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+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 76633 ***
+
+ JOURNAL DE ROUTE
+
+ * * * * *
+ TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie. — MESNIL (EURE).
+
+
+ SAHARA ALGÉRIEN ET TUNISIEN
+
+ * * * * *
+
+ JOURNAL DE ROUTE
+ DE
+ =Henri DUVEYRIER=
+
+ PUBLIÉ ET ANNOTÉ
+ PAR
+ =Ch. MAUNOIR et H. SCHIRMER=
+
+ * * * * *
+
+ PRÉCÉDÉ D’UNE BIOGRAPHIE DE H. DUVEYRIER
+ =Par Ch. MAUNOIR=
+
+[Décoration]
+
+ PARIS
+ AUGUSTIN CHALLAMEL, ÉDITEUR
+ RUE JACOB, 17
+ LIBRAIRIE MARITIME ET COLONIALE
+ * * * * *
+ 1905
+
+
+
+
+ AVANT-PROPOS
+
+ * * * * *
+
+
+Les journaux de route de Duveyrier, c’est-à-dire les volumes de notes
+d’où a été tiré le livre des _Touareg du Nord_, étaient restés inédits.
+Duveyrier lui-même, ses écrits l’attestent, avait eu l’intention de les
+publier quelque jour[1]. L’irrémédiable atteinte portée à sa santé par
+les fièvres fezzaniennes ne lui en a sans doute pas laissé la force.
+
+M. Charles Maunoir, dont la haute science avait, pendant trente ans,
+armé pour le succès tant de missions géographiques françaises, voulut
+faire revivre la profonde érudition, la noble conscience de celui dont
+il avait été l’ami le plus cher. Il publia, en 1902, le _Journal d’un
+voyage dans la province d’Alger_, que Duveyrier écrivit à dix-sept ans.
+On y trouve ces choses charmantes : un mérite naissant qui s’ignore et
+la première impression de la terre d’Afrique sur l’esprit d’un grand
+voyageur. M. Maunoir avait l’intention de compléter cette publication
+par celle d’un des principaux journaux de route : celui du 13 janvier-15
+septembre 1860, dont le cadre s’écarte le plus de la région envisagée
+dans _Les Touareg du Nord_. En tête de ce volume devait paraître la
+biographie de son ami, que lui seul pouvait écrire, avec le souvenir de
+tant d’années qui les avaient étroitement unis. La mort a interrompu M.
+Maunoir avant qu’il eût terminé ces lignes, les dernières qu’ait
+rédigées ce grand travailleur.
+
+Mme Maunoir a eu la pieuse pensée de réaliser le dernier vœu de son
+mari. Elle a mené à bien cette publication, où l’on voit encore une fois
+les deux collaborateurs réunis dans ce culte de la science qui fut leur
+vie.
+
+Le texte édité ici a été vu d’abord par M. et Mme Maunoir ; c’est leur
+goût très sûr qui a décidé du choix délicat des coupures à faire :
+passages et chiffres déjà reproduits dans _Les Touareg du Nord_ ou le
+_Corpus Inscriptionum_, détails personnels, sans intérêt pour la
+géographie. Mme Maunoir m’a fait le grand honneur de me confier le
+manuscrit ainsi défini. Je me suis attaché à le respecter aussi
+scrupuleusement que possible, en ne corrigeant que des expressions
+évidemment défectueuses, lapsus inévitables d’une rédaction faite au
+courant de la plume. Lorsque, par exception, il m’est arrivé de
+supprimer une phrase entière, inintelligible, écrite pendant un accès de
+fièvre, une note en avertit le lecteur. Pour la transcription française
+des noms arabes, à l’exception de ceux consacrés par l’usage, j’ai
+adopté partout où cela a été possible celle à laquelle Duveyrier lui-
+même s’est arrêté dans _Les Touareg du Nord_. Dans les autres cas j’ai
+conservé la leçon manuscrite. Quant à l’orthographe et à la traduction
+des citations en caractères arabes, Mme Maunoir a obtenu le précieux
+concours de M. le professeur Houdas, qu’aucun service à rendre aux
+études africaines ne laisse indifférent[2].
+
+L’extrême dispersion des renseignements est inévitable dans un ouvrage
+comme celui-ci. J’ai tâché d’en rendre la consultation plus facile par
+un index des noms géographiques et des principales matières. Les
+indications botaniques m’ont semblé mériter une attention particulière :
+elles seront une nouvelle addition au tableau de la répartition
+géographique des plantes sahariennes, dressé en 1881 par le professeur
+Ascherson[3]. On en trouvera la liste dans un index spécial, avec la
+synonymie botanique, d’après les catalogues existants et les rapports de
+mission ultérieurs.
+
+Les notes que j’ai ajoutées au bas des pages ne représentent qu’un
+minimum indispensable de commentaire. Elles indiquent seulement les
+principaux documents anciens ou modernes qui m’ont semblé confirmer ou
+modifier, en quelque chose d’essentiel, les faits et théories énoncés
+par l’auteur. Une note additionnelle renvoie à quelques publications
+capitales, survenues au cours de l’impression. On n’en verra pas moins
+combien ces références présentent d’imperfections et de lacunes. Le
+lecteur compétent m’excusera peut-être, s’il songe que pour le mettre
+complètement au courant de toutes les questions touchées ici, il eût
+fallu ajouter un second volume et changer le caractère de l’ouvrage.
+
+Ce caractère de journal quotidien, on devait le lui conserver au
+contraire, car c’est cette variété concise, ce langage plein de saveur
+qui en font le mérite et le charme. Duveyrier s’y révèle plus vivant que
+dans le cadre sévère des _Touareg du Nord_, plus personnel aussi que
+dans cette encyclopédie qu’il a écrite sous le contrôle d’un autre, et
+où l’on risque de trouver parfois l’écho d’une pensée qui n’est pas la
+sienne. Si riche que soit devenue la géographie de l’Afrique du Nord, la
+critique remerciera Mme Maunoir d’avoir poursuivi la publication d’un
+livre qui apporte encore du nouveau après 45 ans de découvertes ; il
+fait honneur à la mémoire du savant qui l’a fait connaître comme au
+grand voyageur qui l’a écrit.
+
+ Henri SCHIRMER.
+
+
+[Note 1 : _Les Touareg du Nord_. Paris, 1864, in-8, Introduction, p.
+XII.]
+
+[Note 2 : Toutes les notes et corrections de M. Houdas sont marquées des
+initiales (O. H.).]
+
+[Note 3 : En appendice dans Rohlfe, _Kufra_, Leipzig, 1881, in-8, p.
+386-560.]
+
+
+
+
+ BIOGRAPHIE
+
+ * * * * *
+
+
+Les Duveyrier ou Du Veyrier, issus d’une famille noble du Languedoc qui
+s’appela naguère Arnoux-Veyrier, se sont fixés à Aix en Provence depuis
+plusieurs générations.
+
+A près de deux siècles en arrière, apparaissent un Duveyrier, procureur
+au Parlement de Provence, et son frère, chanoine à la collégiale de
+Pignans.
+
+Le procureur eut trois fils dont l’aîné devint secrétaire de l’Académie
+d’Aix ; le second succéda à son oncle comme chanoine de Pignans. Le
+troisième, Gaspard Duveyrier, fut d’épée. Le chevalier de Vertillac, ami
+de la famille, l’incorpora, sous le titre de _cadet de Vertillac_, dans
+le régiment d’Eu-infanterie. Blessé à la bataille de Parme (1732), où il
+se conduisit vaillamment ; blessé, plus tard, d’une chute de cheval
+tandis qu’il galopait devant les carrosses du roi, il était nommé
+officier à l’Hôtel des Invalides à l’âge de 23 ans.
+
+Par la suite, on obtenait pour lui une lieutenance dans une compagnie
+détachée sur les côtes de Provence.
+
+Gaspard Duveyrier fut le père de Joseph-Martial Duveyrier qui, chargé
+comme lieutenant de la maréchaussée d’Aix de conduire Mirabeau au fort
+de Joux, accorda à son prisonnier huit jours de liberté sur parole, et
+n’eut pas à le regretter. Son frère, Honoré Duveyrier, avocat de mainte
+cause célèbre, choisi pour défenseur du duc d’Orléans à la suite des
+journées des 5 et 6 octobre, incarcéré par ordre de Robespierre et sauvé
+par Hérault de Séchelles, à la veille des massacres de la Terreur,
+devenait, dans le Tribunat, le collaborateur de Portalis, Siméon et
+Pascalis pour la préparation du Code civil.
+
+La Restauration qui le trouva premier président de la cour impériale de
+Montpellier, ne le maintint pas dans ses fonctions, tout en lui donnant
+le titre de premier président honoraire.
+
+Honoré Duveyrier laissa deux fils, dont l’un, Honoré, magistrat congédié
+aussi par la Restauration, s’achemina dans les voies de la littérature
+dramatique. Il y marcha longtemps, sous le nom de Mélesville, en
+compagnie d’Eugène Scribe. Le fils cadet de l’ancien tribun fut Charles
+Duveyrier. Esprit curieux, remueur d’idées, Charles Duveyrier fut
+chaudement saint-simonien et en souffrit, mais il conserva toujours les
+aspirations humanitaires qui l’avaient conduit vers le saint-simonisme.
+Par la suite, et tout en composant, lui aussi, comme son frère, des
+pièces de théâtre dont plusieurs sont restées au répertoire, il s’occupa
+de questions économiques, politiques et financières. Il y fit preuve de
+qualités d’initiative qui, toutefois, ne le conduisirent pas à la
+fortune. Doué d’une activité sans relâche et d’un savoir étendu, Sainte-
+Beuve a pu écrire de lui : « Je le comparais à un flambeau qui marchait
+toujours »[4].
+
+Charles Duveyrier consacra la dernière période de sa vie à diriger les
+travaux d’une vaste Encyclopédie conçue sur un plan particulier, et à
+laquelle les grands financiers Péreire voulaient attacher leur nom.
+
+Nous arrivons enfin à Henri Duveyrier, l’éminent voyageur au pays des
+Touareg, qui fut le fils de Charles Duveyrier. Pour ceux que de plus
+longs détails sur la famille Duveyrier intéresseraient, ils les
+trouveraient dans un ouvrage devenu rarissime : _Anecdotes historiques,
+par le baron_ D. V., tiré à 100 exemplaires. Paris, 1837, in-8.
+Imprimerie de E. Duverger.
+
+Les indications ci-dessus suffisent à établir que la famille Duveyrier a
+compté au moins une demi-douzaine d’hommes de mérite en deux cents ans,
+moyenne tout à fait honorable.
+
+
+Henri Duveyrier est né à Paris, 48, rue de la Chaussée-d’Antin, le 28
+février 1840.
+
+La première école qu’il fréquenta fut celle de l’abbé Poiloup, à
+Vaugirard. Il la quitta pour le collège fondé à Auteuil par l’abbé
+Lévêque. Puis, son père, désireux de le préparer à une carrière
+commerciale, l’envoya poursuivre ses études, de la fin de septembre 1854
+à la fin de l’année 1855, dans un pensionnat ecclésiastique établi à
+Lautrach, près Memmingen, en Bavière.
+
+Pendant cette période, Henri Duveyrier tint un journal quotidien, pages
+naïves où, naturellement, apparaissent certains traits qui se
+retrouveront dans le caractère de l’homme, où s’accuse déjà une
+orientation marquée vers certaines études qui, en définitive,
+détermineront l’avenir de l’écolier.
+
+Le microcosme où il entrait parmi des représentants de diverses
+nationalités a pu se trouver un peu déconcerté en présence du démenti
+donné par ce Parisien appliqué, studieux, réfléchi, à l’opinion
+accréditée sur la légèreté et la futilité des Français. Le Journal de
+Henri Duveyrier, à Lautrach, a de la gravité ; l’enjouement, privilège
+ordinaire de la jeunesse, s’y fait peu sentir. Il laisse entrevoir aussi
+un esprit rebelle aux idées spéculatives et aux fantaisies de
+l’imagination. C’est ainsi que, habituellement respectueux du devoir et
+de ceux qui le prescrivaient, il se mit néanmoins en conflit avec un
+professeur à propos du sujet choisi pour une narration en allemand :
+« Pensées d’un jeune homme par un beau soir d’été ». Un autre sujet de
+composition : « La louange des passions », lui inspire cette phrase :
+« Je vais faire de mon mieux, mais ce sujet ne me plaît pas. Je n’aime
+écrire ni pour les vertus ni pour les passions ». Par un verdict qui
+semble empreint d’ironie, son discours fut choisi, « comme le meilleur
+pour être déclamé à la fête de Monsieur le Directeur » ; mais le lauréat
+ne se sentit pas le courage de le « déclamer » lui-même.
+
+Élève laborieux, très bien noté, Henri Duveyrier ne se bornait cependant
+pas aux travaux prescrits par les programmes du pensionnat ; il était
+sollicité d’un autre côté.
+
+Nous voyons, notées avec prédilection, les causeries dans lesquelles
+quelque camarade lui a cité des légendes régionales ; il a même commencé
+un recueil de légendes allemandes. Également empressé à recueillir des
+renseignements philologiques, il copie des chants en langue tudesque et
+en langue franque ; puis il se procure le _Pater_ en goth, en allemand
+et en anglo-saxon. Enfin, il entreprend un petit vocabulaire gothique et
+tudesque, afin de se préparer à lire les _Eddas_ ou la Bible d’Ulfilas.
+
+L’élève Duveyrier consigne très fréquemment, dans ses notes, des
+indications relatives à l’histoire naturelle. Il signale l’époque
+d’éclosion et le nom des premières fleurs du printemps ; il enregistre
+la rencontre de papillons ou d’autres insectes, nouveaux pour lui. Des
+plantes recueillies pendant les promenades, il compose son herbier qu’il
+accompagne d’indications variées ; quelques feuillets consacrés à la
+faune et à la flore portent ce titre : _Commentarii in faunam floramque
+pagi Lautrach locorumque circumjunctorum, Lautrach, MDCCCLV_. La
+météorologie a sa part dans un Journal tenu de décembre 1854 à août
+1855, et dans un calendrier météorologique précédé de remarques.
+
+Ces études-là signalent nettement la direction dans laquelle Henri
+Duveyrier s’acheminait. Un passage des notes constate aussi que M. le
+Préfet de l’École lui a confisqué ses livres de latin et d’astronomie,
+afin qu’il s’occupe exclusivement de l’allemand.
+
+Il n’avait pas encore atteint alors l’âge de seize ans et, déjà, d’après
+des indications autobiographiques rédigées dans l’âge mûr, il avait
+conçu le projet d’explorer quelque partie inconnue du continent
+africain.
+
+De même que les réflexions et les jugements font presque absolument
+défaut dans ces cahiers d’un enfant de quinze ans, les menus faits de la
+vie quotidienne du pensionnat n’y sont enregistrés que fort
+laconiquement et sans artifice. Toutefois, on y sent comme le souffle
+d’une nature sincère, juste et bonne, ferme, d’ailleurs, à maintenir son
+droit.
+
+Charles Duveyrier persistant à diriger son fils dans une voie qui, sans
+trop de préjudice pour la culture intellectuelle, le conduirait à
+l’indépendance plus rapidement que la filière universitaire, le fait
+alors entrer à l’École commerciale de Leipzig. Là, Henri Duveyrier voit
+s’élargir le champ de ses travaux, de ses idées et sent, en même temps,
+se préciser ses aspirations.
+
+Il ne paraît pas avoir tenu un journal de son séjour à l’École de
+Leipzig, d’où il sortit avec d’excellentes notes, après y être resté de
+la fin de 1855 au commencement de 1857. C’est pendant cette période que,
+tout en suivant les cours de l’École, il prend des leçons d’arabe d’un
+orientaliste éminent, le docteur Fleischer, avec lequel il entretint de
+longues relations.
+
+Plein de déférence pour les intentions de son père, il ébaucha, rentré
+en France, des études de langue chinoise, afin de se mettre en mesure
+d’aborder un terrain commercial relativement neuf. Mais il ne tarda pas
+à comprendre que, dominé par la suggestion des voyages ayant pour but la
+science, il ne cheminerait qu’à contre-cœur dans un autre sens[5]. Il
+s’en ouvrit donc résolument à son père, qui finit par céder. Charles
+Duveyrier étant d’esprit entreprenant, enclin aux initiatives, cette
+capitulation, dictée surtout par l’affection, ne dut lui causer ni trop
+d’efforts, ni trop de regrets. Ancien disciple de Saint-Simon, il ne
+répudia pas la devise saint-simonienne : « A chacun suivant sa
+capacité ». — Or c’était, à coup sûr, une présomption de capacité de la
+part de son fils que d’avoir, de propos raisonné, choisi la route à
+prendre. Quant au reste de la doctrine, n’était-ce pas devenir aussi
+producteur, servir l’intérêt général, que d’aller, au prix d’un
+dangereux labeur, demander à des terres inconnues la révélation de
+nouveaux groupes humains, l’élargissement du champ d’activité de notre
+civilisation ?[6]
+
+Quoi qu’il en soit, H. Duveyrier échappa à la carrière commerciale. Sans
+aucun doute, il eût été un commerçant éclairé, laborieux et probe ; mais
+ces qualités ne sont pas, dit-on, rigoureusement nécessaires et
+suffisantes pour mener à la fortune, commun point de concours des
+commerçants. Elles doivent être renforcées d’ambitions d’un ordre
+spécial qui ne sont pas données à tous, et dont H. Duveyrier n’était pas
+doué. Peu désireux de briller, sans grand souci du bien-être matériel,
+il n’était pas séduit par le luxe. Les efforts tendus à d’autres fins
+que la recherche de la vérité sur les choses de la nature et l’étude de
+sciences libérales lui semblaient un peu oiseux.
+
+Charles Duveyrier avait si largement adopté les projets formés par son
+fils qu’il le mit de suite à même de commencer à en préparer la
+réalisation.
+
+Tous les ouvrages nécessaires furent achetés, et le candidat explorateur
+entreprit, dès ce moment, quelques études spéciales.
+
+Au début de 1857, dans l’intention d’éprouver ses forces et ses
+aptitudes, il accomplissait un voyage en Algérie.
+
+Débarqué à Alger le 26 février, il débute par une excursion à
+Kandouri[7], à une trentaine de kilomètres dans l’ouest d’Alger, non
+loin du lac Halloula. Kandouri était la résidence du Docteur Warnier,
+homme de grande valeur, qui devait, par la suite, exercer une influence
+considérable sur la vie et les travaux de Henri Duveyrier.
+
+Le 8 mars, il partait pour une course plus longue : Djelfa et Laghouât,
+d’où il revint, dans le milieu d’avril, par Bou Zid et Caïd Djelloul.
+
+Cette course, exécutée avec Oscar Mac-Carthy dont les connaissances
+variées furent précieuses à son compagnon de route, a été relevée dans
+un journal récemment imprimé[8] à l’intention de ceux qui avaient connu
+et aimé Henri Duveyrier. Ils ont assisté, ainsi, à ses premiers pas déjà
+très fermes, dans une carrière où il a conquis une juste célébrité.
+
+Sa relation est empreinte d’une sincérité, d’une naïveté qui sont
+presque des mérites littéraires. Entre autres faits, elle mentionne la
+joie qu’inspira au futur voyageur la rencontre, à Laghouât, d’un Targui
+envoyé par Ikhenoukhen, et avec lequel il eut d’excellents rapports.
+
+De là, peut-être, une prédisposition qui détermina le voyage de Henri
+Duveyrier chez les Touareg.
+
+Voici en quels termes le jeune voyageur rapporte sa dernière entrevue
+avec le Targui fortuitement rencontré... « Mohammed-Ahmed promit que,
+lorsqu’il serait de retour dans son pays, il m’enverrait un livre en
+targui, et comme je voulais lui faire un cadeau capable de cimenter
+notre amitié, je crus n’avoir rien de mieux à faire que de lui donner
+mes pistolets et ma poire à poudre, ce que je fis immédiatement. Ce
+cadeau de ma part le rendit tout confus, et il dit à M. le
+Commandant[9] : « Ce jeune homme est si bon pour moi ; il m’a donné du
+tabac, du sucre, des foulards ; il me donne maintenant des pistolets. Je
+ne sais comment le lui rendre ; je vais faire chercher mon méhari et le
+lui donner. » Nous eûmes beaucoup de peine à lui faire comprendre que je
+ne voulais pas le priver de son chameau qui allait lui devenir
+nécessaire pour retourner à R’hât, et que, du reste, je serais fort
+embarrassé pour l’emmener dans mon pays ; que je le remerciais beaucoup
+de son offre et que j’en étais aussi content que si le méhari était
+devenu ma propriété. Il demanda alors à M. le Commandant s’il n’y avait
+pas moyen de m’emmener avec lui dans son pays. On lui répondit, pour
+l’éprouver, qu’il n’aurait pas assez soin de moi ; mais le Targui prit
+cela au sérieux, et se mit à expliquer avec chaleur que, chez lui,
+c’était un devoir de prendre soin de son ami et que, sous sa protection,
+il ne m’arriverait aucun mal. Je lui dis alors qu’un jour peut-être,
+j’irais le voir. « In ch’Allah ! s’il plaît à Dieu, répondit-il, et il
+se retira satisfait.... »
+
+A la suite de son voyage d’essai, H. Duveyrier publia, dans le recueil
+de la Société orientale de Berlin, une notice sur quatre tribus
+berbères[10] : les Beni-Menasser, les Zaouaoua, les Mzabites, les
+Touareg Azdjer. Il y résumait ce qu’il avait pu apprendre sur ces tribus
+« pendant son rapide et court voyage dans nos possessions algériennes ».
+Cette publication de début consiste surtout en un vocabulaire comparé
+des idiomes des quatre tribus. On y sent un auteur bien documenté et
+soigneux de l’exactitude.
+
+L’année même où il faisait, en quelque sorte, ses premières armes, fut
+marquée par un incident qui exerça sur la suite de ses travaux une
+influence marquée.
+
+Pendant un voyage à Londres, où habitait une branche de sa famille, il
+eut la bonne fortune d’être mis en relation avec Henri Barth, alors
+occupé à écrire la relation de ses voyages.
+
+Dans une belle notice nécrologique consacrée au voyageur allemand, H.
+Duveyrier raconte l’accueil qu’il reçut de lui[11]... « M. le professeur
+Fleischer, de Leipzig, orientaliste éminent près duquel j’avais appris
+la langue arabe, et qui connaissait mes projets de voyages en Afrique,
+m’avait adressé et recommandé au Dr Barth, alors à Londres. Je le vis
+pour la première fois en 1857.
+
+« Il essaya d’abord de me dissuader d’entreprendre si jeune ces durs
+labeurs ; mais n’ayant pu ébranler ma ferme résolution, il me prodigua,
+avec une bienveillante sollicitude, les instructions et les conseils. A
+peine mon arrivée dans le pays des Beni-Mzab lui était-elle connue,
+qu’il s’empressa de m’écrire. Par ses lettres, pleines d’affectueux
+conseils et de précieuses indications, il veillait de loin au succès de
+mon entreprise, m’ouvrant des points de vue nouveaux, me signalant les
+faits capitaux qui devaient appeler mon attention. Bientôt il m’envoyait
+une lettre circulaire, écrite en arabe, et adressée à tous ses amis du
+Sahara et du Soudan, pour me protéger en cas de besoin. En même temps,
+il me transmettait une lettre spéciale pour le cheikh El-Bakkây ; je
+parvins heureusement à la remettre à son neveu, dont les bons offices
+m’ont été très utiles. J’étais Français, cependant, mais l’esprit étroit
+de rivalité ne pouvait avoir accès près de ce grand cœur... »
+
+Plusieurs lettres à Henri Duveyrier ou à son sujet, attestent, en effet,
+les sentiments d’estime et de sympathie de Henri Barth pour un émule
+dont il avait pressenti le mérite et avec lequel d’ailleurs, il resta,
+jusqu’à la fin de sa vie, en relations très affectueuses.
+
+Quand mourut le Dr Barth (25 novembre 1865), la famille de l’illustre
+explorateur fit hommage d’une partie de ses papiers scientifiques à
+Henri Duveyrier qui avait si bien retenu ses leçons et si
+consciencieusement étudié son œuvre.
+
+De retour d’Angleterre, vers le milieu de 1857, Henri Duveyrier se mit,
+avec ardeur, en mesure d’entreprendre un voyage de pénétration au cœur
+du Sahara. Il étudia, la plume à la main, ce que la géographie savait
+alors des contrées vers lesquelles il allait se diriger. A la vérité,
+pour le lointain Sahara central, les seules sources d’informations
+précises étaient, outre la relation de Caillié, les ouvrages dans
+lesquels Richardson, Barth, Overweg et Vogel avaient consigné les
+importants résultats des missions anglaises accomplies par eux de 1850 à
+1853.
+
+Les itinéraires de ces missions partant de Tripoli pour se diriger vers
+le lac Tchad, traversaient, par Mourzouk et Rhât, les immensités
+sahariennes comprises entre la côte et le Soudan. Les papiers de Henri
+Duveyrier renferment des feuillets dans lesquels il avait commencé à
+décrire sommairement les pays qu’il se proposait d’explorer.
+
+Dans d’autres pages il indiquait les grandes étapes de sa marche, les
+résultats principaux à atteindre aux points de vue politique,
+scientifique, commercial ; il y énumérait, avec un soin qui révèle
+beaucoup de réflexion, les travaux à exécuter, les recherches à faire,
+les notes à prendre. On sent, en ces pages, l’homme qui entend être
+autre chose qu’un touriste audacieux, dominé par la seule pensée
+« d’être le premier à avoir vu ».
+
+La jeunesse de l’auteur se révèle, toutefois, dans l’ampleur du projet
+primitif qui comprenait une reconnaissance du Touât et l’exploration du
+pays alpestre des Touareg Hoggar.
+
+Il s’est aperçu, en face de la réalité, que l’imprévu n’abandonne jamais
+ses droits et que les projets les mieux étudiés comportent de grands
+mécomptes, quand il s’agit de pénétrer dans des contrées nouvelles, au
+milieu de populations méfiantes ou hostiles.
+
+Tout en s’assimilant les données acquises par ses devanciers et, plus
+spécialement, par le docteur H. Barth, il travaillait avec ardeur à
+acquérir les notions si variées qu’exige une exploration scientifique
+largement comprise.
+
+Il s’attacha, en particulier, à bien connaître les méthodes, comme le
+maniement des instruments de détermination des latitudes, longitudes et
+altitudes.
+
+Cette préparation, qui est délicate, qui exige beaucoup d’application,
+de soin, de persévérance, est en quelque sorte, une pierre de touche de
+la vocation d’un candidat à la carrière d’explorateur. Les observations
+astronomiques en cours de route ajoutent, d’ailleurs, aux difficultés,
+parfois même aux dangers du voyage.
+
+Henri Duveyrier eut la bonne fortune de rencontrer, comme professeurs,
+tout d’abord Lambert-Bey, l’un des ingénieurs que Méhémet-Ali avait
+envoyés en avant-garde dans sa marche vers le Haut Nil ; puis un
+astronome hors de pair, Yvon Villarceau ; enfin, M. Renou, membre de la
+commission scientifique de l’Algérie, constituée en 1837. Il avait
+commencé ses travaux scientifiques au milieu des combats livrés par les
+colonnes expéditionnaires chargées d’établir l’autorité de la France
+dans ce qui était alors le Sud-Algérien.
+
+M. Renou initia aussi H. Duveyrier aux observations météorologiques[12]
+sans lesquelles il n’est pas d’exploration complète ; le professeur,
+ici, se doubla d’un ami dont les lettres, pleines d’excellentes
+instructions, attestent aussi la plus affectueuse sollicitude pour son
+élève.
+
+En histoire naturelle et en géologie, c’est au Muséum qu’il demanda le
+complément de l’instruction acquise dès sa jeunesse.
+
+Le savant naturaliste A. Duméril lui apprit l’art de préparer les
+mammifères et les oiseaux pour les envoyer en Europe.
+
+M. Hérincq, auteur de travaux estimés, qui fut l’un des derniers à
+porter le titre de « garde des Galeries de botanique au Muséum », se
+chargea de l’initier aux soins faute desquels la formation d’un herbier
+est à peu près peine perdue.
+
+Pour la géologie et la minéralogie, Henri Duveyrier eut les
+renseignements de M. Hugard, alors aide-naturaliste au Muséum sous la
+direction de l’éminent Dufrenoy.
+
+On a vu précédemment que l’élève de l’école de Lautrach s’intéressait
+aux questions de linguistique et d’ethnographie ; aussi, ne manqua-t-il
+pas demander à Léon Renier, à Ernest Renan, à son ancien professeur
+Fleischer les directions nécessaires pour accomplir convenablement cette
+partie de sa tâche.
+
+La recherche, la copie, l’estampage des inscriptions lui furent tout
+spécialement recommandés, et nous savons qu’il a fait, dans cet ordre
+d’idées, des découvertes enregistrées par l’épigraphie et l’histoire.
+
+H. Duveyrier savait trop combien il lui importait d’être bien compris
+des peuples au milieu desquels il devait vivre, surtout de les bien
+comprendre, pour ne pas chercher à se perfectionner dans la langue arabe
+qu’il avait apprise à Leipzig. Il le fit sous la direction du Dr Perron,
+de Reinaud, de Caussin de Perceval.
+
+Ses facultés en pleine sève de jeunesse, stimulées par la perspective du
+voyage prochain, soutenues dans leur effort par une intense application
+au travail et une méthode excellente, furent, pendant plus d’une année,
+tendues sur l’accomplissement du programme d’études que H. Duveyrier
+s’était fixé à lui-même. Il l’a exposé dans un texte qui dénote la
+notion claire de tout ce qu’exige une exploration en pays nouveau.
+L’influence des conseils du docteur Barth ne fut probablement pas tout à
+fait étrangère à l’ampleur de ce programme.
+
+On y discerne aussi une pensée de haute solidarité, une inspiration à
+servir les intérêts communs ; il y a là un reflet des théories du saint-
+simonisme.
+
+En résumé, dans un ardent désir de réussite, H. Duveyrier s’était mis
+promptement à même de recueillir avec discernement des données sur
+l’histoire, la géographie physique et économique, l’ethnographie, la
+linguistique des contrées, en grande partie inexplorées, où il allait
+s’avancer. Sans doute, une initiation si rapide ne pouvait être ni
+développée ni profonde. H. Duveyrier qui s’en rendait compte, fit de
+constants efforts pour la compléter. M. Renou l’y encourageait en lui
+écrivant d’amicales remontrances sur sa façon d’observer, soit en
+astronomie, soit en météorologie.
+
+Il est superflu d’ajouter que les préparatifs matériels furent à la
+hauteur de la préparation scientifique du voyage. On possède la liste
+des instruments d’observation et des objets variés qui devaient
+contribuer au succès de l’entreprise.
+
+H. Duveyrier n’ignorait pas les risques au-devant desquels il marchait.
+— « Je sais très bien, écrivait-il dans l’un de ses carnets de notes,
+que le voyage que je vais entreprendre n’est pas sans dangers, mais je
+me sens plein de confiance en mes propres forces, et j’espère qu’avec
+beaucoup de prudence et de patience, et toute mon énergie, je
+parviendrai à les éviter, et que je mènerai ainsi mon expédition à bonne
+fin. L’événement prouvera si je me suis trompé. »
+
+H. Duveyrier avait décidé de voyager ouvertement comme chrétien, au lieu
+d’adopter ou de feindre l’Islamisme qui lui aurait été une sorte de
+sauvegarde. Par respect pour lui-même et pour la croyance des autres, il
+lui eût répugné de se livrer aux manifestations d’une foi factice. Sa
+répulsion pour les voies tortueuses s’était doublée d’une confiance
+juvénile, robuste, dans le prestige de l’honnêteté et la puissance de la
+droiture. Ce furent là les éléments essentiels de sa résolution. Peut-
+être aussi, en y réfléchissant, fut-il amené à conclure qu’un vernis de
+religion musulmane pourrait ne pas suffire à protéger le voyageur
+_roumi_ contre l’animadversion des Sahariens. En pareil cas, tout serait
+perdu, même l’honneur.
+
+Quelque garantie qu’il vît dans l’honnêteté de ses intentions, Duveyrier
+se prémunit contre le danger auquel l’exposait sa qualité de chrétien.
+Recherchant les passages où le Coran prêche la tolérance envers les
+autres religions et le respect pour les hôtes, il se mit en mesure de
+discuter, de combattre les arguments qui seraient invoqués contre lui.
+
+Il lui restait les risques auxquels pouvait l’exposer, en sa qualité de
+Français, quelque expédition militaire dans l’extrême-sud, coïncidant
+avec son voyage.
+
+S’il s’interdisait de partager la foi des Arabes, il revêtit leur
+costume, autant par hygiène que pour s’identifier, s’assimiler le plus
+possible aux hommes dont il devait partager la vie, et auprès desquels
+il entendait se montrer juste avant tout. Sur ce dernier point, il était
+d’accord avec le Dr Barth qui lui écrivait, vers le milieu de 1859 :
+«... la meilleure arme pour le voyageur chrétien, dans ce pays, consiste
+en une probité impeccable vis-à-vis des indigènes... ».
+
+Voilà de nobles principes, et dignes de respect, mais trop élevés peut-
+être pour émouvoir des gens à moitié barbares, habitués, par tradition,
+à ne subir d’autre ascendant que celui de la force. La justice et la
+probité ne sont, du reste, pas inconciliables avec la fermeté, la
+sévérité auxquelles le voyageur le plus endurant est, parfois, obligé de
+faire appel.
+
+Comme nom de voyage, il adopta celui de Sid-Saad-ben-Doufiry ; le nom de
+Saad se traduit par notre nom de Félix, et ben-Doufiry signifie fils de
+Duveyrier, ce dernier nom étant accommodé à la prononciation arabe.
+
+ Charles MAUNOIR.
+
+
+[Note 4 : _Lettre à la Princesse_ (1873), p. 245.]
+
+[Note 5 : Évidemment, ce n’était pas par un fugitif mouvement
+d’enthousiasme juvénile que H. Duveyrier avait conçu le dessein
+d’explorer l’Afrique. Dans l’introduction au Journal de son voyage chez
+les Touareg, il écrivait, le 23 juin 1859 : « Depuis l’âge où les idées
+commencent à prendre une tournure raisonnable, un attrait invincible m’a
+attiré vers le continent africain... »]
+
+[Note 6 : Cette hypothèse au sujet des idées de Ch. Duveyrier trouve
+confirmation dans une lettre qu’Arlès-Dufour, le grand financier saint-
+simonien, écrivait à Henri Duveyrier et dont Charles Duveyrier avait,
+lui-même, pris copie. On y lit le passage suivant : « Si, décidément,
+tes aptitudes ne se plient aux études commerciales que par violence et
+avec répugnance, il serait irréligieux à ton père et à moi d’abuser de
+ton obéissance pour te les faire poursuivre, et il faudrait y renoncer
+franchement pour te vouer sans réserve aux études auxquelles te poussent
+évidemment ta vocation, c’est-à-dire ta nature. Dieu est très avare de
+ces vocations évidentes qui ne permettent aucun doute, et c’est un
+devoir sacré de les respecter, de les favoriser même, quand on le peut.
+Si tu savais, mon enfant, combien d’existences manquées et malheureuses,
+combien de forces perdues pour la société, par suite de vocations
+méconnues et faussées !... »]
+
+[Note 7 : ... « Quand vous viendrez ici, je vous conduirai à Kandouri,
+un Versailles sauvage, un Versailles du bon Dieu, un vrai paradis
+terrestre. Là, vous verrez ce qu’était le monde quand il est sorti des
+mains du Créateur. Vous vous y trouverez au milieu d’Arabes qui vous
+traduiront la Bible en fait, beaucoup mieux que votre père et ses
+collègues de la Société des artistes dramatiques n’ont traduit, au
+théâtre, notre société moderne. »
+
+(Lettre du Dr Warnier à Henri Duveyrier, Alger, le 11 juillet 1855.)]
+
+[Note 8 : _Journal d’un voyage dans la province d’Alger_, par Henri
+Duveyrier. Paris, Challamel.
+
+Cet ouvrage n’est pas dans le commerce.]
+
+[Note 9 : Le commandant Margueritte, devenu le général Margueritte, tué
+à Sedan.]
+
+[Note 10 : Notizen über vier berberische Völkerschaften, während einer
+Reise in Algerien nach Hallûla-See und nach Laguât in Februar, Marz und
+April 1857, gesammelt von H. Duveyrier. — _Zeitschrift der deutschen
+morgenländischen Gesellschaft_, t. XII, 1858, p. 176-186.]
+
+[Note 11 : Henri Barth, ses voyages en Afrique et en Asie. _Revue
+contemporaine_, 1866, 4e livraison, 28 février.]
+
+[Note 12 : Nous avons une preuve du soin apporté par H. Duveyrier à sa
+préparation, dans le fait qu’en 1858, du 6 au 12 novembre, il avait
+fait, à la fenêtre de l’appartement que son père occupait, rue de
+Grenelle, no 123, une série d’observations météorologiques dans le but
+de régler la marche d’un baromètre anéroïde.]
+
+
+
+
+ JOURNAL DE ROUTE
+
+
+ PREMIÈRE PARTIE
+
+ * * * * *
+
+ CHAPITRE PREMIER
+
+ DE BISKRA A L’OUED-RIGH ET AU SOUF
+
+
+ Biskra, 13 janvier 1860.
+
+J’ai fait aujourd’hui une liste des peuplades _nègres_ qui sont
+représentées dans la petite colonie de Biskra. Voici la liste de ces
+tribus ; je crois que, plus tard, elle devra être complétée. J’ai mis un
+astérisque devant les noms de peuplades dont nous ne connaissons la
+langue d’aucune manière : 1. Bornou. — 2. Haoussa. — 3. Bagirmi. — 4.
+Felata. — 5. Mboum[13]. — 6. Mandara. — 7. Koenna[14]. — 8. * Kanembou.
+— 9. Teda. — 10. Timbouktou (Zonghay). — 11. Mbāna. — 12. Ouaday. — 13.
+* Manga[15]. — 14. * Doura. — 15. Katsena. — 16. Bambara. — 17. Logonē.
+— 18. Derge. — 19. Affadē. — 20. Ngāla. — 21. Kouri. — 22. Maggari[16].
+— 23. Margi. — 24. Kerrekerre. — 25. Ngouzzoum[17]. — 26. Hadamoua[18].
+
+Ces nègres ont formé un petit village de huttes en branches de palmiers,
+situé à l’origine des plantations, près du nouveau Biskra, dont il forme
+un petit faubourg. Les femmes portent des costumes de leur pays, tandis
+que les hommes ont choisi, dans les costumes de tous les peuples avec
+lesquels ils sont en relations, tous les oripeaux et les guenilles de
+couleurs voyantes qu’ils ont pu se procurer.
+
+Je me promène dans l’oued Biskra ; dans les terres d’alluvions qui
+renferment son lit, on trouve les coquilles d’une espèce de gastéropode
+assez curieuse par ses formes qui rappellent celles des coquilles
+marines. La bouche est formée par une échancrure, la forme générale est
+entre celle de la limnea et celle de l’oliva, le test est assez dur ;
+les bords de l’ouverture sont tranchants ; la couleur de la coquille est
+d’un noir olivâtre, mais passe par toutes les couleurs jusqu’au blanc,
+selon qu’elle est plus ou moins ancienne dans la couche d’alluvions. Ce
+mollusque vit actuellement dans certains ruisseaux de l’oued
+Biskra[19] ; on le trouve en masses considérables. — L’eau dans laquelle
+il vit ressemble, comme goût, à celle que l’on boit en ville, c’est-à-
+dire qu’elle est légèrement saumâtre. — Un mollusque herbivore se trouve
+ici en grand nombre sur les tiges de cannes, roseaux qui croissent dans
+l’eau.
+
+Je prends ici l’occasion de faire remarquer que les eaux des ruisseaux
+en question renferment un second gastéropode, qui est turriculé et à
+tours de spire ornés de côtes. Ce mollusque vit dans la vase, où l’on a
+de la peine à le distinguer à cause de sa couleur cendrée. — Je crois
+qu’il est identique à celui des eaux artésiennes de l’oued Righ[20]. Ce
+dernier vit dans les _saquias_ des jardins de Tougourt, dans une espèce
+de plante fluviatile (acotylédone, je crois) qui forme une mousse
+verdâtre. J’en ai dans le flacon à alcool no 2.
+
+ Biskra, 14 janvier.
+
+J’emploie ma matinée à prendre l’heure exacte à une minute près, pour M.
+le colonel Séroka ; je fais, par la même occasion, le calcul du lever du
+soleil pour cette année à Biskra ; je trouve qu’il faut retrancher 42
+minutes du temps du lever à Paris. — L’horloge avançait de 38 minutes !
+Les cadrans solaires ont, je crois, une erreur de quelques minutes, 7
+minutes environ.
+
+Dans l’après-midi, je vais avec ces Messieurs du télégraphe et M.
+Colombo pour lever le plan du petit hameau de El’Aliya dont on voit les
+hauts palmiers tout près de Biskra. — C’était pour montrer à ces
+Messieurs comment il fallait opérer.
+
+El’Aliya touche d’un côté à l’oued dont les berges à pic s’éboulent à
+chaque crue ; nous aperçûmes là des restes de fondations romaines et de
+vastes tubes de terre cuite superposés, le tout enchâssé dans les
+berges, et mis à nu par les eaux. Nous hésitons encore à déterminer quel
+était l’usage de ces constructions.
+
+Près de là est un cimetière, que l’eau ronge aussi, laissant voir des
+squelettes à moitié découverts. Je prendrai là quelques crânes pour ma
+collection.
+
+Dans le milieu de l’oued, près d’El’Aliya, est une construction carrée,
+évidemment romaine, remarquable en ce qu’elle n’a ni portes ni autres
+ouvertures. Actuellement elle est remplie de terre jusqu’au sommet. Les
+murs sont bien conservés, si ce n’est pour une ou deux petites brèches
+rondes qu’y fit Salah Raïs avec son artillerie. Il croyait, comme les
+Arabes aujourd’hui, que cette construction renferme un trésor.
+
+Un peu plus loin encore se trouve la coubba de Sidi-Zurzour qui fut
+bâtie sur une construction analogue à celle dont je viens de parler.
+
+Le cours de l’oued dans toute sa longueur, à part quelques bandes de
+terre végétale alluviale dont j’ai parlé plus haut, est couvert de
+galets et de pierres roulées, quelquefois énormes ; la plupart sont de
+grès, d’autres de calcaire compact.
+
+ Biskra, 15 janvier.
+
+Aujourd’hui j’ai fait avec M. Colombo une promenade à pied à la source
+thermale de Hammâm Salahîn. La direction est vers le nord, appuyant un
+peu à l’ouest, je crois, et à 6 kilomètres du fort Saint-Germain ;
+cependant je ne serais pas étonné que la distance fût un peu plus
+grande. Les bains sont entourés d’une construction, avec des chambres
+pour la commodité des baigneurs. Les eaux sont salées et ont, de plus,
+une forte odeur d’hydrogène sulfuré. La température de l’eau au bord du
+bassin, là où elle s’en échappe, était de :
+
+ 44°,8 thermomètre 186 de Baudin.
+
+ 44°,7 — 207 —
+
+Au milieu, à l’endroit où elle jaillit en bouillonnant, la température
+prise par M. Colombo était de :
+
+ 45°,1 thermomètre 207 de Baudin[21].
+
+M. Colombo entra dans le bain, mais, pour moi, je me contentai d’y
+mettre les pieds, qui me firent mal au bout de quelque temps.
+
+La raison de cette excursion était mon désir de me procurer des poissons
+vivant dans la _saguia_ qui sort de la source, et qui conserve encore
+assez longtemps sa température élevée et plus encore les sels dont elle
+est saturée. Ces poissons, dont je réussis à me procurer quelques
+exemplaires, ressemblent beaucoup à ceux des eaux artésiennes de l’oued
+Righ[22] ; ils vivent dans une eau qui peut avoir 30°. — Dans la même
+saguia croît une plante acotylédone خز[23], à feuilles filiformes très
+ténues, la même, je crois, qui est si commune dans les _saguiet_ de
+Tougourt, et qui sert de nourriture aux coquillages turriculés et aux
+glyphisodons ou perches à dents fendues. J’en ai pris un échantillon, et
+un Arabe qui était là m’a dit que cette plante servait de remède pour
+les maux d’yeux. Sont-ce les sels dont elle doit être imprégnée qui lui
+donnent cette vertu ? Je suis très porté à le croire. Autour de la
+source thermale, on voit de nombreux tufs calcaires, presque entièrement
+composés de débris végétaux. D’autres pierres s’y trouvent aussi ; j’en
+ai recueilli. On trouve près de là un petit lac de forme circulaire, que
+j’ai visité à mon premier passage ici. L’eau en est remarquablement
+froide[24], et la profondeur m’en a été donnée (16 mètres) par M.
+Colombo qui l’a mesurée.
+
+Voici la liste des plantes dont je me rappelle le nom et que nous avons
+rencontrées en revenant de la source : _Bageul_, _remeth_,
+_kelkha_,_methennân_, _rhardeg_, _sedra_, _gandoul_ (bou choucha)[25].
+
+ Biskra, 16-17 janvier.
+
+Visite au colonel Séroka. — Il me prête des calques superbes de cartes
+sur le Sahara ; j’en copie un aujourd’hui même.
+
+Je remarque un fait important pour mes observations. Mon baromètre no
+892 est dérangé. Mais il ne l’est que depuis mon départ pour
+Constantine, car à cette époque je réglai mon anéroïde qui, maintenant,
+suit à peu près la marche du Gay-Lussac de M. Colombo.
+
+ Biskra, 18-19 janvier.
+
+M. Colombo dont j’ai déjà parlé est un ancien sous-officier. Il dirige
+l’école arabe française de Biskra. C’est une école où les jeunes Arabes
+peuvent apprendre le français et les éléments de nos sciences. Cette
+école est assez bien suivie, et j’ai pu me rendre compte des progrès
+intéressants qu’ont faits les élèves de M. Colombo. Leur maître est
+assez versé dans la connaissance de l’arabe, et il se perfectionne
+chaque jour dans la science par une étude diligente[26]. Son traitement
+est de 1.800 fr. par an ; il a un aide, Arabe de Constantine, élève de
+M. Cherbonneau, et qui, je crois, perçoit, un traitement de 100 fr. par
+an.
+
+Le colonel Séroka me dit que l’on avait commencé un forage à ’Ain
+Baghdad, et qu’il fut interrompu lors de la guerre d’Italie.
+
+ 1er février 1860.
+
+Je quittai aujourd’hui Biskra ; MM. Manaud, Colombo et Falques vinrent
+me dire adieu avant mon départ. J’avais dit adieu au colonel hier au
+soir.
+
+Je suivis sur ma jument la marche lente des chameaux jusqu’à ce qu’étant
+enfin arrivés en vue des broussailles de tamarix que l’on a cru pouvoir
+nommer « forêt » de Saada, je fis partir ma monture au trot et j’arrivai
+au bordj de Taïr Rassou.
+
+Le kaïd Si Khaled était absent, mais il revint bientôt ; il avait été en
+cherche de sangliers et rentrait sans en avoir vu un seul. — Ce fut
+peut-être là la raison de son accueil froid ; car il ne me fit servir
+qu’une _berboucha_ qu’à la vérité il partagea avec moi. — Je n’avais du
+reste que quelques moments à lui consacrer, et je repartis de suite pour
+arriver à Chegga avant la nuit.
+
+La route de Tougourt sur laquelle je marchais est assez bien tracée,
+surtout depuis que des voitures y sont allées. Aussi n’avais-je guère
+crainte de me perdre.
+
+J’arrivai à Chegga après le coucher du soleil. J’y trouvai, outre M.
+Lehaut, des officiers du bataillon avec qui j’avais fait connaissance à
+Tougourt.
+
+Les chameaux arrivèrent pendant la nuit.
+
+Je dois noter que sur la route, un peu après la rivière, j’ai rencontré
+cinq ou six petits monuments en forme de pyramides et une tombe, le tout
+rassemblé sur un espace de quelques mètres carrés ; c’est un monument
+élevé par les Oulad Moulet, pour éterniser le souvenir d’une défaite que
+leur a infligée en cet endroit le chérif.
+
+ 2 février.
+
+Je ne suis pas parti de bon matin. J’ai été voir, avec M. Lehaut[27], le
+quatrième puits qu’il est en train de finir, espérons-le.
+
+Parti encore aujourd’hui en avant du bagage, j’arrivai d’assez bonne
+heure à Oumm-et-Tiour.
+
+Oumm-et-Tiour est un petit village arabe, créé par les Français[28]. Il
+compte aujourd’hui 28 maisons habitées et une mosquée remarquable à
+cause de son beau minaret. On y compte plusieurs centaines de palmiers
+âgés de deux à trois ans, qui vont donc porter leurs fruits l’année
+prochaine. — Je crois que la plupart des habitants sont des Selmia.
+
+Chegga, au contraire, qui doit aussi son existence aux puits artésiens
+de M. Lehaut, ne compte encore qu’une quinzaine de maisons au plus, en
+comptant celles qu’occupent les forges, les employés, etc... Chegga n’a
+pas de palmiers, et c’est la première année qu’on y ensemence.
+
+ 3 février.
+
+Aujourd’hui je me rendis à Merhaier, la première oasis de l’Oued-Righ,
+en venant du nord.
+
+Le cheikh étant absent, je me vis sur le point de manquer de guides pour
+traverser le pays désert qui sépare ce point de l’Oued-Souf. Cependant,
+heureusement pour moi, le cheikh arriva dans la soirée, et, après avoir
+lu la lettre du colonel Séroka, il me dit que le lendemain je pourrais
+partir à l’heure qui me conviendrait, avec cinq hommes à pied comme
+escorte et un guide à cheval.
+
+Les plantations de palmiers de Merhaier, arrosées par des sources
+artésiennes, sont, du moins dans cette saison, très pauvres en produits
+de potager. Les arbres fruitiers y sont même fort rares ; c’est à peine
+si on y voit un figuier et un pêcher égarés.
+
+Les eaux des fossés abondent en grenouilles.
+
+Les Rouâgha dont la race commence ici, sont remarquables par leur
+physique et surtout par leur teint, qui approche beaucoup du type nègre.
+Certains d’entre eux sont même plus noirs que les gens du nord du
+Haoussa (Madja, etc.). Les femmes se vêtissent de bleu. Elles ne mettent
+rien d’autre sur leur tête que leur vêtement ou haïk, absolument comme
+on peint la madone. — Mais combien peu d’entre elles pourraient laisser
+un doute à ce sujet et jouter de grâce et d’élégance de formes avec les
+portraits de Raphaël ! Les femmes me paraissent jouir de la liberté à
+laquelle elles ont droit.
+
+ 4 février.
+
+Après avoir écrit quelques lettres et rassemblé mon monde, je me mis en
+marche pour l’Oued-Souf.
+
+Nous primes d’abord la direction de l’Oued-el-Khorouf, qui n’a d’autre
+importance que celle d’un canal de décharge des eaux de l’oued Righ dans
+le chott Melghigh. Nous nous arrêtâmes à ’Ain ed ’Daouira, petit bassin
+circulaire occupé par des roseaux et autres plantes aquatiques. C’est
+probablement un « puits mort ». Nous fîmes là notre provision d’eau
+douce (?) et coupâmes l’Oued-el-Khorouf.
+
+Nous nous rapprochâmes alors du chott, dont nous avions gardé la nappe
+brillante sur notre gauche, avec les petites oasis de palmiers de
+Choucha, Dindouga et de Wousli, cette dernière isolée au milieu des eaux
+du chott.
+
+Nous continuâmes à travers un pays, qui tantôt apparaissait sous
+l’aspect du chott avec son terrain meuble, composé de sable quartzeux
+mélangé de sel et d’argiles, tantôt nous obligeait à traverser des
+lignes de franches dunes de sables.
+
+Enfin nous nous arrêtons dans le Sif bou Delal.
+
+ 5 février.
+
+La direction générale de la crête des dunes du Sif bou Delal est de 147°
+magnétique ; c’est-à-dire qu’elles ont été formées sous l’influence d’un
+vent du nord-ouest ou à peu près.
+
+Ma caravane se compose de quatre Rouaghas commandés par un Arabe, tous à
+pied et armés de leur long fusil. Ils portent eux-mêmes leurs vivres,
+composés de farine et de dattes, avec une petite provision d’eau. Le
+guide, un « monsieur » boiteux, est en revanche monté sur un cheval
+qu’il ne peut gouverner, et qui adresse de temps en temps des
+compliments à ma jument. Mes deux Souafas ne quittent ni leurs fusils ni
+leurs chameaux, et lorsque leurs animaux veulent descendre la pente des
+dunes, ils se suspendent à leur queue pour faire le contrepoids des
+bagages.
+
+Aujourd’hui nous atteignîmes, vers midi, les dunes de Gasbiya, du moins
+nous nous en arrêtâmes à 1 kilomètre, car je jugeai inutile de les
+gravir, l’_ógla_[29] qui existait autrefois au nord des dunes étant
+sèche depuis deux ans. Je pris des visées de boussole sur les dunes de
+Gasbiya et sur les sables de Retmaya, lesquels ne présentent pas de
+sommets.
+
+Nous continuâmes ensuite notre route en prenant une nouvelle direction,
+parce que la visite à Gasbiya nous avait obligés à nous détourner de la
+route du Souf pour appuyer au nord.
+
+Je ne fais pas une description plus longue de notre route d’aujourd’hui
+dont les détails se trouveront dans l’itinéraire. Je me borne à dire que
+nous n’eûmes d’autre aventure que de rencontrer les traces de pas de
+deux hommes, ô miracle ! dans cette solitude. — En revanche, les
+empreintes de pas de gazelles, de lièvres, de gerboises et de
+_djird_[30] étaient moins rares.
+
+Presque toute la route dans les sables.
+
+ 6 février.
+
+Nous avons voyagé toute la journée dans une région de dunes désertes. Ce
+fut un travail pénible pour les bêtes et pour les hommes.
+
+Ces dunes ne sont pas très hautes et affectent une forme allongée comme
+les vagues de la mer. Elles doivent évidemment leur existence à la
+prédominance des vents du nord-ouest ; ce qui viendrait confirmer
+l’opinion de ceux qui veulent que les vents alizés règnent dans ces
+parages[31]. — Les dunes se trouvent distribuées par zones assez larges,
+séparées entre elles par des espaces relativement unis qui prennent le
+nom d’oueds.
+
+La végétation de cette région est composée principalement d’àlenda et de
+drin. L’_arta_, le _dhomrân_, le _harmel_, etc., s’y trouvent aussi,
+mais en bien moins grand nombre.
+
+Le vent soufflait avec violence, enlevant le sable et ajoutant un fort
+désagrément à celui du voyage dans un pays aussi désert, aussi monotone.
+
+Après avoir traversé une zone de dunes appelée le Medheheb-el-Charguia,
+par opposition au Medheheb-el-Garbiya que nous laissions à droite, nous
+arrivâmes dans les dunes de Messelmi, qu’il nous fallut gravir et
+descendre pendant quelque temps jusqu’à ce que nous arrivâmes aux puits
+du même nom. — Ils sont tous comblés ; les Arabes me disent dans leur
+langage expressif : « Le vent les a ensevelis ».
+
+Quoique déjà bien épuisés, nous continuâmes notre route avec énergie,
+et, après avoir traversé un « oued », nous atteignîmes les premières
+dunes de Medjigger. Ces dunes, quoique de la même nature que les
+précédentes, sont néanmoins plus élevées.
+
+Nous arrivâmes enfin aux puits, peu de temps avant le coucher du soleil.
+Les puits de Medjigger sont entourés de maçonnerie.
+
+J’écrivis ce soir trois lettres, entre autres au colonel Séroka et à mon
+père ; je fis quelques observations, mais lorsque je voulus observer le
+passage de Jupiter au méridien, je m’aperçus que je m’y étais pris trop
+tard, l’astre commençait à baisser.
+
+J’attends jusqu’à passé minuit pour observer la lune.
+
+ 7 février.
+
+Notre journée nous mena à travers une région couverte de zones de
+petites dunes allongées, séparées par des surfaces sablonneuses assez
+unies. La végétation resta à peu près la même que les jours précédents,
+si ce n’est que les àlenda devinrent plus communs. — Ce pays est semé de
+puits ou plutôt de noms de puits, d’endroits où il y avait autrefois des
+puits, lesquels ont été comblés par le vent.
+
+Le plus remarquable de ces puits, celui qui est le plus connu, est celui
+de Moui-Tounsi, comblé depuis l’année où le chérif vint par ici.
+
+En sortant des dunes Moui-Tounsi, on entre dans Areg-el-Miyet, sables
+dont le nom est dû à l’absence de végétation qui les caractérise.
+Ensuite on arrive sur les plantations de palmiers de Rhamra.
+
+Rhamra était autrefois un village ; aujourd’hui on n’en voit plus que
+les ruines, et les propriétaires des palmiers n’y viennent qu’à l’époque
+de la récolte des dattes.
+
+Les plantations de l’Oued-Souf ont un caractère à part. Je vais parler
+de celles de Guemâr ; si celles d’El-Oued en diffèrent, je les décrirai
+ensuite. — Les palmiers de Guemâr sont disséminés par petits bouquets
+dans les interstices des dunes. Ils ne m’ont pas semblé plantés dans une
+dépression artificielle. De nombreux puits à bascules (en arabe
+Khattâra) sont élevés dans le voisinage des palmiers pour en faciliter
+l’arrosage. En été, on les arrose deux fois par jour, matin et soir ; en
+hiver, je crois qu’on ne le fait qu’une seule fois. A 2 heures de la
+nuit environ, les travailleurs quittent Guemâr à grand bruit et vont aux
+palmiers travailler à ôter les sables d’autour des troncs, car le sable
+empiète sans cesse sur les plantations. Ils choisissent pour cela la
+nuit, même en hiver, afin d’éviter la chaleur du jour. Malgré ces soins,
+les sables enterrent beaucoup de palmiers dont on voit les troncs
+dénudés et morts.
+
+En approchant de la ville, nous entrâmes dans une plaine unie sans
+sable, un _sahen_ ; les puits devinrent beaucoup plus fréquents ; nous
+avions, à la droite, de petits jardins carrés entourés d’une haie de
+branches de palmiers et possédant presque tous un puits à bascule, et
+souvent encore une petite cabane aussi en branches et troncs de
+palmiers. On y voyait surtout des cultures de tabac.
+
+Enfin nous arrivâmes à Guemâr.
+
+Je dois parler d’un petit incident amusant qui nous arriva avant que
+nous fussions arrivés à Moui-Tounsi. — Mes guides souafa avaient
+découvert des traces de pas et se montraient inquiets ; enfin ’Oina, qui
+me précédait, se retourna vers moi et me dit d’une voix trop émue :
+« Regarde, voilà du monde là-bas vers le sud. » J’eus beau écarquiller
+mes yeux, je ne pus rien apercevoir. Mon homme prit son fusil et se mit
+à délier la bande d’étoffe qui entourait la batterie. Je le priai de se
+tenir tranquille et de ne pas faire de préparatifs guerriers tant qu’il
+n’aurait pas vu autre chose qu’un chameau, car c’était là ce qu’il
+appelait « du monde ».
+
+Nous finîmes par arriver sur deux chamelles, agenouillées derrière un
+buisson, et nous pûmes voir leur maître, effrayé, s’enfuir à toutes
+jambes. Nous le rappelâmes en lui faisant des signes de paix. Il revint.
+C’était un vieillard toroud, à belle barbe et belles moustaches
+blanches. Il gardait les troupeaux de moutons et de chèvres et les deux
+chamelles que nous avions découvertes. Ce brave homme n’avait qu’une
+_gandoura_ un peu courte pour tout vêtement ; il s’approcha à genoux de
+mes Souafa (pour ne pas se découvrir), fuma une pipe avec eux, et, après
+avoir échangé les nouvelles, nous reprîmes notre course vers Guemâr.
+
+Je reviens donc à notre arrivée dans cette ville.
+
+Je fus reçu avec un zèle prodigieux de la part des quatre cheikhs, qui
+remplacent les huit membres de l’ancienne Djemâa. On me gêna même par la
+persistance que l’on mit à me nourrir, à me tenir compagnie, etc., par
+les protestations nombreuses qu’on me fit. — La visite du Qadhi me fut
+bien agréable. C’est un homme instruit et civilisé, qui me donna de bons
+renseignements historiques, et me promit de me faire une copie d’un
+livre du cheikh el ’Adouâni, qu’il m’enverra à Biskra.
+
+Je fus logé dans la maison du cheikh Abd-el-Kader qui est un gros vieux
+bonhomme de soixante-dix ans, à voix de stentor. — Il veut à toute force
+être mon ami.
+
+Guemâr est une ville de 4.000 habitants environ. Les maisons sont
+presque à hauteur d’homme, et de maigre apparence. Cependant elles
+doivent être solides, étant bâties de pierres[32] et de chaux. Les
+toits, surmontés de petits dômes, sont d’un effet original. Les murs des
+maisons ne sont pas crépis ni égalisés, mais le tout paraît blanc. Il y
+a très peu de maisons réunies. La ville possède un petit marché,
+quelques boutiques et plusieurs mosquées, y compris une zaouia qui est
+le plus beau monument de Guemâr.
+
+Les habitants de Guemâr sont une race paisible et laborieuse, je crois.
+Ils se couvrent la tête d’un haïk simple ou d’un petit turban blanc. Les
+cordes en poil de chameau ne sont pas ordinaires. Les femmes ont un type
+à part qui n’est ni celui des Arabes nomades, ni celui des femmes de
+l’Oued-Righ. — Les hommes m’ont paru avoir des physionomies rappelant
+celles des Béni-Mezab, et cela s’explique par les données historiques
+que je présenterai.
+
+Les tribus de Guemâr sont : les Ouled-Bou’Afi, les Ouled-Abd-el-Kader,
+les Ouled-Abd-es-Sadiq avec la petite tribu des Ouled-Mousa, leurs
+frères, les Ouled-Hôwimen. Ces quatre tribus ont chacune leur chef.
+
+La tradition rapporte que l’Oued-Souf était autrefois un véritable oued,
+dans un pays sans sables, que les premières plantations de palmiers
+étaient aussi dans ce pays avant que les dunes ne s’y fussent formées. —
+Les dunes arrivèrent ensuite, poussées par les vents de l’est qui
+dominent ; on peut voir maintenant où elles sont parvenues.
+
+Cette tradition confirmerait l’hypothèse de l’extension du Palus
+Tritonis. Les sables formaient le fond de la mer et, à mesure qu’elle
+recula, ils furent soumis à la force du vent[33].
+
+Les Ouled-Hamid sont les premiers Arabes qui s’établirent dans l’Oued-
+Souf ; c’étaient des Qoreich ; ils quittèrent la Syrie au temps de
+Sidna’Otman ben ’Affan.
+
+Les Arabes aujourd’hui nommés Toroud[34] vinrent du Caire où ils
+s’étaient révoltés ; ils allèrent jusqu’à Jiriga dans le Djérid, mais le
+souverain de Tunis les expulsa à cause des troubles qu’ils
+occasionnaient. — Ils prirent le nom de Toroud sur la route du Souf où
+ils rencontrèrent un vieillard de ce nom, qui consentit à devenir leur
+chef à cette condition. Ils eurent de longs combats à livrer aux ’Adouan
+pour s’établir dans le Souf où ils vécurent ensuite tous ensemble.
+
+La population première du Souf était des Abadiâ[35]. Les Zenata y eurent
+une ville, c’est ’Amich.
+
+Les habitants de Guemâr suivent la secte du marabout de Tolga, dans les
+Zibân ; quelques-uns sont Tedjinis.
+
+ 8 février.
+
+Aujourd’hui, je pris un plan grossier de la ville. En partant de Guemâr,
+nous arrivâmes bientôt devant Tarhzout, qui est bien plus petite. On
+voulut m’y retenir pour la nuit. Ensuite nous arrivâmes à Kouinin où les
+mêmes offres me furent faites. Kouinin est peut-être aussi grande que
+Tarhzout ou un peu plus.
+
+Entre Guemâr et El-Oued, on a toujours sur la gauche des bouquets de
+palmiers disséminés dans les intervalles des dunes. A droite, des puits
+en assez grand nombre et quelques carrés de culture.
+
+Entre Kouinin et El-Oued je rencontrai le khalifa qui était venu au-
+devant de moi avec trois cavaliers ; je montai sur un de ses chevaux, un
+peu fringant, et nous atteignîmes bientôt El-Oued.
+
+Le khalifa malheureusement a des appréhensions pour la sécurité des
+routes du Djérid.
+
+ 9-10 février.
+
+El-Oued est une ville d’environ 6.000 habitants, de même construction
+que Guemâr ; seulement elle possède en plus une mosquée à minaret élevé,
+et un bordj pour le khalifa. Les maisons sont composées en grande
+partie, d’une cour dans laquelle est dressée une tente et qui contient
+encore une hutte ou un hangar de branches de palmiers. Les Ouled-Hamed
+habitent un quartier un peu à part, à l’est du bordj du khalifa.
+
+Outre les habitants de la ville, El-Oued possède encore un petit nombre
+de tentes de nomades Harazlia et Nouail ; il m’a été dit que, s’il se
+trouve quelques jeunes veuves parmi eux, elles n’ont aucune prétention à
+des mœurs sévères.
+
+Le bordj du khalifa a été bâti d’après un dessin du capitaine Langlois ;
+c’est un carré défendu à l’est et à l’ouest (à deux angles seulement)
+par un bastion carré, dont l’un renferme la prison, qui est plus belle
+que la plus belle maison de la ville.
+
+Les vêtements sont les mêmes que dans le reste du Souf.
+
+Les nègres ne se voient que très rarement.
+
+Les Juifs sont au nombre de quarante-sept, répartis dans onze maisons.
+Ils font d’assez bonne anisette.
+
+Il y a ici des communications fréquentes avec l’étranger, Ghadâmès, le
+Nefzaoua et le Djerid, Tunis même. Il y a aussi quelques marchands de
+Ghâdamès et plusieurs du Djerid.
+
+Je me décide à aller à Ouarglă par la route directe.
+
+Les plantations d’ici sont dans des cavités creusées entre les dunes ;
+les arbres ne sont pas arrosés, leurs racines trempant dans l’eau de la
+couche souterraine. On prétend que les Souafa ont voulu m’en imposer en
+me disant qu’ils arrosaient leurs palmiers[36].
+
+ 11 février.
+
+J’ai enfin pu partir aujourd’hui.
+
+Mais, avant de partir, je dois terminer mes notes sur El-Oued par la
+mention des prix des objets que le hasard m’a fait voir. Les cotonnades
+anglaises avec le nom de John Rose et qui viennent de Tunis se vendent
+15 fr. la pièce de 75 draa[37]. Le musc de la Mekke, venant de l’Inde,
+se vend, du moins j’en ai acheté à 1 fr. l’ouzena[38]. Ordinairement il
+est plus cher. J’ai acheté à un prix ordinaire un haïk djeridi arrivé la
+veille, pour 47 fr. 50.
+
+Les poules sont bon marché : j’en ai acheté sept à 1 fr. pièce, j’ai eu
+dix-huit œufs pour 50 centimes.
+
+Le khalifa ne veut pas me laisser partir sans me donner des oranges
+venant de Tunisie et un œuf d’autruche.
+
+En sortant d’El-Oued, nous avons suivi la route de Temassin pendant
+quelque temps jusqu’au puits situé dans la dépression de Haouad-Tounsi.
+Les dunes que nous avons à traverser, les plus hautes que j’aie vues
+dans cette partie du Sahara, sont dépourvues de végétation.
+
+Du puits ci-dessus nommé, nous plongeâmes vers le sud. La caravane que
+je suivais et pour laquelle j’avais attendu un jour à El-Oued, voulut
+choisir la voie la plus courte par Bir-Righi et Matmata, mais comme
+j’avais intérêt à voir la route de Hassi-Omran, je fis route à part,
+menaçant de rendre compte au khalifa de ce que feraient les autres
+membres de la caravane. Néanmoins nous nous séparâmes.
+
+Ce jour-là, nous n’allâmes guère plus loin ; après avoir voyagé quelque
+temps dans des dunes de peu d’importance, séparées par des oueds ou
+espaces de sables unis et plus garnis de végétation, nous campâmes pour
+coucher.
+
+Déjà, ce soir, des députés de la caravane viennent pour parlementer. Je
+les renvoie sans rien changer à ce que j’ai dit hier.
+
+ 12 février.
+
+Toute la journée peut se résumer en ceci : nous avons traversé une
+succession de zones de dunes basses et d’oueds, comme je les ai décrits
+précédemment. La végétation est aussi celle des sables du nord de
+l’Oued-Souf : genêts _retem_, _Ephedra_ et _drin_. Seulement je remarque
+quelques plantes nouvelles qui sont : _ezal_, _markh_, _arabia_, et le
+_lebin_ que j’avais oublié de noter parmi les plantes du nord de l’oued.
+
+J’ai monté à chameau hier et aujourd’hui. On conduit ma jument sans
+selle par la bride ; je veux qu’elle se fatigue le moins possible et que
+sa blessure se repose.
+
+J’ai oublié de noter que j’ai trois chameaux, deux chameliers, dont l’un
+est le guide, et un domestique du khalifa, qui est bon cuisinier, et
+partant très précieux. — Les chameaux et leurs maîtres me coûtent en
+tout 45 fr. d’El-Oued à Ouarglă.
+
+ 13 février.
+
+Nous n’avons fait qu’une très petite journée. J’ai voulu passer la nuit
+au puits de Sidi-el-Bachir pour en prendre la latitude.
+
+Nous n’avons eu que peu de sables à traverser et cela seulement dans la
+Chara de Sidi-el-Bachir que nous avons longée longtemps et enfin
+traversée pour arriver au puits.
+
+La végétation a été la même que précédemment, sauf l’apparition de
+_halma_ et de _sefâr_ (graminées) ; le _drin_ et le _markh_ dominaient.
+
+A notre arrivée au puits, nous y avons trouvé deux Touaregs avec leurs
+enfants et un esclave qui abreuvaient leurs chameaux. Ce sont des gens
+du Matmata, en route pour El-Oued où ils vont acheter du grain.
+
+Ils nous donnent la nouvelle que, hier ou avant-hier, les Oulad’Amar
+(Oued-Righ) ont eu une querelle avec les Chaànba de Ouarglă, à cause de
+leurs chameaux. Un des gens des Chaànba, un homme marquant, a été tué.
+Les deux tribus sont sur le point de s’attaquer.
+
+Aujourd’hui j’ai vu, sur le sable, les traces d’un petit carnassier que
+nos guides appellent _sefchi_ سڢشى, qu’ils dépeignent comme tigré de
+blanc et de noir. C’est peut-être une espèce nouvelle.
+
+Je suis tout à fait guéri de mes douleurs rhumatismales dans les
+épaules. Mais je subis le soir une diarrhée épouvantable. L’eau du puits
+a un plus mauvais goût que celle des précédents, mais elle est
+supérieure à celle de Tougourt.
+
+ 14 février.
+
+Nous avons quitté le puits ce matin et avons voyagé dans l’oued Sidi-el-
+Bachir, ayant pendant longtemps, à notre gauche, les sables du Ghourd de
+Saàdiya.
+
+Nous traversâmes la Chouchet el ’Anz et continuâmes dans une région
+« d’oued » sans que la végétation donnât lieu à d’autre remarque que
+celle de l’apparition de l’_àlga_.
+
+Je remarquai quelques affleurements de calcaire compact.
+
+Nous nous arrêtons, ayant devant nous, à l’horizon, les sables de
+Sayyâl.
+
+ 15 février.
+
+Aujourd’hui une courte marche à travers une région assez sablonneuse,
+principalement couverte d’_àlenda_, de _drin_ et de _hād_, nous mena au
+puits de Oulad-Miloud ; quoique nous y fussions arrivés de bien bonne
+heure, je résolus de m’y arrêter jusqu’à minuit pour obtenir la latitude
+du lieu.
+
+Après midi, nous continuâmes la marche pour arriver bientôt dans le
+voisinage du puits aujourd’hui comblé de Sayyâl, dont nous avions les
+dunes à une petite distance à droite. Nous vîmes à 5 ou 600 mètres à
+gauche le puits de Bey-Sâlah dont l’eau est salée et beaucoup moins
+bonne que celle du Hassi-Miloud.
+
+Après avoir dépassé cette région vers la fin de la journée, je fus
+surpris de voir un changement notable dans la végétation, qui se
+composait de _bāgeul_, _dhomràn_, _zeita_, _drin_ et _sefâr_.
+
+Je me couche presque sans rien manger, malade de fatigue, car la marche
+accélérée de nos chameaux m’avait beaucoup secoué, et, par suite,
+courbaturé.
+
+ 16 février.
+
+Une courte marche nous amena dans l’Oued-Sîdah, que j’avais soupçonné
+auparavant être le bas de l’Oued-Igharghar. Mais il ne peut en être
+ainsi, cet oued étant, comme tous les autres, une simple région délivrée
+des sables, sans pente régulière[39], etc.
+
+Nous y trouvâmes d’abord un petit nombre de chameaux conduits par un
+jeune garçon très gai, qui paraissait tuer le temps en chantant et qui
+répondit de bon cœur (chose rare) à toutes les questions que je lui fis
+adresser. Il menait ses chameaux à un puits nommé Rebahaya qu’il nous
+dit être à _moins_ d’une demi-journée au sud, et il allait fort
+lentement.
+
+Nous rencontrâmes plus loin deux voyageurs venant de Ouarglă avec deux
+chameaux. Ils nous apprirent que la ville était moins éloignée que nous
+ne le pensions et que nous y arriverions facilement demain.
+
+Nous entrâmes ensuite dans un bassin entouré de hauteurs de tous côtés,
+et, après l’avoir traversé, nous nous arrêtâmes pour déjeuner à El-Bouïb
+qui, comme le nom l’indique, n’est autre chose que l’endroit où l’on
+sort du bassin : c’est sa porte.
+
+Là commence le terrain de Hamāda, remarquable surtout par la nature de
+sa végétation rare et rabougrie, réduite à quelques petites touffes de
+_bāguel_ et de _sefâr_, et à son sol uni quoique en partie sablonneux.
+
+Nous longeâmes, à une certaine distance, des chaînes de hauteurs que
+nous avions sur la gauche et nous nous arrêtâmes avant de les avoir
+dépassées. Cette plaine se nomme Sahan-er-Remâda.
+
+La jument n’a plus de _drin_ aujourd’hui ; je lui ai fait ramasser un
+certain nombre de touffes de _sefâr_.
+
+ 17 février.
+
+Nous avons d’abord voyagé sur la hamāda, longeant la même chaîne de
+hauteurs que hier, puis nous sommes entrés dans une immense région unie,
+à sol dur, à maigre végétation de _bāguel_ et coupé à de grandes
+distances par des chaînes de gour plus ou moins étendues[40].
+
+Après avoir marché longtemps dans cette région, nous finîmes, vers le
+déclin du jour, par apercevoir une chaîne de hautes dunes que nous fûmes
+obligés de contourner, et, après l’avoir traversée à un endroit aisé,
+nous trouvâmes à notre droite une petite oasis de palmiers : nous
+venions d’entrer dans le bassin d’Ouarglă.
+
+Cependant il fallut encore une longue marche dans un terrain totalement
+dépourvu de végétation, avant d’atteindre les palmiers d’Aïn Beidha à
+travers lesquels nous marchâmes quelque temps, ayant à notre droite la
+longue oasis de ’Ajāja[41]. — Nous coupâmes ensuite la sebkha qui
+entoure Ouarglă et, après des détours le long des palmiers de la ville,
+nous y entrâmes par Bab es Soltan au coucher du soleil, lorsque le
+mueddin appelait à la prière.
+
+On tarda assez longtemps à venir au-devant de moi, et j’en fis de graves
+reproches aux chefs de la ville, avec lesquels du reste j’ai été en
+relations très froides pendant le court séjour que j’ai fait à
+Ouarglă[42].
+
+On me donna une maison dans une rue appartenant aux Mezabites. C’est une
+grande bâtisse un peu en ruines aujourd’hui, mais encore très habitable
+et parfaitement appropriée aux besoins d’une grande famille indigène.
+Elle a des arcades, mais en moins grand nombre que les maisons du Mezâb.
+
+
+[Note 13 : Peut-être la peuplade des Mbou, signalée au S.-E. du
+Baguirmi, ou plutôt celle des Mboumi, nègres païens des provinces de
+Ngaoundéré et de Tibati, Adamaoua. (Cf. Mizon, _les royaumes foulbé du
+Soudan Central_, _Annales de Géogr._, 1894-95, IV, p. 355, et Nolte,
+_Bericht über einen Besuch beim Sultan von Tibati_, _Deutsches
+Kolonialblatt_, 1900, p. 285.)]
+
+[Note 14 : Les Koana de Barth (_Reisen_, t. II, p. 696).]
+
+[Note 15 : Nom d’une région du Kanem septentrional, et d’une tribu du
+Bornou occidental. Il s’agit sans doute de la première, car Barth (IV,
+p. 35) mentionne les affinités linguistiques de la seconde.]
+
+[Note 16 : Les Makari de Barth.]
+
+[Note 17 : Probablement les Nguizzem de la carte ethnographique de
+Nachtigal. (_Völkerkarte von Bornu, Sahara und Sudan_, t. II).]
+
+[Note 18 : Le rayon de ces importations d’esclaves s’étendait donc des
+pays bambaras jusqu’au S.-E. du Baguirmi et au Ouadai. Rien ne montre
+mieux le prodigieux mélange ethnique opéré par les ventes et reventes
+successives de nègres sur les routes du désert.]
+
+[Note 19 : On sait que l’oued Biskra est ordinairement à sec, et que des
+sources, qui arrosent la ville, sourdent dans son lit.]
+
+[Note 20 : Voir _Mollusques terrestres et fluviatiles recueillis par M.
+Henri Duveyrier et décrits par M. J.-R. Bourguignat_. Supplément aux
+_Touaregs du Nord_. Paris, 1864.]
+
+[Note 21 : Température d’après M. Lahache : 45°,8. (_Étude hydrologique
+sur le Sahara français oriental_. Paris, 1900, p. 26.)]
+
+[Note 22 : Voir, sur ces poissons de l’oued Rir, _Documents relatifs à
+la mission Choisy_. III. _Hydrologie du Sahara algérien, par M.
+Rolland_, ch. III, p. 270-283. (Paris, 1895, in-4.)]
+
+[Note 23 : _khez_.]
+
+[Note 24 : Température au 22 mars 1861 : 18° C. (_Ville_, _Voyage
+d’exploration dans les bassins du Hodna et de Sahara_. Paris, 1868, p.
+207.)]
+
+[Note 25 : Il semble y avoir ici une méprise ; _bou choucha_, d’après le
+catalogue de M. F. Foureau, p. 10, n’est pas synonyme de _guendoul_, et
+désigne diverses espèces de sauge.]
+
+[Note 26 : M. Colombo fut le fidèle collaborateur du Bureau central
+météorologique de France pour la station de Biskra.]
+
+[Note 27 : Sur les campagnes de forages artésiens du lieutenant Lehaut,
+voir Rapport du colonel Séroka, _Revue algérienne et coloniale_, 1859,
+p. 354-372, et Ville, ouvr. cité, p. 295 et suiv. Les trois premiers
+sondages de Chegga fournissaient déjà environ 800 litres à la minute.
+Celui dont il est question ici fut poussé à 150 mètres et donna 100
+litres à la minute. (_Rev. alg. et col._, 1860, III, p. 548.)]
+
+[Note 28 : « Avant le percement des puits artésiens, la plaine
+présentait l’aspect désolant du désert ; pas une goutte d’eau. » (Jus,
+Notes sur le Sahara, _Rev. alg. et col._, 1859, p. 51.)]
+
+[Note 29 : _Ogla, Oglat_ : réunion de plusieurs puits en un seul point,
+où l’eau est très rapprochée du sol (F. Foureau).]
+
+[Note 30 : Rat rayé (_Mus barbarus_).]
+
+[Note 31 : Duveyrier a vu plus tard que les vents variaient avec les
+saisons.]
+
+[Note 32 : Les pierres sont des cristaux de chaux. H. D.]
+
+[Note 33 : C’est la première idée qui vienne à l’esprit lorsqu’on aborde
+le désert des sables. (Voir les théories analogues, Schirmer, _le
+Sahara_, p. 4.) Dans la suite de son voyage, Duveyrier devait changer de
+manière de voir : « la source de production des sables la plus
+considérable, si ce n’est l’unique, est la désagrégation des roches ».
+(_Les Touaregs du Nord_, p. 38.)]
+
+[Note 34 : Ou Troud. Cf. Ibn-Khaldoun, _Hist. des Berbères_, I, p.
+155-156, sur l’origine des Troud et des Adouan, branches de la tribu
+arabe des Soleïm.]
+
+[Note 35 : Les Abed d’Ibn-Khaldoun (_ibid._, III, p. 145).]
+
+[Note 36 : Ils arrosent cependant les jeunes plants (voir Vatonne,
+_Mission de Ghâdamès_, p. 303, etc.).]
+
+[Note 37 : Draa, mesure de longueur variant de 0m,47 à 0m,67. Ces
+mesures sont celles de Tunis. Le _draa-arbi_, en usage pour les tissus
+de coton, est de 0m,47 ; il s’agit donc ici d’une pièce de 35 mètres.]
+
+[Note 38 : 1/16e d’once de Tunis. Duveyrier l’a évaluée ailleurs à 31
+grammes 8. (Notice sur le commerce du Souf dans le Sahara algérien,
+_Revue algérienne et coloniale_, novembre 1860.)]
+
+[Note 39 : C’est, en réalité, un bras de l’ancienne zone d’épandage de
+l’Igharghar, devenu presque méconnaissable. Les progrès de la dénudation
+en ont fait une simple dépression allongée à sol de _reg_. (Cf. Foureau,
+_Au Sahara, mes missions de 1892 et 1893_, carte.)]
+
+[Note 40 : C’est la zone des dépôts rouges tertiaires érodés et nivelés
+par les eaux quaternaires, celle que M. Flamand nomme _zone d’épandage_
+des oueds Igharghar et Mya, et qu’on appelle d’ordinaire _région des
+gour_, du nom des buttes (débris de plateau) qui en émergent.]
+
+[Note 41 : Une des forêts de palmiers d’Ouarglă. Le nom d’Aïn est
+réservé ici aux puits artésiens qui les arrosent.]
+
+[Note 42 : Ceci ne doit pas surprendre. Ouarglă avait été à la dévotion
+du chérif Mohammed-ben-Abdallah ; soumise une première fois en 1853,
+elle avait de nouveau fait accueil au chérif lorsqu’il avait reparu
+l’année suivante, si bien que, malgré la défaite et la disparition du
+chef insurgé (1854) on avait jugé bon d’y envoyer le général Desvaux
+avec une colonne en 1856. En somme, l’oasis obéissait aux nomades, qui,
+eux, obéissaient aux Ouled-Sidi-Cheikh, dont la fidélité — exception
+faite de Si-Hamza — restait toujours douteuse.]
+
+
+
+
+ CHAPITRE II
+
+ OUARGLA ET TOUGOURT
+
+
+ 18 février.
+
+J’ai fait de longues promenades dans Ouarglă. J’ai d’abord visité le
+marché, très salement tenu ; il avait à peine de la viande et du grain à
+vendre, et aussi un peu de goudron. Les vendeurs étaient des Chaànba et
+des gens d’El-Oued.
+
+Ensuite mon faible d’antiquaire m’a fait diriger mes pas vers la kasba,
+c’est-à-dire vers le grand espace occupé par les ruines de l’ancien
+château des sultans. Cette kasba m’a paru faire une petite ville à
+part ; elle avait une porte encore debout comme celles de la ville ; la
+distribution des appartements était assez resserrée, et par conséquent
+il y en avait des quantités considérables. Tout cela est aujourd’hui
+inhabitable, mais peut-être pourrait-on encore en faire le plan.
+
+Les rues d’Ouarglă sont étroites, bordées de maisons hautes comme celles
+de l’Oued-Mezăb, avec des portes surmontées et encadrées de grossiers
+dessins, ornées quelquefois d’un œuf d’autruche ; enfin on y lit de
+petites inscriptions en caractères peu élégants, comme لا اله الا الله
+ou bien نصر من الله. La ville possède de nombreux passages voûtés, qui
+présentent pour l’été d’agréables lieux de repos pendant la chaleur du
+jour.
+
+Il y a deux mosquées avec leurs minarets ; elles sont peu distantes
+l’une de l’autre.
+
+Les trois tribus des Beni Sisin, des Beni Brahim et des Beni Ouaggin se
+partagent la ville ; une colonie importante de Beni Mezāb habite le
+quartier des Beni Sisin. Cette colonie a un intérêt historique très
+grand.
+
+J’ai eu beau m’enquérir avec un soin tout particulier de documents
+historiques, partout on m’a répondu qu’il n’en existait aucun. Cette
+unanimité dans l’assertion, venant même d’ennemis réciproques, des
+exploitants et des exploités, me fait croire qu’elle n’est que trop
+vraie.
+
+J’ai vu Mouley ’Abd-el-Kader, le fils du dernier Sultan d’Ouarglă ;
+c’est un jeune homme incapable de gouverner et d’un caractère frisant
+l’inanité d’esprit.
+
+Dans mes promenades, je me suis vu interpeller de but en blanc pour
+demander justice des exactions sans nombre des « marabouts[43] »
+secondés par les cheikhs et les kaïds qui partagent le profit. Ces
+désagréables discours m’ont été tenus plus d’une fois. On m’a, de plus,
+apporté deux écrits anonymes, contenant des plaintes formulées, en me
+priant de les faire parvenir au « maréchal[44] ».
+
+La population d’Ouarglă est de couleur plus que basanée ; les Khammâmès
+ou cultivateurs sont aussi noirs que des nègres du Haoussa ; les gens de
+sang noble sont quelquefois plus blancs, mais pas toujours, car j’en ai
+vu qui ressemblaient presque à des nègres. Les Beni Ouarglă conviennent
+eux-mêmes que leur couleur vient des nombreuses négresses qu’ils ont
+prises autrefois et prennent même encore maintenant[45].
+
+On me dit qu’il vient ici des caravanes de Rhât, de Goléâ, d’Insâlah.
+
+Dernièrement (il y a peu de jours), les grands de Goléâ, entre autres
+Bel-Lechheb, sont venus auprès de Sidi-Zoubir. Maintenant le marabout
+est à Metlili ; je serais curieux de savoir pourquoi.
+
+Il paraît que Sidi-Zoubir[46] « mange » le pays, exige des impôts
+extraordinaires et une dîme sur tous les produits du pays. Ces
+différentes contributions sont, bien entendu, pour son propre compte.
+Plusieurs familles d’Ouarglă ont émigré à Tunis, pour ce motif.
+
+ 19 février.
+
+Nous avons quitté Ouarglă dans la matinée avancée, parce que j’ai
+employé plusieurs heures à écrire des lettres.
+
+En quittant la ville et après avoir traversé la sebkha, moins grande et
+moins déterminée de ce côté que de celui où nous étions arrivés, nous
+prîmes notre direction à travers une plaine légèrement accidentée, avec
+végétation de _zeita_, et nous longeâmes, à 4 ou 6 kilomètres de
+distance, un grand drâ[47] qui va jusqu’à Negousa.
+
+La nature du pays traversé ne changea qu’en ce que le sol s’aplanit et
+que la végétation cessa presque entièrement.
+
+Arrivé à Negousa, j’appris d’abord du kaïd, fils du dernier sultan et
+sultan lui-même, que les chroniques de la ville avaient été emportées
+lors de la destruction de la ville, il y a cinq ans, par Mohammed ben
+Abd Allah[48].
+
+Pendant que l’on dressait les tentes, j’ai fait un tour dans la ville,
+qui est presque entourée de ruines. On rencontre, presque en entrant,
+des ruines remarquables d’une mosquée, dont toute une partie, avec de
+hautes colonnes, est encore debout. Je traversai un grand nombre de
+rues, presque toutes soutenues par des arcs-boutants.
+
+Je vis la kasba, où l’on travaillait à crépir les murs. Elle renferme
+dans des constructions antérieures plusieurs maisons dont se sert le
+kaïd. — Du reste, elle est assez bien tenue et appropriée à la grandeur
+de la ville.
+
+Je vis de loin une zaouia à minaret et dôme blanchis, d’un effet fort
+élégant. Ce soir, on y fait de la musique, ou, pour parler plus net, on
+répète deux notes sur une timbale, depuis au moins deux heures.
+
+Les grands de la ville m’ont paru assez convenables.
+
+A mon retour ici, je me livrerai à des études de détail.
+
+J’ai trouvé, à Negousa, deux choses agréables : d’abord un cheval déjà
+âgé, mais plein de feu et de fantasia, et très haut de taille ; je l’ai
+échangé contre ma jument en ajoutant 75 fr. Ensuite j’ai trouvé un
+Chaànba qui connaît le désert entre Ouarglă et Insalah, comme je devrais
+connaître Paris et qui s’offre à me mener à Insalah moyennant 50 à 60
+douros. Nous n’irions que sur le Baten[49], et de là, avec ma lunette,
+je pourrais voir Zaouïa[50], le premier village du Tidikelt, qui n’en
+est éloigné que de deux journées.
+
+ 21 février.
+
+Ce matin, le kaïd vint me rendre visite ; il me fit apporter de nouveau
+du lait, des dattes et deux poulets. Je le congédiai avant mon départ,
+craignant de faire sur mon nouveau cheval un peu plus de fantasia que je
+ne le voulais.
+
+Tout se passa heureusement. Je partis de Negousa un peu tard, et fis
+d’abord route dans un vaste espace de terrain, sablonneux, parsemé de
+palmiers isolés et de petites plantations. Nous entrâmes ensuite dans un
+terrain alternant de la _heicha_ ou petit bois taillis, à sol solide
+légèrement sablonneux, à la _sebkha_ ou marais salant à sec, avec
+végétation de broussailles isolées.
+
+Les plantes dominantes furent : la _zeita_, le _dhomrân_, le _tarfa_ et
+le _belbâl_.
+
+Nous avions, à une certaine distance à gauche, les chaînes d’élévations
+qui séparent cette région de la hamâda ; je pus distinguer à peine, vers
+la fin du jour, les embouchures de l’Oued-Mezāb et de l’Oued-Nesa qui
+viennent aboutir ensemble dans une sebkha qui nous apparaissait
+blanchissante en deçà des collines[51]. Le brouillard causé par le vent
+qui soulevait le sable et la poussière dans cette direction ne me permit
+pas de bien comprendre le détail de ce point intéressant.
+
+Nous arrivâmes, vers 3 heures de l’après-midi, au puits de
+’Araïfdji[52], où nous campâmes ayant devant nous la zone de dunes qui
+portent le même nom que le puits.
+
+J’appris de mes guides que l’on ne perçait plus de puits artésiens à
+Negousa et à Ouarglă, à cause de la dureté du sol à une certaine
+profondeur[53]. Les sources existantes sont fort anciennes, on se
+contente de les nettoyer. D’un autre côté, on me disait à Ouarglă qu’un
+des tributs qu’exigeait Sidi-Zoubir était le forage d’une source chaque
+année.
+
+Un de mes guides fut envoyé, il y a quelques années, par Sidi-Hamza à
+Insalah. Le maréchal Randon avait désiré avoir des Touaregs à Alger[54],
+et on envoyait une lettre de Sidi-Hamza pour faire les invitations chez
+les Touaregs Hogar. La lettre fut portée par quelques Chaànba d’Ouarglă.
+Ils suivirent le cours de l’oued Miya, trouvant de l’eau en quantité
+dans les _rhedir_. C’était à l’époque de la maturité des dattes. A
+Insalah ils furent reçus par les deux grands de la ville, le hadj Abd-
+el-Kader et le hadj Mohammed, qui leur demandèrent s’ils étaient venus
+comme _mîâd_ (en ambassade) ou comme marchands. Ils répondirent qu’ils
+étaient venus pour faire du commerce. Mais lorsqu’ils montrèrent leur
+lettre, hadj Mohammed entra dans une violente colère, menaça de tuer
+Sidi-Hamza si jamais il venait à Insalah, « parce qu’il avait osé lui
+envoyer une lettre des Français » ; il finit par dire qu’il tuerait les
+six Chaànba qui avaient apporté la lettre. Les Chaànba s’excusèrent
+habilement, en arabe, et dirent qu’ils n’étaient que porteurs d’une
+lettre dont ils ignoraient le contenu. Ils échappèrent ainsi.
+
+Je rapporte ce fait pour prouver quels sont les sentiments des gens
+d’Insalah à notre égard.
+
+ 21 février.
+
+Nous traversâmes d’abord la zone des dunes d’’Araïfdji, à sa pointe
+orientale, puis nous entrâmes dans une région passant de la _heicha_ à
+la _hamâda_, avec végétation de _halhâl_, _àlenda_ et _dhomrân_. Cette
+plaine, assez unie d’abord, était coupée de chaînes de hauteurs (_drà_,
+_gour_, etc.) ; le brouillard intense qui cachait tout à peu de distance
+de nous, à cause du sable et de la poussière que le vent soulevait, a
+peut-être nui à l’exactitude de mes notes topographiques pour ce qui
+concerne les hauteurs un peu éloignées.
+
+Nous rencontrâmes de nombreux affleurements circulaires de calcaire
+blanc, absolument semblables à ceux qui m’avaient frappé à mon entrée
+dans le Sahara, sur la route de Biskra à l’Oued-Mezăb. — Nous dépassons
+deux témoins (_gour_) presque entièrement composés de pierre à Jésus
+feuilletée ; le sol au bas est jonché de calcaire blanc et noir et de
+morceaux de silex, ou plutôt de quartz compact ou pétro-silex.
+
+Nous voulions passer le puits de Mâmar pour camper plus en avant, mais
+un des chameaux qui boitait considérablement depuis le matin,
+s’accroupit ici et on vit bien qu’il ne pouvait guère aller plus loin.
+Nous restâmes donc au Hassi-Mâmar, près duquel croissaient des tamarix
+d’une espèce à petites fleurs roses et blanches charmantes. Un des
+guides partit pour voir s’il ne trouverait pas des Arabes qui lui
+prêteraient un autre chameau.
+
+Nous campons par un vent terrible dans du sable, de sorte que tous les
+objets sous la tente en sont couverts en moins de rien. Pour la première
+fois, on est obligé de faire la cuisine dans la tente.
+
+ 22 février.
+
+Je résolus aujourd’hui d’atteindre Blidet-Amar à quelque prix que ce
+fût. Nous partîmes de bonne heure avec un nouveau chameau qu’un des
+Chaànba avait été chercher. Nous voyageâmes rapidement dans une contrée
+alternativement de sable et de sebkha. Nous arrivâmes après une courte
+marche au Hassi-Sidi-Messaoud, mais ne nous y arrêtâmes pas.
+
+Nous longeâmes ensuite de loin des hauteurs nommées Merguet, du nom
+d’une petite sebkha toute blanche de sel qui apparut bientôt sur la
+gauche.
+
+Nous vîmes de même, sans nous y arrêter, le petit pâté de dunes nommé
+Areg-ed-Demm.
+
+Notre marche fut très longue, et le pays parcouru n’offrit qu’un intérêt
+médiocre. La végétation alternait toujours du _zeita_ au _belbâl_, au
+_drin_ et aux autres plantes des sables ou de sebkha que nous avions
+rencontrées auparavant.
+
+Enfin, vers la fin du jour, nous aperçûmes au loin sur la gauche les
+hauteurs appelées El-’Anât que j’ai relevées sur ma route de Guerâra à
+Tougourt. Ce ne fut qu’après le coucher du soleil que nous touchâmes les
+plantations de l’oasis de Berrâri et lorsque nous arrivâmes aux murs de
+Blidet-Amar la nuit était déjà venue.
+
+Le cheikh que je fis venir dans ma tente ne me parut pas plus zélé qu’il
+ne fallait, mais j’avais peu besoin de lui. Cependant il m’apporta, sur
+ma demande, des œufs, du lait et de la paille pour mon cheval.
+
+Je remarquai pendant le court séjour que je fis à Blidet-Amar (je ne
+suis pas entré dans la ville), que les murs en « toub[55] » des maisons
+isolées, situées hors des murs pour recevoir les Arabes nomades à
+l’époque de la récolte des dattes, sont remplis de coquilles des deux
+espèces de petits gastéropodes que j’ai déjà observés dans les eaux
+artésiennes de Tougourt et du nord de l’Oued-Righ.
+
+ 23 février.
+
+Aujourd’hui, à mon grand désespoir, je trouve la montre de M. Colombo
+arrêtée et tout à fait dérangée.
+
+Je partis de bonne heure tout seul, laissant ma tente et mes effets en
+arrière ; quoique le soleil fût déjà à une certaine hauteur au-dessus de
+l’horizon, je fis tant galoper et trotter mon cheval que j’arrivai à
+Tougourt une heure avant le déjeuner, c’est-à-dire vers 9 h. du matin.
+
+Mon cheval était tout couvert d’écume, et le kaïd qui fut, avec M.
+Guillemot, la première personne que je rencontrai, me mena tout de suite
+dans sa maison ; il fit mettre le cheval à l’écurie et me présenta au
+capitaine Canat.
+
+Mon courrier est assez considérable et très bon en somme. Je reçois
+entre autres une lettre de mon excellent maître et ami le Dr Fleischer
+qui me requiert formellement de comparer les différents dialectes
+berbères avec les langues égyptiennes. Je ne manquerai pas de le
+faire[56] ; cela aura deux résultats : 1o de m’indiquer des faits pour
+la classification des langues berbères ; 2o des faits pour déterminer
+l’âge relatif des différents dialectes.
+
+Je reçois de M. de Dalmas, chef du cabinet de l’empereur, des lettres de
+recommandation du Bey de Tunis pour les différents kaïds et aghas de son
+gouvernement. Comme, d’autre part, je ne puis espérer recevoir mon
+chronomètre que vers le commencement d’avril, époque du retour du
+capitaine Langlois à Biskra, je me décide à entreprendre dans le sud de
+la Tunisie, un voyage de vingt jours à un mois.
+
+Mon bagage arrive, et je fais planter ma tente à la porte de la kasba.
+
+ 24 février.
+
+Nous employâmes notre après-midi, M. Auer, un lieutenant de la légion,
+et moi, à faire une partie de chasse _dans_ la Chemorra. — La Chemorra
+est une vaste dépression couverte de marécages qui s’étend à l’est des
+plantations de Tougourt et vers le nord.
+
+Nous parcourûmes un des marais de la Chemorra ; nous avions, par
+endroits, de l’eau jusqu’à mi-jambe, dans d’autres nous marchions
+presque à sec ; enfin, lorsqu’il fallait traverser de nombreux fossés
+profonds qui sillonnent les marais en divers sens, c’est à peine si de
+vigoureux élans pouvaient nous les faire franchir ; nous échouâmes
+chacun à notre tour, de manière à nous mettre dans l’eau jusqu’à la
+ceinture.
+
+Je dirai d’abord que notre chasse eut peu de succès ; les canards de
+Barbarie qui étaient le but de notre course, se levèrent à un kilomètre
+environ et ne revinrent plus. Les chiens furent mis en défaut par deux
+chats sauvages qui nous échappèrent. Ces animaux sont gris avec des
+raies noires ; ils sont un peu plus gros qu’un chat domestique et ont
+établi leur fort dans les touffes de broussailles et de roseaux des
+marais ; ils ne craignent pas l’eau, à en juger par leurs retraites
+quelquefois entourées de fossés qu’ils sont obligés de traverser, et par
+les nombreuses flaques d’eau qui les environnent. Ces chats viennent la
+nuit dans les jardins ; ils cherchent leur pâture dans les basses-cours,
+et en automne, dans les couches de melons et de pastèques. — J’espère
+pouvoir m’en procurer un avant mon départ de ces contrées.
+
+Les autres animaux des marais sont des flamants de deux espèces, me dit
+M. Auer ; des bécassines, des sarcelles, des alouettes, des hérons, des
+bergeronnettes, enfin un tout petit oiseau qui a la langue
+prodigieusement longue.
+
+Il y a des poissons dans les fossés et dans les mousses aquatiques et
+conferves vivent les deux espèces de petits gastéropodes de Tougourt ;
+les mélanies y sont aussi, dit Auer, mais je ne les ai pas trouvées. —
+Il y a aussi quelques coléoptères d’eau et des libellules. J’oubliais
+les cousins et les moustiques. Les cousins font une piqûre douloureuse,
+les boutons qui en résultent enflent prodigieusement et gênent beaucoup.
+Je suis revenu couvert de leurs piqûres au front, aux yeux, aux joues,
+aux mains, jusqu’aux mollets. Le tout a été traité à l’eau sédative.
+
+Le sol des marécages se couvre, lorsqu’il se dessèche, de concrétions de
+sels, dans le genre des pétrifications qui entourent les sources à
+dépôts calcaires.
+
+La végétation du sol se compose de tamarix, quoiqu’en petit nombre, et
+d’une quantité de plantes dans le genre du _baguel_ et du _belbāl_, mais
+beaucoup plus grosses et juteuses ; ce sont des plantes grasses
+articulées. — Il y a, en grandes quantités aussi, des joncs qui arrivent
+aux genoux et qui se terminent par une pointe qui abîme les jambes dans
+la marche. — L’eau contient un assez grand nombre de mousses aquatiques
+et de conferves (?).
+
+Pour ce qui concerne les fièvres si renommées de Tougourt, elles
+arrivent deux fois par an et durent chaque fois un mois ; les moments du
+fléau sont les mois de mai et d’octobre. Déjà, dans le mois d’avril, il
+y a sept jours de fièvre[57]. A l’époque des fièvres, les fossés qui
+entourent la ville et toutes les eaux stagnantes des oasis prennent une
+couleur chocolat qui approche même de la couleur sang[58]. C’est le
+signal de l’arrivée de la fièvre. Alors on lâche deux fois par semaine
+les eaux des saguias dans les fossés qui entourent Tougourt, les
+habitants préfèrent renouveler ainsi l’eau de ces fossés et laisser
+leurs palmiers manquer un peu d’eau. Si on ne prenait pas cette
+précaution, les fièvres seraient beaucoup plus graves[59].
+
+Depuis trois mois que les hommes de la légion et du génie sont à
+Tougourt, les santés se sont maintenues bonnes ; il n’y a eu qu’un petit
+nombre de diarrhées aisées à guérir. Ces diarrhées tiennent du reste aux
+eaux du pays[60] ; moi-même j’en ressens l’effet toutes les fois que je
+passe ici, et Auer, qui est cependant le doyen de l’endroit, me dit être
+dévoyé à état permanent. Lorsqu’il éprouve des échauffements
+(relativement parlant), sa santé s’en ressent.
+
+ 25 février.
+
+Aujourd’hui le courrier est arrivé. Je suis resté à la kasba pour
+l’attendre, et j’ai profité de ce repos pour écrire toutes mes lettres.
+La seule chose intéressante de la journée est que, vers le milieu du
+jour, le caporal Dhem vint me trouver me disant qu’il y avait sur la
+terrasse une négresse qui donnait des coups de couteau sur la tête de
+son enfant.
+
+Je montai et trouvai en effet une des négresses qui se sont réfugiées
+chez Auer, tenant son enfant d’un mois devant elle et le dorlotant pour
+l’empêcher de crier ; il avait le long du front, à la naissance des
+cheveux, cinq ou six incisions qui lui couvraient la tête de sang. Je
+demandai à la mère ce qu’elle lui faisait, elle me dit que c’était un
+préservatif contre les maux d’yeux. Elle se préparait à faire encore
+deux incisions au bas des reins, mais je m’y opposai et j’emportai le
+rasoir.
+
+ 26 février.
+
+Encore aujourd’hui je suis resté à la kasba, à faire des observations
+pour corriger celles d’Auer, et à finir ma correspondance.
+
+Ce n’est que vers le soir que nous sommes partis pour la chasse, nous
+trois chasseurs ; il s’agissait d’abattre quelques courlis (?), oiseaux
+qui se tiennent dans les sables aux environs de la ville et qui courent
+avec une vitesse extraordinaire. Nous ne pûmes pas les approcher ; de
+mon côté, je tuai deux petits oiseaux (alouettes du Sahara), sans huppe,
+à couleur pâle, une raie noire près du bord des ailes lorsqu’elles les
+étendent ; le bec est fort long.
+
+Je cause avec un Targui des Kelrhela (Hogar) de qui j’obtiens des
+documents itinéraires.
+
+ 27-28 février.
+
+J’ai été dans les jardins pour observer la température des puits[61].
+
+J’entends parler aujourd’hui pour la première fois d’une singulière
+maladie des nègres. Il paraît que certains d’entre eux sont sujets à des
+jours de folie ou de lunatisme, pendant lesquels ils font toutes sortes
+d’excentricités[62]. On appelle cela Moulā Rās en Haoussa, « bōri ou
+bōli » et encore « ébĕlīs ». J’apprends encore que les musulmans y sont
+sujets. Même ceux de ce pays-ci.
+
+Nous faisons une grande promenade à cheval en tournant les plantations
+au nord et redescendant de l’autre côté de la Chemorra. Nous sommes
+obligés pour cela de traverser une partie de l’oued Righ, dépression qui
+à cet endroit a le caractère de sebkha, mais de sebkha peu saline. Les
+cartes du bureau arabe ont été assez bien faites à cet endroit ; il faut
+absolument représenter cette dépression sur la carte, mais ne pas la
+laisser confondre avec un lac.
+
+Nous voyons de nombreux canards, même un flamant isolé.
+
+ 29 février.
+
+Je reste la matinée à Tougourt et déjeune encore avec Auer et la
+compagnie, mais j’avais eu la précaution de faire mes adieux la veille.
+Cependant le kaïd vient à cheval au moment du départ et veut à toutes
+forces m’accompagner un peu. Je lui dis adieu à la porte de la ville.
+Cette fois, il paraît avoir fait de grands frais de recommandations à
+mon sujet. Il s’est mis entièrement à ma disposition.
+
+Nous partons, et laissant un peu à droite deux des villages qui
+entourent Tougourt, nous passons entre les _deux_ forêts de palmiers, et
+traversons les marais de la Chemorra dans leur largeur. Peu après, nous
+entrâmes dans une zone de dunes peu élevées, qui nous conduisit dans un
+« oued » ou plaine assez unie appelée Oued-es-Sédīri. Comme nous étions
+partis tard et que cette plaine est assez vaste, je me décidai à planter
+la tente de bonne heure pour donner le temps à la viande de bœuf de
+cuire.
+
+La plante qui couvre les endroits à sec de la Chemorra se nomme
+_rhodhdhām_[63] ; elle fleurit au printemps, et j’attends mon retour
+pour en prendre un échantillon.
+
+Ce matin, j’ai sorti mon thermomètre étalon, et j’ai fait des
+comparaisons avec mon thermomètre fronde 207 et le thermomètre à alcool
+d’Auer.
+
+
+[Note 43 : Les Ouled-Sidi-Cheikh.]
+
+[Note 44 : Le maréchal Randon, gouverneur de l’Algérie de 1852 à 1858.]
+
+[Note 45 : Duveyrier n’a donc discerné, à cette époque, aucun type
+spécial à cette population. L’idée d’une race autochtone foncée, dite
+« garamantique », ne lui est venue que plus tard. (Voir _les Touaregs du
+Nord_.)]
+
+[Note 46 : Si-Zoubir-bou-Bekr, le plus jeune frère de Si-Hamza, chef des
+Ouled-Sidi-Cheikh. D’abord partisan du chérif, il s’était rallié à son
+frère (décembre 1853 et avait été investi (février 1854) du khalifalik
+d’Ouarglă (comprenant les cinq caïdats d’Ouarglă-Ngoussa, des Mekhadma,
+des Saïd Otba et des Chambba-bou-Rouba), sous la suzeraineté de Si-
+Hamza, nommé commandant du Sud. (_Mémoires du maréchal Randon_, Paris,
+1875, I, p. 163-173). Mais Si-Hamza était loin, et Si-Zoubir le vrai
+maître du pays.]
+
+[Note 47 : Drâ, « chaîne de collines et surtout de dunes, peu épaisse,
+assez longue ». (Foureau.)]
+
+[Note 48 : Sur les origines du Chérif, voir les _Lettres familières sur
+l’Algérie_ (2e édit. Alger, 1893, p. 214-242) du colonel Pein, qui fut
+lui-même un des plus vaillants acteurs de la conquête de l’Extrême-Sud.]
+
+[Note 49 : Faîte du plateau de Tademayt.]
+
+[Note 50 : Zaouïa Moulaï Heïba.]
+
+[Note 51 : La sebkha Safioun, partie de la zone d’épandage de l’Oued-Mya
+(Rolland, Rapport hydrologique, _Documents relatifs à la mission
+Choisy_, t. III, p. 18).]
+
+[Note 52 : Profondeur, 2 mètres. — Température, 15°,2 à 15°,25 (Note de
+H. Duveyrier). C’est l’Arefigi de M. Lahache. (Voir l’analyse des eaux,
+_Étude hydrologique du Sahara français_. Paris, 1900, p. 103.)]
+
+[Note 53 : Sur l’outillage incroyablement primitif des indigènes voir le
+colonel Pein (ouv. cité, p. 29-38) qui en parle comme témoin oculaire.]
+
+[Note 54 : Les mémoires du maréchal Randon ne signalent pas cette
+tentative. Ils mentionnent seulement les négociations plus heureuses de
+Si-Hamza avec les Touaregs Azdjer, qui furent la cause première de
+l’envoi du capitaine de Bonnemain à Ghadamès et de l’interprète Bou-
+Derba à Ghât. Ces négociations remontent à 1855-1856 ; l’idée première
+de nouer des relations avec les Touaregs remonte à 1853. (Randon,
+_Mémoires_, I, p. 250-255, 448.) Le maréchal se promettait beaucoup du
+commerce du Sud. Voir, comme contre-partie, le récit humoristique du
+colonel Pein, ouv. cité, p. 484-488. Sur Si-Hamza lui-même, voir A.
+Bernard et N. Lacroix (_Historique de la pénétration saharienne_, Alger,
+1900, p. 21, 37), qui citent une lettre inédite du général Durrieu
+relative au projet de mission à Insalah.]
+
+[Note 55 : Briques simplement séchées au soleil.]
+
+[Note 56 : Duveyrier, atteint d’une grave maladie à son retour, n’a pu
+s’acquitter de cette partie de sa tâche.]
+
+[Note 57 : D’après le Dr Sériziat, dès les premiers jours d’avril.
+(Histoire médico-chirurgicale de la colonne du Sud, _Bull. de la Soc.
+Algérienne de Climatologie_, 1871, p. 41.)]
+
+[Note 58 : M. Lahache a donné l’explication de cette teinte sanguine.
+(_Étude hydrologique sur le Sahara français oriental_. Paris, 1900, p.
+54.)]
+
+[Note 59 : Il est démontré aujourd’hui que l’insalubrité est en raison
+directe de l’étendue des bas-fonds alternativement remplis d’eau
+saumâtre et asséchés. A Tougourt, où les fossés ont été presque tous
+comblés par l’administration française, « le nombre des cas de fièvre a
+beaucoup diminué ». (Dr Weisgerber, Observations sur les conditions
+sanitaires, _Doc. Mission Choisy_, t. III, p. 473-475.)]
+
+[Note 60 : Presque toutes les eaux du Sahara algérien sont chargées de
+sulfates de chaux et de magnésie ; celles des puits artésiens de
+Tougourt, qui ont donné à l’analyse de 3 à 4 grammes de sels anhydres
+par litre, ne sont ni les plus minéralisées, ni les plus nocives, mais
+contiennent toutefois une forte proportion de sulfate de chaux. (Voir
+Weisgerber, rapport cité, p. 480, et Lahache, ouv. cité, p. 48, 71.)]
+
+[Note 61 : Ces observations ont été publiées dans _les Touaregs du
+Nord_, p. 113.]
+
+[Note 62 : Voir _Touaregs du Nord_, p. 436.]
+
+[Note 63 : Nom inconnu. Faut-il lire Gueddâm, _Salsola vermiculata_ ?]
+
+
+
+
+ CHAPITRE III
+
+ DE TOUGOURT AU DJERID PAR LE SOUF
+
+
+ 1er mars 1860.
+
+A peine voulions-nous partir ce matin, que le chameau qui portait les
+cantines, et qui est très timide, effrayé par quelque chose, prit tout à
+coup le galop, et après quelques instants de résistance, les cantines
+volèrent en l’air, une des chaînes s’étant cassée. Les caisses
+retombèrent sens dessus dessous à mon grand crève-cœur. — Après avoir
+procédé à l’ouverture des cantines, je trouvai deux flacons vides
+cassés, une bouteille de vin et un grand flacon d’eau sédative dans le
+même état. Le dégât causé par cet accident est assez grave, mon sucre
+est presque entièrement perdu, et beaucoup de linges et de livres sont
+plus ou moins tachés. De plus, je perds deux flacons précieux pour
+mettre des objets d’histoire naturelle.
+
+Le chamelier à qui appartient le chameau, et qui avait insisté pour
+qu’on lui confiât les cantines malgré les observations d’Ahmed, aura une
+bonne amende en arrivant au Souf.
+
+Après ce retard, nous nous mîmes en marche, et traversâmes
+alternativement des zones de dunes et des _oueds_. La végétation se
+composait d’_alenda_, _zeita_, _sefār_, _drīn_, _lebbîn_ et _arta_.
+
+Nous arrivâmes dans l’après-midi aux puits de Mouia Ferdjān[64]. Ils
+sont au nombre de trois et entourés chacun d’un petit mur en maçonnerie
+pour empêcher que les sables ne les comblent. L’eau de ces puits, de
+celui de l’est en particulier, est très bonne et a une température assez
+basse.
+
+Nous ne nous arrêtâmes aux puits que le temps d’abreuver mon cheval et
+de remplir les outres, et nous continuâmes encore un peu dans un pays
+semblable à celui que nous avions laissé derrière nous. — Nous campâmes
+de bonne heure, pour les mêmes raisons culinaires que la veille.
+
+ 2 mars.
+
+Nous continuâmes de voyager dans une contrée alternant de l’oued aux
+dunes, et passâmes notamment plusieurs de ces dernières, comme Sif
+Soltan, Sif er Retem et Sif el Lehoudi. Nous déjeunâmes dans l’oued
+Nàīma.
+
+Ensuite nous traversâmes un pays où les dunes devenaient de plus en plus
+hautes. En route nous rencontrâmes trois spahis venus d’El-Oued et se
+rendant à Tougourt ; ils vinrent tous me serrer la main, nous
+échangeâmes les nouvelles et partîmes chacun de notre côté. Nous
+rencontrâmes ensuite des gens du Souf venus avec des chameaux pour
+ramasser du bois et du drin, ces deux objets manquant dans les dunes
+plus près de leur pays, là où la consommation en était facile.
+
+Nous arrivâmes enfin à Ourmās, plantations de palmiers et jardins
+_creusés_ dans les sables. On y voit un assez bon nombre de maisons et
+nous y remarquâmes quelques habitants, quoique ce ne soit guère qu’en
+automne que cet endroit soit habité à cause des fruits et des dattes. Au
+moment de quitter Ourmas, Ahmed me fit remarquer trois petits dômes de
+maçonnerie émergeant du sable ; il me dit que c’était le toit d’une
+maison qu’il avait vue avant que les sables ne l’eussent ensevelie.
+
+De là, après avoir traversé une zone de hautes dunes, nous entrâmes dans
+un terrain plus aisé, et atteignîmes bientôt Kouinin.
+
+Le cheikh nous reçut bien, nous donna sa maison, et comme j’y entrai
+avant que la famille ne l’eût quittée, je pus voir deux dames d’une
+beauté incontestable et une négresse toute réjouie qui n’avait
+probablement jamais rien vu d’aussi extraordinaire que ma personne et
+mon bagage. Le tout annonçait une certaine civilisation et un vrai bien-
+être. La maison et le mobilier répondaient parfaitement à la figure des
+femmes et à leur habillement.
+
+Après un bon dîner, je me mets en poste d’observation avec l’intention
+de faire de bonnes observations astronomiques. — Le vent qui avait cessé
+au coucher du soleil et qui a repris depuis me gênera probablement.
+
+Je vois, à mon grand regret, que la lunette de mon sextant est
+insuffisante pour me permettre d’observer des occultations, du moins
+quand la lune est aussi brillante[65].
+
+ 3 mars.
+
+Kouinin est bâti tout à fait comme Guémār ; c’est-à-dire que les cours
+des maisons sont entourées d’appartements réels, et qu’on n’y voit pas
+de tente au milieu comme à El-Oued, c’est-à-dire le nomadisme luttant
+contre l’état sédentaire. Les murs varient de hauteur depuis l’épaule
+d’un homme jusqu’à sa tête ; les dômes, etc., ne sont ni égalisés ni
+crépis, de sorte que le tout n’offre pas un spectacle de propreté ni
+d’élégance.
+
+Au moment du départ, on cria que le khalifa était arrivé et, en effet,
+je vis déboucher au bout de la rue plusieurs cavaliers. Nous allâmes au-
+devant les uns des autres, et mîmes pied à terre à distance respectueuse
+pour venir nous prendre la main et nous informer de nos précieuses
+santés. Car telle est la règle.
+
+Ceci fit que je fus obligé de partir pour El-Oued sans faire le levé de
+la route, car à cheval et du pas où nous allions, il ne fallait pas y
+penser.
+
+J’appris que le khalifa retenait une caravane très nombreuse pour me
+faire passer au Djérid en bonne compagnie.
+
+Je passe la journée à écrire des lettres qui partent aujourd’hui même
+pour Tougourt. Je mets mes itinéraires au courant ; dessine un peu et
+fais des observations.
+
+ 4 mars.
+
+Ma journée n’a pas été heureuse. J’ai eu le malheur de casser mon
+dernier baromètre Fortin, cependant je pourrai le raccommoder dès que
+j’aurai des tubes. Cela n’en est pas moins très fâcheux, vu que les
+notes barométriques devaient être un des résultats les plus intéressants
+de mon voyage[66].
+
+Je passe la matinée à finir de copier au net l’itinéraire de l’Oued-Righ
+ici.
+
+Il arrive une caravane du Djérid qui donne les meilleures nouvelles ; il
+en était venu une hier encore.
+
+Je fais encore acheter par Ahmed différentes choses qui me manquent, et
+je m’amuse à décrasser un certain nombre de monnaies romaines et
+semblables que je me suis procurées ici. Elles courent comme les
+« felous[67] » de Tunis.
+
+Presque toutes sont très petites. Les principales sont de Constantin ;
+d’autres portent des figures de souverains avec une couronne ressemblant
+aux couronnes les plus primitives du moyen âge ; enfin j’en ai où l’on
+reconnaît l’éléphant et le palmier et qui doivent venir de Carthage.
+Outre cela, il y a des médailles avec des figures de saints, des anges
+ailés, etc., etc., qui doivent avoir une origine chrétienne, et étaient
+frappées pour accomplir un vœu, comme l’une d’elles paraît me le
+prouver.
+
+Ces médailles sont trouvées dans les ruines de Besseriani[68] et de
+_Hēdra_[69] principalement.
+
+Le soir, je vais voir trois noces. La première était à une tente dans
+les sables à l’ouest de la ville. La mère du marié vint nous faire ses
+excuses en nous disant que ce n’était qu’une petite fille et que, par
+conséquent, on n’avait pas voulu avoir une grande fête. Cette petite
+fille venait de se sauver de chez ses parents pour se réfugier dans la
+tente de l’homme qu’elle aimait. On dit que demain elle sera donnée
+légalement. C’est bien le moins lorsqu’il n’est plus possible de la
+reprendre.
+
+Les autres noces avaient plus d’apparat, je veux dire de bruit. Les
+femmes sont rassemblées dans une cour, quelquefois en cercle et tournant
+le dos, d’autres fois la figure découverte et de face. Elles
+bredouillent quelques chants presque inintelligibles et font you-you aux
+jeunes gens qui viennent avec beaucoup d’embarras tirer un coup de fusil
+dans le sable à côté d’elles. Quelquefois les Messieurs se préparent à
+la décharge par une sorte de pas (de danse) tout à fait curieux, et qui
+imite le pas de la danse arabe au commencement de l’exercice.
+
+Du reste, les femmes et les hommes ne se parlent pas. Si (et cela
+arrive) une des femmes invitées a un _amant_, celui-ci vient à la fête
+faire le plus de bruit qu’il peut pour se montrer dans son plus beau
+jour. En revenant, je rencontrai des bandes de jeunes gens chantant en
+chœur toujours la même complainte et le plus fort qu’ils pouvaient, pour
+être entendus des femmes dans les maisons. — Je remarquai que ceux qui
+se distinguaient le plus à la noce étaient pour la plupart de fort
+jeunes gens.
+
+Le puits est ici l’endroit des intrigues et des amours. Quand un homme
+va au puits pour abreuver son cheval, et il choisit alors un puits d’eau
+excellente situé dans les dunes hors de la ville, son amie choisit aussi
+ce moment pour aller y puiser l’eau et ils se voient de cette manière.
+Du reste, l’amant choisit toute occasion opportune. Son amie est-elle
+mariée ? il saisit le moment où le mari va au marché, aux plantations,
+etc... Les amants de ce pays ne peuvent pas manger l’un devant l’autre :
+ils doivent paraître fuir la nourriture.
+
+ mars.
+
+Comme tous les jours de départ, ce matin ne fut pas très gai à passer ;
+c’étaient des oublis, des ordres, des contre-ordres à n’en plus finir.
+
+Enfin, lorsque tout fut prêt de mon côté, on s’aperçut que la caravane
+d’El-Oued n’était pas encore tout à fait prête à partir. Je n’en voulus
+pas moins partir immédiatement, et le khalifa ainsi que deux ou trois
+autres notables montèrent à cheval pour me faire un peu la conduite.
+
+Nous partîmes par le quartier des Oulad Hamed et entrâmes immédiatement
+dans les dunes et les « Ghitan », c’est-à-dire jardins de palmiers
+creusés dans le sable. Quelques-uns de ces « ghitan » étaient tellement
+profonds, que le faîte des palmiers hauts de 15 à 20 mètres n’atteignait
+que la hauteur de mon épaule ou de ma tête (moi étant sur la route).
+
+Le vieux cheikh qui accompagnait le khalifa, proposa au moment de la
+séparation de réciter la « fātĭha », mais le khalifa fit semblant de ne
+pas comprendre ou espéra peut-être que je n’avais pas fait attention à
+la proposition. Du reste, je tiens peu aux _fātĭha_ et aux bénédictions,
+mais, si j’y tenais, j’aurais peut-être préféré celle-là à d’autres.
+
+Après nous être quittés, nous entrâmes dans un océan de dunes dépourvues
+de toute végétation, nous avions laissé les jardins derrière nous. —
+Nous touchâmes bientôt à un four à chaux primitif ; on extrait la pierre
+à chaux sur place. C’est le même type de plâtre ou de calcaire friable,
+saccharoïde, que j’ai observé la première fois à Chegga du Sud.
+
+Près de là je trouvai un peu de _lebbīn_, euphorbiacée qui croit
+volontiers dans les intervalles des dunes. Je fus surpris de rencontrer
+aussi deux ou trois papillons, qu’il fallut renoncer à attraper.
+
+Après une marche assez longue dans les sables, nous entrâmes dans un
+terrain uni et arrivâmes bientôt au puits de Tĕrfāoui au nord duquel il
+y a une petite ligne de jardins où l’on cultive principalement des
+oignons, mais où l’on paraissait tenter la culture du palmier. Deux
+individus étaient en train de ramasser les crottes de chameaux pour les
+enfouir autour du pied des jeunes plants.
+
+De là nous reprîmes les dunes et eûmes de nouveau une longue et
+ennuyeuse marche à fournir avant d’arriver au Sahēn, sorte de plaine
+unie au milieu de laquelle est situé le puits du même nom où devait se
+réunir la caravane. Nous trouvâmes déjà campés depuis hier au soir de
+nombreux voyageurs comptant 60 fusils ; plus tard, dans la soirée, la
+caravane d’El-Oued nous rejoignit. Je plantai ma tente près du puits
+entre les deux caravanes. Un cheikh de Kouinin et un domestique du
+khalifa attendaient mon arrivée ; aussitôt qu’ils se furent assurés que
+j’avais rejoint la caravane, ils repartirent pour coucher à Djebīla[70].
+
+Cette caravane est la première que j’aie vue aussi grande et aussi
+complète. Il y a des Souāfa, des gens du Djérid, des Ghadamsia[71],
+etc.... ; les bêtes de somme sont très variées, depuis le cheval
+jusqu’au chameau et aux bourricots. Une vieille de l’Ouest (Ouled
+Naīl ?) s’est adjointe à mon petit camp ; elle se rend au Djérid où sa
+fille est mariée. Elle invoque tous les quarts d’heure Sidi Mohammed
+el’Aïd, le saint vivant de Temassin[72]. — Je fais porter à un de mes
+chameaux son modeste bagage.
+
+Ce soir, nous entendons des Khouan[73] de Sidi Moustapha qui chantent
+leur prière avec accompagnement de musique. Ceci est dans la caravane
+campée au nord. Au sud nous avons une musique moins monotone, c’est le
+chant et la voix des femmes qui y sont en nombre.
+
+Je remarque que, dans les jardins au milieu des dunes, l’on a soin de
+garnir la crête de ces dernières d’une haie de palmes presque
+entièrement enterrées pour que les sables ne soient pas portés par le
+vent dans le jardin, et, d’un autre côté, pour que les sables que l’on
+déblaye ne retombent pas dans le « ghoūt »[74].
+
+ 6 mars.
+
+Je fus malade toute la nuit, ayant une indigestion très douloureuse.
+Aussi ce matin me fallut-il une bonne dose d’énergie pour ordonner le
+départ comme d’habitude et monter en selle.
+
+Au moment de partir, je reçus mon courrier de Tougourt, qui
+malheureusement ne renfermait qu’une lettre de mon père et une d’Auer.
+Je reçois la lettre du Ministre des affaires étrangères pour M. Botta.
+
+Les gens de la caravane parurent mettre plus de soin qu’hier à se
+rassembler en un seul bloc, mais les peines furent vaines, au bout de
+quelque temps, les pelotons de la caravane étaient séparés par plusieurs
+kilomètres. — On voulut aussi m’effrayer, je ne sais quel intérêt
+avaient ces hommes à ne pas aller par la route orientale que j’avais
+choisie. On voulut me faire croire qu’à un des puits nous allions
+trouver 1.200 cavaliers de Nemēmcha insoumis. Je me bornai à leur
+demander comment le puits pouvait abreuver tant de monde et tant de
+chevaux.
+
+Pendant que je marchais avec mes chameaux isolés, un homme assez drôle
+se joignit à nous. Il était coiffé d’un turban vert et d’une calotte
+rouge. Son vêtement consistait en deux burnous assez sales, et comme
+arme il portait, jeté sur son dos, un immense sabre. Cet homme avait des
+manières très européennes, celles d’un homme peu distingué, bien
+entendu, et il parlait beaucoup. Il nous dit qu’il était depuis quarante
+ans « policeman » à Tunis, que sur trois nuits il en passait une de
+garde. Les policemen ne sont pas payés à Tunis et il nous raconta qu’il
+ne s’était fait inscrire comme tel que pour avoir l’avantage de sortir
+le soir après le couvre-feu, et d’aller dans telle et telle maison qui
+lui plaisait, chez les jolies femmes qui lui convenaient, beaucoup même,
+à l’en croire. Ensuite, si la police n’est pas payée, elle se fait plus
+d’argent sans cela, car elle permet toutes débauches nocturnes pourvu
+qu’on lui graisse la main. — Mon homme avait aussi un faible pour les
+spiritueux et il avait emporté de la _mahia_ avec lui.
+
+Pendant que nous causions ainsi, un pèlerin marocain qui nous suivait
+tout couvert de guenilles nous cria : « Voilà un mouton » ; en effet, il
+y avait à quelques pas de nous une brebis perdue et boiteuse. Ahmed et
+le policeman tunisien fondirent dessus et, après un débat où la probité
+de chacun se fit jour, l’animal fut égorgé par le policeman, qui le
+considéra de bonne prise.
+
+Le soir, on la dépèce et la distribue.
+
+Quant au pays que nous traversâmes, ce fut une plaine uniforme, à sol
+sablonneux et à végétation de _ălenda_, _semhari_, _arta_, _drīn_ et
+_baguel_. De temps en temps une petite traînée de dunes en interrompait
+la monotonie.
+
+Nous touchâmes à un puits nommé Wourrāda ; actuellement il est comblé.
+Voilà l’histoire de cet événement. Le puits ayant été rempli de _drīn_
+pour une cause ou une autre, un pasteur y descendit dans l’intention de
+le nettoyer. Comme il ne revenait pas, le frère de cet homme y descendit
+aussi, mais y trouva la mort par asphyxie[75] ; enfin l’oncle des deux
+jeunes gens voulut leur porter secours et faillit périr ; cependant il
+put sortir. On combla le puits, qui sert de tombeau aux deux pasteurs.
+
+Vers la fin de la marche, un habitant du Djérid, monté sur son chameau,
+prit un tambour de basque et commença une longue improvisation sur un
+marabout vivant de Nefta, Moustapha ben Azoūz. Il jouait admirablement
+bien de son instrument, et improvisait avec tant de facilité que je crus
+qu’il récitait une litanie. Les couplets, composés de quatre vers,
+étaient tous terminés par la même rime, et se terminaient par le refrain
+que répétaient en chœur des jeunes gens de la caravane. Malheureusement
+le chant m’empêchait de juger du sens des vers. — Cela m’arrive pour les
+chœurs chantés à l’Opéra dans ma langue maternelle.
+
+Nous nous arrêtons au puits de Guettāra Ahmed ben ’Amara[76]. Je suis
+dans un grand état d’épuisement et j’ai un peu de fièvre. Ce matin,
+j’avais pris un peu d’huile de ricin, je prends ce soir une dose de
+quinine dans du café et deux petites tasses de vin. — Une heure après je
+me sens beaucoup mieux.
+
+ 7 mars.
