortune, pertes au +jeu, etc., ambitions déçues.</p> + +<p>2° Influences qui compromettent, par une action +lente et continue, la quiétude de l'âme (passions +contrariées, chagrins d'amour).</p> + +<p>3° Inquiétudes d'origine altruiste (chagrins occasionnés +par l'éloignement ou la perte d'êtres +aimés).</p> + +<p>4° Choc moral et choc traumatique.</p> + +<p>1° <i>Pertes matérielles</i>.—Les pertes de fortune, +les changements de situation, sont des facteurs +moins importants qu'on ne se le figure d'ordinaire, +relativement à l'éclosion de la «maladie». Une fois +le premier choc reçu, les victimes s'adaptent assez +vite aux nouvelles conditions d'existence qui leur +sont faites, si elles n'ont pas, par ailleurs, à s'alarmer +pour leurs enfants, et si elles sont préalablement +bien portantes. On pourrait paraphraser la +pensée d'Horace, en disant: <i>Sanum et tenacem +impavidum feriunt ruinae</i>. C'est ainsi qu'on a pu +définir l'homme: «Un être qui s'habitue à tout»; +et c'est peut-être la meilleure définition qu'on en +ait donnée.</p> + +<p>Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains +cas, les perturbations dans la situation sociale, +les pertes d'argent, provoquent des assauts considérables,—que +le médecin doit savoir deviner,— +capables de produire la «maladie», et surtout de +l'aggraver quand elle existe déjà à un degré quelconque. +Voyez ce diabétique qui, d'un jour à +l'autre, rend une quantité triple de sucre, et cherchez +bien: c'est souvent parce qu'il a eu, la veille, +une perte d'argent.</p> + +<p>Les pertes au jeu sont encore plus pathogènes +qu'une perte survenue accidentellement ou par +imprudence; c'est que le jeu, en lui-même, a une +influence morbide considérable. Le joueur, en +effet, vit dans un milieu anti-hygiénique; il joue, +le plus souvent, la nuit, et se prive de sommeil; +en outre, son surmenage émotionnel est doublé de +surmenage cérébral; bref, la funeste habitude du +jeu mérite une place d'honneur parmi les causes +morales pathogènes.</p> + +<p>Les ambitions déçues ont beaucoup d'analogie +avec les pertes au jeu. Ici l'enjeu, au lieu d'être +une somme d'argent, est un grade, une décoration, +un hochet quelconque, auquel l'intéressé attribue +quelquefois une importance qui nous fait sourire, +mais qui, cependant, lui tient grandement au coeur: +car tout est relatif dans la vie, et l'ambition déçue +après de longs efforts, après des tentatives souvent +répétées, se traduit par l'apparition de la «maladie». +Qui ne connaît, dans son entourage, un officier +navré d'avoir à prendre sa retraite sans avoir +obtenu le grade ou la distinction rêvés, et qui fait +le malheur d'une famille, et son propre malheur, +au point d'en perdre la santé, ou quelquefois la +vie? «Vanité des vanités», disait le sage; mais +c'est de cette nourriture que vivent les hommes.</p> + +<p>2° <i>Influences qui compromettent la quiétude de +l'âme</i>—Les unes agissent par leur continuité: ce +sont les coups d'épingles incessants dans un ménage +où il y a incompatibilité d'humeur, les petites querelles +de famille quotidiennes, l'impossibilité de +fuir un milieu où l'on ne se sent pas à l'aise. C'est +le fait d'être souvent en butte aux taquineries ou +aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend +pas, d'avoir à subir l'autorité malveillante d'un +parent, d'une mère. La victime se trouve tiraillée +à tout instant, retenue, d'un côté, par la notion +plus ou moins forte du devoir, et, d'un autre, +poussée à la révolte par les vexations, réelles ou +imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice incessant +finit par «énerver»,—c'est le mot qu'on emploie +journellement,—autrement dit, finit par amener +la «maladie», à un degré variable: et l'une de ses +formes les plus connues s'appelle le délire de la +persécution, quand le trouble mental domine la scène +morbide. Mais, si l'on étudie de près un «persécuté», +on verra bien vite qu'il n'est pas malade +que de la tête; il digère mal, il est constipé, il +maigrit, il a souvent des battements de coeur, de la +dyspnée, la peau sèche, etc., etc.; toutes ses fonctions +sont en délire. Tout est fou chez l'aliéné, +parce que l'aliéné n'est pas autre chose qu'un «grand +malade».</p> + +<p>D'autres fois, c'est une passion vive, intense, +qui compromet l'équilibre de la santé. La passion +amoureuse mérite, à ce titre, d'être signalée au +premier rang; nous en avons dit un mot déjà, à +propos de la jeune fille: mais ici nous l'étudions +dans sa forme ardente, fougueuse, la forme +qu'elle revêt chez l'être adulte. Alors elle met le +système nerveux dans un état d'éréthisme, d'hyperesthésie, +qui peut se traduire par la production +de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de +<i>Tristan et Yseult</i>, ou comme la <i>Nuit d'Octobre</i>, +mais qui amène souvent, chez celui qui en est +victime, une perturbation générale de la santé, +quand un obstacle d'ordre moral ou matériel +empêche cette passion de se satisfaire. La victime +perd alors le sommeil, s'agite dans le vide, +est dans un état d'inquiétude mentale qui compromet +les fonctions digestives; l'estomac entre en +scène, le cercle vicieux s'établit; la «maladie» est +constituée. Elle durera tant que durera sa cause, +ou qu'une savante hygiène morale n'aura pas porté +le remède efficace. Bien souvent, d'ailleurs, le +temps seul est le remède; et il faut savoir attendre, +sans imposer au malade une médication perturbatrice, +qui aggraverait son état.</p> + +<p>Lorsque la victime est obligée de garder pour +elle son secret, sans pouvoir le communiquer à un +confident, sa situation est encore plus lamentable. +Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de là +l'importance que prend le médecin, lorsqu'il parvient à inspirer confiance à son malade et à provoquer +chez lui des confidences, qui le soulagent +plus que ne le feraient l'hydrothérapie ou l'électricité.</p> + +<p>Combien de femmes sont malheureuses en +ménage sans que personne s'en doute! Elles dissimulent +avec un soin jaloux à leur famille, à leurs +amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et +combien leur misère n'est-elle pas atténuée quand +elles peuvent confier leur chagrin à un homme de +bon conseil?</p> + +<p>3° <i>Inquiétudes d'origine altruiste</i>.—Les inquiétudes +relatives à la santé d'un être cher sont souvent +aussi une cause de neurasthénie, et il n'est +pas rare de voir les divers membres d'une famille +devenir, tour à tour, malades, par le fait des +préoccupations et des fatigues qu'a causées l'atteinte +d'un premier membre. Une mère qui, +comme je l'ai vu, passe vingt jours et vingt +nuits sans quitter le chevet de son enfant atteint +de fièvre typhoïde, sera une malade lorsque l'enfant +sera guéri. Elle pourra peut-être devenir, à +son tour, une typhoïdique; mais, même si elle ne +prend pas la fièvre typhoïde, sa santé sera ébranlée +pour longtemps. De même encore le fait d'avoir +un enfant infirme, qu'on voit du matin au soir, +empoisonne assez l'existence pour entraîner, quelquefois, +la «maladie».</p> + +<p>Dans une famille bien unie, la névrose de l'un +des membres ébranle tellement le système nerveux +des autres, que la nécessité de la séparation s'impose. +La contagion de la névrose n'est cependant +pas une «contagion» au sens propre du mot; +mais, en pratique, on est souvent appelé à traiter +le malade comme s'il était contagieux, dans son +propre intérêt et dans celui de son entourage.</p> + +<p>Le départ des êtres qui nous sont chers est un +autre facteur important de «maladie»:—même la +séparation momentanée, (femmes de marins ou de +militaires partant en campagne),—sans compter +que le chagrin de la séparation se double, en ce cas, +d'inquiétude pour les dangers que va courir l'être +aimé. On voit alors la «maladie» survenir au +bout de quelque temps, revêtir une forme quelconque, +avec des manifestations variant à l'infini +(insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptômes +traduisant le malaise du système nerveux +central, qui ne s'atténuera que quand la cause disparaîtra. +Et même, une fois la cause disparue, il +pourra persister encore des mois et des années, +parce que l'habitude morbide est prise, parce que +le système nerveux a reçu le choc. La cellule continuera +à vibrer de travers, comme la surface d'un +lac continue à être agitée bien longtemps après la +chute de la pierre qui a troublé son repos.</p> + +<p>Quand la séparation est définitive, le mal est plus +profond encore, et l'expression de «vie brisée» est +absolument juste. La perte d'un être cher atteint la +vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un +seul coup, le capital biologique. Le malade traînera +une existence plus ou moins lamentable, et plus ou +moins prolongée; mais les moyens thérapeutiques +les plus actifs ne le guériront pas. Seule une saine +philosophie atténuera ses maux, et le médecin a +surtout à lui offrir une bonne psychothérapie. Le +temps, aussi, devient un remède avec lequel il faut +compter; le rôle principal du médecin, dans les cas +de ce genre, doit être d'empêcher l'organisme de +s'effondrer, pour permettre au temps d'accomplir +son oeuvre réparatrice.</p> + +<p>4° <i>Choc moral et choc traumatique</i>.—Une +émotion violente, quelle qu'en soit la cause, peut +également amener la «maladie» sous une forme quelconque, +et parfois lui faire revêtir immédiatement, +sans transition, les formes les plus graves. Je +connais un officier très distingué, et bien portant +jusqu'alors, qui, étant à l'École de guerre, fit une +chute de cheval sur la tête. Après deux jours de +perte presque complète de connaissance, il recouvra +successivement la parole, la mémoire, le mouvement, +les forces; mais il était devenu un malade. +Depuis douze ans, il traîne une existence pitoyable. +Ce ne sont pas seulement les fonctions cérébrales +qui sont atteintes, chez lui; elles sont même relativement +respectées, il n'a que des vertiges, des +bourdonnements de l'oreille gauche, des picotements +dans les yeux, de la difficulté à lire et à +causer. Au demeurant, son intelligence est restée +intacte: mais toutes ses autres fonctions ont été +perturbées. Il a des névralgies erratiques,—plusieurs +médecins ont cru que c'était un candidat +à l'ataxie locomotrice,—et surtout il a les +troubles digestifs les plus variés (gastralgie, pesanteurs, +gaz, ainsi que de l'entérite membraneuse +avec alternative de constipation opiniâtre et d'une +diarrhée qu'il est difficile d'arrêter). Les forces +sont tellement réduites qu'il peut à peine faire +deux ou trois kilomètres, bien qu'il ait conservé +les muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type +de malade, atteint de ce qu'on appelle la «neurasthénie +hystéro-traumatique», ce sont les troubles +digestifs qui sont au premier plan, bien que +le choc ait porté sur la tête.</p> + +<p>De même une frayeur, sans qu'il y ait eu de +<i>trauma</i> véritable de la boîte crânienne, suffit pour +amener le choc déterminant la «maladie». J'ai vu à +la Salpêtrière, autrefois, une malade qui, dès le +début du siège de Paris, devint folle pour avoir vu +éclater un obus à ses pieds. On comprend donc +qu'une série d'émotions et de frayeurs arrive au +même résultat. De là l'énorme proportion d'aliénés +observée après le siège de Paris; de là, la multiplicité +des cas de psychonévrose, d'aliénation mentale, +signalés dans l'armée russe pendant le cours +de la guerre russo-japonaise. Jamais, depuis que +les hommes s'entre-tuent, le système nerveux des +belligérants n'avait été soumis à d'aussi dures +épreuves. Tous les facteurs morbides s'accumulaient, +chez les Russes, pour produire le désarroi +du système nerveux. Éloignement de la patrie, +voyage prolongé en chemin de fer, alimentation +insuffisante, manque de confiance dans les chefs, +menace incessante de surprise, surmenage physique +s'ajoutant au surmenage émotionnel; c'est +plus qu'il n'en faut pour rendre malade le malheureux +soldat ou officier russe, pour peu qu'il soit prédisposé +par l'alcoolisme ou par l'hérédité nerveuse. +Mais que faire contre un semblable état de +choses? L'homme sensé ne peut que déplorer l'inanité +des efforts de tous les pacifistes.</p> + +<p>Ces «maladies», consécutives au fléau qu'on appelle +la guerre, ne sont pas assez connues du monde +extra-scientifique. On se figure volontiers que, +quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est +rien; c'est pendant quinze et vingt ans que les +néfastes effets d'une guerre se font sentir. Pendant +vingt ans, nous avons eu à soigner des officiers qui +avaient pris le germe de leurs «maladies» pendant la +campagne de 1870, et surtout pendant la captivité.</p> + +<p>Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous +les jours l'influence du choc chirurgical sur la +genèse de la névrose. On commence à connaître +les psycho-névroses consécutives aux grandes opérations: +mais c'est un point sur lequel il convient +d'attirer l'attention, pour modérer le zèle chirurgical +des opérateurs. Ils doivent savoir que, quand +l'opération est finie et bien finie, tout n'est pas terminé, +et que le patient, sorti guéri de leurs mains, +est quelquefois «un malade» qui restera tel pendant +plusieurs années. Le choc traumatique produit +par l'intervention chirurgicale suffit pour expliquer +ces accidents tardifs.</p> + +<p>J'ai, pendant longtemps, donné des soins à une +dame qui, d'une très belle santé jusqu'à trente-huit +ans, est devenue grande nerveuse, avec anorexie, +amaigrissement, etc., immédiatement après une +opération de tumeur bénigne du sein. Depuis lors, +elle est sans cesse préoccupée de la récidive possible +d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnée +par des malaises de tout genre qu'elle +n'avait pas avant l'opération.</p> + +<p>Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, +même de moindre importance encore, d'importance +ultra-minime, peut mettre le système nerveux +dans un état d'ébranlement durable: c'est +quand elle occasionne une violente douleur. La +douleur provoque une fuite nerveuse énorme. +Ainsi je connais une jeune fille, de bonne santé +antérieure, qui est devenue neurasthénique immédiatement +après des opérations sur les dents.</p> + +<p>Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales +sont pratiquées sur des personnes dont +le système nerveux est déjà ébranlé plus ou moins, +elles deviennent une cause d'aggravation notable. +La seule crainte de l'opération possible suffit pour +provoquer une aggravation de la névrose. Est-il +un médecin qui n'ait pas vu accourir chez lui, +forçant sa porte, une cliente, affolée parce qu'elle a +constaté sur elle, ou cru constater, une tumeur du +sein? Et c'est bien autre chose encore quand le +diagnostic est douteux, quand la malade va de +chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis +ferme; jusqu'à ce qu'elle soit fixée sur son sort, elle +est dans un état d'anxiété que ne connaissent peut-être +pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur +dicter leur conduite non pas seulement au point de +vue opératoire, mais au point de vue psychique.</p> + +<p>Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. +Leur sang-froid, leur maîtrise d'eux-mêmes, leur +habileté manuelle m'étonnent; les merveilleux +résultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font +les considérer, au total, comme de vrais bienfaiteurs +de l'humanité. Aussi ai-je l'espoir qu'ils ne +m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer +que, à côté de beaucoup de bien, ils font un +peu de mal, et un mal qu'ils pourraient ne pas +faire s'ils connaissaient mieux les répercussions +qu'ont, sur le système nerveux, leur intervention, +et aussi les soins qu'ils donnent à leur malade après +l'opération. Je voudrais ne les voir intervenir qu'en +cas d'absolue nécessité, se défendre énergiquement +contre les opérations qu'on pourrait appeler de +complaisance:—comme celle qui a été pratiquée, +contre mon avis, sur une malade qui se croyait +atteinte d'appendicite chronique, et qui n'était que +grande nerveuse. Cette malade avait déjà appelé, +malgré moi, quatre chirurgiens qui n'avaient pas +voulu opérer; un cinquième se décida à le faire, +sans avoir de conviction absolue, au sujet de +l'existence d'une appendicite, mais avec la persuasion +que la malade, débarrassée de son obsession +en même temps que de son appendice, recouvrerait +la santé. Or il n'en fut rien: l'appendice +était sain, et la malade, légèrement améliorée +pendant un mois, par le fait du repos au lit, du +régime sévère, de l'espoir qu'elle avait, et que je +fus le premier à entretenir, vit bientôt son état +devenir pire qu'avant l'intervention.</p> + +<p>Je demanderai aussi à nos confrères les chirurgiens +de tenir le moins possible les malades en +suspens pour savoir si l'on opérera, et quel sera +le jour de l'opération. Cette attente, cette perplexité, +sont angoissantes au premier chef pour les +personnes déjà nerveuses. Et je leur demanderai, +enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre médicale +après l'opération... Je sais bien que, dans certains +cas, le chirurgien doit suralimenter et même médicamenter +son opéré, au risque de lui fatiguer l'estomac, +et de compromettre les résultats qu'une +savante hygiène alimentaire avait difficilement +obtenus, pendant les mois ou les années qui ont +précédé l'intervention. Là, il y a force majeure; et, +dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il +savait bien faire de la mauvaise besogne, mais il +se comparait aux pompiers que n'arrête pas la +considération de dégâts limités, quand il s'agit de +sauver un immeuble. Mais, le plus souvent, l'opéré +guérirait sans intervention médicale et sans champagne, +sans suralimentation, sans médicaments, +sans morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, +au sortir de la maison d'opérations, son système +nerveux serait moins ébranlé qu'il ne l'est. Il serait +plus vite remis du choc traumatique inévitable, +qui, à lui seul, est un important facteur de dépréciation +de la valeur biologique.</p> + +<p>Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de +la morphine aux malades, et à des doses effrayantes? +Je sais bien qu'en général ces doses invraisemblables,—de +1 à 2 centigrammes répétés deux fois +par jour,—sont tolérées, pendant les premiers jours +qui suivent l'opération, parce que l'opéré a une +telle sidération du système nerveux qu'il ne réagit +pas au poison<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8"><sup>8</sup></a>. Mais combien, aussi, ont des vomissements +et des symptômes d'intoxication grave? +Et plus fâcheux encore est le résultat quand le +malade se met à aimer l'odieux poison, et devient +morphinomane,—ce qui arrive quelquefois. De +grâce, réservez donc la morphine pour les cas +exceptionnels de souffrance, et n'en confiez pas +l'administration à une garde, si bien intentionnée +et si intelligente que vous la supposiez; vos malades +n'en seront que plus vite guéris!</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" name="footnote8"></a><b>Note 8:</b><a href="#footnotetag8"> (retour) </a> J'ai traité plus longuement ce sujet dans le <i>Bulletin de la +Société Thérapeutique</i>, novembre 1905.</blockquote> + +<p>Ou bien encore cette habitude de purger les +malades, deux ou trois jours après l'opération, de +leur donner des lavements, alors qu'ils auraient +tant besoin de repos! La constipation n'est-elle +donc pas un symptôme, une manifestation, presque +inévitable, de l'ébranlement du système nerveux +provoqué par le choc opératoire? Laissez le système +nerveux reprendre son équilibre, et la constipation +disparaîtra d'elle-même, quand l'opéré, +sollicité par son appétit spontanément renaissant, +recommencera à manger.</p> + +<p>Et ne croyez pas que ce soit là de la théorie, +une simple vue de l'esprit d'un rêveur qui n'a pas +vu d'opérés! La démonstration a été faite pour +moi, d'une façon décisive, comme dans une expérience +de laboratoire. Quand j'étais au Val-de-Grâce, +le professeur Delorme a bien voulu m'associer +aux longues recherches qu'il a faites pour +provoquer la constipation chez ses opérés. Or, de +tâtonnements en tâtonnements, il en était arrivé à +constiper tous les hommes ayant à subir des opérations +dans les régions abdominales, inguinales et +crurales; il évitait ainsi la souillure, et, par conséquent, +le renouvellement des pansements. Et ce +n'était pas une constipation de deux ou trois jours +qu'il provoquait, mais bien de douze ou quinze +jours. Chez un malade de mon service, opéré par +lui pour une cure radicale d'hémorroïdes, la constipation +a été entretenue pendant dix-huit jours. +J'ai demandé récemment à M. Delorme s'il était +toujours fidèle à cette pratique; il m'a répondu +affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi +une statistique de laquelle il résulte que, depuis le +jour où il m'avait convié à assister à ses premiers +essais, en 1889, il avait opéré, après constipation +provoquée, tant au Val-de-Grâce qu'à l'hôpital de +Vincennes, 1600 cures radicales de hernies, +50 cures radicales d'hémorroïdes, 500 varicocèles, +30 castrations, 500 opérations variées de la sphère +inguino-génito-périnéo-fessière, enfin qu'il avait +constipé méthodiquement 15 hommes atteints de +fractures de la cuisse, pour que leurs appareils +contentifs ne fussent pas souillés.</p> + +<p>C'est une partie de ces faits que M. Delorme a +brillamment exposés à la Société de Chirurgie, +en 1892. Il y a présenté une série de 160 courbes +thermiques, démontrant que la température n'a +pas monté au-dessus de la normale, pendant toute +la durée de la constipation, et que, même, elle a souvent +été abaissée un peu au-dessous de la normale +(90 fois sur ces 160 observations). Dans quatre +cas seulement, elle a dépassé la normale, mais +c'était par le fait de «maladies» accidentelles: intoxication +iodoformée, rhumatisme aigu, congestion +pulmonaire (deux fois). Chez 110 opérés de cures +radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans +la moindre importance. Elles disparaissaient après +l'émission spontanée de gaz. La langue, saburrale +les premiers jours, reprenait bientôt l'aspect normal; +l'appétit était conservé chez la majeure +partie des constipés. Dès le troisième jour, on leur +donnait à manger des potages, des oeufs, de la +viande blanche, du vin, en évitant que les aliments +capables de donner des déchets. Le sommeil +restait bon, le caractère ne laissait voir aucune +modification, la soif n'était pas excessive, et les +analyses d'urines, faites par le professeur Burcker, +ont démontré que l'économie ne subissait, du fait +de la constipation provoquée, aucune influence +néfaste. La première selle était, parfois, facile et +spontanée; d'autres fois elle était pénible; c'est +ainsi qu'un malade ne put aller à la garde-robe que +le vingt-deuxième jour. En vain avait-on essayé sur +lui les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; +ce n'est que quand on le fit marcher qu'il parvint +à aller à la selle. Les selles suivantes étaient habituellement +aisées, et les fonctions de l'intestin reprenaient +leur régularité. «Ma communication, ajoutait +M. Delorme, pourrait avoir plus qu'un intérêt +clinique, étant donnée les théories qui ont cours sur +l'importance et la fréquence des intoxications intestinales. +Mais je désire rester exclusivement sur le +terrain de la pratique, et je conclurai en disant +que, chez les hommes adultes et sains surpris par +un traumatisme chirurgical qui doit guérir par +première intention, la constipation, provoquée pendant +huit à quinze jours, n'a pas les inconvénients +qu'on lui attribue généralement.»</p> + +<p>Je ne dirai pas par quels procédés M. Delorme +est arrivé à obtenir ces constipations prolongées, +si peu nuisibles aux opérés: car ce serait sortir de +mon sujet; mais ce qui résulte de cette trop longue +digression, c'est que la constipation de quelques +jours, survenant d'elle-même et presque fatalement +chez les opérés, quels qu'ils soient, ne doit pas +préoccuper les chirurgiens, ni les entraîner à +imposer à leurs opérés des purgations qui, fatiguant +leur système nerveux abdominal, ont forcément un +retentissement sur leur système nerveux central, et +contribuent à en faire des malades, alors qu'au +début ils n'étaient que des blessés, ou bien à +aggraver leur «maladie», quand ils étaient déjà des +malades avant l'opération.</p> + +<p>Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs +affirment que la constipation est l'ennemi des +femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose pas +m'inscrire en faux contre cette opinion générale: +mais peut-être serait-elle, comme tant d'autres affirmations, +passible d'un procès en révision.</p> + +<p>III.—CAUSES ACCIDENTELLES</p> + + +<p>Nous venons d'énumérer les principales causes +d'ordre psychique qui amènent la déchéance, totale +ou progressive, du capital vital de l'homme ou de +la femme adultes. Ce sont elles qui, combinées +ou non aux autres influences néfastes (surmenage +cérébral, surmenage musculaire, alimentation défectueuse, +etc.), provoquent le plus souvent la «maladie».</p> + +<p>Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier +âge, comme chez l'adolescent, la «maladie», +chez l'adulte, est provoquée par une affection aiguë +qui le frappe en pleine santé: telle la fièvre +typhoïde, qui, véritable intoxication, surprend +l'adulte dans le cours d'un état d'équilibre irréprochable, +et qui, chose curieuse, paraît être d'autant +plus grave que le sujet était plus robuste.</p> + +<p>La fièvre typhoïde, dis-je, peut parfois provoquer +la «maladie». Ainsi, je connais un homme +de quarante-huit ans, qui a vu sa santé irrémédiablement +ébranlée à la suite d'une fièvre typhoïde +survenue à l'âge de vingt ans. Mais le cas est +rare; souvent, au contraire, on observe qu'une +fièvre typhoïde, survenant chez un individu +malingre, lui donne une santé, pour la suite, qu'il +ne se connaissait pas jusqu'alors. Est-ce parce +que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que +la diète imposée par la fièvre typhoïde a remis +l'organe en état? Est-ce parce que, jusqu'alors, il +se soumettait à un exercice trop vigoureux pour +ses forces, et que la fièvre typhoïde, en lui imposant +le repos, a rectifié ses erreurs d'hygiène musculaire? +Est-ce enfin parce que la fièvre, en brûlant +ce que les anciens appelaient ses «humeurs +peccantes», l'a débarrassé de ses produits d'auto-intoxication +antérieurs à l'affection aiguë? A vrai +dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne +pouvons que constater le fait. Trop heureux serait +celui qui pourrait connaître les causes de tous les +phénomènes de la vie!</p> + +<p>Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, +pneumonies, etc., dans quelle mesure +créent-elles, de toutes pièces, la «maladie»? Nous +pensons qu'elles ne la créent jamais, et qu'elles +ne font que l'aggraver: car, toujours la «maladie» +préexistait. Pour contracter un rhumatisme, une +pneumonie, une angine, il faut déjà que le système +nerveux se trouve dans un état d'infériorité, soit +définitif, soit momentané. La première condition +pour ne pas prendre les «maladies», c'est de se bien +porter.</p> + +<p>Mais il n'en est pas moins certain que l'affection +accidentelle, en intervenant, imprime à la «maladie» +un essor plus ou moins vigoureux, suivant l'importance +de la cause pathogène accidentelle, et aussi +suivant la valeur préalable du sujet.</p> + +<p>De toutes les affections accidentelles, celle qui est +le plus remarquable, à cet égard, est la grippe. La +déchéance post grippale est très fréquente, et parfois +d'une longueur invraisemblable. On met des +années, souvent, à se remettre d'une mauvaise +grippe. Et cet ennemi est d'autant plus dangereux +que, loin de créer l'immunité, il a une tendance à +revenir à la charge; or, dans le cours de la +«maladie», chaque atteinte de grippe fait faire +un pas en arrière, et compromet les résultats péniblement +acquis. La grippe est l'ennemie personnelle +des sujets à capital défectueux, quelle que soit, bien +entendu, la forme symptomatique de leur «maladie».</p> + +<p>C'est aussi dans la période que nous étudions +que se manifeste dangereusement la syphilis contractée +à vingt ans, et insuffisamment soignée; elle +se traduit, maintenant, par de l'anévrisme de l'aorte, +des lésions du muscle cardiaque, de la néphrite dont +personne ne soupçonne la cause, des ictus cérébraux, +et toutes les manifestations de la syphilis tertiaire. +Elle crée de toutes pièces l'ataxie locomotrice et +la paralysie générale, ou du moins elle prédispose +singulièrement le terrain à l'apparition de ces +cruelles «maladies», d'évolution fatalement progressive. +On commence à connaître ses méfaits, dans le +monde des assurances, et à savoir que la syphilis +n'est pas un brevet de longue vie! D'un travail +statistique fait par le Dr Rungberg pour une Compagnie +d'assurances, il résulte que l'âge moyen de +la mort des syphilitiques assurés à cette Compagnie +a été de quarante-trois ans et quatre mois, et que, +au point de vue des causes de mort, la syphilis vient +immédiatement après la tuberculose.</p> + + + + +<p>IV.—INFLUENCES MORBIGÈNES SPÉCIALES A LA FEMME</p> + + +<p>Toutes les considérations que nous venons d'exposer +peuvent s'appliquer également à l'un et à +l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste +privilège de pouvoir être frappée par des influences +morbigènes qui n'atteignent pas le sexe masculin, +et qui méritent d'être étudiées à part.</p> + +<p>La menstruation joue, dans la vie de la femme, +un rôle de premier ordre. Chez la femme très bien +portante, son influence est à peine perceptible, +mais chez la femme déjà malade son influence +est des plus nettes; chez l'aliénée, en particulier, +on observe d'une façon constante, quelques jours +avant les règles, une aggravation du délire; et, +chez l'aliénée qui semble guérie, on ne doit prononcer +le mot de guérison que quand deux périodes +menstruelles se sont passées sans accident. Nous +disons à dessein <i>deux</i> périodes: car si, chez les +grandes névrosées, les troubles menstruels sont +mensuels, chez les malades moins atteintes ils nous +ont semblé souvent ne survenir que tous les deux +mois<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9"><sup>9</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" name="footnote9"></a><b>Note 9:</b><a href="#footnotetag9"> (retour) </a> Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation s'accompagne +toujours d'une fièvre ardente, se prolongeant deux ou trois +jours, et bien capable d'égarer le diagnostic.</blockquote> + +<p>Chez la grande neurasthénique qui a encore ses +règles correctes, on peut affirmer que, douze jours +avant l'apparition des règles, les misères nerveuses, +abdominales, etc., s'accentuent considérablement, +au grand désespoir des familles qui, ayant espéré +la guérison, croient que tout est à refaire. Mais il +n'en est rien: bientôt tout rentre dans l'ordre, +quelquefois même pendant les règles, à partir du +deuxième jour, et, le plus souvent, immédiatement +après la cessation de l'écoulement. Les malades +entrent alors dans ce qu'elles appellent leur «bonne +semaine».</p> + +<p>Le médecin doit connaître ce détail, et avertir +les malades et leurs familles de la rechute, qui +est inévitable tant que la «maladie» bat son plein. +Quand les grandes malades n'ont plus leurs règles, +ce qui est fréquent, c'est d'un pronostic assez +important; et la réapparition des menstrues après +deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs +cas, indique que la malade entre enfin dans la voie +de l'amélioration, alors même qu'elle continue à +souffrir.</p> + +<p>L'influence de la grossesse est non moins évidente. +Nous avons dit qu'elle était quelquefois +salutaire, parce que l'utérus développé remplaçait +la sangle abdominale défectueuse; mais, une fois +l'utérus revenu à son volume normal, la paroi +abdominale se trouve encore un peu plus flasque +qu'avant; et, quand les grossesses sont répétées, +la ptose abdominale devient un des principaux éléments +de la «maladie». C'est alors qu'une ceinture +bien faite, avec ou sans pelote à air suivant la forme +du ventre, peut rendre à la malade d'inappréciables +services.</p> + +<p>Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas +tout, chez les ptosiques. Car enfin, pourquoi les +malades ont-elles de la ptose? C'est parce qu'elles +étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c'est +parce que la sangle que forment les muscles du +ventre n'avait pas la tonicité normale. Si on avait +soigné la future ptosique en temps utile, alors +qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du +système nerveux, de l'estomac, de l'intestin, elle +ne serait pas devenue ptosique, elle n'aurait pas eu +besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses +multiples sans avoir de ptose. De sorte que +la ceinture, cet instrument si merveilleux, ne doit, +à notre avis, être considéré que comme un moyen +thérapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est régénérer +la malade et lui permettre de se passer de ceinture.</p> + +<p>On y parvient, sauf quand la déchéance est trop +avancée, par une bonne hygiène générale, s'adaptant +aux indications fournies par chaque individu. +Chez les unes, la ptose guérira par l'exercice, chez +les autres par le repos, chez les unes par une saison +à Vichy, chez les autres par un régime restreint, +chez toutes par la reconstitution du système +nerveux, qui toujours laisse à désirer.</p> + +<p>La ceinture abdominale, pour en revenir à elle, +ne sera employée que le moins de temps possible. +Chez les femmes non surmenées musculairement, +on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale +naturelle, soit par les exercices de plancher de +la gymnastique suédoise, soit par la pratique du +chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent +les Italiens. Nul doute que, en utilisant la +pression abdominale pour la pulsion de l'air, on ne +fasse à la fois de la bonne thérapeutique abdominale +et de l'excellent travail au point de vue du +chant. Tous les chanteurs et même toutes les chanteuses +dignes de ce nom ont une force extraordinaire +des muscles droits antérieurs; en se contractant, +ils repoussent la main qui les comprime<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10"><sup>10</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" name="footnote10"></a><b>Note 10:</b><a href="#footnotetag10"> (retour) </a> Il serait intéressant d'inventer un dynamomètre spécial pour +mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce dynamomètre +donnerait des indications très intéressantes sur la valeur +biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, +tant vaut l'individu.</blockquote> + +<p>On voit combien nous sommes éloignés de l'opinion +qui attribue à la ptose abdominale toutes les +misères des dyspeptiques, des neurasthéniques, des +malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme +a de la ptose et mille misères variées: une ceinture +fait disparaître presque toutes ces misères, +c'est donc, conclut-on que la ptose était l'unique +cause? Mais non; c'est toujours la théorie du +moindre effort appliquée au raisonnement humain. +La vérité est que la ptose est symptomatique, que +la ceinture ne guérit pas la malade, ne fait que la +soulager d'une partie de ses misères, et qu'il faut +déjà être malade pour devenir ptosique,—en +dehors, bien entendu, des cas où la contention abdominale +insuffisante serait due à une éventration.</p> + +<p>La ptose peut d'ailleurs n'être que passagère. Il +existe même des ptoses qu'on pourrait appeler +aiguës, si l'on nous permettait cette expression. +Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, +dans le cours d'une bonne santé, à la +suite d'un coup de froid, d'une émotion violente, +d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une +purgation. D'un jour à l'autre, on voit le ventre +s'effondrer, se vider, perdre son élasticité, sa souplesse, +donner la sensation d'un amas pâteux, d'un +chiffon mouillé: et l'exploration ne permet plus +alors de noter ni le caecum, ni le côlon. On perçoit, +dans la fosse iliaque, un gargouillement dont +l'on enseigne à tort qu'il appartient en propre à la +fièvre typhoïde: on ne le rencontre dans la fièvre +typhoïde que parce qu'on l'y cherche.</p> + +<p>Cet effondrement abdominal s'observe en outre, +dans presque toutes les «maladies» aiguës. Il est toujours +l'indice d'une sidération du système nerveux +abdominal; et, comme le système nerveux abdominal +n'est pas sans avoir des relations intimes avec le +système nerveux central, l'effondrement en question +est toujours l'indice d'un état de «maladie» assez +grave. Mais il peut n'être que passager, durer +quinze jours, trois semaines; d'autres fois, il dure +deux à trois mois, dans certains états subaigus; +puis, peu à peu, on voit le ventre se ressaisir, +reprendre sa forme, son élasticité, renaître: c'est le +commencement de la guérison.</p> + +<p>En même temps que le ventre s'effondre et que +survient la ptose aiguë, la sonorité abdominale +subit des modifications extrêmement intéressantes. +Le son devient uniforme, tandis que, à l'état normal, +ou dès que le ventre se ressaisit, la percussion +donne des notes différentes dans les deux +fosses iliaques et sur la ligne médiane. Le plus souvent, +c'est l'octave qu'on observe entre le côté droit +et le gauche (octave supérieure au côté droit).<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11"><sup>11</sup></a></p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" name="footnote11"></a><b>Note 11:</b><a href="#footnotetag11"> (retour) </a> Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et la percussion, +donne les renseignements les plus précieux sur la valeur +digestive de chacun, et des indications très nettes sur le régime +alimentaire qu'il convient d'imposer: régime qui doit varier, +évidemment, d'un jour à l'autre, comme varient l'aspect du +ventre et les sensations que donnent la palpation et la percussion. +Ce sera la gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, +et d'avoir essayé d'apprendre cette lecture à ses contemporains. +Mais, il ne faut pas se le dissimuler, l'exploration abdominale +est chose très difficile; je la pratique depuis dix ans que j'ai la +bonne fortune d'être en relations scientifiques avec le Dr Sigaud, +et je vois mieux, de jour en jour, la difficulté de cette étude, en +même temps que j'en apprécie mieux toute l'importance.<br> + +<p>Laissons d'ailleurs la parole à MM. Sigaud et Vincent, qui +résument ainsi les données de l'exploration abdominale: «Nous +ne saurions trop affirmer que l'exploration méthodique de l'appareil +digestif est, pour le biologiste, une source de faits inépuisable. +Quelle variété de renseignements, quelle précision dans +l'observation, ne devons-nous pas attendre d'un procédé à la perfection +duquel nous voyons concourir les données fournies, +presque simultanément, par l'ouïe, la vue, le toucher? Ajouterons-nous +que, en raison de la nature spéciale cavitaire de son +tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densité, +dans sa consistance, sous les influences les plus légères et les +plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons +aucune modification du côté des appareils circulatoire, pulmonaire, +nerveux ou rénal, nous constatons toujours des signes +positifs du côté de la sphère gastro-intestinale. Les oscillations +vitales que les autres appareils organiques sont impuissants à +objectiver, le tube digestif les enregistre avec une fidélité remarquable +et une variété de nuances que l'on n'a point soupçonnée +jusqu'ici. Et toutes les modifications de forme et de volume, +d'élasticité et de résistance du tissu abdominal, toutes les variations +de sonorité des membranes digestives, ne sauraient être +considérées comme des faits de valeur médiocre inutilisable. Elles +portent en elles-mêmes un double enseignement: elles traduisent, +d'une part, les diverses modalités fonctionnelles du tube digestif, +d'autre part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, +l'orientation générale des réactions de l'organisme correspond à +ces modalités digestives.» (<i>Mémoire</i> lu à la Société de Médecine +de Gand, 4 avril 1905.)</p> + +<p>Les intéressantes études de MM. Sigaud et Vincent auraient +encore à être complétées par l'étude de l'auscultation abdominale; +c'est là un chapitre de séméiologie qui est tout entier à +faire, et que je ne puis qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. +Munis d'un bon stéthoscope, ils trouveront dans l'auscultation +abdominale des renseignements d'une valeur insoupçonnée jusqu'à +ce jour.</blockquote> + +<p>Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle +leur rend un service momentané qui n'est pas à +dédaigner. Elle les soulage: mais ce qui les guérit, +quand il leur reste encore assez d'énergie vitale, +c'est un régime approprié, et du repos ou un exercice +gradué, suivant les cas. Le régime devra être celui +qui donne le moins à travailler à l'estomac et à +l'intestin sidérés; il devra donc être liquide ou +semi-liquide. Les prises alimentaires devront être +fréquentes,—très fréquentes, dans l'état aigu. +Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, +en éprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on +peut dire que le lit est le meilleur des agents thérapeutiques. +Quand le ventre commence à se ressaisir, +le régime devra être plus substantiel: +potages épais, purées légères prises toutes les +trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait un +nouveau progrès, alimentation plus dense et moins +fréquente (six repas en vingt-quatre heures, dont un +dans le courant de la nuit: purées épaisses, macaroni, +riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu +presque normal, quatre repas par jour, assez copieux, +presque égaux, dont un avec viande non saignante. +Enfin, quand l'orage est passé, quand le ventre a +retrouvé sa souplesse, son élasticité et sa tension, +alors seulement il faut arriver aux trois repas: celui +du matin, qui doit être assez copieux (café noir, oeuf +ou viande froide); celui de midi, composé en général +de trois articles: 1° macaroni, ou purée, ou pommes +de terre en robe de chambre; 2° viande non saignante; +3° fromage, peu de pain, pas encore de vin, un +verre de liquide à la fin du repas; enfin le repas +du soir, plus léger, comprenant aussi trois articles: +1° potage épais; 2° oeufs ou poisson; 3° fruits cuits.</p> + +<p>Telles sont les grandes lignes de la diététique des +états aigus ou subaigus. En même temps, avons-nous +dit, le repos s'impose: dans l'état aigu un +repos absolu au lit; plus tard, deux heures de +lever sur une chaise longue, entre les repas. Il +faut faire longtemps manger les malades au lit; +puis, jusqu'à guérison complète, repos horizontal +après les repas; et toujours beaucoup de sommeil, +même diurne, le sommeil diurne étant le meilleur +agent provocateur du sommeil nocturne, à l'inverse +de ce que l'on croit ordinairement.</p> + +<p>On comprend combien, dans cet état d'équilibre +instable, une violente perturbation, produite soit +par une purgation, soit par un vomitif, soit par une +alimentation trop hâtive, peut être défavorable au +malade.</p> + +<h4>CHAPITRE IV</h4> + + +<h4>PSYCHOTHÉRAPIE</h4> + +<p>Nous avons, maintenant, suffisamment indiqué, +les causes diverses qui produisent la «maladie». Mais +cette étude même n'a fait encore que mieux nous +montrer le rôle prépondérant que joue, dans l'origine +comme dans l'évolution de la «maladie», l'ébranlement +du système nerveux. Et de là résulte +l'importance, également prépondérante, d'une médication +destinée à remonter le système nerveux: +médication dont un des éléments essentiels est cette +«psychothérapie» qui, depuis quelque temps, a +commencé à préoccuper vivement le monde médical, +sans qu'on soit encore parvenu à en fixer exactement +le domaine et l'application.</p> + +<p>A en croire un certain nombre de nos confrères, +français et surtout étrangers, le psychothérapie +serait simplement destinée à remplacer toute thérapeutique. +L'imagination, d'après ces savants, +jouerait dans la production et le développement +des «maladies» un rôle si énorme, qu'il suffirait de +découvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader +aux malades qu'ils se portent bien, pour leur +rendre aussitôt la santé. La psychothérapie consisterait +donc à étudier, à ce point de vue, l'état +d'esprit de chaque malade, de façon à pouvoir suffisamment +s'emparer de sa confiance pour lui +ordonner de se croire guéri. Mais les plus récents +défenseurs de cette doctrine avouent eux-mêmes +que les moyens de persuasion sont, jusqu'ici, très +difficiles à trouver; et je dois dire, quant à moi, +qu'une conception aussi simpliste de la thérapeutique +me paraît, jusqu'à nouvel ordre, quelque +peu fantaisiste.</p> + +<p>Oui certes, la préoccupation de l'état d'esprit +des malades, et de ce qu'on pourrait appeler la +cure morale, doit tenir plus de place qu'elle n'en +tenait, hier encore, dans la médecine officielle. +Mais j'estime que la psychothérapie peut faire +mieux que d'imposer aux malades l'illusion,—toujours +bien brève et bien fragile,—de se bien +porter: elle peut devenir un des agents les plus +actifs et les plus précieux de la guérison.</p> + +<p>Étant donnée l'idée que nous nous faisons de +l'origine nerveuse de la «maladie», voici, à notre +avis, la meilleure définition de la psychothérapie: +«C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique +par lesquels on améliore ou on reconstitue le +capital nerveux.» Son action s'étend: 1° à toutes +les déviations mentales; 2° à un grand nombre de +troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, +l'anorexie, etc., l'incontinence d'urine, etc.</p> + +<p>Quant à ses moyens d'action, ils peuvent, pour la +facilité de l'étude, être divisés en deux grandes +catégories:</p> + +<p>1° Moyens par lesquels on diminue les dépenses;</p> + +<p>2° Moyens par lesquels on augmente les recettes.</p> + + + + +<p><b>I</b></p> + + +<p>MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DÉPENSES</p> + +<p>Il est une foule de malades qui gaspillent leur +influx nerveux sans le savoir; il faut leur apprendre +à l'économiser, leur démontrer combien est fatigante, +pour le système nerveux, l'hésitation perpétuelle, +leur enseigner l'utilité qu'il y a à savoir +prendre un parti dans les moindres circonstances +de la vie. Il vaut mieux prendre un parti médiocre +immédiat qu'un parti plus sage après hésitation. +Or, pour savoir vite prendre parti et s'épargner la +peine de remettre en discussion tous les motifs et +mobiles qui doivent déterminer l'acte à accomplir, +il y a un procédé très recommandable, qui consiste +simplement à adopter des principes, et à se dire: +«Dans telle circonstance, je ferai ceci, dans telle +autre je ferai cela»; et puis, une fois le principe +adopté, à y rester fidèle,—sans cependant en +devenir esclave. Car il ne faut pas que l'entêtement +remplace l'hésitation, que l'océan devienne terre +ferme. Un petit moyen pratique à recommander +aux hésitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout +ce qu'ils doivent faire dans la journée et les jours +suivants, puis, une fois la chose écrite, d'exécuter +ponctuellement ce qui aura été arrêté. La volonté +parvient ainsi, peu à peu, à se discipliner, en même +temps qu'on s'évite des pertes considérables d'influx +nerveux.</p> + +<p>D'une façon générale, il faut inspirer aux malades +le respect du temps, leur faire comprendre que le +temps, c'est l'étoffe dont la vie est faite, et qu'il +n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que +c'est par le respect du temps qu'on trouve le +moyen de faire une foule de choses utiles avec un +minimum de dépense. S'ils parviennent à comprendre +cette vérité, ils trouveront eux-mêmes, +peu à peu, un <i>modus vivendi</i>, qui, sans qu'ils s'en +doutent, leur fera faire des économies de dépense +nerveuse. Recommander aux malades de prendre +des habitudes <i>d'ordre</i>, de tout régler dans leur vie,—les +heures du lever, du coucher, des repas, etc.,—de donner à +chaque chose, à chaque préoccupation, +la place et l'importance qui lui conviennent, +est encore un moyen de leur épargner les dépenses +nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente psychothérapie.</p> + +<p>Appliquons ces idées générales à un cas particulier. +Voici une jeune fille atteinte de ce qu'on +appelle la «folie du doute»; dès son lever, elle ne +saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou +quatre, et finira par reprendre la première; elle +passera deux heures à faire sa toilette, ne sachant +si elle doit commencer par se coiffer ou par se laver +les mains; et toute sa journée se passera ainsi +dans un état vague d'anxiété. Le soir, la situation +est plus pénible encore: la malade ne parvient pas +à se coucher, elle met deux heures pour se déshabiller, +s'interrompant à tout instant pour confier à +un petit cahier une foule d'idées qui ont torturé son +cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. On +dirait qu'elle cherche à les fixer en les écrivant. +J'ai chez moi plusieurs collections de petits registres +qui sont tous inspirés par ce même esprit. Or, +cette agitation stérile, continue, occasionne une +dépense cérébrale énorme. Si l'on veut bien étudier +une malade de ce genre, on verra qu'elle n'est +pas malade que de la tête, mais que tout est malade +chez elle. Elle digère mal, elle est amaigrie, elle a +des urines rares et chargées alternant avec des +urines claires et abondantes. Elle est mal réglée, etc.</p> + +<p>Il lui faut donc, avant tout, un traitement général; +dont nous indiquerons plus tard les grandes lignes, +mais il lui faut aussi un traitement psychothérapique.—Et +lequel? La première chose est de lui +dire combien cette manière de faire est ridicule: +cela, on n'aura pas de peine à le lui faire admettre, +elle le sait très bien; le preuve, c'est qu'elle cache +son infirmité avec le plus grand soin à tout son +entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette +dépense nerveuse, si stérile, la fatigue, et entretient +ou cause sa «maladie» physique. Enfin, d'accord +avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au +lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour +les diriger dans un sens déterminé. A l'une, on +fera apprendre une langue étrangère, à l'autre on +proposera une autre occupation, non moins précise. +Le médecin s'inspirera d'une foule de considérations +d'ordre secondaire; l'essentiel est qu'il +atteigne son but, qui est de discipliner la volonté +et d'éviter à la malade les pertes nerveuses, par +une bonne orientation de son activité. Nous avons +pris là, à dessein, un cas des plus difficiles à guérir: +et cependant nous affirmons que la guérison y est +possible, quand, à la psychothérapie, on joint un +traitement somatique convenable et suffisamment +prolongé.</p> + +<p>Dans la manie aiguë, ou certaines phases de la +paralysie générale, dans tous les cas de délire aigu +occasionnés par les «maladies» infectieuses, l'influx +nerveux subit des dépenses colossales; les fuites se +font de toutes parts. La pensée est si rapide, chez +le maniaque, que l'aliéniste expérimenté ne parvient +pas à la suivre. Les associations d'idées se +font avec une telle rapidité que le malade n'a pas +le temps de les exprimer, et, quelle que soit sa +volubilité, sa langue n'a pas un débit égal à celui +de son cerveau. La psychothérapie peut-elle être +utile à des malades de ce genre? Oui, mais, à vrai +dire, son rôle est alors négatif; il faut savoir ce qu'il +ne faut pas faire; il faut ne pas s'acharner à discuter +avec le malade, à rectifier ses appréciations; il faut, +en un mot, laisser passer l'orage, et se borner +à éviter au malade toute cause d'excitation prochaine +ou éloignée. Il faut se rappeler, surtout, +qu'une fois l'orage passé, on aura longtemps encore +à user d'extrêmes précautions, et à ménager le +cerveau fragile.</p> + +<p>Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'être disséminée, +est limitée à un point fixe, la psychothérapie +intervient d'une façon plus active. Voici un +homme en proie à une obsession: une idée a +envahi son cerveau, il y pense nuit et jour, en perd +le boire et le manger. Toutes ses pensées ont pour +pivot l'idée maîtresse, il en parle à tous ceux +qu'il estime pouvoir le comprendre, il demande +conseil, s'agite en vain, et, ne trouvant pas de +solution, il s'épuise. Faut-il, dans ce cas, essayer +de boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit +pas penser à ce qui le préoccupe? Mais c'est lui +demander l'impossible, et le torturer inutilement. Il +faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec +les plus amples détails, les causes de sa souffrance +morale; mais, ceci fait, pour acquérir sa confiance, +il ne faut presque plus lui permettre d'en parler, +et, en échange, il faut lui trouver des dérivatifs. +De même que, dans une hémorragie pulmonaire, +le médecin bien avisé fait une saignée générale, +qui arrête l'hémorragie, de même le psychothérapeute +ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre +l'idée obsédante, mais faire naître des courants +d'idées dérivatifs; en d'autres termes, remplacer une +idée morbide par une série d'idées saines. C'est la +psychothérapie <i>dérivative</i>.</p> + +<p>Un autre moyen d'économiser les fuites nerveuses, +moyen à employer dans les cas exceptionnels, +c'est de conseiller au malade l'acceptation +du fait acquis, en d'autres termes la résignation; +c'est la psychothérapie <i>sédative</i>. Que le +malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se +cabrer contre les circonstances qui ont produit ou +qui entretiennent la «maladie», de se nourrir de son +chagrin, de se remémorer les causes morales qui +l'ont amené; et il s'évitera une fatigue nerveuse +énorme. Cette passivité produira sur lui l'effet sédatif +d'une sorte de sommeil de la cellule nerveuse.</p> + +<p>Quand la résignation, au lieu d'être pour ainsi +dire passive, est un acte volontaire en vertu duquel +le patient accepte, en toute liberté, sans restrictions, +sans protestations, ses misères, pour les offrir dans +une intention quelconque, elle devient tout le contraire +de la passivité, et déjà elle rentre dans la +deuxième catégorie des moyens psychothérapiques. +L'étude de cette résignation active va donc nous +servir de transition toute naturelle.</p> + +<p>La résignation ainsi comprise est un acte. Répéter +plusieurs fois par jour qu'on se résigne, c'est faire, +plusieurs fois par jour, acte de volonté; et encourager +le malade à accomplir cet acte de volonté, +c'est faire de l'excellente psychothérapie <i>reconstituante</i>. +Malheureusement, cette résignation active +est à la portée de peu d'initiés. Elle suppose toute +une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarité +humaine, de la réversibilité des mérites et +des souffrances, en un mot la doctrine du renoncement; +et peu de malades la connaissent. Aussi +est-ce à titre exceptionnel que les ressources de la +résignation active peuvent être employées.</p> + +<p>Mais, dira-t-on, quel peut être le rôle du médecin +en face d'un malade qui va jusqu'à voir dans la +souffrance un bienfait? On croirait, <i>a priori</i>, que le +médecin n'a qu'à disparaître; en fait, il n'en est +rien. Le médecin doit rester à son poste; et tout en +encourageant le malade dans cette voie, en fortifiant +sa volonté, il doit l'exhorter à ne pas négliger les +moyens thérapeutiques que réclame son état. Car +enfin le résigné actif ne commet pas une erreur de +logique en désirant guérir et en acceptant les +soins médicaux. S'il fait bien de se résigner à la +souffrance lorsque celle-ci est inévitable, il est tenu, +au contraire, de se résigner aussi à ce que veut +pour lui la nature, c'est-à-dire à ne rien omettre +pour reconquérir, avec la santé, la possibilité d'une +vie plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs +que, en fait, le résigné actif est d'ordinaire le +plus obéissant, le plus stable des malades, le plus +reconnaissant pour les soins médicaux qui lui sont +donnés; c'est le malade de choix.</p> + + + + + +<p><b>II</b></p> + + +<p>MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES</p> + +<p>La deuxième catégorie des moyens psychothérapiques +comprend, comme nous l'avons dit, ceux +qui ont pour but d'améliorer la part subsistante du +capital nerveux. On peut parvenir à ce résultat de +deux façons:</p> + +<p>1° En dynamisant ce qui reste du capital nerveux +par une savante gymnastique de la volonté. +(L'homme ne vaut que par sa volonté: donc discipliner, +fortifier, renforcer sa volonté, c'est lui rendre +le plus grand des services.)</p> + +<p>2° En insufflant, pour ainsi dire, au malade un +fluide nerveux étranger.</p> + +<p>Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre +du malade. Celui-ci devient le collaborateur du +médecin, dont le rôle se borne à indiquer les procédés +de gymnastique de la volonté et à surveiller +l'application.</p> + +<p>Dans le deuxième cas, une volonté étrangère +vient en aide à la volonté défaillante, ou insuffisante, +du patient.</p> + +<p>1° <i>Gymnastique de la volonté</i>.—Il y a des procédés +d'éducation de la volonté,—cette faculté, +comme la mémoire, comme l'attention, étant susceptible +d'être améliorée par une bonne gymnastique. +Le principe général, dans cette éducation, +c'est de procéder lentement, de ne pas demander +au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, +mais de lui demander, au début, un tout petit +effort, qui sera augmenté tous les jours. Ainsi nous +invitons nos malades à faire trois fois, tous les +matins, trois mouvements déterminés des bras, puis +six, puis douze, puis d'en faire autant avec les +membres inférieurs. En ordonnant ces exercices, +nous comptons bien moins sur l'action utile de la +gymnastique musculaire elle-même que sur l'effort +de volonté que nous obtenons du malade, avec son +libre consentement. Dans le même esprit, nous +envoyons certains de nos malades faire une gymnastique +spéciale, tous les jours, par tous les temps, +à l'extrémité de Paris, aussitôt qu'ils peuvent supporter +la fatigue d'un déplacement quotidien. Là, +nous leur faisons faire la course en flexion, exercice +musculaire excellent, qui, bien gradué d'après +des règles précises, régularise la circulation du +sang, les battements du coeur, augmente la vigueur +de tous les muscles, en particulier des muscles inspirateurs, +et favorise, par conséquent, l'acte respiratoire. +Grâce à cette gymnastique, on arrive, au +bout d'un mois, à faire courir pendant vingt +minutes des malades qui ne marchaient pas, ou qui +ne croyaient pas pouvoir marcher<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12"><sup>12</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" name="footnote12"></a><b>Note 12:</b><a href="#footnotetag12"> (retour) </a> Ajoutons que cette course ne provoque jamais d'essoufflement +le principe de la méthode étant, avant tout, d'éviter l'essoufflement +par une progression sage et bien réglée dans la longueur +et la rapidité du pas. La méthode dont nous parlons a été instituée +par notre regretté ami, le commandant de Raoul, qui avait fait +des études très sérieuses, théoriques au laboratoire de Marey et +pratiques pendant toute la durée de sa carrière militaire. Ce n'est +pas le lieu de parler avec détail de cette méthode d'entraînement; +disons seulement qu'on ne se fait pas une idée, dans le monde +des gymnasiarques, de la lenteur dans la progression à imposer +au coureur. Ainsi la vitesse du pas gymnastique de l'armée ne +doit être atteinte, chez l'homme même bien portant, qu'après quinze +minutes de course progressivement plus rapide. C'est comme cela +que l'on arrive à obtenir le rendement maximum, et que le pas +gymnastique peut être prolongé très longtemps sans fatigue. De +même, avant d'arriver à la vitesse de six kilomètres à l'heure, +c'est-à-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq +minutes de course en progression. Si, à cette prudence dans la +progression, on joint le soin de faire respirer le malade en temps +utile, et de lui apprendre à respirer, on lui évite l'essoufflement. +Mais si le coureur n'est pas essoufflé, par contre il est envahi, au +bout de vingt à trente minutes, d'une transpiration énorme, +telle que la course en flexion a pour complément indispensable, +soit une friction sèche avec changement de linge, soit, mieux +encore, une douche tiède. Cette nécessité de la douche finale +limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, par parenthèse, +l'interdit à l'armée, pour laquelle, dans l'esprit du commandant +de Raoul, elle semblait surtout indiquée. Nos malades, au +contraire, trouvent toute facilité pour prendre la douche terminale, +puisque la course a lieu dans le jardin attenant à la maison d'hydrothérapie +d'Auteuil, qui est gracieusement mis à notre disposition +par le Dr Oberthur, directeur de l'établissement.<br> + +<p>Nul doute que cet exercice musculaire très gradué, sous la direction +de moniteurs compétents, que l'exercice pris au grand air, +dans la matinée, ne soient des facteurs importants dans l'excellent +résultat total que j'obtiens de ce que j'ai appelé la <i>dromothérapie</i>; +mais j'estime qu'une grande part du résultat utile revient +à cette gymnastique de la volonté que le malade fait, pour ainsi +dire, sans s'en douter. Il assiste tous les jours à ses progrès, il +éprouve un vague sentiment de contentement à la pensée qu'il a +vaincu, tous les jours, une difficulté nouvelle. Dût-on m'accuser +de paradoxe, je dirai que, en imposant à un malade la course +en flexion, fait-on surtout de la psychothérapie: psychothérapie +par exercice de la volonté, et aussi psychothérapie dérivative, +puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui +devient vraiment une récréation, après les trois ou quatre premiers +jours.</blockquote> + +<p>Le Dr Lagrange a très justement insisté sur l'utilité +de l'attrait dans l'exercice physique. Or cet attrait +manque absolument dans l'exercice de la <i>gymnastique +respiratoire</i>. Cet exercice est souverainement +ennuyeux, et c'est chose rare que nos malades les +plus obéissants le continuent régulièrement plus de +deux mois; mais c'est précisément pourquoi il est, +pour le psychothérapeute, un agent de premier +ordre, puisqu'il exige un effort énorme de volonté. +Aussi, à ce titre même, ne saurions-nous trop le +recommander. En outre, il produit les effets les +plus favorables sur la circulation et la nutrition; +c'est le seul moyen que je connaisse de faire disparaître +ces rougeurs émotives, si désagréables à +certains neurasthéniques des deux sexes, et qui +ne s'observent pas seulement chez les timides, car +les personnes hardies et décidées leur payent aussi +leur tribut. Quand cette infirmité arrive à provoquer +l'obsession de la rougeur, la peur de rougir rend +la vie sociale insupportable, et mérite l'attention du +clinicien, d'ailleurs désarmé s'il n'emploie que les +moyens classiques. Or, si l'on étudie de près ce +symptôme, on voit qu'il s'accompagne, presque +toujours, d'une perturbation respiratoire, et quelquefois +de sensations précordiales; et c'est, sans +doute, parce que l'exercice en question régularise +la respiration, qu'il est le meilleur traitement de la +rougeur émotive. En tout cas, le fait est certain, je +l'ai plusieurs fois observé. Mais comme ces exercices +sont, je le répète, extrêmement désagréables, +il faut savoir les graduer de façon à ce que +le patient ait au moins le plaisir d'assister à ses +propres progrès. On arrive ainsi, peu à peu, à +faire faire au malade des mouvements de respiration +profonde pendant dix minutes, matin et soir. +On ne saurait croire l'effet utile, à divers titres, de +cette gymnastique méthodique, telle que les Suédois +l'enseignent, c'est-à-dire faite d'après les vrais +principes de la physiologie; tandis que, quand elle +est enseignée, ce qui arrive trop souvent, par des +instructeurs mal instruits, elle trouble les phénomènes +de la circulation, et peut même amener du +vertige et de la syncope. C'est donc un moyen +puissant, mais qu'il faut savoir manier, comme +toutes les autres armes de la thérapeutique. Il existe, +dans tous les Instituts Zander, un appareil qui fait +faire automatiquement d'excellente gymnastique +respiratoire. Aux malades qui n'ont pas l'énergie +de la faire simplement dans leur chambre sans le +moindre appareil, nous conseillerons les instituts +mécanothérapiques.</p> + +<p>On peut exercer la volonté du malade, et, par +conséquent, la fortifier, par mille autres moyens, qui +seront inspirés par les diverses conditions de +milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, +il faut faire faire au malade un travail utile, et dont +il puisse facilement mesurer les progrès, et surtout +un travail qui ne demande pas une dépense, soit +cérébrale ou musculaire, excessive: car alors on +perdrait d'un côté ce qu'on gagne d'un autre. Il +faut, enfin, se rappeler que le rôle du psychothérapeute +doit prendre fin à un moment donné, quand +le malade a reconquis une puissance suffisante pour +pouvoir voler de ses propres ailes. On doit alors +l'abandonner à lui-même, mais non pas brusquement: +il faut, si l'on nous permet cette comparaison, +que le médecin imite le professeur de bicyclette, +qui soutient pendant un certain temps son +élève, puis l'abandonne momentanément, sans +qu'il s'en doute; l'élève confiant continue à pédaler, +se croyant soutenu, jusqu'au moment où il est assez +sûr de lui-même pour aller tout seul. Si le professeur +le soutenait indéfiniment, l'élève ne ferait pas +de progrès.</p> + +<p>2° <i>Moyens d'augmenter artificiellement le capital +nerveux insuffisant</i>.—Dans les cas où la volonté +est tellement défaillante que l'on ne saurait faire +aucun fonds sur elle, le médecin peut essayer de +fournir à son malade un apport étranger d'influx +nerveux: il y arrive par le procédé de l'hypnose. +Rien ne m'ôtera la conviction que, dans l'hypnose, +il y a une «influence» de l'hypnotiseur sur son +sujet, «influence» étant compris dans son sens étymologique +(<i>fluere</i>, couler). L'hypnotiseur envoie de +l'influx nerveux, il donne quelque chose de lui-même; +il a une action personnelle; et les médecins +qui prétendent le contraire, qui disent que les passes +peuvent être remplacées par le braidisme, par la +fixation d'un objet brillant, immobile comme une +boule ou mobile comme un miroir à alouettes, ne +me paraissent pas être dans la vérité.</p> + +<p>L'hypnotisme peut rendre de grands services +dans les cas les plus variés; non seulement il peut +rectifier des idées erronées, faire disparaître les +mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il +agit encore pour ramener chez le malade la quiétude +de l'esprit, la confiance en soi-même.</p> + +<p>Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien +n'est, en effet, plus facile, chez un sujet hypnotisable, +et qui est bien en main, que de faire disparaître des +troubles dyspeptiques, névralgiques, d'arrêter des +vomissements, des métrorragies, de faire revenir +les règles, le sommeil naturel, de régulariser les +selles, etc.</p> + +<p>Le malheur est que tous les sujets ne sont pas +susceptibles de subir l'influence hypnotique, et que, +précisément, ceux qui en auraient le plus besoin se +trouvent être réfractaires; ainsi les aliénés, les +hallucinés, les grandes hystériques, les malades +atteints de délire systématisé, ne sont presque +jamais hypnotisables. L'hypnose est d'autant plus +difficile à obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi, +chez les aliénés, nous avons vu notre excellent +maître le Dr A. Voisin s'acharner pendant des +heures entières sans obtenir le moindre effet; mais +aussi quel triomphe quand, d'aventure, il réussissait! +Nous connaissons pour notre part de grands +nerveux qui, très désireux de pouvoir être endormis, +sont allés, sur notre conseil, consulter tels ou tels +confrères renommés pour leur habileté ou leur connaissance +spéciale de l'hypnotisme, et toujours avec +un insuccès complet.</p> + +<p>C'est là une première raison qui restreint grandement +l'emploi de l'hypnose. Une deuxième raison +qui doit le limiter, c'est que, quand on emploie +l'hypnotisme, on risque de se discréditer, dans +l'esprit du malade, si on ne réussit pas du premier +coup, et alors on le prive du secours qu'on aurait +pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse +manoeuvre, perdu irrémédiablement sa confiance. +Mais il existe des procédés permettant de savoir si +oui ou non le malade est hypnotisable, de façon +qu'on puisse ne marcher qu'à coup sûr, et laisser +de côté, sans en avoir l'air, les sujets non facilement +hypnotisables.</p> + +<p>Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: +c'est que celle-ci, quand elle réussit, risque de +devenir un moyen thérapeutique trop actif. Même +avec la plus grande prudence, on ne parvient pas +toujours à en graduer les effets, et le médecin s'empare +souvent par trop de l'esprit du malade, au point +que ce dernier ne peut plus rien faire sans son +conseil.</p> + +<p>J'ai connu un ingénieur des chemins de fer, +renommé pour sa sévérité à l'égard des inférieurs, +et névropathe de grande marque. Son médecin +crut bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se +trouva, par hasard, que c'était un sujet de premier +ordre. Un jour, pendant le sommeil hypnotique, le +médecin lui intima l'ordre d'avoir, à l'égard de ses +inférieurs, plus de bienveillance; et voici que, dès +le lendemain, les procédés de cet homme à l'égard +de ces inférieurs se firent tellement bienveillants, +affables, affectueux, qu'il devint la risée de ses subordonnés +eux-mêmes, et un sujet d'étonnement pour +ses chefs. Il ne parlait plus que de devoir social, +d'altruisme, de solidarité humaine. On le crut fou; il +ne l'était pas, mais il était devenu tellement différent +de lui-même qu'il fallait aviser. Le médecin, +averti de ce changement à vue, s'efforça, en plusieurs +conversations, de modérer le zèle charitable du +néophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait +avec lui les théories socialistes, et serait devenu +le pire des utopistes. Il fallut une nouvelle séance +d'hypnose pour atténuer, au point voulu, les effets +de la suggestion première.</p> + +<p>Pourquoi employer un moyen aussi actif quand +on peut s'en passer? Autant demander pourquoi +l'ingénieur ne se sert pas de dynamite pour faire +sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors +arabe à un cheval qui ne demande qu'à se laisser +conduire? Réservons donc le mors arabe pour les +cas où l'animal est indocile, indomptable, et rétif!</p> + +<p>Ajoutons que, une fois produit l'effet à obtenir, le +médecin doit cesser de recourir à l'hypnose, sous +peine de compromettre le résultat final. Une fois +le blessé remis en selle, on doit lui rendre la direction +de sa monture. Pour bien faire comprendre +ma pensée, je prendrai la comparaison suivante: +l'hypnose est à la défaillance du système nerveux +ce que l'opothérapie thyroïdienne est à l'insuffisance +fonctionnelle du corps thyroïde, ce que l'opothérapie +hépatique est à l'insuffisance fonctionnelle +du foie. Or, de même que le médecin qui s'est +servi de foie de porc pour remettre en état un hépatique, +ne continue pas indéfiniment l'emploi du foie +de porc, de même le psychothérapeute doit cesser +l'emploi de l'hypnose dès qu'il a obtenu le résultat +voulu, c'est-à-dire dès qu'il a remis le malade en +assez bon état pour pouvoir compter sur sa collaboration +consciente, et lui demander un effort personnel +de gymnastique psychique; de sorte que +quatre ou cinq séances suffisent, dans la majorité +des cas.</p> + +<p>Toutes ces considérations expliquent la rareté +des cas où l'hypnotisme est à conseiller. Mais quant +à dire, comme le font les adversaires irréconciliables +de la thérapeutique par l'hypnose, que +quelques séances amènent, chez le malade, une +perturbation d'esprit incurable, que l'hypnotisme +«dissocie la personnalité normale du sujet» +(Grasset), «aboutit à la ruine déplus en plus complète +de ce moi qu'on voudrait sauver» (Duprat), +c'est tout simplement énoncer une erreur. L'hypnotisme +bien manié n'est pas si dangereux. Je n'ai +vu qu'une fois, dans le service de Charcot, l'hypnose +amener chez un homme une violente attaque +d'hystérie. Et dire, avec certains scrupuleux, que +les pratiques de l'hypnotisme ont quelque chose de +dégradant pour la dignité humaine, parce que le +médecin qui impose sa volonté au malade porte +atteinte au dogme de la liberté, c'est énoncer une +erreur non moins absolue, la suggestion hypnotique +n'étant pas autre chose que la suggestion à l'état de +veille poussée à sa deuxième puissance; à ce compte, +on n'aurait plus le droit de donner un conseil. Enfin, +dire que les pratiques de l'hypnose sont mal vues +dans le monde, et discréditent le médecin, c'est +affirmer une vérité, mais qui ne nous toucherait +en rien, car le médecin n'est responsable que devant +sa conscience. Or, nous le répétons, sa conscience +peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des +procédés hypnotiques, surtout s'il prend le soin de +n'endormir les malades qu'avec leur assentiment +formel, et en présence d'un tiers représentant la +famille.</p> + +<p>Ajoutons enfin que le médecin <i>seul</i> doit avoir +recours à ce procédé thérapeutique; et que ce +médecin doit agir uniquement pour le bien du +malade, sans la moindre préoccupation étrangère, +voire même sans aucune préoccupation scientifique.</p> + +<p><i>Conseils pratiques pour l'application des procédés +psychothérapiques.</i>—Nous venons de passer en +revue les moyens psychothérapiques par lesquels +on peut améliorer le capital nerveux d'un malade. +Mais un aperçu théorique ne suffirait pas au praticien +voulant employer la psychothérapie; il semble +donc utile de le compléter par des considérations +d'ordre tout à fait pratique, clinique, suggérées +par une expérience personnelle.</p> + +<p>1° Il est un principe qui domine tous les autres; +c'est que, pour faire de la bonne psychothérapie, +il faut soigner le malade non seulement avec toute +son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. +Le médecin qui ne ferait que de la psychologie, +démontant curieusement pièce à pièce tous les +rouages du cerveau de son malade, pour chercher +celui qui est défectueux, sans se préoccuper avant +tout d'être utile, ne ferait pas de bonne psychothérapie. +Il lui faut être bon mécanicien, bon +psychologue, c'est entendu; mais surtout il lui +faut être un homme charitable. Je sais que le mot +«charité» sonne mal aux oreilles, depuis qu'on +ne parle plus que d'altruisme, de solidarité, etc. +Le mot «charité» pourra disparaître du dictionnaire, +bien qu'il exprime autre chose que ses soi-disant +synonymes; mais la charité restera toujours +au fond du coeur de l'homme, et sera, comme par +le passé, l'inspiratrice des actions généreuses et +véritablement utiles.</p> + +<p>2° Encore n'est-ce pas assez que le médecin aime +son malade. S'il veut avoir sur lui une autorité +morale effective, il faut en outre qu'il ne soit pas +pressé: non seulement qu'il ne le paraisse pas, +mais qu'il ne le soit pas en réalité. Savoir se +donner tout entier à l'affaire présente est la première +condition du succès, en psychothérapie. Il +faut que, dès la première entrevue, s'établisse entre +le malade et le médecin un courant de sympathie; +or ce courant ne peut s'établir que si le malade +sent que le médecin s'intéresse profondément à lui, +et ne lui ménage pas son temps. La première consultation, +surtout, doit pouvoir durer tout le temps +nécessaire: mieux vaudrait la remettre à huitaine +que de l'ébaucher si le temps matériel fait défaut.</p> + +<p>3° Il faut encore que le médecin sache écouter, +c'est-à-dire laisser parler le malade aussi longtemps +qu'il le désire, surtout pendant les premières +consultations. Quelle que soit la prolixité, la volubilité +d'un malade, il y a toujours intérêt à l'écouter, +parce qu'on apprend toujours quelque détail dont +on pourra tirer profit: si l'on agit de cette façon, +le malade, par une sorte de discrétion inconsciente, +arrive, après quelques entrevues, à ne plus abuser +de la patience de son auditeur, et se contente de +répondre aux quelques questions bien précises +qu'il lui pose.</p> + +<p>Une fois que le médecin aura ainsi pris position, +les conseils qu'il donnera, non seulement sur l'hygiène +mentale, mais sur l'hygiène alimentaire, musculaire, +auront toutes chances d'être suivis; et ainsi +tout concourra à la guérison ou à l'amélioration +cherchée.</p> + +<p>4° Un autre principe, c'est de dire au malade la +vérité dans la mesure du possible. Évidemment, +s'il y a une lésion organique incurable, le médecin +doit avoir la discrétion de se taire, sauf dans les +cas exceptionnels où le malade a des motifs sérieux +pour savoir la vérité entière. Mais le plus souvent +il faut dire la vérité au malade, lui dire très +franchement l'idée que l'on se fait de son état, la +durée probable du traitement, etc. Si, cependant, +le traitement doit demander des années, comme il +arrive trop souvent chez les malades à capital restreint, +mieux vaut rester dans le vague, et dire: +«Le traitement sera long, un peu pénible, mais la +guérison est assurée.» Il faut encore, dès les premières +entrevues, avertir le malade des rechutes +possibles, probables, ou certaines: si c'est une +femme, la prévenir que, dans les douze jours qui précéderont +l'époque menstruelle, elle aura fatalement, +durant quelques mois, une réapparition de toutes +ses misères, mais à un degré de moins en moins +marqué; dans tous les cas, avertir le patient, s'il +s'agit d'un état grave, que, tous les deux jours, il +risque d'avoir une légère aggravation, puis, quand +son état s'améliorera, tous les trois jours, puis tous +les huit jours, et ce, en dehors de toute cause appréciable, +par le seul fait de cette tendance qu'a le +système nerveux à protester d'une façon intermittente. +Mais il faut, en outre, l'avertir que toute +émotion violente, et surtout que toute infraction au +régime alimentaire, musculaire, cérébral, qui lui a +été ou qui va lui être prescrit, se soldera inévitablement +par une rechute plus ou moins grave, suivant +la gravité de l'infraction,—une rechute qui, +chose curieuse, ne se manifestera que le lendemain +ou le surlendemain de l'écart commis;—l'avertir +enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en +particulier, fera faire un pas en arrière d'autant +plus grand qu'elle aura été plus grave, et soignée +plus tardivement; donner, par conséquent, au +malade des conseils préventifs, pour qu'il se mette, +dans la mesure du possible, à l'abri des affections +intercurrentes, et lui recommander de demander +ou de prendre des soins immédiats, en lui faisant +bien remarquer que les affections accidentelles ne +sont graves, en général, que lorsqu'elles ne sont +pas bien soignées dès leur début.</p> + +<p>5° Le médecin doit éviter d'imposer au malade +des prescriptions qui lui seraient plus pénibles que +les malaises dont il se plaint. Il doit même éviter, +en général, de multiplier ses prescriptions, sans +quoi il risque de décourager le patient, ou, ce qui +est pire encore, de le rendre égoïste et hypocondriaque, +et d'entretenir sa «maladie» par le soin +même apporté à la combattre. Aussi bien la +thérapeutique est-elle, en général, plus simple +qu'on ne croit, et les questions de régime, en particulier, +sont presque toujours faciles à résoudre.</p> + +<p>Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de +formuler une prescription, c'est de la mesure où il +sera possible et facile, au malade, de l'appliquer. +Pour ma part, je n'arrête jamais un programme +de vie sans l'avoir discuté, point par point, avec +le malade, et, si possible, avec l'un des membres +de sa famille. Je donne alors au malade une feuille +où est marquée la ligne de conduite à suivre depuis +l'heure du réveil jusqu'à l'heure du coucher, et où, +aux heures prescrites, sont indiqués les menus des +repas, voire même les livres à lire. J'ai soin, en +outre, d'indiquer que «tout ce qui n'est pas permis +est défendu», en laissant entendre au patient que, +dans un avenir plus ou moins rapproché «tout +ce qui ne sera pas défendu sera permis». Le +malade, pourvu de cette feuille directrice, est averti +qu'il doit s'en rapprocher le plus possible, mais +sans en devenir l'esclave.</p> + +<p>On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace +de la «maladie», si grave qu'elle soit, est toujours +praticable, quelles que soient les conditions +de la vie sociale du malade. Mais il est des cas où +ce traitement doit être simplifié au maximum: par +exemple, chez une mère de famille ayant des occupations +multiples de toutes sortes. Il serait souverainement +absurde de proposer à cette malade un +régime ou des soins personnels qui l'empêcheraient +d'accomplir ses devoirs de tous les instants; on +doit se borner, alors, aux prescriptions les plus +importantes, en faisant comprendre à la malade +que l'on ferait mieux si les circonstances de sa +vie n'étaient pas un obstacle, mais que, en définitive, +le peu qu'on va faire sera déjà très utile, et +qu'on en sera quitte pour prolonger le traitement +plus longtemps.</p> + +<p>En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent +à un traitement méthodique proviennent de deux +sources: 1° De l'absence de foi du malade, 2° de +la mauvaise volonté de son entourage.</p> + +<p>1° Il est des malades qui viennent nous consulter +malgré eux, sous la pression de leur famille, avec +l'idée bien arrêtée qu'ils vont prendre une consultation +de plus, tout aussi dérisoire et inutile que les +précédentes. Il faut que le médecin, du premier coup, +comprenne la mentalité des sujets de ce genre; +avec l'habitude, il peut être fixé dès les premières +paroles échangées, voire dès le premier abord. A +lui, alors, de déployer toute sa puissance de suggestion. +S'il sait s'y prendre, il peut arriver à +faire, d'un malade irréductible en apparence, l'être +le plus doux, le plus confiant, le plus obéissant, et +il parvient alors à des résultats inespérés. Les +choses se passent ainsi huit fois sur dix.</p> + +<p>Plus difficiles à convaincre sont les malades qui +n'ont pas d'énergie, qui, loin de se cabrer, semblent +des victimes soumises à l'avance, ou encore ceux +qui, désabusés, désespérant de tout, ne souhaitent +que la mort. En face de tous ces malheureux, le +médecin ne doit pas se dérober, quelque souci que +lui réservent les patients de cette sorte.</p> + +<p>Enfin, plus difficiles encore sont les malades à +théories, qui ont leur siège fait, après avoir vu des +médecins de tous les pays, suivi, dans les sanatoria +les plus variés, les traitements les plus dissemblables; +qui connaissent toutes les dernières +nouveautés sur les choses médicales, le discours +de la veille à l'Académie de médecine, les livres +qui vont paraître. Avec ceux-là, rien à faire. Le +mieux, pour ne pas perdre un temps précieux, est +de leur déclarer de suite qu'on ne parviendrait pas +à s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs, +ces cas sont assez rares.</p> + +<p>Ajoutons qu'il est des malades à mentalité spéciale +qui commencent par dire toujours non, ou à +le penser, ce qui est encore plus grave. La psychothérapie, +comme tous les agents thérapeutiques, +a à compter avec ce que, dans notre langage +barbare, nous appelons les «idiosyncrasies».</p> + +<p>2° L'autre obstacle, beaucoup plus fréquent, provient +de l'hostilité de l'entourage du malade.</p> + +<p>On ne peut se faire une idée de l'influence +néfaste qu'exerce cet entourage; quelquefois il contrecarre +ouvertement les opinions du médecin, discute +sa manière de penser, ses prescriptions; le +malade, alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance +au médecin ou à l'entourage.</p> + +<p>Le plus souvent, l'hostilité n'est pas franchement +déclarée. Mais c'est pis encore: c'est alors une +lutte sourde, de tous les instants, à propos des +moindres prescriptions. Le malade sent très bien +que le médecin est dans le vrai, qu'il a <i>compris</i> sa +«maladie»; il voudrait de tout son coeur suivre ponctuellement +ses conseils: mais l'entourage est là +qui, sans dire un mot, proteste intérieurement et +exécute à contre-coeur tout ce qui a été prescrit. +La position est des plus difficiles. Cette contre-suggestion, +qui s'exerce à tout instant, finit par diminuer +la confiance, si nécessaire, que le malade +avait tout d'abord; les prescriptions ne sont qu'à +moitié observées. Ces tiraillements continus sont +véritablement lamentables.