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MAUNOIR= + +[Décoration] + + PARIS + AUGUSTIN CHALLAMEL, ÉDITEUR + RUE JACOB, 17 + LIBRAIRIE MARITIME ET COLONIALE + * * * * * + 1905 + + + + + AVANT-PROPOS + + * * * * * + + +Les journaux de route de Duveyrier, c’est-à-dire les volumes de notes +d’où a été tiré le livre des _Touareg du Nord_, étaient restés inédits. +Duveyrier lui-même, ses écrits l’attestent, avait eu l’intention de les +publier quelque jour[1]. L’irrémédiable atteinte portée à sa santé par +les fièvres fezzaniennes ne lui en a sans doute pas laissé la force. + +M. Charles Maunoir, dont la haute science avait, pendant trente ans, +armé pour le succès tant de missions géographiques françaises, voulut +faire revivre la profonde érudition, la noble conscience de celui dont +il avait été l’ami le plus cher. Il publia, en 1902, le _Journal d’un +voyage dans la province d’Alger_, que Duveyrier écrivit à dix-sept ans. +On y trouve ces choses charmantes : un mérite naissant qui s’ignore et +la première impression de la terre d’Afrique sur l’esprit d’un grand +voyageur. M. Maunoir avait l’intention de compléter cette publication +par celle d’un des principaux journaux de route : celui du 13 janvier-15 +septembre 1860, dont le cadre s’écarte le plus de la région envisagée +dans _Les Touareg du Nord_. En tête de ce volume devait paraître la +biographie de son ami, que lui seul pouvait écrire, avec le souvenir de +tant d’années qui les avaient étroitement unis. La mort a interrompu M. +Maunoir avant qu’il eût terminé ces lignes, les dernières qu’ait +rédigées ce grand travailleur. + +Mme Maunoir a eu la pieuse pensée de réaliser le dernier vœu de son +mari. Elle a mené à bien cette publication, où l’on voit encore une fois +les deux collaborateurs réunis dans ce culte de la science qui fut leur +vie. + +Le texte édité ici a été vu d’abord par M. et Mme Maunoir ; c’est leur +goût très sûr qui a décidé du choix délicat des coupures à faire : +passages et chiffres déjà reproduits dans _Les Touareg du Nord_ ou le +_Corpus Inscriptionum_, détails personnels, sans intérêt pour la +géographie. Mme Maunoir m’a fait le grand honneur de me confier le +manuscrit ainsi défini. Je me suis attaché à le respecter aussi +scrupuleusement que possible, en ne corrigeant que des expressions +évidemment défectueuses, lapsus inévitables d’une rédaction faite au +courant de la plume. Lorsque, par exception, il m’est arrivé de +supprimer une phrase entière, inintelligible, écrite pendant un accès de +fièvre, une note en avertit le lecteur. Pour la transcription française +des noms arabes, à l’exception de ceux consacrés par l’usage, j’ai +adopté partout où cela a été possible celle à laquelle Duveyrier lui- +même s’est arrêté dans _Les Touareg du Nord_. Dans les autres cas j’ai +conservé la leçon manuscrite. Quant à l’orthographe et à la traduction +des citations en caractères arabes, Mme Maunoir a obtenu le précieux +concours de M. le professeur Houdas, qu’aucun service à rendre aux +études africaines ne laisse indifférent[2]. + +L’extrême dispersion des renseignements est inévitable dans un ouvrage +comme celui-ci. J’ai tâché d’en rendre la consultation plus facile par +un index des noms géographiques et des principales matières. Les +indications botaniques m’ont semblé mériter une attention particulière : +elles seront une nouvelle addition au tableau de la répartition +géographique des plantes sahariennes, dressé en 1881 par le professeur +Ascherson[3]. On en trouvera la liste dans un index spécial, avec la +synonymie botanique, d’après les catalogues existants et les rapports de +mission ultérieurs. + +Les notes que j’ai ajoutées au bas des pages ne représentent qu’un +minimum indispensable de commentaire. Elles indiquent seulement les +principaux documents anciens ou modernes qui m’ont semblé confirmer ou +modifier, en quelque chose d’essentiel, les faits et théories énoncés +par l’auteur. Une note additionnelle renvoie à quelques publications +capitales, survenues au cours de l’impression. On n’en verra pas moins +combien ces références présentent d’imperfections et de lacunes. Le +lecteur compétent m’excusera peut-être, s’il songe que pour le mettre +complètement au courant de toutes les questions touchées ici, il eût +fallu ajouter un second volume et changer le caractère de l’ouvrage. + +Ce caractère de journal quotidien, on devait le lui conserver au +contraire, car c’est cette variété concise, ce langage plein de saveur +qui en font le mérite et le charme. Duveyrier s’y révèle plus vivant que +dans le cadre sévère des _Touareg du Nord_, plus personnel aussi que +dans cette encyclopédie qu’il a écrite sous le contrôle d’un autre, et +où l’on risque de trouver parfois l’écho d’une pensée qui n’est pas la +sienne. Si riche que soit devenue la géographie de l’Afrique du Nord, la +critique remerciera Mme Maunoir d’avoir poursuivi la publication d’un +livre qui apporte encore du nouveau après 45 ans de découvertes ; il +fait honneur à la mémoire du savant qui l’a fait connaître comme au +grand voyageur qui l’a écrit. + + Henri SCHIRMER. + + +[Note 1 : _Les Touareg du Nord_. Paris, 1864, in-8, Introduction, p. +XII.] + +[Note 2 : Toutes les notes et corrections de M. Houdas sont marquées des +initiales (O. H.).] + +[Note 3 : En appendice dans Rohlfe, _Kufra_, Leipzig, 1881, in-8, p. +386-560.] + + + + + BIOGRAPHIE + + * * * * * + + +Les Duveyrier ou Du Veyrier, issus d’une famille noble du Languedoc qui +s’appela naguère Arnoux-Veyrier, se sont fixés à Aix en Provence depuis +plusieurs générations. + +A près de deux siècles en arrière, apparaissent un Duveyrier, procureur +au Parlement de Provence, et son frère, chanoine à la collégiale de +Pignans. + +Le procureur eut trois fils dont l’aîné devint secrétaire de l’Académie +d’Aix ; le second succéda à son oncle comme chanoine de Pignans. Le +troisième, Gaspard Duveyrier, fut d’épée. Le chevalier de Vertillac, ami +de la famille, l’incorpora, sous le titre de _cadet de Vertillac_, dans +le régiment d’Eu-infanterie. Blessé à la bataille de Parme (1732), où il +se conduisit vaillamment ; blessé, plus tard, d’une chute de cheval +tandis qu’il galopait devant les carrosses du roi, il était nommé +officier à l’Hôtel des Invalides à l’âge de 23 ans. + +Par la suite, on obtenait pour lui une lieutenance dans une compagnie +détachée sur les côtes de Provence. + +Gaspard Duveyrier fut le père de Joseph-Martial Duveyrier qui, chargé +comme lieutenant de la maréchaussée d’Aix de conduire Mirabeau au fort +de Joux, accorda à son prisonnier huit jours de liberté sur parole, et +n’eut pas à le regretter. Son frère, Honoré Duveyrier, avocat de mainte +cause célèbre, choisi pour défenseur du duc d’Orléans à la suite des +journées des 5 et 6 octobre, incarcéré par ordre de Robespierre et sauvé +par Hérault de Séchelles, à la veille des massacres de la Terreur, +devenait, dans le Tribunat, le collaborateur de Portalis, Siméon et +Pascalis pour la préparation du Code civil. + +La Restauration qui le trouva premier président de la cour impériale de +Montpellier, ne le maintint pas dans ses fonctions, tout en lui donnant +le titre de premier président honoraire. + +Honoré Duveyrier laissa deux fils, dont l’un, Honoré, magistrat congédié +aussi par la Restauration, s’achemina dans les voies de la littérature +dramatique. Il y marcha longtemps, sous le nom de Mélesville, en +compagnie d’Eugène Scribe. Le fils cadet de l’ancien tribun fut Charles +Duveyrier. Esprit curieux, remueur d’idées, Charles Duveyrier fut +chaudement saint-simonien et en souffrit, mais il conserva toujours les +aspirations humanitaires qui l’avaient conduit vers le saint-simonisme. +Par la suite, et tout en composant, lui aussi, comme son frère, des +pièces de théâtre dont plusieurs sont restées au répertoire, il s’occupa +de questions économiques, politiques et financières. Il y fit preuve de +qualités d’initiative qui, toutefois, ne le conduisirent pas à la +fortune. Doué d’une activité sans relâche et d’un savoir étendu, Sainte- +Beuve a pu écrire de lui : « Je le comparais à un flambeau qui marchait +toujours »[4]. + +Charles Duveyrier consacra la dernière période de sa vie à diriger les +travaux d’une vaste Encyclopédie conçue sur un plan particulier, et à +laquelle les grands financiers Péreire voulaient attacher leur nom. + +Nous arrivons enfin à Henri Duveyrier, l’éminent voyageur au pays des +Touareg, qui fut le fils de Charles Duveyrier. Pour ceux que de plus +longs détails sur la famille Duveyrier intéresseraient, ils les +trouveraient dans un ouvrage devenu rarissime : _Anecdotes historiques, +par le baron_ D. V., tiré à 100 exemplaires. Paris, 1837, in-8. +Imprimerie de E. Duverger. + +Les indications ci-dessus suffisent à établir que la famille Duveyrier a +compté au moins une demi-douzaine d’hommes de mérite en deux cents ans, +moyenne tout à fait honorable. + + +Henri Duveyrier est né à Paris, 48, rue de la Chaussée-d’Antin, le 28 +février 1840. + +La première école qu’il fréquenta fut celle de l’abbé Poiloup, à +Vaugirard. Il la quitta pour le collège fondé à Auteuil par l’abbé +Lévêque. Puis, son père, désireux de le préparer à une carrière +commerciale, l’envoya poursuivre ses études, de la fin de septembre 1854 +à la fin de l’année 1855, dans un pensionnat ecclésiastique établi à +Lautrach, près Memmingen, en Bavière. + +Pendant cette période, Henri Duveyrier tint un journal quotidien, pages +naïves où, naturellement, apparaissent certains traits qui se +retrouveront dans le caractère de l’homme, où s’accuse déjà une +orientation marquée vers certaines études qui, en définitive, +détermineront l’avenir de l’écolier. + +Le microcosme où il entrait parmi des représentants de diverses +nationalités a pu se trouver un peu déconcerté en présence du démenti +donné par ce Parisien appliqué, studieux, réfléchi, à l’opinion +accréditée sur la légèreté et la futilité des Français. Le Journal de +Henri Duveyrier, à Lautrach, a de la gravité ; l’enjouement, privilège +ordinaire de la jeunesse, s’y fait peu sentir. Il laisse entrevoir aussi +un esprit rebelle aux idées spéculatives et aux fantaisies de +l’imagination. C’est ainsi que, habituellement respectueux du devoir et +de ceux qui le prescrivaient, il se mit néanmoins en conflit avec un +professeur à propos du sujet choisi pour une narration en allemand : +« Pensées d’un jeune homme par un beau soir d’été ». Un autre sujet de +composition : « La louange des passions », lui inspire cette phrase : +« Je vais faire de mon mieux, mais ce sujet ne me plaît pas. Je n’aime +écrire ni pour les vertus ni pour les passions ». Par un verdict qui +semble empreint d’ironie, son discours fut choisi, « comme le meilleur +pour être déclamé à la fête de Monsieur le Directeur » ; mais le lauréat +ne se sentit pas le courage de le « déclamer » lui-même. + +Élève laborieux, très bien noté, Henri Duveyrier ne se bornait cependant +pas aux travaux prescrits par les programmes du pensionnat ; il était +sollicité d’un autre côté. + +Nous voyons, notées avec prédilection, les causeries dans lesquelles +quelque camarade lui a cité des légendes régionales ; il a même commencé +un recueil de légendes allemandes. Également empressé à recueillir des +renseignements philologiques, il copie des chants en langue tudesque et +en langue franque ; puis il se procure le _Pater_ en goth, en allemand +et en anglo-saxon. Enfin, il entreprend un petit vocabulaire gothique et +tudesque, afin de se préparer à lire les _Eddas_ ou la Bible d’Ulfilas. + +L’élève Duveyrier consigne très fréquemment, dans ses notes, des +indications relatives à l’histoire naturelle. Il signale l’époque +d’éclosion et le nom des premières fleurs du printemps ; il enregistre +la rencontre de papillons ou d’autres insectes, nouveaux pour lui. Des +plantes recueillies pendant les promenades, il compose son herbier qu’il +accompagne d’indications variées ; quelques feuillets consacrés à la +faune et à la flore portent ce titre : _Commentarii in faunam floramque +pagi Lautrach locorumque circumjunctorum, Lautrach, MDCCCLV_. La +météorologie a sa part dans un Journal tenu de décembre 1854 à août +1855, et dans un calendrier météorologique précédé de remarques. + +Ces études-là signalent nettement la direction dans laquelle Henri +Duveyrier s’acheminait. Un passage des notes constate aussi que M. le +Préfet de l’École lui a confisqué ses livres de latin et d’astronomie, +afin qu’il s’occupe exclusivement de l’allemand. + +Il n’avait pas encore atteint alors l’âge de seize ans et, déjà, d’après +des indications autobiographiques rédigées dans l’âge mûr, il avait +conçu le projet d’explorer quelque partie inconnue du continent +africain. + +De même que les réflexions et les jugements font presque absolument +défaut dans ces cahiers d’un enfant de quinze ans, les menus faits de la +vie quotidienne du pensionnat n’y sont enregistrés que fort +laconiquement et sans artifice. Toutefois, on y sent comme le souffle +d’une nature sincère, juste et bonne, ferme, d’ailleurs, à maintenir son +droit. + +Charles Duveyrier persistant à diriger son fils dans une voie qui, sans +trop de préjudice pour la culture intellectuelle, le conduirait à +l’indépendance plus rapidement que la filière universitaire, le fait +alors entrer à l’École commerciale de Leipzig. Là, Henri Duveyrier voit +s’élargir le champ de ses travaux, de ses idées et sent, en même temps, +se préciser ses aspirations. + +Il ne paraît pas avoir tenu un journal de son séjour à l’École de +Leipzig, d’où il sortit avec d’excellentes notes, après y être resté de +la fin de 1855 au commencement de 1857. C’est pendant cette période que, +tout en suivant les cours de l’École, il prend des leçons d’arabe d’un +orientaliste éminent, le docteur Fleischer, avec lequel il entretint de +longues relations. + +Plein de déférence pour les intentions de son père, il ébaucha, rentré +en France, des études de langue chinoise, afin de se mettre en mesure +d’aborder un terrain commercial relativement neuf. Mais il ne tarda pas +à comprendre que, dominé par la suggestion des voyages ayant pour but la +science, il ne cheminerait qu’à contre-cœur dans un autre sens[5]. Il +s’en ouvrit donc résolument à son père, qui finit par céder. Charles +Duveyrier étant d’esprit entreprenant, enclin aux initiatives, cette +capitulation, dictée surtout par l’affection, ne dut lui causer ni trop +d’efforts, ni trop de regrets. Ancien disciple de Saint-Simon, il ne +répudia pas la devise saint-simonienne : « A chacun suivant sa +capacité ». — Or c’était, à coup sûr, une présomption de capacité de la +part de son fils que d’avoir, de propos raisonné, choisi la route à +prendre. Quant au reste de la doctrine, n’était-ce pas devenir aussi +producteur, servir l’intérêt général, que d’aller, au prix d’un +dangereux labeur, demander à des terres inconnues la révélation de +nouveaux groupes humains, l’élargissement du champ d’activité de notre +civilisation ?[6] + +Quoi qu’il en soit, H. Duveyrier échappa à la carrière commerciale. Sans +aucun doute, il eût été un commerçant éclairé, laborieux et probe ; mais +ces qualités ne sont pas, dit-on, rigoureusement nécessaires et +suffisantes pour mener à la fortune, commun point de concours des +commerçants. Elles doivent être renforcées d’ambitions d’un ordre +spécial qui ne sont pas données à tous, et dont H. Duveyrier n’était pas +doué. Peu désireux de briller, sans grand souci du bien-être matériel, +il n’était pas séduit par le luxe. Les efforts tendus à d’autres fins +que la recherche de la vérité sur les choses de la nature et l’étude de +sciences libérales lui semblaient un peu oiseux. + +Charles Duveyrier avait si largement adopté les projets formés par son +fils qu’il le mit de suite à même de commencer à en préparer la +réalisation. + +Tous les ouvrages nécessaires furent achetés, et le candidat explorateur +entreprit, dès ce moment, quelques études spéciales. + +Au début de 1857, dans l’intention d’éprouver ses forces et ses +aptitudes, il accomplissait un voyage en Algérie. + +Débarqué à Alger le 26 février, il débute par une excursion à +Kandouri[7], à une trentaine de kilomètres dans l’ouest d’Alger, non +loin du lac Halloula. Kandouri était la résidence du Docteur Warnier, +homme de grande valeur, qui devait, par la suite, exercer une influence +considérable sur la vie et les travaux de Henri Duveyrier. + +Le 8 mars, il partait pour une course plus longue : Djelfa et Laghouât, +d’où il revint, dans le milieu d’avril, par Bou Zid et Caïd Djelloul. + +Cette course, exécutée avec Oscar Mac-Carthy dont les connaissances +variées furent précieuses à son compagnon de route, a été relevée dans +un journal récemment imprimé[8] à l’intention de ceux qui avaient connu +et aimé Henri Duveyrier. Ils ont assisté, ainsi, à ses premiers pas déjà +très fermes, dans une carrière où il a conquis une juste célébrité. + +Sa relation est empreinte d’une sincérité, d’une naïveté qui sont +presque des mérites littéraires. Entre autres faits, elle mentionne la +joie qu’inspira au futur voyageur la rencontre, à Laghouât, d’un Targui +envoyé par Ikhenoukhen, et avec lequel il eut d’excellents rapports. + +De là, peut-être, une prédisposition qui détermina le voyage de Henri +Duveyrier chez les Touareg. + +Voici en quels termes le jeune voyageur rapporte sa dernière entrevue +avec le Targui fortuitement rencontré... « Mohammed-Ahmed promit que, +lorsqu’il serait de retour dans son pays, il m’enverrait un livre en +targui, et comme je voulais lui faire un cadeau capable de cimenter +notre amitié, je crus n’avoir rien de mieux à faire que de lui donner +mes pistolets et ma poire à poudre, ce que je fis immédiatement. Ce +cadeau de ma part le rendit tout confus, et il dit à M. le +Commandant[9] : « Ce jeune homme est si bon pour moi ; il m’a donné du +tabac, du sucre, des foulards ; il me donne maintenant des pistolets. Je +ne sais comment le lui rendre ; je vais faire chercher mon méhari et le +lui donner. » Nous eûmes beaucoup de peine à lui faire comprendre que je +ne voulais pas le priver de son chameau qui allait lui devenir +nécessaire pour retourner à R’hât, et que, du reste, je serais fort +embarrassé pour l’emmener dans mon pays ; que je le remerciais beaucoup +de son offre et que j’en étais aussi content que si le méhari était +devenu ma propriété. Il demanda alors à M. le Commandant s’il n’y avait +pas moyen de m’emmener avec lui dans son pays. On lui répondit, pour +l’éprouver, qu’il n’aurait pas assez soin de moi ; mais le Targui prit +cela au sérieux, et se mit à expliquer avec chaleur que, chez lui, +c’était un devoir de prendre soin de son ami et que, sous sa protection, +il ne m’arriverait aucun mal. Je lui dis alors qu’un jour peut-être, +j’irais le voir. « In ch’Allah ! s’il plaît à Dieu, répondit-il, et il +se retira satisfait.... » + +A la suite de son voyage d’essai, H. Duveyrier publia, dans le recueil +de la Société orientale de Berlin, une notice sur quatre tribus +berbères[10] : les Beni-Menasser, les Zaouaoua, les Mzabites, les +Touareg Azdjer. Il y résumait ce qu’il avait pu apprendre sur ces tribus +« pendant son rapide et court voyage dans nos possessions algériennes ». +Cette publication de début consiste surtout en un vocabulaire comparé +des idiomes des quatre tribus. On y sent un auteur bien documenté et +soigneux de l’exactitude. + +L’année même où il faisait, en quelque sorte, ses premières armes, fut +marquée par un incident qui exerça sur la suite de ses travaux une +influence marquée. + +Pendant un voyage à Londres, où habitait une branche de sa famille, il +eut la bonne fortune d’être mis en relation avec Henri Barth, alors +occupé à écrire la relation de ses voyages. + +Dans une belle notice nécrologique consacrée au voyageur allemand, H. +Duveyrier raconte l’accueil qu’il reçut de lui[11]... « M. le professeur +Fleischer, de Leipzig, orientaliste éminent près duquel j’avais appris +la langue arabe, et qui connaissait mes projets de voyages en Afrique, +m’avait adressé et recommandé au Dr Barth, alors à Londres. Je le vis +pour la première fois en 1857. + +« Il essaya d’abord de me dissuader d’entreprendre si jeune ces durs +labeurs ; mais n’ayant pu ébranler ma ferme résolution, il me prodigua, +avec une bienveillante sollicitude, les instructions et les conseils. A +peine mon arrivée dans le pays des Beni-Mzab lui était-elle connue, +qu’il s’empressa de m’écrire. Par ses lettres, pleines d’affectueux +conseils et de précieuses indications, il veillait de loin au succès de +mon entreprise, m’ouvrant des points de vue nouveaux, me signalant les +faits capitaux qui devaient appeler mon attention. Bientôt il m’envoyait +une lettre circulaire, écrite en arabe, et adressée à tous ses amis du +Sahara et du Soudan, pour me protéger en cas de besoin. En même temps, +il me transmettait une lettre spéciale pour le cheikh El-Bakkây ; je +parvins heureusement à la remettre à son neveu, dont les bons offices +m’ont été très utiles. J’étais Français, cependant, mais l’esprit étroit +de rivalité ne pouvait avoir accès près de ce grand cœur... » + +Plusieurs lettres à Henri Duveyrier ou à son sujet, attestent, en effet, +les sentiments d’estime et de sympathie de Henri Barth pour un émule +dont il avait pressenti le mérite et avec lequel d’ailleurs, il resta, +jusqu’à la fin de sa vie, en relations très affectueuses. + +Quand mourut le Dr Barth (25 novembre 1865), la famille de l’illustre +explorateur fit hommage d’une partie de ses papiers scientifiques à +Henri Duveyrier qui avait si bien retenu ses leçons et si +consciencieusement étudié son œuvre. + +De retour d’Angleterre, vers le milieu de 1857, Henri Duveyrier se mit, +avec ardeur, en mesure d’entreprendre un voyage de pénétration au cœur +du Sahara. Il étudia, la plume à la main, ce que la géographie savait +alors des contrées vers lesquelles il allait se diriger. A la vérité, +pour le lointain Sahara central, les seules sources d’informations +précises étaient, outre la relation de Caillié, les ouvrages dans +lesquels Richardson, Barth, Overweg et Vogel avaient consigné les +importants résultats des missions anglaises accomplies par eux de 1850 à +1853. + +Les itinéraires de ces missions partant de Tripoli pour se diriger vers +le lac Tchad, traversaient, par Mourzouk et Rhât, les immensités +sahariennes comprises entre la côte et le Soudan. Les papiers de Henri +Duveyrier renferment des feuillets dans lesquels il avait commencé à +décrire sommairement les pays qu’il se proposait d’explorer. + +Dans d’autres pages il indiquait les grandes étapes de sa marche, les +résultats principaux à atteindre aux points de vue politique, +scientifique, commercial ; il y énumérait, avec un soin qui révèle +beaucoup de réflexion, les travaux à exécuter, les recherches à faire, +les notes à prendre. On sent, en ces pages, l’homme qui entend être +autre chose qu’un touriste audacieux, dominé par la seule pensée +« d’être le premier à avoir vu ». + +La jeunesse de l’auteur se révèle, toutefois, dans l’ampleur du projet +primitif qui comprenait une reconnaissance du Touât et l’exploration du +pays alpestre des Touareg Hoggar. + +Il s’est aperçu, en face de la réalité, que l’imprévu n’abandonne jamais +ses droits et que les projets les mieux étudiés comportent de grands +mécomptes, quand il s’agit de pénétrer dans des contrées nouvelles, au +milieu de populations méfiantes ou hostiles. + +Tout en s’assimilant les données acquises par ses devanciers et, plus +spécialement, par le docteur H. Barth, il travaillait avec ardeur à +acquérir les notions si variées qu’exige une exploration scientifique +largement comprise. + +Il s’attacha, en particulier, à bien connaître les méthodes, comme le +maniement des instruments de détermination des latitudes, longitudes et +altitudes. + +Cette préparation, qui est délicate, qui exige beaucoup d’application, +de soin, de persévérance, est en quelque sorte, une pierre de touche de +la vocation d’un candidat à la carrière d’explorateur. Les observations +astronomiques en cours de route ajoutent, d’ailleurs, aux difficultés, +parfois même aux dangers du voyage. + +Henri Duveyrier eut la bonne fortune de rencontrer, comme professeurs, +tout d’abord Lambert-Bey, l’un des ingénieurs que Méhémet-Ali avait +envoyés en avant-garde dans sa marche vers le Haut Nil ; puis un +astronome hors de pair, Yvon Villarceau ; enfin, M. Renou, membre de la +commission scientifique de l’Algérie, constituée en 1837. Il avait +commencé ses travaux scientifiques au milieu des combats livrés par les +colonnes expéditionnaires chargées d’établir l’autorité de la France +dans ce qui était alors le Sud-Algérien. + +M. Renou initia aussi H. Duveyrier aux observations météorologiques[12] +sans lesquelles il n’est pas d’exploration complète ; le professeur, +ici, se doubla d’un ami dont les lettres, pleines d’excellentes +instructions, attestent aussi la plus affectueuse sollicitude pour son +élève. + +En histoire naturelle et en géologie, c’est au Muséum qu’il demanda le +complément de l’instruction acquise dès sa jeunesse. + +Le savant naturaliste A. Duméril lui apprit l’art de préparer les +mammifères et les oiseaux pour les envoyer en Europe. + +M. Hérincq, auteur de travaux estimés, qui fut l’un des derniers à +porter le titre de « garde des Galeries de botanique au Muséum », se +chargea de l’initier aux soins faute desquels la formation d’un herbier +est à peu près peine perdue. + +Pour la géologie et la minéralogie, Henri Duveyrier eut les +renseignements de M. Hugard, alors aide-naturaliste au Muséum sous la +direction de l’éminent Dufrenoy. + +On a vu précédemment que l’élève de l’école de Lautrach s’intéressait +aux questions de linguistique et d’ethnographie ; aussi, ne manqua-t-il +pas demander à Léon Renier, à Ernest Renan, à son ancien professeur +Fleischer les directions nécessaires pour accomplir convenablement cette +partie de sa tâche. + +La recherche, la copie, l’estampage des inscriptions lui furent tout +spécialement recommandés, et nous savons qu’il a fait, dans cet ordre +d’idées, des découvertes enregistrées par l’épigraphie et l’histoire. + +H. Duveyrier savait trop combien il lui importait d’être bien compris +des peuples au milieu desquels il devait vivre, surtout de les bien +comprendre, pour ne pas chercher à se perfectionner dans la langue arabe +qu’il avait apprise à Leipzig. Il le fit sous la direction du Dr Perron, +de Reinaud, de Caussin de Perceval. + +Ses facultés en pleine sève de jeunesse, stimulées par la perspective du +voyage prochain, soutenues dans leur effort par une intense application +au travail et une méthode excellente, furent, pendant plus d’une année, +tendues sur l’accomplissement du programme d’études que H. Duveyrier +s’était fixé à lui-même. Il l’a exposé dans un texte qui dénote la +notion claire de tout ce qu’exige une exploration en pays nouveau. +L’influence des conseils du docteur Barth ne fut probablement pas tout à +fait étrangère à l’ampleur de ce programme. + +On y discerne aussi une pensée de haute solidarité, une inspiration à +servir les intérêts communs ; il y a là un reflet des théories du saint- +simonisme. + +En résumé, dans un ardent désir de réussite, H. Duveyrier s’était mis +promptement à même de recueillir avec discernement des données sur +l’histoire, la géographie physique et économique, l’ethnographie, la +linguistique des contrées, en grande partie inexplorées, où il allait +s’avancer. Sans doute, une initiation si rapide ne pouvait être ni +développée ni profonde. H. Duveyrier qui s’en rendait compte, fit de +constants efforts pour la compléter. M. Renou l’y encourageait en lui +écrivant d’amicales remontrances sur sa façon d’observer, soit en +astronomie, soit en météorologie. + +Il est superflu d’ajouter que les préparatifs matériels furent à la +hauteur de la préparation scientifique du voyage. On possède la liste +des instruments d’observation et des objets variés qui devaient +contribuer au succès de l’entreprise. + +H. Duveyrier n’ignorait pas les risques au-devant desquels il marchait. +— « Je sais très bien, écrivait-il dans l’un de ses carnets de notes, +que le voyage que je vais entreprendre n’est pas sans dangers, mais je +me sens plein de confiance en mes propres forces, et j’espère qu’avec +beaucoup de prudence et de patience, et toute mon énergie, je +parviendrai à les éviter, et que je mènerai ainsi mon expédition à bonne +fin. L’événement prouvera si je me suis trompé. » + +H. Duveyrier avait décidé de voyager ouvertement comme chrétien, au lieu +d’adopter ou de feindre l’Islamisme qui lui aurait été une sorte de +sauvegarde. Par respect pour lui-même et pour la croyance des autres, il +lui eût répugné de se livrer aux manifestations d’une foi factice. Sa +répulsion pour les voies tortueuses s’était doublée d’une confiance +juvénile, robuste, dans le prestige de l’honnêteté et la puissance de la +droiture. Ce furent là les éléments essentiels de sa résolution. Peut- +être aussi, en y réfléchissant, fut-il amené à conclure qu’un vernis de +religion musulmane pourrait ne pas suffire à protéger le voyageur +_roumi_ contre l’animadversion des Sahariens. En pareil cas, tout serait +perdu, même l’honneur. + +Quelque garantie qu’il vît dans l’honnêteté de ses intentions, Duveyrier +se prémunit contre le danger auquel l’exposait sa qualité de chrétien. +Recherchant les passages où le Coran prêche la tolérance envers les +autres religions et le respect pour les hôtes, il se mit en mesure de +discuter, de combattre les arguments qui seraient invoqués contre lui. + +Il lui restait les risques auxquels pouvait l’exposer, en sa qualité de +Français, quelque expédition militaire dans l’extrême-sud, coïncidant +avec son voyage. + +S’il s’interdisait de partager la foi des Arabes, il revêtit leur +costume, autant par hygiène que pour s’identifier, s’assimiler le plus +possible aux hommes dont il devait partager la vie, et auprès desquels +il entendait se montrer juste avant tout. Sur ce dernier point, il était +d’accord avec le Dr Barth qui lui écrivait, vers le milieu de 1859 : +«... la meilleure arme pour le voyageur chrétien, dans ce pays, consiste +en une probité impeccable vis-à-vis des indigènes... ». + +Voilà de nobles principes, et dignes de respect, mais trop élevés peut- +être pour émouvoir des gens à moitié barbares, habitués, par tradition, +à ne subir d’autre ascendant que celui de la force. La justice et la +probité ne sont, du reste, pas inconciliables avec la fermeté, la +sévérité auxquelles le voyageur le plus endurant est, parfois, obligé de +faire appel. + +Comme nom de voyage, il adopta celui de Sid-Saad-ben-Doufiry ; le nom de +Saad se traduit par notre nom de Félix, et ben-Doufiry signifie fils de +Duveyrier, ce dernier nom étant accommodé à la prononciation arabe. + + Charles MAUNOIR. + + +[Note 4 : _Lettre à la Princesse_ (1873), p. 245.] + +[Note 5 : Évidemment, ce n’était pas par un fugitif mouvement +d’enthousiasme juvénile que H. Duveyrier avait conçu le dessein +d’explorer l’Afrique. Dans l’introduction au Journal de son voyage chez +les Touareg, il écrivait, le 23 juin 1859 : « Depuis l’âge où les idées +commencent à prendre une tournure raisonnable, un attrait invincible m’a +attiré vers le continent africain... »] + +[Note 6 : Cette hypothèse au sujet des idées de Ch. Duveyrier trouve +confirmation dans une lettre qu’Arlès-Dufour, le grand financier saint- +simonien, écrivait à Henri Duveyrier et dont Charles Duveyrier avait, +lui-même, pris copie. On y lit le passage suivant : « Si, décidément, +tes aptitudes ne se plient aux études commerciales que par violence et +avec répugnance, il serait irréligieux à ton père et à moi d’abuser de +ton obéissance pour te les faire poursuivre, et il faudrait y renoncer +franchement pour te vouer sans réserve aux études auxquelles te poussent +évidemment ta vocation, c’est-à-dire ta nature. Dieu est très avare de +ces vocations évidentes qui ne permettent aucun doute, et c’est un +devoir sacré de les respecter, de les favoriser même, quand on le peut. +Si tu savais, mon enfant, combien d’existences manquées et malheureuses, +combien de forces perdues pour la société, par suite de vocations +méconnues et faussées !... »] + +[Note 7 : ... « Quand vous viendrez ici, je vous conduirai à Kandouri, +un Versailles sauvage, un Versailles du bon Dieu, un vrai paradis +terrestre. Là, vous verrez ce qu’était le monde quand il est sorti des +mains du Créateur. Vous vous y trouverez au milieu d’Arabes qui vous +traduiront la Bible en fait, beaucoup mieux que votre père et ses +collègues de la Société des artistes dramatiques n’ont traduit, au +théâtre, notre société moderne. » + +(Lettre du Dr Warnier à Henri Duveyrier, Alger, le 11 juillet 1855.)] + +[Note 8 : _Journal d’un voyage dans la province d’Alger_, par Henri +Duveyrier. Paris, Challamel. + +Cet ouvrage n’est pas dans le commerce.] + +[Note 9 : Le commandant Margueritte, devenu le général Margueritte, tué +à Sedan.] + +[Note 10 : Notizen über vier berberische Völkerschaften, während einer +Reise in Algerien nach Hallûla-See und nach Laguât in Februar, Marz und +April 1857, gesammelt von H. Duveyrier. — _Zeitschrift der deutschen +morgenländischen Gesellschaft_, t. XII, 1858, p. 176-186.] + +[Note 11 : Henri Barth, ses voyages en Afrique et en Asie. _Revue +contemporaine_, 1866, 4e livraison, 28 février.] + +[Note 12 : Nous avons une preuve du soin apporté par H. Duveyrier à sa +préparation, dans le fait qu’en 1858, du 6 au 12 novembre, il avait +fait, à la fenêtre de l’appartement que son père occupait, rue de +Grenelle, no 123, une série d’observations météorologiques dans le but +de régler la marche d’un baromètre anéroïde.] + + + + + JOURNAL DE ROUTE + + + PREMIÈRE PARTIE + + * * * * * + + CHAPITRE PREMIER + + DE BISKRA A L’OUED-RIGH ET AU SOUF + + + Biskra, 13 janvier 1860. + +J’ai fait aujourd’hui une liste des peuplades _nègres_ qui sont +représentées dans la petite colonie de Biskra. Voici la liste de ces +tribus ; je crois que, plus tard, elle devra être complétée. J’ai mis un +astérisque devant les noms de peuplades dont nous ne connaissons la +langue d’aucune manière : 1. Bornou. — 2. Haoussa. — 3. Bagirmi. — 4. +Felata. — 5. Mboum[13]. — 6. Mandara. — 7. Koenna[14]. — 8. * Kanembou. +— 9. Teda. — 10. Timbouktou (Zonghay). — 11. Mbāna. — 12. Ouaday. — 13. +* Manga[15]. — 14. * Doura. — 15. Katsena. — 16. Bambara. — 17. Logonē. +— 18. Derge. — 19. Affadē. — 20. Ngāla. — 21. Kouri. — 22. Maggari[16]. +— 23. Margi. — 24. Kerrekerre. — 25. Ngouzzoum[17]. — 26. Hadamoua[18]. + +Ces nègres ont formé un petit village de huttes en branches de palmiers, +situé à l’origine des plantations, près du nouveau Biskra, dont il forme +un petit faubourg. Les femmes portent des costumes de leur pays, tandis +que les hommes ont choisi, dans les costumes de tous les peuples avec +lesquels ils sont en relations, tous les oripeaux et les guenilles de +couleurs voyantes qu’ils ont pu se procurer. + +Je me promène dans l’oued Biskra ; dans les terres d’alluvions qui +renferment son lit, on trouve les coquilles d’une espèce de gastéropode +assez curieuse par ses formes qui rappellent celles des coquilles +marines. La bouche est formée par une échancrure, la forme générale est +entre celle de la limnea et celle de l’oliva, le test est assez dur ; +les bords de l’ouverture sont tranchants ; la couleur de la coquille est +d’un noir olivâtre, mais passe par toutes les couleurs jusqu’au blanc, +selon qu’elle est plus ou moins ancienne dans la couche d’alluvions. Ce +mollusque vit actuellement dans certains ruisseaux de l’oued +Biskra[19] ; on le trouve en masses considérables. — L’eau dans laquelle +il vit ressemble, comme goût, à celle que l’on boit en ville, c’est-à- +dire qu’elle est légèrement saumâtre. — Un mollusque herbivore se trouve +ici en grand nombre sur les tiges de cannes, roseaux qui croissent dans +l’eau. + +Je prends ici l’occasion de faire remarquer que les eaux des ruisseaux +en question renferment un second gastéropode, qui est turriculé et à +tours de spire ornés de côtes. Ce mollusque vit dans la vase, où l’on a +de la peine à le distinguer à cause de sa couleur cendrée. — Je crois +qu’il est identique à celui des eaux artésiennes de l’oued Righ[20]. Ce +dernier vit dans les _saquias_ des jardins de Tougourt, dans une espèce +de plante fluviatile (acotylédone, je crois) qui forme une mousse +verdâtre. J’en ai dans le flacon à alcool no 2. + + Biskra, 14 janvier. + +J’emploie ma matinée à prendre l’heure exacte à une minute près, pour M. +le colonel Séroka ; je fais, par la même occasion, le calcul du lever du +soleil pour cette année à Biskra ; je trouve qu’il faut retrancher 42 +minutes du temps du lever à Paris. — L’horloge avançait de 38 minutes ! +Les cadrans solaires ont, je crois, une erreur de quelques minutes, 7 +minutes environ. + +Dans l’après-midi, je vais avec ces Messieurs du télégraphe et M. +Colombo pour lever le plan du petit hameau de El’Aliya dont on voit les +hauts palmiers tout près de Biskra. — C’était pour montrer à ces +Messieurs comment il fallait opérer. + +El’Aliya touche d’un côté à l’oued dont les berges à pic s’éboulent à +chaque crue ; nous aperçûmes là des restes de fondations romaines et de +vastes tubes de terre cuite superposés, le tout enchâssé dans les +berges, et mis à nu par les eaux. Nous hésitons encore à déterminer quel +était l’usage de ces constructions. + +Près de là est un cimetière, que l’eau ronge aussi, laissant voir des +squelettes à moitié découverts. Je prendrai là quelques crânes pour ma +collection. + +Dans le milieu de l’oued, près d’El’Aliya, est une construction carrée, +évidemment romaine, remarquable en ce qu’elle n’a ni portes ni autres +ouvertures. Actuellement elle est remplie de terre jusqu’au sommet. Les +murs sont bien conservés, si ce n’est pour une ou deux petites brèches +rondes qu’y fit Salah Raïs avec son artillerie. Il croyait, comme les +Arabes aujourd’hui, que cette construction renferme un trésor. + +Un peu plus loin encore se trouve la coubba de Sidi-Zurzour qui fut +bâtie sur une construction analogue à celle dont je viens de parler. + +Le cours de l’oued dans toute sa longueur, à part quelques bandes de +terre végétale alluviale dont j’ai parlé plus haut, est couvert de +galets et de pierres roulées, quelquefois énormes ; la plupart sont de +grès, d’autres de calcaire compact. + + Biskra, 15 janvier. + +Aujourd’hui j’ai fait avec M. Colombo une promenade à pied à la source +thermale de Hammâm Salahîn. La direction est vers le nord, appuyant un +peu à l’ouest, je crois, et à 6 kilomètres du fort Saint-Germain ; +cependant je ne serais pas étonné que la distance fût un peu plus +grande. Les bains sont entourés d’une construction, avec des chambres +pour la commodité des baigneurs. Les eaux sont salées et ont, de plus, +une forte odeur d’hydrogène sulfuré. La température de l’eau au bord du +bassin, là où elle s’en échappe, était de : + + 44°,8 thermomètre 186 de Baudin. + + 44°,7 — 207 — + +Au milieu, à l’endroit où elle jaillit en bouillonnant, la température +prise par M. Colombo était de : + + 45°,1 thermomètre 207 de Baudin[21]. + +M. Colombo entra dans le bain, mais, pour moi, je me contentai d’y +mettre les pieds, qui me firent mal au bout de quelque temps. + +La raison de cette excursion était mon désir de me procurer des poissons +vivant dans la _saguia_ qui sort de la source, et qui conserve encore +assez longtemps sa température élevée et plus encore les sels dont elle +est saturée. Ces poissons, dont je réussis à me procurer quelques +exemplaires, ressemblent beaucoup à ceux des eaux artésiennes de l’oued +Righ[22] ; ils vivent dans une eau qui peut avoir 30°. — Dans la même +saguia croît une plante acotylédone خز[23], à feuilles filiformes très +ténues, la même, je crois, qui est si commune dans les _saguiet_ de +Tougourt, et qui sert de nourriture aux coquillages turriculés et aux +glyphisodons ou perches à dents fendues. J’en ai pris un échantillon, et +un Arabe qui était là m’a dit que cette plante servait de remède pour +les maux d’yeux. Sont-ce les sels dont elle doit être imprégnée qui lui +donnent cette vertu ? Je suis très porté à le croire. Autour de la +source thermale, on voit de nombreux tufs calcaires, presque entièrement +composés de débris végétaux. D’autres pierres s’y trouvent aussi ; j’en +ai recueilli. On trouve près de là un petit lac de forme circulaire, que +j’ai visité à mon premier passage ici. L’eau en est remarquablement +froide[24], et la profondeur m’en a été donnée (16 mètres) par M. +Colombo qui l’a mesurée. + +Voici la liste des plantes dont je me rappelle le nom et que nous avons +rencontrées en revenant de la source : _Bageul_, _remeth_, +_kelkha_,_methennân_, _rhardeg_, _sedra_, _gandoul_ (bou choucha)[25]. + + Biskra, 16-17 janvier. + +Visite au colonel Séroka. — Il me prête des calques superbes de cartes +sur le Sahara ; j’en copie un aujourd’hui même. + +Je remarque un fait important pour mes observations. Mon baromètre no +892 est dérangé. Mais il ne l’est que depuis mon départ pour +Constantine, car à cette époque je réglai mon anéroïde qui, maintenant, +suit à peu près la marche du Gay-Lussac de M. Colombo. + + Biskra, 18-19 janvier. + +M. Colombo dont j’ai déjà parlé est un ancien sous-officier. Il dirige +l’école arabe française de Biskra. C’est une école où les jeunes Arabes +peuvent apprendre le français et les éléments de nos sciences. Cette +école est assez bien suivie, et j’ai pu me rendre compte des progrès +intéressants qu’ont faits les élèves de M. Colombo. Leur maître est +assez versé dans la connaissance de l’arabe, et il se perfectionne +chaque jour dans la science par une étude diligente[26]. Son traitement +est de 1.800 fr. par an ; il a un aide, Arabe de Constantine, élève de +M. Cherbonneau, et qui, je crois, perçoit, un traitement de 100 fr. par +an. + +Le colonel Séroka me dit que l’on avait commencé un forage à ’Ain +Baghdad, et qu’il fut interrompu lors de la guerre d’Italie. + + 1er février 1860. + +Je quittai aujourd’hui Biskra ; MM. Manaud, Colombo et Falques vinrent +me dire adieu avant mon départ. J’avais dit adieu au colonel hier au +soir. + +Je suivis sur ma jument la marche lente des chameaux jusqu’à ce qu’étant +enfin arrivés en vue des broussailles de tamarix que l’on a cru pouvoir +nommer « forêt » de Saada, je fis partir ma monture au trot et j’arrivai +au bordj de Taïr Rassou. + +Le kaïd Si Khaled était absent, mais il revint bientôt ; il avait été en +cherche de sangliers et rentrait sans en avoir vu un seul. — Ce fut +peut-être là la raison de son accueil froid ; car il ne me fit servir +qu’une _berboucha_ qu’à la vérité il partagea avec moi. — Je n’avais du +reste que quelques moments à lui consacrer, et je repartis de suite pour +arriver à Chegga avant la nuit. + +La route de Tougourt sur laquelle je marchais est assez bien tracée, +surtout depuis que des voitures y sont allées. Aussi n’avais-je guère +crainte de me perdre. + +J’arrivai à Chegga après le coucher du soleil. J’y trouvai, outre M. +Lehaut, des officiers du bataillon avec qui j’avais fait connaissance à +Tougourt. + +Les chameaux arrivèrent pendant la nuit. + +Je dois noter que sur la route, un peu après la rivière, j’ai rencontré +cinq ou six petits monuments en forme de pyramides et une tombe, le tout +rassemblé sur un espace de quelques mètres carrés ; c’est un monument +élevé par les Oulad Moulet, pour éterniser le souvenir d’une défaite que +leur a infligée en cet endroit le chérif. + + 2 février. + +Je ne suis pas parti de bon matin. J’ai été voir, avec M. Lehaut[27], le +quatrième puits qu’il est en train de finir, espérons-le. + +Parti encore aujourd’hui en avant du bagage, j’arrivai d’assez bonne +heure à Oumm-et-Tiour. + +Oumm-et-Tiour est un petit village arabe, créé par les Français[28]. Il +compte aujourd’hui 28 maisons habitées et une mosquée remarquable à +cause de son beau minaret. On y compte plusieurs centaines de palmiers +âgés de deux à trois ans, qui vont donc porter leurs fruits l’année +prochaine. — Je crois que la plupart des habitants sont des Selmia. + +Chegga, au contraire, qui doit aussi son existence aux puits artésiens +de M. Lehaut, ne compte encore qu’une quinzaine de maisons au plus, en +comptant celles qu’occupent les forges, les employés, etc... Chegga n’a +pas de palmiers, et c’est la première année qu’on y ensemence. + + 3 février. + +Aujourd’hui je me rendis à Merhaier, la première oasis de l’Oued-Righ, +en venant du nord. + +Le cheikh étant absent, je me vis sur le point de manquer de guides pour +traverser le pays désert qui sépare ce point de l’Oued-Souf. Cependant, +heureusement pour moi, le cheikh arriva dans la soirée, et, après avoir +lu la lettre du colonel Séroka, il me dit que le lendemain je pourrais +partir à l’heure qui me conviendrait, avec cinq hommes à pied comme +escorte et un guide à cheval. + +Les plantations de palmiers de Merhaier, arrosées par des sources +artésiennes, sont, du moins dans cette saison, très pauvres en produits +de potager. Les arbres fruitiers y sont même fort rares ; c’est à peine +si on y voit un figuier et un pêcher égarés. + +Les eaux des fossés abondent en grenouilles. + +Les Rouâgha dont la race commence ici, sont remarquables par leur +physique et surtout par leur teint, qui approche beaucoup du type nègre. +Certains d’entre eux sont même plus noirs que les gens du nord du +Haoussa (Madja, etc.). Les femmes se vêtissent de bleu. Elles ne mettent +rien d’autre sur leur tête que leur vêtement ou haïk, absolument comme +on peint la madone. — Mais combien peu d’entre elles pourraient laisser +un doute à ce sujet et jouter de grâce et d’élégance de formes avec les +portraits de Raphaël ! Les femmes me paraissent jouir de la liberté à +laquelle elles ont droit. + + 4 février. + +Après avoir écrit quelques lettres et rassemblé mon monde, je me mis en +marche pour l’Oued-Souf. + +Nous primes d’abord la direction de l’Oued-el-Khorouf, qui n’a d’autre +importance que celle d’un canal de décharge des eaux de l’oued Righ dans +le chott Melghigh. Nous nous arrêtâmes à ’Ain ed ’Daouira, petit bassin +circulaire occupé par des roseaux et autres plantes aquatiques. C’est +probablement un « puits mort ». Nous fîmes là notre provision d’eau +douce (?) et coupâmes l’Oued-el-Khorouf. + +Nous nous rapprochâmes alors du chott, dont nous avions gardé la nappe +brillante sur notre gauche, avec les petites oasis de palmiers de +Choucha, Dindouga et de Wousli, cette dernière isolée au milieu des eaux +du chott. + +Nous continuâmes à travers un pays, qui tantôt apparaissait sous +l’aspect du chott avec son terrain meuble, composé de sable quartzeux +mélangé de sel et d’argiles, tantôt nous obligeait à traverser des +lignes de franches dunes de sables. + +Enfin nous nous arrêtons dans le Sif bou Delal. + + 5 février. + +La direction générale de la crête des dunes du Sif bou Delal est de 147° +magnétique ; c’est-à-dire qu’elles ont été formées sous l’influence d’un +vent du nord-ouest ou à peu près. + +Ma caravane se compose de quatre Rouaghas commandés par un Arabe, tous à +pied et armés de leur long fusil. Ils portent eux-mêmes leurs vivres, +composés de farine et de dattes, avec une petite provision d’eau. Le +guide, un « monsieur » boiteux, est en revanche monté sur un cheval +qu’il ne peut gouverner, et qui adresse de temps en temps des +compliments à ma jument. Mes deux Souafas ne quittent ni leurs fusils ni +leurs chameaux, et lorsque leurs animaux veulent descendre la pente des +dunes, ils se suspendent à leur queue pour faire le contrepoids des +bagages. + +Aujourd’hui nous atteignîmes, vers midi, les dunes de Gasbiya, du moins +nous nous en arrêtâmes à 1 kilomètre, car je jugeai inutile de les +gravir, l’_ógla_[29] qui existait autrefois au nord des dunes étant +sèche depuis deux ans. Je pris des visées de boussole sur les dunes de +Gasbiya et sur les sables de Retmaya, lesquels ne présentent pas de +sommets. + +Nous continuâmes ensuite notre route en prenant une nouvelle direction, +parce que la visite à Gasbiya nous avait obligés à nous détourner de la +route du Souf pour appuyer au nord. + +Je ne fais pas une description plus longue de notre route d’aujourd’hui +dont les détails se trouveront dans l’itinéraire. Je me borne à dire que +nous n’eûmes d’autre aventure que de rencontrer les traces de pas de +deux hommes, ô miracle ! dans cette solitude. — En revanche, les +empreintes de pas de gazelles, de lièvres, de gerboises et de +_djird_[30] étaient moins rares. + +Presque toute la route dans les sables. + + 6 février. + +Nous avons voyagé toute la journée dans une région de dunes désertes. Ce +fut un travail pénible pour les bêtes et pour les hommes. + +Ces dunes ne sont pas très hautes et affectent une forme allongée comme +les vagues de la mer. Elles doivent évidemment leur existence à la +prédominance des vents du nord-ouest ; ce qui viendrait confirmer +l’opinion de ceux qui veulent que les vents alizés règnent dans ces +parages[31]. — Les dunes se trouvent distribuées par zones assez larges, +séparées entre elles par des espaces relativement unis qui prennent le +nom d’oueds. + +La végétation de cette région est composée principalement d’àlenda et de +drin. L’_arta_, le _dhomrân_, le _harmel_, etc., s’y trouvent aussi, +mais en bien moins grand nombre. + +Le vent soufflait avec violence, enlevant le sable et ajoutant un fort +désagrément à celui du voyage dans un pays aussi désert, aussi monotone. + +Après avoir traversé une zone de dunes appelée le Medheheb-el-Charguia, +par opposition au Medheheb-el-Garbiya que nous laissions à droite, nous +arrivâmes dans les dunes de Messelmi, qu’il nous fallut gravir et +descendre pendant quelque temps jusqu’à ce que nous arrivâmes aux puits +du même nom. — Ils sont tous comblés ; les Arabes me disent dans leur +langage expressif : « Le vent les a ensevelis ». + +Quoique déjà bien épuisés, nous continuâmes notre route avec énergie, +et, après avoir traversé un « oued », nous atteignîmes les premières +dunes de Medjigger. Ces dunes, quoique de la même nature que les +précédentes, sont néanmoins plus élevées. + +Nous arrivâmes enfin aux puits, peu de temps avant le coucher du soleil. +Les puits de Medjigger sont entourés de maçonnerie. + +J’écrivis ce soir trois lettres, entre autres au colonel Séroka et à mon +père ; je fis quelques observations, mais lorsque je voulus observer le +passage de Jupiter au méridien, je m’aperçus que je m’y étais pris trop +tard, l’astre commençait à baisser. + +J’attends jusqu’à passé minuit pour observer la lune. + + 7 février. + +Notre journée nous mena à travers une région couverte de zones de +petites dunes allongées, séparées par des surfaces sablonneuses assez +unies. La végétation resta à peu près la même que les jours précédents, +si ce n’est que les àlenda devinrent plus communs. — Ce pays est semé de +puits ou plutôt de noms de puits, d’endroits où il y avait autrefois des +puits, lesquels ont été comblés par le vent. + +Le plus remarquable de ces puits, celui qui est le plus connu, est celui +de Moui-Tounsi, comblé depuis l’année où le chérif vint par ici. + +En sortant des dunes Moui-Tounsi, on entre dans Areg-el-Miyet, sables +dont le nom est dû à l’absence de végétation qui les caractérise. +Ensuite on arrive sur les plantations de palmiers de Rhamra. + +Rhamra était autrefois un village ; aujourd’hui on n’en voit plus que +les ruines, et les propriétaires des palmiers n’y viennent qu’à l’époque +de la récolte des dattes. + +Les plantations de l’Oued-Souf ont un caractère à part. Je vais parler +de celles de Guemâr ; si celles d’El-Oued en diffèrent, je les décrirai +ensuite. — Les palmiers de Guemâr sont disséminés par petits bouquets +dans les interstices des dunes. Ils ne m’ont pas semblé plantés dans une +dépression artificielle. De nombreux puits à bascules (en arabe +Khattâra) sont élevés dans le voisinage des palmiers pour en faciliter +l’arrosage. En été, on les arrose deux fois par jour, matin et soir ; en +hiver, je crois qu’on ne le fait qu’une seule fois. A 2 heures de la +nuit environ, les travailleurs quittent Guemâr à grand bruit et vont aux +palmiers travailler à ôter les sables d’autour des troncs, car le sable +empiète sans cesse sur les plantations. Ils choisissent pour cela la +nuit, même en hiver, afin d’éviter la chaleur du jour. Malgré ces soins, +les sables enterrent beaucoup de palmiers dont on voit les troncs +dénudés et morts. + +En approchant de la ville, nous entrâmes dans une plaine unie sans +sable, un _sahen_ ; les puits devinrent beaucoup plus fréquents ; nous +avions, à la droite, de petits jardins carrés entourés d’une haie de +branches de palmiers et possédant presque tous un puits à bascule, et +souvent encore une petite cabane aussi en branches et troncs de +palmiers. On y voyait surtout des cultures de tabac. + +Enfin nous arrivâmes à Guemâr. + +Je dois parler d’un petit incident amusant qui nous arriva avant que +nous fussions arrivés à Moui-Tounsi. — Mes guides souafa avaient +découvert des traces de pas et se montraient inquiets ; enfin ’Oina, qui +me précédait, se retourna vers moi et me dit d’une voix trop émue : +« Regarde, voilà du monde là-bas vers le sud. » J’eus beau écarquiller +mes yeux, je ne pus rien apercevoir. Mon homme prit son fusil et se mit +à délier la bande d’étoffe qui entourait la batterie. Je le priai de se +tenir tranquille et de ne pas faire de préparatifs guerriers tant qu’il +n’aurait pas vu autre chose qu’un chameau, car c’était là ce qu’il +appelait « du monde ». + +Nous finîmes par arriver sur deux chamelles, agenouillées derrière un +buisson, et nous pûmes voir leur maître, effrayé, s’enfuir à toutes +jambes. Nous le rappelâmes en lui faisant des signes de paix. Il revint. +C’était un vieillard toroud, à belle barbe et belles moustaches +blanches. Il gardait les troupeaux de moutons et de chèvres et les deux +chamelles que nous avions découvertes. Ce brave homme n’avait qu’une +_gandoura_ un peu courte pour tout vêtement ; il s’approcha à genoux de +mes Souafa (pour ne pas se découvrir), fuma une pipe avec eux, et, après +avoir échangé les nouvelles, nous reprîmes notre course vers Guemâr. + +Je reviens donc à notre arrivée dans cette ville. + +Je fus reçu avec un zèle prodigieux de la part des quatre cheikhs, qui +remplacent les huit membres de l’ancienne Djemâa. On me gêna même par la +persistance que l’on mit à me nourrir, à me tenir compagnie, etc., par +les protestations nombreuses qu’on me fit. — La visite du Qadhi me fut +bien agréable. C’est un homme instruit et civilisé, qui me donna de bons +renseignements historiques, et me promit de me faire une copie d’un +livre du cheikh el ’Adouâni, qu’il m’enverra à Biskra. + +Je fus logé dans la maison du cheikh Abd-el-Kader qui est un gros vieux +bonhomme de soixante-dix ans, à voix de stentor. — Il veut à toute force +être mon ami. + +Guemâr est une ville de 4.000 habitants environ. Les maisons sont +presque à hauteur d’homme, et de maigre apparence. Cependant elles +doivent être solides, étant bâties de pierres[32] et de chaux. Les +toits, surmontés de petits dômes, sont d’un effet original. Les murs des +maisons ne sont pas crépis ni égalisés, mais le tout paraît blanc. Il y +a très peu de maisons réunies. La ville possède un petit marché, +quelques boutiques et plusieurs mosquées, y compris une zaouia qui est +le plus beau monument de Guemâr. + +Les habitants de Guemâr sont une race paisible et laborieuse, je crois. +Ils se couvrent la tête d’un haïk simple ou d’un petit turban blanc. Les +cordes en poil de chameau ne sont pas ordinaires. Les femmes ont un type +à part qui n’est ni celui des Arabes nomades, ni celui des femmes de +l’Oued-Righ. — Les hommes m’ont paru avoir des physionomies rappelant +celles des Béni-Mezab, et cela s’explique par les données historiques +que je présenterai. + +Les tribus de Guemâr sont : les Ouled-Bou’Afi, les Ouled-Abd-el-Kader, +les Ouled-Abd-es-Sadiq avec la petite tribu des Ouled-Mousa, leurs +frères, les Ouled-Hôwimen. Ces quatre tribus ont chacune leur chef. + +La tradition rapporte que l’Oued-Souf était autrefois un véritable oued, +dans un pays sans sables, que les premières plantations de palmiers +étaient aussi dans ce pays avant que les dunes ne s’y fussent formées. — +Les dunes arrivèrent ensuite, poussées par les vents de l’est qui +dominent ; on peut voir maintenant où elles sont parvenues. + +Cette tradition confirmerait l’hypothèse de l’extension du Palus +Tritonis. Les sables formaient le fond de la mer et, à mesure qu’elle +recula, ils furent soumis à la force du vent[33]. + +Les Ouled-Hamid sont les premiers Arabes qui s’établirent dans l’Oued- +Souf ; c’étaient des Qoreich ; ils quittèrent la Syrie au temps de +Sidna’Otman ben ’Affan. + +Les Arabes aujourd’hui nommés Toroud[34] vinrent du Caire où ils +s’étaient révoltés ; ils allèrent jusqu’à Jiriga dans le Djérid, mais le +souverain de Tunis les expulsa à cause des troubles qu’ils +occasionnaient. — Ils prirent le nom de Toroud sur la route du Souf où +ils rencontrèrent un vieillard de ce nom, qui consentit à devenir leur +chef à cette condition. Ils eurent de longs combats à livrer aux ’Adouan +pour s’établir dans le Souf où ils vécurent ensuite tous ensemble. + +La population première du Souf était des Abadiâ[35]. Les Zenata y eurent +une ville, c’est ’Amich. + +Les habitants de Guemâr suivent la secte du marabout de Tolga, dans les +Zibân ; quelques-uns sont Tedjinis. + + 8 février. + +Aujourd’hui, je pris un plan grossier de la ville. En partant de Guemâr, +nous arrivâmes bientôt devant Tarhzout, qui est bien plus petite. On +voulut m’y retenir pour la nuit. Ensuite nous arrivâmes à Kouinin où les +mêmes offres me furent faites. Kouinin est peut-être aussi grande que +Tarhzout ou un peu plus. + +Entre Guemâr et El-Oued, on a toujours sur la gauche des bouquets de +palmiers disséminés dans les intervalles des dunes. A droite, des puits +en assez grand nombre et quelques carrés de culture. + +Entre Kouinin et El-Oued je rencontrai le khalifa qui était venu au- +devant de moi avec trois cavaliers ; je montai sur un de ses chevaux, un +peu fringant, et nous atteignîmes bientôt El-Oued. + +Le khalifa malheureusement a des appréhensions pour la sécurité des +routes du Djérid. + + 9-10 février. + +El-Oued est une ville d’environ 6.000 habitants, de même construction +que Guemâr ; seulement elle possède en plus une mosquée à minaret élevé, +et un bordj pour le khalifa. Les maisons sont composées en grande +partie, d’une cour dans laquelle est dressée une tente et qui contient +encore une hutte ou un hangar de branches de palmiers. Les Ouled-Hamed +habitent un quartier un peu à part, à l’est du bordj du khalifa. + +Outre les habitants de la ville, El-Oued possède encore un petit nombre +de tentes de nomades Harazlia et Nouail ; il m’a été dit que, s’il se +trouve quelques jeunes veuves parmi eux, elles n’ont aucune prétention à +des mœurs sévères. + +Le bordj du khalifa a été bâti d’après un dessin du capitaine Langlois ; +c’est un carré défendu à l’est et à l’ouest (à deux angles seulement) +par un bastion carré, dont l’un renferme la prison, qui est plus belle +que la plus belle maison de la ville. + +Les vêtements sont les mêmes que dans le reste du Souf. + +Les nègres ne se voient que très rarement. + +Les Juifs sont au nombre de quarante-sept, répartis dans onze maisons. +Ils font d’assez bonne anisette. + +Il y a ici des communications fréquentes avec l’étranger, Ghadâmès, le +Nefzaoua et le Djerid, Tunis même. Il y a aussi quelques marchands de +Ghâdamès et plusieurs du Djerid. + +Je me décide à aller à Ouarglă par la route directe. + +Les plantations d’ici sont dans des cavités creusées entre les dunes ; +les arbres ne sont pas arrosés, leurs racines trempant dans l’eau de la +couche souterraine. On prétend que les Souafa ont voulu m’en imposer en +me disant qu’ils arrosaient leurs palmiers[36]. + + 11 février. + +J’ai enfin pu partir aujourd’hui. + +Mais, avant de partir, je dois terminer mes notes sur El-Oued par la +mention des prix des objets que le hasard m’a fait voir. Les cotonnades +anglaises avec le nom de John Rose et qui viennent de Tunis se vendent +15 fr. la pièce de 75 draa[37]. Le musc de la Mekke, venant de l’Inde, +se vend, du moins j’en ai acheté à 1 fr. l’ouzena[38]. Ordinairement il +est plus cher. J’ai acheté à un prix ordinaire un haïk djeridi arrivé la +veille, pour 47 fr. 50. + +Les poules sont bon marché : j’en ai acheté sept à 1 fr. pièce, j’ai eu +dix-huit œufs pour 50 centimes. + +Le khalifa ne veut pas me laisser partir sans me donner des oranges +venant de Tunisie et un œuf d’autruche. + +En sortant d’El-Oued, nous avons suivi la route de Temassin pendant +quelque temps jusqu’au puits situé dans la dépression de Haouad-Tounsi. +Les dunes que nous avons à traverser, les plus hautes que j’aie vues +dans cette partie du Sahara, sont dépourvues de végétation. + +Du puits ci-dessus nommé, nous plongeâmes vers le sud. La caravane que +je suivais et pour laquelle j’avais attendu un jour à El-Oued, voulut +choisir la voie la plus courte par Bir-Righi et Matmata, mais comme +j’avais intérêt à voir la route de Hassi-Omran, je fis route à part, +menaçant de rendre compte au khalifa de ce que feraient les autres +membres de la caravane. Néanmoins nous nous séparâmes. + +Ce jour-là, nous n’allâmes guère plus loin ; après avoir voyagé quelque +temps dans des dunes de peu d’importance, séparées par des oueds ou +espaces de sables unis et plus garnis de végétation, nous campâmes pour +coucher. + +Déjà, ce soir, des députés de la caravane viennent pour parlementer. Je +les renvoie sans rien changer à ce que j’ai dit hier. + + 12 février. + +Toute la journée peut se résumer en ceci : nous avons traversé une +succession de zones de dunes basses et d’oueds, comme je les ai décrits +précédemment. La végétation est aussi celle des sables du nord de +l’Oued-Souf : genêts _retem_, _Ephedra_ et _drin_. Seulement je remarque +quelques plantes nouvelles qui sont : _ezal_, _markh_, _arabia_, et le +_lebin_ que j’avais oublié de noter parmi les plantes du nord de l’oued. + +J’ai monté à chameau hier et aujourd’hui. On conduit ma jument sans +selle par la bride ; je veux qu’elle se fatigue le moins possible et que +sa blessure se repose. + +J’ai oublié de noter que j’ai trois chameaux, deux chameliers, dont l’un +est le guide, et un domestique du khalifa, qui est bon cuisinier, et +partant très précieux. — Les chameaux et leurs maîtres me coûtent en +tout 45 fr. d’El-Oued à Ouarglă. + + 13 février. + +Nous n’avons fait qu’une très petite journée. J’ai voulu passer la nuit +au puits de Sidi-el-Bachir pour en prendre la latitude. + +Nous n’avons eu que peu de sables à traverser et cela seulement dans la +Chara de Sidi-el-Bachir que nous avons longée longtemps et enfin +traversée pour arriver au puits. + +La végétation a été la même que précédemment, sauf l’apparition de +_halma_ et de _sefâr_ (graminées) ; le _drin_ et le _markh_ dominaient. + +A notre arrivée au puits, nous y avons trouvé deux Touaregs avec leurs +enfants et un esclave qui abreuvaient leurs chameaux. Ce sont des gens +du Matmata, en route pour El-Oued où ils vont acheter du grain. + +Ils nous donnent la nouvelle que, hier ou avant-hier, les Oulad’Amar +(Oued-Righ) ont eu une querelle avec les Chaànba de Ouarglă, à cause de +leurs chameaux. Un des gens des Chaànba, un homme marquant, a été tué. +Les deux tribus sont sur le point de s’attaquer. + +Aujourd’hui j’ai vu, sur le sable, les traces d’un petit carnassier que +nos guides appellent _sefchi_ سڢشى, qu’ils dépeignent comme tigré de +blanc et de noir. C’est peut-être une espèce nouvelle. + +Je suis tout à fait guéri de mes douleurs rhumatismales dans les +épaules. Mais je subis le soir une diarrhée épouvantable. L’eau du puits +a un plus mauvais goût que celle des précédents, mais elle est +supérieure à celle de Tougourt. + + 14 février. + +Nous avons quitté le puits ce matin et avons voyagé dans l’oued Sidi-el- +Bachir, ayant pendant longtemps, à notre gauche, les sables du Ghourd de +Saàdiya. + +Nous traversâmes la Chouchet el ’Anz et continuâmes dans une région +« d’oued » sans que la végétation donnât lieu à d’autre remarque que +celle de l’apparition de l’_àlga_. + +Je remarquai quelques affleurements de calcaire compact. + +Nous nous arrêtons, ayant devant nous, à l’horizon, les sables de +Sayyâl. + + 15 février. + +Aujourd’hui une courte marche à travers une région assez sablonneuse, +principalement couverte d’_àlenda_, de _drin_ et de _hād_, nous mena au +puits de Oulad-Miloud ; quoique nous y fussions arrivés de bien bonne +heure, je résolus de m’y arrêter jusqu’à minuit pour obtenir la latitude +du lieu. + +Après midi, nous continuâmes la marche pour arriver bientôt dans le +voisinage du puits aujourd’hui comblé de Sayyâl, dont nous avions les +dunes à une petite distance à droite. Nous vîmes à 5 ou 600 mètres à +gauche le puits de Bey-Sâlah dont l’eau est salée et beaucoup moins +bonne que celle du Hassi-Miloud. + +Après avoir dépassé cette région vers la fin de la journée, je fus +surpris de voir un changement notable dans la végétation, qui se +composait de _bāgeul_, _dhomràn_, _zeita_, _drin_ et _sefâr_. + +Je me couche presque sans rien manger, malade de fatigue, car la marche +accélérée de nos chameaux m’avait beaucoup secoué, et, par suite, +courbaturé. + + 16 février. + +Une courte marche nous amena dans l’Oued-Sîdah, que j’avais soupçonné +auparavant être le bas de l’Oued-Igharghar. Mais il ne peut en être +ainsi, cet oued étant, comme tous les autres, une simple région délivrée +des sables, sans pente régulière[39], etc. + +Nous y trouvâmes d’abord un petit nombre de chameaux conduits par un +jeune garçon très gai, qui paraissait tuer le temps en chantant et qui +répondit de bon cœur (chose rare) à toutes les questions que je lui fis +adresser. Il menait ses chameaux à un puits nommé Rebahaya qu’il nous +dit être à _moins_ d’une demi-journée au sud, et il allait fort +lentement. + +Nous rencontrâmes plus loin deux voyageurs venant de Ouarglă avec deux +chameaux. Ils nous apprirent que la ville était moins éloignée que nous +ne le pensions et que nous y arriverions facilement demain. + +Nous entrâmes ensuite dans un bassin entouré de hauteurs de tous côtés, +et, après l’avoir traversé, nous nous arrêtâmes pour déjeuner à El-Bouïb +qui, comme le nom l’indique, n’est autre chose que l’endroit où l’on +sort du bassin : c’est sa porte. + +Là commence le terrain de Hamāda, remarquable surtout par la nature de +sa végétation rare et rabougrie, réduite à quelques petites touffes de +_bāguel_ et de _sefâr_, et à son sol uni quoique en partie sablonneux. + +Nous longeâmes, à une certaine distance, des chaînes de hauteurs que +nous avions sur la gauche et nous nous arrêtâmes avant de les avoir +dépassées. Cette plaine se nomme Sahan-er-Remâda. + +La jument n’a plus de _drin_ aujourd’hui ; je lui ai fait ramasser un +certain nombre de touffes de _sefâr_. + + 17 février. + +Nous avons d’abord voyagé sur la hamāda, longeant la même chaîne de +hauteurs que hier, puis nous sommes entrés dans une immense région unie, +à sol dur, à maigre végétation de _bāguel_ et coupé à de grandes +distances par des chaînes de gour plus ou moins étendues[40]. + +Après avoir marché longtemps dans cette région, nous finîmes, vers le +déclin du jour, par apercevoir une chaîne de hautes dunes que nous fûmes +obligés de contourner, et, après l’avoir traversée à un endroit aisé, +nous trouvâmes à notre droite une petite oasis de palmiers : nous +venions d’entrer dans le bassin d’Ouarglă. + +Cependant il fallut encore une longue marche dans un terrain totalement +dépourvu de végétation, avant d’atteindre les palmiers d’Aïn Beidha à +travers lesquels nous marchâmes quelque temps, ayant à notre droite la +longue oasis de ’Ajāja[41]. — Nous coupâmes ensuite la sebkha qui +entoure Ouarglă et, après des détours le long des palmiers de la ville, +nous y entrâmes par Bab es Soltan au coucher du soleil, lorsque le +mueddin appelait à la prière. + +On tarda assez longtemps à venir au-devant de moi, et j’en fis de graves +reproches aux chefs de la ville, avec lesquels du reste j’ai été en +relations très froides pendant le court séjour que j’ai fait à +Ouarglă[42]. + +On me donna une maison dans une rue appartenant aux Mezabites. C’est une +grande bâtisse un peu en ruines aujourd’hui, mais encore très habitable +et parfaitement appropriée aux besoins d’une grande famille indigène. +Elle a des arcades, mais en moins grand nombre que les maisons du Mezâb. + + +[Note 13 : Peut-être la peuplade des Mbou, signalée au S.-E. du +Baguirmi, ou plutôt celle des Mboumi, nègres païens des provinces de +Ngaoundéré et de Tibati, Adamaoua. (Cf. Mizon, _les royaumes foulbé du +Soudan Central_, _Annales de Géogr._, 1894-95, IV, p. 355, et Nolte, +_Bericht über einen Besuch beim Sultan von Tibati_, _Deutsches +Kolonialblatt_, 1900, p. 285.)] + +[Note 14 : Les Koana de Barth (_Reisen_, t. II, p. 696).] + +[Note 15 : Nom d’une région du Kanem septentrional, et d’une tribu du +Bornou occidental. Il s’agit sans doute de la première, car Barth (IV, +p. 35) mentionne les affinités linguistiques de la seconde.] + +[Note 16 : Les Makari de Barth.] + +[Note 17 : Probablement les Nguizzem de la carte ethnographique de +Nachtigal. (_Völkerkarte von Bornu, Sahara und Sudan_, t. II).] + +[Note 18 : Le rayon de ces importations d’esclaves s’étendait donc des +pays bambaras jusqu’au S.-E. du Baguirmi et au Ouadai. Rien ne montre +mieux le prodigieux mélange ethnique opéré par les ventes et reventes +successives de nègres sur les routes du désert.] + +[Note 19 : On sait que l’oued Biskra est ordinairement à sec, et que des +sources, qui arrosent la ville, sourdent dans son lit.] + +[Note 20 : Voir _Mollusques terrestres et fluviatiles recueillis par M. +Henri Duveyrier et décrits par M. J.-R. Bourguignat_. Supplément aux +_Touaregs du Nord_. Paris, 1864.] + +[Note 21 : Température d’après M. Lahache : 45°,8. (_Étude hydrologique +sur le Sahara français oriental_. Paris, 1900, p. 26.)] + +[Note 22 : Voir, sur ces poissons de l’oued Rir, _Documents relatifs à +la mission Choisy_. III. _Hydrologie du Sahara algérien, par M. +Rolland_, ch. III, p. 270-283. (Paris, 1895, in-4.)] + +[Note 23 : _khez_.] + +[Note 24 : Température au 22 mars 1861 : 18° C. (_Ville_, _Voyage +d’exploration dans les bassins du Hodna et de Sahara_. Paris, 1868, p. +207.)] + +[Note 25 : Il semble y avoir ici une méprise ; _bou choucha_, d’après le +catalogue de M. F. Foureau, p. 10, n’est pas synonyme de _guendoul_, et +désigne diverses espèces de sauge.] + +[Note 26 : M. Colombo fut le fidèle collaborateur du Bureau central +météorologique de France pour la station de Biskra.] + +[Note 27 : Sur les campagnes de forages artésiens du lieutenant Lehaut, +voir Rapport du colonel Séroka, _Revue algérienne et coloniale_, 1859, +p. 354-372, et Ville, ouvr. cité, p. 295 et suiv. Les trois premiers +sondages de Chegga fournissaient déjà environ 800 litres à la minute. +Celui dont il est question ici fut poussé à 150 mètres et donna 100 +litres à la minute. (_Rev. alg. et col._, 1860, III, p. 548.)] + +[Note 28 : « Avant le percement des puits artésiens, la plaine +présentait l’aspect désolant du désert ; pas une goutte d’eau. » (Jus, +Notes sur le Sahara, _Rev. alg. et col._, 1859, p. 51.)] + +[Note 29 : _Ogla, Oglat_ : réunion de plusieurs puits en un seul point, +où l’eau est très rapprochée du sol (F. Foureau).] + +[Note 30 : Rat rayé (_Mus barbarus_).] + +[Note 31 : Duveyrier a vu plus tard que les vents variaient avec les +saisons.] + +[Note 32 : Les pierres sont des cristaux de chaux. H. D.] + +[Note 33 : C’est la première idée qui vienne à l’esprit lorsqu’on aborde +le désert des sables. (Voir les théories analogues, Schirmer, _le +Sahara_, p. 4.) Dans la suite de son voyage, Duveyrier devait changer de +manière de voir : « la source de production des sables la plus +considérable, si ce n’est l’unique, est la désagrégation des roches ». +(_Les Touaregs du Nord_, p. 38.)] + +[Note 34 : Ou Troud. Cf. Ibn-Khaldoun, _Hist. des Berbères_, I, p. +155-156, sur l’origine des Troud et des Adouan, branches de la tribu +arabe des Soleïm.] + +[Note 35 : Les Abed d’Ibn-Khaldoun (_ibid._, III, p. 145).] + +[Note 36 : Ils arrosent cependant les jeunes plants (voir Vatonne, +_Mission de Ghâdamès_, p. 303, etc.).] + +[Note 37 : Draa, mesure de longueur variant de 0m,47 à 0m,67. Ces +mesures sont celles de Tunis. Le _draa-arbi_, en usage pour les tissus +de coton, est de 0m,47 ; il s’agit donc ici d’une pièce de 35 mètres.] + +[Note 38 : 1/16e d’once de Tunis. Duveyrier l’a évaluée ailleurs à 31 +grammes 8. (Notice sur le commerce du Souf dans le Sahara algérien, +_Revue algérienne et coloniale_, novembre 1860.)] + +[Note 39 : C’est, en réalité, un bras de l’ancienne zone d’épandage de +l’Igharghar, devenu presque méconnaissable. Les progrès de la dénudation +en ont fait une simple dépression allongée à sol de _reg_. (Cf. Foureau, +_Au Sahara, mes missions de 1892 et 1893_, carte.)] + +[Note 40 : C’est la zone des dépôts rouges tertiaires érodés et nivelés +par les eaux quaternaires, celle que M. Flamand nomme _zone d’épandage_ +des oueds Igharghar et Mya, et qu’on appelle d’ordinaire _région des +gour_, du nom des buttes (débris de plateau) qui en émergent.] + +[Note 41 : Une des forêts de palmiers d’Ouarglă. Le nom d’Aïn est +réservé ici aux puits artésiens qui les arrosent.] + +[Note 42 : Ceci ne doit pas surprendre. Ouarglă avait été à la dévotion +du chérif Mohammed-ben-Abdallah ; soumise une première fois en 1853, +elle avait de nouveau fait accueil au chérif lorsqu’il avait reparu +l’année suivante, si bien que, malgré la défaite et la disparition du +chef insurgé (1854) on avait jugé bon d’y envoyer le général Desvaux +avec une colonne en 1856. En somme, l’oasis obéissait aux nomades, qui, +eux, obéissaient aux Ouled-Sidi-Cheikh, dont la fidélité — exception +faite de Si-Hamza — restait toujours douteuse.] + + + + + CHAPITRE II + + OUARGLA ET TOUGOURT + + + 18 février. + +J’ai fait de longues promenades dans Ouarglă. J’ai d’abord visité le +marché, très salement tenu ; il avait à peine de la viande et du grain à +vendre, et aussi un peu de goudron. Les vendeurs étaient des Chaànba et +des gens d’El-Oued. + +Ensuite mon faible d’antiquaire m’a fait diriger mes pas vers la kasba, +c’est-à-dire vers le grand espace occupé par les ruines de l’ancien +château des sultans. Cette kasba m’a paru faire une petite ville à +part ; elle avait une porte encore debout comme celles de la ville ; la +distribution des appartements était assez resserrée, et par conséquent +il y en avait des quantités considérables. Tout cela est aujourd’hui +inhabitable, mais peut-être pourrait-on encore en faire le plan. + +Les rues d’Ouarglă sont étroites, bordées de maisons hautes comme celles +de l’Oued-Mezăb, avec des portes surmontées et encadrées de grossiers +dessins, ornées quelquefois d’un œuf d’autruche ; enfin on y lit de +petites inscriptions en caractères peu élégants, comme لا اله الا الله +ou bien نصر من الله. La ville possède de nombreux passages voûtés, qui +présentent pour l’été d’agréables lieux de repos pendant la chaleur du +jour. + +Il y a deux mosquées avec leurs minarets ; elles sont peu distantes +l’une de l’autre. + +Les trois tribus des Beni Sisin, des Beni Brahim et des Beni Ouaggin se +partagent la ville ; une colonie importante de Beni Mezāb habite le +quartier des Beni Sisin. Cette colonie a un intérêt historique très +grand. + +J’ai eu beau m’enquérir avec un soin tout particulier de documents +historiques, partout on m’a répondu qu’il n’en existait aucun. Cette +unanimité dans l’assertion, venant même d’ennemis réciproques, des +exploitants et des exploités, me fait croire qu’elle n’est que trop +vraie. + +J’ai vu Mouley ’Abd-el-Kader, le fils du dernier Sultan d’Ouarglă ; +c’est un jeune homme incapable de gouverner et d’un caractère frisant +l’inanité d’esprit. + +Dans mes promenades, je me suis vu interpeller de but en blanc pour +demander justice des exactions sans nombre des « marabouts[43] » +secondés par les cheikhs et les kaïds qui partagent le profit. Ces +désagréables discours m’ont été tenus plus d’une fois. On m’a, de plus, +apporté deux écrits anonymes, contenant des plaintes formulées, en me +priant de les faire parvenir au « maréchal[44] ». + +La population d’Ouarglă est de couleur plus que basanée ; les Khammâmès +ou cultivateurs sont aussi noirs que des nègres du Haoussa ; les gens de +sang noble sont quelquefois plus blancs, mais pas toujours, car j’en ai +vu qui ressemblaient presque à des nègres. Les Beni Ouarglă conviennent +eux-mêmes que leur couleur vient des nombreuses négresses qu’ils ont +prises autrefois et prennent même encore maintenant[45]. + +On me dit qu’il vient ici des caravanes de Rhât, de Goléâ, d’Insâlah. + +Dernièrement (il y a peu de jours), les grands de Goléâ, entre autres +Bel-Lechheb, sont venus auprès de Sidi-Zoubir. Maintenant le marabout +est à Metlili ; je serais curieux de savoir pourquoi. + +Il paraît que Sidi-Zoubir[46] « mange » le pays, exige des impôts +extraordinaires et une dîme sur tous les produits du pays. Ces +différentes contributions sont, bien entendu, pour son propre compte. +Plusieurs familles d’Ouarglă ont émigré à Tunis, pour ce motif. + + 19 février. + +Nous avons quitté Ouarglă dans la matinée avancée, parce que j’ai +employé plusieurs heures à écrire des lettres. + +En quittant la ville et après avoir traversé la sebkha, moins grande et +moins déterminée de ce côté que de celui où nous étions arrivés, nous +prîmes notre direction à travers une plaine légèrement accidentée, avec +végétation de _zeita_, et nous longeâmes, à 4 ou 6 kilomètres de +distance, un grand drâ[47] qui va jusqu’à Negousa. + +La nature du pays traversé ne changea qu’en ce que le sol s’aplanit et +que la végétation cessa presque entièrement. + +Arrivé à Negousa, j’appris d’abord du kaïd, fils du dernier sultan et +sultan lui-même, que les chroniques de la ville avaient été emportées +lors de la destruction de la ville, il y a cinq ans, par Mohammed ben +Abd Allah[48]. + +Pendant que l’on dressait les tentes, j’ai fait un tour dans la ville, +qui est presque entourée de ruines. On rencontre, presque en entrant, +des ruines remarquables d’une mosquée, dont toute une partie, avec de +hautes colonnes, est encore debout. Je traversai un grand nombre de +rues, presque toutes soutenues par des arcs-boutants. + +Je vis la kasba, où l’on travaillait à crépir les murs. Elle renferme +dans des constructions antérieures plusieurs maisons dont se sert le +kaïd. — Du reste, elle est assez bien tenue et appropriée à la grandeur +de la ville. + +Je vis de loin une zaouia à minaret et dôme blanchis, d’un effet fort +élégant. Ce soir, on y fait de la musique, ou, pour parler plus net, on +répète deux notes sur une timbale, depuis au moins deux heures. + +Les grands de la ville m’ont paru assez convenables. + +A mon retour ici, je me livrerai à des études de détail. + +J’ai trouvé, à Negousa, deux choses agréables : d’abord un cheval déjà +âgé, mais plein de feu et de fantasia, et très haut de taille ; je l’ai +échangé contre ma jument en ajoutant 75 fr. Ensuite j’ai trouvé un +Chaànba qui connaît le désert entre Ouarglă et Insalah, comme je devrais +connaître Paris et qui s’offre à me mener à Insalah moyennant 50 à 60 +douros. Nous n’irions que sur le Baten[49], et de là, avec ma lunette, +je pourrais voir Zaouïa[50], le premier village du Tidikelt, qui n’en +est éloigné que de deux journées. + + 21 février. + +Ce matin, le kaïd vint me rendre visite ; il me fit apporter de nouveau +du lait, des dattes et deux poulets. Je le congédiai avant mon départ, +craignant de faire sur mon nouveau cheval un peu plus de fantasia que je +ne le voulais. + +Tout se passa heureusement. Je partis de Negousa un peu tard, et fis +d’abord route dans un vaste espace de terrain, sablonneux, parsemé de +palmiers isolés et de petites plantations. Nous entrâmes ensuite dans un +terrain alternant de la _heicha_ ou petit bois taillis, à sol solide +légèrement sablonneux, à la _sebkha_ ou marais salant à sec, avec +végétation de broussailles isolées. + +Les plantes dominantes furent : la _zeita_, le _dhomrân_, le _tarfa_ et +le _belbâl_. + +Nous avions, à une certaine distance à gauche, les chaînes d’élévations +qui séparent cette région de la hamâda ; je pus distinguer à peine, vers +la fin du jour, les embouchures de l’Oued-Mezāb et de l’Oued-Nesa qui +viennent aboutir ensemble dans une sebkha qui nous apparaissait +blanchissante en deçà des collines[51]. Le brouillard causé par le vent +qui soulevait le sable et la poussière dans cette direction ne me permit +pas de bien comprendre le détail de ce point intéressant. + +Nous arrivâmes, vers 3 heures de l’après-midi, au puits de +’Araïfdji[52], où nous campâmes ayant devant nous la zone de dunes qui +portent le même nom que le puits. + +J’appris de mes guides que l’on ne perçait plus de puits artésiens à +Negousa et à Ouarglă, à cause de la dureté du sol à une certaine +profondeur[53]. Les sources existantes sont fort anciennes, on se +contente de les nettoyer. D’un autre côté, on me disait à Ouarglă qu’un +des tributs qu’exigeait Sidi-Zoubir était le forage d’une source chaque +année. + +Un de mes guides fut envoyé, il y a quelques années, par Sidi-Hamza à +Insalah. Le maréchal Randon avait désiré avoir des Touaregs à Alger[54], +et on envoyait une lettre de Sidi-Hamza pour faire les invitations chez +les Touaregs Hogar. La lettre fut portée par quelques Chaànba d’Ouarglă. +Ils suivirent le cours de l’oued Miya, trouvant de l’eau en quantité +dans les _rhedir_. C’était à l’époque de la maturité des dattes. A +Insalah ils furent reçus par les deux grands de la ville, le hadj Abd- +el-Kader et le hadj Mohammed, qui leur demandèrent s’ils étaient venus +comme _mîâd_ (en ambassade) ou comme marchands. Ils répondirent qu’ils +étaient venus pour faire du commerce. Mais lorsqu’ils montrèrent leur +lettre, hadj Mohammed entra dans une violente colère, menaça de tuer +Sidi-Hamza si jamais il venait à Insalah, « parce qu’il avait osé lui +envoyer une lettre des Français » ; il finit par dire qu’il tuerait les +six Chaànba qui avaient apporté la lettre. Les Chaànba s’excusèrent +habilement, en arabe, et dirent qu’ils n’étaient que porteurs d’une +lettre dont ils ignoraient le contenu. Ils échappèrent ainsi. + +Je rapporte ce fait pour prouver quels sont les sentiments des gens +d’Insalah à notre égard. + + 21 février. + +Nous traversâmes d’abord la zone des dunes d’’Araïfdji, à sa pointe +orientale, puis nous entrâmes dans une région passant de la _heicha_ à +la _hamâda_, avec végétation de _halhâl_, _àlenda_ et _dhomrân_. Cette +plaine, assez unie d’abord, était coupée de chaînes de hauteurs (_drà_, +_gour_, etc.) ; le brouillard intense qui cachait tout à peu de distance +de nous, à cause du sable et de la poussière que le vent soulevait, a +peut-être nui à l’exactitude de mes notes topographiques pour ce qui +concerne les hauteurs un peu éloignées. + +Nous rencontrâmes de nombreux affleurements circulaires de calcaire +blanc, absolument semblables à ceux qui m’avaient frappé à mon entrée +dans le Sahara, sur la route de Biskra à l’Oued-Mezăb. — Nous dépassons +deux témoins (_gour_) presque entièrement composés de pierre à Jésus +feuilletée ; le sol au bas est jonché de calcaire blanc et noir et de +morceaux de silex, ou plutôt de quartz compact ou pétro-silex. + +Nous voulions passer le puits de Mâmar pour camper plus en avant, mais +un des chameaux qui boitait considérablement depuis le matin, +s’accroupit ici et on vit bien qu’il ne pouvait guère aller plus loin. +Nous restâmes donc au Hassi-Mâmar, près duquel croissaient des tamarix +d’une espèce à petites fleurs roses et blanches charmantes. Un des +guides partit pour voir s’il ne trouverait pas des Arabes qui lui +prêteraient un autre chameau. + +Nous campons par un vent terrible dans du sable, de sorte que tous les +objets sous la tente en sont couverts en moins de rien. Pour la première +fois, on est obligé de faire la cuisine dans la tente. + + 22 février. + +Je résolus aujourd’hui d’atteindre Blidet-Amar à quelque prix que ce +fût. Nous partîmes de bonne heure avec un nouveau chameau qu’un des +Chaànba avait été chercher. Nous voyageâmes rapidement dans une contrée +alternativement de sable et de sebkha. Nous arrivâmes après une courte +marche au Hassi-Sidi-Messaoud, mais ne nous y arrêtâmes pas. + +Nous longeâmes ensuite de loin des hauteurs nommées Merguet, du nom +d’une petite sebkha toute blanche de sel qui apparut bientôt sur la +gauche. + +Nous vîmes de même, sans nous y arrêter, le petit pâté de dunes nommé +Areg-ed-Demm. + +Notre marche fut très longue, et le pays parcouru n’offrit qu’un intérêt +médiocre. La végétation alternait toujours du _zeita_ au _belbâl_, au +_drin_ et aux autres plantes des sables ou de sebkha que nous avions +rencontrées auparavant. + +Enfin, vers la fin du jour, nous aperçûmes au loin sur la gauche les +hauteurs appelées El-’Anât que j’ai relevées sur ma route de Guerâra à +Tougourt. Ce ne fut qu’après le coucher du soleil que nous touchâmes les +plantations de l’oasis de Berrâri et lorsque nous arrivâmes aux murs de +Blidet-Amar la nuit était déjà venue. + +Le cheikh que je fis venir dans ma tente ne me parut pas plus zélé qu’il +ne fallait, mais j’avais peu besoin de lui. Cependant il m’apporta, sur +ma demande, des œufs, du lait et de la paille pour mon cheval. + +Je remarquai pendant le court séjour que je fis à Blidet-Amar (je ne +suis pas entré dans la ville), que les murs en « toub[55] » des maisons +isolées, situées hors des murs pour recevoir les Arabes nomades à +l’époque de la récolte des dattes, sont remplis de coquilles des deux +espèces de petits gastéropodes que j’ai déjà observés dans les eaux +artésiennes de Tougourt et du nord de l’Oued-Righ. + + 23 février. + +Aujourd’hui, à mon grand désespoir, je trouve la montre de M. Colombo +arrêtée et tout à fait dérangée. + +Je partis de bonne heure tout seul, laissant ma tente et mes effets en +arrière ; quoique le soleil fût déjà à une certaine hauteur au-dessus de +l’horizon, je fis tant galoper et trotter mon cheval que j’arrivai à +Tougourt une heure avant le déjeuner, c’est-à-dire vers 9 h. du matin. + +Mon cheval était tout couvert d’écume, et le kaïd qui fut, avec M. +Guillemot, la première personne que je rencontrai, me mena tout de suite +dans sa maison ; il fit mettre le cheval à l’écurie et me présenta au +capitaine Canat. + +Mon courrier est assez considérable et très bon en somme. Je reçois +entre autres une lettre de mon excellent maître et ami le Dr Fleischer +qui me requiert formellement de comparer les différents dialectes +berbères avec les langues égyptiennes. Je ne manquerai pas de le +faire[56] ; cela aura deux résultats : 1o de m’indiquer des faits pour +la classification des langues berbères ; 2o des faits pour déterminer +l’âge relatif des différents dialectes. + +Je reçois de M. de Dalmas, chef du cabinet de l’empereur, des lettres de +recommandation du Bey de Tunis pour les différents kaïds et aghas de son +gouvernement. Comme, d’autre part, je ne puis espérer recevoir mon +chronomètre que vers le commencement d’avril, époque du retour du +capitaine Langlois à Biskra, je me décide à entreprendre dans le sud de +la Tunisie, un voyage de vingt jours à un mois. + +Mon bagage arrive, et je fais planter ma tente à la porte de la kasba. + + 24 février. + +Nous employâmes notre après-midi, M. Auer, un lieutenant de la légion, +et moi, à faire une partie de chasse _dans_ la Chemorra. — La Chemorra +est une vaste dépression couverte de marécages qui s’étend à l’est des +plantations de Tougourt et vers le nord. + +Nous parcourûmes un des marais de la Chemorra ; nous avions, par +endroits, de l’eau jusqu’à mi-jambe, dans d’autres nous marchions +presque à sec ; enfin, lorsqu’il fallait traverser de nombreux fossés +profonds qui sillonnent les marais en divers sens, c’est à peine si de +vigoureux élans pouvaient nous les faire franchir ; nous échouâmes +chacun à notre tour, de manière à nous mettre dans l’eau jusqu’à la +ceinture. + +Je dirai d’abord que notre chasse eut peu de succès ; les canards de +Barbarie qui étaient le but de notre course, se levèrent à un kilomètre +environ et ne revinrent plus. Les chiens furent mis en défaut par deux +chats sauvages qui nous échappèrent. Ces animaux sont gris avec des +raies noires ; ils sont un peu plus gros qu’un chat domestique et ont +établi leur fort dans les touffes de broussailles et de roseaux des +marais ; ils ne craignent pas l’eau, à en juger par leurs retraites +quelquefois entourées de fossés qu’ils sont obligés de traverser, et par +les nombreuses flaques d’eau qui les environnent. Ces chats viennent la +nuit dans les jardins ; ils cherchent leur pâture dans les basses-cours, +et en automne, dans les couches de melons et de pastèques. — J’espère +pouvoir m’en procurer un avant mon départ de ces contrées. + +Les autres animaux des marais sont des flamants de deux espèces, me dit +M. Auer ; des bécassines, des sarcelles, des alouettes, des hérons, des +bergeronnettes, enfin un tout petit oiseau qui a la langue +prodigieusement longue. + +Il y a des poissons dans les fossés et dans les mousses aquatiques et +conferves vivent les deux espèces de petits gastéropodes de Tougourt ; +les mélanies y sont aussi, dit Auer, mais je ne les ai pas trouvées. — +Il y a aussi quelques coléoptères d’eau et des libellules. J’oubliais +les cousins et les moustiques. Les cousins font une piqûre douloureuse, +les boutons qui en résultent enflent prodigieusement et gênent beaucoup. +Je suis revenu couvert de leurs piqûres au front, aux yeux, aux joues, +aux mains, jusqu’aux mollets. Le tout a été traité à l’eau sédative. + +Le sol des marécages se couvre, lorsqu’il se dessèche, de concrétions de +sels, dans le genre des pétrifications qui entourent les sources à +dépôts calcaires. + +La végétation du sol se compose de tamarix, quoiqu’en petit nombre, et +d’une quantité de plantes dans le genre du _baguel_ et du _belbāl_, mais +beaucoup plus grosses et juteuses ; ce sont des plantes grasses +articulées. — Il y a, en grandes quantités aussi, des joncs qui arrivent +aux genoux et qui se terminent par une pointe qui abîme les jambes dans +la marche. — L’eau contient un assez grand nombre de mousses aquatiques +et de conferves (?). + +Pour ce qui concerne les fièvres si renommées de Tougourt, elles +arrivent deux fois par an et durent chaque fois un mois ; les moments du +fléau sont les mois de mai et d’octobre. Déjà, dans le mois d’avril, il +y a sept jours de fièvre[57]. A l’époque des fièvres, les fossés qui +entourent la ville et toutes les eaux stagnantes des oasis prennent une +couleur chocolat qui approche même de la couleur sang[58]. C’est le +signal de l’arrivée de la fièvre. Alors on lâche deux fois par semaine +les eaux des saguias dans les fossés qui entourent Tougourt, les +habitants préfèrent renouveler ainsi l’eau de ces fossés et laisser +leurs palmiers manquer un peu d’eau. Si on ne prenait pas cette +précaution, les fièvres seraient beaucoup plus graves[59]. + +Depuis trois mois que les hommes de la légion et du génie sont à +Tougourt, les santés se sont maintenues bonnes ; il n’y a eu qu’un petit +nombre de diarrhées aisées à guérir. Ces diarrhées tiennent du reste aux +eaux du pays[60] ; moi-même j’en ressens l’effet toutes les fois que je +passe ici, et Auer, qui est cependant le doyen de l’endroit, me dit être +dévoyé à état permanent. Lorsqu’il éprouve des échauffements +(relativement parlant), sa santé s’en ressent. + + 25 février. + +Aujourd’hui le courrier est arrivé. Je suis resté à la kasba pour +l’attendre, et j’ai profité de ce repos pour écrire toutes mes lettres. +La seule chose intéressante de la journée est que, vers le milieu du +jour, le caporal Dhem vint me trouver me disant qu’il y avait sur la +terrasse une négresse qui donnait des coups de couteau sur la tête de +son enfant. + +Je montai et trouvai en effet une des négresses qui se sont réfugiées +chez Auer, tenant son enfant d’un mois devant elle et le dorlotant pour +l’empêcher de crier ; il avait le long du front, à la naissance des +cheveux, cinq ou six incisions qui lui couvraient la tête de sang. Je +demandai à la mère ce qu’elle lui faisait, elle me dit que c’était un +préservatif contre les maux d’yeux. Elle se préparait à faire encore +deux incisions au bas des reins, mais je m’y opposai et j’emportai le +rasoir. + + 26 février. + +Encore aujourd’hui je suis resté à la kasba, à faire des observations +pour corriger celles d’Auer, et à finir ma correspondance. + +Ce n’est que vers le soir que nous sommes partis pour la chasse, nous +trois chasseurs ; il s’agissait d’abattre quelques courlis (?), oiseaux +qui se tiennent dans les sables aux environs de la ville et qui courent +avec une vitesse extraordinaire. Nous ne pûmes pas les approcher ; de +mon côté, je tuai deux petits oiseaux (alouettes du Sahara), sans huppe, +à couleur pâle, une raie noire près du bord des ailes lorsqu’elles les +étendent ; le bec est fort long. + +Je cause avec un Targui des Kelrhela (Hogar) de qui j’obtiens des +documents itinéraires. + + 27-28 février. + +J’ai été dans les jardins pour observer la température des puits[61]. + +J’entends parler aujourd’hui pour la première fois d’une singulière +maladie des nègres. Il paraît que certains d’entre eux sont sujets à des +jours de folie ou de lunatisme, pendant lesquels ils font toutes sortes +d’excentricités[62]. On appelle cela Moulā Rās en Haoussa, « bōri ou +bōli » et encore « ébĕlīs ». J’apprends encore que les musulmans y sont +sujets. Même ceux de ce pays-ci. + +Nous faisons une grande promenade à cheval en tournant les plantations +au nord et redescendant de l’autre côté de la Chemorra. Nous sommes +obligés pour cela de traverser une partie de l’oued Righ, dépression qui +à cet endroit a le caractère de sebkha, mais de sebkha peu saline. Les +cartes du bureau arabe ont été assez bien faites à cet endroit ; il faut +absolument représenter cette dépression sur la carte, mais ne pas la +laisser confondre avec un lac. + +Nous voyons de nombreux canards, même un flamant isolé. + + 29 février. + +Je reste la matinée à Tougourt et déjeune encore avec Auer et la +compagnie, mais j’avais eu la précaution de faire mes adieux la veille. +Cependant le kaïd vient à cheval au moment du départ et veut à toutes +forces m’accompagner un peu. Je lui dis adieu à la porte de la ville. +Cette fois, il paraît avoir fait de grands frais de recommandations à +mon sujet. Il s’est mis entièrement à ma disposition. + +Nous partons, et laissant un peu à droite deux des villages qui +entourent Tougourt, nous passons entre les _deux_ forêts de palmiers, et +traversons les marais de la Chemorra dans leur largeur. Peu après, nous +entrâmes dans une zone de dunes peu élevées, qui nous conduisit dans un +« oued » ou plaine assez unie appelée Oued-es-Sédīri. Comme nous étions +partis tard et que cette plaine est assez vaste, je me décidai à planter +la tente de bonne heure pour donner le temps à la viande de bœuf de +cuire. + +La plante qui couvre les endroits à sec de la Chemorra se nomme +_rhodhdhām_[63] ; elle fleurit au printemps, et j’attends mon retour +pour en prendre un échantillon. + +Ce matin, j’ai sorti mon thermomètre étalon, et j’ai fait des +comparaisons avec mon thermomètre fronde 207 et le thermomètre à alcool +d’Auer. + + +[Note 43 : Les Ouled-Sidi-Cheikh.] + +[Note 44 : Le maréchal Randon, gouverneur de l’Algérie de 1852 à 1858.] + +[Note 45 : Duveyrier n’a donc discerné, à cette époque, aucun type +spécial à cette population. L’idée d’une race autochtone foncée, dite +« garamantique », ne lui est venue que plus tard. (Voir _les Touaregs du +Nord_.)] + +[Note 46 : Si-Zoubir-bou-Bekr, le plus jeune frère de Si-Hamza, chef des +Ouled-Sidi-Cheikh. D’abord partisan du chérif, il s’était rallié à son +frère (décembre 1853 et avait été investi (février 1854) du khalifalik +d’Ouarglă (comprenant les cinq caïdats d’Ouarglă-Ngoussa, des Mekhadma, +des Saïd Otba et des Chambba-bou-Rouba), sous la suzeraineté de Si- +Hamza, nommé commandant du Sud. (_Mémoires du maréchal Randon_, Paris, +1875, I, p. 163-173). Mais Si-Hamza était loin, et Si-Zoubir le vrai +maître du pays.] + +[Note 47 : Drâ, « chaîne de collines et surtout de dunes, peu épaisse, +assez longue ». (Foureau.)] + +[Note 48 : Sur les origines du Chérif, voir les _Lettres familières sur +l’Algérie_ (2e édit. Alger, 1893, p. 214-242) du colonel Pein, qui fut +lui-même un des plus vaillants acteurs de la conquête de l’Extrême-Sud.] + +[Note 49 : Faîte du plateau de Tademayt.] + +[Note 50 : Zaouïa Moulaï Heïba.] + +[Note 51 : La sebkha Safioun, partie de la zone d’épandage de l’Oued-Mya +(Rolland, Rapport hydrologique, _Documents relatifs à la mission +Choisy_, t. III, p. 18).] + +[Note 52 : Profondeur, 2 mètres. — Température, 15°,2 à 15°,25 (Note de +H. Duveyrier). C’est l’Arefigi de M. Lahache. (Voir l’analyse des eaux, +_Étude hydrologique du Sahara français_. Paris, 1900, p. 103.)] + +[Note 53 : Sur l’outillage incroyablement primitif des indigènes voir le +colonel Pein (ouv. cité, p. 29-38) qui en parle comme témoin oculaire.] + +[Note 54 : Les mémoires du maréchal Randon ne signalent pas cette +tentative. Ils mentionnent seulement les négociations plus heureuses de +Si-Hamza avec les Touaregs Azdjer, qui furent la cause première de +l’envoi du capitaine de Bonnemain à Ghadamès et de l’interprète Bou- +Derba à Ghât. Ces négociations remontent à 1855-1856 ; l’idée première +de nouer des relations avec les Touaregs remonte à 1853. (Randon, +_Mémoires_, I, p. 250-255, 448.) Le maréchal se promettait beaucoup du +commerce du Sud. Voir, comme contre-partie, le récit humoristique du +colonel Pein, ouv. cité, p. 484-488. Sur Si-Hamza lui-même, voir A. +Bernard et N. Lacroix (_Historique de la pénétration saharienne_, Alger, +1900, p. 21, 37), qui citent une lettre inédite du général Durrieu +relative au projet de mission à Insalah.] + +[Note 55 : Briques simplement séchées au soleil.] + +[Note 56 : Duveyrier, atteint d’une grave maladie à son retour, n’a pu +s’acquitter de cette partie de sa tâche.] + +[Note 57 : D’après le Dr Sériziat, dès les premiers jours d’avril. +(Histoire médico-chirurgicale de la colonne du Sud, _Bull. de la Soc. +Algérienne de Climatologie_, 1871, p. 41.)] + +[Note 58 : M. Lahache a donné l’explication de cette teinte sanguine. +(_Étude hydrologique sur le Sahara français oriental_. Paris, 1900, p. +54.)] + +[Note 59 : Il est démontré aujourd’hui que l’insalubrité est en raison +directe de l’étendue des bas-fonds alternativement remplis d’eau +saumâtre et asséchés. A Tougourt, où les fossés ont été presque tous +comblés par l’administration française, « le nombre des cas de fièvre a +beaucoup diminué ». (Dr Weisgerber, Observations sur les conditions +sanitaires, _Doc. Mission Choisy_, t. III, p. 473-475.)] + +[Note 60 : Presque toutes les eaux du Sahara algérien sont chargées de +sulfates de chaux et de magnésie ; celles des puits artésiens de +Tougourt, qui ont donné à l’analyse de 3 à 4 grammes de sels anhydres +par litre, ne sont ni les plus minéralisées, ni les plus nocives, mais +contiennent toutefois une forte proportion de sulfate de chaux. (Voir +Weisgerber, rapport cité, p. 480, et Lahache, ouv. cité, p. 48, 71.)] + +[Note 61 : Ces observations ont été publiées dans _les Touaregs du +Nord_, p. 113.] + +[Note 62 : Voir _Touaregs du Nord_, p. 436.] + +[Note 63 : Nom inconnu. Faut-il lire Gueddâm, _Salsola vermiculata_ ?] + + + + + CHAPITRE III + + DE TOUGOURT AU DJERID PAR LE SOUF + + + 1er mars 1860. + +A peine voulions-nous partir ce matin, que le chameau qui portait les +cantines, et qui est très timide, effrayé par quelque chose, prit tout à +coup le galop, et après quelques instants de résistance, les cantines +volèrent en l’air, une des chaînes s’étant cassée. Les caisses +retombèrent sens dessus dessous à mon grand crève-cœur. — Après avoir +procédé à l’ouverture des cantines, je trouvai deux flacons vides +cassés, une bouteille de vin et un grand flacon d’eau sédative dans le +même état. Le dégât causé par cet accident est assez grave, mon sucre +est presque entièrement perdu, et beaucoup de linges et de livres sont +plus ou moins tachés. De plus, je perds deux flacons précieux pour +mettre des objets d’histoire naturelle. + +Le chamelier à qui appartient le chameau, et qui avait insisté pour +qu’on lui confiât les cantines malgré les observations d’Ahmed, aura une +bonne amende en arrivant au Souf. + +Après ce retard, nous nous mîmes en marche, et traversâmes +alternativement des zones de dunes et des _oueds_. La végétation se +composait d’_alenda_, _zeita_, _sefār_, _drīn_, _lebbîn_ et _arta_. + +Nous arrivâmes dans l’après-midi aux puits de Mouia Ferdjān[64]. Ils +sont au nombre de trois et entourés chacun d’un petit mur en maçonnerie +pour empêcher que les sables ne les comblent. L’eau de ces puits, de +celui de l’est en particulier, est très bonne et a une température assez +basse. + +Nous ne nous arrêtâmes aux puits que le temps d’abreuver mon cheval et +de remplir les outres, et nous continuâmes encore un peu dans un pays +semblable à celui que nous avions laissé derrière nous. — Nous campâmes +de bonne heure, pour les mêmes raisons culinaires que la veille. + + 2 mars. + +Nous continuâmes de voyager dans une contrée alternant de l’oued aux +dunes, et passâmes notamment plusieurs de ces dernières, comme Sif +Soltan, Sif er Retem et Sif el Lehoudi. Nous déjeunâmes dans l’oued +Nàīma. + +Ensuite nous traversâmes un pays où les dunes devenaient de plus en plus +hautes. En route nous rencontrâmes trois spahis venus d’El-Oued et se +rendant à Tougourt ; ils vinrent tous me serrer la main, nous +échangeâmes les nouvelles et partîmes chacun de notre côté. Nous +rencontrâmes ensuite des gens du Souf venus avec des chameaux pour +ramasser du bois et du drin, ces deux objets manquant dans les dunes +plus près de leur pays, là où la consommation en était facile. + +Nous arrivâmes enfin à Ourmās, plantations de palmiers et jardins +_creusés_ dans les sables. On y voit un assez bon nombre de maisons et +nous y remarquâmes quelques habitants, quoique ce ne soit guère qu’en +automne que cet endroit soit habité à cause des fruits et des dattes. Au +moment de quitter Ourmas, Ahmed me fit remarquer trois petits dômes de +maçonnerie émergeant du sable ; il me dit que c’était le toit d’une +maison qu’il avait vue avant que les sables ne l’eussent ensevelie. + +De là, après avoir traversé une zone de hautes dunes, nous entrâmes dans +un terrain plus aisé, et atteignîmes bientôt Kouinin. + +Le cheikh nous reçut bien, nous donna sa maison, et comme j’y entrai +avant que la famille ne l’eût quittée, je pus voir deux dames d’une +beauté incontestable et une négresse toute réjouie qui n’avait +probablement jamais rien vu d’aussi extraordinaire que ma personne et +mon bagage. Le tout annonçait une certaine civilisation et un vrai bien- +être. La maison et le mobilier répondaient parfaitement à la figure des +femmes et à leur habillement. + +Après un bon dîner, je me mets en poste d’observation avec l’intention +de faire de bonnes observations astronomiques. — Le vent qui avait cessé +au coucher du soleil et qui a repris depuis me gênera probablement. + +Je vois, à mon grand regret, que la lunette de mon sextant est +insuffisante pour me permettre d’observer des occultations, du moins +quand la lune est aussi brillante[65]. + + 3 mars. + +Kouinin est bâti tout à fait comme Guémār ; c’est-à-dire que les cours +des maisons sont entourées d’appartements réels, et qu’on n’y voit pas +de tente au milieu comme à El-Oued, c’est-à-dire le nomadisme luttant +contre l’état sédentaire. Les murs varient de hauteur depuis l’épaule +d’un homme jusqu’à sa tête ; les dômes, etc., ne sont ni égalisés ni +crépis, de sorte que le tout n’offre pas un spectacle de propreté ni +d’élégance. + +Au moment du départ, on cria que le khalifa était arrivé et, en effet, +je vis déboucher au bout de la rue plusieurs cavaliers. Nous allâmes au- +devant les uns des autres, et mîmes pied à terre à distance respectueuse +pour venir nous prendre la main et nous informer de nos précieuses +santés. Car telle est la règle. + +Ceci fit que je fus obligé de partir pour El-Oued sans faire le levé de +la route, car à cheval et du pas où nous allions, il ne fallait pas y +penser. + +J’appris que le khalifa retenait une caravane très nombreuse pour me +faire passer au Djérid en bonne compagnie. + +Je passe la journée à écrire des lettres qui partent aujourd’hui même +pour Tougourt. Je mets mes itinéraires au courant ; dessine un peu et +fais des observations. + + 4 mars. + +Ma journée n’a pas été heureuse. J’ai eu le malheur de casser mon +dernier baromètre Fortin, cependant je pourrai le raccommoder dès que +j’aurai des tubes. Cela n’en est pas moins très fâcheux, vu que les +notes barométriques devaient être un des résultats les plus intéressants +de mon voyage[66]. + +Je passe la matinée à finir de copier au net l’itinéraire de l’Oued-Righ +ici. + +Il arrive une caravane du Djérid qui donne les meilleures nouvelles ; il +en était venu une hier encore. + +Je fais encore acheter par Ahmed différentes choses qui me manquent, et +je m’amuse à décrasser un certain nombre de monnaies romaines et +semblables que je me suis procurées ici. Elles courent comme les +« felous[67] » de Tunis. + +Presque toutes sont très petites. Les principales sont de Constantin ; +d’autres portent des figures de souverains avec une couronne ressemblant +aux couronnes les plus primitives du moyen âge ; enfin j’en ai où l’on +reconnaît l’éléphant et le palmier et qui doivent venir de Carthage. +Outre cela, il y a des médailles avec des figures de saints, des anges +ailés, etc., etc., qui doivent avoir une origine chrétienne, et étaient +frappées pour accomplir un vœu, comme l’une d’elles paraît me le +prouver. + +Ces médailles sont trouvées dans les ruines de Besseriani[68] et de +_Hēdra_[69] principalement. + +Le soir, je vais voir trois noces. La première était à une tente dans +les sables à l’ouest de la ville. La mère du marié vint nous faire ses +excuses en nous disant que ce n’était qu’une petite fille et que, par +conséquent, on n’avait pas voulu avoir une grande fête. Cette petite +fille venait de se sauver de chez ses parents pour se réfugier dans la +tente de l’homme qu’elle aimait. On dit que demain elle sera donnée +légalement. C’est bien le moins lorsqu’il n’est plus possible de la +reprendre. + +Les autres noces avaient plus d’apparat, je veux dire de bruit. Les +femmes sont rassemblées dans une cour, quelquefois en cercle et tournant +le dos, d’autres fois la figure découverte et de face. Elles +bredouillent quelques chants presque inintelligibles et font you-you aux +jeunes gens qui viennent avec beaucoup d’embarras tirer un coup de fusil +dans le sable à côté d’elles. Quelquefois les Messieurs se préparent à +la décharge par une sorte de pas (de danse) tout à fait curieux, et qui +imite le pas de la danse arabe au commencement de l’exercice. + +Du reste, les femmes et les hommes ne se parlent pas. Si (et cela +arrive) une des femmes invitées a un _amant_, celui-ci vient à la fête +faire le plus de bruit qu’il peut pour se montrer dans son plus beau +jour. En revenant, je rencontrai des bandes de jeunes gens chantant en +chœur toujours la même complainte et le plus fort qu’ils pouvaient, pour +être entendus des femmes dans les maisons. — Je remarquai que ceux qui +se distinguaient le plus à la noce étaient pour la plupart de fort +jeunes gens. + +Le puits est ici l’endroit des intrigues et des amours. Quand un homme +va au puits pour abreuver son cheval, et il choisit alors un puits d’eau +excellente situé dans les dunes hors de la ville, son amie choisit aussi +ce moment pour aller y puiser l’eau et ils se voient de cette manière. +Du reste, l’amant choisit toute occasion opportune. Son amie est-elle +mariée ? il saisit le moment où le mari va au marché, aux plantations, +etc... Les amants de ce pays ne peuvent pas manger l’un devant l’autre : +ils doivent paraître fuir la nourriture. + + mars. + +Comme tous les jours de départ, ce matin ne fut pas très gai à passer ; +c’étaient des oublis, des ordres, des contre-ordres à n’en plus finir. + +Enfin, lorsque tout fut prêt de mon côté, on s’aperçut que la caravane +d’El-Oued n’était pas encore tout à fait prête à partir. Je n’en voulus +pas moins partir immédiatement, et le khalifa ainsi que deux ou trois +autres notables montèrent à cheval pour me faire un peu la conduite. + +Nous partîmes par le quartier des Oulad Hamed et entrâmes immédiatement +dans les dunes et les « Ghitan », c’est-à-dire jardins de palmiers +creusés dans le sable. Quelques-uns de ces « ghitan » étaient tellement +profonds, que le faîte des palmiers hauts de 15 à 20 mètres n’atteignait +que la hauteur de mon épaule ou de ma tête (moi étant sur la route). + +Le vieux cheikh qui accompagnait le khalifa, proposa au moment de la +séparation de réciter la « fātĭha », mais le khalifa fit semblant de ne +pas comprendre ou espéra peut-être que je n’avais pas fait attention à +la proposition. Du reste, je tiens peu aux _fātĭha_ et aux bénédictions, +mais, si j’y tenais, j’aurais peut-être préféré celle-là à d’autres. + +Après nous être quittés, nous entrâmes dans un océan de dunes dépourvues +de toute végétation, nous avions laissé les jardins derrière nous. — +Nous touchâmes bientôt à un four à chaux primitif ; on extrait la pierre +à chaux sur place. C’est le même type de plâtre ou de calcaire friable, +saccharoïde, que j’ai observé la première fois à Chegga du Sud. + +Près de là je trouvai un peu de _lebbīn_, euphorbiacée qui croit +volontiers dans les intervalles des dunes. Je fus surpris de rencontrer +aussi deux ou trois papillons, qu’il fallut renoncer à attraper. + +Après une marche assez longue dans les sables, nous entrâmes dans un +terrain uni et arrivâmes bientôt au puits de Tĕrfāoui au nord duquel il +y a une petite ligne de jardins où l’on cultive principalement des +oignons, mais où l’on paraissait tenter la culture du palmier. Deux +individus étaient en train de ramasser les crottes de chameaux pour les +enfouir autour du pied des jeunes plants. + +De là nous reprîmes les dunes et eûmes de nouveau une longue et +ennuyeuse marche à fournir avant d’arriver au Sahēn, sorte de plaine +unie au milieu de laquelle est situé le puits du même nom où devait se +réunir la caravane. Nous trouvâmes déjà campés depuis hier au soir de +nombreux voyageurs comptant 60 fusils ; plus tard, dans la soirée, la +caravane d’El-Oued nous rejoignit. Je plantai ma tente près du puits +entre les deux caravanes. Un cheikh de Kouinin et un domestique du +khalifa attendaient mon arrivée ; aussitôt qu’ils se furent assurés que +j’avais rejoint la caravane, ils repartirent pour coucher à Djebīla[70]. + +Cette caravane est la première que j’aie vue aussi grande et aussi +complète. Il y a des Souāfa, des gens du Djérid, des Ghadamsia[71], +etc.... ; les bêtes de somme sont très variées, depuis le cheval +jusqu’au chameau et aux bourricots. Une vieille de l’Ouest (Ouled +Naīl ?) s’est adjointe à mon petit camp ; elle se rend au Djérid où sa +fille est mariée. Elle invoque tous les quarts d’heure Sidi Mohammed +el’Aïd, le saint vivant de Temassin[72]. — Je fais porter à un de mes +chameaux son modeste bagage. + +Ce soir, nous entendons des Khouan[73] de Sidi Moustapha qui chantent +leur prière avec accompagnement de musique. Ceci est dans la caravane +campée au nord. Au sud nous avons une musique moins monotone, c’est le +chant et la voix des femmes qui y sont en nombre. + +Je remarque que, dans les jardins au milieu des dunes, l’on a soin de +garnir la crête de ces dernières d’une haie de palmes presque +entièrement enterrées pour que les sables ne soient pas portés par le +vent dans le jardin, et, d’un autre côté, pour que les sables que l’on +déblaye ne retombent pas dans le « ghoūt »[74]. + + 6 mars. + +Je fus malade toute la nuit, ayant une indigestion très douloureuse. +Aussi ce matin me fallut-il une bonne dose d’énergie pour ordonner le +départ comme d’habitude et monter en selle. + +Au moment de partir, je reçus mon courrier de Tougourt, qui +malheureusement ne renfermait qu’une lettre de mon père et une d’Auer. +Je reçois la lettre du Ministre des affaires étrangères pour M. Botta. + +Les gens de la caravane parurent mettre plus de soin qu’hier à se +rassembler en un seul bloc, mais les peines furent vaines, au bout de +quelque temps, les pelotons de la caravane étaient séparés par plusieurs +kilomètres. — On voulut aussi m’effrayer, je ne sais quel intérêt +avaient ces hommes à ne pas aller par la route orientale que j’avais +choisie. On voulut me faire croire qu’à un des puits nous allions +trouver 1.200 cavaliers de Nemēmcha insoumis. Je me bornai à leur +demander comment le puits pouvait abreuver tant de monde et tant de +chevaux. + +Pendant que je marchais avec mes chameaux isolés, un homme assez drôle +se joignit à nous. Il était coiffé d’un turban vert et d’une calotte +rouge. Son vêtement consistait en deux burnous assez sales, et comme +arme il portait, jeté sur son dos, un immense sabre. Cet homme avait des +manières très européennes, celles d’un homme peu distingué, bien +entendu, et il parlait beaucoup. Il nous dit qu’il était depuis quarante +ans « policeman » à Tunis, que sur trois nuits il en passait une de +garde. Les policemen ne sont pas payés à Tunis et il nous raconta qu’il +ne s’était fait inscrire comme tel que pour avoir l’avantage de sortir +le soir après le couvre-feu, et d’aller dans telle et telle maison qui +lui plaisait, chez les jolies femmes qui lui convenaient, beaucoup même, +à l’en croire. Ensuite, si la police n’est pas payée, elle se fait plus +d’argent sans cela, car elle permet toutes débauches nocturnes pourvu +qu’on lui graisse la main. — Mon homme avait aussi un faible pour les +spiritueux et il avait emporté de la _mahia_ avec lui. + +Pendant que nous causions ainsi, un pèlerin marocain qui nous suivait +tout couvert de guenilles nous cria : « Voilà un mouton » ; en effet, il +y avait à quelques pas de nous une brebis perdue et boiteuse. Ahmed et +le policeman tunisien fondirent dessus et, après un débat où la probité +de chacun se fit jour, l’animal fut égorgé par le policeman, qui le +considéra de bonne prise. + +Le soir, on la dépèce et la distribue. + +Quant au pays que nous traversâmes, ce fut une plaine uniforme, à sol +sablonneux et à végétation de _ălenda_, _semhari_, _arta_, _drīn_ et +_baguel_. De temps en temps une petite traînée de dunes en interrompait +la monotonie. + +Nous touchâmes à un puits nommé Wourrāda ; actuellement il est comblé. +Voilà l’histoire de cet événement. Le puits ayant été rempli de _drīn_ +pour une cause ou une autre, un pasteur y descendit dans l’intention de +le nettoyer. Comme il ne revenait pas, le frère de cet homme y descendit +aussi, mais y trouva la mort par asphyxie[75] ; enfin l’oncle des deux +jeunes gens voulut leur porter secours et faillit périr ; cependant il +put sortir. On combla le puits, qui sert de tombeau aux deux pasteurs. + +Vers la fin de la marche, un habitant du Djérid, monté sur son chameau, +prit un tambour de basque et commença une longue improvisation sur un +marabout vivant de Nefta, Moustapha ben Azoūz. Il jouait admirablement +bien de son instrument, et improvisait avec tant de facilité que je crus +qu’il récitait une litanie. Les couplets, composés de quatre vers, +étaient tous terminés par la même rime, et se terminaient par le refrain +que répétaient en chœur des jeunes gens de la caravane. Malheureusement +le chant m’empêchait de juger du sens des vers. — Cela m’arrive pour les +chœurs chantés à l’Opéra dans ma langue maternelle. + +Nous nous arrêtons au puits de Guettāra Ahmed ben ’Amara[76]. Je suis +dans un grand état d’épuisement et j’ai un peu de fièvre. Ce matin, +j’avais pris un peu d’huile de ricin, je prends ce soir une dose de +quinine dans du café et deux petites tasses de vin. — Une heure après je +me sens beaucoup mieux. + + 7 mars. + +Hier au soir, après que j’avais fini de rédiger mes notes, les +principaux membres de la caravane du Souf (Kouinin, Tarhzout et Guémār) +vinrent me visiter pour m’annoncer comme une chose arrangée qu’ils ne +partiraient pas le lendemain parce qu’ils venaient de recevoir la +nouvelle que nous allions passer au milieu des douars des Hammama. Ce +n’étaient pas les hommes que ces « braves » redoutaient, mais bien les +femmes, les enfants et les chiens. On allait envoyer un homme au cheikh +Moustapha, le marabout de Nefta et, selon qu’il dirait ou non d’arriver +sans crainte, on irait plus loin ou l’on s’en retournerait. Je m’opposai +net à une telle mesure, et fis demander dans la caravane quels étaient +ceux qui voulaient partir demain avec moi. La division fut très nette ; +les gens du Djérid, de Ghadāmès, ne voulaient pas rester, ceux d’El- +Oued, du Souf seuls étaient de l’avis contraire. Je décidai le départ. +Toute la nuit fut passée à se disputer dans le camp, mais quand le jour +parut, tout le monde était du même avis, qui était de me suivre. + +Nous rencontrâmes beaucoup de douars, de troupeaux des Oulād Sidi ’Abid +de la Régence de Tunis, mais ils ne firent que nous donner des +nouvelles, certes peu rassurantes. + +Vers le milieu de la journée, avant d’atteindre le puits d’El- +Khofch[77], toute la caravane résolut de ne pas passer par Nakhlet-el- +Mengoub, comme l’avait ordonné le kaïd. Moi, de mon côté, je m’obstinai +à prendre ce chemin, et nous nous séparâmes de très mauvaise humeur, +ayant à peine six ou sept hommes avec moi. Cependant, comme hier, mon +attitude déterminée leur fit accepter mon choix et ils nous rejoignirent +tous, sauf les Djéridiya, qui du reste ne nous étaient pas du tout +obligés. Nous continuâmes donc notre marche dans un sol de _heicha_, la +végétation de _dhomrān_[78], _zeita_, _souid_, etc., qui caractérise la +contrée de Chegga du Sud et la _heicha_ de l’Oued-Righ. Nous étions très +inquiets, les Hammama ne se trouvaient pas campés aux palmiers d’El- +Mengoub, et nous devions nous rapprocher sans cesse de leurs douars. + +Vers la fin du jour, nous aperçûmes les palmiers de Nafta et plus loin, +vers l’ouest, les montagnes de Negrîn et de Tamerza. Lorsque nous +voulûmes camper quelques instants avant le coucher du soleil, nous +tombâmes sur les troupeaux des Hammama, et pûmes nous assurer que la +tribu n’était pas loin. Les bergers vinrent dans le camp demander +différentes choses, ci du feu, là de l’eau, plus loin des dattes. Ils +vinrent jusqu’à mon feu où j’étais assis et demandèrent à boire à Ahmed. + +Nous entendîmes, le soir, les chants de leurs femmes, les cris des +enfants et les bêlements des troupeaux. + +Cette nuit ne fut pas très agréable à passer, plusieurs hommes de la +caravane la passèrent à veiller, le « policeman » tunisien entre autres. +Je veillai, pour ma part, la moitié de la nuit, et fis de longues rondes +dedans et hors du camp, que nous avions établi en demi-cercle, mon lit +et mon bagage en formant le centre. Aujourd’hui nous n’avons pas cru +devoir dresser la tente. + +J’entendis, vers le matin, le cri cadencé d’un chacal en chasse, auquel +répondit bientôt le chien d’un des troupeaux. + + 8 mars. + +Nous partîmes aujourd’hui avant la pointe du jour et commençâmes à +marcher vigoureusement dans l’espoir de dépasser la « nedjă » du Hammama +avant qu’elle ne prît notre route. + +Cependant, lorsque le soleil eut un peu monté à l’horizon, les yeux +perçants de mon guide découvrirent la nedjă s’avançant de notre côté sur +le sommet des _gour_ des Beni Mezab. A partir de ce moment, nous n’eûmes +pas une minute de repos. Chaque ondulation de cette immense ligne de +chameaux, de troupeaux et d’hommes était interprétée par mes trop +timides Souafa comme un signal d’attaque. + +Ce ne fut guère que lorsque nous fûmes entrés dans le chott[79] que nous +pûmes bien nous rendre compte du nombre des ennemis et de leurs +mouvements. Lorsque la « nedjă », qui jusqu’alors s’était tenue sur les +hauteurs, commença à se rapprocher du chott, les fantassins souafa +s’assirent par terre, tournant le dos aux Hammama ; Mohammed le guide, +qui à cet instant aperçut les cavaliers en avant des troupeaux, s’élança +à la tête des chameaux en criant d’arrêter. Il y eut là un mouvement +rapide qui me montra qu’en cas d’attaque, je ne pouvais compter que sur +bien peu de monde. Ahmed sauta à bas du chameau qu’il montait ; ôta son +burnous et arma son fusil, d’autres suivirent son exemple. Enfin +l’incertitude dura quelques instants, et l’on crut remarquer que les +cavaliers reprenaient la direction, je fis remettre les chameaux en +marche, mais ne pus pas empêcher quelques coups de feu de fantazia de +partir, la chose la plus inconsidérée dans notre position. + +J’eus là l’émotion de celui qui va être entraîné dans un combat pour son +droit, mais qui n’avait cherché de querelle à personne. Armé de mon +revolver, j’étais décidé à mesurer mes cinq coups et à démonter au moins +deux ou trois cavaliers. La lutte aurait été déplorable ; des guerriers +consommés, en nombre considérable, auraient certainement eu le dessus +sur quelques hommes déterminés mais embarrassés par une foule timorée et +inutile, par des femmes, des enfants et des chameaux chargés de sommes +considérables. + +Bientôt la « nedjă » se trouva à notre hauteur ; nous voyions cette +foule de cavaliers ; les quinze douars peuvent, d’après des +renseignements précis, mettre sur pied mille hommes. Ce n’était +cependant là qu’une des neuf fractions des Hammama qui, ayant eu à se +plaindre de son kaïd, avait envoyé une plainte au bey, mais se sauvait +sans attendre la réponse, décidée à revenir si le bey lui accordait sa +demande, et à quitter son gouvernement pour toujours si on ne faisait +pas attention à son grief. + +Nous marchions très vite et arrivâmes enfin près des palmiers de Ghîtān +ed Cherfā, où nous rencontrâmes deux cavaliers hammama attardés, que +nous saluâmes en passant. Ils sont bien montés, ont d’énormes étriers, +et sont surtout remarquables par leur manière de s’envelopper dans leur +haouli, ne laissant voir que le milieu du visage ; leur chachiă est +enfoncée jusqu’aux sourcils ; enfin ils n’ont pas de corde de poil de +chameau. Ahmed me dit qu’ils revêtent quelquefois des haïks de coton +bleu, comme les femmes du Souf. + +Nous déjeunâmes à côté des plantations de Nafta, où nous rencontrâmes un +dernier Hammami et nous empressâmes ensuite d’entrer dans la ville ; je +descendis à la maison du Bey. + + +[Note 64 : Profondeur, 5 mètres. — Température, 17°,30. (Note de H. +Duveyrier.)] + +[Note 65 : Le détail des observations astronomiques de Duveyrier a été +publié dans les _Les Touaregs du Nord_, p. 134-140.] + +[Note 66 : Duveyrier n’en continua pas moins à observer à l’aide de +l’anéroïde. « J’ai pu, dit-il, en faire usage concurremment avec les +Fortin et pendant assez de temps, avant que ces instruments aient été +brisés, pour bien étudier les dilatations de l’anéroïde et le corriger +de ses erreurs. » (_Les Touaregs du Nord_, p. 123.)] + +[Note 67 : Nom donné à la petite monnaie de cuivre en Tunisie et au +Maroc.] + +[Note 68 : _Ad Majores_, au nord du chott Rharsa, à 4 kilomètres au +S.-E. de l’oasis actuelle de Négrine. (V. Masqueray, _Ruines anciennes +de Khenchela à Besseriani_, _Revue Africaine_, 1879, p. 68.)] + +[Note 69 : Haïdra, au N.-E. de Tébessa ?] + +[Note 70 : Djebīla (« la Grasse »), un des villages du Souf, à 22 km. +N.