+
+Hier au soir, après que j’avais fini de rédiger mes notes, les
+principaux membres de la caravane du Souf (Kouinin, Tarhzout et Guémār)
+vinrent me visiter pour m’annoncer comme une chose arrangée qu’ils ne
+partiraient pas le lendemain parce qu’ils venaient de recevoir la
+nouvelle que nous allions passer au milieu des douars des Hammama. Ce
+n’étaient pas les hommes que ces « braves » redoutaient, mais bien les
+femmes, les enfants et les chiens. On allait envoyer un homme au cheikh
+Moustapha, le marabout de Nefta et, selon qu’il dirait ou non d’arriver
+sans crainte, on irait plus loin ou l’on s’en retournerait. Je m’opposai
+net à une telle mesure, et fis demander dans la caravane quels étaient
+ceux qui voulaient partir demain avec moi. La division fut très nette ;
+les gens du Djérid, de Ghadāmès, ne voulaient pas rester, ceux d’El-
+Oued, du Souf seuls étaient de l’avis contraire. Je décidai le départ.
+Toute la nuit fut passée à se disputer dans le camp, mais quand le jour
+parut, tout le monde était du même avis, qui était de me suivre.
+
+Nous rencontrâmes beaucoup de douars, de troupeaux des Oulād Sidi ’Abid
+de la Régence de Tunis, mais ils ne firent que nous donner des
+nouvelles, certes peu rassurantes.
+
+Vers le milieu de la journée, avant d’atteindre le puits d’El-
+Khofch[77], toute la caravane résolut de ne pas passer par Nakhlet-el-
+Mengoub, comme l’avait ordonné le kaïd. Moi, de mon côté, je m’obstinai
+à prendre ce chemin, et nous nous séparâmes de très mauvaise humeur,
+ayant à peine six ou sept hommes avec moi. Cependant, comme hier, mon
+attitude déterminée leur fit accepter mon choix et ils nous rejoignirent
+tous, sauf les Djéridiya, qui du reste ne nous étaient pas du tout
+obligés. Nous continuâmes donc notre marche dans un sol de _heicha_, la
+végétation de _dhomrān_[78], _zeita_, _souid_, etc., qui caractérise la
+contrée de Chegga du Sud et la _heicha_ de l’Oued-Righ. Nous étions très
+inquiets, les Hammama ne se trouvaient pas campés aux palmiers d’El-
+Mengoub, et nous devions nous rapprocher sans cesse de leurs douars.
+
+Vers la fin du jour, nous aperçûmes les palmiers de Nafta et plus loin,
+vers l’ouest, les montagnes de Negrîn et de Tamerza. Lorsque nous
+voulûmes camper quelques instants avant le coucher du soleil, nous
+tombâmes sur les troupeaux des Hammama, et pûmes nous assurer que la
+tribu n’était pas loin. Les bergers vinrent dans le camp demander
+différentes choses, ci du feu, là de l’eau, plus loin des dattes. Ils
+vinrent jusqu’à mon feu où j’étais assis et demandèrent à boire à Ahmed.
+
+Nous entendîmes, le soir, les chants de leurs femmes, les cris des
+enfants et les bêlements des troupeaux.
+
+Cette nuit ne fut pas très agréable à passer, plusieurs hommes de la
+caravane la passèrent à veiller, le « policeman » tunisien entre autres.
+Je veillai, pour ma part, la moitié de la nuit, et fis de longues rondes
+dedans et hors du camp, que nous avions établi en demi-cercle, mon lit
+et mon bagage en formant le centre. Aujourd’hui nous n’avons pas cru
+devoir dresser la tente.
+
+J’entendis, vers le matin, le cri cadencé d’un chacal en chasse, auquel
+répondit bientôt le chien d’un des troupeaux.
+
+ 8 mars.
+
+Nous partîmes aujourd’hui avant la pointe du jour et commençâmes à
+marcher vigoureusement dans l’espoir de dépasser la « nedjă » du Hammama
+avant qu’elle ne prît notre route.
+
+Cependant, lorsque le soleil eut un peu monté à l’horizon, les yeux
+perçants de mon guide découvrirent la nedjă s’avançant de notre côté sur
+le sommet des _gour_ des Beni Mezab. A partir de ce moment, nous n’eûmes
+pas une minute de repos. Chaque ondulation de cette immense ligne de
+chameaux, de troupeaux et d’hommes était interprétée par mes trop
+timides Souafa comme un signal d’attaque.
+
+Ce ne fut guère que lorsque nous fûmes entrés dans le chott[79] que nous
+pûmes bien nous rendre compte du nombre des ennemis et de leurs
+mouvements. Lorsque la « nedjă », qui jusqu’alors s’était tenue sur les
+hauteurs, commença à se rapprocher du chott, les fantassins souafa
+s’assirent par terre, tournant le dos aux Hammama ; Mohammed le guide,
+qui à cet instant aperçut les cavaliers en avant des troupeaux, s’élança
+à la tête des chameaux en criant d’arrêter. Il y eut là un mouvement
+rapide qui me montra qu’en cas d’attaque, je ne pouvais compter que sur
+bien peu de monde. Ahmed sauta à bas du chameau qu’il montait ; ôta son
+burnous et arma son fusil, d’autres suivirent son exemple. Enfin
+l’incertitude dura quelques instants, et l’on crut remarquer que les
+cavaliers reprenaient la direction, je fis remettre les chameaux en
+marche, mais ne pus pas empêcher quelques coups de feu de fantazia de
+partir, la chose la plus inconsidérée dans notre position.
+
+J’eus là l’émotion de celui qui va être entraîné dans un combat pour son
+droit, mais qui n’avait cherché de querelle à personne. Armé de mon
+revolver, j’étais décidé à mesurer mes cinq coups et à démonter au moins
+deux ou trois cavaliers. La lutte aurait été déplorable ; des guerriers
+consommés, en nombre considérable, auraient certainement eu le dessus
+sur quelques hommes déterminés mais embarrassés par une foule timorée et
+inutile, par des femmes, des enfants et des chameaux chargés de sommes
+considérables.
+
+Bientôt la « nedjă » se trouva à notre hauteur ; nous voyions cette
+foule de cavaliers ; les quinze douars peuvent, d’après des
+renseignements précis, mettre sur pied mille hommes. Ce n’était
+cependant là qu’une des neuf fractions des Hammama qui, ayant eu à se
+plaindre de son kaïd, avait envoyé une plainte au bey, mais se sauvait
+sans attendre la réponse, décidée à revenir si le bey lui accordait sa
+demande, et à quitter son gouvernement pour toujours si on ne faisait
+pas attention à son grief.
+
+Nous marchions très vite et arrivâmes enfin près des palmiers de Ghîtān
+ed Cherfā, où nous rencontrâmes deux cavaliers hammama attardés, que
+nous saluâmes en passant. Ils sont bien montés, ont d’énormes étriers,
+et sont surtout remarquables par leur manière de s’envelopper dans leur
+haouli, ne laissant voir que le milieu du visage ; leur chachiă est
+enfoncée jusqu’aux sourcils ; enfin ils n’ont pas de corde de poil de
+chameau. Ahmed me dit qu’ils revêtent quelquefois des haïks de coton
+bleu, comme les femmes du Souf.
+
+Nous déjeunâmes à côté des plantations de Nafta, où nous rencontrâmes un
+dernier Hammami et nous empressâmes ensuite d’entrer dans la ville ; je
+descendis à la maison du Bey.
+
+
+[Note 64 : Profondeur, 5 mètres. — Température, 17°,30. (Note de H.
+Duveyrier.)]
+
+[Note 65 : Le détail des observations astronomiques de Duveyrier a été
+publié dans les _Les Touaregs du Nord_, p. 134-140.]
+
+[Note 66 : Duveyrier n’en continua pas moins à observer à l’aide de
+l’anéroïde. « J’ai pu, dit-il, en faire usage concurremment avec les
+Fortin et pendant assez de temps, avant que ces instruments aient été
+brisés, pour bien étudier les dilatations de l’anéroïde et le corriger
+de ses erreurs. » (_Les Touaregs du Nord_, p. 123.)]
+
+[Note 67 : Nom donné à la petite monnaie de cuivre en Tunisie et au
+Maroc.]
+
+[Note 68 : _Ad Majores_, au nord du chott Rharsa, à 4 kilomètres au
+S.-E. de l’oasis actuelle de Négrine. (V. Masqueray, _Ruines anciennes
+de Khenchela à Besseriani_, _Revue Africaine_, 1879, p. 68.)]
+
+[Note 69 : Haïdra, au N.-E. de Tébessa ?]
+
+[Note 70 : Djebīla (« la Grasse »), un des villages du Souf, à 22 km.
+N.-E. d’El-Oued.]
+
+[Note 71 : Gens de Ghadamès.]
+
+[Note 72 : Zaouïa des Tidjaniya.]
+
+[Note 73 : « Frères » disciples du marabout de Nefta dont il est
+question plus loin.]
+
+[Note 74 : Dépression.]
+
+[Note 75 : Beaucoup de puits dégagent de l’hydrogène sulfuré, provenant
+de la décomposition, dans l’eau chargée de sulfate de chaux, des
+nombreuses matières organiques, tombées par l’orifice presque toujours
+dépourvu de margelle.]
+
+[Note 76 : Profondeur 6m,20. — Température 20°,2 (H. Duv.).]
+
+[Note 77 : Profondeur 5m,50. — Température 21° (H. Duv.).]
+
+[Note 78 : Autre forme du mot ذمران]
+
+[Note 79 : Le chott El-Djérid.]
+
+
+
+
+ CHAPITRE IV
+
+ AU DJÉRID
+
+
+En traversant la rivière, ayant devant moi d’une part les constructions
+pittoresques de la ville et de l’autre les beaux jardins de palmiers, je
+fus frappé par le charme du site, qui me soulagea de l’appréhension du
+danger et du dépit que m’avait causé le manque de courage de mes
+compagnons de route.
+
+Nafta compte 3.000 hommes[80] ; il faut ajouter à cela les femmes et les
+enfants non pubères. Les Juifs y sont 54 hommes avec les mêmes
+additions. Les hommes s’habillent de fines jaquettes et pantalons
+d’étoffes venus de Tunis, et s’enveloppent des beaux burnous si renommés
+du Djérid ; ils ne portent pas de corde en poil de chameau. Les femmes,
+dont plusieurs m’ont paru assez bien, mettent un pardessus d’étoffe
+bleue foncée, comme au Souf, seulement elles sont plus propres et ont
+des vêtements de dessous mieux arrangés. La population est du reste tout
+à fait « beldiya » ; on y trouve pas mal d’embonpoint. Du reste, il y a
+ici tout ce qui caractérise une grande ville arabe, des cafetiers en
+vestes de soie brodée, des boutiques bien fournies, etc., etc. N’y
+avait-il pas jusqu’à un fou, qui, comme celui d’El-Goléâ, paraît
+attacher un intérêt particulier à mon humble personne, et est revenu
+jusqu’à trois fois m’accabler de ses malédictions. On le chasse assez
+rudement pour un fou musulman.
+
+Les Juifs se distinguent par un turban noir. Les femmes se voilent
+occasionnellement dans la rue en ramenant leur haïk sur leur figure.
+
+La ville de Nafta paie actuellement un impôt qui s’élève à 350.000
+francs ou 70.000 douros, parmi lesquels il faut compter 30.000 douros
+d’exactions de la part des employés du gouvernement. Ces chiffres sont
+énormes, comparés à ce qui existe en Algérie. Chaque homme, petit ou
+vieux, paie 23 francs annuellement ; le reste de l’impôt est sur les
+palmiers.
+
+Les maisons de Nafta sont construites fort élevées, en briques minces,
+je dirais presque en tuiles jaunes et rouges, unies par du mortier de
+glaise ; elles ont un aspect fort élégant à l’extérieur et sont encore
+ornées par divers dessins que forment les briques au-dessus des portes
+et quelquefois tout le long des frontons. Certains quartiers de la ville
+sont un peu ruinés ; vers le côté est on voit une tour assez élevée. Les
+boutiques, sur le marché, sont disposées de la même manière économique
+et simple qu’à Tougourt.
+
+Mais ce qui frappe le plus à Nafta, c’est sa rivière impétueuse, qui
+coule auprès des palmiers, c’était la première fois que je voyais cela.
+A l’endroit où elle se divise en deux branches, au moyen de
+constructions en bois très solides et ingénieuses, pour aller arroser
+les plantations, l’eau a 27° (à 4 h. p. m.). Le matin, on voit de la
+vapeur ou du brouillard à sa surface[81]. L’eau renferme quelques
+mousses aquatiques et les mêmes coquilles noires[82] que j’ai récoltées
+dans l’oued Biskra, plus une variété cannelée des mêmes.
+
+Les jardins renferment, outre de magnifiques palmiers, des figuiers, des
+citronniers, des limoniers, des orangers, des pêchers. On n’y trouve ni
+oliviers ni pruniers, deux arbres qui se trouvent à Tōzer. Le _tarfa_
+croît aux environs des plantations.
+
+Les deux kaïds, le frère de Si’Ali Saci et Sid el ’Abid sont fort
+aimables et me font beaucoup de politesses. Nous allons nous promener
+ensemble et nous déjeunons et dînons ensemble. La cuisine qu’on nous
+fait est exquise, dans le goût européen même. Il n’y a pas de ruines
+romaines à Nafta.
+
+Un fait curieux est ici la même progression des sables de l’est à
+l’ouest dont on se plaignait tant à Guémār. J’ai vu en effet les sables
+amoncelés en dunes près de l’endroit d’où part la route de Tōzer ; ils
+pénètrent dans les plantations, enterrent les palmiers, les maisons et
+font que la ville s’élève progressivement[83]. Ainsi s’il n’y a pas de
+ruines romaines aujourd’hui, on ne peut pas affirmer qu’il n’y en a
+jamais eu ; elles ont pu être enterrées depuis longtemps.
+
+Tous les Souafa de la caravane se sont empressés d’aller voir leur
+cheikh et marabout Sidi Moustapha, chanter de nombreux « la illah ! » et
+jouer de la « bendīr ».
+
+Les rues de Nafta sont spacieuses, mais non d’une propreté exemplaire,
+quoiqu’on ne puisse pas non plus les accuser du contraire.
+
+Les gens de Nafta hébergent les Hammama, leur donnent la diffa et de
+l’orge pour leurs chevaux lorsqu’ils viennent en ville, pour qu’en
+revanche ceux-ci les épargnent lorsqu’ils les rencontrent en voyage !
+
+ 9 mars.
+
+Je décide de ne partir pour Tōzer que demain matin.
+
+Le matin, je vais voir les sources de l’oued Nafta ; cela me donne
+l’occasion de voir dans les jardins le « _nebqa_ », un _Rhamnus_[84] qui
+atteint 20 mètres de haut et de grandes dimensions ; son fruit est gros
+comme une grosse cerise, atteint même la grosseur d’une prune.
+
+Les sources qui forment l’oued sont assez chaudes, elles sortent de
+dessous une couche de marnes très épaisse, qui par exemple au Ras-
+el’Aioun[85] atteint une hauteur d’environ 30 mètres. Ces marnes varient
+de structure, de couleur et de friabilité. Le reste du terrain de Nafta
+se compose de grès très friables, si l’on peut appeler ainsi un
+conglomérat de sables quartzeux renfermant de petites veines de glaise,
+et des rognons atteignant quelquefois un volume considérable de grès
+véritable renfermant quelquefois de la marne.
+
+Les eaux de l’Oued renferment des poissons qui vivent surtout dans les
+endroits où l’eau est le plus chaude. Ils ont des taches rougeâtres ou
+orangées, quelques-unes prenant 1/5e du dos. — Les flaques d’eau formées
+par les sources nombreuses renferment des coquilles différentes de
+celles de l’Oued.
+
+Les animaux de Nafta à noter sont les bœufs (en petit nombre), les
+lapins (!), les chiens de races variées, les chèvres de race européenne.
+
+Je vais voir le soir le marabout Sid’Moustapha ben Azoûz, qui me reçoit
+d’une façon fort civile, et s’efforce de me faire comprendre que tous,
+musulmans, chrétiens et juifs sont ses enfants, tous ceux que Dieu a
+créés[86] ; il approuve mes études. Nous mangeons sa « bénédiction »,
+pour rendre la parole arabe. — Sa zaouiya était remplie de monde,
+surtout de pèlerins venus du Souf avec moi.
+
+Je suis obligé de donner de longs détails sur l’électricité, la vapeur
+et beaucoup de choses semblables.
+
+Pendant que je dessinais la zaouiya de Sidi et Tabăi, de nombreux
+curieux s’étaient rassemblés et parmi eux des tolba[87] : on montra
+beaucoup de mauvais vouloir, et lorsque je demandai le nom de la
+zaouiya, on refusa de me le donner ; c’est Sidel’Abīdi qui la reconnaît
+sur le dessin et m’en donne le nom. Je me plains de cela, et on me donne
+un mokhazeni[88] pour écarter la foule. Je finis la journée très bien.
+
+Les nuages qui ont occupé le ciel tout le temps de mon séjour m’ont
+empêché de faire des observations astronomiques. A midi le soleil était
+visible par intervalles, j’essayai de le prendre au méridien, mais mon
+observation est, je le crains, peu concordante, parce que les deux kaïds
+étaient à mes côtés et m’ennuyaient de questions.
+
+ 10 mars.
+
+Nous sommes partis de Nefta d’assez bonne heure par un ouragan
+épouvantable, le vent venant du nord-est avec beaucoup de force. Nous
+étions gelés, quoique la température de l’air ne fût pas très basse. La
+route de Nafta à Tōzer est très insignifiante, elle longe le chott à une
+petite distance ; on est sur un terrain élevé, presque dénué de
+végétation et très peu accidenté. Un peu avant d’arriver, on voit le
+Djebel Tarfaouï.
+
+Tōzer a moins de population que Nafta (1.900 hommes), mais possède des
+plantations beaucoup plus considérables : 300.000 palmiers. Les
+constructions sont ici les mêmes qu’à Nafta ; la ville possède aussi une
+rivière qui prend sa source au bout ouest des plantations et qui est
+aussi considérable que celle de Nafta ; après avoir traversé les
+plantations, elle va encore se perdre dans le chott.
+
+Je trouve ici le vice-consul Si Mohammed ben Rabah, à peine installé
+depuis vingt jours ; nous nous embrassons en nous rencontrant, et je
+suis charmé de trouver une perle d’homme dans ce personnage. Il possède
+beaucoup de biens dans la ville et à Nafta, mais de crainte qu’on ne lui
+reproche de la fantasia depuis son installation comme consul _français_,
+il affecte une mise très simple.
+
+Les autorités me souhaitent la bienvenue, mais sont très occupées à
+recueillir le reste de l’impôt que va venir prendre la _mahalla_.
+
+Je vais à cheval et le vice-consul sur sa mule à Beled el Hadar[89] voir
+des restes de constructions romaines[90] qui servent de fondation à un
+minaret isolé. La grande mosquée est à côté ; on m’avait dit qu’elle
+renfermait des inscriptions, mais y étant entré, je n’y reconnus qu’un
+inscription arabe, sculptée et peut-être intéressante comme monument de
+culture architecturale. Mon habit me permet d’entrer dans une mosquée
+sans faire trop de scandale. Quelqu’un ayant demandé dans le temple qui
+j’étais, le vice-consul se contenta de répondre : « Un homme de l’Ouest.
+— Quelqu’un qui cherche des inscriptions hébraïques ? — Oui. »
+
+Les fondations du minaret sont très solides, en pierres carrées ; plus
+haut, des tronçons de colonnes et d’autres pierres ont été installées
+dans la construction arabe ; enfin au-dessus de la porte on voit deux
+pierres sculptées grossièrement. D’inscriptions, point.
+
+Mon cheval fit des sauts à n’en plus finir jusqu’à notre retour en
+ville. Il y a des tentes des Hammāma auprès de la ville. J’ai pu voir
+leur intérieur, qui ressemble en tout à celui des autres Arabes.
+
+Le vice-consul me fait apporter une table et une chaise.
+
+Tōzer compte 1.900 hommes depuis l’âge de puberté jusqu’aux vieillards.
+L’impôt s’élève à 542.000 réals tounsi en comptant les exactions. Le
+réal tounsi vaut 75 centimes. Ici on m’indique comme impôt de Nafta la
+somme de 588.000 réals tounsi ; donc encore plus que Sid el’Abīdi
+n’avait dit. On prétend encore que l’air de ce pays vaut mieux que celui
+de Nafta, qui est déjà très bon[91].
+
+ 11 mars.
+
+Malgré toutes les précautions que je croyais avoir prises, je ne pus
+partir que dans la soirée. Si Mohammed ben Rabah et deux « mokhazeni »
+m’accompagnèrent jusqu’à Degach. Cette fois, j’avais abandonné le
+chameau et mis mon bagage sur deux mulets que j’ai loués 40 francs d’ici
+à Gabès et retour. Outre Ahmed, j’ai cru devoir prendre encore un
+domestique qui aura pour gages 13 francs.
+
+La route qui sépare Tôzer de Degach est très insignifiante ; on verra
+dans l’itinéraire les traits principaux qui la caractérisent. Je dois
+cependant remarquer que dans l’oued à sec qui sépare en deux la ville de
+Degach, la constitution géologique des berges consiste en forts lits de
+conglomérat de sables quartzeux séparés par de minces couches d’argile,
+le tout ayant une position légèrement inclinée[92].
+
+Dans tout le cercle d’el Ouidĭān ou de Tāgiroūs, dans lequel nous venons
+d’entrer, il n’y a que 1.600 hommes et les biens de la terre se
+réduisent à 188.000 palmiers ou oliviers, car cet arbre qui commence à
+Tōzer, mais y est peu commun, se trouve ici en plus grand nombre.
+
+Dans ce pays, on considère Tōzer et Gafsa comme ayant le climat le plus
+sain ; ensuite viennent Nafta et Degāch avec un bon climat encore, mais
+Kĕrĭz est malsain ; les fièvres s’y montrent. El-Hamma près d’ici de
+même ; l’autre Hamma près de Gabès encore de même, enfin le Nefzāoua
+compte pour le plus mauvais climat.
+
+Les maisons ici sont construites en tōb, et sont loin d’égaler les
+constructions de Nafta et de Tōzer.
+
+Je suis reçu par le khalifa et attends inutilement un ciel étoilé, et
+presque avec autant de succès mon dîner. Cependant ce dernier arrive
+très tard, et je me couche. La nuit, toutes les bêtes de somme font une
+cohue générale, on peut à peine les séparer ; mon cheval est fortement
+mordu en deux endroits.
+
+ 12 mars.
+
+Ce matin, nous sommes partis de bonne heure et une courte marche nous
+mena aux deux villages de Zorgān et d’Oulad Madjed. Dans ce dernier
+endroit je m’arrêtai au minaret, isolé comme celui de Belīdet el Hadar,
+et comme lui bâti sur des fondations romaines ; je le gravis à travers
+différents casse-cou ; il est bâti en briques et de construction solide.
+On m’avait dit que je devais trouver là une inscription latine, mais il
+n’y en a aucune. Il fut question alors de la mosquée, j’y entrai et
+trouvai une inscription arabe entourant le dôme de la niche de l’imān,
+de même qu’à Belīdet el Hadar.
+
+Désappointés, nous continuâmes notre marche et entrâmes dans les
+palmiers ; nous ne tardâmes pas à arriver aux ruines romaines du Guebba
+qui sont au milieu de la _ghaba_[93]. Un indigène instruit me dit que
+cette ville, car ce devait en être une, se nommait alors
+« Tagiānoūs[94] ». Les ruines, presque partout se réduisant à des
+fondations, car je suis persuadé que le reste était bâti en briques,
+s’étendent sur un grand espace ; on reconnaît les plans des maisons ; et
+çà et là, parmi les pierres dispersées, on rencontre un tronçon de
+colonne ou une autre pierre travaillée. Deux monuments sont encore assez
+apparents. C’est d’abord une petite construction carrée, évidemment
+enterrée de beaucoup, qui me frappa par ce fait que les pierres de
+taille sont surmontées d’un reste de construction en briques, identiques
+à celles des maisons de Tōzer.
+
+[Illustration : Portion de muraille (Guebba). Ruines romaines. — La
+niche dans la muraille est évidemment une écluse bouchée.]
+
+L’autre ruine consiste en un long mur ou sommet de muraille, entièrement
+en pierre de taille avec une sorte de fausse porte voûtée, qui pourrait
+être encore une écluse pour les eaux ; de même que le mur pouvait faire
+partie d’un réservoir ; mais les indigènes rapportent eux-mêmes que les
+sables, la terre elle-même s’exhausse toujours par suite des vents qui
+l’amènent, et me disaient que, s’il y avait des inscriptions à Guebba,
+le vent les aurait ensevelies. Aujourd’hui les palmiers croissent au
+milieu des enceintes des maisons de l’ancienne ville romaine, ce qui
+prouve que cette partie des plantations est postérieure à l’occupation
+romaine.
+
+En quittant Guebba, nous atteignîmes bientôt Kēriz, petite ville bâtie
+en terre et en vase sur une élévation. En attendant le déjeuner, je
+partis pour aller voir une inscription latine dans la montagne.
+
+Avant d’entrer dans les rochers, nous découvrîmes dans l’embouchure d’un
+ravin un petit douār de 5 à 6 misérables tentes de Hammāma. Nous
+gravîmes la montagne, et environ aux trois quarts de sa hauteur, nous
+nous arrêtâmes à un rocher plat, très raviné par la pluie, et formant
+une table inclinée. Là se trouve une inscription écrite très
+grossièrement et à la légère, en lettres de 50 centimètres de hauteur ;
+elle se compose de trois lignes ; à côté il y en a une seconde de deux
+lignes et beaucoup plus petite, qui, plus facile à restaurer que
+l’autre, indique que cet endroit était consacré à Mercure et avait le
+privilège d’asile. La nature de cette inscription et surtout sa position
+dans un endroit peu accessible et isolé est digne de remarque.
+
+[Illustration : Inscription du Djébel-Sebaa Regoûd au nord de
+Kerîz[95].]
+
+La nature géologique de la montagne de Sebaa Regoûd est un calcaire
+coquillier marin. Il contient beaucoup de fossiles[96], notamment des
+oursins. Je trouve sur la route plusieurs plantes et fleurs nouvelles
+pour moi, toutes très humbles.
+
+Nous retournons, et à la hauteur du douar, deux femmes habillées de bleu
+viennent demander qui je suis ; il leur est répondu : « Un Occidental de
+l’Occident ».
+
+De Kērīz une très courte marche nous amena à Sedāda, qui lui ressemble
+beaucoup. Les habitants de cette ville ne sont pas aussi civilisés que
+ceux des autres ; ils m’ennuient même beaucoup. On fait déjà des
+difficultés pour me montrer des ruines romaines ; nous allons à
+Tamezrarit, petite _ghaba_ de palmiers, oliviers et autres cultures qui
+se trouve un peu à l’est ; là je me fâche contre le cheikh qui me paraît
+très soupçonneux et je fais tourner bride. Je reviendrai si les ruines
+en valent la peine[97].
+
+De retour à la maison qui m’est destinée, je la fais évacuer par tout le
+monde, et comme quelques Arabes Hammāma et autres va-nu-pieds semblent
+trouver drôle qu’on les empêche _de voir_ un roumi qui cherche des
+pierres romaines, et que ces Messieurs se disputent avec Ahmed pour ne
+pas s’en aller, je fais venir le cheikh, et exécute une scène éloquente
+où je qualifie de chiens les susdits Arabes ; le cheikh tâche de me
+surpasser de colère et me propose de les mettre tous en prison.
+
+Le ciel s’éclaircit le soir et je puis prendre la latitude des lieux.
+Les cartes ont une erreur énorme pour tout le sud de la Tunisie.
+
+ 13 mars.
+
+Ce matin, en m’éveillant, je trouvai la pluie, et le ciel menaçant de ne
+pas s’éclaircir de toute la journée, je profitai de ce que le second
+« mokhazeni » n’était pas encore arrivé pour accéder à la demande de mes
+gens qui ne se souciaient pas outre mesure de partir.
+
+J’eus lieu d’être très mécontent de la conduite du cheikh et de ses
+administrés ; comme il était une heure et que le _déjeuner_ ne semblait
+pas devoir paraître, je fis appeler le cheikh et lui adressai des
+reproches très vifs sur toute sa conduite ; je fis venir un des
+cavaliers, lui ordonnai de monter à cheval, d’aller avertir le vice-
+consul de mes tracas, et en même temps d’apporter des vivres de Tōzer.
+
+Dans l’intervalle, le second mokhazeni était venu avec deux officiers du
+Makhzen, portant titres de chaouchs ; ceux-ci, voyant cela, se fâchèrent
+tout de bon, et firent sentir au cheikh combien sa manière d’agir était
+déplacée envers quelqu’un muni de passeports de leur seigneur. Le cheikh
+me pria instamment de faire rappeler le cavalier, mais je tins ferme, le
+menaçant de plus de parler de tout cela à Hammouda Bey. Enfin le chaouch
+le plus civilisé me vainquit et me fit envoyer ’Amar chercher le
+mokhāzeni. A partir de ce moment, tout rentra dans l’ordre.
+
+Dans la soirée, on vint me dire qu’il y avait des ruines près de
+Tamezrarīt ; je montai à cheval et m’y rendis avec le cheikh, Ahmed et
+un guide ; nous suivîmes la route frayée qui mène à Zitouna, etc., et
+arrivâmes à un emplacement appelé par les indigènes Kesár Bent el ’Abrī.
+C’est un espace assez vaste, occupé par des fondations de très vastes
+enceintes. En fait de pierres travaillées, on n’y remarque qu’un moulin
+à huile. Ces fondations sont en pierres de petites dimensions, et, si je
+ne me trompe, on y distingue des briques ; l’alignement des murailles
+est irréprochable, l’épaisseur des murs peut être de 40 centimètres.
+
+Chemin faisant, j’appris du cheikh qui est très bavard, que dans le
+Djérid il n’y avait autrefois que deux sultans : celui de Guebba et
+celui de Belīdet el Hadar ; que chacun avait son minaret : celui de
+Belīdet el Hadar existe encore entier ; celui de Guebba (dont j’ai
+décrit plus haut la base) a été détruit par le propriétaire de la
+plantation où sont les ruines.
+
+D’autres renseignements, venant de la même source, montrent combien les
+Hammāma sont des gens terribles. A la saison des dattes, toutes les
+nuits il y a des coups de feu tirés entre les habitants de Sédāda el les
+Hammāma campés au sud qui veulent obtenir des dattes de force. L’automne
+dernier, des gens de cette tribu rencontrèrent sur le chott un troupeau
+conduit par un berger des leurs ; ils lui volèrent un mouton ; le berger
+les poursuivit et les atteignit aux plantations ; ils se disputèrent, et
+les voleurs égorgèrent (littéralement) le malheureux. — Il y a un défilé
+dans la montagne qui conduit à Gafsa ; chaque jour, on peut être sûr
+qu’il y a une cinquantaine de Hammāma embusqués ; un des leurs fait
+vigie sur un rocher, et quand ils aperçoivent une faible compagnie de
+trois ou quatre voyageurs, ils tombent dessus, tuent les hommes et
+emportent tout. — C’est déplorable[98].
+
+Personne ne sort dans ce pays sans être armé ; ceci est à la lettre, on
+ne peut pas s’éloigner de 4 à 500 mètres des villes sans avoir à
+craindre quelque guet-apens.
+
+
+[Note 80 : Chiffres donnés par les kaïds (H. Duv.).]
+
+[Note 81 : M. Dru a précisé la température des sources : « 26°,2 au
+milieu du bassin, 28° sur les bords aux points où l’eau sort de terre,
+et 30° sous les cabanes en troncs de palmiers qui vont chercher l’eau un
+peu plus profondément dans l’argile ». (Note sur l’hydrologie, la
+géologie et la paléontologie du bassin des chotts, _in_ Roudaire,
+_Rapport sur la dernière expédition des Chotts_. Paris, 1881, p. 43.)]
+
+[Note 82 : _Melanopsis Maroccana_. (Bourguignat, Appendice aux _Touaregs
+du Nord_, p. 21.)]
+
+[Note 83 : En 1887, l’envahissement continuait et affectait surtout le
+sud de l’oasis. La cause principale de la progression des sables est la
+destruction de la végétation aux alentours de l’oasis. (Voir l’enquête
+de M. Baraban, _A travers la Tunisie_. Paris, 1887, p. 120 et suiv.).]
+
+[Note 84 : C’est le _Zizyphus Spina Christi_, qu’on appelle zefzef en
+Algérie. Il est remarquable, au point de vue des anciennes relations du
+Djérid avec l’Orient, que le nom donné ici, nebqa, nabq, soit celui
+usité en Égypte. (V. Duveyrier, _les Touaregs du Nord_, p. 159 ;
+Ascherson dit qu’en Égypte le nom de nebeq s’applique au fruit (Pflanzen
+des mittlern Nord-Afrika, dans Rohlfs, _Kufra_, p. 471).]
+
+[Note 85 : « Tête des sources. »]
+
+[Note 86 : Cela rappelle la paternité du Père Enfantin (H. Duv.).]
+
+[Note 87 : Lettrés. Les zaouiyas de Nafta sont nombreuses, et les
+fanatiques faillirent faire un mauvais parti à la mission Roudaire.]
+
+[Note 88 : Cavalier du Makhzen.]
+
+[Note 89 : Un des villages de l’oasis, l’emplacement de l’antique
+Tuzurus ?]
+
+[Note 90 : Duveyrier écrit ailleurs : « La distribution d’eau se fait
+encore au moyen d’ouvrages en pierres de taille que les Romains ont
+laissés. » (Excursion dans le Djérid, _Revue algérienne et coloniale_,
+1860, II, p. 346.)]
+
+[Note 91 : Cette salubrité est très relative. En réalité, toutes ces
+oasis ombreuses respirent la fièvre (voir Vuillemin, _Étude médicale sur
+le Djérid_, _Archives de médecine militaire_, 1884, IV, p. 7, et sur les
+conditions sanitaires des oasis en général, les témoignages réunis par
+Schirmer, _le Sahara_, chap. XIII).]
+
+[Note 92 : L’inclinaison des couches, par suite de failles diverses, est
+un fait général sur les bords du chott Djérid. « Partout on constate des
+formations redressées sous les angles les plus divers. » (Dru, dans
+Rapport Roudaire cité p. 47.)]
+
+[Note 93 : « Forêt » (de palmiers).]
+
+[Note 94 : Probablement la Takious du moyen âge, la Thiges de la Table
+de Peutinger. Cf. Tissot, II, p. 683.]
+
+[Note 95 : Cf. dans Tissot, II, p. 684, note de M. S. Reinach.]
+
+[Note 96 : Voir Dru et Munier-Chalmas, rapport cité, p. 57 et suiv.]
+
+[Note 97 : Il ne faut pas oublier, pour apprécier ces recherches de
+Duveyrier, qu’on savait alors peu de chose de ces ruines du Djérid. Il
+n’y a guère à citer avant lui que Shaw, Desfontaines, Pellissier et
+Berbrugger. Les études de Tissot, qui avait passé au Djérid en 1853 et
+1857, étaient encore inédites.]
+
+[Note 98 : Cette région n’a pas cessé d’être mal famée jusqu’à
+l’occupation française. Lors de la dernière mission Roudaire, les
+indigènes fréquentaient le moins possible cette rive nord du chott
+Djérid. (Rapport cité, p. 17.)]
+
+
+
+
+ CHAPITRE V
+
+ NEFZAOUA ET GABÈS
+
+
+ 14 mars.
+
+Nous partîmes après le lever du soleil, et entrâmes de suite dans le
+chott, cependant la végétation nous suivit encore quelque temps ; nous
+notâmes en particulier quelques _tarfa_, du _zeita_ et le _bougriba_.
+
+Ensuite nous entrâmes dans le chott véritable dont la surface variait de
+la terre glaise solide et glissante aux terres noirâtres détrempées et à
+une surface de sol très solide. Cette dernière se trouvait couverte de
+dessins circulaires en forme de damier, absolument semblables aux
+dessins en relief que présentent les affleurements calcaires depuis
+Biskra jusqu’à El-Guerāra.
+
+Je pus prendre des directions de boussole vers différents points du
+Djébel-Chāreb[99], qui correspondent à des points qui m’ont été indiqués
+comme possédant des ruines romaines.
+
+Le voyage sur le chott n’eut rien de remarquable jusqu’au moment où nous
+arrivâmes à un puits romain, ou du moins à ce que je prends pour un
+puits romain comblé. Ce sont de grandes pierres plates rangées en
+rayonnant. On appelle cet endroit Oumm el Goreīnat ; une minute avant
+d’y arriver, nous avions coupé une flaque d’eau formant le bas de l’oued
+Zitouna[100].
+
+Ensuite nous continuâmes notre longue route à travers cette mer
+desséchée. Nous revîmes, avant d’arriver dans le Nefzāoua, la même
+gradation de la végétation que nous avions remarquée en quittant le
+Djérid. Les _tarfa_ se montrèrent encore.
+
+Lorsque nous entrâmes dans le Nefzāoua, la végétation se montra
+excessivement variée, et surtout nouvelle pour moi ; quantité de roseaux
+et de graminées.
+
+La première ville ou plutôt le premier village que nous y rencontrâmes
+fut celui de Zaouiyēt ed Debabkha. Celui-ci et tous les autres du
+Nefzāoua sont tout petits et enfoncés dans des plantations de palmiers ;
+souvent ils en sont tout à fait entourés. On voit à côté des villages de
+petites oasis de palmiers, qui autrefois avaient chacune leur village,
+mais ils furent alternativement détruits et changèrent de place ou
+furent tout à fait oubliés.
+
+Nous n’arrivâmes que fort tard au bordj situé tout près du village de
+Mansoura et non loin de Tellimīn. Le bordj est ce qui reste de
+l’ancienne Tŏrra, nom qui est resté à la source qui coule au bas du
+bordj.
+
+Je suis reçu par le kaïd Si Mohammed es Saïs. A l’entrée du bordj, un
+vieux « zouāoui » se mit à me fouiller pour voir si j’avais des armes,
+mais je l’envoyai à tous les diables, et Ahmed ne manqua pas de lui
+administrer une poussade. Je trouvai dans le kaïd un homme comme il
+faut, et je prévis de suite que je n’aurais aucun désagrément dans le
+Nefzāoua. Je trouvai là un juif faisant fonction de receveur des impôts.
+Le kaïd ne passe dans le Nefzaoua que peu de mois avant l’arrivée de la
+colonne dans le Djérid. Puis il revient à Tunis avec elle. Outre que le
+séjour est peu agréable pour ce grand seigneur, il est probable que sa
+vie n’y serait pas toujours sûre ; aussi prend-on même pour le court
+moment de son séjour de grandes précautions ; il n’est pas permis
+d’entrer dans le bordj avec des armes. On a bien soin d’étaler devant la
+porte un vieux canon de fer, et il y en a un autre qui passe sa gueule à
+une petite fenêtre sur la façade. — La petite garnison de zouaves passe
+toute l’année ici ; les hommes sont établis dans le pays.
+
+Je dois remarquer que, sur le chott, nous trouvâmes les traces de la
+voiture de Si Ali Saci ; outre que cette voiture probablement légère
+peut y passer sans difficultés, le chott dans son état actuel
+supporterait la plus grosse artillerie. Ceci est un fait intéressant à
+comparer avec ce que disaient les voyageurs arabes du moyen âge. Le
+chott a probablement changé, comme bien d’autres sebkhas de ces
+contrées[101].
+
+Le bordj est bâti en grande partie avec des matériaux de constructions
+romaines ; sur la façade, on voit même une pierre ornée de sculptures,
+mais il n’y a pas d’inscriptions. La porte du petit village de Mansoura
+est supportée par des pierres romaines.
+
+ 15 mars.
+
+Avant de déjeuner, nous allâmes voir Tellimīn ; en descendant du bordj,
+on me fit remarquer à la prise d’eau une pierre écrite « en hébreu »,
+que je trouvai être une inscription en bon arabe ; comme elle est
+vieille de 96 ans, je pris la peine dans la soirée d’en prendre un
+estampage.
+
+Avant d’arriver à Tellimīn, nous eûmes à tourner une assez grande mare,
+qui est au moins aussi grande que la moitié de la ville.
+
+Je suis entré dans une quantité de maisons, et je puis donner quelques
+détails sur l’intérieur, quoique mon séjour y ait été peu long. La ville
+est bâtie en matériaux de constructions romaines, puis en petites
+pierres, le tout uni au moyen de glaise. Les maisons ne sont pas plus
+hautes que celles de Tougourt et présentent un intérieur au moins aussi
+sale et misérable. Les rues ne sont ni très étroites, ni trop larges, et
+tout la ville est remplie d’immondices et d’ordures. La mosquée, à
+moitié en plein air, est bâtie sur l’emplacement de l’ancienne église
+chrétienne. Le plafond est supporté par des colonnes qui sont au nombre
+de neuf dans la longueur et de trois dans la largeur. Toutes ont des
+chapiteaux de dessins différents, dont j’ai essayé de représenter trois
+échantillons (pl.).
+
+J’ai trouvé deux inscriptions latines dans l’intérieur des maisons de la
+ville ; la première doit se lire : « Sexto Cocceio Vibiano proconsuli
+provinciæ Africæ, patrono municipii dedicavit perpetuus populus » (ou
+pecuniâ publicâ).
+
+La seconde se rétablit aisément par : « Hadriano conditori municipii
+dedicavit populus perpetuus ».
+
+Ces inscriptions enseignent qu’Hadrien fut le fondateur de la ville, et
+que cette ville était assez importante pour former un
+« municipium »[102].
+
+La légende rapporte qu’autrefois le sultan de Tellimīn ne sortait pas
+sans être accompagné de 5.000 cavaliers tous montés sur des chevaux
+mâles ; aujourd’hui malheureusement la ville est loin de posséder autant
+de forces. C’est encore d’ici, d’après une autre tradition, que seraient
+sortis les habitants de Tougourt, qui auraient émigré sous la conduite
+de leur chef, chassés par un conquérant. Je dois dire à ce sujet que les
+vêtements, la coiffure, même le type des femmes du Nefzāoua ressemblent
+beaucoup à tout ce que nous connaissons dans l’Oued-Righ. Elles
+s’habillent de coton bleu et gardent sur le devant de la tête une mèche
+de cheveux laineux qui sont tressés en mille petites tresses dans les
+grandes occasions. Les hommes, au contraire, ont plutôt le type arabe
+et, à l’exception de quelques rares sujets, donnent encore un exemple de
+plus de cette singulière loi des races croisées, que les femmes
+conservent plutôt le type de la race inférieure. — La langue parlée dans
+le Nefzāoua est l’arabe, le berbère y est aujourd’hui inconnu.
+
+[Illustration : Nos 1 et 2. — Inscriptions dans des murs de maisons à
+Tillimīn.
+
+No 3, _a b c_. — Chapiteaux de colonnes dans l’ancienne église,
+aujourd’hui mosquée de Tillimīn. — _a b_, de face ; _c_, de profil.]
+
+Après notre excursion de Tellimīn, nous allâmes à Kébilli[103], qui est
+une ville importante et digne de beaucoup d’attention. J’ai encore ici à
+faire les mêmes remarques anthropologiques qu’à Tellimīn, mais en
+ajoutant que la ville et ses habitants annoncent un bien plus haut degré
+d’aisance et de civilisation. On voit encore dans la ville de nombreuses
+pierres romaines qui ont servi de matériaux à la construction des
+maisons. Cependant la ville actuelle n’est pas très ancienne, Rhōma[104]
+ayant détruit au moins en partie le Kébilli ancien. On compte cinq
+mosquées, et les trois que j’ai visitées sont évidemment sur
+l’emplacement d’églises, comme le témoignent les colonnes qui en
+supportent le toit. Ici je n’ai pas trouvé d’inscriptions.
+
+En revenant, je vis par la porte de la prison un homme aux fers, qui, je
+le crains, n’a commis d’autre crime que de refuser de donner au kaïd une
+grosse somme d’argent qu’on lui demandait par exaction. Cet homme me
+supplie d’intercéder pour lui, mais je ne vois pas trop ce que je puis
+faire. Il est de toutes façons très digne de pitié.
+
+ 16 mars.
+
+Nous partîmes du bordj. J’avais une escorte de quatre cavaliers, et le
+kaïd lui-même, accompagné de deux piétons, me fit la conduite quelque
+temps.
+
+Nous nous dirigeâmes vers la chaîne de collines, qui commence avec le
+Nefzāoua, et qui dans cet endroit augmente beaucoup de proportions ;
+nous la coupâmes et entrâmes dans un pays de plaine, aboutissant au
+chott ; nous avons d’un côté la chaîne lointaine du Djébel-Chāreb et de
+l’autre les hauteurs du Djébel-Nefzāoua[105].
+
+Après une marche assez longue, nous arrivâmes à la dernière ville du
+Nefzāoua ; c’est Lemmāguès, ville aujourd’hui ruinée et habitée, je
+crois, par une seule famille, outre les gens de la zaouiya, dont le
+marabout, drôle de nègre armé d’une pioche et en costume de travail,
+vint nous demander le prix de sa bénédiction. Je le menaçai du bâton
+pour toute réponse ; là se termina notre entretien. Dans les
+constructions de la ville, je remarque encore bon nombre de pierres
+romaines, voire même des tronçons de colonnes.
+
+Avant d’arriver à la ville, nous touchâmes à la source qui se trouve au
+commencement des plantations de palmiers ; là nous trouvâmes un groupe
+de jeunes filles des Hammāma occupées à remplir des outres qu’elles
+chargeaient à mesure sur des ânes. Elles étaient gardées par un chien.
+Ces filles arabes étaient vêtues de bleu et coiffées avec une certaine
+grâce, leurs oreilles et leurs cheveux étaient ornées d’anneaux de
+cuivre qui étaient d’un joli effet. Mais ces demoiselles n’avaient rien
+de virginal, ni leur timbre de voix, ni surtout leur langage ; il choqua
+jusqu’à mes guides, qui les appelèrent en moquerie « chiennes de
+Hammāmiāt ». Leur visage n’avait rien de joli ni d’intéressant, et leurs
+poitrines étaient un peu plus décolletées que ne le comportent nos
+idées.
+
+Nous partîmes de Lemmaguès où nous ne fîmes qu’une courte halte pour
+déjeuner et continuâmes notre route dans un pays qui n’était interrompu
+que par quelques ravines descendant des montagnes et allant au chott. La
+végétation était remarquable en ce qu’on y voyait associés le _zeita_,
+le _souid_, le _tarfa_, plantes qui croissent de préférence dans les
+lieux bas et près de l’eau, et le _halfa_ du pays, qui, s’il est
+semblable à son frère des hauts plateaux algériens[106], ne vient
+ordinairement que sur les endroits élevés et exposés aux vents.
+
+Nous fîmes lever trois outardes, qu’un de mes cavaliers chercha en vain
+à atteindre à balles. Nous vîmes aussi une petite troupe de gazelles.
+
+Nous atteignîmes enfin l’endroit où était la veille la zmala du khalifa
+des Aărād, avec une partie des Beni-Zid, mais à mon grand
+désappointement, nous trouvâmes la place vide. Les tentes avaient été
+plantées plus loin, et le guide fut d’avis qu’ils avaient pris la
+direction du Djébel-Chāreb. Je fis néanmoins arrêter ma petite troupe et
+me décidai à passer la nuit où nous étions. Nous avions pour nourriture
+des dattes, du pain et des œufs, mais les bêtes de somme eurent à
+jeûner ; mon cheval seul eut environ la moitié de sa ration habituelle
+du soir. Le cheikh Săīd de Kébilli partit à cheval pour explorer le pays
+en avant ; il revint disant qu’il n’avait rien trouvé sinon une tache
+noirâtre dans le lointain et qui pouvait aussi bien être des arbres que
+des tentes. Nous nous établîmes donc de notre mieux sur la frontière des
+Hammāma et des Beni-Zīd, deux tribus puissantes qui ont la plus mauvaise
+renommée comme pillards et qui, de plus, sont ennemies l’un de l’autre.
+
+Notre repos ne fut interrompu que par les cris d’un chameau égaré. Nous
+crûmes qu’il était chassé par des maraudeurs et préparâmes nos armes,
+mais nous nous étions trompés, c’était tout simplement un jeune chameau
+qui cherchait sa mère.
+
+ 17 mars.
+
+Nous nous mîmes en marche d’assez bonne heure, continuant à traverser le
+pays plat et ayant à notre droite les montagnes du Nefzāoua. Nous
+voyions à gauche le Djébel-Châreb se réunir au Hadifa, pic élevé que
+j’ai visé à la boussole plusieurs fois pour en déterminer la position.
+Nous traversâmes de nombreux oueds ; la végétation se montra la même
+qu’hier.
+
+Peu de temps après le départ, nous rencontrâmes deux ou trois voyageurs
+qui nous apprirent que la smalah avait campé un peu plus en avant, et
+bientôt en effet nous l’aperçûmes au pied de la montagne. Le cheikh Săīd
+fut encore détaché pour aller porter une lettre au khalifa et il nous
+rejoignit plus tard avec un ordre écrit d’un chef à son remplaçant à
+Hāmma.
+
+Nous arrivâmes à Aïn el Magroun[107], source qui sort de rochers de grès
+friables et qui a de petits dépôts calcaires ; il y a là un
+rassemblement de beaucoup d’eau, mais elle est un peu salie. Dans les
+berges de grès qui entourent la source, je remarquai des morceaux de
+bois fossiles passant quelquefois à une couleur et une forme presque
+charbonneuse ; ces morceaux de bois me frappèrent d’autant plus que
+leurs dimensions dépassaient de beaucoup tout ce que la plaine
+renfermait de gros troncs ou de grosses racines.
+
+Nous continuâmes notre voyage et arrivâmes bientôt à la fin des
+montagnes du Nefzāoua, et aperçûmes alors à l’horizon les hauteurs des
+Matmata, puis les plantations d’El-Hamma au pied d’une chaîne de
+hauteurs nommées El-Kheneg. Sur l’un des dernier pitons des montagnes du
+Nefzaoua, on me dit qu’il y a les ruines d’une petite ville peut-être
+romaine, perchée comme un nid d’aigle : on l’appelle Belīd Oulad
+Mehanna.
+
+Il ne nous fallut pas longtemps pour atteindre la petite ville de Hamma.
+Elle est entourée de plantations et se trouve divisée en deux villages,
+celui d’El-Hamma, puis celui de Kessàr par environ 40°, à 1 kilomètre de
+là ; entre les deux villages se trouve le bordj de construction arabe ou
+turque, où logent des soldats zouāoua. Près du bordj sont les sources
+thermales qui ont donné son nom à la ville.
+
+Il y en a trois principales :
+
+ { l’eau dans les bains 44°,4
+ ’Aïn-Hamma {
+ { dans le petit canal près du bassin 43°,95
+
+ { Dans les bains 46°,45
+ ’Aïn-el-Bordj {
+ { dans le bain, à l’ouest 45°,95
+
+ ’Aïn-Mejada 45°
+
+C’est cette dernière, je crois, qui alimente les bains des femmes.
+
+Les deux bains dont j’ai parlé sont de construction romaine,
+
+au moins quant aux fondations, tout entières en fortes pierres de
+taille ; je dois mentionner qu’au plafond d’une des chambres de bains
+d’Aïn-Hamma, il y a une pierre, ornée de sculptures et d’une inscription
+arabe, aujourd’hui trop effacée pour que j’aie pu en tirer un sens. — Il
+y a là des travaux de bassins, de canaux, etc., qui sont fort
+intéressants.
+
+La ville de Hamma[108] est bâtie peu élevée, les maisons sont crépies,
+du moins en partie, et on a mis encore là à contribution pour leur
+édification de nombreuses pierres romaines et des tronçons de colonnes.
+L’ancienne ville romaine était près du bordj. Les citadins de Hamma sont
+très sévères pour la réclusion de leurs femmes. Elles se cachent la
+figure lorsqu’elles sont obligées de sortir ; leurs vêtements ne
+diffèrent pas, autant que j’ai pu le voir de ceux des Nefzāoua. Mais
+j’ai pu voir des visages de petites filles très mignons et promettant de
+jeunes beautés. Les femmes des Benî-Zîd que je rencontre allant au bain,
+sont remarquables au moins par leurs coiffures ornées d’une ligne de
+pièces d’or sur le front. Elles prennent un soin particulier de leurs
+personnes, et sont plus attrayantes que les femmes des pays que je viens
+de quitter. Ayant eu l’indiscrétion de jeter un coup d’œil furtif sur le
+« bain des dames », je pus voir une d’entre elles exécuter devant ses
+compagnes un pas assez gracieux.
+
+Quant aux hommes de Hamma, ils s’enveloppent dans un haïk grossier
+souvent de couleur brune et orné au bas d’une frange de cordonnets. Je
+serais presque tenté de les croire encore plus fanatiques et méfiants
+que les habitants du Djérid. C’est étonnant. Il y a quelques juifs à
+Kessár.
+
+ 18 mars.
+
+Nous partîmes ce matin pour Gabès, et y arrivâmes après une demi-journée
+de marche. Le pays traversé est assez fortement accidenté, surtout sur
+la droite ; c’est l’influence des hauteurs des Matmata qui se fait
+sentir, et peut-être ce système de montagnes a-t-il une grande part dans
+le soulèvement qui a fait un lac du Palus Tritonis[109].
+
+Nous rencontrâmes beaucoup de troupeaux et d’Arabes s’en allant au
+désert. C’étaient des Benî-Zîd et des Mehadeba (Zaouiya).
+
+Nous eûmes à traverser de larges plantations avant d’entrer à Gabès, et
+nous coupâmes enfin l’oued qui forme une petite rivière ; là je vis
+plusieurs juives assez bien vêtues qui étaient en train de laver leur
+linge. Je remarquerai à cette occasion que le costume des juives et des
+musulmanes ne diffère pas à Gabès.
+
+Nous descendîmes à la porte du kaïd qui était en train de rendre la
+justice, et je n’y restai que quelques instants, car le bruit des
+plaintes arabes m’est insupportable. Le chef est un homme assez arrondi,
+et déjà un peu âgé : il me reçut bien et me dit que, ces jours derniers,
+il était venu ici un Français, voyageant à ses frais avec des spahis de
+Tunis. Il était en ce moment à Djerba, et devait revenir incessamment.
+
+On me logea dans une belle maison juive, où était aussi le bagage du
+Français, une de ses mules et un domestique. La maîtresse de la maison,
+une vieille juive de Tripoli, fit une sortie en poussant des cris
+épouvantables sur une note qui ferait envie à tous les sopranos
+possibles en apercevant le monde qui avait envahi son domicile ; elle ne
+voulut pas croire que je fusse Européen ; il fallut cependant bien
+qu’elle s’apaisât, et je pus m’établir assez confortablement. — Bientôt
+il y eut bonnes relations entre les dames de la maison et moi.
+
+Gabès ou plutôt El-Menzel[110], celle des deux villes de Gabès où je
+suis, est assez bien bâtie. Les maisons sont hautes et blanchies à la
+chaux ; les pierres des constructions viennent pour la plupart de
+l’ancienne ville romaine. Il y a un marché et un petit bazar couvert ;
+quantité de boutiques et ateliers tenus pour la plupart par des juifs,
+qui sont ici en très grand nombre. Les vêtements des hommes (musulmans)
+sont les mêmes que ceux d’El-Hamma ; ils sont du reste très variés. Les
+musulmanes s’habillent comme les juives, à ce qu’on me dit du moins, car
+elles sont séquestrées avec une grande sévérité. Le costume des juives
+est assez élégant quoique primitif ; le bleu y domine. Quant aux juifs,
+ils s’habillent comme ceux d’Alger, avec des culottes noires, turbans,
+etc., des couleurs et des modes les plus diverses. La population juive
+peut atteindre 1.000 âmes.
+
+Je trouvai à Gabès une borne milliaire, qui a été apportée d’une ruine
+romaine près de la mer, à l’est de Ketana et de Zerig-el-Berraniya. —
+Voici l’inscription[111] :
+
+[Illustration : Fac-similé de l’inscription de la borne milliaire de
+Henchir Aichou (de la carte de Sainte-Marie), à l’est de Ketana et au
+bord de la mer, sur la route du pèlerinage. — Pierre aujourd’hui à Gabès
+où je l’ai trouvée.]
+
+J’en ai pris du reste un estampage pour être bien sûr de la lecture.
+
+ 19 mars.
+
+J’ai été ce matin faire une promenade au bord de la mer, qui est à 3
+kil. de la ville. Nous passâmes d’abord le bordj, et laissant
+Djarra[112] à notre gauche, nous nous dirigeâmes vers la rivière.
+Arrivés à l’endroit où sont construits d’assez grands magasins pour les
+approvisionnements de l’armée, je vis quatre ou cinq felouques, ou
+embarcations pontées ou demi-pontées à voiles latines. C’est là toute la
+flotte commerçante du port de Gabès, si l’on peut appeler port le bord
+de la rivière où viennent aborder les bâtiments. Le peu de profondeur de
+cette rivière, et le manque de port véritable empêchent les bâtiments
+même d’un faible tonnage de venir toucher ici. Tout le commerce, d’après
+ce qu’on me dit, est un commerce de cabotage, avec Djerba et Tripoli. —
+Auprès du magasin, sont étalés par terre plusieurs canons de fer, les
+uns sans culasse, les autres sans bouche, les derniers enfin tout rongés
+par la rouille.
+
+Sur la plage qui est très basse (de sorte que j’estime à 2 mètres
+environ l’altitude de Gabès), je trouvai les mêmes coquillages que je
+m’amusais à recueillir autrefois à Toulon, et en partie aussi à
+Trouville. — D’ici j’eus devant les yeux un spectacle que je voyais pour
+la première fois ; la mer et des plantations de palmiers se touchant
+presque ; mais la verdure des palmiers qui, au sortir d’un désert, me
+paraissait si fraîche, me semblait terne et brûlée, comparée avec la
+belle couleur foncée de la mer.
+
+Je m’assis pour jouir quelques instants de ce bon air et du beau
+spectacle de la mer qui a toujours eu tant d’attraits pour moi.
+
+Nous nous en retournâmes ensuite, et je remarquai la végétation du
+rivage où le _harmel_, le _zeita_ et la plante grasse articulée des
+marais de la Chemorra (Tougourt) se trouvaient réunis.
+
+Je passe la journée à me reposer, à écrire quelques lettres et à lire un
+peu.
+
+ 20 mars.
+
+J’ai été au bord de la mer, et je n’ai pas pu résister à la tentation de
+prendre un bain, court il est vrai, mais qui, je l’espère, me fera du
+bien ; l’eau avait environ 15° de même que l’air vers 2 heures et demie
+de l’après-midi. Les mariniers me disent qu’à l’entrée de l’oued la plus
+grande profondeur d’eau que l’on trouve à marée haute ne dépasse pas 5 à
+6 pieds, une hauteur d’homme.
+
+Je mesure au pas métrique un sas au bord de la mer, pour donner quelque
+sûreté à mon plan de la rivière de Gabès, qui est tout à recommencer.
+
+J’apprends que le Bey a donné les ordres les plus sévères aux kaïds des
+villes maritimes de la régence pour qu’ils ne commettent pas
+d’exactions ; le kadhi est responsable sur sa tête s’il n’avertit pas le
+Bey le cas échéant.
+
+On me parle beaucoup des montagnes de Ghomerâçen[113], etc. Les tribus
+arabes qui y habitent (outre les habitants des villes qui sont berbères)
+sont les plus pillardes et brigandes que j’aie jamais entendu
+mentionner ; elles ne s’épargnent même pas entre elles. Les hommes ont
+écrit sur le canon de leur fusil les noms de ceux qu’ils ont tué, et
+celui qui en a le plus est le plus respecté. On m’en cite qui ont leurs
+canons de fusils tout couverts de ces marques. Il y a quelque temps, le
+chef de l’armée des Aàrād[114] vint à Gabès et, pour une raison ou une
+autre, il voulut soumettre la montagne, en particulier le ksar
+Mouddenin. Il partit de Gabès, jurant de rapporter tous les brigands
+enchaînés. Malheureusement les soldats tunisiens portent des pantalons,
+et lorsque du ksar Mouddenin on vit approcher l’armée, on cria partout :
+les Chrétiens ! les Chrétiens ! et on commença à écraser l’armée de
+pierres. Il y eut déroute complète et le chef lui-même arriva malade à
+Gabès.
+
+ 21 mars.
+
+Je pars dans la matinée et n’ayant plus de levé à faire sur une route
+que j’ai déjà parcourue, je fais attention à la végétation qui se
+compose de _halfa_, de _bou griba_ à fleurs jaunes et de _chih_ ; vers
+El-Hamma, en traversant la montagne, on voit apparaître le thym. La vie
+animale est très animée, je remarque des quantités de fourmis et autres
+hyménoptères, de lépidoptères et coléoptères.
+
+A notre arrivée, j’envoyai un mokhazeni prévenir le cheikh ; mais il fut
+reçu comme un chien dans un jeu de quilles, parce que le grossier kaïd
+de Gabès avait eu la bêtise de renvoyer mes deux cavaliers (de Hamma)
+sans leur donner seulement de l’orge pour leurs chevaux. Moi-même je fus
+accueilli on ne peut plus froidement ; le cheikh me fit mener à Kessar,
+de l’autre côté du bordj. Là, je fus reçu très malhonnêtement ; on
+refusa de chercher un logis avant d’avoir vu la lettre du Bey. Moi qui
+l’avais donnée à Gabès, je refusai de la montrer, et, voyant les
+mauvaises dispositions des habitants, je me décidai à camper en plein
+air, et j’écrivis à la hâte une lettre au khalifa des Benî-Zîd en le
+priant d’envoyer du monde pour me tirer de cette position et surtout
+pour m’accompagner sur la route de Gafsa.
+
+Je vins donc me réfugier au pied du bordj, et le chef de la garnison
+sortit pour savoir ce que je voulais ; lorsqu’il eut vu les lettres du
+Bey que j’avais dans mon portefeuille, il se fâcha tout rouge, et ne
+comprenant pas plus que moi la conduite des gens de Hamma, il me dit :
+« Il ne nous est pas permis de vous recevoir dans le bordj, mais voici
+une construction séparée où vous pouvez vous installer, et je vous
+considère désormais comme mes hôtes ; mes hommes veilleront la nuit sur
+vous. » Je m’installai, remerciant le brave homme de sa bonté, et à
+peine étais-je assis que les grands de Hamma vinrent me faire toutes
+sortes d’excuses et de protestations ; ils me priaient de venir en ville
+où on m’avait préparé une belle maison. Je refusai net, et eus à
+résister pendant plus d’une heure à leurs supplications. — Enfin ils me
+quittèrent et m’envoyèrent à dîner et de l’orge pour les bêtes. — Pour
+moi, je dînai avec le commandant du fort, qui ne voulut pas se défaire
+de ses droits d’hôte.
+
+
+[Note 99 : Appelé aussi Cherb-el-Dakhlania.]
+
+[Note 100 : Ce serait une variante de la voie méridionale de Thélepte à
+Tacapé de la Table de Peutinger ; d’après Tissot, elle passait par Nefta
+et la rive méridionale du chott Djérid. (Voir _Géog. comparée de la
+province romaine d’Afrique_, II, p. 686 et la note additionnelle de M.
+Salomon Reinach.)]
+
+[Note 101 : Le degré d’humidité des chotts varie pourtant d’année en
+année, selon l’abondance des pluies et l’élévation du niveau des nappes
+souterraines, qui affleurent et font équilibre à l’évaporation dans les
+parties basses. C’est ainsi que la mission Roudaire a trouvé sur le même
+trajet du Kriz au Nefzaoua un sol fangeux et détrempé (rapport cité, p.
+41). Ici, comme dans le reste du Sahara, il y a bien desséchement
+progressif, mais ce desséchement est infiniment lent.]
+
+[Note 102 : Ces deux inscriptions ont été reproduites par Tissot (_Géog.
+comparée_, II, p. 702-703) et dans le _Corpus_, I. (L. VIII, 84 et 83)
+d’après les copies de G. Temple et de Tissot lui-même. M. S. Reinach a
+signalé de légères différences entre ces reproductions et le dessin,
+dont le fac-similé est donné ici. On sait que Tissot a identifié
+Tellimīn avec le Limes Thamallensis de la Notitia Dignitatum, le Turris
+Tamallensis de l’itinéraire d’Antonin. Voir aussi, sur l’occupation
+romaine de la région au sud des chotts, Cagnat, _L’armée romaine
+d’Afrique_, p. 561, 753 et suiv. et le chap. VIII du mémoire du regretté
+P. Blanchet : _Mission archéologique dans le centre et le sud de la
+Tunisie_, avril-août 1895, _Nouv. Archives des Missions scient. et
+litt._, IX, 1899.]
+
+[Note 103 : L’Ad Templum des cartes.]
+
+[Note 104 : Rhoma ou Rhouma, chef insurgé du Djébel Tripolitain, où il
+brava successivement les armées des Karamanli de Tripoli, puis des
+Turcs. Il fut attiré à Tripoli et pris par trahison en 1843.]
+
+[Note 105 : Appelé aussi Djébel-Tebaga.]
+
+[Note 106 : Cette remarque n’est pas inutile, car les Tripolitains
+donnent le nom d’halfa à une autre graminée, _Lygeum Spartum_ L. et
+appellent l’alfa algérien _guedim_ ou _bechna_ (_Les Touaregs du Nord_,
+p. 203). L’alfa algérien est ici près de sa limite sud.]
+
+[Note 107 : Sans doute l’oued Magroun de la mission Roudaire, ruisseau
+permanent issu d’une des nombreuses sources qui jaillissent au pied du
+massif crétacé du Tébaga. (Dru, rapport cité, p. 39.)]
+
+[Note 108 : _Aquae Tacapitanae_. Cf. Tissot, II, p. 654.]
+
+[Note 109 : Duveyrier était parti avec cette idée. Il s’en est expliqué
+dans une lettre au Dr Barth, datée de Biskra, 19 déc. 1859, dont le
+brouillon en allemand se retrouve dans ses papiers : « Je regarde comme
+très probable la connexion du Chott Melrir avec le Palus Tritonis des
+géographes anciens. Je me représente cette grande dépression reliée
+jadis aux sebkhas du Djérid, et celles-ci unies à la Méditerranée. Il
+suffirait d’admettre un soulèvement progressif du sol... » Il ajoutait,
+il est vrai : « Je me suis arrêté trop longtemps à ces indications
+incomplètes, et je manque ici à mon principe, qu’un voyageur en route
+doit bâtir aussi peu d’hypothèses que possible. » — Sur le seuil de
+Gabès et sa formation, voir notamment L. Dru, _Rapport sur la dernière
+expédition des chotts_, Paris, 1881, p. 49-51 et coupe. Sur la région
+des Matmata, voir P. Blanchet, _Le Djébel-Demmer_ (_Annales de Géogr._,
+1897, p. 239-254) et commandant Rebillet, _le Sud de la Tunisie_, Gabès,
+1886.]
+
+[Note 110 : L’ancien Menzel a été en partie détruit lors de la prise de
+Gabès en 1881.]
+
+[Note 111 : Reproduite dans Tissot (II, p. 199, 811) et dans Guérin
+(_Voyage archéologique dans la Régence de Tunis_, II, p. 191) qui la
+croyait apportée de Henchir Lemtou.]
+
+[Note 112 : L’autre ville de l’oasis de Gabès.]
+
+[Note 113 : Ghoumracen, village troglodytique du Djébel el Abiod,
+appartenant aux Ourghamma.]
+
+[Note 114 : L’agha des Aarad, comme la plupart des autres gouverneurs de
+province, résidait à Tunis et venait à Gabès avec sa colonne pour faire
+rentrer les impôts.]
+
+
+
+
+ CHAPITRE VI
+
+ RETOUR AU DJÉRID PAR GAFSA
+
+
+ 22 mars.
+
+En partant du bordj, nous traversâmes longtemps les plantations, au
+milieu desquelles apparaissaient çà et là quelques maisons habitées,
+entourées de basses-cours ; après avoir enfin franchi la limite des
+palmiers, nous entrâmes dans une plaine à végétation de _zeita_ et à sol
+sablonneux mais solide ; nous y voyageâmes quelque temps et pénétrâmes
+enfin dans une sebkha qui représente ici le grand chott.
+
+La surface unie et nue, la vraie sebkha, ne dura qu’un instant et nous
+continuâmes dans un terrain de bonnes terres, avec quantité de _chih_,
+de _remeth_ qui apparaît ici, et enfin de _sedra_. Presque sans
+discontinuité nous voyons des traces de labours, ce qui prouve assez que
+le chott n’est plus en cet endroit le même que dans l’espace qui sépare
+le Djérid du Nefzāoua.
+
+Lorsque nous sortîmes du chott, nous entrâmes dans les montagnes que
+nous avions eues devant nous depuis le moment où nous avions quitté El-
+Hamma. La vallée de Hareīga se prolonge ici entre deux lignes de
+hauteurs : celle de gauche est le Hadīfa ; nous continuâmes longtemps
+dans cette vallée, trouvant souvent des restes de petits établissements
+romains, postes et autres ; notamment nous touchâmes à des ruines que je
+crois être celles d’un petit temple ; les pierres, quoiqu’en petit
+nombre, étaient d’énormes dimensions et un grand nombre d’entre elles
+avaient une forme courbe, comme si elles avaient servi à former une
+arcade.
+
+Après avoir dépassé le Hadifa, nous entrâmes dans l’interminable vallée
+ou plaine de Săgui. Tous les oueds, à partir de ce moment, prennent leur
+cours vers la droite. Le sol de cette plaine est excellent et
+parfaitement labourable ; actuellement, il est vrai, le manque d’eau
+empêche qu’on ne la cultive, sauf dans des proportions insignifiantes,
+mais il semblerait qu’à l’époque de l’occupation romaine, il en était
+tout autrement, à en juger par de nombreuses traces d’établissements
+romains qu’on rencontre en la traversant[115]. L’oued qui forme le fond
+de la plaine, et qui reçoit des ravines des deux lignes de montagnes, a
+pu autrefois contenir beaucoup plus d’eau qu’aujourd’hui. J’entends dire
+qu’il tient des rhedirs[116] et de grandes mares jusque pendant quatre
+mois, lorsque la pluie tombe.
+
+Nous avions l’intention de marcher jusqu’à El-Ayaēcha ou El-Guettār ;
+mais, en route, je fus frappé par trois ou quatre pierres romaines
+d’assez grandes dimensions, et quoique nous les eussions dépassées, je
+revins vers elles et, sans descendre de cheval, je pus distinguer une
+inscription sous un tronçon de colonne. Je fis aussitôt revenir la
+caravane, et décidai de passer la nuit ici.
+
+Nous trouvâmes un monolithe arrondi, sortant d’une base carrée et couché
+à terre ; à côté se trouvaient les débris incomplets d’une autre colonne
+semblable ; c’était sur un de ces débris que j’avais vu l’inscription.
+La colonne complète avait aussi été couverte d’une longue inscription,
+mais le temps et la main des enfants arabes, qui s’étaient amusés à
+marteler l’inscription, l’avaient rendue illisible. Je pus bien
+reconnaître çà et là quelques lettres isolées, mais n’avais pas le temps
+de les copier ; le travail eût été trop long et trop pénible. Je le
+laisse à un successeur. Outre le tronçon de colonne gisant sur le sol,
+il y en avait un autre à demi enterré ; un peu de travail le mit à jour,
+et j’eus le bonheur d’y trouver une partie de l’inscription qui devait
+être fort longue. Comme cette inscription est très incomplète[117], je
+me contenterai de reproduire ce que j’ai pu y reconnaître.
+
+[Illustration : Deux tronçons de colonne portant une inscription. Săgui
+(route de Gabès à Gafsa).+Inscription relative à une fortification de la
+route de Gabès à Gafsa. Borne milliaire de Săgui.]
+
+Lorsque nous eûmes fini de déterrer ces pierres, j’en vis une autre dont
+la partie visible, peut-être longue d’un mètre, me parut être une pierre
+tumulaire, et, ignorant ses dimensions, je fis commencer le travail pour
+la déterrer. Le premier résultat de notre travail fut de découvrir que
+cette pierre était longue de plus de 2 mètres, large de 50 centimètres
+et épaisse de 45. Nous n’avions pas d’autres instruments que des
+couteaux et des piquets de tente, et mes six hommes parvinrent à
+renverser cet énorme bloc. Mais nous fûmes bien récompensés, car nous
+trouvâmes une belle inscription très peu endommagée.
+
+Pour illustrer nos mœurs, je noterai qu’au moment où la pierre cédait à
+nos efforts, on signala trois hommes à l’horizon ; comme ils étaient
+encore assez loin, nous terminâmes le travail et courûmes ensuite à nos
+armes. Je pris moi-même mon revolver et allai gratter un peu mon
+inscription. — Nous avions fait de grands préparatifs guerriers,
+inutiles heureusement, car les arrivants étaient de petits marchands
+sans armes, qui poussaient devant eux quelques agneaux et chevreaux
+qu’ils venaient d’acheter aux Hammāma. Je leur achetai un agneau pour
+récompenser mes hommes (5 fr.) et si nous avions eu de l’eau à volonté,
+nous aurions été les plus heureux des mortels. Il fallut souffrir de la
+soif, moi excepté. Nos pauvres bêtes de somme aussi furent obligées de
+rester à jeun, car le pays ne produit que du _chih_ et du _remeth_, et
+les bêtes ne mangent que très peu la première de ces plantes
+seulement[118].
+
+L’inscription que nous venions de déterrer était une borne
+milliaire[119] et son contenu très intéressant, quoique les chiffres
+aient été proprement martelés à l’époque romaine sans doute.
+
+ 23 mars.
+
+Les maîtres des agneaux qui avaient passé la nuit avec nous, et aussi
+sacrifié un agneau de leur côté, nous firent changer un peu notre
+direction. Nous voyions devant nous une chaîne de montagnes ; il
+s’agissait de savoir si nous passerions à droite ou à gauche : nous
+suivîmes leur conseil et prîmes à gauche.
+
+Le pays était identiquement le même que celui que nous avions traversé
+hier, et nous rencontrions encore de temps en temps des restes de
+constructions romaines, que je pris pour des fermes. Je dois noter
+spécialement la première ruine, qui se trouve à 480 mètres au nord-ouest
+des inscriptions, et qui par ses restes de pierres de taille énormes me
+fait penser qu’il y avait là un petit temple ou tout autre bâtiment
+public. Nous laissâmes bien loin sur la droite, près des montagnes, une
+« porte », probablement un arc de triomphe dont me parlent les cavaliers
+du makhzen.
+
+Au bout de quelque temps, nous arrivâmes à une construction romaine
+connue sous le nom de Henchir es Somăa. C’est un monument tumulaire en
+forme de tour carrée ; l’intérieur que l’on peut voir à travers les
+dégradations formait une chambre carrée aussi haute que le monument. Le
+tout peut avoir 15 pieds de haut, pas plus de 20 pieds. Le monument a
+aujourd’hui une position inclinée du côté de l’ouest, ce qui tient aux
+pierres qui ont été arrachées de la base de ce côté.
+
+[Illustration]
+
+Je fis une esquisse rapide de cette ruine, et pendant que je déjeunais,
+un cavalier étant parti questionner des bergers dont nous voyions les
+moutons au loin, revint avec la nouvelle que nous nous étions trompés de
+route. — Un cavalier du kaïd du Nefzāoua qui nous rejoignit bientôt,
+emmenant avec lui un domestique du kaïd et une négresse sur un mulet,
+nous tira d’embarras en nous montrant la route.
+
+Nous coupâmes la montagne, du moins une partie très basse de la
+montagne, à un endroit où la route romaine de Gafsa à Tacape devait
+aussi passer, à en juger par les restes de constructions qui se
+montraient de temps en temps à droite et à gauche de la route et par des
+lignes de pierres qui me semblent avoir été mises pour démarquer la voie
+romaine. Outre les plantes de Sagui, je notai ici le _retem_, le
+_rhardeg_ et le _harmel_.
+
+La montagne était de calcaire ; quelquefois le sol prenait une teinte
+verdâtre due à des argiles (?) ; enfin dans ces endroits on remarquait
+des pierres luisantes : sulfate de chaux à l’état cristallin
+grossièrement fibreux.
+
+Nous entrâmes ensuite dans une autre plaine où nous rencontrâmes encore
+des traces de labours. Là il nous arriva un petit accident, un de nos
+mulets tomba par terre, et entra dans des convulsions qui me firent
+craindre qu’il ne mourût. Cependant ce n’était qu’une violente colique,
+et peu à peu il se remit et nous pûmes enfin gagner El-Guettar.
+
+El-Guettār est une petite ville, ou plutôt un village, bâti en pierres
+et en terre à la manière arabe ; on n’y remarque pas la moindre trace
+d’occupation romaine. Du reste, la ville est très peu importante et les
+maisons sont la plupart en ruines. El-Guettār possède des plantations de
+palmiers et d’oliviers en proportion avec son importance. Les dattes se
+nomment kĕsébba. Les habitants s’habillent comme ceux du Nefzāoua et les
+femmes, quoique vêtues de bleu, mettent aussi un haïk blanc. Leur
+coiffure est la même que celle des Nailiyat, avec les fausses tresses de
+chaque côté de la tête. Au reste, la ville compte comme arabe et les
+habitants ont une renommée de pillards.
+
+D’après le _Nautical Almanach_, le Ramadhan ne devait commencer que
+demain (à Constantinople ?), mais la question étant grave, beaucoup
+d’individus se mirent à consulter le ciel, et vinrent me dire que la
+nouvelle lune avait paru et s’était couchée presque aussitôt.
+
+El-Guettār est appuyée sur un renflement du bas de la montagne[120].
+
+ 24 mars.
+
+J’ai oublié hier de dire deux choses intéressantes sur Guettār. La
+première est relative à la nature des eaux qui arrosent les plantations.
+On creuse des trous assez vastes de 3 à 6 mètres de profondeur, selon la
+proximité de la montagne, et on met à découvert un _ruisseau_ d’eau. Je
+crois que les palmiers plongent leurs racines dans l’eau, mais pour les
+grains, etc... on les arrose à force de bras au moyen de puits
+semblables à ceux des Beni-Mezab.
+
+La seconde est d’autant plus remarquable qu’ordinairement les Arabes ne
+se confient pas vite au premier venu. Mais à peine étais-je installé
+dans la maison du cheikh que plusieurs habitants de Guettār vinrent me
+trouver et me dirent en levant les mains au ciel : « Mon Dieu, combien
+nous désirerions que les Français fussent les maîtres de ce pays ! »
+
+Je restai à Guettār la première partie du jour ; je dois remarquer que
+les femmes jouissent ici d’une grande liberté. Elles causèrent sans
+façon avec moi, et me contèrent leurs petits « bobos ». Une de ces dames
+était évidemment malade du poumon, et j’eus l’indiscrétion de lui
+demander à voir l’endroit où elle souffrait. Cela ne fit aucune
+difficulté. Aussi sa complaisance fut-elle payée par un peu de
+médicaments et de bons conseils, comme celui de porter de la laine. En
+effet, toutes les femmes de ces contrées se vêtent de coton.
+
+Après avoir pris la hauteur du soleil à midi, nous nous mîmes en route.
+Nous trouvâmes une plaine très unie, entourée de montagnes que nous
+n’atteignîmes pas. Le paysage ne variait qu’en ce qu’il était plus ou
+moins inculte ; le changement fut très sensible lorsque nous approchâmes
+de l’oasis de Lâla. Nous traversâmes alors des champs de céréales en
+orge.
+
+Le camp de l’armée du Bey Hamouda[121] nous apparut de loin avec ses
+tentes blanches, et lorsque nous approchâmes, je pus m’amuser à
+considérer le mouvement extraordinaire qui y régnait. Il y avait une
+foule de cavaliers allant et venant, des soldats vêtus à l’européenne ;
+au milieu des tentes des soldats on remarquait deux pavillons surmontés
+d’une pomme dorée : c’étaient les tentes du Bey Hamouda et du ministre
+garde des sceaux. Le camp était entouré de tentes d’Arabes qui
+probablement étaient là pour le service des munitions de bouche, enfin
+on voyait dans la plaine des troupeaux de chevaux, qui avaient été
+enlevés dernièrement au Hammāma, soit comme complément du tribut, soit
+comme amende.
+
+Nous passâmes au milieu de tout ce mouvement, causant beaucoup de
+surprise. Nous nous arrêtâmes dans la ville de Gafsa, qui se trouvait de
+l’autre côté de l’oued Beyâch, à la maison de Si elʿAbidi, khalifa de Si
+ʿAli Saci. Mais comme on ne mettait pas trop d’empressement à nous
+recevoir, et surtout parce qu’on prétendait me faire partager un logis
+avec d’autres étrangers, je me remis aussitôt en selle, et allai avec
+Ahmed et un _mokhazeni_, voir Si ‘Ali Saci[122].
+
+On me fit attendre assez longtemps dans sa tente, et Ahmed fut mandé
+pour donner des détails sur ma personne. Enfin le seigneur parut, me
+salua d’une manière très affable, et me fit asseoir à ses côtés ; je lui
+remis aussitôt les lettres que j’avais à son adresse et lorsqu’il les
+eut lues, il donna des ordres pour mon installation et me pria de rester
+à _déjeuner_ avec lui après le coucher du soleil.
+
+J’acceptai volontiers son offre et envoyai Ahmed présider à mon
+installation.
+
+Pendant que j’étais dans la tente de Si ʿAli Saci très occupé alors par
+les affaires financières de son département, je reçus la visite de
+plusieurs Européens au service du Bey ; tous me parurent très bornés, et
+me déplurent au plus haut degré ; je dois en excepter seulement le
+médecin du Bey, qui sait le français et est à part cela un fort aimable
+homme.
+
+Après le dîner, je partis pour Gafsa où je trouvai tout à souhait.
+Cependant je ne pus pas bien dormir, à cause du bruit que firent les
+gens de la maison, qui se disputaient pour avoir leur dîner d’abord, et
+ensuite se mirent à chanter et à rire d’une manière désespérante. Je
+suis à part cela dévoré par des puces depuis le Nefzāoua[123].
+
+ 25 mars.
+
+Je me levai tard, et me rendis de bonne heure au camp ; j’y eus un bout
+de conversation avec Si ʿAli Saci toujours très occupé, et j’allai
+déjeuner chez le médecin, à qui le Bey a fait cadeau d’un cheval hier ;
+nous eûmes un fameux repas venant en partie de la cuisine du Bey, avec
+vin de Marsala.
+
+Je revins en ville plus tard que je ne l’aurais voulu, et en route on me
+montra l’exécuteur des hautes œuvres, qui porte l’habit d’un canonnier à
+cheval. Je trouvai le Khalifa tout prêt à nous montrer les inscriptions
+latines que renferme la ville. Je crus d’abord qu’il n’y en avait que
+quelques-unes, mais le travail fut beaucoup plus grand que je ne l’avais
+pensé. Je ne connaissais pas encore bien le labeur de la lecture d’une
+inscription endommagée ; et ce labeur se renouvela douze fois dans mon
+après-midi. La plupart des inscriptions sont très avariées, étant toutes
+placées dans les murailles des maisons, en dehors, et quelques-unes à
+moitié enterrées dans le sol. Si j’étais plus ferré en archéologie,
+peut-être eussé-je rendu, mieux que je ne l’ai fait, ces monuments
+épigraphiques, mais enfin je vais livrer ici le résultat de mes
+lectures[124]. Quant à des estampages, l’état inégal de la surface des
+pierres n’aurait pas permis de donner grand’chose de bon.
+
+Dans notre promenade nous touchâmes au Termīl, qui est la source célèbre
+de la ville, elle est près du bordj, et on y descend par quelques
+marches ; toutes les constructions à l’entour sont fort solides et
+datent de l’époque romaine. Le bordj lui-même est un magnifique fort, le
+plus beau de la régence après ceux de Tunis ; il occupe un vaste
+emplacement et est fort élevé ; l’architecture en est élégante. Je vis
+aussi en me promenant l’arc de triomphe (?) et aussi les ruines d’une
+église chrétienne dont les arcades sont encore très bien conservées.
+
+Au point de vue pittoresque, le fait le plus intéressant de ma journée
+est ma visite à un juif nommé Moucti ; il est Algérien d’origine, sa
+maison est un petit palais, et il a une nombreuse famille ; il me reçut
+dans une chambre avec un lit à rideaux, pendule, etc., et me fit servir
+de l’absinthe du pays qui est excellente et des gâteaux. C’est une jeune
+et belle femme qui me servit ; elle peut servir de type du costume des
+dames de la famille et, me dit Ahmed, des Tunisiennes en général. Ce qui
+le caractérise est le pantalon collant, depuis la cheville jusqu’au
+haut, et l’espèce de juste-au-corps collant sur la poitrine. C’est un
+singulier contraste avec l’ampleur des autres modes musulmanes, mais il
+n’est pas dépourvu d’élégance, et là il était fort bien porté. Je fus
+très bien reçu par tout le monde et avec des manières très gracieuses.
+
+Le soir, je vais dans le bordj faire des observations astronomiques
+complètes.
+
+ 26 mars.
+
+Aujourd’hui j’ai fini ma tournée archéologique, et quoique j’aie encore
+trouvé trois inscriptions, je ne doute pas que je sois loin d’avoir tous
+les documents épigraphiques de Gafsa.
+
+Je profitai de ma promenade pour observer près de la maison du Bey un
+vaste bassin, vraie piscine de construction romaine, dont l’eau est
+encore plus chaude que celle du Termīl. Il y a des poissons, les mêmes
+que ceux du Termīl, dont j’aurais bien voulu prendre un échantillon, car
+je suis bien sûr qu’ils forment une espèce nouvelle pour moi, c’est-à-
+dire différente de celles que j’ai observées jusqu’à présent en Afrique.
+
+Je me promène avec un tailleur de pierres de Dresde qui, bien que jeune
+encore, a vu beaucoup de pays ; maintenant il est ici un des élégants du
+pays, s’est fait musulman ; il travaille à construire des maisons et
+gagne, me dit-il, 5 fr. par jour. Il me propose d’aller voir vers
+l’ouest de la ville de vastes carrières souterraines du temps des
+Romains, mais comme ce fait a moins d’intérêt pour moi que pour lui, je
+me borne à en prendre note.
+
+Je vais au camp. L’armée reste encore attendant l’argent d’El-Ayaēcha
+qui ne paraît pas se presser. Si ‘Ali me reçoit toujours très bien, je
+prends congé de lui, car demain je me mets en route.
+
+Le Bey a demandé hier à son médecin quelques détails sur moi.
+
+Source du Termīl = Temp. 30°.
+
+ { Temp. 23°,5, prise le 28 au matin.
+ Puits de la cour = {
+ { Prof. 11 1/2 _dra_ = 5m,75.
+
+ 27 mars.
+
+Nous partîmes de Gafsa assez longtemps après le lever du soleil, car le
+seul moment où je puis dormir dans cette ville est précisément le matin,
+où les puces qui font aussi le ramadan me laissent un peu de repos.
+
+La route qui nous mène à Hamma était trop longue pour l’heure de notre
+départ. Nous suivîmes tantôt de près tantôt de loin le cours de l’oued
+Beyâch, qui change plusieurs fois de nom en cette petite étendue de
+pays. L’oued forme le fond d’une large vallée ou plaine bordée à gauche
+par le Djebel-Chareb, et à droite par la continuation des montagnes de
+Gafsa. Il finit réellement à Tarfaouï où nous traversâmes une sorte de
+chott sablonneux, mais cependant plus loin, et jusqu’à près d’El-Hamma,
+je pus voir le fond de la plaine occupé par une sebkha allongée
+ressemblant à un oued.
+
+Vers la fin de la journée nous nous rapprochâmes des dernières hauteurs
+du Chareb ; nous rencontrâmes là plusieurs piétons hammāma qui nous
+firent hâter la marche ; je ne puis pas m’expliquer la terreur que ces
+gens inspirent à mes compagnons de route. Cependant un chaouch alla voir
+ce qu’ils voulaient, et nous trouvâmes de simples voyageurs comme nous.
+Un de ces Hammāma se joignit à nous.
+
+Nous n’atteignîmes El-Hamma que bien tard dans la nuit ; j’arrêtai mon
+itinéraire à la Hadjra Soûda, pour le reprendre demain. A notre arrivée,
+nous fûmes reçus par un ami de Si ʿAli Saci auquel ce seigneur nous
+avait recommandés.
+
+ 28 mars.
+
+L’oasis d’El-Hamma a environ 380 hommes de population, ce qui donne un
+chiffre d’environ un millier d’habitants. L’année dernière, le pays ne
+payait que 4.000 réaux ; cette année, il donne 12.000 réaux ; la
+différence de l’impôt tient à ceci, que l’année dernière il y avait un
+autre cheik, et qu’un homme de l’oasis alla au Bey et lui dit : « Donne-
+moi El-Hamma, je te donnerai un revenu triple de ce que cette oasis te
+rapporte. » C’est ainsi que se passent les choses dans ce pays ; ainsi
+aujourd’hui chaque homme de la ville est taxé à 31r,6, soit environ 21
+fr. !
+
+J’ai couché à Nemlāt, un des villages de l’oasis.
+
+Ce matin, j’ai été me promener à cheval, j’ai vu les sources d’eau
+chaude, qui sont d’eau douce ; on y voit une piscine et une ligne de
+pierres, un quai de construction romaine. — Voici les températures :
+
+ Ruisseau sortant de terre 37° 3
+
+ Dans l’eau, près d’une source dans le sable 39° 1
+
+ Dans la piscine, à la source 39° 6
+
+Plus loin, je visitai la Hadjra Soūda, rocher noir qui se montre isolé à
+peu de distance des palmiers sur la route de Tunis. Ce rocher est
+curieux, en ce qu’il est évidemment d’origine plutonienne, ou
+métamorphique ; il est de couleur noire et de structure ovoïde ; il est
+très dur. La forme est allongée, on voit que c’est une roche éruptive
+qui a été poussée des sous terre par une force qui a probablement donné
+naissance à une hauteur que l’on voit à côté.
+
+L’oued d’El-Hamma est d’eau salée et tiède ; il nourrit de singuliers
+petits poissons, qui portent leurs petits dans leur bouche[125], et Si-
+Mohammed ben Rabah me dit qu’ils appellent leurs petits en battant des
+nageoires, à la manière des poules, que les petits savent ce signal et
+viennent se réfugier dans la bouche du gros.
+
+Les constructions de Hamma sont moitié comme celles du Djérid[126],
+moitié comme celles des qsours[127] ; mais on n’y voit pas d’élément
+romain.
+
+Nous rencontrons ici un Nemmouchi des Oulād el ʿAïsawi, qui vient
+demander au Bey, pour sa tribu, la permission d’entrer dans la Régence ;
+il me dit qu’ils m’amèneront en paix à Négrīn, si le Bey le leur
+demande, mais à part il dit à Ahmed que, s’il avait su que nous étions
+en voyage, il serait venu nous égorger tous deux de nuit, parce que nous
+sommes des chrétiens !
+
+Il me dit qu’il y a un mois, la nouvelle leur est arrivée que les
+Kabyles se sont révoltés et nous ont vaincus et que les Français, en
+désespoir de cause, ont promis 50 douros et un cheval à quiconque
+viendra à leur secours (des Musulmans) !
+
+J’arrive à Tōzer en très peu de temps, et y trouve le vice-consul qui
+m’installe dans une maison à côté de la sienne.
+
+ 29 mars.
+
+J’ai passé la journée, à la maison, à mettre au courant mes itinéraires,
+et, le soir, j’ai calculé quelques latitudes.
+
+Aujourd’hui comme hier, le temps est lourd et le ciel couvert de nuages
+transparents.
+
+Le soir, un coup de vent à la tombée de la nuit disperse mon herbier qui
+était à sécher ; je crains bien que beaucoup de plantes ne soient
+perdues. C’est un coup de « chĕhili[128] ».
+
+Je détermine le genre des poissons de l’oued de Hamma, de Termīl, etc...
+Ce sont des « cyprinus » (Cuvier) ; dans l’édition allemande de Vogt,
+ils ne sont pas décrits et probablement ils ne le sont pas du tout.
+
+ 30 mars.
+
+Ce matin, au moment où j’y pensais le moins, lisant sur mon lit, je vois
+ma cour envahie par des hommes et des chevaux. Je demande ce que cela
+veut dire et prie tout le monde de s’en aller. Mais comme le sont
+souvent les serviteurs des hommes les plus gracieux, ces gens font la
+sourde oreille et refusent de m’obéir. Il y a longtemps que la moutarde
+me chatouille le nez à propos de l’insolence des gens du makhzen. Cette
+fois, le manque de politesse est trop formel ; je n’y tiens plus, et
+empoignant la chaise de Si Mohammed, je fais une charge furieuse sur
+hommes et chevaux et en deux minutes suis maître du champ de bataille.
+
+Dans la soirée, arrive le voyageur français dont j’ai parlé à Gabès :
+c’est M. Guérin, professeur de rhétorique et voyageur historien. Il
+connaît déjà l’Orient et nous nous connaissons de Paris où nous suivions
+ensemble les cours de M. Caussin de Perceval. Il arrive dans un état
+déplorable, car ils ont été assaillis en route par l’ouragan d’ouest
+dont nous n’avons pu nous faire qu’une faible idée en ville. Nous
+causons tout de suite d’inscriptions, et rectifions mutuellement
+quelques erreurs que nous avions commises dans les lectures.
+
+Le khalifa qui vient voir M. Guérin me fait ses excuses sur ce qui s’est
+passé ce matin.
+
+L’armée est arrivée à Hamma et viendra demain ici.
+
+ 31 mars.
+
+Ce matin, le Bey a fait son entrée avec sa petite armée ; on a tiré
+vingt coups de canon pendant une petite revue que le Bey a faite à son
+arrivée.
+
+Je vais voir Si ʿAli Saci qui me reçoit avec une extrême politesse et se
+tient debout pendant que nous causons. Il promet de m’expédier après-
+demain, et demain il me donne du monde pour aller à Sebaa-Regoud ; la
+caverne a quelque chose d’intéressant au point de vue géologique.
+
+Promenade à Belidet-el-Hadar[129] avec M. Guérin[130] ; nous
+reconnaissons, auprès du minaret dont j’ai déjà parlé, le plan par
+colonnes d’un vaste temple ou église ; les entrepas des colonnes ont
+2m,50 environ. M. Guérin est d’avis que les buttes de sable et de débris
+de brique qui entourent la petite ville marquent la circonférence de
+l’ancien Tusurus. Nous trouvons près de là un puits romain carré, de
+nombreuses pierres dans les maisons.
+
+Puis nous visitons la prise d’eau romaine, qui est encore très bien
+conservée.
+
+ 1er avril 1860.
+
+Je vais voir encore une fois le Djebel Sebaa Regoud.
+
+Je n’ai qu’une note topographique à ajouter à celles que j’ai déjà,
+c’est que 600 à l’ouest de Keriz, on coupe l’oued Sebie Biar qui sort de
+la montagne ; à sa source il y a un puits romain (carrière) ; l’oued est
+petit et va arroser les palmiers.
+
+[Illustration : Gravure rupestre du Djebel Sebaa Regoud trouvée sur un
+banc plat de concrétions calcaires très solides, épais de 0m,10 à 0m,15,
+reposant sur des grès. (H. Duv.)]
+
+La grotte ou plutôt les grottes[131] sont dans un ravin, au nord un peu
+est de la ville, à une petite distance. Celle que j’ai visitée, la plus
+grande, se divise en deux branches ; la branche profonde est très
+difficile, on n’y pénètre qu’en rampant sur le ventre, et souvent la
+paroi est trop étroite pour qu’on passe les deux épaules en même temps.
+Dans la chambre étroite où on arrive il y a beaucoup de fossiles dont
+j’ai pris des échantillons ; on trouve sur la paroi des stalagmites en
+forme de couches. Sur une de ces couches je lus : READE 1845. La grotte
+ne s’arrête pas là, elle se prolonge par différents couloirs ; un
+tailleur de pierres allemand me dit qu’on voit encore les traces des
+coups de marteau qui ont servi à la creuser, et que l’un des couloirs
+conduit à une chambre taillée de main d’homme.
+
+Je retourne ensuite à l’inscription[132], dont je complète le dessin, je
+découvre un peu plus haut, sur la même plate-forme, une figure
+grossièrement taillée comme l’inscription elle-même. C’est peut-être une
+grossière imitation de la lune[133]. Dans le ravin, je remarque la
+formation de la montagne. Les assises les plus basses qui soient
+découvertes sont des bancs de terre glaise sans fossiles, alternant avec
+des bancs de sable fin et entassé (grès très tendre en formation) et
+remplies de jolis petits cailloux de quartz hyalin ou autre et de silex.
+Par-dessus tout cela vient le calcaire coquillier marin.
+
+ 2 avril.
+
+M. Guérin revient aujourd’hui de Nafta. Nous faisons une grande tournée
+dans l’oasis. Puis nous revenons en ville et nous voyons les différents
+quartiers qui sont : au S.-O. Zebda ; au S. Oulad el Hādef, à l’E. un
+peu N. Zaouyet Debabsa qui est séparée de la ville, au N. Oussouāu, au
+N.-N.-O. le tombeau du Sidi ʿAbīd, à l’O. un peu N. Guetna, à l’ouest
+Masrhona et un peu plus loin Cherfā.
+
+A un petit partage d’eau de El ʿAguela dans l’oued Zebbāla, à 4 h. 1/2,
+l’eau avait 28° 4, l’air au thermomètre fronde 26°,4.
+
+ 3 avril.
+
+J’ai oublié de mentionner hier qu’outre de nombreuses pierres romaines,
+fondations de maisons, colonnes (dont une de marbre), constructions dans
+les saguias, partages d’eau, etc., que nous avons rencontrés dans les
+plantations et les villages de Tōzer, nous avons encore remarqué en
+ville une pierre portant une branche de zizyphus lotus très bien
+sculptée en relief.
+
+
+[Note 115 : Sur l’occupation romaine du sud de la Tunisie, voir, outre
+les ouvrages généraux de Tissot, Cagnat, Gauckler, Toutain, etc., les
+études du Dr Carton (_Revue Tunisienne_, 1895, p. 201, 1896, p. 373,
+530), de P. Blanchet (rapp. cité, _N. Arch. des Missions_, IX, 1899) et
+de A. du Paty de Clam (_Bull. de Géogr. historique et descriptive_,
+1897, p. 408-424).]
+
+[Note 116 : Flaques d’eau douce.]
+
+[Note 117 : Voir la reconstitution dans Tissot, II, p. 658.]
+
+[Note 118 : Ceci ne s’applique qu’aux chameaux du sud algérien et
+tunisien. C’est ainsi que ceux de la Cyrénaïque mangent très bien le
+remeth (Rohlfs, _Kufra_, p. 538) et que ceux du Fezzàn font du chih leur
+nourriture favorite (Ascherson, _Kufra_, p. 481). C’est précisément la
+répugnance des chameaux à se nourrir de plantes inaccoutumées qui oblige
+les caravanes à changer d’animaux dans la traversée du désert.]
+
+[Note 119 : Dite milliaire d’Asprenas. (Cf. pour lecture plus complète
+Tissot, II, p. 650 et _C. I. L._, VIII, 10023.)]
+
+[Note 120 : Le Djébel Arbet ou Orbata (crétacé).]
+
+[Note 121 : Frère du Bey régnant.]
+
+[Note 122 : Kaïd du Djérid.]
+
+[Note 123 : On sait que la puce épargne le Sahara proprement dit.]
+
+[Note 124 : Voir à l’Appendice.]
+
+[Note 125 : M. Warnier me dit que probablement les poissons de Hamma
+gardent leurs petits dans leur bouche pour empêcher que la chaleur de
+l’eau ne leur fasse mal.]
+
+[Note 126 : C’est-à-dire en briques.]
+
+[Note 127 : C’est-à-dire en tôb (argile séchée au soleil).]
+
+[Note 128 : Sirocco.]
+
+[Note 129 : Ou Bled-el-Adher : un des villages situés dans l’oasis de
+Tōzer.]
+
+[Note 130 : Voir V. Guérin, _Voyage archéologique dans la Régence de
+Tunis_. Paris, 1862, in-8o.]
+
+[Note 131 : Elles ont valu à la montagne le nom de Sebaa Regoud « des
+Sept Dormants ». Voir sur la légende Tissot, II, p. 366, 683.]
+
+[Note 132 : Cf. p. 54.]
+
+[Note 133 : On lit dans une note de Duveyrier : « M. Tissot a donné,
+page 480 du tome I de sa _Géographie comparée_, la reproduction de mon
+dessin, sans en indiquer la provenance. M. Tissot comptait réparer cet
+oubli. »]
+
+
+
+
+ CHAPITRE VII
+
+ DE TOZER A BISKRA
+
+
+Nous partîmes de Tōzer un peu trop tard pour la route qui nous
+attendait. Jusqu’à Hamma nous ne vîmes rien que je n’eusse noté
+auparavant ; nous entrâmes alors dans des marécages qui évidemment sont
+cause de l’insalubrité de toute l’oasis. Ils s’étendent vers le chott,
+et sont formés par les eaux de l’oued qui se perdent peu à peu dans les
+terres.
+
+Notre marche était peu rapide, aussi mîmes-nous beaucoup de temps à
+sortir de ces terrains glissants et meubles peu propres à la marche des
+chameaux.
+
+Après les marécages vint une curieuse nature de terrain ; c’était le bas
+de l’oued Beyāch, endroit où autrefois avait séjourné la mer, à en juger
+à la fois par la nature de sebkha du sol, et surtout par les coquilles
+de _Cardium edule_[134] qui s’y trouvaient mêlées à celles du _Bulimus
+truncatus_ apporté par les eaux de l’oued. La végétation devient ici
+plus rare ; les tamarix s’y maintinrent cependant toujours. Toute cette
+plaine est très dangereuse à cause des excursions de maraude qu’y font
+les Hammāmas d’un côté et les Nemēmcha de l’autre. C’est pourquoi nous
+ne marchions pas sans quelque inquiétude, et les mokhazenis nous
+racontèrent différentes histoires terribles de drames qui s’étaient
+passés dans cet endroit.
+
+Enfin nous entrâmes dans le chott[135], qui est une petite imitation du
+grand chott de Nefzāoua ; il finit par former plusieurs bassins de plus
+en plus bas, fournis d’une végétation assez riche quoique uniforme, elle
+se compose principalement d’une plante nommée « _goreyna_ » et de
+« _zeita_ ».
+
+La nuit nous surprit en route, ce qui nous fit hâter la marche ; après,
+nous débouchâmes dans une plaine uniforme et aride, et enfin, au moment
+où nous nous rapprochions de Chebika, nous nous trouvâmes sur un champ
+de pierres très dures, qui ont été apportées de la montagne par les
+ravines qui en descendent. Quelques-unes de ces pierres atteignaient une
+grande dimension.
+
+La montagne que nous longions en nous en rapprochant est très régulière
+à son sommet ; en cet endroit, elle avait une altitude croissante de
+droite à gauche jusque vers Chebika.
+
+Nous coupâmes au bas des palmiers les fondations des murailles d’une
+ville romaine qui, d’après ce que j’ai vu le lendemain, doit avoir eu
+une certaine importance ; cet endroit est aujourd’hui consacré à des
+cultures de céréales. — Nous montâmes ensuite dans les plantations (ici
+l’expression convient très bien), nous les trouvâmes arrosées par des
+eaux courantes, où l’on remarquait çà et là dans les canaux des pierres
+grossièrement taillées, mais évidemment de travail romain, qui ont été
+apportées des ruines de la ville, ou bien même sont peut-être encore à
+leur place.
+
+Arrivés au petit village de Chebika, on fit quelques difficultés pour
+nous recevoir, car on craignait quelque exaction du Bey, mais lorsqu’on
+nous eut bien reconnus, il fallut nous loger, et l’on choisit une maison
+au sommet de la ville. — Les rues sont tellement agrestes qu’il fallut
+décharger les chameaux à la porte de la ville, et monter le bagage à
+bras d’hommes. Voyant que j’avais à faire à de pauvres gens, je les
+avertis tout d’abord que je paierais tout ce qui me serait livré. Je me
+couchai bientôt ; et ne pris pas part au dîner qui fut très maigre.
+
+ 4 avril.
+
+Ce matin, je pus examiner la curieuse position de Chebika. Elle est
+bâtie en amphithéâtre sur un rocher, entre deux ravins qui descendent de
+la montagne. Au nord du rocher s’élève un roc peu important, mais qui
+présente de curieux murs bâtis très anciennement sur certains côtés pour
+compléter une forteresse naturelle. Ne pouvant pas très bien reconnaître
+l’âge de ces constructions, j’en ai pris un échantillon de ciment. La
+source de Chebika, ʿAîn Chebika, coule du nord et descend à l’est
+arroser les plantations, qui s’étendent au sud ; on trouve encore un
+bouquet de palmiers à l’ouest ; ce dernier s’appelle ʿAin Beidha. Du
+reste, la ville compte à peine 20 hommes, ce qui donne un très petit
+chiffre de population totale. Ce sont des Hammāma. La tradition leur
+rappelle que le nom chrétien de cette ville ou plutôt sa traduction est
+Qoçeïr Ech-Chems, le château du soleil (ηλιοπολις). Ils prétendent aussi
+que les chrétiens fendirent une partie de la ravine pour amener l’eau à
+la ville.
+
+Je retournai voir les restes de l’ancien établissement ; il s’étend sur
+toute la ligne sud des plantations. Cette promenade me convainc une fois
+de plus de l’importance de ce point sous l’occupation romaine ;
+cependant les pierres y étaient très mal taillées[136].
+
+Les habitants de la ville sont pauvres, comme je l’ai dit, mais j’ai vu
+quelques jolies femmes, toutes vêtues à la mode occidentale.
+
+Je partis ensuite pour Midas ; outre mes deux mokhazenis, on nous donna
+cinq hommes armés de fusils, dont on me vanta beaucoup le courage, mais
+dont la conversation annonçait très peu de décence. Nous longeâmes
+pendant quelque temps le bord de la montagne[137] puis arrivâmes à un
+endroit appelé Foum en Nâs. C’est une fort large ouverture dans la
+montagne, qui donne passage à une petite rivière[138] qui se perd près
+de là et qui est employée en partie à arroser des semis de céréales que
+nous apercevons verdoyants. Nous entrons dans cette coupure et
+rencontrons l’oued, tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, l’eau en
+est fraîche et bonne. Le chemin devient plus difficile à mesure que les
+rochers se rapprochent, et bientôt ils nous rendent la marche très
+pénible. Vers cet endroit, j’aperçus, à mi-hauteur de la montagne, les
+ruines d’un petit fort romain, où l’on reconnaît encore une partie de
+voûte ; il pouvait avoir 25 mètres de long sur 8 mètres de large
+environ, et commandait le passage ; il porte aujourd’hui le nom de El-
+Hānout. Plus loin je touchai une petite source appelée El-ʿAouina, elle
+sort du roc vif et est réputée fraîche en été ; son eau a 21°,9. Nous
+montâmes ensuite dans des passages où c’est un miracle que les chameaux
+et les caisses ne se soient pas mille fois renversés. Nous marchions
+fort lentement, et, après deux petites terrasses que nous atteignîmes,
+nous retombâmes dans l’oued, qui nous conduisit presque aussitôt en vue
+des palmiers de Tamerza.
+
+Nous laissâmes les palmiers à droite, et entrâmes dans un affluent de
+l’oued, qui porte le nom d’El-Oudey, et qui contribue pour un petit
+filet d’eau. Les deux côtés de la montagne formaient comme deux murs
+presque à pic, qui tantôt, s’élargissant, bordaient une surface de sable
+unie, tantôt se rétrécissaient et formaient des défilés des plus
+pittoresques et des plus curieux. Les tamaris persistaient ; l’eau
+courante était couverte par places d’une petite cypéracée que j’ai
+cueillie à Nafta. Nous passâmes à Garen un premier défilé, auprès duquel
+celui d’El-Kantara n’est rien ; les murailles me parurent être d’un
+marbre grossier ; deux vautours planaient au-dessus de leur domaine, et
+les excréments répandus par endroits indiquaient qu’ils avaient là leurs
+nids. Toute cette partie de la montagne présentait des traits
+géologiques très prononcés ; des couches inclinées attestaient le mode
+de formation[139]. Après des détours et des montées sans fin, où hommes
+et bêtes se trouvaient épuisés, surtout ceux qui jeûnaient, nous fûmes
+obligés, pour passer un défilé, de décharger les caisses et de les
+porter à bras d’hommes ; peu après, nous aperçûmes sur les hauteurs les
+restes d’un petit blockhaus carré romain, encore assez bien conservé,
+qui dominait le passage. Nous gravîmes ensuite une pente et,
+redescendant de l’autre côté, nous nous trouvâmes à côté de Midas.
+
+L’oasis de Midas est située comme un nid d’aigle dans une assiette[140]
+au milieu de la montagne ; les ravins qui l’entourent ne la laissent
+accessible que d’un côté où l’on voit plusieurs koubbas appelés les
+Sebaa Regoud. On entre dans la ville par les plantations, et, de l’autre
+côté, les maisons sont suspendues sur un ravin ou précipice comme à
+Constantine ; la population de Midas peut monter à 30 hommes environ. Ce
+sont des Beldîa. Toute la petite oasis présente les sites les plus
+charmants ; les jardins offrent un sauvage pittoresque que l’on y
+rencontre rarement ; quelques palmiers surtout, à la tête du ravin,
+adossés à un rocher à pic de strates horizontales, me tentèrent beaucoup
+pour un croquis, mais je crus devoir y renoncer.
+
+Nous fîmes notre entrée en ville par la seule porte qui s’ouvre dans la
+muraille (comme à Chebika) et fûmes bien reçus quoique froidement. Il
+n’y eut qu’un petit incident fâcheux, ce fut une scène d’injures que fit
+le maître de la maison où on nous installa, un nègre, qui fit sortir les
+mokhazenis de leur assiette et engagea une lutte corps à corps, dans
+laquelle ils eurent le dessus. Je craignis un moment que la lutte ne
+devînt sérieuse et m’armai moi-même en faisant armer mon monde ; je
+sortis pour parler au nègre, mais je vis heureusement que tout
+s’apaisait peu à peu.
+
+Il y avait en ville les chefs des Oulad Sidi’Abid au nombre desquels se
+trouvait Si Ramdhān, leur chef, pour qui Si ʿAli Saci avait donné une
+lettre. Ils vinrent tous, et se conduisirent très bien, car il faut bien
+leur pardonner leur curiosité, causée par leur ignorance. Ils causèrent
+et plaisantèrent avec moi. Plusieurs ont leur maison ici. Ils me
+demandèrent entre autres si Paris était près de Sidi’Okba. Je sacrifiai
+ma demi-journée à mes hôtes, ne voulant pas les indisposer par des
+observations et mon travail ordinaire ; je craignis de gâter mes
+affaires au moment de quitter la régence de Tunis, et en même temps le
+pays de la peur. Du reste, j’y gagnai d’un autre côté en jetant un coup
+d’œil dans les mœurs et l’état social et moral de cette population.
+
+Ce que j’en dirai peut s’appliquer à Chebika et probablement aussi à
+Tamerza qui est la grande ville de la montagne, et où réside
+ordinairement un parent de Si ʿAli Saci. Actuellement il est à Tōzer, il
+a eu des difficultés avec ses administrés qui ne doivent pas être
+faciles, à cause de l’impôt ; le Bey menace de faire détruire la ville.
+Les hommes de Midas sont mal vêtus, et pour la plupart malades. Je n’ai
+jamais eu autant de consultations. La syphilis est très commune à tous
+les degrés : descendue aux jambes, aux bras, etc., rendant une femme
+impotente ; enfin on me l’amène sous la triste forme d’un petit enfant à
+la mamelle couvert de glandes et dégoûtant de saleté, déjà jauni par la
+mort ! Les femmes sont habillées à l’occidentale avec d’assez vives
+couleurs ; quelques-unes, je dirai même la plupart, ne sont pas mal.
+Mais le pays est, à ce que je crois, perdu par les maladies vénériennes
+et la fièvre. Les Oulad Sidi’Abid paraissent eux-mêmes beaucoup souffrir
+des maladies vénériennes. — Les femmes sont assez libres et me jettent
+quelques coups d’œil intéressants. — On voit pas mal de nègres.
+
+La tradition rapporte que cette petite ville se nommait autrefois
+Merdās.
+
+Dans les pierres qui, avec de la terre, servent à construire les
+maisons, je reconnais d’assez grandes pierres taillées, quelques-unes
+même debout en plan. Évidemment il y avait là un établissement romain,
+moins étendu, mais mieux construit que celui de Chebika.
+
+ 5 avril.
+
+Nous eûmes de la peine à obtenir ce matin les hommes qui devaient
+m’escorter jusqu’à Négrīn. Les deux mokhazenis, il faut leur rendre
+cette justice, ne me quittèrent que lorsque tout le monde fut prêt. Je
+fus accompagné par onze hommes.
+
+Nous remontions un long oued (oued Midas) ; le terrain était très aisé,
+mais les malheureux chameaux affamés et fatigués ne nous permirent pas
+de voyager aussi vite que nous l’eussions désiré. D’abord des montagnes
+très élevées nous surplombaient à droite et à gauche, puis à mesure que
+nous avancions, les montagnes s’éloignèrent et enfin cessèrent tout à
+fait sur la droite, car je ne puis compter comme telles les hauteurs de
+Hoouarīn et autres[141] qui nous apparaissaient à peine à travers les
+vapeurs. La végétation était maigre et rare ; je pus à peine distinguer
+les espèces qui se présentèrent sur la route. Le pays est très dénudé,
+sauvage et incultivable ; l’eau y est extrêmement rare ; nous ne
+rencontrâmes qu’un puits, appelé El-Hassey, creusé dans l’oued. C’est
+près de cet endroit que je vis le seul emplacement évident d’un petit
+poste romain ; quelques pierres et de nombreux fragments de poterie
+antique sur un mamelon sont tout ce qu’il en reste.
+
+Cette route est très dangereuse, étant exposée aux incursions des
+Hammāma et des Oulad el’Aisāoui ; aussi mon escorte était-elle très peu
+rassurée, ce qui était d’un autre côté très peu rassurant pour moi. Nous
+rencontrâmes plusieurs tas de pierres indiquant autant de victimes des
+brigandages qui s’y commettent. Un voyage dans le Sahara pendant le
+ramadan avec des musulmans trop consciencieux est du reste une chose
+presque impossible et bien fatigante. C’était le cas ici ; plusieurs des
+hommes, et Ahmed lui-même, jeûnaient et ne pouvaient pas même boire une
+goutte d’eau. Comment pouvait-on exiger d’eux de marcher rapidement et
+d’activer la marche des chameaux ?
+
+Enfin nous atteignîmes des renflements de sable que l’on appelle Erg el
+Djemīl ; nous les coupâmes et avançâmes vers le but de notre voyage, qui
+nous apparaissait à l’horizon ; nous voyions du moins les hauteurs entre
+lesquelles Négrīn est enclavée. Bientôt nous entrâmes dans un pays très
+accidenté, sillonné de ravins et de rochers et qui présente quelques
+difficultés. L’oued de Negrīn se distinguait très bien sur la gauche et
+nous laissâmes, au bout de quelque temps, le bouquet de palmiers de
+Zaghouān où logent deux ou trois familles.
+
+J’envoyai en avant un homme pour annoncer ma venue à Négrīn, et j’avoue
+que j’étais un peu incertain de la nature de l’accueil que j’allais
+recevoir ; bientôt mes doutes furent dissipés, car nous rencontrâmes
+deux des grands de la ville venus à ma rencontre ; ils me saluèrent en
+m’embrassant sur l’épaule et me souhaitèrent la bienvenue. On me logea
+dans la maison du cheikh qui venait d’arriver, et qui me salua à mon
+entrée. C’est un jeune homme nommé Cheikh Mohammed qui a de très bonnes
+manières, et qui me paraît très dévoué à la cause des Français. Je reçus
+la visite des grands de la ville, qui se conduisirent très bien et que
+je ne congédiai que vers le _maghreb_[142]. L’accueil de Négrīn, après
+ma course si aventureuse dans la Tunisie, me fit bien du plaisir. Le
+cheikh avait été averti de ma venue il y a deux jours par une lettre
+venue de Tebessa (car Négrīn dépend de Tebessa qui est à trois journées
+de marche). En un mot, je croyais être dans un pays pacifié, et on verra
+demain qu’il n’en était rien.
+
+Négrīn se trouve bâtie dans un ravin d’un abord difficile sur le bord
+occidental de l’oued. Les palmiers sont plantés dans le lit même de la
+vallée, et en échelons, car la pente de l’oued ici est très forte et le
+ruisseau qui coule au milieu des palmiers va par bonds et cascades.
+Cette nature du sol permet que l’on arrose facilement les palmiers, car
+on n’a qu’à détourner à chaque jardin l’eau qui est nécessaire à
+l’arrosage, et le courant de l’oued l’y amène par sa propre force au
+moyen d’un saguia. — Outre les palmiers, les plantations renfermaient
+encore des figuiers, des abricotiers, des pêchers et surtout des
+oliviers.
+
+Dans la soirée, on m’annonça qu’un des chameaux était tellement malade
+que le départ pour demain était impossible ; je me soumis de mauvaise
+grâce ; mais l’espoir de bien explorer Besseriani[143] me consola un
+peu.
+
+ 6 avril.
+
+Ce matin, je partis avec le cheikh, un autre cavalier et Ahmed, pour
+explorer les ruines de Besseriani ; un assez grand nombre d’hommes
+devaient nous rejoindre aux ruines par un chemin plus court mais plus
+difficile pour les chevaux. En quittant la ville, nous gardâmes quelque
+temps les plantations à notre gauche, et marchâmes tantôt sur les
+hauteurs dominant les ravins, tantôt dans le lit même de ces derniers ;
+nous atteignîmes enfin l’oued, qui forme ici une petite rivière, coulant
+entre de nombreux tamaris et au milieu d’un thalweg bordé de petites
+collines ; là commencent les labours et les semis d’orge. Nous ne
+quittâmes l’oued que lorsque nous fûmes près des ruines ; nous le
+laissâmes alors, sur la droite, aller arroser les labours qui commencent
+au N.-O. de Besseriani, et se prolonger à l’ouest et enfin au S.-O.
+jusqu’à 1 kilomètre au delà des ruines. A gauche nous avions, à peu de
+distance, un sommet de la chaîne de montagnes qui borde d’un côté l’oued
+de Négrīn. De là la montagne[144] se prolonge très haute vers l’orient,
+formant ainsi la limite du véritable Sahara : à ses pieds s’étend un
+terrain rocheux et raviné, formant une pente rapide vers le sud, et qui
+est excessivement difficile à traverser.
+
+La première ruine que je touchai est un support d’arc de triomphe
+formant le seul vestige reconnaissable qui en reste ; au pied étaient
+dispersées de nombreuses pierres de taille assez volumineuses qui
+avaient complété ce monument ; dans la partie intérieure du support de
+l’arc, au milieu de la baie, se distingue une colonne mutilée formant
+corps avec le support, laquelle colonne était ornée de cannelures et
+d’un chapiteau sculpté[145]. Au pied de l’arc de triomphe, je trouvai
+deux pierres portant chacune une inscription, malheureusement un peu
+mutilées et effacées par les intempéries des saisons. Peut-être ces deux
+pierres font-elles partie d’une même inscription qui était placée au-
+dessus de l’arc de triomphe[146] :
+
+[Illustration]
+
+A côté du support de l’arc encore debout, se trouve un mur d’une
+admirable construction, encore très bien conservé jusqu’à une certaine
+hauteur ; peut-être servait-il à soutenir l’autre pilier de l’arc ;
+cependant je le crois à peine, à cause de la distance qui sépare les
+deux ruines.
+
+De là je me rendis au monument le plus remarquable que renferme
+actuellement Besseriani ; c’est un arc de triomphe encore très bien
+conservé dans sa partie principale. A son sommet se trouve une belle
+pierre très plane sur laquelle on lit le milieu d’une inscription en
+grosses et belles lettres d’un travail fini et d’une régularité
+remarquable. En regardant l’inscription, on a sur la gauche du monument
+un mur y attenant, encore assez bien conservé ; le tout atteste
+l’importance considérable[147] de l’établissement romain, et la
+tradition à Midas m’avait déjà appris qu’autrefois, Besseriani
+commandait à toutes les petites villes des environs que j’ai visitées
+depuis Chebika. J’ai dessiné sur les lieux mêmes, sur la planche I, une
+esquisse grossière de ce monument[148]. La belle inscription de cet arc
+de triomphe étant incomplète, je me mis à chercher les deux pierres qui
+manquaient, et je parvins bientôt à en trouver une seconde formant le
+commencement du document. Dans une ruine dont je parlerai tout à
+l’heure, je trouvai bien une troisième pierre portant trois lignes d’une
+inscription en aussi gros caractères que la première, mais je ne trouve
+pas à première vue un sens ni beaucoup de rapport entre ces trois lignes
+et les quatre lignes de la première inscription ; il est cependant
+probable qu’elle en fait partie[149]. Voici les deux premières :
+
+[Illustration]
+
+Voici maintenant la troisième pierre que j’ai trouvée à une petite
+distance de l’arc de triomphe, dans des ruines de belles et grandes
+pierres qui devaient appartenir à quelque bâtiment public ; la surface
+de cette pierre a plus souffert que celle des autres.
+
+[Illustration]
+
+J’allai ensuite à un monceau de ruines, peut-être les restes d’un autre
+arc de triomphe, qui est situé à l’ouest du dernier monument, et à peu
+près sur la ligne des ruines que j’ai visitées les premières, c’est-à-
+dire plus dans le voisinage des labours. J’y trouvai d’énormes pierres
+de taille parfaitement taillées, trois portaient des inscriptions
+malheureusement un peu écornées[150].
+
+[Illustration]
+
+Besseriani, ainsi que la ville romaine de Chebika, sont situées au bas
+de la montagne, là où l’oued sort des rochers, et l’on voit à l’opposite
+que les Arabes et les Berbères ont bâti leurs villages au milieu des
+rochers dans les positions les plus difficiles[151].
+
+Je prenais quelques angles pour baser un plan grossier de Besseriani,
+lorsque l’on signala cinq cavaliers à l’horizon. Or ce pays est
+tellement peu sûr que l’on donna immédiatement le signal de se
+rassembler et que l’on cria aux cultivateurs dans les labours de se
+rallier à nous. Dans la bagarre, je négligeai de remettre mon haïk que
+j’avais ôté pour travailler, et me contentai de mes burnous et de mes
+culottes. Chacun arma son fusil et je sortis mon revolver pour être prêt
+le cas échéant.
+
+Les cavaliers ne nous avaient pas vus à cheval, et ils n’étaient plus
+très éloignés, lorsque quatre d’entre nous, dont le cheikh, partirent au
+galop pour aller au-devant d’eux. Dès qu’ils nous aperçurent, les
+étrangers s’enfuirent à fond de train, l’un d’eux gagnant le Sahara ;
+les autres tâchèrent de se réfugier dans la montagne. Aussitôt tout le
+monde cria qu’ils étaient ennemis, Hammāma ou Oulad el’Aisāoui, venus
+pour un coup de main, et nous partîmes nous aussi au galop pour prêter
+main forte au cheikh. Le terrain dans lequel nous galopions est un
+labyrinthe de casse-cou, et Ahmed et moi, ne connaissant pas le pays,
+nous allions hésitants ; le vieux qui était resté faisait un peu le
+traînard ; je m’aperçus bientôt que la peur l’enchaînait, et lui répétai
+plusieurs fois de prendre les devants ; je fus enfin obligé de le
+menacer de mon revolver pour le décider à nous guider. Nous galopions
+toujours, et pendant ce temps nous n’entendions que les cris de guerre
+sauvages que poussaient nos amis ; un fort coup de feu nous échappa au
+milieu du bruit du galop de nos chevaux. Nous arrivâmes enfin au pied de
+la montagne et rejoignîmes les nôtres, au moment où les étrangers, que
+leur fuite folle avait portés sur des points inaccessibles,
+abandonnaient leurs montures pour sauver leurs têtes. Nous nous
+contentâmes de prendre trois chevaux dont un fort beau, puis nous
+tâchâmes de poursuivre celui qui avait gagné le Sahara, mais
+abandonnâmes bientôt ses traces.
+
+Pendant que nous revenions triomphants, et que mon brave Ahmed se voyait
+déjà de retour à Biskra, monté sur un cheval, nous aperçûmes au loin un
+homme qui venait en faisant des protestations ; c’était un homme bien
+connu des Nemēmcha soumis, qui, reconnaissant enfin la nature de notre
+cavalerie, venait demander de quel droit nous avions fait acte
+d’ennemis. Il nous raconta qu’il nous avait pris pour des Hammāma ou des
+Oulad el’Aisāoui et que c’était là la cause de leur fuite. Nous sûmes
+donc que nous avions fait méprise des deux parts, et revînmes ensemble à
+Besseriani. Nous promîmes de rendre les chevaux à leurs maîtres dès que
+ceux-ci viendraient les réclamer, ce qu’ils firent à Négrīn dans la
+soirée. Nous rentrâmes épuisés à Besseriani, où j’achevai de dessiner
+l’arc de triomphe debout, et nous retournâmes en ville, rencontrant sur
+notre route une foule d’habitants, hommes et femmes, qui venaient soit
+prendre part au combat, soit savoir ce qui était arrivé. — Deux de nos
+cavaliers ne voulurent pas laisser échapper l’occasion de faire une
+fantazia, et nous entrâmes chez nous.
+
+A peine étais-je assis, qu’un homme ensanglanté, venant demander
+justice, se présenta devant moi. On avait tué une chèvre aujourd’hui, et
+il avait acheté la peau de la bête avec la tête, croyait-il ; le vendeur
+prétendit que c’était sans la tête ; l’acheteur jura qu’il ne la
+rendrait pas, quoi qu’il dût arriver ; il s’ensuivit un combat, où mon
+homme reçut sur la tête un coup de pierre qui lui avait fait une forte
+blessure ; le crâne heureusement n’avait pas été entamé. Comme je
+n’avais pas entendu l’adversaire, je priai le cheikh de s’enquérir de
+cette affaire ; et les deux parties ayant tort, il proposa une amende de
+6 douros pour chacun.
+
+Ma course effrénée de ce matin, en plein soleil, sans mon haïk, m’avait
+été nuisible et je commençai, dès le retour, à sentir les symptômes d’un
+violent mal de tête avec dégoût, presque mal de cœur.
+
+Vers les trois heures de l’après-midi, arriva en ville un jeune homme
+nous annonçant que des Hammāma l’avaient dépouillé et venaient d’emmener
+les troupeaux de chèvres de Négrīn, dont il était le gardien, et qui
+étaient au pâturage près de Zaghouān. Aussitôt le cheikh, quoique
+jeûnant, fit seller son cheval et se prépara à la poursuite ainsi que
+les hommes armés de la ville ; les chevaux partaient, et dans le premier
+mouvement je montai aussi en selle, oubliant ma maladie ; je pris le
+fusil d’Ahmed qui avait été au frais sous les palmiers ; mais, à peine
+sorti de la ville, je vis que j’étais trop malade pour suivre l’allure
+des autres chevaux, et laissant le mien à un des fantassins, je revins
+vers la ville. Je rencontrai Ahmed, qui me gronda de m’être dérangé, et
+plus encore d’avoir laissé mon cheval ; mais c’était un peu tard. Dans
+la soirée tout le monde revint, les Hammāma, au nombre de 7 à 8
+fantassins, avaient pris la fuite dans la montagne, abandonnant les
+troupeaux, et n’emportant qu’un fusil et un burnous. J’appris à cette
+occasion que trois familles de Négrīn habitaient Zaghouān. Après le
+retour de la petite armée, je tombai très malade, et n’eus que le temps
+de prendre de l’ipécacuanha, puis après les vomissements une dose de
+quinine ; j’eus un instant le délire et un mal de tête fou, puis je
+tombai dans un état de prostration jusque vers les 10 heures du soir. Je
+me réveillai alors presque guéri, me déshabillai et me couchai ; il
+faisait une chaleur très grande.
+
+Je vis, avant de tomber tout à fait malade, les hommes que nous avions
+poursuivis le matin ; l’un d’eux était précisément celui qui avait été
+réclamer sa jument à Si-Mohammed ben Rabah, et qui la ramenait dans sa
+tribu. Ils avaient rencontré dans le chott un homme des Oulad
+el’Aisāoui, l’avaient dépouillé et renvoyé après lui avoir administré
+une bastonnade. Mes aventures d’aujourd’hui dénotent que ce pays est
+loin d’être pacifié. En effet, les gens de Négrīn n’osent à la lettre
+pas sortir de chez eux pour aller commercer, de crainte des vexations et
+actes d’hostilité des Oulad el’Aisāoui et des Hammāma. Tous les ans, ces
+deux tribus hostiles leur enlèvent leurs troupeaux de chèvres et tout ce
+qu’ils peuvent prendre. Le seul chemin qui leur soit ouvert est la route
+de Tebessa depuis l’occupation française.
+
+ 7 avril.
+
+Aujourd’hui, je suis resté à la maison toute la journée ; j’étais
+heureusement guéri. J’écrivis dès le matin une lettre au cheikh de
+Ferkān, pour lui demander une mule et deux hommes, qui m’accompagnent
+demain à Zéribet Ahmed.
+
+Dans le milieu de la journée, la nouvelle arriva qu’un mulet qui était à
+paître dans les plantations avait disparu, et il parut évident que
+c’étaient les Hammāma d’hier qui, cachés dans la montagne, n’avaient pas
+voulu partir sans butin et étaient venus dans la journée enlever ce
+mulet. Le village fut encore sur le point de se mettre en armes, mais on
+abandonna ensuite le projet.
+
+J’apprends aujourd’hui que Négrīn peut compter environ 60 maisons et
+peut-être 120 hommes en état de porter les armes. La population se
+divise en quatre tribus ; les Oulad ech Cheikh, les Oukid Hamza ; les
+Obbaouma et les Oulad Mansour. Le tribut de Négrīn est de 1.180 francs
+par an.
+
+A Négrīn, un individu vint me trouver, et, après m’avoir fait comprendre
+qu’il avait beaucoup d’argent, il me pria de lui écrire une amulette
+pour que sa femme qu’il avait répudiée revînt à lui. Il l’aimait et elle
+en préférait un autre avec lequel elle devait se marier. Je répondis à
+cet homme que, si j’avais le pouvoir d’écrire de tels talismans, je
+commencerais par m’en servir, mais qu’en tous cas je ne lui aurais pas
+pris un centime.