</p> + +<p>Et que faut-il entendre par entourage? C'est +rarement le mari ou la femme, c'est souvent la +mère ou la belle-mère, plus souvent encore des +personnes qui touchent de moins près au malade. +Les plus dangereux ennemis sont ceux qui ont à +donner des soins immédiats; ce sont les gardes, +qui protestent par un silence éloquent, ce sont surtout +les domestiques. De là la dure nécessité pour +le médecin d'être bien avec tout le monde, dans la +maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant +avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi +il prescrit telle ou telle chose qui semble inutile ou +dangereuse: le repos, alors que tout le monde voudrait +que le malade fît de l'exercice; le régime +restreint, alors que, pour rendre du sang au +patient, tout le monde voudrait qu'il prît du jus +de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus +souvent, la partie est perdue d'avance; et c'est alors +que le médecin doit user de toute son autorité pour +imposer l'isolement, tandis qu'il eût été quelquefois +très simple de guérir à peu de frais le malade, +en le laissant chez lui.</p> + +<p>Quand on a la bonne fortune de s'être gagné la +confiance d'un malade, et d'avoir conquis, non la +neutralité,—elle n'existe nulle part,—mais l'assentiment +de l'entourage, on a fait la moitié de la besogne; +il ne reste plus qu'à surveiller l'application du traitement, +et surtout à entretenir la foi du malade en +sa guérison à échéance plus ou moins éloignée. +Pour remplir ce double but, il faut que le médecin +ait avec le malade de fréquents entretiens, au cours +desquels il doit lui expliquer, dans la mesure du +possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui +démontrer ses erreurs d'interprétation, et lui affirmer +instamment, quelles que soient ses doléances, +que la guérison est assurée.</p> + +<p>Le rôle du médecin, au début, est souvent difficile. +Il l'est, par exemple, chez les malades qui ont +besoin du lit, pendant les premiers temps, pour +calmer leur système nerveux. Ne dormant presque +jamais, ces malheureux ont toutes les peines du +monde à rester au lit; il faut leur faire bien comprendre +que cette agitation, ce malaise inexprimable +qu'ils éprouvent, proviennent non du séjour +au lit, mais de l'excitation du système nerveux; que +cette excitation disparaîtra dans huit ou quinze +jours, pour faire place à une détente de bon aloi, +avec sensation de fatigue énorme, mais non plus douloureuse, +avec sommeil réparateur, retour de l'appétit, +disparition <i>spontanée</i> de la constipation, etc. +Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le +plus souvent, des visites quotidiennes. Plus tard, les +visites pourront être espacées: il faut savoir se +faire désirer.</p> + +<p>Dans les cas graves, il faut donner aux familles +l'habitude de laisser le malade en tête-à-tête avec +le médecin. L'influence de celui-ci est, alors, beaucoup +plus active, et les malades, pouvant s'épancher +en toute liberté, tirent un grand bénéfice de la visite +du médecin, qui ne tarde pas à devenir leur ami.</p> + +<p>C'est dans ces tête-à-tête que le médecin doit +insister pour faire de la suggestion optimiste et de +la véritable psychothérapie, d'après les principes +que nous avons étudiés antérieurement.</p> + +<p>Nous avons parlé déjà, à propos de la névrose +provoquée par les causes morales chez les jeunes +femmes, du rôle que le médecin pouvait acquérir, +à titre de confident de leurs misères: ce rôle est +toujours difficile, et quelquefois dangereux. Le +besoin qu'éprouve l'être humain de pouvoir confier +sa pensée à autrui est bien connu de tous les psychologues; +c'est lui qui pousse les criminels à +venir s'accuser d'un acte dont l'auteur aurait pu +rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable, +a excité un de mes malades à prendre sa +femme, en tant que sa meilleure amie, comme confidente +d'une passion amoureuse qui le rongeait. +On comprend donc combien un confident sûr et +discret peut rendre de services, chez les malades +de tout âge atteints de psycho-névrose. Comme l'a +dit le poète:</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>En se plaignant on se console,</p> +<p>Et quelquefois une parole</p> +<p>Nous a délivrés d'un remords.</p> + </div> </div> + +<p>Mais il est des cas où la douleur humaine ne +peut être atténuée par une confidence, si intime +qu'on la suppose. Alors, la psychothérapie perd tous +ses droits.</p> + +<p>Il est d'autres cas où elle est également impuissante. +C'est quand le malade ne <i>veut</i> pas guérir,—s'il +se complaît dans son chagrin, par exemple.—Ou +bien encore on voit des malades qui ont pris +l'habitude de se faire plaindre, et qui, inconsciemment, +ne veulent pas guérir; dans leur égoïsme +morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage, +véritables vampires qui épuisent jusqu'au +bout la patience, les forces, les ressources pécuniaires +de leurs proches, sans avoir un éclair de +reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, +ni pour le médecin qui se dépense en pure perte. +Rappelons-nous bien que ces malades terribles sont, +avant tout, des malades, et ont droit à toute notre +indulgence; leur égoïsme féroce n'est qu'un symptôme +morbide. Ainsi j'ai soigné une dame qui, +avant d'être malade, était exquise de bonté, de +bienveillance, de politesse. Or, quelques mois après +le début de sa «maladie», en même temps qu'elle +devenait dyspeptique, constipée, obèse, tout en +ne mangeant presque pas, grande malade en un +mot, son caractère se modifia et la fit devenir le +tyran dont j'esquisse à grand traits l'image. Aujourd'hui, +elle fait le désespoir de tout le monde. Inutile +d'ajouter qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces +malades, la psychothérapie est impuissante. Si +habilement maniée qu'on le suppose, elle échoue +quelquefois; elle a cela de commun avec tous les +autres agents thérapeutiques.</p> + + +<p>PSYCHOTHÉRAPIE ET PROBLÈME RELIGIEUX</p> + +<p>Dans quelle mesure le médecin peut-il utiliser, +comme moyen psychothérapeutique, les ressources +que peut fournir la foi religieuse? Grave question +qui ne saurait être traitée avec trop de discrétion.</p> + +<p>En principe, le médecin ferait mieux de laisser +ce soin au prêtre, ou au pasteur, ou au rabbin, +à des manieurs d'âmes plus habitués que lui à ces +délicats problèmes; mais il est des circonstances où +il ne peut pas se dérober, et il nous faut en dire quelques +mots.</p> + +<p>Il est certain, en tout cas, que le médecin ne +doit jamais aborder, le premier, ces questions d'ordre +philosophique et religieux; ce n'est pas son rôle, +et un zèle immodéré, de sa part, pour la défense +d'une doctrine philosophique quelconque, pourrait +être, et serait à juste titre, sévèrement jugée. Mais, +d'autre part, il doit s'attendre à ce que, poussé par +un besoin presque inconscient, le malade l'oblige à +entrer avec lui dans ce domaine.</p> + +<p>Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le +figure: le malade qui, pendant ses douloureux +loisirs, a eu tout le temps d'apprécier l'inanité de +toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la +banalité des consolations habituelles, qu'il n'accepte +d'ailleurs qu'à son corps défendant, se sent, à un +moment donné, préoccupé d'une façon insolite +par les grands problèmes de l'au-delà, de la destinée +humaine. Sans compter qu'il est envahi d'une +crainte angoissante. Combien de fois n'ai-je pas +entendu des malades me dire: «J'ai peur!» Peur +de quoi? Ils n'en savent rien; ce n'est pas, en +général, d'avoir à quitter cette lamentable existence, +qui ne leur offre rien de bon;—encore que parfois, +sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct +de conservation parle là en eux: mais, quoi qu'il +en soit, ils ressentent une peur vague, animale; et, +dans cette détresse morale, ils s'accrochent désespérément +à tout ce qui peut leur donner du réconfort.</p> + +<p>Ces deux motifs expliquent le besoin qu'éprouve +souvent le malade d'aborder des problèmes qui, +en état de santé, lui étaient complètement indifférents. +Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec +la bonne religieuse, qui répondra à toutes les questions +par de petites dévotionnettes ou des pratiques +tout à fait en dehors des habitudes du malade, des +pratiques qui n'ont de raison d'être que pour les +fervents, et qui risquent de révolter l'esprit de +ceux qui n'en comprennent pas le sens caché? Est-ce +avec le visiteur plus ou moins pressé qui, entrant +en coup de vent prendre des nouvelles du malade, +et ne pensant qu'à ses affaires pendant qu'il lui +détaille ses misères, se borne à lui répondre: +«Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, +ou qu'il fait chaud, etc.»? Trop heureux encore le +malade, quand ces visiteurs ne l'assassinent pas en +lui parlant de leurs affaires personnelles, alors que +la victime n'a qu'une affaire qui l'intéresse au monde! +Vraiment, tous ces consolateurs de passage feraient +mieux de rester chez eux; non seulement ils ne sont +d'aucune utilité, mais ils contribuent à entretenir +la «maladie», surtout quand ils se succèdent près du +lit des patients. Chose curieuse, les amis les plus +intimes, ceux qui dans le cours ordinaire de la vie +recevaient les confidences les plus secrètes, n'ont +plus, près du malade, le crédit antérieur. Cela tient +en partie à ce que l'amitié d'autrefois était entretenue +par des confidences réciproques; or, à partir +du jour où le malade a été sérieusement touché, +il n'y a plus de réciprocité possible, car les affaires +de ses meilleurs amis ne l'intéressent plus, il ne +s'intéresse qu'aux siennes, c'est-à-dire à sa «maladie».</p> + +<p>Le malade prendra-t-il, comme confidents de +ses graves préoccupations, les personnes de son +entourage immédiat, père, mère, mari, femme, etc.?</p> + +<p>Quelle médiocre ressource!—Certes, ce n'est ni +le dévouement, ni la bienveillance, ni la tendre +affection qui font défaut aux membres de la famille; +mais le malade se garde bien de leur confier ses +chagrins intimes, d'abord par crainte de les alarmer, +et ensuite parce qu'il sait d'avance ce que +pourront lui dire ces personnes, qu'il connaît de +tout temps. Qui alors? Le prêtre? Mais, bien souvent, +le prêtre n'a pas ses entrées dans la maison; +et même, s'il s'agit d'un malade dont l'état soit un +peu inquiétant, la famille de celui-ci fait tout ce +qu'elle peut pour retarder une visite qui risque de +l'effrayer. Il sera bien temps d'appeler le prêtre +quand le malade sera sans connaissance!</p> + +<p>Que reste-il donc?—Le médecin.</p> + +<p>Le besoin qu'a de lui le malade, pour la santé +de son corps, lui donne une influence et une +autorité morales supérieures à celles mêmes des +parents ou des amis les plus respectés. C'est à lui +surtout que le malade est tenté de confier ses +doutes, ses préoccupations d'au-delà, ses vagues +espoirs, tout ce monde d'idées qui s'agitent en lui +avec une abondance et une intensité inaccoutumées.</p> + +<p>Au médecin, donc, d'être à la hauteur de sa +tâche, sur ce domaine particulier de la psychothérapie, +dont l'importance est souvent capitale.</p> + +<p>Mais que doit-il faire? En présence d'un malade +qu'il voit partagé entre des restes de foi plus ou +moins effacés, et cet état d'incrédulité, active ou +passive, qui est aujourd'hui si commun; en présence +d'un malade qui, sans croire qu'il va mourir, +craint cependant de mourir, et se demande avec +angoisse si cette mort signifiera vraiment pour lui +l'anéantissement éternel, ou bien s'il y a quelques +chances qu'il retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, +la société de ceux qu'il a le plus aimés sur +cette terre; en présence d'un tel malade, que doit +faire le médecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, +il ne perde jamais de vue que le malade +est semblable à un noyé qui cherche à se raccrocher +à la moindre branche de salut; si donc il n'a +à lui offrir que de froides théories philosophiques, +aboutissant à la désespérance finale, s'il est lui-même +bien convaincu que la mort signifie, pour le +malade, la fin absolue, et la séparation à jamais +d'avec ce qui lui est cher, alors il fera mieux de se +taire et de garder pour lui des doctrines qui, en +admettant même qu'elles fussent exactes, ne pourraient +être, ici, d'aucun réconfort. Ce dont le malade +a besoin, c'est de soutien moral, c'est de foi, c'est +surtout d'espérance. Or, où trouvera-t-il tout cela +en dehors de la doctrine de celui qui a dit: «Venez +à moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?»</p> + +<p>L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, +reconnue par tous les médecins qui se sont occupés +des «maladies» nerveuses; et c'est avec plaisir que +nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre +du Dr Dubois<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13"><sup>13</sup></a>, de Berne, qui cependant, dans +le reste de son ouvrage, développe avec complaisance +des théories philosophiques fort éloignées de +l'orthodoxie chrétienne:</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" name="footnote13"></a><b>Note 13:</b><a href="#footnotetag13"> (retour) </a> Dr Dubois. <i>Les Psychonévroses et leur traitement moral</i>, 1904.</blockquote> + +<p>«La foi religieuse pourrait être le meilleur préservatif +contre ces «maladies» de l'âme, et le plus +puissant moyen pour les guérir, si elle était assez +vivante pour créer, chez ses adeptes, un vrai stoïcisme +chrétien. Dans cet état d'âme, hélas! si rare, +dans les milieux bien pensants, l'homme devient +invulnérable; se sentant soutenu par son Dieu, il +ne craint ni la «maladie» ni la mort. Il peut succomber +sous les coups d'une «maladie» physique, mais, +moralement, il reste debout au milieu de sa souffrance, +il est inaccessible aux émotions pusillanimes +des névrosés.» Et, plus loin, à la leçon, XXXV: +«Ceux à qui leur tournure d'esprit permet encore +la foi naïve trouveront un appui dans leurs convictions +religieuses, à condition qu'elles soient sincères +et vécues.»</p> + +<p>Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en +résulte pas, pour le médecin psychothérapeute, +d'encourager son malade dans ces convictions +religieuses qui peuvent le rendre «inaccessible aux +émotions pusillanimes des névrosés»?</p> + +<p>Dans les cas où la foi religieuse, sans être assez, +vivante «pour créer un vrai stoïcisme chrétien», +subsiste encore, et cherche vaguement à se raviver +sous l'enveloppe de l'indifférence ou du scepticisme +mondains, est-ce que ce n'est pas une obligation +pour le médecin de l'y aider, autant qu'il le +peut?</p> + +<p>Voici donc le médecin transformé, malgré lui, +en apôtre. Mais nous ne craignons pas de le redire: +pour soutenir ce rôle, auquel il n'est pas préparé, il +a toujours besoin d'une discrétion extrême, et il ne +doit s'avancer qu'à pas mesurés sur un terrain +aussi dangereux.</p> + +<h4>CHAPITRE V</h4> + + +<h4>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES</h4> + +<p>La psychothérapie est la base du traitement, pour +les malades chez qui les troubles nerveux et mentaux +prédominent. Dans les autres formes de la +déchéance du capital nerveux, elle joue aussi un +rôle important; de là les résultats remarquables +obtenus, même dans les «maladies» à forme gastrique, +abdominale, etc., par quelques-uns de nos +confrères, qui arrivent, en effet, à soulager et guérir +un certain nombre de dyspeptiques et abdominaux, +tout en excluant systématiquement toute préoccupation +de régime alimentaire. Mais, à mon avis, ces +confrères tombent dans l'exagération; même s'il n'y +a pas de troubles gastriques, le régime du malade +doit être surveillé; et à plus forte raison quand +l'estomac ou l'intestin protestent. Le régime, en +réalité, joue, dans la thérapeutique des malades à +phénomènes intestinaux et gastriques, un rôle au +moins égal à celui de la psychothérapie.</p> + +<p>Erreur, répondent les psychothérapeutes outranciers: +lorsque vous faites du régime, lorsque vous +imposez à vos malades telle ou telle alimentation, +qui varie d'ailleurs d'une latitude à l'autre, d'une +maison de santé à l'autre, les bons résultats que +vous obtenez sont dus, exclusivement, à la psychothérapie +que vous faites sans le savoir. Si le +docteur un tel guérit beaucoup de dyspeptiques en +leur donnant du macaroni sous toutes les formes, +ce n'est pas parce qu'il remet leur estomac en état, +c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; +en fait, il les guérit par suggestion, et malgré le +régime. Car le régime, ajoutent-ils, entretient plutôt +l'idée de «maladie»: le malade s'auto-suggestionne +à chaque prise alimentaire, et ce qui peut +arriver de plus malheureux à un névropathe, c'est +de trouver un médecin qui le soumette à un régime +alimentaire, quel qu'il soit.</p> + +<p>Cette opinion me semble absolument excessive. +Je voudrais bien voir traiter, par la psychothérapie +seule, telle ou telle jeune fille qui vomit tout ce +qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs +semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des +troubles digestifs mettant sa vie en danger. Qu'on +réussisse souvent à guérir les «malades» sans +régime, ou avec un régime qui n'a rien de méthodique, +qui n'est en somme que la suralimentation, +dans une maison de santé, c'est possible: le changement +de milieu, l'éloignement des causes qui +avaient produit et entretenu la «maladie», l'influence +salutaire indiscutable du médecin, expliquent ces +miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se +garder de généraliser; et mon avis est qu'il faut +toujours, en même temps qu'on fait de la suggestion, +instituer un régime alimentaire approprié au +fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades.</p> + + + +<h4>I</h4> + +<h4>RÉGIME</h4> + + +<p>Nous avons déjà mentionné des cas où l'estomac +et l'intestin, atteints d'une sorte d'inertie, +se refusent à tout travail, et indiqué les symptômes +physiques qui permettent d'affirmer cet état d'inertie. +Il est évident qu'alors il faut fournir à cet estomac +et à cet intestin un travail fréquent, mais peu +actif; de là, nécessité de la diète liquide dans +les cas très graves, parfois même de la diète absolue +pendant vingt-quatre ou trente-six heures, et +de la diète semi-liquide dans les cas moins graves, +avec prises alimentaires toutes les heures, ou +toutes les deux heures, suivant le degré d'inertie +constaté.</p> + +<p>Il n'est point nécessaire de varier à l'infini le +nombre des aliments. Je me rappelle un malade +qui avait tout à fait l'aspect d'un cancéreux, qui +depuis deux mois maigrissait à vue d'oeil, ne digérait +plus rien, avait une constipation invraisemblable, +ne pouvait plus se traîner, ne dormait +plus, etc. Or, il s'est admirablement trouvé d'un +régime consistant à s'alimenter exclusivement de +Revalescière. Je lui ai donné, toutes les demi-heures, +pendant trois jours, puis toutes les heures, +jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes +les trois heures pendant huit jours, uniquement de +la Revalescière, cuite dans du bouillon de légumes +et de poulet. Après ces deux semaines, son estomac +lui permit de tolérer d'autres potages, puis +des purées, puis des oeufs et du poisson, et enfin +de la viande trois fois par semaine; et il partit +guéri, ayant augmenté de 20 kilogrammes en trois +mois. C'est que je faisais, en même temps, de la +psychothérapie! me dira-t-on encore? Sans doute, +j'en faisais, et j'ai même dû me dépenser beaucoup +pour faire accepter ce régime à mon malade, pour +lui persuader qu'il n'avait pas une «maladie» incurable, +pour le faire rester à Paris, dans les conditions +d'installation médiocre où il se trouvait, etc.; +mais j'affirme que ce n'est pas la psychothérapie qui +l'a guéri, et que, malgré la confiance qu'il avait en +moi, malgré toute l'autorité que j'exerçais sur lui, +malgré le repos au lit, si je lui avais donné à +manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais +mis au lait, si surtout j'avais fait de la suralimentation, +ce malade n'aurait pas guéri; et la preuve +en est que, à partir du premier mois, sitôt que je +m'écartais du régime méthodique, et que, pour +essayer de gagner du temps, je faisais un essai d'alimentation +un peu substantielle, cet essai, si timide +qu'il pût être, amenait invariablement un petit +recul. Si cet essai avait été prolongé, il aurait sûrement +amené une rechute.</p> + +<p>Inutile de dire, après cela, que la Revalescière +n'est nullement un spécifique. Tout autre aliment +semi-liquide aurait amené le même résultat (panade +bien cuite et bien passée, tapioca, arrow-root, +phosphatine, avénose, aristose, crème d'orge, de +riz, etc)</p> + +<p>Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au +contraire le régime ultra-sec qui convient mais +pendant quelques jours seulement: Le régime sec +est d'un maniement difficile et doit être très vite +remplacé par le régime «à restriction des boissons». +Ces cas sont ceux où, à l'inertie, se joint +un élément spasmodique. Il faut alors donner au +malade, toutes les demi-heures d'abord, puis toutes +les heures, pendant deux ou trois jours, des aliments +secs à grignoter; et ce régime est spécialement +indiqué chez les malades chroniques dont le +capital est gravement atteint. Il est bien certain que +la psychothérapie intervient assez peu dans ces cas, +et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne à +un malade qui aurait besoin d'un régime sec le +régime liquide, ou même semi-liquide, il n'y a point +de suggestion qui puisse empêcher les fâcheux +résultats d'une pareille erreur thérapeutique.</p> + +<p>Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, +semble ne pas pouvoir digérer, et ne digère +pas, en effet, simplement parce qu'il a peur de +manger; il s'auto-suggestionne lui-même. Oh! +alors la psychothérapie fait merveille. On doit donc +forcer le malade à manger, et à manger n'importe +quoi, pour lui bien démontrer qu'il peut tout digérer. +Mais je ne conseillerai jamais à un médecin +d'essayer ce système, de prime abord, chez un +malade dont il n'aurait pas étudié de très près le +fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de +compromettre gravement la situation du malade, et +la sienne propre.</p> + +<p>D'une façon générale, dans le doute, mieux vaut +procéder avec une sage lenteur, et se rappeler ce +que nous avons dit du peu d'aliments nécessaire +à la conservation de la vie.</p> + +<p>Il nous est impossible de tracer, même à grands +traits, les indications de régime qui conviennent +aux divers malades. Théoriquement, le régime doit +varier d'un individu à l'autre, et même d'un jour +à l'autre, pendant toute la durée de la «maladie». +Mais, en pratique, les choses se passent plus simplement. +Le principe général, c'est qu'il faut faire +manger souvent les malades, sans attendre qu'ils +aient des phénomènes spasmodiques (tiraillements +d'estomac, bâillements, etc.), et qu'il faut les faire +manger dès le réveil, et même pendant la nuit pour +assurer le sommeil. La moitié d'un oeuf dur pris +vers minuit, après le premier réveil, dans les cas +où le régime doit être plutôt sec, une tasse de cacao +dans les cas où le régime doit être plus liquide, +font mieux, pour procurer le sommeil, que la meilleure +des préparations opiacées.</p> + +<p>Une seconde recommandation, c'est de faire +reposer les malades après avoir mangé. Nous +avons déjà dit que, dans les cas graves, il faut qu'ils +se couchent pour manger; dans les cas moins +graves, la position horizontale après les repas +s'impose, et n'est pas moins nécessaire après le +goûter. L'homme tout à fait valide se trouve bien +de faire, après les repas, un exercice modéré; et +il y a aussi quelques dyspeptiques auxquels cet +exercice est profitable: mais c'est la grande exception.</p> + +<p>Et enfin, il y a un précepte que ni le dyspeptique +ni l'homme bien portant ne doivent oublier: c'est +qu'il n'est pas bon de se mettre à table immédiatement +après un travail musculaire. C'est ce qu'a +parfaitement expliqué le Dr Lagrange, dans ses +remarquables travaux sur les exercices physiques; +et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer mes +lecteurs, s'ils désirent être renseignés en détail sur +toutes les questions de l'alimentation dans ses +rapports avec l'exercice.</p> + + + + + +<h4>II</h4> + +<h4>MOYENS ACCESSOIRES</h4> + + +<p>Outre le régime, il est encore un grand nombre +de petits moyens thérapeutiques que la psychothérapie +ne remplacera certainement pas. Il est très +simple, en vérité, de dire que, si l'électricité, le +massage, la douche tiède, paraissent faire du bien +aux malades, c'est parce que ces agents provoquent +des suggestions favorables. Mais c'est une +conception par trop facile, et qui se trouve démentie +par l'expérience. Tous ces moyens accessoires ont +leur action propre, indépendante de toute suggestion, +action quelquefois très puissante; aussi doivent-ils, +tout comme l'hygiène alimentaire, être +soumis à un contrôle sérieux, et ne pas être employés +à tort et à travers: mais, quand ils sont bien maniés, +ils jouent un rôle incontestable dans la thérapeutique. +Le principe général, c'est qu'il faut en user +avec une extrême prudence, et que, dans le doute, +il vaut mieux s'en abstenir.</p> + +<p><i>Hydrothérapie</i>.—L'hydrothérapie froide est +rarement indiquée; on commence à le savoir! Dans +tous les cas graves, alors que le capital nerveux +est vraiment compromis, elle peut occasionner des +désastres.</p> + +<p>Les médecins aliénistes qui, autrefois, faisaient +de la douche froide la base du traitement de la +folie, y on tous entièrement renoncé: la douche +froide ne convient que dans les cas exceptionnels, +chez les malades ayant encore un excellent capital, +et auxquels on peut impunément soutirer une +dose considérable d'influx nerveux. Je comparerais +la douche froide à la saignée faite chez les malades +qui n'ont plus de pouls, qui sont moribonds, et +auxquels une saignée peut parfois rendre le pouls +et la vie. C'est ce que nos pères appelaient «la saignée +dans les cas d'oppression des forces». Or, +pour pratiquer à coup sûr la saignée, dans ces +cas, il fallait être un virtuose; et, de même, il faut +être doué d'un doigté exceptionnel pour appliquer +convenablement l'hydrothérapie froide, chez les +malades graves.</p> + +<p>Que dirai-je de la méthode Kneipp? Les affusions, +les lotions, le manteau espagnol, etc., ont une +action moins brutale que la douche. Bien appliquées, +ces pratiques peuvent rendre de grands services. +Elles le peuvent surtout si le malade, plein +d'une foi aveugle, et suggestionné par avance, +quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, +comme les fervents de Woerishoffen, dans un +endroit tranquille, bien aéré, où son cerveau reste +en jachère par le fait de l'horrible tristesse du +milieu, et s'il s'y soumet à une alimentation plus +raisonnable que celle qu'il avait chez lui. Tous ces +éléments entrent pour une part indéniable, dans les +remarquables succès qu'à obtenus Mgr Kneipp, et +qu'obtiennent encore, à un moindre degré, ses successeurs +et ses élèves, à Altkirch, en particulier.</p> + +<p>Pour en revenir à l'eau froide, il ne faut pas, de +parti pris, se priver de ses services, mais se rappeler +qu'elle ne doit être employée que chez les +malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez +les malades de ce genre, le maillot humide, notamment, +constitué par un drap mouillé et tordu +étendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, +est un procédé souvent très utile et à la portée de +toutes les bourses. On entoure, avec le drap, le +malade comme une momie, en l'enveloppant ensuite +de trois couvertures préalablement étendues, +sous le drap. Nous avons vu des malades, qui ne +parvenaient pas à dormir, trouver, vingt minutes +après qu'ils étaient dans ce maillot, un sommeil +réparateur. La durée des applications ne doit pas +dépasser trois quarts d'heure; et leur nombre peut +sans inconvénients atteindre 80, employées quotidiennement, +même pendant les règles.</p> + +<p>L'hydrothérapie tiède trouve plus souvent ses +indications. Le <i>tub</i> tiède, pratiqué dans la matinée, +avec une infusion de tilleul et l'enveloppement dans +une couverture, est essentiellement sédatif, si le +malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer.</p> + +<p>Le bain répond aussi à de nombreuses indications; +mais c'est un moyen beaucoup plus actif +qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des +malades qui ne le supportent pas, que le bain, +même de cinq minutes, énerve, empêche de dormir; +on doit tenir compte de cette susceptibilité, et ne +pas insister si le malade affirme que le bain lui est +contraire. Les médecins aliénistes se trouvent quelquefois +amenés à donner des bains de douze et de +vingt-quatre heures: c'est là une médication très +active, et difficile à manier. Il arrive, en effet, que +les malades ont des syncopes dans le bain; c'est +dire la surveillance qu'il faut exercer autour d'eux. +Les bains de six heures consécutives sont journellement +employés à Louéche, et avec grand +profit, pour les malades atteints de certaines formes +d'eczéma. Les eaux de Louéche ont peut-être une +qualité particulière, qui rend tolérables ces bains +prolongés; ce qu'il y a de certain, c'est que les +bains de la même durée avec de l'eau de Paris, +comme on les employait autrefois à l'hôpital Saint-Louis, +ne sont, en général, pas tolérés, et qu'on a +dû réserver ce traitement pour les cas exceptionnels.</p> + +<p>C'est également une qualité particulière de l'eau +qu'il faut invoquer pour expliquer la tolérance de +certaines eaux minérales. A Badenweiller, en particulier, +à Gastein, à Néris, les nerveux supportent +des bains très prolongés (pendant une et +deux heures), alors que, chez eux, un bain d'un +quart d'heure les mettrait dans un état pitoyable.</p> + +<p>Il est cependant des malades qui ne supportent +pas le contact de l'eau, même aux stations minérales +que je viens d'indiquer; les médecins de ces +stations auraient tort d'insister si, après les deux +ou trois premiers bains, ils observaient une aggravation +de l'état maladif.</p> + +<p>Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on +ne doit pas mouiller la peau. L'application d'un +cataplasme leur est odieuse, un bain de pieds les +révolutionne, ils éprouvent le besoin de se laver la +figure avec très peu d'eau tiède, ou même avec du +cold-cream. Dira-t-on que ce sont là des phobiques? +Il n'en est rien. La vérité, c'est que nous ne connaissons +pas tous les degrés de susceptibilité du +système nerveux, réactif d'une sensibilité invraisemblable; +et cette intolérance de la peau pour +l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle +disparaît en même temps que les vertiges, gastralgie, +constipation, maux de tête, et autres +misères dont l'ensemble constitue la «maladie». +Mais, aussi longtemps qu'existe cette intolérance, +le médecin doit savoir la respecter, et ne pas s'obstiner +à faire faire au malade l'hydrothérapie même +la plus mitigée.</p> + +<p>C'est dans ces cas que convient souvent l'application +de la chaleur sèche. Un sac en caoutchouc, +à moitié rempli d'eau chaude, appliqué sur l'estomac +après les repas, et, le soir, au lit, pour +chauffer les pieds, est très apprécié de beaucoup +de malades. Ce procédé, très simple, facilite la +digestion, surtout chez les malades spasmodiques. +Cependant, on ne doit pas le recommander dans +les cas d'inertie. Dans ces cas, c'est la compresse +froide, étendue sur le ventre, recouverte de taffetas +chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui +rend service au patient.</p> + +<p>Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut +encore être remplacé par un sac en caoutchouc +contenant un produit solide, qui se dissout par la +chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa +chaleur de fusion. Ces petits appareils, connus +sous le nom de <i>dermothermes</i> ou de <i>dermophores</i>, +ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures +une chaleur égale. Ils ont, par contre, l'inconvénient +d'être un peu lourds; aussi, quand l'installation +le permet, leur préférons-nous un tissu métallique +très léger, recouvert d'une enveloppe de soie, +et chauffé par un courant électrique à 70 volts.</p> + +<p><i>Massage</i>.—Ce que nous disons de l'hydrothérapie +s'applique, de point en point, au massage. Le +massage est un moyen violent qui ne devrait jamais +être pratiqué en dehors du médecin. Employé +même légèrement, il fatigue beaucoup certains +malades. Le massage abdominal, en particulier, +qui a été fort en honneur il y a quelques années, +constitue un procédé thérapeutique dangereux +dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours +pratiqué par une main expérimentée, c'est-à-dire +avec la plus grande douceur. Il peut rendre alors +quelques services, lutter contre la paresse de l'estomac +et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler +que, même alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout +à fait accessoire. Les médecins qui auraient la +prétention de guérir la constipation par le massage +abdominal exclusivement s'exposeraient à un +échec certain, parce que la constipation n'est pas +causée seulement par une inertie des muscles de +l'intestin, mais n'est que le symptôme d'un état +général, ainsi que nous l'avons déjà expliqué.</p> + +<p>Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au +moins autant de services que le massage, et sont +d'une application plus facile, puisqu'elles peuvent +être confiées à toutes les mains. Elles sont faites +avec un gant de molleton, jamais ou très rarement +avec le gant de crin; seules les personnes +bien portantes, ou les malades ayant encore une +grande somme de résistance, supportent la friction +violente au gant de crin. Une bonne manière de +faire la friction humide est la suivante:</p> + +<p>Mettre le malade tout nu dans une couverture de +flanelle; en extraire un des bras, le frotter de bas +en haut avec le gant imbibé d'une solution alcoolique +tiédie; ôter ce gant, le remplacer par un +gant sec, frictionner de bas en haut, remettre le +bras du malade dans la couverture; s'emparer +ensuite de l'autre bras, et agir de même. Frictionner +successivement les deux jambes, toujours de bas +en haut, puis faire asseoir le malade sur son lit, +lui frictionner le dos, n'importe en quel sens, l'étendre +de nouveau, travailler légèrement le devant +de la poitrine sans toucher à l'estomac ni au ventre. +L'opération doit durer dix minutes. Elle est à +recommander chez presque tous les malades, même +chez ceux qui sont très gravement touchés. Bien +faite, et comme nous venons de le dire, elle n'est +jamais dangereuse.</p> + +<p>Les bains de vapeur sont en général bien supportés; +mais les prendre dans des établissements +spéciaux expose à une grande perte de temps, et à +un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre +à domicile, soit dans des boîtes portatives, +soit, mieux encore, au lit. On peut, dans ce cas, +utiliser la vapeur et l'air chaud émanant d'une +forte lampe à alcool, et conduites sous les couvertures +du lit par un tuyau en tôle. Mais un procédé +qui nous semble meilleur encore est le suivant: +dans des boites disposées <i>ad hoc</i>, mettre +deux briques bien chauffées,—appliquer une de +ces boîtes aux pieds du malade couché, une autre +boîte à chacun de ses côtés, et attendre que la +transpiration survienne. Elle arrive infailliblement, +avec une douce lenteur, et ce système permet: 1° de +graduer la transpiration; 2° de ne pas mouiller les +draps et les couvertures, comme le fait l'air saturé +de vapeur qui sort d'une lampe à alcool. Nous préconisons +ces bains d'air sec chez les malades obèses, +rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc.</p> + +<p>En thérapeutique, il n'y a pas de menus détails: +tout ce qui peut être utile au malade doit être +l'objet de nos recherches; et c'est le soin des +détails qui fait la force, et, disons-le franchement, +le légitime succès de quelques-uns de nos confrères +étrangers.</p> + +<p><i>Électricité</i>.—L'électricité n'est pas, non plus, +à négliger. Il est certain que les courants de haute +fréquence ont, sur la nutrition en général, et sur +le système nerveux en particulier, une action très +puissante, notamment chez les nerveux atteints +de prurit anal (Dr Leredde), et chez les malades +envahis par une sensation permanente de froid. +Mais c'est là un procédé forcément limité, à +cause des difficultés d'installation et du prix de +revient. Les applications faradiques ou galvaniques +sur l'abdomen peuvent également avoir +leur efficacité; mais c'est là un procédé très actif, +et qui, fort heureusement, n'est pas, non plus, +d'un emploi facile.</p> + +<p>Le tabouret électrique est souvent recommandable, +à condition qu'on ne tire pas d'étincelles. +Les machines statiques à domicile sont des jouets +qu'on peut concéder aux malades; qui sait cependant +si le peu d'ozone qu'elles dégagent n'a pas une +influence utile?</p> + +<p>Les bains électriques constituent aussi un moyen +puissant, et, par conséquent, difficile à manier. Ce +que nous avons dit des contre-indications du bain ne +s'applique pas aux bains électriques; il est des +cas où le bain électrique, bien appliqué, rend +d'excellents services: tant vaut l'application, tant +vaut le moyen. D'une façon générale, on peut dire +que le bain électrique occasionne une courbature +notable qui, à l'inverse de la courbature produite +par l'excès d'exercice musculaire, amène le sommeil. +Ces bains ne devraient être donnés que tous +les deux ou trois jours, et sous surveillance médicale +très exacte pendant toute la durée du bain. +Dire qu'un pareil moyen agit par suggestion, c'est +énoncer une affirmation qui n'a rien de scientifique.</p> + +<p><i>Injections hypodermiques</i>.—Les injections +hypodermiques constituent un des agents les plus +utiles de la thérapeutique. On peut rapporter aux +trois chefs suivants leur action bienfaisante: +1° toute injection, en tant qu'injection, a une +influence utile; 2° le médicament injecté a son +action propre; 3° une part de suggestion s'attache +à l'emploi des injections.</p> + +<p>I. On sait, depuis les remarquables études du +Dr Chéron, que toute injection hypodermique, quelle +qu'elle soit, pourvu que le liquide injecté ne soit +pas toxique, produit un relèvement momentané de +la tension vasculaire, se traduisant par une sensation +de bien-être, de vigueur; produit, en un mot, +un effet dynamogénique plus ou moins prolongé, +Suivant la dose injectée, et suivant une foule d'autres +conditions.</p> + +<p>Ainsi, qu'on injecte de l'eau salée, du liquide de +Brown-Séquard, de l'océanine, etc.; il y a toujours +à compter avec cette action particulière de l'injection +en tant qu'injection sous-cutanée ou intramusculaire, +en tant qu'agent modificateur de la +pression sanguine. De là l'utilité des doses massives +de liquide, comme aussi la vogue qu'ont eue, +pendant un certain temps, les injections de sérum +artificiel, dont la formule habituelle est à 7 grammes +de sel marin pour un litre d'eau stérilisée. +Malheureusement on sait, depuis quelques années, +que le sel n'est pas un agent indifférent, et qu'il +peut devenir toxique chez les malades dont les reins +ne fonctionnent pas très bien. Il faut donc en user +avec grande prudence.</p> + +<p>Depuis un an, on fait beaucoup d'injections +d'eau de mer stérilisée (océanine). On donne de +300 à 500 grammes de liquide, et les promoteurs +de ce nouveau médicament en disent merveille: il +est possible que l'eau de mer soit un heureux +mélange de substances utiles à l'organisme. Je n'ai +pas fait d'études sur ce sujet; je dirai seulement +que j'ai essayé l'océanine chez trois malades, vus +en consultation avec le Dr Marie, sans résultats +appréciables. Il est vrai que nous ne leur donnions +que des doses de 30 grammes par jour. D'une +communication sur ce sujet faite à la Société +de Thérapeutique, le 11 octobre 1905, par le +Dr Marie, il résulte que ces injections, pratiquées +à des doses plus fortes, ont des effets vraiment +importants chez les nerveux, les aliénés, et qu'elles +n'ont pas les inconvénients graves des injections +salées ordinaires, si bien mis en lumière par M. le +Dr Hallion à la même séance de la Société. L'eau de +mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est +probablement un des précieux médicaments de +l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; d'autant que +les injections massives qu'on en fait agissent également +en tant qu'injections de liquide non toxique.</p> + +<p>II. Il faut tenir compte de la nature du produit +injecté. Il existe, certainement, des médicaments +doués d'une action reconstituante sur le système +nerveux: les glycérophosphates, le cacodylate de +soude et surtout de magnésie, le sérum de Brown-Séquard, +peut-être la lécithine, les phosphates, etc. +Loin de nous l'idée d'étudier l'action de tous ces +médicaments: disons seulement un mot des principaux.</p> + +<p>Le cacodylate de soude est incontestablement un +reconstituant de premier ordre; on peut l'employer +sans danger à des doses beaucoup plus élevées +qu'on ne l'indique généralement, et j'ai publié, à +la Société de Dermatologie, des observations prouvant +la non-toxicité du produit, ainsi que l'utilité +des hautes doses longtemps continuées, dans certains +cas exceptionnels<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14"><sup>14</sup></a>. Le plus souvent, la dose +indiquée par le professeur Gautier, de 10 centigrammes +par injection, est suffisante, et il n'est +pas nécessaire de renouveler plus d'une fois par +semaine cette injection, à la condition de continuer +le traitement pendant deux ou trois mois +dans les cas moyens.</p> + +<p>J'ai, d'ailleurs, fait une étude clinique détaillée +de l'action des cacodylates de soude et de magnésie, +à la Société de Thérapeutique, en 1902, en indiquant +les très rares contre-indications, et en précisant, +dans la mesure du possible, les indications<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15"><sup>15</sup></a>. +Le cacodylate de fer en injections rend aussi des +services, dans les cas exceptionnels où le fer est +indiqué (chez certaines jeunes filles anémiques, +chloro-anémiques): mais quatre ou cinq injections +de 5 centigrammes, faites à raison de deux par +semaine, nous ont toujours semblé suffisantes.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" name="footnote14"></a><b>Note 14:</b><a href="#footnotetag14"> (retour) </a> Considérations sur la médication cacodylique, <i>in Ann. de +dermatologie et Syphiliographie</i>, 6 mars 1902.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" name="footnote15"></a><b>Note 15:</b><a href="#footnotetag15"> (retour) </a> <i>Bull de la Soc. de Thérapeutique</i>, 27 mars 1901.</blockquote> + +<p>Les injections orchitiques de Brown-Séquard, +après avoir eu un moment la faveur que l'on sait, +sont tombées dans un injuste oubli. Ayant eu la +bonne fortune d'être en relations personnelles et +suivies avec le vénéré maître, de recueillir de sa +bouche des aperçus thérapeutiques de grande +envergure, que la mort ne lui a pas laissé le temps +de vérifier et d'enseigner, je reste convaincu qu'il +faudra reprendre l'étude de l'action dynamogénique +du liquide de Brown-Séquard, préciser les +doses, le nombre des injections, etc. Ce travail n'a +été qu'ébauché par le grand initiateur.</p> + +<p>D'ailleurs l'opothérapie, en général, nous semble +une méthode pleine de promesses; j'ai cité notamment, +à la Société de Thérapeutique, en 1904, +le cas d'une malade à foie défectueux arrivée au +dernier degré du marasme, avec muguet dans la +bouche, qui a été comme ressuscitée par l'emploi +de trois lavements quotidiens préparés avec une +macération de 200 grammes de foie de porc, fraîchement +tué, dans 300 grammes d'eau bouillie. +Cette dame, une grande malade avec phénomènes +nerveux et dyspeptiques anciens, avait eu, à un +moment donné, une insuffisance hépatique; son +foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fièvre +intermittente hépatique, urobiline dans l'urine, etc.); +au deuxième mois de cette complication, elle était +arrivée à l'état lamentable que j'ai indiqué, quand +nous eûmes l'idée de lui rendre ce qui manquait à +son foie. Le résultat a dépassé toute espérance; +trois heures après le premier lavement, la malade +avait des urines claires et abondantes; huit jours +après, elle avait retrouvé le sommeil et l'appétit, les +selles régulières, etc. Une fois l'orage passé, le danger +immédiat conjuré, il m'a encore fallu continuer +à soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, la peau +de ma malade: mais, trois mois après, elle put +aller achever sa convalescence dans le Midi, et, +depuis deux ans, elle va presque bien. La complication +hépatique n'avait été qu'un épisode dans +le cours de la «maladie», qui évoluait depuis +vingt années.</p> + +<p>D'une façon générale, les préparations opothérapiques, +auxquelles un immense avenir semble +réservé, ne rendront tous les services qu'elles peuvent +rendre que quand on trouvera le moyen de +les donner par voie sous-cutanée, comme le faisait +Brown-Séquard avec son liquide orchitique.</p> + +<p>Chez certains malades, les préparations de strychnine +par injections hypodermiques ont un effet +très utile: mais il ne faut pas dépasser en général +la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux +encore d'arséniate de strychnine, ni faire plus +de huit ou dix injections, réparties sur trente +jours.</p> + +<p>Nous avons dit combien la grippe est dangereuse +pour les malades, quels qu'ils soient. C'est l'ennemie +personnelle des neurasthéniques. De là, la +préoccupation constante que nous avons de faire la +guerre à cette affection accidentelle, de la couper +dès ses débuts. Or, il m'a bien semblé trouver, dans +le <i>cacodylate de gaïacol</i>, un agent antigrippal spécifique, +sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention +de mes confrères, à la Société de Thérapeutique, +en janvier 1906.</p> + +<p>Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes +de cacodylate de gaïacol, dans un gramme +d'eau stérilisée, et préalablement saturée de gaïacol, +fait merveille chez les grippés au début: elle les +guérit en quelques heures. Deux ou trois injections +consécutives suffisent toujours pour couper la +grippe, même quand elle n'est pas prise au début, +à moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, +et, même alors, le cacodylate de gaïacol +me semble très recommandable. Il l'est aussi +dans ces convalescences interminables de grippe +qui résistent à tous les traitements.</p> + +<p>Dans les cas de grippe avec fièvre, voire même +avec pneumonie, nous nous sommes très bien +trouvés de donner, pendant trois ou quatre jours +de suite, des injections de quinine. Une seringue +de Pravaz de la solution suivante, introduite profondement +dans le muscle, est très bien tolérée +et n'occasionne jamais d'abcès:</p> + +<table width="80%" align="center" summary=""> + <tbody> + <tr> + <td valign="top" align="left" width="70%"> + Chlorhydrate neutre de quinine<br> + Antipyrine<br> + Eau distillée<br> + </td> + + <td valign="top" align="left" width="30%"> + 3 grammes.<br> + 2 —<br> + 6 —<br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<p>Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux +dans les névralgies postgrippales, qui +sont quelquefois si tenaces, et qui résistent même +aux opiacés (névralgies sous-orbitaires, sciatiques, +névralgies intercostales).</p> + +<p>Je n'ai pas essayé la quinine en dehors de ces +suites éloignées de la grippe, cas de grippe aiguë et +de névralgies postgrippales,—on ne peut pas tout +faire,—mais je crois bien que la quinine à petites +doses, donnée en injections à tous les malades à +dépréciation nerveuse momentanée, aurait un effet +dynamogénique précieux.</p> + +<p>Dans certains cas de douleurs névralgiques trop +pénibles, les injections d'héroïne sont indiquées; +mais il faut savoir que l'héroïne doit se manier à +doses trois fois moindres que la morphine; en +d'autres termes, on ne doit jamais dépasser un +milligramme d'héroïne, surtout chez les malades +dont on ne connaît pas la tolérance. L'action antinévralgique +de l'héroïne nous a semblé supérieure +à celle de la morphine; mais il faut bien se rappeler +que l'héroïne est un médicament aussi dangereux +que la morphine, auquel les malades s'habituent, +et réserver son emploi pour les cas exceptionnels. +J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me disposais, +à contre-coeur, à employer l'héroïne, lorsque, +me ravisant, je me demandai si la névralgie crurale +qui le torturait ne serait pas, par hasard, d'origine +syphilitique. Or, en reconstituant son histoire, +j'acquis la conviction que la syphilis était vraiment +en cause; et une seule piqûre de calomel eut raison +à tout jamais de cette névralgie si pénible; tant +il est vrai que le médecin doit toujours penser à la +syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui.</p> + +<p>Chez les adultes, le traitement de choix de la +syphilis tertiaire, quelle que soit la manifestation +syphilitique (aortite, gommes), nous semble être +les injections mercurielles; celles au benzoate sont +douloureuses, et donnent des nodosités désagréables; +celles de biiodure en solution aqueuse sont +très douloureuses. Nous préférons l'huile grise +pour les cas moyens, le calomel pour les grandes +circonstances, et l'huile au sublimé,—dont nous +avons donné la formule en 1881 à la Société de +Dermatologie,—chez les syphilitiques épuisés, +auxquels l'huile sert d'aliment.</p> + +<p>Et puisque nous parlons d'injections huileuses, +le moment est venu de dire un mot de nos travaux +antérieurs sur l'action dynamogénique de l'huile +créosotée, en injections sous-cutanées <i>à dose +maxima tolérée</i>. Nous les avons surtout employées +et les employons encore chez les tuberculeux; +mais nous étions guidé par une fausse conception +théorique; et si la créosote <i>bien maniée</i> reste,—et +restera longtemps,—le médicament de choix +chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle agit +contre le bacille de Koch, comme antiseptique, +c'est parce qu'elle a une action non douteuse, extraordinairement +puissante, sur le système nerveux.</p> + +<p>La créosote est, en effet, un agent dynamogénique +de premier ordre. Aussi les tuberculeux sont-ils +loin d'être les seuls malades qui puissent tirer +parti de ce précieux médicament; et si je ne craignais +d'être accusé de paradoxe, je dirais que ce +sont eux qui en tirent le moindre bénéfice, à cause +de la difficulté que présente le maniement de la +créosote chez ces malades, toujours prêts à avoir la +fièvre. Là où les injections d'huile créosotée font +merveille, c'est chez les pseudo-tuberculeux, qui +sont tellement démolis par les troubles gastriques, +nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout +en ne l'étant pas. Chez eux, la créosote bien maniée +rend, en quelques jours, l'appétit, la force, en un +mot la vie.</p> + +<p>Le seul inconvénient de la créosote, et qui restreindra +longtemps son emploi, c'est l'extrême difficulté +qu'il y a à la manier. Pour ma part, je +me suis attaché à surprendre les moindres manifestations +de l'intolérance, et à les décrire minutieusement +afin de permettre aux praticiens de +ne jamais dépasser la dose utile; à appeler l'attention +sur les intolérances accidentelles, qui doivent +faire immédiatement suspendre le traitement, ou +baisser la dose acceptée les jours précédents. J'ai +même tellement insisté sur les dangers de la créosote +que quelques confrères m'ont accusé d'avoir +fait son procès; mais la dynamite aussi est une +arme redoutable, ce qui n'empêche pas que, bien +maniée, elle rende des services<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16"><sup>16</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" name="footnote16"></a><b>Note 16:</b><a href="#footnotetag16"> (retour) </a> Dans les injections d'huile créosotée, il n'y a pas seulement que +la créosote qui soit utile. L'huile absorbée, digérée par la peau, est +un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un mois, +avec des injections sous-cutanées d'huile et des lavements aqueux, +un malade atteint d'ulcère de l'estomac. Un mois durant, ce malade +est resté à la diète <i>absolue</i>, ce qui a donné à l'ulcère le temps de +se cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de +150 grammes d'huile convenablement préparée. Le danger des +injections huileuses est la pénétration de l'huile dans un vaisseau +sanguin, d'où peut résulter une embolie qui peut être mortelle; +mais j'ai indiqué le moyen de se mettre <i>sûrement</i> à l'abri de tout +accident grave. Le secret consiste à bien connaître les moindres +symptômes d'introduction de l'huile dans le torrent circulatoire, +et à arrêter l'injection dès l'apparition de ces symptômes. +Rien n'est plus facile que d'arrêter à temps cette injection, si on la +fait avec la lenteur voulue; mais cette lenteur n'est possible +qu'avec l'emploi d'un appareil spécial, à fonctionnement automatique. +Au reste tous ces points sont étudiés dans mon livre +sur le <i>Traitement de la tuberculose par la créosote</i>.</blockquote> + +<p>III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles +soient, agissent encore d'une autre façon. En dehors +des propriétés particulières à chaque médicament, +et de l'action dynamogénique reconnue à +toute injection sous-cutanée et même intra-musculaire, +elles agissent encore par suggestion. Elles +font prendre patience au malade, en attendant que +les autres agents thérapeutiques, qui visent l'hygiène +cérébrale, médullaire, gastrique, intestinale, cutanée, +etc., aient eu le temps de produire leurs effets. +Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente, +comme ils ne procurent pas de résultat immédiat, le +malade serait vite découragé, si on ne lui donnait +pas du premier coup, un remontant, factice peut-être, +mais certainement utile, et ayant une action +évidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire +confiance.</p> + +<p>La pratique des injections hypodermiques est +également utile au médecin à un autre point de vue: +elle lui permet d'apprécier très vite le degré de +confiance que lui accordent le malade et son entourage. +Or, de ce degré de confiance dérive, dans une +notable mesure, le résultat thérapeutique final. Si +le médecin sent que son malade a foi en lui, il +déploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources +de son intelligence et de son coeur; dans +le cas contraire, il se sentira à tout instant, gêné, +paralysé, inhibé, et il risquera de n'avoir pas toute +la clairvoyance nécessaire. De là l'importance qu'il +y a, pour lui, à évaluer le degré de confiance qui +lui est octroyé. Eh bien! pour l'apprécier, il n'y a +pas de meilleure pierre de touche que l'injection +hypodermique. Car si le malade et son entourage +acceptent celle-ci aveuglément, du premier coup, +sans même demander la formule du liquide injecté, +c'est toujours signe que le terrain est bon, et que +le malade acceptera avec la même obéissance les +diverses prescriptions qui lui seront faites. Dans +certains cas, il est vrai, le malade accepte, non +parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; +peu importe, il acceptera avec la même passivité +les prescriptions qui lui seront faites, et c'est +là l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou +surtout son entourage, manifestent une curiosité +inquiète, qu'on ne parvient pas à satisfaire par une +réponse banale, quand ils expriment des appréhensions +sur la nature et les effets du liquide +injecté, on peut dire que le cas est mauvais, ou tout +au moins médiocre; et le médecin aura beaucoup à +faire pour conquérir la confiance.</p> + +<p>Certes, cette curiosité et ces appréhensions sont +légitimes, et ce que nous disons ici ce n'est pas pour +les empêcher: mais il n'en est pas moins vrai +qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le +médecin a intérêt à connaître afin de travailler à la +faire cesser et d'établir ainsi, entre son malade et +lui, cette confiance réciproque qui est la condition +indispensable d'un traitement efficace.—Or l'attitude +des malades en face des injections qu'on leur +propose constitue, à ce point de vue, un excellent +moyen de diagnostic moral.</p> + +<p>Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut +dire un mot des applications locales, révulsives ou +dérivatives, qui étaient autrefois si en honneur, +et qui sont tombées dans un discrédit bien injuste.</p> + +<p><i>Vésicatoires</i>.—Autant nous protestons contre +les larges vésicatoires employés autrefois, et qui, +chez quelques malades, produisaient de la cystite, +chez presque tous une douleur pire que le mal +qu'on voulait guérir; autant nous continuons à +penser que le petit vésicatoire, sous forme de +mouche de Milan, ne doit pas être dédaigné. Chez +les grands malades qui ont le système nerveux +sens dessus dessous, une mouche, appliquée derrière +l'oreille, peut faire un mal extrême et produit +un état d'agitation inconcevable, non pas à cause +de la douleur insignifiante qu'elle provoque, mais +par le fait du trouble de circulation qu'elle produit à +distance. Ce seul fait suffirait à prouver que l'application +d'une mouche n'est pas indifférente; rien, d'ailleurs, +n'est indifférent en thérapeutique. Mais chez +certains malades qui ont encore un bon capital nerveux, +la mouche, appliquée derrière l'oreille droite, +de préférence, produit une sédation des plus remarquables, +amène le sommeil, dissipe le malaise mental +et les divers troubles innommables qui constituent +l'état nerveux; c'est sans doute à cause de l'infériorité +fonctionnelle de la partie gauche du corps,—habituelle +chez les malades, ainsi que nous +l'avons dit,—que la mouche appliquée derrière +l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle +produirait moins si elle était appliquée à gauche; +en tout cas, c'est un fait d'observation. De même, +la mouche sur le creux de l'estomac peut amener, +si elle est appliquée trop tôt, ou dans les cas trop +aigus, une aggravation notable des troubles gastriques; +mais si elle vient à son heure, elle provoque +un apaisement notable des troubles digestifs. La +mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un +des meilleurs remèdes à apporter à la constipation. +Cette affirmation peut sembler singulière, mais elle +s'explique pour qui comprend l'origine, presque +toujours nerveuse, de la constipation.</p> + +<p><i>Emplâtres</i>.—Les applications d'emplâtres +d'opium ne sont jamais dangereuses, et font souvent +le plus grand bien. Étant donnée l'extrême +susceptibilité d'un système nerveux malade, qui se +laisse impressionner par les moindres influences, +ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout cas, j'affirme, +au nom d'une expérience prolongée, qu'une +mouche d'opium appliquée à la tempe est souvent +très appréciée par les malades céphalalgiques, qu'un +emplâtre d'opium, ou de ciguë et de belladone, +laissé sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, +ou du moins d'une façon plus continue, les douleurs +gastralgiques, que ne le ferait une série d'injections +de morphine.</p> + +<p>De même, l'emplâtre à l'oxyde de zinc, appliqué +sur la colonne vertébrale, immédiatement au-dessous +de la première vertèbre dorsale, sur une longueur +de dix centimètres, atténue singulièrement certains +phénomènes médullaires dont se plaignent les +malades, en particulier les inquiétudes dans les +jambes qui sont si fréquentes chez les grands neurasthéniques.</p> + +<p>Tous ces moyens si simples ne sont donc pas à +dédaigner. A eux seuls, ils seraient insuffisants; +mais, ajoutés au régime alimentaire, au repos méthodiquement +dosé, aux applications hydrothérapiques +raisonnables, et à la psychothérapie, ils amènent +sûrement la guérison, lorsqu'il reste assez de capital +biologique pour que la lutte ne soit pas impossible.</p> + +<p><i>Purgatifs</i>.—Nous usons très peu des médicaments +fournis par la pharmacopée, pour ce motif bien +simple que nous n'en avons pas besoin, et que nous +avons une crainte presque instinctive de tous ces +agents thérapeutiques à action violente et perturbatrice. +Faut-il l'avouer? c'est aussi parce que nous +ne les connaissons pas.</p> + +<p>Rien n'est, en effet, difficile comme l'étude d'un +médicament. J'ai mis, quant à moi, des années à +étudier l'action du bromure, quand je m'occupais +plus spécialement des «maladies» nerveuses et mentales; +et quand, en octobre 1898, le professeur +Gautier a bien voulu me confier l'étude du cacodylate +de soude, la première chose que je lui ai +dite, c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour +pouvoir lui donner sur cet agent thérapeutique une +appréciation ayant quelque valeur. Enfin, pour ce +qui est de la créosote et du gaïacol, j'ai mis cinq ans +à en connaître l'effet.</p> + +<p>Comment, alors, avoir confiance dans des publications +hâtives sur des médicaments découverts de +la veille? Et, en ce qui est des médicaments anciens, +ayant fait leurs preuves, je répète que, en général, +je les redoute, à cause de l'extrême sensibilité des +malades, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer.</p> + +<p>Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, +m'inspirent une véritable terreur. Mais, dira-t-on, +tous les jours nous les voyons employer sans +dommage, et même avec une apparence de succès +qui saute aux yeux! Leur emploi répond d'ailleurs +à une indication bien rationnelle, puisqu'il faut évacuer +les résidus de la digestion qui empoisonneraient +l'économie! Il nous faut réfuter ces objections +en passant: qu'on donne un purgatif à un +homme solide qui a un léger embarras gastrique, +il le tolérera, et paraîtra même s'en trouver bien; +mais c'est une erreur d'interprétation, et si le +purgatif ne lui a pas fait de mal appréciable, c'est +que tout est sain chez les hommes sains. Mais +donner un purgatif à un malade grave dont le +système nerveux est profondément atteint, c'est +provoquer chez lui des réflexes dont personne ne +connaît l'importance, c'est quelquefois sidérer son +système nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit +le ventre, qui avait jusqu'alors une certaine tonicité, +devenir flasque, inerte, perdre toute réaction; l'intestin +est alors inhibé dans son fonctionnement, et +il faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, +quand il se ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il +donc faire chez les malades constipés? La réponse +est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur +constipation, qui n'est qu'un symptôme, et il faut +les soigner en tant que malades; la constipation disparaîtra +d'elle-même. Le moment nous semble venu +de protester une dernière fois contre les idées des +gens du monde, et des médecins, relatives à la constipation.</p> + +<p>Nombreux sont les gens soi-disant bien portants +qui sont atteints de constipation chronique. Quand +nous disons bien portants, c'est une façon de parler: +car, en réalité, les constipés ne sont pas absolument +bien portants. Mais il en est beaucoup qui vont et +viennent, vivent de la vie commune, tout en ayant +une constipation opiniâtre; de plus il y a beaucoup +de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont +constipés. Une dame nous disait plaisamment, à ce +sujet, que son intestin avait «horreur du vide». +Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette +obsession spéciale qui empoisonne la vie des constipés, +elles tolèrent leur infirmité sans se douter +qu'elle existe. Mais malheur à elles quand elles +commencent à se préoccuper de leur constipation! +C'est à partir de ce moment qu'elles rapportent à la +constipation les mille et une misères qui sont +l'apanage des neurasthéniques. Malheur à elles, +surtout, quand elles entrent dans la voie des soi-disant +traitements de la constipation! Elles commencent +par user du lavement simple, tiède d'abord, +puis très chaud, puis très froid; puis elles ont recours +aux purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, +elles en arrivent aux grands lavages. Elles font +tant et si bien qu'elles irritent leur intestin, et qu'à +leur constipation anodine succède l'entéro-colite +membraneuse.</p> + +<p>A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable +et le cercle vicieux est établi. Plus elles +irritent leur intestin, plus la constipation devient +opiniâtre, et, pour lutter contre cette constipation +opiniâtre, elles irritent de plus en plus leur intestin. +L'obsession entre alors en scène, elles ne pensent +plus qu'à leurs fonctions alvines, à la liberté +du ventre, qu'elles disent être la plus nécessaire +des libertés. Elles donneraient la vie du genre +humain pour obtenir une selle; elles se présentent +à la garde-robe plusieurs fois dans la journée, sans +succès ou avec des résultats insignifiants, et, cette +impuissance les affolant, elles ont recours aux +moyens les plus extraordinaires pour lutter contre +l'odieuse constipation. Cet état mental des constipés +mérite d'être étudié de très près; et toute thérapeutique +qui ne cherche pas à le modifier est, par +avance, condamnée à l'impuissance.</p> + +<p>La première chose à faire, quand on se trouve en +présence d'un de ces constipés à obsession, est de +lui persuader que la constipation n'est pas l'ennemie, +n'est pas la cause immédiate de toutes les +misères qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un +symptôme d'importance secondaire, prouvant simplement +qu'il y a quelque chose de défectueux dans +le fonctionnement du système nerveux abdominal.</p> + +<p>Persuadez à vos malades qu'il leur suffit d'aller +à la garde-robe tous les deux ou trois jours pour commencer, +que, lorsqu'ils iront mieux, ils iront quotidiennement; +invitez-les à ne s'y présenter qu'une +fois par jour, à heure fixe, en leur interdisant, dans +la mesure du possible d'y aller en dehors de l'heure +réglementaire. Recommandez-leur de ne pas lutter +contre la constipation, mais bien contre le trouble +nerveux dont la constipation n'est qu'un symptôme, +et, s'ils vous écoutent, si vous avez le don de les convaincre, +ils seront par cela seul à moitié guéris.</p> + +<p>Cependant, comme il faut tenir compte de leur +état mental, et un peu aussi de la mentalité de +l'entourage, on peut autoriser un petit lavement +d'eau bouillie à prendre le matin du troisième jour +de présentation inefficace, à l'heure réglementaire +de la présentation, lavement qui sera gardé cinq +minutes seulement. On peut encore, si l'on croit +devoir faire de grandes concessions, permettre au +malade, le soir du troisième jour de présentation +inefficace, un lavement d'huile, non pas avec +200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou +cinq cuillerées à bouche d'huile pure, lavement +destiné à être gardé toute la nuit; si l'on y ajoute +une forte dose de suggestion, ce lavement aura, +pour le lendemain, un effet magique.</p> + +<p>Les pilules de belladone d'après la formule de +Trousseau sont également recommandables; elles +ont tout au moins l'avantage de ne pas être nuisibles.</p> + +<p>Mais un agent véritablement utile, c'est le liquide +orchitique de Brown-Séquard; c'est de la bouche +même du savant professeur que je tiens ce renseignement, +et je me rappelle encore, comme si c'était +hier, le jour où il me disait ces paroles: «De tous +les services que m'ont rendus à moi-même mes +injections de suc orchitique, celui que je place en +première ligne, bien avant tous les autres, c'est +qu'elles m'ont guéri d'une constipation opiniâtre». +Et, ajoutait l'illustre maître, «il faut avoir été, +comme moi, torturé par la constipation pour savoir +toutes les angoisses qu'elle occasionne».</p> + +<p>Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a +joué aucun rôle dans la circonstance, car M. Brown-Séquard +ne s'attendait pas le moins du monde à cet +effet des injections do liquide orchitique.</p> + +<p>Pour moi, utilisant ce précieux renseignement, +j'ai traité et je traite encore par les injections de +liquide orchitique les grands neurasthéniques +atteints de constipation opiniâtre avec entéro-colite.</p> + +<p><i>Eaux minérales</i>.—Si nous donnons peu de +créance aux médicaments de la pharmacopée, nous +croyons, par contre, que les eaux minérales constituent +des agents thérapeutiques très actifs. Voltaire, +qui ne respectait rien, disait que les voyages +aux eaux ont été inventés par des femmes qui s'ennuyaient +chez elles, et Diderot affirmait que, en +général, les eaux sont le dernier conseil de la +médecine poussée à bout. «On compte plus, ajoutait-il, +sur le voyage que sur le remède.»</p> + +<p>Tous les deux étaient, certes, des hommes d'esprit, +mais ils parlaient là de choses qu'ils ne connaissaient +point. Si incommensurable que soit la +sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, +depuis la plus haute antiquité, et ne jouiraient pas +du renom qu'elles ont encore, si elles n'avaient pas +vraiment une certaine efficacité.</p> + +<p>Certes, dans les bons effets des cures minérales, +il faut compter, pour une certaine mesure, avec le +changement de milieu, l'influence agréable du +voyage; mais il ne faut pas oublier que cette +influence, utile quelquefois, est quelquefois fâcheuse. +Aussi faut-il n'envoyer aux eaux que les malades +qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le +capital n'est pas sérieusement compromis.</p> + +<p>Le changement de régime alimentaire qui est +imposé aux malades, dans les stations thermales, +leur est parfois favorable, et peut avoir une part +d'influence dans les bons résultats obtenus. Nous +savons, en effet, que, à un moment donné, il est +utile de ne pas se confiner dans un régime alimentaire +suivi depuis trop longtemps, et aussi que, +dans certains cas, il faut savoir brusquer l'estomac. +Mais ce changement brusque, qui souvent est utile, +peut être dangereux, au contraire, quand le système +nerveux n'est pas de taille à supporter le +soudain assaut imposé.</p> + +<p>C'est ce qui arrive souvent aux stations minérales, +où le bon effet des eaux est, en grande +partie, contre-balancé par la mauvaise hygiène +alimentaire. De là l'utilité qu'il y aurait à instituer, +dans toutes les villes d'eaux, des «tables de +régime» comme il en existe dans toutes les maisons +de santé bien tenues, où chaque malade, pour +ainsi dire, a le régime alimentaire qui lui convient, +dosé et surveillé par le médecin de l'établissement. +Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans +nos stations minérales, parce que les médecins n'y +sont pas libres de tous leurs actes, et ont à compter +avec les hôteliers qui, eux-mêmes, ont à compter +avec leurs chefs de cuisine.</p> + +<p>A Carlsbad, on a bien essayé de faire des «tables +de régime»; et j'y ai vu moi-même des menus +imprimés; mais un bon nombre des mets qu'ils +annonçaient se sont trouvés n'exister que sur le +papier. A Vichy, par contre, plusieurs médecins +sont arrivés à imposer à des tenanciers de pensions +de famille l'obligation de donner aux malades +des régimes variés, suivant les prescriptions médicales.</p> + +<p>Quant aux indications des eaux minérales, elles +varient à l'infini.</p> + +<p>Certaines eaux ont certainement une action prédominante +sur tel on tel syndrome. Ainsi, ce n'est +pas du tout en vertu d'une erreur d'observation, ou +d'un engouement irréfléchi, qu'on attribue aux eaux +de Bagnoles de l'Orne une action presque spécifique +sur les troubles périphériques de la circulation +(varices, hémorroïdes, phlébites). Les malades +atteints d'hémorroïdes, par exemple, voient sûrement, +à Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs +misères (troubles nerveux, dyspeptiques), mais plus +particulièrement les misères locales causées par +leurs hémorroïdes. De même Châtel-Guyon a une +action non douteuse sur le symptôme constipation, +action que n'a pas Vichy, qui, au contraire, +favorise la constipation pendant la durée du traitement.</p> + +<p>De même, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez +certains entéralgiques, convalescents d'appendicite, +etc., une action véritablement spéciale. De même +encore, dans l'obésité, qui, comme nous le verrons, +n'est qu'un des symptômes de la «maladie», elles +ont une bienfaisance incontestable, surtout si, à +leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en +montagne bien comprise et bien réglée. Les eaux +de Bagnères-de-Bigorre n'ont pas d'action spéciale, +mais elles rendent de précieux services aux nerveux +fatigués. Celles de Vichy sont absolument indiquées +chez les malades dont le système nerveux digestif +est en détresse, et la Grande Grille, en particulier, +a une action d'une puissance extrême, qui ne s'explique +pas plus par la théorie des <i>ions</i> que par les +théories chimiques, mais qui est indiscutable. Et il +ne s'agit pas là de psychothérapie ni de suggestion; +la Grande Grille a des effets qui lui sont +propres, et Vichy est souvent un adjuvant dont on +ne peut se passer. Mais il faut se rappeler que c'est +une arme difficile à manier, comme toutes les armes +puissantes, et qu'à Vichy il ne faut envoyer que +les malades ayant encore une grande force de résistance +vitale.</p> + +<p>Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive +y envoyer que des dyspeptiques. Parmi les 30 +ou 35 malades que j'y envoie, chaque année, +il y en a au moins une dizaine chez lesquels les +symptômes cérébraux prédominent, à condition, +bien entendu, que ces symptômes ne soient pas en +rapport avec des lésions organiques; et ces malades +se trouvent au moins aussi bien de Vichy que ceux +qui n'ont que des symptômes gastriques ou hépatiques.</p> + +<p>Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer à Bourbon-l'Archambault +les malades atteints de lésions +organiques du cerveau ou de la moelle, hémiplégiques, +congestifs, etc. Depuis quelques années, la +physionomie de cette station a changé. Il y a eu des +accidents provoqués par l'eau chaude sur les +malades à artères friables; et l'on se borne actuellement +à y envoyer les malades à troubles médullaires +superficiels, connus vulgairement sous les +vocables de rhumatismes chroniques ou articulaires, +sciatiques, névralgies, etc. Marienbad, avec +ses bains de boue, Franzenbad avec ses bains +d'acide carbonique, rendent aussi de grands services +aux rhumatisants et aux obèses sans lésions +organiques appréciables.</p> + +<p>Seule, la station de Lamalou a gardé le privilège +de recevoir des malades à lésions organiques nettement +définies, et dont nous ne nous occupons pas +dans ce travail.</p> + +<p>Vittel et Contrexéville conviennent aux malades +chez lesquels le trouble de la nutrition, qui n'est, +en général, qu'un trouble du système nerveux, se +traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la +formation de calculs, soit dans le foie, soit dans +les reins<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17"><sup>17</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote17" name="footnote17"></a><b>Note 17:</b><a href="#footnotetag17"> (retour) </a> Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon estomac, +à cause de la quantité d'eau qu'on est obligé de boire. De +là le nombre relativement limité de malades qu'on peut envoyer +à Vittel. Mais fouillez le passé de ces malades, et vous verrez +que, longtemps avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits +troubles cérébraux, ne fût-ce que des migraines, de petits troubles +cutanés, de l'obésité. Un beau jour, une colique néphrétique les +surprend, et l'on se figure que c'est à partir de ce jour qu'ils sont +devenus malades. Il n'en est rien. La colique néphrétique n'a été +chez eux, qu'un accident; bien avant de l'avoir, ils avaient, même +du côté du rein, de petites misères qui passaient inaperçues: du +lumbago, des urines chargées de sable. Et si, au moment où l'on +s'est aperçu de ces petits symptômes, on les avait soignés méthodiquement, +par le repos ou l'exercice suivant les cas, par telle ou +telle hygiène alimentaire, telle ou telle pratique hydrothérapique, +telle ou telle hygiène cérébrale, ils n'auraient pas eu de coliques +néphrétiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller à Vittel. Mais, +ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir au +traitement bienfaisant de Vittel pour se débarrasser d'une des +manifestations importantes de leur «maladie», au moins d'une +façon temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul +ne les guérira pas, quand même ils y retourneraient tous les ans.</blockquote> + +<p>Les eaux arsenicales conviennent souvent à nos +malades; la Bourboule en particulier, Saint-Nectaire +chez les enfants et les jeunes gens.</p> + +<p>Mais nous ne voulons pas faire une revue des +eaux minérales françaises et étrangères. Tout ce +que nous voulons prouver, c'est que les eaux minérales +sont un agent thérapeutique de premier ordre, +un agent que tous les médecins doivent connaître, +non seulement parce qu'ils voient dans les livres, non +seulement par ouï-dire, mais en se donnant la peine +d'aller les visiter. Il n'est même pas mauvais qu'ils +goûtent, par eux-mêmes, aux diverses sources, et +qu'ils tâtent parfois des bains. Ils ne tarderont pas +à voir que ce ne sont pas des agents indifférents: +je leur recommande, en particulier, un bain à Salies-de-Béarn, +à forte dose d'eau salée. Aussi le monde +médical doit-il être très reconnaissant à celui de +nos maîtres, le professeur Landouzy, qui a organisé, +tous les ans, des caravanes scientifiques pour +visiter les eaux françaises; quinze jours de voyage +sous une bonne direction médicale sont plus utiles +que six mois de travail dans les livres. On apprend +ainsi à connaître non seulement les eaux, mais +aussi les médecins des stations, parmi lesquels il +en est beaucoup qui ont des idées générales très +intéressantes sur la pathologie. Ces médecins des +villes d'eaux sont, d'ailleurs, pour les praticiens, +de précieux collaborateurs, quand ils veulent bien +ne pas se borner à prescrire les eaux en boisson, +les bains, les douches, etc., et consentir à faire, +en même temps, oeuvre médicale véritable, c'est-à-dire +surveiller le régime, doser avec soin le repos +et l'exercice, et se souvenir que la psychothérapie +ne perd jamais ses droits.</p> + +<p><i>Voyages</i>.—Les gens du monde se figurent que +les voyages font le plus grand bien aux malades en +général, qu'à la suite d'un état aigu, par exemple, +dès que le malade est transportable, il faut l'envoyer +bien loin de chez lui, et que, dans les états +chroniques, ce déplacement lointain est la condition +<i>sine qua non</i> d'une guérison. Cette opinion +est basée sur une erreur d'interprétation. Il est certain +qu'un homme bien portant se trouve très bien +d'un déplacement annuel, et les vacances sont +chose indispensable pour cet homme, quels que +soient son âge et sa situation. Il faut que, au moins +une fois par an, l'homme bien portant mette, pendant +quelques jours, son cerveau en jachère, +prenne l'exercice dont il a été en partie privé pendant +le reste de l'année. Ce temps consacré au +repos cérébral n'est pas du temps perdu, c'est du +temps bien employé.</p> + +<p>Les vacances sont également nécessaires à l'enfant +qui travaille: et par vacances nous entendons +non seulement le repos cérébral, qui doit être +presque absolu,—ce qui, par parenthèse, contre-indique +l'usage des devoirs de vacances,—mais +aussi, autant que possible, le changement de milieu, +ne fût-ce que pendant une trentaine de jours. De +là l'utilité des colonies de vacances, que le professeur +Landouzy appelle «des croisades de paix et +de rédemption». Elles sont, dit-il très justement, +la «première ligne de défense contre la tuberculose». +M. Plantet a fait sur ce sujet, à la demande +de l'Office central du travail, un rapport des plus +intéressants et des plus complets, publié dans la +<i>Réforme sociale</i>, (16 juin et 1er juillet 1905). Il +résulte de ce rapport que la France est en retard +sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre, +la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que +nous n'occupons, en somme, que le sixième rang +dans la lutte des sociétés contre le dépérissement +de leur race. Cependant, depuis 1882, la France +est entrée dans le mouvement, et les colonies scolaires +françaises sont déjà en nombre considérable: +il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions +privées parisiennes, 40 comités de patronage +s'occupant de procurer des vacances aux enfants +pauvres de la capitale; et des colonies semblables +fonctionnant dans cinquante-six villes de France. +Au total, en 1902, 14000 petits Français ont bénéficié +de ces institutions philanthropiques<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18"><sup>18</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote18" name="footnote18"></a><b>Note 18:</b><a href="#footnotetag18"> (retour) </a> Dans l'intéressant rapport de M. Plantet, chacune de ces +colonies est étudiée avec des détails suffisants pour qu'on puisse +se rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des +résultats obtenus. Dans un premier type, les enfants sont logés +en commun dans un même local (villas scolaires, écoles communales +vacantes pendant l'été, propriétés privées, louées, +acquises, spécialement aménagées pour abriter une collectivité à +la campagne ou à la mer). C'est la colonie d'internat.<br> + +<p>Dans un second type, les enfants sont confiés par petits groupes +de deux à quatre au plus, à des familles de cultivateurs recommandables, +moyennant un prix débattu, dans les régions réputées +les plus saines. C'est le placement familial.—Les deux systèmes +présentent des avantages et des inconvénients qui sont +analysés de très près dans le travail que nous signalons.—En +ce qui concerne la santé, tous les rapports constatent la plus-value +dans toutes les régions, en montagne, en plaine, à la mer, +aussi bien dans les colonies collectives que dans les colonies +familiales.</p> + +<p>Quant aux résultats moraux, tout dépend de la colonie et de +l'esprit qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire +gagner à de pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il +y a mieux à faire, on peut réaliser un bien plus durable: il faut +viser à ce qu'ils rentrent meilleurs à leur foyer. Dans certaines +colonies, un tel soin ne se devine guère. Dans d'autres, au contraire, +c'est la pensée dominante et le rêve du directeur. Le tout +est de savoir choisir.</blockquote> + +<p>Non seulement l'homme bien portant, mais celui +qui n'est qu'un peu fatigué par le surmenage cérébral, +et par les petites émotions quotidiennes, se +trouve très bien de changer d'air, de milieu, non +seulement une fois par an, mais même chaque fois +qu'il sent, chez lui, cette sorte de malaise cérébral +prémonitoire de la neurasthénie, ou certains +troubles digestifs mal définis qui prouvent que son +système nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement +parfait. Pour lui, un déplacement de +quelques jours est extrêmement favorable. Où qu'il +aille, il verra son appétit renaître, sa constipation +disparaître, la santé lui revenir. Que dis-je? chez +certaines femmes nerveuses, mais au demeurant +ayant encore un capital sérieux, l'unique fait de +monter en chemin de fer produit des effets appréciables, +et, le jour même du départ, on les voit +transformées. Elles laissent à la première station +leurs phobies, leurs inquiétudes; c'est un changement +à vue, un véritable coup de théâtre.</p> + +<p>Mais autre chose est l'hygiène de l'homme bien +portant, ou du candidat à la «maladie» dont le capital +est encore presque intact, et autre l'hygiène du +vrai malade. Voilà ce que, d'une façon générale, +les gens du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgré +eux, par le fait d'un faux raisonnement, à croire +que ce qui fait du bien à l'homme valide doit en +faire encore plus à l'homme malade. «Un bon bifteck +saignant est certainement utile à un travailleur +bien portant; combien il doit être plus utile à +un malade affaibli! Il va certainement lui rendre +des forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; +plus il en prendra, plus vite il sera guéri!» +Le malade proteste, il affirme que la viande saignante +lui fait du mal: c'est égal, qu'on lui en +donne au moins autant que son estomac pourra en +digérer, ce sera toujours pour son bien! On disait +la même chose, autrefois, pour le vin; les gens +intelligents commencent à comprendre que le vin, +si utile à un travailleur bien portant, n'est pas un +aliment héroïque quand il est donné à des malades, +même sous forme de vins médicamenteux.