-E. d’El-Oued.] + +[Note 71 : Gens de Ghadamès.] + +[Note 72 : Zaouïa des Tidjaniya.] + +[Note 73 : « Frères » disciples du marabout de Nefta dont il est +question plus loin.] + +[Note 74 : Dépression.] + +[Note 75 : Beaucoup de puits dégagent de l’hydrogène sulfuré, provenant +de la décomposition, dans l’eau chargée de sulfate de chaux, des +nombreuses matières organiques, tombées par l’orifice presque toujours +dépourvu de margelle.] + +[Note 76 : Profondeur 6m,20. — Température 20°,2 (H. Duv.).] + +[Note 77 : Profondeur 5m,50. — Température 21° (H. Duv.).] + +[Note 78 : Autre forme du mot ذمران] + +[Note 79 : Le chott El-Djérid.] + + + + + CHAPITRE IV + + AU DJÉRID + + +En traversant la rivière, ayant devant moi d’une part les constructions +pittoresques de la ville et de l’autre les beaux jardins de palmiers, je +fus frappé par le charme du site, qui me soulagea de l’appréhension du +danger et du dépit que m’avait causé le manque de courage de mes +compagnons de route. + +Nafta compte 3.000 hommes[80] ; il faut ajouter à cela les femmes et les +enfants non pubères. Les Juifs y sont 54 hommes avec les mêmes +additions. Les hommes s’habillent de fines jaquettes et pantalons +d’étoffes venus de Tunis, et s’enveloppent des beaux burnous si renommés +du Djérid ; ils ne portent pas de corde en poil de chameau. Les femmes, +dont plusieurs m’ont paru assez bien, mettent un pardessus d’étoffe +bleue foncée, comme au Souf, seulement elles sont plus propres et ont +des vêtements de dessous mieux arrangés. La population est du reste tout +à fait « beldiya » ; on y trouve pas mal d’embonpoint. Du reste, il y a +ici tout ce qui caractérise une grande ville arabe, des cafetiers en +vestes de soie brodée, des boutiques bien fournies, etc., etc. N’y +avait-il pas jusqu’à un fou, qui, comme celui d’El-Goléâ, paraît +attacher un intérêt particulier à mon humble personne, et est revenu +jusqu’à trois fois m’accabler de ses malédictions. On le chasse assez +rudement pour un fou musulman. + +Les Juifs se distinguent par un turban noir. Les femmes se voilent +occasionnellement dans la rue en ramenant leur haïk sur leur figure. + +La ville de Nafta paie actuellement un impôt qui s’élève à 350.000 +francs ou 70.000 douros, parmi lesquels il faut compter 30.000 douros +d’exactions de la part des employés du gouvernement. Ces chiffres sont +énormes, comparés à ce qui existe en Algérie. Chaque homme, petit ou +vieux, paie 23 francs annuellement ; le reste de l’impôt est sur les +palmiers. + +Les maisons de Nafta sont construites fort élevées, en briques minces, +je dirais presque en tuiles jaunes et rouges, unies par du mortier de +glaise ; elles ont un aspect fort élégant à l’extérieur et sont encore +ornées par divers dessins que forment les briques au-dessus des portes +et quelquefois tout le long des frontons. Certains quartiers de la ville +sont un peu ruinés ; vers le côté est on voit une tour assez élevée. Les +boutiques, sur le marché, sont disposées de la même manière économique +et simple qu’à Tougourt. + +Mais ce qui frappe le plus à Nafta, c’est sa rivière impétueuse, qui +coule auprès des palmiers, c’était la première fois que je voyais cela. +A l’endroit où elle se divise en deux branches, au moyen de +constructions en bois très solides et ingénieuses, pour aller arroser +les plantations, l’eau a 27° (à 4 h. p. m.). Le matin, on voit de la +vapeur ou du brouillard à sa surface[81]. L’eau renferme quelques +mousses aquatiques et les mêmes coquilles noires[82] que j’ai récoltées +dans l’oued Biskra, plus une variété cannelée des mêmes. + +Les jardins renferment, outre de magnifiques palmiers, des figuiers, des +citronniers, des limoniers, des orangers, des pêchers. On n’y trouve ni +oliviers ni pruniers, deux arbres qui se trouvent à Tōzer. Le _tarfa_ +croît aux environs des plantations. + +Les deux kaïds, le frère de Si’Ali Saci et Sid el ’Abid sont fort +aimables et me font beaucoup de politesses. Nous allons nous promener +ensemble et nous déjeunons et dînons ensemble. La cuisine qu’on nous +fait est exquise, dans le goût européen même. Il n’y a pas de ruines +romaines à Nafta. + +Un fait curieux est ici la même progression des sables de l’est à +l’ouest dont on se plaignait tant à Guémār. J’ai vu en effet les sables +amoncelés en dunes près de l’endroit d’où part la route de Tōzer ; ils +pénètrent dans les plantations, enterrent les palmiers, les maisons et +font que la ville s’élève progressivement[83]. Ainsi s’il n’y a pas de +ruines romaines aujourd’hui, on ne peut pas affirmer qu’il n’y en a +jamais eu ; elles ont pu être enterrées depuis longtemps. + +Tous les Souafa de la caravane se sont empressés d’aller voir leur +cheikh et marabout Sidi Moustapha, chanter de nombreux « la illah ! » et +jouer de la « bendīr ». + +Les rues de Nafta sont spacieuses, mais non d’une propreté exemplaire, +quoiqu’on ne puisse pas non plus les accuser du contraire. + +Les gens de Nafta hébergent les Hammama, leur donnent la diffa et de +l’orge pour leurs chevaux lorsqu’ils viennent en ville, pour qu’en +revanche ceux-ci les épargnent lorsqu’ils les rencontrent en voyage ! + + 9 mars. + +Je décide de ne partir pour Tōzer que demain matin. + +Le matin, je vais voir les sources de l’oued Nafta ; cela me donne +l’occasion de voir dans les jardins le « _nebqa_ », un _Rhamnus_[84] qui +atteint 20 mètres de haut et de grandes dimensions ; son fruit est gros +comme une grosse cerise, atteint même la grosseur d’une prune. + +Les sources qui forment l’oued sont assez chaudes, elles sortent de +dessous une couche de marnes très épaisse, qui par exemple au Ras- +el’Aioun[85] atteint une hauteur d’environ 30 mètres. Ces marnes varient +de structure, de couleur et de friabilité. Le reste du terrain de Nafta +se compose de grès très friables, si l’on peut appeler ainsi un +conglomérat de sables quartzeux renfermant de petites veines de glaise, +et des rognons atteignant quelquefois un volume considérable de grès +véritable renfermant quelquefois de la marne. + +Les eaux de l’Oued renferment des poissons qui vivent surtout dans les +endroits où l’eau est le plus chaude. Ils ont des taches rougeâtres ou +orangées, quelques-unes prenant 1/5e du dos. — Les flaques d’eau formées +par les sources nombreuses renferment des coquilles différentes de +celles de l’Oued. + +Les animaux de Nafta à noter sont les bœufs (en petit nombre), les +lapins (!), les chiens de races variées, les chèvres de race européenne. + +Je vais voir le soir le marabout Sid’Moustapha ben Azoûz, qui me reçoit +d’une façon fort civile, et s’efforce de me faire comprendre que tous, +musulmans, chrétiens et juifs sont ses enfants, tous ceux que Dieu a +créés[86] ; il approuve mes études. Nous mangeons sa « bénédiction », +pour rendre la parole arabe. — Sa zaouiya était remplie de monde, +surtout de pèlerins venus du Souf avec moi. + +Je suis obligé de donner de longs détails sur l’électricité, la vapeur +et beaucoup de choses semblables. + +Pendant que je dessinais la zaouiya de Sidi et Tabăi, de nombreux +curieux s’étaient rassemblés et parmi eux des tolba[87] : on montra +beaucoup de mauvais vouloir, et lorsque je demandai le nom de la +zaouiya, on refusa de me le donner ; c’est Sidel’Abīdi qui la reconnaît +sur le dessin et m’en donne le nom. Je me plains de cela, et on me donne +un mokhazeni[88] pour écarter la foule. Je finis la journée très bien. + +Les nuages qui ont occupé le ciel tout le temps de mon séjour m’ont +empêché de faire des observations astronomiques. A midi le soleil était +visible par intervalles, j’essayai de le prendre au méridien, mais mon +observation est, je le crains, peu concordante, parce que les deux kaïds +étaient à mes côtés et m’ennuyaient de questions. + + 10 mars. + +Nous sommes partis de Nefta d’assez bonne heure par un ouragan +épouvantable, le vent venant du nord-est avec beaucoup de force. Nous +étions gelés, quoique la température de l’air ne fût pas très basse. La +route de Nafta à Tōzer est très insignifiante, elle longe le chott à une +petite distance ; on est sur un terrain élevé, presque dénué de +végétation et très peu accidenté. Un peu avant d’arriver, on voit le +Djebel Tarfaouï. + +Tōzer a moins de population que Nafta (1.900 hommes), mais possède des +plantations beaucoup plus considérables : 300.000 palmiers. Les +constructions sont ici les mêmes qu’à Nafta ; la ville possède aussi une +rivière qui prend sa source au bout ouest des plantations et qui est +aussi considérable que celle de Nafta ; après avoir traversé les +plantations, elle va encore se perdre dans le chott. + +Je trouve ici le vice-consul Si Mohammed ben Rabah, à peine installé +depuis vingt jours ; nous nous embrassons en nous rencontrant, et je +suis charmé de trouver une perle d’homme dans ce personnage. Il possède +beaucoup de biens dans la ville et à Nafta, mais de crainte qu’on ne lui +reproche de la fantasia depuis son installation comme consul _français_, +il affecte une mise très simple. + +Les autorités me souhaitent la bienvenue, mais sont très occupées à +recueillir le reste de l’impôt que va venir prendre la _mahalla_. + +Je vais à cheval et le vice-consul sur sa mule à Beled el Hadar[89] voir +des restes de constructions romaines[90] qui servent de fondation à un +minaret isolé. La grande mosquée est à côté ; on m’avait dit qu’elle +renfermait des inscriptions, mais y étant entré, je n’y reconnus qu’un +inscription arabe, sculptée et peut-être intéressante comme monument de +culture architecturale. Mon habit me permet d’entrer dans une mosquée +sans faire trop de scandale. Quelqu’un ayant demandé dans le temple qui +j’étais, le vice-consul se contenta de répondre : « Un homme de l’Ouest. +— Quelqu’un qui cherche des inscriptions hébraïques ? — Oui. » + +Les fondations du minaret sont très solides, en pierres carrées ; plus +haut, des tronçons de colonnes et d’autres pierres ont été installées +dans la construction arabe ; enfin au-dessus de la porte on voit deux +pierres sculptées grossièrement. D’inscriptions, point. + +Mon cheval fit des sauts à n’en plus finir jusqu’à notre retour en +ville. Il y a des tentes des Hammāma auprès de la ville. J’ai pu voir +leur intérieur, qui ressemble en tout à celui des autres Arabes. + +Le vice-consul me fait apporter une table et une chaise. + +Tōzer compte 1.900 hommes depuis l’âge de puberté jusqu’aux vieillards. +L’impôt s’élève à 542.000 réals tounsi en comptant les exactions. Le +réal tounsi vaut 75 centimes. Ici on m’indique comme impôt de Nafta la +somme de 588.000 réals tounsi ; donc encore plus que Sid el’Abīdi +n’avait dit. On prétend encore que l’air de ce pays vaut mieux que celui +de Nafta, qui est déjà très bon[91]. + + 11 mars. + +Malgré toutes les précautions que je croyais avoir prises, je ne pus +partir que dans la soirée. Si Mohammed ben Rabah et deux « mokhazeni » +m’accompagnèrent jusqu’à Degach. Cette fois, j’avais abandonné le +chameau et mis mon bagage sur deux mulets que j’ai loués 40 francs d’ici +à Gabès et retour. Outre Ahmed, j’ai cru devoir prendre encore un +domestique qui aura pour gages 13 francs. + +La route qui sépare Tôzer de Degach est très insignifiante ; on verra +dans l’itinéraire les traits principaux qui la caractérisent. Je dois +cependant remarquer que dans l’oued à sec qui sépare en deux la ville de +Degach, la constitution géologique des berges consiste en forts lits de +conglomérat de sables quartzeux séparés par de minces couches d’argile, +le tout ayant une position légèrement inclinée[92]. + +Dans tout le cercle d’el Ouidĭān ou de Tāgiroūs, dans lequel nous venons +d’entrer, il n’y a que 1.600 hommes et les biens de la terre se +réduisent à 188.000 palmiers ou oliviers, car cet arbre qui commence à +Tōzer, mais y est peu commun, se trouve ici en plus grand nombre. + +Dans ce pays, on considère Tōzer et Gafsa comme ayant le climat le plus +sain ; ensuite viennent Nafta et Degāch avec un bon climat encore, mais +Kĕrĭz est malsain ; les fièvres s’y montrent. El-Hamma près d’ici de +même ; l’autre Hamma près de Gabès encore de même, enfin le Nefzāoua +compte pour le plus mauvais climat. + +Les maisons ici sont construites en tōb, et sont loin d’égaler les +constructions de Nafta et de Tōzer. + +Je suis reçu par le khalifa et attends inutilement un ciel étoilé, et +presque avec autant de succès mon dîner. Cependant ce dernier arrive +très tard, et je me couche. La nuit, toutes les bêtes de somme font une +cohue générale, on peut à peine les séparer ; mon cheval est fortement +mordu en deux endroits. + + 12 mars. + +Ce matin, nous sommes partis de bonne heure et une courte marche nous +mena aux deux villages de Zorgān et d’Oulad Madjed. Dans ce dernier +endroit je m’arrêtai au minaret, isolé comme celui de Belīdet el Hadar, +et comme lui bâti sur des fondations romaines ; je le gravis à travers +différents casse-cou ; il est bâti en briques et de construction solide. +On m’avait dit que je devais trouver là une inscription latine, mais il +n’y en a aucune. Il fut question alors de la mosquée, j’y entrai et +trouvai une inscription arabe entourant le dôme de la niche de l’imān, +de même qu’à Belīdet el Hadar. + +Désappointés, nous continuâmes notre marche et entrâmes dans les +palmiers ; nous ne tardâmes pas à arriver aux ruines romaines du Guebba +qui sont au milieu de la _ghaba_[93]. Un indigène instruit me dit que +cette ville, car ce devait en être une, se nommait alors +« Tagiānoūs[94] ». Les ruines, presque partout se réduisant à des +fondations, car je suis persuadé que le reste était bâti en briques, +s’étendent sur un grand espace ; on reconnaît les plans des maisons ; et +çà et là, parmi les pierres dispersées, on rencontre un tronçon de +colonne ou une autre pierre travaillée. Deux monuments sont encore assez +apparents. C’est d’abord une petite construction carrée, évidemment +enterrée de beaucoup, qui me frappa par ce fait que les pierres de +taille sont surmontées d’un reste de construction en briques, identiques +à celles des maisons de Tōzer. + +[Illustration : Portion de muraille (Guebba). Ruines romaines. — La +niche dans la muraille est évidemment une écluse bouchée.] + +L’autre ruine consiste en un long mur ou sommet de muraille, entièrement +en pierre de taille avec une sorte de fausse porte voûtée, qui pourrait +être encore une écluse pour les eaux ; de même que le mur pouvait faire +partie d’un réservoir ; mais les indigènes rapportent eux-mêmes que les +sables, la terre elle-même s’exhausse toujours par suite des vents qui +l’amènent, et me disaient que, s’il y avait des inscriptions à Guebba, +le vent les aurait ensevelies. Aujourd’hui les palmiers croissent au +milieu des enceintes des maisons de l’ancienne ville romaine, ce qui +prouve que cette partie des plantations est postérieure à l’occupation +romaine. + +En quittant Guebba, nous atteignîmes bientôt Kēriz, petite ville bâtie +en terre et en vase sur une élévation. En attendant le déjeuner, je +partis pour aller voir une inscription latine dans la montagne. + +Avant d’entrer dans les rochers, nous découvrîmes dans l’embouchure d’un +ravin un petit douār de 5 à 6 misérables tentes de Hammāma. Nous +gravîmes la montagne, et environ aux trois quarts de sa hauteur, nous +nous arrêtâmes à un rocher plat, très raviné par la pluie, et formant +une table inclinée. Là se trouve une inscription écrite très +grossièrement et à la légère, en lettres de 50 centimètres de hauteur ; +elle se compose de trois lignes ; à côté il y en a une seconde de deux +lignes et beaucoup plus petite, qui, plus facile à restaurer que +l’autre, indique que cet endroit était consacré à Mercure et avait le +privilège d’asile. La nature de cette inscription et surtout sa position +dans un endroit peu accessible et isolé est digne de remarque. + +[Illustration : Inscription du Djébel-Sebaa Regoûd au nord de +Kerîz[95].] + +La nature géologique de la montagne de Sebaa Regoûd est un calcaire +coquillier marin. Il contient beaucoup de fossiles[96], notamment des +oursins. Je trouve sur la route plusieurs plantes et fleurs nouvelles +pour moi, toutes très humbles. + +Nous retournons, et à la hauteur du douar, deux femmes habillées de bleu +viennent demander qui je suis ; il leur est répondu : « Un Occidental de +l’Occident ». + +De Kērīz une très courte marche nous amena à Sedāda, qui lui ressemble +beaucoup. Les habitants de cette ville ne sont pas aussi civilisés que +ceux des autres ; ils m’ennuient même beaucoup. On fait déjà des +difficultés pour me montrer des ruines romaines ; nous allons à +Tamezrarit, petite _ghaba_ de palmiers, oliviers et autres cultures qui +se trouve un peu à l’est ; là je me fâche contre le cheikh qui me paraît +très soupçonneux et je fais tourner bride. Je reviendrai si les ruines +en valent la peine[97]. + +De retour à la maison qui m’est destinée, je la fais évacuer par tout le +monde, et comme quelques Arabes Hammāma et autres va-nu-pieds semblent +trouver drôle qu’on les empêche _de voir_ un roumi qui cherche des +pierres romaines, et que ces Messieurs se disputent avec Ahmed pour ne +pas s’en aller, je fais venir le cheikh, et exécute une scène éloquente +où je qualifie de chiens les susdits Arabes ; le cheikh tâche de me +surpasser de colère et me propose de les mettre tous en prison. + +Le ciel s’éclaircit le soir et je puis prendre la latitude des lieux. +Les cartes ont une erreur énorme pour tout le sud de la Tunisie. + + 13 mars. + +Ce matin, en m’éveillant, je trouvai la pluie, et le ciel menaçant de ne +pas s’éclaircir de toute la journée, je profitai de ce que le second +« mokhazeni » n’était pas encore arrivé pour accéder à la demande de mes +gens qui ne se souciaient pas outre mesure de partir. + +J’eus lieu d’être très mécontent de la conduite du cheikh et de ses +administrés ; comme il était une heure et que le _déjeuner_ ne semblait +pas devoir paraître, je fis appeler le cheikh et lui adressai des +reproches très vifs sur toute sa conduite ; je fis venir un des +cavaliers, lui ordonnai de monter à cheval, d’aller avertir le vice- +consul de mes tracas, et en même temps d’apporter des vivres de Tōzer. + +Dans l’intervalle, le second mokhazeni était venu avec deux officiers du +Makhzen, portant titres de chaouchs ; ceux-ci, voyant cela, se fâchèrent +tout de bon, et firent sentir au cheikh combien sa manière d’agir était +déplacée envers quelqu’un muni de passeports de leur seigneur. Le cheikh +me pria instamment de faire rappeler le cavalier, mais je tins ferme, le +menaçant de plus de parler de tout cela à Hammouda Bey. Enfin le chaouch +le plus civilisé me vainquit et me fit envoyer ’Amar chercher le +mokhāzeni. A partir de ce moment, tout rentra dans l’ordre. + +Dans la soirée, on vint me dire qu’il y avait des ruines près de +Tamezrarīt ; je montai à cheval et m’y rendis avec le cheikh, Ahmed et +un guide ; nous suivîmes la route frayée qui mène à Zitouna, etc., et +arrivâmes à un emplacement appelé par les indigènes Kesár Bent el ’Abrī. +C’est un espace assez vaste, occupé par des fondations de très vastes +enceintes. En fait de pierres travaillées, on n’y remarque qu’un moulin +à huile. Ces fondations sont en pierres de petites dimensions, et, si je +ne me trompe, on y distingue des briques ; l’alignement des murailles +est irréprochable, l’épaisseur des murs peut être de 40 centimètres. + +Chemin faisant, j’appris du cheikh qui est très bavard, que dans le +Djérid il n’y avait autrefois que deux sultans : celui de Guebba et +celui de Belīdet el Hadar ; que chacun avait son minaret : celui de +Belīdet el Hadar existe encore entier ; celui de Guebba (dont j’ai +décrit plus haut la base) a été détruit par le propriétaire de la +plantation où sont les ruines. + +D’autres renseignements, venant de la même source, montrent combien les +Hammāma sont des gens terribles. A la saison des dattes, toutes les +nuits il y a des coups de feu tirés entre les habitants de Sédāda el les +Hammāma campés au sud qui veulent obtenir des dattes de force. L’automne +dernier, des gens de cette tribu rencontrèrent sur le chott un troupeau +conduit par un berger des leurs ; ils lui volèrent un mouton ; le berger +les poursuivit et les atteignit aux plantations ; ils se disputèrent, et +les voleurs égorgèrent (littéralement) le malheureux. — Il y a un défilé +dans la montagne qui conduit à Gafsa ; chaque jour, on peut être sûr +qu’il y a une cinquantaine de Hammāma embusqués ; un des leurs fait +vigie sur un rocher, et quand ils aperçoivent une faible compagnie de +trois ou quatre voyageurs, ils tombent dessus, tuent les hommes et +emportent tout. — C’est déplorable[98]. + +Personne ne sort dans ce pays sans être armé ; ceci est à la lettre, on +ne peut pas s’éloigner de 4 à 500 mètres des villes sans avoir à +craindre quelque guet-apens. + + +[Note 80 : Chiffres donnés par les kaïds (H. Duv.).] + +[Note 81 : M. Dru a précisé la température des sources : « 26°,2 au +milieu du bassin, 28° sur les bords aux points où l’eau sort de terre, +et 30° sous les cabanes en troncs de palmiers qui vont chercher l’eau un +peu plus profondément dans l’argile ». (Note sur l’hydrologie, la +géologie et la paléontologie du bassin des chotts, _in_ Roudaire, +_Rapport sur la dernière expédition des Chotts_. Paris, 1881, p. 43.)] + +[Note 82 : _Melanopsis Maroccana_. (Bourguignat, Appendice aux _Touaregs +du Nord_, p. 21.)] + +[Note 83 : En 1887, l’envahissement continuait et affectait surtout le +sud de l’oasis. La cause principale de la progression des sables est la +destruction de la végétation aux alentours de l’oasis. (Voir l’enquête +de M. Baraban, _A travers la Tunisie_. Paris, 1887, p. 120 et suiv.).] + +[Note 84 : C’est le _Zizyphus Spina Christi_, qu’on appelle zefzef en +Algérie. Il est remarquable, au point de vue des anciennes relations du +Djérid avec l’Orient, que le nom donné ici, nebqa, nabq, soit celui +usité en Égypte. (V. Duveyrier, _les Touaregs du Nord_, p. 159 ; +Ascherson dit qu’en Égypte le nom de nebeq s’applique au fruit (Pflanzen +des mittlern Nord-Afrika, dans Rohlfs, _Kufra_, p. 471).] + +[Note 85 : « Tête des sources. »] + +[Note 86 : Cela rappelle la paternité du Père Enfantin (H. Duv.).] + +[Note 87 : Lettrés. Les zaouiyas de Nafta sont nombreuses, et les +fanatiques faillirent faire un mauvais parti à la mission Roudaire.] + +[Note 88 : Cavalier du Makhzen.] + +[Note 89 : Un des villages de l’oasis, l’emplacement de l’antique +Tuzurus ?] + +[Note 90 : Duveyrier écrit ailleurs : « La distribution d’eau se fait +encore au moyen d’ouvrages en pierres de taille que les Romains ont +laissés. » (Excursion dans le Djérid, _Revue algérienne et coloniale_, +1860, II, p. 346.)] + +[Note 91 : Cette salubrité est très relative. En réalité, toutes ces +oasis ombreuses respirent la fièvre (voir Vuillemin, _Étude médicale sur +le Djérid_, _Archives de médecine militaire_, 1884, IV, p. 7, et sur les +conditions sanitaires des oasis en général, les témoignages réunis par +Schirmer, _le Sahara_, chap. XIII).] + +[Note 92 : L’inclinaison des couches, par suite de failles diverses, est +un fait général sur les bords du chott Djérid. « Partout on constate des +formations redressées sous les angles les plus divers. » (Dru, dans +Rapport Roudaire cité p. 47.)] + +[Note 93 : « Forêt » (de palmiers).] + +[Note 94 : Probablement la Takious du moyen âge, la Thiges de la Table +de Peutinger. Cf. Tissot, II, p. 683.] + +[Note 95 : Cf. dans Tissot, II, p. 684, note de M. S. Reinach.] + +[Note 96 : Voir Dru et Munier-Chalmas, rapport cité, p. 57 et suiv.] + +[Note 97 : Il ne faut pas oublier, pour apprécier ces recherches de +Duveyrier, qu’on savait alors peu de chose de ces ruines du Djérid. Il +n’y a guère à citer avant lui que Shaw, Desfontaines, Pellissier et +Berbrugger. Les études de Tissot, qui avait passé au Djérid en 1853 et +1857, étaient encore inédites.] + +[Note 98 : Cette région n’a pas cessé d’être mal famée jusqu’à +l’occupation française. Lors de la dernière mission Roudaire, les +indigènes fréquentaient le moins possible cette rive nord du chott +Djérid. (Rapport cité, p. 17.)] + + + + + CHAPITRE V + + NEFZAOUA ET GABÈS + + + 14 mars. + +Nous partîmes après le lever du soleil, et entrâmes de suite dans le +chott, cependant la végétation nous suivit encore quelque temps ; nous +notâmes en particulier quelques _tarfa_, du _zeita_ et le _bougriba_. + +Ensuite nous entrâmes dans le chott véritable dont la surface variait de +la terre glaise solide et glissante aux terres noirâtres détrempées et à +une surface de sol très solide. Cette dernière se trouvait couverte de +dessins circulaires en forme de damier, absolument semblables aux +dessins en relief que présentent les affleurements calcaires depuis +Biskra jusqu’à El-Guerāra. + +Je pus prendre des directions de boussole vers différents points du +Djébel-Chāreb[99], qui correspondent à des points qui m’ont été indiqués +comme possédant des ruines romaines. + +Le voyage sur le chott n’eut rien de remarquable jusqu’au moment où nous +arrivâmes à un puits romain, ou du moins à ce que je prends pour un +puits romain comblé. Ce sont de grandes pierres plates rangées en +rayonnant. On appelle cet endroit Oumm el Goreīnat ; une minute avant +d’y arriver, nous avions coupé une flaque d’eau formant le bas de l’oued +Zitouna[100]. + +Ensuite nous continuâmes notre longue route à travers cette mer +desséchée. Nous revîmes, avant d’arriver dans le Nefzāoua, la même +gradation de la végétation que nous avions remarquée en quittant le +Djérid. Les _tarfa_ se montrèrent encore. + +Lorsque nous entrâmes dans le Nefzāoua, la végétation se montra +excessivement variée, et surtout nouvelle pour moi ; quantité de roseaux +et de graminées. + +La première ville ou plutôt le premier village que nous y rencontrâmes +fut celui de Zaouiyēt ed Debabkha. Celui-ci et tous les autres du +Nefzāoua sont tout petits et enfoncés dans des plantations de palmiers ; +souvent ils en sont tout à fait entourés. On voit à côté des villages de +petites oasis de palmiers, qui autrefois avaient chacune leur village, +mais ils furent alternativement détruits et changèrent de place ou +furent tout à fait oubliés. + +Nous n’arrivâmes que fort tard au bordj situé tout près du village de +Mansoura et non loin de Tellimīn. Le bordj est ce qui reste de +l’ancienne Tŏrra, nom qui est resté à la source qui coule au bas du +bordj. + +Je suis reçu par le kaïd Si Mohammed es Saïs. A l’entrée du bordj, un +vieux « zouāoui » se mit à me fouiller pour voir si j’avais des armes, +mais je l’envoyai à tous les diables, et Ahmed ne manqua pas de lui +administrer une poussade. Je trouvai dans le kaïd un homme comme il +faut, et je prévis de suite que je n’aurais aucun désagrément dans le +Nefzāoua. Je trouvai là un juif faisant fonction de receveur des impôts. +Le kaïd ne passe dans le Nefzaoua que peu de mois avant l’arrivée de la +colonne dans le Djérid. Puis il revient à Tunis avec elle. Outre que le +séjour est peu agréable pour ce grand seigneur, il est probable que sa +vie n’y serait pas toujours sûre ; aussi prend-on même pour le court +moment de son séjour de grandes précautions ; il n’est pas permis +d’entrer dans le bordj avec des armes. On a bien soin d’étaler devant la +porte un vieux canon de fer, et il y en a un autre qui passe sa gueule à +une petite fenêtre sur la façade. — La petite garnison de zouaves passe +toute l’année ici ; les hommes sont établis dans le pays. + +Je dois remarquer que, sur le chott, nous trouvâmes les traces de la +voiture de Si Ali Saci ; outre que cette voiture probablement légère +peut y passer sans difficultés, le chott dans son état actuel +supporterait la plus grosse artillerie. Ceci est un fait intéressant à +comparer avec ce que disaient les voyageurs arabes du moyen âge. Le +chott a probablement changé, comme bien d’autres sebkhas de ces +contrées[101]. + +Le bordj est bâti en grande partie avec des matériaux de constructions +romaines ; sur la façade, on voit même une pierre ornée de sculptures, +mais il n’y a pas d’inscriptions. La porte du petit village de Mansoura +est supportée par des pierres romaines. + + 15 mars. + +Avant de déjeuner, nous allâmes voir Tellimīn ; en descendant du bordj, +on me fit remarquer à la prise d’eau une pierre écrite « en hébreu », +que je trouvai être une inscription en bon arabe ; comme elle est +vieille de 96 ans, je pris la peine dans la soirée d’en prendre un +estampage. + +Avant d’arriver à Tellimīn, nous eûmes à tourner une assez grande mare, +qui est au moins aussi grande que la moitié de la ville. + +Je suis entré dans une quantité de maisons, et je puis donner quelques +détails sur l’intérieur, quoique mon séjour y ait été peu long. La ville +est bâtie en matériaux de constructions romaines, puis en petites +pierres, le tout uni au moyen de glaise. Les maisons ne sont pas plus +hautes que celles de Tougourt et présentent un intérieur au moins aussi +sale et misérable. Les rues ne sont ni très étroites, ni trop larges, et +tout la ville est remplie d’immondices et d’ordures. La mosquée, à +moitié en plein air, est bâtie sur l’emplacement de l’ancienne église +chrétienne. Le plafond est supporté par des colonnes qui sont au nombre +de neuf dans la longueur et de trois dans la largeur. Toutes ont des +chapiteaux de dessins différents, dont j’ai essayé de représenter trois +échantillons (pl.). + +J’ai trouvé deux inscriptions latines dans l’intérieur des maisons de la +ville ; la première doit se lire : « Sexto Cocceio Vibiano proconsuli +provinciæ Africæ, patrono municipii dedicavit perpetuus populus » (ou +pecuniâ publicâ). + +La seconde se rétablit aisément par : « Hadriano conditori municipii +dedicavit populus perpetuus ». + +Ces inscriptions enseignent qu’Hadrien fut le fondateur de la ville, et +que cette ville était assez importante pour former un +« municipium »[102]. + +La légende rapporte qu’autrefois le sultan de Tellimīn ne sortait pas +sans être accompagné de 5.000 cavaliers tous montés sur des chevaux +mâles ; aujourd’hui malheureusement la ville est loin de posséder autant +de forces. C’est encore d’ici, d’après une autre tradition, que seraient +sortis les habitants de Tougourt, qui auraient émigré sous la conduite +de leur chef, chassés par un conquérant. Je dois dire à ce sujet que les +vêtements, la coiffure, même le type des femmes du Nefzāoua ressemblent +beaucoup à tout ce que nous connaissons dans l’Oued-Righ. Elles +s’habillent de coton bleu et gardent sur le devant de la tête une mèche +de cheveux laineux qui sont tressés en mille petites tresses dans les +grandes occasions. Les hommes, au contraire, ont plutôt le type arabe +et, à l’exception de quelques rares sujets, donnent encore un exemple de +plus de cette singulière loi des races croisées, que les femmes +conservent plutôt le type de la race inférieure. — La langue parlée dans +le Nefzāoua est l’arabe, le berbère y est aujourd’hui inconnu. + +[Illustration : Nos 1 et 2. — Inscriptions dans des murs de maisons à +Tillimīn. + +No 3, _a b c_. — Chapiteaux de colonnes dans l’ancienne église, +aujourd’hui mosquée de Tillimīn. — _a b_, de face ; _c_, de profil.] + +Après notre excursion de Tellimīn, nous allâmes à Kébilli[103], qui est +une ville importante et digne de beaucoup d’attention. J’ai encore ici à +faire les mêmes remarques anthropologiques qu’à Tellimīn, mais en +ajoutant que la ville et ses habitants annoncent un bien plus haut degré +d’aisance et de civilisation. On voit encore dans la ville de nombreuses +pierres romaines qui ont servi de matériaux à la construction des +maisons. Cependant la ville actuelle n’est pas très ancienne, Rhōma[104] +ayant détruit au moins en partie le Kébilli ancien. On compte cinq +mosquées, et les trois que j’ai visitées sont évidemment sur +l’emplacement d’églises, comme le témoignent les colonnes qui en +supportent le toit. Ici je n’ai pas trouvé d’inscriptions. + +En revenant, je vis par la porte de la prison un homme aux fers, qui, je +le crains, n’a commis d’autre crime que de refuser de donner au kaïd une +grosse somme d’argent qu’on lui demandait par exaction. Cet homme me +supplie d’intercéder pour lui, mais je ne vois pas trop ce que je puis +faire. Il est de toutes façons très digne de pitié. + + 16 mars. + +Nous partîmes du bordj. J’avais une escorte de quatre cavaliers, et le +kaïd lui-même, accompagné de deux piétons, me fit la conduite quelque +temps. + +Nous nous dirigeâmes vers la chaîne de collines, qui commence avec le +Nefzāoua, et qui dans cet endroit augmente beaucoup de proportions ; +nous la coupâmes et entrâmes dans un pays de plaine, aboutissant au +chott ; nous avons d’un côté la chaîne lointaine du Djébel-Chāreb et de +l’autre les hauteurs du Djébel-Nefzāoua[105]. + +Après une marche assez longue, nous arrivâmes à la dernière ville du +Nefzāoua ; c’est Lemmāguès, ville aujourd’hui ruinée et habitée, je +crois, par une seule famille, outre les gens de la zaouiya, dont le +marabout, drôle de nègre armé d’une pioche et en costume de travail, +vint nous demander le prix de sa bénédiction. Je le menaçai du bâton +pour toute réponse ; là se termina notre entretien. Dans les +constructions de la ville, je remarque encore bon nombre de pierres +romaines, voire même des tronçons de colonnes. + +Avant d’arriver à la ville, nous touchâmes à la source qui se trouve au +commencement des plantations de palmiers ; là nous trouvâmes un groupe +de jeunes filles des Hammāma occupées à remplir des outres qu’elles +chargeaient à mesure sur des ânes. Elles étaient gardées par un chien. +Ces filles arabes étaient vêtues de bleu et coiffées avec une certaine +grâce, leurs oreilles et leurs cheveux étaient ornées d’anneaux de +cuivre qui étaient d’un joli effet. Mais ces demoiselles n’avaient rien +de virginal, ni leur timbre de voix, ni surtout leur langage ; il choqua +jusqu’à mes guides, qui les appelèrent en moquerie « chiennes de +Hammāmiāt ». Leur visage n’avait rien de joli ni d’intéressant, et leurs +poitrines étaient un peu plus décolletées que ne le comportent nos +idées. + +Nous partîmes de Lemmaguès où nous ne fîmes qu’une courte halte pour +déjeuner et continuâmes notre route dans un pays qui n’était interrompu +que par quelques ravines descendant des montagnes et allant au chott. La +végétation était remarquable en ce qu’on y voyait associés le _zeita_, +le _souid_, le _tarfa_, plantes qui croissent de préférence dans les +lieux bas et près de l’eau, et le _halfa_ du pays, qui, s’il est +semblable à son frère des hauts plateaux algériens[106], ne vient +ordinairement que sur les endroits élevés et exposés aux vents. + +Nous fîmes lever trois outardes, qu’un de mes cavaliers chercha en vain +à atteindre à balles. Nous vîmes aussi une petite troupe de gazelles. + +Nous atteignîmes enfin l’endroit où était la veille la zmala du khalifa +des Aărād, avec une partie des Beni-Zid, mais à mon grand +désappointement, nous trouvâmes la place vide. Les tentes avaient été +plantées plus loin, et le guide fut d’avis qu’ils avaient pris la +direction du Djébel-Chāreb. Je fis néanmoins arrêter ma petite troupe et +me décidai à passer la nuit où nous étions. Nous avions pour nourriture +des dattes, du pain et des œufs, mais les bêtes de somme eurent à +jeûner ; mon cheval seul eut environ la moitié de sa ration habituelle +du soir. Le cheikh Săīd de Kébilli partit à cheval pour explorer le pays +en avant ; il revint disant qu’il n’avait rien trouvé sinon une tache +noirâtre dans le lointain et qui pouvait aussi bien être des arbres que +des tentes. Nous nous établîmes donc de notre mieux sur la frontière des +Hammāma et des Beni-Zīd, deux tribus puissantes qui ont la plus mauvaise +renommée comme pillards et qui, de plus, sont ennemies l’un de l’autre. + +Notre repos ne fut interrompu que par les cris d’un chameau égaré. Nous +crûmes qu’il était chassé par des maraudeurs et préparâmes nos armes, +mais nous nous étions trompés, c’était tout simplement un jeune chameau +qui cherchait sa mère. + + 17 mars. + +Nous nous mîmes en marche d’assez bonne heure, continuant à traverser le +pays plat et ayant à notre droite les montagnes du Nefzāoua. Nous +voyions à gauche le Djébel-Châreb se réunir au Hadifa, pic élevé que +j’ai visé à la boussole plusieurs fois pour en déterminer la position. +Nous traversâmes de nombreux oueds ; la végétation se montra la même +qu’hier. + +Peu de temps après le départ, nous rencontrâmes deux ou trois voyageurs +qui nous apprirent que la smalah avait campé un peu plus en avant, et +bientôt en effet nous l’aperçûmes au pied de la montagne. Le cheikh Săīd +fut encore détaché pour aller porter une lettre au khalifa et il nous +rejoignit plus tard avec un ordre écrit d’un chef à son remplaçant à +Hāmma. + +Nous arrivâmes à Aïn el Magroun[107], source qui sort de rochers de grès +friables et qui a de petits dépôts calcaires ; il y a là un +rassemblement de beaucoup d’eau, mais elle est un peu salie. Dans les +berges de grès qui entourent la source, je remarquai des morceaux de +bois fossiles passant quelquefois à une couleur et une forme presque +charbonneuse ; ces morceaux de bois me frappèrent d’autant plus que +leurs dimensions dépassaient de beaucoup tout ce que la plaine +renfermait de gros troncs ou de grosses racines. + +Nous continuâmes notre voyage et arrivâmes bientôt à la fin des +montagnes du Nefzāoua, et aperçûmes alors à l’horizon les hauteurs des +Matmata, puis les plantations d’El-Hamma au pied d’une chaîne de +hauteurs nommées El-Kheneg. Sur l’un des dernier pitons des montagnes du +Nefzaoua, on me dit qu’il y a les ruines d’une petite ville peut-être +romaine, perchée comme un nid d’aigle : on l’appelle Belīd Oulad +Mehanna. + +Il ne nous fallut pas longtemps pour atteindre la petite ville de Hamma. +Elle est entourée de plantations et se trouve divisée en deux villages, +celui d’El-Hamma, puis celui de Kessàr par environ 40°, à 1 kilomètre de +là ; entre les deux villages se trouve le bordj de construction arabe ou +turque, où logent des soldats zouāoua. Près du bordj sont les sources +thermales qui ont donné son nom à la ville. + +Il y en a trois principales : + + { l’eau dans les bains 44°,4 + ’Aïn-Hamma { + { dans le petit canal près du bassin 43°,95 + + { Dans les bains 46°,45 + ’Aïn-el-Bordj { + { dans le bain, à l’ouest 45°,95 + + ’Aïn-Mejada 45° + +C’est cette dernière, je crois, qui alimente les bains des femmes. + +Les deux bains dont j’ai parlé sont de construction romaine, + +au moins quant aux fondations, tout entières en fortes pierres de +taille ; je dois mentionner qu’au plafond d’une des chambres de bains +d’Aïn-Hamma, il y a une pierre, ornée de sculptures et d’une inscription +arabe, aujourd’hui trop effacée pour que j’aie pu en tirer un sens. — Il +y a là des travaux de bassins, de canaux, etc., qui sont fort +intéressants. + +La ville de Hamma[108] est bâtie peu élevée, les maisons sont crépies, +du moins en partie, et on a mis encore là à contribution pour leur +édification de nombreuses pierres romaines et des tronçons de colonnes. +L’ancienne ville romaine était près du bordj. Les citadins de Hamma sont +très sévères pour la réclusion de leurs femmes. Elles se cachent la +figure lorsqu’elles sont obligées de sortir ; leurs vêtements ne +diffèrent pas, autant que j’ai pu le voir de ceux des Nefzāoua. Mais +j’ai pu voir des visages de petites filles très mignons et promettant de +jeunes beautés. Les femmes des Benî-Zîd que je rencontre allant au bain, +sont remarquables au moins par leurs coiffures ornées d’une ligne de +pièces d’or sur le front. Elles prennent un soin particulier de leurs +personnes, et sont plus attrayantes que les femmes des pays que je viens +de quitter. Ayant eu l’indiscrétion de jeter un coup d’œil furtif sur le +« bain des dames », je pus voir une d’entre elles exécuter devant ses +compagnes un pas assez gracieux. + +Quant aux hommes de Hamma, ils s’enveloppent dans un haïk grossier +souvent de couleur brune et orné au bas d’une frange de cordonnets. Je +serais presque tenté de les croire encore plus fanatiques et méfiants +que les habitants du Djérid. C’est étonnant. Il y a quelques juifs à +Kessár. + + 18 mars. + +Nous partîmes ce matin pour Gabès, et y arrivâmes après une demi-journée +de marche. Le pays traversé est assez fortement accidenté, surtout sur +la droite ; c’est l’influence des hauteurs des Matmata qui se fait +sentir, et peut-être ce système de montagnes a-t-il une grande part dans +le soulèvement qui a fait un lac du Palus Tritonis[109]. + +Nous rencontrâmes beaucoup de troupeaux et d’Arabes s’en allant au +désert. C’étaient des Benî-Zîd et des Mehadeba (Zaouiya). + +Nous eûmes à traverser de larges plantations avant d’entrer à Gabès, et +nous coupâmes enfin l’oued qui forme une petite rivière ; là je vis +plusieurs juives assez bien vêtues qui étaient en train de laver leur +linge. Je remarquerai à cette occasion que le costume des juives et des +musulmanes ne diffère pas à Gabès. + +Nous descendîmes à la porte du kaïd qui était en train de rendre la +justice, et je n’y restai que quelques instants, car le bruit des +plaintes arabes m’est insupportable. Le chef est un homme assez arrondi, +et déjà un peu âgé : il me reçut bien et me dit que, ces jours derniers, +il était venu ici un Français, voyageant à ses frais avec des spahis de +Tunis. Il était en ce moment à Djerba, et devait revenir incessamment. + +On me logea dans une belle maison juive, où était aussi le bagage du +Français, une de ses mules et un domestique. La maîtresse de la maison, +une vieille juive de Tripoli, fit une sortie en poussant des cris +épouvantables sur une note qui ferait envie à tous les sopranos +possibles en apercevant le monde qui avait envahi son domicile ; elle ne +voulut pas croire que je fusse Européen ; il fallut cependant bien +qu’elle s’apaisât, et je pus m’établir assez confortablement. — Bientôt +il y eut bonnes relations entre les dames de la maison et moi. + +Gabès ou plutôt El-Menzel[110], celle des deux villes de Gabès où je +suis, est assez bien bâtie. Les maisons sont hautes et blanchies à la +chaux ; les pierres des constructions viennent pour la plupart de +l’ancienne ville romaine. Il y a un marché et un petit bazar couvert ; +quantité de boutiques et ateliers tenus pour la plupart par des juifs, +qui sont ici en très grand nombre. Les vêtements des hommes (musulmans) +sont les mêmes que ceux d’El-Hamma ; ils sont du reste très variés. Les +musulmanes s’habillent comme les juives, à ce qu’on me dit du moins, car +elles sont séquestrées avec une grande sévérité. Le costume des juives +est assez élégant quoique primitif ; le bleu y domine. Quant aux juifs, +ils s’habillent comme ceux d’Alger, avec des culottes noires, turbans, +etc., des couleurs et des modes les plus diverses. La population juive +peut atteindre 1.000 âmes. + +Je trouvai à Gabès une borne milliaire, qui a été apportée d’une ruine +romaine près de la mer, à l’est de Ketana et de Zerig-el-Berraniya. — +Voici l’inscription[111] : + +[Illustration : Fac-similé de l’inscription de la borne milliaire de +Henchir Aichou (de la carte de Sainte-Marie), à l’est de Ketana et au +bord de la mer, sur la route du pèlerinage. — Pierre aujourd’hui à Gabès +où je l’ai trouvée.] + +J’en ai pris du reste un estampage pour être bien sûr de la lecture. + + 19 mars. + +J’ai été ce matin faire une promenade au bord de la mer, qui est à 3 +kil. de la ville. Nous passâmes d’abord le bordj, et laissant +Djarra[112] à notre gauche, nous nous dirigeâmes vers la rivière. +Arrivés à l’endroit où sont construits d’assez grands magasins pour les +approvisionnements de l’armée, je vis quatre ou cinq felouques, ou +embarcations pontées ou demi-pontées à voiles latines. C’est là toute la +flotte commerçante du port de Gabès, si l’on peut appeler port le bord +de la rivière où viennent aborder les bâtiments. Le peu de profondeur de +cette rivière, et le manque de port véritable empêchent les bâtiments +même d’un faible tonnage de venir toucher ici. Tout le commerce, d’après +ce qu’on me dit, est un commerce de cabotage, avec Djerba et Tripoli. — +Auprès du magasin, sont étalés par terre plusieurs canons de fer, les +uns sans culasse, les autres sans bouche, les derniers enfin tout rongés +par la rouille. + +Sur la plage qui est très basse (de sorte que j’estime à 2 mètres +environ l’altitude de Gabès), je trouvai les mêmes coquillages que je +m’amusais à recueillir autrefois à Toulon, et en partie aussi à +Trouville. — D’ici j’eus devant les yeux un spectacle que je voyais pour +la première fois ; la mer et des plantations de palmiers se touchant +presque ; mais la verdure des palmiers qui, au sortir d’un désert, me +paraissait si fraîche, me semblait terne et brûlée, comparée avec la +belle couleur foncée de la mer. + +Je m’assis pour jouir quelques instants de ce bon air et du beau +spectacle de la mer qui a toujours eu tant d’attraits pour moi. + +Nous nous en retournâmes ensuite, et je remarquai la végétation du +rivage où le _harmel_, le _zeita_ et la plante grasse articulée des +marais de la Chemorra (Tougourt) se trouvaient réunis. + +Je passe la journée à me reposer, à écrire quelques lettres et à lire un +peu. + + 20 mars. + +J’ai été au bord de la mer, et je n’ai pas pu résister à la tentation de +prendre un bain, court il est vrai, mais qui, je l’espère, me fera du +bien ; l’eau avait environ 15° de même que l’air vers 2 heures et demie +de l’après-midi. Les mariniers me disent qu’à l’entrée de l’oued la plus +grande profondeur d’eau que l’on trouve à marée haute ne dépasse pas 5 à +6 pieds, une hauteur d’homme. + +Je mesure au pas métrique un sas au bord de la mer, pour donner quelque +sûreté à mon plan de la rivière de Gabès, qui est tout à recommencer. + +J’apprends que le Bey a donné les ordres les plus sévères aux kaïds des +villes maritimes de la régence pour qu’ils ne commettent pas +d’exactions ; le kadhi est responsable sur sa tête s’il n’avertit pas le +Bey le cas échéant. + +On me parle beaucoup des montagnes de Ghomerâçen[113], etc. Les tribus +arabes qui y habitent (outre les habitants des villes qui sont berbères) +sont les plus pillardes et brigandes que j’aie jamais entendu +mentionner ; elles ne s’épargnent même pas entre elles. Les hommes ont +écrit sur le canon de leur fusil les noms de ceux qu’ils ont tué, et +celui qui en a le plus est le plus respecté. On m’en cite qui ont leurs +canons de fusils tout couverts de ces marques. Il y a quelque temps, le +chef de l’armée des Aàrād[114] vint à Gabès et, pour une raison ou une +autre, il voulut soumettre la montagne, en particulier le ksar +Mouddenin. Il partit de Gabès, jurant de rapporter tous les brigands +enchaînés. Malheureusement les soldats tunisiens portent des pantalons, +et lorsque du ksar Mouddenin on vit approcher l’armée, on cria partout : +les Chrétiens ! les Chrétiens ! et on commença à écraser l’armée de +pierres. Il y eut déroute complète et le chef lui-même arriva malade à +Gabès. + + 21 mars. + +Je pars dans la matinée et n’ayant plus de levé à faire sur une route +que j’ai déjà parcourue, je fais attention à la végétation qui se +compose de _halfa_, de _bou griba_ à fleurs jaunes et de _chih_ ; vers +El-Hamma, en traversant la montagne, on voit apparaître le thym. La vie +animale est très animée, je remarque des quantités de fourmis et autres +hyménoptères, de lépidoptères et coléoptères. + +A notre arrivée, j’envoyai un mokhazeni prévenir le cheikh ; mais il fut +reçu comme un chien dans un jeu de quilles, parce que le grossier kaïd +de Gabès avait eu la bêtise de renvoyer mes deux cavaliers (de Hamma) +sans leur donner seulement de l’orge pour leurs chevaux. Moi-même je fus +accueilli on ne peut plus froidement ; le cheikh me fit mener à Kessar, +de l’autre côté du bordj. Là, je fus reçu très malhonnêtement ; on +refusa de chercher un logis avant d’avoir vu la lettre du Bey. Moi qui +l’avais donnée à Gabès, je refusai de la montrer, et, voyant les +mauvaises dispositions des habitants, je me décidai à camper en plein +air, et j’écrivis à la hâte une lettre au khalifa des Benî-Zîd en le +priant d’envoyer du monde pour me tirer de cette position et surtout +pour m’accompagner sur la route de Gafsa. + +Je vins donc me réfugier au pied du bordj, et le chef de la garnison +sortit pour savoir ce que je voulais ; lorsqu’il eut vu les lettres du +Bey que j’avais dans mon portefeuille, il se fâcha tout rouge, et ne +comprenant pas plus que moi la conduite des gens de Hamma, il me dit : +« Il ne nous est pas permis de vous recevoir dans le bordj, mais voici +une construction séparée où vous pouvez vous installer, et je vous +considère désormais comme mes hôtes ; mes hommes veilleront la nuit sur +vous. » Je m’installai, remerciant le brave homme de sa bonté, et à +peine étais-je assis que les grands de Hamma vinrent me faire toutes +sortes d’excuses et de protestations ; ils me priaient de venir en ville +où on m’avait préparé une belle maison. Je refusai net, et eus à +résister pendant plus d’une heure à leurs supplications. — Enfin ils me +quittèrent et m’envoyèrent à dîner et de l’orge pour les bêtes. — Pour +moi, je dînai avec le commandant du fort, qui ne voulut pas se défaire +de ses droits d’hôte. + + +[Note 99 : Appelé aussi Cherb-el-Dakhlania.] + +[Note 100 : Ce serait une variante de la voie méridionale de Thélepte à +Tacapé de la Table de Peutinger ; d’après Tissot, elle passait par Nefta +et la rive méridionale du chott Djérid. (Voir _Géog. comparée de la +province romaine d’Afrique_, II, p. 686 et la note additionnelle de M. +Salomon Reinach.)] + +[Note 101 : Le degré d’humidité des chotts varie pourtant d’année en +année, selon l’abondance des pluies et l’élévation du niveau des nappes +souterraines, qui affleurent et font équilibre à l’évaporation dans les +parties basses. C’est ainsi que la mission Roudaire a trouvé sur le même +trajet du Kriz au Nefzaoua un sol fangeux et détrempé (rapport cité, p. +41). Ici, comme dans le reste du Sahara, il y a bien desséchement +progressif, mais ce desséchement est infiniment lent.] + +[Note 102 : Ces deux inscriptions ont été reproduites par Tissot (_Géog. +comparée_, II, p. 702-703) et dans le _Corpus_, I. (L. VIII, 84 et 83) +d’après les copies de G. Temple et de Tissot lui-même. M. S. Reinach a +signalé de légères différences entre ces reproductions et le dessin, +dont le fac-similé est donné ici. On sait que Tissot a identifié +Tellimīn avec le Limes Thamallensis de la Notitia Dignitatum, le Turris +Tamallensis de l’itinéraire d’Antonin. Voir aussi, sur l’occupation +romaine de la région au sud des chotts, Cagnat, _L’armée romaine +d’Afrique_, p. 561, 753 et suiv. et le chap. VIII du mémoire du regretté +P. Blanchet : _Mission archéologique dans le centre et le sud de la +Tunisie_, avril-août 1895, _Nouv. Archives des Missions scient. et +litt._, IX, 1899.] + +[Note 103 : L’Ad Templum des cartes.] + +[Note 104 : Rhoma ou Rhouma, chef insurgé du Djébel Tripolitain, où il +brava successivement les armées des Karamanli de Tripoli, puis des +Turcs. Il fut attiré à Tripoli et pris par trahison en 1843.] + +[Note 105 : Appelé aussi Djébel-Tebaga.] + +[Note 106 : Cette remarque n’est pas inutile, car les Tripolitains +donnent le nom d’halfa à une autre graminée, _Lygeum Spartum_ L. et +appellent l’alfa algérien _guedim_ ou _bechna_ (_Les Touaregs du Nord_, +p. 203). L’alfa algérien est ici près de sa limite sud.] + +[Note 107 : Sans doute l’oued Magroun de la mission Roudaire, ruisseau +permanent issu d’une des nombreuses sources qui jaillissent au pied du +massif crétacé du Tébaga. (Dru, rapport cité, p. 39.)] + +[Note 108 : _Aquae Tacapitanae_. Cf. Tissot, II, p. 654.] + +[Note 109 : Duveyrier était parti avec cette idée. Il s’en est expliqué +dans une lettre au Dr Barth, datée de Biskra, 19 déc. 1859, dont le +brouillon en allemand se retrouve dans ses papiers : « Je regarde comme +très probable la connexion du Chott Melrir avec le Palus Tritonis des +géographes anciens. Je me représente cette grande dépression reliée +jadis aux sebkhas du Djérid, et celles-ci unies à la Méditerranée. Il +suffirait d’admettre un soulèvement progressif du sol... » Il ajoutait, +il est vrai : « Je me suis arrêté trop longtemps à ces indications +incomplètes, et je manque ici à mon principe, qu’un voyageur en route +doit bâtir aussi peu d’hypothèses que possible. » — Sur le seuil de +Gabès et sa formation, voir notamment L. Dru, _Rapport sur la dernière +expédition des chotts_, Paris, 1881, p. 49-51 et coupe. Sur la région +des Matmata, voir P. Blanchet, _Le Djébel-Demmer_ (_Annales de Géogr._, +1897, p. 239-254) et commandant Rebillet, _le Sud de la Tunisie_, Gabès, +1886.] + +[Note 110 : L’ancien Menzel a été en partie détruit lors de la prise de +Gabès en 1881.] + +[Note 111 : Reproduite dans Tissot (II, p. 199, 811) et dans Guérin +(_Voyage archéologique dans la Régence de Tunis_, II, p. 191) qui la +croyait apportée de Henchir Lemtou.] + +[Note 112 : L’autre ville de l’oasis de Gabès.] + +[Note 113 : Ghoumracen, village troglodytique du Djébel el Abiod, +appartenant aux Ourghamma.] + +[Note 114 : L’agha des Aarad, comme la plupart des autres gouverneurs de +province, résidait à Tunis et venait à Gabès avec sa colonne pour faire +rentrer les impôts.] + + + + + CHAPITRE VI + + RETOUR AU DJÉRID PAR GAFSA + + + 22 mars. + +En partant du bordj, nous traversâmes longtemps les plantations, au +milieu desquelles apparaissaient çà et là quelques maisons habitées, +entourées de basses-cours ; après avoir enfin franchi la limite des +palmiers, nous entrâmes dans une plaine à végétation de _zeita_ et à sol +sablonneux mais solide ; nous y voyageâmes quelque temps et pénétrâmes +enfin dans une sebkha qui représente ici le grand chott. + +La surface unie et nue, la vraie sebkha, ne dura qu’un instant et nous +continuâmes dans un terrain de bonnes terres, avec quantité de _chih_, +de _remeth_ qui apparaît ici, et enfin de _sedra_. Presque sans +discontinuité nous voyons des traces de labours, ce qui prouve assez que +le chott n’est plus en cet endroit le même que dans l’espace qui sépare +le Djérid du Nefzāoua. + +Lorsque nous sortîmes du chott, nous entrâmes dans les montagnes que +nous avions eues devant nous depuis le moment où nous avions quitté El- +Hamma. La vallée de Hareīga se prolonge ici entre deux lignes de +hauteurs : celle de gauche est le Hadīfa ; nous continuâmes longtemps +dans cette vallée, trouvant souvent des restes de petits établissements +romains, postes et autres ; notamment nous touchâmes à des ruines que je +crois être celles d’un petit temple ; les pierres, quoiqu’en petit +nombre, étaient d’énormes dimensions et un grand nombre d’entre elles +avaient une forme courbe, comme si elles avaient servi à former une +arcade. + +Après avoir dépassé le Hadifa, nous entrâmes dans l’interminable vallée +ou plaine de Săgui. Tous les oueds, à partir de ce moment, prennent leur +cours vers la droite. Le sol de cette plaine est excellent et +parfaitement labourable ; actuellement, il est vrai, le manque d’eau +empêche qu’on ne la cultive, sauf dans des proportions insignifiantes, +mais il semblerait qu’à l’époque de l’occupation romaine, il en était +tout autrement, à en juger par de nombreuses traces d’établissements +romains qu’on rencontre en la traversant[115]. L’oued qui forme le fond +de la plaine, et qui reçoit des ravines des deux lignes de montagnes, a +pu autrefois contenir beaucoup plus d’eau qu’aujourd’hui. J’entends dire +qu’il tient des rhedirs[116] et de grandes mares jusque pendant quatre +mois, lorsque la pluie tombe. + +Nous avions l’intention de marcher jusqu’à El-Ayaēcha ou El-Guettār ; +mais, en route, je fus frappé par trois ou quatre pierres romaines +d’assez grandes dimensions, et quoique nous les eussions dépassées, je +revins vers elles et, sans descendre de cheval, je pus distinguer une +inscription sous un tronçon de colonne. Je fis aussitôt revenir la +caravane, et décidai de passer la nuit ici. + +Nous trouvâmes un monolithe arrondi, sortant d’une base carrée et couché +à terre ; à côté se trouvaient les débris incomplets d’une autre colonne +semblable ; c’était sur un de ces débris que j’avais vu l’inscription. +La colonne complète avait aussi été couverte d’une longue inscription, +mais le temps et la main des enfants arabes, qui s’étaient amusés à +marteler l’inscription, l’avaient rendue illisible. Je pus bien +reconnaître çà et là quelques lettres isolées, mais n’avais pas le temps +de les copier ; le travail eût été trop long et trop pénible. Je le +laisse à un successeur. Outre le tronçon de colonne gisant sur le sol, +il y en avait un autre à demi enterré ; un peu de travail le mit à jour, +et j’eus le bonheur d’y trouver une partie de l’inscription qui devait +être fort longue. Comme cette inscription est très incomplète[117], je +me contenterai de reproduire ce que j’ai pu y reconnaître. + +[Illustration : Deux tronçons de colonne portant une inscription. Săgui +(route de Gabès à Gafsa).+Inscription relative à une fortification de la +route de Gabès à Gafsa. Borne milliaire de Săgui.] + +Lorsque nous eûmes fini de déterrer ces pierres, j’en vis une autre dont +la partie visible, peut-être longue d’un mètre, me parut être une pierre +tumulaire, et, ignorant ses dimensions, je fis commencer le travail pour +la déterrer. Le premier résultat de notre travail fut de découvrir que +cette pierre était longue de plus de 2 mètres, large de 50 centimètres +et épaisse de 45. Nous n’avions pas d’autres instruments que des +couteaux et des piquets de tente, et mes six hommes parvinrent à +renverser cet énorme bloc. Mais nous fûmes bien récompensés, car nous +trouvâmes une belle inscription très peu endommagée. + +Pour illustrer nos mœurs, je noterai qu’au moment où la pierre cédait à +nos efforts, on signala trois hommes à l’horizon ; comme ils étaient +encore assez loin, nous terminâmes le travail et courûmes ensuite à nos +armes. Je pris moi-même mon revolver et allai gratter un peu mon +inscription. — Nous avions fait de grands préparatifs guerriers, +inutiles heureusement, car les arrivants étaient de petits marchands +sans armes, qui poussaient devant eux quelques agneaux et chevreaux +qu’ils venaient d’acheter aux Hammāma. Je leur achetai un agneau pour +récompenser mes hommes (5 fr.) et si nous avions eu de l’eau à volonté, +nous aurions été les plus heureux des mortels. Il fallut souffrir de la +soif, moi excepté. Nos pauvres bêtes de somme aussi furent obligées de +rester à jeun, car le pays ne produit que du _chih_ et du _remeth_, et +les bêtes ne mangent que très peu la première de ces plantes +seulement[118]. + +L’inscription que nous venions de déterrer était une borne +milliaire[119] et son contenu très intéressant, quoique les chiffres +aient été proprement martelés à l’époque romaine sans doute. + + 23 mars. + +Les maîtres des agneaux qui avaient passé la nuit avec nous, et aussi +sacrifié un agneau de leur côté, nous firent changer un peu notre +direction. Nous voyions devant nous une chaîne de montagnes ; il +s’agissait de savoir si nous passerions à droite ou à gauche : nous +suivîmes leur conseil et prîmes à gauche. + +Le pays était identiquement le même que celui que nous avions traversé +hier, et nous rencontrions encore de temps en temps des restes de +constructions romaines, que je pris pour des fermes. Je dois noter +spécialement la première ruine, qui se trouve à 480 mètres au nord-ouest +des inscriptions, et qui par ses restes de pierres de taille énormes me +fait penser qu’il y avait là un petit temple ou tout autre bâtiment +public. Nous laissâmes bien loin sur la droite, près des montagnes, une +« porte », probablement un arc de triomphe dont me parlent les cavaliers +du makhzen. + +Au bout de quelque temps, nous arrivâmes à une construction romaine +connue sous le nom de Henchir es Somăa. C’est un monument tumulaire en +forme de tour carrée ; l’intérieur que l’on peut voir à travers les +dégradations formait une chambre carrée aussi haute que le monument. Le +tout peut avoir 15 pieds de haut, pas plus de 20 pieds. Le monument a +aujourd’hui une position inclinée du côté de l’ouest, ce qui tient aux +pierres qui ont été arrachées de la base de ce côté. + +[Illustration] + +Je fis une esquisse rapide de cette ruine, et pendant que je déjeunais, +un cavalier étant parti questionner des bergers dont nous voyions les +moutons au loin, revint avec la nouvelle que nous nous étions trompés de +route. — Un cavalier du kaïd du Nefzāoua qui nous rejoignit bientôt, +emmenant avec lui un domestique du kaïd et une négresse sur un mulet, +nous tira d’embarras en nous montrant la route. + +Nous coupâmes la montagne, du moins une partie très basse de la +montagne, à un endroit où la route romaine de Gafsa à Tacape devait +aussi passer, à en juger par les restes de constructions qui se +montraient de temps en temps à droite et à gauche de la route et par des +lignes de pierres qui me semblent avoir été mises pour démarquer la voie +romaine. Outre les plantes de Sagui, je notai ici le _retem_, le +_rhardeg_ et le _harmel_. + +La montagne était de calcaire ; quelquefois le sol prenait une teinte +verdâtre due à des argiles (?) ; enfin dans ces endroits on remarquait +des pierres luisantes : sulfate de chaux à l’état cristallin +grossièrement fibreux. + +Nous entrâmes ensuite dans une autre plaine où nous rencontrâmes encore +des traces de labours. Là il nous arriva un petit accident, un de nos +mulets tomba par terre, et entra dans des convulsions qui me firent +craindre qu’il ne mourût. Cependant ce n’était qu’une violente colique, +et peu à peu il se remit et nous pûmes enfin gagner El-Guettar. + +El-Guettār est une petite ville, ou plutôt un village, bâti en pierres +et en terre à la manière arabe ; on n’y remarque pas la moindre trace +d’occupation romaine. Du reste, la ville est très peu importante et les +maisons sont la plupart en ruines. El-Guettār possède des plantations de +palmiers et d’oliviers en proportion avec son importance. Les dattes se +nomment kĕsébba. Les habitants s’habillent comme ceux du Nefzāoua et les +femmes, quoique vêtues de bleu, mettent aussi un haïk blanc. Leur +coiffure est la même que celle des Nailiyat, avec les fausses tresses de +chaque côté de la tête. Au reste, la ville compte comme arabe et les +habitants ont une renommée de pillards. + +D’après le _Nautical Almanach_, le Ramadhan ne devait commencer que +demain (à Constantinople ?), mais la question étant grave, beaucoup +d’individus se mirent à consulter le ciel, et vinrent me dire que la +nouvelle lune avait paru et s’était couchée presque aussitôt. + +El-Guettār est appuyée sur un renflement du bas de la montagne[120]. + + 24 mars. + +J’ai oublié hier de dire deux choses intéressantes sur Guettār. La +première est relative à la nature des eaux qui arrosent les plantations. +On creuse des trous assez vastes de 3 à 6 mètres de profondeur, selon la +proximité de la montagne, et on met à découvert un _ruisseau_ d’eau. Je +crois que les palmiers plongent leurs racines dans l’eau, mais pour les +grains, etc... on les arrose à force de bras au moyen de puits +semblables à ceux des Beni-Mezab. + +La seconde est d’autant plus remarquable qu’ordinairement les Arabes ne +se confient pas vite au premier venu. Mais à peine étais-je installé +dans la maison du cheikh que plusieurs habitants de Guettār vinrent me +trouver et me dirent en levant les mains au ciel : « Mon Dieu, combien +nous désirerions que les Français fussent les maîtres de ce pays ! » + +Je restai à Guettār la première partie du jour ; je dois remarquer que +les femmes jouissent ici d’une grande liberté. Elles causèrent sans +façon avec moi, et me contèrent leurs petits « bobos ». Une de ces dames +était évidemment malade du poumon, et j’eus l’indiscrétion de lui +demander à voir l’endroit où elle souffrait. Cela ne fit aucune +difficulté. Aussi sa complaisance fut-elle payée par un peu de +médicaments et de bons conseils, comme celui de porter de la laine. En +effet, toutes les femmes de ces contrées se vêtent de coton. + +Après avoir pris la hauteur du soleil à midi, nous nous mîmes en route. +Nous trouvâmes une plaine très unie, entourée de montagnes que nous +n’atteignîmes pas. Le paysage ne variait qu’en ce qu’il était plus ou +moins inculte ; le changement fut très sensible lorsque nous approchâmes +de l’oasis de Lâla. Nous traversâmes alors des champs de céréales en +orge. + +Le camp de l’armée du Bey Hamouda[121] nous apparut de loin avec ses +tentes blanches, et lorsque nous approchâmes, je pus m’amuser à +considérer le mouvement extraordinaire qui y régnait. Il y avait une +foule de cavaliers allant et venant, des soldats vêtus à l’européenne ; +au milieu des tentes des soldats on remarquait deux pavillons surmontés +d’une pomme dorée : c’étaient les tentes du Bey Hamouda et du ministre +garde des sceaux. Le camp était entouré de tentes d’Arabes qui +probablement étaient là pour le service des munitions de bouche, enfin +on voyait dans la plaine des troupeaux de chevaux, qui avaient été +enlevés dernièrement au Hammāma, soit comme complément du tribut, soit +comme amende. + +Nous passâmes au milieu de tout ce mouvement, causant beaucoup de +surprise. Nous nous arrêtâmes dans la ville de Gafsa, qui se trouvait de +l’autre côté de l’oued Beyâch, à la maison de Si elʿAbidi, khalifa de Si +ʿAli Saci. Mais comme on ne mettait pas trop d’empressement à nous +recevoir, et surtout parce qu’on prétendait me faire partager un logis +avec d’autres étrangers, je me remis aussitôt en selle, et allai avec +Ahmed et un _mokhazeni_, voir Si ‘Ali Saci[122]. + +On me fit attendre assez longtemps dans sa tente, et Ahmed fut mandé +pour donner des détails sur ma personne. Enfin le seigneur parut, me +salua d’une manière très affable, et me fit asseoir à ses côtés ; je lui +remis aussitôt les lettres que j’avais à son adresse et lorsqu’il les +eut lues, il donna des ordres pour mon installation et me pria de rester +à _déjeuner_ avec lui après le coucher du soleil. + +J’acceptai volontiers son offre et envoyai Ahmed présider à mon +installation. + +Pendant que j’étais dans la tente de Si ʿAli Saci très occupé alors par +les affaires financières de son département, je reçus la visite de +plusieurs Européens au service du Bey ; tous me parurent très bornés, et +me déplurent au plus haut degré ; je dois en excepter seulement le +médecin du Bey, qui sait le français et est à part cela un fort aimable +homme. + +Après le dîner, je partis pour Gafsa où je trouvai tout à souhait. +Cependant je ne pus pas bien dormir, à cause du bruit que firent les +gens de la maison, qui se disputaient pour avoir leur dîner d’abord, et +ensuite se mirent à chanter et à rire d’une manière désespérante. Je +suis à part cela dévoré par des puces depuis le Nefzāoua[123]. + + 25 mars. + +Je me levai tard, et me rendis de bonne heure au camp ; j’y eus un bout +de conversation avec Si ʿAli Saci toujours très occupé, et j’allai +déjeuner chez le médecin, à qui le Bey a fait cadeau d’un cheval hier ; +nous eûmes un fameux repas venant en partie de la cuisine du Bey, avec +vin de Marsala. + +Je revins en ville plus tard que je ne l’aurais voulu, et en route on me +montra l’exécuteur des hautes œuvres, qui porte l’habit d’un canonnier à +cheval. Je trouvai le Khalifa tout prêt à nous montrer les inscriptions +latines que renferme la ville. Je crus d’abord qu’il n’y en avait que +quelques-unes, mais le travail fut beaucoup plus grand que je ne l’avais +pensé. Je ne connaissais pas encore bien le labeur de la lecture d’une +inscription endommagée ; et ce labeur se renouvela douze fois dans mon +après-midi. La plupart des inscriptions sont très avariées, étant toutes +placées dans les murailles des maisons, en dehors, et quelques-unes à +moitié enterrées dans le sol. Si j’étais plus ferré en archéologie, +peut-être eussé-je rendu, mieux que je ne l’ai fait, ces monuments +épigraphiques, mais enfin je vais livrer ici le résultat de mes +lectures[124]. Quant à des estampages, l’état inégal de la surface des +pierres n’aurait pas permis de donner grand’chose de bon. + +Dans notre promenade nous touchâmes au Termīl, qui est la source célèbre +de la ville, elle est près du bordj, et on y descend par quelques +marches ; toutes les constructions à l’entour sont fort solides et +datent de l’époque romaine. Le bordj lui-même est un magnifique fort, le +plus beau de la régence après ceux de Tunis ; il occupe un vaste +emplacement et est fort élevé ; l’architecture en est élégante. Je vis +aussi en me promenant l’arc de triomphe (?) et aussi les ruines d’une +église chrétienne dont les arcades sont encore très bien conservées. + +Au point de vue pittoresque, le fait le plus intéressant de ma journée +est ma visite à un juif nommé Moucti ; il est Algérien d’origine, sa +maison est un petit palais, et il a une nombreuse famille ; il me reçut +dans une chambre avec un lit à rideaux, pendule, etc., et me fit servir +de l’absinthe du pays qui est excellente et des gâteaux. C’est une jeune +et belle femme qui me servit ; elle peut servir de type du costume des +dames de la famille et, me dit Ahmed, des Tunisiennes en général. Ce qui +le caractérise est le pantalon collant, depuis la cheville jusqu’au +haut, et l’espèce de juste-au-corps collant sur la poitrine. C’est un +singulier contraste avec l’ampleur des autres modes musulmanes, mais il +n’est pas dépourvu d’élégance, et là il était fort bien porté. Je fus +très bien reçu par tout le monde et avec des manières très gracieuses. + +Le soir, je vais dans le bordj faire des observations astronomiques +complètes. + + 26 mars. + +Aujourd’hui j’ai fini ma tournée archéologique, et quoique j’aie encore +trouvé trois inscriptions, je ne doute pas que je sois loin d’avoir tous +les documents épigraphiques de Gafsa. + +Je profitai de ma promenade pour observer près de la maison du Bey un +vaste bassin, vraie piscine de construction romaine, dont l’eau est +encore plus chaude que celle du Termīl. Il y a des poissons, les mêmes +que ceux du Termīl, dont j’aurais bien voulu prendre un échantillon, car +je suis bien sûr qu’ils forment une espèce nouvelle pour moi, c’est-à- +dire différente de celles que j’ai observées jusqu’à présent en Afrique. + +Je me promène avec un tailleur de pierres de Dresde qui, bien que jeune +encore, a vu beaucoup de pays ; maintenant il est ici un des élégants du +pays, s’est fait musulman ; il travaille à construire des maisons et +gagne, me dit-il, 5 fr. par jour. Il me propose d’aller voir vers +l’ouest de la ville de vastes carrières souterraines du temps des +Romains, mais comme ce fait a moins d’intérêt pour moi que pour lui, je +me borne à en prendre note. + +Je vais au camp. L’armée reste encore attendant l’argent d’El-Ayaēcha +qui ne paraît pas se presser. Si ‘Ali me reçoit toujours très bien, je +prends congé de lui, car demain je me mets en route. + +Le Bey a demandé hier à son médecin quelques détails sur moi. + +Source du Termīl = Temp. 30°. + + { Temp. 23°,5, prise le 28 au matin. + Puits de la cour = { + { Prof. 11 1/2 _dra_ = 5m,75. + + 27 mars. + +Nous partîmes de Gafsa assez longtemps après le lever du soleil, car le +seul moment où je puis dormir dans cette ville est précisément le matin, +où les puces qui font aussi le ramadan me laissent un peu de repos. + +La route qui nous mène à Hamma était trop longue pour l’heure de notre +départ. Nous suivîmes tantôt de près tantôt de loin le cours de l’oued +Beyâch, qui change plusieurs fois de nom en cette petite étendue de +pays. L’oued forme le fond d’une large vallée ou plaine bordée à gauche +par le Djebel-Chareb, et à droite par la continuation des montagnes de +Gafsa. Il finit réellement à Tarfaouï où nous traversâmes une sorte de +chott sablonneux, mais cependant plus loin, et jusqu’à près d’El-Hamma, +je pus voir le fond de la plaine occupé par une sebkha allongée +ressemblant à un oued. + +Vers la fin de la journée nous nous rapprochâmes des dernières hauteurs +du Chareb ; nous rencontrâmes là plusieurs piétons hammāma qui nous +firent hâter la marche ; je ne puis pas m’expliquer la terreur que ces +gens inspirent à mes compagnons de route. Cependant un chaouch alla voir +ce qu’ils voulaient, et nous trouvâmes de simples voyageurs comme nous. +Un de ces Hammāma se joignit à nous. + +Nous n’atteignîmes El-Hamma que bien tard dans la nuit ; j’arrêtai mon +itinéraire à la Hadjra Soûda, pour le reprendre demain. A notre arrivée, +nous fûmes reçus par un ami de Si ʿAli Saci auquel ce seigneur nous +avait recommandés. + + 28 mars. + +L’oasis d’El-Hamma a environ 380 hommes de population, ce qui donne un +chiffre d’environ un millier d’habitants. L’année dernière, le pays ne +payait que 4.000 réaux ; cette année, il donne 12.000 réaux ; la +différence de l’impôt tient à ceci, que l’année dernière il y avait un +autre cheik, et qu’un homme de l’oasis alla au Bey et lui dit : « Donne- +moi El-Hamma, je te donnerai un revenu triple de ce que cette oasis te +rapporte. » C’est ainsi que se passent les choses dans ce pays ; ainsi +aujourd’hui chaque homme de la ville est taxé à 31r,6, soit environ 21 +fr. ! + +J’ai couché à Nemlāt, un des villages de l’oasis. + +Ce matin, j’ai été me promener à cheval, j’ai vu les sources d’eau +chaude, qui sont d’eau douce ; on y voit une piscine et une ligne de +pierres, un quai de construction romaine. — Voici les températures : + + Ruisseau sortant de terre 37° 3 + + Dans l’eau, près d’une source dans le sable 39° 1 + + Dans la piscine, à la source 39° 6 + +Plus loin, je visitai la Hadjra Soūda, rocher noir qui se montre isolé à +peu de distance des palmiers sur la route de Tunis. Ce rocher est +curieux, en ce qu’il est évidemment d’origine plutonienne, ou +métamorphique ; il est de couleur noire et de structure ovoïde ; il est +très dur. La forme est allongée, on voit que c’est une roche éruptive +qui a été poussée des sous terre par une force qui a probablement donné +naissance à une hauteur que l’on voit à côté. + +L’oued d’El-Hamma est d’eau salée et tiède ; il nourrit de singuliers +petits poissons, qui portent leurs petits dans leur bouche[125], et Si- +Mohammed ben Rabah me dit qu’ils appellent leurs petits en battant des +nageoires, à la manière des poules, que les petits savent ce signal et +viennent se réfugier dans la bouche du gros. + +Les constructions de Hamma sont moitié comme celles du Djérid[126], +moitié comme celles des qsours[127] ; mais on n’y voit pas d’élément +romain. + +Nous rencontrons ici un Nemmouchi des Oulād el ʿAïsawi, qui vient +demander au Bey, pour sa tribu, la permission d’entrer dans la Régence ; +il me dit qu’ils m’amèneront en paix à Négrīn, si le Bey le leur +demande, mais à part il dit à Ahmed que, s’il avait su que nous étions +en voyage, il serait venu nous égorger tous deux de nuit, parce que nous +sommes des chrétiens ! + +Il me dit qu’il y a un mois, la nouvelle leur est arrivée que les +Kabyles se sont révoltés et nous ont vaincus et que les Français, en +désespoir de cause, ont promis 50 douros et un cheval à quiconque +viendra à leur secours (des Musulmans) ! + +J’arrive à Tōzer en très peu de temps, et y trouve le vice-consul qui +m’installe dans une maison à côté de la sienne. + + 29 mars. + +J’ai passé la journée, à la maison, à mettre au courant mes itinéraires, +et, le soir, j’ai calculé quelques latitudes. + +Aujourd’hui comme hier, le temps est lourd et le ciel couvert de nuages +transparents. + +Le soir, un coup de vent à la tombée de la nuit disperse mon herbier qui +était à sécher ; je crains bien que beaucoup de plantes ne soient +perdues. C’est un coup de « chĕhili[128] ». + +Je détermine le genre des poissons de l’oued de Hamma, de Termīl, etc... +Ce sont des « cyprinus » (Cuvier) ; dans l’édition allemande de Vogt, +ils ne sont pas décrits et probablement ils ne le sont pas du tout. + + 30 mars. + +Ce matin, au moment où j’y pensais le moins, lisant sur mon lit, je vois +ma cour envahie par des hommes et des chevaux. Je demande ce que cela +veut dire et prie tout le monde de s’en aller. Mais comme le sont +souvent les serviteurs des hommes les plus gracieux, ces gens font la +sourde oreille et refusent de m’obéir. Il y a longtemps que la moutarde +me chatouille le nez à propos de l’insolence des gens du makhzen. Cette +fois, le manque de politesse est trop formel ; je n’y tiens plus, et +empoignant la chaise de Si Mohammed, je fais une charge furieuse sur +hommes et chevaux et en deux minutes suis maître du champ de bataille. + +Dans la soirée, arrive le voyageur français dont j’ai parlé à Gabès : +c’est M. Guérin, professeur de rhétorique et voyageur historien. Il +connaît déjà l’Orient et nous nous connaissons de Paris où nous suivions +ensemble les cours de M. Caussin de Perceval. Il arrive dans un état +déplorable, car ils ont été assaillis en route par l’ouragan d’ouest +dont nous n’avons pu nous faire qu’une faible idée en ville. Nous +causons tout de suite d’inscriptions, et rectifions mutuellement +quelques erreurs que nous avions commises dans les lectures. + +Le khalifa qui vient voir M. Guérin me fait ses excuses sur ce qui s’est +passé ce matin. + +L’armée est arrivée à Hamma et viendra demain ici. + + 31 mars. + +Ce matin, le Bey a fait son entrée avec sa petite armée ; on a tiré +vingt coups de canon pendant une petite revue que le Bey a faite à son +arrivée. + +Je vais voir Si ʿAli Saci qui me reçoit avec une extrême politesse et se +tient debout pendant que nous causons. Il promet de m’expédier après- +demain, et demain il me donne du monde pour aller à Sebaa-Regoud ; la +caverne a quelque chose d’intéressant au point de vue géologique. + +Promenade à Belidet-el-Hadar[129] avec M. Guérin[130] ; nous +reconnaissons, auprès du minaret dont j’ai déjà parlé, le plan par +colonnes d’un vaste temple ou église ; les entrepas des colonnes ont +2m,50 environ. M. Guérin est d’avis que les buttes de sable et de débris +de brique qui entourent la petite ville marquent la circonférence de +l’ancien Tusurus. Nous trouvons près de là un puits romain carré, de +nombreuses pierres dans les maisons. + +Puis nous visitons la prise d’eau romaine, qui est encore très bien +conservée. + + 1er avril 1860. + +Je vais voir encore une fois le Djebel Sebaa Regoud. + +Je n’ai qu’une note topographique à ajouter à celles que j’ai déjà, +c’est que 600 à l’ouest de Keriz, on coupe l’oued Sebie Biar qui sort de +la montagne ; à sa source il y a un puits romain (carrière) ; l’oued est +petit et va arroser les palmiers. + +[Illustration : Gravure rupestre du Djebel Sebaa Regoud trouvée sur un +banc plat de concrétions calcaires très solides, épais de 0m,10 à 0m,15, +reposant sur des grès. (H. Duv.)] + +La grotte ou plutôt les grottes[131] sont dans un ravin, au nord un peu +est de la ville, à une petite distance. Celle que j’ai visitée, la plus +grande, se divise en deux branches ; la branche profonde est très +difficile, on n’y pénètre qu’en rampant sur le ventre, et souvent la +paroi est trop étroite pour qu’on passe les deux épaules en même temps. +Dans la chambre étroite où on arrive il y a beaucoup de fossiles dont +j’ai pris des échantillons ; on trouve sur la paroi des stalagmites en +forme de couches. Sur une de ces couches je lus : READE 1845. La grotte +ne s’arrête pas là, elle se prolonge par différents couloirs ; un +tailleur de pierres allemand me dit qu’on voit encore les traces des +coups de marteau qui ont servi à la creuser, et que l’un des couloirs +conduit à une chambre taillée de main d’homme. + +Je retourne ensuite à l’inscription[132], dont je complète le dessin, je +découvre un peu plus haut, sur la même plate-forme, une figure +grossièrement taillée comme l’inscription elle-même. C’est peut-être une +grossière imitation de la lune[133]. Dans le ravin, je remarque la +formation de la montagne. Les assises les plus basses qui soient +découvertes sont des bancs de terre glaise sans fossiles, alternant avec +des bancs de sable fin et entassé (grès très tendre en formation) et +remplies de jolis petits cailloux de quartz hyalin ou autre et de silex. +Par-dessus tout cela vient le calcaire coquillier marin. + + 2 avril. + +M. Guérin revient aujourd’hui de Nafta. Nous faisons une grande tournée +dans l’oasis. Puis nous revenons en ville et nous voyons les différents +quartiers qui sont : au S.-O. Zebda ; au S. Oulad el Hādef, à l’E. un +peu N. Zaouyet Debabsa qui est séparée de la ville, au N. Oussouāu, au +N.-N.-O. le tombeau du Sidi ʿAbīd, à l’O. un peu N. Guetna, à l’ouest +Masrhona et un peu plus loin Cherfā. + +A un petit partage d’eau de El ʿAguela dans l’oued Zebbāla, à 4 h. 1/2, +l’eau avait 28° 4, l’air au thermomètre fronde 26°,4. + + 3 avril. + +J’ai oublié de mentionner hier qu’outre de nombreuses pierres romaines, +fondations de maisons, colonnes (dont une de marbre), constructions dans +les saguias, partages d’eau, etc., que nous avons rencontrés dans les +plantations et les villages de Tōzer, nous avons encore remarqué en +ville une pierre portant une branche de zizyphus lotus très bien +sculptée en relief. + + +[Note 115 : Sur l’occupation romaine du sud de la Tunisie, voir, outre +les ouvrages généraux de Tissot, Cagnat, Gauckler, Toutain, etc., les +études du Dr Carton (_Revue Tunisienne_, 1895, p. 201, 1896, p. 373, +530), de P. Blanchet (rapp. cité, _N. Arch. des Missions_, IX, 1899) et +de A. du Paty de Clam (_Bull. de Géogr. historique et descriptive_, +1897, p. 408-424).] + +[Note 116 : Flaques d’eau douce.] + +[Note 117 : Voir la reconstitution dans Tissot, II, p. 658.] + +[Note 118 : Ceci ne s’applique qu’aux chameaux du sud algérien et +tunisien. C’est ainsi que ceux de la Cyrénaïque mangent très bien le +remeth (Rohlfs, _Kufra_, p. 538) et que ceux du Fezzàn font du chih leur +nourriture favorite (Ascherson, _Kufra_, p. 481). C’est précisément la +répugnance des chameaux à se nourrir de plantes inaccoutumées qui oblige +les caravanes à changer d’animaux dans la traversée du désert.] + +[Note 119 : Dite milliaire d’Asprenas. (Cf. pour lecture plus complète +Tissot, II, p. 650 et _C. I. L._, VIII, 10023.)] + +[Note 120 : Le Djébel Arbet ou Orbata (crétacé).] + +[Note 121 : Frère du Bey régnant.] + +[Note 122 : Kaïd du Djérid.] + +[Note 123 : On sait que la puce épargne le Sahara proprement dit.] + +[Note 124 : Voir à l’Appendice.] + +[Note 125 : M. Warnier me dit que probablement les poissons de Hamma +gardent leurs petits dans leur bouche pour empêcher que la chaleur de +l’eau ne leur fasse mal.] + +[Note 126 : C’est-à-dire en briques.] + +[Note 127 : C’est-à-dire en tôb (argile séchée au soleil).] + +[Note 128 : Sirocco.] + +[Note 129 : Ou Bled-el-Adher : un des villages situés dans l’oasis de +Tōzer.] + +[Note 130 : Voir V. Guérin, _Voyage archéologique dans la Régence de +Tunis_. Paris, 1862, in-8o.] + +[Note 131 : Elles ont valu à la montagne le nom de Sebaa Regoud « des +Sept Dormants ». Voir sur la légende Tissot, II, p. 366, 683.] + +[Note 132 : Cf. p. 54.] + +[Note 133 : On lit dans une note de Duveyrier : « M. Tissot a donné, +page 480 du tome I de sa _Géographie comparée_, la reproduction de mon +dessin, sans en indiquer la provenance. M. Tissot comptait réparer cet +oubli. »] + + + + + CHAPITRE VII + + DE TOZER A BISKRA + + +Nous partîmes de Tōzer un peu trop tard pour la route qui nous +attendait. Jusqu’à Hamma nous ne vîmes rien que je n’eusse noté +auparavant ; nous entrâmes alors dans des marécages qui évidemment sont +cause de l’insalubrité de toute l’oasis. Ils s’étendent vers le chott, +et sont formés par les eaux de l’oued qui se perdent peu à peu dans les +terres. + +Notre marche était peu rapide, aussi mîmes-nous beaucoup de temps à +sortir de ces terrains glissants et meubles peu propres à la marche des +chameaux. + +Après les marécages vint une curieuse nature de terrain ; c’était le bas +de l’oued Beyāch, endroit où autrefois avait séjourné la mer, à en juger +à la fois par la nature de sebkha du sol, et surtout par les coquilles +de _Cardium edule_[134] qui s’y trouvaient mêlées à celles du _Bulimus +truncatus_ apporté par les eaux de l’oued. La végétation devient ici +plus rare ; les tamarix s’y maintinrent cependant toujours. Toute cette +plaine est très dangereuse à cause des excursions de maraude qu’y font +les Hammāmas d’un côté et les Nemēmcha de l’autre. C’est pourquoi nous +ne marchions pas sans quelque inquiétude, et les mokhazenis nous +racontèrent différentes histoires terribles de drames qui s’étaient +passés dans cet endroit. + +Enfin nous entrâmes dans le chott[135], qui est une petite imitation du +grand chott de Nefzāoua ; il finit par former plusieurs bassins de plus +en plus bas, fournis d’une végétation assez riche quoique uniforme, elle +se compose principalement d’une plante nommée « _goreyna_ » et de +« _zeita_ ». + +La nuit nous surprit en route, ce qui nous fit hâter la marche ; après, +nous débouchâmes dans une plaine uniforme et aride, et enfin, au moment +où nous nous rapprochions de Chebika, nous nous trouvâmes sur un champ +de pierres très dures, qui ont été apportées de la montagne par les +ravines qui en descendent. Quelques-unes de ces pierres atteignaient une +grande dimension. + +La montagne que nous longions en nous en rapprochant est très régulière +à son sommet ; en cet endroit, elle avait une altitude croissante de +droite à gauche jusque vers Chebika. + +Nous coupâmes au bas des palmiers les fondations des murailles d’une +ville romaine qui, d’après ce que j’ai vu le lendemain, doit avoir eu +une certaine importance ; cet endroit est aujourd’hui consacré à des +cultures de céréales. — Nous montâmes ensuite dans les plantations (ici +l’expression convient très bien), nous les trouvâmes arrosées par des +eaux courantes, où l’on remarquait çà et là dans les canaux des pierres +grossièrement taillées, mais évidemment de travail romain, qui ont été +apportées des ruines de la ville, ou bien même sont peut-être encore à +leur place. + +Arrivés au petit village de Chebika, on fit quelques difficultés pour +nous recevoir, car on craignait quelque exaction du Bey, mais lorsqu’on +nous eut bien reconnus, il fallut nous loger, et l’on choisit une maison +au sommet de la ville. — Les rues sont tellement agrestes qu’il fallut +décharger les chameaux à la porte de la ville, et monter le bagage à +bras d’hommes. Voyant que j’avais à faire à de pauvres gens, je les +avertis tout d’abord que je paierais tout ce qui me serait livré. Je me +couchai bientôt ; et ne pris pas part au dîner qui fut très maigre. + + 4 avril. + +Ce matin, je pus examiner la curieuse position de Chebika. Elle est +bâtie en amphithéâtre sur un rocher, entre deux ravins qui descendent de +la montagne. Au nord du rocher s’élève un roc peu important, mais qui +présente de curieux murs bâtis très anciennement sur certains côtés pour +compléter une forteresse naturelle. Ne pouvant pas très bien reconnaître +l’âge de ces constructions, j’en ai pris un échantillon de ciment. La +source de Chebika, ʿAîn Chebika, coule du nord et descend à l’est +arroser les plantations, qui s’étendent au sud ; on trouve encore un +bouquet de palmiers à l’ouest ; ce dernier s’appelle ʿAin Beidha. Du +reste, la ville compte à peine 20 hommes, ce qui donne un très petit +chiffre de population totale. Ce sont des Hammāma. La tradition leur +rappelle que le nom chrétien de cette ville ou plutôt sa traduction est +Qoçeïr Ech-Chems, le château du soleil (ηλιοπολις). Ils prétendent aussi +que les chrétiens fendirent une partie de la ravine pour amener l’eau à +la ville. + +Je retournai voir les restes de l’ancien établissement ; il s’étend sur +toute la ligne sud des plantations. Cette promenade me convainc une fois +de plus de l’importance de ce point sous l’occupation romaine ; +cependant les pierres y étaient très mal taillées[136]. + +Les habitants de la ville sont pauvres, comme je l’ai dit, mais j’ai vu +quelques jolies femmes, toutes vêtues à la mode occidentale. + +Je partis ensuite pour Midas ; outre mes deux mokhazenis, on nous donna +cinq hommes armés de fusils, dont on me vanta beaucoup le courage, mais +dont la conversation annonçait très peu de décence. Nous longeâmes +pendant quelque temps le bord de la montagne[137] puis arrivâmes à un +endroit appelé Foum en Nâs. C’est une fort large ouverture dans la +montagne, qui donne passage à une petite rivière[138] qui se perd près +de là et qui est employée en partie à arroser des semis de céréales que +nous apercevons verdoyants. Nous entrons dans cette coupure et +rencontrons l’oued, tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, l’eau en +est fraîche et bonne. Le chemin devient plus difficile à mesure que les +rochers se rapprochent, et bientôt ils nous rendent la marche très +pénible. Vers cet endroit, j’aperçus, à mi-hauteur de la montagne, les +ruines d’un petit fort romain, où l’on reconnaît encore une partie de +voûte ; il pouvait avoir 25 mètres de long sur 8 mètres de large +environ, et commandait le passage ; il porte aujourd’hui le nom de El- +Hānout. Plus loin je touchai une petite source appelée El-ʿAouina, elle +sort du roc vif et est réputée fraîche en été ; son eau a 21°,9. Nous +montâmes ensuite dans des passages où c’est un miracle que les chameaux +et les caisses ne se soient pas mille fois renversés. Nous marchions +fort lentement, et, après deux petites terrasses que nous atteignîmes, +nous retombâmes dans l’oued, qui nous conduisit presque aussitôt en vue +des palmiers de Tamerza. + +Nous laissâmes les palmiers à droite, et entrâmes dans un affluent de +l’oued, qui porte le nom d’El-Oudey, et qui contribue pour un petit +filet d’eau. Les deux côtés de la montagne formaient comme deux murs +presque à pic, qui tantôt, s’élargissant, bordaient une surface de sable +unie, tantôt se rétrécissaient et formaient des défilés des plus +pittoresques et des plus curieux. Les tamaris persistaient ; l’eau +courante était couverte par places d’une petite cypéracée que j’ai +cueillie à Nafta. Nous passâmes à Garen un premier défilé, auprès duquel +celui d’El-Kantara n’est rien ; les murailles me parurent être d’un +marbre grossier ; deux vautours planaient au-dessus de leur domaine, et +les excréments répandus par endroits indiquaient qu’ils avaient là leurs +nids. Toute cette partie de la montagne présentait des traits +géologiques très prononcés ; des couches inclinées attestaient le mode +de formation[139]. Après des détours et des montées sans fin, où hommes +et bêtes se trouvaient épuisés, surtout ceux qui jeûnaient, nous fûmes +obligés, pour passer un défilé, de décharger les caisses et de les +porter à bras d’hommes ; peu après, nous aperçûmes sur les hauteurs les +restes d’un petit blockhaus carré romain, encore assez bien conservé, +qui dominait le passage. Nous gravîmes ensuite une pente et, +redescendant de l’autre côté, nous nous trouvâmes à côté de Midas. + +L’oasis de Midas est située comme un nid d’aigle dans une assiette[140] +au milieu de la montagne ; les ravins qui l’entourent ne la laissent +accessible que d’un côté où l’on voit plusieurs koubbas appelés les +Sebaa Regoud. On entre dans la ville par les plantations, et, de l’autre +côté, les maisons sont suspendues sur un ravin ou précipice comme à +Constantine ; la population de Midas peut monter à 30 hommes environ. Ce +sont des Beldîa. Toute la petite oasis présente les sites les plus +charmants ; les jardins offrent un sauvage pittoresque que l’on y +rencontre rarement ; quelques palmiers surtout, à la tête du ravin, +adossés à un rocher à pic de strates horizontales, me tentèrent beaucoup +pour un croquis, mais je crus devoir y renoncer. + +Nous fîmes notre entrée en ville par la seule porte qui s’ouvre dans la +muraille (comme à Chebika) et fûmes bien reçus quoique froidement. Il +n’y eut qu’un petit incident fâcheux, ce fut une scène d’injures que fit +le maître de la maison où on nous installa, un nègre, qui fit sortir les +mokhazenis de leur assiette et engagea une lutte corps à corps, dans +laquelle ils eurent le dessus. Je craignis un moment que la lutte ne +devînt sérieuse et m’armai moi-même en faisant armer mon monde ; je +sortis pour parler au nègre, mais je vis heureusement que tout +s’apaisait peu à peu. + +Il y avait en ville les chefs des Oulad Sidi’Abid au nombre desquels se +trouvait Si Ramdhān, leur chef, pour qui Si ʿAli Saci avait donné une +lettre. Ils vinrent tous, et se conduisirent très bien, car il faut bien +leur pardonner leur curiosité, causée par leur ignorance. Ils causèrent +et plaisantèrent avec moi. Plusieurs ont leur maison ici. Ils me +demandèrent entre autres si Paris était près de Sidi’Okba. Je sacrifiai +ma demi-journée à mes hôtes, ne voulant pas les indisposer par des +observations et mon travail ordinaire ; je craignis de gâter mes +affaires au moment de quitter la régence de Tunis, et en même temps le +pays de la peur. Du reste, j’y gagnai d’un autre côté en jetant un coup +d’œil dans les mœurs et l’état social et moral de cette population. + +Ce que j’en dirai peut s’appliquer à Chebika et probablement aussi à +Tamerza qui est la grande ville de la montagne, et où réside +ordinairement un parent de Si ʿAli Saci. Actuellement il est à Tōzer, il +a eu des difficultés avec ses administrés qui ne doivent pas être +faciles, à cause de l’impôt ; le Bey menace de faire détruire la ville. +Les hommes de Midas sont mal vêtus, et pour la plupart malades. Je n’ai +jamais eu autant de consultations. La syphilis est très commune à tous +les degrés : descendue aux jambes, aux bras, etc., rendant une femme +impotente ; enfin on me l’amène sous la triste forme d’un petit enfant à +la mamelle couvert de glandes et dégoûtant de saleté, déjà jauni par la +mort ! Les femmes sont habillées à l’occidentale avec d’assez vives +couleurs ; quelques-unes, je dirai même la plupart, ne sont pas mal. +Mais le pays est, à ce que je crois, perdu par les maladies vénériennes +et la fièvre. Les Oulad Sidi’Abid paraissent eux-mêmes beaucoup souffrir +des maladies vénériennes. — Les femmes sont assez libres et me jettent +quelques coups d’œil intéressants. — On voit pas mal de nègres. + +La tradition rapporte que cette petite ville se nommait autrefois +Merdās. + +Dans les pierres qui, avec de la terre, servent à construire les +maisons, je reconnais d’assez grandes pierres taillées, quelques-unes +même debout en plan. Évidemment il y avait là un établissement romain, +moins étendu, mais mieux construit que celui de Chebika. + + 5 avril. + +Nous eûmes de la peine à obtenir ce matin les hommes qui devaient +m’escorter jusqu’à Négrīn. Les deux mokhazenis, il faut leur rendre +cette justice, ne me quittèrent que lorsque tout le monde fut prêt. Je +fus accompagné par onze hommes. + +Nous remontions un long oued (oued Midas) ; le terrain était très aisé, +mais les malheureux chameaux affamés et fatigués ne nous permirent pas +de voyager aussi vite que nous l’eussions désiré. D’abord des montagnes +très élevées nous surplombaient à droite et à gauche, puis à mesure que +nous avancions, les montagnes s’éloignèrent et enfin cessèrent tout à +fait sur la droite, car je ne puis compter comme telles les hauteurs de +Hoouarīn et autres[141] qui nous apparaissaient à peine à travers les +vapeurs. La végétation était maigre et rare ; je pus à peine distinguer +les espèces qui se présentèrent sur la route. Le pays est très dénudé, +sauvage et incultivable ; l’eau y est extrêmement rare ; nous ne +rencontrâmes qu’un puits, appelé El-Hassey, creusé dans l’oued. C’est +près de cet endroit que je vis le seul emplacement évident d’un petit +poste romain ; quelques pierres et de nombreux fragments de poterie +antique sur un mamelon sont tout ce qu’il en reste. + +Cette route est très dangereuse, étant exposée aux incursions des +Hammāma et des Oulad el’Aisāoui ; aussi mon escorte était-elle très peu +rassurée, ce qui était d’un autre côté très peu rassurant pour moi. Nous +rencontrâmes plusieurs tas de pierres indiquant autant de victimes des +brigandages qui s’y commettent. Un voyage dans le Sahara pendant le +ramadan avec des musulmans trop consciencieux est du reste une chose +presque impossible et bien fatigante. C’était le cas ici ; plusieurs des +hommes, et Ahmed lui-même, jeûnaient et ne pouvaient pas même boire une +goutte d’eau. Comment pouvait-on exiger d’eux de marcher rapidement et +d’activer la marche des chameaux ? + +Enfin nous atteignîmes des renflements de sable que l’on appelle Erg el +Djemīl ; nous les coupâmes et avançâmes vers le but de notre voyage, qui +nous apparaissait à l’horizon ; nous voyions du moins les hauteurs entre +lesquelles Négrīn est enclavée. Bientôt nous entrâmes dans un pays très +accidenté, sillonné de ravins et de rochers et qui présente quelques +difficultés. L’oued de Negrīn se distinguait très bien sur la gauche et +nous laissâmes, au bout de quelque temps, le bouquet de palmiers de +Zaghouān où logent deux ou trois familles. + +J’envoyai en avant un homme pour annoncer ma venue à Négrīn, et j’avoue +que j’étais un peu incertain de la nature de l’accueil que j’allais +recevoir ; bientôt mes doutes furent dissipés, car nous rencontrâmes +deux des grands de la ville venus à ma rencontre ; ils me saluèrent en +m’embrassant sur l’épaule et me souhaitèrent la bienvenue. On me logea +dans la maison du cheikh qui venait d’arriver, et qui me salua à mon +entrée. C’est un jeune homme nommé Cheikh Mohammed qui a de très bonnes +manières, et qui me paraît très dévoué à la cause des Français. Je reçus +la visite des grands de la ville, qui se conduisirent très bien et que +je ne congédiai que vers le _maghreb_[142]. L’accueil de Négrīn, après +ma course si aventureuse dans la Tunisie, me fit bien du plaisir. Le +cheikh avait été averti de ma venue il y a deux jours par une lettre +venue de Tebessa (car Négrīn dépend de Tebessa qui est à trois journées +de marche). En un mot, je croyais être dans un pays pacifié, et on verra +demain qu’il n’en était rien. + +Négrīn se trouve bâtie dans un ravin d’un abord difficile sur le bord +occidental de l’oued. Les palmiers sont plantés dans le lit même de la +vallée, et en échelons, car la pente de l’oued ici est très forte et le +ruisseau qui coule au milieu des palmiers va par bonds et cascades. +Cette nature du sol permet que l’on arrose facilement les palmiers, car +on n’a qu’à détourner à chaque jardin l’eau qui est nécessaire à +l’arrosage, et le courant de l’oued l’y amène par sa propre force au +moyen d’un saguia. — Outre les palmiers, les plantations renfermaient +encore des figuiers, des abricotiers, des pêchers et surtout des +oliviers. + +Dans la soirée, on m’annonça qu’un des chameaux était tellement malade +que le départ pour demain était impossible ; je me soumis de mauvaise +grâce ; mais l’espoir de bien explorer Besseriani[143] me consola un +peu. + + 6 avril. + +Ce matin, je partis avec le cheikh, un autre cavalier et Ahmed, pour +explorer les ruines de Besseriani ; un assez grand nombre d’hommes +devaient nous rejoindre aux ruines par un chemin plus court mais plus +difficile pour les chevaux. En quittant la ville, nous gardâmes quelque +temps les plantations à notre gauche, et marchâmes tantôt sur les +hauteurs dominant les ravins, tantôt dans le lit même de ces derniers ; +nous atteignîmes enfin l’oued, qui forme ici une petite rivière, coulant +entre de nombreux tamaris et au milieu d’un thalweg bordé de petites +collines ; là commencent les labours et les semis d’orge. Nous ne +quittâmes l’oued que lorsque nous fûmes près des ruines ; nous le +laissâmes alors, sur la droite, aller arroser les labours qui commencent +au N.-O. de Besseriani, et se prolonger à l’ouest et enfin au S.-O. +jusqu’à 1 kilomètre au delà des ruines. A gauche nous avions, à peu de +distance, un sommet de la chaîne de montagnes qui borde d’un côté l’oued +de Négrīn. De là la montagne[144] se prolonge très haute vers l’orient, +formant ainsi la limite du véritable Sahara : à ses pieds s’étend un +terrain rocheux et raviné, formant une pente rapide vers le sud, et qui +est excessivement difficile à traverser. + +La première ruine que je touchai est un support d’arc de triomphe +formant le seul vestige reconnaissable qui en reste ; au pied étaient +dispersées de nombreuses pierres de taille assez volumineuses qui +avaient complété ce monument ; dans la partie intérieure du support de +l’arc, au milieu de la baie, se distingue une colonne mutilée formant +corps avec le support, laquelle colonne était ornée de cannelures et +d’un chapiteau sculpté[145]. Au pied de l’arc de triomphe, je trouvai +deux pierres portant chacune une inscription, malheureusement un peu +mutilées et effacées par les intempéries des saisons. Peut-être ces deux +pierres font-elles partie d’une même inscription qui était placée au- +dessus de l’arc de triomphe[146] : + +[Illustration] + +A côté du support de l’arc encore debout, se trouve un mur d’une +admirable construction, encore très bien conservé jusqu’à une certaine +hauteur ; peut-être servait-il à soutenir l’autre pilier de l’arc ; +cependant je le crois à peine, à cause de la distance qui sépare les +deux ruines. + +De là je me rendis au monument le plus remarquable que renferme +actuellement Besseriani ; c’est un arc de triomphe encore très bien +conservé dans sa partie principale. A son sommet se trouve une belle +pierre très plane sur laquelle on lit le milieu d’une inscription en +grosses et belles lettres d’un travail fini et d’une régularité +remarquable. En regardant l’inscription, on a sur la gauche du monument +un mur y attenant, encore assez bien conservé ; le tout atteste +l’importance considérable[147] de l’établissement romain, et la +tradition à Midas m’avait déjà appris qu’autrefois, Besseriani +commandait à toutes les petites villes des environs que j’ai visitées +depuis Chebika. J’ai dessiné sur les lieux mêmes, sur la planche I, une +esquisse grossière de ce monument[148]. La belle inscription de cet arc +de triomphe étant incomplète, je me mis à chercher les deux pierres qui +manquaient, et je parvins bientôt à en trouver une seconde formant le +commencement du document. Dans une ruine dont je parlerai tout à +l’heure, je trouvai bien une troisième pierre portant trois lignes d’une +inscription en aussi gros caractères que la première, mais je ne trouve +pas à première vue un sens ni beaucoup de rapport entre ces trois lignes +et les quatre lignes de la première inscription ; il est cependant +probable qu’elle en fait partie[149]. Voici les deux premières : + +[Illustration] + +Voici maintenant la troisième pierre que j’ai trouvée à une petite +distance de l’arc de triomphe, dans des ruines de belles et grandes +pierres qui devaient appartenir à quelque bâtiment public ; la surface +de cette pierre a plus souffert que celle des autres. + +[Illustration] + +J’allai ensuite à un monceau de ruines, peut-être les restes d’un autre +arc de triomphe, qui est situé à l’ouest du dernier monument, et à peu +près sur la ligne des ruines que j’ai visitées les premières, c’est-à- +dire plus dans le voisinage des labours. J’y trouvai d’énormes pierres +de taille parfaitement taillées, trois portaient des inscriptions +malheureusement un peu écornées[150]. + +[Illustration] + +Besseriani, ainsi que la ville romaine de Chebika, sont situées au bas +de la montagne, là où l’oued sort des rochers, et l’on voit à l’opposite +que les Arabes et les Berbères ont bâti leurs villages au milieu des +rochers dans les positions les plus difficiles[151]. + +Je prenais quelques angles pour baser un plan grossier de Besseriani, +lorsque l’on signala cinq cavaliers à l’horizon. Or ce pays est +tellement peu sûr que l’on donna immédiatement le signal de se +rassembler et que l’on cria aux cultivateurs dans les labours de se +rallier à nous. Dans la bagarre, je négligeai de remettre mon haïk que +j’avais ôté pour travailler, et me contentai de mes burnous et de mes +culottes. Chacun arma son fusil et je sortis mon revolver pour être prêt +le cas échéant. + +Les cavaliers ne nous avaient pas vus à cheval, et ils n’étaient plus +très éloignés, lorsque quatre d’entre nous, dont le cheikh, partirent au +galop pour aller au-devant d’eux. Dès qu’ils nous aperçurent, les +étrangers s’enfuirent à fond de train, l’un d’eux gagnant le Sahara ; +les autres tâchèrent de se réfugier dans la montagne. Aussitôt tout le +monde cria qu’ils étaient ennemis, Hammāma ou Oulad el’Aisāoui, venus +pour un coup de main, et nous partîmes nous aussi au galop pour prêter +main forte au cheikh. Le terrain dans lequel nous galopions est un +labyrinthe de casse-cou, et Ahmed et moi, ne connaissant pas le pays, +nous allions hésitants ; le vieux qui était resté faisait un peu le +traînard ; je m’aperçus bientôt que la peur l’enchaînait, et lui répétai +plusieurs fois de prendre les devants ; je fus enfin obligé de le +menacer de mon revolver pour le décider à nous guider. Nous galopions +toujours, et pendant ce temps nous n’entendions que les cris de guerre +sauvages que poussaient nos amis ; un fort coup de feu nous échappa au +milieu du bruit du galop de nos chevaux. Nous arrivâmes enfin au pied de +la montagne et rejoignîmes les nôtres, au moment où les étrangers, que +leur fuite folle avait portés sur des points inaccessibles, +abandonnaient leurs montures pour sauver leurs têtes. Nous nous +contentâmes de prendre trois chevaux dont un fort beau, puis nous +tâchâmes de poursuivre celui qui avait gagné le Sahara, mais +abandonnâmes bientôt ses traces. + +Pendant que nous revenions triomphants, et que mon brave Ahmed se voyait +déjà de retour à Biskra, monté sur un cheval, nous aperçûmes au loin un +homme qui venait en faisant des protestations ; c’était un homme bien +connu des Nemēmcha soumis, qui, reconnaissant enfin la nature de notre +cavalerie, venait demander de quel droit nous avions fait acte +d’ennemis. Il nous raconta qu’il nous avait pris pour des Hammāma ou des +Oulad el’Aisāoui et que c’était là la cause de leur fuite. Nous sûmes +donc que nous avions fait méprise des deux parts, et revînmes ensemble à +Besseriani. Nous promîmes de rendre les chevaux à leurs maîtres dès que +ceux-ci viendraient les réclamer, ce qu’ils firent à Négrīn dans la +soirée. Nous rentrâmes épuisés à Besseriani, où j’achevai de dessiner +l’arc de triomphe debout, et nous retournâmes en ville, rencontrant sur +notre route une foule d’habitants, hommes et femmes, qui venaient soit +prendre part au combat, soit savoir ce qui était arrivé. — Deux de nos +cavaliers ne voulurent pas laisser échapper l’occasion de faire une +fantazia, et nous entrâmes chez nous. + +A peine étais-je assis, qu’un homme ensanglanté, venant demander +justice, se présenta devant moi. On avait tué une chèvre aujourd’hui, et +il avait acheté la peau de la bête avec la tête, croyait-il ; le vendeur +prétendit que c’était sans la tête ; l’acheteur jura qu’il ne la +rendrait pas, quoi qu’il dût arriver ; il s’ensuivit un combat, où mon +homme reçut sur la tête un coup de pierre qui lui avait fait une forte +blessure ; le crâne heureusement n’avait pas été entamé. Comme je +n’avais pas entendu l’adversaire, je priai le cheikh de s’enquérir de +cette affaire ; et les deux parties ayant tort, il proposa une amende de +6 douros pour chacun. + +Ma course effrénée de ce matin, en plein soleil, sans mon haïk, m’avait +été nuisible et je commençai, dès le retour, à sentir les symptômes d’un +violent mal de tête avec dégoût, presque mal de cœur. + +Vers les trois heures de l’après-midi, arriva en ville un jeune homme +nous annonçant que des Hammāma l’avaient dépouillé et venaient d’emmener +les troupeaux de chèvres de Négrīn, dont il était le gardien, et qui +étaient au pâturage près de Zaghouān. Aussitôt le cheikh, quoique +jeûnant, fit seller son cheval et se prépara à la poursuite ainsi que +les hommes armés de la ville ; les chevaux partaient, et dans le premier +mouvement je montai aussi en selle, oubliant ma maladie ; je pris le +fusil d’Ahmed qui avait été au frais sous les palmiers ; mais, à peine +sorti de la ville, je vis que j’étais trop malade pour suivre l’allure +des autres chevaux, et laissant le mien à un des fantassins, je revins +vers la ville. Je rencontrai Ahmed, qui me gronda de m’être dérangé, et +plus encore d’avoir laissé mon cheval ; mais c’était un peu tard. Dans +la soirée tout le monde revint, les Hammāma, au nombre de 7 à 8 +fantassins, avaient pris la fuite dans la montagne, abandonnant les +troupeaux, et n’emportant qu’un fusil et un burnous. J’appris à cette +occasion que trois familles de Négrīn habitaient Zaghouān. Après le +retour de la petite armée, je tombai très malade, et n’eus que le temps +de prendre de l’ipécacuanha, puis après les vomissements une dose de +quinine ; j’eus un instant le délire et un mal de tête fou, puis je +tombai dans un état de prostration jusque vers les 10 heures du soir. Je +me réveillai alors presque guéri, me déshabillai et me couchai ; il +faisait une chaleur très grande. + +Je vis, avant de tomber tout à fait malade, les hommes que nous avions +poursuivis le matin ; l’un d’eux était précisément celui qui avait été +réclamer sa jument à Si-Mohammed ben Rabah, et qui la ramenait dans sa +tribu. Ils avaient rencontré dans le chott un homme des Oulad +el’Aisāoui, l’avaient dépouillé et renvoyé après lui avoir administré +une bastonnade. Mes aventures d’aujourd’hui dénotent que ce pays est +loin d’être pacifié. En effet, les gens de Négrīn n’osent à la lettre +pas sortir de chez eux pour aller commercer, de crainte des vexations et +actes d’hostilité des Oulad el’Aisāoui et des Hammāma. Tous les ans, ces +deux tribus hostiles leur enlèvent leurs troupeaux de chèvres et tout ce +qu’ils peuvent prendre. Le seul chemin qui leur soit ouvert est la route +de Tebessa depuis l’occupation française. + + 7 avril. + +Aujourd’hui, je suis resté à la maison toute la journée ; j’étais +heureusement guéri. J’écrivis dès le matin une lettre au cheikh de +Ferkān, pour lui demander une mule et deux hommes, qui m’accompagnent +demain à Zéribet Ahmed. + +Dans le milieu de la journée, la nouvelle arriva qu’un mulet qui était à +paître dans les plantations avait disparu, et il parut évident que +c’étaient les Hammāma d’hier qui, cachés dans la montagne, n’avaient pas +voulu partir sans butin et étaient venus dans la journée enlever ce +mulet. Le village fut encore sur le point de se mettre en armes, mais on +abandonna ensuite le projet. + +J’apprends aujourd’hui que Négrīn peut compter environ 60 maisons et +peut-être 120 hommes en état de porter les armes. La population se +divise en quatre tribus ; les Oulad ech Cheikh, les Oukid Hamza ; les +Obbaouma et les Oulad Mansour. Le tribut de Négrīn est de 1.180 francs +par an. + +A Négrīn, un individu vint me trouver, et, après m’avoir fait comprendre +qu’il avait beaucoup d’argent, il me pria de lui écrire une amulette +pour que sa femme qu’il avait répudiée revînt à lui. Il l’aimait et elle +en préférait un autre avec lequel elle devait se marier. Je répondis à +cet homme que, si j’avais le pouvoir d’écrire de tels talismans, je +commencerais par m’en servir, mais qu’en tous cas je ne lui aurais pas +pris un centime. + +Ferkān subit l’influence des Oulad el’Aisāoui, qui s’y font héberger de +force, et se servent du village comme point de ravitaillement dans leurs +expéditions de pillages. Cela tient à ce que les habitants ont beaucoup +de Nemēmcha et même d’Oulad el’Aisāoui au milieu d’eux. Outre ces +étrangers, la population de la ville se divise en trois tribus, les +Oulad Brahīm, les Oulad ’Adouān et les Oulad Yoūnis. Le tout forme 65 +maisons et, partant, peut-être 130 hommes au moins en état de porter les +armes ; ce chiffre me fait soupçonner un peu de bonne volonté de leur +part à héberger nos ennemis. + +Des messagers viennent de Ferkān, apportant une réponse peu polie ; je +les gronde bien fort et les renvoie brusquement ; cela cause des +pourparlers à n’en plus finir, des séances avec différents hommes de +Ferkān qui venaient d’arriver au Djérid[152]. On finit par s’en aller en +promettant de revenir avant demain avec la mule et les deux hommes. + + 8 avril. + +Nous quittons Négrīn de bonne heure, le cheikh de Ferkān, qui a au moins +un digne extérieur, est venu lui-même cette nuit amener le mulet et les +deux hommes que j’avais demandés. Il nous accompagne ce matin jusqu’à la +rivière de Ghēsrān[153] où nous faisons boire les chevaux et remplissons +nos outres, puis nous partons chacun de notre côté, lui retournant à +Ferkān, et nous coupant dans le Sahara pour atteindre le Zāb. Quatre +cavaliers de Négrīn m’accompagnent : je renvoie le cinquième, qui, +voulant tuer un lièvre, décharge son fusil qui éclate, sans causer +d’accident heureusement. + +Nous voyageons dans un terrain aisé, le commencement du Sahara, qui se +prolonge indéfiniment sur la gauche, et nous avons toute la journée à +une certaine distance sur la droite, la chaîne de collines, au milieu de +laquelle est bâtie Ferkān, et qui est séparée par une plaine de +montagnes plus hautes[154]. Je déjeune dans l’oued Djērech maintenant à +sec, parce que l’année n’a pas été pluvieuse. + +Une autre longue marche nous amène à l’oued el Miyta, dont le lit est +divisé en plusieurs canaux à cet endroit. Un peu plus loin, vers +l’ouest, commencent des plaines appelées communément El Feyyād[155], et +qui méritent beaucoup d’attention. Le sol de ces plaines est composé +d’argiles mêlées de sables et très lavées[156] ; par conséquent, elles +renferment tous les éléments de fécondité, et il ne leur manque en effet +que l’eau[157]. Après les pluies se montrent une quantité de plantes +annuelles, telles que graminées et petites fleurs champêtres que les +ardeurs de l’été dessèchent ; tandis que, dans les années sèches comme +celle-ci, cette végétation elle-même ne se montre pas. Dans plusieurs +endroits de ces Feyyād, les Arabes labourent lorsque les pluies +arrivent ; dans d’autres parties beaucoup plus rares les oueds +descendant de la montagne leur permettent de cultiver chaque année. Or +il est évident que si, par des barrages ingénieux ou des forages +artésiens, on parvient à assurer de l’eau à ces plaines désertes, on +assurera par le fait même de belles récoltes sur une superficie +considérable de celle partie du Sahara. + +Ces plaines cultivables sont séparées par des renflements à peine +sensibles couverts de cailloux et de pierres anguleuses. + +Nous marchâmes bien toute la journée, et nous n’atteignîmes l’oued +Ouazzāren que quelques instants après le coucher du soleil. Cet oued +est, comme les précédents, bordé de tamaris ; et nous plantâmes la tente +au chant des chouettes qui s’appelaient dans ces fourrés. Je n’ai pas +besoin de dire que l’oued est à sec. + + 9 avril. + +Aujourd’hui encore nous nous sommes mis en mouvement avant le lever du +soleil, et nous continuâmes de voyager dans les plaines cultivables que +j’ai notées hier ; je remarquai ici pour la première fois bien +distinctement le mirage, _sarab_. La plaine au sud-est paraissait un lac +à l’horizon et des lignes de _Rhamnus arabica_ et de tamaris semblaient +dominer les eaux et former un rivage. Je crus d’abord que c’était le +chott, mais fus obligé de m’apercevoir de mon erreur. Du reste, ces +plaines nues, uniformes et de couleur grisâtre, frappées par les rayons +obliques du soleil le matin ou le soir, offrent toutes les conditions +nécessaires pour le phénomène du mirage. Les inégalités du sol, de +vraies gerçures sur une peau, disparaissent à peu de distance pour +l’œil. + +Nous traversâmes quelques ravines et aperçûmes au bout de quelque temps +les oasis de Bādes, Liana et Kessad, ressortant sur la couleur rougeâtre +des montagnes ; peu après, le village de Zéribet Ahmed nous apparut, et +nous l’atteignîmes pour déjeuner. + +Zéribet Ahmed est un village muré, placé sur une petite élévation. Il +n’a pas de palmiers, et la petite saguia qui passe devant le village est +à sec parce que Liana en absorbe toute l’eau[158]. Les habitants ont +voulu réclamer contre une mesure qui leur ôte leurs récoltes, leur seule +ressource bien sûre ; mais il est probable que dans les années +pluvieuses, l’eau de l’oued arrive jusque chez eux. Ils boivent +actuellement à un puits situé vers le sud-ouest du village, à une +certaine distance. Il y avait au pied des murs trois ou quatre tentes de +Nemēmcha. Les habitants sortirent pour reconnaître les nouveaux venus, +mais je ne voulus pas m’arrêter chez eux ; les quatre Negarniya[159] me +quittèrent ici, et laissant les chameaux suivre de leur pas, je partis +en avant pour arriver le plus tôt possible. + +A moitié route, mon guide me montra sur la gauche « les ruines d’un +village qui fut détruit par un scorpion ». Ce village malheureux était +bâti dans le même genre que Zéribet Ahmed, et a dû être encore moins +considérable. + +J’arrivai enfin à Zéribet el Ouad, nous touchâmes d’abord l’oued, dans +lequel sont plantés les palmiers ; puis, le descendant un peu, nous le +coupâmes en face de la ville, au moment où nous touchions à la goubba de +Sidi-Hassen, marabout célèbre dans le pays. Nous traversâmes la petite +rivière qui coule au fond du thalweg, et entrâmes en ville par quelques +minces jardins. Je trouvai chez El Arbi, le mamelouk italien[160], le +meilleur accueil, et décidai aussitôt que je profiterais de son départ +pour aller à Biskra cette nuit. + + 10 avril. + +Hier au soir, nous sommes partis à 9 heures et demie ; nous avons voyagé +toute la nuit par le vent et le froid, et ce matin je suis arrivé avant +El Arbi que je laisse à Sidi’Okba. Je déjeune avec le colonel, qui donne +par le télégraphe la nouvelle de mon arrivée à Constantine. + + +[Note 134 : Le _Cardium edule fossile_ se trouve représenté dans les +chotts tunisiens par deux formes principales : la forme actuelle +méditerranéenne, et la forme saumâtre des étangs de la Barre, de +Lavalduc, de la Caspienne, etc. (Dru, in _Rapport Roudaire sur la dern. +expéd. des chotts_, p. 55).] + +[Note 135 : Le chott El-Rharsa.] + +[Note 136 : Il y a donc peut-être quelque exagération à dire avec Tissot +que Duveyrier « représente ces ruines comme celles d’une _grande_ +ville ». (Ouv. cité, II, p. 682.)] + +[Note 137 : C’est la chaîne occidentale de Gafsa ou Djebel Blidji, qui +renferme une partie des gisements de phosphate découverts en 1885 par M. +Ph. Thomas.] + +[Note 138 : L’oued Alenda, ou oued Tamerza.] + +[Note 139 : Voir la coupe N.-S. de M. Thomas de Midas au Rharsa : il y a +là deux anticlinaux démantelés du crétacé supérieur, flanqués l’un et +l’autre des deux côtés par les couches redressées de l’éocène +inférieur.] + +[Note 140 : Sur le plus septentrional des deux anticlinaux précités.] + +[Note 141 : C’est la bordure sud du plateau des Nemencha, plus connue +sous le nom de Djebel Ong. (Cf. Blayac, _Le pays des Nememcha_, _Annales +de Géographie_ 1899, p. 149 et suiv.)] + +[Note 142 : Le coucher du soleil.] + +[Note 143 : _Ad Majores_, Cf. Baudot, _Rec. des notices et mémoires de +la Soc. archéol. de Constantine_, 1876, p. 124 et suiv. ; Masqueray, +_Revue Africaine_, 1879, p. 65 et suiv. ; Tissot, II, p. 530, etc.] + +[Note 144 : Djebel Majour (Blayac, art. cité).] + +[Note 145 : Masqueray l’attribue à la fin du IVe siècle.] + +[Note 146 : Cf. la lecture légèrement différente de Baudot reproduite, +dans Tissot, II, p. 533 et _C. I. L._, VIII, 2480.] + +[Note 147 : Cf. Tissot, II, p. 531, et Masqueray, p. 75-76.] + +[Note 148 : Ce dessin n’a pas été retrouvé. Duveyrier le porte déjà +manquant dans une table manuscrite de 1869.] + +[Note 149 : Voir la lecture plus complète dans Tissot, II, p. 531.] + +[Note 150 : Cf. les textes de Tissot, II, p. 534 et de Masqueray.] + +[Note 151 : Il ne faut pas oublier toutefois que les _castella_, qui +permettaient aux colons du Sud de communiquer avec le Nord par les +gorges de l’oued Hallaïl, sont perchés comme les villages indigènes +(Blayac, art. cité, p. 158).] + +[Note 152 : Négrīn était ainsi considérée comme la dernière oasis du +Djérid, Ferkān comme la première du Zab.] + +[Note 153 : Oued Kesrane, la rivière de Négrīn.] + +[Note 154 : Plaine de Mdila et Djebel Sidi-Abîd.] + +[Note 155 : Nom plus connu au singulier : El Faïdh.] + +[Note 156 : Veut dire sans doute qu’elles ne sont pas salées.] + +[Note 157 : On a supprimé ici une phrase incompréhensible. Duveyrier +était évidemment sous le coup de sa récente indisposition, et cette +partie de son journal s’en ressent.] + +[Note 158 : D’après la coutume, Liana a droit à deux tiers du volume +d’eau de l’oued el Arab. Le tiers restant doit être réparti entre les +oasis d’El Ksar, Badès, El Djadi et Zéribet Ahmed. (Féliu, _Le régime +des eaux dans le Sahara de Constantine_. Blida, 1896, p. 90-92.)] + +[Note 159 : « Gens de Négrīn. »] + +[Note 160 : Appelé aussi El Arbi Mamelouk. C’était un maréchal des logis +d’origine piémontaise, qui, élevé en musulman, était entré au titre +indigène au 3e spahis. Il rendit à Zéribet de bons services, fut nommé +lieutenant, puis caïd des Beni-Salah, dont il empêcha la révolte en +1871, ce qui le désigna au général de Lacroix pour le caïdat du Souf, +lorsque ce groupe d’oasis fut distrait du caïdat de Tougourt. Il fut +assassiné en 1873, peut-être à l’instigation du marabout de Temacine, +Si-Maammar, celui même que Duveyrier soupçonna toujours d’avoir +encouragé le meurtre de Dournaux-Dupéré. Duveyrier, dans ses lettres, +parla toujours d’El Arbi avec la plus grande estime. « Sa mort, +écrivait-il en 1873, est un malheur pour la paix du Sahara. »] + + + + + DEUXIÈME PARTIE + + * * * * * + + CHAPITRE PREMIER + + DANS L’OUED-RIGH + + + Le 28 mai 1860. + +[Illustration : Inscription arabe du tombeau de Sidi’Okba.] + +Je quittai Biskra et me rendis à Sidi’Okba. La mosquée de Sidi’Okba est +assez vaste et élevée ; on y voit une grande porte en bois sculpté qui +était autrefois garnie d’argent, dit la tradition ; elle ne sert plus +maintenant, du moins elle était fermée pendant ma visite, et on entre +dans le temple par une petite porte qui donne d’abord dans la chambre +aux ablutions où l’on voit plusieurs bassins allongés qui ont l’air de +sarcophages romains. Le tombeau de Sidi’Okba est dans la mosquée et se +compose d’une chambre dont je n’ai vu que les murs extérieurs. Sur un +des côtés de la porte on voit une inscription coufique en relief sur une +bande de terre cuite et formant une ligne écrite de bas en haut, on y +lit : + +au-dessus de la porte même est une autre inscription ancienne aussi ; +elle est sculptée en relief sur une planche de bois coloriée. Dans la +ville on voit de temps à autre des pierres romaines encastrées dans les +murs. + +Le jardin du kaïd seul possède des orangers et des citronniers. + + Le 29 mai. + +Je pars pour Zéribet el Ouad. La route traverse d’abord les immenses +terrains de labours de Sidi’Okba. Tous les grains sont coupés, je ne +vois plus qu’un petit champ où l’on fait la moisson. Ensuite on entre +dans une succession de plaines séparées par les rivières à sec ; tout ce +pays est d’excellente terre labourable, il n’y manque que de l’eau, et +la seule végétation actuelle est limitée à quelques rares touffes de +_guetaf_, de tamarix, etc. Nous voyons du mirage à l’horizon devant nous +et sur la droite. Ces terres végétales sont des alluvions apportées de +la montagne. Nous voyons à droite l’oasis d’Aïn Naga, à une petite +distance. Enfin j’arrive à Zéribet vers 3 heures et demie du soir, par +une très grande chaleur, le vent a soufflé toute la journée en sirocco. + + Le 30 mai. + +Zéribet el Ouad peut avoir 1.500 âmes ; il y a un détachement de 45 +spahis commandés par mon ami El Arbi. La rivière sur laquelle la ville +est bâtie s’appelle Ouad el’Arāb ; il suffit qu’elle ait deux crues par +an pour que les habitants de la contrée puissent arroser non seulement +leurs labours autour de la ville, mais encore ceux de la plaine d’El +Faïdh, et alors les récoltes sont d’une richesse dont on n’a pas d’idée, +mais depuis que la sécurité règne dans la montagne, les Chaouia ont fait +sans cesse de nouveaux barrages à mesure que leurs cultures augmentent +et l’eau devient de plus en plus rare à Zéribet el Ouad. La dernière +crue a eu lieu au milieu de l’automne dernier, et depuis lors il y a +toujours eu de l’eau dans l’ouad dans les trous et dépressions du lit. +Dans ces trous vivent des barbeaux dont quelques-uns atteignent un pied +de longueur ; ils ont une couleur plus pâle et plus jaunâtre que les +autres barbeaux de ce pays, ce qui fit croire aux spahis français que ce +n’était pas un poisson de cette espèce. + +Les jardins de palmiers, qui sont en petit nombre, sont arrosés par des +puits à bascule comme au Souf[161] ; ces puits, creusés dans le lit de +la rivière, ont très peu de profondeur. Celui du jardin d’El Arbi avait +une température de 22°,0 à une profondeur de 3m,75 dans l’après-midi. El +Arbi cultive dans son jardin qu’il a établi depuis quelques mois +seulement des légumes français pour montrer l’exemple aux indigènes : +pommes de terre, haricots, choux, laitue, luzerne, carotte, navets, et +tout est venu très bien dans la terre d’alluvion qui a reçu les +semences. + +Il n’y a pas de puces à Sidi’Okba ni à Zéribet, à cette époque du moins. + + Le 31 mai. + +Nous partons, El Arbi et moi, avec une dizaine de spahis et, laissant le +bagage derrière, nous voyageons rapidement à travers une plaine unie, de +terre végétale, et à peine parsemée çà et là de touffes de _guetaf_ et +de tamarix. Nous avons toujours à notre droite l’oued el Arab à une +distance variable. + +Nous arrivons de bonne heure à El Faïdh et nous arrêtons à une petite +baraque auprès du puits artésien inachevé, et recouvert en ce moment par +une grossière maçonnerie. Nous ne trouvons ici que quelques tentes +d’Arabes qui gardent les puits, mais il y a deux villages tout près de +là : Beled Oulad Bou Hadîdja et Beled Oulad’Amer, du nom de deux tribus +autrefois en querelles continuelles, mais qui, depuis la domination +française, sont forcées, comme tant d’autres, à vivre en paix. Ces +villages ne sont habités que pendant l’hiver, ou, s’ils le sont aussi +pendant l’été, c’est que l’oued el Arab a coulé deux fois dans l’année, +ce qui a rendu possible les magnifiques labours dans les plaines d’El +Faïdh. Dans ces grandes occasions, on mêle du sable aux grains de blé et +d’orge pour qu’ils ne tombent pas trop près les uns des autres. Le puits +artésien, qui est déjà à 130 mètres de profondeur[162] et qui jusqu’à +présent n’a rendu que des terres semblables à celle du sol ou +différentes seulement par une plus grande proportion d’argile, donnerait +une fertilité certaine à ces terres qui ne sont plus arrosées maintenant +que rarement, car les montagnards, depuis que la sécurité règne dans +leur pays, ont construit des quantités de barrages nouveaux qui +absorbent les petites crues. Il y a longtemps que l’eau de la rivière +n’est parvenue à El Faïdh ; la dernière crue date du milieu de l’automne +dernier. + +Autrefois il y avait des plantations de palmiers à El Faïdh. Aujourd’hui +il ne reste plus qu’un seul dattier comme témoin de ce fait. Ils ont été +coupés dans une querelle de tribu. + +L’eau que l’on boit à El Faïdh est bonne, elle est tirée des oglas +creusées dans le lit à sec de la rivière, lequel est entouré de tamaris. + +La faune de ce pays est remarquable à deux points de vue : d’abord, il y +a de nombreux sangliers, dont les coups de boutoir sont visibles au pied +de presque toutes les touffes de broussailles. Ensuite, le serpent des +jongleurs égyptiens existe aussi ici, le mâle est appelé ثعبان, la +femelle نعجة, à moins que ce ne soient deux espèces différentes. Cette +espèce atteint presque 2 mètres de long et la grosseur de la cuisse (?) +elle est de couleur noire, et lorsqu’elle est en colère, se lève sur la +queue et se promène en étalant la peau de son cou en éventail. M. Hénon +en a vu une morte que El Arbi lui a envoyée. + +La végétation est, je crois, de _guetaf_. + + Le 1er juin. + +El Arbi m’avait déjà quitté la veille au soir, mais il m’avait laissé +ses spahis. Nous partîmes de bonne heure, et en arrivant aux _oglas_, +mon sacré Brahim qui n’a jamais brillé jusqu’ici que comme pilier de +café, ménage si mal le chameau des cantines que les deux caisses sont +jetées à terre. Heureusement rien n’est cassé, mais cet événement fait +oublier à mes serviteurs de prendre de l’eau, et nous voilà partis pour +faire deux lieues dans le Sahara sans trouver d’eau. Aussi dès que je +m’aperçois de leur oubli, je pars en avant à cheval avec un des +serviteurs du kaïd qui me servait de guide. + +Nous traversons une plaine appelées Farfaria, à sol de terre labourable +tout boursouflé dans lequel les chevaux enfoncent beaucoup. La +végétation est excessivement rare ; par endroits elle est nulle. Elle se +compose de tamaris formant des buissons sur le bord des rivières à sec +qui se trouvent ici près du chott en très grand nombre, de _guetaf_ plus +rare et enfin de _jell_ et de _Bou ’akerich_[163]. Le pays est d’une +grande uniformité ; plus on approche de Sidi Mohammed Moussa, plus on +rencontre de plaques d’efflorescences salines. Enfin lorsqu’on arrive à +ce bosquet de palmiers, le sol est devenu _heïcha_, la végétation est +plus dure, et se compose des mêmes espèces qu’avant. + +En arrivant à Sidi Mohammed Moussa, nous croyions trouver de l’eau +potable, mais celle que nous trouvâmes était trop salée pour être bue. +Il y a là une mosquée assez grande entourée de quelques petites +maisons ; le village était abandonné ainsi que quelques petites huttes +en branches d’arbres semées dans les jardins. Les petites plantations +assez clairsemées, inégalement distribuées et peu importantes, sont +remplies de tourterelles. Nous apprîmes plus tard que personne ne +pouvait plus habiter cet endroit depuis que l’eau était devenue si salée +et si amère. + +Après nous être reposés un instant, nous continuâmes notre route et ne +tardâmes pas à arriver à El-Haouch, village bâti sur le côté d’un fort +beau bois de palmiers. Les habitants d’El-Haouch étaient tous dans la +forêt de Saada où ils avaient semé des céréales cet hiver. Ils sont +obligés d’émigrer ainsi à quelque distance du village toutes les années +où la rivière ne leur apporte pas l’eau nécessaire pour qu’ils puissent +labourer autour de leur village. Nous ne trouvâmes donc que les gardiens +des maisons et très peu de ressources alimentaires ; on me laissa la +mosquée pour habitation et je m’y installai de mon mieux. Les chameaux +n’arrivèrent que vers 3 heures. J’avais envoyé de l’eau à leur +rencontre. J’achetai une poule 1 franc ; et Ahmed et moi nous tirâmes +quelques tourterelles dans les jardins. L’eau d’El-Haouch est très +mauvaise. + + 2 juin. + +J’avais envoyé dès mon arrivée quelqu’un au cheik d’El-Haouch à Saada, +et il m’envoya dans la nuit un cavalier et un piéton pour me conduire à +Merhayyer (la Changée). + +Nous voyageons aujourd’hui dans une plaine couverte de sable ou de +gravier, où souvent des affleurements de calcaire blanc se font jour. Le +relief de cette plaine est assez accidenté on y voit presque toujours +des _drâ_ ou lignes de hauteurs à l’horizon. La végétation est assez +fournie : d’abord elle se compose de _zeita_, de _jell_ et d’_isrif_, +puis enfin de _drin_, de _zeita_ et de _greyna_. Dans la première partie +de la route nous voyons sur la gauche de petites buttes qui indiquent +l’emplacement d’un ancien _qsar_ appelé Djeneyyen جنين (le petit +jardin). Il y avait autrefois des sources d’eau douce dans cet endroit ; +mais elles sont devenues salées et alors on a abandonné les lieux. Il ne +reste de la _ghâba_ que quelques palmiers-broussailles. + +Nous arrivons à l’oued Itel par une très grande chaleur. Cet endroit +s’appelle Sētīl ; on y trouve des oglas ou trous peu profonds ayant un +peu d’eau au fond. Cette eau était autrefois renommée comme très bonne. +El Arbi en partant m’avait dit : « Vous retrouverez là l’eau de Mengoūb +et de Zerig ech Chaaba. » Or dans le meilleur trou l’eau était verdâtre, +lourde et avait un goût salé amer très désagréable. L’oued Itel n’est +ici qu’une petite dépression large d’une centaine de mètres, garnie de +sable et de gravier, mais sans berge. Son lit est couvert de tamaris. Il +y a quelques jours qu’un campement de Toroūd était ici ; ils ont émigré +à Bir el Asli dans le Sahara de Tinedla. + + Dimanche 3 juin. + +En quittant Setīl on continue jusqu’au Dhahâr[164] la plaine de même +conformation que celle d’hier. La végétation est composée de _retem_, +d’_isrif_, de _methennan_ et de _guerch_. Au Dhahâr, qui est le talus +formé par une plaine supérieure qui cesse tout d’un coup pour faire +place à une plaine plus basse, je trouvai dans les berges la même terre +rougeâtre sableuse que l’on retrouve autour du qsar de Merhayyer. + +Ici commence l’oued Righ naturel[165], le chott Melghigh n’est plus qu’à +une petite distance sur la gauche. On en longe même le bord pendant +quelque temps. A partir de là commence un sol ou _heicha_ boursouflé, +souvent couvert d’efflorescences de sel, et caractérisé par une autre +végétation : _zeita_, _greyna_, _ghardeg_ (?), etc. A moitié chemin +entre Merhayyer et Setil se voient sur le chott les premières taches de +palmiers, celle de Merouān ; à partir de là elles se succèdent presque +sans relâche ; à droite on voit quelques _cherias_ ou bosquets de +palmiers nourris par une source. Enfin on arrive aux deux petites oasis +d’Ourir et de Nesigha, qui se touchent presque. A Ourir il n’y a jamais +eu de _qsar_, mais il y a une mosquée ; à Nesigha, au contraire, il y en +avait un autrefois. + +Nous arrivons enfin à Merhayyer. Le soir, je vais voir une noce de +Rouāgha. C’est certainement fort curieux. La fête a lieu lorsque la +chaleur du jour a passé et continue jusqu’au _maghreb_. Sept jours de +suite elle se prolonge. Sur la place de la ville viennent prendre place +les jeunes gens qui cherchent une épouse ou une amie (?) et ils +s’asseyent sur les bancs de terre situés aux abords des maisons. Ils ont +mis leurs plus beaux burnous et d’énormes chachias sous leur haïk qui +est lui-même attaché par une énorme _berima_. Vient ensuite le _maâllem_ +ou maître de musique, qui est aussi fort beau et qui ouvre le concert +par un air de flageolet ; il a pour acolytes deux timbales طبل et la +musique commence pour ne plus changer sur un ton lent saccadé. C’est +alors que viennent les jeunes filles de la ville deux à deux, trois à +trois, toujours les amies ensemble. Elles marchent lentement, par petits +pas, infligeant à leur corps une cadence, une ondulation presque +imperceptible qui commence aux pieds et finit à la tête. Elles marchent +les yeux pudiquement baissés ; vêtues de leurs plus beaux vêtements, +ayant au milieu de leur coiffure multicolore de petits rameaux de +tamaris. Elles se tiennent par la main ; les avant-bras levés vers leur +tête pour montrer aux jeunes hommes leurs mains teintes de henné. Tantôt +elles suivent le _maâllem_ qui ne dédaigne pas de battre de temps en +temps des entrechats devant elles, et ensuite de sautiller accroupi +devant un autre groupe qui recule alors lentement. Le _maâllem_ et un +acolyte me distinguant avec le cheikh et Ahmed vint s’agenouiller à +quelques pas de moi et me fit l’honneur d’un concert à mon intention ; +je déboursai un franc, ce qui lui donna des forces considérables. +Plusieurs des groupes de statues firent des détours pour se faire +admirer de plus près par Si Saad et vinrent passer lentement devant moi. +C’étaient surtout les plus grandes. Il y avait de toutes petites filles. +Enfin un groupe attira mon attention parce que chacune des demoiselles +qui le composaient avait un fichu de soie jeté sur la figure. C’étaient +les mariées ; il y en avait trois. + + 4 juin. + +Le cheikh de Merhayer prétend que sa ville est plus élevée que Tougourt, +mais tout le monde est de l’avis contraire. + +Nesigha avait autrefois une _dechera_ ; mais cette _dechera_ se dépeupla +peu à peu, les habitants moururent et sous le règne du cheikh Brahim la +dernière famille émigra à Merhayyer. C’est une vieille femme de cette +famille qui a émigré elle-même et qui me raconte ce fait. Elle me donne +beaucoup d’autres renseignements curieux. La _dechera_ de Nezigha ne fut +jamais bien grande. Ourīr a une mosquée dédiée à Sidi Mokhfi qui était +Righi[166]. Merhayyer est très ancienne, quoique fondée sous les +musulmans ; la Zaouiya de Sidi Embārek Sāim, de même ; elle fut bâtie +quarante ans après la fondation de la ville. Ce marabout était un chérif +arabe venu de loin. C’est depuis le règne du cheikh Hamed que la langue +arabe a prévalu dans les villages du Ras el Ouad, et qu’elle a remplacé +le Righi. + +Voici la liste des cheikhs de Tougourt[167] : + + +Sidi Mohammed ben Yahiya, marabout arabe nayli, régna quarante ans ; son +règne fut un règne doux. + +Cheikh Hamed, fonda la dynastie des Beni-Djellab, famille aussi arabe, +qui, dit-on, descend des Mérinides. Ce fut un bon souverain ainsi que +cheikh Brahim. + +El-Khāzen ne régna que trois à quatre mois. + +Cheikh Brahim régna de treize à quatorze ans. + +Cheikh Mohammed régna longtemps, eut pour fils les trois souverains +suivants : + +Cheikh ’Amor vient au trône deux ans avant la prise d’Alger ; + +Cheikh Brahim régna quatre ou cinq ans. + +Cheikh ’Ali régna quatre ou cinq ans. + +Cheikh Ben Abd er Rahman régna onze ans. + +Cheikh Selman régna trois mois et fut chassé par les Français au mois de +novembre 1854. + + +Les Mehadjeriya de Tougourt tirent leur origine, me dit-on ici, d’un +juif apostat qui vint à Tougourt, déjà musulman, sous l’ancienne +dynastie (Sidi Mohammed ben Yahiya). Cette indication est fausse[168]. + +La vieille femme me dit d’elle-même ces paroles singulièrement +curieuses : احناڢم باب الوصڢان, c’est-à-dire qu’elle reconnaît elle-même +que les Rouagha forment (ou formaient) la limite septentrionale du pays +des nègres. + +Les deux ou trois palmiers isolés au sud-ouest de Merhayyer, séparés du +fossé par un petit _dra’_, indiquent l’emplacement d’une _dechera_ +appelée El-Gharbi, dont les habitants possédaient une partie des +palmiers de Merhayyer. Les deux villes étaient ennemies l’une de +l’autre. El-Gharbi succomba dans la lutte et ses habitants, chassés du +village, furent se réfugier dans le Nefzāoua, au Djérid et une faible +partie entra à Merhayyer. + +Voici les noms de tribus de Merhayyer : Oulad Hassen, — Oulad Imen, — +Oulad Mouça, — Oulad Bou ’Ali, — Oulad Djabou qui étaient autrefois à +El-Gharbi, — Er-Riāb, arabes habitant 2 à 3 maisons. Les Arabes de +l’Oued-Righ sont Selmiya, Rahmān, Oulad Moulet. Ces derniers ont une +centaine de tentes ; les deux autres tribus sont beaucoup plus fortes. +Les tribus de Nesigha étaient : O. Sidi Mohammed ben ’Aiça, O. el +Gharib, O. el Hāchi. Ils étaient tous Rouāgha et comptaient une +vingtaine de maisons. + +Je m’enquiers des maladies de l’Oued-Righ, du moins de celles qui sont +le plus communes à Merhayyer. + + +Ophtalmie, peu. — Maux de tête, beaucoup. — Fièvres pernicieuses, peu. — +Douleurs : on dit qu’elles proviennent du travail. — Syphilis, très peu. +— Phtisie, peu, on n’en meurt pas. La plupart des morts viennent des +fièvres. + + +L’oasis de Merhayyer compte huit sources coulant encore. Une forte et +sept petites. Elles ont 84 à 90 _dra_ (42 à 45 m.) de profondeur[169] ; +les unes sont douces, les autres sont salées ; la plus forte source est +salée. — Ourīr et Nesigha ont chacun une source. — Les palmiers +broussailles de Tamidount et de Merouān ne sont pas arrosés ; ils +donnent de petites dattes que mangent les chacals et les gazelles. + + +Sources artésiennes : ’Aïn Mellāḥa, eau assez bonne, température 24°,2 ; +profondeur d’après la tradition, 42m,5. — ’Ain Baṭṭāḥ-boum, température +24°,5 ; profondeur, 42 mètres. + + +Le nombre des palmiers de Merhayyer, de Nesigha, d’Ourīr et de Dendoūga +s’élève à 25 ou 26.000 ; mais ce chiffre doit probablement subir une +correction notable en augmentation, de même que ceux que je donnerai +pour l’Oued-Righ. Les cheikhs qui les ont comptés, croyant que le +chiffre qu’ils donneraient devait servir de base à un impôt, ont +naturellement indiqué le moins possible. + +Dendoūga, dans le chott Melghigh, possède une _dechera_ abandonnée ; +elle avait autrefois une population de Selmiya et de Fouānīs (Rouāgha) ; +il y avait environ 15 maisons. Dendoūga possède une source et Choucha +aussi. + +Parmi les Rouāgha, les blancs et les noirs sont considérés comme au même +niveau ; il n’y a pas d’idée de noblesse attachée à la blancheur de la +peau. Dans l’hypothèse probable de l’homogénéité primitive d’une race +noire dans l’Oued-Righ et le Nefzāoua, race successivement modifiée par +l’élément berbère et par l’élément arabe, ce serait dans les mélanges de +ces trois races qu’il faudrait chercher l’explication des nuances de +couleur, puisque les traits restent toujours les mêmes, et donnent +quelquefois le singulier spectacle de nègres et de négresses presque +blancs. A Sidi Khelil, à Merhayyer on ne fait pas de « ghēchem » ou vin +de palmier. + +Autrefois les Beni-Djellab demandaient au cheikh de Merhayyer 100 ou 130 +réals torbāga (de Tunis) et à la ville 250 réals torbāga. Le cheikh +Mohammed demandait autrefois 500 réals, mais les Français diminuèrent +l’impôt comme ci-dessus sous les derniers Beni-Djellab. Aujourd’hui il +n’y a à Merhayyer que les Oulad Hassen qui paient tribut à la France +parce qu’ils n’ont pas voulu accepter notre autorité dans l’origine. +Leur redevance monte à 156 douros. — Nesigha paie 31 douros et Dendoūga +44. En tout 1.155 francs. A Oumm et Tiour les habitants sont Selmiya. A +Chegga, ce sont des Chorfā. + +A Merhayyer on cultive de l’orge dans de petits carrés entourés de +petits murs en terre, on laboure à la pioche (?). Du blé, il n’y en a +que très peu. Tout le travail des Rouāgha est l’agriculture. + +A Djenéyyen il y a beaucoup de sangliers. Il y a deux ans, un de ces +animaux s’est égaré jusqu’à Merhayyer. + +A Merhayyer la plupart des hommes n’ont qu’une femme ; 25 hommes +seulement en ont deux et un seul ménage en a trois. Les ménages ont deux +enfants en moyenne ; jamais plus de cinq. + +Il n’y a pas de poissons dans les eaux de Merhayyer _parce qu’elles ne +forment pas de « bahar[170] »_. + +Voici la liste des espèces de dattes qui se trouvent dans l’oasis : + + +El-Ghers, Degla (principales). — Degel. — El’Ammāri. — Deglet Noūr. — +Tīndjouhert. — El Itīma. — Zintebouch. — Tīsīnīn. — El’Adjīna. — Bou +Khennoūs. — Hamrāt el Kāïd. — Kouttich ed Degla (du Zāb). — Tīfziouīn. — +El Kenta. — ’Abd el ’Azzàz. — El Kesebba. — Dhofor el Goṭṭ. — Degla +Morhoss. — Bou ’Aroūs. + + +L’Oued-Righ compte 44 villages, dont 3 sont abandonnés. + + 5 juin. + +Nous partons de Merhayyer ; je ne puis plus y rester, quoique le ciel ne +m’ait pas encore permis de faire hier même une simple observation de +latitude. + +Nous arrivons à Sidi Khelil de bonne heure. Ce village est, comme +Merhayyer, entouré d’un fossé d’eau, dans lequel je vois des poissons, +quoique l’eau soit couleur d’urine de vache. Sidi Khelil a 50 maisons et +9 sources d’eau coulante, quoique d’un faible débit. C’est un marabout +qui a bâti ce village auquel il a donné son nom. Le nombre de palmiers +de Sidi Khelil est à celui de Merhayyer dans le rapport de 2-3. — L’eau +de cette oasis est peut-être un peu moins bonne que celle de Merhayyer, +mais elle est cependant très buvable. — A l’ouest de Sidi Khelil, +contiguë à la ville, on trouve une grande mare dans laquelle je vois des +négrillons du pays prendre leurs ébats. Il y a deux tribus à Sidi +Khelil[171], les Oulad Zaïr et les Zerāib Selimān. + +Je vais coucher à Tinedla. Tinedla n’a que peu d’importance ; il n’y a +qu’une quinzaine d’hommes adultes, environ 3.000 palmiers arrosés par 7 +sources. Elle ne paie pas de tribut. — El-Bārĕd, près de Tinedla, ne +compte que 8 hommes, 2.000 palmiers et une seule source. L’odeur des +marais est écœurante. Le soir, je vois planer au-dessus du village un +crapaud volant. + + 6 juin. + +Je pars de Tinedla, et j’arrive de très bonne heure à Ourhlāna. Je +trouve ici M. Zickel, lieutenant d’artillerie, avec qui j’avais fait +connaissance à la table du bon commandant Robbe à Batna. Il commande ici +la brigade des forages artésiens. Le puits qu’on a entrepris est déjà +très avancé ; il a 53m,89 ; la température de l’eau dans un intervalle +du travail est de 24°,1 (th. 303 de Salleron). Je me démunis de mon +anéroïde et d’un thermomètre Salleron no 303 pour que M. Zickel puisse +faire des observations. M. Zickel a un fonds d’instruction générale qui +manquait à mon pauvre ami Lehaut. + +Ourhlāna a 2.000 palmiers arrosés par 5 sources principales ; la +population du village est de 200 hommes et de 180 femmes. Je passe la +_gaïla_ ici et je vais coucher à Sidi Rāched. A Ourhlāna, le puits +donnait déjà une source notable, qui n’était venue que la veille. J’eus +le curieux spectacle de voir les Rouāgha travailler aux saguias au son +de la musique. Ils ont, à ce qu’il paraît, égorgé un chevreau sur +l’orifice du puits. + +Nous avons passé les deux _Tamernas_. — Tamerna Djedida a 100 hommes +adultes. Les palmiers sont arrosés par 2 sources. + + 7-11 juin. + +Je vais à Tougourt. Je vois, en passant, les ruines de la curieuse +mosquée de Tāla, ville puissante que détruisirent les Beni-Djellāb. + +Le cheikh Bou Chĕmal de Nezla, l’un des hommes les plus nobles de +l’Oued-Righ et un ancien ami et conseiller des Beni-Djellāb, me donne +les renseignements suivants. + +Autrefois les Beni-Mezāb occupaient Tougourt et Ghamra, voire même +Temassīn[172]. + +Les Beni-Djellāb, lorsqu’ils furent chassés par les Français, avaient +régné 550 ans. ’Omar ben Qetla (Ben-Djellāb) fut celui qui fit +apostasier les Juifs aujourd’hui Medjehariya. Il avait une maîtresse +juive nommée Hokāya ; celle-ci lui dit un jour : « Si tu veux convertir +les Juifs, il faut attendre que leurs palmiers (car ils en possédaient) +aient des dattes[173] et les menacer de les chasser comme les Beni-Mezāb +et de les dépouiller de leurs biens, s’ils ne passent pas à +l’islamisme. » Ben Qetla suivit ce conseil, et, après 5 jours de +réflexion, les Juifs se convertirent[174]. + +Sidi Mohammed ben Yahiya et Sidi Serr Allah, du temps de la Djemāa avant +les Beni-Djellāb, sont les deux marabouts qui chassèrent les Beni-Mezāb. + +Les Beni-Djellāb avaient des mœurs très légères ; on connaît l’amour des +liqueurs fortes des derniers souverains de la dynastie. — Près de +Tougourt se trouve une jolie goubba à deux coupoles appelée Dār Nedjma, +qui fut le tombeau d’un des fidèles partisans du premier souverain qui +se faisait passer pour marabout. Plus tard les Beni-Djellāb avaient là +une jolie chambre, et y donnaient des rendez-vous aux plus belles femmes +des plus nobles familles de Tougourt, qui y venaient sous prétexte de +pèlerinage. + + L’impôt annuel de l’Oued-Righ et du Souf s’élève à 80.000 fr. + + Les dépenses de l’Oued-Righ et du Souf sont : + + Traitement du caïd et des cheiks 26.660 fr. + + Cavalerie (Khialas) du caïd 46.800 + + Tirailleurs indigènes à Tougourt 42.000 + + Poste 10.800 + ------- + Total des dépenses 126.260 126.260 fr. + ------- + Excès des dépenses sur les recettes 46.260 fr. + +Le capitaine Cannat a fait compter les palmiers de l’Oued-Righ par les +cheikhs de chaque village, ce qui est un très mauvais moyen ; il a +obtenu le chiffre de 400.000 palmiers. Plus tard, il compta lui-même à +Meggarîn les palmiers et en trouva 2.000 de plus dans cette petite +oasis. Le lieutenant Auer a calculé le nombre des palmiers de Tougourt. +Il a compté réellement les arbres sur un petit espace et a ensuite fait +la proportion sur la superficie de l’oasis basée sur son plan. — Il a +obtenu 180.000 palmiers, tandis que Cannat en avait seulement 85.000 par +le calcul des cheikhs. En se basant sur la différence des données sur +Tougourt d’Auer et de Cannat et en acceptant celle d’Auer comme bonne, +on aurait 848.000 palmiers pour l’Oued-Righ. — Auer estime cependant le +nombre à seulement 600.000 palmiers. El-Ouad, me dit le kaïd, a avec +’Amîch 60.000 palmiers. En admettant 600.000 palmiers dans l’Oued-Righ +et en faisant payer 0 fr. 20 par arbre, on aurait 120.000 francs par an, +ce qui suffirait pour payer les dépenses quand on aura modifié le +service des postes. — Le Souf donnerait du reste de quoi payer le +surplus, 6.260 francs, et le gouvernement aurait encore un bon revenu en +plus. + + +[Note 161 : Ils reçoivent aussi de l’eau de l’oued Guechtan, tributaire +qui a son confluent à Zéribet el Ouad. (Féliu, p. 93.)] + +[Note 162 : Il y a ici une légère erreur. Commencé le 6 novembre 1857 +par M. Jus, ce forage fut suspendu le 1er mars 1858 à une profondeur de +156 mètres, le matériel n’étant pas prévu pour des profondeurs plus +grandes. (Ville, _Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna et du +Sahara_, p. 268-270.)] + +[Note 163 : Peut-être l’_akrecht_ du catalogue Foureau (_Lithospermum +callosum_).] + +[Note 164 : Appelé aussi Koudiat el Dor, le « mamelon du retour ». Sur +la légende attachée à ce nom, cf. Féraud, _Rev. Africaine_, 1879, p. +62.] + +[Note 165 : Car on doit y compter Oumm et Tiour, depuis que les puits +artésiens y ont été forés (H. Duv.).] + +[Note 166 : Righi (pluriel Rouagha) : habitant de l’Oued-Righ ou Oued- +Rir.] + +[Note 167 : Cf. le _Kitab-el-Adouani_, traduct. Ch. Féraud, _Recueil +Soc. archéol. de Constantine_, 1868, et le mémoire du même auteur : _Les +Ben-Djellab, sultans de Tougourt_, _Revue Africaine_, 1879-1880.] + +[Note 168 : A noter que le _Kitab-el-Adouani_ assigne une origine juive +aux premiers ksour de l’Oued-Rir.] + +[Note 169 : Ville, qui a mesuré lui-même en 1861 quatre de ces puits +indigènes, leur a trouvé une profondeur de 27 à 30 mètres, et ne croit +pas qu’ils aient dépassé 42 mètres à l’origine. (_Voyage d’exploration_, +etc., p. 331).] + +[Note 170 : _Bahar_ (pluriel _behour_) : petits bassins plus ou moins +circulaires, remplis par une nappe d’eau ascendante.] + +[Note 171 : J’ai quelques doutes si ces tribus appartiennent à S. Khelil +ou à Tinedla, ce serait peut-être à la dernière ville (????) (H. Duv.).] + +[Note 172 : Confirmé entre autres par Ibn-Khaldoun, qui écrivait au XIVe +siècle que les Azzaba (ancêtres des Mzabites) étaient en majorité parmi +les hérétiques de Tougourt (_Hist. des Berbères_, traduct. de Slane, +III, p. 278). — La principale mosquée de la ville s’appelle aujourd’hui +encore Djama-el-Azzabiya.] + +[Note 173 : Ces palmiers étaient à un endroit appelé aujourd’hui Khalouā +(H. Duv.).] + +[Note 174 : Cf. une deuxième tradition dans Féraud (_Rev. Africaine_ +1879, p. 354 et suiv.).] + + + + + CHAPITRE II + + AU SOUF + + + 12 juin. + +Je n’ai quitté Tougourt qu’après midi, et je suis parti à cheval avec un +spahi bleu qui ne savait pas le chemin. Après avoir traversé la +Chemorra, nous sommes entrés immédiatement dans les sables, alternant de +dunes à de simples ondulations. D’abord ces sables, comme tous ceux qui +avoisinent les lieux habités, n’ont aucune végétation. Plus loin nous +vîmes des oueds bien garnis de végétation et nous arrivâmes au puits +Mouïa Rebah qui ne contenait alors que très peu d’eau et qui avait déjà +une mauvaise odeur. De là nous allâmes à Hassi Embārek au commencement +de hautes dunes, que nous traversâmes sans cesse pour arriver à Taibāt +et Guebliā. Nous trouvâmes à ce dernier puits de petits camps d’Oulad +Seih. + +J’arrivai à la nuit tombante à Taibāt qui est une petite bourgade au +milieu des dunes. Elle est bâtie à la mode du Souf. Les maisons ont de +petits murs en chaux et pierre à plâtre et les chambres sont surmontées +de petits dômes. On voit ici le tombeau d’un cheikh et une mosquée. Les +habitants sont des Oulad Seih ; les palmiers sont plantés comme au Souf. + + 13 juin. + +Nous sommes partis avec le bagage et avons traversé pendant longtemps +une zone de dunes très difficiles, surtout pour des chameaux du Tell +comme sont les miens. D’abord nous avions rencontré des jardins qui +portent le nom de Khobna. Notre marche est très lente, et nous nous +arrêtons pour passer la _gaïla_ au puits de Dhemerini dont l’eau est +assez bonne. De là nous ne partons que tard, à cause du sirocco qui m’a +indisposé et nous allons coucher au Kétif, la plus haute dune de sable +de cette région. + + 14 juin. + +Nous sommes partis de bon matin, tous ensemble ; mais Ahmed et moi nous +prenons le devant sur nos chevaux, ayant un guide à pied. Après une +bonne marche, nous arrivons au puits des Haouād Tounsi ; puis nous ne +quittons plus les dunes jusqu’à El-Ouad. J’ai déjà passé à Haouād Tounsi +en allant à Ouarglā. Je trouvai le kaïd qui me reçut très bien. + +J’apprends qu’un « rhezi » de Toroud avec quelques Touaregs de Cheikh +Othman sont partis pour aller razzier des tribus arabes de la +Tripolitaine ou de la Tunisie. (Ceci est intéressant. Voir au Djébel le +résultat.) Le Cheikh Othman était ici il y a peu de temps ; il se +disposait à aller à Ghadāmès pour s’entretenir avec Ikhenoukhen qui est +campé près de là, au sujet d’un différend qui s’est élevé entre leurs +tribus. J’espère donc, une fois de plus, pouvoir aller avec lui. + +Je cause longtemps avec un Ghadamsi qui s’en retourne chez lui. Il est +parti de Ghadamès au milieu du ramadan ; on lui a dit qu’il devait venir +un Français et un Anglais. Le Français, c’est moi sans doute. + + 15 juin. + +Ahmed est tombé malade de fièvres la nuit dernière. Je passe une partie +de la journée à le médicamenter ; il est d’une faiblesse extraordinaire +contre la maladie, lui qui ne craint rien d’ordinaire. Il dit à qui veut +l’entendre qu’il est perdu. Cependant, le soir, il peut déjà se +promener. Sa femme lui en a tant dit, qu’il vient me déclarer qu’il ne +peut pas voyager cet été ; mais le soir le kaïd lui parle devant les +_mechaikh_, et le décide à revenir sur cette idée. + +Je fais causer un homme des Ghorībi, tribu arabe du Nefzāoua, qui ont +quelques palmiers à El-Ouad, et qui ne vont pas l’été avec les Oulad +Yagoub dont ils sont plutôt les ennemis. + +Les Arabes du Nefzāoua sont les Oulad Yagoub, les Ghorīb, les Merāzīg et +les Solaā. — Les Ghorīb qui possèdent la ville de Sabrīa se divisent en + + { { Bidhan. + { { + { { Chebib. + { { + { Sabria. { Fodhély. + { { + { { Rehamla. + { { + { { Keraima. + { + Ghorīb { El-Ghenaim. + { + { Djerarda. + { + { Touamer. + { + { O. ’Ali. + { + { O. Nouiser. + { + { El-Gherisiyin. + +Sabria est à un long jour de Kebilli et à cinq jours d’El-Ouad ; ses +puits sont comme ceux du Souf, de même que ses غدران établis dans les +sables. Voici la liste des puits du Sahara des Ghorīb : le pays où ils +sont creusés est par 120° de Nefzāoua. + + Bir Djedid à 3 jours de Kebilli ; à 5 jours d’El-Ouad. + + El-’Ogla 4 — — 5 — — } + } près + El-Oudey (el Merhotta) à 2 jours de Kebilli ; à 5 jours } les uns + d’El-Ouad. } des + } autres. + El-Hiadh — 2½ — — 4 — — } + + Moui Sefar — 4 — — 3 — — + + El-Gounna — 2 — — 5 — — + + Moui Dhô — 2½ — — 4½ — — } + } près + El-Beskri — 2 — — 5 — — } les uns + } des + El-Mahrouga — 2 — — 5 — — } autres. + +Le puits le plus à la _guibla_[175] est celui de El-Oudey el-Merhotta. + +Je donne la permission à Ahmed de vendre son cheval et sa selle. + + 16 juin. + +J’avais résolu d’aller voir ’Amich qui commence près d’El-Ouad et se +prolonge vers la _guibla_ d’une longueur dépassant un peu la distance de +Kouïnin ; mais j’ai abandonné mon projet ; je crains que la promenade ne +vaille pas la fatigue qu’elle doit coûter par la chaleur que nous avons. +J’ai employé mon dernier jour ici à prendre des renseignements +commerciaux. + + + _Notes sur le commerce d’El-Ouad._ + + +Le commerce d’El-Ouad suit quatre directions principales et il est +curieux de noter qu’aucune d’elles ne se dirige vers nos possessions. +Biskra, et peut-être Tebessa, Tougourt aussi ont, il est vrai, des +relations avec le Souf (El-Ouad), mais le commerce qui en est la base +est bien languissant, et est en grande partie réservé aux villes de +Souf, Gomar, Kouïnin et Ezgoum. + +Les quatre canaux principaux du commerce d’El-Ouad sont : 1o Tunis ; 2o +le Djérid ; 3o Gabès ; 4o Ghadāmès. — C’est par cette dernière ville +qu’ont lieu des transactions avec Rhat et le Soudan. — A ces quatre +emporiums on pourrait ajouter Ouarglā. + +Voici les prix courants à El-Ouad des marchandises venant de Tunis, et +qui, pour peu qu’ils entrent dans le rayon des produits de fabrique, +sont tous anglais ou maltais : + + + _Prix courant :_ + + Cotonnades de Malte, pièces de 22m,5 à 23m,5 de longueur ; + marque, une ancre et un dauphin enchevêtrés et au-dessous + « Patent » 9 fr. + + Amberguiz ou madapolam, pièces de 37m,5 17 + + Cotonnades bleues de Malte, pièces de 35m de long sur + 1m de large 16 50 + + Calottes rouges[176] tunisiennes, 1 paquet de 6, 1re qualité 30 » + + Soie non travaillée, blanche ou teinte, 1re qualité, 1/2 kil. 20 » + + — — qualité inférieure, + 1/2 kil. 10 » + + Fusils de Tunis à pierre, l’un 30 » + + Foulards de coton teints (anglais ?), la douzaine 6 » + + Foulards de soie noirs ou rouges, la douzaine 25 » + + Mousseline grossière,[177] la pièce de 22m,5 7 50 + + Essence de roses, 1re qualité, 1 mithcal[178] ou 6 fioles 5 » + + — 2e qualité, une oukiya[179] 2 50 + + Civette,[180] l’oukiya 12 » + + Musc, l’oukiya 65 » + + Papier blanc écolier, les 500 feuilles 5 » + + Cassonade (belle qualité), le 1/2 kil. » + + Corail, gros grains (beau corail), l’oukiya 10 » + + Alun blanc, les 50 kil. 33 » + + El-Mabroūka, racine, remède contre la syphilis, + le 1/2 kil.