+
+Ferkān subit l’influence des Oulad el’Aisāoui, qui s’y font héberger de
+force, et se servent du village comme point de ravitaillement dans leurs
+expéditions de pillages. Cela tient à ce que les habitants ont beaucoup
+de Nemēmcha et même d’Oulad el’Aisāoui au milieu d’eux. Outre ces
+étrangers, la population de la ville se divise en trois tribus, les
+Oulad Brahīm, les Oulad ’Adouān et les Oulad Yoūnis. Le tout forme 65
+maisons et, partant, peut-être 130 hommes au moins en état de porter les
+armes ; ce chiffre me fait soupçonner un peu de bonne volonté de leur
+part à héberger nos ennemis.
+
+Des messagers viennent de Ferkān, apportant une réponse peu polie ; je
+les gronde bien fort et les renvoie brusquement ; cela cause des
+pourparlers à n’en plus finir, des séances avec différents hommes de
+Ferkān qui venaient d’arriver au Djérid[152]. On finit par s’en aller en
+promettant de revenir avant demain avec la mule et les deux hommes.
+
+ 8 avril.
+
+Nous quittons Négrīn de bonne heure, le cheikh de Ferkān, qui a au moins
+un digne extérieur, est venu lui-même cette nuit amener le mulet et les
+deux hommes que j’avais demandés. Il nous accompagne ce matin jusqu’à la
+rivière de Ghēsrān[153] où nous faisons boire les chevaux et remplissons
+nos outres, puis nous partons chacun de notre côté, lui retournant à
+Ferkān, et nous coupant dans le Sahara pour atteindre le Zāb. Quatre
+cavaliers de Négrīn m’accompagnent : je renvoie le cinquième, qui,
+voulant tuer un lièvre, décharge son fusil qui éclate, sans causer
+d’accident heureusement.
+
+Nous voyageons dans un terrain aisé, le commencement du Sahara, qui se
+prolonge indéfiniment sur la gauche, et nous avons toute la journée à
+une certaine distance sur la droite, la chaîne de collines, au milieu de
+laquelle est bâtie Ferkān, et qui est séparée par une plaine de
+montagnes plus hautes[154]. Je déjeune dans l’oued Djērech maintenant à
+sec, parce que l’année n’a pas été pluvieuse.
+
+Une autre longue marche nous amène à l’oued el Miyta, dont le lit est
+divisé en plusieurs canaux à cet endroit. Un peu plus loin, vers
+l’ouest, commencent des plaines appelées communément El Feyyād[155], et
+qui méritent beaucoup d’attention. Le sol de ces plaines est composé
+d’argiles mêlées de sables et très lavées[156] ; par conséquent, elles
+renferment tous les éléments de fécondité, et il ne leur manque en effet
+que l’eau[157]. Après les pluies se montrent une quantité de plantes
+annuelles, telles que graminées et petites fleurs champêtres que les
+ardeurs de l’été dessèchent ; tandis que, dans les années sèches comme
+celle-ci, cette végétation elle-même ne se montre pas. Dans plusieurs
+endroits de ces Feyyād, les Arabes labourent lorsque les pluies
+arrivent ; dans d’autres parties beaucoup plus rares les oueds
+descendant de la montagne leur permettent de cultiver chaque année. Or
+il est évident que si, par des barrages ingénieux ou des forages
+artésiens, on parvient à assurer de l’eau à ces plaines désertes, on
+assurera par le fait même de belles récoltes sur une superficie
+considérable de celle partie du Sahara.
+
+Ces plaines cultivables sont séparées par des renflements à peine
+sensibles couverts de cailloux et de pierres anguleuses.
+
+Nous marchâmes bien toute la journée, et nous n’atteignîmes l’oued
+Ouazzāren que quelques instants après le coucher du soleil. Cet oued
+est, comme les précédents, bordé de tamaris ; et nous plantâmes la tente
+au chant des chouettes qui s’appelaient dans ces fourrés. Je n’ai pas
+besoin de dire que l’oued est à sec.
+
+ 9 avril.
+
+Aujourd’hui encore nous nous sommes mis en mouvement avant le lever du
+soleil, et nous continuâmes de voyager dans les plaines cultivables que
+j’ai notées hier ; je remarquai ici pour la première fois bien
+distinctement le mirage, _sarab_. La plaine au sud-est paraissait un lac
+à l’horizon et des lignes de _Rhamnus arabica_ et de tamaris semblaient
+dominer les eaux et former un rivage. Je crus d’abord que c’était le
+chott, mais fus obligé de m’apercevoir de mon erreur. Du reste, ces
+plaines nues, uniformes et de couleur grisâtre, frappées par les rayons
+obliques du soleil le matin ou le soir, offrent toutes les conditions
+nécessaires pour le phénomène du mirage. Les inégalités du sol, de
+vraies gerçures sur une peau, disparaissent à peu de distance pour
+l’œil.
+
+Nous traversâmes quelques ravines et aperçûmes au bout de quelque temps
+les oasis de Bādes, Liana et Kessad, ressortant sur la couleur rougeâtre
+des montagnes ; peu après, le village de Zéribet Ahmed nous apparut, et
+nous l’atteignîmes pour déjeuner.
+
+Zéribet Ahmed est un village muré, placé sur une petite élévation. Il
+n’a pas de palmiers, et la petite saguia qui passe devant le village est
+à sec parce que Liana en absorbe toute l’eau[158]. Les habitants ont
+voulu réclamer contre une mesure qui leur ôte leurs récoltes, leur seule
+ressource bien sûre ; mais il est probable que dans les années
+pluvieuses, l’eau de l’oued arrive jusque chez eux. Ils boivent
+actuellement à un puits situé vers le sud-ouest du village, à une
+certaine distance. Il y avait au pied des murs trois ou quatre tentes de
+Nemēmcha. Les habitants sortirent pour reconnaître les nouveaux venus,
+mais je ne voulus pas m’arrêter chez eux ; les quatre Negarniya[159] me
+quittèrent ici, et laissant les chameaux suivre de leur pas, je partis
+en avant pour arriver le plus tôt possible.
+
+A moitié route, mon guide me montra sur la gauche « les ruines d’un
+village qui fut détruit par un scorpion ». Ce village malheureux était
+bâti dans le même genre que Zéribet Ahmed, et a dû être encore moins
+considérable.
+
+J’arrivai enfin à Zéribet el Ouad, nous touchâmes d’abord l’oued, dans
+lequel sont plantés les palmiers ; puis, le descendant un peu, nous le
+coupâmes en face de la ville, au moment où nous touchions à la goubba de
+Sidi-Hassen, marabout célèbre dans le pays. Nous traversâmes la petite
+rivière qui coule au fond du thalweg, et entrâmes en ville par quelques
+minces jardins. Je trouvai chez El Arbi, le mamelouk italien[160], le
+meilleur accueil, et décidai aussitôt que je profiterais de son départ
+pour aller à Biskra cette nuit.
+
+ 10 avril.
+
+Hier au soir, nous sommes partis à 9 heures et demie ; nous avons voyagé
+toute la nuit par le vent et le froid, et ce matin je suis arrivé avant
+El Arbi que je laisse à Sidi’Okba. Je déjeune avec le colonel, qui donne
+par le télégraphe la nouvelle de mon arrivée à Constantine.
+
+
+[Note 134 : Le _Cardium edule fossile_ se trouve représenté dans les
+chotts tunisiens par deux formes principales : la forme actuelle
+méditerranéenne, et la forme saumâtre des étangs de la Barre, de
+Lavalduc, de la Caspienne, etc. (Dru, in _Rapport Roudaire sur la dern.
+expéd. des chotts_, p. 55).]
+
+[Note 135 : Le chott El-Rharsa.]
+
+[Note 136 : Il y a donc peut-être quelque exagération à dire avec Tissot
+que Duveyrier « représente ces ruines comme celles d’une _grande_
+ville ». (Ouv. cité, II, p. 682.)]
+
+[Note 137 : C’est la chaîne occidentale de Gafsa ou Djebel Blidji, qui
+renferme une partie des gisements de phosphate découverts en 1885 par M.
+Ph. Thomas.]
+
+[Note 138 : L’oued Alenda, ou oued Tamerza.]
+
+[Note 139 : Voir la coupe N.-S. de M. Thomas de Midas au Rharsa : il y a
+là deux anticlinaux démantelés du crétacé supérieur, flanqués l’un et
+l’autre des deux côtés par les couches redressées de l’éocène
+inférieur.]
+
+[Note 140 : Sur le plus septentrional des deux anticlinaux précités.]
+
+[Note 141 : C’est la bordure sud du plateau des Nemencha, plus connue
+sous le nom de Djebel Ong. (Cf. Blayac, _Le pays des Nememcha_, _Annales
+de Géographie_ 1899, p. 149 et suiv.)]
+
+[Note 142 : Le coucher du soleil.]
+
+[Note 143 : _Ad Majores_, Cf. Baudot, _Rec. des notices et mémoires de
+la Soc. archéol. de Constantine_, 1876, p. 124 et suiv. ; Masqueray,
+_Revue Africaine_, 1879, p. 65 et suiv. ; Tissot, II, p. 530, etc.]
+
+[Note 144 : Djebel Majour (Blayac, art. cité).]
+
+[Note 145 : Masqueray l’attribue à la fin du IVe siècle.]
+
+[Note 146 : Cf. la lecture légèrement différente de Baudot reproduite,
+dans Tissot, II, p. 533 et _C. I. L._, VIII, 2480.]
+
+[Note 147 : Cf. Tissot, II, p. 531, et Masqueray, p. 75-76.]
+
+[Note 148 : Ce dessin n’a pas été retrouvé. Duveyrier le porte déjà
+manquant dans une table manuscrite de 1869.]
+
+[Note 149 : Voir la lecture plus complète dans Tissot, II, p. 531.]
+
+[Note 150 : Cf. les textes de Tissot, II, p. 534 et de Masqueray.]
+
+[Note 151 : Il ne faut pas oublier toutefois que les _castella_, qui
+permettaient aux colons du Sud de communiquer avec le Nord par les
+gorges de l’oued Hallaïl, sont perchés comme les villages indigènes
+(Blayac, art. cité, p. 158).]
+
+[Note 152 : Négrīn était ainsi considérée comme la dernière oasis du
+Djérid, Ferkān comme la première du Zab.]
+
+[Note 153 : Oued Kesrane, la rivière de Négrīn.]
+
+[Note 154 : Plaine de Mdila et Djebel Sidi-Abîd.]
+
+[Note 155 : Nom plus connu au singulier : El Faïdh.]
+
+[Note 156 : Veut dire sans doute qu’elles ne sont pas salées.]
+
+[Note 157 : On a supprimé ici une phrase incompréhensible. Duveyrier
+était évidemment sous le coup de sa récente indisposition, et cette
+partie de son journal s’en ressent.]
+
+[Note 158 : D’après la coutume, Liana a droit à deux tiers du volume
+d’eau de l’oued el Arab. Le tiers restant doit être réparti entre les
+oasis d’El Ksar, Badès, El Djadi et Zéribet Ahmed. (Féliu, _Le régime
+des eaux dans le Sahara de Constantine_. Blida, 1896, p. 90-92.)]
+
+[Note 159 : « Gens de Négrīn. »]
+
+[Note 160 : Appelé aussi El Arbi Mamelouk. C’était un maréchal des logis
+d’origine piémontaise, qui, élevé en musulman, était entré au titre
+indigène au 3e spahis. Il rendit à Zéribet de bons services, fut nommé
+lieutenant, puis caïd des Beni-Salah, dont il empêcha la révolte en
+1871, ce qui le désigna au général de Lacroix pour le caïdat du Souf,
+lorsque ce groupe d’oasis fut distrait du caïdat de Tougourt. Il fut
+assassiné en 1873, peut-être à l’instigation du marabout de Temacine,
+Si-Maammar, celui même que Duveyrier soupçonna toujours d’avoir
+encouragé le meurtre de Dournaux-Dupéré. Duveyrier, dans ses lettres,
+parla toujours d’El Arbi avec la plus grande estime. « Sa mort,
+écrivait-il en 1873, est un malheur pour la paix du Sahara. »]
+
+
+
+
+ DEUXIÈME PARTIE
+
+ * * * * *
+
+ CHAPITRE PREMIER
+
+ DANS L’OUED-RIGH
+
+
+ Le 28 mai 1860.
+
+[Illustration : Inscription arabe du tombeau de Sidi’Okba.]
+
+Je quittai Biskra et me rendis à Sidi’Okba. La mosquée de Sidi’Okba est
+assez vaste et élevée ; on y voit une grande porte en bois sculpté qui
+était autrefois garnie d’argent, dit la tradition ; elle ne sert plus
+maintenant, du moins elle était fermée pendant ma visite, et on entre
+dans le temple par une petite porte qui donne d’abord dans la chambre
+aux ablutions où l’on voit plusieurs bassins allongés qui ont l’air de
+sarcophages romains. Le tombeau de Sidi’Okba est dans la mosquée et se
+compose d’une chambre dont je n’ai vu que les murs extérieurs. Sur un
+des côtés de la porte on voit une inscription coufique en relief sur une
+bande de terre cuite et formant une ligne écrite de bas en haut, on y
+lit :
+
+au-dessus de la porte même est une autre inscription ancienne aussi ;
+elle est sculptée en relief sur une planche de bois coloriée. Dans la
+ville on voit de temps à autre des pierres romaines encastrées dans les
+murs.
+
+Le jardin du kaïd seul possède des orangers et des citronniers.
+
+ Le 29 mai.
+
+Je pars pour Zéribet el Ouad. La route traverse d’abord les immenses
+terrains de labours de Sidi’Okba. Tous les grains sont coupés, je ne
+vois plus qu’un petit champ où l’on fait la moisson. Ensuite on entre
+dans une succession de plaines séparées par les rivières à sec ; tout ce
+pays est d’excellente terre labourable, il n’y manque que de l’eau, et
+la seule végétation actuelle est limitée à quelques rares touffes de
+_guetaf_, de tamarix, etc. Nous voyons du mirage à l’horizon devant nous
+et sur la droite. Ces terres végétales sont des alluvions apportées de
+la montagne. Nous voyons à droite l’oasis d’Aïn Naga, à une petite
+distance. Enfin j’arrive à Zéribet vers 3 heures et demie du soir, par
+une très grande chaleur, le vent a soufflé toute la journée en sirocco.
+
+ Le 30 mai.
+
+Zéribet el Ouad peut avoir 1.500 âmes ; il y a un détachement de 45
+spahis commandés par mon ami El Arbi. La rivière sur laquelle la ville
+est bâtie s’appelle Ouad el’Arāb ; il suffit qu’elle ait deux crues par
+an pour que les habitants de la contrée puissent arroser non seulement
+leurs labours autour de la ville, mais encore ceux de la plaine d’El
+Faïdh, et alors les récoltes sont d’une richesse dont on n’a pas d’idée,
+mais depuis que la sécurité règne dans la montagne, les Chaouia ont fait
+sans cesse de nouveaux barrages à mesure que leurs cultures augmentent
+et l’eau devient de plus en plus rare à Zéribet el Ouad. La dernière
+crue a eu lieu au milieu de l’automne dernier, et depuis lors il y a
+toujours eu de l’eau dans l’ouad dans les trous et dépressions du lit.
+Dans ces trous vivent des barbeaux dont quelques-uns atteignent un pied
+de longueur ; ils ont une couleur plus pâle et plus jaunâtre que les
+autres barbeaux de ce pays, ce qui fit croire aux spahis français que ce
+n’était pas un poisson de cette espèce.
+
+Les jardins de palmiers, qui sont en petit nombre, sont arrosés par des
+puits à bascule comme au Souf[161] ; ces puits, creusés dans le lit de
+la rivière, ont très peu de profondeur. Celui du jardin d’El Arbi avait
+une température de 22°,0 à une profondeur de 3m,75 dans l’après-midi. El
+Arbi cultive dans son jardin qu’il a établi depuis quelques mois
+seulement des légumes français pour montrer l’exemple aux indigènes :
+pommes de terre, haricots, choux, laitue, luzerne, carotte, navets, et
+tout est venu très bien dans la terre d’alluvion qui a reçu les
+semences.
+
+Il n’y a pas de puces à Sidi’Okba ni à Zéribet, à cette époque du moins.
+
+ Le 31 mai.
+
+Nous partons, El Arbi et moi, avec une dizaine de spahis et, laissant le
+bagage derrière, nous voyageons rapidement à travers une plaine unie, de
+terre végétale, et à peine parsemée çà et là de touffes de _guetaf_ et
+de tamarix. Nous avons toujours à notre droite l’oued el Arab à une
+distance variable.
+
+Nous arrivons de bonne heure à El Faïdh et nous arrêtons à une petite
+baraque auprès du puits artésien inachevé, et recouvert en ce moment par
+une grossière maçonnerie. Nous ne trouvons ici que quelques tentes
+d’Arabes qui gardent les puits, mais il y a deux villages tout près de
+là : Beled Oulad Bou Hadîdja et Beled Oulad’Amer, du nom de deux tribus
+autrefois en querelles continuelles, mais qui, depuis la domination
+française, sont forcées, comme tant d’autres, à vivre en paix. Ces
+villages ne sont habités que pendant l’hiver, ou, s’ils le sont aussi
+pendant l’été, c’est que l’oued el Arab a coulé deux fois dans l’année,
+ce qui a rendu possible les magnifiques labours dans les plaines d’El
+Faïdh. Dans ces grandes occasions, on mêle du sable aux grains de blé et
+d’orge pour qu’ils ne tombent pas trop près les uns des autres. Le puits
+artésien, qui est déjà à 130 mètres de profondeur[162] et qui jusqu’à
+présent n’a rendu que des terres semblables à celle du sol ou
+différentes seulement par une plus grande proportion d’argile, donnerait
+une fertilité certaine à ces terres qui ne sont plus arrosées maintenant
+que rarement, car les montagnards, depuis que la sécurité règne dans
+leur pays, ont construit des quantités de barrages nouveaux qui
+absorbent les petites crues. Il y a longtemps que l’eau de la rivière
+n’est parvenue à El Faïdh ; la dernière crue date du milieu de l’automne
+dernier.
+
+Autrefois il y avait des plantations de palmiers à El Faïdh. Aujourd’hui
+il ne reste plus qu’un seul dattier comme témoin de ce fait. Ils ont été
+coupés dans une querelle de tribu.
+
+L’eau que l’on boit à El Faïdh est bonne, elle est tirée des oglas
+creusées dans le lit à sec de la rivière, lequel est entouré de tamaris.
+
+La faune de ce pays est remarquable à deux points de vue : d’abord, il y
+a de nombreux sangliers, dont les coups de boutoir sont visibles au pied
+de presque toutes les touffes de broussailles. Ensuite, le serpent des
+jongleurs égyptiens existe aussi ici, le mâle est appelé ثعبان, la
+femelle نعجة, à moins que ce ne soient deux espèces différentes. Cette
+espèce atteint presque 2 mètres de long et la grosseur de la cuisse (?)
+elle est de couleur noire, et lorsqu’elle est en colère, se lève sur la
+queue et se promène en étalant la peau de son cou en éventail. M. Hénon
+en a vu une morte que El Arbi lui a envoyée.
+
+La végétation est, je crois, de _guetaf_.
+
+ Le 1er juin.
+
+El Arbi m’avait déjà quitté la veille au soir, mais il m’avait laissé
+ses spahis. Nous partîmes de bonne heure, et en arrivant aux _oglas_,
+mon sacré Brahim qui n’a jamais brillé jusqu’ici que comme pilier de
+café, ménage si mal le chameau des cantines que les deux caisses sont
+jetées à terre. Heureusement rien n’est cassé, mais cet événement fait
+oublier à mes serviteurs de prendre de l’eau, et nous voilà partis pour
+faire deux lieues dans le Sahara sans trouver d’eau. Aussi dès que je
+m’aperçois de leur oubli, je pars en avant à cheval avec un des
+serviteurs du kaïd qui me servait de guide.
+
+Nous traversons une plaine appelées Farfaria, à sol de terre labourable
+tout boursouflé dans lequel les chevaux enfoncent beaucoup. La
+végétation est excessivement rare ; par endroits elle est nulle. Elle se
+compose de tamaris formant des buissons sur le bord des rivières à sec
+qui se trouvent ici près du chott en très grand nombre, de _guetaf_ plus
+rare et enfin de _jell_ et de _Bou ’akerich_[163]. Le pays est d’une
+grande uniformité ; plus on approche de Sidi Mohammed Moussa, plus on
+rencontre de plaques d’efflorescences salines. Enfin lorsqu’on arrive à
+ce bosquet de palmiers, le sol est devenu _heïcha_, la végétation est
+plus dure, et se compose des mêmes espèces qu’avant.
+
+En arrivant à Sidi Mohammed Moussa, nous croyions trouver de l’eau
+potable, mais celle que nous trouvâmes était trop salée pour être bue.
+Il y a là une mosquée assez grande entourée de quelques petites
+maisons ; le village était abandonné ainsi que quelques petites huttes
+en branches d’arbres semées dans les jardins. Les petites plantations
+assez clairsemées, inégalement distribuées et peu importantes, sont
+remplies de tourterelles. Nous apprîmes plus tard que personne ne
+pouvait plus habiter cet endroit depuis que l’eau était devenue si salée
+et si amère.
+
+Après nous être reposés un instant, nous continuâmes notre route et ne
+tardâmes pas à arriver à El-Haouch, village bâti sur le côté d’un fort
+beau bois de palmiers. Les habitants d’El-Haouch étaient tous dans la
+forêt de Saada où ils avaient semé des céréales cet hiver. Ils sont
+obligés d’émigrer ainsi à quelque distance du village toutes les années
+où la rivière ne leur apporte pas l’eau nécessaire pour qu’ils puissent
+labourer autour de leur village. Nous ne trouvâmes donc que les gardiens
+des maisons et très peu de ressources alimentaires ; on me laissa la
+mosquée pour habitation et je m’y installai de mon mieux. Les chameaux
+n’arrivèrent que vers 3 heures. J’avais envoyé de l’eau à leur
+rencontre. J’achetai une poule 1 franc ; et Ahmed et moi nous tirâmes
+quelques tourterelles dans les jardins. L’eau d’El-Haouch est très
+mauvaise.
+
+ 2 juin.
+
+J’avais envoyé dès mon arrivée quelqu’un au cheik d’El-Haouch à Saada,
+et il m’envoya dans la nuit un cavalier et un piéton pour me conduire à
+Merhayyer (la Changée).
+
+Nous voyageons aujourd’hui dans une plaine couverte de sable ou de
+gravier, où souvent des affleurements de calcaire blanc se font jour. Le
+relief de cette plaine est assez accidenté on y voit presque toujours
+des _drâ_ ou lignes de hauteurs à l’horizon. La végétation est assez
+fournie : d’abord elle se compose de _zeita_, de _jell_ et d’_isrif_,
+puis enfin de _drin_, de _zeita_ et de _greyna_. Dans la première partie
+de la route nous voyons sur la gauche de petites buttes qui indiquent
+l’emplacement d’un ancien _qsar_ appelé Djeneyyen جنين (le petit
+jardin). Il y avait autrefois des sources d’eau douce dans cet endroit ;
+mais elles sont devenues salées et alors on a abandonné les lieux. Il ne
+reste de la _ghâba_ que quelques palmiers-broussailles.
+
+Nous arrivons à l’oued Itel par une très grande chaleur. Cet endroit
+s’appelle Sētīl ; on y trouve des oglas ou trous peu profonds ayant un
+peu d’eau au fond. Cette eau était autrefois renommée comme très bonne.
+El Arbi en partant m’avait dit : « Vous retrouverez là l’eau de Mengoūb
+et de Zerig ech Chaaba. » Or dans le meilleur trou l’eau était verdâtre,
+lourde et avait un goût salé amer très désagréable. L’oued Itel n’est
+ici qu’une petite dépression large d’une centaine de mètres, garnie de
+sable et de gravier, mais sans berge. Son lit est couvert de tamaris. Il
+y a quelques jours qu’un campement de Toroūd était ici ; ils ont émigré
+à Bir el Asli dans le Sahara de Tinedla.
+
+ Dimanche 3 juin.
+
+En quittant Setīl on continue jusqu’au Dhahâr[164] la plaine de même
+conformation que celle d’hier. La végétation est composée de _retem_,
+d’_isrif_, de _methennan_ et de _guerch_. Au Dhahâr, qui est le talus
+formé par une plaine supérieure qui cesse tout d’un coup pour faire
+place à une plaine plus basse, je trouvai dans les berges la même terre
+rougeâtre sableuse que l’on retrouve autour du qsar de Merhayyer.
+
+Ici commence l’oued Righ naturel[165], le chott Melghigh n’est plus qu’à
+une petite distance sur la gauche. On en longe même le bord pendant
+quelque temps. A partir de là commence un sol ou _heicha_ boursouflé,
+souvent couvert d’efflorescences de sel, et caractérisé par une autre
+végétation : _zeita_, _greyna_, _ghardeg_ (?), etc. A moitié chemin
+entre Merhayyer et Setil se voient sur le chott les premières taches de
+palmiers, celle de Merouān ; à partir de là elles se succèdent presque
+sans relâche ; à droite on voit quelques _cherias_ ou bosquets de
+palmiers nourris par une source. Enfin on arrive aux deux petites oasis
+d’Ourir et de Nesigha, qui se touchent presque. A Ourir il n’y a jamais
+eu de _qsar_, mais il y a une mosquée ; à Nesigha, au contraire, il y en
+avait un autrefois.
+
+Nous arrivons enfin à Merhayyer. Le soir, je vais voir une noce de
+Rouāgha. C’est certainement fort curieux. La fête a lieu lorsque la
+chaleur du jour a passé et continue jusqu’au _maghreb_. Sept jours de
+suite elle se prolonge. Sur la place de la ville viennent prendre place
+les jeunes gens qui cherchent une épouse ou une amie (?) et ils
+s’asseyent sur les bancs de terre situés aux abords des maisons. Ils ont
+mis leurs plus beaux burnous et d’énormes chachias sous leur haïk qui
+est lui-même attaché par une énorme _berima_. Vient ensuite le _maâllem_
+ou maître de musique, qui est aussi fort beau et qui ouvre le concert
+par un air de flageolet ; il a pour acolytes deux timbales طبل et la
+musique commence pour ne plus changer sur un ton lent saccadé. C’est
+alors que viennent les jeunes filles de la ville deux à deux, trois à
+trois, toujours les amies ensemble. Elles marchent lentement, par petits
+pas, infligeant à leur corps une cadence, une ondulation presque
+imperceptible qui commence aux pieds et finit à la tête. Elles marchent
+les yeux pudiquement baissés ; vêtues de leurs plus beaux vêtements,
+ayant au milieu de leur coiffure multicolore de petits rameaux de
+tamaris. Elles se tiennent par la main ; les avant-bras levés vers leur
+tête pour montrer aux jeunes hommes leurs mains teintes de henné. Tantôt
+elles suivent le _maâllem_ qui ne dédaigne pas de battre de temps en
+temps des entrechats devant elles, et ensuite de sautiller accroupi
+devant un autre groupe qui recule alors lentement. Le _maâllem_ et un
+acolyte me distinguant avec le cheikh et Ahmed vint s’agenouiller à
+quelques pas de moi et me fit l’honneur d’un concert à mon intention ;
+je déboursai un franc, ce qui lui donna des forces considérables.
+Plusieurs des groupes de statues firent des détours pour se faire
+admirer de plus près par Si Saad et vinrent passer lentement devant moi.
+C’étaient surtout les plus grandes. Il y avait de toutes petites filles.
+Enfin un groupe attira mon attention parce que chacune des demoiselles
+qui le composaient avait un fichu de soie jeté sur la figure. C’étaient
+les mariées ; il y en avait trois.
+
+ 4 juin.
+
+Le cheikh de Merhayer prétend que sa ville est plus élevée que Tougourt,
+mais tout le monde est de l’avis contraire.
+
+Nesigha avait autrefois une _dechera_ ; mais cette _dechera_ se dépeupla
+peu à peu, les habitants moururent et sous le règne du cheikh Brahim la
+dernière famille émigra à Merhayyer. C’est une vieille femme de cette
+famille qui a émigré elle-même et qui me raconte ce fait. Elle me donne
+beaucoup d’autres renseignements curieux. La _dechera_ de Nezigha ne fut
+jamais bien grande. Ourīr a une mosquée dédiée à Sidi Mokhfi qui était
+Righi[166]. Merhayyer est très ancienne, quoique fondée sous les
+musulmans ; la Zaouiya de Sidi Embārek Sāim, de même ; elle fut bâtie
+quarante ans après la fondation de la ville. Ce marabout était un chérif
+arabe venu de loin. C’est depuis le règne du cheikh Hamed que la langue
+arabe a prévalu dans les villages du Ras el Ouad, et qu’elle a remplacé
+le Righi.
+
+Voici la liste des cheikhs de Tougourt[167] :
+
+
+Sidi Mohammed ben Yahiya, marabout arabe nayli, régna quarante ans ; son
+règne fut un règne doux.
+
+Cheikh Hamed, fonda la dynastie des Beni-Djellab, famille aussi arabe,
+qui, dit-on, descend des Mérinides. Ce fut un bon souverain ainsi que
+cheikh Brahim.
+
+El-Khāzen ne régna que trois à quatre mois.
+
+Cheikh Brahim régna de treize à quatorze ans.
+
+Cheikh Mohammed régna longtemps, eut pour fils les trois souverains
+suivants :
+
+Cheikh ’Amor vient au trône deux ans avant la prise d’Alger ;
+
+Cheikh Brahim régna quatre ou cinq ans.
+
+Cheikh ’Ali régna quatre ou cinq ans.
+
+Cheikh Ben Abd er Rahman régna onze ans.
+
+Cheikh Selman régna trois mois et fut chassé par les Français au mois de
+novembre 1854.
+
+
+Les Mehadjeriya de Tougourt tirent leur origine, me dit-on ici, d’un
+juif apostat qui vint à Tougourt, déjà musulman, sous l’ancienne
+dynastie (Sidi Mohammed ben Yahiya). Cette indication est fausse[168].
+
+La vieille femme me dit d’elle-même ces paroles singulièrement
+curieuses : احناڢم باب الوصڢان, c’est-à-dire qu’elle reconnaît elle-même
+que les Rouagha forment (ou formaient) la limite septentrionale du pays
+des nègres.
+
+Les deux ou trois palmiers isolés au sud-ouest de Merhayyer, séparés du
+fossé par un petit _dra’_, indiquent l’emplacement d’une _dechera_
+appelée El-Gharbi, dont les habitants possédaient une partie des
+palmiers de Merhayyer. Les deux villes étaient ennemies l’une de
+l’autre. El-Gharbi succomba dans la lutte et ses habitants, chassés du
+village, furent se réfugier dans le Nefzāoua, au Djérid et une faible
+partie entra à Merhayyer.
+
+Voici les noms de tribus de Merhayyer : Oulad Hassen, — Oulad Imen, —
+Oulad Mouça, — Oulad Bou ’Ali, — Oulad Djabou qui étaient autrefois à
+El-Gharbi, — Er-Riāb, arabes habitant 2 à 3 maisons. Les Arabes de
+l’Oued-Righ sont Selmiya, Rahmān, Oulad Moulet. Ces derniers ont une
+centaine de tentes ; les deux autres tribus sont beaucoup plus fortes.
+Les tribus de Nesigha étaient : O. Sidi Mohammed ben ’Aiça, O. el
+Gharib, O. el Hāchi. Ils étaient tous Rouāgha et comptaient une
+vingtaine de maisons.
+
+Je m’enquiers des maladies de l’Oued-Righ, du moins de celles qui sont
+le plus communes à Merhayyer.
+
+
+Ophtalmie, peu. — Maux de tête, beaucoup. — Fièvres pernicieuses, peu. —
+Douleurs : on dit qu’elles proviennent du travail. — Syphilis, très peu.
+— Phtisie, peu, on n’en meurt pas. La plupart des morts viennent des
+fièvres.
+
+
+L’oasis de Merhayyer compte huit sources coulant encore. Une forte et
+sept petites. Elles ont 84 à 90 _dra_ (42 à 45 m.) de profondeur[169] ;
+les unes sont douces, les autres sont salées ; la plus forte source est
+salée. — Ourīr et Nesigha ont chacun une source. — Les palmiers
+broussailles de Tamidount et de Merouān ne sont pas arrosés ; ils
+donnent de petites dattes que mangent les chacals et les gazelles.
+
+
+Sources artésiennes : ’Aïn Mellāḥa, eau assez bonne, température 24°,2 ;
+profondeur d’après la tradition, 42m,5. — ’Ain Baṭṭāḥ-boum, température
+24°,5 ; profondeur, 42 mètres.
+
+
+Le nombre des palmiers de Merhayyer, de Nesigha, d’Ourīr et de Dendoūga
+s’élève à 25 ou 26.000 ; mais ce chiffre doit probablement subir une
+correction notable en augmentation, de même que ceux que je donnerai
+pour l’Oued-Righ. Les cheikhs qui les ont comptés, croyant que le
+chiffre qu’ils donneraient devait servir de base à un impôt, ont
+naturellement indiqué le moins possible.
+
+Dendoūga, dans le chott Melghigh, possède une _dechera_ abandonnée ;
+elle avait autrefois une population de Selmiya et de Fouānīs (Rouāgha) ;
+il y avait environ 15 maisons. Dendoūga possède une source et Choucha
+aussi.
+
+Parmi les Rouāgha, les blancs et les noirs sont considérés comme au même
+niveau ; il n’y a pas d’idée de noblesse attachée à la blancheur de la
+peau. Dans l’hypothèse probable de l’homogénéité primitive d’une race
+noire dans l’Oued-Righ et le Nefzāoua, race successivement modifiée par
+l’élément berbère et par l’élément arabe, ce serait dans les mélanges de
+ces trois races qu’il faudrait chercher l’explication des nuances de
+couleur, puisque les traits restent toujours les mêmes, et donnent
+quelquefois le singulier spectacle de nègres et de négresses presque
+blancs. A Sidi Khelil, à Merhayyer on ne fait pas de « ghēchem » ou vin
+de palmier.
+
+Autrefois les Beni-Djellab demandaient au cheikh de Merhayyer 100 ou 130
+réals torbāga (de Tunis) et à la ville 250 réals torbāga. Le cheikh
+Mohammed demandait autrefois 500 réals, mais les Français diminuèrent
+l’impôt comme ci-dessus sous les derniers Beni-Djellab. Aujourd’hui il
+n’y a à Merhayyer que les Oulad Hassen qui paient tribut à la France
+parce qu’ils n’ont pas voulu accepter notre autorité dans l’origine.
+Leur redevance monte à 156 douros. — Nesigha paie 31 douros et Dendoūga
+44. En tout 1.155 francs. A Oumm et Tiour les habitants sont Selmiya. A
+Chegga, ce sont des Chorfā.
+
+A Merhayyer on cultive de l’orge dans de petits carrés entourés de
+petits murs en terre, on laboure à la pioche (?). Du blé, il n’y en a
+que très peu. Tout le travail des Rouāgha est l’agriculture.
+
+A Djenéyyen il y a beaucoup de sangliers. Il y a deux ans, un de ces
+animaux s’est égaré jusqu’à Merhayyer.
+
+A Merhayyer la plupart des hommes n’ont qu’une femme ; 25 hommes
+seulement en ont deux et un seul ménage en a trois. Les ménages ont deux
+enfants en moyenne ; jamais plus de cinq.
+
+Il n’y a pas de poissons dans les eaux de Merhayyer _parce qu’elles ne
+forment pas de « bahar[170] »_.
+
+Voici la liste des espèces de dattes qui se trouvent dans l’oasis :
+
+
+El-Ghers, Degla (principales). — Degel. — El’Ammāri. — Deglet Noūr. —
+Tīndjouhert. — El Itīma. — Zintebouch. — Tīsīnīn. — El’Adjīna. — Bou
+Khennoūs. — Hamrāt el Kāïd. — Kouttich ed Degla (du Zāb). — Tīfziouīn. —
+El Kenta. — ’Abd el ’Azzàz. — El Kesebba. — Dhofor el Goṭṭ. — Degla
+Morhoss. — Bou ’Aroūs.
+
+
+L’Oued-Righ compte 44 villages, dont 3 sont abandonnés.
+
+ 5 juin.
+
+Nous partons de Merhayyer ; je ne puis plus y rester, quoique le ciel ne
+m’ait pas encore permis de faire hier même une simple observation de
+latitude.
+
+Nous arrivons à Sidi Khelil de bonne heure. Ce village est, comme
+Merhayyer, entouré d’un fossé d’eau, dans lequel je vois des poissons,
+quoique l’eau soit couleur d’urine de vache. Sidi Khelil a 50 maisons et
+9 sources d’eau coulante, quoique d’un faible débit. C’est un marabout
+qui a bâti ce village auquel il a donné son nom. Le nombre de palmiers
+de Sidi Khelil est à celui de Merhayyer dans le rapport de 2-3. — L’eau
+de cette oasis est peut-être un peu moins bonne que celle de Merhayyer,
+mais elle est cependant très buvable. — A l’ouest de Sidi Khelil,
+contiguë à la ville, on trouve une grande mare dans laquelle je vois des
+négrillons du pays prendre leurs ébats. Il y a deux tribus à Sidi
+Khelil[171], les Oulad Zaïr et les Zerāib Selimān.
+
+Je vais coucher à Tinedla. Tinedla n’a que peu d’importance ; il n’y a
+qu’une quinzaine d’hommes adultes, environ 3.000 palmiers arrosés par 7
+sources. Elle ne paie pas de tribut. — El-Bārĕd, près de Tinedla, ne
+compte que 8 hommes, 2.000 palmiers et une seule source. L’odeur des
+marais est écœurante. Le soir, je vois planer au-dessus du village un
+crapaud volant.
+
+ 6 juin.
+
+Je pars de Tinedla, et j’arrive de très bonne heure à Ourhlāna. Je
+trouve ici M. Zickel, lieutenant d’artillerie, avec qui j’avais fait
+connaissance à la table du bon commandant Robbe à Batna. Il commande ici
+la brigade des forages artésiens. Le puits qu’on a entrepris est déjà
+très avancé ; il a 53m,89 ; la température de l’eau dans un intervalle
+du travail est de 24°,1 (th. 303 de Salleron). Je me démunis de mon
+anéroïde et d’un thermomètre Salleron no 303 pour que M. Zickel puisse
+faire des observations. M. Zickel a un fonds d’instruction générale qui
+manquait à mon pauvre ami Lehaut.
+
+Ourhlāna a 2.000 palmiers arrosés par 5 sources principales ; la
+population du village est de 200 hommes et de 180 femmes. Je passe la
+_gaïla_ ici et je vais coucher à Sidi Rāched. A Ourhlāna, le puits
+donnait déjà une source notable, qui n’était venue que la veille. J’eus
+le curieux spectacle de voir les Rouāgha travailler aux saguias au son
+de la musique. Ils ont, à ce qu’il paraît, égorgé un chevreau sur
+l’orifice du puits.
+
+Nous avons passé les deux _Tamernas_. — Tamerna Djedida a 100 hommes
+adultes. Les palmiers sont arrosés par 2 sources.
+
+ 7-11 juin.
+
+Je vais à Tougourt. Je vois, en passant, les ruines de la curieuse
+mosquée de Tāla, ville puissante que détruisirent les Beni-Djellāb.
+
+Le cheikh Bou Chĕmal de Nezla, l’un des hommes les plus nobles de
+l’Oued-Righ et un ancien ami et conseiller des Beni-Djellāb, me donne
+les renseignements suivants.
+
+Autrefois les Beni-Mezāb occupaient Tougourt et Ghamra, voire même
+Temassīn[172].
+
+Les Beni-Djellāb, lorsqu’ils furent chassés par les Français, avaient
+régné 550 ans. ’Omar ben Qetla (Ben-Djellāb) fut celui qui fit
+apostasier les Juifs aujourd’hui Medjehariya. Il avait une maîtresse
+juive nommée Hokāya ; celle-ci lui dit un jour : « Si tu veux convertir
+les Juifs, il faut attendre que leurs palmiers (car ils en possédaient)
+aient des dattes[173] et les menacer de les chasser comme les Beni-Mezāb
+et de les dépouiller de leurs biens, s’ils ne passent pas à
+l’islamisme. » Ben Qetla suivit ce conseil, et, après 5 jours de
+réflexion, les Juifs se convertirent[174].
+
+Sidi Mohammed ben Yahiya et Sidi Serr Allah, du temps de la Djemāa avant
+les Beni-Djellāb, sont les deux marabouts qui chassèrent les Beni-Mezāb.
+
+Les Beni-Djellāb avaient des mœurs très légères ; on connaît l’amour des
+liqueurs fortes des derniers souverains de la dynastie. — Près de
+Tougourt se trouve une jolie goubba à deux coupoles appelée Dār Nedjma,
+qui fut le tombeau d’un des fidèles partisans du premier souverain qui
+se faisait passer pour marabout. Plus tard les Beni-Djellāb avaient là
+une jolie chambre, et y donnaient des rendez-vous aux plus belles femmes
+des plus nobles familles de Tougourt, qui y venaient sous prétexte de
+pèlerinage.
+
+ L’impôt annuel de l’Oued-Righ et du Souf s’élève à 80.000 fr.
+
+ Les dépenses de l’Oued-Righ et du Souf sont :
+
+ Traitement du caïd et des cheiks 26.660 fr.
+
+ Cavalerie (Khialas) du caïd 46.800
+
+ Tirailleurs indigènes à Tougourt 42.000
+
+ Poste 10.800
+ -------
+ Total des dépenses 126.260 126.260 fr.
+ -------
+ Excès des dépenses sur les recettes 46.260 fr.
+
+Le capitaine Cannat a fait compter les palmiers de l’Oued-Righ par les
+cheikhs de chaque village, ce qui est un très mauvais moyen ; il a
+obtenu le chiffre de 400.000 palmiers. Plus tard, il compta lui-même à
+Meggarîn les palmiers et en trouva 2.000 de plus dans cette petite
+oasis. Le lieutenant Auer a calculé le nombre des palmiers de Tougourt.
+Il a compté réellement les arbres sur un petit espace et a ensuite fait
+la proportion sur la superficie de l’oasis basée sur son plan. — Il a
+obtenu 180.000 palmiers, tandis que Cannat en avait seulement 85.000 par
+le calcul des cheikhs. En se basant sur la différence des données sur
+Tougourt d’Auer et de Cannat et en acceptant celle d’Auer comme bonne,
+on aurait 848.000 palmiers pour l’Oued-Righ. — Auer estime cependant le
+nombre à seulement 600.000 palmiers. El-Ouad, me dit le kaïd, a avec
+’Amîch 60.000 palmiers. En admettant 600.000 palmiers dans l’Oued-Righ
+et en faisant payer 0 fr. 20 par arbre, on aurait 120.000 francs par an,
+ce qui suffirait pour payer les dépenses quand on aura modifié le
+service des postes. — Le Souf donnerait du reste de quoi payer le
+surplus, 6.260 francs, et le gouvernement aurait encore un bon revenu en
+plus.
+
+
+[Note 161 : Ils reçoivent aussi de l’eau de l’oued Guechtan, tributaire
+qui a son confluent à Zéribet el Ouad. (Féliu, p. 93.)]
+
+[Note 162 : Il y a ici une légère erreur. Commencé le 6 novembre 1857
+par M. Jus, ce forage fut suspendu le 1er mars 1858 à une profondeur de
+156 mètres, le matériel n’étant pas prévu pour des profondeurs plus
+grandes. (Ville, _Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna et du
+Sahara_, p. 268-270.)]
+
+[Note 163 : Peut-être l’_akrecht_ du catalogue Foureau (_Lithospermum
+callosum_).]
+
+[Note 164 : Appelé aussi Koudiat el Dor, le « mamelon du retour ». Sur
+la légende attachée à ce nom, cf. Féraud, _Rev. Africaine_, 1879, p.
+62.]
+
+[Note 165 : Car on doit y compter Oumm et Tiour, depuis que les puits
+artésiens y ont été forés (H. Duv.).]
+
+[Note 166 : Righi (pluriel Rouagha) : habitant de l’Oued-Righ ou Oued-
+Rir.]
+
+[Note 167 : Cf. le _Kitab-el-Adouani_, traduct. Ch. Féraud, _Recueil
+Soc. archéol. de Constantine_, 1868, et le mémoire du même auteur : _Les
+Ben-Djellab, sultans de Tougourt_, _Revue Africaine_, 1879-1880.]
+
+[Note 168 : A noter que le _Kitab-el-Adouani_ assigne une origine juive
+aux premiers ksour de l’Oued-Rir.]
+
+[Note 169 : Ville, qui a mesuré lui-même en 1861 quatre de ces puits
+indigènes, leur a trouvé une profondeur de 27 à 30 mètres, et ne croit
+pas qu’ils aient dépassé 42 mètres à l’origine. (_Voyage d’exploration_,
+etc., p. 331).]
+
+[Note 170 : _Bahar_ (pluriel _behour_) : petits bassins plus ou moins
+circulaires, remplis par une nappe d’eau ascendante.]
+
+[Note 171 : J’ai quelques doutes si ces tribus appartiennent à S. Khelil
+ou à Tinedla, ce serait peut-être à la dernière ville (????) (H. Duv.).]
+
+[Note 172 : Confirmé entre autres par Ibn-Khaldoun, qui écrivait au XIVe
+siècle que les Azzaba (ancêtres des Mzabites) étaient en majorité parmi
+les hérétiques de Tougourt (_Hist. des Berbères_, traduct. de Slane,
+III, p. 278). — La principale mosquée de la ville s’appelle aujourd’hui
+encore Djama-el-Azzabiya.]
+
+[Note 173 : Ces palmiers étaient à un endroit appelé aujourd’hui Khalouā
+(H. Duv.).]
+
+[Note 174 : Cf. une deuxième tradition dans Féraud (_Rev. Africaine_
+1879, p. 354 et suiv.).]
+
+
+
+
+ CHAPITRE II
+
+ AU SOUF
+
+
+ 12 juin.
+
+Je n’ai quitté Tougourt qu’après midi, et je suis parti à cheval avec un
+spahi bleu qui ne savait pas le chemin. Après avoir traversé la
+Chemorra, nous sommes entrés immédiatement dans les sables, alternant de
+dunes à de simples ondulations. D’abord ces sables, comme tous ceux qui
+avoisinent les lieux habités, n’ont aucune végétation. Plus loin nous
+vîmes des oueds bien garnis de végétation et nous arrivâmes au puits
+Mouïa Rebah qui ne contenait alors que très peu d’eau et qui avait déjà
+une mauvaise odeur. De là nous allâmes à Hassi Embārek au commencement
+de hautes dunes, que nous traversâmes sans cesse pour arriver à Taibāt
+et Guebliā. Nous trouvâmes à ce dernier puits de petits camps d’Oulad
+Seih.
+
+J’arrivai à la nuit tombante à Taibāt qui est une petite bourgade au
+milieu des dunes. Elle est bâtie à la mode du Souf. Les maisons ont de
+petits murs en chaux et pierre à plâtre et les chambres sont surmontées
+de petits dômes. On voit ici le tombeau d’un cheikh et une mosquée. Les
+habitants sont des Oulad Seih ; les palmiers sont plantés comme au Souf.
+
+ 13 juin.
+
+Nous sommes partis avec le bagage et avons traversé pendant longtemps
+une zone de dunes très difficiles, surtout pour des chameaux du Tell
+comme sont les miens. D’abord nous avions rencontré des jardins qui
+portent le nom de Khobna. Notre marche est très lente, et nous nous
+arrêtons pour passer la _gaïla_ au puits de Dhemerini dont l’eau est
+assez bonne. De là nous ne partons que tard, à cause du sirocco qui m’a
+indisposé et nous allons coucher au Kétif, la plus haute dune de sable
+de cette région.
+
+ 14 juin.
+
+Nous sommes partis de bon matin, tous ensemble ; mais Ahmed et moi nous
+prenons le devant sur nos chevaux, ayant un guide à pied. Après une
+bonne marche, nous arrivons au puits des Haouād Tounsi ; puis nous ne
+quittons plus les dunes jusqu’à El-Ouad. J’ai déjà passé à Haouād Tounsi
+en allant à Ouarglā. Je trouvai le kaïd qui me reçut très bien.
+
+J’apprends qu’un « rhezi » de Toroud avec quelques Touaregs de Cheikh
+Othman sont partis pour aller razzier des tribus arabes de la
+Tripolitaine ou de la Tunisie. (Ceci est intéressant. Voir au Djébel le
+résultat.) Le Cheikh Othman était ici il y a peu de temps ; il se
+disposait à aller à Ghadāmès pour s’entretenir avec Ikhenoukhen qui est
+campé près de là, au sujet d’un différend qui s’est élevé entre leurs
+tribus. J’espère donc, une fois de plus, pouvoir aller avec lui.
+
+Je cause longtemps avec un Ghadamsi qui s’en retourne chez lui. Il est
+parti de Ghadamès au milieu du ramadan ; on lui a dit qu’il devait venir
+un Français et un Anglais. Le Français, c’est moi sans doute.
+
+ 15 juin.
+
+Ahmed est tombé malade de fièvres la nuit dernière. Je passe une partie
+de la journée à le médicamenter ; il est d’une faiblesse extraordinaire
+contre la maladie, lui qui ne craint rien d’ordinaire. Il dit à qui veut
+l’entendre qu’il est perdu. Cependant, le soir, il peut déjà se
+promener. Sa femme lui en a tant dit, qu’il vient me déclarer qu’il ne
+peut pas voyager cet été ; mais le soir le kaïd lui parle devant les
+_mechaikh_, et le décide à revenir sur cette idée.
+
+Je fais causer un homme des Ghorībi, tribu arabe du Nefzāoua, qui ont
+quelques palmiers à El-Ouad, et qui ne vont pas l’été avec les Oulad
+Yagoub dont ils sont plutôt les ennemis.
+
+Les Arabes du Nefzāoua sont les Oulad Yagoub, les Ghorīb, les Merāzīg et
+les Solaā. — Les Ghorīb qui possèdent la ville de Sabrīa se divisent en
+
+ { { Bidhan.
+ { {
+ { { Chebib.
+ { {
+ { Sabria. { Fodhély.
+ { {
+ { { Rehamla.
+ { {
+ { { Keraima.
+ {
+ Ghorīb { El-Ghenaim.
+ {
+ { Djerarda.
+ {
+ { Touamer.
+ {
+ { O. ’Ali.
+ {
+ { O. Nouiser.
+ {
+ { El-Gherisiyin.
+
+Sabria est à un long jour de Kebilli et à cinq jours d’El-Ouad ; ses
+puits sont comme ceux du Souf, de même que ses غدران établis dans les
+sables. Voici la liste des puits du Sahara des Ghorīb : le pays où ils
+sont creusés est par 120° de Nefzāoua.
+
+ Bir Djedid à 3 jours de Kebilli ; à 5 jours d’El-Ouad.
+
+ El-’Ogla 4 — — 5 — — }
+ } près
+ El-Oudey (el Merhotta) à 2 jours de Kebilli ; à 5 jours } les uns
+ d’El-Ouad. } des
+ } autres.
+ El-Hiadh — 2½ — — 4 — — }
+
+ Moui Sefar — 4 — — 3 — —
+
+ El-Gounna — 2 — — 5 — —
+
+ Moui Dhô — 2½ — — 4½ — — }
+ } près
+ El-Beskri — 2 — — 5 — — } les uns
+ } des
+ El-Mahrouga — 2 — — 5 — — } autres.
+
+Le puits le plus à la _guibla_[175] est celui de El-Oudey el-Merhotta.
+
+Je donne la permission à Ahmed de vendre son cheval et sa selle.
+
+ 16 juin.
+
+J’avais résolu d’aller voir ’Amich qui commence près d’El-Ouad et se
+prolonge vers la _guibla_ d’une longueur dépassant un peu la distance de
+Kouïnin ; mais j’ai abandonné mon projet ; je crains que la promenade ne
+vaille pas la fatigue qu’elle doit coûter par la chaleur que nous avons.
+J’ai employé mon dernier jour ici à prendre des renseignements
+commerciaux.
+
+
+ _Notes sur le commerce d’El-Ouad._
+
+
+Le commerce d’El-Ouad suit quatre directions principales et il est
+curieux de noter qu’aucune d’elles ne se dirige vers nos possessions.
+Biskra, et peut-être Tebessa, Tougourt aussi ont, il est vrai, des
+relations avec le Souf (El-Ouad), mais le commerce qui en est la base
+est bien languissant, et est en grande partie réservé aux villes de
+Souf, Gomar, Kouïnin et Ezgoum.
+
+Les quatre canaux principaux du commerce d’El-Ouad sont : 1o Tunis ; 2o
+le Djérid ; 3o Gabès ; 4o Ghadāmès. — C’est par cette dernière ville
+qu’ont lieu des transactions avec Rhat et le Soudan. — A ces quatre
+emporiums on pourrait ajouter Ouarglā.
+
+Voici les prix courants à El-Ouad des marchandises venant de Tunis, et
+qui, pour peu qu’ils entrent dans le rayon des produits de fabrique,
+sont tous anglais ou maltais :
+
+
+ _Prix courant :_
+
+ Cotonnades de Malte, pièces de 22m,5 à 23m,5 de longueur ;
+ marque, une ancre et un dauphin enchevêtrés et au-dessous
+ « Patent » 9 fr.
+
+ Amberguiz ou madapolam, pièces de 37m,5 17
+
+ Cotonnades bleues de Malte, pièces de 35m de long sur
+ 1m de large 16 50
+
+ Calottes rouges[176] tunisiennes, 1 paquet de 6, 1re qualité 30 »
+
+ Soie non travaillée, blanche ou teinte, 1re qualité, 1/2 kil. 20 »
+
+ — — qualité inférieure,
+ 1/2 kil. 10 »
+
+ Fusils de Tunis à pierre, l’un 30 »
+
+ Foulards de coton teints (anglais ?), la douzaine 6 »
+
+ Foulards de soie noirs ou rouges, la douzaine 25 »
+
+ Mousseline grossière,[177] la pièce de 22m,5 7 50
+
+ Essence de roses, 1re qualité, 1 mithcal[178] ou 6 fioles 5 »
+
+ — 2e qualité, une oukiya[179] 2 50
+
+ Civette,[180] l’oukiya 12 »
+
+ Musc, l’oukiya 65 »
+
+ Papier blanc écolier, les 500 feuilles 5 »
+
+ Cassonade (belle qualité), le 1/2 kil. »
+
+ Corail, gros grains (beau corail), l’oukiya 10 »
+
+ Alun blanc, les 50 kil. 33 »
+
+ El-Mabroūka, racine, remède contre la syphilis,
+ le 1/2 kil.[181] 3 »
+
+ Boîtes à parfums en bois. 5 boîtes les unes dans les autres 1 »
+
+Quant au commerce avec le Djérid, il repose presque exclusivement sur
+les tissus fins de laine et de soie de ce pays. A El-Ouad, voilà les
+prix moyens des différents vêtements djéridis :
+
+ Burnous non cousus, de 20 fr. à 22 fr. 50 et 25 francs.
+
+ Haïks de laine, de 22 fr. 50 à 25 et 30 francs.
+
+ Haïks de laine et soie, de 65 fr. à 70 et 75 francs.
+
+C’est-à-dire que, pour les haïks djéridis, on peut en avoir depuis 22
+fr. 50 jusqu’à 75 fr. Ces mêmes burnous qui sont vendu 20 fr. à El-Ouad
+ont été achetés pour 17 fr. 50 au Djérid. Ceux de 25 fr. ont coûté 22
+fr. 50. Les haïks sont vendus à El-Ouad pour 10 francs de plus qu’ils
+ont coûté au Djérid. Le prix du louage d’un chameau d’El-Ouad à Tozer
+est de 12 francs en moyenne. En hiver de 10 francs ; en été il va
+jusqu’à 15 francs.
+
+De Gabès on n’apporte guère que deux produits, mais ils sont de nature à
+fixer l’attention, car tous les deux sont employés dans l’industrie
+européenne.
+
+ Le henné, que l’on me dit meilleur que celui du Zāb,
+ se vend ici » 50
+
+ La garance, les 50 kil. » 40
+
+Ghadāmès envoie à El-Ouad des produits d’une nature toute spéciale.
+
+ Pièces de cotonnade bleue fabriquée au Soudan[182],
+ longueur 4 mètres ; se vend au détail dans des boutiques
+ à 4 fr. le mètre ; en gros on les vend à leur arrivée
+ de Ghadāmès à 10 »
+
+ Troūnia,[183] les 50 kil. 50 »
+
+ Peaux de chèvres ou de moutons tannées et rouges, chaque 3 »
+
+ Civette, meilleure que celle de Tunis, 1 oukiya 30 »
+
+ Alun, les 50 kil. 33 30
+
+ Or : 1o en poudre,[184] en moyenne le mithcal 11 »
+
+ — 2o en objets travaillés[185], le mithcal 9 fr. 50 à 10 »
+
+Ce sont les prix de Ghadāmès ; exceptionnellement il se trouve, comme à
+présent, que les marchands de Ghadāmès, par suite de l’encombrement du
+marché, n’ont aucun profit, perdent même à El-Ouad.
+
+Prix du transport d’une charge de chameau :
+
+ FRANCS
+
+ { 80 en été.
+ D’El-Ouad à Tunis {
+ { 40 en hiver.
+
+ { 15 à 17.50 en été.
+ — au Djérid {
+ { 10 à 12 en hiver.
+
+ — à Gabès 10 en hiver.
+
+ — au Nefzāoua 15 —
+
+ — à Biskra 15 —
+
+ { 40 en été.
+ — à Ghadāmès {
+ { 25 ou 30 fr. seulement en hiver.
+
+ — à Ouārgla 20 en hiver.
+
+ — au Mezâb 25 —
+
+ — à Tebessa 22 50 —
+
+ De Ghadāmès à Tripoli 24 —
+
+ — à Rhat 64 en été.
+
+ 1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de henné coûte à Gabès 53 fr.
+
+ 1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de garance vaut à Gabès 33 50
+
+ D’El-Oued à Tunis 13 jours de caravane.
+
+ — à Nafta 4 — —
+
+ — à Gabès 9 — —
+
+ — au Nefzāoua 6 — —
+
+ — à Biskra 5 — —
+
+ — à Ghadāmès 14 — —
+
+ — à Ouārgla 9 — —
+
+ — à Tebessa 7 — — par Négrīn.
+
+ { d’El-Ouad à Temassin 3 j.
+ {
+ { Temassīn à Belidet Amar 1 j.
+ — à Guerara 9 — — {
+ { Belidet à Hadjira 2 jours.
+ {
+ { Hadjira à Guerara 3 jours.
+
+ 17 juin.
+
+J’ai le plaisir de voir Ahmed se remettre tout à fait aujourd’hui. Je
+lui laisse beaucoup de commissions ; il me rejoindra à Tougourt. Dans
+l’après-midi je pars. J’ai trois domestiques à part Ahmed. Nous
+voyageons d’El-Ouad à Ezgoum à travers des dunes où l’on ne trouverait
+pas un seul brin de végétation. Il fait beaucoup de vent ; le paysage
+est très uniforme, mais n’en est pas moins remarquable.
+
+J’arrive à Ezgoum où je retrouve quelques-uns de mes anciens compagnons
+de voyage du Djérid, qui ont maintenant honte de leur manque de courage
+pendant la route. Ezgoum est très bien bâti, c’est sous ce rapport la
+première ville du Souf. Les maisons sont assez élevées quoique sans
+étage supérieur ; les rues sont bien alignées. Les maisons sont
+surmontées de nombreuses petites coupoles[186] au sommet desquelles,
+comme aussi sur les murs qui les relient, on a distribué des pommeaux en
+maçonnerie d’un très joli effet. La ville m’a paru très propre. Les
+habitants sont plus civilisés que le reste des Souafa ; ils ont pompé la
+civilisation à Tunis et aussi ont tâché d’en introduire chez eux ce
+qu’ils pouvaient. Leur cuisine d’apparat par exemple est tunisienne. Ils
+ont aussi pris de Tunis une grande sévérité extérieure de mœurs, du
+moins à ce qu’on me dit.
+
+[Illustration]
+
+La ville d’Ezgoum[187] compte maintenant 14 générations. La ville la
+plus ancienne de Souf est Taghzoūt ; la plus moderne, El-Ouad excepté,
+est Gomār. Lorsqu’on a fondé Ezgoūm, il n’y avait aux environs que fort
+peu de sables, et pas de dunes comme à présent ; ainsi, encore en 1813,
+lorsque l’on bâtit le minaret de la mosquée (il a 9 mètres de hauteur),
+on pouvait voir de son sommet les feux d’El-Ouad qui à cette époque ne
+comptait guère que des huttes de palmes (_zeraīb_), et l’on apercevait
+aussi du bois enflammé quand on en transportait pour allumer un feu de
+Gomār à Taghzoūt. Inutile de dire qu’aujourd’hui ce serait impossible.
+
+Autrefois, dans l’Ouad Jardaniya qui est un peu au nord de Sidi’Aoūn, il
+y avait des labours arrosés par des sources. On voit encore aujourd’hui,
+me dit-on, les traces des _saguias_. On trouve aux environs des terrains
+de _sebkha_ comme dans l’Oued-Righ.
+
+L’historien du Souf Cheikh el’Adouâni était d’Ezgoum ; c’était,
+m’assure-t-on, un saint homme. Il faisait sa prière du matin avec la
+_djema’a_ et celle du _dhahor_ à Bagdad en Syrie.
+
+La population des villes soufīa (excepté El-Ouad) se compose aujourd’hui
+exclusivement de Toroūd et d’Adouān. Ezgoum est dans ce cas. Dans les
+villes du Souf les Adouāns dominent. A El-Ouad et ʿAmich il n’y a que
+des Toroūd. Les premiers habitants du Souf à ’Amīch et Hassikhalifa
+furent des Zenāta[188] païens (ou chrétiens ?), ensuite vinrent les
+’Adouān et puis les Toroud. Ezgoum possède une jolie _goubba_ élancée,
+dédiée à Sidi Abd-el-Kader.
+
+Les vents du nord-est dominent en été dans le Souf ; ces vents, unis aux
+siroccos du sud-est, sont la cause du progrès des dunes vers l’ouest.
+Leur force et peut-être leur fréquence doivent surpasser celles des
+vents du nord-ouest de l’hiver.
+
+Je suis piqué, le soir, deux fois au bras par un gros scorpion qui
+s’était introduit entre mon bras et ma chemise. Il sort par le cou de la
+gandoura. Je fais de petites fissures sur les piqûres et j’y applique de
+l’alcool camphré. Mon bras cependant reste engourdi un instant.
+
+ 18 juin.
+
+J’arrive de bonne heure à Gomār, après avoir traversé une zone de sables
+dénudée, absolument semblable à celle qui sépare El-Ouad d’Ezgoum. Je
+trouve que le qadhi a tenu sa promesse et m’apporte une copie de Cheikh
+el’Adouāni ; cependant je dois noter ici que le qadhi et même Si
+Mohammed el’Aïd déclarent que ce livre contient avec du vrai beaucoup de
+fantaisie. Il faudra débrouiller cela.
+
+Le kaïd arrive d’El-Ouad dans la matinée, nous allons ensemble chez le
+marabout Si Mohammed el’Aïd que nous trouvons dans une maison assez
+belle, mais couché sur un lit déchiré et vêtu d’un haïk à peine propre.
+Cette fois, le marabout se montre très poli et daigne causer avec nous
+de mille et un sujets. Il a reçu les lettres du général et toutes celles
+que je lui ai apportées. Il me promet tout son concours ; en somme, je
+suis content de cette entrevue. Nous déjeunons là ; on nous apporte, en
+fait de friandises, du concombre frais et une pastèque verte, mais
+mangeable.
+
+ Le 19 juin.
+
+Je fais une visite à Si Mohammed el’Aïd qui me donne son _ouerd_ et qui
+me remet différentes lettres pour les Touareg Cheikh Othman et Cheikh
+Ikhenoukhen. Le marabout cause d’une manière très aimable comme hier. Il
+veut me faire son mokaddem à Paris.
+
+J’ai oublié de noter que pour le commerce d’El-Ouad la monnaie de compte
+est le réal _bou cherchour_, équivalant à 1 fr. 35. Il vaut à Tunis deux
+réals tounsi dits _nehas_. On le divise en quarts « _rouba’_ » ou en
+huitièmes « _themen_ ». Un réal a 94 _nasri_.
+
+Je visite les puits de Gomar, et j’en choisis 4.
+
+ Bir Talat Chriaa’ Prof. 6m,75 Temp. 21°,05
+
+ Bir Sidi Abder Rahman, 6m,66 21°,70
+
+ Bir Djama’ el gharbi, 6m,50 21°,35
+
+ Bir Djama’ el Akhouān. 6m,84 21°,20
+
+On m’apporte le soir un dîner fort peu convenable ; je le fais envoyer
+au kaïd en le priant de m’y trouver un morceau de viande. Le kaïd frappe
+d’une amende de 200 francs le cheikh qui a apporté le dîner, et il
+m’envoie le sien avec d’excellente viande grasse.
+
+ Le 20 juin.
+
+Je suis parti aujourd’hui de Gomar. En passant devant les jardins, je
+remarquai deux arbres fruitiers : figuier et grenadier. On était en
+train d’arroser les plates-bandes. Nous voyageâmes d’abord à travers une
+région de sables, qui, comme toutes celles qui avoisinent les villes du
+Souf, est tout à fait dénudée. Puis nous revîmes la végétation, qui dans
+cette région consiste principalement en drin et alenda. Nous avons le
+sirocco toute la journée, mais nonobstant nous marchons bien ; et nous
+campons un peu en deçà de Mouïa el Ferdjān.
+
+ 21 juin.
+
+Nous nous mettons en route de très bonne heure et nous arrivons très
+vite à Mouïa el Ferdjān. A la _gaïla_ j’ai le spectacle d’un ouragan
+très curieux quoique peu agréable. Toute la journée il a fait un sirocco
+violent. A 1h,20 du soir, le ciel s’est couvert ; coups de vents
+terribles qui renversent deux fois ma tente ; ces vents viennent du
+S.-S.-E. — 5mm de pluie d’orage ; deux coups de tonnerre lointains. A
+1h,35, coups de tonnerre très haut au-dessus de nous ; pas tout à fait
+au zénith (N.-O.), puis au N.-E., puis de l’horizon. A 2h,10, coups de
+vent épouvantables. Le vent chasse le sable de manière à me faire mal
+aux jambes. A 2h,35, coups de tonnerre au zénith au N. et au N.-O., ciel
+couvert, vent de N.-O. faible. Éclairs au N.
+
+En partant de l’endroit où nous avons fait la sieste (d’une singulière
+façon) nous atteignons vite une sorte de forêt ou de bois taillis appelé
+_zouitaya_ du _zeïta_, _Statice monopetala_[189], qui y est pour ainsi
+dire la seule plante dominante. Cela me rappelle les environs de Chegga
+du sud. Cette _zouïtaya_ finit à l’Erg Meggarīn, où nous voyons, entre
+les dunes, des dépressions de sables humides, ce qui fait dire à mes
+Souāfa que c’est un « Erg toloūa » ; on pourrait y planter, comme au
+Souf, des palmiers s’arrosant eux-mêmes par absorption.
+
+Nous arrivons à Meggarīn Djedid, où je laisse mon monde et je continue
+jusqu’à Tougourt avec le spahi bleu. A Tougourt au coucher du soleil,
+ciel embrasé d’un rouge sombre ; air lourd, le soir pluie. Je trouve ici
+Auer malade et le caporal Dhem ayant manqué d’être emporté par les
+fièvres deux jours avant. Cependant tous vont un peu mieux. Abd Allah
+l’Allemand va aussi mieux.
+
+ Tougourt, du 22 juin au 1er juillet.
+
+Je fais un peu de photographie.
+
+J’essaye de faire un baromètre en passant par la délicate expérience de
+Torricelli. Je casse 4 tubes de verre en faisant bouillir le mercure,
+mais le 5e tube réussit et j’ai restauré ainsi mon no 903 de Tonnelot.
+
+L’oasis de Tougourt est très vaste, elle possède environ 180.000
+palmiers, d’après une bonne évaluation faite par M. Auer. Ce chiffre
+représente les palmiers en rapport. Il y avait, il y a deux ans, 325
+puits artésiens d’un débit plus ou moins fort dans toute l’oasis en
+comptant les palmiers appartenant aux villes de Tebesbest, Nezla, Sidi-
+Bou-Djenan, Beni-Souid, Zaouya Sidi el Abid, etc. Le nombre des puits
+tel que l’a donné M. Auer, il y a deux ans, n’a pas dû changer depuis,
+en comptant les puits qui ont tari et ceux qui ont été forés depuis,
+tant par les indigènes que par les sondages français.
+
+A 5 kilomètres de Tougourt au sud-sud-est se trouve un lac d’eau salée
+Merd-jādja qui a 1/2 kilomètre de long sur 200 mètres de large et une
+profondeur maximum de 45 mètres (Auer).
+
+Tout près de Nezla se trouve le tout petit village de Sidi-Mohammed ben
+Yahiya qui est le tombeau du marabout qui régna sur Tougourt avant les
+Beni-Djellāb.
+
+A l’extrémité sud de l’oasis se trouvent des prolongements de jardins
+qui ont actuellement dépassé les premières hauteurs de Bou Yerrō et qui,
+plantés de palmiers encore en broussaille et arrosés par des puits
+artésiens, donnent un bon témoignage de l’influence française sur
+l’oasis, car ils ont été commencés depuis la conquête. C’est le cheikh
+Bou Chemăl qui en a eu l’initiative et la plupart des jardins lui
+appartiennent.
+
+Les hauteurs de Bou Yerrō commencent à 4 kilomètres sur la route de
+Merdjadja (en partant de Tougourt) ; elles sont de peu d’importance,
+mais doivent exister sur les cartes.
+
+On trouve dans l’oasis palmiers, abricotiers, figuiers, grenadiers,
+poiriers (peu), pommiers (peu), vignes (peu), cotonniers (d’ancienne et
+de nouvelle date). Ce dernier arbre devient très fort ; il n’est pas
+utilisé. Légumes, choux, ail, oignons, tomates, _gara_, _kabouya_, sorte
+de concombre, melons, pastèques, poivre rouge, _bou deraga_ (pourpier),
+navets, carottes, radis blanc (_fedjel_), haricots du Souf (peu), fèves,
+poireau, — luzerne en quantité, orge (pas de blé), réglisse (en
+quantité, sauvage). Le henné ne vient pas, du moins les essais faits par
+les indigènes avec des graines envoyées de Biskra n’ont pas réussi. La
+garance se trouve un peu à Meggarin, à Ghamra, à Tamerna et à Sidi
+Khelil.
+
+La ville de Tougourt est construite en _tôb_[190]. Les maisons n’ont
+qu’un étage. La ville est entourée de fossés remplis d’une eau
+stagnante[191] et salée qui nourrit des poissons et quelques serpents
+d’eau. Elle a aujourd’hui une seule porte, Bab-el-Khrūkha[192] qui
+s’ouvre au nord-est et qui est gardée par un détachement de tirailleurs
+indigènes. La Kasba est au sud-ouest du côté opposé. Elle comprend des
+bâtiments assez considérables quoique peu élevés qui ont été construits
+par les Beni Djellăb, et ensuite diversement modifiés par les Français
+jusqu’à la construction de la caserne l’année dernière ; ce dernier
+bâtiment forme un carré oblong à un étage ; les pièces sont hautes et
+bien aérées. Les démolitions de la Kasba pour la construction de la
+caserne ont détruit la seconde petite porte appelée Bab-el-Ghadăr ou de
+la trahison, qui était particulière à la Kasba et que j’ai vue encore
+debout. A la prise de Tougourt la ville avait quatre portes en comptant
+celle de la Kasba que je viens de nommer, mais les Français en ont fait
+fermer deux. Les rues de Tougourt sont étroites, mais assez propres,
+dans le quartier des Medjehariya il y a deux rues couvertes. Les
+principaux monuments de la ville sont, à part la Kasba, la grande
+mosquée, rétablie par les Français et l’ancienne mosquée avec son
+minaret de construction djéridienne en petites tuiles qui porte encore
+des traces de boulets de Salah Bey[193]. Les maisons de Tougourt sont de
+la couleur du sol ; elles possèdent toute une cour intérieure autour de
+laquelle sont rangés des magasins et les chambres. Le marché de la
+viande se tient sur une petite place qui est à la porte de la mosquée,
+mais le marché du vendredi où se font presque toutes les transactions se
+tient devant la Kasba sur une place bordée de boutiques et de magasins
+grossiers garantis du soleil par une sorte de voûte soutenue par des
+piliers carrés.
+
+Le kaïd, qui a son logement dans la Kasba, a 35 spahis bleus commandés
+par un officier indigène. M. Auer[194] 100 tirailleurs indigènes.
+
+La population de Tougourt se compose de Rouăgha, de Mestāoua (Rouāgha
+mêlés de sang arabe ou Arabes mêlés de sang righi) et de Medjehariya ou
+juifs convertis à l’Islam. La population est divisée en trois
+quartiers : les Rouāgha habitent le quartier Tellis situé à l’est ; les
+Medjehariya habitent le quartier auquel ils ont donné leur nom à l’ouest
+et les Mestāoua habitent au nord. La Kasba occupe le sud. Les
+habillements des trois castes sont les mêmes, seulement les Medjehariya
+se distinguent par leur propreté, les Mestāoua sont plus propres que les
+Rouāgha et d’une couleur plus blanche. Les Medjehariya ont conservé
+entièrement le type israélite, surtout les femmes, parmi lesquelles il y
+en a de fort jolies. Ils ne se marient qu’entre eux et sont fort sévères
+de mœurs et de principes religieux ; ils n’aiment pas qu’on leur
+rappelle leur origine. Cependant eux, comme le reste de la population,
+boivent des spiritueux, seulement ils le font en cachette.
+
+J’ai déjà décrit les fêtes du mariage des Rouāgha. Ils s’unissent aussi
+facilement qu’ils se divorcent et cette facilité des unions n’exclut pas
+cependant une moralité peu stricte à notre point de vue européen. J’ai
+déjà dit que les femmes des premières maisons de l’Oued-Righ ne
+faisaient pas de difficultés à devenir les maîtresses des derniers
+Djellāb, et je connais encore aujourd’hui deux cheikhs qui ont encore
+dans leur harem des femmes qui pourraient raconter bien des petites
+choses qui se sont passées dans l’absence de leurs maris alors exilés.
+Je me suis laissé dire que, quand on rencontrait dans l’oasis une Righia
+bien seule, elle refusait rarement d’accorder son corps. Ceci s’applique
+cependant plus à Ouarglā qu’à Tougourt ou Temassīn, car dans ces deux
+villes, surtout dans la dernière, tous les travaux d’extérieur
+reviennent au mari, et la femme reste plutôt dans la maison. A Ouarglā,
+au contraire, on m’a raconté qu’il se passait bien de petites aventures
+aux sources où les femmes viennent puiser l’eau. Il doit en être de même
+à Merhayyer.
+
+La plupart des prostituées de Tougourt sont des Righia, des Soufia et
+des Naylia, en comprenant sous cette dernière dénomination les Harazlia
+et enfin toutes les Arabes de l’ouest. Je ne puis m’empêcher de noter
+ici quelques détails sur les Naylia ; ils paraîtront curieux pour
+déterminer les mœurs des Arabes du désert algérien. Mais qu’on ne croie
+pas que nous soyons pour quelque chose dans cela, au contraire, depuis
+notre domination nous avons cherché à limiter de diverses manières cette
+vaste prostitution. Les femmes de l’Oued-Righ et du Souf qui exercent le
+métier à Tougourt sont généralement des veuves ; il y a des cas où elles
+trouvent ensuite à se remarier. Les Naylia sont en grande partie aussi
+de jeunes veuves, mais on voit aussi parmi elles des mères ou des pères
+amener leurs filles encore vierges et vendre cette virginité qui est
+toujours longtemps marchandée. Les Naylia viennent à l’époque de la
+maturité des dattes et un petit nombre d’entre elles seulement restent
+jusqu’au printemps suivant. Leur but est d’acheter des dattes pour leur
+année. Autrefois on ne connaissait pas d’autre manière de payer leurs
+faveurs que par une certaine quantité de dattes ; deux fois les deux
+mains pleines par exemple était un très bon prix.
+
+Une autre particularité commune à Tougourt et à Temassīn sont les
+_halladj_[195], sorte d’hommes efféminés qui, je crois, avaient un nom
+chez les Grecs. On en voit même avec des cheveux blancs danser mollement
+avec les femmes dans les danses publiques à Témassīn.
+
+Parmi les coutumes bizarres des Rouāgha, coutume que l’on reproche aussi
+aux Beni-Mezāb[196], et que des écrivains du moyen âge imputent aux
+habitants de Sedjelmāsa, est la prédilection qu’ils ont pour la viande
+de chien. Ils prétendent s’excuser de cette licence contre leur loi
+religieuse en disant que c’est un préventif contre les fièvres. C’est
+surtout pendant l’hiver que les Rouāgha achètent des chiens qui leur
+sont alors vendus en plein marché par les Arabes du dehors. On les
+engraisse, on les fait rôtir, et ils sont mangés en grande fête avec
+force lagmi[197].
+
+Les Rouāgha sont très superstitieux ; mon ami M. Auer m’a souvent
+raconté l’effet singulier produit par une éclipse de lune sur les
+habitants de Tougourt. Les tolbas sortirent en corps et battant à tour
+de bras sur des plats de bois et des marmites, ils rappelaient la lune
+en invoquant leur prophète : « Ya chefā Si Mohammed ! »[198] Ils
+croient, comme beaucoup d’autres populations algériennes, à la toute-
+puissance des _djenoun_[199]. Les femmes surtout les redoutent, et
+attribuent à ces esprits toutes leurs indispositions. Ordinairement on
+combat leur influence par des amulettes ou bien on tâche de les apaiser
+par des offrandes de couscous, de tchertchoukha, plats que l’on dépose à
+l’endroit où l’on suppose que les djenoun se tiennent, et qui est
+souvent dans les lieux d’aisance.
+
+Tougourt peut compter 300 maisons, et a, dans la saison d’été, une
+population d’environ 1.500 âmes ; en hiver, où des familles du Souf et
+des Arabes viennent habiter la ville pendant six mois, la population
+peut monter au double 3.000 âmes. Nezla, Tebesbest, Zaouiya ont chacune
+plus d’habitants que Tougourt même.
+
+Dans les mariages, le dernier jour, on amène la mariée chez son futur ;
+si c’est une vierge, elle est portée sur un lit en _djérid_ (comme la
+plupart des Rouāgha en usent) par quatre hommes ; si c’est une veuve,
+elle est portée simplement dans les bras d’un homme.
+
+ 1er juillet.
+
+Je vais à Temassīn avec un spahi, le marabout Si Mammar m’y avait fait
+appeler pour m’y trouver en présence du Cheikh Othmān ; je trouve un
+chef targui bien mis sans recherche, mais proprement, accompagné de deux
+ou trois jeunes hommes de sa tribu terriblement marqués de la petite
+vérole. Tous ont un visage ouvert, je dirais presque prévenant.
+
+Nous avons une longue conférence. Cheikh Othman lit les dernières
+lettres que j’ai pour lui ; mais tout en m’offrant ses services, il
+cherche vivement à me détourner de rien entreprendre cette année, où
+tout le Sahara est sens dessus dessous : les Hoggar en querelle avec les
+Azgar d’un côté et les Aouelimiden de l’autre ; la grande razzia d’Aïr
+par les Arabes de la Tripolitaine, etc., enfin les habitants d’Insalah
+en guerre avec le sud du Touat. Cependant, après de longues et
+éloquentes délibérations, Si Mammar décide, force même un peu Cheikh
+Othman à m’accompagner à Ghadāmès ; de là il ira consulter Ikhenoukhen
+sur ce qu’il y a à faire, et savoir si ce chef tout-puissant m’accorde
+sa protection, et viendra me rendre réponse, d’où nous conclurons nos
+plans postérieurs. Je dis adieu au Cheikh Othman ; je conviens avec Si
+Mammar d’envoyer 50 fr. au Cheikh Othman pour qu’il fasse ses provisions
+de route et il doit me rejoindre à El-Ouad vers le 20 de ce mois. — Il a
+son camp tout maltraité par la petite vérole, personne n’est sur pied ;
+les troupeaux sont en mauvais état ; la _nezla_[200] est à Bey Salah
+(puits).
+
+J’ai bu à Temassīn de l’eau des rhedirs de l’oued Retem[201]. Il a plu
+dans le Sahara, et les oueds voisins se sont remplis.
+
+ 2 à 12 juillet.
+
+Je commence à sentir quelques caresses sourdes de fièvres ; je suis
+obligé de me tenir, comme avant, renfermé dans la Kasba.
+
+Travaux de linguistique. Je recueille un vocabulaire complet du dialecte
+righi de Temassīn.
+
+Le 7 juillet, malade au lit.
+
+Le 11, mangé les premières figues _Kartous_.
+
+Renseignements historiques recueillis par moi auprès de Ben Chemāl[202].
+Les premiers sultans de Tougourt furent la dynastie des Oulad Beiffo,
+dont les descendants excessivement pauvres habitent encore un des
+villages de l’oasis, Tebesbest, je crois. Ils gouvernèrent Tougourt et
+Kedima, dont l’emplacement était dans la _Ghaba_[203] près de Sidi
+Mohammed ben Yahiya. C’étaient des Rouāgha. Tougourt el Kedīma fut peu à
+peu abandonnée, dit-on, à cause des scorpions, et la nouvelle ville fut
+bâtie par Sidi Zekri, marabout righi de Tougourt et Kedima. Une Djemaʿa
+gouverna Tougourt dans l’origine, et Sidi Zekri n’en fut que le bon
+conseiller ; Tala était alors plus puissante que Tougourt ; elle avait
+des cheikhs ; dont le plus célèbre est connu sous le nom de Cheikh el
+Tālāoui. Sidi Mohammed Ben Yahiya succéda à Sidi Zekri et gouverna de
+même par ses conseils. Il résida 40 ans dans la Kasba. Lorsque ce
+marabout avait 15 ans, Sidi Khelil, Sidi Ali Ben Soultān et Sidi Embarek
+es Saim venaient faire leur pèlerinage à Sidi Bou Haniya près de Goūg.
+
+Avant la mort de Sidi Mohammed, deux frères du nom de Beni Djellāb
+passaient souvent à Tougourt. Leur pays originaire était Telemsen (ils
+descendaient des Mérinides) et ils avaient alors leurs biens dans le
+Djebel Sahāri. A Tougourt ils prêtèrent des sommes considérables à tous
+ceux qui leur en demandaient, si bien qu’au bout de bien des années, ils
+vinrent un jour à Tougourt et voulurent faire leurs comptes, ne voulant
+plus y revenir. On trouva que tout le bien de Tougourt ne pourrait plus
+payer les dettes des habitants. Les habitants de Tougourt allèrent à
+Sidi Mohammed Ben Yahiya et lui demandèrent conseil ; ce marabout se fit
+amener les deux frères Ben Djellāb, et leur dit qu’il allait habiter
+dans son village (le même qui porte aujourd’hui son nom) et qu’il leur
+abandonnait la ville et tout ce qu’elle renfermait. — Ainsi commença la
+dynastie des Ben Djellāb. — Plus tard les Oulad Sidi M. Ben Yahiya ne
+s’entendirent pas bien avec les Ben Djellāb et ils émigrèrent dans le
+Tell où ils sont actuellement avec les Oulad Abd en Nous près de
+Constantine.
+
+Dans ce temps-là, il y avait des juifs à Tougourt.
+
+L’un des frères Ben Djellāb, ʿAbd el Hakk el Merīni, fut le premier
+cheikh de Tougourt ; — de là à Cheikh Selmān il y a une lacune dans la
+généalogie ; le cheikh Ben Chemāl ne connaît pendant ce temps d’autre
+fait que la destruction de Tāla qui eut lieu, comme il croit, sous le
+fils d’Abd-el-Hakk. Abd-el-Hakk conquit lui-même Meggarin, Qsoūr, etc.,
+et ne s’arrêta que devant Tala qui résista à ses armes. Mais son fils
+usa d’un stratagème qui lui réussit. Il offrit au cheikh de Tala de
+cimenter une paix durable en épousant sa fille. Celui-ci y consentit. —
+Ben Djellāb déguisa, le jour désigné pour la fête, un homme en mariée ;
+il fit travestir un grand nombre de ses serviteurs en femmes venues à la
+fête ; tous portaient des armes sous leurs vêtements. Il fit accompagner
+le tout de 50 cavaliers. Le cheikh de Tala reçut sa prétendue femme et
+sa suite et fit loger les cavaliers chez ses serviteurs. La fausse
+mariée avait prévenu qu’elle donnerait le signal de l’attaque en tuant
+le cheikh lorsqu’il viendrait la nuit. Cela arriva en effet : dans la
+nuit, en entendant le coup de feu du signal, tous les serviteurs de Ben
+Djellāb se précipitèrent au carnage et eurent bientôt raison de la ville
+qui fut détruite par des renforts venus de Tougourt.
+
+Sous le cheikh Selmān, le premier à partir de la lacune, eut lieu un
+événement curieux. Une femme arabe appelée Oumm Hāni Bent el Bey (fille
+d’une femme Douaouda[204] et d’un bey de Constantine), voulut devenir
+cheikha des Arabes au Sahara et fit de grandes razzias elle-même à
+cheval et armée, tua le Douaouda, son mari, ses frères et beaucoup
+d’autres chefs. Enfin Selman voulut faire une alliance avec elle et lui
+proposa d’épouser son fils. Elle fit semblant d’accepter, mais lorsque
+Selman vint à son camp, à la Regouba de Sidi Khelil avec 500 chevaux, on
+distribua habilement son monde dans les tentes et Selman logea dans la
+tente de Bent el Bey. La nuit, elle tua elle-même le cheikh et ce fut le
+signal d’une tuerie générale.
+
+Cheikh Mohammed ben Selman lui succéda ; puis Selman, son fils ; Brahim,
+fils du précédent ; Abd-el-Kader ; Hamed, fils de Brahim ; ’Amer, fils
+d’Abd-el-Kader ; Mohammed el Akhal, fils de Hamed ; Hamed, fils de
+Mohammed ; Abd-el-Kader, petit-fils d’Amer ; Farhāt, frère du
+précédent ; Brahim, fils de Hamed ; El-Khāzen ben Farhat ; Mohammed,
+fils de Hamed ; ’Omar, fils de Mohammed ; Brahim, fils de Mohammed ;
+’Ali, fils de Mohammed ; Ben Abd er Rahman, petit-fils d’Amer ; Selman,
+fils d’Ali ; les Français.
+
+ 13 juillet.
+
+Je pars de Tougourt dans la soirée et nous prenons la route de Mouïa el
+Ferdjān. Après deux heures de marche, nous faisons halte dans une
+dépression qui continue le bas-fond de la Chemorra (en deçà des dunes).
+L’endroit s’appelle Benga. Le sol portant trace de l’action des eaux est
+très dur formé d’un conglomérat de sable et de petits morceaux de chaux
+et de calcaire.
+
+ 14 juillet.
+
+Nous marchons 5 heures et faisons la sieste entre El-Ouibed et El-
+Māleha. De là, une heure et demie de marche au puits de Mouï Chabbi dont
+nous trouvons l’eau pourrie et verdâtre. On l’avait récemment fourni
+d’une nouvelle garniture de drīn.
+
+De là, une heure 20 minutes au puits de Mouïa el Ferdjān. Je relève ce
+petit bout de route que je n’avais pas encore fait.
+
+ 15 juillet.
+
+Hier au soir, j’ai eu un premier accès de fièvre.
+
+Nous marchons 5 heures 1/4 et arrivons au puits de Mouïa el Kaïd. Après
+la sieste, 2 h. 3/4 de marche nous amènent dans les dunes de l’Erg-Said,
+où la nuit nous prend et où nous couchons.
+
+J’ai remarqué dans la dernière partie de la route que le guide était
+souvent obligé de frayer un chemin artificiel aux chameaux dans les
+dunes. Il disait en travaillant : « El-Bahri oua’ar » (le vent de l’est
+est dur). Il est clair, en effet, que c’est ce vent qui, dans cette
+saison, fait progresser les dunes vers l’ouest. Toutes les dunes que
+nous coupons ont la forme des vagues de la mer ; elles sont orientées à
+angle droit de la route ; leur côté à pic était de notre côté, c’est-à-
+dire qu’elles viennent en sens opposé. C’est donc un vent d’E.-N.-E. ou
+de N.-E. qui les produit.
+
+ 16 juillet.
+
+Une marche de 3 heures 3/4 nous amène à Kouïnīn par Ourmās. Je croyais
+d’abord ne faire que la sieste à Kouïnīn, mais une fièvre violente me
+prend ; vomissements, courbature générale ; douleurs de poitrine et de
+reins, faiblesse. Je prends de l’ipécacuanha qui agit ; de la quinine
+deux fois, que je rends. Eau sucrée et éther.
+
+Tribus de Kouïnīn :
+
+ Djebirāt }
+ }
+ Oulad Mansoūr } Toroūd.
+ }
+ El-Gouāïd }
+
+ El-Beldiya (Soufiya) — ’Adouān.
+
+On me raconte ici que les ancêtres de la population actuelle lui ont
+raconté qu’autrefois, lorsqu’ils montaient sur leurs palmiers, ils
+dominaient une rivière d’eau courante, qui commençait à Chegga (nord du
+Souf) et finissait à ’Amīch (Ras el Ouad)[205]. Cette rivière était
+comme celle de Nefta. Encore aujourd’hui, les Souafas en creusant un
+nouveau jardin trouvent des chaudrons de fer et d’autres objets
+appartenant à la population passée, dans des endroits inhabités
+aujourd’hui.
+
+ 17 juillet.
+
+Je me rends à El-Ouad comme je peux sur un cheval qu’on me prête à
+Kouïnīn. Je trouve le kaïd qui me reçoit bien comme d’habitude ; mais je
+suis obligé de changer quelque chose aux dispositions qu’il avait prises
+pour mon départ, ce qui va me causer quelques retards.
+
+— Je pèse un _mithcal_ d’El-Ouad, et j’obtiens par ces doubles pesées 4
+gr. 175 ; ce mithcal a 21 _nouayā_[206] ; celui de Constantine en a 26.
+
+ 18 juillet.
+
+Ce jour s’est annoncé comme devant être très chaud ; mais le ciel fut
+pur. Je passai ma journée sur mon lit, attendant pour utiliser mes
+faibles forces que le moment de l’éclipse fût arrivé. Je calculai par
+construction graphique le moment où elle devait avoir lieu, mais me
+trompai fort en prenant pour heure, celle où l’éclipse _totale_ aurait
+lieu sous la longitude d’El-Ouad. Et l’éclipse ne devait pas être totale
+ici. Cela fut cause que quand j’allai à la lunette, dix minutes avant le
+premier contact (comme je le croyais), je trouvai le disque solaire
+entamé. Je me mis en observation, et je vis la lune couvrir
+successivement les taches du soleil. L’éclipse était au moins au tiers
+et la population d’El-Ouad ne s’en était pas aperçue ; alors elle fut
+simultanément reconnue, et quelques bavardages inquiets firent place à
+un profond silence. Mais lorsque les progrès de l’éclipse furent
+marquants, des cris poussés de tous les côtés annoncèrent la détresse
+des Arabes. On entendait partout : « Iā chĭfā Si Mohammed rasoul
+Allah ! »
+
+Je vis le disque lunaire approcher à une distance extrêmement minime du
+bord du soleil ; je crus un instant voir certaines montagnes faire
+éclipse totale et au moment où je m’apprêtais à marquer l’heure de ce
+contact, l’éclipse commença à diminuer.
+
+Je vis alors des pigeons voler au-dessus de la maison, se rendant à
+leurs gîtes. Des Arabes de la ville me disent avoir vu des étoiles. La
+lumière la plus faible a été celle qui succède dans cette saison au
+coucher du soleil. L’éclipse diminua lentement et je pus observer le
+dernier contact à 4 h. 54 m. 45 p. de mon chronomètre qui marque encore
+le temps de Paris.
+
+Après l’éclipse, j’eus une députation des _mechaikh_ qui vinrent me
+demander si l’année serait pluvieuse. Ma prédiction accomplie de
+l’éclipse, mon ancienne prédiction de pluie de cet hiver, vérifiée par
+le fait, leur faisait croire que non seulement je puis prédire la pluie,
+mais encore la donner.
+
+Je fus pris le soir de fièvre violente et de vomissements ; le soleil et
+la chaleur brûlante à laquelle j’ai été exposé pendant plusieurs heures
+avaient rappelé la fièvre.
+
+ 19 juillet.
+
+Cette nuit, le kaïd vient me réveiller et me dire qu’ayant reçu la
+nouvelle que les Oulad Yagoub étaient en course, il allait faire monter
+son goum et aller les chercher. Il partit avant le jour. — Je vais
+mieux. Je reçois des plaintes contre le kaïd.
+
+ 20-21 juillet.
+
+Je reste encore chez moi toute la journée. — Je prends de nombreux
+renseignements sur le pays qui sépare le Souf du Nefzāoua. Des Ourghamma
+de Kessār Mouddenīn, marabouts, viennent ici pour voir si on leur
+ouvrira le marché d’El-Ouad. Les Ghorib de Sabrīya[207] qui sont sur
+leur route et qui apportent ici les mêmes produits qu’ils apporteraient,
+leur ont fait peur. De façon qu’ils ont laissé leurs marchandises,
+consistant principalement en beurre, à Sabrīya, et qu’ils sont venus en
+_mi’ad_. Je leur fais un petit discours qui les enchante, et leur ouvre
+le marché ; je promets même d’intimider les Ghorib, ce qui est très
+facile, vu que cette tribu réside à moitié dans le Nefzāoua et à moitié
+au Souf (El-Ouad) où ils ont des palmiers.
+
+ 22 juillet.
+
+J’écris à Biskra pour rendre compte des plaintes que j’entends contre le
+kaïd.
+
+Je reste encore toute la journée à la maison.
+
+ 23-24-25 juillet.
+
+Le kaïd revient avec ses goums ; il n’a rien trouvé dans sa course,
+cependant on tire des coups de fusils au retour comme s’il y avait eu
+une victoire ; ces Arabes sont toujours les mêmes.
+
+Hier et aujourd’hui on a fait l’Achoura ; nous sommes, je crois, à peu
+près au milieu des dix jours de fêtes. La fête a lieu la nuit, des
+bandes de jeunes gens se promènent dans les rues en chantant au son d’un
+bendier ; puis ont lieu quelques scènes, des individus se déguisent en
+mettant quelques hardes grotesques s’ils en ont, puis ils se couchent
+et, prenant une voix de polichinelle, ils font des dialogues
+invariablement terminés par des disputes et des coups comme chez
+Gringalet. Cette année, la fête est peu brillante. Un homme hier a reçu
+un coup de sabre sur le dos pendant la mascarade et il a une large
+blessure. Cela a été fait par méchanceté.
+
+Le cheikh Ahmed Ben Touāti vient me voir, c’est un homme qui me plaît
+beaucoup, franc et ouvert ; il connaît très bien le Sahara, il vient du
+reste à Ghardaya (puits) six mois[208] : il est venu en trois jours sur
+un méhari et avait reçu des nouvelles de Ghadāmès par un homme monté sur
+son méhari qui était allé de Ghadāmès à Bīr Ghardâya en cinq jours.
+
+_Note sur le commerce d’El-Ouad._ — Pour l’or, j’apprends d’une manière
+plus certaine que le _mithcal_ de _teber_[209] se vend ordinairement 15
+francs lorsqu’il est recherché et 13 fr. 30 lorsqu’il abonde[210]. Quant
+au _khôss_[211], il vaut, dans les mêmes circonstances, de 11 fr. 10 à
+13 fr. et 13 fr. 15. J’ai déjà dit que le mithcal d’ici a 21 _nouaya_ et
+pèse 4 gr. 175 ; tandis que le mithcal de Constantine a 26 _nouaya_, que
+par conséquent le poids du mithcal d’El-Ouad se rapporte à celui de
+Constantine comme 21 à 26.
+
+Les dépouilles d’autruches sont vendues sur le marché par les chasseurs
+eux-mêmes ; et il n’y a personne qui en fasse un commerce spécial[212].
+On les achète isolément pour les porter à Tunis ou à Tébessa. Voici les
+prix de vente sur le marché. — Une belle dépouille de mâle (_delīm_)
+vaut 100 fr. et 125 fr. lorsqu’elles sont recherchées et très belles.
+Une belle dépouille de femelle (_ramdha_) ne vaut que 40 fr. au plus 45
+fr. Un œuf d’autruche vaut de 50 à 60 centimes.
+
+Le commerce du Souf avec _Tébessa_ repose sur les objets suivants :
+
+1o Exportation du Souf. — Dattes, peaux brutes de chèvres (avec poil),
+tabac en feuilles, vêtements de laine ;
+
+2o Importation de Tébessa, — _Gountĕs_ (racine condimentale), beurre,
+laine, moutons, chèvres, blé, _gueddīd_ (viande desséchée).
+
+Quant aux objets que le Soūf donne à Tunis, ce sont : des vêtements
+confectionnés, des peaux brutes de chèvres et de moutons (pour
+Kaïrouān), des _douros_, des chameaux, des dattes.
+
+_Ouargla._ — On y apporte d’El-Ouad, de l’huile, du tabac, des vêtements
+confectionnés, des meules (venues de Gafsa), de la garance, du blé, des
+cotonnades, des pierres à fusil (venues de Tunis), du soufre[213]. On en
+rapporte de la laine, des chameaux, du beurre, de la graisse, de la
+viande desséchée, de jeunes plants de palmiers en grand nombre, qui sont
+vendus sur le marché, des burnous du Mzāb, du sel, des dattes.
+
+_Biskra et le Zab._ On y apporte : vêtements confectionnés, peaux brutes
+de chèvres, dattes, _tellīs_[214], (_gherāra_), du tabac ; ce dernier
+article vaut ici 25 c. à 50 c. le _kef_ composé de 5 plants ou 4 grands
+et 6 petits. Voici la liste des objets qu’on en rapporte avec les prix
+qu’ils obtiennent à El-Ouad :
+
+
+Henné, le 1/2 kil. 0 fr. 70 à 1 fr. 35.
+
+Tapis arabes, qualités diverses, de 100 à 300 francs.
+
+Laine, la toison à 2 francs.
+
+_Settāl_ (gamelles en fer battu pour boire), les grands 1 fr. 60, les
+petits 1 franc[215].
+
+Indigo, la bonne qualité, le 1/2 kil. 6 fr. 20, la qualité inférieure 4
+francs[216].
+
+Foulards de coton imprimés, les bons, la douzaine 6 fr., la qualité
+inférieure 3 francs.
+
+Bougie, le 1/2 kil. 1 fr. 35 jusqu’à 1 fr. 50.
+
+Sucre blanc, le 1/2 kil. 1 fr. 50.
+
+Cassonnade, le 1/2 kil. 0 fr. 90 à 1 franc.
+
+Ganse blanche, le 1/2 kil. 6 francs.
+
+Loŭk, substance tinctoriale[217], les 50 kil. 150 fr. la bonne qualité.
+
+Tărtăr id. les 50 kil. 150 francs. id.
+
+Miroirs ronds montés en cuivre, les grands, la douzaine, 1 fr. 60.
+
+id. les petits, id. 1 franc.
+
+Miroirs ronds montés en étain, les grands, la douzaine, 1 franc.
+
+id. les petits, id. 0 fr. 75.
+
+Ficelle, le 1/2 kil. 2 francs.
+
+Grandes aiguilles pour tellis, le 100 de 50 à 60 centimes.
+
+Gaze grossière, pièces de 16 à 17 drà, 3 francs.
+
+Abricots secs, 1 fr. le saa (2 1/2 kil.).
+
+Beurre, mesure de 5 3/4 livres, selon les temps, de 7 fr. à 3 fr. 50.
+
+Souliers de Constantine, la paire, 4 à 5 francs.
+
+Burnous ’abbāsi (épais), les beaux, 60 à 65 francs.
+
+id. qualité inférieure, 40 à 45 francs.
+
+Calottes rouges de fabrique, les grandes 2 fr. 50, les petites 1 fr. 50.
+
+Soie, le 1/2 kil. 20 fr. la qualité supérieure et 15 fr. la qualité
+inférieure.
+
+Café en grains, 2 fr. le kil.
+
+Suif (de Bou Saada), selon le temps, de 50-60 cent. à 1 fr. la livre.
+
+Savon (hadjri) en morceaux, le 1/2 kil. 0 fr. 75 à 1 franc.
+
+id. arabe liquide, le 1/2 kil. 75 à 1 fr. 10.
+
+Alun, la livre 30 à 40 centimes.
+
+Aiguilles, le cent, 20 centimes.
+
+
+Les cotons ne peuvent pas faire concurrence à ceux venus de Tunis qui
+sont de fabrique anglaise.
+
+_Gabès._ — On y apporte du Souf : laine de rebut (servant à faire des
+couvertures brunes dont se vêtissent les gens du Sahel, peaux de chèvres
+et de moutons non préparées, tabac en quantité, chameaux, dattes
+(_degla_).
+
+Le commerce d’El-Ouad avec _Gabès_, surtout celui par la route directe,
+est fait par les gens de Matouiya[218] qui, étant sujets du Bey de
+Tunis, jouissent d’un peu plus de sécurité que les Souafa. Cette route
+est rendue très dangereuse pour le voisinage des Oulad Yagoūb.
+
+_Ghadāmès._ — On y apporte des vêtements confectionnés surtout, des
+dattes (_degla_[219], _rhers_, _fezzāni_), du tabac et des grains (blé
+et orge) lorsqu’ils sont chers à Ghadāmès.
+
+_Beni Mezab._ — On y apporte des meules, des vêtements (_haouli_),
+fusils (de Tunis), des pioches (de Kairouān), des pièges à gazelles (de
+Kairouān), soufre, garance, huile, cotonnades, _guemmām_ (gomme
+adorante). On en rapporte des chameaux, des _guedaouis_ (blouses de
+laine de couleurs différentes), burnous, laines, moutons, viande
+desséchée, suif.
+
+On me dit que, dans les mauvaises années, il vient ici 5-600 mitcals
+d’or de Ghadāmès ; dans les bonnes années, de 1.500 à 3.000 mithcals.
+Cela ne fait que pour 45.000 fr. d’affaires dans les meilleures
+conditions. Cela fait 12.525 grammes d’or.) L’_oukiya_ de Tunis timbrée
+= 31 gr. 725 ; elle a 7 2/3 de mithcal.
+
+Le soir, je suis piqué par un scorpion ; la douleur monte très vite à
+l’aisselle (du bord de l’index), je souffre excessivement. La nuit, je
+ressens des picotements ou de la paralysie aux pieds, au nez et aux
+lèvres. Je me soigne en mettant de l’ammoniaque sur la piqûre élargie au
+bistouri, et en buvant un peu de ce médicament dans de l’eau. Ampoules
+sur le doigt piqué. Froid sur tout le membre atteint, taches violettes,
+etc.
+
+
+[Note 175 : Le plus au sud.]
+
+[Note 176 : Chéchias.]
+
+[Note 177 : _Mebred_.]
+
+[Note 178 : Ce poids est le mithcal de Tunis. Duveyrier dit ailleurs
+(_Revue algér. et col._, novembre 1860) qu’il l’a trouvé égal à 4 gr.
+175. Les mithcal de Tripoli et d’Agadès sont un peu plus forts.]
+
+[Note 179 : Once, 1/16 de la livre tunisienne, que Duveyrier évalue à
+508 grammes.]
+
+[Note 180 : _Zebed_, sorte de pommade faite avec la graisse de l’animal
+du même nom, et dans laquelle il entre en outre de l’huile, du benjoin,
+du girofle, etc.]
+
+[Note 181 : Ce que Duveyrier appelle ici 1/2 kil. est la livre
+tunisienne de 508 grammes. (Cf. son article de la _Revue alg. et col._)]
+
+[Note 182 : _Açaïb et saye_ ou _tourkedi_.]
+
+[Note 183 : Natron, carbonate de soude plus ou moins pur, extrait des
+petits lacs du Fezzān.]
+
+[Note 184 : _Teber_.]
+
+[Note 185 : _Khores_.]
+
+[Note 186 : Cf. sur leur construction, J. Brunhes, _Les oasis du Souf et
+du Mzab_, _La Géographie_, V, 1902, p. 14-15.]
+
+[Note 187 : La vue ci-jointe a été trouvée, sans indication d’origine,
+dans les papiers de Duveyrier.]
+
+[Note 188 : Tradition confirmée par Ibn Khaldoun : au IXe siècle, les
+Zenata occupaient le Sahara algérien et tunisien (_Hist. des Berbères_,
+traduct. de Slane, III, p. 275, 286, 303, etc.).]
+
+[Note 189 : Le _zeïta_, comme Duveyrier l’a reconnu plus tard, n’est pas
+le _Statice monopetala_ L., mais une autre plombaginacée : _Limoniastrum
+Guyonianum_ Dur.]
+
+[Note 190 : Briques d’argile séchées au soleil.]
+
+[Note 191 : En grande partie comblés depuis par les soins du bureau
+arabe.]
+
+[Note 192 : Une autre porte, Bab-el-Gharb, a été rouverte plus tard.]
+
+[Note 193 : Bey de Constantine, qui assiégea Tougourt en 1788.]
+
+[Note 194 : Le lieutenant Auer a été un remarquable exemple d’endurance
+européenne au Sahara. Resté lié avec Duveyrier, il lui écrivait de
+Biskra en 1869, évoquant le souvenir de leur commun séjour à Tougourt :
+« J’ai vieilli depuis, mais n’ai perdu ni la volonté virile, ni la
+santé, bien que je compte aujourd’hui vingt ans de séjour au Sahara.
+Vous avez bien raison de me déconseiller l’Europe ; ma nature, toute
+forte qu’elle soit, ne supporterait plus un autre climat, et je veux
+passer en Afrique les jours qui me restent à vivre » (29 décembre
+1869).]
+
+[Note 195 : حلاج veut dire, en arabe, is qui gossypium a semine mundat.
+(H. Duv.)]
+
+[Note 196 : On sait qu’avant de se fixer au Mzab, une partie des
+Ibâdhites a habité cette région. (Masqueray, _Chron. d’Abou-Zakaria_, p.
+262, etc.)]
+
+[Note 197 : Lait de palmier fermenté.]
+
+[Note 198 : Dans cette éclipse une vieille femme de Tebesbest,
+soupçonnée de sorcellerie, fut accusée d’avoir caché la lune dans un
+seau d’eau. Ses voisins et le cheikh de Tebesbest vinrent prier le kaïd
+de la mettre en prison. (H. Duv.) L’éclipse de soleil du 18 juillet 1860
+eut moins d’effet : on ne fit « que peu de cas de l’événement, excepté
+quelques talebs trop croyants qui se portaient vers la mosquée pour
+prier et conjurer le sorcier qui causait ce désastre au soleil ; à leur
+sortie, les autres leur riaient au nez. » (Lettre d’Auer à Duveyrier, 22
+juillet 1860.)]
+
+[Note 199 : _Djinn_ (pluriel _djenoun_) : génies.]
+
+[Note 200 : Groupe de tentes.]
+
+[Note 201 : Les marabouts s’en font apporter constamment par les Arabes
+de leur confrérie, parce qu’ils craignent les fièvres occasionnées par
+les eaux de l’oued Righ (H. Duv.).]
+
+[Note 202 : Cf. Féraud, _le Sahara de Constantine_.]
+
+[Note 203 : La « forêt de palmiers » de Nezla, à 2 kilomètres de la
+ville actuelle.]
+
+[Note 204 : Douaouda, tribu arabe qui fit irruption au XIe siècle dans
+l’Oued-Rir et à Ouargla. (Ibn-Khaldoun, _Hist. des Berbères_, II, p.
+73.)]
+
+[Note 205 : Cf. sur cette légende Jus dans Rolland, _Hydrologie du
+Sahara_, p. 224.]
+
+[Note 206 : Graines de caroubier.]
+
+[Note 207 : Oasis de l’extrémité ouest du Nefzāoua.]
+
+[Note 208 : C’est-à-dire : y garde ses troupeaux au pâturage.]
+
+[Note 209 : Poudre d’or.]
+
+[Note 210 : Le gramme de poudre d’or vaut donc, d’après les
+circonstances du marché, de 3 fr. 59 cent. 3 (maximum) à 3 fr. 23 cent.
+3 (H. Duv.).]
+
+[Note 211 : _Khores_, poudre d’or mélangée de débris d’or travaillé.]
+
+[Note 212 : Ces dépouilles venaient de l’Erg, au nord de Ghadāmès ; les
+autruches y ont à peu près disparu aujourd’hui.]
+
+[Note 213 : Pour la fabrication de la poudre.]
+
+[Note 214 : Toile de bât (sacs de chargement) pour les chameaux.]
+
+[Note 215 : Fabrication européenne. (Cf. Duveyrier, _Notice sur le
+commerce du Souf_ (_Rev. algér. et coloniale_, nov. 1860).]
+
+[Note 216 : Fabrication européenne.]
+
+[Note 217 : Gomme-laque (rectification de Duv., art. cité).]
+
+[Note 218 : Petite ville du littoral au nord de Gabès.]
+
+[Note 219 : Ou _deglet-nour_ (espèces diverses de dattes).]
+
+
+
+
+ TROISIÈME PARTIE
+
+ VOYAGE A GHADAMÈS
+
+ * * * * *
+
+ CHAPITRE PREMIER
+
+ DANS L’ERG
+
+
+ 26 juillet.
+
+Ce matin, on charge les chameaux pour le voyage de Ghadāmès.
+
+Je vais au bordj rendre au kaïd une visite qu’il m’a faite de bon matin,
+et nous mangeons ensemble la pastèque des adieux. Il est plus aimable
+que les jours derniers, et me promet de m’envoyer à Berresof le prochain
+courrier. Enfin nous partons. J’ai repris mon ancienne manière de
+voyager sur mon matelas plié en deux sur le dos d’un chameau.
+
+Nous traversons bientôt un cimetière, et entrons ensuite dans ’Amīch.
+’Amīch est le prolongement de l’oued Souf : c’est là que se perdait
+l’ancienne rivière, selon la tradition. En effet, ce pays a bien la
+forme d’une longue dépression (très peu sensible), faisant suite à celle
+qui commence à Ghamra et arrive à El-Ouad ; en le traversant dans sa
+longueur comme nous le faisons aujourd’hui, on a à droite (ouest) des
+dunes assez hautes à une petite distance et l’on traverse des groupes de
+maisons et de nombreuses cabanes en palmes (_zérība_, pl. _zeraīb_),
+formant ainsi pour ainsi dire autant de petits hameaux qui prennent le
+nom de « _nezla_ », mot emprunté à la vie nomade. C’est dans ’Amīch que
+vivent une partie des Toroūd, quand ils ne sont pas avec leurs troupeaux
+dans le Sahara. A gauche de la route sont les jardins de palmiers
+dispersés dans les intervalles des dunes. On peut voir là de magnifiques
+échantillons de palmiers.
+
+Nous rencontrons un cavalier rebāyi ; il est à remarquer, pour cette
+portion des Toroud, que leur manière de se vêtir et de harnacher leurs
+chevaux, et leurs fusils surtout, sont identiques à ceux des tribus du
+sud de la Tunisie et de la Tripolitaine. Ces tribus sont surtout
+caractérisées par le haïk tourné simplement par-dessus une calotte rouge
+un peu renfoncée sur le côté et qui paraît à moitié sous le haïk ; par
+leurs vastes et immenses étriers et enfin par leurs longs fusils à
+crosse ornée de nacre et de corail. Je possède une de ces armes.
+
+Nous nous arrêtons à la zaouiya de Sidi Abd el Qāder, presque à
+l’extrémité d’ʿAmīch. Le kaïd avait prévenu de mon arrivée, de sorte que
+je trouve un bon tapis étendu dans l’élégante et propre goubba, et je
+m’établis dans ce lieu saint. On m’apporte un repas inmangeable, mais
+succulent pour des Arabes. Il fait si chaud que, malgré mon désir de
+m’éloigner le plus tôt possible du Souf, nous restons la nuit ici. Le
+soir, de pieux khouān de toutes les sectes possibles étaient venus faire
+leurs récitations et chants autour de la goubba. Je les disperse en leur
+faisant remarquer que le désert est vaste et qu’il n’est pas hospitalier
+de troubler le sommeil d’un voyageur.
+
+ʿAmich a, à mon estime, autant d’habitants qu’El-Ouad, à la saison où
+toutes les huttes sont occupées (9 à 10.000 habitants). Les femmes ici
+s’habillent comme à El-Ouad, de deux manières, soit avec un _haouli_
+blanc accroché sur les épaules, soit avec un _haouli_ bleu suspendu de
+la même manière ; puis elles ont de grosses tresses de laine de chaque
+côté de la figure, et quelques-unes savent se faire pardonner cette
+hérésie par des ornements rouges de bon goût du côté droit de la figure.
+
+ 27 juillet.
+
+Nous partons d’assez bonne heure, et rencontrons sur la première partie
+de la route des partis de Toroud avec leurs bagages, femmes, enfants,
+troupeaux rentrant à El-Ouad. Une de ces dames, assez jolie, demande, en
+faisant la mine à Ahmed, où nous allons. Ahmed lui répond : « Comment,
+toi tu vas faire paître tes chameaux dans le Sahara et nous, nous
+n’irions pas faire paître les nôtres ? »
+
+Nous rencontrons aussi un nègre occupé à ramasser des crottes de
+chameaux sur la route pour fumer les palmiers. Ce travail, je dois le
+dire, a une grande importance dans le Souf et occupe beaucoup de monde ;
+on va jusqu’à une et deux journées de marche pour en ramasser. Ces
+crottes servent à entourer la racine des _jeunes plants_ de palmier ;
+ensuite on n’en met plus.
+
+Nous laissons bientôt sur la droite un chemin qui passe d’abord au puits
+de Zerrīt et se continue ainsi jusqu’à Ghadāmès. Nous passons la _gaïla_
+dans le pays appelé Drā el Khezīn, ce sont des dunes plus régulières et
+moins accidentées que les autres, il y avait là un puits que M. de
+Bonnemain[220] a vu donnant de l’eau. Nous reprenons, le soir, notre
+route et allons coucher près de Moui Bel Rhīt.
+
+Nous avons vu aujourd’hui deux plantes nouvelles pour moi : le
+_goseyba_, graminée, et le _godhām_ ou _guedhām_, plante dans le genre
+du _dhomrān_.
+
+ 28 juillet.
+
+Avant de partir, je mesure la direction de l’arête de la dune sous
+laquelle j’ai dormi ; je la trouve égale à 150° (boussole) ; les grains
+de sable sont chassés par le vent de l’est vers l’ouest. Presque au
+début de la journée, nous arrivons aux Haouād el Azoūl où nous nous
+séparons de la route de Mouï ’Aissa qui reste sur la droite. La
+végétation de cet endroit est composée principalement de _drin_, _arta_
+et _ārfij_. Nous passons ensuite le puits mort de Mouï el Arneb. Tous
+ces puits morts que nous allons rencontrer ne le sont ainsi que
+momentanément ; ainsi, dès que les bergers trouvent de bons pâturages
+dans un endroit, ils refont le puits le plus voisin et y restent jusqu’à
+ce que bon leur semble.
+
+Une bonne marche de la matinée nous amène à Choūchet el Guedhām, puits
+de bonne eau, où nous arrivons au moment où on allait abreuver un
+troupeau de moutons et de chèvres. Les pasteurs de la tribu des Mesăaba
+(celle d’Ahmed) lui laissent choisir le plus bel agneau qu’il peut
+trouver et ne veulent pas en recevoir le prix ; ils viennent plus tard
+me rendre leurs hommages. Après avoir fait notre provision d’eau, nous
+rétrogradons un peu pour venir passer la sieste sous de petites huttes
+de broussailles faites probablement par une caravane qui a passé avant
+nous. Après une longue sieste, une courte marche nous amène au puits
+mort de Mouï er Rebăya el Gueblaoui[221] (par opposition au puits de
+même nom qui se trouve entre le Souf et l’Oued-Righ).
+
+ 29 juillet.
+
+Après avoir longé dans toute son étendue une petite chaîne de dunes
+(Zemlet Ahmed Ben ’Aād), nous arrivons à un puits appelé Bīr ez Zouāīt,
+dont l’eau de couleur verdâtre est lourde et légèrement saumâtre. Nous
+nous arrêtons ici une heure, et en me promenant aux environs, je vois à
+mon grand étonnement, dans un petit bas-fond semblable à celui du puits,
+la surface du sable couverte par endroits de petites coquilles minces et
+fragiles ressemblant en tous points à des coquilles d’eau douce, telles
+que celles des genres _Limnæa_ ou _Bulla_[222]. Je m’abstiens de toutes
+notices et dissertations sur cette trouvaille. Je remarquerai cependant
+qu’aujourd’hui nous avons ensuite rencontré un grand nombre de petits
+bas-fonds de ce genre, mais que je n’ai pu examiner ; ils ont au plus
+100 mètres carrés de superficie et ne peuvent pas être pris en
+considération sur la carte.
+
+Nous voyageons le reste de la journée dans une plaine unie de sable avec
+végétation variée d’_alenda_, _arta_, _ezal_, _drin_, etc... Nous
+rencontrons un jeune _ourân_, des cigales et un petit oiseau gris que
+j’ai déjà rencontré dans le Sahara et qui a pour cri la gamme en sautant
+une note sur deux, chant à intervalles écartés de six à huit pauses.
+
+Nous faisons la sieste dans un endroit qui ne présente rien de
+remarquable, et après la sieste nous atteignons facilement, quoique à la
+nuit tombante, le puits de Maleh ben ’Aoūn. Nous y rencontrons deux
+Toroūd avec une dizaine de chameaux venant de Berresof et qui ne font
+que prendre de l’eau au puits.
+
+ 30 juillet.
+
+Notre marche d’aujourd’hui n’a été que fort peu de chose ; nous allons
+simplement à Mouï Rebah ; le pays qui sépare ce puits de celui où nous
+avons couché hier est une plaine de sables unis légèrement ondulés et
+couverts d’une assez riche végétation (comme hier) de _drin_, _arta_,
+_’alenda_, _baguel_, _ezal_. Nous passons plusieurs puits morts et un
+puits d’eau saumâtre.
+
+Pendant la marche, mes gens prennent une gerboise des sables, que je
+dépiote en arrivant. Au puits de Mouï er Rebah, Ahmed tue une sorte de
+petit corbeau ou de grande corneille à tête et à nuque d’un brun bois
+pourri foncé ; le reste du plumage est tout noir. Les chameliers et mes
+gens mangent cet oiseau. En route une autre prise, celle d’un gros mâle
+de _cherchimāna_ (_Scincus_ .....) à bandes latérales brun foncé,
+séparées par des bandes de jaune gomme gutte. Tête d’un noir brunâtre
+clair.
+
+Nous arrivons au puits de Mouï er Rebah que l’on me dit avoir été creusé
+par les Djohāla[223] ; le fait est que ce puits est très célèbre dans le
+Sahara. L’eau en est bonne, mais a dans ce moment un goût de renfermé et
+de corrompu, qu’elle doit à ce qu’il n’y a pas de troupeaux dans le
+voisinage, et que l’eau n’a pas l’occasion de se renouveler par suite de
+grandes quantités absorbées au dehors. Dans la soirée nous voyons
+arriver deux ou trois chameaux chargés en partie de « jell » (crottes de
+chameau) ; on vient en prendre bien loin pour fumer les jardins du
+Souf !
+
+J’ai oublié de noter qu’hier, peu de temps après notre départ, nous
+fûmes rejoints par un nègre marron qui demanda la permission de nous
+suivre à Ghadāmès ; je lui accorde cette permission, car je ne puis que
+favoriser l’émancipation des esclaves. Cependant Ahmed et mes autres
+compagnons ne partagent pas mes principes. Le nègre nous suivra donc et
+si son maître ne vient pas à temps à Berresof, il ira à Ghadāmès et sera
+là en sûreté. Le motif de la fuite de ce nègre (qui est de Kanō) est que
+son maître lui donne toujours les plus pénibles tâches à remplir, et
+qu’il lui défend d’aller aux fêtes des nègres.
+
+Je ne fais pas une longue sieste, et, le soir, je veille un peu pour
+tâcher de faire des observations astronomiques.
+
+ 31 juillet.
+
+Nous passons plusieurs puits et nous arrêtons pour faire la sieste en
+sortant d’une ligne de dunes, à un endroit où le _hād_ apparaît pour la
+première fois. Nous traversons un immense _sahan_[224] uni parsemé de
+petits morceaux de calcaire (vétusté) ; si j’osais le penser, je
+croirais que c’est un bassin d’eau desséché. Il est bordé en partie de
+petits bourrelets de dunes. Nous couchons à une _ogla_ très profonde
+appelée Dakhlet Sidi-’Aoūn, qu’il ne faut pas confondre avec El ’ogla
+ech Cherguiya de Berresof.
+
+ 1er août 1860.
+
+Aujourd’hui les dunes apparaissent à droite et à gauche de notre route
+sous forme de petits chaînons. Nous passons plusieurs puits et
+rencontrons des troupeaux de chameaux et aussi une ou deux huttes
+habitées par des Ferdjān qui ont là un cheval ; on nous apporte un peu
+d’une boisson composée pour cet animal de lait de chamelle coupé d’eau.
+Nous arrivons à la sieste à Bir er Reguia’t[225] où nous trouvons une
+douzaine de « zeraïb » occupées par des Roubaa’ya[226]. Ces gens
+prennent plaisir à effrayer mes hommes, déjà si impressionnés par l’idée
+d’aller au-devant d’un inconnu. Ils finissent par me faire croire à la
+possibilité que les Touāreg campés autour de Ghadāmès nous empêcheraient
+d’y entrer.
+
+Une marche moyenne dans l’après-midi nous amène à Berresof, le dernier
+puits sur notre route. Nous trouvons ici plusieurs groupes de huttes
+habitées par des Roubaa’ya. La caravane partie peu de jours avant nous
+avec le Ghadāmsi est encore ici ; elle attend son guide qui est dans les
+dunes à la chasse du « beguer », antilope oryx ou leucoryx. Elle nous
+rassure sur les bruits que nous avons entendus ce matin.
+
+Je reçois dans la soirée la visite des principaux Roubaa’ya campés ici ;
+ils se mettent entièrement à ma disposition, et se plaignent en même
+temps de ce que, depuis le gouvernement des Français, ils ne peuvent pas
+aller razzier leurs voisins et sont, au contraire, exposés aux attaques
+de tous. Je leur explique de mon mieux la politique des Français à cet
+égard. Ils craignent ici les Ourghamma, les Beni-Zid et les Oulād
+Yagoub, qui tous ne sont pas loin de ce point. Dans la soirée il y a
+noce chez les Roubaa’ya ; étant un peu fatigué, je n’y vais pas, mais
+mes serviteurs me racontent que des femmes y faisaient une sorte de
+danse ayant leur chevelure dénouée, qu’elles jettaient à droite et à
+gauche.
+
+ 2 août.
+
+Dans la matinée on m’annonce qu’un petit parti de méhara est en vue, je
+m’empresse de monter sur une dune et bientôt je distingue que ce sont
+des Touāreg. C’est le cheikh Othman, monté sur son haut méhari blanc et
+son entourage. Nous nous saluons, et bientôt il vient dans ma tente où
+nous avons un long entretien public. Il me remet deux lettres de France,
+et une du kaïd Si Ali Bey[227]. Il me donne à lire aussi une lettre de
+Hadj Ikhenoukhen dans laquelle ce chef des Azdjer lui reproche de rester
+dans un doux loisir tandis que ses frères les Touareg sont en guerre les
+uns avec les autres, et lui dit que son devoir à lui marabout est de
+rapprocher les ennemis et de cimenter la paix.
+
+Le cheikh Othman me conseille quatre choses : la première, d’avoir
+beaucoup de patience ; la seconde, d’être libéral en présents ; la
+troisième, de ne pas intervenir au désert dans le conseil des guides ;
+la quatrième, d’emporter beaucoup d’eau. Le cheikh Othman a connu le
+major Laing (er Raīs) ; il sait encore compter en anglais, ce que le
+major lui avait appris. Il reconduisit de Timbouktou (?) à Insalah un
+des garçons de service de Laing qui était du Fezzān. J’expose la
+politique française vis-à-vis du Sud au cheikh Othman et lui demande son
+avis ; ce qu’il m’en dit sera le sujet d’une dépêche que je ferai demain
+au général de Martimprey.
+
+Le soir, je vais voir la noce qui est à son dernier jour. On a mis la
+mariée dans une « djahfa » ou cage recouverte de haoulis rouge sur le
+dos d’un chameau blanc. Derrière le chameau sont quelques femmes assez
+bien, qui frappent sur un tambourin attaché à la bête en chantant une de
+leurs chansons monotones. Devant la mariée les jeunes gens de la
+_nezla_, en très grand nombre et tous bien mis, font la fantasia avec
+leurs longs fusils orientaux dans lesquels ils fourrent des quantités de
+poudre de sorte que leurs détonations ressemblent au bruit de
+l’artillerie. C’est ridicule. Un des performants ayant tiré un coup
+faible, j’entends un des jeunes gens dire : « C’est une femme ! » — Je
+remarque un des assistants qui sous son haouli s’est entouré la figure
+d’une pièce de « çay » bleu. C’est une mode qui, à ce que l’on me dit,
+est usitée chez les Hamamma.
+
+Le cheikh Othman a amené cinq Touareg avec lui ; ce matin ; on leur a
+donné la diffa des Roubaa’ya qui m’était destinée. Le soir, ils ont leur
+diffa à eux. — Je vais au puits pour le mesurer, et j’y trouve des
+Touareg qui sont de bons garçons ; l’un d’eux, encore jeune, a la tête
+nue et rasée, sauf une ligne de cheveux longs depuis le milieu du front
+jusqu’au cou derrière la tête. Ils sont étonnés de voir que je connais
+leurs divisions de castes et un peu leur alphabet. Ils admirent le
+chapelet que m’a donné Si Mohammed el’Aïd.
+
+Pendant que j’étais au puits, deux jeunes femmes des Roubaa’ya
+emplissaient leurs outres. Elles laissent tomber leur « delou »[228]
+dans le puits. Toutes deux sont vêtues de blanc et ont une petite pièce
+d’étoffe de laine bleu foncé jetée sur la tête, qu’elles ramènent de
+côté devant leur figure pour ne pas être aperçues des hommes. Malgré
+cela, je puis voir qu’elles ne sont pas mal. L’une d’elles, en se
+baissant pour prendre son outre, nous donne quelques instants le
+spectacle d’un joli petit sein bien rond qu’elle n’a pas d’objection à
+laisser exposé aux regards tandis qu’elle prend tant de soin à cacher sa
+figure. On me dit que les Ourghamma, qui étaient venus sous prétexte de
+cimenter la paix avec El-Ouad, ont fait un mauvais coup en s’en allant
+et ont emmené un chameau qu’ils ont trouvé sur leur route.
+
+ 3 août.
+
+Aujourd’hui il n’y a d’autres choses de remarquable que la demande du
+Ghadamsi et de ses compagnons d’El-Ouad de partir avant nous. Le cheikh
+Othman leur refuse net cette permission. Ces gens sont effrayés du sort
+qui peut nous attendre et ne veulent le partager en aucune façon. Il y a
+avec le Ghadamsi deux gens d’El-Ouad qui se rendent à Tripoli.
+
+Le puits est toute la journée le rendez-vous des Roubaa’ya et Oulad
+Hamed campés ici autour et qui sont divisés en trois petites nezlas ;
+c’est là que la djemaa se tient, et l’on cause tandis que les femmes
+puisent de l’eau et qu’un joueur de flûte joue des airs. Le puits n’est
+pas un instant inoccupé tant il y a de monde, de chameaux, de moutons de
+chèvres et d’ânes à abreuver. On m’apporte un agneau dont j’envoie la
+moitié à Othman, qui vient passer une partie de la journée avec moi. On
+veut reprendre le nègre. Hier et une partie de la journée, il est resté
+caché dans les dunes et n’a mangé que quelques dattes qu’il avait
+emportées.
+
+J’ai eu des conversations très intéressantes avec Othman ; j’écris au
+général de Martimprey[229] et à Paris.
+
+Observations astronomiques comme hier soir.
+
+ 5 août.
+
+Aujourd’hui nous devons partir. Les chameaux et les méhara arrivent des
+pâturages et on les mène au puits ; ces malheureuses bêtes en reviennent
+avec le ventre rond comme un tonneau et un corps aussi large que haut.
+On dirait qu’elles savent en buvant qu’elles vont traverser un désert
+sans eau et qu’elles reconnaissent les puits qui précèdent les routes de
+la soif. Les mehara seuls ne boivent peut-être pas assez. Les chameaux
+que le khebir Mohammed m’a amenés de Sahan el Kelb[230] sont les plus
+beaux animaux de cette espèce que j’aie encore vus ; ce sont de vrais
+monstres par leurs proportions gigantesques. Je prends un peu de repos à
+la _gaïla_, mais pas assez, au milieu du bruit de l’emballage. Je ferme
+mon courrier et je plie bagage.
+
+Nous partons. Nous traversons un pays tout à fait analogue à celui qui
+précède Berresof, immédiatement au nord. Ce sont des espaces sablonneux,
+couverts d’une végétation dense de _drīn_, appelé par les Roubaa’ya et
+les Arabes de l’est _sebot_, et de _halma_, enfin de _hād_ et de
+_seffār_. Ces espaces sablonneux sont coupés par des chaînons de dunes à
+cime régulière, qui prennent le nom de _Zemla_. Avant la nuit nous
+trouvons du _baguel_.