</p> + +<p>De même l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice +modéré est utile aux gens bien portants; il +faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau +dire que la moindre marche le fatigue, lui ôte le +peu d'appétit et de sommeil qu'il avait encore; c'est +égal, il faut qu'il marche! On ne conçoit pas qu'il +doive rester à la chambre, du moment qu'il peut +se tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait +rester couché, il sent que le lit lui est utile; c'est +encore là, dit-il, qu'il souffre le moins. Mais non, +il faut qu'il se lève! Le lit ôte les forces, le lit constipe! +Et plus le patient est soi-disant bien soigné, +plus il a à lutter contre ces préjugés, qu'on parvient +difficilement à déraciner même dans les +milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on, +laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne +dormira pas la nuit! Malheureux, qui ne voulez +pas comprendre que l'insomnie de votre cher +malade «tient à une excitation de ses cellules cérébrales, +et que le sommeil est le meilleur remède à +apporter à cette excitation, et que, par conséquent, +le sommeil du jour prédispose au sommeil nocturne! +Quand donc aurez-vous une notion un peu +précise et raisonnée sur la pathogénie de tous ces +troubles dont l'ensemble constitue la «maladie»?</p> + +<p>C'est aussi par une faute grossière de raisonnement +qu'on considère les voyages comme utiles +aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux +gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se +porte mieux, parce qu'ils permettent à l'homme +doué d'un beau capital biologique de faire de ces +petites avances dont nous avons parlé déjà, de ces +placements à gros intérêts qui augmentent sa fortune. +Accidentellement, il est vrai, il peut se faire +que le placement soit malheureux: c'est ce qui +arrive chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse +somme d'énergie, et met quelquefois quinze jours +à se refaire d'une excursion par trop fatigante. +Mais enfin, en général, on peut dire que, chez les +gens bien portants, ces risques de dépenses exagérées +sont réduits à très peu de chose. Le malade, +au contraire, est un indigent. Non seulement il ne +doit pas dépenser à tort et à travers, mais il doit +parcimonieusement, et avec un soin jaloux, garder +le peu qu'il possède encore, et chercher à faire des +économies. Si son indigence est momentanée, il se +remettra assez vite à flot. Si elle est définitive, <i>a +fortiori</i> devra-t-il chercher à ne pas faire de fausses +dépenses.</p> + +<p>Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade +tout voyage est une dépense; le changement d'habitudes, +le surcroît de fatigue inévitable, à eux +seuls, occasionnent de la dépense nerveuse. Si c'est +un grand malade, le voyage peut même le tuer, +comme il tue ces malheureux typhoïdiques qu'on +est quelquefois obligé, en campagne, ou qu'on se +croit obligé d'évacuer à de longues distances, sur +des cacolets qui les secouent d'une façon lamentable. +Ils arrivent quelquefois morts à l'ambulance +lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours +leur état est extrêmement aggravé. Si on avait pu +les soigner sur place, ou les évacuer à très petites +journées, dût-on les tenir privés des ressources de +la thérapeutique, et se borner à leur faire deux +lotions fraîches par jour, ils auraient eu bien plus +de chances de guérir. Je l'affirme au nom d'une +expérience personnelle, faite pendant la campagne +de Tunisie. Mais, sans parler des états aigus +qui contre-indiquent absolument tout long déplacement, +ne voyons-nous pas, tous les jours, des +états chroniques aggravés à vue d'oeil par les longs +trajets? Cet illustre malade qui traverse toute la +Russie pour aller au Caucase, dans le vain espoir +de retrouver la santé, et qui voit son état s'aggraver +sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces +albuminuriques qui vont aux eaux lointaines chercher +la guérison promise, et en reviennent bien +plus fatigués que s'ils étaient restés chez eux? Et les +tuberculeux avancés! ces tristes victimes des théories +régnantes et de la crainte de la contagion.</p> + +<p>Vous prenez là, dira-t-on, les cas extrêmes, et +on commence à comprendre que les grands déplacements +ne sont pas favorables aux grands malades.</p> + +<p>Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, +favorables aux malades <i>moyens</i>.</p> + +<p>Pour me faire comprendre, voyez cette jeune +femme nerveuse qui ne digère plus, qui dort mal, +qui est constipée, qui n'a pas ses règles depuis six +mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter +le climat brumeux du Nord pour l'envoyer sur la +côte d'Azur, on va lui faire le plus grand bien; c'est +une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi +lui paraîtra odieux, et, après quelques jours, elle +souhaitera, dans son for intérieur, de quitter le +délicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne pas +torturer son entourage, elle souffrira en silence; +et il peut même se faire qu'à la longue son état +s'améliore; mais, sûrement, ce ne sera pas l'effet +du changement de milieu. Et il peut bien se faire +aussi que son état s'aggrave assez pour que l'entourage +se rende à l'évidence, et ramène à grands +frais, et avec d'infinies précautions, la pauvre victime +dans le milieu qu'elle n'aurait pas dû quitter.</p> + +<p>En réalité, le voyage n'est utile que chez les gens +qui paraissent n'en avoir pas besoin. C'est pour +bien faire comprendre notre manière de voir que +nous exagérons, à dessein, la formule de notre +pensée.</p> + +<p>Il est bien certain qu'entre le malade grave, +qu'on ne doit pour rien au monde déplacer, et +l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, +et qui a tout intérêt à faire des voyages d'agrément, +il existe toute une série d'intermédiaires auxquels +les voyages peuvent rendre des services. Le changement +radical de milieu, si dangereux pour le +malade grave, peut être utile à l'individu qui n'est +que sur la frontière de la «maladie». Quitte à avoir +dans un hôtel une nourriture moins bonne, moins +hygiénique, moins adaptée à l'état de son estomac, +un dyspeptique pourra se trouver bien de cette +nourriture, si, en arrivant à l'hôtel, il laisse ses +préoccupations incessantes, énervantes, de Paris. +Comme toute chose humaine, le déplacement peut +avoir du bon et du mauvais, et on ne peut formuler +de règles absolues pour les cas moyens; c'est au +médecin, s'il est consulté, à peser le pour et le +contre, et à donner les indications générales.</p> + +<p>Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner +toujours au malade. C'est:</p> + +<p>1° De ne pas voyager de nuit.</p> + +<p>2° De s'interdire les changements journaliers de +stations, sauf dans les cas où, pour une raison +quelconque, on est obligé de gagner les altitudes. +Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer +au malade des stations intermédiaires, car l'expérience +démontre que rien n'est préjudiciable à une +grande nerveuse, par exemple, comme le voyage +en une seule traite de Paris en Engadine. Elle peut +être sûre que, en arrivant à destination, il lui +faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau +milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; +pendant ces quelques jours, elle aura un malaise +extrême, et, en particulier, de l'insomnie, tandis +que, si elle s'était arrêtée deux fois en route, elle +n'aurait pas eu à payer ce tribut à la dépression +barométrique.</p> + +<p>3° De s'interdire le voyage matinal; de ne pas +croire que, parce que le lever à l'aube est favorable +à l'alpiniste bien portant, il soit également favorable +aux neurasthéniques qui ont besoin de leur +sommeil matinal.</p> + +<p>4° Une prescription importante, c'est encore de +se reposer, à l'arrivée à destination, pendant deux, +quatre jours, suivant la valeur de l'individu, pour +réparer la dépense occasionnée par le voyage. Ce +repos sera plus ou moins complet, suivant la gravité +des cas. En principe, il vaut mieux pécher par +excès que par défaut de prudence.</p> + +<p>5° Pendant ces villégiatures, le malade ne devra +pas faire de sorties quotidiennes, sous le fallacieux +prétexte de s'entraîner; l'entraînement convient +aux gens bien portants, mais le mot «entraînement» +doit disparaître du vocabulaire du malade. +Certes, le rôle du médecin est d'entraîner le malade; +mais cet entraînement, que j'appellerai médical, +doit être tellement progressif et mesuré qu'il n'a, +pour ainsi dire, rien de commun avec l'entraînement +de l'homme bien portant et de l'homme de +sport.</p> + +<p>Le malade ne devra faire un effort que tous les +deux ou trois jours, et profiter des jours intermédiaires +pour se reposer. Ainsi il parviendra à reconquérir +des forces, tandis que, s'il espère s'entraîner +en dépensant tous les jours un peu plus de son +misérable capital, il ira droit à la ruine.</p> + +<p>On comprend aisément qu'un des facteurs importants +du voyage est sa longueur. Le voyage autour +du monde ne convient à aucun malade; on peut +dire que, en général, il n'est pas nécessaire d'aller +très loin. Le malade parisien, par exemple, se +trouvera mieux d'une villégiature à Montmorency +que d'une lointaine expatriation. On ignore trop +l'extrême susceptibilité du malade au changement +de milieu. Une simple promenade <i>extra muros</i> +impressionne le malade parisien, quelquefois en +bien, mais le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous +de personnes qui ne peuvent pas +aller jusqu'à Versailles sans avoir, au retour, une +véritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, +et, les deux ou trois jours suivants, une +aggravation de tous leurs symptômes morbides?</p> + +<p>Leurs parents, qui n'y comprennent rien, prétendent +que c'est affaire d'imagination. Mais non, c'est +un fait parfaitement explicable, et le médecin, qui +connaît cette susceptibilité invraisemblable, devrait +se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire +chorus avec la famille et d'accabler le malade de +conseils intempestifs. Certes, dans certains cas, par +une suggestion puissante, en réveillant ce qui reste +d'énergie latente au malade, en faisant, en d'autres +termes, de la psychothérapie réconfortante, il +pourra, pour ainsi dire, dynamiser le malade et +lui donner la force de supporter non seulement le +voyage de Versailles, mais un voyage relativement +lointain, et ce, pour le plus grand bien, car le +malade reprend alors confiance en lui-même. Mais, +avant de donner cette suggestion, le médecin doit +bien étudier son sujet, et savoir au juste ce qu'il +vaut, sous peine de lui nuire en lui demandant un +effort au-dessus de ses forces.</p> + +<p>Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus +difficile que de connaître la valeur exacte d'un système +nerveux; c'est presque impossible pour le +médecin qui voit le malade pour la première fois. +Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une +fatigue qui risquerait d'être préjudiciable; on se +repent rarement d'avoir été trop prudent. Un élément +d'appréciation qui est d'un grand secours pour +le médecin, en pareille occurrence, c'est le désir du +malade lui-même.</p> + +<p>S'il ne désire pas voyager, s'il se dit fatigué, il y +a gros à parier qu'il l'est en réalité. Le malade +a toujours, en effet, une vague conscience de sa +valeur, et il faut tenir compte de son appréciation. +Si, au contraire, il manifeste vivement le désir de +changer de milieu, c'est qu'il sent vaguement qu'il +a des réserves de force nerveuse ayant besoin d'être +utilisées; il a un sourd instinct qui, en général, le +guide bien. Mais alors, direz-vous, le rôle du +médecin est singulièrement restreint; il consiste à +s'enquérir plus ou moins discrètement des désirs +du malade, et à les transformer habilement en +prescriptions médicales? A vrai dire, ce serait +encore de la psychothérapie; mais nous ne concevons +pas les choses de cette façon. Quelquefois, il +arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est +dévoyé par des auto-suggestions, des préjugés +ataviques, dos théories plus ou moins scientifiques; +et le rôle du médecin est, en ce cas, de remettre +tout au point, de démontrer à son malade que +son instinct, dans telle ou telle circonstance, le +guide de travers; que, bien qu'il n'en ait pas envie, +il doit aller de l'avant; et le médecin mérite alors +le beau titre de directeur de la santé.</p> + +<p><i>La mer</i>.—Les voyages à la mer auraient dû, +en bonne logique, être étudiés à la suite des cures +thermales, parce que, en somme, le bain de mer +est un agent thérapeutique comparable aux bains +d'eau salée qu'on va prendre à Rheinfelden, Salies, +Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais nous les +plaçons à dessein à la suite de l'étude des voyages, +parce que, dans la pratique, le bain de mer est +plutôt considéré comme voyage d'agrément que +comme traitement médical. Cela est si vrai que le +médecin est rarement consulté sur l'opportunité +du traitement marin, sur le choix de la plage: et +c'est à tort. D'autre part, aux bains de mer, le traitement +n'est pas surveillé comme il l'est dans les +stations d'eau salée, et c'est également regrettable; +car la médication par l'eau de mer est active, et +son emploi n'est pas indifférent, surtout lorsqu'il +s'agit de malades impressionnables, auxquels la +moindre intervention fait du bien ou du mal.</p> + +<p>Les principaux conseils que nous ayons à donner +aux malades livrés à eux-mêmes, à la mer, sont les +suivants:</p> + +<p>1° Ne pas prendre de bains dès l'arrivée, et se +reposer des fatigues du voyage, comme nous avons +dit qu'il fallait toujours le faire;</p> + +<p>2° Se rappeler que l'air marin a, par lui-même, +une action appréciable, et qu'il n'est pas toujours +utile de prendre des bains; qu'on peut, dans certains +cas, se contenter de stationner pendant plusieurs +heures par jour au bord de la mer;</p> + +<p>3° Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la +mer constitue un véritable traitement minéral. Il +faut donc au moins un mois pour obtenir des effets +sérieux; et, par conséquent, il n'est pas raisonnable +d'aller à la mer pour huit jours; c'est s'exposer à +la fatigue du voyage et de l'acclimatation sans aucun +profit. <i>A fortiori</i>, ne doit-on pas prendre un bain +de mer accidentel, comme le font les maris qui, +par train spécial, arrivent toutes les semaines aux +plages voisines de Paris, et se croient obligés de +prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils ont +contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions +plutôt fâcheuses, l'influence du changement +brusque de milieu, les trop douces émotions du +revoir conjugal, et le bain de mer achève de leur +soutirer une réserve d'influx nerveux. Le tout se +solde, parfois, par un état subaigu, au retour, qui +reçoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se +joignent souvent des douleurs rhumatismales.</p> + +<p>Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette étude +rapide, les indications et contre-indications des +bains de mer. Le principe général est qu'il ne faut +pas en donner aux malades à capital restreint, et +que, en réalité, ils conviennent surtout aux gens +bien portants. Plus le capital est entamé, plus aussi +il faudra de prudence dans l'administration du +bain, au point de vue de sa fréquence et de sa +durée. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faut, en +général, le prendre très court, cinq minutes en +moyenne.</p> + +<p>Enfin, il faut tenir compte des effets produits par +les deux ou trois premiers bains. S'ils amènent de +l'insomnie, c'est qu'ils sont trop prolongés, ou trop +fréquents, ou tout à fait contre-indiqués. Il ne faut +pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les +premiers font du mal, les suivants feront du bien. +D'une façon générale, d'ailleurs, l'organisme ne +s'habitue pas à ce qui lui est nuisible; et les médications, +quelles qu'elles soient, ne doivent jamais +faire de mal, même momentanément. Mais c'est là un +point de doctrine dont la démonstration nous entraînerait +trop loin, et en dehors de notre plan.</p> + +<br><br><br> +<h3>TROISIÈME PARTIE</h3> +<br><br> + + + + + +<h4>CHAPITRE I</h4> + +<h4>LA PÉRIODE DE DÉCLIN</h4> + + +<p>Nous avons à dessein placé dans l'étude de +l'homme adulte la plus grosse part de nos considérations +thérapeutiques, parce que, à vrai dire, c'est +l'âge adulte qui est le plus intéressant au point de +vue médical comme au point de vue social, et que +c'est pendant cette période de la vie que le médecin +peut faire le plus de bien au malade.</p> + +<p>Au contraire, à partir du moment où l'être +humain est arrivé au sommet de sa courbe évolutive, +et, par conséquent, où il va décliner, l'importance +des agents thérapeutiques se limite de plus +en plus, jusqu'à aboutir à zéro quand l'homme arrive +à la fin de sa carrière.</p> + +<p>Dans les phases de la vie qui nous restent à +étudier, la thérapeutique doit viser, avant tout, à +éviter les dépenses de capital: mais son rôle pratique +n'en reste pas moins très appréciable; et l'on +ne sait pas assez combien une bonne direction +médicale pourrait prolonger l'existence de l'homme +arrivé à la période de déclin, voire même à une +étape avancée de cette période.</p> + +<p>Théoriquement, la période de déclin peut commencer +le jour de la naissance. C'est ce qu'on +observe chez les enfants qui n'ont pas la force de +vivre, et qui meurent après deux ou trois jours. A +l'extrême opposé, on voit des individus qui ne +commencent à décliner qu'à un âge très avancé, ou +encore dont la vie est brutalement interrompue, à +un âge relativement avancé, par un accident, avant +que ne soit survenu le commencement de la période +de déclin. C'est que ces hommes à prodigieuse +santé sont venus au monde avec un excellent capital +initial, que leurs parents ont su améliorer pendant +la première enfance, et qu'ils ont ensuite amélioré +eux-mêmes en s'interdisant toute dépense excessive, +ou en ne risquant qu'à bon escient une certaine +partie du capital, pour lui faire rapporter davantage.</p> + +<p>Chez ces individus fortunés, les affections intercurrentes +ont, comme nous l'avons dit, peu de +prise. Ces privilégiés sont semblables à l'homme +qui a reçu les dix talents et qui, sachant les faire +fructifier, en rapporte dix autres, et reçoit encore, +en surplus, une récompense. Chez ces individus, +le déclin n'arrive que très tardivement, et ils peuvent +atteindre soixante ans tout en restant jeunes +de coeur, de corps, et d'esprit.</p> + +<p>Entre ces deux extrêmes, tous les intermédiaires +sont possibles; et nombreux sont les hommes qui +commencent à décliner à trente ans, qui sont des +vieillards à quarante ans. La plupart, cependant, +commencent à décliner vers cinquante ans, et se +maintiennent tant bien que mal pendant quelques +années, puis déclinent à vue d'oeil à partir de soixante +ans. Malheur à eux quand, à cet âge, ils prennent +une pneumonie! D'ailleurs la moindre «maladie» +accidentelle les détériore pour plusieurs mois, et +l'on est tout étonné de la lenteur de leur convalescence. +C'est à partir de ce moment que les tares +organiques, latentes jusque-là, se révèlent, que +l'homme qui avait une endocardite avec laquelle il +vivait en bonne intelligence, et dont parfois même +il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son +coeur devenir au-dessous de sa tâche. A la suite +d'un coup de froid insignifiant, d'une indigestion, +d'un excès alimentaire, d'une émotion violente, +d'une grippe qui paraissait bénigne, il a de la dyspepsie, +des palpitations, des intermittences du +pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes +choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le +débarrasser cette première fois, parce qu'il n'est +pas encore complètement usé. Mais, six mois +après, sous l'influence d'une cause semblable, il a +une nouvelle atteinte, un peu plus de dyspnée, un +peu de congestion de la base gauche du poumon, +ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure +des jambes; et, cette fois, le repos au lit, la +diète lactée, ne suffisent pas à le remettre en état.</p> + +<p>La digitale est alors indiquée, à la dose de 10 centigrammes +par jour en infusion dans 200 grammes +d'eau, que le malade prendra de deux heures en +deux heures, jusqu'au moment où il aura une salutaire +crise urinaire. Grâce à ce précieux médicament +ainsi administré, il fera encore les frais de +cet assaut; mais, la fois suivante, les mêmes +influences insignifiantes amèneront l'affolement du +coeur avec albuminurie, et alors la déchéance pourra +être irrémédiable.</p> + +<p>Il est certain que si, dans l'intervalle de ces +assauts, notre homme s'était écouté vivre, s'il n'avait +rien laissé au hasard, si une sage direction +médicale avait dosé son alimentation, son travail, +son sommeil, s'il n'avait pas eu d'émotions, si, +pour conserver sa vie, il avait, en quelque sorte, +cessé de vivre, il aurait survécu plus longtemps et +n'aurait pas eu sa deuxième atteinte; mais ce qu'il +faut bien se rappeler, c'est que, dès sa première +atteinte, ses jours étaient comptés. Cette première +atteinte dénonçait déjà l'insuffisance de son système +nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque +la force voulue pour faire son office de +pompe aspirante et foulante; le déclin, qui avait +peut-être commencé quelques années avant, s'était +traduit dès le jour de ce premier accroc.</p> + +<p>Le déclin peut n'être qu'apparent; et les symptômes +revêtent parfois une gravité qui fait croire, +à tort, à l'entourage qu'il existe une brèche sérieuse +ou irrémédiable dans le capital vital du malade, +alors qu'il n'est touché que superficiellement. C'est +au médecin qu'il appartient de faire un bon diagnostic, +d'où découlent et le pronostic et le traitement. +Certes, le problème est souvent difficile à résoudre, +et, pour y arriver, le médecin n'a pas trop de toute +sa finesse d'observation, de toute son expérience, +de toute sa pénétration. C'est dans ces cas que la +médecine est véritablement un art, et le médecin +un artiste, appelé à utiliser de son mieux les données +scientifiques que ses études antérieures lui +ont fournies.</p> + +<p>Il aura naturellement, pour l'aider dans cette +tâche, l'examen physique du malade, et, en particulier, +l'exploration abdominale, le ventre étant, de +tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement +explorer, par la vue, le palper, la percussion; il +aura, pour l'aider, l'analyse des urines, trop souvent +négligée. Il sera également secondé par +l'étude du passé: il ne manquera pas de fouiller +l'hérédité, l'évolution antérieure de la vie, chez le +sujet qu'il examine. Celui-ci a-t-il eu de grands +assauts, et s'est-il ressaisi complètement? En ce +cas, c'est une présomption en sa faveur: ce passé +prouve qu'il a une grande élasticité, un capital +sérieux, et qu'il est possible que, dans la crise +actuelle, il rebondisse encore une fois.—Au +contraire n'a-t-il jamais eu d'assaut important? +le problème devient alors plus difficile, car le +médecin manque d'une base pour apprécier la +valeur réelle du capital. Aussi fera-t-il bien de rester +dans une prudente réserve, et si, dans le cas précédent, +il a été en droit de rassurer la famille malgré +la gravité apparente de l'état du malade, dans le +second cas, au contraire, il ne doit dire qu'une +chose: «Je ne sais pas.»</p> + +<p>Pour ma part, je me méfie beaucoup des hommes +à santé insolente, n'ayant jamais eu besoin de +soins, que je vois brusquement atteints par une +«maladie» accidentelle, par la grippe en particulier. +Me trouvant sur un terrain inconnu, je me demande, +tout d'abord, si leur capital était aussi bon qu'il le +paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la +faillite, la débâcle.</p> + +<p>Ce sont là, je le répète, des problèmes cliniques +extrêmement difficiles à résoudre; mais ils ont un +grand intérêt au point de vue du pronostic à porter, +et du traitement à instituer. Et cet intérêt est immédiat: +car si le médecin soupçonne, chez son malade, +une altération profonde que ne traduit pas l'ensemble +symptomatique, il doit redoubler de précautions, +sa surveillance doit être incessante, son zèle +doit prévoir les moindres incidents, ne rien laisser +au hasard. Il a alors à lutter non seulement contre +la «maladie», mais aussi contre le malade, souvent +indocile, et contre les familles, qui trouvent qu'on +en fait trop, qu'on prend trop de soins, que le +malade devrait se lever pour regagner des forces, +sortir pour se distraire, reprendre une partie de +ses occupations pour ne pas nuire à sa carrière; +estimant, <i>in petto</i>, que le médecin userait de discrétion +en espaçant davantage ses visites, etc. Quoi +qu'il arrive, ce sont de mauvais cas pour le médecin. +Il est accusé, si le malade guérit, d'avoir +retardé sa convalescence, et, s'il succombe, de ne +l'avoir pas bien soigné. Car enfin, un homme si +bien portant! et qui succombe à la suite d'une grippe, +presque sans fièvre! Sûrement, c'est le médecin +qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la +conscience du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut +aussi se dire que, dans d'autres cas, on a attribué +exclusivement à ses bons soins ce qui était +dû, en grande partie, à la valeur du sujet; il y a +donc compensation.</p> + +<p>En somme, le médecin qui se trouve en face d'un +malade quelconque est appelé à résoudre le problème +suivant: Étant donnés la valeur antérieure +du malade A, et le déchet que lui fait perdre la +«maladie» B, quelle est la valeur du capital restant +A—B? Le simple bon sens indique que cette équation +ne peut pas se résoudre par l'algèbre, puisque +nous ne connaissons au juste ni A ni B. Aussi le +médecin ne doit-il jamais quitter le terrain, relativement +solide, que lui fournit la science, pour se +perdre dans les abstractions. Il doit seulement se +rappeler la parole d'Hippocrate: <i>Judicium difficile</i>, +et faire de son mieux pour approcher le plus +possible de la solution du problème, qui, sans être +d'ordre mathématique, a cependant une solution.</p> + +<p>«Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable.» +[V. HUGO]</p> + +<p>Existe-t-il, du moins, des symptômes permettant +d'affirmer que l'homme a atteint l'apogée de son +évolution, et est sur la pente du déclin? Eh! non, +tant qu'il est bien portant Il est évidemment moins +fort, moins actif, que pendant la période de croissance, +il supporte moins les petits écarts de régime, +les fatigues, il est plus vulnérable, en un mot, +mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est +en période de déclin. S'il veut éviter la «maladie», il +le peut, dans une, certaine mesure, en s'écoutant +vivre, en surveillent son hygiène quotidienne, en +ne faisant pas de fausses dépenses ou de dépenses +exagérées, ou, s'il est obligé d'en faire par hasard, +en les compensant aussitôt par une exagération +momentanée de prudence. Bref, la période de déclin +est la période des précautions. L'homme en déclin +devrait se rappeler qu'il faut «être de sa santé» +comme il faut «être de sa condition», comme il +faut être «de son temps». En usant de ces précautions, +il peut prolonger très longtemps la durée +de sa phase évolutive, et atteindre ainsi sans +transition la vieillesse, qui pourra, si elle est également +bien surveillée, le conduire, sans transition +brusque, à la mort.</p> + +<p>Mais, quelques précautions qu'il prenne, les circonstances +de la vie sont telles que, fatalement, il +rencontre sur son chemin des influences qui font +baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces +influences inévitables? Ce sont toutes celles que +nous avons déjà étudiées dans l'enfance, dans +l'adolescence, et dans l'âge adulte: erreurs d'alimentation, +causes morales surtout, etc.</p> + +<p>Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui +soient plus spéciales à la période de la vie que nous +étudions, la période comprise entre cinquante et +soixante-cinq ans?</p> + +<p>Chez la femme, tout le monde admet que la +ménopause produit des perturbations considérables; +la preuve, c'est qu'on s'accorde à appeler «âge +critique» l'âge de la cessation des règles. La ménopause +ramène souvent des troubles de santé qui +avaient disparu depuis longtemps, et amène quelquefois +des troubles nouveaux, tels que ces sueurs +profuses dont se plaignent amèrement les malades. +Nous avons en vain essayé contre elles l'emploi de +l'opothérapie ovarienne, et nous croyons que c'est +un moyen non seulement inutile, mais dangereux, +et que le mieux est de savoir attendre, en mettant +la malade à un régime restreint.</p> + +<p>Dans les deux sexes, les émotions morales jouent +encore, à cet âge, un rôle considérable. C'est une +fille mal mariée, un fils qui fait le chagrin de sa +famille, c'est l'isolement au milieu d'indifférents, la +perte des amis de la première heure, l'âge des +désillusions, l'automne de la vie, en un mot. Dans +tous les cas, les pratiques de la psychothérapie sont +d'un incontestable utilité: seules, elles ne suffisent +pas à guérir un homme rendu malade par des influences +morales; mais, associées aux autres agents +thérapeutiques, elles sont toujours d'une grande +utilité et souvent d'une nécessité absolue. J'ai plus +fait en réconciliant avec son fils un père que le +chagrin avait terrassé, en lui démontrant la nécessité +et la légitimité du pardon, qu'en le traitant, +comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes +les ressources de la pharmacopée et des agents +physiques.—Le fonctionnaire qui prend sa retraite, +et se voit brusquement condamné à une oisiveté +forcée, ne sait pas que faire de son temps. En vain +cherche-t-il, dans la société des hommes de son +âge, un remède à son désoeuvrement; et quant à +espérer trouver chez les gens jeunes de sa famille +un réconfort quelconque, il n'y doit pas songer. Les +plus jeunes ont leurs affaires, et les affaires sont +les affaires; c'est tout au plus si la fille vient faire +ses couches à la maison.</p> + +<p>Bref, une série de chagrins multiples, auxquels +on est encore sensible, sont l'apanage ordinaire de +cette période de la vie. C'est à cet âge, aussi, que +se soldent,—car tout se paie,—les erreurs du +passé, les fautes contre l'hygiène. Alors arrivent les +traites imprévues, et, quand le capitaliste veut +mettre de l'ordre à ses affaires, il s'aperçoit trop +tard que, depuis plusieurs années, il ne s'est pas +contenté de ses revenus et qu'il a écorné son capital. +Mais, dira-t-on, pouvait-il s'apercevoir de la +mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'éternel +problème du «Connais-toi, toi-même!» de la sagesse +antique. C'était à lui de voir que, de temps à +autre, il avait de ces petites défaillances de santé +qu'il traitait à la légère, en leur attribuant des causes +banales et qui auraient dû être, pour lui, des avertissements +(l'avertissement sans frais du percepteur). +Il aurait dû, en homme bien avisé, rester +toujours en deçà de ce qu'il pouvait donner.</p> + +<p>Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, +sinon de le réparer complètement, au moins de +l'atténuer dans une notable mesure, en se surveillant +de près, et en ne laissant rien au hasard de ce +qu'on peut lui enlever par prudence et par calcul.</p> + +<p>Certaines natures ultra-généreuses ne s'aperçoivent +pas qu'elles dépensent plus qu'elles ne +devraient le faire; elles n'ont pas la bonne fortune +de recevoir les petits avertissements que nous +venons de signaler. Leur débordante santé fait +l'envie de tout le monde; mais ces privilégiés sont +souvent des déshérités. Nous avons dit déjà ce qu'il +fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, +brusquement, avec une affection accidentelle.</p> + +<p>Malheur aussi à l'homme qui, à cet âge, se +laisse entraîner par un renouveau de passion +sexuelle! Il s'impose des dépenses trop fortes pour +sa réserve de santé, surtout s'il en arrive à forcer +ses talents. Il faut aussi compter avec les aberrations +de l'instinct sexuel, assez fréquentes à cet +âge; et alors la neurasthénie vengeresse ne tarde +pas à s'installer, sous une forme qui rappelle, par +sa brutalité d'apparition et la gravité des symptômes, +l'hystéro-neurasthénie traumatique.</p> + +<p>En effet, du jour au lendemain, cet homme, +vaillant jusqu'alors, subit un véritable effondrement. +Non seulement il perd tout d'un coup l'aptitude +sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un +grand chagrin, mais il perd, en même temps, l'appétit, +le sommeil, les forces. La constipation entre +en scène; des douleurs névralgiques variées,—ou, +pour mieux dire, des <i>algies</i>, car la douleur ne +suit pas le trajet des nerfs, le torturent nuit et jour. +Il a une sensibilité excessive de l'ouïe, un éréthisme +de tout le système nerveux, qui devient +comme une lyre à cordes trop tendues que fait +vibrer douloureusement le moindre souffle. Cet +état peut n'être que passager, si le malade a le bon +esprit de s'en avouer à lui-même la cause déterminante +et de la supprimer. Mais cela même ne +suffit pas toujours: <i>Sublata causa, non tollitur effectus.</i> +Le branle est donné à la cellule nerveuse, le +système nerveux, longtemps patient, s'est tout à +coup révolté, et il faut des mois et des années de +soins méthodiques pour lui rendre son équilibre. +C'est dire que, pendant ces mois et ces années, le +médecin devra surveiller non seulement l'hygiène +sexuelle, dont il n'est plus question, mais l'hygiène +alimentaire, donner les repas fréquents que nécessite +un estomac toujours sur le point d'entrer soit +en état paralytique ou en état spasmodique; une +alimentation non excitante (pâtes, purées), sans +vin, et sans les toniques qui passent, à tort, pour +réveiller les forces. Le repos physique est également +indiqué.</p> + +<p>C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, +bien compris, bien dirigé, peut être utile à divers +titres. D'abord, il éloigne la victime de la cause +initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprécier +souvent les soins affectueux et tendres d'une +femme momentanément négligée.</p> + +<p>La psychothérapie joue aussi un rôle énorme dans +le traitement de ces malades qui, d'un jour à l'autre, +sont devenus craintifs, scrupuleux à l'excès, ayant +peur de mourir, tenaillés par des remords d'une +intensité morbide. Le médecin animé d'un esprit +large et charitable peut leur être d'un grand +secours, en mettant toutes choses au point, et en +rassérénant leur conscience dans la mesure qui +convient.</p> + +<p>Ce tableau de la «maladie» de l'âge critique, chez +l'homme, n'a rien d'exagéré. Nous avons observé +plusieurs cas semblables, où des hommes bien +portants jusqu'alors ont payé cher leurs écarts +intempestifs.</p> + +<p>Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent +chez des hommes qui, auparavant, n'étaient +pas débauchés, offraient même le modèle d'une +vie exemplaire; maintenus par des principes +sévères, ils avaient été fidèles à la foi conjugale, et, +alors même qu'ils étaient veufs, ils étaient restés +fidèles au delà du tombeau; et puis, un beau jour, +une occasion se présente et les surprend; c'est +une Sapho quelconque rencontrée en chemin de +fer; l'homme se trouve désarmé devant la tentation, +il succombe, et, une première chute en +entraînant de nombreuses à sa suite, il devient +enragé de vice. Aussi ne saurions-nous trop +engager l'homme mûr, trop confiant en lui-même, +à veiller toujours, car le péril est insidieux et les +risques sont grands.</p> + +<p>C'est à l'âge que nous étudions que se manifestent +les troubles prostatiques et urinaires, résultats +tardifs de blennorragies mal soignées et considérées +comme une bagatelle par le jeune homme, +plutôt fier d'avoir pris un brevet de virilité. C'est +vers cinquante-cinq ans que le rétrécissement du +canal provoque des misères variées, que nous n'avons +pas à décrire ici, mais qui finissent par amener +la mort prématurée si le chirurgien n'intervient pas.</p> + +<p>Ainsi s'explique l'absence de tout rétrécissement +chez les hommes qui ont dépassé soixante-cinq ans: +ceux qui avaient des rétrécissements sont morts +avant cet âge.</p> + +<p>C'est aussi vers l'âge de soixante ans que la +prostate entre en scène. Certes, les affections de la +prostate ne sont pas toujours d'origine blennorragique; +mais elles sont, plus qu'on ne le croit, +dues à des erreurs dans l'hygiène sexuelle.</p> + +<p>Quant aux autres affections capables de faire +brusquement baisser le capital, elles ne donnent +lieu à aucune considération particulière. Nous +devons pourtant nous arrêter encore, en passant, +sur trois manifestations morbides spécialement +fréquentes à l'âge en question: le diabète, l'albuminurie, +et l'obésité.</p> + +<p><i>Diabète</i>.—L'apparition du diabète est, certes, +chose fâcheuse; mais le plus grand malheur qui +puisse arriver à un diabétique impressionnable, +c'est de trouver un médecin qui lui annonce, sans +ménagements, la fâcheuse nouvelle. A partir de ce +moment commence, pour le malade, une incessante +préoccupation morale, aggravée encore par un +régime alimentaire qui lui cause plus de dommages +que le diabète lui-même. Il est vrai de dire que, +depuis quelques années, les médecins se sont un +peu départis de la cruelle sévérité qui, autrefois, les +rendait redoutables aux diabétiques. On veut bien +admettre, désormais, que le régime des diabétiques +comporte certains tempéraments, et que les pommes +de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent +être allouées, voire même en abondance.</p> + +<p>Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation +d'un diabétique, traité d'après les principes +classiques, est encore loin d'être réjouissante. Elle +sera telle jusqu'au jour où l'on comprendra enfin +qu'il n'y a pas deux diabétiques devant être soignés +par le même régime, ou plutôt qu'il n'y a pas de +régime du diabète, le diabète n'étant qu'un symptôme +qui ne mérite pas qu'on s'acharne sur lui.</p> + +<p>Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, +aux autres la diète lactée absolue pendant quelques +jours, et le régime des potages au lait ensuite. +Et entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons +du régime peuvent être indiquées. Le médecin +doit imposer le repos au lit absolu au diabétique qui +maigrit et perd ses forces, l'exercice modéré dans +les autres cas, mais, jamais d'exercice forcé, parce +que le diabétique a toujours des combustions +exagérées, comme le professeur A. Robin l'a très +élégamment démontré. On aura à s'occuper aussi +de l'état mental du malade, et à ne pas négliger la +psychothérapie. Le diabète peut être provoqué, +expérimentalement, en touchant un point précis du +quatrième ventricule du cerveau; et les diabétiques +vraiment graves sont ceux qui le deviennent à la +suite d'une chute sur la tête: ces deux faits prouvent +assez l'importance des troubles du système +nerveux dans la pathogénie du diabète, et la nécessité +de faire une grosse part aux soins moraux +dans le traitement du diabétique.</p> + +<p><i>Albuminurie</i>.—L'albuminurie donne lieu à +des considérations de même ordre.</p> + +<p>Comme le diabète, elle est un symptôme indiquant +un état de détérioration générale de l'organisme; +c'est, le plus souvent, un symptôme grave, +mais quelquefois aussi un phénomène sans grande +importance.</p> + +<p>Tout le monde connaît l'albuminurie de l'adolescence, +intermittente, venant après la moindre +fatigue. On sait encore que le seul fait de se lever +du lit et de procéder aux soins de la toilette suffit +pour provoquer l'apparition de l'albumine, qui +n'existait pas dans l'urine émise pendant que le +sujet était au lit: c'est ce qu'on appelle l'albuminurie +<i>orthostatique</i> ou <i>physiologique</i>,—terme +détestable, parce qu'il n'y a pas d'albuminurie +physiologique, pas plus que de glycosurique physiologique. +Cette albuminurie de peu d'importance +survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en +bon état de santé, et indique, par conséquent, qu'ils +doivent être tenus à vue, et soignés suivant les +principes généraux que nous avons déjà énoncés.</p> + +<p>Chez l'homme adulte, la présence de l'albumine +dans l'urine est toujours d'un pronostic plus sérieux. +Parfois cependant, là encore, l'albuminurie n'est +que transitoire, et coïncide avec une décharge +d'acide urique par les reins. Si l'on ne soumet pas +le malade ainsi touché au régime lacté absolu, qui +achèverait de l'épuiser, si on le laisse au repos, si +on lui donne à prendre un peu de benzoate de soude, +l'orage passe vite sans laisser de traces.</p> + +<p>D'autres fois, l'albuminurie, sans être transitoire, +est intermittente, même chez l'adulte. Nous +connaissons un malade qui, depuis quatre ans que +nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il +monte à cheval. Il peut faire jusqu'à 20 kilomètres +à pied sans avoir d'albumine; mais une seule promenade +à cheval fait réapparaître l'albumine et, +malgré la dose considérable révélée par l'analyse +après l'exercice du cheval, il est, au demeurant, +bien portant en apparence, et a une vie des plus +actives.—Je connais aussi un médecin qui a, +depuis des années, de l'albumine en permanence; +après s'en être beaucoup inquiété, et avoir suivi +divers traitements et divers régimes, il a fini par ne +plus faire que de l'hygiène générale, manger raisonnablement, +éviter le surmenage; et il est, en +somme, en aussi bon état que possible.</p> + +<p>J'ai cité, dans une étude sur le <i>Cacodylate de +Soude</i> que j'ai publiée en 1901, l'histoire d'une jeune +malade ayant, depuis 1898, à la suite d'un coup +de froid, beaucoup d'albumine, et à laquelle j'ai +donné des doses considérables de cacodylate, en +injections, pendant un mois. J'ai eu, à ce moment, +le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au +remède la survie de la malade. Or, elle s'est +mariée en 1900: depuis, elle a cessé toute médication, +pour se borner à prendre de la viande crue +et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, +3 à 4 grammes d'albumine par jour, et va très bien.</p> + +<p>On voit que tout est loin d'avoir été dit sur la +valeur pronostique de l'albuminurie. Mais il n'en +est pas moins vrai que, le plus souvent, la présence +de l'albumine chez l'être humain, à l'âge que +nous étudions, est un symptôme qui doit inspirer au +médecin des craintes sérieuses, surtout quand, en +même temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette +combinaison m'a toujours semblé être un arrêt de +mort à brève échéance.</p> + +<p>Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique +sera encore aggravée si le médecin s'obstine +à lui imposer le régime dit des albuminuriques. Il +n'y a pas de régime des albuminuriques: il y +a le régime qui convient à tel ou tel albuminurique. +Parfois le régime lacté fait merveille, mais +c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger +plus de quinze jours. D'autres fois, c'est le régime +des pâtes, plus souvent encore le régime lacto-végétarien, +qui, combiné au repos, aide le malade à +sortir du mauvais pas, au moins momentanément.</p> + +<p><i>Obésité</i>.—Au même titre que le diabète et l'albuminurie, +l'obésité appartient en propre à la +période de déclin. Mais, direz-vous, il est des +enfants et des adultes obèses! Qu'importe? C'est +qu'ils ont commencé jeunes leur période de déclin. +Mais, d'habitude, c'est aux environs de la ménopause +que l'obésité devient, pour les femmes, une +torture de tous les jours. Nous n'avons pas à en +indiquer les inconvénients; rappelons seulement +que l'obésité tend toujours à augmenter, parce +qu'elle interdit au malade l'exercice, et qu'il s'établit +immédiatement un cercle vicieux. Dans les cas +d'obésité où l'exercice serait utile, l'obèse qui est +condamné à en prendre de moins en moins, devient +de plus en plus obèse.</p> + +<p>Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours +utile aux obèses. L'obésité, étant un symptôme +de la «maladie», est quelquefois entretenue +par un excès d'exercice. J'ai connu une jeune fille de +vingt-huit ans, très obèse, qui, après avoir consulté +des médecins de diverses nationalités, avait fini +par suivre les conseils d'un empirique, qui n'avait +rien trouvé de mieux, pour la faire maigrir, que de +mettre sa mère en relations avec un commandant +de chasseurs à pied, de façon que ces deux dames +pussent suivre tous les exercices du bataillon. Au +bout d'un mois, la mère était demi-morte, et la +jeune fille grossissait toujours. Sous l'influence de +l'exercice, elle mangeait davantage et buvait en +conséquence. Mais vint un jour où l'estomac, +fatigué par la suralimentation, se mit à protester; +c'est alors que je prescrivis le régime ultra-restreint, +pendant quelques jours, pour remettre l'estomac +en état, le repos presque absolu pendant cette +période, puis un régime s'adaptant au fonctionnement +de l'estomac et de l'intestin, avec un exercice +modéré; et voici que, sous l'influence de ce +traitement, la malade vit diminuer son obésité, et +disparaître, successivement, d'autres troubles variés +qui, comme l'obésité, étaient symptomatiques!</p> + +<p>Il n'y a pas de régime des obèses: il y a le régime +applicable à tel ou tel malade atteint d'obésité. Le +plus souvent, le régime restreint est indiqué; d'autres +fois, il faut alimenter l'obèse, et rien n'est dangereux +comme de le faire maigrir par insuffisance +alimentaire. Il ne faut pas, non plus, le faire maigrir +par l'emploi de la thyroïdine. Je dois dire, +cependant, que j'ai été surpris des résultats excellents +obtenus, par la thyroïdine, chez un obèse de +vingt ans qui, en six mois, a vu son poids baisser +de 105 à 80 kilogrammes, sans qu'il en soit résulté le +moindre trouble pour la santé. Mais la thyroïdine +avait été maniée par le Dr Polin avec une prudence +extrême (2 milligrammes par jour, et pendant six +mois consécutifs).</p> + +<p>En général, il faut se méfier de ce médicament, +qui demande une surveillance médicale sinon quotidienne, +du moins hebdomadaire; il faut enfin se +rappeler que l'hygiène suffit toujours pour atténuer +l'obésité au point d'en supprimer les inconvénients, +et aussi qu'il est toujours dangereux de faire trop +maigrir un obèse, ou de le faire maigrir trop vite. +Quand un obèse maigrit trop vite, son ventre tombe, +il est vrai; mais c'est le commencement de l'effondrement. +Son système nerveux tombe aussi. En y +mettant le temps, au contraire, c'est-à-dire en ne +brusquant pas la manière d'être du sujet, on peut +toujours arriver à des résultats excellents.</p> + +<p>J'ai commencé à donner des soins il y a dix ans, +à une dame de soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. +Elle est arrivée en dix-huit mois, à +baisser, avec une progression continue, à 77 kilogrammes... +Depuis, elle garde son poids et sa +santé; son déclin s'opère avec une lenteur telle +qu'il est à peine perceptible. Inutile de dire que +l'hygiène seule a fait les frais de la thérapeutique.</p> + +<h3>CHAPITRE II</h3> + + +<h3>LA VIEILLESSE</h3> + +<p>Quelle que soit l'économie qui ait présidé à +l'usage du capital biologique, il n'est pas possible +que quelques mauvais placements n'aient été faits, +dans le courant de l'existence; que des chocs accidentels, +et indépendants de la volonté, n'aient, à +diverses reprises, ébréché le capital. L'homme qui +se condamnerait à vivre à seule fin de prolonger +ses jours vivrait certainement très longtemps, +mais la sentence d'Horace lui serait applicable: +«Pour vivre, il aurait perdu les raisons de vivre.» +<i>Et propter vitam vivendi perdere causas</i>.</p> + +<p>D'autre part, le capital diminue par le fait même +de la vie, comme la vitesse initiale d'un projectile +diminue progressivement par le fait de la résistance +de l'air. Enfin il vient un moment où le capital, +après avoir produit des intérêts considérables, +ne donne plus que des intérêts de moins en moins +élevés. Ce moment coïncide exactement avec la +période de déclin, de sorte que, à partir de ce jour, +quoi qu'il fasse et sans qu'il s'en doute, l'être vivant +s'appauvrit fatalement et progressivement. Il en +arrive enfin à n'être plus qu'un médiocre petit rentier; +et c'est alors la vieillesse.</p> + +<p>Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir à tout âge; +témoin ces enfants qui ont l'aspect de petits vieillards, +comme on dit dans le langage courant; ces +hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, +des loques humaines. Mais, le plus souvent, +la vieillesse survient à un âge plus tardif, que, pour +le besoins de la cause, nous fixerons, par exemple, +à soixante-cinq ans.</p> + +<p>A partir de cet âge, l'homme ne doit pas se borner, +comme le lui conseillaient les trois jeunes +gens du fabuliste, «à songer à ses erreurs passées» +Il peut même encore avoir «de longs espoirs et de +vastes pensées», à condition que ce ne soit pas +pour lui, mais pour ses arrière-neveux. Il peut, +en d'autres termes, jouir de son expérience et s'efforcer +d'en faire profiter les autres; mais en se +rappelant qu'il a atteint l'âge du repos, des ménagements +et des précautions. Et de même que, dans +la première période de la vie, il appartient aux +parents de ménager pieusement et de faire sagement +fructifier le capital de l'enfant; de même, à cette +dernière période, il est du devoir des enfants de +veiller avec zèle sur la frêle existence dont ils ont +la charge; d'éviter au vieillard toute fuite nerveuse, +tout chagrin, tout souci, tout écart de régime, et +de le préserver contre toute intervention thérapeutique +brutale.</p> + +<p>Quelles sont les influences qui compromettent +d'une façon spéciale le vieillard vivotant?</p> + +<p>Les influences psychiques sont beaucoup moins +importantes que dans l'âge adulte. Quelques vieillards, +il est vrai, gardent leur sensibilité et leur jeunesse +de sentiments. L'expérience de la vie ayant +tempéré la fougue de leurs jeunes années, leur +ayant appris l'indulgence et la miséricorde, ils +deviennent des êtres exquis, d'un commerce aussi +agréable que profitable. Mais, le plus souvent, la +sensibilité s'émousse, et un égoïsme tranquille préserve +le vieillard de toute émotion nuisible. +Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fût-ce +de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagriné, +mais l'émotion qu'il éprouve est surtout +égoïste, à cause de la crainte qu'elle lui donne de +voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, +et n'est pas comparable au chagrin poignant +de l'homme adulte perdant un être aimé. Donc, de +ce côté, peu de fuites nerveuses. Du côté du système +musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple +bon sens fait que le vieillard n'abuse pas, en général, +de son restant de forces musculaires: exception +faite cependant pour les cas où des parents ou des +amis mal avisés, croyant bien faire, forcent le vieillard +à se déplacer sans relâche, pour passer l'hiver +dans le Midi, l'été en Suisse, le printemps ailleurs. +Combien ne serait-il pas plus sage, en général, +de le laisser tranquillement chez lui, dût-il ne +pas quitter sa chambre? J'ai longtemps donné +des soins à une vieille dame que ses enfants +emmenaient en villégiature, toujours malgré elle, +dans le centre de la France, et ramenaient à Paris +en octobre. Or, après chaque voyage, il fallait un +mois de soins assidus et de précautions pour effacer +les traces de fatigue occasionnée par le déplacement.</p> + +<p>La vérité est que, dans les cas exceptionnels, le +séjour hivernal dans le Midi peut être recommandable, +mais que, d'une façon générale, il faudrait +se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant +«qu'on ne doit pas transplanter un vieux +chêne», et qu'on devrait regarder à deux fois avant +de proposer, et surtout d'imposer à un vieillard, +soit un lointain changement de pays, soit même un +changement d'appartement. Il faut, en général, +tenir plus de compte qu'on ne le fait de son désir, +qui est dicté par un vague instinct de conservation +et qui trompe rarement.</p> + +<p>Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien +entendu des affections accidentelles, ce sont les +écarts dans l'alimentation. Une indigestion qui, +chez un homme jeune, se serait traduite par un +léger état gastrique, amène chez le vieillard un +effondrement colossal; et, pour peu que la thérapeutique +intervienne d'une façon inopportune sous +la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la +situation peut s'aggraver d'un jour à l'autre. Il faut +alors des semaines pour remettre en état le système +nerveux bouleversé. Imaginez un foyer près de +s'éteindre, où il ne reste plus qu'une petite flamme +vacillante; irez-vous l'alimenter par un soufflet de +forge, et charger le foyer de grosses bûches de bois? +Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies +précautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est +seulement ensuite que vous mettrez des fragments +un peu plus volumineux, pour arriver enfin à la +bûche qui entretiendra la vie du foyer. De même +chez le vieillard malade, surtout quand il a des phénomènes +gastriques, prudence extrême dans l'alimentation, +fréquence de l'alimentation, et repos +absolu: c'est la base du traitement.</p> + +<p>Mais combien, pour faire observer ces prescriptions +si simples, ne faut-il pas au médecin d'énergie +et de foi? Qu'on veuille donc bien se rappeler que +le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation +restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui +lui sera profitable, mais bien ce qu'il assimilera, et +que, chez lui, la puissance d'assimilation est extrêmement +minime! Lui-même, d'ailleurs, il le dit, +il proteste, plus ou moins énergiquement, contre +les menus qu'un zèle mal éclairé s'ingénie à lui +proposer.</p> + +<p>En dehors de ces états gastriques passagers, le +régime du vieillard doit être, en général, peu +substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le soir, +s'il tient à avoir quelques heures de sommeil. S'il +éprouve le besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, +plutôt que beaucoup à la fois. Mais on ne +saurait croire combien certains vieillards ont peu +besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente +une vieille dame qui avait trop mangé pendant +toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une dyspepsie +permanente accompagnée de misères variées, en +tête desquelles venait la constipation. De là obsession +de tous les instants; tant qu'on ne l'eût pas +mise exactement au régime convenable, elle fut +torturée par ce symptôme, restant huit ou quinze +jours sans parvenir à aller à la garde-robe, malgré +les lavements, les suppositoires, le massage abdominal, +etc. On avait dû même, plusieurs fois, +recourir au curetage. Or je me dis, un jour, que le +régime relativement restreint que je lui avais +imposé tout d'abord n'était peut-être pas encore +assez restreint. Comme elle n'avait jamais d'appétit, +et qu'elle ne mangeait que pour faire plaisir +à son entourage, je fis avec elle une sorte de convention, +qui fut de restreindre, sous ma surveillance, +son alimentation progressivement, et dans +la mesure extrême du possible. Après un mois de +tâtonnements, ma collaboratrice et moi en étions +arrivés à la formule suivante, que je transcris +d'après mes notes: «7 heures matin, une tasse à +thé de café au lait; 10 heures, une tasse à café de +semoule au lait, ou de panade, ou de farine de Hongrie, +ou de crème de riz, ou de crème d'orge aux +mêmes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, +un quart d'échaudé; 5 heures, café au lait; 7 heures, +comme à midi; dans la nuit, une tasse à café de +lait.»</p> + +<p>Ce régime, qui d'abord paraissait à l'entourage +absolument ridicule, finit par être accepté quand +on vit la malade reprendre, progressivement, du +sommeil, un peu de force, un peu d'appétit, et surtout +quand on vit disparaître sa constipation. Ses +fonctions s'exécutaient, en effet, très régulièrement +tous les deux ou trois jours, spontanément. Le +régime fut continué jusqu'à sa mort, qui survint +trois ans après. Elle s'éteignit sans souffrance à +l'âge de quatre-vingt-quatre ans.</p> + +<p>Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, +mais ils seraient tous calqués sur ce modèle.</p> + +<p>Il est, par contre, des vieillards qui ont conservé +un gros appétit: il faut savoir le respecter, tout en +essayant de le modérer un peu, du moment que la +santé reste bonne.</p> + +<p>Pour en finir avec la question de régime, disons +qu'un peu de vin généreux, étendu d'eau, est, en +général, une boisson excellente pour le vieillard, +bien portant ou malade; et que le lait, par contre, +lui est le plus souvent préjudiciable, sauf dans les +états aigus ou subaigus prolongés.</p> + +<p>Quant aux affections accidentelles qui surviennent +chez le vieillard, et qui compromettent son +reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font, +néanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante +de toutes est la pneumonie. C'est, très souvent, +une pneumonie d'origine grippale: aussi ne +saurait-on trop soigner la grippe dès son début, +chez le vieillard plus encore que chez l'adulte. La +pneumonie est insidieuse chez le vieillard. Elle ne +se traduit que par un malaise général, avec très +peu de phénomènes pulmonaires, mais elle s'accompagne +toujours de fièvre. Si donc les familles +savaient se servir du thermomètre, on aurait des +chances de porter secours aux malades en temps +utile; et alors une injection de cacodylate de +gaïacol, quelques cachets de quinine, une certaine +dose de cognac ou de vin très généreux, parviendraient, +dans bon nombre de cas, à le sauver; +tandis qu'en général, quand on appelle le médecin, +il est trop tard, le médecin ne peut plus faire que +le diagnostic, et prévenir la famille de la gravité +de la situation.</p> + +<p>Les petites hémorragies cérébrales viennent souvent +compromettre la survie du vieillard. Ordinairement, +il échappe à la première atteinte, mais +il en sort tellement amoindri, physiquement et +intellectuellement, qu'on peut dire qu'il a cessé de +vivre avant de mourir. Grâce aux soins dont il est +entouré, à partir de ce moment, il se survit à lui-même +pendant quelquefois plusieurs années, jusqu'à +ce qu'il se décide à mourir après une deuxième +ou troisième attaque.</p> + +<p>Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnées +ne s'observe, le petit rentier qu'est le +vieillard continue à vivoter plus ou moins longtemps, +jusqu'au jour où, tout son capital et tous +ses revenus étant épuisés, il cesse de vivre, tout +simplement parce qu'il n'a plus la force de vivre. +Il s'éteint alors et se repose comme le travailleur +qui a fini sa tâche. C'est ce que traduit d'une façon, +très profondément philosophique, l'expression courante +de «défunt», la traduction littérale du mot +latin <i>defunctus</i> étant: «Celui qui s'est acquitté.» +Les privilégiés sortent de la vie comme d'un banquet, +en remerciant leur hôte. Heureux s'ils peuvent +léguer à une nombreuse postérité «l'exemple +de leur vie!»</p> + +<br><br> +<h5>FIN</h5> +<br><br> + +<h3>INDEX ALPHABÉTIQUE</h3> + +<p>Albuminurie:—permanente;—son régime. +Alcool. +Alimentation: de l'enfant né avant +terme;—du premier âge;—Gouttes de lait;—chez +le petit enfant;—chez +l'enfant du deuxième âge;—défectueuse; +excessive;—ration d'entretien;—observation d'une malade +guérie par le régime restreint;—insuffisante en quantité;—à +la sonde;—observation +d'une malade fébricitante +guérie par l'alimentation +forcée;—insuffisante +en qualité;—chez le +vieillard.</p> + +<p>Aliments adultérés par les procédés +chimiques; physiques.</p> + +<p>Auto-intoxication, (Hypothèse de l').</p> + +<p>Avarie.</p> + +<p>Bains: chauds dans les pneumonies;—prolongés;—de +briques;—de +vapeur;—électriques;—de mer.</p> + +<p>Blennorragie, ses dangers tardifs.</p> + +<p>Boissons: fermentées;—distillées;—le vin chez +l'homme bien portant;—chez +le malade:—dans +la ration du soldat;—eau +stérilisée en usage dans +l'armée.</p> + +<p>Cancer, son hérédité.</p> + +<p>Capital biologique (hypothèse du).</p> + +<p>Causes morbigènes: ambitions +déçues;—passion amoureuse;—inquiétudes;—vie brisée;—frayeur.</p> + +<p>Causes accidentelles.</p> + +<p>Chaleur sèche (dermotherme).</p> + +<p>Choc: traumatique;—chirurgical;—moral.</p> + +<p>Coeur: «maladies» du coeur (leur +hérédité;—observation +d'un faux cardiaque;— +la période de déclin.</p> + +<p>Constipation;—et +entéro-colite;—provoquée +chez les opérés;—son +innocuité;—guérison par +le repos;—dangers des +purgatifs;—obsession de +la constipation;—lavements +d'huile;—injections +de Brown-Séquard;—chez le vieillard;—Convalescence, +sa rapidité chez l'enfant.</p> + +<p>Course en flexion.</p> + +<p>Déclin: âge de déclin;—pouvant +n'être qu'apparent;—problèmes cliniques à +l'âge du déclin, leur difficulté.</p> + +<p>Diabète: régime;—traumatique, +sa gravité.</p> + +<p>Dyspepsie: observation d'une +malade avec prédominance de +troubles dyspeptiques.</p> + +<p>Eaux minérales;—table +de régime;—de Carlsbad;—Chatel-Guyon, Bagnoles, +Brides, Vichy;—Vittel.</p> + +<p>Education: chez la jeune fille;—chez le jeune homme;—de la volonté.</p> + +<p>Electricité;—bains électriques.</p> + +<p>Emplâtre.</p> + +<p>Enfants: préservation contre la +tuberculose;—couveuses +artificielles;—alimentation +de l'enfant né avant terme:—le capital biologique de +l'enfant doit être créé par les +parents;—puériculture;—alimentation du premier +âge, son importance pour toute +la vie;—Goutte de lait;—pathologie infantile;—sa +simplicité relative;—ses +difficultés;—nécessité +du sommeil prolongé;—mastication;—convalescence +rapide;—enfants du +type musculaire;—cérébral;—du deuxième âge, +alimentation:—fièvre digestive.</p> + +<p>Epilepsie.</p> + +<p>Exploration abdominale.</p> + +<p>Exercice: difficulté de le doser +chez les jeunes filles nerveuses;—dans un grand collège +moderne;—chez les professionnels;—chez les +jeunes gens (danger des sports);—et entraînement;—et gymnastique respiratoire;—Institut Zander;—chez +les obèses.</p> + +<p>Fatigue;—et épuisement.</p> + +<p>Fièvre digestive des enfants;—typhoïde.</p> + +<p>Folie: chez la jeune fille:—délire +de la persécution;—l'aliénation mentale et la +«maladie»;—menstruation +chez l'aliénée;—du +doute;—obsession:—manie +aiguë.</p> + +<p>Frictions.</p> + +<p>Grippe, son influence pathogène.</p> + +<p>Grossesse («maladies» de la mère +pendant la).</p> + +<p>Hémorragies cérébrales, chez les +vieillards.</p> + +<p>Hérédité: étymologie;—généralités;—protestation contre +la fatalité des tares héréditaires;—de la longévité;—de la tuberculose;—du +cancer;—des tares + nerveuses, 15; + —de la paralysie générale, 16; + —des «maladies» de coeur, 16; + —des affections rénales, 17.</p> + +<p>Hydrothérapie: froide, 223; + —tiède 225; + —maillot humide, 225.</p> + +<p>Hypnose, 189; + —chez les aliénés, 191; + —ses dangers, 194.</p> + +<p>Hygiène de la procréation, 21.</p> + +<p>Hystérie (simulant une «maladie» organique de la moelle), 114.</p> + +<p>Hypothèse (son rôle dans la science), 1.</p> + + +<p>Injections: action dynamogénique de tout liquide injecté, 232; + —hypodermiques d'eau de mer, 234; + —de cacodylate de magnésie, 235; + —de cacodylate de soude, 235; + —de gaïacol, 238; + —de quinine 239; + —d'héroïne, 239; + —de mercure, 240; + —de morphine, 240; + —huileuses, 240; + —d'huile mercurielle, 241; + —d'huile créosotée, 242; + —et suggestion, 244; + —injections de Brown-Séquard, (constipation), 353.</p> + +<p>Influences morbigènes, généralités, 30.</p> + +<p>Isolement (en maison de santé, ses dangers), 70.</p> + + +<p>Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20; + —éducation sexuelle—, 21; + —menstruation—, 66; + despotisme de certaines mères, 68; + —difficulté de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, 66; + —aliénation mentale—, 71; + —vocation contrariée, 72; + —mariage contrarié—, 73; + —utilité du mariage chez les jeunes filles nerveuses, 74; + —surmenage scolaire—, 75.</p> + +<p>Jeune homme: surmenage scolaire, 75; + —nécessité du sommeil, 76; + —exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; + —exercice physique chez les jeunes gens, 79; + —éducation sexuelle, 81; + —psychothérapie, 83.</p> + +<p>Ligue des pères de famille, 80.</p> + +<p>Longévité: hérédité de la, 8; + —humaine, 9.</p> + +<p>Malade: son entourage, 204; + —ne voulant pas guérir, 207; + —régime des grands malades, 217; + —n'osant pas manger, 220; + —danger des voyages, 267.</p> + +<p>«Maladies»: accidentelles, 42; + —la «maladie», 94-95; + —petits symptômes de la «maladie», 95, + —la «maladie» et les «maladies» accidentelles, 97; + —causes morales, généralités, 142; + —causes accidentelles de la «maladie», 162; + —du coeur à la période du déclin, 279.</p> + +<p>Mariage: contrarié chez la jeune fille, 73; + —son utilité pour les jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74.</p> + +<p>Massage, 228; + —abdominal, 229.</p> + +<p>Méningite, 55.</p> + +<p>Menstruation: utilité du repos, 66; + —chez l'aliénée, 165; + —chez la grande malade, 166; + —ménopause, 296.</p> + +<p>Migraine, 40.</p> + +<p>Mort naturelle, 310.</p> + +<p>Névrose (sa contagion), 148.</p> + +<p>Obésité, 297;—exercice chez les +obèses, 298;—régime chez les +obèses, 299.</p> + +<p>Obsession: de la constipation, +251;—de la rougeur, 187.</p> + +<p>Observations: d'une malade avec +prédominance de troubles dyspeptiques, +99;—d'une malade +avec prédominance de troubles +de nutrition, 105;—d'un faux +cardiaque, 107;—d'une malade +suivie pendant trente ans, chez +laquelle presque tous les appareils +ont été successivement +atteints, 110;—d'une grande +malade guérie par le régime +restreint, 128;—d'une malade +fébricitante guérie par l'alimentation +forcée. 132.</p> + +<p>Opérés: opérations de complaisance, +155;—morphine chez +les—, 156;—rôle médical du +chirurgien, 156;—purgation +chez les, 157;—constipation +provoquée chez les—, 158.</p> + +<p>Opothérapie: hépatique, 236;—ovarienne, +286.</p> + +<p>Paralysie générale, hérédité, 16.</p> + +<p>Pertes: matérielles, 143;—au jeu, +144.</p> + +<p>Pneumonie: bains chauds dans +la;—chez le vieillard, 308. +Protection, loi de protection des +faibles, 10.</p> + +<p>Psychonévroses, leur traitement +moral, 213.</p> + +<p>Psychothérapie: chez le jeune +homme, 83;—savoir prendre +un parti, 175;—respect du +temps, 176;—dérivative. 180; +—sédative, 181;—reconstituante, +182;—résignation, 182; +—foi religieuse, 208;—et problème +religieux, 210.</p> + +<p>Ptôse: abdominale, 169;—et ceinture +hypogastrique, 167;—passagère, +169.</p> + +<p>Purgatifs et constipation, 249.</p> + +<p>Régime: ration d'entretien, 125, +—des Chartreux, 125;—des +Trappistes, 125;—des soldats, +127-140;—des guides alpins, +127;—observation d'une +grande malade guérie par le +régime restreint, 128;—en +cas d'effondrement abdominal, +172;—et suggestion, 215;—des +grands malades, 217;—monotone, +218;—sec (ses dangers), +219;—à boisson restreinte, +219;—et eaux minérales, +255;—des diabétiques, +293;—des albuminuriques, +297;—des obèses, 299;—lacté +chez les vieillards, 308.</p> + +<p>Repos: dans les états aigus, 173;—cure +de—, 205;—constipation +guérie par le—, 205;—avant le +repas, 221;—après le repas, +222;—au lit, 265.</p> + + +<p>Sommeil: nécessité du sommeil +chez l'enfant, 57;—nécessité +du sommeil chez les jeunes +gens, 76;—diurne (ses bons +effets) 173;—l'aliment favorise +le—, 221;—et repos au lit, 221.</p> + +<p>Sports, chez les jeunes gens (leur +danger) 78.</p> + +<p>Suggestion et régime, 215.</p> + +<p>Symptômes morbides, 32;—petits +symptômes de la «maladie», +95.</p> + +<p>Syphilis: polynatalité, 10;—et +méningite, 12;—Société de +prophylaxie sanitaire et morale, +13;—nécessité d'un traitement +pour prévenir la transmission +héréditaire de la, 23; +—âge à laquelle se contracte +la—, 84;—manifestations tertiaires, +164;—et assurances sur +la vie, 164.</p> + + +<p>Travail: cérébral insuffisant, 119; +—cérébral excessif, 119;—musculaire +excessif, 121;—ration +de—, 125.</p> + +<p>Tuberculose hérédité, 13;—oeuvre +de préservation de l'enfance +contre la—, 14 et 89;—dans +l'armée, 87;—et sanatorium +populaire, 38;—et dispensaire, 88.</p> + + +<p>Vacances: leur nécessité, 261;—colonies +de—, 262.</p> + +<p>Vésicatoires, 255.</p> + +<p>Vieillards: voyages, 304;—alimentation, +306;—constipation, +307;—pneumonie, 308;—régime +lacté, 308;—hémorragie +cérébrale, 309.</p> + +<p>Vin: chez l'homme bien portant, +139;—chez le malade. 141;</p> + +<p>Voyages: de noces (ses dangers), +20;—leur utilité chez les gens +bien portants, 261;—leur +danger chez les malades, 267; +—chez les vieillards, 304.</p> +<br><br><br> + + +<h3>AUTEURS CITÉS</h3> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Dr BARADUC, 37.</p> +<p>BRIEUX, 83.</p> +<p>BROWN-SEQUARD, 236.</p> +<p>Dr CHARCOT, 194</p> +<p>Dr CAMPENON, 156.</p> +<p>Dr CHAILLOU, 76.</p> +<p>Dr DELORME, 158.</p> +<p>Dr DUBOIS, 213.</p> +<p>Dr DUPRAT, 194.</p> +<p>FLOURENS, 9.</p> +<p>Dr FONSAGRIVES, 55.</p> +<p>FONSAGRIVES (Abbé), 81.</p> +<p>Dr A. FOURNIER, 13.</p> +<p>Dr ED. FOURNIER, 84.</p> +<p>Dr GRANCHER, 14.</p> +<p>Dr GRASSET, 194.</p> +<p>Dr HUCHARD, 17.</p> +<p>Dr KELSCH, 87.</p> +<p>KNEIPP, 224.</p> +<p>Dr LAGRANGE, 79 et 86.</p> +<p>Dr LAUMONIER, 64.</p> +<p>Dr LEGENDRE, 80.</p> +<p>Dr LEREDDE, 231.</p> +<p>Dr MATHIEU, 33.</p> +<p>Dr PINARD, 21 et 45.</p> +<p>PLANTET, 262.</p> +<p>POINCARE, 1.</p> +<p>Dr ROBIN, 293.</p> +<p>Dr RUNGBERG, 164.</p> +<p>SERTILLANGES (Abbé), 125.</p> +<p>Dr SIGAUD, 171.</p> +<p>Dr R. SIMON, 234.</p> +<p>VANCAUWENBERGHE, 48.</p> +<p>Dr VARIOT, 47.</p> +<p>Dr A. VOISIN, 194.</p> + </div> </div> + + +<br><br><br> +<h3>TABLE DES MATIÈRES</h3> + +<p>PRÉFACE</p> + + +<p><b>PREMIÈRE PARTIE</b></p> + + +<p>CHAPITRE I</p> + +<p>LE CAPITAL BIOLOGIQUE<br> +Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable +selon chaque individu et selon chaque période de la vie. +Capital initial; influences qui le font varier.</p> + + +<p>CHAPITRE II</p> + +<p>HÉRÉDITÉ<br> +Définition de l'hérédité; son rôle. Hérédité de la longévité. +Rôle de l'hérédité dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; +le cancer; les tares nerveuses: les «maladies» de +coeur; des reins.</p> + + +<p>CHAPITRE III</p> + +<p>CONCEPTION<br> +La valeur des générateurs au moment de la conception.—Loi +de protection des faibles. Hygiène de la procréation: +éducation sexuelle de la jeune fille.</p> + + +<p>CHAPITRE IV</p> + +<p>GESTATION<br> +Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la +gestation.—Emotions, misères physiologiques, «maladies» +de la mère pendant la grossesse. Enfants nés avant terme.</p> + +<p>CHAPITRE V</p> + +<p>INFLUENCES MORBIGÈNES ET SYMPTÔMES MORBIDES<br> +La vie de l'être humain peut être figurée par une courbe évolutive: +les influences morbigènes modifient cette courbe. La +même influence peut se traduire par des symptômes variés; +et, inversement, des influences variées peuvent se traduire +par le même symptôme (ex.: constipation) ou par le +même ensemble de symptômes (ex.: épilepsie). Tous +les systèmes organiques peuvent être troublés à la fois. +Le plus souvent, c'est l'organe le plus faible qui traduit +le malaise. Le système nerveux est la clef de voûte de la +pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les causes morbigènes.</p> + + +<p>CHAPITRE VI</p> + +<p>DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.—PUÉRICULTURE<br> +Importance de l'alimentation du premier âge pour toute la +durée de la vie. Le lait de la mère appartient à l'enfant. +Gouttes de lait (de Belleville, de Saint-Pol). La pathologie +enfantine est, le plus souvent, simple; quelquefois, de la +plus grande difficulté. Succès thérapeutiques chez les petits +enfants atteints de syphilis, de pneumonie.</p> + + +<p>CHAPITRE VII</p> + +<p>DU SEVRAGE A LA PUBERTÉ<br> + +1° Chez l'enfant du deuxième âge. Nécessité du sommeil +prolongé, d'une mastication parfaite. Les «maladies» accidentelles +à cet âge évoluent vite, sans convalescence.— +Chez l'enfant de sept ans à la puberté. Enfant du type +musculaire (hygiène qui lui convient); du type cérébral. +Les déracinés. «maladies» accidentelles chez l'enfant. «maladies» +très souvent provoquées par une alimentation défectueuse.</p> + + +<p>CHAPITRE VIII</p> + +<p>DE LA PUBERTÉ A L'AGE ADULTE<br> + +I. <i>Chez la fille</i>.—Précautions à prendre à l'apparition +des règles. Chloro-anémie. Causes spéciales de «maladie»:<br> + +—A. Surmenage intellectuel.—B. Causes morales (despotisme +de la mère, vocation contrariée); brevets: mariage +rendu impossible; besoin du mariage.—C. Surmenage +musculaire. Quelle que soit la cause, les symptômes sont +les mêmes, mais le traitement varie avec la cause. Facilité +relative de la guérison.</p> + +<p>II <i>Chez le garçon</i>.—1° Surmenage scolaire (insuffisance +du sommeil).—2° Surmenage physique (abus des sports, +de l'escrime, utilité des exercices automatiques <i>(Ligue des +pères de famille</i>).—3° Déviation de l'hygiène sexuelle: +éducation sexuelle. Par qui elle doit être donnée. Enseignement +individuel et enseignement collectif. Utilité de +l'exercice poussé au maximum de la tolérance. Aberrations +de l'instinct sexuel: psychothérapie.</p> + +<p>III. <i>Causes morbigènes communes aux deux sexes</i>.—«maladies» +accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les +dispensaires, oeuvres de préservation).</p> + + +<p><b>DEUXIÈME PARTIE</b></p> + + +<p>CHAPITRE I</p> + +<p>MATURITÉ<br> +L'homme doit travailler et produire. Nécessité des périodes +de repos. Le coup de collier. La fatigue. L'entraînement. +L'épuisement (ses signes prémonitoires). Surmenage cérébral-musculaire +(ses signes prémonitoires. La «maladie».</p> + + +<p>CHAPITRE II</p> + +<p>CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA «MALADIE»<br> +Ce que c'est que la «maladie». Manière d'étudier un malade. +Quatre observations de patients atteints de la «maladie» +sous ses diverses formes. Troubles fonctionnels pouvant +simuler les affections avec lésions d'organes. Rôle du +système nerveux central dans la pathogénie de la «maladie». +Embarras gastrique.</p> + + +<p>CHAPITRE III</p> + +<p>LES CAUSES DE LA «MALADIE»<br> + +I. <i>Causes physiques</i>.—1° Surmenage cérébral, travail +cérébral insuffisant. La «maladie» due au surmenage cérébral +peut revêtir des formes cliniques très diverses.— +2° Surmenage musculaire.—3° Vices d'alimentation. +Généralités, auto-intoxication, irritation.—<i>A</i>. Alimentation +excessive en quantité. Ration d'entretien. Régime des +Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. +Observation d'une grande malade guérie par le régime +restreint.—<i>B</i>. Alimentation à la sonde.—<i>C</i>. Alimentation +insuffisante en qualité. Adultération des aliments: +<i>a</i>) par les procédés chimiques, <i>b</i>) par les procédés physiques. +—<i>D</i>. Alcool. Boissons fermentées, leur utilité. +Boissons distillées, leur danger.</p> + +<p>II. <i>Causes morales</i>.—Leur importance prépondérante:</p> + +<p><i>A</i>. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions déçues.— +<i>B</i>. Influences compromettant la quiétude de l'âme. Passions. +Incompatibilité d'humeur.—<i>C</i>. Inquiétudes d'origine +altruiste. Séparation momentanée, définitive.— +Choc traumatique: <i>a</i>) Hystéro-neurasthénie traumatique. +<i>b</i>) Choc chirurgical. Danger de l'intervention médicale +des chirurgiens. Danger de la morphine aux opérés. +Des purgations. Constipation provoquée chez les opérés, +ses avantages.</p> + +<p>III. <i>Causes accidentelles</i>.—Fièvre typhoïde. Grippe: +son grand rôle pathogénique. Syphilis.</p> + +<p>IV. <i>Influences morbigènes spéciales à la femme</i>.—Menstruation. +Grossesse. Ptôse abdominale: Exploration abdominale.</p> + + +<p>CHAPITRE IV</p> + +<p>PSYCHOTHÉRAPIE<br> +Définition. Ne pas s'exagérer l'importance de son rôle +1° Son action s'étend aux déviations mentales.—2° A +un grand nombre de troubles somatiques.—<i>A. Moyens +par lesquels on diminue les dépenses d'influx nerveux:</i> +savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du +temps; des habitudes d'ordre. Application de ces préceptes. +Un cas de folie du doute. Psychothérapie dans la +manie aiguë, dans les obsessions. Résignation passive et +active.—<i>B. Moyens par lesquels on augmente les recettes.</i> +1° Gymnastique de la volonté, quelques procédés pratiques +(gymnastique respiratoire, gymnastique suédoise).— +Moyens par lesquels on augmente artificiellement le + +capital insuffisant: hypnose. Action personnelle de l'hypnotiseur, +indications du traitement par l'hypnose. Ce qui +limite l'emploi de l'hypnose en thérapeutique, c'est que: +1° ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles +à hypnotiser.—2° C'est que c'est un moyen qui +peut être trop actif. C'est un agent thérapeutique utile, +non dangereux, s'il est bien manié; le médecin seul +peut le bien manier.<br> + +Conseils pratiques pour l'application des procédés psychothérapiques. +—1° Le médecin doit soigner avec son coeur, +plus qu'avec son intelligence.—2° Paraître ne jamais +être pressé.—3° Ni même être pressé.—4° Savoir parler +au malade.—5° Ne lui imposer que le strict minimum +de prescriptions. Difficultés du traitement psychothérapique: +1° Absence de foi chez le malade (malades à théories +médicales. Malades qui ne veulent pas guérir).— +A l'hostilité de l'entourage. Le médecin confident.—Psychothérapie +et sentiment religieux.</p> + + +<p>CHAPITRE V</p> + +<p>AUTRES AGENTS THÉRAPEUTIQUES<br> + +1° Régime alimentaire (les prescriptions diététiques n'agissent +pas seulement par suggestion). Diète liquide. Régime +des potages. Régime à boisson restreinte. De la fréquence +des repas. Du repos après et avant le repas.<br> + +2° Moyens accessoires.—A. <i>Hydrothérapie</i>: froide, exceptionnellement +indiquée. Méthode de Kneipp. Drap mouillé. +Hydrothérapie tiède: tub, bain. Malades dont il ne faut +pas mouiller la peau. Chaleur sèche. Massage. Frictions. +Bains de vapeur. Bains électriques. Electricité.—B. <i>Injections +hypodermiques.</i>—1° Influence utile de l'injection en +tant qu'injection (sérum artificiel, eau de mer).—2° Action +propre du liquide injecté. Cacodylate de soude, de +magnésie, de fer. Injections de Brown-Séquard. Strychnine. +Cacodylate de gaïacol dans la «maladie» post grippale. Quinine, +héroïne et morphine, leurs dangers. Injections huileuses: +<i>a</i>. Mercurielles. <i>b</i>. Créosotées. Rôle alimentaire +de l'huile injectée.—3° Des injections hypodermiques +comme procédé de suggestion.—C. Vésicatoires. Emplâtres. +Purgatifs. Etude de la constipation et des constipés. +—D. <i>Eaux minérales</i>, leurs indications. Les tables de régime. +Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. Châtel-Guyon. +Bourbon l'Archambault, etc. Les médecins des eaux.— +<i>Voyages</i>. Leur utilité chez les gens bien portants. Leur +danger chez de grands malades. Précautions à prendre +pour qu'ils soient utiles aux malades moyens. La grande +malade et le ciel de la Côte d'Azur. Voyage et entraînement. +Vacances. Colonie de vacances.—F. <i>La mer</i>.—La +cure marine. Le train des maris.</p> + + +<p><b>TROISIÈME PARTIE</b></p> + + +<p>CHAPITRE I</p> + +<p>LA PÉRIODE DE DÉCLIN<br> +Le déclin peut survenir à tout âge. Exemples de limites +extrêmes. Les tares organiques. Les cardiopathies se révèlent. +Le déclin peut n'être qu'apparent (difficulté du diagnostic). +Petits symptômes prémonitoires du déclin. +Ménopause. Opothérapie ovarienne. Influences morales. +Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique +de l'homme. Forme que revêt souvent la «maladie» à +cet âge. Traitement psychothérapique, régime, précautions. +Le diabète. Rôle du système nerveux dans le +diabète. Il n'y a pas de régime du diabète, ni même des +diabétiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente. +Pronostic variable. Il n'y a pas de régime de +l'albuminurie, ni même des albuminuriques. Obésité. +Exercice chez les obèses. Thyroïdine. Il n'y a pas de régime +de l'obésité. Danger de l'amaigrissement rapide.</p> + + +<p>CHAPITRE II</p> + +<p>LA VIEILLESSE<br> +Elle peut survenir à tout âge. Influences spéciales à la +vieillesse de l'homme âgé. Nécessité du repos et dangers +des voyages. Alimentation restreinte. Accidents qui font +mourir le vieillard. De la mort naturelle.</p> + + +<p>INDEX.</p> + +<p>AUTEURS CITÉS.</p> + +<p>TABLE DES MATIÈRES.</p> +<br><br><br> + +ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la santé, by Dr. Burlureaux + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTÉ *** + +***** This file should be named 12105-h.htm or 12105-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/1/0/12105/ + +Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed +Proofreading Team. + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La lutte pour la sante + +Author: Dr. Burlureaux + +Release Date: April 21, 2004 [EBook #12105] + +Language: French + +Character set encoding: ASCII + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTE *** + + + + +Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed +Proofreading Team. + + + + + + + +LA LUTTE + +POUR LA SANTE + + + + +DU MEME AUTEUR + +Considerations sur la folie paralytique Paris, J.-B. Bailliere, 1874. + +Article Epilepsie du Dictionnaire encyclopedique des Sciences medicales +(1886). + +Pratique de l'antisepsie dans les "maladies" contagieuses (Prix Stansky, +de l'Academie de medecine). J.-B Bailliere, editeur (1892). + +Traitement de la Tuberculose par la creosote (Couronne par l'Institut, +Prix Breant). 