[181] 3 » + + Boîtes à parfums en bois. 5 boîtes les unes dans les autres 1 » + +Quant au commerce avec le Djérid, il repose presque exclusivement sur +les tissus fins de laine et de soie de ce pays. A El-Ouad, voilà les +prix moyens des différents vêtements djéridis : + + Burnous non cousus, de 20 fr. à 22 fr. 50 et 25 francs. + + Haïks de laine, de 22 fr. 50 à 25 et 30 francs. + + Haïks de laine et soie, de 65 fr. à 70 et 75 francs. + +C’est-à-dire que, pour les haïks djéridis, on peut en avoir depuis 22 +fr. 50 jusqu’à 75 fr. Ces mêmes burnous qui sont vendu 20 fr. à El-Ouad +ont été achetés pour 17 fr. 50 au Djérid. Ceux de 25 fr. ont coûté 22 +fr. 50. Les haïks sont vendus à El-Ouad pour 10 francs de plus qu’ils +ont coûté au Djérid. Le prix du louage d’un chameau d’El-Ouad à Tozer +est de 12 francs en moyenne. En hiver de 10 francs ; en été il va +jusqu’à 15 francs. + +De Gabès on n’apporte guère que deux produits, mais ils sont de nature à +fixer l’attention, car tous les deux sont employés dans l’industrie +européenne. + + Le henné, que l’on me dit meilleur que celui du Zāb, + se vend ici » 50 + + La garance, les 50 kil. » 40 + +Ghadāmès envoie à El-Ouad des produits d’une nature toute spéciale. + + Pièces de cotonnade bleue fabriquée au Soudan[182], + longueur 4 mètres ; se vend au détail dans des boutiques + à 4 fr. le mètre ; en gros on les vend à leur arrivée + de Ghadāmès à 10 » + + Troūnia,[183] les 50 kil. 50 » + + Peaux de chèvres ou de moutons tannées et rouges, chaque 3 » + + Civette, meilleure que celle de Tunis, 1 oukiya 30 » + + Alun, les 50 kil. 33 30 + + Or : 1o en poudre,[184] en moyenne le mithcal 11 » + + — 2o en objets travaillés[185], le mithcal 9 fr. 50 à 10 » + +Ce sont les prix de Ghadāmès ; exceptionnellement il se trouve, comme à +présent, que les marchands de Ghadāmès, par suite de l’encombrement du +marché, n’ont aucun profit, perdent même à El-Ouad. + +Prix du transport d’une charge de chameau : + + FRANCS + + { 80 en été. + D’El-Ouad à Tunis { + { 40 en hiver. + + { 15 à 17.50 en été. + — au Djérid { + { 10 à 12 en hiver. + + — à Gabès 10 en hiver. + + — au Nefzāoua 15 — + + — à Biskra 15 — + + { 40 en été. + — à Ghadāmès { + { 25 ou 30 fr. seulement en hiver. + + — à Ouārgla 20 en hiver. + + — au Mezâb 25 — + + — à Tebessa 22 50 — + + De Ghadāmès à Tripoli 24 — + + — à Rhat 64 en été. + + 1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de henné coûte à Gabès 53 fr. + + 1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de garance vaut à Gabès 33 50 + + D’El-Oued à Tunis 13 jours de caravane. + + — à Nafta 4 — — + + — à Gabès 9 — — + + — au Nefzāoua 6 — — + + — à Biskra 5 — — + + — à Ghadāmès 14 — — + + — à Ouārgla 9 — — + + — à Tebessa 7 — — par Négrīn. + + { d’El-Ouad à Temassin 3 j. + { + { Temassīn à Belidet Amar 1 j. + — à Guerara 9 — — { + { Belidet à Hadjira 2 jours. + { + { Hadjira à Guerara 3 jours. + + 17 juin. + +J’ai le plaisir de voir Ahmed se remettre tout à fait aujourd’hui. Je +lui laisse beaucoup de commissions ; il me rejoindra à Tougourt. Dans +l’après-midi je pars. J’ai trois domestiques à part Ahmed. Nous +voyageons d’El-Ouad à Ezgoum à travers des dunes où l’on ne trouverait +pas un seul brin de végétation. Il fait beaucoup de vent ; le paysage +est très uniforme, mais n’en est pas moins remarquable. + +J’arrive à Ezgoum où je retrouve quelques-uns de mes anciens compagnons +de voyage du Djérid, qui ont maintenant honte de leur manque de courage +pendant la route. Ezgoum est très bien bâti, c’est sous ce rapport la +première ville du Souf. Les maisons sont assez élevées quoique sans +étage supérieur ; les rues sont bien alignées. Les maisons sont +surmontées de nombreuses petites coupoles[186] au sommet desquelles, +comme aussi sur les murs qui les relient, on a distribué des pommeaux en +maçonnerie d’un très joli effet. La ville m’a paru très propre. Les +habitants sont plus civilisés que le reste des Souafa ; ils ont pompé la +civilisation à Tunis et aussi ont tâché d’en introduire chez eux ce +qu’ils pouvaient. Leur cuisine d’apparat par exemple est tunisienne. Ils +ont aussi pris de Tunis une grande sévérité extérieure de mœurs, du +moins à ce qu’on me dit. + +[Illustration] + +La ville d’Ezgoum[187] compte maintenant 14 générations. La ville la +plus ancienne de Souf est Taghzoūt ; la plus moderne, El-Ouad excepté, +est Gomār. Lorsqu’on a fondé Ezgoūm, il n’y avait aux environs que fort +peu de sables, et pas de dunes comme à présent ; ainsi, encore en 1813, +lorsque l’on bâtit le minaret de la mosquée (il a 9 mètres de hauteur), +on pouvait voir de son sommet les feux d’El-Ouad qui à cette époque ne +comptait guère que des huttes de palmes (_zeraīb_), et l’on apercevait +aussi du bois enflammé quand on en transportait pour allumer un feu de +Gomār à Taghzoūt. Inutile de dire qu’aujourd’hui ce serait impossible. + +Autrefois, dans l’Ouad Jardaniya qui est un peu au nord de Sidi’Aoūn, il +y avait des labours arrosés par des sources. On voit encore aujourd’hui, +me dit-on, les traces des _saguias_. On trouve aux environs des terrains +de _sebkha_ comme dans l’Oued-Righ. + +L’historien du Souf Cheikh el’Adouâni était d’Ezgoum ; c’était, +m’assure-t-on, un saint homme. Il faisait sa prière du matin avec la +_djema’a_ et celle du _dhahor_ à Bagdad en Syrie. + +La population des villes soufīa (excepté El-Ouad) se compose aujourd’hui +exclusivement de Toroūd et d’Adouān. Ezgoum est dans ce cas. Dans les +villes du Souf les Adouāns dominent. A El-Ouad et ʿAmich il n’y a que +des Toroūd. Les premiers habitants du Souf à ’Amīch et Hassikhalifa +furent des Zenāta[188] païens (ou chrétiens ?), ensuite vinrent les +’Adouān et puis les Toroud. Ezgoum possède une jolie _goubba_ élancée, +dédiée à Sidi Abd-el-Kader. + +Les vents du nord-est dominent en été dans le Souf ; ces vents, unis aux +siroccos du sud-est, sont la cause du progrès des dunes vers l’ouest. +Leur force et peut-être leur fréquence doivent surpasser celles des +vents du nord-ouest de l’hiver. + +Je suis piqué, le soir, deux fois au bras par un gros scorpion qui +s’était introduit entre mon bras et ma chemise. Il sort par le cou de la +gandoura. Je fais de petites fissures sur les piqûres et j’y applique de +l’alcool camphré. Mon bras cependant reste engourdi un instant. + + 18 juin. + +J’arrive de bonne heure à Gomār, après avoir traversé une zone de sables +dénudée, absolument semblable à celle qui sépare El-Ouad d’Ezgoum. Je +trouve que le qadhi a tenu sa promesse et m’apporte une copie de Cheikh +el’Adouāni ; cependant je dois noter ici que le qadhi et même Si +Mohammed el’Aïd déclarent que ce livre contient avec du vrai beaucoup de +fantaisie. Il faudra débrouiller cela. + +Le kaïd arrive d’El-Ouad dans la matinée, nous allons ensemble chez le +marabout Si Mohammed el’Aïd que nous trouvons dans une maison assez +belle, mais couché sur un lit déchiré et vêtu d’un haïk à peine propre. +Cette fois, le marabout se montre très poli et daigne causer avec nous +de mille et un sujets. Il a reçu les lettres du général et toutes celles +que je lui ai apportées. Il me promet tout son concours ; en somme, je +suis content de cette entrevue. Nous déjeunons là ; on nous apporte, en +fait de friandises, du concombre frais et une pastèque verte, mais +mangeable. + + Le 19 juin. + +Je fais une visite à Si Mohammed el’Aïd qui me donne son _ouerd_ et qui +me remet différentes lettres pour les Touareg Cheikh Othman et Cheikh +Ikhenoukhen. Le marabout cause d’une manière très aimable comme hier. Il +veut me faire son mokaddem à Paris. + +J’ai oublié de noter que pour le commerce d’El-Ouad la monnaie de compte +est le réal _bou cherchour_, équivalant à 1 fr. 35. Il vaut à Tunis deux +réals tounsi dits _nehas_. On le divise en quarts « _rouba’_ » ou en +huitièmes « _themen_ ». Un réal a 94 _nasri_. + +Je visite les puits de Gomar, et j’en choisis 4. + + Bir Talat Chriaa’ Prof. 6m,75 Temp. 21°,05 + + Bir Sidi Abder Rahman, 6m,66 21°,70 + + Bir Djama’ el gharbi, 6m,50 21°,35 + + Bir Djama’ el Akhouān. 6m,84 21°,20 + +On m’apporte le soir un dîner fort peu convenable ; je le fais envoyer +au kaïd en le priant de m’y trouver un morceau de viande. Le kaïd frappe +d’une amende de 200 francs le cheikh qui a apporté le dîner, et il +m’envoie le sien avec d’excellente viande grasse. + + Le 20 juin. + +Je suis parti aujourd’hui de Gomar. En passant devant les jardins, je +remarquai deux arbres fruitiers : figuier et grenadier. On était en +train d’arroser les plates-bandes. Nous voyageâmes d’abord à travers une +région de sables, qui, comme toutes celles qui avoisinent les villes du +Souf, est tout à fait dénudée. Puis nous revîmes la végétation, qui dans +cette région consiste principalement en drin et alenda. Nous avons le +sirocco toute la journée, mais nonobstant nous marchons bien ; et nous +campons un peu en deçà de Mouïa el Ferdjān. + + 21 juin. + +Nous nous mettons en route de très bonne heure et nous arrivons très +vite à Mouïa el Ferdjān. A la _gaïla_ j’ai le spectacle d’un ouragan +très curieux quoique peu agréable. Toute la journée il a fait un sirocco +violent. A 1h,20 du soir, le ciel s’est couvert ; coups de vents +terribles qui renversent deux fois ma tente ; ces vents viennent du +S.-S.-E. — 5mm de pluie d’orage ; deux coups de tonnerre lointains. A +1h,35, coups de tonnerre très haut au-dessus de nous ; pas tout à fait +au zénith (N.-O.), puis au N.-E., puis de l’horizon. A 2h,10, coups de +vent épouvantables. Le vent chasse le sable de manière à me faire mal +aux jambes. A 2h,35, coups de tonnerre au zénith au N. et au N.-O., ciel +couvert, vent de N.-O. faible. Éclairs au N. + +En partant de l’endroit où nous avons fait la sieste (d’une singulière +façon) nous atteignons vite une sorte de forêt ou de bois taillis appelé +_zouitaya_ du _zeïta_, _Statice monopetala_[189], qui y est pour ainsi +dire la seule plante dominante. Cela me rappelle les environs de Chegga +du sud. Cette _zouïtaya_ finit à l’Erg Meggarīn, où nous voyons, entre +les dunes, des dépressions de sables humides, ce qui fait dire à mes +Souāfa que c’est un « Erg toloūa » ; on pourrait y planter, comme au +Souf, des palmiers s’arrosant eux-mêmes par absorption. + +Nous arrivons à Meggarīn Djedid, où je laisse mon monde et je continue +jusqu’à Tougourt avec le spahi bleu. A Tougourt au coucher du soleil, +ciel embrasé d’un rouge sombre ; air lourd, le soir pluie. Je trouve ici +Auer malade et le caporal Dhem ayant manqué d’être emporté par les +fièvres deux jours avant. Cependant tous vont un peu mieux. Abd Allah +l’Allemand va aussi mieux. + + Tougourt, du 22 juin au 1er juillet. + +Je fais un peu de photographie. + +J’essaye de faire un baromètre en passant par la délicate expérience de +Torricelli. Je casse 4 tubes de verre en faisant bouillir le mercure, +mais le 5e tube réussit et j’ai restauré ainsi mon no 903 de Tonnelot. + +L’oasis de Tougourt est très vaste, elle possède environ 180.000 +palmiers, d’après une bonne évaluation faite par M. Auer. Ce chiffre +représente les palmiers en rapport. Il y avait, il y a deux ans, 325 +puits artésiens d’un débit plus ou moins fort dans toute l’oasis en +comptant les palmiers appartenant aux villes de Tebesbest, Nezla, Sidi- +Bou-Djenan, Beni-Souid, Zaouya Sidi el Abid, etc. Le nombre des puits +tel que l’a donné M. Auer, il y a deux ans, n’a pas dû changer depuis, +en comptant les puits qui ont tari et ceux qui ont été forés depuis, +tant par les indigènes que par les sondages français. + +A 5 kilomètres de Tougourt au sud-sud-est se trouve un lac d’eau salée +Merd-jādja qui a 1/2 kilomètre de long sur 200 mètres de large et une +profondeur maximum de 45 mètres (Auer). + +Tout près de Nezla se trouve le tout petit village de Sidi-Mohammed ben +Yahiya qui est le tombeau du marabout qui régna sur Tougourt avant les +Beni-Djellāb. + +A l’extrémité sud de l’oasis se trouvent des prolongements de jardins +qui ont actuellement dépassé les premières hauteurs de Bou Yerrō et qui, +plantés de palmiers encore en broussaille et arrosés par des puits +artésiens, donnent un bon témoignage de l’influence française sur +l’oasis, car ils ont été commencés depuis la conquête. C’est le cheikh +Bou Chemăl qui en a eu l’initiative et la plupart des jardins lui +appartiennent. + +Les hauteurs de Bou Yerrō commencent à 4 kilomètres sur la route de +Merdjadja (en partant de Tougourt) ; elles sont de peu d’importance, +mais doivent exister sur les cartes. + +On trouve dans l’oasis palmiers, abricotiers, figuiers, grenadiers, +poiriers (peu), pommiers (peu), vignes (peu), cotonniers (d’ancienne et +de nouvelle date). Ce dernier arbre devient très fort ; il n’est pas +utilisé. Légumes, choux, ail, oignons, tomates, _gara_, _kabouya_, sorte +de concombre, melons, pastèques, poivre rouge, _bou deraga_ (pourpier), +navets, carottes, radis blanc (_fedjel_), haricots du Souf (peu), fèves, +poireau, — luzerne en quantité, orge (pas de blé), réglisse (en +quantité, sauvage). Le henné ne vient pas, du moins les essais faits par +les indigènes avec des graines envoyées de Biskra n’ont pas réussi. La +garance se trouve un peu à Meggarin, à Ghamra, à Tamerna et à Sidi +Khelil. + +La ville de Tougourt est construite en _tôb_[190]. Les maisons n’ont +qu’un étage. La ville est entourée de fossés remplis d’une eau +stagnante[191] et salée qui nourrit des poissons et quelques serpents +d’eau. Elle a aujourd’hui une seule porte, Bab-el-Khrūkha[192] qui +s’ouvre au nord-est et qui est gardée par un détachement de tirailleurs +indigènes. La Kasba est au sud-ouest du côté opposé. Elle comprend des +bâtiments assez considérables quoique peu élevés qui ont été construits +par les Beni Djellăb, et ensuite diversement modifiés par les Français +jusqu’à la construction de la caserne l’année dernière ; ce dernier +bâtiment forme un carré oblong à un étage ; les pièces sont hautes et +bien aérées. Les démolitions de la Kasba pour la construction de la +caserne ont détruit la seconde petite porte appelée Bab-el-Ghadăr ou de +la trahison, qui était particulière à la Kasba et que j’ai vue encore +debout. A la prise de Tougourt la ville avait quatre portes en comptant +celle de la Kasba que je viens de nommer, mais les Français en ont fait +fermer deux. Les rues de Tougourt sont étroites, mais assez propres, +dans le quartier des Medjehariya il y a deux rues couvertes. Les +principaux monuments de la ville sont, à part la Kasba, la grande +mosquée, rétablie par les Français et l’ancienne mosquée avec son +minaret de construction djéridienne en petites tuiles qui porte encore +des traces de boulets de Salah Bey[193]. Les maisons de Tougourt sont de +la couleur du sol ; elles possèdent toute une cour intérieure autour de +laquelle sont rangés des magasins et les chambres. Le marché de la +viande se tient sur une petite place qui est à la porte de la mosquée, +mais le marché du vendredi où se font presque toutes les transactions se +tient devant la Kasba sur une place bordée de boutiques et de magasins +grossiers garantis du soleil par une sorte de voûte soutenue par des +piliers carrés. + +Le kaïd, qui a son logement dans la Kasba, a 35 spahis bleus commandés +par un officier indigène. M. Auer[194] 100 tirailleurs indigènes. + +La population de Tougourt se compose de Rouăgha, de Mestāoua (Rouāgha +mêlés de sang arabe ou Arabes mêlés de sang righi) et de Medjehariya ou +juifs convertis à l’Islam. La population est divisée en trois +quartiers : les Rouāgha habitent le quartier Tellis situé à l’est ; les +Medjehariya habitent le quartier auquel ils ont donné leur nom à l’ouest +et les Mestāoua habitent au nord. La Kasba occupe le sud. Les +habillements des trois castes sont les mêmes, seulement les Medjehariya +se distinguent par leur propreté, les Mestāoua sont plus propres que les +Rouāgha et d’une couleur plus blanche. Les Medjehariya ont conservé +entièrement le type israélite, surtout les femmes, parmi lesquelles il y +en a de fort jolies. Ils ne se marient qu’entre eux et sont fort sévères +de mœurs et de principes religieux ; ils n’aiment pas qu’on leur +rappelle leur origine. Cependant eux, comme le reste de la population, +boivent des spiritueux, seulement ils le font en cachette. + +J’ai déjà décrit les fêtes du mariage des Rouāgha. Ils s’unissent aussi +facilement qu’ils se divorcent et cette facilité des unions n’exclut pas +cependant une moralité peu stricte à notre point de vue européen. J’ai +déjà dit que les femmes des premières maisons de l’Oued-Righ ne +faisaient pas de difficultés à devenir les maîtresses des derniers +Djellāb, et je connais encore aujourd’hui deux cheikhs qui ont encore +dans leur harem des femmes qui pourraient raconter bien des petites +choses qui se sont passées dans l’absence de leurs maris alors exilés. +Je me suis laissé dire que, quand on rencontrait dans l’oasis une Righia +bien seule, elle refusait rarement d’accorder son corps. Ceci s’applique +cependant plus à Ouarglā qu’à Tougourt ou Temassīn, car dans ces deux +villes, surtout dans la dernière, tous les travaux d’extérieur +reviennent au mari, et la femme reste plutôt dans la maison. A Ouarglā, +au contraire, on m’a raconté qu’il se passait bien de petites aventures +aux sources où les femmes viennent puiser l’eau. Il doit en être de même +à Merhayyer. + +La plupart des prostituées de Tougourt sont des Righia, des Soufia et +des Naylia, en comprenant sous cette dernière dénomination les Harazlia +et enfin toutes les Arabes de l’ouest. Je ne puis m’empêcher de noter +ici quelques détails sur les Naylia ; ils paraîtront curieux pour +déterminer les mœurs des Arabes du désert algérien. Mais qu’on ne croie +pas que nous soyons pour quelque chose dans cela, au contraire, depuis +notre domination nous avons cherché à limiter de diverses manières cette +vaste prostitution. Les femmes de l’Oued-Righ et du Souf qui exercent le +métier à Tougourt sont généralement des veuves ; il y a des cas où elles +trouvent ensuite à se remarier. Les Naylia sont en grande partie aussi +de jeunes veuves, mais on voit aussi parmi elles des mères ou des pères +amener leurs filles encore vierges et vendre cette virginité qui est +toujours longtemps marchandée. Les Naylia viennent à l’époque de la +maturité des dattes et un petit nombre d’entre elles seulement restent +jusqu’au printemps suivant. Leur but est d’acheter des dattes pour leur +année. Autrefois on ne connaissait pas d’autre manière de payer leurs +faveurs que par une certaine quantité de dattes ; deux fois les deux +mains pleines par exemple était un très bon prix. + +Une autre particularité commune à Tougourt et à Temassīn sont les +_halladj_[195], sorte d’hommes efféminés qui, je crois, avaient un nom +chez les Grecs. On en voit même avec des cheveux blancs danser mollement +avec les femmes dans les danses publiques à Témassīn. + +Parmi les coutumes bizarres des Rouāgha, coutume que l’on reproche aussi +aux Beni-Mezāb[196], et que des écrivains du moyen âge imputent aux +habitants de Sedjelmāsa, est la prédilection qu’ils ont pour la viande +de chien. Ils prétendent s’excuser de cette licence contre leur loi +religieuse en disant que c’est un préventif contre les fièvres. C’est +surtout pendant l’hiver que les Rouāgha achètent des chiens qui leur +sont alors vendus en plein marché par les Arabes du dehors. On les +engraisse, on les fait rôtir, et ils sont mangés en grande fête avec +force lagmi[197]. + +Les Rouāgha sont très superstitieux ; mon ami M. Auer m’a souvent +raconté l’effet singulier produit par une éclipse de lune sur les +habitants de Tougourt. Les tolbas sortirent en corps et battant à tour +de bras sur des plats de bois et des marmites, ils rappelaient la lune +en invoquant leur prophète : « Ya chefā Si Mohammed ! »[198] Ils +croient, comme beaucoup d’autres populations algériennes, à la toute- +puissance des _djenoun_[199]. Les femmes surtout les redoutent, et +attribuent à ces esprits toutes leurs indispositions. Ordinairement on +combat leur influence par des amulettes ou bien on tâche de les apaiser +par des offrandes de couscous, de tchertchoukha, plats que l’on dépose à +l’endroit où l’on suppose que les djenoun se tiennent, et qui est +souvent dans les lieux d’aisance. + +Tougourt peut compter 300 maisons, et a, dans la saison d’été, une +population d’environ 1.500 âmes ; en hiver, où des familles du Souf et +des Arabes viennent habiter la ville pendant six mois, la population +peut monter au double 3.000 âmes. Nezla, Tebesbest, Zaouiya ont chacune +plus d’habitants que Tougourt même. + +Dans les mariages, le dernier jour, on amène la mariée chez son futur ; +si c’est une vierge, elle est portée sur un lit en _djérid_ (comme la +plupart des Rouāgha en usent) par quatre hommes ; si c’est une veuve, +elle est portée simplement dans les bras d’un homme. + + 1er juillet. + +Je vais à Temassīn avec un spahi, le marabout Si Mammar m’y avait fait +appeler pour m’y trouver en présence du Cheikh Othmān ; je trouve un +chef targui bien mis sans recherche, mais proprement, accompagné de deux +ou trois jeunes hommes de sa tribu terriblement marqués de la petite +vérole. Tous ont un visage ouvert, je dirais presque prévenant. + +Nous avons une longue conférence. Cheikh Othman lit les dernières +lettres que j’ai pour lui ; mais tout en m’offrant ses services, il +cherche vivement à me détourner de rien entreprendre cette année, où +tout le Sahara est sens dessus dessous : les Hoggar en querelle avec les +Azgar d’un côté et les Aouelimiden de l’autre ; la grande razzia d’Aïr +par les Arabes de la Tripolitaine, etc., enfin les habitants d’Insalah +en guerre avec le sud du Touat. Cependant, après de longues et +éloquentes délibérations, Si Mammar décide, force même un peu Cheikh +Othman à m’accompagner à Ghadāmès ; de là il ira consulter Ikhenoukhen +sur ce qu’il y a à faire, et savoir si ce chef tout-puissant m’accorde +sa protection, et viendra me rendre réponse, d’où nous conclurons nos +plans postérieurs. Je dis adieu au Cheikh Othman ; je conviens avec Si +Mammar d’envoyer 50 fr. au Cheikh Othman pour qu’il fasse ses provisions +de route et il doit me rejoindre à El-Ouad vers le 20 de ce mois. — Il a +son camp tout maltraité par la petite vérole, personne n’est sur pied ; +les troupeaux sont en mauvais état ; la _nezla_[200] est à Bey Salah +(puits). + +J’ai bu à Temassīn de l’eau des rhedirs de l’oued Retem[201]. Il a plu +dans le Sahara, et les oueds voisins se sont remplis. + + 2 à 12 juillet. + +Je commence à sentir quelques caresses sourdes de fièvres ; je suis +obligé de me tenir, comme avant, renfermé dans la Kasba. + +Travaux de linguistique. Je recueille un vocabulaire complet du dialecte +righi de Temassīn. + +Le 7 juillet, malade au lit. + +Le 11, mangé les premières figues _Kartous_. + +Renseignements historiques recueillis par moi auprès de Ben Chemāl[202]. +Les premiers sultans de Tougourt furent la dynastie des Oulad Beiffo, +dont les descendants excessivement pauvres habitent encore un des +villages de l’oasis, Tebesbest, je crois. Ils gouvernèrent Tougourt et +Kedima, dont l’emplacement était dans la _Ghaba_[203] près de Sidi +Mohammed ben Yahiya. C’étaient des Rouāgha. Tougourt el Kedīma fut peu à +peu abandonnée, dit-on, à cause des scorpions, et la nouvelle ville fut +bâtie par Sidi Zekri, marabout righi de Tougourt et Kedima. Une Djemaʿa +gouverna Tougourt dans l’origine, et Sidi Zekri n’en fut que le bon +conseiller ; Tala était alors plus puissante que Tougourt ; elle avait +des cheikhs ; dont le plus célèbre est connu sous le nom de Cheikh el +Tālāoui. Sidi Mohammed Ben Yahiya succéda à Sidi Zekri et gouverna de +même par ses conseils. Il résida 40 ans dans la Kasba. Lorsque ce +marabout avait 15 ans, Sidi Khelil, Sidi Ali Ben Soultān et Sidi Embarek +es Saim venaient faire leur pèlerinage à Sidi Bou Haniya près de Goūg. + +Avant la mort de Sidi Mohammed, deux frères du nom de Beni Djellāb +passaient souvent à Tougourt. Leur pays originaire était Telemsen (ils +descendaient des Mérinides) et ils avaient alors leurs biens dans le +Djebel Sahāri. A Tougourt ils prêtèrent des sommes considérables à tous +ceux qui leur en demandaient, si bien qu’au bout de bien des années, ils +vinrent un jour à Tougourt et voulurent faire leurs comptes, ne voulant +plus y revenir. On trouva que tout le bien de Tougourt ne pourrait plus +payer les dettes des habitants. Les habitants de Tougourt allèrent à +Sidi Mohammed Ben Yahiya et lui demandèrent conseil ; ce marabout se fit +amener les deux frères Ben Djellāb, et leur dit qu’il allait habiter +dans son village (le même qui porte aujourd’hui son nom) et qu’il leur +abandonnait la ville et tout ce qu’elle renfermait. — Ainsi commença la +dynastie des Ben Djellāb. — Plus tard les Oulad Sidi M. Ben Yahiya ne +s’entendirent pas bien avec les Ben Djellāb et ils émigrèrent dans le +Tell où ils sont actuellement avec les Oulad Abd en Nous près de +Constantine. + +Dans ce temps-là, il y avait des juifs à Tougourt. + +L’un des frères Ben Djellāb, ʿAbd el Hakk el Merīni, fut le premier +cheikh de Tougourt ; — de là à Cheikh Selmān il y a une lacune dans la +généalogie ; le cheikh Ben Chemāl ne connaît pendant ce temps d’autre +fait que la destruction de Tāla qui eut lieu, comme il croit, sous le +fils d’Abd-el-Hakk. Abd-el-Hakk conquit lui-même Meggarin, Qsoūr, etc., +et ne s’arrêta que devant Tala qui résista à ses armes. Mais son fils +usa d’un stratagème qui lui réussit. Il offrit au cheikh de Tala de +cimenter une paix durable en épousant sa fille. Celui-ci y consentit. — +Ben Djellāb déguisa, le jour désigné pour la fête, un homme en mariée ; +il fit travestir un grand nombre de ses serviteurs en femmes venues à la +fête ; tous portaient des armes sous leurs vêtements. Il fit accompagner +le tout de 50 cavaliers. Le cheikh de Tala reçut sa prétendue femme et +sa suite et fit loger les cavaliers chez ses serviteurs. La fausse +mariée avait prévenu qu’elle donnerait le signal de l’attaque en tuant +le cheikh lorsqu’il viendrait la nuit. Cela arriva en effet : dans la +nuit, en entendant le coup de feu du signal, tous les serviteurs de Ben +Djellāb se précipitèrent au carnage et eurent bientôt raison de la ville +qui fut détruite par des renforts venus de Tougourt. + +Sous le cheikh Selmān, le premier à partir de la lacune, eut lieu un +événement curieux. Une femme arabe appelée Oumm Hāni Bent el Bey (fille +d’une femme Douaouda[204] et d’un bey de Constantine), voulut devenir +cheikha des Arabes au Sahara et fit de grandes razzias elle-même à +cheval et armée, tua le Douaouda, son mari, ses frères et beaucoup +d’autres chefs. Enfin Selman voulut faire une alliance avec elle et lui +proposa d’épouser son fils. Elle fit semblant d’accepter, mais lorsque +Selman vint à son camp, à la Regouba de Sidi Khelil avec 500 chevaux, on +distribua habilement son monde dans les tentes et Selman logea dans la +tente de Bent el Bey. La nuit, elle tua elle-même le cheikh et ce fut le +signal d’une tuerie générale. + +Cheikh Mohammed ben Selman lui succéda ; puis Selman, son fils ; Brahim, +fils du précédent ; Abd-el-Kader ; Hamed, fils de Brahim ; ’Amer, fils +d’Abd-el-Kader ; Mohammed el Akhal, fils de Hamed ; Hamed, fils de +Mohammed ; Abd-el-Kader, petit-fils d’Amer ; Farhāt, frère du +précédent ; Brahim, fils de Hamed ; El-Khāzen ben Farhat ; Mohammed, +fils de Hamed ; ’Omar, fils de Mohammed ; Brahim, fils de Mohammed ; +’Ali, fils de Mohammed ; Ben Abd er Rahman, petit-fils d’Amer ; Selman, +fils d’Ali ; les Français. + + 13 juillet. + +Je pars de Tougourt dans la soirée et nous prenons la route de Mouïa el +Ferdjān. Après deux heures de marche, nous faisons halte dans une +dépression qui continue le bas-fond de la Chemorra (en deçà des dunes). +L’endroit s’appelle Benga. Le sol portant trace de l’action des eaux est +très dur formé d’un conglomérat de sable et de petits morceaux de chaux +et de calcaire. + + 14 juillet. + +Nous marchons 5 heures et faisons la sieste entre El-Ouibed et El- +Māleha. De là, une heure et demie de marche au puits de Mouï Chabbi dont +nous trouvons l’eau pourrie et verdâtre. On l’avait récemment fourni +d’une nouvelle garniture de drīn. + +De là, une heure 20 minutes au puits de Mouïa el Ferdjān. Je relève ce +petit bout de route que je n’avais pas encore fait. + + 15 juillet. + +Hier au soir, j’ai eu un premier accès de fièvre. + +Nous marchons 5 heures 1/4 et arrivons au puits de Mouïa el Kaïd. Après +la sieste, 2 h. 3/4 de marche nous amènent dans les dunes de l’Erg-Said, +où la nuit nous prend et où nous couchons. + +J’ai remarqué dans la dernière partie de la route que le guide était +souvent obligé de frayer un chemin artificiel aux chameaux dans les +dunes. Il disait en travaillant : « El-Bahri oua’ar » (le vent de l’est +est dur). Il est clair, en effet, que c’est ce vent qui, dans cette +saison, fait progresser les dunes vers l’ouest. Toutes les dunes que +nous coupons ont la forme des vagues de la mer ; elles sont orientées à +angle droit de la route ; leur côté à pic était de notre côté, c’est-à- +dire qu’elles viennent en sens opposé. C’est donc un vent d’E.-N.-E. ou +de N.-E. qui les produit. + + 16 juillet. + +Une marche de 3 heures 3/4 nous amène à Kouïnīn par Ourmās. Je croyais +d’abord ne faire que la sieste à Kouïnīn, mais une fièvre violente me +prend ; vomissements, courbature générale ; douleurs de poitrine et de +reins, faiblesse. Je prends de l’ipécacuanha qui agit ; de la quinine +deux fois, que je rends. Eau sucrée et éther. + +Tribus de Kouïnīn : + + Djebirāt } + } + Oulad Mansoūr } Toroūd. + } + El-Gouāïd } + + El-Beldiya (Soufiya) — ’Adouān. + +On me raconte ici que les ancêtres de la population actuelle lui ont +raconté qu’autrefois, lorsqu’ils montaient sur leurs palmiers, ils +dominaient une rivière d’eau courante, qui commençait à Chegga (nord du +Souf) et finissait à ’Amīch (Ras el Ouad)[205]. Cette rivière était +comme celle de Nefta. Encore aujourd’hui, les Souafas en creusant un +nouveau jardin trouvent des chaudrons de fer et d’autres objets +appartenant à la population passée, dans des endroits inhabités +aujourd’hui. + + 17 juillet. + +Je me rends à El-Ouad comme je peux sur un cheval qu’on me prête à +Kouïnīn. Je trouve le kaïd qui me reçoit bien comme d’habitude ; mais je +suis obligé de changer quelque chose aux dispositions qu’il avait prises +pour mon départ, ce qui va me causer quelques retards. + +— Je pèse un _mithcal_ d’El-Ouad, et j’obtiens par ces doubles pesées 4 +gr. 175 ; ce mithcal a 21 _nouayā_[206] ; celui de Constantine en a 26. + + 18 juillet. + +Ce jour s’est annoncé comme devant être très chaud ; mais le ciel fut +pur. Je passai ma journée sur mon lit, attendant pour utiliser mes +faibles forces que le moment de l’éclipse fût arrivé. Je calculai par +construction graphique le moment où elle devait avoir lieu, mais me +trompai fort en prenant pour heure, celle où l’éclipse _totale_ aurait +lieu sous la longitude d’El-Ouad. Et l’éclipse ne devait pas être totale +ici. Cela fut cause que quand j’allai à la lunette, dix minutes avant le +premier contact (comme je le croyais), je trouvai le disque solaire +entamé. Je me mis en observation, et je vis la lune couvrir +successivement les taches du soleil. L’éclipse était au moins au tiers +et la population d’El-Ouad ne s’en était pas aperçue ; alors elle fut +simultanément reconnue, et quelques bavardages inquiets firent place à +un profond silence. Mais lorsque les progrès de l’éclipse furent +marquants, des cris poussés de tous les côtés annoncèrent la détresse +des Arabes. On entendait partout : « Iā chĭfā Si Mohammed rasoul +Allah ! » + +Je vis le disque lunaire approcher à une distance extrêmement minime du +bord du soleil ; je crus un instant voir certaines montagnes faire +éclipse totale et au moment où je m’apprêtais à marquer l’heure de ce +contact, l’éclipse commença à diminuer. + +Je vis alors des pigeons voler au-dessus de la maison, se rendant à +leurs gîtes. Des Arabes de la ville me disent avoir vu des étoiles. La +lumière la plus faible a été celle qui succède dans cette saison au +coucher du soleil. L’éclipse diminua lentement et je pus observer le +dernier contact à 4 h. 54 m. 45 p. de mon chronomètre qui marque encore +le temps de Paris. + +Après l’éclipse, j’eus une députation des _mechaikh_ qui vinrent me +demander si l’année serait pluvieuse. Ma prédiction accomplie de +l’éclipse, mon ancienne prédiction de pluie de cet hiver, vérifiée par +le fait, leur faisait croire que non seulement je puis prédire la pluie, +mais encore la donner. + +Je fus pris le soir de fièvre violente et de vomissements ; le soleil et +la chaleur brûlante à laquelle j’ai été exposé pendant plusieurs heures +avaient rappelé la fièvre. + + 19 juillet. + +Cette nuit, le kaïd vient me réveiller et me dire qu’ayant reçu la +nouvelle que les Oulad Yagoub étaient en course, il allait faire monter +son goum et aller les chercher. Il partit avant le jour. — Je vais +mieux. Je reçois des plaintes contre le kaïd. + + 20-21 juillet. + +Je reste encore chez moi toute la journée. — Je prends de nombreux +renseignements sur le pays qui sépare le Souf du Nefzāoua. Des Ourghamma +de Kessār Mouddenīn, marabouts, viennent ici pour voir si on leur +ouvrira le marché d’El-Ouad. Les Ghorib de Sabrīya[207] qui sont sur +leur route et qui apportent ici les mêmes produits qu’ils apporteraient, +leur ont fait peur. De façon qu’ils ont laissé leurs marchandises, +consistant principalement en beurre, à Sabrīya, et qu’ils sont venus en +_mi’ad_. Je leur fais un petit discours qui les enchante, et leur ouvre +le marché ; je promets même d’intimider les Ghorib, ce qui est très +facile, vu que cette tribu réside à moitié dans le Nefzāoua et à moitié +au Souf (El-Ouad) où ils ont des palmiers. + + 22 juillet. + +J’écris à Biskra pour rendre compte des plaintes que j’entends contre le +kaïd. + +Je reste encore toute la journée à la maison. + + 23-24-25 juillet. + +Le kaïd revient avec ses goums ; il n’a rien trouvé dans sa course, +cependant on tire des coups de fusils au retour comme s’il y avait eu +une victoire ; ces Arabes sont toujours les mêmes. + +Hier et aujourd’hui on a fait l’Achoura ; nous sommes, je crois, à peu +près au milieu des dix jours de fêtes. La fête a lieu la nuit, des +bandes de jeunes gens se promènent dans les rues en chantant au son d’un +bendier ; puis ont lieu quelques scènes, des individus se déguisent en +mettant quelques hardes grotesques s’ils en ont, puis ils se couchent +et, prenant une voix de polichinelle, ils font des dialogues +invariablement terminés par des disputes et des coups comme chez +Gringalet. Cette année, la fête est peu brillante. Un homme hier a reçu +un coup de sabre sur le dos pendant la mascarade et il a une large +blessure. Cela a été fait par méchanceté. + +Le cheikh Ahmed Ben Touāti vient me voir, c’est un homme qui me plaît +beaucoup, franc et ouvert ; il connaît très bien le Sahara, il vient du +reste à Ghardaya (puits) six mois[208] : il est venu en trois jours sur +un méhari et avait reçu des nouvelles de Ghadāmès par un homme monté sur +son méhari qui était allé de Ghadāmès à Bīr Ghardâya en cinq jours. + +_Note sur le commerce d’El-Ouad._ — Pour l’or, j’apprends d’une manière +plus certaine que le _mithcal_ de _teber_[209] se vend ordinairement 15 +francs lorsqu’il est recherché et 13 fr. 30 lorsqu’il abonde[210]. Quant +au _khôss_[211], il vaut, dans les mêmes circonstances, de 11 fr. 10 à +13 fr. et 13 fr. 15. J’ai déjà dit que le mithcal d’ici a 21 _nouaya_ et +pèse 4 gr. 175 ; tandis que le mithcal de Constantine a 26 _nouaya_, que +par conséquent le poids du mithcal d’El-Ouad se rapporte à celui de +Constantine comme 21 à 26. + +Les dépouilles d’autruches sont vendues sur le marché par les chasseurs +eux-mêmes ; et il n’y a personne qui en fasse un commerce spécial[212]. +On les achète isolément pour les porter à Tunis ou à Tébessa. Voici les +prix de vente sur le marché. — Une belle dépouille de mâle (_delīm_) +vaut 100 fr. et 125 fr. lorsqu’elles sont recherchées et très belles. +Une belle dépouille de femelle (_ramdha_) ne vaut que 40 fr. au plus 45 +fr. Un œuf d’autruche vaut de 50 à 60 centimes. + +Le commerce du Souf avec _Tébessa_ repose sur les objets suivants : + +1o Exportation du Souf. — Dattes, peaux brutes de chèvres (avec poil), +tabac en feuilles, vêtements de laine ; + +2o Importation de Tébessa, — _Gountĕs_ (racine condimentale), beurre, +laine, moutons, chèvres, blé, _gueddīd_ (viande desséchée). + +Quant aux objets que le Soūf donne à Tunis, ce sont : des vêtements +confectionnés, des peaux brutes de chèvres et de moutons (pour +Kaïrouān), des _douros_, des chameaux, des dattes. + +_Ouargla._ — On y apporte d’El-Ouad, de l’huile, du tabac, des vêtements +confectionnés, des meules (venues de Gafsa), de la garance, du blé, des +cotonnades, des pierres à fusil (venues de Tunis), du soufre[213]. On en +rapporte de la laine, des chameaux, du beurre, de la graisse, de la +viande desséchée, de jeunes plants de palmiers en grand nombre, qui sont +vendus sur le marché, des burnous du Mzāb, du sel, des dattes. + +_Biskra et le Zab._ On y apporte : vêtements confectionnés, peaux brutes +de chèvres, dattes, _tellīs_[214], (_gherāra_), du tabac ; ce dernier +article vaut ici 25 c. à 50 c. le _kef_ composé de 5 plants ou 4 grands +et 6 petits. Voici la liste des objets qu’on en rapporte avec les prix +qu’ils obtiennent à El-Ouad : + + +Henné, le 1/2 kil. 0 fr. 70 à 1 fr. 35. + +Tapis arabes, qualités diverses, de 100 à 300 francs. + +Laine, la toison à 2 francs. + +_Settāl_ (gamelles en fer battu pour boire), les grands 1 fr. 60, les +petits 1 franc[215]. + +Indigo, la bonne qualité, le 1/2 kil. 6 fr. 20, la qualité inférieure 4 +francs[216]. + +Foulards de coton imprimés, les bons, la douzaine 6 fr., la qualité +inférieure 3 francs. + +Bougie, le 1/2 kil. 1 fr. 35 jusqu’à 1 fr. 50. + +Sucre blanc, le 1/2 kil. 1 fr. 50. + +Cassonnade, le 1/2 kil. 0 fr. 90 à 1 franc. + +Ganse blanche, le 1/2 kil. 6 francs. + +Loŭk, substance tinctoriale[217], les 50 kil. 150 fr. la bonne qualité. + +Tărtăr id. les 50 kil. 150 francs. id. + +Miroirs ronds montés en cuivre, les grands, la douzaine, 1 fr. 60. + +id. les petits, id. 1 franc. + +Miroirs ronds montés en étain, les grands, la douzaine, 1 franc. + +id. les petits, id. 0 fr. 75. + +Ficelle, le 1/2 kil. 2 francs. + +Grandes aiguilles pour tellis, le 100 de 50 à 60 centimes. + +Gaze grossière, pièces de 16 à 17 drà, 3 francs. + +Abricots secs, 1 fr. le saa (2 1/2 kil.). + +Beurre, mesure de 5 3/4 livres, selon les temps, de 7 fr. à 3 fr. 50. + +Souliers de Constantine, la paire, 4 à 5 francs. + +Burnous ’abbāsi (épais), les beaux, 60 à 65 francs. + +id. qualité inférieure, 40 à 45 francs. + +Calottes rouges de fabrique, les grandes 2 fr. 50, les petites 1 fr. 50. + +Soie, le 1/2 kil. 20 fr. la qualité supérieure et 15 fr. la qualité +inférieure. + +Café en grains, 2 fr. le kil. + +Suif (de Bou Saada), selon le temps, de 50-60 cent. à 1 fr. la livre. + +Savon (hadjri) en morceaux, le 1/2 kil. 0 fr. 75 à 1 franc. + +id. arabe liquide, le 1/2 kil. 75 à 1 fr. 10. + +Alun, la livre 30 à 40 centimes. + +Aiguilles, le cent, 20 centimes. + + +Les cotons ne peuvent pas faire concurrence à ceux venus de Tunis qui +sont de fabrique anglaise. + +_Gabès._ — On y apporte du Souf : laine de rebut (servant à faire des +couvertures brunes dont se vêtissent les gens du Sahel, peaux de chèvres +et de moutons non préparées, tabac en quantité, chameaux, dattes +(_degla_). + +Le commerce d’El-Ouad avec _Gabès_, surtout celui par la route directe, +est fait par les gens de Matouiya[218] qui, étant sujets du Bey de +Tunis, jouissent d’un peu plus de sécurité que les Souafa. Cette route +est rendue très dangereuse pour le voisinage des Oulad Yagoūb. + +_Ghadāmès._ — On y apporte des vêtements confectionnés surtout, des +dattes (_degla_[219], _rhers_, _fezzāni_), du tabac et des grains (blé +et orge) lorsqu’ils sont chers à Ghadāmès. + +_Beni Mezab._ — On y apporte des meules, des vêtements (_haouli_), +fusils (de Tunis), des pioches (de Kairouān), des pièges à gazelles (de +Kairouān), soufre, garance, huile, cotonnades, _guemmām_ (gomme +adorante). On en rapporte des chameaux, des _guedaouis_ (blouses de +laine de couleurs différentes), burnous, laines, moutons, viande +desséchée, suif. + +On me dit que, dans les mauvaises années, il vient ici 5-600 mitcals +d’or de Ghadāmès ; dans les bonnes années, de 1.500 à 3.000 mithcals. +Cela ne fait que pour 45.000 fr. d’affaires dans les meilleures +conditions. Cela fait 12.525 grammes d’or.) L’_oukiya_ de Tunis timbrée += 31 gr. 725 ; elle a 7 2/3 de mithcal. + +Le soir, je suis piqué par un scorpion ; la douleur monte très vite à +l’aisselle (du bord de l’index), je souffre excessivement. La nuit, je +ressens des picotements ou de la paralysie aux pieds, au nez et aux +lèvres. Je me soigne en mettant de l’ammoniaque sur la piqûre élargie au +bistouri, et en buvant un peu de ce médicament dans de l’eau. Ampoules +sur le doigt piqué. Froid sur tout le membre atteint, taches violettes, +etc. + + +[Note 175 : Le plus au sud.] + +[Note 176 : Chéchias.] + +[Note 177 : _Mebred_.] + +[Note 178 : Ce poids est le mithcal de Tunis. Duveyrier dit ailleurs +(_Revue algér. et col._, novembre 1860) qu’il l’a trouvé égal à 4 gr. +175. Les mithcal de Tripoli et d’Agadès sont un peu plus forts.] + +[Note 179 : Once, 1/16 de la livre tunisienne, que Duveyrier évalue à +508 grammes.] + +[Note 180 : _Zebed_, sorte de pommade faite avec la graisse de l’animal +du même nom, et dans laquelle il entre en outre de l’huile, du benjoin, +du girofle, etc.] + +[Note 181 : Ce que Duveyrier appelle ici 1/2 kil. est la livre +tunisienne de 508 grammes. (Cf. son article de la _Revue alg. et col._)] + +[Note 182 : _Açaïb et saye_ ou _tourkedi_.] + +[Note 183 : Natron, carbonate de soude plus ou moins pur, extrait des +petits lacs du Fezzān.] + +[Note 184 : _Teber_.] + +[Note 185 : _Khores_.] + +[Note 186 : Cf. sur leur construction, J. Brunhes, _Les oasis du Souf et +du Mzab_, _La Géographie_, V, 1902, p. 14-15.] + +[Note 187 : La vue ci-jointe a été trouvée, sans indication d’origine, +dans les papiers de Duveyrier.] + +[Note 188 : Tradition confirmée par Ibn Khaldoun : au IXe siècle, les +Zenata occupaient le Sahara algérien et tunisien (_Hist. des Berbères_, +traduct. de Slane, III, p. 275, 286, 303, etc.).] + +[Note 189 : Le _zeïta_, comme Duveyrier l’a reconnu plus tard, n’est pas +le _Statice monopetala_ L., mais une autre plombaginacée : _Limoniastrum +Guyonianum_ Dur.] + +[Note 190 : Briques d’argile séchées au soleil.] + +[Note 191 : En grande partie comblés depuis par les soins du bureau +arabe.] + +[Note 192 : Une autre porte, Bab-el-Gharb, a été rouverte plus tard.] + +[Note 193 : Bey de Constantine, qui assiégea Tougourt en 1788.] + +[Note 194 : Le lieutenant Auer a été un remarquable exemple d’endurance +européenne au Sahara. Resté lié avec Duveyrier, il lui écrivait de +Biskra en 1869, évoquant le souvenir de leur commun séjour à Tougourt : +« J’ai vieilli depuis, mais n’ai perdu ni la volonté virile, ni la +santé, bien que je compte aujourd’hui vingt ans de séjour au Sahara. +Vous avez bien raison de me déconseiller l’Europe ; ma nature, toute +forte qu’elle soit, ne supporterait plus un autre climat, et je veux +passer en Afrique les jours qui me restent à vivre » (29 décembre +1869).] + +[Note 195 : حلاج veut dire, en arabe, is qui gossypium a semine mundat. +(H. Duv.)] + +[Note 196 : On sait qu’avant de se fixer au Mzab, une partie des +Ibâdhites a habité cette région. (Masqueray, _Chron. d’Abou-Zakaria_, p. +262, etc.)] + +[Note 197 : Lait de palmier fermenté.] + +[Note 198 : Dans cette éclipse une vieille femme de Tebesbest, +soupçonnée de sorcellerie, fut accusée d’avoir caché la lune dans un +seau d’eau. Ses voisins et le cheikh de Tebesbest vinrent prier le kaïd +de la mettre en prison. (H. Duv.) L’éclipse de soleil du 18 juillet 1860 +eut moins d’effet : on ne fit « que peu de cas de l’événement, excepté +quelques talebs trop croyants qui se portaient vers la mosquée pour +prier et conjurer le sorcier qui causait ce désastre au soleil ; à leur +sortie, les autres leur riaient au nez. » (Lettre d’Auer à Duveyrier, 22 +juillet 1860.)] + +[Note 199 : _Djinn_ (pluriel _djenoun_) : génies.] + +[Note 200 : Groupe de tentes.] + +[Note 201 : Les marabouts s’en font apporter constamment par les Arabes +de leur confrérie, parce qu’ils craignent les fièvres occasionnées par +les eaux de l’oued Righ (H. Duv.).] + +[Note 202 : Cf. Féraud, _le Sahara de Constantine_.] + +[Note 203 : La « forêt de palmiers » de Nezla, à 2 kilomètres de la +ville actuelle.] + +[Note 204 : Douaouda, tribu arabe qui fit irruption au XIe siècle dans +l’Oued-Rir et à Ouargla. (Ibn-Khaldoun, _Hist. des Berbères_, II, p. +73.)] + +[Note 205 : Cf. sur cette légende Jus dans Rolland, _Hydrologie du +Sahara_, p. 224.] + +[Note 206 : Graines de caroubier.] + +[Note 207 : Oasis de l’extrémité ouest du Nefzāoua.] + +[Note 208 : C’est-à-dire : y garde ses troupeaux au pâturage.] + +[Note 209 : Poudre d’or.] + +[Note 210 : Le gramme de poudre d’or vaut donc, d’après les +circonstances du marché, de 3 fr. 59 cent. 3 (maximum) à 3 fr. 23 cent. +3 (H. Duv.).] + +[Note 211 : _Khores_, poudre d’or mélangée de débris d’or travaillé.] + +[Note 212 : Ces dépouilles venaient de l’Erg, au nord de Ghadāmès ; les +autruches y ont à peu près disparu aujourd’hui.] + +[Note 213 : Pour la fabrication de la poudre.] + +[Note 214 : Toile de bât (sacs de chargement) pour les chameaux.] + +[Note 215 : Fabrication européenne. (Cf. Duveyrier, _Notice sur le +commerce du Souf_ (_Rev. algér. et coloniale_, nov. 1860).] + +[Note 216 : Fabrication européenne.] + +[Note 217 : Gomme-laque (rectification de Duv., art. cité).] + +[Note 218 : Petite ville du littoral au nord de Gabès.] + +[Note 219 : Ou _deglet-nour_ (espèces diverses de dattes).] + + + + + TROISIÈME PARTIE + + VOYAGE A GHADAMÈS + + * * * * * + + CHAPITRE PREMIER + + DANS L’ERG + + + 26 juillet. + +Ce matin, on charge les chameaux pour le voyage de Ghadāmès. + +Je vais au bordj rendre au kaïd une visite qu’il m’a faite de bon matin, +et nous mangeons ensemble la pastèque des adieux. Il est plus aimable +que les jours derniers, et me promet de m’envoyer à Berresof le prochain +courrier. Enfin nous partons. J’ai repris mon ancienne manière de +voyager sur mon matelas plié en deux sur le dos d’un chameau. + +Nous traversons bientôt un cimetière, et entrons ensuite dans ’Amīch. +’Amīch est le prolongement de l’oued Souf : c’est là que se perdait +l’ancienne rivière, selon la tradition. En effet, ce pays a bien la +forme d’une longue dépression (très peu sensible), faisant suite à celle +qui commence à Ghamra et arrive à El-Ouad ; en le traversant dans sa +longueur comme nous le faisons aujourd’hui, on a à droite (ouest) des +dunes assez hautes à une petite distance et l’on traverse des groupes de +maisons et de nombreuses cabanes en palmes (_zérība_, pl. _zeraīb_), +formant ainsi pour ainsi dire autant de petits hameaux qui prennent le +nom de « _nezla_ », mot emprunté à la vie nomade. C’est dans ’Amīch que +vivent une partie des Toroūd, quand ils ne sont pas avec leurs troupeaux +dans le Sahara. A gauche de la route sont les jardins de palmiers +dispersés dans les intervalles des dunes. On peut voir là de magnifiques +échantillons de palmiers. + +Nous rencontrons un cavalier rebāyi ; il est à remarquer, pour cette +portion des Toroud, que leur manière de se vêtir et de harnacher leurs +chevaux, et leurs fusils surtout, sont identiques à ceux des tribus du +sud de la Tunisie et de la Tripolitaine. Ces tribus sont surtout +caractérisées par le haïk tourné simplement par-dessus une calotte rouge +un peu renfoncée sur le côté et qui paraît à moitié sous le haïk ; par +leurs vastes et immenses étriers et enfin par leurs longs fusils à +crosse ornée de nacre et de corail. Je possède une de ces armes. + +Nous nous arrêtons à la zaouiya de Sidi Abd el Qāder, presque à +l’extrémité d’ʿAmīch. Le kaïd avait prévenu de mon arrivée, de sorte que +je trouve un bon tapis étendu dans l’élégante et propre goubba, et je +m’établis dans ce lieu saint. On m’apporte un repas inmangeable, mais +succulent pour des Arabes. Il fait si chaud que, malgré mon désir de +m’éloigner le plus tôt possible du Souf, nous restons la nuit ici. Le +soir, de pieux khouān de toutes les sectes possibles étaient venus faire +leurs récitations et chants autour de la goubba. Je les disperse en leur +faisant remarquer que le désert est vaste et qu’il n’est pas hospitalier +de troubler le sommeil d’un voyageur. + +ʿAmich a, à mon estime, autant d’habitants qu’El-Ouad, à la saison où +toutes les huttes sont occupées (9 à 10.000 habitants). Les femmes ici +s’habillent comme à El-Ouad, de deux manières, soit avec un _haouli_ +blanc accroché sur les épaules, soit avec un _haouli_ bleu suspendu de +la même manière ; puis elles ont de grosses tresses de laine de chaque +côté de la figure, et quelques-unes savent se faire pardonner cette +hérésie par des ornements rouges de bon goût du côté droit de la figure. + + 27 juillet. + +Nous partons d’assez bonne heure, et rencontrons sur la première partie +de la route des partis de Toroud avec leurs bagages, femmes, enfants, +troupeaux rentrant à El-Ouad. Une de ces dames, assez jolie, demande, en +faisant la mine à Ahmed, où nous allons. Ahmed lui répond : « Comment, +toi tu vas faire paître tes chameaux dans le Sahara et nous, nous +n’irions pas faire paître les nôtres ? » + +Nous rencontrons aussi un nègre occupé à ramasser des crottes de +chameaux sur la route pour fumer les palmiers. Ce travail, je dois le +dire, a une grande importance dans le Souf et occupe beaucoup de monde ; +on va jusqu’à une et deux journées de marche pour en ramasser. Ces +crottes servent à entourer la racine des _jeunes plants_ de palmier ; +ensuite on n’en met plus. + +Nous laissons bientôt sur la droite un chemin qui passe d’abord au puits +de Zerrīt et se continue ainsi jusqu’à Ghadāmès. Nous passons la _gaïla_ +dans le pays appelé Drā el Khezīn, ce sont des dunes plus régulières et +moins accidentées que les autres, il y avait là un puits que M. de +Bonnemain[220] a vu donnant de l’eau. Nous reprenons, le soir, notre +route et allons coucher près de Moui Bel Rhīt. + +Nous avons vu aujourd’hui deux plantes nouvelles pour moi : le +_goseyba_, graminée, et le _godhām_ ou _guedhām_, plante dans le genre +du _dhomrān_. + + 28 juillet. + +Avant de partir, je mesure la direction de l’arête de la dune sous +laquelle j’ai dormi ; je la trouve égale à 150° (boussole) ; les grains +de sable sont chassés par le vent de l’est vers l’ouest. Presque au +début de la journée, nous arrivons aux Haouād el Azoūl où nous nous +séparons de la route de Mouï ’Aissa qui reste sur la droite. La +végétation de cet endroit est composée principalement de _drin_, _arta_ +et _ārfij_. Nous passons ensuite le puits mort de Mouï el Arneb. Tous +ces puits morts que nous allons rencontrer ne le sont ainsi que +momentanément ; ainsi, dès que les bergers trouvent de bons pâturages +dans un endroit, ils refont le puits le plus voisin et y restent jusqu’à +ce que bon leur semble. + +Une bonne marche de la matinée nous amène à Choūchet el Guedhām, puits +de bonne eau, où nous arrivons au moment où on allait abreuver un +troupeau de moutons et de chèvres. Les pasteurs de la tribu des Mesăaba +(celle d’Ahmed) lui laissent choisir le plus bel agneau qu’il peut +trouver et ne veulent pas en recevoir le prix ; ils viennent plus tard +me rendre leurs hommages. Après avoir fait notre provision d’eau, nous +rétrogradons un peu pour venir passer la sieste sous de petites huttes +de broussailles faites probablement par une caravane qui a passé avant +nous. Après une longue sieste, une courte marche nous amène au puits +mort de Mouï er Rebăya el Gueblaoui[221] (par opposition au puits de +même nom qui se trouve entre le Souf et l’Oued-Righ). + + 29 juillet. + +Après avoir longé dans toute son étendue une petite chaîne de dunes +(Zemlet Ahmed Ben ’Aād), nous arrivons à un puits appelé Bīr ez Zouāīt, +dont l’eau de couleur verdâtre est lourde et légèrement saumâtre. Nous +nous arrêtons ici une heure, et en me promenant aux environs, je vois à +mon grand étonnement, dans un petit bas-fond semblable à celui du puits, +la surface du sable couverte par endroits de petites coquilles minces et +fragiles ressemblant en tous points à des coquilles d’eau douce, telles +que celles des genres _Limnæa_ ou _Bulla_[222]. Je m’abstiens de toutes +notices et dissertations sur cette trouvaille. Je remarquerai cependant +qu’aujourd’hui nous avons ensuite rencontré un grand nombre de petits +bas-fonds de ce genre, mais que je n’ai pu examiner ; ils ont au plus +100 mètres carrés de superficie et ne peuvent pas être pris en +considération sur la carte. + +Nous voyageons le reste de la journée dans une plaine unie de sable avec +végétation variée d’_alenda_, _arta_, _ezal_, _drin_, etc... Nous +rencontrons un jeune _ourân_, des cigales et un petit oiseau gris que +j’ai déjà rencontré dans le Sahara et qui a pour cri la gamme en sautant +une note sur deux, chant à intervalles écartés de six à huit pauses. + +Nous faisons la sieste dans un endroit qui ne présente rien de +remarquable, et après la sieste nous atteignons facilement, quoique à la +nuit tombante, le puits de Maleh ben ’Aoūn. Nous y rencontrons deux +Toroūd avec une dizaine de chameaux venant de Berresof et qui ne font +que prendre de l’eau au puits. + + 30 juillet. + +Notre marche d’aujourd’hui n’a été que fort peu de chose ; nous allons +simplement à Mouï Rebah ; le pays qui sépare ce puits de celui où nous +avons couché hier est une plaine de sables unis légèrement ondulés et +couverts d’une assez riche végétation (comme hier) de _drin_, _arta_, +_’alenda_, _baguel_, _ezal_. Nous passons plusieurs puits morts et un +puits d’eau saumâtre. + +Pendant la marche, mes gens prennent une gerboise des sables, que je +dépiote en arrivant. Au puits de Mouï er Rebah, Ahmed tue une sorte de +petit corbeau ou de grande corneille à tête et à nuque d’un brun bois +pourri foncé ; le reste du plumage est tout noir. Les chameliers et mes +gens mangent cet oiseau. En route une autre prise, celle d’un gros mâle +de _cherchimāna_ (_Scincus_ .....) à bandes latérales brun foncé, +séparées par des bandes de jaune gomme gutte. Tête d’un noir brunâtre +clair. + +Nous arrivons au puits de Mouï er Rebah que l’on me dit avoir été creusé +par les Djohāla[223] ; le fait est que ce puits est très célèbre dans le +Sahara. L’eau en est bonne, mais a dans ce moment un goût de renfermé et +de corrompu, qu’elle doit à ce qu’il n’y a pas de troupeaux dans le +voisinage, et que l’eau n’a pas l’occasion de se renouveler par suite de +grandes quantités absorbées au dehors. Dans la soirée nous voyons +arriver deux ou trois chameaux chargés en partie de « jell » (crottes de +chameau) ; on vient en prendre bien loin pour fumer les jardins du +Souf ! + +J’ai oublié de noter qu’hier, peu de temps après notre départ, nous +fûmes rejoints par un nègre marron qui demanda la permission de nous +suivre à Ghadāmès ; je lui accorde cette permission, car je ne puis que +favoriser l’émancipation des esclaves. Cependant Ahmed et mes autres +compagnons ne partagent pas mes principes. Le nègre nous suivra donc et +si son maître ne vient pas à temps à Berresof, il ira à Ghadāmès et sera +là en sûreté. Le motif de la fuite de ce nègre (qui est de Kanō) est que +son maître lui donne toujours les plus pénibles tâches à remplir, et +qu’il lui défend d’aller aux fêtes des nègres. + +Je ne fais pas une longue sieste, et, le soir, je veille un peu pour +tâcher de faire des observations astronomiques. + + 31 juillet. + +Nous passons plusieurs puits et nous arrêtons pour faire la sieste en +sortant d’une ligne de dunes, à un endroit où le _hād_ apparaît pour la +première fois. Nous traversons un immense _sahan_[224] uni parsemé de +petits morceaux de calcaire (vétusté) ; si j’osais le penser, je +croirais que c’est un bassin d’eau desséché. Il est bordé en partie de +petits bourrelets de dunes. Nous couchons à une _ogla_ très profonde +appelée Dakhlet Sidi-’Aoūn, qu’il ne faut pas confondre avec El ’ogla +ech Cherguiya de Berresof. + + 1er août 1860. + +Aujourd’hui les dunes apparaissent à droite et à gauche de notre route +sous forme de petits chaînons. Nous passons plusieurs puits et +rencontrons des troupeaux de chameaux et aussi une ou deux huttes +habitées par des Ferdjān qui ont là un cheval ; on nous apporte un peu +d’une boisson composée pour cet animal de lait de chamelle coupé d’eau. +Nous arrivons à la sieste à Bir er Reguia’t[225] où nous trouvons une +douzaine de « zeraïb » occupées par des Roubaa’ya[226]. Ces gens +prennent plaisir à effrayer mes hommes, déjà si impressionnés par l’idée +d’aller au-devant d’un inconnu. Ils finissent par me faire croire à la +possibilité que les Touāreg campés autour de Ghadāmès nous empêcheraient +d’y entrer. + +Une marche moyenne dans l’après-midi nous amène à Berresof, le dernier +puits sur notre route. Nous trouvons ici plusieurs groupes de huttes +habitées par des Roubaa’ya. La caravane partie peu de jours avant nous +avec le Ghadāmsi est encore ici ; elle attend son guide qui est dans les +dunes à la chasse du « beguer », antilope oryx ou leucoryx. Elle nous +rassure sur les bruits que nous avons entendus ce matin. + +Je reçois dans la soirée la visite des principaux Roubaa’ya campés ici ; +ils se mettent entièrement à ma disposition, et se plaignent en même +temps de ce que, depuis le gouvernement des Français, ils ne peuvent pas +aller razzier leurs voisins et sont, au contraire, exposés aux attaques +de tous. Je leur explique de mon mieux la politique des Français à cet +égard. Ils craignent ici les Ourghamma, les Beni-Zid et les Oulād +Yagoub, qui tous ne sont pas loin de ce point. Dans la soirée il y a +noce chez les Roubaa’ya ; étant un peu fatigué, je n’y vais pas, mais +mes serviteurs me racontent que des femmes y faisaient une sorte de +danse ayant leur chevelure dénouée, qu’elles jettaient à droite et à +gauche. + + 2 août. + +Dans la matinée on m’annonce qu’un petit parti de méhara est en vue, je +m’empresse de monter sur une dune et bientôt je distingue que ce sont +des Touāreg. C’est le cheikh Othman, monté sur son haut méhari blanc et +son entourage. Nous nous saluons, et bientôt il vient dans ma tente où +nous avons un long entretien public. Il me remet deux lettres de France, +et une du kaïd Si Ali Bey[227]. Il me donne à lire aussi une lettre de +Hadj Ikhenoukhen dans laquelle ce chef des Azdjer lui reproche de rester +dans un doux loisir tandis que ses frères les Touareg sont en guerre les +uns avec les autres, et lui dit que son devoir à lui marabout est de +rapprocher les ennemis et de cimenter la paix. + +Le cheikh Othman me conseille quatre choses : la première, d’avoir +beaucoup de patience ; la seconde, d’être libéral en présents ; la +troisième, de ne pas intervenir au désert dans le conseil des guides ; +la quatrième, d’emporter beaucoup d’eau. Le cheikh Othman a connu le +major Laing (er Raīs) ; il sait encore compter en anglais, ce que le +major lui avait appris. Il reconduisit de Timbouktou (?) à Insalah un +des garçons de service de Laing qui était du Fezzān. J’expose la +politique française vis-à-vis du Sud au cheikh Othman et lui demande son +avis ; ce qu’il m’en dit sera le sujet d’une dépêche que je ferai demain +au général de Martimprey. + +Le soir, je vais voir la noce qui est à son dernier jour. On a mis la +mariée dans une « djahfa » ou cage recouverte de haoulis rouge sur le +dos d’un chameau blanc. Derrière le chameau sont quelques femmes assez +bien, qui frappent sur un tambourin attaché à la bête en chantant une de +leurs chansons monotones. Devant la mariée les jeunes gens de la +_nezla_, en très grand nombre et tous bien mis, font la fantasia avec +leurs longs fusils orientaux dans lesquels ils fourrent des quantités de +poudre de sorte que leurs détonations ressemblent au bruit de +l’artillerie. C’est ridicule. Un des performants ayant tiré un coup +faible, j’entends un des jeunes gens dire : « C’est une femme ! » — Je +remarque un des assistants qui sous son haouli s’est entouré la figure +d’une pièce de « çay » bleu. C’est une mode qui, à ce que l’on me dit, +est usitée chez les Hamamma. + +Le cheikh Othman a amené cinq Touareg avec lui ; ce matin ; on leur a +donné la diffa des Roubaa’ya qui m’était destinée. Le soir, ils ont leur +diffa à eux. — Je vais au puits pour le mesurer, et j’y trouve des +Touareg qui sont de bons garçons ; l’un d’eux, encore jeune, a la tête +nue et rasée, sauf une ligne de cheveux longs depuis le milieu du front +jusqu’au cou derrière la tête. Ils sont étonnés de voir que je connais +leurs divisions de castes et un peu leur alphabet. Ils admirent le +chapelet que m’a donné Si Mohammed el’Aïd. + +Pendant que j’étais au puits, deux jeunes femmes des Roubaa’ya +emplissaient leurs outres. Elles laissent tomber leur « delou »[228] +dans le puits. Toutes deux sont vêtues de blanc et ont une petite pièce +d’étoffe de laine bleu foncé jetée sur la tête, qu’elles ramènent de +côté devant leur figure pour ne pas être aperçues des hommes. Malgré +cela, je puis voir qu’elles ne sont pas mal. L’une d’elles, en se +baissant pour prendre son outre, nous donne quelques instants le +spectacle d’un joli petit sein bien rond qu’elle n’a pas d’objection à +laisser exposé aux regards tandis qu’elle prend tant de soin à cacher sa +figure. On me dit que les Ourghamma, qui étaient venus sous prétexte de +cimenter la paix avec El-Ouad, ont fait un mauvais coup en s’en allant +et ont emmené un chameau qu’ils ont trouvé sur leur route. + + 3 août. + +Aujourd’hui il n’y a d’autres choses de remarquable que la demande du +Ghadamsi et de ses compagnons d’El-Ouad de partir avant nous. Le cheikh +Othman leur refuse net cette permission. Ces gens sont effrayés du sort +qui peut nous attendre et ne veulent le partager en aucune façon. Il y a +avec le Ghadamsi deux gens d’El-Ouad qui se rendent à Tripoli. + +Le puits est toute la journée le rendez-vous des Roubaa’ya et Oulad +Hamed campés ici autour et qui sont divisés en trois petites nezlas ; +c’est là que la djemaa se tient, et l’on cause tandis que les femmes +puisent de l’eau et qu’un joueur de flûte joue des airs. Le puits n’est +pas un instant inoccupé tant il y a de monde, de chameaux, de moutons de +chèvres et d’ânes à abreuver. On m’apporte un agneau dont j’envoie la +moitié à Othman, qui vient passer une partie de la journée avec moi. On +veut reprendre le nègre. Hier et une partie de la journée, il est resté +caché dans les dunes et n’a mangé que quelques dattes qu’il avait +emportées. + +J’ai eu des conversations très intéressantes avec Othman ; j’écris au +général de Martimprey[229] et à Paris. + +Observations astronomiques comme hier soir. + + 5 août. + +Aujourd’hui nous devons partir. Les chameaux et les méhara arrivent des +pâturages et on les mène au puits ; ces malheureuses bêtes en reviennent +avec le ventre rond comme un tonneau et un corps aussi large que haut. +On dirait qu’elles savent en buvant qu’elles vont traverser un désert +sans eau et qu’elles reconnaissent les puits qui précèdent les routes de +la soif. Les mehara seuls ne boivent peut-être pas assez. Les chameaux +que le khebir Mohammed m’a amenés de Sahan el Kelb[230] sont les plus +beaux animaux de cette espèce que j’aie encore vus ; ce sont de vrais +monstres par leurs proportions gigantesques. Je prends un peu de repos à +la _gaïla_, mais pas assez, au milieu du bruit de l’emballage. Je ferme +mon courrier et je plie bagage. + +Nous partons. Nous traversons un pays tout à fait analogue à celui qui +précède Berresof, immédiatement au nord. Ce sont des espaces sablonneux, +couverts d’une végétation dense de _drīn_, appelé par les Roubaa’ya et +les Arabes de l’est _sebot_, et de _halma_, enfin de _hād_ et de +_seffār_. Ces espaces sablonneux sont coupés par des chaînons de dunes à +cime régulière, qui prennent le nom de _Zemla_. Avant la nuit nous +trouvons du _baguel_. + +La première nuit de marche fut pénible pour moi ; le sommeil me vint +d’autant plus vile que j’étais accoutumé, depuis l’été, à faire la +sieste au milieu du jour. Je ne puis m’empêcher d’admirer, quand la lune +s’est levée, les Touareg sur leurs méhara. Avec leurs armes desquelles +tombent des lanières de peau diversement ornementées ; leur vêtement +fantastique et leur immobilité sur ces grands animaux au pas lent et +régulier, ils ont quelque chose qui me reporte en pensée aux temps de +notre chevalerie. Et réellement les Touareg ont dans le caractère +quelque chose de chevaleresque qui me plaît beaucoup. Au départ, tous +mes Arabes invoquent Dieu, le prophète et tous les saints de leur +paradis pour qu’ils nous protègent sur cette route dangereuse par sa +longueur et son manque d’eau absolu. Nous dépassons Ghourd el Liyya +derrière lequel arrive la route de Djedid à laquelle nous nous joignons. +Cette route est, au dire de mes guides, _la plus ancienne_ et la plus +directe. Autrefois le dernier puits était précisément celui de Djedid ; +mais depuis quelque temps on en a creusé un un peu plus au Sud, c’est le +puits de Bou Khalfa. La fatigue me fait commander l’arrêt d’un peu bonne +heure pour mes guides, qui sont scandalisés de cet acte de despotisme. + + 6 août. + +Après trois heures de sommeil nous repartons. Les guides aiguillonnent +mes domestiques un peu mous en leur disant : « Il faut fuir devant la +mort ! » Le pays continue à garder le même aspect, nous rencontrons par +endroits des pierres noires et grises (dolomies ?) identiques à celle de +la chebka des Beni Mzāb, ce qui se trouve confirmé plus tard par +l’apparition d’affleurements de ce plateau et par l’assertion du cheikh +Othman que l’on trouve près de Ghadāmès, près de notre route, une dune +très élevée au sommet de laquelle perce un rocher. + +Une tête de gazelle que nous trouvons me montre que la gazelle commune +du pays est de la variété nommée _rim_, caractérisée par ses cornes plus +droites et très rapprochée : je crois que c’est l’antilope Corinna. +L’autre gazelle commune (_dorcas_ ?) est plus rare, mais se trouve +cependant aussi quelquefois dans ces dunes. Les chasseurs Toroud la +nomment _el himed_ parce qu’elle affectionne plutôt les _hamada_. + +Nous faisons la sieste à l’heure habituelle et avons fait dans nos 24 +heures 13 h. 4 m. de marche. Depuis ce matin, comme par un fait exprès, +le sirocco s’est levé et a remplacé le vent d’est qui nous avait +favorisé sans cesse depuis El-Ouad. Nous repartons à peu près à la même +heure qu’hier, cependant pas d’aussi bonne heure à cause de la chaleur +qui accompagne le sirocco. + +Nous rencontrons sur la route trois charges de chameaux de vêtements et +d’autres menus objets rassemblés en un tas. Ces sortes de dépôts, +occasionnés le plus souvent par la mort d’un chameau, sont +religieusement respectés sur cette route, et j’apprends d’Othman qu’il +en est de même sur les routes de Ghadāmès au Touat et au Soudan par +l’Aïr ; elles restent quelquefois des années sans que le propriétaire +trouve une occasion pour les faire enlever. + +Un peu plus loin, nous trouvons les premières traces de cet animal que +les chasseurs des dunes appellent « beguer », mais dont le vrai nom +arabe est مَهَى[231] et qui est notre antilope oryx ou leucoryx. + +Près de Ghourd et Trouniya la nuit nous surprend, et peu après nous +arrive un accident qui manque de nous causer un retard sérieux. Un des +chameaux des Touareg s’était mêlé aux miens, et soit qu’il eût été +effrayé par quelque chose, soit qu’il voulût rejoindre ses frères, il +prit tout d’un coup le galop en faisant des sauts et des gambades dont +je n’aurais pas cru un chameau capable et il disparut dans les dunes. +Quand les Touareg arrivèrent, nous constatâmes que sur quatre outres +qu’il portait deux avaient été crevées et ne contenaient plus rien. +Othman attribua cet accident à l’_aïn_[232], en disant qu’un de ses +suivants, Ihemma, venait de dire tout à l’heure que l’on ne manquerait +pas d’eau, et cela avait porté malheur. Après bien des discussions, il +fut convenu que le maître du chameau irait sur son méhari à sa recherche +et tâcherait de nous rattraper. On lui fit une petite part d’eau dans +une outre et il partit, tandis que nous continuâmes notre route. + +Lorsque la lune se leva, je pus remarquer que la végétation avait +notablement diminué de force et de nombre ; nous n’avons plus que de +rares pieds de _seffār_ et de _hād_. Dans l’obscurité complète (lueur +des étoiles) je puis continuer presque aussi bien qu’en plein jour le +levé des distances et des directions, seulement le détail des dunes à +droite et à gauche de la route souffre de cette route de nuit. Je +remarque des affleurements du plateau calcaire. Nous voyageons entre des +rangées de dunes, qui tantôt s’éloignent tantôt se rapprochent et +quelquefois nous barrent la route ; mais elles sont alors très +diminuées. De temps en temps aussi nous trouvons des _sahan_ analogues à +ceux dans lesquels les puits sont creusés, mais ici on trouve parsemées +sur leur surface des pierres (dolomies appartenant au plateau). + + 7 août. + +Après un repos beaucoup moins long que celui d’hier nous repartons, et +rencontrons bientôt de nouveaux affleurements de calcaire. Nous arrivons +au commencement de la chaleur du jour à des dépressions irrégulières +allongées courant à peu près du E. 1/4 S. à l’O. 1/4 N., et séparées par +des chaînons de dunes. Othman m’assure que ces dépressions s’en vont +jusque sur la route de Ouarglā à Ghadāmès où elles prennent le nom de +Oudiān el Halma[233]. Je commence à remarquer qu’Othman a le sens +géographique très développé et qu’il possède, ce que je n’ai remarqué +chez aucun Arabe, la connaissance du rapport des différents accidents du +sol et de leur enchaînement. Nous faisons la sieste dans un de ces +derniers oueds, après une marche totale de 13 h. 46 m. + +Dans la soirée, un de mes Arabes m’apporte une corne de _meha_[234] +qu’il a ramassée sur la route. Nous rencontrons des traces de chacals, +ce qui me donne l’occasion d’apprendre du cheikh Othman que partout, +dans son pays, les chacals boivent et ne s’éloignent pas de plus d’un ou +deux jours de la source qui les abreuve, qu’il ne connaît que l’Erg où +le chacal vive naturellement sans boire[235]. Le _fenek_ au contraire ne +boit jamais, et aussi se trouve-t-il presque exclusivement dans ces +sables. Un proverbe arabe dit : Trace de chacal, eau proche ; trace de +_fenek_, ceins-toi et marche. + +Mon serviteur Ahmed a encore des accès de fièvre, ce qui dérange tout, +mes deux autres Arabes n’étant bons à rien ou à très peu de chose. La +végétation est toujours presque nulle[236]. Nous arrivons dans la nuit +au Sahan Tángăr où la route de Moui ’Aissa vient rejoindre celle de +Djedid ; près de là il y a, à droite, un petit _ghourd_[237] appelé +Gherīd Tángăr. Mes chameliers me font remarquer que la marche est +devenue plus rapide parce que les chameaux commencent à avoir diminué +notablement leur provision d’eau et ont le ventre allégé. Nous faisons +la halte de nuit à Ghourd es Sīd. + + 8 août. + +Après un sommeil d’environ une heure et demie, nous nous remettons en +marche, et suivons des sortes de boyaux entre deux dunes ; quelquefois +ces boyaux s’élargissent et ressemblent à de petits oueds (style du +Souf). Nous faisons la sieste dans une dépression après avoir fait une +marche de 14 h. 11 m. depuis hier à pareille heure. + +Ahmed, au départ le soir, est encore pris par la fièvre. + +Le cheikh Othman me dit que nous sommes ici au Dhahar el ’Erg, c’est-à- +dire au point culminant de la région des dunes, qu’à partir d’ici le sol +va en s’abaissant vers Ghadāmès et vers El-Ouād[238]. Cet avis a besoin +d’être pesé, mais le fait sur lequel s’appuie mon compagnon targui est +indubitable, c’est la forme nouvelle que prennent les dunes. Les +_ghourds_ sont encore petits, pas aussi hauts que le Ketef, à mon avis, +mais leurs formes ont changé ; ils ont pris des formes de montagnes +pointues, anguleuses sur toutes les faces ; les ghourds sont moins +allongés. Nous rencontrons de temps en temps en travers de la route des +dunes en cordons hauts de 1 à 3 mètres seulement, mais longues de 400 à +700 mètres et très régulières, que le vent change sans cesse de force et +de direction. Ces endroits sont toujours un obstacle pénible pour les +chameaux et tout le monde se met à l’ouvrage pour leur frayer un chemin +oblique avec une pente légère. Le vieil Othman est toujours le premier à +l’ouvrage. + +Deux des Arabes ont des symptômes d’ophtalmie. + +Le khebir me dit que Ghourd Meçaouda est, selon lui, à moitié route de +Ghadāmès à Berresof. Au ghourd Rouba que nous avons passé il y a +longtemps, vient se joindre à notre route une des routes de Bīr +Ghardāya ; d’autres viennent ici et d’autres plus loin encore. Cette +route est peu stable, comme on le voit, et dépend du caprice du guide. +La végétation est toujours presque nulle. Nous arrivons au ghourd Ben +’Akkou, qui est le point très connu anciennement comme faisant le point +du milieu entre le puits de Djedid et Ghadāmès. + +Dans le Haoudh[239] es Sefār je remarque une petite butte d’un blanc +éclatant. Nous nous arrêtons pour dormir un peu dans un endroit appelé +Ma’dhema. + + 9 août. + +Nous partons comme toujours de bonne heure, et marchons entre les +_ghourds_ et les _zemlāt_[240]. Nous arrivons bientôt dans une série de +bas-fonds entre les dunes, que l’on a désignés sous le nom générique +d’El-Hiádh[241]. De temps en temps des pierres de calcaire gris plus ou +moins décomposé. Nous allons faire la sieste à l’extrémité sud du Haoudh +El-Hadj S’aīd, aussi nommé Hoūdh el Belbelāt à cause de la plante nommée +_belbal_ qui y croît. Le sol de ce terrain est très ferme, composé de +détritus de calcaire. Othman et les guides me désignent cet endroit +comme étant celui où l’on devrait tenter le forage d’un puits. La +présence de _belbal_, disent-ils, est un signe que l’eau ne doit pas +être loin. L’endroit me paraîtrait, à moi aussi, bien choisi. + +Nous avons rencontré avant l’étape deux Souāfa venant de Ghadāmès avec +un chameau ; ils apportent la nouvelle que la plus grande partie des +Touareg ont quitté les environs de la ville par suite de la petite +vérole qui y règne et qui les décime. Si Othman me dit : « Dieu a créé +la petite vérole ennemie des Touareg et aussi la craignent-ils très +fort ». On me dit plus tard à Ghadāmès que si elle est si fatale pour +les Touareg, c’est qu’ils sont sales, et que même quand ils ont de +l’eau, ils font leurs ablutions en se frottant les mains sur une pierre. + +Nous avons marché 14 h. 50 m. depuis la dernière étape. A notre départ, +la végétation, presque nulle comme toujours, se compose d’_álenda_, de +_drīn_ et de _hād_. A la nuit nous passons deux tombeaux d’individus +assassinés par les Arabes, dont l’un nommé Mîdi de Ghadāmès a donné son +nom à un ghourd voisin. Le vent a tourné à l’est. Nous marchons toute la +nuit et ne nous arrêtons qu’à 6 h. 65 m. du chronomètre le 10 août pour +faire la sieste. Cette deuxième étape a été de 13 h. 30 m. de marche. + + 10 août 1860. + +Nous nous arrêtons pour la sieste épuisés de fatigue[242] ; je n’ose pas +comparer celle de mes domestiques à la mienne tant j’aurais pitié d’eux. +On verse dans le nez d’un chameau qui souffre de la soif une gamelle +d’eau. Cela vaut beaucoup mieux que donner à boire, parce que le peu +d’eau dont on peut disposer ne fait rien dans l’estomac de l’animal. +Nous arrivons près du ghourd Mámmer, à une dépression où je reconnais la +roche blanc d’argent dont j’ai parlé. Je trouve que c’est une terre très +savonneuse et salissant les doigts, toute imprégnée de coquilles de +_planorbis_, signe évident qu’il y avait là un petit lac autrefois. Tout +à côté de cette terre se trouve sous le sable une poussière noire, qui +m’intrigue beaucoup et dont je prends une petite quantité[243]. + +A la tombée de la nuit, le chameau sur lequel je suis monté, sur un lit +formé de mon matelas jeté sur les caisses, prend peur et part au galop +en sautant ; je suis lancé en l’air et un peu plus loin tombent les +cantines. Rien n’est cassé heureusement ni sur moi ni dans les caisses. +J’aurais été tué ou estropié si j’étais tombé sous les cantines. + +Les dunes diminuent notablement et rapidement de hauteur, elles +reprennent la forme de _zemlat_. Nous traversons un petit _hamada_, +nommé Hameida, et nous reprenons les dunes, redevenues simples +ondulations de sables. Nous voyageons toute la nuit ; de bonne heure +nous entrons sur la hamada de Ghadāmès qui est d’abord recouverte de +sable, puis apparaît comme la chebka des Beni Mezāb, semée de pierres de +dolomies violettes, noires ou grises. + +Peu après nous descendons dans une dépression profonde[244] de la +chebka ; c’est un chott à sol de _heicha_, tout semblable à celui de +l’Oued-Righ ; nous dépassons une grande dune située au milieu et enfin +nous arrivons à l’autre extrémité à une petite _ghaba_[245], appartenant +à la zaouiya de Sidi Maābed. + +Marche de cette étape, 15 h. 36 m. + + +[Note 220 : Cf. _Relation du voyage de M. de Bonnemain_, par A. +Cherbonneau, _Nouv. Annales des Voyages_, juin 1857, et A. Bernard et N. +Lacroix, _Historique de la pénétration saharienne_. Alger, 1900, p. +46-47.] + +[Note 221 : Du Sud.] + +[Note 222 : D’après la détermination de Bourguignat : _Physa contorta_, +_Physa Brocchii_, _Physa truncata_, _Planorbis Maresianus_. (_Les +Touareg du Nord_, Append., p. 27.) On sait, par les explorations de MM. +Foureau et Flamand, que les fonds de sebkha à coquilles d’eau douce et +saumâtre se rencontrent fréquemment dans l’Erg, où ils apparaissent +entre les dunes. Le vent soulève les tests légers des coquilles et les +éparpille sur les sables.] + +[Note 223 : Géants auxquels les indigènes attribuent aussi les tombeaux +mégalithiques (_Touareg du Nord_, p. 416).] + +[Note 224 : « Dépression de terrain solide en forme de bassin arrondi au +milieu des sables » (H. Duv.).] + +[Note 225 : Le vrai nom de ces puits est Maatig (H. Duv.).] + +[Note 226 : Ou Rebaya ; fraction des Souafa.] + +[Note 227 : Le kaïd de Tougourt.] + +[Note 228 : Seau de cuir.] + +[Note 229 : Le général de Martimprey fut un des principaux partisans du +commerce du Sud. Commandant des forces de terre et de mer en Algérie, il +écrivait dans une lettre officielle du 22 juillet 1860, reçue par +Duveyrier à ce puits de Berresof : « Un décret impérial vient de faire +tomber les barrières qui s’opposaient à nos relations commerciales avec +le Sud ; aujourd’hui et désormais les produits soudanais et sahariens +doivent entrer en Algérie en toute franchise. Veuillez répandre cette +bonne nouvelle... » Et il ajoutait ce _post-scriptum_ de sa main : +« Avant d’avoir reçu votre lettre qui me fait connaître l’intention où +vous êtes de vous faire accompagner par le cheikh Othman, je venais +d’adresser à ce chef l’invitation de se rendre auprès de moi. J’ai hâte +de conclure tous les arrangements qui pourront le plus tôt possible, la +sécurité existant à un degré suffisant, amener la liaison des relations +qu’il faut établir entre l’Algérie, le Soudan et les régions +intermédiaires... Vous comprenez que je tienne à ce que le cheikh Othman +soit ici quand l’Empereur y viendra. » — On sait que le cheikh Othman +préféra suivre Duveyrier.] + +[Note 230 : « La cuvette du chien », un des pâturages de l’Erg.] + +[Note 231 : Meha. « Beguer » ou « beguer el-ouahch » est le nom +vulgaire. (O. H.)] + +[Note 232 : Cf. _Les Touareg du Nord_, p. 415-416.] + +[Note 233 : « Les oueds du halma » (_Plantago ovata_). M. Foureau les a +retrouvés en 1893 sur la route de Ghadāmès à Tougourt, et en 1896 plus +au sud, vers 30° de latitude, mais là ce ne sont plus que des sillons ou +entonnoirs coupés de dunes sans orientation régulière. (_Dans le grand +Erg_, Paris, 1896, p. 43.)] + +[Note 234 : Antilope addax (_Les Touareg du Nord_, p. 225.] + +[Note 235 : On rapporte le même fait du mouton en hiver. L’Erg est plus +riche en plantes vertes qui, mâchées, fournissent une certaine quantité +d’eau.] + +[Note 236 : Plantes notées sur le carnet pendant cette journée de +marche : _drine_, _neci_.] + +[Note 237 : Dune à plusieurs arêtes, pâté de dunes.] + +[Note 238 : Ce renseignement n’a pas été reporté sur la carte de +Duveyrier. Il mérite pourtant sérieuse considération, car M. Foureau, +faisant en 1893 une route un peu plus occidentale, a noté vers 31° de +latitude, l’altitude extraordinaire de 406 mètres, résultat de trois +lectures barométriques (renseignement manuscrit de M. Foureau). En +admettant une correction à faire du fait des variations atmosphériques, +il n’en faut pas moins voir dans ce « dos de l’Erg » un relief réel.] + +[Note 239 : « La cuvette du Sfar » (variété d’_Arthratherum_).] + +[Note 240 : Ce sont les longs cordons de sable signalés plus haut.] + +[Note 241 : Pluriel de _el haoudh_.] + +[Note 242 : Le carnet porte ce jour-là : Végétation rare et maigre : +_ézal_, _alenda_, _halma_.] + +[Note 243 : C’est le _torba_ des Arabes. La poussière noire doit sa +coloration à des éléments tourbeux.] + +[Note 244 : Le carnet de route dit : plus basse de dix mètres.] + +[Note 245 : Endroit planté d’arbres (O. H.).] + + + + + CHAPITRE II + + ARRIVÉE A GHADAMÈS + + + 11 août. + +Nous trouvâmes dans cette _ghaba_ un jeune homme de la zaouiya, vêtu de +pantalons blancs descendant jusqu’à la cheville, d’une sorte de blouse +blanche et d’un turban blanc. Ce jeune homme ne me reconnut pas pour +chrétien parce qu’il est rare de rencontrer un Français jambes, pieds et +bras nus et en chemise. Il me salua, croyant probablement que j’étais +Tunisien, et nous aida à débarrasser les chameaux. Je m’établis sur mon +matelas, à l’ombre d’un palmier ; la chaleur, le sirocco violent qui +nous avait fouettés dans le chott, nous avaient épuisés et brûlés. + +La nouvelle de l’arrivée d’Othman fut bientôt portée à Ghadāmès et une +foule de Touareg Ifoghas, à pied ou montés à méhara, vinrent au-devant +de lui. Il leur expliqua loin de moi qui j’étais et pourquoi j’étais +venu et plusieurs d’entre eux demandèrent s’ils pouvaient venir me +saluer. Ils vinrent en effet, et je leur fis des compliments. Tout ceci +est bien poli et n’aurait jamais lieu en pays arabe. La foule des +Touareg augmenta beaucoup, et, quand nous partîmes, nous avions une +nombreuse escorte en très beaux habits de parade. Tout ce monde se +comporta bien et ne fit aucune remarque sur ce que je relevais le pays. +Nous laissâmes d’abord le zaouiya de Sidi Maābed à droite avec ses +palmiers ; c’est non seulement une zaouiya, mais encore un petit +village. Plus loin, nous passons à une plus grande distance la zaouiya +de Sidi Mohammed es Senoūsi, bâtie depuis trois ans par cet ennemi +mortel des Français et des chrétiens. Dans le petit bassin dans lequel +se trouve la zaouiya, les puits sont comme à El-Guettar (Tunisie). On +creuse un puits près du bord élevé de la dépression ; on y trouve de +l’eau coulant légèrement ; on creuse plus loin un autre puits dans la +direction du courant, et ainsi de suite ; de sorte que l’eau d’un puits +passe dans l’autre. De la zaouiya nous marchons dans la chebka, dans un +labyrinthe, et nous arrivons en vue de Ghadāmès, qui est située au haut +du plateau. Nous laissons en même temps à gauche le commencement de la +_ghaba_ et à droite des ruines gigantesques que je crois romaines. + +Nous arrivons à la porte de Ghadāmès, qui est tout entourée par les +palmiers, sauf à cet endroit. Nous laissons en face de la porte +plusieurs nezla de petites tentes de peau des Touareg. Arrivés en dedans +des murs, on me dit que le moudir est dans les jardins ; j’envoie un de +mes domestiques, qui arrive avec la réponse qu’il faut que je vienne en +personne ou que j’envoie mon firman. + +Je me rends en personne dans le jardin où je trouve le moudir, un vieux +turc abruti, en chemise et gilet de coton et une calotte idem, assis sur +un tapis, par terre. Il a avec lui de petits serviteurs turcs mulâtres, +un interprète assez bien et assez beau et un qawwas, qui est venu de +Tripoli pour une affaire à part. Ce dernier, habillé à l’européenne, +porte, entre autres, des pantalons blancs, des escarpins et des cheveux. +Le moudir Hadj Ibrahim me reçoit sans daigner se lever, mais il est +obligé de me souhaiter la bienvenue lorsqu’il a lu le firman du Pacha. +Je reste là, il fait chercher une maison pour m’y loger et y fait +conduire le bagage après m’avoir interrogé sur le contenu des cantines +et des _gherair_[246]. Je dîne avec lui ; il mange à table le premier ; +je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins. Ce vieux squelette à +moustaches ne fait pas un changement de place de cinq pas sans traîner +après lui ses immenses pistolets. La conversation roule sur le Iemen où +il a vécu longtemps, et Saouakim où il a connu, il y a deux ans et demi, +le voyageur Hadj Iskander[247] allant au Soudan. + +Le soir, je vais à la maison qui m’est destinée, en attendant mieux, et +qui se trouve près de la ghaba. Je suis heureux de me reposer. De la +ghaba à Ghadāmès, 1 heure 2 minutes. + + 12 août. + +Ce matin, de bonne heure, je suis encore dans mon lit, lorsque vient me +trouver un des petits négroturcs frisés du moudir, armé d’un sac en +toile et d’un billet très aimable, mais très inintelligible. Le petit +négroturc est plus clair et m’exprime que son noble maître désire une +bouteille d’araki. Or, en fait de liqueurs, je possède une bouteille +entamée d’absinthe, et une d’eau de noix. Je remets au petit l’eau de +noix et on l’emporte avec de grandes précautions. + +Je vais ensuite chez le moudir pour lui parler de la maison que je dois +habiter et que je veux louer ; il me retient à déjeuner. Je vois la +maison qu’on m’a destinée ; elle ne peut pas me convenir ; on m’en +montre une seconde, qui est moins mal et que je prends. + +Le moudir me retient à dîner et j’accepte, quoique je commence à avoir +assez de sa société et de ses repas. Mais, pendant l’après-midi, je vois +revenir le négroturc qui, après bien des caresses, me montre une +damejeanne qu’il a apportée et que son maître voudrait avoir remplie +d’araki, contre remboursement bien entendu. Ceci me paraît trop fort, et +je renvoie le bonhomme avec le « non » le plus formel et le plus +véridique. Je fais suivre Ahmed, qui va dire au moudir, qu’étant +indisposé, je ne viendrai pas dîner chez lui. Le moudir cependant +prétexte qu’il s’est mis en frais et qu’il faut que je fasse honneur à +son repas. + +A l’heure dite, je ne me rends à son habitation que lorsqu’on vient me +chercher. Je trouve tout le monde en prières de l’air le plus contrit du +monde. On sert plusieurs plats, parmi lesquels une poule pour cinq +personnes ; le moudir s’excuse sur ce « qu’il n’a pas pu trouver de +viande en ville ». J’avais vu un mouton et plusieurs chèvres dans les +rues. Le stupide homme me demande : « Y a-t-il de la viande dans votre +pays ? — Oui, nous autres Français, nous en mangeons deux fois par jour. +— En France ou bien en Alger ? — En France, à Alger et même à +Ghadāmès. » Notez qu’au déjeuner nous n’avions eu que des légumes. Je +n’ai lâché mot que de force à dîner, et, sans attendre le café, je suis +revenu chez moi. Or le moudir avait dit qu’il se chargeait de mon dîner +et de celui de mes gens. On apporte en effet ce dernier, et il se +compose de deux assiettes, l’une contenant un peu de légumes qui ne +dépassent pas le fond de l’assiette, l’autre contient la même quantité +de vermicelle. Enfin quelques onces de pain. Je fais renvoyer le tout +chez le donateur. Ahmed et Brahim dans les rues sombres et couvertes de +Ghadāmès manquent l’un de renverser une femme, l’autre de se casser la +tête. + +Je vois deux fois Othman ; bonnes nouvelles de chez les Touareg. Il +trouve le moudir ce que j’ai dit. Le moudir a des soldats sous ses +ordres. Ce sont des Djebaliya, depuis l’âge le plus jeune jusqu’aux +vieillards à barbe blanche. Ils ont pour se vêtir un _haouli_, de sorte +qu’ils laissent leurs poitrines, y compris les tétons, nues, ce qui, je +n’ai pas besoin de le dire, serait plus gracieux chez une belle femme +que chez ces squelettes affamés. + +C’est la nuit que les femmes des Ghadamsya sortent pour aller à la +fontaine et à leurs affaires. Celles que j’ai vues sur les toits +portaient un haïk bleu tourné comme chez les femmes des Beni-Mezab. J’ai +vu dans les rues d’autres femmes sans voiles et portant un diadème de +cuivre doré : ce sont ce qu’on appelle ici des ’Atriya, c’est-à-dire de +la caste mélangée de sang noir. Ce sont les mulâtresses. + +Les maisons de Ghadāmès sont hautes, ayant quelquefois un rez-de- +chaussée et deux ou même trois étages[248] ; les murs, bâtis en briques +de terre crue, sont blanchis à la chaux. L’architecture ressemble à +celle des Beni-Mezab. Les rues sont couvertes et fort obscures en plein +jour, à plus forte raison de nuit. La ville et les plantations sont +entourées de murailles et l’on reconnaît en certains endroits que ces +murailles ont été détruites deux fois avant celles qui existent +aujourd’hui. + +La ville possède un citronnier ; il y a maintenant des pastèques en +quantité, mais elles sont dures ; les melons sont aussi en grand +nombre ; ce sont les meilleurs que j’aie trouvés dans le Sahara. Il y a +des citrouilles, _gauráa_, tomates, etc. Les dattes de la petite espèce +noire sont mûres, mais on ne les a pas encore cueillies. + +La ville est remplie de Touareg. Il paraît qu’ils m’ont tous très bien +vu, d’après les discours d’introduction qu’a faits Othman. Ceux qui sont +venus hier me voir dans la Ghaba avaient demandé à Othman : « Pouvons- +nous venir le saluer ? » + +Le moudir fait donner la bastonnade devant moi à un nègre colossal qui +avait commis le crime d’aller voir deux fois cette année une négresse +dans une maison particulière. + + 13 août. + +Le matin, je change de demeure ; le pauvre cheikh Ali[249], qui bégaye +tant qu’on ne peut pas se moquer de lui, est presque toute la journée +chez moi ; il va me chercher tout ce qui me manque. + +Je fais la sieste et écris quelques lettres. A l’heure du Medjelès, qui +a lieu toutes les semaines à pareil jour et une autre fois par semaine, +le moudir fait envoyer chercher mon firman. Je trouve bon de donner +aussi celui du Bey de Tunis et le décret des douanes, qui sont tous lus, +et sont le sujet d’un commentaire de la part du moudir. Dans la soirée, +on m’annonce sa venue ; j’ai une explication avec lui, mais il est si +bête, si borné, si entiché de son osmanlisme que l’on n’arrive à rien +avec lui. Enfin, il dîne avec moi. Il vient ici avec un armement +complet. Il me promet que, partout où j’irai, il me fera accompagner par +deux de ses fameux soldats. + +J’apprends aujourd’hui que les nobles Ghadāmsia (sang blanc) qui +épousent une ’Atriya sont mal vus, que les ’Atriya mâles ne trouvent +jamais à épouser une femme noble. + + 14 août. + +De bonne heure, le cheikh Ali vient m’apporter un panier de légumes. Il +m’apprend que chaque grande famille de nobles a ses ’Atriya nés depuis +longtemps des négresses de ses aïeux, et doit les protéger, leur fournir +du travail et de la nourriture s’ils sont dans le besoin. Il paraît que +les femmes ’Atriya n’ont pas toujours des mœurs très chastes. + +On m’apporte des dattes mûres ; elles sont toutes petites et noirâtres, +mais je ne les trouve pas mauvaises. + +Des Touareg viennent à l’heure du déjeuner frapper à la porte pour me +voir, mais je ne fais pas ouvrir. Le cheikh Othman m’approuve. Du reste, +ils n’ont pas insisté. Dans l’après-midi, le petit Abyssin m’apporte un +panier de légumes de la part du moudir. On sème en ce moment une +graminée, céréale, appelée ici El-Gossob[250], et dans le nord _dra’_ ; +on ne la récolte qu’à la fin de l’automne. + +Visites de quelques grands de la ville. + + 15 août. + +Je sors accompagné de deux soldats et je vais voir d’abord les +Esnām[251], ces restes de constructions que je crois être les ruines de +la ville ancienne du temps des Romains. Ce sont des supports de vastes +arcades, je le crois du moins ; tout à l’entour, s’étendent des débris +de pierres, et des fondations comme on en voit dans toutes les ruines +romaines de ce pays. Les pierres ne sont pas taillées ; quelquefois +cependant elles sont dégrossies ; elles sont unies par un ciment de +plâtre. Au milieu des décombres sont quelques tentes touareg, mais leurs +occupants n’étaient pas là et nous n’eûmes à disputer le chemin qu’à +deux lévriers qui gardaient les tentes. + +Je vais voir la source ; elle forme un bassin profond d’une eau +transparente et d’un bleu charmant ; l’eau donne naissance à quelques +mousses aquatiques qui paraissent au fond en plusieurs endroits. Des +libellules rouge brique planent au-dessus de l’eau. Je ne vois pas de +poissons. Le bassin a une forme inégale : il est garni de pierres. L’eau +s’écoule d’une manière insensible à l’œil par un canal souterrain près +de l’endroit où l’on vient puiser l’eau. Le kaïd el mā, chargé de +distribuer l’eau, est loin de là dans une petite niche sur le marché. + +Je passe la soirée couché sur un banc de la rue, où j’ai fait porter une +couverture et des coussins. Je regarde le mouvement autour de moi. Il y +a plusieurs négresses qui paraissent à poste fixe près d’ici ; elles +jacassent toute la journée. Quelques nobles Ghadamsia passent devant +moi ; les uns me saluent, les autres ne me disent rien. Je rends les +saluts à ceux qui me parlent. Les noirs dépassent de beaucoup parmi les +passants le nombre des blancs. Presque pas de Touareg. + +Un de mes voisins possède une jument du Touat ; c’est le seul cheval +qu’il y ait en ce moment à Ghadāmès. + +J’obtiens le soir la latitude de Ghadāmès par le passage de Mars au +méridien : j’ai 30° 6′ 33″ N. + + 16 août. + +Je vais me promener dans la ville. Il y a près d’ici, je crois dans le +quartier d’El Aouina[252], un petit marché où l’on vend des liqueurs ; +il est remarquable aussi sous un autre point de vue. D’un côté il est +bordé d’arcades, et je remarque un tronçon de colonne qui me paraît être +évidemment romain. Du côté opposé coule sous terre une petite rigole +auprès de laquelle est un abreuvoir et un lavoir. Plusieurs petites +auges carrées, en pierres de différentes grandeurs, sont encore ici en +souvenir de l’ancienne Ghadāmès. Mais j’étudierai tout cela +systématiquement un peu plus tard. + +Je rends une visite au moudir et je le trouve très bien. Cependant, +j’apprends plus tard qu’il a eu une violente dispute avec sa femme +turque à la suite de laquelle celle-ci a demandé du poison pour le tuer. +De là rupture, et la femme répudiée s’en est allée à Dérdj. Le fils du +moudir qui est à Sinaoun est parti pour Tripoli aussitôt qu’il a appris +cette nouvelle. De sorte que le moudir est d’une humeur de chien pour +tout le monde. Je donne de l’opium au moudir, qui est dérangé à état +permanent. Il m’envoie le soir une excellente pastèque. + +Il est curieux de voir les Ghadāmsia savoir presque tous le haoussa ; +rarement ils parlent à leurs esclaves dans une autre langue. Les enfants +blancs et les esclaves apprennent d’abord le ghadāmsia[253], et ce n’est +que plus tard qu’ils se mettent à l’arabe. + +On a toutes les peines du monde à se procurer ici des légumes, des +melons et de la viande. Tout est pris d’avance : les acheteurs vont +chercher les fruitiers jusque dans leur ghaba, et le peu qui arrive au +marché est de suite accaparé. Quant à de la viande, depuis que je suis +ici, les Arabes n’ont pas apporté de moutons, il se passe quelquefois +quinze jours sans qu’il en vienne. On est réduit aux poules, pigeons et +à quelques chevreaux. + +Le soir, je fais porter mon lit sur la terrasse et j’y dors en compagnie +de mon fusil chargé à balles. J’ai la distraction de voir les ombres de +mes voisines, blanches et noires, se promener sur les terrasses +d’alentour et d’entendre leur caquet à voix basse. + + 17 août. + +Ihemma, le petit bandit targui qui accompagnait Si ’Othman, m’apporte +quelques lignes de tefinagh que m’ont écrites ses sœurs auxquelles +j’avais envoyé à chacune un miroir. + +Je vais voir le marché qui a lieu toutes les semaines à pareil jour. Il +a lieu immédiatement après la prière à la mosquée au dohor. On prend ses +places d’avance ; le moudir m’a envoyé deux soldats qui sont postés à +côté de moi pour écarter les badauds. Je vois arriver le moudir, avec +son page abyssin et ses longs pistolets, puis le qawwas ; ils entrent +dans la mosquée par une porte à part donnant sur le marché. La prière ne +dure qu’un instant ; je suis ensuite rejoint par le cheikh de la ville +(Cheikh Ali) et il se rassemble autour de moi plusieurs Ghadāmsia, entre +autres Abd el Aziz, bel homme à barbe grisonnante et à beaux vêtements, +qui connaît de vue Tombouctou, Oualata, Tichit, le Soudan et le Touat, +ainsi que les pays intermédiaires. C’est un homme intelligent et +d’autant plus poli qu’il connaît Tunis et Tripoli. Nous nous tenons sous +un corridor, près de la boutique du gomrekdji[254]. Nous voyons passer +beaucoup de Touareg, dont plusieurs sont d’une taille colossale. +Quelques-uns me saluent ; d’autres me regardent et passent ; deux +Sakomāren[255] seulement se permettent de dire : « Fi ! c’est lui qui a +amené Cheikh Othman ». Mais cette parole de la bouche d’Imrhad n’a pas +beaucoup de poids. + +Le marché n’est pas brillant ; on y vend des cotonnades anglaises et +maltaises, des étoffes de coton bleu à rayons rouges, du Soudan, dont +les unes servent de couverture et les autres de vêtements de dessus aux +femmes de Ghadāmès. On vend quelques fusils, des chameaux et un coffre. +On me dit que d’ordinaire le marché est plus beau. + +Les Sakomaren qui sont ici sont des chameliers qui doivent amener au +Touat la grande caravane des Ghadāmsia dont les bagages sont déjà +exposés hors de la ville en attendant que les affaires soient arrangées +avec Ikhenoukhen. + + 18 août. + +De bon matin, un Targui m’amène un enfant parent de Si ’Othman, qui est +affecté d’un œdème très avancé provenant d’un anévrisme du cœur. Cet +enfant, âgé de 12 ans, fait mal à voir ; outre sa maladie qui l’a rendu +presque impotent, et qui a répandu une couleur jaune uniforme sur ses +chairs molles, il a eu encore dernièrement la petite vérole, qui a +laissé sur lui des traces profondes. Je déclare après l’examen que, +lorsque Si ’Othman viendra, je lui dirai mon avis sur la maladie. Je +crains toujours que les gens ignorants ne pensent que j’ai le remède de +telle ou telle maladie et que je ne veux pas la guérir. + +Quelque temps après, je reçois la visite bienvenue de trois dames +targuies, l’une d’elles est jeune, assez grande et d’une blancheur +rare ; elle est de plus très bien peignée. Sa coiffure est, sur le +devant, identique à nos bandeaux plats d’Europe, mais ces derniers se +terminent derrière les oreilles par deux nattes courtes et épaisses. Les +ornements de ces Targuiāt sont sobres ; la belle porte trois légers +bracelets à chaque bras ; le tout est de bon goût et serait bien vu en +Europe. Ainsi ce ne sont plus les ornements grossiers des Arabes. + +La conversation roule sur très peu de choses parce que ces dames me font +la malice de prétendre ne pas comprendre l’arabe, de sorte que je suis à +m’éreinter à chercher de rares expressions dans le cinquième volume du +Dr Barth. — Elles partent d’un éclat de rire formidable quand je +parviens à leur désigner « ulhi »[256] et « teraouen »[257] comme étant +le siège primitif de la maladie du jeune Targui qui est le frère de +l’une d’elles. Lorsque nous étions ainsi aux prises, arrive Si’Othman +qui, en voyant les Targuiāt, s’écrie : « Bism Illah er Rahman er +Rahim », expression que les Touareg emploient lorsqu’ils sont affectés +d’une surprise pénible. Nous parlons de nos affaires et, pendant ce +temps, les Targuiāt veulent s’en aller ; l’une d’elles retrouve son +arabe pour me demander du tabac. Je leur dis que je n’en ai pas, mais +que, si elles veulent bien revenir, j’espère être plus riche. + +Aujourd’hui, on vend au marché tous les moutons qui sont arrivés hier. +Le cheikh Ali me dit qu’on en vend quelquefois 300 en un seul jour. Les +occasions sont si rares que l’on fait ses provisions. Le même homme me +raconte qu’à la dernière vente il acheta trois moutons, que cinq jours +après il en vendit deux, et qu’il eut le troisième pour profit de sa +spéculation. J’achète un mouton, hier j’en avais acheté un autre +engraissé en ville. Les moutons se vendent, comme du reste tout ce qui +passe sur le marché, par l’entremise de « dellāl », crieurs, et tout est +cédé à l’enchère. Les principaux marchands, et en général tous ceux qui +ont besoin de quelques-uns des articles en vente, se tiennent assis +autour du marché ; et les crieurs passent en exposant la marchandise et +en indiquant le dernier prix offert. + +J’apprends qu’autrefois, les Ouled Hamed d’El-Ouad prélevaient un petit +tribut, « ghefara », sur les marchands de Ghadāmès qui passaient par le +Souf se rendant à Tunis ; depuis l’occupation française, cela n’a plus +lieu. + +Autrefois, la route de Ghadāmès à Gabès était très fréquentée, +maintenant personne ne fait plus ce voyage de crainte des Ourghemma. Je +vois plusieurs Ghadāmsia qui ont fait chacun une demi-douzaine de fois +cette route. + +Les nouvelles d’Ikhenoukhen sont qu’il est arrivé à Māsīn avec ses +chameaux altérés (les puits de cette région sont presque tous à sec +cette année). A Māsīn, ils ont trouvé le puisard contenant très peu +d’eau (le mot Māsīn ne signifie pas autre chose) ; il faut qu’il +séjourne là jusqu’à ce que les chameaux aient bu pour pouvoir franchir +les dernières étapes jusqu’à Ghadāmès. Le puits d’Inguelzām[258] est +aussi tari. + +Toujours des difficultés pour trouver des légumes et des fruits. Santé +parfaite. + + 19 août. + +Je reçois dans la matinée la visite de Si ’Othman et d’un vieux Targui +qui semble être de ses intimes ; je leur fais voir les livres arabes que +je destine à Cheikh el Bakkay de Tombouctou. Parmi ces livres est mon +Coran doré sur tranche ; Si ’Othman en est épris. Il commence à chanter +la sourate de la vache et j’ai peine à l’arrêter. Voyant que ce livre +faisait tant de plaisir à mon ami, je lui en fais présent. Si ’Othman ne +peut contenir des démonstrations de joie enfantine. Là-dessus, il s’en +va pour prévenir le crieur, qui est en train de lui procurer une +« Neskha » manuscrite, qu’il n’en a pas besoin. + +A peine Othman était-il sorti qu’au milieu de mon déjeuner arrive ma +belle Targuie d’hier, accompagnée cette fois d’une belle jeune femme +seulement. Elles me disent qu’Othman leur a défendu de venir et que +c’est pour cela qu’elles ont attendu sa sortie. J’apprends aujourd’hui +que Télengui, c’est le nom de la belle Targuie, est mariée, mais elle me +dit que son mari part demain pour le Touat. Je leur fais cadeau à +chacune d’un foulard de coton et d’un miroir, et d’un peu d’argent pour +acheter du tabac, car toutes les Targuiāt fument. En échange de mes +présents, Télingui me demande du papier pour m’écrire du tefinagh. +Télengui me distrait beaucoup ; je l’engage à revenir. Son vêtement se +compose d’une blouse bleu de ciel, à manches courtes, n’atteignant pas +le coude, et d’une couverture de coton blanc dont elle s’enveloppe tout +entière, sauf la figure. + +Les moutons des Arabes d’ici ont tous la grosse queue ; au Souf ils n’en +ont pas de cette espèce, mais les Nemēmcha et les Hamamma en possèdent. + +Dans la soirée, Ikhenoukhen envoie à Othman deux Targuis, pour lui dire +de venir apporter de l’eau à une demi-journée de Ghadāmès. Ikhenoukhen, +à ce qu’il paraît, veut avoir des nouvelles ; il sait maintenant que je +suis venu. Dans la soirée Othman vient me dire adieu ; il part cette +nuit. Il ne sera absent qu’un jour, deux au plus. + +J’apprends que le district de Dérdj est très malsain, des fièvres très +violentes y règnent. C’est une terre de labours avec des sources ; on y +cultive du blé et du guessob. Othman me dit qu’il y a des fièvres +jusqu’à Ghadāmès, et me demande de la quinine pour deux femmes targuies +qui sont fiévreuses. + + 20 août. + +Ce matin, je prie le cheikh Ali de vouloir bien emporter chez lui les +objets qu’il a encore ici et qui lui font faire par jour trois ou quatre +ascensions chez moi. Cela ne peut pas durer. Le petit bègue, au lieu de +s’exécuter, me fait dire, quelque temps après, qu’il a trouvé une autre +maison et qu’il m’invite à venir la voir ; je lui fais répondre que je +me trouve bien ici et que les convenances m’obligent à ne pas changer de +demeure comme de chemise. Cheikh Ali me fait dire là-dessus qu’il +viendra me déranger vingt fois par jour ; je sors alors et je trouve mon +homme à la porte ; il est chassé comme un chien, avec défense expresse +de remettre les pieds ici. + +Dans la chaleur du jour, je vais chez le moudir pour signaler la +conduite du cheikh, et déclare que je ne sortirai que par la force d’une +maison que j’avais acceptée à contre-cœur ; mais le petit bègue est aux +cent coups, et il jure, à qui veut l’entendre, qu’il me chassera de sa +maison, et qu’il enverra, s’il le faut, cinq ou six esclaves armés pour +me faire sortir ; il menace mes domestiques de prêcher le Djehad, ou +guerre sainte, et dit que, dans ce cas, toute la ville suivrait son +avis. Il bégaye sa colère partout, dans la rue et chez le moudir. + +Le moudir vient me trouver et tâche de m’apaiser : en me disant qu’il a +vu la nouvelle maison, qu’elle est plus belle que celle que j’habite et +que le loyer en est très bon marché. Mais toutes ces conditions ne me +font pas changer d’avis, et je lui renouvelle ma déclaration que, si +l’on voulait me faire changer de demeure, il fallait employer la force, +et que, dans ce cas, je ne sortirais de ma maison que pour me rendre à +Tripoli. Le moudir me fait entrevoir qu’il n’est pas tout à fait le +maître ici, que les Touareg le sont plus que lui, et que, si le cheikh +en venait aux extrémités, la seule chose qu’il pourrait faire serait de +déclarer que tout ce qui m’adviendrait serait fait à lui et serait une +injure pour le gouvernement turc. Pendant ce temps, il m’emporte le fond +d’un petit flacon d’absinthe qui me reste, ma dernière goutte de +spiritueux. + +Enfin, après le coucher du soleil, le moudir revient accompagné d’El +Mokhtar, l’un des membres du Medjelès. Ils me disent que le Medjelès a +été assemblé extraordinairement pendant toute l’après-midi, que l’on a +vivement blâmé la conduite du cheikh et que l’on a conclu que, s’il n’y +avait pas moyen d’arranger les choses autrement, le cheikh serait obligé +à me céder sa maison pour le temps de mon séjour. Là-dessus, ils me +prient de pardonner la conduite de Cheikh Ali. Ceci est une autre +question. Je déclare que, comme homme, je lui pardonne volontiers, mais, +comme représentant de mon gouvernement, je ne puis le faire aussi +facilement, et que je demande mûre réflexion à ce sujet. Là-dessus ces +messieurs se retirent après avoir pris le café. + +J’ai reçu la visite d’un marchand de Ghadāmès, l’un de ceux qui +prêtèrent de l’argent à Barth, à Kanō, lors de son retour de Tombouctou +et au joli taux de 100 % au bout de quatre mois. Je lui fais des +compliments sur sa libéralité, d’autant plus que l’argent qu’il prêtait +était de l’argent anglais ; mais il me dit _qu’il avait calculé le +profit que lui aurait rapporté cet argent mis en ivoire dans le même +espace de temps_ et prêté son argent avec le même profit. + +Les Targuiāt (les deux mêmes qu’hier) sont venues me voir, mais ne sont +restées qu’un instant, elles m’ont apporté quelques lignes de Tefinagh. + +J’ai tellement cru aujourd’hui qu’il allait se passer quelque chose, que +j’ai fondu des balles de revolver. + + +[Note 246 : Pluriel de _gherâra_, sac en laine servant à contenir les +objets chargés sur les chameaux. (O. H.)] + +[Note 247 : Nom pris par le baron de Krafft. Sur son séjour en +Tripolitaine, voir _Mittheil. de Petermann_, 1861-1862, _passim_.] + +[Note 248 : Ces dernières doivent être très peu nombreuses ; Mircher ne +parle que de maisons à rez-de-chaussée et un étage (_Mission de +Ghadāmès_, p. 100).] + +[Note 249 : C’était le _cheikh el bled_, ou maire de la ville.] + +[Note 250 : Draa désigne au Sahara, suivant les régions, tantôt le +sorgho à grains noirs, tantôt le millet blanc à chandelles. Il s’agit +probablement du dernier. (Cf. Catalogue Foureau, p. 15.)] + +[Note 251 : « Les idoles. » On sait qu’après avoir visité Djerma au +Fezzân, Duveyrier a rapporté les Esnamen aux Garamantes. (_Les Touareg +du Nord_, p. 251.) Vatonne se borne à les qualifier « d’affreuses ruines +sans caractère et sans intérêt ». (_Mission de Ghadāmès_, p. 268.)] + +[Note 252 : Ce quartier porte aussi un autre nom intéressant pour les +origines : Beni-Mâzigh.] + +[Note 253 : C’est-à-dire le dialecte berbère.] + +[Note 254 : _Isaqqamaren_, vassaux des Kel-Rhela.] + +[Note 255 : « Douanier ». (O. H.)] + +[Note 256 : _Oulhi_, le cœur.] + +[Note 257 : _Touraouen_, le poumon.] + +[Note 258 : Inguelzam, Māsīn, points d’eau de la roule orientale de Ghât +à Ghadāmes.] + + + + + CHAPITRE III + + IKHENOUKHEN + + + 21 août. + +Dans la matinée vient me voir le petit brigand Ihemma ; il me raconte +encore qu’il veut assommer un Targui qui s’est servi d’un de ses +chameaux sans sa permission. Il m’annonce le premier qu’Ikhenoukhen est +arrivé, avec très peu de monde et deux chameaux seulement. + +Ikhenoukhen est arrivé d’un côté et Othman est parti de l’autre, de +sorte qu’ils se sont croisés ; cependant Othman revient lui-même dans +l’après-midi, et me dit que les nouvelles sont bonnes. Ikhenoukhen est +très occupé ; il est encombré de visites ; le moudir va le voir et une +foule de Ghadāmsia ; on traite l’affaire du vol des chameaux et puis +celle du départ de la caravane du Touat. Il paraît qu’il n’est pas bien +disposé pour les Hogar, et qu’il défend aux Ghadāmsia de prendre des +chameliers Sakomaren qui sont ici (ils sont imrhad des Hogar) ; il veut +que les chameliers soient Azgar ou Ifoghas[259] ; les Hogar sont +ennemis. Il déclare qu’il brûlerait les charges des chameaux de la +caravane si elle partait avec les Sakomaren. La nouvelle arrive de Rhat, +que l’Aïr a envoyé deux députés à Rhat pour dire que la route du Soudan +était de nouveau ouverte, ce qui cause grande joie aux Ghadāmsia, et +fait espérer qu’il y aura cette année un marché à Rhat, ce dont on +commençait à désespérer. On apporte en même temps la nouvelle que le +Hadj Ahmed, frère de Si ’Othman et chef des Touareg Hogar, va arriver +ici sous peu. + +Othman vient me prier, de la part du cheikh Ali, de lui pardonner ce +qu’il a fait avant-hier. + + 22 août. + +Othman vient me prendre dans la matinée et me mène chez Ikhenoukhen. Le +sultan des Azgar est campé au loin, hors des plantations, tant il craint +la petite vérole qui règne à Ghadāmès. (quoiqu’elle ait beaucoup +diminué). Je trouve Ikhenoukhen entouré de quelques Touareg, de deux +Ouled Hamed, et de deux Ghadāmsia. Il me fait asseoir d’un geste +imperceptible et, sans se mouvoir, me fait, ainsi qu’à Othman, les +questions de politesse targuie : « Mattoullid ? Māni ouinnek ? » — +Comment vous portez-vous par cette chaleur ? Grâce à Dieu vous êtes venu +ici, et les circonstances m’y ont aussi amené, etc., etc. + +Ensuite, Othman fait lire les lettres adressées au cheikh Ikhenoukhen +lui-même, et les firmans de Tripoli et de Tunis que j’ai. On est obligé +de traduire les passages importants, car Ikhenoukhen comprend à peine +l’arabe et ne le parle pas. Après cette cérémonie, Ikhenoukhen, qui a +montré tout le temps la plus grande réserve, me souhaite froidement la +bienvenue, puis nous prenons congé de lui. Othman trouve que l’accueil +qu’il m’a fait est bon, quoique j’aie presque été tenté d’abord de +croire le contraire. Il me dit que l’habitude des Touareg est de +paraître fuir d’abord une nouvelle connaissance, mais que les autres +Touareg qui assistent à notre entrevue ont certainement dit en eux- +mêmes : Ikhenoukhen se réjouit déjà du cadeau qu’il obtiendra de ce +Français. + +J’ai ensuite une très longue conversation avec Othman au sujet de mes +projets ; je leur donne une plus grande extension et pense aller de Rhat +à Insalah. Il me dit que cela se décidera à l’arrivée de son frère Hadj +Ahmed[260]. + +Je demande à deux des Hamed d’El-Ouad, qui ont été trois fois d’El-Ouad +à Rhat, ce qu’ils ont emporté. C’est des douros. Ils en ont rapporté des +ânes touareg ; prix à Rhat, 6 1/2, 7 et 8 douros, et à El-Ouad 60, 61, +80 fr. Des chameaux (petites chamelles) achetés 100, 105, 110 francs et +vendus à El-Ouad 150, 160 francs. — Zebed (civette), achetée l’once 26 +fr. 50 et vendue 33 francs. Outres du Soudan achetées 3 fr. 40 à 4 +francs et vendues 6 fr. Peaux de buffles (kelābo), achetées 10 fr. les +grandes, vendues 11 fr. 40 et 15 fr. + + 23 août. + +Aujourd’hui, pas d’événements ; je cause avec un Ghadamsi, Mohammed ben +Mohammed, qui connaît très bien Rhat. Il m’explique plusieurs des +particularités du commerce de Ghadāmès. + +L’ivoire, et les principales autres denrées du Soudan qui viennent ici, +ne sont jamais vendues sur place, mais sont dirigées sur Tripoli. Elles +ne pourraient être obtenues ici que pour un prix très approché de celui +de Tripoli, comme par exemple 2 % en moins. L’or est quelquefois vendu +en petites quantités sur le marché, par des individus qui ont besoin +d’argent immédiatement. Les peaux de panthères et les autres petits +articles se trouvent aussi de temps en temps. + +Les Ghadāmsia qui vont à Rhat donnent un cadeau de 10 douros[261] à +Ikhenoukhen, et ils peuvent alors commercer comme bon leur semble. A +Rhat même, les charges d’ivoire ne font que passer ; sauf dans de rares +cas, par exemple quand un marchand du Soudan a besoin de quelques objets +qui se trouvent sur le marché de Rhat, il envoie un peu d’ivoire qui se +vend là et dont le prix sert à acheter ce dont il a besoin. La plupart +des marchands Ghadāmsia du Soudan envoient leurs caravanes à des +correspondants à Rhat et à Ghadāmès et leurs produits ne sont vendus +qu’à Tripoli même. A Rhat, les maisons se louent 6 douros pour le temps +qu’on y reste à la foire, soit 15 jours, soit un an. + +Les Ghadāmsia ne prennent pas de commission entre eux, ils se rendent de +petits services commerciaux sans exiger de rétribution. + +Aujourd’hui, il est arrivé une petite caravane de Rhat avec un +chargement d’ivoire. Les nouvelles qu’elle apporte sont bonnes, l’Aïr a +fait la paix avec Rhat, et l’on espère avoir un marché cette année, ce +dont on avait d’abord douté. Les Ghadāmsia confient leurs marchandises +aux chameliers touareg, qui les transportent à destination avec le plus +grand scrupule. + + 24 août. + +Dans la matinée, je suis encore obligé de me fâcher « tout rouge » +contre mes domestiques. + +Je reçois la visite de quelques Touareg. Dans la soirée, je vais voir +Ikhenoukhen. Il sort de sa tente seul et vient nous rejoindre dans la +dépression où il campe, à part de toute oreille indiscrète, et nous nous +asseyons. Il me salue, cette fois comme une vieille connaissance, et +commence, en bon Targui, par des questions de politesse. « Comment +allez-vous ? Comment trouvez-vous le temps ? Supportez-vous bien cette +chaleur ? Êtes-vous rétabli de votre voyage dans l’Erg ? C’est là que +nous voyions du merveilleux lorsque nous allions sur nos méhara piller +les Chaanba et les Souâfa, etc. » Puis, après avoir rendu ces +politesses, je commençai à parler ; Si ’Othman traduisait mes paroles en +Temāhaght[262]. + +Je dis à Ikhenoukhen que le sultan d’Alger qui lui avait envoyé Si +Ismail[263] était rentré en France, mais que son successeur, qui était +mû par les mêmes idées, m’avait envoyé à lui comme gage de son amitié et +de son grand désir de lier des relations amicales avec les chefs touareg +et en particulier lui Ikhenoukhen. Je lui expliquai nos intentions de +commerce avec le Soudan, et notre désir de le voir l’intermédiaire entre +nous et les noirs. Je l’assurai que tous les Touareg qui viendraient +chez nous seraient reçus avec honneur et empressement ; qu’on les +traiterait selon leur rang et qu’on leur ferait de beaux cadeaux ; que, +si lui-même Ikhenoukhen voulait se décider à faire le voyage d’Alger, il +pouvait compter sur toute la sincérité, tous les égards et toutes les +marques d’amitié qu’il pourrait désirer. + +Ikhenoukhen me répondit qu’il était devenu vieux et qu’il ne pouvait +s’absenter du milieu des siens, qu’il avait déjà tant de peines à les +tenir d’accord et à apaiser leurs querelles naissantes, qu’il ne pouvait +pas penser à s’éloigner d’eux. Puis, passant à un autre sujet, il causa +pendant quelque temps à Othman en temahaght et je les vis rire ensemble. +Ils ne voulurent pas me dire de quoi il s’agissait ; mais, plus tard, je +le sus par Othman et j’en parlerai à l’occasion. + +Se retournant vers moi, il me fit la question insidieuse : « Pourquoi +les Anglais sont-ils bien reçus partout et pourquoi les Français, quand +ils envoient même leurs domestiques, sont-ils en butte à toutes sortes +de difficultés et toujours mal reçus ? » Je lui répondis : « Cette +demande m’étonne, car j’aurais cru que vous saviez cette raison mieux +que moi-même. Mais je vais vous l’expliquer brièvement. Vous ne +connaissez les Anglais que comme marchands et voyageurs riches et +prodigues ; vous ne les avez donc rencontrés que vous offrant des +profits et des gains considérables ; il est naturel que l’accueil qu’on +leur fait soit bon. Mais nous, Dieu nous a mis maîtres d’Alger, nous +avons été sans cesse forcés de combattre, toujours malgré nous, et ce +que vous savez de nous, la connaissance que vous avez de notre +administration et de nos vues, vous l’avez reçue à travers une digue +d’ennemis. Sans vous parler du chérif, la digue ennemie nous l’avons au +milieu de nous, ce sont les Chaanba, ce sont les Souāfa, les Beni-Mezab +et enfin tous ceux qui sont nos voisins. Moi-même, à El-Goléa, j’ai été +menacé de la mort par des Chaanba qui avaient été faire leur soumission +à Alger. Je crains plus les Chaanba que les Iboguelan[264]. » + +Ikhenoukhen approuva énergiquement mon avis par un « hakk » +significatif. Il me dit que c’était précisément là la différence, mais +que pour lui il n’ouvrait pas son oreille à ces mauvais bruits, et qu’il +s’était fait une ligne de conduite, dans toute sa vie, de ne faire que +le bien, de ne jamais léser le faible et de redresser les torts ; que, +puisque j’étais venu à lui, il me mènerait partout où je voudrais dans +l’étendue de son commandement. + +Pour persuader encore plus le chef de notre « non-ogrerie », je lui fis +la remarque que le sultan de Constantinople, celui du Caire, celui de +Tripoli, de Tunis et de Fez étaient nos amis, comme aussi celui des +Anglais, qu’ils avaient la plupart des officiers et des industriels +français chez eux, et que nous étions sur le meilleur pied ; que si +réellement nous étions si mauvais, ces hommes puissants et éclairés ne +manqueraient pas de se tenir éloignés de nous. Ikhenoukhen fit alors une +allusion aux événements de Syrie qui me désappointa ; il me donna la +nouvelle d’une intervention anglaise et française, mais je lui objectai +que je n’avais pas de nouvelles aussi neuves. Il mentionna aussi +l’entreprise du canal de Suez dont il ne comprenait pas le but. Je le +lui expliquai en particulier au point de vue du pèlerinage de la Mekke +et lui dis que le chef de l’entreprise était un Français et l’ami intime +de mon père. + +Passant à mon voyage, je dis à Ikhenoukhen que mon but était de voir le +marché de Rhat et de revenir par In-Salah. Rhat, me répondit-il, c’est +très facile, mais In-Salah, je ne peux pas mentir, ma puissance ne +s’étend pas jusque-là ; les gens du pays même ne sont pas mes amis. +Mais, ajouta-t-il : « Voilà le sultan d’In-Salah », et il me montra Si +’Othman. Othman se défendit de toutes ses forces, mais Ikhenoukhen +revint au moins trente fois à la charge pour me faire comprendre que +c’était lui qui pouvait me mener à In-Salah. Othman tint ferme. + +En terminant, Ikhenoukhen me dit qu’il voudrait bien me voir recevoir de +Tripoli un firman qui recommanderait qu’on me traitât bien et que le +pacha y fît la remarque que ce qui serait fait pour moi serait fait pour +lui. Je dis au chef targui : « Bien, je vais demander ce firman, mais je +dois te dire, en toute franchise, notre amour-propre est blessé de voir +que tu nous aimes pour un autre et non pas pour nous-mêmes ». +Ikhenoukhen, prenant quelques pierres et les lançant négligemment de +côté, dit : « Les Turcs, voilà le cas que nous en faisons, nous savons +que ce sont vos esclaves ; partout où vient un conseil de vous, c’est +lui qui gouverne réellement le pays et le gouvernement turc ne peut plus +rien d’arbitraire ; nous autres, nous n’avons pas besoin du firman, mais +nous serons bien aises de le montrer à d’autres. » + +Je terminai en priant Ikhenoukhen de consentir à échanger un traité +d’amitié. Il me répondit que cela ne pressait pas et que nous nous +retrouverions encore souvent. Puis, je lui fis dire par Othman que je +n’avais pas apporté de présents en nature, craignant de ne pas tomber +sur ce qui lui plairait, mais que je lui destinais 100 douros et une +bague, avec une pierre précieuse, que je lui laissais en souvenir. Il +répondit que le profit n’était rien pour lui et qu’il agissait ainsi +envers moi parce qu’il le trouvait bon (je compris plus tard que la +somme offerte lui paraissait peut-être un peu faible[265] en comparaison +des présents anglais), que du reste rien ne pressait et que ce que je +remettrais à Othman lui parviendrait. Là-dessus, nous nous saluâmes +amicalement et nous revînmes chacun de notre côté. + +Dans la nuit, je prends des renseignements sur les exactions du kaïd Ali +Bey[266] et de son cousin le khalifa. + + 25 août. + +Hier au soir, en allant voir Ikhenoukhen, j’ai remarqué que le sol de la +grande dépression où il est campé est composé, sauf une légère couche +superficielle, de cette roche terreuse, blanche et savonneuse déjà notée +dans les dunes, et j’y trouvai des planorbes et des limnées, ces +dernières un peu plus fortes que celles rencontrées au puits de Zouait. + +Visite de Telingui, qui vient avec son brigand de frère et sa vieille +sœur. Telingui est toujours aussi belle et aussi gaie ; elle ne reste +pas longtemps. Je lui donne une feuille de papier pour qu’elle me la +remplisse de mots targuis en Tefînagh. + +J’ai été obligé de rosser deux de mes serviteurs à coups de bâton ; ce +sont de vrais sauvages et ils ont la tête dure ! J’ai été forcé de les +menacer de mort dans le cas où ils s’en iraient. Ils trouvent le voyage +dur et s’imaginent qu’ils peuvent me planter là et s’en retourner chez +eux. Ahmed a repris la fièvre. + +Les melons ont fini ; les pastèques sont à leur fin. J’achète +aujourd’hui des citrons verts pour faire de la limonade. J’ai déjà dit +qu’il y a un seul citronnier à Ghadāmès. + +J’apprends que les pauvres Touareg, principalement les femmes, se +retirent à Ghadāmès ; dans chaque maison où ils se présentent et +demandent, on leur donne des vivres, de sorte qu’ils peuvent vivre sans +rien faire. C’est une coutume très ancienne, et une obligation des +Ghadāmsia qui rappelle les conditions de vie des habitants du Djérid. + +L’eau d’ici est très lourde, les indigènes l’ont pesée comparativement à +celle des endroits voisins. Le moudir, moi et mes domestiques, nous +sommes à l’état permanent au _nec plus ultra_ de la diarrhée[267]. Mes +domestiques trouvent aussi l’air lourd. + + 26 août. + +Voici la raison pour laquelle, pendant ma conférence avec Ikhenoukhen, +ce chef s’est entretenu avec Othman, à part, en targui et en riant. +Ikhenoukhen a reçu la nouvelle qu’une lettre était arrivée ici, +engageant la personne, à qui elle est adressée, à me _tuer, moi et Si +’Othman_ ou, au moins, à chercher quelqu’un qui exécutât la commission. +Or, on a dit à Ikhenoukhen que la lettre vient de Sidi Hamza, ce qui +déroute un peu Othman parce qu’il serait étonnant qu’il eût déjà reçu +avis de notre départ _ensemble_. Othman, en homme fin, me fait part d’un +soupçon que cela pourrait bien venir de Sidi Ali Bey qui aurait mis le +nom de Sidi Hamza en avant pour cacher le sien. Cela me paraît aussi +possible parce qu’Ali Bey doit savoir que j’ai donné avis à l’autorité +de ses exactions dans le Souf. Mais alors pourquoi vouloir la mort de Si +’Othman ? Je noterai ici un fait qui m’apparaît significatif +aujourd’hui : M. Margueritte, alors commandant supérieur de Laghouât, me +dit à mon retour d’El Goléa[268], lorsqu’il eut connaissance de tous les +détails de cette entreprise : « Écoutez, autant que je connais l’homme +(Sidi Hamza), je ne trouverais pas impossible qu’il vous eût envoyé une +lettre de recommandation pressante pour les gens d’El Goléa tout en les +prévenant directement de vous traiter le plus mal possible afin d’ôter +l’envie à tout autre de revenir. » En effet, il est très connu que Sidi +Hamza voudrait que nous ne vissions le Sud que par ses yeux[269]. J’ai +voulu écrire cette nouvelle, avant que son authenticité fût tout à fait +établie, afin que, dans le cas où elle serait vraie et que je dusse +succomber, l’on pût trouver dans mes papiers des indications pour tomber +sur la vraie trace du crime. Toutefois, je le déclare, cette nouvelle +m’a peu ému, et m’amuse plutôt qu’elle ne me chagrine. + +On me raconte qu’Ikhenoukhen reste quelquefois deux jours sans manger +par fantazia ; il affecte de se faire apporter de bons repas et invite +ceux qui sont présents à s’attabler, refusant lui-même de rien prendre. +De même, lorsqu’il alla chez les Hoggar, il resta deux jours et une +nuit, accroupi à l’arabe, à recevoir des visites et sans demander le +temps de se reposer. Toujours par fantazia. + +Si ’Abd el Aziz, qui alla à Tombouctou avec le major Laing, me dit +qu’ils prirent la route d’Inzize (partis d’Aqàbli) et que, de là, ils +coupèrent le Tanezrouft obliquement sur Am Rannān où ils prirent de +l’eau. + + +[Note 259 : Ceci indique que les tribus maraboutiques des Ifoghas ne +font partie ni des Azdjer ni des Hoggar, mais sont en quelque sorte +leurs intermédiaires.] + +[Note 260 : Duveyrier songeait encore à explorer l’Ahaggar. Il l’avait +écrit à Barth, qui l’encourageait en ces termes : « Votre lettre me +remplit de joie ; elle me prouve que nous pouvons encore espérer vous +voir explorer le massif si intéressant des Hoggar et combler cette +lacune capitale de notre connaissance de l’Afrique du Nord... Mes vœux +les plus sincères vous accompagnent dans cette tentative grosse de +difficultés et de périls. » (Lettre du 11 juin 1860, retrouvée dans les +papiers de Duveyrier.)] + +[Note 261 : Le mot douro, en Tripolitaine, s’appliquait indifféremment à +notre pièce de 5 francs, au douro d’Espagne (appelé aussi bou-medfa), et +au thaler Marie-Thérèse (appelé aussi bou-tir). Le cours de ces monnaies +variait d’ailleurs beaucoup par rapport à la monnaie de compte légale +(le mahboub = 20 piastres turques).] + +[Note 262 : Temahaght ou temahaq (_Les Touareg du Nord_, p. 317).] + +[Note 263 : Ismaïl Bou-Derba.] + +[Note 264 : Tribu traitée de brigands par les Touareg eux-mêmes.] + +[Note 265 : Duveyrier dut finalement payer quatre fois autant (2.000 +fr.).] + +[Note 266 : Ali Bey, kaïd de Tougourt.] + +[Note 267 : L’eau de la source de Ghadāmès renferme 2 gr. 54 de sels par +litre, dont 0,38 de sulfate de magnésie et 0,90 de sulfate de chaux. Les +indigènes y sont accoutumés, mais tous les étrangers en subissent les +effets. (_Mission de Ghadāmès, Rapports officiels_, Paris, 1863, in-8, +p. 260, 326.)] + +[Note 268 : Voir entre autres, sur ce séjour, _Excursion à El-Golea’a_, +_Nouv. Annales des voyages_, novembre 1859. p. 189-197 et _Bulletin Soc. +de Géogr._ Paris, 1859, XVIII, p. 217.] + +[Note 269 : De très intéressantes lettres du maréchal Randon et du +général Durrieu (juin-juillet 1858) ont été publiées depuis par MM. +Augustin Bernard et le commandant Lacroix (_Historique de la pénétration +saharienne_. Alger, 1900, in-8, p. 34-37). Elles montrent quelle était +alors l’opinion dominante à Alger. Dans une lettre adressée à Duveyrier +le 27 mai 1861, le Dr Warnier donne la même note : « On sait ici à quoi +s’en tenir. Dans votre mission, me disait-on hier après lecture de votre +lettre, vous trouverez comme premier obstacle nos grands chefs +indigènes... » (Papiers de Duveyrier.)] + + + + + CHAPITRE IV + + GHADAMÉSIENS ET TOUAREG + + + 27 août. + +Voici quelques renseignements sur la soie de tsámia[270]. + +L’insecte qui la produit vit sur le tamarinier dont le fruit est appelé +aussi tsámia en haoussa. Il émigre tous les deux ou trois ans, d’une +province du Haoussa à l’autre, pour reparaître au bout de quelque temps +dans celle d’où il est sorti. Ce ver n’est pas cultivé. Il vit sauvage +et les gens du pays attendent l’époque où il devient chrysalide pour +aller faire la récolte dans la campagne. On détache les cocons pêle-mêle +avec les chrysalides et on les jette dans de l’eau bouillante pour tuer +les insectes. C’est dans cet état que la soie est vendue à Kanō. On la +vend à Kanō par petites portions appelées nōnō de quatre ou cinq fois la +quantité que j’en possède (7 gr. 65), c’est-à-dire 34 gr. 5 et au prix +de 15-20 oud’a[271], lorsqu’elle est bon marché, ou de 50 oud’a +lorsqu’elle est chère. Les acheteurs secouent alors la soie et en font +tomber les chrysalides, et cette soie est filée à la main comme bourre ; +on ne dévide pas les cocons. Cette soie a le défaut, me dit-on, de ne +pas prendre les couleurs, cependant je vois ici des tissus du Soudan, +coton et tsámia, où cette dernière est teinte en rose. On ne fait pas de +vêtements de tsámia pure, mais de petites bandes alternatives coton et +tsámia. Les chrysalides, pilées et infusées dans de l’eau, sont un +remède contre les douleurs d’oreille ; on verse la décoction dans +l’oreille du malade. On n’apporte pas de tsámia brute à Rhat ni à +Ghadāmès. + +La « nila » ou teinture bleue qui sert à teindre les cotonnades du +Soudan est estimée par les Touareg comme ornement et comme hygiénique. +Ils l’achètent ici à la livre aux Ghadāmsia et s’en frottent les bras et +les mains ; les femmes, les lèvres, les joues et le front. C’est, comme +je le dis, un ornement sans lequel un homme n’est pas considéré et une +femme n’est pas belle et, de plus, un préservatif contre le froid et un +émollient ou lénitif pour la peau. + +Aujourd’hui, Othman va à Tābia où Ikhenoukhen s’est rendu de son côté, +ils ont une longue discussion avec Eg ech Cheikh[272] qui est campé là. +On discute les moyens de faire la paix avec les Hoggār ; naturellement, +il n’y aurait qu’un moyen, c’est de rendre de chaque côté les chameaux +qui auraient été volés. + + 28 août. + +Après ma leçon de targui, Ihemma me raconte qu’à Tabia il y a une +inscription qu’un Ghadāmsi a copiée et apportée en ville que, l’ayant +montrée aux Touareg, ils n’ont pas pu la lire parce que _nos_ Tefinaghen +ne sont pas tout à fait pareils aux leurs. Ce serait donc une +inscription latine ? Ihemma a été chargé par moi de faire des +recherches. + +Il me raconte qu’il y a aux environs des tombeaux des Djohāla[273] où +les Touareg vont dormir lorsqu’ils veulent avoir une inspiration, comme, +par exemple, savoir où un voleur s’est enfui, et que le lendemain, à +leur réveil, les maîtres des tombeaux leur ont dit ce qu’ils +cherchaient. + +Aujourd’hui part une petite compagnie de gens du Souf qui emportent des +lettres de moi ; je crois aussi que mes lettres au Consul de Tripoli +partent aujourd’hui. + + 29 août. + +Les Touareg ont presque tous leur amie. Ils la prônent comme les +chevaliers prônaient leur dame, et ils inscrivent sur les rochers ou sur +les murs à Ghadāmès des louanges à leur adresse en Tefinaghen. Si je +dois les croire, l’amie n’est que pour les yeux et non pas pour le lit, +comme chez les Arabes. Ils se vêtissent de leur mieux et vont causer +avec elle et là se bornent leurs relations. La nuit les Touareg veillent +longtemps ; j’entends toujours un son semblable au violon, et j’apprends +que ce sont les Targuiāt qui jouent du rebāb en s’accompagnant de la +voix ; lorsqu’une femme chante, les hommes s’accroupissent en cercle +autour d’elle et écoutent. Presque tous et toutes savent improviser. + +Il y a au Dhâhara (endroit où campent les Touareg) des prostituées qui +vivent sous la tente ; je sais cela parce que j’ai aujourd’hui un malade +syphilitique et que je le questionne sur la manière dont sa maladie lui +est venue. + +Je reste à la maison, prends ma leçon de targui. Ihemma me dit que sa +sœur Télingui ne pourra plus venir parce que son mari l’a beaucoup +grondée de venir me voir. + +Mon cordonnier qui me fait une belle paire de souliers brodés en soie, +est situé dans le quartier des Beni-Ouazit et nous, nous sommes dans +celui des Beni-Oulid ; c’est le marché qui fait la limite entre les deux +tribus, et il n’y a jamais eu de mur entre eux, pas de سور, mais un سوڧ, +ce qui a pu causer l’erreur de C. Ritter[274]. Or, je désire avoir des +bottes molles, et j’envoie à mon cordonnier pour le prier de venir +prendre mesure ; il me fait répondre qu’il ne sortira pas pour 100.000 +rials de son quartier pour venir dans le mien. J’apprends que les hommes +nobles « harār » ne sortent de leur quartier pour aller dans l’autre +qu’à de rares exceptions et qu’il y en a qui n’ont jamais vu l’autre +quartier. Ils envoient les nègres et les mulâtres en commissions. +Autrefois les deux tribus étaient ennemies, mais maintenant, +quoiqu’elles aient fait la paix, l’ancienne retenue respective existe +très forte. Les Beni Oulid ont deux chará ou rues voûtées ; les Beni +Ouazit en ont quatre. + + 30 août. + +Les retards qu’éprouve la caravane du Touāt sont des suites de la razzia +des Oulad Ba Hammou sur les Azgar, laquelle razzia fut rattrapée à deux +jours du Touāt par Ikhenoukhen et à la suite de laquelle on parla de +rendre les chameaux enlevés de part et d’autre. Il y a ici des +Sakomaren[275], imrad des Hoggar et des Oulad Ba Hammou ainsi que des +gens d’In-Salah, mais en petit nombre. Tous ces gens craignent de se +mettre en route avant d’avoir été autorisés par Ikhenoukhen, sans cela +ils pourraient bien être attrapés en route et dévalisés. D’un autre +côté, la caravane des Ghadāmsia, conduite par les Ifoghas ne veut pas +aller au Touāt avant de voir les affaires arrangées ici, de crainte +qu’on use de représailles sur eux à In-Salah. + +La nouvelle arrive que les Ourghamma sont montés à cheval pour aller en +expédition et on ne sait pas où. Ikhenoukhen part à cheval pour aller +voir où sont ses chameaux, qu’il trouve au Tabia ; tout le monde se +tient sur le qui-vive. On envoie une vigie à Mézezzem. + +Ihemma a été au Tabia ce matin et a cherché partout l’inscription en +question, mais ne l’a pas trouvée. L’individu qui l’a apportée est fou +actuellement (il a plus de 150 ans, disent les Touareg). + + 31 août. + +Aujourd’hui, dans l’après-midi, part une caravane pour le Touāt ; il +arrive depuis quelques jours des nouvelles de Tripoli. + +Il paraît que chez les Touareg une femme, pour être « comme il faut », +doit avoir beaucoup d’amis et n’en préférer aucun. Elle leur donne des +témoignages d’amitié comme, par exemple, d’écrire sur leurs voiles +rouges en broderie ou sur leurs boucliers et anneaux de bras des +inscriptions Tefinagh. Si une femme n’a qu’un ami, on se moque d’elle et +on lui dit que c’est son mari et qu’elle est pervertie. Cependant les +maris sont jaloux de la préférence et ils tueraient leur femme si celle- +ci leur disait : « Un tel est mieux que toi », à plus forte raison s’ils +apprenaient qu’elle commet des infidélités. De son côté, la femme ne +peut pas supporter de rivale, et elle divorce, car elle a ce droit, +quand elle apprend que son mari en courtise une autre. Les Touareg ne +prennent jamais une nouvelle femme sans divorcer avec l’ancienne. +Quoique la femme donne souvent son avis dans les conseils, dans le +ménage le mari est tout à fait le maître et il peut tuer sa femme, si +elle le mérite, sans que ses parents lui demandent compte de son action. +Mais d’un autre côté les parents de la femme exigent qu’elle soit bien +habillée, bien nourrie et pas délaissée. + +Un Ghadāmsi estime à 3.000 le nombre des habitants de la ville y compris +les femmes ; ce nombre est bien trop faible[276]. + +L’impôt de Ghadāmès est de 2.500 mitcals d’or, ou