+
+La première nuit de marche fut pénible pour moi ; le sommeil me vint
+d’autant plus vile que j’étais accoutumé, depuis l’été, à faire la
+sieste au milieu du jour. Je ne puis m’empêcher d’admirer, quand la lune
+s’est levée, les Touareg sur leurs méhara. Avec leurs armes desquelles
+tombent des lanières de peau diversement ornementées ; leur vêtement
+fantastique et leur immobilité sur ces grands animaux au pas lent et
+régulier, ils ont quelque chose qui me reporte en pensée aux temps de
+notre chevalerie. Et réellement les Touareg ont dans le caractère
+quelque chose de chevaleresque qui me plaît beaucoup. Au départ, tous
+mes Arabes invoquent Dieu, le prophète et tous les saints de leur
+paradis pour qu’ils nous protègent sur cette route dangereuse par sa
+longueur et son manque d’eau absolu. Nous dépassons Ghourd el Liyya
+derrière lequel arrive la route de Djedid à laquelle nous nous joignons.
+Cette route est, au dire de mes guides, _la plus ancienne_ et la plus
+directe. Autrefois le dernier puits était précisément celui de Djedid ;
+mais depuis quelque temps on en a creusé un un peu plus au Sud, c’est le
+puits de Bou Khalfa. La fatigue me fait commander l’arrêt d’un peu bonne
+heure pour mes guides, qui sont scandalisés de cet acte de despotisme.
+
+ 6 août.
+
+Après trois heures de sommeil nous repartons. Les guides aiguillonnent
+mes domestiques un peu mous en leur disant : « Il faut fuir devant la
+mort ! » Le pays continue à garder le même aspect, nous rencontrons par
+endroits des pierres noires et grises (dolomies ?) identiques à celle de
+la chebka des Beni Mzāb, ce qui se trouve confirmé plus tard par
+l’apparition d’affleurements de ce plateau et par l’assertion du cheikh
+Othman que l’on trouve près de Ghadāmès, près de notre route, une dune
+très élevée au sommet de laquelle perce un rocher.
+
+Une tête de gazelle que nous trouvons me montre que la gazelle commune
+du pays est de la variété nommée _rim_, caractérisée par ses cornes plus
+droites et très rapprochée : je crois que c’est l’antilope Corinna.
+L’autre gazelle commune (_dorcas_ ?) est plus rare, mais se trouve
+cependant aussi quelquefois dans ces dunes. Les chasseurs Toroud la
+nomment _el himed_ parce qu’elle affectionne plutôt les _hamada_.
+
+Nous faisons la sieste à l’heure habituelle et avons fait dans nos 24
+heures 13 h. 4 m. de marche. Depuis ce matin, comme par un fait exprès,
+le sirocco s’est levé et a remplacé le vent d’est qui nous avait
+favorisé sans cesse depuis El-Ouad. Nous repartons à peu près à la même
+heure qu’hier, cependant pas d’aussi bonne heure à cause de la chaleur
+qui accompagne le sirocco.
+
+Nous rencontrons sur la route trois charges de chameaux de vêtements et
+d’autres menus objets rassemblés en un tas. Ces sortes de dépôts,
+occasionnés le plus souvent par la mort d’un chameau, sont
+religieusement respectés sur cette route, et j’apprends d’Othman qu’il
+en est de même sur les routes de Ghadāmès au Touat et au Soudan par
+l’Aïr ; elles restent quelquefois des années sans que le propriétaire
+trouve une occasion pour les faire enlever.
+
+Un peu plus loin, nous trouvons les premières traces de cet animal que
+les chasseurs des dunes appellent « beguer », mais dont le vrai nom
+arabe est مَهَى[231] et qui est notre antilope oryx ou leucoryx.
+
+Près de Ghourd et Trouniya la nuit nous surprend, et peu après nous
+arrive un accident qui manque de nous causer un retard sérieux. Un des
+chameaux des Touareg s’était mêlé aux miens, et soit qu’il eût été
+effrayé par quelque chose, soit qu’il voulût rejoindre ses frères, il
+prit tout d’un coup le galop en faisant des sauts et des gambades dont
+je n’aurais pas cru un chameau capable et il disparut dans les dunes.
+Quand les Touareg arrivèrent, nous constatâmes que sur quatre outres
+qu’il portait deux avaient été crevées et ne contenaient plus rien.
+Othman attribua cet accident à l’_aïn_[232], en disant qu’un de ses
+suivants, Ihemma, venait de dire tout à l’heure que l’on ne manquerait
+pas d’eau, et cela avait porté malheur. Après bien des discussions, il
+fut convenu que le maître du chameau irait sur son méhari à sa recherche
+et tâcherait de nous rattraper. On lui fit une petite part d’eau dans
+une outre et il partit, tandis que nous continuâmes notre route.
+
+Lorsque la lune se leva, je pus remarquer que la végétation avait
+notablement diminué de force et de nombre ; nous n’avons plus que de
+rares pieds de _seffār_ et de _hād_. Dans l’obscurité complète (lueur
+des étoiles) je puis continuer presque aussi bien qu’en plein jour le
+levé des distances et des directions, seulement le détail des dunes à
+droite et à gauche de la route souffre de cette route de nuit. Je
+remarque des affleurements du plateau calcaire. Nous voyageons entre des
+rangées de dunes, qui tantôt s’éloignent tantôt se rapprochent et
+quelquefois nous barrent la route ; mais elles sont alors très
+diminuées. De temps en temps aussi nous trouvons des _sahan_ analogues à
+ceux dans lesquels les puits sont creusés, mais ici on trouve parsemées
+sur leur surface des pierres (dolomies appartenant au plateau).
+
+ 7 août.
+
+Après un repos beaucoup moins long que celui d’hier nous repartons, et
+rencontrons bientôt de nouveaux affleurements de calcaire. Nous arrivons
+au commencement de la chaleur du jour à des dépressions irrégulières
+allongées courant à peu près du E. 1/4 S. à l’O. 1/4 N., et séparées par
+des chaînons de dunes. Othman m’assure que ces dépressions s’en vont
+jusque sur la route de Ouarglā à Ghadāmès où elles prennent le nom de
+Oudiān el Halma[233]. Je commence à remarquer qu’Othman a le sens
+géographique très développé et qu’il possède, ce que je n’ai remarqué
+chez aucun Arabe, la connaissance du rapport des différents accidents du
+sol et de leur enchaînement. Nous faisons la sieste dans un de ces
+derniers oueds, après une marche totale de 13 h. 46 m.
+
+Dans la soirée, un de mes Arabes m’apporte une corne de _meha_[234]
+qu’il a ramassée sur la route. Nous rencontrons des traces de chacals,
+ce qui me donne l’occasion d’apprendre du cheikh Othman que partout,
+dans son pays, les chacals boivent et ne s’éloignent pas de plus d’un ou
+deux jours de la source qui les abreuve, qu’il ne connaît que l’Erg où
+le chacal vive naturellement sans boire[235]. Le _fenek_ au contraire ne
+boit jamais, et aussi se trouve-t-il presque exclusivement dans ces
+sables. Un proverbe arabe dit : Trace de chacal, eau proche ; trace de
+_fenek_, ceins-toi et marche.
+
+Mon serviteur Ahmed a encore des accès de fièvre, ce qui dérange tout,
+mes deux autres Arabes n’étant bons à rien ou à très peu de chose. La
+végétation est toujours presque nulle[236]. Nous arrivons dans la nuit
+au Sahan Tángăr où la route de Moui ’Aissa vient rejoindre celle de
+Djedid ; près de là il y a, à droite, un petit _ghourd_[237] appelé
+Gherīd Tángăr. Mes chameliers me font remarquer que la marche est
+devenue plus rapide parce que les chameaux commencent à avoir diminué
+notablement leur provision d’eau et ont le ventre allégé. Nous faisons
+la halte de nuit à Ghourd es Sīd.
+
+ 8 août.
+
+Après un sommeil d’environ une heure et demie, nous nous remettons en
+marche, et suivons des sortes de boyaux entre deux dunes ; quelquefois
+ces boyaux s’élargissent et ressemblent à de petits oueds (style du
+Souf). Nous faisons la sieste dans une dépression après avoir fait une
+marche de 14 h. 11 m. depuis hier à pareille heure.
+
+Ahmed, au départ le soir, est encore pris par la fièvre.
+
+Le cheikh Othman me dit que nous sommes ici au Dhahar el ’Erg, c’est-à-
+dire au point culminant de la région des dunes, qu’à partir d’ici le sol
+va en s’abaissant vers Ghadāmès et vers El-Ouād[238]. Cet avis a besoin
+d’être pesé, mais le fait sur lequel s’appuie mon compagnon targui est
+indubitable, c’est la forme nouvelle que prennent les dunes. Les
+_ghourds_ sont encore petits, pas aussi hauts que le Ketef, à mon avis,
+mais leurs formes ont changé ; ils ont pris des formes de montagnes
+pointues, anguleuses sur toutes les faces ; les ghourds sont moins
+allongés. Nous rencontrons de temps en temps en travers de la route des
+dunes en cordons hauts de 1 à 3 mètres seulement, mais longues de 400 à
+700 mètres et très régulières, que le vent change sans cesse de force et
+de direction. Ces endroits sont toujours un obstacle pénible pour les
+chameaux et tout le monde se met à l’ouvrage pour leur frayer un chemin
+oblique avec une pente légère. Le vieil Othman est toujours le premier à
+l’ouvrage.
+
+Deux des Arabes ont des symptômes d’ophtalmie.
+
+Le khebir me dit que Ghourd Meçaouda est, selon lui, à moitié route de
+Ghadāmès à Berresof. Au ghourd Rouba que nous avons passé il y a
+longtemps, vient se joindre à notre route une des routes de Bīr
+Ghardāya ; d’autres viennent ici et d’autres plus loin encore. Cette
+route est peu stable, comme on le voit, et dépend du caprice du guide.
+La végétation est toujours presque nulle. Nous arrivons au ghourd Ben
+’Akkou, qui est le point très connu anciennement comme faisant le point
+du milieu entre le puits de Djedid et Ghadāmès.
+
+Dans le Haoudh[239] es Sefār je remarque une petite butte d’un blanc
+éclatant. Nous nous arrêtons pour dormir un peu dans un endroit appelé
+Ma’dhema.
+
+ 9 août.
+
+Nous partons comme toujours de bonne heure, et marchons entre les
+_ghourds_ et les _zemlāt_[240]. Nous arrivons bientôt dans une série de
+bas-fonds entre les dunes, que l’on a désignés sous le nom générique
+d’El-Hiádh[241]. De temps en temps des pierres de calcaire gris plus ou
+moins décomposé. Nous allons faire la sieste à l’extrémité sud du Haoudh
+El-Hadj S’aīd, aussi nommé Hoūdh el Belbelāt à cause de la plante nommée
+_belbal_ qui y croît. Le sol de ce terrain est très ferme, composé de
+détritus de calcaire. Othman et les guides me désignent cet endroit
+comme étant celui où l’on devrait tenter le forage d’un puits. La
+présence de _belbal_, disent-ils, est un signe que l’eau ne doit pas
+être loin. L’endroit me paraîtrait, à moi aussi, bien choisi.
+
+Nous avons rencontré avant l’étape deux Souāfa venant de Ghadāmès avec
+un chameau ; ils apportent la nouvelle que la plus grande partie des
+Touareg ont quitté les environs de la ville par suite de la petite
+vérole qui y règne et qui les décime. Si Othman me dit : « Dieu a créé
+la petite vérole ennemie des Touareg et aussi la craignent-ils très
+fort ». On me dit plus tard à Ghadāmès que si elle est si fatale pour
+les Touareg, c’est qu’ils sont sales, et que même quand ils ont de
+l’eau, ils font leurs ablutions en se frottant les mains sur une pierre.
+
+Nous avons marché 14 h. 50 m. depuis la dernière étape. A notre départ,
+la végétation, presque nulle comme toujours, se compose d’_álenda_, de
+_drīn_ et de _hād_. A la nuit nous passons deux tombeaux d’individus
+assassinés par les Arabes, dont l’un nommé Mîdi de Ghadāmès a donné son
+nom à un ghourd voisin. Le vent a tourné à l’est. Nous marchons toute la
+nuit et ne nous arrêtons qu’à 6 h. 65 m. du chronomètre le 10 août pour
+faire la sieste. Cette deuxième étape a été de 13 h. 30 m. de marche.
+
+ 10 août 1860.
+
+Nous nous arrêtons pour la sieste épuisés de fatigue[242] ; je n’ose pas
+comparer celle de mes domestiques à la mienne tant j’aurais pitié d’eux.
+On verse dans le nez d’un chameau qui souffre de la soif une gamelle
+d’eau. Cela vaut beaucoup mieux que donner à boire, parce que le peu
+d’eau dont on peut disposer ne fait rien dans l’estomac de l’animal.
+Nous arrivons près du ghourd Mámmer, à une dépression où je reconnais la
+roche blanc d’argent dont j’ai parlé. Je trouve que c’est une terre très
+savonneuse et salissant les doigts, toute imprégnée de coquilles de
+_planorbis_, signe évident qu’il y avait là un petit lac autrefois. Tout
+à côté de cette terre se trouve sous le sable une poussière noire, qui
+m’intrigue beaucoup et dont je prends une petite quantité[243].
+
+A la tombée de la nuit, le chameau sur lequel je suis monté, sur un lit
+formé de mon matelas jeté sur les caisses, prend peur et part au galop
+en sautant ; je suis lancé en l’air et un peu plus loin tombent les
+cantines. Rien n’est cassé heureusement ni sur moi ni dans les caisses.
+J’aurais été tué ou estropié si j’étais tombé sous les cantines.
+
+Les dunes diminuent notablement et rapidement de hauteur, elles
+reprennent la forme de _zemlat_. Nous traversons un petit _hamada_,
+nommé Hameida, et nous reprenons les dunes, redevenues simples
+ondulations de sables. Nous voyageons toute la nuit ; de bonne heure
+nous entrons sur la hamada de Ghadāmès qui est d’abord recouverte de
+sable, puis apparaît comme la chebka des Beni Mezāb, semée de pierres de
+dolomies violettes, noires ou grises.
+
+Peu après nous descendons dans une dépression profonde[244] de la
+chebka ; c’est un chott à sol de _heicha_, tout semblable à celui de
+l’Oued-Righ ; nous dépassons une grande dune située au milieu et enfin
+nous arrivons à l’autre extrémité à une petite _ghaba_[245], appartenant
+à la zaouiya de Sidi Maābed.
+
+Marche de cette étape, 15 h. 36 m.
+
+
+[Note 220 : Cf. _Relation du voyage de M. de Bonnemain_, par A.
+Cherbonneau, _Nouv. Annales des Voyages_, juin 1857, et A. Bernard et N.
+Lacroix, _Historique de la pénétration saharienne_. Alger, 1900, p.
+46-47.]
+
+[Note 221 : Du Sud.]
+
+[Note 222 : D’après la détermination de Bourguignat : _Physa contorta_,
+_Physa Brocchii_, _Physa truncata_, _Planorbis Maresianus_. (_Les
+Touareg du Nord_, Append., p. 27.) On sait, par les explorations de MM.
+Foureau et Flamand, que les fonds de sebkha à coquilles d’eau douce et
+saumâtre se rencontrent fréquemment dans l’Erg, où ils apparaissent
+entre les dunes. Le vent soulève les tests légers des coquilles et les
+éparpille sur les sables.]
+
+[Note 223 : Géants auxquels les indigènes attribuent aussi les tombeaux
+mégalithiques (_Touareg du Nord_, p. 416).]
+
+[Note 224 : « Dépression de terrain solide en forme de bassin arrondi au
+milieu des sables » (H. Duv.).]
+
+[Note 225 : Le vrai nom de ces puits est Maatig (H. Duv.).]
+
+[Note 226 : Ou Rebaya ; fraction des Souafa.]
+
+[Note 227 : Le kaïd de Tougourt.]
+
+[Note 228 : Seau de cuir.]
+
+[Note 229 : Le général de Martimprey fut un des principaux partisans du
+commerce du Sud. Commandant des forces de terre et de mer en Algérie, il
+écrivait dans une lettre officielle du 22 juillet 1860, reçue par
+Duveyrier à ce puits de Berresof : « Un décret impérial vient de faire
+tomber les barrières qui s’opposaient à nos relations commerciales avec
+le Sud ; aujourd’hui et désormais les produits soudanais et sahariens
+doivent entrer en Algérie en toute franchise. Veuillez répandre cette
+bonne nouvelle... » Et il ajoutait ce _post-scriptum_ de sa main :
+« Avant d’avoir reçu votre lettre qui me fait connaître l’intention où
+vous êtes de vous faire accompagner par le cheikh Othman, je venais
+d’adresser à ce chef l’invitation de se rendre auprès de moi. J’ai hâte
+de conclure tous les arrangements qui pourront le plus tôt possible, la
+sécurité existant à un degré suffisant, amener la liaison des relations
+qu’il faut établir entre l’Algérie, le Soudan et les régions
+intermédiaires... Vous comprenez que je tienne à ce que le cheikh Othman
+soit ici quand l’Empereur y viendra. » — On sait que le cheikh Othman
+préféra suivre Duveyrier.]
+
+[Note 230 : « La cuvette du chien », un des pâturages de l’Erg.]
+
+[Note 231 : Meha. « Beguer » ou « beguer el-ouahch » est le nom
+vulgaire. (O. H.)]
+
+[Note 232 : Cf. _Les Touareg du Nord_, p. 415-416.]
+
+[Note 233 : « Les oueds du halma » (_Plantago ovata_). M. Foureau les a
+retrouvés en 1893 sur la route de Ghadāmès à Tougourt, et en 1896 plus
+au sud, vers 30° de latitude, mais là ce ne sont plus que des sillons ou
+entonnoirs coupés de dunes sans orientation régulière. (_Dans le grand
+Erg_, Paris, 1896, p. 43.)]
+
+[Note 234 : Antilope addax (_Les Touareg du Nord_, p. 225.]
+
+[Note 235 : On rapporte le même fait du mouton en hiver. L’Erg est plus
+riche en plantes vertes qui, mâchées, fournissent une certaine quantité
+d’eau.]
+
+[Note 236 : Plantes notées sur le carnet pendant cette journée de
+marche : _drine_, _neci_.]
+
+[Note 237 : Dune à plusieurs arêtes, pâté de dunes.]
+
+[Note 238 : Ce renseignement n’a pas été reporté sur la carte de
+Duveyrier. Il mérite pourtant sérieuse considération, car M. Foureau,
+faisant en 1893 une route un peu plus occidentale, a noté vers 31° de
+latitude, l’altitude extraordinaire de 406 mètres, résultat de trois
+lectures barométriques (renseignement manuscrit de M. Foureau). En
+admettant une correction à faire du fait des variations atmosphériques,
+il n’en faut pas moins voir dans ce « dos de l’Erg » un relief réel.]
+
+[Note 239 : « La cuvette du Sfar » (variété d’_Arthratherum_).]
+
+[Note 240 : Ce sont les longs cordons de sable signalés plus haut.]
+
+[Note 241 : Pluriel de _el haoudh_.]
+
+[Note 242 : Le carnet porte ce jour-là : Végétation rare et maigre :
+_ézal_, _alenda_, _halma_.]
+
+[Note 243 : C’est le _torba_ des Arabes. La poussière noire doit sa
+coloration à des éléments tourbeux.]
+
+[Note 244 : Le carnet de route dit : plus basse de dix mètres.]
+
+[Note 245 : Endroit planté d’arbres (O. H.).]
+
+
+
+
+ CHAPITRE II
+
+ ARRIVÉE A GHADAMÈS
+
+
+ 11 août.
+
+Nous trouvâmes dans cette _ghaba_ un jeune homme de la zaouiya, vêtu de
+pantalons blancs descendant jusqu’à la cheville, d’une sorte de blouse
+blanche et d’un turban blanc. Ce jeune homme ne me reconnut pas pour
+chrétien parce qu’il est rare de rencontrer un Français jambes, pieds et
+bras nus et en chemise. Il me salua, croyant probablement que j’étais
+Tunisien, et nous aida à débarrasser les chameaux. Je m’établis sur mon
+matelas, à l’ombre d’un palmier ; la chaleur, le sirocco violent qui
+nous avait fouettés dans le chott, nous avaient épuisés et brûlés.
+
+La nouvelle de l’arrivée d’Othman fut bientôt portée à Ghadāmès et une
+foule de Touareg Ifoghas, à pied ou montés à méhara, vinrent au-devant
+de lui. Il leur expliqua loin de moi qui j’étais et pourquoi j’étais
+venu et plusieurs d’entre eux demandèrent s’ils pouvaient venir me
+saluer. Ils vinrent en effet, et je leur fis des compliments. Tout ceci
+est bien poli et n’aurait jamais lieu en pays arabe. La foule des
+Touareg augmenta beaucoup, et, quand nous partîmes, nous avions une
+nombreuse escorte en très beaux habits de parade. Tout ce monde se
+comporta bien et ne fit aucune remarque sur ce que je relevais le pays.
+Nous laissâmes d’abord le zaouiya de Sidi Maābed à droite avec ses
+palmiers ; c’est non seulement une zaouiya, mais encore un petit
+village. Plus loin, nous passons à une plus grande distance la zaouiya
+de Sidi Mohammed es Senoūsi, bâtie depuis trois ans par cet ennemi
+mortel des Français et des chrétiens. Dans le petit bassin dans lequel
+se trouve la zaouiya, les puits sont comme à El-Guettar (Tunisie). On
+creuse un puits près du bord élevé de la dépression ; on y trouve de
+l’eau coulant légèrement ; on creuse plus loin un autre puits dans la
+direction du courant, et ainsi de suite ; de sorte que l’eau d’un puits
+passe dans l’autre. De la zaouiya nous marchons dans la chebka, dans un
+labyrinthe, et nous arrivons en vue de Ghadāmès, qui est située au haut
+du plateau. Nous laissons en même temps à gauche le commencement de la
+_ghaba_ et à droite des ruines gigantesques que je crois romaines.
+
+Nous arrivons à la porte de Ghadāmès, qui est tout entourée par les
+palmiers, sauf à cet endroit. Nous laissons en face de la porte
+plusieurs nezla de petites tentes de peau des Touareg. Arrivés en dedans
+des murs, on me dit que le moudir est dans les jardins ; j’envoie un de
+mes domestiques, qui arrive avec la réponse qu’il faut que je vienne en
+personne ou que j’envoie mon firman.
+
+Je me rends en personne dans le jardin où je trouve le moudir, un vieux
+turc abruti, en chemise et gilet de coton et une calotte idem, assis sur
+un tapis, par terre. Il a avec lui de petits serviteurs turcs mulâtres,
+un interprète assez bien et assez beau et un qawwas, qui est venu de
+Tripoli pour une affaire à part. Ce dernier, habillé à l’européenne,
+porte, entre autres, des pantalons blancs, des escarpins et des cheveux.
+Le moudir Hadj Ibrahim me reçoit sans daigner se lever, mais il est
+obligé de me souhaiter la bienvenue lorsqu’il a lu le firman du Pacha.
+Je reste là, il fait chercher une maison pour m’y loger et y fait
+conduire le bagage après m’avoir interrogé sur le contenu des cantines
+et des _gherair_[246]. Je dîne avec lui ; il mange à table le premier ;
+je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins. Ce vieux squelette à
+moustaches ne fait pas un changement de place de cinq pas sans traîner
+après lui ses immenses pistolets. La conversation roule sur le Iemen où
+il a vécu longtemps, et Saouakim où il a connu, il y a deux ans et demi,
+le voyageur Hadj Iskander[247] allant au Soudan.
+
+Le soir, je vais à la maison qui m’est destinée, en attendant mieux, et
+qui se trouve près de la ghaba. Je suis heureux de me reposer. De la
+ghaba à Ghadāmès, 1 heure 2 minutes.
+
+ 12 août.
+
+Ce matin, de bonne heure, je suis encore dans mon lit, lorsque vient me
+trouver un des petits négroturcs frisés du moudir, armé d’un sac en
+toile et d’un billet très aimable, mais très inintelligible. Le petit
+négroturc est plus clair et m’exprime que son noble maître désire une
+bouteille d’araki. Or, en fait de liqueurs, je possède une bouteille
+entamée d’absinthe, et une d’eau de noix. Je remets au petit l’eau de
+noix et on l’emporte avec de grandes précautions.
+
+Je vais ensuite chez le moudir pour lui parler de la maison que je dois
+habiter et que je veux louer ; il me retient à déjeuner. Je vois la
+maison qu’on m’a destinée ; elle ne peut pas me convenir ; on m’en
+montre une seconde, qui est moins mal et que je prends.
+
+Le moudir me retient à dîner et j’accepte, quoique je commence à avoir
+assez de sa société et de ses repas. Mais, pendant l’après-midi, je vois
+revenir le négroturc qui, après bien des caresses, me montre une
+damejeanne qu’il a apportée et que son maître voudrait avoir remplie
+d’araki, contre remboursement bien entendu. Ceci me paraît trop fort, et
+je renvoie le bonhomme avec le « non » le plus formel et le plus
+véridique. Je fais suivre Ahmed, qui va dire au moudir, qu’étant
+indisposé, je ne viendrai pas dîner chez lui. Le moudir cependant
+prétexte qu’il s’est mis en frais et qu’il faut que je fasse honneur à
+son repas.
+
+A l’heure dite, je ne me rends à son habitation que lorsqu’on vient me
+chercher. Je trouve tout le monde en prières de l’air le plus contrit du
+monde. On sert plusieurs plats, parmi lesquels une poule pour cinq
+personnes ; le moudir s’excuse sur ce « qu’il n’a pas pu trouver de
+viande en ville ». J’avais vu un mouton et plusieurs chèvres dans les
+rues. Le stupide homme me demande : « Y a-t-il de la viande dans votre
+pays ? — Oui, nous autres Français, nous en mangeons deux fois par jour.
+— En France ou bien en Alger ? — En France, à Alger et même à
+Ghadāmès. » Notez qu’au déjeuner nous n’avions eu que des légumes. Je
+n’ai lâché mot que de force à dîner, et, sans attendre le café, je suis
+revenu chez moi. Or le moudir avait dit qu’il se chargeait de mon dîner
+et de celui de mes gens. On apporte en effet ce dernier, et il se
+compose de deux assiettes, l’une contenant un peu de légumes qui ne
+dépassent pas le fond de l’assiette, l’autre contient la même quantité
+de vermicelle. Enfin quelques onces de pain. Je fais renvoyer le tout
+chez le donateur. Ahmed et Brahim dans les rues sombres et couvertes de
+Ghadāmès manquent l’un de renverser une femme, l’autre de se casser la
+tête.
+
+Je vois deux fois Othman ; bonnes nouvelles de chez les Touareg. Il
+trouve le moudir ce que j’ai dit. Le moudir a des soldats sous ses
+ordres. Ce sont des Djebaliya, depuis l’âge le plus jeune jusqu’aux
+vieillards à barbe blanche. Ils ont pour se vêtir un _haouli_, de sorte
+qu’ils laissent leurs poitrines, y compris les tétons, nues, ce qui, je
+n’ai pas besoin de le dire, serait plus gracieux chez une belle femme
+que chez ces squelettes affamés.
+
+C’est la nuit que les femmes des Ghadamsya sortent pour aller à la
+fontaine et à leurs affaires. Celles que j’ai vues sur les toits
+portaient un haïk bleu tourné comme chez les femmes des Beni-Mezab. J’ai
+vu dans les rues d’autres femmes sans voiles et portant un diadème de
+cuivre doré : ce sont ce qu’on appelle ici des ’Atriya, c’est-à-dire de
+la caste mélangée de sang noir. Ce sont les mulâtresses.
+
+Les maisons de Ghadāmès sont hautes, ayant quelquefois un rez-de-
+chaussée et deux ou même trois étages[248] ; les murs, bâtis en briques
+de terre crue, sont blanchis à la chaux. L’architecture ressemble à
+celle des Beni-Mezab. Les rues sont couvertes et fort obscures en plein
+jour, à plus forte raison de nuit. La ville et les plantations sont
+entourées de murailles et l’on reconnaît en certains endroits que ces
+murailles ont été détruites deux fois avant celles qui existent
+aujourd’hui.
+
+La ville possède un citronnier ; il y a maintenant des pastèques en
+quantité, mais elles sont dures ; les melons sont aussi en grand
+nombre ; ce sont les meilleurs que j’aie trouvés dans le Sahara. Il y a
+des citrouilles, _gauráa_, tomates, etc. Les dattes de la petite espèce
+noire sont mûres, mais on ne les a pas encore cueillies.
+
+La ville est remplie de Touareg. Il paraît qu’ils m’ont tous très bien
+vu, d’après les discours d’introduction qu’a faits Othman. Ceux qui sont
+venus hier me voir dans la Ghaba avaient demandé à Othman : « Pouvons-
+nous venir le saluer ? »
+
+Le moudir fait donner la bastonnade devant moi à un nègre colossal qui
+avait commis le crime d’aller voir deux fois cette année une négresse
+dans une maison particulière.
+
+ 13 août.
+
+Le matin, je change de demeure ; le pauvre cheikh Ali[249], qui bégaye
+tant qu’on ne peut pas se moquer de lui, est presque toute la journée
+chez moi ; il va me chercher tout ce qui me manque.
+
+Je fais la sieste et écris quelques lettres. A l’heure du Medjelès, qui
+a lieu toutes les semaines à pareil jour et une autre fois par semaine,
+le moudir fait envoyer chercher mon firman. Je trouve bon de donner
+aussi celui du Bey de Tunis et le décret des douanes, qui sont tous lus,
+et sont le sujet d’un commentaire de la part du moudir. Dans la soirée,
+on m’annonce sa venue ; j’ai une explication avec lui, mais il est si
+bête, si borné, si entiché de son osmanlisme que l’on n’arrive à rien
+avec lui. Enfin, il dîne avec moi. Il vient ici avec un armement
+complet. Il me promet que, partout où j’irai, il me fera accompagner par
+deux de ses fameux soldats.
+
+J’apprends aujourd’hui que les nobles Ghadāmsia (sang blanc) qui
+épousent une ’Atriya sont mal vus, que les ’Atriya mâles ne trouvent
+jamais à épouser une femme noble.
+
+ 14 août.
+
+De bonne heure, le cheikh Ali vient m’apporter un panier de légumes. Il
+m’apprend que chaque grande famille de nobles a ses ’Atriya nés depuis
+longtemps des négresses de ses aïeux, et doit les protéger, leur fournir
+du travail et de la nourriture s’ils sont dans le besoin. Il paraît que
+les femmes ’Atriya n’ont pas toujours des mœurs très chastes.
+
+On m’apporte des dattes mûres ; elles sont toutes petites et noirâtres,
+mais je ne les trouve pas mauvaises.
+
+Des Touareg viennent à l’heure du déjeuner frapper à la porte pour me
+voir, mais je ne fais pas ouvrir. Le cheikh Othman m’approuve. Du reste,
+ils n’ont pas insisté. Dans l’après-midi, le petit Abyssin m’apporte un
+panier de légumes de la part du moudir. On sème en ce moment une
+graminée, céréale, appelée ici El-Gossob[250], et dans le nord _dra’_ ;
+on ne la récolte qu’à la fin de l’automne.
+
+Visites de quelques grands de la ville.
+
+ 15 août.
+
+Je sors accompagné de deux soldats et je vais voir d’abord les
+Esnām[251], ces restes de constructions que je crois être les ruines de
+la ville ancienne du temps des Romains. Ce sont des supports de vastes
+arcades, je le crois du moins ; tout à l’entour, s’étendent des débris
+de pierres, et des fondations comme on en voit dans toutes les ruines
+romaines de ce pays. Les pierres ne sont pas taillées ; quelquefois
+cependant elles sont dégrossies ; elles sont unies par un ciment de
+plâtre. Au milieu des décombres sont quelques tentes touareg, mais leurs
+occupants n’étaient pas là et nous n’eûmes à disputer le chemin qu’à
+deux lévriers qui gardaient les tentes.
+
+Je vais voir la source ; elle forme un bassin profond d’une eau
+transparente et d’un bleu charmant ; l’eau donne naissance à quelques
+mousses aquatiques qui paraissent au fond en plusieurs endroits. Des
+libellules rouge brique planent au-dessus de l’eau. Je ne vois pas de
+poissons. Le bassin a une forme inégale : il est garni de pierres. L’eau
+s’écoule d’une manière insensible à l’œil par un canal souterrain près
+de l’endroit où l’on vient puiser l’eau. Le kaïd el mā, chargé de
+distribuer l’eau, est loin de là dans une petite niche sur le marché.
+
+Je passe la soirée couché sur un banc de la rue, où j’ai fait porter une
+couverture et des coussins. Je regarde le mouvement autour de moi. Il y
+a plusieurs négresses qui paraissent à poste fixe près d’ici ; elles
+jacassent toute la journée. Quelques nobles Ghadamsia passent devant
+moi ; les uns me saluent, les autres ne me disent rien. Je rends les
+saluts à ceux qui me parlent. Les noirs dépassent de beaucoup parmi les
+passants le nombre des blancs. Presque pas de Touareg.
+
+Un de mes voisins possède une jument du Touat ; c’est le seul cheval
+qu’il y ait en ce moment à Ghadāmès.
+
+J’obtiens le soir la latitude de Ghadāmès par le passage de Mars au
+méridien : j’ai 30° 6′ 33″ N.
+
+ 16 août.
+
+Je vais me promener dans la ville. Il y a près d’ici, je crois dans le
+quartier d’El Aouina[252], un petit marché où l’on vend des liqueurs ;
+il est remarquable aussi sous un autre point de vue. D’un côté il est
+bordé d’arcades, et je remarque un tronçon de colonne qui me paraît être
+évidemment romain. Du côté opposé coule sous terre une petite rigole
+auprès de laquelle est un abreuvoir et un lavoir. Plusieurs petites
+auges carrées, en pierres de différentes grandeurs, sont encore ici en
+souvenir de l’ancienne Ghadāmès. Mais j’étudierai tout cela
+systématiquement un peu plus tard.
+
+Je rends une visite au moudir et je le trouve très bien. Cependant,
+j’apprends plus tard qu’il a eu une violente dispute avec sa femme
+turque à la suite de laquelle celle-ci a demandé du poison pour le tuer.
+De là rupture, et la femme répudiée s’en est allée à Dérdj. Le fils du
+moudir qui est à Sinaoun est parti pour Tripoli aussitôt qu’il a appris
+cette nouvelle. De sorte que le moudir est d’une humeur de chien pour
+tout le monde. Je donne de l’opium au moudir, qui est dérangé à état
+permanent. Il m’envoie le soir une excellente pastèque.
+
+Il est curieux de voir les Ghadāmsia savoir presque tous le haoussa ;
+rarement ils parlent à leurs esclaves dans une autre langue. Les enfants
+blancs et les esclaves apprennent d’abord le ghadāmsia[253], et ce n’est
+que plus tard qu’ils se mettent à l’arabe.
+
+On a toutes les peines du monde à se procurer ici des légumes, des
+melons et de la viande. Tout est pris d’avance : les acheteurs vont
+chercher les fruitiers jusque dans leur ghaba, et le peu qui arrive au
+marché est de suite accaparé. Quant à de la viande, depuis que je suis
+ici, les Arabes n’ont pas apporté de moutons, il se passe quelquefois
+quinze jours sans qu’il en vienne. On est réduit aux poules, pigeons et
+à quelques chevreaux.
+
+Le soir, je fais porter mon lit sur la terrasse et j’y dors en compagnie
+de mon fusil chargé à balles. J’ai la distraction de voir les ombres de
+mes voisines, blanches et noires, se promener sur les terrasses
+d’alentour et d’entendre leur caquet à voix basse.
+
+ 17 août.
+
+Ihemma, le petit bandit targui qui accompagnait Si ’Othman, m’apporte
+quelques lignes de tefinagh que m’ont écrites ses sœurs auxquelles
+j’avais envoyé à chacune un miroir.
+
+Je vais voir le marché qui a lieu toutes les semaines à pareil jour. Il
+a lieu immédiatement après la prière à la mosquée au dohor. On prend ses
+places d’avance ; le moudir m’a envoyé deux soldats qui sont postés à
+côté de moi pour écarter les badauds. Je vois arriver le moudir, avec
+son page abyssin et ses longs pistolets, puis le qawwas ; ils entrent
+dans la mosquée par une porte à part donnant sur le marché. La prière ne
+dure qu’un instant ; je suis ensuite rejoint par le cheikh de la ville
+(Cheikh Ali) et il se rassemble autour de moi plusieurs Ghadāmsia, entre
+autres Abd el Aziz, bel homme à barbe grisonnante et à beaux vêtements,
+qui connaît de vue Tombouctou, Oualata, Tichit, le Soudan et le Touat,
+ainsi que les pays intermédiaires. C’est un homme intelligent et
+d’autant plus poli qu’il connaît Tunis et Tripoli. Nous nous tenons sous
+un corridor, près de la boutique du gomrekdji[254]. Nous voyons passer
+beaucoup de Touareg, dont plusieurs sont d’une taille colossale.
+Quelques-uns me saluent ; d’autres me regardent et passent ; deux
+Sakomāren[255] seulement se permettent de dire : « Fi ! c’est lui qui a
+amené Cheikh Othman ». Mais cette parole de la bouche d’Imrhad n’a pas
+beaucoup de poids.
+
+Le marché n’est pas brillant ; on y vend des cotonnades anglaises et
+maltaises, des étoffes de coton bleu à rayons rouges, du Soudan, dont
+les unes servent de couverture et les autres de vêtements de dessus aux
+femmes de Ghadāmès. On vend quelques fusils, des chameaux et un coffre.
+On me dit que d’ordinaire le marché est plus beau.
+
+Les Sakomaren qui sont ici sont des chameliers qui doivent amener au
+Touat la grande caravane des Ghadāmsia dont les bagages sont déjà
+exposés hors de la ville en attendant que les affaires soient arrangées
+avec Ikhenoukhen.
+
+ 18 août.
+
+De bon matin, un Targui m’amène un enfant parent de Si ’Othman, qui est
+affecté d’un œdème très avancé provenant d’un anévrisme du cœur. Cet
+enfant, âgé de 12 ans, fait mal à voir ; outre sa maladie qui l’a rendu
+presque impotent, et qui a répandu une couleur jaune uniforme sur ses
+chairs molles, il a eu encore dernièrement la petite vérole, qui a
+laissé sur lui des traces profondes. Je déclare après l’examen que,
+lorsque Si ’Othman viendra, je lui dirai mon avis sur la maladie. Je
+crains toujours que les gens ignorants ne pensent que j’ai le remède de
+telle ou telle maladie et que je ne veux pas la guérir.
+
+Quelque temps après, je reçois la visite bienvenue de trois dames
+targuies, l’une d’elles est jeune, assez grande et d’une blancheur
+rare ; elle est de plus très bien peignée. Sa coiffure est, sur le
+devant, identique à nos bandeaux plats d’Europe, mais ces derniers se
+terminent derrière les oreilles par deux nattes courtes et épaisses. Les
+ornements de ces Targuiāt sont sobres ; la belle porte trois légers
+bracelets à chaque bras ; le tout est de bon goût et serait bien vu en
+Europe. Ainsi ce ne sont plus les ornements grossiers des Arabes.
+
+La conversation roule sur très peu de choses parce que ces dames me font
+la malice de prétendre ne pas comprendre l’arabe, de sorte que je suis à
+m’éreinter à chercher de rares expressions dans le cinquième volume du
+Dr Barth. — Elles partent d’un éclat de rire formidable quand je
+parviens à leur désigner « ulhi »[256] et « teraouen »[257] comme étant
+le siège primitif de la maladie du jeune Targui qui est le frère de
+l’une d’elles. Lorsque nous étions ainsi aux prises, arrive Si’Othman
+qui, en voyant les Targuiāt, s’écrie : « Bism Illah er Rahman er
+Rahim », expression que les Touareg emploient lorsqu’ils sont affectés
+d’une surprise pénible. Nous parlons de nos affaires et, pendant ce
+temps, les Targuiāt veulent s’en aller ; l’une d’elles retrouve son
+arabe pour me demander du tabac. Je leur dis que je n’en ai pas, mais
+que, si elles veulent bien revenir, j’espère être plus riche.
+
+Aujourd’hui, on vend au marché tous les moutons qui sont arrivés hier.
+Le cheikh Ali me dit qu’on en vend quelquefois 300 en un seul jour. Les
+occasions sont si rares que l’on fait ses provisions. Le même homme me
+raconte qu’à la dernière vente il acheta trois moutons, que cinq jours
+après il en vendit deux, et qu’il eut le troisième pour profit de sa
+spéculation. J’achète un mouton, hier j’en avais acheté un autre
+engraissé en ville. Les moutons se vendent, comme du reste tout ce qui
+passe sur le marché, par l’entremise de « dellāl », crieurs, et tout est
+cédé à l’enchère. Les principaux marchands, et en général tous ceux qui
+ont besoin de quelques-uns des articles en vente, se tiennent assis
+autour du marché ; et les crieurs passent en exposant la marchandise et
+en indiquant le dernier prix offert.
+
+J’apprends qu’autrefois, les Ouled Hamed d’El-Ouad prélevaient un petit
+tribut, « ghefara », sur les marchands de Ghadāmès qui passaient par le
+Souf se rendant à Tunis ; depuis l’occupation française, cela n’a plus
+lieu.
+
+Autrefois, la route de Ghadāmès à Gabès était très fréquentée,
+maintenant personne ne fait plus ce voyage de crainte des Ourghemma. Je
+vois plusieurs Ghadāmsia qui ont fait chacun une demi-douzaine de fois
+cette route.
+
+Les nouvelles d’Ikhenoukhen sont qu’il est arrivé à Māsīn avec ses
+chameaux altérés (les puits de cette région sont presque tous à sec
+cette année). A Māsīn, ils ont trouvé le puisard contenant très peu
+d’eau (le mot Māsīn ne signifie pas autre chose) ; il faut qu’il
+séjourne là jusqu’à ce que les chameaux aient bu pour pouvoir franchir
+les dernières étapes jusqu’à Ghadāmès. Le puits d’Inguelzām[258] est
+aussi tari.
+
+Toujours des difficultés pour trouver des légumes et des fruits. Santé
+parfaite.
+
+ 19 août.
+
+Je reçois dans la matinée la visite de Si ’Othman et d’un vieux Targui
+qui semble être de ses intimes ; je leur fais voir les livres arabes que
+je destine à Cheikh el Bakkay de Tombouctou. Parmi ces livres est mon
+Coran doré sur tranche ; Si ’Othman en est épris. Il commence à chanter
+la sourate de la vache et j’ai peine à l’arrêter. Voyant que ce livre
+faisait tant de plaisir à mon ami, je lui en fais présent. Si ’Othman ne
+peut contenir des démonstrations de joie enfantine. Là-dessus, il s’en
+va pour prévenir le crieur, qui est en train de lui procurer une
+« Neskha » manuscrite, qu’il n’en a pas besoin.
+
+A peine Othman était-il sorti qu’au milieu de mon déjeuner arrive ma
+belle Targuie d’hier, accompagnée cette fois d’une belle jeune femme
+seulement. Elles me disent qu’Othman leur a défendu de venir et que
+c’est pour cela qu’elles ont attendu sa sortie. J’apprends aujourd’hui
+que Télengui, c’est le nom de la belle Targuie, est mariée, mais elle me
+dit que son mari part demain pour le Touat. Je leur fais cadeau à
+chacune d’un foulard de coton et d’un miroir, et d’un peu d’argent pour
+acheter du tabac, car toutes les Targuiāt fument. En échange de mes
+présents, Télingui me demande du papier pour m’écrire du tefinagh.
+Télengui me distrait beaucoup ; je l’engage à revenir. Son vêtement se
+compose d’une blouse bleu de ciel, à manches courtes, n’atteignant pas
+le coude, et d’une couverture de coton blanc dont elle s’enveloppe tout
+entière, sauf la figure.
+
+Les moutons des Arabes d’ici ont tous la grosse queue ; au Souf ils n’en
+ont pas de cette espèce, mais les Nemēmcha et les Hamamma en possèdent.
+
+Dans la soirée, Ikhenoukhen envoie à Othman deux Targuis, pour lui dire
+de venir apporter de l’eau à une demi-journée de Ghadāmès. Ikhenoukhen,
+à ce qu’il paraît, veut avoir des nouvelles ; il sait maintenant que je
+suis venu. Dans la soirée Othman vient me dire adieu ; il part cette
+nuit. Il ne sera absent qu’un jour, deux au plus.
+
+J’apprends que le district de Dérdj est très malsain, des fièvres très
+violentes y règnent. C’est une terre de labours avec des sources ; on y
+cultive du blé et du guessob. Othman me dit qu’il y a des fièvres
+jusqu’à Ghadāmès, et me demande de la quinine pour deux femmes targuies
+qui sont fiévreuses.
+
+ 20 août.
+
+Ce matin, je prie le cheikh Ali de vouloir bien emporter chez lui les
+objets qu’il a encore ici et qui lui font faire par jour trois ou quatre
+ascensions chez moi. Cela ne peut pas durer. Le petit bègue, au lieu de
+s’exécuter, me fait dire, quelque temps après, qu’il a trouvé une autre
+maison et qu’il m’invite à venir la voir ; je lui fais répondre que je
+me trouve bien ici et que les convenances m’obligent à ne pas changer de
+demeure comme de chemise. Cheikh Ali me fait dire là-dessus qu’il
+viendra me déranger vingt fois par jour ; je sors alors et je trouve mon
+homme à la porte ; il est chassé comme un chien, avec défense expresse
+de remettre les pieds ici.
+
+Dans la chaleur du jour, je vais chez le moudir pour signaler la
+conduite du cheikh, et déclare que je ne sortirai que par la force d’une
+maison que j’avais acceptée à contre-cœur ; mais le petit bègue est aux
+cent coups, et il jure, à qui veut l’entendre, qu’il me chassera de sa
+maison, et qu’il enverra, s’il le faut, cinq ou six esclaves armés pour
+me faire sortir ; il menace mes domestiques de prêcher le Djehad, ou
+guerre sainte, et dit que, dans ce cas, toute la ville suivrait son
+avis. Il bégaye sa colère partout, dans la rue et chez le moudir.
+
+Le moudir vient me trouver et tâche de m’apaiser : en me disant qu’il a
+vu la nouvelle maison, qu’elle est plus belle que celle que j’habite et
+que le loyer en est très bon marché. Mais toutes ces conditions ne me
+font pas changer d’avis, et je lui renouvelle ma déclaration que, si
+l’on voulait me faire changer de demeure, il fallait employer la force,
+et que, dans ce cas, je ne sortirais de ma maison que pour me rendre à
+Tripoli. Le moudir me fait entrevoir qu’il n’est pas tout à fait le
+maître ici, que les Touareg le sont plus que lui, et que, si le cheikh
+en venait aux extrémités, la seule chose qu’il pourrait faire serait de
+déclarer que tout ce qui m’adviendrait serait fait à lui et serait une
+injure pour le gouvernement turc. Pendant ce temps, il m’emporte le fond
+d’un petit flacon d’absinthe qui me reste, ma dernière goutte de
+spiritueux.
+
+Enfin, après le coucher du soleil, le moudir revient accompagné d’El
+Mokhtar, l’un des membres du Medjelès. Ils me disent que le Medjelès a
+été assemblé extraordinairement pendant toute l’après-midi, que l’on a
+vivement blâmé la conduite du cheikh et que l’on a conclu que, s’il n’y
+avait pas moyen d’arranger les choses autrement, le cheikh serait obligé
+à me céder sa maison pour le temps de mon séjour. Là-dessus, ils me
+prient de pardonner la conduite de Cheikh Ali. Ceci est une autre
+question. Je déclare que, comme homme, je lui pardonne volontiers, mais,
+comme représentant de mon gouvernement, je ne puis le faire aussi
+facilement, et que je demande mûre réflexion à ce sujet. Là-dessus ces
+messieurs se retirent après avoir pris le café.
+
+J’ai reçu la visite d’un marchand de Ghadāmès, l’un de ceux qui
+prêtèrent de l’argent à Barth, à Kanō, lors de son retour de Tombouctou
+et au joli taux de 100 % au bout de quatre mois. Je lui fais des
+compliments sur sa libéralité, d’autant plus que l’argent qu’il prêtait
+était de l’argent anglais ; mais il me dit _qu’il avait calculé le
+profit que lui aurait rapporté cet argent mis en ivoire dans le même
+espace de temps_ et prêté son argent avec le même profit.
+
+Les Targuiāt (les deux mêmes qu’hier) sont venues me voir, mais ne sont
+restées qu’un instant, elles m’ont apporté quelques lignes de Tefinagh.
+
+J’ai tellement cru aujourd’hui qu’il allait se passer quelque chose, que
+j’ai fondu des balles de revolver.
+
+
+[Note 246 : Pluriel de _gherâra_, sac en laine servant à contenir les
+objets chargés sur les chameaux. (O. H.)]
+
+[Note 247 : Nom pris par le baron de Krafft. Sur son séjour en
+Tripolitaine, voir _Mittheil. de Petermann_, 1861-1862, _passim_.]
+
+[Note 248 : Ces dernières doivent être très peu nombreuses ; Mircher ne
+parle que de maisons à rez-de-chaussée et un étage (_Mission de
+Ghadāmès_, p. 100).]
+
+[Note 249 : C’était le _cheikh el bled_, ou maire de la ville.]
+
+[Note 250 : Draa désigne au Sahara, suivant les régions, tantôt le
+sorgho à grains noirs, tantôt le millet blanc à chandelles. Il s’agit
+probablement du dernier. (Cf. Catalogue Foureau, p. 15.)]
+
+[Note 251 : « Les idoles. » On sait qu’après avoir visité Djerma au
+Fezzân, Duveyrier a rapporté les Esnamen aux Garamantes. (_Les Touareg
+du Nord_, p. 251.) Vatonne se borne à les qualifier « d’affreuses ruines
+sans caractère et sans intérêt ». (_Mission de Ghadāmès_, p. 268.)]
+
+[Note 252 : Ce quartier porte aussi un autre nom intéressant pour les
+origines : Beni-Mâzigh.]
+
+[Note 253 : C’est-à-dire le dialecte berbère.]
+
+[Note 254 : _Isaqqamaren_, vassaux des Kel-Rhela.]
+
+[Note 255 : « Douanier ». (O. H.)]
+
+[Note 256 : _Oulhi_, le cœur.]
+
+[Note 257 : _Touraouen_, le poumon.]
+
+[Note 258 : Inguelzam, Māsīn, points d’eau de la roule orientale de Ghât
+à Ghadāmes.]
+
+
+
+
+ CHAPITRE III
+
+ IKHENOUKHEN
+
+
+ 21 août.
+
+Dans la matinée vient me voir le petit brigand Ihemma ; il me raconte
+encore qu’il veut assommer un Targui qui s’est servi d’un de ses
+chameaux sans sa permission. Il m’annonce le premier qu’Ikhenoukhen est
+arrivé, avec très peu de monde et deux chameaux seulement.
+
+Ikhenoukhen est arrivé d’un côté et Othman est parti de l’autre, de
+sorte qu’ils se sont croisés ; cependant Othman revient lui-même dans
+l’après-midi, et me dit que les nouvelles sont bonnes. Ikhenoukhen est
+très occupé ; il est encombré de visites ; le moudir va le voir et une
+foule de Ghadāmsia ; on traite l’affaire du vol des chameaux et puis
+celle du départ de la caravane du Touat. Il paraît qu’il n’est pas bien
+disposé pour les Hogar, et qu’il défend aux Ghadāmsia de prendre des
+chameliers Sakomaren qui sont ici (ils sont imrhad des Hogar) ; il veut
+que les chameliers soient Azgar ou Ifoghas[259] ; les Hogar sont
+ennemis. Il déclare qu’il brûlerait les charges des chameaux de la
+caravane si elle partait avec les Sakomaren. La nouvelle arrive de Rhat,
+que l’Aïr a envoyé deux députés à Rhat pour dire que la route du Soudan
+était de nouveau ouverte, ce qui cause grande joie aux Ghadāmsia, et
+fait espérer qu’il y aura cette année un marché à Rhat, ce dont on
+commençait à désespérer. On apporte en même temps la nouvelle que le
+Hadj Ahmed, frère de Si ’Othman et chef des Touareg Hogar, va arriver
+ici sous peu.
+
+Othman vient me prier, de la part du cheikh Ali, de lui pardonner ce
+qu’il a fait avant-hier.
+
+ 22 août.
+
+Othman vient me prendre dans la matinée et me mène chez Ikhenoukhen. Le
+sultan des Azgar est campé au loin, hors des plantations, tant il craint
+la petite vérole qui règne à Ghadāmès. (quoiqu’elle ait beaucoup
+diminué). Je trouve Ikhenoukhen entouré de quelques Touareg, de deux
+Ouled Hamed, et de deux Ghadāmsia. Il me fait asseoir d’un geste
+imperceptible et, sans se mouvoir, me fait, ainsi qu’à Othman, les
+questions de politesse targuie : « Mattoullid ? Māni ouinnek ? » —
+Comment vous portez-vous par cette chaleur ? Grâce à Dieu vous êtes venu
+ici, et les circonstances m’y ont aussi amené, etc., etc.
+
+Ensuite, Othman fait lire les lettres adressées au cheikh Ikhenoukhen
+lui-même, et les firmans de Tripoli et de Tunis que j’ai. On est obligé
+de traduire les passages importants, car Ikhenoukhen comprend à peine
+l’arabe et ne le parle pas. Après cette cérémonie, Ikhenoukhen, qui a
+montré tout le temps la plus grande réserve, me souhaite froidement la
+bienvenue, puis nous prenons congé de lui. Othman trouve que l’accueil
+qu’il m’a fait est bon, quoique j’aie presque été tenté d’abord de
+croire le contraire. Il me dit que l’habitude des Touareg est de
+paraître fuir d’abord une nouvelle connaissance, mais que les autres
+Touareg qui assistent à notre entrevue ont certainement dit en eux-
+mêmes : Ikhenoukhen se réjouit déjà du cadeau qu’il obtiendra de ce
+Français.
+
+J’ai ensuite une très longue conversation avec Othman au sujet de mes
+projets ; je leur donne une plus grande extension et pense aller de Rhat
+à Insalah. Il me dit que cela se décidera à l’arrivée de son frère Hadj
+Ahmed[260].
+
+Je demande à deux des Hamed d’El-Ouad, qui ont été trois fois d’El-Ouad
+à Rhat, ce qu’ils ont emporté. C’est des douros. Ils en ont rapporté des
+ânes touareg ; prix à Rhat, 6 1/2, 7 et 8 douros, et à El-Ouad 60, 61,
+80 fr. Des chameaux (petites chamelles) achetés 100, 105, 110 francs et
+vendus à El-Ouad 150, 160 francs. — Zebed (civette), achetée l’once 26
+fr. 50 et vendue 33 francs. Outres du Soudan achetées 3 fr. 40 à 4
+francs et vendues 6 fr. Peaux de buffles (kelābo), achetées 10 fr. les
+grandes, vendues 11 fr. 40 et 15 fr.
+
+ 23 août.
+
+Aujourd’hui, pas d’événements ; je cause avec un Ghadamsi, Mohammed ben
+Mohammed, qui connaît très bien Rhat. Il m’explique plusieurs des
+particularités du commerce de Ghadāmès.
+
+L’ivoire, et les principales autres denrées du Soudan qui viennent ici,
+ne sont jamais vendues sur place, mais sont dirigées sur Tripoli. Elles
+ne pourraient être obtenues ici que pour un prix très approché de celui
+de Tripoli, comme par exemple 2 % en moins. L’or est quelquefois vendu
+en petites quantités sur le marché, par des individus qui ont besoin
+d’argent immédiatement. Les peaux de panthères et les autres petits
+articles se trouvent aussi de temps en temps.
+
+Les Ghadāmsia qui vont à Rhat donnent un cadeau de 10 douros[261] à
+Ikhenoukhen, et ils peuvent alors commercer comme bon leur semble. A
+Rhat même, les charges d’ivoire ne font que passer ; sauf dans de rares
+cas, par exemple quand un marchand du Soudan a besoin de quelques objets
+qui se trouvent sur le marché de Rhat, il envoie un peu d’ivoire qui se
+vend là et dont le prix sert à acheter ce dont il a besoin. La plupart
+des marchands Ghadāmsia du Soudan envoient leurs caravanes à des
+correspondants à Rhat et à Ghadāmès et leurs produits ne sont vendus
+qu’à Tripoli même. A Rhat, les maisons se louent 6 douros pour le temps
+qu’on y reste à la foire, soit 15 jours, soit un an.
+
+Les Ghadāmsia ne prennent pas de commission entre eux, ils se rendent de
+petits services commerciaux sans exiger de rétribution.
+
+Aujourd’hui, il est arrivé une petite caravane de Rhat avec un
+chargement d’ivoire. Les nouvelles qu’elle apporte sont bonnes, l’Aïr a
+fait la paix avec Rhat, et l’on espère avoir un marché cette année, ce
+dont on avait d’abord douté. Les Ghadāmsia confient leurs marchandises
+aux chameliers touareg, qui les transportent à destination avec le plus
+grand scrupule.
+
+ 24 août.
+
+Dans la matinée, je suis encore obligé de me fâcher « tout rouge »
+contre mes domestiques.
+
+Je reçois la visite de quelques Touareg. Dans la soirée, je vais voir
+Ikhenoukhen. Il sort de sa tente seul et vient nous rejoindre dans la
+dépression où il campe, à part de toute oreille indiscrète, et nous nous
+asseyons. Il me salue, cette fois comme une vieille connaissance, et
+commence, en bon Targui, par des questions de politesse. « Comment
+allez-vous ? Comment trouvez-vous le temps ? Supportez-vous bien cette
+chaleur ? Êtes-vous rétabli de votre voyage dans l’Erg ? C’est là que
+nous voyions du merveilleux lorsque nous allions sur nos méhara piller
+les Chaanba et les Souâfa, etc. » Puis, après avoir rendu ces
+politesses, je commençai à parler ; Si ’Othman traduisait mes paroles en
+Temāhaght[262].
+
+Je dis à Ikhenoukhen que le sultan d’Alger qui lui avait envoyé Si
+Ismail[263] était rentré en France, mais que son successeur, qui était
+mû par les mêmes idées, m’avait envoyé à lui comme gage de son amitié et
+de son grand désir de lier des relations amicales avec les chefs touareg
+et en particulier lui Ikhenoukhen. Je lui expliquai nos intentions de
+commerce avec le Soudan, et notre désir de le voir l’intermédiaire entre
+nous et les noirs. Je l’assurai que tous les Touareg qui viendraient
+chez nous seraient reçus avec honneur et empressement ; qu’on les
+traiterait selon leur rang et qu’on leur ferait de beaux cadeaux ; que,
+si lui-même Ikhenoukhen voulait se décider à faire le voyage d’Alger, il
+pouvait compter sur toute la sincérité, tous les égards et toutes les
+marques d’amitié qu’il pourrait désirer.
+
+Ikhenoukhen me répondit qu’il était devenu vieux et qu’il ne pouvait
+s’absenter du milieu des siens, qu’il avait déjà tant de peines à les
+tenir d’accord et à apaiser leurs querelles naissantes, qu’il ne pouvait
+pas penser à s’éloigner d’eux. Puis, passant à un autre sujet, il causa
+pendant quelque temps à Othman en temahaght et je les vis rire ensemble.
+Ils ne voulurent pas me dire de quoi il s’agissait ; mais, plus tard, je
+le sus par Othman et j’en parlerai à l’occasion.
+
+Se retournant vers moi, il me fit la question insidieuse : « Pourquoi
+les Anglais sont-ils bien reçus partout et pourquoi les Français, quand
+ils envoient même leurs domestiques, sont-ils en butte à toutes sortes
+de difficultés et toujours mal reçus ? » Je lui répondis : « Cette
+demande m’étonne, car j’aurais cru que vous saviez cette raison mieux
+que moi-même. Mais je vais vous l’expliquer brièvement. Vous ne
+connaissez les Anglais que comme marchands et voyageurs riches et
+prodigues ; vous ne les avez donc rencontrés que vous offrant des
+profits et des gains considérables ; il est naturel que l’accueil qu’on
+leur fait soit bon. Mais nous, Dieu nous a mis maîtres d’Alger, nous
+avons été sans cesse forcés de combattre, toujours malgré nous, et ce
+que vous savez de nous, la connaissance que vous avez de notre
+administration et de nos vues, vous l’avez reçue à travers une digue
+d’ennemis. Sans vous parler du chérif, la digue ennemie nous l’avons au
+milieu de nous, ce sont les Chaanba, ce sont les Souāfa, les Beni-Mezab
+et enfin tous ceux qui sont nos voisins. Moi-même, à El-Goléa, j’ai été
+menacé de la mort par des Chaanba qui avaient été faire leur soumission
+à Alger. Je crains plus les Chaanba que les Iboguelan[264]. »
+
+Ikhenoukhen approuva énergiquement mon avis par un « hakk »
+significatif. Il me dit que c’était précisément là la différence, mais
+que pour lui il n’ouvrait pas son oreille à ces mauvais bruits, et qu’il
+s’était fait une ligne de conduite, dans toute sa vie, de ne faire que
+le bien, de ne jamais léser le faible et de redresser les torts ; que,
+puisque j’étais venu à lui, il me mènerait partout où je voudrais dans
+l’étendue de son commandement.
+
+Pour persuader encore plus le chef de notre « non-ogrerie », je lui fis
+la remarque que le sultan de Constantinople, celui du Caire, celui de
+Tripoli, de Tunis et de Fez étaient nos amis, comme aussi celui des
+Anglais, qu’ils avaient la plupart des officiers et des industriels
+français chez eux, et que nous étions sur le meilleur pied ; que si
+réellement nous étions si mauvais, ces hommes puissants et éclairés ne
+manqueraient pas de se tenir éloignés de nous. Ikhenoukhen fit alors une
+allusion aux événements de Syrie qui me désappointa ; il me donna la
+nouvelle d’une intervention anglaise et française, mais je lui objectai
+que je n’avais pas de nouvelles aussi neuves. Il mentionna aussi
+l’entreprise du canal de Suez dont il ne comprenait pas le but. Je le
+lui expliquai en particulier au point de vue du pèlerinage de la Mekke
+et lui dis que le chef de l’entreprise était un Français et l’ami intime
+de mon père.
+
+Passant à mon voyage, je dis à Ikhenoukhen que mon but était de voir le
+marché de Rhat et de revenir par In-Salah. Rhat, me répondit-il, c’est
+très facile, mais In-Salah, je ne peux pas mentir, ma puissance ne
+s’étend pas jusque-là ; les gens du pays même ne sont pas mes amis.
+Mais, ajouta-t-il : « Voilà le sultan d’In-Salah », et il me montra Si
+’Othman. Othman se défendit de toutes ses forces, mais Ikhenoukhen
+revint au moins trente fois à la charge pour me faire comprendre que
+c’était lui qui pouvait me mener à In-Salah. Othman tint ferme.
+
+En terminant, Ikhenoukhen me dit qu’il voudrait bien me voir recevoir de
+Tripoli un firman qui recommanderait qu’on me traitât bien et que le
+pacha y fît la remarque que ce qui serait fait pour moi serait fait pour
+lui. Je dis au chef targui : « Bien, je vais demander ce firman, mais je
+dois te dire, en toute franchise, notre amour-propre est blessé de voir
+que tu nous aimes pour un autre et non pas pour nous-mêmes ».
+Ikhenoukhen, prenant quelques pierres et les lançant négligemment de
+côté, dit : « Les Turcs, voilà le cas que nous en faisons, nous savons
+que ce sont vos esclaves ; partout où vient un conseil de vous, c’est
+lui qui gouverne réellement le pays et le gouvernement turc ne peut plus
+rien d’arbitraire ; nous autres, nous n’avons pas besoin du firman, mais
+nous serons bien aises de le montrer à d’autres. »
+
+Je terminai en priant Ikhenoukhen de consentir à échanger un traité
+d’amitié. Il me répondit que cela ne pressait pas et que nous nous
+retrouverions encore souvent. Puis, je lui fis dire par Othman que je
+n’avais pas apporté de présents en nature, craignant de ne pas tomber
+sur ce qui lui plairait, mais que je lui destinais 100 douros et une
+bague, avec une pierre précieuse, que je lui laissais en souvenir. Il
+répondit que le profit n’était rien pour lui et qu’il agissait ainsi
+envers moi parce qu’il le trouvait bon (je compris plus tard que la
+somme offerte lui paraissait peut-être un peu faible[265] en comparaison
+des présents anglais), que du reste rien ne pressait et que ce que je
+remettrais à Othman lui parviendrait. Là-dessus, nous nous saluâmes
+amicalement et nous revînmes chacun de notre côté.
+
+Dans la nuit, je prends des renseignements sur les exactions du kaïd Ali
+Bey[266] et de son cousin le khalifa.
+
+ 25 août.
+
+Hier au soir, en allant voir Ikhenoukhen, j’ai remarqué que le sol de la
+grande dépression où il est campé est composé, sauf une légère couche
+superficielle, de cette roche terreuse, blanche et savonneuse déjà notée
+dans les dunes, et j’y trouvai des planorbes et des limnées, ces
+dernières un peu plus fortes que celles rencontrées au puits de Zouait.
+
+Visite de Telingui, qui vient avec son brigand de frère et sa vieille
+sœur. Telingui est toujours aussi belle et aussi gaie ; elle ne reste
+pas longtemps. Je lui donne une feuille de papier pour qu’elle me la
+remplisse de mots targuis en Tefînagh.
+
+J’ai été obligé de rosser deux de mes serviteurs à coups de bâton ; ce
+sont de vrais sauvages et ils ont la tête dure ! J’ai été forcé de les
+menacer de mort dans le cas où ils s’en iraient. Ils trouvent le voyage
+dur et s’imaginent qu’ils peuvent me planter là et s’en retourner chez
+eux. Ahmed a repris la fièvre.
+
+Les melons ont fini ; les pastèques sont à leur fin. J’achète
+aujourd’hui des citrons verts pour faire de la limonade. J’ai déjà dit
+qu’il y a un seul citronnier à Ghadāmès.
+
+J’apprends que les pauvres Touareg, principalement les femmes, se
+retirent à Ghadāmès ; dans chaque maison où ils se présentent et
+demandent, on leur donne des vivres, de sorte qu’ils peuvent vivre sans
+rien faire. C’est une coutume très ancienne, et une obligation des
+Ghadāmsia qui rappelle les conditions de vie des habitants du Djérid.
+
+L’eau d’ici est très lourde, les indigènes l’ont pesée comparativement à
+celle des endroits voisins. Le moudir, moi et mes domestiques, nous
+sommes à l’état permanent au _nec plus ultra_ de la diarrhée[267]. Mes
+domestiques trouvent aussi l’air lourd.
+
+ 26 août.
+
+Voici la raison pour laquelle, pendant ma conférence avec Ikhenoukhen,
+ce chef s’est entretenu avec Othman, à part, en targui et en riant.
+Ikhenoukhen a reçu la nouvelle qu’une lettre était arrivée ici,
+engageant la personne, à qui elle est adressée, à me _tuer, moi et Si
+’Othman_ ou, au moins, à chercher quelqu’un qui exécutât la commission.
+Or, on a dit à Ikhenoukhen que la lettre vient de Sidi Hamza, ce qui
+déroute un peu Othman parce qu’il serait étonnant qu’il eût déjà reçu
+avis de notre départ _ensemble_. Othman, en homme fin, me fait part d’un
+soupçon que cela pourrait bien venir de Sidi Ali Bey qui aurait mis le
+nom de Sidi Hamza en avant pour cacher le sien. Cela me paraît aussi
+possible parce qu’Ali Bey doit savoir que j’ai donné avis à l’autorité
+de ses exactions dans le Souf. Mais alors pourquoi vouloir la mort de Si
+’Othman ? Je noterai ici un fait qui m’apparaît significatif
+aujourd’hui : M. Margueritte, alors commandant supérieur de Laghouât, me
+dit à mon retour d’El Goléa[268], lorsqu’il eut connaissance de tous les
+détails de cette entreprise : « Écoutez, autant que je connais l’homme
+(Sidi Hamza), je ne trouverais pas impossible qu’il vous eût envoyé une
+lettre de recommandation pressante pour les gens d’El Goléa tout en les
+prévenant directement de vous traiter le plus mal possible afin d’ôter
+l’envie à tout autre de revenir. » En effet, il est très connu que Sidi
+Hamza voudrait que nous ne vissions le Sud que par ses yeux[269]. J’ai
+voulu écrire cette nouvelle, avant que son authenticité fût tout à fait
+établie, afin que, dans le cas où elle serait vraie et que je dusse
+succomber, l’on pût trouver dans mes papiers des indications pour tomber
+sur la vraie trace du crime. Toutefois, je le déclare, cette nouvelle
+m’a peu ému, et m’amuse plutôt qu’elle ne me chagrine.
+
+On me raconte qu’Ikhenoukhen reste quelquefois deux jours sans manger
+par fantazia ; il affecte de se faire apporter de bons repas et invite
+ceux qui sont présents à s’attabler, refusant lui-même de rien prendre.
+De même, lorsqu’il alla chez les Hoggar, il resta deux jours et une
+nuit, accroupi à l’arabe, à recevoir des visites et sans demander le
+temps de se reposer. Toujours par fantazia.
+
+Si ’Abd el Aziz, qui alla à Tombouctou avec le major Laing, me dit
+qu’ils prirent la route d’Inzize (partis d’Aqàbli) et que, de là, ils
+coupèrent le Tanezrouft obliquement sur Am Rannān où ils prirent de
+l’eau.
+
+
+[Note 259 : Ceci indique que les tribus maraboutiques des Ifoghas ne
+font partie ni des Azdjer ni des Hoggar, mais sont en quelque sorte
+leurs intermédiaires.]
+
+[Note 260 : Duveyrier songeait encore à explorer l’Ahaggar. Il l’avait
+écrit à Barth, qui l’encourageait en ces termes : « Votre lettre me
+remplit de joie ; elle me prouve que nous pouvons encore espérer vous
+voir explorer le massif si intéressant des Hoggar et combler cette
+lacune capitale de notre connaissance de l’Afrique du Nord... Mes vœux
+les plus sincères vous accompagnent dans cette tentative grosse de
+difficultés et de périls. » (Lettre du 11 juin 1860, retrouvée dans les
+papiers de Duveyrier.)]
+
+[Note 261 : Le mot douro, en Tripolitaine, s’appliquait indifféremment à
+notre pièce de 5 francs, au douro d’Espagne (appelé aussi bou-medfa), et
+au thaler Marie-Thérèse (appelé aussi bou-tir). Le cours de ces monnaies
+variait d’ailleurs beaucoup par rapport à la monnaie de compte légale
+(le mahboub = 20 piastres turques).]
+
+[Note 262 : Temahaght ou temahaq (_Les Touareg du Nord_, p. 317).]
+
+[Note 263 : Ismaïl Bou-Derba.]
+
+[Note 264 : Tribu traitée de brigands par les Touareg eux-mêmes.]
+
+[Note 265 : Duveyrier dut finalement payer quatre fois autant (2.000
+fr.).]
+
+[Note 266 : Ali Bey, kaïd de Tougourt.]
+
+[Note 267 : L’eau de la source de Ghadāmès renferme 2 gr. 54 de sels par
+litre, dont 0,38 de sulfate de magnésie et 0,90 de sulfate de chaux. Les
+indigènes y sont accoutumés, mais tous les étrangers en subissent les
+effets. (_Mission de Ghadāmès, Rapports officiels_, Paris, 1863, in-8,
+p. 260, 326.)]
+
+[Note 268 : Voir entre autres, sur ce séjour, _Excursion à El-Golea’a_,
+_Nouv. Annales des voyages_, novembre 1859. p. 189-197 et _Bulletin Soc.
+de Géogr._ Paris, 1859, XVIII, p. 217.]
+
+[Note 269 : De très intéressantes lettres du maréchal Randon et du
+général Durrieu (juin-juillet 1858) ont été publiées depuis par MM.
+Augustin Bernard et le commandant Lacroix (_Historique de la pénétration
+saharienne_. Alger, 1900, in-8, p. 34-37). Elles montrent quelle était
+alors l’opinion dominante à Alger. Dans une lettre adressée à Duveyrier
+le 27 mai 1861, le Dr Warnier donne la même note : « On sait ici à quoi
+s’en tenir. Dans votre mission, me disait-on hier après lecture de votre
+lettre, vous trouverez comme premier obstacle nos grands chefs
+indigènes... » (Papiers de Duveyrier.)]
+
+
+
+
+ CHAPITRE IV
+
+ GHADAMÉSIENS ET TOUAREG
+
+
+ 27 août.
+
+Voici quelques renseignements sur la soie de tsámia[270].
+
+L’insecte qui la produit vit sur le tamarinier dont le fruit est appelé
+aussi tsámia en haoussa. Il émigre tous les deux ou trois ans, d’une
+province du Haoussa à l’autre, pour reparaître au bout de quelque temps
+dans celle d’où il est sorti. Ce ver n’est pas cultivé. Il vit sauvage
+et les gens du pays attendent l’époque où il devient chrysalide pour
+aller faire la récolte dans la campagne. On détache les cocons pêle-mêle
+avec les chrysalides et on les jette dans de l’eau bouillante pour tuer
+les insectes. C’est dans cet état que la soie est vendue à Kanō. On la
+vend à Kanō par petites portions appelées nōnō de quatre ou cinq fois la
+quantité que j’en possède (7 gr. 65), c’est-à-dire 34 gr. 5 et au prix
+de 15-20 oud’a[271], lorsqu’elle est bon marché, ou de 50 oud’a
+lorsqu’elle est chère. Les acheteurs secouent alors la soie et en font
+tomber les chrysalides, et cette soie est filée à la main comme bourre ;
+on ne dévide pas les cocons. Cette soie a le défaut, me dit-on, de ne
+pas prendre les couleurs, cependant je vois ici des tissus du Soudan,
+coton et tsámia, où cette dernière est teinte en rose. On ne fait pas de
+vêtements de tsámia pure, mais de petites bandes alternatives coton et
+tsámia. Les chrysalides, pilées et infusées dans de l’eau, sont un
+remède contre les douleurs d’oreille ; on verse la décoction dans
+l’oreille du malade. On n’apporte pas de tsámia brute à Rhat ni à
+Ghadāmès.
+
+La « nila » ou teinture bleue qui sert à teindre les cotonnades du
+Soudan est estimée par les Touareg comme ornement et comme hygiénique.
+Ils l’achètent ici à la livre aux Ghadāmsia et s’en frottent les bras et
+les mains ; les femmes, les lèvres, les joues et le front. C’est, comme
+je le dis, un ornement sans lequel un homme n’est pas considéré et une
+femme n’est pas belle et, de plus, un préservatif contre le froid et un
+émollient ou lénitif pour la peau.
+
+Aujourd’hui, Othman va à Tābia où Ikhenoukhen s’est rendu de son côté,
+ils ont une longue discussion avec Eg ech Cheikh[272] qui est campé là.
+On discute les moyens de faire la paix avec les Hoggār ; naturellement,
+il n’y aurait qu’un moyen, c’est de rendre de chaque côté les chameaux
+qui auraient été volés.
+
+ 28 août.
+
+Après ma leçon de targui, Ihemma me raconte qu’à Tabia il y a une
+inscription qu’un Ghadāmsi a copiée et apportée en ville que, l’ayant
+montrée aux Touareg, ils n’ont pas pu la lire parce que _nos_ Tefinaghen
+ne sont pas tout à fait pareils aux leurs. Ce serait donc une
+inscription latine ? Ihemma a été chargé par moi de faire des
+recherches.
+
+Il me raconte qu’il y a aux environs des tombeaux des Djohāla[273] où
+les Touareg vont dormir lorsqu’ils veulent avoir une inspiration, comme,
+par exemple, savoir où un voleur s’est enfui, et que le lendemain, à
+leur réveil, les maîtres des tombeaux leur ont dit ce qu’ils
+cherchaient.
+
+Aujourd’hui part une petite compagnie de gens du Souf qui emportent des
+lettres de moi ; je crois aussi que mes lettres au Consul de Tripoli
+partent aujourd’hui.
+
+ 29 août.
+
+Les Touareg ont presque tous leur amie. Ils la prônent comme les
+chevaliers prônaient leur dame, et ils inscrivent sur les rochers ou sur
+les murs à Ghadāmès des louanges à leur adresse en Tefinaghen. Si je
+dois les croire, l’amie n’est que pour les yeux et non pas pour le lit,
+comme chez les Arabes. Ils se vêtissent de leur mieux et vont causer
+avec elle et là se bornent leurs relations. La nuit les Touareg veillent
+longtemps ; j’entends toujours un son semblable au violon, et j’apprends
+que ce sont les Targuiāt qui jouent du rebāb en s’accompagnant de la
+voix ; lorsqu’une femme chante, les hommes s’accroupissent en cercle
+autour d’elle et écoutent. Presque tous et toutes savent improviser.
+
+Il y a au Dhâhara (endroit où campent les Touareg) des prostituées qui
+vivent sous la tente ; je sais cela parce que j’ai aujourd’hui un malade
+syphilitique et que je le questionne sur la manière dont sa maladie lui
+est venue.
+
+Je reste à la maison, prends ma leçon de targui. Ihemma me dit que sa
+sœur Télingui ne pourra plus venir parce que son mari l’a beaucoup
+grondée de venir me voir.
+
+Mon cordonnier qui me fait une belle paire de souliers brodés en soie,
+est situé dans le quartier des Beni-Ouazit et nous, nous sommes dans
+celui des Beni-Oulid ; c’est le marché qui fait la limite entre les deux
+tribus, et il n’y a jamais eu de mur entre eux, pas de سور, mais un سوڧ,
+ce qui a pu causer l’erreur de C. Ritter[274]. Or, je désire avoir des
+bottes molles, et j’envoie à mon cordonnier pour le prier de venir
+prendre mesure ; il me fait répondre qu’il ne sortira pas pour 100.000
+rials de son quartier pour venir dans le mien. J’apprends que les hommes
+nobles « harār » ne sortent de leur quartier pour aller dans l’autre
+qu’à de rares exceptions et qu’il y en a qui n’ont jamais vu l’autre
+quartier. Ils envoient les nègres et les mulâtres en commissions.
+Autrefois les deux tribus étaient ennemies, mais maintenant,
+quoiqu’elles aient fait la paix, l’ancienne retenue respective existe
+très forte. Les Beni Oulid ont deux chará ou rues voûtées ; les Beni
+Ouazit en ont quatre.
+
+ 30 août.
+
+Les retards qu’éprouve la caravane du Touāt sont des suites de la razzia
+des Oulad Ba Hammou sur les Azgar, laquelle razzia fut rattrapée à deux
+jours du Touāt par Ikhenoukhen et à la suite de laquelle on parla de
+rendre les chameaux enlevés de part et d’autre. Il y a ici des
+Sakomaren[275], imrad des Hoggar et des Oulad Ba Hammou ainsi que des
+gens d’In-Salah, mais en petit nombre. Tous ces gens craignent de se
+mettre en route avant d’avoir été autorisés par Ikhenoukhen, sans cela
+ils pourraient bien être attrapés en route et dévalisés. D’un autre
+côté, la caravane des Ghadāmsia, conduite par les Ifoghas ne veut pas
+aller au Touāt avant de voir les affaires arrangées ici, de crainte
+qu’on use de représailles sur eux à In-Salah.
+
+La nouvelle arrive que les Ourghamma sont montés à cheval pour aller en
+expédition et on ne sait pas où. Ikhenoukhen part à cheval pour aller
+voir où sont ses chameaux, qu’il trouve au Tabia ; tout le monde se
+tient sur le qui-vive. On envoie une vigie à Mézezzem.
+
+Ihemma a été au Tabia ce matin et a cherché partout l’inscription en
+question, mais ne l’a pas trouvée. L’individu qui l’a apportée est fou
+actuellement (il a plus de 150 ans, disent les Touareg).
+
+ 31 août.
+
+Aujourd’hui, dans l’après-midi, part une caravane pour le Touāt ; il
+arrive depuis quelques jours des nouvelles de Tripoli.
+
+Il paraît que chez les Touareg une femme, pour être « comme il faut »,
+doit avoir beaucoup d’amis et n’en préférer aucun. Elle leur donne des
+témoignages d’amitié comme, par exemple, d’écrire sur leurs voiles
+rouges en broderie ou sur leurs boucliers et anneaux de bras des
+inscriptions Tefinagh. Si une femme n’a qu’un ami, on se moque d’elle et
+on lui dit que c’est son mari et qu’elle est pervertie. Cependant les
+maris sont jaloux de la préférence et ils tueraient leur femme si celle-
+ci leur disait : « Un tel est mieux que toi », à plus forte raison s’ils
+apprenaient qu’elle commet des infidélités. De son côté, la femme ne
+peut pas supporter de rivale, et elle divorce, car elle a ce droit,
+quand elle apprend que son mari en courtise une autre. Les Touareg ne
+prennent jamais une nouvelle femme sans divorcer avec l’ancienne.
+Quoique la femme donne souvent son avis dans les conseils, dans le
+ménage le mari est tout à fait le maître et il peut tuer sa femme, si
+elle le mérite, sans que ses parents lui demandent compte de son action.
+Mais d’un autre côté les parents de la femme exigent qu’elle soit bien
+habillée, bien nourrie et pas délaissée.
+
+Un Ghadāmsi estime à 3.000 le nombre des habitants de la ville y compris
+les femmes ; ce nombre est bien trop faible[276].
+
+L’impôt de Ghadāmès est de 2.500 mitcals d’or, ou bien, au taux moyen de
+16 1/2 rials tounsi le mitcal, 30.937 fr. 50. Je prends des
+renseignements sur la douane ; en moyenne, elle prélève ici ou à Tripoli
+13 % de la valeur des objets importés du Soudan. La poudre d’or seule ne
+paie rien. Les Ghadāmsia dansent dans les rues les jours de fête ; les
+Touareg ne dansent jamais, ni les hommes, ni les femmes ; les tribus
+assujetties des Imrad seules ont cette coutume en commun avec les
+nègres.
+
+ 1er septembre 1860.
+
+Je vais de bonne heure chez un commerçant nommé Brahim ben Ahmed, qui
+est revenu du Soudan au mois de Ramadhan dernier. Je m’y rends avec le
+cheikh Ali. Nous sommes reçus dans une chambre haute entourée de petits
+réduits à portes en bois peint en rouge et à tapisseries. La chambre est
+blanchie, le parquet est couvert de nattes et de coussins touareg ; les
+murs sont presque cachés par des grands plats en métal doré, cloués au
+mur, et par des multitudes de petites corbeilles rondes sans anses de
+toutes grandeurs. En somme, cette chambre est très jolie, et j’étais
+loin de m’imaginer que les Ghadāmsia avaient un intérieur aussi
+attrayant.
+
+Nous trouvons ici rassemblées les principales marchandises du Soudan ;
+j’examine chacune d’elles en détail et je prends note de sa nature et du
+prix qu’elle atteint ici. Par la même occasion j’apprends que le tarif
+de la douane pour les objets du Soudan n’est que de 9 % ; cependant je
+dois m’informer de cela auprès de l’amine. Après le travail en question
+on nous sert du thé, qu’on apporte dans une théière anglaise, et que
+nous buvons avec des trempades de « biscuit ». Je m’amuse beaucoup du
+jeune fils mulâtre que mon hôte a ramené du Soudan et qui ne sait pas
+encore un mot d’arabe. Il y a aussi de nombreux esclaves.
+
+’Aissa, le petit Targui malade d’un œdème, meurt tranquillement. On ne
+manque pas de remarquer que j’avais prédit qu’il ne vivrait pas
+longtemps.
+
+Les caravanes qui sont parties aujourd’hui et hier peuvent avoir 300
+chameaux ; ce nombre n’est pas normal ; il est causé par l’insécurité de
+la route, qui régnait depuis trois mois et qu’Othman vient de faire
+cesser. Les gens d’In-Salāh qui étaient ici avaient attendu trois mois
+sans pouvoir partir.
+
+ 2 septembre.
+
+Je m’amuse à recueillir des notes sur les coutumes intimes des Ghadāmsia
+et des Touareg.
+
+Les Ghadāmsia ne mangent pas devant leurs femmes. Celles-ci font la
+cuisine, leur apprêtent la viande et la leur servent. Les Ghadāmsia
+mangent à leur gré et ne laissent que les os à leurs femmes. Ceci est
+littéral ; il est même considéré comme inconvenant à une femme de manger
+de la viande. Les Touareg, au contraire, mangent en compagnie de leur
+épouse ; s’ils mangeaient à part, ce serait la mépriser. Ils lui donnent
+même la meilleure part. Dans la viande, il y a certaines parties que les
+femmes Targuiāt considéreraient comme inconvenant de manger, ce sont le
+cœur, l’intestin gras ; le café aussi et le thé sont dans cette
+catégorie d’aliments. Les Targuiāt, au contraire, se réservent le foie
+et les reins qu’aucun Targui ne mangerait.
+
+Quand quelqu’un meurt, on ne pleure pas chez les Touareg, on ne vient
+pas comme chez les Arabes faire des visites de condoléances et des
+singeries. Les Touareg disent à ceux qui pleurent dans ces occasions :
+« Réserve tes larmes pour toi ». Comme aujourd’hui meurt une des proches
+parentes d’Othman, vieille femme malade de la petite vérole, je puis me
+convaincre qu’ils supportent très bien les pertes de leurs proches. Les
+Ghadāmsia, au contraire, font le deuil à l’arabe. Les « Atrîyat »
+surtout se montrent dans ces occasions. Elles courent à la maison du
+mort et pleurent en disant « Ya Sidi » ! Manaaraf chey » ! etc., puis
+viennent rire à la porte du mort. Elles sont de véritables pleureuses et
+n’accourent que pour recevoir un peu d’argent.
+
+Je reçois la visite de deux Targuiāt, dont l’une est Tekiddout qui doit
+être ma maîtresse de Tefinagh. Elle emporte le papier et viendra demain
+me donner ma première leçon. Ces deux dames sont très dégourdies et je
+suis de plus en plus frappé des rapports qu’il y a entre l’esprit des
+Targuiāt, leurs relations avec les hommes, leurs idées de convenance et
+celles qu’ont mes concitoyennes. Tekiddout ramène si habilement son
+voile (haïk) sur sa figure, que je ne puis voir ses traits, j’ai beau
+user de tous les moyens possibles, je ne puis l’amener à se découvrir.
+Elle donne pour prétexte que je suis jeune et beau ! Chez les Touareg,
+c’est du reste une manière de montrer le respect ou la timidité que de
+se couvrir la bouche, la figure entière, même de tourner le dos à la
+personne à qui l’on parle.
+
+Le soir, je reçois la visite d’Othman et d’un Arabe Kounta, de la suite
+du parent du cheikh el Bakkay qui est ici et qui a épousé la fille de
+Ikhenoukhen. Je suis frappé des manières polies de cet Arabe qui n’est
+cependant pas de la première classe. En s’en allant et emportant le
+petit présent que je lui fais, il me prie de rester assis.
+
+ 3 septembre.
+
+Aujourd’hui vient un express de Rhat qui donne de bonnes nouvelles. Le
+Hadj Ahmed est retourné au Hoggar. La paix règne partout. On attend à
+Rhat de grandes caravanes du Soudan.
+
+D’un autre côté, arrive une ambassade des Ghorīb et des Merazig à
+Ikhenoukhen. J’apprends à cette occasion que les Ghorīb paient à ce chef
+chaque année un tribut de haoulis pour prévenir les razzias que les
+Touāreg faisaient sur eux autrefois. Les Merāzig paient de même un
+tribut à mon ami Othman. Or, cette fois, les deux tribus ont envoyé
+leurs députés à Ikhenoukhen, et Othman en est jaloux. Nous allons voir
+comment se passera cette aventure.
+
+Je reçois la visite de Tekiddout et peu après celle d’Othman qui
+reproche à cette Targuie de venir ici, mais elle paraît se moquer pas
+mal de son avis. Après le départ de Tekiddout, Othman reste longtemps
+avec moi et me raconte plusieurs chansons qu’il a faites ou qu’on a
+faites à son sujet. J’en écris une avec sa traduction.
+
+Les Touareg, surtout les chefs et les amateurs de femmes, considèrent
+comme mal de manger d’une bête plumée ; ils ont raison en parlant de
+l’autruche qui a une mauvaise odeur, mais ils n’ont pas d’excuses pour
+les autres oiseaux. Les marabouts et Othman, par conséquent, mangent de
+tout ce que les Arabes mangent.
+
+Les Ghadāmsia prennent presque tous le thé, même les plus pauvres ; le
+café est peu estimé d’eux.
+
+Les Touareg ne se lavent presque jamais ; je suis fâché de le dire ; et,
+comme ils ne changent pas de vêtements, la plupart exhalent une odeur
+écœurante de sueur concentrée. Il y a cependant des exceptions. Ils
+prétendent que l’eau ne leur va pas et leur donne des maladies. Les
+Touareg prétendent, avec raison, que les villes ne leur vont pas ; en
+effet, ici à Ghadāmès, il règne parmi eux des maladies nombreuses dont
+les principales sont la dysenterie, diarrhée, fièvres et petite vérole.
+Quant aux fièvres, il paraît que ce pays n’en est pas exempt, ainsi les
+soldats qui gardent la porte sont en ce moment tous pris de la fièvre,
+et ils grelottent toute la journée ; les Touareg en souffrent aussi, et
+Ahmed, mon premier domestique, en a encore des attaques, surtout ces
+jours derniers. Maintenant, je vais le mettre à un traitement régulier
+jusqu’à parfaite guérison.
+
+ 4 septembre.
+
+Aujourd’hui partent encore environ 55 chameaux pour In-Salah. La plupart
+des charges sont des cotonnades anglaises.
+
+J’ai probablement négligé de noter une coutume des Touareg qui est de ne
+jamais coucher en ville. Cela est encore considéré A’ïb ou péché, tant
+pour les hommes que pour les femmes. Jamais ils ne manquent à cette
+règle. Quand les Touareg arrivent à Ghadāmès, ils vont trouver leur ami
+Ghadāmsi, c’est-à-dire le marchand qui leur confie ses charges de
+marchandises, etc. Celui-ci sort une tente de toile ronde pour son ami
+targui et la lui prête pendant tout le temps de son séjour.
+
+Othman se moque chez moi des Merazig et des Ghorib ; les Arabes, me dit-
+il, sont si avares du bien de ce monde, que l’ambassade du Nefzaoua,
+composée de sept hommes, est arrivée sur trois chameaux ! Ils ont
+apporté un présent de haoulis, mais tous les parents et amis
+d’Ikhenoukhen viennent lui demander leur part du tribut, de sorte qu’il
+n’en conservera probablement rien pour lui.
+
+Je vais voir le moudir dans son jardin ; comme il est là, seul avec le
+cheikh, il est très aimable et m’explique qu’il a des dettes
+occasionnées par ses longs voyages dans les dernières années, que c’est
+pour cela qu’il désire rester à Ghadāmès quelques années pour se
+refaire. — Ce Turc est à crever de rire avec ses airs d’importance. Je
+ne vais pas le voir qu’il ne me répète plusieurs fois avec une grimace
+dégoûtée : « Mon cœur est fatigué des affaires de ce monde ».
+
+ 5 septembre.
+
+Je vais de bon matin voir Ikhenoukhen. J’ai une longue conversation avec
+lui et son frère ’Omar el Hadj, au sujet de mon départ pour le Djebel.
+Ils sont d’avis que je m’abstienne d’y aller, tant à cause des nouvelles
+d’une expédition des Ourghamma, qu’à cause de la longueur de la route.
+Ils semblent être près de leur départ. Ikhenoukhen, avec qui je parle
+ensuite des affaires politiques, accepte de faire un traité avec
+l’Algérie ; il conseille de ne s’adresser qu’à lui et à ses deux frères,
+les autres chefs des Azgar, les Imarasāten[277], amis des Anglais en
+particulier, étant en quelque sorte sous ses ordres.
+
+Je vais ensuite voir Hadj Mohammed ou Ahmed, le plus grand commerçant de
+la ville et l’homme le plus considéré, qui vient d’arriver, il y a peu
+de jours, de Tripoli ; il me conseille de partir pour le Djebel,
+m’assurant que j’aurai toujours le temps de trouver Ikhenoukhen ici. Là-
+dessus, après être entré un instant au Medjélès, je vais faire part à Si
+’Othman de ma décision et le prie d’aller trouver Ikhenoukhen pour lui
+en parler.
+
+J’apprends que Sid el Bakkay, qui a épousé une fille d’Ikhenoukhen (il
+est parent de Sidi Ahmed el Bakkay de Tombouctou), est en ce moment un
+peu en querelle avec son beau-père, parce qu’il voudrait que les Azgar
+fissent la guerre aux Hoggar qui sont les ennemis de sa propre famille ;
+or, depuis trois ans et plus qu’il est auprès d’Ikhenoukhen, il ne fait
+que l’exciter à cette rupture. Ikhenoukhen a trop de bon sens pour ne
+pas voir que ce serait la perte des Touareg que de suivre ce conseil ;
+de la petite bouderie de la part du marabout.
+
+J’apprends qu’un Rahti, qui est parti pour son pays il y a peu de jours,
+a déclaré que jamais un Français n’entrerait à Rhat, et, comme il
+parlait un peu haut dans le marché, Si ’Othman a été obligé de le mettre
+au silence. Il va porter de mauvaises nouvelles à Rhat, et certainement
+nous allons trouver tout le monde prévenu à notre arrivée. Ikhenoukhen
+ne veut partir qu’avec tout son monde.
+
+
+[Note 270 : Ceci est une réponse aux instructions du Dr Warnier. Elles
+sont contenues dans une volumineuse correspondance, embrassant toute la
+durée du voyage, pendant lequel Warnier n’a cessé de jouer le rôle de
+Mentor. Mentor systématique et autoritaire parfois, et qui n’abdiqua pas
+lors de la rédaction des _Touareg du Nord_, dont le brouillon renferme
+plus d’une page entièrement raturée et modifiée de sa main. Duveyrier
+souffrit de cette tutelle, et certaines de ses lettres (1867-1870) en
+parlent d’un ton amer. Plus tard, il ne voulut se rappeler que les soins
+dévoues du médecin, et le zele enthousiaste de l’initiateur scientifique
+que Warnier avait été. « La mort, écrivait Duveyrier en 1875, efface
+certains souvenirs et en ravive d’autres. Je n’ai pas besoin de vous
+dire que ceux-là sont les meilleurs. » (Lettre au commandant Warnier,
+frère du Docteur.) Il avait raison. Qu’on en juge par cette lettre de
+Warnier (27 décembre 1859), reçue par Duveyrier à Biskra le 8 janvier
+1860, et qu’on voudrait pouvoir citer tout entière :
+
+«... Dans un voyage comme celui que vous entreprenez, un explorateur
+doit se rattacher à tout ce qu’il y a de forces vives dans son pays. La
+Société d’acclimatation de Paris est aujourd’hui à la tête d’un
+mouvement important. Elle a créé à Alger un comité dont le domaine
+embrasse l’Afrique entière. Ce comité sera heureux d’entrer en relations
+avec vous, pour tout ce que le pays que vous allez explorer peut donner
+et recevoir. Vous êtes sur un des points du globe les moins connus, et
+si pauvre qu’il soit, il peut donner en végétaux, en minéraux, en
+animaux, des choses nouvelles, utilisées ou non par les indigènes. Parmi
+les choses sur lesquelles j’appelle surtout votre attention, est celle-
+ci : Déterminer la limite botanique des végétaux qui appartiennent au
+bassin méditerranéen, et entre autres l’olivier... Là ou finissent ces
+espèces, doit commencer une région botanique nouvelle, la région
+désertique, entre lesquelles peut se trouver une région intermédiaire,
+la région saharienne, donnant à la fois l’hospitalité à des végétaux
+méditerranéens et désertiques. Il importe à la science que ces limites
+soient bien précisées... J’appelle surtout votre attention sur les
+acacias producteurs de gomme... On en trouve en Tunisie, en Marokie, à
+peu de distance du littoral. Où commencent-ils au sud de l’Algérie ? Où
+pourrait-on les introduire ? L’Argan, commun au Maroc, se montre-t-il
+dans notre Sud ?... Je vous serais infiniment reconnaissant,
+_personnellement_, si vous vouliez bien m’envoyer la liste des arbres,
+arbustes, avec leurs noms indigènes et lieux de station... Il y a de
+nombreux tamarix, espèces nouvelles pour la plupart. Ces espèces
+produisent des galles (Takaout) employées comme succédanés des galles du
+chêne. — Quid ?... Avez-vous étudié avec soin le système d’aménagement
+des eaux des Beni Mzab ? D’après ce que j’en sais, c’est merveilleux.
+Sans aucun doute, le général Desvaux vous aura recommandé d’étudier les
+lignes de fond sous lesquelles on peut espérer trouver des eaux
+artésiennes ; c’est avec la sonde que la civilisation doit pénétrer dans
+le Sud... J’appelle aussi votre attention sur l’action du climat
+relativement à la coloration de la peau... Déterminez la limite
+méridionale des civilisations qui ont pénétré dans ce continent ; vous
+les trouverez indiquées par des ruines... Ne négligez pas de recueillir
+des renseignements précis sur les poids, les mesures et les monnaies...
+Si des règlements relatifs à l’usage des eaux tombent sous votre main,
+rapportez-nous-les, soit en original, soit en copie. Recueillez ce qui
+est tradition orale. La teinture et la tannerie ont atteint un certain
+degré de développement : sachez nous dire quels sont les procédés de
+fabrication... On a signalé dans le Sud des gisements de combustible
+minéral. Tâchez de savoir ce qu’il en est... Notez également toute
+rencontre d’oiseaux ou d’insectes migrateurs. Les sauterelles qui
+ravagent périodiquement le Nord de l’Afrique prennent naissance dans le
+Sud. Quels sont les foyers de production ?... Notez aussi la limite où
+parviennent d’un côté les produits manufacturés ou les matières
+premières du Nord, et de l’autre côté ceux venant du Soudan... J’ai
+remarqué que la race nègre, dans ses migrations vers le Nord,
+rencontrait des obstacles hygiéniques analogues à ceux de l’Européen
+venant en Algérie. Enregistrez tout ce que vous apprendrez à ce sujet...
+Du foyer soudanien ont dû sortir, en plantes et animaux, des espèces
+originaires de ce foyer. Quelles sont-elles et quelles modifications
+ont-elles éprouvées ?... Quel est l’arbre appelé en arabe tsámia, qui
+produit la soie végétale du Soudan, avec laquelle on brode les
+turbans ?... L’Angleterre n’a fait de si grands sacrifices pour
+l’exploration de l’Afrique que pour savoir si, en cas de rupture avec
+les États-Unis, ses manufactures pourraient trouver un foyer d’origine
+du coton. La France aussi a intérêt à voir accroître le champ de cette
+culture... Il importe donc de recueillir tous les renseignements...
+Informez-vous des lieux d’où l’on tire le nitre ou azotate de potasse,
+de l’importance de la production... Le soufre doit exister dans
+certaines parties : — attention spéciale. » (Papiers de Duveyrier.)]
+
+[Note 271 : Ouda, cauri.]
+
+[Note 272 : Chef de la tribu des Imanghasaten, rivale de celle des
+Oraghen dans la confédération des Azdjer.]
+
+[Note 273 : Païens. On trouve la même superstition attribuée par
+Pomponius Mela aux anciens habitants d’Augile (cf. les remarques de Duv.
+_Les Touareg du Nord_, p. 415) et chez les habitants actuels de l’Aïr
+(_Journ. de voyage_ d’Erwin de Bary, trad. Schirmer, Paris, 1898, p.
+187).]
+
+[Note 274 : Ritter (_Géogr. gén. comparée_, III, p. 316) avait dit qu’un
+mur très large sépare diamétralement la ville, et que les deux tribus ne
+communiquent que par une porte fermée à la première apparence de
+trouble. Richardson (1845) et la _Relation du voyage de M. le capitaine
+de Bonnemain_, publiée par Cherbonneau en 1857 dans les _Nouv. Annales
+des voyages_, n’avaient ni infirmé ni confirmé cette information.]
+
+[Note 275 : Ou mieux Isaqqamaren.]
+
+[Note 276 : Mircher (1862) dit 6 à 7.000 (ouv. cité, p. 98) ; Rohlfs
+(1865) dit 5.000 (_Quer durch Afrika_, Leipzig, 1874, I, p. 81).]
+
+[Note 277 : Imanghasaten. Sur leur rivalité avec les chefs des Oraghen,
+voir _Les Touareg du Nord_, p. 355-6 ; voir aussi Schirmer, _Pourquoi
+Flatters et ses compagnons sont morts_. Paris, 1896, p. 15-20.]
+
+
+
+
+ CHAPITRE V
+
+ A GHADAMÈS (_suite_)
+
+
+ 6 septembre.
+
+Autrefois, les Beni Oulid et les Beni Ouazit étaient ennemis ;
+aujourd’hui encore, ils sont loin d’être amis, et leur inimitié s’est
+seulement transformée en jalousie. Encore aujourd’hui, les Beni Oulid
+ont l’ouest, c’est-à-dire voyagent à Tunis et au Souf ; les gens de ces
+contrées viennent aussi à eux. Ils ont aussi Douirat et Nalout. Les Beni
+Ouazit, au contraire, vont à Tripoli et dans l’est et les gens de ces
+contrées viennent descendre dans leur quartier.
+
+On prétend maintenant que les seuls individus atteints de fièvres à
+Ghadāmès les ont emportées soit de Derdj (les soldats), soit de Ouargla
+et du Fezzan. Ceci expliquerait ce phénomène qui est singulier vu
+l’élévation de Ghadāmès et la nature de son terrain[278].
+
+On m’apporte une inscription latine. Elle est gravée sur une plaque de
+grès assez tendre, rougeâtre ; le fac-similé que j’en ai fait est
+exact ; elle ne présente, du reste, guère de difficultés pour la lecture
+des lettres, même de celles des deux mots qui ont été martelés.
+L’endroit d’où provient cette inscription, et que j’ai été voir
+aujourd’hui, contient les fondations d’un édifice, sûrement l’un des
+« castrorum » indiqués dans le texte de l’inscription[279]. Cet endroit
+peut être déterminé de la manière suivante : En tirant une droite d’El-
+Esnām à la pointe des jardins que j’ai relevés sur la gauche en venant
+de Sidi Maabed, les fondations dans lesquelles on a déterré
+l’inscription sont à peu près au milieu des deux points.
+Malheureusement, cette inscription est incomplète. Je n’en ai sous les
+yeux qu’une moitié, c’est-à-dire le milieu, auquel il manque les deux
+côtés. Les côtés cassés, surtout celui de gauche, ont été polis et
+travaillés, comme si on s’était servi de cette pierre pour une bâtisse
+plus récente.
+
+[Illustration : INSCRIPTION ROMAINE TROUVÉE A GHADAMÈS.
+
+Hauteur de la pierre, 0m,52. — Largeur, 0m,26.
+
+Les lettres des deux premières lignes ont 1 centimètre de plus que les
+autres. Le trait de la gravure est brisé partout où il y a eu
+martelage.]
+
+Je dessine les chapiteaux des colonnes de la place d’El-Aouïna[280].
+J’apprends que, dans la mosquée, il y en a beaucoup de semblables, mais,
+quoique ce soit un sujet curieux d’études que ce monument qui a peut-
+être eu autrefois une autre destination, je ne crois pas pouvoir
+demander de les voir[281].
+
+J’ai été faire une longue promenade aux Esnām et de là aux tentes des
+Touareg du Dhahara. J’ai passé auprès de la cabane de paille proprette
+de Tekiddout ; elle était là, par terre ; quand elle m’a vu, elle m’a
+salué en riant et en mettant ses mains sur sa figure. Je vois là des
+charges de chameaux arrangées par terre et je vois venir des chameaux
+chargés, qui sortent de la ville. Tout cela est encore pour In-Salāh,
+et, tous les jours, partent de petits partis de Touareg.
+
+Du Dhahara, ce plateau où sont les Touareg, on a une vue très étendue
+sur la Hamada vers l’est ; on voit là se dérouler cette surface déserte
+et nue, avec ses différentes teintes ; des blancs éclatant au rouge
+pâle, et les nombreuses « goūr » ou témoins qui la surmontent. Ghadāmès
+pointe à travers les palmiers et l’on n’en aperçoit que les sommets
+curieux des maisons, blanchies à la chaux ; ces coquettes terrasses
+blanches ressortent d’une manière très agréable à l’œil de la verdure
+foncée des palmiers.
+
+Je rentre en ville et vais à la source où je me baigne. L’eau est
+tiède ; en hiver elle fume. La source qui alimente le bassin est très
+forte, car, les Ghadāmsia ayant vidé il y a quelque temps l’immense
+bassin qu’elle remplit, il ne fallut à la source que trois demi-heures
+pour rétablir le niveau ordinaire. Ces trois demi-heures représentent 70
+qila ou mesures du petit entonnoir en līf qui, rempli d’eau et jusqu’à
+ce qu’il soit vide, représente un qīla. Plus tard, je mesurerai
+approximativement la capacité du bassin de la source, et obtiendrai
+ainsi le jaugeage approché de la source. Des négrillons se baignaient en
+même temps que moi ; ils nagent comme des chiens, refoulant l’eau
+derrière eux, alternativement d’un bras et de l’autre. Ils nagent du
+reste comme des poissons. La source ne renferme pas de poissons, ni de
+coquillages. On y voit quelques plantes aquatiques cryptogames et des
+libellules rasent la surface de l’eau. Othman vient le soir et me dit
+que Ikhenoukhen ne s’oppose pas à ce que j’aille à Tripoli.
+
+Quand les Touareg ici perdent quelqu’un, ils changent de suite
+l’emplacement de leur tente.
+
+ Le 7 septembre.
+
+Je vais voir Sid el Bakkay, le parent de Sidi Ahmed de Tombouctou ; je
+lui fais présent d’un haouli de fabrique et d’une tabatière d’argent,
+deux des objets que j’ai reçus du gouvernement pour faire des présents.
+Je trouve un homme civilisé, qui cause de Barth (dont je lui montre le
+billet)[282] et qui m’invite à aller à Tombouctou, m’assurant que Sidi
+Ahmed me préserverait du mal, comme il en avait défendu mon ami. Je suis
+très content de la connaissance de ce marabout ; il est très intelligent
+et très convenable.
+
+Je reçois dans la gaïla des visites de Tekiddout et de sa sœur Chaddy ;
+cette dernière finit par m’avouer qu’elle a une maladie dont je lui
+donne le remède. Tekiddout m’écrit sur une feuille de papier ses pensées
+qui n’étaient pas tout à fait orthodoxes ; nous restons un bon moment à
+blaguer, tout à fait en petit comité.
+
+Je vais voir Hadj Ahmed ou Mohammed, et lui dis que je vais partir ; il
+m’encourage à aller à Tripoli et me dit que la route est sûre.
+
+ Le 8 septembre.
+
+Le matin, je vais voir Ikhenoukhen que j’exhorte de plus en plus à se
+rendre à Alger ; il me fait entrevoir qu’il me donnera, à mon départ, un
+de ses frères ; lui, ne peut pas quitter son pays à cause de l’état des
+esprits.
+
+Je reviens chez moi et reste à écrire plusieurs lettres. Dans la gaïla,
+je reçois la visite d’une négresse très jolie et très richement
+habillée ; elle est de Ghadāmès. Je n’ai jamais vu une personne aussi
+pleine de fantazia : elle est près de mettre la maison sens dessus
+dessous, mais cela m’amuse beaucoup. Comme elle était venue en compagnie
+d’une voisine de traits moins délicats, elle s’en va avec elle, mais dit
+à Ahmed qu’elle reviendra et qu’elle veut venir habiter près de nous. La
+manière dont elle s’est introduite est curieuse. Elle dit à Ahmed dans
+la rue : « Je veux voir le consul. » — « Que lui veux-tu ? » — C’est lui
+qui m’a dit de venir.
+
+Vers l’aser[283], Si ’Othman se présente et j’envoie Ahmed avec lui
+remettre à Ikhenoukhen le présent que je lui destine et dont je lui ai
+parlé depuis longtemps. Ce présent se compose de 100 douros (500 francs)
+pour lui et de 50 douros (250 francs) pour son frère Omar el Hadj.
+
+Ahmed revient seul. Il est resté longtemps et me raconte ce qui s’est
+passé. Ikhenoukhen n’accepte pas cette somme ; elle ne lui suffit pas,
+prétend-il, à nourrir sa jument un mois. Il est ici, à Ghadāmès, mal vu
+par tout le monde, mal vu par les Turcs, mal vu par ses frères les
+Touareg, et tout cela à cause de sa prédilection pour les Français. Il
+ne mange ici que sur la ville et il a du « nif[284] » avec elle.
+Pourquoi les Anglais sont-ils préférés ? C’est parce qu’ils jettent les
+douros à droite et à gauche. Ils lui ont donné à lui et à ses frères 900
+douros (4.500 francs) et des effets (expédition de Richardson, etc.).
+Partout où les Anglais ont passé, ils ont rempli le ventre du monde. Ce
+n’est qu’en les imitant que nous pourrons nous faire un parti. Lui, doit
+m’accompagner à Rhat avec tous ses parents et ses amis ; il faut avancer
+en forces et la somme que je lui donne ne suffit pas de loin à cette
+expédition. Enfin ses compagnons sont tous venus lui demander leur part
+de mon présent et il ne lui restera rien. Si nous étions venus pour
+avancer avec de tels moyens, nous n’avions qu’à nous en retourner en
+paix ; il nous donnerait une ou deux fois autant que cela. Les Ghadāmsia
+étaient prêts à faire de grands sacrifices pour empêcher que je
+réussisse. Cette nouvelle me bouleverse, et Si ’Othman ne vient pas le
+soir. J’annule mon départ demain pour Tripoli.
+
+Le moudir vient ; je le reçois comme un chien dans un jeu de quilles,
+tant je suis de mauvaise humeur ; du reste, il vient pour me recommander
+de lui apporter 20 litres de liqueurs, ce qui est peu délicat de sa
+part. Je le force à se lever et à s’en aller.
+
+Ikhenoukhen m’a affirmé que la nouvelle de la lettre de Sidi Hamza est
+vraie. Elle a été apportée au chef des Oulād Messāoud, qui est parti
+d’ici hier ; il est certain que cet homme a la lettre parce qu’il a juré
+que c’est vrai. Sidi Hamza recommande de me tuer, moi et Si ’Othman ou
+bien les Oulād Messāoud ne valent rien. Nous ne savons pas d’où la
+lettre est arrivée, mais à coup sûr, c’est Ouled el Ghediyyēr qui l’a
+apportée ou un autre Chaanbi qui nous a précédés ici de quelques jours
+seulement.
+
+ Le 9 septembre.
+
+Othman vient de très bonne heure, je l’envoie à Ikhenoukhen lui demander
+quelle est la somme qu’il juge nécessaire que je lui donne. Ikhenoukhen
+se refuse à parler dans ce sens et me fait prier de me rendre auprès de
+lui dans la soirée. Je passe une journée très monotone ; tout le monde
+me croit parti.
+
+Le soir, je vais au camp du chef des Azgar. Il vient au-devant de nous
+avec son frère Omar el Hadj. Je vois qu’Ahmed a exagéré la valeur du
+discours d’Ikhenoukhen hier ; ce chef est fâché de l’impression que j’en
+ai reçue. Il me dit que la somme que je lui ai donnée ne compte pour
+rien chez lui, que de tels cadeaux sont ceux qu’il peut faire, lui. Tous
+ses compagnons vont lui demander leur part du présent que je lui ai fait
+et il ne lui en restera plus rien. Je lui répondis que, s’il en était
+ainsi, je préférais ne rien décider de moi-même, et demander avis au
+général gouverneur ; qu’une occasion se présentait aujourd’hui tout à
+propos. Ikhenoukhen approuva cette décision ; il me demanda de faire
+connaître au général l’état des choses et les services qu’il était
+disposé à nous rendre, ajoutant que la réponse, quelle qu’elle soit,
+serait la bienvenue. Quant à moi, il me demanda de ne pas me tracasser,
+d’aller tranquillement à Tripoli et qu’à mon retour, je le trouverais
+ici, et que j’atteindrais mon but de toutes façons, même sans présent.
+Il insista pour me faire bien sentir que la chose qu’il craindrait la
+plus au monde serait d’entendre dire qu’il eût imposé des conditions de
+force à son hôte.
+
+Je quittai Ikhenoukhen, réconcilié avec lui, et même impressionné par la
+noble tournure avec laquelle il envisageait l’affaire.
+
+Je passai la soirée à écrire des lettres qui partiront demain.
+
+ 10 septembre.
+
+Dans la matinée, je me rendis avec le Ghadāmsi, ami de ma nation, qui
+m’a donné l’inscription latine, pour examiner une pierre sculptée qui
+avait été déterrée l’an dernier dans des constructions souterraines tout
+près d’une maison nommée Taskô[285], un très ancien bordj qui
+appartenait autrefois au gouvernement, mais que Hadj Mohammed Heika a
+acheté[286].
+
+Le moudir m’envoie un billet en me priant de lui rapporter de Tripoli 28
+bouteilles de liqueurs ; je m’empresserai de ne pas exécuter cette
+modeste commission.
+
+Il arrive une nombreuse caravane de Tripoli ; je ne note pas tous les
+arrivages de ce côté, j’aurais trop à faire.
+
+Nous avons une nouvelle curieuse. Les Ourghamma sont réellement allés en
+expédition. Ils ont attaqué près de Sinaoun la caravane qui avait amené
+Hadj Ahmed ou Mohammed, et qui retournait vers Tripoli. Ils ont emmené
+les chameaux, mais les gens de Sinaoun sont partis à mehara et ont
+rattrapé le _rhezi_ près de son pays ; ils sont tombés sur six
+cavaliers, pendant que les autres étaient allés faire boire leurs
+chevaux, et ont enlevé tout le butin et, je crois, les selles des
+cavaliers.
+
+ 11 septembre.
+
+Je reprends l’étude de la langue targuie. Tekiddout me trouve trop peu
+généreux, au moins le prétend-elle, et prétexte toutes sortes
+d’occupations pour ne pas se charger de m’écrire de nouveaux papiers.
+Ihemma m’a trouvé une autre femme jeune, jolie, blanche et modeste qui
+vient avec lui ; elle a, de plus, la qualité de ne pas comprendre un mot
+d’arabe. Elle me promet de revenir et de m’apporter de l’écriture
+tefīnagh. Elle l’écrit avec de l’ocre rouge et de l’encre.
+
+Othman vient me demander des médicaments pour la femme d’Ikhenoukhen ;
+ce chef la répudie, mais elle vit toujours à ses côtés avec ses enfants.
+Elle me demande un collyre pour les yeux et de la quinine.
+
+Le _qadhi_, qui est un gros homme bien modeste et assez bon, je crois,
+m’envoie un bout de papier sur lequel est copié ce passage d’un livre
+musulman, passage relatif à Ghadāmès[287].
+
+« Ghadāmès est dans le Sahara à sept journées (de marche) du Djebel
+Nefousa. C’est une jolie ville, ancienne et antérieure à l’islamisme.
+Les peaux dites _ghadamsi_ tirent leur nom de cette ville. On y trouve
+des souterrains et des grottes[288] qui servirent de prisons à la reine
+Kahina qui régna en Ifriqiya. Ces souterrains ont été édifiés par les
+anciens. Ce sont de merveilleuses constructions et leurs voûtes,
+établies au-dessous du sol, font l’étonnement du spectateur. En les
+examinant, on voit qu’elles sont l’œuvre de souverains anciens et de
+nations aujourd’hui disparues.
+
+« Le pays n’a pas toujours été désertique et il a été autrefois fertile
+et peuplé. Le comestible qu’il produit en plus grande abondance est la
+truffe, appelée par les habitants _terfâs_. Elles deviennent si grosses
+dans ces régions que les gerboises et les lièvres y creusent leurs
+gîtes.
+
+« Ghadāmès est le point d’où on se rend à Tadmekka et autres localités
+du Soudan qui en est située à quarante jours de marche. Les habitants
+sont des Berbères musulmans ; ils portent le voile à la façon des autres
+Berbères du Sahara, tels que les Lemtouna et les Messoufa. »
+
+Ici se termine le passage extrait du livre intitulé : _Erraudh el-miʿ-
+ṭâr fi akhbâr el-aqṭâr_ dont l’auteur est Abd-Ennour el Ḥimyari el
+Tounsi. Ce passage a été transcrit par Mohalhil el Ghadāmsi dans son
+ouvrage intitulé : _Menâqib Ech-cheikh Sidi Abdallah-ben-Abou-Bakr El-
+ghadamsi_.
+
+Autant que ma mémoire est fidèle, ce passage est le même que celui de
+l’anonyme du sixième siècle de l’hégire publié à Vienne, par M. Alfred
+de Kremer. S’il en était ainsi, nous aurions le nom de l’auteur de ce
+livre, lequel nom est jusqu’à présent inconnu.
+
+ 12 septembre.
+
+Je vais faire une longue promenade ce matin. Je m’enquiers d’abord de la
+santé de Sid el Bakkay auquel j’enverrai des médicaments ce soir. De là,
+je me rends aux tentes des Targuiāt ; j’en trouve une couchée, malade
+d’un anévrisme (cette affection serait-elle commune chez les Touareg ?)
+et ayant des hémorragies par le nez. De là, je me rends à la zériba de
+Tekiddout, j’y trouve le moutard malade, qui va un peu mieux, avec son
+père Kel es Soūki[289] qui a été à Alger ; mais les dames sont absentes
+et je n’ai pas ce que je désirais le plus. J’examine leur intérieur ; il
+y a une natte assez proprement arrangée dans un coin et formant chambre,
+où l’on doit être à peu près chez soi. Je vois là la rebaza que la
+célèbre courtisane sait si bien manier. Le corps du violon et l’archet
+sont couverts d’inscriptions tefinag qui viennent de la main de ses
+auditeurs. Un certain nombre de vases, en gourdes et en nattes, complète
+l’ameublement ; la cuisine est dans un coin à l’extérieur et elle est
+garantie par un mur.
+
+Là commence le cimetière des Beni Ouazit. C’est quelque chose
+d’effrayant que l’immense espace couvert des tombeaux de cette moitié de
+la population de la ville. Il y en a de tous les âges, depuis la période
+païenne jusqu’à nos jours. Les plus récents sont indiqués par deux
+pierres droites peu élevées, situées à la tête et aux pieds du mort.
+L’espace qui sépare ces pierres est limité par une petite ligne de gros
+cailloux de chaque côté du corps, les deux lignes sont très resserrées.
+Puis viennent des tombeaux plus anciens ; les pierres à la tête et aux
+pieds deviennent très grandes, elles atteignent, en certains endroits,
+hauteur d’homme. J’ai cherché en vain sur leur surface des signes ou des
+dessins : je n’y ai rien trouvé ; ces tombeaux datent, selon la
+tradition, d’avant l’islamisme. Puis viennent enfin les plus anciennes
+sépultures, beaucoup plus vastes que les précédentes ; elles affectent
+des formes ovales, rondes ou carrées (quadrilatères allongés) ; on n’y
+remarque plus des pierres droites, mais des enceintes très bien
+déterminées et des fondations solides et soignées. Quelques-uns de ces
+tombeaux ronds sont indiqués par une bosse de terrain avec des débris de
+constructions et forment ainsi des tumulus[290]. Les tombeaux portent le
+cachet d’une haute antiquité et sont très intéressants ; je reviendrai
+les étudier. Ils m’ont vivement rappelé les petites enceintes que Mac-
+Carthy et moi avons rencontrées en 1857 sur la route de Taguin à Boghar.
+Mais ces dernières n’avaient pas l’air aussi soigné que celles de
+Ghadāmès.
+
+Nous traversons les routes de Tripoli et des endroits entourés de murs
+en démolition qui indiquent la place d’anciens jardins, aujourd’hui tout
+à fait détruits et abandonnés. Nous laissons à droite El Bir,
+construction de pierre assez remarquable, et entrons dans la _ghaba_. Je
+remarque un amandier. Nous rentrons en ville après avoir traversé une
+partie des rues qui m’étaient inconnues et où je rencontre des
+chapiteaux de colonnes et des colonnes carrées, des pierres plates,
+etc., toutes de constructions et de travail anciens.
+
+Māla, ma gentille amie targuie, m’apporte de l’écriture tefinagh et me
+l’explique avec Ihemma. J’envoie à Moussa, frère de Kelāla, un des
+jeunes champions les plus puissants d’Ikhenoukhen, un cadeau consistant
+en un haouli de fabrique, rouge, pour femme (acheté d’Othman) et un haïk
+de fabrique, blanc, pour homme.
+
+ 13 septembre.
+
+Je retourne aux tombeaux. En passant, je vois Sid el Bakkay, mais le
+trouvant très occupé, je le laisse avec son entourage, Omar el Hadj,
+etc., et je continue mon chemin. Je lui laisse des médicaments pour lui
+et pour son domestique ; entre autres, de l’aloès enveloppé de papier de
+plomb. J’apprends ensuite qu’il a mangé le médicament et son enveloppe.
+
+Je remarque sur le rebord de la hamada, en haut de l’immense cimetière,
+des marques très anciennes creusées dans le roc ; ce sont des trous
+ronds très régulièrement creusés, en nombre inégal, sur les pierres
+plates ; ces trous forment autant de petits réservoirs ou bols dans
+lesquels les moutards Touareg s’amusent à pisser, mais qui n’ont pas dû
+avoir toujours la même destination. Je remarquai ensuite des tracés de
+contours de sandales ou de souliers, plutôt les premières. Si je me
+souviens bien, la pointe était dirigée vers la ville, c’est-à-dire vers
+l’est et, ces contours de sandales rapprochées, telles que celles d’un
+homme debout, et ces petits réservoirs, pourraient bien indiquer la
+place où se tenait un homme et celle où il sacrifiait aux mânes des
+morts du cimetière.
+
+Je remarque en examinant de plus près les tombes que celles qui sont
+indiquées par une pierre à la tête et une aux pieds du mort, quelque
+grandes et pointues que soient ces pierres, sont toutes musulmanes ; en
+les regardant bien, je découvre quelques fragments d’inscriptions arabes
+indiquant les noms des principaux personnages, nous remarquons ceux de
+femmes maraboutes, et celui d’un Es Soūqi, ancêtre de Si ’Othman. Les
+grandes tombes carrées et celles qui sont arrondies surtout doivent
+seules avoir une antiquité antérieure à l’Islam.
+
+En sortant de cet amas de tombes, nous arrivons, toujours dans la
+dépression où la ville est bâtie et où se trouvent aussi les cimetières,
+à un endroit où le sol se compose d’une pâte cristalline légère de
+plâtre[291]. C’est là un des endroits où on l’exploite, c’est-à-dire où
+l’on en extrait. Cette roche est identique à celle qui se retrouve
+partout dans l’Oued Righ, et principalement au puits d’El Hachchāna près
+de Chegga du Sud.
+
+Nous montons la hamada qui ne domine Ghadāmès que de 3, 4 mètres de ce
+côté. Le sol est composé de pierres très grosses et d’autres plus
+petites semées sans ordre et s’appuyant sur le plateau. La couleur du
+calcaire varie du blanc au brun et au gris de rouille. Je découvre des
+empreintes de différents bivalves, notamment d’une coquille à côtes
+(_griphus_)[292].
+
+D’ici, nous plongeons directement sur El-Esnām, laissant à droite assez
+loin, le Dhahara avec les tentes des Touareg. Nous rencontrons des
+tombeaux d’un autre ordre et d’une antiquité moins incertaine ; ils
+ressemblent en tout à ceux des environs de Djelfa que je visitai en 1857
+avec Mac Carthy et le Dr Reboud. Ce sont de petites enceintes en grandes
+pierres plates, ouvertes par une des petites extrémités et qui devaient
+être autrefois recouvertes par d’autres pierres plates. Ces tombeaux ne
+me paraissent pas devoir renfermer un homme étendu, mais bien dans une
+position repliée, assis, accroupi ou autrement. La plupart de ces
+sépultures ont été fouillées ; nous-mêmes en creusons une et sortons
+quelques ossements et un petit morceau de cuivre qui devait faire partie
+d’une parure indigène. Les tombeaux de ce genre, de différentes
+grandeurs, sont fréquents ; et on les trouve dans différents degrés de
+conservation. Ihemma m’assure qu’à Rhat, il y en a et que l’on en
+rencontre quelquefois en plein Sahara[293].
+
+En approchant d’El-Esnām, les hautes constructions du plateau, Ihemma me
+raconte que, près des piliers immenses, se trouvent des tombeaux en
+forme de buttes sur lesquels les femmes des Touareg allaient se coucher
+lorsque les Touareg étaient en expédition et où elles obtenaient des
+nouvelles. Elles se paraient de leur mieux et allaient se coucher sur le
+tombeau ; alors venait « idébni », esprit, sous la forme d’un homme, qui
+leur racontait ce qui s’était passé dans l’expédition. Si elles
+n’étaient pas bien parées, il les étranglait. Ces révélations ont lieu
+en plein jour et on me dit qu’elles sont toujours vérifiées[294]. Les
+Touareg, du reste, sont très superstitieux ; ils n’osent pas se
+présenter seuls à la tombe d’un de leurs amis de peur qu’il ne revienne.
+
+Dans la soirée, j’ai un exemple de la liberté des relations qu’il y a
+entre les Touareg. Ihemma, qui a à peine vingt ans, conseille à Othman
+qui en a près de soixante, de ne pas sentir du camphre que je lui
+offrais de crainte qu’il ne perdît ses forces sexuelles en lui disant
+que Tekiddout prétendait qu’il était l’amant d’une femme qu’il nomma.
+Othman assura que ce n’était pas vrai et ne fit aucun reproche à Ihemma
+de son observation.
+
+Les Ifoghas, qui écoutent les conseils d’Othman, et lui obéissent en
+quelque sorte, sont exaspérés de la conduite des Mérazig[295] qui
+devaient apporter leur tribut à Othman ; ils parlent d’aller les
+razzier.
+
+La rebazā, cette espèce de violon ou de violoncelle des dames targuies,
+forme un point important de la vie de ces gens. Tous les soirs,
+j’entends jouer de cet instrument ; hier des Imrhad chantaient. Lorsque
+les Touareg se battent entre eux et qu’un parti est mis en déroute, les
+vainqueurs crient avec ces cris sauvages qui sont particuliers aux
+Touareg : « Hé ! Hé ! Il n’y a donc pas de rebazā ? » Alors il est rare
+que les vaincus ne reviennent pas à la charge avec fureur. La crainte du
+qu’en-dira-t-on des femmes a une grande influence sur les Touareg.
+
+ 14 septembre.
+
+Aujourd’hui, je ne fais pas de promenade ; j’ai une longue leçon de
+tefinagh avec Mala et Ihemma. Mala est toute jeune, sans méchanceté ni
+préventions et très jolie. Pendant la leçon, je m’amuse avec son petit
+pied et, après la leçon, quand Ihemma s’en va, j’échange plusieurs
+baisers avec elle. Nous sommes donc très bons amis. Elle m’a promis de
+revenir à mon retour et de me jouer ici de la rebazā.
+
+Dans l’après-midi, je travaille à emballer ; j’arrange dans ma chambre
+les objets que je laisse et je mets dans les cantines le peu de bagages
+que j’emporte.
+
+Je vais, le soir, avec Othman voir Ikhenoukhen, qui vient avec son
+frère ; j’apprends que j’ai maigri depuis mon arrivée. C’est le chef des
+Azgar qui me fait cette remarque. Je décide Ikhenoukhen à écrire au
+général gouverneur de l’Algérie. Ikhenoukhen me dit adieu et me dit que
+tout sera facile, faisant allusion probablement à mon voyage à Rhat. Je
+dis à Si ’Othman ce qu’il faudrait écrire dans la lettre.
+
+ 15 septembre.
+
+Emballage et départ pour Tripoli.
+
+
+[Note 278 : Rohlfs y mentionne cependant des moustiques (_Quer durch
+Afrika_, I, p. 74).]
+
+[Note 279 : Duveyrier donne ici au mot _castrorum_ un sens trop précis.
+Cf. au sujet de cette inscription la lettre suivante de Tissot, à qui
+Duveyrier avait communiqué son estampage : «... Grâce à l’estampage,
+j’ai pu corriger quelques incertitudes qui se sont glissées dans le fac-
+similé (ceci pour votre seconde édition). Le P de la 2e ligne est
+certainement un D. L’antépénultième lettre de la 6e ligne est un P.
+(J’ai obtenu une image très exacte et directe de l’estampage en la
+posant sur un lit de farine : les moindres détails sont alors moulés
+comme certains lézards le sont dans le sable du Sahara). En cherchant à
+restituer l’inscription tout entière et en calculant le nombre de
+lettres absentes, j’arrive à la lecture suivante :
+
+
+ Imp. CAES. M. AVRELio Severo
+
+ AleXANDRO. PIO. FELici Aug.
+
+ et iuliAE MAMMEAE. AVG. matri
+
+ aug. et CASTRORUM. SVB cura M. ul
+
+ pii Maximi ? LEG. AVG. PR. PR. CV. VEX illatio
+
+ leg. iii Aug. SEVERIANÆ PER. .
+
+ . . . . . . . . . . VM] LEG. EIVSDEM
+
+ . . . . . . . PERFECIT.
+
+
+A l’Empereur César M. Aurélius Severus Alexander Pieux, Heureux,
+Auguste, et à Julia Mammaea Auguste, mère d’Auguste et des Camps. Par
+l’ordre de M. Ulpius Maximus (?) Légat Propréteur d’Auguste, personnage
+clarissime, le détachement de la Légion Troisième Auguste Pieuse,
+Vengeresse, commandé par..., Centurion de la dite Légion, a achevé [ce
+monument].
+
+« Nous connaissons trois légats propréteurs d’Afrique sous Alexandre
+Sévère : le nom qui m’a paru convenir le mieux, eu égard à la place
+disponible, est celui que j’ai fait figurer à titre purement
+hypothétique dans la restitution. » (Lettre du 7 avril 1879). Voir aussi
+le texte définitivement adopté par MM. R. Cagnat et J. Schmidt (_C. I.
+L._, VIII, Suppl. Pars I, 10990).
+
+Quant à la nature de ces ruines, Duveyrier a été plus tard beaucoup
+moins affirmatif. On lit sur un brouillon de lettre à M. Cagnat : « Dans
+_Les Touareg du Nord_, p. 252-3, j’ai eu tort de m’exprimer comme si le
+camp de Ghadāmès était une réalité vue ; j’ai supposé que Cidamus devait
+avoir possédé un camp. Voilà tout. » Comme l’a établi M. Cagnat
+(_L’Armée romaine d’Afrique_, Paris, 1892, p. 555), on ne peut douter de
+l’existence de la forteresse romaine. Mais son emplacement reste
+incertain.]