1 vol. in-8 deg., Rueff, editeur, 1894. + + +_En preparation_: + +Psychotherapie et Morale religieuse. + + + + +Dr. BURLUREAUX +PROFESSEUR AGREGE LIBRE DU VAL-DE-GRACE + + + + +LA LUTTE +POUR LA SANTE + + +ESSAI DE PATHOLOGIE GENERALE + +PARIS +1908 + + + +A MON CHER LUCIEN CLAUDE +EN TEMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION +ET EN SOUVENIR +DE NOS CAUSERIES MEDICO-PHILOSOPHIQUES + + + + +PREFACE + +La "lutte pour la sante" qui fait le sujet de ce livre n'est pas celle +qu'ont entreprise, et que poursuivent avec un succes toujours plus +marque, nombre de ligues et societes philanthropiques. Certes, personne +n'admire plus que moi l'effort genereux de ces societes. Qu'il s'agisse +de combattre la mortalite infantile, ou de repandre et de faire +appliquer les regles de l'hygiene, ou encore d'enrayer l'extension de +ces trois plaies sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la syphilis, +ce sont la des campagnes infiniment bienfaisantes; et je considere comme +un honneur d'avoir pu, modestement, prendre ma part de quelques-unes +d'entre elles. + +Mais a cote de cette grande lutte collective, il y a une autre "lutte +pour la sante", tout individuelle, qui se livre tous les jours dans la +vie de chacun de nous. Celle-la est une forme de la loi universelle +de la lutte pour l'existence. Sans cesse, depuis l'instant ou nous +naissons, notre organisme tend a maintenir ou a retablir cet equilibre +de ses forces que l'on appelle "la sante"; et sans cesse une foule +d'influences, interieures ou venues du dehors, tendent a detruire cet +equilibre, eminemment instable. + +Ces influences varient a l'infini, suivant l'age, le sexe, l'heredite, +les conditions de la vie: mais toutes travaillent, en nous, a la meme +fin; et l'on peut dire que l'histoire entiere de notre vie physique +n'est que l'histoire des peripeties de la "lutte" incessante qui se +deroule entre elles et la tendance naturelle de l'etre a perseverer dans +son etre. Et si, parmi ces influences hostiles a notre sante, beaucoup +ont un caractere fatal et inevitable, s'il y a malheureusement beaucoup +de causes de "maladie" contre lesquelles nous sommes desarmes, il y en +a aussi un tres grand nombre qui peuvent etre evitees, ou combattues +victorieusement. Toute la medecine, en fait, ne consiste qu'a aider la +nature dans sa lutte contre elles. + + +Mais la medecine est moins une science qu'un art. De la multiplicite +des circonstances, de la diversite des esprits, il resulte que chaque +medecin, quand il est parvenu a un certain point de sa carriere, +s'apercoit que l'ensemble de ses observations et de ses reflexions l'a +amene a se faire une experience propre, personnelle, des conditions +generales de la "lutte pour la sante" et des moyens d'aider l'organisme +a la bien conduire. C'est le fruit de mon experience particuliere que +j'ai essaye de recueillir et de presenter, dans le livre que voici. + +De longues annees de pratique medicale m'ont donne l'occasion de +voir, sous des aspects tres varies, la naissance et l'evolution de la +"maladie". J'ai aussi vu a l'oeuvre bien des methodes de traitement, +anciennes et nouvelles. Penetre, des le debut, de l'importance de la +tache qui m'etait confiee, je me suis efforce de ne subir aucun parti +pris d'ecole ni de doctrine, de ne rien rejeter ni de ne rien admettre +sans l'avoir controle, de borner toujours mon ambition a empecher ou a +soulager la souffrance par tous les moyens,--que l'idee de ces moyens me +vint de moi-meme ou d'autrui, qu'ils fussent ou non approuves par les +autorites du moment, qu'ils appartinssent a la therapeutique d'hier ou a +celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru deja une grande partie +de ma route, il m'a semble que j'avais le devoir de faire profiter les +autres de tout ce que mon experience, ainsi acquise, pouvait contenir +d'interessant et d'utile pour eux. + +C'est dire que ce petit livre s'adresse a tout le monde. Je n'ai pas +voulu en faire une these scientifique, mais plutot quelque chose +comme ces _Conseillers de la Sante_ que l'on etait assure de trouver, +autrefois, au chevet du lit de nos grands-parents. Laissant aux ouvrages +speciaux l'etude des "maladies" accidentelles, de ces chocs exterieurs +ou notre organisme est sans cesse expose, je m'en suis tenu aux +differentes manifestations de ce que j'appellerai, d'un terme general, +la "maladie", en entendant par la cette rupture de l'equilibre normal +de nos forces, cette depreciation plus ou moins complete de notre +capital biologique, qui se produit, tot ou tard, dans l'existence +de chaque creature humaine, et s'exprime par une variete infinie de +symptomes morbides. J'ai essaye d'indiquer les principales causes qui, +aux differents ages, depuis l'enfance jusqu'a la vieillesse, risquent de +compromettre ou de detruire la sante; et surtout j'ai essaye de montrer, +au fur et a mesure, par quels moyens ces causes peuvent etre evitees, ou +leurs mauvais effets heureusement repares. + +Plusieurs de ces moyens etonneront peut-etre le lecteur, accoutume aux +complications savantes de la medecine d'aujourd'hui; et leur simplicite +meme lui semblera peut-etre avoir quelque chose de revolutionnaire. +C'est un danger que j'ai prevu, et que, certes, je n'affronte pas de +gaite de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon livre qui ne derive, +a la fois, d'une experimentation methodique et de reflexions patiemment +muries. Si jamais l'on peut etre sur de quelque chose, en une matiere +aussi variable et aussi delicate, je suis sur de l'efficacite des +avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. Puissent-ils +seulement etre entendus, et porter leur fruit! + + +Ce livre etait deja sous presse lorsque j'ai recu l'interessant ouvrage +de mon confrere et ami le Dr. Sigaud sur _Les Origines de la "maladie"_ +(1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de n'avoir pas pu en citer certaines +pages qui s'accordent avec les idees que j'ai moi-meme exprimees sur +plusieurs points, et, notamment, sur le danger qu'il y a a attacher trop +d'importance aux symptomes en pathologie. + + + + +LA LUTTE POUR LA SANTE + + + + +PREMIERE PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +LE CAPITAL BIOLOGIQUE + + + +L'hypothese joue, dans les progres do toutes les connaissances humaines, +un role considerable; ce n'est une nouveaute pour personne, mais cette +verite nous a ete recemment rappelee, et exposee avec une clarte +nouvelle, par le remarquable travail de M. Poincare, intitule: _La +Science et l'Hypothese._ Il y est demontre que ni les mathematiques, +ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient exister si elles +n'avaient pour point de depart des hypotheses. "Il y a, dit M. Poincare, +plusieurs sortes d'hypotheses: les unes sont verifiables, et, une fois +confirmees par l'experience, deviennent des verites fecondes; les +autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous etre utiles en +fixant notre pensee; d'autres enfin (comme le _postulatum_ d'Euclide) ne +sont des hypotheses qu'en apparence, et se reduisent a des definitions +et a des conventions deguisees". Plus encore que les sciences dites +exactes, les etudes biologiques ont besoin du secours de l'hypothese, +car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que "nous n'y savons le +tout de rien." + +Sans avoir aucunement la pretention de bouleverser les sciences +biologiques, mais simplement pour m'aider a fixer ma pensee, je +demanderai, a mon tour, qu'on m'accorde une sorte de _postulatum_, qui +nous aidera a nous rendre compte de la plupart des phenomenes de la +biologie et de la pathologie. + +Voici ce _postulatum_: + +Je supposerai que chaque etre, en naissant, recoit un certain capital +d'energie vitale, de la valeur et de l'emploi duquel dependront et +sa sante, et sa longevite: un capital donnant des interets variables +suivant chaque individu et suivant chaque periode de la vie. J'ajouterai +que ce capital peut etre, a toute periode de la vie, amoindri par une +cause accidentelle, et que les interets qu'il produit sont egalement +variables aux diverses periodes de la vie. + +Or, cette hypothese etant accordee, l'objet du present travail sera +d'etudier, d'un bout a l'autre de la vie, la meilleure maniere de faire +valoir ce capital, et de le defendre contre les influences qui ne +cessent pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on appelle les +"causes morbigenes", et leurs assauts sont ce qu'on appelle les +"maladies". + +L'homme malade est donc, dans notre hypothese, celui qui vient de subir +une de ces diminutions de son capital biologique: d'ou il resulte que, +avant d'etudier le malade, et les causes morbigenes, nous devons d'abord +envisager le capital initial, et les causes qui en font varier la +valeur. + +Considere au point de vue theorique, c'est-a-dire en negligeant les +influences qui peuvent le faire accidentellement diminuer, le capital +initial est comparable a la force qui lance un projectile dans l'espace. +Or, les mathematiciens savent exactement quelle doit etre la courbe +parcourue par le projectile, du moment qu'ils connaissent la vitesse +initiale et la masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi, +prevoir la courbe que suivra la sante d'un sujet, si nous pouvions +connaitre exactement le capital de vie qu'il apporte en naissant. Mais +le fait est que, chez les differents etres humains, le capital initial +varie dans des proportions si enormes que nous ne pouvons guere nous +flatter d'en avoir une notion precise. + +Pour des causes que nous chercherons a analyser, il y a des etres chez +qui le capital initial est nul: ce sont eux qui meurent en naissant, +ou un ou deux jours apres leur naissance, sans "maladies" ni lesions +appreciables; tels certains enfants de syphilitiques, qui meurent parce +qu'il n'ont pas la force de vivre. + +A l'autre extremite de l'echelle se placent les aristocrates de la +sante, doues d'un capital enorme, et qu'on voit atteindre a des ages +avances sans avoir jamais ete malades, sans avoir jamais pris de +precautions speciales pour conserver leur sante. Ainsi, j'ai connu, non +comme medecin, mais comme ami, un general mort a quatre-vingt-douze ans, +et qui n'avait jamais ete arrete par la moindre indisposition. On peut +meme dire qu'il est mort sans "maladie"; il a tout simplement cesse +de vivre, comme le boulet, arrive a la fin de sa course, cesse de +progresser et rentre dans l'immobilite. + +Entre ces deux extremes se trouve une variete infinie d'intermediaires; +et l'on peut dire qu'il n'y a pas deux personnes ayant le meme capital +biologique initial. + +Cependant les differences dans le capital initial ne sont pas si grandes +qu'on ne puisse, tout au moins, en determiner les causes principales, +dont l'etude se trouve etre, ainsi, d'une importance majeure. Ces causes +peuvent etre groupees sous trois chefs: + +1 deg. Les influences hereditaires; + +2 deg. La valeur actuelle des generateurs au moment de la conception; + +3 deg. Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation. + + + +CHAPITRE II + +HEREDITE + + + +L'heredite tient une place considerable dans tous les problemes de la +vie; et, comme l'indique bien l'etymologie du mot _hoerere_, (etre +attache), tout etre vivant est relie a un long passe ancestral. +Les vegetaux eux-memes n'echappent point a cette loi: le souci des +horticulteurs n'est-il pas de creer, par de savants procedes de culture +et d'habiles selections, des types capables de transmettre par heredite +certaines qualites developpees? Ils y arrivent jusqu'au jour ou, quand +ils ont voulu trop profondement ou trop vite forcer la nature, la plante +revient a son etat sauvage, ou demeure sterile pour avoir ete trop +surmenee. Et les memes observations sont familieres aux eleveurs qui +cherchent a perfectionner les races d'animaux domestiques. + +Heredite est donc un terme de physiologie signifiant que la constitution +organique, la maniere d'etre physique ou mentale, se transmet des +parents aux enfants ou aux descendants. + +L'heredite se rencontre partout; c'est elle qui constitue les grands +traits de caractere si differents de chaque race; c'est elle qui fait +que les vertus, les vices, les passions, les haines, se transmettent +dans le sein des familles aussi bien que la beaute, la couleur des yeux, +la taille, etc. Souvent elle est directe, c'est-a-dire qu'elle provient +du pere ou de la mere; parfois elle saute une ou deux generations; +d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le type d'un parent de +la ligne collaterale qui prend la place. Mais il est rare que, dans le +cours de la vie, elle ne se manifeste pas d'une maniere quelconque. + +Le role de l'heredite a ete reconnu de tout temps. Dans son langage +image, la Bible nous dit qu'"il a encore les dents agacees, celui dont +l'ancetre de la septieme generation a mange des raisins verts." Si +cette parole etait l'expression exacte de la verite, elle serait bien +decevante, car elle paralyserait tous les efforts destines a lutter +contre les tares ancestrales. Mais deja Ezechiel avait energiquement +proteste (chap. XVIII) contre la fatalite des tares hereditaires; et la +verite est que l'influence de l'heredite est modifiee grandement par la +tendance qu'a tout etre vivant a retourner a son type primitif, comme +aussi par les influences du croisement, en vertu desquelles l'un des +generateurs peut rectifier la tare transmise par son partenaire. Ce +n'est que quand les deux generateurs ont les memes tares que l'heredite +sevit avec son maximum d'intensite; et alors non seulement les tares +s'ajoutent, mais elles semblent se multiplier l'une par l'autre, +au point de rendre l'enfant incapable de soutenir la lutte pour +l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a pas la force de transmettre la +vie. Ainsi s'eteignent les familles par les "maladies" hereditaires, a +moins qu'un des membres de la race dechue, revenant pour ainsi dire +au type primitif, ne porte en lui une force de reaction +insoupconnee,--heritage peut-etre d'un passe plus lointain,--qui lui +permette de reconstituer la famille. + +Telles sont les considerations generales qu'il m'a semble utile +d'indiquer, parce qu'il en pourrait sortir un grand nombre de +conclusions pratiques pour qui sait reflechir. Mais il faut a present +que j'insiste sur quelques details plus particuliers. + +D'abord, l'heredite de la longevite. + +Il est des familles ou l'on meurt vieux, de pere en fils. On dirait des +horloges remontees pour sonner a peu pres le meme nombre d'heures. Il +est d'autres familles ou tout le monde meurt jeune, sans cependant qu'on +puisse incriminer des "maladies" speciales. Pourquoi? Force est bien de +le dire, nous ne le savons pas. + +Notons, en passant, combien sont erronees les theories qui attribuent +a l'homme moyen une longevite moyenne, calculee d'apres l'epoque de la +soudure des epiphyses, ou d'apres la duree de la croissance: suivant les +calculs de Flourens, cette moyenne devrait etre de cent ans. Mais c'est +la une simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune observation +serieuse. + +Certes, on peut etablir des moyennes. C'est sur des moyennes de ce +genre, et sur le calcul des probabilites, que sont bases les statuts des +compagnies d'assurance. De meme, il n'est pas deraisonnable de supputer +la longevite probable d'un individu donne, quand on est en mesure +d'apprecier son capital biologique et la facon dont il sait s'en servir. +Mais dire que l'homme est bati pour vivre cent ans, parce que, dans les +especes animales, la longevite a cinq fois la duree de la croissance, +et que, chez l'homme, la duree de la croissance est de vingt ans, c'est +etablir une theorie sur des bases absolument fragiles. + +Plus importantes encore que la plus ou moins grande longevite des +parents, sont, pour nous, certaines particularites de leur etat +pathologique, qui retentissent d'une facon souvent tres profonde sur la +valeur de leurs enfants. + +On sait, par exemple, les influences nefastes de l'alcoolisme +hereditaire, qui non seulement restreint la natalite, mais condamne ceux +qui naissent a une mort rapide. + +La syphilis ne reduit pas la natalite; au contraire, elle semble la +favoriser, et tout le monde connait, en effet, de ces nombreuses +familles fauchees par la syphilis hereditaire. En vain les generateurs +s'obstinent a mettre au monde de nouvelles victimes: aucune ne survit, a +moins qu'un traitement medical bien compris ne vienne mettre fin a cette +lamentable situation [1]. + +[Note 1: Je ne puis m'empecher de reconnaitre, dans cette +polynatalite des heredo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on +serait tente d'appeler la loi de protection des faibles. + +N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les etres sans +defense luttent par leur polynatalite contre les causes de destruction +auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde animal. Les +animaux puissants, armes pour la defense ou pour la lutte, sont toujours +de mediocres generateurs; l'elephant, par exemple, ne donne naissance +qu'a un nombre tres restreint d'individus, la femelle porte longtemps; +meme remarque pour le lion. Au contraire, les animaux sans defense, se +multiplient avec une rapidite qui les rend parfois redoutables: tels les +lapins d'Australie. Il a suffi d'un couple importe par hasard dans cette +colonie pour que ces animaux se soient multiplies au dela de toute +mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fleau pour +l'agriculture. C'est que le lapin est un etre faible, qui n'a de moyens +ni d'attaque, ni de defense, ne sachant que fuir et se cacher. Dans +l'espece humaine, combien ne voit-on pas de ces couples admirablement +bien assortis, de sante parfaite, et qui n'ont pas d'enfants? Nous ne +parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, enfants; car ici intervient +un autre facteur, la restriction volontaire; mais de ces menages +exemplaires, ou la venue d'un enfant serait une joie, et qui restent +steriles, sans que rien dans l'etat des conjoints explique cette +sterilite. + +Au contraire, des generateurs de mediocre valeur, au point de vue de +la sante, mettent au monde de nombreux enfants, qui bien souvent +constituent pour eux une richesse negative. Ces malheureux portent le +beau nom de proletaires _(proles, race)_. + +Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'etend a l'infini. +Pourquoi nait-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi tel couple ne +donne-t-il naissance qu'a des filles, tel autre qu'a des garcons? +C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique de la mere etait +sensiblement inferieure a celle du pere. Quand il y a une disproportion +marquee entre les deux generateurs, l'enfant qui nait a le sexe du +generateur qui vaut le moins. + +Quand un homme vieux et use epouse une jeune femme pleine de vie et +de sante, l'enfant qui naitra de leur union sera presque toujours un +garcon. + +Dans le monde vegetal, la meme loi de protection des faibles s'observe +pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans defense: elles +pullulent partout, on les trouve sous toutes les latitudes, a toutes les +altitudes; au contraire, celles qui se defendent, ont ce qu'on appelle +en botanique des "aires" tres limitees. + +Dans le monde mineral lui-meme, on observe la meme loi: les metaux qui +se defendent sont des metaux rares, et c'est precisement parce qu'ils +sont rares et incorruptibles (mais non incorrupteurs) que l'homme les +a pris comme representant la valeur du travail. L'or, par exemple, que +rien n'attaque, est plus rare que les metaux qui s'oxydent facilement, +tels que le fer, le cuivre. + +Le diamant inalterable, qui defie l'injure du temps, est d'une rarete +qui lui donne tout son prix. + +C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids aux +lois darwiniennes (selection, adaptation aux milieux, etc.) que resulte +un equilibre presque stable dans le monde des etres crees.] + +La syphilis est un des principaux facteurs de degenerescence. On +commence seulement a connaitre l'etendue de ses ravages. On sait +aujourd'hui qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les fait mourir +avant leur naissance, ou le jour meme de leur naissance; qu'elle se +traduit plus souvent encore, dans les deux premiers mois qui suivent la +naissance, par des accidents contagieux; que, dans les premieres annees +de la vie, elle entraine la mort par meningite (meningite speciale que +l'on prend trop souvent pour une meningite tuberculeuse, et qui serait +justiciable d'un energique traitement anti-syphilitique). + +On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la syphilis des +generateurs provoque, a l'age de huit, dix, quinze ans, des dystrophies, +parfois des accidents tertiaires (epilepsie, gommes, etc.): mais ce sont +la des curiosites scientifiques. + +Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle proportion la syphilis +des parents diminue la valeur biologique des enfants en apparence bien +nes, c'est son influence sur les produits de la deuxieme et meme de la +troisieme generation. C'est la la science de l'avenir[2]. + +[Note 2: Nous ne voulons pas insister davantage sur les mefaits de +la syphilis, envisagee en tant que peril social, mais nous ne pouvons +laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les +efforts tentes pour faire connaitre au grand public ces tristes verites. + +Il existe une _Societe internationale de prophylaxie sanitaire et +morale_ contre les "maladies" veneriennes, siegeant a Bruxelles, et +ayant comme filiales des societes francaises, allemandes, etc., qui +toutes poursuivent un but commun: faire connaitre les mefaits des +"maladies" veneriennes, les eteindre dans la mesure du possible et par +tous les moyens possibles. + +La societe francaise est certainement l'une des plus actives: sous la +vigoureuse impulsion de son president, M. le professeur Fournier, elle a +deja fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est fondee. + +Elle a etudie la syphilis dans l'armee, dans la marine, les colonies, +dans les populations ouvrieres; la syphilis des nourrices et des +nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grace a elle, l'opinion +publique commence a s'interesser au redoutable probleme, on ose +envisager en face la syphilis, on ose prononcer son nom, et tout fait +esperer que l'action de la Societe de prophylaxie sera au moins aussi +utile que celle des ligues contre l'alcoolisme et la tuberculose. + +Car, en realite, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on ne +modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la tuberculose? +Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre etat social, tant qu'il +y aura l'affreuse misere et la promiscuite. Tandis qu'on peut beaucoup +contre la syphilis, "maladie" evitable s'il en fut, "maladie" +essentiellement curable. Mais il faut la faire connaitre dans tous les +milieux, son danger provenant de l'ignorance. C'est surtout contre cette +ignorance que lutte la Societe francaise de prophylaxie sanitaire et +morale a laquelle devraient etre affilies tous les gens de bien, toutes +les personne soucieuses de l'avenir de la nation.] + +L'heredite tuberculeuse est-elle aussi redoutable qu'on se plaisait a le +dire? Non. Voila, du moins, ce qu'affirment la science experimentale et +l'observation des jeunes animaux issus de generateurs tuberculeux. Mais, +dans la pratique, il serait sage de se conduire comme si la tuberculose +etait hereditaire: 1 deg. parce que les enfants de tuberculeux sont, +par cela meme qu'ils vivent dans un milieu contamine, exposes a +la contagion[3]; 2 deg. parce que l'enfant, s'il n'herite pas do la +tuberculose, herite incontestablement de la predisposition a devenir +tuberculeux. Il ne nait pas tuberculeux, mais il nait tuberculisable: de +sorte que, au point de vue scientifique, l'apprehension qu'avaient +nos peres au sujet de l'heredite de la tuberculose etait parfaitement +legitime. + +[Note 3: Le souci de soustraire au milieu contamine les enfants de +tuberculeux a inspire au professeur Grancher une idee geniale: c'est de +prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore sains, +pour les faire elever a la campagne dans des familles saines. C'est +ce que realise "l'Oeuvre de preservation de l'enfance contre la +tuberculose". (Siege social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre +scientifique, puisque, suivant le precepte de Pasteur, elle cherche a +sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; elle a +fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixieme des demandes +des parents tuberculeux, qui commencent a comprendre la necessite de se +separer de leurs enfants encore sains pour les confier a des familles +de braves gens designees par l'oeuvre, surveilles par ses medecins, +et offrant toutes garanties de moralite. Cette Oeuvre, bienfaisante a +plusieurs titres, est en outre _economique:_ chaque pupille ne coute +en effet qu'un franc par jour, parce que tous les devouements sont +gratuits. Cette faible somme d'un franc, bien employee, sans aucune +fuite, sert ainsi les interets de deux familles et sauve la vie d'un +enfant.] + +L'heredite du cancer est loin d'etre demontree. Tout est obscur dans +la question du cancer: son etiologie, ses modes de transmission, ses +varietes d'evolution; et la therapeutique se ressent de toutes ces +incertitudes, malgre les belles promesses de la serotherapie, de la +vaccination anti-cancereuse, et de la radiotherapie. + +En resume, l'heredite est le principal facteur de la valeur biologique +des individus. Chacun, de par son heredite, nait avec une valeur +differente: l'inevitable inegalite sociale existe non seulement le jour +de la naissance, mais le jour meme de la conception. + +C'est encore a l'heredite qu'il faut attribuer la differente valeur des +differents organes. Beaucoup naissent avec un organe plus faible que les +autres, de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir compte +de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il se trouve en face d'un +malade quelconque. + +Les organes qui subissent le plus notablement la tare hereditaire sont: +le systeme nerveux, le coeur, et les reins. + +_A_) Les tares nerveuses se transmettent avec une constance redoutable; +et c'est a juste titre qu'on craint les alliances avec des sujets +dont les parents sont entaches d'alienation mentale, ou de nervosisme +exagere. + +Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de l'heredite nerveuse +a des limites excessives: car, ainsi que je l'ai dit, nous devons +compter avec une sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle l'etre +naissant est debarrasse de sa tare ancestrale; l'heredite n'est jamais +absolument fatale. Et nous devons prevoir aussi les attenuations que +peuvent amener les croisements. Ainsi l'heredite nerveuse du pere peut +tres bien etre attenuee par le bon equilibre nerveux de la mere, le +croisement bien compris entrainant une sorte de regeneration. Enfin, il +est certaines "maladies" nerveuses qui ne se transmettent jamais par +heredite: telle la paralysie generale des alienes. De ce qu'un homme est +mort dans un asile, par le fait de la paralysie generale, il ne faut pas +conclure que ses descendants soient menaces de folie, ou meme de tares +nerveuses. Le paralytique general a pris la "maladie" uniquement pour +son compte, et il ne la transmet pas plus que ne transmettrait sa tare +nerveuse un homme qui serait, accidentellement, empoisonne par le plomb. +Tout ce qu'on peut dire du paralytique general, c'est que, neuf fois sur +dix, c'est un syphilitique, et que sa descendance peut etre entachee de +syphilis au meme titre que la descendance d'un syphilitique quelconque. + +_B_) L'heredite des cardiopathies est egalement tres interessante a +etudier: elle n'est pas assez connue. + +Il y a des familles dans lesquelles tous les membres succombent aux +affections cardiaques. C'est donc que, la, les enfants apportent, en +naissant, un point de plus faible resistance du cote du coeur. Chose +curieuse: dans ces familles, la lesion cardiaque ne devient perceptible, +chez ses divers membres, qu'a des ages plus ou moins avances. Vers +trente ans, l'un d'eux eprouvera de l'arythmie, suivie, six ou sept ans +plus tard, de myocardite sclereuse. Un autre, tout en ayant le coeur +sain a l'auscultation, succombera par le coeur, dans le cours d'une +pneumonie. "La "maladie" etait au poumon, et le danger au coeur" +(Huchard). Un troisieme membre mourra a cinquante ans, a son quatrieme +acces d'angine de poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la +moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre affection capable +de determiner des lesions cardiaques. Enfin un quatrieme aura de la +tachycardie paroxystique. Et tout cela parce que la mere des quatre +enfants aura eu, avant la naissance du premier, le coeur touche +accidentellement par le rhumatisme; je connais meme une famille ou +l'heredite remonte a deux generations: presque tous les membres de cette +famille sont des cardiopathes. + +C) Le role de l'heredite pathologique renale merite d'etre signale au +meme titre. On connait l'albuminurie hereditaire et familiale: mais les +recents travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont demontre, en +outre, qu'une mere atteinte de nephrite donne naissance a des +enfants dont les reins sont moins resistants aux infections et aux +intoxications, ou meme sont alteres au point d'entrainer la mort des les +premiers jours de la vie. De plus, chacun nait avec une predominance de +tel ou tel systeme organique. Chez les uns, c'est le systeme nerveux qui +presente un developpement hors de proportion avec les autres systemes +organiques; chez d'autres, c'est le systeme musculaire. + +Ni les uns ni les autres ne sont, a proprement parler, des malades, +ni meme des candidats a la "maladie"; ils peuvent avoir un excellent +capital biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas commettre +de fautes dans la direction a leur conseiller. Et nous retrouverons +cette importante donnee quand nous parlerons des grands problemes de +l'education. + +Est-ce encore a l'heredite qu'il faut attribuer cette singuliere +predominance d'un des cotes du corps sur l'autre que l'on observe chez +la plupart des malades? En general, c'est le cote gauche qui est le plus +faible; c'est lui qui est le siege des nevralgies, des pneumonies, des +miseres variees que les malades accusent; c'est lui qui est le plus +faible au dynamometre; et tout le monde sait que la main gauche est, en +general, moins habile que la main droite; le langage courant traduit +cette inferiorite, en faisant de "gauche" le synonyme de malhabile. Chez +d'autres, au contraire, c'est le cote droit du corps qui est le siege de +toutes les douleurs nevralgiques, rhumatismales, sans pour cela que +ces malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir recherche la part de +l'heredite dans cette repartition inegale de l'influx nerveux, que je ne +fais que signaler en passant. + +Mais ce qui resulte de tout ce que nous venons de voir, et qui doit en +former pour nous la conclusion pratique, c'est que, pour difficile que +soit la connaissance precise de l'heredite d'un sujet, peut-etre n'y +a-t-il pas de point sur lequel l'attention du clinicien doive se porter +plus soigneusement! En presence d'un malade, notre premier effort +doit etre de determiner ce qu'il a pu recevoir de ses parents; et les +resultats de cette premiere enquete doivent toujours nous etre presents +a l'esprit, tout dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais +surtout quand nous aurons a diriger sa sante. + + + +CHAPITRE III + +CONCEPTION + + + +L'influence de la valeur actuelle des generateurs, au moment de la +conception, est a peine soupconnee, et le fait est qu'il serait bien +difficile de la demontrer; elle doit etre, cependant, considerable, et +il y a tout lieu de croire que la valeur d'un individu a naitre varie +du tout au tout selon qu'il a ete concu dans de bonnes ou de mauvaises +conditions. + +Depuis longtemps, les medecins protestent contre les voyages de noces. +On ne saurait trop faire campagne contre cette coutume, tout au moins +antihygienique. Considerez, en effet combien s'accumulent les conditions +deplorables pour la procreation, chez deux conjoints dont le systeme +nerveux a ete mis a l'epreuve par les preoccupations premonitoires du +mariage, par la fatigue des journees consacrees a sa celebration, par +les emotions inseparables de cet acte important de la vie! Et voila ces +jeunes gens qui, aussitot apres, se pressent pour un voyage lointain, +qui s'exposent a des fatigues de toute sorte, a la deplorable +alimentation de l'hotel, qui s'infligent le souci de changer de +residence tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions que, sans +recueillement, a la legere, ils accomplissent l'acte qui doit donner _la +vie_. + +Dans d'autres milieux moins favorises, l'acte conjugal s'opere a la +suite de repas copieux, dans des conditions non moins deplorables. + +Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'emotion de la jeune femme, +trop souvent surprise par les conditions nouvelles de l'existence +qu'elle a adoptee, ou qui lui a ete imposee? Comme le disait le +professeur Pinard: "En plein XXe siecle, nous procreons comme les +hommes des cavernes." + +Que faire a tout cela? C'est deja quelque chose que d'appeler +l'attention sur un mal dont presque personne ne soupconne l'importance, +en dehors du monde medical. Les remedes viendront, pour ainsi dire, +d'eux-memes, a partir du jour ou l'on connaitra le danger. + +Appelons aussi l'attention sur un point delicat: sur la necessite de +faire l'education de la jeune fille, pour qu'elle sache ce qu'est le +grand acte de la procreation. + +Je vois d'ici les meres francaises fremir, et s'armer en guerre les +bataillons de ceux qui confondent la pudeur avec la pudibonderie. Nul +doute, cependant, qu'il y ait une reforme a operer dans nos moeurs, a +cet egard, et dans tous les milieux sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler +ce que dit la Bible, dans le livre de _Tobie_, chapitre VII? Le fils +du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphael, allait epouser Sara, +fille de Raquel, laquelle avait vu mourir subitement ses sept premiers +maris, aussitot qu'ils s'etaient approches d'elle; et, pour lui eviter +pareil sort, l'ange donnait au jeune homme les conseils suivants: " +Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'elles +bannissent Dieu de leur coeur et de leur esprit et qu'elles ne pensent +qu'a satisfaire leur brutalite, comme les chevaux et les mulets qui sont +sans raison, le demon a pouvoir sur elles. Mais pour toi, apres que tu +auras epouse cette fille, etant entre dans la chambre, vis avec elle en +continence pendant trois jours, et ne pense a autre chose qu'a prier +Dieu avec elle! La troisieme nuit etant passee, tu prendras cette fille, +dans la crainte du Seigneur, et dans le desir d'avoir des enfants +plutot que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part a la +benediction de Dieu." + +Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend pas, pour procreer, plus +de precautions qu'a l'epoque des premieres ardeurs; c'est egalement une +faute dont se ressent le produit de la conception. + +Il y aurait a faire tout un traite sur l'hygiene de la procreation. Ce +traite, concu dans un esprit large, liberal, scientifique, qui tiendrait +compte de tous les elements du probleme, c'est-a-dire non seulement du +point de vue medical, mais aussi de l'element passionnel, repondrait a +un veritable besoin. + +Et un chapitre, et l'un des plus importants, devrait y etre consacre +au traitement preventif de la syphilis hereditaire. Combien d'hommes +atteints de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, ignorent les +bienfaits d'un traitement specifique, qu'ils suivraient deux ou trois +mois avant de se marier, pour preserver leurs enfants de la terrible +"maladie"! Combien peu de medecins pensent a instituer ce traitement +preventif, alors meme qu'ils savent que le generateur a eu la syphilis! +Mais je ne sauvais m'etendre ici davantage sur ce sujet. + + + +CHAPITRE IV + +GESTATION + + + +Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant la gestation, nous +n'avons aucune donnee precise a fournir. Nous n'avons pas remarque, par +exemple, qu'une mere ayant eu une grossesse penible, voire meme +des vomissements incoercibles, donnat naissance a un enfant plus +specialement faible; inversement meme, bien des femmes d'une sante +mediocre ont des grossesses superbes. J'etonnai fort une malade, un +jour, en lui disant qu'elle ne devait aller bien que pendant ses +grossesses. C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, et que la +grossesse devait lui produire l'effet d'une sangle, en soutenant les +organes. Mais il n'est guere vraisemblable qu'un etat de sante +aussi artificiel, et aussi transitoire, soit, pour le produit de la +conception, un brevet de sante future. + +Par contre, les "maladies" de la mere pendant la grossesse ont une +influence bien connue sur la valeur de l'enfant a naitre. Quand elles ne +provoquent pas l'avortement, elles impriment a l'enfant une tare. + +J'ai observe, a cet egard, un fait bien suggestif. Une jeune femme, au +quatrieme mois de sa premiere grossesse, avait eu une appendicite si +nettement caracterisee que le confrere qui devait l'accoucher, et +moi-meme, avions ete sur le point de provoquer l'intervention d'un +chirurgien. La malade avait pu, cependant, etre traitee medicalement: +mais l'enfant, ne a terme, a presente des sa naissance une intolerance +intestinale veritablement anormale. Une premiere nourrice, choisie par +l'accoucheur, lui a donne un lait qui a semble trop fort, car l'enfant a +eu, des le deuxieme jour, de la diarrhee verte et des vomissements. Dans +l'espace de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours choisies +avec le plus grand soin, n'ont pas eu plus de succes: a chaque nouvelle +nourrice, vomissements, fievre ardente, diminution rapide du poids. +Mais, pendant qu'on cherchait a grand prix des nourrices ideales, on +etait bien oblige de donner a l'enfant du simple lait de vache coupe; +alors il allait mieux, la fievre tombait, le poids augmentait tres +vite, la vie revenait: de telle sorte que, apres ces quatre tentatives +d'allaitement par le lait de femme, l'accoucheur me dit: "Mais enfin, +pourquoi s'obstiner a trouver une nourrice? Cet enfant a probablement +un intestin extremement delicat, a cause de l'appendicite de sa mere +pendant la gestation; donnons-lui simplement du lait sterilise coupe!" +Et il eut raison; grace a d'infinies precautions, a une surveillance +methodique, l'enfant put etre eleve. + +Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends pas faire le +panegyrique de l'allaitement artificiel: je ne le cite que pour prouver +comment la "maladie" d'un organe de la mere pourrait bien avoir une +repercussion sur le fonctionnement du meme organe, chez l'enfant qu'elle +porte en son sein. + +Ce que l'on sait encore, c'est que les emotions de la mere, pendant la +grossesse, peuvent avoir un retentissement sur la qualite du produit. +Et de la derive le devoir strict, pour la societe, de proteger la femme +enceinte. Quelques philanthropes l'ont bien compris; mais cette notion +n'a pas assez penetre dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est un +scandale, pour une nation civilisee, de voir le peu qui est fait pour +assister la femme enceinte, pour lui epargner les soucis de l'avenir +prochain et les fatigues des derniers jours de la gestation. + +Un mot, enfin, sur les enfants nes avant terme. S'ils naissent avant +terme par le fait de la "maladie" des generateurs, de la syphilis par +exemple, leur valeur biologique est sensiblement reduite, et peut meme +etre reduite a zero. Mais s'ils naissent avant terme accidentellement, +par exemple a la suite d'une chute de leur mere, ou d'une intervention +obstetricale raisonnee, leur sort est beaucoup moins compromis qu'on ne +le croit dans le public non medical. Le tout est de leur assurer une +temperature qui se rapproche de celle qu'ils avaient dans le sein +maternel. + +Pour ce faire, les inventeurs ont multiplie les modeles de couveuses +artificielles. Ces appareils, certes, peuvent rendre des services; mais +il ne faut pas oublier qu'on peut tres bien s'en passer, en preservant +l'enfant du froid, ce qui s'obtient: 1 deg. en chauffant convenablement sa +chambre, et en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2 deg. en sachant +l'alimenter des sa naissance. Ce second probleme est difficile; pour +le resoudre, il faut se rappeler une grande loi que nous retrouverons +plusieurs fois dans le cours de cette etude, et qui consiste a +proportionner la valeur nutritive de l'aliment, et le nombre de prises +alimentaires, a la puissance de l'estomac. Chez l'enfant ne avant terme, +on donnera donc, toutes les demi-heures, une cuilleree a cafe de lait, +coupe de 2/3 d'eau bouillie sucree. + +L'enfant va naitre; quel prejudice lui cause l'accouchement au forceps? +Nous ne pouvons pas nous defendre de redouter, pour notre part, la +compression colossale qu'impose l'application du forceps a la masse +cerebrale de l'enfant. Mais l'etude approfondie de cette question, qui +aurait pourtant de quoi interesser les neurologistes, n'a pas encore ete +faite, a notre connaissance du moins, d'une facon suffisante. En tout +cas, on est en droit de considerer comme coupable une intervention au +forceps faite pour gagner du temps, ou pour faire valoir l'importance +des soins obstetricaux. + + + +CHAPITRE V + +LES INFLUENCES MORBIGENES ET LES SYMPTOMES MORBIDES + + + +L'enfant est ne; il vaut ce qu'il vaut. Personne ne le sait, sauf dans +les cas extremes ou il vient au monde avec des apparences tellement +miserables que, des son premier vagissement, son inferiorite saute aux +yeux; c'est ce qui arrive chez les heredo-syphilitiques, et rien n'est +aussi navrant que l'apparition du petit monstre aux lieu et place d'un +enfant bien vivant, attendu avec une legitime impatience. Il faut avoir +assiste a ce spectacle pour en comprendre la poignante horreur. Tout le +monde, sauf la mere, s'accorde alors a penser qu'il vaudrait mieux que +l'enfant ne fut pas ne. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible +de savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec lui; c'est son +secret, qu'il gardera pendant toute la duree de son existence, mais que +le medecin parviendra cependant a deviner en partie, s'il sait fouiller +l'heredite de son malade et s'inspirer des quelques principes que nous +avons esquisses a grands traits dans le chapitre precedent. + +L'enfant est ne: toute sa vie, desormais, va etre une "lutte pour la +sante", une suite d'efforts, volontaires ou instinctifs, pour defendre +son capital naturel de sante contre les "influences morbigenes" qui vont +le guetter a chaque pas. + +Ces influences morbigenes, que l'etre vivant va rencontrer sur sa route, +depuis le jour de sa naissance jusqu'a la fin de sa carriere, nous +allons tout de suite les esquisser a grands traits. + +Au debut, nous avions assimile, pour les besoins de la theorie, l'etre +humain a un projectile lance dans l'espace avec une vitesse initiale +determinee; mais, tandis que le projectile parcourt une courbe +mathematique, qu'on appelle une parabole, la courbe evolutive de l'etre +humain est une courbe irreguliere qui flechit chaque fois qu'une +influence morbigene survient, puis remonte pour osciller de nouveau, +puis flechir definitivement a partir d'un certain moment de la vie que +nous appellerons le debut de la periode de declin, et toujours avec des +oscillations a amplitude de moins en moins considerable, jusqu'au moment +ou toutes les reserves se trouvent epuisees. + +La mort peut encore interrompre brusquement la courbe evolutive; c'est +ce qui arrive quand la breche faite au capital est irreparable, soit +a cause de l'importance de l'assaut perturbateur, soit a cause de +l'insuffisance des reserves, ou bien quand ces deux influences se +combinent; et le nombre de leurs combinaisons est incalculable. + +La variete des causes morbigenes est elle-meme infinie; mais la nature +n'a qu'un nombre limite de moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte +que les causes les plus variees peuvent se traduire par les memes +symptomes. Aussi accordons-nous relativement peu de valeur a l'etude +du symptome. Les symptomes s'associent de mille et une facons, pour +constituer autant deformes morbides differentes. Que dis-je? Il n'est +pas deux malades qui se ressemblent, Ce n'est que pour la facilite de +l'etude que les pathologistes ont cree des cadres posologiques; mais +on comprend assez que ces cadres devraient etre aussi elastiques +que possible. Le vrai medecin, apres s'en etre servi pour faire +d'excellentes etudes, ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire +abstraction, de penser et d'agir comme si les cadres n'existaient +pas. Et un moment viendra meme, quand son experience clinique sera +suffisante, ou il aura tout interet a faire table rase des notions qu'il +a peniblement accumulees par un travail assidu et prolonge; tout comme +l'architecte, qui, une fois la construction terminee, fait enlever les +enormes echafaudages qui avaient ete necessaires a la construction de +l'edifice. + +Certes, l'etude approfondie des symptomes morbides est indispensable au +clinicien, et l'on ne saurait apporter trop de soins a connaitre, dans +tous leurs details, les divers troubles de la sante. Mais il y a +un ecueil: c'est que, la theorie du moindre effort s'appliquant +naturellement a l'esprit humain, on a une tendance involontaire a +attribuer aux symptomes une influence pathologique qu'ils n'ont pas; en +d'autres termes, ce qui n'est en realite qu'une manifestation morbide +devient, trop aisement, dans l'esprit du medecin, la cause de la +"maladie". + +Prenons comme exemple la constipation: ce n'est en realite qu'un +symptome, et qui peut se trouver chez une foule de malades differents. +Nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est d'origine +mecanique (cancer du rectum, de l'iliaque, etc.). Un mot cependant, en +passant, pour dire que le medecin a le tort de ne pas assez penser a ces +causes mecaniques, et de traiter par des moyens medicaux des malades +dont une intervention chirurgicale aurait pu prolonger la vie ou +attenuer les souffrances. + +Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires de la chirurgie, +n'est-il pas vrai que la constipation est un symptome banal, pouvant +etre attribue a une foule de causes? Parfois, elle est due a des lesions +d'organes lointains, par un mecanisme reflexe a long circuit, suivant +l'ingenieuse expression de M. Mathieu (appendicite chronique, lesions +uterines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, elle est due a +un trouble profond du systeme nerveux, qui, avant l'apparition de la +constipation, avait traduit son malaise par des plaintes variees. +D'autres fois, elle apparait brusquement, en meme temps que +l'entero-colite sa compagne, a la suite d'un choc brutal, moral ou +traumatique. + +De plus, tout le monde sait qu'elle peut etre due tantot a un manque, +tantot a un exces d'exercice musculaire. Les hommes qui ont besoin de +beaucoup d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant les +predispositions hereditaires, ou des cerebraux, ou des goutteux, ou +des lithiasiques, mais toujours des constipes: et leur constipation +disparait a partir du jour ou l'on a trouve le dosage precis de +l'exercice qui leur convient. Inversement, les hommes qui prennent trop +d'exercice deviennent dyspeptiques et constipes, et le lit est leur +meilleur laxatif. + +Enfin la constipation peut tenir a une erreur de regime, soit a l'abus +du lait (le cas est frequent), soit a l'usage abusif de la viande: alors +le regime semi-vegetarien serait indique, et il suffit de changer de +regime pour voir disparaitre la constipation. + +La constipation n'est donc qu'un symptome. + +Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des repercussions a +distance, en vertu de ce principe que le systeme nerveux abdominal a des +relations intimes avec le systeme nerveux central, que, d'une facon plus +generale, le trouble d'un departement quelconque du systeme nerveux +retentit sur les autres departements, la constipation, bien que +symptomatique, contribue dans une certaine mesure a entretenir la +"maladie", ne fut-ce que par la preoccupation qu'elle cause au malade, +et qui peut degenerer quelquefois en veritable obsession. Mais ce qu'il +faut se rappeler, quand on aborde le probleme therapeutique, c'est que +le systeme nerveux est une chaine sans fin. Or, si l'on veut bien nous +accorder que la solidite d'une chaine est egale a celle du plus faible +de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a a rechercher quel +est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du +systeme nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guerir le constipe +medical. + +Il n'y a donc pas de remede contre la constipation, et, pour +l'atteindre, il faut atteindre la "maladie", dont elle constitue une +des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite, +les plus faciles a faire disparaitre. Oui, dusse-je sembler paradoxal, +j'affirme que la constipation est, de tous les symptomes observes chez +le constipe medical, celui qui disparait le plus vite. Prenez un malade +qui souffre, depuis des annees, de ces miseres variees qu'on est +convenu de designer sous le nom un peu vague de neurasthenie, et +parmi lesquelles la constipation joue un role capital; apres enquete +minutieuse, trouvez la formule exacte de son regime, et par regime je +n'entends pas seulement le regime alimentaire, mais la reglementation +minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail +cerebral, etc.; supprimez les agents therapeutiques qui entretiennent la +"maladie" (douches froides, exercice force, medicaments varies, diete +lactee); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble +nerveux de son intestin, a savoir les purgatifs, lavages a grande eau, +etc.: et vous serez etonne de voir la constipation disparaitre, avant +meme toutes les autres miseres. Le malade vous dira, au bout de huit +jours: "Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tete, de +l'estomac, du dos, d'une faiblesse extreme, mais je commence a retrouver +le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma +constipation, si rebelle, est presque entierement vaincue. Je n'ai +presque plus de peaux dans les selles, et je commence a reprendre +confiance." A partir de ce moment precis vous tenez le malade, il a en +vous une foi aveugle, et, si vous continuez a le soigner methodiquement, +si surtout des influences etrangeres ne viennent pas contrecarrer la +votre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entierement +a votre direction, vous lui rendrez, peu a peu, la sante. Il aura des +rechutes inevitables: mais lui annoncer a l'avance ces rechutes, +c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins +importantes, chaque fois qu'il s'ecartera de la ligne tracee par vous: +s'il commet un ecart de regime, un exces d'exercice, ou s'il a une +commotion morale, l'odieuse constipation reparaitra, accompagnee d'etat +gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fievre +quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez a +lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et a lui faire +comprendre que cette rechute etait evitable. + +Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous +verrions qu'elle appartient, de meme, a une foule d'affections. Le mal +de tete, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus +varies, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses? +Heureusement pour les malades, il n'est encore venu a l'idee de personne +de trouver un remede applicable a tous les cas de mal de tete. Nous +en connaitrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le +divulguer: car, si la medecine "du symptome" est detestable au point de +vue de l'etude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue +therapeutique. + +Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptome, ou un +ensemble de symptomes (ce qu'on appelle un _syndrome_): on y trouve +toujours en germe la pathologie tout entiere. Ainsi dans mon article +_Epilepsie_ du _Dictionnaire Encyclopedique_, j'ai essaye de montrer +combien il faut se mefier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir +une conception nette de l'epilepsie, et une therapeutique utile des +epileptiques. De meme, en lisant ces jours-ci une interessante etude du +Dr Baraduc sur l'entero-colite et son traitement a Chatel-Guyon, j'y +voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on +en juge par les quelques lignes que voici: "L'entero-colite +muco-membraneuse est un syndrome clinique dependant d'un trouble +fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et +variees etant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de +troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, a +elle seule, pour produire l'entero-colite. Il faut de toute necessite +une predisposition speciale du systeme nerveux, et plus particulierement +du sympathique abdominal, a se troubler aux chocs qu'il recoit. Cette +predisposition necessaire speciale, le plus souvent hereditaire, est +l'apanage des neuro-arthritiques." Si l'auteur voulait bien avouer +seulement que cette expression de "neuro-arthritiques" ne fait que +dissimuler notre ignorance, nous serions tout a fait d'accord avec lui. + +En resume, si le medecin doit bien connaitre dans tous leurs details, +sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations +morbides, il doit surtout chercher leur pathogenie, et ne pas +s'hypnotiser sur tel ou tel symptome. En un mot, il doit voir de haut +pour voir loin, a condition toutefois de ne pas se perdre dans les +nuages. + +Quelquefois, tous les systemes organiques sont troubles a la fois sous +l'influence d'une cause morbigene. C'est ce qui arrive, par exemple, a +la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain, +le blesse devenir a la fois dyspeptique, desequilibre abdominal, +constipe avec enterite muco-membraneuse, desequilibre cerebral; et il +peut rester longtemps dans ce miserable etat qu'on designe sous le nom +d'_hystero-neurasthenie traumatique._ + +La fievre typhoide, la grippe infectieuse, impressionnent egalement a la +fois, tous les appareils de l'organisme, a des degres divers. Tantot la +sideration peut etre telle que le capital vital initial et les reserves +anterieures se trouvent tout a coup epuises: c'est la banqueroute +totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les reserves ne sont +que profondement entames. C'est la "maladie" grave, aggravee encore par +des medications et des pratiques intempestives; a un moment donne, le +capital peut etre reduit a si peu de chose, que la moindre depense +suffit pour l'aneantir. Le malade est une flamme vacillante que le +moindre souffle peut eteindre, mais a laquelle un savant dosage +d'oxygene rendra, peu a peu, la vie. + +Quand le capital est moins profondement atteint, ou quand la cause +morbigene est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu +d'etre generalises, atteignent plus specialement tel ou tel organe: +l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de +l'heredite ou par le fait d'une atteinte anterieure. Mais, en vertu de +la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne +reste pas longtemps limite a un organe ou a un systeme organique. Voyez +le grand neurasthenique: il est a la fois dyspeptique, enteralgique, +cerebral, medullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a ete le premier +atteint? Impossible de le dire, apres deux ou trois ans de "maladie". +Cependant une enquete bien conduite peut permettre souvent de +reconstituer son histoire pathologique, de voir par ou la "maladie" a +commence, quel etait le point initial. Et c'est de la connaissance de ce +point faible initial que derivera, en grande partie, la therapeutique. +Le medecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il +aura decouvert, sans negliger, cependant, les perturbations secondaires +attribuables a la synergie des fonctions de tout etre vivant. + +Il arrive meme, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les +reserves sont bonnes, que le trouble de la sante ne se traduit que par +un nombre tres limite de symptomes, parfois meme par un seul. Ainsi il +y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont, +comme manifestation morbide que le symptome constipation, d'autres qui +n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne +clinique, et surtout pour faire de la bonne therapeutique, il faut, +presque de parti pris, les eliminer, et chercher au dela de la +manifestation monosymptomatique. Presque toujours, alors, ou trouvera +que la "maladie" n'est monosymptomatique qu'en apparence. + +De meme que, dans une compagnie de chemins de fer, une irregularite +dans le service, minime en apparence, denonce, si elle se renouvelle +frequemment, une mauvaise direction generale, de meme, en biologie, il +n'est pas d'indispositions insignifiantes, si limitees soient-elles a +tel ou tel organe. L'apparition d'une douleur a l'epaule, par exemple, +qui parait une affection bien locale, est l'indice d'une perturbation +plus profonde qu'on ne le croit du systeme nerveux central. + +Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est toute une doctrine qui +est contenue dans cette affirmation; c'est que en effet c'est le systeme +nerveux central qui a notre avis est le grand reservoir de l'energie. +C'est par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous +sommes. C'est lui qui dirige le fonctionnement de tous les organes, +de sorte que quand il est perturbe, il n'engendre pas seulement, la +nevrose, la neurasthenie, l'hysterie, l'irritation spinale, la folie, la +nevropathie generalisee, etc., mais encore les troubles de circulation +vaso-motrice des differents organes. En derniere analyse, il est la +clef de voute de la pathologie. Ses perturbations se traduisent par +les symptomes les plus varies, au point d'egarer presque fatalement le +diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. Quelles que soient donc +la forme, la gravite, l'apparence de la manifestation morbide, c'est +toujours le systeme nerveux central qu'il faudra etudier, c'est sur lui +que devra porter le grand effort therapeutique. + +Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du malade et surtout la +cause ou la serie de causes qui ont fait flechir momentanement son +systeme nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminue sa valeur +biologique. + +Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont multiples. Il en est qui +appartiennent a tous les ages, mais d'autres qui appartiennent plus +specialement a un age determine. + +Pour mettre un peu d'ordre dans cette etude, c'est d'apres ce plan que +nous passerons en revue les principales de ces causes morbigenes. Nous +les etudierons donc suivant l'age de l'etre humain: 1 deg. depuis le jour +de la naissance jusqu'au sevrage; 2 deg. du sevrage a la puberte; 3 deg. de la +puberte a l'age adulte; 4 deg. pendant l'age adulte; 5 deg. aux differentes +phases du declin; 6 deg. pendant la vieillesse. + +Nous introduirons, en outre, des subdivisions, suivant que les +influences pathogenes atteignent plus specialement: 1 deg. le systeme +nerveux digestif; 2 deg. le systeme nerveux musculaire; 3 deg. le systeme +nerveux central. Enfin, pour chaque age de la vie, nous mentionnerons +les affections accidentelles qui portent atteinte a la fois a tous +les systemes organiques: nous voulons parler des "maladies" aigues +(rougeole, scarlatine, fievre typhoide, etc.), des intoxications +(syphilis, intoxications alimentaires, etc.), toutes affections qui, par +la brutalite de leurs assauts, ont surtout attire l'attention des +gens du monde et de beaucoup de medecins, mais qui, en realite, ne +constituent que la partie la moins importante de la pathologie, surtout +au point de vue therapeutique. La suite de ce travail demontrera, +j'espere, que cette formule n'est paradoxale qu'en apparence[4]. + +[Note 4: Certes, quelques-unes de ces influences morbigenes sont +inevitables et la prudence la plus vigilante n'en preserve pas l'etre +vivant. Mais beaucoup seraient evitables: ce sont celles qui constituent +le domaine de l'hygiene, de sorte que notre travail, en meme temps qu'il +dessinera a grands traits toute la pathologie, effleurera forcement +les problemes afferents a l'hygiene et a la therapeutique, en d'autres +termes, a la gestion du capital. + +L'hygiene publique est la gestion de la fortune de la communaute, +l'hygiene privee est la gestion de la fortune de chacun, constituee +essentiellement par le capital initial, et par les interets qu'il +rapporte.] + + + +CHAPITRE VI + +DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE (PUERICULTURE) + + + +Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou faible et qu'il sera +bien ou mal gere, l'etre vivant sera sain ou malade, donnera ou ne +donnera pas son maximum de rendement, fournira ou ne fournira pas la +carriere qui lui etait originairement devolue. + +Dans les premieres annees de la vie, la gestion du capital appartient +tout entiere aux parents. Bien peu savent elever leurs enfants; et s'il +est des connaissances qu'on devrait repandre a profusion dans tous les +milieux sociaux, ce sont celles relatives a la "puericulture", d'autant +que les regles en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le demontre +le _Traite de Puericulture_ du professeur Pinard, qui devrait etre entre +les mains de toutes les meres de famille. + +Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science de la puericulture. + +Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter a tout propos et +hors de propos, l'alimenter intelligemment, lui epargner toute +medicamentation meurtriere, le preserver du froid et des changements +brusques de temperature: et c'est tout. + +Si seulement on savait la maniere d'economiser les vies d'enfants, on +pourrait le faire dans les milieux en apparence les plus defectueux; +c'est ainsi qu'au Creusot, grace aux incessants efforts de MM. +Schneider, la mortalite des enfants au-dessous d'un an n'est que de 110 +p. 1000, alors que, dans le canton de Vaud, renomme pour l'excellence +de ses conditions hygieniques, elle atteint 155 p. 1000. Ce magnifique +resultat est du surtout a l'elevation des salaires, qui permet aux meres +de se consacrer librement a leur mission maternelle. Pres de 80 p. 100 +des meres allaitent leurs enfants, toutes font de la puericulture avant +la naissance. (_Rapport_ de M. le professeur Pinard, a l'Academie de +medecine, 25 juillet 1905.) + +Il est bien evident que le capital initial ne suffit pour entretenir la +vie que pendant quelques jours; il a besoin d'etre sans cesse renouvele +et augmente, pour permettre de faire des reserves, de donner a +l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de transmettre la vie a +son tour. C'est l'aliment qui pourvoit a ce besoin incessant; et par +aliment nous entendons non seulement ce qui entre dans le tube digestif, +mais aussi l'air, que les anciens definissaient tres justement le +_pabulum vitae_. + +Quand l'aliment peche par sa qualite, par sa quantite, par une +repartition vicieuse, la "maladie" ne tarde pas a naitre; c'est la la +cause essentielle de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait +croire, en verite, dans quelle mesure une mauvaise alimentation du +premier age retentit sur toute la vie pathologique de l'individu. +Quelques medecins le disent, le crient meme, mais c'est dans le desert; +la plupart le nient, ou passent indifferents a cote de cette verite +profonde. Quant aux gens du monde, ils en soupconnent a peine +l'importance. + +La verite est que, quand un enfant a ete mal nourri loin de sa famille, +quand il revient de nourrice avec un gros ventre, on peut affirmer que, +toute sa vie, il sera un valetudinaire. + +Quand, pour obeir aux injonctions d'un cenacle de gens incompetents, +ou quand, poussee par son medecin, qui veut mettre a l'abri sa +responsabilite, une mere consent a abandonner les doux devoirs de +la maternite et a confier a une nourrice l'enfant qu'elle aurait du +allaiter, quand a cette nourrice en succedent deux ou trois autres, +sous des pretextes quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de +l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un etre insupportable, puis +un ecolier de quatrieme ordre, dans son adolescence un rate, +incapable de payer sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. Ces +considerations doivent etre presentes a l'esprit du clinicien qui, se +trouvant en face d'un malade quelconque, arrive a un age quelconque, +doit chercher a connaitre ce que vaut ce malade. + +On comprend donc l'importance du probleme de l'alimentation dans la +premiere enfance. En principe, comme l'a bien dit M. Pinard, "le lait de +la mere appartient a l'enfant"; et "si l'on veut faire quelque chose +qui soit puissamment efficace et fructueux, il est necessaire, il est +indispensable de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, et +ce qu'ont realise MM. Schneider au Creusot, il faut permettre a la +mere de donner ce qu'elle possede." (_Rapport_ du professeur Pinard a +l'Academie, juillet 1905.) + +Mais si la mere ne peut absolument pas nourrir, il faut recourir +immediatement a l'alimentation artificielle, soit avec le lait sterilise +du commerce,--dont l'innocuite est quotidiennement demontree par les +resultats obtenus, a la Goutte de lait de Belleville, au dispensaire +tres habilement dirige par M. le Dr Variot,--soit encore avec le lait de +vache bien surveille, fraichement et proprement trait, sucre, plus ou +moins etendu d'eau, puis sterilise dans la famille, avec des appareils +Sosclet, ou mieux encore avec l'appareil "la Tutelaire". + +C'est ce dernier appareil qui est utilise a cette "Goutte de lait" +de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait servir de modele a toutes +les institutions du meme genre, a cause de la simplicite de son +organisation. + +Fondee, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, maire de +Saint-Pol-sur-Mer, a l'aide d'un subside de trente mille francs mis a +sa disposition par un autre philanthrope, cette "Goutte de lait" a deja +rendu d'importants services: elle a fait tomber la "maladie" des enfants +de 0 a 1 an de 288 p. 1000 (c'etait le chiffre de mortalite infantile le +plus eleve de toute la France) a 51 p. 1000. + +La consultation des nourrissons a lieu tous les dimanches matin, dans +un local mis a la disposition de l'Oeuvre par la municipalite de +Saint-Pol-sur-Mer: 120 enfants, en moyenne, sont presentes tous les +dimanches. + +Les meres arrivent par series, et se reunissent dans une grande +salle chauffee ou elles deshabillent leurs enfants. Elles penetrent +successivement dans la salle de consultation. Chaque enfant est pese, +puis examine par le medecin, qui compare le poids actuel a celui du +dimanche precedent, l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, +et fixe le regime pour la semaine qui va commencer. Toute mere recoit, +soit un important secours _en nature,_ si l'enfant est nourri au +sein,--car on fait tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement +maternel,--soit des biberons de lait _pasteurise_, si l'enfant est a +l'allaitement mixte ou artificiel. + +Le lait est distribue tous les jours au local de l'Oeuvre. Chaque enfant +a l'allaitement artificiel a un double jeu de biberons et de paniers, +qui lui sont personnels. En venant chercher les biberons prescrits, la +mere remet ceux que l'enfant a vides la veille. Un seul homme suffit +pour assurer tout le service. + +Le lait est distribue gratuitement a tous les enfants indigents. Fourni +a l'Oeuvre a son prix coutant, il provient des etables du Sanatorium de +Saint-Pol-sur-Mer, ou aucune vache n'entre sans avoir ete prealablement +soumise a l'epreuve de la tuberculine. + +Aussitot recu, il est pasteurise suivant le procede Coutant: +c'est-a-dire que, dans le biberon meme ou la mere devra l'utiliser pour +son enfant, le lait est porte a 75 deg., puis les flacons sont brusquement +refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement brusque a ete +rendu possible par la contexture meme du verre des flacons. + +Le lait ainsi traite a perdu tous ses microbes pathogenes, et, a +l'inverse du lait sterilise a 110 deg., a conserve toutes ses proprietes +digestives et nutritives. + +Apres la pasteurisation, les biberons restent plonges dans des bacs +remplis d'eau froide, jusqu'a la livraison aux meres. + +La pathologie infantile est relativement simple. Faut-il donc, comme on +le propose de divers cotes, faire faire a tous les etudiants en medecine +un stage dans les hopitaux d'enfants, pour les initier aux mysteres de +cette pathologie? Remarquez que d'autres medecins demandent un stage +special pour l'etude des "maladies" veneriennes et cutanees; d'autres +encore un stage pour l'etude des "maladies" nerveuses, sans parler de +ceux qui voudraient un stage pour les "maladie" des yeux, des organes +genito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, pour celles des oreilles +et du nez? et, a ce compte, combien de temps dureraient les etudes +medicales? Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils etaient +praticables; mais ils auraient pour effet de restreindre plus que de +raison le nombre des futurs medecins, et de remplacer la plethore +medicale actuelle par une anemie encore plus regrettable. + +Non, ce qu'il faut apprendre a l'etudiant, c'est qu'il lui reste +beaucoup _a apprendre_, c'est que toute sa vie de praticien ne sera pas +trop longue pour savoir lire dans le grand livre de la nature. Mais il +nous semble que, pour ce qui concerne en particulier la pathologie des +enfants, un peu de bon sens, beaucoup de prudence, pas de medicaments, +de la patience, suffisent pour faire de bonne therapeutique infantile, +quand, par ailleurs, on connait les lois generales de la pathologie. + +Sans etre specialiste pour les "maladies" d'enfants, je me rappelle +avoir ete appele en consultation, en province, pour un enfant de six +mois soigne par deux distingues confreres. Il avait, depuis cinq jours, +une enterite aigue avec fievre, amaigrissement rapide. Pendant les +trois quarts d'heure que dura mon enquete, je vis cet enfant passer +successivement des bras de sa mere dans ceux de la nourrice _seche_, +puis dans ceux d'une tante affolee, le tout pour calmer les faibles cris +qu'il avait encore la force de pousser. J'appris que ce manege durait +depuis deux jours, que l'enfant avait pris du calomel, trois fois de +grands lavages intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, a +grand'peine, avec du lait sterilise! Je proposai simplement de mettre +cet enfant dans son berceau et de l'y laisser, de lui appliquer sur le +ventre un large cataplasme, de le laisser a la diete absolue pendant +quatre heures puis de lui donner de l'eau panee, et de le laisser dormir +si le sommeil pouvait venir. Le lendemain, la fievre avait cesse, +l'enfant avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait +naturel, ecreme et coupe avec parties egales d'eau de riz; je conseillai +de ne pas trop deranger l'enfant, de ne plus explorer son ventre. Le +surlendemain, il prenait du lait ecreme pur, et j'appris qu'il avait +retrouve sa gaite. Un sommeil prolonge mit fin a la grave alerte, et +aussi a la "maladie", qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime +de soins trop empresses. + +Dans d'autres cas d'enterite choleriforme, le grand secret de la +therapeutique consiste a savoir rechauffer les enfants, tout en les +tenant a la diete absolue pendant six ou douze heures, puis au regime +"avec restriction des liquides" pendant deux ou trois jours. + +Avouons cependant que, parfois, les problemes de pathologie infantile +sont tres difficiles a resoudre. J'ai parle plus haut de cet enfant qui +ne supportait aucun lait de femme, pris en n'importe quelle quantite. +D'autres fois, les enfants s'empoisonnent avec le lait meme de leur +mere. C'est, tout simplement, parce qu'ils en prennent trop a la fois; +mais il faut quelquefois chercher longtemps pour trouver cette cause si +simple. On ne se figure pas le nombre d'enfants qui ont des indigestions +chroniques, parce qu'ils ne sont pas rationnes, surtout quand ils sont +nourris par de plantureuses mercenaires qu'on ne sait comment tonifier, +dans la pensee de donner plus de forces au precieux rejeton. + +Dans certains cas, meme, le diagnostic des "maladies" des enfants est +tellement difficile que les specialistes se declarent incompetents. Que +d'erreurs de diagnostic commises a propos des meningites! Et comment +aussi interpreter le cas suivant? Sans cause connue, un enfant d'un +an, bien eleve au sein maternel, eprouve un malaise insolite, devient +grognon, refuse de prendre le sein, a de la fievre. Les jours suivants, +la fievre augmente, une paleur inquietante s'etend sur la face, un +amaigrissement rapide preoccupe a juste titre tout l'entourage; puis, au +bout de quelques jours, sans qu'on ait rien fait que de laisser l'enfant +bien tranquille, l'appetit revient peu a peu, la fievre diminue, et tout +rentre dans l'ordre. Divers confreres appeles en consultation n'ont pas +pu etiqueter cette "maladie", ni se prononcer sur son issue; mais, +tous ayant eu le bon esprit de ne pas aggraver la situation par une +medication intempestive, tout s'est termine pour le mieux, et l'enfant a +garde son secret. + +La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de diagnostic n'est +pas aux medecins, mais aux difficultes des problemes cliniques. En les +denoncant, nous ne voulons nullement denoncer la faillite de la science: +bien au contraire, ce que nous voulons dire, c'est qu'en therapeutique +infantile il faut avant tout de la sagacite, et que, dans certains cas, +il faut que le medecin sache reconnaitre son incompetence. + +Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une revanche eclatante, +et c'est alors que le medecin est en droit de se feliciter d'avoir fait +de bonnes etudes de pathologie generale. + +Voyez, par exemple, cet enfant ne a terme, et qui vient bien pendant les +six premieres semaines; puis voici que, tout en continuant a prendre +ardemment le sein, sans avoir ni diarrhee, ni vomissements, son poids +cesse d'augmenter; il diminue de 200, de 300 grammes en quelques jours. +Qu'est-ce a dire? Mais c'est que l'enfant est un heredo-syphilitique. Le +traitement mercuriel, sous forme de liqueur de Van Swieten, de frictions +mercurielles, ou mieux encore d'injections de sublime a la dose de 3 a +5 milligrammes par jour, fait merveille et retablit entierement cet +enfant. + +Nous avons dit plus haut combien souvent la meningite, qu'on croit +tuberculeuse, et qui survient de deux a cinq ans, est d'origine +syphilitique. Deja en 1872, quand nous faisions nos etudes a +Montpellier, le regrette professeur Fonsagrives nous disait qu'il avait +sauve beaucoup d'enfants, atteints de meningite tuberculeuse, en leur +donnant de l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il s'agissait de +meningites syphilitiques. Mais pour formuler un diagnostic de meningite +syphilitique, pour depister l'heredo-syphilis, soit par l'examen de +l'enfant, soit par une enquete sur les parents, ne faut-il pas que le +medecin ait beaucoup travaille, beaucoup vu et beaucoup retenu? Son role +n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit se contenter de +faire de l'expectation armee, il peut, dans beaucoup de cas, rendre aux +enfants malades des services inappreciables. + +Que dire d'un bain chaud donne, en temps utile, a un enfant atteint de +pneumonie; de l'immersion alternative dans l'eau chaude et dans l'eau +froide d'un enfant nouveau-ne atteint de congestion pulmonaire, sinon +que, dans certaines circonstances, le medecin opere ainsi de veritables +resurrections? + +Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le role social du medecin, +bien au contraire, ni introduire dans l'esprit des jeunes confreres un +scepticisme infecond: ce que nous voulons, c'est leur dire qu'il ne faut +pas se specialiser dans l'etude de la pathologie infantile, et que, pour +bien soigner un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout qu'il faut +souvent savoir s'abstenir. + +En resume, la pathologie de l'enfance, tout en etant compliquee, comme +tout ce qui touche au probleme de la vie, nous semble etre relativement +simple, l'enfant n'etant, pour ainsi dire, "qu'un tube digestif perce +aux deux bouts". + +Plus nous allons voir l'etre humain avancer dans sa carriere, plus vont +devenir nombreux et compliques les problemes de la vie. Le systeme +nerveux ne va pas tarder a entrer en scene, les mille et une conditions +defavorables qu'impose a l'homme le milieu cosmique vont imprimer a son +capital biologique des depenses qu'on ne peut certainement pas evaluer +mathematiquement, mais qui se traduiront par une diminution de sa +valeur. La vie ne va etre de plus en plus qu'une serie d'oscillations, +de luttes entre la tendance a "perseverer dans l'etre" et les causes de +destruction de l'etre vivant; bref, un etat d'equilibre instable, la +sante n'etant qu'un bel accident passager. + + + +CHAPITRE VII + +DU SEVRAGE A LA PUBERTE + + + +Il est logique d'introduire une subdivision dans ce chapitre, et +d'etudier d'abord l'enfant de deux a sept ans, d'autant que, a cette +periode de la vie, il n'y a pas a tenir compte de la difference des +sexes. + +I + +Pendant cette periode, la nutrition a son activite maximum, l'enfant +ameliore son capital, accumule les reserves; mais il faut bien savoir +qu'il a aussi des depenses colossales. Combien d'influx nerveux doit +etre depense pour faire connaissance avec le monde exterieur, pour +apprendre le sens des mots, la notion des distances, etc.! On est +effraye en pensant au travail cerebral que supposent ces acquisitions. + +De la ce grand principe, qu'il faut eviter a l'enfant toute fuite +nerveuse inutile. Il faut presque se borner a le faire "boire, manger, +dormir; manger, dormir et boire". Il faut avant tout, que l'enfant de +cet age dorme beaucoup. En aucun cas, on ne devrait le reveiller. Pour +demontrer combien peu d'enfants ont leur dose _optima_ de sommeil, +prenez au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier jour, +dormir a volonte; il s'octroiera douze heures de sommeil. Le lendemain, +il se reveillera apres onze heures, le surlendemain et les jours +suivants apres dix heures. C'est donc que, au moment precis ou +l'experience a commence, il avait un arriere de besoin de sommeil. + +Quant au probleme de l'alimentation, il est relativement simple, et +l'experience des meres de famille repond a la plupart des indications. +L'enfant doit manger quatre fois par jour; mais, en general, il mange +trop vite. Les parents devraient, pour leur usage personnel et pour le +bien de leurs enfants, se rappeler qu'il existe des glandes salivaires +secretant, chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par jour, et +que, si une bonne digestion commence dans la cuisine, elle se continue +dans la bouche. + +En realite, cet age de la vie est celui ou il y a le moins d'influences +nocives; et un peu de surveillance suffit pour que l'enfant se porte +bien. + +Les "maladies" accidentelles elles-memes evoluent, en general, d'une +facon benigne, quand elles ne sont pas troublees par une therapeutique +incendiaire. De la la faible mortalite afferente a l'age que nous +etudions, denoncee par les tables qui servent de base aux calculs des +Compagnies d'assurances sur la vie. + +Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, scarlatine, +rougeole, angine, il se retablit avec une rapidite contrastant avec la +lenteur de la convalescence chez l'adulte, et encore bien plus chez le +vieillard. Voyez, par exemple, une angine herpetique! Elle occasionne +chez l'enfant de tumultueux symptomes: de la fievre, du delire; mais, +au bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, quatre jours +apres, l'enfant parait aussi bien portant qu'avant. Chez l'adulte, au +contraire, le meme nombre de points d'herpes sur la gorge provoque un +etat maladif moins tumultueux, mais qui se termine par une convalescence +de quinze jours a un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou +tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement necessaires a l'enfant +convalescent, doue de plus d'elasticite. + +A partir de sept ans s'esquisse, chez certains enfants, une +differenciation qui ira s'accusant d'annee en annee. Un oeil attentif +va percevoir si l'enfant appartient au type _musculaire_ ou au type +_cerebral_. Le _musculaire_ est cet enfant actif, aimant a jouer, +turbulent, ne parvenant pas a fixer son intention pour un quart d'heure +de suite, n'ayant, par consequent, aucun gout pour l'etude telle qu'elle +lui est imposee. Le _cerebral_ est l'enfant reflechi, n'aimant pas les +jeux bruyants, et dont l'esprit est en avance notable sur celui des +enfants de son age. A chacun de ces deux enfants conviendrait une +education differente; malheureusement, les necessites sociales les +soumettent, l'un et l'autre, a la meme discipline pedagogique,--bien +comprise, il faut l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour +ces enfants moyens, le systeme pedagogique actuellement en vigueur +s'approche autant que possible de la perfection, il faut bien dire qu'il +convient moins aux types extremes que nous venons de mentionner. Le +petit _musculaire_, condamne a de longues heures d'etude, s'agite, +s'inquiete, devient de plus en plus dissipe, et ne tarde pas a entrer +dans la categorie des enfants dits "paresseux". Sa sante physique peut +ne pas souffrir outre mesure du regime compressif auquel il est soumis; +il grandit, se porte bien en apparence; mais son cerveau est, pour ainsi +dire, fausse, et ne donnera qu'un rendement inferieur. Chez le petit +_cerebral_, au contraire, l'education moyenne peut amener des troubles +de la sante physique: les recreations bruyantes et agitees, imposees +apres les repas, les longues promenades hebdomadaires, l'insuffisance +du sommeil, une alimentation mal adaptee a son tube digestif, tres +vulnerable le plus souvent, le fatiguent a la longue; et, d'un enfant +qui aurait pu donner les plus belles esperances, la pedagogie officielle +fait un etre malingre, nerveux, a terreurs nocturnes, en un mot un +malade. + +Faut-il donc preconiser l'education individuelle? Oui, dans les cas +extremes et dans des circonstances exceptionnelles. + +Une autre classe d'enfants chez lesquels l'education collective et le +surmenage cerebral impose par nos programmes amenent les plus facheuses +consequences, pour le present et pour l'avenir, c'est celle des enfants +que l'heredite n'a pas prepares au travail cerebral. Tels ces fils +de cultivateurs qui ont une longue heredite terrienne, et que leur +intelligence hative semble designer comme particulierement aptes aux +etudes superieures. Ce sont, quelquefois, de tres brillants eleves; ils +arrivent aux ecoles superieures: mais ils y arrivent malades, et seront +malades toute leur vie. + +De l'age de sept ans a celui de la puberte, les "maladies" accidentelles +sont presque inevitables, a cause de la promiscuite des enfants dans les +ecoles; mais elles sont, en general, de peu de gravite. Ce ne sont pas +elles qui diminuent sensiblement le capital biologique individuel. Les +fautes commises contre l'hygiene alimentaire sont d'une bien plus grande +importance. + +Combien on voit, notamment, de "maladies" aigues qui ressemblent plus +ou moins a la fievre typhoide, et qui sont dues a des indigestions! En +general, l'hygiene alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillee. +Les enfants mangent trop vite, comme nous l'avons dit plus haut; et, +tres souvent, ils mangent trop, precisement parce qu'ils mangent trop +vite, la sensation de faim n'etant pas calmee par l'introduction +brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire mal elaboree. D'autre +part, de trop nombreux parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on mange +qui profite, mais ce qu'on assimile, se figurent qu'il faut que l'enfant +mange beaucoup pour se donner des forces; et ce prejuge amene chez +l'enfant des intoxications chroniques qui retentissent sur son systeme +nerveux, sur sa croissance, jusqu'au moment ou l'estomac surmene +commence a protester. A partir de ce moment, le cercle vicieux est +etabli, et, si un regime alimentaire bien compris n'est pas institue, +l'enfant devient un malade, et restera malade indefiniment. C'est ce que +M. le Dr Laumonier a tres bien expose dans un article du _Correspondant +medical_ de 1905: + +Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils mangent +beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil ne soit pas +toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant on ne peut, a premiere +vue, les accuser d'aucun trouble evident. Cependant, certains soirs +principalement, ils se montrent tantot plus enerves que d'habitude, +tantot plus abattus au contraire, et si, a ce moment, on prend leur +temperature rectale, on constate 38 deg. C, 38 deg.5, parfois meme 39 deg. et au +dela. Cet acces febrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y +parait plus. On ne lui attribue generalement aucune importance, et les +parents se gardent bien, pour si peu de chose, de faire appeler le +medecin; ils ont tort, car cette fievre digestive est le symptome +de troubles fonctionnels d'assez grande importance, et qu'il est en +consequence necessaire de soigner des le debut. + +Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de belle +apparence: peu a peu leur appetit, qui faisait l'admiration de leurs +parents, flechit; et aussitot l'embonpoint et les belles couleurs +disparaissent. Ils finissent ainsi par se transformer en enfants +chetifs, maigres, pales, ayant mauvaise haleine, presentant des +alternatives de constipation et de diarrhee, souffrant parfois de +douleurs stomacales vives; en un mot ce sont maintenant de veritables +dyspeptiques. + +Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel extreme, pour +ainsi dire, de troubles longtemps existants et dont les acces legers de +fievre digestive ont ete l'un des premiers et des plus caracteristiques +symptomes. Il suffit, pour s'en convaincre, de suivre avec quelque +attention l'evolution progressive des phenomenes. + +Tres souvent, les enfants qui manifestent ces acces febriles ont ete, +pendant leur premiere enfance, mal nourris, sinon comme qualite du lait, +au moins comme quantite; en d'autres termes, leur ration a ete trop +copieuse. Puis, apres le sevrage, ils ont ete mis rapidement a la +nourriture commune de la famille; ils ont mange de tout, et trop; +parfois aussi on leur a laisse prendre l'habitude de boire du vin, du +cafe. Peu a peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques. + +C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,--pas plus que l'homme, +du reste--ne mange qu'a sa faim; toujours, ou presque toujours, a ce +point de vue, la limite est depassee. La quantite d'aliments ingeres +est beaucoup plus une affaire d'habitude que de besoin reel, comme le +prouvent manifestement les resultats du traitement impose a ces petits +malades. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, depassent +ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel les +aliments, etant insuffisamment elabores par les secretions digestives, +stagnent et donnent lieu a des fermentations anormales. D'ou, d'une +part, l'insuffisance et l'epuisement des glandes gastriques, la +dilatation et l'atonie stomacales, et, d'autre part, la production des +substances toxiques qui, resorbees, entrainent l'auto-intoxication et +l'elevation thermique qui en est la consequence. Notons d'ailleurs,--et +c'est la un point essentiel,--que la fievre digestive peut se produire +et se produit ordinairement avant que l'epuisement glandulaire et +l'atonie ou l'ectasie gastriques soient completement realises; +elle coexiste plutot a la phase de polyphagie et constitue un signe +prodromique, avertissant que la limite digestive est depassee, que +l'estomac commence a se fatiguer, que l'auto-intoxication d'origine +digestive est deja manifeste. + +Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers de cet +etat, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros foie... etc., +ils sont bien connus et faciles a mettre en evidence; d'autres signes, +plus incertains, dyspnee, terreurs nocturnes, manifestations cutanees, +peuvent exister aussi, qui completent la signification des premiers. +Passons donc et arrivons au traitement. + +La premiere indication est de reduire la ration alimentaire a ce qui est +strictement necessaire a l'enfant, suivant l'age, le sexe, le poids, +la taille, et de composer cette ration d'aliments faciles a digerer, +fournissant le minimum de fermentation, tels que lait, oeufs, pain +grille, viande crue, puree de legumes. Sans en arriver au regime sec, +qui a beaucoup d'inconvenients, on reduira cependant le plus possible la +quantite de la boisson, constituee par de l'eau pure de bonne qualite ou +des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures hygieniques generales, +on assurera la liberte du ventre par des habitudes regulieres ou a +l'aide de quelques lavements tiedes, mais sans en abuser. + + +DE LA PUBERTE A L'AGE ADULTE + + +I.--CHEZ LA FILLE + +Chez la petite fille, l'apparition des regles constitue un moment +solennel dans l'existence. La plupart des meres de famille le savent, +s'en inquietent, mais ne connaissent pas les precautions a prendre. Ces +precautions consistent a supprimer plus que jamais les fuites nerveuses. +Ainsi, il convient alors de diminuer le travail cerebral, le travail +musculaire, d'eviter a l'enfant les emotions, de la mettre a l'abri de +toutes les influences qui, par action reflexe, retentissent sur son +systeme nerveux (indigestions, coups de froid). + +Pendant les premieres periodes menstruelles, le repos presque absolu au +lit s'imposerait, si les regles etaient douloureuses ou trop abondantes; +et un repos relatif s'impose meme quand elles sont correctes. Ce qu'il +faut bien savoir, c'est que l'anemie qui accompagne, en general, cette +periode de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, ni de +la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, ce sont les +precautions citees plus haut, et, par intervalles, quelques injections +de cacodylate de soude, ou mieux, de cacodylate de magnesie. C'est la un +des rares medicaments capables de rendre des services, a la condition +formelle qu'il ne soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin. + +Une fois la menstruation etablie, il ne faut pas s'inquieter outre +mesure si, pendant les premieres annees, les regles ne viennent pas a +epoques fixes, et il faut se declarer satisfait si elles ne sont ni +douloureuses, ni trop abondantes. + +Plus tard, vers l'age de dix-huit ans, il est frequent de voir la sante +des jeunes filles subir un assaut considerable, qui se traduit par de +la chloro-anemie, avec etat nerveux, suppression des regles, troubles +dyspeptiques, constipation, etc. + +Les causes en sont multiples. Chez la jeune ouvriere, c'est, le plus +souvent, le surmenage physique, la vie anti-hygienique des ateliers, +l'accumulation des privations. Dans d'autre milieux, c'est le fait du +surmenage intellectuel pour l'obtention des brevets. Mais, plus souvent +encore, ce sont les causes morales qui portent atteinte au systeme +nerveux. C'est une vocation contrariee, une suite continue de petits +malentendus avec la famille, avec la mere en particulier. La mere, ne +se decidant pas a s'apercevoir que sa fille grandit, continue a vouloir +exercer sur elle une autorite despotique, contre laquelle l'enfant se +cabre en vain pendant de long mois, et dont elle souffre de jour en jour +davantage. + +Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariee, un mariage +desire qui se trouve rendu impossible par la volonte intransigeante des +parents, ou par des circonstances independantes de toute volonte ou meme +c'est un vague et obscur besoin du mariage: pour suivre, en somme, les +lois de la nature, et donner satisfaction a cette sorte d'instinct de la +maternite qui se rencontre chez la femme depuis son plus jeune age, et +se traduit, dans la premiere enfance, par le besoin de la poupee. + +Quelle que soit la cause, le mal se prepare sourdement; puis, un jour, +la "maladie" eclate, souvent a la suite d'une affection aigue qui +contribue a faire tomber brusquement la force de resistance du systeme +nerveux. + +Si varies que soient les symptomes par lesquels le mal se traduit, la +therapeutique doit etre la meme. Elle consiste a ne pas aggraver la +"maladie" par une medicamentation intempestive; ce ne sont ni les +pilules de fer, ni le drap mouille, ni la douche froide qui +pourront faire du bien a une jeune fille ainsi atteinte, ni meme la +suralimentation, malgre l'anemie evidente. Non: ce qu'il faut, c'est +chercher la cause de la "maladie", et la supprimer ou l'amoindrir autant +que possible. + +Quand c'est le surmenage physique, le repos absolu s'impose, et la jeune +malade arrive tres vite a la guerison. Quand le surmenage physique n'est +pas la seule cause a invoquer, rien n'est plus difficile que de doser le +repos et l'exercice. Le plus souvent, le repos relatif est de rigueur. +Dans d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en particulier, un +exercice modere, et meme pousse assez loin, peut produire d'excellents +effets. Le medecin, appele a se prononcer sur l'opportunite de ce moyen +therapeutique, basera son jugement sur les resultats de l'enquete qu'il +fera au sujet du passe de la malade, et il aura le droit de proceder par +tatonnements. J'ajouterai que, dans les cas graves ou le repos absolu +s'impose d'abord, rien n'est plus difficile que de doser l'exercice +des que la malade est capable de le supporter, mais le principe est de +rester en deca de ce que la malade peut donner. + +Quand la "maladie" de la jeune fille est due au milieu familial, le +remede essentiel est de le lui faire quitter. Malheureusement, on attend +souvent trop longtemps pour prendre ce parti radical; on attend que la +vie soit devenue impossible, que la jeune fille ait perdu le sommeil, +les forces, l'appetit, et soit dans un etat d'excitation inquietant. On +l'isole alors dans une maison de sante ou d'hydrotherapie, ou on lui +impose le plus souvent, a notre avis, une sequestration trop radicale. +Car la priver de toute visite, de toute correspondance, la soumettre a +une discipline d'une severite exageree, nous semble vraiment excessif. +L'enfant se revolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un benefice +relativement restreint. Elle prend sur elle pour simuler la guerison, et +pour echapper a la tutelle des medecins; elle sort avec les apparences +de la sante; mais elle n'est pas guerie, et, comme elle retombe dans le +milieu familial hostile, la "maladie" ne tarde pas a renaitre de ses +cendres, jusqu'au jour ou une circonstance quelconque amene enfin un +changement de vie radical, qui la guerit. + +Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, d'eloigner l'enfant, de +temps a autre, du milieu familial, des qu'on s'apercoit que c'est lui +qui est l'ennemi, en la confiant soit a une parente intelligente, soit +meme a une garde bien choisie, jusqu'au moment ou on trouvera a la +marier, chose qu'il ne faudra faire qu'apres mure reflexion, mais qui, +dans bien des cas, est le remede par excellence? Pendant les absences de +la jeune fille, l'etat nerveux du milieu familial lui-meme se calme, ce +qui rend la vie commune acceptable par intermittences. Loin de nous, +cependant, l'idee de porter atteinte a l'esprit de famille en proposant +pareille mesure; nous ne la considerons que comme exceptionnelle et +comme un pis-aller, preferable souvent a la maison de sante, et, en +definitive, moins onereuse. + +Chez les gens peu fortunes, on n'a pas la ressource de la separation, +meme momentanee. Heureusement, chez eux, les contacts entre parents et +enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a toujours une certaine +independance; elle n'est pas soumise a une tyrannie de tous les +instants. En outre, son systeme nerveux est moins vulnerable, de sorte +que l'influence nefaste du milieu familial est rarement une cause de +"maladie". Nous connaissons cependant de jeunes ouvrieres dont la +sante a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel elles etaient +condamnees a vivre: pere alcoolique, qui les battait au retour de +l'atelier, mere ou belle-mere acariatre, frere debauche, etc. La pauvre +victime resiste tant qu'elle peut, jusqu'au jour ou elle quitte avec +eclat la maison paternelle, a moins que, victime resignee, elle ne voie +peu a peu s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi une proie +toute designee pour la tuberculose, qui met fin a ses miseres; souvent +aussi sa decheance se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile +d'alienes lui ouvre ses portes. + +D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation contrariee qui met +la jeune fille en etat de "maladie". Il n'y a pas a se le dissimuler, +quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la legitimite des +vocations religieuses, lorsqu'une vocation est sincere, toutes les +entraves qu'on lui apportera ne serviront de rien. La jeune fille +souffrira, deviendra de plus en plus malade, et force sera un jour de +ceder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames intimes et ignores, qui +torturent meme les familles chretiennes; et le resultat final a toujours +ete le meme: la jeune fille a retrouve la sante des qu'elle a eu gain de +cause. + +Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait respectueusement, +depuis trois ans, contre sa famille, pour obtenir l'autorisation +d'entrer au Carmel. Elle en etait arrivee a un degre avance de +"maladie", restant des huit et quinze jours sans garde-robe, malgre +l'hygiene intestinale la plus soignee, ne pouvant plus lire ni supporter +une conversation; elle maigrissait a vue d'oeil, et ne pouvait plus +quitter son lit, tant les forces physiques etaient diminuees. Gravement +preoccupe de l'issue de cette "maladie", dont je connaissais la cause, +je crus remplir mon role de medecin en m'instituant l'avocat de la +malade. Or, des qu'elle eut obtenu l'autorisation sollicitee depuis si +longtemps,--et que, par parenthese, elle avait cesse de demander depuis +un an, pour ne pas torturer sa famille,--nous vimes la sante revenir +avec une rapidite prodigieuse. Tous les organes inhibes se remirent a +fonctionner, et, un mois apres, la jeune fille entrait au Carmel. Quelle +ne fut pas notre stupefaction d'apprendre que, le troisieme jour, elle +lavait les escaliers a grande eau, pleine d'energie et de bonne humeur! + +Quelque respectueux que l'on doive etre de l'autorite des parents, +il faut que cette autorite sache s'effacer devant la volonte ferme, +reflechie, bien arretee d'une jeune fille; la justice le demande, et +ajoutons que l'interet l'exige. + +Les memes considerations s'appliquent au cas ou une jeune fille veut, +envers et contre tous, epouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf +fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de ses parents, qui ont +l'experience de la vie. Mais l'experience est semblable a un habit fait +sur mesure, et qui ne va bien qu'a celui pour lequel il est fait. Aussi, +lorsque, malgre les sages raisonnements, la jeune fille s'obstine et +s'entete, estimons-nous qu'il faut lui ceder apres un delai raisonnable. +On doit hair la persecution, de quelque part qu'elle vienne. + +Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la jeune fille est victime +de son temperament, qui ne trouve pas dans les joies de la famille une +satisfaction suffisante: elle eprouve le _besoin_ de se marier. C'est +alors aux parents a l'aider dans son choix, car cet etat d'ame peut +amener la "maladie". + +Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, avant de se marier, +subir un traitement medical; car elle n'a pas le droit de se marier en +etat de "maladie". Le mariage, le plus souvent, ne la guerirait pas. Or +il faut bien savoir que, au debut de la vie conjugale surtout, elle +n'a pas le droit d'etre malade. C'est donc une raison de plus pour la +soigner avant le mariage. En general, d'ailleurs, cette cure est des +plus simples: la cause de la "maladie" ayant disparu, et le capital +biologique n'etant pas encore gravement entame, le role de la +therapeutique se reduit a peu de chose. + + +II.--CHEZ LE GARCON + + +Chez le jeune garcon, de la puberte a l'age adulte, les influences +capables d'amener la "maladie" sont egalement multiples. Signalons, +parmi les principales : + +I. Le surmenage scolaire; + +II. L'abus des sports; + +III. Les deviations de l'hygiene sexuelle (habitudes solitaires et +prematuration). + +I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, dont on a fait si grand +bruit il y a quelques annees? Les brillantes discussions de l'Academie +de medecine n'ont pas empeche les programmes de se surcharger d'annee en +annee; et ils se surchargeront encore davantage, cela est inevitable, +c'est la loi meme du progres; vouloir aller contre, c'est vouloir +remonter le courant. Mais, a la verite, ce soi-disant surmenage ne nous +effraie pas outre mesure, car il faut compter: 1 deg. avec les nouvelles +methodes d'enseignement, superieures a celles d'autrefois; 2 deg. avec une +adaptation du cerveau des generations actuelles et futures a un travail +cerebral plus considerable. N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui rend +si dangereux le travail cerebral chez les "deracines" dont nous avons +dit un mot au chapitre precedent? + +Est-ce a dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des systemes +pedagogiques? Non. Le jeune homme ne travaille pas trop, mais il +travaille mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne dort pas +assez, et on n'a pas assez le respect de son sommeil: du sommeil qui +dompte tout, suivant la forte expression d'Homere. + +Un groupe de medecins anglais vient de commencer une campagne de presse +pour obtenir que l'eleve des colleges anglais puisse dormir plus +longtemps. Ils avaient ete precedes dans cette voie par le Dr +Chaillou[5], directeur de l'hygiene d'un grand etablissement +d'instruction, qui des 1903, a eu l'idee excellente d'installer, dans le +pensionnat, ce qu'il appelle une "chambre des dormeurs". La, les jeunes +gens fatigues momentanement vont, tout simplement, se reposer suivant +leurs besoins; et jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de +dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats aux ecoles, et que +l'intelligente discipline generale de la maison est de nature a prevenir +tout abus. + +[Note 5: _Hygiene, exercices physiques, et services medicaux dans +un grand college moderne_, par le Dr Chaillou, attache a l'Institut +Pasteur. Paris 1903.] + +II. _Abus des sports_.--Si pour l'homme sain l'exercice est necessaire +a la sante, cet exercice, lorsqu'il est pousse a un degre excessif, +devient un facteur important de "maladie". + +L'exercice, quand il est methodique, bien gradue, peut etre pousse +tres loin sans provoquer d'accidents; c'est ainsi que, chez les +professionnels des cirques, la sante se maintient excellente, comme j'ai +pu m'en rendre compte par une enquete faite chez Barnum. Le medecin +attache a la troupe de Barnum jouirait d'une veritable sinecure, s'il +n'avait pas a compter avec les accidents d'ordre chirurgical. + +Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont _selectionnes_, ce sont +des professionnels: ils ne font pas autre chose que des tours de force; +toute leur activite, physique, intellectuelle, est concentree sur ces +questions d'exercice musculaire. + +Ajoutons que l'exercice est savamment gradue par des gens du metier, qui +savent par experience ce que c'est que l'entrainement; disons enfin que +les gens des cirques observent une sage hygiene; ils savent que tous les +ecarts se payent, et ils sont, a tous egards, d'une sobriete exemplaire. + +Tout autres sont les conditions dans lesquelles se trouve l'homme du +monde qui fait du sport. Parfois il a une profession; c'est donc sur les +loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, qu'il prend le +temps de faire les exercices qui le passionnent; quand il n'a pas de +profession, il est rare qu'il ait la moderation exemplaire signalee plus +haut, et, alors, il ne depense pas son influx nerveux qu'en exercice +physique. + +Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du sportsman, c'est le +_sport_, c'est-a-dire l'emulation qui existe presque fatalement entre +ceux qui s'occupent avec passion d'exercices physiques, et qui fait que +chacun d'eux veut devancer son voisin. + +Le bicycliste isole risquerait rarement d'arriver au surmenage; ce qui +le fatigue, c'est de voyager en compagnie d'autres camarades, a cause de +l'excitation qui se communique des uns aux autres, et qui les porte tous +a donner plus qu'ils ne peuvent. L'escrime, souvent, n'aurait pas sa +raison d'etre, sans le desir de l'emporter sur ses partenaires; de la le +danger special de cet exercice. Si l'on veut bien se rappeler qu'il +est pris, en general, dans un air confine, qu'il exige une depense +considerable d'influx nerveux, une tension permanente de l'esprit, un +exces de rapidite dans les mouvements, on comprendra que c'est plus un +exercice cerebral qu'un exercice musculaire, et que les gens qui croient +se reposer du travail cerebral en faisant de l'escrime sont bien vite +detrompes. Le sage est celui qui, desirant se reposer du travail +cerebral par l'exercice, s'attache aux exercices qui ne demandent pas +d'attention, aux exercices automatiques dans lesquels la moelle seule +intervient; marcher, ou mieux encore courir suivant les bons principes, +scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, ramer, etc. + +L'automobilisme "tient le record" parmi les exercices qui epuisent le +systeme nerveux; nous ne parlons pas, bien entendu, des hommes qui se +servent de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, mais de ceux qui +en font un moyen de distraction. Quelques-uns arrivent a une mentalite +toute speciale, a un etat de folie qui n'a pas encore recu de nom, et +qu'on pourrait appeler la folie de la vitesse: quand ils sont sur leur +machine, ils ne voient que le ruban de route qui se deroule devant +eux, le reste de la terre a cesse d'exister. Ils ne voient point, ils +n'entendent point: ce sont des mangeurs de kilometres, ce ne sont +plus des hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a pas besoin +d'emulation, il se suggestionne lui-meme, et devient le propre artisan +de son delire. + +Mais les dangers des sports deviennent encore plus considerables quand +ils sont pratiques par des organismes en voie de formation, par des +jeunes gens, par des ecoliers. Or, il y a quelques annees, avait souffle +un vent, venu d'Angleterre, qui avait veritablement tourne la tete a +certains hommes s'occupant des problemes de pedagogie,--ou plutot qui +avait affole l'opinion publique, et les pedagogues subissaient le +courant. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne parlait plus, dans les +etablissements scolaires, que de sports et de gymnastique. La culture +intellectuelle paraissait devoir etre mise au second plan. Mais on +n'a pas tarde a voir qu'il y avait abus. Les excellents travaux du Dr +Lagrange et du Dr Legendre, l'intervention des medecins dans la _Ligue +des Peres de Famille_, ont mis un frein a cet engouement, qu'on ne +rencontre plus que dans quelques institutions ou l'on s'obstine a imiter +l'education anglaise, sans se rappeler que nos petits Francais ne +sont pas des Anglo-Saxons. Je me demande d'ailleurs si les petits +Anglo-Saxons eux-memes de l'age de douze et treize ans se trouveraient +bien de faire des courses de 4 et 5 kilometres au pas gymnastique, sans +progression et sans entrainement prealable, comme je sais qu'on en +impose aux enfants dans les institutions dont je parle. + +III. _Deviations de l'hygiene sexuelle_.--Tous les pedagogues et tous +les peres de famille soucieux de l'avenir de leurs enfants sont, a juste +titre, preoccupes de l'important probleme de l'education sexuelle; mais +tous sont loin de le resoudre dans le meme sens. Les uns estiment qu'il +ne faut rien dire aux enfants, ni meme aux jeunes gens; les autres, +qu'il faut au contraire aborder le redoutable probleme en face, et le +plus tot possible. La verite, comme en bien d'autres circonstances, se +trouve entre ces deux extremes. + +Il est bien certain qu'il faut que, a un moment donne, le jeune homme +soit averti des dangers qu'il court en s'abandonnant a des aberrations +de l'instinct genesique, ou encore a l'usage premature des fonctions +sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse de bonne heure le peril +venerien. Mais quels moyens employer pour l'instruire? Est-ce au pere de +famille que revient ce role educateur? Oui, s'il a suffisamment gagne +la confiance de ses enfants, et s'il se sent capable de cette mission +delicate; dans d'autres cas, c'est au medecin de la famille que doit +etre devolu ce soin; et, dans les pensions, lycees, institutions, c'est +encore au medecin de la maison, et, dans une certaine mesure, a ceux des +professeurs qui vivent le plus avec les eleves. + +Convient-il de donner a ceux-ci un enseignement collectif? La tentative +a ete faite, recemment, dans plusieurs lycees de Paris. Il faut avouer +qu'elle est ardue, mais les bons resultats ont depasse toute attente. +Cependant je suis avec M. l'abbe Fonsagrives partisan plutot de +l'enseignement individuel, compris dans un sens liberal, sous forme de +causerie du professeur avec un petit nombre d'eleves. + +Jusqu'au moment ou il est raisonnable d'aborder devant les enfants ces +delicats problemes, le role de l'educateur doit se borner a exercer +autour d'eux une surveillance assidue, et a retarder le plus possible +l'eclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, il faut imposer +a l'enfant de la fatigue physique, la pousser au maximum de la +_tolerance_, dussent les etudes en souffrir momentanement. C'est de la +bonne economie, sans cependant qu'on doive verser dans cet abus des +sports que nous avons denonce plus haut. Ici se retrouve, comme dans +tous les problemes de l'hygiene, cette question de dosage, de mesure, +qui comporte un nombre indefini de solutions, d'apres la variete des cas +individuels. + +Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant a des aberrations de +l'instinct sexuel sont moins grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont +neanmoins considerables, et le capital nerveux de l'enfant est vite +entame par les habitudes vicieuses. De la ces formes vagues de +neurasthenie avec difficulte pour le travail, timidite maladive, +manque de confiance en soi, cephalee, traits tires, yeux cernes, +amaigrissement, amoindrissement de la valeur du sujet. Un medecin +eclaire ne s'y trompe pas. Il doit alors trouver moyen de prendre +l'enfant a part, a la fin de la consultation, et lui dire a +brule-pourpoint, en le regardant fixement: "Mon ami, je sais la cause de +votre mal!" Il faut ensuite provoquer quelques aveux _discrets_, et la +consultation doit se terminer par une promesse formelle de l'enfant +de se corriger. La psychotherapie, en ce cas, vaut mieux que les +medications pharmaceutiques les plus savantes: elle manque bien rarement +son effet et elle peut etre grandement aidee, dans certains cas, par la +psychotherapie hypnotique, dont nous parlerons plus loin. + +Quant au danger que fait courir la prematuration des fonctions +sexuelles, c'est chose certaine que tout usage de ces fonctions devient +un abus, tant que l'organisme n'a pas atteint son complet developpement. +L'etre humain ne devrait aborder l'acte destine a perpetuer la vie qu'a +partir du moment ou il est, lui-meme, en pleine possession de toute +sa vigueur physique. Jusqu'a ce moment, la continence n'est pas +prejudiciable. La question a ete etudiee a fond, et resolue dans le meme +sens par les moralistes et par les hygienistes. La continence n'est +presque pas penible, elle ne le devient que si des excitations +factices ont eveille de trop bonne heure l'instinct sexuel. Elle est +recommandable au point de vue moral; elle entretient, chez le jeune +homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop developper, "le respect de la +femme"; et, a vrai dire, c'est elle seule qui le met surement a l'abri +des contaminations veneriennes. + +Le grand public commence a connaitre le peril venerien, et, surtout, a +oser en parler. On ne saurait croire combien l'ingenieuse trouvaille de +M. Brieux, qui a designe sous le nom d'_avarie_ la plus redoutable des +"maladies" veneriennes, la syphilis, a fait faire de progres a l'opinion +publique. Le mot, d'ailleurs, meritait de faire fortune; et nous +aimerions aussi voir employer le terme de "petite avarie" pour designer +la blennorragie, dont les mefaits sont plus considerables que ne le +croit le public, et meme que ne le croient beaucoup de medecins. + +Ce que le public ignore encore, c'est l'age auquel les jeunes gens sont +le plus souvent contamines. Ainsi que l'a demontre le Dr Ed Fournier, +c'est beaucoup plus tot qu'on ne se le figure generalement; et +non seulement a Paris, mais partout, ainsi que le demontrent les +statistiques de _toutes_ les armees, qui enregistrent beaucoup plus de +"maladies" veneriennes a la premiere annee de service qu'aux annees +ulterieures, parce que, parmi les malades enregistres a la premiere +annee, figurent tous ceux qui etaient contamines avant leur entree au +regiment. + +Nous ne saurions trop recommander a ce sujet la lecture et la meditation +de l'excellente brochure du professeur A. Fournier: _Pour nos fils quand +ils auront dix-huit ans_. En quelques pages s'y trouvent nettement +indiquees, et sans aucune exageration, la gravite du peril venerien, la +conduite a tenir pour l'attenuer quand on est atteint, et pour l'eviter. +Cette brochure est bonne a lire, elle est necessaire et suffisante aux +conferenciers qui veulent repandre la verite. + +Nous n'avons pas a insister ici sur les mefaits de la syphilis. C'est +toujours une "maladie" grave, quelquefois elle est tres grave, et cela +des les premiers mois qui suivent son apparition. Elle se traduit alors +par les plus importants symptomes de la decheance organique, cephalee +violente, anemie aigue, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile de +dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital biologique un dechet +enorme. Heureusement le traitement mercuriel intensif est la pour +reparer, dans une certaine mesure, le desastre. + +D'autres fois, la syphilis amene chez le malade de telles preoccupations +morales qu'elle devient un danger imminent. L'angoisse peut meme +conduire au suicide. Il faut que le medecin et le pere de famille +connaissent cette syphilophobie, pour rasserener la victime, dans +la mesure necessaire. Mais dans tous les cas la syphilis, cause +d'amoindrissement enorme de la valeur du sujet, devra etre traitee +energiquement, des le debut et pendant un temps prolonge,--au moins +quatre ans,--par des traitements successifs. + +Chez la jeune fille, la syphilis est egalement a redouter. Nombre de +jeunes filles de la classe ouvriere connaissent tout ce qui est relatif +aux questions veneriennes; elles n'en ignorent que le danger. C'est a +leur usage que j'ai ecrit naguere une petite brochure intitulee: _Pour +nos filles_. Les services qu'elle est appelee a rendre ne sont pas +comparables a ceux que rendra sa soeur ainee, l'excellente brochure du +professeur Fournier; et si je la mentionne, ce n'est certes point par +une enfantine vanite d'auteur: c'est que, de divers cotes, on m'a +affirme qu'il etait bon de la faire connaitre. + + +III--CAUSES MORBIGENES COMMUNES AUX DEUX SEXES.--"MALADIES" +ACCIDENTELLES + + +C'est a dessein que nous placons ces observations a la suite de l'etude +consacree aux jeunes garcons, car les jeunes filles, entourees de +soins a l'age qui nous occupe, ont relativement peu de "maladies" +accidentelles. Chez le jeune homme, au contraire, plus ou moins mal +surveille, plus ou moins surmene par un travail cerebral auquel son +cerveau n'est pas encore completement adapte, ou par le travail +musculaire, pour lequel ses muscles, encore en etat de developpement, ne +sont pas suffisamment prepares, la flore microbienne trouve un excellent +terrain de culture. Nous ne pouvons pas passer en revue la pathologie de +cet age; faisons seulement remarquer que la "maladie" accidentelle ou +bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat definitif sur un organe +quelconque (endocardite du rhumatisme, etc.): mais il est tres rare que, +a cette periode de la vie, elle amene l'amoindrissement prolonge ou +definitif de la valeur du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les +jeunes gens, l'affection aigue aboutit a une convalescence franche, sans +ebranler l'organisme; a cet age, comme dans l'enfance, l'organisme est +doue d'une grande elasticite, et rebondit facilement. + +Exception doit etre faite pour la tuberculose; c'est, par excellence, +la "maladie" de l'age adulte. Contractee, le plus souvent, dans la +plus tendre enfance, elle sommeille jusqu'au moment ou les mauvaises +conditions de milieu, la misere physiologique, le surmenage, mettent le +terrain en etat de moindre resistance. De la son maximum de frequence de +dix-huit a trente-cinq ans. + +De cette conception, qui n'est pas encore classique, mais qui commence a +penetrer dans les esprits, grace aux travaux du professeur Grancher, +et a ceux de M. le medecin inspecteur Kelsch, sur la tuberculose dans +l'armee, decoule la veritable prophylaxie de la tuberculose. C'est en +vain que l'on depenserait beaucoup d'argent pour fonder des sanatoria; +le sanatorium ne convient qu'aux riches. C'est peut-etre un bon +instrument de cure: surement ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas +"ce n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre la tuberculose +en tant que "maladie" sociale" (Grancher). Voyez, en effet, ce qu'il +faudrait pour qu'un sanatorium populaire donnat un rendement social +appreciable! Il faudrait: 1 deg.a l'entree du sanatorium, un dispensaire de +depistage pour ouvrir la porte aux seuls malades legerement atteints; +2 deg. pendant le sejour du malade au sanatorium, une oeuvre de secours pour +sa femme et ses enfants; 3 deg. a la sortie du sanatorium, la double ration +de repos et la demi-ration de travail pendant un temps presque illimite! +Le Congres de la tuberculose de 1905 a d'ailleurs sonne le glas sur les +sanatoria populaires, et les medecins de tous les pays, dans une heure +de sens commun et de clarte, ont vote la meme formule: "En fait de +tuberculose, la preservation domine l'assistance." Nous serons moins +severes dans notre appreciation des dispensaires: ils peuvent rendre +quelques services pour l'education populaire; mais les veritables +oeuvres de l'avenir, on ne saurait trop le repeter, sont les oeuvres de +preservation, celles qui arrachent un enfant sain d'un milieu contamine; +ce sont les oeuvres d'hopitaux marins, pour les enfants atteints de +tuberculose locale et non contagieuse; ce sont les colonies de vacances, +etc. Ce sont, surtout, les diverses oeuvres sociales luttant contre +la misere: car la misere est le grand, le plus grand facteur de la +tuberculose. + + + + +DEUXIEME PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +MATURITE + + + +Voici l'homme arrive a l'age adulte; il est en pleine possession de tous +ses moyens, son capital a ete progressivement ameliore et lui rapporte +de gros interets; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le faire +valoir, d'obtenir de lui son rendement maximum. + +L'ere des menagements est passee, il faut a tout prix que l'homme +travaille et produise. On l'alimentera en consequence: la depense +etant considerable, il faudra que l'aliment soit reparateur. Le point +essentiel est de ne pas depasser la dose des depenses, d'utiliser le +capital, mais non de l'amoindrir, de chauffer la machine, sinon a blanc, +du moins a la temperature maxima toleree, pour ne pas l'user trop vite, +et surtout pour ne pas la faire eclater. Il faut, en somme, que l'homme +produise; et, a s'ecouter vivre avec trop de prudence, il ne ferait que +s'empecher de mourir. Bien plus; de meme qu'un capitaliste avise, quand +il possede beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce qu'on appelle +de la "surface", n'a pas peur, de temps a autre, de risquer une somme +raisonnable dans une affaire qui n'est pas de tout repos; de meme +l'homme bien portant, a capital solide, ne doit pas craindre, a certains +moments, de se depenser un peu plus que ne l'exigerait la sage hygiene, +a la condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni trop prolonge, +et qu'une periode de repos succede a cette periode de travail intensif. +(De la la necessite des vacances et du repos hebdomadaire). + +Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous croyons qu'il est bon +que l'homme actif, intelligent, bien portant, donne de temps a autre +ce qu'on appelle un "coup de collier", quitte a reparer sa depense +excessive par un repos plus ou moins prolonge, mais quel est le +criterium? a quel signe reconnaitrez-vous que l'homme n'a pas depasse la +mesure de ses forces, et qu'il ne court pas a la banqueroute? + +Le principe general est qu'il faut arriver aux confins de la fatigue, +mais ne jamais atteindre la fatigue douloureuse. Quand il s'agit de +travail musculaire, le criterium est relativement facile a trouver. On +est averti qu'on a depasse la mesure de ses forces par deux symptomes +caracteristiques: la diminution d'appetit et la diminution de sommeil. + +Cette donnee pourrait meme rendre de grands services aux chefs +militaires, dont l'ideal, tres legitime, est de faire produire a la +machine humaine son maximum de rendement, sans epuiser cependant les +forces des soldats. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux confondent +l'entrainement et l'epuisement; ils arrivent a avoir des troupes qui +n'ont pas de valeur reelle, tout en ayant les apparences de la force. +Ces troupes, qui se sont presentees sous le plus bel aspect a des +manoeuvres de quelques jours, seraient incapables d'entrer en campagne +et de supporter des fatigues prolongees. Si les chefs de corps avaient +eu la precaution de s'enquerir de la facon dont les soldats mangent, +ou de _voir_, apres une marche prolongee, comment ils mangent, de +surveiller de temps a autre le tonneau des eaux grasses, qui recueille +tous les restes des repas, ils auraient vu que le travail excessif se +traduit par une baisse dans l'appetit. S'ils passaient, le soir, dans +les chambrees, d'une facon inopinee, ils verraient qu'a la suite de +fatigues excessives les hommes ne dorment pas bien. Et rien ne les +empecherait, d'ailleurs, de prendre parfois l'avis de leurs medecins. + +Nous ne dissimulons pas la difficulte du probleme, d'autant que, chez +l'homme qui a subi un entrainement methodique, la sensation de _fatigue_ +disparait; l'homme entraine ne connait pas la fatigue. L'epuisement, +chez lui, se traduit exclusivement par la diminution du poids, de +l'appetit et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire en +particulier, par l'apparition des "maladies" dites accidentelles. + +Et si le probleme est difficile tant qu'il ne s'agit que de depenses +musculaires, il devient plus complexe encore quand il s'agit de depenses +cerebrales. Voici un commercant oblige de brasser de grosses affaires. +Il est reveille, le matin, par le telephone voisin de son lit; pendant +toute la journee, il n'a pas un quart d'heure de tranquillite; il sent +peser sur lui des responsabilites ecrasantes; sa vie n'est qu'une serie +d'inquietudes. Qu'a ce surmenage incessant viennent s'ajouter des +chagrins de famille, etc., voici notre homme qui, tout d'un coup, +tombe dans la "maladie". Le moindre pretexte suffit pour amener le +declanchement: c'est une emotion un peu violente, c'est une perte +d'argent, c'est une "maladie" infectieuse plus ou moins legere, qui +ouvre la breche, et voila la "maladie" installee! + +Cet homme aurait-il pu eviter le cataclysme? A-t-il eu, depuis dix ans +qu'il surmene son cerveau, un avertissement quelconque lui indiquant +qu'il depasse les limites de son elasticite, et qu'il puise a pleines +mains dans un capital insuffisamment repare chaque jour? Oui, le plus +souvent! C'est, par exemple, un vertige qui est apparu, a un moment +donne. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on pourrait appeler "un +avertissement sans frais", il aurait immediatement diminue le travail, +ou meme l'aurait suspendu pendant quelques jours. Mais il n'en a pas +tenu compte, il a pense que _ca passerait_. D'autres fois, c'est une +sorte d'endolorissement de la tete, non pas passager, mais permanent, +qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements de l'oreille gauche. +(Cette predominance des bourdonnements a gauche, de la diminution de +l'acuite auditive a gauche, se rencontre a toutes les phases de la +"maladie".) D'autres fois encore, c'est une sorte de sensation +de fatigue permanente, exageree surtout le matin, avec diminution +d'appetit, constipation, autrement dit avec les petits symptomes de +la grande "maladie". Il est tout a fait exceptionnel que le krach se +produise sans de tels phenomenes premonitoires. Cela arrive, cependant, +et c'est chez les natures les plus admirablement douees en apparence. + +Quand le sujet est soumis a un surmenage intellectuel et musculaire a +la fois, il realise les conditions les plus parfaites pour arriver a +l'epuisement rapide; aussi ne saurait-on protester trop energiquement +contre le prejuge des gens du monde, qui se figurent que l'exercice +musculaire repose du travail cerebral, et que le surmene cerebral doit, +pour bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, de la marche +forcee, a ses moments disponibles. C'est la une erreur enorme dont +la pedagogie commence a faire justice. Certes il est des hommes, +admirablement doues, qui peuvent supporter une depense considerable a +la fois au point de vue musculaire et au point de vue cerebral: mais ce +qu'il faut bien se rappeler, c'est que, des que surviennent les premiers +symptomes du surmenage, on doit aussitot reduire la depense totale, et +la depense musculaire en particulier; a ce prix seulement on aura chance +d'echapper aux griffes, toujours pretes a s'abattre sur nous, de la +"maladie". + + + +CHAPITRE II + +CARACTERES GENERAUX DE LA "MALADIE" + + + +Plusieurs fois deja, dans le cours de ce travail, j'ai eu l'occasion de +parler de la "maladie", sans preciser le sens exact que je donnais +a ce mot. Mais le moment est venu de tenter, sinon une definition +scientifique de la "maladie",--definition aussi impossible que celles, +par exemple, de la richesse, de la vertu, ou de la beaute,--tout au +moins une explication sommaire de ce qu'est, a mes yeux, cette chose +indefinissable; des principaux caracteres qui lui sont propres; et des +traits qui la distinguent de ces manifestations pathologiques bien +determinees que l'on appelle communement les "maladies", et que +j'appellerais volontiers des "accidents", par opposition a la nature +plus generale, plus profonde, et infiniment plus complexe, de la +"maladie". + +Voici quatre personnes qui, dans une meme apres-midi, se presentent a ma +consultation. Ce sont quatre malades: il ne faut pas etre grand clerc +pour l'affirmer _a priori_. Mais voyons ce que nous enseignera l'etude +detaillee, et surtout reflechie, de chacune de ces quatre personnes, qui +paraissent se ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une avec +l'autre absolument rien de commun. L'une est grande et forte, l'autre +petite et malingre; l'une est obese, l'autre d'une maigreur inquietante. +Les souffrances que chacune accuse sonttout a fait differentes, de +l'une a l'autre; les causes qui ont paru engendrer ces souffrances +semblent opposees: chez l'une l'exces de fatigue, chez une autre +l'exces d'oisivete, etc. + +Essayons a present d'approfondir un peu notre investigation. Ah! ce +n'est pas un mince travail que d'etudier un malade, de fouiller son +heredite, de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire meme de sa +conception, de noter tous les incidents pathologiques de son enfance, de +sa jeunesse, de son adolescence, d'apprecier son degre de sante pendant +les periodes qui ont separe ces divers incidents, de se reconnaitre au +milieu du luxe de details avec lequel il decrit ses miseres, en un mot +de reconstituer a la fois le bilan complet de son etat present et le +tableau du chemin qu'il a suivi pour y parvenir. Mais cette etude +meticuleuse est necessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, pas +de traitement rationnel; d'elle seule pourra resulter la connaissance +veritable du malade, c'est-a-dire l'appreciation de ce qu'il vaut, du +point precis ou il en est dans son evolution. Et j'ajoute que ce n'est +que lorsqu'on a etudie ainsi des centaines et des centaines de malades +que l'on commence a avoir une idee nette de ce que c'est que la +"maladie". + +Voici donc une premiere malade, que je connais depuis cinq ans. C'est +une femme de trente-deux ans, dont on devine des le premier abord la +vivacite d'intelligence, et avec laquelle le medecin comprend tout de +suite,--a sa grande satisfaction,--qu'il va pouvoir causer utilement. + +L'enquete m'apprend qu'elle a eu un capital initial excellent: un +grand-pere paternel mort a soixante-quinze ans, asthmatique, la +grand'mere paternelle morte a quatre-vingt-quatre ans. Du cote de +l'heredite maternelle, il n'y a pas non plus de tares transmissibles: +le grand-pere mort a soixante-quinze ans, la grand'mere vivant encore a +quatre-vingt-deux ans. Il est vrai que l'heredite directe est peut-etre +un peu moins parfaite. Le pere de Mme X... est mort a cinquante-deux +ans, d'une affection cerebrale, apres avoir toujours ete tres nerveux. +La mere, d'autre part, un peu delicate, continue a se bien porter, a la +condition de s'ecouter vivre. + +Ce capital initial a ete bien gere pendant les premieres annees de la +vie. Nourrie au sein, Mme X... a pu supporter sans dommage appreciable +divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, la varicelle. +A huit ans, cependant, s'est produit un episode plus important: une +jaunisse, qui a dure un mois, et qui semble indiquer que le systeme +digestif etait, chez cette malade, le point faible. Un medecin avise, +qui l'aurait suivie de pres depuis lors, n'aurait pas manque de +remarquer qu'elle etait, si l'on peut dire, une candidate a la +dyspepsie. + +Toutefois, jusqu'a l'age de vingt-six ans, Mme X... n'eut aucun +phenomene grave, d'origine stomacale ou intestinale: mais elle avait +de petits symptomes, un manque d'appetit entremele de fringales, de la +constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, ces petits symptomes +ont passe inapercus. L'enfant a ete soumise, dans un couvent, a +l'alimentation des autres pensionnaires; elle a mange vite, par +consequent mange mal; bref, rien n'a ete fait pour mettre en bon +etat son systeme nerveux abdominal, qui, sans protestations graves, +fonctionnait deja d'une facon defectueuse. + +De onze a vingt-six ans, c'etait le systeme nerveux cerebral qui, seul, +paraissait defectueux. Des l'age de onze ans, elle avait des tristesses +vagues, des idees de mort, qui ne firent que s'accentuer. + +A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait cet etat de melancolie. +D'un caractere inegal, la jeune fille ne travaillait qu'a sa guise, +acceptant peniblement toute discipline. + +A dix-huit ans, la mort de son pere lui causa un violent chagrin; et cet +assaut ebranla si fortement son systeme nerveux que, six semaines apres, +sans cause connue, sans refroidissement prealable, elle dut garder +le lit pendant un mois, pour une "maladie" qualifiee "rhumatisme +mono-articulaire", mais avec predominance de symptomes nerveux graves +(angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se remit vraiment de cette +crise qu'un an apres, lorsque des projets de mariage opererent en elle +une sorte de derivation. + +Mariee a dix-neuf ans, elle ne tarda pas a retomber dans le meme etat +nerveux, auquel se joignirent des phenomenes nevralgiques (nevralgie +lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, et l'immobilisant +pendant quelques heures. Puis vinrent des crises de nerfs, le plus +souvent nocturnes, avec angoisses precordiales terribles, peur de toutes +les "maladies", etc... + +C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; et, pendant la +grossesse, elle se porta admirablement. Mais, aussitot apres sa +delivrance, l'estomac, qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que +par des phenomenes insignifiants, entra definitivement en scene: perte +absolue d'appetit, crampes, gastralgie. Puis, l'annee suivante, ce fut +le tour de l'intestin: diarrhees frequentes, incoercibles, bientot +apparition de selles noires, survenant trois a quatre fois par jour avec +fortes coliques, et qui durerent quatre mois. A la fin de cette periode, +l'etat general etait des plus mauvais, et la vie semblait vraiment +compromise. + +Heureusement une annee passee dans l'isolement, et suivie d'une cure +dans un sanatorium de Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis +la malade pour la premiere fois, un an apres son retour de Suisse, voici +les principales constatations que je pus faire: + +Cephalee permanente,--picotement des yeux,--sciatique gauche +survenant au moment des regles,--inquietudes vagues,--peur de mourir +subitement,--trois heures a peine de sommeil dans les meilleures nuits. +L'estomac et l'intestin laissaient egalement a desirer: appetit nul, +alternatives de diarrhee et de constipation. + +L'examen des organes me demontra qu'il n'y avait rien a la poitrine, +mais qu'au coeur existait un souffle, au premier temps, a la base, +perceptible seulement dans la position horizontale; ventre plat, peu +elastique, sonorite basse et egale. La malade, qui pesait 50 kilogrammes +a dix-huit ans, n'en pesait plus que 46. + +Voila donc une jeune femme qui a toutes les apparences exterieures d'une +personne tres souffrante, et dont la vie est empoisonnee par une serie +ininterrompue de miseres variees. Et cependant l'histoire meme de ces +miseres prouve qu'il n'y a point chez elle d'organe particulierement +atteint, et que le capital biologique est, au fond, moins mauvais qu'il +ne parait l'etre. Mon premier soin fut de la rassurer, notamment sur +l'etat de son coeur, sur lequel un confrere un peu imprudent l'avait +fort inquietee. Je m'efforcai ensuite de lui refaire un estomac, par +un regime severe, puis de plus en plus large. Je dirigeai son hygiene +musculaire, intellectuelle et morale. Et ainsi, apres deux ans ou je +m'etais borne, en somme, a faciliter le retour a l'equilibre du systeme +nerveux, Mme X... se vit delivree de la plupart de ses maux, et ramenee +enfin a une vie des plus supportables. + +Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on Elle avait, sous une +forme speciale, ou plutot sous plusieurs formes, ce que j'appelle la +"maladie". Sous toutes ces miseres, c'etait le systeme nerveux qui, chez +elle, flechissait. Tout son systeme nerveux etait malade, et chacun de +ses centres, tour a tour, avait accuse le contre-coup de la depreciation +de l'ensemble. Au moment ou j'ai vu la malade, le centre le plus atteint +etait celui qui preside aux fonctions digestives; mais, si je m'etais +limite a ne soigner que celui-la, toute ma peine aurait risque d'etre +perdue. Il fallait, derriere les symptomes locaux, atteindre le trouble +general; il fallait depasser les incidents pour parer a la "maladie". + +Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez qui les +manifestations morbides n'ont certainement rien de commun avec celles +que je viens de signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui, +lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait progressivement +maigri, en six mois, de 50 a 41 kilogrammes, sans autre cause +connaissable que certaines influences morales. Elle ne se plaignait de +rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle l'etait, puisqu'elle +maigrissait sans cesse, puisqu'elle avait le teint terreux et la peau +rugueuse, puisque ses regles etaient supprimees depuis un an. Pas de +lesions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: mais toute l'apparence +d'une grande malade. + +Pourtant, apres un examen plus approfondi, j'augurai bien de l'avenir, +parce que le capital initial etait assez bon, parce que Mlle T... +n'avait pas eu de graves assauts dans son enfance, enfin parce qu'elle +etait jeune, et malade depuis peu de temps. Et le fait est qu'un +traitement tres simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par jour, +puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord sans viande, puis avec un +plat de viande a midi, et 30 injections de cacodylate de magnesie), +amena un resultat extraordinaire: reapparition des regles, augmentation +du poids, disparition de la rugosite cutanee, relevement de l'appetit, +etc. + +C'est que cette malade, qui ne presentait aucun trouble nerveux, n'en +etait pas moins une "nerveuse". Toutes ses miseres ne venaient, comme +chez Mme X..., que d'un ebranlement du systeme nerveux; quand ce systeme +se trouva modifie, par le repos, le regime et la psychotherapie, la +malade guerit. + +Elle revint alors dans son pays; six mois apres, elle allait tres bien, +mangeant de tout, pesant 58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois +plus tard, elle perd sa mere. De nouveau le chagrin la mine sourdement; +elle redevient "malade", maigrit jusqu'a 37 kilogrammes, toujours sans +accuser la moindre douleur, et sans ressentir aucune souffrance. Un +jour, le 25 decembre 1903, elle est tellement epuisee qu'elle a une +syncope grave, et que son entourage est convaincu qu'elle va mourir. +J'avoue que moi-meme, quand je la vis alors avec le Dr C..., je fus +epouvante, malgre la bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique. +C'etait litteralement un squelette (34 kil.), elle n'avait plus qu'un +souffle de vie. + +Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? En juin 1904, elle fit +une pleuro-pneumonie. Deux mois apres, des qu'elle fut transportable, +elle voulut venir a Paris, et se soumit, pendant trois mois, aux +injections d'huile creosotee. En octobre 1904, elle avait definitivement +retrouve sa sante. + +Comment douter que toutes les souffrances de cette jeune fille aient ete +surtout d'origine nerveuse? Et cependant voila un cas ou la perturbation +du systeme nerveux central s'est traduite par des phenomenes qui +n'avaient rien de ce que les neurologistes constatent d'ordinaire. Et +c'est bien le systeme nerveux cerebral qui etait en cause, chez cette +malade: car ses deux grandes crises morbides n'ont absolument pas +eu d'autre cause que le chagrin. Mlle T... etait une nevrosee sans +manifestations nerveuses. Tout a fait comme Mme X..., malgre la +dissemblance des symptomes, c'etait une "malade", c'est-a-dire une +personne dont le capital nerveux s'etait trouve entame. + +Dans l'exemple suivant, la "maladie" s'est traduite par des phenomenes +cardiaques. Chaque fois qu'il y a eu chez le malade une defaillance du +systeme nerveux, c'est le coeur qui a cesse de fonctionner normalement, +a tel point que tous les medecins qui ne connaissaient pas M. Z... le +traitaient infailliblement par la digitale et la cafeine. + +En realite, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni meme un faux cardiaque: +c'est simplement un "malade" chez qui le systeme nerveux qui preside aux +mouvements du coeur est plus specialement impressionnable. + +Depuis l'age de vingt et un ans, a la suite d'un rhumatisme (sans +endocardite), chaque fois qu'il y a eu un assaut quelconque dans la +sante du malade, le coeur a aussitot proteste. En 1886, a la suite d'une +bronchite grippale, je constatai, pour la premiere fois, de l'arythmie, +et un souffle au 2e temps, a la base du coeur. Depuis lors, ce +souffle persiste, mais avec une telle inegalite que, parfois, il est +imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est d'une nettete extreme: +si bien que plusieurs medecins ont affirme une lesion de la valvule de +l'aorte. + +Or, je le repete, il n'y a pas de lesions: M. Z. n'a jamais de pouls +bondissant, et de nombreux traces de pouls, pris par le Dr Lagrange, +demontrent qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand M. Z... va +bien, son coeur va bien: quand il va mal, quand il se surmene, ou +eprouve une emotion vive, son coeur se fache, et traduit son malaise par +les manifestations les plus variees: syncopes, arythmie, fausses angines +de poitrine. + +M. Z... est un de ces hommes qui sont faits pour le travail intensif: +chez lui, quelle que soit l'enormite du travail, il n'y a jamais +de surmenage cerebral; mais c'est un _sensitif_, que le surmenage +emotionnel guette a tout instant. En 1898, a la suite d'emotions +vives, tout son systeme nerveux entre en revolte: le systeme digestif +(dyspepsie, constipation, etc.), le systeme nerveux central (insomnie +absolue, tristesse, paleur insolite, epuisement des forces). En meme +temps la glycosurie fait son apparition (10 grammes de sucre par litre). +Enfin les troubles du coeur atteignent une intensite extreme et defient +tous les traitements classiques (digitale, sparteine, bromures, etc.). + +Desirant me voir avant de mourir, le malade me fit appeler le 28 avril +1898, et me raconta les soucis qui l'avaient accable. Ces soucis +etaient, sans aucun doute, l'unique cause de la "maladie": une +psychotherapie prolongee, et accompagnee d'un regime alimentaire tres +modere, reussit parfaitement a remettre le malade sur pied. Les deux +annees qui suivirent furent meme excellentes. + +En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le trouble cardiaque, +avec meme, cette fois, un pouls bi-gemine. Mais une saison a Vichy, sous +la direction du Dr Lagrange, produit un tres bon resultat. En 1903, ni +le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons plus le souffle coutumier. + +Mais voici qu'en 1904, a la suite d'une nouvelle emotion, reparaissent +l'arythmie, le souffle, la glycosurie: de nouveau, une saison a Vichy +supprime tout cela. + +En avril 1905, enfin, a la suite de nouvelles contrarietes, +l'ebranlement du systeme nerveux se traduit par un lumbago, mais surtout +par une anesthesie de la main et de la joue droites, qui effraie +beaucoup le malade. Je le rassure encore, je le renvoie a Vichy, d'ou il +revient en parfait etat, toujours jeune, malgre ses cinquante-deux ans, +toujours avec une activite devorante. + +C'est que ce pretendu cardiaque, comme les deux malades precedents, est +simplement un "malade", avec cette particularite que c'est sur le +coeur que se portent de preference, chez lui, les plus importantes +manifestations de la "maladie". + +Dans les trois observations que je viens de citer, c'etait tel ou tel +departement du systeme nerveux qui manifestait plus specialement les +souffrances de l'etre entier, et les periodes de malaise etaient +separees par des periodes de sante, tout au moins relative. Voici +maintenant un cas ou tous les elements du systeme nerveux sont tellement +excites que la "maladie" revet les formes les plus diverses, et sans +qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de remission, depuis +l'epoque ou le systeme nerveux a ete ebranle,--c'est-a-dire depuis l'age +de huit ans,--jusqu'a l'age de la cessation des regles. La malade dont +je vais parler a ete vraiment, pendant plus de trente ans, un parfait +musee pathologique. Mais, malgre mille miseres qui se succedaient chez +elle comme les figures d'un kaleidoscope, je n'ai jamais desespere de sa +survie, ni de sa guerison, a cause meme de la mobilite et de la variete +des manifestations morbides, etant donne, d'autre part, l'integrite des +organes. + +La "maladie" de cette personne a commence a huit ans, a la suite d'une +fievre typhoide grave. Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par +des migraines tres intenses et tres frequentes; mais des l'apparition +des regles, aux migraines se sont jointes des douleurs d'estomac et de +la constipation. Vers l'age de trente ans, le systeme nerveux cerebral a +manifeste son trouble par des vertiges, bourdonnements d'oreilles, etc. +Deux ans apres, c'est le tour de la moelle: douleurs rhumatismales +et nevralgies erratiques. Vers l'age de trente-trois ans, le systeme +nerveux cardiaque donne sa note dans le concert: syncopes qui durent de +dix minutes a une demi-heure, avec perte complete de connaissance. + +En octobre 1889, une crise gastralgique survient, qui se prolonge +pendant trois jours consecutifs. L'annee suivante, c'est une douleur +intercostale gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs jours; +mais, par contre, la tete est redevenue parfaitement libre, les +vertiges, la cephalee, ont disparu. En 1893, apparait une dermalgie qui +occupe les deux bras. Puis voici que la fievre survient: la malade a +jusqu'a 40 deg., sans cause connue, a l'epoque de ses regles. En 1895, se +produit un etat de peritonisme,--avec douleurs tres vives dans l'estomac +et le foie, urines acajou chargees d'urobiline,--qui semble mettre la +vie en danger. Mais la malade sort de cette epreuve; et, pendant les +dix mois qui suivent, elle maigrit, tres heureusement, de 93 a 87 +kilogrammes. + +L'annee suivante fut tres bonne. Le sommeil revint, l'estomac rentra +dans l'ordre, la malade put croire que ses miseres allaient prendre fin. +Mais voici que, en 1897, a la suite d'un coup de froid l'intestin a son +tour se met de la partie: fausses membranes dans les selles, coliques, +diarrhee et faux besoins d'exoneration extremement penibles. L'appendice +meme parait touche: il y a une douleur tres nette au point de Mac +Burney. Un autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncees, +selles decolorees, fievre; mais la menace ne persiste que quatre jours. +En 1900, ulcere de l'estomac, vomissements noirs. La meme annee, je note +une sorte d'inhibition du fonctionnement de la jambe droite, qui, a un +moment donne, deux ou trois fois par mois, refuse tout service, au point +que la malade tombe brusquement. Enfin, cette meme annee, se declare un +oedeme des jambes, disparaissant apres la marche;--c'est la un phenomene +que j'ai souvent observe chez les "malades" dits _arthritiques_. + +Cet etat lamentable s'est prolonge jusqu'en 1904; la malade etait, +suivant son expression, un "faisceau de douleurs", mais elle avait un +excellent moral, et restait sure qu'un jour ou l'autre elle reviendrait +a la sante. Or, le fait est que, depuis la fin de 1904, en meme temps +que disparaissaient ses regles, l'etat general s'ameliorait d'une facon +surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guerie, definitivement +delivree de toutes ses miseres, promene joyeusement ses 105 kilogrammes +et se declare enchantee de vivre. + +C'est que, meme dans ses epreuves les plus douloureuses, meme quand elle +presentait les symptomes les plus inquietants, cette personne n'etait ni +une hepatique, ni une medullaire, ni une cerebrale, ni une gastrique, ni +une cardiaque, mais simplement une "malade" a manifestations cerebrales, +medullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant les longues annees +ou je lui ai donne des soins, toute ma therapeutique n'a consiste qu'a +essayer de dynamiser son systeme nerveux, et de le dynamiser tout +entier, sans presque chercher a atteindre, en particulier, tel ou tel de +ses centres qui semblait, provisoirement, le plus ebranle. J'ai eu le +bonheur de deviner que cette personne avait les apparences de trop de +"maladies" pour en avoir la realite; et, de fait, quand son systeme +nerveux a retrouve l'equilibre, la guerison de la veritable "maladie" +a aussitot amene la guerison de toutes les pseudo-affections qui n'en +etaient que le contre-coup. + +Le trouble du systeme nerveux central peut encore se traduire par +les symptomes qui caracterisent, de la facon la plus formelle, des +"maladies" organiques. J'ai parle deja, plus haut, de ce malade qui +avait toutes les apparences d'une lesion du coeur, sans avoir le coeur +lese. On sait que, par ailleurs, ce qu'on appelle l'hysterie simule +les "maladies" organiques les plus variees. Les hysteriques peuvent +presenter les symptomes de la meningite, de la grossesse, voire meme des +"maladies" les plus graves de la moelle epiniere. Ainsi j'ai vu un jeune +soldat qui offrait tous les signes de la sclerose en plaques. Apres +trois mois d'examen, on a fini par le reformer; or, ce n'etait qu'un +hysterique. Non pas que ce jeune homme ait ete un simulateur: car on ne +simule pas les symptomes de la sclerose en plaques! + +Et quand je dis que ce n'etait qu'un hysterique, j'exprime mal ma +pensee. En realite, c'etait un "malade". Je l'ai suivi pendant +longtemps, apres son depart du regiment. Une fois reforme, il n'eut plus +le moindre phenomene medullaire; mais il eut de la dyspepsie, et j'ai +su que, dans son enfance, il avait eu d'autres manifestations de ce que +j'appelle la "maladie". Ce n'est qu'a une phase determinee de sa vie, +quand il s'est agi pour lui de faire son service militaire, que la +"maladie" s'est traduite, pendant quelques mois, par ces troubles de +l'axe cerebro-spinal qu'on est convenu d'appeler hysterie. + +Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux que j'ai cites suffiront, +je crois, a donner une idee de ce que j'entends, a proprement parler, +par la "maladie". D'une facon generale, je veux dire que la "maladie" +embrasse tout le domaine pathologique qui n'appartient pas a ce qu'on +pourrait appeler les "accidents"--accidents qui vont depuis les +fractures et les intoxications jusqu'a des lesions d'organes (cancer, +hemorragies cerebrales, etc.), en passant par toute la serie des +affections a microbes, connus et inconnus.--Au-dessous de ces +"accidents" s'etend une serie indefinie de troubles pouvant revetir +toutes les formes et donner meme l'illusion de toutes les "maladies" +organiques, mais qui, en realite, ne sont tous que d'origine nerveuse +(en donnant a ce mot toute l'extension qu'il comporte), ainsi que cela +apparait clairement pour peu que l'on considere leurs causes, leur +marche et leur terminaison. Dans la "maladie" rentrent donc toutes les +nevroses; la folie quand elle n'est pas produite par des lesions du +cerveau, l'hysterie, l'epilepsie dite idiopathique, la neurasthenie, les +algies, tous les troubles fonctionnels des divers organes, _tant que ces +troubles fonctionnels n'ont pas amene de lesion des organes_. + +Les medecins voient quotidiennement la "maladie" sous une de ses formes +preferees. C'est la forme gastrique, qu'on designe vulgairement sous le +nom d' "embarras gastrique", synonyme d'embarras de diagnostic. Dans +cette affection, il ne faut pas croire que le systeme nerveux soit +indemne; les malades eprouvent de la cephalee, des vertiges, souvent +des bourdonnements d'oreille, un etat de fatigue generale du systeme +musculaire, de l'insomnie, de la difficulte pour lire, pour supporter +une conversation; ils ne souhaitent que le repos et la tranquillite. Si +on les leur accordait, si une medication perturbatrice n'intervenait +pas, si on graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait, +en general, aucune complication; et apres quinze jours, un mois, ils +reviendraient peu a peu a la sante[6]. + +[Note 6: La guerison, souvent, s'annonce chez eux par une crise +urinaire. Les urines, qui avaient ete tres uraliques, quelquefois meme +urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour a l'autre, claires et +abondantes. En meme temps la temperature tombe, pendant deux ou trois +jours, au-dessous de la normale, le sommeil reparait, l'appetit +egalement, et tout rentre dans l'ordre.] + +Dans d'autres cas, la "maladie" evolue sur le mode chronique; et c'est +pendant des mois et des annees que l'on voit tout le systeme organique +compromis dans son fonctionnement. Le systeme nerveux, l'estomac, +l'intestin, laissent a desirer d'une facon a peu pres egale. C'est chez +ces grands malades qu'on est en droit de se demander si c'est le cerveau +qui tient sous sa dependance les troubles nerveux de l'estomac ou de +l'intestin, ou si c'est l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle +maniere de voir, on adopte telle ou telle therapeutique exclusive: on +s'acharne a remedier aux troubles du systeme nerveux, en negligeant les +troubles digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a tort. Pour +faire de la bonne therapeutique, il faut _a la fois_ soigner le cerveau, +l'estomac, l'intestin, la moelle, le malade entier, en un mot, tout en +recherchant, si possible, quel est le systeme le plus compromis et dont +le fonctionnement laisse le plus a desirer. + +C'est de la "maladie" ainsi comprise que je voudrais, maintenant, +rechercher les causes les plus habituelles, avant d'en indiquer, dans +ses grandes lignes, le mode de traitement: traitement qui doit etre +toujours _general_, puisque toujours la "maladie", meme quand elle ne +se traduit que par des troubles locaux, est, par son essence, d'ordre +general. + +Quant au traitement particulier des "maladies" accidentelles, il va sans +dire que je n'aurai pas a m'en preoccuper dans ce travail. + + + +CHAPITRE III + +LES CAUSES DE LA "MALADIE" + + + +I.--CAUSES PHYSIQUES + + +Je ne saurais songer a suivre l'homme a travers toutes les circonstances +de sa vie qui compromettent sa valeur, soit momentanement, soit d'une +facon definitive et irremediable. Elles varient a l'infini; l'homme +heureux seul n'a pas d'histoire, et l'homme heureux est un etre de +raison, qui n'existe pas dans la realite. + +Mais, d'une facon generale, je puis faire remarquer que ce n'est pas +le surmenage cerebral, ni le surmenage musculaire, ni meme les vices +d'alimentation, le defaut de confort, l'aeration insuffisante, etc., +qui constituent les grands facteurs de la "maladie": c'est le surmenage +emotionnel, c'est le chagrin,--l'influence psychique, en un mot. + +Cependant les autres influences morbigenes meritent une mention +detaillee. Je les rapporterai aux trois chefs suivants: + +I. Surmenage cerebral. + +II. Surmenage musculaire. + +III. Alimentation defectueuse ou insuffisante. + +1 deg. _Surmenage cerebral_.--Le cerveau est fait pour fonctionner, comme le +coeur est fait pour battre; et il est bien rare que le travail cerebral, +a lui seul, si excessif qu'il puisse paraitre, soit une cause de +deterioration profonde, et surtout de decheance definitive. C'est bien +plutot un element de survie prolongee.--Voyez cet ecrivain qui, a +l'age de soixante-dix-huit ans, continue a etonner le monde par les +productions de son genie; il n'a jamais cesse de travailler, et il a pu +faire les frais, a soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, a cet age, +est presque toujours fatale. Quel est donc son secret? Son secret, c'est +de n'avoir aucune preoccupation etrangere a son travail; c'est d'avoir +une femme qui pense pour lui a tous les details de la vie; c'est d'avoir +une excellente hygiene morale, la paix du coeur et de l'esprit. + +Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail cerebral +insuffisant, et tout le monde sait que les desoeuvres sont bien a +plaindre. Ce sont des coupables, puisqu'ils n'apportent pas a l'oeuvre +sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils lui doivent; mais +ce sont aussi des malheureux, car la "maladie" les guette. Le desoeuvre +accidentel lui-meme, habitue a un travail cerebral considerable, s'il +est condamne trop longtemps au repos de l'esprit, sent qu'il lui manque +quelque chose: il perd son bon sommeil coutumier, et a hate de reprendre +le travail cerebral, qui lui est aussi necessaire que l'air respirable. + +Quand, cependant, le travail cerebral est pousse a une limite +veritablement excessive, il amene aussi ce que nous avons appele la +"maladie", c'est-a-dire la deterioration, quelquefois definitive ou +prolongee pendant des annees. On en voit des exemples chez les candidats +aux ecoles, a l'internat, a l'agregation, etc. On serait porte a croire, +_a priori_, que, dans ces cas, la "maladie" atteint l'organe surmene; +c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, meme quand elle est de cause +cerebrale, elle peut tres bien revetir les symptomes de la dyspepsie, de +l'enterite, tout comme si elle avait ete produite par une intoxication. +Il faut toujours en revenir aux notions que nous avons developpees au +chapitre precedent: a la notion des points faibles, et a la variete des +manifestations par lesquelles l'organisme traduit le malaise cause par +une influence determinee. + +2 deg. _Surmenage musculaire_.--Il n'amene qu'exceptionnellement la +"maladie". Chez le surmene musculaire, quelques jours ou quelques +semaines de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions d'aplomb; +et l'on ne saurait se figurer le rendement dont est capable la machine, +quand, par ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnees par la depense +cerebrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers italiens produire un travail +musculaire veritablement colossal, tout en ayant une alimentation tres +restreinte (polenta, macaroni, gruyere, viande une fois par semaine, +eau claire), et ce, sans le moindre prejudice pour leur sante. Ils se +contentaient du salaire dit "de famine", salaire qu'on serait mal venu +de proposer a nos ouvriers francais. + +Il est cependant incontestable que le travail musculaire, pousse a de +trop grands exces, peut devenir une cause de "maladie" momentanee, et +preparer le terrain a l'eclosion des affections accidentelles. Nous en +avons deja dit un mot a propos de l'entrainement dans l'armee, et des +sports chez les jeunes gens. + +3 deg. _Vices d'alimentation_.--Ils jouent un role important dans +la pathogenie de la "maladie", d'autant que, en dehors des cas +d'intoxication aigue, ils n'agissent qu'a la longue, traitreusement, +insidieusement. Le plus souvent, en effet, l'estomac et l'intestin ne +se revoltent qu'apres de longues annees de protestations presque +silencieuses. Mais, a partir du jour de cette revolte, la "maladie" +est constituee. Les symptomes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus +souvent la premiere place, ce qui n'est pas fait pour surprendre, +puisque c'est l'estomac qui a ete, dans ces cas, le plus specialement +moleste. Cependant, dans certains cas, les troubles dyspeptiques +passeront a l'arriere-plan, au point d'egarer completement le +diagnostic. Voyez cet hystero-epileptique qui n'a, pour un examinateur +superficiel, que des troubles cerebraux; il peut tres bien se faire +qu'il ait de l'epilepsie gastrique, qu'on fera disparaitre par un bon +regime. Dans ce cas, les phenomenes gastriques etaient au second plan +pour le clinicien, alors que, pour le therapeute, ils doivent etre au +premier plan. Si donc le clinicien veut etre bon therapeute, il doit se +rappeler les grandes lois que nous avons deja formulees: s'il traite +comme cerebral un sujet dont la "maladie" a ete provoquee par des +troubles alimentaires, il fait fausse route; de meme qu'il ferait +fausse route en traitant comme dyspeptique un sujet ayant des miseres +gastriques, intestinales, hepatiques, mais dont l'etat pathologique +aurait ete occasionne par du surmenage cerebral, medullaire, emotionnel. + +Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation defectueuse +retentit sur l'ensemble de l'organisme. + +On a fait grand bruit, ces derniers temps, de l'auto-intoxication +d'origine alimentaire; et beaucoup de medecins s'obstinent a ne voir +dans la "maladie", quelle qu'en soit la forme, et surtout quand elle +revet la forme nerveuse, qu'une sorte d'empoisonnement de la cellule +cerebrale par les toxines alimentaires. + +C'est la une hypothese assez commode, et qui rend compte d'un nombre +considerable de faits: mais ce n'est, en somme, qu'une hypothese, et +ne pouvant pas etre demontree par des observations veritablement +scientifiques. On pourrait tout aussi bien expliquer les phenomenes +rapportes a l'auto-intoxication par l'irritation que provoque, sur le +plexus solaire, un aliment defectueux, ou encore par l'irritation des +extremites nerveuses du pneumo-gastrique. On sait que ce nerf etend ses +ramifications sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on s'expliquerait +ainsi les irradiations a distance provoquees par l'irritation stomacale: +la dyspnee, l'asthme, les fausses cardiopathies, etc. + +Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation peuvent incontestablement +provoquer, a eux seuls, la "maladie". Mais, le plus souvent, ils +s'associent a d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, a la +debauche, etc. + +Les vices d'alimentation peuvent, a leur tour, se classer en quatre +categories distinctes: + +I. Alimentation excessive en quantite. + +II. Alimentation insuffisante en quantite. + +III. Alimentation insuffisante en qualite. + +IV. Abus de l'alcool. + +I. _Alimentation excessive_.--Nous ne voulons pas nous etendre ici sur +les inconvenients, vraiment assez connus, de l'alimentation excessive. +Disons seulement que l'alimentation excessive empoisonne peut-etre la +cellule nerveuse par les toxines alimentaires, mais que surement elle +impose aux organes charges de l'elimination (foie, reins, peau), un +travail exagere, inutile, et par consequent nuisible; de la, a la +longue, le surmenage et les protestations de ces divers organes, se +traduisant de mille et une facons (eczema, urticaire, gravelle, +etc.). Cette maniere de voir donne satisfaction aux partisans de +l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la theorie de l'irritation +du pneumo-gastrique, ou du plexus solaire, on peut egalement comprendre +comment cette irritation, presque permanente, des nerfs de l'estomac par +une alimentation incendiaire, amene, par action reflexe, des troubles de +coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon (asthme, dyspnee), du +cerveau et de la moelle, voire meme des troubles cutanes, etc. Pourquoi, +d'ailleurs, ne pas adopter les deux theories a la fois? ce ne serait, en +tout cas, pas deraisonnable. + +Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose _optima_ d'aliments qui +convient pour entretenir la vie et pour reparer les depenses incessantes +de l'organisme? Elle doit varier, evidemment, suivant le travail +produit, et suivant les individus. Tous n'ont pas le meme besoin +d'alimentation, pas plus que, dans un regiment de cavalerie, tous les +chevaux n'ont pas les memes besoins, bien qu'ils soient obliges aux +memes depenses musculaires. On a essaye de fixer mathematiquement ce +qu'on appelle la "ration d'entretien" et la "ration de travail"; et les +differents chimistes qui se sont livres a ce calcul sont arrives a des +chiffres qui variaient du simple au quadruple: mais tous s'accordent +pour demontrer qu'il faut _tres peu d'aliments_ pour subvenir a la +"ration d'entretien", et meme a la "ration de travail", de l'homme. La +verite est que nous mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la +machine humaine soit bien admirablement construite pour qu'elle resiste +aux assauts quotidiens que nous lui imposons. + +Comme ce probleme de la ration physiologique m'a toujours interesse, je +me suis livre a une enquete sur le regime des Chartreux; et j'affirme +que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est pour rien dans leur +morbidite. Ils ont beaucoup moins de jours d'indisponibilite que +la plupart des autres hommes du meme age, meurent plus vieux, et +s'eteignent sans "maladie". Pareillement, chez les Trappistes, le regime +fort severe n'est pas une cause de morbidite; j'ai meme ete etonne, +a leur propos, de voir la flexibilite de l'organisme humain, et de +constater qu'un homme habitue a manger comme tout le monde pouvait, d'un +jour a l'autre, sans troubler sa sante, passer au regime ultra-restreint +d'une Trappe. + +Mais, dira-t-on, avez-vous etudie le regime restreint chez les individus +qui depensent beaucoup? Oui, je l'ai etudie dans l'armee[7], et +j'affirme, au nom d'une experience de deux annees, pendant lesquelles je +me suis occupe de l'alimentation du soldat avec un colonel qui avait, +de ce grave probleme, tout le souci qu'il merite, que, si le soldat +francais, le seul que je connaisse, avait la quantite et la qualite des +aliments auxquels il a droit de par les reglements, et si ces aliments +etaient prepares comme ils devraient et comme ils pourraient l'etre dans +toutes les garnisons, sa nourriture serait tout a fait suffisante. Elle +n'est un peu au-dessous des besoins que pour les jeunes soldats, pendant +les trois premiers mois de la nouvelle existence qui leur est imposee; +aussi les officiers soucieux de la sante de leurs soldats reservent-ils +pour les nouveaux arrivants les _boni_ qu'ils ont pu realiser sur les +hommes dits "de la classe". + +[Note 7: _La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de +medecine legale_, fevrier 1890).] + +Tout le monde, du reste, connait la sobriete des guides alpins, qui, +non seulement, les jours d'excursion, se contentent d'une alimentation +extremement reduite (quelques morceaux de sucre et des fruits secs), +mais, en temps ordinaire, mangent tres peu, pour conserver leurs forces. +Les professionnels du sport, egalement, savent que la sobriete est la +condition de leur succes. + +Autre exemple: j'ai donne, pendant plusieurs annees, des soins a une +dame qui, avec toutes les apparences de la sante, etait constamment +souffrante: migraines, eczema, urticaire, affections cutanees +polymorphes, palpitations, dyspnee, insomnies, caractere inquiet, +emotivite exageree, sensation de fatigue permanente, tendance a +l'obesite,--et j'en passe, pour ne pas faire le tableau complet de ce +qu'on est convenu d'appeler la "grande neurasthenie". Chose curieuse, +elle avait peu de phenomenes digestifs, seulement de la constipation et +des hemorroides. Elle avait meme un vigoureux appetit, bien qu'elle prit +fort peu d'exercice. En vain, je m'acharnai a diminuer son alimentation: +precisement a cause de cet appetit de premier ordre, elle ne voulait +pas entendre parler de regime restreint. Mais voici que l'adversite +s'abattit sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en fut +reduite a ne plus manger que des pommes de terre cuites dans le four +d'un petit poele en faience, et des haricots; un demi-litre de lait +etait pour elle un grand extra. Or, a partir de ce jour, elle alla bien. +Toutes ses miseres disparurent successivement, en trois ou quatre mois, +y compris les miseres nerveuses et les migraines; et force me fut +d'attribuer au seul changement de regime la surprenante modification de +sa sante. Car on croira peut-etre que, pressee par le besoin, elle s'est +mise a marcher davantage, pour chercher du travail, ou pour se creer +des relations? Non, elle savait trop bien ce qu'il faut esperer des +relations quand on est dans l'extreme detresse; et je lui procurai un +travail sedentaire, qui consistait a faire des adresses sur des bandes, +pour un grand magasin de nouveautes. On avouera que ce n'est pas, +non plus, l'interet palpitant de ce travail qui a pu modifier +avantageusement sa mentalite. En dehors de ses douze heures de travail +quotidien, elle avait des preoccupations angoissantes, qui auraient +suffi pour ebranler un systeme nerveux moins equilibre. C'est donc bien +uniquement, toute analyse faite, a la restriction du regime, et a cet +element seul, qu'elle a du son retour a la sante. Et je pourrais, la +encore, multiplier les exemples: mais aucun ne peut etre plus typique +que celui que je viens de relater a grands traits. + +Ceci etant, j'aurai peu de choses a dire de l'alimentation insuffisante. + +II. _Alimentation insuffisante en quantite_.--Tout le monde connait +les desastres occasionnes par les famines qui sont encore, helas! trop +frequentes en Russie, aux Indes, en Algerie. En France, nous estimons +que personne ne doit avoir une alimentation insuffisante, et que c'est +une honte pour une societe civilisee d'avoir un seul de ses membres +manquant du necessaire. Nous n'hesitons pas a proclamer que ce desherite +aurait, dans ce cas, le droit absolu de prendre ce qui est indispensable +a sa vie, et cela sans etre meme tenu de le rendre si un jour la +capricieuse fortune venait a lui sourire. C'est d'ailleurs la doctrine +de l'Eglise, nettement formulee par saint Thomas, et tres bien expliquee +dans un livre recent (_Socialisme et Christianisme_) de l'abbe +Sertillanges, professeur de philosophie a l'Institut catholique. Mais +laissons la ces considerations d'ordre social, renoncons au delicat +plaisir qu'il y aurait a errer dans les sentiers adjacents, et +reprenons notre grande route! Ce qui est sur, c'est que le probleme de +l'insuffisance d'alimentation n'a pas souvent a etre resolu, chez les +gens bien portants; notre etat social n'etant pas aussi detestable +que se plaisent a le dire quelques pessimistes, ou encore quelques +jouisseurs, qui semblent n'avoir pour but que de semer la haine par +leurs discours et par leurs ecrits. En France, personne ne meurt de +faim, et bien peu de gens sont menaces d'insuffisance alimentaire, etant +donne le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter. + +La ou le probleme de l'insuffisance alimentaire devient, pour le +medecin, d'une douloureuse perplexite, c'est quand il s'agit de malades +ne pouvant ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence rien +digerer, vomissant tout ce qu'ils prennent, arrives au dernier degre de +la consomption, n'urinant presque plus, restant des semaines entieres +sans aller a la garde-robe, ne dormant plus, ne pouvant plus ni lire, ni +supporter une conversation, ni penser. Tous les medecins ont vu de ces +grands malades sans lesions organiques, auxquels il est tres difficile +de faire du bien, et auxquels on fait trop facilement du mal par une +intervention intempestive. Est-il admissible que la vie persiste dans +ces conditions deplorables, et faut-il, oui ou non, forcer ces malades a +manger? + +Il est certain que, parfois, en brusquant la resistance du systeme +nerveux, en domptant sa revolte, on arrive a des resultats remarquables. +Chez de grands nevropathes, on est tout etonne de voir qu'une seule +application de la sonde oesophagienne suffit pour faire renaitre +l'appetit, et rendre a l'estomac la tolerance qu'il avait perdue depuis +longtemps. Le plus bel exemple dont j'aie souvenance, a cet egard, est +celui d'une jeune femme mariee a un capitaine au long cours. Des le +lendemain du mariage, il l'emmenait en voyage de noces a San Francisco, +en passant par le detroit de Magellan, sur un navire a voiles. Pendant +ce voyage, qui dura six mois, la jeune femme commenca a eprouver divers +symptomes morbides. Elle en arriva a etre gravement atteinte, et on dut +la faire revenir, par les voies les plus rapides, de San Francisco +a Paris, ou elle desirait se confier a mes soins. A son arrivee, je +trouvai une veritable loque humaine, ayant toutes les apparences d'une +tuberculeuse avancee; l'auscultation ne revelait cependant rien. Pendant +les trois premieres semaines de son sejour a Paris, elle avait une +inappetence absolue, ne tolerait aucun aliment, pas meme le lait coupe, +et etait devoree par une fievre qui atteignait, le soir, 44 deg.. La +temperature s'abaissait a 40 deg. le matin. Bien que la chaleur de la peau +fut mordicante, bien que la malade n'eut aucun interet a me tromper +puisque c'est de son plein gre qu'elle m'avait appele, je me refusai a +croire a la possibilite d'une fievre aussi ardente et aussi continue. Je +m'attachai a verifier et a faire verifier avec le plus grand soin les +indications thermometriques; elles etaient parfaitement exactes. C'est +alors que, en desespoir de cause, voyant que ni la quinine en injections +ni les lotions fraiches ne modifiaient cette temperature, je me decidai +a recourir aux lumieres du Dr Babinski, qui, apres examen, me dit: "Je +ne trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement pas +d'impaludisme; nous sommes donc en presence d'une de ces hyperthermies +comme on en rencontre chez les grandes hysteriques. Mais le plus presse +est d'empecher cette femme de mourir de faim, et, puisqu'elle ne peut +pas manger, il faut la suralimenter par la sonde." Ainsi fut fait; et, +apres cinq repas assez copieux donnes a la sonde, la malade retrouva +l'appetit, la fievre tomba, le sommeil revint. Deux mois apres, elle +pouvait quitter Paris, et, vingt-huit mois apres, je recevais une lettre +m'annoncant la naissance d'un enfant. Suivant la formule traditionnelle, +la mere et l'enfant se portaient bien. + +Autre exemple. Quand j'etais au Val-de-Grace, le professeur Delorme +m'invita a voir l'un de ses malades, opere depuis dix jours, et qui, +depuis, ne voulait pas manger. Il etait gueri de son operation, n'avait +aucune fievre, aucune lesion organique, mais il se refusait obstinement +a avaler quoi que ce fut. C'etait probablement le choc operatoire qui +avait produit une folie passagere. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il +maigrissait a vue d'oeil. Je n'hesitai pas, alors, a lui donner du +premier coup, par la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance +possible, un repas complet; des le meme soir, il demandait a manger, et, +s'etant mis a digerer, il etait gueri. Huit jours apres, il sortait de +l'hopital en tres bon etat. Nul doute encore que, chez les alienes, il +ne soit du devoir strict du medecin de prolonger l'alimentation a la +sonde aussi longtemps qu'elle est necessaire, apres s'etre toutefois +bien enquis du fonctionnement du systeme digestif. Il y a la de grosses +difficultes cliniques. + +D'une facon generale, cependant, nous hesitons toujours a employer ce +moyen brutal qu'est la sonde oesophagienne; le plus souvent, quand +l'alimentation est indiquee pour une grande neurasthenique qui ne veut +ou ne peut pas manger, nous la lui imposons par suggestion a l'etat +de veille. Mais la n'est pas encore la difficulte veritable. La +vraie difficulte est de savoir a quel moment il faut alimenter. La +responsabilite du medecin est, quelquefois, bien gravement engagee +dans ce probleme. S'il alimente a tort, soit a la sonde, ou meme par +suggestion ou par persuasion, il risque de donner a sa malade une +indigestion formidable, avec fievre ardente et quelquefois collapsus; il +risque, en d'autres termes, d'epuiser les lueurs de vie qui soutiennent +l'existence de la malade. Etant donne ce que nous avons dit du peu +d'aliments qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques a redouter +d'une alimentation intempestive, nous croyons qu'il faut patienter le +plus possible, et ne donner a ces malades que le regime ultra-restreint, +sans se laisser emouvoir par la tyrannie de l'entourage, toujours pret a +se figurer que la malade va mourir de faim. Et puis, peu a peu, quand, +par une alimentation restreinte mais bien conduite, on a ete assez +heureux pour vaincre l'intolerance gastrique,--et on y arrive +toujours,--alors seulement on alimente plus genereusement. + +Nous savons que ce n'est pas la maniere de proceder habituelle de nos +confreres renommes pour le traitement des grandes nevroses; mais nous +ne pouvons pas admettre que tous les malades, quel que soit le degre de +leur "maladie", soient justiciables d'un meme procede therapeutique, et +que, apres six jours de repos au lit et de regime lacte, il suffise +de leur dire: "Mangez, je l'ordonne!" pour qu'ils mangent et qu'ils +digerent n'importe quoi. Ils mangeront peut-etre, mais tous ne +digereront pas. + +III. _Alimentation insuffisante en qualite_.--Si l'insuffisance +alimentaire quantitative joue, dans la pathogenie de la "maladie", un +role relativement minime, il n'en est pas de meme de l'insuffisance +qualitative; et la defectueuse qualite des aliments est un ennemi de +tous les jours, d'autant plus dangereux qu'on ne le soupconne point. On +ne saurait croire combien les aliments les plus usuels sont frelates. +Si une chimie bienfaisante permet, par-ci par-la, de decouvrir quelques +fraudes, il est une chimie malfaisante qui fait tous les jours des +progres, et qui nous empoisonne sans que nous nous en doutions. Bientot +le dictionnaire des falsifications alimentaires atteindra le volume du +Bottin. Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se mettent aussi +de la partie, et, par les procedes de congelation, en particulier, on +arrive a jeter sur les marches des aliments de belle apparence, mais +qui deviennent toxiques avec une rapidite surprenante. Prenons, a titre +d'exemple, les poissons de mer. Je me souviens d'avoir ete frappe, dans +un port de mer, par la vue de gros blocs de glace que des pecheurs +emportaient avec eux. Ces blocs ne me disaient rien qui vaille; et +j'appris, en effet, que ces pecheurs partaient pour huit ou dix jours, +et que, au fur et a mesure qu'ils prenaient du poisson, ils le mettaient +dans la glace: de telle sorte que ce poisson congele arrive sur nos +marches avec bel aspect, mais, passant par cinq ou six intermediaires +avant de parvenir a notre table, il y parvient a l'etat d'aliment +toxique. + +Certains procedes de sterilisation sont egalement vus d'un mauvais oeil +par l'hygieniste. Pour les conserves de viande, notamment, on sait les +preoccupations bien legitimes de l'autorite militaire; et le probleme +vient seulement d'etre resolu, grace au zele d'une commission composee +de nos plus distingues maitres, en hygiene, en chimie, en bacteriologie +qui ont travaille pendant de longs mois. + +Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est pourquoi il est si +souvent un breuvage meurtrier, non seulement pour les enfants, mais meme +pour les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifie, ou +adultere spontanement, qu'il est, chez les malades, d'un emploi si +delicat. Remarquez que nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si +le lait n'est pas supporte par les malades, ce n'est pas parce qu'il +est altere, c'est parce qu'il est trop riche en creme, ou pris en trop +grande quantite, c'est aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple +bon sens indique alors qu'il faut soit l'ecremer, ou s'en abstenir, sans +poursuivre le projet insense de vaincre l'intolerance des malades. A +cela on y arrive parfois, quand le malade est complaisant, mais le plus +souvent on echoue. + +Les aliments adulteres, quels qu'ils soient, poissons, mollusques, +viandes, provoquent des empoisonnements dont on neglige souvent de +chercher la cause. Ils revetent parfois les apparences de la fievre +typhoide grave, ou de la typhoidette, et, entre ces deux extremes, +toutes les varietes cliniques se rencontrent. D'autres fois, ils +empruntent le masque du cholera ou de la cholerine. Il va de soi que le +traitement consiste a attendre que l'economie soit debarrassee de ces +poisons (diete absolue d'abord, puis tisanes et repos); quant a chercher +a favoriser l'elimination des poisons par des purgatifs ou des vomitifs, +c'est tres legitime en theorie, mais, en fait, tres dangereux, car on +ajoute ainsi un element de perturbation qui aggrave parfois grandement +l'etat morbide. + +Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication alimentaire +n'occasionne qu'a la longue la perturbation du systeme digestif; et +c'est alors qu'il est si difficile de rapporter les effets directs et +eloignes de cette perturbation a leur cause veritable. + +IV. _Alcool_.--Certes, l'alcool et toutes les boissons distillees, +quelque pompeuse que soit l'etiquette de leur flacon recepteur, +constituent un aliment meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en +leur conservant le nom d'aliment. C'est par deference pour la memoire de +Duclaux, qui a excite de si vives polemiques en ecrivant que l'alcool +etait un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme sont de ceux +que deplorent tout hygieniste et tout bon citoyen; aussi ne saurait-on +encourager trop les ligues contre l'alcoolisme, les societes de +temperance, etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts contre +les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache aux conditions +economiques de la societe? L'alcoolisme durera aussi longtemps que +l'impot sur l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporte a l'Etat +358 392 000 francs (et dans ce chiffre ne sont pas compris les droits +sur les vins, cidres, bieres, etc.); aussi longtemps que la puissance +electorale du marchand de vin; aussi longtemps que le malaise +de l'ouvrier, pousse au cabaret par la destruction du foyer et +l'insalubrite du logis... + +Et l'on ne peut meme s'empecher, tout en souhaitant sincerement le +succes des genereux efforts des ligues anti-alcooliques, de conserver un +reste de pitie pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool un oubli +momentane aux miseres humaines. C'est souvent leur malheur, et non leur +faute, s'ils tombent dans la degradation progressive qu'on deplore a +trop juste titre. + +Mais autant est legitime la campagne contre les boissons distillees, +autant, a notre avis, les boissons fermentees devraient trouver grace +devant la rigueur des hygienistes; et nous pensons que la ligue +anti-alcoolique francaise, pour ne parler que d'elle, compromet d'une +facon irremediable le resultat qu'elle poursuit, si elle continue a +proscrire les boissons _fermentees_. Qu'un intellectuel dyspeptique ne +tolere pas une goutte de vin a ses repas, c'est chose possible, et il +fera bien de s'en abstenir; mais proscrire le vin, la biere, le cidre, +c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a quelques annees, +on pouvait dire qu'un litre de vin representait 100 grammes de mauvais +alcool; mais depuis la surproduction des vignes francaises, et depuis +qu'on a diminue les droits d'octroi, le vin est devenu une boisson +hygienique, quand elle est prise a petite dose par des gens dont +l'estomac n'est pas delabre. Certes, l'ouvrier charge de famille ferait +mieux, comme le lui conseillent les hygienistes en chambre, de depenser +a l'achat d'aliments azotes, ou hydro-carbones, le franc qu'il depense +a acheter du vin; mais que deviendrait la vie si elle etait soumise aux +tyrannies des theoriciens hygienistes? + +Pour les soldats, en particulier, il serait a souhaiter que le vin +entrat dans la ration reglementaire. Presque tous apprecient enormement +le vin, et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du chef qui +leur octroie aimablement un quart de litre de vin. Malheureusement, il +ne faut pas songer avant longtemps a introduire l'usage regulier du vin +dans l'armee, a cause de la depense: si l'on voulait se rappeler que, +chaque fois qu'on augmente d'un centime par jour la depense du soldat +francais, le budget se trouve greve d'un million par an, on mettrait fin +du coup a toutes les discussions, plus ou moins interessees, qui font +perdre a nos legislateurs un temps precieux. + +Un esprit chagrin pourrait nous repondre que l'eau sterilisee que l'on +donne aux soldats coute plus cher que le vin, si l'on tient compte du +prix d'achat des appareils sterilisateurs, du prix du combustible, et +surtout de la repugnance invincible qu'ont les soldats a boire cette eau +cuite, presque toujours tiede malgre les soins qu'on met a la refroidir +apres la sterilisation; mais nous aurions mauvaise grace a nous associer +a ces critiques. Il ne faut decourager les efforts de personne. + +Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une boisson recommandable +pour l'adulte valide, chez le malade le vin et les autres boissons +fermentees sont, en general, de veritables toxiques; et c'est par +la suspension du vin qu'il faut commencer le traitement de tous les +dyspeptiques. Mais quand l'estomac a cesse de protester, quand il s'agit +d'aider a la reconstitution du systeme nerveux, le vin devient un +adjuvant utile; et non pas sous une forme pharmaceutique quelconque, +mais sous la forme de bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin +d'Algerie, du Midi, etc.). + +En resume, les erreurs de l'alimentation sont essentiellement +regrettables, comme le sont toutes les erreurs contre la veritable +hygiene; elles entrent pour une bonne part dans la genese de la +"maladie"; mais elles ont ete denoncees de toutes parts, etudiees a +fond, tandis que les influences qui nous restent a passer en revue +agissent plus profondement encore, d'une maniere plus insidieuse et plus +malfaisante; et leur role pathogenique n'est, en general, pas apprecie a +sa juste valeur. Nous voulons parler des influences morales. + + +II.--CAUSES MORALES + + +Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence du moral sur le +physique; mais, malgre les travaux de divers philosophes, les medecins +en general ne connaissent pas encore assez cette influence du moral, et +ne lui attribuent pas assez d'importance. En realite, elle joue un role +enorme, et dans presque tous les cas elle se rencontre, pour qui sait la +chercher. Malheureusement, pour faire de semblables enquetes, il faut +beaucoup de temps, il faut que le medecin devienne le confident, l'ami +de son malade, et qu'une regrettable suspicion de l'entourage ne +l'empeche pas d'accomplir son oeuvre. Il faut, en outre, que le medecin +ait des qualites de psychologue. Il doit savoir lire dans la pensee du +sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre a mots couverts. + +Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales de "maladie" sont +multiples, et peuvent etre rapportees aux quatre grands chefs suivants, +que nous classons par ordre d'importance effective, sans aucune +pretention psychologique: + +1 deg. Pertes materielles, pertes de fortune, pertes au jeu, etc., ambitions +decues. + +2 deg. Influences qui compromettent, par une action lente et continue, la +quietude de l'ame (passions contrariees, chagrins d'amour). + +3 deg. Inquietudes d'origine altruiste (chagrins occasionnes par +l'eloignement ou la perte d'etres aimes). + +4 deg. Choc moral et choc traumatique. + +1 deg. _Pertes materielles_.--Les pertes de fortune, les changements de +situation, sont des facteurs moins importants qu'on ne se le figure +d'ordinaire, relativement a l'eclosion de la "maladie". Une fois le +premier choc recu, les victimes s'adaptent assez vite aux nouvelles +conditions d'existence qui leur sont faites, si elles n'ont pas, par +ailleurs, a s'alarmer pour leurs enfants, et si elles sont prealablement +bien portantes. On pourrait paraphraser la pensee d'Horace, en disant: +_Sanum et tenacem impavidum feriunt ruinae_. C'est ainsi qu'on a pu +definir l'homme: "Un etre qui s'habitue a tout"; et c'est peut-etre la +meilleure definition qu'on en ait donnee. + +Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, les +perturbations dans la situation sociale, les pertes d'argent, provoquent +des assauts considerables,--que le medecin doit savoir deviner,-- +capables de produire la "maladie", et surtout de l'aggraver quand elle +existe deja a un degre quelconque. Voyez ce diabetique qui, d'un jour +a l'autre, rend une quantite triple de sucre, et cherchez bien: c'est +souvent parce qu'il a eu, la veille, une perte d'argent. + +Les pertes au jeu sont encore plus pathogenes qu'une perte survenue +accidentellement ou par imprudence; c'est que le jeu, en lui-meme, a une +influence morbide considerable. Le joueur, en effet, vit dans un milieu +anti-hygienique; il joue, le plus souvent, la nuit, et se prive de +sommeil; en outre, son surmenage emotionnel est double de surmenage +cerebral; bref, la funeste habitude du jeu merite une place d'honneur +parmi les causes morales pathogenes. + +Les ambitions decues ont beaucoup d'analogie avec les pertes au jeu. +Ici l'enjeu, au lieu d'etre une somme d'argent, est un grade, une +decoration, un hochet quelconque, auquel l'interesse attribue +quelquefois une importance qui nous fait sourire, mais qui, cependant, +lui tient grandement au coeur: car tout est relatif dans la vie, et +l'ambition decue apres de longs efforts, apres des tentatives souvent +repetees, se traduit par l'apparition de la "maladie". Qui ne connait, +dans son entourage, un officier navre d'avoir a prendre sa retraite sans +avoir obtenu le grade ou la distinction reves, et qui fait le malheur +d'une famille, et son propre malheur, au point d'en perdre la sante, ou +quelquefois la vie? "Vanite des vanites", disait le sage; mais c'est de +cette nourriture que vivent les hommes. + +2 deg. _Influences qui compromettent la quietude de l'ame_--Les unes +agissent par leur continuite: ce sont les coups d'epingles incessants +dans un menage ou il y a incompatibilite d'humeur, les petites querelles +de famille quotidiennes, l'impossibilite de fuir un milieu ou l'on ne se +sent pas a l'aise. C'est le fait d'etre souvent en butte aux taquineries +ou aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend pas, d'avoir a +subir l'autorite malveillante d'un parent, d'une mere. La victime se +trouve tiraillee a tout instant, retenue, d'un cote, par la notion plus +ou moins forte du devoir, et, d'un autre, poussee a la revolte par les +vexations, reelles ou imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice +incessant finit par "enerver",--c'est le mot qu'on emploie +journellement,--autrement dit, finit par amener la "maladie", a un degre +variable: et l'une de ses formes les plus connues s'appelle le delire de +la persecution, quand le trouble mental domine la scene morbide. Mais, +si l'on etudie de pres un "persecute", on verra bien vite qu'il n'est +pas malade que de la tete; il digere mal, il est constipe, il maigrit, +il a souvent des battements de coeur, de la dyspnee, la peau seche, +etc., etc.; toutes ses fonctions sont en delire. Tout est fou chez +l'aliene, parce que l'aliene n'est pas autre chose qu'un "grand malade". + +D'autres fois, c'est une passion vive, intense, qui compromet +l'equilibre de la sante. La passion amoureuse merite, a ce titre, d'etre +signalee au premier rang; nous en avons dit un mot deja, a propos de la +jeune fille: mais ici nous l'etudions dans sa forme ardente, fougueuse, +la forme qu'elle revet chez l'etre adulte. Alors elle met le systeme +nerveux dans un etat d'erethisme, d'hyperesthesie, qui peut se traduire +par la production de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de _Tristan +et Yseult_, ou comme la _Nuit d'Octobre_, mais qui amene souvent, chez +celui qui en est victime, une perturbation generale de la sante, quand +un obstacle d'ordre moral ou materiel empeche cette passion de se +satisfaire. La victime perd alors le sommeil, s'agite dans le vide, +est dans un etat d'inquietude mentale qui compromet les fonctions +digestives; l'estomac entre en scene, le cercle vicieux s'etablit; la +"maladie" est constituee. Elle durera tant que durera sa cause, ou +qu'une savante hygiene morale n'aura pas porte le remede efficace. Bien +souvent, d'ailleurs, le temps seul est le remede; et il faut savoir +attendre, sans imposer au malade une medication perturbatrice, qui +aggraverait son etat. + +Lorsque la victime est obligee de garder pour elle son secret, sans +pouvoir le communiquer a un confident, sa situation est encore plus +lamentable. Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de la +l'importance que prend le medecin, lorsqu'il parvient a inspirer +confiance a son malade et a provoquer chez lui des confidences, qui le +soulagent plus que ne le feraient l'hydrotherapie ou l'electricite. + +Combien de femmes sont malheureuses en menage sans que personne s'en +doute! Elles dissimulent avec un soin jaloux a leur famille, a leurs +amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et combien leur misere +n'est-elle pas attenuee quand elles peuvent confier leur chagrin a un +homme de bon conseil? + +3 deg. _Inquietudes d'origine altruiste_.--Les inquietudes relatives a la +sante d'un etre cher sont souvent aussi une cause de neurasthenie, et il +n'est pas rare de voir les divers membres d'une famille devenir, tour +a tour, malades, par le fait des preoccupations et des fatigues qu'a +causees l'atteinte d'un premier membre. Une mere qui, comme je l'ai vu, +passe vingt jours et vingt nuits sans quitter le chevet de son enfant +atteint de fievre typhoide, sera une malade lorsque l'enfant sera gueri. +Elle pourra peut-etre devenir, a son tour, une typhoidique; mais, meme +si elle ne prend pas la fievre typhoide, sa sante sera ebranlee pour +longtemps. De meme encore le fait d'avoir un enfant infirme, qu'on +voit du matin au soir, empoisonne assez l'existence pour entrainer, +quelquefois, la "maladie". + +Dans une famille bien unie, la nevrose de l'un des membres ebranle +tellement le systeme nerveux des autres, que la necessite de la +separation s'impose. La contagion de la nevrose n'est cependant pas une +"contagion" au sens propre du mot; mais, en pratique, on est souvent +appele a traiter le malade comme s'il etait contagieux, dans son propre +interet et dans celui de son entourage. + +Le depart des etres qui nous sont chers est un autre facteur important +de "maladie":--meme la separation momentanee, (femmes de marins ou de +militaires partant en campagne),--sans compter que le chagrin de la +separation se double, en ce cas, d'inquietude pour les dangers que va +courir l'etre aime. On voit alors la "maladie" survenir au bout de +quelque temps, revetir une forme quelconque, avec des manifestations +variant a l'infini (insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptomes +traduisant le malaise du systeme nerveux central, qui ne s'attenuera +que quand la cause disparaitra. Et meme, une fois la cause disparue, il +pourra persister encore des mois et des annees, parce que l'habitude +morbide est prise, parce que le systeme nerveux a recu le choc. La +cellule continuera a vibrer de travers, comme la surface d'un lac +continue a etre agitee bien longtemps apres la chute de la pierre qui a +trouble son repos. + +Quand la separation est definitive, le mal est plus profond encore, et +l'expression de "vie brisee" est absolument juste. La perte d'un etre +cher atteint la vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un seul +coup, le capital biologique. Le malade trainera une existence plus +ou moins lamentable, et plus ou moins prolongee; mais les moyens +therapeutiques les plus actifs ne le gueriront pas. Seule une saine +philosophie attenuera ses maux, et le medecin a surtout a lui offrir une +bonne psychotherapie. Le temps, aussi, devient un remede avec lequel il +faut compter; le role principal du medecin, dans les cas de ce genre, +doit etre d'empecher l'organisme de s'effondrer, pour permettre au temps +d'accomplir son oeuvre reparatrice. + +4 deg. _Choc moral et choc traumatique_.--Une emotion violente, quelle +qu'en soit la cause, peut egalement amener la "maladie" sous une forme +quelconque, et parfois lui faire revetir immediatement, sans transition, +les formes les plus graves. Je connais un officier tres distingue, et +bien portant jusqu'alors, qui, etant a l'Ecole de guerre, fit une chute +de cheval sur la tete. Apres deux jours de perte presque complete de +connaissance, il recouvra successivement la parole, la memoire, le +mouvement, les forces; mais il etait devenu un malade. Depuis douze +ans, il traine une existence pitoyable. Ce ne sont pas seulement les +fonctions cerebrales qui sont atteintes, chez lui; elles sont meme +relativement respectees, il n'a que des vertiges, des bourdonnements de +l'oreille gauche, des picotements dans les yeux, de la difficulte a lire +et a causer. Au demeurant, son intelligence est restee intacte: mais +toutes ses autres fonctions ont ete perturbees. Il a des nevralgies +erratiques,--plusieurs medecins ont cru que c'etait un candidat a +l'ataxie locomotrice,--et surtout il a les troubles digestifs les plus +varies (gastralgie, pesanteurs, gaz, ainsi que de l'enterite membraneuse +avec alternative de constipation opiniatre et d'une diarrhee qu'il est +difficile d'arreter). Les forces sont tellement reduites qu'il peut +a peine faire deux ou trois kilometres, bien qu'il ait conserve les +muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type de malade, atteint de ce +qu'on appelle la "neurasthenie hystero-traumatique", ce sont les +troubles digestifs qui sont au premier plan, bien que le choc ait porte +sur la tete. + +De meme une frayeur, sans qu'il y ait eu de _trauma_ veritable de la +boite cranienne, suffit pour amener le choc determinant la "maladie". +J'ai vu a la Salpetriere, autrefois, une malade qui, des le debut du +siege de Paris, devint folle pour avoir vu eclater un obus a ses pieds. +On comprend donc qu'une serie d'emotions et de frayeurs arrive au meme +resultat. De la l'enorme proportion d'alienes observee apres le siege +de Paris; de la, la multiplicite des cas de psychonevrose, d'alienation +mentale, signales dans l'armee russe pendant le cours de la guerre +russo-japonaise. Jamais, depuis que les hommes s'entre-tuent, le systeme +nerveux des belligerants n'avait ete soumis a d'aussi dures epreuves. +Tous les facteurs morbides s'accumulaient, chez les Russes, pour +produire le desarroi du systeme nerveux. Eloignement de la patrie, +voyage prolonge en chemin de fer, alimentation insuffisante, manque +de confiance dans les chefs, menace incessante de surprise, surmenage +physique s'ajoutant au surmenage emotionnel; c'est plus qu'il n'en faut +pour rendre malade le malheureux soldat ou officier russe, pour peu +qu'il soit predispose par l'alcoolisme ou par l'heredite nerveuse. Mais +que faire contre un semblable etat de choses? L'homme sense ne peut que +deplorer l'inanite des efforts de tous les pacifistes. + +Ces "maladies", consecutives au fleau qu'on appelle la guerre, ne sont +pas assez connues du monde extra-scientifique. On se figure volontiers +que, quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est rien; c'est +pendant quinze et vingt ans que les nefastes effets d'une guerre se font +sentir. Pendant vingt ans, nous avons eu a soigner des officiers qui +avaient pris le germe de leurs "maladies" pendant la campagne de 1870, +et surtout pendant la captivite. + +Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous les jours l'influence du +choc chirurgical sur la genese de la nevrose. On commence a connaitre +les psycho-nevroses consecutives aux grandes operations: mais c'est un +point sur lequel il convient d'attirer l'attention, pour moderer le zele +chirurgical des operateurs. Ils doivent savoir que, quand l'operation +est finie et bien finie, tout n'est pas termine, et que le patient, +sorti gueri de leurs mains, est quelquefois "un malade" qui restera tel +pendant plusieurs annees. Le choc traumatique produit par l'intervention +chirurgicale suffit pour expliquer ces accidents tardifs. + +J'ai, pendant longtemps, donne des soins a une dame qui, d'une tres +belle sante jusqu'a trente-huit ans, est devenue grande nerveuse, avec +anorexie, amaigrissement, etc., immediatement apres une operation de +tumeur benigne du sein. Depuis lors, elle est sans cesse preoccupee de +la recidive possible d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnee par +des malaises de tout genre qu'elle n'avait pas avant l'operation. + +Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, meme de moindre +importance encore, d'importance ultra-minime, peut mettre le systeme +nerveux dans un etat d'ebranlement durable: c'est quand elle occasionne +une violente douleur. La douleur provoque une fuite nerveuse enorme. +Ainsi je connais une jeune fille, de bonne sante anterieure, qui est +devenue neurasthenique immediatement apres des operations sur les dents. + +Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales sont +pratiquees sur des personnes dont le systeme nerveux est deja ebranle +plus ou moins, elles deviennent une cause d'aggravation notable. +La seule crainte de l'operation possible suffit pour provoquer une +aggravation de la nevrose. Est-il un medecin qui n'ait pas vu accourir +chez lui, forcant sa porte, une cliente, affolee parce qu'elle a +constate sur elle, ou cru constater, une tumeur du sein? Et c'est bien +autre chose encore quand le diagnostic est douteux, quand la malade +va de chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis ferme; jusqu'a ce +qu'elle soit fixee sur son sort, elle est dans un etat d'anxiete que ne +connaissent peut-etre pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur +dicter leur conduite non pas seulement au point de vue operatoire, mais +au point de vue psychique. + +Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. Leur sang-froid, leur +maitrise d'eux-memes, leur habilete manuelle m'etonnent; les merveilleux +resultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font les considerer, au +total, comme de vrais bienfaiteurs de l'humanite. Aussi ai-je l'espoir +qu'ils ne m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer que, +a cote de beaucoup de bien, ils font un peu de mal, et un mal qu'ils +pourraient ne pas faire s'ils connaissaient mieux les repercussions +qu'ont, sur le systeme nerveux, leur intervention, et aussi les soins +qu'ils donnent a leur malade apres l'operation. Je voudrais ne les voir +intervenir qu'en cas d'absolue necessite, se defendre energiquement +contre les operations qu'on pourrait appeler de complaisance:--comme +celle qui a ete pratiquee, contre mon avis, sur une malade qui se +croyait atteinte d'appendicite chronique, et qui n'etait que grande +nerveuse. Cette malade avait deja appele, malgre moi, quatre chirurgiens +qui n'avaient pas voulu operer; un cinquieme se decida a le faire, sans +avoir de conviction absolue, au sujet de l'existence d'une appendicite, +mais avec la persuasion que la malade, debarrassee de son obsession en +meme temps que de son appendice, recouvrerait la sante. Or il n'en fut +rien: l'appendice etait sain, et la malade, legerement amelioree pendant +un mois, par le fait du repos au lit, du regime severe, de l'espoir +qu'elle avait, et que je fus le premier a entretenir, vit bientot son +etat devenir pire qu'avant l'intervention. + +Je demanderai aussi a nos confreres les chirurgiens de tenir le moins +possible les malades en suspens pour savoir si l'on operera, et quel +sera le jour de l'operation. Cette attente, cette perplexite, sont +angoissantes au premier chef pour les personnes deja nerveuses. Et je +leur demanderai, enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre medicale +apres l'operation... Je sais bien que, dans certains cas, le chirurgien +doit suralimenter et meme medicamenter son opere, au risque de lui +fatiguer l'estomac, et de compromettre les resultats qu'une savante +hygiene alimentaire avait difficilement obtenus, pendant les mois ou les +annees qui ont precede l'intervention. La, il y a force majeure; et, +dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il savait bien faire de +la mauvaise besogne, mais il se comparait aux pompiers que n'arrete +pas la consideration de degats limites, quand il s'agit de sauver un +immeuble. Mais, le plus souvent, l'opere guerirait sans intervention +medicale et sans champagne, sans suralimentation, sans medicaments, sans +morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, au sortir de la maison +d'operations, son systeme nerveux serait moins ebranle qu'il ne l'est. +Il serait plus vite remis du choc traumatique inevitable, qui, a lui +seul, est un important facteur de depreciation de la valeur biologique. + +Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de la morphine aux malades, +et a des doses effrayantes? Je sais bien qu'en general ces doses +invraisemblables,--de 1 a 2 centigrammes repetes deux fois par +jour,--sont tolerees, pendant les premiers jours qui suivent +l'operation, parce que l'opere a une telle sideration du systeme +nerveux qu'il ne reagit pas au poison[8]. Mais combien, aussi, ont des +vomissements et des symptomes d'intoxication grave? Et plus facheux +encore est le resultat quand le malade se met a aimer l'odieux poison, +et devient morphinomane,--ce qui arrive quelquefois. De grace, reservez +donc la morphine pour les cas exceptionnels de souffrance, et n'en +confiez pas l'administration a une garde, si bien intentionnee et si +intelligente que vous la supposiez; vos malades n'en seront que plus +vite gueris! + +[Note 8: J'ai traite plus longuement ce sujet dans le _Bulletin de +la Societe Therapeutique_, novembre 1905.] + +Ou bien encore cette habitude de purger les malades, deux ou trois jours +apres l'operation, de leur donner des lavements, alors qu'ils auraient +tant besoin de repos! La constipation n'est-elle donc pas un symptome, +une manifestation, presque inevitable, de l'ebranlement du systeme +nerveux provoque par le choc operatoire? Laissez le systeme nerveux +reprendre son equilibre, et la constipation disparaitra d'elle-meme, +quand l'opere, sollicite par son appetit spontanement renaissant, +recommencera a manger. + +Et ne croyez pas que ce soit la de la theorie, une simple vue de +l'esprit d'un reveur qui n'a pas vu d'operes! La demonstration a ete +faite pour moi, d'une facon decisive, comme dans une experience de +laboratoire. Quand j'etais au Val-de-Grace, le professeur Delorme a bien +voulu m'associer aux longues recherches qu'il a faites pour provoquer la +constipation chez ses operes. Or, de tatonnements en tatonnements, il en +etait arrive a constiper tous les hommes ayant a subir des operations +dans les regions abdominales, inguinales et crurales; il evitait ainsi +la souillure, et, par consequent, le renouvellement des pansements. Et +ce n'etait pas une constipation de deux ou trois jours qu'il provoquait, +mais bien de douze ou quinze jours. Chez un malade de mon service, opere +par lui pour une cure radicale d'hemorroides, la constipation a ete +entretenue pendant dix-huit jours. J'ai demande recemment a M. +Delorme s'il etait toujours fidele a cette pratique; il m'a repondu +affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi une statistique de +laquelle il resulte que, depuis le jour ou il m'avait convie a assister +a ses premiers essais, en 1889, il avait opere, apres constipation +provoquee, tant au Val-de-Grace qu'a l'hopital de Vincennes, 1600 cures +radicales de hernies, 50 cures radicales d'hemorroides, 500 +varicoceles, 30 castrations, 500 operations variees de la sphere +inguino-genito-perineo-fessiere, enfin qu'il avait constipe +methodiquement 15 hommes atteints de fractures de la cuisse, pour que +leurs appareils contentifs ne fussent pas souilles. + +C'est une partie de ces faits que M. Delorme a brillamment exposes a la +Societe de Chirurgie, en 1892. Il y a presente une serie de 160 courbes +thermiques, demontrant que la temperature n'a pas monte au-dessus de la +normale, pendant toute la duree de la constipation, et que, meme, elle +a souvent ete abaissee un peu au-dessous de la normale (90 fois sur ces +160 observations). Dans quatre cas seulement, elle a depasse la normale, +mais c'etait par le fait de "maladies" accidentelles: intoxication +iodoformee, rhumatisme aigu, congestion pulmonaire (deux fois). Chez 110 +operes de cures radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans la +moindre importance. Elles disparaissaient apres l'emission spontanee de +gaz. La langue, saburrale les premiers jours, reprenait bientot l'aspect +normal; l'appetit etait conserve chez la majeure partie des constipes. +Des le troisieme jour, on leur donnait a manger des potages, des oeufs, +de la viande blanche, du vin, en evitant que les aliments capables de +donner des dechets. Le sommeil restait bon, le caractere ne laissait +voir aucune modification, la soif n'etait pas excessive, et les analyses +d'urines, faites par le professeur Burcker, ont demontre que l'economie +ne subissait, du fait de la constipation provoquee, aucune influence +nefaste. La premiere selle etait, parfois, facile et spontanee; d'autres +fois elle etait penible; c'est ainsi qu'un malade ne put aller a la +garde-robe que le vingt-deuxieme jour. En vain avait-on essaye sur lui +les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; ce n'est que quand on +le fit marcher qu'il parvint a aller a la selle. Les selles suivantes +etaient habituellement aisees, et les fonctions de l'intestin +reprenaient leur regularite. "Ma communication, ajoutait M. Delorme, +pourrait avoir plus qu'un interet clinique, etant donnee les theories +qui ont cours sur l'importance et la frequence des intoxications +intestinales. Mais je desire rester exclusivement sur le terrain de la +pratique, et je conclurai en disant que, chez les hommes adultes et +sains surpris par un traumatisme chirurgical qui doit guerir par +premiere intention, la constipation, provoquee pendant huit a quinze +jours, n'a pas les inconvenients qu'on lui attribue generalement." + +Je ne dirai pas par quels procedes M. Delorme est arrive a obtenir ces +constipations prolongees, si peu nuisibles aux operes: car ce serait +sortir de mon sujet; mais ce qui resulte de cette trop longue +digression, c'est que la constipation de quelques jours, survenant +d'elle-meme et presque fatalement chez les operes, quels qu'ils soient, +ne doit pas preoccuper les chirurgiens, ni les entrainer a imposer +a leurs operes des purgations qui, fatiguant leur systeme nerveux +abdominal, ont forcement un retentissement sur leur systeme nerveux +central, et contribuent a en faire des malades, alors qu'au debut ils +n'etaient que des blesses, ou bien a aggraver leur "maladie", quand ils +etaient deja des malades avant l'operation. + +Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs affirment que la +constipation est l'ennemi des femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose +pas m'inscrire en faux contre cette opinion generale: mais peut-etre +serait-elle, comme tant d'autres affirmations, passible d'un proces en +revision. + + +III.--CAUSES ACCIDENTELLES + + +Nous venons d'enumerer les principales causes d'ordre psychique qui +amenent la decheance, totale ou progressive, du capital vital de l'homme +ou de la femme adultes. Ce sont elles qui, combinees ou non aux +autres influences nefastes (surmenage cerebral, surmenage musculaire, +alimentation defectueuse, etc.), provoquent le plus souvent la +"maladie". + +Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier age, comme chez +l'adolescent, la "maladie", chez l'adulte, est provoquee par une +affection aigue qui le frappe en pleine sante: telle la fievre typhoide, +qui, veritable intoxication, surprend l'adulte dans le cours d'un etat +d'equilibre irreprochable, et qui, chose curieuse, parait etre d'autant +plus grave que le sujet etait plus robuste. + +La fievre typhoide, dis-je, peut parfois provoquer la "maladie". +Ainsi, je connais un homme de quarante-huit ans, qui a vu sa sante +irremediablement ebranlee a la suite d'une fievre typhoide survenue a +l'age de vingt ans. Mais le cas est rare; souvent, au contraire, on +observe qu'une fievre typhoide, survenant chez un individu malingre, lui +donne une sante, pour la suite, qu'il ne se connaissait pas jusqu'alors. +Est-ce parce que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que la diete +imposee par la fievre typhoide a remis l'organe en etat? Est-ce parce +que, jusqu'alors, il se soumettait a un exercice trop vigoureux pour ses +forces, et que la fievre typhoide, en lui imposant le repos, a rectifie +ses erreurs d'hygiene musculaire? Est-ce enfin parce que la fievre, +en brulant ce que les anciens appelaient ses "humeurs peccantes", l'a +debarrasse de ses produits d'auto-intoxication anterieurs a l'affection +aigue? A vrai dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne pouvons que +constater le fait. Trop heureux serait celui qui pourrait connaitre les +causes de tous les phenomenes de la vie! + +Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, pneumonies, +etc., dans quelle mesure creent-elles, de toutes pieces, la "maladie"? +Nous pensons qu'elles ne la creent jamais, et qu'elles ne font que +l'aggraver: car, toujours la "maladie" preexistait. Pour contracter +un rhumatisme, une pneumonie, une angine, il faut deja que le systeme +nerveux se trouve dans un etat d'inferiorite, soit definitif, soit +momentane. La premiere condition pour ne pas prendre les "maladies", +c'est de se bien porter. + +Mais il n'en est pas moins certain que l'affection accidentelle, en +intervenant, imprime a la "maladie" un essor plus ou moins vigoureux, +suivant l'importance de la cause pathogene accidentelle, et aussi +suivant la valeur prealable du sujet. + +De toutes les affections accidentelles, celle qui est le plus +remarquable, a cet egard, est la grippe. La decheance post grippale est +tres frequente, et parfois d'une longueur invraisemblable. On met des +annees, souvent, a se remettre d'une mauvaise grippe. Et cet ennemi est +d'autant plus dangereux que, loin de creer l'immunite, il a une tendance +a revenir a la charge; or, dans le cours de la "maladie", chaque +atteinte de grippe fait faire un pas en arriere, et compromet les +resultats peniblement acquis. La grippe est l'ennemie personnelle des +sujets a capital defectueux, quelle que soit, bien entendu, la forme +symptomatique de leur "maladie". + +C'est aussi dans la periode que nous etudions que se manifeste +dangereusement la syphilis contractee a vingt ans, et insuffisamment +soignee; elle se traduit, maintenant, par de l'anevrisme de l'aorte, des +lesions du muscle cardiaque, de la nephrite dont personne ne soupconne +la cause, des ictus cerebraux, et toutes les manifestations de la +syphilis tertiaire. Elle cree de toutes pieces l'ataxie locomotrice et +la paralysie generale, ou du moins elle predispose singulierement +le terrain a l'apparition de ces cruelles "maladies", d'evolution +fatalement progressive. On commence a connaitre ses mefaits, dans le +monde des assurances, et a savoir que la syphilis n'est pas un brevet de +longue vie! D'un travail statistique fait par le Dr Rungberg pour une +Compagnie d'assurances, il resulte que l'age moyen de la mort des +syphilitiques assures a cette Compagnie a ete de quarante-trois ans et +quatre mois, et que, au point de vue des causes de mort, la syphilis +vient immediatement apres la tuberculose. + + +IV.--INFLUENCES MORBIGENES SPECIALES A LA FEMME + + +Toutes les considerations que nous venons d'exposer peuvent s'appliquer +egalement a l'un et a l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste +privilege de pouvoir etre frappee par des influences morbigenes qui +n'atteignent pas le sexe masculin, et qui meritent d'etre etudiees a +part. + +La menstruation joue, dans la vie de la femme, un role de premier ordre. +Chez la femme tres bien portante, son influence est a peine perceptible, +mais chez la femme deja malade son influence est des plus nettes; chez +l'alienee, en particulier, on observe d'une facon constante, quelques +jours avant les regles, une aggravation du delire; et, chez l'alienee +qui semble guerie, on ne doit prononcer le mot de guerison que quand +deux periodes menstruelles se sont passees sans accident. Nous disons +a dessein _deux_ periodes: car si, chez les grandes nevrosees, les +troubles menstruels sont mensuels, chez les malades moins atteintes ils +nous ont semble souvent ne survenir que tous les deux mois[9]. + +[Note 9: Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation +s'accompagne toujours d'une fievre ardente, se prolongeant deux ou trois +jours, et bien capable d'egarer le diagnostic.] + +Chez la grande neurasthenique qui a encore ses regles correctes, on peut +affirmer que, douze jours avant l'apparition des regles, les miseres +nerveuses, abdominales, etc., s'accentuent considerablement, au grand +desespoir des familles qui, ayant espere la guerison, croient que tout +est a refaire. Mais il n'en est rien: bientot tout rentre dans l'ordre, +quelquefois meme pendant les regles, a partir du deuxieme jour, et, le +plus souvent, immediatement apres la cessation de l'ecoulement. Les +malades entrent alors dans ce qu'elles appellent leur "bonne semaine". + +Le medecin doit connaitre ce detail, et avertir les malades et leurs +familles de la rechute, qui est inevitable tant que la "maladie" bat son +plein. Quand les grandes malades n'ont plus leurs regles, ce qui est +frequent, c'est d'un pronostic assez important; et la reapparition des +menstrues apres deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs cas, +indique que la malade entre enfin dans la voie de l'amelioration, alors +meme qu'elle continue a souffrir. + +L'influence de la grossesse est non moins evidente. Nous avons dit +qu'elle etait quelquefois salutaire, parce que l'uterus developpe +remplacait la sangle abdominale defectueuse; mais, une fois l'uterus +revenu a son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu +plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont repetees, la ptose +abdominale devient un des principaux elements de la "maladie". C'est +alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote a air suivant la +forme du ventre, peut rendre a la malade d'inappreciables services. + +Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques. +Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce +qu'elles etaient deja desequilibrees anterieurement, c'est parce que +la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicite +normale. Si on avait soigne la future ptosique en temps utile, alors +qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du systeme nerveux, de +l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle +n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses +multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument +si merveilleux, ne doit, a notre avis, etre considere que comme un moyen +therapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est regenerer la malade et lui +permettre de se passer de ceinture. + +On y parvient, sauf quand la decheance est trop avancee, par une bonne +hygiene generale, s'adaptant aux indications fournies par chaque +individu. Chez les unes, la ptose guerira par l'exercice, chez les +autres par le repos, chez les unes par une saison a Vichy, chez les +autres par un regime restreint, chez toutes par la reconstitution du +systeme nerveux, qui toujours laisse a desirer. + +La ceinture abdominale, pour en revenir a elle, ne sera employee que le +moins de temps possible. Chez les femmes non surmenees musculairement, +on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit +par les exercices de plancher de la gymnastique suedoise, soit par la +pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les +Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la +pulsion de l'air, on ne fasse a la fois de la bonne therapeutique +abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les +chanteurs et meme toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force +extraordinaire des muscles droits anterieurs; en se contractant, ils +repoussent la main qui les comprime[10]. + +[Note 10: Il serait interessant d'inventer un dynamometre special +pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce +dynamometre donnerait des indications tres interessantes sur la valeur +biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant +vaut l'individu.] + +On voit combien nous sommes eloignes de l'opinion qui attribue a +la ptose abdominale toutes les miseres des dyspeptiques, des +neurastheniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme +a de la ptose et mille miseres variees: une ceinture fait disparaitre +presque toutes ces miseres, c'est donc, conclut-on que la ptose etait +l'unique cause? Mais non; c'est toujours la theorie du moindre effort +appliquee au raisonnement humain. La verite est que la ptose est +symptomatique, que la ceinture ne guerit pas la malade, ne fait que la +soulager d'une partie de ses miseres, et qu'il faut deja etre malade +pour devenir ptosique,--en dehors, bien entendu, des cas ou la +contention abdominale insuffisante serait due a une eventration. + +La ptose peut d'ailleurs n'etre que passagere. Il existe meme des ptoses +qu'on pourrait appeler aigues, si l'on nous permettait cette expression. +Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le +cours d'une bonne sante, a la suite d'un coup de froid, d'une emotion +violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un +jour a l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son +elasticite, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pateux, d'un +chiffon mouille: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni +le caecum, ni le colon. On percoit, dans la fosse iliaque, un +gargouillement dont l'on enseigne a tort qu'il appartient en propre a la +fievre typhoide: on ne le rencontre dans la fievre typhoide que parce +qu'on l'y cherche. + +Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les +"maladies" aigues. Il est toujours l'indice d'une sideration du systeme +nerveux abdominal; et, comme le systeme nerveux abdominal n'est pas +sans avoir des relations intimes avec le systeme nerveux central, +l'effondrement en question est toujours l'indice d'un etat de "maladie" +assez grave. Mais il peut n'etre que passager, durer quinze jours, trois +semaines; d'autres fois, il dure deux a trois mois, dans certains etats +subaigus; puis, peu a peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa +forme, son elasticite, renaitre: c'est le commencement de la guerison. + +En meme temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose +aigue, la sonorite abdominale subit des modifications extremement +interessantes. Le son devient uniforme, tandis que, a l'etat normal, +ou des que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes +differentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne mediane. Le +plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le cote droit et le +gauche (octave superieure au cote droit).[11] + +[Note 11: Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et +la percussion, donne les renseignements les plus precieux sur la valeur +digestive de chacun, et des indications tres nettes sur le regime +alimentaire qu'il convient d'imposer: regime qui doit varier, +evidemment, d'un jour a l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les +sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la +gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essaye +d'apprendre cette lecture a ses contemporains. Mais, il ne faut pas se +le dissimuler, l'exploration abdominale est chose tres difficile; je la +pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'etre en relations +scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la +difficulte de cette etude, en meme temps que j'en apprecie mieux toute +l'importance. + +Laissons d'ailleurs la parole a MM. Sigaud et Vincent, qui resument +ainsi les donnees de l'exploration abdominale: "Nous ne saurions trop +affirmer que l'exploration methodique de l'appareil digestif est, pour +le biologiste, une source de faits inepuisable. Quelle variete de +renseignements, quelle precision dans l'observation, ne devons-nous pas +attendre d'un procede a la perfection duquel nous voyons concourir les +donnees fournies, presque simultanement, par l'ouie, la vue, le toucher? +Ajouterons-nous que, en raison de la nature speciale cavitaire de son +tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densite, +dans sa consistance, sous les influences les plus legeres et les +plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune +modification du cote des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou +renal, nous constatons toujours des signes positifs du cote de la sphere +gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils +organiques sont impuissants a objectiver, le tube digestif les +enregistre avec une fidelite remarquable et une variete de nuances que +l'on n'a point soupconnee jusqu'ici. Et toutes les modifications de +forme et de volume, d'elasticite et de resistance du tissu abdominal, +toutes les variations de sonorite des membranes digestives, ne sauraient +etre considerees comme des faits de valeur mediocre inutilisable. Elles +portent en elles-memes un double enseignement: elles traduisent, d'une +part, les diverses modalites fonctionnelles du tube digestif, d'autre +part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation +generale des reactions de l'organisme correspond a ces modalites +digestives." (_Memoire_ lu a la Societe de Medecine de Gand, 4 avril +1905.) + +Les interessantes etudes de MM. Sigaud et Vincent auraient encore a +etre completees par l'etude de l'auscultation abdominale; c'est la un +chapitre de semeiologie qui est tout entier a faire, et que je ne puis +qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stethoscope, +ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une +valeur insoupconnee jusqu'a ce jour.] + +Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service +momentane qui n'est pas a dedaigner. Elle les soulage: mais ce qui les +guerit, quand il leur reste encore assez d'energie vitale, c'est un +regime approprie, et du repos ou un exercice gradue, suivant les cas. Le +regime devra etre celui qui donne le moins a travailler a l'estomac et +a l'intestin sideres; il devra donc etre liquide ou semi-liquide. Les +prises alimentaires devront etre frequentes,--tres frequentes, dans +l'etat aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en +eprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est +le meilleur des agents therapeutiques. Quand le ventre commence a se +ressaisir, le regime devra etre plus substantiel: potages epais, purees +legeres prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait +un nouveau progres, alimentation plus dense et moins frequente (six +repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purees +epaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque +normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque egaux, dont un +avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passe, quand le +ventre a retrouve sa souplesse, son elasticite et sa tension, alors +seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit etre +assez copieux (cafe noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, compose +en general de trois articles: 1 deg. macaroni, ou puree, ou pommes de terre +en robe de chambre; 2 deg. viande non saignante; 3 deg. fromage, peu de pain, +pas encore de vin, un verre de liquide a la fin du repas; enfin le repas +du soir, plus leger, comprenant aussi trois articles: 1 deg. potage epais; +2 deg. oeufs ou poisson; 3 deg. fruits cuits. + +Telles sont les grandes lignes de la dietetique des etats aigus ou +subaigus. En meme temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'etat +aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une +chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les +malades au lit; puis, jusqu'a guerison complete, repos horizontal apres +les repas; et toujours beaucoup de sommeil, meme diurne, le sommeil +diurne etant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, a +l'inverse de ce que l'on croit ordinairement. + +On comprend combien, dans cet etat d'equilibre instable, une violente +perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit +par une alimentation trop hative, peut etre defavorable au malade. + + + +CHAPITRE IV + +PSYCHOTHERAPIE + + + +Nous avons, maintenant, suffisamment indique, les causes diverses qui +produisent la "maladie". Mais cette etude meme n'a fait encore que mieux +nous montrer le role preponderant que joue, dans l'origine comme dans +l'evolution de la "maladie", l'ebranlement du systeme nerveux. Et de la +resulte l'importance, egalement preponderante, d'une medication +destinee a remonter le systeme nerveux: medication dont un des elements +essentiels est cette "psychotherapie" qui, depuis quelque temps, a +commence a preoccuper vivement le monde medical, sans qu'on soit encore +parvenu a en fixer exactement le domaine et l'application. + +A en croire un certain nombre de nos confreres, francais et surtout +etrangers, le psychotherapie serait simplement destinee a remplacer +toute therapeutique. L'imagination, d'apres ces savants, jouerait dans +la production et le developpement des "maladies" un role si enorme, +qu'il suffirait de decouvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux +malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitot la sante. La +psychotherapie consisterait donc a etudier, a ce point de vue, l'etat +d'esprit de chaque malade, de facon a pouvoir suffisamment s'emparer de +sa confiance pour lui ordonner de se croire gueri. Mais les plus recents +defenseurs de cette doctrine avouent eux-memes que les moyens de +persuasion sont, jusqu'ici, tres difficiles a trouver; et je dois dire, +quant a moi, qu'une conception aussi simpliste de la therapeutique me +parait, jusqu'a nouvel ordre, quelque peu fantaisiste. + +Oui certes, la preoccupation de l'etat d'esprit des malades, et de ce +qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle +n'en tenait, hier encore, dans la medecine officielle. Mais j'estime +que la psychotherapie peut faire mieux que d'imposer aux malades +l'illusion,--toujours bien breve et bien fragile,--de se bien porter: +elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus precieux de +la guerison. + +Etant donnee l'idee que nous nous faisons de l'origine nerveuse de +la "maladie", voici, a notre avis, la meilleure definition de la +psychotherapie: "C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par +lesquels on ameliore ou on reconstitue le capital nerveux." Son action +s'etend: 1 deg. a toutes les deviations mentales; 2 deg. a un grand nombre de +troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie, +etc., l'incontinence d'urine, etc. + +Quant a ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilite de l'etude, +etre divises en deux grandes categories: + +1 deg. Moyens par lesquels on diminue les depenses; + +2 deg. Moyens par lesquels on augmente les recettes. + + +I + +MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DEPENSES + + +Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le +savoir; il faut leur apprendre a l'economiser, leur demontrer combien +est fatigante, pour le systeme nerveux, l'hesitation perpetuelle, +leur enseigner l'utilite qu'il y a a savoir prendre un parti dans +les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti +mediocre immediat qu'un parti plus sage apres hesitation. Or, pour +savoir vite prendre parti et s'epargner la peine de remettre en +discussion tous les motifs et mobiles qui doivent determiner l'acte a +accomplir, il y a un procede tres recommandable, qui consiste simplement +a adopter des principes, et a se dire: "Dans telle circonstance, je +ferai ceci, dans telle autre je ferai cela"; et puis, une fois le +principe adopte, a y rester fidele,--sans cependant en devenir esclave. +Car il ne faut pas que l'entetement remplace l'hesitation, que l'ocean +devienne terre ferme. Un petit moyen pratique a recommander aux +hesitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire +dans la journee et les jours suivants, puis, une fois la chose ecrite, +d'executer ponctuellement ce qui aura ete arrete. La volonte parvient +ainsi, peu a peu, a se discipliner, en meme temps qu'on s'evite des +pertes considerables d'influx nerveux. + +D'une facon generale, il faut inspirer aux malades le respect du temps, +leur faire comprendre que le temps, c'est l'etoffe dont la vie est +faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est +par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de +choses utiles avec un minimum de depense. S'ils parviennent a comprendre +cette verite, ils trouveront eux-memes, peu a peu, un _modus vivendi_, +qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des economies de depense +nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes _d'ordre_, de +tout regler dans leur vie,--les heures du lever, du coucher, des repas, +etc.,--de donner a chaque chose, a chaque preoccupation, la place et +l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur +epargner les depenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente +psychotherapie. + +Appliquons ces idees generales a un cas particulier. Voici une jeune +fille atteinte de ce qu'on appelle la "folie du doute"; des son lever, +elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et +finira par reprendre la premiere; elle passera deux heures a faire sa +toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se +laver les mains; et toute sa journee se passera ainsi dans un etat vague +d'anxiete. Le soir, la situation est plus penible encore: la malade ne +parvient pas a se coucher, elle met deux heures pour se deshabiller, +s'interrompant a tout instant pour confier a un petit cahier une foule +d'idees qui ont torture son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. +On dirait qu'elle cherche a les fixer en les ecrivant. J'ai chez moi +plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspires par +ce meme esprit. Or, cette agitation sterile, continue, occasionne une +depense cerebrale enorme. Si l'on veut bien etudier une malade de ce +genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tete, mais que tout +est malade chez elle. Elle digere mal, elle est amaigrie, elle a +des urines rares et chargees alternant avec des urines claires et +abondantes. Elle est mal reglee, etc. + +Il lui faut donc, avant tout, un traitement general; dont nous +indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un +traitement psychotherapique.--Et lequel? La premiere chose est de lui +dire combien cette maniere de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de +peine a le lui faire admettre, elle le sait tres bien; le preuve, +c'est qu'elle cache son infirmite avec le plus grand soin a tout son +entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette depense nerveuse, +si sterile, la fatigue, et entretient ou cause sa "maladie" physique. +Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au +lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans +un sens determine. A l'une, on fera apprendre une langue etrangere, a +l'autre on proposera une autre occupation, non moins precise. Le +medecin s'inspirera d'une foule de considerations d'ordre secondaire; +l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la +volonte et d'eviter a la malade les pertes nerveuses, par une bonne +orientation de son activite. Nous avons pris la, a dessein, un cas des +plus difficiles a guerir: et cependant nous affirmons que la guerison +y est possible, quand, a la psychotherapie, on joint un traitement +somatique convenable et suffisamment prolonge. + +Dans la manie aigue, ou certaines phases de la paralysie generale, dans +tous les cas de delire aigu occasionnes par les "maladies" infectieuses, +l'influx nerveux subit des depenses colossales; les fuites se font de +toutes parts. La pensee est si rapide, chez le maniaque, que l'alieniste +experimente ne parvient pas a la suivre. Les associations d'idees se +font avec une telle rapidite que le malade n'a pas le temps de les +exprimer, et, quelle que soit sa volubilite, sa langue n'a pas un debit +egal a celui de son cerveau. La psychotherapie peut-elle etre utile a +des malades de ce genre? Oui, mais, a vrai dire, son role est alors +negatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas +s'acharner a discuter avec le malade, a rectifier ses appreciations; il +faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner a eviter au malade +toute cause d'excitation prochaine ou eloignee. Il faut se rappeler, +surtout, qu'une fois l'orage passe, on aura longtemps encore a user +d'extremes precautions, et a menager le cerveau fragile. + +Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'etre disseminee, est limitee a un +point fixe, la psychotherapie intervient d'une facon plus active. Voici +un homme en proie a une obsession: une idee a envahi son cerveau, il y +pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensees +ont pour pivot l'idee maitresse, il en parle a tous ceux qu'il estime +pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne +trouvant pas de solution, il s'epuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de +boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser a ce qui +le preoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer +inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les +plus amples details, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci +fait, pour acquerir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre +d'en parler, et, en echange, il faut lui trouver des derivatifs. De meme +que, dans une hemorragie pulmonaire, le medecin bien avise fait une +saignee generale, qui arrete l'hemorragie, de meme le psychotherapeute +ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idee obsedante, mais faire +naitre des courants d'idees derivatifs; en d'autres termes, remplacer +une idee morbide par une serie d'idees saines. C'est la psychotherapie +_derivative_. + +Un autre moyen d'economiser les fuites nerveuses, moyen a employer dans +les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du +fait acquis, en d'autres termes la resignation; c'est la psychotherapie +_sedative_. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se +cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent +la "maladie", de se nourrir de son chagrin, de se rememorer les causes +morales qui l'ont amene; et il s'evitera une fatigue nerveuse enorme. +Cette passivite produira sur lui l'effet sedatif d'une sorte de sommeil +de la cellule nerveuse. + +Quand la resignation, au lieu d'etre pour ainsi dire passive, est un +acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberte, +sans restrictions, sans protestations, ses miseres, pour les offrir +dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la +passivite, et deja elle rentre dans la deuxieme categorie des moyens +psychotherapiques. L'etude de cette resignation active va donc nous +servir de transition toute naturelle. + +La resignation ainsi comprise est un acte. Repeter plusieurs fois par +jour qu'on se resigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de +volonte; et encourager le malade a accomplir cet acte de volonte, c'est +faire de l'excellente psychotherapie _reconstituante_. Malheureusement, +cette resignation active est a la portee de peu d'inities. Elle suppose +toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarite humaine, +de la reversibilite des merites et des souffrances, en un mot la +doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce +a titre exceptionnel que les ressources de la resignation active peuvent +etre employees. + +Mais, dira-t-on, quel peut etre le role du medecin en face d'un malade +qui va jusqu'a voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, _a +priori_, que le medecin n'a qu'a disparaitre; en fait, il n'en est rien. +Le medecin doit rester a son poste; et tout en encourageant le malade +dans cette voie, en fortifiant sa volonte, il doit l'exhorter a ne pas +negliger les moyens therapeutiques que reclame son etat. Car enfin le +resigne actif ne commet pas une erreur de logique en desirant guerir +et en acceptant les soins medicaux. S'il fait bien de se resigner a la +souffrance lorsque celle-ci est inevitable, il est tenu, au contraire, +de se resigner aussi a ce que veut pour lui la nature, c'est-a-dire a ne +rien omettre pour reconquerir, avec la sante, la possibilite d'une vie +plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le resigne +actif est d'ordinaire le plus obeissant, le plus stable des malades, le +plus reconnaissant pour les soins medicaux qui lui sont donnes; c'est le +malade de choix. + + +II + +MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES + + +La deuxieme categorie des moyens psychotherapiques comprend, comme nous +l'avons dit, ceux qui ont pour but d'ameliorer la part subsistante du +capital nerveux. On peut parvenir a ce resultat de deux facons: + +1 deg. En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante +gymnastique de la volonte. (L'homme ne vaut que par sa volonte: donc +discipliner, fortifier, renforcer sa volonte, c'est lui rendre le plus +grand des services.) + +2 deg. En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux etranger. + +Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci +devient le collaborateur du medecin, dont le role se borne a indiquer +les procedes de gymnastique de la volonte et a surveiller l'application. + +Dans le deuxieme cas, une volonte etrangere vient en aide a la volonte +defaillante, ou insuffisante, du patient. + +1 deg. _Gymnastique de la volonte_.--Il y a des procedes d'education de la +volonte,--cette faculte, comme la memoire, comme l'attention, etant +susceptible d'etre amelioree par une bonne gymnastique. Le principe +general, dans cette education, c'est de proceder lentement, de ne pas +demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de +lui demander, au debut, un tout petit effort, qui sera augmente tous +les jours. Ainsi nous invitons nos malades a faire trois fois, tous les +matins, trois mouvements determines des bras, puis six, puis douze, +puis d'en faire autant avec les membres inferieurs. En ordonnant ces +exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique +musculaire elle-meme que sur l'effort de volonte que nous obtenons du +malade, avec son libre consentement. Dans le meme esprit, nous envoyons +certains de nos malades faire une gymnastique speciale, tous les jours, +par tous les temps, a l'extremite de Paris, aussitot qu'ils peuvent +supporter la fatigue d'un deplacement quotidien. La, nous leur faisons +faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien +gradue d'apres des regles precises, regularise la circulation du sang, +les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en +particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par consequent, +l'acte respiratoire. Grace a cette gymnastique, on arrive, au bout d'un +mois, a faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient +pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher[12]. + +[Note 12: Ajoutons que cette course ne provoque jamais +d'essoufflement le principe de la methode etant, avant tout, d'eviter +l'essoufflement par une progression sage et bien reglee dans la longueur +et la rapidite du pas. La methode dont nous parlons a ete instituee par +notre regrette ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des etudes +tres serieuses, theoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant +toute la duree de sa carriere militaire. Ce n'est pas le lieu de parler +avec detail de cette methode d'entrainement; disons seulement qu'on ne +se fait pas une idee, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur +dans la progression a imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas +gymnastique de l'armee ne doit etre atteinte, chez l'homme meme bien +portant, qu'apres quinze minutes de course progressivement plus rapide. +C'est comme cela que l'on arrive a obtenir le rendement maximum, et que +le pas gymnastique peut etre prolonge tres longtemps sans fatigue. +De meme, avant d'arriver a la vitesse de six kilometres a l'heure, +c'est-a-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes +de course en progression. Si, a cette prudence dans la progression, on +joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui +apprendre a respirer, on lui evite l'essoufflement. Mais si le coureur +n'est pas essouffle, par contre il est envahi, au bout de vingt a trente +minutes, d'une transpiration enorme, telle que la course en flexion a +pour complement indispensable, soit une friction seche avec changement +de linge, soit, mieux encore, une douche tiede. Cette necessite de la +douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, +par parenthese, l'interdit a l'armee, pour laquelle, dans l'esprit du +commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquee. Nos malades, au +contraire, trouvent toute facilite pour prendre la douche terminale, +puisque la course a lieu dans le jardin attenant a la maison +d'hydrotherapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis a notre disposition +par le Dr Oberthur, directeur de l'etablissement. + +Nul doute que cet exercice musculaire tres gradue, sous la direction de +moniteurs competents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinee, +ne soient des facteurs importants dans l'excellent resultat total que +j'obtiens de ce que j'ai appele la _dromotherapie_; mais j'estime qu'une +grande part du resultat utile revient a cette gymnastique de la volonte +que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous +les jours a ses progres, il eprouve un vague sentiment de contentement +a la pensee qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulte nouvelle. +Dut-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant a un malade la +course en flexion, fait-on surtout de la psychotherapie: psychotherapie +par exercice de la volonte, et aussi psychotherapie derivative, +puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient +vraiment une recreation, apres les trois ou quatre premiers jours.] + +Le Dr Lagrange a tres justement insiste sur l'utilite de l'attrait dans +l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de +la _gymnastique respiratoire_. Cet exercice est souverainement ennuyeux, +et c'est chose rare que nos malades les plus obeissants le continuent +regulierement plus de deux mois; mais c'est precisement pourquoi il est, +pour le psychotherapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un +effort enorme de volonte. Aussi, a ce titre meme, ne saurions-nous trop +le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur +la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse +de faire disparaitre ces rougeurs emotives, si desagreables a certains +neurastheniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez +les timides, car les personnes hardies et decidees leur payent aussi +leur tribut. Quand cette infirmite arrive a provoquer l'obsession de la +rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et merite +l'attention du clinicien, d'ailleurs desarme s'il n'emploie que les +moyens classiques. Or, si l'on etudie de pres ce symptome, on voit qu'il +s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et +quelquefois de sensations precordiales; et c'est, sans doute, parce que +l'exercice en question regularise la respiration, qu'il est le meilleur +traitement de la rougeur emotive. En tout cas, le fait est certain, +je l'ai plusieurs fois observe. Mais comme ces exercices sont, je le +repete, extremement desagreables, il faut savoir les graduer de facon +a ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister a ses propres +progres. On arrive ainsi, peu a peu, a faire faire au malade des +mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et +soir. On ne saurait croire l'effet utile, a divers titres, de cette +gymnastique methodique, telle que les Suedois l'enseignent, c'est-a-dire +faite d'apres les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand +elle est enseignee, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal +instruits, elle trouble les phenomenes de la circulation, et peut meme +amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant, +mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la +therapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil +qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire. +Aux malades qui n'ont pas l'energie de la faire simplement dans leur +chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts +mecanotherapiques. + +On peut exercer la volonte du malade, et, par consequent, la fortifier, +par mille autres moyens, qui seront inspires par les diverses conditions +de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire +faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer +les progres, et surtout un travail qui ne demande pas une depense, soit +cerebrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un cote +ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le role du +psychotherapeute doit prendre fin a un moment donne, quand le malade a +reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres +ailes. On doit alors l'abandonner a lui-meme, mais non pas brusquement: +il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le medecin imite +le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son +eleve, puis l'abandonne momentanement, sans qu'il s'en doute; l'eleve +confiant continue a pedaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment ou il +est assez sur de lui-meme pour aller tout seul. Si le professeur le +soutenait indefiniment, l'eleve ne ferait pas de progres. + +2 deg. _Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux +insuffisant_.--Dans les cas ou la volonte est tellement defaillante que +l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le medecin peut essayer de +fournir a son malade un apport etranger d'influx nerveux: il y arrive +par le procede de l'hypnose. Rien ne m'otera la conviction que, dans +l'hypnose, il y a une "influence" de l'hypnotiseur sur son sujet, +"influence" etant compris dans son sens etymologique (_fluere_, couler). +L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de +lui-meme; il a une action personnelle; et les medecins qui pretendent +le contraire, qui disent que les passes peuvent etre remplacees par le +braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule +ou mobile comme un miroir a alouettes, ne me paraissent pas etre dans la +verite. + +L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus +varies; non seulement il peut rectifier des idees erronees, faire +disparaitre les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit +encore pour ramener chez le malade la quietude de l'esprit, la confiance +en soi-meme. + +Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus +facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de +faire disparaitre des troubles dyspeptiques, nevralgiques, d'arreter des +vomissements, des metrorragies, de faire revenir les regles, le sommeil +naturel, de regulariser les selles, etc. + +Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir +l'influence hypnotique, et que, precisement, ceux qui en auraient le +plus besoin se trouvent etre refractaires; ainsi les alienes, les +hallucines, les grandes hysteriques, les malades atteints de delire +systematise, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est +d'autant plus difficile a obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi, +chez les alienes, nous avons vu notre excellent maitre le Dr A. Voisin +s'acharner pendant des heures entieres sans obtenir le moindre effet; +mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il reussissait! Nous +connaissons pour notre part de grands nerveux qui, tres desireux de +pouvoir etre endormis, sont alles, sur notre conseil, consulter tels ou +tels confreres renommes pour leur habilete ou leur connaissance speciale +de l'hypnotisme, et toujours avec un insucces complet. + +C'est la une premiere raison qui restreint grandement l'emploi de +l'hypnose. Une deuxieme raison qui doit le limiter, c'est que, quand +on emploie l'hypnotisme, on risque de se discrediter, dans l'esprit du +malade, si on ne reussit pas du premier coup, et alors on le prive du +secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse +manoeuvre, perdu irremediablement sa confiance. Mais il existe des +procedes permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable, +de facon qu'on puisse ne marcher qu'a coup sur, et laisser de cote, sans +en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables. + +Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que +celle-ci, quand elle reussit, risque de devenir un moyen therapeutique +trop actif. Meme avec la plus grande prudence, on ne parvient pas +toujours a en graduer les effets, et le medecin s'empare souvent par +trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien +faire sans son conseil. + +J'ai connu un ingenieur des chemins de fer, renomme pour sa severite a +l'egard des inferieurs, et nevropathe de grande marque. Son medecin crut +bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard, +que c'etait un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil +hypnotique, le medecin lui intima l'ordre d'avoir, a l'egard de ses +inferieurs, plus de bienveillance; et voici que, des le lendemain, les +procedes de cet homme a l'egard de ces inferieurs se firent tellement +bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risee de ses +subordonnes eux-memes, et un sujet d'etonnement pour ses chefs. Il ne +parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarite humaine. +On le crut fou; il ne l'etait pas, mais il etait devenu tellement +different de lui-meme qu'il fallait aviser. Le medecin, averti de ce +changement a vue, s'efforca, en plusieurs conversations, de moderer le +zele charitable du neophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait +avec lui les theories socialistes, et serait devenu le pire des +utopistes. Il fallut une nouvelle seance d'hypnose pour attenuer, au +point voulu, les effets de la suggestion premiere. + +Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant +demander pourquoi l'ingenieur ne se sert pas de dynamite pour faire +sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe a un cheval qui +ne demande qu'a se laisser conduire? Reservons donc le mors arabe pour +les cas ou l'animal est indocile, indomptable, et retif! + +Ajoutons que, une fois produit l'effet a obtenir, le medecin doit cesser +de recourir a l'hypnose, sous peine de compromettre le resultat final. +Une fois le blesse remis en selle, on doit lui rendre la direction de +sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensee, je prendrai la +comparaison suivante: l'hypnose est a la defaillance du systeme nerveux +ce que l'opotherapie thyroidienne est a l'insuffisance fonctionnelle +du corps thyroide, ce que l'opotherapie hepatique est a l'insuffisance +fonctionnelle du foie. Or, de meme que le medecin qui s'est servi +de foie de porc pour remettre en etat un hepatique, ne continue pas +indefiniment l'emploi du foie de porc, de meme le psychotherapeute doit +cesser l'emploi de l'hypnose des qu'il a obtenu le resultat voulu, +c'est-a-dire des qu'il a remis le malade en assez bon etat pour pouvoir +compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort +personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq seances +suffisent, dans la majorite des cas. + +Toutes ces considerations expliquent la rarete des cas ou l'hypnotisme +est a conseiller. Mais quant a dire, comme le font les adversaires +irreconciliables de la therapeutique par l'hypnose, que quelques seances +amenent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que +l'hypnotisme "dissocie la personnalite normale du sujet" (Grasset), +"aboutit a la ruine deplus en plus complete de ce moi qu'on voudrait +sauver" (Duprat), c'est tout simplement enoncer une erreur. L'hypnotisme +bien manie n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le +service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque +d'hysterie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de +l'hypnotisme ont quelque chose de degradant pour la dignite humaine, +parce que le medecin qui impose sa volonte au malade porte atteinte au +dogme de la liberte, c'est enoncer une erreur non moins absolue, la +suggestion hypnotique n'etant pas autre chose que la suggestion a l'etat +de veille poussee a sa deuxieme puissance; a ce compte, on n'aurait +plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de +l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discreditent le medecin, c'est +affirmer une verite, mais qui ne nous toucherait en rien, car le medecin +n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le repetons, sa +conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procedes +hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades +qu'avec leur assentiment formel, et en presence d'un tiers representant +la famille. + +Ajoutons enfin que le medecin _seul_ doit avoir recours a ce procede +therapeutique; et que ce medecin doit agir uniquement pour le bien du +malade, sans la moindre preoccupation etrangere, voire meme sans aucune +preoccupation scientifique. + +_Conseils pratiques pour l'application des procedes +psychotherapiques._--Nous venons de passer en revue les moyens +psychotherapiques par lesquels on peut ameliorer le capital nerveux d'un +malade. Mais un apercu theorique ne suffirait pas au praticien voulant +employer la psychotherapie; il semble donc utile de le completer par des +considerations d'ordre tout a fait pratique, clinique, suggerees par une +experience personnelle. + +1 deg. Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire +de la bonne psychotherapie, il faut soigner le malade non seulement avec +toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le medecin qui +ne ferait que de la psychologie, demontant curieusement piece a piece +tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est +defectueux, sans se preoccuper avant tout d'etre utile, ne ferait pas de +bonne psychotherapie. Il lui faut etre bon mecanicien, bon psychologue, +c'est entendu; mais surtout il lui faut etre un homme charitable. Je +sais que le mot "charite" sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle +plus que d'altruisme, de solidarite, etc. Le mot "charite" pourra +disparaitre du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses +soi-disant synonymes; mais la charite restera toujours au fond du coeur +de l'homme, et sera, comme par le passe, l'inspiratrice des actions +genereuses et veritablement utiles. + +2 deg. Encore n'est-ce pas assez que le medecin aime son malade. S'il veut +avoir sur lui une autorite morale effective, il faut en outre qu'il ne +soit pas presse: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il +ne le soit pas en realite. Savoir se donner tout entier a l'affaire +presente est la premiere condition du succes, en psychotherapie. Il faut +que, des la premiere entrevue, s'etablisse entre le malade et le medecin +un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'etablir que si le +malade sent que le medecin s'interesse profondement a lui, et ne lui +menage pas son temps. La premiere consultation, surtout, doit pouvoir +durer tout le temps necessaire: mieux vaudrait la remettre a huitaine +que de l'ebaucher si le temps materiel fait defaut. + +3 deg. Il faut encore que le medecin sache ecouter, c'est-a-dire laisser +parler le malade aussi longtemps qu'il le desire, surtout pendant les +premieres consultations. Quelle que soit la prolixite, la volubilite +d'un malade, il y a toujours interet a l'ecouter, parce qu'on apprend +toujours quelque detail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de +cette facon, le malade, par une sorte de discretion inconsciente, +arrive, apres quelques entrevues, a ne plus abuser de la patience de +son auditeur, et se contente de repondre aux quelques questions bien +precises qu'il lui pose. + +Une fois que le medecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il +donnera, non seulement sur l'hygiene mentale, mais sur l'hygiene +alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'etre suivis; et ainsi +tout concourra a la guerison ou a l'amelioration cherchee. + +4 deg. Un autre principe, c'est de dire au malade la verite dans la mesure +du possible. Evidemment, s'il y a une lesion organique incurable, +le medecin doit avoir la discretion de se taire, sauf dans les cas +exceptionnels ou le malade a des motifs serieux pour savoir la verite +entiere. Mais le plus souvent il faut dire la verite au malade, lui dire +tres franchement l'idee que l'on se fait de son etat, la duree probable +du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des +annees, comme il arrive trop souvent chez les malades a capital +restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: "Le traitement sera +long, un peu penible, mais la guerison est assuree." Il faut encore, +des les premieres entrevues, avertir le malade des rechutes possibles, +probables, ou certaines: si c'est une femme, la prevenir que, dans les +douze jours qui precederont l'epoque menstruelle, elle aura fatalement, +durant quelques mois, une reapparition de toutes ses miseres, mais a un +degre de moins en moins marque; dans tous les cas, avertir le patient, +s'il s'agit d'un etat grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir +une legere aggravation, puis, quand son etat s'ameliorera, tous les +trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause +appreciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le systeme nerveux +a protester d'une facon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir +que toute emotion violente, et surtout que toute infraction au regime +alimentaire, musculaire, cerebral, qui lui a ete ou qui va lui etre +prescrit, se soldera inevitablement par une rechute plus ou moins grave, +suivant la gravite de l'infraction,--une rechute qui, chose curieuse, +ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'ecart +commis;--l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en +particulier, fera faire un pas en arriere d'autant plus grand qu'elle +aura ete plus grave, et soignee plus tardivement; donner, par +consequent, au malade des conseils preventifs, pour qu'il se mette, dans +la mesure du possible, a l'abri des affections intercurrentes, et lui +recommander de demander ou de prendre des soins immediats, en lui +faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves, +en general, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignees des leur debut. + +5 deg. Le medecin doit eviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui +seraient plus penibles que les malaises dont il se plaint. Il doit meme +eviter, en general, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque +de decourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre +egoiste et hypocondriaque, et d'entretenir sa "maladie" par le soin +meme apporte a la combattre. Aussi bien la therapeutique est-elle, en +general, plus simple qu'on ne croit, et les questions de regime, en +particulier, sont presque toujours faciles a resoudre. + +Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une +prescription, c'est de la mesure ou il sera possible et facile, au +malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrete jamais un programme +de vie sans l'avoir discute, point par point, avec le malade, et, si +possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade +une feuille ou est marquee la ligne de conduite a suivre depuis l'heure +du reveil jusqu'a l'heure du coucher, et ou, aux heures prescrites, sont +indiques les menus des repas, voire meme les livres a lire. J'ai soin, +en outre, d'indiquer que "tout ce qui n'est pas permis est defendu", en +laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproche +"tout ce qui ne sera pas defendu sera permis". Le malade, pourvu de +cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus +possible, mais sans en devenir l'esclave. + +On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la "maladie", +si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient +les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas ou ce +traitement doit etre simplifie au maximum: par exemple, chez une mere +de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait +souverainement absurde de proposer a cette malade un regime ou des soins +personnels qui l'empecheraient d'accomplir ses devoirs de tous les +instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus +importantes, en faisant comprendre a la malade que l'on ferait mieux +si les circonstances de sa vie n'etaient pas un obstacle, mais que, en +definitive, le peu qu'on va faire sera deja tres utile, et qu'on en sera +quitte pour prolonger le traitement plus longtemps. + +En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent a un traitement +methodique proviennent de deux sources: 1 deg. De l'absence de foi du +malade, 2 deg. de la mauvaise volonte de son entourage. + +1 deg. Il est des malades qui viennent nous consulter malgre eux, sous la +pression de leur famille, avec l'idee bien arretee qu'ils vont prendre +une consultation de plus, tout aussi derisoire et inutile que les +precedentes. Il faut que le medecin, du premier coup, comprenne la +mentalite des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut etre fixe +des les premieres paroles echangees, voire des le premier abord. A lui, +alors, de deployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y +prendre, il peut arriver a faire, d'un malade irreductible en apparence, +l'etre le plus doux, le plus confiant, le plus obeissant, et il parvient +alors a des resultats inesperes. Les choses se passent ainsi huit fois +sur dix. + +Plus difficiles a convaincre sont les malades qui n'ont pas d'energie, +qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises a l'avance, ou +encore ceux qui, desabuses, desesperant de tout, ne souhaitent que la +mort. En face de tous ces malheureux, le medecin ne doit pas se derober, +quelque souci que lui reservent les patients de cette sorte. + +Enfin, plus difficiles encore sont les malades a theories, qui ont leur +siege fait, apres avoir vu des medecins de tous les pays, suivi, dans +les sanatoria les plus varies, les traitements les plus dissemblables; +qui connaissent toutes les dernieres nouveautes sur les choses +medicales, le discours de la veille a l'Academie de medecine, les livres +qui vont paraitre. Avec ceux-la, rien a faire. Le mieux, pour ne pas +perdre un temps precieux, est de leur declarer de suite qu'on ne +parviendrait pas a s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs, +ces cas sont assez rares. + +Ajoutons qu'il est des malades a mentalite speciale qui commencent par +dire toujours non, ou a le penser, ce qui est encore plus grave. La +psychotherapie, comme tous les agents therapeutiques, a a compter avec +ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les "idiosyncrasies". + +2 deg. L'autre obstacle, beaucoup plus frequent, provient de l'hostilite de +l'entourage du malade. + +On ne peut se faire une idee de l'influence nefaste qu'exerce cet +entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du +medecin, discute sa maniere de penser, ses prescriptions; le malade, +alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au medecin ou a +l'entourage. + +Le plus souvent, l'hostilite n'est pas franchement declaree. Mais c'est +pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, a propos +des moindres prescriptions. Le malade sent tres bien que le medecin est +dans le vrai, qu'il a _compris_ sa "maladie"; il voudrait de tout son +coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est la qui, +sans dire un mot, proteste interieurement et execute a contre-coeur +tout ce qui a ete prescrit. La position est des plus difficiles. Cette +contre-suggestion, qui s'exerce a tout instant, finit par diminuer +la confiance, si necessaire, que le malade avait tout d'abord; les +prescriptions ne sont qu'a moitie observees. Ces tiraillements continus +sont veritablement lamentables. + +Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la +femme, c'est souvent la mere ou la belle-mere, plus souvent encore des +personnes qui touchent de moins pres au malade. Les plus dangereux +ennemis sont ceux qui ont a donner des soins immediats; ce sont les +gardes, qui protestent par un silence eloquent, ce sont surtout les +domestiques. De la la dure necessite pour le medecin d'etre bien avec +tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant +avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou +telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout +le monde voudrait que le malade fit de l'exercice; le regime restreint, +alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il +prit du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la +partie est perdue d'avance; et c'est alors que le medecin doit user +de toute son autorite pour imposer l'isolement, tandis qu'il eut ete +quelquefois tres simple de guerir a peu de frais le malade, en le +laissant chez lui. + +Quand on a la bonne fortune de s'etre gagne la confiance d'un malade, +et d'avoir conquis, non la neutralite,--elle n'existe nulle part,--mais +l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitie de la besogne; il ne +reste plus qu'a surveiller l'application du traitement, et surtout a +entretenir la foi du malade en sa guerison a echeance plus ou moins +eloignee. Pour remplir ce double but, il faut que le medecin ait avec le +malade de frequents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer, +dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui +demontrer ses erreurs d'interpretation, et lui affirmer instamment, +quelles que soient ses doleances, que la guerison est assuree. + +Le role du medecin, au debut, est souvent difficile. Il l'est, par +exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers +temps, pour calmer leur systeme nerveux. Ne dormant presque jamais, ces +malheureux ont toutes les peines du monde a rester au lit; il faut leur +faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable +qu'ils eprouvent, proviennent non du sejour au lit, mais de l'excitation +du systeme nerveux; que cette excitation disparaitra dans huit ou quinze +jours, pour faire place a une detente de bon aloi, avec sensation de +fatigue enorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil reparateur, +retour de l'appetit, disparition _spontanee_ de la constipation, etc. +Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent, +des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront etre espacees: +il faut savoir se faire desirer. + +Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser +le malade en tete-a-tete avec le medecin. L'influence de celui-ci est, +alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'epancher en toute +liberte, tirent un grand benefice de la visite du medecin, qui ne tarde +pas a devenir leur ami. + +C'est dans ces tete-a-tete que le medecin doit insister pour faire de +la suggestion optimiste et de la veritable psychotherapie, d'apres les +principes que nous avons etudies anterieurement. + +Nous avons parle deja, a propos de la nevrose provoquee par les causes +morales chez les jeunes femmes, du role que le medecin pouvait acquerir, +a titre de confident de leurs miseres: ce role est toujours difficile, +et quelquefois dangereux. Le besoin qu'eprouve l'etre humain de pouvoir +confier sa pensee a autrui est bien connu de tous les psychologues; +c'est lui qui pousse les criminels a venir s'accuser d'un acte dont +l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable, +a excite un de mes malades a prendre sa femme, en tant que sa meilleure +amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On +comprend donc combien un confident sur et discret peut rendre de +services, chez les malades de tout age atteints de psycho-nevrose. Comme +l'a dit le poete: + + En se plaignant on se console, + Et quelquefois une parole + Nous a delivres d'un remords. + +Mais il est des cas ou la douleur humaine ne peut etre attenuee par une +confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychotherapie perd +tous ses droits. + +Il est d'autres cas ou elle est egalement impuissante. C'est quand le +malade ne _veut_ pas guerir,--s'il se complait dans son chagrin, par +exemple.--Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de +se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guerir; dans +leur egoisme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage, +veritables vampires qui epuisent jusqu'au bout la patience, les forces, +les ressources pecuniaires de leurs proches, sans avoir un eclair de +reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le medecin qui +se depense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles +sont, avant tout, des malades, et ont droit a toute notre indulgence; +leur egoisme feroce n'est qu'un symptome morbide. Ainsi j'ai soigne une +dame qui, avant d'etre malade, etait exquise de bonte, de bienveillance, +de politesse. Or, quelques mois apres le debut de sa "maladie", en +meme temps qu'elle devenait dyspeptique, constipee, obese, tout en ne +mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractere se modifia +et la fit devenir le tyran dont j'esquisse a grand traits l'image. +Aujourd'hui, elle fait le desespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter +qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychotherapie +est impuissante. Si habilement maniee qu'on le suppose, elle echoue +quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents +therapeutiques. + + +PSYCHOTHERAPIE ET PROBLEME RELIGIEUX + +Dans quelle mesure le medecin peut-il utiliser, comme moyen +psychotherapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse? +Grave question qui ne saurait etre traitee avec trop de discretion. + +En principe, le medecin ferait mieux de laisser ce soin au pretre, ou au +pasteur, ou au rabbin, a des manieurs d'ames plus habitues que lui a ces +delicats problemes; mais il est des circonstances ou il ne peut pas se +derober, et il nous faut en dire quelques mots. + +Il est certain, en tout cas, que le medecin ne doit jamais aborder, le +premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est +pas son role, et un zele immodere, de sa part, pour la defense d'une +doctrine philosophique quelconque, pourrait etre, et serait a juste +titre, severement jugee. Mais, d'autre part, il doit s'attendre a ce +que, pousse par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige a +entrer avec lui dans ce domaine. + +Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui, +pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprecier l'inanite +de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalite des +consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'a son corps +defendant, se sent, a un moment donne, preoccupe d'une facon insolite +par les grands problemes de l'au-dela, de la destinee humaine. Sans +compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois +n'ai-je pas entendu des malades me dire: "J'ai peur!" Peur de quoi? Ils +n'en savent rien; ce n'est pas, en general, d'avoir a quitter cette +lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;--encore que +parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de +conservation parle la en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent +une peur vague, animale; et, dans cette detresse morale, ils +s'accrochent desesperement a tout ce qui peut leur donner du reconfort. + +Ces deux motifs expliquent le besoin qu'eprouve souvent le malade +d'aborder des problemes qui, en etat de sante, lui etaient completement +indifferents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne +religieuse, qui repondra a toutes les questions par de petites +devotionnettes ou des pratiques tout a fait en dehors des habitudes du +malade, des pratiques qui n'ont de raison d'etre que pour les fervents, +et qui risquent de revolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le +sens cache? Est-ce avec le visiteur plus ou moins presse qui, entrant +en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'a +ses affaires pendant qu'il lui detaille ses miseres, se borne a lui +repondre: "Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il +fait chaud, etc."? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne +l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors +que la victime n'a qu'une affaire qui l'interesse au monde! Vraiment, +tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux; +non seulement ils ne sont d'aucune utilite, mais ils contribuent a +entretenir la "maladie", surtout quand ils se succedent pres du lit des +patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le +cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secretes, +n'ont plus, pres du malade, le credit anterieur. Cela tient en partie +a ce que l'amitie d'autrefois etait entretenue par des confidences +reciproques; or, a partir du jour ou le malade a ete serieusement +touche, il n'y a plus de reciprocite possible, car les affaires de ses +meilleurs amis ne l'interessent plus, il ne s'interesse qu'aux siennes, +c'est-a-dire a sa "maladie". + +Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves preoccupations, +les personnes de son entourage immediat, pere, mere, mari, femme, etc.? + +Quelle mediocre ressource!--Certes, ce n'est ni le devouement, ni la +bienveillance, ni la tendre affection qui font defaut aux membres de +la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins +intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait +d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connait de tout +temps. Qui alors? Le pretre? Mais, bien souvent, le pretre n'a pas ses +entrees dans la maison; et meme, s'il s'agit d'un malade dont l'etat +soit un peu inquietant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut +pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps +d'appeler le pretre quand le malade sera sans connaissance! + +Que reste-il donc?--Le medecin. + +Le besoin qu'a de lui le malade, pour la sante de son corps, lui donne +une influence et une autorite morales superieures a celles memes des +parents ou des amis les plus respectes. C'est a lui surtout que le +malade est tente de confier ses doutes, ses preoccupations d'au-dela, +ses vagues espoirs, tout ce monde d'idees qui s'agitent en lui avec une +abondance et une intensite inaccoutumees. + +Au medecin, donc, d'etre a la hauteur de sa tache, sur ce domaine +particulier de la psychotherapie, dont l'importance est souvent +capitale. + +Mais que doit-il faire? En presence d'un malade qu'il voit partage entre +des restes de foi plus ou moins effaces, et cet etat d'incredulite, +active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en presence d'un +malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir, +et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour +lui l'aneantissement eternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il +retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la societe de ceux qu'il a le +plus aimes sur cette terre; en presence d'un tel malade, que doit faire +le medecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde +jamais de vue que le malade est semblable a un noye qui cherche a se +raccrocher a la moindre branche de salut; si donc il n'a a lui offrir +que de froides theories philosophiques, aboutissant a la desesperance +finale, s'il est lui-meme bien convaincu que la mort signifie, pour le +malade, la fin absolue, et la separation a jamais d'avec ce qui lui +est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des +doctrines qui, en admettant meme qu'elles fussent exactes, ne pourraient +etre, ici, d'aucun reconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est +de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'esperance. Or, ou +trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit: +"Venez a moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?" + +L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les +medecins qui se sont occupes des "maladies" nerveuses; et c'est avec +plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr +Dubois[13], de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage, +developpe avec complaisance des theories philosophiques fort eloignees +de l'orthodoxie chretienne: + +[Note 13: Dr Dubois. _Les Psychonevroses et leur traitement moral_, +1904.] + +"La foi religieuse pourrait etre le meilleur preservatif contre ces +"maladies" de l'ame, et le plus puissant moyen pour les guerir, si elle +etait assez vivante pour creer, chez ses adeptes, un vrai stoicisme +chretien. Dans cet etat d'ame, helas! si rare, dans les milieux bien +pensants, l'homme devient invulnerable; se sentant soutenu par son Dieu, +il ne craint ni la "maladie" ni la mort. Il peut succomber sous les +coups d'une "maladie" physique, mais, moralement, il reste debout au +milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux emotions pusillanimes +des nevroses." Et, plus loin, a la lecon, XXXV: "Ceux a qui leur +tournure d'esprit permet encore la foi naive trouveront un appui dans +leurs convictions religieuses, a condition qu'elles soient sinceres et +vecues." + +Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en resulte pas, pour le +medecin psychotherapeute, d'encourager son malade dans ces convictions +religieuses qui peuvent le rendre "inaccessible aux emotions +pusillanimes des nevroses"? + +Dans les cas ou la foi religieuse, sans etre assez, vivante "pour creer +un vrai stoicisme chretien", subsiste encore, et cherche vaguement a se +raviver sous l'enveloppe de l'indifference ou du scepticisme mondains, +est-ce que ce n'est pas une obligation pour le medecin de l'y aider, +autant qu'il le peut? + +Voici donc le medecin transforme, malgre lui, en apotre. Mais nous ne +craignons pas de le redire: pour soutenir ce role, auquel il n'est pas +prepare, il a toujours besoin d'une discretion extreme, et il ne doit +s'avancer qu'a pas mesures sur un terrain aussi dangereux. + + + +CHAPITRE V + +AUTRES AGENTS THERAPEUTIQUES + + + +La psychotherapie est la base du traitement, pour les malades chez qui +les troubles nerveux et mentaux predominent. Dans les autres formes de +la decheance du capital nerveux, elle joue aussi un role important; de +la les resultats remarquables obtenus, meme dans les "maladies" a forme +gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confreres, +qui arrivent, en effet, a soulager et guerir un certain nombre de +dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systematiquement toute +preoccupation de regime alimentaire. Mais, a mon avis, ces confreres +tombent dans l'exageration; meme s'il n'y a pas de troubles gastriques, +le regime du malade doit etre surveille; et a plus forte raison quand +l'estomac ou l'intestin protestent. Le regime, en realite, joue, dans +la therapeutique des malades a phenomenes intestinaux et gastriques, un +role au moins egal a celui de la psychotherapie. + +Erreur, repondent les psychotherapeutes outranciers: lorsque vous +faites du regime, lorsque vous imposez a vos malades telle ou telle +alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude a l'autre, d'une +maison de sante a l'autre, les bons resultats que vous obtenez sont dus, +exclusivement, a la psychotherapie que vous faites sans le savoir. Si +le docteur un tel guerit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du +macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur +estomac en etat, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en +fait, il les guerit par suggestion, et malgre le regime. Car le +regime, ajoutent-ils, entretient plutot l'idee de "maladie": le malade +s'auto-suggestionne a chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver +de plus malheureux a un nevropathe, c'est de trouver un medecin qui le +soumette a un regime alimentaire, quel qu'il soit. + +Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir +traiter, par la psychotherapie seule, telle ou telle jeune fille qui +vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs +semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs +mettant sa vie en danger. Qu'on reussisse souvent a guerir les "malades" +sans regime, ou avec un regime qui n'a rien de methodique, qui n'est en +somme que la suralimentation, dans une maison de sante, c'est possible: +le changement de milieu, l'eloignement des causes qui avaient produit et +entretenu la "maladie", l'influence salutaire indiscutable du medecin, +expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder +de generaliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en meme temps qu'on +fait de la suggestion, instituer un regime alimentaire approprie au +fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades. + + +I + +REGIME + + +Nous avons deja mentionne des cas ou l'estomac et l'intestin, atteints +d'une sorte d'inertie, se refusent a tout travail, et indique les +symptomes physiques qui permettent d'affirmer cet etat d'inertie. Il +est evident qu'alors il faut fournir a cet estomac et a cet intestin un +travail frequent, mais peu actif; de la, necessite de la diete liquide +dans les cas tres graves, parfois meme de la diete absolue pendant +vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diete semi-liquide dans les +cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes +les deux heures, suivant le degre d'inertie constate. + +Il n'est point necessaire de varier a l'infini le nombre des aliments. +Je me rappelle un malade qui avait tout a fait l'aspect d'un cancereux, +qui depuis deux mois maigrissait a vue d'oeil, ne digerait plus rien, +avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se trainer, +ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouve d'un regime +consistant a s'alimenter exclusivement de Revalesciere. Je lui ai donne, +toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures, +jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures +pendant huit jours, uniquement de la Revalesciere, cuite dans du +bouillon de legumes et de poulet. Apres ces deux semaines, son estomac +lui permit de tolerer d'autres potages, puis des purees, puis des oeufs +et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il +partit gueri, ayant augmente de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que +je faisais, en meme temps, de la psychotherapie! me dira-t-on encore? +Sans doute, j'en faisais, et j'ai meme du me depenser beaucoup pour +faire accepter ce regime a mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait +pas une "maladie" incurable, pour le faire rester a Paris, dans les +conditions d'installation mediocre ou il se trouvait, etc.; mais +j'affirme que ce n'est pas la psychotherapie qui l'a gueri, et que, +malgre la confiance qu'il avait en moi, malgre toute l'autorite que +j'exercais sur lui, malgre le repos au lit, si je lui avais donne a +manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si +surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas +gueri; et la preuve en est que, a partir du premier mois, sitot que +je m'ecartais du regime methodique, et que, pour essayer de gagner du +temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet +essai, si timide qu'il put etre, amenait invariablement un petit recul. +Si cet essai avait ete prolonge, il aurait surement amene une rechute. + +Inutile de dire, apres cela, que la Revalesciere n'est nullement un +specifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amene le meme +resultat (panade bien cuite et bien passee, tapioca, arrow-root, +phosphatine, avenose, aristose, creme d'orge, de riz, etc) + +Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le regime +ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le regime +sec est d'un maniement difficile et doit etre tres vite remplace par le +regime "a restriction des boissons". Ces cas sont ceux ou, a l'inertie, +se joint un element spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes +les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois +jours, des aliments secs a grignoter; et ce regime est specialement +indique chez les malades chroniques dont le capital est gravement +atteint. Il est bien certain que la psychotherapie intervient assez peu +dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne a un +malade qui aurait besoin d'un regime sec le regime liquide, ou meme +semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empecher les +facheux resultats d'une pareille erreur therapeutique. + +Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas +pouvoir digerer, et ne digere pas, en effet, simplement parce qu'il +a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-meme. Oh! alors la +psychotherapie fait merveille. On doit donc forcer le malade a manger, +et a manger n'importe quoi, pour lui bien demontrer qu'il peut tout +digerer. Mais je ne conseillerai jamais a un medecin d'essayer ce +systeme, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas etudie +de tres pres le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de +compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre. + +D'une facon generale, dans le doute, mieux vaut proceder avec une +sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments +necessaire a la conservation de la vie. + +Il nous est impossible de tracer, meme a grands traits, les indications +de regime qui conviennent aux divers malades. Theoriquement, le regime +doit varier d'un individu a l'autre, et meme d'un jour a l'autre, +pendant toute la duree de la "maladie". Mais, en pratique, les choses +se passent plus simplement. Le principe general, c'est qu'il faut faire +manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phenomenes +spasmodiques (tiraillements d'estomac, baillements, etc.), et qu'il faut +les faire manger des le reveil, et meme pendant la nuit pour assurer +le sommeil. La moitie d'un oeuf dur pris vers minuit, apres le premier +reveil, dans les cas ou le regime doit etre plutot sec, une tasse de +cacao dans les cas ou le regime doit etre plus liquide, font mieux, pour +procurer le sommeil, que la meilleure des preparations opiacees. + +Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades apres +avoir mange. Nous avons deja dit que, dans les cas graves, il faut +qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position +horizontale apres les repas s'impose, et n'est pas moins necessaire +apres le gouter. L'homme tout a fait valide se trouve bien de faire, +apres les repas, un exercice modere; et il y a aussi quelques +dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande +exception. + +Et enfin, il y a un precepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien +portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre +a table immediatement apres un travail musculaire. C'est ce qu'a +parfaitement explique le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur +les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer +mes lecteurs, s'ils desirent etre renseignes en detail sur toutes les +questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice. + + +II + +MOYENS ACCESSOIRES + + +Outre le regime, il est encore un grand nombre de petits moyens +therapeutiques que la psychotherapie ne remplacera certainement pas. Il +est tres simple, en verite, de dire que, si l'electricite, le massage, +la douche tiede, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce +que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une +conception par trop facile, et qui se trouve dementie par l'experience. +Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, independante de +toute suggestion, action quelquefois tres puissante; aussi doivent-ils, +tout comme l'hygiene alimentaire, etre soumis a un controle serieux, +et ne pas etre employes a tort et a travers: mais, quand ils sont bien +manies, ils jouent un role incontestable dans la therapeutique. Le +principe general, c'est qu'il faut en user avec une extreme prudence, et +que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir. + +_Hydrotherapie_.--L'hydrotherapie froide est rarement indiquee; on +commence a le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital +nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des desastres. + +Les medecins alienistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la +base du traitement de la folie, y on tous entierement renonce: la douche +froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades +ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunement +soutirer une dose considerable d'influx nerveux. Je comparerais la +douche froide a la saignee faite chez les malades qui n'ont plus de +pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignee peut parfois rendre +le pouls et la vie. C'est ce que nos peres appelaient "la saignee dans +les cas d'oppression des forces". Or, pour pratiquer a coup sur la +saignee, dans ces cas, il fallait etre un virtuose; et, de meme, il +faut etre doue d'un doigte exceptionnel pour appliquer convenablement +l'hydrotherapie froide, chez les malades graves. + +Que dirai-je de la methode Kneipp? Les affusions, les lotions, le +manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien +appliquees, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le +peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionne +par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les +fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aere, ou son +cerveau reste en jachere par le fait de l'horrible tristesse du milieu, +et s'il s'y soumet a une alimentation plus raisonnable que celle qu'il +avait chez lui. Tous ces elements entrent pour une part indeniable, +dans les remarquables succes qu'a obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent +encore, a un moindre degre, ses successeurs et ses eleves, a Altkirch, +en particulier. + +Pour en revenir a l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver +de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit etre employee que chez +les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce +genre, le maillot humide, notamment, constitue par un drap mouille +et tordu etendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un +procede souvent tres utile et a la portee de toutes les bourses. On +entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant +ensuite de trois couvertures prealablement etendues, sous le drap. Nous +avons vu des malades, qui ne parvenaient pas a dormir, trouver, vingt +minutes apres qu'ils etaient dans ce maillot, un sommeil reparateur. +La duree des applications ne doit pas depasser trois quarts d'heure; et +leur nombre peut sans inconvenients atteindre 80, employees +quotidiennement, meme pendant les regles. + +L'hydrotherapie tiede trouve plus souvent ses indications. Le _tub_ +tiede, pratique dans la matinee, avec une infusion de tilleul et +l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sedatif, si le +malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer. + +Le bain repond aussi a de nombreuses indications; mais c'est un moyen +beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des +malades qui ne le supportent pas, que le bain, meme de cinq minutes, +enerve, empeche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilite, +et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire. +Les medecins alienistes se trouvent quelquefois amenes a donner des +bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est la une medication tres +active, et difficile a manier. Il arrive, en effet, que les malades ont +des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer +autour d'eux. Les bains de six heures consecutives sont journellement +employes a Loueche, et avec grand profit, pour les malades atteints de +certaines formes d'eczema. Les eaux de Loueche ont peut-etre une qualite +particuliere, qui rend tolerables ces bains prolonges; ce qu'il y a de +certain, c'est que les bains de la meme duree avec de l'eau de Paris, +comme on les employait autrefois a l'hopital Saint-Louis, ne sont, en +general, pas toleres, et qu'on a du reserver ce traitement pour les cas +exceptionnels. + +C'est egalement une qualite particuliere de l'eau qu'il faut invoquer +pour expliquer la tolerance de certaines eaux minerales. A Badenweiller, +en particulier, a Gastein, a Neris, les nerveux supportent des bains +tres prolonges (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un +bain d'un quart d'heure les mettrait dans un etat pitoyable. + +Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau, +meme aux stations minerales que je viens d'indiquer; les medecins de ces +stations auraient tort d'insister si, apres les deux ou trois premiers +bains, ils observaient une aggravation de l'etat maladif. + +Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller +la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de +pieds les revolutionne, ils eprouvent le besoin de se laver la figure +avec tres peu d'eau tiede, ou meme avec du cold-cream. Dira-t-on que ce +sont la des phobiques? Il n'en est rien. La verite, c'est que nous ne +connaissons pas tous les degres de susceptibilite du systeme nerveux, +reactif d'une sensibilite invraisemblable; et cette intolerance de la +peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparait en +meme temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tete, +et autres miseres dont l'ensemble constitue la "maladie". Mais, aussi +longtemps qu'existe cette intolerance, le medecin doit savoir la +respecter, et ne pas s'obstiner a faire faire au malade l'hydrotherapie +meme la plus mitigee. + +C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur +seche. Un sac en caoutchouc, a moitie rempli d'eau chaude, applique sur +l'estomac apres les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds, +est tres apprecie de beaucoup de malades. Ce procede, tres simple, +facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant, +on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas, +c'est la compresse froide, etendue sur le ventre, recouverte de taffetas +chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au +patient. + +Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore etre remplace +par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par +la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion. +Ces petits appareils, connus sous le nom de _dermothermes_ ou de +_dermophores_, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une +chaleur egale. Ils ont, par contre, l'inconvenient d'etre un peu lourds; +aussi, quand l'installation le permet, leur preferons-nous un tissu +metallique tres leger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffe par +un courant electrique a 70 volts. + +_Massage_.--Ce que nous disons de l'hydrotherapie s'applique, de point +en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait +jamais etre pratique en dehors du medecin. Employe meme legerement, il +fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier, +qui a ete fort en honneur il y a quelques annees, constitue un procede +therapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours +pratique par une main experimentee, c'est-a-dire avec la plus grande +douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la +paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler +que, meme alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout a fait accessoire. Les +medecins qui auraient la pretention de guerir la constipation par le +massage abdominal exclusivement s'exposeraient a un echec certain, parce +que la constipation n'est pas causee seulement par une inertie des +muscles de l'intestin, mais n'est que le symptome d'un etat general, +ainsi que nous l'avons deja explique. + +Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de +services que le massage, et sont d'une application plus facile, +puisqu'elles peuvent etre confiees a toutes les mains. Elles sont faites +avec un gant de molleton, jamais ou tres rarement avec le gant de crin; +seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une +grande somme de resistance, supportent la friction violente au gant de +crin. Une bonne maniere de faire la friction humide est la suivante: + +Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un +des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibe d'une solution +alcoolique tiedie; oter ce gant, le remplacer par un gant sec, +frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la +couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de meme. +Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut, +puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos, +n'importe en quel sens, l'etendre de nouveau, travailler legerement le +devant de la poitrine sans toucher a l'estomac ni au ventre. L'operation +doit durer dix minutes. Elle est a recommander chez presque tous les +malades, meme chez ceux qui sont tres gravement touches. Bien faite, et +comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse. + +Les bains de vapeur sont en general bien supportes; mais les prendre +dans des etablissements speciaux expose a une grande perte de temps, et +a un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre a domicile, soit +dans des boites portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans +ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud emanant d'une forte lampe a +alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tole. +Mais un procede qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans +des boites disposees _ad hoc_, mettre deux briques bien +chauffees,--appliquer une de ces boites aux pieds du malade couche, une +autre boite a chacun de ses cotes, et attendre que la transpiration +survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce +systeme permet: 1 deg. de graduer la transpiration; 2 deg. de ne pas mouiller +les draps et les couvertures, comme le fait l'air sature de vapeur qui +sort d'une lampe a alcool. Nous preconisons ces bains d'air sec chez les +malades obeses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc. + +En therapeutique, il n'y a pas de menus details: tout ce qui peut etre +utile au malade doit etre l'objet de nos recherches; et c'est le soin +des details qui fait la force, et, disons-le franchement, le legitime +succes de quelques-uns de nos confreres etrangers. + +_Electricite_.--L'electricite n'est pas, non plus, a negliger. Il est +certain que les courants de haute frequence ont, sur la nutrition en +general, et sur le systeme nerveux en particulier, une action tres +puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr +Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente +de froid. Mais c'est la un procede forcement limite, a cause des +difficultes d'installation et du prix de revient. Les applications +faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent egalement avoir +leur efficacite; mais c'est la un procede tres actif, et qui, fort +heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile. + +Le tabouret electrique est souvent recommandable, a condition qu'on ne +tire pas d'etincelles. Les machines statiques a domicile sont des jouets +qu'on peut conceder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone +qu'elles degagent n'a pas une influence utile? + +Les bains electriques constituent aussi un moyen puissant, et, +par consequent, difficile a manier. Ce que nous avons dit des +contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains electriques; il +est des cas ou le bain electrique, bien applique, rend d'excellents +services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une facon +generale, on peut dire que le bain electrique occasionne une courbature +notable qui, a l'inverse de la courbature produite par l'exces +d'exercice musculaire, amene le sommeil. Ces bains ne devraient etre +donnes que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance medicale +tres exacte pendant toute la duree du bain. Dire qu'un pareil moyen +agit par suggestion, c'est enoncer une affirmation qui n'a rien de +scientifique. + +_Injections hypodermiques_.--Les injections hypodermiques constituent un +des agents les plus utiles de la therapeutique. On peut rapporter aux +trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1 deg. toute injection, en +tant qu'injection, a une influence utile; 2 deg. le medicament injecte a +son action propre; 3 deg. une part de suggestion s'attache a l'emploi des +injections. + +I. On sait, depuis les remarquables etudes du Dr Cheron, que toute +injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide +injecte ne soit pas toxique, produit un relevement momentane de la +tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-etre, de +vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogenique plus ou moins +prolonge, Suivant la dose injectee, et suivant une foule d'autres +conditions. + +Ainsi, qu'on injecte de l'eau salee, du liquide de Brown-Sequard, +de l'oceanine, etc.; il y a toujours a compter avec cette action +particuliere de l'injection en tant qu'injection sous-cutanee ou +intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine. +De la l'utilite des doses massives de liquide, comme aussi la vogue +qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de serum +artificiel, dont la formule habituelle est a 7 grammes de sel marin pour +un litre d'eau sterilisee. Malheureusement on sait, depuis quelques +annees, que le sel n'est pas un agent indifferent, et qu'il peut devenir +toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas tres bien. +Il faut donc en user avec grande prudence. + +Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer sterilisee +(oceanine). On donne de 300 a 500 grammes de liquide, et les promoteurs +de ce nouveau medicament en disent merveille: il est possible que l'eau +de mer soit un heureux melange de substances utiles a l'organisme. Je +n'ai pas fait d'etudes sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essaye +l'oceanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie, +sans resultats appreciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que +des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite +a la Societe de Therapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il +resulte que ces injections, pratiquees a des doses plus fortes, ont des +effets vraiment importants chez les nerveux, les alienes, et qu'elles +n'ont pas les inconvenients graves des injections salees ordinaires, si +bien mis en lumiere par M. le Dr Hallion a la meme seance de la Societe. +L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement +un des precieux medicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; +d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent egalement en +tant qu'injections de liquide non toxique. + +II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecte. Il existe, +certainement, des medicaments doues d'une action reconstituante sur +le systeme nerveux: les glycerophosphates, le cacodylate de soude et +surtout de magnesie, le serum de Brown-Sequard, peut-etre la lecithine, +les phosphates, etc. Loin de nous l'idee d'etudier l'action de tous ces +medicaments: disons seulement un mot des principaux. + +Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier +ordre; on peut l'employer sans danger a des doses beaucoup plus elevees +qu'on ne l'indique generalement, et j'ai publie, a la Societe de +Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicite du produit, +ainsi que l'utilite des hautes doses longtemps continuees, dans certains +cas exceptionnels[14]. Le plus souvent, la dose indiquee par le +professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et +il n'est pas necessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette +injection, a la condition de continuer le traitement pendant deux ou +trois mois dans les cas moyens. + +J'ai, d'ailleurs, fait une etude clinique detaillee de l'action des +cacodylates de soude et de magnesie, a la Societe de Therapeutique, en +1902, en indiquant les tres rares contre-indications, et en precisant, +dans la mesure du possible, les indications[15]. Le cacodylate de fer en +injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels ou le fer +est indique (chez certaines jeunes filles anemiques, chloro-anemiques): +mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites a raison de +deux par semaine, nous ont toujours semble suffisantes. + +[Note 14: Considerations sur la medication cacodylique, _in Ann. de +dermatologie et Syphiliographie_, 6 mars 1902.] + +[Note 15: _Bull de la Soc. de Therapeutique_, 27 mars 1901.] + +Les injections orchitiques de Brown-Sequard, apres avoir eu un moment la +faveur que l'on sait, sont tombees dans un injuste oubli. Ayant eu la +bonne fortune d'etre en relations personnelles et suivies avec le venere +maitre, de recueillir de sa bouche des apercus therapeutiques de grande +envergure, que la mort ne lui a pas laisse le temps de verifier et +d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'etude de +l'action dynamogenique du liquide de Brown-Sequard, preciser les doses, +le nombre des injections, etc. Ce travail n'a ete qu'ebauche par le +grand initiateur. + +D'ailleurs l'opotherapie, en general, nous semble une methode pleine de +promesses; j'ai cite notamment, a la Societe de Therapeutique, en 1904, +le cas d'une malade a foie defectueux arrivee au dernier degre du +marasme, avec muguet dans la bouche, qui a ete comme ressuscitee par +l'emploi de trois lavements quotidiens prepares avec une maceration de +200 grammes de foie de porc, fraichement tue, dans 300 grammes d'eau +bouillie. Cette dame, une grande malade avec phenomenes nerveux et +dyspeptiques anciens, avait eu, a un moment donne, une insuffisance +hepatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fievre +intermittente hepatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxieme mois +de cette complication, elle etait arrivee a l'etat lamentable que j'ai +indique, quand nous eumes l'idee de lui rendre ce qui manquait a son +foie. Le resultat a depasse toute esperance; trois heures apres le +premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit +jours apres, elle avait retrouve le sommeil et l'appetit, les selles +regulieres, etc. Une fois l'orage passe, le danger immediat conjure, il +m'a encore fallu continuer a soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, +la peau de ma malade: mais, trois mois apres, elle put aller achever sa +convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien. +La complication hepatique n'avait ete qu'un episode dans le cours de la +"maladie", qui evoluait depuis vingt annees. + +D'une facon generale, les preparations opotherapiques, auxquelles un +immense avenir semble reserve, ne rendront tous les services qu'elles +peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par +voie sous-cutanee, comme le faisait Brown-Sequard avec son liquide +orchitique. + +Chez certains malades, les preparations de strychnine par injections +hypodermiques ont un effet tres utile: mais il ne faut pas depasser en +general la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arseniate +de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, reparties sur +trente jours. + +Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels +qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurastheniques. De la, +la preoccupation constante que nous avons de faire la guerre a cette +affection accidentelle, de la couper des ses debuts. Or, il m'a bien +semble trouver, dans le _cacodylate de gaiacol_, un agent antigrippal +specifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes +confreres, a la Societe de Therapeutique, en janvier 1906. + +Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de +gaiacol, dans un gramme d'eau sterilisee, et prealablement saturee de +gaiacol, fait merveille chez les grippes au debut: elle les guerit +en quelques heures. Deux ou trois injections consecutives suffisent +toujours pour couper la grippe, meme quand elle n'est pas prise au +debut, a moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et, +meme alors, le cacodylate de gaiacol me semble tres recommandable. +Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui +resistent a tous les traitements. + +Dans les cas de grippe avec fievre, voire meme avec pneumonie, nous nous +sommes tres bien trouves de donner, pendant trois ou quatre jours de +suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution +suivante, introduite profondement dans le muscle, est tres bien toleree +et n'occasionne jamais d'abces: + + Chlorhydrate neutre de quinine 3 grammes. + Antipyrine 2 -- + Eau distillee 6 -- + +Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les +nevralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui +resistent meme aux opiaces (nevralgies sous-orbitaires, sciatiques, +nevralgies intercostales). + +Je n'ai pas essaye la quinine en dehors de ces suites eloignees de la +grippe, cas de grippe aigue et de nevralgies postgrippales,--on ne peut +pas tout faire,--mais je crois bien que la quinine a petites doses, +donnee en injections a tous les malades a depreciation nerveuse +momentanee, aurait un effet dynamogenique precieux. + +Dans certains cas de douleurs nevralgiques trop penibles, les injections +d'heroine sont indiquees; mais il faut savoir que l'heroine doit se +manier a doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes, +on ne doit jamais depasser un milligramme d'heroine, surtout chez les +malades dont on ne connait pas la tolerance. L'action antinevralgique de +l'heroine nous a semble superieure a celle de la morphine; mais il faut +bien se rappeler que l'heroine est un medicament aussi dangereux que la +morphine, auquel les malades s'habituent, et reserver son emploi pour +les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me +disposais, a contre-coeur, a employer l'heroine, lorsque, me ravisant, +je me demandai si la nevralgie crurale qui le torturait ne serait pas, +par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire, +j'acquis la conviction que la syphilis etait vraiment en cause; et une +seule piqure de calomel eut raison a tout jamais de cette nevralgie +si penible; tant il est vrai que le medecin doit toujours penser a la +syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui. + +Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire, +quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous +semble etre les injections mercurielles; celles au benzoate sont +douloureuses, et donnent des nodosites desagreables; celles de biiodure +en solution aqueuse sont tres douloureuses. Nous preferons l'huile grise +pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et +l'huile au sublime,--dont nous avons donne la formule en 1881 a la +Societe de Dermatologie,--chez les syphilitiques epuises, auxquels +l'huile sert d'aliment. + +Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de +dire un mot de nos travaux anterieurs sur l'action dynamogenique de +l'huile creosotee, en injections sous-cutanees _a dose maxima toleree_. +Nous les avons surtout employees et les employons encore chez les +tuberculeux; mais nous etions guide par une fausse conception theorique; +et si la creosote _bien maniee_ reste,--et restera longtemps,--le +medicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle +agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle +a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le systeme +nerveux. + +La creosote est, en effet, un agent dynamogenique de premier ordre. +Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'etre les seuls malades qui +puissent tirer parti de ce precieux medicament; et si je ne craignais +d'etre accuse de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le +moindre benefice, a cause de la difficulte que presente le maniement de +la creosote chez ces malades, toujours prets a avoir la fievre. La +ou les injections d'huile creosotee font merveille, c'est chez les +pseudo-tuberculeux, qui sont tellement demolis par les troubles +gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne +l'etant pas. Chez eux, la creosote bien maniee rend, en quelques jours, +l'appetit, la force, en un mot la vie. + +Le seul inconvenient de la creosote, et qui restreindra longtemps son +emploi, c'est l'extreme difficulte qu'il y a a la manier. Pour ma +part, je me suis attache a surprendre les moindres manifestations de +l'intolerance, et a les decrire minutieusement afin de permettre aux +praticiens de ne jamais depasser la dose utile; a appeler l'attention +sur les intolerances accidentelles, qui doivent faire immediatement +suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptee les jours +precedents. J'ai meme tellement insiste sur les dangers de la creosote +que quelques confreres m'ont accuse d'avoir fait son proces; mais la +dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empeche pas que, bien +maniee, elle rende des services[16]. + +[Note 16: Dans les injections d'huile creosotee, il n'y a pas +seulement que la creosote qui soit utile. L'huile absorbee, digeree par +la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un +mois, avec des injections sous-cutanees d'huile et des lavements aqueux, +un malade atteint d'ulcere de l'estomac. Un mois durant, ce malade est +reste a la diete _absolue_, ce qui a donne a l'ulcere le temps de se +cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de +150 grammes d'huile convenablement preparee. Le danger des injections +huileuses est la penetration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'ou +peut resulter une embolie qui peut etre mortelle; mais j'ai indique le +moyen de se mettre _surement_ a l'abri de tout accident grave. Le secret +consiste a bien connaitre les moindres symptomes d'introduction de +l'huile dans le torrent circulatoire, et a arreter l'injection des +l'apparition de ces symptomes. Rien n'est plus facile que d'arreter a +temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais +cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil special, a +fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont etudies dans +mon livre sur le _Traitement de la tuberculose par la creosote_.] + +III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent +encore d'une autre facon. En dehors des proprietes particulieres a +chaque medicament, et de l'action dynamogenique reconnue a toute +injection sous-cutanee et meme intra-musculaire, elles agissent encore +par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant +que les autres agents therapeutiques, qui visent l'hygiene cerebrale, +medullaire, gastrique, intestinale, cutanee, etc., aient eu le temps de +produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente, +comme ils ne procurent pas de resultat immediat, le malade serait vite +decourage, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant, +factice peut-etre, mais certainement utile, et ayant une action +evidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance. + +La pratique des injections hypodermiques est egalement utile au medecin +a un autre point de vue: elle lui permet d'apprecier tres vite le degre +de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de +ce degre de confiance derive, dans une notable mesure, le resultat +therapeutique final. Si le medecin sent que son malade a foi en lui, +il deploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son +intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira a +tout instant, gene, paralyse, inhibe, et il risquera de n'avoir pas +toute la clairvoyance necessaire. De la l'importance qu'il y a, pour +lui, a evaluer le degre de confiance qui lui est octroye. Eh bien! pour +l'apprecier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection +hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci +aveuglement, du premier coup, sans meme demander la formule du liquide +injecte, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade +acceptera avec la meme obeissance les diverses prescriptions qui lui +seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non +parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe, +il acceptera avec la meme passivite les prescriptions qui lui seront +faites, et c'est la l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou +surtout son entourage, manifestent une curiosite inquiete, qu'on ne +parvient pas a satisfaire par une reponse banale, quand ils expriment +des apprehensions sur la nature et les effets du liquide injecte, on +peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins mediocre; et le +medecin aura beaucoup a faire pour conquerir la confiance. + +Certes, cette curiosite et ces apprehensions sont legitimes, et ce que +nous disons ici ce n'est pas pour les empecher: mais il n'en est pas +moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le medecin +a interet a connaitre afin de travailler a la faire cesser et d'etablir +ainsi, entre son malade et lui, cette confiance reciproque qui est la +condition indispensable d'un traitement efficace.--Or l'attitude des +malades en face des injections qu'on leur propose constitue, a ce +point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral. + +Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des +applications locales, revulsives ou derivatives, qui etaient autrefois +si en honneur, et qui sont tombees dans un discredit bien injuste. + +_Vesicatoires_.--Autant nous protestons contre les larges vesicatoires +employes autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la +cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait +guerir; autant nous continuons a penser que le petit vesicatoire, sous +forme de mouche de Milan, ne doit pas etre dedaigne. Chez les grands +malades qui ont le systeme nerveux sens dessus dessous, une mouche, +appliquee derriere l'oreille, peut faire un mal extreme et produit +un etat d'agitation inconcevable, non pas a cause de la douleur +insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de +circulation qu'elle produit a distance. Ce seul fait suffirait a prouver +que l'application d'une mouche n'est pas indifferente; rien, d'ailleurs, +n'est indifferent en therapeutique. Mais chez certains malades qui ont +encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquee derriere l'oreille +droite, de preference, produit une sedation des plus remarquables, amene +le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles +innommables qui constituent l'etat nerveux; c'est sans doute a cause de +l'inferiorite fonctionnelle de la partie gauche du corps,--habituelle +chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,--que la mouche appliquee +derriere l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle +produirait moins si elle etait appliquee a gauche; en tout cas, c'est un +fait d'observation. De meme, la mouche sur le creux de l'estomac peut +amener, si elle est appliquee trop tot, ou dans les cas trop aigus, une +aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient a son +heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La +mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remedes a +apporter a la constipation. Cette affirmation peut sembler singuliere, +mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours +nerveuse, de la constipation. + +_Emplatres_.--Les applications d'emplatres d'opium ne sont jamais +dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Etant donnee l'extreme +susceptibilite d'un systeme nerveux malade, qui se laisse impressionner +par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout +cas, j'affirme, au nom d'une experience prolongee, qu'une mouche d'opium +appliquee a la tempe est souvent tres appreciee par les malades +cephalalgiques, qu'un emplatre d'opium, ou de cigue et de belladone, +laisse sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une +facon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une +serie d'injections de morphine. + +De meme, l'emplatre a l'oxyde de zinc, applique sur la colonne +vertebrale, immediatement au-dessous de la premiere vertebre dorsale, +sur une longueur de dix centimetres, attenue singulierement certains +phenomenes medullaires dont se plaignent les malades, en particulier +les inquietudes dans les jambes qui sont si frequentes chez les grands +neurastheniques. + +Tous ces moyens si simples ne sont donc pas a dedaigner. A eux seuls, +ils seraient insuffisants; mais, ajoutes au regime alimentaire, au repos +methodiquement dose, aux applications hydrotherapiques raisonnables, et +a la psychotherapie, ils amenent surement la guerison, lorsqu'il reste +assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible. + +_Purgatifs_.--Nous usons tres peu des medicaments fournis par la +pharmacopee, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin, +et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents +therapeutiques a action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer? +c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas. + +Rien n'est, en effet, difficile comme l'etude d'un medicament. J'ai +mis, quant a moi, des annees a etudier l'action du bromure, quand je +m'occupais plus specialement des "maladies" nerveuses et mentales; et +quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier +l'etude du cacodylate de soude, la premiere chose que je lui ai dite, +c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet +agent therapeutique une appreciation ayant quelque valeur. Enfin, +pour ce qui est de la creosote et du gaiacol, j'ai mis cinq ans a en +connaitre l'effet. + +Comment, alors, avoir confiance dans des publications hatives sur des +medicaments decouverts de la veille? Et, en ce qui est des medicaments +anciens, ayant fait leurs preuves, je repete que, en general, je les +redoute, a cause de l'extreme sensibilite des malades, qui depasse tout +ce qu'on peut imaginer. + +Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une +veritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons +employer sans dommage, et meme avec une apparence de succes qui +saute aux yeux! Leur emploi repond d'ailleurs a une indication bien +rationnelle, puisqu'il faut evacuer les residus de la digestion qui +empoisonneraient l'economie! Il nous faut refuter ces objections en +passant: qu'on donne un purgatif a un homme solide qui a un leger +embarras gastrique, il le tolerera, et paraitra meme s'en trouver bien; +mais c'est une erreur d'interpretation, et si le purgatif ne lui a pas +fait de mal appreciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains. +Mais donner un purgatif a un malade grave dont le systeme nerveux +est profondement atteint, c'est provoquer chez lui des reflexes dont +personne ne connait l'importance, c'est quelquefois siderer son +systeme nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait +jusqu'alors une certaine tonicite, devenir flasque, inerte, perdre toute +reaction; l'intestin est alors inhibe dans son fonctionnement, et il +faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se +ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades +constipes? La reponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur +constipation, qui n'est qu'un symptome, et il faut les soigner en tant +que malades; la constipation disparaitra d'elle-meme. Le moment nous +semble venu de protester une derniere fois contre les idees des gens du +monde, et des medecins, relatives a la constipation. + +Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de +constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une facon +de parler: car, en realite, les constipes ne sont pas absolument bien +portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la +vie commune, tout en ayant une constipation opiniatre; de plus il y a +beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipes. +Une dame nous disait plaisamment, a ce sujet, que son intestin avait +"horreur du vide". Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette +obsession speciale qui empoisonne la vie des constipes, elles tolerent +leur infirmite sans se douter qu'elle existe. Mais malheur a elles quand +elles commencent a se preoccuper de leur constipation! C'est a partir de +ce moment qu'elles rapportent a la constipation les mille et une miseres +qui sont l'apanage des neurastheniques. Malheur a elles, surtout, +quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la +constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiede +d'abord, puis tres chaud, puis tres froid; puis elles ont recours aux +purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux +grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur +intestin, et qu'a leur constipation anodine succede l'entero-colite +membraneuse. + +A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle +vicieux est etabli. Plus elles irritent leur intestin, plus la +constipation devient opiniatre, et, pour lutter contre cette +constipation opiniatre, elles irritent de plus en plus leur intestin. +L'obsession entre alors en scene, elles ne pensent plus qu'a leurs +fonctions alvines, a la liberte du ventre, qu'elles disent etre la plus +necessaire des libertes. Elles donneraient la vie du genre humain pour +obtenir une selle; elles se presentent a la garde-robe plusieurs fois +dans la journee, sans succes ou avec des resultats insignifiants, et, +cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus +extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet etat +mental des constipes merite d'etre etudie de tres pres; et toute +therapeutique qui ne cherche pas a le modifier est, par avance, +condamnee a l'impuissance. + +La premiere chose a faire, quand on se trouve en presence d'un de ces +constipes a obsession, est de lui persuader que la constipation n'est +pas l'ennemie, n'est pas la cause immediate de toutes les miseres +qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptome d'importance +secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de defectueux +dans le fonctionnement du systeme nerveux abdominal. + +Persuadez a vos malades qu'il leur suffit d'aller a la garde-robe tous +les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils +iront quotidiennement; invitez-les a ne s'y presenter qu'une fois par +jour, a heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y +aller en dehors de l'heure reglementaire. Recommandez-leur de ne pas +lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont +la constipation n'est qu'un symptome, et, s'ils vous ecoutent, si vous +avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul a moitie gueris. + +Cependant, comme il faut tenir compte de leur etat mental, et un peu +aussi de la mentalite de l'entourage, on peut autoriser un petit +lavement d'eau bouillie a prendre le matin du troisieme jour de +presentation inefficace, a l'heure reglementaire de la presentation, +lavement qui sera garde cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on +croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir +du troisieme jour de presentation inefficace, un lavement d'huile, non +pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerees +a bouche d'huile pure, lavement destine a etre garde toute la nuit; si +l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le +lendemain, un effet magique. + +Les pilules de belladone d'apres la formule de Trousseau sont egalement +recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas etre +nuisibles. + +Mais un agent veritablement utile, c'est le liquide orchitique de +Brown-Sequard; c'est de la bouche meme du savant professeur que je tiens +ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'etait hier, le +jour ou il me disait ces paroles: "De tous les services que m'ont rendus +a moi-meme mes injections de suc orchitique, celui que je place en +premiere ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont gueri +d'une constipation opiniatre". Et, ajoutait l'illustre maitre, "il faut +avoir ete, comme moi, torture par la constipation pour savoir toutes les +angoisses qu'elle occasionne". + +Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joue aucun role dans la +circonstance, car M. Brown-Sequard ne s'attendait pas le moins du monde +a cet effet des injections do liquide orchitique. + +Pour moi, utilisant ce precieux renseignement, j'ai traite et je +traite encore par les injections de liquide orchitique les grands +neurastheniques atteints de constipation opiniatre avec entero-colite. + +_Eaux minerales_.--Si nous donnons peu de creance aux medicaments de +la pharmacopee, nous croyons, par contre, que les eaux minerales +constituent des agents therapeutiques tres actifs. Voltaire, qui ne +respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont ete inventes par +des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en +general, les eaux sont le dernier conseil de la medecine poussee a bout. +"On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remede." + +Tous les deux etaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient +la de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit +la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute +antiquite, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles +n'avaient pas vraiment une certaine efficacite. + +Certes, dans les bons effets des cures minerales, il faut compter, pour +une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agreable +du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile +quelquefois, est quelquefois facheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux +que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital +n'est pas serieusement compromis. + +Le changement de regime alimentaire qui est impose aux malades, dans les +stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part +d'influence dans les bons resultats obtenus. Nous savons, en effet, que, +a un moment donne, il est utile de ne pas se confiner dans un regime +alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains +cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui +souvent est utile, peut etre dangereux, au contraire, quand le systeme +nerveux n'est pas de taille a supporter le soudain assaut impose. + +C'est ce qui arrive souvent aux stations minerales, ou le bon effet +des eaux est, en grande partie, contre-balance par la mauvaise hygiene +alimentaire. De la l'utilite qu'il y aurait a instituer, dans toutes les +villes d'eaux, des "tables de regime" comme il en existe dans toutes les +maisons de sante bien tenues, ou chaque malade, pour ainsi dire, a le +regime alimentaire qui lui convient, dose et surveille par le medecin de +l'etablissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos +stations minerales, parce que les medecins n'y sont pas libres de tous +leurs actes, et ont a compter avec les hoteliers qui, eux-memes, ont a +compter avec leurs chefs de cuisine. + +A Carlsbad, on a bien essaye de faire des "tables de regime"; et j'y +ai vu moi-meme des menus imprimes; mais un bon nombre des mets qu'ils +annoncaient se sont trouves n'exister que sur le papier. A Vichy, par +contre, plusieurs medecins sont arrives a imposer a des tenanciers de +pensions de famille l'obligation de donner aux malades des regimes +varies, suivant les prescriptions medicales. + +Quant aux indications des eaux minerales, elles varient a l'infini. + +Certaines eaux ont certainement une action predominante sur tel on +tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur +d'observation, ou d'un engouement irreflechi, qu'on attribue aux eaux +de Bagnoles de l'Orne une action presque specifique sur les troubles +peripheriques de la circulation (varices, hemorroides, phlebites). +Les malades atteints d'hemorroides, par exemple, voient surement, a +Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs miseres (troubles nerveux, +dyspeptiques), mais plus particulierement les miseres locales causees +par leurs hemorroides. De meme Chatel-Guyon a une action non douteuse +sur le symptome constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au +contraire, favorise la constipation pendant la duree du traitement. + +De meme, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains enteralgiques, +convalescents d'appendicite, etc., une action veritablement speciale. De +meme encore, dans l'obesite, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des +symptomes de la "maladie", elles ont une bienfaisance incontestable, +surtout si, a leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne +bien comprise et bien reglee. Les eaux de Bagneres-de-Bigorre n'ont pas +d'action speciale, mais elles rendent de precieux services aux nerveux +fatigues. Celles de Vichy sont absolument indiquees chez les malades +dont le systeme nerveux digestif est en detresse, et la Grande Grille, +en particulier, a une action d'une puissance extreme, qui ne s'explique +pas plus par la theorie des _ions_ que par les theories chimiques, mais +qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas la de psychotherapie ni de +suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy +est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se +rappeler que c'est une arme difficile a manier, comme toutes les armes +puissantes, et qu'a Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant +encore une grande force de resistance vitale. + +Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des +dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque annee, +il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptomes cerebraux +predominent, a condition, bien entendu, que ces symptomes ne soient pas +en rapport avec des lesions organiques; et ces malades se trouvent +au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptomes +gastriques ou hepatiques. + +Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer a Bourbon-l'Archambault les +malades atteints de lesions organiques du cerveau ou de la moelle, +hemiplegiques, congestifs, etc. Depuis quelques annees, la physionomie +de cette station a change. Il y a eu des accidents provoques par l'eau +chaude sur les malades a arteres friables; et l'on se borne actuellement +a y envoyer les malades a troubles medullaires superficiels, +connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou +articulaires, sciatiques, nevralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de +boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de +grands services aux rhumatisants et aux obeses sans lesions organiques +appreciables. + +Seule, la station de Lamalou a garde le privilege de recevoir des +malades a lesions organiques nettement definies, et dont nous ne nous +occupons pas dans ce travail. + +Vittel et Contrexeville conviennent aux malades chez lesquels le trouble +de la nutrition, qui n'est, en general, qu'un trouble du systeme +nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation +de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins[17]. + +[Note 17: Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon +estomac, a cause de la quantite d'eau qu'on est oblige de boire. De la +le nombre relativement limite de malades qu'on peut envoyer a Vittel. +Mais fouillez le passe de ces malades, et vous verrez que, longtemps +avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cerebraux, ne +fut-ce que des migraines, de petits troubles cutanes, de l'obesite. Un +beau jour, une colique nephretique les surprend, et l'on se figure que +c'est a partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien. +La colique nephretique n'a ete chez eux, qu'un accident; bien avant +de l'avoir, ils avaient, meme du cote du rein, de petites miseres qui +passaient inapercues: du lumbago, des urines chargees de sable. Et si, +au moment ou l'on s'est apercu de ces petits symptomes, on les avait +soignes methodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas, +par telle ou telle hygiene alimentaire, telle ou telle pratique +hydrotherapique, telle ou telle hygiene cerebrale, ils n'auraient pas eu +de coliques nephretiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller a Vittel. +Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir +au traitement bienfaisant de Vittel pour se debarrasser d'une des +manifestations importantes de leur "maladie", au moins d'une facon +temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les +guerira pas, quand meme ils y retourneraient tous les ans.] + +Les eaux arsenicales conviennent souvent a nos malades; la Bourboule en +particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens. + +Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minerales francaises +et etrangeres. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux +minerales sont un agent therapeutique de premier ordre, un agent que +tous les medecins doivent connaitre, non seulement parce qu'ils voient +dans les livres, non seulement par oui-dire, mais en se donnant la peine +d'aller les visiter. Il n'est meme pas mauvais qu'ils goutent, par +eux-memes, aux diverses sources, et qu'ils tatent parfois des bains. Ils +ne tarderont pas a voir que ce ne sont pas des agents indifferents: je +leur recommande, en particulier, un bain a Salies-de-Bearn, a forte dose +d'eau salee. Aussi le monde medical doit-il etre tres reconnaissant a +celui de nos maitres, le professeur Landouzy, qui a organise, tous les +ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux francaises; +quinze jours de voyage sous une bonne direction medicale sont plus +utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi a +connaitre non seulement les eaux, mais aussi les medecins des stations, +parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idees generales tres +interessantes sur la pathologie. Ces medecins des villes d'eaux sont, +d'ailleurs, pour les praticiens, de precieux collaborateurs, quand ils +veulent bien ne pas se borner a prescrire les eaux en boisson, les +bains, les douches, etc., et consentir a faire, en meme temps, oeuvre +medicale veritable, c'est-a-dire surveiller le regime, doser avec soin +le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychotherapie ne perd +jamais ses droits. + +_Voyages_.--Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus +grand bien aux malades en general, qu'a la suite d'un etat aigu, par +exemple, des que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien +loin de chez lui, et que, dans les etats chroniques, ce deplacement +lointain est la condition _sine qua non_ d'une guerison. Cette opinion +est basee sur une erreur d'interpretation. Il est certain qu'un homme +bien portant se trouve tres bien d'un deplacement annuel, et les +vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son +age et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien +portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachere, prenne +l'exercice dont il a ete en partie prive pendant le reste de l'annee. +Ce temps consacre au repos cerebral n'est pas du temps perdu, c'est du +temps bien employe. + +Les vacances sont egalement necessaires a l'enfant qui travaille: et par +vacances nous entendons non seulement le repos cerebral, qui doit etre +presque absolu,--ce qui, par parenthese, contre-indique l'usage des +devoirs de vacances,--mais aussi, autant que possible, le changement de +milieu, ne fut-ce que pendant une trentaine de jours. De la l'utilite +des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle "des +croisades de paix et de redemption". Elles sont, dit-il tres justement, +la "premiere ligne de defense contre la tuberculose". M. Plantet a fait +sur ce sujet, a la demande de l'Office central du travail, un rapport +des plus interessants et des plus complets, publie dans la _Reforme +sociale_, (16 juin et 1er juillet 1905). Il resulte de ce rapport que la +France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre, +la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que +le sixieme rang dans la lutte des societes contre le deperissement +de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entree dans le +mouvement, et les colonies scolaires francaises sont deja en nombre +considerable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions +privees parisiennes, 40 comites de patronage s'occupant de procurer des +vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables +fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en +1902, 14000 petits Francais ont beneficie de ces institutions +philanthropiques[18]. + +[Note 18: Dans l'interessant rapport de M. Plantet, chacune de ces +colonies est etudiee avec des details suffisants pour qu'on puisse se +rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des resultats +obtenus. Dans un premier type, les enfants sont loges en commun dans un +meme local (villas scolaires, ecoles communales vacantes pendant l'ete, +proprietes privees, louees, acquises, specialement amenagees pour +abriter une collectivite a la campagne ou a la mer). C'est la colonie +d'internat. + +Dans un second type, les enfants sont confies par petits groupes de +deux a quatre au plus, a des familles de cultivateurs recommandables, +moyennant un prix debattu, dans les regions reputees les plus saines. +C'est le placement familial.--Les deux systemes presentent des avantages +et des inconvenients qui sont analyses de tres pres dans le travail +que nous signalons.--En ce qui concerne la sante, tous les rapports +constatent la plus-value dans toutes les regions, en montagne, en +plaine, a la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les +colonies familiales. + +Quant aux resultats moraux, tout depend de la colonie et de l'esprit +qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner a de +pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux a faire, +on peut realiser un bien plus durable: il faut viser a ce qu'ils +rentrent meilleurs a leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne +se devine guere. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensee dominante +et le reve du directeur. Le tout est de savoir choisir.] + +Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu +fatigue par le surmenage cerebral, et par les petites emotions +quotidiennes, se trouve tres bien de changer d'air, de milieu, non +seulement une fois par an, mais meme chaque fois qu'il sent, chez lui, +cette sorte de malaise cerebral premonitoire de la neurasthenie, ou +certains troubles digestifs mal definis qui prouvent que son systeme +nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un +deplacement de quelques jours est extremement favorable. Ou qu'il aille, +il verra son appetit renaitre, sa constipation disparaitre, la sante lui +revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant +ayant encore un capital serieux, l'unique fait de monter en chemin de +fer produit des effets appreciables, et, le jour meme du depart, on les +voit transformees. Elles laissent a la premiere station leurs phobies, +leurs inquietudes; c'est un changement a vue, un veritable coup de +theatre. + +Mais autre chose est l'hygiene de l'homme bien portant, ou du candidat +a la "maladie" dont le capital est encore presque intact, et autre +l'hygiene du vrai malade. Voila ce que, d'une facon generale, les gens +du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgre eux, par le fait d'un faux +raisonnement, a croire que ce qui fait du bien a l'homme valide doit +en faire encore plus a l'homme malade. "Un bon bifteck saignant est +certainement utile a un travailleur bien portant; combien il doit etre +plus utile a un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des +forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra, +plus vite il sera gueri!" Le malade proteste, il affirme que la viande +saignante lui fait du mal: c'est egal, qu'on lui en donne au moins +autant que son estomac pourra en digerer, ce sera toujours pour son +bien! On disait la meme chose, autrefois, pour le vin; les gens +intelligents commencent a comprendre que le vin, si utile a un +travailleur bien portant, n'est pas un aliment heroique quand il est +donne a des malades, meme sous forme de vins medicamenteux. + +De meme l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modere est utile aux +gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau +dire que la moindre marche le fatigue, lui ote le peu d'appetit et de +sommeil qu'il avait encore; c'est egal, il faut qu'il marche! On ne +concoit pas qu'il doive rester a la chambre, du moment qu'il peut se +tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couche, il sent +que le lit lui est utile; c'est encore la, dit-il, qu'il souffre le +moins. Mais non, il faut qu'il se leve! Le lit ote les forces, le lit +constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigne, plus il a a +lutter contre ces prejuges, qu'on parvient difficilement a deraciner +meme dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on, +laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit! +Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher +malade "tient a une excitation de ses cellules cerebrales, et que le +sommeil est le meilleur remede a apporter a cette excitation, et que, +par consequent, le sommeil du jour predispose au sommeil nocturne! Quand +donc aurez-vous une notion un peu precise et raisonnee sur la pathogenie +de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la "maladie"? + +C'est aussi par une faute grossiere de raisonnement qu'on considere les +voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux +gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce +qu'ils permettent a l'homme doue d'un beau capital biologique de faire +de ces petites avances dont nous avons parle deja, de ces placements a +gros interets qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai, +il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive +chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'energie, et met +quelquefois quinze jours a se refaire d'une excursion par trop fatigante. +Mais enfin, en general, on peut dire que, chez les gens bien portants, +ces risques de depenses exagerees sont reduits a tres peu de chose. Le +malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas +depenser a tort et a travers, mais il doit parcimonieusement, et avec +un soin jaloux, garder le peu qu'il possede encore, et chercher a faire +des economies. Si son indigence est momentanee, il se remettra assez +vite a flot. Si elle est definitive, _a fortiori_ devra-t-il chercher a +ne pas faire de fausses depenses. + +Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une +depense; le changement d'habitudes, le surcroit de fatigue inevitable, +a eux seuls, occasionnent de la depense nerveuse. Si c'est un grand +malade, le voyage peut meme le tuer, comme il tue ces malheureux +typhoidiques qu'on est quelquefois oblige, en campagne, ou qu'on se +croit oblige d'evacuer a de longues distances, sur des cacolets qui +les secouent d'une facon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts a +l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur etat +est extremement aggrave. Si on avait pu les soigner sur place, ou les +evacuer a tres petites journees, dut-on les tenir prives des ressources +de la therapeutique, et se borner a leur faire deux lotions fraiches par +jour, ils auraient eu bien plus de chances de guerir. Je l'affirme au +nom d'une experience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie. +Mais, sans parler des etats aigus qui contre-indiquent absolument +tout long deplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des etats +chroniques aggraves a vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre +malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le +vain espoir de retrouver la sante, et qui voit son etat s'aggraver +sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont +aux eaux lointaines chercher la guerison promise, et en reviennent bien +plus fatigues que s'ils etaient restes chez eux? Et les tuberculeux +avances! ces tristes victimes des theories regnantes et de la crainte de +la contagion. + +Vous prenez la, dira-t-on, les cas extremes, et on commence a comprendre +que les grands deplacements ne sont pas favorables aux grands malades. + +Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades +_moyens_. + +Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digere +plus, qui dort mal, qui est constipee, qui n'a pas ses regles depuis six +mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux +du Nord pour l'envoyer sur la cote d'Azur, on va lui faire le plus +grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui +paraitra odieux, et, apres quelques jours, elle souhaitera, dans son for +interieur, de quitter le delicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne +pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut meme +se faire qu'a la longue son etat s'ameliore; mais, surement, ce ne sera +pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que +son etat s'aggrave assez pour que l'entourage se rende a l'evidence, et +ramene a grands frais, et avec d'infinies precautions, la pauvre victime +dans le milieu qu'elle n'aurait pas du quitter. + +En realite, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en +avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre maniere de voir +que nous exagerons, a dessein, la formule de notre pensee. + +Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au +monde deplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et +qui a tout interet a faire des voyages d'agrement, il existe toute une +serie d'intermediaires auxquels les voyages peuvent rendre des services. +Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut +etre utile a l'individu qui n'est que sur la frontiere de la "maladie". +Quitte a avoir dans un hotel une nourriture moins bonne, moins +hygienique, moins adaptee a l'etat de son estomac, un dyspeptique pourra +se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant a l'hotel, il +laisse ses preoccupations incessantes, enervantes, de Paris. Comme toute +chose humaine, le deplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne +peut formuler de regles absolues pour les cas moyens; c'est au medecin, +s'il est consulte, a peser le pour et le contre, et a donner les +indications generales. + +Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade. +C'est: + +1 deg. De ne pas voyager de nuit. + +2 deg. De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans +les cas ou, pour une raison quelconque, on est oblige de gagner les +altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade +des stations intermediaires, car l'experience demontre que rien n'est +prejudiciable a une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une +seule traite de Paris en Engadine. Elle peut etre sure que, en arrivant +a destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau +milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques +jours, elle aura un malaise extreme, et, en particulier, de l'insomnie, +tandis que, si elle s'etait arretee deux fois en route, elle n'aurait +pas eu a payer ce tribut a la depression barometrique. + +3 deg. De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que +le lever a l'aube est favorable a l'alpiniste bien portant, il soit +egalement favorable aux neurastheniques qui ont besoin de leur sommeil +matinal. + +4 deg. Une prescription importante, c'est encore de se reposer, a l'arrivee +a destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de +l'individu, pour reparer la depense occasionnee par le voyage. Ce repos +sera plus ou moins complet, suivant la gravite des cas. En principe, il +vaut mieux pecher par exces que par defaut de prudence. + +5 deg. Pendant ces villegiatures, le malade ne devra pas faire de sorties +quotidiennes, sous le fallacieux pretexte de s'entrainer; l'entrainement +convient aux gens bien portants, mais le mot "entrainement" doit +disparaitre du vocabulaire du malade. Certes, le role du medecin est +d'entrainer le malade; mais cet entrainement, que j'appellerai medical, +doit etre tellement progressif et mesure qu'il n'a, pour ainsi dire, +rien de commun avec l'entrainement de l'homme bien portant et de l'homme +de sport. + +Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et +profiter des jours intermediaires pour se reposer. Ainsi il parviendra a +reconquerir des forces, tandis que, s'il espere s'entrainer en depensant +tous les jours un peu plus de son miserable capital, il ira droit a la +ruine. + +On comprend aisement qu'un des facteurs importants du voyage est sa +longueur. Le voyage autour du monde ne convient a aucun malade; on peut +dire que, en general, il n'est pas necessaire d'aller tres loin. Le +malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villegiature a +Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extreme +susceptibilite du malade au changement de milieu. Une simple promenade +_extra muros_ impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais +le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui +ne peuvent pas aller jusqu'a Versailles sans avoir, au retour, une +veritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou +trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptomes morbides? + +Leurs parents, qui n'y comprennent rien, pretendent que c'est affaire +d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le +medecin, qui connait cette susceptibilite invraisemblable, devrait +se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la +famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans +certains cas, par une suggestion puissante, en reveillant ce qui reste +d'energie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la +psychotherapie reconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le +malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de +Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus +grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-meme. Mais, +avant de donner cette suggestion, le medecin doit bien etudier son +sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui +demandant un effort au-dessus de ses forces. + +Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de +connaitre la valeur exacte d'un systeme nerveux; c'est presque +impossible pour le medecin qui voit le malade pour la premiere fois. +Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait +d'etre prejudiciable; on se repent rarement d'avoir ete trop prudent. Un +element d'appreciation qui est d'un grand secours pour le medecin, en +pareille occurrence, c'est le desir du malade lui-meme. + +S'il ne desire pas voyager, s'il se dit fatigue, il y a gros a parier +qu'il l'est en realite. Le malade a toujours, en effet, une vague +conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appreciation. +Si, au contraire, il manifeste vivement le desir de changer de milieu, +c'est qu'il sent vaguement qu'il a des reserves de force nerveuse ayant +besoin d'etre utilisees; il a un sourd instinct qui, en general, +le guide bien. Mais alors, direz-vous, le role du medecin est +singulierement restreint; il consiste a s'enquerir plus ou moins +discretement des desirs du malade, et a les transformer habilement +en prescriptions medicales? A vrai dire, ce serait encore de la +psychotherapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette facon. +Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est +devoye par des auto-suggestions, des prejuges ataviques, dos theories +plus ou moins scientifiques; et le role du medecin est, en ce cas, de +remettre tout au point, de demontrer a son malade que son instinct, dans +telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en +ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le medecin merite alors le +beau titre de directeur de la sante. + +_La mer_.--Les voyages a la mer auraient du, en bonne logique, etre +etudies a la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de +mer est un agent therapeutique comparable aux bains d'eau salee qu'on +va prendre a Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais +nous les placons a dessein a la suite de l'etude des voyages, parce +que, dans la pratique, le bain de mer est plutot considere comme voyage +d'agrement que comme traitement medical. Cela est si vrai que le medecin +est rarement consulte sur l'opportunite du traitement marin, sur le +choix de la plage: et c'est a tort. D'autre part, aux bains de mer, le +traitement n'est pas surveille comme il l'est dans les stations d'eau +salee, et c'est egalement regrettable; car la medication par l'eau de +mer est active, et son emploi n'est pas indifferent, surtout lorsqu'il +s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention +fait du bien ou du mal. + +Les principaux conseils que nous ayons a donner aux malades livres a +eux-memes, a la mer, sont les suivants: + +1 deg. Ne pas prendre de bains des l'arrivee, et se reposer des fatigues du +voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire; + +2 deg. Se rappeler que l'air marin a, par lui-meme, une action appreciable, +et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans +certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par +jour au bord de la mer; + +3 deg. Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un +veritable traitement mineral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir +des effets serieux; et, par consequent, il n'est pas raisonnable d'aller +a la mer pour huit jours; c'est s'exposer a la fatigue du voyage et de +l'acclimatation sans aucun profit. _A fortiori_, ne doit-on pas prendre +un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train +special, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et +se croient obliges de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils +ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutot +facheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces +emotions du revoir conjugal, et le bain de mer acheve de leur soutirer +une reserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un etat +subaigu, au retour, qui recoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se +joignent souvent des douleurs rhumatismales. + +Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette etude rapide, les indications +et contre-indications des bains de mer. Le principe general est qu'il ne +faut pas en donner aux malades a capital restreint, et que, en realite, +ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est +entame, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain, +au point de vue de sa frequence et de sa duree. Tout ce qu'on peut dire, +c'est qu'il faut, en general, le prendre tres court, cinq minutes en +moyenne. + +Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois +premiers bains. S'ils amenent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop +prolonges, ou trop frequents, ou tout a fait contre-indiques. Il ne faut +pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du +mal, les suivants feront du bien. D'une facon generale, d'ailleurs, +l'organisme ne s'habitue pas a ce qui lui est nuisible; et les +medications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de +mal, meme momentanement. Mais c'est la un point de doctrine dont la +demonstration nous entrainerait trop loin, et en dehors de notre plan. + + + + +TROISIEME PARTIE + + + + +CHAPITRE I + +LA PERIODE DE DECLIN + + + +Nous avons a dessein place dans l'etude de l'homme adulte la plus grosse +part de nos considerations therapeutiques, parce que, a vrai dire, c'est +l'age adulte qui est le plus interessant au point de vue medical comme +au point de vue social, et que c'est pendant cette periode de la vie que +le medecin peut faire le plus de bien au malade. + +Au contraire, a partir du moment ou l'etre humain est arrive au +sommet de sa courbe evolutive, et, par consequent, ou il va decliner, +l'importance des agents therapeutiques se limite de plus en plus, +jusqu'a aboutir a zero quand l'homme arrive a la fin de sa carriere. + +Dans les phases de la vie qui nous restent a etudier, la therapeutique +doit viser, avant tout, a eviter les depenses de capital: mais son role +pratique n'en reste pas moins tres appreciable; et l'on ne sait +pas assez combien une bonne direction medicale pourrait prolonger +l'existence de l'homme arrive a la periode de declin, voire meme a une +etape avancee de cette periode. + +Theoriquement, la periode de declin peut commencer le jour de la +naissance. C'est ce qu'on observe chez les enfants qui n'ont pas la +force de vivre, et qui meurent apres deux ou trois jours. A l'extreme +oppose, on voit des individus qui ne commencent a decliner qu'a un age +tres avance, ou encore dont la vie est brutalement interrompue, a un +age relativement avance, par un accident, avant que ne soit survenu le +commencement de la periode de declin. C'est que ces hommes a prodigieuse +sante sont venus au monde avec un excellent capital initial, que leurs +parents ont su ameliorer pendant la premiere enfance, et qu'ils ont +ensuite ameliore eux-memes en s'interdisant toute depense excessive, ou +en ne risquant qu'a bon escient une certaine partie du capital, pour lui +faire rapporter davantage. + +Chez ces individus fortunes, les affections intercurrentes ont, comme +nous l'avons dit, peu de prise. Ces privilegies sont semblables a +l'homme qui a recu les dix talents et qui, sachant les faire fructifier, +en rapporte dix autres, et recoit encore, en surplus, une recompense. +Chez ces individus, le declin n'arrive que tres tardivement, et ils +peuvent atteindre soixante ans tout en restant jeunes de coeur, de +corps, et d'esprit. + +Entre ces deux extremes, tous les intermediaires sont possibles; et +nombreux sont les hommes qui commencent a decliner a trente ans, qui +sont des vieillards a quarante ans. La plupart, cependant, commencent +a decliner vers cinquante ans, et se maintiennent tant bien que mal +pendant quelques annees, puis declinent a vue d'oeil a partir de +soixante ans. Malheur a eux quand, a cet age, ils prennent une +pneumonie! D'ailleurs la moindre "maladie" accidentelle les deteriore +pour plusieurs mois, et l'on est tout etonne de la lenteur de leur +convalescence. C'est a partir de ce moment que les tares organiques, +latentes jusque-la, se revelent, que l'homme qui avait une endocardite +avec laquelle il vivait en bonne intelligence, et dont parfois meme +il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son coeur devenir +au-dessous de sa tache. A la suite d'un coup de froid insignifiant, +d'une indigestion, d'un exces alimentaire, d'une emotion violente, d'une +grippe qui paraissait benigne, il a de la dyspepsie, des palpitations, +des intermittences du pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes +choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le debarrasser cette +premiere fois, parce qu'il n'est pas encore completement use. Mais, six +mois apres, sous l'influence d'une cause semblable, il a une nouvelle +atteinte, un peu plus de dyspnee, un peu de congestion de la base gauche +du poumon, ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure des +jambes; et, cette fois, le repos au lit, la diete lactee, ne suffisent +pas a le remettre en etat. + +La digitale est alors indiquee, a la dose de 10 centigrammes par jour en +infusion dans 200 grammes d'eau, que le malade prendra de deux heures en +deux heures, jusqu'au moment ou il aura une salutaire crise urinaire. +Grace a ce precieux medicament ainsi administre, il fera encore les +frais de cet assaut; mais, la fois suivante, les memes influences +insignifiantes ameneront l'affolement du coeur avec albuminurie, et +alors la decheance pourra etre irremediable. + +Il est certain que si, dans l'intervalle de ces assauts, notre homme +s'etait ecoute vivre, s'il n'avait rien laisse au hasard, si une sage +direction medicale avait dose son alimentation, son travail, son +sommeil, s'il n'avait pas eu d'emotions, si, pour conserver sa vie, +il avait, en quelque sorte, cesse de vivre, il aurait survecu plus +longtemps et n'aurait pas eu sa deuxieme atteinte; mais ce qu'il faut +bien se rappeler, c'est que, des sa premiere atteinte, ses jours etaient +comptes. Cette premiere atteinte denoncait deja l'insuffisance de son +systeme nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque la force voulue +pour faire son office de pompe aspirante et foulante; le declin, qui +avait peut-etre commence quelques annees avant, s'etait traduit des le +jour de ce premier accroc. + +Le declin peut n'etre qu'apparent; et les symptomes revetent parfois une +gravite qui fait croire, a tort, a l'entourage qu'il existe une breche +serieuse ou irremediable dans le capital vital du malade, alors qu'il +n'est touche que superficiellement. C'est au medecin qu'il appartient +de faire un bon diagnostic, d'ou decoulent et le pronostic et le +traitement. Certes, le probleme est souvent difficile a resoudre, +et, pour y arriver, le medecin n'a pas trop de toute sa finesse +d'observation, de toute son experience, de toute sa penetration. C'est +dans ces cas que la medecine est veritablement un art, et le medecin un +artiste, appele a utiliser de son mieux les donnees scientifiques que +ses etudes anterieures lui ont fournies. + +Il aura naturellement, pour l'aider dans cette tache, l'examen physique +du malade, et, en particulier, l'exploration abdominale, le ventre +etant, de tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement +explorer, par la vue, le palper, la percussion; il aura, pour l'aider, +l'analyse des urines, trop souvent negligee. Il sera egalement seconde +par l'etude du passe: il ne manquera pas de fouiller l'heredite, +l'evolution anterieure de la vie, chez le sujet qu'il examine. Celui-ci +a-t-il eu de grands assauts, et s'est-il ressaisi completement? En ce +cas, c'est une presomption en sa faveur: ce passe prouve qu'il a une +grande elasticite, un capital serieux, et qu'il est possible que, dans +la crise actuelle, il rebondisse encore une fois.--Au contraire n'a-t-il +jamais eu d'assaut important? le probleme devient alors plus difficile, +car le medecin manque d'une base pour apprecier la valeur reelle du +capital. Aussi fera-t-il bien de rester dans une prudente reserve, et +si, dans le cas precedent, il a ete en droit de rassurer la famille +malgre la gravite apparente de l'etat du malade, dans le second cas, au +contraire, il ne doit dire qu'une chose: "Je ne sais pas." + +Pour ma part, je me mefie beaucoup des hommes a sante insolente, n'ayant +jamais eu besoin de soins, que je vois brusquement atteints par une +"maladie" accidentelle, par la grippe en particulier. Me trouvant sur +un terrain inconnu, je me demande, tout d'abord, si leur capital etait +aussi bon qu'il le paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la +faillite, la debacle. + +Ce sont la, je le repete, des problemes cliniques extremement difficiles +a resoudre; mais ils ont un grand interet au point de vue du pronostic a +porter, et du traitement a instituer. Et cet interet est immediat: car +si le medecin soupconne, chez son malade, une alteration profonde que ne +traduit pas l'ensemble symptomatique, il doit redoubler de precautions, +sa surveillance doit etre incessante, son zele doit prevoir les moindres +incidents, ne rien laisser au hasard. Il a alors a lutter non seulement +contre la "maladie", mais aussi contre le malade, souvent indocile, et +contre les familles, qui trouvent qu'on en fait trop, qu'on prend trop +de soins, que le malade devrait se lever pour regagner des forces, +sortir pour se distraire, reprendre une partie de ses occupations pour +ne pas nuire a sa carriere; estimant, _in petto_, que le medecin userait +de discretion en espacant davantage ses visites, etc. Quoi qu'il arrive, +ce sont de mauvais cas pour le medecin. Il est accuse, si le malade +guerit, d'avoir retarde sa convalescence, et, s'il succombe, de ne +l'avoir pas bien soigne. Car enfin, un homme si bien portant! et qui +succombe a la suite d'une grippe, presque sans fievre! Surement, c'est +le medecin qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la conscience +du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut aussi se dire que, dans +d'autres cas, on a attribue exclusivement a ses bons soins ce qui etait +du, en grande partie, a la valeur du sujet; il y a donc compensation. + +En somme, le medecin qui se trouve en face d'un malade quelconque est +appele a resoudre le probleme suivant: Etant donnes la valeur anterieure +du malade A, et le dechet que lui fait perdre la "maladie" B, quelle est +la valeur du capital restant A--B? Le simple bon sens indique que +cette equation ne peut pas se resoudre par l'algebre, puisque nous ne +connaissons au juste ni A ni B. Aussi le medecin ne doit-il jamais +quitter le terrain, relativement solide, que lui fournit la science, +pour se perdre dans les abstractions. Il doit seulement se rappeler la +parole d'Hippocrate: _Judicium difficile_, et faire de son mieux pour +approcher le plus possible de la solution du probleme, qui, sans etre +d'ordre mathematique, a cependant une solution. + +"Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable." [V. HUGO] + +Existe-t-il, du moins, des symptomes permettant d'affirmer que l'homme +a atteint l'apogee de son evolution, et est sur la pente du declin? Eh! +non, tant qu'il est bien portant Il est evidemment moins fort, moins +actif, que pendant la periode de croissance, il supporte moins les +petits ecarts de regime, les fatigues, il est plus vulnerable, en un +mot, mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est en periode de +declin. S'il veut eviter la "maladie", il le peut, dans une, certaine +mesure, en s'ecoutant vivre, en surveillent son hygiene quotidienne, en +ne faisant pas de fausses depenses ou de depenses exagerees, ou, s'il +est oblige d'en faire par hasard, en les compensant aussitot par une +exageration momentanee de prudence. Bref, la periode de declin est la +periode des precautions. L'homme en declin devrait se rappeler qu'il +faut "etre de sa sante" comme il faut "etre de sa condition", comme il +faut etre "de son temps". En usant de ces precautions, il peut prolonger +tres longtemps la duree de sa phase evolutive, et atteindre ainsi +sans transition la vieillesse, qui pourra, si elle est egalement bien +surveillee, le conduire, sans transition brusque, a la mort. + +Mais, quelques precautions qu'il prenne, les circonstances de la vie +sont telles que, fatalement, il rencontre sur son chemin des influences +qui font baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces influences +inevitables? Ce sont toutes celles que nous avons deja etudiees +dans l'enfance, dans l'adolescence, et dans l'age adulte: erreurs +d'alimentation, causes morales surtout, etc. + +Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui soient plus speciales +a la periode de la vie que nous etudions, la periode comprise entre +cinquante et soixante-cinq ans? + +Chez la femme, tout le monde admet que la menopause produit des +perturbations considerables; la preuve, c'est qu'on s'accorde a appeler +"age critique" l'age de la cessation des regles. La menopause ramene +souvent des troubles de sante qui avaient disparu depuis longtemps, et +amene quelquefois des troubles nouveaux, tels que ces sueurs profuses +dont se plaignent amerement les malades. Nous avons en vain essaye +contre elles l'emploi de l'opotherapie ovarienne, et nous croyons que +c'est un moyen non seulement inutile, mais dangereux, et que le mieux +est de savoir attendre, en mettant la malade a un regime restreint. + +Dans les deux sexes, les emotions morales jouent encore, a cet age, +un role considerable. C'est une fille mal mariee, un fils qui fait le +chagrin de sa famille, c'est l'isolement au milieu d'indifferents, la +perte des amis de la premiere heure, l'age des desillusions, l'automne +de la vie, en un mot. Dans tous les cas, les pratiques de la +psychotherapie sont d'un incontestable utilite: seules, elles ne +suffisent pas a guerir un homme rendu malade par des influences morales; +mais, associees aux autres agents therapeutiques, elles sont toujours +d'une grande utilite et souvent d'une necessite absolue. J'ai plus fait +en reconciliant avec son fils un pere que le chagrin avait terrasse, +en lui demontrant la necessite et la legitimite du pardon, qu'en +le traitant, comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes les +ressources de la pharmacopee et des agents physiques.--Le fonctionnaire +qui prend sa retraite, et se voit brusquement condamne a une oisivete +forcee, ne sait pas que faire de son temps. En vain cherche-t-il, dans +la societe des hommes de son age, un remede a son desoeuvrement; et +quant a esperer trouver chez les gens jeunes de sa famille un reconfort +quelconque, il n'y doit pas songer. Les plus jeunes ont leurs affaires, +et les affaires sont les affaires; c'est tout au plus si la fille vient +faire ses couches a la maison. + +Bref, une serie de chagrins multiples, auxquels on est encore sensible, +sont l'apanage ordinaire de cette periode de la vie. C'est a cet age, +aussi, que se soldent,--car tout se paie,--les erreurs du passe, les +fautes contre l'hygiene. Alors arrivent les traites imprevues, et, quand +le capitaliste veut mettre de l'ordre a ses affaires, il s'apercoit +trop tard que, depuis plusieurs annees, il ne s'est pas contente de +ses revenus et qu'il a ecorne son capital. Mais, dira-t-on, pouvait-il +s'apercevoir de la mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'eternel +probleme du "Connais-toi, toi-meme!" de la sagesse antique. C'etait a +lui de voir que, de temps a autre, il avait de ces petites defaillances +de sante qu'il traitait a la legere, en leur attribuant des causes +banales et qui auraient du etre, pour lui, des avertissements +(l'avertissement sans frais du percepteur). Il aurait du, en homme bien +avise, rester toujours en deca de ce qu'il pouvait donner. + +Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, sinon de le reparer +completement, au moins de l'attenuer dans une notable mesure, en se +surveillant de pres, et en ne laissant rien au hasard de ce qu'on peut +lui enlever par prudence et par calcul. + +Certaines natures ultra-genereuses ne s'apercoivent pas qu'elles +depensent plus qu'elles ne devraient le faire; elles n'ont pas la +bonne fortune de recevoir les petits avertissements que nous venons de +signaler. Leur debordante sante fait l'envie de tout le monde; mais ces +privilegies sont souvent des desherites. Nous avons dit deja ce qu'il +fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, brusquement, avec +une affection accidentelle. + +Malheur aussi a l'homme qui, a cet age, se laisse entrainer par un +renouveau de passion sexuelle! Il s'impose des depenses trop fortes pour +sa reserve de sante, surtout s'il en arrive a forcer ses talents. Il +faut aussi compter avec les aberrations de l'instinct sexuel, assez +frequentes a cet age; et alors la neurasthenie vengeresse ne tarde pas a +s'installer, sous une forme qui rappelle, par sa brutalite d'apparition +et la gravite des symptomes, l'hystero-neurasthenie traumatique. + +En effet, du jour au lendemain, cet homme, vaillant jusqu'alors, +subit un veritable effondrement. Non seulement il perd tout d'un coup +l'aptitude sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un grand chagrin, +mais il perd, en meme temps, l'appetit, le sommeil, les forces. La +constipation entre en scene; des douleurs nevralgiques variees,--ou, +pour mieux dire, des _algies_, car la douleur ne suit pas le trajet des +nerfs, le torturent nuit et jour. Il a une sensibilite excessive de +l'ouie, un erethisme de tout le systeme nerveux, qui devient comme une +lyre a cordes trop tendues que fait vibrer douloureusement le moindre +souffle. Cet etat peut n'etre que passager, si le malade a le bon esprit +de s'en avouer a lui-meme la cause determinante et de la supprimer. +Mais cela meme ne suffit pas toujours: _Sublata causa, non tollitur +effectus._ Le branle est donne a la cellule nerveuse, le systeme +nerveux, longtemps patient, s'est tout a coup revolte, et il faut des +mois et des annees de soins methodiques pour lui rendre son equilibre. +C'est dire que, pendant ces mois et ces annees, le medecin devra +surveiller non seulement l'hygiene sexuelle, dont il n'est plus +question, mais l'hygiene alimentaire, donner les repas frequents que +necessite un estomac toujours sur le point d'entrer soit en etat +paralytique ou en etat spasmodique; une alimentation non excitante +(pates, purees), sans vin, et sans les toniques qui passent, a tort, +pour reveiller les forces. Le repos physique est egalement indique. + +C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, bien compris, bien +dirige, peut etre utile a divers titres. D'abord, il eloigne la victime +de la cause initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprecier +souvent les soins affectueux et tendres d'une femme momentanement +negligee. + +La psychotherapie joue aussi un role enorme dans le traitement de ces +malades qui, d'un jour a l'autre, sont devenus craintifs, scrupuleux a +l'exces, ayant peur de mourir, tenailles par des remords d'une intensite +morbide. Le medecin anime d'un esprit large et charitable peut leur etre +d'un grand secours, en mettant toutes choses au point, et en rasserenant +leur conscience dans la mesure qui convient. + +Ce tableau de la "maladie" de l'age critique, chez l'homme, n'a rien +d'exagere. Nous avons observe plusieurs cas semblables, ou des hommes +bien portants jusqu'alors ont paye cher leurs ecarts intempestifs. + +Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent chez des hommes qui, +auparavant, n'etaient pas debauches, offraient meme le modele d'une vie +exemplaire; maintenus par des principes severes, ils avaient ete fideles +a la foi conjugale, et, alors meme qu'ils etaient veufs, ils etaient +restes fideles au dela du tombeau; et puis, un beau jour, une occasion +se presente et les surprend; c'est une Sapho quelconque rencontree +en chemin de fer; l'homme se trouve desarme devant la tentation, il +succombe, et, une premiere chute en entrainant de nombreuses a sa suite, +il devient enrage de vice. Aussi ne saurions-nous trop engager l'homme +mur, trop confiant en lui-meme, a veiller toujours, car le peril est +insidieux et les risques sont grands. + +C'est a l'age que nous etudions que se manifestent les troubles +prostatiques et urinaires, resultats tardifs de blennorragies mal +soignees et considerees comme une bagatelle par le jeune homme, plutot +fier d'avoir pris un brevet de virilite. C'est vers cinquante-cinq ans +que le retrecissement du canal provoque des miseres variees, que nous +n'avons pas a decrire ici, mais qui finissent par amener la mort +prematuree si le chirurgien n'intervient pas. + +Ainsi s'explique l'absence de tout retrecissement chez les hommes qui +ont depasse soixante-cinq ans: ceux qui avaient des retrecissements sont +morts avant cet age. + +C'est aussi vers l'age de soixante ans que la prostate entre en scene. +Certes, les affections de la prostate ne sont pas toujours d'origine +blennorragique; mais elles sont, plus qu'on ne le croit, dues a des +erreurs dans l'hygiene sexuelle. + +Quant aux autres affections capables de faire brusquement baisser le +capital, elles ne donnent lieu a aucune consideration particuliere. +Nous devons pourtant nous arreter encore, en passant, sur trois +manifestations morbides specialement frequentes a l'age en question: le +diabete, l'albuminurie, et l'obesite. + +_Diabete_.--L'apparition du diabete est, certes, chose facheuse; mais le +plus grand malheur qui puisse arriver a un diabetique impressionnable, +c'est de trouver un medecin qui lui annonce, sans menagements, la +facheuse nouvelle. A partir de ce moment commence, pour le malade, +une incessante preoccupation morale, aggravee encore par un regime +alimentaire qui lui cause plus de dommages que le diabete lui-meme. Il +est vrai de dire que, depuis quelques annees, les medecins se sont +un peu departis de la cruelle severite qui, autrefois, les rendait +redoutables aux diabetiques. On veut bien admettre, desormais, que le +regime des diabetiques comporte certains temperaments, et que les pommes +de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent etre allouees, voire +meme en abondance. + +Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation d'un diabetique, +traite d'apres les principes classiques, est encore loin d'etre +rejouissante. Elle sera telle jusqu'au jour ou l'on comprendra enfin +qu'il n'y a pas deux diabetiques devant etre soignes par le meme regime, +ou plutot qu'il n'y a pas de regime du diabete, le diabete n'etant qu'un +symptome qui ne merite pas qu'on s'acharne sur lui. + +Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, aux autres la diete +lactee absolue pendant quelques jours, et le regime des potages au lait +ensuite. Et entre ces deux extremes, toutes les combinaisons du regime +peuvent etre indiquees. Le medecin doit imposer le repos au lit absolu +au diabetique qui maigrit et perd ses forces, l'exercice modere dans les +autres cas, mais, jamais d'exercice force, parce que le diabetique a +toujours des combustions exagerees, comme le professeur A. Robin l'a +tres elegamment demontre. On aura a s'occuper aussi de l'etat mental du +malade, et a ne pas negliger la psychotherapie. Le diabete peut etre +provoque, experimentalement, en touchant un point precis du quatrieme +ventricule du cerveau; et les diabetiques vraiment graves sont ceux +qui le deviennent a la suite d'une chute sur la tete: ces deux faits +prouvent assez l'importance des troubles du systeme nerveux dans la +pathogenie du diabete, et la necessite de faire une grosse part aux +soins moraux dans le traitement du diabetique. + +_Albuminurie_.--L'albuminurie donne lieu a des considerations de meme +ordre. + +Comme le diabete, elle est un symptome indiquant un etat de +deterioration generale de l'organisme; c'est, le plus souvent, un +symptome grave, mais quelquefois aussi un phenomene sans grande +importance. + +Tout le monde connait l'albuminurie de l'adolescence, intermittente, +venant apres la moindre fatigue. On sait encore que le seul fait de +se lever du lit et de proceder aux soins de la toilette suffit pour +provoquer l'apparition de l'albumine, qui n'existait pas dans l'urine +emise pendant que le sujet etait au lit: c'est ce qu'on appelle +l'albuminurie _orthostatique_ ou _physiologique_,--terme detestable, +parce qu'il n'y a pas d'albuminurie physiologique, pas plus que de +glycosurique physiologique. Cette albuminurie de peu d'importance +survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en bon etat de sante, +et indique, par consequent, qu'ils doivent etre tenus a vue, et soignes +suivant les principes generaux que nous avons deja enonces. + +Chez l'homme adulte, la presence de l'albumine dans l'urine est toujours +d'un pronostic plus serieux. Parfois cependant, la encore, l'albuminurie +n'est que transitoire, et coincide avec une decharge d'acide urique par +les reins. Si l'on ne soumet pas le malade ainsi touche au regime lacte +absolu, qui acheverait de l'epuiser, si on le laisse au repos, si on lui +donne a prendre un peu de benzoate de soude, l'orage passe vite sans +laisser de traces. + +D'autres fois, l'albuminurie, sans etre transitoire, est intermittente, +meme chez l'adulte. Nous connaissons un malade qui, depuis quatre ans +que nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il monte a cheval. +Il peut faire jusqu'a 20 kilometres a pied sans avoir d'albumine; mais +une seule promenade a cheval fait reapparaitre l'albumine et, malgre la +dose considerable revelee par l'analyse apres l'exercice du cheval, il +est, au demeurant, bien portant en apparence, et a une vie des plus +actives.--Je connais aussi un medecin qui a, depuis des annees, de +l'albumine en permanence; apres s'en etre beaucoup inquiete, et avoir +suivi divers traitements et divers regimes, il a fini par ne plus faire +que de l'hygiene generale, manger raisonnablement, eviter le surmenage; +et il est, en somme, en aussi bon etat que possible. + +J'ai cite, dans une etude sur le _Cacodylate de Soude_ que j'ai publiee +en 1901, l'histoire d'une jeune malade ayant, depuis 1898, a la suite +d'un coup de froid, beaucoup d'albumine, et a laquelle j'ai donne des +doses considerables de cacodylate, en injections, pendant un mois. J'ai +eu, a ce moment, le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au +remede la survie de la malade. Or, elle s'est mariee en 1900: depuis, +elle a cesse toute medication, pour se borner a prendre de la viande +crue et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, 3 a 4 grammes +d'albumine par jour, et va tres bien. + +On voit que tout est loin d'avoir ete dit sur la valeur pronostique de +l'albuminurie. Mais il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, la +presence de l'albumine chez l'etre humain, a l'age que nous etudions, +est un symptome qui doit inspirer au medecin des craintes serieuses, +surtout quand, en meme temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette +combinaison m'a toujours semble etre un arret de mort a breve echeance. + +Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique sera encore aggravee +si le medecin s'obstine a lui imposer le regime dit des albuminuriques. +Il n'y a pas de regime des albuminuriques: il y a le regime qui convient +a tel ou tel albuminurique. Parfois le regime lacte fait merveille, mais +c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger plus de quinze +jours. D'autres fois, c'est le regime des pates, plus souvent encore le +regime lacto-vegetarien, qui, combine au repos, aide le malade a sortir +du mauvais pas, au moins momentanement. + +_Obesite_.--Au meme titre que le diabete et l'albuminurie, l'obesite +appartient en propre a la periode de declin. Mais, direz-vous, il est +des enfants et des adultes obeses! Qu'importe? C'est qu'ils ont commence +jeunes leur periode de declin. Mais, d'habitude, c'est aux environs de +la menopause que l'obesite devient, pour les femmes, une torture de tous +les jours. Nous n'avons pas a en indiquer les inconvenients; rappelons +seulement que l'obesite tend toujours a augmenter, parce qu'elle +interdit au malade l'exercice, et qu'il s'etablit immediatement un +cercle vicieux. Dans les cas d'obesite ou l'exercice serait utile, +l'obese qui est condamne a en prendre de moins en moins, devient de plus +en plus obese. + +Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours utile aux +obeses. L'obesite, etant un symptome de la "maladie", est quelquefois +entretenue par un exces d'exercice. J'ai connu une jeune fille de +vingt-huit ans, tres obese, qui, apres avoir consulte des medecins +de diverses nationalites, avait fini par suivre les conseils d'un +empirique, qui n'avait rien trouve de mieux, pour la faire maigrir, que +de mettre sa mere en relations avec un commandant de chasseurs a pied, +de facon que ces deux dames pussent suivre tous les exercices du +bataillon. Au bout d'un mois, la mere etait demi-morte, et la jeune +fille grossissait toujours. Sous l'influence de l'exercice, elle +mangeait davantage et buvait en consequence. Mais vint un jour ou +l'estomac, fatigue par la suralimentation, se mit a protester; c'est +alors que je prescrivis le regime ultra-restreint, pendant quelques +jours, pour remettre l'estomac en etat, le repos presque absolu pendant +cette periode, puis un regime s'adaptant au fonctionnement de l'estomac +et de l'intestin, avec un exercice modere; et voici que, sous +l'influence de ce traitement, la malade vit diminuer son obesite, +et disparaitre, successivement, d'autres troubles varies qui, comme +l'obesite, etaient symptomatiques! + +Il n'y a pas de regime des obeses: il y a le regime applicable a tel ou +tel malade atteint d'obesite. Le plus souvent, le regime restreint +est indique; d'autres fois, il faut alimenter l'obese, et rien n'est +dangereux comme de le faire maigrir par insuffisance alimentaire. Il ne +faut pas, non plus, le faire maigrir par l'emploi de la thyroidine. Je +dois dire, cependant, que j'ai ete surpris des resultats excellents +obtenus, par la thyroidine, chez un obese de vingt ans qui, en six +mois, a vu son poids baisser de 105 a 80 kilogrammes, sans qu'il en +soit resulte le moindre trouble pour la sante. Mais la thyroidine avait +ete maniee par le Dr Polin avec une prudence extreme (2 milligrammes +par jour, et pendant six mois consecutifs). + +En general, il faut se mefier de ce medicament, qui demande une +surveillance medicale sinon quotidienne, du moins hebdomadaire; il faut +enfin se rappeler que l'hygiene suffit toujours pour attenuer l'obesite +au point d'en supprimer les inconvenients, et aussi qu'il est toujours +dangereux de faire trop maigrir un obese, ou de le faire maigrir trop +vite. Quand un obese maigrit trop vite, son ventre tombe, il est vrai; +mais c'est le commencement de l'effondrement. Son systeme nerveux tombe +aussi. En y mettant le temps, au contraire, c'est-a-dire en ne brusquant +pas la maniere d'etre du sujet, on peut toujours arriver a des resultats +excellents. + +J'ai commence a donner des soins il y a dix ans, a une dame de +soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. Elle est arrivee +en dix-huit mois, a baisser, avec une progression continue, a 77 +kilogrammes... Depuis, elle garde son poids et sa sante; son declin +s'opere avec une lenteur telle qu'il est a peine perceptible. Inutile de +dire que l'hygiene seule a fait les frais de la therapeutique. + + + +CHAPITRE II + +LA VIEILLESSE + + + +Quelle que soit l'economie qui ait preside a l'usage du capital +biologique, il n'est pas possible que quelques mauvais placements +n'aient ete faits, dans le courant de l'existence; que des chocs +accidentels, et independants de la volonte, n'aient, a diverses +reprises, ebreche le capital. L'homme qui se condamnerait a vivre a +seule fin de prolonger ses jours vivrait certainement tres longtemps, +mais la sentence d'Horace lui serait applicable: "Pour vivre, il aurait +perdu les raisons de vivre." _Et propter vitam vivendi perdere causas_. + +D'autre part, le capital diminue par le fait meme de la vie, comme la +vitesse initiale d'un projectile diminue progressivement par le fait de +la resistance de l'air. Enfin il vient un moment ou le capital, apres +avoir produit des interets considerables, ne donne plus que des interets +de moins en moins eleves. Ce moment coincide exactement avec la periode +de declin, de sorte que, a partir de ce jour, quoi qu'il fasse et +sans qu'il s'en doute, l'etre vivant s'appauvrit fatalement et +progressivement. Il en arrive enfin a n'etre plus qu'un mediocre petit +rentier; et c'est alors la vieillesse. + +Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir a tout age; temoin ces enfants +qui ont l'aspect de petits vieillards, comme on dit dans le langage +courant; ces hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, des +loques humaines. Mais, le plus souvent, la vieillesse survient a un +age plus tardif, que, pour le besoins de la cause, nous fixerons, par +exemple, a soixante-cinq ans. + +A partir de cet age, l'homme ne doit pas se borner, comme le lui +conseillaient les trois jeunes gens du fabuliste, "a songer a ses +erreurs passees" Il peut meme encore avoir "de longs espoirs et de +vastes pensees", a condition que ce ne soit pas pour lui, mais pour ses +arriere-neveux. Il peut, en d'autres termes, jouir de son experience et +s'efforcer d'en faire profiter les autres; mais en se rappelant qu'il a +atteint l'age du repos, des menagements et des precautions. Et de meme +que, dans la premiere periode de la vie, il appartient aux parents +de menager pieusement et de faire sagement fructifier le capital de +l'enfant; de meme, a cette derniere periode, il est du devoir des +enfants de veiller avec zele sur la frele existence dont ils ont la +charge; d'eviter au vieillard toute fuite nerveuse, tout chagrin, +tout souci, tout ecart de regime, et de le preserver contre toute +intervention therapeutique brutale. + +Quelles sont les influences qui compromettent d'une facon speciale le +vieillard vivotant? + +Les influences psychiques sont beaucoup moins importantes que dans l'age +adulte. Quelques vieillards, il est vrai, gardent leur sensibilite et +leur jeunesse de sentiments. L'experience de la vie ayant tempere la +fougue de leurs jeunes annees, leur ayant appris l'indulgence et la +misericorde, ils deviennent des etres exquis, d'un commerce aussi +agreable que profitable. Mais, le plus souvent, la sensibilite +s'emousse, et un egoisme tranquille preserve le vieillard de toute +emotion nuisible. Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fut-ce +de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagrine, mais l'emotion +qu'il eprouve est surtout egoiste, a cause de la crainte qu'elle lui +donne de voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, et +n'est pas comparable au chagrin poignant de l'homme adulte perdant un +etre aime. Donc, de ce cote, peu de fuites nerveuses. Du cote du systeme +musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple bon sens fait que le +vieillard n'abuse pas, en general, de son restant de forces musculaires: +exception faite cependant pour les cas ou des parents ou des amis mal +avises, croyant bien faire, forcent le vieillard a se deplacer sans +relache, pour passer l'hiver dans le Midi, l'ete en Suisse, le printemps +ailleurs. Combien ne serait-il pas plus sage, en general, de le laisser +tranquillement chez lui, dut-il ne pas quitter sa chambre? J'ai +longtemps donne des soins a une vieille dame que ses enfants emmenaient +en villegiature, toujours malgre elle, dans le centre de la France, et +ramenaient a Paris en octobre. Or, apres chaque voyage, il fallait un +mois de soins assidus et de precautions pour effacer les traces de +fatigue occasionnee par le deplacement. + +La verite est que, dans les cas exceptionnels, le sejour hivernal dans +le Midi peut etre recommandable, mais que, d'une facon generale, il +faudrait se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant "qu'on ne +doit pas transplanter un vieux chene", et qu'on devrait regarder a deux +fois avant de proposer, et surtout d'imposer a un vieillard, soit un +lointain changement de pays, soit meme un changement d'appartement. Il +faut, en general, tenir plus de compte qu'on ne le fait de son desir, +qui est dicte par un vague instinct de conservation et qui trompe +rarement. + +Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien entendu des +affections accidentelles, ce sont les ecarts dans l'alimentation. Une +indigestion qui, chez un homme jeune, se serait traduite par un leger +etat gastrique, amene chez le vieillard un effondrement colossal; et, +pour peu que la therapeutique intervienne d'une facon inopportune +sous la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la situation peut +s'aggraver d'un jour a l'autre. Il faut alors des semaines pour remettre +en etat le systeme nerveux bouleverse. Imaginez un foyer pres de +s'eteindre, ou il ne reste plus qu'une petite flamme vacillante; +irez-vous l'alimenter par un soufflet de forge, et charger le foyer de +grosses buches de bois? Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies +precautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est seulement ensuite +que vous mettrez des fragments un peu plus volumineux, pour arriver +enfin a la buche qui entretiendra la vie du foyer. De meme chez le +vieillard malade, surtout quand il a des phenomenes gastriques, prudence +extreme dans l'alimentation, frequence de l'alimentation, et repos +absolu: c'est la base du traitement. + +Mais combien, pour faire observer ces prescriptions si simples, ne +faut-il pas au medecin d'energie et de foi? Qu'on veuille donc bien +se rappeler que le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation +restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui lui sera profitable, +mais bien ce qu'il assimilera, et que, chez lui, la puissance +d'assimilation est extremement minime! Lui-meme, d'ailleurs, il le dit, +il proteste, plus ou moins energiquement, contre les menus qu'un zele +mal eclaire s'ingenie a lui proposer. + +En dehors de ces etats gastriques passagers, le regime du vieillard doit +etre, en general, peu substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le +soir, s'il tient a avoir quelques heures de sommeil. S'il eprouve le +besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, plutot que beaucoup a la +fois. Mais on ne saurait croire combien certains vieillards ont peu +besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente une vieille dame qui +avait trop mange pendant toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une +dyspepsie permanente accompagnee de miseres variees, en tete desquelles +venait la constipation. De la obsession de tous les instants; tant qu'on +ne l'eut pas mise exactement au regime convenable, elle fut torturee par +ce symptome, restant huit ou quinze jours sans parvenir a aller a +la garde-robe, malgre les lavements, les suppositoires, le massage +abdominal, etc. On avait du meme, plusieurs fois, recourir au curetage. +Or je me dis, un jour, que le regime relativement restreint que je lui +avais impose tout d'abord n'etait peut-etre pas encore assez restreint. +Comme elle n'avait jamais d'appetit, et qu'elle ne mangeait que pour +faire plaisir a son entourage, je fis avec elle une sorte de convention, +qui fut de restreindre, sous ma surveillance, son alimentation +progressivement, et dans la mesure extreme du possible. Apres un mois de +tatonnements, ma collaboratrice et moi en etions arrives a la formule +suivante, que je transcris d'apres mes notes: "7 heures matin, une tasse +a the de cafe au lait; 10 heures, une tasse a cafe de semoule au lait, +ou de panade, ou de farine de Hongrie, ou de creme de riz, ou de creme +d'orge aux memes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, un quart +d'echaude; 5 heures, cafe au lait; 7 heures, comme a midi; dans la nuit, +une tasse a cafe de lait." + +Ce regime, qui d'abord paraissait a l'entourage absolument +ridicule, finit par etre accepte quand on vit la malade reprendre, +progressivement, du sommeil, un peu de force, un peu d'appetit, et +surtout quand on vit disparaitre sa constipation. Ses fonctions +s'executaient, en effet, tres regulierement tous les deux ou trois +jours, spontanement. Le regime fut continue jusqu'a sa mort, qui +survint trois ans apres. Elle s'eteignit sans souffrance a l'age de +quatre-vingt-quatre ans. + +Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, mais ils seraient +tous calques sur ce modele. + +Il est, par contre, des vieillards qui ont conserve un gros appetit: +il faut savoir le respecter, tout en essayant de le moderer un peu, du +moment que la sante reste bonne. + +Pour en finir avec la question de regime, disons qu'un peu de vin +genereux, etendu d'eau, est, en general, une boisson excellente pour le +vieillard, bien portant ou malade; et que le lait, par contre, lui est +le plus souvent prejudiciable, sauf dans les etats aigus ou subaigus +prolonges. + +Quant aux affections accidentelles qui surviennent chez le vieillard, et +qui compromettent son reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font, +neanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante de toutes est la +pneumonie. C'est, tres souvent, une pneumonie d'origine grippale: aussi +ne saurait-on trop soigner la grippe des son debut, chez le vieillard +plus encore que chez l'adulte. La pneumonie est insidieuse chez le +vieillard. Elle ne se traduit que par un malaise general, avec tres peu +de phenomenes pulmonaires, mais elle s'accompagne toujours de fievre. +Si donc les familles savaient se servir du thermometre, on aurait des +chances de porter secours aux malades en temps utile; et alors une +injection de cacodylate de gaiacol, quelques cachets de quinine, une +certaine dose de cognac ou de vin tres genereux, parviendraient, dans +bon nombre de cas, a le sauver; tandis qu'en general, quand on appelle +le medecin, il est trop tard, le medecin ne peut plus faire que le +diagnostic, et prevenir la famille de la gravite de la situation. + +Les petites hemorragies cerebrales viennent souvent compromettre la +survie du vieillard. Ordinairement, il echappe a la premiere atteinte, +mais il en sort tellement amoindri, physiquement et intellectuellement, +qu'on peut dire qu'il a cesse de vivre avant de mourir. Grace aux soins +dont il est entoure, a partir de ce moment, il se survit a lui-meme +pendant quelquefois plusieurs annees, jusqu'a ce qu'il se decide a +mourir apres une deuxieme ou troisieme attaque. + +Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnees ne s'observe, le +petit rentier qu'est le vieillard continue a vivoter plus ou moins +longtemps, jusqu'au jour ou, tout son capital et tous ses revenus etant +epuises, il cesse de vivre, tout simplement parce qu'il n'a plus la +force de vivre. Il s'eteint alors et se repose comme le travailleur qui +a fini sa tache. C'est ce que traduit d'une facon, tres profondement +philosophique, l'expression courante de "defunt", la traduction +litterale du mot latin _defunctus_ etant: "Celui qui s'est acquitte." +Les privilegies sortent de la vie comme d'un banquet, en remerciant leur +hote. Heureux s'ils peuvent leguer a une nombreuse posterite "l'exemple +de leur vie!" + + + +FIN + + + + +INDEX ALPHABETIQUE + +Albuminurie:--permanente;--son regime. Alcool. Alimentation: de l'enfant +ne avant terme;--du premier age;--Gouttes de lait;--chez le +petit enfant;--chez l'enfant du deuxieme age;--defectueuse; +excessive;--ration d'entretien;--observation d'une malade guerie par le +regime restreint;--insuffisante en quantite;--a la sonde;--observation +d'une malade febricitante guerie par l'alimentation +forcee;--insuffisante en qualite;--chez le vieillard. + +Aliments adulteres par les procedes chimiques; physiques. + +Auto-intoxication, (Hypothese de l'). + +Avarie. + +Bains: chauds dans les pneumonies;--prolonges;--de briques;--de +vapeur;--electriques;--de mer. + +Blennorragie, ses dangers tardifs. + +Boissons: fermentees;--distillees;--le vin chez l'homme bien +portant;--chez le malade:--dans la ration du soldat;--eau sterilisee en +usage dans l'armee. + +Cancer, son heredite. + +Capital biologique (hypothese du). + +Causes morbigenes: ambitions decues;--passion amoureuse;--inquietudes; +--vie brisee;--frayeur. + +Causes accidentelles. + +Chaleur seche (dermotherme). + +Choc: traumatique;--chirurgical;--moral. + +Coeur: "maladies" du coeur--leur heredite;--observation d'un faux +cardiaque;--la periode de declin. + +Constipation;--et entero-colite;--provoquee chez les operes;--son +innocuite;--guerison par le repos;--dangers des purgatifs;--obsession de +la constipation;--lavements d'huile;--injections de Brown-Sequard;--chez +le vieillard;--Convalescence, sa rapidite chez l'enfant. + +Course en flexion. + +Declin: age de declin;--pouvant n'etre qu'apparent;--problemes cliniques +a l'age du declin, leur difficulte. + +Diabete: regime;--traumatique, sa gravite. + +Dyspepsie: observation d'une malade avec predominance de troubles +dyspeptiques. + +Eaux minerales;--table de regime;--de Carlsbad;--Chatel-Guyon, Bagnoles, +Brides, Vichy;--Vittel. + +Education: chez la jeune fille;--chez le jeune homme;--de la volonte;-- + +Electricite;--bains electriques. + +Emplatre. + +Enfants: preservation contre la tuberculose;--couveuses +artificielles;--alimentation de l'enfant ne avant terme:--le +capital biologique de l'enfant doit etre cree par les +parents;--puericulture;--alimentation du premier age, son importance +pour toute la vie;--Goutte de lait;--pathologie infantile;--sa +simplicite relative;--ses difficultes;--necessite du sommeil +prolonge;--mastication;--convalescence rapide;--enfants du type +musculaire;--cerebral;--du deuxieme age, alimentation:--fievre +digestive. + +Epilepsie. + +Exploration abdominale. + +Exercice: difficulte de le doser chez les jeunes filles +nerveuses; --dans un grand college moderne;--chez les +professionnels;--chez les jeunes gens (danger des sports);--et +entrainement;--et gymnastique respiratoire;--Institut Zander;--chez +les obeses. + +Fatigue;--et epuisement. + +Fievre digestive des enfants;--typhoide. + +Folie: chez la jeune fille:--delire de la persecution;--l'alienation +mentale et la "maladie";--menstruation chez l'alienee;--du +doute;--obsession:--manie aigue. + +Frictions. + +Grippe, son influence pathogene. + +Grossesse ("maladies" de la mere pendant la). + +Hemorragies cerebrales, chez les vieillards. Heredite: +etymologie;--generalites;--protestation contre la fatalite des tares +hereditaires;--de la longevite;--de la tuberculose;--du cancer;--des +tares nerveuses, 15;--de la paralysie generale, 16;--des "maladies" +de coeur, 16;--des affections renales, 17. + +Hydrotherapie: froide, 223;--tiede 225;--maillot humide, 225. + +Hypnose, 189;--chez les alienes, 191;--ses dangers, 194. + +Hygiene de la procreation, 21. + +Hysterie (simulant une "maladie" organique de la moelle), 114. + +Hypothese (son role dans la science), 1. + +Injections: action dynamogenique de tout liquide +injecte, 232;--hypodermiques d'eau de mer, 234;--de cacodylate de +magnesie, 235;--de cacodylate de soude, 235;--de gaiacol, 238;--de +quinine 239;--d'heroine,239;--de mercure, 240;--de morphine, +240;--huileuses,240;--d'huile mercurielle, 241;--d'huile creosotee, +242;--etsuggestion, 244;--injections de Brown-Sequard, (constipation), +353. + +Influences morbigenes, generalites, 30. + +Isolement (en maison de sante, ses dangers), 70. + +Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;--education +sexuelle--, 21;--menstruation--,66;--despotisme de certaines meres, +68;--difficulte de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, +66;--alienation mentale--, 71;--vocation contrariee, 72;--mariage +contrarie--, 73;--utilite du mariage chez les jeunes filles nerveuses, +74;--surmenage scolaire--, 75. + +Jeune homme: surmenage scolaire, 75;--necessite du sommeil, +76;--exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; --exercice +physique chez les jeunes gens, 79; --education sexuelle, +81;--psychotherapie, 83. + +Ligue des peres de famille, 80. + +Longevite: heredite de la, 8;--humaine, 9. + +Malade: son entourage, 204;--ne voulant pas guerir, 207;--regime des +grands malades, 217;--n'osant pas manger, 220;--danger des voyages, 267. + +"Maladies": accidentelles, 42;--la "maladie", 94-95;--petits symptomes +de la "maladie", 95,--la "maladie" et les "maladies" accidentelles, +97;--causes morales, generalites, 142;--causes accidentelles de la +"maladie", 162;--du coeur a la periode du declin, 279. + +Mariage: contrarie chez la jeune fille, 73;--son utilite pour les +jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74. + +Massage, 228;--abdominal, 229. + +Meningite, 55. + +Menstruation: utilite du repos, 66;--chez l'alienee, 165;--chez la +grande malade, 166;--menopause, 296. + +Migraine, 40. + +Mort naturelle, 310. + +Nevrose (sa contagion), 148. + +Obesite, 297;--exercice chez les obeses, 298;--regime chez les obeses, +299. + +Obsession: de la constipation, 251;--de la rougeur, 187. + +Observations: d'une malade avec predominance de troubles dyspeptiques, +99;--d'une malade avec predominance de troubles de nutrition, 105;--d'un +faux cardiaque, 107;--d'une malade suivie pendant trente ans, chez +laquelle presque tous les appareils ont ete successivement atteints, +110;--d'une grande malade guerie par le regime restreint, 128;--d'une +malade febricitante guerie par l'alimentation forcee. 132. + +Operes: operations de complaisance, 155;--morphine chez les, 156; +--role medical du chirurgien, 156;--purgation chez les, +157;--constipation provoquee chez les, 158. + +Opotherapie: hepatique, 236;--ovarienne, 286. + +Paralysie generale, heredite, 16. + +Pertes: materielles, 143;--au jeu, 144. + +Pneumonie: bains chauds dans la;--chez le vieillard, 308. Protection, +loi de protection des faibles, 10. + +Psychonevroses, leur traitement moral, 213. + +Psychotherapie: chez le jeune homme, 83;--savoir prendre un +parti, 175;--respect du temps, 176;--derivative. 180; --sedative, +181;--reconstituante, 182;--resignation, 182;--foi religieuse, 208;--et +probleme religieux, 210. + +Ptose: abdominale, 169;--et ceinture hypogastrique, 167;--passagere, +169. + +Purgatifs et constipation, 249. + +Regime: ration d'entretien, 125,--des Chartreux, 125;--des Trappistes, +125;--des soldats, 127-140;--des guides alpins, 127;--observation +d'une grande malade guerie par le regime restreint, 128;--en cas +d'effondrement abdominal, 172;--et suggestion, 215;--des grands malades, +217;--monotone, 218;--sec (ses dangers), 219;--a boisson restreinte, +219;--et eaux minerales, 255;--des diabetiques, 293;--des +albuminuriques, 297;--des obeses, 299;--lacte chez les vieillards, 308. + +Repos: dans les etats aigus, 173;--cure de--, 205;--constipation guerie +par le--, 205;--avant le repas, 221;--apres le repas, 222;--au lit, 265. + +Sommeil: necessite du sommeil chez l'enfant, 57;--necessite du sommeil +chez les jeunes gens, 76;--diurne (ses bons effets) 173;--l'aliment +favorise le--, 221;--et repos au lit, 221. + +Sports, chez les jeunes gens (leur danger) 78. + +Suggestion et regime, 215. + +Symptomes morbides, 32;--petits symptomes de la "maladie", 95. + +Syphilis: polynatalite, 10;--et meningite, 12;--Societe de prophylaxie +sanitaire et morale, 13;--necessite d'un traitement pour prevenir la +transmission hereditaire de la, 23; --age a laquelle se contracte +la--, 84;--manifestations tertiaires, 164;--et assurances sur la vie, +164. + +Travail: cerebral insuffisant, 119; --cerebral excessif, +119;--musculaire excessif, 121;--ration de--, 125. + +Tuberculose heredite, 13;--oeuvre de preservation de l'enfance contre +la--, 14 et 89;--dans l'armee, 87;--et sanatorium populaire, 38;--et +dispensaire, 88. + +Vacances: leur necessite, 261;--colonies de--, 262. + +Vesicatoires, 255. + +Vieillards: voyages, 304;--alimentation, 306;--constipation, +307;--pneumonie, 308;--regime lacte, 308;--hemorragie cerebrale, 309. + +Vin: chez l'homme bien portant, 139;--chez le malade. 141; + +Voyages: de noces (ses dangers), 20;--leur utilite chez les gens +bien portants, 261;--leur danger chez les malades, 267;--chez les +vieillards, 304. + + + + +AUTEURS CITES + + Dr BARADUC, 37. + BRIEUX, 83. + BROWN-SEQUARD, 236. + Dr CHARCOT, 194 + Dr CAMPENON, 156. + Dr CHAILLOU, 76. + Dr DELORME, 158. + Dr DUBOIS, 213. + Dr DUPRAT, 194. + FLOURENS, 9. + Dr FONSAGRIVES, 55. + FONSAGRIVES (Abbe), 81. + Dr A. FOURNIER, 13. + Dr ED. FOURNIER, 84. + Dr GRANCHER, 14. + Dr GRASSET, 194. + Dr HUCHARD, 17. + Dr KELSCH, 87. + KNEIPP, 224. + Dr LAGRANGE, 79 et 86. + Dr LAUMONIER, 64. + Dr LEGENDRE, 80. + Dr LEREDDE, 231. + Dr MATHIEU, 33. + Dr PINARD, 21 et 45. + PLANTET, 262. + POINCARE, 1. + Dr ROBIN, 293. + Dr RUNGBERG, 164. + SERTILLANGES (Abbe), 125. + Dr SIGAUD, 171. + Dr R. SIMON, 234. + VANCAUWENBERGHE, 48. + Dr VARIOT, 47. + Dr A. VOISIN, 194. + + + + +TABLE DES MATIERES + + +PREFACE + +PREMIERE PARTIE + + +CHAPITRE I + +LE CAPITAL BIOLOGIQUE +Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable selon chaque +individu et selon chaque periode de la vie. Capital initial; influences +qui le font varier. + + +CHAPITRE II + +HEREDITE +Definition de l'heredite; son role. Heredite de la longevite. Role de +l'heredite dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; le cancer; +les tares nerveuses: les "maladies" de coeur; des reins. + + +CHAPITRE III + +CONCEPTION +La valeur des generateurs au moment de la conception.--Loi de protection +des faibles. Hygiene de la procreation: education sexuelle de la jeune +fille. + + +CHAPITRE IV + +GESTATION +Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la +gestation.--Emotions, miseres physiologiques, "maladies" de la mere +pendant la grossesse. Enfants nes avant terme. + + +CHAPITRE V + +INFLUENCES MORBIGENES ET SYMPTOMES MORBIDES +La vie de l'etre humain peut etre figuree par une courbe evolutive: les +influences morbigenes modifient cette courbe. La meme influence peut +se traduire par des symptomes varies; et, inversement, des influences +variees peuvent se traduire par le meme symptome (ex.: constipation) ou +par le meme ensemble de symptomes (ex.: epilepsie). Tous les systemes +organiques peuvent etre troubles a la fois. Le plus souvent, c'est +l'organe le plus faible qui traduit le malaise. Le systeme nerveux est +la clef de voute de la pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les +causes morbigenes. + + +CHAPITRE VI + +DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.--PUERICULTURE +Importance de l'alimentation du premier age pour toute la duree de la +vie. Le lait de la mere appartient a l'enfant. Gouttes de lait (de +Belleville, de Saint-Pol). La pathologie enfantine est, le plus souvent, +simple; quelquefois, de la plus grande difficulte. Succes therapeutiques +chez les petits enfants atteints de syphilis, de pneumonie. + + +CHAPITRE VII + +DU SEVRAGE A LA PUBERTE +1 deg. Chez l'enfant du deuxieme age. Necessite du sommeil prolonge, d'une +mastication parfaite. Les "maladies" accidentelles a cet age evoluent +vite, sans convalescence.--Chez l'enfant de sept ans a la puberte. +Enfant du type musculaire (hygiene qui lui convient); du type cerebral. +Les deracines. "maladies" accidentelles chez l'enfant. "maladies" tres +souvent provoquees par une alimentation defectueuse. + + +CHAPITRE VIII + +DE LA PUBERTE A L'AGE ADULTE +I. _Chez la fille_.--Precautions a prendre a l'apparition des regles. +Chloro-anemie. Causes speciales de "maladie": + +--A. Surmenage intellectuel.--B. Causes morales (despotisme de la mere, +vocation contrariee); brevets: mariage rendu impossible; besoin du +mariage.--C. Surmenage musculaire. Quelle que soit la cause, les +symptomes sont les memes, mais le traitement varie avec la cause. +Facilite relative de la guerison. + +II _Chez le garcon_.--1 deg. Surmenage scolaire (insuffisance du +sommeil).--2 deg. Surmenage physique (abus des sports, de l'escrime, utilite +des exercices automatiques _(Ligue des peres de famille_).--3 deg. Deviation +de l'hygiene sexuelle: education sexuelle. Par qui elle doit etre +donnee. Enseignement individuel et enseignement collectif. Utilite de +l'exercice pousse au maximum de la tolerance. Aberrations de l'instinct +sexuel: psychotherapie. + +III. _Causes morbigenes communes aux deux sexes_.--"maladies" +accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les dispensaires, oeuvres de +preservation). + + + + +DEUXIEME PARTIE + + +CHAPITRE I + +MATURITE +L'homme doit travailler et produire. Necessite des periodes de repos. Le +coup de collier. La fatigue. L'entrainement. L'epuisement (ses signes +premonitoires). Surmenage cerebral-musculaire (ses signes premonitoires. +La "maladie". + + +CHAPITRE II + +CARACTERES GENERAUX DE LA "MALADIE" +Ce que c'est que la "maladie". Maniere d'etudier un malade. Quatre +observations de patients atteints de la "maladie" sous ses diverses +formes. Troubles fonctionnels pouvant simuler les affections avec +lesions d'organes. Role du systeme nerveux central dans la pathogenie de +la "maladie". Embarras gastrique. + + +CHAPITRE III + +LES CAUSES DE LA "MALADIE" +I. _Causes physiques_.--1 deg. Surmenage cerebral, travail cerebral +insuffisant. La "maladie" due au surmenage cerebral peut revetir des +formes cliniques tres diverses.--2 deg. Surmenage musculaire.--3 deg. Vices +d'alimentation. Generalites, auto-intoxication, irritation.--_A_. +Alimentation excessive en quantite. Ration d'entretien. Regime des +Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. Observation +d'une grande malade guerie par le regime restreint.--_B_. Alimentation a +la sonde.--_C_. Alimentation insuffisante en qualite. Adulteration +des aliments: _a_) par les procedes chimiques, _b_) par les procedes +physiques. --_D_. Alcool. Boissons fermentees, leur utilite. Boissons +distillees, leur danger. + +II. _Causes morales_.--Leur importance preponderante: + +_A_. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions decues.--_B_. Influences +compromettant la quietude de l'ame. Passions. Incompatibilite +d'humeur.--_C_. Inquietudes d'origine altruiste. Separation momentanee, +definitive.--Choc traumatique: _a_) Hystero-neurasthenie traumatique. +_b_) Choc chirurgical. Danger de l'intervention medicale des +chirurgiens. Danger de la morphine aux operes. Des purgations. +Constipation provoquee chez les operes, ses avantages. + +III. _Causes accidentelles_.--Fievre typhoide. Grippe: son grand role +pathogenique. Syphilis. + +IV. _Influences morbigenes speciales a la femme_.--Menstruation. +Grossesse. Ptose abdominale: Exploration abdominale. + + +CHAPITRE IV + +PSYCHOTHERAPIE +Definition. Ne pas s'exagerer l'importance de son role 1 deg. Son action +s'etend aux deviations mentales.--2 deg. A un grand nombre de troubles +somatiques.--_A. Moyens par lesquels on diminue les depenses d'influx +nerveux:_ savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du +temps; des habitudes d'ordre. Application de ces preceptes. Un cas de +folie du doute. Psychotherapie dans la manie aigue, dans les obsessions. +Resignation passive et active.--_B. Moyens par lesquels on augmente les +recettes._ 1 deg. Gymnastique de la volonte, quelques procedes pratiques +(gymnastique respiratoire, gymnastique suedoise).--Moyens par lesquels +on augmente artificiellement le capital insuffisant: hypnose. Action +personnelle de l'hypnotiseur, indications du traitement par l'hypnose. +Ce qui limite l'emploi de l'hypnose en therapeutique, c'est que: +1 deg. ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles a +hypnotiser.--2 deg. C'est que c'est un moyen qui peut etre trop actif. +C'est un agent therapeutique utile, non dangereux, s'il est bien manie; +le medecin seul peut le bien manier. + +Conseils pratiques pour l'application des procedes psychotherapiques. +--1 deg. Le medecin doit soigner avec son coeur, plus qu'avec son +intelligence.--2 deg. Paraitre ne jamais etre presse.--3 deg. Ni meme etre +presse.--4 deg. Savoir parler au malade.--5 deg. Ne lui imposer que le strict +minimum de prescriptions. Difficultes du traitement psychotherapique: 1 deg. +Absence de foi chez le malade (malades a theories medicales. Malades +qui ne veulent pas guerir).--A l'hostilite de l'entourage. Le medecin +confident.--Psychotherapie et sentiment religieux. + + +CHAPITRE V + +AUTRES AGENTS THERAPEUTIQUES +1 deg. Regime alimentaire (les prescriptions dietetiques n'agissent pas +seulement par suggestion). Diete liquide. Regime des potages. Regime a +boisson restreinte. De la frequence des repas. Du repos apres et avant +le repas. + +2 deg. Moyens accessoires.--A. _Hydrotherapie_: froide, exceptionnellement +indiquee. Methode de Kneipp. Drap mouille. Hydrotherapie tiede: tub, +bain. Malades dont il ne faut pas mouiller la peau. Chaleur seche. +Massage. Frictions. Bains de vapeur. Bains electriques. Electricite.--B. +_Injections hypodermiques._--1 deg. Influence utile de l'injection en tant +qu'injection (serum artificiel, eau de mer).--2 deg. Action propre du +liquide injecte. Cacodylate de soude, de magnesie, de fer. Injections de +Brown-Sequard. Strychnine. Cacodylate de gaiacol dans la "maladie" +post grippale. Quinine, heroine et morphine, leurs dangers. Injections +huileuses: _a_. Mercurielles. _b_. Creosotees. Role alimentaire de +l'huile injectee.--3 deg. Des injections hypodermiques comme procede +de suggestion.--C. Vesicatoires. Emplatres. Purgatifs. Etude de la +constipation et des constipes.--D. _Eaux minerales_, leurs indications. +Les tables de regime. Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. +Chatel-Guyon, Bourbon l'Archambault, etc. Les medecins des +eaux.--_Voyages_. Leur utilite chez les gens bien portants. Leur danger +chez de grands malades. Precautions a prendre pour qu'ils soient utiles +aux malades moyens. La grande malade et le ciel de la Cote d'Azur. +Voyage et entrainement. Vacances. Colonie de vacances.--F. +_La mer_.--La cure marine. Le train des maris. + + + + +TROISIEME PARTIE + + +CHAPITRE I + +LA PERIODE DE DECLIN +Le declin peut survenir a tout age. Exemples de limites extremes. Les +tares organiques. Les cardiopathies se revelent. Le declin peut n'etre +qu'apparent (difficulte du diagnostic). Petits symptomes premonitoires +du declin. Menopause. Opotherapie ovarienne. Influences morales. +Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique de l'homme. +Forme que revet souvent la "maladie" a cet age. Traitement +psychotherapique, regime, precautions. Le diabete. Role du systeme +nerveux dans le diabete. Il n'y a pas de regime du diabete, ni meme +des diabetiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente. +Pronostic variable. Il n'y a pas de regime de l'albuminurie, ni meme des +albuminuriques. Obesite. Exercice chez les obeses. Thyroidine. Il n'y a +pas de regime de l'obesite. Danger de l'amaigrissement rapide. + + +CHAPITRE II + +LA VIEILLESSE +Elle peut survenir a tout age. Influences speciales a la vieillesse de +l'homme age. Necessite du repos et dangers des voyages. Alimentation +restreinte. Accidents qui font mourir le vieillard. De la mort +naturelle. + + +INDEX. + +AUTEURS CITES. + +TABLE DES MATIERES. + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la sante, by Dr. Burlureaux + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTE *** + +***** This file should be named 12105.txt or 12105.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/1/0/12105/ + +Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed +Proofreading Team. + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. 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If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's +eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII, +compressed (zipped), HTML and others. + +Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over +the old filename and etext number. The replaced older file is renamed. +VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving +new filenames and etext numbers. + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + +EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000, +are filed in directories based on their release date. If you want to +download any of these eBooks directly, rather than using the regular +search system you may utilize the following addresses and just +download by the etext year. + + https://www.gutenberg.org/etext06 + + (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99, + 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90) + +EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are +filed in a different way. The year of a release date is no longer part +of the directory path. The path is based on the etext number (which is +identical to the filename). The path to the file is made up of single +digits corresponding to all but the last digit in the filename. For +example an eBook of filename 10234 would be found at: + + https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234 + +or filename 24689 would be found at: + https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689 + +An alternative method of locating eBooks: + https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL + + diff --git a/old/12105.zip b/old/12105.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f7e3b0b --- /dev/null +++ b/old/12105.zip |