bien, au taux moyen de +16 1/2 rials tounsi le mitcal, 30.937 fr. 50. Je prends des +renseignements sur la douane ; en moyenne, elle prélève ici ou à Tripoli +13 % de la valeur des objets importés du Soudan. La poudre d’or seule ne +paie rien. Les Ghadāmsia dansent dans les rues les jours de fête ; les +Touareg ne dansent jamais, ni les hommes, ni les femmes ; les tribus +assujetties des Imrad seules ont cette coutume en commun avec les +nègres. + + 1er septembre 1860. + +Je vais de bonne heure chez un commerçant nommé Brahim ben Ahmed, qui +est revenu du Soudan au mois de Ramadhan dernier. Je m’y rends avec le +cheikh Ali. Nous sommes reçus dans une chambre haute entourée de petits +réduits à portes en bois peint en rouge et à tapisseries. La chambre est +blanchie, le parquet est couvert de nattes et de coussins touareg ; les +murs sont presque cachés par des grands plats en métal doré, cloués au +mur, et par des multitudes de petites corbeilles rondes sans anses de +toutes grandeurs. En somme, cette chambre est très jolie, et j’étais +loin de m’imaginer que les Ghadāmsia avaient un intérieur aussi +attrayant. + +Nous trouvons ici rassemblées les principales marchandises du Soudan ; +j’examine chacune d’elles en détail et je prends note de sa nature et du +prix qu’elle atteint ici. Par la même occasion j’apprends que le tarif +de la douane pour les objets du Soudan n’est que de 9 % ; cependant je +dois m’informer de cela auprès de l’amine. Après le travail en question +on nous sert du thé, qu’on apporte dans une théière anglaise, et que +nous buvons avec des trempades de « biscuit ». Je m’amuse beaucoup du +jeune fils mulâtre que mon hôte a ramené du Soudan et qui ne sait pas +encore un mot d’arabe. Il y a aussi de nombreux esclaves. + +’Aissa, le petit Targui malade d’un œdème, meurt tranquillement. On ne +manque pas de remarquer que j’avais prédit qu’il ne vivrait pas +longtemps. + +Les caravanes qui sont parties aujourd’hui et hier peuvent avoir 300 +chameaux ; ce nombre n’est pas normal ; il est causé par l’insécurité de +la route, qui régnait depuis trois mois et qu’Othman vient de faire +cesser. Les gens d’In-Salāh qui étaient ici avaient attendu trois mois +sans pouvoir partir. + + 2 septembre. + +Je m’amuse à recueillir des notes sur les coutumes intimes des Ghadāmsia +et des Touareg. + +Les Ghadāmsia ne mangent pas devant leurs femmes. Celles-ci font la +cuisine, leur apprêtent la viande et la leur servent. Les Ghadāmsia +mangent à leur gré et ne laissent que les os à leurs femmes. Ceci est +littéral ; il est même considéré comme inconvenant à une femme de manger +de la viande. Les Touareg, au contraire, mangent en compagnie de leur +épouse ; s’ils mangeaient à part, ce serait la mépriser. Ils lui donnent +même la meilleure part. Dans la viande, il y a certaines parties que les +femmes Targuiāt considéreraient comme inconvenant de manger, ce sont le +cœur, l’intestin gras ; le café aussi et le thé sont dans cette +catégorie d’aliments. Les Targuiāt, au contraire, se réservent le foie +et les reins qu’aucun Targui ne mangerait. + +Quand quelqu’un meurt, on ne pleure pas chez les Touareg, on ne vient +pas comme chez les Arabes faire des visites de condoléances et des +singeries. Les Touareg disent à ceux qui pleurent dans ces occasions : +« Réserve tes larmes pour toi ». Comme aujourd’hui meurt une des proches +parentes d’Othman, vieille femme malade de la petite vérole, je puis me +convaincre qu’ils supportent très bien les pertes de leurs proches. Les +Ghadāmsia, au contraire, font le deuil à l’arabe. Les « Atrîyat » +surtout se montrent dans ces occasions. Elles courent à la maison du +mort et pleurent en disant « Ya Sidi » ! Manaaraf chey » ! etc., puis +viennent rire à la porte du mort. Elles sont de véritables pleureuses et +n’accourent que pour recevoir un peu d’argent. + +Je reçois la visite de deux Targuiāt, dont l’une est Tekiddout qui doit +être ma maîtresse de Tefinagh. Elle emporte le papier et viendra demain +me donner ma première leçon. Ces deux dames sont très dégourdies et je +suis de plus en plus frappé des rapports qu’il y a entre l’esprit des +Targuiāt, leurs relations avec les hommes, leurs idées de convenance et +celles qu’ont mes concitoyennes. Tekiddout ramène si habilement son +voile (haïk) sur sa figure, que je ne puis voir ses traits, j’ai beau +user de tous les moyens possibles, je ne puis l’amener à se découvrir. +Elle donne pour prétexte que je suis jeune et beau ! Chez les Touareg, +c’est du reste une manière de montrer le respect ou la timidité que de +se couvrir la bouche, la figure entière, même de tourner le dos à la +personne à qui l’on parle. + +Le soir, je reçois la visite d’Othman et d’un Arabe Kounta, de la suite +du parent du cheikh el Bakkay qui est ici et qui a épousé la fille de +Ikhenoukhen. Je suis frappé des manières polies de cet Arabe qui n’est +cependant pas de la première classe. En s’en allant et emportant le +petit présent que je lui fais, il me prie de rester assis. + + 3 septembre. + +Aujourd’hui vient un express de Rhat qui donne de bonnes nouvelles. Le +Hadj Ahmed est retourné au Hoggar. La paix règne partout. On attend à +Rhat de grandes caravanes du Soudan. + +D’un autre côté, arrive une ambassade des Ghorīb et des Merazig à +Ikhenoukhen. J’apprends à cette occasion que les Ghorīb paient à ce chef +chaque année un tribut de haoulis pour prévenir les razzias que les +Touāreg faisaient sur eux autrefois. Les Merāzig paient de même un +tribut à mon ami Othman. Or, cette fois, les deux tribus ont envoyé +leurs députés à Ikhenoukhen, et Othman en est jaloux. Nous allons voir +comment se passera cette aventure. + +Je reçois la visite de Tekiddout et peu après celle d’Othman qui +reproche à cette Targuie de venir ici, mais elle paraît se moquer pas +mal de son avis. Après le départ de Tekiddout, Othman reste longtemps +avec moi et me raconte plusieurs chansons qu’il a faites ou qu’on a +faites à son sujet. J’en écris une avec sa traduction. + +Les Touareg, surtout les chefs et les amateurs de femmes, considèrent +comme mal de manger d’une bête plumée ; ils ont raison en parlant de +l’autruche qui a une mauvaise odeur, mais ils n’ont pas d’excuses pour +les autres oiseaux. Les marabouts et Othman, par conséquent, mangent de +tout ce que les Arabes mangent. + +Les Ghadāmsia prennent presque tous le thé, même les plus pauvres ; le +café est peu estimé d’eux. + +Les Touareg ne se lavent presque jamais ; je suis fâché de le dire ; et, +comme ils ne changent pas de vêtements, la plupart exhalent une odeur +écœurante de sueur concentrée. Il y a cependant des exceptions. Ils +prétendent que l’eau ne leur va pas et leur donne des maladies. Les +Touareg prétendent, avec raison, que les villes ne leur vont pas ; en +effet, ici à Ghadāmès, il règne parmi eux des maladies nombreuses dont +les principales sont la dysenterie, diarrhée, fièvres et petite vérole. +Quant aux fièvres, il paraît que ce pays n’en est pas exempt, ainsi les +soldats qui gardent la porte sont en ce moment tous pris de la fièvre, +et ils grelottent toute la journée ; les Touareg en souffrent aussi, et +Ahmed, mon premier domestique, en a encore des attaques, surtout ces +jours derniers. Maintenant, je vais le mettre à un traitement régulier +jusqu’à parfaite guérison. + + 4 septembre. + +Aujourd’hui partent encore environ 55 chameaux pour In-Salah. La plupart +des charges sont des cotonnades anglaises. + +J’ai probablement négligé de noter une coutume des Touareg qui est de ne +jamais coucher en ville. Cela est encore considéré A’ïb ou péché, tant +pour les hommes que pour les femmes. Jamais ils ne manquent à cette +règle. Quand les Touareg arrivent à Ghadāmès, ils vont trouver leur ami +Ghadāmsi, c’est-à-dire le marchand qui leur confie ses charges de +marchandises, etc. Celui-ci sort une tente de toile ronde pour son ami +targui et la lui prête pendant tout le temps de son séjour. + +Othman se moque chez moi des Merazig et des Ghorib ; les Arabes, me dit- +il, sont si avares du bien de ce monde, que l’ambassade du Nefzaoua, +composée de sept hommes, est arrivée sur trois chameaux ! Ils ont +apporté un présent de haoulis, mais tous les parents et amis +d’Ikhenoukhen viennent lui demander leur part du tribut, de sorte qu’il +n’en conservera probablement rien pour lui. + +Je vais voir le moudir dans son jardin ; comme il est là, seul avec le +cheikh, il est très aimable et m’explique qu’il a des dettes +occasionnées par ses longs voyages dans les dernières années, que c’est +pour cela qu’il désire rester à Ghadāmès quelques années pour se +refaire. — Ce Turc est à crever de rire avec ses airs d’importance. Je +ne vais pas le voir qu’il ne me répète plusieurs fois avec une grimace +dégoûtée : « Mon cœur est fatigué des affaires de ce monde ». + + 5 septembre. + +Je vais de bon matin voir Ikhenoukhen. J’ai une longue conversation avec +lui et son frère ’Omar el Hadj, au sujet de mon départ pour le Djebel. +Ils sont d’avis que je m’abstienne d’y aller, tant à cause des nouvelles +d’une expédition des Ourghamma, qu’à cause de la longueur de la route. +Ils semblent être près de leur départ. Ikhenoukhen, avec qui je parle +ensuite des affaires politiques, accepte de faire un traité avec +l’Algérie ; il conseille de ne s’adresser qu’à lui et à ses deux frères, +les autres chefs des Azgar, les Imarasāten[277], amis des Anglais en +particulier, étant en quelque sorte sous ses ordres. + +Je vais ensuite voir Hadj Mohammed ou Ahmed, le plus grand commerçant de +la ville et l’homme le plus considéré, qui vient d’arriver, il y a peu +de jours, de Tripoli ; il me conseille de partir pour le Djebel, +m’assurant que j’aurai toujours le temps de trouver Ikhenoukhen ici. Là- +dessus, après être entré un instant au Medjélès, je vais faire part à Si +’Othman de ma décision et le prie d’aller trouver Ikhenoukhen pour lui +en parler. + +J’apprends que Sid el Bakkay, qui a épousé une fille d’Ikhenoukhen (il +est parent de Sidi Ahmed el Bakkay de Tombouctou), est en ce moment un +peu en querelle avec son beau-père, parce qu’il voudrait que les Azgar +fissent la guerre aux Hoggar qui sont les ennemis de sa propre famille ; +or, depuis trois ans et plus qu’il est auprès d’Ikhenoukhen, il ne fait +que l’exciter à cette rupture. Ikhenoukhen a trop de bon sens pour ne +pas voir que ce serait la perte des Touareg que de suivre ce conseil ; +de la petite bouderie de la part du marabout. + +J’apprends qu’un Rahti, qui est parti pour son pays il y a peu de jours, +a déclaré que jamais un Français n’entrerait à Rhat, et, comme il +parlait un peu haut dans le marché, Si ’Othman a été obligé de le mettre +au silence. Il va porter de mauvaises nouvelles à Rhat, et certainement +nous allons trouver tout le monde prévenu à notre arrivée. Ikhenoukhen +ne veut partir qu’avec tout son monde. + + +[Note 270 : Ceci est une réponse aux instructions du Dr Warnier. Elles +sont contenues dans une volumineuse correspondance, embrassant toute la +durée du voyage, pendant lequel Warnier n’a cessé de jouer le rôle de +Mentor. Mentor systématique et autoritaire parfois, et qui n’abdiqua pas +lors de la rédaction des _Touareg du Nord_, dont le brouillon renferme +plus d’une page entièrement raturée et modifiée de sa main. Duveyrier +souffrit de cette tutelle, et certaines de ses lettres (1867-1870) en +parlent d’un ton amer. Plus tard, il ne voulut se rappeler que les soins +dévoues du médecin, et le zele enthousiaste de l’initiateur scientifique +que Warnier avait été. « La mort, écrivait Duveyrier en 1875, efface +certains souvenirs et en ravive d’autres. Je n’ai pas besoin de vous +dire que ceux-là sont les meilleurs. » (Lettre au commandant Warnier, +frère du Docteur.) Il avait raison. Qu’on en juge par cette lettre de +Warnier (27 décembre 1859), reçue par Duveyrier à Biskra le 8 janvier +1860, et qu’on voudrait pouvoir citer tout entière : + +«... Dans un voyage comme celui que vous entreprenez, un explorateur +doit se rattacher à tout ce qu’il y a de forces vives dans son pays. La +Société d’acclimatation de Paris est aujourd’hui à la tête d’un +mouvement important. Elle a créé à Alger un comité dont le domaine +embrasse l’Afrique entière. Ce comité sera heureux d’entrer en relations +avec vous, pour tout ce que le pays que vous allez explorer peut donner +et recevoir. Vous êtes sur un des points du globe les moins connus, et +si pauvre qu’il soit, il peut donner en végétaux, en minéraux, en +animaux, des choses nouvelles, utilisées ou non par les indigènes. Parmi +les choses sur lesquelles j’appelle surtout votre attention, est celle- +ci : Déterminer la limite botanique des végétaux qui appartiennent au +bassin méditerranéen, et entre autres l’olivier... Là ou finissent ces +espèces, doit commencer une région botanique nouvelle, la région +désertique, entre lesquelles peut se trouver une région intermédiaire, +la région saharienne, donnant à la fois l’hospitalité à des végétaux +méditerranéens et désertiques. Il importe à la science que ces limites +soient bien précisées... J’appelle surtout votre attention sur les +acacias producteurs de gomme... On en trouve en Tunisie, en Marokie, à +peu de distance du littoral. Où commencent-ils au sud de l’Algérie ? Où +pourrait-on les introduire ? L’Argan, commun au Maroc, se montre-t-il +dans notre Sud ?... Je vous serais infiniment reconnaissant, +_personnellement_, si vous vouliez bien m’envoyer la liste des arbres, +arbustes, avec leurs noms indigènes et lieux de station... Il y a de +nombreux tamarix, espèces nouvelles pour la plupart. Ces espèces +produisent des galles (Takaout) employées comme succédanés des galles du +chêne. — Quid ?... Avez-vous étudié avec soin le système d’aménagement +des eaux des Beni Mzab ? D’après ce que j’en sais, c’est merveilleux. +Sans aucun doute, le général Desvaux vous aura recommandé d’étudier les +lignes de fond sous lesquelles on peut espérer trouver des eaux +artésiennes ; c’est avec la sonde que la civilisation doit pénétrer dans +le Sud... J’appelle aussi votre attention sur l’action du climat +relativement à la coloration de la peau... Déterminez la limite +méridionale des civilisations qui ont pénétré dans ce continent ; vous +les trouverez indiquées par des ruines... Ne négligez pas de recueillir +des renseignements précis sur les poids, les mesures et les monnaies... +Si des règlements relatifs à l’usage des eaux tombent sous votre main, +rapportez-nous-les, soit en original, soit en copie. Recueillez ce qui +est tradition orale. La teinture et la tannerie ont atteint un certain +degré de développement : sachez nous dire quels sont les procédés de +fabrication... On a signalé dans le Sud des gisements de combustible +minéral. Tâchez de savoir ce qu’il en est... Notez également toute +rencontre d’oiseaux ou d’insectes migrateurs. Les sauterelles qui +ravagent périodiquement le Nord de l’Afrique prennent naissance dans le +Sud. Quels sont les foyers de production ?... Notez aussi la limite où +parviennent d’un côté les produits manufacturés ou les matières +premières du Nord, et de l’autre côté ceux venant du Soudan... J’ai +remarqué que la race nègre, dans ses migrations vers le Nord, +rencontrait des obstacles hygiéniques analogues à ceux de l’Européen +venant en Algérie. Enregistrez tout ce que vous apprendrez à ce sujet... +Du foyer soudanien ont dû sortir, en plantes et animaux, des espèces +originaires de ce foyer. Quelles sont-elles et quelles modifications +ont-elles éprouvées ?... Quel est l’arbre appelé en arabe tsámia, qui +produit la soie végétale du Soudan, avec laquelle on brode les +turbans ?... L’Angleterre n’a fait de si grands sacrifices pour +l’exploration de l’Afrique que pour savoir si, en cas de rupture avec +les États-Unis, ses manufactures pourraient trouver un foyer d’origine +du coton. La France aussi a intérêt à voir accroître le champ de cette +culture... Il importe donc de recueillir tous les renseignements... +Informez-vous des lieux d’où l’on tire le nitre ou azotate de potasse, +de l’importance de la production... Le soufre doit exister dans +certaines parties : — attention spéciale. » (Papiers de Duveyrier.)] + +[Note 271 : Ouda, cauri.] + +[Note 272 : Chef de la tribu des Imanghasaten, rivale de celle des +Oraghen dans la confédération des Azdjer.] + +[Note 273 : Païens. On trouve la même superstition attribuée par +Pomponius Mela aux anciens habitants d’Augile (cf. les remarques de Duv. +_Les Touareg du Nord_, p. 415) et chez les habitants actuels de l’Aïr +(_Journ. de voyage_ d’Erwin de Bary, trad. Schirmer, Paris, 1898, p. +187).] + +[Note 274 : Ritter (_Géogr. gén. comparée_, III, p. 316) avait dit qu’un +mur très large sépare diamétralement la ville, et que les deux tribus ne +communiquent que par une porte fermée à la première apparence de +trouble. Richardson (1845) et la _Relation du voyage de M. le capitaine +de Bonnemain_, publiée par Cherbonneau en 1857 dans les _Nouv. Annales +des voyages_, n’avaient ni infirmé ni confirmé cette information.] + +[Note 275 : Ou mieux Isaqqamaren.] + +[Note 276 : Mircher (1862) dit 6 à 7.000 (ouv. cité, p. 98) ; Rohlfs +(1865) dit 5.000 (_Quer durch Afrika_, Leipzig, 1874, I, p. 81).] + +[Note 277 : Imanghasaten. Sur leur rivalité avec les chefs des Oraghen, +voir _Les Touareg du Nord_, p. 355-6 ; voir aussi Schirmer, _Pourquoi +Flatters et ses compagnons sont morts_. Paris, 1896, p. 15-20.] + + + + + CHAPITRE V + + A GHADAMÈS (_suite_) + + + 6 septembre. + +Autrefois, les Beni Oulid et les Beni Ouazit étaient ennemis ; +aujourd’hui encore, ils sont loin d’être amis, et leur inimitié s’est +seulement transformée en jalousie. Encore aujourd’hui, les Beni Oulid +ont l’ouest, c’est-à-dire voyagent à Tunis et au Souf ; les gens de ces +contrées viennent aussi à eux. Ils ont aussi Douirat et Nalout. Les Beni +Ouazit, au contraire, vont à Tripoli et dans l’est et les gens de ces +contrées viennent descendre dans leur quartier. + +On prétend maintenant que les seuls individus atteints de fièvres à +Ghadāmès les ont emportées soit de Derdj (les soldats), soit de Ouargla +et du Fezzan. Ceci expliquerait ce phénomène qui est singulier vu +l’élévation de Ghadāmès et la nature de son terrain[278]. + +On m’apporte une inscription latine. Elle est gravée sur une plaque de +grès assez tendre, rougeâtre ; le fac-similé que j’en ai fait est +exact ; elle ne présente, du reste, guère de difficultés pour la lecture +des lettres, même de celles des deux mots qui ont été martelés. +L’endroit d’où provient cette inscription, et que j’ai été voir +aujourd’hui, contient les fondations d’un édifice, sûrement l’un des +« castrorum » indiqués dans le texte de l’inscription[279]. Cet endroit +peut être déterminé de la manière suivante : En tirant une droite d’El- +Esnām à la pointe des jardins que j’ai relevés sur la gauche en venant +de Sidi Maabed, les fondations dans lesquelles on a déterré +l’inscription sont à peu près au milieu des deux points. +Malheureusement, cette inscription est incomplète. Je n’en ai sous les +yeux qu’une moitié, c’est-à-dire le milieu, auquel il manque les deux +côtés. Les côtés cassés, surtout celui de gauche, ont été polis et +travaillés, comme si on s’était servi de cette pierre pour une bâtisse +plus récente. + +[Illustration : INSCRIPTION ROMAINE TROUVÉE A GHADAMÈS. + +Hauteur de la pierre, 0m,52. — Largeur, 0m,26. + +Les lettres des deux premières lignes ont 1 centimètre de plus que les +autres. Le trait de la gravure est brisé partout où il y a eu +martelage.] + +Je dessine les chapiteaux des colonnes de la place d’El-Aouïna[280]. +J’apprends que, dans la mosquée, il y en a beaucoup de semblables, mais, +quoique ce soit un sujet curieux d’études que ce monument qui a peut- +être eu autrefois une autre destination, je ne crois pas pouvoir +demander de les voir[281]. + +J’ai été faire une longue promenade aux Esnām et de là aux tentes des +Touareg du Dhahara. J’ai passé auprès de la cabane de paille proprette +de Tekiddout ; elle était là, par terre ; quand elle m’a vu, elle m’a +salué en riant et en mettant ses mains sur sa figure. Je vois là des +charges de chameaux arrangées par terre et je vois venir des chameaux +chargés, qui sortent de la ville. Tout cela est encore pour In-Salāh, +et, tous les jours, partent de petits partis de Touareg. + +Du Dhahara, ce plateau où sont les Touareg, on a une vue très étendue +sur la Hamada vers l’est ; on voit là se dérouler cette surface déserte +et nue, avec ses différentes teintes ; des blancs éclatant au rouge +pâle, et les nombreuses « goūr » ou témoins qui la surmontent. Ghadāmès +pointe à travers les palmiers et l’on n’en aperçoit que les sommets +curieux des maisons, blanchies à la chaux ; ces coquettes terrasses +blanches ressortent d’une manière très agréable à l’œil de la verdure +foncée des palmiers. + +Je rentre en ville et vais à la source où je me baigne. L’eau est +tiède ; en hiver elle fume. La source qui alimente le bassin est très +forte, car, les Ghadāmsia ayant vidé il y a quelque temps l’immense +bassin qu’elle remplit, il ne fallut à la source que trois demi-heures +pour rétablir le niveau ordinaire. Ces trois demi-heures représentent 70 +qila ou mesures du petit entonnoir en līf qui, rempli d’eau et jusqu’à +ce qu’il soit vide, représente un qīla. Plus tard, je mesurerai +approximativement la capacité du bassin de la source, et obtiendrai +ainsi le jaugeage approché de la source. Des négrillons se baignaient en +même temps que moi ; ils nagent comme des chiens, refoulant l’eau +derrière eux, alternativement d’un bras et de l’autre. Ils nagent du +reste comme des poissons. La source ne renferme pas de poissons, ni de +coquillages. On y voit quelques plantes aquatiques cryptogames et des +libellules rasent la surface de l’eau. Othman vient le soir et me dit +que Ikhenoukhen ne s’oppose pas à ce que j’aille à Tripoli. + +Quand les Touareg ici perdent quelqu’un, ils changent de suite +l’emplacement de leur tente. + + Le 7 septembre. + +Je vais voir Sid el Bakkay, le parent de Sidi Ahmed de Tombouctou ; je +lui fais présent d’un haouli de fabrique et d’une tabatière d’argent, +deux des objets que j’ai reçus du gouvernement pour faire des présents. +Je trouve un homme civilisé, qui cause de Barth (dont je lui montre le +billet)[282] et qui m’invite à aller à Tombouctou, m’assurant que Sidi +Ahmed me préserverait du mal, comme il en avait défendu mon ami. Je suis +très content de la connaissance de ce marabout ; il est très intelligent +et très convenable. + +Je reçois dans la gaïla des visites de Tekiddout et de sa sœur Chaddy ; +cette dernière finit par m’avouer qu’elle a une maladie dont je lui +donne le remède. Tekiddout m’écrit sur une feuille de papier ses pensées +qui n’étaient pas tout à fait orthodoxes ; nous restons un bon moment à +blaguer, tout à fait en petit comité. + +Je vais voir Hadj Ahmed ou Mohammed, et lui dis que je vais partir ; il +m’encourage à aller à Tripoli et me dit que la route est sûre. + + Le 8 septembre. + +Le matin, je vais voir Ikhenoukhen que j’exhorte de plus en plus à se +rendre à Alger ; il me fait entrevoir qu’il me donnera, à mon départ, un +de ses frères ; lui, ne peut pas quitter son pays à cause de l’état des +esprits. + +Je reviens chez moi et reste à écrire plusieurs lettres. Dans la gaïla, +je reçois la visite d’une négresse très jolie et très richement +habillée ; elle est de Ghadāmès. Je n’ai jamais vu une personne aussi +pleine de fantazia : elle est près de mettre la maison sens dessus +dessous, mais cela m’amuse beaucoup. Comme elle était venue en compagnie +d’une voisine de traits moins délicats, elle s’en va avec elle, mais dit +à Ahmed qu’elle reviendra et qu’elle veut venir habiter près de nous. La +manière dont elle s’est introduite est curieuse. Elle dit à Ahmed dans +la rue : « Je veux voir le consul. » — « Que lui veux-tu ? » — C’est lui +qui m’a dit de venir. + +Vers l’aser[283], Si ’Othman se présente et j’envoie Ahmed avec lui +remettre à Ikhenoukhen le présent que je lui destine et dont je lui ai +parlé depuis longtemps. Ce présent se compose de 100 douros (500 francs) +pour lui et de 50 douros (250 francs) pour son frère Omar el Hadj. + +Ahmed revient seul. Il est resté longtemps et me raconte ce qui s’est +passé. Ikhenoukhen n’accepte pas cette somme ; elle ne lui suffit pas, +prétend-il, à nourrir sa jument un mois. Il est ici, à Ghadāmès, mal vu +par tout le monde, mal vu par les Turcs, mal vu par ses frères les +Touareg, et tout cela à cause de sa prédilection pour les Français. Il +ne mange ici que sur la ville et il a du « nif[284] » avec elle. +Pourquoi les Anglais sont-ils préférés ? C’est parce qu’ils jettent les +douros à droite et à gauche. Ils lui ont donné à lui et à ses frères 900 +douros (4.500 francs) et des effets (expédition de Richardson, etc.). +Partout où les Anglais ont passé, ils ont rempli le ventre du monde. Ce +n’est qu’en les imitant que nous pourrons nous faire un parti. Lui, doit +m’accompagner à Rhat avec tous ses parents et ses amis ; il faut avancer +en forces et la somme que je lui donne ne suffit pas de loin à cette +expédition. Enfin ses compagnons sont tous venus lui demander leur part +de mon présent et il ne lui restera rien. Si nous étions venus pour +avancer avec de tels moyens, nous n’avions qu’à nous en retourner en +paix ; il nous donnerait une ou deux fois autant que cela. Les Ghadāmsia +étaient prêts à faire de grands sacrifices pour empêcher que je +réussisse. Cette nouvelle me bouleverse, et Si ’Othman ne vient pas le +soir. J’annule mon départ demain pour Tripoli. + +Le moudir vient ; je le reçois comme un chien dans un jeu de quilles, +tant je suis de mauvaise humeur ; du reste, il vient pour me recommander +de lui apporter 20 litres de liqueurs, ce qui est peu délicat de sa +part. Je le force à se lever et à s’en aller. + +Ikhenoukhen m’a affirmé que la nouvelle de la lettre de Sidi Hamza est +vraie. Elle a été apportée au chef des Oulād Messāoud, qui est parti +d’ici hier ; il est certain que cet homme a la lettre parce qu’il a juré +que c’est vrai. Sidi Hamza recommande de me tuer, moi et Si ’Othman ou +bien les Oulād Messāoud ne valent rien. Nous ne savons pas d’où la +lettre est arrivée, mais à coup sûr, c’est Ouled el Ghediyyēr qui l’a +apportée ou un autre Chaanbi qui nous a précédés ici de quelques jours +seulement. + + Le 9 septembre. + +Othman vient de très bonne heure, je l’envoie à Ikhenoukhen lui demander +quelle est la somme qu’il juge nécessaire que je lui donne. Ikhenoukhen +se refuse à parler dans ce sens et me fait prier de me rendre auprès de +lui dans la soirée. Je passe une journée très monotone ; tout le monde +me croit parti. + +Le soir, je vais au camp du chef des Azgar. Il vient au-devant de nous +avec son frère Omar el Hadj. Je vois qu’Ahmed a exagéré la valeur du +discours d’Ikhenoukhen hier ; ce chef est fâché de l’impression que j’en +ai reçue. Il me dit que la somme que je lui ai donnée ne compte pour +rien chez lui, que de tels cadeaux sont ceux qu’il peut faire, lui. Tous +ses compagnons vont lui demander leur part du présent que je lui ai fait +et il ne lui en restera plus rien. Je lui répondis que, s’il en était +ainsi, je préférais ne rien décider de moi-même, et demander avis au +général gouverneur ; qu’une occasion se présentait aujourd’hui tout à +propos. Ikhenoukhen approuva cette décision ; il me demanda de faire +connaître au général l’état des choses et les services qu’il était +disposé à nous rendre, ajoutant que la réponse, quelle qu’elle soit, +serait la bienvenue. Quant à moi, il me demanda de ne pas me tracasser, +d’aller tranquillement à Tripoli et qu’à mon retour, je le trouverais +ici, et que j’atteindrais mon but de toutes façons, même sans présent. +Il insista pour me faire bien sentir que la chose qu’il craindrait la +plus au monde serait d’entendre dire qu’il eût imposé des conditions de +force à son hôte. + +Je quittai Ikhenoukhen, réconcilié avec lui, et même impressionné par la +noble tournure avec laquelle il envisageait l’affaire. + +Je passai la soirée à écrire des lettres qui partiront demain. + + 10 septembre. + +Dans la matinée, je me rendis avec le Ghadāmsi, ami de ma nation, qui +m’a donné l’inscription latine, pour examiner une pierre sculptée qui +avait été déterrée l’an dernier dans des constructions souterraines tout +près d’une maison nommée Taskô[285], un très ancien bordj qui +appartenait autrefois au gouvernement, mais que Hadj Mohammed Heika a +acheté[286]. + +Le moudir m’envoie un billet en me priant de lui rapporter de Tripoli 28 +bouteilles de liqueurs ; je m’empresserai de ne pas exécuter cette +modeste commission. + +Il arrive une nombreuse caravane de Tripoli ; je ne note pas tous les +arrivages de ce côté, j’aurais trop à faire. + +Nous avons une nouvelle curieuse. Les Ourghamma sont réellement allés en +expédition. Ils ont attaqué près de Sinaoun la caravane qui avait amené +Hadj Ahmed ou Mohammed, et qui retournait vers Tripoli. Ils ont emmené +les chameaux, mais les gens de Sinaoun sont partis à mehara et ont +rattrapé le _rhezi_ près de son pays ; ils sont tombés sur six +cavaliers, pendant que les autres étaient allés faire boire leurs +chevaux, et ont enlevé tout le butin et, je crois, les selles des +cavaliers. + + 11 septembre. + +Je reprends l’étude de la langue targuie. Tekiddout me trouve trop peu +généreux, au moins le prétend-elle, et prétexte toutes sortes +d’occupations pour ne pas se charger de m’écrire de nouveaux papiers. +Ihemma m’a trouvé une autre femme jeune, jolie, blanche et modeste qui +vient avec lui ; elle a, de plus, la qualité de ne pas comprendre un mot +d’arabe. Elle me promet de revenir et de m’apporter de l’écriture +tefīnagh. Elle l’écrit avec de l’ocre rouge et de l’encre. + +Othman vient me demander des médicaments pour la femme d’Ikhenoukhen ; +ce chef la répudie, mais elle vit toujours à ses côtés avec ses enfants. +Elle me demande un collyre pour les yeux et de la quinine. + +Le _qadhi_, qui est un gros homme bien modeste et assez bon, je crois, +m’envoie un bout de papier sur lequel est copié ce passage d’un livre +musulman, passage relatif à Ghadāmès[287]. + +« Ghadāmès est dans le Sahara à sept journées (de marche) du Djebel +Nefousa. C’est une jolie ville, ancienne et antérieure à l’islamisme. +Les peaux dites _ghadamsi_ tirent leur nom de cette ville. On y trouve +des souterrains et des grottes[288] qui servirent de prisons à la reine +Kahina qui régna en Ifriqiya. Ces souterrains ont été édifiés par les +anciens. Ce sont de merveilleuses constructions et leurs voûtes, +établies au-dessous du sol, font l’étonnement du spectateur. En les +examinant, on voit qu’elles sont l’œuvre de souverains anciens et de +nations aujourd’hui disparues. + +« Le pays n’a pas toujours été désertique et il a été autrefois fertile +et peuplé. Le comestible qu’il produit en plus grande abondance est la +truffe, appelée par les habitants _terfâs_. Elles deviennent si grosses +dans ces régions que les gerboises et les lièvres y creusent leurs +gîtes. + +« Ghadāmès est le point d’où on se rend à Tadmekka et autres localités +du Soudan qui en est située à quarante jours de marche. Les habitants +sont des Berbères musulmans ; ils portent le voile à la façon des autres +Berbères du Sahara, tels que les Lemtouna et les Messoufa. » + +Ici se termine le passage extrait du livre intitulé : _Erraudh el-miʿ- +ṭâr fi akhbâr el-aqṭâr_ dont l’auteur est Abd-Ennour el Ḥimyari el +Tounsi. Ce passage a été transcrit par Mohalhil el Ghadāmsi dans son +ouvrage intitulé : _Menâqib Ech-cheikh Sidi Abdallah-ben-Abou-Bakr El- +ghadamsi_. + +Autant que ma mémoire est fidèle, ce passage est le même que celui de +l’anonyme du sixième siècle de l’hégire publié à Vienne, par M. Alfred +de Kremer. S’il en était ainsi, nous aurions le nom de l’auteur de ce +livre, lequel nom est jusqu’à présent inconnu. + + 12 septembre. + +Je vais faire une longue promenade ce matin. Je m’enquiers d’abord de la +santé de Sid el Bakkay auquel j’enverrai des médicaments ce soir. De là, +je me rends aux tentes des Targuiāt ; j’en trouve une couchée, malade +d’un anévrisme (cette affection serait-elle commune chez les Touareg ?) +et ayant des hémorragies par le nez. De là, je me rends à la zériba de +Tekiddout, j’y trouve le moutard malade, qui va un peu mieux, avec son +père Kel es Soūki[289] qui a été à Alger ; mais les dames sont absentes +et je n’ai pas ce que je désirais le plus. J’examine leur intérieur ; il +y a une natte assez proprement arrangée dans un coin et formant chambre, +où l’on doit être à peu près chez soi. Je vois là la rebaza que la +célèbre courtisane sait si bien manier. Le corps du violon et l’archet +sont couverts d’inscriptions tefinag qui viennent de la main de ses +auditeurs. Un certain nombre de vases, en gourdes et en nattes, complète +l’ameublement ; la cuisine est dans un coin à l’extérieur et elle est +garantie par un mur. + +Là commence le cimetière des Beni Ouazit. C’est quelque chose +d’effrayant que l’immense espace couvert des tombeaux de cette moitié de +la population de la ville. Il y en a de tous les âges, depuis la période +païenne jusqu’à nos jours. Les plus récents sont indiqués par deux +pierres droites peu élevées, situées à la tête et aux pieds du mort. +L’espace qui sépare ces pierres est limité par une petite ligne de gros +cailloux de chaque côté du corps, les deux lignes sont très resserrées. +Puis viennent des tombeaux plus anciens ; les pierres à la tête et aux +pieds deviennent très grandes, elles atteignent, en certains endroits, +hauteur d’homme. J’ai cherché en vain sur leur surface des signes ou des +dessins : je n’y ai rien trouvé ; ces tombeaux datent, selon la +tradition, d’avant l’islamisme. Puis viennent enfin les plus anciennes +sépultures, beaucoup plus vastes que les précédentes ; elles affectent +des formes ovales, rondes ou carrées (quadrilatères allongés) ; on n’y +remarque plus des pierres droites, mais des enceintes très bien +déterminées et des fondations solides et soignées. Quelques-uns de ces +tombeaux ronds sont indiqués par une bosse de terrain avec des débris de +constructions et forment ainsi des tumulus[290]. Les tombeaux portent le +cachet d’une haute antiquité et sont très intéressants ; je reviendrai +les étudier. Ils m’ont vivement rappelé les petites enceintes que Mac- +Carthy et moi avons rencontrées en 1857 sur la route de Taguin à Boghar. +Mais ces dernières n’avaient pas l’air aussi soigné que celles de +Ghadāmès. + +Nous traversons les routes de Tripoli et des endroits entourés de murs +en démolition qui indiquent la place d’anciens jardins, aujourd’hui tout +à fait détruits et abandonnés. Nous laissons à droite El Bir, +construction de pierre assez remarquable, et entrons dans la _ghaba_. Je +remarque un amandier. Nous rentrons en ville après avoir traversé une +partie des rues qui m’étaient inconnues et où je rencontre des +chapiteaux de colonnes et des colonnes carrées, des pierres plates, +etc., toutes de constructions et de travail anciens. + +Māla, ma gentille amie targuie, m’apporte de l’écriture tefinagh et me +l’explique avec Ihemma. J’envoie à Moussa, frère de Kelāla, un des +jeunes champions les plus puissants d’Ikhenoukhen, un cadeau consistant +en un haouli de fabrique, rouge, pour femme (acheté d’Othman) et un haïk +de fabrique, blanc, pour homme. + + 13 septembre. + +Je retourne aux tombeaux. En passant, je vois Sid el Bakkay, mais le +trouvant très occupé, je le laisse avec son entourage, Omar el Hadj, +etc., et je continue mon chemin. Je lui laisse des médicaments pour lui +et pour son domestique ; entre autres, de l’aloès enveloppé de papier de +plomb. J’apprends ensuite qu’il a mangé le médicament et son enveloppe. + +Je remarque sur le rebord de la hamada, en haut de l’immense cimetière, +des marques très anciennes creusées dans le roc ; ce sont des trous +ronds très régulièrement creusés, en nombre inégal, sur les pierres +plates ; ces trous forment autant de petits réservoirs ou bols dans +lesquels les moutards Touareg s’amusent à pisser, mais qui n’ont pas dû +avoir toujours la même destination. Je remarquai ensuite des tracés de +contours de sandales ou de souliers, plutôt les premières. Si je me +souviens bien, la pointe était dirigée vers la ville, c’est-à-dire vers +l’est et, ces contours de sandales rapprochées, telles que celles d’un +homme debout, et ces petits réservoirs, pourraient bien indiquer la +place où se tenait un homme et celle où il sacrifiait aux mânes des +morts du cimetière. + +Je remarque en examinant de plus près les tombes que celles qui sont +indiquées par une pierre à la tête et une aux pieds du mort, quelque +grandes et pointues que soient ces pierres, sont toutes musulmanes ; en +les regardant bien, je découvre quelques fragments d’inscriptions arabes +indiquant les noms des principaux personnages, nous remarquons ceux de +femmes maraboutes, et celui d’un Es Soūqi, ancêtre de Si ’Othman. Les +grandes tombes carrées et celles qui sont arrondies surtout doivent +seules avoir une antiquité antérieure à l’Islam. + +En sortant de cet amas de tombes, nous arrivons, toujours dans la +dépression où la ville est bâtie et où se trouvent aussi les cimetières, +à un endroit où le sol se compose d’une pâte cristalline légère de +plâtre[291]. C’est là un des endroits où on l’exploite, c’est-à-dire où +l’on en extrait. Cette roche est identique à celle qui se retrouve +partout dans l’Oued Righ, et principalement au puits d’El Hachchāna près +de Chegga du Sud. + +Nous montons la hamada qui ne domine Ghadāmès que de 3, 4 mètres de ce +côté. Le sol est composé de pierres très grosses et d’autres plus +petites semées sans ordre et s’appuyant sur le plateau. La couleur du +calcaire varie du blanc au brun et au gris de rouille. Je découvre des +empreintes de différents bivalves, notamment d’une coquille à côtes +(_griphus_)[292]. + +D’ici, nous plongeons directement sur El-Esnām, laissant à droite assez +loin, le Dhahara avec les tentes des Touareg. Nous rencontrons des +tombeaux d’un autre ordre et d’une antiquité moins incertaine ; ils +ressemblent en tout à ceux des environs de Djelfa que je visitai en 1857 +avec Mac Carthy et le Dr Reboud. Ce sont de petites enceintes en grandes +pierres plates, ouvertes par une des petites extrémités et qui devaient +être autrefois recouvertes par d’autres pierres plates. Ces tombeaux ne +me paraissent pas devoir renfermer un homme étendu, mais bien dans une +position repliée, assis, accroupi ou autrement. La plupart de ces +sépultures ont été fouillées ; nous-mêmes en creusons une et sortons +quelques ossements et un petit morceau de cuivre qui devait faire partie +d’une parure indigène. Les tombeaux de ce genre, de différentes +grandeurs, sont fréquents ; et on les trouve dans différents degrés de +conservation. Ihemma m’assure qu’à Rhat, il y en a et que l’on en +rencontre quelquefois en plein Sahara[293]. + +En approchant d’El-Esnām, les hautes constructions du plateau, Ihemma me +raconte que, près des piliers immenses, se trouvent des tombeaux en +forme de buttes sur lesquels les femmes des Touareg allaient se coucher +lorsque les Touareg étaient en expédition et où elles obtenaient des +nouvelles. Elles se paraient de leur mieux et allaient se coucher sur le +tombeau ; alors venait « idébni », esprit, sous la forme d’un homme, qui +leur racontait ce qui s’était passé dans l’expédition. Si elles +n’étaient pas bien parées, il les étranglait. Ces révélations ont lieu +en plein jour et on me dit qu’elles sont toujours vérifiées[294]. Les +Touareg, du reste, sont très superstitieux ; ils n’osent pas se +présenter seuls à la tombe d’un de leurs amis de peur qu’il ne revienne. + +Dans la soirée, j’ai un exemple de la liberté des relations qu’il y a +entre les Touareg. Ihemma, qui a à peine vingt ans, conseille à Othman +qui en a près de soixante, de ne pas sentir du camphre que je lui +offrais de crainte qu’il ne perdît ses forces sexuelles en lui disant +que Tekiddout prétendait qu’il était l’amant d’une femme qu’il nomma. +Othman assura que ce n’était pas vrai et ne fit aucun reproche à Ihemma +de son observation. + +Les Ifoghas, qui écoutent les conseils d’Othman, et lui obéissent en +quelque sorte, sont exaspérés de la conduite des Mérazig[295] qui +devaient apporter leur tribut à Othman ; ils parlent d’aller les +razzier. + +La rebazā, cette espèce de violon ou de violoncelle des dames targuies, +forme un point important de la vie de ces gens. Tous les soirs, +j’entends jouer de cet instrument ; hier des Imrhad chantaient. Lorsque +les Touareg se battent entre eux et qu’un parti est mis en déroute, les +vainqueurs crient avec ces cris sauvages qui sont particuliers aux +Touareg : « Hé ! Hé ! Il n’y a donc pas de rebazā ? » Alors il est rare +que les vaincus ne reviennent pas à la charge avec fureur. La crainte du +qu’en-dira-t-on des femmes a une grande influence sur les Touareg. + + 14 septembre. + +Aujourd’hui, je ne fais pas de promenade ; j’ai une longue leçon de +tefinagh avec Mala et Ihemma. Mala est toute jeune, sans méchanceté ni +préventions et très jolie. Pendant la leçon, je m’amuse avec son petit +pied et, après la leçon, quand Ihemma s’en va, j’échange plusieurs +baisers avec elle. Nous sommes donc très bons amis. Elle m’a promis de +revenir à mon retour et de me jouer ici de la rebazā. + +Dans l’après-midi, je travaille à emballer ; j’arrange dans ma chambre +les objets que je laisse et je mets dans les cantines le peu de bagages +que j’emporte. + +Je vais, le soir, avec Othman voir Ikhenoukhen, qui vient avec son +frère ; j’apprends que j’ai maigri depuis mon arrivée. C’est le chef des +Azgar qui me fait cette remarque. Je décide Ikhenoukhen à écrire au +général gouverneur de l’Algérie. Ikhenoukhen me dit adieu et me dit que +tout sera facile, faisant allusion probablement à mon voyage à Rhat. Je +dis à Si ’Othman ce qu’il faudrait écrire dans la lettre. + + 15 septembre. + +Emballage et départ pour Tripoli. + + +[Note 278 : Rohlfs y mentionne cependant des moustiques (_Quer durch +Afrika_, I, p. 74).] + +[Note 279 : Duveyrier donne ici au mot _castrorum_ un sens trop précis. +Cf. au sujet de cette inscription la lettre suivante de Tissot, à qui +Duveyrier avait communiqué son estampage : «... Grâce à l’estampage, +j’ai pu corriger quelques incertitudes qui se sont glissées dans le fac- +similé (ceci pour votre seconde édition). Le P de la 2e ligne est +certainement un D. L’antépénultième lettre de la 6e ligne est un P. +(J’ai obtenu une image très exacte et directe de l’estampage en la +posant sur un lit de farine : les moindres détails sont alors moulés +comme certains lézards le sont dans le sable du Sahara). En cherchant à +restituer l’inscription tout entière et en calculant le nombre de +lettres absentes, j’arrive à la lecture suivante : + + + Imp. CAES. M. AVRELio Severo + + AleXANDRO. PIO. FELici Aug. + + et iuliAE MAMMEAE. AVG. matri + + aug. et CASTRORUM. SVB cura M. ul + + pii Maximi ? LEG. AVG. PR. PR. CV. VEX illatio + + leg. iii Aug. SEVERIANÆ PER. . + + . . . . . . . . . . VM] LEG. EIVSDEM + + . . . . . . . PERFECIT. + + +A l’Empereur César M. Aurélius Severus Alexander Pieux, Heureux, +Auguste, et à Julia Mammaea Auguste, mère d’Auguste et des Camps. Par +l’ordre de M. Ulpius Maximus (?) Légat Propréteur d’Auguste, personnage +clarissime, le détachement de la Légion Troisième Auguste Pieuse, +Vengeresse, commandé par..., Centurion de la dite Légion, a achevé [ce +monument]. + +« Nous connaissons trois légats propréteurs d’Afrique sous Alexandre +Sévère : le nom qui m’a paru convenir le mieux, eu égard à la place +disponible, est celui que j’ai fait figurer à titre purement +hypothétique dans la restitution. » (Lettre du 7 avril 1879). Voir aussi +le texte définitivement adopté par MM. R. Cagnat et J. Schmidt (_C. I. +L._, VIII, Suppl. Pars I, 10990). + +Quant à la nature de ces ruines, Duveyrier a été plus tard beaucoup +moins affirmatif. On lit sur un brouillon de lettre à M. Cagnat : « Dans +_Les Touareg du Nord_, p. 252-3, j’ai eu tort de m’exprimer comme si le +camp de Ghadāmès était une réalité vue ; j’ai supposé que Cidamus devait +avoir possédé un camp. Voilà tout. » Comme l’a établi M. Cagnat +(_L’Armée romaine d’Afrique_, Paris, 1892, p. 555), on ne peut douter de +l’existence de la forteresse romaine. Mais son emplacement reste +incertain.] + +[Note 280 : Cf. _Les Touareg du Nord_, pl. X.] + +[Note 281 : En 1864, Rohlfs, voyageant comme mokaddem de l’ordre de +Mouley-Taïeb d’Ouezzan, a pu pénétrer dans les mosquées de Ghadāmès. +« Toutes, comme j’ai pu m’en assurer moi-même, reposent intérieurement +sur des colonnes romaines, qui toutefois sont disposées pêle-mêle, sans +ordre aucun : ici une colonne dorique à côté d’une colonne corinthienne, +là une colonne ionique à côté d’une colonne dorique, etc. » (_Reise +durch Marokko und Reise durch die grosse Wüste_, 4e édit., Norden, 1884, +in-8o, p. 245-6.)] + +[Note 282 : Recommandation de Barth pour le cheikh el Bakkay de +Tombouctou.] + +[Note 283 : Deux à trois heures avant le coucher du soleil.] + +[Note 284 : Avoir du nif avec quelqu’un signifie « être en délicatesse +avec lui ». Au propre, _fin_ veut dire _nez_ et, métaphoriquement, +_amour-propre, susceptibilité_. (O. H.)] + +[Note 285 : Taskô est le nom d’une des rues de Ghadāmès. (Voir _Les +Touareg du Nord_, p. 262 ; _Mission de Ghadāmès_, p. 99.)] + +[Note 286 : Voir le dessin et la mention de ce bas-relief dans _Les +Touareg du Nord_, pl. X, p. 250-251. Le journal donne quelques détails +complémentaires : « La hauteur de la pierre est d’un peu moins de 55 +centimètres et la largeur de 50 centimètres à peu près. Les accidents +ont rendu incertains plusieurs des contours, principalement la figure +des deux personnages. »] + +[Note 287 : Ce passage, traduit par M. le professeur Houdas, est en +arabe dans le manuscrit de Duveyrier.] + +[Note 288 : Ce mot doit être entendu dans le sens de cavité souterraine +artificielle ; il sert à expliquer le synonyme précédent d’un usage +moins courant (O. H.).] + +[Note 289 : De la tribu des Kêl es Soûk.] + +[Note 290 : Cf. E. de Bary, _Senams et tumuli de la chaîne de montagnes +de la Tripolitaine_, trad. du Dr Dargaud, _Revue d’Ethnographie_, II, +1883, p. 426-437 ; — Foureau, _Mission chez les Touareg_. Paris, 1895, +p. 8, 34-35, 102, etc. ; G. Mercier, _Les mégalithes du Sahara_, Rec. +des Notices et Mém. Soc. d’archéol. de Constantine, 1900, p. 247, etc.] + +[Note 291 : Voir l’analyse, _Touareg du Nord_, p. 47.] + +[Note 292 : Cf. _Les Touareg du Nord_, p. 47 ; Vatonne, _Mission de +Ghadāmès_, p. 268-269. Ces bivalves n’ont pu être déterminés.] + +[Note 293 : Voir Tissot, I, p. 499-501 ; Erwin de Bary. trad. Schirmer, +p. 41-42 ; Rabourdin, _Documents relatifs à la mission Flatters_, Paris, +1885, p. 256.] + +[Note 294 : Cf. Erwin de Bary, trad. citée, p. 187-188.] + +[Note 295 : Tribu du Nefzaoua, ayant pour centre l’oasis de Negga et +fréquentant le marché de Ghadāmès.] + + + + + ERRATA + + * * * * * + + + Page 11 _au lieu _dhomran_, _lisez :_ _dhomrân_. + de :_ + + — 18 — سڢش — سڢشى (O. H.). + + — — ligne 11, — _soufar_, — _sefâr_. + + — 20 ligne 4, — El Benib, — El Bouïb (O. H.). + + — 22 — نصر صن الله — نصر من الله (O. + H.). + + — — — اله لا اله — لا اله الا الله + (O. H.). + + — 26 ligne 13, — Insalah, — In-Salah. + + — 26 dern. — en Arabes, — en arabe. + ligne, + + — 34 ligne 18, — _lebīn_, — _lebbîn_. + + — 40 note 74 — Entonnoir, — Dépression (O. + H.). + + — 42 ligne 15, — Hamamma, — Hammama. + + — 43 note 78 — ذصان — ذمران (O. H.). + + — 48 note 84 — _Zegzeg_, — _Zefzef_ (O. H.). + + — 57 av.-dern. — Oumel — Oumm el (O. H.). + l. + + — 58 ligne 37, — Si Ali — Si Ali Saci. + Sari, + + — 101 ligne 1, — La tribu, — Le tribut. + + — 111 ligne 8, — lecrīma, — berima (O. H.). + + — 111 ligne 10, — صبل — طبل (O. H.). + + — 112 ligne 33, — احن َڢم — احناڢم (O. H.). + + — 120 ligne 13, — غكلن — غدران (O. H.). + + — 127 note 189 — Duocyries, — Duveyrier. + + — 128 lignes 6 — Merd-jadja, — Merdjadja (O. + et 19, H.). + + — 131 note 195 — ٮادج — حلاج (O. H.). + + — 137 ligne 20, — Ia chïfā — Ya chïfā (O. H.). + + { (tellis) sac + { pour mulet ou + { cheval. + — 140 note 214 — Toile de — { + bât, { (guerara) sac + { pour chameaux + { (O. H.). + + — 144 ligne 8, — Abed el — Abd el Qader (O. + Qader, H.). + + — 146 — _ouran_, — _ourân_. + + — 150 lignes 1 — Roubaaya, — Roubayaa. + et 9, + + + + + ADDENDA + + * * * * * + +P. 53, 81 : travaux hydrauliques dans le Sud tunisien : Cf. les études +du Dr Carton dans _Bull. archéol. du Comité des Travaux hist._ 1888 et +_Rev. tunisienne_, III, 1896, p. 281 ; Gauckler, _Enquête sur les +installations hydrauliques romaines en Tunisie_, II, Tunis, 1903. + +P. 56 : ruines de l’Oued Zitouna : M. le capitaine Privé qui a étudié +cette région de 1881 à 1884, a signalé les restes de trois _oppida_ au +débouché des gorges du Zitouna. (Cf. pour l’extension progressive de la +colonisation romaine vers le Sud, J. Toutain, _Note sur une inscription +trouvée dans le Djebel Asker au Sud de Gafsa_ (_Bull. Archéol. Comité +Trav. hist._ 1903, p. 202-205). + +P. 57, note [100] : Dans un mémoire très important (_Notes et documents +sur les voies stratégiques et sur l’occupation militaire du Sud tunisien +à l’époque romaine, par MM. les capitaines Donau et Le Bœuf, les +lieutenants de Pontbriand, Goulon et Tardy_, _Bull. archéol. Comité +Trav. hist._, 1903, p. 272-409), M. J. Toutain a groupé tous les +renseignements recueillis depuis sur les routes de la région des chotts +(routes de Tacape au Nefzaoua, p. 289-303, 336). Voir aussi Gauckler, +_Rapport sur l’exploration du Sud tunisien en 1903_, _ibid._, 1904, p. +149-150 : route de Capsa à Turris Tamalleni. + +P. 65 : El Hamma : il y a en réalité dans l’oasis deux bourgs : El Ksar +et Dabdaba, et deux villages : Zaouïet el Mehadjba et Sombat (ce dernier +tout récent). Sur El Hamma et le caractère de ses habitants, voir la +notice anonyme parue dans la _Revue tunisienne_, X, 1903, p. 424-436 : +_Les Beni-Zid et l’oasis d’El Hamma_. + +P. 66 : El Hamma : P. Blanchet (_Mission archéologique dans le centre et +le sud de la Tunisie_, _Archives des missions scient. et litt._, IX, +1899, p. 145-146) a donné des détails sur les sources et les restes de +construction romaine. + +P. 72-3 : Hareïga et Sagui : Cf. Toutain, art. cités, _Bull. archéol. +Comité 1903_, p. 205-7, 287-8 ; _ibid._, 1904, p. 129, 142, 146 ; +Gauckler, _ibid._, 1904, p. 146-149 : route de Tacapes à Capsa ; +149-150 : route de Tuzurus à la côte par le Sagui. + +P. 74 : milliaire d’Asprenas : voir sur un autre milliaire du même +proconsul, capitaine Hilaire, _Reconnaissance du segment Tacape-Thasarte +de la voie romaine_, etc. _Bull. archéol. Comité_ 1899, p. 542-555. + +P. 75 : Henchir Somàa : Cf. Tissot, II, p. 657-8, et capitaine Donau, +_Note sur une voie de Turris Tamalleni à Capsa et sur quelques ruines +romaines situées dans le Blad Segui_, _Bull. Archéol. Comité_, 1904, p. +356-359. + +P. 80 : inscr. de Gafsa : ces textes n’ont pas été retrouvés dans le +manuscrit. + +P. 96 : inscr. I : voir pour la suite de cette inscr. (dédicace à Trajan +par L. Minicius Natalis, légat de la légion IIIe Auguste), Tissot, II, +p. 532 ; _C. I. L._, VIII, 2478=17969. + +P. 103, 107 : Oued el Arab : Cf. _Enquête administrative sur les travaux +hydrauliques anciens en Algérie, publiée par les soins de M. S. Gsell_, +_Bibl. d’archéologie africaine_, fasc. VII, Paris, 1902, in-8, _Rapport +de M. le Lt Touchard_, p. 104-114 et croquis. + +P. 194 : ligne 4 : Le manuscrit porte ici la mention suivante : « Cette +inscription, que je vais envoyer à Tougourt, est très importante, étant +la seule qui ait été trouvée à Ghadāmès jusqu’à ce jour. (Faux !) » +Duveyrier fait évidemment allusion à Richardson ou à l’inscription +publiée en 1847 par Letronne et reproduite depuis dans le _Corpus I. L._ +(VIII, 2). Letronne la tenait de M. de Bourville, chancelier du consulat +de France à Tripoli, qui l’avait reçue lui-même d’un Arabe. Cette copie +était si défectueuse, qu’on n’en pouvait lire que les deux premiers +mots : _Diis Manibus_ (_Revue archéol._, 1847, p. 301-302.) + +Le _Corpus_ (VIII, 2) cite en outre ce passage de Letronne : « Je tiens +de M. de Bourville qu’un M. Richardson, agent, disait-on, de la Société +pour l’abolition de l’esclavage, se rendit à Ghadāmès vers la fin de +juin 1845. Après y avoir séjourné peu de temps, il en revint et remit au +consul général d’Angleterre à Tripoli un marbre portant une inscription +latine et une figure d’homme en bas-relief, probablement un monument +funéraire, qui est peut-être encore à présent au consulat ; M. +Richardson déclara qu’il existe à Ghadāmès plusieurs monuments +analogues. » + +Voici comment s’exprime Richardson lui-même : « This Kesar En Ensara +(les Esnam), together with the bas-relief, and the latin inscription, +copied by a Moor from a tomb-stone, beginning with the words _Diis +Manibus_, are more than sufficiant evidence to prove that Ghadāmès was +colonized. The same Moorish prince who blew up the ruins, carried away +also to Tripolis the tomb-stone, from which a Moor copied the +inscription, and which transcript I brought with me from Ghadāmès ». +(_Travels in the Great Desert of Sahara_, I, Londres, 1848, p. 356.) — +On lit d’autre part dans un rapport de Richardson au Foreign Office (_An +Account of the Oasis and City of Ghadames_), p. 18 : « I have however in +my possession a copy of a Latin inscription, said to have been found in +a tomb, but so badly copied as to be almost illegible. The tablet of +stone was taken away some thirty years ago by an officer of Yousef +Bashaw. Also I have a slab, on which there is a very rudely sculptured +relief of a Greek or Roman soldier, holding, apparently, a horse ; but +only the forepart or the animal remains, the rest is broken off. I will +send you this the first opportunity, and if of any value, it may be +presented to the British Museum. » Ces deux textes prouvent que +Richardson n’a connu et rapporté de Ghadāmès qu’une seule copie +d’inscription latine, copie illisible, à part _Diis Manibus_, tout comme +celle de Letronne, et que Richardson ne s’est pas donné la peine de +reproduire dans son ouvrage. On peut se demander s’il ne faut pas +rapporter les deux copies susdites à un seul et même modèle, qui serait +à chercher à Tripoli. En tout cas, la note de Letronne pourrait +disparaître d’une nouvelle édition du _Corpus_, sans que ce magistral +recueil risque de paraître moins complet. + + + + + INDEX + DES NOMS GÉOGRAPHIQUES ET DES PRINCIPALES MATIÈRES + + * * * * * + + + Abadiâ, 15. + + ’Adouan, 15, 101, 125. + + Affadē, 3. + + ’Aïn ed Daouira, 10. + + ’Aïn el Magroun, 65. + + Aïr, 172, 174. + + ’Amich, 15, 117, 125, 136, 143, 144. + + Areg-el-Miyet, 12. + + ’Atrya, 162, 163, 187. + + Azzaba, 116. + + Baghdad, 7. + + Bagirmi, 3. + + Bambara, 3. + + Belidet el Hadar, 50, 56, 84. + + Belīd Oulad Mehanna, 65. + + Beni Brahim, 22. + + Beni-Djellab, 112, 114, 116, 129, 133, 135. + + Beni Mâzigh, 165. + + Beni Mezab, 23, 116, 131, 141. + + Beni Ouaggin, 23. + + Beni Ouazit, 184, 192, 200. + + Beni Oulid, 184, 192. + + Beni Sisin, 22. + + Beni Zid, 64, 66. + + Berrāri, 28. + + Berresof, 148-150. + + Besseriani, 37, 94-98. + + Biskra, 3, 4. + + Blidet-Amar, 28. + + Bornou, 3. + + Chaâmba, 18, 22, 26. + + Chebika, 88. + + Chegga, 8, 9, 114, 136. + + Chemorra, 29, 135. + + Chott El Djerid, 57, 58, 59, 72. + + Chott El Rharsa, 87. + + Chott Melghigh, 10, 110, 114. + + Commerce de Ghadāmès, 166, 168, 170, 172, 174, 185-189, 192, 194, 199. + + Commerce du Souf, 16, 120-123, 139, 173-174. + + Degach, 51. + + Dendouga, 114. + + Derge, 3. + + Dhahâr, 110. + + Dhahâr el ’Erg, 155. + + Djebel Sebaa Regoûd, 54, 85. + + Djebel Tebaga, 63. + + Djedid, 152. + + Djérid, 15, 16, 46-56, 82-86, 121-122. + + Doura, 3. + + Dunes, 10, 11, 12, 14-18, 20, 27, 34, 35, 39, 40, 47, 93, 118, 127, + 136, 145, 148, 151, 152, 154-157. + + El ’Aliya, 5. + + El Barĕd, 115. + + El Esnām, 164. + + El Faïdh (plur. El Feyyād), 102, 106, 107. + + El Goléa, 23. + + El Guettār, 77, 78. + + El Hamma, 52, 82, 83. + + El Hamma (Nefzaoua), 52, 65, 66. + + El Hanoūt, 89. + + El Haouch, 109. + + El Menzel, 68. + + El Oued, 15, 16, 36, 117, 119, 139. + + Ez Goum, 123-125. + + Farfaria, 108. + + Felata, 3. + + Ferkān, 101-102. + + Fièvres, 30, 32, 42, 51, 52, 87, 100, 113, 127, 133, 135, 136, 137, + 154, 169, 189, 192. + + Fouānīs, 114. + + Gabès, 67, 70. + + Gafsa, 79, 81. + + Ghadāmès, 16, 119, 121-123, 141, 160-204. + + Ghamra, 12, 116, 128, 143. + + Ghomerācen, 70. + + Ghorib, 119, 138, 188, 189. + + Guebba, 52 + + Guemâr (Gomar), 12-15, 125. + + Hadamoua, 3. + + Hammâm Salahīn, 5. + + Hammama, 43, 44, 45, 48, 56, 63, 87, 89, 99, 100. + + Haoussa, 3, 9. + + Harazlia, 16. + + Hareīga, 72. + + Henchir es Somăa, 75. + + Ifoghas, 172, 203. + + Imanghasaten, 190. + + In-Salah, 26, 177, 185, 187, 189, 194. + + Irrigation, 47, 48, 50, 53, 66, 77, 78, 86, 89, 102, 103, 106, 164. + + Jiriga, 15. + + Juifs, 16, 46, 58, 66-68, 80, 112, 130, 134. + + Kanembou, 3. + + Kano, 182. + + Katsena, 3. + + Kebilli, 60, 63. + + Kêl es Soûk, 200, 202. + + Kĕriz, 52, 53. + + Kerrekerre, 3. + + Kesàr bent el’Abrī, 56. + + Kessār, 65, 66. + + Koënna, 3. + + Kouïnin, 15, 35, 36, 136. + + Kouri, 3. + + Lemmāguès, 63. + + Liana, 103. + + Logonē, 3. + + Maggari, 3. + + Mandara, 3. + + Manga, 3. + + Mansoura, 59. + + Margi, 3. + + Matmata, 18. + + Mbāna, 3. + + Mboum, 3. + + Medjehariya, 112, 116, 129, 130. + + Meggarîn, 117, 128. + + Merazig, 119, 188, 189, 203. + + Merhaïer, 9, 110-114. + + Merouān, 110, 113. + + Messelmi, 11. + + Mestāoua, 129. + + Midās, 90. + + Monnaie, 37, 121, 126, 137, 139, 141, 174. + + Nafta, Nefta, 46, 47, 48, 49. + + Naylia, 130. + + Nefzaoua, 52, 57, 58-63, 119. + + Negousa, 24. + + Negrīn, 93, 94, 98-101. + + Nesigha, 110, 111, 113. + + Nezla, 127, 128, 132, 143. + + Ngāla, 3. + + Ngouzzoum, 3. + + Nouaïl, 16. + + Ouaday, 3. + + Ouargla, 21, 22, 23, 130, 140. + + Oudiān el Halma, 154. + + Ouad Beyāch, 81, 87. + + Ouad el Arab, 103, 106, 107. + + Ouad el Khorouf, 9, 10. + + Ouad el Miyta, 102. + + Ouad’ Igharghar, 19. + + Ouad Itel, 110. + + Ouad Jardaniya, 124. + + Ouad Mezāb, 25. + + Ouad Retem, 133. + + Ouad Righ, 9, 18, 32, 43, 60, 110-117. + + Ouad Sīdah, 19. + + Oulad Madjed, 52. + + Oulad Abdelkader, 14. + + Oulad Abd es Sadiq, 14. + + Oulad ’Amar, 18. + + Oulad Ba Hammou, 185. + + Oulad-Bou’Afi, 14. + + Oulad el’Aïsaouï, 100, 101. + + Oulad Hamid, 15, 16, 168, 173. + + Oulad Hassen, 114. + + Oulad Hôwimen, 14. + + Oulad Mansour, 136. + + Oulad Moulet, 8, 113. + + Oulad Mousa, 14. + + Oulad Sidi Abid, 92. + + Oulad Sidi Cheikh, 23. + + Oulad Yagoub, 119, 141. + + Oum el Goreīnat, 57. + + Oumm et Tiour, 8, 114. + + Ourghamma, 138, 150, 168, 185, 198. + + Ourhlana, 115. + + Ourir, 110, 112. + + Ourmās, 35. + + Palus Tritonis, 14, 67. + + Puits, 11-13, 19, 26, 31, 34, 38, 41, 42, 106, 118, 120, 126, 135, + 145, 152, 156, 159. + + Puits artésiens, 7-9, 26, 107, 113-115, 127. + + Qoreich, 15. + + Rebāya, Roubaa’ya, 143, 148-150. + + Rhat, 172-174, 188, 191, 203. + + Rouâgha, 9, 111-113. + + Ruines romaines, 5, 50-54, 56, 57, 59, 60, 63, 65, 66, 68, 72-77, 80, + 81, 85, 86, 88, 89, 92, 94-97, 165, 192-194, 201. + + Saada, 8. + + Sabrīa, 119. + + Săgui, 73. + + Sakomaren (Isaqqamaren), 166, 172, 185. + + Sedāda, 54. + + Selmia, Selmiya, 9, 113, 114. + + Sidi Khelil, 115, 128. + + Sidi Okba, 105. + + Sif bou Delal, 10. + + Sirocco (Chehili), 127, 152. + + Solaā, 119. + + Souf, 14, 15, 35, 117, 120, 136. + + Tadmekka, 199. + + Tagiānoūs, 52. + + Tahrzout, 15, 124. + + Taïbāt, 118. + + Tāla, 133, 134. + + Tamerna, 116, 128. + + Tebesbest, 132. + + Teda, 3. + + Tedjini, 15. + + Tellimīn, 59, 60. + + Temassīn, 132, 133. + + Tinedla, 115. + + Tolga, 15. + + Tombeaux, 200-203. + + Torba, 157. + + Toroud, 13, 15, 119, 125, 143. + + Tŏrra, 58. + + Tougourt, 29, 30, 60, 112, 116, 117, 127-133. + + Touareg, 18, 119, 150, 152, 156, 166-169, 171-173, 175-180, 183-208. + + Tozeur, 50, 51. + + Traite des nègres, 3, 23, 165. + + Tsamia (soie de), 181-182. + + Zaouïas, 49, 132, 159. + + Zaouiyēt ed Debabkha, 58. + + Zenata, 15, 125. + + Zeribet Ahmed, 103. + + Zeribet el Ouad, 104-106. + + Zonghay, 3. + + * * * * * + + + INDEX DES NOMS PROPRES + + + Abd-Ennour el Himyari el Tounsi, 199. + + Auer, 29, 117, 127, 129, 131. + + Barth, 173, 195. + + Canat, 117. + + Colombo, 6, 7. + + El Arbi Mamelouk, 104, 106. + + Fleischer, 29. + + Ikhenoukhen, 172-180, 183-185, 188, 189, 190, 196-198. + + Kahina, 199. + + Kēlala, 201. + + Kremer (A. de), 200. + + Laing (major), 180. + + Lehaut, 8, 9. + + Mac Carthy, 201, 202. + + Margueritte, 179. + + Martimprey (de), 151. + + Mohalhil el Ghadāmsi, 199. + + Othman (cheikh), 132, 149, 154, 168, 172, 173, 177, 183, 188. + + Randon (maréchal), 179. + + Rhōma, 60. + + Séroka (Cel), 4, 7. + + Sid el Bakkay, 190, 195. + + Sidi Hamza, 23, 26, 179, 197. + + Si Zoubir-bou-Bekr, 23. + + Tissot (Ch.), 86, 192-193. + + Warnier (Dr), 179, 181. + + Zickel, 115. + + * * * * * + + + + + INDEX DES PLANTES CITÉES + + * * * * * + + +Avec la synonymie arabe-latine d’après : + +Ascherson, _Pflanzen des mittlern Nord-Afrika_. Append. VII, à Rohlfs, +_Kufra_, Leipzig, 1881, in-8, p. 386-559. + +_Le Pays du mouton_. Ouvrage publié par ordre de M. Jules Cambon, +gouverneur gén. de l’Algérie (par MM. Turlin, F. Accardo, G. B. M. +Flamand). Alger, 1893, in-fol., Append. : Table alphabétique des noms +arabes des principaux végétaux des Hauts Plateaux et du Sahara algérien, +CXXI pages. + +Foureau, _Essai de catalogue des noms arabes et berbères de quelques +plantes, arbustes et arbres algériens et sahariens_, Paris, 1896, in-4, +48 pages. + +Foureau, _Mon neuvième voyage au Sahara_, Paris, 1898, in-8, Append. V, +p. 142-144. + +En cas de divergences, Ascherson est désigné par la lettre (A), _Le Pays +du mouton_, par (P. M.), Foureau par (F1) et (F2), _Les Touareg du +Nord_, par T. du N. Les chiffres indiquent la page correspondante du +_Journal_ de Duveyrier. + + + Abricotier, 128. + + Ail, 128. + + Alenda, _Ephedra alata_ Decaisne, 11, 12, 19, 27, 34, 41, 126, 146, + 147, 157. + + Alga, _Henophyton deserti_ Coss., 18. + + Arfiji, _Rhanterium adpressum_ Coss., Dur. (P. M.), 145. + + Arta, _Calligonum comosum_ L’Hérit., 145, 146, 147. + + Baguel, _Anabasis articulata_ Moq. Tand., 7, 19, 20, 41, 147, 151. + + Belbâl, _Anabasis articulata_ Moq. Tand. D’après A., aussi + _Zygophyllum album_ L. en Tripolitne ; d’après F1 et F2, aussi + _Caroxylon tetragonum_, 25, 28, 156. + + Bou akerich, 108. + + Bou choucha, _Salvia lanigera_ Peir. _Salvia phlomoïdes_ Asso., 7. + + Bou deraga, ?, 128. + + Bou griba, _Zygophyllum cornutum_ Coss., _Z. Geslini_ Coss., _Z. + album_ L. (Cf. T. du N., p. 157), 47, 70. + + Carotte, 128. + + Chih, _Artemisia herba alba_ Asso. ; aussi _Artemisia campestris_ L. + (A.) et _Artemisia atlantica_ (F1) (Cf. T. du N., p. 177-178), 70, + 72, 75. + + Chou, 128. + + Citronnier, 47, 178. + + Cotonnier, 128. + + Dattier, 12, 15, 16, 20, 25, 28, 30, 39, 44, 47, 50-52, 58, 69, 77, + 93, 104, 106, 107, 109, 110, 113, 117, 127, 128, 140, 143, 144. + + Dhomràn, _Traganum nudatum_ Del., 11, 19, 25, 27, 43. + + Drin, _Aristida pungens_ Desf., 11, 17-19, 28, 34, 41, 109, 126, 146, + 147, 151, 154, 157. + + Ephedra, 17. + + Ezal (azal), _Calligonum comosum_ L’Hérit. ; aussi _Caroxylon + articulatum_ Moq. Tand. (P. M.), 17, 146, 147, 157. + + Fedjel (fidjl), _Raphanus sativus_ L. (A.), 128. + + Fève, 128. + + Figuier, 9, 47, 126, 128, 133. + + Gandoul, _Calycotome spinosa_ Lmk (A.), _guendoul_ (genêt épineux) (P. + M.), _Calycotome villosa_, _spinosa_, _intermedia_ (F1), 7. + + Garana, 128. + + Godhâm (guedhâm), _Salsola vermiculata_ L., 145. + + Goreyna (greïna), _Halocnemum tetragonum_ (F1) ; gueraïna, _Halogeton + sativus_ Moq. (P. M.), 88, 109, 110. + + Goseyba, graminée ? 145. + + Gossob (draa), _Penicillaria spicata_ Willd., 163, 169. + + Grenadier, 126, 128. + + Guerch, ? 110. + + Guetaf, _Atriplex halimus_ L., 106, 108. + + Hâd, _Cornulaca monacantha_ Del., 19, 147, 151, 153, 157. + + Halfa, _Stipa tenacissima_ L., 64, 70. + + Halhâl, _Lavandula Stoechas_ L. (P. M.), _Lavandula multifida_ L. + (F1), 27. + + Halma, _Plantago ovata_ Forsk, 18, 151, 153, 157. + + Haricot, 128. + + Harmel, _Peganum Harmala_ L., 11, 69, 77. + + Isrif, _Suaeda vermiculata_ Forsk, 109, 110. + + Jell, _Ruta bracteosa_ D. C., 108, 109. + + Jonc, 30. + + Kabouya, _Cucurbita Pepo_ Seringe, 128. + + Kelkha, _Ferula communis_ Desf. (P. M.), 7. + + Khez (Khazz = une _Lemna_ dans les oasis égyptiennes (A.), 6. + + Lebbîn, _Euphorbia guyoniana_ Boiss. _Euphorbia Paralias_ L., 34, 39. + + Luzerne, 128. + + Markh, _Genista Saharae_ Coss. (A.) (Cf. T. du N., p. 161), 17, 18. + + Melon, 128, 165. + + Methennân, _Thymelaea hirsuta_ Endl. _Passerina hirsuta_ L., 7, 110. + + Navet, 128. + + Nebqa, _Zizyphus Spina Christi_ Willd. (A.) (Cf. T. du N., p. 159), + 48. + + Neci, _Aristida plumosa_ L. _Arthratherum plumosum_ Nees. 154. + + Oignon, 128. + + Olivier, 51, 77. + + Oranger, 47. + + Orge, 128. + + Pastèque, 128, 178. + + Pêcher, 9, 47. + + Poireau, 128. + + Poirier, 128. + + Poivre rouge, 128. + + Pommier, 128. + + Réglisse, 128. + + Remeth, _Haloxylon articulatum_ Boiss. _Caroxylon articulatum_ Moq. + Tand., 7, 72, 75. + + Retem, _Retama raetam_ Webb. ; aussi _Genista barbara_ Mumby ; + _Genista Duriaei_ Spach (P. M.), 17, 77, 110. + + _Rhamnus arabica_, 103. + + Rhardeg, _Nitraria tridentata_ Desf. (A., P. M.) ; aussi _Salix + tridentata_ Viv. (Cosson, ap. A.) (Cf. T. du N., p. 175), 7, 77, 110. + + Rhodhdhâm, ghedem, _Salicornia fruticosa_ L., en Tripolitaine (A.), + guedhdham, _Salsola brevifolia_ Desf. (P. M.), 33. + + Sebot, _Aristida pungens_ Desf. _Arthratherum pungens_ P. B. Variété + non déterminée (F2) (Cf. T. du N., p. 204), 151. + + Sedra, _Zizyphus Lotus_ L., 7, 72. + + Sefâr, _Aristida brachyptera_ Coss. et Balansa ; aussi _Aristida + plumosa_ P. M., (F1 et F2), 18-20, 34, 151, 153, 156. + + Semhari, _Helianthemum sessiliflorum_ Pers. ; aussi _Helianthemum + metlilense_ Coss. et Dur. (P. M.), 41. + + Souïd, _Suaeda vermiculata_ Desf. ; aussi _Suaeda fruticosa_ Moq. + Tand. (A. et F1) ; aussi _Salsola vera_ (F2), 43, 64. + + Tabac, 13, 139-141. + + Thym, 70. + + Tarfa, _Tamarix africana_ Poiret ; aussi _Tamarix gallica_ L. 25, 47, + 57, 58, 64, 81. + + Terfâs, _Terfezia africana_ Chatin (P. M.). _Terfezia Leonis_ Tulasne, + 199. + + Tomate, 128. + + Vigne, 128. + + Zeïta, _Limoniastrum Guyonianum_ Dur., 19, 24, 25, 28, 34, 43, 57, 64, + 69, 72, 88, 109, 110, 127. + + _Zizyphus Lotus_, 86. (Voir aussi _Sedra_). + + _Zizyphus Spina Christi_, 48. + + * * * * * + + + INDEX DES ANIMAUX CITÉS + + + Alouette, 30, 32. + + Autruche, 139. + + Barbeau, 106. + + Bécassine, 30. + + Beguer-el-ouahch, 148, 153. + + Bergeronnette, 30. + + Bœuf, 49. + + _Bulimus truncatus_, 87. + + Canard, 32. + + _Cardium edule_, 87. + + Chacal, 154. + + Chameau, 155. + + Chat sauvage, 30. + + Cherchimāna, 147. + + Cheval, 161. + + Cigale, 146. + + Courlis, 32. + + Cyprinus, 83. + + Djird, 11. + + Fenek, 154. + + Flamant, 30, 32. + + Gazelle, 63. + + Gazelle commune, 152. + + Gerboise, 147. + + Héron, 30. + + Himed, 152. + + Lapin, 49. + + Libellules, 30, 164. + + Limnées, 178. + + Meha, 153, 154. + + Melania, 30. + + _Melanopsis Maroccana_, 47. + + Moustiques, 30, 192. + + Mouton, 154, 169. + + Nadja, 108. + + Ouran, 146. + + Outarde, 64. + + _Physa contorta_, 146. + + _Physa Brocchii_, 146. + + _Physa truncata_, 146. + + _Planorbis_, 157, 178. + + _Planorbis Maresianus_, 146. + + Pigeon, 165. + + Poule, 165. + + Rim, 152. + + Sanglier, 114. + + Sarcelle, 30. + + Scorpion, 141. + + Sefchi, 18. + + * * * * * + + + + + TABLE DES MATIÈRES + + * * * * * + + + Pages. + + AVANT-PROPOS V + + BIOGRAPHIE IX + + PREMIÈRE PARTIE + + CHAPITRE PREMIER. — De Biskra à l’Oued-Righ et au Souf 3 + + CHAPITRE II. — Ouargla et Tougourt 22 + + CHAPITRE III. — De Tougourt au Djérid par le Souf 34 + + CHAPITRE IV. — Au Djérid 46 + + CHAPITRE V. — Nefzaoua et Gabès 57 + + CHAPITRE VI. — Retour au Djérid par Gafsa 72 + + CHAPITRE VII. — De Tozer à Biskra 87 + + DEUXIÈME PARTIE + + CHAPITRE PREMIER. — Dans l’Oued-Righ 105 + + CHAPITRE II. — Au Souf 118 + + TROISIÈME PARTIE + + VOYAGE A GHADAMÈS + + CHAPITRE PREMIER. — Dans l’Erg 143 + + CHAPITRE II. — Arrivée à Ghadāmès 159 + + CHAPITRE III. — Ikhenoukhen 172 + + CHAPITRE IV. — Ghadamésiens et Touareg 181 + + CHAPITRE V. — A Ghadāmès (_suite_) 192 + + Errata 205 + + Addenda 207 + + Index des noms géographiques 209 + + Index des noms propres 211 + + Index des plantes citées 212 + + Index des animaux cités 214 + + * * * * * + + + + +Note du transcripteur : + + + Les changements dans l’ERRATA ont été apportés, sauf l'orthographe + d'" Insalah " et " Robaa’ya " et la modification de la note 214 (page + 140). + + Autrement : + + Page 47, note 81, " _dernière expédition des Chotts_. Paris, 1891 " + a été remplacé par " 1881 " + + Page 52, " d’égaler les contructions " a été remplacé par + " constructions " + + Page 66, " et d’une inscri tion arabe " a été remplacé par + " inscription " + + Page 162, " un nègre co-ossal qui " a été remplacé par " colossal " + + Page 173, Ajouté ( avant " quoiqu’elle ait beaucoup " + + Page 175, Ajouté » après " les Chaanba et les Souâfa, etc. " + + Page 176, Ajouté » après " et toujours mal reçus ? " et "Chaanba que + les Iboguelan." + + Page 177, Ajouté » après " le montrer à d’autres. " + + Page 214, " ghedem, _Salicornia fructicosa_ " a été remplacé par + " _fruticosa_ " + + Quelques changements mineurs de ponctuation et d’orthographe ont été + apportés, mais la plupart des variations orthographiques ont été + laissées telles quelles. + + + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 76633 *** diff --git a/76633-h/76633-h.htm b/76633-h/76633-h.htm new file mode 100644 index 0000000..17cbd14 --- /dev/null +++ b/76633-h/76633-h.htm @@ -0,0 +1,14875 @@ +<!DOCTYPE html> +<html lang="fr"> +<head> +<title>Journal de route de Henri Duveyrier | Project +Gutenberg</title> +<meta charset="utf-8"> +<link rel="icon" href="images/cover.jpg" type="image/x-cover"> +<style> +body { + margin-left: 10%; + margin-right: 10%; +} +h1 +{ + text-align: center; + font-size: 100%; + font-weight: normal; + line-height: 2; + margin-top: 1em; + margin-bottom: 1.5em; + clear: both; +} +h2 { + font-size: 110%; + text-align: center; + font-weight: normal; + line-height: 1.1; + margin-top: 2em; + page-break-before: always; 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MAUNOIR et H. SCHIRMER</span> +</p> + +<hr class="decor width2 spaced2"> + +<p class="center small spaced17 space-below15"><span class= +"letter-spaced">PRÉCÉDÉ D’UNE BIOGRAPHIE DE H. DUVEYRIER</span><br> +<span class="bold">Par Ch. MAUNOIR</span> +</p> + +<div class="container figdecor iwdecor1"><img src= +"images/decor1.jpg" alt="[Décoration]"> +</div> + +<p class="publisher"><span class="letter-spaced01">PARIS</span><br> +<span class="sc letter-spaced">Augustin</span> <span class= +"letter-spaced01">CHALLAMEL,</span> <span class= +"sc letter-spaced">Éditeur</span><br> +<span class="small">RUE JACOB, 17</span><br> +<span class="vsmall">LIBRAIRIE MARITIME ET COLONIALE</span></p> + +<hr class="decor width1"> + +<p class="center med letter-spaced">1905</p> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h2><span class="pagenum" id="Page_v">[v]</span><a id= +"ava"></a>AVANT-PROPOS</h2> + +<hr class="decor width6"> + +<p class="space-above15">Les journaux de route de Duveyrier, +c’est-à-dire les volumes de notes d’où a été tiré le livre des +<em>Touareg du Nord</em>, étaient restés inédits. Duveyrier +lui-même, ses écrits l’attestent, avait eu l’intention de les +publier quelque jour<a id="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" +class="fnanchor">[1]</a>. L’irrémédiable atteinte portée à sa santé +par les fièvres fezzaniennes ne lui en a sans doute pas laissé la +force.</p> + +<p>M. Charles Maunoir, dont la haute science avait, pendant trente +ans, armé pour le succès tant de missions géographiques françaises, +voulut faire revivre la profonde érudition, la noble conscience de +celui dont il avait été l’ami le plus cher. Il publia, en 1902, le +<em>Journal d’un voyage dans la province d’Alger</em>, que +Duveyrier écrivit à dix-sept ans. On y trouve ces choses +charmantes : un mérite naissant qui s’ignore et la première +impression de la terre d’Afrique sur l’esprit d’un grand voyageur. +M. Maunoir avait l’intention de compléter cette publication par +celle d’un des principaux journaux de route : celui du 13 +janvier-15 septembre 1860, dont le cadre s’écarte le plus de la +région envisagée dans <em>Les Touareg du Nord</em>. En tête de ce +volume devait paraître la biographie de son ami, que lui seul +pouvait écrire, avec le souvenir de tant d’années qui les avaient +étroitement unis. La mort a interrompu M. Maunoir avant qu’il eût +terminé ces lignes, les dernières qu’ait rédigées ce grand +travailleur.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_vi">[vi]</span>M<sup>me</sup> +Maunoir a eu la pieuse pensée de réaliser le dernier vœu de son +mari. Elle a mené à bien cette publication, où l’on voit encore une +fois les deux collaborateurs réunis dans ce culte de la science qui +fut leur vie.</p> + +<p>Le texte édité ici a été vu d’abord par M. et M<sup>me</sup> +Maunoir ; c’est leur goût très sûr qui a décidé du choix +délicat des coupures à faire : passages et chiffres déjà +reproduits dans <em>Les Touareg du Nord</em> ou le <em>Corpus +Inscriptionum</em>, détails personnels, sans intérêt pour la +géographie. M<sup>me</sup> Maunoir m’a fait le grand honneur de me +confier le manuscrit ainsi défini. Je me suis attaché à le +respecter aussi scrupuleusement que possible, en ne corrigeant que +des expressions évidemment défectueuses, lapsus inévitables d’une +rédaction faite au courant de la plume. Lorsque, par exception, il +m’est arrivé de supprimer une phrase entière, inintelligible, +écrite pendant un accès de fièvre, une note en avertit le lecteur. +Pour la transcription française des noms arabes, à l’exception de +ceux consacrés par l’usage, j’ai adopté partout où cela a été +possible celle à laquelle Duveyrier lui-même s’est arrêté dans +<em>Les Touareg du Nord</em>. Dans les autres cas j’ai conservé la +leçon manuscrite. Quant à l’orthographe et à la traduction des +citations en caractères arabes, M<sup>me</sup> Maunoir a obtenu le +précieux concours de M. le professeur Houdas, qu’aucun service à +rendre aux études africaines ne laisse indifférent<a id= +"FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class= +"fnanchor">[2]</a>.</p> + +<p>L’extrême dispersion des renseignements est inévitable dans un +ouvrage comme celui-ci. J’ai tâché d’en rendre la consultation plus +facile par un index des noms géographiques et des principales +matières. Les indications botaniques m’ont semblé mériter une +attention particulière : elles seront une nouvelle addition au +tableau de la répartition géographique des plantes sahariennes, +dressé en 1881 par le professeur Ascherson<a id= +"FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>. On +en trouvera la liste dans un index spécial, avec la<span class= +"pagenum" id="Page_vii">[vii]</span> synonymie botanique, d’après +les catalogues existants et les rapports de mission ultérieurs.</p> + +<p>Les notes que j’ai ajoutées au bas des pages ne représentent +qu’un minimum indispensable de commentaire. Elles indiquent +seulement les principaux documents anciens ou modernes qui m’ont +semblé confirmer ou modifier, en quelque chose d’essentiel, les +faits et théories énoncés par l’auteur. Une note additionnelle +renvoie à quelques publications capitales, survenues au cours de +l’impression. On n’en verra pas moins combien ces références +présentent d’imperfections et de lacunes. Le lecteur compétent +m’excusera peut-être, s’il songe que pour le mettre complètement au +courant de toutes les questions touchées ici, il eût fallu ajouter +un second volume et changer le caractère de l’ouvrage.</p> + +<p>Ce caractère de journal quotidien, on devait le lui conserver au +contraire, car c’est cette variété concise, ce langage plein de +saveur qui en font le mérite et le charme. Duveyrier s’y révèle +plus vivant que dans le cadre sévère des <em>Touareg du Nord</em>, +plus personnel aussi que dans cette encyclopédie qu’il a écrite +sous le contrôle d’un autre, et où l’on risque de trouver parfois +l’écho d’une pensée qui n’est pas la sienne. Si riche que soit +devenue la géographie de l’Afrique du Nord, la critique remerciera +M<sup>me</sup> Maunoir d’avoir poursuivi la publication d’un livre +qui apporte encore du nouveau après 45 ans de découvertes ; il +fait honneur à la mémoire du savant qui l’a fait connaître comme au +grand voyageur qui l’a écrit.</p> + +<p class="right pad-right2">Henri <span class= +"sc">Schirmer</span>.</p> + +<div class="footnotes" id="ftava"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_1"></a><a href="#FNanchor_1"><span class= +"label">[1]</span></a><em>Les Touareg du Nord</em>. Paris, 1864, +in-8, Introduction, p. <span class="sc2">XII</span>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_2"></a><a href="#FNanchor_2"><span class= +"label">[2]</span></a>Toutes les notes et corrections de M. Houdas +sont marquées des initiales (O. H.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_3"></a><a href="#FNanchor_3"><span class= +"label">[3]</span></a>En appendice dans Rohlfe, <em>Kufra</em>, +Leipzig, 1881, in-8, p. 386-560.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h2><span class="pagenum" id="Page_ix">[ix]</span><a id= +"bio"></a>BIOGRAPHIE</h2> + +<hr class="decor width4"> + +<p class="space-above15">Les Duveyrier ou Du Veyrier, issus d’une +famille noble du Languedoc qui s’appela naguère Arnoux-Veyrier, se +sont fixés à Aix en Provence depuis plusieurs générations.</p> + +<p>A près de deux siècles en arrière, apparaissent un Duveyrier, +procureur au Parlement de Provence, et son frère, chanoine à la +collégiale de Pignans.</p> + +<p>Le procureur eut trois fils dont l’aîné devint secrétaire de +l’Académie d’Aix ; le second succéda à son oncle comme +chanoine de Pignans. Le troisième, Gaspard Duveyrier, fut d’épée. +Le chevalier de Vertillac, ami de la famille, l’incorpora, sous le +titre de <em>cadet de Vertillac</em>, dans le régiment +d’Eu-infanterie. Blessé à la bataille de Parme (1732), où il se +conduisit vaillamment ; blessé, plus tard, d’une chute de +cheval tandis qu’il galopait devant les carrosses du roi, il était +nommé officier à l’Hôtel des Invalides à l’âge de 23 ans.</p> + +<p>Par la suite, on obtenait pour lui une lieutenance dans une +compagnie détachée sur les côtes de Provence.</p> + +<p>Gaspard Duveyrier fut le père de Joseph-Martial Duveyrier qui, +chargé comme lieutenant de la maréchaussée d’Aix de conduire +Mirabeau au fort de Joux, accorda à son prisonnier huit jours de +liberté sur parole, et n’eut pas à le regretter. Son frère, Honoré +Duveyrier, avocat de mainte cause célèbre, choisi pour défenseur du +duc d’Orléans à la suite des journées<span class="pagenum" id= +"Page_x">[x]</span> des 5 et 6 octobre, incarcéré par ordre de +Robespierre et sauvé par Hérault de Séchelles, à la veille des +massacres de la Terreur, devenait, dans le Tribunat, le +collaborateur de Portalis, Siméon et Pascalis pour la préparation +du Code civil.</p> + +<p>La Restauration qui le trouva premier président de la cour +impériale de Montpellier, ne le maintint pas dans ses fonctions, +tout en lui donnant le titre de premier président honoraire.</p> + +<p>Honoré Duveyrier laissa deux fils, dont l’un, Honoré, magistrat +congédié aussi par la Restauration, s’achemina dans les voies de la +littérature dramatique. Il y marcha longtemps, sous le nom de +Mélesville, en compagnie d’Eugène Scribe. Le fils cadet de l’ancien +tribun fut Charles Duveyrier. Esprit curieux, remueur d’idées, +Charles Duveyrier fut chaudement saint-simonien et en souffrit, +mais il conserva toujours les aspirations humanitaires qui +l’avaient conduit vers le saint-simonisme. Par la suite, et tout en +composant, lui aussi, comme son frère, des pièces de théâtre dont +plusieurs sont restées au répertoire, il s’occupa de questions +économiques, politiques et financières. Il y fit preuve de qualités +d’initiative qui, toutefois, ne le conduisirent pas à la fortune. +Doué d’une activité sans relâche et d’un savoir étendu, +Sainte-Beuve a pu écrire de lui : « Je le comparais à un +flambeau qui marchait toujours »<a id= +"FNanchor_4"></a><a href="#Footnote_4" class= +"fnanchor">[4]</a>.</p> + +<p>Charles Duveyrier consacra la dernière période de sa vie à +diriger les travaux d’une vaste Encyclopédie conçue sur un plan +particulier, et à laquelle les grands financiers Péreire voulaient +attacher leur nom.</p> + +<p>Nous arrivons enfin à Henri Duveyrier, l’éminent voyageur au +pays des Touareg, qui fut le fils de Charles Duveyrier.<span class= +"pagenum" id="Page_xi">[xi]</span> Pour ceux que de plus longs +détails sur la famille Duveyrier intéresseraient, ils les +trouveraient dans un ouvrage devenu rarissime : <em>Anecdotes +historiques, par le baron</em> D. V., tiré à 100 exemplaires. +Paris, 1837, in-8. Imprimerie de E. Duverger.</p> + +<p>Les indications ci-dessus suffisent à établir que la famille +Duveyrier a compté au moins une demi-douzaine d’hommes de mérite en +deux cents ans, moyenne tout à fait honorable.</p> + +<p class="space-above15">Henri Duveyrier est né à Paris, 48, rue de +la Chaussée-d’Antin, le 28 février 1840.</p> + +<p>La première école qu’il fréquenta fut celle de l’abbé Poiloup, à +Vaugirard. Il la quitta pour le collège fondé à Auteuil par l’abbé +Lévêque. Puis, son père, désireux de le préparer à une carrière +commerciale, l’envoya poursuivre ses études, de la fin de septembre +1854 à la fin de l’année 1855, dans un pensionnat ecclésiastique +établi à Lautrach, près Memmingen, en Bavière.</p> + +<p>Pendant cette période, Henri Duveyrier tint un journal +quotidien, pages naïves où, naturellement, apparaissent certains +traits qui se retrouveront dans le caractère de l’homme, où +s’accuse déjà une orientation marquée vers certaines études qui, en +définitive, détermineront l’avenir de l’écolier.</p> + +<p>Le microcosme où il entrait parmi des représentants de diverses +nationalités a pu se trouver un peu déconcerté en présence du +démenti donné par ce Parisien appliqué, studieux, réfléchi, à +l’opinion accréditée sur la légèreté et la futilité des Français. +Le Journal de Henri Duveyrier, à Lautrach, a de la gravité ; +l’enjouement, privilège ordinaire de la jeunesse, s’y fait peu +sentir. Il laisse entrevoir aussi un esprit rebelle aux idées +spéculatives et aux fantaisies de l’imagination. C’est ainsi que, +habituellement respectueux du devoir et de ceux qui le +prescrivaient, il se mit néanmoins en conflit avec un +professeur<span class="pagenum" id="Page_xii">[xii]</span> à propos +du sujet choisi pour une narration en allemand : +« Pensées d’un jeune homme par un beau soir d’été ». Un +autre sujet de composition : « La louange des +passions », lui inspire cette phrase : « Je vais +faire de mon mieux, mais ce sujet ne me plaît pas. Je n’aime écrire +ni pour les vertus ni pour les passions ». Par un verdict qui +semble empreint d’ironie, son discours fut choisi, « comme le +meilleur pour être déclamé à la fête de Monsieur le +Directeur » ; mais le lauréat ne se sentit pas le courage +de le « déclamer » lui-même.</p> + +<p>Élève laborieux, très bien noté, Henri Duveyrier ne se bornait +cependant pas aux travaux prescrits par les programmes du +pensionnat ; il était sollicité d’un autre côté.</p> + +<p>Nous voyons, notées avec prédilection, les causeries dans +lesquelles quelque camarade lui a cité des légendes +régionales ; il a même commencé un recueil de légendes +allemandes. Également empressé à recueillir des renseignements +philologiques, il copie des chants en langue tudesque et en langue +franque ; puis il se procure le <em>Pater</em> en goth, en +allemand et en anglo-saxon. Enfin, il entreprend un petit +vocabulaire gothique et tudesque, afin de se préparer à lire les +<em>Eddas</em> ou la Bible d’Ulfilas.</p> + +<p>L’élève Duveyrier consigne très fréquemment, dans ses notes, des +indications relatives à l’histoire naturelle. Il signale l’époque +d’éclosion et le nom des premières fleurs du printemps ; il +enregistre la rencontre de papillons ou d’autres insectes, nouveaux +pour lui. Des plantes recueillies pendant les promenades, il +compose son herbier qu’il accompagne d’indications variées ; +quelques feuillets consacrés à la faune et à la flore portent ce +titre : <em>Commentarii in faunam floramque pagi Lautrach +locorumque circumjunctorum, Lautrach, MDCCCLV</em>. La météorologie +a sa part dans un Journal tenu de décembre 1854 à août 1855, et +dans un calendrier météorologique précédé de remarques.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_xiii">[xiii]</span>Ces études-là +signalent nettement la direction dans laquelle Henri Duveyrier +s’acheminait. Un passage des notes constate aussi que M. le Préfet +de l’École lui a confisqué ses livres de latin et d’astronomie, +afin qu’il s’occupe exclusivement de l’allemand.</p> + +<p>Il n’avait pas encore atteint alors l’âge de seize ans et, déjà, +d’après des indications autobiographiques rédigées dans l’âge mûr, +il avait conçu le projet d’explorer quelque partie inconnue du +continent africain.</p> + +<p>De même que les réflexions et les jugements font presque +absolument défaut dans ces cahiers d’un enfant de quinze ans, les +menus faits de la vie quotidienne du pensionnat n’y sont +enregistrés que fort laconiquement et sans artifice. Toutefois, on +y sent comme le souffle d’une nature sincère, juste et bonne, +ferme, d’ailleurs, à maintenir son droit.</p> + +<p>Charles Duveyrier persistant à diriger son fils dans une voie +qui, sans trop de préjudice pour la culture intellectuelle, le +conduirait à l’indépendance plus rapidement que la filière +universitaire, le fait alors entrer à l’École commerciale de +Leipzig. Là, Henri Duveyrier voit s’élargir le champ de ses +travaux, de ses idées et sent, en même temps, se préciser ses +aspirations.</p> + +<p>Il ne paraît pas avoir tenu un journal de son séjour à l’École +de Leipzig, d’où il sortit avec d’excellentes notes, après y être +resté de la fin de 1855 au commencement de 1857. C’est pendant +cette période que, tout en suivant les cours de l’École, il prend +des leçons d’arabe d’un orientaliste éminent, le docteur Fleischer, +avec lequel il entretint de longues relations.</p> + +<p>Plein de déférence pour les intentions de son père, il ébaucha, +rentré en France, des études de langue chinoise, afin de se mettre +en mesure d’aborder un terrain commercial relativement neuf. Mais +il ne tarda pas à comprendre que, dominé<span class="pagenum" id= +"Page_xiv">[xiv]</span> par la suggestion des voyages ayant pour +but la science, il ne cheminerait qu’à contre-cœur dans un autre +sens<a id="FNanchor_5"></a><a href="#Footnote_5" class= +"fnanchor">[5]</a>. Il s’en ouvrit donc résolument à son père, qui +finit par céder. Charles Duveyrier étant d’esprit entreprenant, +enclin aux initiatives, cette capitulation, dictée surtout par +l’affection, ne dut lui causer ni trop d’efforts, ni trop de +regrets. Ancien disciple de Saint-Simon, il ne répudia pas la +devise saint-simonienne : « A chacun suivant sa +capacité ». — Or c’était, à coup sûr, une présomption de +capacité de la part de son fils que d’avoir, de propos raisonné, +choisi la route à prendre. Quant au reste de la doctrine, +n’était-ce pas devenir aussi producteur, servir l’intérêt général, +que d’aller, au prix d’un dangereux labeur, demander à des terres +inconnues la révélation de nouveaux groupes humains, +l’élargissement du champ d’activité de notre +civilisation ?<a id="FNanchor_6"></a><a href="#Footnote_6" +class="fnanchor">[6]</a></p> + +<p>Quoi qu’il en soit, H. Duveyrier échappa à la carrière +commerciale. Sans aucun doute, il eût été un commerçant éclairé, +laborieux et probe ; mais ces qualités ne sont pas, dit-on, +rigoureusement nécessaires et suffisantes pour mener à la +fortune,<span class="pagenum" id="Page_xv">[xv]</span> commun point +de concours des commerçants. Elles doivent être renforcées +d’ambitions d’un ordre spécial qui ne sont pas données à tous, et +dont H. Duveyrier n’était pas doué. Peu désireux de briller, sans +grand souci du bien-être matériel, il n’était pas séduit par le +luxe. Les efforts tendus à d’autres fins que la recherche de la +vérité sur les choses de la nature et l’étude de sciences libérales +lui semblaient un peu oiseux.</p> + +<p>Charles Duveyrier avait si largement adopté les projets formés +par son fils qu’il le mit de suite à même de commencer à en +préparer la réalisation.</p> + +<p>Tous les ouvrages nécessaires furent achetés, et le candidat +explorateur entreprit, dès ce moment, quelques études +spéciales.</p> + +<p>Au début de 1857, dans l’intention d’éprouver ses forces et ses +aptitudes, il accomplissait un voyage en Algérie.</p> + +<p>Débarqué à Alger le 26 février, il débute par une excursion à +Kandouri<a id="FNanchor_7"></a><a href="#Footnote_7" class= +"fnanchor">[7]</a>, à une trentaine de kilomètres dans l’ouest +d’Alger, non loin du lac Halloula. Kandouri était la résidence du +Docteur Warnier, homme de grande valeur, qui devait, par la suite, +exercer une influence considérable sur la vie et les travaux de +Henri Duveyrier.</p> + +<p>Le 8 mars, il partait pour une course plus longue : Djelfa +et Laghouât, d’où il revint, dans le milieu d’avril, par Bou Zid et +Caïd Djelloul.</p> + +<p>Cette course, exécutée avec Oscar Mac-Carthy dont les +connaissances variées furent précieuses à son compagnon +de<span class="pagenum" id="Page_xvi">[xvi]</span> route, a été +relevée dans un journal récemment imprimé<a id= +"FNanchor_8"></a><a href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a> à +l’intention de ceux qui avaient connu et aimé Henri Duveyrier. Ils +ont assisté, ainsi, à ses premiers pas déjà très fermes, dans une +carrière où il a conquis une juste célébrité.</p> + +<p>Sa relation est empreinte d’une sincérité, d’une naïveté qui +sont presque des mérites littéraires. Entre autres faits, elle +mentionne la joie qu’inspira au futur voyageur la rencontre, à +Laghouât, d’un Targui envoyé par Ikhenoukhen, et avec lequel il eut +d’excellents rapports.</p> + +<p>De là, peut-être, une prédisposition qui détermina le voyage de +Henri Duveyrier chez les Touareg.</p> + +<p>Voici en quels termes le jeune voyageur rapporte sa dernière +entrevue avec le Targui fortuitement rencontré... +« Mohammed-Ahmed promit que, lorsqu’il serait de retour dans +son pays, il m’enverrait un livre en targui, et comme je voulais +lui faire un cadeau capable de cimenter notre amitié, je crus +n’avoir rien de mieux à faire que de lui donner mes pistolets et ma +poire à poudre, ce que je fis immédiatement. Ce cadeau de ma part +le rendit tout confus, et il dit à M. le Commandant<a id= +"FNanchor_9"></a><a href="#Footnote_9" class= +"fnanchor">[9]</a> : « Ce jeune homme est si bon pour +moi ; il m’a donné du tabac, du sucre, des foulards ; il +me donne maintenant des pistolets. Je ne sais comment le lui +rendre ; je vais faire chercher mon méhari et le lui +donner. » Nous eûmes beaucoup de peine à lui faire comprendre +que je ne voulais pas le priver de son chameau qui allait lui +devenir nécessaire pour retourner à R’hât, et que, du reste, je +serais fort embarrassé pour l’emmener dans mon pays ; que je +le remerciais beaucoup de son offre et que j’en étais aussi content +que si le méhari était devenu ma propriété. Il demanda<span class= +"pagenum" id="Page_xvii">[xvii]</span> alors à M. le Commandant +s’il n’y avait pas moyen de m’emmener avec lui dans son pays. On +lui répondit, pour l’éprouver, qu’il n’aurait pas assez soin de +moi ; mais le Targui prit cela au sérieux, et se mit à +expliquer avec chaleur que, chez lui, c’était un devoir de prendre +soin de son ami et que, sous sa protection, il ne m’arriverait +aucun mal. Je lui dis alors qu’un jour peut-être, j’irais le voir. +« In ch’Allah ! s’il plaît à Dieu, répondit-il, et il se +retira satisfait.... »</p> + +<p>A la suite de son voyage d’essai, H. Duveyrier publia, dans le +recueil de la Société orientale de Berlin, une notice sur quatre +tribus berbères<a id="FNanchor_10"></a><a href="#Footnote_10" +class="fnanchor">[10]</a> : les Beni-Menasser, les Zaouaoua, +les Mzabites, les Touareg Azdjer. Il y résumait ce qu’il avait pu +apprendre sur ces tribus « pendant son rapide et court voyage +dans nos possessions algériennes ». Cette publication de début +consiste surtout en un vocabulaire comparé des idiomes des quatre +tribus. On y sent un auteur bien documenté et soigneux de +l’exactitude.</p> + +<p>L’année même où il faisait, en quelque sorte, ses premières +armes, fut marquée par un incident qui exerça sur la suite de ses +travaux une influence marquée.</p> + +<p>Pendant un voyage à Londres, où habitait une branche de sa +famille, il eut la bonne fortune d’être mis en relation avec Henri +Barth, alors occupé à écrire la relation de ses voyages.</p> + +<p>Dans une belle notice nécrologique consacrée au voyageur +allemand, H. Duveyrier raconte l’accueil qu’il reçut de lui<a id= +"FNanchor_11"></a><a href="#Footnote_11" class= +"fnanchor">[11]</a>... « M. le professeur Fleischer, de +Leipzig, orientaliste éminent près duquel j’avais appris la langue +arabe, et qui connaissait mes projets de voyages en Afrique, +m’avait adressé et recommandé<span class="pagenum" id= +"Page_xviii">[xviii]</span> au D<sup>r</sup> Barth, alors à +Londres. Je le vis pour la première fois en 1857.</p> + +<p>« Il essaya d’abord de me dissuader d’entreprendre si jeune +ces durs labeurs ; mais n’ayant pu ébranler ma ferme +résolution, il me prodigua, avec une bienveillante sollicitude, les +instructions et les conseils. A peine mon arrivée dans le pays des +Beni-Mzab lui était-elle connue, qu’il s’empressa de m’écrire. Par +ses lettres, pleines d’affectueux conseils et de précieuses +indications, il veillait de loin au succès de mon entreprise, +m’ouvrant des points de vue nouveaux, me signalant les faits +capitaux qui devaient appeler mon attention. Bientôt il m’envoyait +une lettre circulaire, écrite en arabe, et adressée à tous ses amis +du Sahara et du Soudan, pour me protéger en cas de besoin. En même +temps, il me transmettait une lettre spéciale pour le cheikh +El-Bakkây ; je parvins heureusement à la remettre à son neveu, +dont les bons offices m’ont été très utiles. J’étais Français, +cependant, mais l’esprit étroit de rivalité ne pouvait avoir accès +près de ce grand cœur... »</p> + +<p>Plusieurs lettres à Henri Duveyrier ou à son sujet, attestent, +en effet, les sentiments d’estime et de sympathie de Henri Barth +pour un émule dont il avait pressenti le mérite et avec lequel +d’ailleurs, il resta, jusqu’à la fin de sa vie, en relations très +affectueuses.</p> + +<p>Quand mourut le D<sup>r</sup> Barth (25 novembre 1865), la +famille de l’illustre explorateur fit hommage d’une partie de ses +papiers scientifiques à Henri Duveyrier qui avait si bien retenu +ses leçons et si consciencieusement étudié son œuvre.</p> + +<p>De retour d’Angleterre, vers le milieu de 1857, Henri Duveyrier +se mit, avec ardeur, en mesure d’entreprendre un voyage de +pénétration au cœur du Sahara. Il étudia, la plume à la main, ce +que la géographie savait alors des contrées vers lesquelles il +allait se diriger. A la vérité, pour le lointain<span class= +"pagenum" id="Page_xix">[xix]</span> Sahara central, les seules +sources d’informations précises étaient, outre la relation de +Caillié, les ouvrages dans lesquels Richardson, Barth, Overweg et +Vogel avaient consigné les importants résultats des missions +anglaises accomplies par eux de 1850 à 1853.</p> + +<p>Les itinéraires de ces missions partant de Tripoli pour se +diriger vers le lac Tchad, traversaient, par Mourzouk et Rhât, les +immensités sahariennes comprises entre la côte et le Soudan. Les +papiers de Henri Duveyrier renferment des feuillets dans lesquels +il avait commencé à décrire sommairement les pays qu’il se +proposait d’explorer.</p> + +<p>Dans d’autres pages il indiquait les grandes étapes de sa +marche, les résultats principaux à atteindre aux points de vue +politique, scientifique, commercial ; il y énumérait, avec un +soin qui révèle beaucoup de réflexion, les travaux à exécuter, les +recherches à faire, les notes à prendre. On sent, en ces pages, +l’homme qui entend être autre chose qu’un touriste audacieux, +dominé par la seule pensée « d’être le premier à avoir +vu ».</p> + +<p>La jeunesse de l’auteur se révèle, toutefois, dans l’ampleur du +projet primitif qui comprenait une reconnaissance du Touât et +l’exploration du pays alpestre des Touareg Hoggar.</p> + +<p>Il s’est aperçu, en face de la réalité, que l’imprévu +n’abandonne jamais ses droits et que les projets les mieux étudiés +comportent de grands mécomptes, quand il s’agit de pénétrer dans +des contrées nouvelles, au milieu de populations méfiantes ou +hostiles.</p> + +<p>Tout en s’assimilant les données acquises par ses devanciers et, +plus spécialement, par le docteur H. Barth, il travaillait avec +ardeur à acquérir les notions si variées qu’exige une exploration +scientifique largement comprise.</p> + +<p>Il s’attacha, en particulier, à bien connaître les méthodes, +comme le maniement des instruments de détermination des latitudes, +longitudes et altitudes.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_xx">[xx]</span>Cette préparation, +qui est délicate, qui exige beaucoup d’application, de soin, de +persévérance, est en quelque sorte, une pierre de touche de la +vocation d’un candidat à la carrière d’explorateur. Les +observations astronomiques en cours de route ajoutent, d’ailleurs, +aux difficultés, parfois même aux dangers du voyage.</p> + +<p>Henri Duveyrier eut la bonne fortune de rencontrer, comme +professeurs, tout d’abord Lambert-Bey, l’un des ingénieurs que +Méhémet-Ali avait envoyés en avant-garde dans sa marche vers le +Haut Nil ; puis un astronome hors de pair, Yvon +Villarceau ; enfin, M. Renou, membre de la commission +scientifique de l’Algérie, constituée en 1837. Il avait commencé +ses travaux scientifiques au milieu des combats livrés par les +colonnes expéditionnaires chargées d’établir l’autorité de la +France dans ce qui était alors le Sud-Algérien.</p> + +<p>M. Renou initia aussi H. Duveyrier aux observations +météorologiques<a id="FNanchor_12"></a><a href="#Footnote_12" +class="fnanchor">[12]</a> sans lesquelles il n’est pas +d’exploration complète ; le professeur, ici, se doubla d’un +ami dont les lettres, pleines d’excellentes instructions, attestent +aussi la plus affectueuse sollicitude pour son élève.</p> + +<p>En histoire naturelle et en géologie, c’est au Muséum qu’il +demanda le complément de l’instruction acquise dès sa jeunesse.</p> + +<p>Le savant naturaliste A. Duméril lui apprit l’art de préparer +les mammifères et les oiseaux pour les envoyer en Europe.</p> + +<p>M. Hérincq, auteur de travaux estimés, qui fut l’un des derniers +à porter le titre de « garde des Galeries de botanique +au<span class="pagenum" id="Page_xxi">[xxi]</span> Muséum », +se chargea de l’initier aux soins faute desquels la formation d’un +herbier est à peu près peine perdue.</p> + +<p>Pour la géologie et la minéralogie, Henri Duveyrier eut les +renseignements de M. Hugard, alors aide-naturaliste au Muséum sous +la direction de l’éminent Dufrenoy.</p> + +<p>On a vu précédemment que l’élève de l’école de Lautrach +s’intéressait aux questions de linguistique et +d’ethnographie ; aussi, ne manqua-t-il pas demander à Léon +Renier, à Ernest Renan, à son ancien professeur Fleischer les +directions nécessaires pour accomplir convenablement cette partie +de sa tâche.</p> + +<p>La recherche, la copie, l’estampage des inscriptions lui furent +tout spécialement recommandés, et nous savons qu’il a fait, dans +cet ordre d’idées, des découvertes enregistrées par l’épigraphie et +l’histoire.</p> + +<p>H. Duveyrier savait trop combien il lui importait d’être bien +compris des peuples au milieu desquels il devait vivre, surtout de +les bien comprendre, pour ne pas chercher à se perfectionner dans +la langue arabe qu’il avait apprise à Leipzig. Il le fit sous la +direction du D<sup>r</sup> Perron, de Reinaud, de Caussin de +Perceval.</p> + +<p>Ses facultés en pleine sève de jeunesse, stimulées par la +perspective du voyage prochain, soutenues dans leur effort par une +intense application au travail et une méthode excellente, furent, +pendant plus d’une année, tendues sur l’accomplissement du +programme d’études que H. Duveyrier s’était fixé à lui-même. Il l’a +exposé dans un texte qui dénote la notion claire de tout ce +qu’exige une exploration en pays nouveau. L’influence des conseils +du docteur Barth ne fut probablement pas tout à fait étrangère à +l’ampleur de ce programme.</p> + +<p>On y discerne aussi une pensée de haute solidarité, une +inspiration à servir les intérêts communs ; il y a là un +reflet des théories du saint-simonisme.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_xxiii">[xxiii]</span>En résumé, +dans un ardent désir de réussite, H. Duveyrier s’était mis +promptement à même de recueillir avec discernement des données sur +l’histoire, la géographie physique et économique, l’ethnographie, +la linguistique des contrées, en grande partie inexplorées, où il +allait s’avancer. Sans doute, une initiation si rapide ne pouvait +être ni développée ni profonde. H. Duveyrier qui s’en rendait +compte, fit de constants efforts pour la compléter. M. Renou l’y +encourageait en lui écrivant d’amicales remontrances sur sa façon +d’observer, soit en astronomie, soit en météorologie.</p> + +<p>Il est superflu d’ajouter que les préparatifs matériels furent à +la hauteur de la préparation scientifique du voyage. On possède la +liste des instruments d’observation et des objets variés qui +devaient contribuer au succès de l’entreprise.</p> + +<p>H. Duveyrier n’ignorait pas les risques au-devant desquels il +marchait. — « Je sais très bien, écrivait-il dans l’un de ses +carnets de notes, que le voyage que je vais entreprendre n’est pas +sans dangers, mais je me sens plein de confiance en mes propres +forces, et j’espère qu’avec beaucoup de prudence et de patience, et +toute mon énergie, je parviendrai à les éviter, et que je mènerai +ainsi mon expédition à bonne fin. L’événement prouvera si je me +suis trompé. »</p> + +<p>H. Duveyrier avait décidé de voyager ouvertement comme chrétien, +au lieu d’adopter ou de feindre l’Islamisme qui lui aurait été une +sorte de sauvegarde. Par respect pour lui-même et pour la croyance +des autres, il lui eût répugné de se livrer aux manifestations +d’une foi factice. Sa répulsion pour les voies tortueuses s’était +doublée d’une confiance juvénile, robuste, dans le prestige de +l’honnêteté et la puissance de la droiture. Ce furent là les +éléments essentiels de sa résolution. Peut-être aussi, en y +réfléchissant, fut-il amené à conclure qu’un vernis de religion +musulmane pourrait ne pas suffire à protéger le voyageur +<em>roumi</em> contre l’animadversion<span class="pagenum" id= +"Page_xxiv">[xxiv]</span> des Sahariens. En pareil cas, tout serait +perdu, même l’honneur.</p> + +<p>Quelque garantie qu’il vît dans l’honnêteté de ses intentions, +Duveyrier se prémunit contre le danger auquel l’exposait sa qualité +de chrétien. Recherchant les passages où le Coran prêche la +tolérance envers les autres religions et le respect pour les hôtes, +il se mit en mesure de discuter, de combattre les arguments qui +seraient invoqués contre lui.</p> + +<p>Il lui restait les risques auxquels pouvait l’exposer, en sa +qualité de Français, quelque expédition militaire dans +l’extrême-sud, coïncidant avec son voyage.</p> + +<p>S’il s’interdisait de partager la foi des Arabes, il revêtit +leur costume, autant par hygiène que pour s’identifier, s’assimiler +le plus possible aux hommes dont il devait partager la vie, et +auprès desquels il entendait se montrer juste avant tout. Sur ce +dernier point, il était d’accord avec le D<sup>r</sup> Barth qui +lui écrivait, vers le milieu de 1859 : «... la meilleure arme +pour le voyageur chrétien, dans ce pays, consiste en une probité +impeccable vis-à-vis des indigènes... ».</p> + +<p>Voilà de nobles principes, et dignes de respect, mais trop +élevés peut-être pour émouvoir des gens à moitié barbares, +habitués, par tradition, à ne subir d’autre ascendant que celui de +la force. La justice et la probité ne sont, du reste, pas +inconciliables avec la fermeté, la sévérité auxquelles le voyageur +le plus endurant est, parfois, obligé de faire appel.</p> + +<p>Comme nom de voyage, il adopta celui de +Sid-Saad-ben-Doufiry ; le nom de Saad se traduit par notre nom +de Félix, et ben-Doufiry signifie fils de Duveyrier, ce dernier nom +étant accommodé à la prononciation arabe.</p> + +<p class="right pad-right2">Charles <span class= +"sc">Maunoir</span>.</p> + +<div class="footnotes" id="ftbio"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_4"></a><a href="#FNanchor_4"><span class= +"label">[4]</span></a><em>Lettre à la Princesse</em> (1873), p. +245.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_5"></a><a href="#FNanchor_5"><span class= +"label">[5]</span></a>Évidemment, ce n’était pas par un fugitif +mouvement d’enthousiasme juvénile que H. Duveyrier avait conçu le +dessein d’explorer l’Afrique. Dans l’introduction au Journal de son +voyage chez les Touareg, il écrivait, le 23 juin 1859 : +« Depuis l’âge où les idées commencent à prendre une tournure +raisonnable, un attrait invincible m’a attiré vers le continent +africain... »</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_6"></a><a href="#FNanchor_6"><span class= +"label">[6]</span></a>Cette hypothèse au sujet des idées de Ch. +Duveyrier trouve confirmation dans une lettre qu’Arlès-Dufour, le +grand financier saint-simonien, écrivait à Henri Duveyrier et dont +Charles Duveyrier avait, lui-même, pris copie. On y lit le passage +suivant : « Si, décidément, tes aptitudes ne se plient +aux études commerciales que par violence et avec répugnance, il +serait irréligieux à ton père et à moi d’abuser de ton obéissance +pour te les faire poursuivre, et il faudrait y renoncer franchement +pour te vouer sans réserve aux études auxquelles te poussent +évidemment ta vocation, c’est-à-dire ta nature. Dieu est très avare +de ces vocations évidentes qui ne permettent aucun doute, et c’est +un devoir sacré de les respecter, de les favoriser même, quand on +le peut. Si tu savais, mon enfant, combien d’existences manquées et +malheureuses, combien de forces perdues pour la société, par suite +de vocations méconnues et faussées !... »</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_7"></a><a href="#FNanchor_7"><span class= +"label">[7]</span></a>... « Quand vous viendrez ici, je vous +conduirai à Kandouri, un Versailles sauvage, un Versailles du bon +Dieu, un vrai paradis terrestre. Là, vous verrez ce qu’était le +monde quand il est sorti des mains du Créateur. Vous vous y +trouverez au milieu d’Arabes qui vous traduiront la Bible en fait, +beaucoup mieux que votre père et ses collègues de la Société des +artistes dramatiques n’ont traduit, au théâtre, notre société +moderne. »</p> + +<p>(Lettre du D<sup>r</sup> Warnier à Henri Duveyrier, Alger, le 11 +juillet 1855.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_8"></a><a href="#FNanchor_8"><span class= +"label">[8]</span></a><em>Journal d’un voyage dans la province +d’Alger</em>, par Henri Duveyrier. Paris, Challamel.</p> + +<p>Cet ouvrage n’est pas dans le commerce.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_9"></a><a href="#FNanchor_9"><span class= +"label">[9]</span></a>Le commandant Margueritte, devenu le général +Margueritte, tué à Sedan.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_10"></a><a href="#FNanchor_10"><span class= +"label">[10]</span></a>Notizen über vier berberische +Völkerschaften, während einer Reise in Algerien nach Hallûla-See +und nach Laguât in Februar, Marz und April 1857, gesammelt von H. +Duveyrier. — <em>Zeitschrift der deutschen morgenländischen +Gesellschaft</em>, t. XII, 1858, p. 176-186.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_11"></a><a href="#FNanchor_11"><span class= +"label">[11]</span></a>Henri Barth, ses voyages en Afrique et en +Asie. <em>Revue contemporaine</em>, 1866, 4<sup>e</sup> livraison, +28 février.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_12"></a><a href="#FNanchor_12"><span class= +"label">[12]</span></a>Nous avons une preuve du soin apporté par H. +Duveyrier à sa préparation, dans le fait qu’en 1858, du 6 au 12 +novembre, il avait fait, à la fenêtre de l’appartement que son père +occupait, rue de Grenelle, n<sup>o</sup> 123, une série +d’observations météorologiques dans le but de régler la marche d’un +baromètre anéroïde.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<div class="page"> +<p class="center large"><span class="pagenum" id= +"Page_1">[1]</span>JOURNAL DE ROUTE</p> +</div> + +<h2 class="space-above"><span class="pagenum" id= +"Page_3">[3]</span><a id="p1"></a>PREMIÈRE PARTIE</h2> + +<hr class="decor width6 spaced2"> + +<h3 class="nopb"><a id="p1c01"></a>CHAPITRE PREMIER</h3> + +<p class="sch">DE BISKRA A L’OUED-RIGH ET AU SOUF</p> + +<p class="datesect">Biskra, 13 janvier 1860.</p> + +<p>J’ai fait aujourd’hui une liste des peuplades <em>nègres</em> +qui sont représentées dans la petite colonie de Biskra. Voici la +liste de ces tribus ; je crois que, plus tard, elle devra être +complétée. J’ai mis un astérisque devant les noms de peuplades dont +nous ne connaissons la langue d’aucune manière : 1. Bornou. — +2. Haoussa. — 3. Bagirmi. — 4. Felata. — 5. Mboum<a id= +"FNanchor_13"></a><a href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>. +— 6. Mandara. — 7. Koenna<a id="FNanchor_14"></a><a href= +"#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>. — 8. * Kanembou. — 9. +Teda. — 10. Timbouktou (Zonghay). — 11. Mbāna. — 12. Ouaday. — 13. +* Manga<a id="FNanchor_15"></a><a href="#Footnote_15" class= +"fnanchor">[15]</a>. — 14. * Doura. — 15. Katsena. — 16. Bambara. — +17. Logonē. — 18. Derge. — 19. Affadē. — 20. Ngāla. — 21. Kouri. — +22. Maggari<a id="FNanchor_16"></a><a href="#Footnote_16" class= +"fnanchor">[16]</a>. — 23. Margi. — 24. Kerrekerre. — 25. +Ngouzzoum<a id="FNanchor_17"></a><a href="#Footnote_17" class= +"fnanchor">[17]</a>. — 26. Hadamoua<a id="FNanchor_18"></a><a href= +"#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a>.</p> + +<p>Ces nègres ont formé un petit village de huttes en +branches<span class="pagenum" id="Page_4">[4]</span> de palmiers, +situé à l’origine des plantations, près du nouveau Biskra, dont il +forme un petit faubourg. Les femmes portent des costumes de leur +pays, tandis que les hommes ont choisi, dans les costumes de tous +les peuples avec lesquels ils sont en relations, tous les oripeaux +et les guenilles de couleurs voyantes qu’ils ont pu se +procurer.</p> + +<p>Je me promène dans l’oued Biskra ; dans les terres +d’alluvions qui renferment son lit, on trouve les coquilles d’une +espèce de gastéropode assez curieuse par ses formes qui rappellent +celles des coquilles marines. La bouche est formée par une +échancrure, la forme générale est entre celle de la limnea et celle +de l’oliva, le test est assez dur ; les bords de l’ouverture +sont tranchants ; la couleur de la coquille est d’un noir +olivâtre, mais passe par toutes les couleurs jusqu’au blanc, selon +qu’elle est plus ou moins ancienne dans la couche d’alluvions. Ce +mollusque vit actuellement dans certains ruisseaux de l’oued +Biskra<a id="FNanchor_19"></a><a href="#Footnote_19" class= +"fnanchor">[19]</a> ; on le trouve en masses considérables. — +L’eau dans laquelle il vit ressemble, comme goût, à celle que l’on +boit en ville, c’est-à-dire qu’elle est légèrement saumâtre. — Un +mollusque herbivore se trouve ici en grand nombre sur les tiges de +cannes, roseaux qui croissent dans l’eau.</p> + +<p>Je prends ici l’occasion de faire remarquer que les eaux des +ruisseaux en question renferment un second gastéropode, qui est +turriculé et à tours de spire ornés de côtes. Ce mollusque vit dans +la vase, où l’on a de la peine à le distinguer à cause de sa +couleur cendrée. — Je crois qu’il est identique à celui des eaux +artésiennes de l’oued Righ<a id="FNanchor_20"></a><a href= +"#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>. Ce dernier vit dans les +<em>saquias</em> des jardins de Tougourt, dans une espèce de plante +fluviatile (acotylédone, je crois) qui forme une mousse verdâtre. +J’en ai dans le flacon à alcool n<sup>o</sup> 2.</p> + +<p class="datesect">Biskra, 14 janvier.</p> + +<p>J’emploie ma matinée à prendre l’heure exacte à une minute près, +pour M. le colonel Séroka ; je fais, par la même occasion, le +calcul du lever du soleil pour cette année à Biskra ; je +trouve qu’il<span class="pagenum" id="Page_5">[5]</span> faut +retrancher 42 minutes du temps du lever à Paris. — L’horloge +avançait de 38 minutes ! Les cadrans solaires ont, je crois, +une erreur de quelques minutes, 7 minutes environ.</p> + +<p>Dans l’après-midi, je vais avec ces Messieurs du télégraphe et +M. Colombo pour lever le plan du petit hameau de El’Aliya dont on +voit les hauts palmiers tout près de Biskra. — C’était pour montrer +à ces Messieurs comment il fallait opérer.</p> + +<p>El’Aliya touche d’un côté à l’oued dont les berges à pic +s’éboulent à chaque crue ; nous aperçûmes là des restes de +fondations romaines et de vastes tubes de terre cuite superposés, +le tout enchâssé dans les berges, et mis à nu par les eaux. Nous +hésitons encore à déterminer quel était l’usage de ces +constructions.</p> + +<p>Près de là est un cimetière, que l’eau ronge aussi, laissant +voir des squelettes à moitié découverts. Je prendrai là quelques +crânes pour ma collection.</p> + +<p>Dans le milieu de l’oued, près d’El’Aliya, est une construction +carrée, évidemment romaine, remarquable en ce qu’elle n’a ni portes +ni autres ouvertures. Actuellement elle est remplie de terre +jusqu’au sommet. Les murs sont bien conservés, si ce n’est pour une +ou deux petites brèches rondes qu’y fit Salah Raïs avec son +artillerie. Il croyait, comme les Arabes aujourd’hui, que cette +construction renferme un trésor.</p> + +<p>Un peu plus loin encore se trouve la coubba de Sidi-Zurzour qui +fut bâtie sur une construction analogue à celle dont je viens de +parler.</p> + +<p>Le cours de l’oued dans toute sa longueur, à part quelques +bandes de terre végétale alluviale dont j’ai parlé plus haut, est +couvert de galets et de pierres roulées, quelquefois énormes ; +la plupart sont de grès, d’autres de calcaire compact.</p> + +<p class="datesect">Biskra, 15 janvier.</p> + +<p>Aujourd’hui j’ai fait avec M. Colombo une promenade à pied à la +source thermale de Hammâm Salahîn. La direction est vers le nord, +appuyant un peu à l’ouest, je crois, et à 6 kilomètres du fort +Saint-Germain ; cependant je ne serais pas étonné que la +distance fût un peu plus grande. Les bains sont entourés d’une +construction, avec des chambres pour la commodité des baigneurs. +Les eaux sont salées et ont, de plus, une forte odeur +d’hydrogène<span class="pagenum" id="Page_6">[6]</span> sulfuré. La +température de l’eau au bord du bassin, là où elle s’en échappe, +était de :</p> + +<table class="tless"> +<tr> +<td>44°,8</td> +<td>thermomètre</td> +<td>186</td> +<td>de Baudin.</td> +</tr> + +<tr> +<td>44°,7</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>207</td> +<td class="tdc">—</td> +</tr> +</table> + +<p>Au milieu, à l’endroit où elle jaillit en bouillonnant, la +température prise par M. Colombo était de :</p> + +<p class="center space-above1 space-below1 less">45°,1 thermomètre +207 de Baudin<a id="FNanchor_21"></a><a href="#Footnote_21" class= +"fnanchor">[21]</a>.</p> + +<p>M. Colombo entra dans le bain, mais, pour moi, je me contentai +d’y mettre les pieds, qui me firent mal au bout de quelque +temps.</p> + +<p>La raison de cette excursion était mon désir de me procurer des +poissons vivant dans la <em>saguia</em> qui sort de la source, et +qui conserve encore assez longtemps sa température élevée et plus +encore les sels dont elle est saturée. Ces poissons, dont je +réussis à me procurer quelques exemplaires, ressemblent beaucoup à +ceux des eaux artésiennes de l’oued Righ<a id= +"FNanchor_22"></a><a href="#Footnote_22" class= +"fnanchor">[22]</a> ; ils vivent dans une eau qui peut avoir +30°. — Dans la même saguia croît une plante acotylédone +<span class="arabic">خز</span><a id="FNanchor_23"></a><a href= +"#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a>, à feuilles filiformes +très ténues, la même, je crois, qui est si commune dans les +<em>saguiet</em> de Tougourt, et qui sert de nourriture aux +coquillages turriculés et aux glyphisodons ou perches à dents +fendues. J’en ai pris un échantillon, et un Arabe qui était là m’a +dit que cette plante servait de remède pour les maux d’yeux. +Sont-ce les sels dont elle doit être imprégnée qui lui donnent +cette vertu ? Je suis très porté à le croire. Autour de la +source thermale, on voit de nombreux tufs calcaires, presque +entièrement composés de débris végétaux. D’autres pierres s’y +trouvent aussi ; j’en ai recueilli. On trouve près de là un +petit lac de forme circulaire, que j’ai visité à mon premier +passage ici. L’eau en est remarquablement froide<a id= +"FNanchor_24"></a><a href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a>, +et<span class="pagenum" id="Page_7">[7]</span> la profondeur m’en a +été donnée (16 mètres) par M. Colombo qui l’a mesurée.</p> + +<p>Voici la liste des plantes dont je me rappelle le nom et que +nous avons rencontrées en revenant de la source : +<em>Bageul</em>, <em>remeth</em>, +<em>kelkha</em>,<em>methennân</em>, <em>rhardeg</em>, +<em>sedra</em>, <em>gandoul</em> (bou choucha)<a id= +"FNanchor_25"></a><a href="#Footnote_25" class= +"fnanchor">[25]</a>.</p> + +<p class="datesect">Biskra, 16-17 janvier.</p> + +<p>Visite au colonel Séroka. — Il me prête des calques superbes de +cartes sur le Sahara ; j’en copie un aujourd’hui même.</p> + +<p>Je remarque un fait important pour mes observations. Mon +baromètre n<sup>o</sup> 892 est dérangé. Mais il ne l’est que +depuis mon départ pour Constantine, car à cette époque je réglai +mon anéroïde qui, maintenant, suit à peu près la marche du +Gay-Lussac de M. Colombo.</p> + +<p class="datesect">Biskra, 18-19 janvier.</p> + +<p>M. Colombo dont j’ai déjà parlé est un ancien sous-officier. Il +dirige l’école arabe française de Biskra. C’est une école où les +jeunes Arabes peuvent apprendre le français et les éléments de nos +sciences. Cette école est assez bien suivie, et j’ai pu me rendre +compte des progrès intéressants qu’ont faits les élèves de M. +Colombo. Leur maître est assez versé dans la connaissance de +l’arabe, et il se perfectionne chaque jour dans la science par une +étude diligente<a id="FNanchor_26"></a><a href="#Footnote_26" +class="fnanchor">[26]</a>. Son traitement est de 1.800 fr. par +an ; il a un aide, Arabe de Constantine, élève de M. +Cherbonneau, et qui, je crois, perçoit, un traitement de 100 fr. +par an.</p> + +<p>Le colonel Séroka me dit que l’on avait commencé un forage à +’Ain Baghdad, et qu’il fut interrompu lors de la guerre +d’Italie.</p> + +<p class="datesect">1<sup>er</sup> février 1860.</p> + +<p>Je quittai aujourd’hui Biskra ; MM. Manaud, Colombo et +Falques vinrent me dire adieu avant mon départ. J’avais dit adieu +au colonel hier au soir.</p> + +<p>Je suivis sur ma jument la marche lente des chameaux +jusqu’à<span class="pagenum" id="Page_8">[8]</span> ce qu’étant +enfin arrivés en vue des broussailles de tamarix que l’on a cru +pouvoir nommer « forêt » de Saada, je fis partir ma +monture au trot et j’arrivai au bordj de Taïr Rassou.</p> + +<p>Le kaïd Si Khaled était absent, mais il revint bientôt ; il +avait été en cherche de sangliers et rentrait sans en avoir vu un +seul. — Ce fut peut-être là la raison de son accueil froid ; +car il ne me fit servir qu’une <em>berboucha</em> qu’à la vérité il +partagea avec moi. — Je n’avais du reste que quelques moments à lui +consacrer, et je repartis de suite pour arriver à Chegga avant la +nuit.</p> + +<p>La route de Tougourt sur laquelle je marchais est assez bien +tracée, surtout depuis que des voitures y sont allées. Aussi +n’avais-je guère crainte de me perdre.</p> + +<p>J’arrivai à Chegga après le coucher du soleil. J’y trouvai, +outre M. Lehaut, des officiers du bataillon avec qui j’avais fait +connaissance à Tougourt.</p> + +<p>Les chameaux arrivèrent pendant la nuit.</p> + +<p>Je dois noter que sur la route, un peu après la rivière, j’ai +rencontré cinq ou six petits monuments en forme de pyramides et une +tombe, le tout rassemblé sur un espace de quelques mètres +carrés ; c’est un monument élevé par les Oulad Moulet, pour +éterniser le souvenir d’une défaite que leur a infligée en cet +endroit le chérif.</p> + +<p class="datesect">2 février.</p> + +<p>Je ne suis pas parti de bon matin. J’ai été voir, avec M. +Lehaut<a id="FNanchor_27"></a><a href="#Footnote_27" class= +"fnanchor">[27]</a>, le quatrième puits qu’il est en train de +finir, espérons-le.</p> + +<p>Parti encore aujourd’hui en avant du bagage, j’arrivai d’assez +bonne heure à Oumm-et-Tiour.</p> + +<p>Oumm-et-Tiour est un petit village arabe, créé par les +Français<a id="FNanchor_28"></a><a href="#Footnote_28" class= +"fnanchor">[28]</a>. Il compte aujourd’hui 28 maisons habitées et +une mosquée remarquable à cause de son beau minaret. On y compte +plusieurs centaines de palmiers âgés de deux à trois ans, qui +vont<span class="pagenum" id="Page_9">[9]</span> donc porter leurs +fruits l’année prochaine. — Je crois que la plupart des habitants +sont des Selmia.</p> + +<p>Chegga, au contraire, qui doit aussi son existence aux puits +artésiens de M. Lehaut, ne compte encore qu’une quinzaine de +maisons au plus, en comptant celles qu’occupent les forges, les +employés, etc... Chegga n’a pas de palmiers, et c’est la première +année qu’on y ensemence.</p> + +<p class="datesect">3 février.</p> + +<p>Aujourd’hui je me rendis à Merhaier, la première oasis de +l’Oued-Righ, en venant du nord.</p> + +<p>Le cheikh étant absent, je me vis sur le point de manquer de +guides pour traverser le pays désert qui sépare ce point de +l’Oued-Souf. Cependant, heureusement pour moi, le cheikh arriva +dans la soirée, et, après avoir lu la lettre du colonel Séroka, il +me dit que le lendemain je pourrais partir à l’heure qui me +conviendrait, avec cinq hommes à pied comme escorte et un guide à +cheval.</p> + +<p>Les plantations de palmiers de Merhaier, arrosées par des +sources artésiennes, sont, du moins dans cette saison, très pauvres +en produits de potager. Les arbres fruitiers y sont même fort +rares ; c’est à peine si on y voit un figuier et un pêcher +égarés.</p> + +<p>Les eaux des fossés abondent en grenouilles.</p> + +<p>Les Rouâgha dont la race commence ici, sont remarquables par +leur physique et surtout par leur teint, qui approche beaucoup du +type nègre. Certains d’entre eux sont même plus noirs que les gens +du nord du Haoussa (Madja, etc.). Les femmes se vêtissent de bleu. +Elles ne mettent rien d’autre sur leur tête que leur vêtement ou +haïk, absolument comme on peint la madone. — Mais combien peu +d’entre elles pourraient laisser un doute à ce sujet et jouter de +grâce et d’élégance de formes avec les portraits de Raphaël ! +Les femmes me paraissent jouir de la liberté à laquelle elles ont +droit.</p> + +<p class="datesect">4 février.</p> + +<p>Après avoir écrit quelques lettres et rassemblé mon monde, je me +mis en marche pour l’Oued-Souf.</p> + +<p>Nous primes d’abord la direction de l’Oued-el-Khorouf, +qui<span class="pagenum" id="Page_10">[10]</span> n’a d’autre +importance que celle d’un canal de décharge des eaux de l’oued Righ +dans le chott Melghigh. Nous nous arrêtâmes à ’Ain ed ’Daouira, +petit bassin circulaire occupé par des roseaux et autres plantes +aquatiques. C’est probablement un « puits mort ». Nous +fîmes là notre provision d’eau douce (?) et coupâmes +l’Oued-el-Khorouf.</p> + +<p>Nous nous rapprochâmes alors du chott, dont nous avions gardé la +nappe brillante sur notre gauche, avec les petites oasis de +palmiers de Choucha, Dindouga et de Wousli, cette dernière isolée +au milieu des eaux du chott.</p> + +<p>Nous continuâmes à travers un pays, qui tantôt apparaissait sous +l’aspect du chott avec son terrain meuble, composé de sable +quartzeux mélangé de sel et d’argiles, tantôt nous obligeait à +traverser des lignes de franches dunes de sables.</p> + +<p>Enfin nous nous arrêtons dans le Sif bou Delal.</p> + +<p class="datesect">5 février.</p> + +<p>La direction générale de la crête des dunes du Sif bou Delal est +de 147° magnétique ; c’est-à-dire qu’elles ont été formées +sous l’influence d’un vent du nord-ouest ou à peu près.</p> + +<p>Ma caravane se compose de quatre Rouaghas commandés par un +Arabe, tous à pied et armés de leur long fusil. Ils portent +eux-mêmes leurs vivres, composés de farine et de dattes, avec une +petite provision d’eau. Le guide, un « monsieur » +boiteux, est en revanche monté sur un cheval qu’il ne peut +gouverner, et qui adresse de temps en temps des compliments à ma +jument. Mes deux Souafas ne quittent ni leurs fusils ni leurs +chameaux, et lorsque leurs animaux veulent descendre la pente des +dunes, ils se suspendent à leur queue pour faire le contrepoids des +bagages.</p> + +<p>Aujourd’hui nous atteignîmes, vers midi, les dunes de Gasbiya, +du moins nous nous en arrêtâmes à 1 kilomètre, car je jugeai +inutile de les gravir, l’<em>ógla</em><a id= +"FNanchor_29"></a><a href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a> +qui existait autrefois au nord des dunes étant sèche depuis deux +ans. Je pris des visées de boussole sur les dunes de Gasbiya et sur +les sables de Retmaya, lesquels ne présentent pas de sommets.</p> + +<p>Nous continuâmes ensuite notre route en prenant une +nouvelle<span class="pagenum" id="Page_11">[11]</span> direction, +parce que la visite à Gasbiya nous avait obligés à nous détourner +de la route du Souf pour appuyer au nord.</p> + +<p>Je ne fais pas une description plus longue de notre route +d’aujourd’hui dont les détails se trouveront dans l’itinéraire. Je +me borne à dire que nous n’eûmes d’autre aventure que de rencontrer +les traces de pas de deux hommes, ô miracle ! dans cette +solitude. — En revanche, les empreintes de pas de gazelles, de +lièvres, de gerboises et de <em>djird</em><a id= +"FNanchor_30"></a><a href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a> +étaient moins rares.</p> + +<p>Presque toute la route dans les sables.</p> + +<p class="datesect">6 février.</p> + +<p>Nous avons voyagé toute la journée dans une région de dunes +désertes. Ce fut un travail pénible pour les bêtes et pour les +hommes.</p> + +<p>Ces dunes ne sont pas très hautes et affectent une forme +allongée comme les vagues de la mer. Elles doivent évidemment leur +existence à la prédominance des vents du nord-ouest ; ce qui +viendrait confirmer l’opinion de ceux qui veulent que les vents +alizés règnent dans ces parages<a id="FNanchor_31"></a><a href= +"#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a>. — Les dunes se trouvent +distribuées par zones assez larges, séparées entre elles par des +espaces relativement unis qui prennent le nom d’oueds.</p> + +<p>La végétation de cette région est composée principalement +d’àlenda et de drin. L’<em>arta</em>, le <em>dhomrân</em>, le +<em>harmel</em>, etc., s’y trouvent aussi, mais en bien moins grand +nombre.</p> + +<p>Le vent soufflait avec violence, enlevant le sable et ajoutant +un fort désagrément à celui du voyage dans un pays aussi désert, +aussi monotone.</p> + +<p>Après avoir traversé une zone de dunes appelée le +Medheheb-el-Charguia, par opposition au Medheheb-el-Garbiya que +nous laissions à droite, nous arrivâmes dans les dunes de Messelmi, +qu’il nous fallut gravir et descendre pendant quelque temps jusqu’à +ce que nous arrivâmes aux puits du même nom. — Ils sont tous +comblés ; les Arabes me disent dans leur langage +expressif : « Le vent les a ensevelis ».</p> + +<p>Quoique déjà bien épuisés, nous continuâmes notre route avec +énergie, et, après avoir traversé un « oued », nous +atteignîmes les<span class="pagenum" id="Page_12">[12]</span> +premières dunes de Medjigger. Ces dunes, quoique de la même nature +que les précédentes, sont néanmoins plus élevées.</p> + +<p>Nous arrivâmes enfin aux puits, peu de temps avant le coucher du +soleil. Les puits de Medjigger sont entourés de maçonnerie.</p> + +<p>J’écrivis ce soir trois lettres, entre autres au colonel Séroka +et à mon père ; je fis quelques observations, mais lorsque je +voulus observer le passage de Jupiter au méridien, je m’aperçus que +je m’y étais pris trop tard, l’astre commençait à baisser.</p> + +<p>J’attends jusqu’à passé minuit pour observer la lune.</p> + +<p class="datesect">7 février.</p> + +<p>Notre journée nous mena à travers une région couverte de zones +de petites dunes allongées, séparées par des surfaces sablonneuses +assez unies. La végétation resta à peu près la même que les jours +précédents, si ce n’est que les àlenda devinrent plus communs. — Ce +pays est semé de puits ou plutôt de noms de puits, d’endroits où il +y avait autrefois des puits, lesquels ont été comblés par le +vent.</p> + +<p>Le plus remarquable de ces puits, celui qui est le plus connu, +est celui de Moui-Tounsi, comblé depuis l’année où le chérif vint +par ici.</p> + +<p>En sortant des dunes Moui-Tounsi, on entre dans Areg-el-Miyet, +sables dont le nom est dû à l’absence de végétation qui les +caractérise. Ensuite on arrive sur les plantations de palmiers de +Rhamra.</p> + +<p>Rhamra était autrefois un village ; aujourd’hui on n’en +voit plus que les ruines, et les propriétaires des palmiers n’y +viennent qu’à l’époque de la récolte des dattes.</p> + +<p>Les plantations de l’Oued-Souf ont un caractère à part. Je vais +parler de celles de Guemâr ; si celles d’El-Oued en diffèrent, +je les décrirai ensuite. — Les palmiers de Guemâr sont disséminés +par petits bouquets dans les interstices des dunes. Ils ne m’ont +pas semblé plantés dans une dépression artificielle. De nombreux +puits à bascules (en arabe Khattâra) sont élevés dans le voisinage +des palmiers pour en faciliter l’arrosage. En été, on les arrose +deux fois par jour, matin et soir ; en hiver, je crois qu’on +ne le fait qu’une seule fois. A 2 heures de la nuit environ, les +travailleurs quittent Guemâr à grand bruit et vont aux palmiers +travailler à ôter les sables d’autour des troncs, car +le<span class="pagenum" id="Page_13">[13]</span> sable empiète sans +cesse sur les plantations. Ils choisissent pour cela la nuit, même +en hiver, afin d’éviter la chaleur du jour. Malgré ces soins, les +sables enterrent beaucoup de palmiers dont on voit les troncs +dénudés et morts.</p> + +<p>En approchant de la ville, nous entrâmes dans une plaine unie +sans sable, un <em>sahen</em> ; les puits devinrent beaucoup +plus fréquents ; nous avions, à la droite, de petits jardins +carrés entourés d’une haie de branches de palmiers et possédant +presque tous un puits à bascule, et souvent encore une petite +cabane aussi en branches et troncs de palmiers. On y voyait surtout +des cultures de tabac.</p> + +<p>Enfin nous arrivâmes à Guemâr.</p> + +<p>Je dois parler d’un petit incident amusant qui nous arriva avant +que nous fussions arrivés à Moui-Tounsi. — Mes guides souafa +avaient découvert des traces de pas et se montraient +inquiets ; enfin ’Oina, qui me précédait, se retourna vers moi +et me dit d’une voix trop émue : « Regarde, voilà du +monde là-bas vers le sud. » J’eus beau écarquiller mes yeux, +je ne pus rien apercevoir. Mon homme prit son fusil et se mit à +délier la bande d’étoffe qui entourait la batterie. Je le priai de +se tenir tranquille et de ne pas faire de préparatifs guerriers +tant qu’il n’aurait pas vu autre chose qu’un chameau, car c’était +là ce qu’il appelait « du monde ».</p> + +<p>Nous finîmes par arriver sur deux chamelles, agenouillées +derrière un buisson, et nous pûmes voir leur maître, effrayé, +s’enfuir à toutes jambes. Nous le rappelâmes en lui faisant des +signes de paix. Il revint. C’était un vieillard toroud, à belle +barbe et belles moustaches blanches. Il gardait les troupeaux de +moutons et de chèvres et les deux chamelles que nous avions +découvertes. Ce brave homme n’avait qu’une <em>gandoura</em> un peu +courte pour tout vêtement ; il s’approcha à genoux de mes +Souafa (pour ne pas se découvrir), fuma une pipe avec eux, et, +après avoir échangé les nouvelles, nous reprîmes notre course vers +Guemâr.</p> + +<p>Je reviens donc à notre arrivée dans cette ville.</p> + +<p>Je fus reçu avec un zèle prodigieux de la part des quatre +cheikhs, qui remplacent les huit membres de l’ancienne Djemâa. On +me gêna même par la persistance que l’on mit à me nourrir, à me +tenir compagnie, etc., par les protestations nombreuses qu’on me +fit. — La visite du Qadhi me fut bien agréable. C’est un homme +instruit et civilisé, qui me donna de bons renseignements +historiques,<span class="pagenum" id="Page_14">[14]</span> et me +promit de me faire une copie d’un livre du cheikh el ’Adouâni, +qu’il m’enverra à Biskra.</p> + +<p>Je fus logé dans la maison du cheikh Abd-el-Kader qui est un +gros vieux bonhomme de soixante-dix ans, à voix de stentor. — Il +veut à toute force être mon ami.</p> + +<p>Guemâr est une ville de 4.000 habitants environ. Les maisons +sont presque à hauteur d’homme, et de maigre apparence. Cependant +elles doivent être solides, étant bâties de pierres<a id= +"FNanchor_32"></a><a href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a> +et de chaux. Les toits, surmontés de petits dômes, sont d’un effet +original. Les murs des maisons ne sont pas crépis ni égalisés, mais +le tout paraît blanc. Il y a très peu de maisons réunies. La ville +possède un petit marché, quelques boutiques et plusieurs mosquées, +y compris une zaouia qui est le plus beau monument de Guemâr.</p> + +<p>Les habitants de Guemâr sont une race paisible et laborieuse, je +crois. Ils se couvrent la tête d’un haïk simple ou d’un petit +turban blanc. Les cordes en poil de chameau ne sont pas ordinaires. +Les femmes ont un type à part qui n’est ni celui des Arabes +nomades, ni celui des femmes de l’Oued-Righ. — Les hommes m’ont +paru avoir des physionomies rappelant celles des Béni-Mezab, et +cela s’explique par les données historiques que je présenterai.</p> + +<p>Les tribus de Guemâr sont : les Ouled-Bou’Afi, les +Ouled-Abd-el-Kader, les Ouled-Abd-es-Sadiq avec la petite tribu des +Ouled-Mousa, leurs frères, les Ouled-Hôwimen. Ces quatre tribus ont +chacune leur chef.</p> + +<p>La tradition rapporte que l’Oued-Souf était autrefois un +véritable oued, dans un pays sans sables, que les premières +plantations de palmiers étaient aussi dans ce pays avant que les +dunes ne s’y fussent formées. — Les dunes arrivèrent ensuite, +poussées par les vents de l’est qui dominent ; on peut voir +maintenant où elles sont parvenues.</p> + +<p>Cette tradition confirmerait l’hypothèse de l’extension du Palus +Tritonis. Les sables formaient le fond de la mer et, à mesure +qu’elle recula, ils furent soumis à la force du vent<a id= +"FNanchor_33"></a><a href="#Footnote_33" class= +"fnanchor">[33]</a>.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_15">[15]</span>Les Ouled-Hamid +sont les premiers Arabes qui s’établirent dans l’Oued-Souf ; +c’étaient des Qoreich ; ils quittèrent la Syrie au temps de +Sidna’Otman ben ’Affan.</p> + +<p>Les Arabes aujourd’hui nommés Toroud<a id= +"FNanchor_34"></a><a href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a> +vinrent du Caire où ils s’étaient révoltés ; ils allèrent +jusqu’à Jiriga dans le Djérid, mais le souverain de Tunis les +expulsa à cause des troubles qu’ils occasionnaient. — Ils prirent +le nom de Toroud sur la route du Souf où ils rencontrèrent un +vieillard de ce nom, qui consentit à devenir leur chef à cette +condition. Ils eurent de longs combats à livrer aux ’Adouan pour +s’établir dans le Souf où ils vécurent ensuite tous ensemble.</p> + +<p>La population première du Souf était des Abadiâ<a id= +"FNanchor_35"></a><a href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a>. +Les Zenata y eurent une ville, c’est ’Amich.</p> + +<p>Les habitants de Guemâr suivent la secte du marabout de Tolga, +dans les Zibân ; quelques-uns sont Tedjinis.</p> + +<p class="datesect">8 février.</p> + +<p>Aujourd’hui, je pris un plan grossier de la ville. En partant de +Guemâr, nous arrivâmes bientôt devant Tarhzout, qui est bien plus +petite. On voulut m’y retenir pour la nuit. Ensuite nous arrivâmes +à Kouinin où les mêmes offres me furent faites. Kouinin est +peut-être aussi grande que Tarhzout ou un peu plus.</p> + +<p>Entre Guemâr et El-Oued, on a toujours sur la gauche des +bouquets de palmiers disséminés dans les intervalles des dunes. A +droite, des puits en assez grand nombre et quelques carrés de +culture.</p> + +<p>Entre Kouinin et El-Oued je rencontrai le khalifa qui était venu +au-devant de moi avec trois cavaliers ; je montai sur un de +ses chevaux, un peu fringant, et nous atteignîmes bientôt +El-Oued.</p> + +<p>Le khalifa malheureusement a des appréhensions pour la sécurité +des routes du Djérid.</p> + +<p class="datesect">9-10 février.</p> + +<p>El-Oued est une ville d’environ 6.000 habitants, de même +construction que Guemâr ; seulement elle possède en plus une +mosquée<span class="pagenum" id="Page_16">[16]</span> à minaret +élevé, et un bordj pour le khalifa. Les maisons sont composées en +grande partie, d’une cour dans laquelle est dressée une tente et +qui contient encore une hutte ou un hangar de branches de palmiers. +Les Ouled-Hamed habitent un quartier un peu à part, à l’est du +bordj du khalifa.</p> + +<p>Outre les habitants de la ville, El-Oued possède encore un petit +nombre de tentes de nomades Harazlia et Nouail ; il m’a été +dit que, s’il se trouve quelques jeunes veuves parmi eux, elles +n’ont aucune prétention à des mœurs sévères.</p> + +<p>Le bordj du khalifa a été bâti d’après un dessin du capitaine +Langlois ; c’est un carré défendu à l’est et à l’ouest (à deux +angles seulement) par un bastion carré, dont l’un renferme la +prison, qui est plus belle que la plus belle maison de la +ville.</p> + +<p>Les vêtements sont les mêmes que dans le reste du Souf.</p> + +<p>Les nègres ne se voient que très rarement.</p> + +<p>Les Juifs sont au nombre de quarante-sept, répartis dans onze +maisons. Ils font d’assez bonne anisette.</p> + +<p>Il y a ici des communications fréquentes avec l’étranger, +Ghadâmès, le Nefzaoua et le Djerid, Tunis même. Il y a aussi +quelques marchands de Ghâdamès et plusieurs du Djerid.</p> + +<p>Je me décide à aller à Ouarglă par la route directe.