+
+[Note 280 : Cf. _Les Touareg du Nord_, pl. X.]
+
+[Note 281 : En 1864, Rohlfs, voyageant comme mokaddem de l’ordre de
+Mouley-Taïeb d’Ouezzan, a pu pénétrer dans les mosquées de Ghadāmès.
+« Toutes, comme j’ai pu m’en assurer moi-même, reposent intérieurement
+sur des colonnes romaines, qui toutefois sont disposées pêle-mêle, sans
+ordre aucun : ici une colonne dorique à côté d’une colonne corinthienne,
+là une colonne ionique à côté d’une colonne dorique, etc. » (_Reise
+durch Marokko und Reise durch die grosse Wüste_, 4e édit., Norden, 1884,
+in-8o, p. 245-6.)]
+
+[Note 282 : Recommandation de Barth pour le cheikh el Bakkay de
+Tombouctou.]
+
+[Note 283 : Deux à trois heures avant le coucher du soleil.]
+
+[Note 284 : Avoir du nif avec quelqu’un signifie « être en délicatesse
+avec lui ». Au propre, _fin_ veut dire _nez_ et, métaphoriquement,
+_amour-propre, susceptibilité_. (O. H.)]
+
+[Note 285 : Taskô est le nom d’une des rues de Ghadāmès. (Voir _Les
+Touareg du Nord_, p. 262 ; _Mission de Ghadāmès_, p. 99.)]
+
+[Note 286 : Voir le dessin et la mention de ce bas-relief dans _Les
+Touareg du Nord_, pl. X, p. 250-251. Le journal donne quelques détails
+complémentaires : « La hauteur de la pierre est d’un peu moins de 55
+centimètres et la largeur de 50 centimètres à peu près. Les accidents
+ont rendu incertains plusieurs des contours, principalement la figure
+des deux personnages. »]
+
+[Note 287 : Ce passage, traduit par M. le professeur Houdas, est en
+arabe dans le manuscrit de Duveyrier.]
+
+[Note 288 : Ce mot doit être entendu dans le sens de cavité souterraine
+artificielle ; il sert à expliquer le synonyme précédent d’un usage
+moins courant (O. H.).]
+
+[Note 289 : De la tribu des Kêl es Soûk.]
+
+[Note 290 : Cf. E. de Bary, _Senams et tumuli de la chaîne de montagnes
+de la Tripolitaine_, trad. du Dr Dargaud, _Revue d’Ethnographie_, II,
+1883, p. 426-437 ; — Foureau, _Mission chez les Touareg_. Paris, 1895,
+p. 8, 34-35, 102, etc. ; G. Mercier, _Les mégalithes du Sahara_, Rec.
+des Notices et Mém. Soc. d’archéol. de Constantine, 1900, p. 247, etc.]
+
+[Note 291 : Voir l’analyse, _Touareg du Nord_, p. 47.]
+
+[Note 292 : Cf. _Les Touareg du Nord_, p. 47 ; Vatonne, _Mission de
+Ghadāmès_, p. 268-269. Ces bivalves n’ont pu être déterminés.]
+
+[Note 293 : Voir Tissot, I, p. 499-501 ; Erwin de Bary. trad. Schirmer,
+p. 41-42 ; Rabourdin, _Documents relatifs à la mission Flatters_, Paris,
+1885, p. 256.]
+
+[Note 294 : Cf. Erwin de Bary, trad. citée, p. 187-188.]
+
+[Note 295 : Tribu du Nefzaoua, ayant pour centre l’oasis de Negga et
+fréquentant le marché de Ghadāmès.]
+
+
+
+
+ ERRATA
+
+ * * * * *
+
+
+ Page 11 _au lieu _dhomran_, _lisez :_ _dhomrân_.
+ de :_
+
+ — 18 — سڢش — سڢشى (O. H.).
+
+ — — ligne 11, — _soufar_, — _sefâr_.
+
+ — 20 ligne 4, — El Benib, — El Bouïb (O. H.).
+
+ — 22 — نصر صن الله — نصر من الله (O.
+ H.).
+
+ — — — اله لا اله — لا اله الا الله
+ (O. H.).
+
+ — 26 ligne 13, — Insalah, — In-Salah.
+
+ — 26 dern. — en Arabes, — en arabe.
+ ligne,
+
+ — 34 ligne 18, — _lebīn_, — _lebbîn_.
+
+ — 40 note 74 — Entonnoir, — Dépression (O.
+ H.).
+
+ — 42 ligne 15, — Hamamma, — Hammama.
+
+ — 43 note 78 — ذصان — ذمران (O. H.).
+
+ — 48 note 84 — _Zegzeg_, — _Zefzef_ (O. H.).
+
+ — 57 av.-dern. — Oumel — Oumm el (O. H.).
+ l.
+
+ — 58 ligne 37, — Si Ali — Si Ali Saci.
+ Sari,
+
+ — 101 ligne 1, — La tribu, — Le tribut.
+
+ — 111 ligne 8, — lecrīma, — berima (O. H.).
+
+ — 111 ligne 10, — صبل — طبل (O. H.).
+
+ — 112 ligne 33, — احن َڢم — احناڢم (O. H.).
+
+ — 120 ligne 13, — غكلن — غدران (O. H.).
+
+ — 127 note 189 — Duocyries, — Duveyrier.
+
+ — 128 lignes 6 — Merd-jadja, — Merdjadja (O.
+ et 19, H.).
+
+ — 131 note 195 — ٮادج — حلاج (O. H.).
+
+ — 137 ligne 20, — Ia chïfā — Ya chïfā (O. H.).
+
+ { (tellis) sac
+ { pour mulet ou
+ { cheval.
+ — 140 note 214 — Toile de — {
+ bât, { (guerara) sac
+ { pour chameaux
+ { (O. H.).
+
+ — 144 ligne 8, — Abed el — Abd el Qader (O.
+ Qader, H.).
+
+ — 146 — _ouran_, — _ourân_.
+
+ — 150 lignes 1 — Roubaaya, — Roubayaa.
+ et 9,
+
+
+
+
+ ADDENDA
+
+ * * * * *
+
+P. 53, 81 : travaux hydrauliques dans le Sud tunisien : Cf. les études
+du Dr Carton dans _Bull. archéol. du Comité des Travaux hist._ 1888 et
+_Rev. tunisienne_, III, 1896, p. 281 ; Gauckler, _Enquête sur les
+installations hydrauliques romaines en Tunisie_, II, Tunis, 1903.
+
+P. 56 : ruines de l’Oued Zitouna : M. le capitaine Privé qui a étudié
+cette région de 1881 à 1884, a signalé les restes de trois _oppida_ au
+débouché des gorges du Zitouna. (Cf. pour l’extension progressive de la
+colonisation romaine vers le Sud, J. Toutain, _Note sur une inscription
+trouvée dans le Djebel Asker au Sud de Gafsa_ (_Bull. Archéol. Comité
+Trav. hist._ 1903, p. 202-205).
+
+P. 57, note [100] : Dans un mémoire très important (_Notes et documents
+sur les voies stratégiques et sur l’occupation militaire du Sud tunisien
+à l’époque romaine, par MM. les capitaines Donau et Le Bœuf, les
+lieutenants de Pontbriand, Goulon et Tardy_, _Bull. archéol. Comité
+Trav. hist._, 1903, p. 272-409), M. J. Toutain a groupé tous les
+renseignements recueillis depuis sur les routes de la région des chotts
+(routes de Tacape au Nefzaoua, p. 289-303, 336). Voir aussi Gauckler,
+_Rapport sur l’exploration du Sud tunisien en 1903_, _ibid._, 1904, p.
+149-150 : route de Capsa à Turris Tamalleni.
+
+P. 65 : El Hamma : il y a en réalité dans l’oasis deux bourgs : El Ksar
+et Dabdaba, et deux villages : Zaouïet el Mehadjba et Sombat (ce dernier
+tout récent). Sur El Hamma et le caractère de ses habitants, voir la
+notice anonyme parue dans la _Revue tunisienne_, X, 1903, p. 424-436 :
+_Les Beni-Zid et l’oasis d’El Hamma_.
+
+P. 66 : El Hamma : P. Blanchet (_Mission archéologique dans le centre et
+le sud de la Tunisie_, _Archives des missions scient. et litt._, IX,
+1899, p. 145-146) a donné des détails sur les sources et les restes de
+construction romaine.
+
+P. 72-3 : Hareïga et Sagui : Cf. Toutain, art. cités, _Bull. archéol.
+Comité 1903_, p. 205-7, 287-8 ; _ibid._, 1904, p. 129, 142, 146 ;
+Gauckler, _ibid._, 1904, p. 146-149 : route de Tacapes à Capsa ;
+149-150 : route de Tuzurus à la côte par le Sagui.
+
+P. 74 : milliaire d’Asprenas : voir sur un autre milliaire du même
+proconsul, capitaine Hilaire, _Reconnaissance du segment Tacape-Thasarte
+de la voie romaine_, etc. _Bull. archéol. Comité_ 1899, p. 542-555.
+
+P. 75 : Henchir Somàa : Cf. Tissot, II, p. 657-8, et capitaine Donau,
+_Note sur une voie de Turris Tamalleni à Capsa et sur quelques ruines
+romaines situées dans le Blad Segui_, _Bull. Archéol. Comité_, 1904, p.
+356-359.
+
+P. 80 : inscr. de Gafsa : ces textes n’ont pas été retrouvés dans le
+manuscrit.
+
+P. 96 : inscr. I : voir pour la suite de cette inscr. (dédicace à Trajan
+par L. Minicius Natalis, légat de la légion IIIe Auguste), Tissot, II,
+p. 532 ; _C. I. L._, VIII, 2478=17969.
+
+P. 103, 107 : Oued el Arab : Cf. _Enquête administrative sur les travaux
+hydrauliques anciens en Algérie, publiée par les soins de M. S. Gsell_,
+_Bibl. d’archéologie africaine_, fasc. VII, Paris, 1902, in-8, _Rapport
+de M. le Lt Touchard_, p. 104-114 et croquis.
+
+P. 194 : ligne 4 : Le manuscrit porte ici la mention suivante : « Cette
+inscription, que je vais envoyer à Tougourt, est très importante, étant
+la seule qui ait été trouvée à Ghadāmès jusqu’à ce jour. (Faux !) »
+Duveyrier fait évidemment allusion à Richardson ou à l’inscription
+publiée en 1847 par Letronne et reproduite depuis dans le _Corpus I. L._
+(VIII, 2). Letronne la tenait de M. de Bourville, chancelier du consulat
+de France à Tripoli, qui l’avait reçue lui-même d’un Arabe. Cette copie
+était si défectueuse, qu’on n’en pouvait lire que les deux premiers
+mots : _Diis Manibus_ (_Revue archéol._, 1847, p. 301-302.)
+
+Le _Corpus_ (VIII, 2) cite en outre ce passage de Letronne : « Je tiens
+de M. de Bourville qu’un M. Richardson, agent, disait-on, de la Société
+pour l’abolition de l’esclavage, se rendit à Ghadāmès vers la fin de
+juin 1845. Après y avoir séjourné peu de temps, il en revint et remit au
+consul général d’Angleterre à Tripoli un marbre portant une inscription
+latine et une figure d’homme en bas-relief, probablement un monument
+funéraire, qui est peut-être encore à présent au consulat ; M.
+Richardson déclara qu’il existe à Ghadāmès plusieurs monuments
+analogues. »
+
+Voici comment s’exprime Richardson lui-même : « This Kesar En Ensara
+(les Esnam), together with the bas-relief, and the latin inscription,
+copied by a Moor from a tomb-stone, beginning with the words _Diis
+Manibus_, are more than sufficiant evidence to prove that Ghadāmès was
+colonized. The same Moorish prince who blew up the ruins, carried away
+also to Tripolis the tomb-stone, from which a Moor copied the
+inscription, and which transcript I brought with me from Ghadāmès ».
+(_Travels in the Great Desert of Sahara_, I, Londres, 1848, p. 356.) —
+On lit d’autre part dans un rapport de Richardson au Foreign Office (_An
+Account of the Oasis and City of Ghadames_), p. 18 : « I have however in
+my possession a copy of a Latin inscription, said to have been found in
+a tomb, but so badly copied as to be almost illegible. The tablet of
+stone was taken away some thirty years ago by an officer of Yousef
+Bashaw. Also I have a slab, on which there is a very rudely sculptured
+relief of a Greek or Roman soldier, holding, apparently, a horse ; but
+only the forepart or the animal remains, the rest is broken off. I will
+send you this the first opportunity, and if of any value, it may be
+presented to the British Museum. » Ces deux textes prouvent que
+Richardson n’a connu et rapporté de Ghadāmès qu’une seule copie
+d’inscription latine, copie illisible, à part _Diis Manibus_, tout comme
+celle de Letronne, et que Richardson ne s’est pas donné la peine de
+reproduire dans son ouvrage. On peut se demander s’il ne faut pas
+rapporter les deux copies susdites à un seul et même modèle, qui serait
+à chercher à Tripoli. En tout cas, la note de Letronne pourrait
+disparaître d’une nouvelle édition du _Corpus_, sans que ce magistral
+recueil risque de paraître moins complet.
+
+
+
+
+ INDEX
+ DES NOMS GÉOGRAPHIQUES ET DES PRINCIPALES MATIÈRES
+
+ * * * * *
+
+
+ Abadiâ, 15.
+
+ ’Adouan, 15, 101, 125.
+
+ Affadē, 3.
+
+ ’Aïn ed Daouira, 10.
+
+ ’Aïn el Magroun, 65.
+
+ Aïr, 172, 174.
+
+ ’Amich, 15, 117, 125, 136, 143, 144.
+
+ Areg-el-Miyet, 12.
+
+ ’Atrya, 162, 163, 187.
+
+ Azzaba, 116.
+
+ Baghdad, 7.
+
+ Bagirmi, 3.
+
+ Bambara, 3.
+
+ Belidet el Hadar, 50, 56, 84.
+
+ Belīd Oulad Mehanna, 65.
+
+ Beni Brahim, 22.
+
+ Beni-Djellab, 112, 114, 116, 129, 133, 135.
+
+ Beni Mâzigh, 165.
+
+ Beni Mezab, 23, 116, 131, 141.
+
+ Beni Ouaggin, 23.
+
+ Beni Ouazit, 184, 192, 200.
+
+ Beni Oulid, 184, 192.
+
+ Beni Sisin, 22.
+
+ Beni Zid, 64, 66.
+
+ Berrāri, 28.
+
+ Berresof, 148-150.
+
+ Besseriani, 37, 94-98.
+
+ Biskra, 3, 4.
+
+ Blidet-Amar, 28.
+
+ Bornou, 3.
+
+ Chaâmba, 18, 22, 26.
+
+ Chebika, 88.
+
+ Chegga, 8, 9, 114, 136.
+
+ Chemorra, 29, 135.
+
+ Chott El Djerid, 57, 58, 59, 72.
+
+ Chott El Rharsa, 87.
+
+ Chott Melghigh, 10, 110, 114.
+
+ Commerce de Ghadāmès, 166, 168, 170, 172, 174, 185-189, 192, 194, 199.
+
+ Commerce du Souf, 16, 120-123, 139, 173-174.
+
+ Degach, 51.
+
+ Dendouga, 114.
+
+ Derge, 3.
+
+ Dhahâr, 110.
+
+ Dhahâr el ’Erg, 155.
+
+ Djebel Sebaa Regoûd, 54, 85.
+
+ Djebel Tebaga, 63.
+
+ Djedid, 152.
+
+ Djérid, 15, 16, 46-56, 82-86, 121-122.
+
+ Doura, 3.
+
+ Dunes, 10, 11, 12, 14-18, 20, 27, 34, 35, 39, 40, 47, 93, 118, 127,
+ 136, 145, 148, 151, 152, 154-157.
+
+ El ’Aliya, 5.
+
+ El Barĕd, 115.
+
+ El Esnām, 164.
+
+ El Faïdh (plur. El Feyyād), 102, 106, 107.
+
+ El Goléa, 23.
+
+ El Guettār, 77, 78.
+
+ El Hamma, 52, 82, 83.
+
+ El Hamma (Nefzaoua), 52, 65, 66.
+
+ El Hanoūt, 89.
+
+ El Haouch, 109.
+
+ El Menzel, 68.
+
+ El Oued, 15, 16, 36, 117, 119, 139.
+
+ Ez Goum, 123-125.
+
+ Farfaria, 108.
+
+ Felata, 3.
+
+ Ferkān, 101-102.
+
+ Fièvres, 30, 32, 42, 51, 52, 87, 100, 113, 127, 133, 135, 136, 137,
+ 154, 169, 189, 192.
+
+ Fouānīs, 114.
+
+ Gabès, 67, 70.
+
+ Gafsa, 79, 81.
+
+ Ghadāmès, 16, 119, 121-123, 141, 160-204.
+
+ Ghamra, 12, 116, 128, 143.
+
+ Ghomerācen, 70.
+
+ Ghorib, 119, 138, 188, 189.
+
+ Guebba, 52
+
+ Guemâr (Gomar), 12-15, 125.
+
+ Hadamoua, 3.
+
+ Hammâm Salahīn, 5.
+
+ Hammama, 43, 44, 45, 48, 56, 63, 87, 89, 99, 100.
+
+ Haoussa, 3, 9.
+
+ Harazlia, 16.
+
+ Hareīga, 72.
+
+ Henchir es Somăa, 75.
+
+ Ifoghas, 172, 203.
+
+ Imanghasaten, 190.
+
+ In-Salah, 26, 177, 185, 187, 189, 194.
+
+ Irrigation, 47, 48, 50, 53, 66, 77, 78, 86, 89, 102, 103, 106, 164.
+
+ Jiriga, 15.
+
+ Juifs, 16, 46, 58, 66-68, 80, 112, 130, 134.
+
+ Kanembou, 3.
+
+ Kano, 182.
+
+ Katsena, 3.
+
+ Kebilli, 60, 63.
+
+ Kêl es Soûk, 200, 202.
+
+ Kĕriz, 52, 53.
+
+ Kerrekerre, 3.
+
+ Kesàr bent el’Abrī, 56.
+
+ Kessār, 65, 66.
+
+ Koënna, 3.
+
+ Kouïnin, 15, 35, 36, 136.
+
+ Kouri, 3.
+
+ Lemmāguès, 63.
+
+ Liana, 103.
+
+ Logonē, 3.
+
+ Maggari, 3.
+
+ Mandara, 3.
+
+ Manga, 3.
+
+ Mansoura, 59.
+
+ Margi, 3.
+
+ Matmata, 18.
+
+ Mbāna, 3.
+
+ Mboum, 3.
+
+ Medjehariya, 112, 116, 129, 130.
+
+ Meggarîn, 117, 128.
+
+ Merazig, 119, 188, 189, 203.
+
+ Merhaïer, 9, 110-114.
+
+ Merouān, 110, 113.
+
+ Messelmi, 11.
+
+ Mestāoua, 129.
+
+ Midās, 90.
+
+ Monnaie, 37, 121, 126, 137, 139, 141, 174.
+
+ Nafta, Nefta, 46, 47, 48, 49.
+
+ Naylia, 130.
+
+ Nefzaoua, 52, 57, 58-63, 119.
+
+ Negousa, 24.
+
+ Negrīn, 93, 94, 98-101.
+
+ Nesigha, 110, 111, 113.
+
+ Nezla, 127, 128, 132, 143.
+
+ Ngāla, 3.
+
+ Ngouzzoum, 3.
+
+ Nouaïl, 16.
+
+ Ouaday, 3.
+
+ Ouargla, 21, 22, 23, 130, 140.
+
+ Oudiān el Halma, 154.
+
+ Ouad Beyāch, 81, 87.
+
+ Ouad el Arab, 103, 106, 107.
+
+ Ouad el Khorouf, 9, 10.
+
+ Ouad el Miyta, 102.
+
+ Ouad’ Igharghar, 19.
+
+ Ouad Itel, 110.
+
+ Ouad Jardaniya, 124.
+
+ Ouad Mezāb, 25.
+
+ Ouad Retem, 133.
+
+ Ouad Righ, 9, 18, 32, 43, 60, 110-117.
+
+ Ouad Sīdah, 19.
+
+ Oulad Madjed, 52.
+
+ Oulad Abdelkader, 14.
+
+ Oulad Abd es Sadiq, 14.
+
+ Oulad ’Amar, 18.
+
+ Oulad Ba Hammou, 185.
+
+ Oulad-Bou’Afi, 14.
+
+ Oulad el’Aïsaouï, 100, 101.
+
+ Oulad Hamid, 15, 16, 168, 173.
+
+ Oulad Hassen, 114.
+
+ Oulad Hôwimen, 14.
+
+ Oulad Mansour, 136.
+
+ Oulad Moulet, 8, 113.
+
+ Oulad Mousa, 14.
+
+ Oulad Sidi Abid, 92.
+
+ Oulad Sidi Cheikh, 23.
+
+ Oulad Yagoub, 119, 141.
+
+ Oum el Goreīnat, 57.
+
+ Oumm et Tiour, 8, 114.
+
+ Ourghamma, 138, 150, 168, 185, 198.
+
+ Ourhlana, 115.
+
+ Ourir, 110, 112.
+
+ Ourmās, 35.
+
+ Palus Tritonis, 14, 67.
+
+ Puits, 11-13, 19, 26, 31, 34, 38, 41, 42, 106, 118, 120, 126, 135,
+ 145, 152, 156, 159.
+
+ Puits artésiens, 7-9, 26, 107, 113-115, 127.
+
+ Qoreich, 15.
+
+ Rebāya, Roubaa’ya, 143, 148-150.
+
+ Rhat, 172-174, 188, 191, 203.
+
+ Rouâgha, 9, 111-113.
+
+ Ruines romaines, 5, 50-54, 56, 57, 59, 60, 63, 65, 66, 68, 72-77, 80,
+ 81, 85, 86, 88, 89, 92, 94-97, 165, 192-194, 201.
+
+ Saada, 8.
+
+ Sabrīa, 119.
+
+ Săgui, 73.
+
+ Sakomaren (Isaqqamaren), 166, 172, 185.
+
+ Sedāda, 54.
+
+ Selmia, Selmiya, 9, 113, 114.
+
+ Sidi Khelil, 115, 128.
+
+ Sidi Okba, 105.
+
+ Sif bou Delal, 10.
+
+ Sirocco (Chehili), 127, 152.
+
+ Solaā, 119.
+
+ Souf, 14, 15, 35, 117, 120, 136.
+
+ Tadmekka, 199.
+
+ Tagiānoūs, 52.
+
+ Tahrzout, 15, 124.
+
+ Taïbāt, 118.
+
+ Tāla, 133, 134.
+
+ Tamerna, 116, 128.
+
+ Tebesbest, 132.
+
+ Teda, 3.
+
+ Tedjini, 15.
+
+ Tellimīn, 59, 60.
+
+ Temassīn, 132, 133.
+
+ Tinedla, 115.
+
+ Tolga, 15.
+
+ Tombeaux, 200-203.
+
+ Torba, 157.
+
+ Toroud, 13, 15, 119, 125, 143.
+
+ Tŏrra, 58.
+
+ Tougourt, 29, 30, 60, 112, 116, 117, 127-133.
+
+ Touareg, 18, 119, 150, 152, 156, 166-169, 171-173, 175-180, 183-208.
+
+ Tozeur, 50, 51.
+
+ Traite des nègres, 3, 23, 165.
+
+ Tsamia (soie de), 181-182.
+
+ Zaouïas, 49, 132, 159.
+
+ Zaouiyēt ed Debabkha, 58.
+
+ Zenata, 15, 125.
+
+ Zeribet Ahmed, 103.
+
+ Zeribet el Ouad, 104-106.
+
+ Zonghay, 3.
+
+ * * * * *
+
+
+ INDEX DES NOMS PROPRES
+
+
+ Abd-Ennour el Himyari el Tounsi, 199.
+
+ Auer, 29, 117, 127, 129, 131.
+
+ Barth, 173, 195.
+
+ Canat, 117.
+
+ Colombo, 6, 7.
+
+ El Arbi Mamelouk, 104, 106.
+
+ Fleischer, 29.
+
+ Ikhenoukhen, 172-180, 183-185, 188, 189, 190, 196-198.
+
+ Kahina, 199.
+
+ Kēlala, 201.
+
+ Kremer (A. de), 200.
+
+ Laing (major), 180.
+
+ Lehaut, 8, 9.
+
+ Mac Carthy, 201, 202.
+
+ Margueritte, 179.
+
+ Martimprey (de), 151.
+
+ Mohalhil el Ghadāmsi, 199.
+
+ Othman (cheikh), 132, 149, 154, 168, 172, 173, 177, 183, 188.
+
+ Randon (maréchal), 179.
+
+ Rhōma, 60.
+
+ Séroka (Cel), 4, 7.
+
+ Sid el Bakkay, 190, 195.
+
+ Sidi Hamza, 23, 26, 179, 197.
+
+ Si Zoubir-bou-Bekr, 23.
+
+ Tissot (Ch.), 86, 192-193.
+
+ Warnier (Dr), 179, 181.
+
+ Zickel, 115.
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+ INDEX DES PLANTES CITÉES
+
+ * * * * *
+
+
+Avec la synonymie arabe-latine d’après :
+
+Ascherson, _Pflanzen des mittlern Nord-Afrika_. Append. VII, à Rohlfs,
+_Kufra_, Leipzig, 1881, in-8, p. 386-559.
+
+_Le Pays du mouton_. Ouvrage publié par ordre de M. Jules Cambon,
+gouverneur gén. de l’Algérie (par MM. Turlin, F. Accardo, G. B. M.
+Flamand). Alger, 1893, in-fol., Append. : Table alphabétique des noms
+arabes des principaux végétaux des Hauts Plateaux et du Sahara algérien,
+CXXI pages.
+
+Foureau, _Essai de catalogue des noms arabes et berbères de quelques
+plantes, arbustes et arbres algériens et sahariens_, Paris, 1896, in-4,
+48 pages.
+
+Foureau, _Mon neuvième voyage au Sahara_, Paris, 1898, in-8, Append. V,
+p. 142-144.
+
+En cas de divergences, Ascherson est désigné par la lettre (A), _Le Pays
+du mouton_, par (P. M.), Foureau par (F1) et (F2), _Les Touareg du
+Nord_, par T. du N. Les chiffres indiquent la page correspondante du
+_Journal_ de Duveyrier.
+
+
+ Abricotier, 128.
+
+ Ail, 128.
+
+ Alenda, _Ephedra alata_ Decaisne, 11, 12, 19, 27, 34, 41, 126, 146,
+ 147, 157.
+
+ Alga, _Henophyton deserti_ Coss., 18.
+
+ Arfiji, _Rhanterium adpressum_ Coss., Dur. (P. M.), 145.
+
+ Arta, _Calligonum comosum_ L’Hérit., 145, 146, 147.
+
+ Baguel, _Anabasis articulata_ Moq. Tand., 7, 19, 20, 41, 147, 151.
+
+ Belbâl, _Anabasis articulata_ Moq. Tand. D’après A., aussi
+ _Zygophyllum album_ L. en Tripolitne ; d’après F1 et F2, aussi
+ _Caroxylon tetragonum_, 25, 28, 156.
+
+ Bou akerich, 108.
+
+ Bou choucha, _Salvia lanigera_ Peir. _Salvia phlomoïdes_ Asso., 7.
+
+ Bou deraga, ?, 128.
+
+ Bou griba, _Zygophyllum cornutum_ Coss., _Z. Geslini_ Coss., _Z.
+ album_ L. (Cf. T. du N., p. 157), 47, 70.
+
+ Carotte, 128.
+
+ Chih, _Artemisia herba alba_ Asso. ; aussi _Artemisia campestris_ L.
+ (A.) et _Artemisia atlantica_ (F1) (Cf. T. du N., p. 177-178), 70,
+ 72, 75.
+
+ Chou, 128.
+
+ Citronnier, 47, 178.
+
+ Cotonnier, 128.
+
+ Dattier, 12, 15, 16, 20, 25, 28, 30, 39, 44, 47, 50-52, 58, 69, 77,
+ 93, 104, 106, 107, 109, 110, 113, 117, 127, 128, 140, 143, 144.
+
+ Dhomràn, _Traganum nudatum_ Del., 11, 19, 25, 27, 43.
+
+ Drin, _Aristida pungens_ Desf., 11, 17-19, 28, 34, 41, 109, 126, 146,
+ 147, 151, 154, 157.
+
+ Ephedra, 17.
+
+ Ezal (azal), _Calligonum comosum_ L’Hérit. ; aussi _Caroxylon
+ articulatum_ Moq. Tand. (P. M.), 17, 146, 147, 157.
+
+ Fedjel (fidjl), _Raphanus sativus_ L. (A.), 128.
+
+ Fève, 128.
+
+ Figuier, 9, 47, 126, 128, 133.
+
+ Gandoul, _Calycotome spinosa_ Lmk (A.), _guendoul_ (genêt épineux) (P.
+ M.), _Calycotome villosa_, _spinosa_, _intermedia_ (F1), 7.
+
+ Garana, 128.
+
+ Godhâm (guedhâm), _Salsola vermiculata_ L., 145.
+
+ Goreyna (greïna), _Halocnemum tetragonum_ (F1) ; gueraïna, _Halogeton
+ sativus_ Moq. (P. M.), 88, 109, 110.
+
+ Goseyba, graminée ? 145.
+
+ Gossob (draa), _Penicillaria spicata_ Willd., 163, 169.
+
+ Grenadier, 126, 128.
+
+ Guerch, ? 110.
+
+ Guetaf, _Atriplex halimus_ L., 106, 108.
+
+ Hâd, _Cornulaca monacantha_ Del., 19, 147, 151, 153, 157.
+
+ Halfa, _Stipa tenacissima_ L., 64, 70.
+
+ Halhâl, _Lavandula Stoechas_ L. (P. M.), _Lavandula multifida_ L.
+ (F1), 27.
+
+ Halma, _Plantago ovata_ Forsk, 18, 151, 153, 157.
+
+ Haricot, 128.
+
+ Harmel, _Peganum Harmala_ L., 11, 69, 77.
+
+ Isrif, _Suaeda vermiculata_ Forsk, 109, 110.
+
+ Jell, _Ruta bracteosa_ D. C., 108, 109.
+
+ Jonc, 30.
+
+ Kabouya, _Cucurbita Pepo_ Seringe, 128.
+
+ Kelkha, _Ferula communis_ Desf. (P. M.), 7.
+
+ Khez (Khazz = une _Lemna_ dans les oasis égyptiennes (A.), 6.
+
+ Lebbîn, _Euphorbia guyoniana_ Boiss. _Euphorbia Paralias_ L., 34, 39.
+
+ Luzerne, 128.
+
+ Markh, _Genista Saharae_ Coss. (A.) (Cf. T. du N., p. 161), 17, 18.
+
+ Melon, 128, 165.
+
+ Methennân, _Thymelaea hirsuta_ Endl. _Passerina hirsuta_ L., 7, 110.
+
+ Navet, 128.
+
+ Nebqa, _Zizyphus Spina Christi_ Willd. (A.) (Cf. T. du N., p. 159),
+ 48.
+
+ Neci, _Aristida plumosa_ L. _Arthratherum plumosum_ Nees. 154.
+
+ Oignon, 128.
+
+ Olivier, 51, 77.
+
+ Oranger, 47.
+
+ Orge, 128.
+
+ Pastèque, 128, 178.
+
+ Pêcher, 9, 47.
+
+ Poireau, 128.
+
+ Poirier, 128.
+
+ Poivre rouge, 128.
+
+ Pommier, 128.
+
+ Réglisse, 128.
+
+ Remeth, _Haloxylon articulatum_ Boiss. _Caroxylon articulatum_ Moq.
+ Tand., 7, 72, 75.
+
+ Retem, _Retama raetam_ Webb. ; aussi _Genista barbara_ Mumby ;
+ _Genista Duriaei_ Spach (P. M.), 17, 77, 110.
+
+ _Rhamnus arabica_, 103.
+
+ Rhardeg, _Nitraria tridentata_ Desf. (A., P. M.) ; aussi _Salix
+ tridentata_ Viv. (Cosson, ap. A.) (Cf. T. du N., p. 175), 7, 77, 110.
+
+ Rhodhdhâm, ghedem, _Salicornia fruticosa_ L., en Tripolitaine (A.),
+ guedhdham, _Salsola brevifolia_ Desf. (P. M.), 33.
+
+ Sebot, _Aristida pungens_ Desf. _Arthratherum pungens_ P. B. Variété
+ non déterminée (F2) (Cf. T. du N., p. 204), 151.
+
+ Sedra, _Zizyphus Lotus_ L., 7, 72.
+
+ Sefâr, _Aristida brachyptera_ Coss. et Balansa ; aussi _Aristida
+ plumosa_ P. M., (F1 et F2), 18-20, 34, 151, 153, 156.
+
+ Semhari, _Helianthemum sessiliflorum_ Pers. ; aussi _Helianthemum
+ metlilense_ Coss. et Dur. (P. M.), 41.
+
+ Souïd, _Suaeda vermiculata_ Desf. ; aussi _Suaeda fruticosa_ Moq.
+ Tand. (A. et F1) ; aussi _Salsola vera_ (F2), 43, 64.
+
+ Tabac, 13, 139-141.
+
+ Thym, 70.
+
+ Tarfa, _Tamarix africana_ Poiret ; aussi _Tamarix gallica_ L. 25, 47,
+ 57, 58, 64, 81.
+
+ Terfâs, _Terfezia africana_ Chatin (P. M.). _Terfezia Leonis_ Tulasne,
+ 199.
+
+ Tomate, 128.
+
+ Vigne, 128.
+
+ Zeïta, _Limoniastrum Guyonianum_ Dur., 19, 24, 25, 28, 34, 43, 57, 64,
+ 69, 72, 88, 109, 110, 127.
+
+ _Zizyphus Lotus_, 86. (Voir aussi _Sedra_).
+
+ _Zizyphus Spina Christi_, 48.
+
+ * * * * *
+
+
+ INDEX DES ANIMAUX CITÉS
+
+
+ Alouette, 30, 32.
+
+ Autruche, 139.
+
+ Barbeau, 106.
+
+ Bécassine, 30.
+
+ Beguer-el-ouahch, 148, 153.
+
+ Bergeronnette, 30.
+
+ Bœuf, 49.
+
+ _Bulimus truncatus_, 87.
+
+ Canard, 32.
+
+ _Cardium edule_, 87.
+
+ Chacal, 154.
+
+ Chameau, 155.
+
+ Chat sauvage, 30.
+
+ Cherchimāna, 147.
+
+ Cheval, 161.
+
+ Cigale, 146.
+
+ Courlis, 32.
+
+ Cyprinus, 83.
+
+ Djird, 11.
+
+ Fenek, 154.
+
+ Flamant, 30, 32.
+
+ Gazelle, 63.
+
+ Gazelle commune, 152.
+
+ Gerboise, 147.
+
+ Héron, 30.
+
+ Himed, 152.
+
+ Lapin, 49.
+
+ Libellules, 30, 164.
+
+ Limnées, 178.
+
+ Meha, 153, 154.
+
+ Melania, 30.
+
+ _Melanopsis Maroccana_, 47.
+
+ Moustiques, 30, 192.
+
+ Mouton, 154, 169.
+
+ Nadja, 108.
+
+ Ouran, 146.
+
+ Outarde, 64.
+
+ _Physa contorta_, 146.
+
+ _Physa Brocchii_, 146.
+
+ _Physa truncata_, 146.
+
+ _Planorbis_, 157, 178.
+
+ _Planorbis Maresianus_, 146.
+
+ Pigeon, 165.
+
+ Poule, 165.
+
+ Rim, 152.
+
+ Sanglier, 114.
+
+ Sarcelle, 30.
+
+ Scorpion, 141.
+
+ Sefchi, 18.
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+ TABLE DES MATIÈRES
+
+ * * * * *
+
+
+ Pages.
+
+ AVANT-PROPOS V
+
+ BIOGRAPHIE IX
+
+ PREMIÈRE PARTIE
+
+ CHAPITRE PREMIER. — De Biskra à l’Oued-Righ et au Souf 3
+
+ CHAPITRE II. — Ouargla et Tougourt 22
+
+ CHAPITRE III. — De Tougourt au Djérid par le Souf 34
+
+ CHAPITRE IV. — Au Djérid 46
+
+ CHAPITRE V. — Nefzaoua et Gabès 57
+
+ CHAPITRE VI. — Retour au Djérid par Gafsa 72
+
+ CHAPITRE VII. — De Tozer à Biskra 87
+
+ DEUXIÈME PARTIE
+
+ CHAPITRE PREMIER. — Dans l’Oued-Righ 105
+
+ CHAPITRE II. — Au Souf 118
+
+ TROISIÈME PARTIE
+
+ VOYAGE A GHADAMÈS
+
+ CHAPITRE PREMIER. — Dans l’Erg 143
+
+ CHAPITRE II. — Arrivée à Ghadāmès 159
+
+ CHAPITRE III. — Ikhenoukhen 172
+
+ CHAPITRE IV. — Ghadamésiens et Touareg 181
+
+ CHAPITRE V. — A Ghadāmès (_suite_) 192
+
+ Errata 205
+
+ Addenda 207
+
+ Index des noms géographiques 209
+
+ Index des noms propres 211
+
+ Index des plantes citées 212
+
+ Index des animaux cités 214
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+Note du transcripteur :
+
+
+ Les changements dans l’ERRATA ont été apportés, sauf l'orthographe
+ d'" Insalah " et " Robaa’ya " et la modification de la note 214 (page
+ 140).
+
+ Autrement :
+
+ Page 47, note 81, " _dernière expédition des Chotts_. Paris, 1891 "
+ a été remplacé par " 1881 "
+
+ Page 52, " d’égaler les contructions " a été remplacé par
+ " constructions "
+
+ Page 66, " et d’une inscri tion arabe " a été remplacé par
+ " inscription "
+
+ Page 162, " un nègre co-ossal qui " a été remplacé par " colossal "
+
+ Page 173, Ajouté ( avant " quoiqu’elle ait beaucoup "
+
+ Page 175, Ajouté » après " les Chaanba et les Souâfa, etc. "
+
+ Page 176, Ajouté » après " et toujours mal reçus ? " et "Chaanba que
+ les Iboguelan."
+
+ Page 177, Ajouté » après " le montrer à d’autres. "
+
+ Page 214, " ghedem, _Salicornia fructicosa_ " a été remplacé par
+ " _fruticosa_ "
+
+ Quelques changements mineurs de ponctuation et d’orthographe ont été
+ apportés, mais la plupart des variations orthographiques ont été
+ laissées telles quelles.
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 76633 ***
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+}
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+</head>
+<body>
+<div style='text-align:center'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 76633 ***</div>
+<div class="margins">
+<div class="transnote x-ebookmaker-drop">
+<p class="center less">On peut cliquer sur les illustrations pour
+les agrandir.</p>
+
+<p class="center less"><a href="#toc">Table des matières</a> —
+<a href="#toi">Illustrations</a></p>
+</div>
+
+<div class="page">
+<p class="center xlarge space-above2 space-below2">JOURNAL DE
+ROUTE</p>
+</div>
+
+<div class="page">
+<hr class="decor width20">
+
+<p class="center vsmall">TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET
+C<sup>ie</sup>. — MESNIL (EURE).</p>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<div class="titlepage">
+<p class="center large bold">SAHARA ALGÉRIEN ET TUNISIEN</p>
+
+<hr class="decor width4">
+
+<h1><span class="xxlarge">JOURNAL DE ROUTE</span><br>
+<span class="small">DE</span><br>
+<span class="large bold">Henri DUVEYRIER</span>
+</h1>
+
+<p class="center spaced2"><span class="med letter-spaced">PUBLIÉ ET
+ANNOTÉ</span><br>
+<span class="vsmall">PAR</span><br>
+<span class="less bold">Ch. MAUNOIR et H. SCHIRMER</span>
+</p>
+
+<hr class="decor width2 spaced2">
+
+<p class="center small spaced17 space-below15"><span class=
+"letter-spaced">PRÉCÉDÉ D’UNE BIOGRAPHIE DE H. DUVEYRIER</span><br>
+<span class="bold">Par Ch. MAUNOIR</span>
+</p>
+
+<div class="container figdecor iwdecor1"><img src=
+"images/decor1.jpg" alt="[Décoration]">
+</div>
+
+<p class="publisher"><span class="letter-spaced01">PARIS</span><br>
+<span class="sc letter-spaced">Augustin</span> <span class=
+"letter-spaced01">CHALLAMEL,</span> <span class=
+"sc letter-spaced">Éditeur</span><br>
+<span class="small">RUE JACOB, 17</span><br>
+<span class="vsmall">LIBRAIRIE MARITIME ET COLONIALE</span></p>
+
+<hr class="decor width1">
+
+<p class="center med letter-spaced">1905</p>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2><span class="pagenum" id="Page_v">[v]</span><a id=
+"ava"></a>AVANT-PROPOS</h2>
+
+<hr class="decor width6">
+
+<p class="space-above15">Les journaux de route de Duveyrier,
+c’est-à-dire les volumes de notes d’où a été tiré le livre des
+<em>Touareg du Nord</em>, étaient restés inédits. Duveyrier
+lui-même, ses écrits l’attestent, avait eu l’intention de les
+publier quelque jour<a id="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1"
+class="fnanchor">[1]</a>. L’irrémédiable atteinte portée à sa santé
+par les fièvres fezzaniennes ne lui en a sans doute pas laissé la
+force.</p>
+
+<p>M. Charles Maunoir, dont la haute science avait, pendant trente
+ans, armé pour le succès tant de missions géographiques françaises,
+voulut faire revivre la profonde érudition, la noble conscience de
+celui dont il avait été l’ami le plus cher. Il publia, en 1902, le
+<em>Journal d’un voyage dans la province d’Alger</em>, que
+Duveyrier écrivit à dix-sept ans. On y trouve ces choses
+charmantes&nbsp;: un mérite naissant qui s’ignore et la première
+impression de la terre d’Afrique sur l’esprit d’un grand voyageur.
+M. Maunoir avait l’intention de compléter cette publication par
+celle d’un des principaux journaux de route&nbsp;: celui du 13
+janvier-15 septembre 1860, dont le cadre s’écarte le plus de la
+région envisagée dans <em>Les Touareg du Nord</em>. En tête de ce
+volume devait paraître la biographie de son ami, que lui seul
+pouvait écrire, avec le souvenir de tant d’années qui les avaient
+étroitement unis. La mort a interrompu M. Maunoir avant qu’il eût
+terminé ces lignes, les dernières qu’ait rédigées ce grand
+travailleur.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_vi">[vi]</span>M<sup>me</sup>
+Maunoir a eu la pieuse pensée de réaliser le dernier vœu de son
+mari. Elle a mené à bien cette publication, où l’on voit encore une
+fois les deux collaborateurs réunis dans ce culte de la science qui
+fut leur vie.</p>
+
+<p>Le texte édité ici a été vu d’abord par M. et M<sup>me</sup>
+Maunoir&nbsp;; c’est leur goût très sûr qui a décidé du choix
+délicat des coupures à faire&nbsp;: passages et chiffres déjà
+reproduits dans <em>Les Touareg du Nord</em> ou le <em>Corpus
+Inscriptionum</em>, détails personnels, sans intérêt pour la
+géographie. M<sup>me</sup> Maunoir m’a fait le grand honneur de me
+confier le manuscrit ainsi défini. Je me suis attaché à le
+respecter aussi scrupuleusement que possible, en ne corrigeant que
+des expressions évidemment défectueuses, lapsus inévitables d’une
+rédaction faite au courant de la plume. Lorsque, par exception, il
+m’est arrivé de supprimer une phrase entière, inintelligible,
+écrite pendant un accès de fièvre, une note en avertit le lecteur.
+Pour la transcription française des noms arabes, à l’exception de
+ceux consacrés par l’usage, j’ai adopté partout où cela a été
+possible celle à laquelle Duveyrier lui-même s’est arrêté dans
+<em>Les Touareg du Nord</em>. Dans les autres cas j’ai conservé la
+leçon manuscrite. Quant à l’orthographe et à la traduction des
+citations en caractères arabes, M<sup>me</sup> Maunoir a obtenu le
+précieux concours de M. le professeur Houdas, qu’aucun service à
+rendre aux études africaines ne laisse indifférent<a id=
+"FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class=
+"fnanchor">[2]</a>.</p>
+
+<p>L’extrême dispersion des renseignements est inévitable dans un
+ouvrage comme celui-ci. J’ai tâché d’en rendre la consultation plus
+facile par un index des noms géographiques et des principales
+matières. Les indications botaniques m’ont semblé mériter une
+attention particulière&nbsp;: elles seront une nouvelle addition au
+tableau de la répartition géographique des plantes sahariennes,
+dressé en 1881 par le professeur Ascherson<a id=
+"FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>. On
+en trouvera la liste dans un index spécial, avec la<span class=
+"pagenum" id="Page_vii">[vii]</span> synonymie botanique, d’après
+les catalogues existants et les rapports de mission ultérieurs.</p>
+
+<p>Les notes que j’ai ajoutées au bas des pages ne représentent
+qu’un minimum indispensable de commentaire. Elles indiquent
+seulement les principaux documents anciens ou modernes qui m’ont
+semblé confirmer ou modifier, en quelque chose d’essentiel, les
+faits et théories énoncés par l’auteur. Une note additionnelle
+renvoie à quelques publications capitales, survenues au cours de
+l’impression. On n’en verra pas moins combien ces références
+présentent d’imperfections et de lacunes. Le lecteur compétent
+m’excusera peut-être, s’il songe que pour le mettre complètement au
+courant de toutes les questions touchées ici, il eût fallu ajouter
+un second volume et changer le caractère de l’ouvrage.</p>
+
+<p>Ce caractère de journal quotidien, on devait le lui conserver au
+contraire, car c’est cette variété concise, ce langage plein de
+saveur qui en font le mérite et le charme. Duveyrier s’y révèle
+plus vivant que dans le cadre sévère des <em>Touareg du Nord</em>,
+plus personnel aussi que dans cette encyclopédie qu’il a écrite
+sous le contrôle d’un autre, et où l’on risque de trouver parfois
+l’écho d’une pensée qui n’est pas la sienne. Si riche que soit
+devenue la géographie de l’Afrique du Nord, la critique remerciera
+M<sup>me</sup> Maunoir d’avoir poursuivi la publication d’un livre
+qui apporte encore du nouveau après 45 ans de découvertes&nbsp;; il
+fait honneur à la mémoire du savant qui l’a fait connaître comme au
+grand voyageur qui l’a écrit.</p>
+
+<p class="right pad-right2">Henri <span class=
+"sc">Schirmer</span>.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftava">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_1"></a><a href="#FNanchor_1"><span class=
+"label">[1]</span></a><em>Les Touareg du Nord</em>. Paris, 1864,
+in-8, Introduction, p. <span class="sc2">XII</span>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_2"></a><a href="#FNanchor_2"><span class=
+"label">[2]</span></a>Toutes les notes et corrections de M. Houdas
+sont marquées des initiales (O. H.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_3"></a><a href="#FNanchor_3"><span class=
+"label">[3]</span></a>En appendice dans Rohlfe, <em>Kufra</em>,
+Leipzig, 1881, in-8, p. 386-560.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2><span class="pagenum" id="Page_ix">[ix]</span><a id=
+"bio"></a>BIOGRAPHIE</h2>
+
+<hr class="decor width4">
+
+<p class="space-above15">Les Duveyrier ou Du Veyrier, issus d’une
+famille noble du Languedoc qui s’appela naguère Arnoux-Veyrier, se
+sont fixés à Aix en Provence depuis plusieurs générations.</p>
+
+<p>A près de deux siècles en arrière, apparaissent un Duveyrier,
+procureur au Parlement de Provence, et son frère, chanoine à la
+collégiale de Pignans.</p>
+
+<p>Le procureur eut trois fils dont l’aîné devint secrétaire de
+l’Académie d’Aix&nbsp;; le second succéda à son oncle comme
+chanoine de Pignans. Le troisième, Gaspard Duveyrier, fut d’épée.
+Le chevalier de Vertillac, ami de la famille, l’incorpora, sous le
+titre de <em>cadet de Vertillac</em>, dans le régiment
+d’Eu-infanterie. Blessé à la bataille de Parme (1732), où il se
+conduisit vaillamment&nbsp;; blessé, plus tard, d’une chute de
+cheval tandis qu’il galopait devant les carrosses du roi, il était
+nommé officier à l’Hôtel des Invalides à l’âge de 23 ans.</p>
+
+<p>Par la suite, on obtenait pour lui une lieutenance dans une
+compagnie détachée sur les côtes de Provence.</p>
+
+<p>Gaspard Duveyrier fut le père de Joseph-Martial Duveyrier qui,
+chargé comme lieutenant de la maréchaussée d’Aix de conduire
+Mirabeau au fort de Joux, accorda à son prisonnier huit jours de
+liberté sur parole, et n’eut pas à le regretter. Son frère, Honoré
+Duveyrier, avocat de mainte cause célèbre, choisi pour défenseur du
+duc d’Orléans à la suite des journées<span class="pagenum" id=
+"Page_x">[x]</span> des 5 et 6 octobre, incarcéré par ordre de
+Robespierre et sauvé par Hérault de Séchelles, à la veille des
+massacres de la Terreur, devenait, dans le Tribunat, le
+collaborateur de Portalis, Siméon et Pascalis pour la préparation
+du Code civil.</p>
+
+<p>La Restauration qui le trouva premier président de la cour
+impériale de Montpellier, ne le maintint pas dans ses fonctions,
+tout en lui donnant le titre de premier président honoraire.</p>
+
+<p>Honoré Duveyrier laissa deux fils, dont l’un, Honoré, magistrat
+congédié aussi par la Restauration, s’achemina dans les voies de la
+littérature dramatique. Il y marcha longtemps, sous le nom de
+Mélesville, en compagnie d’Eugène Scribe. Le fils cadet de l’ancien
+tribun fut Charles Duveyrier. Esprit curieux, remueur d’idées,
+Charles Duveyrier fut chaudement saint-simonien et en souffrit,
+mais il conserva toujours les aspirations humanitaires qui
+l’avaient conduit vers le saint-simonisme. Par la suite, et tout en
+composant, lui aussi, comme son frère, des pièces de théâtre dont
+plusieurs sont restées au répertoire, il s’occupa de questions
+économiques, politiques et financières. Il y fit preuve de qualités
+d’initiative qui, toutefois, ne le conduisirent pas à la fortune.
+Doué d’une activité sans relâche et d’un savoir étendu,
+Sainte-Beuve a pu écrire de lui&nbsp;: «&nbsp;Je le comparais à un
+flambeau qui marchait toujours&nbsp;»<a id=
+"FNanchor_4"></a><a href="#Footnote_4" class=
+"fnanchor">[4]</a>.</p>
+
+<p>Charles Duveyrier consacra la dernière période de sa vie à
+diriger les travaux d’une vaste Encyclopédie conçue sur un plan
+particulier, et à laquelle les grands financiers Péreire voulaient
+attacher leur nom.</p>
+
+<p>Nous arrivons enfin à Henri Duveyrier, l’éminent voyageur au
+pays des Touareg, qui fut le fils de Charles Duveyrier.<span class=
+"pagenum" id="Page_xi">[xi]</span> Pour ceux que de plus longs
+détails sur la famille Duveyrier intéresseraient, ils les
+trouveraient dans un ouvrage devenu rarissime&nbsp;: <em>Anecdotes
+historiques, par le baron</em> D. V., tiré à 100 exemplaires.
+Paris, 1837, in-8. Imprimerie de E. Duverger.</p>
+
+<p>Les indications ci-dessus suffisent à établir que la famille
+Duveyrier a compté au moins une demi-douzaine d’hommes de mérite en
+deux cents ans, moyenne tout à fait honorable.</p>
+
+<p class="space-above15">Henri Duveyrier est né à Paris, 48, rue de
+la Chaussée-d’Antin, le 28 février 1840.</p>
+
+<p>La première école qu’il fréquenta fut celle de l’abbé Poiloup, à
+Vaugirard. Il la quitta pour le collège fondé à Auteuil par l’abbé
+Lévêque. Puis, son père, désireux de le préparer à une carrière
+commerciale, l’envoya poursuivre ses études, de la fin de septembre
+1854 à la fin de l’année 1855, dans un pensionnat ecclésiastique
+établi à Lautrach, près Memmingen, en Bavière.</p>
+
+<p>Pendant cette période, Henri Duveyrier tint un journal
+quotidien, pages naïves où, naturellement, apparaissent certains
+traits qui se retrouveront dans le caractère de l’homme, où
+s’accuse déjà une orientation marquée vers certaines études qui, en
+définitive, détermineront l’avenir de l’écolier.</p>
+
+<p>Le microcosme où il entrait parmi des représentants de diverses
+nationalités a pu se trouver un peu déconcerté en présence du
+démenti donné par ce Parisien appliqué, studieux, réfléchi, à
+l’opinion accréditée sur la légèreté et la futilité des Français.
+Le Journal de Henri Duveyrier, à Lautrach, a de la gravité&nbsp;;
+l’enjouement, privilège ordinaire de la jeunesse, s’y fait peu
+sentir. Il laisse entrevoir aussi un esprit rebelle aux idées
+spéculatives et aux fantaisies de l’imagination. C’est ainsi que,
+habituellement respectueux du devoir et de ceux qui le
+prescrivaient, il se mit néanmoins en conflit avec un
+professeur<span class="pagenum" id="Page_xii">[xii]</span> à propos
+du sujet choisi pour une narration en allemand&nbsp;:
+«&nbsp;Pensées d’un jeune homme par un beau soir d’été&nbsp;». Un
+autre sujet de composition&nbsp;: «&nbsp;La louange des
+passions&nbsp;», lui inspire cette phrase&nbsp;: «&nbsp;Je vais
+faire de mon mieux, mais ce sujet ne me plaît pas. Je n’aime écrire
+ni pour les vertus ni pour les passions&nbsp;». Par un verdict qui
+semble empreint d’ironie, son discours fut choisi, «&nbsp;comme le
+meilleur pour être déclamé à la fête de Monsieur le
+Directeur&nbsp;»&nbsp;; mais le lauréat ne se sentit pas le courage
+de le «&nbsp;déclamer&nbsp;» lui-même.</p>
+
+<p>Élève laborieux, très bien noté, Henri Duveyrier ne se bornait
+cependant pas aux travaux prescrits par les programmes du
+pensionnat&nbsp;; il était sollicité d’un autre côté.</p>
+
+<p>Nous voyons, notées avec prédilection, les causeries dans
+lesquelles quelque camarade lui a cité des légendes
+régionales&nbsp;; il a même commencé un recueil de légendes
+allemandes. Également empressé à recueillir des renseignements
+philologiques, il copie des chants en langue tudesque et en langue
+franque&nbsp;; puis il se procure le <em>Pater</em> en goth, en
+allemand et en anglo-saxon. Enfin, il entreprend un petit
+vocabulaire gothique et tudesque, afin de se préparer à lire les
+<em>Eddas</em> ou la Bible d’Ulfilas.</p>
+
+<p>L’élève Duveyrier consigne très fréquemment, dans ses notes, des
+indications relatives à l’histoire naturelle. Il signale l’époque
+d’éclosion et le nom des premières fleurs du printemps&nbsp;; il
+enregistre la rencontre de papillons ou d’autres insectes, nouveaux
+pour lui. Des plantes recueillies pendant les promenades, il
+compose son herbier qu’il accompagne d’indications variées&nbsp;;
+quelques feuillets consacrés à la faune et à la flore portent ce
+titre&nbsp;: <em>Commentarii in faunam floramque pagi Lautrach
+locorumque circumjunctorum, Lautrach, MDCCCLV</em>. La météorologie
+a sa part dans un Journal tenu de décembre 1854 à août 1855, et
+dans un calendrier météorologique précédé de remarques.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_xiii">[xiii]</span>Ces études-là
+signalent nettement la direction dans laquelle Henri Duveyrier
+s’acheminait. Un passage des notes constate aussi que M. le Préfet
+de l’École lui a confisqué ses livres de latin et d’astronomie,
+afin qu’il s’occupe exclusivement de l’allemand.</p>
+
+<p>Il n’avait pas encore atteint alors l’âge de seize ans et, déjà,
+d’après des indications autobiographiques rédigées dans l’âge mûr,
+il avait conçu le projet d’explorer quelque partie inconnue du
+continent africain.</p>
+
+<p>De même que les réflexions et les jugements font presque
+absolument défaut dans ces cahiers d’un enfant de quinze ans, les
+menus faits de la vie quotidienne du pensionnat n’y sont
+enregistrés que fort laconiquement et sans artifice. Toutefois, on
+y sent comme le souffle d’une nature sincère, juste et bonne,
+ferme, d’ailleurs, à maintenir son droit.</p>
+
+<p>Charles Duveyrier persistant à diriger son fils dans une voie
+qui, sans trop de préjudice pour la culture intellectuelle, le
+conduirait à l’indépendance plus rapidement que la filière
+universitaire, le fait alors entrer à l’École commerciale de
+Leipzig. Là, Henri Duveyrier voit s’élargir le champ de ses
+travaux, de ses idées et sent, en même temps, se préciser ses
+aspirations.</p>
+
+<p>Il ne paraît pas avoir tenu un journal de son séjour à l’École
+de Leipzig, d’où il sortit avec d’excellentes notes, après y être
+resté de la fin de 1855 au commencement de 1857. C’est pendant
+cette période que, tout en suivant les cours de l’École, il prend
+des leçons d’arabe d’un orientaliste éminent, le docteur Fleischer,
+avec lequel il entretint de longues relations.</p>
+
+<p>Plein de déférence pour les intentions de son père, il ébaucha,
+rentré en France, des études de langue chinoise, afin de se mettre
+en mesure d’aborder un terrain commercial relativement neuf. Mais
+il ne tarda pas à comprendre que, dominé<span class="pagenum" id=
+"Page_xiv">[xiv]</span> par la suggestion des voyages ayant pour
+but la science, il ne cheminerait qu’à contre-cœur dans un autre
+sens<a id="FNanchor_5"></a><a href="#Footnote_5" class=
+"fnanchor">[5]</a>. Il s’en ouvrit donc résolument à son père, qui
+finit par céder. Charles Duveyrier étant d’esprit entreprenant,
+enclin aux initiatives, cette capitulation, dictée surtout par
+l’affection, ne dut lui causer ni trop d’efforts, ni trop de
+regrets. Ancien disciple de Saint-Simon, il ne répudia pas la
+devise saint-simonienne&nbsp;: «&nbsp;A chacun suivant sa
+capacité&nbsp;». — Or c’était, à coup sûr, une présomption de
+capacité de la part de son fils que d’avoir, de propos raisonné,
+choisi la route à prendre. Quant au reste de la doctrine,
+n’était-ce pas devenir aussi producteur, servir l’intérêt général,
+que d’aller, au prix d’un dangereux labeur, demander à des terres
+inconnues la révélation de nouveaux groupes humains,
+l’élargissement du champ d’activité de notre
+civilisation&nbsp;?<a id="FNanchor_6"></a><a href="#Footnote_6"
+class="fnanchor">[6]</a></p>
+
+<p>Quoi qu’il en soit, H. Duveyrier échappa à la carrière
+commerciale. Sans aucun doute, il eût été un commerçant éclairé,
+laborieux et probe&nbsp;; mais ces qualités ne sont pas, dit-on,
+rigoureusement nécessaires et suffisantes pour mener à la
+fortune,<span class="pagenum" id="Page_xv">[xv]</span> commun point
+de concours des commerçants. Elles doivent être renforcées
+d’ambitions d’un ordre spécial qui ne sont pas données à tous, et
+dont H. Duveyrier n’était pas doué. Peu désireux de briller, sans
+grand souci du bien-être matériel, il n’était pas séduit par le
+luxe. Les efforts tendus à d’autres fins que la recherche de la
+vérité sur les choses de la nature et l’étude de sciences libérales
+lui semblaient un peu oiseux.</p>
+
+<p>Charles Duveyrier avait si largement adopté les projets formés
+par son fils qu’il le mit de suite à même de commencer à en
+préparer la réalisation.</p>
+
+<p>Tous les ouvrages nécessaires furent achetés, et le candidat
+explorateur entreprit, dès ce moment, quelques études
+spéciales.</p>
+
+<p>Au début de 1857, dans l’intention d’éprouver ses forces et ses
+aptitudes, il accomplissait un voyage en Algérie.</p>
+
+<p>Débarqué à Alger le 26 février, il débute par une excursion à
+Kandouri<a id="FNanchor_7"></a><a href="#Footnote_7" class=
+"fnanchor">[7]</a>, à une trentaine de kilomètres dans l’ouest
+d’Alger, non loin du lac Halloula. Kandouri était la résidence du
+Docteur Warnier, homme de grande valeur, qui devait, par la suite,
+exercer une influence considérable sur la vie et les travaux de
+Henri Duveyrier.</p>
+
+<p>Le 8 mars, il partait pour une course plus longue&nbsp;: Djelfa
+et Laghouât, d’où il revint, dans le milieu d’avril, par Bou Zid et
+Caïd Djelloul.</p>
+
+<p>Cette course, exécutée avec Oscar Mac-Carthy dont les
+connaissances variées furent précieuses à son compagnon
+de<span class="pagenum" id="Page_xvi">[xvi]</span> route, a été
+relevée dans un journal récemment imprimé<a id=
+"FNanchor_8"></a><a href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a> à
+l’intention de ceux qui avaient connu et aimé Henri Duveyrier. Ils
+ont assisté, ainsi, à ses premiers pas déjà très fermes, dans une
+carrière où il a conquis une juste célébrité.</p>
+
+<p>Sa relation est empreinte d’une sincérité, d’une naïveté qui
+sont presque des mérites littéraires. Entre autres faits, elle
+mentionne la joie qu’inspira au futur voyageur la rencontre, à
+Laghouât, d’un Targui envoyé par Ikhenoukhen, et avec lequel il eut
+d’excellents rapports.</p>
+
+<p>De là, peut-être, une prédisposition qui détermina le voyage de
+Henri Duveyrier chez les Touareg.</p>
+
+<p>Voici en quels termes le jeune voyageur rapporte sa dernière
+entrevue avec le Targui fortuitement rencontré...
+«&nbsp;Mohammed-Ahmed promit que, lorsqu’il serait de retour dans
+son pays, il m’enverrait un livre en targui, et comme je voulais
+lui faire un cadeau capable de cimenter notre amitié, je crus
+n’avoir rien de mieux à faire que de lui donner mes pistolets et ma
+poire à poudre, ce que je fis immédiatement. Ce cadeau de ma part
+le rendit tout confus, et il dit à M. le Commandant<a id=
+"FNanchor_9"></a><a href="#Footnote_9" class=
+"fnanchor">[9]</a>&nbsp;: «&nbsp;Ce jeune homme est si bon pour
+moi&nbsp;; il m’a donné du tabac, du sucre, des foulards&nbsp;; il
+me donne maintenant des pistolets. Je ne sais comment le lui
+rendre&nbsp;; je vais faire chercher mon méhari et le lui
+donner.&nbsp;» Nous eûmes beaucoup de peine à lui faire comprendre
+que je ne voulais pas le priver de son chameau qui allait lui
+devenir nécessaire pour retourner à R’hât, et que, du reste, je
+serais fort embarrassé pour l’emmener dans mon pays&nbsp;; que je
+le remerciais beaucoup de son offre et que j’en étais aussi content
+que si le méhari était devenu ma propriété. Il demanda<span class=
+"pagenum" id="Page_xvii">[xvii]</span> alors à M. le Commandant
+s’il n’y avait pas moyen de m’emmener avec lui dans son pays. On
+lui répondit, pour l’éprouver, qu’il n’aurait pas assez soin de
+moi&nbsp;; mais le Targui prit cela au sérieux, et se mit à
+expliquer avec chaleur que, chez lui, c’était un devoir de prendre
+soin de son ami et que, sous sa protection, il ne m’arriverait
+aucun mal. Je lui dis alors qu’un jour peut-être, j’irais le voir.
+«&nbsp;In ch’Allah&nbsp;! s’il plaît à Dieu, répondit-il, et il se
+retira satisfait....&nbsp;»</p>
+
+<p>A la suite de son voyage d’essai, H. Duveyrier publia, dans le
+recueil de la Société orientale de Berlin, une notice sur quatre
+tribus berbères<a id="FNanchor_10"></a><a href="#Footnote_10"
+class="fnanchor">[10]</a>&nbsp;: les Beni-Menasser, les Zaouaoua,
+les Mzabites, les Touareg Azdjer. Il y résumait ce qu’il avait pu
+apprendre sur ces tribus «&nbsp;pendant son rapide et court voyage
+dans nos possessions algériennes&nbsp;». Cette publication de début
+consiste surtout en un vocabulaire comparé des idiomes des quatre
+tribus. On y sent un auteur bien documenté et soigneux de
+l’exactitude.</p>
+
+<p>L’année même où il faisait, en quelque sorte, ses premières
+armes, fut marquée par un incident qui exerça sur la suite de ses
+travaux une influence marquée.</p>
+
+<p>Pendant un voyage à Londres, où habitait une branche de sa
+famille, il eut la bonne fortune d’être mis en relation avec Henri
+Barth, alors occupé à écrire la relation de ses voyages.</p>
+
+<p>Dans une belle notice nécrologique consacrée au voyageur
+allemand, H. Duveyrier raconte l’accueil qu’il reçut de lui<a id=
+"FNanchor_11"></a><a href="#Footnote_11" class=
+"fnanchor">[11]</a>... «&nbsp;M. le professeur Fleischer, de
+Leipzig, orientaliste éminent près duquel j’avais appris la langue
+arabe, et qui connaissait mes projets de voyages en Afrique,
+m’avait adressé et recommandé<span class="pagenum" id=
+"Page_xviii">[xviii]</span> au D<sup>r</sup> Barth, alors à
+Londres. Je le vis pour la première fois en 1857.</p>
+
+<p>«&nbsp;Il essaya d’abord de me dissuader d’entreprendre si jeune
+ces durs labeurs&nbsp;; mais n’ayant pu ébranler ma ferme
+résolution, il me prodigua, avec une bienveillante sollicitude, les
+instructions et les conseils. A peine mon arrivée dans le pays des
+Beni-Mzab lui était-elle connue, qu’il s’empressa de m’écrire. Par
+ses lettres, pleines d’affectueux conseils et de précieuses
+indications, il veillait de loin au succès de mon entreprise,
+m’ouvrant des points de vue nouveaux, me signalant les faits
+capitaux qui devaient appeler mon attention. Bientôt il m’envoyait
+une lettre circulaire, écrite en arabe, et adressée à tous ses amis
+du Sahara et du Soudan, pour me protéger en cas de besoin. En même
+temps, il me transmettait une lettre spéciale pour le cheikh
+El-Bakkây&nbsp;; je parvins heureusement à la remettre à son neveu,
+dont les bons offices m’ont été très utiles. J’étais Français,
+cependant, mais l’esprit étroit de rivalité ne pouvait avoir accès
+près de ce grand cœur...&nbsp;»</p>
+
+<p>Plusieurs lettres à Henri Duveyrier ou à son sujet, attestent,
+en effet, les sentiments d’estime et de sympathie de Henri Barth
+pour un émule dont il avait pressenti le mérite et avec lequel
+d’ailleurs, il resta, jusqu’à la fin de sa vie, en relations très
+affectueuses.</p>
+
+<p>Quand mourut le D<sup>r</sup> Barth (25 novembre 1865), la
+famille de l’illustre explorateur fit hommage d’une partie de ses
+papiers scientifiques à Henri Duveyrier qui avait si bien retenu
+ses leçons et si consciencieusement étudié son œuvre.</p>
+
+<p>De retour d’Angleterre, vers le milieu de 1857, Henri Duveyrier
+se mit, avec ardeur, en mesure d’entreprendre un voyage de
+pénétration au cœur du Sahara. Il étudia, la plume à la main, ce
+que la géographie savait alors des contrées vers lesquelles il
+allait se diriger. A la vérité, pour le lointain<span class=
+"pagenum" id="Page_xix">[xix]</span> Sahara central, les seules
+sources d’informations précises étaient, outre la relation de
+Caillié, les ouvrages dans lesquels Richardson, Barth, Overweg et
+Vogel avaient consigné les importants résultats des missions
+anglaises accomplies par eux de 1850 à 1853.</p>
+
+<p>Les itinéraires de ces missions partant de Tripoli pour se
+diriger vers le lac Tchad, traversaient, par Mourzouk et Rhât, les
+immensités sahariennes comprises entre la côte et le Soudan. Les
+papiers de Henri Duveyrier renferment des feuillets dans lesquels
+il avait commencé à décrire sommairement les pays qu’il se
+proposait d’explorer.</p>
+
+<p>Dans d’autres pages il indiquait les grandes étapes de sa
+marche, les résultats principaux à atteindre aux points de vue
+politique, scientifique, commercial&nbsp;; il y énumérait, avec un
+soin qui révèle beaucoup de réflexion, les travaux à exécuter, les
+recherches à faire, les notes à prendre. On sent, en ces pages,
+l’homme qui entend être autre chose qu’un touriste audacieux,
+dominé par la seule pensée «&nbsp;d’être le premier à avoir
+vu&nbsp;».</p>
+
+<p>La jeunesse de l’auteur se révèle, toutefois, dans l’ampleur du
+projet primitif qui comprenait une reconnaissance du Touât et
+l’exploration du pays alpestre des Touareg Hoggar.</p>
+
+<p>Il s’est aperçu, en face de la réalité, que l’imprévu
+n’abandonne jamais ses droits et que les projets les mieux étudiés
+comportent de grands mécomptes, quand il s’agit de pénétrer dans
+des contrées nouvelles, au milieu de populations méfiantes ou
+hostiles.</p>
+
+<p>Tout en s’assimilant les données acquises par ses devanciers et,
+plus spécialement, par le docteur H. Barth, il travaillait avec
+ardeur à acquérir les notions si variées qu’exige une exploration
+scientifique largement comprise.</p>
+
+<p>Il s’attacha, en particulier, à bien connaître les méthodes,
+comme le maniement des instruments de détermination des latitudes,
+longitudes et altitudes.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_xx">[xx]</span>Cette préparation,
+qui est délicate, qui exige beaucoup d’application, de soin, de
+persévérance, est en quelque sorte, une pierre de touche de la
+vocation d’un candidat à la carrière d’explorateur. Les
+observations astronomiques en cours de route ajoutent, d’ailleurs,
+aux difficultés, parfois même aux dangers du voyage.</p>
+
+<p>Henri Duveyrier eut la bonne fortune de rencontrer, comme
+professeurs, tout d’abord Lambert-Bey, l’un des ingénieurs que
+Méhémet-Ali avait envoyés en avant-garde dans sa marche vers le
+Haut Nil&nbsp;; puis un astronome hors de pair, Yvon
+Villarceau&nbsp;; enfin, M. Renou, membre de la commission
+scientifique de l’Algérie, constituée en 1837. Il avait commencé
+ses travaux scientifiques au milieu des combats livrés par les
+colonnes expéditionnaires chargées d’établir l’autorité de la
+France dans ce qui était alors le Sud-Algérien.</p>
+
+<p>M. Renou initia aussi H. Duveyrier aux observations
+météorologiques<a id="FNanchor_12"></a><a href="#Footnote_12"
+class="fnanchor">[12]</a> sans lesquelles il n’est pas
+d’exploration complète&nbsp;; le professeur, ici, se doubla d’un
+ami dont les lettres, pleines d’excellentes instructions, attestent
+aussi la plus affectueuse sollicitude pour son élève.</p>
+
+<p>En histoire naturelle et en géologie, c’est au Muséum qu’il
+demanda le complément de l’instruction acquise dès sa jeunesse.</p>
+
+<p>Le savant naturaliste A. Duméril lui apprit l’art de préparer
+les mammifères et les oiseaux pour les envoyer en Europe.</p>
+
+<p>M. Hérincq, auteur de travaux estimés, qui fut l’un des derniers
+à porter le titre de «&nbsp;garde des Galeries de botanique
+au<span class="pagenum" id="Page_xxi">[xxi]</span> Muséum&nbsp;»,
+se chargea de l’initier aux soins faute desquels la formation d’un
+herbier est à peu près peine perdue.</p>
+
+<p>Pour la géologie et la minéralogie, Henri Duveyrier eut les
+renseignements de M. Hugard, alors aide-naturaliste au Muséum sous
+la direction de l’éminent Dufrenoy.</p>
+
+<p>On a vu précédemment que l’élève de l’école de Lautrach
+s’intéressait aux questions de linguistique et
+d’ethnographie&nbsp;; aussi, ne manqua-t-il pas demander à Léon
+Renier, à Ernest Renan, à son ancien professeur Fleischer les
+directions nécessaires pour accomplir convenablement cette partie
+de sa tâche.</p>
+
+<p>La recherche, la copie, l’estampage des inscriptions lui furent
+tout spécialement recommandés, et nous savons qu’il a fait, dans
+cet ordre d’idées, des découvertes enregistrées par l’épigraphie et
+l’histoire.</p>
+
+<p>H. Duveyrier savait trop combien il lui importait d’être bien
+compris des peuples au milieu desquels il devait vivre, surtout de
+les bien comprendre, pour ne pas chercher à se perfectionner dans
+la langue arabe qu’il avait apprise à Leipzig. Il le fit sous la
+direction du D<sup>r</sup> Perron, de Reinaud, de Caussin de
+Perceval.</p>
+
+<p>Ses facultés en pleine sève de jeunesse, stimulées par la
+perspective du voyage prochain, soutenues dans leur effort par une
+intense application au travail et une méthode excellente, furent,
+pendant plus d’une année, tendues sur l’accomplissement du
+programme d’études que H. Duveyrier s’était fixé à lui-même. Il l’a
+exposé dans un texte qui dénote la notion claire de tout ce
+qu’exige une exploration en pays nouveau. L’influence des conseils
+du docteur Barth ne fut probablement pas tout à fait étrangère à
+l’ampleur de ce programme.</p>
+
+<p>On y discerne aussi une pensée de haute solidarité, une
+inspiration à servir les intérêts communs&nbsp;; il y a là un
+reflet des théories du saint-simonisme.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_xxiii">[xxiii]</span>En résumé,
+dans un ardent désir de réussite, H. Duveyrier s’était mis
+promptement à même de recueillir avec discernement des données sur
+l’histoire, la géographie physique et économique, l’ethnographie,
+la linguistique des contrées, en grande partie inexplorées, où il
+allait s’avancer. Sans doute, une initiation si rapide ne pouvait
+être ni développée ni profonde. H. Duveyrier qui s’en rendait
+compte, fit de constants efforts pour la compléter. M. Renou l’y
+encourageait en lui écrivant d’amicales remontrances sur sa façon
+d’observer, soit en astronomie, soit en météorologie.</p>
+
+<p>Il est superflu d’ajouter que les préparatifs matériels furent à
+la hauteur de la préparation scientifique du voyage. On possède la
+liste des instruments d’observation et des objets variés qui
+devaient contribuer au succès de l’entreprise.</p>
+
+<p>H. Duveyrier n’ignorait pas les risques au-devant desquels il
+marchait. — «&nbsp;Je sais très bien, écrivait-il dans l’un de ses
+carnets de notes, que le voyage que je vais entreprendre n’est pas
+sans dangers, mais je me sens plein de confiance en mes propres
+forces, et j’espère qu’avec beaucoup de prudence et de patience, et
+toute mon énergie, je parviendrai à les éviter, et que je mènerai
+ainsi mon expédition à bonne fin. L’événement prouvera si je me
+suis trompé.&nbsp;»</p>
+
+<p>H. Duveyrier avait décidé de voyager ouvertement comme chrétien,
+au lieu d’adopter ou de feindre l’Islamisme qui lui aurait été une
+sorte de sauvegarde. Par respect pour lui-même et pour la croyance
+des autres, il lui eût répugné de se livrer aux manifestations
+d’une foi factice. Sa répulsion pour les voies tortueuses s’était
+doublée d’une confiance juvénile, robuste, dans le prestige de
+l’honnêteté et la puissance de la droiture. Ce furent là les
+éléments essentiels de sa résolution. Peut-être aussi, en y
+réfléchissant, fut-il amené à conclure qu’un vernis de religion
+musulmane pourrait ne pas suffire à protéger le voyageur
+<em>roumi</em> contre l’animadversion<span class="pagenum" id=
+"Page_xxiv">[xxiv]</span> des Sahariens. En pareil cas, tout serait
+perdu, même l’honneur.</p>
+
+<p>Quelque garantie qu’il vît dans l’honnêteté de ses intentions,
+Duveyrier se prémunit contre le danger auquel l’exposait sa qualité
+de chrétien. Recherchant les passages où le Coran prêche la
+tolérance envers les autres religions et le respect pour les hôtes,
+il se mit en mesure de discuter, de combattre les arguments qui
+seraient invoqués contre lui.</p>
+
+<p>Il lui restait les risques auxquels pouvait l’exposer, en sa
+qualité de Français, quelque expédition militaire dans
+l’extrême-sud, coïncidant avec son voyage.</p>
+
+<p>S’il s’interdisait de partager la foi des Arabes, il revêtit
+leur costume, autant par hygiène que pour s’identifier, s’assimiler
+le plus possible aux hommes dont il devait partager la vie, et
+auprès desquels il entendait se montrer juste avant tout. Sur ce
+dernier point, il était d’accord avec le D<sup>r</sup> Barth qui
+lui écrivait, vers le milieu de 1859&nbsp;: «... la meilleure arme
+pour le voyageur chrétien, dans ce pays, consiste en une probité
+impeccable vis-à-vis des indigènes...&nbsp;».</p>
+
+<p>Voilà de nobles principes, et dignes de respect, mais trop
+élevés peut-être pour émouvoir des gens à moitié barbares,
+habitués, par tradition, à ne subir d’autre ascendant que celui de
+la force. La justice et la probité ne sont, du reste, pas
+inconciliables avec la fermeté, la sévérité auxquelles le voyageur
+le plus endurant est, parfois, obligé de faire appel.</p>
+
+<p>Comme nom de voyage, il adopta celui de
+Sid-Saad-ben-Doufiry&nbsp;; le nom de Saad se traduit par notre nom
+de Félix, et ben-Doufiry signifie fils de Duveyrier, ce dernier nom
+étant accommodé à la prononciation arabe.</p>
+
+<p class="right pad-right2">Charles <span class=
+"sc">Maunoir</span>.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftbio">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_4"></a><a href="#FNanchor_4"><span class=
+"label">[4]</span></a><em>Lettre à la Princesse</em> (1873), p.
+245.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_5"></a><a href="#FNanchor_5"><span class=
+"label">[5]</span></a>Évidemment, ce n’était pas par un fugitif
+mouvement d’enthousiasme juvénile que H. Duveyrier avait conçu le
+dessein d’explorer l’Afrique. Dans l’introduction au Journal de son
+voyage chez les Touareg, il écrivait, le 23 juin 1859&nbsp;:
+«&nbsp;Depuis l’âge où les idées commencent à prendre une tournure
+raisonnable, un attrait invincible m’a attiré vers le continent
+africain...&nbsp;»</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_6"></a><a href="#FNanchor_6"><span class=
+"label">[6]</span></a>Cette hypothèse au sujet des idées de Ch.
+Duveyrier trouve confirmation dans une lettre qu’Arlès-Dufour, le
+grand financier saint-simonien, écrivait à Henri Duveyrier et dont
+Charles Duveyrier avait, lui-même, pris copie. On y lit le passage
+suivant&nbsp;: «&nbsp;Si, décidément, tes aptitudes ne se plient
+aux études commerciales que par violence et avec répugnance, il
+serait irréligieux à ton père et à moi d’abuser de ton obéissance
+pour te les faire poursuivre, et il faudrait y renoncer franchement
+pour te vouer sans réserve aux études auxquelles te poussent
+évidemment ta vocation, c’est-à-dire ta nature. Dieu est très avare
+de ces vocations évidentes qui ne permettent aucun doute, et c’est
+un devoir sacré de les respecter, de les favoriser même, quand on
+le peut. Si tu savais, mon enfant, combien d’existences manquées et
+malheureuses, combien de forces perdues pour la société, par suite
+de vocations méconnues et faussées&nbsp;!...&nbsp;»</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_7"></a><a href="#FNanchor_7"><span class=
+"label">[7]</span></a>... «&nbsp;Quand vous viendrez ici, je vous
+conduirai à Kandouri, un Versailles sauvage, un Versailles du bon
+Dieu, un vrai paradis terrestre. Là, vous verrez ce qu’était le
+monde quand il est sorti des mains du Créateur. Vous vous y
+trouverez au milieu d’Arabes qui vous traduiront la Bible en fait,
+beaucoup mieux que votre père et ses collègues de la Société des
+artistes dramatiques n’ont traduit, au théâtre, notre société
+moderne.&nbsp;»</p>
+
+<p>(Lettre du D<sup>r</sup> Warnier à Henri Duveyrier, Alger, le 11
+juillet 1855.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_8"></a><a href="#FNanchor_8"><span class=
+"label">[8]</span></a><em>Journal d’un voyage dans la province
+d’Alger</em>, par Henri Duveyrier. Paris, Challamel.</p>
+
+<p>Cet ouvrage n’est pas dans le commerce.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_9"></a><a href="#FNanchor_9"><span class=
+"label">[9]</span></a>Le commandant Margueritte, devenu le général
+Margueritte, tué à Sedan.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_10"></a><a href="#FNanchor_10"><span class=
+"label">[10]</span></a>Notizen über vier berberische
+Völkerschaften, während einer Reise in Algerien nach Hallûla-See
+und nach Laguât in Februar, Marz und April 1857, gesammelt von H.
+Duveyrier. — <em>Zeitschrift der deutschen morgenländischen
+Gesellschaft</em>, t. XII, 1858, p. 176-186.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_11"></a><a href="#FNanchor_11"><span class=
+"label">[11]</span></a>Henri Barth, ses voyages en Afrique et en
+Asie. <em>Revue contemporaine</em>, 1866, 4<sup>e</sup> livraison,
+28 février.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_12"></a><a href="#FNanchor_12"><span class=
+"label">[12]</span></a>Nous avons une preuve du soin apporté par H.
+Duveyrier à sa préparation, dans le fait qu’en 1858, du 6 au 12
+novembre, il avait fait, à la fenêtre de l’appartement que son père
+occupait, rue de Grenelle, n<sup>o</sup> 123, une série
+d’observations météorologiques dans le but de régler la marche d’un
+baromètre anéroïde.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<div class="page">
+<p class="center large"><span class="pagenum" id=
+"Page_1">[1]</span>JOURNAL DE ROUTE</p>
+</div>
+
+<h2 class="space-above"><span class="pagenum" id=
+"Page_3">[3]</span><a id="p1"></a>PREMIÈRE PARTIE</h2>
+
+<hr class="decor width6 spaced2">
+
+<h3 class="nopb"><a id="p1c01"></a>CHAPITRE PREMIER</h3>
+
+<p class="sch">DE BISKRA A L’OUED-RIGH ET AU SOUF</p>
+
+<p class="datesect">Biskra, 13 janvier 1860.</p>
+
+<p>J’ai fait aujourd’hui une liste des peuplades <em>nègres</em>
+qui sont représentées dans la petite colonie de Biskra. Voici la
+liste de ces tribus&nbsp;; je crois que, plus tard, elle devra être
+complétée. J’ai mis un astérisque devant les noms de peuplades dont
+nous ne connaissons la langue d’aucune manière&nbsp;: 1. Bornou. —
+2. Haoussa. — 3. Bagirmi. — 4. Felata. — 5. Mboum<a id=
+"FNanchor_13"></a><a href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>.
+— 6. Mandara. — 7. Koenna<a id="FNanchor_14"></a><a href=
+"#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>. — 8. * Kanembou. — 9.
+Teda. — 10. Timbouktou (Zonghay). — 11. Mbāna. — 12. Ouaday. — 13.
+* Manga<a id="FNanchor_15"></a><a href="#Footnote_15" class=
+"fnanchor">[15]</a>. — 14. * Doura. — 15. Katsena. — 16. Bambara. —
+17. Logonē. — 18. Derge. — 19. Affadē. — 20. Ngāla. — 21. Kouri. —
+22. Maggari<a id="FNanchor_16"></a><a href="#Footnote_16" class=
+"fnanchor">[16]</a>. — 23. Margi. — 24. Kerrekerre. — 25.
+Ngouzzoum<a id="FNanchor_17"></a><a href="#Footnote_17" class=
+"fnanchor">[17]</a>. — 26. Hadamoua<a id="FNanchor_18"></a><a href=
+"#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a>.</p>
+
+<p>Ces nègres ont formé un petit village de huttes en
+branches<span class="pagenum" id="Page_4">[4]</span> de palmiers,
+situé à l’origine des plantations, près du nouveau Biskra, dont il
+forme un petit faubourg. Les femmes portent des costumes de leur
+pays, tandis que les hommes ont choisi, dans les costumes de tous
+les peuples avec lesquels ils sont en relations, tous les oripeaux
+et les guenilles de couleurs voyantes qu’ils ont pu se
+procurer.</p>
+
+<p>Je me promène dans l’oued Biskra&nbsp;; dans les terres
+d’alluvions qui renferment son lit, on trouve les coquilles d’une
+espèce de gastéropode assez curieuse par ses formes qui rappellent
+celles des coquilles marines. La bouche est formée par une
+échancrure, la forme générale est entre celle de la limnea et celle
+de l’oliva, le test est assez dur&nbsp;; les bords de l’ouverture
+sont tranchants&nbsp;; la couleur de la coquille est d’un noir
+olivâtre, mais passe par toutes les couleurs jusqu’au blanc, selon
+qu’elle est plus ou moins ancienne dans la couche d’alluvions. Ce
+mollusque vit actuellement dans certains ruisseaux de l’oued
+Biskra<a id="FNanchor_19"></a><a href="#Footnote_19" class=
+"fnanchor">[19]</a>&nbsp;; on le trouve en masses considérables. —
+L’eau dans laquelle il vit ressemble, comme goût, à celle que l’on
+boit en ville, c’est-à-dire qu’elle est légèrement saumâtre. — Un
+mollusque herbivore se trouve ici en grand nombre sur les tiges de
+cannes, roseaux qui croissent dans l’eau.</p>
+
+<p>Je prends ici l’occasion de faire remarquer que les eaux des
+ruisseaux en question renferment un second gastéropode, qui est
+turriculé et à tours de spire ornés de côtes. Ce mollusque vit dans
+la vase, où l’on a de la peine à le distinguer à cause de sa
+couleur cendrée. — Je crois qu’il est identique à celui des eaux
+artésiennes de l’oued Righ<a id="FNanchor_20"></a><a href=
+"#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>. Ce dernier vit dans les
+<em>saquias</em> des jardins de Tougourt, dans une espèce de plante
+fluviatile (acotylédone, je crois) qui forme une mousse verdâtre.
+J’en ai dans le flacon à alcool n<sup>o</sup> 2.</p>
+
+<p class="datesect">Biskra, 14 janvier.</p>
+
+<p>J’emploie ma matinée à prendre l’heure exacte à une minute près,
+pour M. le colonel Séroka&nbsp;; je fais, par la même occasion, le
+calcul du lever du soleil pour cette année à Biskra&nbsp;; je
+trouve qu’il<span class="pagenum" id="Page_5">[5]</span> faut
+retrancher 42 minutes du temps du lever à Paris. — L’horloge
+avançait de 38 minutes&nbsp;! Les cadrans solaires ont, je crois,
+une erreur de quelques minutes, 7 minutes environ.</p>
+
+<p>Dans l’après-midi, je vais avec ces Messieurs du télégraphe et
+M. Colombo pour lever le plan du petit hameau de El’Aliya dont on
+voit les hauts palmiers tout près de Biskra. — C’était pour montrer
+à ces Messieurs comment il fallait opérer.</p>
+
+<p>El’Aliya touche d’un côté à l’oued dont les berges à pic
+s’éboulent à chaque crue&nbsp;; nous aperçûmes là des restes de
+fondations romaines et de vastes tubes de terre cuite superposés,
+le tout enchâssé dans les berges, et mis à nu par les eaux. Nous
+hésitons encore à déterminer quel était l’usage de ces
+constructions.</p>
+
+<p>Près de là est un cimetière, que l’eau ronge aussi, laissant
+voir des squelettes à moitié découverts. Je prendrai là quelques
+crânes pour ma collection.</p>
+
+<p>Dans le milieu de l’oued, près d’El’Aliya, est une construction
+carrée, évidemment romaine, remarquable en ce qu’elle n’a ni portes
+ni autres ouvertures. Actuellement elle est remplie de terre
+jusqu’au sommet. Les murs sont bien conservés, si ce n’est pour une
+ou deux petites brèches rondes qu’y fit Salah Raïs avec son
+artillerie. Il croyait, comme les Arabes aujourd’hui, que cette
+construction renferme un trésor.</p>
+
+<p>Un peu plus loin encore se trouve la coubba de Sidi-Zurzour qui
+fut bâtie sur une construction analogue à celle dont je viens de
+parler.</p>
+
+<p>Le cours de l’oued dans toute sa longueur, à part quelques
+bandes de terre végétale alluviale dont j’ai parlé plus haut, est
+couvert de galets et de pierres roulées, quelquefois énormes&nbsp;;
+la plupart sont de grès, d’autres de calcaire compact.</p>
+
+<p class="datesect">Biskra, 15 janvier.</p>
+
+<p>Aujourd’hui j’ai fait avec M. Colombo une promenade à pied à la
+source thermale de Hammâm Salahîn. La direction est vers le nord,
+appuyant un peu à l’ouest, je crois, et à 6 kilomètres du fort
+Saint-Germain&nbsp;; cependant je ne serais pas étonné que la
+distance fût un peu plus grande. Les bains sont entourés d’une
+construction, avec des chambres pour la commodité des baigneurs.
+Les eaux sont salées et ont, de plus, une forte odeur
+d’hydrogène<span class="pagenum" id="Page_6">[6]</span> sulfuré. La
+température de l’eau au bord du bassin, là où elle s’en échappe,
+était de&nbsp;:</p>
+
+<table class="tless">
+<tr>
+<td>44°,8</td>
+<td>thermomètre</td>
+<td>186</td>
+<td>de Baudin.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>44°,7</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>207</td>
+<td class="tdc">—</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Au milieu, à l’endroit où elle jaillit en bouillonnant, la
+température prise par M. Colombo était de&nbsp;:</p>
+
+<p class="center space-above1 space-below1 less">45°,1 thermomètre
+207 de Baudin<a id="FNanchor_21"></a><a href="#Footnote_21" class=
+"fnanchor">[21]</a>.</p>
+
+<p>M. Colombo entra dans le bain, mais, pour moi, je me contentai
+d’y mettre les pieds, qui me firent mal au bout de quelque
+temps.</p>
+
+<p>La raison de cette excursion était mon désir de me procurer des
+poissons vivant dans la <em>saguia</em> qui sort de la source, et
+qui conserve encore assez longtemps sa température élevée et plus
+encore les sels dont elle est saturée. Ces poissons, dont je
+réussis à me procurer quelques exemplaires, ressemblent beaucoup à
+ceux des eaux artésiennes de l’oued Righ<a id=
+"FNanchor_22"></a><a href="#Footnote_22" class=
+"fnanchor">[22]</a>&nbsp;; ils vivent dans une eau qui peut avoir
+30°. — Dans la même saguia croît une plante acotylédone
+<span class="arabic">خز</span><a id="FNanchor_23"></a><a href=
+"#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a>, à feuilles filiformes
+très ténues, la même, je crois, qui est si commune dans les
+<em>saguiet</em> de Tougourt, et qui sert de nourriture aux
+coquillages turriculés et aux glyphisodons ou perches à dents
+fendues. J’en ai pris un échantillon, et un Arabe qui était là m’a
+dit que cette plante servait de remède pour les maux d’yeux.
+Sont-ce les sels dont elle doit être imprégnée qui lui donnent
+cette vertu&nbsp;? Je suis très porté à le croire. Autour de la
+source thermale, on voit de nombreux tufs calcaires, presque
+entièrement composés de débris végétaux. D’autres pierres s’y
+trouvent aussi&nbsp;; j’en ai recueilli. On trouve près de là un
+petit lac de forme circulaire, que j’ai visité à mon premier
+passage ici. L’eau en est remarquablement froide<a id=
+"FNanchor_24"></a><a href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a>,
+et<span class="pagenum" id="Page_7">[7]</span> la profondeur m’en a
+été donnée (16 mètres) par M. Colombo qui l’a mesurée.</p>
+
+<p>Voici la liste des plantes dont je me rappelle le nom et que
+nous avons rencontrées en revenant de la source&nbsp;:
+<em>Bageul</em>, <em>remeth</em>,
+<em>kelkha</em>,<em>methennân</em>, <em>rhardeg</em>,
+<em>sedra</em>, <em>gandoul</em> (bou choucha)<a id=
+"FNanchor_25"></a><a href="#Footnote_25" class=
+"fnanchor">[25]</a>.</p>
+
+<p class="datesect">Biskra, 16-17 janvier.</p>
+
+<p>Visite au colonel Séroka. — Il me prête des calques superbes de
+cartes sur le Sahara&nbsp;; j’en copie un aujourd’hui même.</p>
+
+<p>Je remarque un fait important pour mes observations. Mon
+baromètre n<sup>o</sup> 892 est dérangé. Mais il ne l’est que
+depuis mon départ pour Constantine, car à cette époque je réglai
+mon anéroïde qui, maintenant, suit à peu près la marche du
+Gay-Lussac de M. Colombo.</p>
+
+<p class="datesect">Biskra, 18-19 janvier.</p>
+
+<p>M. Colombo dont j’ai déjà parlé est un ancien sous-officier. Il
+dirige l’école arabe française de Biskra. C’est une école où les
+jeunes Arabes peuvent apprendre le français et les éléments de nos
+sciences. Cette école est assez bien suivie, et j’ai pu me rendre
+compte des progrès intéressants qu’ont faits les élèves de M.
+Colombo. Leur maître est assez versé dans la connaissance de
+l’arabe, et il se perfectionne chaque jour dans la science par une
+étude diligente<a id="FNanchor_26"></a><a href="#Footnote_26"
+class="fnanchor">[26]</a>. Son traitement est de 1.800 fr. par
+an&nbsp;; il a un aide, Arabe de Constantine, élève de M.
+Cherbonneau, et qui, je crois, perçoit, un traitement de 100 fr.
+par an.</p>
+
+<p>Le colonel Séroka me dit que l’on avait commencé un forage à
+’Ain Baghdad, et qu’il fut interrompu lors de la guerre
+d’Italie.</p>
+
+<p class="datesect">1<sup>er</sup> février 1860.</p>
+
+<p>Je quittai aujourd’hui Biskra&nbsp;; MM. Manaud, Colombo et
+Falques vinrent me dire adieu avant mon départ. J’avais dit adieu
+au colonel hier au soir.</p>
+
+<p>Je suivis sur ma jument la marche lente des chameaux
+jusqu’à<span class="pagenum" id="Page_8">[8]</span> ce qu’étant
+enfin arrivés en vue des broussailles de tamarix que l’on a cru
+pouvoir nommer «&nbsp;forêt&nbsp;» de Saada, je fis partir ma
+monture au trot et j’arrivai au bordj de Taïr Rassou.</p>
+
+<p>Le kaïd Si Khaled était absent, mais il revint bientôt&nbsp;; il
+avait été en cherche de sangliers et rentrait sans en avoir vu un
+seul. — Ce fut peut-être là la raison de son accueil froid&nbsp;;
+car il ne me fit servir qu’une <em>berboucha</em> qu’à la vérité il
+partagea avec moi. — Je n’avais du reste que quelques moments à lui
+consacrer, et je repartis de suite pour arriver à Chegga avant la
+nuit.</p>
+
+<p>La route de Tougourt sur laquelle je marchais est assez bien
+tracée, surtout depuis que des voitures y sont allées. Aussi
+n’avais-je guère crainte de me perdre.</p>
+
+<p>J’arrivai à Chegga après le coucher du soleil. J’y trouvai,
+outre M. Lehaut, des officiers du bataillon avec qui j’avais fait
+connaissance à Tougourt.</p>
+
+<p>Les chameaux arrivèrent pendant la nuit.</p>
+
+<p>Je dois noter que sur la route, un peu après la rivière, j’ai
+rencontré cinq ou six petits monuments en forme de pyramides et une
+tombe, le tout rassemblé sur un espace de quelques mètres
+carrés&nbsp;; c’est un monument élevé par les Oulad Moulet, pour
+éterniser le souvenir d’une défaite que leur a infligée en cet
+endroit le chérif.</p>
+
+<p class="datesect">2 février.</p>
+
+<p>Je ne suis pas parti de bon matin. J’ai été voir, avec M.
+Lehaut<a id="FNanchor_27"></a><a href="#Footnote_27" class=
+"fnanchor">[27]</a>, le quatrième puits qu’il est en train de
+finir, espérons-le.</p>
+
+<p>Parti encore aujourd’hui en avant du bagage, j’arrivai d’assez
+bonne heure à Oumm-et-Tiour.</p>
+
+<p>Oumm-et-Tiour est un petit village arabe, créé par les
+Français<a id="FNanchor_28"></a><a href="#Footnote_28" class=
+"fnanchor">[28]</a>. Il compte aujourd’hui 28 maisons habitées et
+une mosquée remarquable à cause de son beau minaret. On y compte
+plusieurs centaines de palmiers âgés de deux à trois ans, qui
+vont<span class="pagenum" id="Page_9">[9]</span> donc porter leurs
+fruits l’année prochaine. — Je crois que la plupart des habitants
+sont des Selmia.</p>
+
+<p>Chegga, au contraire, qui doit aussi son existence aux puits
+artésiens de M. Lehaut, ne compte encore qu’une quinzaine de
+maisons au plus, en comptant celles qu’occupent les forges, les
+employés, etc... Chegga n’a pas de palmiers, et c’est la première
+année qu’on y ensemence.</p>
+
+<p class="datesect">3 février.</p>
+
+<p>Aujourd’hui je me rendis à Merhaier, la première oasis de
+l’Oued-Righ, en venant du nord.</p>
+
+<p>Le cheikh étant absent, je me vis sur le point de manquer de
+guides pour traverser le pays désert qui sépare ce point de
+l’Oued-Souf. Cependant, heureusement pour moi, le cheikh arriva
+dans la soirée, et, après avoir lu la lettre du colonel Séroka, il
+me dit que le lendemain je pourrais partir à l’heure qui me
+conviendrait, avec cinq hommes à pied comme escorte et un guide à
+cheval.</p>
+
+<p>Les plantations de palmiers de Merhaier, arrosées par des
+sources artésiennes, sont, du moins dans cette saison, très pauvres
+en produits de potager. Les arbres fruitiers y sont même fort
+rares&nbsp;; c’est à peine si on y voit un figuier et un pêcher
+égarés.</p>
+
+<p>Les eaux des fossés abondent en grenouilles.</p>
+
+<p>Les Rouâgha dont la race commence ici, sont remarquables par
+leur physique et surtout par leur teint, qui approche beaucoup du
+type nègre. Certains d’entre eux sont même plus noirs que les gens
+du nord du Haoussa (Madja, etc.). Les femmes se vêtissent de bleu.
+Elles ne mettent rien d’autre sur leur tête que leur vêtement ou
+haïk, absolument comme on peint la madone. — Mais combien peu
+d’entre elles pourraient laisser un doute à ce sujet et jouter de
+grâce et d’élégance de formes avec les portraits de Raphaël&nbsp;!
+Les femmes me paraissent jouir de la liberté à laquelle elles ont
+droit.</p>
+
+<p class="datesect">4 février.</p>
+
+<p>Après avoir écrit quelques lettres et rassemblé mon monde, je me
+mis en marche pour l’Oued-Souf.</p>
+
+<p>Nous primes d’abord la direction de l’Oued-el-Khorouf,
+qui<span class="pagenum" id="Page_10">[10]</span> n’a d’autre
+importance que celle d’un canal de décharge des eaux de l’oued Righ
+dans le chott Melghigh. Nous nous arrêtâmes à ’Ain ed ’Daouira,
+petit bassin circulaire occupé par des roseaux et autres plantes
+aquatiques. C’est probablement un «&nbsp;puits mort&nbsp;». Nous
+fîmes là notre provision d’eau douce (?) et coupâmes
+l’Oued-el-Khorouf.</p>
+
+<p>Nous nous rapprochâmes alors du chott, dont nous avions gardé la
+nappe brillante sur notre gauche, avec les petites oasis de
+palmiers de Choucha, Dindouga et de Wousli, cette dernière isolée
+au milieu des eaux du chott.</p>
+
+<p>Nous continuâmes à travers un pays, qui tantôt apparaissait sous
+l’aspect du chott avec son terrain meuble, composé de sable
+quartzeux mélangé de sel et d’argiles, tantôt nous obligeait à
+traverser des lignes de franches dunes de sables.</p>
+
+<p>Enfin nous nous arrêtons dans le Sif bou Delal.</p>
+
+<p class="datesect">5 février.</p>
+
+<p>La direction générale de la crête des dunes du Sif bou Delal est
+de 147° magnétique&nbsp;; c’est-à-dire qu’elles ont été formées
+sous l’influence d’un vent du nord-ouest ou à peu près.</p>
+
+<p>Ma caravane se compose de quatre Rouaghas commandés par un
+Arabe, tous à pied et armés de leur long fusil. Ils portent
+eux-mêmes leurs vivres, composés de farine et de dattes, avec une
+petite provision d’eau. Le guide, un «&nbsp;monsieur&nbsp;»
+boiteux, est en revanche monté sur un cheval qu’il ne peut
+gouverner, et qui adresse de temps en temps des compliments à ma
+jument. Mes deux Souafas ne quittent ni leurs fusils ni leurs
+chameaux, et lorsque leurs animaux veulent descendre la pente des
+dunes, ils se suspendent à leur queue pour faire le contrepoids des
+bagages.</p>
+
+<p>Aujourd’hui nous atteignîmes, vers midi, les dunes de Gasbiya,
+du moins nous nous en arrêtâmes à 1 kilomètre, car je jugeai
+inutile de les gravir, l’<em>ógla</em><a id=
+"FNanchor_29"></a><a href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a>
+qui existait autrefois au nord des dunes étant sèche depuis deux
+ans. Je pris des visées de boussole sur les dunes de Gasbiya et sur
+les sables de Retmaya, lesquels ne présentent pas de sommets.</p>
+
+<p>Nous continuâmes ensuite notre route en prenant une
+nouvelle<span class="pagenum" id="Page_11">[11]</span> direction,
+parce que la visite à Gasbiya nous avait obligés à nous détourner
+de la route du Souf pour appuyer au nord.</p>
+
+<p>Je ne fais pas une description plus longue de notre route
+d’aujourd’hui dont les détails se trouveront dans l’itinéraire. Je
+me borne à dire que nous n’eûmes d’autre aventure que de rencontrer
+les traces de pas de deux hommes, ô miracle&nbsp;! dans cette
+solitude. — En revanche, les empreintes de pas de gazelles, de
+lièvres, de gerboises et de <em>djird</em><a id=
+"FNanchor_30"></a><a href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a>
+étaient moins rares.</p>
+
+<p>Presque toute la route dans les sables.</p>
+
+<p class="datesect">6 février.</p>
+
+<p>Nous avons voyagé toute la journée dans une région de dunes
+désertes. Ce fut un travail pénible pour les bêtes et pour les
+hommes.</p>
+
+<p>Ces dunes ne sont pas très hautes et affectent une forme
+allongée comme les vagues de la mer. Elles doivent évidemment leur
+existence à la prédominance des vents du nord-ouest&nbsp;; ce qui
+viendrait confirmer l’opinion de ceux qui veulent que les vents
+alizés règnent dans ces parages<a id="FNanchor_31"></a><a href=
+"#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a>. — Les dunes se trouvent
+distribuées par zones assez larges, séparées entre elles par des
+espaces relativement unis qui prennent le nom d’oueds.</p>
+
+<p>La végétation de cette région est composée principalement
+d’àlenda et de drin. L’<em>arta</em>, le <em>dhomrân</em>, le
+<em>harmel</em>, etc., s’y trouvent aussi, mais en bien moins grand
+nombre.</p>
+
+<p>Le vent soufflait avec violence, enlevant le sable et ajoutant
+un fort désagrément à celui du voyage dans un pays aussi désert,
+aussi monotone.</p>
+
+<p>Après avoir traversé une zone de dunes appelée le
+Medheheb-el-Charguia, par opposition au Medheheb-el-Garbiya que
+nous laissions à droite, nous arrivâmes dans les dunes de Messelmi,
+qu’il nous fallut gravir et descendre pendant quelque temps jusqu’à
+ce que nous arrivâmes aux puits du même nom. — Ils sont tous
+comblés&nbsp;; les Arabes me disent dans leur langage
+expressif&nbsp;: «&nbsp;Le vent les a ensevelis&nbsp;».</p>
+
+<p>Quoique déjà bien épuisés, nous continuâmes notre route avec
+énergie, et, après avoir traversé un «&nbsp;oued&nbsp;», nous
+atteignîmes les<span class="pagenum" id="Page_12">[12]</span>
+premières dunes de Medjigger. Ces dunes, quoique de la même nature
+que les précédentes, sont néanmoins plus élevées.</p>
+
+<p>Nous arrivâmes enfin aux puits, peu de temps avant le coucher du
+soleil. Les puits de Medjigger sont entourés de maçonnerie.</p>
+
+<p>J’écrivis ce soir trois lettres, entre autres au colonel Séroka
+et à mon père&nbsp;; je fis quelques observations, mais lorsque je
+voulus observer le passage de Jupiter au méridien, je m’aperçus que
+je m’y étais pris trop tard, l’astre commençait à baisser.</p>
+
+<p>J’attends jusqu’à passé minuit pour observer la lune.</p>
+
+<p class="datesect">7 février.</p>
+
+<p>Notre journée nous mena à travers une région couverte de zones
+de petites dunes allongées, séparées par des surfaces sablonneuses
+assez unies. La végétation resta à peu près la même que les jours
+précédents, si ce n’est que les àlenda devinrent plus communs. — Ce
+pays est semé de puits ou plutôt de noms de puits, d’endroits où il
+y avait autrefois des puits, lesquels ont été comblés par le
+vent.</p>
+
+<p>Le plus remarquable de ces puits, celui qui est le plus connu,
+est celui de Moui-Tounsi, comblé depuis l’année où le chérif vint
+par ici.</p>
+
+<p>En sortant des dunes Moui-Tounsi, on entre dans Areg-el-Miyet,
+sables dont le nom est dû à l’absence de végétation qui les
+caractérise. Ensuite on arrive sur les plantations de palmiers de
+Rhamra.</p>
+
+<p>Rhamra était autrefois un village&nbsp;; aujourd’hui on n’en
+voit plus que les ruines, et les propriétaires des palmiers n’y
+viennent qu’à l’époque de la récolte des dattes.</p>
+
+<p>Les plantations de l’Oued-Souf ont un caractère à part. Je vais
+parler de celles de Guemâr&nbsp;; si celles d’El-Oued en diffèrent,
+je les décrirai ensuite. — Les palmiers de Guemâr sont disséminés
+par petits bouquets dans les interstices des dunes. Ils ne m’ont
+pas semblé plantés dans une dépression artificielle. De nombreux
+puits à bascules (en arabe Khattâra) sont élevés dans le voisinage
+des palmiers pour en faciliter l’arrosage. En été, on les arrose
+deux fois par jour, matin et soir&nbsp;; en hiver, je crois qu’on
+ne le fait qu’une seule fois. A 2 heures de la nuit environ, les
+travailleurs quittent Guemâr à grand bruit et vont aux palmiers
+travailler à ôter les sables d’autour des troncs, car
+le<span class="pagenum" id="Page_13">[13]</span> sable empiète sans
+cesse sur les plantations. Ils choisissent pour cela la nuit, même
+en hiver, afin d’éviter la chaleur du jour. Malgré ces soins, les
+sables enterrent beaucoup de palmiers dont on voit les troncs
+dénudés et morts.</p>
+
+<p>En approchant de la ville, nous entrâmes dans une plaine unie
+sans sable, un <em>sahen</em>&nbsp;; les puits devinrent beaucoup
+plus fréquents&nbsp;; nous avions, à la droite, de petits jardins
+carrés entourés d’une haie de branches de palmiers et possédant
+presque tous un puits à bascule, et souvent encore une petite
+cabane aussi en branches et troncs de palmiers. On y voyait surtout
+des cultures de tabac.</p>
+
+<p>Enfin nous arrivâmes à Guemâr.</p>
+
+<p>Je dois parler d’un petit incident amusant qui nous arriva avant
+que nous fussions arrivés à Moui-Tounsi. — Mes guides souafa
+avaient découvert des traces de pas et se montraient
+inquiets&nbsp;; enfin ’Oina, qui me précédait, se retourna vers moi
+et me dit d’une voix trop émue&nbsp;: «&nbsp;Regarde, voilà du
+monde là-bas vers le sud.&nbsp;» J’eus beau écarquiller mes yeux,
+je ne pus rien apercevoir. Mon homme prit son fusil et se mit à
+délier la bande d’étoffe qui entourait la batterie. Je le priai de
+se tenir tranquille et de ne pas faire de préparatifs guerriers
+tant qu’il n’aurait pas vu autre chose qu’un chameau, car c’était
+là ce qu’il appelait «&nbsp;du monde&nbsp;».</p>
+
+<p>Nous finîmes par arriver sur deux chamelles, agenouillées
+derrière un buisson, et nous pûmes voir leur maître, effrayé,
+s’enfuir à toutes jambes. Nous le rappelâmes en lui faisant des
+signes de paix. Il revint. C’était un vieillard toroud, à belle
+barbe et belles moustaches blanches. Il gardait les troupeaux de
+moutons et de chèvres et les deux chamelles que nous avions
+découvertes. Ce brave homme n’avait qu’une <em>gandoura</em> un peu
+courte pour tout vêtement&nbsp;; il s’approcha à genoux de mes
+Souafa (pour ne pas se découvrir), fuma une pipe avec eux, et,
+après avoir échangé les nouvelles, nous reprîmes notre course vers
+Guemâr.</p>
+
+<p>Je reviens donc à notre arrivée dans cette ville.</p>
+
+<p>Je fus reçu avec un zèle prodigieux de la part des quatre
+cheikhs, qui remplacent les huit membres de l’ancienne Djemâa. On
+me gêna même par la persistance que l’on mit à me nourrir, à me
+tenir compagnie, etc., par les protestations nombreuses qu’on me
+fit. — La visite du Qadhi me fut bien agréable. C’est un homme
+instruit et civilisé, qui me donna de bons renseignements
+historiques,<span class="pagenum" id="Page_14">[14]</span> et me
+promit de me faire une copie d’un livre du cheikh el ’Adouâni,
+qu’il m’enverra à Biskra.</p>
+
+<p>Je fus logé dans la maison du cheikh Abd-el-Kader qui est un
+gros vieux bonhomme de soixante-dix ans, à voix de stentor. — Il
+veut à toute force être mon ami.</p>
+
+<p>Guemâr est une ville de 4.000 habitants environ. Les maisons
+sont presque à hauteur d’homme, et de maigre apparence. Cependant
+elles doivent être solides, étant bâties de pierres<a id=
+"FNanchor_32"></a><a href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a>
+et de chaux. Les toits, surmontés de petits dômes, sont d’un effet
+original. Les murs des maisons ne sont pas crépis ni égalisés, mais
+le tout paraît blanc. Il y a très peu de maisons réunies. La ville
+possède un petit marché, quelques boutiques et plusieurs mosquées,
+y compris une zaouia qui est le plus beau monument de Guemâr.</p>
+
+<p>Les habitants de Guemâr sont une race paisible et laborieuse, je
+crois. Ils se couvrent la tête d’un haïk simple ou d’un petit
+turban blanc. Les cordes en poil de chameau ne sont pas ordinaires.
+Les femmes ont un type à part qui n’est ni celui des Arabes
+nomades, ni celui des femmes de l’Oued-Righ. — Les hommes m’ont
+paru avoir des physionomies rappelant celles des Béni-Mezab, et
+cela s’explique par les données historiques que je présenterai.</p>
+
+<p>Les tribus de Guemâr sont&nbsp;: les Ouled-Bou’Afi, les
+Ouled-Abd-el-Kader, les Ouled-Abd-es-Sadiq avec la petite tribu des
+Ouled-Mousa, leurs frères, les Ouled-Hôwimen. Ces quatre tribus ont
+chacune leur chef.</p>
+
+<p>La tradition rapporte que l’Oued-Souf était autrefois un
+véritable oued, dans un pays sans sables, que les premières
+plantations de palmiers étaient aussi dans ce pays avant que les
+dunes ne s’y fussent formées. — Les dunes arrivèrent ensuite,
+poussées par les vents de l’est qui dominent&nbsp;; on peut voir
+maintenant où elles sont parvenues.</p>
+
+<p>Cette tradition confirmerait l’hypothèse de l’extension du Palus
+Tritonis. Les sables formaient le fond de la mer et, à mesure
+qu’elle recula, ils furent soumis à la force du vent<a id=
+"FNanchor_33"></a><a href="#Footnote_33" class=
+"fnanchor">[33]</a>.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_15">[15]</span>Les Ouled-Hamid
+sont les premiers Arabes qui s’établirent dans l’Oued-Souf&nbsp;;
+c’étaient des Qoreich&nbsp;; ils quittèrent la Syrie au temps de
+Sidna’Otman ben ’Affan.</p>
+
+<p>Les Arabes aujourd’hui nommés Toroud<a id=
+"FNanchor_34"></a><a href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a>
+vinrent du Caire où ils s’étaient révoltés&nbsp;; ils allèrent
+jusqu’à Jiriga dans le Djérid, mais le souverain de Tunis les
+expulsa à cause des troubles qu’ils occasionnaient. — Ils prirent
+le nom de Toroud sur la route du Souf où ils rencontrèrent un
+vieillard de ce nom, qui consentit à devenir leur chef à cette
+condition. Ils eurent de longs combats à livrer aux ’Adouan pour
+s’établir dans le Souf où ils vécurent ensuite tous ensemble.</p>
+
+<p>La population première du Souf était des Abadiâ<a id=
+"FNanchor_35"></a><a href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a>.
+Les Zenata y eurent une ville, c’est ’Amich.</p>
+
+<p>Les habitants de Guemâr suivent la secte du marabout de Tolga,
+dans les Zibân&nbsp;; quelques-uns sont Tedjinis.</p>
+
+<p class="datesect">8 février.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, je pris un plan grossier de la ville. En partant de
+Guemâr, nous arrivâmes bientôt devant Tarhzout, qui est bien plus
+petite. On voulut m’y retenir pour la nuit. Ensuite nous arrivâmes
+à Kouinin où les mêmes offres me furent faites. Kouinin est
+peut-être aussi grande que Tarhzout ou un peu plus.</p>
+
+<p>Entre Guemâr et El-Oued, on a toujours sur la gauche des
+bouquets de palmiers disséminés dans les intervalles des dunes. A
+droite, des puits en assez grand nombre et quelques carrés de
+culture.</p>
+
+<p>Entre Kouinin et El-Oued je rencontrai le khalifa qui était venu
+au-devant de moi avec trois cavaliers&nbsp;; je montai sur un de
+ses chevaux, un peu fringant, et nous atteignîmes bientôt
+El-Oued.</p>
+
+<p>Le khalifa malheureusement a des appréhensions pour la sécurité
+des routes du Djérid.</p>
+
+<p class="datesect">9-10 février.</p>
+
+<p>El-Oued est une ville d’environ 6.000 habitants, de même
+construction que Guemâr&nbsp;; seulement elle possède en plus une
+mosquée<span class="pagenum" id="Page_16">[16]</span> à minaret
+élevé, et un bordj pour le khalifa. Les maisons sont composées en
+grande partie, d’une cour dans laquelle est dressée une tente et
+qui contient encore une hutte ou un hangar de branches de palmiers.
+Les Ouled-Hamed habitent un quartier un peu à part, à l’est du
+bordj du khalifa.</p>
+
+<p>Outre les habitants de la ville, El-Oued possède encore un petit
+nombre de tentes de nomades Harazlia et Nouail&nbsp;; il m’a été
+dit que, s’il se trouve quelques jeunes veuves parmi eux, elles
+n’ont aucune prétention à des mœurs sévères.</p>
+
+<p>Le bordj du khalifa a été bâti d’après un dessin du capitaine
+Langlois&nbsp;; c’est un carré défendu à l’est et à l’ouest (à deux
+angles seulement) par un bastion carré, dont l’un renferme la
+prison, qui est plus belle que la plus belle maison de la
+ville.</p>
+
+<p>Les vêtements sont les mêmes que dans le reste du Souf.</p>
+
+<p>Les nègres ne se voient que très rarement.</p>
+
+<p>Les Juifs sont au nombre de quarante-sept, répartis dans onze
+maisons. Ils font d’assez bonne anisette.</p>
+
+<p>Il y a ici des communications fréquentes avec l’étranger,
+Ghadâmès, le Nefzaoua et le Djerid, Tunis même. Il y a aussi
+quelques marchands de Ghâdamès et plusieurs du Djerid.</p>
+
+<p>Je me décide à aller à Ouarglă par la route directe.</p>
+
+<p>Les plantations d’ici sont dans des cavités creusées entre les
+dunes&nbsp;; les arbres ne sont pas arrosés, leurs racines trempant
+dans l’eau de la couche souterraine. On prétend que les Souafa ont
+voulu m’en imposer en me disant qu’ils arrosaient leurs
+palmiers<a id="FNanchor_36"></a><a href="#Footnote_36" class=
+"fnanchor">[36]</a>.</p>
+
+<p class="datesect">11 février.</p>
+
+<p>J’ai enfin pu partir aujourd’hui.</p>
+
+<p>Mais, avant de partir, je dois terminer mes notes sur El-Oued
+par la mention des prix des objets que le hasard m’a fait voir. Les
+cotonnades anglaises avec le nom de John Rose et qui viennent de
+Tunis se vendent 15 fr. la pièce de 75 draa<a id=
+"FNanchor_37"></a><a href="#Footnote_37" class="fnanchor">[37]</a>.
+Le musc de la Mekke, venant de l’Inde, se vend, du moins j’en ai
+acheté à 1 fr.<span class="pagenum" id="Page_17">[17]</span>
+l’ouzena<a id="FNanchor_38"></a><a href="#Footnote_38" class=
+"fnanchor">[38]</a>. Ordinairement il est plus cher. J’ai acheté à
+un prix ordinaire un haïk djeridi arrivé la veille, pour 47 fr.
+50.</p>
+
+<p>Les poules sont bon marché&nbsp;: j’en ai acheté sept à 1 fr.
+pièce, j’ai eu dix-huit œufs pour 50 centimes.</p>
+
+<p>Le khalifa ne veut pas me laisser partir sans me donner des
+oranges venant de Tunisie et un œuf d’autruche.</p>
+
+<p>En sortant d’El-Oued, nous avons suivi la route de Temassin
+pendant quelque temps jusqu’au puits situé dans la dépression de
+Haouad-Tounsi. Les dunes que nous avons à traverser, les plus
+hautes que j’aie vues dans cette partie du Sahara, sont dépourvues
+de végétation.</p>
+
+<p>Du puits ci-dessus nommé, nous plongeâmes vers le sud. La
+caravane que je suivais et pour laquelle j’avais attendu un jour à
+El-Oued, voulut choisir la voie la plus courte par Bir-Righi et
+Matmata, mais comme j’avais intérêt à voir la route de Hassi-Omran,
+je fis route à part, menaçant de rendre compte au khalifa de ce que
+feraient les autres membres de la caravane. Néanmoins nous nous
+séparâmes.</p>
+
+<p>Ce jour-là, nous n’allâmes guère plus loin&nbsp;; après avoir
+voyagé quelque temps dans des dunes de peu d’importance, séparées
+par des oueds ou espaces de sables unis et plus garnis de
+végétation, nous campâmes pour coucher.</p>
+
+<p>Déjà, ce soir, des députés de la caravane viennent pour
+parlementer. Je les renvoie sans rien changer à ce que j’ai dit
+hier.</p>
+
+<p class="datesect">12 février.</p>
+
+<p>Toute la journée peut se résumer en ceci&nbsp;: nous avons
+traversé une succession de zones de dunes basses et d’oueds, comme
+je les ai décrits précédemment. La végétation est aussi celle des
+sables du nord de l’Oued-Souf&nbsp;: genêts <em>retem</em>,
+<i>Ephedra</i> et <em>drin</em>. Seulement je remarque quelques
+plantes nouvelles qui sont&nbsp;: <em>ezal</em>, <em>markh</em>,
+<em>arabia</em>, et le <em>lebin</em> que j’avais oublié de noter
+parmi les plantes du nord de l’oued.</p>
+
+<p>J’ai monté à chameau hier et aujourd’hui. On conduit ma jument
+sans selle par la bride&nbsp;; je veux qu’elle se fatigue le moins
+possible et que sa blessure se repose.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_18">[18]</span>J’ai oublié de
+noter que j’ai trois chameaux, deux chameliers, dont l’un est le
+guide, et un domestique du khalifa, qui est bon cuisinier, et
+partant très précieux. — Les chameaux et leurs maîtres me coûtent
+en tout 45 fr. d’El-Oued à Ouarglă.</p>
+
+<p class="datesect">13 février.</p>
+
+<p>Nous n’avons fait qu’une très petite journée. J’ai voulu passer
+la nuit au puits de Sidi-el-Bachir pour en prendre la latitude.</p>
+
+<p>Nous n’avons eu que peu de sables à traverser et cela seulement
+dans la Chara de Sidi-el-Bachir que nous avons longée longtemps et
+enfin traversée pour arriver au puits.</p>
+
+<p>La végétation a été la même que précédemment, sauf l’apparition
+de <em>halma</em> et de <em>sefâr</em> (graminées)&nbsp;; le
+<em>drin</em> et le <em>markh</em> dominaient.</p>
+
+<p>A notre arrivée au puits, nous y avons trouvé deux Touaregs avec
+leurs enfants et un esclave qui abreuvaient leurs chameaux. Ce sont
+des gens du Matmata, en route pour El-Oued où ils vont acheter du
+grain.</p>
+
+<p>Ils nous donnent la nouvelle que, hier ou avant-hier, les
+Oulad’Amar (Oued-Righ) ont eu une querelle avec les Chaànba de
+Ouarglă, à cause de leurs chameaux. Un des gens des Chaànba, un
+homme marquant, a été tué. Les deux tribus sont sur le point de
+s’attaquer.</p>
+
+<p>Aujourd’hui j’ai vu, sur le sable, les traces d’un petit
+carnassier que nos guides appellent <em>sefchi</em> <span class=
+"arabic">سڢشى</span>, qu’ils dépeignent comme tigré de blanc et de
+noir. C’est peut-être une espèce nouvelle.</p>
+
+<p>Je suis tout à fait guéri de mes douleurs rhumatismales dans les
+épaules. Mais je subis le soir une diarrhée épouvantable. L’eau du
+puits a un plus mauvais goût que celle des précédents, mais elle
+est supérieure à celle de Tougourt.</p>
+
+<p class="datesect">14 février.</p>
+
+<p>Nous avons quitté le puits ce matin et avons voyagé dans l’oued
+Sidi-el-Bachir, ayant pendant longtemps, à notre gauche, les sables
+du Ghourd de Saàdiya.</p>
+
+<p>Nous traversâmes la Chouchet el ’Anz et continuâmes dans une
+région «&nbsp;d’oued&nbsp;» sans que la végétation donnât lieu à
+d’autre remarque que celle de l’apparition de l’<em>àlga</em>.</p>
+
+<p>Je remarquai quelques affleurements de calcaire compact.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_19">[19]</span>Nous nous
+arrêtons, ayant devant nous, à l’horizon, les sables de Sayyâl.</p>
+
+<p class="datesect">15 février.</p>
+
+<p>Aujourd’hui une courte marche à travers une région assez
+sablonneuse, principalement couverte d’<em>àlenda</em>, de
+<em>drin</em> et de <em>hād</em>, nous mena au puits de
+Oulad-Miloud&nbsp;; quoique nous y fussions arrivés de bien bonne
+heure, je résolus de m’y arrêter jusqu’à minuit pour obtenir la
+latitude du lieu.</p>
+
+<p>Après midi, nous continuâmes la marche pour arriver bientôt dans
+le voisinage du puits aujourd’hui comblé de Sayyâl, dont nous
+avions les dunes à une petite distance à droite. Nous vîmes à 5 ou
+600 mètres à gauche le puits de Bey-Sâlah dont l’eau est salée et
+beaucoup moins bonne que celle du Hassi-Miloud.</p>
+
+<p>Après avoir dépassé cette région vers la fin de la journée, je
+fus surpris de voir un changement notable dans la végétation, qui
+se composait de <em>bāgeul</em>, <em>dhomràn</em>, <em>zeita</em>,
+<em>drin</em> et <em>sefâr</em>.</p>
+
+<p>Je me couche presque sans rien manger, malade de fatigue, car la
+marche accélérée de nos chameaux m’avait beaucoup secoué, et, par
+suite, courbaturé.</p>
+
+<p class="datesect">16 février.</p>
+
+<p>Une courte marche nous amena dans l’Oued-Sîdah, que j’avais
+soupçonné auparavant être le bas de l’Oued-Igharghar. Mais il ne
+peut en être ainsi, cet oued étant, comme tous les autres, une
+simple région délivrée des sables, sans pente régulière<a id=
+"FNanchor_39"></a><a href="#Footnote_39" class="fnanchor">[39]</a>,
+etc.</p>
+
+<p>Nous y trouvâmes d’abord un petit nombre de chameaux conduits
+par un jeune garçon très gai, qui paraissait tuer le temps en
+chantant et qui répondit de bon cœur (chose rare) à toutes les
+questions que je lui fis adresser. Il menait ses chameaux à un
+puits nommé Rebahaya qu’il nous dit être à <em>moins</em> d’une
+demi-journée au sud, et il allait fort lentement.</p>
+
+<p>Nous rencontrâmes plus loin deux voyageurs venant de Ouarglă
+avec deux chameaux. Ils nous apprirent que la ville était
+moins<span class="pagenum" id="Page_20">[20]</span> éloignée que
+nous ne le pensions et que nous y arriverions facilement
+demain.</p>
+
+<p>Nous entrâmes ensuite dans un bassin entouré de hauteurs de tous
+côtés, et, après l’avoir traversé, nous nous arrêtâmes pour
+déjeuner à El-Bouïb qui, comme le nom l’indique, n’est autre chose
+que l’endroit où l’on sort du bassin&nbsp;: c’est sa porte.</p>
+
+<p>Là commence le terrain de Hamāda, remarquable surtout par la
+nature de sa végétation rare et rabougrie, réduite à quelques
+petites touffes de <em>bāguel</em> et de <em>sefâr</em>, et à son
+sol uni quoique en partie sablonneux.</p>
+
+<p>Nous longeâmes, à une certaine distance, des chaînes de hauteurs
+que nous avions sur la gauche et nous nous arrêtâmes avant de les
+avoir dépassées. Cette plaine se nomme Sahan-er-Remâda.</p>
+
+<p>La jument n’a plus de <em>drin</em> aujourd’hui&nbsp;; je lui ai
+fait ramasser un certain nombre de touffes de <em>sefâr</em>.</p>
+
+<p class="datesect">17 février.</p>
+
+<p>Nous avons d’abord voyagé sur la hamāda, longeant la même chaîne
+de hauteurs que hier, puis nous sommes entrés dans une immense
+région unie, à sol dur, à maigre végétation de <em>bāguel</em> et
+coupé à de grandes distances par des chaînes de gour plus ou moins
+étendues<a id="FNanchor_40"></a><a href="#Footnote_40" class=
+"fnanchor">[40]</a>.</p>
+
+<p>Après avoir marché longtemps dans cette région, nous finîmes,
+vers le déclin du jour, par apercevoir une chaîne de hautes dunes
+que nous fûmes obligés de contourner, et, après l’avoir traversée à
+un endroit aisé, nous trouvâmes à notre droite une petite oasis de
+palmiers&nbsp;: nous venions d’entrer dans le bassin d’Ouarglă.</p>
+
+<p>Cependant il fallut encore une longue marche dans un terrain
+totalement dépourvu de végétation, avant d’atteindre les palmiers
+d’Aïn Beidha à travers lesquels nous marchâmes quelque temps, ayant
+à notre droite la longue oasis de ’Ajāja<a id=
+"FNanchor_41"></a><a href="#Footnote_41" class="fnanchor">[41]</a>.
+— Nous coupâmes ensuite la sebkha qui entoure Ouarglă et, après des
+détours le long<span class="pagenum" id="Page_21">[21]</span> des
+palmiers de la ville, nous y entrâmes par Bab es Soltan au coucher
+du soleil, lorsque le mueddin appelait à la prière.</p>
+
+<p>On tarda assez longtemps à venir au-devant de moi, et j’en fis
+de graves reproches aux chefs de la ville, avec lesquels du reste
+j’ai été en relations très froides pendant le court séjour que j’ai
+fait à Ouarglă<a id="FNanchor_42"></a><a href="#Footnote_42" class=
+"fnanchor">[42]</a>.</p>
+
+<p>On me donna une maison dans une rue appartenant aux Mezabites.
+C’est une grande bâtisse un peu en ruines aujourd’hui, mais encore
+très habitable et parfaitement appropriée aux besoins d’une grande
+famille indigène. Elle a des arcades, mais en moins grand nombre
+que les maisons du Mezâb.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp1c01">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_13"></a><a href="#FNanchor_13"><span class=
+"label">[13]</span></a>Peut-être la peuplade des Mbou, signalée au
+S.-E. du Baguirmi, ou plutôt celle des Mboumi, nègres païens des
+provinces de Ngaoundéré et de Tibati, Adamaoua. (Cf. Mizon, <em>les
+royaumes foulbé du Soudan Central</em>, <em>Annales de Géogr.</em>,
+1894-95, IV, p. 355, et Nolte, <em>Bericht über einen Besuch beim
+Sultan von Tibati</em>, <em>Deutsches Kolonialblatt</em>, 1900, p.