</p> + +<p>Les plantations d’ici sont dans des cavités creusées entre les +dunes ; les arbres ne sont pas arrosés, leurs racines trempant +dans l’eau de la couche souterraine. On prétend que les Souafa ont +voulu m’en imposer en me disant qu’ils arrosaient leurs +palmiers<a id="FNanchor_36"></a><a href="#Footnote_36" class= +"fnanchor">[36]</a>.</p> + +<p class="datesect">11 février.</p> + +<p>J’ai enfin pu partir aujourd’hui.</p> + +<p>Mais, avant de partir, je dois terminer mes notes sur El-Oued +par la mention des prix des objets que le hasard m’a fait voir. Les +cotonnades anglaises avec le nom de John Rose et qui viennent de +Tunis se vendent 15 fr. la pièce de 75 draa<a id= +"FNanchor_37"></a><a href="#Footnote_37" class="fnanchor">[37]</a>. +Le musc de la Mekke, venant de l’Inde, se vend, du moins j’en ai +acheté à 1 fr.<span class="pagenum" id="Page_17">[17]</span> +l’ouzena<a id="FNanchor_38"></a><a href="#Footnote_38" class= +"fnanchor">[38]</a>. Ordinairement il est plus cher. J’ai acheté à +un prix ordinaire un haïk djeridi arrivé la veille, pour 47 fr. +50.</p> + +<p>Les poules sont bon marché : j’en ai acheté sept à 1 fr. +pièce, j’ai eu dix-huit œufs pour 50 centimes.</p> + +<p>Le khalifa ne veut pas me laisser partir sans me donner des +oranges venant de Tunisie et un œuf d’autruche.</p> + +<p>En sortant d’El-Oued, nous avons suivi la route de Temassin +pendant quelque temps jusqu’au puits situé dans la dépression de +Haouad-Tounsi. Les dunes que nous avons à traverser, les plus +hautes que j’aie vues dans cette partie du Sahara, sont dépourvues +de végétation.</p> + +<p>Du puits ci-dessus nommé, nous plongeâmes vers le sud. La +caravane que je suivais et pour laquelle j’avais attendu un jour à +El-Oued, voulut choisir la voie la plus courte par Bir-Righi et +Matmata, mais comme j’avais intérêt à voir la route de Hassi-Omran, +je fis route à part, menaçant de rendre compte au khalifa de ce que +feraient les autres membres de la caravane. Néanmoins nous nous +séparâmes.</p> + +<p>Ce jour-là, nous n’allâmes guère plus loin ; après avoir +voyagé quelque temps dans des dunes de peu d’importance, séparées +par des oueds ou espaces de sables unis et plus garnis de +végétation, nous campâmes pour coucher.</p> + +<p>Déjà, ce soir, des députés de la caravane viennent pour +parlementer. Je les renvoie sans rien changer à ce que j’ai dit +hier.</p> + +<p class="datesect">12 février.</p> + +<p>Toute la journée peut se résumer en ceci : nous avons +traversé une succession de zones de dunes basses et d’oueds, comme +je les ai décrits précédemment. La végétation est aussi celle des +sables du nord de l’Oued-Souf : genêts <em>retem</em>, +<i>Ephedra</i> et <em>drin</em>. Seulement je remarque quelques +plantes nouvelles qui sont : <em>ezal</em>, <em>markh</em>, +<em>arabia</em>, et le <em>lebin</em> que j’avais oublié de noter +parmi les plantes du nord de l’oued.</p> + +<p>J’ai monté à chameau hier et aujourd’hui. On conduit ma jument +sans selle par la bride ; je veux qu’elle se fatigue le moins +possible et que sa blessure se repose.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_18">[18]</span>J’ai oublié de +noter que j’ai trois chameaux, deux chameliers, dont l’un est le +guide, et un domestique du khalifa, qui est bon cuisinier, et +partant très précieux. — Les chameaux et leurs maîtres me coûtent +en tout 45 fr. d’El-Oued à Ouarglă.</p> + +<p class="datesect">13 février.</p> + +<p>Nous n’avons fait qu’une très petite journée. J’ai voulu passer +la nuit au puits de Sidi-el-Bachir pour en prendre la latitude.</p> + +<p>Nous n’avons eu que peu de sables à traverser et cela seulement +dans la Chara de Sidi-el-Bachir que nous avons longée longtemps et +enfin traversée pour arriver au puits.</p> + +<p>La végétation a été la même que précédemment, sauf l’apparition +de <em>halma</em> et de <em>sefâr</em> (graminées) ; le +<em>drin</em> et le <em>markh</em> dominaient.</p> + +<p>A notre arrivée au puits, nous y avons trouvé deux Touaregs avec +leurs enfants et un esclave qui abreuvaient leurs chameaux. Ce sont +des gens du Matmata, en route pour El-Oued où ils vont acheter du +grain.</p> + +<p>Ils nous donnent la nouvelle que, hier ou avant-hier, les +Oulad’Amar (Oued-Righ) ont eu une querelle avec les Chaànba de +Ouarglă, à cause de leurs chameaux. Un des gens des Chaànba, un +homme marquant, a été tué. Les deux tribus sont sur le point de +s’attaquer.</p> + +<p>Aujourd’hui j’ai vu, sur le sable, les traces d’un petit +carnassier que nos guides appellent <em>sefchi</em> <span class= +"arabic">سڢشى</span>, qu’ils dépeignent comme tigré de blanc et de +noir. C’est peut-être une espèce nouvelle.</p> + +<p>Je suis tout à fait guéri de mes douleurs rhumatismales dans les +épaules. Mais je subis le soir une diarrhée épouvantable. L’eau du +puits a un plus mauvais goût que celle des précédents, mais elle +est supérieure à celle de Tougourt.</p> + +<p class="datesect">14 février.</p> + +<p>Nous avons quitté le puits ce matin et avons voyagé dans l’oued +Sidi-el-Bachir, ayant pendant longtemps, à notre gauche, les sables +du Ghourd de Saàdiya.</p> + +<p>Nous traversâmes la Chouchet el ’Anz et continuâmes dans une +région « d’oued » sans que la végétation donnât lieu à +d’autre remarque que celle de l’apparition de l’<em>àlga</em>.</p> + +<p>Je remarquai quelques affleurements de calcaire compact.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_19">[19]</span>Nous nous +arrêtons, ayant devant nous, à l’horizon, les sables de Sayyâl.</p> + +<p class="datesect">15 février.</p> + +<p>Aujourd’hui une courte marche à travers une région assez +sablonneuse, principalement couverte d’<em>àlenda</em>, de +<em>drin</em> et de <em>hād</em>, nous mena au puits de +Oulad-Miloud ; quoique nous y fussions arrivés de bien bonne +heure, je résolus de m’y arrêter jusqu’à minuit pour obtenir la +latitude du lieu.</p> + +<p>Après midi, nous continuâmes la marche pour arriver bientôt dans +le voisinage du puits aujourd’hui comblé de Sayyâl, dont nous +avions les dunes à une petite distance à droite. Nous vîmes à 5 ou +600 mètres à gauche le puits de Bey-Sâlah dont l’eau est salée et +beaucoup moins bonne que celle du Hassi-Miloud.</p> + +<p>Après avoir dépassé cette région vers la fin de la journée, je +fus surpris de voir un changement notable dans la végétation, qui +se composait de <em>bāgeul</em>, <em>dhomràn</em>, <em>zeita</em>, +<em>drin</em> et <em>sefâr</em>.</p> + +<p>Je me couche presque sans rien manger, malade de fatigue, car la +marche accélérée de nos chameaux m’avait beaucoup secoué, et, par +suite, courbaturé.</p> + +<p class="datesect">16 février.</p> + +<p>Une courte marche nous amena dans l’Oued-Sîdah, que j’avais +soupçonné auparavant être le bas de l’Oued-Igharghar. Mais il ne +peut en être ainsi, cet oued étant, comme tous les autres, une +simple région délivrée des sables, sans pente régulière<a id= +"FNanchor_39"></a><a href="#Footnote_39" class="fnanchor">[39]</a>, +etc.</p> + +<p>Nous y trouvâmes d’abord un petit nombre de chameaux conduits +par un jeune garçon très gai, qui paraissait tuer le temps en +chantant et qui répondit de bon cœur (chose rare) à toutes les +questions que je lui fis adresser. Il menait ses chameaux à un +puits nommé Rebahaya qu’il nous dit être à <em>moins</em> d’une +demi-journée au sud, et il allait fort lentement.</p> + +<p>Nous rencontrâmes plus loin deux voyageurs venant de Ouarglă +avec deux chameaux. Ils nous apprirent que la ville était +moins<span class="pagenum" id="Page_20">[20]</span> éloignée que +nous ne le pensions et que nous y arriverions facilement +demain.</p> + +<p>Nous entrâmes ensuite dans un bassin entouré de hauteurs de tous +côtés, et, après l’avoir traversé, nous nous arrêtâmes pour +déjeuner à El-Bouïb qui, comme le nom l’indique, n’est autre chose +que l’endroit où l’on sort du bassin : c’est sa porte.</p> + +<p>Là commence le terrain de Hamāda, remarquable surtout par la +nature de sa végétation rare et rabougrie, réduite à quelques +petites touffes de <em>bāguel</em> et de <em>sefâr</em>, et à son +sol uni quoique en partie sablonneux.</p> + +<p>Nous longeâmes, à une certaine distance, des chaînes de hauteurs +que nous avions sur la gauche et nous nous arrêtâmes avant de les +avoir dépassées. Cette plaine se nomme Sahan-er-Remâda.</p> + +<p>La jument n’a plus de <em>drin</em> aujourd’hui ; je lui ai +fait ramasser un certain nombre de touffes de <em>sefâr</em>.</p> + +<p class="datesect">17 février.</p> + +<p>Nous avons d’abord voyagé sur la hamāda, longeant la même chaîne +de hauteurs que hier, puis nous sommes entrés dans une immense +région unie, à sol dur, à maigre végétation de <em>bāguel</em> et +coupé à de grandes distances par des chaînes de gour plus ou moins +étendues<a id="FNanchor_40"></a><a href="#Footnote_40" class= +"fnanchor">[40]</a>.</p> + +<p>Après avoir marché longtemps dans cette région, nous finîmes, +vers le déclin du jour, par apercevoir une chaîne de hautes dunes +que nous fûmes obligés de contourner, et, après l’avoir traversée à +un endroit aisé, nous trouvâmes à notre droite une petite oasis de +palmiers : nous venions d’entrer dans le bassin d’Ouarglă.</p> + +<p>Cependant il fallut encore une longue marche dans un terrain +totalement dépourvu de végétation, avant d’atteindre les palmiers +d’Aïn Beidha à travers lesquels nous marchâmes quelque temps, ayant +à notre droite la longue oasis de ’Ajāja<a id= +"FNanchor_41"></a><a href="#Footnote_41" class="fnanchor">[41]</a>. +— Nous coupâmes ensuite la sebkha qui entoure Ouarglă et, après des +détours le long<span class="pagenum" id="Page_21">[21]</span> des +palmiers de la ville, nous y entrâmes par Bab es Soltan au coucher +du soleil, lorsque le mueddin appelait à la prière.</p> + +<p>On tarda assez longtemps à venir au-devant de moi, et j’en fis +de graves reproches aux chefs de la ville, avec lesquels du reste +j’ai été en relations très froides pendant le court séjour que j’ai +fait à Ouarglă<a id="FNanchor_42"></a><a href="#Footnote_42" class= +"fnanchor">[42]</a>.</p> + +<p>On me donna une maison dans une rue appartenant aux Mezabites. +C’est une grande bâtisse un peu en ruines aujourd’hui, mais encore +très habitable et parfaitement appropriée aux besoins d’une grande +famille indigène. Elle a des arcades, mais en moins grand nombre +que les maisons du Mezâb.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp1c01"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_13"></a><a href="#FNanchor_13"><span class= +"label">[13]</span></a>Peut-être la peuplade des Mbou, signalée au +S.-E. du Baguirmi, ou plutôt celle des Mboumi, nègres païens des +provinces de Ngaoundéré et de Tibati, Adamaoua. (Cf. Mizon, <em>les +royaumes foulbé du Soudan Central</em>, <em>Annales de Géogr.</em>, +1894-95, IV, p. 355, et Nolte, <em>Bericht über einen Besuch beim +Sultan von Tibati</em>, <em>Deutsches Kolonialblatt</em>, 1900, p. +285.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_14"></a><a href="#FNanchor_14"><span class= +"label">[14]</span></a>Les Koana de Barth (<em>Reisen</em>, t. II, +p. 696).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_15"></a><a href="#FNanchor_15"><span class= +"label">[15]</span></a>Nom d’une région du Kanem septentrional, et +d’une tribu du Bornou occidental. Il s’agit sans doute de la +première, car Barth (IV, p. 35) mentionne les affinités +linguistiques de la seconde.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_16"></a><a href="#FNanchor_16"><span class= +"label">[16]</span></a>Les Makari de Barth.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_17"></a><a href="#FNanchor_17"><span class= +"label">[17]</span></a>Probablement les Nguizzem de la carte +ethnographique de Nachtigal. (<em>Völkerkarte von Bornu, Sahara und +Sudan</em>, t. II).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_18"></a><a href="#FNanchor_18"><span class= +"label">[18]</span></a>Le rayon de ces importations d’esclaves +s’étendait donc des pays bambaras jusqu’au S.-E. du Baguirmi et au +Ouadai. Rien ne montre mieux le prodigieux mélange ethnique opéré +par les ventes et reventes successives de nègres sur les routes du +désert.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_19"></a><a href="#FNanchor_19"><span class= +"label">[19]</span></a>On sait que l’oued Biskra est ordinairement +à sec, et que des sources, qui arrosent la ville, sourdent dans son +lit.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_20"></a><a href="#FNanchor_20"><span class= +"label">[20]</span></a>Voir <em>Mollusques terrestres et +fluviatiles recueillis par M. Henri Duveyrier et décrits par M. +J.-R. Bourguignat</em>. Supplément aux <em>Touaregs du Nord</em>. +Paris, 1864.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_21"></a><a href="#FNanchor_21"><span class= +"label">[21]</span></a>Température d’après M. Lahache : 45°,8. +(<em>Étude hydrologique sur le Sahara français oriental</em>. +Paris, 1900, p. 26.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_22"></a><a href="#FNanchor_22"><span class= +"label">[22]</span></a>Voir, sur ces poissons de l’oued Rir, +<em>Documents relatifs à la mission Choisy</em>. III. +<em>Hydrologie du Sahara algérien, par M. Rolland</em>, ch. III, p. +270-283. (Paris, 1895, in-4.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_23"></a><a href="#FNanchor_23"><span class= +"label">[23]</span></a><em>khez</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_24"></a><a href="#FNanchor_24"><span class= +"label">[24]</span></a>Température au 22 mars 1861 : 18° C. +(<em>Ville</em>, <em>Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna +et de Sahara</em>. Paris, 1868, p. 207.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_25"></a><a href="#FNanchor_25"><span class= +"label">[25]</span></a>Il semble y avoir ici une méprise ; +<em>bou choucha</em>, d’après le catalogue de M. F. Foureau, p. 10, +n’est pas synonyme de <em>guendoul</em>, et désigne diverses +espèces de sauge.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_26"></a><a href="#FNanchor_26"><span class= +"label">[26]</span></a>M. Colombo fut le fidèle collaborateur du +Bureau central météorologique de France pour la station de +Biskra.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_27"></a><a href="#FNanchor_27"><span class= +"label">[27]</span></a>Sur les campagnes de forages artésiens du +lieutenant Lehaut, voir Rapport du colonel Séroka, <em>Revue +algérienne et coloniale</em>, 1859, p. 354-372, et Ville, ouvr. +cité, p. 295 et suiv. Les trois premiers sondages de Chegga +fournissaient déjà environ 800 litres à la minute. Celui dont il +est question ici fut poussé à 150 mètres et donna 100 litres à la +minute. (<em>Rev. alg. et col.</em>, 1860, III, p. 548.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_28"></a><a href="#FNanchor_28"><span class= +"label">[28]</span></a>« Avant le percement des puits +artésiens, la plaine présentait l’aspect désolant du désert ; +pas une goutte d’eau. » (Jus, Notes sur le Sahara, <em>Rev. +alg. et col.</em>, 1859, p. 51.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_29"></a><a href="#FNanchor_29"><span class= +"label">[29]</span></a><em>Ogla, Oglat</em> : réunion de +plusieurs puits en un seul point, où l’eau est très rapprochée du +sol (F. Foureau).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_30"></a><a href="#FNanchor_30"><span class= +"label">[30]</span></a>Rat rayé (<i>Mus barbarus</i>).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_31"></a><a href="#FNanchor_31"><span class= +"label">[31]</span></a>Duveyrier a vu plus tard que les vents +variaient avec les saisons.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_32"></a><a href="#FNanchor_32"><span class= +"label">[32]</span></a>Les pierres sont des cristaux de chaux. H. +D.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_33"></a><a href="#FNanchor_33"><span class= +"label">[33]</span></a>C’est la première idée qui vienne à l’esprit +lorsqu’on aborde le désert des sables. (Voir les théories +analogues, Schirmer, <em>le Sahara</em>, p. 4.) Dans la suite de +son voyage, Duveyrier devait changer de manière de voir : +« la source de production des sables la plus considérable, si +ce n’est l’unique, est la désagrégation des roches ». (<em>Les +Touaregs du Nord</em>, p. 38.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_34"></a><a href="#FNanchor_34"><span class= +"label">[34]</span></a>Ou Troud. Cf. Ibn-Khaldoun, <em>Hist. des +Berbères</em>, I, p. 155-156, sur l’origine des Troud et des +Adouan, branches de la tribu arabe des Soleïm.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_35"></a><a href="#FNanchor_35"><span class= +"label">[35]</span></a>Les Abed d’Ibn-Khaldoun (<em>ibid.</em>, +III, p. 145).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_36"></a><a href="#FNanchor_36"><span class= +"label">[36]</span></a>Ils arrosent cependant les jeunes plants +(voir Vatonne, <em>Mission de Ghâdamès</em>, p. 303, etc.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_37"></a><a href="#FNanchor_37"><span class= +"label">[37]</span></a>Draa, mesure de longueur variant de +0<sup>m</sup>,47 à 0<sup>m</sup>,67. Ces mesures sont celles de +Tunis. Le <em>draa-arbi</em>, en usage pour les tissus de coton, +est de 0<sup>m</sup>,47 ; il s’agit donc ici d’une pièce de 35 +mètres.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_38"></a><a href="#FNanchor_38"><span class= +"label">[38]</span></a>1/16<sup>e</sup> d’once de Tunis. Duveyrier +l’a évaluée ailleurs à 31 grammes 8. (Notice sur le commerce du +Souf dans le Sahara algérien, <em>Revue algérienne et +coloniale</em>, novembre 1860.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_39"></a><a href="#FNanchor_39"><span class= +"label">[39]</span></a>C’est, en réalité, un bras de l’ancienne +zone d’épandage de l’Igharghar, devenu presque méconnaissable. Les +progrès de la dénudation en ont fait une simple dépression allongée +à sol de <em>reg</em>. (Cf. Foureau, <em>Au Sahara, mes missions de +1892 et 1893</em>, carte.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_40"></a><a href="#FNanchor_40"><span class= +"label">[40]</span></a>C’est la zone des dépôts rouges tertiaires +érodés et nivelés par les eaux quaternaires, celle que M. Flamand +nomme <em>zone d’épandage</em> des oueds Igharghar et Mya, et qu’on +appelle d’ordinaire <em>région des gour</em>, du nom des buttes +(débris de plateau) qui en émergent.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_41"></a><a href="#FNanchor_41"><span class= +"label">[41]</span></a>Une des forêts de palmiers d’Ouarglă. Le nom +d’Aïn est réservé ici aux puits artésiens qui les arrosent.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_42"></a><a href="#FNanchor_42"><span class= +"label">[42]</span></a>Ceci ne doit pas surprendre. Ouarglă avait +été à la dévotion du chérif Mohammed-ben-Abdallah ; soumise +une première fois en 1853, elle avait de nouveau fait accueil au +chérif lorsqu’il avait reparu l’année suivante, si bien que, malgré +la défaite et la disparition du chef insurgé (1854) on avait jugé +bon d’y envoyer le général Desvaux avec une colonne en 1856. En +somme, l’oasis obéissait aux nomades, qui, eux, obéissaient aux +Ouled-Sidi-Cheikh, dont la fidélité — exception faite de Si-Hamza — +restait toujours douteuse.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_22">[22]</span><a id= +"p1c02"></a>CHAPITRE II</h3> + +<p class="sch">OUARGLA ET TOUGOURT</p> + +<p class="datesect">18 février.</p> + +<p>J’ai fait de longues promenades dans Ouarglă. J’ai d’abord +visité le marché, très salement tenu ; il avait à peine de la +viande et du grain à vendre, et aussi un peu de goudron. Les +vendeurs étaient des Chaànba et des gens d’El-Oued.</p> + +<p>Ensuite mon faible d’antiquaire m’a fait diriger mes pas vers la +kasba, c’est-à-dire vers le grand espace occupé par les ruines de +l’ancien château des sultans. Cette kasba m’a paru faire une petite +ville à part ; elle avait une porte encore debout comme celles +de la ville ; la distribution des appartements était assez +resserrée, et par conséquent il y en avait des quantités +considérables. Tout cela est aujourd’hui inhabitable, mais +peut-être pourrait-on encore en faire le plan.</p> + +<p>Les rues d’Ouarglă sont étroites, bordées de maisons hautes +comme celles de l’Oued-Mezăb, avec des portes surmontées et +encadrées de grossiers dessins, ornées quelquefois d’un œuf +d’autruche ; enfin on y lit de petites inscriptions en +caractères peu élégants, comme <span class="arabic">لا اله الا +الله</span> ou bien <span class="arabic">نصر من الله</span>. La +ville possède de nombreux passages voûtés, qui présentent pour +l’été d’agréables lieux de repos pendant la chaleur du jour.</p> + +<p>Il y a deux mosquées avec leurs minarets ; elles sont peu +distantes l’une de l’autre.</p> + +<p>Les trois tribus des Beni Sisin, des Beni Brahim et des +Beni<span class="pagenum" id="Page_23">[23]</span> Ouaggin se +partagent la ville ; une colonie importante de Beni Mezāb +habite le quartier des Beni Sisin. Cette colonie a un intérêt +historique très grand.</p> + +<p>J’ai eu beau m’enquérir avec un soin tout particulier de +documents historiques, partout on m’a répondu qu’il n’en existait +aucun. Cette unanimité dans l’assertion, venant même d’ennemis +réciproques, des exploitants et des exploités, me fait croire +qu’elle n’est que trop vraie.</p> + +<p>J’ai vu Mouley ’Abd-el-Kader, le fils du dernier Sultan +d’Ouarglă ; c’est un jeune homme incapable de gouverner et +d’un caractère frisant l’inanité d’esprit.</p> + +<p>Dans mes promenades, je me suis vu interpeller de but en blanc +pour demander justice des exactions sans nombre des +« marabouts<a id="FNanchor_43"></a><a href="#Footnote_43" +class="fnanchor">[43]</a> » secondés par les cheikhs et les +kaïds qui partagent le profit. Ces désagréables discours m’ont été +tenus plus d’une fois. On m’a, de plus, apporté deux écrits +anonymes, contenant des plaintes formulées, en me priant de les +faire parvenir au « maréchal<a id="FNanchor_44"></a><a href= +"#Footnote_44" class="fnanchor">[44]</a> ».</p> + +<p>La population d’Ouarglă est de couleur plus que basanée ; +les Khammâmès ou cultivateurs sont aussi noirs que des nègres du +Haoussa ; les gens de sang noble sont quelquefois plus blancs, +mais pas toujours, car j’en ai vu qui ressemblaient presque à des +nègres. Les Beni Ouarglă conviennent eux-mêmes que leur couleur +vient des nombreuses négresses qu’ils ont prises autrefois et +prennent même encore maintenant<a id="FNanchor_45"></a><a href= +"#Footnote_45" class="fnanchor">[45]</a>.</p> + +<p>On me dit qu’il vient ici des caravanes de Rhât, de Goléâ, +d’Insâlah.</p> + +<p>Dernièrement (il y a peu de jours), les grands de Goléâ, entre +autres Bel-Lechheb, sont venus auprès de Sidi-Zoubir. Maintenant le +marabout est à Metlili ; je serais curieux de savoir +pourquoi.</p> + +<p>Il paraît que Sidi-Zoubir<a id="FNanchor_46"></a><a href= +"#Footnote_46" class="fnanchor">[46]</a> « mange » le +pays, exige des impôts<span class="pagenum" id= +"Page_24">[24]</span> extraordinaires et une dîme sur tous les +produits du pays. Ces différentes contributions sont, bien entendu, +pour son propre compte. Plusieurs familles d’Ouarglă ont émigré à +Tunis, pour ce motif.</p> + +<p class="datesect">19 février.</p> + +<p>Nous avons quitté Ouarglă dans la matinée avancée, parce que +j’ai employé plusieurs heures à écrire des lettres.</p> + +<p>En quittant la ville et après avoir traversé la sebkha, moins +grande et moins déterminée de ce côté que de celui où nous étions +arrivés, nous prîmes notre direction à travers une plaine +légèrement accidentée, avec végétation de <em>zeita</em>, et nous +longeâmes, à 4 ou 6 kilomètres de distance, un grand drâ<a id= +"FNanchor_47"></a><a href="#Footnote_47" class="fnanchor">[47]</a> +qui va jusqu’à Negousa.</p> + +<p>La nature du pays traversé ne changea qu’en ce que le sol +s’aplanit et que la végétation cessa presque entièrement.</p> + +<p>Arrivé à Negousa, j’appris d’abord du kaïd, fils du dernier +sultan et sultan lui-même, que les chroniques de la ville avaient +été emportées lors de la destruction de la ville, il y a cinq ans, +par Mohammed ben Abd Allah<a id="FNanchor_48"></a><a href= +"#Footnote_48" class="fnanchor">[48]</a>.</p> + +<p>Pendant que l’on dressait les tentes, j’ai fait un tour dans la +ville, qui est presque entourée de ruines. On rencontre, presque en +entrant, des ruines remarquables d’une mosquée, dont toute une +partie, avec de hautes colonnes, est encore debout. Je traversai un +grand nombre de rues, presque toutes soutenues par des +arcs-boutants.</p> + +<p>Je vis la kasba, où l’on travaillait à crépir les murs. Elle +renferme dans des constructions antérieures plusieurs maisons dont +se sert le kaïd. — Du reste, elle est assez bien tenue et +appropriée à la grandeur de la ville.</p> + +<p>Je vis de loin une zaouia à minaret et dôme blanchis, d’un effet +fort élégant. Ce soir, on y fait de la musique, ou, +pour<span class="pagenum" id="Page_25">[25]</span> parler plus net, +on répète deux notes sur une timbale, depuis au moins deux +heures.</p> + +<p>Les grands de la ville m’ont paru assez convenables.</p> + +<p>A mon retour ici, je me livrerai à des études de détail.</p> + +<p>J’ai trouvé, à Negousa, deux choses agréables : d’abord un +cheval déjà âgé, mais plein de feu et de fantasia, et très haut de +taille ; je l’ai échangé contre ma jument en ajoutant 75 fr. +Ensuite j’ai trouvé un Chaànba qui connaît le désert entre Ouarglă +et Insalah, comme je devrais connaître Paris et qui s’offre à me +mener à Insalah moyennant 50 à 60 douros. Nous n’irions que sur le +Baten<a id="FNanchor_49"></a><a href="#Footnote_49" class= +"fnanchor">[49]</a>, et de là, avec ma lunette, je pourrais voir +Zaouïa<a id="FNanchor_50"></a><a href="#Footnote_50" class= +"fnanchor">[50]</a>, le premier village du Tidikelt, qui n’en est +éloigné que de deux journées.</p> + +<p class="datesect">21 février.</p> + +<p>Ce matin, le kaïd vint me rendre visite ; il me fit +apporter de nouveau du lait, des dattes et deux poulets. Je le +congédiai avant mon départ, craignant de faire sur mon nouveau +cheval un peu plus de fantasia que je ne le voulais.</p> + +<p>Tout se passa heureusement. Je partis de Negousa un peu tard, et +fis d’abord route dans un vaste espace de terrain, sablonneux, +parsemé de palmiers isolés et de petites plantations. Nous entrâmes +ensuite dans un terrain alternant de la <em>heicha</em> ou petit +bois taillis, à sol solide légèrement sablonneux, à la +<em>sebkha</em> ou marais salant à sec, avec végétation de +broussailles isolées.</p> + +<p>Les plantes dominantes furent : la <em>zeita</em>, le +<em>dhomrân</em>, le <em>tarfa</em> et le <em>belbâl</em>.</p> + +<p>Nous avions, à une certaine distance à gauche, les chaînes +d’élévations qui séparent cette région de la hamâda ; je pus +distinguer à peine, vers la fin du jour, les embouchures de +l’Oued-Mezāb et de l’Oued-Nesa qui viennent aboutir ensemble dans +une sebkha qui nous apparaissait blanchissante en deçà des +collines<a id="FNanchor_51"></a><a href="#Footnote_51" class= +"fnanchor">[51]</a>. Le brouillard causé par le vent qui soulevait +le sable et la poussière dans cette direction ne me +permit<span class="pagenum" id="Page_26">[26]</span> pas de bien +comprendre le détail de ce point intéressant.</p> + +<p>Nous arrivâmes, vers 3 heures de l’après-midi, au puits de +’Araïfdji<a id="FNanchor_52"></a><a href="#Footnote_52" class= +"fnanchor">[52]</a>, où nous campâmes ayant devant nous la zone de +dunes qui portent le même nom que le puits.</p> + +<p>J’appris de mes guides que l’on ne perçait plus de puits +artésiens à Negousa et à Ouarglă, à cause de la dureté du sol à une +certaine profondeur<a id="FNanchor_53"></a><a href="#Footnote_53" +class="fnanchor">[53]</a>. Les sources existantes sont fort +anciennes, on se contente de les nettoyer. D’un autre côté, on me +disait à Ouarglă qu’un des tributs qu’exigeait Sidi-Zoubir était le +forage d’une source chaque année.</p> + +<p>Un de mes guides fut envoyé, il y a quelques années, par +Sidi-Hamza à Insalah. Le maréchal Randon avait désiré avoir des +Touaregs à Alger<a id="FNanchor_54"></a><a href="#Footnote_54" +class="fnanchor">[54]</a>, et on envoyait une lettre de Sidi-Hamza +pour faire les invitations chez les Touaregs Hogar. La lettre fut +portée par quelques Chaànba d’Ouarglă. Ils suivirent le cours de +l’oued Miya, trouvant de l’eau en quantité dans les +<em>rhedir</em>. C’était à l’époque de la maturité des dattes. A +Insalah ils furent reçus par les deux grands de la ville, le hadj +Abd-el-Kader et le hadj Mohammed, qui leur demandèrent s’ils +étaient venus comme <em>mîâd</em> (en ambassade) ou comme +marchands. Ils répondirent qu’ils étaient venus pour faire du +commerce. Mais lorsqu’ils montrèrent leur lettre, hadj Mohammed +entra dans une violente colère, menaça de tuer Sidi-Hamza si jamais +il venait à Insalah, « parce qu’il avait osé lui envoyer une +lettre des Français » ; il finit par dire qu’il tuerait +les six Chaànba qui avaient apporté la lettre. Les Chaànba +s’excusèrent habilement, en arabe, et<span class="pagenum" id= +"Page_27">[27]</span> dirent qu’ils n’étaient que porteurs d’une +lettre dont ils ignoraient le contenu. Ils échappèrent ainsi.</p> + +<p>Je rapporte ce fait pour prouver quels sont les sentiments des +gens d’Insalah à notre égard.</p> + +<p class="datesect">21 février.</p> + +<p>Nous traversâmes d’abord la zone des dunes d’’Araïfdji, à sa +pointe orientale, puis nous entrâmes dans une région passant de la +<em>heicha</em> à la <em>hamâda</em>, avec végétation de +<em>halhâl</em>, <em>àlenda</em> et <em>dhomrân</em>. Cette plaine, +assez unie d’abord, était coupée de chaînes de hauteurs +(<em>drà</em>, <em>gour</em>, etc.) ; le brouillard intense +qui cachait tout à peu de distance de nous, à cause du sable et de +la poussière que le vent soulevait, a peut-être nui à l’exactitude +de mes notes topographiques pour ce qui concerne les hauteurs un +peu éloignées.</p> + +<p>Nous rencontrâmes de nombreux affleurements circulaires de +calcaire blanc, absolument semblables à ceux qui m’avaient frappé à +mon entrée dans le Sahara, sur la route de Biskra à l’Oued-Mezăb. — +Nous dépassons deux témoins (<em>gour</em>) presque entièrement +composés de pierre à Jésus feuilletée ; le sol au bas est +jonché de calcaire blanc et noir et de morceaux de silex, ou plutôt +de quartz compact ou pétro-silex.</p> + +<p>Nous voulions passer le puits de Mâmar pour camper plus en +avant, mais un des chameaux qui boitait considérablement depuis le +matin, s’accroupit ici et on vit bien qu’il ne pouvait guère aller +plus loin. Nous restâmes donc au Hassi-Mâmar, près duquel +croissaient des tamarix d’une espèce à petites fleurs roses et +blanches charmantes. Un des guides partit pour voir s’il ne +trouverait pas des Arabes qui lui prêteraient un autre chameau.</p> + +<p>Nous campons par un vent terrible dans du sable, de sorte que +tous les objets sous la tente en sont couverts en moins de rien. +Pour la première fois, on est obligé de faire la cuisine dans la +tente.</p> + +<p class="datesect">22 février.</p> + +<p>Je résolus aujourd’hui d’atteindre Blidet-Amar à quelque prix +que ce fût. Nous partîmes de bonne heure avec un nouveau chameau +qu’un des Chaànba avait été chercher. Nous voyageâmes +rapidement<span class="pagenum" id="Page_28">[28]</span> dans une +contrée alternativement de sable et de sebkha. Nous arrivâmes après +une courte marche au Hassi-Sidi-Messaoud, mais ne nous y arrêtâmes +pas.</p> + +<p>Nous longeâmes ensuite de loin des hauteurs nommées Merguet, du +nom d’une petite sebkha toute blanche de sel qui apparut bientôt +sur la gauche.</p> + +<p>Nous vîmes de même, sans nous y arrêter, le petit pâté de dunes +nommé Areg-ed-Demm.</p> + +<p>Notre marche fut très longue, et le pays parcouru n’offrit qu’un +intérêt médiocre. La végétation alternait toujours du +<em>zeita</em> au <em>belbâl</em>, au <em>drin</em> et aux autres +plantes des sables ou de sebkha que nous avions rencontrées +auparavant.</p> + +<p>Enfin, vers la fin du jour, nous aperçûmes au loin sur la gauche +les hauteurs appelées El-’Anât que j’ai relevées sur ma route de +Guerâra à Tougourt. Ce ne fut qu’après le coucher du soleil que +nous touchâmes les plantations de l’oasis de Berrâri et lorsque +nous arrivâmes aux murs de Blidet-Amar la nuit était déjà +venue.</p> + +<p>Le cheikh que je fis venir dans ma tente ne me parut pas plus +zélé qu’il ne fallait, mais j’avais peu besoin de lui. Cependant il +m’apporta, sur ma demande, des œufs, du lait et de la paille pour +mon cheval.</p> + +<p>Je remarquai pendant le court séjour que je fis à Blidet-Amar +(je ne suis pas entré dans la ville), que les murs en +« toub<a id="FNanchor_55"></a><a href="#Footnote_55" class= +"fnanchor">[55]</a> » des maisons isolées, situées hors des +murs pour recevoir les Arabes nomades à l’époque de la récolte des +dattes, sont remplis de coquilles des deux espèces de petits +gastéropodes que j’ai déjà observés dans les eaux artésiennes de +Tougourt et du nord de l’Oued-Righ.</p> + +<p class="datesect">23 février.</p> + +<p>Aujourd’hui, à mon grand désespoir, je trouve la montre de M. +Colombo arrêtée et tout à fait dérangée.</p> + +<p>Je partis de bonne heure tout seul, laissant ma tente et mes +effets en arrière ; quoique le soleil fût déjà à une certaine +hauteur au-dessus de l’horizon, je fis tant galoper et trotter mon +cheval que j’arrivai à Tougourt une heure avant le déjeuner, +c’est-à-dire vers 9 h. du matin.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_29">[29]</span>Mon cheval était +tout couvert d’écume, et le kaïd qui fut, avec M. Guillemot, la +première personne que je rencontrai, me mena tout de suite dans sa +maison ; il fit mettre le cheval à l’écurie et me présenta au +capitaine Canat.</p> + +<p>Mon courrier est assez considérable et très bon en somme. Je +reçois entre autres une lettre de mon excellent maître et ami le +D<sup>r</sup> Fleischer qui me requiert formellement de comparer +les différents dialectes berbères avec les langues égyptiennes. Je +ne manquerai pas de le faire<a id="FNanchor_56"></a><a href= +"#Footnote_56" class="fnanchor">[56]</a> ; cela aura deux +résultats : 1<sup>o</sup> de m’indiquer des faits pour la +classification des langues berbères ; 2<sup>o</sup> des faits +pour déterminer l’âge relatif des différents dialectes.</p> + +<p>Je reçois de M. de Dalmas, chef du cabinet de l’empereur, des +lettres de recommandation du Bey de Tunis pour les différents kaïds +et aghas de son gouvernement. Comme, d’autre part, je ne puis +espérer recevoir mon chronomètre que vers le commencement d’avril, +époque du retour du capitaine Langlois à Biskra, je me décide à +entreprendre dans le sud de la Tunisie, un voyage de vingt jours à +un mois.</p> + +<p>Mon bagage arrive, et je fais planter ma tente à la porte de la +kasba.</p> + +<p class="datesect">24 février.</p> + +<p>Nous employâmes notre après-midi, M. Auer, un lieutenant de la +légion, et moi, à faire une partie de chasse <em>dans</em> la +Chemorra. — La Chemorra est une vaste dépression couverte de +marécages qui s’étend à l’est des plantations de Tougourt et vers +le nord.</p> + +<p>Nous parcourûmes un des marais de la Chemorra ; nous +avions, par endroits, de l’eau jusqu’à mi-jambe, dans d’autres nous +marchions presque à sec ; enfin, lorsqu’il fallait traverser +de nombreux fossés profonds qui sillonnent les marais en divers +sens, c’est à peine si de vigoureux élans pouvaient nous les faire +franchir ; nous échouâmes chacun à notre tour, de manière à +nous mettre dans l’eau jusqu’à la ceinture.</p> + +<p>Je dirai d’abord que notre chasse eut peu de succès ; les +canards de Barbarie qui étaient le but de notre course, se levèrent +à un kilomètre environ et ne revinrent plus. Les chiens furent mis +en défaut<span class="pagenum" id="Page_30">[30]</span> par deux +chats sauvages qui nous échappèrent. Ces animaux sont gris avec des +raies noires ; ils sont un peu plus gros qu’un chat domestique +et ont établi leur fort dans les touffes de broussailles et de +roseaux des marais ; ils ne craignent pas l’eau, à en juger +par leurs retraites quelquefois entourées de fossés qu’ils sont +obligés de traverser, et par les nombreuses flaques d’eau qui les +environnent. Ces chats viennent la nuit dans les jardins ; ils +cherchent leur pâture dans les basses-cours, et en automne, dans +les couches de melons et de pastèques. — J’espère pouvoir m’en +procurer un avant mon départ de ces contrées.</p> + +<p>Les autres animaux des marais sont des flamants de deux espèces, +me dit M. Auer ; des bécassines, des sarcelles, des alouettes, +des hérons, des bergeronnettes, enfin un tout petit oiseau qui a la +langue prodigieusement longue.</p> + +<p>Il y a des poissons dans les fossés et dans les mousses +aquatiques et conferves vivent les deux espèces de petits +gastéropodes de Tougourt ; les mélanies y sont aussi, dit +Auer, mais je ne les ai pas trouvées. — Il y a aussi quelques +coléoptères d’eau et des libellules. J’oubliais les cousins et les +moustiques. Les cousins font une piqûre douloureuse, les boutons +qui en résultent enflent prodigieusement et gênent beaucoup. Je +suis revenu couvert de leurs piqûres au front, aux yeux, aux joues, +aux mains, jusqu’aux mollets. Le tout a été traité à l’eau +sédative.</p> + +<p>Le sol des marécages se couvre, lorsqu’il se dessèche, de +concrétions de sels, dans le genre des pétrifications qui entourent +les sources à dépôts calcaires.</p> + +<p>La végétation du sol se compose de tamarix, quoiqu’en petit +nombre, et d’une quantité de plantes dans le genre du +<em>baguel</em> et du <em>belbāl</em>, mais beaucoup plus grosses +et juteuses ; ce sont des plantes grasses articulées. — Il y +a, en grandes quantités aussi, des joncs qui arrivent aux genoux et +qui se terminent par une pointe qui abîme les jambes dans la +marche. — L’eau contient un assez grand nombre de mousses +aquatiques et de conferves (?).</p> + +<p>Pour ce qui concerne les fièvres si renommées de Tougourt, elles +arrivent deux fois par an et durent chaque fois un mois ; les +moments du fléau sont les mois de mai et d’octobre. Déjà, dans le +mois d’avril, il y a sept jours de fièvre<a id= +"FNanchor_57"></a><a href="#Footnote_57" class="fnanchor">[57]</a>. +A l’époque des fièvres,<span class="pagenum" id= +"Page_31">[31]</span> les fossés qui entourent la ville et toutes +les eaux stagnantes des oasis prennent une couleur chocolat qui +approche même de la couleur sang<a id="FNanchor_58"></a><a href= +"#Footnote_58" class="fnanchor">[58]</a>. C’est le signal de +l’arrivée de la fièvre. Alors on lâche deux fois par semaine les +eaux des saguias dans les fossés qui entourent Tougourt, les +habitants préfèrent renouveler ainsi l’eau de ces fossés et laisser +leurs palmiers manquer un peu d’eau. Si on ne prenait pas cette +précaution, les fièvres seraient beaucoup plus graves<a id= +"FNanchor_59"></a><a href="#Footnote_59" class= +"fnanchor">[59]</a>.</p> + +<p>Depuis trois mois que les hommes de la légion et du génie sont à +Tougourt, les santés se sont maintenues bonnes ; il n’y a eu +qu’un petit nombre de diarrhées aisées à guérir. Ces diarrhées +tiennent du reste aux eaux du pays<a id="FNanchor_60"></a><a href= +"#Footnote_60" class="fnanchor">[60]</a> ; moi-même j’en +ressens l’effet toutes les fois que je passe ici, et Auer, qui est +cependant le doyen de l’endroit, me dit être dévoyé à état +permanent. Lorsqu’il éprouve des échauffements (relativement +parlant), sa santé s’en ressent.</p> + +<p class="datesect">25 février.</p> + +<p>Aujourd’hui le courrier est arrivé. Je suis resté à la kasba +pour l’attendre, et j’ai profité de ce repos pour écrire toutes mes +lettres. La seule chose intéressante de la journée est que, vers le +milieu du jour, le caporal Dhem vint me trouver me disant qu’il y +avait sur la terrasse une négresse qui donnait des coups de couteau +sur la tête de son enfant.</p> + +<p>Je montai et trouvai en effet une des négresses qui se sont +réfugiées chez Auer, tenant son enfant d’un mois devant elle et le +dorlotant pour l’empêcher de crier ; il avait le long du +front, à la naissance des cheveux, cinq ou six incisions qui lui +couvraient la tête de sang. Je demandai à la mère ce qu’elle lui +faisait, elle me dit que c’était un préservatif contre les maux +d’yeux. Elle se<span class="pagenum" id="Page_32">[32]</span> +préparait à faire encore deux incisions au bas des reins, mais je +m’y opposai et j’emportai le rasoir.</p> + +<p class="datesect">26 février.</p> + +<p>Encore aujourd’hui je suis resté à la kasba, à faire des +observations pour corriger celles d’Auer, et à finir ma +correspondance.</p> + +<p>Ce n’est que vers le soir que nous sommes partis pour la chasse, +nous trois chasseurs ; il s’agissait d’abattre quelques +courlis (?), oiseaux qui se tiennent dans les sables aux environs +de la ville et qui courent avec une vitesse extraordinaire. Nous ne +pûmes pas les approcher ; de mon côté, je tuai deux petits +oiseaux (alouettes du Sahara), sans huppe, à couleur pâle, une raie +noire près du bord des ailes lorsqu’elles les étendent ; le +bec est fort long.</p> + +<p>Je cause avec un Targui des Kelrhela (Hogar) de qui j’obtiens +des documents itinéraires.</p> + +<p class="datesect">27-28 février.</p> + +<p>J’ai été dans les jardins pour observer la température des +puits<a id="FNanchor_61"></a><a href="#Footnote_61" class= +"fnanchor">[61]</a>.</p> + +<p>J’entends parler aujourd’hui pour la première fois d’une +singulière maladie des nègres. Il paraît que certains d’entre eux +sont sujets à des jours de folie ou de lunatisme, pendant lesquels +ils font toutes sortes d’excentricités<a id= +"FNanchor_62"></a><a href="#Footnote_62" class="fnanchor">[62]</a>. +On appelle cela Moulā Rās en Haoussa, « bōri ou bōli » et +encore « ébĕlīs ». J’apprends encore que les musulmans y +sont sujets. Même ceux de ce pays-ci.</p> + +<p>Nous faisons une grande promenade à cheval en tournant les +plantations au nord et redescendant de l’autre côté de la Chemorra. +Nous sommes obligés pour cela de traverser une partie de l’oued +Righ, dépression qui à cet endroit a le caractère de sebkha, mais +de sebkha peu saline. Les cartes du bureau arabe ont été assez bien +faites à cet endroit ; il faut absolument représenter cette +dépression sur la carte, mais ne pas la laisser confondre avec un +lac.</p> + +<p>Nous voyons de nombreux canards, même un flamant isolé.</p> + +<p class="datesect">29 février.</p> + +<p>Je reste la matinée à Tougourt et déjeune encore avec Auer et la +compagnie, mais j’avais eu la précaution de faire mes +adieux<span class="pagenum" id="Page_33">[33]</span> la veille. +Cependant le kaïd vient à cheval au moment du départ et veut à +toutes forces m’accompagner un peu. Je lui dis adieu à la porte de +la ville. Cette fois, il paraît avoir fait de grands frais de +recommandations à mon sujet. Il s’est mis entièrement à ma +disposition.</p> + +<p>Nous partons, et laissant un peu à droite deux des villages qui +entourent Tougourt, nous passons entre les <em>deux</em> forêts de +palmiers, et traversons les marais de la Chemorra dans leur +largeur. Peu après, nous entrâmes dans une zone de dunes peu +élevées, qui nous conduisit dans un « oued » ou plaine +assez unie appelée Oued-es-Sédīri. Comme nous étions partis tard et +que cette plaine est assez vaste, je me décidai à planter la tente +de bonne heure pour donner le temps à la viande de bœuf de +cuire.</p> + +<p>La plante qui couvre les endroits à sec de la Chemorra se nomme +<em>rhodhdhām</em><a id="FNanchor_63"></a><a href="#Footnote_63" +class="fnanchor">[63]</a> ; elle fleurit au printemps, et +j’attends mon retour pour en prendre un échantillon.</p> + +<p>Ce matin, j’ai sorti mon thermomètre étalon, et j’ai fait des +comparaisons avec mon thermomètre fronde 207 et le thermomètre à +alcool d’Auer.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp1c02"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_43"></a><a href="#FNanchor_43"><span class= +"label">[43]</span></a>Les Ouled-Sidi-Cheikh.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_44"></a><a href="#FNanchor_44"><span class= +"label">[44]</span></a>Le maréchal Randon, gouverneur de l’Algérie +de 1852 à 1858.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_45"></a><a href="#FNanchor_45"><span class= +"label">[45]</span></a>Duveyrier n’a donc discerné, à cette époque, +aucun type spécial à cette population. L’idée d’une race autochtone +foncée, dite « garamantique », ne lui est venue que plus +tard. (Voir <em>les Touaregs du Nord</em>.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_46"></a><a href="#FNanchor_46"><span class= +"label">[46]</span></a>Si-Zoubir-bou-Bekr, le plus jeune frère de +Si-Hamza, chef des Ouled-Sidi-Cheikh. D’abord partisan du chérif, +il s’était rallié à son frère (décembre 1853 et avait été investi +(février 1854) du khalifalik d’Ouarglă (comprenant les cinq caïdats +d’Ouarglă-Ngoussa, des Mekhadma, des Saïd Otba et des +Chambba-bou-Rouba), sous la suzeraineté de Si-Hamza, nommé +commandant du Sud. (<em>Mémoires du maréchal Randon</em>, Paris, +1875, I, p. 163-173). Mais Si-Hamza était loin, et Si-Zoubir le +vrai maître du pays.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_47"></a><a href="#FNanchor_47"><span class= +"label">[47]</span></a>Drâ, « chaîne de collines et surtout de +dunes, peu épaisse, assez longue ». (Foureau.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_48"></a><a href="#FNanchor_48"><span class= +"label">[48]</span></a>Sur les origines du Chérif, voir les +<em>Lettres familières sur l’Algérie</em> (2<sup>e</sup> édit. +Alger, 1893, p. 214-242) du colonel Pein, qui fut lui-même un des +plus vaillants acteurs de la conquête de l’Extrême-Sud.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_49"></a><a href="#FNanchor_49"><span class= +"label">[49]</span></a>Faîte du plateau de Tademayt.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_50"></a><a href="#FNanchor_50"><span class= +"label">[50]</span></a>Zaouïa Moulaï Heïba.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_51"></a><a href="#FNanchor_51"><span class= +"label">[51]</span></a>La sebkha Safioun, partie de la zone +d’épandage de l’Oued-Mya (Rolland, Rapport hydrologique, +<em>Documents relatifs à la mission Choisy</em>, t. III, p. +18).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_52"></a><a href="#FNanchor_52"><span class= +"label">[52]</span></a>Profondeur, 2 mètres. — Température, 15°,2 à +15°,25 (Note de H. Duveyrier). C’est l’Arefigi de M. Lahache. (Voir +l’analyse des eaux, <em>Étude hydrologique du Sahara français</em>. +Paris, 1900, p. 103.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_53"></a><a href="#FNanchor_53"><span class= +"label">[53]</span></a>Sur l’outillage incroyablement primitif des +indigènes voir le colonel Pein (ouv. cité, p. 29-38) qui en parle +comme témoin oculaire.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_54"></a><a href="#FNanchor_54"><span class= +"label">[54]</span></a>Les mémoires du maréchal Randon ne signalent +pas cette tentative. Ils mentionnent seulement les négociations +plus heureuses de Si-Hamza avec les Touaregs Azdjer, qui furent la +cause première de l’envoi du capitaine de Bonnemain à Ghadamès et +de l’interprète Bou-Derba à Ghât. Ces négociations remontent à +1855-1856 ; l’idée première de nouer des relations avec les +Touaregs remonte à 1853. (Randon, <em>Mémoires</em>, I, p. 250-255, +448.) Le maréchal se promettait beaucoup du commerce du Sud. Voir, +comme contre-partie, le récit humoristique du colonel Pein, ouv. +cité, p. 484-488. Sur Si-Hamza lui-même, voir A. Bernard et N. +Lacroix (<em>Historique de la pénétration saharienne</em>, Alger, +1900, p. 21, 37), qui citent une lettre inédite du général Durrieu +relative au projet de mission à Insalah.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_55"></a><a href="#FNanchor_55"><span class= +"label">[55]</span></a>Briques simplement séchées au soleil.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_56"></a><a href="#FNanchor_56"><span class= +"label">[56]</span></a>Duveyrier, atteint d’une grave maladie à son +retour, n’a pu s’acquitter de cette partie de sa tâche.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_57"></a><a href="#FNanchor_57"><span class= +"label">[57]</span></a>D’après le D<sup>r</sup> Sériziat, dès les +premiers jours d’avril. (Histoire médico-chirurgicale de la colonne +du Sud, <em>Bull. de la Soc. Algérienne de Climatologie</em>, 1871, +p. 41.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_58"></a><a href="#FNanchor_58"><span class= +"label">[58]</span></a>M. Lahache a donné l’explication de cette +teinte sanguine. (<em>Étude hydrologique sur le Sahara français +oriental</em>. Paris, 1900, p. 54.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_59"></a><a href="#FNanchor_59"><span class= +"label">[59]</span></a>Il est démontré aujourd’hui que +l’insalubrité est en raison directe de l’étendue des bas-fonds +alternativement remplis d’eau saumâtre et asséchés. A Tougourt, où +les fossés ont été presque tous comblés par l’administration +française, « le nombre des cas de fièvre a beaucoup +diminué ». (D<sup>r</sup> Weisgerber, Observations sur les +conditions sanitaires, <em>Doc. Mission Choisy</em>, t. III, p. +473-475.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_60"></a><a href="#FNanchor_60"><span class= +"label">[60]</span></a>Presque toutes les eaux du Sahara algérien +sont chargées de sulfates de chaux et de magnésie ; celles des +puits artésiens de Tougourt, qui ont donné à l’analyse de 3 à 4 +grammes de sels anhydres par litre, ne sont ni les plus +minéralisées, ni les plus nocives, mais contiennent toutefois une +forte proportion de sulfate de chaux. (Voir Weisgerber, rapport +cité, p. 480, et Lahache, ouv. cité, p. 48, 71.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_61"></a><a href="#FNanchor_61"><span class= +"label">[61]</span></a>Ces observations ont été publiées dans +<em>les Touaregs du Nord</em>, p. 113.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_62"></a><a href="#FNanchor_62"><span class= +"label">[62]</span></a>Voir <em>Touaregs du Nord</em>, p. 436.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_63"></a><a href="#FNanchor_63"><span class= +"label">[63]</span></a>Nom inconnu. Faut-il lire Gueddâm, +<i>Salsola vermiculata</i> ?</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_34">[34]</span><a id= +"p1c03"></a>CHAPITRE III</h3> + +<p class="sch">DE TOUGOURT AU DJERID PAR LE SOUF</p> + +<p class="datesect">1<sup>er</sup> mars 1860.</p> + +<p>A peine voulions-nous partir ce matin, que le chameau qui +portait les cantines, et qui est très timide, effrayé par quelque +chose, prit tout à coup le galop, et après quelques instants de +résistance, les cantines volèrent en l’air, une des chaînes s’étant +cassée. Les caisses retombèrent sens dessus dessous à mon grand +crève-cœur. — Après avoir procédé à l’ouverture des cantines, je +trouvai deux flacons vides cassés, une bouteille de vin et un grand +flacon d’eau sédative dans le même état. Le dégât causé par cet +accident est assez grave, mon sucre est presque entièrement perdu, +et beaucoup de linges et de livres sont plus ou moins tachés. De +plus, je perds deux flacons précieux pour mettre des objets +d’histoire naturelle.</p> + +<p>Le chamelier à qui appartient le chameau, et qui avait insisté +pour qu’on lui confiât les cantines malgré les observations +d’Ahmed, aura une bonne amende en arrivant au Souf.</p> + +<p>Après ce retard, nous nous mîmes en marche, et traversâmes +alternativement des zones de dunes et des <em>oueds</em>. La +végétation se composait d’<em>alenda</em>, <em>zeita</em>, +<em>sefār</em>, <em>drīn</em>, <em>lebbîn</em> et +<em>arta</em>.</p> + +<p>Nous arrivâmes dans l’après-midi aux puits de Mouia +Ferdjān<a id="FNanchor_64"></a><a href="#Footnote_64" class= +"fnanchor">[64]</a>. Ils sont au nombre de trois et entourés chacun +d’un petit mur en maçonnerie pour empêcher que les sables ne les +comblent. L’eau de ces puits, de celui de l’est en particulier, est +très bonne et a une température assez basse.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_35">[35]</span>Nous ne nous +arrêtâmes aux puits que le temps d’abreuver mon cheval et de +remplir les outres, et nous continuâmes encore un peu dans un pays +semblable à celui que nous avions laissé derrière nous. — Nous +campâmes de bonne heure, pour les mêmes raisons culinaires que la +veille.</p> + +<p class="datesect">2 mars.</p> + +<p>Nous continuâmes de voyager dans une contrée alternant de l’oued +aux dunes, et passâmes notamment plusieurs de ces dernières, comme +Sif Soltan, Sif er Retem et Sif el Lehoudi. Nous déjeunâmes dans +l’oued Nàīma.</p> + +<p>Ensuite nous traversâmes un pays où les dunes devenaient de plus +en plus hautes. En route nous rencontrâmes trois spahis venus +d’El-Oued et se rendant à Tougourt ; ils vinrent tous me +serrer la main, nous échangeâmes les nouvelles et partîmes chacun +de notre côté. Nous rencontrâmes ensuite des gens du Souf venus +avec des chameaux pour ramasser du bois et du drin, ces deux objets +manquant dans les dunes plus près de leur pays, là où la +consommation en était facile.</p> + +<p>Nous arrivâmes enfin à Ourmās, plantations de palmiers et +jardins <em>creusés</em> dans les sables. On y voit un assez bon +nombre de maisons et nous y remarquâmes quelques habitants, quoique +ce ne soit guère qu’en automne que cet endroit soit habité à cause +des fruits et des dattes. Au moment de quitter Ourmas, Ahmed me fit +remarquer trois petits dômes de maçonnerie émergeant du +sable ; il me dit que c’était le toit d’une maison qu’il avait +vue avant que les sables ne l’eussent ensevelie.</p> + +<p>De là, après avoir traversé une zone de hautes dunes, nous +entrâmes dans un terrain plus aisé, et atteignîmes bientôt +Kouinin.</p> + +<p>Le cheikh nous reçut bien, nous donna sa maison, et comme j’y +entrai avant que la famille ne l’eût quittée, je pus voir deux +dames d’une beauté incontestable et une négresse toute réjouie qui +n’avait probablement jamais rien vu d’aussi extraordinaire que ma +personne et mon bagage. Le tout annonçait une certaine civilisation +et un vrai bien-être. La maison et le mobilier répondaient +parfaitement à la figure des femmes et à leur habillement.</p> + +<p>Après un bon dîner, je me mets en poste d’observation avec +l’intention de faire de bonnes observations astronomiques. — +Le<span class="pagenum" id="Page_36">[36]</span> vent qui avait +cessé au coucher du soleil et qui a repris depuis me gênera +probablement.</p> + +<p>Je vois, à mon grand regret, que la lunette de mon sextant est +insuffisante pour me permettre d’observer des occultations, du +moins quand la lune est aussi brillante<a id= +"FNanchor_65"></a><a href="#Footnote_65" class= +"fnanchor">[65]</a>.</p> + +<p class="datesect">3 mars.</p> + +<p>Kouinin est bâti tout à fait comme Guémār ; c’est-à-dire +que les cours des maisons sont entourées d’appartements réels, et +qu’on n’y voit pas de tente au milieu comme à El-Oued, c’est-à-dire +le nomadisme luttant contre l’état sédentaire. Les murs varient de +hauteur depuis l’épaule d’un homme jusqu’à sa tête ; les +dômes, etc., ne sont ni égalisés ni crépis, de sorte que le tout +n’offre pas un spectacle de propreté ni d’élégance.</p> + +<p>Au moment du départ, on cria que le khalifa était arrivé et, en +effet, je vis déboucher au bout de la rue plusieurs cavaliers. Nous +allâmes au-devant les uns des autres, et mîmes pied à terre à +distance respectueuse pour venir nous prendre la main et nous +informer de nos précieuses santés. Car telle est la règle.</p> + +<p>Ceci fit que je fus obligé de partir pour El-Oued sans faire le +levé de la route, car à cheval et du pas où nous allions, il ne +fallait pas y penser.</p> + +<p>J’appris que le khalifa retenait une caravane très nombreuse +pour me faire passer au Djérid en bonne compagnie.</p> + +<p>Je passe la journée à écrire des lettres qui partent aujourd’hui +même pour Tougourt. Je mets mes itinéraires au courant ; +dessine un peu et fais des observations.</p> + +<p class="datesect">4 mars.</p> + +<p>Ma journée n’a pas été heureuse. J’ai eu le malheur de casser +mon dernier baromètre Fortin, cependant je pourrai le raccommoder +dès que j’aurai des tubes. Cela n’en est pas moins très fâcheux, vu +que les notes barométriques devaient être un des résultats les plus +intéressants de mon voyage<a id="FNanchor_66"></a><a href= +"#Footnote_66" class="fnanchor">[66]</a>.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_37">[37]</span>Je passe la +matinée à finir de copier au net l’itinéraire de l’Oued-Righ +ici.</p> + +<p>Il arrive une caravane du Djérid qui donne les meilleures +nouvelles ; il en était venu une hier encore.</p> + +<p>Je fais encore acheter par Ahmed différentes choses qui me +manquent, et je m’amuse à décrasser un certain nombre de monnaies +romaines et semblables que je me suis procurées ici. Elles courent +comme les « felous<a id="FNanchor_67"></a><a href= +"#Footnote_67" class="fnanchor">[67]</a> » de Tunis.</p> + +<p>Presque toutes sont très petites. Les principales sont de +Constantin ; d’autres portent des figures de souverains avec +une couronne ressemblant aux couronnes les plus primitives du moyen +âge ; enfin j’en ai où l’on reconnaît l’éléphant et le palmier +et qui doivent venir de Carthage. Outre cela, il y a des médailles +avec des figures de saints, des anges ailés, etc., etc., qui +doivent avoir une origine chrétienne, et étaient frappées pour +accomplir un vœu, comme l’une d’elles paraît me le prouver.</p> + +<p>Ces médailles sont trouvées dans les ruines de Besseriani<a id= +"FNanchor_68"></a><a href="#Footnote_68" class="fnanchor">[68]</a> +et de <em>Hēdra</em><a id="FNanchor_69"></a><a href="#Footnote_69" +class="fnanchor">[69]</a> principalement.</p> + +<p>Le soir, je vais voir trois noces. La première était à une tente +dans les sables à l’ouest de la ville. La mère du marié vint nous +faire ses excuses en nous disant que ce n’était qu’une petite fille +et que, par conséquent, on n’avait pas voulu avoir une grande fête. +Cette petite fille venait de se sauver de chez ses parents pour se +réfugier dans la tente de l’homme qu’elle aimait. On dit que demain +elle sera donnée légalement. C’est bien le moins lorsqu’il n’est +plus possible de la reprendre.</p> + +<p>Les autres noces avaient plus d’apparat, je veux dire de bruit. +Les femmes sont rassemblées dans une cour, quelquefois en cercle et +tournant le dos, d’autres fois la figure découverte et de face. +Elles bredouillent quelques chants presque inintelligibles et font +you-you aux jeunes gens qui viennent avec beaucoup d’embarras tirer +un coup de fusil dans le sable à côté d’elles. Quelquefois les +Messieurs se préparent à la décharge par une sorte de pas (de +danse) tout à fait curieux, et qui imite le pas de la danse arabe +au commencement de l’exercice.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_38">[38]</span>Du reste, les +femmes et les hommes ne se parlent pas. Si (et cela arrive) une des +femmes invitées a un <em>amant</em>, celui-ci vient à la fête faire +le plus de bruit qu’il peut pour se montrer dans son plus beau +jour. En revenant, je rencontrai des bandes de jeunes gens chantant +en chœur toujours la même complainte et le plus fort qu’ils +pouvaient, pour être entendus des femmes dans les maisons. — Je +remarquai que ceux qui se distinguaient le plus à la noce étaient +pour la plupart de fort jeunes gens.</p> + +<p>Le puits est ici l’endroit des intrigues et des amours. Quand un +homme va au puits pour abreuver son cheval, et il choisit alors un +puits d’eau excellente situé dans les dunes hors de la ville, son +amie choisit aussi ce moment pour aller y puiser l’eau et ils se +voient de cette manière. Du reste, l’amant choisit toute occasion +opportune. Son amie est-elle mariée ? il saisit le moment où +le mari va au marché, aux plantations, etc... Les amants de ce pays +ne peuvent pas manger l’un devant l’autre : ils doivent +paraître fuir la nourriture.</p> + +<p class="datesect">mars.</p> + +<p>Comme tous les jours de départ, ce matin ne fut pas très gai à +passer ; c’étaient des oublis, des ordres, des contre-ordres à +n’en plus finir.</p> + +<p>Enfin, lorsque tout fut prêt de mon côté, on s’aperçut que la +caravane d’El-Oued n’était pas encore tout à fait prête à partir. +Je n’en voulus pas moins partir immédiatement, et le khalifa ainsi +que deux ou trois autres notables montèrent à cheval pour me faire +un peu la conduite.</p> + +<p>Nous partîmes par le quartier des Oulad Hamed et entrâmes +immédiatement dans les dunes et les « Ghitan », +c’est-à-dire jardins de palmiers creusés dans le sable. +Quelques-uns de ces « ghitan » étaient tellement +profonds, que le faîte des palmiers hauts de 15 à 20 mètres +n’atteignait que la hauteur de mon épaule ou de ma tête (moi étant +sur la route).</p> + +<p>Le vieux cheikh qui accompagnait le khalifa, proposa au moment +de la séparation de réciter la « fātĭha », mais le +khalifa fit semblant de ne pas comprendre ou espéra peut-être que +je n’avais pas fait attention à la proposition. Du reste, je tiens +peu aux <em>fātĭha</em> et aux bénédictions, mais, si j’y tenais, +j’aurais peut-être préféré celle-là à d’autres.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_39">[39]</span>Après nous être +quittés, nous entrâmes dans un océan de dunes dépourvues de toute +végétation, nous avions laissé les jardins derrière nous. — Nous +touchâmes bientôt à un four à chaux primitif ; on extrait la +pierre à chaux sur place. C’est le même type de plâtre ou de +calcaire friable, saccharoïde, que j’ai observé la première fois à +Chegga du Sud.</p> + +<p>Près de là je trouvai un peu de <em>lebbīn</em>, euphorbiacée +qui croit volontiers dans les intervalles des dunes. Je fus surpris +de rencontrer aussi deux ou trois papillons, qu’il fallut renoncer +à attraper.</p> + +<p>Après une marche assez longue dans les sables, nous entrâmes +dans un terrain uni et arrivâmes bientôt au puits de Tĕrfāoui au +nord duquel il y a une petite ligne de jardins où l’on cultive +principalement des oignons, mais où l’on paraissait tenter la +culture du palmier. Deux individus étaient en train de ramasser les +crottes de chameaux pour les enfouir autour du pied des jeunes +plants.</p> + +<p>De là nous reprîmes les dunes et eûmes de nouveau une longue et +ennuyeuse marche à fournir avant d’arriver au Sahēn, sorte de +plaine unie au milieu de laquelle est situé le puits du même nom où +devait se réunir la caravane. Nous trouvâmes déjà campés depuis +hier au soir de nombreux voyageurs comptant 60 fusils ; plus +tard, dans la soirée, la caravane d’El-Oued nous rejoignit. Je +plantai ma tente près du puits entre les deux caravanes. Un cheikh +de Kouinin et un domestique du khalifa attendaient mon +arrivée ; aussitôt qu’ils se furent assurés que j’avais +rejoint la caravane, ils repartirent pour coucher à Djebīla<a id= +"FNanchor_70"></a><a href="#Footnote_70" class= +"fnanchor">[70]</a>.</p> + +<p>Cette caravane est la première que j’aie vue aussi grande et +aussi complète. Il y a des Souāfa, des gens du Djérid, des +Ghadamsia<a id="FNanchor_71"></a><a href="#Footnote_71" class= +"fnanchor">[71]</a>, etc.... ; les bêtes de somme sont très +variées, depuis le cheval jusqu’au chameau et aux bourricots. Une +vieille de l’Ouest (Ouled Naīl ?) s’est adjointe à mon petit +camp ; elle se rend au Djérid où sa fille est mariée. Elle +invoque tous les quarts d’heure Sidi Mohammed el’Aïd, le saint +vivant de Temassin<a id="FNanchor_72"></a><a href="#Footnote_72" +class="fnanchor">[72]</a>. — Je fais porter à un de mes chameaux +son modeste bagage.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_40">[40]</span>Ce soir, nous +entendons des Khouan<a id="FNanchor_73"></a><a href="#Footnote_73" +class="fnanchor">[73]</a> de Sidi Moustapha qui chantent leur +prière avec accompagnement de musique. Ceci est dans la caravane +campée au nord. Au sud nous avons une musique moins monotone, c’est +le chant et la voix des femmes qui y sont en nombre.</p> + +<p>Je remarque que, dans les jardins au milieu des dunes, l’on a +soin de garnir la crête de ces dernières d’une haie de palmes +presque entièrement enterrées pour que les sables ne soient pas +portés par le vent dans le jardin, et, d’un autre côté, pour que +les sables que l’on déblaye ne retombent pas dans le +« ghoūt »<a id="FNanchor_74"></a><a href="#Footnote_74" +class="fnanchor">[74]</a>.</p> + +<p class="datesect">6 mars.</p> + +<p>Je fus malade toute la nuit, ayant une indigestion très +douloureuse. Aussi ce matin me fallut-il une bonne dose d’énergie +pour ordonner le départ comme d’habitude et monter en selle.</p> + +<p>Au moment de partir, je reçus mon courrier de Tougourt, qui +malheureusement ne renfermait qu’une lettre de mon père et une +d’Auer. Je reçois la lettre du Ministre des affaires étrangères +pour M. Botta.</p> + +<p>Les gens de la caravane parurent mettre plus de soin qu’hier à +se rassembler en un seul bloc, mais les peines furent vaines, au +bout de quelque temps, les pelotons de la caravane étaient séparés +par plusieurs kilomètres. — On voulut aussi m’effrayer, je ne sais +quel intérêt avaient ces hommes à ne pas aller par la route +orientale que j’avais choisie. On voulut me faire croire qu’à un +des puits nous allions trouver 1.200 cavaliers de Nemēmcha +insoumis. Je me bornai à leur demander comment le puits pouvait +abreuver tant de monde et tant de chevaux.</p> + +<p>Pendant que je marchais avec mes chameaux isolés, un homme assez +drôle se joignit à nous. Il était coiffé d’un turban vert et d’une +calotte rouge. Son vêtement consistait en deux burnous assez sales, +et comme arme il portait, jeté sur son dos, un immense sabre. Cet +homme avait des manières très européennes, celles d’un homme peu +distingué, bien entendu, et il parlait beaucoup. Il nous dit qu’il +était depuis quarante ans « policeman » à Tunis, que sur +trois nuits il en passait une de garde. Les policemen<span class= +"pagenum" id="Page_41">[41]</span> ne sont pas payés à Tunis et il +nous raconta qu’il ne s’était fait inscrire comme tel que pour +avoir l’avantage de sortir le soir après le couvre-feu, et d’aller +dans telle et telle maison qui lui plaisait, chez les jolies femmes +qui lui convenaient, beaucoup même, à l’en croire. Ensuite, si la +police n’est pas payée, elle se fait plus d’argent sans cela, car +elle permet toutes débauches nocturnes pourvu qu’on lui graisse la +main. — Mon homme avait aussi un faible pour les spiritueux et il +avait emporté de la <em>mahia</em> avec lui.</p> + +<p>Pendant que nous causions ainsi, un pèlerin marocain qui nous +suivait tout couvert de guenilles nous cria : « Voilà un +mouton » ; en effet, il y avait à quelques pas de nous +une brebis perdue et boiteuse. Ahmed et le policeman tunisien +fondirent dessus et, après un débat où la probité de chacun se fit +jour, l’animal fut égorgé par le policeman, qui le considéra de +bonne prise.</p> + +<p>Le soir, on la dépèce et la distribue.</p> + +<p>Quant au pays que nous traversâmes, ce fut une plaine uniforme, +à sol sablonneux et à végétation de <em>ălenda</em>, +<em>semhari</em>, <em>arta</em>, <em>drīn</em> et <em>baguel</em>. +De temps en temps une petite traînée de dunes en interrompait la +monotonie.</p> + +<p>Nous touchâmes à un puits nommé Wourrāda ; actuellement il +est comblé. Voilà l’histoire de cet événement. Le puits ayant été +rempli de <em>drīn</em> pour une cause ou une autre, un pasteur y +descendit dans l’intention de le nettoyer. Comme il ne revenait +pas, le frère de cet homme y descendit aussi, mais y trouva la mort +par asphyxie<a id="FNanchor_75"></a><a href="#Footnote_75" class= +"fnanchor">[75]</a> ; enfin l’oncle des deux jeunes gens +voulut leur porter secours et faillit périr ; cependant il put +sortir. On combla le puits, qui sert de tombeau aux deux +pasteurs.</p> + +<p>Vers la fin de la marche, un habitant du Djérid, monté sur son +chameau, prit un tambour de basque et commença une longue +improvisation sur un marabout vivant de Nefta, Moustapha ben Azoūz. +Il jouait admirablement bien de son instrument, et improvisait avec +tant de facilité que je crus qu’il récitait une litanie. Les +couplets, composés de quatre vers, étaient tous terminés par la +même rime, et se terminaient par le refrain que<span class= +"pagenum" id="Page_42">[42]</span> répétaient en chœur des jeunes +gens de la caravane. Malheureusement le chant m’empêchait de juger +du sens des vers. — Cela m’arrive pour les chœurs chantés à l’Opéra +dans ma langue maternelle.</p> + +<p>Nous nous arrêtons au puits de Guettāra Ahmed ben ’Amara<a id= +"FNanchor_76"></a><a href="#Footnote_76" class="fnanchor">[76]</a>. +Je suis dans un grand état d’épuisement et j’ai un peu de fièvre. +Ce matin, j’avais pris un peu d’huile de ricin, je prends ce soir +une dose de quinine dans du café et deux petites tasses de vin. — +Une heure après je me sens beaucoup mieux.</p> + +<p class="datesect">7 mars.</p> + +<p>Hier au soir, après que j’avais fini de rédiger mes notes, les +principaux membres de la caravane du Souf (Kouinin, Tarhzout et +Guémār) vinrent me visiter pour m’annoncer comme une chose arrangée +qu’ils ne partiraient pas le lendemain parce qu’ils venaient de +recevoir la nouvelle que nous allions passer au milieu des douars +des Hammama. Ce n’étaient pas les hommes que ces +« braves » redoutaient, mais bien les femmes, les enfants +et les chiens. On allait envoyer un homme au cheikh Moustapha, le +marabout de Nefta et, selon qu’il dirait ou non d’arriver sans +crainte, on irait plus loin ou l’on s’en retournerait. Je m’opposai +net à une telle mesure, et fis demander dans la caravane quels +étaient ceux qui voulaient partir demain avec moi. La division fut +très nette ; les gens du Djérid, de Ghadāmès, ne voulaient pas +rester, ceux d’El-Oued, du Souf seuls étaient de l’avis contraire. +Je décidai le départ. Toute la nuit fut passée à se disputer dans +le camp, mais quand le jour parut, tout le monde était du même +avis, qui était de me suivre.</p> + +<p>Nous rencontrâmes beaucoup de douars, de troupeaux des Oulād +Sidi ’Abid de la Régence de Tunis, mais ils ne firent que nous +donner des nouvelles, certes peu rassurantes.</p> + +<p>Vers le milieu de la journée, avant d’atteindre le puits +d’El-Khofch<a id="FNanchor_77"></a><a href="#Footnote_77" class= +"fnanchor">[77]</a>, toute la caravane résolut de ne pas passer par +Nakhlet-el-Mengoub, comme l’avait ordonné le kaïd. Moi, de mon +côté, je m’obstinai à prendre ce chemin, et nous nous séparâmes de +très mauvaise humeur, ayant à peine six ou sept hommes avec moi. +Cependant, comme hier, mon attitude déterminée<span class="pagenum" +id="Page_43">[43]</span> leur fit accepter mon choix et ils nous +rejoignirent tous, sauf les Djéridiya, qui du reste ne nous étaient +pas du tout obligés. Nous continuâmes donc notre marche dans un sol +de <em>heicha</em>, la végétation de <em>dhomrān</em><a id= +"FNanchor_78"></a><a href="#Footnote_78" class="fnanchor">[78]</a>, +<em>zeita</em>, <em>souid</em>, etc., qui caractérise la contrée de +Chegga du Sud et la <em>heicha</em> de l’Oued-Righ. Nous étions +très inquiets, les Hammama ne se trouvaient pas campés aux palmiers +d’El-Mengoub, et nous devions nous rapprocher sans cesse de leurs +douars.</p> + +<p>Vers la fin du jour, nous aperçûmes les palmiers de Nafta et +plus loin, vers l’ouest, les montagnes de Negrîn et de Tamerza. +Lorsque nous voulûmes camper quelques instants avant le coucher du +soleil, nous tombâmes sur les troupeaux des Hammama, et pûmes nous +assurer que la tribu n’était pas loin. Les bergers vinrent dans le +camp demander différentes choses, ci du feu, là de l’eau, plus loin +des dattes. Ils vinrent jusqu’à mon feu où j’étais assis et +demandèrent à boire à Ahmed.</p> + +<p>Nous entendîmes, le soir, les chants de leurs femmes, les cris +des enfants et les bêlements des troupeaux.</p> + +<p>Cette nuit ne fut pas très agréable à passer, plusieurs hommes +de la caravane la passèrent à veiller, le « policeman » +tunisien entre autres. Je veillai, pour ma part, la moitié de la +nuit, et fis de longues rondes dedans et hors du camp, que nous +avions établi en demi-cercle, mon lit et mon bagage en formant le +centre. Aujourd’hui nous n’avons pas cru devoir dresser la +tente.</p> + +<p>J’entendis, vers le matin, le cri cadencé d’un chacal en chasse, +auquel répondit bientôt le chien d’un des troupeaux.</p> + +<p class="datesect">8 mars.</p> + +<p>Nous partîmes aujourd’hui avant la pointe du jour et commençâmes +à marcher vigoureusement dans l’espoir de dépasser la +« nedjă » du Hammama avant qu’elle ne prît notre +route.</p> + +<p>Cependant, lorsque le soleil eut un peu monté à l’horizon, les +yeux perçants de mon guide découvrirent la nedjă s’avançant de +notre côté sur le sommet des <em>gour</em> des Beni Mezab. A partir +de ce moment, nous n’eûmes pas une minute de repos. Chaque +ondulation de cette immense ligne de chameaux, de troupeaux +et<span class="pagenum" id="Page_44">[44]</span> d’hommes était +interprétée par mes trop timides Souafa comme un signal +d’attaque.</p> + +<p>Ce ne fut guère que lorsque nous fûmes entrés dans le +chott<a id="FNanchor_79"></a><a href="#Footnote_79" class= +"fnanchor">[79]</a> que nous pûmes bien nous rendre compte du +nombre des ennemis et de leurs mouvements. Lorsque la +« nedjă », qui jusqu’alors s’était tenue sur les +hauteurs, commença à se rapprocher du chott, les fantassins souafa +s’assirent par terre, tournant le dos aux Hammama ; Mohammed +le guide, qui à cet instant aperçut les cavaliers en avant des +troupeaux, s’élança à la tête des chameaux en criant d’arrêter. Il +y eut là un mouvement rapide qui me montra qu’en cas d’attaque, je +ne pouvais compter que sur bien peu de monde. Ahmed sauta à bas du +chameau qu’il montait ; ôta son burnous et arma son fusil, +d’autres suivirent son exemple. Enfin l’incertitude dura quelques +instants, et l’on crut remarquer que les cavaliers reprenaient la +direction, je fis remettre les chameaux en marche, mais ne pus pas +empêcher quelques coups de feu de fantazia de partir, la chose la +plus inconsidérée dans notre position.</p> + +<p>J’eus là l’émotion de celui qui va être entraîné dans un combat +pour son droit, mais qui n’avait cherché de querelle à personne. +Armé de mon revolver, j’étais décidé à mesurer mes cinq coups et à +démonter au moins deux ou trois cavaliers. La lutte aurait été +déplorable ; des guerriers consommés, en nombre considérable, +auraient certainement eu le dessus sur quelques hommes déterminés +mais embarrassés par une foule timorée et inutile, par des femmes, +des enfants et des chameaux chargés de sommes considérables.</p> + +<p>Bientôt la « nedjă » se trouva à notre hauteur ; +nous voyions cette foule de cavaliers ; les quinze douars +peuvent, d’après des renseignements précis, mettre sur pied mille +hommes. Ce n’était cependant là qu’une des neuf fractions des +Hammama qui, ayant eu à se plaindre de son kaïd, avait envoyé une +plainte au bey, mais se sauvait sans attendre la réponse, décidée à +revenir si le bey lui accordait sa demande, et à quitter son +gouvernement pour toujours si on ne faisait pas attention à son +grief.</p> + +<p>Nous marchions très vite et arrivâmes enfin près des palmiers de +Ghîtān ed Cherfā, où nous rencontrâmes deux cavaliers +hammama<span class="pagenum" id="Page_45">[45]</span> attardés, que +nous saluâmes en passant. Ils sont bien montés, ont d’énormes +étriers, et sont surtout remarquables par leur manière de +s’envelopper dans leur haouli, ne laissant voir que le milieu du +visage ; leur chachiă est enfoncée jusqu’aux sourcils ; +enfin ils n’ont pas de corde de poil de chameau. Ahmed me dit +qu’ils revêtent quelquefois des haïks de coton bleu, comme les +femmes du Souf.</p> + +<p>Nous déjeunâmes à côté des plantations de Nafta, où nous +rencontrâmes un dernier Hammami et nous empressâmes ensuite +d’entrer dans la ville ; je descendis à la maison du Bey.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp1c03"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_64"></a><a href="#FNanchor_64"><span class= +"label">[64]</span></a>Profondeur, 5 mètres. — Température, 17°,30. +(Note de H. Duveyrier.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_65"></a><a href="#FNanchor_65"><span class= +"label">[65]</span></a>Le détail des observations astronomiques de +Duveyrier a été publié dans les <em>Les Touaregs du Nord</em>, p. +134-140.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_66"></a><a href="#FNanchor_66"><span class= +"label">[66]</span></a>Duveyrier n’en continua pas moins à observer +à l’aide de l’anéroïde. « J’ai pu, dit-il, en faire usage +concurremment avec les Fortin et pendant assez de temps, avant que +ces instruments aient été brisés, pour bien étudier les dilatations +de l’anéroïde et le corriger de ses erreurs. » (<em>Les +Touaregs du Nord</em>, p. 123.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_67"></a><a href="#FNanchor_67"><span class= +"label">[67]</span></a>Nom donné à la petite monnaie de cuivre en +Tunisie et au Maroc.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_68"></a><a href="#FNanchor_68"><span class= +"label">[68]</span></a><em>Ad Majores</em>, au nord du chott +Rharsa, à 4 kilomètres au S.-E. de l’oasis actuelle de Négrine. (V. +Masqueray, <em>Ruines anciennes de Khenchela à Besseriani</em>, +<em>Revue Africaine</em>, 1879, p. 68.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_69"></a><a href="#FNanchor_69"><span class= +"label">[69]</span></a>Haïdra, au N.-E. de Tébessa ?</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_70"></a><a href="#FNanchor_70"><span class= +"label">[70]</span></a>Djebīla (« la Grasse »), un des +villages du Souf, à 22 km. N.-E. d’El-Oued.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_71"></a><a href="#FNanchor_71"><span class= +"label">[71]</span></a>Gens de Ghadamès.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_72"></a><a href="#FNanchor_72"><span class= +"label">[72]</span></a>Zaouïa des Tidjaniya.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_73"></a><a href="#FNanchor_73"><span class= +"label">[73]</span></a>« Frères » disciples du marabout +de Nefta dont il est question plus loin.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_74"></a><a href="#FNanchor_74"><span class= +"label">[74]</span></a>Dépression.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_75"></a><a href="#FNanchor_75"><span class= +"label">[75]</span></a>Beaucoup de puits dégagent de l’hydrogène +sulfuré, provenant de la décomposition, dans l’eau chargée de +sulfate de chaux, des nombreuses matières organiques, tombées par +l’orifice presque toujours dépourvu de margelle.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_76"></a><a href="#FNanchor_76"><span class= +"label">[76]</span></a>Profondeur 6<sup>m</sup>,20. — Température +20°,2 (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_77"></a><a href="#FNanchor_77"><span class= +"label">[77]</span></a>Profondeur 5<sup>m</sup>,50. — Température +21° (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_78"></a><a href="#FNanchor_78"><span class= +"label">[78]</span></a>Autre forme du mot <span class= +"arabic">ذمران</span></p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_79"></a><a href="#FNanchor_79"><span class= +"label">[79]</span></a>Le chott El-Djérid.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_46">[46]</span><a id= +"p1c04"></a>CHAPITRE IV</h3> + +<p class="sch">AU DJÉRID</p> + +<p>En traversant la rivière, ayant devant moi d’une part les +constructions pittoresques de la ville et de l’autre les beaux +jardins de palmiers, je fus frappé par le charme du site, qui me +soulagea de l’appréhension du danger et du dépit que m’avait causé +le manque de courage de mes compagnons de route.</p> + +<p>Nafta compte 3.000 hommes<a id="FNanchor_80"></a><a href= +"#Footnote_80" class="fnanchor">[80]</a> ; il faut ajouter à +cela les femmes et les enfants non pubères. Les Juifs y sont 54 +hommes avec les mêmes additions. Les hommes s’habillent de fines +jaquettes et pantalons d’étoffes venus de Tunis, et s’enveloppent +des beaux burnous si renommés du Djérid ; ils ne portent pas +de corde en poil de chameau. Les femmes, dont plusieurs m’ont paru +assez bien, mettent un pardessus d’étoffe bleue foncée, comme au +Souf, seulement elles sont plus propres et ont des vêtements de +dessous mieux arrangés. La population est du reste tout à fait +« beldiya » ; on y trouve pas mal d’embonpoint. Du +reste, il y a ici tout ce qui caractérise une grande ville arabe, +des cafetiers en vestes de soie brodée, des boutiques bien +fournies, etc., etc. N’y avait-il pas jusqu’à un fou, qui, comme +celui d’El-Goléâ, paraît attacher un intérêt particulier à mon +humble personne, et est revenu jusqu’à trois fois m’accabler de ses +malédictions. On le chasse assez rudement pour un fou musulman.</p> + +<p>Les Juifs se distinguent par un turban noir. Les femmes se +voilent occasionnellement dans la rue en ramenant leur haïk sur +leur figure.</p> + +<p>La ville de Nafta paie actuellement un impôt qui s’élève +à<span class="pagenum" id="Page_47">[47]</span> 350.000 francs ou +70.000 douros, parmi lesquels il faut compter 30.000 douros +d’exactions de la part des employés du gouvernement. Ces chiffres +sont énormes, comparés à ce qui existe en Algérie. Chaque homme, +petit ou vieux, paie 23 francs annuellement ; le reste de +l’impôt est sur les palmiers.</p> + +<p>Les maisons de Nafta sont construites fort élevées, en briques +minces, je dirais presque en tuiles jaunes et rouges, unies par du +mortier de glaise ; elles ont un aspect fort élégant à +l’extérieur et sont encore ornées par divers dessins que forment +les briques au-dessus des portes et quelquefois tout le long des +frontons. Certains quartiers de la ville sont un peu ruinés ; +vers le côté est on voit une tour assez élevée. Les boutiques, sur +le marché, sont disposées de la même manière économique et simple +qu’à Tougourt.</p> + +<p>Mais ce qui frappe le plus à Nafta, c’est sa rivière impétueuse, +qui coule auprès des palmiers, c’était la première fois que je +voyais cela. A l’endroit où elle se divise en deux branches, au +moyen de constructions en bois très solides et ingénieuses, pour +aller arroser les plantations, l’eau a 27° (à 4 h. p. m.). Le +matin, on voit de la vapeur ou du brouillard à sa surface<a id= +"FNanchor_81"></a><a href="#Footnote_81" class="fnanchor">[81]</a>. +L’eau renferme quelques mousses aquatiques et les mêmes coquilles +noires<a id="FNanchor_82"></a><a href="#Footnote_82" class= +"fnanchor">[82]</a> que j’ai récoltées dans l’oued Biskra, plus une +variété cannelée des mêmes.</p> + +<p>Les jardins renferment, outre de magnifiques palmiers, des +figuiers, des citronniers, des limoniers, des orangers, des +pêchers. On n’y trouve ni oliviers ni pruniers, deux arbres qui se +trouvent à Tōzer. Le <em>tarfa</em> croît aux environs des +plantations.</p> + +<p>Les deux kaïds, le frère de Si’Ali Saci et Sid el ’Abid sont +fort aimables et me font beaucoup de politesses. Nous allons nous +promener ensemble et nous déjeunons et dînons ensemble. La cuisine +qu’on nous fait est exquise, dans le goût européen même. Il n’y a +pas de ruines romaines à Nafta.</p> + +<p>Un fait curieux est ici la même progression des sables de l’est +à l’ouest dont on se plaignait tant à Guémār. J’ai vu en effet les +sables amoncelés en dunes près de l’endroit d’où part la route de +Tōzer ;<span class="pagenum" id="Page_48">[48]</span> ils +pénètrent dans les plantations, enterrent les palmiers, les maisons +et font que la ville s’élève progressivement<a id= +"FNanchor_83"></a><a href="#Footnote_83" class="fnanchor">[83]</a>. +Ainsi s’il n’y a pas de ruines romaines aujourd’hui, on ne peut pas +affirmer qu’il n’y en a jamais eu ; elles ont pu être +enterrées depuis longtemps.</p> + +<p>Tous les Souafa de la caravane se sont empressés d’aller voir +leur cheikh et marabout Sidi Moustapha, chanter de nombreux +« la illah ! » et jouer de la +« bendīr ».</p> + +<p>Les rues de Nafta sont spacieuses, mais non d’une propreté +exemplaire, quoiqu’on ne puisse pas non plus les accuser du +contraire.</p> + +<p>Les gens de Nafta hébergent les Hammama, leur donnent la diffa +et de l’orge pour leurs chevaux lorsqu’ils viennent en ville, pour +qu’en revanche ceux-ci les épargnent lorsqu’ils les rencontrent en +voyage !</p> + +<p class="datesect">9 mars.</p> + +<p>Je décide de ne partir pour Tōzer que demain matin.</p> + +<p>Le matin, je vais voir les sources de l’oued Nafta ; cela +me donne l’occasion de voir dans les jardins le +« <em>nebqa</em> », un <i>Rhamnus</i><a id= +"FNanchor_84"></a><a href="#Footnote_84" class="fnanchor">[84]</a> +qui atteint 20 mètres de haut et de grandes dimensions ; son +fruit est gros comme une grosse cerise, atteint même la grosseur +d’une prune.</p> + +<p>Les sources qui forment l’oued sont assez chaudes, elles sortent +de dessous une couche de marnes très épaisse, qui par exemple au +Ras-el’Aioun<a id="FNanchor_85"></a><a href="#Footnote_85" class= +"fnanchor">[85]</a> atteint une hauteur d’environ 30 mètres. Ces +marnes varient de structure, de couleur et de friabilité. Le reste +du terrain de Nafta se compose de grès très friables, si l’on peut +appeler ainsi un conglomérat de sables quartzeux renfermant de +petites veines de glaise, et des rognons atteignant quelquefois un +volume considérable de grès véritable renfermant quelquefois de la +marne.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_49">[49]</span>Les eaux de l’Oued +renferment des poissons qui vivent surtout dans les endroits où +l’eau est le plus chaude. Ils ont des taches rougeâtres ou +orangées, quelques-unes prenant 1/5<sup>e</sup> du dos. — Les +flaques d’eau formées par les sources nombreuses renferment des +coquilles différentes de celles de l’Oued.</p> + +<p>Les animaux de Nafta à noter sont les bœufs (en petit nombre), +les lapins (!), les chiens de races variées, les chèvres de race +européenne.</p> + +<p>Je vais voir le soir le marabout Sid’Moustapha ben Azoûz, qui me +reçoit d’une façon fort civile, et s’efforce de me faire comprendre +que tous, musulmans, chrétiens et juifs sont ses enfants, tous ceux +que Dieu a créés<a id="FNanchor_86"></a><a href="#Footnote_86" +class="fnanchor">[86]</a> ; il approuve mes études. Nous +mangeons sa « bénédiction », pour rendre la parole arabe. +— Sa zaouiya était remplie de monde, surtout de pèlerins venus du +Souf avec moi.</p> + +<p>Je suis obligé de donner de longs détails sur l’électricité, la +vapeur et beaucoup de choses semblables.</p> + +<p>Pendant que je dessinais la zaouiya de Sidi et Tabăi, de +nombreux curieux s’étaient rassemblés et parmi eux des tolba<a id= +"FNanchor_87"></a><a href="#Footnote_87" class= +"fnanchor">[87]</a> : on montra beaucoup de mauvais vouloir, +et lorsque je demandai le nom de la zaouiya, on refusa de me le +donner ; c’est Sidel’Abīdi qui la reconnaît sur le dessin et +m’en donne le nom. Je me plains de cela, et on me donne un +mokhazeni<a id="FNanchor_88"></a><a href="#Footnote_88" class= +"fnanchor">[88]</a> pour écarter la foule. Je finis la journée très +bien.</p> + +<p>Les nuages qui ont occupé le ciel tout le temps de mon séjour +m’ont empêché de faire des observations astronomiques. A midi le +soleil était visible par intervalles, j’essayai de le prendre au +méridien, mais mon observation est, je le crains, peu concordante, +parce que les deux kaïds étaient à mes côtés et m’ennuyaient de +questions.</p> + +<p class="datesect">10 mars.</p> + +<p>Nous sommes partis de Nefta d’assez bonne heure par un ouragan +épouvantable, le vent venant du nord-est avec beaucoup de force. +Nous étions gelés, quoique la température de l’air ne +fût<span class="pagenum" id="Page_50">[50]</span> pas très basse. +La route de Nafta à Tōzer est très insignifiante, elle longe le +chott à une petite distance ; on est sur un terrain élevé, +presque dénué de végétation et très peu accidenté. Un peu avant +d’arriver, on voit le Djebel Tarfaouï.</p> + +<p>Tōzer a moins de population que Nafta (1.900 hommes), mais +possède des plantations beaucoup plus considérables : 300.000 +palmiers. Les constructions sont ici les mêmes qu’à Nafta ; la +ville possède aussi une rivière qui prend sa source au bout ouest +des plantations et qui est aussi considérable que celle de +Nafta ; après avoir traversé les plantations, elle va encore +se perdre dans le chott.</p> + +<p>Je trouve ici le vice-consul Si Mohammed ben Rabah, à peine +installé depuis vingt jours ; nous nous embrassons en nous +rencontrant, et je suis charmé de trouver une perle d’homme dans ce +personnage. Il possède beaucoup de biens dans la ville et à Nafta, +mais de crainte qu’on ne lui reproche de la fantasia depuis son +installation comme consul <em>français</em>, il affecte une mise +très simple.</p> + +<p>Les autorités me souhaitent la bienvenue, mais sont très +occupées à recueillir le reste de l’impôt que va venir prendre la +<em>mahalla</em>.</p> + +<p>Je vais à cheval et le vice-consul sur sa mule à Beled el +Hadar<a id="FNanchor_89"></a><a href="#Footnote_89" class= +"fnanchor">[89]</a> voir des restes de constructions romaines<a id= +"FNanchor_90"></a><a href="#Footnote_90" class="fnanchor">[90]</a> +qui servent de fondation à un minaret isolé. La grande mosquée est +à côté ; on m’avait dit qu’elle renfermait des inscriptions, +mais y étant entré, je n’y reconnus qu’un inscription arabe, +sculptée et peut-être intéressante comme monument de culture +architecturale. Mon habit me permet d’entrer dans une mosquée sans +faire trop de scandale. Quelqu’un ayant demandé dans le temple qui +j’étais, le vice-consul se contenta de répondre : « Un +homme de l’Ouest. — Quelqu’un qui cherche des inscriptions +hébraïques ? — Oui. »</p> + +<p>Les fondations du minaret sont très solides, en pierres +carrées ; plus haut, des tronçons de colonnes et d’autres +pierres ont été installées dans la construction arabe ; enfin +au-dessus de la porte<span class="pagenum" id="Page_51">[51]</span> +on voit deux pierres sculptées grossièrement. D’inscriptions, +point.</p> + +<p>Mon cheval fit des sauts à n’en plus finir jusqu’à notre retour +en ville. Il y a des tentes des Hammāma auprès de la ville. J’ai pu +voir leur intérieur, qui ressemble en tout à celui des autres +Arabes.</p> + +<p>Le vice-consul me fait apporter une table et une chaise.</p> + +<p>Tōzer compte 1.900 hommes depuis l’âge de puberté jusqu’aux +vieillards. L’impôt s’élève à 542.000 réals tounsi en comptant les +exactions. Le réal tounsi vaut 75 centimes. Ici on m’indique comme +impôt de Nafta la somme de 588.000 réals tounsi ; donc encore +plus que Sid el’Abīdi n’avait dit. On prétend encore que l’air de +ce pays vaut mieux que celui de Nafta, qui est déjà très bon<a id= +"FNanchor_91"></a><a href="#Footnote_91" class= +"fnanchor">[91]</a>.</p> + +<p class="datesect">11 mars.</p> + +<p>Malgré toutes les précautions que je croyais avoir prises, je ne +pus partir que dans la soirée. Si Mohammed ben Rabah et deux +« mokhazeni » m’accompagnèrent jusqu’à Degach. Cette +fois, j’avais abandonné le chameau et mis mon bagage sur deux +mulets que j’ai loués 40 francs d’ici à Gabès et retour. Outre +Ahmed, j’ai cru devoir prendre encore un domestique qui aura pour +gages 13 francs.</p> + +<p>La route qui sépare Tôzer de Degach est très +insignifiante ; on verra dans l’itinéraire les traits +principaux qui la caractérisent. Je dois cependant remarquer que +dans l’oued à sec qui sépare en deux la ville de Degach, la +constitution géologique des berges consiste en forts lits de +conglomérat de sables quartzeux séparés par de minces couches +d’argile, le tout ayant une position légèrement inclinée<a id= +"FNanchor_92"></a><a href="#Footnote_92" class= +"fnanchor">[92]</a>.</p> + +<p>Dans tout le cercle d’el Ouidĭān ou de Tāgiroūs, dans lequel +nous venons d’entrer, il n’y a que 1.600 hommes et les biens de la +terre se réduisent à 188.000 palmiers ou oliviers, car cet arbre +qui<span class="pagenum" id="Page_52">[52]</span> commence à Tōzer, +mais y est peu commun, se trouve ici en plus grand nombre.</p> + +<p>Dans ce pays, on considère Tōzer et Gafsa comme ayant le climat +le plus sain ; ensuite viennent Nafta et Degāch avec un bon +climat encore, mais Kĕrĭz est malsain ; les fièvres s’y +montrent. El-Hamma près d’ici de même ; l’autre Hamma près de +Gabès encore de même, enfin le Nefzāoua compte pour le plus mauvais +climat.</p> + +<p>Les maisons ici sont construites en tōb, et sont loin d’égaler +les constructions de Nafta et de Tōzer.</p> + +<p>Je suis reçu par le khalifa et attends inutilement un ciel +étoilé, et presque avec autant de succès mon dîner. Cependant ce +dernier arrive très tard, et je me couche. La nuit, toutes les +bêtes de somme font une cohue générale, on peut à peine les +séparer ; mon cheval est fortement mordu en deux endroits.</p> + +<p class="datesect">12 mars.</p> + +<p>Ce matin, nous sommes partis de bonne heure et une courte marche +nous mena aux deux villages de Zorgān et d’Oulad Madjed. Dans ce +dernier endroit je m’arrêtai au minaret, isolé comme celui de +Belīdet el Hadar, et comme lui bâti sur des fondations +romaines ; je le gravis à travers différents casse-cou ; +il est bâti en briques et de construction solide. On m’avait dit +que je devais trouver là une inscription latine, mais il n’y en a +aucune. Il fut question alors de la mosquée, j’y entrai et trouvai +une inscription arabe entourant le dôme de la niche de l’imān, de +même qu’à Belīdet el Hadar.</p> + +<p>Désappointés, nous continuâmes notre marche et entrâmes dans les +palmiers ; nous ne tardâmes pas à arriver aux ruines romaines +du Guebba qui sont au milieu de la <em>ghaba</em><a id= +"FNanchor_93"></a><a href="#Footnote_93" class="fnanchor">[93]</a>. +Un indigène instruit me dit que cette ville, car ce devait en être +une, se nommait alors « Tagiānoūs<a id= +"FNanchor_94"></a><a href="#Footnote_94" class= +"fnanchor">[94]</a> ». Les ruines, presque partout se +réduisant à des fondations, car je suis persuadé que le reste était +bâti en briques, s’étendent sur un grand espace ; on reconnaît +les plans des maisons ; et çà et là, parmi les pierres +dispersées, on rencontre un tronçon de colonne ou une autre pierre +travaillée. Deux monuments<span class="pagenum" id= +"Page_53">[53]</span> sont encore assez apparents. C’est d’abord +une petite construction carrée, évidemment enterrée de beaucoup, +qui me frappa par ce fait que les pierres de taille sont surmontées +d’un reste de construction en briques, identiques à celles des +maisons de Tōzer.</p> + +<div class="figcenter iw2"> +<figure id="i01"><a href="images/i01.jpg"><img src='images/i01.jpg' +alt=''></a> +<p class="cp1">Portion de muraille (Guebba). Ruines romaines. — La +niche dans la muraille est évidemment une écluse bouchée.</p> +</figure> +</div> + +<p>L’autre ruine consiste en un long mur ou sommet de muraille, +entièrement en pierre de taille avec une sorte de fausse porte +voûtée, qui pourrait être encore une écluse pour les eaux ; de +même que le mur pouvait faire partie d’un réservoir ; mais les +indigènes rapportent eux-mêmes que les sables, la terre elle-même +s’exhausse toujours par suite des vents qui l’amènent, et me +disaient que, s’il y avait des inscriptions à Guebba, le vent les +aurait ensevelies. Aujourd’hui les palmiers croissent au milieu des +enceintes des maisons de l’ancienne ville romaine, ce qui prouve +que cette partie des plantations est postérieure à l’occupation +romaine.</p> + +<p>En quittant Guebba, nous atteignîmes bientôt Kēriz, petite ville +bâtie en terre et en vase sur une élévation. En attendant le +déjeuner, je partis pour aller voir une inscription latine dans la +montagne.</p> + +<p>Avant d’entrer dans les rochers, nous découvrîmes dans +l’embouchure d’un ravin un petit douār de 5 à 6 misérables tentes +de Hammāma. Nous gravîmes la montagne, et environ aux trois quarts +de sa hauteur, nous nous arrêtâmes à un rocher plat, très raviné +par la pluie, et formant une table inclinée. Là se trouve une +inscription écrite très grossièrement et à la légère, en lettres +de<span class="pagenum" id="Page_54">[54]</span> 50 centimètres de +hauteur ; elle se compose de trois lignes ; à côté il y +en a une seconde de deux lignes et beaucoup plus petite, qui, plus +facile à restaurer que l’autre, indique que cet endroit était +consacré à Mercure et avait le privilège d’asile. La nature de +cette inscription et surtout sa position dans un endroit peu +accessible et isolé est digne de remarque.</p> + +<div class="figcenter iw3"> +<figure id="i02"><a href="images/i02.jpg"><img src='images/i02.jpg' +alt=''></a> +<p class="cp1">Inscription du Djébel-Sebaa Regoûd au nord de +Kerîz<a id="FNanchor_95"></a><a href="#Footnote_95" class= +"fnanchor">[95]</a>.</p> +</figure> +</div> + +<p>La nature géologique de la montagne de Sebaa Regoûd est un +calcaire coquillier marin. Il contient beaucoup de fossiles<a id= +"FNanchor_96"></a><a href="#Footnote_96" class="fnanchor">[96]</a>, +notamment des oursins. Je trouve sur la route plusieurs plantes et +fleurs nouvelles pour moi, toutes très humbles.</p> + +<p>Nous retournons, et à la hauteur du douar, deux femmes habillées +de bleu viennent demander qui je suis ; il leur est +répondu : « Un Occidental de l’Occident ».</p> + +<p>De Kērīz une très courte marche nous amena à Sedāda, qui lui +ressemble beaucoup. Les habitants de cette ville ne sont pas aussi +civilisés que ceux des autres ; ils m’ennuient même beaucoup. +On fait déjà des difficultés pour me montrer des ruines +romaines ; nous<span class="pagenum" id="Page_55">[55]</span> +allons à Tamezrarit, petite <em>ghaba</em> de palmiers, oliviers et +autres cultures qui se trouve un peu à l’est ; là je me fâche +contre le cheikh qui me paraît très soupçonneux et je fais tourner +bride. Je reviendrai si les ruines en valent la peine<a id= +"FNanchor_97"></a><a href="#Footnote_97" class= +"fnanchor">[97]</a>.</p> + +<p>De retour à la maison qui m’est destinée, je la fais évacuer par +tout le monde, et comme quelques Arabes Hammāma et autres +va-nu-pieds semblent trouver drôle qu’on les empêche <em>de +voir</em> un roumi qui cherche des pierres romaines, et que ces +Messieurs se disputent avec Ahmed pour ne pas s’en aller, je fais +venir le cheikh, et exécute une scène éloquente où je qualifie de +chiens les susdits Arabes ; le cheikh tâche de me surpasser de +colère et me propose de les mettre tous en prison.</p> + +<p>Le ciel s’éclaircit le soir et je puis prendre la latitude des +lieux. Les cartes ont une erreur énorme pour tout le sud de la +Tunisie.</p> + +<p class="datesect">13 mars.</p> + +<p>Ce matin, en m’éveillant, je trouvai la pluie, et le ciel +menaçant de ne pas s’éclaircir de toute la journée, je profitai de +ce que le second « mokhazeni » n’était pas encore arrivé +pour accéder à la demande de mes gens qui ne se souciaient pas +outre mesure de partir.</p> + +<p>J’eus lieu d’être très mécontent de la conduite du cheikh et de +ses administrés ; comme il était une heure et que le +<em>déjeuner</em> ne semblait pas devoir paraître, je fis appeler +le cheikh et lui adressai des reproches très vifs sur toute sa +conduite ; je fis venir un des cavaliers, lui ordonnai de +monter à cheval, d’aller avertir le vice-consul de mes tracas, et +en même temps d’apporter des vivres de Tōzer.</p> + +<p>Dans l’intervalle, le second mokhazeni était venu avec deux +officiers du Makhzen, portant titres de chaouchs ; ceux-ci, +voyant cela, se fâchèrent tout de bon, et firent sentir au cheikh +combien sa manière d’agir était déplacée envers quelqu’un muni de +passeports de leur seigneur. Le cheikh me pria instamment de faire +rappeler le cavalier, mais je tins ferme, le menaçant de plus de +parler de tout cela à Hammouda Bey. Enfin le chaouch le plus +civilisé me<span class="pagenum" id="Page_56">[56]</span> vainquit +et me fit envoyer ’Amar chercher le mokhāzeni. A partir de ce +moment, tout rentra dans l’ordre.</p> + +<p>Dans la soirée, on vint me dire qu’il y avait des ruines près de +Tamezrarīt ; je montai à cheval et m’y rendis avec le cheikh, +Ahmed et un guide ; nous suivîmes la route frayée qui mène à +Zitouna, etc., et arrivâmes à un emplacement appelé par les +indigènes Kesár Bent el ’Abrī. C’est un espace assez vaste, occupé +par des fondations de très vastes enceintes. En fait de pierres +travaillées, on n’y remarque qu’un moulin à huile. Ces fondations +sont en pierres de petites dimensions, et, si je ne me trompe, on y +distingue des briques ; l’alignement des murailles est +irréprochable, l’épaisseur des murs peut être de 40 +centimètres.</p> + +<p>Chemin faisant, j’appris du cheikh qui est très bavard, que dans +le Djérid il n’y avait autrefois que deux sultans : celui de +Guebba et celui de Belīdet el Hadar ; que chacun avait son +minaret : celui de Belīdet el Hadar existe encore +entier ; celui de Guebba (dont j’ai décrit plus haut la base) +a été détruit par le propriétaire de la plantation où sont les +ruines.</p> + +<p>D’autres renseignements, venant de la même source, montrent +combien les Hammāma sont des gens terribles. A la saison des +dattes, toutes les nuits il y a des coups de feu tirés entre les +habitants de Sédāda el les Hammāma campés au sud qui veulent +obtenir des dattes de force. L’automne dernier, des gens de cette +tribu rencontrèrent sur le chott un troupeau conduit par un berger +des leurs ; ils lui volèrent un mouton ; le berger les +poursuivit et les atteignit aux plantations ; ils se +disputèrent, et les voleurs égorgèrent (littéralement) le +malheureux. — Il y a un défilé dans la montagne qui conduit à +Gafsa ; chaque jour, on peut être sûr qu’il y a une +cinquantaine de Hammāma embusqués ; un des leurs fait vigie +sur un rocher, et quand ils aperçoivent une faible compagnie de +trois ou quatre voyageurs, ils tombent dessus, tuent les hommes et +emportent tout. — C’est déplorable<a id="FNanchor_98"></a><a href= +"#Footnote_98" class="fnanchor">[98]</a>.</p> + +<p>Personne ne sort dans ce pays sans être armé ; ceci est à +la lettre, on ne peut pas s’éloigner de 4 à 500 mètres des villes +sans avoir à craindre quelque guet-apens.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp1c04"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_80"></a><a href="#FNanchor_80"><span class= +"label">[80]</span></a>Chiffres donnés par les kaïds (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_81"></a><a href="#FNanchor_81"><span class= +"label">[81]</span></a>M. Dru a précisé la température des +sources : « 26°,2 au milieu du bassin, 28° sur les bords +aux points où l’eau sort de terre, et 30° sous les cabanes en +troncs de palmiers qui vont chercher l’eau un peu plus profondément +dans l’argile ». (Note sur l’hydrologie, la géologie et la +paléontologie du bassin des chotts, <em>in</em> Roudaire, +<em>Rapport sur la dernière expédition des Chotts</em>. Paris, +1881, p. 43.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_82"></a><a href="#FNanchor_82"><span class= +"label">[82]</span></a><i>Melanopsis Maroccana</i>. (Bourguignat, +Appendice aux <em>Touaregs du Nord</em>, p. 21.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_83"></a><a href="#FNanchor_83"><span class= +"label">[83]</span></a>En 1887, l’envahissement continuait et +affectait surtout le sud de l’oasis. La cause principale de la +progression des sables est la destruction de la végétation aux +alentours de l’oasis. (Voir l’enquête de M. Baraban, <em>A travers +la Tunisie</em>. Paris, 1887, p. 120 et suiv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_84"></a><a href="#FNanchor_84"><span class= +"label">[84]</span></a>C’est le <i>Zizyphus Spina Christi</i>, +qu’on appelle zefzef en Algérie. Il est remarquable, au point de +vue des anciennes relations du Djérid avec l’Orient, que le nom +donné ici, nebqa, nabq, soit celui usité en Égypte. (V. Duveyrier, +<em>les Touaregs du Nord</em>, p. 159 ; Ascherson dit qu’en +Égypte le nom de nebeq s’applique au fruit (Pflanzen des mittlern +Nord-Afrika, dans Rohlfs, <em>Kufra</em>, p. 471).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_85"></a><a href="#FNanchor_85"><span class= +"label">[85]</span></a>« Tête des sources. »</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_86"></a><a href="#FNanchor_86"><span class= +"label">[86]</span></a>Cela rappelle la paternité du Père Enfantin +(H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_87"></a><a href="#FNanchor_87"><span class= +"label">[87]</span></a>Lettrés. Les zaouiyas de Nafta sont +nombreuses, et les fanatiques faillirent faire un mauvais parti à +la mission Roudaire.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_88"></a><a href="#FNanchor_88"><span class= +"label">[88]</span></a>Cavalier du Makhzen.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_89"></a><a href="#FNanchor_89"><span class= +"label">[89]</span></a>Un des villages de l’oasis, l’emplacement de +l’antique Tuzurus ?</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_90"></a><a href="#FNanchor_90"><span class= +"label">[90]</span></a>Duveyrier écrit ailleurs : « La +distribution d’eau se fait encore au moyen d’ouvrages en pierres de +taille que les Romains ont laissés. » (Excursion dans le +Djérid, <em>Revue algérienne et coloniale</em>, 1860, II, p. +346.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_91"></a><a href="#FNanchor_91"><span class= +"label">[91]</span></a>Cette salubrité est très relative. En +réalité, toutes ces oasis ombreuses respirent la fièvre (voir +Vuillemin, <em>Étude médicale sur le Djérid</em>, <em>Archives de +médecine militaire</em>, 1884, IV, p. 7, et sur les conditions +sanitaires des oasis en général, les témoignages réunis par +Schirmer, <em>le Sahara</em>, chap. <span class= +"sc2">XIII</span>).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_92"></a><a href="#FNanchor_92"><span class= +"label">[92]</span></a>L’inclinaison des couches, par suite de +failles diverses, est un fait général sur les bords du chott +Djérid. « Partout on constate des formations redressées sous +les angles les plus divers. » (Dru, dans Rapport Roudaire cité +p. 47.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_93"></a><a href="#FNanchor_93"><span class= +"label">[93]</span></a>« Forêt » (de palmiers).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_94"></a><a href="#FNanchor_94"><span class= +"label">[94]</span></a>Probablement la Takious du moyen âge, la +Thiges de la Table de Peutinger. Cf. Tissot, II, p. 683.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_95"></a><a href="#FNanchor_95"><span class= +"label">[95]</span></a>Cf. dans Tissot, II, p. 684, note de M. S. +Reinach.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_96"></a><a href="#FNanchor_96"><span class= +"label">[96]</span></a>Voir Dru et Munier-Chalmas, rapport cité, p. +57 et suiv.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_97"></a><a href="#FNanchor_97"><span class= +"label">[97]</span></a>Il ne faut pas oublier, pour apprécier ces +recherches de Duveyrier, qu’on savait alors peu de chose de ces +ruines du Djérid. Il n’y a guère à citer avant lui que Shaw, +Desfontaines, Pellissier et Berbrugger. Les études de Tissot, qui +avait passé au Djérid en 1853 et 1857, étaient encore inédites.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_98"></a><a href="#FNanchor_98"><span class= +"label">[98]</span></a>Cette région n’a pas cessé d’être mal famée +jusqu’à l’occupation française. Lors de la dernière mission +Roudaire, les indigènes fréquentaient le moins possible cette rive +nord du chott Djérid. (Rapport cité, p. 17.)</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_57">[57]</span><a id= +"p1c05"></a>CHAPITRE V</h3> + +<p class="sch">NEFZAOUA ET GABÈS</p> + +<p class="datesect">14 mars.</p> + +<p>Nous partîmes après le lever du soleil, et entrâmes de suite +dans le chott, cependant la végétation nous suivit encore quelque +temps ; nous notâmes en particulier quelques <em>tarfa</em>, +du <em>zeita</em> et le <em>bougriba</em>.</p> + +<p>Ensuite nous entrâmes dans le chott véritable dont la surface +variait de la terre glaise solide et glissante aux terres noirâtres +détrempées et à une surface de sol très solide. Cette dernière se +trouvait couverte de dessins circulaires en forme de damier, +absolument semblables aux dessins en relief que présentent les +affleurements calcaires depuis Biskra jusqu’à El-Guerāra.</p> + +<p>Je pus prendre des directions de boussole vers différents points +du Djébel-Chāreb<a id="FNanchor_99"></a><a href="#Footnote_99" +class="fnanchor">[99]</a>, qui correspondent à des points qui m’ont +été indiqués comme possédant des ruines romaines.</p> + +<p>Le voyage sur le chott n’eut rien de remarquable jusqu’au moment +où nous arrivâmes à un puits romain, ou du moins à ce que je prends +pour un puits romain comblé. Ce sont de grandes pierres plates +rangées en rayonnant. On appelle cet endroit Oumm el +Goreīnat ; une minute avant d’y arriver, nous avions coupé une +flaque d’eau formant le bas de l’oued Zitouna<a id= +"FNanchor_100"></a><a href="#Footnote_100" class= +"fnanchor">[100]</a>.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_58">[58]</span>Ensuite nous +continuâmes notre longue route à travers cette mer desséchée. Nous +revîmes, avant d’arriver dans le Nefzāoua, la même gradation de la +végétation que nous avions remarquée en quittant le Djérid. Les +<em>tarfa</em> se montrèrent encore.</p> + +<p>Lorsque nous entrâmes dans le Nefzāoua, la végétation se montra +excessivement variée, et surtout nouvelle pour moi ; quantité +de roseaux et de graminées.</p> + +<p>La première ville ou plutôt le premier village que nous y +rencontrâmes fut celui de Zaouiyēt ed Debabkha. Celui-ci et tous +les autres du Nefzāoua sont tout petits et enfoncés dans des +plantations de palmiers ; souvent ils en sont tout à fait +entourés. On voit à côté des villages de petites oasis de palmiers, +qui autrefois avaient chacune leur village, mais ils furent +alternativement détruits et changèrent de place ou furent tout à +fait oubliés.</p> + +<p>Nous n’arrivâmes que fort tard au bordj situé tout près du +village de Mansoura et non loin de Tellimīn. Le bordj est ce qui +reste de l’ancienne Tŏrra, nom qui est resté à la source qui coule +au bas du bordj.</p> + +<p>Je suis reçu par le kaïd Si Mohammed es Saïs. A l’entrée du +bordj, un vieux « zouāoui » se mit à me fouiller pour +voir si j’avais des armes, mais je l’envoyai à tous les diables, et +Ahmed ne manqua pas de lui administrer une poussade. Je trouvai +dans le kaïd un homme comme il faut, et je prévis de suite que je +n’aurais aucun désagrément dans le Nefzāoua. Je trouvai là un juif +faisant fonction de receveur des impôts. Le kaïd ne passe dans le +Nefzaoua que peu de mois avant l’arrivée de la colonne dans le +Djérid. Puis il revient à Tunis avec elle. Outre que le séjour est +peu agréable pour ce grand seigneur, il est probable que sa vie n’y +serait pas toujours sûre ; aussi prend-on même pour le court +moment de son séjour de grandes précautions ; il n’est pas +permis d’entrer dans le bordj avec des armes. On a bien soin +d’étaler devant la porte un vieux canon de fer, et il y en a un +autre qui passe sa gueule à une petite fenêtre sur la façade. — La +petite garnison de zouaves passe toute l’année ici ; les +hommes sont établis dans le pays.</p> + +<p>Je dois remarquer que, sur le chott, nous trouvâmes les traces +de la voiture de Si Ali Saci ; outre que cette voiture +probablement légère peut y passer sans difficultés, le chott dans +son état actuel supporterait la plus grosse artillerie. Ceci est un +fait intéressant à<span class="pagenum" id="Page_59">[59]</span> +comparer avec ce que disaient les voyageurs arabes du moyen âge. Le +chott a probablement changé, comme bien d’autres sebkhas de ces +contrées<a id="FNanchor_101"></a><a href="#Footnote_101" class= +"fnanchor">[101]</a>.</p> + +<p>Le bordj est bâti en grande partie avec des matériaux de +constructions romaines ; sur la façade, on voit même une +pierre ornée de sculptures, mais il n’y a pas d’inscriptions. La +porte du petit village de Mansoura est supportée par des pierres +romaines.</p> + +<p class="datesect">15 mars.</p> + +<p>Avant de déjeuner, nous allâmes voir Tellimīn ; en +descendant du bordj, on me fit remarquer à la prise d’eau une +pierre écrite « en hébreu », que je trouvai être une +inscription en bon arabe ; comme elle est vieille de 96 ans, +je pris la peine dans la soirée d’en prendre un estampage.</p> + +<p>Avant d’arriver à Tellimīn, nous eûmes à tourner une assez +grande mare, qui est au moins aussi grande que la moitié de la +ville.</p> + +<p>Je suis entré dans une quantité de maisons, et je puis donner +quelques détails sur l’intérieur, quoique mon séjour y ait été peu +long. La ville est bâtie en matériaux de constructions romaines, +puis en petites pierres, le tout uni au moyen de glaise. Les +maisons ne sont pas plus hautes que celles de Tougourt et +présentent un intérieur au moins aussi sale et misérable. Les rues +ne sont ni très étroites, ni trop larges, et tout la ville est +remplie d’immondices et d’ordures. La mosquée, à moitié en plein +air, est bâtie sur l’emplacement de l’ancienne église chrétienne. +Le plafond est supporté par des colonnes qui sont au nombre de neuf +dans la longueur et de trois dans la largeur. Toutes ont des +chapiteaux de dessins différents, dont j’ai essayé de représenter +trois échantillons (<a href="#i03">pl.</a>).</p> + +<p>J’ai trouvé deux inscriptions latines dans l’intérieur des +maisons de la ville ; la première doit se lire : +« Sexto Cocceio Vibiano proconsuli provinciæ Africæ, patrono +municipii dedicavit perpetuus populus » (ou pecuniâ +publicâ).</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_60">[60]</span>La seconde se +rétablit aisément par : « Hadriano conditori municipii +dedicavit populus perpetuus ».</p> + +<p>Ces inscriptions enseignent qu’Hadrien fut le fondateur de la +ville, et que cette ville était assez importante pour former un +« municipium »<a id="FNanchor_102"></a><a href= +"#Footnote_102" class="fnanchor">[102]</a>.</p> + +<p>La légende rapporte qu’autrefois le sultan de Tellimīn ne +sortait pas sans être accompagné de 5.000 cavaliers tous montés sur +des chevaux mâles ; aujourd’hui malheureusement la ville est +loin de posséder autant de forces. C’est encore d’ici, d’après une +autre tradition, que seraient sortis les habitants de Tougourt, qui +auraient émigré sous la conduite de leur chef, chassés par un +conquérant. Je dois dire à ce sujet que les vêtements, la coiffure, +même le type des femmes du Nefzāoua ressemblent beaucoup à tout ce +que nous connaissons dans l’Oued-Righ. Elles s’habillent de coton +bleu et gardent sur le devant de la tête une mèche de cheveux +laineux qui sont tressés en mille petites tresses dans les grandes +occasions. Les hommes, au contraire, ont plutôt le type arabe et, à +l’exception de quelques rares sujets, donnent encore un exemple de +plus de cette singulière loi des races croisées, que les femmes +conservent plutôt le type de la race inférieure. — La langue parlée +dans le Nefzāoua est l’arabe, le berbère y est aujourd’hui +inconnu.</p> + +<div class="figcenter iw3"> +<figure id="i03"><a href="images/i03.jpg"><img src='images/i03.jpg' +alt=''></a> +<p class="cp1">N<sup>os</sup> 1 et 2. — Inscriptions dans des murs +de maisons à Tillimīn.</p> + +<p class="cp2">N<sup>o</sup> 3, <em>a b c</em>. — Chapiteaux de +colonnes dans l’ancienne église, aujourd’hui mosquée de Tillimīn. — +<em>a b</em>, de face ; <em>c</em>, de profil.</p> +</figure> +</div> + +<p>Après notre excursion de Tellimīn, nous allâmes à Kébilli<a id= +"FNanchor_103"></a><a href="#Footnote_103" class= +"fnanchor">[103]</a>, qui est une ville importante et digne de +beaucoup d’attention. J’ai encore ici à faire les mêmes remarques +anthropologiques qu’à Tellimīn, mais en ajoutant que la ville et +ses habitants annoncent un bien plus haut degré d’aisance et de +civilisation. On voit encore dans la ville de nombreuses pierres +romaines qui ont servi de matériaux à la construction des maisons. +Cependant la ville actuelle n’est pas très ancienne, Rhōma<a id= +"FNanchor_104"></a><a href="#Footnote_104" class= +"fnanchor">[104]</a> ayant détruit au moins en<span class="pagenum" +id="Page_63">[63]</span> partie le Kébilli ancien. On compte cinq +mosquées, et les trois que j’ai visitées sont évidemment sur +l’emplacement d’églises, comme le témoignent les colonnes qui en +supportent le toit. Ici je n’ai pas trouvé d’inscriptions.</p> + +<p>En revenant, je vis par la porte de la prison un homme aux fers, +qui, je le crains, n’a commis d’autre crime que de refuser de +donner au kaïd une grosse somme d’argent qu’on lui demandait par +exaction. Cet homme me supplie d’intercéder pour lui, mais je ne +vois pas trop ce que je puis faire. Il est de toutes façons très +digne de pitié.</p> + +<p class="datesect">16 mars.</p> + +<p>Nous partîmes du bordj. J’avais une escorte de quatre cavaliers, +et le kaïd lui-même, accompagné de deux piétons, me fit la conduite +quelque temps.</p> + +<p>Nous nous dirigeâmes vers la chaîne de collines, qui commence +avec le Nefzāoua, et qui dans cet endroit augmente beaucoup de +proportions ; nous la coupâmes et entrâmes dans un pays de +plaine, aboutissant au chott ; nous avons d’un côté la chaîne +lointaine du Djébel-Chāreb et de l’autre les hauteurs du +Djébel-Nefzāoua<a id="FNanchor_105"></a><a href="#Footnote_105" +class="fnanchor">[105]</a>.</p> + +<p>Après une marche assez longue, nous arrivâmes à la dernière +ville du Nefzāoua ; c’est Lemmāguès, ville aujourd’hui ruinée +et habitée, je crois, par une seule famille, outre les gens de la +zaouiya, dont le marabout, drôle de nègre armé d’une pioche et en +costume de travail, vint nous demander le prix de sa bénédiction. +Je le menaçai du bâton pour toute réponse ; là se termina +notre entretien. Dans les constructions de la ville, je remarque +encore bon nombre de pierres romaines, voire même des tronçons de +colonnes.</p> + +<p>Avant d’arriver à la ville, nous touchâmes à la source qui se +trouve au commencement des plantations de palmiers ; là nous +trouvâmes un groupe de jeunes filles des Hammāma occupées à remplir +des outres qu’elles chargeaient à mesure sur des ânes. Elles +étaient gardées par un chien. Ces filles arabes étaient vêtues de +bleu et coiffées avec une certaine grâce, leurs oreilles et +leurs<span class="pagenum" id="Page_64">[64]</span> cheveux étaient +ornées d’anneaux de cuivre qui étaient d’un joli effet. Mais ces +demoiselles n’avaient rien de virginal, ni leur timbre de voix, ni +surtout leur langage ; il choqua jusqu’à mes guides, qui les +appelèrent en moquerie « chiennes de Hammāmiāt ». Leur +visage n’avait rien de joli ni d’intéressant, et leurs poitrines +étaient un peu plus décolletées que ne le comportent nos idées.</p> + +<p>Nous partîmes de Lemmaguès où nous ne fîmes qu’une courte halte +pour déjeuner et continuâmes notre route dans un pays qui n’était +interrompu que par quelques ravines descendant des montagnes et +allant au chott. La végétation était remarquable en ce qu’on y +voyait associés le <em>zeita</em>, le <em>souid</em>, le +<em>tarfa</em>, plantes qui croissent de préférence dans les lieux +bas et près de l’eau, et le <em>halfa</em> du pays, qui, s’il est +semblable à son frère des hauts plateaux algériens<a id= +"FNanchor_106"></a><a href="#Footnote_106" class= +"fnanchor">[106]</a>, ne vient ordinairement que sur les endroits +élevés et exposés aux vents.</p> + +<p>Nous fîmes lever trois outardes, qu’un de mes cavaliers chercha +en vain à atteindre à balles. Nous vîmes aussi une petite troupe de +gazelles.</p> + +<p>Nous atteignîmes enfin l’endroit où était la veille la zmala du +khalifa des Aărād, avec une partie des Beni-Zid, mais à mon grand +désappointement, nous trouvâmes la place vide. Les tentes avaient +été plantées plus loin, et le guide fut d’avis qu’ils avaient pris +la direction du Djébel-Chāreb. Je fis néanmoins arrêter ma petite +troupe et me décidai à passer la nuit où nous étions. Nous avions +pour nourriture des dattes, du pain et des œufs, mais les bêtes de +somme eurent à jeûner ; mon cheval seul eut environ la moitié +de sa ration habituelle du soir. Le cheikh Săīd de Kébilli partit à +cheval pour explorer le pays en avant ; il revint disant qu’il +n’avait rien trouvé sinon une tache noirâtre dans le lointain et +qui pouvait aussi bien être des arbres que des tentes. Nous nous +établîmes donc de notre mieux sur la frontière des Hammāma et des +Beni-Zīd, deux tribus puissantes qui ont la plus mauvaise renommée +comme pillards et qui, de plus, sont ennemies l’un de l’autre.</p> + +<p>Notre repos ne fut interrompu que par les cris d’un chameau +égaré. Nous crûmes qu’il était chassé par des maraudeurs +et<span class="pagenum" id="Page_65">[65]</span> préparâmes nos +armes, mais nous nous étions trompés, c’était tout simplement un +jeune chameau qui cherchait sa mère.</p> + +<p class="datesect">17 mars.</p> + +<p>Nous nous mîmes en marche d’assez bonne heure, continuant à +traverser le pays plat et ayant à notre droite les montagnes du +Nefzāoua. Nous voyions à gauche le Djébel-Châreb se réunir au +Hadifa, pic élevé que j’ai visé à la boussole plusieurs fois pour +en déterminer la position. Nous traversâmes de nombreux +oueds ; la végétation se montra la même qu’hier.</p> + +<p>Peu de temps après le départ, nous rencontrâmes deux ou trois +voyageurs qui nous apprirent que la smalah avait campé un peu plus +en avant, et bientôt en effet nous l’aperçûmes au pied de la +montagne. Le cheikh Săīd fut encore détaché pour aller porter une +lettre au khalifa et il nous rejoignit plus tard avec un ordre +écrit d’un chef à son remplaçant à Hāmma.</p> + +<p>Nous arrivâmes à Aïn el Magroun<a id="FNanchor_107"></a><a href= +"#Footnote_107" class="fnanchor">[107]</a>, source qui sort de +rochers de grès friables et qui a de petits dépôts calcaires ; +il y a là un rassemblement de beaucoup d’eau, mais elle est un peu +salie. Dans les berges de grès qui entourent la source, je +remarquai des morceaux de bois fossiles passant quelquefois à une +couleur et une forme presque charbonneuse ; ces morceaux de +bois me frappèrent d’autant plus que leurs dimensions dépassaient +de beaucoup tout ce que la plaine renfermait de gros troncs ou de +grosses racines.</p> + +<p>Nous continuâmes notre voyage et arrivâmes bientôt à la fin des +montagnes du Nefzāoua, et aperçûmes alors à l’horizon les hauteurs +des Matmata, puis les plantations d’El-Hamma au pied d’une chaîne +de hauteurs nommées El-Kheneg. Sur l’un des dernier pitons des +montagnes du Nefzaoua, on me dit qu’il y a les ruines d’une petite +ville peut-être romaine, perchée comme un nid d’aigle : on +l’appelle Belīd Oulad Mehanna.</p> + +<p>Il ne nous fallut pas longtemps pour atteindre la petite ville +de Hamma. Elle est entourée de plantations et se trouve divisée en +deux villages, celui d’El-Hamma, puis celui de Kessàr par environ +40°, à 1 kilomètre de là ; entre les deux villages se trouve +le bordj<span class="pagenum" id="Page_66">[66]</span> de +construction arabe ou turque, où logent des soldats zouāoua. Près +du bordj sont les sources thermales qui ont donné son nom à la +ville.</p> + +<p>Il y en a trois principales :</p> + +<table class="tab-p0 bd-collapse" id="t066"> +<tr> +<td rowspan="2">’Aïn-Hamma</td> +<td class="blt width-brace1"> +</td> +<td>l’eau dans les bains</td> +<td>44°,4</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>dans le petit canal près du bassin</td> +<td>43°,95</td> +</tr> + +<tr> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td rowspan="2">’Aïn-el-Bordj</td> +<td class="blt"> +</td> +<td>Dans les bains</td> +<td>46°,45</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>dans le bain, à l’ouest</td> +<td>45°,95</td> +</tr> + +<tr> +<td>’Aïn-Mejada</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td>45°</td> +</tr> +</table> + +<p>C’est cette dernière, je crois, qui alimente les bains des +femmes.</p> + +<p>Les deux bains dont j’ai parlé sont de construction romaine, au +moins quant aux fondations, tout entières en fortes pierres de +taille ; je dois mentionner qu’au plafond d’une des chambres +de bains d’Aïn-Hamma, il y a une pierre, ornée de sculptures et +d’une inscription arabe, aujourd’hui trop effacée pour que j’aie pu +en tirer un sens. — Il y a là des travaux de bassins, de canaux, +etc., qui sont fort intéressants.</p> + +<p>La ville de Hamma<a id="FNanchor_108"></a><a href= +"#Footnote_108" class="fnanchor">[108]</a> est bâtie peu élevée, +les maisons sont crépies, du moins en partie, et on a mis encore là +à contribution pour leur édification de nombreuses pierres romaines +et des tronçons de colonnes. L’ancienne ville romaine était près du +bordj. Les citadins de Hamma sont très sévères pour la réclusion de +leurs femmes. Elles se cachent la figure lorsqu’elles sont obligées +de sortir ; leurs vêtements ne diffèrent pas, autant que j’ai +pu le voir de ceux des Nefzāoua. Mais j’ai pu voir des visages de +petites filles très mignons et promettant de jeunes beautés. Les +femmes des Benî-Zîd que je rencontre allant au bain, sont +remarquables au moins par leurs coiffures ornées d’une ligne de +pièces d’or sur le front. Elles prennent un soin particulier de +leurs personnes, et sont plus attrayantes que les femmes des pays +que je viens de quitter. Ayant eu l’indiscrétion de jeter un coup +d’œil furtif sur le « bain des dames », je pus voir une +d’entre elles exécuter devant ses compagnes un pas assez +gracieux.</p> + +<p>Quant aux hommes de Hamma, ils s’enveloppent dans un haïk +grossier souvent de couleur brune et orné au bas d’une frange de +cordonnets. Je serais presque tenté de les croire encore plus +fanatiques et méfiants que les habitants du Djérid. C’est étonnant. +Il y a quelques juifs à Kessár.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_67">[67]</span>18 mars.</p> + +<p>Nous partîmes ce matin pour Gabès, et y arrivâmes après une +demi-journée de marche. Le pays traversé est assez fortement +accidenté, surtout sur la droite ; c’est l’influence des +hauteurs des Matmata qui se fait sentir, et peut-être ce système de +montagnes a-t-il une grande part dans le soulèvement qui a fait un +lac du Palus Tritonis<a id="FNanchor_109"></a><a href= +"#Footnote_109" class="fnanchor">[109]</a>.</p> + +<p>Nous rencontrâmes beaucoup de troupeaux et d’Arabes s’en allant +au désert. C’étaient des Benî-Zîd et des Mehadeba (Zaouiya).</p> + +<p>Nous eûmes à traverser de larges plantations avant d’entrer à +Gabès, et nous coupâmes enfin l’oued qui forme une petite +rivière ; là je vis plusieurs juives assez bien vêtues qui +étaient en train de laver leur linge. Je remarquerai à cette +occasion que le costume des juives et des musulmanes ne diffère pas +à Gabès.</p> + +<p>Nous descendîmes à la porte du kaïd qui était en train de rendre +la justice, et je n’y restai que quelques instants, car le bruit +des plaintes arabes m’est insupportable. Le chef est un homme assez +arrondi, et déjà un peu âgé : il me reçut bien et me dit que, +ces jours derniers, il était venu ici un Français, voyageant à ses +frais avec des spahis de Tunis. Il était en ce moment à Djerba, et +devait revenir incessamment.</p> + +<p>On me logea dans une belle maison juive, où était aussi le +bagage du Français, une de ses mules et un domestique. La maîtresse +de la maison, une vieille juive de Tripoli, fit une sortie en +poussant des cris épouvantables sur une note qui ferait envie à +tous les sopranos possibles en apercevant le monde qui avait envahi +son domicile ; elle ne voulut pas croire que je fusse +Européen ; il fallut cependant bien qu’elle s’apaisât, et je +pus m’établir assez confortablement. — Bientôt il y eut bonnes +relations entre les dames de la maison et moi.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_68">[68]</span>Gabès ou plutôt +El-Menzel<a id="FNanchor_110"></a><a href="#Footnote_110" class= +"fnanchor">[110]</a>, celle des deux villes de Gabès où je suis, +est assez bien bâtie. Les maisons sont hautes et blanchies à la +chaux ; les pierres des constructions viennent pour la plupart +de l’ancienne ville romaine. Il y a un marché et un petit bazar +couvert ; quantité de boutiques et ateliers tenus pour la +plupart par des juifs, qui sont ici en très grand nombre. Les +vêtements des hommes (musulmans) sont les mêmes que ceux +d’El-Hamma ; ils sont du reste très variés. Les musulmanes +s’habillent comme les juives, à ce qu’on me dit du moins, car elles +sont séquestrées avec une grande sévérité. Le costume des juives +est assez élégant quoique primitif ; le bleu y domine. Quant +aux juifs, ils s’habillent comme ceux d’Alger, avec des culottes +noires, turbans, etc., des couleurs et des modes les plus diverses. +La population juive peut atteindre 1.000 âmes.</p> + +<p>Je trouvai à Gabès une borne milliaire, qui a été apportée d’une +ruine romaine près de la mer, à l’est de Ketana et de +Zerig-el-Berraniya. — Voici l’inscription<a id= +"FNanchor_111"></a><a href="#Footnote_111" class= +"fnanchor">[111]</a> :</p> + +<div class="figcenter iw4"> +<figure id="i04"><a href="images/i04.jpg"><img src='images/i04.jpg' +alt=''></a> +<p class="cp3">Fac-similé de l’inscription de la borne milliaire de +Henchir Aichou (de la carte de Sainte-Marie), à l’est de Ketana et +au bord de la mer, sur la route du pèlerinage. — Pierre aujourd’hui +à Gabès où je l’ai trouvée.</p> +</figure> +</div> + +<p><span class="pagenum" id="Page_69">[69]</span>J’en ai pris du +reste un estampage pour être bien sûr de la lecture.</p> + +<p class="datesect">19 mars.</p> + +<p>J’ai été ce matin faire une promenade au bord de la mer, qui est +à 3 kil. de la ville. Nous passâmes d’abord le bordj, et laissant +Djarra<a id="FNanchor_112"></a><a href="#Footnote_112" class= +"fnanchor">[112]</a> à notre gauche, nous nous dirigeâmes vers la +rivière. Arrivés à l’endroit où sont construits d’assez grands +magasins pour les approvisionnements de l’armée, je vis quatre ou +cinq felouques, ou embarcations pontées ou demi-pontées à voiles +latines. C’est là toute la flotte commerçante du port de Gabès, si +l’on peut appeler port le bord de la rivière où viennent aborder +les bâtiments. Le peu de profondeur de cette rivière, et le manque +de port véritable empêchent les bâtiments même d’un faible tonnage +de venir toucher ici. Tout le commerce, d’après ce qu’on me dit, +est un commerce de cabotage, avec Djerba et Tripoli. — Auprès du +magasin, sont étalés par terre plusieurs canons de fer, les uns +sans culasse, les autres sans bouche, les derniers enfin tout +rongés par la rouille.</p> + +<p>Sur la plage qui est très basse (de sorte que j’estime à 2 +mètres environ l’altitude de Gabès), je trouvai les mêmes +coquillages que je m’amusais à recueillir autrefois à Toulon, et en +partie aussi à Trouville. — D’ici j’eus devant les yeux un +spectacle que je voyais pour la première fois ; la mer et des +plantations de palmiers se touchant presque ; mais la verdure +des palmiers qui, au sortir d’un désert, me paraissait si fraîche, +me semblait terne et brûlée, comparée avec la belle couleur foncée +de la mer.</p> + +<p>Je m’assis pour jouir quelques instants de ce bon air et du beau +spectacle de la mer qui a toujours eu tant d’attraits pour moi.</p> + +<p>Nous nous en retournâmes ensuite, et je remarquai la végétation +du rivage où le <em>harmel</em>, le <em>zeita</em> et la plante +grasse articulée des marais de la Chemorra (Tougourt) se trouvaient +réunis.</p> + +<p>Je passe la journée à me reposer, à écrire quelques lettres et à +lire un peu.</p> + +<p class="datesect">20 mars.</p> + +<p>J’ai été au bord de la mer, et je n’ai pas pu résister à la +tentation de prendre un bain, court il est vrai, mais qui, je +l’espère, me<span class="pagenum" id="Page_70">[70]</span> fera du +bien ; l’eau avait environ 15° de même que l’air vers 2 heures +et demie de l’après-midi. Les mariniers me disent qu’à l’entrée de +l’oued la plus grande profondeur d’eau que l’on trouve à marée +haute ne dépasse pas 5 à 6 pieds, une hauteur d’homme.</p> + +<p>Je mesure au pas métrique un sas au bord de la mer, pour donner +quelque sûreté à mon plan de la rivière de Gabès, qui est tout à +recommencer.</p> + +<p>J’apprends que le Bey a donné les ordres les plus sévères aux +kaïds des villes maritimes de la régence pour qu’ils ne commettent +pas d’exactions ; le kadhi est responsable sur sa tête s’il +n’avertit pas le Bey le cas échéant.</p> + +<p>On me parle beaucoup des montagnes de Ghomerâçen<a id= +"FNanchor_113"></a><a href="#Footnote_113" class= +"fnanchor">[113]</a>, etc. Les tribus arabes qui y habitent (outre +les habitants des villes qui sont berbères) sont les plus pillardes +et brigandes que j’aie jamais entendu mentionner ; elles ne +s’épargnent même pas entre elles. Les hommes ont écrit sur le canon +de leur fusil les noms de ceux qu’ils ont tué, et celui qui en a le +plus est le plus respecté. On m’en cite qui ont leurs canons de +fusils tout couverts de ces marques. Il y a quelque temps, le chef +de l’armée des Aàrād<a id="FNanchor_114"></a><a href= +"#Footnote_114" class="fnanchor">[114]</a> vint à Gabès et, pour +une raison ou une autre, il voulut soumettre la montagne, en +particulier le ksar Mouddenin. Il partit de Gabès, jurant de +rapporter tous les brigands enchaînés. Malheureusement les soldats +tunisiens portent des pantalons, et lorsque du ksar Mouddenin on +vit approcher l’armée, on cria partout : les Chrétiens ! +les Chrétiens ! et on commença à écraser l’armée de pierres. +Il y eut déroute complète et le chef lui-même arriva malade à +Gabès.</p> + +<p class="datesect">21 mars.</p> + +<p>Je pars dans la matinée et n’ayant plus de levé à faire sur une +route que j’ai déjà parcourue, je fais attention à la végétation +qui se compose de <em>halfa</em>, de <em>bou griba</em> à fleurs +jaunes et de <em>chih</em> ; vers El-Hamma, en traversant la +montagne, on voit apparaître le thym. La vie animale est très +animée, je remarque des quantités de fourmis et autres +hyménoptères, de lépidoptères et coléoptères.</p> + +<p>A notre arrivée, j’envoyai un mokhazeni prévenir le +cheikh ; mais il fut reçu comme un chien dans un jeu de +quilles, parce<span class="pagenum" id="Page_71">[71]</span> que le +grossier kaïd de Gabès avait eu la bêtise de renvoyer mes deux +cavaliers (de Hamma) sans leur donner seulement de l’orge pour +leurs chevaux. Moi-même je fus accueilli on ne peut plus +froidement ; le cheikh me fit mener à Kessar, de l’autre côté +du bordj. Là, je fus reçu très malhonnêtement ; on refusa de +chercher un logis avant d’avoir vu la lettre du Bey. Moi qui +l’avais donnée à Gabès, je refusai de la montrer, et, voyant les +mauvaises dispositions des habitants, je me décidai à camper en +plein air, et j’écrivis à la hâte une lettre au khalifa des +Benî-Zîd en le priant d’envoyer du monde pour me tirer de cette +position et surtout pour m’accompagner sur la route de Gafsa.</p> + +<p>Je vins donc me réfugier au pied du bordj, et le chef de la +garnison sortit pour savoir ce que je voulais ; lorsqu’il eut +vu les lettres du Bey que j’avais dans mon portefeuille, il se +fâcha tout rouge, et ne comprenant pas plus que moi la conduite des +gens de Hamma, il me dit : « Il ne nous est pas permis de +vous recevoir dans le bordj, mais voici une construction séparée où +vous pouvez vous installer, et je vous considère désormais comme +mes hôtes ; mes hommes veilleront la nuit sur vous. » Je +m’installai, remerciant le brave homme de sa bonté, et à peine +étais-je assis que les grands de Hamma vinrent me faire toutes +sortes d’excuses et de protestations ; ils me priaient de +venir en ville où on m’avait préparé une belle maison. Je refusai +net, et eus à résister pendant plus d’une heure à leurs +supplications. — Enfin ils me quittèrent et m’envoyèrent à dîner et +de l’orge pour les bêtes. — Pour moi, je dînai avec le commandant +du fort, qui ne voulut pas se défaire de ses droits d’hôte.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp1c05"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_99"></a><a href="#FNanchor_99"><span class= +"label">[99]</span></a>Appelé aussi Cherb-el-Dakhlania.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_100"></a><a href="#FNanchor_100"><span class= +"label">[100]</span></a>Ce serait une variante de la voie +méridionale de Thélepte à Tacapé de la Table de Peutinger ; +d’après Tissot, elle passait par Nefta et la rive méridionale du +chott Djérid. (Voir <em>Géog. comparée de la province romaine +d’Afrique</em>, II, p. 686 et la note additionnelle de M. Salomon +Reinach.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_101"></a><a href="#FNanchor_101"><span class= +"label">[101]</span></a>Le degré d’humidité des chotts varie +pourtant d’année en année, selon l’abondance des pluies et +l’élévation du niveau des nappes souterraines, qui affleurent et +font équilibre à l’évaporation dans les parties basses. C’est ainsi +que la mission Roudaire a trouvé sur le même trajet du Kriz au +Nefzaoua un sol fangeux et détrempé (rapport cité, p. 41). Ici, +comme dans le reste du Sahara, il y a bien desséchement progressif, +mais ce desséchement est infiniment lent.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_102"></a><a href="#FNanchor_102"><span class= +"label">[102]</span></a>Ces deux inscriptions ont été reproduites +par Tissot (<em>Géog. comparée</em>, II, p. 702-703) et dans le +<em>Corpus</em>, I. (L. VIII, 84 et 83) d’après les copies de G. +Temple et de Tissot lui-même. M. S. Reinach a signalé de légères +différences entre ces reproductions et le dessin, dont le +fac-similé est donné ici. On sait que Tissot a identifié Tellimīn +avec le Limes Thamallensis de la Notitia Dignitatum, le Turris +Tamallensis de l’itinéraire d’Antonin. Voir aussi, sur l’occupation +romaine de la région au sud des chotts, Cagnat, <em>L’armée romaine +d’Afrique</em>, p. 561, 753 et suiv. et le chap. VIII du mémoire du +regretté P. Blanchet : <em>Mission archéologique dans le +centre et le sud de la Tunisie</em>, avril-août 1895, <em>Nouv. +Archives des Missions scient. et litt.</em>, IX, 1899.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_103"></a><a href="#FNanchor_103"><span class= +"label">[103]</span></a>L’Ad Templum des cartes.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_104"></a><a href="#FNanchor_104"><span class= +"label">[104]</span></a>Rhoma ou Rhouma, chef insurgé du Djébel +Tripolitain, où il brava successivement les armées des Karamanli de +Tripoli, puis des Turcs. Il fut attiré à Tripoli et pris par +trahison en 1843.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_105"></a><a href="#FNanchor_105"><span class= +"label">[105]</span></a>Appelé aussi Djébel-Tebaga.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_106"></a><a href="#FNanchor_106"><span class= +"label">[106]</span></a>Cette remarque n’est pas inutile, car les +Tripolitains donnent le nom d’halfa à une autre graminée, <i>Lygeum +Spartum</i> L. et appellent l’alfa algérien <em>guedim</em> ou +<em>bechna</em> (<em>Les Touaregs du Nord</em>, p. 203). L’alfa +algérien est ici près de sa limite sud.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_107"></a><a href="#FNanchor_107"><span class= +"label">[107]</span></a>Sans doute l’oued Magroun de la mission +Roudaire, ruisseau permanent issu d’une des nombreuses sources qui +jaillissent au pied du massif crétacé du Tébaga. (Dru, rapport +cité, p. 39.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_108"></a><a href="#FNanchor_108"><span class= +"label">[108]</span></a><em>Aquae Tacapitanae</em>. Cf. Tissot, II, +p. 654.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_109"></a><a href="#FNanchor_109"><span class= +"label">[109]</span></a>Duveyrier était parti avec cette idée. Il +s’en est expliqué dans une lettre au D<sup>r</sup> Barth, datée de +Biskra, 19 déc. 1859, dont le brouillon en allemand se retrouve +dans ses papiers : « Je regarde comme très probable la +connexion du Chott Melrir avec le Palus Tritonis des géographes +anciens. Je me représente cette grande dépression reliée jadis aux +sebkhas du Djérid, et celles-ci unies à la Méditerranée. Il +suffirait d’admettre un soulèvement progressif du sol... » Il +ajoutait, il est vrai : « Je me suis arrêté trop +longtemps à ces indications incomplètes, et je manque ici à mon +principe, qu’un voyageur en route doit bâtir aussi peu d’hypothèses +que possible. » — Sur le seuil de Gabès et sa formation, voir +notamment L. Dru, <em>Rapport sur la dernière expédition des +chotts</em>, Paris, 1881, p. 49-51 et coupe. Sur la région des +Matmata, voir P. Blanchet, <em>Le Djébel-Demmer</em> (<em>Annales +de Géogr.</em>, 1897, p. 239-254) et commandant Rebillet, <em>le +Sud de la Tunisie</em>, Gabès, 1886.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_110"></a><a href="#FNanchor_110"><span class= +"label">[110]</span></a>L’ancien Menzel a été en partie détruit +lors de la prise de Gabès en 1881.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_111"></a><a href="#FNanchor_111"><span class= +"label">[111]</span></a>Reproduite dans Tissot (II, p. 199, 811) et +dans Guérin (<em>Voyage archéologique dans la Régence de +Tunis</em>, II, p. 191) qui la croyait apportée de Henchir +Lemtou.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_112"></a><a href="#FNanchor_112"><span class= +"label">[112]</span></a>L’autre ville de l’oasis de Gabès.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_113"></a><a href="#FNanchor_113"><span class= +"label">[113]</span></a>Ghoumracen, village troglodytique du Djébel +el Abiod, appartenant aux Ourghamma.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_114"></a><a href="#FNanchor_114"><span class= +"label">[114]</span></a>L’agha des Aarad, comme la plupart des +autres gouverneurs de province, résidait à Tunis et venait à Gabès +avec sa colonne pour faire rentrer les impôts.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_72">[72]</span><a id= +"p1c06"></a>CHAPITRE VI</h3> + +<p class="sch">RETOUR AU DJÉRID PAR GAFSA</p> + +<p class="datesect">22 mars.</p> + +<p>En partant du bordj, nous traversâmes longtemps les plantations, +au milieu desquelles apparaissaient çà et là quelques maisons +habitées, entourées de basses-cours ; après avoir enfin +franchi la limite des palmiers, nous entrâmes dans une plaine à +végétation de <em>zeita</em> et à sol sablonneux mais solide ; +nous y voyageâmes quelque temps et pénétrâmes enfin dans une sebkha +qui représente ici le grand chott.</p> + +<p>La surface unie et nue, la vraie sebkha, ne dura qu’un instant +et nous continuâmes dans un terrain de bonnes terres, avec quantité +de <em>chih</em>, de <em>remeth</em> qui apparaît ici, et enfin de +<em>sedra</em>. Presque sans discontinuité nous voyons des traces +de labours, ce qui prouve assez que le chott n’est plus en cet +endroit le même que dans l’espace qui sépare le Djérid du +Nefzāoua.</p> + +<p>Lorsque nous sortîmes du chott, nous entrâmes dans les montagnes +que nous avions eues devant nous depuis le moment où nous avions +quitté El-Hamma. La vallée de Hareīga se prolonge ici entre deux +lignes de hauteurs : celle de gauche est le Hadīfa ; nous +continuâmes longtemps dans cette vallée, trouvant souvent des +restes de petits établissements romains, postes et autres ; +notamment nous touchâmes à des ruines que je crois être celles d’un +petit temple ; les pierres, quoiqu’en petit nombre, étaient +d’énormes dimensions et un grand nombre d’entre elles avaient une +forme courbe, comme si elles avaient servi à former une arcade.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_73">[73]</span>Après avoir +dépassé le Hadifa, nous entrâmes dans l’interminable vallée ou +plaine de Săgui. Tous les oueds, à partir de ce moment, prennent +leur cours vers la droite. Le sol de cette plaine est excellent et +parfaitement labourable ; actuellement, il est vrai, le manque +d’eau empêche qu’on ne la cultive, sauf dans des proportions +insignifiantes, mais il semblerait qu’à l’époque de l’occupation +romaine, il en était tout autrement, à en juger par de nombreuses +traces d’établissements romains qu’on rencontre en la +traversant<a id="FNanchor_115"></a><a href="#Footnote_115" class= +"fnanchor">[115]</a>. L’oued qui forme le fond de la plaine, et qui +reçoit des ravines des deux lignes de montagnes, a pu autrefois +contenir beaucoup plus d’eau qu’aujourd’hui. J’entends dire qu’il +tient des rhedirs<a id="FNanchor_116"></a><a href="#Footnote_116" +class="fnanchor">[116]</a> et de grandes mares jusque pendant +quatre mois, lorsque la pluie tombe.</p> + +<p>Nous avions l’intention de marcher jusqu’à El-Ayaēcha ou +El-Guettār ; mais, en route, je fus frappé par trois ou quatre +pierres romaines d’assez grandes dimensions, et quoique nous les +eussions dépassées, je revins vers elles et, sans descendre de +cheval, je pus distinguer une inscription sous un tronçon de +colonne. Je fis aussitôt revenir la caravane, et décidai de passer +la nuit ici.</p> + +<p>Nous trouvâmes un monolithe arrondi, sortant d’une base carrée +et couché à terre ; à côté se trouvaient les débris incomplets +d’une autre colonne semblable ; c’était sur un de ces débris +que j’avais vu l’inscription. La colonne complète avait aussi été +couverte d’une longue inscription, mais le temps et la main des +enfants arabes, qui s’étaient amusés à marteler l’inscription, +l’avaient rendue illisible. Je pus bien reconnaître çà et là +quelques lettres isolées, mais n’avais pas le temps de les +copier ; le travail eût été trop long et trop pénible. Je le +laisse à un successeur. Outre le tronçon de colonne gisant sur le +sol, il y en avait un autre à demi enterré ; un peu de travail +le mit à jour, et j’eus le bonheur d’y trouver une partie de +l’inscription qui devait être fort longue. Comme cette inscription +est très incomplète<a id="FNanchor_117"></a><a href="#Footnote_117" +class="fnanchor">[117]</a>, je me contenterai de reproduire ce que +j’ai pu y reconnaître.</p> + +<div class="figcenter iw3"> +<figure id="i05"><a href="images/i05.jpg"><img src='images/i05.jpg' +alt=''></a> +<table class="width-full"> +<tr> +<td class="cp3 width40pc">Deux tronçons de colonne portant une +inscription. Săgui (route de Gabès à Gafsa).</td> +<td> +</td> +<td class="cp3 width60pc">Inscription relative à une fortification +de la route de Gabès à Gafsa. Borne milliaire de Săgui.</td> +</tr> +</table> +</figure> +</div> + +<p><span class="pagenum" id="Page_74">[74]</span>Lorsque nous eûmes +fini de déterrer ces pierres, j’en vis une autre dont la partie +visible, peut-être longue d’un mètre, me parut être une pierre +tumulaire, et, ignorant ses dimensions, je fis commencer le travail +pour la déterrer. Le premier résultat de notre travail fut de +découvrir que cette pierre était longue de plus de 2 mètres, large +de 50 centimètres et épaisse de 45. Nous n’avions pas d’autres +instruments que des couteaux et des piquets de tente, et mes six +hommes parvinrent à renverser cet énorme bloc. Mais nous fûmes bien +récompensés, car nous trouvâmes une belle inscription très peu +endommagée.</p> + +<p>Pour illustrer nos mœurs, je noterai qu’au moment où la pierre +cédait à nos efforts, on signala trois hommes à l’horizon ; +comme ils étaient encore assez loin, nous terminâmes le travail et +courûmes ensuite à nos armes. Je pris moi-même mon +revolver<span class="pagenum" id="Page_75">[75]</span> et allai +gratter un peu mon inscription. — Nous avions fait de grands +préparatifs guerriers, inutiles heureusement, car les arrivants +étaient de petits marchands sans armes, qui poussaient devant eux +quelques agneaux et chevreaux qu’ils venaient d’acheter aux +Hammāma. Je leur achetai un agneau pour récompenser mes hommes (5 +fr.) et si nous avions eu de l’eau à volonté, nous aurions été les +plus heureux des mortels. Il fallut souffrir de la soif, moi +excepté. Nos pauvres bêtes de somme aussi furent obligées de rester +à jeun, car le pays ne produit que du <em>chih</em> et du +<em>remeth</em>, et les bêtes ne mangent que très peu la première +de ces plantes seulement<a id="FNanchor_118"></a><a href= +"#Footnote_118" class="fnanchor">[118]</a>.</p> + +<p>L’inscription que nous venions de déterrer était une borne +milliaire<a id="FNanchor_119"></a><a href="#Footnote_119" class= +"fnanchor">[119]</a> et son contenu très intéressant, quoique les +chiffres aient été proprement martelés à l’époque romaine sans +doute.</p> + +<p class="datesect">23 mars.</p> + +<p>Les maîtres des agneaux qui avaient passé la nuit avec nous, et +aussi sacrifié un agneau de leur côté, nous firent changer un peu +notre direction. Nous voyions devant nous une chaîne de +montagnes ; il s’agissait de savoir si nous passerions à +droite ou à gauche : nous suivîmes leur conseil et prîmes à +gauche.</p> + +<p>Le pays était identiquement le même que celui que nous avions +traversé hier, et nous rencontrions encore de temps en temps des +restes de constructions romaines, que je pris pour des fermes. Je +dois noter spécialement la première ruine, qui se trouve à 480 +mètres au nord-ouest des inscriptions, et qui par ses restes de +pierres de taille énormes me fait penser qu’il y avait là un petit +temple ou tout autre bâtiment public. Nous laissâmes bien loin sur +la droite, près des montagnes, une « porte », +probablement un arc de triomphe dont me parlent les cavaliers du +makhzen.</p> + +<p>Au bout de quelque temps, nous arrivâmes à une construction +romaine connue sous le nom de Henchir es Somăa. C’est un monument +tumulaire en forme de tour carrée ; l’intérieur que l’on peut +voir à travers les dégradations formait une chambre carrée +aussi<span class="pagenum" id="Page_76">[76]</span> haute que le +monument. Le tout peut avoir 15 pieds de haut, pas plus de 20 +pieds. Le monument a aujourd’hui une position inclinée du côté de +l’ouest, ce qui tient aux pierres qui ont été arrachées de la base +de ce côté.</p> + +<div class="figcenter iw4"> +<figure id="i06"><a href="images/i06.jpg"><img src='images/i06.jpg' +alt='[Illustration : Monument tumulaire]'></a> +</figure> +</div> + +<p>Je fis une esquisse rapide de cette ruine, et pendant que je +déjeunais, un cavalier étant parti questionner des bergers dont +nous voyions les moutons au loin, revint avec la nouvelle que nous +nous étions trompés de route. — Un cavalier du kaïd du Nefzāoua qui +nous rejoignit bientôt, emmenant avec lui un domestique du kaïd et +une négresse sur un mulet, nous tira d’embarras en nous montrant la +route.</p> + +<p>Nous coupâmes la montagne, du moins une partie très basse de la +montagne, à un endroit où la route romaine de Gafsa à Tacape devait +aussi passer, à en juger par les restes de +constructions<span class="pagenum" id="Page_77">[77]</span> qui se +montraient de temps en temps à droite et à gauche de la route et +par des lignes de pierres qui me semblent avoir été mises pour +démarquer la voie romaine. Outre les plantes de Sagui, je notai ici +le <em>retem</em>, le <em>rhardeg</em> et le <em>harmel</em>.</p> + +<p>La montagne était de calcaire ; quelquefois le sol prenait +une teinte verdâtre due à des argiles (?) ; enfin dans ces +endroits on remarquait des pierres luisantes : sulfate de +chaux à l’état cristallin grossièrement fibreux.</p> + +<p>Nous entrâmes ensuite dans une autre plaine où nous rencontrâmes +encore des traces de labours. Là il nous arriva un petit accident, +un de nos mulets tomba par terre, et entra dans des convulsions qui +me firent craindre qu’il ne mourût. Cependant ce n’était qu’une +violente colique, et peu à peu il se remit et nous pûmes enfin +gagner El-Guettar.</p> + +<p>El-Guettār est une petite ville, ou plutôt un village, bâti en +pierres et en terre à la manière arabe ; on n’y remarque pas +la moindre trace d’occupation romaine. Du reste, la ville est très +peu importante et les maisons sont la plupart en ruines. El-Guettār +possède des plantations de palmiers et d’oliviers en proportion +avec son importance. Les dattes se nomment kĕsébba. Les habitants +s’habillent comme ceux du Nefzāoua et les femmes, quoique vêtues de +bleu, mettent aussi un haïk blanc. Leur coiffure est la même que +celle des Nailiyat, avec les fausses tresses de chaque côté de la +tête. Au reste, la ville compte comme arabe et les habitants ont +une renommée de pillards.</p> + +<p>D’après le <em>Nautical Almanach</em>, le Ramadhan ne devait +commencer que demain (à Constantinople ?), mais la question +étant grave, beaucoup d’individus se mirent à consulter le ciel, et +vinrent me dire que la nouvelle lune avait paru et s’était couchée +presque aussitôt.</p> + +<p>El-Guettār est appuyée sur un renflement du bas de la +montagne<a id="FNanchor_120"></a><a href="#Footnote_120" class= +"fnanchor">[120]</a>.</p> + +<p class="datesect">24 mars.</p> + +<p>J’ai oublié hier de dire deux choses intéressantes sur Guettār. +La première est relative à la nature des eaux qui arrosent les +plantations. On creuse des trous assez vastes de 3 à 6 mètres +de<span class="pagenum" id="Page_78">[78]</span> profondeur, selon +la proximité de la montagne, et on met à découvert un +<em>ruisseau</em> d’eau. Je crois que les palmiers plongent leurs +racines dans l’eau, mais pour les grains, etc... on les arrose à +force de bras au moyen de puits semblables à ceux des +Beni-Mezab.</p> + +<p>La seconde est d’autant plus remarquable qu’ordinairement les +Arabes ne se confient pas vite au premier venu. Mais à peine +étais-je installé dans la maison du cheikh que plusieurs habitants +de Guettār vinrent me trouver et me dirent en levant les mains au +ciel : « Mon Dieu, combien nous désirerions que les +Français fussent les maîtres de ce pays ! »</p> + +<p>Je restai à Guettār la première partie du jour ; je dois +remarquer que les femmes jouissent ici d’une grande liberté. Elles +causèrent sans façon avec moi, et me contèrent leurs petits +« bobos ». Une de ces dames était évidemment malade du +poumon, et j’eus l’indiscrétion de lui demander à voir l’endroit où +elle souffrait. Cela ne fit aucune difficulté. Aussi sa +complaisance fut-elle payée par un peu de médicaments et de bons +conseils, comme celui de porter de la laine. En effet, toutes les +femmes de ces contrées se vêtent de coton.</p> + +<p>Après avoir pris la hauteur du soleil à midi, nous nous mîmes en +route. Nous trouvâmes une plaine très unie, entourée de montagnes +que nous n’atteignîmes pas. Le paysage ne variait qu’en ce qu’il +était plus ou moins inculte ; le changement fut très sensible +lorsque nous approchâmes de l’oasis de Lâla. Nous traversâmes alors +des champs de céréales en orge.</p> + +<p>Le camp de l’armée du Bey Hamouda<a id= +"FNanchor_121"></a><a href="#Footnote_121" class= +"fnanchor">[121]</a> nous apparut de loin avec ses tentes blanches, +et lorsque nous approchâmes, je pus m’amuser à considérer le +mouvement extraordinaire qui y régnait. Il y avait une foule de +cavaliers allant et venant, des soldats vêtus à l’européenne ; +au milieu des tentes des soldats on remarquait deux pavillons +surmontés d’une pomme dorée : c’étaient les tentes du Bey +Hamouda et du ministre garde des sceaux. Le camp était entouré de +tentes d’Arabes qui probablement étaient là pour le service des +munitions de bouche, enfin on voyait dans la plaine des troupeaux +de chevaux, qui avaient été enlevés dernièrement au Hammāma, soit +comme complément du tribut, soit comme amende.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_79">[79]</span>Nous passâmes au +milieu de tout ce mouvement, causant beaucoup de surprise. Nous +nous arrêtâmes dans la ville de Gafsa, qui se trouvait de l’autre +côté de l’oued Beyâch, à la maison de Si elʿAbidi, khalifa de Si +ʿAli Saci. Mais comme on ne mettait pas trop d’empressement à nous +recevoir, et surtout parce qu’on prétendait me faire partager un +logis avec d’autres étrangers, je me remis aussitôt en selle, et +allai avec Ahmed et un <em>mokhazeni</em>, voir Si ‘Ali Saci<a id= +"FNanchor_122"></a><a href="#Footnote_122" class= +"fnanchor">[122]</a>.</p> + +<p>On me fit attendre assez longtemps dans sa tente, et Ahmed fut +mandé pour donner des détails sur ma personne. Enfin le seigneur +parut, me salua d’une manière très affable, et me fit asseoir à ses +côtés ; je lui remis aussitôt les lettres que j’avais à son +adresse et lorsqu’il les eut lues, il donna des ordres pour mon +installation et me pria de rester à <em>déjeuner</em> avec lui +après le coucher du soleil.</p> + +<p>J’acceptai volontiers son offre et envoyai Ahmed présider à mon +installation.</p> + +<p>Pendant que j’étais dans la tente de Si ʿAli Saci très occupé +alors par les affaires financières de son département, je reçus la +visite de plusieurs Européens au service du Bey ; tous me +parurent très bornés, et me déplurent au plus haut degré ; je +dois en excepter seulement le médecin du Bey, qui sait le français +et est à part cela un fort aimable homme.</p> + +<p>Après le dîner, je partis pour Gafsa où je trouvai tout à +souhait. Cependant je ne pus pas bien dormir, à cause du bruit que +firent les gens de la maison, qui se disputaient pour avoir leur +dîner d’abord, et ensuite se mirent à chanter et à rire d’une +manière désespérante. Je suis à part cela dévoré par des puces +depuis le Nefzāoua<a id="FNanchor_123"></a><a href="#Footnote_123" +class="fnanchor">[123]</a>.</p> + +<p class="datesect">25 mars.</p> + +<p>Je me levai tard, et me rendis de bonne heure au camp ; j’y +eus un bout de conversation avec Si ʿAli Saci toujours très occupé, +et j’allai déjeuner chez le médecin, à qui le Bey a fait cadeau +d’un cheval hier ; nous eûmes un fameux repas venant en partie +de la cuisine du Bey, avec vin de Marsala.</p> + +<p>Je revins en ville plus tard que je ne l’aurais voulu, et en +route on me montra l’exécuteur des hautes œuvres, qui porte l’habit +d’un<span class="pagenum" id="Page_80">[80]</span> canonnier à +cheval. Je trouvai le Khalifa tout prêt à nous montrer les +inscriptions latines que renferme la ville. Je crus d’abord qu’il +n’y en avait que quelques-unes, mais le travail fut beaucoup plus +grand que je ne l’avais pensé. Je ne connaissais pas encore bien le +labeur de la lecture d’une inscription endommagée ; et ce +labeur se renouvela douze fois dans mon après-midi. La plupart des +inscriptions sont très avariées, étant toutes placées dans les +murailles des maisons, en dehors, et quelques-unes à moitié +enterrées dans le sol. Si j’étais plus ferré en archéologie, +peut-être eussé-je rendu, mieux que je ne l’ai fait, ces monuments +épigraphiques, mais enfin je vais livrer ici le résultat de mes +lectures<a id="FNanchor_124"></a><a href="#Footnote_124" class= +"fnanchor">[124]</a>. Quant à des estampages, l’état inégal de la +surface des pierres n’aurait pas permis de donner grand’chose de +bon.</p> + +<p>Dans notre promenade nous touchâmes au Termīl, qui est la source +célèbre de la ville, elle est près du bordj, et on y descend par +quelques marches ; toutes les constructions à l’entour sont +fort solides et datent de l’époque romaine. Le bordj lui-même est +un magnifique fort, le plus beau de la régence après ceux de +Tunis ; il occupe un vaste emplacement et est fort +élevé ; l’architecture en est élégante. Je vis aussi en me +promenant l’arc de triomphe (?) et aussi les ruines d’une église +chrétienne dont les arcades sont encore très bien conservées.</p> + +<p>Au point de vue pittoresque, le fait le plus intéressant de ma +journée est ma visite à un juif nommé Moucti ; il est Algérien +d’origine, sa maison est un petit palais, et il a une nombreuse +famille ; il me reçut dans une chambre avec un lit à rideaux, +pendule, etc., et me fit servir de l’absinthe du pays qui est +excellente et des gâteaux. C’est une jeune et belle femme qui me +servit ; elle peut servir de type du costume des dames de la +famille et, me dit Ahmed, des Tunisiennes en général. Ce qui le +caractérise est le pantalon collant, depuis la cheville jusqu’au +haut, et l’espèce de juste-au-corps collant sur la poitrine. C’est +un singulier contraste avec l’ampleur des autres modes musulmanes, +mais il n’est pas dépourvu d’élégance, et là il était fort bien +porté. Je fus très bien reçu par tout le monde et avec des manières +très gracieuses.</p> + +<p>Le soir, je vais dans le bordj faire des observations +astronomiques complètes.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_81">[81]</span>26 mars.</p> + +<p>Aujourd’hui j’ai fini ma tournée archéologique, et quoique j’aie +encore trouvé trois inscriptions, je ne doute pas que je sois loin +d’avoir tous les documents épigraphiques de Gafsa.</p> + +<p>Je profitai de ma promenade pour observer près de la maison du +Bey un vaste bassin, vraie piscine de construction romaine, dont +l’eau est encore plus chaude que celle du Termīl. Il y a des +poissons, les mêmes que ceux du Termīl, dont j’aurais bien voulu +prendre un échantillon, car je suis bien sûr qu’ils forment une +espèce nouvelle pour moi, c’est-à-dire différente de celles que +j’ai observées jusqu’à présent en Afrique.</p> + +<p>Je me promène avec un tailleur de pierres de Dresde qui, bien +que jeune encore, a vu beaucoup de pays ; maintenant il est +ici un des élégants du pays, s’est fait musulman ; il +travaille à construire des maisons et gagne, me dit-il, 5 fr. par +jour. Il me propose d’aller voir vers l’ouest de la ville de vastes +carrières souterraines du temps des Romains, mais comme ce fait a +moins d’intérêt pour moi que pour lui, je me borne à en prendre +note.</p> + +<p>Je vais au camp. L’armée reste encore attendant l’argent +d’El-Ayaēcha qui ne paraît pas se presser. Si ‘Ali me reçoit +toujours très bien, je prends congé de lui, car demain je me mets +en route.</p> + +<p>Le Bey a demandé hier à son médecin quelques détails sur +moi.</p> + +<p>Source du Termīl = Temp. 30°.</p> + +<table class="tab-p2 bd-collapse"> +<tr> +<td rowspan="2">Puits de la cour =</td> +<td class="blt"> +</td> +<td>Temp. 23°,5, prise le 28 au matin.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>Prof. 11 1/2 <em>dra</em> = 5<sup>m</sup>,75.</td> +</tr> +</table> + +<p class="datesect">27 mars.</p> + +<p>Nous partîmes de Gafsa assez longtemps après le lever du soleil, +car le seul moment où je puis dormir dans cette ville est +précisément le matin, où les puces qui font aussi le ramadan me +laissent un peu de repos.</p> + +<p>La route qui nous mène à Hamma était trop longue pour l’heure de +notre départ. Nous suivîmes tantôt de près tantôt de loin le cours +de l’oued Beyâch, qui change plusieurs fois de nom en cette petite +étendue de pays. L’oued forme le fond d’une large vallée ou plaine +bordée à gauche par le Djebel-Chareb, et à droite par la +continuation des montagnes de Gafsa. Il finit réellement à Tarfaouï +où nous traversâmes une sorte de chott sablonneux, mais +cependant<span class="pagenum" id="Page_82">[82]</span> plus loin, +et jusqu’à près d’El-Hamma, je pus voir le fond de la plaine occupé +par une sebkha allongée ressemblant à un oued.</p> + +<p>Vers la fin de la journée nous nous rapprochâmes des dernières +hauteurs du Chareb ; nous rencontrâmes là plusieurs piétons +hammāma qui nous firent hâter la marche ; je ne puis pas +m’expliquer la terreur que ces gens inspirent à mes compagnons de +route. Cependant un chaouch alla voir ce qu’ils voulaient, et nous +trouvâmes de simples voyageurs comme nous. Un de ces Hammāma se +joignit à nous.</p> + +<p>Nous n’atteignîmes El-Hamma que bien tard dans la nuit ; +j’arrêtai mon itinéraire à la Hadjra Soûda, pour le reprendre +demain. A notre arrivée, nous fûmes reçus par un ami de Si ʿAli +Saci auquel ce seigneur nous avait recommandés.</p> + +<p class="datesect">28 mars.</p> + +<p>L’oasis d’El-Hamma a environ 380 hommes de population, ce qui +donne un chiffre d’environ un millier d’habitants. L’année +dernière, le pays ne payait que 4.000 réaux ; cette année, il +donne 12.000 réaux ; la différence de l’impôt tient à ceci, +que l’année dernière il y avait un autre cheik, et qu’un homme de +l’oasis alla au Bey et lui dit : « Donne-moi El-Hamma, je +te donnerai un revenu triple de ce que cette oasis te +rapporte. » C’est ainsi que se passent les choses dans ce +pays ; ainsi aujourd’hui chaque homme de la ville est taxé à +31<sup>r</sup>,6, soit environ 21 fr. !</p> + +<p>J’ai couché à Nemlāt, un des villages de l’oasis.</p> + +<p>Ce matin, j’ai été me promener à cheval, j’ai vu les sources +d’eau chaude, qui sont d’eau douce ; on y voit une piscine et +une ligne de pierres, un quai de construction romaine. — Voici les +températures :</p> + +<table class="tless padded1"> +<tr> +<td>Ruisseau sortant de terre</td> +<td>37° 3</td> +</tr> + +<tr> +<td>Dans l’eau, près d’une source dans le sable</td> +<td>39° 1</td> +</tr> + +<tr> +<td>Dans la piscine, à la source</td> +<td>39° 6</td> +</tr> +</table> + +<p>Plus loin, je visitai la Hadjra Soūda, rocher noir qui se montre +isolé à peu de distance des palmiers sur la route de Tunis. Ce +rocher est curieux, en ce qu’il est évidemment d’origine +plutonienne, ou métamorphique ; il est de couleur noire et de +structure ovoïde ; il est très dur. La forme est allongée, on +voit que c’est une roche<span class="pagenum" id= +"Page_83">[83]</span> éruptive qui a été poussée des sous terre par +une force qui a probablement donné naissance à une hauteur que l’on +voit à côté.</p> + +<p>L’oued d’El-Hamma est d’eau salée et tiède ; il nourrit de +singuliers petits poissons, qui portent leurs petits dans leur +bouche<a id="FNanchor_125"></a><a href="#Footnote_125" class= +"fnanchor">[125]</a>, et Si-Mohammed ben Rabah me dit qu’ils +appellent leurs petits en battant des nageoires, à la manière des +poules, que les petits savent ce signal et viennent se réfugier +dans la bouche du gros.</p> + +<p>Les constructions de Hamma sont moitié comme celles du +Djérid<a id="FNanchor_126"></a><a href="#Footnote_126" class= +"fnanchor">[126]</a>, moitié comme celles des qsours<a id= +"FNanchor_127"></a><a href="#Footnote_127" class= +"fnanchor">[127]</a> ; mais on n’y voit pas d’élément +romain.</p> + +<p>Nous rencontrons ici un Nemmouchi des Oulād el ʿAïsawi, qui +vient demander au Bey, pour sa tribu, la permission d’entrer dans +la Régence ; il me dit qu’ils m’amèneront en paix à Négrīn, si +le Bey le leur demande, mais à part il dit à Ahmed que, s’il avait +su que nous étions en voyage, il serait venu nous égorger tous deux +de nuit, parce que nous sommes des chrétiens !</p> + +<p>Il me dit qu’il y a un mois, la nouvelle leur est arrivée que +les Kabyles se sont révoltés et nous ont vaincus et que les +Français, en désespoir de cause, ont promis 50 douros et un cheval +à quiconque viendra à leur secours (des Musulmans) !</p> + +<p>J’arrive à Tōzer en très peu de temps, et y trouve le +vice-consul qui m’installe dans une maison à côté de la sienne.</p> + +<p class="datesect">29 mars.</p> + +<p>J’ai passé la journée, à la maison, à mettre au courant mes +itinéraires, et, le soir, j’ai calculé quelques latitudes.</p> + +<p>Aujourd’hui comme hier, le temps est lourd et le ciel couvert de +nuages transparents.</p> + +<p>Le soir, un coup de vent à la tombée de la nuit disperse mon +herbier qui était à sécher ; je crains bien que beaucoup de +plantes ne soient perdues. C’est un coup de « chĕhili<a id= +"FNanchor_128"></a><a href="#Footnote_128" class= +"fnanchor">[128]</a> ».</p> + +<p>Je détermine le genre des poissons de l’oued de Hamma, de +Termīl, etc... Ce sont des « cyprinus » (Cuvier) ; +dans l’édition allemande de Vogt, ils ne sont pas décrits et +probablement ils ne le sont pas du tout.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_84">[84]</span>30 mars.</p> + +<p>Ce matin, au moment où j’y pensais le moins, lisant sur mon lit, +je vois ma cour envahie par des hommes et des chevaux. Je demande +ce que cela veut dire et prie tout le monde de s’en aller. Mais +comme le sont souvent les serviteurs des hommes les plus gracieux, +ces gens font la sourde oreille et refusent de m’obéir. Il y a +longtemps que la moutarde me chatouille le nez à propos de +l’insolence des gens du makhzen. Cette fois, le manque de politesse +est trop formel ; je n’y tiens plus, et empoignant la chaise +de Si Mohammed, je fais une charge furieuse sur hommes et chevaux +et en deux minutes suis maître du champ de bataille.</p> + +<p>Dans la soirée, arrive le voyageur français dont j’ai parlé à +Gabès : c’est M. Guérin, professeur de rhétorique et voyageur +historien. Il connaît déjà l’Orient et nous nous connaissons de +Paris où nous suivions ensemble les cours de M. Caussin de +Perceval. Il arrive dans un état déplorable, car ils ont été +assaillis en route par l’ouragan d’ouest dont nous n’avons pu nous +faire qu’une faible idée en ville. Nous causons tout de suite +d’inscriptions, et rectifions mutuellement quelques erreurs que +nous avions commises dans les lectures.</p> + +<p>Le khalifa qui vient voir M. Guérin me fait ses excuses sur ce +qui s’est passé ce matin.</p> + +<p>L’armée est arrivée à Hamma et viendra demain ici.</p> + +<p class="datesect">31 mars.</p> + +<p>Ce matin, le Bey a fait son entrée avec sa petite armée ; +on a tiré vingt coups de canon pendant une petite revue que le Bey +a faite à son arrivée.</p> + +<p>Je vais voir Si ʿAli Saci qui me reçoit avec une extrême +politesse et se tient debout pendant que nous causons. Il promet de +m’expédier après-demain, et demain il me donne du monde pour aller +à Sebaa-Regoud ; la caverne a quelque chose d’intéressant au +point de vue géologique.</p> + +<p>Promenade à Belidet-el-Hadar<a id="FNanchor_129"></a><a href= +"#Footnote_129" class="fnanchor">[129]</a> avec M. Guérin<a id= +"FNanchor_130"></a><a href="#Footnote_130" class= +"fnanchor">[130]</a> ; nous reconnaissons, auprès du minaret +dont j’ai déjà parlé, le plan par colonnes d’un vaste temple ou +église ; les entrepas des colonnes<span class="pagenum" id= +"Page_85">[85]</span> ont 2<sup>m</sup>,50 environ. M. Guérin est +d’avis que les buttes de sable et de débris de brique qui entourent +la petite ville marquent la circonférence de l’ancien Tusurus. Nous +trouvons près de là un puits romain carré, de nombreuses pierres +dans les maisons.</p> + +<p>Puis nous visitons la prise d’eau romaine, qui est encore très +bien conservée.</p> + +<p class="datesect">1<sup>er</sup> avril 1860.</p> + +<p>Je vais voir encore une fois le Djebel Sebaa Regoud.</p> + +<p>Je n’ai qu’une note topographique à ajouter à celles que j’ai +déjà, c’est que 600 à l’ouest de Keriz, on coupe l’oued Sebie Biar +qui sort de la montagne ; à sa source il y a un puits romain +(carrière) ; l’oued est petit et va arroser les palmiers.</p> + +<div class="box-float-right"> +<div class="figfloat"> +<figure id="i07" class="iw5"><a href="images/i07.jpg"><img src= +'images/i07.jpg' alt=''></a> +<p class="cp3">Gravure rupestre du Djebel Sebaa Regoud trouvée sur +un banc plat de concrétions calcaires très solides, épais de +0<sup>m</sup>,10 à 0<sup>m</sup>,15, reposant sur des grès. (H. +Duv.)</p> +</figure> +</div> +</div> + +<p>La grotte ou plutôt les grottes<a id="FNanchor_131"></a><a href= +"#Footnote_131" class="fnanchor">[131]</a> sont dans un ravin, au +nord un peu est de la ville, à une petite distance. Celle que j’ai +visitée, la plus grande, se divise en deux branches ; la +branche profonde est très difficile, on n’y pénètre qu’en rampant +sur le ventre, et souvent la paroi est trop étroite pour qu’on +passe les deux épaules en même temps. Dans la chambre étroite où on +arrive il y a beaucoup de fossiles dont j’ai pris des +échantillons ; on trouve sur la paroi des stalagmites en forme +de couches. Sur une de ces couches je lus : READE 1845. La +grotte ne s’arrête pas là, elle se prolonge par différents +couloirs ; un tailleur de pierres allemand me dit qu’on voit +encore les traces des coups de marteau qui ont servi à la creuser, +et que l’un des couloirs conduit à une chambre taillée de main +d’homme.</p> + +<p>Je retourne ensuite à l’inscription<a id= +"FNanchor_132"></a><a href="#Footnote_132" class= +"fnanchor">[132]</a>, dont je complète le dessin,<span class= +"pagenum" id="Page_86">[86]</span> je découvre un peu plus haut, +sur la même plate-forme, une figure grossièrement taillée comme +l’inscription elle-même. C’est peut-être une grossière imitation de +la lune<a id="FNanchor_133"></a><a href="#Footnote_133" class= +"fnanchor">[133]</a>. Dans le ravin, je remarque la formation de la +montagne. Les assises les plus basses qui soient découvertes sont +des bancs de terre glaise sans fossiles, alternant avec des bancs +de sable fin et entassé (grès très tendre en formation) et remplies +de jolis petits cailloux de quartz hyalin ou autre et de silex. +Par-dessus tout cela vient le calcaire coquillier marin.</p> + +<p class="datesect">2 avril.</p> + +<p>M. Guérin revient aujourd’hui de Nafta. Nous faisons une grande +tournée dans l’oasis. Puis nous revenons en ville et nous voyons +les différents quartiers qui sont : au S.-O. Zebda ; au +S. Oulad el Hādef, à l’E. un peu N. Zaouyet Debabsa qui est séparée +de la ville, au N. Oussouāu, au N.-N.-O. le tombeau du Sidi ʿAbīd, +à l’O. un peu N. Guetna, à l’ouest Masrhona et un peu plus loin +Cherfā.</p> + +<p>A un petit partage d’eau de El ʿAguela dans l’oued Zebbāla, à 4 +h. 1/2, l’eau avait 28° 4, l’air au thermomètre fronde 26°,4.</p> + +<p class="datesect">3 avril.</p> + +<p>J’ai oublié de mentionner hier qu’outre de nombreuses pierres +romaines, fondations de maisons, colonnes (dont une de marbre), +constructions dans les saguias, partages d’eau, etc., que nous +avons rencontrés dans les plantations et les villages de Tōzer, +nous avons encore remarqué en ville une pierre portant une branche +de zizyphus lotus très bien sculptée en relief.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp1c06"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_115"></a><a href="#FNanchor_115"><span class= +"label">[115]</span></a>Sur l’occupation romaine du sud de la +Tunisie, voir, outre les ouvrages généraux de Tissot, Cagnat, +Gauckler, Toutain, etc., les études du D<sup>r</sup> Carton +(<em>Revue Tunisienne</em>, 1895, p. 201, 1896, p. 373, 530), de P. +Blanchet (rapp. cité, <em>N. Arch. des Missions</em>, IX, 1899) et +de A. du Paty de Clam (<em>Bull. de Géogr. historique et +descriptive</em>, 1897, p. 408-424).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_116"></a><a href="#FNanchor_116"><span class= +"label">[116]</span></a>Flaques d’eau douce.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_117"></a><a href="#FNanchor_117"><span class= +"label">[117]</span></a>Voir la reconstitution dans Tissot, II, p. +658.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_118"></a><a href="#FNanchor_118"><span class= +"label">[118]</span></a>Ceci ne s’applique qu’aux chameaux du sud +algérien et tunisien. C’est ainsi que ceux de la Cyrénaïque mangent +très bien le remeth (Rohlfs, <em>Kufra</em>, p. 538) et que ceux du +Fezzàn font du chih leur nourriture favorite (Ascherson, +<em>Kufra</em>, p. 481). C’est précisément la répugnance des +chameaux à se nourrir de plantes inaccoutumées qui oblige les +caravanes à changer d’animaux dans la traversée du désert.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_119"></a><a href="#FNanchor_119"><span class= +"label">[119]</span></a>Dite milliaire d’Asprenas. (Cf. pour +lecture plus complète Tissot, II, p. 650 et <em>C. I. L.</em>, +VIII, 10023.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_120"></a><a href="#FNanchor_120"><span class= +"label">[120]</span></a>Le Djébel Arbet ou Orbata (crétacé).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_121"></a><a href="#FNanchor_121"><span class= +"label">[121]</span></a>Frère du Bey régnant.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_122"></a><a href="#FNanchor_122"><span class= +"label">[122]</span></a>Kaïd du Djérid.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_123"></a><a href="#FNanchor_123"><span class= +"label">[123]</span></a>On sait que la puce épargne le Sahara +proprement dit.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_124"></a><a href="#FNanchor_124"><span class= +"label">[124]</span></a>Voir à l’Appendice.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_125"></a><a href="#FNanchor_125"><span class= +"label">[125]</span></a>M. Warnier me dit que probablement les +poissons de Hamma gardent leurs petits dans leur bouche pour +empêcher que la chaleur de l’eau ne leur fasse mal.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_126"></a><a href="#FNanchor_126"><span class= +"label">[126]</span></a>C’est-à-dire en briques.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_127"></a><a href="#FNanchor_127"><span class= +"label">[127]</span></a>C’est-à-dire en tôb (argile séchée au +soleil).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_128"></a><a href="#FNanchor_128"><span class= +"label">[128]</span></a>Sirocco.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_129"></a><a href="#FNanchor_129"><span class= +"label">[129]</span></a>Ou Bled-el-Adher : un des villages +situés dans l’oasis de Tōzer.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_130"></a><a href="#FNanchor_130"><span class= +"label">[130]</span></a>Voir V. Guérin, <em>Voyage archéologique +dans la Régence de Tunis</em>. Paris, 1862, in-8<sup>o</sup>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_131"></a><a href="#FNanchor_131"><span class= +"label">[131]</span></a>Elles ont valu à la montagne le nom de +Sebaa Regoud « des Sept Dormants ». Voir sur la légende +Tissot, II, p. 366, 683.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_132"></a><a href="#FNanchor_132"><span class= +"label">[132]</span></a>Cf. <a href="#Page_54">p. 54.</a></p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_133"></a><a href="#FNanchor_133"><span class= +"label">[133]</span></a>On lit dans une note de Duveyrier : +« M. Tissot a donné, page 480 du tome I de sa <em>Géographie +comparée</em>, la reproduction de mon dessin, sans en indiquer la +provenance. M. Tissot comptait réparer cet oubli. »</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_87">[87]</span><a id= +"p1c07"></a>CHAPITRE VII</h3> + +<p class="sch">DE TOZER A BISKRA</p> + +<p>Nous partîmes de Tōzer un peu trop tard pour la route qui nous +attendait. Jusqu’à Hamma nous ne vîmes rien que je n’eusse noté +auparavant ; nous entrâmes alors dans des marécages qui +évidemment sont cause de l’insalubrité de toute l’oasis. Ils +s’étendent vers le chott, et sont formés par les eaux de l’oued qui +se perdent peu à peu dans les terres.</p> + +<p>Notre marche était peu rapide, aussi mîmes-nous beaucoup de +temps à sortir de ces terrains glissants et meubles peu propres à +la marche des chameaux.</p> + +<p>Après les marécages vint une curieuse nature de terrain ; +c’était le bas de l’oued Beyāch, endroit où autrefois avait +séjourné la mer, à en juger à la fois par la nature de sebkha du +sol, et surtout par les coquilles de <i>Cardium edule</i><a id= +"FNanchor_134"></a><a href="#Footnote_134" class= +"fnanchor">[134]</a> qui s’y trouvaient mêlées à celles du +<i>Bulimus truncatus</i> apporté par les eaux de l’oued. La +végétation devient ici plus rare ; les tamarix s’y maintinrent +cependant toujours. Toute cette plaine est très dangereuse à cause +des excursions de maraude qu’y font les Hammāmas d’un côté et les +Nemēmcha de l’autre. C’est pourquoi nous ne marchions pas sans +quelque inquiétude, et les mokhazenis nous racontèrent différentes +histoires terribles de drames qui s’étaient passés dans cet +endroit.</p> + +<p>Enfin nous entrâmes dans le chott<a id= +"FNanchor_135"></a><a href="#Footnote_135" class= +"fnanchor">[135]</a>, qui est une petite imitation du grand chott +de Nefzāoua ; il finit par former plusieurs bassins de plus en +plus bas, fournis d’une végétation assez riche<span class="pagenum" +id="Page_88">[88]</span> quoique uniforme, elle se compose +principalement d’une plante nommée « <em>goreyna</em> » +et de « <em>zeita</em> ».</p> + +<p>La nuit nous surprit en route, ce qui nous fit hâter la +marche ; après, nous débouchâmes dans une plaine uniforme et +aride, et enfin, au moment où nous nous rapprochions de Chebika, +nous nous trouvâmes sur un champ de pierres très dures, qui ont été +apportées de la montagne par les ravines qui en descendent. +Quelques-unes de ces pierres atteignaient une grande dimension.</p> + +<p>La montagne que nous longions en nous en rapprochant est très +régulière à son sommet ; en cet endroit, elle avait une +altitude croissante de droite à gauche jusque vers Chebika.</p> + +<p>Nous coupâmes au bas des palmiers les fondations des murailles +d’une ville romaine qui, d’après ce que j’ai vu le lendemain, doit +avoir eu une certaine importance ; cet endroit est aujourd’hui +consacré à des cultures de céréales. — Nous montâmes ensuite dans +les plantations (ici l’expression convient très bien), nous les +trouvâmes arrosées par des eaux courantes, où l’on remarquait çà et +là dans les canaux des pierres grossièrement taillées, mais +évidemment de travail romain, qui ont été apportées des ruines de +la ville, ou bien même sont peut-être encore à leur place.</p> + +<p>Arrivés au petit village de Chebika, on fit quelques difficultés +pour nous recevoir, car on craignait quelque exaction du Bey, mais +lorsqu’on nous eut bien reconnus, il fallut nous loger, et l’on +choisit une maison au sommet de la ville. — Les rues sont tellement +agrestes qu’il fallut décharger les chameaux à la porte de la +ville, et monter le bagage à bras d’hommes. Voyant que j’avais à +faire à de pauvres gens, je les avertis tout d’abord que je +paierais tout ce qui me serait livré. Je me couchai bientôt ; +et ne pris pas part au dîner qui fut très maigre.</p> + +<p class="datesect">4 avril.</p> + +<p>Ce matin, je pus examiner la curieuse position de Chebika. Elle +est bâtie en amphithéâtre sur un rocher, entre deux ravins qui +descendent de la montagne. Au nord du rocher s’élève un roc peu +important, mais qui présente de curieux murs bâtis très +anciennement sur certains côtés pour compléter une forteresse +naturelle. Ne pouvant pas très bien reconnaître l’âge de ces +constructions, j’en ai pris un échantillon de ciment. La source de +Chebika,<span class="pagenum" id="Page_89">[89]</span> ʿAîn +Chebika, coule du nord et descend à l’est arroser les plantations, +qui s’étendent au sud ; on trouve encore un bouquet de +palmiers à l’ouest ; ce dernier s’appelle ʿAin Beidha. Du +reste, la ville compte à peine 20 hommes, ce qui donne un très +petit chiffre de population totale. Ce sont des Hammāma. La +tradition leur rappelle que le nom chrétien de cette ville ou +plutôt sa traduction est Qoçeïr Ech-Chems, le château du soleil +(ηλιοπολις). Ils prétendent aussi que les chrétiens fendirent une +partie de la ravine pour amener l’eau à la ville.</p> + +<p>Je retournai voir les restes de l’ancien établissement ; il +s’étend sur toute la ligne sud des plantations. Cette promenade me +convainc une fois de plus de l’importance de ce point sous +l’occupation romaine ; cependant les pierres y étaient très +mal taillées<a id="FNanchor_136"></a><a href="#Footnote_136" class= +"fnanchor">[136]</a>.</p> + +<p>Les habitants de la ville sont pauvres, comme je l’ai dit, mais +j’ai vu quelques jolies femmes, toutes vêtues à la mode +occidentale.</p> + +<p>Je partis ensuite pour Midas ; outre mes deux mokhazenis, +on nous donna cinq hommes armés de fusils, dont on me vanta +beaucoup le courage, mais dont la conversation annonçait très peu +de décence. Nous longeâmes pendant quelque temps le bord de la +montagne<a id="FNanchor_137"></a><a href="#Footnote_137" class= +"fnanchor">[137]</a> puis arrivâmes à un endroit appelé Foum en +Nâs. C’est une fort large ouverture dans la montagne, qui donne +passage à une petite rivière<a id="FNanchor_138"></a><a href= +"#Footnote_138" class="fnanchor">[138]</a> qui se perd près de là +et qui est employée en partie à arroser des semis de céréales que +nous apercevons verdoyants. Nous entrons dans cette coupure et +rencontrons l’oued, tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, +l’eau en est fraîche et bonne. Le chemin devient plus difficile à +mesure que les rochers se rapprochent, et bientôt ils nous rendent +la marche très pénible. Vers cet endroit, j’aperçus, à mi-hauteur +de la montagne, les ruines d’un petit fort romain, où l’on +reconnaît encore une partie de voûte ; il pouvait avoir 25 +mètres de long sur 8 mètres de large environ, et commandait le +passage ; il porte aujourd’hui le nom de El-Hānout. Plus loin +je touchai une petite source appelée El-ʿAouina, elle sort du roc +vif et est réputée fraîche en été ; son eau a 21°,9. Nous +montâmes ensuite dans des passages où c’est un miracle<span class= +"pagenum" id="Page_90">[90]</span> que les chameaux et les caisses +ne se soient pas mille fois renversés. Nous marchions fort +lentement, et, après deux petites terrasses que nous atteignîmes, +nous retombâmes dans l’oued, qui nous conduisit presque aussitôt en +vue des palmiers de Tamerza.</p> + +<p>Nous laissâmes les palmiers à droite, et entrâmes dans un +affluent de l’oued, qui porte le nom d’El-Oudey, et qui contribue +pour un petit filet d’eau. Les deux côtés de la montagne formaient +comme deux murs presque à pic, qui tantôt, s’élargissant, bordaient +une surface de sable unie, tantôt se rétrécissaient et formaient +des défilés des plus pittoresques et des plus curieux. Les tamaris +persistaient ; l’eau courante était couverte par places d’une +petite cypéracée que j’ai cueillie à Nafta. Nous passâmes à Garen +un premier défilé, auprès duquel celui d’El-Kantara n’est +rien ; les murailles me parurent être d’un marbre +grossier ; deux vautours planaient au-dessus de leur domaine, +et les excréments répandus par endroits indiquaient qu’ils avaient +là leurs nids. Toute cette partie de la montagne présentait des +traits géologiques très prononcés ; des couches inclinées +attestaient le mode de formation<a id="FNanchor_139"></a><a href= +"#Footnote_139" class="fnanchor">[139]</a>. Après des détours et +des montées sans fin, où hommes et bêtes se trouvaient épuisés, +surtout ceux qui jeûnaient, nous fûmes obligés, pour passer un +défilé, de décharger les caisses et de les porter à bras +d’hommes ; peu après, nous aperçûmes sur les hauteurs les +restes d’un petit blockhaus carré romain, encore assez bien +conservé, qui dominait le passage. Nous gravîmes ensuite une pente +et, redescendant de l’autre côté, nous nous trouvâmes à côté de +Midas.</p> + +<p>L’oasis de Midas est située comme un nid d’aigle dans une +assiette<a id="FNanchor_140"></a><a href="#Footnote_140" class= +"fnanchor">[140]</a> au milieu de la montagne ; les ravins qui +l’entourent ne la laissent accessible que d’un côté où l’on voit +plusieurs koubbas appelés les Sebaa Regoud. On entre dans la ville +par les plantations, et, de l’autre côté, les maisons sont +suspendues sur un ravin ou précipice comme à Constantine ; la +population de Midas peut monter à 30 hommes environ. Ce sont des +Beldîa. Toute la petite oasis présente les sites les plus +charmants ; les jardins offrent un<span class="pagenum" id= +"Page_91">[91]</span> sauvage pittoresque que l’on y rencontre +rarement ; quelques palmiers surtout, à la tête du ravin, +adossés à un rocher à pic de strates horizontales, me tentèrent +beaucoup pour un croquis, mais je crus devoir y renoncer.</p> + +<p>Nous fîmes notre entrée en ville par la seule porte qui s’ouvre +dans la muraille (comme à Chebika) et fûmes bien reçus quoique +froidement. Il n’y eut qu’un petit incident fâcheux, ce fut une +scène d’injures que fit le maître de la maison où on nous installa, +un nègre, qui fit sortir les mokhazenis de leur assiette et engagea +une lutte corps à corps, dans laquelle ils eurent le dessus. Je +craignis un moment que la lutte ne devînt sérieuse et m’armai +moi-même en faisant armer mon monde ; je sortis pour parler au +nègre, mais je vis heureusement que tout s’apaisait peu à peu.</p> + +<p>Il y avait en ville les chefs des Oulad Sidi’Abid au nombre +desquels se trouvait Si Ramdhān, leur chef, pour qui Si ʿAli Saci +avait donné une lettre. Ils vinrent tous, et se conduisirent très +bien, car il faut bien leur pardonner leur curiosité, causée par +leur ignorance. Ils causèrent et plaisantèrent avec moi. Plusieurs +ont leur maison ici. Ils me demandèrent entre autres si Paris était +près de Sidi’Okba. Je sacrifiai ma demi-journée à mes hôtes, ne +voulant pas les indisposer par des observations et mon travail +ordinaire ; je craignis de gâter mes affaires au moment de +quitter la régence de Tunis, et en même temps le pays de la peur. +Du reste, j’y gagnai d’un autre côté en jetant un coup d’œil dans +les mœurs et l’état social et moral de cette population.</p> + +<p>Ce que j’en dirai peut s’appliquer à Chebika et probablement +aussi à Tamerza qui est la grande ville de la montagne, et où +réside ordinairement un parent de Si ʿAli Saci. Actuellement il est +à Tōzer, il a eu des difficultés avec ses administrés qui ne +doivent pas être faciles, à cause de l’impôt ; le Bey menace +de faire détruire la ville. Les hommes de Midas sont mal vêtus, et +pour la plupart malades. Je n’ai jamais eu autant de consultations. +La syphilis est très commune à tous les degrés : descendue aux +jambes, aux bras, etc., rendant une femme impotente ; enfin on +me l’amène sous la triste forme d’un petit enfant à la mamelle +couvert de glandes et dégoûtant de saleté, déjà jauni par la +mort ! Les femmes sont habillées à l’occidentale avec d’assez +vives couleurs ; quelques-unes, je dirai même la plupart, ne +sont pas<span class="pagenum" id="Page_92">[92]</span> mal. Mais le +pays est, à ce que je crois, perdu par les maladies vénériennes et +la fièvre. Les Oulad Sidi’Abid paraissent eux-mêmes beaucoup +souffrir des maladies vénériennes. — Les femmes sont assez libres +et me jettent quelques coups d’œil intéressants. — On voit pas mal +de nègres.</p> + +<p>La tradition rapporte que cette petite ville se nommait +autrefois Merdās.</p> + +<p>Dans les pierres qui, avec de la terre, servent à construire les +maisons, je reconnais d’assez grandes pierres taillées, +quelques-unes même debout en plan. Évidemment il y avait là un +établissement romain, moins étendu, mais mieux construit que celui +de Chebika.</p> + +<p class="datesect">5 avril.</p> + +<p>Nous eûmes de la peine à obtenir ce matin les hommes qui +devaient m’escorter jusqu’à Négrīn. Les deux mokhazenis, il faut +leur rendre cette justice, ne me quittèrent que lorsque tout le +monde fut prêt. Je fus accompagné par onze hommes. Nous remontions +un long oued (oued Midas) ; le terrain était très aisé, mais +les malheureux chameaux affamés et fatigués ne nous permirent pas +de voyager aussi vite que nous l’eussions désiré. D’abord des +montagnes très élevées nous surplombaient à droite et à gauche, +puis à mesure que nous avancions, les montagnes s’éloignèrent et +enfin cessèrent tout à fait sur la droite, car je ne puis compter +comme telles les hauteurs de Hoouarīn et autres<a id= +"FNanchor_141"></a><a href="#Footnote_141" class= +"fnanchor">[141]</a> qui nous apparaissaient à peine à travers les +vapeurs. La végétation était maigre et rare ; je pus à peine +distinguer les espèces qui se présentèrent sur la route. Le pays +est très dénudé, sauvage et incultivable ; l’eau y est +extrêmement rare ; nous ne rencontrâmes qu’un puits, appelé +El-Hassey, creusé dans l’oued. C’est près de cet endroit que je vis +le seul emplacement évident d’un petit poste romain ; quelques +pierres et de nombreux fragments de poterie antique sur un mamelon +sont tout ce qu’il en reste.</p> + +<p>Cette route est très dangereuse, étant exposée aux incursions +des Hammāma et des Oulad el’Aisāoui ; aussi mon escorte +était-elle<span class="pagenum" id="Page_93">[93]</span> très peu +rassurée, ce qui était d’un autre côté très peu rassurant pour moi. +Nous rencontrâmes plusieurs tas de pierres indiquant autant de +victimes des brigandages qui s’y commettent. Un voyage dans le +Sahara pendant le ramadan avec des musulmans trop consciencieux est +du reste une chose presque impossible et bien fatigante. C’était le +cas ici ; plusieurs des hommes, et Ahmed lui-même, jeûnaient +et ne pouvaient pas même boire une goutte d’eau. Comment pouvait-on +exiger d’eux de marcher rapidement et d’activer la marche des +chameaux ?</p> + +<p>Enfin nous atteignîmes des renflements de sable que l’on appelle +Erg el Djemīl ; nous les coupâmes et avançâmes vers le but de +notre voyage, qui nous apparaissait à l’horizon ; nous voyions +du moins les hauteurs entre lesquelles Négrīn est enclavée. Bientôt +nous entrâmes dans un pays très accidenté, sillonné de ravins et de +rochers et qui présente quelques difficultés. L’oued de Negrīn se +distinguait très bien sur la gauche et nous laissâmes, au bout de +quelque temps, le bouquet de palmiers de Zaghouān où logent deux ou +trois familles.</p> + +<p>J’envoyai en avant un homme pour annoncer ma venue à Négrīn, et +j’avoue que j’étais un peu incertain de la nature de l’accueil que +j’allais recevoir ; bientôt mes doutes furent dissipés, car +nous rencontrâmes deux des grands de la ville venus à ma +rencontre ; ils me saluèrent en m’embrassant sur l’épaule et +me souhaitèrent la bienvenue. On me logea dans la maison du cheikh +qui venait d’arriver, et qui me salua à mon entrée. C’est un jeune +homme nommé Cheikh Mohammed qui a de très bonnes manières, et qui +me paraît très dévoué à la cause des Français. Je reçus la visite +des grands de la ville, qui se conduisirent très bien et que je ne +congédiai que vers le <em>maghreb</em><a id= +"FNanchor_142"></a><a href="#Footnote_142" class= +"fnanchor">[142]</a>. L’accueil de Négrīn, après ma course si +aventureuse dans la Tunisie, me fit bien du plaisir. Le cheikh +avait été averti de ma venue il y a deux jours par une lettre venue +de Tebessa (car Négrīn dépend de Tebessa qui est à trois journées +de marche). En un mot, je croyais être dans un pays pacifié, et on +verra demain qu’il n’en était rien.</p> + +<p>Négrīn se trouve bâtie dans un ravin d’un abord difficile sur le +bord occidental de l’oued. Les palmiers sont plantés dans le lit +même de la vallée, et en échelons, car la pente de l’oued ici +est<span class="pagenum" id="Page_94">[94]</span> très forte et le +ruisseau qui coule au milieu des palmiers va par bonds et cascades. +Cette nature du sol permet que l’on arrose facilement les palmiers, +car on n’a qu’à détourner à chaque jardin l’eau qui est nécessaire +à l’arrosage, et le courant de l’oued l’y amène par sa propre force +au moyen d’un saguia. — Outre les palmiers, les plantations +renfermaient encore des figuiers, des abricotiers, des pêchers et +surtout des oliviers.</p> + +<p>Dans la soirée, on m’annonça qu’un des chameaux était tellement +malade que le départ pour demain était impossible ; je me +soumis de mauvaise grâce ; mais l’espoir de bien explorer +Besseriani<a id="FNanchor_143"></a><a href="#Footnote_143" class= +"fnanchor">[143]</a> me consola un peu.</p> + +<p class="datesect">6 avril.</p> + +<p>Ce matin, je partis avec le cheikh, un autre cavalier et Ahmed, +pour explorer les ruines de Besseriani ; un assez grand nombre +d’hommes devaient nous rejoindre aux ruines par un chemin plus +court mais plus difficile pour les chevaux. En quittant la ville, +nous gardâmes quelque temps les plantations à notre gauche, et +marchâmes tantôt sur les hauteurs dominant les ravins, tantôt dans +le lit même de ces derniers ; nous atteignîmes enfin l’oued, +qui forme ici une petite rivière, coulant entre de nombreux tamaris +et au milieu d’un thalweg bordé de petites collines ; là +commencent les labours et les semis d’orge. Nous ne quittâmes +l’oued que lorsque nous fûmes près des ruines ; nous le +laissâmes alors, sur la droite, aller arroser les labours qui +commencent au N.-O. de Besseriani, et se prolonger à l’ouest et +enfin au S.-O. jusqu’à 1 kilomètre au delà des ruines. A gauche +nous avions, à peu de distance, un sommet de la chaîne de montagnes +qui borde d’un côté l’oued de Négrīn. De là la montagne<a id= +"FNanchor_144"></a><a href="#Footnote_144" class= +"fnanchor">[144]</a> se prolonge très haute vers l’orient, formant +ainsi la limite du véritable Sahara : à ses pieds s’étend un +terrain rocheux et raviné, formant une pente rapide vers le sud, et +qui est excessivement difficile à traverser.</p> + +<p>La première ruine que je touchai est un support d’arc de +triomphe formant le seul vestige reconnaissable qui en +reste ;<span class="pagenum" id="Page_95">[95]</span> au pied +étaient dispersées de nombreuses pierres de taille assez +volumineuses qui avaient complété ce monument ; dans la partie +intérieure du support de l’arc, au milieu de la baie, se distingue +une colonne mutilée formant corps avec le support, laquelle colonne +était ornée de cannelures et d’un chapiteau sculpté<a id= +"FNanchor_145"></a><a href="#Footnote_145" class= +"fnanchor">[145]</a>. Au pied de l’arc de triomphe, je trouvai deux +pierres portant chacune une inscription, malheureusement un peu +mutilées et effacées par les intempéries des saisons. Peut-être ces +deux pierres font-elles partie d’une même inscription qui était +placée au-dessus de l’arc de triomphe<a id= +"FNanchor_146"></a><a href="#Footnote_146" class= +"fnanchor">[146]</a> :</p> + +<div class="figcenter iw1"> +<figure id="i08"><a href="images/i08.jpg"><img src='images/i08.jpg' +alt='[Illustration : Inscriptions]'></a> +</figure> +</div> + +<p>A côté du support de l’arc encore debout, se trouve un mur d’une +admirable construction, encore très bien conservé jusqu’à une +certaine hauteur ; peut-être servait-il à soutenir l’autre +pilier de l’arc ; cependant je le crois à peine, à cause de la +distance qui sépare les deux ruines.</p> + +<p>De là je me rendis au monument le plus remarquable que renferme +actuellement Besseriani ; c’est un arc de triomphe encore très +bien conservé dans sa partie principale. A son sommet se trouve une +belle pierre très plane sur laquelle on lit le milieu d’une +inscription en grosses et belles lettres d’un travail fini et d’une +régularité remarquable. En regardant l’inscription, on a sur la +gauche du monument un mur y attenant, encore assez bien +conservé ; le tout atteste l’importance considérable<a id= +"FNanchor_147"></a><a href="#Footnote_147" class= +"fnanchor">[147]</a> de l’établissement romain, et la tradition à +Midas m’avait déjà appris qu’autrefois, Besseriani commandait à +toutes les petites villes des environs que j’ai visitées depuis +Chebika. J’ai dessiné sur les lieux mêmes, sur la planche I, une +esquisse grossière de ce monument<a id="FNanchor_148"></a><a href= +"#Footnote_148" class="fnanchor">[148]</a>.<span class="pagenum" +id="Page_96">[96]</span> La belle inscription de cet arc de +triomphe étant incomplète, je me mis à chercher les deux pierres +qui manquaient, et je parvins bientôt à en trouver une seconde +formant le commencement du document. Dans une ruine dont je +parlerai tout à l’heure, je trouvai bien une troisième pierre +portant trois lignes d’une inscription en aussi gros caractères que +la première, mais je ne trouve pas à première vue un sens ni +beaucoup de rapport entre ces trois lignes et les quatre lignes de +la première inscription ; il est cependant probable qu’elle en +fait partie<a id="FNanchor_149"></a><a href="#Footnote_149" class= +"fnanchor">[149]</a>. Voici les deux premières :</p> + +<div class="figcenter iw2"> +<figure id="i09"><a href="images/i09.jpg"><img src='images/i09.jpg' +alt='[Illustration : Inscriptions]'></a> +</figure> +</div> + +<p>Voici maintenant la troisième pierre que j’ai trouvée à une +petite distance de l’arc de triomphe, dans des ruines de belles et +grandes pierres qui devaient appartenir à quelque bâtiment +public ; la surface de cette pierre a plus souffert que celle +des autres.</p> + +<div class="figcenter iw6"> +<figure id="i10"><a href="images/i10.jpg"><img src='images/i10.jpg' +alt='[Illustration : Inscriptions]'></a> +</figure> +</div> + +<p>J’allai ensuite à un monceau de ruines, peut-être les +restes<span class="pagenum" id="Page_97">[97]</span> d’un autre arc +de triomphe, qui est situé à l’ouest du dernier monument, et à peu +près sur la ligne des ruines que j’ai visitées les premières, +c’est-à-dire plus dans le voisinage des labours. J’y trouvai +d’énormes pierres de taille parfaitement taillées, trois portaient +des inscriptions malheureusement un peu écornées<a id= +"FNanchor_150"></a><a href="#Footnote_150" class= +"fnanchor">[150]</a>.</p> + +<div class="figcenter iw4"> +<figure id="i11"><a href="images/i11.jpg"><img src='images/i11.jpg' +alt='[Illustration : Inscriptions]'></a> +</figure> +</div> + +<p>Besseriani, ainsi que la ville romaine de Chebika, sont situées +au bas de la montagne, là où l’oued sort des rochers, et l’on voit +à l’opposite que les Arabes et les Berbères ont bâti leurs villages +au milieu des rochers dans les positions les plus difficiles<a id= +"FNanchor_151"></a><a href="#Footnote_151" class= +"fnanchor">[151]</a>.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_98">[98]</span>Je prenais +quelques angles pour baser un plan grossier de Besseriani, lorsque +l’on signala cinq cavaliers à l’horizon. Or ce pays est tellement +peu sûr que l’on donna immédiatement le signal de se rassembler et +que l’on cria aux cultivateurs dans les labours de se rallier à +nous. Dans la bagarre, je négligeai de remettre mon haïk que +j’avais ôté pour travailler, et me contentai de mes burnous et de +mes culottes. Chacun arma son fusil et je sortis mon revolver pour +être prêt le cas échéant.</p> + +<p>Les cavaliers ne nous avaient pas vus à cheval, et ils n’étaient +plus très éloignés, lorsque quatre d’entre nous, dont le cheikh, +partirent au galop pour aller au-devant d’eux. Dès qu’ils nous +aperçurent, les étrangers s’enfuirent à fond de train, l’un d’eux +gagnant le Sahara ; les autres tâchèrent de se réfugier dans +la montagne. Aussitôt tout le monde cria qu’ils étaient ennemis, +Hammāma ou Oulad el’Aisāoui, venus pour un coup de main, et nous +partîmes nous aussi au galop pour prêter main forte au cheikh. Le +terrain dans lequel nous galopions est un labyrinthe de casse-cou, +et Ahmed et moi, ne connaissant pas le pays, nous allions +hésitants ; le vieux qui était resté faisait un peu le +traînard ; je m’aperçus bientôt que la peur l’enchaînait, et +lui répétai plusieurs fois de prendre les devants ; je fus +enfin obligé de le menacer de mon revolver pour le décider à nous +guider. Nous galopions toujours, et pendant ce temps nous +n’entendions que les cris de guerre sauvages que poussaient nos +amis ; un fort coup de feu nous échappa au milieu du bruit du +galop de nos chevaux. Nous arrivâmes enfin au pied de la montagne +et rejoignîmes les nôtres, au moment où les étrangers, que leur +fuite folle avait portés sur des points inaccessibles, +abandonnaient leurs montures pour sauver leurs têtes. Nous nous +contentâmes de prendre trois chevaux dont un fort beau, puis nous +tâchâmes de poursuivre celui qui avait gagné le Sahara, mais +abandonnâmes bientôt ses traces.</p> + +<p>Pendant que nous revenions triomphants, et que mon brave Ahmed +se voyait déjà de retour à Biskra, monté sur un cheval, nous +aperçûmes au loin un homme qui venait en faisant des +protestations ; c’était un homme bien connu des Nemēmcha +soumis, qui, reconnaissant enfin la nature de notre cavalerie, +venait demander de quel droit nous avions fait acte d’ennemis. Il +nous raconta qu’il nous avait pris pour des Hammāma ou +des<span class="pagenum" id="Page_99">[99]</span> Oulad el’Aisāoui +et que c’était là la cause de leur fuite. Nous sûmes donc que nous +avions fait méprise des deux parts, et revînmes ensemble à +Besseriani. Nous promîmes de rendre les chevaux à leurs maîtres dès +que ceux-ci viendraient les réclamer, ce qu’ils firent à Négrīn +dans la soirée. Nous rentrâmes épuisés à Besseriani, où j’achevai +de dessiner l’arc de triomphe debout, et nous retournâmes en ville, +rencontrant sur notre route une foule d’habitants, hommes et +femmes, qui venaient soit prendre part au combat, soit savoir ce +qui était arrivé. — Deux de nos cavaliers ne voulurent pas laisser +échapper l’occasion de faire une fantazia, et nous entrâmes chez +nous.</p> + +<p>A peine étais-je assis, qu’un homme ensanglanté, venant demander +justice, se présenta devant moi. On avait tué une chèvre +aujourd’hui, et il avait acheté la peau de la bête avec la tête, +croyait-il ; le vendeur prétendit que c’était sans la +tête ; l’acheteur jura qu’il ne la rendrait pas, quoi qu’il +dût arriver ; il s’ensuivit un combat, où mon homme reçut sur +la tête un coup de pierre qui lui avait fait une forte +blessure ; le crâne heureusement n’avait pas été entamé. Comme +je n’avais pas entendu l’adversaire, je priai le cheikh de +s’enquérir de cette affaire ; et les deux parties ayant tort, +il proposa une amende de 6 douros pour chacun.</p> + +<p>Ma course effrénée de ce matin, en plein soleil, sans mon haïk, +m’avait été nuisible et je commençai, dès le retour, à sentir les +symptômes d’un violent mal de tête avec dégoût, presque mal de +cœur.</p> + +<p>Vers les trois heures de l’après-midi, arriva en ville un jeune +homme nous annonçant que des Hammāma l’avaient dépouillé et +venaient d’emmener les troupeaux de chèvres de Négrīn, dont il +était le gardien, et qui étaient au pâturage près de Zaghouān. +Aussitôt le cheikh, quoique jeûnant, fit seller son cheval et se +prépara à la poursuite ainsi que les hommes armés de la +ville ; les chevaux partaient, et dans le premier mouvement je +montai aussi en selle, oubliant ma maladie ; je pris le fusil +d’Ahmed qui avait été au frais sous les palmiers ; mais, à +peine sorti de la ville, je vis que j’étais trop malade pour suivre +l’allure des autres chevaux, et laissant le mien à un des +fantassins, je revins vers la ville. Je rencontrai Ahmed, qui me +gronda de m’être dérangé, et plus encore d’avoir laissé mon +cheval ; mais c’était un peu tard.<span class="pagenum" id= +"Page_100">[100]</span> Dans la soirée tout le monde revint, les +Hammāma, au nombre de 7 à 8 fantassins, avaient pris la fuite dans +la montagne, abandonnant les troupeaux, et n’emportant qu’un fusil +et un burnous. J’appris à cette occasion que trois familles de +Négrīn habitaient Zaghouān. Après le retour de la petite armée, je +tombai très malade, et n’eus que le temps de prendre de +l’ipécacuanha, puis après les vomissements une dose de +quinine ; j’eus un instant le délire et un mal de tête fou, +puis je tombai dans un état de prostration jusque vers les 10 +heures du soir. Je me réveillai alors presque guéri, me déshabillai +et me couchai ; il faisait une chaleur très grande.</p> + +<p>Je vis, avant de tomber tout à fait malade, les hommes que nous +avions poursuivis le matin ; l’un d’eux était précisément +celui qui avait été réclamer sa jument à Si-Mohammed ben Rabah, et +qui la ramenait dans sa tribu. Ils avaient rencontré dans le chott +un homme des Oulad el’Aisāoui, l’avaient dépouillé et renvoyé après +lui avoir administré une bastonnade. Mes aventures d’aujourd’hui +dénotent que ce pays est loin d’être pacifié. En effet, les gens de +Négrīn n’osent à la lettre pas sortir de chez eux pour aller +commercer, de crainte des vexations et actes d’hostilité des Oulad +el’Aisāoui et des Hammāma. Tous les ans, ces deux tribus hostiles +leur enlèvent leurs troupeaux de chèvres et tout ce qu’ils peuvent +prendre. Le seul chemin qui leur soit ouvert est la route de +Tebessa depuis l’occupation française.</p> + +<p class="datesect">7 avril.</p> + +<p>Aujourd’hui, je suis resté à la maison toute la journée ; +j’étais heureusement guéri. J’écrivis dès le matin une lettre au +cheikh de Ferkān, pour lui demander une mule et deux hommes, qui +m’accompagnent demain à Zéribet Ahmed.</p> + +<p>Dans le milieu de la journée, la nouvelle arriva qu’un mulet qui +était à paître dans les plantations avait disparu, et il parut +évident que c’étaient les Hammāma d’hier qui, cachés dans la +montagne, n’avaient pas voulu partir sans butin et étaient venus +dans la journée enlever ce mulet. Le village fut encore sur le +point de se mettre en armes, mais on abandonna ensuite le +projet.</p> + +<p>J’apprends aujourd’hui que Négrīn peut compter environ 60 +maisons et peut-être 120 hommes en état de porter les armes. La +population se divise en quatre tribus ; les Oulad ech Cheikh, +les<span class="pagenum" id="Page_101">[101]</span> Oukid +Hamza ; les Obbaouma et les Oulad Mansour. Le tribut de Négrīn +est de 1.180 francs par an.</p> + +<p>A Négrīn, un individu vint me trouver, et, après m’avoir fait +comprendre qu’il avait beaucoup d’argent, il me pria de lui écrire +une amulette pour que sa femme qu’il avait répudiée revînt à lui. +Il l’aimait et elle en préférait un autre avec lequel elle devait +se marier. Je répondis à cet homme que, si j’avais le pouvoir +d’écrire de tels talismans, je commencerais par m’en servir, mais +qu’en tous cas je ne lui aurais pas pris un centime.</p> + +<p>Ferkān subit l’influence des Oulad el’Aisāoui, qui s’y font +héberger de force, et se servent du village comme point de +ravitaillement dans leurs expéditions de pillages. Cela tient à ce +que les habitants ont beaucoup de Nemēmcha et même d’Oulad +el’Aisāoui au milieu d’eux. Outre ces étrangers, la population de +la ville se divise en trois tribus, les Oulad Brahīm, les Oulad +’Adouān et les Oulad Yoūnis. Le tout forme 65 maisons et, partant, +peut-être 130 hommes au moins en état de porter les armes ; ce +chiffre me fait soupçonner un peu de bonne volonté de leur part à +héberger nos ennemis.</p> + +<p>Des messagers viennent de Ferkān, apportant une réponse peu +polie ; je les gronde bien fort et les renvoie +brusquement ; cela cause des pourparlers à n’en plus finir, +des séances avec différents hommes de Ferkān qui venaient d’arriver +au Djérid<a id="FNanchor_152"></a><a href="#Footnote_152" class= +"fnanchor">[152]</a>. On finit par s’en aller en promettant de +revenir avant demain avec la mule et les deux hommes.</p> + +<p class="datesect">8 avril.</p> + +<p>Nous quittons Négrīn de bonne heure, le cheikh de Ferkān, qui a +au moins un digne extérieur, est venu lui-même cette nuit amener le +mulet et les deux hommes que j’avais demandés. Il nous accompagne +ce matin jusqu’à la rivière de Ghēsrān<a id= +"FNanchor_153"></a><a href="#Footnote_153" class= +"fnanchor">[153]</a> où nous faisons boire les chevaux et +remplissons nos outres, puis nous partons chacun de notre côté, lui +retournant à Ferkān, et nous coupant dans le Sahara pour atteindre +le Zāb. Quatre cavaliers de Négrīn m’accompagnent : je renvoie +le cinquième, qui,<span class="pagenum" id="Page_102">[102]</span> +voulant tuer un lièvre, décharge son fusil qui éclate, sans causer +d’accident heureusement.</p> + +<p>Nous voyageons dans un terrain aisé, le commencement du Sahara, +qui se prolonge indéfiniment sur la gauche, et nous avons toute la +journée à une certaine distance sur la droite, la chaîne de +collines, au milieu de laquelle est bâtie Ferkān, et qui est +séparée par une plaine de montagnes plus hautes<a id= +"FNanchor_154"></a><a href="#Footnote_154" class= +"fnanchor">[154]</a>. Je déjeune dans l’oued Djērech maintenant à +sec, parce que l’année n’a pas été pluvieuse.</p> + +<p>Une autre longue marche nous amène à l’oued el Miyta, dont le +lit est divisé en plusieurs canaux à cet endroit. Un peu plus loin, +vers l’ouest, commencent des plaines appelées communément El +Feyyād<a id="FNanchor_155"></a><a href="#Footnote_155" class= +"fnanchor">[155]</a>, et qui méritent beaucoup d’attention. Le sol +de ces plaines est composé d’argiles mêlées de sables et très +lavées<a id="FNanchor_156"></a><a href="#Footnote_156" class= +"fnanchor">[156]</a> ; par conséquent, elles renferment tous +les éléments de fécondité, et il ne leur manque en effet que +l’eau<a id="FNanchor_157"></a><a href="#Footnote_157" class= +"fnanchor">[157]</a>. Après les pluies se montrent une quantité de +plantes annuelles, telles que graminées et petites fleurs +champêtres que les ardeurs de l’été dessèchent ; tandis que, +dans les années sèches comme celle-ci, cette végétation elle-même +ne se montre pas. Dans plusieurs endroits de ces Feyyād, les Arabes +labourent lorsque les pluies arrivent ; dans d’autres parties +beaucoup plus rares les oueds descendant de la montagne leur +permettent de cultiver chaque année. Or il est évident que si, par +des barrages ingénieux ou des forages artésiens, on parvient à +assurer de l’eau à ces plaines désertes, on assurera par le fait +même de belles récoltes sur une superficie considérable de celle +partie du Sahara.</p> + +<p>Ces plaines cultivables sont séparées par des renflements à +peine sensibles couverts de cailloux et de pierres anguleuses.</p> + +<p>Nous marchâmes bien toute la journée, et nous n’atteignîmes +l’oued Ouazzāren que quelques instants après le coucher du soleil. +Cet oued est, comme les précédents, bordé de tamaris ; et nous +plantâmes la tente au chant des chouettes qui s’appelaient dans ces +fourrés. Je n’ai pas besoin de dire que l’oued est à sec.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_103">[103]</span>9 avril.</p> + +<p>Aujourd’hui encore nous nous sommes mis en mouvement avant le +lever du soleil, et nous continuâmes de voyager dans les plaines +cultivables que j’ai notées hier ; je remarquai ici pour la +première fois bien distinctement le mirage, <em>sarab</em>. La +plaine au sud-est paraissait un lac à l’horizon et des lignes de +<i>Rhamnus arabica</i> et de tamaris semblaient dominer les eaux et +former un rivage. Je crus d’abord que c’était le chott, mais fus +obligé de m’apercevoir de mon erreur. Du reste, ces plaines nues, +uniformes et de couleur grisâtre, frappées par les rayons obliques +du soleil le matin ou le soir, offrent toutes les conditions +nécessaires pour le phénomène du mirage. Les inégalités du sol, de +vraies gerçures sur une peau, disparaissent à peu de distance pour +l’œil.</p> + +<p>Nous traversâmes quelques ravines et aperçûmes au bout de +quelque temps les oasis de Bādes, Liana et Kessad, ressortant sur +la couleur rougeâtre des montagnes ; peu après, le village de +Zéribet Ahmed nous apparut, et nous l’atteignîmes pour +déjeuner.</p> + +<p>Zéribet Ahmed est un village muré, placé sur une petite +élévation. Il n’a pas de palmiers, et la petite saguia qui passe +devant le village est à sec parce que Liana en absorbe toute +l’eau<a id="FNanchor_158"></a><a href="#Footnote_158" class= +"fnanchor">[158]</a>. Les habitants ont voulu réclamer contre une +mesure qui leur ôte leurs récoltes, leur seule ressource bien +sûre ; mais il est probable que dans les années pluvieuses, +l’eau de l’oued arrive jusque chez eux. Ils boivent actuellement à +un puits situé vers le sud-ouest du village, à une certaine +distance. Il y avait au pied des murs trois ou quatre tentes de +Nemēmcha. Les habitants sortirent pour reconnaître les nouveaux +venus, mais je ne voulus pas m’arrêter chez eux ; les quatre +Negarniya<a id="FNanchor_159"></a><a href="#Footnote_159" class= +"fnanchor">[159]</a> me quittèrent ici, et laissant les chameaux +suivre de leur pas, je partis en avant pour arriver le plus tôt +possible.</p> + +<p>A moitié route, mon guide me montra sur la gauche « les +ruines d’un village qui fut détruit par un scorpion ». Ce +village malheureux était bâti dans le même genre que Zéribet Ahmed, +et a dû être encore moins considérable.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_104">[104]</span>J’arrivai enfin +à Zéribet el Ouad, nous touchâmes d’abord l’oued, dans lequel sont +plantés les palmiers ; puis, le descendant un peu, nous le +coupâmes en face de la ville, au moment où nous touchions à la +goubba de Sidi-Hassen, marabout célèbre dans le pays. Nous +traversâmes la petite rivière qui coule au fond du thalweg, et +entrâmes en ville par quelques minces jardins. Je trouvai chez El +Arbi, le mamelouk italien<a id="FNanchor_160"></a><a href= +"#Footnote_160" class="fnanchor">[160]</a>, le meilleur accueil, et +décidai aussitôt que je profiterais de son départ pour aller à +Biskra cette nuit.</p> + +<p class="datesect">10 avril.</p> + +<p>Hier au soir, nous sommes partis à 9 heures et demie ; nous +avons voyagé toute la nuit par le vent et le froid, et ce matin je +suis arrivé avant El Arbi que je laisse à Sidi’Okba. Je déjeune +avec le colonel, qui donne par le télégraphe la nouvelle de mon +arrivée à Constantine.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp1c07"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_134"></a><a href="#FNanchor_134"><span class= +"label">[134]</span></a>Le <i>Cardium edule fossile</i> se trouve +représenté dans les chotts tunisiens par deux formes +principales : la forme actuelle méditerranéenne, et la forme +saumâtre des étangs de la Barre, de Lavalduc, de la Caspienne, etc. +(Dru, in <em>Rapport Roudaire sur la dern. expéd. des chotts</em>, +p. 55).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_135"></a><a href="#FNanchor_135"><span class= +"label">[135]</span></a>Le chott El-Rharsa.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_136"></a><a href="#FNanchor_136"><span class= +"label">[136]</span></a>Il y a donc peut-être quelque exagération à +dire avec Tissot que Duveyrier « représente ces ruines comme +celles d’une <em>grande</em> ville ». (Ouv. cité, II, p. +682.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_137"></a><a href="#FNanchor_137"><span class= +"label">[137]</span></a>C’est la chaîne occidentale de Gafsa ou +Djebel Blidji, qui renferme une partie des gisements de phosphate +découverts en 1885 par M. Ph. Thomas.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_138"></a><a href="#FNanchor_138"><span class= +"label">[138]</span></a>L’oued Alenda, ou oued Tamerza.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_139"></a><a href="#FNanchor_139"><span class= +"label">[139]</span></a>Voir la coupe N.-S. de M. Thomas de Midas +au Rharsa : il y a là deux anticlinaux démantelés du crétacé +supérieur, flanqués l’un et l’autre des deux côtés par les couches +redressées de l’éocène inférieur.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_140"></a><a href="#FNanchor_140"><span class= +"label">[140]</span></a>Sur le plus septentrional des deux +anticlinaux précités.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_141"></a><a href="#FNanchor_141"><span class= +"label">[141]</span></a>C’est la bordure sud du plateau des +Nemencha, plus connue sous le nom de Djebel Ong. (Cf. Blayac, +<em>Le pays des Nememcha</em>, <em>Annales de Géographie</em> 1899, +p. 149 et suiv.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_142"></a><a href="#FNanchor_142"><span class= +"label">[142]</span></a>Le coucher du soleil.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_143"></a><a href="#FNanchor_143"><span class= +"label">[143]</span></a><em>Ad Majores</em>, Cf. Baudot, <em>Rec. +des notices et mémoires de la Soc. archéol. de Constantine</em>, +1876, p. 124 et suiv. ; Masqueray, <em>Revue Africaine</em>, +1879, p. 65 et suiv. ; Tissot, II, p. 530, etc.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_144"></a><a href="#FNanchor_144"><span class= +"label">[144]</span></a>Djebel Majour (Blayac, art. cité).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_145"></a><a href="#FNanchor_145"><span class= +"label">[145]</span></a>Masqueray l’attribue à la fin du +<span class="sc2">IV</span><sup>e</sup> siècle.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_146"></a><a href="#FNanchor_146"><span class= +"label">[146]</span></a>Cf. la lecture légèrement différente de +Baudot reproduite, dans Tissot, II, p. 533 et <em>C. I. L.</em>, +VIII, 2480.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_147"></a><a href="#FNanchor_147"><span class= +"label">[147]</span></a>Cf. Tissot, II, p. 531, et Masqueray, p. +75-76.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_148"></a><a href="#FNanchor_148"><span class= +"label">[148]</span></a>Ce dessin n’a pas été retrouvé. Duveyrier +le porte déjà manquant dans une table manuscrite de 1869.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_149"></a><a href="#FNanchor_149"><span class= +"label">[149]</span></a>Voir la lecture plus complète dans Tissot, +II, p. 531.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_150"></a><a href="#FNanchor_150"><span class= +"label">[150]</span></a>Cf. les textes de Tissot, II, p. 534 et de +Masqueray.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_151"></a><a href="#FNanchor_151"><span class= +"label">[151]</span></a>Il ne faut pas oublier toutefois que les +<em>castella</em>, qui permettaient aux colons du Sud de +communiquer avec le Nord par les gorges de l’oued Hallaïl, sont +perchés comme les villages indigènes (Blayac, art. cité, p. +158).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_152"></a><a href="#FNanchor_152"><span class= +"label">[152]</span></a>Négrīn était ainsi considérée comme la +dernière oasis du Djérid, Ferkān comme la première du Zab.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_153"></a><a href="#FNanchor_153"><span class= +"label">[153]</span></a>Oued Kesrane, la rivière de Négrīn.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_154"></a><a href="#FNanchor_154"><span class= +"label">[154]</span></a>Plaine de Mdila et Djebel Sidi-Abîd.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_155"></a><a href="#FNanchor_155"><span class= +"label">[155]</span></a>Nom plus connu au singulier : El +Faïdh.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_156"></a><a href="#FNanchor_156"><span class= +"label">[156]</span></a>Veut dire sans doute qu’elles ne sont pas +salées.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_157"></a><a href="#FNanchor_157"><span class= +"label">[157]</span></a>On a supprimé ici une phrase +incompréhensible. Duveyrier était évidemment sous le coup de sa +récente indisposition, et cette partie de son journal s’en +ressent.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_158"></a><a href="#FNanchor_158"><span class= +"label">[158]</span></a>D’après la coutume, Liana a droit à deux +tiers du volume d’eau de l’oued el Arab. Le tiers restant doit être +réparti entre les oasis d’El Ksar, Badès, El Djadi et Zéribet +Ahmed. (Féliu, <em>Le régime des eaux dans le Sahara de +Constantine</em>. Blida, 1896, p. 90-92.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_159"></a><a href="#FNanchor_159"><span class= +"label">[159]</span></a>« Gens de Négrīn. »</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_160"></a><a href="#FNanchor_160"><span class= +"label">[160]</span></a>Appelé aussi El Arbi Mamelouk. C’était un +maréchal des logis d’origine piémontaise, qui, élevé en musulman, +était entré au titre indigène au 3<sup>e</sup> spahis. Il rendit à +Zéribet de bons services, fut nommé lieutenant, puis caïd des +Beni-Salah, dont il empêcha la révolte en 1871, ce qui le désigna +au général de Lacroix pour le caïdat du Souf, lorsque ce groupe +d’oasis fut distrait du caïdat de Tougourt. Il fut assassiné en +1873, peut-être à l’instigation du marabout de Temacine, +Si-Maammar, celui même que Duveyrier soupçonna toujours d’avoir +encouragé le meurtre de Dournaux-Dupéré. Duveyrier, dans ses +lettres, parla toujours d’El Arbi avec la plus grande estime. +« Sa mort, écrivait-il en 1873, est un malheur pour la paix du +Sahara. »</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h2><span class="pagenum" id="Page_105">[105]</span><a id= +"p2"></a>DEUXIÈME PARTIE</h2> + +<hr class="decor width6 spaced2"> + +<h3 class="nopb"><a id="p2c01"></a>CHAPITRE PREMIER</h3> + +<p class="sch">DANS L’OUED-RIGH</p> + +<p class="datesect">Le 28 mai 1860.</p> + +<div class="box-float-right"> +<div class="figfloat"> +<figure id="i12" class="iw7"><a href="images/i12.jpg"><img src= +'images/i12.jpg' alt=''></a> +<p class="cp3">Inscription arabe du tombeau de Sidi’Okba.</p> +</figure> +</div> +</div> + +<p>Je quittai Biskra et me rendis à Sidi’Okba. La mosquée de +Sidi’Okba est assez vaste et élevée ; on y voit une grande +porte en bois sculpté qui était autrefois garnie d’argent, dit la +tradition ; elle ne sert plus maintenant, du moins elle était +fermée pendant ma visite, et on entre dans le temple par une petite +porte qui donne d’abord dans la chambre aux ablutions où l’on voit +plusieurs bassins allongés qui ont l’air de sarcophages romains. Le +tombeau de Sidi’Okba est dans la mosquée et se compose d’une +chambre dont je n’ai vu que les murs extérieurs. Sur un des côtés +de la porte on voit une inscription coufique en relief sur une +bande de terre cuite et formant une ligne écrite de bas en haut, on +y lit :</p> + +<p class="nind">au-dessus de la porte même est une autre +inscription ancienne aussi ; elle est sculptée en relief sur +une planche de bois coloriée. Dans la ville on voit de temps à +autre des pierres romaines encastrées dans les murs.</p> + +<p>Le jardin du kaïd seul possède des orangers et des +citronniers.</p> + +<p class="datesect">Le 29 mai.</p> + +<p>Je pars pour Zéribet el Ouad. La route traverse d’abord les +immenses terrains de labours de Sidi’Okba. Tous les grains sont +coupés, je ne vois plus<span class="pagenum" id= +"Page_106">[106]</span> qu’un petit champ où l’on fait la moisson. +Ensuite on entre dans une succession de plaines séparées par les +rivières à sec ; tout ce pays est d’excellente terre +labourable, il n’y manque que de l’eau, et la seule végétation +actuelle est limitée à quelques rares touffes de <em>guetaf</em>, +de tamarix, etc. Nous voyons du mirage à l’horizon devant nous et +sur la droite. Ces terres végétales sont des alluvions apportées de +la montagne. Nous voyons à droite l’oasis d’Aïn Naga, à une petite +distance. Enfin j’arrive à Zéribet vers 3 heures et demie du soir, +par une très grande chaleur, le vent a soufflé toute la journée en +sirocco.</p> + +<p class="datesect">Le 30 mai.</p> + +<p>Zéribet el Ouad peut avoir 1.500 âmes ; il y a un +détachement de 45 spahis commandés par mon ami El Arbi. La rivière +sur laquelle la ville est bâtie s’appelle Ouad el’Arāb ; il +suffit qu’elle ait deux crues par an pour que les habitants de la +contrée puissent arroser non seulement leurs labours autour de la +ville, mais encore ceux de la plaine d’El Faïdh, et alors les +récoltes sont d’une richesse dont on n’a pas d’idée, mais depuis +que la sécurité règne dans la montagne, les Chaouia ont fait sans +cesse de nouveaux barrages à mesure que leurs cultures augmentent +et l’eau devient de plus en plus rare à Zéribet el Ouad. La +dernière crue a eu lieu au milieu de l’automne dernier, et depuis +lors il y a toujours eu de l’eau dans l’ouad dans les trous et +dépressions du lit. Dans ces trous vivent des barbeaux dont +quelques-uns atteignent un pied de longueur ; ils ont une +couleur plus pâle et plus jaunâtre que les autres barbeaux de ce +pays, ce qui fit croire aux spahis français que ce n’était pas un +poisson de cette espèce.</p> + +<p>Les jardins de palmiers, qui sont en petit nombre, sont arrosés +par des puits à bascule comme au Souf<a id= +"FNanchor_161"></a><a href="#Footnote_161" class= +"fnanchor">[161]</a> ; ces puits, creusés dans le lit de la +rivière, ont très peu de profondeur. Celui du jardin d’El Arbi +avait une température de 22°,0 à une profondeur de 3<sup>m</sup>,75 +dans l’après-midi. El Arbi cultive dans son jardin qu’il a établi +depuis quelques mois seulement des légumes français pour montrer +l’exemple aux indigènes : pommes de terre, haricots, choux, +laitue, luzerne, carotte, navets, et tout est venu très bien dans +la terre d’alluvion qui a reçu les semences.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_107">[107]</span>Il n’y a pas de +puces à Sidi’Okba ni à Zéribet, à cette époque du moins.</p> + +<p class="datesect">Le 31 mai.</p> + +<p>Nous partons, El Arbi et moi, avec une dizaine de spahis et, +laissant le bagage derrière, nous voyageons rapidement à travers +une plaine unie, de terre végétale, et à peine parsemée çà et là de +touffes de <em>guetaf</em> et de tamarix. Nous avons toujours à +notre droite l’oued el Arab à une distance variable.</p> + +<p>Nous arrivons de bonne heure à El Faïdh et nous arrêtons à une +petite baraque auprès du puits artésien inachevé, et recouvert en +ce moment par une grossière maçonnerie. Nous ne trouvons ici que +quelques tentes d’Arabes qui gardent les puits, mais il y a deux +villages tout près de là : Beled Oulad Bou Hadîdja et Beled +Oulad’Amer, du nom de deux tribus autrefois en querelles +continuelles, mais qui, depuis la domination française, sont +forcées, comme tant d’autres, à vivre en paix. Ces villages ne sont +habités que pendant l’hiver, ou, s’ils le sont aussi pendant l’été, +c’est que l’oued el Arab a coulé deux fois dans l’année, ce qui a +rendu possible les magnifiques labours dans les plaines d’El Faïdh. +Dans ces grandes occasions, on mêle du sable aux grains de blé et +d’orge pour qu’ils ne tombent pas trop près les uns des autres. Le +puits artésien, qui est déjà à 130 mètres de profondeur<a id= +"FNanchor_162"></a><a href="#Footnote_162" class= +"fnanchor">[162]</a> et qui jusqu’à présent n’a rendu que des +terres semblables à celle du sol ou différentes seulement par une +plus grande proportion d’argile, donnerait une fertilité certaine à +ces terres qui ne sont plus arrosées maintenant que rarement, car +les montagnards, depuis que la sécurité règne dans leur pays, ont +construit des quantités de barrages nouveaux qui absorbent les +petites crues. Il y a longtemps que l’eau de la rivière n’est +parvenue à El Faïdh ; la dernière crue date du milieu de +l’automne dernier.</p> + +<p>Autrefois il y avait des plantations de palmiers à El Faïdh. +Aujourd’hui il ne reste plus qu’un seul dattier comme témoin de ce +fait. Ils ont été coupés dans une querelle de tribu.</p> + +<p>L’eau que l’on boit à El Faïdh est bonne, elle est tirée des +oglas<span class="pagenum" id="Page_108">[108]</span> creusées dans +le lit à sec de la rivière, lequel est entouré de tamaris.</p> + +<p>La faune de ce pays est remarquable à deux points de vue : +d’abord, il y a de nombreux sangliers, dont les coups de boutoir +sont visibles au pied de presque toutes les touffes de +broussailles. Ensuite, le serpent des jongleurs égyptiens existe +aussi ici, le mâle est appelé <span class="arabic">ثعبان</span>, la +femelle <span class="arabic">نعجة</span>, à moins que ce ne soient +deux espèces différentes. Cette espèce atteint presque 2 mètres de +long et la grosseur de la cuisse (?) elle est de couleur noire, et +lorsqu’elle est en colère, se lève sur la queue et se promène en +étalant la peau de son cou en éventail. M. Hénon en a vu une morte +que El Arbi lui a envoyée.</p> + +<p>La végétation est, je crois, de <em>guetaf</em>.</p> + +<p class="datesect">Le 1<sup>er</sup> juin.</p> + +<p>El Arbi m’avait déjà quitté la veille au soir, mais il m’avait +laissé ses spahis. Nous partîmes de bonne heure, et en arrivant aux +<em>oglas</em>, mon sacré Brahim qui n’a jamais brillé jusqu’ici +que comme pilier de café, ménage si mal le chameau des cantines que +les deux caisses sont jetées à terre. Heureusement rien n’est +cassé, mais cet événement fait oublier à mes serviteurs de prendre +de l’eau, et nous voilà partis pour faire deux lieues dans le +Sahara sans trouver d’eau. Aussi dès que je m’aperçois de leur +oubli, je pars en avant à cheval avec un des serviteurs du kaïd qui +me servait de guide.</p> + +<p>Nous traversons une plaine appelées Farfaria, à sol de terre +labourable tout boursouflé dans lequel les chevaux enfoncent +beaucoup. La végétation est excessivement rare ; par endroits +elle est nulle. Elle se compose de tamaris formant des buissons sur +le bord des rivières à sec qui se trouvent ici près du chott en +très grand nombre, de <em>guetaf</em> plus rare et enfin de +<em>jell</em> et de <em>Bou ’akerich</em><a id= +"FNanchor_163"></a><a href="#Footnote_163" class= +"fnanchor">[163]</a>. Le pays est d’une grande uniformité ; +plus on approche de Sidi Mohammed Moussa, plus on rencontre de +plaques d’efflorescences salines. Enfin lorsqu’on arrive à ce +bosquet de palmiers, le sol est devenu <em>heïcha</em>, la +végétation est plus dure, et se compose des mêmes espèces +qu’avant.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_109">[109]</span>En arrivant à +Sidi Mohammed Moussa, nous croyions trouver de l’eau potable, mais +celle que nous trouvâmes était trop salée pour être bue. Il y a là +une mosquée assez grande entourée de quelques petites +maisons ; le village était abandonné ainsi que quelques +petites huttes en branches d’arbres semées dans les jardins. Les +petites plantations assez clairsemées, inégalement distribuées et +peu importantes, sont remplies de tourterelles. Nous apprîmes plus +tard que personne ne pouvait plus habiter cet endroit depuis que +l’eau était devenue si salée et si amère.</p> + +<p>Après nous être reposés un instant, nous continuâmes notre route +et ne tardâmes pas à arriver à El-Haouch, village bâti sur le côté +d’un fort beau bois de palmiers. Les habitants d’El-Haouch étaient +tous dans la forêt de Saada où ils avaient semé des céréales cet +hiver. Ils sont obligés d’émigrer ainsi à quelque distance du +village toutes les années où la rivière ne leur apporte pas l’eau +nécessaire pour qu’ils puissent labourer autour de leur village. +Nous ne trouvâmes donc que les gardiens des maisons et très peu de +ressources alimentaires ; on me laissa la mosquée pour +habitation et je m’y installai de mon mieux. Les chameaux +n’arrivèrent que vers 3 heures. J’avais envoyé de l’eau à leur +rencontre. J’achetai une poule 1 franc ; et Ahmed et moi nous +tirâmes quelques tourterelles dans les jardins. L’eau d’El-Haouch +est très mauvaise.</p> + +<p class="datesect">2 juin.</p> + +<p>J’avais envoyé dès mon arrivée quelqu’un au cheik d’El-Haouch à +Saada, et il m’envoya dans la nuit un cavalier et un piéton pour me +conduire à Merhayyer (la Changée).</p> + +<p>Nous voyageons aujourd’hui dans une plaine couverte de sable ou +de gravier, où souvent des affleurements de calcaire blanc se font +jour. Le relief de cette plaine est assez accidenté on y voit +presque toujours des <em>drâ</em> ou lignes de hauteurs à +l’horizon. La végétation est assez fournie : d’abord elle se +compose de <em>zeita</em>, de <em>jell</em> et d’<em>isrif</em>, +puis enfin de <em>drin</em>, de <em>zeita</em> et de +<em>greyna</em>. Dans la première partie de la route nous voyons +sur la gauche de petites buttes qui indiquent l’emplacement d’un +ancien <em>qsar</em> appelé Djeneyyen <span class= +"arabic">جنين</span> (le petit jardin). Il y avait autrefois des +sources d’eau douce dans cet endroit ; mais elles sont +devenues<span class="pagenum" id="Page_110">[110]</span> salées et +alors on a abandonné les lieux. Il ne reste de la <em>ghâba</em> +que quelques palmiers-broussailles.</p> + +<p>Nous arrivons à l’oued Itel par une très grande chaleur. Cet +endroit s’appelle Sētīl ; on y trouve des oglas ou trous peu +profonds ayant un peu d’eau au fond. Cette eau était autrefois +renommée comme très bonne. El Arbi en partant m’avait dit : +« Vous retrouverez là l’eau de Mengoūb et de Zerig ech +Chaaba. » Or dans le meilleur trou l’eau était verdâtre, +lourde et avait un goût salé amer très désagréable. L’oued Itel +n’est ici qu’une petite dépression large d’une centaine de mètres, +garnie de sable et de gravier, mais sans berge. Son lit est couvert +de tamaris. Il y a quelques jours qu’un campement de Toroūd était +ici ; ils ont émigré à Bir el Asli dans le Sahara de +Tinedla.</p> + +<p class="datesect">Dimanche 3 juin.</p> + +<p>En quittant Setīl on continue jusqu’au Dhahâr<a id= +"FNanchor_164"></a><a href="#Footnote_164" class= +"fnanchor">[164]</a> la plaine de même conformation que celle +d’hier. La végétation est composée de <em>retem</em>, +d’<em>isrif</em>, de <em>methennan</em> et de <em>guerch</em>. Au +Dhahâr, qui est le talus formé par une plaine supérieure qui cesse +tout d’un coup pour faire place à une plaine plus basse, je trouvai +dans les berges la même terre rougeâtre sableuse que l’on retrouve +autour du qsar de Merhayyer.</p> + +<p>Ici commence l’oued Righ naturel<a id= +"FNanchor_165"></a><a href="#Footnote_165" class= +"fnanchor">[165]</a>, le chott Melghigh n’est plus qu’à une petite +distance sur la gauche. On en longe même le bord pendant quelque +temps. A partir de là commence un sol ou <em>heicha</em> +boursouflé, souvent couvert d’efflorescences de sel, et caractérisé +par une autre végétation : <em>zeita</em>, <em>greyna</em>, +<em>ghardeg</em> (?), etc. A moitié chemin entre Merhayyer et Setil +se voient sur le chott les premières taches de palmiers, celle de +Merouān ; à partir de là elles se succèdent presque sans +relâche ; à droite on voit quelques <em>cherias</em> ou +bosquets de palmiers nourris par une source. Enfin on arrive aux +deux petites oasis d’Ourir et de Nesigha, qui se touchent presque. +A Ourir il n’y a jamais eu de <em>qsar</em>, mais il y a une +mosquée ; à Nesigha, au contraire, il y en avait un +autrefois.</p> + +<p>Nous arrivons enfin à Merhayyer. Le soir, je vais voir une +noce<span class="pagenum" id="Page_111">[111]</span> de Rouāgha. +C’est certainement fort curieux. La fête a lieu lorsque la chaleur +du jour a passé et continue jusqu’au <em>maghreb</em>. Sept jours +de suite elle se prolonge. Sur la place de la ville viennent +prendre place les jeunes gens qui cherchent une épouse ou une amie +(?) et ils s’asseyent sur les bancs de terre situés aux abords des +maisons. Ils ont mis leurs plus beaux burnous et d’énormes chachias +sous leur haïk qui est lui-même attaché par une énorme +<em>berima</em>. Vient ensuite le <em>maâllem</em> ou maître de +musique, qui est aussi fort beau et qui ouvre le concert par un air +de flageolet ; il a pour acolytes deux timbales <span class= +"arabic">طبل</span> et la musique commence pour ne plus changer sur +un ton lent saccadé. C’est alors que viennent les jeunes filles de +la ville deux à deux, trois à trois, toujours les amies ensemble. +Elles marchent lentement, par petits pas, infligeant à leur corps +une cadence, une ondulation presque imperceptible qui commence aux +pieds et finit à la tête. Elles marchent les yeux pudiquement +baissés ; vêtues de leurs plus beaux vêtements, ayant au +milieu de leur coiffure multicolore de petits rameaux de tamaris. +Elles se tiennent par la main ; les avant-bras levés vers leur +tête pour montrer aux jeunes hommes leurs mains teintes de henné. +Tantôt elles suivent le <em>maâllem</em> qui ne dédaigne pas de +battre de temps en temps des entrechats devant elles, et ensuite de +sautiller accroupi devant un autre groupe qui recule alors +lentement. Le <em>maâllem</em> et un acolyte me distinguant avec le +cheikh et Ahmed vint s’agenouiller à quelques pas de moi et me fit +l’honneur d’un concert à mon intention ; je déboursai un +franc, ce qui lui donna des forces considérables. Plusieurs des +groupes de statues firent des détours pour se faire admirer de plus +près par Si Saad et vinrent passer lentement devant moi. C’étaient +surtout les plus grandes. Il y avait de toutes petites filles. +Enfin un groupe attira mon attention parce que chacune des +demoiselles qui le composaient avait un fichu de soie jeté sur la +figure. C’étaient les mariées ; il y en avait trois.</p> + +<p class="datesect">4 juin.</p> + +<p>Le cheikh de Merhayer prétend que sa ville est plus élevée que +Tougourt, mais tout le monde est de l’avis contraire.</p> + +<p>Nesigha avait autrefois une <em>dechera</em> ; mais cette +<em>dechera</em> se dépeupla peu à peu, les habitants moururent et +sous le règne du<span class="pagenum" id="Page_112">[112]</span> +cheikh Brahim la dernière famille émigra à Merhayyer. C’est une +vieille femme de cette famille qui a émigré elle-même et qui me +raconte ce fait. Elle me donne beaucoup d’autres renseignements +curieux. La <em>dechera</em> de Nezigha ne fut jamais bien grande. +Ourīr a une mosquée dédiée à Sidi Mokhfi qui était Righi<a id= +"FNanchor_166"></a><a href="#Footnote_166" class= +"fnanchor">[166]</a>. Merhayyer est très ancienne, quoique fondée +sous les musulmans ; la Zaouiya de Sidi Embārek Sāim, de +même ; elle fut bâtie quarante ans après la fondation de la +ville. Ce marabout était un chérif arabe venu de loin. C’est depuis +le règne du cheikh Hamed que la langue arabe a prévalu dans les +villages du Ras el Ouad, et qu’elle a remplacé le Righi.</p> + +<p>Voici la liste des cheikhs de Tougourt<a id= +"FNanchor_167"></a><a href="#Footnote_167" class= +"fnanchor">[167]</a> :</p> + +<div class="quote"> +<p>Sidi Mohammed ben Yahiya, marabout arabe nayli, régna quarante +ans ; son règne fut un règne doux.</p> + +<p>Cheikh Hamed, fonda la dynastie des Beni-Djellab, famille aussi +arabe, qui, dit-on, descend des Mérinides. Ce fut un bon souverain +ainsi que cheikh Brahim.</p> + +<p>El-Khāzen ne régna que trois à quatre mois.</p> + +<p>Cheikh Brahim régna de treize à quatorze ans.</p> + +<p>Cheikh Mohammed régna longtemps, eut pour fils les trois +souverains suivants :</p> + +<p>Cheikh ’Amor vient au trône deux ans avant la prise +d’Alger ;</p> + +<p>Cheikh Brahim régna quatre ou cinq ans.</p> + +<p>Cheikh ’Ali régna quatre ou cinq ans.</p> + +<p>Cheikh Ben Abd er Rahman régna onze ans.</p> + +<p>Cheikh Selman régna trois mois et fut chassé par les Français au +mois de novembre 1854.</p> +</div> + +<p>Les Mehadjeriya de Tougourt tirent leur origine, me dit-on ici, +d’un juif apostat qui vint à Tougourt, déjà musulman, sous +l’ancienne dynastie (Sidi Mohammed ben Yahiya). Cette indication +est fausse<a id="FNanchor_168"></a><a href="#Footnote_168" class= +"fnanchor">[168]</a>.</p> + +<p>La vieille femme me dit d’elle-même ces paroles singulièrement +curieuses : <span class="arabic">احناڢم باب الوصڢان</span>, +c’est-à-dire qu’elle reconnaît elle-même que les Rouagha forment +(ou formaient) la limite septentrionale du pays des nègres.</p> + +<p>Les deux ou trois palmiers isolés au sud-ouest de +Merhayyer,<span class="pagenum" id="Page_113">[113]</span> séparés +du fossé par un petit <em>dra’</em>, indiquent l’emplacement d’une +<em>dechera</em> appelée El-Gharbi, dont les habitants possédaient +une partie des palmiers de Merhayyer. Les deux villes étaient +ennemies l’une de l’autre. El-Gharbi succomba dans la lutte et ses +habitants, chassés du village, furent se réfugier dans le Nefzāoua, +au Djérid et une faible partie entra à Merhayyer.</p> + +<p>Voici les noms de tribus de Merhayyer : Oulad Hassen, — +Oulad Imen, — Oulad Mouça, — Oulad Bou ’Ali, — Oulad Djabou qui +étaient autrefois à El-Gharbi, — Er-Riāb, arabes habitant 2 à 3 +maisons. Les Arabes de l’Oued-Righ sont Selmiya, Rahmān, Oulad +Moulet. Ces derniers ont une centaine de tentes ; les deux +autres tribus sont beaucoup plus fortes. Les tribus de Nesigha +étaient : O. Sidi Mohammed ben ’Aiça, O. el Gharib, O. el +Hāchi. Ils étaient tous Rouāgha et comptaient une vingtaine de +maisons.</p> + +<p>Je m’enquiers des maladies de l’Oued-Righ, du moins de celles +qui sont le plus communes à Merhayyer.</p> + +<div class="quote"> +<p>Ophtalmie, peu. — Maux de tête, beaucoup. — Fièvres +pernicieuses, peu. — Douleurs : on dit qu’elles proviennent du +travail. — Syphilis, très peu. — Phtisie, peu, on n’en meurt pas. +La plupart des morts viennent des fièvres.</p> +</div> + +<p>L’oasis de Merhayyer compte huit sources coulant encore. Une +forte et sept petites. Elles ont 84 à 90 <em>dra</em> (42 à 45 m.) +de profondeur<a id="FNanchor_169"></a><a href="#Footnote_169" +class="fnanchor">[169]</a> ; les unes sont douces, les autres +sont salées ; la plus forte source est salée. — Ourīr et +Nesigha ont chacun une source. — Les palmiers broussailles de +Tamidount et de Merouān ne sont pas arrosés ; ils donnent de +petites dattes que mangent les chacals et les gazelles.</p> + +<div class="quote"> +<p>Sources artésiennes : ’Aïn Mellāḥa, eau assez bonne, +température 24°,2 ; profondeur d’après la tradition, +42<sup>m</sup>,5. — ’Ain Baṭṭāḥ-boum, température 24°,5 ; +profondeur, 42 mètres.</p> +</div> + +<p>Le nombre des palmiers de Merhayyer, de Nesigha, d’Ourīr et de +Dendoūga s’élève à 25 ou 26.000 ; mais ce chiffre doit +probablement subir une correction notable en augmentation, de même +que ceux que je donnerai pour l’Oued-Righ. Les cheikhs qui les ont +comptés, croyant que le chiffre qu’ils donneraient devait servir de +base à un impôt, ont naturellement indiqué le moins possible.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_114">[114]</span>Dendoūga, dans +le chott Melghigh, possède une <em>dechera</em> abandonnée ; +elle avait autrefois une population de Selmiya et de Fouānīs +(Rouāgha) ; il y avait environ 15 maisons. Dendoūga possède +une source et Choucha aussi.</p> + +<p>Parmi les Rouāgha, les blancs et les noirs sont considérés comme +au même niveau ; il n’y a pas d’idée de noblesse attachée à la +blancheur de la peau. Dans l’hypothèse probable de l’homogénéité +primitive d’une race noire dans l’Oued-Righ et le Nefzāoua, race +successivement modifiée par l’élément berbère et par l’élément +arabe, ce serait dans les mélanges de ces trois races qu’il +faudrait chercher l’explication des nuances de couleur, puisque les +traits restent toujours les mêmes, et donnent quelquefois le +singulier spectacle de nègres et de négresses presque blancs. A +Sidi Khelil, à Merhayyer on ne fait pas de « ghēchem » ou +vin de palmier.</p> + +<p>Autrefois les Beni-Djellab demandaient au cheikh de Merhayyer +100 ou 130 réals torbāga (de Tunis) et à la ville 250 réals +torbāga. Le cheikh Mohammed demandait autrefois 500 réals, mais les +Français diminuèrent l’impôt comme ci-dessus sous les derniers +Beni-Djellab. Aujourd’hui il n’y a à Merhayyer que les Oulad Hassen +qui paient tribut à la France parce qu’ils n’ont pas voulu accepter +notre autorité dans l’origine. Leur redevance monte à 156 douros. — +Nesigha paie 31 douros et Dendoūga 44. En tout 1.155 francs. A Oumm +et Tiour les habitants sont Selmiya. A Chegga, ce sont des +Chorfā.</p> + +<p>A Merhayyer on cultive de l’orge dans de petits carrés entourés +de petits murs en terre, on laboure à la pioche (?). Du blé, il n’y +en a que très peu. Tout le travail des Rouāgha est +l’agriculture.</p> + +<p>A Djenéyyen il y a beaucoup de sangliers. Il y a deux ans, un de +ces animaux s’est égaré jusqu’à Merhayyer.</p> + +<p>A Merhayyer la plupart des hommes n’ont qu’une femme ; 25 +hommes seulement en ont deux et un seul ménage en a trois. Les +ménages ont deux enfants en moyenne ; jamais plus de cinq.</p> + +<p>Il n’y a pas de poissons dans les eaux de Merhayyer <em>parce +qu’elles ne forment pas de « bahar<a id= +"FNanchor_170"></a><a href="#Footnote_170" class= +"fnanchor">[170]</a> »</em>.</p> + +<p>Voici la liste des espèces de dattes qui se trouvent dans +l’oasis :</p> + +<div class="quote"> +<p><span class="pagenum" id="Page_115">[115]</span>El-Ghers, Degla +(principales). — Degel. — El’Ammāri. — Deglet Noūr. — Tīndjouhert. +— El Itīma. — Zintebouch. — Tīsīnīn. — El’Adjīna. — Bou Khennoūs. — +Hamrāt el Kāïd. — Kouttich ed Degla (du Zāb). — Tīfziouīn. — El +Kenta. — ’Abd el ’Azzàz. — El Kesebba. — Dhofor el Goṭṭ. — Degla +Morhoss. — Bou ’Aroūs.</p> +</div> + +<p>L’Oued-Righ compte 44 villages, dont 3 sont abandonnés.</p> + +<p class="datesect">5 juin.</p> + +<p>Nous partons de Merhayyer ; je ne puis plus y rester, +quoique le ciel ne m’ait pas encore permis de faire hier même une +simple observation de latitude.</p> + +<p>Nous arrivons à Sidi Khelil de bonne heure. Ce village est, +comme Merhayyer, entouré d’un fossé d’eau, dans lequel je vois des +poissons, quoique l’eau soit couleur d’urine de vache. Sidi Khelil +a 50 maisons et 9 sources d’eau coulante, quoique d’un faible +débit. C’est un marabout qui a bâti ce village auquel il a donné +son nom. Le nombre de palmiers de Sidi Khelil est à celui de +Merhayyer dans le rapport de 2-3. — L’eau de cette oasis est +peut-être un peu moins bonne que celle de Merhayyer, mais elle est +cependant très buvable. — A l’ouest de Sidi Khelil, contiguë à la +ville, on trouve une grande mare dans laquelle je vois des +négrillons du pays prendre leurs ébats. Il y a deux tribus à Sidi +Khelil<a id="FNanchor_171"></a><a href="#Footnote_171" class= +"fnanchor">[171]</a>, les Oulad Zaïr et les Zerāib Selimān.</p> + +<p>Je vais coucher à Tinedla. Tinedla n’a que peu +d’importance ; il n’y a qu’une quinzaine d’hommes adultes, +environ 3.000 palmiers arrosés par 7 sources. Elle ne paie pas de +tribut. — El-Bārĕd, près de Tinedla, ne compte que 8 hommes, 2.000 +palmiers et une seule source. L’odeur des marais est écœurante. Le +soir, je vois planer au-dessus du village un crapaud volant.</p> + +<p class="datesect">6 juin.</p> + +<p>Je pars de Tinedla, et j’arrive de très bonne heure à Ourhlāna. +Je trouve ici M. Zickel, lieutenant d’artillerie, avec qui j’avais +fait connaissance à la table du bon commandant Robbe à Batna. Il +commande ici la brigade des forages artésiens. Le puits qu’on a +entrepris est déjà très avancé ; il a 53<sup>m</sup>,89 ; +la température de l’eau dans un intervalle du travail est de 24°,1 +(th. 303 de Salleron). Je me démunis de mon anéroïde et d’un +thermomètre Salleron<span class="pagenum" id= +"Page_116">[116]</span> n<sup>o</sup> 303 pour que M. Zickel puisse +faire des observations. M. Zickel a un fonds d’instruction générale +qui manquait à mon pauvre ami Lehaut.</p> + +<p>Ourhlāna a 2.000 palmiers arrosés par 5 sources +principales ; la population du village est de 200 hommes et de +180 femmes. Je passe la <em>gaïla</em> ici et je vais coucher à +Sidi Rāched. A Ourhlāna, le puits donnait déjà une source notable, +qui n’était venue que la veille. J’eus le curieux spectacle de voir +les Rouāgha travailler aux saguias au son de la musique. Ils ont, à +ce qu’il paraît, égorgé un chevreau sur l’orifice du puits.</p> + +<p>Nous avons passé les deux <em>Tamernas</em>. — Tamerna Djedida a +100 hommes adultes. Les palmiers sont arrosés par 2 sources.</p> + +<p class="datesect">7-11 juin.</p> + +<p>Je vais à Tougourt. Je vois, en passant, les ruines de la +curieuse mosquée de Tāla, ville puissante que détruisirent les +Beni-Djellāb.</p> + +<p>Le cheikh Bou Chĕmal de Nezla, l’un des hommes les plus nobles +de l’Oued-Righ et un ancien ami et conseiller des Beni-Djellāb, me +donne les renseignements suivants.</p> + +<p>Autrefois les Beni-Mezāb occupaient Tougourt et Ghamra, voire +même Temassīn<a id="FNanchor_172"></a><a href="#Footnote_172" +class="fnanchor">[172]</a>.</p> + +<p>Les Beni-Djellāb, lorsqu’ils furent chassés par les Français, +avaient régné 550 ans. ’Omar ben Qetla (Ben-Djellāb) fut celui qui +fit apostasier les Juifs aujourd’hui Medjehariya. Il avait une +maîtresse juive nommée Hokāya ; celle-ci lui dit un +jour : « Si tu veux convertir les Juifs, il faut attendre +que leurs palmiers (car ils en possédaient) aient des dattes<a id= +"FNanchor_173"></a><a href="#Footnote_173" class= +"fnanchor">[173]</a> et les menacer de les chasser comme les +Beni-Mezāb et de les dépouiller de leurs biens, s’ils ne passent +pas à l’islamisme. » Ben Qetla suivit ce conseil, et, après 5 +jours de réflexion, les Juifs se convertirent<a id= +"FNanchor_174"></a><a href="#Footnote_174" class= +"fnanchor">[174]</a>.</p> + +<p>Sidi Mohammed ben Yahiya et Sidi Serr Allah, du temps de la +Djemāa avant les Beni-Djellāb, sont les deux marabouts qui +chassèrent les Beni-Mezāb.</p> + +<p>Les Beni-Djellāb avaient des mœurs très légères ; on +connaît<span class="pagenum" id="Page_117">[117]</span> l’amour des +liqueurs fortes des derniers souverains de la dynastie. — Près de +Tougourt se trouve une jolie goubba à deux coupoles appelée Dār +Nedjma, qui fut le tombeau d’un des fidèles partisans du premier +souverain qui se faisait passer pour marabout. Plus tard les +Beni-Djellāb avaient là une jolie chambre, et y donnaient des +rendez-vous aux plus belles femmes des plus nobles familles de +Tougourt, qui y venaient sous prétexte de pèlerinage.</p> + +<table class="tless" id="t117"> +<tr> +<td class="tdl hang1">L’impôt annuel de l’Oued-Righ et du Souf +s’élève à</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td class="tdr-bot">80.000</td> +<td>fr.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Les dépenses de l’Oued-Righ et du Souf +sont :</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang2">Traitement du caïd et des cheiks</td> +<td class="tdr-bot">26.660</td> +<td class="tdl-bot">fr.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang2">Cavalerie (Khialas) du caïd</td> +<td class="tdr-bot">46.800</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang2">Tirailleurs indigènes à Tougourt</td> +<td class="tdr-bot">42.000</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang2">Poste</td> +<td class="tdr-bot">10.800</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="pad4 sect1">Total des dépenses</td> +<td class="tdr-bot bt sect1">126.260</td> +<td> +</td> +<td class="tdr-bot sect1">126.260</td> +<td class="tdl-bot sect1">fr.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="pad4 sect1">Excès des dépenses sur les recettes</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td class="tdr-bot bt sect1">46.260</td> +<td class="tdl-bot sect1">fr.</td> +</tr> +</table> + +<p>Le capitaine Cannat a fait compter les palmiers de l’Oued-Righ +par les cheikhs de chaque village, ce qui est un très mauvais +moyen ; il a obtenu le chiffre de 400.000 palmiers. Plus tard, +il compta lui-même à Meggarîn les palmiers et en trouva 2.000 de +plus dans cette petite oasis. Le lieutenant Auer a calculé le +nombre des palmiers de Tougourt. Il a compté réellement les arbres +sur un petit espace et a ensuite fait la proportion sur la +superficie de l’oasis basée sur son plan. — Il a obtenu 180.000 +palmiers, tandis que Cannat en avait seulement 85.000 par le calcul +des cheikhs. En se basant sur la différence des données sur +Tougourt d’Auer et de Cannat et en acceptant celle d’Auer comme +bonne, on aurait 848.000 palmiers pour l’Oued-Righ. — Auer estime +cependant le nombre à seulement 600.000 palmiers. El-Ouad, me dit +le kaïd, a avec ’Amîch 60.000 palmiers. En admettant 600.000 +palmiers dans l’Oued-Righ et en faisant payer 0 fr. 20 par arbre, +on aurait 120.000 francs par an, ce qui suffirait pour payer les +dépenses quand on aura modifié le service des postes. — Le Souf +donnerait du reste de quoi payer le surplus, 6.260 francs, et le +gouvernement aurait encore un bon revenu en plus.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp2c01"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_161"></a><a href="#FNanchor_161"><span class= +"label">[161]</span></a>Ils reçoivent aussi de l’eau de l’oued +Guechtan, tributaire qui a son confluent à Zéribet el Ouad. (Féliu, +p. 93.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_162"></a><a href="#FNanchor_162"><span class= +"label">[162]</span></a>Il y a ici une légère erreur. Commencé le 6 +novembre 1857 par M. Jus, ce forage fut suspendu le 1<sup>er</sup> +mars 1858 à une profondeur de 156 mètres, le matériel n’étant pas +prévu pour des profondeurs plus grandes. (Ville, <em>Voyage +d’exploration dans les bassins du Hodna et du Sahara</em>, p. +268-270.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_163"></a><a href="#FNanchor_163"><span class= +"label">[163]</span></a>Peut-être l’<em>akrecht</em> du catalogue +Foureau (<i>Lithospermum callosum</i>).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_164"></a><a href="#FNanchor_164"><span class= +"label">[164]</span></a>Appelé aussi Koudiat el Dor, le +« mamelon du retour ». Sur la légende attachée à ce nom, +cf. Féraud, <em>Rev. Africaine</em>, 1879, p. 62.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_165"></a><a href="#FNanchor_165"><span class= +"label">[165]</span></a>Car on doit y compter Oumm et Tiour, depuis +que les puits artésiens y ont été forés (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_166"></a><a href="#FNanchor_166"><span class= +"label">[166]</span></a>Righi (pluriel Rouagha) : habitant de +l’Oued-Righ ou Oued-Rir.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_167"></a><a href="#FNanchor_167"><span class= +"label">[167]</span></a>Cf. le <em>Kitab-el-Adouani</em>, traduct. +Ch. Féraud, <em>Recueil Soc. archéol. de Constantine</em>, 1868, et +le mémoire du même auteur : <em>Les Ben-Djellab, sultans de +Tougourt</em>, <em>Revue Africaine</em>, 1879-1880.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_168"></a><a href="#FNanchor_168"><span class= +"label">[168]</span></a>A noter que le <em>Kitab-el-Adouani</em> +assigne une origine juive aux premiers ksour de l’Oued-Rir.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_169"></a><a href="#FNanchor_169"><span class= +"label">[169]</span></a>Ville, qui a mesuré lui-même en 1861 quatre +de ces puits indigènes, leur a trouvé une profondeur de 27 à 30 +mètres, et ne croit pas qu’ils aient dépassé 42 mètres à l’origine. +(<em>Voyage d’exploration</em>, etc., p. 331).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_170"></a><a href="#FNanchor_170"><span class= +"label">[170]</span></a><em>Bahar</em> (pluriel +<em>behour</em>) : petits bassins plus ou moins circulaires, +remplis par une nappe d’eau ascendante.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_171"></a><a href="#FNanchor_171"><span class= +"label">[171]</span></a>J’ai quelques doutes si ces tribus +appartiennent à S. Khelil ou à Tinedla, ce serait peut-être à la +dernière ville (????) (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_172"></a><a href="#FNanchor_172"><span class= +"label">[172]</span></a>Confirmé entre autres par Ibn-Khaldoun, qui +écrivait au <span class="sc2">XIV</span><sup>e</sup> siècle que les +Azzaba (ancêtres des Mzabites) étaient en majorité parmi les +hérétiques de Tougourt (<em>Hist. des Berbères</em>, traduct. de +Slane, III, p. 278). — La principale mosquée de la ville s’appelle +aujourd’hui encore Djama-el-Azzabiya.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_173"></a><a href="#FNanchor_173"><span class= +"label">[173]</span></a>Ces palmiers étaient à un endroit appelé +aujourd’hui Khalouā (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_174"></a><a href="#FNanchor_174"><span class= +"label">[174]</span></a>Cf. une deuxième tradition dans Féraud +(<em>Rev. Africaine</em> 1879, p. 354 et suiv.).</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_118">[118]</span><a id= +"p2c02"></a>CHAPITRE II</h3> + +<p class="sch">AU SOUF</p> + +<p class="datesect">12 juin.</p> + +<p>Je n’ai quitté Tougourt qu’après midi, et je suis parti à cheval +avec un spahi bleu qui ne savait pas le chemin. Après avoir +traversé la Chemorra, nous sommes entrés immédiatement dans les +sables, alternant de dunes à de simples ondulations. D’abord ces +sables, comme tous ceux qui avoisinent les lieux habités, n’ont +aucune végétation. Plus loin nous vîmes des oueds bien garnis de +végétation et nous arrivâmes au puits Mouïa Rebah qui ne contenait +alors que très peu d’eau et qui avait déjà une mauvaise odeur. De +là nous allâmes à Hassi Embārek au commencement de hautes dunes, +que nous traversâmes sans cesse pour arriver à Taibāt et Guebliā. +Nous trouvâmes à ce dernier puits de petits camps d’Oulad Seih.</p> + +<p>J’arrivai à la nuit tombante à Taibāt qui est une petite +bourgade au milieu des dunes. Elle est bâtie à la mode du Souf. Les +maisons ont de petits murs en chaux et pierre à plâtre et les +chambres sont surmontées de petits dômes. On voit ici le tombeau +d’un cheikh et une mosquée. Les habitants sont des Oulad +Seih ; les palmiers sont plantés comme au Souf.</p> + +<p class="datesect">13 juin.</p> + +<p>Nous sommes partis avec le bagage et avons traversé pendant +longtemps une zone de dunes très difficiles, surtout pour des +chameaux du Tell comme sont les miens. D’abord nous avions +rencontré des jardins qui portent le nom de Khobna. Notre marche +est très lente, et nous nous arrêtons pour passer la <em>gaïla</em> +au puits de Dhemerini dont l’eau est assez bonne. De là nous ne +partons<span class="pagenum" id="Page_119">[119]</span> que tard, à +cause du sirocco qui m’a indisposé et nous allons coucher au Kétif, +la plus haute dune de sable de cette région.</p> + +<p class="datesect">14 juin.</p> + +<p>Nous sommes partis de bon matin, tous ensemble ; mais Ahmed +et moi nous prenons le devant sur nos chevaux, ayant un guide à +pied. Après une bonne marche, nous arrivons au puits des Haouād +Tounsi ; puis nous ne quittons plus les dunes jusqu’à El-Ouad. +J’ai déjà passé à Haouād Tounsi en allant à Ouarglā. Je trouvai le +kaïd qui me reçut très bien.</p> + +<p>J’apprends qu’un « rhezi » de Toroud avec quelques +Touaregs de Cheikh Othman sont partis pour aller razzier des tribus +arabes de la Tripolitaine ou de la Tunisie. (Ceci est intéressant. +Voir au Djébel le résultat.) Le Cheikh Othman était ici il y a peu +de temps ; il se disposait à aller à Ghadāmès pour +s’entretenir avec Ikhenoukhen qui est campé près de là, au sujet +d’un différend qui s’est élevé entre leurs tribus. J’espère donc, +une fois de plus, pouvoir aller avec lui.</p> + +<p>Je cause longtemps avec un Ghadamsi qui s’en retourne chez lui. +Il est parti de Ghadamès au milieu du ramadan ; on lui a dit +qu’il devait venir un Français et un Anglais. Le Français, c’est +moi sans doute.</p> + +<p class="datesect">15 juin.</p> + +<p>Ahmed est tombé malade de fièvres la nuit dernière. Je passe une +partie de la journée à le médicamenter ; il est d’une +faiblesse extraordinaire contre la maladie, lui qui ne craint rien +d’ordinaire. Il dit à qui veut l’entendre qu’il est perdu. +Cependant, le soir, il peut déjà se promener. Sa femme lui en a +tant dit, qu’il vient me déclarer qu’il ne peut pas voyager cet +été ; mais le soir le kaïd lui parle devant les +<em>mechaikh</em>, et le décide à revenir sur cette idée.</p> + +<p>Je fais causer un homme des Ghorībi, tribu arabe du Nefzāoua, +qui ont quelques palmiers à El-Ouad, et qui ne vont pas l’été avec +les Oulad Yagoub dont ils sont plutôt les ennemis.</p> + +<p>Les Arabes du Nefzāoua sont les Oulad Yagoub, les Ghorīb, les +Merāzīg et les Solaā. — Les Ghorīb qui possèdent la ville de Sabrīa +se divisent en</p> + +<table class="tless bd-collapse padded1" id="t120a"> +<tr> +<td rowspan="11">Ghorīb</td> +<td class="blt width-brace1"> +</td> +<td rowspan="5">Sabria.</td> +<td class="blt width-brace1"> +</td> +<td><span class="pagenum" id="Page_120">[120]</span>Bidhan.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td class="linel"> +</td> +<td>Chebib.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td class="linel"> +</td> +<td>Fodhély.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td class="linel"> +</td> +<td>Rehamla.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td class="blb"> +</td> +<td>Keraima.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td>El-Ghenaim.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td>Djerarda.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td>Touamer.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td>O. ’Ali.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td>O. Nouiser.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>El-Gherisiyin.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> +</table> + +<p>Sabria est à un long jour de Kebilli et à cinq jours +d’El-Ouad ; ses puits sont comme ceux du Souf, de même que ses +<span class="arabic">غدران</span> établis dans les sables. Voici la +liste des puits du Sahara des Ghorīb : le pays où ils sont +creusés est par 120° de Nefzāoua.</p> + +<table class="tless bd-collapse padded05" id="t120b"> +<tr> +<td>Bir Djedid à</td> +<td>3</td> +<td colspan="3">jours de Kebilli ; à</td> +<td>5</td> +<td colspan="3">jours d’El-Ouad.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td>El-’Ogla</td> +<td>4</td> +<td class="tdc">—</td> +<td colspan="2" class="tdc">—</td> +<td>5</td> +<td class="tdc">—</td> +<td colspan="2">—</td> +<td class="brt width-brace1"> +</td> +<td rowspan="3">près les uns des autres.</td> +</tr> + +<tr> +<td colspan="3">El-Oudey (el Merhotta) à</td> +<td>2</td> +<td colspan="3">jours de Kebilli ; à</td> +<td>5</td> +<td>jours d’El-Ouad.</td> +<td class="liner"> +</td> +</tr> + +<tr> +<td>El-Hiadh</td> +<td colspan="2" class="tdc">—</td> +<td>2½</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>4</td> +<td class="tdc word-spaced14">— —</td> +<td class="brb"> +</td> +</tr> + +<tr> +<td>Moui Sefar</td> +<td colspan="2" class="tdc">—</td> +<td>4</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>3</td> +<td class="tdc word-spaced14">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td>El-Gounna</td> +<td colspan="2" class="tdc">—</td> +<td>2</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>5</td> +<td class="tdc word-spaced14">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td>Moui Dhô</td> +<td colspan="2" class="tdc">—</td> +<td>2½</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>4½</td> +<td class="tdc word-spaced14">— —</td> +<td class="brt"> +</td> +<td rowspan="3">près les uns des autres.</td> +</tr> + +<tr> +<td>El-Beskri</td> +<td colspan="2" class="tdc">—</td> +<td>2</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>5</td> +<td class="tdc word-spaced14">— —</td> +<td class="liner"> +</td> +</tr> + +<tr> +<td>El-Mahrouga</td> +<td colspan="2" class="tdc">—</td> +<td>2</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>5</td> +<td class="tdc word-spaced14">— —</td> +<td class="brb"> +</td> +</tr> +</table> + +<p>Le puits le plus à la <em>guibla</em><a id= +"FNanchor_175"></a><a href="#Footnote_175" class= +"fnanchor">[175]</a> est celui de El-Oudey el-Merhotta.</p> + +<p>Je donne la permission à Ahmed de vendre son cheval et sa +selle.</p> + +<p class="datesect">16 juin.</p> + +<p>J’avais résolu d’aller voir ’Amich qui commence près d’El-Ouad +et se prolonge vers la <em>guibla</em> d’une longueur dépassant un +peu la distance de Kouïnin ; mais j’ai abandonné mon +projet ; je crains que la promenade ne vaille pas la fatigue +qu’elle doit coûter par la chaleur que nous avons. J’ai employé mon +dernier jour ici à prendre des renseignements commerciaux.</p> + +<h4><em>Notes sur le commerce d’El-Ouad.</em> +</h4> + +<p>Le commerce d’El-Ouad suit quatre directions principales et il +est curieux de noter qu’aucune d’elles ne se dirige vers +nos<span class="pagenum" id="Page_121">[121]</span> possessions. +Biskra, et peut-être Tebessa, Tougourt aussi ont, il est vrai, des +relations avec le Souf (El-Ouad), mais le commerce qui en est la +base est bien languissant, et est en grande partie réservé aux +villes de Souf, Gomar, Kouïnin et Ezgoum.</p> + +<p>Les quatre canaux principaux du commerce d’El-Ouad sont : +1<sup>o</sup> Tunis ; 2<sup>o</sup> le Djérid ; +3<sup>o</sup> Gabès ; 4<sup>o</sup> Ghadāmès. — C’est par +cette dernière ville qu’ont lieu des transactions avec Rhat et le +Soudan. — A ces quatre emporiums on pourrait ajouter Ouarglā.</p> + +<p>Voici les prix courants à El-Ouad des marchandises venant de +Tunis, et qui, pour peu qu’ils entrent dans le rayon des produits +de fabrique, sont tous anglais ou maltais :</p> + +<p class="center space-above15 space-below1"><em>Prix +courant :</em> +</p> + +<table class="tless padded1" id="t121"> +<tr> +<td class="tdl hang1">Cotonnades de Malte, pièces de +22<sup>m</sup>,5 à 23<sup>m</sup>,5 de longueur ; marque, une +ancre et un dauphin enchevêtrés et au-dessous +« Patent »</td> +<td class="tdr-bot">9</td> +<td class="tdl-bot">fr.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Amberguiz ou madapolam, pièces de +37<sup>m</sup>,5</td> +<td class="tdr-bot">17</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Cotonnades bleues de Malte, pièces de +35<sup>m</sup> de long sur 1<sup>m</sup> de large</td> +<td class="tdr-bot">16</td> +<td class="tdl-bot">50</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Calottes rouges<a id= +"FNanchor_176"></a><a href="#Footnote_176" class= +"fnanchor">[176]</a> tunisiennes, 1 paquet de 6, 1<sup>re</sup> +qualité</td> +<td class="tdr-bot">30</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Soie non travaillée, blanche ou teinte, +1<sup>re</sup> qualité, 1/2 kil.</td> +<td class="tdr-bot">20</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class= +"word-spaced12"> — </span> <span class= +"word-spaced12"> — </span> qualité inférieure, 1/2 +kil.</td> +<td class="tdr-bot">10</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Fusils de Tunis à pierre, l’un</td> +<td class="tdr-bot">30</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Foulards de coton teints (anglais ?), la +douzaine</td> +<td class="tdr-bot">6</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Foulards de soie noirs ou rouges, la +douzaine</td> +<td class="tdr-bot">25</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Mousseline grossière,<a id= +"FNanchor_177"></a><a href="#Footnote_177" class= +"fnanchor">[177]</a> la pièce de 22<sup>m</sup>,5</td> +<td class="tdr-bot">7</td> +<td class="tdl-bot">50</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Essence de roses, 1<sup>re</sup> qualité, 1 +mithcal<a id="FNanchor_178"></a><a href="#Footnote_178" class= +"fnanchor">[178]</a> ou 6 fioles</td> +<td class="tdr-bot">5</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class= +"word-spaced12"> — </span> 2<sup>e</sup> qualité, une +oukiya<a id="FNanchor_179"></a><a href="#Footnote_179" class= +"fnanchor">[179]</a></td> +<td class="tdr-bot">2</td> +<td class="tdl-bot">50</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Civette,<a id="FNanchor_180"></a><a href= +"#Footnote_180" class="fnanchor">[180]</a> l’oukiya</td> +<td class="tdr-bot">12</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Musc, l’oukiya</td> +<td class="tdr-bot">65</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Papier blanc écolier, les 500 feuilles</td> +<td class="tdr-bot">5</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Cassonade (belle qualité), le 1/2 kil.</td> +<td class="tdr-bot">»</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Corail, gros grains (beau corail), +l’oukiya</td> +<td class="tdr-bot">10</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Alun blanc, les 50 kil.</td> +<td class="tdr-bot">33</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">El-Mabroūka, racine, remède contre la +syphilis, le 1/2 kil.<a id="FNanchor_181"></a><a href= +"#Footnote_181" class="fnanchor">[181]</a></td> +<td class="tdr-bot">3</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Boîtes à parfums en bois. 5 boîtes les unes +dans les autres</td> +<td class="tdr-bot">1</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> +</table> + +<p>Quant au commerce avec le Djérid, il repose presque +exclusivement<span class="pagenum" id="Page_122">[122]</span> sur +les tissus fins de laine et de soie de ce pays. A El-Ouad, voilà +les prix moyens des différents vêtements djéridis :</p> + +<ul class="simple1"> +<li>Burnous non cousus, de 20 fr. à 22 fr. 50 et 25 francs.</li> + +<li>Haïks de laine, de 22 fr. 50 à 25 et 30 francs.</li> + +<li>Haïks de laine et soie, de 65 fr. à 70 et 75 francs.</li> +</ul> + +<p>C’est-à-dire que, pour les haïks djéridis, on peut en avoir +depuis 22 fr. 50 jusqu’à 75 fr. Ces mêmes burnous qui sont vendu 20 +fr. à El-Ouad ont été achetés pour 17 fr. 50 au Djérid. Ceux de 25 +fr. ont coûté 22 fr. 50. Les haïks sont vendus à El-Ouad pour 10 +francs de plus qu’ils ont coûté au Djérid. Le prix du louage d’un +chameau d’El-Ouad à Tozer est de 12 francs en moyenne. En hiver de +10 francs ; en été il va jusqu’à 15 francs.</p> + +<p>De Gabès on n’apporte guère que deux produits, mais ils sont de +nature à fixer l’attention, car tous les deux sont employés dans +l’industrie européenne.</p> + +<table class="tless padded1" id="t122a"> +<tr> +<td class="tdl hang1">Le henné, que l’on me dit meilleur que celui +du Zāb, se vend ici</td> +<td class="tdr-bot">»</td> +<td class="tdl-bot">50</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">La garance, les 50 kil.</td> +<td class="tdr-bot">»</td> +<td class="tdl-bot">40</td> +</tr> +</table> + +<p>Ghadāmès envoie à El-Ouad des produits d’une nature toute +spéciale.</p> + +<table class="tless padded1" id="t122b"> +<tr> +<td colspan="2" class="tdl hang1">Pièces de cotonnade bleue +fabriquée au Soudan<a id="FNanchor_182"></a><a href="#Footnote_182" +class="fnanchor">[182]</a>, longueur 4 mètres ; se vend au +détail dans des boutiques à 4 fr. le mètre ; en gros on les +vend à leur arrivée de Ghadāmès à</td> +<td class="tdr-bot">10</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Troūnia,<a id="FNanchor_183"></a><a href= +"#Footnote_183" class="fnanchor">[183]</a> les 50 kil.</td> +<td class="width4"> +</td> +<td class="tdr-bot">50</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Peaux de chèvres ou de moutons tannées et +rouges, chaque</td> +<td> +</td> +<td class="tdr-bot">3</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Civette, meilleure que celle de Tunis, 1 +oukiya</td> +<td> +</td> +<td class="tdr-bot">30</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Alun, les 50 kil.</td> +<td> +</td> +<td class="tdr-bot">33</td> +<td class="tdl-bot">30</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Or : 1<sup>o</sup> en poudre,<a id= +"FNanchor_184"></a><a href="#Footnote_184" class= +"fnanchor">[184]</a> en moyenne le mithcal</td> +<td> +</td> +<td class="tdr-bot">11</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class= +"word-spaced2"> — </span> 2<sup>o</sup> en objets +travaillés<a id="FNanchor_185"></a><a href="#Footnote_185" class= +"fnanchor">[185]</a>, le mithcal</td> +<td colspan="2" class="tdr-bot">9 fr. 50 à 10</td> +<td class="tdl-bot">»</td> +</tr> +</table> + +<p>Ce sont les prix de Ghadāmès ; exceptionnellement il se +trouve, comme à présent, que les marchands de Ghadāmès, par suite +de l’encombrement du marché, n’ont aucun profit, perdent même à +El-Ouad.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_123">[123]</span>Prix du +transport d’une charge de chameau :</p> + +<table class="tless bd-collapse" id="t123a"> +<tr> +<th> +</th> +<th> +</th> +<th class="tdl pad1"><span class="small">FRANCS</span> +</th> +</tr> + +<tr> +<td rowspan="2">D’El-Ouad à Tunis</td> +<td class="blt width-brace1"> +</td> +<td>80 en été.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>40 en hiver.</td> +</tr> + +<tr> +<td> +</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td rowspan="2"><span class="word-spaced8"> — </span> au +Djérid</td> +<td class="blt"> +</td> +<td>15 à 17.50 en été.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>10 à 12 en hiver.</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Gabès</td> +<td> +</td> +<td>10 en hiver.</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> au +Nefzāoua</td> +<td> +</td> +<td>15 <span class="word-spaced8"> — </span></td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Biskra</td> +<td> +</td> +<td>15 <span class="word-spaced8"> — </span></td> +</tr> + +<tr> +<td rowspan="2"><span class="word-spaced8"> — </span> à +Ghadāmès</td> +<td class="blt"> +</td> +<td>40 en été.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>25 ou 30 fr. seulement en hiver.</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Ouārgla</td> +<td> +</td> +<td>20 en hiver.</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> au Mezâb</td> +<td> +</td> +<td>25 <span class="word-spaced8"> — </span></td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Tebessa</td> +<td> +</td> +<td>22 50 <span class="word-spaced8"> — </span></td> +</tr> + +<tr> +<td>De Ghadāmès à Tripoli</td> +<td> +</td> +<td>24 <span class="word-spaced8"> — </span></td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced12"> — </span> à Rhat</td> +<td> +</td> +<td>64 en été.</td> +</tr> +</table> + +<table class="tless padded1" id="t123b"> +<tr> +<td class="tdl hang1">1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de henné coûte +à Gabès</td> +<td class="tdl-bot">53 fr.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de garance vaut +à Gabès</td> +<td class="tdl-bot">33 50</td> +</tr> +</table> + +<table class="tless bd-collapse" id="t123c"> +<tr> +<td>D’El-Oued à Tunis</td> +<td class="tdr">13</td> +<td class="tdc pad1">jours de caravane.</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Nafta</td> +<td class="tdr">4</td> +<td class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Gabès</td> +<td class="tdr">9</td> +<td class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> au +Nefzāoua</td> +<td class="tdr">6</td> +<td class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Biskra</td> +<td class="tdr">5</td> +<td class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Ghadāmès</td> +<td class="tdr">14</td> +<td class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Ouārgla</td> +<td class="tdr">9</td> +<td class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td> +</td> +<td> +</td> +</tr> + +<tr> +<td><span class="word-spaced8"> — </span> à Tebessa</td> +<td class="tdr">7</td> +<td class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td> +</td> +<td>par Négrīn.</td> +</tr> + +<tr> +<td rowspan="4"><span class="word-spaced8"> — </span> à +Guerara</td> +<td rowspan="4" class="tdr">9</td> +<td rowspan="4" class="tdc word-spaced10">— —</td> +<td class="blt width-brace1"> +</td> +<td>d’El-Ouad à Temassin 3 j.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td>Temassīn à Belidet Amar 1 j.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="linel"> +</td> +<td>Belidet à Hadjira 2 jours.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>Hadjira à Guerara 3 jours.</td> +</tr> +</table> + +<p class="datesect">17 juin.