+285.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_14"></a><a href="#FNanchor_14"><span class=
+"label">[14]</span></a>Les Koana de Barth (<em>Reisen</em>, t. II,
+p. 696).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_15"></a><a href="#FNanchor_15"><span class=
+"label">[15]</span></a>Nom d’une région du Kanem septentrional, et
+d’une tribu du Bornou occidental. Il s’agit sans doute de la
+première, car Barth (IV, p. 35) mentionne les affinités
+linguistiques de la seconde.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_16"></a><a href="#FNanchor_16"><span class=
+"label">[16]</span></a>Les Makari de Barth.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_17"></a><a href="#FNanchor_17"><span class=
+"label">[17]</span></a>Probablement les Nguizzem de la carte
+ethnographique de Nachtigal. (<em>Völkerkarte von Bornu, Sahara und
+Sudan</em>, t. II).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_18"></a><a href="#FNanchor_18"><span class=
+"label">[18]</span></a>Le rayon de ces importations d’esclaves
+s’étendait donc des pays bambaras jusqu’au S.-E. du Baguirmi et au
+Ouadai. Rien ne montre mieux le prodigieux mélange ethnique opéré
+par les ventes et reventes successives de nègres sur les routes du
+désert.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_19"></a><a href="#FNanchor_19"><span class=
+"label">[19]</span></a>On sait que l’oued Biskra est ordinairement
+à sec, et que des sources, qui arrosent la ville, sourdent dans son
+lit.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_20"></a><a href="#FNanchor_20"><span class=
+"label">[20]</span></a>Voir <em>Mollusques terrestres et
+fluviatiles recueillis par M. Henri Duveyrier et décrits par M.
+J.-R. Bourguignat</em>. Supplément aux <em>Touaregs du Nord</em>.
+Paris, 1864.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_21"></a><a href="#FNanchor_21"><span class=
+"label">[21]</span></a>Température d’après M. Lahache&nbsp;: 45°,8.
+(<em>Étude hydrologique sur le Sahara français oriental</em>.
+Paris, 1900, p. 26.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_22"></a><a href="#FNanchor_22"><span class=
+"label">[22]</span></a>Voir, sur ces poissons de l’oued Rir,
+<em>Documents relatifs à la mission Choisy</em>. III.
+<em>Hydrologie du Sahara algérien, par M. Rolland</em>, ch. III, p.
+270-283. (Paris, 1895, in-4.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_23"></a><a href="#FNanchor_23"><span class=
+"label">[23]</span></a><em>khez</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_24"></a><a href="#FNanchor_24"><span class=
+"label">[24]</span></a>Température au 22 mars 1861&nbsp;: 18° C.
+(<em>Ville</em>, <em>Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna
+et de Sahara</em>. Paris, 1868, p. 207.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_25"></a><a href="#FNanchor_25"><span class=
+"label">[25]</span></a>Il semble y avoir ici une méprise&nbsp;;
+<em>bou choucha</em>, d’après le catalogue de M. F. Foureau, p. 10,
+n’est pas synonyme de <em>guendoul</em>, et désigne diverses
+espèces de sauge.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_26"></a><a href="#FNanchor_26"><span class=
+"label">[26]</span></a>M. Colombo fut le fidèle collaborateur du
+Bureau central météorologique de France pour la station de
+Biskra.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_27"></a><a href="#FNanchor_27"><span class=
+"label">[27]</span></a>Sur les campagnes de forages artésiens du
+lieutenant Lehaut, voir Rapport du colonel Séroka, <em>Revue
+algérienne et coloniale</em>, 1859, p. 354-372, et Ville, ouvr.
+cité, p. 295 et suiv. Les trois premiers sondages de Chegga
+fournissaient déjà environ 800 litres à la minute. Celui dont il
+est question ici fut poussé à 150 mètres et donna 100 litres à la
+minute. (<em>Rev. alg. et col.</em>, 1860, III, p. 548.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_28"></a><a href="#FNanchor_28"><span class=
+"label">[28]</span></a>«&nbsp;Avant le percement des puits
+artésiens, la plaine présentait l’aspect désolant du désert&nbsp;;
+pas une goutte d’eau.&nbsp;» (Jus, Notes sur le Sahara, <em>Rev.
+alg. et col.</em>, 1859, p. 51.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_29"></a><a href="#FNanchor_29"><span class=
+"label">[29]</span></a><em>Ogla, Oglat</em>&nbsp;: réunion de
+plusieurs puits en un seul point, où l’eau est très rapprochée du
+sol (F. Foureau).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_30"></a><a href="#FNanchor_30"><span class=
+"label">[30]</span></a>Rat rayé (<i>Mus barbarus</i>).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_31"></a><a href="#FNanchor_31"><span class=
+"label">[31]</span></a>Duveyrier a vu plus tard que les vents
+variaient avec les saisons.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_32"></a><a href="#FNanchor_32"><span class=
+"label">[32]</span></a>Les pierres sont des cristaux de chaux. H.
+D.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_33"></a><a href="#FNanchor_33"><span class=
+"label">[33]</span></a>C’est la première idée qui vienne à l’esprit
+lorsqu’on aborde le désert des sables. (Voir les théories
+analogues, Schirmer, <em>le Sahara</em>, p. 4.) Dans la suite de
+son voyage, Duveyrier devait changer de manière de voir&nbsp;:
+«&nbsp;la source de production des sables la plus considérable, si
+ce n’est l’unique, est la désagrégation des roches&nbsp;». (<em>Les
+Touaregs du Nord</em>, p. 38.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_34"></a><a href="#FNanchor_34"><span class=
+"label">[34]</span></a>Ou Troud. Cf. Ibn-Khaldoun, <em>Hist. des
+Berbères</em>, I, p. 155-156, sur l’origine des Troud et des
+Adouan, branches de la tribu arabe des Soleïm.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_35"></a><a href="#FNanchor_35"><span class=
+"label">[35]</span></a>Les Abed d’Ibn-Khaldoun (<em>ibid.</em>,
+III, p. 145).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_36"></a><a href="#FNanchor_36"><span class=
+"label">[36]</span></a>Ils arrosent cependant les jeunes plants
+(voir Vatonne, <em>Mission de Ghâdamès</em>, p. 303, etc.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_37"></a><a href="#FNanchor_37"><span class=
+"label">[37]</span></a>Draa, mesure de longueur variant de
+0<sup>m</sup>,47 à 0<sup>m</sup>,67. Ces mesures sont celles de
+Tunis. Le <em>draa-arbi</em>, en usage pour les tissus de coton,
+est de 0<sup>m</sup>,47&nbsp;; il s’agit donc ici d’une pièce de 35
+mètres.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_38"></a><a href="#FNanchor_38"><span class=
+"label">[38]</span></a>1/16<sup>e</sup> d’once de Tunis. Duveyrier
+l’a évaluée ailleurs à 31 grammes 8. (Notice sur le commerce du
+Souf dans le Sahara algérien, <em>Revue algérienne et
+coloniale</em>, novembre 1860.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_39"></a><a href="#FNanchor_39"><span class=
+"label">[39]</span></a>C’est, en réalité, un bras de l’ancienne
+zone d’épandage de l’Igharghar, devenu presque méconnaissable. Les
+progrès de la dénudation en ont fait une simple dépression allongée
+à sol de <em>reg</em>. (Cf. Foureau, <em>Au Sahara, mes missions de
+1892 et 1893</em>, carte.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_40"></a><a href="#FNanchor_40"><span class=
+"label">[40]</span></a>C’est la zone des dépôts rouges tertiaires
+érodés et nivelés par les eaux quaternaires, celle que M. Flamand
+nomme <em>zone d’épandage</em> des oueds Igharghar et Mya, et qu’on
+appelle d’ordinaire <em>région des gour</em>, du nom des buttes
+(débris de plateau) qui en émergent.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_41"></a><a href="#FNanchor_41"><span class=
+"label">[41]</span></a>Une des forêts de palmiers d’Ouarglă. Le nom
+d’Aïn est réservé ici aux puits artésiens qui les arrosent.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_42"></a><a href="#FNanchor_42"><span class=
+"label">[42]</span></a>Ceci ne doit pas surprendre. Ouarglă avait
+été à la dévotion du chérif Mohammed-ben-Abdallah&nbsp;; soumise
+une première fois en 1853, elle avait de nouveau fait accueil au
+chérif lorsqu’il avait reparu l’année suivante, si bien que, malgré
+la défaite et la disparition du chef insurgé (1854) on avait jugé
+bon d’y envoyer le général Desvaux avec une colonne en 1856. En
+somme, l’oasis obéissait aux nomades, qui, eux, obéissaient aux
+Ouled-Sidi-Cheikh, dont la fidélité — exception faite de Si-Hamza —
+restait toujours douteuse.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_22">[22]</span><a id=
+"p1c02"></a>CHAPITRE II</h3>
+
+<p class="sch">OUARGLA ET TOUGOURT</p>
+
+<p class="datesect">18 février.</p>
+
+<p>J’ai fait de longues promenades dans Ouarglă. J’ai d’abord
+visité le marché, très salement tenu&nbsp;; il avait à peine de la
+viande et du grain à vendre, et aussi un peu de goudron. Les
+vendeurs étaient des Chaànba et des gens d’El-Oued.</p>
+
+<p>Ensuite mon faible d’antiquaire m’a fait diriger mes pas vers la
+kasba, c’est-à-dire vers le grand espace occupé par les ruines de
+l’ancien château des sultans. Cette kasba m’a paru faire une petite
+ville à part&nbsp;; elle avait une porte encore debout comme celles
+de la ville&nbsp;; la distribution des appartements était assez
+resserrée, et par conséquent il y en avait des quantités
+considérables. Tout cela est aujourd’hui inhabitable, mais
+peut-être pourrait-on encore en faire le plan.</p>
+
+<p>Les rues d’Ouarglă sont étroites, bordées de maisons hautes
+comme celles de l’Oued-Mezăb, avec des portes surmontées et
+encadrées de grossiers dessins, ornées quelquefois d’un œuf
+d’autruche&nbsp;; enfin on y lit de petites inscriptions en
+caractères peu élégants, comme <span class="arabic">لا اله الا
+الله</span> ou bien <span class="arabic">نصر من الله</span>. La
+ville possède de nombreux passages voûtés, qui présentent pour
+l’été d’agréables lieux de repos pendant la chaleur du jour.</p>
+
+<p>Il y a deux mosquées avec leurs minarets&nbsp;; elles sont peu
+distantes l’une de l’autre.</p>
+
+<p>Les trois tribus des Beni Sisin, des Beni Brahim et des
+Beni<span class="pagenum" id="Page_23">[23]</span> Ouaggin se
+partagent la ville&nbsp;; une colonie importante de Beni Mezāb
+habite le quartier des Beni Sisin. Cette colonie a un intérêt
+historique très grand.</p>
+
+<p>J’ai eu beau m’enquérir avec un soin tout particulier de
+documents historiques, partout on m’a répondu qu’il n’en existait
+aucun. Cette unanimité dans l’assertion, venant même d’ennemis
+réciproques, des exploitants et des exploités, me fait croire
+qu’elle n’est que trop vraie.</p>
+
+<p>J’ai vu Mouley ’Abd-el-Kader, le fils du dernier Sultan
+d’Ouarglă&nbsp;; c’est un jeune homme incapable de gouverner et
+d’un caractère frisant l’inanité d’esprit.</p>
+
+<p>Dans mes promenades, je me suis vu interpeller de but en blanc
+pour demander justice des exactions sans nombre des
+«&nbsp;marabouts<a id="FNanchor_43"></a><a href="#Footnote_43"
+class="fnanchor">[43]</a>&nbsp;» secondés par les cheikhs et les
+kaïds qui partagent le profit. Ces désagréables discours m’ont été
+tenus plus d’une fois. On m’a, de plus, apporté deux écrits
+anonymes, contenant des plaintes formulées, en me priant de les
+faire parvenir au «&nbsp;maréchal<a id="FNanchor_44"></a><a href=
+"#Footnote_44" class="fnanchor">[44]</a>&nbsp;».</p>
+
+<p>La population d’Ouarglă est de couleur plus que basanée&nbsp;;
+les Khammâmès ou cultivateurs sont aussi noirs que des nègres du
+Haoussa&nbsp;; les gens de sang noble sont quelquefois plus blancs,
+mais pas toujours, car j’en ai vu qui ressemblaient presque à des
+nègres. Les Beni Ouarglă conviennent eux-mêmes que leur couleur
+vient des nombreuses négresses qu’ils ont prises autrefois et
+prennent même encore maintenant<a id="FNanchor_45"></a><a href=
+"#Footnote_45" class="fnanchor">[45]</a>.</p>
+
+<p>On me dit qu’il vient ici des caravanes de Rhât, de Goléâ,
+d’Insâlah.</p>
+
+<p>Dernièrement (il y a peu de jours), les grands de Goléâ, entre
+autres Bel-Lechheb, sont venus auprès de Sidi-Zoubir. Maintenant le
+marabout est à Metlili&nbsp;; je serais curieux de savoir
+pourquoi.</p>
+
+<p>Il paraît que Sidi-Zoubir<a id="FNanchor_46"></a><a href=
+"#Footnote_46" class="fnanchor">[46]</a> «&nbsp;mange&nbsp;» le
+pays, exige des impôts<span class="pagenum" id=
+"Page_24">[24]</span> extraordinaires et une dîme sur tous les
+produits du pays. Ces différentes contributions sont, bien entendu,
+pour son propre compte. Plusieurs familles d’Ouarglă ont émigré à
+Tunis, pour ce motif.</p>
+
+<p class="datesect">19 février.</p>
+
+<p>Nous avons quitté Ouarglă dans la matinée avancée, parce que
+j’ai employé plusieurs heures à écrire des lettres.</p>
+
+<p>En quittant la ville et après avoir traversé la sebkha, moins
+grande et moins déterminée de ce côté que de celui où nous étions
+arrivés, nous prîmes notre direction à travers une plaine
+légèrement accidentée, avec végétation de <em>zeita</em>, et nous
+longeâmes, à 4 ou 6 kilomètres de distance, un grand drâ<a id=
+"FNanchor_47"></a><a href="#Footnote_47" class="fnanchor">[47]</a>
+qui va jusqu’à Negousa.</p>
+
+<p>La nature du pays traversé ne changea qu’en ce que le sol
+s’aplanit et que la végétation cessa presque entièrement.</p>
+
+<p>Arrivé à Negousa, j’appris d’abord du kaïd, fils du dernier
+sultan et sultan lui-même, que les chroniques de la ville avaient
+été emportées lors de la destruction de la ville, il y a cinq ans,
+par Mohammed ben Abd Allah<a id="FNanchor_48"></a><a href=
+"#Footnote_48" class="fnanchor">[48]</a>.</p>
+
+<p>Pendant que l’on dressait les tentes, j’ai fait un tour dans la
+ville, qui est presque entourée de ruines. On rencontre, presque en
+entrant, des ruines remarquables d’une mosquée, dont toute une
+partie, avec de hautes colonnes, est encore debout. Je traversai un
+grand nombre de rues, presque toutes soutenues par des
+arcs-boutants.</p>
+
+<p>Je vis la kasba, où l’on travaillait à crépir les murs. Elle
+renferme dans des constructions antérieures plusieurs maisons dont
+se sert le kaïd. — Du reste, elle est assez bien tenue et
+appropriée à la grandeur de la ville.</p>
+
+<p>Je vis de loin une zaouia à minaret et dôme blanchis, d’un effet
+fort élégant. Ce soir, on y fait de la musique, ou,
+pour<span class="pagenum" id="Page_25">[25]</span> parler plus net,
+on répète deux notes sur une timbale, depuis au moins deux
+heures.</p>
+
+<p>Les grands de la ville m’ont paru assez convenables.</p>
+
+<p>A mon retour ici, je me livrerai à des études de détail.</p>
+
+<p>J’ai trouvé, à Negousa, deux choses agréables&nbsp;: d’abord un
+cheval déjà âgé, mais plein de feu et de fantasia, et très haut de
+taille&nbsp;; je l’ai échangé contre ma jument en ajoutant 75 fr.
+Ensuite j’ai trouvé un Chaànba qui connaît le désert entre Ouarglă
+et Insalah, comme je devrais connaître Paris et qui s’offre à me
+mener à Insalah moyennant 50 à 60 douros. Nous n’irions que sur le
+Baten<a id="FNanchor_49"></a><a href="#Footnote_49" class=
+"fnanchor">[49]</a>, et de là, avec ma lunette, je pourrais voir
+Zaouïa<a id="FNanchor_50"></a><a href="#Footnote_50" class=
+"fnanchor">[50]</a>, le premier village du Tidikelt, qui n’en est
+éloigné que de deux journées.</p>
+
+<p class="datesect">21 février.</p>
+
+<p>Ce matin, le kaïd vint me rendre visite&nbsp;; il me fit
+apporter de nouveau du lait, des dattes et deux poulets. Je le
+congédiai avant mon départ, craignant de faire sur mon nouveau
+cheval un peu plus de fantasia que je ne le voulais.</p>
+
+<p>Tout se passa heureusement. Je partis de Negousa un peu tard, et
+fis d’abord route dans un vaste espace de terrain, sablonneux,
+parsemé de palmiers isolés et de petites plantations. Nous entrâmes
+ensuite dans un terrain alternant de la <em>heicha</em> ou petit
+bois taillis, à sol solide légèrement sablonneux, à la
+<em>sebkha</em> ou marais salant à sec, avec végétation de
+broussailles isolées.</p>
+
+<p>Les plantes dominantes furent&nbsp;: la <em>zeita</em>, le
+<em>dhomrân</em>, le <em>tarfa</em> et le <em>belbâl</em>.</p>
+
+<p>Nous avions, à une certaine distance à gauche, les chaînes
+d’élévations qui séparent cette région de la hamâda&nbsp;; je pus
+distinguer à peine, vers la fin du jour, les embouchures de
+l’Oued-Mezāb et de l’Oued-Nesa qui viennent aboutir ensemble dans
+une sebkha qui nous apparaissait blanchissante en deçà des
+collines<a id="FNanchor_51"></a><a href="#Footnote_51" class=
+"fnanchor">[51]</a>. Le brouillard causé par le vent qui soulevait
+le sable et la poussière dans cette direction ne me
+permit<span class="pagenum" id="Page_26">[26]</span> pas de bien
+comprendre le détail de ce point intéressant.</p>
+
+<p>Nous arrivâmes, vers 3 heures de l’après-midi, au puits de
+’Araïfdji<a id="FNanchor_52"></a><a href="#Footnote_52" class=
+"fnanchor">[52]</a>, où nous campâmes ayant devant nous la zone de
+dunes qui portent le même nom que le puits.</p>
+
+<p>J’appris de mes guides que l’on ne perçait plus de puits
+artésiens à Negousa et à Ouarglă, à cause de la dureté du sol à une
+certaine profondeur<a id="FNanchor_53"></a><a href="#Footnote_53"
+class="fnanchor">[53]</a>. Les sources existantes sont fort
+anciennes, on se contente de les nettoyer. D’un autre côté, on me
+disait à Ouarglă qu’un des tributs qu’exigeait Sidi-Zoubir était le
+forage d’une source chaque année.</p>
+
+<p>Un de mes guides fut envoyé, il y a quelques années, par
+Sidi-Hamza à Insalah. Le maréchal Randon avait désiré avoir des
+Touaregs à Alger<a id="FNanchor_54"></a><a href="#Footnote_54"
+class="fnanchor">[54]</a>, et on envoyait une lettre de Sidi-Hamza
+pour faire les invitations chez les Touaregs Hogar. La lettre fut
+portée par quelques Chaànba d’Ouarglă. Ils suivirent le cours de
+l’oued Miya, trouvant de l’eau en quantité dans les
+<em>rhedir</em>. C’était à l’époque de la maturité des dattes. A
+Insalah ils furent reçus par les deux grands de la ville, le hadj
+Abd-el-Kader et le hadj Mohammed, qui leur demandèrent s’ils
+étaient venus comme <em>mîâd</em> (en ambassade) ou comme
+marchands. Ils répondirent qu’ils étaient venus pour faire du
+commerce. Mais lorsqu’ils montrèrent leur lettre, hadj Mohammed
+entra dans une violente colère, menaça de tuer Sidi-Hamza si jamais
+il venait à Insalah, «&nbsp;parce qu’il avait osé lui envoyer une
+lettre des Français&nbsp;»&nbsp;; il finit par dire qu’il tuerait
+les six Chaànba qui avaient apporté la lettre. Les Chaànba
+s’excusèrent habilement, en arabe, et<span class="pagenum" id=
+"Page_27">[27]</span> dirent qu’ils n’étaient que porteurs d’une
+lettre dont ils ignoraient le contenu. Ils échappèrent ainsi.</p>
+
+<p>Je rapporte ce fait pour prouver quels sont les sentiments des
+gens d’Insalah à notre égard.</p>
+
+<p class="datesect">21 février.</p>
+
+<p>Nous traversâmes d’abord la zone des dunes d’’Araïfdji, à sa
+pointe orientale, puis nous entrâmes dans une région passant de la
+<em>heicha</em> à la <em>hamâda</em>, avec végétation de
+<em>halhâl</em>, <em>àlenda</em> et <em>dhomrân</em>. Cette plaine,
+assez unie d’abord, était coupée de chaînes de hauteurs
+(<em>drà</em>, <em>gour</em>, etc.)&nbsp;; le brouillard intense
+qui cachait tout à peu de distance de nous, à cause du sable et de
+la poussière que le vent soulevait, a peut-être nui à l’exactitude
+de mes notes topographiques pour ce qui concerne les hauteurs un
+peu éloignées.</p>
+
+<p>Nous rencontrâmes de nombreux affleurements circulaires de
+calcaire blanc, absolument semblables à ceux qui m’avaient frappé à
+mon entrée dans le Sahara, sur la route de Biskra à l’Oued-Mezăb. —
+Nous dépassons deux témoins (<em>gour</em>) presque entièrement
+composés de pierre à Jésus feuilletée&nbsp;; le sol au bas est
+jonché de calcaire blanc et noir et de morceaux de silex, ou plutôt
+de quartz compact ou pétro-silex.</p>
+
+<p>Nous voulions passer le puits de Mâmar pour camper plus en
+avant, mais un des chameaux qui boitait considérablement depuis le
+matin, s’accroupit ici et on vit bien qu’il ne pouvait guère aller
+plus loin. Nous restâmes donc au Hassi-Mâmar, près duquel
+croissaient des tamarix d’une espèce à petites fleurs roses et
+blanches charmantes. Un des guides partit pour voir s’il ne
+trouverait pas des Arabes qui lui prêteraient un autre chameau.</p>
+
+<p>Nous campons par un vent terrible dans du sable, de sorte que
+tous les objets sous la tente en sont couverts en moins de rien.
+Pour la première fois, on est obligé de faire la cuisine dans la
+tente.</p>
+
+<p class="datesect">22 février.</p>
+
+<p>Je résolus aujourd’hui d’atteindre Blidet-Amar à quelque prix
+que ce fût. Nous partîmes de bonne heure avec un nouveau chameau
+qu’un des Chaànba avait été chercher. Nous voyageâmes
+rapidement<span class="pagenum" id="Page_28">[28]</span> dans une
+contrée alternativement de sable et de sebkha. Nous arrivâmes après
+une courte marche au Hassi-Sidi-Messaoud, mais ne nous y arrêtâmes
+pas.</p>
+
+<p>Nous longeâmes ensuite de loin des hauteurs nommées Merguet, du
+nom d’une petite sebkha toute blanche de sel qui apparut bientôt
+sur la gauche.</p>
+
+<p>Nous vîmes de même, sans nous y arrêter, le petit pâté de dunes
+nommé Areg-ed-Demm.</p>
+
+<p>Notre marche fut très longue, et le pays parcouru n’offrit qu’un
+intérêt médiocre. La végétation alternait toujours du
+<em>zeita</em> au <em>belbâl</em>, au <em>drin</em> et aux autres
+plantes des sables ou de sebkha que nous avions rencontrées
+auparavant.</p>
+
+<p>Enfin, vers la fin du jour, nous aperçûmes au loin sur la gauche
+les hauteurs appelées El-’Anât que j’ai relevées sur ma route de
+Guerâra à Tougourt. Ce ne fut qu’après le coucher du soleil que
+nous touchâmes les plantations de l’oasis de Berrâri et lorsque
+nous arrivâmes aux murs de Blidet-Amar la nuit était déjà
+venue.</p>
+
+<p>Le cheikh que je fis venir dans ma tente ne me parut pas plus
+zélé qu’il ne fallait, mais j’avais peu besoin de lui. Cependant il
+m’apporta, sur ma demande, des œufs, du lait et de la paille pour
+mon cheval.</p>
+
+<p>Je remarquai pendant le court séjour que je fis à Blidet-Amar
+(je ne suis pas entré dans la ville), que les murs en
+«&nbsp;toub<a id="FNanchor_55"></a><a href="#Footnote_55" class=
+"fnanchor">[55]</a>&nbsp;» des maisons isolées, situées hors des
+murs pour recevoir les Arabes nomades à l’époque de la récolte des
+dattes, sont remplis de coquilles des deux espèces de petits
+gastéropodes que j’ai déjà observés dans les eaux artésiennes de
+Tougourt et du nord de l’Oued-Righ.</p>
+
+<p class="datesect">23 février.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, à mon grand désespoir, je trouve la montre de M.
+Colombo arrêtée et tout à fait dérangée.</p>
+
+<p>Je partis de bonne heure tout seul, laissant ma tente et mes
+effets en arrière&nbsp;; quoique le soleil fût déjà à une certaine
+hauteur au-dessus de l’horizon, je fis tant galoper et trotter mon
+cheval que j’arrivai à Tougourt une heure avant le déjeuner,
+c’est-à-dire vers 9 h. du matin.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_29">[29]</span>Mon cheval était
+tout couvert d’écume, et le kaïd qui fut, avec M. Guillemot, la
+première personne que je rencontrai, me mena tout de suite dans sa
+maison&nbsp;; il fit mettre le cheval à l’écurie et me présenta au
+capitaine Canat.</p>
+
+<p>Mon courrier est assez considérable et très bon en somme. Je
+reçois entre autres une lettre de mon excellent maître et ami le
+D<sup>r</sup> Fleischer qui me requiert formellement de comparer
+les différents dialectes berbères avec les langues égyptiennes. Je
+ne manquerai pas de le faire<a id="FNanchor_56"></a><a href=
+"#Footnote_56" class="fnanchor">[56]</a>&nbsp;; cela aura deux
+résultats&nbsp;: 1<sup>o</sup> de m’indiquer des faits pour la
+classification des langues berbères&nbsp;; 2<sup>o</sup> des faits
+pour déterminer l’âge relatif des différents dialectes.</p>
+
+<p>Je reçois de M. de Dalmas, chef du cabinet de l’empereur, des
+lettres de recommandation du Bey de Tunis pour les différents kaïds
+et aghas de son gouvernement. Comme, d’autre part, je ne puis
+espérer recevoir mon chronomètre que vers le commencement d’avril,
+époque du retour du capitaine Langlois à Biskra, je me décide à
+entreprendre dans le sud de la Tunisie, un voyage de vingt jours à
+un mois.</p>
+
+<p>Mon bagage arrive, et je fais planter ma tente à la porte de la
+kasba.</p>
+
+<p class="datesect">24 février.</p>
+
+<p>Nous employâmes notre après-midi, M. Auer, un lieutenant de la
+légion, et moi, à faire une partie de chasse <em>dans</em> la
+Chemorra. — La Chemorra est une vaste dépression couverte de
+marécages qui s’étend à l’est des plantations de Tougourt et vers
+le nord.</p>
+
+<p>Nous parcourûmes un des marais de la Chemorra&nbsp;; nous
+avions, par endroits, de l’eau jusqu’à mi-jambe, dans d’autres nous
+marchions presque à sec&nbsp;; enfin, lorsqu’il fallait traverser
+de nombreux fossés profonds qui sillonnent les marais en divers
+sens, c’est à peine si de vigoureux élans pouvaient nous les faire
+franchir&nbsp;; nous échouâmes chacun à notre tour, de manière à
+nous mettre dans l’eau jusqu’à la ceinture.</p>
+
+<p>Je dirai d’abord que notre chasse eut peu de succès&nbsp;; les
+canards de Barbarie qui étaient le but de notre course, se levèrent
+à un kilomètre environ et ne revinrent plus. Les chiens furent mis
+en défaut<span class="pagenum" id="Page_30">[30]</span> par deux
+chats sauvages qui nous échappèrent. Ces animaux sont gris avec des
+raies noires&nbsp;; ils sont un peu plus gros qu’un chat domestique
+et ont établi leur fort dans les touffes de broussailles et de
+roseaux des marais&nbsp;; ils ne craignent pas l’eau, à en juger
+par leurs retraites quelquefois entourées de fossés qu’ils sont
+obligés de traverser, et par les nombreuses flaques d’eau qui les
+environnent. Ces chats viennent la nuit dans les jardins&nbsp;; ils
+cherchent leur pâture dans les basses-cours, et en automne, dans
+les couches de melons et de pastèques. — J’espère pouvoir m’en
+procurer un avant mon départ de ces contrées.</p>
+
+<p>Les autres animaux des marais sont des flamants de deux espèces,
+me dit M. Auer&nbsp;; des bécassines, des sarcelles, des alouettes,
+des hérons, des bergeronnettes, enfin un tout petit oiseau qui a la
+langue prodigieusement longue.</p>
+
+<p>Il y a des poissons dans les fossés et dans les mousses
+aquatiques et conferves vivent les deux espèces de petits
+gastéropodes de Tougourt&nbsp;; les mélanies y sont aussi, dit
+Auer, mais je ne les ai pas trouvées. — Il y a aussi quelques
+coléoptères d’eau et des libellules. J’oubliais les cousins et les
+moustiques. Les cousins font une piqûre douloureuse, les boutons
+qui en résultent enflent prodigieusement et gênent beaucoup. Je
+suis revenu couvert de leurs piqûres au front, aux yeux, aux joues,
+aux mains, jusqu’aux mollets. Le tout a été traité à l’eau
+sédative.</p>
+
+<p>Le sol des marécages se couvre, lorsqu’il se dessèche, de
+concrétions de sels, dans le genre des pétrifications qui entourent
+les sources à dépôts calcaires.</p>
+
+<p>La végétation du sol se compose de tamarix, quoiqu’en petit
+nombre, et d’une quantité de plantes dans le genre du
+<em>baguel</em> et du <em>belbāl</em>, mais beaucoup plus grosses
+et juteuses&nbsp;; ce sont des plantes grasses articulées. — Il y
+a, en grandes quantités aussi, des joncs qui arrivent aux genoux et
+qui se terminent par une pointe qui abîme les jambes dans la
+marche. — L’eau contient un assez grand nombre de mousses
+aquatiques et de conferves (?).</p>
+
+<p>Pour ce qui concerne les fièvres si renommées de Tougourt, elles
+arrivent deux fois par an et durent chaque fois un mois&nbsp;; les
+moments du fléau sont les mois de mai et d’octobre. Déjà, dans le
+mois d’avril, il y a sept jours de fièvre<a id=
+"FNanchor_57"></a><a href="#Footnote_57" class="fnanchor">[57]</a>.
+A l’époque des fièvres,<span class="pagenum" id=
+"Page_31">[31]</span> les fossés qui entourent la ville et toutes
+les eaux stagnantes des oasis prennent une couleur chocolat qui
+approche même de la couleur sang<a id="FNanchor_58"></a><a href=
+"#Footnote_58" class="fnanchor">[58]</a>. C’est le signal de
+l’arrivée de la fièvre. Alors on lâche deux fois par semaine les
+eaux des saguias dans les fossés qui entourent Tougourt, les
+habitants préfèrent renouveler ainsi l’eau de ces fossés et laisser
+leurs palmiers manquer un peu d’eau. Si on ne prenait pas cette
+précaution, les fièvres seraient beaucoup plus graves<a id=
+"FNanchor_59"></a><a href="#Footnote_59" class=
+"fnanchor">[59]</a>.</p>
+
+<p>Depuis trois mois que les hommes de la légion et du génie sont à
+Tougourt, les santés se sont maintenues bonnes&nbsp;; il n’y a eu
+qu’un petit nombre de diarrhées aisées à guérir. Ces diarrhées
+tiennent du reste aux eaux du pays<a id="FNanchor_60"></a><a href=
+"#Footnote_60" class="fnanchor">[60]</a>&nbsp;; moi-même j’en
+ressens l’effet toutes les fois que je passe ici, et Auer, qui est
+cependant le doyen de l’endroit, me dit être dévoyé à état
+permanent. Lorsqu’il éprouve des échauffements (relativement
+parlant), sa santé s’en ressent.</p>
+
+<p class="datesect">25 février.</p>
+
+<p>Aujourd’hui le courrier est arrivé. Je suis resté à la kasba
+pour l’attendre, et j’ai profité de ce repos pour écrire toutes mes
+lettres. La seule chose intéressante de la journée est que, vers le
+milieu du jour, le caporal Dhem vint me trouver me disant qu’il y
+avait sur la terrasse une négresse qui donnait des coups de couteau
+sur la tête de son enfant.</p>
+
+<p>Je montai et trouvai en effet une des négresses qui se sont
+réfugiées chez Auer, tenant son enfant d’un mois devant elle et le
+dorlotant pour l’empêcher de crier&nbsp;; il avait le long du
+front, à la naissance des cheveux, cinq ou six incisions qui lui
+couvraient la tête de sang. Je demandai à la mère ce qu’elle lui
+faisait, elle me dit que c’était un préservatif contre les maux
+d’yeux. Elle se<span class="pagenum" id="Page_32">[32]</span>
+préparait à faire encore deux incisions au bas des reins, mais je
+m’y opposai et j’emportai le rasoir.</p>
+
+<p class="datesect">26 février.</p>
+
+<p>Encore aujourd’hui je suis resté à la kasba, à faire des
+observations pour corriger celles d’Auer, et à finir ma
+correspondance.</p>
+
+<p>Ce n’est que vers le soir que nous sommes partis pour la chasse,
+nous trois chasseurs&nbsp;; il s’agissait d’abattre quelques
+courlis (?), oiseaux qui se tiennent dans les sables aux environs
+de la ville et qui courent avec une vitesse extraordinaire. Nous ne
+pûmes pas les approcher&nbsp;; de mon côté, je tuai deux petits
+oiseaux (alouettes du Sahara), sans huppe, à couleur pâle, une raie
+noire près du bord des ailes lorsqu’elles les étendent&nbsp;; le
+bec est fort long.</p>
+
+<p>Je cause avec un Targui des Kelrhela (Hogar) de qui j’obtiens
+des documents itinéraires.</p>
+
+<p class="datesect">27-28 février.</p>
+
+<p>J’ai été dans les jardins pour observer la température des
+puits<a id="FNanchor_61"></a><a href="#Footnote_61" class=
+"fnanchor">[61]</a>.</p>
+
+<p>J’entends parler aujourd’hui pour la première fois d’une
+singulière maladie des nègres. Il paraît que certains d’entre eux
+sont sujets à des jours de folie ou de lunatisme, pendant lesquels
+ils font toutes sortes d’excentricités<a id=
+"FNanchor_62"></a><a href="#Footnote_62" class="fnanchor">[62]</a>.
+On appelle cela Moulā Rās en Haoussa, «&nbsp;bōri ou bōli&nbsp;» et
+encore «&nbsp;ébĕlīs&nbsp;». J’apprends encore que les musulmans y
+sont sujets. Même ceux de ce pays-ci.</p>
+
+<p>Nous faisons une grande promenade à cheval en tournant les
+plantations au nord et redescendant de l’autre côté de la Chemorra.
+Nous sommes obligés pour cela de traverser une partie de l’oued
+Righ, dépression qui à cet endroit a le caractère de sebkha, mais
+de sebkha peu saline. Les cartes du bureau arabe ont été assez bien
+faites à cet endroit&nbsp;; il faut absolument représenter cette
+dépression sur la carte, mais ne pas la laisser confondre avec un
+lac.</p>
+
+<p>Nous voyons de nombreux canards, même un flamant isolé.</p>
+
+<p class="datesect">29 février.</p>
+
+<p>Je reste la matinée à Tougourt et déjeune encore avec Auer et la
+compagnie, mais j’avais eu la précaution de faire mes
+adieux<span class="pagenum" id="Page_33">[33]</span> la veille.
+Cependant le kaïd vient à cheval au moment du départ et veut à
+toutes forces m’accompagner un peu. Je lui dis adieu à la porte de
+la ville. Cette fois, il paraît avoir fait de grands frais de
+recommandations à mon sujet. Il s’est mis entièrement à ma
+disposition.</p>
+
+<p>Nous partons, et laissant un peu à droite deux des villages qui
+entourent Tougourt, nous passons entre les <em>deux</em> forêts de
+palmiers, et traversons les marais de la Chemorra dans leur
+largeur. Peu après, nous entrâmes dans une zone de dunes peu
+élevées, qui nous conduisit dans un «&nbsp;oued&nbsp;» ou plaine
+assez unie appelée Oued-es-Sédīri. Comme nous étions partis tard et
+que cette plaine est assez vaste, je me décidai à planter la tente
+de bonne heure pour donner le temps à la viande de bœuf de
+cuire.</p>
+
+<p>La plante qui couvre les endroits à sec de la Chemorra se nomme
+<em>rhodhdhām</em><a id="FNanchor_63"></a><a href="#Footnote_63"
+class="fnanchor">[63]</a>&nbsp;; elle fleurit au printemps, et
+j’attends mon retour pour en prendre un échantillon.</p>
+
+<p>Ce matin, j’ai sorti mon thermomètre étalon, et j’ai fait des
+comparaisons avec mon thermomètre fronde 207 et le thermomètre à
+alcool d’Auer.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp1c02">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_43"></a><a href="#FNanchor_43"><span class=
+"label">[43]</span></a>Les Ouled-Sidi-Cheikh.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_44"></a><a href="#FNanchor_44"><span class=
+"label">[44]</span></a>Le maréchal Randon, gouverneur de l’Algérie
+de 1852 à 1858.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_45"></a><a href="#FNanchor_45"><span class=
+"label">[45]</span></a>Duveyrier n’a donc discerné, à cette époque,
+aucun type spécial à cette population. L’idée d’une race autochtone
+foncée, dite «&nbsp;garamantique&nbsp;», ne lui est venue que plus
+tard. (Voir <em>les Touaregs du Nord</em>.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_46"></a><a href="#FNanchor_46"><span class=
+"label">[46]</span></a>Si-Zoubir-bou-Bekr, le plus jeune frère de
+Si-Hamza, chef des Ouled-Sidi-Cheikh. D’abord partisan du chérif,
+il s’était rallié à son frère (décembre 1853 et avait été investi
+(février 1854) du khalifalik d’Ouarglă (comprenant les cinq caïdats
+d’Ouarglă-Ngoussa, des Mekhadma, des Saïd Otba et des
+Chambba-bou-Rouba), sous la suzeraineté de Si-Hamza, nommé
+commandant du Sud. (<em>Mémoires du maréchal Randon</em>, Paris,
+1875, I, p. 163-173). Mais Si-Hamza était loin, et Si-Zoubir le
+vrai maître du pays.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_47"></a><a href="#FNanchor_47"><span class=
+"label">[47]</span></a>Drâ, «&nbsp;chaîne de collines et surtout de
+dunes, peu épaisse, assez longue&nbsp;». (Foureau.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_48"></a><a href="#FNanchor_48"><span class=
+"label">[48]</span></a>Sur les origines du Chérif, voir les
+<em>Lettres familières sur l’Algérie</em> (2<sup>e</sup> édit.
+Alger, 1893, p. 214-242) du colonel Pein, qui fut lui-même un des
+plus vaillants acteurs de la conquête de l’Extrême-Sud.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_49"></a><a href="#FNanchor_49"><span class=
+"label">[49]</span></a>Faîte du plateau de Tademayt.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_50"></a><a href="#FNanchor_50"><span class=
+"label">[50]</span></a>Zaouïa Moulaï Heïba.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_51"></a><a href="#FNanchor_51"><span class=
+"label">[51]</span></a>La sebkha Safioun, partie de la zone
+d’épandage de l’Oued-Mya (Rolland, Rapport hydrologique,
+<em>Documents relatifs à la mission Choisy</em>, t. III, p.
+18).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_52"></a><a href="#FNanchor_52"><span class=
+"label">[52]</span></a>Profondeur, 2 mètres. — Température, 15°,2 à
+15°,25 (Note de H. Duveyrier). C’est l’Arefigi de M. Lahache. (Voir
+l’analyse des eaux, <em>Étude hydrologique du Sahara français</em>.
+Paris, 1900, p. 103.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_53"></a><a href="#FNanchor_53"><span class=
+"label">[53]</span></a>Sur l’outillage incroyablement primitif des
+indigènes voir le colonel Pein (ouv. cité, p. 29-38) qui en parle
+comme témoin oculaire.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_54"></a><a href="#FNanchor_54"><span class=
+"label">[54]</span></a>Les mémoires du maréchal Randon ne signalent
+pas cette tentative. Ils mentionnent seulement les négociations
+plus heureuses de Si-Hamza avec les Touaregs Azdjer, qui furent la
+cause première de l’envoi du capitaine de Bonnemain à Ghadamès et
+de l’interprète Bou-Derba à Ghât. Ces négociations remontent à
+1855-1856&nbsp;; l’idée première de nouer des relations avec les
+Touaregs remonte à 1853. (Randon, <em>Mémoires</em>, I, p. 250-255,
+448.) Le maréchal se promettait beaucoup du commerce du Sud. Voir,
+comme contre-partie, le récit humoristique du colonel Pein, ouv.
+cité, p. 484-488. Sur Si-Hamza lui-même, voir A. Bernard et N.
+Lacroix (<em>Historique de la pénétration saharienne</em>, Alger,
+1900, p. 21, 37), qui citent une lettre inédite du général Durrieu
+relative au projet de mission à Insalah.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_55"></a><a href="#FNanchor_55"><span class=
+"label">[55]</span></a>Briques simplement séchées au soleil.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_56"></a><a href="#FNanchor_56"><span class=
+"label">[56]</span></a>Duveyrier, atteint d’une grave maladie à son
+retour, n’a pu s’acquitter de cette partie de sa tâche.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_57"></a><a href="#FNanchor_57"><span class=
+"label">[57]</span></a>D’après le D<sup>r</sup> Sériziat, dès les
+premiers jours d’avril. (Histoire médico-chirurgicale de la colonne
+du Sud, <em>Bull. de la Soc. Algérienne de Climatologie</em>, 1871,
+p. 41.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_58"></a><a href="#FNanchor_58"><span class=
+"label">[58]</span></a>M. Lahache a donné l’explication de cette
+teinte sanguine. (<em>Étude hydrologique sur le Sahara français
+oriental</em>. Paris, 1900, p. 54.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_59"></a><a href="#FNanchor_59"><span class=
+"label">[59]</span></a>Il est démontré aujourd’hui que
+l’insalubrité est en raison directe de l’étendue des bas-fonds
+alternativement remplis d’eau saumâtre et asséchés. A Tougourt, où
+les fossés ont été presque tous comblés par l’administration
+française, «&nbsp;le nombre des cas de fièvre a beaucoup
+diminué&nbsp;». (D<sup>r</sup> Weisgerber, Observations sur les
+conditions sanitaires, <em>Doc. Mission Choisy</em>, t. III, p.
+473-475.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_60"></a><a href="#FNanchor_60"><span class=
+"label">[60]</span></a>Presque toutes les eaux du Sahara algérien
+sont chargées de sulfates de chaux et de magnésie&nbsp;; celles des
+puits artésiens de Tougourt, qui ont donné à l’analyse de 3 à 4
+grammes de sels anhydres par litre, ne sont ni les plus
+minéralisées, ni les plus nocives, mais contiennent toutefois une
+forte proportion de sulfate de chaux. (Voir Weisgerber, rapport
+cité, p. 480, et Lahache, ouv. cité, p. 48, 71.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_61"></a><a href="#FNanchor_61"><span class=
+"label">[61]</span></a>Ces observations ont été publiées dans
+<em>les Touaregs du Nord</em>, p. 113.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_62"></a><a href="#FNanchor_62"><span class=
+"label">[62]</span></a>Voir <em>Touaregs du Nord</em>, p. 436.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_63"></a><a href="#FNanchor_63"><span class=
+"label">[63]</span></a>Nom inconnu. Faut-il lire Gueddâm,
+<i>Salsola vermiculata</i>&nbsp;?</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_34">[34]</span><a id=
+"p1c03"></a>CHAPITRE III</h3>
+
+<p class="sch">DE TOUGOURT AU DJERID PAR LE SOUF</p>
+
+<p class="datesect">1<sup>er</sup> mars 1860.</p>
+
+<p>A peine voulions-nous partir ce matin, que le chameau qui
+portait les cantines, et qui est très timide, effrayé par quelque
+chose, prit tout à coup le galop, et après quelques instants de
+résistance, les cantines volèrent en l’air, une des chaînes s’étant
+cassée. Les caisses retombèrent sens dessus dessous à mon grand
+crève-cœur. — Après avoir procédé à l’ouverture des cantines, je
+trouvai deux flacons vides cassés, une bouteille de vin et un grand
+flacon d’eau sédative dans le même état. Le dégât causé par cet
+accident est assez grave, mon sucre est presque entièrement perdu,
+et beaucoup de linges et de livres sont plus ou moins tachés. De
+plus, je perds deux flacons précieux pour mettre des objets
+d’histoire naturelle.</p>
+
+<p>Le chamelier à qui appartient le chameau, et qui avait insisté
+pour qu’on lui confiât les cantines malgré les observations
+d’Ahmed, aura une bonne amende en arrivant au Souf.</p>
+
+<p>Après ce retard, nous nous mîmes en marche, et traversâmes
+alternativement des zones de dunes et des <em>oueds</em>. La
+végétation se composait d’<em>alenda</em>, <em>zeita</em>,
+<em>sefār</em>, <em>drīn</em>, <em>lebbîn</em> et
+<em>arta</em>.</p>
+
+<p>Nous arrivâmes dans l’après-midi aux puits de Mouia
+Ferdjān<a id="FNanchor_64"></a><a href="#Footnote_64" class=
+"fnanchor">[64]</a>. Ils sont au nombre de trois et entourés chacun
+d’un petit mur en maçonnerie pour empêcher que les sables ne les
+comblent. L’eau de ces puits, de celui de l’est en particulier, est
+très bonne et a une température assez basse.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_35">[35]</span>Nous ne nous
+arrêtâmes aux puits que le temps d’abreuver mon cheval et de
+remplir les outres, et nous continuâmes encore un peu dans un pays
+semblable à celui que nous avions laissé derrière nous. — Nous
+campâmes de bonne heure, pour les mêmes raisons culinaires que la
+veille.</p>
+
+<p class="datesect">2 mars.</p>
+
+<p>Nous continuâmes de voyager dans une contrée alternant de l’oued
+aux dunes, et passâmes notamment plusieurs de ces dernières, comme
+Sif Soltan, Sif er Retem et Sif el Lehoudi. Nous déjeunâmes dans
+l’oued Nàīma.</p>
+
+<p>Ensuite nous traversâmes un pays où les dunes devenaient de plus
+en plus hautes. En route nous rencontrâmes trois spahis venus
+d’El-Oued et se rendant à Tougourt&nbsp;; ils vinrent tous me
+serrer la main, nous échangeâmes les nouvelles et partîmes chacun
+de notre côté. Nous rencontrâmes ensuite des gens du Souf venus
+avec des chameaux pour ramasser du bois et du drin, ces deux objets
+manquant dans les dunes plus près de leur pays, là où la
+consommation en était facile.</p>
+
+<p>Nous arrivâmes enfin à Ourmās, plantations de palmiers et
+jardins <em>creusés</em> dans les sables. On y voit un assez bon
+nombre de maisons et nous y remarquâmes quelques habitants, quoique
+ce ne soit guère qu’en automne que cet endroit soit habité à cause
+des fruits et des dattes. Au moment de quitter Ourmas, Ahmed me fit
+remarquer trois petits dômes de maçonnerie émergeant du
+sable&nbsp;; il me dit que c’était le toit d’une maison qu’il avait
+vue avant que les sables ne l’eussent ensevelie.</p>
+
+<p>De là, après avoir traversé une zone de hautes dunes, nous
+entrâmes dans un terrain plus aisé, et atteignîmes bientôt
+Kouinin.</p>
+
+<p>Le cheikh nous reçut bien, nous donna sa maison, et comme j’y
+entrai avant que la famille ne l’eût quittée, je pus voir deux
+dames d’une beauté incontestable et une négresse toute réjouie qui
+n’avait probablement jamais rien vu d’aussi extraordinaire que ma
+personne et mon bagage. Le tout annonçait une certaine civilisation
+et un vrai bien-être. La maison et le mobilier répondaient
+parfaitement à la figure des femmes et à leur habillement.</p>
+
+<p>Après un bon dîner, je me mets en poste d’observation avec
+l’intention de faire de bonnes observations astronomiques. —
+Le<span class="pagenum" id="Page_36">[36]</span> vent qui avait
+cessé au coucher du soleil et qui a repris depuis me gênera
+probablement.</p>
+
+<p>Je vois, à mon grand regret, que la lunette de mon sextant est
+insuffisante pour me permettre d’observer des occultations, du
+moins quand la lune est aussi brillante<a id=
+"FNanchor_65"></a><a href="#Footnote_65" class=
+"fnanchor">[65]</a>.</p>
+
+<p class="datesect">3 mars.</p>
+
+<p>Kouinin est bâti tout à fait comme Guémār&nbsp;; c’est-à-dire
+que les cours des maisons sont entourées d’appartements réels, et
+qu’on n’y voit pas de tente au milieu comme à El-Oued, c’est-à-dire
+le nomadisme luttant contre l’état sédentaire. Les murs varient de
+hauteur depuis l’épaule d’un homme jusqu’à sa tête&nbsp;; les
+dômes, etc., ne sont ni égalisés ni crépis, de sorte que le tout
+n’offre pas un spectacle de propreté ni d’élégance.</p>
+
+<p>Au moment du départ, on cria que le khalifa était arrivé et, en
+effet, je vis déboucher au bout de la rue plusieurs cavaliers. Nous
+allâmes au-devant les uns des autres, et mîmes pied à terre à
+distance respectueuse pour venir nous prendre la main et nous
+informer de nos précieuses santés. Car telle est la règle.</p>
+
+<p>Ceci fit que je fus obligé de partir pour El-Oued sans faire le
+levé de la route, car à cheval et du pas où nous allions, il ne
+fallait pas y penser.</p>
+
+<p>J’appris que le khalifa retenait une caravane très nombreuse
+pour me faire passer au Djérid en bonne compagnie.</p>
+
+<p>Je passe la journée à écrire des lettres qui partent aujourd’hui
+même pour Tougourt. Je mets mes itinéraires au courant&nbsp;;
+dessine un peu et fais des observations.</p>
+
+<p class="datesect">4 mars.</p>
+
+<p>Ma journée n’a pas été heureuse. J’ai eu le malheur de casser
+mon dernier baromètre Fortin, cependant je pourrai le raccommoder
+dès que j’aurai des tubes. Cela n’en est pas moins très fâcheux, vu
+que les notes barométriques devaient être un des résultats les plus
+intéressants de mon voyage<a id="FNanchor_66"></a><a href=
+"#Footnote_66" class="fnanchor">[66]</a>.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_37">[37]</span>Je passe la
+matinée à finir de copier au net l’itinéraire de l’Oued-Righ
+ici.</p>
+
+<p>Il arrive une caravane du Djérid qui donne les meilleures
+nouvelles&nbsp;; il en était venu une hier encore.</p>
+
+<p>Je fais encore acheter par Ahmed différentes choses qui me
+manquent, et je m’amuse à décrasser un certain nombre de monnaies
+romaines et semblables que je me suis procurées ici. Elles courent
+comme les «&nbsp;felous<a id="FNanchor_67"></a><a href=
+"#Footnote_67" class="fnanchor">[67]</a>&nbsp;» de Tunis.</p>
+
+<p>Presque toutes sont très petites. Les principales sont de
+Constantin&nbsp;; d’autres portent des figures de souverains avec
+une couronne ressemblant aux couronnes les plus primitives du moyen
+âge&nbsp;; enfin j’en ai où l’on reconnaît l’éléphant et le palmier
+et qui doivent venir de Carthage. Outre cela, il y a des médailles
+avec des figures de saints, des anges ailés, etc., etc., qui
+doivent avoir une origine chrétienne, et étaient frappées pour
+accomplir un vœu, comme l’une d’elles paraît me le prouver.</p>
+
+<p>Ces médailles sont trouvées dans les ruines de Besseriani<a id=
+"FNanchor_68"></a><a href="#Footnote_68" class="fnanchor">[68]</a>
+et de <em>Hēdra</em><a id="FNanchor_69"></a><a href="#Footnote_69"
+class="fnanchor">[69]</a> principalement.</p>
+
+<p>Le soir, je vais voir trois noces. La première était à une tente
+dans les sables à l’ouest de la ville. La mère du marié vint nous
+faire ses excuses en nous disant que ce n’était qu’une petite fille
+et que, par conséquent, on n’avait pas voulu avoir une grande fête.
+Cette petite fille venait de se sauver de chez ses parents pour se
+réfugier dans la tente de l’homme qu’elle aimait. On dit que demain
+elle sera donnée légalement. C’est bien le moins lorsqu’il n’est
+plus possible de la reprendre.</p>
+
+<p>Les autres noces avaient plus d’apparat, je veux dire de bruit.
+Les femmes sont rassemblées dans une cour, quelquefois en cercle et
+tournant le dos, d’autres fois la figure découverte et de face.
+Elles bredouillent quelques chants presque inintelligibles et font
+you-you aux jeunes gens qui viennent avec beaucoup d’embarras tirer
+un coup de fusil dans le sable à côté d’elles. Quelquefois les
+Messieurs se préparent à la décharge par une sorte de pas (de
+danse) tout à fait curieux, et qui imite le pas de la danse arabe
+au commencement de l’exercice.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_38">[38]</span>Du reste, les
+femmes et les hommes ne se parlent pas. Si (et cela arrive) une des
+femmes invitées a un <em>amant</em>, celui-ci vient à la fête faire
+le plus de bruit qu’il peut pour se montrer dans son plus beau
+jour. En revenant, je rencontrai des bandes de jeunes gens chantant
+en chœur toujours la même complainte et le plus fort qu’ils
+pouvaient, pour être entendus des femmes dans les maisons. — Je
+remarquai que ceux qui se distinguaient le plus à la noce étaient
+pour la plupart de fort jeunes gens.</p>
+
+<p>Le puits est ici l’endroit des intrigues et des amours. Quand un
+homme va au puits pour abreuver son cheval, et il choisit alors un
+puits d’eau excellente situé dans les dunes hors de la ville, son
+amie choisit aussi ce moment pour aller y puiser l’eau et ils se
+voient de cette manière. Du reste, l’amant choisit toute occasion
+opportune. Son amie est-elle mariée&nbsp;? il saisit le moment où
+le mari va au marché, aux plantations, etc... Les amants de ce pays
+ne peuvent pas manger l’un devant l’autre&nbsp;: ils doivent
+paraître fuir la nourriture.</p>
+
+<p class="datesect">mars.</p>
+
+<p>Comme tous les jours de départ, ce matin ne fut pas très gai à
+passer&nbsp;; c’étaient des oublis, des ordres, des contre-ordres à
+n’en plus finir.</p>
+
+<p>Enfin, lorsque tout fut prêt de mon côté, on s’aperçut que la
+caravane d’El-Oued n’était pas encore tout à fait prête à partir.
+Je n’en voulus pas moins partir immédiatement, et le khalifa ainsi
+que deux ou trois autres notables montèrent à cheval pour me faire
+un peu la conduite.</p>
+
+<p>Nous partîmes par le quartier des Oulad Hamed et entrâmes
+immédiatement dans les dunes et les «&nbsp;Ghitan&nbsp;»,
+c’est-à-dire jardins de palmiers creusés dans le sable.
+Quelques-uns de ces «&nbsp;ghitan&nbsp;» étaient tellement
+profonds, que le faîte des palmiers hauts de 15 à 20 mètres
+n’atteignait que la hauteur de mon épaule ou de ma tête (moi étant
+sur la route).</p>
+
+<p>Le vieux cheikh qui accompagnait le khalifa, proposa au moment
+de la séparation de réciter la «&nbsp;fātĭha&nbsp;», mais le
+khalifa fit semblant de ne pas comprendre ou espéra peut-être que
+je n’avais pas fait attention à la proposition. Du reste, je tiens
+peu aux <em>fātĭha</em> et aux bénédictions, mais, si j’y tenais,
+j’aurais peut-être préféré celle-là à d’autres.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_39">[39]</span>Après nous être
+quittés, nous entrâmes dans un océan de dunes dépourvues de toute
+végétation, nous avions laissé les jardins derrière nous. — Nous
+touchâmes bientôt à un four à chaux primitif&nbsp;; on extrait la
+pierre à chaux sur place. C’est le même type de plâtre ou de
+calcaire friable, saccharoïde, que j’ai observé la première fois à
+Chegga du Sud.</p>
+
+<p>Près de là je trouvai un peu de <em>lebbīn</em>, euphorbiacée
+qui croit volontiers dans les intervalles des dunes. Je fus surpris
+de rencontrer aussi deux ou trois papillons, qu’il fallut renoncer
+à attraper.</p>
+
+<p>Après une marche assez longue dans les sables, nous entrâmes
+dans un terrain uni et arrivâmes bientôt au puits de Tĕrfāoui au
+nord duquel il y a une petite ligne de jardins où l’on cultive
+principalement des oignons, mais où l’on paraissait tenter la
+culture du palmier. Deux individus étaient en train de ramasser les
+crottes de chameaux pour les enfouir autour du pied des jeunes
+plants.</p>
+
+<p>De là nous reprîmes les dunes et eûmes de nouveau une longue et
+ennuyeuse marche à fournir avant d’arriver au Sahēn, sorte de
+plaine unie au milieu de laquelle est situé le puits du même nom où
+devait se réunir la caravane. Nous trouvâmes déjà campés depuis
+hier au soir de nombreux voyageurs comptant 60 fusils&nbsp;; plus
+tard, dans la soirée, la caravane d’El-Oued nous rejoignit. Je
+plantai ma tente près du puits entre les deux caravanes. Un cheikh
+de Kouinin et un domestique du khalifa attendaient mon
+arrivée&nbsp;; aussitôt qu’ils se furent assurés que j’avais
+rejoint la caravane, ils repartirent pour coucher à Djebīla<a id=
+"FNanchor_70"></a><a href="#Footnote_70" class=
+"fnanchor">[70]</a>.</p>
+
+<p>Cette caravane est la première que j’aie vue aussi grande et
+aussi complète. Il y a des Souāfa, des gens du Djérid, des
+Ghadamsia<a id="FNanchor_71"></a><a href="#Footnote_71" class=
+"fnanchor">[71]</a>, etc....&nbsp;; les bêtes de somme sont très
+variées, depuis le cheval jusqu’au chameau et aux bourricots. Une
+vieille de l’Ouest (Ouled Naīl&nbsp;?) s’est adjointe à mon petit
+camp&nbsp;; elle se rend au Djérid où sa fille est mariée. Elle
+invoque tous les quarts d’heure Sidi Mohammed el’Aïd, le saint
+vivant de Temassin<a id="FNanchor_72"></a><a href="#Footnote_72"
+class="fnanchor">[72]</a>. — Je fais porter à un de mes chameaux
+son modeste bagage.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_40">[40]</span>Ce soir, nous
+entendons des Khouan<a id="FNanchor_73"></a><a href="#Footnote_73"
+class="fnanchor">[73]</a> de Sidi Moustapha qui chantent leur
+prière avec accompagnement de musique. Ceci est dans la caravane
+campée au nord. Au sud nous avons une musique moins monotone, c’est
+le chant et la voix des femmes qui y sont en nombre.</p>
+
+<p>Je remarque que, dans les jardins au milieu des dunes, l’on a
+soin de garnir la crête de ces dernières d’une haie de palmes
+presque entièrement enterrées pour que les sables ne soient pas
+portés par le vent dans le jardin, et, d’un autre côté, pour que
+les sables que l’on déblaye ne retombent pas dans le
+«&nbsp;ghoūt&nbsp;»<a id="FNanchor_74"></a><a href="#Footnote_74"
+class="fnanchor">[74]</a>.</p>
+
+<p class="datesect">6 mars.</p>
+
+<p>Je fus malade toute la nuit, ayant une indigestion très
+douloureuse. Aussi ce matin me fallut-il une bonne dose d’énergie
+pour ordonner le départ comme d’habitude et monter en selle.</p>
+
+<p>Au moment de partir, je reçus mon courrier de Tougourt, qui
+malheureusement ne renfermait qu’une lettre de mon père et une
+d’Auer. Je reçois la lettre du Ministre des affaires étrangères
+pour M. Botta.</p>
+
+<p>Les gens de la caravane parurent mettre plus de soin qu’hier à
+se rassembler en un seul bloc, mais les peines furent vaines, au
+bout de quelque temps, les pelotons de la caravane étaient séparés
+par plusieurs kilomètres. — On voulut aussi m’effrayer, je ne sais
+quel intérêt avaient ces hommes à ne pas aller par la route
+orientale que j’avais choisie. On voulut me faire croire qu’à un
+des puits nous allions trouver 1.200 cavaliers de Nemēmcha
+insoumis. Je me bornai à leur demander comment le puits pouvait
+abreuver tant de monde et tant de chevaux.</p>
+
+<p>Pendant que je marchais avec mes chameaux isolés, un homme assez
+drôle se joignit à nous. Il était coiffé d’un turban vert et d’une
+calotte rouge. Son vêtement consistait en deux burnous assez sales,
+et comme arme il portait, jeté sur son dos, un immense sabre. Cet
+homme avait des manières très européennes, celles d’un homme peu
+distingué, bien entendu, et il parlait beaucoup. Il nous dit qu’il
+était depuis quarante ans «&nbsp;policeman&nbsp;» à Tunis, que sur
+trois nuits il en passait une de garde. Les policemen<span class=
+"pagenum" id="Page_41">[41]</span> ne sont pas payés à Tunis et il
+nous raconta qu’il ne s’était fait inscrire comme tel que pour
+avoir l’avantage de sortir le soir après le couvre-feu, et d’aller
+dans telle et telle maison qui lui plaisait, chez les jolies femmes
+qui lui convenaient, beaucoup même, à l’en croire. Ensuite, si la
+police n’est pas payée, elle se fait plus d’argent sans cela, car
+elle permet toutes débauches nocturnes pourvu qu’on lui graisse la
+main. — Mon homme avait aussi un faible pour les spiritueux et il
+avait emporté de la <em>mahia</em> avec lui.</p>
+
+<p>Pendant que nous causions ainsi, un pèlerin marocain qui nous
+suivait tout couvert de guenilles nous cria&nbsp;: «&nbsp;Voilà un
+mouton&nbsp;»&nbsp;; en effet, il y avait à quelques pas de nous
+une brebis perdue et boiteuse. Ahmed et le policeman tunisien
+fondirent dessus et, après un débat où la probité de chacun se fit
+jour, l’animal fut égorgé par le policeman, qui le considéra de
+bonne prise.</p>
+
+<p>Le soir, on la dépèce et la distribue.</p>
+
+<p>Quant au pays que nous traversâmes, ce fut une plaine uniforme,
+à sol sablonneux et à végétation de <em>ălenda</em>,
+<em>semhari</em>, <em>arta</em>, <em>drīn</em> et <em>baguel</em>.
+De temps en temps une petite traînée de dunes en interrompait la
+monotonie.</p>
+
+<p>Nous touchâmes à un puits nommé Wourrāda&nbsp;; actuellement il
+est comblé. Voilà l’histoire de cet événement. Le puits ayant été
+rempli de <em>drīn</em> pour une cause ou une autre, un pasteur y
+descendit dans l’intention de le nettoyer. Comme il ne revenait
+pas, le frère de cet homme y descendit aussi, mais y trouva la mort
+par asphyxie<a id="FNanchor_75"></a><a href="#Footnote_75" class=
+"fnanchor">[75]</a>&nbsp;; enfin l’oncle des deux jeunes gens
+voulut leur porter secours et faillit périr&nbsp;; cependant il put
+sortir. On combla le puits, qui sert de tombeau aux deux
+pasteurs.</p>
+
+<p>Vers la fin de la marche, un habitant du Djérid, monté sur son
+chameau, prit un tambour de basque et commença une longue
+improvisation sur un marabout vivant de Nefta, Moustapha ben Azoūz.
+Il jouait admirablement bien de son instrument, et improvisait avec
+tant de facilité que je crus qu’il récitait une litanie. Les
+couplets, composés de quatre vers, étaient tous terminés par la
+même rime, et se terminaient par le refrain que<span class=
+"pagenum" id="Page_42">[42]</span> répétaient en chœur des jeunes
+gens de la caravane. Malheureusement le chant m’empêchait de juger
+du sens des vers. — Cela m’arrive pour les chœurs chantés à l’Opéra
+dans ma langue maternelle.</p>
+
+<p>Nous nous arrêtons au puits de Guettāra Ahmed ben ’Amara<a id=
+"FNanchor_76"></a><a href="#Footnote_76" class="fnanchor">[76]</a>.
+Je suis dans un grand état d’épuisement et j’ai un peu de fièvre.
+Ce matin, j’avais pris un peu d’huile de ricin, je prends ce soir
+une dose de quinine dans du café et deux petites tasses de vin. —
+Une heure après je me sens beaucoup mieux.</p>
+
+<p class="datesect">7 mars.</p>
+
+<p>Hier au soir, après que j’avais fini de rédiger mes notes, les
+principaux membres de la caravane du Souf (Kouinin, Tarhzout et
+Guémār) vinrent me visiter pour m’annoncer comme une chose arrangée
+qu’ils ne partiraient pas le lendemain parce qu’ils venaient de
+recevoir la nouvelle que nous allions passer au milieu des douars
+des Hammama. Ce n’étaient pas les hommes que ces
+«&nbsp;braves&nbsp;» redoutaient, mais bien les femmes, les enfants
+et les chiens. On allait envoyer un homme au cheikh Moustapha, le
+marabout de Nefta et, selon qu’il dirait ou non d’arriver sans
+crainte, on irait plus loin ou l’on s’en retournerait. Je m’opposai
+net à une telle mesure, et fis demander dans la caravane quels
+étaient ceux qui voulaient partir demain avec moi. La division fut
+très nette&nbsp;; les gens du Djérid, de Ghadāmès, ne voulaient pas
+rester, ceux d’El-Oued, du Souf seuls étaient de l’avis contraire.
+Je décidai le départ. Toute la nuit fut passée à se disputer dans
+le camp, mais quand le jour parut, tout le monde était du même
+avis, qui était de me suivre.</p>
+
+<p>Nous rencontrâmes beaucoup de douars, de troupeaux des Oulād
+Sidi ’Abid de la Régence de Tunis, mais ils ne firent que nous
+donner des nouvelles, certes peu rassurantes.</p>
+
+<p>Vers le milieu de la journée, avant d’atteindre le puits
+d’El-Khofch<a id="FNanchor_77"></a><a href="#Footnote_77" class=
+"fnanchor">[77]</a>, toute la caravane résolut de ne pas passer par
+Nakhlet-el-Mengoub, comme l’avait ordonné le kaïd. Moi, de mon
+côté, je m’obstinai à prendre ce chemin, et nous nous séparâmes de
+très mauvaise humeur, ayant à peine six ou sept hommes avec moi.
+Cependant, comme hier, mon attitude déterminée<span class="pagenum"
+id="Page_43">[43]</span> leur fit accepter mon choix et ils nous
+rejoignirent tous, sauf les Djéridiya, qui du reste ne nous étaient
+pas du tout obligés. Nous continuâmes donc notre marche dans un sol
+de <em>heicha</em>, la végétation de <em>dhomrān</em><a id=
+"FNanchor_78"></a><a href="#Footnote_78" class="fnanchor">[78]</a>,
+<em>zeita</em>, <em>souid</em>, etc., qui caractérise la contrée de
+Chegga du Sud et la <em>heicha</em> de l’Oued-Righ. Nous étions
+très inquiets, les Hammama ne se trouvaient pas campés aux palmiers
+d’El-Mengoub, et nous devions nous rapprocher sans cesse de leurs
+douars.</p>
+
+<p>Vers la fin du jour, nous aperçûmes les palmiers de Nafta et
+plus loin, vers l’ouest, les montagnes de Negrîn et de Tamerza.
+Lorsque nous voulûmes camper quelques instants avant le coucher du
+soleil, nous tombâmes sur les troupeaux des Hammama, et pûmes nous
+assurer que la tribu n’était pas loin. Les bergers vinrent dans le
+camp demander différentes choses, ci du feu, là de l’eau, plus loin
+des dattes. Ils vinrent jusqu’à mon feu où j’étais assis et
+demandèrent à boire à Ahmed.</p>
+
+<p>Nous entendîmes, le soir, les chants de leurs femmes, les cris
+des enfants et les bêlements des troupeaux.</p>
+
+<p>Cette nuit ne fut pas très agréable à passer, plusieurs hommes
+de la caravane la passèrent à veiller, le «&nbsp;policeman&nbsp;»
+tunisien entre autres. Je veillai, pour ma part, la moitié de la
+nuit, et fis de longues rondes dedans et hors du camp, que nous
+avions établi en demi-cercle, mon lit et mon bagage en formant le
+centre. Aujourd’hui nous n’avons pas cru devoir dresser la
+tente.</p>
+
+<p>J’entendis, vers le matin, le cri cadencé d’un chacal en chasse,
+auquel répondit bientôt le chien d’un des troupeaux.</p>
+
+<p class="datesect">8 mars.</p>
+
+<p>Nous partîmes aujourd’hui avant la pointe du jour et commençâmes
+à marcher vigoureusement dans l’espoir de dépasser la
+«&nbsp;nedjă&nbsp;» du Hammama avant qu’elle ne prît notre
+route.</p>
+
+<p>Cependant, lorsque le soleil eut un peu monté à l’horizon, les
+yeux perçants de mon guide découvrirent la nedjă s’avançant de
+notre côté sur le sommet des <em>gour</em> des Beni Mezab. A partir
+de ce moment, nous n’eûmes pas une minute de repos. Chaque
+ondulation de cette immense ligne de chameaux, de troupeaux
+et<span class="pagenum" id="Page_44">[44]</span> d’hommes était
+interprétée par mes trop timides Souafa comme un signal
+d’attaque.</p>
+
+<p>Ce ne fut guère que lorsque nous fûmes entrés dans le
+chott<a id="FNanchor_79"></a><a href="#Footnote_79" class=
+"fnanchor">[79]</a> que nous pûmes bien nous rendre compte du
+nombre des ennemis et de leurs mouvements. Lorsque la
+«&nbsp;nedjă&nbsp;», qui jusqu’alors s’était tenue sur les
+hauteurs, commença à se rapprocher du chott, les fantassins souafa
+s’assirent par terre, tournant le dos aux Hammama&nbsp;; Mohammed
+le guide, qui à cet instant aperçut les cavaliers en avant des
+troupeaux, s’élança à la tête des chameaux en criant d’arrêter. Il
+y eut là un mouvement rapide qui me montra qu’en cas d’attaque, je
+ne pouvais compter que sur bien peu de monde. Ahmed sauta à bas du
+chameau qu’il montait&nbsp;; ôta son burnous et arma son fusil,
+d’autres suivirent son exemple. Enfin l’incertitude dura quelques
+instants, et l’on crut remarquer que les cavaliers reprenaient la
+direction, je fis remettre les chameaux en marche, mais ne pus pas
+empêcher quelques coups de feu de fantazia de partir, la chose la
+plus inconsidérée dans notre position.</p>
+
+<p>J’eus là l’émotion de celui qui va être entraîné dans un combat
+pour son droit, mais qui n’avait cherché de querelle à personne.
+Armé de mon revolver, j’étais décidé à mesurer mes cinq coups et à
+démonter au moins deux ou trois cavaliers. La lutte aurait été
+déplorable&nbsp;; des guerriers consommés, en nombre considérable,
+auraient certainement eu le dessus sur quelques hommes déterminés
+mais embarrassés par une foule timorée et inutile, par des femmes,
+des enfants et des chameaux chargés de sommes considérables.</p>
+
+<p>Bientôt la «&nbsp;nedjă&nbsp;» se trouva à notre hauteur&nbsp;;
+nous voyions cette foule de cavaliers&nbsp;; les quinze douars
+peuvent, d’après des renseignements précis, mettre sur pied mille
+hommes. Ce n’était cependant là qu’une des neuf fractions des
+Hammama qui, ayant eu à se plaindre de son kaïd, avait envoyé une
+plainte au bey, mais se sauvait sans attendre la réponse, décidée à
+revenir si le bey lui accordait sa demande, et à quitter son
+gouvernement pour toujours si on ne faisait pas attention à son
+grief.</p>
+
+<p>Nous marchions très vite et arrivâmes enfin près des palmiers de
+Ghîtān ed Cherfā, où nous rencontrâmes deux cavaliers
+hammama<span class="pagenum" id="Page_45">[45]</span> attardés, que
+nous saluâmes en passant. Ils sont bien montés, ont d’énormes
+étriers, et sont surtout remarquables par leur manière de
+s’envelopper dans leur haouli, ne laissant voir que le milieu du
+visage&nbsp;; leur chachiă est enfoncée jusqu’aux sourcils&nbsp;;
+enfin ils n’ont pas de corde de poil de chameau. Ahmed me dit
+qu’ils revêtent quelquefois des haïks de coton bleu, comme les
+femmes du Souf.</p>
+
+<p>Nous déjeunâmes à côté des plantations de Nafta, où nous
+rencontrâmes un dernier Hammami et nous empressâmes ensuite
+d’entrer dans la ville&nbsp;; je descendis à la maison du Bey.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp1c03">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_64"></a><a href="#FNanchor_64"><span class=
+"label">[64]</span></a>Profondeur, 5 mètres. — Température, 17°,30.
+(Note de H. Duveyrier.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_65"></a><a href="#FNanchor_65"><span class=
+"label">[65]</span></a>Le détail des observations astronomiques de
+Duveyrier a été publié dans les <em>Les Touaregs du Nord</em>, p.
+134-140.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_66"></a><a href="#FNanchor_66"><span class=
+"label">[66]</span></a>Duveyrier n’en continua pas moins à observer
+à l’aide de l’anéroïde. «&nbsp;J’ai pu, dit-il, en faire usage
+concurremment avec les Fortin et pendant assez de temps, avant que
+ces instruments aient été brisés, pour bien étudier les dilatations
+de l’anéroïde et le corriger de ses erreurs.&nbsp;» (<em>Les
+Touaregs du Nord</em>, p. 123.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_67"></a><a href="#FNanchor_67"><span class=
+"label">[67]</span></a>Nom donné à la petite monnaie de cuivre en
+Tunisie et au Maroc.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_68"></a><a href="#FNanchor_68"><span class=
+"label">[68]</span></a><em>Ad Majores</em>, au nord du chott
+Rharsa, à 4 kilomètres au S.-E. de l’oasis actuelle de Négrine. (V.
+Masqueray, <em>Ruines anciennes de Khenchela à Besseriani</em>,
+<em>Revue Africaine</em>, 1879, p. 68.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_69"></a><a href="#FNanchor_69"><span class=
+"label">[69]</span></a>Haïdra, au N.-E. de Tébessa&nbsp;?</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_70"></a><a href="#FNanchor_70"><span class=
+"label">[70]</span></a>Djebīla («&nbsp;la Grasse&nbsp;»), un des
+villages du Souf, à 22 km. N.-E. d’El-Oued.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_71"></a><a href="#FNanchor_71"><span class=
+"label">[71]</span></a>Gens de Ghadamès.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_72"></a><a href="#FNanchor_72"><span class=
+"label">[72]</span></a>Zaouïa des Tidjaniya.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_73"></a><a href="#FNanchor_73"><span class=
+"label">[73]</span></a>«&nbsp;Frères&nbsp;» disciples du marabout
+de Nefta dont il est question plus loin.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_74"></a><a href="#FNanchor_74"><span class=
+"label">[74]</span></a>Dépression.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_75"></a><a href="#FNanchor_75"><span class=
+"label">[75]</span></a>Beaucoup de puits dégagent de l’hydrogène
+sulfuré, provenant de la décomposition, dans l’eau chargée de
+sulfate de chaux, des nombreuses matières organiques, tombées par
+l’orifice presque toujours dépourvu de margelle.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_76"></a><a href="#FNanchor_76"><span class=
+"label">[76]</span></a>Profondeur 6<sup>m</sup>,20. — Température
+20°,2 (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_77"></a><a href="#FNanchor_77"><span class=
+"label">[77]</span></a>Profondeur 5<sup>m</sup>,50. — Température
+21° (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_78"></a><a href="#FNanchor_78"><span class=
+"label">[78]</span></a>Autre forme du mot <span class=
+"arabic">ذمران</span></p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_79"></a><a href="#FNanchor_79"><span class=
+"label">[79]</span></a>Le chott El-Djérid.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_46">[46]</span><a id=
+"p1c04"></a>CHAPITRE IV</h3>
+
+<p class="sch">AU DJÉRID</p>
+
+<p>En traversant la rivière, ayant devant moi d’une part les
+constructions pittoresques de la ville et de l’autre les beaux
+jardins de palmiers, je fus frappé par le charme du site, qui me
+soulagea de l’appréhension du danger et du dépit que m’avait causé
+le manque de courage de mes compagnons de route.</p>
+
+<p>Nafta compte 3.000 hommes<a id="FNanchor_80"></a><a href=
+"#Footnote_80" class="fnanchor">[80]</a>&nbsp;; il faut ajouter à
+cela les femmes et les enfants non pubères. Les Juifs y sont 54
+hommes avec les mêmes additions. Les hommes s’habillent de fines
+jaquettes et pantalons d’étoffes venus de Tunis, et s’enveloppent
+des beaux burnous si renommés du Djérid&nbsp;; ils ne portent pas
+de corde en poil de chameau. Les femmes, dont plusieurs m’ont paru
+assez bien, mettent un pardessus d’étoffe bleue foncée, comme au
+Souf, seulement elles sont plus propres et ont des vêtements de
+dessous mieux arrangés. La population est du reste tout à fait
+«&nbsp;beldiya&nbsp;»&nbsp;; on y trouve pas mal d’embonpoint. Du
+reste, il y a ici tout ce qui caractérise une grande ville arabe,
+des cafetiers en vestes de soie brodée, des boutiques bien
+fournies, etc., etc. N’y avait-il pas jusqu’à un fou, qui, comme
+celui d’El-Goléâ, paraît attacher un intérêt particulier à mon
+humble personne, et est revenu jusqu’à trois fois m’accabler de ses
+malédictions. On le chasse assez rudement pour un fou musulman.</p>
+
+<p>Les Juifs se distinguent par un turban noir. Les femmes se
+voilent occasionnellement dans la rue en ramenant leur haïk sur
+leur figure.</p>
+
+<p>La ville de Nafta paie actuellement un impôt qui s’élève
+à<span class="pagenum" id="Page_47">[47]</span> 350.000 francs ou
+70.000 douros, parmi lesquels il faut compter 30.000 douros
+d’exactions de la part des employés du gouvernement. Ces chiffres
+sont énormes, comparés à ce qui existe en Algérie. Chaque homme,
+petit ou vieux, paie 23 francs annuellement&nbsp;; le reste de
+l’impôt est sur les palmiers.</p>
+
+<p>Les maisons de Nafta sont construites fort élevées, en briques
+minces, je dirais presque en tuiles jaunes et rouges, unies par du
+mortier de glaise&nbsp;; elles ont un aspect fort élégant à
+l’extérieur et sont encore ornées par divers dessins que forment
+les briques au-dessus des portes et quelquefois tout le long des
+frontons. Certains quartiers de la ville sont un peu ruinés&nbsp;;
+vers le côté est on voit une tour assez élevée. Les boutiques, sur
+le marché, sont disposées de la même manière économique et simple
+qu’à Tougourt.</p>
+
+<p>Mais ce qui frappe le plus à Nafta, c’est sa rivière impétueuse,
+qui coule auprès des palmiers, c’était la première fois que je
+voyais cela. A l’endroit où elle se divise en deux branches, au
+moyen de constructions en bois très solides et ingénieuses, pour
+aller arroser les plantations, l’eau a 27° (à 4 h. p. m.). Le
+matin, on voit de la vapeur ou du brouillard à sa surface<a id=
+"FNanchor_81"></a><a href="#Footnote_81" class="fnanchor">[81]</a>.
+L’eau renferme quelques mousses aquatiques et les mêmes coquilles
+noires<a id="FNanchor_82"></a><a href="#Footnote_82" class=
+"fnanchor">[82]</a> que j’ai récoltées dans l’oued Biskra, plus une
+variété cannelée des mêmes.</p>
+
+<p>Les jardins renferment, outre de magnifiques palmiers, des
+figuiers, des citronniers, des limoniers, des orangers, des
+pêchers. On n’y trouve ni oliviers ni pruniers, deux arbres qui se
+trouvent à Tōzer. Le <em>tarfa</em> croît aux environs des
+plantations.</p>
+
+<p>Les deux kaïds, le frère de Si’Ali Saci et Sid el ’Abid sont
+fort aimables et me font beaucoup de politesses. Nous allons nous
+promener ensemble et nous déjeunons et dînons ensemble. La cuisine
+qu’on nous fait est exquise, dans le goût européen même. Il n’y a
+pas de ruines romaines à Nafta.</p>
+
+<p>Un fait curieux est ici la même progression des sables de l’est
+à l’ouest dont on se plaignait tant à Guémār. J’ai vu en effet les
+sables amoncelés en dunes près de l’endroit d’où part la route de
+Tōzer&nbsp;;<span class="pagenum" id="Page_48">[48]</span> ils
+pénètrent dans les plantations, enterrent les palmiers, les maisons
+et font que la ville s’élève progressivement<a id=
+"FNanchor_83"></a><a href="#Footnote_83" class="fnanchor">[83]</a>.
+Ainsi s’il n’y a pas de ruines romaines aujourd’hui, on ne peut pas
+affirmer qu’il n’y en a jamais eu&nbsp;; elles ont pu être
+enterrées depuis longtemps.</p>
+
+<p>Tous les Souafa de la caravane se sont empressés d’aller voir
+leur cheikh et marabout Sidi Moustapha, chanter de nombreux
+«&nbsp;la illah&nbsp;!&nbsp;» et jouer de la
+«&nbsp;bendīr&nbsp;».</p>
+
+<p>Les rues de Nafta sont spacieuses, mais non d’une propreté
+exemplaire, quoiqu’on ne puisse pas non plus les accuser du
+contraire.</p>
+
+<p>Les gens de Nafta hébergent les Hammama, leur donnent la diffa
+et de l’orge pour leurs chevaux lorsqu’ils viennent en ville, pour
+qu’en revanche ceux-ci les épargnent lorsqu’ils les rencontrent en
+voyage&nbsp;!</p>
+
+<p class="datesect">9 mars.</p>
+
+<p>Je décide de ne partir pour Tōzer que demain matin.</p>
+
+<p>Le matin, je vais voir les sources de l’oued Nafta&nbsp;; cela
+me donne l’occasion de voir dans les jardins le
+«&nbsp;<em>nebqa</em>&nbsp;», un <i>Rhamnus</i><a id=
+"FNanchor_84"></a><a href="#Footnote_84" class="fnanchor">[84]</a>
+qui atteint 20 mètres de haut et de grandes dimensions&nbsp;; son
+fruit est gros comme une grosse cerise, atteint même la grosseur
+d’une prune.</p>
+
+<p>Les sources qui forment l’oued sont assez chaudes, elles sortent
+de dessous une couche de marnes très épaisse, qui par exemple au
+Ras-el’Aioun<a id="FNanchor_85"></a><a href="#Footnote_85" class=
+"fnanchor">[85]</a> atteint une hauteur d’environ 30 mètres. Ces
+marnes varient de structure, de couleur et de friabilité. Le reste
+du terrain de Nafta se compose de grès très friables, si l’on peut
+appeler ainsi un conglomérat de sables quartzeux renfermant de
+petites veines de glaise, et des rognons atteignant quelquefois un
+volume considérable de grès véritable renfermant quelquefois de la
+marne.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_49">[49]</span>Les eaux de l’Oued
+renferment des poissons qui vivent surtout dans les endroits où
+l’eau est le plus chaude. Ils ont des taches rougeâtres ou
+orangées, quelques-unes prenant 1/5<sup>e</sup> du dos. — Les
+flaques d’eau formées par les sources nombreuses renferment des
+coquilles différentes de celles de l’Oued.</p>
+
+<p>Les animaux de Nafta à noter sont les bœufs (en petit nombre),
+les lapins (!), les chiens de races variées, les chèvres de race
+européenne.</p>
+
+<p>Je vais voir le soir le marabout Sid’Moustapha ben Azoûz, qui me
+reçoit d’une façon fort civile, et s’efforce de me faire comprendre
+que tous, musulmans, chrétiens et juifs sont ses enfants, tous ceux
+que Dieu a créés<a id="FNanchor_86"></a><a href="#Footnote_86"
+class="fnanchor">[86]</a>&nbsp;; il approuve mes études. Nous
+mangeons sa «&nbsp;bénédiction&nbsp;», pour rendre la parole arabe.
+— Sa zaouiya était remplie de monde, surtout de pèlerins venus du
+Souf avec moi.</p>
+
+<p>Je suis obligé de donner de longs détails sur l’électricité, la
+vapeur et beaucoup de choses semblables.</p>
+
+<p>Pendant que je dessinais la zaouiya de Sidi et Tabăi, de
+nombreux curieux s’étaient rassemblés et parmi eux des tolba<a id=
+"FNanchor_87"></a><a href="#Footnote_87" class=
+"fnanchor">[87]</a>&nbsp;: on montra beaucoup de mauvais vouloir,
+et lorsque je demandai le nom de la zaouiya, on refusa de me le
+donner&nbsp;; c’est Sidel’Abīdi qui la reconnaît sur le dessin et
+m’en donne le nom. Je me plains de cela, et on me donne un
+mokhazeni<a id="FNanchor_88"></a><a href="#Footnote_88" class=
+"fnanchor">[88]</a> pour écarter la foule. Je finis la journée très
+bien.</p>
+
+<p>Les nuages qui ont occupé le ciel tout le temps de mon séjour
+m’ont empêché de faire des observations astronomiques. A midi le
+soleil était visible par intervalles, j’essayai de le prendre au
+méridien, mais mon observation est, je le crains, peu concordante,
+parce que les deux kaïds étaient à mes côtés et m’ennuyaient de
+questions.</p>
+
+<p class="datesect">10 mars.</p>
+
+<p>Nous sommes partis de Nefta d’assez bonne heure par un ouragan
+épouvantable, le vent venant du nord-est avec beaucoup de force.
+Nous étions gelés, quoique la température de l’air ne
+fût<span class="pagenum" id="Page_50">[50]</span> pas très basse.
+La route de Nafta à Tōzer est très insignifiante, elle longe le
+chott à une petite distance&nbsp;; on est sur un terrain élevé,
+presque dénué de végétation et très peu accidenté. Un peu avant
+d’arriver, on voit le Djebel Tarfaouï.</p>
+
+<p>Tōzer a moins de population que Nafta (1.900 hommes), mais
+possède des plantations beaucoup plus considérables&nbsp;: 300.000
+palmiers. Les constructions sont ici les mêmes qu’à Nafta&nbsp;; la
+ville possède aussi une rivière qui prend sa source au bout ouest
+des plantations et qui est aussi considérable que celle de
+Nafta&nbsp;; après avoir traversé les plantations, elle va encore
+se perdre dans le chott.</p>
+
+<p>Je trouve ici le vice-consul Si Mohammed ben Rabah, à peine
+installé depuis vingt jours&nbsp;; nous nous embrassons en nous
+rencontrant, et je suis charmé de trouver une perle d’homme dans ce
+personnage. Il possède beaucoup de biens dans la ville et à Nafta,
+mais de crainte qu’on ne lui reproche de la fantasia depuis son
+installation comme consul <em>français</em>, il affecte une mise
+très simple.</p>
+
+<p>Les autorités me souhaitent la bienvenue, mais sont très
+occupées à recueillir le reste de l’impôt que va venir prendre la
+<em>mahalla</em>.</p>
+
+<p>Je vais à cheval et le vice-consul sur sa mule à Beled el
+Hadar<a id="FNanchor_89"></a><a href="#Footnote_89" class=
+"fnanchor">[89]</a> voir des restes de constructions romaines<a id=
+"FNanchor_90"></a><a href="#Footnote_90" class="fnanchor">[90]</a>
+qui servent de fondation à un minaret isolé. La grande mosquée est
+à côté&nbsp;; on m’avait dit qu’elle renfermait des inscriptions,
+mais y étant entré, je n’y reconnus qu’un inscription arabe,
+sculptée et peut-être intéressante comme monument de culture
+architecturale. Mon habit me permet d’entrer dans une mosquée sans
+faire trop de scandale. Quelqu’un ayant demandé dans le temple qui
+j’étais, le vice-consul se contenta de répondre&nbsp;: «&nbsp;Un
+homme de l’Ouest. — Quelqu’un qui cherche des inscriptions
+hébraïques&nbsp;? — Oui.&nbsp;»</p>
+
+<p>Les fondations du minaret sont très solides, en pierres
+carrées&nbsp;; plus haut, des tronçons de colonnes et d’autres
+pierres ont été installées dans la construction arabe&nbsp;; enfin
+au-dessus de la porte<span class="pagenum" id="Page_51">[51]</span>
+on voit deux pierres sculptées grossièrement. D’inscriptions,
+point.</p>
+
+<p>Mon cheval fit des sauts à n’en plus finir jusqu’à notre retour
+en ville. Il y a des tentes des Hammāma auprès de la ville. J’ai pu
+voir leur intérieur, qui ressemble en tout à celui des autres
+Arabes.</p>
+
+<p>Le vice-consul me fait apporter une table et une chaise.</p>
+
+<p>Tōzer compte 1.900 hommes depuis l’âge de puberté jusqu’aux
+vieillards. L’impôt s’élève à 542.000 réals tounsi en comptant les
+exactions. Le réal tounsi vaut 75 centimes. Ici on m’indique comme
+impôt de Nafta la somme de 588.000 réals tounsi&nbsp;; donc encore
+plus que Sid el’Abīdi n’avait dit. On prétend encore que l’air de
+ce pays vaut mieux que celui de Nafta, qui est déjà très bon<a id=
+"FNanchor_91"></a><a href="#Footnote_91" class=
+"fnanchor">[91]</a>.</p>
+
+<p class="datesect">11 mars.</p>
+
+<p>Malgré toutes les précautions que je croyais avoir prises, je ne
+pus partir que dans la soirée. Si Mohammed ben Rabah et deux
+«&nbsp;mokhazeni&nbsp;» m’accompagnèrent jusqu’à Degach. Cette
+fois, j’avais abandonné le chameau et mis mon bagage sur deux
+mulets que j’ai loués 40 francs d’ici à Gabès et retour. Outre
+Ahmed, j’ai cru devoir prendre encore un domestique qui aura pour
+gages 13 francs.</p>
+
+<p>La route qui sépare Tôzer de Degach est très
+insignifiante&nbsp;; on verra dans l’itinéraire les traits
+principaux qui la caractérisent. Je dois cependant remarquer que
+dans l’oued à sec qui sépare en deux la ville de Degach, la
+constitution géologique des berges consiste en forts lits de
+conglomérat de sables quartzeux séparés par de minces couches
+d’argile, le tout ayant une position légèrement inclinée<a id=
+"FNanchor_92"></a><a href="#Footnote_92" class=
+"fnanchor">[92]</a>.</p>
+
+<p>Dans tout le cercle d’el Ouidĭān ou de Tāgiroūs, dans lequel
+nous venons d’entrer, il n’y a que 1.600 hommes et les biens de la
+terre se réduisent à 188.000 palmiers ou oliviers, car cet arbre
+qui<span class="pagenum" id="Page_52">[52]</span> commence à Tōzer,
+mais y est peu commun, se trouve ici en plus grand nombre.</p>
+
+<p>Dans ce pays, on considère Tōzer et Gafsa comme ayant le climat
+le plus sain&nbsp;; ensuite viennent Nafta et Degāch avec un bon
+climat encore, mais Kĕrĭz est malsain&nbsp;; les fièvres s’y
+montrent. El-Hamma près d’ici de même&nbsp;; l’autre Hamma près de
+Gabès encore de même, enfin le Nefzāoua compte pour le plus mauvais
+climat.</p>
+
+<p>Les maisons ici sont construites en tōb, et sont loin d’égaler
+les constructions de Nafta et de Tōzer.</p>
+
+<p>Je suis reçu par le khalifa et attends inutilement un ciel
+étoilé, et presque avec autant de succès mon dîner. Cependant ce
+dernier arrive très tard, et je me couche. La nuit, toutes les
+bêtes de somme font une cohue générale, on peut à peine les
+séparer&nbsp;; mon cheval est fortement mordu en deux endroits.</p>
+
+<p class="datesect">12 mars.</p>
+
+<p>Ce matin, nous sommes partis de bonne heure et une courte marche
+nous mena aux deux villages de Zorgān et d’Oulad Madjed. Dans ce
+dernier endroit je m’arrêtai au minaret, isolé comme celui de
+Belīdet el Hadar, et comme lui bâti sur des fondations
+romaines&nbsp;; je le gravis à travers différents casse-cou&nbsp;;
+il est bâti en briques et de construction solide. On m’avait dit
+que je devais trouver là une inscription latine, mais il n’y en a
+aucune. Il fut question alors de la mosquée, j’y entrai et trouvai
+une inscription arabe entourant le dôme de la niche de l’imān, de
+même qu’à Belīdet el Hadar.</p>
+
+<p>Désappointés, nous continuâmes notre marche et entrâmes dans les
+palmiers&nbsp;; nous ne tardâmes pas à arriver aux ruines romaines
+du Guebba qui sont au milieu de la <em>ghaba</em><a id=
+"FNanchor_93"></a><a href="#Footnote_93" class="fnanchor">[93]</a>.
+Un indigène instruit me dit que cette ville, car ce devait en être
+une, se nommait alors «&nbsp;Tagiānoūs<a id=
+"FNanchor_94"></a><a href="#Footnote_94" class=
+"fnanchor">[94]</a>&nbsp;». Les ruines, presque partout se
+réduisant à des fondations, car je suis persuadé que le reste était
+bâti en briques, s’étendent sur un grand espace&nbsp;; on reconnaît
+les plans des maisons&nbsp;; et çà et là, parmi les pierres
+dispersées, on rencontre un tronçon de colonne ou une autre pierre
+travaillée. Deux monuments<span class="pagenum" id=
+"Page_53">[53]</span> sont encore assez apparents. C’est d’abord
+une petite construction carrée, évidemment enterrée de beaucoup,
+qui me frappa par ce fait que les pierres de taille sont surmontées
+d’un reste de construction en briques, identiques à celles des
+maisons de Tōzer.</p>
+
+<div class="figcenter iw2">
+<figure id="i01"><a href="images/i01.jpg"><img src='images/i01.jpg'
+alt=''></a>
+<p class="cp1">Portion de muraille (Guebba). Ruines romaines. — La
+niche dans la muraille est évidemment une écluse bouchée.</p>
+</figure>
+</div>
+
+<p>L’autre ruine consiste en un long mur ou sommet de muraille,
+entièrement en pierre de taille avec une sorte de fausse porte
+voûtée, qui pourrait être encore une écluse pour les eaux&nbsp;; de
+même que le mur pouvait faire partie d’un réservoir&nbsp;; mais les
+indigènes rapportent eux-mêmes que les sables, la terre elle-même
+s’exhausse toujours par suite des vents qui l’amènent, et me
+disaient que, s’il y avait des inscriptions à Guebba, le vent les
+aurait ensevelies. Aujourd’hui les palmiers croissent au milieu des
+enceintes des maisons de l’ancienne ville romaine, ce qui prouve
+que cette partie des plantations est postérieure à l’occupation
+romaine.</p>
+
+<p>En quittant Guebba, nous atteignîmes bientôt Kēriz, petite ville
+bâtie en terre et en vase sur une élévation. En attendant le
+déjeuner, je partis pour aller voir une inscription latine dans la
+montagne.</p>
+
+<p>Avant d’entrer dans les rochers, nous découvrîmes dans
+l’embouchure d’un ravin un petit douār de 5 à 6 misérables tentes
+de Hammāma. Nous gravîmes la montagne, et environ aux trois quarts
+de sa hauteur, nous nous arrêtâmes à un rocher plat, très raviné
+par la pluie, et formant une table inclinée. Là se trouve une
+inscription écrite très grossièrement et à la légère, en lettres
+de<span class="pagenum" id="Page_54">[54]</span> 50 centimètres de
+hauteur&nbsp;; elle se compose de trois lignes&nbsp;; à côté il y
+en a une seconde de deux lignes et beaucoup plus petite, qui, plus
+facile à restaurer que l’autre, indique que cet endroit était
+consacré à Mercure et avait le privilège d’asile. La nature de
+cette inscription et surtout sa position dans un endroit peu
+accessible et isolé est digne de remarque.</p>
+
+<div class="figcenter iw3">
+<figure id="i02"><a href="images/i02.jpg"><img src='images/i02.jpg'
+alt=''></a>
+<p class="cp1">Inscription du Djébel-Sebaa Regoûd au nord de
+Kerîz<a id="FNanchor_95"></a><a href="#Footnote_95" class=
+"fnanchor">[95]</a>.</p>
+</figure>
+</div>
+
+<p>La nature géologique de la montagne de Sebaa Regoûd est un
+calcaire coquillier marin. Il contient beaucoup de fossiles<a id=
+"FNanchor_96"></a><a href="#Footnote_96" class="fnanchor">[96]</a>,
+notamment des oursins. Je trouve sur la route plusieurs plantes et
+fleurs nouvelles pour moi, toutes très humbles.</p>
+
+<p>Nous retournons, et à la hauteur du douar, deux femmes habillées
+de bleu viennent demander qui je suis&nbsp;; il leur est
+répondu&nbsp;: «&nbsp;Un Occidental de l’Occident&nbsp;».</p>
+
+<p>De Kērīz une très courte marche nous amena à Sedāda, qui lui
+ressemble beaucoup. Les habitants de cette ville ne sont pas aussi
+civilisés que ceux des autres&nbsp;; ils m’ennuient même beaucoup.
+On fait déjà des difficultés pour me montrer des ruines
+romaines&nbsp;; nous<span class="pagenum" id="Page_55">[55]</span>
+allons à Tamezrarit, petite <em>ghaba</em> de palmiers, oliviers et
+autres cultures qui se trouve un peu à l’est&nbsp;; là je me fâche
+contre le cheikh qui me paraît très soupçonneux et je fais tourner
+bride. Je reviendrai si les ruines en valent la peine<a id=
+"FNanchor_97"></a><a href="#Footnote_97" class=
+"fnanchor">[97]</a>.</p>
+
+<p>De retour à la maison qui m’est destinée, je la fais évacuer par
+tout le monde, et comme quelques Arabes Hammāma et autres
+va-nu-pieds semblent trouver drôle qu’on les empêche <em>de
+voir</em> un roumi qui cherche des pierres romaines, et que ces
+Messieurs se disputent avec Ahmed pour ne pas s’en aller, je fais
+venir le cheikh, et exécute une scène éloquente où je qualifie de
+chiens les susdits Arabes&nbsp;; le cheikh tâche de me surpasser de
+colère et me propose de les mettre tous en prison.</p>
+
+<p>Le ciel s’éclaircit le soir et je puis prendre la latitude des
+lieux. Les cartes ont une erreur énorme pour tout le sud de la
+Tunisie.</p>
+
+<p class="datesect">13 mars.</p>
+
+<p>Ce matin, en m’éveillant, je trouvai la pluie, et le ciel
+menaçant de ne pas s’éclaircir de toute la journée, je profitai de
+ce que le second «&nbsp;mokhazeni&nbsp;» n’était pas encore arrivé
+pour accéder à la demande de mes gens qui ne se souciaient pas
+outre mesure de partir.</p>
+
+<p>J’eus lieu d’être très mécontent de la conduite du cheikh et de
+ses administrés&nbsp;; comme il était une heure et que le
+<em>déjeuner</em> ne semblait pas devoir paraître, je fis appeler
+le cheikh et lui adressai des reproches très vifs sur toute sa
+conduite&nbsp;; je fis venir un des cavaliers, lui ordonnai de
+monter à cheval, d’aller avertir le vice-consul de mes tracas, et
+en même temps d’apporter des vivres de Tōzer.</p>
+
+<p>Dans l’intervalle, le second mokhazeni était venu avec deux
+officiers du Makhzen, portant titres de chaouchs&nbsp;; ceux-ci,
+voyant cela, se fâchèrent tout de bon, et firent sentir au cheikh
+combien sa manière d’agir était déplacée envers quelqu’un muni de
+passeports de leur seigneur. Le cheikh me pria instamment de faire
+rappeler le cavalier, mais je tins ferme, le menaçant de plus de
+parler de tout cela à Hammouda Bey. Enfin le chaouch le plus
+civilisé me<span class="pagenum" id="Page_56">[56]</span> vainquit
+et me fit envoyer ’Amar chercher le mokhāzeni. A partir de ce
+moment, tout rentra dans l’ordre.</p>
+
+<p>Dans la soirée, on vint me dire qu’il y avait des ruines près de
+Tamezrarīt&nbsp;; je montai à cheval et m’y rendis avec le cheikh,
+Ahmed et un guide&nbsp;; nous suivîmes la route frayée qui mène à
+Zitouna, etc., et arrivâmes à un emplacement appelé par les
+indigènes Kesár Bent el ’Abrī. C’est un espace assez vaste, occupé
+par des fondations de très vastes enceintes. En fait de pierres
+travaillées, on n’y remarque qu’un moulin à huile. Ces fondations
+sont en pierres de petites dimensions, et, si je ne me trompe, on y
+distingue des briques&nbsp;; l’alignement des murailles est
+irréprochable, l’épaisseur des murs peut être de 40
+centimètres.</p>
+
+<p>Chemin faisant, j’appris du cheikh qui est très bavard, que dans
+le Djérid il n’y avait autrefois que deux sultans&nbsp;: celui de
+Guebba et celui de Belīdet el Hadar&nbsp;; que chacun avait son
+minaret&nbsp;: celui de Belīdet el Hadar existe encore
+entier&nbsp;; celui de Guebba (dont j’ai décrit plus haut la base)
+a été détruit par le propriétaire de la plantation où sont les
+ruines.</p>
+
+<p>D’autres renseignements, venant de la même source, montrent
+combien les Hammāma sont des gens terribles. A la saison des
+dattes, toutes les nuits il y a des coups de feu tirés entre les
+habitants de Sédāda el les Hammāma campés au sud qui veulent
+obtenir des dattes de force. L’automne dernier, des gens de cette
+tribu rencontrèrent sur le chott un troupeau conduit par un berger
+des leurs&nbsp;; ils lui volèrent un mouton&nbsp;; le berger les
+poursuivit et les atteignit aux plantations&nbsp;; ils se
+disputèrent, et les voleurs égorgèrent (littéralement) le
+malheureux. — Il y a un défilé dans la montagne qui conduit à
+Gafsa&nbsp;; chaque jour, on peut être sûr qu’il y a une
+cinquantaine de Hammāma embusqués&nbsp;; un des leurs fait vigie
+sur un rocher, et quand ils aperçoivent une faible compagnie de
+trois ou quatre voyageurs, ils tombent dessus, tuent les hommes et
+emportent tout. — C’est déplorable<a id="FNanchor_98"></a><a href=
+"#Footnote_98" class="fnanchor">[98]</a>.</p>
+
+<p>Personne ne sort dans ce pays sans être armé&nbsp;; ceci est à
+la lettre, on ne peut pas s’éloigner de 4 à 500 mètres des villes
+sans avoir à craindre quelque guet-apens.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp1c04">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_80"></a><a href="#FNanchor_80"><span class=
+"label">[80]</span></a>Chiffres donnés par les kaïds (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_81"></a><a href="#FNanchor_81"><span class=
+"label">[81]</span></a>M. Dru a précisé la température des
+sources&nbsp;: «&nbsp;26°,2 au milieu du bassin, 28° sur les bords
+aux points où l’eau sort de terre, et 30° sous les cabanes en
+troncs de palmiers qui vont chercher l’eau un peu plus profondément
+dans l’argile&nbsp;». (Note sur l’hydrologie, la géologie et la
+paléontologie du bassin des chotts, <em>in</em> Roudaire,
+<em>Rapport sur la dernière expédition des Chotts</em>. Paris,
+1881, p. 43.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_82"></a><a href="#FNanchor_82"><span class=
+"label">[82]</span></a><i>Melanopsis Maroccana</i>. (Bourguignat,
+Appendice aux <em>Touaregs du Nord</em>, p. 21.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_83"></a><a href="#FNanchor_83"><span class=
+"label">[83]</span></a>En 1887, l’envahissement continuait et
+affectait surtout le sud de l’oasis. La cause principale de la
+progression des sables est la destruction de la végétation aux
+alentours de l’oasis. (Voir l’enquête de M. Baraban, <em>A travers
+la Tunisie</em>. Paris, 1887, p. 120 et suiv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_84"></a><a href="#FNanchor_84"><span class=
+"label">[84]</span></a>C’est le <i>Zizyphus Spina Christi</i>,
+qu’on appelle zefzef en Algérie. Il est remarquable, au point de
+vue des anciennes relations du Djérid avec l’Orient, que le nom
+donné ici, nebqa, nabq, soit celui usité en Égypte. (V. Duveyrier,
+<em>les Touaregs du Nord</em>, p. 159&nbsp;; Ascherson dit qu’en
+Égypte le nom de nebeq s’applique au fruit (Pflanzen des mittlern
+Nord-Afrika, dans Rohlfs, <em>Kufra</em>, p. 471).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_85"></a><a href="#FNanchor_85"><span class=
+"label">[85]</span></a>«&nbsp;Tête des sources.&nbsp;»</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_86"></a><a href="#FNanchor_86"><span class=
+"label">[86]</span></a>Cela rappelle la paternité du Père Enfantin
+(H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_87"></a><a href="#FNanchor_87"><span class=
+"label">[87]</span></a>Lettrés. Les zaouiyas de Nafta sont
+nombreuses, et les fanatiques faillirent faire un mauvais parti à
+la mission Roudaire.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_88"></a><a href="#FNanchor_88"><span class=
+"label">[88]</span></a>Cavalier du Makhzen.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_89"></a><a href="#FNanchor_89"><span class=
+"label">[89]</span></a>Un des villages de l’oasis, l’emplacement de
+l’antique Tuzurus&nbsp;?</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_90"></a><a href="#FNanchor_90"><span class=
+"label">[90]</span></a>Duveyrier écrit ailleurs&nbsp;: «&nbsp;La
+distribution d’eau se fait encore au moyen d’ouvrages en pierres de
+taille que les Romains ont laissés.&nbsp;» (Excursion dans le
+Djérid, <em>Revue algérienne et coloniale</em>, 1860, II, p.
+346.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_91"></a><a href="#FNanchor_91"><span class=
+"label">[91]</span></a>Cette salubrité est très relative. En
+réalité, toutes ces oasis ombreuses respirent la fièvre (voir
+Vuillemin, <em>Étude médicale sur le Djérid</em>, <em>Archives de
+médecine militaire</em>, 1884, IV, p. 7, et sur les conditions
+sanitaires des oasis en général, les témoignages réunis par
+Schirmer, <em>le Sahara</em>, chap. <span class=
+"sc2">XIII</span>).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_92"></a><a href="#FNanchor_92"><span class=
+"label">[92]</span></a>L’inclinaison des couches, par suite de
+failles diverses, est un fait général sur les bords du chott
+Djérid. «&nbsp;Partout on constate des formations redressées sous
+les angles les plus divers.&nbsp;» (Dru, dans Rapport Roudaire cité
+p. 47.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_93"></a><a href="#FNanchor_93"><span class=
+"label">[93]</span></a>«&nbsp;Forêt&nbsp;» (de palmiers).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_94"></a><a href="#FNanchor_94"><span class=
+"label">[94]</span></a>Probablement la Takious du moyen âge, la
+Thiges de la Table de Peutinger. Cf. Tissot, II, p. 683.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_95"></a><a href="#FNanchor_95"><span class=
+"label">[95]</span></a>Cf. dans Tissot, II, p. 684, note de M. S.
+Reinach.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_96"></a><a href="#FNanchor_96"><span class=
+"label">[96]</span></a>Voir Dru et Munier-Chalmas, rapport cité, p.
+57 et suiv.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_97"></a><a href="#FNanchor_97"><span class=
+"label">[97]</span></a>Il ne faut pas oublier, pour apprécier ces
+recherches de Duveyrier, qu’on savait alors peu de chose de ces
+ruines du Djérid. Il n’y a guère à citer avant lui que Shaw,
+Desfontaines, Pellissier et Berbrugger. Les études de Tissot, qui
+avait passé au Djérid en 1853 et 1857, étaient encore inédites.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_98"></a><a href="#FNanchor_98"><span class=
+"label">[98]</span></a>Cette région n’a pas cessé d’être mal famée
+jusqu’à l’occupation française. Lors de la dernière mission
+Roudaire, les indigènes fréquentaient le moins possible cette rive
+nord du chott Djérid. (Rapport cité, p. 17.)</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_57">[57]</span><a id=
+"p1c05"></a>CHAPITRE V</h3>
+
+<p class="sch">NEFZAOUA ET GABÈS</p>
+
+<p class="datesect">14 mars.</p>
+
+<p>Nous partîmes après le lever du soleil, et entrâmes de suite
+dans le chott, cependant la végétation nous suivit encore quelque
+temps&nbsp;; nous notâmes en particulier quelques <em>tarfa</em>,
+du <em>zeita</em> et le <em>bougriba</em>.</p>
+
+<p>Ensuite nous entrâmes dans le chott véritable dont la surface
+variait de la terre glaise solide et glissante aux terres noirâtres
+détrempées et à une surface de sol très solide. Cette dernière se
+trouvait couverte de dessins circulaires en forme de damier,
+absolument semblables aux dessins en relief que présentent les
+affleurements calcaires depuis Biskra jusqu’à El-Guerāra.</p>
+
+<p>Je pus prendre des directions de boussole vers différents points
+du Djébel-Chāreb<a id="FNanchor_99"></a><a href="#Footnote_99"
+class="fnanchor">[99]</a>, qui correspondent à des points qui m’ont
+été indiqués comme possédant des ruines romaines.</p>
+
+<p>Le voyage sur le chott n’eut rien de remarquable jusqu’au moment
+où nous arrivâmes à un puits romain, ou du moins à ce que je prends
+pour un puits romain comblé. Ce sont de grandes pierres plates
+rangées en rayonnant. On appelle cet endroit Oumm el
+Goreīnat&nbsp;; une minute avant d’y arriver, nous avions coupé une
+flaque d’eau formant le bas de l’oued Zitouna<a id=
+"FNanchor_100"></a><a href="#Footnote_100" class=
+"fnanchor">[100]</a>.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_58">[58]</span>Ensuite nous
+continuâmes notre longue route à travers cette mer desséchée. Nous
+revîmes, avant d’arriver dans le Nefzāoua, la même gradation de la
+végétation que nous avions remarquée en quittant le Djérid. Les
+<em>tarfa</em> se montrèrent encore.</p>
+
+<p>Lorsque nous entrâmes dans le Nefzāoua, la végétation se montra
+excessivement variée, et surtout nouvelle pour moi&nbsp;; quantité
+de roseaux et de graminées.</p>
+
+<p>La première ville ou plutôt le premier village que nous y
+rencontrâmes fut celui de Zaouiyēt ed Debabkha. Celui-ci et tous
+les autres du Nefzāoua sont tout petits et enfoncés dans des
+plantations de palmiers&nbsp;; souvent ils en sont tout à fait
+entourés. On voit à côté des villages de petites oasis de palmiers,
+qui autrefois avaient chacune leur village, mais ils furent
+alternativement détruits et changèrent de place ou furent tout à
+fait oubliés.</p>
+
+<p>Nous n’arrivâmes que fort tard au bordj situé tout près du
+village de Mansoura et non loin de Tellimīn. Le bordj est ce qui
+reste de l’ancienne Tŏrra, nom qui est resté à la source qui coule
+au bas du bordj.</p>
+
+<p>Je suis reçu par le kaïd Si Mohammed es Saïs. A l’entrée du
+bordj, un vieux «&nbsp;zouāoui&nbsp;» se mit à me fouiller pour
+voir si j’avais des armes, mais je l’envoyai à tous les diables, et
+Ahmed ne manqua pas de lui administrer une poussade. Je trouvai
+dans le kaïd un homme comme il faut, et je prévis de suite que je
+n’aurais aucun désagrément dans le Nefzāoua. Je trouvai là un juif
+faisant fonction de receveur des impôts. Le kaïd ne passe dans le
+Nefzaoua que peu de mois avant l’arrivée de la colonne dans le
+Djérid. Puis il revient à Tunis avec elle. Outre que le séjour est
+peu agréable pour ce grand seigneur, il est probable que sa vie n’y
+serait pas toujours sûre&nbsp;; aussi prend-on même pour le court
+moment de son séjour de grandes précautions&nbsp;; il n’est pas
+permis d’entrer dans le bordj avec des armes. On a bien soin
+d’étaler devant la porte un vieux canon de fer, et il y en a un
+autre qui passe sa gueule à une petite fenêtre sur la façade. — La
+petite garnison de zouaves passe toute l’année ici&nbsp;; les
+hommes sont établis dans le pays.</p>
+
+<p>Je dois remarquer que, sur le chott, nous trouvâmes les traces
+de la voiture de Si Ali Saci&nbsp;; outre que cette voiture
+probablement légère peut y passer sans difficultés, le chott dans
+son état actuel supporterait la plus grosse artillerie. Ceci est un
+fait intéressant à<span class="pagenum" id="Page_59">[59]</span>
+comparer avec ce que disaient les voyageurs arabes du moyen âge. Le
+chott a probablement changé, comme bien d’autres sebkhas de ces
+contrées<a id="FNanchor_101"></a><a href="#Footnote_101" class=
+"fnanchor">[101]</a>.</p>
+
+<p>Le bordj est bâti en grande partie avec des matériaux de
+constructions romaines&nbsp;; sur la façade, on voit même une
+pierre ornée de sculptures, mais il n’y a pas d’inscriptions. La
+porte du petit village de Mansoura est supportée par des pierres
+romaines.</p>
+
+<p class="datesect">15 mars.</p>
+
+<p>Avant de déjeuner, nous allâmes voir Tellimīn&nbsp;; en
+descendant du bordj, on me fit remarquer à la prise d’eau une
+pierre écrite «&nbsp;en hébreu&nbsp;», que je trouvai être une
+inscription en bon arabe&nbsp;; comme elle est vieille de 96 ans,
+je pris la peine dans la soirée d’en prendre un estampage.</p>
+
+<p>Avant d’arriver à Tellimīn, nous eûmes à tourner une assez
+grande mare, qui est au moins aussi grande que la moitié de la
+ville.</p>
+
+<p>Je suis entré dans une quantité de maisons, et je puis donner
+quelques détails sur l’intérieur, quoique mon séjour y ait été peu
+long. La ville est bâtie en matériaux de constructions romaines,
+puis en petites pierres, le tout uni au moyen de glaise. Les
+maisons ne sont pas plus hautes que celles de Tougourt et
+présentent un intérieur au moins aussi sale et misérable. Les rues
+ne sont ni très étroites, ni trop larges, et tout la ville est
+remplie d’immondices et d’ordures. La mosquée, à moitié en plein
+air, est bâtie sur l’emplacement de l’ancienne église chrétienne.
+Le plafond est supporté par des colonnes qui sont au nombre de neuf
+dans la longueur et de trois dans la largeur. Toutes ont des
+chapiteaux de dessins différents, dont j’ai essayé de représenter
+trois échantillons (<a href="#i03">pl.</a>).</p>
+
+<p>J’ai trouvé deux inscriptions latines dans l’intérieur des
+maisons de la ville&nbsp;; la première doit se lire&nbsp;:
+«&nbsp;Sexto Cocceio Vibiano proconsuli provinciæ Africæ, patrono
+municipii dedicavit perpetuus populus&nbsp;» (ou pecuniâ
+publicâ).</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_60">[60]</span>La seconde se
+rétablit aisément par&nbsp;: «&nbsp;Hadriano conditori municipii
+dedicavit populus perpetuus&nbsp;».</p>
+
+<p>Ces inscriptions enseignent qu’Hadrien fut le fondateur de la
+ville, et que cette ville était assez importante pour former un
+«&nbsp;municipium&nbsp;»<a id="FNanchor_102"></a><a href=
+"#Footnote_102" class="fnanchor">[102]</a>.</p>
+
+<p>La légende rapporte qu’autrefois le sultan de Tellimīn ne
+sortait pas sans être accompagné de 5.000 cavaliers tous montés sur
+des chevaux mâles&nbsp;; aujourd’hui malheureusement la ville est
+loin de posséder autant de forces. C’est encore d’ici, d’après une
+autre tradition, que seraient sortis les habitants de Tougourt, qui
+auraient émigré sous la conduite de leur chef, chassés par un
+conquérant. Je dois dire à ce sujet que les vêtements, la coiffure,
+même le type des femmes du Nefzāoua ressemblent beaucoup à tout ce
+que nous connaissons dans l’Oued-Righ. Elles s’habillent de coton
+bleu et gardent sur le devant de la tête une mèche de cheveux
+laineux qui sont tressés en mille petites tresses dans les grandes
+occasions. Les hommes, au contraire, ont plutôt le type arabe et, à
+l’exception de quelques rares sujets, donnent encore un exemple de
+plus de cette singulière loi des races croisées, que les femmes
+conservent plutôt le type de la race inférieure. — La langue parlée
+dans le Nefzāoua est l’arabe, le berbère y est aujourd’hui
+inconnu.</p>
+
+<div class="figcenter iw3">
+<figure id="i03"><a href="images/i03.jpg"><img src='images/i03.jpg'
+alt=''></a>
+<p class="cp1">N<sup>os</sup> 1 et 2. — Inscriptions dans des murs
+de maisons à Tillimīn.</p>
+
+<p class="cp2">N<sup>o</sup> 3, <em>a b c</em>. — Chapiteaux de
+colonnes dans l’ancienne église, aujourd’hui mosquée de Tillimīn. —
+<em>a b</em>, de face&nbsp;; <em>c</em>, de profil.</p>
+</figure>
+</div>
+
+<p>Après notre excursion de Tellimīn, nous allâmes à Kébilli<a id=
+"FNanchor_103"></a><a href="#Footnote_103" class=
+"fnanchor">[103]</a>, qui est une ville importante et digne de
+beaucoup d’attention. J’ai encore ici à faire les mêmes remarques
+anthropologiques qu’à Tellimīn, mais en ajoutant que la ville et
+ses habitants annoncent un bien plus haut degré d’aisance et de
+civilisation. On voit encore dans la ville de nombreuses pierres
+romaines qui ont servi de matériaux à la construction des maisons.
+Cependant la ville actuelle n’est pas très ancienne, Rhōma<a id=
+"FNanchor_104"></a><a href="#Footnote_104" class=
+"fnanchor">[104]</a> ayant détruit au moins en<span class="pagenum"
+id="Page_63">[63]</span> partie le Kébilli ancien. On compte cinq
+mosquées, et les trois que j’ai visitées sont évidemment sur
+l’emplacement d’églises, comme le témoignent les colonnes qui en
+supportent le toit. Ici je n’ai pas trouvé d’inscriptions.</p>
+
+<p>En revenant, je vis par la porte de la prison un homme aux fers,
+qui, je le crains, n’a commis d’autre crime que de refuser de
+donner au kaïd une grosse somme d’argent qu’on lui demandait par
+exaction. Cet homme me supplie d’intercéder pour lui, mais je ne
+vois pas trop ce que je puis faire. Il est de toutes façons très
+digne de pitié.</p>
+
+<p class="datesect">16 mars.</p>
+
+<p>Nous partîmes du bordj. J’avais une escorte de quatre cavaliers,
+et le kaïd lui-même, accompagné de deux piétons, me fit la conduite
+quelque temps.</p>
+
+<p>Nous nous dirigeâmes vers la chaîne de collines, qui commence
+avec le Nefzāoua, et qui dans cet endroit augmente beaucoup de
+proportions&nbsp;; nous la coupâmes et entrâmes dans un pays de
+plaine, aboutissant au chott&nbsp;; nous avons d’un côté la chaîne
+lointaine du Djébel-Chāreb et de l’autre les hauteurs du
+Djébel-Nefzāoua<a id="FNanchor_105"></a><a href="#Footnote_105"
+class="fnanchor">[105]</a>.</p>
+
+<p>Après une marche assez longue, nous arrivâmes à la dernière
+ville du Nefzāoua&nbsp;; c’est Lemmāguès, ville aujourd’hui ruinée
+et habitée, je crois, par une seule famille, outre les gens de la
+zaouiya, dont le marabout, drôle de nègre armé d’une pioche et en
+costume de travail, vint nous demander le prix de sa bénédiction.
+Je le menaçai du bâton pour toute réponse&nbsp;; là se termina
+notre entretien. Dans les constructions de la ville, je remarque
+encore bon nombre de pierres romaines, voire même des tronçons de
+colonnes.</p>
+
+<p>Avant d’arriver à la ville, nous touchâmes à la source qui se
+trouve au commencement des plantations de palmiers&nbsp;; là nous
+trouvâmes un groupe de jeunes filles des Hammāma occupées à remplir
+des outres qu’elles chargeaient à mesure sur des ânes. Elles
+étaient gardées par un chien. Ces filles arabes étaient vêtues de
+bleu et coiffées avec une certaine grâce, leurs oreilles et
+leurs<span class="pagenum" id="Page_64">[64]</span> cheveux étaient
+ornées d’anneaux de cuivre qui étaient d’un joli effet. Mais ces
+demoiselles n’avaient rien de virginal, ni leur timbre de voix, ni
+surtout leur langage&nbsp;; il choqua jusqu’à mes guides, qui les
+appelèrent en moquerie «&nbsp;chiennes de Hammāmiāt&nbsp;». Leur
+visage n’avait rien de joli ni d’intéressant, et leurs poitrines
+étaient un peu plus décolletées que ne le comportent nos idées.</p>
+
+<p>Nous partîmes de Lemmaguès où nous ne fîmes qu’une courte halte
+pour déjeuner et continuâmes notre route dans un pays qui n’était
+interrompu que par quelques ravines descendant des montagnes et
+allant au chott. La végétation était remarquable en ce qu’on y
+voyait associés le <em>zeita</em>, le <em>souid</em>, le
+<em>tarfa</em>, plantes qui croissent de préférence dans les lieux
+bas et près de l’eau, et le <em>halfa</em> du pays, qui, s’il est
+semblable à son frère des hauts plateaux algériens<a id=
+"FNanchor_106"></a><a href="#Footnote_106" class=
+"fnanchor">[106]</a>, ne vient ordinairement que sur les endroits
+élevés et exposés aux vents.</p>
+
+<p>Nous fîmes lever trois outardes, qu’un de mes cavaliers chercha
+en vain à atteindre à balles. Nous vîmes aussi une petite troupe de
+gazelles.</p>
+
+<p>Nous atteignîmes enfin l’endroit où était la veille la zmala du
+khalifa des Aărād, avec une partie des Beni-Zid, mais à mon grand
+désappointement, nous trouvâmes la place vide. Les tentes avaient
+été plantées plus loin, et le guide fut d’avis qu’ils avaient pris
+la direction du Djébel-Chāreb. Je fis néanmoins arrêter ma petite
+troupe et me décidai à passer la nuit où nous étions. Nous avions
+pour nourriture des dattes, du pain et des œufs, mais les bêtes de
+somme eurent à jeûner&nbsp;; mon cheval seul eut environ la moitié
+de sa ration habituelle du soir. Le cheikh Săīd de Kébilli partit à
+cheval pour explorer le pays en avant&nbsp;; il revint disant qu’il
+n’avait rien trouvé sinon une tache noirâtre dans le lointain et
+qui pouvait aussi bien être des arbres que des tentes. Nous nous
+établîmes donc de notre mieux sur la frontière des Hammāma et des
+Beni-Zīd, deux tribus puissantes qui ont la plus mauvaise renommée
+comme pillards et qui, de plus, sont ennemies l’un de l’autre.</p>
+
+<p>Notre repos ne fut interrompu que par les cris d’un chameau
+égaré. Nous crûmes qu’il était chassé par des maraudeurs
+et<span class="pagenum" id="Page_65">[65]</span> préparâmes nos
+armes, mais nous nous étions trompés, c’était tout simplement un
+jeune chameau qui cherchait sa mère.</p>
+
+<p class="datesect">17 mars.</p>
+
+<p>Nous nous mîmes en marche d’assez bonne heure, continuant à
+traverser le pays plat et ayant à notre droite les montagnes du
+Nefzāoua. Nous voyions à gauche le Djébel-Châreb se réunir au
+Hadifa, pic élevé que j’ai visé à la boussole plusieurs fois pour
+en déterminer la position. Nous traversâmes de nombreux
+oueds&nbsp;; la végétation se montra la même qu’hier.</p>
+
+<p>Peu de temps après le départ, nous rencontrâmes deux ou trois
+voyageurs qui nous apprirent que la smalah avait campé un peu plus
+en avant, et bientôt en effet nous l’aperçûmes au pied de la
+montagne. Le cheikh Săīd fut encore détaché pour aller porter une
+lettre au khalifa et il nous rejoignit plus tard avec un ordre
+écrit d’un chef à son remplaçant à Hāmma.</p>
+
+<p>Nous arrivâmes à Aïn el Magroun<a id="FNanchor_107"></a><a href=
+"#Footnote_107" class="fnanchor">[107]</a>, source qui sort de
+rochers de grès friables et qui a de petits dépôts calcaires&nbsp;;
+il y a là un rassemblement de beaucoup d’eau, mais elle est un peu
+salie. Dans les berges de grès qui entourent la source, je
+remarquai des morceaux de bois fossiles passant quelquefois à une
+couleur et une forme presque charbonneuse&nbsp;; ces morceaux de
+bois me frappèrent d’autant plus que leurs dimensions dépassaient
+de beaucoup tout ce que la plaine renfermait de gros troncs ou de
+grosses racines.</p>
+
+<p>Nous continuâmes notre voyage et arrivâmes bientôt à la fin des
+montagnes du Nefzāoua, et aperçûmes alors à l’horizon les hauteurs
+des Matmata, puis les plantations d’El-Hamma au pied d’une chaîne
+de hauteurs nommées El-Kheneg. Sur l’un des dernier pitons des
+montagnes du Nefzaoua, on me dit qu’il y a les ruines d’une petite
+ville peut-être romaine, perchée comme un nid d’aigle&nbsp;: on
+l’appelle Belīd Oulad Mehanna.</p>
+
+<p>Il ne nous fallut pas longtemps pour atteindre la petite ville
+de Hamma. Elle est entourée de plantations et se trouve divisée en
+deux villages, celui d’El-Hamma, puis celui de Kessàr par environ
+40°, à 1 kilomètre de là&nbsp;; entre les deux villages se trouve
+le bordj<span class="pagenum" id="Page_66">[66]</span> de
+construction arabe ou turque, où logent des soldats zouāoua. Près
+du bordj sont les sources thermales qui ont donné son nom à la
+ville.</p>
+
+<p>Il y en a trois principales&nbsp;:</p>
+
+<table class="tab-p0 bd-collapse" id="t066">
+<tr>
+<td rowspan="2">’Aïn-Hamma</td>
+<td class="blt width-brace1">
+</td>
+<td>l’eau dans les bains</td>
+<td>44°,4</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>dans le petit canal près du bassin</td>
+<td>43°,95</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td rowspan="2">’Aïn-el-Bordj</td>
+<td class="blt">
+</td>
+<td>Dans les bains</td>
+<td>46°,45</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>dans le bain, à l’ouest</td>
+<td>45°,95</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>’Aïn-Mejada</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>45°</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>C’est cette dernière, je crois, qui alimente les bains des
+femmes.</p>
+
+<p>Les deux bains dont j’ai parlé sont de construction romaine, au
+moins quant aux fondations, tout entières en fortes pierres de
+taille&nbsp;; je dois mentionner qu’au plafond d’une des chambres
+de bains d’Aïn-Hamma, il y a une pierre, ornée de sculptures et
+d’une inscription arabe, aujourd’hui trop effacée pour que j’aie pu
+en tirer un sens. — Il y a là des travaux de bassins, de canaux,
+etc., qui sont fort intéressants.</p>
+
+<p>La ville de Hamma<a id="FNanchor_108"></a><a href=
+"#Footnote_108" class="fnanchor">[108]</a> est bâtie peu élevée,
+les maisons sont crépies, du moins en partie, et on a mis encore là
+à contribution pour leur édification de nombreuses pierres romaines
+et des tronçons de colonnes. L’ancienne ville romaine était près du
+bordj. Les citadins de Hamma sont très sévères pour la réclusion de
+leurs femmes. Elles se cachent la figure lorsqu’elles sont obligées
+de sortir&nbsp;; leurs vêtements ne diffèrent pas, autant que j’ai
+pu le voir de ceux des Nefzāoua. Mais j’ai pu voir des visages de
+petites filles très mignons et promettant de jeunes beautés. Les
+femmes des Benî-Zîd que je rencontre allant au bain, sont
+remarquables au moins par leurs coiffures ornées d’une ligne de
+pièces d’or sur le front. Elles prennent un soin particulier de
+leurs personnes, et sont plus attrayantes que les femmes des pays
+que je viens de quitter. Ayant eu l’indiscrétion de jeter un coup
+d’œil furtif sur le «&nbsp;bain des dames&nbsp;», je pus voir une
+d’entre elles exécuter devant ses compagnes un pas assez
+gracieux.</p>
+
+<p>Quant aux hommes de Hamma, ils s’enveloppent dans un haïk
+grossier souvent de couleur brune et orné au bas d’une frange de
+cordonnets. Je serais presque tenté de les croire encore plus
+fanatiques et méfiants que les habitants du Djérid. C’est étonnant.