</p> + +<p>J’ai le plaisir de voir Ahmed se remettre tout à fait +aujourd’hui. Je lui laisse beaucoup de commissions ; il me +rejoindra à Tougourt. Dans l’après-midi je pars. J’ai trois +domestiques à part Ahmed. Nous voyageons d’El-Ouad à Ezgoum à +travers des dunes où l’on ne trouverait pas un seul brin de +végétation. Il fait beaucoup de vent ; le paysage est très +uniforme, mais n’en est pas moins remarquable.</p> + +<p>J’arrive à Ezgoum où je retrouve quelques-uns de mes anciens +compagnons de voyage du Djérid, qui ont maintenant honte de leur +manque de courage pendant la route. Ezgoum est très bien bâti, +c’est sous ce rapport la première ville du Souf. Les maisons sont +assez élevées quoique sans étage supérieur ; les +rues<span class="pagenum" id="Page_124">[124]</span> sont bien +alignées. Les maisons sont surmontées de nombreuses petites +coupoles<a id="FNanchor_186"></a><a href="#Footnote_186" class= +"fnanchor">[186]</a> au sommet desquelles, comme aussi sur les murs +qui les relient, on a distribué des pommeaux en maçonnerie d’un +très joli effet. La ville m’a paru très propre. Les habitants sont +plus civilisés que le reste des Souafa ; ils ont pompé la +civilisation à Tunis et aussi ont tâché d’en introduire chez eux ce +qu’ils pouvaient. Leur cuisine d’apparat par exemple est +tunisienne. Ils ont aussi pris de Tunis une grande sévérité +extérieure de mœurs, du moins à ce qu’on me dit.</p> + +<div class="figcenter iw2"> +<figure id="i13"><a href="images/i13.jpg"><img src='images/i13.jpg' +alt='[Illustration]'></a> +</figure> +</div> + +<p>La ville d’Ezgoum<a id="FNanchor_187"></a><a href= +"#Footnote_187" class="fnanchor">[187]</a> compte maintenant 14 +générations. La ville la plus ancienne de Souf est Taghzoūt ; +la plus moderne, El-Ouad excepté, est Gomār. Lorsqu’on a fondé +Ezgoūm, il n’y avait aux environs que fort peu de sables, et pas de +dunes comme à présent ; ainsi, encore en 1813, lorsque l’on +bâtit le minaret de la mosquée (il a 9 mètres de hauteur), on +pouvait voir de son sommet les feux d’El-Ouad qui à cette époque ne +comptait guère que des huttes de palmes (<em>zeraīb</em>), et l’on +apercevait aussi du bois enflammé quand on en transportait pour +allumer un feu de Gomār à Taghzoūt. Inutile de dire qu’aujourd’hui +ce serait impossible.</p> + +<p>Autrefois, dans l’Ouad Jardaniya qui est un peu au nord de +Sidi’Aoūn, il y avait des labours arrosés par des sources. On +voit<span class="pagenum" id="Page_125">[125]</span> encore +aujourd’hui, me dit-on, les traces des <em>saguias</em>. On trouve +aux environs des terrains de <em>sebkha</em> comme dans +l’Oued-Righ.</p> + +<p>L’historien du Souf Cheikh el’Adouâni était d’Ezgoum ; +c’était, m’assure-t-on, un saint homme. Il faisait sa prière du +matin avec la <em>djema’a</em> et celle du <em>dhahor</em> à Bagdad +en Syrie.</p> + +<p>La population des villes soufīa (excepté El-Ouad) se compose +aujourd’hui exclusivement de Toroūd et d’Adouān. Ezgoum est dans ce +cas. Dans les villes du Souf les Adouāns dominent. A El-Ouad et +ʿAmich il n’y a que des Toroūd. Les premiers habitants du Souf à +’Amīch et Hassikhalifa furent des Zenāta<a id= +"FNanchor_188"></a><a href="#Footnote_188" class= +"fnanchor">[188]</a> païens (ou chrétiens ?), ensuite vinrent +les ’Adouān et puis les Toroud. Ezgoum possède une jolie +<em>goubba</em> élancée, dédiée à Sidi Abd-el-Kader.</p> + +<p>Les vents du nord-est dominent en été dans le Souf ; ces +vents, unis aux siroccos du sud-est, sont la cause du progrès des +dunes vers l’ouest. Leur force et peut-être leur fréquence doivent +surpasser celles des vents du nord-ouest de l’hiver.</p> + +<p>Je suis piqué, le soir, deux fois au bras par un gros scorpion +qui s’était introduit entre mon bras et ma chemise. Il sort par le +cou de la gandoura. Je fais de petites fissures sur les piqûres et +j’y applique de l’alcool camphré. Mon bras cependant reste engourdi +un instant.</p> + +<p class="datesect">18 juin.</p> + +<p>J’arrive de bonne heure à Gomār, après avoir traversé une zone +de sables dénudée, absolument semblable à celle qui sépare El-Ouad +d’Ezgoum. Je trouve que le qadhi a tenu sa promesse et m’apporte +une copie de Cheikh el’Adouāni ; cependant je dois noter ici +que le qadhi et même Si Mohammed el’Aïd déclarent que ce livre +contient avec du vrai beaucoup de fantaisie. Il faudra débrouiller +cela.</p> + +<p>Le kaïd arrive d’El-Ouad dans la matinée, nous allons ensemble +chez le marabout Si Mohammed el’Aïd que nous trouvons dans une +maison assez belle, mais couché sur un lit déchiré et vêtu d’un +haïk à peine propre. Cette fois, le marabout se montre très poli et +daigne causer avec nous de mille et un sujets. Il a reçu les +lettres du général et toutes celles que je lui ai +apportées.<span class="pagenum" id="Page_126">[126]</span> Il me +promet tout son concours ; en somme, je suis content de cette +entrevue. Nous déjeunons là ; on nous apporte, en fait de +friandises, du concombre frais et une pastèque verte, mais +mangeable.</p> + +<p class="datesect">Le 19 juin.</p> + +<p>Je fais une visite à Si Mohammed el’Aïd qui me donne son +<em>ouerd</em> et qui me remet différentes lettres pour les Touareg +Cheikh Othman et Cheikh Ikhenoukhen. Le marabout cause d’une +manière très aimable comme hier. Il veut me faire son mokaddem à +Paris.</p> + +<p>J’ai oublié de noter que pour le commerce d’El-Ouad la monnaie +de compte est le réal <em>bou cherchour</em>, équivalant à 1 fr. +35. Il vaut à Tunis deux réals tounsi dits <em>nehas</em>. On le +divise en quarts « <em>rouba’</em> » ou en huitièmes +« <em>themen</em> ». Un réal a 94 <em>nasri</em>.</p> + +<p>Je visite les puits de Gomar, et j’en choisis 4.</p> + +<table class="tless" id="t126"> +<tr> +<td>Bir Talat Chriaa’</td> +<td>Prof.</td> +<td>6<sup>m</sup>,75</td> +<td>Temp.</td> +<td>21°,05</td> +</tr> + +<tr> +<td>Bir Sidi Abder Rahman,</td> +<td> +</td> +<td>6<sup>m</sup>,66</td> +<td> +</td> +<td>21°,70</td> +</tr> + +<tr> +<td>Bir Djama’ el gharbi,</td> +<td> +</td> +<td>6<sup>m</sup>,50</td> +<td> +</td> +<td>21°,35</td> +</tr> + +<tr> +<td>Bir Djama’ el Akhouān.</td> +<td> +</td> +<td>6<sup>m</sup>,84</td> +<td> +</td> +<td>21°,20</td> +</tr> +</table> + +<p>On m’apporte le soir un dîner fort peu convenable ; je le +fais envoyer au kaïd en le priant de m’y trouver un morceau de +viande. Le kaïd frappe d’une amende de 200 francs le cheikh qui a +apporté le dîner, et il m’envoie le sien avec d’excellente viande +grasse.</p> + +<p class="datesect">Le 20 juin.</p> + +<p>Je suis parti aujourd’hui de Gomar. En passant devant les +jardins, je remarquai deux arbres fruitiers : figuier et +grenadier. On était en train d’arroser les plates-bandes. Nous +voyageâmes d’abord à travers une région de sables, qui, comme +toutes celles qui avoisinent les villes du Souf, est tout à fait +dénudée. Puis nous revîmes la végétation, qui dans cette région +consiste principalement en drin et alenda. Nous avons le sirocco +toute la journée, mais nonobstant nous marchons bien ; et nous +campons un peu en deçà de Mouïa el Ferdjān.</p> + +<p class="datesect">21 juin.</p> + +<p>Nous nous mettons en route de très bonne heure et nous arrivons +très vite à Mouïa el Ferdjān. A la <em>gaïla</em> j’ai le spectacle +d’un ouragan très curieux quoique peu agréable. Toute la journée il +a fait un<span class="pagenum" id="Page_127">[127]</span> sirocco +violent. A 1<sup>h</sup>,20 du soir, le ciel s’est couvert ; +coups de vents terribles qui renversent deux fois ma tente ; +ces vents viennent du S.-S.-E. — 5<sup>mm</sup> de pluie +d’orage ; deux coups de tonnerre lointains. A +1<sup>h</sup>,35, coups de tonnerre très haut au-dessus de +nous ; pas tout à fait au zénith (N.-O.), puis au N.-E., puis +de l’horizon. A 2<sup>h</sup>,10, coups de vent épouvantables. Le +vent chasse le sable de manière à me faire mal aux jambes. A +2<sup>h</sup>,35, coups de tonnerre au zénith au N. et au N.-O., +ciel couvert, vent de N.-O. faible. Éclairs au N.</p> + +<p>En partant de l’endroit où nous avons fait la sieste (d’une +singulière façon) nous atteignons vite une sorte de forêt ou de +bois taillis appelé <em>zouitaya</em> du <em>zeïta</em>, <i>Statice +monopetala</i><a id="FNanchor_189"></a><a href="#Footnote_189" +class="fnanchor">[189]</a>, qui y est pour ainsi dire la seule +plante dominante. Cela me rappelle les environs de Chegga du sud. +Cette <em>zouïtaya</em> finit à l’Erg Meggarīn, où nous voyons, +entre les dunes, des dépressions de sables humides, ce qui fait +dire à mes Souāfa que c’est un « Erg toloūa » ; on +pourrait y planter, comme au Souf, des palmiers s’arrosant +eux-mêmes par absorption.</p> + +<p>Nous arrivons à Meggarīn Djedid, où je laisse mon monde et je +continue jusqu’à Tougourt avec le spahi bleu. A Tougourt au coucher +du soleil, ciel embrasé d’un rouge sombre ; air lourd, le soir +pluie. Je trouve ici Auer malade et le caporal Dhem ayant manqué +d’être emporté par les fièvres deux jours avant. Cependant tous +vont un peu mieux. Abd Allah l’Allemand va aussi mieux.</p> + +<p class="datesect">Tougourt, du 22 juin au 1<sup>er</sup> +juillet.</p> + +<p>Je fais un peu de photographie.</p> + +<p>J’essaye de faire un baromètre en passant par la délicate +expérience de Torricelli. Je casse 4 tubes de verre en faisant +bouillir le mercure, mais le 5<sup>e</sup> tube réussit et j’ai +restauré ainsi mon n<sup>o</sup> 903 de Tonnelot.</p> + +<p>L’oasis de Tougourt est très vaste, elle possède environ 180.000 +palmiers, d’après une bonne évaluation faite par M. Auer. Ce +chiffre représente les palmiers en rapport. Il y avait, il y a deux +ans, 325 puits artésiens d’un débit plus ou moins fort dans toute +l’oasis en comptant les palmiers appartenant aux villes de +Tebesbest, Nezla, Sidi-Bou-Djenan, Beni-Souid, Zaouya Sidi +el<span class="pagenum" id="Page_128">[128]</span> Abid, etc. Le +nombre des puits tel que l’a donné M. Auer, il y a deux ans, n’a +pas dû changer depuis, en comptant les puits qui ont tari et ceux +qui ont été forés depuis, tant par les indigènes que par les +sondages français.</p> + +<p>A 5 kilomètres de Tougourt au sud-sud-est se trouve un lac d’eau +salée Merd-jādja qui a 1/2 kilomètre de long sur 200 mètres de +large et une profondeur maximum de 45 mètres (Auer).</p> + +<p>Tout près de Nezla se trouve le tout petit village de +Sidi-Mohammed ben Yahiya qui est le tombeau du marabout qui régna +sur Tougourt avant les Beni-Djellāb.</p> + +<p>A l’extrémité sud de l’oasis se trouvent des prolongements de +jardins qui ont actuellement dépassé les premières hauteurs de Bou +Yerrō et qui, plantés de palmiers encore en broussaille et arrosés +par des puits artésiens, donnent un bon témoignage de l’influence +française sur l’oasis, car ils ont été commencés depuis la +conquête. C’est le cheikh Bou Chemăl qui en a eu l’initiative et la +plupart des jardins lui appartiennent.</p> + +<p>Les hauteurs de Bou Yerrō commencent à 4 kilomètres sur la route +de Merdjadja (en partant de Tougourt) ; elles sont de peu +d’importance, mais doivent exister sur les cartes.</p> + +<p>On trouve dans l’oasis palmiers, abricotiers, figuiers, +grenadiers, poiriers (peu), pommiers (peu), vignes (peu), +cotonniers (d’ancienne et de nouvelle date). Ce dernier arbre +devient très fort ; il n’est pas utilisé. Légumes, choux, ail, +oignons, tomates, <em>gara</em>, <em>kabouya</em>, sorte de +concombre, melons, pastèques, poivre rouge, <em>bou deraga</em> +(pourpier), navets, carottes, radis blanc (<em>fedjel</em>), +haricots du Souf (peu), fèves, poireau, — luzerne en quantité, orge +(pas de blé), réglisse (en quantité, sauvage). Le henné ne vient +pas, du moins les essais faits par les indigènes avec des graines +envoyées de Biskra n’ont pas réussi. La garance se trouve un peu à +Meggarin, à Ghamra, à Tamerna et à Sidi Khelil.</p> + +<p>La ville de Tougourt est construite en <em>tôb</em><a id= +"FNanchor_190"></a><a href="#Footnote_190" class= +"fnanchor">[190]</a>. Les maisons n’ont qu’un étage. La ville est +entourée de fossés remplis d’une eau stagnante<a id= +"FNanchor_191"></a><a href="#Footnote_191" class= +"fnanchor">[191]</a> et salée qui nourrit des poissons et quelques +serpents d’eau. Elle a aujourd’hui une seule porte, +Bab-el-Khrūkha<a id="FNanchor_192"></a><a href="#Footnote_192" +class="fnanchor">[192]</a> qui s’ouvre au nord-est et qui est +gardée par un détachement de tirailleurs<span class="pagenum" id= +"Page_129">[129]</span> indigènes. La Kasba est au sud-ouest du +côté opposé. Elle comprend des bâtiments assez considérables +quoique peu élevés qui ont été construits par les Beni Djellăb, et +ensuite diversement modifiés par les Français jusqu’à la +construction de la caserne l’année dernière ; ce dernier +bâtiment forme un carré oblong à un étage ; les pièces sont +hautes et bien aérées. Les démolitions de la Kasba pour la +construction de la caserne ont détruit la seconde petite porte +appelée Bab-el-Ghadăr ou de la trahison, qui était particulière à +la Kasba et que j’ai vue encore debout. A la prise de Tougourt la +ville avait quatre portes en comptant celle de la Kasba que je +viens de nommer, mais les Français en ont fait fermer deux. Les +rues de Tougourt sont étroites, mais assez propres, dans le +quartier des Medjehariya il y a deux rues couvertes. Les principaux +monuments de la ville sont, à part la Kasba, la grande mosquée, +rétablie par les Français et l’ancienne mosquée avec son minaret de +construction djéridienne en petites tuiles qui porte encore des +traces de boulets de Salah Bey<a id="FNanchor_193"></a><a href= +"#Footnote_193" class="fnanchor">[193]</a>. Les maisons de Tougourt +sont de la couleur du sol ; elles possèdent toute une cour +intérieure autour de laquelle sont rangés des magasins et les +chambres. Le marché de la viande se tient sur une petite place qui +est à la porte de la mosquée, mais le marché du vendredi où se font +presque toutes les transactions se tient devant la Kasba sur une +place bordée de boutiques et de magasins grossiers garantis du +soleil par une sorte de voûte soutenue par des piliers carrés.</p> + +<p>Le kaïd, qui a son logement dans la Kasba, a 35 spahis bleus +commandés par un officier indigène. M. Auer<a id= +"FNanchor_194"></a><a href="#Footnote_194" class= +"fnanchor">[194]</a> 100 tirailleurs indigènes.</p> + +<p>La population de Tougourt se compose de Rouăgha, de Mestāoua +(Rouāgha mêlés de sang arabe ou Arabes mêlés de sang righi) et de +Medjehariya ou juifs convertis à l’Islam. La population est divisée +en trois quartiers : les Rouāgha habitent le quartier Tellis +situé à l’est ; les Medjehariya habitent le quartier auquel +ils ont donné<span class="pagenum" id="Page_130">[130]</span> leur +nom à l’ouest et les Mestāoua habitent au nord. La Kasba occupe le +sud. Les habillements des trois castes sont les mêmes, seulement +les Medjehariya se distinguent par leur propreté, les Mestāoua sont +plus propres que les Rouāgha et d’une couleur plus blanche. Les +Medjehariya ont conservé entièrement le type israélite, surtout les +femmes, parmi lesquelles il y en a de fort jolies. Ils ne se +marient qu’entre eux et sont fort sévères de mœurs et de principes +religieux ; ils n’aiment pas qu’on leur rappelle leur origine. +Cependant eux, comme le reste de la population, boivent des +spiritueux, seulement ils le font en cachette.</p> + +<p>J’ai déjà décrit les fêtes du mariage des Rouāgha. Ils +s’unissent aussi facilement qu’ils se divorcent et cette facilité +des unions n’exclut pas cependant une moralité peu stricte à notre +point de vue européen. J’ai déjà dit que les femmes des premières +maisons de l’Oued-Righ ne faisaient pas de difficultés à devenir +les maîtresses des derniers Djellāb, et je connais encore +aujourd’hui deux cheikhs qui ont encore dans leur harem des femmes +qui pourraient raconter bien des petites choses qui se sont passées +dans l’absence de leurs maris alors exilés. Je me suis laissé dire +que, quand on rencontrait dans l’oasis une Righia bien seule, elle +refusait rarement d’accorder son corps. Ceci s’applique cependant +plus à Ouarglā qu’à Tougourt ou Temassīn, car dans ces deux villes, +surtout dans la dernière, tous les travaux d’extérieur reviennent +au mari, et la femme reste plutôt dans la maison. A Ouarglā, au +contraire, on m’a raconté qu’il se passait bien de petites +aventures aux sources où les femmes viennent puiser l’eau. Il doit +en être de même à Merhayyer.</p> + +<p>La plupart des prostituées de Tougourt sont des Righia, des +Soufia et des Naylia, en comprenant sous cette dernière +dénomination les Harazlia et enfin toutes les Arabes de l’ouest. Je +ne puis m’empêcher de noter ici quelques détails sur les +Naylia ; ils paraîtront curieux pour déterminer les mœurs des +Arabes du désert algérien. Mais qu’on ne croie pas que nous soyons +pour quelque chose dans cela, au contraire, depuis notre domination +nous avons cherché à limiter de diverses manières cette vaste +prostitution. Les femmes de l’Oued-Righ et du Souf qui exercent le +métier à Tougourt sont généralement des veuves ; il y a des +cas où elles trouvent ensuite à se remarier. Les Naylia sont en +grande partie aussi de jeunes veuves, mais on voit aussi parmi +elles des mères<span class="pagenum" id="Page_131">[131]</span> ou +des pères amener leurs filles encore vierges et vendre cette +virginité qui est toujours longtemps marchandée. Les Naylia +viennent à l’époque de la maturité des dattes et un petit nombre +d’entre elles seulement restent jusqu’au printemps suivant. Leur +but est d’acheter des dattes pour leur année. Autrefois on ne +connaissait pas d’autre manière de payer leurs faveurs que par une +certaine quantité de dattes ; deux fois les deux mains pleines +par exemple était un très bon prix.</p> + +<p>Une autre particularité commune à Tougourt et à Temassīn sont +les <em>halladj</em><a id="FNanchor_195"></a><a href= +"#Footnote_195" class="fnanchor">[195]</a>, sorte d’hommes +efféminés qui, je crois, avaient un nom chez les Grecs. On en voit +même avec des cheveux blancs danser mollement avec les femmes dans +les danses publiques à Témassīn.</p> + +<p>Parmi les coutumes bizarres des Rouāgha, coutume que l’on +reproche aussi aux Beni-Mezāb<a id="FNanchor_196"></a><a href= +"#Footnote_196" class="fnanchor">[196]</a>, et que des écrivains du +moyen âge imputent aux habitants de Sedjelmāsa, est la prédilection +qu’ils ont pour la viande de chien. Ils prétendent s’excuser de +cette licence contre leur loi religieuse en disant que c’est un +préventif contre les fièvres. C’est surtout pendant l’hiver que les +Rouāgha achètent des chiens qui leur sont alors vendus en plein +marché par les Arabes du dehors. On les engraisse, on les fait +rôtir, et ils sont mangés en grande fête avec force lagmi<a id= +"FNanchor_197"></a><a href="#Footnote_197" class= +"fnanchor">[197]</a>.</p> + +<p>Les Rouāgha sont très superstitieux ; mon ami M. Auer m’a +souvent raconté l’effet singulier produit par une éclipse de lune +sur les habitants de Tougourt. Les tolbas sortirent en corps et +battant à tour de bras sur des plats de bois et des marmites, ils +rappelaient la lune en invoquant leur prophète : « Ya +chefā Si Mohammed ! »<a id="FNanchor_198"></a><a href= +"#Footnote_198" class="fnanchor">[198]</a> Ils croient, comme +beaucoup d’autres populations algériennes, à la toute-puissance des +<em>djenoun</em><a id="FNanchor_199"></a><a href="#Footnote_199" +class="fnanchor">[199]</a>. Les femmes surtout les redoutent, et +attribuent à ces esprits toutes leurs<span class="pagenum" id= +"Page_132">[132]</span> indispositions. Ordinairement on combat +leur influence par des amulettes ou bien on tâche de les apaiser +par des offrandes de couscous, de tchertchoukha, plats que l’on +dépose à l’endroit où l’on suppose que les djenoun se tiennent, et +qui est souvent dans les lieux d’aisance.</p> + +<p>Tougourt peut compter 300 maisons, et a, dans la saison d’été, +une population d’environ 1.500 âmes ; en hiver, où des +familles du Souf et des Arabes viennent habiter la ville pendant +six mois, la population peut monter au double 3.000 âmes. Nezla, +Tebesbest, Zaouiya ont chacune plus d’habitants que Tougourt +même.</p> + +<p>Dans les mariages, le dernier jour, on amène la mariée chez son +futur ; si c’est une vierge, elle est portée sur un lit en +<em>djérid</em> (comme la plupart des Rouāgha en usent) par quatre +hommes ; si c’est une veuve, elle est portée simplement dans +les bras d’un homme.</p> + +<p class="datesect">1<sup>er</sup> juillet.</p> + +<p>Je vais à Temassīn avec un spahi, le marabout Si Mammar m’y +avait fait appeler pour m’y trouver en présence du Cheikh +Othmān ; je trouve un chef targui bien mis sans recherche, +mais proprement, accompagné de deux ou trois jeunes hommes de sa +tribu terriblement marqués de la petite vérole. Tous ont un visage +ouvert, je dirais presque prévenant.</p> + +<p>Nous avons une longue conférence. Cheikh Othman lit les +dernières lettres que j’ai pour lui ; mais tout en m’offrant +ses services, il cherche vivement à me détourner de rien +entreprendre cette année, où tout le Sahara est sens dessus +dessous : les Hoggar en querelle avec les Azgar d’un côté et +les Aouelimiden de l’autre ; la grande razzia d’Aïr par les +Arabes de la Tripolitaine, etc., enfin les habitants d’Insalah en +guerre avec le sud du Touat. Cependant, après de longues et +éloquentes délibérations, Si Mammar décide, force même un peu +Cheikh Othman à m’accompagner à Ghadāmès ; de là il ira +consulter Ikhenoukhen sur ce qu’il y a à faire, et savoir si ce +chef tout-puissant m’accorde sa protection, et viendra me rendre +réponse, d’où nous conclurons nos plans postérieurs. Je dis adieu +au Cheikh Othman ; je conviens avec Si Mammar d’envoyer 50 fr. +au Cheikh Othman pour qu’il fasse ses provisions de route et il +doit me rejoindre à El-Ouad vers le 20 de ce mois. — Il a son camp +tout maltraité par la petite vérole,<span class="pagenum" id= +"Page_133">[133]</span> personne n’est sur pied ; les +troupeaux sont en mauvais état ; la <em>nezla</em><a id= +"FNanchor_200"></a><a href="#Footnote_200" class= +"fnanchor">[200]</a> est à Bey Salah (puits).</p> + +<p>J’ai bu à Temassīn de l’eau des rhedirs de l’oued Retem<a id= +"FNanchor_201"></a><a href="#Footnote_201" class= +"fnanchor">[201]</a>. Il a plu dans le Sahara, et les oueds voisins +se sont remplis.</p> + +<p class="datesect">2 à 12 juillet.</p> + +<p>Je commence à sentir quelques caresses sourdes de fièvres ; +je suis obligé de me tenir, comme avant, renfermé dans la +Kasba.</p> + +<p>Travaux de linguistique. Je recueille un vocabulaire complet du +dialecte righi de Temassīn.</p> + +<p>Le 7 juillet, malade au lit.</p> + +<p>Le 11, mangé les premières figues <em>Kartous</em>.</p> + +<p>Renseignements historiques recueillis par moi auprès de Ben +Chemāl<a id="FNanchor_202"></a><a href="#Footnote_202" class= +"fnanchor">[202]</a>. Les premiers sultans de Tougourt furent la +dynastie des Oulad Beiffo, dont les descendants excessivement +pauvres habitent encore un des villages de l’oasis, Tebesbest, je +crois. Ils gouvernèrent Tougourt et Kedima, dont l’emplacement +était dans la <em>Ghaba</em><a id="FNanchor_203"></a><a href= +"#Footnote_203" class="fnanchor">[203]</a> près de Sidi Mohammed +ben Yahiya. C’étaient des Rouāgha. Tougourt el Kedīma fut peu à peu +abandonnée, dit-on, à cause des scorpions, et la nouvelle ville fut +bâtie par Sidi Zekri, marabout righi de Tougourt et Kedima. Une +Djemaʿa gouverna Tougourt dans l’origine, et Sidi Zekri n’en fut +que le bon conseiller ; Tala était alors plus puissante que +Tougourt ; elle avait des cheikhs ; dont le plus célèbre +est connu sous le nom de Cheikh el Tālāoui. Sidi Mohammed Ben +Yahiya succéda à Sidi Zekri et gouverna de même par ses conseils. +Il résida 40 ans dans la Kasba. Lorsque ce marabout avait 15 ans, +Sidi Khelil, Sidi Ali Ben Soultān et Sidi Embarek es Saim venaient +faire leur pèlerinage à Sidi Bou Haniya près de Goūg.</p> + +<p>Avant la mort de Sidi Mohammed, deux frères du nom de Beni +Djellāb passaient souvent à Tougourt. Leur pays originaire était +Telemsen (ils descendaient des Mérinides) et ils avaient alors +leurs biens dans le Djebel Sahāri. A Tougourt ils prêtèrent des +sommes considérables à tous ceux qui leur en demandaient, +si<span class="pagenum" id="Page_134">[134]</span> bien qu’au bout +de bien des années, ils vinrent un jour à Tougourt et voulurent +faire leurs comptes, ne voulant plus y revenir. On trouva que tout +le bien de Tougourt ne pourrait plus payer les dettes des +habitants. Les habitants de Tougourt allèrent à Sidi Mohammed Ben +Yahiya et lui demandèrent conseil ; ce marabout se fit amener +les deux frères Ben Djellāb, et leur dit qu’il allait habiter dans +son village (le même qui porte aujourd’hui son nom) et qu’il leur +abandonnait la ville et tout ce qu’elle renfermait. — Ainsi +commença la dynastie des Ben Djellāb. — Plus tard les Oulad Sidi M. +Ben Yahiya ne s’entendirent pas bien avec les Ben Djellāb et ils +émigrèrent dans le Tell où ils sont actuellement avec les Oulad Abd +en Nous près de Constantine.</p> + +<p>Dans ce temps-là, il y avait des juifs à Tougourt.</p> + +<p>L’un des frères Ben Djellāb, ʿAbd el Hakk el Merīni, fut le +premier cheikh de Tougourt ; — de là à Cheikh Selmān il y a +une lacune dans la généalogie ; le cheikh Ben Chemāl ne +connaît pendant ce temps d’autre fait que la destruction de Tāla +qui eut lieu, comme il croit, sous le fils d’Abd-el-Hakk. +Abd-el-Hakk conquit lui-même Meggarin, Qsoūr, etc., et ne s’arrêta +que devant Tala qui résista à ses armes. Mais son fils usa d’un +stratagème qui lui réussit. Il offrit au cheikh de Tala de cimenter +une paix durable en épousant sa fille. Celui-ci y consentit. — Ben +Djellāb déguisa, le jour désigné pour la fête, un homme en +mariée ; il fit travestir un grand nombre de ses serviteurs en +femmes venues à la fête ; tous portaient des armes sous leurs +vêtements. Il fit accompagner le tout de 50 cavaliers. Le cheikh de +Tala reçut sa prétendue femme et sa suite et fit loger les +cavaliers chez ses serviteurs. La fausse mariée avait prévenu +qu’elle donnerait le signal de l’attaque en tuant le cheikh +lorsqu’il viendrait la nuit. Cela arriva en effet : dans la +nuit, en entendant le coup de feu du signal, tous les serviteurs de +Ben Djellāb se précipitèrent au carnage et eurent bientôt raison de +la ville qui fut détruite par des renforts venus de Tougourt.</p> + +<p>Sous le cheikh Selmān, le premier à partir de la lacune, eut +lieu un événement curieux. Une femme arabe appelée Oumm Hāni Bent +el Bey (fille d’une femme Douaouda<a id="FNanchor_204"></a><a href= +"#Footnote_204" class="fnanchor">[204]</a> et d’un bey de +Constantine), voulut devenir cheikha des Arabes au Sahara et +fit<span class="pagenum" id="Page_135">[135]</span> de grandes +razzias elle-même à cheval et armée, tua le Douaouda, son mari, ses +frères et beaucoup d’autres chefs. Enfin Selman voulut faire une +alliance avec elle et lui proposa d’épouser son fils. Elle fit +semblant d’accepter, mais lorsque Selman vint à son camp, à la +Regouba de Sidi Khelil avec 500 chevaux, on distribua habilement +son monde dans les tentes et Selman logea dans la tente de Bent el +Bey. La nuit, elle tua elle-même le cheikh et ce fut le signal +d’une tuerie générale.</p> + +<p>Cheikh Mohammed ben Selman lui succéda ; puis Selman, son +fils ; Brahim, fils du précédent ; Abd-el-Kader ; +Hamed, fils de Brahim ; ’Amer, fils d’Abd-el-Kader ; +Mohammed el Akhal, fils de Hamed ; Hamed, fils de +Mohammed ; Abd-el-Kader, petit-fils d’Amer ; Farhāt, +frère du précédent ; Brahim, fils de Hamed ; El-Khāzen +ben Farhat ; Mohammed, fils de Hamed ; ’Omar, fils de +Mohammed ; Brahim, fils de Mohammed ; ’Ali, fils de +Mohammed ; Ben Abd er Rahman, petit-fils d’Amer ; Selman, +fils d’Ali ; les Français.</p> + +<p class="datesect">13 juillet.</p> + +<p>Je pars de Tougourt dans la soirée et nous prenons la route de +Mouïa el Ferdjān. Après deux heures de marche, nous faisons halte +dans une dépression qui continue le bas-fond de la Chemorra (en +deçà des dunes). L’endroit s’appelle Benga. Le sol portant trace de +l’action des eaux est très dur formé d’un conglomérat de sable et +de petits morceaux de chaux et de calcaire.</p> + +<p class="datesect">14 juillet.</p> + +<p>Nous marchons 5 heures et faisons la sieste entre El-Ouibed et +El-Māleha. De là, une heure et demie de marche au puits de Mouï +Chabbi dont nous trouvons l’eau pourrie et verdâtre. On l’avait +récemment fourni d’une nouvelle garniture de drīn.</p> + +<p>De là, une heure 20 minutes au puits de Mouïa el Ferdjān. Je +relève ce petit bout de route que je n’avais pas encore fait.</p> + +<p class="datesect">15 juillet.</p> + +<p>Hier au soir, j’ai eu un premier accès de fièvre.</p> + +<p>Nous marchons 5 heures 1/4 et arrivons au puits de Mouïa el +Kaïd. Après la sieste, 2 h. 3/4 de marche nous amènent dans les +dunes de l’Erg-Said, où la nuit nous prend et où nous couchons.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_136">[136]</span>J’ai remarqué +dans la dernière partie de la route que le guide était souvent +obligé de frayer un chemin artificiel aux chameaux dans les dunes. +Il disait en travaillant : « El-Bahri oua’ar » (le +vent de l’est est dur). Il est clair, en effet, que c’est ce vent +qui, dans cette saison, fait progresser les dunes vers l’ouest. +Toutes les dunes que nous coupons ont la forme des vagues de la +mer ; elles sont orientées à angle droit de la route ; +leur côté à pic était de notre côté, c’est-à-dire qu’elles viennent +en sens opposé. C’est donc un vent d’E.-N.-E. ou de N.-E. qui les +produit.</p> + +<p class="datesect">16 juillet.</p> + +<p>Une marche de 3 heures 3/4 nous amène à Kouïnīn par Ourmās. Je +croyais d’abord ne faire que la sieste à Kouïnīn, mais une fièvre +violente me prend ; vomissements, courbature générale ; +douleurs de poitrine et de reins, faiblesse. Je prends de +l’ipécacuanha qui agit ; de la quinine deux fois, que je +rends. Eau sucrée et éther.</p> + +<p>Tribus de Kouïnīn :</p> + +<table class="tab-p4 bd-collapse" id="t136"> +<tr> +<td>Djebirāt</td> +<td class="brt width-brace1"> +</td> +<td rowspan="3">Toroūd.</td> +</tr> + +<tr> +<td>Oulad Mansoūr</td> +<td class="liner"> +</td> +</tr> + +<tr> +<td>El-Gouāïd</td> +<td class="brb"> +</td> +</tr> + +<tr> +<td colspan="3">El-Beldiya (Soufiya) — ’Adouān.</td> +</tr> +</table> + +<p>On me raconte ici que les ancêtres de la population actuelle lui +ont raconté qu’autrefois, lorsqu’ils montaient sur leurs palmiers, +ils dominaient une rivière d’eau courante, qui commençait à Chegga +(nord du Souf) et finissait à ’Amīch (Ras el Ouad)<a id= +"FNanchor_205"></a><a href="#Footnote_205" class= +"fnanchor">[205]</a>. Cette rivière était comme celle de Nefta. +Encore aujourd’hui, les Souafas en creusant un nouveau jardin +trouvent des chaudrons de fer et d’autres objets appartenant à la +population passée, dans des endroits inhabités aujourd’hui.</p> + +<p class="datesect">17 juillet.</p> + +<p>Je me rends à El-Ouad comme je peux sur un cheval qu’on me prête +à Kouïnīn. Je trouve le kaïd qui me reçoit bien comme +d’habitude ; mais je suis obligé de changer quelque chose aux +dispositions qu’il avait prises pour mon départ, ce qui va me +causer quelques retards.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_137">[137]</span>— Je pèse un +<em>mithcal</em> d’El-Ouad, et j’obtiens par ces doubles pesées 4 +gr. 175 ; ce mithcal a 21 <em>nouayā</em><a id= +"FNanchor_206"></a><a href="#Footnote_206" class= +"fnanchor">[206]</a> ; celui de Constantine en a 26.</p> + +<p class="datesect">18 juillet.</p> + +<p>Ce jour s’est annoncé comme devant être très chaud ; mais +le ciel fut pur. Je passai ma journée sur mon lit, attendant pour +utiliser mes faibles forces que le moment de l’éclipse fût arrivé. +Je calculai par construction graphique le moment où elle devait +avoir lieu, mais me trompai fort en prenant pour heure, celle où +l’éclipse <em>totale</em> aurait lieu sous la longitude d’El-Ouad. +Et l’éclipse ne devait pas être totale ici. Cela fut cause que +quand j’allai à la lunette, dix minutes avant le premier contact +(comme je le croyais), je trouvai le disque solaire entamé. Je me +mis en observation, et je vis la lune couvrir successivement les +taches du soleil. L’éclipse était au moins au tiers et la +population d’El-Ouad ne s’en était pas aperçue ; alors elle +fut simultanément reconnue, et quelques bavardages inquiets firent +place à un profond silence. Mais lorsque les progrès de l’éclipse +furent marquants, des cris poussés de tous les côtés annoncèrent la +détresse des Arabes. On entendait partout : « Iā chĭfā Si +Mohammed rasoul Allah ! »</p> + +<p>Je vis le disque lunaire approcher à une distance extrêmement +minime du bord du soleil ; je crus un instant voir certaines +montagnes faire éclipse totale et au moment où je m’apprêtais à +marquer l’heure de ce contact, l’éclipse commença à diminuer.</p> + +<p>Je vis alors des pigeons voler au-dessus de la maison, se +rendant à leurs gîtes. Des Arabes de la ville me disent avoir vu +des étoiles. La lumière la plus faible a été celle qui succède dans +cette saison au coucher du soleil. L’éclipse diminua lentement et +je pus observer le dernier contact à 4 h. 54 m. 45 p. de mon +chronomètre qui marque encore le temps de Paris.</p> + +<p>Après l’éclipse, j’eus une députation des <em>mechaikh</em> qui +vinrent me demander si l’année serait pluvieuse. Ma prédiction +accomplie de l’éclipse, mon ancienne prédiction de pluie de cet +hiver, vérifiée par le fait, leur faisait croire que non seulement +je puis prédire la pluie, mais encore la donner.</p> + +<p>Je fus pris le soir de fièvre violente et de vomissements ; +le<span class="pagenum" id="Page_138">[138]</span> soleil et la +chaleur brûlante à laquelle j’ai été exposé pendant plusieurs +heures avaient rappelé la fièvre.</p> + +<p class="datesect">19 juillet.</p> + +<p>Cette nuit, le kaïd vient me réveiller et me dire qu’ayant reçu +la nouvelle que les Oulad Yagoub étaient en course, il allait faire +monter son goum et aller les chercher. Il partit avant le jour. — +Je vais mieux. Je reçois des plaintes contre le kaïd.</p> + +<p class="datesect">20-21 juillet.</p> + +<p>Je reste encore chez moi toute la journée. — Je prends de +nombreux renseignements sur le pays qui sépare le Souf du Nefzāoua. +Des Ourghamma de Kessār Mouddenīn, marabouts, viennent ici pour +voir si on leur ouvrira le marché d’El-Ouad. Les Ghorib de +Sabrīya<a id="FNanchor_207"></a><a href="#Footnote_207" class= +"fnanchor">[207]</a> qui sont sur leur route et qui apportent ici +les mêmes produits qu’ils apporteraient, leur ont fait peur. De +façon qu’ils ont laissé leurs marchandises, consistant +principalement en beurre, à Sabrīya, et qu’ils sont venus en +<em>mi’ad</em>. Je leur fais un petit discours qui les enchante, et +leur ouvre le marché ; je promets même d’intimider les Ghorib, +ce qui est très facile, vu que cette tribu réside à moitié dans le +Nefzāoua et à moitié au Souf (El-Ouad) où ils ont des palmiers.</p> + +<p class="datesect">22 juillet.</p> + +<p>J’écris à Biskra pour rendre compte des plaintes que j’entends +contre le kaïd.</p> + +<p>Je reste encore toute la journée à la maison.</p> + +<p class="datesect">23-24-25 juillet.</p> + +<p>Le kaïd revient avec ses goums ; il n’a rien trouvé dans sa +course, cependant on tire des coups de fusils au retour comme s’il +y avait eu une victoire ; ces Arabes sont toujours les +mêmes.</p> + +<p>Hier et aujourd’hui on a fait l’Achoura ; nous sommes, je +crois, à peu près au milieu des dix jours de fêtes. La fête a lieu +la nuit, des bandes de jeunes gens se promènent dans les rues en +chantant au son d’un bendier ; puis ont lieu quelques scènes, +des individus se déguisent en mettant quelques hardes +grotesques<span class="pagenum" id="Page_139">[139]</span> s’ils en +ont, puis ils se couchent et, prenant une voix de polichinelle, ils +font des dialogues invariablement terminés par des disputes et des +coups comme chez Gringalet. Cette année, la fête est peu brillante. +Un homme hier a reçu un coup de sabre sur le dos pendant la +mascarade et il a une large blessure. Cela a été fait par +méchanceté.</p> + +<p>Le cheikh Ahmed Ben Touāti vient me voir, c’est un homme qui me +plaît beaucoup, franc et ouvert ; il connaît très bien le +Sahara, il vient du reste à Ghardaya (puits) six mois<a id= +"FNanchor_208"></a><a href="#Footnote_208" class= +"fnanchor">[208]</a> : il est venu en trois jours sur un +méhari et avait reçu des nouvelles de Ghadāmès par un homme monté +sur son méhari qui était allé de Ghadāmès à Bīr Ghardâya en cinq +jours.</p> + +<p><em>Note sur le commerce d’El-Ouad.</em> — Pour l’or, j’apprends +d’une manière plus certaine que le <em>mithcal</em> de +<em>teber</em><a id="FNanchor_209"></a><a href="#Footnote_209" +class="fnanchor">[209]</a> se vend ordinairement 15 francs +lorsqu’il est recherché et 13 fr. 30 lorsqu’il abonde<a id= +"FNanchor_210"></a><a href="#Footnote_210" class= +"fnanchor">[210]</a>. Quant au <em>khôss</em><a id= +"FNanchor_211"></a><a href="#Footnote_211" class= +"fnanchor">[211]</a>, il vaut, dans les mêmes circonstances, de 11 +fr. 10 à 13 fr. et 13 fr. 15. J’ai déjà dit que le mithcal d’ici a +21 <em>nouaya</em> et pèse 4 gr. 175 ; tandis que le mithcal +de Constantine a 26 <em>nouaya</em>, que par conséquent le poids du +mithcal d’El-Ouad se rapporte à celui de Constantine comme 21 à +26.</p> + +<p>Les dépouilles d’autruches sont vendues sur le marché par les +chasseurs eux-mêmes ; et il n’y a personne qui en fasse un +commerce spécial<a id="FNanchor_212"></a><a href="#Footnote_212" +class="fnanchor">[212]</a>. On les achète isolément pour les porter +à Tunis ou à Tébessa. Voici les prix de vente sur le marché. — Une +belle dépouille de mâle (<em>delīm</em>) vaut 100 fr. et 125 fr. +lorsqu’elles sont recherchées et très belles. Une belle dépouille +de femelle (<em>ramdha</em>) ne vaut que 40 fr. au plus 45 fr. Un +œuf d’autruche vaut de 50 à 60 centimes.</p> + +<p>Le commerce du Souf avec <em>Tébessa</em> repose sur les objets +suivants :</p> + +<p>1<sup>o</sup> Exportation du Souf. — Dattes, peaux brutes de +chèvres (avec poil), tabac en feuilles, vêtements de +laine ;</p> + +<p>2<sup>o</sup> Importation de Tébessa, — <em>Gountĕs</em> (racine +condimentale),<span class="pagenum" id="Page_140">[140]</span> +beurre, laine, moutons, chèvres, blé, <em>gueddīd</em> (viande +desséchée).</p> + +<p>Quant aux objets que le Soūf donne à Tunis, ce sont : des +vêtements confectionnés, des peaux brutes de chèvres et de moutons +(pour Kaïrouān), des <em>douros</em>, des chameaux, des dattes.</p> + +<p><em>Ouargla.</em> — On y apporte d’El-Ouad, de l’huile, du +tabac, des vêtements confectionnés, des meules (venues de Gafsa), +de la garance, du blé, des cotonnades, des pierres à fusil (venues +de Tunis), du soufre<a id="FNanchor_213"></a><a href= +"#Footnote_213" class="fnanchor">[213]</a>. On en rapporte de la +laine, des chameaux, du beurre, de la graisse, de la viande +desséchée, de jeunes plants de palmiers en grand nombre, qui sont +vendus sur le marché, des burnous du Mzāb, du sel, des dattes.</p> + +<p><em>Biskra et le Zab.</em> On y apporte : vêtements +confectionnés, peaux brutes de chèvres, dattes, +<em>tellīs</em><a id="FNanchor_214"></a><a href="#Footnote_214" +class="fnanchor">[214]</a>, (<em>gherāra</em>), du tabac ; ce +dernier article vaut ici 25 c. à 50 c. le <em>kef</em> composé de 5 +plants ou 4 grands et 6 petits. Voici la liste des objets qu’on en +rapporte avec les prix qu’ils obtiennent à El-Ouad :</p> + +<div class="quote"> +<p>Henné, le 1/2 kil. 0 fr. 70 à 1 fr. 35.</p> + +<p>Tapis arabes, qualités diverses, de 100 à 300 francs.</p> + +<p>Laine, la toison à 2 francs.</p> + +<p><em>Settāl</em> (gamelles en fer battu pour boire), les grands 1 +fr. 60, les petits 1 franc<a id="FNanchor_215"></a><a href= +"#Footnote_215" class="fnanchor">[215]</a>.</p> + +<p>Indigo, la bonne qualité, le 1/2 kil. 6 fr. 20, la qualité +inférieure 4 francs<a id="FNanchor_216"></a><a href="#Footnote_216" +class="fnanchor">[216]</a>.</p> + +<p>Foulards de coton imprimés, les bons, la douzaine 6 fr., la +qualité inférieure 3 francs.</p> + +<p>Bougie, le 1/2 kil. 1 fr. 35 jusqu’à 1 fr. 50.</p> + +<p>Sucre blanc, le 1/2 kil. 1 fr. 50.</p> + +<p>Cassonnade, le 1/2 kil. 0 fr. 90 à 1 franc.</p> + +<p>Ganse blanche, le 1/2 kil. 6 francs.</p> + +<p>Loŭk, substance tinctoriale<a id="FNanchor_217"></a><a href= +"#Footnote_217" class="fnanchor">[217]</a>, les 50 kil. 150 fr. la +bonne qualité.</p> + +<p>Tărtăr <span class="word-spaced16"> id. </span> les 50 +kil. 150 francs. <span class= +"word-spaced12"> id. </span></p> + +<p>Miroirs ronds montés en cuivre, les grands, la douzaine, 1 fr. +60.</p> + +<p><span class="word-spaced20"> id. </span> les petits, +<span class="word-spaced10"> id. </span> 1 franc.</p> + +<p>Miroirs ronds montés en étain, les grands, la douzaine, 1 +franc.</p> + +<p><span class="word-spaced20"> id. </span> les petits, +<span class="word-spaced10"> id. </span> 0 fr. 75.</p> + +<p>Ficelle, le 1/2 kil. 2 francs.</p> + +<p>Grandes aiguilles pour tellis, le 100 de 50 à 60 centimes.</p> + +<p>Gaze grossière, pièces de 16 à 17 drà, 3 francs.</p> + +<p>Abricots secs, 1 fr. le saa (2 1/2 kil.).</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_141">[141]</span>Beurre, mesure +de 5 3/4 livres, selon les temps, de 7 fr. à 3 fr. 50.</p> + +<p>Souliers de Constantine, la paire, 4 à 5 francs.</p> + +<p>Burnous ’abbāsi (épais), les beaux, 60 à 65 francs.</p> + +<p><span class="word-spaced12"> id. </span> qualité +inférieure, 40 à 45 francs.</p> + +<p>Calottes rouges de fabrique, les grandes 2 fr. 50, les petites 1 +fr. 50.</p> + +<p>Soie, le 1/2 kil. 20 fr. la qualité supérieure et 15 fr. la +qualité inférieure.</p> + +<p>Café en grains, 2 fr. le kil.</p> + +<p>Suif (de Bou Saada), selon le temps, de 50-60 cent. à 1 fr. la +livre.</p> + +<p>Savon (hadjri) en morceaux, le 1/2 kil. 0 fr. 75 à 1 franc.</p> + +<p><span class="word-spaced10"> id. </span> arabe +liquide, le 1/2 kil. 75 à 1 fr. 10.</p> + +<p>Alun, la livre 30 à 40 centimes.</p> + +<p>Aiguilles, le cent, 20 centimes.</p> +</div> + +<p>Les cotons ne peuvent pas faire concurrence à ceux venus de +Tunis qui sont de fabrique anglaise.</p> + +<p><em>Gabès.</em> — On y apporte du Souf : laine de rebut +(servant à faire des couvertures brunes dont se vêtissent les gens +du Sahel, peaux de chèvres et de moutons non préparées, tabac en +quantité, chameaux, dattes (<em>degla</em>).</p> + +<p>Le commerce d’El-Ouad avec <em>Gabès</em>, surtout celui par la +route directe, est fait par les gens de Matouiya<a id= +"FNanchor_218"></a><a href="#Footnote_218" class= +"fnanchor">[218]</a> qui, étant sujets du Bey de Tunis, jouissent +d’un peu plus de sécurité que les Souafa. Cette route est rendue +très dangereuse pour le voisinage des Oulad Yagoūb.</p> + +<p><em>Ghadāmès.</em> — On y apporte des vêtements confectionnés +surtout, des dattes (<em>degla</em><a id= +"FNanchor_219"></a><a href="#Footnote_219" class= +"fnanchor">[219]</a>, <em>rhers</em>, <em>fezzāni</em>), du tabac +et des grains (blé et orge) lorsqu’ils sont chers à Ghadāmès.</p> + +<p><em>Beni Mezab.</em> — On y apporte des meules, des vêtements +(<em>haouli</em>), fusils (de Tunis), des pioches (de Kairouān), +des pièges à gazelles (de Kairouān), soufre, garance, huile, +cotonnades, <em>guemmām</em> (gomme adorante). On en rapporte des +chameaux, des <em>guedaouis</em> (blouses de laine de couleurs +différentes), burnous, laines, moutons, viande desséchée, suif.</p> + +<p>On me dit que, dans les mauvaises années, il vient ici 5-600 +mitcals d’or de Ghadāmès ; dans les bonnes années, de 1.500 à +3.000 mithcals. Cela ne fait que pour 45.000 fr. d’affaires dans +les meilleures conditions. Cela fait 12.525 grammes d’or.) +L’<em>oukiya</em> de Tunis timbrée = 31 gr. 725 ; elle a 7 2/3 +de mithcal.</p> + +<p>Le soir, je suis piqué par un scorpion ; la douleur monte +très vite à l’aisselle (du bord de l’index), je souffre +excessivement. La nuit,<span class="pagenum" id= +"Page_142">[142]</span> je ressens des picotements ou de la +paralysie aux pieds, au nez et aux lèvres. Je me soigne en mettant +de l’ammoniaque sur la piqûre élargie au bistouri, et en buvant un +peu de ce médicament dans de l’eau. Ampoules sur le doigt piqué. +Froid sur tout le membre atteint, taches violettes, etc.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp2c02"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_175"></a><a href="#FNanchor_175"><span class= +"label">[175]</span></a>Le plus au sud.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_176"></a><a href="#FNanchor_176"><span class= +"label">[176]</span></a>Chéchias.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_177"></a><a href="#FNanchor_177"><span class= +"label">[177]</span></a><em>Mebred</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_178"></a><a href="#FNanchor_178"><span class= +"label">[178]</span></a>Ce poids est le mithcal de Tunis. Duveyrier +dit ailleurs (<em>Revue algér. et col.</em>, novembre 1860) qu’il +l’a trouvé égal à 4 gr. 175. Les mithcal de Tripoli et d’Agadès +sont un peu plus forts.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_179"></a><a href="#FNanchor_179"><span class= +"label">[179]</span></a>Once, 1/16 de la livre tunisienne, que +Duveyrier évalue à 508 grammes.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_180"></a><a href="#FNanchor_180"><span class= +"label">[180]</span></a><em>Zebed</em>, sorte de pommade faite avec +la graisse de l’animal du même nom, et dans laquelle il entre en +outre de l’huile, du benjoin, du girofle, etc.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_181"></a><a href="#FNanchor_181"><span class= +"label">[181]</span></a>Ce que Duveyrier appelle ici 1/2 kil. est +la livre tunisienne de 508 grammes. (Cf. son article de la +<em>Revue alg. et col.</em>)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_182"></a><a href="#FNanchor_182"><span class= +"label">[182]</span></a><em>Açaïb et saye</em> ou +<em>tourkedi</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_183"></a><a href="#FNanchor_183"><span class= +"label">[183]</span></a>Natron, carbonate de soude plus ou moins +pur, extrait des petits lacs du Fezzān.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_184"></a><a href="#FNanchor_184"><span class= +"label">[184]</span></a><em>Teber</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_185"></a><a href="#FNanchor_185"><span class= +"label">[185]</span></a><em>Khores</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_186"></a><a href="#FNanchor_186"><span class= +"label">[186]</span></a>Cf. sur leur construction, J. Brunhes, +<em>Les oasis du Souf et du Mzab</em>, <em>La Géographie</em>, V, +1902, p. 14-15.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_187"></a><a href="#FNanchor_187"><span class= +"label">[187]</span></a>La vue <a href="#i13">ci-jointe</a> a été +trouvée, sans indication d’origine, dans les papiers de +Duveyrier.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_188"></a><a href="#FNanchor_188"><span class= +"label">[188]</span></a>Tradition confirmée par Ibn Khaldoun : +au <span class="sc2">IX</span><sup>e</sup> siècle, les Zenata +occupaient le Sahara algérien et tunisien (<em>Hist. des +Berbères</em>, traduct. de Slane, III, p. 275, 286, 303, etc.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_189"></a><a href="#FNanchor_189"><span class= +"label">[189]</span></a>Le <em>zeïta</em>, comme Duveyrier l’a +reconnu plus tard, n’est pas le <i>Statice monopetala</i> L., mais +une autre plombaginacée : <i>Limoniastrum Guyonianum</i> +Dur.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_190"></a><a href="#FNanchor_190"><span class= +"label">[190]</span></a>Briques d’argile séchées au soleil.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_191"></a><a href="#FNanchor_191"><span class= +"label">[191]</span></a>En grande partie comblés depuis par les +soins du bureau arabe.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_192"></a><a href="#FNanchor_192"><span class= +"label">[192]</span></a>Une autre porte, Bab-el-Gharb, a été +rouverte plus tard.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_193"></a><a href="#FNanchor_193"><span class= +"label">[193]</span></a>Bey de Constantine, qui assiégea Tougourt +en 1788.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_194"></a><a href="#FNanchor_194"><span class= +"label">[194]</span></a>Le lieutenant Auer a été un remarquable +exemple d’endurance européenne au Sahara. Resté lié avec Duveyrier, +il lui écrivait de Biskra en 1869, évoquant le souvenir de leur +commun séjour à Tougourt : « J’ai vieilli depuis, mais +n’ai perdu ni la volonté virile, ni la santé, bien que je compte +aujourd’hui vingt ans de séjour au Sahara. Vous avez bien raison de +me déconseiller l’Europe ; ma nature, toute forte qu’elle +soit, ne supporterait plus un autre climat, et je veux passer en +Afrique les jours qui me restent à vivre » (29 décembre +1869).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_195"></a><a href="#FNanchor_195"><span class= +"label">[195]</span></a><span class="arabic">حلاج</span> veut dire, +en arabe, is qui gossypium a semine mundat. (H. Duv.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_196"></a><a href="#FNanchor_196"><span class= +"label">[196]</span></a>On sait qu’avant de se fixer au Mzab, une +partie des Ibâdhites a habité cette région. (Masqueray, <em>Chron. +d’Abou-Zakaria</em>, p. 262, etc.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_197"></a><a href="#FNanchor_197"><span class= +"label">[197]</span></a>Lait de palmier fermenté.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_198"></a><a href="#FNanchor_198"><span class= +"label">[198]</span></a>Dans cette éclipse une vieille femme de +Tebesbest, soupçonnée de sorcellerie, fut accusée d’avoir caché la +lune dans un seau d’eau. Ses voisins et le cheikh de Tebesbest +vinrent prier le kaïd de la mettre en prison. (H. Duv.) L’éclipse +de soleil du 18 juillet 1860 eut moins d’effet : on ne fit +« que peu de cas de l’événement, excepté quelques talebs trop +croyants qui se portaient vers la mosquée pour prier et conjurer le +sorcier qui causait ce désastre au soleil ; à leur sortie, les +autres leur riaient au nez. » (Lettre d’Auer à Duveyrier, 22 +juillet 1860.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_199"></a><a href="#FNanchor_199"><span class= +"label">[199]</span></a><em>Djinn</em> (pluriel +<em>djenoun</em>) : génies.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_200"></a><a href="#FNanchor_200"><span class= +"label">[200]</span></a>Groupe de tentes.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_201"></a><a href="#FNanchor_201"><span class= +"label">[201]</span></a>Les marabouts s’en font apporter +constamment par les Arabes de leur confrérie, parce qu’ils +craignent les fièvres occasionnées par les eaux de l’oued Righ (H. +Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_202"></a><a href="#FNanchor_202"><span class= +"label">[202]</span></a>Cf. Féraud, <em>le Sahara de +Constantine</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_203"></a><a href="#FNanchor_203"><span class= +"label">[203]</span></a>La « forêt de palmiers » de +Nezla, à 2 kilomètres de la ville actuelle.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_204"></a><a href="#FNanchor_204"><span class= +"label">[204]</span></a>Douaouda, tribu arabe qui fit irruption au +<span class="sc2">XI</span><sup>e</sup> siècle dans l’Oued-Rir et à +Ouargla. (Ibn-Khaldoun, <em>Hist. des Berbères</em>, II, p. +73.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_205"></a><a href="#FNanchor_205"><span class= +"label">[205]</span></a>Cf. sur cette légende Jus dans Rolland, +<em>Hydrologie du Sahara</em>, p. 224.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_206"></a><a href="#FNanchor_206"><span class= +"label">[206]</span></a>Graines de caroubier.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_207"></a><a href="#FNanchor_207"><span class= +"label">[207]</span></a>Oasis de l’extrémité ouest du Nefzāoua.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_208"></a><a href="#FNanchor_208"><span class= +"label">[208]</span></a>C’est-à-dire : y garde ses troupeaux +au pâturage.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_209"></a><a href="#FNanchor_209"><span class= +"label">[209]</span></a>Poudre d’or.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_210"></a><a href="#FNanchor_210"><span class= +"label">[210]</span></a>Le gramme de poudre d’or vaut donc, d’après +les circonstances du marché, de 3 fr. 59 cent. 3 (maximum) à 3 fr. +23 cent. 3 (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_211"></a><a href="#FNanchor_211"><span class= +"label">[211]</span></a><em>Khores</em>, poudre d’or mélangée de +débris d’or travaillé.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_212"></a><a href="#FNanchor_212"><span class= +"label">[212]</span></a>Ces dépouilles venaient de l’Erg, au nord +de Ghadāmès ; les autruches y ont à peu près disparu +aujourd’hui.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_213"></a><a href="#FNanchor_213"><span class= +"label">[213]</span></a>Pour la fabrication de la poudre.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_214"></a><a href="#FNanchor_214"><span class= +"label">[214]</span></a>Toile de bât (sacs de chargement) pour les +chameaux.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_215"></a><a href="#FNanchor_215"><span class= +"label">[215]</span></a>Fabrication européenne. (Cf. Duveyrier, +<em>Notice sur le commerce du Souf</em> (<em>Rev. algér. et +coloniale</em>, nov. 1860).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_216"></a><a href="#FNanchor_216"><span class= +"label">[216]</span></a>Fabrication européenne.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_217"></a><a href="#FNanchor_217"><span class= +"label">[217]</span></a>Gomme-laque (rectification de Duv., art. +cité).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_218"></a><a href="#FNanchor_218"><span class= +"label">[218]</span></a>Petite ville du littoral au nord de +Gabès.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_219"></a><a href="#FNanchor_219"><span class= +"label">[219]</span></a>Ou <em>deglet-nour</em> (espèces diverses +de dattes).</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h2><span class="pagenum" id="Page_143">[143]</span><a id= +"p3"></a>TROISIÈME PARTIE</h2> + +<p class="sch2">VOYAGE A GHADAMÈS</p> + +<hr class="decor width6 spaced2"> + +<h3 class="nopb"><a id="p3c01"></a>CHAPITRE PREMIER</h3> + +<p class="sch">DANS L’ERG</p> + +<p class="datesect">26 juillet.</p> + +<p>Ce matin, on charge les chameaux pour le voyage de Ghadāmès.</p> + +<p>Je vais au bordj rendre au kaïd une visite qu’il m’a faite de +bon matin, et nous mangeons ensemble la pastèque des adieux. Il est +plus aimable que les jours derniers, et me promet de m’envoyer à +Berresof le prochain courrier. Enfin nous partons. J’ai repris mon +ancienne manière de voyager sur mon matelas plié en deux sur le dos +d’un chameau.</p> + +<p>Nous traversons bientôt un cimetière, et entrons ensuite dans +’Amīch. ’Amīch est le prolongement de l’oued Souf : c’est là +que se perdait l’ancienne rivière, selon la tradition. En effet, ce +pays a bien la forme d’une longue dépression (très peu sensible), +faisant suite à celle qui commence à Ghamra et arrive à +El-Ouad ; en le traversant dans sa longueur comme nous le +faisons aujourd’hui, on a à droite (ouest) des dunes assez hautes à +une petite distance et l’on traverse des groupes de maisons et de +nombreuses cabanes en palmes (<em>zérība</em>, pl. +<em>zeraīb</em>), formant ainsi pour ainsi dire autant de petits +hameaux qui prennent le nom de « <em>nezla</em> », mot +emprunté à la vie nomade. C’est dans ’Amīch que vivent une partie +des Toroūd, quand ils ne sont pas avec leurs troupeaux dans le +Sahara. A gauche de la route sont les jardins de palmiers dispersés +dans les intervalles des dunes. On peut voir là de magnifiques +échantillons de palmiers.</p> + +<p>Nous rencontrons un cavalier rebāyi ; il est à remarquer, +pour cette portion des Toroud, que leur manière de se vêtir et de +harnacher<span class="pagenum" id="Page_144">[144]</span> leurs +chevaux, et leurs fusils surtout, sont identiques à ceux des tribus +du sud de la Tunisie et de la Tripolitaine. Ces tribus sont surtout +caractérisées par le haïk tourné simplement par-dessus une calotte +rouge un peu renfoncée sur le côté et qui paraît à moitié sous le +haïk ; par leurs vastes et immenses étriers et enfin par leurs +longs fusils à crosse ornée de nacre et de corail. Je possède une +de ces armes.</p> + +<p>Nous nous arrêtons à la zaouiya de Sidi Abd el Qāder, presque à +l’extrémité d’ʿAmīch. Le kaïd avait prévenu de mon arrivée, de +sorte que je trouve un bon tapis étendu dans l’élégante et propre +goubba, et je m’établis dans ce lieu saint. On m’apporte un repas +inmangeable, mais succulent pour des Arabes. Il fait si chaud que, +malgré mon désir de m’éloigner le plus tôt possible du Souf, nous +restons la nuit ici. Le soir, de pieux khouān de toutes les sectes +possibles étaient venus faire leurs récitations et chants autour de +la goubba. Je les disperse en leur faisant remarquer que le désert +est vaste et qu’il n’est pas hospitalier de troubler le sommeil +d’un voyageur.</p> + +<p>ʿAmich a, à mon estime, autant d’habitants qu’El-Ouad, à la +saison où toutes les huttes sont occupées (9 à 10.000 habitants). +Les femmes ici s’habillent comme à El-Ouad, de deux manières, soit +avec un <em>haouli</em> blanc accroché sur les épaules, soit avec +un <em>haouli</em> bleu suspendu de la même manière ; puis +elles ont de grosses tresses de laine de chaque côté de la figure, +et quelques-unes savent se faire pardonner cette hérésie par des +ornements rouges de bon goût du côté droit de la figure.</p> + +<p class="datesect">27 juillet.</p> + +<p>Nous partons d’assez bonne heure, et rencontrons sur la première +partie de la route des partis de Toroud avec leurs bagages, femmes, +enfants, troupeaux rentrant à El-Ouad. Une de ces dames, assez +jolie, demande, en faisant la mine à Ahmed, où nous allons. Ahmed +lui répond : « Comment, toi tu vas faire paître tes +chameaux dans le Sahara et nous, nous n’irions pas faire paître les +nôtres ? »</p> + +<p>Nous rencontrons aussi un nègre occupé à ramasser des crottes de +chameaux sur la route pour fumer les palmiers. Ce travail, je dois +le dire, a une grande importance dans le Souf et occupe beaucoup de +monde ; on va jusqu’à une et deux journées de +marche<span class="pagenum" id="Page_145">[145]</span> pour en +ramasser. Ces crottes servent à entourer la racine des <em>jeunes +plants</em> de palmier ; ensuite on n’en met plus.</p> + +<p>Nous laissons bientôt sur la droite un chemin qui passe d’abord +au puits de Zerrīt et se continue ainsi jusqu’à Ghadāmès. Nous +passons la <em>gaïla</em> dans le pays appelé Drā el Khezīn, ce +sont des dunes plus régulières et moins accidentées que les autres, +il y avait là un puits que M. de Bonnemain<a id= +"FNanchor_220"></a><a href="#Footnote_220" class= +"fnanchor">[220]</a> a vu donnant de l’eau. Nous reprenons, le +soir, notre route et allons coucher près de Moui Bel Rhīt.</p> + +<p>Nous avons vu aujourd’hui deux plantes nouvelles pour moi : +le <em>goseyba</em>, graminée, et le <em>godhām</em> ou +<em>guedhām</em>, plante dans le genre du <em>dhomrān</em>.</p> + +<p class="datesect">28 juillet.</p> + +<p>Avant de partir, je mesure la direction de l’arête de la dune +sous laquelle j’ai dormi ; je la trouve égale à 150° +(boussole) ; les grains de sable sont chassés par le vent de +l’est vers l’ouest. Presque au début de la journée, nous arrivons +aux Haouād el Azoūl où nous nous séparons de la route de Mouï +’Aissa qui reste sur la droite. La végétation de cet endroit est +composée principalement de <em>drin</em>, <em>arta</em> et +<em>ārfij</em>. Nous passons ensuite le puits mort de Mouï el +Arneb. Tous ces puits morts que nous allons rencontrer ne le sont +ainsi que momentanément ; ainsi, dès que les bergers trouvent +de bons pâturages dans un endroit, ils refont le puits le plus +voisin et y restent jusqu’à ce que bon leur semble.</p> + +<p>Une bonne marche de la matinée nous amène à Choūchet el Guedhām, +puits de bonne eau, où nous arrivons au moment où on allait +abreuver un troupeau de moutons et de chèvres. Les pasteurs de la +tribu des Mesăaba (celle d’Ahmed) lui laissent choisir le plus bel +agneau qu’il peut trouver et ne veulent pas en recevoir le +prix ; ils viennent plus tard me rendre leurs hommages. Après +avoir fait notre provision d’eau, nous rétrogradons un peu pour +venir passer la sieste sous de petites huttes de broussailles +faites probablement par une caravane qui a passé avant nous. Après +une longue sieste, une courte marche nous amène au puits mort de +Mouï er Rebăya el Gueblaoui<a id="FNanchor_221"></a><a href= +"#Footnote_221" class="fnanchor">[221]</a> (par<span class= +"pagenum" id="Page_146">[146]</span> opposition au puits de même +nom qui se trouve entre le Souf et l’Oued-Righ).</p> + +<p class="datesect">29 juillet.</p> + +<p>Après avoir longé dans toute son étendue une petite chaîne de +dunes (Zemlet Ahmed Ben ’Aād), nous arrivons à un puits appelé Bīr +ez Zouāīt, dont l’eau de couleur verdâtre est lourde et légèrement +saumâtre. Nous nous arrêtons ici une heure, et en me promenant aux +environs, je vois à mon grand étonnement, dans un petit bas-fond +semblable à celui du puits, la surface du sable couverte par +endroits de petites coquilles minces et fragiles ressemblant en +tous points à des coquilles d’eau douce, telles que celles des +genres <i>Limnæa</i> ou <i>Bulla</i><a id= +"FNanchor_222"></a><a href="#Footnote_222" class= +"fnanchor">[222]</a>. Je m’abstiens de toutes notices et +dissertations sur cette trouvaille. Je remarquerai cependant +qu’aujourd’hui nous avons ensuite rencontré un grand nombre de +petits bas-fonds de ce genre, mais que je n’ai pu examiner ; +ils ont au plus 100 mètres carrés de superficie et ne peuvent pas +être pris en considération sur la carte.</p> + +<p>Nous voyageons le reste de la journée dans une plaine unie de +sable avec végétation variée d’<em>alenda</em>, <em>arta</em>, +<em>ezal</em>, <em>drin</em>, etc... Nous rencontrons un jeune +<em>ourân</em>, des cigales et un petit oiseau gris que j’ai déjà +rencontré dans le Sahara et qui a pour cri la gamme en sautant une +note sur deux, chant à intervalles écartés de six à huit +pauses.</p> + +<p>Nous faisons la sieste dans un endroit qui ne présente rien de +remarquable, et après la sieste nous atteignons facilement, quoique +à la nuit tombante, le puits de Maleh ben ’Aoūn. Nous y rencontrons +deux Toroūd avec une dizaine de chameaux venant de Berresof et qui +ne font que prendre de l’eau au puits.</p> + +<p class="datesect">30 juillet.</p> + +<p>Notre marche d’aujourd’hui n’a été que fort peu de chose ; +nous allons simplement à Mouï Rebah ; le pays qui sépare ce +puits de celui où nous avons couché hier est une plaine de sables +unis légèrement ondulés et couverts d’une assez riche végétation +(comme<span class="pagenum" id="Page_147">[147]</span> hier) de +<em>drin</em>, <em>arta</em>, <em>’alenda</em>, <em>baguel</em>, +<em>ezal</em>. Nous passons plusieurs puits morts et un puits d’eau +saumâtre.</p> + +<p>Pendant la marche, mes gens prennent une gerboise des sables, +que je dépiote en arrivant. Au puits de Mouï er Rebah, Ahmed tue +une sorte de petit corbeau ou de grande corneille à tête et à nuque +d’un brun bois pourri foncé ; le reste du plumage est tout +noir. Les chameliers et mes gens mangent cet oiseau. En route une +autre prise, celle d’un gros mâle de <em>cherchimāna</em> +(<i>Scincus</i> .....) à bandes latérales brun foncé, séparées par +des bandes de jaune gomme gutte. Tête d’un noir brunâtre clair.</p> + +<p>Nous arrivons au puits de Mouï er Rebah que l’on me dit avoir +été creusé par les Djohāla<a id="FNanchor_223"></a><a href= +"#Footnote_223" class="fnanchor">[223]</a> ; le fait est que +ce puits est très célèbre dans le Sahara. L’eau en est bonne, mais +a dans ce moment un goût de renfermé et de corrompu, qu’elle doit à +ce qu’il n’y a pas de troupeaux dans le voisinage, et que l’eau n’a +pas l’occasion de se renouveler par suite de grandes quantités +absorbées au dehors. Dans la soirée nous voyons arriver deux ou +trois chameaux chargés en partie de « jell » (crottes de +chameau) ; on vient en prendre bien loin pour fumer les +jardins du Souf !</p> + +<p>J’ai oublié de noter qu’hier, peu de temps après notre départ, +nous fûmes rejoints par un nègre marron qui demanda la permission +de nous suivre à Ghadāmès ; je lui accorde cette permission, +car je ne puis que favoriser l’émancipation des esclaves. Cependant +Ahmed et mes autres compagnons ne partagent pas mes principes. Le +nègre nous suivra donc et si son maître ne vient pas à temps à +Berresof, il ira à Ghadāmès et sera là en sûreté. Le motif de la +fuite de ce nègre (qui est de Kanō) est que son maître lui donne +toujours les plus pénibles tâches à remplir, et qu’il lui défend +d’aller aux fêtes des nègres.</p> + +<p>Je ne fais pas une longue sieste, et, le soir, je veille un peu +pour tâcher de faire des observations astronomiques.</p> + +<p class="datesect">31 juillet.</p> + +<p>Nous passons plusieurs puits et nous arrêtons pour faire la +sieste en sortant d’une ligne de dunes, à un endroit où le +<em>hād</em> apparaît pour la première fois. Nous traversons un +immense <em>sahan</em><a id="FNanchor_224"></a><a href= +"#Footnote_224" class="fnanchor">[224]</a><span class="pagenum" id= +"Page_148">[148]</span> uni parsemé de petits morceaux de calcaire +(vétusté) ; si j’osais le penser, je croirais que c’est un +bassin d’eau desséché. Il est bordé en partie de petits bourrelets +de dunes. Nous couchons à une <em>ogla</em> très profonde appelée +Dakhlet Sidi-’Aoūn, qu’il ne faut pas confondre avec El ’ogla ech +Cherguiya de Berresof.</p> + +<p class="datesect">1<sup>er</sup> août 1860.</p> + +<p>Aujourd’hui les dunes apparaissent à droite et à gauche de notre +route sous forme de petits chaînons. Nous passons plusieurs puits +et rencontrons des troupeaux de chameaux et aussi une ou deux +huttes habitées par des Ferdjān qui ont là un cheval ; on nous +apporte un peu d’une boisson composée pour cet animal de lait de +chamelle coupé d’eau. Nous arrivons à la sieste à Bir er +Reguia’t<a id="FNanchor_225"></a><a href="#Footnote_225" class= +"fnanchor">[225]</a> où nous trouvons une douzaine de +« zeraïb » occupées par des Roubaa’ya<a id= +"FNanchor_226"></a><a href="#Footnote_226" class= +"fnanchor">[226]</a>. Ces gens prennent plaisir à effrayer mes +hommes, déjà si impressionnés par l’idée d’aller au-devant d’un +inconnu. Ils finissent par me faire croire à la possibilité que les +Touāreg campés autour de Ghadāmès nous empêcheraient d’y +entrer.</p> + +<p>Une marche moyenne dans l’après-midi nous amène à Berresof, le +dernier puits sur notre route. Nous trouvons ici plusieurs groupes +de huttes habitées par des Roubaa’ya. La caravane partie peu de +jours avant nous avec le Ghadāmsi est encore ici ; elle attend +son guide qui est dans les dunes à la chasse du +« beguer », antilope oryx ou leucoryx. Elle nous rassure +sur les bruits que nous avons entendus ce matin.</p> + +<p>Je reçois dans la soirée la visite des principaux Roubaa’ya +campés ici ; ils se mettent entièrement à ma disposition, et +se plaignent en même temps de ce que, depuis le gouvernement des +Français, ils ne peuvent pas aller razzier leurs voisins et sont, +au contraire, exposés aux attaques de tous. Je leur explique de mon +mieux la politique des Français à cet égard. Ils craignent ici les +Ourghamma, les Beni-Zid et les Oulād Yagoub, qui tous ne sont pas +loin de ce point. Dans la soirée il y a noce chez les +Roubaa’ya ; étant un peu fatigué, je n’y vais pas, mais mes +serviteurs me racontent que des femmes y faisaient une sorte de +danse ayant leur chevelure dénouée, qu’elles jettaient à droite et +à gauche.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_149">[149]</span>2 août.</p> + +<p>Dans la matinée on m’annonce qu’un petit parti de méhara est en +vue, je m’empresse de monter sur une dune et bientôt je distingue +que ce sont des Touāreg. C’est le cheikh Othman, monté sur son haut +méhari blanc et son entourage. Nous nous saluons, et bientôt il +vient dans ma tente où nous avons un long entretien public. Il me +remet deux lettres de France, et une du kaïd Si Ali Bey<a id= +"FNanchor_227"></a><a href="#Footnote_227" class= +"fnanchor">[227]</a>. Il me donne à lire aussi une lettre de Hadj +Ikhenoukhen dans laquelle ce chef des Azdjer lui reproche de rester +dans un doux loisir tandis que ses frères les Touareg sont en +guerre les uns avec les autres, et lui dit que son devoir à lui +marabout est de rapprocher les ennemis et de cimenter la paix.</p> + +<p>Le cheikh Othman me conseille quatre choses : la première, +d’avoir beaucoup de patience ; la seconde, d’être libéral en +présents ; la troisième, de ne pas intervenir au désert dans +le conseil des guides ; la quatrième, d’emporter beaucoup +d’eau. Le cheikh Othman a connu le major Laing (er Raīs) ; il +sait encore compter en anglais, ce que le major lui avait appris. +Il reconduisit de Timbouktou (?) à Insalah un des garçons de +service de Laing qui était du Fezzān. J’expose la politique +française vis-à-vis du Sud au cheikh Othman et lui demande son +avis ; ce qu’il m’en dit sera le sujet d’une dépêche que je +ferai demain au général de Martimprey.</p> + +<p>Le soir, je vais voir la noce qui est à son dernier jour. On a +mis la mariée dans une « djahfa » ou cage recouverte de +haoulis rouge sur le dos d’un chameau blanc. Derrière le chameau +sont quelques femmes assez bien, qui frappent sur un tambourin +attaché à la bête en chantant une de leurs chansons monotones. +Devant la mariée les jeunes gens de la <em>nezla</em>, en très +grand nombre et tous bien mis, font la fantasia avec leurs longs +fusils orientaux dans lesquels ils fourrent des quantités de poudre +de sorte que leurs détonations ressemblent au bruit de +l’artillerie. C’est ridicule. Un des performants ayant tiré un coup +faible, j’entends un des jeunes gens dire : « C’est une +femme ! » — Je remarque un des assistants qui sous son +haouli s’est entouré la figure d’une pièce de « çay » +bleu. C’est une mode qui, à ce que l’on me dit, est usitée chez les +Hamamma.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_150">[150]</span>Le cheikh Othman +a amené cinq Touareg avec lui ; ce matin ; on leur a +donné la diffa des Roubaa’ya qui m’était destinée. Le soir, ils ont +leur diffa à eux. — Je vais au puits pour le mesurer, et j’y trouve +des Touareg qui sont de bons garçons ; l’un d’eux, encore +jeune, a la tête nue et rasée, sauf une ligne de cheveux longs +depuis le milieu du front jusqu’au cou derrière la tête. Ils sont +étonnés de voir que je connais leurs divisions de castes et un peu +leur alphabet. Ils admirent le chapelet que m’a donné Si Mohammed +el’Aïd.</p> + +<p>Pendant que j’étais au puits, deux jeunes femmes des Roubaa’ya +emplissaient leurs outres. Elles laissent tomber leur +« delou »<a id="FNanchor_228"></a><a href="#Footnote_228" +class="fnanchor">[228]</a> dans le puits. Toutes deux sont vêtues +de blanc et ont une petite pièce d’étoffe de laine bleu foncé jetée +sur la tête, qu’elles ramènent de côté devant leur figure pour ne +pas être aperçues des hommes. Malgré cela, je puis voir qu’elles ne +sont pas mal. L’une d’elles, en se baissant pour prendre son outre, +nous donne quelques instants le spectacle d’un joli petit sein bien +rond qu’elle n’a pas d’objection à laisser exposé aux regards +tandis qu’elle prend tant de soin à cacher sa figure. On me dit que +les Ourghamma, qui étaient venus sous prétexte de cimenter la paix +avec El-Ouad, ont fait un mauvais coup en s’en allant et ont emmené +un chameau qu’ils ont trouvé sur leur route.</p> + +<p class="datesect">3 août.</p> + +<p>Aujourd’hui il n’y a d’autres choses de remarquable que la +demande du Ghadamsi et de ses compagnons d’El-Ouad de partir avant +nous. Le cheikh Othman leur refuse net cette permission. Ces gens +sont effrayés du sort qui peut nous attendre et ne veulent le +partager en aucune façon. Il y a avec le Ghadamsi deux gens +d’El-Ouad qui se rendent à Tripoli.</p> + +<p>Le puits est toute la journée le rendez-vous des Roubaa’ya et +Oulad Hamed campés ici autour et qui sont divisés en trois petites +nezlas ; c’est là que la djemaa se tient, et l’on cause tandis +que les femmes puisent de l’eau et qu’un joueur de flûte joue des +airs. Le puits n’est pas un instant inoccupé tant il y a de monde, +de chameaux, de moutons de chèvres et d’ânes à abreuver. On +m’apporte un agneau dont j’envoie la moitié à Othman, qui vient +passer une partie de la journée avec moi. On veut reprendre +le<span class="pagenum" id="Page_151">[151]</span> nègre. Hier et +une partie de la journée, il est resté caché dans les dunes et n’a +mangé que quelques dattes qu’il avait emportées.</p> + +<p>J’ai eu des conversations très intéressantes avec Othman ; +j’écris au général de Martimprey<a id="FNanchor_229"></a><a href= +"#Footnote_229" class="fnanchor">[229]</a> et à Paris.</p> + +<p>Observations astronomiques comme hier soir.</p> + +<p class="datesect">5 août.</p> + +<p>Aujourd’hui nous devons partir. Les chameaux et les méhara +arrivent des pâturages et on les mène au puits ; ces +malheureuses bêtes en reviennent avec le ventre rond comme un +tonneau et un corps aussi large que haut. On dirait qu’elles savent +en buvant qu’elles vont traverser un désert sans eau et qu’elles +reconnaissent les puits qui précèdent les routes de la soif. Les +mehara seuls ne boivent peut-être pas assez. Les chameaux que le +khebir Mohammed m’a amenés de Sahan el Kelb<a id= +"FNanchor_230"></a><a href="#Footnote_230" class= +"fnanchor">[230]</a> sont les plus beaux animaux de cette espèce +que j’aie encore vus ; ce sont de vrais monstres par leurs +proportions gigantesques. Je prends un peu de repos à la +<em>gaïla</em>, mais pas assez, au milieu du bruit de l’emballage. +Je ferme mon courrier et je plie bagage.</p> + +<p>Nous partons. Nous traversons un pays tout à fait analogue à +celui qui précède Berresof, immédiatement au nord. Ce sont des +espaces sablonneux, couverts d’une végétation dense de +<em>drīn</em>, appelé par les Roubaa’ya et les Arabes de l’est +<em>sebot</em>, et de <em>halma</em>, enfin de <em>hād</em> et de +<em>seffār</em>. Ces espaces sablonneux sont coupés par des +chaînons de dunes à cime régulière, qui prennent le nom de +<em>Zemla</em>. Avant la nuit nous trouvons du <em>baguel</em>.</p> + +<p>La première nuit de marche fut pénible pour moi ; le +sommeil me vint d’autant plus vile que j’étais accoutumé, depuis +l’été, à faire<span class="pagenum" id="Page_152">[152]</span> la +sieste au milieu du jour. Je ne puis m’empêcher d’admirer, quand la +lune s’est levée, les Touareg sur leurs méhara. Avec leurs armes +desquelles tombent des lanières de peau diversement +ornementées ; leur vêtement fantastique et leur immobilité sur +ces grands animaux au pas lent et régulier, ils ont quelque chose +qui me reporte en pensée aux temps de notre chevalerie. Et +réellement les Touareg ont dans le caractère quelque chose de +chevaleresque qui me plaît beaucoup. Au départ, tous mes Arabes +invoquent Dieu, le prophète et tous les saints de leur paradis pour +qu’ils nous protègent sur cette route dangereuse par sa longueur et +son manque d’eau absolu. Nous dépassons Ghourd el Liyya derrière +lequel arrive la route de Djedid à laquelle nous nous joignons. +Cette route est, au dire de mes guides, <em>la plus ancienne</em> +et la plus directe. Autrefois le dernier puits était précisément +celui de Djedid ; mais depuis quelque temps on en a creusé un +un peu plus au Sud, c’est le puits de Bou Khalfa. La fatigue me +fait commander l’arrêt d’un peu bonne heure pour mes guides, qui +sont scandalisés de cet acte de despotisme.</p> + +<p class="datesect">6 août.</p> + +<p>Après trois heures de sommeil nous repartons. Les guides +aiguillonnent mes domestiques un peu mous en leur disant : +« Il faut fuir devant la mort ! » Le pays continue à +garder le même aspect, nous rencontrons par endroits des pierres +noires et grises (dolomies ?) identiques à celle de la chebka +des Beni Mzāb, ce qui se trouve confirmé plus tard par l’apparition +d’affleurements de ce plateau et par l’assertion du cheikh Othman +que l’on trouve près de Ghadāmès, près de notre route, une dune +très élevée au sommet de laquelle perce un rocher.</p> + +<p>Une tête de gazelle que nous trouvons me montre que la gazelle +commune du pays est de la variété nommée <em>rim</em>, caractérisée +par ses cornes plus droites et très rapprochée : je crois que +c’est l’antilope Corinna. L’autre gazelle commune +(<i>dorcas</i> ?) est plus rare, mais se trouve cependant +aussi quelquefois dans ces dunes. Les chasseurs Toroud la nomment +<em>el himed</em> parce qu’elle affectionne plutôt les +<em>hamada</em>.</p> + +<p>Nous faisons la sieste à l’heure habituelle et avons fait dans +nos 24 heures 13 h. 4 m. de marche. Depuis ce matin, comme par un +fait exprès, le sirocco s’est levé et a remplacé le vent d’est qui +nous<span class="pagenum" id="Page_153">[153]</span> avait favorisé +sans cesse depuis El-Ouad. Nous repartons à peu près à la même +heure qu’hier, cependant pas d’aussi bonne heure à cause de la +chaleur qui accompagne le sirocco.</p> + +<p>Nous rencontrons sur la route trois charges de chameaux de +vêtements et d’autres menus objets rassemblés en un tas. Ces sortes +de dépôts, occasionnés le plus souvent par la mort d’un chameau, +sont religieusement respectés sur cette route, et j’apprends +d’Othman qu’il en est de même sur les routes de Ghadāmès au Touat +et au Soudan par l’Aïr ; elles restent quelquefois des années +sans que le propriétaire trouve une occasion pour les faire +enlever.</p> + +<p>Un peu plus loin, nous trouvons les premières traces de cet +animal que les chasseurs des dunes appellent « beguer », +mais dont le vrai nom arabe est <span class= +"arabic">مَهَى</span><a id="FNanchor_231"></a><a href= +"#Footnote_231" class="fnanchor">[231]</a> et qui est notre +antilope oryx ou leucoryx.</p> + +<p>Près de Ghourd et Trouniya la nuit nous surprend, et peu après +nous arrive un accident qui manque de nous causer un retard +sérieux. Un des chameaux des Touareg s’était mêlé aux miens, et +soit qu’il eût été effrayé par quelque chose, soit qu’il voulût +rejoindre ses frères, il prit tout d’un coup le galop en faisant +des sauts et des gambades dont je n’aurais pas cru un chameau +capable et il disparut dans les dunes. Quand les Touareg +arrivèrent, nous constatâmes que sur quatre outres qu’il portait +deux avaient été crevées et ne contenaient plus rien. Othman +attribua cet accident à l’<em>aïn</em><a id= +"FNanchor_232"></a><a href="#Footnote_232" class= +"fnanchor">[232]</a>, en disant qu’un de ses suivants, Ihemma, +venait de dire tout à l’heure que l’on ne manquerait pas d’eau, et +cela avait porté malheur. Après bien des discussions, il fut +convenu que le maître du chameau irait sur son méhari à sa +recherche et tâcherait de nous rattraper. On lui fit une petite +part d’eau dans une outre et il partit, tandis que nous continuâmes +notre route.</p> + +<p>Lorsque la lune se leva, je pus remarquer que la végétation +avait notablement diminué de force et de nombre ; nous n’avons +plus que de rares pieds de <em>seffār</em> et de <em>hād</em>. Dans +l’obscurité complète (lueur des étoiles) je puis continuer presque +aussi bien qu’en plein jour le levé des distances et des +directions, seulement le détail des dunes à droite et à gauche de +la route souffre de cette route de nuit. Je remarque des +affleurements du plateau calcaire. Nous voyageons entre des rangées +de dunes, qui tantôt s’éloignent<span class="pagenum" id= +"Page_154">[154]</span> tantôt se rapprochent et quelquefois nous +barrent la route ; mais elles sont alors très diminuées. De +temps en temps aussi nous trouvons des <em>sahan</em> analogues à +ceux dans lesquels les puits sont creusés, mais ici on trouve +parsemées sur leur surface des pierres (dolomies appartenant au +plateau).</p> + +<p class="datesect">7 août.</p> + +<p>Après un repos beaucoup moins long que celui d’hier nous +repartons, et rencontrons bientôt de nouveaux affleurements de +calcaire. Nous arrivons au commencement de la chaleur du jour à des +dépressions irrégulières allongées courant à peu près du E. 1/4 S. +à l’O. 1/4 N., et séparées par des chaînons de dunes. Othman +m’assure que ces dépressions s’en vont jusque sur la route de +Ouarglā à Ghadāmès où elles prennent le nom de Oudiān el +Halma<a id="FNanchor_233"></a><a href="#Footnote_233" class= +"fnanchor">[233]</a>. Je commence à remarquer qu’Othman a le sens +géographique très développé et qu’il possède, ce que je n’ai +remarqué chez aucun Arabe, la connaissance du rapport des +différents accidents du sol et de leur enchaînement. Nous faisons +la sieste dans un de ces derniers oueds, après une marche totale de +13 h. 46 m.</p> + +<p>Dans la soirée, un de mes Arabes m’apporte une corne de +<em>meha</em><a id="FNanchor_234"></a><a href="#Footnote_234" +class="fnanchor">[234]</a> qu’il a ramassée sur la route. Nous +rencontrons des traces de chacals, ce qui me donne l’occasion +d’apprendre du cheikh Othman que partout, dans son pays, les +chacals boivent et ne s’éloignent pas de plus d’un ou deux jours de +la source qui les abreuve, qu’il ne connaît que l’Erg où le chacal +vive naturellement sans boire<a id="FNanchor_235"></a><a href= +"#Footnote_235" class="fnanchor">[235]</a>. Le <em>fenek</em> au +contraire ne boit jamais, et aussi se trouve-t-il presque +exclusivement dans ces sables. Un proverbe arabe dit : Trace +de chacal, eau proche ; trace de <em>fenek</em>, ceins-toi et +marche.</p> + +<p>Mon serviteur Ahmed a encore des accès de fièvre, ce qui dérange +tout, mes deux autres Arabes n’étant bons à rien ou à très peu de +chose. La végétation est toujours presque nulle<a id= +"FNanchor_236"></a><a href="#Footnote_236" class= +"fnanchor">[236]</a>.<span class="pagenum" id= +"Page_155">[155]</span> Nous arrivons dans la nuit au Sahan Tángăr +où la route de Moui ’Aissa vient rejoindre celle de Djedid ; +près de là il y a, à droite, un petit <em>ghourd</em><a id= +"FNanchor_237"></a><a href="#Footnote_237" class= +"fnanchor">[237]</a> appelé Gherīd Tángăr. Mes chameliers me font +remarquer que la marche est devenue plus rapide parce que les +chameaux commencent à avoir diminué notablement leur provision +d’eau et ont le ventre allégé. Nous faisons la halte de nuit à +Ghourd es Sīd.</p> + +<p class="datesect">8 août.</p> + +<p>Après un sommeil d’environ une heure et demie, nous nous +remettons en marche, et suivons des sortes de boyaux entre deux +dunes ; quelquefois ces boyaux s’élargissent et ressemblent à +de petits oueds (style du Souf). Nous faisons la sieste dans une +dépression après avoir fait une marche de 14 h. 11 m. depuis hier à +pareille heure.</p> + +<p>Ahmed, au départ le soir, est encore pris par la fièvre.</p> + +<p>Le cheikh Othman me dit que nous sommes ici au Dhahar el ’Erg, +c’est-à-dire au point culminant de la région des dunes, qu’à partir +d’ici le sol va en s’abaissant vers Ghadāmès et vers El-Ouād<a id= +"FNanchor_238"></a><a href="#Footnote_238" class= +"fnanchor">[238]</a>. Cet avis a besoin d’être pesé, mais le fait +sur lequel s’appuie mon compagnon targui est indubitable, c’est la +forme nouvelle que prennent les dunes. Les <em>ghourds</em> sont +encore petits, pas aussi hauts que le Ketef, à mon avis, mais leurs +formes ont changé ; ils ont pris des formes de montagnes +pointues, anguleuses sur toutes les faces ; les ghourds sont +moins allongés. Nous rencontrons de temps en temps en travers de la +route des dunes en cordons hauts de 1 à 3 mètres seulement, mais +longues de 400 à 700 mètres et très régulières, que le vent change +sans cesse de force et de direction. Ces endroits sont toujours un +obstacle pénible pour les chameaux et tout le monde se met à +l’ouvrage pour leur frayer un chemin oblique avec une pente légère. +Le vieil Othman est toujours le premier à l’ouvrage.</p> + +<p>Deux des Arabes ont des symptômes d’ophtalmie.</p> + +<p>Le khebir me dit que Ghourd Meçaouda est, selon lui, à +moitié<span class="pagenum" id="Page_156">[156]</span> route de +Ghadāmès à Berresof. Au ghourd Rouba que nous avons passé il y a +longtemps, vient se joindre à notre route une des routes de Bīr +Ghardāya ; d’autres viennent ici et d’autres plus loin encore. +Cette route est peu stable, comme on le voit, et dépend du caprice +du guide. La végétation est toujours presque nulle. Nous arrivons +au ghourd Ben ’Akkou, qui est le point très connu anciennement +comme faisant le point du milieu entre le puits de Djedid et +Ghadāmès.</p> + +<p>Dans le Haoudh<a id="FNanchor_239"></a><a href="#Footnote_239" +class="fnanchor">[239]</a> es Sefār je remarque une petite butte +d’un blanc éclatant. Nous nous arrêtons pour dormir un peu dans un +endroit appelé Ma’dhema.</p> + +<p class="datesect">9 août.</p> + +<p>Nous partons comme toujours de bonne heure, et marchons entre +les <em>ghourds</em> et les <em>zemlāt</em><a id= +"FNanchor_240"></a><a href="#Footnote_240" class= +"fnanchor">[240]</a>. Nous arrivons bientôt dans une série de +bas-fonds entre les dunes, que l’on a désignés sous le nom +générique d’El-Hiádh<a id="FNanchor_241"></a><a href= +"#Footnote_241" class="fnanchor">[241]</a>. De temps en temps des +pierres de calcaire gris plus ou moins décomposé. Nous allons faire +la sieste à l’extrémité sud du Haoudh El-Hadj S’aīd, aussi nommé +Hoūdh el Belbelāt à cause de la plante nommée <em>belbal</em> qui y +croît. Le sol de ce terrain est très ferme, composé de détritus de +calcaire. Othman et les guides me désignent cet endroit comme étant +celui où l’on devrait tenter le forage d’un puits. La présence de +<em>belbal</em>, disent-ils, est un signe que l’eau ne doit pas +être loin. L’endroit me paraîtrait, à moi aussi, bien choisi.</p> + +<p>Nous avons rencontré avant l’étape deux Souāfa venant de +Ghadāmès avec un chameau ; ils apportent la nouvelle que la +plus grande partie des Touareg ont quitté les environs de la ville +par suite de la petite vérole qui y règne et qui les décime. Si +Othman me dit : « Dieu a créé la petite vérole ennemie +des Touareg et aussi la craignent-ils très fort ». On me dit +plus tard à Ghadāmès que si elle est si fatale pour les Touareg, +c’est qu’ils sont sales, et que même quand ils ont de l’eau, ils +font leurs ablutions en se frottant les mains sur une pierre.</p> + +<p>Nous avons marché 14 h. 50 m. depuis la dernière étape. A notre +départ, la végétation, presque nulle comme toujours, se<span class= +"pagenum" id="Page_157">[157]</span> compose d’<em>álenda</em>, de +<em>drīn</em> et de <em>hād</em>. A la nuit nous passons deux +tombeaux d’individus assassinés par les Arabes, dont l’un nommé +Mîdi de Ghadāmès a donné son nom à un ghourd voisin. Le vent a +tourné à l’est. Nous marchons toute la nuit et ne nous arrêtons +qu’à 6 h. 65 m. du chronomètre le 10 août pour faire la sieste. +Cette deuxième étape a été de 13 h. 30 m. de marche.</p> + +<p class="datesect">10 août 1860.</p> + +<p>Nous nous arrêtons pour la sieste épuisés de fatigue<a id= +"FNanchor_242"></a><a href="#Footnote_242" class= +"fnanchor">[242]</a> ; je n’ose pas comparer celle de mes +domestiques à la mienne tant j’aurais pitié d’eux. On verse dans le +nez d’un chameau qui souffre de la soif une gamelle d’eau. Cela +vaut beaucoup mieux que donner à boire, parce que le peu d’eau dont +on peut disposer ne fait rien dans l’estomac de l’animal. Nous +arrivons près du ghourd Mámmer, à une dépression où je reconnais la +roche blanc d’argent dont j’ai parlé. Je trouve que c’est une terre +très savonneuse et salissant les doigts, toute imprégnée de +coquilles de <i>planorbis</i>, signe évident qu’il y avait là un +petit lac autrefois. Tout à côté de cette terre se trouve sous le +sable une poussière noire, qui m’intrigue beaucoup et dont je +prends une petite quantité<a id="FNanchor_243"></a><a href= +"#Footnote_243" class="fnanchor">[243]</a>.</p> + +<p>A la tombée de la nuit, le chameau sur lequel je suis monté, sur +un lit formé de mon matelas jeté sur les caisses, prend peur et +part au galop en sautant ; je suis lancé en l’air et un peu +plus loin tombent les cantines. Rien n’est cassé heureusement ni +sur moi ni dans les caisses. J’aurais été tué ou estropié si +j’étais tombé sous les cantines.</p> + +<p>Les dunes diminuent notablement et rapidement de hauteur, elles +reprennent la forme de <em>zemlat</em>. Nous traversons un petit +<em>hamada</em>, nommé Hameida, et nous reprenons les dunes, +redevenues simples ondulations de sables. Nous voyageons toute la +nuit ; de bonne heure nous entrons sur la hamada de Ghadāmès +qui est d’abord recouverte de sable, puis apparaît comme la chebka +des Beni Mezāb, semée de pierres de dolomies violettes, noires ou +grises.</p> + +<p>Peu après nous descendons dans une dépression profonde<a id= +"FNanchor_244"></a><a href="#Footnote_244" class= +"fnanchor">[244]</a> de<span class="pagenum" id= +"Page_158">[158]</span> la chebka ; c’est un chott à sol de +<em>heicha</em>, tout semblable à celui de l’Oued-Righ ; nous +dépassons une grande dune située au milieu et enfin nous arrivons à +l’autre extrémité à une petite <em>ghaba</em><a id= +"FNanchor_245"></a><a href="#Footnote_245" class= +"fnanchor">[245]</a>, appartenant à la zaouiya de Sidi Maābed.</p> + +<p>Marche de cette étape, 15 h. 36 m.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp3c01"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_220"></a><a href="#FNanchor_220"><span class= +"label">[220]</span></a>Cf. <em>Relation du voyage de M. de +Bonnemain</em>, par A. Cherbonneau, <em>Nouv. Annales des +Voyages</em>, juin 1857, et A. Bernard et N. Lacroix, +<em>Historique de la pénétration saharienne</em>. Alger, 1900, p. +46-47.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_221"></a><a href="#FNanchor_221"><span class= +"label">[221]</span></a>Du Sud.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_222"></a><a href="#FNanchor_222"><span class= +"label">[222]</span></a>D’après la détermination de +Bourguignat : <i>Physa contorta</i>, <i>Physa Brocchii</i>, +<i>Physa truncata</i>, <i>Planorbis Maresianus</i>. (<em>Les +Touareg du Nord</em>, Append., p. 27.) On sait, par les +explorations de MM. Foureau et Flamand, que les fonds de sebkha à +coquilles d’eau douce et saumâtre se rencontrent fréquemment dans +l’Erg, où ils apparaissent entre les dunes. Le vent soulève les +tests légers des coquilles et les éparpille sur les sables.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_223"></a><a href="#FNanchor_223"><span class= +"label">[223]</span></a>Géants auxquels les indigènes attribuent +aussi les tombeaux mégalithiques (<em>Touareg du Nord</em>, p. +416).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_224"></a><a href="#FNanchor_224"><span class= +"label">[224]</span></a>« Dépression de terrain solide en +forme de bassin arrondi au milieu des sables » (H. Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_225"></a><a href="#FNanchor_225"><span class= +"label">[225]</span></a>Le vrai nom de ces puits est Maatig (H. +Duv.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_226"></a><a href="#FNanchor_226"><span class= +"label">[226]</span></a>Ou Rebaya ; fraction des Souafa.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_227"></a><a href="#FNanchor_227"><span class= +"label">[227]</span></a>Le kaïd de Tougourt.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_228"></a><a href="#FNanchor_228"><span class= +"label">[228]</span></a>Seau de cuir.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_229"></a><a href="#FNanchor_229"><span class= +"label">[229]</span></a>Le général de Martimprey fut un des +principaux partisans du commerce du Sud. Commandant des forces de +terre et de mer en Algérie, il écrivait dans une lettre officielle +du 22 juillet 1860, reçue par Duveyrier à ce puits de +Berresof : « Un décret impérial vient de faire tomber les +barrières qui s’opposaient à nos relations commerciales avec le +Sud ; aujourd’hui et désormais les produits soudanais et +sahariens doivent entrer en Algérie en toute franchise. Veuillez +répandre cette bonne nouvelle... » Et il ajoutait ce +<em>post-scriptum</em> de sa main : « Avant d’avoir reçu +votre lettre qui me fait connaître l’intention où vous êtes de vous +faire accompagner par le cheikh Othman, je venais d’adresser à ce +chef l’invitation de se rendre auprès de moi. J’ai hâte de conclure +tous les arrangements qui pourront le plus tôt possible, la +sécurité existant à un degré suffisant, amener la liaison des +relations qu’il faut établir entre l’Algérie, le Soudan et les +régions intermédiaires... Vous comprenez que je tienne à ce que le +cheikh Othman soit ici quand l’Empereur y viendra. » — On sait +que le cheikh Othman préféra suivre Duveyrier.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_230"></a><a href="#FNanchor_230"><span class= +"label">[230]</span></a>« La cuvette du chien », un des +pâturages de l’Erg.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_231"></a><a href="#FNanchor_231"><span class= +"label">[231]</span></a>Meha. « Beguer » ou « beguer +el-ouahch » est le nom vulgaire. (O. H.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_232"></a><a href="#FNanchor_232"><span class= +"label">[232]</span></a>Cf. <em>Les Touareg du Nord</em>, p. +415-416.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_233"></a><a href="#FNanchor_233"><span class= +"label">[233]</span></a>« Les oueds du halma » +(<i>Plantago ovata</i>). M. Foureau les a retrouvés en 1893 sur la +route de Ghadāmès à Tougourt, et en 1896 plus au sud, vers 30° de +latitude, mais là ce ne sont plus que des sillons ou entonnoirs +coupés de dunes sans orientation régulière. (<em>Dans le grand +Erg</em>, Paris, 1896, p. 43.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_234"></a><a href="#FNanchor_234"><span class= +"label">[234]</span></a>Antilope addax (<em>Les Touareg du +Nord</em>, p. 225.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_235"></a><a href="#FNanchor_235"><span class= +"label">[235]</span></a>On rapporte le même fait du mouton en +hiver. L’Erg est plus riche en plantes vertes qui, mâchées, +fournissent une certaine quantité d’eau.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_236"></a><a href="#FNanchor_236"><span class= +"label">[236]</span></a>Plantes notées sur le carnet pendant cette +journée de marche : <em>drine</em>, <em>neci</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_237"></a><a href="#FNanchor_237"><span class= +"label">[237]</span></a>Dune à plusieurs arêtes, pâté de dunes.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_238"></a><a href="#FNanchor_238"><span class= +"label">[238]</span></a>Ce renseignement n’a pas été reporté sur la +carte de Duveyrier. Il mérite pourtant sérieuse considération, car +M. Foureau, faisant en 1893 une route un peu plus occidentale, a +noté vers 31° de latitude, l’altitude extraordinaire de 406 mètres, +résultat de trois lectures barométriques (renseignement manuscrit +de M. Foureau). En admettant une correction à faire du fait des +variations atmosphériques, il n’en faut pas moins voir dans ce +« dos de l’Erg » un relief réel.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_239"></a><a href="#FNanchor_239"><span class= +"label">[239]</span></a>« La cuvette du Sfar » (variété +d’<i>Arthratherum</i>).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_240"></a><a href="#FNanchor_240"><span class= +"label">[240]</span></a>Ce sont les longs cordons de sable signalés +plus haut.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_241"></a><a href="#FNanchor_241"><span class= +"label">[241]</span></a>Pluriel de <em>el haoudh</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_242"></a><a href="#FNanchor_242"><span class= +"label">[242]</span></a>Le carnet porte ce jour-là : +Végétation rare et maigre : <em>ézal</em>, <em>alenda</em>, +<em>halma</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_243"></a><a href="#FNanchor_243"><span class= +"label">[243]</span></a>C’est le <em>torba</em> des Arabes. La +poussière noire doit sa coloration à des éléments tourbeux.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_244"></a><a href="#FNanchor_244"><span class= +"label">[244]</span></a>Le carnet de route dit : plus basse de +dix mètres.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_245"></a><a href="#FNanchor_245"><span class= +"label">[245]</span></a>Endroit planté d’arbres (O. H.).</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_159">[159]</span><a id= +"p3c02"></a>CHAPITRE II</h3> + +<p class="sch">ARRIVÉE A GHADAMÈS</p> + +<p class="datesect">11 août.</p> + +<p>Nous trouvâmes dans cette <em>ghaba</em> un jeune homme de la +zaouiya, vêtu de pantalons blancs descendant jusqu’à la cheville, +d’une sorte de blouse blanche et d’un turban blanc. Ce jeune homme +ne me reconnut pas pour chrétien parce qu’il est rare de rencontrer +un Français jambes, pieds et bras nus et en chemise. Il me salua, +croyant probablement que j’étais Tunisien, et nous aida à +débarrasser les chameaux. Je m’établis sur mon matelas, à l’ombre +d’un palmier ; la chaleur, le sirocco violent qui nous avait +fouettés dans le chott, nous avaient épuisés et brûlés.</p> + +<p>La nouvelle de l’arrivée d’Othman fut bientôt portée à Ghadāmès +et une foule de Touareg Ifoghas, à pied ou montés à méhara, vinrent +au-devant de lui. Il leur expliqua loin de moi qui j’étais et +pourquoi j’étais venu et plusieurs d’entre eux demandèrent s’ils +pouvaient venir me saluer. Ils vinrent en effet, et je leur fis des +compliments. Tout ceci est bien poli et n’aurait jamais lieu en +pays arabe. La foule des Touareg augmenta beaucoup, et, quand nous +partîmes, nous avions une nombreuse escorte en très beaux habits de +parade. Tout ce monde se comporta bien et ne fit aucune remarque +sur ce que je relevais le pays. Nous laissâmes d’abord le zaouiya +de Sidi Maābed à droite avec ses palmiers ; c’est non +seulement une zaouiya, mais encore un petit village. Plus loin, +nous passons à une plus grande distance la zaouiya de Sidi Mohammed +es Senoūsi, bâtie depuis trois ans par cet ennemi mortel des +Français et des chrétiens. Dans le petit bassin dans lequel se +trouve la zaouiya, les puits sont comme à El-Guettar (Tunisie). On +creuse un puits près du bord élevé de la dépression ; on y +trouve de l’eau coulant légèrement ; on creuse plus loin un +autre puits dans la direction du courant,<span class="pagenum" id= +"Page_160">[160]</span> et ainsi de suite ; de sorte que l’eau +d’un puits passe dans l’autre. De la zaouiya nous marchons dans la +chebka, dans un labyrinthe, et nous arrivons en vue de Ghadāmès, +qui est située au haut du plateau. Nous laissons en même temps à +gauche le commencement de la <em>ghaba</em> et à droite des ruines +gigantesques que je crois romaines.</p> + +<p>Nous arrivons à la porte de Ghadāmès, qui est tout entourée par +les palmiers, sauf à cet endroit. Nous laissons en face de la porte +plusieurs nezla de petites tentes de peau des Touareg. Arrivés en +dedans des murs, on me dit que le moudir est dans les +jardins ; j’envoie un de mes domestiques, qui arrive avec la +réponse qu’il faut que je vienne en personne ou que j’envoie mon +firman.</p> + +<p>Je me rends en personne dans le jardin où je trouve le moudir, +un vieux turc abruti, en chemise et gilet de coton et une calotte +idem, assis sur un tapis, par terre. Il a avec lui de petits +serviteurs turcs mulâtres, un interprète assez bien et assez beau +et un qawwas, qui est venu de Tripoli pour une affaire à part. Ce +dernier, habillé à l’européenne, porte, entre autres, des pantalons +blancs, des escarpins et des cheveux. Le moudir Hadj Ibrahim me +reçoit sans daigner se lever, mais il est obligé de me souhaiter la +bienvenue lorsqu’il a lu le firman du Pacha. Je reste là, il fait +chercher une maison pour m’y loger et y fait conduire le bagage +après m’avoir interrogé sur le contenu des cantines et des +<em>gherair</em><a id="FNanchor_246"></a><a href="#Footnote_246" +class="fnanchor">[246]</a>. Je dîne avec lui ; il mange à +table le premier ; je ne dis rien, mais je n’en pense pas +moins. Ce vieux squelette à moustaches ne fait pas un changement de +place de cinq pas sans traîner après lui ses immenses pistolets. La +conversation roule sur le Iemen où il a vécu longtemps, et Saouakim +où il a connu, il y a deux ans et demi, le voyageur Hadj +Iskander<a id="FNanchor_247"></a><a href="#Footnote_247" class= +"fnanchor">[247]</a> allant au Soudan.</p> + +<p>Le soir, je vais à la maison qui m’est destinée, en attendant +mieux, et qui se trouve près de la ghaba. Je suis heureux de me +reposer. De la ghaba à Ghadāmès, 1 heure 2 minutes.</p> + +<p class="datesect">12 août.</p> + +<p>Ce matin, de bonne heure, je suis encore dans mon lit, +lorsque<span class="pagenum" id="Page_161">[161]</span> vient me +trouver un des petits négroturcs frisés du moudir, armé d’un sac en +toile et d’un billet très aimable, mais très inintelligible. Le +petit négroturc est plus clair et m’exprime que son noble maître +désire une bouteille d’araki. Or, en fait de liqueurs, je possède +une bouteille entamée d’absinthe, et une d’eau de noix. Je remets +au petit l’eau de noix et on l’emporte avec de grandes +précautions.</p> + +<p>Je vais ensuite chez le moudir pour lui parler de la maison que +je dois habiter et que je veux louer ; il me retient à +déjeuner. Je vois la maison qu’on m’a destinée ; elle ne peut +pas me convenir ; on m’en montre une seconde, qui est moins +mal et que je prends.</p> + +<p>Le moudir me retient à dîner et j’accepte, quoique je commence à +avoir assez de sa société et de ses repas. Mais, pendant +l’après-midi, je vois revenir le négroturc qui, après bien des +caresses, me montre une damejeanne qu’il a apportée et que son +maître voudrait avoir remplie d’araki, contre remboursement bien +entendu. Ceci me paraît trop fort, et je renvoie le bonhomme avec +le « non » le plus formel et le plus véridique. Je fais +suivre Ahmed, qui va dire au moudir, qu’étant indisposé, je ne +viendrai pas dîner chez lui. Le moudir cependant prétexte qu’il +s’est mis en frais et qu’il faut que je fasse honneur à son +repas.</p> + +<p>A l’heure dite, je ne me rends à son habitation que lorsqu’on +vient me chercher. Je trouve tout le monde en prières de l’air le +plus contrit du monde. On sert plusieurs plats, parmi lesquels une +poule pour cinq personnes ; le moudir s’excuse sur ce +« qu’il n’a pas pu trouver de viande en ville ». J’avais +vu un mouton et plusieurs chèvres dans les rues. Le stupide homme +me demande : « Y a-t-il de la viande dans votre +pays ? — Oui, nous autres Français, nous en mangeons deux fois +par jour. — En France ou bien en Alger ? — En France, à Alger +et même à Ghadāmès. » Notez qu’au déjeuner nous n’avions eu +que des légumes. Je n’ai lâché mot que de force à dîner, et, sans +attendre le café, je suis revenu chez moi. Or le moudir avait dit +qu’il se chargeait de mon dîner et de celui de mes gens. On apporte +en effet ce dernier, et il se compose de deux assiettes, l’une +contenant un peu de légumes qui ne dépassent pas le fond de +l’assiette, l’autre contient la même quantité de vermicelle. Enfin +quelques onces de pain. Je fais renvoyer le tout chez le donateur. +Ahmed et<span class="pagenum" id="Page_162">[162]</span> Brahim +dans les rues sombres et couvertes de Ghadāmès manquent l’un de +renverser une femme, l’autre de se casser la tête.</p> + +<p>Je vois deux fois Othman ; bonnes nouvelles de chez les +Touareg. Il trouve le moudir ce que j’ai dit. Le moudir a des +soldats sous ses ordres. Ce sont des Djebaliya, depuis l’âge le +plus jeune jusqu’aux vieillards à barbe blanche. Ils ont pour se +vêtir un <em>haouli</em>, de sorte qu’ils laissent leurs poitrines, +y compris les tétons, nues, ce qui, je n’ai pas besoin de le dire, +serait plus gracieux chez une belle femme que chez ces squelettes +affamés.</p> + +<p>C’est la nuit que les femmes des Ghadamsya sortent pour aller à +la fontaine et à leurs affaires. Celles que j’ai vues sur les toits +portaient un haïk bleu tourné comme chez les femmes des Beni-Mezab. +J’ai vu dans les rues d’autres femmes sans voiles et portant un +diadème de cuivre doré : ce sont ce qu’on appelle ici des +’Atriya, c’est-à-dire de la caste mélangée de sang noir. Ce sont +les mulâtresses.</p> + +<p>Les maisons de Ghadāmès sont hautes, ayant quelquefois un +rez-de-chaussée et deux ou même trois étages<a id= +"FNanchor_248"></a><a href="#Footnote_248" class= +"fnanchor">[248]</a> ; les murs, bâtis en briques de terre +crue, sont blanchis à la chaux. L’architecture ressemble à celle +des Beni-Mezab. Les rues sont couvertes et fort obscures en plein +jour, à plus forte raison de nuit. La ville et les plantations sont +entourées de murailles et l’on reconnaît en certains endroits que +ces murailles ont été détruites deux fois avant celles qui existent +aujourd’hui.</p> + +<p>La ville possède un citronnier ; il y a maintenant des +pastèques en quantité, mais elles sont dures ; les melons sont +aussi en grand nombre ; ce sont les meilleurs que j’aie +trouvés dans le Sahara. Il y a des citrouilles, <em>gauráa</em>, +tomates, etc. Les dattes de la petite espèce noire sont mûres, mais +on ne les a pas encore cueillies.</p> + +<p>La ville est remplie de Touareg. Il paraît qu’ils m’ont tous +très bien vu, d’après les discours d’introduction qu’a faits +Othman. Ceux qui sont venus hier me voir dans la Ghaba avaient +demandé à Othman : « Pouvons-nous venir le +saluer ? »</p> + +<p>Le moudir fait donner la bastonnade devant moi à un nègre +colossal qui avait commis le crime d’aller voir deux fois cette +année une négresse dans une maison particulière.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_163">[163]</span>13 août.</p> + +<p>Le matin, je change de demeure ; le pauvre cheikh Ali<a id= +"FNanchor_249"></a><a href="#Footnote_249" class= +"fnanchor">[249]</a>, qui bégaye tant qu’on ne peut pas se moquer +de lui, est presque toute la journée chez moi ; il va me +chercher tout ce qui me manque.</p> + +<p>Je fais la sieste et écris quelques lettres. A l’heure du +Medjelès, qui a lieu toutes les semaines à pareil jour et une autre +fois par semaine, le moudir fait envoyer chercher mon firman. Je +trouve bon de donner aussi celui du Bey de Tunis et le décret des +douanes, qui sont tous lus, et sont le sujet d’un commentaire de la +part du moudir. Dans la soirée, on m’annonce sa venue ; j’ai +une explication avec lui, mais il est si bête, si borné, si entiché +de son osmanlisme que l’on n’arrive à rien avec lui. Enfin, il dîne +avec moi. Il vient ici avec un armement complet. Il me promet que, +partout où j’irai, il me fera accompagner par deux de ses fameux +soldats.</p> + +<p>J’apprends aujourd’hui que les nobles Ghadāmsia (sang blanc) qui +épousent une ’Atriya sont mal vus, que les ’Atriya mâles ne +trouvent jamais à épouser une femme noble.</p> + +<p class="datesect">14 août.</p> + +<p>De bonne heure, le cheikh Ali vient m’apporter un panier de +légumes. Il m’apprend que chaque grande famille de nobles a ses +’Atriya nés depuis longtemps des négresses de ses aïeux, et doit +les protéger, leur fournir du travail et de la nourriture s’ils +sont dans le besoin. Il paraît que les femmes ’Atriya n’ont pas +toujours des mœurs très chastes.</p> + +<p>On m’apporte des dattes mûres ; elles sont toutes petites +et noirâtres, mais je ne les trouve pas mauvaises.</p> + +<p>Des Touareg viennent à l’heure du déjeuner frapper à la porte +pour me voir, mais je ne fais pas ouvrir. Le cheikh Othman +m’approuve. Du reste, ils n’ont pas insisté. Dans l’après-midi, le +petit Abyssin m’apporte un panier de légumes de la part du moudir. +On sème en ce moment une graminée, céréale, appelée ici +El-Gossob<a id="FNanchor_250"></a><a href="#Footnote_250" class= +"fnanchor">[250]</a>, et dans le nord <em>dra’</em> ; on ne la +récolte qu’à la fin de l’automne.</p> + +<p>Visites de quelques grands de la ville.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_164">[164]</span>15 août.</p> + +<p>Je sors accompagné de deux soldats et je vais voir d’abord les +Esnām<a id="FNanchor_251"></a><a href="#Footnote_251" class= +"fnanchor">[251]</a>, ces restes de constructions que je crois être +les ruines de la ville ancienne du temps des Romains. Ce sont des +supports de vastes arcades, je le crois du moins ; tout à +l’entour, s’étendent des débris de pierres, et des fondations comme +on en voit dans toutes les ruines romaines de ce pays. Les pierres +ne sont pas taillées ; quelquefois cependant elles sont +dégrossies ; elles sont unies par un ciment de plâtre. Au +milieu des décombres sont quelques tentes touareg, mais leurs +occupants n’étaient pas là et nous n’eûmes à disputer le chemin +qu’à deux lévriers qui gardaient les tentes.</p> + +<p>Je vais voir la source ; elle forme un bassin profond d’une +eau transparente et d’un bleu charmant ; l’eau donne naissance +à quelques mousses aquatiques qui paraissent au fond en plusieurs +endroits. Des libellules rouge brique planent au-dessus de l’eau. +Je ne vois pas de poissons. Le bassin a une forme inégale : il +est garni de pierres. L’eau s’écoule d’une manière insensible à +l’œil par un canal souterrain près de l’endroit où l’on vient +puiser l’eau. Le kaïd el mā, chargé de distribuer l’eau, est loin +de là dans une petite niche sur le marché.</p> + +<p>Je passe la soirée couché sur un banc de la rue, où j’ai fait +porter une couverture et des coussins. Je regarde le mouvement +autour de moi. Il y a plusieurs négresses qui paraissent à poste +fixe près d’ici ; elles jacassent toute la journée. Quelques +nobles Ghadamsia passent devant moi ; les uns me saluent, les +autres ne me disent rien. Je rends les saluts à ceux qui me +parlent. Les noirs dépassent de beaucoup parmi les passants le +nombre des blancs. Presque pas de Touareg.</p> + +<p>Un de mes voisins possède une jument du Touat ; c’est le +seul cheval qu’il y ait en ce moment à Ghadāmès.</p> + +<p>J’obtiens le soir la latitude de Ghadāmès par le passage de Mars +au méridien : j’ai 30° 6′ 33″ N.</p> + +<p class="datesect">16 août.</p> + +<p>Je vais me promener dans la ville. Il y a près d’ici, je crois +dans<span class="pagenum" id="Page_165">[165]</span> le quartier +d’El Aouina<a id="FNanchor_252"></a><a href="#Footnote_252" class= +"fnanchor">[252]</a>, un petit marché où l’on vend des +liqueurs ; il est remarquable aussi sous un autre point de +vue. D’un côté il est bordé d’arcades, et je remarque un tronçon de +colonne qui me paraît être évidemment romain. Du côté opposé coule +sous terre une petite rigole auprès de laquelle est un abreuvoir et +un lavoir. Plusieurs petites auges carrées, en pierres de +différentes grandeurs, sont encore ici en souvenir de l’ancienne +Ghadāmès. Mais j’étudierai tout cela systématiquement un peu plus +tard.</p> + +<p>Je rends une visite au moudir et je le trouve très bien. +Cependant, j’apprends plus tard qu’il a eu une violente dispute +avec sa femme turque à la suite de laquelle celle-ci a demandé du +poison pour le tuer. De là rupture, et la femme répudiée s’en est +allée à Dérdj. Le fils du moudir qui est à Sinaoun est parti pour +Tripoli aussitôt qu’il a appris cette nouvelle. De sorte que le +moudir est d’une humeur de chien pour tout le monde. Je donne de +l’opium au moudir, qui est dérangé à état permanent. Il m’envoie le +soir une excellente pastèque.</p> + +<p>Il est curieux de voir les Ghadāmsia savoir presque tous le +haoussa ; rarement ils parlent à leurs esclaves dans une autre +langue. Les enfants blancs et les esclaves apprennent d’abord le +ghadāmsia<a id="FNanchor_253"></a><a href="#Footnote_253" class= +"fnanchor">[253]</a>, et ce n’est que plus tard qu’ils se mettent à +l’arabe.</p> + +<p>On a toutes les peines du monde à se procurer ici des légumes, +des melons et de la viande. Tout est pris d’avance : les +acheteurs vont chercher les fruitiers jusque dans leur ghaba, et le +peu qui arrive au marché est de suite accaparé. Quant à de la +viande, depuis que je suis ici, les Arabes n’ont pas apporté de +moutons, il se passe quelquefois quinze jours sans qu’il en vienne. +On est réduit aux poules, pigeons et à quelques chevreaux.</p> + +<p>Le soir, je fais porter mon lit sur la terrasse et j’y dors en +compagnie de mon fusil chargé à balles. J’ai la distraction de voir +les ombres de mes voisines, blanches et noires, se promener sur les +terrasses d’alentour et d’entendre leur caquet à voix basse.</p> + +<p class="datesect">17 août.</p> + +<p>Ihemma, le petit bandit targui qui accompagnait Si +’Othman,<span class="pagenum" id="Page_166">[166]</span> m’apporte +quelques lignes de tefinagh que m’ont écrites ses sœurs auxquelles +j’avais envoyé à chacune un miroir.</p> + +<p>Je vais voir le marché qui a lieu toutes les semaines à pareil +jour. Il a lieu immédiatement après la prière à la mosquée au +dohor. On prend ses places d’avance ; le moudir m’a envoyé +deux soldats qui sont postés à côté de moi pour écarter les +badauds. Je vois arriver le moudir, avec son page abyssin et ses +longs pistolets, puis le qawwas ; ils entrent dans la mosquée +par une porte à part donnant sur le marché. La prière ne dure qu’un +instant ; je suis ensuite rejoint par le cheikh de la ville +(Cheikh Ali) et il se rassemble autour de moi plusieurs Ghadāmsia, +entre autres Abd el Aziz, bel homme à barbe grisonnante et à beaux +vêtements, qui connaît de vue Tombouctou, Oualata, Tichit, le +Soudan et le Touat, ainsi que les pays intermédiaires. C’est un +homme intelligent et d’autant plus poli qu’il connaît Tunis et +Tripoli. Nous nous tenons sous un corridor, près de la boutique du +gomrekdji<a id="FNanchor_254"></a><a href="#Footnote_254" class= +"fnanchor">[254]</a>. Nous voyons passer beaucoup de Touareg, dont +plusieurs sont d’une taille colossale. Quelques-uns me +saluent ; d’autres me regardent et passent ; deux +Sakomāren<a id="FNanchor_255"></a><a href="#Footnote_255" class= +"fnanchor">[255]</a> seulement se permettent de dire : +« Fi ! c’est lui qui a amené Cheikh Othman ». Mais +cette parole de la bouche d’Imrhad n’a pas beaucoup de poids.</p> + +<p>Le marché n’est pas brillant ; on y vend des cotonnades +anglaises et maltaises, des étoffes de coton bleu à rayons rouges, +du Soudan, dont les unes servent de couverture et les autres de +vêtements de dessus aux femmes de Ghadāmès. On vend quelques +fusils, des chameaux et un coffre. On me dit que d’ordinaire le +marché est plus beau.</p> + +<p>Les Sakomaren qui sont ici sont des chameliers qui doivent +amener au Touat la grande caravane des Ghadāmsia dont les bagages +sont déjà exposés hors de la ville en attendant que les affaires +soient arrangées avec Ikhenoukhen.</p> + +<p class="datesect">18 août.</p> + +<p>De bon matin, un Targui m’amène un enfant parent de Si ’Othman, +qui est affecté d’un œdème très avancé provenant d’un anévrisme du +cœur. Cet enfant, âgé de 12 ans, fait mal à voir ; outre sa +maladie qui l’a rendu presque impotent, et qui a répandu une +couleur jaune uniforme sur ses chairs molles, il a eu encore +dernièrement<span class="pagenum" id="Page_167">[167]</span> la +petite vérole, qui a laissé sur lui des traces profondes. Je +déclare après l’examen que, lorsque Si ’Othman viendra, je lui +dirai mon avis sur la maladie. Je crains toujours que les gens +ignorants ne pensent que j’ai le remède de telle ou telle maladie +et que je ne veux pas la guérir.</p> + +<p>Quelque temps après, je reçois la visite bienvenue de trois +dames targuies, l’une d’elles est jeune, assez grande et d’une +blancheur rare ; elle est de plus très bien peignée. Sa +coiffure est, sur le devant, identique à nos bandeaux plats +d’Europe, mais ces derniers se terminent derrière les oreilles par +deux nattes courtes et épaisses. Les ornements de ces Targuiāt sont +sobres ; la belle porte trois légers bracelets à chaque +bras ; le tout est de bon goût et serait bien vu en Europe. +Ainsi ce ne sont plus les ornements grossiers des Arabes.</p> + +<p>La conversation roule sur très peu de choses parce que ces dames +me font la malice de prétendre ne pas comprendre l’arabe, de sorte +que je suis à m’éreinter à chercher de rares expressions dans le +cinquième volume du D<sup>r</sup> Barth. — Elles partent d’un éclat +de rire formidable quand je parviens à leur désigner +« ulhi »<a id="FNanchor_256"></a><a href="#Footnote_256" +class="fnanchor">[256]</a> et « teraouen »<a id= +"FNanchor_257"></a><a href="#Footnote_257" class= +"fnanchor">[257]</a> comme étant le siège primitif de la maladie du +jeune Targui qui est le frère de l’une d’elles. Lorsque nous étions +ainsi aux prises, arrive Si’Othman qui, en voyant les Targuiāt, +s’écrie : « Bism Illah er Rahman er Rahim », +expression que les Touareg emploient lorsqu’ils sont affectés d’une +surprise pénible. Nous parlons de nos affaires et, pendant ce +temps, les Targuiāt veulent s’en aller ; l’une d’elles +retrouve son arabe pour me demander du tabac. Je leur dis que je +n’en ai pas, mais que, si elles veulent bien revenir, j’espère être +plus riche.</p> + +<p>Aujourd’hui, on vend au marché tous les moutons qui sont arrivés +hier. Le cheikh Ali me dit qu’on en vend quelquefois 300 en un seul +jour. Les occasions sont si rares que l’on fait ses provisions. Le +même homme me raconte qu’à la dernière vente il acheta trois +moutons, que cinq jours après il en vendit deux, et qu’il eut le +troisième pour profit de sa spéculation. J’achète un mouton, hier +j’en avais acheté un autre engraissé en ville. Les moutons se +vendent, comme du reste tout ce qui passe sur le marché, par +l’entremise de « dellāl », crieurs, et tout est cédé à +l’enchère. Les principaux<span class="pagenum" id= +"Page_168">[168]</span> marchands, et en général tous ceux qui ont +besoin de quelques-uns des articles en vente, se tiennent assis +autour du marché ; et les crieurs passent en exposant la +marchandise et en indiquant le dernier prix offert.</p> + +<p>J’apprends qu’autrefois, les Ouled Hamed d’El-Ouad prélevaient +un petit tribut, « ghefara », sur les marchands de +Ghadāmès qui passaient par le Souf se rendant à Tunis ; depuis +l’occupation française, cela n’a plus lieu.</p> + +<p>Autrefois, la route de Ghadāmès à Gabès était très fréquentée, +maintenant personne ne fait plus ce voyage de crainte des +Ourghemma. Je vois plusieurs Ghadāmsia qui ont fait chacun une +demi-douzaine de fois cette route.</p> + +<p>Les nouvelles d’Ikhenoukhen sont qu’il est arrivé à Māsīn avec +ses chameaux altérés (les puits de cette région sont presque tous à +sec cette année). A Māsīn, ils ont trouvé le puisard contenant très +peu d’eau (le mot Māsīn ne signifie pas autre chose) ; il faut +qu’il séjourne là jusqu’à ce que les chameaux aient bu pour pouvoir +franchir les dernières étapes jusqu’à Ghadāmès. Le puits +d’Inguelzām<a id="FNanchor_258"></a><a href="#Footnote_258" class= +"fnanchor">[258]</a> est aussi tari.</p> + +<p>Toujours des difficultés pour trouver des légumes et des fruits. +Santé parfaite.</p> + +<p class="datesect">19 août.</p> + +<p>Je reçois dans la matinée la visite de Si ’Othman et d’un vieux +Targui qui semble être de ses intimes ; je leur fais voir les +livres arabes que je destine à Cheikh el Bakkay de Tombouctou. +Parmi ces livres est mon Coran doré sur tranche ; Si ’Othman +en est épris. Il commence à chanter la sourate de la vache et j’ai +peine à l’arrêter. Voyant que ce livre faisait tant de plaisir à +mon ami, je lui en fais présent. Si ’Othman ne peut contenir des +démonstrations de joie enfantine. Là-dessus, il s’en va pour +prévenir le crieur, qui est en train de lui procurer une +« Neskha » manuscrite, qu’il n’en a pas besoin.</p> + +<p>A peine Othman était-il sorti qu’au milieu de mon déjeuner +arrive ma belle Targuie d’hier, accompagnée cette fois d’une belle +jeune femme seulement. Elles me disent qu’Othman leur a défendu de +venir et que c’est pour cela qu’elles ont attendu sa sortie. +J’apprends aujourd’hui que Télengui, c’est le nom de la<span class= +"pagenum" id="Page_169">[169]</span> belle Targuie, est mariée, +mais elle me dit que son mari part demain pour le Touat. Je leur +fais cadeau à chacune d’un foulard de coton et d’un miroir, et d’un +peu d’argent pour acheter du tabac, car toutes les Targuiāt fument. +En échange de mes présents, Télingui me demande du papier pour +m’écrire du tefinagh. Télengui me distrait beaucoup ; je +l’engage à revenir. Son vêtement se compose d’une blouse bleu de +ciel, à manches courtes, n’atteignant pas le coude, et d’une +couverture de coton blanc dont elle s’enveloppe tout entière, sauf +la figure.</p> + +<p>Les moutons des Arabes d’ici ont tous la grosse queue ; au +Souf ils n’en ont pas de cette espèce, mais les Nemēmcha et les +Hamamma en possèdent.</p> + +<p>Dans la soirée, Ikhenoukhen envoie à Othman deux Targuis, pour +lui dire de venir apporter de l’eau à une demi-journée de Ghadāmès. +Ikhenoukhen, à ce qu’il paraît, veut avoir des nouvelles ; il +sait maintenant que je suis venu. Dans la soirée Othman vient me +dire adieu ; il part cette nuit. Il ne sera absent qu’un jour, +deux au plus.</p> + +<p>J’apprends que le district de Dérdj est très malsain, des +fièvres très violentes y règnent. C’est une terre de labours avec +des sources ; on y cultive du blé et du guessob. Othman me dit +qu’il y a des fièvres jusqu’à Ghadāmès, et me demande de la quinine +pour deux femmes targuies qui sont fiévreuses.</p> + +<p class="datesect">20 août.</p> + +<p>Ce matin, je prie le cheikh Ali de vouloir bien emporter chez +lui les objets qu’il a encore ici et qui lui font faire par jour +trois ou quatre ascensions chez moi. Cela ne peut pas durer. Le +petit bègue, au lieu de s’exécuter, me fait dire, quelque temps +après, qu’il a trouvé une autre maison et qu’il m’invite à venir la +voir ; je lui fais répondre que je me trouve bien ici et que +les convenances m’obligent à ne pas changer de demeure comme de +chemise. Cheikh Ali me fait dire là-dessus qu’il viendra me +déranger vingt fois par jour ; je sors alors et je trouve mon +homme à la porte ; il est chassé comme un chien, avec défense +expresse de remettre les pieds ici.</p> + +<p>Dans la chaleur du jour, je vais chez le moudir pour signaler la +conduite du cheikh, et déclare que je ne sortirai que par la force +d’une maison que j’avais acceptée à contre-cœur ; mais +le<span class="pagenum" id="Page_170">[170]</span> petit bègue est +aux cent coups, et il jure, à qui veut l’entendre, qu’il me +chassera de sa maison, et qu’il enverra, s’il le faut, cinq ou six +esclaves armés pour me faire sortir ; il menace mes +domestiques de prêcher le Djehad, ou guerre sainte, et dit que, +dans ce cas, toute la ville suivrait son avis. Il bégaye sa colère +partout, dans la rue et chez le moudir.</p> + +<p>Le moudir vient me trouver et tâche de m’apaiser : en me +disant qu’il a vu la nouvelle maison, qu’elle est plus belle que +celle que j’habite et que le loyer en est très bon marché. Mais +toutes ces conditions ne me font pas changer d’avis, et je lui +renouvelle ma déclaration que, si l’on voulait me faire changer de +demeure, il fallait employer la force, et que, dans ce cas, je ne +sortirais de ma maison que pour me rendre à Tripoli. Le moudir me +fait entrevoir qu’il n’est pas tout à fait le maître ici, que les +Touareg le sont plus que lui, et que, si le cheikh en venait aux +extrémités, la seule chose qu’il pourrait faire serait de déclarer +que tout ce qui m’adviendrait serait fait à lui et serait une +injure pour le gouvernement turc. Pendant ce temps, il m’emporte le +fond d’un petit flacon d’absinthe qui me reste, ma dernière goutte +de spiritueux.</p> + +<p>Enfin, après le coucher du soleil, le moudir revient accompagné +d’El Mokhtar, l’un des membres du Medjelès. Ils me disent que le +Medjelès a été assemblé extraordinairement pendant toute +l’après-midi, que l’on a vivement blâmé la conduite du cheikh et +que l’on a conclu que, s’il n’y avait pas moyen d’arranger les +choses autrement, le cheikh serait obligé à me céder sa maison pour +le temps de mon séjour. Là-dessus, ils me prient de pardonner la +conduite de Cheikh Ali. Ceci est une autre question. Je déclare +que, comme homme, je lui pardonne volontiers, mais, comme +représentant de mon gouvernement, je ne puis le faire aussi +facilement, et que je demande mûre réflexion à ce sujet. Là-dessus +ces messieurs se retirent après avoir pris le café.</p> + +<p>J’ai reçu la visite d’un marchand de Ghadāmès, l’un de ceux qui +prêtèrent de l’argent à Barth, à Kanō, lors de son retour de +Tombouctou et au joli taux de 100 % au bout de quatre mois. Je lui +fais des compliments sur sa libéralité, d’autant plus que l’argent +qu’il prêtait était de l’argent anglais ; mais il me dit +<em>qu’il avait calculé le profit que lui aurait rapporté cet +argent mis en ivoire dans le même espace de temps</em> et prêté son +argent avec le même profit.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_171">[171]</span>Les Targuiāt +(les deux mêmes qu’hier) sont venues me voir, mais ne sont restées +qu’un instant, elles m’ont apporté quelques lignes de Tefinagh.</p> + +<p>J’ai tellement cru aujourd’hui qu’il allait se passer quelque +chose, que j’ai fondu des balles de revolver.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp3c02"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_246"></a><a href="#FNanchor_246"><span class= +"label">[246]</span></a>Pluriel de <em>gherâra</em>, sac en laine +servant à contenir les objets chargés sur les chameaux. (O. H.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_247"></a><a href="#FNanchor_247"><span class= +"label">[247]</span></a>Nom pris par le baron de Krafft. Sur son +séjour en Tripolitaine, voir <em>Mittheil. de Petermann</em>, +1861-1862, <em>passim</em>.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_248"></a><a href="#FNanchor_248"><span class= +"label">[248]</span></a>Ces dernières doivent être très peu +nombreuses ; Mircher ne parle que de maisons à rez-de-chaussée +et un étage (<em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 100).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_249"></a><a href="#FNanchor_249"><span class= +"label">[249]</span></a>C’était le <em>cheikh el bled</em>, ou +maire de la ville.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_250"></a><a href="#FNanchor_250"><span class= +"label">[250]</span></a>Draa désigne au Sahara, suivant les +régions, tantôt le sorgho à grains noirs, tantôt le millet blanc à +chandelles. Il s’agit probablement du dernier. (Cf. Catalogue +Foureau, p. 15.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_251"></a><a href="#FNanchor_251"><span class= +"label">[251]</span></a>« Les idoles. » On sait qu’après +avoir visité Djerma au Fezzân, Duveyrier a rapporté les Esnamen aux +Garamantes. (<em>Les Touareg du Nord</em>, p. 251.) Vatonne se +borne à les qualifier « d’affreuses ruines sans caractère et +sans intérêt ». (<em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 268.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_252"></a><a href="#FNanchor_252"><span class= +"label">[252]</span></a>Ce quartier porte aussi un autre nom +intéressant pour les origines : Beni-Mâzigh.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_253"></a><a href="#FNanchor_253"><span class= +"label">[253]</span></a>C’est-à-dire le dialecte berbère.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_254"></a><a href="#FNanchor_254"><span class= +"label">[254]</span></a><em>Isaqqamaren</em>, vassaux des +Kel-Rhela.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_255"></a><a href="#FNanchor_255"><span class= +"label">[255]</span></a>« Douanier ». (O. H.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_256"></a><a href="#FNanchor_256"><span class= +"label">[256]</span></a><em>Oulhi</em>, le cœur.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_257"></a><a href="#FNanchor_257"><span class= +"label">[257]</span></a><em>Touraouen</em>, le poumon.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_258"></a><a href="#FNanchor_258"><span class= +"label">[258]</span></a>Inguelzam, Māsīn, points d’eau de la roule +orientale de Ghât à Ghadāmes.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_172">[172]</span><a id= +"p3c03"></a>CHAPITRE III</h3> + +<p class="sch">IKHENOUKHEN</p> + +<p class="datesect">21 août.</p> + +<p>Dans la matinée vient me voir le petit brigand Ihemma ; il +me raconte encore qu’il veut assommer un Targui qui s’est servi +d’un de ses chameaux sans sa permission. Il m’annonce le premier +qu’Ikhenoukhen est arrivé, avec très peu de monde et deux chameaux +seulement.</p> + +<p>Ikhenoukhen est arrivé d’un côté et Othman est parti de l’autre, +de sorte qu’ils se sont croisés ; cependant Othman revient +lui-même dans l’après-midi, et me dit que les nouvelles sont +bonnes. Ikhenoukhen est très occupé ; il est encombré de +visites ; le moudir va le voir et une foule de +Ghadāmsia ; on traite l’affaire du vol des chameaux et puis +celle du départ de la caravane du Touat. Il paraît qu’il n’est pas +bien disposé pour les Hogar, et qu’il défend aux Ghadāmsia de +prendre des chameliers Sakomaren qui sont ici (ils sont imrhad des +Hogar) ; il veut que les chameliers soient Azgar ou +Ifoghas<a id="FNanchor_259"></a><a href="#Footnote_259" class= +"fnanchor">[259]</a> ; les Hogar sont ennemis. Il déclare +qu’il brûlerait les charges des chameaux de la caravane si elle +partait avec les Sakomaren. La nouvelle arrive de Rhat, que l’Aïr a +envoyé deux députés à Rhat pour dire que la route du Soudan était +de nouveau ouverte, ce qui cause grande joie aux Ghadāmsia, et fait +espérer qu’il y aura cette année un marché à Rhat, ce dont on +commençait à désespérer. On apporte en même temps la nouvelle que +le Hadj Ahmed, frère de Si ’Othman et chef des Touareg Hogar, va +arriver ici sous peu.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_173">[173]</span>Othman vient me +prier, de la part du cheikh Ali, de lui pardonner ce qu’il a fait +avant-hier.</p> + +<p class="datesect">22 août.</p> + +<p>Othman vient me prendre dans la matinée et me mène chez +Ikhenoukhen. Le sultan des Azgar est campé au loin, hors des +plantations, tant il craint la petite vérole qui règne à Ghadāmès. +(quoiqu’elle ait beaucoup diminué). Je trouve Ikhenoukhen entouré +de quelques Touareg, de deux Ouled Hamed, et de deux Ghadāmsia. Il +me fait asseoir d’un geste imperceptible et, sans se mouvoir, me +fait, ainsi qu’à Othman, les questions de politesse targuie : +« Mattoullid ? Māni ouinnek ? » — Comment vous +portez-vous par cette chaleur ? Grâce à Dieu vous êtes venu +ici, et les circonstances m’y ont aussi amené, etc., etc.</p> + +<p>Ensuite, Othman fait lire les lettres adressées au cheikh +Ikhenoukhen lui-même, et les firmans de Tripoli et de Tunis que +j’ai. On est obligé de traduire les passages importants, car +Ikhenoukhen comprend à peine l’arabe et ne le parle pas. Après +cette cérémonie, Ikhenoukhen, qui a montré tout le temps la plus +grande réserve, me souhaite froidement la bienvenue, puis nous +prenons congé de lui. Othman trouve que l’accueil qu’il m’a fait +est bon, quoique j’aie presque été tenté d’abord de croire le +contraire. Il me dit que l’habitude des Touareg est de paraître +fuir d’abord une nouvelle connaissance, mais que les autres Touareg +qui assistent à notre entrevue ont certainement dit en +eux-mêmes : Ikhenoukhen se réjouit déjà du cadeau qu’il +obtiendra de ce Français.</p> + +<p>J’ai ensuite une très longue conversation avec Othman au sujet +de mes projets ; je leur donne une plus grande extension et +pense aller de Rhat à Insalah. Il me dit que cela se décidera à +l’arrivée de son frère Hadj Ahmed<a id="FNanchor_260"></a><a href= +"#Footnote_260" class="fnanchor">[260]</a>.</p> + +<p>Je demande à deux des Hamed d’El-Ouad, qui ont été trois fois +d’El-Ouad à Rhat, ce qu’ils ont emporté. C’est des douros. Ils en +ont rapporté des ânes touareg ; prix à Rhat, 6 1/2, 7 et 8 +douros, et à El-Ouad 60, 61, 80 fr. Des chameaux (petites +chamelles) achetés<span class="pagenum" id="Page_174">[174]</span> +100, 105, 110 francs et vendus à El-Ouad 150, 160 francs. — Zebed +(civette), achetée l’once 26 fr. 50 et vendue 33 francs. Outres du +Soudan achetées 3 fr. 40 à 4 francs et vendues 6 fr. Peaux de +buffles (kelābo), achetées 10 fr. les grandes, vendues 11 fr. 40 et +15 fr.</p> + +<p class="datesect">23 août.</p> + +<p>Aujourd’hui, pas d’événements ; je cause avec un Ghadamsi, +Mohammed ben Mohammed, qui connaît très bien Rhat. Il m’explique +plusieurs des particularités du commerce de Ghadāmès.</p> + +<p>L’ivoire, et les principales autres denrées du Soudan qui +viennent ici, ne sont jamais vendues sur place, mais sont dirigées +sur Tripoli. Elles ne pourraient être obtenues ici que pour un prix +très approché de celui de Tripoli, comme par exemple 2 % en moins. +L’or est quelquefois vendu en petites quantités sur le marché, par +des individus qui ont besoin d’argent immédiatement. Les peaux de +panthères et les autres petits articles se trouvent aussi de temps +en temps.</p> + +<p>Les Ghadāmsia qui vont à Rhat donnent un cadeau de 10 +douros<a id="FNanchor_261"></a><a href="#Footnote_261" class= +"fnanchor">[261]</a> à Ikhenoukhen, et ils peuvent alors commercer +comme bon leur semble. A Rhat même, les charges d’ivoire ne font +que passer ; sauf dans de rares cas, par exemple quand un +marchand du Soudan a besoin de quelques objets qui se trouvent sur +le marché de Rhat, il envoie un peu d’ivoire qui se vend là et dont +le prix sert à acheter ce dont il a besoin. La plupart des +marchands Ghadāmsia du Soudan envoient leurs caravanes à des +correspondants à Rhat et à Ghadāmès et leurs produits ne sont +vendus qu’à Tripoli même. A Rhat, les maisons se louent 6 douros +pour le temps qu’on y reste à la foire, soit 15 jours, soit un +an.</p> + +<p>Les Ghadāmsia ne prennent pas de commission entre eux, ils se +rendent de petits services commerciaux sans exiger de +rétribution.</p> + +<p>Aujourd’hui, il est arrivé une petite caravane de Rhat avec un +chargement d’ivoire. Les nouvelles qu’elle apporte sont bonnes, +l’Aïr a fait la paix avec Rhat, et l’on espère avoir un marché +cette année, ce dont on avait d’abord douté. Les Ghadāmsia +confient<span class="pagenum" id="Page_175">[175]</span> leurs +marchandises aux chameliers touareg, qui les transportent à +destination avec le plus grand scrupule.</p> + +<p class="datesect">24 août.</p> + +<p>Dans la matinée, je suis encore obligé de me fâcher « tout +rouge » contre mes domestiques.</p> + +<p>Je reçois la visite de quelques Touareg. Dans la soirée, je vais +voir Ikhenoukhen. Il sort de sa tente seul et vient nous rejoindre +dans la dépression où il campe, à part de toute oreille indiscrète, +et nous nous asseyons. Il me salue, cette fois comme une vieille +connaissance, et commence, en bon Targui, par des questions de +politesse. « Comment allez-vous ? Comment trouvez-vous le +temps ? Supportez-vous bien cette chaleur ? Êtes-vous +rétabli de votre voyage dans l’Erg ? C’est là que nous voyions +du merveilleux lorsque nous allions sur nos méhara piller les +Chaanba et les Souâfa, etc. » Puis, après avoir rendu ces +politesses, je commençai à parler ; Si ’Othman traduisait mes +paroles en Temāhaght<a id="FNanchor_262"></a><a href= +"#Footnote_262" class="fnanchor">[262]</a>.</p> + +<p>Je dis à Ikhenoukhen que le sultan d’Alger qui lui avait envoyé +Si Ismail<a id="FNanchor_263"></a><a href="#Footnote_263" class= +"fnanchor">[263]</a> était rentré en France, mais que son +successeur, qui était mû par les mêmes idées, m’avait envoyé à lui +comme gage de son amitié et de son grand désir de lier des +relations amicales avec les chefs touareg et en particulier lui +Ikhenoukhen. Je lui expliquai nos intentions de commerce avec le +Soudan, et notre désir de le voir l’intermédiaire entre nous et les +noirs. Je l’assurai que tous les Touareg qui viendraient chez nous +seraient reçus avec honneur et empressement ; qu’on les +traiterait selon leur rang et qu’on leur ferait de beaux +cadeaux ; que, si lui-même Ikhenoukhen voulait se décider à +faire le voyage d’Alger, il pouvait compter sur toute la sincérité, +tous les égards et toutes les marques d’amitié qu’il pourrait +désirer.</p> + +<p>Ikhenoukhen me répondit qu’il était devenu vieux et qu’il ne +pouvait s’absenter du milieu des siens, qu’il avait déjà tant de +peines à les tenir d’accord et à apaiser leurs querelles +naissantes, qu’il ne pouvait pas penser à s’éloigner d’eux. Puis, +passant à un autre sujet, il causa pendant quelque temps à Othman +en temahaght et je les vis rire ensemble. Ils ne voulurent pas +me<span class="pagenum" id="Page_176">[176]</span> dire de quoi il +s’agissait ; mais, plus tard, je le sus par Othman et j’en +parlerai à l’occasion.</p> + +<p>Se retournant vers moi, il me fit la question insidieuse : +« Pourquoi les Anglais sont-ils bien reçus partout et pourquoi +les Français, quand ils envoient même leurs domestiques, sont-ils +en butte à toutes sortes de difficultés et toujours mal +reçus ? » Je lui répondis : « Cette demande +m’étonne, car j’aurais cru que vous saviez cette raison mieux que +moi-même. Mais je vais vous l’expliquer brièvement. Vous ne +connaissez les Anglais que comme marchands et voyageurs riches et +prodigues ; vous ne les avez donc rencontrés que vous offrant +des profits et des gains considérables ; il est naturel que +l’accueil qu’on leur fait soit bon. Mais nous, Dieu nous a mis +maîtres d’Alger, nous avons été sans cesse forcés de combattre, +toujours malgré nous, et ce que vous savez de nous, la connaissance +que vous avez de notre administration et de nos vues, vous l’avez +reçue à travers une digue d’ennemis. Sans vous parler du chérif, la +digue ennemie nous l’avons au milieu de nous, ce sont les Chaanba, +ce sont les Souāfa, les Beni-Mezab et enfin tous ceux qui sont nos +voisins. Moi-même, à El-Goléa, j’ai été menacé de la mort par des +Chaanba qui avaient été faire leur soumission à Alger. Je crains +plus les Chaanba que les Iboguelan<a id="FNanchor_264"></a><a href= +"#Footnote_264" class="fnanchor">[264]</a>. »</p> + +<p>Ikhenoukhen approuva énergiquement mon avis par un +« hakk » significatif. Il me dit que c’était précisément +là la différence, mais que pour lui il n’ouvrait pas son oreille à +ces mauvais bruits, et qu’il s’était fait une ligne de conduite, +dans toute sa vie, de ne faire que le bien, de ne jamais léser le +faible et de redresser les torts ; que, puisque j’étais venu à +lui, il me mènerait partout où je voudrais dans l’étendue de son +commandement.</p> + +<p>Pour persuader encore plus le chef de notre +« non-ogrerie », je lui fis la remarque que le sultan de +Constantinople, celui du Caire, celui de Tripoli, de Tunis et de +Fez étaient nos amis, comme aussi celui des Anglais, qu’ils avaient +la plupart des officiers et des industriels français chez eux, et +que nous étions sur le meilleur pied ; que si réellement nous +étions si mauvais, ces hommes puissants et éclairés ne manqueraient +pas de se tenir éloignés de nous. Ikhenoukhen fit alors une +allusion aux<span class="pagenum" id="Page_177">[177]</span> +événements de Syrie qui me désappointa ; il me donna la +nouvelle d’une intervention anglaise et française, mais je lui +objectai que je n’avais pas de nouvelles aussi neuves. Il mentionna +aussi l’entreprise du canal de Suez dont il ne comprenait pas le +but. Je le lui expliquai en particulier au point de vue du +pèlerinage de la Mekke et lui dis que le chef de l’entreprise était +un Français et l’ami intime de mon père.</p> + +<p>Passant à mon voyage, je dis à Ikhenoukhen que mon but était de +voir le marché de Rhat et de revenir par In-Salah. Rhat, me +répondit-il, c’est très facile, mais In-Salah, je ne peux pas +mentir, ma puissance ne s’étend pas jusque-là ; les gens du +pays même ne sont pas mes amis. Mais, ajouta-t-il : +« Voilà le sultan d’In-Salah », et il me montra Si +’Othman. Othman se défendit de toutes ses forces, mais Ikhenoukhen +revint au moins trente fois à la charge pour me faire comprendre +que c’était lui qui pouvait me mener à In-Salah. Othman tint +ferme.</p> + +<p>En terminant, Ikhenoukhen me dit qu’il voudrait bien me voir +recevoir de Tripoli un firman qui recommanderait qu’on me traitât +bien et que le pacha y fît la remarque que ce qui serait fait pour +moi serait fait pour lui. Je dis au chef targui : « Bien, +je vais demander ce firman, mais je dois te dire, en toute +franchise, notre amour-propre est blessé de voir que tu nous aimes +pour un autre et non pas pour nous-mêmes ». Ikhenoukhen, +prenant quelques pierres et les lançant négligemment de côté, +dit : « Les Turcs, voilà le cas que nous en faisons, nous +savons que ce sont vos esclaves ; partout où vient un conseil +de vous, c’est lui qui gouverne réellement le pays et le +gouvernement turc ne peut plus rien d’arbitraire ; nous +autres, nous n’avons pas besoin du firman, mais nous serons bien +aises de le montrer à d’autres. »</p> + +<p>Je terminai en priant Ikhenoukhen de consentir à échanger un +traité d’amitié. Il me répondit que cela ne pressait pas et que +nous nous retrouverions encore souvent. Puis, je lui fis dire par +Othman que je n’avais pas apporté de présents en nature, craignant +de ne pas tomber sur ce qui lui plairait, mais que je lui destinais +100 douros et une bague, avec une pierre précieuse, que je lui +laissais en souvenir. Il répondit que le profit n’était rien pour +lui et qu’il agissait ainsi envers moi parce qu’il le trouvait bon +(je compris plus tard que la somme offerte lui paraissait +peut-être<span class="pagenum" id="Page_178">[178]</span> un peu +faible<a id="FNanchor_265"></a><a href="#Footnote_265" class= +"fnanchor">[265]</a> en comparaison des présents anglais), que du +reste rien ne pressait et que ce que je remettrais à Othman lui +parviendrait. Là-dessus, nous nous saluâmes amicalement et nous +revînmes chacun de notre côté.</p> + +<p>Dans la nuit, je prends des renseignements sur les exactions du +kaïd Ali Bey<a id="FNanchor_266"></a><a href="#Footnote_266" class= +"fnanchor">[266]</a> et de son cousin le khalifa.</p> + +<p class="datesect">25 août.</p> + +<p>Hier au soir, en allant voir Ikhenoukhen, j’ai remarqué que le +sol de la grande dépression où il est campé est composé, sauf une +légère couche superficielle, de cette roche terreuse, blanche et +savonneuse déjà notée dans les dunes, et j’y trouvai des planorbes +et des limnées, ces dernières un peu plus fortes que celles +rencontrées au puits de Zouait.</p> + +<p>Visite de Telingui, qui vient avec son brigand de frère et sa +vieille sœur. Telingui est toujours aussi belle et aussi +gaie ; elle ne reste pas longtemps. Je lui donne une feuille +de papier pour qu’elle me la remplisse de mots targuis en +Tefînagh.</p> + +<p>J’ai été obligé de rosser deux de mes serviteurs à coups de +bâton ; ce sont de vrais sauvages et ils ont la tête +dure ! J’ai été forcé de les menacer de mort dans le cas où +ils s’en iraient. Ils trouvent le voyage dur et s’imaginent qu’ils +peuvent me planter là et s’en retourner chez eux. Ahmed a repris la +fièvre.</p> + +<p>Les melons ont fini ; les pastèques sont à leur fin. +J’achète aujourd’hui des citrons verts pour faire de la limonade. +J’ai déjà dit qu’il y a un seul citronnier à Ghadāmès.</p> + +<p>J’apprends que les pauvres Touareg, principalement les femmes, +se retirent à Ghadāmès ; dans chaque maison où ils se +présentent et demandent, on leur donne des vivres, de sorte qu’ils +peuvent vivre sans rien faire. C’est une coutume très ancienne, et +une obligation des Ghadāmsia qui rappelle les conditions de vie des +habitants du Djérid.</p> + +<p>L’eau d’ici est très lourde, les indigènes l’ont pesée +comparativement à celle des endroits voisins. Le moudir, moi et mes +domestiques, nous sommes à l’état permanent au <em>nec plus +ultra</em> de la diarrhée<a id="FNanchor_267"></a><a href= +"#Footnote_267" class="fnanchor">[267]</a>. Mes domestiques +trouvent aussi l’air lourd.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_179">[179]</span>26 août.</p> + +<p>Voici la raison pour laquelle, pendant ma conférence avec +Ikhenoukhen, ce chef s’est entretenu avec Othman, à part, en targui +et en riant. Ikhenoukhen a reçu la nouvelle qu’une lettre était +arrivée ici, engageant la personne, à qui elle est adressée, à me +<em>tuer, moi et Si ’Othman</em> ou, au moins, à chercher quelqu’un +qui exécutât la commission. Or, on a dit à Ikhenoukhen que la +lettre vient de Sidi Hamza, ce qui déroute un peu Othman parce +qu’il serait étonnant qu’il eût déjà reçu avis de notre départ +<em>ensemble</em>. Othman, en homme fin, me fait part d’un soupçon +que cela pourrait bien venir de Sidi Ali Bey qui aurait mis le nom +de Sidi Hamza en avant pour cacher le sien. Cela me paraît aussi +possible parce qu’Ali Bey doit savoir que j’ai donné avis à +l’autorité de ses exactions dans le Souf. Mais alors pourquoi +vouloir la mort de Si ’Othman ? Je noterai ici un fait qui +m’apparaît significatif aujourd’hui : M. Margueritte, alors +commandant supérieur de Laghouât, me dit à mon retour d’El +Goléa<a id="FNanchor_268"></a><a href="#Footnote_268" class= +"fnanchor">[268]</a>, lorsqu’il eut connaissance de tous les +détails de cette entreprise : « Écoutez, autant que je +connais l’homme (Sidi Hamza), je ne trouverais pas impossible qu’il +vous eût envoyé une lettre de recommandation pressante pour les +gens d’El Goléa tout en les prévenant directement de vous traiter +le plus mal possible afin d’ôter l’envie à tout autre de +revenir. » En effet, il est très connu que Sidi Hamza voudrait +que nous ne vissions le Sud que par ses yeux<a id= +"FNanchor_269"></a><a href="#Footnote_269" class= +"fnanchor">[269]</a>. J’ai voulu écrire cette nouvelle, avant que +son authenticité fût tout à fait établie, afin que, dans le cas où +elle serait vraie et que je dusse succomber, l’on pût trouver dans +mes papiers des indications pour tomber sur la vraie trace du +crime. Toutefois, je le déclare, cette nouvelle m’a peu ému, et +m’amuse plutôt qu’elle ne me chagrine.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_180">[180]</span>On me raconte +qu’Ikhenoukhen reste quelquefois deux jours sans manger par +fantazia ; il affecte de se faire apporter de bons repas et +invite ceux qui sont présents à s’attabler, refusant lui-même de +rien prendre. De même, lorsqu’il alla chez les Hoggar, il resta +deux jours et une nuit, accroupi à l’arabe, à recevoir des visites +et sans demander le temps de se reposer. Toujours par fantazia.</p> + +<p>Si ’Abd el Aziz, qui alla à Tombouctou avec le major Laing, me +dit qu’ils prirent la route d’Inzize (partis d’Aqàbli) et que, de +là, ils coupèrent le Tanezrouft obliquement sur Am Rannān où ils +prirent de l’eau.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp3c03"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_259"></a><a href="#FNanchor_259"><span class= +"label">[259]</span></a>Ceci indique que les tribus maraboutiques +des Ifoghas ne font partie ni des Azdjer ni des Hoggar, mais sont +en quelque sorte leurs intermédiaires.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_260"></a><a href="#FNanchor_260"><span class= +"label">[260]</span></a>Duveyrier songeait encore à explorer +l’Ahaggar. Il l’avait écrit à Barth, qui l’encourageait en ces +termes : « Votre lettre me remplit de joie ; elle me +prouve que nous pouvons encore espérer vous voir explorer le massif +si intéressant des Hoggar et combler cette lacune capitale de notre +connaissance de l’Afrique du Nord... Mes vœux les plus sincères +vous accompagnent dans cette tentative grosse de difficultés et de +périls. » (Lettre du 11 juin 1860, retrouvée dans les papiers +de Duveyrier.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_261"></a><a href="#FNanchor_261"><span class= +"label">[261]</span></a>Le mot douro, en Tripolitaine, s’appliquait +indifféremment à notre pièce de 5 francs, au douro d’Espagne +(appelé aussi bou-medfa), et au thaler Marie-Thérèse (appelé aussi +bou-tir). Le cours de ces monnaies variait d’ailleurs beaucoup par +rapport à la monnaie de compte légale (le mahboub = 20 piastres +turques).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_262"></a><a href="#FNanchor_262"><span class= +"label">[262]</span></a>Temahaght ou temahaq (<em>Les Touareg du +Nord</em>, p. 317).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_263"></a><a href="#FNanchor_263"><span class= +"label">[263]</span></a>Ismaïl Bou-Derba.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_264"></a><a href="#FNanchor_264"><span class= +"label">[264]</span></a>Tribu traitée de brigands par les Touareg +eux-mêmes.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_265"></a><a href="#FNanchor_265"><span class= +"label">[265]</span></a>Duveyrier dut finalement payer quatre fois +autant (2.000 fr.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_266"></a><a href="#FNanchor_266"><span class= +"label">[266]</span></a>Ali Bey, kaïd de Tougourt.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_267"></a><a href="#FNanchor_267"><span class= +"label">[267]</span></a>L’eau de la source de Ghadāmès renferme 2 +gr. 54 de sels par litre, dont 0,38 de sulfate de magnésie et 0,90 +de sulfate de chaux. Les indigènes y sont accoutumés, mais tous les +étrangers en subissent les effets. (<em>Mission de Ghadāmès, +Rapports officiels</em>, Paris, 1863, in-8, p. 260, 326.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_268"></a><a href="#FNanchor_268"><span class= +"label">[268]</span></a>Voir entre autres, sur ce séjour, +<em>Excursion à El-Golea’a</em>, <em>Nouv. Annales des +voyages</em>, novembre 1859. p. 189-197 et <em>Bulletin Soc. de +Géogr.</em> Paris, 1859, XVIII, p. 217.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_269"></a><a href="#FNanchor_269"><span class= +"label">[269]</span></a>De très intéressantes lettres du maréchal +Randon et du général Durrieu (juin-juillet 1858) ont été publiées +depuis par MM. Augustin Bernard et le commandant Lacroix +(<em>Historique de la pénétration saharienne</em>. Alger, 1900, +in-8, p. 34-37). Elles montrent quelle était alors l’opinion +dominante à Alger. Dans une lettre adressée à Duveyrier le 27 mai +1861, le D<sup>r</sup> Warnier donne la même note : « On +sait ici à quoi s’en tenir. Dans votre mission, me disait-on hier +après lecture de votre lettre, vous trouverez comme premier +obstacle nos grands chefs indigènes... » (Papiers de +Duveyrier.)</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_181">[181]</span><a id= +"p3c04"></a>CHAPITRE IV</h3> + +<p class="sch">GHADAMÉSIENS ET TOUAREG</p> + +<p class="datesect">27 août.</p> + +<p>Voici quelques renseignements sur la soie de tsámia<a id= +"FNanchor_270"></a><a href="#Footnote_270" class= +"fnanchor">[270]</a>.</p> + +<p>L’insecte qui la produit vit sur le tamarinier dont le fruit +est<span class="pagenum" id="Page_182">[182]</span> appelé aussi +tsámia en haoussa. Il émigre tous les deux ou trois ans, d’une +province du Haoussa à l’autre, pour reparaître au bout de quelque +temps dans celle d’où il est sorti. Ce ver n’est pas cultivé. Il +vit sauvage et les gens du pays attendent l’époque où il devient +chrysalide pour aller faire la récolte dans la campagne. On détache +les cocons pêle-mêle avec les chrysalides et on les jette dans de +l’eau bouillante pour tuer les insectes. C’est dans cet état que la +soie est vendue à Kanō. On la vend à Kanō par petites portions +appelées nōnō de quatre ou cinq fois la quantité que j’en possède +(7 gr. 65), c’est-à-dire 34 gr. 5 et au prix de 15-20 oud’a<a id= +"FNanchor_271"></a><a href="#Footnote_271" class= +"fnanchor">[271]</a>, lorsqu’elle est bon marché, ou de 50 oud’a +lorsqu’elle est chère. Les acheteurs secouent alors la soie et en +font tomber les chrysalides, et cette soie est filée à la main +comme bourre ; on ne dévide pas les cocons. Cette soie a le +défaut, me dit-on, de ne pas prendre les couleurs, cependant je +vois ici des tissus du Soudan, coton et tsámia, où cette dernière +est teinte en rose. On ne fait pas de vêtements de tsámia pure, +mais de petites bandes alternatives coton et tsámia. Les +chrysalides,<span class="pagenum" id="Page_183">[183]</span> pilées +et infusées dans de l’eau, sont un remède contre les douleurs +d’oreille ; on verse la décoction dans l’oreille du malade. On +n’apporte pas de tsámia brute à Rhat ni à Ghadāmès.</p> + +<p>La « nila » ou teinture bleue qui sert à teindre les +cotonnades du Soudan est estimée par les Touareg comme ornement et +comme hygiénique. Ils l’achètent ici à la livre aux Ghadāmsia et +s’en frottent les bras et les mains ; les femmes, les lèvres, +les joues et le front. C’est, comme je le dis, un ornement sans +lequel un homme n’est pas considéré et une femme n’est pas belle +et, de plus, un préservatif contre le froid et un émollient ou +lénitif pour la peau.</p> + +<p>Aujourd’hui, Othman va à Tābia où Ikhenoukhen s’est rendu de son +côté, ils ont une longue discussion avec Eg ech Cheikh<a id= +"FNanchor_272"></a><a href="#Footnote_272" class= +"fnanchor">[272]</a> qui est campé là. On discute les moyens de +faire la paix avec les Hoggār ; naturellement, il n’y aurait +qu’un moyen, c’est de rendre de chaque côté les chameaux qui +auraient été volés.</p> + +<p class="datesect">28 août.</p> + +<p>Après ma leçon de targui, Ihemma me raconte qu’à Tabia il y a +une inscription qu’un Ghadāmsi a copiée et apportée en ville que, +l’ayant montrée aux Touareg, ils n’ont pas pu la lire parce que +<em>nos</em> Tefinaghen ne sont pas tout à fait pareils aux leurs. +Ce serait donc une inscription latine ? Ihemma a été chargé +par moi de faire des recherches.</p> + +<p>Il me raconte qu’il y a aux environs des tombeaux des +Djohāla<a id="FNanchor_273"></a><a href="#Footnote_273" class= +"fnanchor">[273]</a> où les Touareg vont dormir lorsqu’ils veulent +avoir une inspiration, comme, par exemple, savoir où un voleur +s’est enfui, et que le lendemain, à leur réveil, les maîtres des +tombeaux leur ont dit ce qu’ils cherchaient.</p> + +<p>Aujourd’hui part une petite compagnie de gens du Souf qui +emportent des lettres de moi ; je crois aussi que mes lettres +au Consul de Tripoli partent aujourd’hui.</p> + +<p class="datesect">29 août.</p> + +<p>Les Touareg ont presque tous leur amie. Ils la prônent +comme<span class="pagenum" id="Page_184">[184]</span> les +chevaliers prônaient leur dame, et ils inscrivent sur les rochers +ou sur les murs à Ghadāmès des louanges à leur adresse en +Tefinaghen. Si je dois les croire, l’amie n’est que pour les yeux +et non pas pour le lit, comme chez les Arabes. Ils se vêtissent de +leur mieux et vont causer avec elle et là se bornent leurs +relations. La nuit les Touareg veillent longtemps ; j’entends +toujours un son semblable au violon, et j’apprends que ce sont les +Targuiāt qui jouent du rebāb en s’accompagnant de la voix ; +lorsqu’une femme chante, les hommes s’accroupissent en cercle +autour d’elle et écoutent. Presque tous et toutes savent +improviser.</p> + +<p>Il y a au Dhâhara (endroit où campent les Touareg) des +prostituées qui vivent sous la tente ; je sais cela parce que +j’ai aujourd’hui un malade syphilitique et que je le questionne sur +la manière dont sa maladie lui est venue.</p> + +<p>Je reste à la maison, prends ma leçon de targui. Ihemma me dit +que sa sœur Télingui ne pourra plus venir parce que son mari l’a +beaucoup grondée de venir me voir.</p> + +<p>Mon cordonnier qui me fait une belle paire de souliers brodés en +soie, est situé dans le quartier des Beni-Ouazit et nous, nous +sommes dans celui des Beni-Oulid ; c’est le marché qui fait la +limite entre les deux tribus, et il n’y a jamais eu de mur entre +eux, pas de <span class="arabic">سور</span>, mais un <span class= +"arabic">سوڧ</span>, ce qui a pu causer l’erreur de C. Ritter<a id= +"FNanchor_274"></a><a href="#Footnote_274" class= +"fnanchor">[274]</a>. Or, je désire avoir des bottes molles, et +j’envoie à mon cordonnier pour le prier de venir prendre +mesure ; il me fait répondre qu’il ne sortira pas pour 100.000 +rials de son quartier pour venir dans le mien. J’apprends que les +hommes nobles « harār » ne sortent de leur quartier pour +aller dans l’autre qu’à de rares exceptions et qu’il y en a qui +n’ont jamais vu l’autre quartier. Ils envoient les nègres et les +mulâtres en commissions. Autrefois les deux tribus étaient +ennemies, mais maintenant, quoiqu’elles aient fait la paix, +l’ancienne retenue respective existe très forte. Les Beni Oulid ont +deux chará ou rues voûtées ; les Beni Ouazit en ont +quatre.</p> + +<p class="datesect"><span class="pagenum" id= +"Page_185">[185]</span>30 août.</p> + +<p>Les retards qu’éprouve la caravane du Touāt sont des suites de +la razzia des Oulad Ba Hammou sur les Azgar, laquelle razzia fut +rattrapée à deux jours du Touāt par Ikhenoukhen et à la suite de +laquelle on parla de rendre les chameaux enlevés de part et +d’autre. Il y a ici des Sakomaren<a id="FNanchor_275"></a><a href= +"#Footnote_275" class="fnanchor">[275]</a>, imrad des Hoggar et des +Oulad Ba Hammou ainsi que des gens d’In-Salah, mais en petit +nombre. Tous ces gens craignent de se mettre en route avant d’avoir +été autorisés par Ikhenoukhen, sans cela ils pourraient bien être +attrapés en route et dévalisés. D’un autre côté, la caravane des +Ghadāmsia, conduite par les Ifoghas ne veut pas aller au Touāt +avant de voir les affaires arrangées ici, de crainte qu’on use de +représailles sur eux à In-Salah.</p> + +<p>La nouvelle arrive que les Ourghamma sont montés à cheval pour +aller en expédition et on ne sait pas où. Ikhenoukhen part à cheval +pour aller voir où sont ses chameaux, qu’il trouve au Tabia ; +tout le monde se tient sur le qui-vive. On envoie une vigie à +Mézezzem.</p> + +<p>Ihemma a été au Tabia ce matin et a cherché partout +l’inscription en question, mais ne l’a pas trouvée. L’individu qui +l’a apportée est fou actuellement (il a plus de 150 ans, disent les +Touareg).</p> + +<p class="datesect">31 août.</p> + +<p>Aujourd’hui, dans l’après-midi, part une caravane pour le +Touāt ; il arrive depuis quelques jours des nouvelles de +Tripoli.</p> + +<p>Il paraît que chez les Touareg une femme, pour être « comme +il faut », doit avoir beaucoup d’amis et n’en préférer aucun. +Elle leur donne des témoignages d’amitié comme, par exemple, +d’écrire sur leurs voiles rouges en broderie ou sur leurs boucliers +et anneaux de bras des inscriptions Tefinagh. Si une femme n’a +qu’un ami, on se moque d’elle et on lui dit que c’est son mari et +qu’elle est pervertie. Cependant les maris sont jaloux de la +préférence et ils tueraient leur femme si celle-ci leur +disait : « Un tel est mieux que toi », à plus forte +raison s’ils apprenaient qu’elle commet des infidélités. De son +côté, la femme ne peut pas supporter de rivale, et elle divorce, +car elle a ce droit, quand<span class="pagenum" id= +"Page_186">[186]</span> elle apprend que son mari en courtise une +autre. Les Touareg ne prennent jamais une nouvelle femme sans +divorcer avec l’ancienne. Quoique la femme donne souvent son avis +dans les conseils, dans le ménage le mari est tout à fait le maître +et il peut tuer sa femme, si elle le mérite, sans que ses parents +lui demandent compte de son action. Mais d’un autre côté les +parents de la femme exigent qu’elle soit bien habillée, bien +nourrie et pas délaissée.</p> + +<p>Un Ghadāmsi estime à 3.000 le nombre des habitants de la ville y +compris les femmes ; ce nombre est bien trop faible<a id= +"FNanchor_276"></a><a href="#Footnote_276" class= +"fnanchor">[276]</a>.</p> + +<p>L’impôt de Ghadāmès est de 2.500 mitcals d’or, ou bien, au taux +moyen de 16 1/2 rials tounsi le mitcal, 30.937 fr. 50. Je prends +des renseignements sur la douane ; en moyenne, elle prélève +ici ou à Tripoli 13 % de la valeur des objets importés du Soudan. +La poudre d’or seule ne paie rien. Les Ghadāmsia dansent dans les +rues les jours de fête ; les Touareg ne dansent jamais, ni les +hommes, ni les femmes ; les tribus assujetties des Imrad +seules ont cette coutume en commun avec les nègres.</p> + +<p class="datesect">1<sup>er</sup> septembre 1860.</p> + +<p>Je vais de bonne heure chez un commerçant nommé Brahim ben +Ahmed, qui est revenu du Soudan au mois de Ramadhan dernier. Je m’y +rends avec le cheikh Ali. Nous sommes reçus dans une chambre haute +entourée de petits réduits à portes en bois peint en rouge et à +tapisseries. La chambre est blanchie, le parquet est couvert de +nattes et de coussins touareg ; les murs sont presque cachés +par des grands plats en métal doré, cloués au mur, et par des +multitudes de petites corbeilles rondes sans anses de toutes +grandeurs. En somme, cette chambre est très jolie, et j’étais loin +de m’imaginer que les Ghadāmsia avaient un intérieur aussi +attrayant.</p> + +<p>Nous trouvons ici rassemblées les principales marchandises du +Soudan ; j’examine chacune d’elles en détail et je prends note +de sa nature et du prix qu’elle atteint ici. Par la même occasion +j’apprends que le tarif de la douane pour les objets du Soudan +n’est que de 9 % ; cependant je dois m’informer de cela auprès +de l’amine. Après le travail en question on nous sert du thé, qu’on +apporte dans une théière anglaise, et que nous buvons avec des +trempades<span class="pagenum" id="Page_187">[187]</span> de +« biscuit ». Je m’amuse beaucoup du jeune fils mulâtre +que mon hôte a ramené du Soudan et qui ne sait pas encore un mot +d’arabe. Il y a aussi de nombreux esclaves.</p> + +<p>’Aissa, le petit Targui malade d’un œdème, meurt tranquillement. +On ne manque pas de remarquer que j’avais prédit qu’il ne vivrait +pas longtemps.</p> + +<p>Les caravanes qui sont parties aujourd’hui et hier peuvent avoir +300 chameaux ; ce nombre n’est pas normal ; il est causé +par l’insécurité de la route, qui régnait depuis trois mois et +qu’Othman vient de faire cesser. Les gens d’In-Salāh qui étaient +ici avaient attendu trois mois sans pouvoir partir.</p> + +<p class="datesect">2 septembre.</p> + +<p>Je m’amuse à recueillir des notes sur les coutumes intimes des +Ghadāmsia et des Touareg.</p> + +<p>Les Ghadāmsia ne mangent pas devant leurs femmes. Celles-ci font +la cuisine, leur apprêtent la viande et la leur servent. Les +Ghadāmsia mangent à leur gré et ne laissent que les os à leurs +femmes. Ceci est littéral ; il est même considéré comme +inconvenant à une femme de manger de la viande. Les Touareg, au +contraire, mangent en compagnie de leur épouse ; s’ils +mangeaient à part, ce serait la mépriser. Ils lui donnent même la +meilleure part. Dans la viande, il y a certaines parties que les +femmes Targuiāt considéreraient comme inconvenant de manger, ce +sont le cœur, l’intestin gras ; le café aussi et le thé sont +dans cette catégorie d’aliments. Les Targuiāt, au contraire, se +réservent le foie et les reins qu’aucun Targui ne mangerait.</p> + +<p>Quand quelqu’un meurt, on ne pleure pas chez les Touareg, on ne +vient pas comme chez les Arabes faire des visites de condoléances +et des singeries. Les Touareg disent à ceux qui pleurent dans ces +occasions : « Réserve tes larmes pour toi ». Comme +aujourd’hui meurt une des proches parentes d’Othman, vieille femme +malade de la petite vérole, je puis me convaincre qu’ils supportent +très bien les pertes de leurs proches. Les Ghadāmsia, au contraire, +font le deuil à l’arabe. Les « Atrîyat » surtout se +montrent dans ces occasions. Elles courent à la maison du mort et +pleurent en disant « Ya Sidi » ! Manaaraf +chey » ! etc., puis viennent rire à la porte du mort. +Elles sont de véritables pleureuses et n’accourent que pour +recevoir un peu d’argent.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_188">[188]</span>Je reçois la +visite de deux Targuiāt, dont l’une est Tekiddout qui doit être ma +maîtresse de Tefinagh. Elle emporte le papier et viendra demain me +donner ma première leçon. Ces deux dames sont très dégourdies et je +suis de plus en plus frappé des rapports qu’il y a entre l’esprit +des Targuiāt, leurs relations avec les hommes, leurs idées de +convenance et celles qu’ont mes concitoyennes. Tekiddout ramène si +habilement son voile (haïk) sur sa figure, que je ne puis voir ses +traits, j’ai beau user de tous les moyens possibles, je ne puis +l’amener à se découvrir. Elle donne pour prétexte que je suis jeune +et beau ! Chez les Touareg, c’est du reste une manière de +montrer le respect ou la timidité que de se couvrir la bouche, la +figure entière, même de tourner le dos à la personne à qui l’on +parle.</p> + +<p>Le soir, je reçois la visite d’Othman et d’un Arabe Kounta, de +la suite du parent du cheikh el Bakkay qui est ici et qui a épousé +la fille de Ikhenoukhen. Je suis frappé des manières polies de cet +Arabe qui n’est cependant pas de la première classe. En s’en allant +et emportant le petit présent que je lui fais, il me prie de rester +assis.</p> + +<p class="datesect">3 septembre.</p> + +<p>Aujourd’hui vient un express de Rhat qui donne de bonnes +nouvelles. Le Hadj Ahmed est retourné au Hoggar. La paix règne +partout. On attend à Rhat de grandes caravanes du Soudan.</p> + +<p>D’un autre côté, arrive une ambassade des Ghorīb et des Merazig +à Ikhenoukhen. J’apprends à cette occasion que les Ghorīb paient à +ce chef chaque année un tribut de haoulis pour prévenir les razzias +que les Touāreg faisaient sur eux autrefois. Les Merāzig paient de +même un tribut à mon ami Othman. Or, cette fois, les deux tribus +ont envoyé leurs députés à Ikhenoukhen, et Othman en est jaloux. +Nous allons voir comment se passera cette aventure.</p> + +<p>Je reçois la visite de Tekiddout et peu après celle d’Othman qui +reproche à cette Targuie de venir ici, mais elle paraît se moquer +pas mal de son avis. Après le départ de Tekiddout, Othman reste +longtemps avec moi et me raconte plusieurs chansons qu’il a faites +ou qu’on a faites à son sujet. J’en écris une avec sa +traduction.</p> + +<p>Les Touareg, surtout les chefs et les amateurs de femmes, +considèrent comme mal de manger d’une bête plumée ; ils ont +raison en parlant de l’autruche qui a une mauvaise odeur, mais ils +n’ont<span class="pagenum" id="Page_189">[189]</span> pas d’excuses +pour les autres oiseaux. Les marabouts et Othman, par conséquent, +mangent de tout ce que les Arabes mangent.</p> + +<p>Les Ghadāmsia prennent presque tous le thé, même les plus +pauvres ; le café est peu estimé d’eux.</p> + +<p>Les Touareg ne se lavent presque jamais ; je suis fâché de +le dire ; et, comme ils ne changent pas de vêtements, la +plupart exhalent une odeur écœurante de sueur concentrée. Il y a +cependant des exceptions. Ils prétendent que l’eau ne leur va pas +et leur donne des maladies. Les Touareg prétendent, avec raison, +que les villes ne leur vont pas ; en effet, ici à Ghadāmès, il +règne parmi eux des maladies nombreuses dont les principales sont +la dysenterie, diarrhée, fièvres et petite vérole. Quant aux +fièvres, il paraît que ce pays n’en est pas exempt, ainsi les +soldats qui gardent la porte sont en ce moment tous pris de la +fièvre, et ils grelottent toute la journée ; les Touareg en +souffrent aussi, et Ahmed, mon premier domestique, en a encore des +attaques, surtout ces jours derniers. Maintenant, je vais le mettre +à un traitement régulier jusqu’à parfaite guérison.</p> + +<p class="datesect">4 septembre.</p> + +<p>Aujourd’hui partent encore environ 55 chameaux pour In-Salah. La +plupart des charges sont des cotonnades anglaises.</p> + +<p>J’ai probablement négligé de noter une coutume des Touareg qui +est de ne jamais coucher en ville. Cela est encore considéré A’ïb +ou péché, tant pour les hommes que pour les femmes. Jamais ils ne +manquent à cette règle. Quand les Touareg arrivent à Ghadāmès, ils +vont trouver leur ami Ghadāmsi, c’est-à-dire le marchand qui leur +confie ses charges de marchandises, etc. Celui-ci sort une tente de +toile ronde pour son ami targui et la lui prête pendant tout le +temps de son séjour.</p> + +<p>Othman se moque chez moi des Merazig et des Ghorib ; les +Arabes, me dit-il, sont si avares du bien de ce monde, que +l’ambassade du Nefzaoua, composée de sept hommes, est arrivée sur +trois chameaux ! Ils ont apporté un présent de haoulis, mais +tous les parents et amis d’Ikhenoukhen viennent lui demander leur +part du tribut, de sorte qu’il n’en conservera probablement rien +pour lui.</p> + +<p>Je vais voir le moudir dans son jardin ; comme il est là, +seul avec le cheikh, il est très aimable et m’explique qu’il a des +dettes<span class="pagenum" id="Page_190">[190]</span> occasionnées +par ses longs voyages dans les dernières années, que c’est pour +cela qu’il désire rester à Ghadāmès quelques années pour se +refaire. — Ce Turc est à crever de rire avec ses airs d’importance. +Je ne vais pas le voir qu’il ne me répète plusieurs fois avec une +grimace dégoûtée : « Mon cœur est fatigué des affaires de +ce monde ».</p> + +<p class="datesect">5 septembre.</p> + +<p>Je vais de bon matin voir Ikhenoukhen. J’ai une longue +conversation avec lui et son frère ’Omar el Hadj, au sujet de mon +départ pour le Djebel. Ils sont d’avis que je m’abstienne d’y +aller, tant à cause des nouvelles d’une expédition des Ourghamma, +qu’à cause de la longueur de la route. Ils semblent être près de +leur départ. Ikhenoukhen, avec qui je parle ensuite des affaires +politiques, accepte de faire un traité avec l’Algérie ; il +conseille de ne s’adresser qu’à lui et à ses deux frères, les +autres chefs des Azgar, les Imarasāten<a id= +"FNanchor_277"></a><a href="#Footnote_277" class= +"fnanchor">[277]</a>, amis des Anglais en particulier, étant en +quelque sorte sous ses ordres.</p> + +<p>Je vais ensuite voir Hadj Mohammed ou Ahmed, le plus grand +commerçant de la ville et l’homme le plus considéré, qui vient +d’arriver, il y a peu de jours, de Tripoli ; il me conseille +de partir pour le Djebel, m’assurant que j’aurai toujours le temps +de trouver Ikhenoukhen ici. Là-dessus, après être entré un instant +au Medjélès, je vais faire part à Si ’Othman de ma décision et le +prie d’aller trouver Ikhenoukhen pour lui en parler.</p> + +<p>J’apprends que Sid el Bakkay, qui a épousé une fille +d’Ikhenoukhen (il est parent de Sidi Ahmed el Bakkay de +Tombouctou), est en ce moment un peu en querelle avec son +beau-père, parce qu’il voudrait que les Azgar fissent la guerre aux +Hoggar qui sont les ennemis de sa propre famille ; or, depuis +trois ans et plus qu’il est auprès d’Ikhenoukhen, il ne fait que +l’exciter à cette rupture. Ikhenoukhen a trop de bon sens pour ne +pas voir que ce serait la perte des Touareg que de suivre ce +conseil ; de la petite bouderie de la part du marabout.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_191">[191]</span>J’apprends qu’un +Rahti, qui est parti pour son pays il y a peu de jours, a déclaré +que jamais un Français n’entrerait à Rhat, et, comme il parlait un +peu haut dans le marché, Si ’Othman a été obligé de le mettre au +silence. Il va porter de mauvaises nouvelles à Rhat, et +certainement nous allons trouver tout le monde prévenu à notre +arrivée. Ikhenoukhen ne veut partir qu’avec tout son monde.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp3c04"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_270"></a><a href="#FNanchor_270"><span class= +"label">[270]</span></a>Ceci est une réponse aux instructions du +D<sup>r</sup> Warnier. Elles sont contenues dans une volumineuse +correspondance, embrassant toute la durée du voyage, pendant lequel +Warnier n’a cessé de jouer le rôle de Mentor. Mentor systématique +et autoritaire parfois, et qui n’abdiqua pas lors de la rédaction +des <em>Touareg du Nord</em>, dont le brouillon renferme plus d’une +page entièrement raturée et modifiée de sa main. Duveyrier souffrit +de cette tutelle, et certaines de ses lettres (1867-1870) en +parlent d’un ton amer. Plus tard, il ne voulut se rappeler que les +soins dévoues du médecin, et le zele enthousiaste de l’initiateur +scientifique que Warnier avait été. « La mort, écrivait +Duveyrier en 1875, efface certains souvenirs et en ravive d’autres. +Je n’ai pas besoin de vous dire que ceux-là sont les +meilleurs. » (Lettre au commandant Warnier, frère du Docteur.) +Il avait raison. Qu’on en juge par cette lettre de Warnier (27 +décembre 1859), reçue par Duveyrier à Biskra le 8 janvier 1860, et +qu’on voudrait pouvoir citer tout entière :</p> + +<p>«... Dans un voyage comme celui que vous entreprenez, un +explorateur doit se rattacher à tout ce qu’il y a de forces vives +dans son pays. La Société d’acclimatation de Paris est aujourd’hui +à la tête d’un mouvement important. Elle a créé à Alger un comité +dont le domaine embrasse l’Afrique entière. Ce comité sera heureux +d’entrer en relations avec vous, pour tout ce que le pays que vous +allez explorer peut donner et recevoir. Vous êtes sur un des points +du globe les moins connus, et si pauvre qu’il soit, il peut donner +en végétaux, en minéraux, en animaux, des choses nouvelles, +utilisées ou non par les indigènes. Parmi les choses sur lesquelles +j’appelle surtout votre attention, est celle-ci : Déterminer +la limite botanique des végétaux qui appartiennent au bassin +méditerranéen, et entre autres l’olivier... Là ou finissent ces +espèces, doit commencer une région botanique nouvelle, la région +désertique, entre lesquelles peut se trouver une région +intermédiaire, la région saharienne, donnant à la fois +l’hospitalité à des végétaux méditerranéens et désertiques. Il +importe à la science que ces limites soient bien précisées... +J’appelle surtout votre attention sur les acacias producteurs de +gomme... On en trouve en Tunisie, en Marokie, à peu de distance du +littoral. Où commencent-ils au sud de l’Algérie ? Où +pourrait-on les introduire ? L’Argan, commun au Maroc, se +montre-t-il dans notre Sud ?... Je vous serais infiniment +reconnaissant, <em>personnellement</em>, si vous vouliez bien +m’envoyer la liste des arbres, arbustes, avec leurs noms indigènes +et lieux de station... Il y a de nombreux tamarix, espèces +nouvelles pour la plupart. Ces espèces produisent des galles +(Takaout) employées comme succédanés des galles du chêne. — +Quid ?... Avez-vous étudié avec soin le système d’aménagement +des eaux des Beni Mzab ? D’après ce que j’en sais, c’est +merveilleux. Sans aucun doute, le général Desvaux vous aura +recommandé d’étudier les lignes de fond sous lesquelles on peut +espérer trouver des eaux artésiennes ; c’est avec la sonde que +la civilisation doit pénétrer dans le Sud... J’appelle aussi votre +attention sur l’action du climat relativement à la coloration de la +peau... Déterminez la limite méridionale des civilisations qui ont +pénétré dans ce continent ; vous les trouverez indiquées par +des ruines... Ne négligez pas de recueillir des renseignements +précis sur les poids, les mesures et les monnaies... Si des +règlements relatifs à l’usage des eaux tombent sous votre main, +rapportez-nous-les, soit en original, soit en copie. Recueillez ce +qui est tradition orale. La teinture et la tannerie ont atteint un +certain degré de développement : sachez nous dire quels sont +les procédés de fabrication... On a signalé dans le Sud des +gisements de combustible minéral. Tâchez de savoir ce qu’il en +est... Notez également toute rencontre d’oiseaux ou d’insectes +migrateurs. Les sauterelles qui ravagent périodiquement le Nord de +l’Afrique prennent naissance dans le Sud. Quels sont les foyers de +production ?... Notez aussi la limite où parviennent d’un côté +les produits manufacturés ou les matières premières du Nord, et de +l’autre côté ceux venant du Soudan... J’ai remarqué que la race +nègre, dans ses migrations vers le Nord, rencontrait des obstacles +hygiéniques analogues à ceux de l’Européen venant en Algérie. +Enregistrez tout ce que vous apprendrez à ce sujet... Du foyer +soudanien ont dû sortir, en plantes et animaux, des espèces +originaires de ce foyer. Quelles sont-elles et quelles +modifications ont-elles éprouvées ?... Quel est l’arbre appelé +en arabe tsámia, qui produit la soie végétale du Soudan, avec +laquelle on brode les turbans ?... L’Angleterre n’a fait de si +grands sacrifices pour l’exploration de l’Afrique que pour savoir +si, en cas de rupture avec les États-Unis, ses manufactures +pourraient trouver un foyer d’origine du coton. La France aussi a +intérêt à voir accroître le champ de cette culture... Il importe +donc de recueillir tous les renseignements... Informez-vous des +lieux d’où l’on tire le nitre ou azotate de potasse, de +l’importance de la production... Le soufre doit exister dans +certaines parties : — attention spéciale. » (Papiers de +Duveyrier.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_271"></a><a href="#FNanchor_271"><span class= +"label">[271]</span></a>Ouda, cauri.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_272"></a><a href="#FNanchor_272"><span class= +"label">[272]</span></a>Chef de la tribu des Imanghasaten, rivale +de celle des Oraghen dans la confédération des Azdjer.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_273"></a><a href="#FNanchor_273"><span class= +"label">[273]</span></a>Païens. On trouve la même superstition +attribuée par Pomponius Mela aux anciens habitants d’Augile (cf. +les remarques de Duv. <em>Les Touareg du Nord</em>, p. 415) et chez +les habitants actuels de l’Aïr (<em>Journ. de voyage</em> d’Erwin +de Bary, trad. Schirmer, Paris, 1898, p. 187).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_274"></a><a href="#FNanchor_274"><span class= +"label">[274]</span></a>Ritter (<em>Géogr. gén. comparée</em>, III, +p. 316) avait dit qu’un mur très large sépare diamétralement la +ville, et que les deux tribus ne communiquent que par une porte +fermée à la première apparence de trouble. Richardson (1845) et la +<em>Relation du voyage de M. le capitaine de Bonnemain</em>, +publiée par Cherbonneau en 1857 dans les <em>Nouv. Annales des +voyages</em>, n’avaient ni infirmé ni confirmé cette +information.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_275"></a><a href="#FNanchor_275"><span class= +"label">[275]</span></a>Ou mieux Isaqqamaren.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_276"></a><a href="#FNanchor_276"><span class= +"label">[276]</span></a>Mircher (1862) dit 6 à 7.000 (ouv. cité, p. +98) ; Rohlfs (1865) dit 5.000 (<em>Quer durch Afrika</em>, +Leipzig, 1874, I, p. 81).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_277"></a><a href="#FNanchor_277"><span class= +"label">[277]</span></a>Imanghasaten. Sur leur rivalité avec les +chefs des Oraghen, voir <em>Les Touareg du Nord</em>, p. +355-6 ; voir aussi Schirmer, <em>Pourquoi Flatters et ses +compagnons sont morts</em>. Paris, 1896, p. 15-20.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h3><span class="pagenum" id="Page_192">[192]</span><a id= +"p3c05"></a>CHAPITRE V</h3> + +<p class="sch">A GHADAMÈS (<em>suite</em>)</p> + +<p class="datesect">6 septembre.</p> + +<p>Autrefois, les Beni Oulid et les Beni Ouazit étaient +ennemis ; aujourd’hui encore, ils sont loin d’être amis, et +leur inimitié s’est seulement transformée en jalousie. Encore +aujourd’hui, les Beni Oulid ont l’ouest, c’est-à-dire voyagent à +Tunis et au Souf ; les gens de ces contrées viennent aussi à +eux. Ils ont aussi Douirat et Nalout. Les Beni Ouazit, au +contraire, vont à Tripoli et dans l’est et les gens de ces contrées +viennent descendre dans leur quartier.</p> + +<p>On prétend maintenant que les seuls individus atteints de +fièvres à Ghadāmès les ont emportées soit de Derdj (les soldats), +soit de Ouargla et du Fezzan. Ceci expliquerait ce phénomène qui +est singulier vu l’élévation de Ghadāmès et la nature de son +terrain<a id="FNanchor_278"></a><a href="#Footnote_278" class= +"fnanchor">[278]</a>.</p> + +<p>On m’apporte une inscription latine. Elle est gravée sur une +plaque de grès assez tendre, rougeâtre ; le fac-similé que +j’en ai fait est exact ; elle ne présente, du reste, guère de +difficultés pour la lecture des lettres, même de celles des deux +mots qui ont été martelés. L’endroit d’où provient cette +inscription, et que j’ai été voir aujourd’hui, contient les +fondations d’un édifice, sûrement l’un des « castrorum » +indiqués dans le texte de l’inscription<a id= +"FNanchor_279"></a><a href="#Footnote_279" class= +"fnanchor">[279]</a>. Cet endroit peut être déterminé de la manière +suivante :<span class="pagenum" id="Page_193">[193]</span> En +tirant une droite d’El-Esnām à la pointe des jardins que j’ai +relevés sur la gauche en venant de Sidi Maabed, les fondations dans +lesquelles on a déterré l’inscription sont à peu près au milieu des +deux points. Malheureusement, cette inscription est<span class= +"pagenum" id="Page_194">[194]</span> incomplète. Je n’en ai sous +les yeux qu’une moitié, c’est-à-dire le milieu, auquel il manque +les deux côtés. Les côtés cassés, surtout celui de gauche, ont été +polis et travaillés, comme si on s’était servi de cette pierre pour +une bâtisse plus récente.</p> + +<div class="figcenter iw2"> +<figure id="i14"><a href="images/i14.jpg"><img src='images/i14.jpg' +alt=''></a> +<p class="cp1"><span class="sc">Inscription romaine trouvée a +Ghadamès</span>.</p> + +<p class="cp2">Hauteur de la pierre, 0<sup>m</sup>,52. — Largeur, +0<sup>m</sup>,26.</p> + +<p class="cp2">Les lettres des deux premières lignes ont 1 +centimètre de plus que les autres. Le trait de la gravure est brisé +partout où il y a eu martelage.</p> +</figure> +</div> + +<p>Je dessine les chapiteaux des colonnes de la place +d’El-Aouïna<a id="FNanchor_280"></a><a href="#Footnote_280" class= +"fnanchor">[280]</a>. J’apprends que, dans la mosquée, il y en a +beaucoup de semblables, mais, quoique ce soit un sujet curieux +d’études que ce monument qui a peut-être eu autrefois une autre +destination, je ne crois pas pouvoir demander de les voir<a id= +"FNanchor_281"></a><a href="#Footnote_281" class= +"fnanchor">[281]</a>.</p> + +<p>J’ai été faire une longue promenade aux Esnām et de là aux +tentes des Touareg du Dhahara. J’ai passé auprès de la cabane de +paille proprette de Tekiddout ; elle était là, par +terre ; quand elle m’a vu, elle m’a salué en riant et en +mettant ses mains sur sa figure. Je vois là des charges de chameaux +arrangées par terre et je vois venir des chameaux chargés, qui +sortent de la ville. Tout cela est encore pour In-Salāh, et, tous +les jours, partent de petits partis de Touareg.</p> + +<p>Du Dhahara, ce plateau où sont les Touareg, on a une vue très +étendue sur la Hamada vers l’est ; on voit là se dérouler +cette surface déserte et nue, avec ses différentes teintes ; +des blancs éclatant au rouge pâle, et les nombreuses +« goūr » ou témoins qui la surmontent. Ghadāmès pointe à +travers les palmiers et l’on n’en aperçoit que les sommets curieux +des maisons, blanchies à la chaux ; ces coquettes terrasses +blanches ressortent d’une manière très agréable à l’œil de la +verdure foncée des palmiers.</p> + +<p>Je rentre en ville et vais à la source où je me baigne. +L’eau<span class="pagenum" id="Page_195">[195]</span> est +tiède ; en hiver elle fume. La source qui alimente le bassin +est très forte, car, les Ghadāmsia ayant vidé il y a quelque temps +l’immense bassin qu’elle remplit, il ne fallut à la source que +trois demi-heures pour rétablir le niveau ordinaire. Ces trois +demi-heures représentent 70 qila ou mesures du petit entonnoir en +līf qui, rempli d’eau et jusqu’à ce qu’il soit vide, représente un +qīla. Plus tard, je mesurerai approximativement la capacité du +bassin de la source, et obtiendrai ainsi le jaugeage approché de la +source. Des négrillons se baignaient en même temps que moi ; +ils nagent comme des chiens, refoulant l’eau derrière eux, +alternativement d’un bras et de l’autre. Ils nagent du reste comme +des poissons. La source ne renferme pas de poissons, ni de +coquillages. On y voit quelques plantes aquatiques cryptogames et +des libellules rasent la surface de l’eau. Othman vient le soir et +me dit que Ikhenoukhen ne s’oppose pas à ce que j’aille à +Tripoli.</p> + +<p>Quand les Touareg ici perdent quelqu’un, ils changent de suite +l’emplacement de leur tente.</p> + +<p class="datesect">Le 7 septembre.</p> + +<p>Je vais voir Sid el Bakkay, le parent de Sidi Ahmed de +Tombouctou ; je lui fais présent d’un haouli de fabrique et +d’une tabatière d’argent, deux des objets que j’ai reçus du +gouvernement pour faire des présents. Je trouve un homme civilisé, +qui cause de Barth (dont je lui montre le billet)<a id= +"FNanchor_282"></a><a href="#Footnote_282" class= +"fnanchor">[282]</a> et qui m’invite à aller à Tombouctou, +m’assurant que Sidi Ahmed me préserverait du mal, comme il en avait +défendu mon ami. Je suis très content de la connaissance de ce +marabout ; il est très intelligent et très convenable.</p> + +<p>Je reçois dans la gaïla des visites de Tekiddout et de sa sœur +Chaddy ; cette dernière finit par m’avouer qu’elle a une +maladie dont je lui donne le remède. Tekiddout m’écrit sur une +feuille de papier ses pensées qui n’étaient pas tout à fait +orthodoxes ; nous restons un bon moment à blaguer, tout à fait +en petit comité.</p> + +<p>Je vais voir Hadj Ahmed ou Mohammed, et lui dis que je vais +partir ; il m’encourage à aller à Tripoli et me dit que la +route est sûre.</p> + +<p class="datesect">Le 8 septembre.</p> + +<p>Le matin, je vais voir Ikhenoukhen que j’exhorte de plus en plus +à se rendre à Alger ; il me fait entrevoir qu’il me donnera, +à<span class="pagenum" id="Page_196">[196]</span> mon départ, un de +ses frères ; lui, ne peut pas quitter son pays à cause de +l’état des esprits.</p> + +<p>Je reviens chez moi et reste à écrire plusieurs lettres. Dans la +gaïla, je reçois la visite d’une négresse très jolie et très +richement habillée ; elle est de Ghadāmès. Je n’ai jamais vu +une personne aussi pleine de fantazia : elle est près de +mettre la maison sens dessus dessous, mais cela m’amuse beaucoup. +Comme elle était venue en compagnie d’une voisine de traits moins +délicats, elle s’en va avec elle, mais dit à Ahmed qu’elle +reviendra et qu’elle veut venir habiter près de nous. La manière +dont elle s’est introduite est curieuse. Elle dit à Ahmed dans la +rue : « Je veux voir le consul. » — « Que lui +veux-tu ? » — C’est lui qui m’a dit de venir.</p> + +<p>Vers l’aser<a id="FNanchor_283"></a><a href="#Footnote_283" +class="fnanchor">[283]</a>, Si ’Othman se présente et j’envoie +Ahmed avec lui remettre à Ikhenoukhen le présent que je lui destine +et dont je lui ai parlé depuis longtemps. Ce présent se compose de +100 douros (500 francs) pour lui et de 50 douros (250 francs) pour +son frère Omar el Hadj.</p> + +<p>Ahmed revient seul. Il est resté longtemps et me raconte ce qui +s’est passé. Ikhenoukhen n’accepte pas cette somme ; elle ne +lui suffit pas, prétend-il, à nourrir sa jument un mois. Il est +ici, à Ghadāmès, mal vu par tout le monde, mal vu par les Turcs, +mal vu par ses frères les Touareg, et tout cela à cause de sa +prédilection pour les Français. Il ne mange ici que sur la ville et +il a du « nif<a id="FNanchor_284"></a><a href="#Footnote_284" +class="fnanchor">[284]</a> » avec elle. Pourquoi les Anglais +sont-ils préférés ? C’est parce qu’ils jettent les douros à +droite et à gauche. Ils lui ont donné à lui et à ses frères 900 +douros (4.500 francs) et des effets (expédition de Richardson, +etc.). Partout où les Anglais ont passé, ils ont rempli le ventre +du monde. Ce n’est qu’en les imitant que nous pourrons nous faire +un parti. Lui, doit m’accompagner à Rhat avec tous ses parents et +ses amis ; il faut avancer en forces et la somme que je lui +donne ne suffit pas de loin à cette expédition. Enfin ses +compagnons sont tous venus lui demander leur part de mon présent et +il ne lui restera rien. Si nous étions venus pour avancer avec de +tels moyens, nous n’avions qu’à nous en retourner en paix ; il +nous donnerait une ou deux fois autant que cela. Les Ghadāmsia +étaient prêts à faire de grands sacrifices pour<span class= +"pagenum" id="Page_197">[197]</span> empêcher que je réussisse. +Cette nouvelle me bouleverse, et Si ’Othman ne vient pas le soir. +J’annule mon départ demain pour Tripoli.</p> + +<p>Le moudir vient ; je le reçois comme un chien dans un jeu +de quilles, tant je suis de mauvaise humeur ; du reste, il +vient pour me recommander de lui apporter 20 litres de liqueurs, ce +qui est peu délicat de sa part. Je le force à se lever et à s’en +aller.</p> + +<p>Ikhenoukhen m’a affirmé que la nouvelle de la lettre de Sidi +Hamza est vraie. Elle a été apportée au chef des Oulād Messāoud, +qui est parti d’ici hier ; il est certain que cet homme a la +lettre parce qu’il a juré que c’est vrai. Sidi Hamza recommande de +me tuer, moi et Si ’Othman ou bien les Oulād Messāoud ne valent +rien. Nous ne savons pas d’où la lettre est arrivée, mais à coup +sûr, c’est Ouled el Ghediyyēr qui l’a apportée ou un autre Chaanbi +qui nous a précédés ici de quelques jours seulement.</p> + +<p class="datesect">Le 9 septembre.</p> + +<p>Othman vient de très bonne heure, je l’envoie à Ikhenoukhen lui +demander quelle est la somme qu’il juge nécessaire que je lui +donne. Ikhenoukhen se refuse à parler dans ce sens et me fait prier +de me rendre auprès de lui dans la soirée. Je passe une journée +très monotone ; tout le monde me croit parti.</p> + +<p>Le soir, je vais au camp du chef des Azgar. Il vient au-devant +de nous avec son frère Omar el Hadj. Je vois qu’Ahmed a exagéré la +valeur du discours d’Ikhenoukhen hier ; ce chef est fâché de +l’impression que j’en ai reçue. Il me dit que la somme que je lui +ai donnée ne compte pour rien chez lui, que de tels cadeaux sont +ceux qu’il peut faire, lui. Tous ses compagnons vont lui demander +leur part du présent que je lui ai fait et il ne lui en restera +plus rien. Je lui répondis que, s’il en était ainsi, je préférais +ne rien décider de moi-même, et demander avis au général +gouverneur ; qu’une occasion se présentait aujourd’hui tout à +propos. Ikhenoukhen approuva cette décision ; il me demanda de +faire connaître au général l’état des choses et les services qu’il +était disposé à nous rendre, ajoutant que la réponse, quelle +qu’elle soit, serait la bienvenue. Quant à moi, il me demanda de ne +pas me tracasser, d’aller tranquillement à Tripoli et qu’à mon +retour, je le trouverais ici, et que j’atteindrais mon but de +toutes façons, même sans présent. Il insista pour me faire bien +sentir que la chose<span class="pagenum" id="Page_198">[198]</span> +qu’il craindrait la plus au monde serait d’entendre dire qu’il eût +imposé des conditions de force à son hôte.</p> + +<p>Je quittai Ikhenoukhen, réconcilié avec lui, et même +impressionné par la noble tournure avec laquelle il envisageait +l’affaire.</p> + +<p>Je passai la soirée à écrire des lettres qui partiront +demain.</p> + +<p class="datesect">10 septembre.</p> + +<p>Dans la matinée, je me rendis avec le Ghadāmsi, ami de ma +nation, qui m’a donné l’inscription latine, pour examiner une +pierre sculptée qui avait été déterrée l’an dernier dans des +constructions souterraines tout près d’une maison nommée +Taskô<a id="FNanchor_285"></a><a href="#Footnote_285" class= +"fnanchor">[285]</a>, un très ancien bordj qui appartenait +autrefois au gouvernement, mais que Hadj Mohammed Heika a +acheté<a id="FNanchor_286"></a><a href="#Footnote_286" class= +"fnanchor">[286]</a>.</p> + +<p>Le moudir m’envoie un billet en me priant de lui rapporter de +Tripoli 28 bouteilles de liqueurs ; je m’empresserai de ne pas +exécuter cette modeste commission.</p> + +<p>Il arrive une nombreuse caravane de Tripoli ; je ne note +pas tous les arrivages de ce côté, j’aurais trop à faire.</p> + +<p>Nous avons une nouvelle curieuse. Les Ourghamma sont réellement +allés en expédition. Ils ont attaqué près de Sinaoun la caravane +qui avait amené Hadj Ahmed ou Mohammed, et qui retournait vers +Tripoli. Ils ont emmené les chameaux, mais les gens de Sinaoun sont +partis à mehara et ont rattrapé le <em>rhezi</em> près de son +pays ; ils sont tombés sur six cavaliers, pendant que les +autres étaient allés faire boire leurs chevaux, et ont enlevé tout +le butin et, je crois, les selles des cavaliers.</p> + +<p class="datesect">11 septembre.</p> + +<p>Je reprends l’étude de la langue targuie. Tekiddout me trouve +trop peu généreux, au moins le prétend-elle, et prétexte toutes +sortes d’occupations pour ne pas se charger de m’écrire de nouveaux +papiers. Ihemma m’a trouvé une autre femme jeune, jolie, +blanche<span class="pagenum" id="Page_199">[199]</span> et modeste +qui vient avec lui ; elle a, de plus, la qualité de ne pas +comprendre un mot d’arabe. Elle me promet de revenir et de +m’apporter de l’écriture tefīnagh. Elle l’écrit avec de l’ocre +rouge et de l’encre.</p> + +<p>Othman vient me demander des médicaments pour la femme +d’Ikhenoukhen ; ce chef la répudie, mais elle vit toujours à +ses côtés avec ses enfants. Elle me demande un collyre pour les +yeux et de la quinine.</p> + +<p>Le <em>qadhi</em>, qui est un gros homme bien modeste et assez +bon, je crois, m’envoie un bout de papier sur lequel est copié ce +passage d’un livre musulman, passage relatif à Ghadāmès<a id= +"FNanchor_287"></a><a href="#Footnote_287" class= +"fnanchor">[287]</a>.</p> + +<p>« Ghadāmès est dans le Sahara à sept journées (de marche) +du Djebel Nefousa. C’est une jolie ville, ancienne et antérieure à +l’islamisme. Les peaux dites <em>ghadamsi</em> tirent leur nom de +cette ville. On y trouve des souterrains et des grottes<a id= +"FNanchor_288"></a><a href="#Footnote_288" class= +"fnanchor">[288]</a> qui servirent de prisons à la reine Kahina qui +régna en Ifriqiya. Ces souterrains ont été édifiés par les anciens. +Ce sont de merveilleuses constructions et leurs voûtes, établies +au-dessous du sol, font l’étonnement du spectateur. En les +examinant, on voit qu’elles sont l’œuvre de souverains anciens et +de nations aujourd’hui disparues.</p> + +<p>« Le pays n’a pas toujours été désertique et il a été +autrefois fertile et peuplé. Le comestible qu’il produit en plus +grande abondance est la truffe, appelée par les habitants +<em>terfâs</em>. Elles deviennent si grosses dans ces régions que +les gerboises et les lièvres y creusent leurs gîtes.</p> + +<p>« Ghadāmès est le point d’où on se rend à Tadmekka et +autres localités du Soudan qui en est située à quarante jours de +marche. Les habitants sont des Berbères musulmans ; ils +portent le voile à la façon des autres Berbères du Sahara, tels que +les Lemtouna et les Messoufa. »</p> + +<p>Ici se termine le passage extrait du livre intitulé : +<em>Erraudh el-miʿ-ṭâr fi akhbâr el-aqṭâr</em> dont l’auteur est +Abd-Ennour el Ḥimyari el Tounsi. Ce passage a été transcrit par +Mohalhil el Ghadāmsi dans son ouvrage intitulé : <em>Menâqib +Ech-cheikh Sidi Abdallah-ben-Abou-Bakr El-ghadamsi</em>.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_200">[200]</span>Autant que ma +mémoire est fidèle, ce passage est le même que celui de l’anonyme +du sixième siècle de l’hégire publié à Vienne, par M. Alfred de +Kremer. S’il en était ainsi, nous aurions le nom de l’auteur de ce +livre, lequel nom est jusqu’à présent inconnu.</p> + +<p class="datesect">12 septembre.</p> + +<p>Je vais faire une longue promenade ce matin. Je m’enquiers +d’abord de la santé de Sid el Bakkay auquel j’enverrai des +médicaments ce soir. De là, je me rends aux tentes des +Targuiāt ; j’en trouve une couchée, malade d’un anévrisme +(cette affection serait-elle commune chez les Touareg ?) et +ayant des hémorragies par le nez. De là, je me rends à la zériba de +Tekiddout, j’y trouve le moutard malade, qui va un peu mieux, avec +son père Kel es Soūki<a id="FNanchor_289"></a><a href= +"#Footnote_289" class="fnanchor">[289]</a> qui a été à Alger ; +mais les dames sont absentes et je n’ai pas ce que je désirais le +plus. J’examine leur intérieur ; il y a une natte assez +proprement arrangée dans un coin et formant chambre, où l’on doit +être à peu près chez soi. Je vois là la rebaza que la célèbre +courtisane sait si bien manier. Le corps du violon et l’archet sont +couverts d’inscriptions tefinag qui viennent de la main de ses +auditeurs. Un certain nombre de vases, en gourdes et en nattes, +complète l’ameublement ; la cuisine est dans un coin à +l’extérieur et elle est garantie par un mur.</p> + +<p>Là commence le cimetière des Beni Ouazit. C’est quelque chose +d’effrayant que l’immense espace couvert des tombeaux de cette +moitié de la population de la ville. Il y en a de tous les âges, +depuis la période païenne jusqu’à nos jours. Les plus récents sont +indiqués par deux pierres droites peu élevées, situées à la tête et +aux pieds du mort. L’espace qui sépare ces pierres est limité par +une petite ligne de gros cailloux de chaque côté du corps, les deux +lignes sont très resserrées. Puis viennent des tombeaux plus +anciens ; les pierres à la tête et aux pieds deviennent très +grandes, elles atteignent, en certains endroits, hauteur d’homme. +J’ai cherché en vain sur leur surface des signes ou des +dessins : je n’y ai rien trouvé ; ces tombeaux datent, +selon la tradition, d’avant l’islamisme. Puis viennent enfin les +plus anciennes sépultures, beaucoup plus vastes que les +précédentes ; elles affectent des formes ovales, rondes ou +carrées (quadrilatères<span class="pagenum" id= +"Page_201">[201]</span> allongés) ; on n’y remarque plus des +pierres droites, mais des enceintes très bien déterminées et des +fondations solides et soignées. Quelques-uns de ces tombeaux ronds +sont indiqués par une bosse de terrain avec des débris de +constructions et forment ainsi des tumulus<a id= +"FNanchor_290"></a><a href="#Footnote_290" class= +"fnanchor">[290]</a>. Les tombeaux portent le cachet d’une haute +antiquité et sont très intéressants ; je reviendrai les +étudier. Ils m’ont vivement rappelé les petites enceintes que +Mac-Carthy et moi avons rencontrées en 1857 sur la route de Taguin +à Boghar. Mais ces dernières n’avaient pas l’air aussi soigné que +celles de Ghadāmès.</p> + +<p>Nous traversons les routes de Tripoli et des endroits entourés +de murs en démolition qui indiquent la place d’anciens jardins, +aujourd’hui tout à fait détruits et abandonnés. Nous laissons à +droite El Bir, construction de pierre assez remarquable, et entrons +dans la <em>ghaba</em>. Je remarque un amandier. Nous rentrons en +ville après avoir traversé une partie des rues qui m’étaient +inconnues et où je rencontre des chapiteaux de colonnes et des +colonnes carrées, des pierres plates, etc., toutes de constructions +et de travail anciens.</p> + +<p>Māla, ma gentille amie targuie, m’apporte de l’écriture tefinagh +et me l’explique avec Ihemma. J’envoie à Moussa, frère de Kelāla, +un des jeunes champions les plus puissants d’Ikhenoukhen, un cadeau +consistant en un haouli de fabrique, rouge, pour femme (acheté +d’Othman) et un haïk de fabrique, blanc, pour homme.</p> + +<p class="datesect">13 septembre.</p> + +<p>Je retourne aux tombeaux. En passant, je vois Sid el Bakkay, +mais le trouvant très occupé, je le laisse avec son entourage, Omar +el Hadj, etc., et je continue mon chemin. Je lui laisse des +médicaments pour lui et pour son domestique ; entre autres, de +l’aloès enveloppé de papier de plomb. J’apprends ensuite qu’il a +mangé le médicament et son enveloppe.</p> + +<p>Je remarque sur le rebord de la hamada, en haut de l’immense +cimetière, des marques très anciennes creusées dans le roc ; +ce sont des trous ronds très régulièrement creusés, en nombre +inégal, sur les pierres plates ; ces trous forment autant de +petits<span class="pagenum" id="Page_202">[202]</span> réservoirs +ou bols dans lesquels les moutards Touareg s’amusent à pisser, mais +qui n’ont pas dû avoir toujours la même destination. Je remarquai +ensuite des tracés de contours de sandales ou de souliers, plutôt +les premières. Si je me souviens bien, la pointe était dirigée vers +la ville, c’est-à-dire vers l’est et, ces contours de sandales +rapprochées, telles que celles d’un homme debout, et ces petits +réservoirs, pourraient bien indiquer la place où se tenait un homme +et celle où il sacrifiait aux mânes des morts du cimetière.</p> + +<p>Je remarque en examinant de plus près les tombes que celles qui +sont indiquées par une pierre à la tête et une aux pieds du mort, +quelque grandes et pointues que soient ces pierres, sont toutes +musulmanes ; en les regardant bien, je découvre quelques +fragments d’inscriptions arabes indiquant les noms des principaux +personnages, nous remarquons ceux de femmes maraboutes, et celui +d’un Es Soūqi, ancêtre de Si ’Othman. Les grandes tombes carrées et +celles qui sont arrondies surtout doivent seules avoir une +antiquité antérieure à l’Islam.</p> + +<p>En sortant de cet amas de tombes, nous arrivons, toujours dans +la dépression où la ville est bâtie et où se trouvent aussi les +cimetières, à un endroit où le sol se compose d’une pâte +cristalline légère de plâtre<a id="FNanchor_291"></a><a href= +"#Footnote_291" class="fnanchor">[291]</a>. C’est là un des +endroits où on l’exploite, c’est-à-dire où l’on en extrait. Cette +roche est identique à celle qui se retrouve partout dans l’Oued +Righ, et principalement au puits d’El Hachchāna près de Chegga du +Sud.</p> + +<p>Nous montons la hamada qui ne domine Ghadāmès que de 3, 4 mètres +de ce côté. Le sol est composé de pierres très grosses et d’autres +plus petites semées sans ordre et s’appuyant sur le plateau. La +couleur du calcaire varie du blanc au brun et au gris de rouille. +Je découvre des empreintes de différents bivalves, notamment d’une +coquille à côtes (<i>griphus</i>)<a id="FNanchor_292"></a><a href= +"#Footnote_292" class="fnanchor">[292]</a>.</p> + +<p>D’ici, nous plongeons directement sur El-Esnām, laissant à +droite assez loin, le Dhahara avec les tentes des Touareg. Nous +rencontrons des tombeaux d’un autre ordre et d’une antiquité moins +incertaine ; ils ressemblent en tout à ceux des environs de +Djelfa que je visitai en 1857 avec Mac Carthy et le D<sup>r</sup> +Reboud. Ce<span class="pagenum" id="Page_203">[203]</span> sont de +petites enceintes en grandes pierres plates, ouvertes par une des +petites extrémités et qui devaient être autrefois recouvertes par +d’autres pierres plates. Ces tombeaux ne me paraissent pas devoir +renfermer un homme étendu, mais bien dans une position repliée, +assis, accroupi ou autrement. La plupart de ces sépultures ont été +fouillées ; nous-mêmes en creusons une et sortons quelques +ossements et un petit morceau de cuivre qui devait faire partie +d’une parure indigène. Les tombeaux de ce genre, de différentes +grandeurs, sont fréquents ; et on les trouve dans différents +degrés de conservation. Ihemma m’assure qu’à Rhat, il y en a et que +l’on en rencontre quelquefois en plein Sahara<a id= +"FNanchor_293"></a><a href="#Footnote_293" class= +"fnanchor">[293]</a>.</p> + +<p>En approchant d’El-Esnām, les hautes constructions du plateau, +Ihemma me raconte que, près des piliers immenses, se trouvent des +tombeaux en forme de buttes sur lesquels les femmes des Touareg +allaient se coucher lorsque les Touareg étaient en expédition et où +elles obtenaient des nouvelles. Elles se paraient de leur mieux et +allaient se coucher sur le tombeau ; alors venait +« idébni », esprit, sous la forme d’un homme, qui leur +racontait ce qui s’était passé dans l’expédition. Si elles +n’étaient pas bien parées, il les étranglait. Ces révélations ont +lieu en plein jour et on me dit qu’elles sont toujours +vérifiées<a id="FNanchor_294"></a><a href="#Footnote_294" class= +"fnanchor">[294]</a>. Les Touareg, du reste, sont très +superstitieux ; ils n’osent pas se présenter seuls à la tombe +d’un de leurs amis de peur qu’il ne revienne.</p> + +<p>Dans la soirée, j’ai un exemple de la liberté des relations +qu’il y a entre les Touareg. Ihemma, qui a à peine vingt ans, +conseille à Othman qui en a près de soixante, de ne pas sentir du +camphre que je lui offrais de crainte qu’il ne perdît ses forces +sexuelles en lui disant que Tekiddout prétendait qu’il était +l’amant d’une femme qu’il nomma. Othman assura que ce n’était pas +vrai et ne fit aucun reproche à Ihemma de son observation.</p> + +<p>Les Ifoghas, qui écoutent les conseils d’Othman, et lui +obéissent en quelque sorte, sont exaspérés de la conduite des +Mérazig<a id="FNanchor_295"></a><a href="#Footnote_295" class= +"fnanchor">[295]</a> qui devaient apporter leur tribut à +Othman ; ils parlent d’aller les razzier.</p> + +<p><span class="pagenum" id="Page_204">[204]</span>La rebazā, cette +espèce de violon ou de violoncelle des dames targuies, forme un +point important de la vie de ces gens. Tous les soirs, j’entends +jouer de cet instrument ; hier des Imrhad chantaient. Lorsque +les Touareg se battent entre eux et qu’un parti est mis en déroute, +les vainqueurs crient avec ces cris sauvages qui sont particuliers +aux Touareg : « Hé ! Hé ! Il n’y a donc pas de +rebazā ? » Alors il est rare que les vaincus ne +reviennent pas à la charge avec fureur. La crainte du +qu’en-dira-t-on des femmes a une grande influence sur les +Touareg.</p> + +<p class="datesect">14 septembre.</p> + +<p>Aujourd’hui, je ne fais pas de promenade ; j’ai une longue +leçon de tefinagh avec Mala et Ihemma. Mala est toute jeune, sans +méchanceté ni préventions et très jolie. Pendant la leçon, je +m’amuse avec son petit pied et, après la leçon, quand Ihemma s’en +va, j’échange plusieurs baisers avec elle. Nous sommes donc très +bons amis. Elle m’a promis de revenir à mon retour et de me jouer +ici de la rebazā.</p> + +<p>Dans l’après-midi, je travaille à emballer ; j’arrange dans +ma chambre les objets que je laisse et je mets dans les cantines le +peu de bagages que j’emporte.</p> + +<p>Je vais, le soir, avec Othman voir Ikhenoukhen, qui vient avec +son frère ; j’apprends que j’ai maigri depuis mon arrivée. +C’est le chef des Azgar qui me fait cette remarque. Je décide +Ikhenoukhen à écrire au général gouverneur de l’Algérie. +Ikhenoukhen me dit adieu et me dit que tout sera facile, faisant +allusion probablement à mon voyage à Rhat. Je dis à Si ’Othman ce +qu’il faudrait écrire dans la lettre.</p> + +<p class="datesect">15 septembre.</p> + +<p>Emballage et départ pour Tripoli.</p> + +<div class="footnotes" id="ftp3c05"> +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_278"></a><a href="#FNanchor_278"><span class= +"label">[278]</span></a>Rohlfs y mentionne cependant des moustiques +(<em>Quer durch Afrika</em>, I, p. 74).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_279"></a><a href="#FNanchor_279"><span class= +"label">[279]</span></a>Duveyrier donne ici au mot +<em>castrorum</em> un sens trop précis. Cf. au sujet de cette +inscription la lettre suivante de Tissot, à qui Duveyrier avait +communiqué son estampage : «... Grâce à l’estampage, j’ai pu +corriger quelques incertitudes qui se sont glissées dans le +fac-similé (ceci pour votre seconde édition). Le P de la +2<sup>e</sup> ligne est certainement un D. L’antépénultième lettre +de la 6<sup>e</sup> ligne est un P. (J’ai obtenu une image très +exacte et directe de l’estampage en la posant sur un lit de +farine : les moindres détails sont alors moulés comme certains +lézards le sont dans le sable du Sahara). En cherchant à restituer +l’inscription tout entière et en calculant le nombre de lettres +absentes, j’arrive à la lecture suivante :</p> + +<div class="linegrp-container"> +<div class="linegrp"> +<div class="group"> +<div class="line indent0">Imp. CAES. M. AVRELio Severo</div> + +<div class="line indent0">AleXANDRO. PIO. FELici Aug.</div> + +<div class="line indent0">et iuliAE MAMMEAE. AVG. matri</div> + +<div class="line indent0">aug. et CASTRORUM. SVB cura M. ul</div> + +<div class="line indent0">pii Maximi ? LEG. AVG. PR. PR. CV. +VEX illatio</div> + +<div class="line indent0">leg. iii Aug. <span class= +"word-spaced10"> </span> SEVERIANÆ PER. .</div> + +<div class="line indent0">. . . . . . . . . . VM] LEG. +EIVSDEM</div> + +<div class="line indent0">. . . . . . . PERFECIT.</div> +</div> +</div> +</div> + +<p class="nind">A l’Empereur César M. Aurélius Severus Alexander +Pieux, Heureux, Auguste, et à Julia Mammaea Auguste, mère d’Auguste +et des Camps. Par l’ordre de M. Ulpius Maximus (?) Légat Propréteur +d’Auguste, personnage clarissime, le détachement de la Légion +Troisième Auguste Pieuse, Vengeresse, commandé par..., Centurion de +la dite Légion, a achevé [ce monument].</p> + +<p>« Nous connaissons trois légats propréteurs d’Afrique sous +Alexandre Sévère : le nom qui m’a paru convenir le mieux, eu +égard à la place disponible, est celui que j’ai fait figurer à +titre purement hypothétique dans la restitution. » (Lettre du +7 avril 1879). Voir aussi le texte définitivement adopté par MM. R. +Cagnat et J. Schmidt (<em>C. I. L.</em>, <span class= +"sc2">VIII</span>, Suppl. Pars I, 10990).</p> + +<p>Quant à la nature de ces ruines, Duveyrier a été plus tard +beaucoup moins affirmatif. On lit sur un brouillon de lettre à M. +Cagnat : « Dans <em>Les Touareg du Nord</em>, p. 252-3, +j’ai eu tort de m’exprimer comme si le camp de Ghadāmès était une +réalité vue ; j’ai supposé que Cidamus devait avoir possédé un +camp. Voilà tout. » Comme l’a établi M. Cagnat (<em>L’Armée +romaine d’Afrique</em>, Paris, 1892, p. 555), on ne peut douter de +l’existence de la forteresse romaine. Mais son emplacement reste +incertain.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_280"></a><a href="#FNanchor_280"><span class= +"label">[280]</span></a>Cf. <em>Les Touareg du Nord</em>, pl. +X.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_281"></a><a href="#FNanchor_281"><span class= +"label">[281]</span></a>En 1864, Rohlfs, voyageant comme mokaddem +de l’ordre de Mouley-Taïeb d’Ouezzan, a pu pénétrer dans les +mosquées de Ghadāmès. « Toutes, comme j’ai pu m’en assurer +moi-même, reposent intérieurement sur des colonnes romaines, qui +toutefois sont disposées pêle-mêle, sans ordre aucun : ici une +colonne dorique à côté d’une colonne corinthienne, là une colonne +ionique à côté d’une colonne dorique, etc. » (<em>Reise durch +Marokko und Reise durch die grosse Wüste</em>, 4<sup>e</sup> édit., +Norden, 1884, in-8<sup>o</sup>, p. 245-6.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_282"></a><a href="#FNanchor_282"><span class= +"label">[282]</span></a>Recommandation de Barth pour le cheikh el +Bakkay de Tombouctou.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_283"></a><a href="#FNanchor_283"><span class= +"label">[283]</span></a>Deux à trois heures avant le coucher du +soleil.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_284"></a><a href="#FNanchor_284"><span class= +"label">[284]</span></a>Avoir du nif avec quelqu’un signifie +« être en délicatesse avec lui ». Au propre, <em>fin</em> +veut dire <em>nez</em> et, métaphoriquement, <em>amour-propre, +susceptibilité</em>. (O. H.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_285"></a><a href="#FNanchor_285"><span class= +"label">[285]</span></a>Taskô est le nom d’une des rues de +Ghadāmès. (Voir <em>Les Touareg du Nord</em>, p. 262 ; +<em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 99.)</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_286"></a><a href="#FNanchor_286"><span class= +"label">[286]</span></a>Voir le dessin et la mention de ce +bas-relief dans <em>Les Touareg du Nord</em>, pl. X, p. 250-251. Le +journal donne quelques détails complémentaires : « La +hauteur de la pierre est d’un peu moins de 55 centimètres et la +largeur de 50 centimètres à peu près. Les accidents ont rendu +incertains plusieurs des contours, principalement la figure des +deux personnages. »</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_287"></a><a href="#FNanchor_287"><span class= +"label">[287]</span></a>Ce passage, traduit par M. le professeur +Houdas, est en arabe dans le manuscrit de Duveyrier.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_288"></a><a href="#FNanchor_288"><span class= +"label">[288]</span></a>Ce mot doit être entendu dans le sens de +cavité souterraine artificielle ; il sert à expliquer le +synonyme précédent d’un usage moins courant (O. H.).</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_289"></a><a href="#FNanchor_289"><span class= +"label">[289]</span></a>De la tribu des Kêl es Soûk.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_290"></a><a href="#FNanchor_290"><span class= +"label">[290]</span></a>Cf. E. de Bary, <em>Senams et tumuli de la +chaîne de montagnes de la Tripolitaine</em>, trad. du D<sup>r</sup> +Dargaud, <em>Revue d’Ethnographie</em>, II, 1883, p. 426-437 ; +— Foureau, <em>Mission chez les Touareg</em>. Paris, 1895, p. 8, +34-35, 102, etc. ; G. Mercier, <em>Les mégalithes du +Sahara</em>, Rec. des Notices et Mém. Soc. d’archéol. de +Constantine, 1900, p. 247, etc.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_291"></a><a href="#FNanchor_291"><span class= +"label">[291]</span></a>Voir l’analyse, <em>Touareg du Nord</em>, +p. 47.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_292"></a><a href="#FNanchor_292"><span class= +"label">[292]</span></a>Cf. <em>Les Touareg du Nord</em>, p. +47 ; Vatonne, <em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 268-269. Ces +bivalves n’ont pu être déterminés.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_293"></a><a href="#FNanchor_293"><span class= +"label">[293]</span></a>Voir Tissot, I, p. 499-501 ; Erwin de +Bary. trad. Schirmer, p. 41-42 ; Rabourdin, <em>Documents +relatifs à la mission Flatters</em>, Paris, 1885, p. 256.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_294"></a><a href="#FNanchor_294"><span class= +"label">[294]</span></a>Cf. Erwin de Bary, trad. citée, p. +187-188.</p> +</div> + +<div class="footnote"> +<p><a id="Footnote_295"></a><a href="#FNanchor_295"><span class= +"label">[295]</span></a>Tribu du Nefzaoua, ayant pour centre +l’oasis de Negga et fréquentant le marché de Ghadāmès.</p> +</div> +</div> + +<hr class="chap"> + +<h2 class="large letter-spaced01"><span class="pagenum" id= +"Page_205">[205]</span><a id="err"></a>ERRATA</h2> + +<hr class="decor width4 space-below15"> + +<table class="bd-collapse" id="terrata"> +<tr> +<td>Page</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_11">11</a> +</td> +<td> +</td> +<td><em>au lieu de :</em> +</td> +<td><em>dhomran</em>,</td> +<td><em>lisez :</em> +</td> +<td> +</td> +<td><em>dhomrân</em>.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_18">18</a> +</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">سڢش</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">سڢشى</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>ligne 11,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><em>soufar</em>,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><em>sefâr</em>.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_20">20</a> +</td> +<td>ligne 4,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>El Benib,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>El Bouïb (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_22">22</a> +</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">نصر صن الله</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">نصر من الله</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">اله لا اله</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">لا اله الا الله</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_26">26</a> +</td> +<td>ligne 13,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Insalah,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>In-Salah.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_26">26</a> +</td> +<td>dern. ligne,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>en Arabes,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>en arabe.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_34">34</a> +</td> +<td>ligne 18,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><em>lebīn</em>,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><em>lebbîn</em>.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_40">40</a> +</td> +<td>note <a href="#Footnote_74" class="fnanchor">[74]</a></td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Entonnoir,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Dépression (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_42">42</a> +</td> +<td>ligne 15,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Hamamma,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Hammama.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_43">43</a> +</td> +<td>note <a href="#Footnote_78" class="fnanchor">[78]</a></td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">ذصان</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">ذمران</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_48">48</a> +</td> +<td>note <a href="#Footnote_84" class="fnanchor">[84]</a></td> +<td class="tdc">—</td> +<td><em>Zegzeg</em>,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><em>Zefzef</em> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_57">57</a> +</td> +<td>av.-dern. l.</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Oumel</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Oumm el (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_58">58</a> +</td> +<td>ligne 37,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Si Ali Sari,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Si Ali Saci.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_101">101</a> +</td> +<td>ligne 1,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>La tribu,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Le tribut.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_111">111</a> +</td> +<td>ligne 8,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>lecrīma,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>berima (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_111">111</a> +</td> +<td>ligne 10,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">صبل</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">طبل</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_112">112</a> +</td> +<td>ligne 33,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">احن َڢم</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">احناڢم</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_120">120</a> +</td> +<td>ligne 13,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">غكلن</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">غدران</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_127">127</a> +</td> +<td>note <a href="#Footnote_189" class="fnanchor">[189]</a></td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Duocyries,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Duveyrier.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_128">128</a> +</td> +<td>lignes 6 et 19,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Merd-jadja,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Merdjadja (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_131">131</a> +</td> +<td>note <a href="#Footnote_195" class="fnanchor">[195]</a></td> +<td class="tdc">—</td> +<td><span class="arabic">ٮادج</span> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><span class="arabic">حلاج</span> (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_137">137</a> +</td> +<td>ligne 20,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Ia chïfā</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Ya chïfā (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td rowspan="2" class="tdc">—</td> +<td rowspan="2" class="tdr"><a href="#Page_140">140</a> +</td> +<td rowspan="2">note <a href="#Footnote_214" class= +"fnanchor">[214]</a></td> +<td rowspan="2" class="tdc">—</td> +<td rowspan="2">Toile de bât,</td> +<td rowspan="2" class="tdc">—</td> +<td class="blt width-brace1"> +</td> +<td>(tellis) sac pour mulet ou cheval.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="blb"> +</td> +<td>(guerara) sac pour chameaux (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_144">144</a> +</td> +<td>ligne 8,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Abed el Qader,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Abd el Qader (O. H.).</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_146">146</a> +</td> +<td> +</td> +<td class="tdc">—</td> +<td><em>ouran</em>,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td><em>ourân</em>.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdc">—</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_150">150</a> +</td> +<td>lignes 1 et 9,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td>Roubaaya,</td> +<td class="tdc">—</td> +<td> +</td> +<td>Roubayaa.</td> +</tr> +</table> + +<hr class="chap"> + +<h2 class="large letter-spaced01"><span class="pagenum" id= +"Page_207">[207]</span><a id="add"></a>ADDENDA</h2> + +<hr class="decor width4"> + +<p class="hang1 space-above15">P. <a href="#Page_53">53,</a> +<a href="#Page_81">81</a> : travaux hydrauliques dans le Sud +tunisien : Cf. les études du D<sup>r</sup> Carton dans +<em>Bull. archéol. du Comité des Travaux hist.</em> 1888 et +<em>Rev. tunisienne</em>, III, 1896, p. 281 ; Gauckler, +<em>Enquête sur les installations hydrauliques romaines en +Tunisie</em>, II, Tunis, 1903.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_56">56</a> : ruines de +l’Oued Zitouna : M. le capitaine Privé qui a étudié cette +région de 1881 à 1884, a signalé les restes de trois +<em>oppida</em> au débouché des gorges du Zitouna. (Cf. pour +l’extension progressive de la colonisation romaine vers le Sud, J. +Toutain, <em>Note sur une inscription trouvée dans le Djebel Asker +au Sud de Gafsa</em> (<em>Bull. Archéol. Comité Trav. hist.</em> +1903, p. 202-205).</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_57">57,</a> note <a id= +"FNanchor_100b"></a><a href="#Footnote_100" class= +"fnanchor">[100]</a> : Dans un mémoire très important +(<em>Notes et documents sur les voies stratégiques et sur +l’occupation militaire du Sud tunisien à l’époque romaine, par MM. +les capitaines Donau et Le Bœuf, les lieutenants de Pontbriand, +Goulon et Tardy</em>, <em>Bull. archéol. Comité Trav. hist.</em>, +1903, p. 272-409), M. J. Toutain a groupé tous les renseignements +recueillis depuis sur les routes de la région des chotts (routes de +Tacape au Nefzaoua, p. 289-303, 336). Voir aussi Gauckler, +<em>Rapport sur l’exploration du Sud tunisien en 1903</em>, +<em>ibid.</em>, 1904, p. 149-150 : route de Capsa à Turris +Tamalleni.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_65">65</a> : El +Hamma : il y a en réalité dans l’oasis deux bourgs : El +Ksar et Dabdaba, et deux villages : Zaouïet el Mehadjba et +Sombat (ce dernier tout récent). Sur El Hamma et le caractère de +ses habitants, voir la notice anonyme parue dans la <em>Revue +tunisienne</em>, X, 1903, p. 424-436 : <em>Les Beni-Zid et +l’oasis d’El Hamma</em>.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_66">66</a> : El +Hamma : P. Blanchet (<em>Mission archéologique dans le centre +et le sud de la Tunisie</em>, <em>Archives des missions scient. et +litt.</em>, IX, 1899, p. 145-146) a donné des détails sur les +sources et les restes de construction romaine.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_72">72-3</a> : Hareïga et +Sagui : Cf. Toutain, art. cités, <em>Bull. archéol. Comité +1903</em>, p. 205-7, 287-8 ; <em>ibid.</em>, 1904, p. 129, +142, 146 ; Gauckler, <em>ibid.</em>, 1904, p. 146-149 : +route de Tacapes à Capsa ; 149-150 : route de Tuzurus à +la côte par le Sagui.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_74">74</a> : milliaire +d’Asprenas : voir sur un autre milliaire du même proconsul, +capitaine Hilaire, <em>Reconnaissance du segment Tacape-Thasarte de +la voie romaine</em>, etc. <em>Bull. archéol. Comité</em> 1899, p. +542-555.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_75">75</a> : Henchir +Somàa : Cf. Tissot, II, p. 657-8, et capitaine Donau, <em>Note +sur une voie de Turris Tamalleni à Capsa et sur quelques ruines +romaines situées dans le Blad Segui</em>, <em>Bull. Archéol. +Comité</em>, 1904, p. 356-359.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_80">80</a> : inscr. de +Gafsa : ces textes n’ont pas été retrouvés dans le +manuscrit.</p> + +<p class="hang1"><span class="pagenum" id="Page_208">[208]</span>P. +<a href="#Page_96">96</a> : inscr. I : voir pour la suite +de cette inscr. (dédicace à Trajan par L. Minicius Natalis, légat +de la légion III<sup>e</sup> Auguste), Tissot, II, p. 532 ; +<em>C. I. L.</em>, VIII, 2478=17969.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_103">103,</a> <a href= +"#Page_107">107</a> : Oued el Arab : Cf. <em>Enquête +administrative sur les travaux hydrauliques anciens en Algérie, +publiée par les soins de M. S. Gsell</em>, <em>Bibl. d’archéologie +africaine</em>, fasc. VII, Paris, 1902, in-8, <em>Rapport de M. le +L<sup>t</sup> Touchard</em>, p. 104-114 et croquis.</p> + +<p class="hang1">P. <a href="#Page_194">194</a> : ligne +4 : Le manuscrit porte ici la mention suivante : +« Cette inscription, que je vais envoyer à Tougourt, est très +importante, étant la seule qui ait été trouvée à Ghadāmès jusqu’à +ce jour. (Faux !) » Duveyrier fait évidemment allusion à +Richardson ou à l’inscription publiée en 1847 par Letronne et +reproduite depuis dans le <em>Corpus I. L.</em> (VIII, 2). Letronne +la tenait de M. de Bourville, chancelier du consulat de France à +Tripoli, qui l’avait reçue lui-même d’un Arabe. Cette copie était +si défectueuse, qu’on n’en pouvait lire que les deux premiers +mots : <em>Diis Manibus</em> (<em>Revue archéol.</em>, 1847, +p. 301-302.)</p> + +<p class="hang1">Le <em>Corpus</em> (VIII, 2) cite en outre ce +passage de Letronne : « Je tiens de M. de Bourville qu’un +M. Richardson, agent, disait-on, de la Société pour l’abolition de +l’esclavage, se rendit à Ghadāmès vers la fin de juin 1845. Après y +avoir séjourné peu de temps, il en revint et remit au consul +général d’Angleterre à Tripoli un marbre portant une inscription +latine et une figure d’homme en bas-relief, probablement un +monument funéraire, qui est peut-être encore à présent au +consulat ; M. Richardson déclara qu’il existe à Ghadāmès +plusieurs monuments analogues. »</p> + +<p>Voici comment s’exprime Richardson lui-même : « This +Kesar En Ensara (les Esnam), together with the bas-relief, and the +latin inscription, copied by a Moor from a tomb-stone, beginning +with the words <em>Diis Manibus</em>, are more than sufficiant +evidence to prove that Ghadāmès was colonized. The same Moorish +prince who blew up the ruins, carried away also to Tripolis the +tomb-stone, from which a Moor copied the inscription, and which +transcript I brought with me from Ghadāmès ». (<em>Travels in +the Great Desert of Sahara</em>, I, Londres, 1848, p. 356.) — On +lit d’autre part dans un rapport de Richardson au Foreign Office +(<em>An Account of the Oasis and City of Ghadames</em>), p. +18 : « I have however in my possession a copy of a Latin +inscription, said to have been found in a tomb, but so badly copied +as to be almost illegible. The tablet of stone was taken away some +thirty years ago by an officer of Yousef Bashaw. Also I have a +slab, on which there is a very rudely sculptured relief of a Greek +or Roman soldier, holding, apparently, a horse ; but only the +forepart or the animal remains, the rest is broken off. I will send +you this the first opportunity, and if of any value, it may be +presented to the British Museum. » Ces deux textes prouvent +que Richardson n’a connu et rapporté de Ghadāmès qu’une seule copie +d’inscription latine, copie illisible, à part <em>Diis +Manibus</em>, tout comme celle de Letronne, et que Richardson ne +s’est pas donné la peine de reproduire dans son ouvrage. On peut se +demander s’il ne faut pas rapporter les deux copies susdites à un +seul et même modèle, qui serait à chercher à Tripoli. En tout cas, +la note de Letronne pourrait disparaître d’une nouvelle édition du +<em>Corpus</em>, sans que ce magistral recueil risque de paraître +moins complet.</p> + +<hr class="chap"> + +<h2 class="spaced2"><span class="pagenum" id= +"Page_209">[209]</span><a id="indgeo"></a>INDEX<br> +<span class="med">DES NOMS GÉOGRAPHIQUES ET DES PRINCIPALES +MATIÈRES</span></h2> + +<hr class="decor width8 space-below15"> + +<ul class="ind1"> +<li>Abadiâ, <a href="#Page_15">15</a>.</li> + +<li>’Adouan, <a href="#Page_15">15</a>, <a href= +"#Page_101">101</a>, <a href="#Page_125">125</a>.</li> + +<li>Affadē, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>’Aïn ed Daouira, <a href="#Page_10">10</a>.</li> + +<li>’Aïn el Magroun, <a href="#Page_65">65</a>.</li> + +<li>Aïr, <a href="#Page_172">172</a>, <a href= +"#Page_174">174</a>.</li> + +<li>’Amich, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_117">117</a>, +<a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_136">136</a>, <a href= +"#Page_143">143</a>, <a href="#Page_144">144</a>.</li> + +<li>Areg-el-Miyet, <a href="#Page_12">12</a>.</li> + +<li>’Atrya, <a href="#Page_162">162</a>, <a href= +"#Page_163">163</a>, <a href="#Page_187">187</a>.</li> + +<li>Azzaba, <a href="#Page_116">116</a>.</li> + +<li>Baghdad, <a href="#Page_7">7</a>.</li> + +<li>Bagirmi, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Bambara, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Belidet el Hadar, <a href="#Page_50">50</a>, <a href= +"#Page_56">56</a>, <a href="#Page_84">84</a>.</li> + +<li>Belīd Oulad Mehanna, <a href="#Page_65">65</a>.</li> + +<li>Beni Brahim, <a href="#Page_22">22</a>.</li> + +<li>Beni-Djellab, <a href="#Page_112">112</a>, <a href= +"#Page_114">114</a>, <a href="#Page_116">116</a>, <a href= +"#Page_129">129</a>, <a href="#Page_133">133</a>, <a href= +"#Page_135">135</a>.</li> + +<li>Beni Mâzigh, <a href="#Page_165">165</a>.</li> + +<li>Beni Mezab, <a href="#Page_23">23</a>, <a href= +"#Page_116">116</a>, <a href="#Page_131">131</a>, <a href= +"#Page_141">141</a>.</li> + +<li>Beni Ouaggin, <a href="#Page_23">23</a>.</li> + +<li>Beni Ouazit, <a href="#Page_184">184</a>, <a href= +"#Page_192">192</a>, <a href="#Page_200">200</a>.</li> + +<li>Beni Oulid, <a href="#Page_184">184</a>, <a href= +"#Page_192">192</a>.</li> + +<li>Beni Sisin, <a href="#Page_22">22</a>.</li> + +<li>Beni Zid, <a href="#Page_64">64</a>, <a href= +"#Page_66">66</a>.</li> + +<li>Berrāri, <a href="#Page_28">28</a>.</li> + +<li>Berresof, <a href="#Page_148">148</a>-150.</li> + +<li>Besseriani, <a href="#Page_37">37</a>, <a href= +"#Page_94">94</a>-98.</li> + +<li>Biskra, <a href="#Page_3">3</a>, <a href="#Page_4">4</a>.</li> + +<li>Blidet-Amar, <a href="#Page_28">28</a>.</li> + +<li>Bornou, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Chaâmba, <a href="#Page_18">18</a>, <a href="#Page_22">22</a>, +<a href="#Page_26">26</a>.</li> + +<li>Chebika, <a href="#Page_88">88</a>.</li> + +<li>Chegga, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_9">9</a>, +<a href="#Page_114">114</a>, <a href="#Page_136">136</a>.</li> + +<li>Chemorra, <a href="#Page_29">29</a>, <a href= +"#Page_135">135</a>.</li> + +<li>Chott El Djerid, <a href="#Page_57">57</a>, <a href= +"#Page_58">58</a>, <a href="#Page_59">59</a>, <a href= +"#Page_72">72</a>.</li> + +<li>Chott El Rharsa, <a href="#Page_87">87</a>.</li> + +<li>Chott Melghigh, <a href="#Page_10">10</a>, <a href= +"#Page_110">110</a>, <a href="#Page_114">114</a>.</li> + +<li>Commerce de Ghadāmès, <a href="#Page_166">166</a>, <a href= +"#Page_168">168</a>, <a href="#Page_170">170</a>, <a href= +"#Page_172">172</a>, <a href="#Page_174">174</a>, <a href= +"#Page_185">185</a>-189, <a href="#Page_192">192</a>, <a href= +"#Page_194">194</a>, <a href="#Page_199">199</a>.</li> + +<li>Commerce du Souf, <a href="#Page_16">16</a>, <a href= +"#Page_120">120</a>-123, <a href="#Page_139">139</a>, <a href= +"#Page_173">173</a>-174.</li> + +<li>Degach, <a href="#Page_51">51</a>.</li> + +<li>Dendouga, <a href="#Page_114">114</a>.</li> + +<li>Derge, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Dhahâr, <a href="#Page_110">110</a>.</li> + +<li>Dhahâr el ’Erg, <a href="#Page_155">155</a>.</li> + +<li>Djebel Sebaa Regoûd, <a href="#Page_54">54</a>, <a href= +"#Page_85">85</a>.</li> + +<li>Djebel Tebaga, <a href="#Page_63">63</a>.</li> + +<li>Djedid, <a href="#Page_152">152</a>.</li> + +<li>Djérid, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_16">16</a>, +<a href="#Page_46">46</a>-56, <a href="#Page_82">82</a>-86, +<a href="#Page_121">121</a>-122.</li> + +<li>Doura, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Dunes, <a href="#Page_10">10</a>, <a href="#Page_11">11</a>, +<a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_14">14</a>-18, <a href= +"#Page_20">20</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href= +"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_35">35</a>, <a href= +"#Page_39">39</a>, <a href="#Page_40">40</a>, <a href= +"#Page_47">47</a>, <a href="#Page_93">93</a>, <a href= +"#Page_118">118</a>, <a href="#Page_127">127</a>, <a href= +"#Page_136">136</a>, <a href="#Page_145">145</a>, <a href= +"#Page_148">148</a>, <a href="#Page_151">151</a>, <a href= +"#Page_152">152</a>, <a href="#Page_154">154</a>-157.</li> + +<li>El ’Aliya, <a href="#Page_5">5</a>.</li> + +<li>El Barĕd, <a href="#Page_115">115</a>.</li> + +<li>El Esnām, <a href="#Page_164">164</a>.</li> + +<li>El Faïdh (plur. El Feyyād), <a href="#Page_102">102</a>, +<a href="#Page_106">106</a>, <a href="#Page_107">107</a>.</li> + +<li>El Goléa, <a href="#Page_23">23</a>.</li> + +<li>El Guettār, <a href="#Page_77">77</a>, <a href= +"#Page_78">78</a>.</li> + +<li>El Hamma, <a href="#Page_52">52</a>, <a href="#Page_82">82</a>, +<a href="#Page_83">83</a>.</li> + +<li>El Hamma (Nefzaoua), <a href="#Page_52">52</a>, <a href= +"#Page_65">65</a>, <a href="#Page_66">66</a>.</li> + +<li>El Hanoūt, <a href="#Page_89">89</a>.</li> + +<li>El Haouch, <a href="#Page_109">109</a>.</li> + +<li>El Menzel, <a href="#Page_68">68</a>.</li> + +<li>El Oued, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_16">16</a>, +<a href="#Page_36">36</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href= +"#Page_119">119</a>, <a href="#Page_139">139</a>.</li> + +<li>Ez Goum, <a href="#Page_123">123</a>-125.</li> + +<li>Farfaria, <a href="#Page_108">108</a>.</li> + +<li>Felata, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Ferkān, <a href="#Page_101">101</a>-102.</li> + +<li>Fièvres, <a href="#Page_30">30</a>, <a href="#Page_32">32</a>, +<a href="#Page_42">42</a>, <a href="#Page_51">51</a>, <a href= +"#Page_52">52</a>, <a href="#Page_87">87</a>, <a href= +"#Page_100">100</a>, <a href="#Page_113">113</a>, <a href= +"#Page_127">127</a>, <a href="#Page_133">133</a>, <a href= +"#Page_135">135</a>, <a href="#Page_136">136</a>, <a href= +"#Page_137">137</a>, <a href="#Page_154">154</a>, <a href= +"#Page_169">169</a>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href= +"#Page_192">192</a>.</li> + +<li>Fouānīs, <a href="#Page_114">114</a>.</li> + +<li>Gabès, <a href="#Page_67">67</a>, <a href= +"#Page_70">70</a>.</li> + +<li>Gafsa, <a href="#Page_79">79</a>, <a href= +"#Page_81">81</a>.</li> + +<li>Ghadāmès, <a href="#Page_16">16</a>, <a href= +"#Page_119">119</a>, <a href="#Page_121">121</a>-123, <a href= +"#Page_141">141</a>, <a href="#Page_160">160</a>-204.</li> + +<li>Ghamra, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_116">116</a>, +<a href="#Page_128">128</a>, <a href="#Page_143">143</a>.</li> + +<li>Ghomerācen, <a href="#Page_70">70</a>.</li> + +<li>Ghorib, <a href="#Page_119">119</a>, <a href= +"#Page_138">138</a>, <a href="#Page_188">188</a>, <a href= +"#Page_189">189</a>.</li> + +<li>Guebba, <a href="#Page_52">52</a></li> + +<li>Guemâr (Gomar), <a href="#Page_12">12</a>-15, <a href= +"#Page_125">125</a>.</li> + +<li>Hadamoua, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Hammâm Salahīn, <a href="#Page_5">5</a>.</li> + +<li><span class="pagenum" id="Page_210">[210]</span>Hammama, +<a href="#Page_43">43</a>, <a href="#Page_44">44</a>, <a href= +"#Page_45">45</a>, <a href="#Page_48">48</a>, <a href= +"#Page_56">56</a>, <a href="#Page_63">63</a>, <a href= +"#Page_87">87</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href= +"#Page_99">99</a>, <a href="#Page_100">100</a>.</li> + +<li>Haoussa, <a href="#Page_3">3</a>, <a href="#Page_9">9</a>.</li> + +<li>Harazlia, <a href="#Page_16">16</a>.</li> + +<li>Hareīga, <a href="#Page_72">72</a>.</li> + +<li>Henchir es Somăa, <a href="#Page_75">75</a>.</li> + +<li>Ifoghas, <a href="#Page_172">172</a>, <a href= +"#Page_203">203</a>.</li> + +<li>Imanghasaten, <a href="#Page_190">190</a>.</li> + +<li>In-Salah, <a href="#Page_26">26</a>, <a href= +"#Page_177">177</a>, <a href="#Page_185">185</a>, <a href= +"#Page_187">187</a>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href= +"#Page_194">194</a>.</li> + +<li>Irrigation, <a href="#Page_47">47</a>, <a href= +"#Page_48">48</a>, <a href="#Page_50">50</a>, <a href= +"#Page_53">53</a>, <a href="#Page_66">66</a>, <a href= +"#Page_77">77</a>, <a href="#Page_78">78</a>, <a href= +"#Page_86">86</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href= +"#Page_102">102</a>, <a href="#Page_103">103</a>, <a href= +"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_164">164</a>.</li> + +<li>Jiriga, <a href="#Page_15">15</a>.</li> + +<li>Juifs, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_46">46</a>, +<a href="#Page_58">58</a>, <a href="#Page_66">66</a>-68, <a href= +"#Page_80">80</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href= +"#Page_130">130</a>, <a href="#Page_134">134</a>.</li> + +<li>Kanembou, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Kano, <a href="#Page_182">182</a>.</li> + +<li>Katsena, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Kebilli, <a href="#Page_60">60</a>, <a href= +"#Page_63">63</a>.</li> + +<li>Kêl es Soûk, <a href="#Page_200">200</a>, <a href= +"#Page_202">202</a>.</li> + +<li>Kĕriz, <a href="#Page_52">52</a>, <a href= +"#Page_53">53</a>.</li> + +<li>Kerrekerre, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Kesàr bent el’Abrī, <a href="#Page_56">56</a>.</li> + +<li>Kessār, <a href="#Page_65">65</a>, <a href= +"#Page_66">66</a>.</li> + +<li>Koënna, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Kouïnin, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_35">35</a>, +<a href="#Page_36">36</a>, <a href="#Page_136">136</a>.</li> + +<li>Kouri, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Lemmāguès, <a href="#Page_63">63</a>.</li> + +<li>Liana, <a href="#Page_103">103</a>.</li> + +<li>Logonē, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Maggari, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Mandara, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Manga, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Mansoura, <a href="#Page_59">59</a>.</li> + +<li>Margi, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Matmata, <a href="#Page_18">18</a>.</li> + +<li>Mbāna, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Mboum, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Medjehariya, <a href="#Page_112">112</a>, <a href= +"#Page_116">116</a>, <a href="#Page_129">129</a>, <a href= +"#Page_130">130</a>.</li> + +<li>Meggarîn, <a href="#Page_117">117</a>, <a href= +"#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Merazig, <a href="#Page_119">119</a>, <a href= +"#Page_188">188</a>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href= +"#Page_203">203</a>.</li> + +<li>Merhaïer, <a href="#Page_9">9</a>, <a href= +"#Page_110">110</a>-114.</li> + +<li>Merouān, <a href="#Page_110">110</a>, <a href= +"#Page_113">113</a>.</li> + +<li>Messelmi, <a href="#Page_11">11</a>.</li> + +<li>Mestāoua, <a href="#Page_129">129</a>.</li> + +<li>Midās, <a href="#Page_90">90</a>.</li> + +<li>Monnaie, <a href="#Page_37">37</a>, <a href= +"#Page_121">121</a>, <a href="#Page_126">126</a>, <a href= +"#Page_137">137</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href= +"#Page_141">141</a>, <a href="#Page_174">174</a>.</li> + +<li>Nafta, Nefta, <a href="#Page_46">46</a>, <a href= +"#Page_47">47</a>, <a href="#Page_48">48</a>, <a href= +"#Page_49">49</a>.</li> + +<li>Naylia, <a href="#Page_130">130</a>.</li> + +<li>Nefzaoua, <a href="#Page_52">52</a>, <a href="#Page_57">57</a>, +<a href="#Page_58">58</a>-63, <a href="#Page_119">119</a>.</li> + +<li>Negousa, <a href="#Page_24">24</a>.</li> + +<li>Negrīn, <a href="#Page_93">93</a>, <a href="#Page_94">94</a>, +<a href="#Page_98">98</a>-101.</li> + +<li>Nesigha, <a href="#Page_110">110</a>, <a href= +"#Page_111">111</a>, <a href="#Page_113">113</a>.</li> + +<li>Nezla, <a href="#Page_127">127</a>, <a href= +"#Page_128">128</a>, <a href="#Page_132">132</a>, <a href= +"#Page_143">143</a>.</li> + +<li>Ngāla, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Ngouzzoum, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Nouaïl, <a href="#Page_16">16</a>.</li> + +<li>Ouaday, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Ouargla, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_22">22</a>, +<a href="#Page_23">23</a>, <a href="#Page_130">130</a>, <a href= +"#Page_140">140</a>.</li> + +<li>Oudiān el Halma, <a href="#Page_154">154</a>.</li> + +<li>Ouad Beyāch, <a href="#Page_81">81</a>, <a href= +"#Page_87">87</a>.</li> + +<li>Ouad el Arab, <a href="#Page_103">103</a>, <a href= +"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_107">107</a>.</li> + +<li>Ouad el Khorouf, <a href="#Page_9">9</a>, <a href= +"#Page_10">10</a>.</li> + +<li>Ouad el Miyta, <a href="#Page_102">102</a>.</li> + +<li>Ouad’ Igharghar, <a href="#Page_19">19</a>.</li> + +<li>Ouad Itel, <a href="#Page_110">110</a>.</li> + +<li>Ouad Jardaniya, <a href="#Page_124">124</a>.</li> + +<li>Ouad Mezāb, <a href="#Page_25">25</a>.</li> + +<li>Ouad Retem, <a href="#Page_133">133</a>.</li> + +<li>Ouad Righ, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_18">18</a>, +<a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_43">43</a>, <a href= +"#Page_60">60</a>, <a href="#Page_110">110</a>-117.</li> + +<li>Ouad Sīdah, <a href="#Page_19">19</a>.</li> + +<li>Oulad Madjed, <a href="#Page_52">52</a>.</li> + +<li>Oulad Abdelkader, <a href="#Page_14">14</a>.</li> + +<li>Oulad Abd es Sadiq, <a href="#Page_14">14</a>.</li> + +<li>Oulad ’Amar, <a href="#Page_18">18</a>.</li> + +<li>Oulad Ba Hammou, <a href="#Page_185">185</a>.</li> + +<li>Oulad-Bou’Afi, <a href="#Page_14">14</a>.</li> + +<li>Oulad el’Aïsaouï, <a href="#Page_100">100</a>, <a href= +"#Page_101">101</a>.</li> + +<li>Oulad Hamid, <a href="#Page_15">15</a>, <a href= +"#Page_16">16</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href= +"#Page_173">173</a>.</li> + +<li>Oulad Hassen, <a href="#Page_114">114</a>.</li> + +<li>Oulad Hôwimen, <a href="#Page_14">14</a>.</li> + +<li>Oulad Mansour, <a href="#Page_136">136</a>.</li> + +<li>Oulad Moulet, <a href="#Page_8">8</a>, <a href= +"#Page_113">113</a>.</li> + +<li>Oulad Mousa, <a href="#Page_14">14</a>.</li> + +<li>Oulad Sidi Abid, <a href="#Page_92">92</a>.</li> + +<li>Oulad Sidi Cheikh, <a href="#Page_23">23</a>.</li> + +<li>Oulad Yagoub, <a href="#Page_119">119</a>, <a href= +"#Page_141">141</a>.</li> + +<li>Oum el Goreīnat, <a href="#Page_57">57</a>.</li> + +<li>Oumm et Tiour, <a href="#Page_8">8</a>, <a href= +"#Page_114">114</a>.</li> + +<li>Ourghamma, <a href="#Page_138">138</a>, <a href= +"#Page_150">150</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href= +"#Page_185">185</a>, <a href="#Page_198">198</a>.</li> + +<li>Ourhlana, <a href="#Page_115">115</a>.</li> + +<li>Ourir, <a href="#Page_110">110</a>, <a href= +"#Page_112">112</a>.</li> + +<li>Ourmās, <a href="#Page_35">35</a>.</li> + +<li>Palus Tritonis, <a href="#Page_14">14</a>, <a href= +"#Page_67">67</a>.</li> + +<li>Puits, <a href="#Page_11">11</a>-13, <a href="#Page_19">19</a>, +<a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_31">31</a>, <a href= +"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_38">38</a>, <a href= +"#Page_41">41</a>, <a href="#Page_42">42</a>, <a href= +"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_118">118</a>, <a href= +"#Page_120">120</a>, <a href="#Page_126">126</a>, <a href= +"#Page_135">135</a>, <a href="#Page_145">145</a>, <a href= +"#Page_152">152</a>, <a href="#Page_156">156</a>, <a href= +"#Page_159">159</a>.</li> + +<li>Puits artésiens, <a href="#Page_7">7</a>-9, <a href= +"#Page_26">26</a>, <a href="#Page_107">107</a>, <a href= +"#Page_113">113</a>-115, <a href="#Page_127">127</a>.</li> + +<li>Qoreich, <a href="#Page_15">15</a>.</li> + +<li>Rebāya, Roubaa’ya, <a href="#Page_143">143</a>, <a href= +"#Page_148">148</a>-150.</li> + +<li>Rhat, <a href="#Page_172">172</a>-174, <a href= +"#Page_188">188</a>, <a href="#Page_191">191</a>, <a href= +"#Page_203">203</a>.</li> + +<li>Rouâgha, <a href="#Page_9">9</a>, <a href= +"#Page_111">111</a>-113.</li> + +<li>Ruines romaines, <a href="#Page_5">5</a>, <a href= +"#Page_50">50</a>-54, <a href="#Page_56">56</a>, <a href= +"#Page_57">57</a>, <a href="#Page_59">59</a>, <a href= +"#Page_60">60</a>, <a href="#Page_63">63</a>, <a href= +"#Page_65">65</a>, <a href="#Page_66">66</a>, <a href= +"#Page_68">68</a>, <a href="#Page_72">72</a>-77, <a href= +"#Page_80">80</a>, <a href="#Page_81">81</a>, <a href= +"#Page_85">85</a>, <a href="#Page_86">86</a>, <a href= +"#Page_88">88</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href= +"#Page_92">92</a>, <a href="#Page_94">94</a>-97, <a href= +"#Page_165">165</a>, <a href="#Page_192">192</a>-194, <a href= +"#Page_201">201</a>.</li> + +<li>Saada, <a href="#Page_8">8</a>.</li> + +<li>Sabrīa, <a href="#Page_119">119</a>.</li> + +<li>Săgui, <a href="#Page_73">73</a>.</li> + +<li>Sakomaren (Isaqqamaren), <a href="#Page_166">166</a>, <a href= +"#Page_172">172</a>, <a href="#Page_185">185</a>.</li> + +<li>Sedāda, <a href="#Page_54">54</a>.</li> + +<li>Selmia, Selmiya, <a href="#Page_9">9</a>, <a href= +"#Page_113">113</a>, <a href="#Page_114">114</a>.</li> + +<li>Sidi Khelil, <a href="#Page_115">115</a>, <a href= +"#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Sidi Okba, <a href="#Page_105">105</a>.</li> + +<li>Sif bou Delal, <a href="#Page_10">10</a>.</li> + +<li>Sirocco (Chehili), <a href="#Page_127">127</a>, <a href= +"#Page_152">152</a>.</li> + +<li><span class="pagenum" id="Page_211">[211]</span>Solaā, <a href= +"#Page_119">119</a>.</li> + +<li>Souf, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_15">15</a>, +<a href="#Page_35">35</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href= +"#Page_120">120</a>, <a href="#Page_136">136</a>.</li> + +<li>Tadmekka, <a href="#Page_199">199</a>.</li> + +<li>Tagiānoūs, <a href="#Page_52">52</a>.</li> + +<li>Tahrzout, <a href="#Page_15">15</a>, <a href= +"#Page_124">124</a>.</li> + +<li>Taïbāt, <a href="#Page_118">118</a>.</li> + +<li>Tāla, <a href="#Page_133">133</a>, <a href= +"#Page_134">134</a>.</li> + +<li>Tamerna, <a href="#Page_116">116</a>, <a href= +"#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Tebesbest, <a href="#Page_132">132</a>.</li> + +<li>Teda, <a href="#Page_3">3</a>.</li> + +<li>Tedjini, <a href="#Page_15">15</a>.</li> + +<li>Tellimīn, <a href="#Page_59">59</a>, <a href= +"#Page_60">60</a>.</li> + +<li>Temassīn, <a href="#Page_132">132</a>, <a href= +"#Page_133">133</a>.</li> + +<li>Tinedla, <a href="#Page_115">115</a>.</li> + +<li>Tolga, <a href="#Page_15">15</a>.</li> + +<li>Tombeaux, <a href="#Page_200">200</a>-203.</li> + +<li>Torba, <a href="#Page_157">157</a>.</li> + +<li>Toroud, <a href="#Page_13">13</a>, <a href="#Page_15">15</a>, +<a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_125">125</a>, <a href= +"#Page_143">143</a>.</li> + +<li>Tŏrra, <a href="#Page_58">58</a>.</li> + +<li>Tougourt, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_30">30</a>, +<a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href= +"#Page_116">116</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href= +"#Page_127">127</a>-133.</li> + +<li>Touareg, <a href="#Page_18">18</a>, <a href= +"#Page_119">119</a>, <a href="#Page_150">150</a>, <a href= +"#Page_152">152</a>, <a href="#Page_156">156</a>, <a href= +"#Page_166">166</a>-169, <a href="#Page_171">171</a>-173, <a href= +"#Page_175">175</a>-180, <a href="#Page_183">183</a>-208.</li> + +<li>Tozeur, <a href="#Page_50">50</a>, <a href= +"#Page_51">51</a>.</li> + +<li>Traite des nègres, <a href="#Page_3">3</a>, <a href= +"#Page_23">23</a>, <a href="#Page_165">165</a>.</li> + +<li>Tsamia (soie de), <a href="#Page_181">181</a>-182.</li> + +<li>Zaouïas, <a href="#Page_49">49</a>, <a href= +"#Page_132">132</a>, <a href="#Page_159">159</a>.</li> + +<li>Zaouiyēt ed Debabkha, <a href="#Page_58">58</a>.</li> + +<li>Zenata, <a href="#Page_15">15</a>, <a href= +"#Page_125">125</a>.</li> + +<li>Zeribet Ahmed, <a href="#Page_103">103</a>.</li> + +<li>Zeribet el Ouad, <a href="#Page_104">104</a>-106.</li> + +<li>Zonghay, <a href="#Page_3">3</a>.</li> +</ul> + +<hr class="decor width10"> + +<h2 class="nopb"><a id="indnom"></a>INDEX DES NOMS PROPRES</h2> + +<ul class="ind1"> +<li>Abd-Ennour el Himyari el Tounsi, <a href= +"#Page_199">199</a>.</li> + +<li>Auer, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_117">117</a>, +<a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_129">129</a>, <a href= +"#Page_131">131</a>.</li> + +<li>Barth, <a href="#Page_173">173</a>, <a href= +"#Page_195">195</a>.</li> + +<li>Canat, <a href="#Page_117">117</a>.</li> + +<li>Colombo, <a href="#Page_6">6</a>, <a href="#Page_7">7</a>.</li> + +<li>El Arbi Mamelouk, <a href="#Page_104">104</a>, <a href= +"#Page_106">106</a>.</li> + +<li>Fleischer, <a href="#Page_29">29</a>.</li> + +<li>Ikhenoukhen, <a href="#Page_172">172</a>-180, <a href= +"#Page_183">183</a>-185, <a href="#Page_188">188</a>, <a href= +"#Page_189">189</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href= +"#Page_196">196</a>-198.</li> + +<li>Kahina, <a href="#Page_199">199</a>.</li> + +<li>Kēlala, <a href="#Page_201">201</a>.</li> + +<li>Kremer (A. de), <a href="#Page_200">200</a>.</li> + +<li>Laing (major), <a href="#Page_180">180</a>.</li> + +<li>Lehaut, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_9">9</a>.</li> + +<li>Mac Carthy, <a href="#Page_201">201</a>, <a href= +"#Page_202">202</a>.</li> + +<li>Margueritte, <a href="#Page_179">179</a>.</li> + +<li>Martimprey (de), <a href="#Page_151">151</a>.</li> + +<li>Mohalhil el Ghadāmsi, <a href="#Page_199">199</a>.</li> + +<li>Othman (cheikh), <a href="#Page_132">132</a>, <a href= +"#Page_149">149</a>, <a href="#Page_154">154</a>, <a href= +"#Page_168">168</a>, <a href="#Page_172">172</a>, <a href= +"#Page_173">173</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href= +"#Page_183">183</a>, <a href="#Page_188">188</a>.</li> + +<li>Randon (maréchal), <a href="#Page_179">179</a>.</li> + +<li>Rhōma, <a href="#Page_60">60</a>.</li> + +<li>Séroka (C<sup>el</sup>), <a href="#Page_4">4</a>, <a href= +"#Page_7">7</a>.</li> + +<li>Sid el Bakkay, <a href="#Page_190">190</a>, <a href= +"#Page_195">195</a>.</li> + +<li>Sidi Hamza, <a href="#Page_23">23</a>, <a href= +"#Page_26">26</a>, <a href="#Page_179">179</a>, <a href= +"#Page_197">197</a>.</li> + +<li>Si Zoubir-bou-Bekr, <a href="#Page_23">23</a>.</li> + +<li>Tissot (Ch.), <a href="#Page_86">86</a>, <a href= +"#Page_192">192</a>-193.</li> + +<li>Warnier (D<sup>r</sup>), <a href="#Page_179">179</a>, <a href= +"#Page_181">181</a>.</li> + +<li>Zickel, <a href="#Page_115">115</a>.</li> +</ul> + +<hr class="decor width8"> + +<h2><span class="pagenum" id="Page_212">[212]</span><a id= +"indpla"></a>INDEX DES PLANTES CITÉES</h2> + +<hr class="decor width8"> + +<p class="space-above15">Avec la synonymie arabe-latine +d’après :</p> + +<p>Ascherson, <em>Pflanzen des mittlern Nord-Afrika</em>. Append. +<span class="sc2">VII</span>, à Rohlfs, <em>Kufra</em>, Leipzig, +1881, in-8, p. 386-559.</p> + +<p><em>Le Pays du mouton</em>. Ouvrage publié par ordre de M. Jules +Cambon, gouverneur gén. de l’Algérie (par MM. Turlin, F. Accardo, +G. B. M. Flamand). Alger, 1893, in-fol., Append. : Table +alphabétique des noms arabes des principaux végétaux des Hauts +Plateaux et du Sahara algérien, <span class="sc2">CXXI</span> +pages.</p> + +<p>Foureau, <em>Essai de catalogue des noms arabes et berbères de +quelques plantes, arbustes et arbres algériens et sahariens</em>, +Paris, 1896, in-4, 48 pages.</p> + +<p>Foureau, <em>Mon neuvième voyage au Sahara</em>, Paris, 1898, +in-8, Append. V, p. 142-144.</p> + +<p>En cas de divergences, Ascherson est désigné par la lettre (A), +<em>Le Pays du mouton</em>, par (P. M.), Foureau par +(F<sup>1</sup>) et (F<sup>2</sup>), <em>Les Touareg du Nord</em>, +par T. du N. Les chiffres indiquent la page correspondante du +<em>Journal</em> de Duveyrier.</p> + +<ul class="ind2"> +<li>Abricotier, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Ail, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Alenda, <i>Ephedra alata</i> Decaisne, <a href= +"#Page_11">11</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href= +"#Page_19">19</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href= +"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href= +"#Page_126">126</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href= +"#Page_147">147</a>, <a href="#Page_157">157</a>.</li> + +<li>Alga, <i>Henophyton deserti</i> Coss., <a href= +"#Page_18">18</a>.</li> + +<li>Arfiji, <i>Rhanterium adpressum</i> Coss., Dur. (P. M.), +<a href="#Page_145">145</a>.</li> + +<li>Arta, <i>Calligonum comosum</i> L’Hérit., <a href= +"#Page_145">145</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href= +"#Page_147">147</a>.</li> + +<li>Baguel, <i>Anabasis articulata</i> Moq. Tand., <a href= +"#Page_7">7</a>, <a href="#Page_19">19</a>, <a href= +"#Page_20">20</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href= +"#Page_147">147</a>, <a href="#Page_151">151</a>.</li> + +<li>Belbâl, <i>Anabasis articulata</i> Moq. Tand. D’après A., aussi +<i>Zygophyllum album</i> L. en Tripolit<sup>ne</sup> ; d’après +F<sup>1</sup> et F<sup>2</sup>, aussi <i>Caroxylon tetragonum</i>, +<a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href= +"#Page_156">156</a>.</li> + +<li>Bou akerich, <a href="#Page_108">108</a>.</li> + +<li>Bou choucha, <i>Salvia lanigera</i> Peir. <i>Salvia +phlomoïdes</i> Asso., <a href="#Page_7">7</a>.</li> + +<li>Bou deraga, <span class="word-spaced12"> ? </span>, +<a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Bou griba, <i>Zygophyllum cornutum</i> Coss., <i>Z. Geslini</i> +Coss., <i>Z. album</i> L. (Cf. T. du N., p. 157), <a href= +"#Page_47">47</a>, <a href="#Page_70">70</a>.</li> + +<li>Carotte, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Chih, <i>Artemisia herba alba</i> Asso. ; aussi +<i>Artemisia campestris</i> L. (A.) et <i>Artemisia atlantica</i> +(F<sup>1</sup>) (Cf. T. du N., p. 177-178), <a href= +"#Page_70">70</a>, <a href="#Page_72">72</a>, <a href= +"#Page_75">75</a>.</li> + +<li>Chou, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Citronnier, <a href="#Page_47">47</a>, <a href= +"#Page_178">178</a>.</li> + +<li>Cotonnier, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Dattier, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_15">15</a>, +<a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href= +"#Page_25">25</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href= +"#Page_30">30</a>, <a href="#Page_39">39</a>, <a href= +"#Page_44">44</a>, <a href="#Page_47">47</a>, <a href= +"#Page_50">50</a>-52, <a href="#Page_58">58</a>, <a href= +"#Page_69">69</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href= +"#Page_93">93</a>, <a href="#Page_104">104</a>, <a href= +"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_107">107</a>, <a href= +"#Page_109">109</a>, <a href="#Page_110">110</a>, <a href= +"#Page_113">113</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href= +"#Page_127">127</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href= +"#Page_140">140</a>, <a href="#Page_143">143</a>, <a href= +"#Page_144">144</a>.</li> + +<li>Dhomràn, <i>Traganum nudatum</i> Del., <a href= +"#Page_11">11</a>, <a href="#Page_19">19</a>, <a href= +"#Page_25">25</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href= +"#Page_43">43</a>.</li> + +<li>Drin, <i>Aristida pungens</i> Desf., <a href="#Page_11">11</a>, +<a href="#Page_17">17</a>-19, <a href="#Page_28">28</a>, <a href= +"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href= +"#Page_109">109</a>, <a href="#Page_126">126</a>, <a href= +"#Page_146">146</a>, <a href="#Page_147">147</a>, <a href= +"#Page_151">151</a>, <a href="#Page_154">154</a>, <a href= +"#Page_157">157</a>.</li> + +<li>Ephedra, <a href="#Page_17">17</a>.</li> + +<li>Ezal (azal), <i>Calligonum comosum</i> L’Hérit. ; aussi +<i>Caroxylon articulatum</i> Moq. Tand. (P. M.), <a href= +"#Page_17">17</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href= +"#Page_147">147</a>, <a href="#Page_157">157</a>.</li> + +<li><span class="pagenum" id="Page_213">[213]</span>Fedjel (fidjl), +<i>Raphanus sativus</i> L. (A.), <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Fève, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Figuier, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_47">47</a>, +<a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href= +"#Page_133">133</a>.</li> + +<li>Gandoul, <i>Calycotome spinosa</i> Lmk (A.), <em>guendoul</em> +(genêt épineux) (P. M.), <i>Calycotome villosa</i>, <i>spinosa</i>, +<i>intermedia</i> (F<sup>1</sup>), <a href="#Page_7">7</a>.</li> + +<li>Garana, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Godhâm (guedhâm), <i>Salsola vermiculata</i> L., <a href= +"#Page_145">145</a>.</li> + +<li>Goreyna (greïna), <i>Halocnemum tetragonum</i> +(F<sup>1</sup>) ; gueraïna, <i>Halogeton sativus</i> Moq. (P. +M.), <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_109">109</a>, +<a href="#Page_110">110</a>.</li> + +<li>Goseyba, graminée ? <a href="#Page_145">145</a>.</li> + +<li>Gossob (draa), <i>Penicillaria spicata</i> Willd., <a href= +"#Page_163">163</a>, <a href="#Page_169">169</a>.</li> + +<li>Grenadier, <a href="#Page_126">126</a>, <a href= +"#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Guerch, <span class="word-spaced10"> ? </span> +<a href="#Page_110">110</a>.</li> + +<li>Guetaf, <i>Atriplex halimus</i> L., <a href= +"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_108">108</a>.</li> + +<li>Hâd, <i>Cornulaca monacantha</i> Del., <a href= +"#Page_19">19</a>, <a href="#Page_147">147</a>, <a href= +"#Page_151">151</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href= +"#Page_157">157</a>.</li> + +<li>Halfa, <i>Stipa tenacissima</i> L., <a href="#Page_64">64</a>, +<a href="#Page_70">70</a>.</li> + +<li>Halhâl, <i>Lavandula Stoechas</i> L. (P. M.), <i>Lavandula +multifida</i> L. (F<sup>1</sup>), <a href="#Page_27">27</a>.</li> + +<li>Halma, <i>Plantago ovata</i> Forsk, <a href="#Page_18">18</a>, +<a href="#Page_151">151</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href= +"#Page_157">157</a>.</li> + +<li>Haricot, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Harmel, <i>Peganum Harmala</i> L., <a href="#Page_11">11</a>, +<a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_77">77</a>.</li> + +<li>Isrif, <i>Suaeda vermiculata</i> Forsk, <a href= +"#Page_109">109</a>, <a href="#Page_110">110</a>.</li> + +<li>Jell, <i>Ruta bracteosa</i> D. C., <a href="#Page_108">108</a>, +<a href="#Page_109">109</a>.</li> + +<li>Jonc, <a href="#Page_30">30</a>.</li> + +<li>Kabouya, <i>Cucurbita Pepo</i> Seringe, <a href= +"#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Kelkha, <i>Ferula communis</i> Desf. (P. M.), <a href= +"#Page_7">7</a>.</li> + +<li>Khez (Khazz = une <i>Lemna</i> dans les oasis égyptiennes (A.), +<a href="#Page_6">6</a>.</li> + +<li>Lebbîn, <i>Euphorbia guyoniana</i> Boiss. <i>Euphorbia +Paralias</i> L., <a href="#Page_34">34</a>, <a href= +"#Page_39">39</a>.</li> + +<li>Luzerne, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Markh, <i>Genista Saharae</i> Coss. (A.) (Cf. T. du N., p. +161), <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_18">18</a>.</li> + +<li>Melon, <a href="#Page_128">128</a>, <a href= +"#Page_165">165</a>.</li> + +<li>Methennân, <i>Thymelaea hirsuta</i> Endl. <i>Passerina +hirsuta</i> L., <a href="#Page_7">7</a>, <a href= +"#Page_110">110</a>.</li> + +<li>Navet, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Nebqa, <i>Zizyphus Spina Christi</i> Willd. (A.) (Cf. T. du N., +p. 159), <a href="#Page_48">48</a>.</li> + +<li>Neci, <i>Aristida plumosa</i> L. <i>Arthratherum plumosum</i> +Nees. <a href="#Page_154">154</a>.</li> + +<li>Oignon, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Olivier, <a href="#Page_51">51</a>, <a href= +"#Page_77">77</a>.</li> + +<li>Oranger, <a href="#Page_47">47</a>.</li> + +<li>Orge, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Pastèque, <a href="#Page_128">128</a>, <a href= +"#Page_178">178</a>.</li> + +<li>Pêcher, <a href="#Page_9">9</a>, <a href= +"#Page_47">47</a>.</li> + +<li>Poireau, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Poirier, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Poivre rouge, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Pommier, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Réglisse, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Remeth, <i>Haloxylon articulatum</i> Boiss. <i>Caroxylon +articulatum</i> Moq. Tand., <a href="#Page_7">7</a>, <a href= +"#Page_72">72</a>, <a href="#Page_75">75</a>.</li> + +<li>Retem, <i>Retama raetam</i> Webb. ; aussi <i>Genista +barbara</i> Mumby ; <i>Genista Duriaei</i> Spach (P. M.), +<a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href= +"#Page_110">110</a>.</li> + +<li><i>Rhamnus arabica</i>, <a href="#Page_103">103</a>.</li> + +<li>Rhardeg, <i>Nitraria tridentata</i> Desf. (A., P. M.) ; +aussi <i>Salix tridentata</i> Viv. (Cosson, ap. A.) (Cf. T. du N., +p. 175), <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_77">77</a>, +<a href="#Page_110">110</a>.</li> + +<li><span class="pagenum" id="Page_214">[214]</span>Rhodhdhâm, +ghedem, <i>Salicornia fruticosa</i> L., en Tripolitaine (A.), +guedhdham, <i>Salsola brevifolia</i> Desf. (P. M.), <a href= +"#Page_33">33</a>.</li> + +<li>Sebot, <i>Aristida pungens</i> Desf. <i>Arthratherum +pungens</i> P. B. Variété non déterminée (F<sup>2</sup>) (Cf. T. du +N., p. 204), <a href="#Page_151">151</a>.</li> + +<li>Sedra, <i>Zizyphus Lotus</i> L., <a href="#Page_7">7</a>, +<a href="#Page_72">72</a>.</li> + +<li>Sefâr, <i>Aristida brachyptera</i> Coss. et Balansa ; +aussi <i>Aristida plumosa</i> P. M., (F<sup>1</sup> et +F<sup>2</sup>), <a href="#Page_18">18</a>-20, <a href= +"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_151">151</a>, <a href= +"#Page_153">153</a>, <a href="#Page_156">156</a>.</li> + +<li>Semhari, <i>Helianthemum sessiliflorum</i> Pers. ; aussi +<i>Helianthemum metlilense</i> Coss. et Dur. (P. M.), <a href= +"#Page_41">41</a>.</li> + +<li>Souïd, <i>Suaeda vermiculata</i> Desf. ; aussi <i>Suaeda +fruticosa</i> Moq. Tand. (A. et F<sup>1</sup>) ; aussi +<i>Salsola vera</i> (F<sup>2</sup>), <a href="#Page_43">43</a>, +<a href="#Page_64">64</a>.</li> + +<li>Tabac, <a href="#Page_13">13</a>, <a href= +"#Page_139">139</a>-141.</li> + +<li>Thym, <a href="#Page_70">70</a>.</li> + +<li>Tarfa, <i>Tamarix africana</i> Poiret ; aussi <i>Tamarix +gallica</i> L. <a href="#Page_25">25</a>, <a href= +"#Page_47">47</a>, <a href="#Page_57">57</a>, <a href= +"#Page_58">58</a>, <a href="#Page_64">64</a>, <a href= +"#Page_81">81</a>.</li> + +<li>Terfâs, <i>Terfezia africana</i> Chatin (P. M.). <i>Terfezia +Leonis</i> Tulasne, <a href="#Page_199">199</a>.</li> + +<li>Tomate, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Vigne, <a href="#Page_128">128</a>.</li> + +<li>Zeïta, <i>Limoniastrum Guyonianum</i> Dur., <a href= +"#Page_19">19</a>, <a href="#Page_24">24</a>, <a href= +"#Page_25">25</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href= +"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_43">43</a>, <a href= +"#Page_57">57</a>, <a href="#Page_64">64</a>, <a href= +"#Page_69">69</a>, <a href="#Page_72">72</a>, <a href= +"#Page_88">88</a>, <a href="#Page_109">109</a>, <a href= +"#Page_110">110</a>, <a href="#Page_127">127</a>.</li> + +<li><i>Zizyphus Lotus</i>, <a href="#Page_86">86</a>. (Voir aussi +<em>Sedra</em>).</li> + +<li><i>Zizyphus Spina Christi</i>, <a href="#Page_48">48</a>.</li> +</ul> + +<hr class="decor width10"> + +<h2 class="nopb"><a id="indani"></a>INDEX DES ANIMAUX CITÉS</h2> + +<ul class="ind1"> +<li>Alouette, <a href="#Page_30">30</a>, <a href= +"#Page_32">32</a>.</li> + +<li>Autruche, <a href="#Page_139">139</a>.</li> + +<li>Barbeau, <a href="#Page_106">106</a>.</li> + +<li>Bécassine, <a href="#Page_30">30</a>.</li> + +<li>Beguer-el-ouahch, <a href="#Page_148">148</a>, <a href= +"#Page_153">153</a>.</li> + +<li>Bergeronnette, <a href="#Page_30">30</a>.</li> + +<li>Bœuf, <a href="#Page_49">49</a>.</li> + +<li><i>Bulimus truncatus</i>, <a href="#Page_87">87</a>.</li> + +<li>Canard, <a href="#Page_32">32</a>.</li> + +<li><i>Cardium edule</i>, <a href="#Page_87">87</a>.</li> + +<li>Chacal, <a href="#Page_154">154</a>.</li> + +<li>Chameau, <a href="#Page_155">155</a>.</li> + +<li>Chat sauvage, <a href="#Page_30">30</a>.</li> + +<li>Cherchimāna, <a href="#Page_147">147</a>.</li> + +<li>Cheval, <a href="#Page_161">161</a>.</li> + +<li>Cigale, <a href="#Page_146">146</a>.</li> + +<li>Courlis, <a href="#Page_32">32</a>.</li> + +<li>Cyprinus, <a href="#Page_83">83</a>.</li> + +<li>Djird, <a href="#Page_11">11</a>.</li> + +<li>Fenek, <a href="#Page_154">154</a>.</li> + +<li>Flamant, <a href="#Page_30">30</a>, <a href= +"#Page_32">32</a>.</li> + +<li>Gazelle, <a href="#Page_63">63</a>.</li> + +<li>Gazelle commune, <a href="#Page_152">152</a>.</li> + +<li>Gerboise, <a href="#Page_147">147</a>.</li> + +<li>Héron, <a href="#Page_30">30</a>.</li> + +<li>Himed, <a href="#Page_152">152</a>.</li> + +<li>Lapin, <a href="#Page_49">49</a>.</li> + +<li>Libellules, <a href="#Page_30">30</a>, <a href= +"#Page_164">164</a>.</li> + +<li>Limnées, <a href="#Page_178">178</a>.</li> + +<li>Meha, <a href="#Page_153">153</a>, <a href= +"#Page_154">154</a>.</li> + +<li>Melania, <a href="#Page_30">30</a>.</li> + +<li><i>Melanopsis Maroccana</i>, <a href="#Page_47">47</a>.</li> + +<li>Moustiques, <a href="#Page_30">30</a>, <a href= +"#Page_192">192</a>.</li> + +<li>Mouton, <a href="#Page_154">154</a>, <a href= +"#Page_169">169</a>.</li> + +<li>Nadja, <a href="#Page_108">108</a>.</li> + +<li>Ouran, <a href="#Page_146">146</a>.</li> + +<li>Outarde, <a href="#Page_64">64</a>.</li> + +<li><i>Physa contorta</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li> + +<li><i>Physa Brocchii</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li> + +<li><i>Physa truncata</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li> + +<li><i>Planorbis</i>, <a href="#Page_157">157</a>, <a href= +"#Page_178">178</a>.</li> + +<li><i>Planorbis Maresianus</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li> + +<li>Pigeon, <a href="#Page_165">165</a>.</li> + +<li>Poule, <a href="#Page_165">165</a>.</li> + +<li>Rim, <a href="#Page_152">152</a>.</li> + +<li>Sanglier, <a href="#Page_114">114</a>.</li> + +<li>Sarcelle, <a href="#Page_30">30</a>.</li> + +<li>Scorpion, <a href="#Page_141">141</a>.</li> + +<li>Sefchi, <a href="#Page_18">18</a>.</li> +</ul> + +<hr class="decor width8"> + +<hr class="chap"> + +<h2><span class="pagenum" id="Page_215">[215]</span><a id= +"toc"></a>TABLE DES MATIÈRES</h2> + +<hr class="decor width8 space-below15"> + +<table class="toc"> +<tr> +<td> +</td> +<td class="tdr med">Pages.</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Avant-propos</span> +</td> +<td class="tdr-bot med"><a href="#ava">V</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Biographie</span> +</td> +<td class="tdr-bot med"><a href="#bio">IX</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td colspan="2" class="tdc sect1 large">PREMIÈRE PARTIE</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre premier</span>. — +De Biskra à l’Oued-Righ et au Souf</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p1c01">3</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> II. — +Ouargla et Tougourt</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p1c02">22</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> III. — De +Tougourt au Djérid par le Souf</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p1c03">34</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> IV. — Au +Djérid</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p1c04">46</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> V. — +Nefzaoua et Gabès</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p1c05">57</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> VI. — Retour +au Djérid par Gafsa</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p1c06">72</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> VII. — De +Tozer à Biskra</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p1c07">87</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td colspan="2" class="tdc sect1 large">DEUXIÈME PARTIE</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre premier</span>. — +Dans l’Oued-Righ</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p2c01">105</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> II. — Au +Souf</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p2c02">118</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td colspan="2" class="tdc sect1 large">TROISIÈME PARTIE</td> +</tr> + +<tr> +<td colspan="2" class="tdc sect less bold">VOYAGE A GHADAMÈS</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre premier</span>. — +Dans l’Erg</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p3c01">143</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> II. — +Arrivée à Ghadāmès</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p3c02">159</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> III. — +Ikhenoukhen</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p3c03">172</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> IV. — +Ghadamésiens et Touareg</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p3c04">181</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> V. — A +Ghadāmès (<em>suite</em>)</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#p3c05">192</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1 sect1">Errata</td> +<td class="tdr-bot sect1"><a href="#err">205</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Addenda</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#add">207</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Index des noms géographiques</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#indgeo">209</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Index des noms propres</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#indnom">211</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Index des plantes citées</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#indpla">212</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl hang1">Index des animaux cités</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#indani">214</a> +</td> +</tr> +</table> + +<hr class="decor width10"> + +<p class="space-above x-ebookmaker-drop"> +</p> + +<div class="container pb"> +<div class="addit-box"> +<h2 class="space-above1"><a id="toi"></a>ILLUSTRATIONS</h2> + +<table class="toi"> +<tr> +<td> +</td> +<td class="tdr med">Pages</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Portion de muraille</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i01">53</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscription du Djébel-Sebaa Regoûd</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i02">54</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscriptions et chapiteaux — +Tillimīn</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i03">51</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscription de la borne milliaire de +Henchir Aichou</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i04">68</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — route de Gabès à +Gafsa</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i05">74</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Monument tumulaire en forme de tour +carrée</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i06">76</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Gravure rupestre du Djebel Sebaa +Regoud</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i07">85</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i08">95</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i09">96</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i10">96</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i11">97</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscription arabe du tombeau de +Sidi’Okba</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i12">105</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Vue de la ville d’Ezgoum (?)<a href= +"#Footnote_187" class="fnanchor">[187]</a></td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i13">124</a> +</td> +</tr> + +<tr> +<td class="tdl-top hang1">Inscription romaine trouvée à +Ghadamès</td> +<td class="tdr-bot"><a href="#i14">193</a> +</td> +</tr> +</table> +</div> +</div> + +<p class="space-above15 x-ebookmaker-drop"> +</p> + +<div class="transnote"> +<h2>Note du transcripteur :</h2> + +<ul> +<li class="simple">Les changements dans <a href="#err">l’ERRATA</a> +ont été apportés, sauf l'orthographe d'" Insalah " et +" Robaa’ya " et la modification de la note 214 (page +140).</li> + +<li class="space-above15 simple">Autrement :</li> + +<li>Page <a href="#Page_47">47,</a> note <a href= +"#Footnote_81">81,</a> " <em>dernière expédition des +Chotts</em>. Paris, 1891 " a été remplacé par +" 1881 "</li> + +<li>Page <a href="#Page_52">52,</a> " d’égaler les +contructions " a été remplacé par +" constructions "</li> + +<li>Page <a href="#Page_66">66,</a> " et d’une inscri tion +arabe " a été remplacé par " inscription "</li> + +<li>Page <a href="#Page_162">162,</a> " un nègre co-ossal +qui " a été remplacé par " colossal "</li> + +<li>Page <a href="#Page_173">173,</a> Ajouté ( avant +" quoiqu’elle ait beaucoup "</li> + +<li>Page <a href="#Page_175">175,</a> Ajouté » après +" les Chaanba et les Souâfa, etc. "</li> + +<li>Page <a href="#Page_176">176,</a> Ajouté » après " et +toujours mal reçus ? " et "Chaanba que les +Iboguelan."</li> + +<li>Page <a href="#Page_177">177,</a> Ajouté » après " le +montrer à d’autres. "</li> + +<li>Page <a href="#Page_214">214,</a> " ghedem, <i>Salicornia +fructicosa</i> " a été remplacé par +" <i>fruticosa</i> "</li> + +<li class="simple">Quelques changements mineurs de ponctuation et +d’orthographe ont été apportés, mais la plupart des variations +orthographiques ont été laissées telles quelles.</li> +</ul> +</div> +</div> +<div style='text-align:center'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 76633 ***</div> +</body> +</html> + diff --git a/76633-h/images/cover.jpg b/76633-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4bf6c51 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/cover.jpg diff --git a/76633-h/images/decor1.jpg b/76633-h/images/decor1.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..04b3f76 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/decor1.jpg diff --git a/76633-h/images/i01.jpg b/76633-h/images/i01.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9814aa7 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i01.jpg diff --git a/76633-h/images/i02.jpg b/76633-h/images/i02.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8ee0672 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i02.jpg diff --git a/76633-h/images/i03.jpg b/76633-h/images/i03.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..58f11e7 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i03.jpg diff --git a/76633-h/images/i04.jpg b/76633-h/images/i04.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0a8399f --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i04.jpg diff --git a/76633-h/images/i05.jpg b/76633-h/images/i05.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..c8dc86f --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i05.jpg diff --git a/76633-h/images/i06.jpg b/76633-h/images/i06.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..bf552a7 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i06.jpg diff --git a/76633-h/images/i07.jpg b/76633-h/images/i07.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a85d1c7 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i07.jpg diff --git a/76633-h/images/i08.jpg b/76633-h/images/i08.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a1a35f2 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i08.jpg diff --git a/76633-h/images/i09.jpg b/76633-h/images/i09.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0a5a4b9 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i09.jpg diff --git a/76633-h/images/i10.jpg b/76633-h/images/i10.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4500abe --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i10.jpg diff --git a/76633-h/images/i11.jpg b/76633-h/images/i11.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a1f88de --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i11.jpg diff --git a/76633-h/images/i12.jpg b/76633-h/images/i12.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..cf99306 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i12.jpg diff --git a/76633-h/images/i13.jpg b/76633-h/images/i13.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d26909c --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i13.jpg diff --git a/76633-h/images/i14.jpg b/76633-h/images/i14.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..11ed245 --- /dev/null +++ b/76633-h/images/i14.jpg diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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