+Il y a quelques juifs à Kessár.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_67">[67]</span>18 mars.</p>
+
+<p>Nous partîmes ce matin pour Gabès, et y arrivâmes après une
+demi-journée de marche. Le pays traversé est assez fortement
+accidenté, surtout sur la droite&nbsp;; c’est l’influence des
+hauteurs des Matmata qui se fait sentir, et peut-être ce système de
+montagnes a-t-il une grande part dans le soulèvement qui a fait un
+lac du Palus Tritonis<a id="FNanchor_109"></a><a href=
+"#Footnote_109" class="fnanchor">[109]</a>.</p>
+
+<p>Nous rencontrâmes beaucoup de troupeaux et d’Arabes s’en allant
+au désert. C’étaient des Benî-Zîd et des Mehadeba (Zaouiya).</p>
+
+<p>Nous eûmes à traverser de larges plantations avant d’entrer à
+Gabès, et nous coupâmes enfin l’oued qui forme une petite
+rivière&nbsp;; là je vis plusieurs juives assez bien vêtues qui
+étaient en train de laver leur linge. Je remarquerai à cette
+occasion que le costume des juives et des musulmanes ne diffère pas
+à Gabès.</p>
+
+<p>Nous descendîmes à la porte du kaïd qui était en train de rendre
+la justice, et je n’y restai que quelques instants, car le bruit
+des plaintes arabes m’est insupportable. Le chef est un homme assez
+arrondi, et déjà un peu âgé&nbsp;: il me reçut bien et me dit que,
+ces jours derniers, il était venu ici un Français, voyageant à ses
+frais avec des spahis de Tunis. Il était en ce moment à Djerba, et
+devait revenir incessamment.</p>
+
+<p>On me logea dans une belle maison juive, où était aussi le
+bagage du Français, une de ses mules et un domestique. La maîtresse
+de la maison, une vieille juive de Tripoli, fit une sortie en
+poussant des cris épouvantables sur une note qui ferait envie à
+tous les sopranos possibles en apercevant le monde qui avait envahi
+son domicile&nbsp;; elle ne voulut pas croire que je fusse
+Européen&nbsp;; il fallut cependant bien qu’elle s’apaisât, et je
+pus m’établir assez confortablement. — Bientôt il y eut bonnes
+relations entre les dames de la maison et moi.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_68">[68]</span>Gabès ou plutôt
+El-Menzel<a id="FNanchor_110"></a><a href="#Footnote_110" class=
+"fnanchor">[110]</a>, celle des deux villes de Gabès où je suis,
+est assez bien bâtie. Les maisons sont hautes et blanchies à la
+chaux&nbsp;; les pierres des constructions viennent pour la plupart
+de l’ancienne ville romaine. Il y a un marché et un petit bazar
+couvert&nbsp;; quantité de boutiques et ateliers tenus pour la
+plupart par des juifs, qui sont ici en très grand nombre. Les
+vêtements des hommes (musulmans) sont les mêmes que ceux
+d’El-Hamma&nbsp;; ils sont du reste très variés. Les musulmanes
+s’habillent comme les juives, à ce qu’on me dit du moins, car elles
+sont séquestrées avec une grande sévérité. Le costume des juives
+est assez élégant quoique primitif&nbsp;; le bleu y domine. Quant
+aux juifs, ils s’habillent comme ceux d’Alger, avec des culottes
+noires, turbans, etc., des couleurs et des modes les plus diverses.
+La population juive peut atteindre 1.000 âmes.</p>
+
+<p>Je trouvai à Gabès une borne milliaire, qui a été apportée d’une
+ruine romaine près de la mer, à l’est de Ketana et de
+Zerig-el-Berraniya. — Voici l’inscription<a id=
+"FNanchor_111"></a><a href="#Footnote_111" class=
+"fnanchor">[111]</a>&nbsp;:</p>
+
+<div class="figcenter iw4">
+<figure id="i04"><a href="images/i04.jpg"><img src='images/i04.jpg'
+alt=''></a>
+<p class="cp3">Fac-similé de l’inscription de la borne milliaire de
+Henchir Aichou (de la carte de Sainte-Marie), à l’est de Ketana et
+au bord de la mer, sur la route du pèlerinage. — Pierre aujourd’hui
+à Gabès où je l’ai trouvée.</p>
+</figure>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_69">[69]</span>J’en ai pris du
+reste un estampage pour être bien sûr de la lecture.</p>
+
+<p class="datesect">19 mars.</p>
+
+<p>J’ai été ce matin faire une promenade au bord de la mer, qui est
+à 3 kil. de la ville. Nous passâmes d’abord le bordj, et laissant
+Djarra<a id="FNanchor_112"></a><a href="#Footnote_112" class=
+"fnanchor">[112]</a> à notre gauche, nous nous dirigeâmes vers la
+rivière. Arrivés à l’endroit où sont construits d’assez grands
+magasins pour les approvisionnements de l’armée, je vis quatre ou
+cinq felouques, ou embarcations pontées ou demi-pontées à voiles
+latines. C’est là toute la flotte commerçante du port de Gabès, si
+l’on peut appeler port le bord de la rivière où viennent aborder
+les bâtiments. Le peu de profondeur de cette rivière, et le manque
+de port véritable empêchent les bâtiments même d’un faible tonnage
+de venir toucher ici. Tout le commerce, d’après ce qu’on me dit,
+est un commerce de cabotage, avec Djerba et Tripoli. — Auprès du
+magasin, sont étalés par terre plusieurs canons de fer, les uns
+sans culasse, les autres sans bouche, les derniers enfin tout
+rongés par la rouille.</p>
+
+<p>Sur la plage qui est très basse (de sorte que j’estime à 2
+mètres environ l’altitude de Gabès), je trouvai les mêmes
+coquillages que je m’amusais à recueillir autrefois à Toulon, et en
+partie aussi à Trouville. — D’ici j’eus devant les yeux un
+spectacle que je voyais pour la première fois&nbsp;; la mer et des
+plantations de palmiers se touchant presque&nbsp;; mais la verdure
+des palmiers qui, au sortir d’un désert, me paraissait si fraîche,
+me semblait terne et brûlée, comparée avec la belle couleur foncée
+de la mer.</p>
+
+<p>Je m’assis pour jouir quelques instants de ce bon air et du beau
+spectacle de la mer qui a toujours eu tant d’attraits pour moi.</p>
+
+<p>Nous nous en retournâmes ensuite, et je remarquai la végétation
+du rivage où le <em>harmel</em>, le <em>zeita</em> et la plante
+grasse articulée des marais de la Chemorra (Tougourt) se trouvaient
+réunis.</p>
+
+<p>Je passe la journée à me reposer, à écrire quelques lettres et à
+lire un peu.</p>
+
+<p class="datesect">20 mars.</p>
+
+<p>J’ai été au bord de la mer, et je n’ai pas pu résister à la
+tentation de prendre un bain, court il est vrai, mais qui, je
+l’espère, me<span class="pagenum" id="Page_70">[70]</span> fera du
+bien&nbsp;; l’eau avait environ 15° de même que l’air vers 2 heures
+et demie de l’après-midi. Les mariniers me disent qu’à l’entrée de
+l’oued la plus grande profondeur d’eau que l’on trouve à marée
+haute ne dépasse pas 5 à 6 pieds, une hauteur d’homme.</p>
+
+<p>Je mesure au pas métrique un sas au bord de la mer, pour donner
+quelque sûreté à mon plan de la rivière de Gabès, qui est tout à
+recommencer.</p>
+
+<p>J’apprends que le Bey a donné les ordres les plus sévères aux
+kaïds des villes maritimes de la régence pour qu’ils ne commettent
+pas d’exactions&nbsp;; le kadhi est responsable sur sa tête s’il
+n’avertit pas le Bey le cas échéant.</p>
+
+<p>On me parle beaucoup des montagnes de Ghomerâçen<a id=
+"FNanchor_113"></a><a href="#Footnote_113" class=
+"fnanchor">[113]</a>, etc. Les tribus arabes qui y habitent (outre
+les habitants des villes qui sont berbères) sont les plus pillardes
+et brigandes que j’aie jamais entendu mentionner&nbsp;; elles ne
+s’épargnent même pas entre elles. Les hommes ont écrit sur le canon
+de leur fusil les noms de ceux qu’ils ont tué, et celui qui en a le
+plus est le plus respecté. On m’en cite qui ont leurs canons de
+fusils tout couverts de ces marques. Il y a quelque temps, le chef
+de l’armée des Aàrād<a id="FNanchor_114"></a><a href=
+"#Footnote_114" class="fnanchor">[114]</a> vint à Gabès et, pour
+une raison ou une autre, il voulut soumettre la montagne, en
+particulier le ksar Mouddenin. Il partit de Gabès, jurant de
+rapporter tous les brigands enchaînés. Malheureusement les soldats
+tunisiens portent des pantalons, et lorsque du ksar Mouddenin on
+vit approcher l’armée, on cria partout&nbsp;: les Chrétiens&nbsp;!
+les Chrétiens&nbsp;! et on commença à écraser l’armée de pierres.
+Il y eut déroute complète et le chef lui-même arriva malade à
+Gabès.</p>
+
+<p class="datesect">21 mars.</p>
+
+<p>Je pars dans la matinée et n’ayant plus de levé à faire sur une
+route que j’ai déjà parcourue, je fais attention à la végétation
+qui se compose de <em>halfa</em>, de <em>bou griba</em> à fleurs
+jaunes et de <em>chih</em>&nbsp;; vers El-Hamma, en traversant la
+montagne, on voit apparaître le thym. La vie animale est très
+animée, je remarque des quantités de fourmis et autres
+hyménoptères, de lépidoptères et coléoptères.</p>
+
+<p>A notre arrivée, j’envoyai un mokhazeni prévenir le
+cheikh&nbsp;; mais il fut reçu comme un chien dans un jeu de
+quilles, parce<span class="pagenum" id="Page_71">[71]</span> que le
+grossier kaïd de Gabès avait eu la bêtise de renvoyer mes deux
+cavaliers (de Hamma) sans leur donner seulement de l’orge pour
+leurs chevaux. Moi-même je fus accueilli on ne peut plus
+froidement&nbsp;; le cheikh me fit mener à Kessar, de l’autre côté
+du bordj. Là, je fus reçu très malhonnêtement&nbsp;; on refusa de
+chercher un logis avant d’avoir vu la lettre du Bey. Moi qui
+l’avais donnée à Gabès, je refusai de la montrer, et, voyant les
+mauvaises dispositions des habitants, je me décidai à camper en
+plein air, et j’écrivis à la hâte une lettre au khalifa des
+Benî-Zîd en le priant d’envoyer du monde pour me tirer de cette
+position et surtout pour m’accompagner sur la route de Gafsa.</p>
+
+<p>Je vins donc me réfugier au pied du bordj, et le chef de la
+garnison sortit pour savoir ce que je voulais&nbsp;; lorsqu’il eut
+vu les lettres du Bey que j’avais dans mon portefeuille, il se
+fâcha tout rouge, et ne comprenant pas plus que moi la conduite des
+gens de Hamma, il me dit&nbsp;: «&nbsp;Il ne nous est pas permis de
+vous recevoir dans le bordj, mais voici une construction séparée où
+vous pouvez vous installer, et je vous considère désormais comme
+mes hôtes&nbsp;; mes hommes veilleront la nuit sur vous.&nbsp;» Je
+m’installai, remerciant le brave homme de sa bonté, et à peine
+étais-je assis que les grands de Hamma vinrent me faire toutes
+sortes d’excuses et de protestations&nbsp;; ils me priaient de
+venir en ville où on m’avait préparé une belle maison. Je refusai
+net, et eus à résister pendant plus d’une heure à leurs
+supplications. — Enfin ils me quittèrent et m’envoyèrent à dîner et
+de l’orge pour les bêtes. — Pour moi, je dînai avec le commandant
+du fort, qui ne voulut pas se défaire de ses droits d’hôte.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp1c05">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_99"></a><a href="#FNanchor_99"><span class=
+"label">[99]</span></a>Appelé aussi Cherb-el-Dakhlania.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_100"></a><a href="#FNanchor_100"><span class=
+"label">[100]</span></a>Ce serait une variante de la voie
+méridionale de Thélepte à Tacapé de la Table de Peutinger&nbsp;;
+d’après Tissot, elle passait par Nefta et la rive méridionale du
+chott Djérid. (Voir <em>Géog. comparée de la province romaine
+d’Afrique</em>, II, p. 686 et la note additionnelle de M. Salomon
+Reinach.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_101"></a><a href="#FNanchor_101"><span class=
+"label">[101]</span></a>Le degré d’humidité des chotts varie
+pourtant d’année en année, selon l’abondance des pluies et
+l’élévation du niveau des nappes souterraines, qui affleurent et
+font équilibre à l’évaporation dans les parties basses. C’est ainsi
+que la mission Roudaire a trouvé sur le même trajet du Kriz au
+Nefzaoua un sol fangeux et détrempé (rapport cité, p. 41). Ici,
+comme dans le reste du Sahara, il y a bien desséchement progressif,
+mais ce desséchement est infiniment lent.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_102"></a><a href="#FNanchor_102"><span class=
+"label">[102]</span></a>Ces deux inscriptions ont été reproduites
+par Tissot (<em>Géog. comparée</em>, II, p. 702-703) et dans le
+<em>Corpus</em>, I. (L. VIII, 84 et 83) d’après les copies de G.
+Temple et de Tissot lui-même. M. S. Reinach a signalé de légères
+différences entre ces reproductions et le dessin, dont le
+fac-similé est donné ici. On sait que Tissot a identifié Tellimīn
+avec le Limes Thamallensis de la Notitia Dignitatum, le Turris
+Tamallensis de l’itinéraire d’Antonin. Voir aussi, sur l’occupation
+romaine de la région au sud des chotts, Cagnat, <em>L’armée romaine
+d’Afrique</em>, p. 561, 753 et suiv. et le chap. VIII du mémoire du
+regretté P. Blanchet&nbsp;: <em>Mission archéologique dans le
+centre et le sud de la Tunisie</em>, avril-août 1895, <em>Nouv.
+Archives des Missions scient. et litt.</em>, IX, 1899.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_103"></a><a href="#FNanchor_103"><span class=
+"label">[103]</span></a>L’Ad Templum des cartes.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_104"></a><a href="#FNanchor_104"><span class=
+"label">[104]</span></a>Rhoma ou Rhouma, chef insurgé du Djébel
+Tripolitain, où il brava successivement les armées des Karamanli de
+Tripoli, puis des Turcs. Il fut attiré à Tripoli et pris par
+trahison en 1843.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_105"></a><a href="#FNanchor_105"><span class=
+"label">[105]</span></a>Appelé aussi Djébel-Tebaga.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_106"></a><a href="#FNanchor_106"><span class=
+"label">[106]</span></a>Cette remarque n’est pas inutile, car les
+Tripolitains donnent le nom d’halfa à une autre graminée, <i>Lygeum
+Spartum</i> L. et appellent l’alfa algérien <em>guedim</em> ou
+<em>bechna</em> (<em>Les Touaregs du Nord</em>, p. 203). L’alfa
+algérien est ici près de sa limite sud.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_107"></a><a href="#FNanchor_107"><span class=
+"label">[107]</span></a>Sans doute l’oued Magroun de la mission
+Roudaire, ruisseau permanent issu d’une des nombreuses sources qui
+jaillissent au pied du massif crétacé du Tébaga. (Dru, rapport
+cité, p. 39.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_108"></a><a href="#FNanchor_108"><span class=
+"label">[108]</span></a><em>Aquae Tacapitanae</em>. Cf. Tissot, II,
+p. 654.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_109"></a><a href="#FNanchor_109"><span class=
+"label">[109]</span></a>Duveyrier était parti avec cette idée. Il
+s’en est expliqué dans une lettre au D<sup>r</sup> Barth, datée de
+Biskra, 19 déc. 1859, dont le brouillon en allemand se retrouve
+dans ses papiers&nbsp;: «&nbsp;Je regarde comme très probable la
+connexion du Chott Melrir avec le Palus Tritonis des géographes
+anciens. Je me représente cette grande dépression reliée jadis aux
+sebkhas du Djérid, et celles-ci unies à la Méditerranée. Il
+suffirait d’admettre un soulèvement progressif du sol...&nbsp;» Il
+ajoutait, il est vrai&nbsp;: «&nbsp;Je me suis arrêté trop
+longtemps à ces indications incomplètes, et je manque ici à mon
+principe, qu’un voyageur en route doit bâtir aussi peu d’hypothèses
+que possible.&nbsp;» — Sur le seuil de Gabès et sa formation, voir
+notamment L. Dru, <em>Rapport sur la dernière expédition des
+chotts</em>, Paris, 1881, p. 49-51 et coupe. Sur la région des
+Matmata, voir P. Blanchet, <em>Le Djébel-Demmer</em> (<em>Annales
+de Géogr.</em>, 1897, p. 239-254) et commandant Rebillet, <em>le
+Sud de la Tunisie</em>, Gabès, 1886.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_110"></a><a href="#FNanchor_110"><span class=
+"label">[110]</span></a>L’ancien Menzel a été en partie détruit
+lors de la prise de Gabès en 1881.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_111"></a><a href="#FNanchor_111"><span class=
+"label">[111]</span></a>Reproduite dans Tissot (II, p. 199, 811) et
+dans Guérin (<em>Voyage archéologique dans la Régence de
+Tunis</em>, II, p. 191) qui la croyait apportée de Henchir
+Lemtou.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_112"></a><a href="#FNanchor_112"><span class=
+"label">[112]</span></a>L’autre ville de l’oasis de Gabès.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_113"></a><a href="#FNanchor_113"><span class=
+"label">[113]</span></a>Ghoumracen, village troglodytique du Djébel
+el Abiod, appartenant aux Ourghamma.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_114"></a><a href="#FNanchor_114"><span class=
+"label">[114]</span></a>L’agha des Aarad, comme la plupart des
+autres gouverneurs de province, résidait à Tunis et venait à Gabès
+avec sa colonne pour faire rentrer les impôts.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_72">[72]</span><a id=
+"p1c06"></a>CHAPITRE VI</h3>
+
+<p class="sch">RETOUR AU DJÉRID PAR GAFSA</p>
+
+<p class="datesect">22 mars.</p>
+
+<p>En partant du bordj, nous traversâmes longtemps les plantations,
+au milieu desquelles apparaissaient çà et là quelques maisons
+habitées, entourées de basses-cours&nbsp;; après avoir enfin
+franchi la limite des palmiers, nous entrâmes dans une plaine à
+végétation de <em>zeita</em> et à sol sablonneux mais solide&nbsp;;
+nous y voyageâmes quelque temps et pénétrâmes enfin dans une sebkha
+qui représente ici le grand chott.</p>
+
+<p>La surface unie et nue, la vraie sebkha, ne dura qu’un instant
+et nous continuâmes dans un terrain de bonnes terres, avec quantité
+de <em>chih</em>, de <em>remeth</em> qui apparaît ici, et enfin de
+<em>sedra</em>. Presque sans discontinuité nous voyons des traces
+de labours, ce qui prouve assez que le chott n’est plus en cet
+endroit le même que dans l’espace qui sépare le Djérid du
+Nefzāoua.</p>
+
+<p>Lorsque nous sortîmes du chott, nous entrâmes dans les montagnes
+que nous avions eues devant nous depuis le moment où nous avions
+quitté El-Hamma. La vallée de Hareīga se prolonge ici entre deux
+lignes de hauteurs&nbsp;: celle de gauche est le Hadīfa&nbsp;; nous
+continuâmes longtemps dans cette vallée, trouvant souvent des
+restes de petits établissements romains, postes et autres&nbsp;;
+notamment nous touchâmes à des ruines que je crois être celles d’un
+petit temple&nbsp;; les pierres, quoiqu’en petit nombre, étaient
+d’énormes dimensions et un grand nombre d’entre elles avaient une
+forme courbe, comme si elles avaient servi à former une arcade.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_73">[73]</span>Après avoir
+dépassé le Hadifa, nous entrâmes dans l’interminable vallée ou
+plaine de Săgui. Tous les oueds, à partir de ce moment, prennent
+leur cours vers la droite. Le sol de cette plaine est excellent et
+parfaitement labourable&nbsp;; actuellement, il est vrai, le manque
+d’eau empêche qu’on ne la cultive, sauf dans des proportions
+insignifiantes, mais il semblerait qu’à l’époque de l’occupation
+romaine, il en était tout autrement, à en juger par de nombreuses
+traces d’établissements romains qu’on rencontre en la
+traversant<a id="FNanchor_115"></a><a href="#Footnote_115" class=
+"fnanchor">[115]</a>. L’oued qui forme le fond de la plaine, et qui
+reçoit des ravines des deux lignes de montagnes, a pu autrefois
+contenir beaucoup plus d’eau qu’aujourd’hui. J’entends dire qu’il
+tient des rhedirs<a id="FNanchor_116"></a><a href="#Footnote_116"
+class="fnanchor">[116]</a> et de grandes mares jusque pendant
+quatre mois, lorsque la pluie tombe.</p>
+
+<p>Nous avions l’intention de marcher jusqu’à El-Ayaēcha ou
+El-Guettār&nbsp;; mais, en route, je fus frappé par trois ou quatre
+pierres romaines d’assez grandes dimensions, et quoique nous les
+eussions dépassées, je revins vers elles et, sans descendre de
+cheval, je pus distinguer une inscription sous un tronçon de
+colonne. Je fis aussitôt revenir la caravane, et décidai de passer
+la nuit ici.</p>
+
+<p>Nous trouvâmes un monolithe arrondi, sortant d’une base carrée
+et couché à terre&nbsp;; à côté se trouvaient les débris incomplets
+d’une autre colonne semblable&nbsp;; c’était sur un de ces débris
+que j’avais vu l’inscription. La colonne complète avait aussi été
+couverte d’une longue inscription, mais le temps et la main des
+enfants arabes, qui s’étaient amusés à marteler l’inscription,
+l’avaient rendue illisible. Je pus bien reconnaître çà et là
+quelques lettres isolées, mais n’avais pas le temps de les
+copier&nbsp;; le travail eût été trop long et trop pénible. Je le
+laisse à un successeur. Outre le tronçon de colonne gisant sur le
+sol, il y en avait un autre à demi enterré&nbsp;; un peu de travail
+le mit à jour, et j’eus le bonheur d’y trouver une partie de
+l’inscription qui devait être fort longue. Comme cette inscription
+est très incomplète<a id="FNanchor_117"></a><a href="#Footnote_117"
+class="fnanchor">[117]</a>, je me contenterai de reproduire ce que
+j’ai pu y reconnaître.</p>
+
+<div class="figcenter iw3">
+<figure id="i05"><a href="images/i05.jpg"><img src='images/i05.jpg'
+alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="cp3 width40pc">Deux tronçons de colonne portant une
+inscription. Săgui (route de Gabès à Gafsa).</td>
+<td>
+</td>
+<td class="cp3 width60pc">Inscription relative à une fortification
+de la route de Gabès à Gafsa. Borne milliaire de Săgui.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_74">[74]</span>Lorsque nous eûmes
+fini de déterrer ces pierres, j’en vis une autre dont la partie
+visible, peut-être longue d’un mètre, me parut être une pierre
+tumulaire, et, ignorant ses dimensions, je fis commencer le travail
+pour la déterrer. Le premier résultat de notre travail fut de
+découvrir que cette pierre était longue de plus de 2 mètres, large
+de 50 centimètres et épaisse de 45. Nous n’avions pas d’autres
+instruments que des couteaux et des piquets de tente, et mes six
+hommes parvinrent à renverser cet énorme bloc. Mais nous fûmes bien
+récompensés, car nous trouvâmes une belle inscription très peu
+endommagée.</p>
+
+<p>Pour illustrer nos mœurs, je noterai qu’au moment où la pierre
+cédait à nos efforts, on signala trois hommes à l’horizon&nbsp;;
+comme ils étaient encore assez loin, nous terminâmes le travail et
+courûmes ensuite à nos armes. Je pris moi-même mon
+revolver<span class="pagenum" id="Page_75">[75]</span> et allai
+gratter un peu mon inscription. — Nous avions fait de grands
+préparatifs guerriers, inutiles heureusement, car les arrivants
+étaient de petits marchands sans armes, qui poussaient devant eux
+quelques agneaux et chevreaux qu’ils venaient d’acheter aux
+Hammāma. Je leur achetai un agneau pour récompenser mes hommes (5
+fr.) et si nous avions eu de l’eau à volonté, nous aurions été les
+plus heureux des mortels. Il fallut souffrir de la soif, moi
+excepté. Nos pauvres bêtes de somme aussi furent obligées de rester
+à jeun, car le pays ne produit que du <em>chih</em> et du
+<em>remeth</em>, et les bêtes ne mangent que très peu la première
+de ces plantes seulement<a id="FNanchor_118"></a><a href=
+"#Footnote_118" class="fnanchor">[118]</a>.</p>
+
+<p>L’inscription que nous venions de déterrer était une borne
+milliaire<a id="FNanchor_119"></a><a href="#Footnote_119" class=
+"fnanchor">[119]</a> et son contenu très intéressant, quoique les
+chiffres aient été proprement martelés à l’époque romaine sans
+doute.</p>
+
+<p class="datesect">23 mars.</p>
+
+<p>Les maîtres des agneaux qui avaient passé la nuit avec nous, et
+aussi sacrifié un agneau de leur côté, nous firent changer un peu
+notre direction. Nous voyions devant nous une chaîne de
+montagnes&nbsp;; il s’agissait de savoir si nous passerions à
+droite ou à gauche&nbsp;: nous suivîmes leur conseil et prîmes à
+gauche.</p>
+
+<p>Le pays était identiquement le même que celui que nous avions
+traversé hier, et nous rencontrions encore de temps en temps des
+restes de constructions romaines, que je pris pour des fermes. Je
+dois noter spécialement la première ruine, qui se trouve à 480
+mètres au nord-ouest des inscriptions, et qui par ses restes de
+pierres de taille énormes me fait penser qu’il y avait là un petit
+temple ou tout autre bâtiment public. Nous laissâmes bien loin sur
+la droite, près des montagnes, une «&nbsp;porte&nbsp;»,
+probablement un arc de triomphe dont me parlent les cavaliers du
+makhzen.</p>
+
+<p>Au bout de quelque temps, nous arrivâmes à une construction
+romaine connue sous le nom de Henchir es Somăa. C’est un monument
+tumulaire en forme de tour carrée&nbsp;; l’intérieur que l’on peut
+voir à travers les dégradations formait une chambre carrée
+aussi<span class="pagenum" id="Page_76">[76]</span> haute que le
+monument. Le tout peut avoir 15 pieds de haut, pas plus de 20
+pieds. Le monument a aujourd’hui une position inclinée du côté de
+l’ouest, ce qui tient aux pierres qui ont été arrachées de la base
+de ce côté.</p>
+
+<div class="figcenter iw4">
+<figure id="i06"><a href="images/i06.jpg"><img src='images/i06.jpg'
+alt='[Illustration&nbsp;: Monument tumulaire]'></a>
+</figure>
+</div>
+
+<p>Je fis une esquisse rapide de cette ruine, et pendant que je
+déjeunais, un cavalier étant parti questionner des bergers dont
+nous voyions les moutons au loin, revint avec la nouvelle que nous
+nous étions trompés de route. — Un cavalier du kaïd du Nefzāoua qui
+nous rejoignit bientôt, emmenant avec lui un domestique du kaïd et
+une négresse sur un mulet, nous tira d’embarras en nous montrant la
+route.</p>
+
+<p>Nous coupâmes la montagne, du moins une partie très basse de la
+montagne, à un endroit où la route romaine de Gafsa à Tacape devait
+aussi passer, à en juger par les restes de
+constructions<span class="pagenum" id="Page_77">[77]</span> qui se
+montraient de temps en temps à droite et à gauche de la route et
+par des lignes de pierres qui me semblent avoir été mises pour
+démarquer la voie romaine. Outre les plantes de Sagui, je notai ici
+le <em>retem</em>, le <em>rhardeg</em> et le <em>harmel</em>.</p>
+
+<p>La montagne était de calcaire&nbsp;; quelquefois le sol prenait
+une teinte verdâtre due à des argiles (?)&nbsp;; enfin dans ces
+endroits on remarquait des pierres luisantes&nbsp;: sulfate de
+chaux à l’état cristallin grossièrement fibreux.</p>
+
+<p>Nous entrâmes ensuite dans une autre plaine où nous rencontrâmes
+encore des traces de labours. Là il nous arriva un petit accident,
+un de nos mulets tomba par terre, et entra dans des convulsions qui
+me firent craindre qu’il ne mourût. Cependant ce n’était qu’une
+violente colique, et peu à peu il se remit et nous pûmes enfin
+gagner El-Guettar.</p>
+
+<p>El-Guettār est une petite ville, ou plutôt un village, bâti en
+pierres et en terre à la manière arabe&nbsp;; on n’y remarque pas
+la moindre trace d’occupation romaine. Du reste, la ville est très
+peu importante et les maisons sont la plupart en ruines. El-Guettār
+possède des plantations de palmiers et d’oliviers en proportion
+avec son importance. Les dattes se nomment kĕsébba. Les habitants
+s’habillent comme ceux du Nefzāoua et les femmes, quoique vêtues de
+bleu, mettent aussi un haïk blanc. Leur coiffure est la même que
+celle des Nailiyat, avec les fausses tresses de chaque côté de la
+tête. Au reste, la ville compte comme arabe et les habitants ont
+une renommée de pillards.</p>
+
+<p>D’après le <em>Nautical Almanach</em>, le Ramadhan ne devait
+commencer que demain (à Constantinople&nbsp;?), mais la question
+étant grave, beaucoup d’individus se mirent à consulter le ciel, et
+vinrent me dire que la nouvelle lune avait paru et s’était couchée
+presque aussitôt.</p>
+
+<p>El-Guettār est appuyée sur un renflement du bas de la
+montagne<a id="FNanchor_120"></a><a href="#Footnote_120" class=
+"fnanchor">[120]</a>.</p>
+
+<p class="datesect">24 mars.</p>
+
+<p>J’ai oublié hier de dire deux choses intéressantes sur Guettār.
+La première est relative à la nature des eaux qui arrosent les
+plantations. On creuse des trous assez vastes de 3 à 6 mètres
+de<span class="pagenum" id="Page_78">[78]</span> profondeur, selon
+la proximité de la montagne, et on met à découvert un
+<em>ruisseau</em> d’eau. Je crois que les palmiers plongent leurs
+racines dans l’eau, mais pour les grains, etc... on les arrose à
+force de bras au moyen de puits semblables à ceux des
+Beni-Mezab.</p>
+
+<p>La seconde est d’autant plus remarquable qu’ordinairement les
+Arabes ne se confient pas vite au premier venu. Mais à peine
+étais-je installé dans la maison du cheikh que plusieurs habitants
+de Guettār vinrent me trouver et me dirent en levant les mains au
+ciel&nbsp;: «&nbsp;Mon Dieu, combien nous désirerions que les
+Français fussent les maîtres de ce pays&nbsp;!&nbsp;»</p>
+
+<p>Je restai à Guettār la première partie du jour&nbsp;; je dois
+remarquer que les femmes jouissent ici d’une grande liberté. Elles
+causèrent sans façon avec moi, et me contèrent leurs petits
+«&nbsp;bobos&nbsp;». Une de ces dames était évidemment malade du
+poumon, et j’eus l’indiscrétion de lui demander à voir l’endroit où
+elle souffrait. Cela ne fit aucune difficulté. Aussi sa
+complaisance fut-elle payée par un peu de médicaments et de bons
+conseils, comme celui de porter de la laine. En effet, toutes les
+femmes de ces contrées se vêtent de coton.</p>
+
+<p>Après avoir pris la hauteur du soleil à midi, nous nous mîmes en
+route. Nous trouvâmes une plaine très unie, entourée de montagnes
+que nous n’atteignîmes pas. Le paysage ne variait qu’en ce qu’il
+était plus ou moins inculte&nbsp;; le changement fut très sensible
+lorsque nous approchâmes de l’oasis de Lâla. Nous traversâmes alors
+des champs de céréales en orge.</p>
+
+<p>Le camp de l’armée du Bey Hamouda<a id=
+"FNanchor_121"></a><a href="#Footnote_121" class=
+"fnanchor">[121]</a> nous apparut de loin avec ses tentes blanches,
+et lorsque nous approchâmes, je pus m’amuser à considérer le
+mouvement extraordinaire qui y régnait. Il y avait une foule de
+cavaliers allant et venant, des soldats vêtus à l’européenne&nbsp;;
+au milieu des tentes des soldats on remarquait deux pavillons
+surmontés d’une pomme dorée&nbsp;: c’étaient les tentes du Bey
+Hamouda et du ministre garde des sceaux. Le camp était entouré de
+tentes d’Arabes qui probablement étaient là pour le service des
+munitions de bouche, enfin on voyait dans la plaine des troupeaux
+de chevaux, qui avaient été enlevés dernièrement au Hammāma, soit
+comme complément du tribut, soit comme amende.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_79">[79]</span>Nous passâmes au
+milieu de tout ce mouvement, causant beaucoup de surprise. Nous
+nous arrêtâmes dans la ville de Gafsa, qui se trouvait de l’autre
+côté de l’oued Beyâch, à la maison de Si elʿAbidi, khalifa de Si
+ʿAli Saci. Mais comme on ne mettait pas trop d’empressement à nous
+recevoir, et surtout parce qu’on prétendait me faire partager un
+logis avec d’autres étrangers, je me remis aussitôt en selle, et
+allai avec Ahmed et un <em>mokhazeni</em>, voir Si ‘Ali Saci<a id=
+"FNanchor_122"></a><a href="#Footnote_122" class=
+"fnanchor">[122]</a>.</p>
+
+<p>On me fit attendre assez longtemps dans sa tente, et Ahmed fut
+mandé pour donner des détails sur ma personne. Enfin le seigneur
+parut, me salua d’une manière très affable, et me fit asseoir à ses
+côtés&nbsp;; je lui remis aussitôt les lettres que j’avais à son
+adresse et lorsqu’il les eut lues, il donna des ordres pour mon
+installation et me pria de rester à <em>déjeuner</em> avec lui
+après le coucher du soleil.</p>
+
+<p>J’acceptai volontiers son offre et envoyai Ahmed présider à mon
+installation.</p>
+
+<p>Pendant que j’étais dans la tente de Si ʿAli Saci très occupé
+alors par les affaires financières de son département, je reçus la
+visite de plusieurs Européens au service du Bey&nbsp;; tous me
+parurent très bornés, et me déplurent au plus haut degré&nbsp;; je
+dois en excepter seulement le médecin du Bey, qui sait le français
+et est à part cela un fort aimable homme.</p>
+
+<p>Après le dîner, je partis pour Gafsa où je trouvai tout à
+souhait. Cependant je ne pus pas bien dormir, à cause du bruit que
+firent les gens de la maison, qui se disputaient pour avoir leur
+dîner d’abord, et ensuite se mirent à chanter et à rire d’une
+manière désespérante. Je suis à part cela dévoré par des puces
+depuis le Nefzāoua<a id="FNanchor_123"></a><a href="#Footnote_123"
+class="fnanchor">[123]</a>.</p>
+
+<p class="datesect">25 mars.</p>
+
+<p>Je me levai tard, et me rendis de bonne heure au camp&nbsp;; j’y
+eus un bout de conversation avec Si ʿAli Saci toujours très occupé,
+et j’allai déjeuner chez le médecin, à qui le Bey a fait cadeau
+d’un cheval hier&nbsp;; nous eûmes un fameux repas venant en partie
+de la cuisine du Bey, avec vin de Marsala.</p>
+
+<p>Je revins en ville plus tard que je ne l’aurais voulu, et en
+route on me montra l’exécuteur des hautes œuvres, qui porte l’habit
+d’un<span class="pagenum" id="Page_80">[80]</span> canonnier à
+cheval. Je trouvai le Khalifa tout prêt à nous montrer les
+inscriptions latines que renferme la ville. Je crus d’abord qu’il
+n’y en avait que quelques-unes, mais le travail fut beaucoup plus
+grand que je ne l’avais pensé. Je ne connaissais pas encore bien le
+labeur de la lecture d’une inscription endommagée&nbsp;; et ce
+labeur se renouvela douze fois dans mon après-midi. La plupart des
+inscriptions sont très avariées, étant toutes placées dans les
+murailles des maisons, en dehors, et quelques-unes à moitié
+enterrées dans le sol. Si j’étais plus ferré en archéologie,
+peut-être eussé-je rendu, mieux que je ne l’ai fait, ces monuments
+épigraphiques, mais enfin je vais livrer ici le résultat de mes
+lectures<a id="FNanchor_124"></a><a href="#Footnote_124" class=
+"fnanchor">[124]</a>. Quant à des estampages, l’état inégal de la
+surface des pierres n’aurait pas permis de donner grand’chose de
+bon.</p>
+
+<p>Dans notre promenade nous touchâmes au Termīl, qui est la source
+célèbre de la ville, elle est près du bordj, et on y descend par
+quelques marches&nbsp;; toutes les constructions à l’entour sont
+fort solides et datent de l’époque romaine. Le bordj lui-même est
+un magnifique fort, le plus beau de la régence après ceux de
+Tunis&nbsp;; il occupe un vaste emplacement et est fort
+élevé&nbsp;; l’architecture en est élégante. Je vis aussi en me
+promenant l’arc de triomphe (?) et aussi les ruines d’une église
+chrétienne dont les arcades sont encore très bien conservées.</p>
+
+<p>Au point de vue pittoresque, le fait le plus intéressant de ma
+journée est ma visite à un juif nommé Moucti&nbsp;; il est Algérien
+d’origine, sa maison est un petit palais, et il a une nombreuse
+famille&nbsp;; il me reçut dans une chambre avec un lit à rideaux,
+pendule, etc., et me fit servir de l’absinthe du pays qui est
+excellente et des gâteaux. C’est une jeune et belle femme qui me
+servit&nbsp;; elle peut servir de type du costume des dames de la
+famille et, me dit Ahmed, des Tunisiennes en général. Ce qui le
+caractérise est le pantalon collant, depuis la cheville jusqu’au
+haut, et l’espèce de juste-au-corps collant sur la poitrine. C’est
+un singulier contraste avec l’ampleur des autres modes musulmanes,
+mais il n’est pas dépourvu d’élégance, et là il était fort bien
+porté. Je fus très bien reçu par tout le monde et avec des manières
+très gracieuses.</p>
+
+<p>Le soir, je vais dans le bordj faire des observations
+astronomiques complètes.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_81">[81]</span>26 mars.</p>
+
+<p>Aujourd’hui j’ai fini ma tournée archéologique, et quoique j’aie
+encore trouvé trois inscriptions, je ne doute pas que je sois loin
+d’avoir tous les documents épigraphiques de Gafsa.</p>
+
+<p>Je profitai de ma promenade pour observer près de la maison du
+Bey un vaste bassin, vraie piscine de construction romaine, dont
+l’eau est encore plus chaude que celle du Termīl. Il y a des
+poissons, les mêmes que ceux du Termīl, dont j’aurais bien voulu
+prendre un échantillon, car je suis bien sûr qu’ils forment une
+espèce nouvelle pour moi, c’est-à-dire différente de celles que
+j’ai observées jusqu’à présent en Afrique.</p>
+
+<p>Je me promène avec un tailleur de pierres de Dresde qui, bien
+que jeune encore, a vu beaucoup de pays&nbsp;; maintenant il est
+ici un des élégants du pays, s’est fait musulman&nbsp;; il
+travaille à construire des maisons et gagne, me dit-il, 5 fr. par
+jour. Il me propose d’aller voir vers l’ouest de la ville de vastes
+carrières souterraines du temps des Romains, mais comme ce fait a
+moins d’intérêt pour moi que pour lui, je me borne à en prendre
+note.</p>
+
+<p>Je vais au camp. L’armée reste encore attendant l’argent
+d’El-Ayaēcha qui ne paraît pas se presser. Si ‘Ali me reçoit
+toujours très bien, je prends congé de lui, car demain je me mets
+en route.</p>
+
+<p>Le Bey a demandé hier à son médecin quelques détails sur
+moi.</p>
+
+<p>Source du Termīl = Temp. 30°.</p>
+
+<table class="tab-p2 bd-collapse">
+<tr>
+<td rowspan="2">Puits de la cour =</td>
+<td class="blt">
+</td>
+<td>Temp. 23°,5, prise le 28 au matin.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>Prof. 11 1/2 <em>dra</em> = 5<sup>m</sup>,75.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="datesect">27 mars.</p>
+
+<p>Nous partîmes de Gafsa assez longtemps après le lever du soleil,
+car le seul moment où je puis dormir dans cette ville est
+précisément le matin, où les puces qui font aussi le ramadan me
+laissent un peu de repos.</p>
+
+<p>La route qui nous mène à Hamma était trop longue pour l’heure de
+notre départ. Nous suivîmes tantôt de près tantôt de loin le cours
+de l’oued Beyâch, qui change plusieurs fois de nom en cette petite
+étendue de pays. L’oued forme le fond d’une large vallée ou plaine
+bordée à gauche par le Djebel-Chareb, et à droite par la
+continuation des montagnes de Gafsa. Il finit réellement à Tarfaouï
+où nous traversâmes une sorte de chott sablonneux, mais
+cependant<span class="pagenum" id="Page_82">[82]</span> plus loin,
+et jusqu’à près d’El-Hamma, je pus voir le fond de la plaine occupé
+par une sebkha allongée ressemblant à un oued.</p>
+
+<p>Vers la fin de la journée nous nous rapprochâmes des dernières
+hauteurs du Chareb&nbsp;; nous rencontrâmes là plusieurs piétons
+hammāma qui nous firent hâter la marche&nbsp;; je ne puis pas
+m’expliquer la terreur que ces gens inspirent à mes compagnons de
+route. Cependant un chaouch alla voir ce qu’ils voulaient, et nous
+trouvâmes de simples voyageurs comme nous. Un de ces Hammāma se
+joignit à nous.</p>
+
+<p>Nous n’atteignîmes El-Hamma que bien tard dans la nuit&nbsp;;
+j’arrêtai mon itinéraire à la Hadjra Soûda, pour le reprendre
+demain. A notre arrivée, nous fûmes reçus par un ami de Si ʿAli
+Saci auquel ce seigneur nous avait recommandés.</p>
+
+<p class="datesect">28 mars.</p>
+
+<p>L’oasis d’El-Hamma a environ 380 hommes de population, ce qui
+donne un chiffre d’environ un millier d’habitants. L’année
+dernière, le pays ne payait que 4.000 réaux&nbsp;; cette année, il
+donne 12.000 réaux&nbsp;; la différence de l’impôt tient à ceci,
+que l’année dernière il y avait un autre cheik, et qu’un homme de
+l’oasis alla au Bey et lui dit&nbsp;: «&nbsp;Donne-moi El-Hamma, je
+te donnerai un revenu triple de ce que cette oasis te
+rapporte.&nbsp;» C’est ainsi que se passent les choses dans ce
+pays&nbsp;; ainsi aujourd’hui chaque homme de la ville est taxé à
+31<sup>r</sup>,6, soit environ 21 fr.&nbsp;!</p>
+
+<p>J’ai couché à Nemlāt, un des villages de l’oasis.</p>
+
+<p>Ce matin, j’ai été me promener à cheval, j’ai vu les sources
+d’eau chaude, qui sont d’eau douce&nbsp;; on y voit une piscine et
+une ligne de pierres, un quai de construction romaine. — Voici les
+températures&nbsp;:</p>
+
+<table class="tless padded1">
+<tr>
+<td>Ruisseau sortant de terre</td>
+<td>37° 3</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dans l’eau, près d’une source dans le sable</td>
+<td>39° 1</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dans la piscine, à la source</td>
+<td>39° 6</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Plus loin, je visitai la Hadjra Soūda, rocher noir qui se montre
+isolé à peu de distance des palmiers sur la route de Tunis. Ce
+rocher est curieux, en ce qu’il est évidemment d’origine
+plutonienne, ou métamorphique&nbsp;; il est de couleur noire et de
+structure ovoïde&nbsp;; il est très dur. La forme est allongée, on
+voit que c’est une roche<span class="pagenum" id=
+"Page_83">[83]</span> éruptive qui a été poussée des sous terre par
+une force qui a probablement donné naissance à une hauteur que l’on
+voit à côté.</p>
+
+<p>L’oued d’El-Hamma est d’eau salée et tiède&nbsp;; il nourrit de
+singuliers petits poissons, qui portent leurs petits dans leur
+bouche<a id="FNanchor_125"></a><a href="#Footnote_125" class=
+"fnanchor">[125]</a>, et Si-Mohammed ben Rabah me dit qu’ils
+appellent leurs petits en battant des nageoires, à la manière des
+poules, que les petits savent ce signal et viennent se réfugier
+dans la bouche du gros.</p>
+
+<p>Les constructions de Hamma sont moitié comme celles du
+Djérid<a id="FNanchor_126"></a><a href="#Footnote_126" class=
+"fnanchor">[126]</a>, moitié comme celles des qsours<a id=
+"FNanchor_127"></a><a href="#Footnote_127" class=
+"fnanchor">[127]</a>&nbsp;; mais on n’y voit pas d’élément
+romain.</p>
+
+<p>Nous rencontrons ici un Nemmouchi des Oulād el ʿAïsawi, qui
+vient demander au Bey, pour sa tribu, la permission d’entrer dans
+la Régence&nbsp;; il me dit qu’ils m’amèneront en paix à Négrīn, si
+le Bey le leur demande, mais à part il dit à Ahmed que, s’il avait
+su que nous étions en voyage, il serait venu nous égorger tous deux
+de nuit, parce que nous sommes des chrétiens&nbsp;!</p>
+
+<p>Il me dit qu’il y a un mois, la nouvelle leur est arrivée que
+les Kabyles se sont révoltés et nous ont vaincus et que les
+Français, en désespoir de cause, ont promis 50 douros et un cheval
+à quiconque viendra à leur secours (des Musulmans)&nbsp;!</p>
+
+<p>J’arrive à Tōzer en très peu de temps, et y trouve le
+vice-consul qui m’installe dans une maison à côté de la sienne.</p>
+
+<p class="datesect">29 mars.</p>
+
+<p>J’ai passé la journée, à la maison, à mettre au courant mes
+itinéraires, et, le soir, j’ai calculé quelques latitudes.</p>
+
+<p>Aujourd’hui comme hier, le temps est lourd et le ciel couvert de
+nuages transparents.</p>
+
+<p>Le soir, un coup de vent à la tombée de la nuit disperse mon
+herbier qui était à sécher&nbsp;; je crains bien que beaucoup de
+plantes ne soient perdues. C’est un coup de «&nbsp;chĕhili<a id=
+"FNanchor_128"></a><a href="#Footnote_128" class=
+"fnanchor">[128]</a>&nbsp;».</p>
+
+<p>Je détermine le genre des poissons de l’oued de Hamma, de
+Termīl, etc... Ce sont des «&nbsp;cyprinus&nbsp;» (Cuvier)&nbsp;;
+dans l’édition allemande de Vogt, ils ne sont pas décrits et
+probablement ils ne le sont pas du tout.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_84">[84]</span>30 mars.</p>
+
+<p>Ce matin, au moment où j’y pensais le moins, lisant sur mon lit,
+je vois ma cour envahie par des hommes et des chevaux. Je demande
+ce que cela veut dire et prie tout le monde de s’en aller. Mais
+comme le sont souvent les serviteurs des hommes les plus gracieux,
+ces gens font la sourde oreille et refusent de m’obéir. Il y a
+longtemps que la moutarde me chatouille le nez à propos de
+l’insolence des gens du makhzen. Cette fois, le manque de politesse
+est trop formel&nbsp;; je n’y tiens plus, et empoignant la chaise
+de Si Mohammed, je fais une charge furieuse sur hommes et chevaux
+et en deux minutes suis maître du champ de bataille.</p>
+
+<p>Dans la soirée, arrive le voyageur français dont j’ai parlé à
+Gabès&nbsp;: c’est M. Guérin, professeur de rhétorique et voyageur
+historien. Il connaît déjà l’Orient et nous nous connaissons de
+Paris où nous suivions ensemble les cours de M. Caussin de
+Perceval. Il arrive dans un état déplorable, car ils ont été
+assaillis en route par l’ouragan d’ouest dont nous n’avons pu nous
+faire qu’une faible idée en ville. Nous causons tout de suite
+d’inscriptions, et rectifions mutuellement quelques erreurs que
+nous avions commises dans les lectures.</p>
+
+<p>Le khalifa qui vient voir M. Guérin me fait ses excuses sur ce
+qui s’est passé ce matin.</p>
+
+<p>L’armée est arrivée à Hamma et viendra demain ici.</p>
+
+<p class="datesect">31 mars.</p>
+
+<p>Ce matin, le Bey a fait son entrée avec sa petite armée&nbsp;;
+on a tiré vingt coups de canon pendant une petite revue que le Bey
+a faite à son arrivée.</p>
+
+<p>Je vais voir Si ʿAli Saci qui me reçoit avec une extrême
+politesse et se tient debout pendant que nous causons. Il promet de
+m’expédier après-demain, et demain il me donne du monde pour aller
+à Sebaa-Regoud&nbsp;; la caverne a quelque chose d’intéressant au
+point de vue géologique.</p>
+
+<p>Promenade à Belidet-el-Hadar<a id="FNanchor_129"></a><a href=
+"#Footnote_129" class="fnanchor">[129]</a> avec M. Guérin<a id=
+"FNanchor_130"></a><a href="#Footnote_130" class=
+"fnanchor">[130]</a>&nbsp;; nous reconnaissons, auprès du minaret
+dont j’ai déjà parlé, le plan par colonnes d’un vaste temple ou
+église&nbsp;; les entrepas des colonnes<span class="pagenum" id=
+"Page_85">[85]</span> ont 2<sup>m</sup>,50 environ. M. Guérin est
+d’avis que les buttes de sable et de débris de brique qui entourent
+la petite ville marquent la circonférence de l’ancien Tusurus. Nous
+trouvons près de là un puits romain carré, de nombreuses pierres
+dans les maisons.</p>
+
+<p>Puis nous visitons la prise d’eau romaine, qui est encore très
+bien conservée.</p>
+
+<p class="datesect">1<sup>er</sup> avril 1860.</p>
+
+<p>Je vais voir encore une fois le Djebel Sebaa Regoud.</p>
+
+<p>Je n’ai qu’une note topographique à ajouter à celles que j’ai
+déjà, c’est que 600 à l’ouest de Keriz, on coupe l’oued Sebie Biar
+qui sort de la montagne&nbsp;; à sa source il y a un puits romain
+(carrière)&nbsp;; l’oued est petit et va arroser les palmiers.</p>
+
+<div class="box-float-right">
+<div class="figfloat">
+<figure id="i07" class="iw5"><a href="images/i07.jpg"><img src=
+'images/i07.jpg' alt=''></a>
+<p class="cp3">Gravure rupestre du Djebel Sebaa Regoud trouvée sur
+un banc plat de concrétions calcaires très solides, épais de
+0<sup>m</sup>,10 à 0<sup>m</sup>,15, reposant sur des grès. (H.
+Duv.)</p>
+</figure>
+</div>
+</div>
+
+<p>La grotte ou plutôt les grottes<a id="FNanchor_131"></a><a href=
+"#Footnote_131" class="fnanchor">[131]</a> sont dans un ravin, au
+nord un peu est de la ville, à une petite distance. Celle que j’ai
+visitée, la plus grande, se divise en deux branches&nbsp;; la
+branche profonde est très difficile, on n’y pénètre qu’en rampant
+sur le ventre, et souvent la paroi est trop étroite pour qu’on
+passe les deux épaules en même temps. Dans la chambre étroite où on
+arrive il y a beaucoup de fossiles dont j’ai pris des
+échantillons&nbsp;; on trouve sur la paroi des stalagmites en forme
+de couches. Sur une de ces couches je lus&nbsp;: READE 1845. La
+grotte ne s’arrête pas là, elle se prolonge par différents
+couloirs&nbsp;; un tailleur de pierres allemand me dit qu’on voit
+encore les traces des coups de marteau qui ont servi à la creuser,
+et que l’un des couloirs conduit à une chambre taillée de main
+d’homme.</p>
+
+<p>Je retourne ensuite à l’inscription<a id=
+"FNanchor_132"></a><a href="#Footnote_132" class=
+"fnanchor">[132]</a>, dont je complète le dessin,<span class=
+"pagenum" id="Page_86">[86]</span> je découvre un peu plus haut,
+sur la même plate-forme, une figure grossièrement taillée comme
+l’inscription elle-même. C’est peut-être une grossière imitation de
+la lune<a id="FNanchor_133"></a><a href="#Footnote_133" class=
+"fnanchor">[133]</a>. Dans le ravin, je remarque la formation de la
+montagne. Les assises les plus basses qui soient découvertes sont
+des bancs de terre glaise sans fossiles, alternant avec des bancs
+de sable fin et entassé (grès très tendre en formation) et remplies
+de jolis petits cailloux de quartz hyalin ou autre et de silex.
+Par-dessus tout cela vient le calcaire coquillier marin.</p>
+
+<p class="datesect">2 avril.</p>
+
+<p>M. Guérin revient aujourd’hui de Nafta. Nous faisons une grande
+tournée dans l’oasis. Puis nous revenons en ville et nous voyons
+les différents quartiers qui sont&nbsp;: au S.-O. Zebda&nbsp;; au
+S. Oulad el Hādef, à l’E. un peu N. Zaouyet Debabsa qui est séparée
+de la ville, au N. Oussouāu, au N.-N.-O. le tombeau du Sidi ʿAbīd,
+à l’O. un peu N. Guetna, à l’ouest Masrhona et un peu plus loin
+Cherfā.</p>
+
+<p>A un petit partage d’eau de El ʿAguela dans l’oued Zebbāla, à 4
+h. 1/2, l’eau avait 28° 4, l’air au thermomètre fronde 26°,4.</p>
+
+<p class="datesect">3 avril.</p>
+
+<p>J’ai oublié de mentionner hier qu’outre de nombreuses pierres
+romaines, fondations de maisons, colonnes (dont une de marbre),
+constructions dans les saguias, partages d’eau, etc., que nous
+avons rencontrés dans les plantations et les villages de Tōzer,
+nous avons encore remarqué en ville une pierre portant une branche
+de zizyphus lotus très bien sculptée en relief.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp1c06">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_115"></a><a href="#FNanchor_115"><span class=
+"label">[115]</span></a>Sur l’occupation romaine du sud de la
+Tunisie, voir, outre les ouvrages généraux de Tissot, Cagnat,
+Gauckler, Toutain, etc., les études du D<sup>r</sup> Carton
+(<em>Revue Tunisienne</em>, 1895, p. 201, 1896, p. 373, 530), de P.
+Blanchet (rapp. cité, <em>N. Arch. des Missions</em>, IX, 1899) et
+de A. du Paty de Clam (<em>Bull. de Géogr. historique et
+descriptive</em>, 1897, p. 408-424).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_116"></a><a href="#FNanchor_116"><span class=
+"label">[116]</span></a>Flaques d’eau douce.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_117"></a><a href="#FNanchor_117"><span class=
+"label">[117]</span></a>Voir la reconstitution dans Tissot, II, p.
+658.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_118"></a><a href="#FNanchor_118"><span class=
+"label">[118]</span></a>Ceci ne s’applique qu’aux chameaux du sud
+algérien et tunisien. C’est ainsi que ceux de la Cyrénaïque mangent
+très bien le remeth (Rohlfs, <em>Kufra</em>, p. 538) et que ceux du
+Fezzàn font du chih leur nourriture favorite (Ascherson,
+<em>Kufra</em>, p. 481). C’est précisément la répugnance des
+chameaux à se nourrir de plantes inaccoutumées qui oblige les
+caravanes à changer d’animaux dans la traversée du désert.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_119"></a><a href="#FNanchor_119"><span class=
+"label">[119]</span></a>Dite milliaire d’Asprenas. (Cf. pour
+lecture plus complète Tissot, II, p. 650 et <em>C. I. L.</em>,
+VIII, 10023.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_120"></a><a href="#FNanchor_120"><span class=
+"label">[120]</span></a>Le Djébel Arbet ou Orbata (crétacé).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_121"></a><a href="#FNanchor_121"><span class=
+"label">[121]</span></a>Frère du Bey régnant.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_122"></a><a href="#FNanchor_122"><span class=
+"label">[122]</span></a>Kaïd du Djérid.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_123"></a><a href="#FNanchor_123"><span class=
+"label">[123]</span></a>On sait que la puce épargne le Sahara
+proprement dit.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_124"></a><a href="#FNanchor_124"><span class=
+"label">[124]</span></a>Voir à l’Appendice.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_125"></a><a href="#FNanchor_125"><span class=
+"label">[125]</span></a>M. Warnier me dit que probablement les
+poissons de Hamma gardent leurs petits dans leur bouche pour
+empêcher que la chaleur de l’eau ne leur fasse mal.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_126"></a><a href="#FNanchor_126"><span class=
+"label">[126]</span></a>C’est-à-dire en briques.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_127"></a><a href="#FNanchor_127"><span class=
+"label">[127]</span></a>C’est-à-dire en tôb (argile séchée au
+soleil).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_128"></a><a href="#FNanchor_128"><span class=
+"label">[128]</span></a>Sirocco.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_129"></a><a href="#FNanchor_129"><span class=
+"label">[129]</span></a>Ou Bled-el-Adher&nbsp;: un des villages
+situés dans l’oasis de Tōzer.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_130"></a><a href="#FNanchor_130"><span class=
+"label">[130]</span></a>Voir V. Guérin, <em>Voyage archéologique
+dans la Régence de Tunis</em>. Paris, 1862, in-8<sup>o</sup>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_131"></a><a href="#FNanchor_131"><span class=
+"label">[131]</span></a>Elles ont valu à la montagne le nom de
+Sebaa Regoud «&nbsp;des Sept Dormants&nbsp;». Voir sur la légende
+Tissot, II, p. 366, 683.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_132"></a><a href="#FNanchor_132"><span class=
+"label">[132]</span></a>Cf. <a href="#Page_54">p. 54.</a></p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_133"></a><a href="#FNanchor_133"><span class=
+"label">[133]</span></a>On lit dans une note de Duveyrier&nbsp;:
+«&nbsp;M. Tissot a donné, page 480 du tome I de sa <em>Géographie
+comparée</em>, la reproduction de mon dessin, sans en indiquer la
+provenance. M. Tissot comptait réparer cet oubli.&nbsp;»</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_87">[87]</span><a id=
+"p1c07"></a>CHAPITRE VII</h3>
+
+<p class="sch">DE TOZER A BISKRA</p>
+
+<p>Nous partîmes de Tōzer un peu trop tard pour la route qui nous
+attendait. Jusqu’à Hamma nous ne vîmes rien que je n’eusse noté
+auparavant&nbsp;; nous entrâmes alors dans des marécages qui
+évidemment sont cause de l’insalubrité de toute l’oasis. Ils
+s’étendent vers le chott, et sont formés par les eaux de l’oued qui
+se perdent peu à peu dans les terres.</p>
+
+<p>Notre marche était peu rapide, aussi mîmes-nous beaucoup de
+temps à sortir de ces terrains glissants et meubles peu propres à
+la marche des chameaux.</p>
+
+<p>Après les marécages vint une curieuse nature de terrain&nbsp;;
+c’était le bas de l’oued Beyāch, endroit où autrefois avait
+séjourné la mer, à en juger à la fois par la nature de sebkha du
+sol, et surtout par les coquilles de <i>Cardium edule</i><a id=
+"FNanchor_134"></a><a href="#Footnote_134" class=
+"fnanchor">[134]</a> qui s’y trouvaient mêlées à celles du
+<i>Bulimus truncatus</i> apporté par les eaux de l’oued. La
+végétation devient ici plus rare&nbsp;; les tamarix s’y maintinrent
+cependant toujours. Toute cette plaine est très dangereuse à cause
+des excursions de maraude qu’y font les Hammāmas d’un côté et les
+Nemēmcha de l’autre. C’est pourquoi nous ne marchions pas sans
+quelque inquiétude, et les mokhazenis nous racontèrent différentes
+histoires terribles de drames qui s’étaient passés dans cet
+endroit.</p>
+
+<p>Enfin nous entrâmes dans le chott<a id=
+"FNanchor_135"></a><a href="#Footnote_135" class=
+"fnanchor">[135]</a>, qui est une petite imitation du grand chott
+de Nefzāoua&nbsp;; il finit par former plusieurs bassins de plus en
+plus bas, fournis d’une végétation assez riche<span class="pagenum"
+id="Page_88">[88]</span> quoique uniforme, elle se compose
+principalement d’une plante nommée «&nbsp;<em>goreyna</em>&nbsp;»
+et de «&nbsp;<em>zeita</em>&nbsp;».</p>
+
+<p>La nuit nous surprit en route, ce qui nous fit hâter la
+marche&nbsp;; après, nous débouchâmes dans une plaine uniforme et
+aride, et enfin, au moment où nous nous rapprochions de Chebika,
+nous nous trouvâmes sur un champ de pierres très dures, qui ont été
+apportées de la montagne par les ravines qui en descendent.
+Quelques-unes de ces pierres atteignaient une grande dimension.</p>
+
+<p>La montagne que nous longions en nous en rapprochant est très
+régulière à son sommet&nbsp;; en cet endroit, elle avait une
+altitude croissante de droite à gauche jusque vers Chebika.</p>
+
+<p>Nous coupâmes au bas des palmiers les fondations des murailles
+d’une ville romaine qui, d’après ce que j’ai vu le lendemain, doit
+avoir eu une certaine importance&nbsp;; cet endroit est aujourd’hui
+consacré à des cultures de céréales. — Nous montâmes ensuite dans
+les plantations (ici l’expression convient très bien), nous les
+trouvâmes arrosées par des eaux courantes, où l’on remarquait çà et
+là dans les canaux des pierres grossièrement taillées, mais
+évidemment de travail romain, qui ont été apportées des ruines de
+la ville, ou bien même sont peut-être encore à leur place.</p>
+
+<p>Arrivés au petit village de Chebika, on fit quelques difficultés
+pour nous recevoir, car on craignait quelque exaction du Bey, mais
+lorsqu’on nous eut bien reconnus, il fallut nous loger, et l’on
+choisit une maison au sommet de la ville. — Les rues sont tellement
+agrestes qu’il fallut décharger les chameaux à la porte de la
+ville, et monter le bagage à bras d’hommes. Voyant que j’avais à
+faire à de pauvres gens, je les avertis tout d’abord que je
+paierais tout ce qui me serait livré. Je me couchai bientôt&nbsp;;
+et ne pris pas part au dîner qui fut très maigre.</p>
+
+<p class="datesect">4 avril.</p>
+
+<p>Ce matin, je pus examiner la curieuse position de Chebika. Elle
+est bâtie en amphithéâtre sur un rocher, entre deux ravins qui
+descendent de la montagne. Au nord du rocher s’élève un roc peu
+important, mais qui présente de curieux murs bâtis très
+anciennement sur certains côtés pour compléter une forteresse
+naturelle. Ne pouvant pas très bien reconnaître l’âge de ces
+constructions, j’en ai pris un échantillon de ciment. La source de
+Chebika,<span class="pagenum" id="Page_89">[89]</span> ʿAîn
+Chebika, coule du nord et descend à l’est arroser les plantations,
+qui s’étendent au sud&nbsp;; on trouve encore un bouquet de
+palmiers à l’ouest&nbsp;; ce dernier s’appelle ʿAin Beidha. Du
+reste, la ville compte à peine 20 hommes, ce qui donne un très
+petit chiffre de population totale. Ce sont des Hammāma. La
+tradition leur rappelle que le nom chrétien de cette ville ou
+plutôt sa traduction est Qoçeïr Ech-Chems, le château du soleil
+(ηλιοπολις). Ils prétendent aussi que les chrétiens fendirent une
+partie de la ravine pour amener l’eau à la ville.</p>
+
+<p>Je retournai voir les restes de l’ancien établissement&nbsp;; il
+s’étend sur toute la ligne sud des plantations. Cette promenade me
+convainc une fois de plus de l’importance de ce point sous
+l’occupation romaine&nbsp;; cependant les pierres y étaient très
+mal taillées<a id="FNanchor_136"></a><a href="#Footnote_136" class=
+"fnanchor">[136]</a>.</p>
+
+<p>Les habitants de la ville sont pauvres, comme je l’ai dit, mais
+j’ai vu quelques jolies femmes, toutes vêtues à la mode
+occidentale.</p>
+
+<p>Je partis ensuite pour Midas&nbsp;; outre mes deux mokhazenis,
+on nous donna cinq hommes armés de fusils, dont on me vanta
+beaucoup le courage, mais dont la conversation annonçait très peu
+de décence. Nous longeâmes pendant quelque temps le bord de la
+montagne<a id="FNanchor_137"></a><a href="#Footnote_137" class=
+"fnanchor">[137]</a> puis arrivâmes à un endroit appelé Foum en
+Nâs. C’est une fort large ouverture dans la montagne, qui donne
+passage à une petite rivière<a id="FNanchor_138"></a><a href=
+"#Footnote_138" class="fnanchor">[138]</a> qui se perd près de là
+et qui est employée en partie à arroser des semis de céréales que
+nous apercevons verdoyants. Nous entrons dans cette coupure et
+rencontrons l’oued, tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche,
+l’eau en est fraîche et bonne. Le chemin devient plus difficile à
+mesure que les rochers se rapprochent, et bientôt ils nous rendent
+la marche très pénible. Vers cet endroit, j’aperçus, à mi-hauteur
+de la montagne, les ruines d’un petit fort romain, où l’on
+reconnaît encore une partie de voûte&nbsp;; il pouvait avoir 25
+mètres de long sur 8 mètres de large environ, et commandait le
+passage&nbsp;; il porte aujourd’hui le nom de El-Hānout. Plus loin
+je touchai une petite source appelée El-ʿAouina, elle sort du roc
+vif et est réputée fraîche en été&nbsp;; son eau a 21°,9. Nous
+montâmes ensuite dans des passages où c’est un miracle<span class=
+"pagenum" id="Page_90">[90]</span> que les chameaux et les caisses
+ne se soient pas mille fois renversés. Nous marchions fort
+lentement, et, après deux petites terrasses que nous atteignîmes,
+nous retombâmes dans l’oued, qui nous conduisit presque aussitôt en
+vue des palmiers de Tamerza.</p>
+
+<p>Nous laissâmes les palmiers à droite, et entrâmes dans un
+affluent de l’oued, qui porte le nom d’El-Oudey, et qui contribue
+pour un petit filet d’eau. Les deux côtés de la montagne formaient
+comme deux murs presque à pic, qui tantôt, s’élargissant, bordaient
+une surface de sable unie, tantôt se rétrécissaient et formaient
+des défilés des plus pittoresques et des plus curieux. Les tamaris
+persistaient&nbsp;; l’eau courante était couverte par places d’une
+petite cypéracée que j’ai cueillie à Nafta. Nous passâmes à Garen
+un premier défilé, auprès duquel celui d’El-Kantara n’est
+rien&nbsp;; les murailles me parurent être d’un marbre
+grossier&nbsp;; deux vautours planaient au-dessus de leur domaine,
+et les excréments répandus par endroits indiquaient qu’ils avaient
+là leurs nids. Toute cette partie de la montagne présentait des
+traits géologiques très prononcés&nbsp;; des couches inclinées
+attestaient le mode de formation<a id="FNanchor_139"></a><a href=
+"#Footnote_139" class="fnanchor">[139]</a>. Après des détours et
+des montées sans fin, où hommes et bêtes se trouvaient épuisés,
+surtout ceux qui jeûnaient, nous fûmes obligés, pour passer un
+défilé, de décharger les caisses et de les porter à bras
+d’hommes&nbsp;; peu après, nous aperçûmes sur les hauteurs les
+restes d’un petit blockhaus carré romain, encore assez bien
+conservé, qui dominait le passage. Nous gravîmes ensuite une pente
+et, redescendant de l’autre côté, nous nous trouvâmes à côté de
+Midas.</p>
+
+<p>L’oasis de Midas est située comme un nid d’aigle dans une
+assiette<a id="FNanchor_140"></a><a href="#Footnote_140" class=
+"fnanchor">[140]</a> au milieu de la montagne&nbsp;; les ravins qui
+l’entourent ne la laissent accessible que d’un côté où l’on voit
+plusieurs koubbas appelés les Sebaa Regoud. On entre dans la ville
+par les plantations, et, de l’autre côté, les maisons sont
+suspendues sur un ravin ou précipice comme à Constantine&nbsp;; la
+population de Midas peut monter à 30 hommes environ. Ce sont des
+Beldîa. Toute la petite oasis présente les sites les plus
+charmants&nbsp;; les jardins offrent un<span class="pagenum" id=
+"Page_91">[91]</span> sauvage pittoresque que l’on y rencontre
+rarement&nbsp;; quelques palmiers surtout, à la tête du ravin,
+adossés à un rocher à pic de strates horizontales, me tentèrent
+beaucoup pour un croquis, mais je crus devoir y renoncer.</p>
+
+<p>Nous fîmes notre entrée en ville par la seule porte qui s’ouvre
+dans la muraille (comme à Chebika) et fûmes bien reçus quoique
+froidement. Il n’y eut qu’un petit incident fâcheux, ce fut une
+scène d’injures que fit le maître de la maison où on nous installa,
+un nègre, qui fit sortir les mokhazenis de leur assiette et engagea
+une lutte corps à corps, dans laquelle ils eurent le dessus. Je
+craignis un moment que la lutte ne devînt sérieuse et m’armai
+moi-même en faisant armer mon monde&nbsp;; je sortis pour parler au
+nègre, mais je vis heureusement que tout s’apaisait peu à peu.</p>
+
+<p>Il y avait en ville les chefs des Oulad Sidi’Abid au nombre
+desquels se trouvait Si Ramdhān, leur chef, pour qui Si ʿAli Saci
+avait donné une lettre. Ils vinrent tous, et se conduisirent très
+bien, car il faut bien leur pardonner leur curiosité, causée par
+leur ignorance. Ils causèrent et plaisantèrent avec moi. Plusieurs
+ont leur maison ici. Ils me demandèrent entre autres si Paris était
+près de Sidi’Okba. Je sacrifiai ma demi-journée à mes hôtes, ne
+voulant pas les indisposer par des observations et mon travail
+ordinaire&nbsp;; je craignis de gâter mes affaires au moment de
+quitter la régence de Tunis, et en même temps le pays de la peur.
+Du reste, j’y gagnai d’un autre côté en jetant un coup d’œil dans
+les mœurs et l’état social et moral de cette population.</p>
+
+<p>Ce que j’en dirai peut s’appliquer à Chebika et probablement
+aussi à Tamerza qui est la grande ville de la montagne, et où
+réside ordinairement un parent de Si ʿAli Saci. Actuellement il est
+à Tōzer, il a eu des difficultés avec ses administrés qui ne
+doivent pas être faciles, à cause de l’impôt&nbsp;; le Bey menace
+de faire détruire la ville. Les hommes de Midas sont mal vêtus, et
+pour la plupart malades. Je n’ai jamais eu autant de consultations.
+La syphilis est très commune à tous les degrés&nbsp;: descendue aux
+jambes, aux bras, etc., rendant une femme impotente&nbsp;; enfin on
+me l’amène sous la triste forme d’un petit enfant à la mamelle
+couvert de glandes et dégoûtant de saleté, déjà jauni par la
+mort&nbsp;! Les femmes sont habillées à l’occidentale avec d’assez
+vives couleurs&nbsp;; quelques-unes, je dirai même la plupart, ne
+sont pas<span class="pagenum" id="Page_92">[92]</span> mal. Mais le
+pays est, à ce que je crois, perdu par les maladies vénériennes et
+la fièvre. Les Oulad Sidi’Abid paraissent eux-mêmes beaucoup
+souffrir des maladies vénériennes. — Les femmes sont assez libres
+et me jettent quelques coups d’œil intéressants. — On voit pas mal
+de nègres.</p>
+
+<p>La tradition rapporte que cette petite ville se nommait
+autrefois Merdās.</p>
+
+<p>Dans les pierres qui, avec de la terre, servent à construire les
+maisons, je reconnais d’assez grandes pierres taillées,
+quelques-unes même debout en plan. Évidemment il y avait là un
+établissement romain, moins étendu, mais mieux construit que celui
+de Chebika.</p>
+
+<p class="datesect">5 avril.</p>
+
+<p>Nous eûmes de la peine à obtenir ce matin les hommes qui
+devaient m’escorter jusqu’à Négrīn. Les deux mokhazenis, il faut
+leur rendre cette justice, ne me quittèrent que lorsque tout le
+monde fut prêt. Je fus accompagné par onze hommes. Nous remontions
+un long oued (oued Midas)&nbsp;; le terrain était très aisé, mais
+les malheureux chameaux affamés et fatigués ne nous permirent pas
+de voyager aussi vite que nous l’eussions désiré. D’abord des
+montagnes très élevées nous surplombaient à droite et à gauche,
+puis à mesure que nous avancions, les montagnes s’éloignèrent et
+enfin cessèrent tout à fait sur la droite, car je ne puis compter
+comme telles les hauteurs de Hoouarīn et autres<a id=
+"FNanchor_141"></a><a href="#Footnote_141" class=
+"fnanchor">[141]</a> qui nous apparaissaient à peine à travers les
+vapeurs. La végétation était maigre et rare&nbsp;; je pus à peine
+distinguer les espèces qui se présentèrent sur la route. Le pays
+est très dénudé, sauvage et incultivable&nbsp;; l’eau y est
+extrêmement rare&nbsp;; nous ne rencontrâmes qu’un puits, appelé
+El-Hassey, creusé dans l’oued. C’est près de cet endroit que je vis
+le seul emplacement évident d’un petit poste romain&nbsp;; quelques
+pierres et de nombreux fragments de poterie antique sur un mamelon
+sont tout ce qu’il en reste.</p>
+
+<p>Cette route est très dangereuse, étant exposée aux incursions
+des Hammāma et des Oulad el’Aisāoui&nbsp;; aussi mon escorte
+était-elle<span class="pagenum" id="Page_93">[93]</span> très peu
+rassurée, ce qui était d’un autre côté très peu rassurant pour moi.
+Nous rencontrâmes plusieurs tas de pierres indiquant autant de
+victimes des brigandages qui s’y commettent. Un voyage dans le
+Sahara pendant le ramadan avec des musulmans trop consciencieux est
+du reste une chose presque impossible et bien fatigante. C’était le
+cas ici&nbsp;; plusieurs des hommes, et Ahmed lui-même, jeûnaient
+et ne pouvaient pas même boire une goutte d’eau. Comment pouvait-on
+exiger d’eux de marcher rapidement et d’activer la marche des
+chameaux&nbsp;?</p>
+
+<p>Enfin nous atteignîmes des renflements de sable que l’on appelle
+Erg el Djemīl&nbsp;; nous les coupâmes et avançâmes vers le but de
+notre voyage, qui nous apparaissait à l’horizon&nbsp;; nous voyions
+du moins les hauteurs entre lesquelles Négrīn est enclavée. Bientôt
+nous entrâmes dans un pays très accidenté, sillonné de ravins et de
+rochers et qui présente quelques difficultés. L’oued de Negrīn se
+distinguait très bien sur la gauche et nous laissâmes, au bout de
+quelque temps, le bouquet de palmiers de Zaghouān où logent deux ou
+trois familles.</p>
+
+<p>J’envoyai en avant un homme pour annoncer ma venue à Négrīn, et
+j’avoue que j’étais un peu incertain de la nature de l’accueil que
+j’allais recevoir&nbsp;; bientôt mes doutes furent dissipés, car
+nous rencontrâmes deux des grands de la ville venus à ma
+rencontre&nbsp;; ils me saluèrent en m’embrassant sur l’épaule et
+me souhaitèrent la bienvenue. On me logea dans la maison du cheikh
+qui venait d’arriver, et qui me salua à mon entrée. C’est un jeune
+homme nommé Cheikh Mohammed qui a de très bonnes manières, et qui
+me paraît très dévoué à la cause des Français. Je reçus la visite
+des grands de la ville, qui se conduisirent très bien et que je ne
+congédiai que vers le <em>maghreb</em><a id=
+"FNanchor_142"></a><a href="#Footnote_142" class=
+"fnanchor">[142]</a>. L’accueil de Négrīn, après ma course si
+aventureuse dans la Tunisie, me fit bien du plaisir. Le cheikh
+avait été averti de ma venue il y a deux jours par une lettre venue
+de Tebessa (car Négrīn dépend de Tebessa qui est à trois journées
+de marche). En un mot, je croyais être dans un pays pacifié, et on
+verra demain qu’il n’en était rien.</p>
+
+<p>Négrīn se trouve bâtie dans un ravin d’un abord difficile sur le
+bord occidental de l’oued. Les palmiers sont plantés dans le lit
+même de la vallée, et en échelons, car la pente de l’oued ici
+est<span class="pagenum" id="Page_94">[94]</span> très forte et le
+ruisseau qui coule au milieu des palmiers va par bonds et cascades.
+Cette nature du sol permet que l’on arrose facilement les palmiers,
+car on n’a qu’à détourner à chaque jardin l’eau qui est nécessaire
+à l’arrosage, et le courant de l’oued l’y amène par sa propre force
+au moyen d’un saguia. — Outre les palmiers, les plantations
+renfermaient encore des figuiers, des abricotiers, des pêchers et
+surtout des oliviers.</p>
+
+<p>Dans la soirée, on m’annonça qu’un des chameaux était tellement
+malade que le départ pour demain était impossible&nbsp;; je me
+soumis de mauvaise grâce&nbsp;; mais l’espoir de bien explorer
+Besseriani<a id="FNanchor_143"></a><a href="#Footnote_143" class=
+"fnanchor">[143]</a> me consola un peu.</p>
+
+<p class="datesect">6 avril.</p>
+
+<p>Ce matin, je partis avec le cheikh, un autre cavalier et Ahmed,
+pour explorer les ruines de Besseriani&nbsp;; un assez grand nombre
+d’hommes devaient nous rejoindre aux ruines par un chemin plus
+court mais plus difficile pour les chevaux. En quittant la ville,
+nous gardâmes quelque temps les plantations à notre gauche, et
+marchâmes tantôt sur les hauteurs dominant les ravins, tantôt dans
+le lit même de ces derniers&nbsp;; nous atteignîmes enfin l’oued,
+qui forme ici une petite rivière, coulant entre de nombreux tamaris
+et au milieu d’un thalweg bordé de petites collines&nbsp;; là
+commencent les labours et les semis d’orge. Nous ne quittâmes
+l’oued que lorsque nous fûmes près des ruines&nbsp;; nous le
+laissâmes alors, sur la droite, aller arroser les labours qui
+commencent au N.-O. de Besseriani, et se prolonger à l’ouest et
+enfin au S.-O. jusqu’à 1 kilomètre au delà des ruines. A gauche
+nous avions, à peu de distance, un sommet de la chaîne de montagnes
+qui borde d’un côté l’oued de Négrīn. De là la montagne<a id=
+"FNanchor_144"></a><a href="#Footnote_144" class=
+"fnanchor">[144]</a> se prolonge très haute vers l’orient, formant
+ainsi la limite du véritable Sahara&nbsp;: à ses pieds s’étend un
+terrain rocheux et raviné, formant une pente rapide vers le sud, et
+qui est excessivement difficile à traverser.</p>
+
+<p>La première ruine que je touchai est un support d’arc de
+triomphe formant le seul vestige reconnaissable qui en
+reste&nbsp;;<span class="pagenum" id="Page_95">[95]</span> au pied
+étaient dispersées de nombreuses pierres de taille assez
+volumineuses qui avaient complété ce monument&nbsp;; dans la partie
+intérieure du support de l’arc, au milieu de la baie, se distingue
+une colonne mutilée formant corps avec le support, laquelle colonne
+était ornée de cannelures et d’un chapiteau sculpté<a id=
+"FNanchor_145"></a><a href="#Footnote_145" class=
+"fnanchor">[145]</a>. Au pied de l’arc de triomphe, je trouvai deux
+pierres portant chacune une inscription, malheureusement un peu
+mutilées et effacées par les intempéries des saisons. Peut-être ces
+deux pierres font-elles partie d’une même inscription qui était
+placée au-dessus de l’arc de triomphe<a id=
+"FNanchor_146"></a><a href="#Footnote_146" class=
+"fnanchor">[146]</a>&nbsp;:</p>
+
+<div class="figcenter iw1">
+<figure id="i08"><a href="images/i08.jpg"><img src='images/i08.jpg'
+alt='[Illustration&nbsp;: Inscriptions]'></a>
+</figure>
+</div>
+
+<p>A côté du support de l’arc encore debout, se trouve un mur d’une
+admirable construction, encore très bien conservé jusqu’à une
+certaine hauteur&nbsp;; peut-être servait-il à soutenir l’autre
+pilier de l’arc&nbsp;; cependant je le crois à peine, à cause de la
+distance qui sépare les deux ruines.</p>
+
+<p>De là je me rendis au monument le plus remarquable que renferme
+actuellement Besseriani&nbsp;; c’est un arc de triomphe encore très
+bien conservé dans sa partie principale. A son sommet se trouve une
+belle pierre très plane sur laquelle on lit le milieu d’une
+inscription en grosses et belles lettres d’un travail fini et d’une
+régularité remarquable. En regardant l’inscription, on a sur la
+gauche du monument un mur y attenant, encore assez bien
+conservé&nbsp;; le tout atteste l’importance considérable<a id=
+"FNanchor_147"></a><a href="#Footnote_147" class=
+"fnanchor">[147]</a> de l’établissement romain, et la tradition à
+Midas m’avait déjà appris qu’autrefois, Besseriani commandait à
+toutes les petites villes des environs que j’ai visitées depuis
+Chebika. J’ai dessiné sur les lieux mêmes, sur la planche I, une
+esquisse grossière de ce monument<a id="FNanchor_148"></a><a href=
+"#Footnote_148" class="fnanchor">[148]</a>.<span class="pagenum"
+id="Page_96">[96]</span> La belle inscription de cet arc de
+triomphe étant incomplète, je me mis à chercher les deux pierres
+qui manquaient, et je parvins bientôt à en trouver une seconde
+formant le commencement du document. Dans une ruine dont je
+parlerai tout à l’heure, je trouvai bien une troisième pierre
+portant trois lignes d’une inscription en aussi gros caractères que
+la première, mais je ne trouve pas à première vue un sens ni
+beaucoup de rapport entre ces trois lignes et les quatre lignes de
+la première inscription&nbsp;; il est cependant probable qu’elle en
+fait partie<a id="FNanchor_149"></a><a href="#Footnote_149" class=
+"fnanchor">[149]</a>. Voici les deux premières&nbsp;:</p>
+
+<div class="figcenter iw2">
+<figure id="i09"><a href="images/i09.jpg"><img src='images/i09.jpg'
+alt='[Illustration&nbsp;: Inscriptions]'></a>
+</figure>
+</div>
+
+<p>Voici maintenant la troisième pierre que j’ai trouvée à une
+petite distance de l’arc de triomphe, dans des ruines de belles et
+grandes pierres qui devaient appartenir à quelque bâtiment
+public&nbsp;; la surface de cette pierre a plus souffert que celle
+des autres.</p>
+
+<div class="figcenter iw6">
+<figure id="i10"><a href="images/i10.jpg"><img src='images/i10.jpg'
+alt='[Illustration&nbsp;: Inscriptions]'></a>
+</figure>
+</div>
+
+<p>J’allai ensuite à un monceau de ruines, peut-être les
+restes<span class="pagenum" id="Page_97">[97]</span> d’un autre arc
+de triomphe, qui est situé à l’ouest du dernier monument, et à peu
+près sur la ligne des ruines que j’ai visitées les premières,
+c’est-à-dire plus dans le voisinage des labours. J’y trouvai
+d’énormes pierres de taille parfaitement taillées, trois portaient
+des inscriptions malheureusement un peu écornées<a id=
+"FNanchor_150"></a><a href="#Footnote_150" class=
+"fnanchor">[150]</a>.</p>
+
+<div class="figcenter iw4">
+<figure id="i11"><a href="images/i11.jpg"><img src='images/i11.jpg'
+alt='[Illustration&nbsp;: Inscriptions]'></a>
+</figure>
+</div>
+
+<p>Besseriani, ainsi que la ville romaine de Chebika, sont situées
+au bas de la montagne, là où l’oued sort des rochers, et l’on voit
+à l’opposite que les Arabes et les Berbères ont bâti leurs villages
+au milieu des rochers dans les positions les plus difficiles<a id=
+"FNanchor_151"></a><a href="#Footnote_151" class=
+"fnanchor">[151]</a>.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_98">[98]</span>Je prenais
+quelques angles pour baser un plan grossier de Besseriani, lorsque
+l’on signala cinq cavaliers à l’horizon. Or ce pays est tellement
+peu sûr que l’on donna immédiatement le signal de se rassembler et
+que l’on cria aux cultivateurs dans les labours de se rallier à
+nous. Dans la bagarre, je négligeai de remettre mon haïk que
+j’avais ôté pour travailler, et me contentai de mes burnous et de
+mes culottes. Chacun arma son fusil et je sortis mon revolver pour
+être prêt le cas échéant.</p>
+
+<p>Les cavaliers ne nous avaient pas vus à cheval, et ils n’étaient
+plus très éloignés, lorsque quatre d’entre nous, dont le cheikh,
+partirent au galop pour aller au-devant d’eux. Dès qu’ils nous
+aperçurent, les étrangers s’enfuirent à fond de train, l’un d’eux
+gagnant le Sahara&nbsp;; les autres tâchèrent de se réfugier dans
+la montagne. Aussitôt tout le monde cria qu’ils étaient ennemis,
+Hammāma ou Oulad el’Aisāoui, venus pour un coup de main, et nous
+partîmes nous aussi au galop pour prêter main forte au cheikh. Le
+terrain dans lequel nous galopions est un labyrinthe de casse-cou,
+et Ahmed et moi, ne connaissant pas le pays, nous allions
+hésitants&nbsp;; le vieux qui était resté faisait un peu le
+traînard&nbsp;; je m’aperçus bientôt que la peur l’enchaînait, et
+lui répétai plusieurs fois de prendre les devants&nbsp;; je fus
+enfin obligé de le menacer de mon revolver pour le décider à nous
+guider. Nous galopions toujours, et pendant ce temps nous
+n’entendions que les cris de guerre sauvages que poussaient nos
+amis&nbsp;; un fort coup de feu nous échappa au milieu du bruit du
+galop de nos chevaux. Nous arrivâmes enfin au pied de la montagne
+et rejoignîmes les nôtres, au moment où les étrangers, que leur
+fuite folle avait portés sur des points inaccessibles,
+abandonnaient leurs montures pour sauver leurs têtes. Nous nous
+contentâmes de prendre trois chevaux dont un fort beau, puis nous
+tâchâmes de poursuivre celui qui avait gagné le Sahara, mais
+abandonnâmes bientôt ses traces.</p>
+
+<p>Pendant que nous revenions triomphants, et que mon brave Ahmed
+se voyait déjà de retour à Biskra, monté sur un cheval, nous
+aperçûmes au loin un homme qui venait en faisant des
+protestations&nbsp;; c’était un homme bien connu des Nemēmcha
+soumis, qui, reconnaissant enfin la nature de notre cavalerie,
+venait demander de quel droit nous avions fait acte d’ennemis. Il
+nous raconta qu’il nous avait pris pour des Hammāma ou
+des<span class="pagenum" id="Page_99">[99]</span> Oulad el’Aisāoui
+et que c’était là la cause de leur fuite. Nous sûmes donc que nous
+avions fait méprise des deux parts, et revînmes ensemble à
+Besseriani. Nous promîmes de rendre les chevaux à leurs maîtres dès
+que ceux-ci viendraient les réclamer, ce qu’ils firent à Négrīn
+dans la soirée. Nous rentrâmes épuisés à Besseriani, où j’achevai
+de dessiner l’arc de triomphe debout, et nous retournâmes en ville,
+rencontrant sur notre route une foule d’habitants, hommes et
+femmes, qui venaient soit prendre part au combat, soit savoir ce
+qui était arrivé. — Deux de nos cavaliers ne voulurent pas laisser
+échapper l’occasion de faire une fantazia, et nous entrâmes chez
+nous.</p>
+
+<p>A peine étais-je assis, qu’un homme ensanglanté, venant demander
+justice, se présenta devant moi. On avait tué une chèvre
+aujourd’hui, et il avait acheté la peau de la bête avec la tête,
+croyait-il&nbsp;; le vendeur prétendit que c’était sans la
+tête&nbsp;; l’acheteur jura qu’il ne la rendrait pas, quoi qu’il
+dût arriver&nbsp;; il s’ensuivit un combat, où mon homme reçut sur
+la tête un coup de pierre qui lui avait fait une forte
+blessure&nbsp;; le crâne heureusement n’avait pas été entamé. Comme
+je n’avais pas entendu l’adversaire, je priai le cheikh de
+s’enquérir de cette affaire&nbsp;; et les deux parties ayant tort,
+il proposa une amende de 6 douros pour chacun.</p>
+
+<p>Ma course effrénée de ce matin, en plein soleil, sans mon haïk,
+m’avait été nuisible et je commençai, dès le retour, à sentir les
+symptômes d’un violent mal de tête avec dégoût, presque mal de
+cœur.</p>
+
+<p>Vers les trois heures de l’après-midi, arriva en ville un jeune
+homme nous annonçant que des Hammāma l’avaient dépouillé et
+venaient d’emmener les troupeaux de chèvres de Négrīn, dont il
+était le gardien, et qui étaient au pâturage près de Zaghouān.
+Aussitôt le cheikh, quoique jeûnant, fit seller son cheval et se
+prépara à la poursuite ainsi que les hommes armés de la
+ville&nbsp;; les chevaux partaient, et dans le premier mouvement je
+montai aussi en selle, oubliant ma maladie&nbsp;; je pris le fusil
+d’Ahmed qui avait été au frais sous les palmiers&nbsp;; mais, à
+peine sorti de la ville, je vis que j’étais trop malade pour suivre
+l’allure des autres chevaux, et laissant le mien à un des
+fantassins, je revins vers la ville. Je rencontrai Ahmed, qui me
+gronda de m’être dérangé, et plus encore d’avoir laissé mon
+cheval&nbsp;; mais c’était un peu tard.<span class="pagenum" id=
+"Page_100">[100]</span> Dans la soirée tout le monde revint, les
+Hammāma, au nombre de 7 à 8 fantassins, avaient pris la fuite dans
+la montagne, abandonnant les troupeaux, et n’emportant qu’un fusil
+et un burnous. J’appris à cette occasion que trois familles de
+Négrīn habitaient Zaghouān. Après le retour de la petite armée, je
+tombai très malade, et n’eus que le temps de prendre de
+l’ipécacuanha, puis après les vomissements une dose de
+quinine&nbsp;; j’eus un instant le délire et un mal de tête fou,
+puis je tombai dans un état de prostration jusque vers les 10
+heures du soir. Je me réveillai alors presque guéri, me déshabillai
+et me couchai&nbsp;; il faisait une chaleur très grande.</p>
+
+<p>Je vis, avant de tomber tout à fait malade, les hommes que nous
+avions poursuivis le matin&nbsp;; l’un d’eux était précisément
+celui qui avait été réclamer sa jument à Si-Mohammed ben Rabah, et
+qui la ramenait dans sa tribu. Ils avaient rencontré dans le chott
+un homme des Oulad el’Aisāoui, l’avaient dépouillé et renvoyé après
+lui avoir administré une bastonnade. Mes aventures d’aujourd’hui
+dénotent que ce pays est loin d’être pacifié. En effet, les gens de
+Négrīn n’osent à la lettre pas sortir de chez eux pour aller
+commercer, de crainte des vexations et actes d’hostilité des Oulad
+el’Aisāoui et des Hammāma. Tous les ans, ces deux tribus hostiles
+leur enlèvent leurs troupeaux de chèvres et tout ce qu’ils peuvent
+prendre. Le seul chemin qui leur soit ouvert est la route de
+Tebessa depuis l’occupation française.</p>
+
+<p class="datesect">7 avril.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, je suis resté à la maison toute la journée&nbsp;;
+j’étais heureusement guéri. J’écrivis dès le matin une lettre au
+cheikh de Ferkān, pour lui demander une mule et deux hommes, qui
+m’accompagnent demain à Zéribet Ahmed.</p>
+
+<p>Dans le milieu de la journée, la nouvelle arriva qu’un mulet qui
+était à paître dans les plantations avait disparu, et il parut
+évident que c’étaient les Hammāma d’hier qui, cachés dans la
+montagne, n’avaient pas voulu partir sans butin et étaient venus
+dans la journée enlever ce mulet. Le village fut encore sur le
+point de se mettre en armes, mais on abandonna ensuite le
+projet.</p>
+
+<p>J’apprends aujourd’hui que Négrīn peut compter environ 60
+maisons et peut-être 120 hommes en état de porter les armes. La
+population se divise en quatre tribus&nbsp;; les Oulad ech Cheikh,
+les<span class="pagenum" id="Page_101">[101]</span> Oukid
+Hamza&nbsp;; les Obbaouma et les Oulad Mansour. Le tribut de Négrīn
+est de 1.180 francs par an.</p>
+
+<p>A Négrīn, un individu vint me trouver, et, après m’avoir fait
+comprendre qu’il avait beaucoup d’argent, il me pria de lui écrire
+une amulette pour que sa femme qu’il avait répudiée revînt à lui.
+Il l’aimait et elle en préférait un autre avec lequel elle devait
+se marier. Je répondis à cet homme que, si j’avais le pouvoir
+d’écrire de tels talismans, je commencerais par m’en servir, mais
+qu’en tous cas je ne lui aurais pas pris un centime.</p>
+
+<p>Ferkān subit l’influence des Oulad el’Aisāoui, qui s’y font
+héberger de force, et se servent du village comme point de
+ravitaillement dans leurs expéditions de pillages. Cela tient à ce
+que les habitants ont beaucoup de Nemēmcha et même d’Oulad
+el’Aisāoui au milieu d’eux. Outre ces étrangers, la population de
+la ville se divise en trois tribus, les Oulad Brahīm, les Oulad
+’Adouān et les Oulad Yoūnis. Le tout forme 65 maisons et, partant,
+peut-être 130 hommes au moins en état de porter les armes&nbsp;; ce
+chiffre me fait soupçonner un peu de bonne volonté de leur part à
+héberger nos ennemis.</p>
+
+<p>Des messagers viennent de Ferkān, apportant une réponse peu
+polie&nbsp;; je les gronde bien fort et les renvoie
+brusquement&nbsp;; cela cause des pourparlers à n’en plus finir,
+des séances avec différents hommes de Ferkān qui venaient d’arriver
+au Djérid<a id="FNanchor_152"></a><a href="#Footnote_152" class=
+"fnanchor">[152]</a>. On finit par s’en aller en promettant de
+revenir avant demain avec la mule et les deux hommes.</p>
+
+<p class="datesect">8 avril.</p>
+
+<p>Nous quittons Négrīn de bonne heure, le cheikh de Ferkān, qui a
+au moins un digne extérieur, est venu lui-même cette nuit amener le
+mulet et les deux hommes que j’avais demandés. Il nous accompagne
+ce matin jusqu’à la rivière de Ghēsrān<a id=
+"FNanchor_153"></a><a href="#Footnote_153" class=
+"fnanchor">[153]</a> où nous faisons boire les chevaux et
+remplissons nos outres, puis nous partons chacun de notre côté, lui
+retournant à Ferkān, et nous coupant dans le Sahara pour atteindre
+le Zāb. Quatre cavaliers de Négrīn m’accompagnent&nbsp;: je renvoie
+le cinquième, qui,<span class="pagenum" id="Page_102">[102]</span>
+voulant tuer un lièvre, décharge son fusil qui éclate, sans causer
+d’accident heureusement.</p>
+
+<p>Nous voyageons dans un terrain aisé, le commencement du Sahara,
+qui se prolonge indéfiniment sur la gauche, et nous avons toute la
+journée à une certaine distance sur la droite, la chaîne de
+collines, au milieu de laquelle est bâtie Ferkān, et qui est
+séparée par une plaine de montagnes plus hautes<a id=
+"FNanchor_154"></a><a href="#Footnote_154" class=
+"fnanchor">[154]</a>. Je déjeune dans l’oued Djērech maintenant à
+sec, parce que l’année n’a pas été pluvieuse.</p>
+
+<p>Une autre longue marche nous amène à l’oued el Miyta, dont le
+lit est divisé en plusieurs canaux à cet endroit. Un peu plus loin,
+vers l’ouest, commencent des plaines appelées communément El
+Feyyād<a id="FNanchor_155"></a><a href="#Footnote_155" class=
+"fnanchor">[155]</a>, et qui méritent beaucoup d’attention. Le sol
+de ces plaines est composé d’argiles mêlées de sables et très
+lavées<a id="FNanchor_156"></a><a href="#Footnote_156" class=
+"fnanchor">[156]</a>&nbsp;; par conséquent, elles renferment tous
+les éléments de fécondité, et il ne leur manque en effet que
+l’eau<a id="FNanchor_157"></a><a href="#Footnote_157" class=
+"fnanchor">[157]</a>. Après les pluies se montrent une quantité de
+plantes annuelles, telles que graminées et petites fleurs
+champêtres que les ardeurs de l’été dessèchent&nbsp;; tandis que,
+dans les années sèches comme celle-ci, cette végétation elle-même
+ne se montre pas. Dans plusieurs endroits de ces Feyyād, les Arabes
+labourent lorsque les pluies arrivent&nbsp;; dans d’autres parties
+beaucoup plus rares les oueds descendant de la montagne leur
+permettent de cultiver chaque année. Or il est évident que si, par
+des barrages ingénieux ou des forages artésiens, on parvient à
+assurer de l’eau à ces plaines désertes, on assurera par le fait
+même de belles récoltes sur une superficie considérable de celle
+partie du Sahara.</p>
+
+<p>Ces plaines cultivables sont séparées par des renflements à
+peine sensibles couverts de cailloux et de pierres anguleuses.</p>
+
+<p>Nous marchâmes bien toute la journée, et nous n’atteignîmes
+l’oued Ouazzāren que quelques instants après le coucher du soleil.
+Cet oued est, comme les précédents, bordé de tamaris&nbsp;; et nous
+plantâmes la tente au chant des chouettes qui s’appelaient dans ces
+fourrés. Je n’ai pas besoin de dire que l’oued est à sec.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_103">[103]</span>9 avril.</p>
+
+<p>Aujourd’hui encore nous nous sommes mis en mouvement avant le
+lever du soleil, et nous continuâmes de voyager dans les plaines
+cultivables que j’ai notées hier&nbsp;; je remarquai ici pour la
+première fois bien distinctement le mirage, <em>sarab</em>. La
+plaine au sud-est paraissait un lac à l’horizon et des lignes de
+<i>Rhamnus arabica</i> et de tamaris semblaient dominer les eaux et
+former un rivage. Je crus d’abord que c’était le chott, mais fus
+obligé de m’apercevoir de mon erreur. Du reste, ces plaines nues,
+uniformes et de couleur grisâtre, frappées par les rayons obliques
+du soleil le matin ou le soir, offrent toutes les conditions
+nécessaires pour le phénomène du mirage. Les inégalités du sol, de
+vraies gerçures sur une peau, disparaissent à peu de distance pour
+l’œil.</p>
+
+<p>Nous traversâmes quelques ravines et aperçûmes au bout de
+quelque temps les oasis de Bādes, Liana et Kessad, ressortant sur
+la couleur rougeâtre des montagnes&nbsp;; peu après, le village de
+Zéribet Ahmed nous apparut, et nous l’atteignîmes pour
+déjeuner.</p>
+
+<p>Zéribet Ahmed est un village muré, placé sur une petite
+élévation. Il n’a pas de palmiers, et la petite saguia qui passe
+devant le village est à sec parce que Liana en absorbe toute
+l’eau<a id="FNanchor_158"></a><a href="#Footnote_158" class=
+"fnanchor">[158]</a>. Les habitants ont voulu réclamer contre une
+mesure qui leur ôte leurs récoltes, leur seule ressource bien
+sûre&nbsp;; mais il est probable que dans les années pluvieuses,
+l’eau de l’oued arrive jusque chez eux. Ils boivent actuellement à
+un puits situé vers le sud-ouest du village, à une certaine
+distance. Il y avait au pied des murs trois ou quatre tentes de
+Nemēmcha. Les habitants sortirent pour reconnaître les nouveaux
+venus, mais je ne voulus pas m’arrêter chez eux&nbsp;; les quatre
+Negarniya<a id="FNanchor_159"></a><a href="#Footnote_159" class=
+"fnanchor">[159]</a> me quittèrent ici, et laissant les chameaux
+suivre de leur pas, je partis en avant pour arriver le plus tôt
+possible.</p>
+
+<p>A moitié route, mon guide me montra sur la gauche «&nbsp;les
+ruines d’un village qui fut détruit par un scorpion&nbsp;». Ce
+village malheureux était bâti dans le même genre que Zéribet Ahmed,
+et a dû être encore moins considérable.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_104">[104]</span>J’arrivai enfin
+à Zéribet el Ouad, nous touchâmes d’abord l’oued, dans lequel sont
+plantés les palmiers&nbsp;; puis, le descendant un peu, nous le
+coupâmes en face de la ville, au moment où nous touchions à la
+goubba de Sidi-Hassen, marabout célèbre dans le pays. Nous
+traversâmes la petite rivière qui coule au fond du thalweg, et
+entrâmes en ville par quelques minces jardins. Je trouvai chez El
+Arbi, le mamelouk italien<a id="FNanchor_160"></a><a href=
+"#Footnote_160" class="fnanchor">[160]</a>, le meilleur accueil, et
+décidai aussitôt que je profiterais de son départ pour aller à
+Biskra cette nuit.</p>
+
+<p class="datesect">10 avril.</p>
+
+<p>Hier au soir, nous sommes partis à 9 heures et demie&nbsp;; nous
+avons voyagé toute la nuit par le vent et le froid, et ce matin je
+suis arrivé avant El Arbi que je laisse à Sidi’Okba. Je déjeune
+avec le colonel, qui donne par le télégraphe la nouvelle de mon
+arrivée à Constantine.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp1c07">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_134"></a><a href="#FNanchor_134"><span class=
+"label">[134]</span></a>Le <i>Cardium edule fossile</i> se trouve
+représenté dans les chotts tunisiens par deux formes
+principales&nbsp;: la forme actuelle méditerranéenne, et la forme
+saumâtre des étangs de la Barre, de Lavalduc, de la Caspienne, etc.
+(Dru, in <em>Rapport Roudaire sur la dern. expéd. des chotts</em>,
+p. 55).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_135"></a><a href="#FNanchor_135"><span class=
+"label">[135]</span></a>Le chott El-Rharsa.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_136"></a><a href="#FNanchor_136"><span class=
+"label">[136]</span></a>Il y a donc peut-être quelque exagération à
+dire avec Tissot que Duveyrier «&nbsp;représente ces ruines comme
+celles d’une <em>grande</em> ville&nbsp;». (Ouv. cité, II, p.
+682.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_137"></a><a href="#FNanchor_137"><span class=
+"label">[137]</span></a>C’est la chaîne occidentale de Gafsa ou
+Djebel Blidji, qui renferme une partie des gisements de phosphate
+découverts en 1885 par M. Ph. Thomas.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_138"></a><a href="#FNanchor_138"><span class=
+"label">[138]</span></a>L’oued Alenda, ou oued Tamerza.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_139"></a><a href="#FNanchor_139"><span class=
+"label">[139]</span></a>Voir la coupe N.-S. de M. Thomas de Midas
+au Rharsa&nbsp;: il y a là deux anticlinaux démantelés du crétacé
+supérieur, flanqués l’un et l’autre des deux côtés par les couches
+redressées de l’éocène inférieur.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_140"></a><a href="#FNanchor_140"><span class=
+"label">[140]</span></a>Sur le plus septentrional des deux
+anticlinaux précités.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_141"></a><a href="#FNanchor_141"><span class=
+"label">[141]</span></a>C’est la bordure sud du plateau des
+Nemencha, plus connue sous le nom de Djebel Ong. (Cf. Blayac,
+<em>Le pays des Nememcha</em>, <em>Annales de Géographie</em> 1899,
+p. 149 et suiv.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_142"></a><a href="#FNanchor_142"><span class=
+"label">[142]</span></a>Le coucher du soleil.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_143"></a><a href="#FNanchor_143"><span class=
+"label">[143]</span></a><em>Ad Majores</em>, Cf. Baudot, <em>Rec.
+des notices et mémoires de la Soc. archéol. de Constantine</em>,
+1876, p. 124 et suiv.&nbsp;; Masqueray, <em>Revue Africaine</em>,
+1879, p. 65 et suiv.&nbsp;; Tissot, II, p. 530, etc.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_144"></a><a href="#FNanchor_144"><span class=
+"label">[144]</span></a>Djebel Majour (Blayac, art. cité).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_145"></a><a href="#FNanchor_145"><span class=
+"label">[145]</span></a>Masqueray l’attribue à la fin du
+<span class="sc2">IV</span><sup>e</sup> siècle.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_146"></a><a href="#FNanchor_146"><span class=
+"label">[146]</span></a>Cf. la lecture légèrement différente de
+Baudot reproduite, dans Tissot, II, p. 533 et <em>C. I. L.</em>,
+VIII, 2480.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_147"></a><a href="#FNanchor_147"><span class=
+"label">[147]</span></a>Cf. Tissot, II, p. 531, et Masqueray, p.
+75-76.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_148"></a><a href="#FNanchor_148"><span class=
+"label">[148]</span></a>Ce dessin n’a pas été retrouvé. Duveyrier
+le porte déjà manquant dans une table manuscrite de 1869.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_149"></a><a href="#FNanchor_149"><span class=
+"label">[149]</span></a>Voir la lecture plus complète dans Tissot,
+II, p. 531.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_150"></a><a href="#FNanchor_150"><span class=
+"label">[150]</span></a>Cf. les textes de Tissot, II, p. 534 et de
+Masqueray.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_151"></a><a href="#FNanchor_151"><span class=
+"label">[151]</span></a>Il ne faut pas oublier toutefois que les
+<em>castella</em>, qui permettaient aux colons du Sud de
+communiquer avec le Nord par les gorges de l’oued Hallaïl, sont
+perchés comme les villages indigènes (Blayac, art. cité, p.
+158).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_152"></a><a href="#FNanchor_152"><span class=
+"label">[152]</span></a>Négrīn était ainsi considérée comme la
+dernière oasis du Djérid, Ferkān comme la première du Zab.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_153"></a><a href="#FNanchor_153"><span class=
+"label">[153]</span></a>Oued Kesrane, la rivière de Négrīn.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_154"></a><a href="#FNanchor_154"><span class=
+"label">[154]</span></a>Plaine de Mdila et Djebel Sidi-Abîd.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_155"></a><a href="#FNanchor_155"><span class=
+"label">[155]</span></a>Nom plus connu au singulier&nbsp;: El
+Faïdh.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_156"></a><a href="#FNanchor_156"><span class=
+"label">[156]</span></a>Veut dire sans doute qu’elles ne sont pas
+salées.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_157"></a><a href="#FNanchor_157"><span class=
+"label">[157]</span></a>On a supprimé ici une phrase
+incompréhensible. Duveyrier était évidemment sous le coup de sa
+récente indisposition, et cette partie de son journal s’en
+ressent.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_158"></a><a href="#FNanchor_158"><span class=
+"label">[158]</span></a>D’après la coutume, Liana a droit à deux
+tiers du volume d’eau de l’oued el Arab. Le tiers restant doit être
+réparti entre les oasis d’El Ksar, Badès, El Djadi et Zéribet
+Ahmed. (Féliu, <em>Le régime des eaux dans le Sahara de
+Constantine</em>. Blida, 1896, p. 90-92.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_159"></a><a href="#FNanchor_159"><span class=
+"label">[159]</span></a>«&nbsp;Gens de Négrīn.&nbsp;»</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_160"></a><a href="#FNanchor_160"><span class=
+"label">[160]</span></a>Appelé aussi El Arbi Mamelouk. C’était un
+maréchal des logis d’origine piémontaise, qui, élevé en musulman,
+était entré au titre indigène au 3<sup>e</sup> spahis. Il rendit à
+Zéribet de bons services, fut nommé lieutenant, puis caïd des
+Beni-Salah, dont il empêcha la révolte en 1871, ce qui le désigna
+au général de Lacroix pour le caïdat du Souf, lorsque ce groupe
+d’oasis fut distrait du caïdat de Tougourt. Il fut assassiné en
+1873, peut-être à l’instigation du marabout de Temacine,
+Si-Maammar, celui même que Duveyrier soupçonna toujours d’avoir
+encouragé le meurtre de Dournaux-Dupéré. Duveyrier, dans ses
+lettres, parla toujours d’El Arbi avec la plus grande estime.
+«&nbsp;Sa mort, écrivait-il en 1873, est un malheur pour la paix du
+Sahara.&nbsp;»</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2><span class="pagenum" id="Page_105">[105]</span><a id=
+"p2"></a>DEUXIÈME PARTIE</h2>
+
+<hr class="decor width6 spaced2">
+
+<h3 class="nopb"><a id="p2c01"></a>CHAPITRE PREMIER</h3>
+
+<p class="sch">DANS L’OUED-RIGH</p>
+
+<p class="datesect">Le 28 mai 1860.</p>
+
+<div class="box-float-right">
+<div class="figfloat">
+<figure id="i12" class="iw7"><a href="images/i12.jpg"><img src=
+'images/i12.jpg' alt=''></a>
+<p class="cp3">Inscription arabe du tombeau de Sidi’Okba.</p>
+</figure>
+</div>
+</div>
+
+<p>Je quittai Biskra et me rendis à Sidi’Okba. La mosquée de
+Sidi’Okba est assez vaste et élevée&nbsp;; on y voit une grande
+porte en bois sculpté qui était autrefois garnie d’argent, dit la
+tradition&nbsp;; elle ne sert plus maintenant, du moins elle était
+fermée pendant ma visite, et on entre dans le temple par une petite
+porte qui donne d’abord dans la chambre aux ablutions où l’on voit
+plusieurs bassins allongés qui ont l’air de sarcophages romains. Le
+tombeau de Sidi’Okba est dans la mosquée et se compose d’une
+chambre dont je n’ai vu que les murs extérieurs. Sur un des côtés
+de la porte on voit une inscription coufique en relief sur une
+bande de terre cuite et formant une ligne écrite de bas en haut, on
+y lit&nbsp;:</p>
+
+<p class="nind">au-dessus de la porte même est une autre
+inscription ancienne aussi&nbsp;; elle est sculptée en relief sur
+une planche de bois coloriée. Dans la ville on voit de temps à
+autre des pierres romaines encastrées dans les murs.</p>
+
+<p>Le jardin du kaïd seul possède des orangers et des
+citronniers.</p>
+
+<p class="datesect">Le 29 mai.</p>
+
+<p>Je pars pour Zéribet el Ouad. La route traverse d’abord les
+immenses terrains de labours de Sidi’Okba. Tous les grains sont
+coupés, je ne vois plus<span class="pagenum" id=
+"Page_106">[106]</span> qu’un petit champ où l’on fait la moisson.
+Ensuite on entre dans une succession de plaines séparées par les
+rivières à sec&nbsp;; tout ce pays est d’excellente terre
+labourable, il n’y manque que de l’eau, et la seule végétation
+actuelle est limitée à quelques rares touffes de <em>guetaf</em>,
+de tamarix, etc. Nous voyons du mirage à l’horizon devant nous et
+sur la droite. Ces terres végétales sont des alluvions apportées de
+la montagne. Nous voyons à droite l’oasis d’Aïn Naga, à une petite
+distance. Enfin j’arrive à Zéribet vers 3 heures et demie du soir,
+par une très grande chaleur, le vent a soufflé toute la journée en
+sirocco.</p>
+
+<p class="datesect">Le 30 mai.</p>
+
+<p>Zéribet el Ouad peut avoir 1.500 âmes&nbsp;; il y a un
+détachement de 45 spahis commandés par mon ami El Arbi. La rivière
+sur laquelle la ville est bâtie s’appelle Ouad el’Arāb&nbsp;; il
+suffit qu’elle ait deux crues par an pour que les habitants de la
+contrée puissent arroser non seulement leurs labours autour de la
+ville, mais encore ceux de la plaine d’El Faïdh, et alors les
+récoltes sont d’une richesse dont on n’a pas d’idée, mais depuis
+que la sécurité règne dans la montagne, les Chaouia ont fait sans
+cesse de nouveaux barrages à mesure que leurs cultures augmentent
+et l’eau devient de plus en plus rare à Zéribet el Ouad. La
+dernière crue a eu lieu au milieu de l’automne dernier, et depuis
+lors il y a toujours eu de l’eau dans l’ouad dans les trous et
+dépressions du lit. Dans ces trous vivent des barbeaux dont
+quelques-uns atteignent un pied de longueur&nbsp;; ils ont une
+couleur plus pâle et plus jaunâtre que les autres barbeaux de ce
+pays, ce qui fit croire aux spahis français que ce n’était pas un
+poisson de cette espèce.</p>
+
+<p>Les jardins de palmiers, qui sont en petit nombre, sont arrosés
+par des puits à bascule comme au Souf<a id=
+"FNanchor_161"></a><a href="#Footnote_161" class=
+"fnanchor">[161]</a>&nbsp;; ces puits, creusés dans le lit de la
+rivière, ont très peu de profondeur. Celui du jardin d’El Arbi
+avait une température de 22°,0 à une profondeur de 3<sup>m</sup>,75
+dans l’après-midi. El Arbi cultive dans son jardin qu’il a établi
+depuis quelques mois seulement des légumes français pour montrer
+l’exemple aux indigènes&nbsp;: pommes de terre, haricots, choux,
+laitue, luzerne, carotte, navets, et tout est venu très bien dans
+la terre d’alluvion qui a reçu les semences.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_107">[107]</span>Il n’y a pas de
+puces à Sidi’Okba ni à Zéribet, à cette époque du moins.</p>
+
+<p class="datesect">Le 31 mai.</p>
+
+<p>Nous partons, El Arbi et moi, avec une dizaine de spahis et,
+laissant le bagage derrière, nous voyageons rapidement à travers
+une plaine unie, de terre végétale, et à peine parsemée çà et là de
+touffes de <em>guetaf</em> et de tamarix. Nous avons toujours à
+notre droite l’oued el Arab à une distance variable.</p>
+
+<p>Nous arrivons de bonne heure à El Faïdh et nous arrêtons à une
+petite baraque auprès du puits artésien inachevé, et recouvert en
+ce moment par une grossière maçonnerie. Nous ne trouvons ici que
+quelques tentes d’Arabes qui gardent les puits, mais il y a deux
+villages tout près de là&nbsp;: Beled Oulad Bou Hadîdja et Beled
+Oulad’Amer, du nom de deux tribus autrefois en querelles
+continuelles, mais qui, depuis la domination française, sont
+forcées, comme tant d’autres, à vivre en paix. Ces villages ne sont
+habités que pendant l’hiver, ou, s’ils le sont aussi pendant l’été,
+c’est que l’oued el Arab a coulé deux fois dans l’année, ce qui a
+rendu possible les magnifiques labours dans les plaines d’El Faïdh.
+Dans ces grandes occasions, on mêle du sable aux grains de blé et
+d’orge pour qu’ils ne tombent pas trop près les uns des autres. Le
+puits artésien, qui est déjà à 130 mètres de profondeur<a id=
+"FNanchor_162"></a><a href="#Footnote_162" class=
+"fnanchor">[162]</a> et qui jusqu’à présent n’a rendu que des
+terres semblables à celle du sol ou différentes seulement par une
+plus grande proportion d’argile, donnerait une fertilité certaine à
+ces terres qui ne sont plus arrosées maintenant que rarement, car
+les montagnards, depuis que la sécurité règne dans leur pays, ont
+construit des quantités de barrages nouveaux qui absorbent les
+petites crues. Il y a longtemps que l’eau de la rivière n’est
+parvenue à El Faïdh&nbsp;; la dernière crue date du milieu de
+l’automne dernier.</p>
+
+<p>Autrefois il y avait des plantations de palmiers à El Faïdh.
+Aujourd’hui il ne reste plus qu’un seul dattier comme témoin de ce
+fait. Ils ont été coupés dans une querelle de tribu.</p>
+
+<p>L’eau que l’on boit à El Faïdh est bonne, elle est tirée des
+oglas<span class="pagenum" id="Page_108">[108]</span> creusées dans
+le lit à sec de la rivière, lequel est entouré de tamaris.</p>
+
+<p>La faune de ce pays est remarquable à deux points de vue&nbsp;:
+d’abord, il y a de nombreux sangliers, dont les coups de boutoir
+sont visibles au pied de presque toutes les touffes de
+broussailles. Ensuite, le serpent des jongleurs égyptiens existe
+aussi ici, le mâle est appelé <span class="arabic">ثعبان</span>, la
+femelle <span class="arabic">نعجة</span>, à moins que ce ne soient
+deux espèces différentes. Cette espèce atteint presque 2 mètres de
+long et la grosseur de la cuisse (?) elle est de couleur noire, et
+lorsqu’elle est en colère, se lève sur la queue et se promène en
+étalant la peau de son cou en éventail. M. Hénon en a vu une morte
+que El Arbi lui a envoyée.</p>
+
+<p>La végétation est, je crois, de <em>guetaf</em>.</p>
+
+<p class="datesect">Le 1<sup>er</sup> juin.</p>
+
+<p>El Arbi m’avait déjà quitté la veille au soir, mais il m’avait
+laissé ses spahis. Nous partîmes de bonne heure, et en arrivant aux
+<em>oglas</em>, mon sacré Brahim qui n’a jamais brillé jusqu’ici
+que comme pilier de café, ménage si mal le chameau des cantines que
+les deux caisses sont jetées à terre. Heureusement rien n’est
+cassé, mais cet événement fait oublier à mes serviteurs de prendre
+de l’eau, et nous voilà partis pour faire deux lieues dans le
+Sahara sans trouver d’eau. Aussi dès que je m’aperçois de leur
+oubli, je pars en avant à cheval avec un des serviteurs du kaïd qui
+me servait de guide.</p>
+
+<p>Nous traversons une plaine appelées Farfaria, à sol de terre
+labourable tout boursouflé dans lequel les chevaux enfoncent
+beaucoup. La végétation est excessivement rare&nbsp;; par endroits
+elle est nulle. Elle se compose de tamaris formant des buissons sur
+le bord des rivières à sec qui se trouvent ici près du chott en
+très grand nombre, de <em>guetaf</em> plus rare et enfin de
+<em>jell</em> et de <em>Bou ’akerich</em><a id=
+"FNanchor_163"></a><a href="#Footnote_163" class=
+"fnanchor">[163]</a>. Le pays est d’une grande uniformité&nbsp;;
+plus on approche de Sidi Mohammed Moussa, plus on rencontre de
+plaques d’efflorescences salines. Enfin lorsqu’on arrive à ce
+bosquet de palmiers, le sol est devenu <em>heïcha</em>, la
+végétation est plus dure, et se compose des mêmes espèces
+qu’avant.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_109">[109]</span>En arrivant à
+Sidi Mohammed Moussa, nous croyions trouver de l’eau potable, mais
+celle que nous trouvâmes était trop salée pour être bue. Il y a là
+une mosquée assez grande entourée de quelques petites
+maisons&nbsp;; le village était abandonné ainsi que quelques
+petites huttes en branches d’arbres semées dans les jardins. Les
+petites plantations assez clairsemées, inégalement distribuées et
+peu importantes, sont remplies de tourterelles. Nous apprîmes plus
+tard que personne ne pouvait plus habiter cet endroit depuis que
+l’eau était devenue si salée et si amère.</p>
+
+<p>Après nous être reposés un instant, nous continuâmes notre route
+et ne tardâmes pas à arriver à El-Haouch, village bâti sur le côté
+d’un fort beau bois de palmiers. Les habitants d’El-Haouch étaient
+tous dans la forêt de Saada où ils avaient semé des céréales cet
+hiver. Ils sont obligés d’émigrer ainsi à quelque distance du
+village toutes les années où la rivière ne leur apporte pas l’eau
+nécessaire pour qu’ils puissent labourer autour de leur village.
+Nous ne trouvâmes donc que les gardiens des maisons et très peu de
+ressources alimentaires&nbsp;; on me laissa la mosquée pour
+habitation et je m’y installai de mon mieux. Les chameaux
+n’arrivèrent que vers 3 heures. J’avais envoyé de l’eau à leur
+rencontre. J’achetai une poule 1 franc&nbsp;; et Ahmed et moi nous
+tirâmes quelques tourterelles dans les jardins. L’eau d’El-Haouch
+est très mauvaise.</p>
+
+<p class="datesect">2 juin.</p>
+
+<p>J’avais envoyé dès mon arrivée quelqu’un au cheik d’El-Haouch à
+Saada, et il m’envoya dans la nuit un cavalier et un piéton pour me
+conduire à Merhayyer (la Changée).</p>
+
+<p>Nous voyageons aujourd’hui dans une plaine couverte de sable ou
+de gravier, où souvent des affleurements de calcaire blanc se font
+jour. Le relief de cette plaine est assez accidenté on y voit
+presque toujours des <em>drâ</em> ou lignes de hauteurs à
+l’horizon. La végétation est assez fournie&nbsp;: d’abord elle se
+compose de <em>zeita</em>, de <em>jell</em> et d’<em>isrif</em>,
+puis enfin de <em>drin</em>, de <em>zeita</em> et de
+<em>greyna</em>. Dans la première partie de la route nous voyons
+sur la gauche de petites buttes qui indiquent l’emplacement d’un
+ancien <em>qsar</em> appelé Djeneyyen <span class=
+"arabic">جنين</span> (le petit jardin). Il y avait autrefois des
+sources d’eau douce dans cet endroit&nbsp;; mais elles sont
+devenues<span class="pagenum" id="Page_110">[110]</span> salées et
+alors on a abandonné les lieux. Il ne reste de la <em>ghâba</em>
+que quelques palmiers-broussailles.</p>
+
+<p>Nous arrivons à l’oued Itel par une très grande chaleur. Cet
+endroit s’appelle Sētīl&nbsp;; on y trouve des oglas ou trous peu
+profonds ayant un peu d’eau au fond. Cette eau était autrefois
+renommée comme très bonne. El Arbi en partant m’avait dit&nbsp;:
+«&nbsp;Vous retrouverez là l’eau de Mengoūb et de Zerig ech
+Chaaba.&nbsp;» Or dans le meilleur trou l’eau était verdâtre,
+lourde et avait un goût salé amer très désagréable. L’oued Itel
+n’est ici qu’une petite dépression large d’une centaine de mètres,
+garnie de sable et de gravier, mais sans berge. Son lit est couvert
+de tamaris. Il y a quelques jours qu’un campement de Toroūd était
+ici&nbsp;; ils ont émigré à Bir el Asli dans le Sahara de
+Tinedla.</p>
+
+<p class="datesect">Dimanche 3 juin.</p>
+
+<p>En quittant Setīl on continue jusqu’au Dhahâr<a id=
+"FNanchor_164"></a><a href="#Footnote_164" class=
+"fnanchor">[164]</a> la plaine de même conformation que celle
+d’hier. La végétation est composée de <em>retem</em>,
+d’<em>isrif</em>, de <em>methennan</em> et de <em>guerch</em>. Au
+Dhahâr, qui est le talus formé par une plaine supérieure qui cesse
+tout d’un coup pour faire place à une plaine plus basse, je trouvai
+dans les berges la même terre rougeâtre sableuse que l’on retrouve
+autour du qsar de Merhayyer.</p>
+
+<p>Ici commence l’oued Righ naturel<a id=
+"FNanchor_165"></a><a href="#Footnote_165" class=
+"fnanchor">[165]</a>, le chott Melghigh n’est plus qu’à une petite
+distance sur la gauche. On en longe même le bord pendant quelque
+temps. A partir de là commence un sol ou <em>heicha</em>
+boursouflé, souvent couvert d’efflorescences de sel, et caractérisé
+par une autre végétation&nbsp;: <em>zeita</em>, <em>greyna</em>,
+<em>ghardeg</em> (?), etc. A moitié chemin entre Merhayyer et Setil
+se voient sur le chott les premières taches de palmiers, celle de
+Merouān&nbsp;; à partir de là elles se succèdent presque sans
+relâche&nbsp;; à droite on voit quelques <em>cherias</em> ou
+bosquets de palmiers nourris par une source. Enfin on arrive aux
+deux petites oasis d’Ourir et de Nesigha, qui se touchent presque.
+A Ourir il n’y a jamais eu de <em>qsar</em>, mais il y a une
+mosquée&nbsp;; à Nesigha, au contraire, il y en avait un
+autrefois.</p>
+
+<p>Nous arrivons enfin à Merhayyer. Le soir, je vais voir une
+noce<span class="pagenum" id="Page_111">[111]</span> de Rouāgha.
+C’est certainement fort curieux. La fête a lieu lorsque la chaleur
+du jour a passé et continue jusqu’au <em>maghreb</em>. Sept jours
+de suite elle se prolonge. Sur la place de la ville viennent
+prendre place les jeunes gens qui cherchent une épouse ou une amie
+(?) et ils s’asseyent sur les bancs de terre situés aux abords des
+maisons. Ils ont mis leurs plus beaux burnous et d’énormes chachias
+sous leur haïk qui est lui-même attaché par une énorme
+<em>berima</em>. Vient ensuite le <em>maâllem</em> ou maître de
+musique, qui est aussi fort beau et qui ouvre le concert par un air
+de flageolet&nbsp;; il a pour acolytes deux timbales <span class=
+"arabic">طبل</span> et la musique commence pour ne plus changer sur
+un ton lent saccadé. C’est alors que viennent les jeunes filles de
+la ville deux à deux, trois à trois, toujours les amies ensemble.
+Elles marchent lentement, par petits pas, infligeant à leur corps
+une cadence, une ondulation presque imperceptible qui commence aux
+pieds et finit à la tête. Elles marchent les yeux pudiquement
+baissés&nbsp;; vêtues de leurs plus beaux vêtements, ayant au
+milieu de leur coiffure multicolore de petits rameaux de tamaris.
+Elles se tiennent par la main&nbsp;; les avant-bras levés vers leur
+tête pour montrer aux jeunes hommes leurs mains teintes de henné.
+Tantôt elles suivent le <em>maâllem</em> qui ne dédaigne pas de
+battre de temps en temps des entrechats devant elles, et ensuite de
+sautiller accroupi devant un autre groupe qui recule alors
+lentement. Le <em>maâllem</em> et un acolyte me distinguant avec le
+cheikh et Ahmed vint s’agenouiller à quelques pas de moi et me fit
+l’honneur d’un concert à mon intention&nbsp;; je déboursai un
+franc, ce qui lui donna des forces considérables. Plusieurs des
+groupes de statues firent des détours pour se faire admirer de plus
+près par Si Saad et vinrent passer lentement devant moi. C’étaient
+surtout les plus grandes. Il y avait de toutes petites filles.
+Enfin un groupe attira mon attention parce que chacune des
+demoiselles qui le composaient avait un fichu de soie jeté sur la
+figure. C’étaient les mariées&nbsp;; il y en avait trois.</p>
+
+<p class="datesect">4 juin.</p>
+
+<p>Le cheikh de Merhayer prétend que sa ville est plus élevée que
+Tougourt, mais tout le monde est de l’avis contraire.</p>
+
+<p>Nesigha avait autrefois une <em>dechera</em>&nbsp;; mais cette
+<em>dechera</em> se dépeupla peu à peu, les habitants moururent et
+sous le règne du<span class="pagenum" id="Page_112">[112]</span>
+cheikh Brahim la dernière famille émigra à Merhayyer. C’est une
+vieille femme de cette famille qui a émigré elle-même et qui me
+raconte ce fait. Elle me donne beaucoup d’autres renseignements
+curieux. La <em>dechera</em> de Nezigha ne fut jamais bien grande.
+Ourīr a une mosquée dédiée à Sidi Mokhfi qui était Righi<a id=
+"FNanchor_166"></a><a href="#Footnote_166" class=
+"fnanchor">[166]</a>. Merhayyer est très ancienne, quoique fondée
+sous les musulmans&nbsp;; la Zaouiya de Sidi Embārek Sāim, de
+même&nbsp;; elle fut bâtie quarante ans après la fondation de la
+ville. Ce marabout était un chérif arabe venu de loin. C’est depuis
+le règne du cheikh Hamed que la langue arabe a prévalu dans les
+villages du Ras el Ouad, et qu’elle a remplacé le Righi.</p>
+
+<p>Voici la liste des cheikhs de Tougourt<a id=
+"FNanchor_167"></a><a href="#Footnote_167" class=
+"fnanchor">[167]</a>&nbsp;:</p>
+
+<div class="quote">
+<p>Sidi Mohammed ben Yahiya, marabout arabe nayli, régna quarante
+ans&nbsp;; son règne fut un règne doux.</p>
+
+<p>Cheikh Hamed, fonda la dynastie des Beni-Djellab, famille aussi
+arabe, qui, dit-on, descend des Mérinides. Ce fut un bon souverain
+ainsi que cheikh Brahim.</p>
+
+<p>El-Khāzen ne régna que trois à quatre mois.</p>
+
+<p>Cheikh Brahim régna de treize à quatorze ans.</p>
+
+<p>Cheikh Mohammed régna longtemps, eut pour fils les trois
+souverains suivants&nbsp;:</p>
+
+<p>Cheikh ’Amor vient au trône deux ans avant la prise
+d’Alger&nbsp;;</p>
+
+<p>Cheikh Brahim régna quatre ou cinq ans.</p>
+
+<p>Cheikh ’Ali régna quatre ou cinq ans.</p>
+
+<p>Cheikh Ben Abd er Rahman régna onze ans.</p>
+
+<p>Cheikh Selman régna trois mois et fut chassé par les Français au
+mois de novembre 1854.</p>
+</div>
+
+<p>Les Mehadjeriya de Tougourt tirent leur origine, me dit-on ici,
+d’un juif apostat qui vint à Tougourt, déjà musulman, sous
+l’ancienne dynastie (Sidi Mohammed ben Yahiya). Cette indication
+est fausse<a id="FNanchor_168"></a><a href="#Footnote_168" class=
+"fnanchor">[168]</a>.</p>
+
+<p>La vieille femme me dit d’elle-même ces paroles singulièrement
+curieuses&nbsp;: <span class="arabic">احناڢم باب الوصڢان</span>,
+c’est-à-dire qu’elle reconnaît elle-même que les Rouagha forment
+(ou formaient) la limite septentrionale du pays des nègres.</p>
+
+<p>Les deux ou trois palmiers isolés au sud-ouest de
+Merhayyer,<span class="pagenum" id="Page_113">[113]</span> séparés
+du fossé par un petit <em>dra’</em>, indiquent l’emplacement d’une
+<em>dechera</em> appelée El-Gharbi, dont les habitants possédaient
+une partie des palmiers de Merhayyer. Les deux villes étaient
+ennemies l’une de l’autre. El-Gharbi succomba dans la lutte et ses
+habitants, chassés du village, furent se réfugier dans le Nefzāoua,
+au Djérid et une faible partie entra à Merhayyer.</p>
+
+<p>Voici les noms de tribus de Merhayyer&nbsp;: Oulad Hassen, —
+Oulad Imen, — Oulad Mouça, — Oulad Bou ’Ali, — Oulad Djabou qui
+étaient autrefois à El-Gharbi, — Er-Riāb, arabes habitant 2 à 3
+maisons. Les Arabes de l’Oued-Righ sont Selmiya, Rahmān, Oulad
+Moulet. Ces derniers ont une centaine de tentes&nbsp;; les deux
+autres tribus sont beaucoup plus fortes. Les tribus de Nesigha
+étaient&nbsp;: O. Sidi Mohammed ben ’Aiça, O. el Gharib, O. el
+Hāchi. Ils étaient tous Rouāgha et comptaient une vingtaine de
+maisons.</p>
+
+<p>Je m’enquiers des maladies de l’Oued-Righ, du moins de celles
+qui sont le plus communes à Merhayyer.</p>
+
+<div class="quote">
+<p>Ophtalmie, peu. — Maux de tête, beaucoup. — Fièvres
+pernicieuses, peu. — Douleurs&nbsp;: on dit qu’elles proviennent du
+travail. — Syphilis, très peu. — Phtisie, peu, on n’en meurt pas.
+La plupart des morts viennent des fièvres.</p>
+</div>
+
+<p>L’oasis de Merhayyer compte huit sources coulant encore. Une
+forte et sept petites. Elles ont 84 à 90 <em>dra</em> (42 à 45 m.)
+de profondeur<a id="FNanchor_169"></a><a href="#Footnote_169"
+class="fnanchor">[169]</a>&nbsp;; les unes sont douces, les autres
+sont salées&nbsp;; la plus forte source est salée. — Ourīr et
+Nesigha ont chacun une source. — Les palmiers broussailles de
+Tamidount et de Merouān ne sont pas arrosés&nbsp;; ils donnent de
+petites dattes que mangent les chacals et les gazelles.</p>
+
+<div class="quote">
+<p>Sources artésiennes&nbsp;: ’Aïn Mellāḥa, eau assez bonne,
+température 24°,2&nbsp;; profondeur d’après la tradition,
+42<sup>m</sup>,5. — ’Ain Baṭṭāḥ-boum, température 24°,5&nbsp;;
+profondeur, 42 mètres.</p>
+</div>
+
+<p>Le nombre des palmiers de Merhayyer, de Nesigha, d’Ourīr et de
+Dendoūga s’élève à 25 ou 26.000&nbsp;; mais ce chiffre doit
+probablement subir une correction notable en augmentation, de même
+que ceux que je donnerai pour l’Oued-Righ. Les cheikhs qui les ont
+comptés, croyant que le chiffre qu’ils donneraient devait servir de
+base à un impôt, ont naturellement indiqué le moins possible.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_114">[114]</span>Dendoūga, dans
+le chott Melghigh, possède une <em>dechera</em> abandonnée&nbsp;;
+elle avait autrefois une population de Selmiya et de Fouānīs
+(Rouāgha)&nbsp;; il y avait environ 15 maisons. Dendoūga possède
+une source et Choucha aussi.</p>
+
+<p>Parmi les Rouāgha, les blancs et les noirs sont considérés comme
+au même niveau&nbsp;; il n’y a pas d’idée de noblesse attachée à la
+blancheur de la peau. Dans l’hypothèse probable de l’homogénéité
+primitive d’une race noire dans l’Oued-Righ et le Nefzāoua, race
+successivement modifiée par l’élément berbère et par l’élément
+arabe, ce serait dans les mélanges de ces trois races qu’il
+faudrait chercher l’explication des nuances de couleur, puisque les
+traits restent toujours les mêmes, et donnent quelquefois le
+singulier spectacle de nègres et de négresses presque blancs. A
+Sidi Khelil, à Merhayyer on ne fait pas de «&nbsp;ghēchem&nbsp;» ou
+vin de palmier.</p>
+
+<p>Autrefois les Beni-Djellab demandaient au cheikh de Merhayyer
+100 ou 130 réals torbāga (de Tunis) et à la ville 250 réals
+torbāga. Le cheikh Mohammed demandait autrefois 500 réals, mais les
+Français diminuèrent l’impôt comme ci-dessus sous les derniers
+Beni-Djellab. Aujourd’hui il n’y a à Merhayyer que les Oulad Hassen
+qui paient tribut à la France parce qu’ils n’ont pas voulu accepter
+notre autorité dans l’origine. Leur redevance monte à 156 douros. —
+Nesigha paie 31 douros et Dendoūga 44. En tout 1.155 francs. A Oumm
+et Tiour les habitants sont Selmiya. A Chegga, ce sont des
+Chorfā.</p>
+
+<p>A Merhayyer on cultive de l’orge dans de petits carrés entourés
+de petits murs en terre, on laboure à la pioche (?). Du blé, il n’y
+en a que très peu. Tout le travail des Rouāgha est
+l’agriculture.</p>
+
+<p>A Djenéyyen il y a beaucoup de sangliers. Il y a deux ans, un de
+ces animaux s’est égaré jusqu’à Merhayyer.</p>
+
+<p>A Merhayyer la plupart des hommes n’ont qu’une femme&nbsp;; 25
+hommes seulement en ont deux et un seul ménage en a trois. Les
+ménages ont deux enfants en moyenne&nbsp;; jamais plus de cinq.</p>
+
+<p>Il n’y a pas de poissons dans les eaux de Merhayyer <em>parce
+qu’elles ne forment pas de «&nbsp;bahar<a id=
+"FNanchor_170"></a><a href="#Footnote_170" class=
+"fnanchor">[170]</a>&nbsp;»</em>.</p>
+
+<p>Voici la liste des espèces de dattes qui se trouvent dans
+l’oasis&nbsp;:</p>
+
+<div class="quote">
+<p><span class="pagenum" id="Page_115">[115]</span>El-Ghers, Degla
+(principales). — Degel. — El’Ammāri. — Deglet Noūr. — Tīndjouhert.
+— El Itīma. — Zintebouch. — Tīsīnīn. — El’Adjīna. — Bou Khennoūs. —
+Hamrāt el Kāïd. — Kouttich ed Degla (du Zāb). — Tīfziouīn. — El
+Kenta. — ’Abd el ’Azzàz. — El Kesebba. — Dhofor el Goṭṭ. — Degla
+Morhoss. — Bou ’Aroūs.</p>
+</div>
+
+<p>L’Oued-Righ compte 44 villages, dont 3 sont abandonnés.</p>
+
+<p class="datesect">5 juin.</p>
+
+<p>Nous partons de Merhayyer&nbsp;; je ne puis plus y rester,
+quoique le ciel ne m’ait pas encore permis de faire hier même une
+simple observation de latitude.</p>
+
+<p>Nous arrivons à Sidi Khelil de bonne heure. Ce village est,
+comme Merhayyer, entouré d’un fossé d’eau, dans lequel je vois des
+poissons, quoique l’eau soit couleur d’urine de vache. Sidi Khelil
+a 50 maisons et 9 sources d’eau coulante, quoique d’un faible
+débit. C’est un marabout qui a bâti ce village auquel il a donné
+son nom. Le nombre de palmiers de Sidi Khelil est à celui de
+Merhayyer dans le rapport de 2-3. — L’eau de cette oasis est
+peut-être un peu moins bonne que celle de Merhayyer, mais elle est
+cependant très buvable. — A l’ouest de Sidi Khelil, contiguë à la
+ville, on trouve une grande mare dans laquelle je vois des
+négrillons du pays prendre leurs ébats. Il y a deux tribus à Sidi
+Khelil<a id="FNanchor_171"></a><a href="#Footnote_171" class=
+"fnanchor">[171]</a>, les Oulad Zaïr et les Zerāib Selimān.</p>
+
+<p>Je vais coucher à Tinedla. Tinedla n’a que peu
+d’importance&nbsp;; il n’y a qu’une quinzaine d’hommes adultes,
+environ 3.000 palmiers arrosés par 7 sources. Elle ne paie pas de
+tribut. — El-Bārĕd, près de Tinedla, ne compte que 8 hommes, 2.000
+palmiers et une seule source. L’odeur des marais est écœurante. Le
+soir, je vois planer au-dessus du village un crapaud volant.</p>
+
+<p class="datesect">6 juin.</p>
+
+<p>Je pars de Tinedla, et j’arrive de très bonne heure à Ourhlāna.
+Je trouve ici M. Zickel, lieutenant d’artillerie, avec qui j’avais
+fait connaissance à la table du bon commandant Robbe à Batna. Il
+commande ici la brigade des forages artésiens. Le puits qu’on a
+entrepris est déjà très avancé&nbsp;; il a 53<sup>m</sup>,89&nbsp;;
+la température de l’eau dans un intervalle du travail est de 24°,1
+(th. 303 de Salleron). Je me démunis de mon anéroïde et d’un
+thermomètre Salleron<span class="pagenum" id=
+"Page_116">[116]</span> n<sup>o</sup> 303 pour que M. Zickel puisse
+faire des observations. M. Zickel a un fonds d’instruction générale
+qui manquait à mon pauvre ami Lehaut.</p>
+
+<p>Ourhlāna a 2.000 palmiers arrosés par 5 sources
+principales&nbsp;; la population du village est de 200 hommes et de
+180 femmes. Je passe la <em>gaïla</em> ici et je vais coucher à
+Sidi Rāched. A Ourhlāna, le puits donnait déjà une source notable,
+qui n’était venue que la veille. J’eus le curieux spectacle de voir
+les Rouāgha travailler aux saguias au son de la musique. Ils ont, à
+ce qu’il paraît, égorgé un chevreau sur l’orifice du puits.</p>
+
+<p>Nous avons passé les deux <em>Tamernas</em>. — Tamerna Djedida a
+100 hommes adultes. Les palmiers sont arrosés par 2 sources.</p>
+
+<p class="datesect">7-11 juin.</p>
+
+<p>Je vais à Tougourt. Je vois, en passant, les ruines de la
+curieuse mosquée de Tāla, ville puissante que détruisirent les
+Beni-Djellāb.</p>
+
+<p>Le cheikh Bou Chĕmal de Nezla, l’un des hommes les plus nobles
+de l’Oued-Righ et un ancien ami et conseiller des Beni-Djellāb, me
+donne les renseignements suivants.</p>
+
+<p>Autrefois les Beni-Mezāb occupaient Tougourt et Ghamra, voire
+même Temassīn<a id="FNanchor_172"></a><a href="#Footnote_172"
+class="fnanchor">[172]</a>.</p>
+
+<p>Les Beni-Djellāb, lorsqu’ils furent chassés par les Français,
+avaient régné 550 ans. ’Omar ben Qetla (Ben-Djellāb) fut celui qui
+fit apostasier les Juifs aujourd’hui Medjehariya. Il avait une
+maîtresse juive nommée Hokāya&nbsp;; celle-ci lui dit un
+jour&nbsp;: «&nbsp;Si tu veux convertir les Juifs, il faut attendre
+que leurs palmiers (car ils en possédaient) aient des dattes<a id=
+"FNanchor_173"></a><a href="#Footnote_173" class=
+"fnanchor">[173]</a> et les menacer de les chasser comme les
+Beni-Mezāb et de les dépouiller de leurs biens, s’ils ne passent
+pas à l’islamisme.&nbsp;» Ben Qetla suivit ce conseil, et, après 5
+jours de réflexion, les Juifs se convertirent<a id=
+"FNanchor_174"></a><a href="#Footnote_174" class=
+"fnanchor">[174]</a>.</p>
+
+<p>Sidi Mohammed ben Yahiya et Sidi Serr Allah, du temps de la
+Djemāa avant les Beni-Djellāb, sont les deux marabouts qui
+chassèrent les Beni-Mezāb.</p>
+
+<p>Les Beni-Djellāb avaient des mœurs très légères&nbsp;; on
+connaît<span class="pagenum" id="Page_117">[117]</span> l’amour des
+liqueurs fortes des derniers souverains de la dynastie. — Près de
+Tougourt se trouve une jolie goubba à deux coupoles appelée Dār
+Nedjma, qui fut le tombeau d’un des fidèles partisans du premier
+souverain qui se faisait passer pour marabout. Plus tard les
+Beni-Djellāb avaient là une jolie chambre, et y donnaient des
+rendez-vous aux plus belles femmes des plus nobles familles de
+Tougourt, qui y venaient sous prétexte de pèlerinage.</p>
+
+<table class="tless" id="t117">
+<tr>
+<td class="tdl hang1">L’impôt annuel de l’Oued-Righ et du Souf
+s’élève à</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr-bot">80.000</td>
+<td>fr.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Les dépenses de l’Oued-Righ et du Souf
+sont&nbsp;:</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang2">Traitement du caïd et des cheiks</td>
+<td class="tdr-bot">26.660</td>
+<td class="tdl-bot">fr.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang2">Cavalerie (Khialas) du caïd</td>
+<td class="tdr-bot">46.800</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang2">Tirailleurs indigènes à Tougourt</td>
+<td class="tdr-bot">42.000</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang2">Poste</td>
+<td class="tdr-bot">10.800</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="pad4 sect1">Total des dépenses</td>
+<td class="tdr-bot bt sect1">126.260</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr-bot sect1">126.260</td>
+<td class="tdl-bot sect1">fr.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="pad4 sect1">Excès des dépenses sur les recettes</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr-bot bt sect1">46.260</td>
+<td class="tdl-bot sect1">fr.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Le capitaine Cannat a fait compter les palmiers de l’Oued-Righ
+par les cheikhs de chaque village, ce qui est un très mauvais
+moyen&nbsp;; il a obtenu le chiffre de 400.000 palmiers. Plus tard,
+il compta lui-même à Meggarîn les palmiers et en trouva 2.000 de
+plus dans cette petite oasis. Le lieutenant Auer a calculé le
+nombre des palmiers de Tougourt. Il a compté réellement les arbres
+sur un petit espace et a ensuite fait la proportion sur la
+superficie de l’oasis basée sur son plan. — Il a obtenu 180.000
+palmiers, tandis que Cannat en avait seulement 85.000 par le calcul
+des cheikhs. En se basant sur la différence des données sur
+Tougourt d’Auer et de Cannat et en acceptant celle d’Auer comme
+bonne, on aurait 848.000 palmiers pour l’Oued-Righ. — Auer estime
+cependant le nombre à seulement 600.000 palmiers. El-Ouad, me dit
+le kaïd, a avec ’Amîch 60.000 palmiers. En admettant 600.000
+palmiers dans l’Oued-Righ et en faisant payer 0 fr. 20 par arbre,
+on aurait 120.000 francs par an, ce qui suffirait pour payer les
+dépenses quand on aura modifié le service des postes. — Le Souf
+donnerait du reste de quoi payer le surplus, 6.260 francs, et le
+gouvernement aurait encore un bon revenu en plus.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp2c01">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_161"></a><a href="#FNanchor_161"><span class=
+"label">[161]</span></a>Ils reçoivent aussi de l’eau de l’oued
+Guechtan, tributaire qui a son confluent à Zéribet el Ouad. (Féliu,
+p. 93.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_162"></a><a href="#FNanchor_162"><span class=
+"label">[162]</span></a>Il y a ici une légère erreur. Commencé le 6
+novembre 1857 par M. Jus, ce forage fut suspendu le 1<sup>er</sup>
+mars 1858 à une profondeur de 156 mètres, le matériel n’étant pas
+prévu pour des profondeurs plus grandes. (Ville, <em>Voyage
+d’exploration dans les bassins du Hodna et du Sahara</em>, p.
+268-270.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_163"></a><a href="#FNanchor_163"><span class=
+"label">[163]</span></a>Peut-être l’<em>akrecht</em> du catalogue
+Foureau (<i>Lithospermum callosum</i>).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_164"></a><a href="#FNanchor_164"><span class=
+"label">[164]</span></a>Appelé aussi Koudiat el Dor, le
+«&nbsp;mamelon du retour&nbsp;». Sur la légende attachée à ce nom,
+cf. Féraud, <em>Rev. Africaine</em>, 1879, p. 62.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_165"></a><a href="#FNanchor_165"><span class=
+"label">[165]</span></a>Car on doit y compter Oumm et Tiour, depuis
+que les puits artésiens y ont été forés (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_166"></a><a href="#FNanchor_166"><span class=
+"label">[166]</span></a>Righi (pluriel Rouagha)&nbsp;: habitant de
+l’Oued-Righ ou Oued-Rir.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_167"></a><a href="#FNanchor_167"><span class=
+"label">[167]</span></a>Cf. le <em>Kitab-el-Adouani</em>, traduct.
+Ch. Féraud, <em>Recueil Soc. archéol. de Constantine</em>, 1868, et
+le mémoire du même auteur&nbsp;: <em>Les Ben-Djellab, sultans de
+Tougourt</em>, <em>Revue Africaine</em>, 1879-1880.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_168"></a><a href="#FNanchor_168"><span class=
+"label">[168]</span></a>A noter que le <em>Kitab-el-Adouani</em>
+assigne une origine juive aux premiers ksour de l’Oued-Rir.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_169"></a><a href="#FNanchor_169"><span class=
+"label">[169]</span></a>Ville, qui a mesuré lui-même en 1861 quatre
+de ces puits indigènes, leur a trouvé une profondeur de 27 à 30
+mètres, et ne croit pas qu’ils aient dépassé 42 mètres à l’origine.
+(<em>Voyage d’exploration</em>, etc., p. 331).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_170"></a><a href="#FNanchor_170"><span class=
+"label">[170]</span></a><em>Bahar</em> (pluriel
+<em>behour</em>)&nbsp;: petits bassins plus ou moins circulaires,
+remplis par une nappe d’eau ascendante.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_171"></a><a href="#FNanchor_171"><span class=
+"label">[171]</span></a>J’ai quelques doutes si ces tribus
+appartiennent à S. Khelil ou à Tinedla, ce serait peut-être à la
+dernière ville (????) (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_172"></a><a href="#FNanchor_172"><span class=
+"label">[172]</span></a>Confirmé entre autres par Ibn-Khaldoun, qui
+écrivait au <span class="sc2">XIV</span><sup>e</sup> siècle que les
+Azzaba (ancêtres des Mzabites) étaient en majorité parmi les
+hérétiques de Tougourt (<em>Hist. des Berbères</em>, traduct. de
+Slane, III, p. 278). — La principale mosquée de la ville s’appelle
+aujourd’hui encore Djama-el-Azzabiya.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_173"></a><a href="#FNanchor_173"><span class=
+"label">[173]</span></a>Ces palmiers étaient à un endroit appelé
+aujourd’hui Khalouā (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_174"></a><a href="#FNanchor_174"><span class=
+"label">[174]</span></a>Cf. une deuxième tradition dans Féraud
+(<em>Rev. Africaine</em> 1879, p. 354 et suiv.).</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_118">[118]</span><a id=
+"p2c02"></a>CHAPITRE II</h3>
+
+<p class="sch">AU SOUF</p>
+
+<p class="datesect">12 juin.</p>
+
+<p>Je n’ai quitté Tougourt qu’après midi, et je suis parti à cheval
+avec un spahi bleu qui ne savait pas le chemin. Après avoir
+traversé la Chemorra, nous sommes entrés immédiatement dans les
+sables, alternant de dunes à de simples ondulations. D’abord ces
+sables, comme tous ceux qui avoisinent les lieux habités, n’ont
+aucune végétation. Plus loin nous vîmes des oueds bien garnis de
+végétation et nous arrivâmes au puits Mouïa Rebah qui ne contenait
+alors que très peu d’eau et qui avait déjà une mauvaise odeur. De
+là nous allâmes à Hassi Embārek au commencement de hautes dunes,
+que nous traversâmes sans cesse pour arriver à Taibāt et Guebliā.
+Nous trouvâmes à ce dernier puits de petits camps d’Oulad Seih.</p>
+
+<p>J’arrivai à la nuit tombante à Taibāt qui est une petite
+bourgade au milieu des dunes. Elle est bâtie à la mode du Souf. Les
+maisons ont de petits murs en chaux et pierre à plâtre et les
+chambres sont surmontées de petits dômes. On voit ici le tombeau
+d’un cheikh et une mosquée. Les habitants sont des Oulad
+Seih&nbsp;; les palmiers sont plantés comme au Souf.</p>
+
+<p class="datesect">13 juin.</p>
+
+<p>Nous sommes partis avec le bagage et avons traversé pendant
+longtemps une zone de dunes très difficiles, surtout pour des
+chameaux du Tell comme sont les miens. D’abord nous avions
+rencontré des jardins qui portent le nom de Khobna. Notre marche
+est très lente, et nous nous arrêtons pour passer la <em>gaïla</em>
+au puits de Dhemerini dont l’eau est assez bonne. De là nous ne
+partons<span class="pagenum" id="Page_119">[119]</span> que tard, à
+cause du sirocco qui m’a indisposé et nous allons coucher au Kétif,
+la plus haute dune de sable de cette région.</p>
+
+<p class="datesect">14 juin.</p>
+
+<p>Nous sommes partis de bon matin, tous ensemble&nbsp;; mais Ahmed
+et moi nous prenons le devant sur nos chevaux, ayant un guide à
+pied. Après une bonne marche, nous arrivons au puits des Haouād
+Tounsi&nbsp;; puis nous ne quittons plus les dunes jusqu’à El-Ouad.
+J’ai déjà passé à Haouād Tounsi en allant à Ouarglā. Je trouvai le
+kaïd qui me reçut très bien.</p>
+
+<p>J’apprends qu’un «&nbsp;rhezi&nbsp;» de Toroud avec quelques
+Touaregs de Cheikh Othman sont partis pour aller razzier des tribus
+arabes de la Tripolitaine ou de la Tunisie. (Ceci est intéressant.
+Voir au Djébel le résultat.) Le Cheikh Othman était ici il y a peu
+de temps&nbsp;; il se disposait à aller à Ghadāmès pour
+s’entretenir avec Ikhenoukhen qui est campé près de là, au sujet
+d’un différend qui s’est élevé entre leurs tribus. J’espère donc,
+une fois de plus, pouvoir aller avec lui.</p>
+
+<p>Je cause longtemps avec un Ghadamsi qui s’en retourne chez lui.
+Il est parti de Ghadamès au milieu du ramadan&nbsp;; on lui a dit
+qu’il devait venir un Français et un Anglais. Le Français, c’est
+moi sans doute.</p>
+
+<p class="datesect">15 juin.</p>
+
+<p>Ahmed est tombé malade de fièvres la nuit dernière. Je passe une
+partie de la journée à le médicamenter&nbsp;; il est d’une
+faiblesse extraordinaire contre la maladie, lui qui ne craint rien
+d’ordinaire. Il dit à qui veut l’entendre qu’il est perdu.
+Cependant, le soir, il peut déjà se promener. Sa femme lui en a
+tant dit, qu’il vient me déclarer qu’il ne peut pas voyager cet
+été&nbsp;; mais le soir le kaïd lui parle devant les
+<em>mechaikh</em>, et le décide à revenir sur cette idée.</p>
+
+<p>Je fais causer un homme des Ghorībi, tribu arabe du Nefzāoua,
+qui ont quelques palmiers à El-Ouad, et qui ne vont pas l’été avec
+les Oulad Yagoub dont ils sont plutôt les ennemis.</p>
+
+<p>Les Arabes du Nefzāoua sont les Oulad Yagoub, les Ghorīb, les
+Merāzīg et les Solaā. — Les Ghorīb qui possèdent la ville de Sabrīa
+se divisent en</p>
+
+<table class="tless bd-collapse padded1" id="t120a">
+<tr>
+<td rowspan="11">Ghorīb</td>
+<td class="blt width-brace1">
+</td>
+<td rowspan="5">Sabria.</td>
+<td class="blt width-brace1">
+</td>
+<td><span class="pagenum" id="Page_120">[120]</span>Bidhan.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>Chebib.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>Fodhély.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>Rehamla.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>Keraima.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>El-Ghenaim.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>Djerarda.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>Touamer.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>O. ’Ali.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>O. Nouiser.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>El-Gherisiyin.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Sabria est à un long jour de Kebilli et à cinq jours
+d’El-Ouad&nbsp;; ses puits sont comme ceux du Souf, de même que ses
+<span class="arabic">غدران</span> établis dans les sables. Voici la
+liste des puits du Sahara des Ghorīb&nbsp;: le pays où ils sont
+creusés est par 120° de Nefzāoua.</p>
+
+<table class="tless bd-collapse padded05" id="t120b">
+<tr>
+<td>Bir Djedid à</td>
+<td>3</td>
+<td colspan="3">jours de Kebilli&nbsp;; à</td>
+<td>5</td>
+<td colspan="3">jours d’El-Ouad.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>El-’Ogla</td>
+<td>4</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td colspan="2" class="tdc">—</td>
+<td>5</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td colspan="2">—</td>
+<td class="brt width-brace1">
+</td>
+<td rowspan="3">près les uns des autres.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td colspan="3">El-Oudey (el Merhotta) à</td>
+<td>2</td>
+<td colspan="3">jours de Kebilli&nbsp;; à</td>
+<td>5</td>
+<td>jours d’El-Ouad.</td>
+<td class="liner">
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>El-Hiadh</td>
+<td colspan="2" class="tdc">—</td>
+<td>2½</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>4</td>
+<td class="tdc word-spaced14">— —</td>
+<td class="brb">
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Moui Sefar</td>
+<td colspan="2" class="tdc">—</td>
+<td>4</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>3</td>
+<td class="tdc word-spaced14">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>El-Gounna</td>
+<td colspan="2" class="tdc">—</td>
+<td>2</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>5</td>
+<td class="tdc word-spaced14">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Moui Dhô</td>
+<td colspan="2" class="tdc">—</td>
+<td>2½</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>4½</td>
+<td class="tdc word-spaced14">— —</td>
+<td class="brt">
+</td>
+<td rowspan="3">près les uns des autres.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>El-Beskri</td>
+<td colspan="2" class="tdc">—</td>
+<td>2</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>5</td>
+<td class="tdc word-spaced14">— —</td>
+<td class="liner">
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>El-Mahrouga</td>
+<td colspan="2" class="tdc">—</td>
+<td>2</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>5</td>
+<td class="tdc word-spaced14">— —</td>
+<td class="brb">
+</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Le puits le plus à la <em>guibla</em><a id=
+"FNanchor_175"></a><a href="#Footnote_175" class=
+"fnanchor">[175]</a> est celui de El-Oudey el-Merhotta.</p>
+
+<p>Je donne la permission à Ahmed de vendre son cheval et sa
+selle.</p>
+
+<p class="datesect">16 juin.</p>
+
+<p>J’avais résolu d’aller voir ’Amich qui commence près d’El-Ouad
+et se prolonge vers la <em>guibla</em> d’une longueur dépassant un
+peu la distance de Kouïnin&nbsp;; mais j’ai abandonné mon
+projet&nbsp;; je crains que la promenade ne vaille pas la fatigue
+qu’elle doit coûter par la chaleur que nous avons. J’ai employé mon
+dernier jour ici à prendre des renseignements commerciaux.</p>
+
+<h4><em>Notes sur le commerce d’El-Ouad.</em>
+</h4>
+
+<p>Le commerce d’El-Ouad suit quatre directions principales et il
+est curieux de noter qu’aucune d’elles ne se dirige vers
+nos<span class="pagenum" id="Page_121">[121]</span> possessions.
+Biskra, et peut-être Tebessa, Tougourt aussi ont, il est vrai, des
+relations avec le Souf (El-Ouad), mais le commerce qui en est la
+base est bien languissant, et est en grande partie réservé aux
+villes de Souf, Gomar, Kouïnin et Ezgoum.</p>
+
+<p>Les quatre canaux principaux du commerce d’El-Ouad sont&nbsp;:
+1<sup>o</sup> Tunis&nbsp;; 2<sup>o</sup> le Djérid&nbsp;;
+3<sup>o</sup> Gabès&nbsp;; 4<sup>o</sup> Ghadāmès. — C’est par
+cette dernière ville qu’ont lieu des transactions avec Rhat et le
+Soudan. — A ces quatre emporiums on pourrait ajouter Ouarglā.</p>
+
+<p>Voici les prix courants à El-Ouad des marchandises venant de
+Tunis, et qui, pour peu qu’ils entrent dans le rayon des produits
+de fabrique, sont tous anglais ou maltais&nbsp;:</p>
+
+<p class="center space-above15 space-below1"><em>Prix
+courant&nbsp;:</em>
+</p>
+
+<table class="tless padded1" id="t121">
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Cotonnades de Malte, pièces de
+22<sup>m</sup>,5 à 23<sup>m</sup>,5 de longueur&nbsp;; marque, une
+ancre et un dauphin enchevêtrés et au-dessous
+«&nbsp;Patent&nbsp;»</td>
+<td class="tdr-bot">9</td>
+<td class="tdl-bot">fr.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Amberguiz ou madapolam, pièces de
+37<sup>m</sup>,5</td>
+<td class="tdr-bot">17</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Cotonnades bleues de Malte, pièces de
+35<sup>m</sup> de long sur 1<sup>m</sup> de large</td>
+<td class="tdr-bot">16</td>
+<td class="tdl-bot">50</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Calottes rouges<a id=
+"FNanchor_176"></a><a href="#Footnote_176" class=
+"fnanchor">[176]</a> tunisiennes, 1 paquet de 6, 1<sup>re</sup>
+qualité</td>
+<td class="tdr-bot">30</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Soie non travaillée, blanche ou teinte,
+1<sup>re</sup> qualité, 1/2 kil.</td>
+<td class="tdr-bot">20</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class=
+"word-spaced12">&nbsp;—&nbsp;</span> <span class=
+"word-spaced12">&nbsp;—&nbsp;</span> qualité inférieure, 1/2
+kil.</td>
+<td class="tdr-bot">10</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Fusils de Tunis à pierre, l’un</td>
+<td class="tdr-bot">30</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Foulards de coton teints (anglais&nbsp;?), la
+douzaine</td>
+<td class="tdr-bot">6</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Foulards de soie noirs ou rouges, la
+douzaine</td>
+<td class="tdr-bot">25</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Mousseline grossière,<a id=
+"FNanchor_177"></a><a href="#Footnote_177" class=
+"fnanchor">[177]</a> la pièce de 22<sup>m</sup>,5</td>
+<td class="tdr-bot">7</td>
+<td class="tdl-bot">50</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Essence de roses, 1<sup>re</sup> qualité, 1
+mithcal<a id="FNanchor_178"></a><a href="#Footnote_178" class=
+"fnanchor">[178]</a> ou 6 fioles</td>
+<td class="tdr-bot">5</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class=
+"word-spaced12">&nbsp;—&nbsp;</span> 2<sup>e</sup> qualité, une
+oukiya<a id="FNanchor_179"></a><a href="#Footnote_179" class=
+"fnanchor">[179]</a></td>
+<td class="tdr-bot">2</td>
+<td class="tdl-bot">50</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Civette,<a id="FNanchor_180"></a><a href=
+"#Footnote_180" class="fnanchor">[180]</a> l’oukiya</td>
+<td class="tdr-bot">12</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Musc, l’oukiya</td>
+<td class="tdr-bot">65</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Papier blanc écolier, les 500 feuilles</td>
+<td class="tdr-bot">5</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Cassonade (belle qualité), le 1/2 kil.</td>
+<td class="tdr-bot">»</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Corail, gros grains (beau corail),
+l’oukiya</td>
+<td class="tdr-bot">10</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Alun blanc, les 50 kil.</td>
+<td class="tdr-bot">33</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">El-Mabroūka, racine, remède contre la
+syphilis, le 1/2 kil.<a id="FNanchor_181"></a><a href=
+"#Footnote_181" class="fnanchor">[181]</a></td>
+<td class="tdr-bot">3</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Boîtes à parfums en bois. 5 boîtes les unes
+dans les autres</td>
+<td class="tdr-bot">1</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Quant au commerce avec le Djérid, il repose presque
+exclusivement<span class="pagenum" id="Page_122">[122]</span> sur
+les tissus fins de laine et de soie de ce pays. A El-Ouad, voilà
+les prix moyens des différents vêtements djéridis&nbsp;:</p>
+
+<ul class="simple1">
+<li>Burnous non cousus, de 20 fr. à 22 fr. 50 et 25 francs.</li>
+
+<li>Haïks de laine, de 22 fr. 50 à 25 et 30 francs.</li>
+
+<li>Haïks de laine et soie, de 65 fr. à 70 et 75 francs.</li>
+</ul>
+
+<p>C’est-à-dire que, pour les haïks djéridis, on peut en avoir
+depuis 22 fr. 50 jusqu’à 75 fr. Ces mêmes burnous qui sont vendu 20
+fr. à El-Ouad ont été achetés pour 17 fr. 50 au Djérid. Ceux de 25
+fr. ont coûté 22 fr. 50. Les haïks sont vendus à El-Ouad pour 10
+francs de plus qu’ils ont coûté au Djérid. Le prix du louage d’un
+chameau d’El-Ouad à Tozer est de 12 francs en moyenne. En hiver de
+10 francs&nbsp;; en été il va jusqu’à 15 francs.</p>
+
+<p>De Gabès on n’apporte guère que deux produits, mais ils sont de
+nature à fixer l’attention, car tous les deux sont employés dans
+l’industrie européenne.</p>
+
+<table class="tless padded1" id="t122a">
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Le henné, que l’on me dit meilleur que celui
+du Zāb, se vend ici</td>
+<td class="tdr-bot">»</td>
+<td class="tdl-bot">50</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">La garance, les 50 kil.</td>
+<td class="tdr-bot">»</td>
+<td class="tdl-bot">40</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Ghadāmès envoie à El-Ouad des produits d’une nature toute
+spéciale.</p>
+
+<table class="tless padded1" id="t122b">
+<tr>
+<td colspan="2" class="tdl hang1">Pièces de cotonnade bleue
+fabriquée au Soudan<a id="FNanchor_182"></a><a href="#Footnote_182"
+class="fnanchor">[182]</a>, longueur 4 mètres&nbsp;; se vend au
+détail dans des boutiques à 4 fr. le mètre&nbsp;; en gros on les
+vend à leur arrivée de Ghadāmès à</td>
+<td class="tdr-bot">10</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Troūnia,<a id="FNanchor_183"></a><a href=
+"#Footnote_183" class="fnanchor">[183]</a> les 50 kil.</td>
+<td class="width4">
+</td>
+<td class="tdr-bot">50</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Peaux de chèvres ou de moutons tannées et
+rouges, chaque</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr-bot">3</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Civette, meilleure que celle de Tunis, 1
+oukiya</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr-bot">30</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Alun, les 50 kil.</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr-bot">33</td>
+<td class="tdl-bot">30</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Or&nbsp;: 1<sup>o</sup> en poudre,<a id=
+"FNanchor_184"></a><a href="#Footnote_184" class=
+"fnanchor">[184]</a> en moyenne le mithcal</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr-bot">11</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class=
+"word-spaced2">&nbsp;—&nbsp;</span> 2<sup>o</sup> en objets
+travaillés<a id="FNanchor_185"></a><a href="#Footnote_185" class=
+"fnanchor">[185]</a>, le mithcal</td>
+<td colspan="2" class="tdr-bot">9 fr. 50 à 10</td>
+<td class="tdl-bot">»</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>Ce sont les prix de Ghadāmès&nbsp;; exceptionnellement il se
+trouve, comme à présent, que les marchands de Ghadāmès, par suite
+de l’encombrement du marché, n’ont aucun profit, perdent même à
+El-Ouad.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_123">[123]</span>Prix du
+transport d’une charge de chameau&nbsp;:</p>
+
+<table class="tless bd-collapse" id="t123a">
+<tr>
+<th>
+</th>
+<th>
+</th>
+<th class="tdl pad1"><span class="small">FRANCS</span>
+</th>
+</tr>
+
+<tr>
+<td rowspan="2">D’El-Ouad à Tunis</td>
+<td class="blt width-brace1">
+</td>
+<td>80 en été.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>40 en hiver.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td rowspan="2"><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> au
+Djérid</td>
+<td class="blt">
+</td>
+<td>15 à 17.50 en été.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>10 à 12 en hiver.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Gabès</td>
+<td>
+</td>
+<td>10 en hiver.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> au
+Nefzāoua</td>
+<td>
+</td>
+<td>15 <span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span></td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Biskra</td>
+<td>
+</td>
+<td>15 <span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span></td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td rowspan="2"><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à
+Ghadāmès</td>
+<td class="blt">
+</td>
+<td>40 en été.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>25 ou 30 fr. seulement en hiver.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Ouārgla</td>
+<td>
+</td>
+<td>20 en hiver.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> au Mezâb</td>
+<td>
+</td>
+<td>25 <span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span></td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Tebessa</td>
+<td>
+</td>
+<td>22 50 <span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span></td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>De Ghadāmès à Tripoli</td>
+<td>
+</td>
+<td>24 <span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span></td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced12">&nbsp;—&nbsp;</span> à Rhat</td>
+<td>
+</td>
+<td>64 en été.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<table class="tless padded1" id="t123b">
+<tr>
+<td class="tdl hang1">1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de henné coûte
+à Gabès</td>
+<td class="tdl-bot">53 fr.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de garance vaut
+à Gabès</td>
+<td class="tdl-bot">33 50</td>
+</tr>
+</table>
+
+<table class="tless bd-collapse" id="t123c">
+<tr>
+<td>D’El-Oued à Tunis</td>
+<td class="tdr">13</td>
+<td class="tdc pad1">jours de caravane.</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Nafta</td>
+<td class="tdr">4</td>
+<td class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Gabès</td>
+<td class="tdr">9</td>
+<td class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> au
+Nefzāoua</td>
+<td class="tdr">6</td>
+<td class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Biskra</td>
+<td class="tdr">5</td>
+<td class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Ghadāmès</td>
+<td class="tdr">14</td>
+<td class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Ouārgla</td>
+<td class="tdr">9</td>
+<td class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à Tebessa</td>
+<td class="tdr">7</td>
+<td class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td>
+</td>
+<td>par Négrīn.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td rowspan="4"><span class="word-spaced8">&nbsp;—&nbsp;</span> à
+Guerara</td>
+<td rowspan="4" class="tdr">9</td>
+<td rowspan="4" class="tdc word-spaced10">— —</td>
+<td class="blt width-brace1">
+</td>
+<td>d’El-Ouad à Temassin 3 j.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>Temassīn à Belidet Amar 1 j.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="linel">
+</td>
+<td>Belidet à Hadjira 2 jours.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>Hadjira à Guerara 3 jours.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="datesect">17 juin.</p>
+
+<p>J’ai le plaisir de voir Ahmed se remettre tout à fait
+aujourd’hui. Je lui laisse beaucoup de commissions&nbsp;; il me
+rejoindra à Tougourt. Dans l’après-midi je pars. J’ai trois
+domestiques à part Ahmed. Nous voyageons d’El-Ouad à Ezgoum à
+travers des dunes où l’on ne trouverait pas un seul brin de
+végétation. Il fait beaucoup de vent&nbsp;; le paysage est très
+uniforme, mais n’en est pas moins remarquable.</p>
+
+<p>J’arrive à Ezgoum où je retrouve quelques-uns de mes anciens
+compagnons de voyage du Djérid, qui ont maintenant honte de leur
+manque de courage pendant la route. Ezgoum est très bien bâti,
+c’est sous ce rapport la première ville du Souf. Les maisons sont
+assez élevées quoique sans étage supérieur&nbsp;; les
+rues<span class="pagenum" id="Page_124">[124]</span> sont bien
+alignées. Les maisons sont surmontées de nombreuses petites
+coupoles<a id="FNanchor_186"></a><a href="#Footnote_186" class=
+"fnanchor">[186]</a> au sommet desquelles, comme aussi sur les murs
+qui les relient, on a distribué des pommeaux en maçonnerie d’un
+très joli effet. La ville m’a paru très propre. Les habitants sont
+plus civilisés que le reste des Souafa&nbsp;; ils ont pompé la
+civilisation à Tunis et aussi ont tâché d’en introduire chez eux ce
+qu’ils pouvaient. Leur cuisine d’apparat par exemple est
+tunisienne. Ils ont aussi pris de Tunis une grande sévérité
+extérieure de mœurs, du moins à ce qu’on me dit.</p>
+
+<div class="figcenter iw2">
+<figure id="i13"><a href="images/i13.jpg"><img src='images/i13.jpg'
+alt='[Illustration]'></a>
+</figure>
+</div>
+
+<p>La ville d’Ezgoum<a id="FNanchor_187"></a><a href=
+"#Footnote_187" class="fnanchor">[187]</a> compte maintenant 14
+générations. La ville la plus ancienne de Souf est Taghzoūt&nbsp;;
+la plus moderne, El-Ouad excepté, est Gomār. Lorsqu’on a fondé
+Ezgoūm, il n’y avait aux environs que fort peu de sables, et pas de
+dunes comme à présent&nbsp;; ainsi, encore en 1813, lorsque l’on
+bâtit le minaret de la mosquée (il a 9 mètres de hauteur), on
+pouvait voir de son sommet les feux d’El-Ouad qui à cette époque ne
+comptait guère que des huttes de palmes (<em>zeraīb</em>), et l’on
+apercevait aussi du bois enflammé quand on en transportait pour
+allumer un feu de Gomār à Taghzoūt. Inutile de dire qu’aujourd’hui
+ce serait impossible.</p>
+
+<p>Autrefois, dans l’Ouad Jardaniya qui est un peu au nord de
+Sidi’Aoūn, il y avait des labours arrosés par des sources. On
+voit<span class="pagenum" id="Page_125">[125]</span> encore
+aujourd’hui, me dit-on, les traces des <em>saguias</em>. On trouve
+aux environs des terrains de <em>sebkha</em> comme dans
+l’Oued-Righ.</p>
+
+<p>L’historien du Souf Cheikh el’Adouâni était d’Ezgoum&nbsp;;
+c’était, m’assure-t-on, un saint homme. Il faisait sa prière du
+matin avec la <em>djema’a</em> et celle du <em>dhahor</em> à Bagdad
+en Syrie.</p>
+
+<p>La population des villes soufīa (excepté El-Ouad) se compose
+aujourd’hui exclusivement de Toroūd et d’Adouān. Ezgoum est dans ce
+cas. Dans les villes du Souf les Adouāns dominent. A El-Ouad et
+ʿAmich il n’y a que des Toroūd. Les premiers habitants du Souf à
+’Amīch et Hassikhalifa furent des Zenāta<a id=
+"FNanchor_188"></a><a href="#Footnote_188" class=
+"fnanchor">[188]</a> païens (ou chrétiens&nbsp;?), ensuite vinrent
+les ’Adouān et puis les Toroud. Ezgoum possède une jolie
+<em>goubba</em> élancée, dédiée à Sidi Abd-el-Kader.</p>
+
+<p>Les vents du nord-est dominent en été dans le Souf&nbsp;; ces
+vents, unis aux siroccos du sud-est, sont la cause du progrès des
+dunes vers l’ouest. Leur force et peut-être leur fréquence doivent
+surpasser celles des vents du nord-ouest de l’hiver.</p>
+
+<p>Je suis piqué, le soir, deux fois au bras par un gros scorpion
+qui s’était introduit entre mon bras et ma chemise. Il sort par le
+cou de la gandoura. Je fais de petites fissures sur les piqûres et
+j’y applique de l’alcool camphré. Mon bras cependant reste engourdi
+un instant.</p>
+
+<p class="datesect">18 juin.</p>
+
+<p>J’arrive de bonne heure à Gomār, après avoir traversé une zone
+de sables dénudée, absolument semblable à celle qui sépare El-Ouad
+d’Ezgoum. Je trouve que le qadhi a tenu sa promesse et m’apporte
+une copie de Cheikh el’Adouāni&nbsp;; cependant je dois noter ici
+que le qadhi et même Si Mohammed el’Aïd déclarent que ce livre
+contient avec du vrai beaucoup de fantaisie. Il faudra débrouiller
+cela.</p>
+
+<p>Le kaïd arrive d’El-Ouad dans la matinée, nous allons ensemble
+chez le marabout Si Mohammed el’Aïd que nous trouvons dans une
+maison assez belle, mais couché sur un lit déchiré et vêtu d’un
+haïk à peine propre. Cette fois, le marabout se montre très poli et
+daigne causer avec nous de mille et un sujets. Il a reçu les
+lettres du général et toutes celles que je lui ai
+apportées.<span class="pagenum" id="Page_126">[126]</span> Il me
+promet tout son concours&nbsp;; en somme, je suis content de cette
+entrevue. Nous déjeunons là&nbsp;; on nous apporte, en fait de
+friandises, du concombre frais et une pastèque verte, mais
+mangeable.</p>
+
+<p class="datesect">Le 19 juin.</p>
+
+<p>Je fais une visite à Si Mohammed el’Aïd qui me donne son
+<em>ouerd</em> et qui me remet différentes lettres pour les Touareg
+Cheikh Othman et Cheikh Ikhenoukhen. Le marabout cause d’une
+manière très aimable comme hier. Il veut me faire son mokaddem à
+Paris.</p>
+
+<p>J’ai oublié de noter que pour le commerce d’El-Ouad la monnaie
+de compte est le réal <em>bou cherchour</em>, équivalant à 1 fr.
+35. Il vaut à Tunis deux réals tounsi dits <em>nehas</em>. On le
+divise en quarts «&nbsp;<em>rouba’</em>&nbsp;» ou en huitièmes
+«&nbsp;<em>themen</em>&nbsp;». Un réal a 94 <em>nasri</em>.</p>
+
+<p>Je visite les puits de Gomar, et j’en choisis 4.</p>
+
+<table class="tless" id="t126">
+<tr>
+<td>Bir Talat Chriaa’</td>
+<td>Prof.</td>
+<td>6<sup>m</sup>,75</td>
+<td>Temp.</td>
+<td>21°,05</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bir Sidi Abder Rahman,</td>
+<td>
+</td>
+<td>6<sup>m</sup>,66</td>
+<td>
+</td>
+<td>21°,70</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bir Djama’ el gharbi,</td>
+<td>
+</td>
+<td>6<sup>m</sup>,50</td>
+<td>
+</td>
+<td>21°,35</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bir Djama’ el Akhouān.</td>
+<td>
+</td>
+<td>6<sup>m</sup>,84</td>
+<td>
+</td>
+<td>21°,20</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>On m’apporte le soir un dîner fort peu convenable&nbsp;; je le
+fais envoyer au kaïd en le priant de m’y trouver un morceau de
+viande. Le kaïd frappe d’une amende de 200 francs le cheikh qui a
+apporté le dîner, et il m’envoie le sien avec d’excellente viande
+grasse.</p>
+
+<p class="datesect">Le 20 juin.</p>
+
+<p>Je suis parti aujourd’hui de Gomar. En passant devant les
+jardins, je remarquai deux arbres fruitiers&nbsp;: figuier et
+grenadier. On était en train d’arroser les plates-bandes. Nous
+voyageâmes d’abord à travers une région de sables, qui, comme
+toutes celles qui avoisinent les villes du Souf, est tout à fait
+dénudée. Puis nous revîmes la végétation, qui dans cette région
+consiste principalement en drin et alenda. Nous avons le sirocco
+toute la journée, mais nonobstant nous marchons bien&nbsp;; et nous
+campons un peu en deçà de Mouïa el Ferdjān.</p>
+
+<p class="datesect">21 juin.</p>
+
+<p>Nous nous mettons en route de très bonne heure et nous arrivons
+très vite à Mouïa el Ferdjān. A la <em>gaïla</em> j’ai le spectacle
+d’un ouragan très curieux quoique peu agréable. Toute la journée il
+a fait un<span class="pagenum" id="Page_127">[127]</span> sirocco
+violent. A 1<sup>h</sup>,20 du soir, le ciel s’est couvert&nbsp;;
+coups de vents terribles qui renversent deux fois ma tente&nbsp;;
+ces vents viennent du S.-S.-E. — 5<sup>mm</sup> de pluie
+d’orage&nbsp;; deux coups de tonnerre lointains. A
+1<sup>h</sup>,35, coups de tonnerre très haut au-dessus de
+nous&nbsp;; pas tout à fait au zénith (N.-O.), puis au N.-E., puis
+de l’horizon. A 2<sup>h</sup>,10, coups de vent épouvantables. Le
+vent chasse le sable de manière à me faire mal aux jambes. A
+2<sup>h</sup>,35, coups de tonnerre au zénith au N. et au N.-O.,
+ciel couvert, vent de N.-O. faible. Éclairs au N.</p>
+
+<p>En partant de l’endroit où nous avons fait la sieste (d’une
+singulière façon) nous atteignons vite une sorte de forêt ou de
+bois taillis appelé <em>zouitaya</em> du <em>zeïta</em>, <i>Statice
+monopetala</i><a id="FNanchor_189"></a><a href="#Footnote_189"
+class="fnanchor">[189]</a>, qui y est pour ainsi dire la seule
+plante dominante. Cela me rappelle les environs de Chegga du sud.
+Cette <em>zouïtaya</em> finit à l’Erg Meggarīn, où nous voyons,
+entre les dunes, des dépressions de sables humides, ce qui fait
+dire à mes Souāfa que c’est un «&nbsp;Erg toloūa&nbsp;»&nbsp;; on
+pourrait y planter, comme au Souf, des palmiers s’arrosant
+eux-mêmes par absorption.</p>
+
+<p>Nous arrivons à Meggarīn Djedid, où je laisse mon monde et je
+continue jusqu’à Tougourt avec le spahi bleu. A Tougourt au coucher
+du soleil, ciel embrasé d’un rouge sombre&nbsp;; air lourd, le soir
+pluie. Je trouve ici Auer malade et le caporal Dhem ayant manqué
+d’être emporté par les fièvres deux jours avant. Cependant tous
+vont un peu mieux. Abd Allah l’Allemand va aussi mieux.</p>
+
+<p class="datesect">Tougourt, du 22 juin au 1<sup>er</sup>
+juillet.</p>
+
+<p>Je fais un peu de photographie.</p>
+
+<p>J’essaye de faire un baromètre en passant par la délicate
+expérience de Torricelli. Je casse 4 tubes de verre en faisant
+bouillir le mercure, mais le 5<sup>e</sup> tube réussit et j’ai
+restauré ainsi mon n<sup>o</sup> 903 de Tonnelot.</p>
+
+<p>L’oasis de Tougourt est très vaste, elle possède environ 180.000
+palmiers, d’après une bonne évaluation faite par M. Auer. Ce
+chiffre représente les palmiers en rapport. Il y avait, il y a deux
+ans, 325 puits artésiens d’un débit plus ou moins fort dans toute
+l’oasis en comptant les palmiers appartenant aux villes de
+Tebesbest, Nezla, Sidi-Bou-Djenan, Beni-Souid, Zaouya Sidi
+el<span class="pagenum" id="Page_128">[128]</span> Abid, etc. Le
+nombre des puits tel que l’a donné M. Auer, il y a deux ans, n’a
+pas dû changer depuis, en comptant les puits qui ont tari et ceux
+qui ont été forés depuis, tant par les indigènes que par les
+sondages français.</p>
+
+<p>A 5 kilomètres de Tougourt au sud-sud-est se trouve un lac d’eau
+salée Merd-jādja qui a 1/2 kilomètre de long sur 200 mètres de
+large et une profondeur maximum de 45 mètres (Auer).</p>
+
+<p>Tout près de Nezla se trouve le tout petit village de
+Sidi-Mohammed ben Yahiya qui est le tombeau du marabout qui régna
+sur Tougourt avant les Beni-Djellāb.</p>
+
+<p>A l’extrémité sud de l’oasis se trouvent des prolongements de
+jardins qui ont actuellement dépassé les premières hauteurs de Bou
+Yerrō et qui, plantés de palmiers encore en broussaille et arrosés
+par des puits artésiens, donnent un bon témoignage de l’influence
+française sur l’oasis, car ils ont été commencés depuis la
+conquête. C’est le cheikh Bou Chemăl qui en a eu l’initiative et la
+plupart des jardins lui appartiennent.</p>
+
+<p>Les hauteurs de Bou Yerrō commencent à 4 kilomètres sur la route
+de Merdjadja (en partant de Tougourt)&nbsp;; elles sont de peu
+d’importance, mais doivent exister sur les cartes.</p>
+
+<p>On trouve dans l’oasis palmiers, abricotiers, figuiers,
+grenadiers, poiriers (peu), pommiers (peu), vignes (peu),
+cotonniers (d’ancienne et de nouvelle date). Ce dernier arbre
+devient très fort&nbsp;; il n’est pas utilisé. Légumes, choux, ail,
+oignons, tomates, <em>gara</em>, <em>kabouya</em>, sorte de
+concombre, melons, pastèques, poivre rouge, <em>bou deraga</em>
+(pourpier), navets, carottes, radis blanc (<em>fedjel</em>),
+haricots du Souf (peu), fèves, poireau, — luzerne en quantité, orge
+(pas de blé), réglisse (en quantité, sauvage). Le henné ne vient
+pas, du moins les essais faits par les indigènes avec des graines
+envoyées de Biskra n’ont pas réussi. La garance se trouve un peu à
+Meggarin, à Ghamra, à Tamerna et à Sidi Khelil.</p>
+
+<p>La ville de Tougourt est construite en <em>tôb</em><a id=
+"FNanchor_190"></a><a href="#Footnote_190" class=
+"fnanchor">[190]</a>. Les maisons n’ont qu’un étage. La ville est
+entourée de fossés remplis d’une eau stagnante<a id=
+"FNanchor_191"></a><a href="#Footnote_191" class=
+"fnanchor">[191]</a> et salée qui nourrit des poissons et quelques
+serpents d’eau. Elle a aujourd’hui une seule porte,
+Bab-el-Khrūkha<a id="FNanchor_192"></a><a href="#Footnote_192"
+class="fnanchor">[192]</a> qui s’ouvre au nord-est et qui est
+gardée par un détachement de tirailleurs<span class="pagenum" id=
+"Page_129">[129]</span> indigènes. La Kasba est au sud-ouest du
+côté opposé. Elle comprend des bâtiments assez considérables
+quoique peu élevés qui ont été construits par les Beni Djellăb, et
+ensuite diversement modifiés par les Français jusqu’à la
+construction de la caserne l’année dernière&nbsp;; ce dernier
+bâtiment forme un carré oblong à un étage&nbsp;; les pièces sont
+hautes et bien aérées. Les démolitions de la Kasba pour la
+construction de la caserne ont détruit la seconde petite porte
+appelée Bab-el-Ghadăr ou de la trahison, qui était particulière à
+la Kasba et que j’ai vue encore debout. A la prise de Tougourt la
+ville avait quatre portes en comptant celle de la Kasba que je
+viens de nommer, mais les Français en ont fait fermer deux. Les
+rues de Tougourt sont étroites, mais assez propres, dans le
+quartier des Medjehariya il y a deux rues couvertes. Les principaux
+monuments de la ville sont, à part la Kasba, la grande mosquée,
+rétablie par les Français et l’ancienne mosquée avec son minaret de
+construction djéridienne en petites tuiles qui porte encore des
+traces de boulets de Salah Bey<a id="FNanchor_193"></a><a href=
+"#Footnote_193" class="fnanchor">[193]</a>. Les maisons de Tougourt
+sont de la couleur du sol&nbsp;; elles possèdent toute une cour
+intérieure autour de laquelle sont rangés des magasins et les
+chambres. Le marché de la viande se tient sur une petite place qui
+est à la porte de la mosquée, mais le marché du vendredi où se font
+presque toutes les transactions se tient devant la Kasba sur une
+place bordée de boutiques et de magasins grossiers garantis du
+soleil par une sorte de voûte soutenue par des piliers carrés.</p>
+
+<p>Le kaïd, qui a son logement dans la Kasba, a 35 spahis bleus
+commandés par un officier indigène. M. Auer<a id=
+"FNanchor_194"></a><a href="#Footnote_194" class=
+"fnanchor">[194]</a> 100 tirailleurs indigènes.</p>
+
+<p>La population de Tougourt se compose de Rouăgha, de Mestāoua
+(Rouāgha mêlés de sang arabe ou Arabes mêlés de sang righi) et de
+Medjehariya ou juifs convertis à l’Islam. La population est divisée
+en trois quartiers&nbsp;: les Rouāgha habitent le quartier Tellis
+situé à l’est&nbsp;; les Medjehariya habitent le quartier auquel
+ils ont donné<span class="pagenum" id="Page_130">[130]</span> leur
+nom à l’ouest et les Mestāoua habitent au nord. La Kasba occupe le
+sud. Les habillements des trois castes sont les mêmes, seulement
+les Medjehariya se distinguent par leur propreté, les Mestāoua sont
+plus propres que les Rouāgha et d’une couleur plus blanche. Les
+Medjehariya ont conservé entièrement le type israélite, surtout les
+femmes, parmi lesquelles il y en a de fort jolies. Ils ne se
+marient qu’entre eux et sont fort sévères de mœurs et de principes
+religieux&nbsp;; ils n’aiment pas qu’on leur rappelle leur origine.
+Cependant eux, comme le reste de la population, boivent des
+spiritueux, seulement ils le font en cachette.</p>
+
+<p>J’ai déjà décrit les fêtes du mariage des Rouāgha. Ils
+s’unissent aussi facilement qu’ils se divorcent et cette facilité
+des unions n’exclut pas cependant une moralité peu stricte à notre
+point de vue européen. J’ai déjà dit que les femmes des premières
+maisons de l’Oued-Righ ne faisaient pas de difficultés à devenir
+les maîtresses des derniers Djellāb, et je connais encore
+aujourd’hui deux cheikhs qui ont encore dans leur harem des femmes
+qui pourraient raconter bien des petites choses qui se sont passées
+dans l’absence de leurs maris alors exilés. Je me suis laissé dire
+que, quand on rencontrait dans l’oasis une Righia bien seule, elle
+refusait rarement d’accorder son corps. Ceci s’applique cependant
+plus à Ouarglā qu’à Tougourt ou Temassīn, car dans ces deux villes,
+surtout dans la dernière, tous les travaux d’extérieur reviennent
+au mari, et la femme reste plutôt dans la maison. A Ouarglā, au
+contraire, on m’a raconté qu’il se passait bien de petites
+aventures aux sources où les femmes viennent puiser l’eau. Il doit
+en être de même à Merhayyer.</p>
+
+<p>La plupart des prostituées de Tougourt sont des Righia, des
+Soufia et des Naylia, en comprenant sous cette dernière
+dénomination les Harazlia et enfin toutes les Arabes de l’ouest. Je
+ne puis m’empêcher de noter ici quelques détails sur les
+Naylia&nbsp;; ils paraîtront curieux pour déterminer les mœurs des
+Arabes du désert algérien. Mais qu’on ne croie pas que nous soyons
+pour quelque chose dans cela, au contraire, depuis notre domination
+nous avons cherché à limiter de diverses manières cette vaste
+prostitution. Les femmes de l’Oued-Righ et du Souf qui exercent le
+métier à Tougourt sont généralement des veuves&nbsp;; il y a des
+cas où elles trouvent ensuite à se remarier. Les Naylia sont en
+grande partie aussi de jeunes veuves, mais on voit aussi parmi
+elles des mères<span class="pagenum" id="Page_131">[131]</span> ou
+des pères amener leurs filles encore vierges et vendre cette
+virginité qui est toujours longtemps marchandée. Les Naylia
+viennent à l’époque de la maturité des dattes et un petit nombre
+d’entre elles seulement restent jusqu’au printemps suivant. Leur
+but est d’acheter des dattes pour leur année. Autrefois on ne
+connaissait pas d’autre manière de payer leurs faveurs que par une
+certaine quantité de dattes&nbsp;; deux fois les deux mains pleines
+par exemple était un très bon prix.</p>
+
+<p>Une autre particularité commune à Tougourt et à Temassīn sont
+les <em>halladj</em><a id="FNanchor_195"></a><a href=
+"#Footnote_195" class="fnanchor">[195]</a>, sorte d’hommes
+efféminés qui, je crois, avaient un nom chez les Grecs. On en voit
+même avec des cheveux blancs danser mollement avec les femmes dans
+les danses publiques à Témassīn.</p>
+
+<p>Parmi les coutumes bizarres des Rouāgha, coutume que l’on
+reproche aussi aux Beni-Mezāb<a id="FNanchor_196"></a><a href=
+"#Footnote_196" class="fnanchor">[196]</a>, et que des écrivains du
+moyen âge imputent aux habitants de Sedjelmāsa, est la prédilection
+qu’ils ont pour la viande de chien. Ils prétendent s’excuser de
+cette licence contre leur loi religieuse en disant que c’est un
+préventif contre les fièvres. C’est surtout pendant l’hiver que les
+Rouāgha achètent des chiens qui leur sont alors vendus en plein
+marché par les Arabes du dehors. On les engraisse, on les fait
+rôtir, et ils sont mangés en grande fête avec force lagmi<a id=
+"FNanchor_197"></a><a href="#Footnote_197" class=
+"fnanchor">[197]</a>.</p>
+
+<p>Les Rouāgha sont très superstitieux&nbsp;; mon ami M. Auer m’a
+souvent raconté l’effet singulier produit par une éclipse de lune
+sur les habitants de Tougourt. Les tolbas sortirent en corps et
+battant à tour de bras sur des plats de bois et des marmites, ils
+rappelaient la lune en invoquant leur prophète&nbsp;: «&nbsp;Ya
+chefā Si Mohammed&nbsp;!&nbsp;»<a id="FNanchor_198"></a><a href=
+"#Footnote_198" class="fnanchor">[198]</a> Ils croient, comme
+beaucoup d’autres populations algériennes, à la toute-puissance des
+<em>djenoun</em><a id="FNanchor_199"></a><a href="#Footnote_199"
+class="fnanchor">[199]</a>. Les femmes surtout les redoutent, et
+attribuent à ces esprits toutes leurs<span class="pagenum" id=
+"Page_132">[132]</span> indispositions. Ordinairement on combat
+leur influence par des amulettes ou bien on tâche de les apaiser
+par des offrandes de couscous, de tchertchoukha, plats que l’on
+dépose à l’endroit où l’on suppose que les djenoun se tiennent, et
+qui est souvent dans les lieux d’aisance.</p>
+
+<p>Tougourt peut compter 300 maisons, et a, dans la saison d’été,
+une population d’environ 1.500 âmes&nbsp;; en hiver, où des
+familles du Souf et des Arabes viennent habiter la ville pendant
+six mois, la population peut monter au double 3.000 âmes. Nezla,
+Tebesbest, Zaouiya ont chacune plus d’habitants que Tougourt
+même.</p>
+
+<p>Dans les mariages, le dernier jour, on amène la mariée chez son
+futur&nbsp;; si c’est une vierge, elle est portée sur un lit en
+<em>djérid</em> (comme la plupart des Rouāgha en usent) par quatre
+hommes&nbsp;; si c’est une veuve, elle est portée simplement dans
+les bras d’un homme.</p>
+
+<p class="datesect">1<sup>er</sup> juillet.</p>
+
+<p>Je vais à Temassīn avec un spahi, le marabout Si Mammar m’y
+avait fait appeler pour m’y trouver en présence du Cheikh
+Othmān&nbsp;; je trouve un chef targui bien mis sans recherche,
+mais proprement, accompagné de deux ou trois jeunes hommes de sa
+tribu terriblement marqués de la petite vérole. Tous ont un visage
+ouvert, je dirais presque prévenant.</p>
+
+<p>Nous avons une longue conférence. Cheikh Othman lit les
+dernières lettres que j’ai pour lui&nbsp;; mais tout en m’offrant
+ses services, il cherche vivement à me détourner de rien
+entreprendre cette année, où tout le Sahara est sens dessus
+dessous&nbsp;: les Hoggar en querelle avec les Azgar d’un côté et
+les Aouelimiden de l’autre&nbsp;; la grande razzia d’Aïr par les
+Arabes de la Tripolitaine, etc., enfin les habitants d’Insalah en
+guerre avec le sud du Touat. Cependant, après de longues et
+éloquentes délibérations, Si Mammar décide, force même un peu
+Cheikh Othman à m’accompagner à Ghadāmès&nbsp;; de là il ira
+consulter Ikhenoukhen sur ce qu’il y a à faire, et savoir si ce
+chef tout-puissant m’accorde sa protection, et viendra me rendre
+réponse, d’où nous conclurons nos plans postérieurs. Je dis adieu
+au Cheikh Othman&nbsp;; je conviens avec Si Mammar d’envoyer 50 fr.
+au Cheikh Othman pour qu’il fasse ses provisions de route et il
+doit me rejoindre à El-Ouad vers le 20 de ce mois. — Il a son camp
+tout maltraité par la petite vérole,<span class="pagenum" id=
+"Page_133">[133]</span> personne n’est sur pied&nbsp;; les
+troupeaux sont en mauvais état&nbsp;; la <em>nezla</em><a id=
+"FNanchor_200"></a><a href="#Footnote_200" class=
+"fnanchor">[200]</a> est à Bey Salah (puits).</p>
+
+<p>J’ai bu à Temassīn de l’eau des rhedirs de l’oued Retem<a id=
+"FNanchor_201"></a><a href="#Footnote_201" class=
+"fnanchor">[201]</a>. Il a plu dans le Sahara, et les oueds voisins
+se sont remplis.</p>
+
+<p class="datesect">2 à 12 juillet.</p>
+
+<p>Je commence à sentir quelques caresses sourdes de fièvres&nbsp;;
+je suis obligé de me tenir, comme avant, renfermé dans la
+Kasba.</p>
+
+<p>Travaux de linguistique. Je recueille un vocabulaire complet du
+dialecte righi de Temassīn.</p>
+
+<p>Le 7 juillet, malade au lit.</p>
+
+<p>Le 11, mangé les premières figues <em>Kartous</em>.</p>
+
+<p>Renseignements historiques recueillis par moi auprès de Ben
+Chemāl<a id="FNanchor_202"></a><a href="#Footnote_202" class=
+"fnanchor">[202]</a>. Les premiers sultans de Tougourt furent la
+dynastie des Oulad Beiffo, dont les descendants excessivement
+pauvres habitent encore un des villages de l’oasis, Tebesbest, je
+crois. Ils gouvernèrent Tougourt et Kedima, dont l’emplacement
+était dans la <em>Ghaba</em><a id="FNanchor_203"></a><a href=
+"#Footnote_203" class="fnanchor">[203]</a> près de Sidi Mohammed
+ben Yahiya. C’étaient des Rouāgha. Tougourt el Kedīma fut peu à peu
+abandonnée, dit-on, à cause des scorpions, et la nouvelle ville fut
+bâtie par Sidi Zekri, marabout righi de Tougourt et Kedima. Une
+Djemaʿa gouverna Tougourt dans l’origine, et Sidi Zekri n’en fut
+que le bon conseiller&nbsp;; Tala était alors plus puissante que
+Tougourt&nbsp;; elle avait des cheikhs&nbsp;; dont le plus célèbre
+est connu sous le nom de Cheikh el Tālāoui. Sidi Mohammed Ben
+Yahiya succéda à Sidi Zekri et gouverna de même par ses conseils.
+Il résida 40 ans dans la Kasba. Lorsque ce marabout avait 15 ans,
+Sidi Khelil, Sidi Ali Ben Soultān et Sidi Embarek es Saim venaient
+faire leur pèlerinage à Sidi Bou Haniya près de Goūg.</p>
+
+<p>Avant la mort de Sidi Mohammed, deux frères du nom de Beni
+Djellāb passaient souvent à Tougourt. Leur pays originaire était
+Telemsen (ils descendaient des Mérinides) et ils avaient alors
+leurs biens dans le Djebel Sahāri. A Tougourt ils prêtèrent des
+sommes considérables à tous ceux qui leur en demandaient,
+si<span class="pagenum" id="Page_134">[134]</span> bien qu’au bout
+de bien des années, ils vinrent un jour à Tougourt et voulurent
+faire leurs comptes, ne voulant plus y revenir. On trouva que tout
+le bien de Tougourt ne pourrait plus payer les dettes des
+habitants. Les habitants de Tougourt allèrent à Sidi Mohammed Ben
+Yahiya et lui demandèrent conseil&nbsp;; ce marabout se fit amener
+les deux frères Ben Djellāb, et leur dit qu’il allait habiter dans
+son village (le même qui porte aujourd’hui son nom) et qu’il leur
+abandonnait la ville et tout ce qu’elle renfermait. — Ainsi
+commença la dynastie des Ben Djellāb. — Plus tard les Oulad Sidi M.
+Ben Yahiya ne s’entendirent pas bien avec les Ben Djellāb et ils
+émigrèrent dans le Tell où ils sont actuellement avec les Oulad Abd
+en Nous près de Constantine.</p>
+
+<p>Dans ce temps-là, il y avait des juifs à Tougourt.</p>
+
+<p>L’un des frères Ben Djellāb, ʿAbd el Hakk el Merīni, fut le
+premier cheikh de Tougourt&nbsp;; — de là à Cheikh Selmān il y a
+une lacune dans la généalogie&nbsp;; le cheikh Ben Chemāl ne
+connaît pendant ce temps d’autre fait que la destruction de Tāla
+qui eut lieu, comme il croit, sous le fils d’Abd-el-Hakk.
+Abd-el-Hakk conquit lui-même Meggarin, Qsoūr, etc., et ne s’arrêta
+que devant Tala qui résista à ses armes. Mais son fils usa d’un
+stratagème qui lui réussit. Il offrit au cheikh de Tala de cimenter
+une paix durable en épousant sa fille. Celui-ci y consentit. — Ben
+Djellāb déguisa, le jour désigné pour la fête, un homme en
+mariée&nbsp;; il fit travestir un grand nombre de ses serviteurs en
+femmes venues à la fête&nbsp;; tous portaient des armes sous leurs
+vêtements. Il fit accompagner le tout de 50 cavaliers. Le cheikh de
+Tala reçut sa prétendue femme et sa suite et fit loger les
+cavaliers chez ses serviteurs. La fausse mariée avait prévenu
+qu’elle donnerait le signal de l’attaque en tuant le cheikh
+lorsqu’il viendrait la nuit. Cela arriva en effet&nbsp;: dans la
+nuit, en entendant le coup de feu du signal, tous les serviteurs de
+Ben Djellāb se précipitèrent au carnage et eurent bientôt raison de
+la ville qui fut détruite par des renforts venus de Tougourt.</p>
+
+<p>Sous le cheikh Selmān, le premier à partir de la lacune, eut
+lieu un événement curieux. Une femme arabe appelée Oumm Hāni Bent
+el Bey (fille d’une femme Douaouda<a id="FNanchor_204"></a><a href=
+"#Footnote_204" class="fnanchor">[204]</a> et d’un bey de
+Constantine), voulut devenir cheikha des Arabes au Sahara et
+fit<span class="pagenum" id="Page_135">[135]</span> de grandes
+razzias elle-même à cheval et armée, tua le Douaouda, son mari, ses
+frères et beaucoup d’autres chefs. Enfin Selman voulut faire une
+alliance avec elle et lui proposa d’épouser son fils. Elle fit
+semblant d’accepter, mais lorsque Selman vint à son camp, à la
+Regouba de Sidi Khelil avec 500 chevaux, on distribua habilement
+son monde dans les tentes et Selman logea dans la tente de Bent el
+Bey. La nuit, elle tua elle-même le cheikh et ce fut le signal
+d’une tuerie générale.</p>
+
+<p>Cheikh Mohammed ben Selman lui succéda&nbsp;; puis Selman, son
+fils&nbsp;; Brahim, fils du précédent&nbsp;; Abd-el-Kader&nbsp;;
+Hamed, fils de Brahim&nbsp;; ’Amer, fils d’Abd-el-Kader&nbsp;;
+Mohammed el Akhal, fils de Hamed&nbsp;; Hamed, fils de
+Mohammed&nbsp;; Abd-el-Kader, petit-fils d’Amer&nbsp;; Farhāt,
+frère du précédent&nbsp;; Brahim, fils de Hamed&nbsp;; El-Khāzen
+ben Farhat&nbsp;; Mohammed, fils de Hamed&nbsp;; ’Omar, fils de
+Mohammed&nbsp;; Brahim, fils de Mohammed&nbsp;; ’Ali, fils de
+Mohammed&nbsp;; Ben Abd er Rahman, petit-fils d’Amer&nbsp;; Selman,
+fils d’Ali&nbsp;; les Français.</p>
+
+<p class="datesect">13 juillet.</p>
+
+<p>Je pars de Tougourt dans la soirée et nous prenons la route de
+Mouïa el Ferdjān. Après deux heures de marche, nous faisons halte
+dans une dépression qui continue le bas-fond de la Chemorra (en
+deçà des dunes). L’endroit s’appelle Benga. Le sol portant trace de
+l’action des eaux est très dur formé d’un conglomérat de sable et
+de petits morceaux de chaux et de calcaire.</p>
+
+<p class="datesect">14 juillet.</p>
+
+<p>Nous marchons 5 heures et faisons la sieste entre El-Ouibed et
+El-Māleha. De là, une heure et demie de marche au puits de Mouï
+Chabbi dont nous trouvons l’eau pourrie et verdâtre. On l’avait
+récemment fourni d’une nouvelle garniture de drīn.</p>
+
+<p>De là, une heure 20 minutes au puits de Mouïa el Ferdjān. Je
+relève ce petit bout de route que je n’avais pas encore fait.</p>
+
+<p class="datesect">15 juillet.</p>
+
+<p>Hier au soir, j’ai eu un premier accès de fièvre.</p>
+
+<p>Nous marchons 5 heures 1/4 et arrivons au puits de Mouïa el
+Kaïd. Après la sieste, 2 h. 3/4 de marche nous amènent dans les
+dunes de l’Erg-Said, où la nuit nous prend et où nous couchons.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_136">[136]</span>J’ai remarqué
+dans la dernière partie de la route que le guide était souvent
+obligé de frayer un chemin artificiel aux chameaux dans les dunes.
+Il disait en travaillant&nbsp;: «&nbsp;El-Bahri oua’ar&nbsp;» (le
+vent de l’est est dur). Il est clair, en effet, que c’est ce vent
+qui, dans cette saison, fait progresser les dunes vers l’ouest.
+Toutes les dunes que nous coupons ont la forme des vagues de la
+mer&nbsp;; elles sont orientées à angle droit de la route&nbsp;;
+leur côté à pic était de notre côté, c’est-à-dire qu’elles viennent
+en sens opposé. C’est donc un vent d’E.-N.-E. ou de N.-E. qui les
+produit.</p>
+
+<p class="datesect">16 juillet.</p>
+
+<p>Une marche de 3 heures 3/4 nous amène à Kouïnīn par Ourmās. Je
+croyais d’abord ne faire que la sieste à Kouïnīn, mais une fièvre
+violente me prend&nbsp;; vomissements, courbature générale&nbsp;;
+douleurs de poitrine et de reins, faiblesse. Je prends de
+l’ipécacuanha qui agit&nbsp;; de la quinine deux fois, que je
+rends. Eau sucrée et éther.</p>
+
+<p>Tribus de Kouïnīn&nbsp;:</p>
+
+<table class="tab-p4 bd-collapse" id="t136">
+<tr>
+<td>Djebirāt</td>
+<td class="brt width-brace1">
+</td>
+<td rowspan="3">Toroūd.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Oulad Mansoūr</td>
+<td class="liner">
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>El-Gouāïd</td>
+<td class="brb">
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td colspan="3">El-Beldiya (Soufiya) — ’Adouān.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p>On me raconte ici que les ancêtres de la population actuelle lui
+ont raconté qu’autrefois, lorsqu’ils montaient sur leurs palmiers,
+ils dominaient une rivière d’eau courante, qui commençait à Chegga
+(nord du Souf) et finissait à ’Amīch (Ras el Ouad)<a id=
+"FNanchor_205"></a><a href="#Footnote_205" class=
+"fnanchor">[205]</a>. Cette rivière était comme celle de Nefta.
+Encore aujourd’hui, les Souafas en creusant un nouveau jardin
+trouvent des chaudrons de fer et d’autres objets appartenant à la
+population passée, dans des endroits inhabités aujourd’hui.</p>
+
+<p class="datesect">17 juillet.</p>
+
+<p>Je me rends à El-Ouad comme je peux sur un cheval qu’on me prête
+à Kouïnīn. Je trouve le kaïd qui me reçoit bien comme
+d’habitude&nbsp;; mais je suis obligé de changer quelque chose aux
+dispositions qu’il avait prises pour mon départ, ce qui va me
+causer quelques retards.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_137">[137]</span>— Je pèse un
+<em>mithcal</em> d’El-Ouad, et j’obtiens par ces doubles pesées 4
+gr. 175&nbsp;; ce mithcal a 21 <em>nouayā</em><a id=
+"FNanchor_206"></a><a href="#Footnote_206" class=
+"fnanchor">[206]</a>&nbsp;; celui de Constantine en a 26.</p>
+
+<p class="datesect">18 juillet.</p>
+
+<p>Ce jour s’est annoncé comme devant être très chaud&nbsp;; mais
+le ciel fut pur. Je passai ma journée sur mon lit, attendant pour
+utiliser mes faibles forces que le moment de l’éclipse fût arrivé.
+Je calculai par construction graphique le moment où elle devait
+avoir lieu, mais me trompai fort en prenant pour heure, celle où
+l’éclipse <em>totale</em> aurait lieu sous la longitude d’El-Ouad.
+Et l’éclipse ne devait pas être totale ici. Cela fut cause que
+quand j’allai à la lunette, dix minutes avant le premier contact
+(comme je le croyais), je trouvai le disque solaire entamé. Je me
+mis en observation, et je vis la lune couvrir successivement les
+taches du soleil. L’éclipse était au moins au tiers et la
+population d’El-Ouad ne s’en était pas aperçue&nbsp;; alors elle
+fut simultanément reconnue, et quelques bavardages inquiets firent
+place à un profond silence. Mais lorsque les progrès de l’éclipse
+furent marquants, des cris poussés de tous les côtés annoncèrent la
+détresse des Arabes. On entendait partout&nbsp;: «&nbsp;Iā chĭfā Si
+Mohammed rasoul Allah&nbsp;!&nbsp;»</p>
+
+<p>Je vis le disque lunaire approcher à une distance extrêmement
+minime du bord du soleil&nbsp;; je crus un instant voir certaines
+montagnes faire éclipse totale et au moment où je m’apprêtais à
+marquer l’heure de ce contact, l’éclipse commença à diminuer.</p>
+
+<p>Je vis alors des pigeons voler au-dessus de la maison, se
+rendant à leurs gîtes. Des Arabes de la ville me disent avoir vu
+des étoiles. La lumière la plus faible a été celle qui succède dans
+cette saison au coucher du soleil. L’éclipse diminua lentement et
+je pus observer le dernier contact à 4 h. 54 m. 45 p. de mon
+chronomètre qui marque encore le temps de Paris.</p>
+
+<p>Après l’éclipse, j’eus une députation des <em>mechaikh</em> qui
+vinrent me demander si l’année serait pluvieuse. Ma prédiction
+accomplie de l’éclipse, mon ancienne prédiction de pluie de cet
+hiver, vérifiée par le fait, leur faisait croire que non seulement
+je puis prédire la pluie, mais encore la donner.</p>
+
+<p>Je fus pris le soir de fièvre violente et de vomissements&nbsp;;
+le<span class="pagenum" id="Page_138">[138]</span> soleil et la
+chaleur brûlante à laquelle j’ai été exposé pendant plusieurs
+heures avaient rappelé la fièvre.</p>
+
+<p class="datesect">19 juillet.</p>
+
+<p>Cette nuit, le kaïd vient me réveiller et me dire qu’ayant reçu
+la nouvelle que les Oulad Yagoub étaient en course, il allait faire
+monter son goum et aller les chercher. Il partit avant le jour. —
+Je vais mieux. Je reçois des plaintes contre le kaïd.</p>
+
+<p class="datesect">20-21 juillet.</p>
+
+<p>Je reste encore chez moi toute la journée. — Je prends de
+nombreux renseignements sur le pays qui sépare le Souf du Nefzāoua.
+Des Ourghamma de Kessār Mouddenīn, marabouts, viennent ici pour
+voir si on leur ouvrira le marché d’El-Ouad. Les Ghorib de
+Sabrīya<a id="FNanchor_207"></a><a href="#Footnote_207" class=
+"fnanchor">[207]</a> qui sont sur leur route et qui apportent ici
+les mêmes produits qu’ils apporteraient, leur ont fait peur. De
+façon qu’ils ont laissé leurs marchandises, consistant
+principalement en beurre, à Sabrīya, et qu’ils sont venus en
+<em>mi’ad</em>. Je leur fais un petit discours qui les enchante, et
+leur ouvre le marché&nbsp;; je promets même d’intimider les Ghorib,
+ce qui est très facile, vu que cette tribu réside à moitié dans le
+Nefzāoua et à moitié au Souf (El-Ouad) où ils ont des palmiers.</p>
+
+<p class="datesect">22 juillet.</p>
+
+<p>J’écris à Biskra pour rendre compte des plaintes que j’entends
+contre le kaïd.</p>
+
+<p>Je reste encore toute la journée à la maison.</p>
+
+<p class="datesect">23-24-25 juillet.</p>
+
+<p>Le kaïd revient avec ses goums&nbsp;; il n’a rien trouvé dans sa
+course, cependant on tire des coups de fusils au retour comme s’il
+y avait eu une victoire&nbsp;; ces Arabes sont toujours les
+mêmes.</p>
+
+<p>Hier et aujourd’hui on a fait l’Achoura&nbsp;; nous sommes, je
+crois, à peu près au milieu des dix jours de fêtes. La fête a lieu
+la nuit, des bandes de jeunes gens se promènent dans les rues en
+chantant au son d’un bendier&nbsp;; puis ont lieu quelques scènes,
+des individus se déguisent en mettant quelques hardes
+grotesques<span class="pagenum" id="Page_139">[139]</span> s’ils en
+ont, puis ils se couchent et, prenant une voix de polichinelle, ils
+font des dialogues invariablement terminés par des disputes et des
+coups comme chez Gringalet. Cette année, la fête est peu brillante.
+Un homme hier a reçu un coup de sabre sur le dos pendant la
+mascarade et il a une large blessure. Cela a été fait par
+méchanceté.</p>
+
+<p>Le cheikh Ahmed Ben Touāti vient me voir, c’est un homme qui me
+plaît beaucoup, franc et ouvert&nbsp;; il connaît très bien le
+Sahara, il vient du reste à Ghardaya (puits) six mois<a id=
+"FNanchor_208"></a><a href="#Footnote_208" class=
+"fnanchor">[208]</a>&nbsp;: il est venu en trois jours sur un
+méhari et avait reçu des nouvelles de Ghadāmès par un homme monté
+sur son méhari qui était allé de Ghadāmès à Bīr Ghardâya en cinq
+jours.</p>
+
+<p><em>Note sur le commerce d’El-Ouad.</em> — Pour l’or, j’apprends
+d’une manière plus certaine que le <em>mithcal</em> de
+<em>teber</em><a id="FNanchor_209"></a><a href="#Footnote_209"
+class="fnanchor">[209]</a> se vend ordinairement 15 francs
+lorsqu’il est recherché et 13 fr. 30 lorsqu’il abonde<a id=
+"FNanchor_210"></a><a href="#Footnote_210" class=
+"fnanchor">[210]</a>. Quant au <em>khôss</em><a id=
+"FNanchor_211"></a><a href="#Footnote_211" class=
+"fnanchor">[211]</a>, il vaut, dans les mêmes circonstances, de 11
+fr. 10 à 13 fr. et 13 fr. 15. J’ai déjà dit que le mithcal d’ici a
+21 <em>nouaya</em> et pèse 4 gr. 175&nbsp;; tandis que le mithcal
+de Constantine a 26 <em>nouaya</em>, que par conséquent le poids du
+mithcal d’El-Ouad se rapporte à celui de Constantine comme 21 à
+26.</p>
+
+<p>Les dépouilles d’autruches sont vendues sur le marché par les
+chasseurs eux-mêmes&nbsp;; et il n’y a personne qui en fasse un
+commerce spécial<a id="FNanchor_212"></a><a href="#Footnote_212"
+class="fnanchor">[212]</a>. On les achète isolément pour les porter
+à Tunis ou à Tébessa. Voici les prix de vente sur le marché. — Une
+belle dépouille de mâle (<em>delīm</em>) vaut 100 fr. et 125 fr.
+lorsqu’elles sont recherchées et très belles. Une belle dépouille
+de femelle (<em>ramdha</em>) ne vaut que 40 fr. au plus 45 fr. Un
+œuf d’autruche vaut de 50 à 60 centimes.</p>
+
+<p>Le commerce du Souf avec <em>Tébessa</em> repose sur les objets
+suivants&nbsp;:</p>
+
+<p>1<sup>o</sup> Exportation du Souf. — Dattes, peaux brutes de
+chèvres (avec poil), tabac en feuilles, vêtements de
+laine&nbsp;;</p>
+
+<p>2<sup>o</sup> Importation de Tébessa, — <em>Gountĕs</em> (racine
+condimentale),<span class="pagenum" id="Page_140">[140]</span>
+beurre, laine, moutons, chèvres, blé, <em>gueddīd</em> (viande
+desséchée).</p>
+
+<p>Quant aux objets que le Soūf donne à Tunis, ce sont&nbsp;: des
+vêtements confectionnés, des peaux brutes de chèvres et de moutons
+(pour Kaïrouān), des <em>douros</em>, des chameaux, des dattes.</p>
+
+<p><em>Ouargla.</em> — On y apporte d’El-Ouad, de l’huile, du
+tabac, des vêtements confectionnés, des meules (venues de Gafsa),
+de la garance, du blé, des cotonnades, des pierres à fusil (venues
+de Tunis), du soufre<a id="FNanchor_213"></a><a href=
+"#Footnote_213" class="fnanchor">[213]</a>. On en rapporte de la
+laine, des chameaux, du beurre, de la graisse, de la viande
+desséchée, de jeunes plants de palmiers en grand nombre, qui sont
+vendus sur le marché, des burnous du Mzāb, du sel, des dattes.</p>
+
+<p><em>Biskra et le Zab.</em> On y apporte&nbsp;: vêtements
+confectionnés, peaux brutes de chèvres, dattes,
+<em>tellīs</em><a id="FNanchor_214"></a><a href="#Footnote_214"
+class="fnanchor">[214]</a>, (<em>gherāra</em>), du tabac&nbsp;; ce
+dernier article vaut ici 25 c. à 50 c. le <em>kef</em> composé de 5
+plants ou 4 grands et 6 petits. Voici la liste des objets qu’on en
+rapporte avec les prix qu’ils obtiennent à El-Ouad&nbsp;:</p>
+
+<div class="quote">
+<p>Henné, le 1/2 kil. 0 fr. 70 à 1 fr. 35.</p>
+
+<p>Tapis arabes, qualités diverses, de 100 à 300 francs.</p>
+
+<p>Laine, la toison à 2 francs.</p>
+
+<p><em>Settāl</em> (gamelles en fer battu pour boire), les grands 1
+fr. 60, les petits 1 franc<a id="FNanchor_215"></a><a href=
+"#Footnote_215" class="fnanchor">[215]</a>.</p>
+
+<p>Indigo, la bonne qualité, le 1/2 kil. 6 fr. 20, la qualité
+inférieure 4 francs<a id="FNanchor_216"></a><a href="#Footnote_216"
+class="fnanchor">[216]</a>.</p>
+
+<p>Foulards de coton imprimés, les bons, la douzaine 6 fr., la
+qualité inférieure 3 francs.</p>
+
+<p>Bougie, le 1/2 kil. 1 fr. 35 jusqu’à 1 fr. 50.</p>
+
+<p>Sucre blanc, le 1/2 kil. 1 fr. 50.</p>
+
+<p>Cassonnade, le 1/2 kil. 0 fr. 90 à 1 franc.</p>
+
+<p>Ganse blanche, le 1/2 kil. 6 francs.</p>
+
+<p>Loŭk, substance tinctoriale<a id="FNanchor_217"></a><a href=
+"#Footnote_217" class="fnanchor">[217]</a>, les 50 kil. 150 fr. la
+bonne qualité.</p>
+
+<p>Tărtăr <span class="word-spaced16">&nbsp;id.&nbsp;</span> les 50
+kil. 150 francs. <span class=
+"word-spaced12">&nbsp;id.&nbsp;</span></p>
+
+<p>Miroirs ronds montés en cuivre, les grands, la douzaine, 1 fr.
+60.</p>
+
+<p><span class="word-spaced20">&nbsp;id.&nbsp;</span> les petits,
+<span class="word-spaced10">&nbsp;id.&nbsp;</span> 1 franc.</p>
+
+<p>Miroirs ronds montés en étain, les grands, la douzaine, 1
+franc.</p>
+
+<p><span class="word-spaced20">&nbsp;id.&nbsp;</span> les petits,
+<span class="word-spaced10">&nbsp;id.&nbsp;</span> 0 fr. 75.</p>
+
+<p>Ficelle, le 1/2 kil. 2 francs.</p>
+
+<p>Grandes aiguilles pour tellis, le 100 de 50 à 60 centimes.</p>
+
+<p>Gaze grossière, pièces de 16 à 17 drà, 3 francs.</p>
+
+<p>Abricots secs, 1 fr. le saa (2 1/2 kil.).</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_141">[141]</span>Beurre, mesure
+de 5 3/4 livres, selon les temps, de 7 fr. à 3 fr. 50.</p>
+
+<p>Souliers de Constantine, la paire, 4 à 5 francs.</p>
+
+<p>Burnous ’abbāsi (épais), les beaux, 60 à 65 francs.</p>
+
+<p><span class="word-spaced12">&nbsp;id.&nbsp;</span> qualité
+inférieure, 40 à 45 francs.</p>
+
+<p>Calottes rouges de fabrique, les grandes 2 fr. 50, les petites 1
+fr. 50.</p>
+
+<p>Soie, le 1/2 kil. 20 fr. la qualité supérieure et 15 fr. la
+qualité inférieure.</p>
+
+<p>Café en grains, 2 fr. le kil.</p>
+
+<p>Suif (de Bou Saada), selon le temps, de 50-60 cent. à 1 fr. la
+livre.</p>
+
+<p>Savon (hadjri) en morceaux, le 1/2 kil. 0 fr. 75 à 1 franc.</p>
+
+<p><span class="word-spaced10">&nbsp;id.&nbsp;</span> arabe
+liquide, le 1/2 kil. 75 à 1 fr. 10.</p>
+
+<p>Alun, la livre 30 à 40 centimes.</p>
+
+<p>Aiguilles, le cent, 20 centimes.</p>
+</div>
+
+<p>Les cotons ne peuvent pas faire concurrence à ceux venus de
+Tunis qui sont de fabrique anglaise.</p>
+
+<p><em>Gabès.</em> — On y apporte du Souf&nbsp;: laine de rebut
+(servant à faire des couvertures brunes dont se vêtissent les gens
+du Sahel, peaux de chèvres et de moutons non préparées, tabac en
+quantité, chameaux, dattes (<em>degla</em>).</p>
+
+<p>Le commerce d’El-Ouad avec <em>Gabès</em>, surtout celui par la
+route directe, est fait par les gens de Matouiya<a id=
+"FNanchor_218"></a><a href="#Footnote_218" class=
+"fnanchor">[218]</a> qui, étant sujets du Bey de Tunis, jouissent
+d’un peu plus de sécurité que les Souafa. Cette route est rendue
+très dangereuse pour le voisinage des Oulad Yagoūb.</p>
+
+<p><em>Ghadāmès.</em> — On y apporte des vêtements confectionnés
+surtout, des dattes (<em>degla</em><a id=
+"FNanchor_219"></a><a href="#Footnote_219" class=
+"fnanchor">[219]</a>, <em>rhers</em>, <em>fezzāni</em>), du tabac
+et des grains (blé et orge) lorsqu’ils sont chers à Ghadāmès.</p>
+
+<p><em>Beni Mezab.</em> — On y apporte des meules, des vêtements
+(<em>haouli</em>), fusils (de Tunis), des pioches (de Kairouān),
+des pièges à gazelles (de Kairouān), soufre, garance, huile,
+cotonnades, <em>guemmām</em> (gomme adorante). On en rapporte des
+chameaux, des <em>guedaouis</em> (blouses de laine de couleurs
+différentes), burnous, laines, moutons, viande desséchée, suif.</p>
+
+<p>On me dit que, dans les mauvaises années, il vient ici 5-600
+mitcals d’or de Ghadāmès&nbsp;; dans les bonnes années, de 1.500 à
+3.000 mithcals. Cela ne fait que pour 45.000 fr. d’affaires dans
+les meilleures conditions. Cela fait 12.525 grammes d’or.)
+L’<em>oukiya</em> de Tunis timbrée = 31 gr. 725&nbsp;; elle a 7 2/3
+de mithcal.</p>
+
+<p>Le soir, je suis piqué par un scorpion&nbsp;; la douleur monte
+très vite à l’aisselle (du bord de l’index), je souffre
+excessivement. La nuit,<span class="pagenum" id=
+"Page_142">[142]</span> je ressens des picotements ou de la
+paralysie aux pieds, au nez et aux lèvres. Je me soigne en mettant
+de l’ammoniaque sur la piqûre élargie au bistouri, et en buvant un
+peu de ce médicament dans de l’eau. Ampoules sur le doigt piqué.
+Froid sur tout le membre atteint, taches violettes, etc.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp2c02">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_175"></a><a href="#FNanchor_175"><span class=
+"label">[175]</span></a>Le plus au sud.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_176"></a><a href="#FNanchor_176"><span class=
+"label">[176]</span></a>Chéchias.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_177"></a><a href="#FNanchor_177"><span class=
+"label">[177]</span></a><em>Mebred</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_178"></a><a href="#FNanchor_178"><span class=
+"label">[178]</span></a>Ce poids est le mithcal de Tunis. Duveyrier
+dit ailleurs (<em>Revue algér. et col.</em>, novembre 1860) qu’il
+l’a trouvé égal à 4 gr. 175. Les mithcal de Tripoli et d’Agadès
+sont un peu plus forts.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_179"></a><a href="#FNanchor_179"><span class=
+"label">[179]</span></a>Once, 1/16 de la livre tunisienne, que
+Duveyrier évalue à 508 grammes.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_180"></a><a href="#FNanchor_180"><span class=
+"label">[180]</span></a><em>Zebed</em>, sorte de pommade faite avec
+la graisse de l’animal du même nom, et dans laquelle il entre en
+outre de l’huile, du benjoin, du girofle, etc.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_181"></a><a href="#FNanchor_181"><span class=
+"label">[181]</span></a>Ce que Duveyrier appelle ici 1/2 kil. est
+la livre tunisienne de 508 grammes. (Cf. son article de la
+<em>Revue alg. et col.</em>)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_182"></a><a href="#FNanchor_182"><span class=
+"label">[182]</span></a><em>Açaïb et saye</em> ou
+<em>tourkedi</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_183"></a><a href="#FNanchor_183"><span class=
+"label">[183]</span></a>Natron, carbonate de soude plus ou moins
+pur, extrait des petits lacs du Fezzān.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_184"></a><a href="#FNanchor_184"><span class=
+"label">[184]</span></a><em>Teber</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_185"></a><a href="#FNanchor_185"><span class=
+"label">[185]</span></a><em>Khores</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_186"></a><a href="#FNanchor_186"><span class=
+"label">[186]</span></a>Cf. sur leur construction, J. Brunhes,
+<em>Les oasis du Souf et du Mzab</em>, <em>La Géographie</em>, V,
+1902, p. 14-15.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_187"></a><a href="#FNanchor_187"><span class=
+"label">[187]</span></a>La vue <a href="#i13">ci-jointe</a> a été
+trouvée, sans indication d’origine, dans les papiers de
+Duveyrier.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_188"></a><a href="#FNanchor_188"><span class=
+"label">[188]</span></a>Tradition confirmée par Ibn Khaldoun&nbsp;:
+au <span class="sc2">IX</span><sup>e</sup> siècle, les Zenata
+occupaient le Sahara algérien et tunisien (<em>Hist. des
+Berbères</em>, traduct. de Slane, III, p. 275, 286, 303, etc.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_189"></a><a href="#FNanchor_189"><span class=
+"label">[189]</span></a>Le <em>zeïta</em>, comme Duveyrier l’a
+reconnu plus tard, n’est pas le <i>Statice monopetala</i> L., mais
+une autre plombaginacée&nbsp;: <i>Limoniastrum Guyonianum</i>
+Dur.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_190"></a><a href="#FNanchor_190"><span class=
+"label">[190]</span></a>Briques d’argile séchées au soleil.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_191"></a><a href="#FNanchor_191"><span class=
+"label">[191]</span></a>En grande partie comblés depuis par les
+soins du bureau arabe.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_192"></a><a href="#FNanchor_192"><span class=
+"label">[192]</span></a>Une autre porte, Bab-el-Gharb, a été
+rouverte plus tard.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_193"></a><a href="#FNanchor_193"><span class=
+"label">[193]</span></a>Bey de Constantine, qui assiégea Tougourt
+en 1788.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_194"></a><a href="#FNanchor_194"><span class=
+"label">[194]</span></a>Le lieutenant Auer a été un remarquable
+exemple d’endurance européenne au Sahara. Resté lié avec Duveyrier,
+il lui écrivait de Biskra en 1869, évoquant le souvenir de leur
+commun séjour à Tougourt&nbsp;: «&nbsp;J’ai vieilli depuis, mais
+n’ai perdu ni la volonté virile, ni la santé, bien que je compte
+aujourd’hui vingt ans de séjour au Sahara. Vous avez bien raison de
+me déconseiller l’Europe&nbsp;; ma nature, toute forte qu’elle
+soit, ne supporterait plus un autre climat, et je veux passer en
+Afrique les jours qui me restent à vivre&nbsp;» (29 décembre
+1869).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_195"></a><a href="#FNanchor_195"><span class=
+"label">[195]</span></a><span class="arabic">حلاج</span> veut dire,
+en arabe, is qui gossypium a semine mundat. (H. Duv.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_196"></a><a href="#FNanchor_196"><span class=
+"label">[196]</span></a>On sait qu’avant de se fixer au Mzab, une
+partie des Ibâdhites a habité cette région. (Masqueray, <em>Chron.
+d’Abou-Zakaria</em>, p. 262, etc.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_197"></a><a href="#FNanchor_197"><span class=
+"label">[197]</span></a>Lait de palmier fermenté.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_198"></a><a href="#FNanchor_198"><span class=
+"label">[198]</span></a>Dans cette éclipse une vieille femme de
+Tebesbest, soupçonnée de sorcellerie, fut accusée d’avoir caché la
+lune dans un seau d’eau. Ses voisins et le cheikh de Tebesbest
+vinrent prier le kaïd de la mettre en prison. (H. Duv.) L’éclipse
+de soleil du 18 juillet 1860 eut moins d’effet&nbsp;: on ne fit
+«&nbsp;que peu de cas de l’événement, excepté quelques talebs trop
+croyants qui se portaient vers la mosquée pour prier et conjurer le
+sorcier qui causait ce désastre au soleil&nbsp;; à leur sortie, les
+autres leur riaient au nez.&nbsp;» (Lettre d’Auer à Duveyrier, 22
+juillet 1860.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_199"></a><a href="#FNanchor_199"><span class=
+"label">[199]</span></a><em>Djinn</em> (pluriel
+<em>djenoun</em>)&nbsp;: génies.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_200"></a><a href="#FNanchor_200"><span class=
+"label">[200]</span></a>Groupe de tentes.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_201"></a><a href="#FNanchor_201"><span class=
+"label">[201]</span></a>Les marabouts s’en font apporter
+constamment par les Arabes de leur confrérie, parce qu’ils
+craignent les fièvres occasionnées par les eaux de l’oued Righ (H.
+Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_202"></a><a href="#FNanchor_202"><span class=
+"label">[202]</span></a>Cf. Féraud, <em>le Sahara de
+Constantine</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_203"></a><a href="#FNanchor_203"><span class=
+"label">[203]</span></a>La «&nbsp;forêt de palmiers&nbsp;» de
+Nezla, à 2 kilomètres de la ville actuelle.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_204"></a><a href="#FNanchor_204"><span class=
+"label">[204]</span></a>Douaouda, tribu arabe qui fit irruption au
+<span class="sc2">XI</span><sup>e</sup> siècle dans l’Oued-Rir et à
+Ouargla. (Ibn-Khaldoun, <em>Hist. des Berbères</em>, II, p.
+73.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_205"></a><a href="#FNanchor_205"><span class=
+"label">[205]</span></a>Cf. sur cette légende Jus dans Rolland,
+<em>Hydrologie du Sahara</em>, p. 224.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_206"></a><a href="#FNanchor_206"><span class=
+"label">[206]</span></a>Graines de caroubier.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_207"></a><a href="#FNanchor_207"><span class=
+"label">[207]</span></a>Oasis de l’extrémité ouest du Nefzāoua.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_208"></a><a href="#FNanchor_208"><span class=
+"label">[208]</span></a>C’est-à-dire&nbsp;: y garde ses troupeaux
+au pâturage.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_209"></a><a href="#FNanchor_209"><span class=
+"label">[209]</span></a>Poudre d’or.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_210"></a><a href="#FNanchor_210"><span class=
+"label">[210]</span></a>Le gramme de poudre d’or vaut donc, d’après
+les circonstances du marché, de 3 fr. 59 cent. 3 (maximum) à 3 fr.
+23 cent. 3 (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_211"></a><a href="#FNanchor_211"><span class=
+"label">[211]</span></a><em>Khores</em>, poudre d’or mélangée de
+débris d’or travaillé.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_212"></a><a href="#FNanchor_212"><span class=
+"label">[212]</span></a>Ces dépouilles venaient de l’Erg, au nord
+de Ghadāmès&nbsp;; les autruches y ont à peu près disparu
+aujourd’hui.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_213"></a><a href="#FNanchor_213"><span class=
+"label">[213]</span></a>Pour la fabrication de la poudre.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_214"></a><a href="#FNanchor_214"><span class=
+"label">[214]</span></a>Toile de bât (sacs de chargement) pour les
+chameaux.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_215"></a><a href="#FNanchor_215"><span class=
+"label">[215]</span></a>Fabrication européenne. (Cf. Duveyrier,
+<em>Notice sur le commerce du Souf</em> (<em>Rev. algér. et
+coloniale</em>, nov. 1860).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_216"></a><a href="#FNanchor_216"><span class=
+"label">[216]</span></a>Fabrication européenne.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_217"></a><a href="#FNanchor_217"><span class=
+"label">[217]</span></a>Gomme-laque (rectification de Duv., art.
+cité).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_218"></a><a href="#FNanchor_218"><span class=
+"label">[218]</span></a>Petite ville du littoral au nord de
+Gabès.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_219"></a><a href="#FNanchor_219"><span class=
+"label">[219]</span></a>Ou <em>deglet-nour</em> (espèces diverses
+de dattes).</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2><span class="pagenum" id="Page_143">[143]</span><a id=
+"p3"></a>TROISIÈME PARTIE</h2>
+
+<p class="sch2">VOYAGE A GHADAMÈS</p>
+
+<hr class="decor width6 spaced2">
+
+<h3 class="nopb"><a id="p3c01"></a>CHAPITRE PREMIER</h3>
+
+<p class="sch">DANS L’ERG</p>
+
+<p class="datesect">26 juillet.</p>
+
+<p>Ce matin, on charge les chameaux pour le voyage de Ghadāmès.</p>
+
+<p>Je vais au bordj rendre au kaïd une visite qu’il m’a faite de
+bon matin, et nous mangeons ensemble la pastèque des adieux. Il est
+plus aimable que les jours derniers, et me promet de m’envoyer à
+Berresof le prochain courrier. Enfin nous partons. J’ai repris mon
+ancienne manière de voyager sur mon matelas plié en deux sur le dos
+d’un chameau.</p>
+
+<p>Nous traversons bientôt un cimetière, et entrons ensuite dans
+’Amīch. ’Amīch est le prolongement de l’oued Souf&nbsp;: c’est là
+que se perdait l’ancienne rivière, selon la tradition. En effet, ce
+pays a bien la forme d’une longue dépression (très peu sensible),
+faisant suite à celle qui commence à Ghamra et arrive à
+El-Ouad&nbsp;; en le traversant dans sa longueur comme nous le
+faisons aujourd’hui, on a à droite (ouest) des dunes assez hautes à
+une petite distance et l’on traverse des groupes de maisons et de
+nombreuses cabanes en palmes (<em>zérība</em>, pl.
+<em>zeraīb</em>), formant ainsi pour ainsi dire autant de petits
+hameaux qui prennent le nom de «&nbsp;<em>nezla</em>&nbsp;», mot
+emprunté à la vie nomade. C’est dans ’Amīch que vivent une partie
+des Toroūd, quand ils ne sont pas avec leurs troupeaux dans le
+Sahara. A gauche de la route sont les jardins de palmiers dispersés
+dans les intervalles des dunes. On peut voir là de magnifiques
+échantillons de palmiers.</p>
+
+<p>Nous rencontrons un cavalier rebāyi&nbsp;; il est à remarquer,
+pour cette portion des Toroud, que leur manière de se vêtir et de
+harnacher<span class="pagenum" id="Page_144">[144]</span> leurs
+chevaux, et leurs fusils surtout, sont identiques à ceux des tribus
+du sud de la Tunisie et de la Tripolitaine. Ces tribus sont surtout
+caractérisées par le haïk tourné simplement par-dessus une calotte
+rouge un peu renfoncée sur le côté et qui paraît à moitié sous le
+haïk&nbsp;; par leurs vastes et immenses étriers et enfin par leurs
+longs fusils à crosse ornée de nacre et de corail. Je possède une
+de ces armes.</p>
+
+<p>Nous nous arrêtons à la zaouiya de Sidi Abd el Qāder, presque à
+l’extrémité d’ʿAmīch. Le kaïd avait prévenu de mon arrivée, de
+sorte que je trouve un bon tapis étendu dans l’élégante et propre
+goubba, et je m’établis dans ce lieu saint. On m’apporte un repas
+inmangeable, mais succulent pour des Arabes. Il fait si chaud que,
+malgré mon désir de m’éloigner le plus tôt possible du Souf, nous
+restons la nuit ici. Le soir, de pieux khouān de toutes les sectes
+possibles étaient venus faire leurs récitations et chants autour de
+la goubba. Je les disperse en leur faisant remarquer que le désert
+est vaste et qu’il n’est pas hospitalier de troubler le sommeil
+d’un voyageur.</p>
+
+<p>ʿAmich a, à mon estime, autant d’habitants qu’El-Ouad, à la
+saison où toutes les huttes sont occupées (9 à 10.000 habitants).
+Les femmes ici s’habillent comme à El-Ouad, de deux manières, soit
+avec un <em>haouli</em> blanc accroché sur les épaules, soit avec
+un <em>haouli</em> bleu suspendu de la même manière&nbsp;; puis
+elles ont de grosses tresses de laine de chaque côté de la figure,
+et quelques-unes savent se faire pardonner cette hérésie par des
+ornements rouges de bon goût du côté droit de la figure.</p>
+
+<p class="datesect">27 juillet.</p>
+
+<p>Nous partons d’assez bonne heure, et rencontrons sur la première
+partie de la route des partis de Toroud avec leurs bagages, femmes,
+enfants, troupeaux rentrant à El-Ouad. Une de ces dames, assez
+jolie, demande, en faisant la mine à Ahmed, où nous allons. Ahmed
+lui répond&nbsp;: «&nbsp;Comment, toi tu vas faire paître tes
+chameaux dans le Sahara et nous, nous n’irions pas faire paître les
+nôtres&nbsp;?&nbsp;»</p>
+
+<p>Nous rencontrons aussi un nègre occupé à ramasser des crottes de
+chameaux sur la route pour fumer les palmiers. Ce travail, je dois
+le dire, a une grande importance dans le Souf et occupe beaucoup de
+monde&nbsp;; on va jusqu’à une et deux journées de
+marche<span class="pagenum" id="Page_145">[145]</span> pour en
+ramasser. Ces crottes servent à entourer la racine des <em>jeunes
+plants</em> de palmier&nbsp;; ensuite on n’en met plus.</p>
+
+<p>Nous laissons bientôt sur la droite un chemin qui passe d’abord
+au puits de Zerrīt et se continue ainsi jusqu’à Ghadāmès. Nous
+passons la <em>gaïla</em> dans le pays appelé Drā el Khezīn, ce
+sont des dunes plus régulières et moins accidentées que les autres,
+il y avait là un puits que M. de Bonnemain<a id=
+"FNanchor_220"></a><a href="#Footnote_220" class=
+"fnanchor">[220]</a> a vu donnant de l’eau. Nous reprenons, le
+soir, notre route et allons coucher près de Moui Bel Rhīt.</p>
+
+<p>Nous avons vu aujourd’hui deux plantes nouvelles pour moi&nbsp;:
+le <em>goseyba</em>, graminée, et le <em>godhām</em> ou
+<em>guedhām</em>, plante dans le genre du <em>dhomrān</em>.</p>
+
+<p class="datesect">28 juillet.</p>
+
+<p>Avant de partir, je mesure la direction de l’arête de la dune
+sous laquelle j’ai dormi&nbsp;; je la trouve égale à 150°
+(boussole)&nbsp;; les grains de sable sont chassés par le vent de
+l’est vers l’ouest. Presque au début de la journée, nous arrivons
+aux Haouād el Azoūl où nous nous séparons de la route de Mouï
+’Aissa qui reste sur la droite. La végétation de cet endroit est
+composée principalement de <em>drin</em>, <em>arta</em> et
+<em>ārfij</em>. Nous passons ensuite le puits mort de Mouï el
+Arneb. Tous ces puits morts que nous allons rencontrer ne le sont
+ainsi que momentanément&nbsp;; ainsi, dès que les bergers trouvent
+de bons pâturages dans un endroit, ils refont le puits le plus
+voisin et y restent jusqu’à ce que bon leur semble.</p>
+
+<p>Une bonne marche de la matinée nous amène à Choūchet el Guedhām,
+puits de bonne eau, où nous arrivons au moment où on allait
+abreuver un troupeau de moutons et de chèvres. Les pasteurs de la
+tribu des Mesăaba (celle d’Ahmed) lui laissent choisir le plus bel
+agneau qu’il peut trouver et ne veulent pas en recevoir le
+prix&nbsp;; ils viennent plus tard me rendre leurs hommages. Après
+avoir fait notre provision d’eau, nous rétrogradons un peu pour
+venir passer la sieste sous de petites huttes de broussailles
+faites probablement par une caravane qui a passé avant nous. Après
+une longue sieste, une courte marche nous amène au puits mort de
+Mouï er Rebăya el Gueblaoui<a id="FNanchor_221"></a><a href=
+"#Footnote_221" class="fnanchor">[221]</a> (par<span class=
+"pagenum" id="Page_146">[146]</span> opposition au puits de même
+nom qui se trouve entre le Souf et l’Oued-Righ).</p>
+
+<p class="datesect">29 juillet.</p>
+
+<p>Après avoir longé dans toute son étendue une petite chaîne de
+dunes (Zemlet Ahmed Ben ’Aād), nous arrivons à un puits appelé Bīr
+ez Zouāīt, dont l’eau de couleur verdâtre est lourde et légèrement
+saumâtre. Nous nous arrêtons ici une heure, et en me promenant aux
+environs, je vois à mon grand étonnement, dans un petit bas-fond
+semblable à celui du puits, la surface du sable couverte par
+endroits de petites coquilles minces et fragiles ressemblant en
+tous points à des coquilles d’eau douce, telles que celles des
+genres <i>Limnæa</i> ou <i>Bulla</i><a id=
+"FNanchor_222"></a><a href="#Footnote_222" class=
+"fnanchor">[222]</a>. Je m’abstiens de toutes notices et
+dissertations sur cette trouvaille. Je remarquerai cependant
+qu’aujourd’hui nous avons ensuite rencontré un grand nombre de
+petits bas-fonds de ce genre, mais que je n’ai pu examiner&nbsp;;
+ils ont au plus 100 mètres carrés de superficie et ne peuvent pas
+être pris en considération sur la carte.</p>
+
+<p>Nous voyageons le reste de la journée dans une plaine unie de
+sable avec végétation variée d’<em>alenda</em>, <em>arta</em>,
+<em>ezal</em>, <em>drin</em>, etc... Nous rencontrons un jeune
+<em>ourân</em>, des cigales et un petit oiseau gris que j’ai déjà
+rencontré dans le Sahara et qui a pour cri la gamme en sautant une
+note sur deux, chant à intervalles écartés de six à huit
+pauses.</p>
+
+<p>Nous faisons la sieste dans un endroit qui ne présente rien de
+remarquable, et après la sieste nous atteignons facilement, quoique
+à la nuit tombante, le puits de Maleh ben ’Aoūn. Nous y rencontrons
+deux Toroūd avec une dizaine de chameaux venant de Berresof et qui
+ne font que prendre de l’eau au puits.</p>
+
+<p class="datesect">30 juillet.</p>
+
+<p>Notre marche d’aujourd’hui n’a été que fort peu de chose&nbsp;;
+nous allons simplement à Mouï Rebah&nbsp;; le pays qui sépare ce
+puits de celui où nous avons couché hier est une plaine de sables
+unis légèrement ondulés et couverts d’une assez riche végétation
+(comme<span class="pagenum" id="Page_147">[147]</span> hier) de
+<em>drin</em>, <em>arta</em>, <em>’alenda</em>, <em>baguel</em>,
+<em>ezal</em>. Nous passons plusieurs puits morts et un puits d’eau
+saumâtre.</p>
+
+<p>Pendant la marche, mes gens prennent une gerboise des sables,
+que je dépiote en arrivant. Au puits de Mouï er Rebah, Ahmed tue
+une sorte de petit corbeau ou de grande corneille à tête et à nuque
+d’un brun bois pourri foncé&nbsp;; le reste du plumage est tout
+noir. Les chameliers et mes gens mangent cet oiseau. En route une
+autre prise, celle d’un gros mâle de <em>cherchimāna</em>
+(<i>Scincus</i> .....) à bandes latérales brun foncé, séparées par
+des bandes de jaune gomme gutte. Tête d’un noir brunâtre clair.</p>
+
+<p>Nous arrivons au puits de Mouï er Rebah que l’on me dit avoir
+été creusé par les Djohāla<a id="FNanchor_223"></a><a href=
+"#Footnote_223" class="fnanchor">[223]</a>&nbsp;; le fait est que
+ce puits est très célèbre dans le Sahara. L’eau en est bonne, mais
+a dans ce moment un goût de renfermé et de corrompu, qu’elle doit à
+ce qu’il n’y a pas de troupeaux dans le voisinage, et que l’eau n’a
+pas l’occasion de se renouveler par suite de grandes quantités
+absorbées au dehors. Dans la soirée nous voyons arriver deux ou
+trois chameaux chargés en partie de «&nbsp;jell&nbsp;» (crottes de
+chameau)&nbsp;; on vient en prendre bien loin pour fumer les
+jardins du Souf&nbsp;!</p>
+
+<p>J’ai oublié de noter qu’hier, peu de temps après notre départ,
+nous fûmes rejoints par un nègre marron qui demanda la permission
+de nous suivre à Ghadāmès&nbsp;; je lui accorde cette permission,
+car je ne puis que favoriser l’émancipation des esclaves. Cependant
+Ahmed et mes autres compagnons ne partagent pas mes principes. Le
+nègre nous suivra donc et si son maître ne vient pas à temps à
+Berresof, il ira à Ghadāmès et sera là en sûreté. Le motif de la
+fuite de ce nègre (qui est de Kanō) est que son maître lui donne
+toujours les plus pénibles tâches à remplir, et qu’il lui défend
+d’aller aux fêtes des nègres.</p>
+
+<p>Je ne fais pas une longue sieste, et, le soir, je veille un peu
+pour tâcher de faire des observations astronomiques.</p>
+
+<p class="datesect">31 juillet.</p>
+
+<p>Nous passons plusieurs puits et nous arrêtons pour faire la
+sieste en sortant d’une ligne de dunes, à un endroit où le
+<em>hād</em> apparaît pour la première fois. Nous traversons un
+immense <em>sahan</em><a id="FNanchor_224"></a><a href=
+"#Footnote_224" class="fnanchor">[224]</a><span class="pagenum" id=
+"Page_148">[148]</span> uni parsemé de petits morceaux de calcaire
+(vétusté)&nbsp;; si j’osais le penser, je croirais que c’est un
+bassin d’eau desséché. Il est bordé en partie de petits bourrelets
+de dunes. Nous couchons à une <em>ogla</em> très profonde appelée
+Dakhlet Sidi-’Aoūn, qu’il ne faut pas confondre avec El ’ogla ech
+Cherguiya de Berresof.</p>
+
+<p class="datesect">1<sup>er</sup> août 1860.</p>
+
+<p>Aujourd’hui les dunes apparaissent à droite et à gauche de notre
+route sous forme de petits chaînons. Nous passons plusieurs puits
+et rencontrons des troupeaux de chameaux et aussi une ou deux
+huttes habitées par des Ferdjān qui ont là un cheval&nbsp;; on nous
+apporte un peu d’une boisson composée pour cet animal de lait de
+chamelle coupé d’eau. Nous arrivons à la sieste à Bir er
+Reguia’t<a id="FNanchor_225"></a><a href="#Footnote_225" class=
+"fnanchor">[225]</a> où nous trouvons une douzaine de
+«&nbsp;zeraïb&nbsp;» occupées par des Roubaa’ya<a id=
+"FNanchor_226"></a><a href="#Footnote_226" class=
+"fnanchor">[226]</a>. Ces gens prennent plaisir à effrayer mes
+hommes, déjà si impressionnés par l’idée d’aller au-devant d’un
+inconnu. Ils finissent par me faire croire à la possibilité que les
+Touāreg campés autour de Ghadāmès nous empêcheraient d’y
+entrer.</p>
+
+<p>Une marche moyenne dans l’après-midi nous amène à Berresof, le
+dernier puits sur notre route. Nous trouvons ici plusieurs groupes
+de huttes habitées par des Roubaa’ya. La caravane partie peu de
+jours avant nous avec le Ghadāmsi est encore ici&nbsp;; elle attend
+son guide qui est dans les dunes à la chasse du
+«&nbsp;beguer&nbsp;», antilope oryx ou leucoryx. Elle nous rassure
+sur les bruits que nous avons entendus ce matin.</p>
+
+<p>Je reçois dans la soirée la visite des principaux Roubaa’ya
+campés ici&nbsp;; ils se mettent entièrement à ma disposition, et
+se plaignent en même temps de ce que, depuis le gouvernement des
+Français, ils ne peuvent pas aller razzier leurs voisins et sont,
+au contraire, exposés aux attaques de tous. Je leur explique de mon
+mieux la politique des Français à cet égard. Ils craignent ici les
+Ourghamma, les Beni-Zid et les Oulād Yagoub, qui tous ne sont pas
+loin de ce point. Dans la soirée il y a noce chez les
+Roubaa’ya&nbsp;; étant un peu fatigué, je n’y vais pas, mais mes
+serviteurs me racontent que des femmes y faisaient une sorte de
+danse ayant leur chevelure dénouée, qu’elles jettaient à droite et
+à gauche.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_149">[149]</span>2 août.</p>
+
+<p>Dans la matinée on m’annonce qu’un petit parti de méhara est en
+vue, je m’empresse de monter sur une dune et bientôt je distingue
+que ce sont des Touāreg. C’est le cheikh Othman, monté sur son haut
+méhari blanc et son entourage. Nous nous saluons, et bientôt il
+vient dans ma tente où nous avons un long entretien public. Il me
+remet deux lettres de France, et une du kaïd Si Ali Bey<a id=
+"FNanchor_227"></a><a href="#Footnote_227" class=
+"fnanchor">[227]</a>. Il me donne à lire aussi une lettre de Hadj
+Ikhenoukhen dans laquelle ce chef des Azdjer lui reproche de rester
+dans un doux loisir tandis que ses frères les Touareg sont en
+guerre les uns avec les autres, et lui dit que son devoir à lui
+marabout est de rapprocher les ennemis et de cimenter la paix.</p>
+
+<p>Le cheikh Othman me conseille quatre choses&nbsp;: la première,
+d’avoir beaucoup de patience&nbsp;; la seconde, d’être libéral en
+présents&nbsp;; la troisième, de ne pas intervenir au désert dans
+le conseil des guides&nbsp;; la quatrième, d’emporter beaucoup
+d’eau. Le cheikh Othman a connu le major Laing (er Raīs)&nbsp;; il
+sait encore compter en anglais, ce que le major lui avait appris.
+Il reconduisit de Timbouktou (?) à Insalah un des garçons de
+service de Laing qui était du Fezzān. J’expose la politique
+française vis-à-vis du Sud au cheikh Othman et lui demande son
+avis&nbsp;; ce qu’il m’en dit sera le sujet d’une dépêche que je
+ferai demain au général de Martimprey.</p>
+
+<p>Le soir, je vais voir la noce qui est à son dernier jour. On a
+mis la mariée dans une «&nbsp;djahfa&nbsp;» ou cage recouverte de
+haoulis rouge sur le dos d’un chameau blanc. Derrière le chameau
+sont quelques femmes assez bien, qui frappent sur un tambourin
+attaché à la bête en chantant une de leurs chansons monotones.
+Devant la mariée les jeunes gens de la <em>nezla</em>, en très
+grand nombre et tous bien mis, font la fantasia avec leurs longs
+fusils orientaux dans lesquels ils fourrent des quantités de poudre
+de sorte que leurs détonations ressemblent au bruit de
+l’artillerie. C’est ridicule. Un des performants ayant tiré un coup
+faible, j’entends un des jeunes gens dire&nbsp;: «&nbsp;C’est une
+femme&nbsp;!&nbsp;» — Je remarque un des assistants qui sous son
+haouli s’est entouré la figure d’une pièce de «&nbsp;çay&nbsp;»
+bleu. C’est une mode qui, à ce que l’on me dit, est usitée chez les
+Hamamma.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_150">[150]</span>Le cheikh Othman
+a amené cinq Touareg avec lui&nbsp;; ce matin&nbsp;; on leur a
+donné la diffa des Roubaa’ya qui m’était destinée. Le soir, ils ont
+leur diffa à eux. — Je vais au puits pour le mesurer, et j’y trouve
+des Touareg qui sont de bons garçons&nbsp;; l’un d’eux, encore
+jeune, a la tête nue et rasée, sauf une ligne de cheveux longs
+depuis le milieu du front jusqu’au cou derrière la tête. Ils sont
+étonnés de voir que je connais leurs divisions de castes et un peu
+leur alphabet. Ils admirent le chapelet que m’a donné Si Mohammed
+el’Aïd.</p>
+
+<p>Pendant que j’étais au puits, deux jeunes femmes des Roubaa’ya
+emplissaient leurs outres. Elles laissent tomber leur
+«&nbsp;delou&nbsp;»<a id="FNanchor_228"></a><a href="#Footnote_228"
+class="fnanchor">[228]</a> dans le puits. Toutes deux sont vêtues
+de blanc et ont une petite pièce d’étoffe de laine bleu foncé jetée
+sur la tête, qu’elles ramènent de côté devant leur figure pour ne
+pas être aperçues des hommes. Malgré cela, je puis voir qu’elles ne
+sont pas mal. L’une d’elles, en se baissant pour prendre son outre,
+nous donne quelques instants le spectacle d’un joli petit sein bien
+rond qu’elle n’a pas d’objection à laisser exposé aux regards
+tandis qu’elle prend tant de soin à cacher sa figure. On me dit que
+les Ourghamma, qui étaient venus sous prétexte de cimenter la paix
+avec El-Ouad, ont fait un mauvais coup en s’en allant et ont emmené
+un chameau qu’ils ont trouvé sur leur route.</p>
+
+<p class="datesect">3 août.</p>
+
+<p>Aujourd’hui il n’y a d’autres choses de remarquable que la
+demande du Ghadamsi et de ses compagnons d’El-Ouad de partir avant
+nous. Le cheikh Othman leur refuse net cette permission. Ces gens
+sont effrayés du sort qui peut nous attendre et ne veulent le
+partager en aucune façon. Il y a avec le Ghadamsi deux gens
+d’El-Ouad qui se rendent à Tripoli.</p>
+
+<p>Le puits est toute la journée le rendez-vous des Roubaa’ya et
+Oulad Hamed campés ici autour et qui sont divisés en trois petites
+nezlas&nbsp;; c’est là que la djemaa se tient, et l’on cause tandis
+que les femmes puisent de l’eau et qu’un joueur de flûte joue des
+airs. Le puits n’est pas un instant inoccupé tant il y a de monde,
+de chameaux, de moutons de chèvres et d’ânes à abreuver. On
+m’apporte un agneau dont j’envoie la moitié à Othman, qui vient
+passer une partie de la journée avec moi. On veut reprendre
+le<span class="pagenum" id="Page_151">[151]</span> nègre. Hier et
+une partie de la journée, il est resté caché dans les dunes et n’a
+mangé que quelques dattes qu’il avait emportées.</p>
+
+<p>J’ai eu des conversations très intéressantes avec Othman&nbsp;;
+j’écris au général de Martimprey<a id="FNanchor_229"></a><a href=
+"#Footnote_229" class="fnanchor">[229]</a> et à Paris.</p>
+
+<p>Observations astronomiques comme hier soir.</p>
+
+<p class="datesect">5 août.</p>
+
+<p>Aujourd’hui nous devons partir. Les chameaux et les méhara
+arrivent des pâturages et on les mène au puits&nbsp;; ces
+malheureuses bêtes en reviennent avec le ventre rond comme un
+tonneau et un corps aussi large que haut. On dirait qu’elles savent
+en buvant qu’elles vont traverser un désert sans eau et qu’elles
+reconnaissent les puits qui précèdent les routes de la soif. Les
+mehara seuls ne boivent peut-être pas assez. Les chameaux que le
+khebir Mohammed m’a amenés de Sahan el Kelb<a id=
+"FNanchor_230"></a><a href="#Footnote_230" class=
+"fnanchor">[230]</a> sont les plus beaux animaux de cette espèce
+que j’aie encore vus&nbsp;; ce sont de vrais monstres par leurs
+proportions gigantesques. Je prends un peu de repos à la
+<em>gaïla</em>, mais pas assez, au milieu du bruit de l’emballage.
+Je ferme mon courrier et je plie bagage.</p>
+
+<p>Nous partons. Nous traversons un pays tout à fait analogue à
+celui qui précède Berresof, immédiatement au nord. Ce sont des
+espaces sablonneux, couverts d’une végétation dense de
+<em>drīn</em>, appelé par les Roubaa’ya et les Arabes de l’est
+<em>sebot</em>, et de <em>halma</em>, enfin de <em>hād</em> et de
+<em>seffār</em>. Ces espaces sablonneux sont coupés par des
+chaînons de dunes à cime régulière, qui prennent le nom de
+<em>Zemla</em>. Avant la nuit nous trouvons du <em>baguel</em>.</p>
+
+<p>La première nuit de marche fut pénible pour moi&nbsp;; le
+sommeil me vint d’autant plus vile que j’étais accoutumé, depuis
+l’été, à faire<span class="pagenum" id="Page_152">[152]</span> la
+sieste au milieu du jour. Je ne puis m’empêcher d’admirer, quand la
+lune s’est levée, les Touareg sur leurs méhara. Avec leurs armes
+desquelles tombent des lanières de peau diversement
+ornementées&nbsp;; leur vêtement fantastique et leur immobilité sur
+ces grands animaux au pas lent et régulier, ils ont quelque chose
+qui me reporte en pensée aux temps de notre chevalerie. Et
+réellement les Touareg ont dans le caractère quelque chose de
+chevaleresque qui me plaît beaucoup. Au départ, tous mes Arabes
+invoquent Dieu, le prophète et tous les saints de leur paradis pour
+qu’ils nous protègent sur cette route dangereuse par sa longueur et
+son manque d’eau absolu. Nous dépassons Ghourd el Liyya derrière
+lequel arrive la route de Djedid à laquelle nous nous joignons.
+Cette route est, au dire de mes guides, <em>la plus ancienne</em>
+et la plus directe. Autrefois le dernier puits était précisément
+celui de Djedid&nbsp;; mais depuis quelque temps on en a creusé un
+un peu plus au Sud, c’est le puits de Bou Khalfa. La fatigue me
+fait commander l’arrêt d’un peu bonne heure pour mes guides, qui
+sont scandalisés de cet acte de despotisme.</p>
+
+<p class="datesect">6 août.</p>
+
+<p>Après trois heures de sommeil nous repartons. Les guides
+aiguillonnent mes domestiques un peu mous en leur disant&nbsp;:
+«&nbsp;Il faut fuir devant la mort&nbsp;!&nbsp;» Le pays continue à
+garder le même aspect, nous rencontrons par endroits des pierres
+noires et grises (dolomies&nbsp;?) identiques à celle de la chebka
+des Beni Mzāb, ce qui se trouve confirmé plus tard par l’apparition
+d’affleurements de ce plateau et par l’assertion du cheikh Othman
+que l’on trouve près de Ghadāmès, près de notre route, une dune
+très élevée au sommet de laquelle perce un rocher.</p>
+
+<p>Une tête de gazelle que nous trouvons me montre que la gazelle
+commune du pays est de la variété nommée <em>rim</em>, caractérisée
+par ses cornes plus droites et très rapprochée&nbsp;: je crois que
+c’est l’antilope Corinna. L’autre gazelle commune
+(<i>dorcas</i>&nbsp;?) est plus rare, mais se trouve cependant
+aussi quelquefois dans ces dunes. Les chasseurs Toroud la nomment
+<em>el himed</em> parce qu’elle affectionne plutôt les
+<em>hamada</em>.</p>
+
+<p>Nous faisons la sieste à l’heure habituelle et avons fait dans
+nos 24 heures 13 h. 4 m. de marche. Depuis ce matin, comme par un
+fait exprès, le sirocco s’est levé et a remplacé le vent d’est qui
+nous<span class="pagenum" id="Page_153">[153]</span> avait favorisé
+sans cesse depuis El-Ouad. Nous repartons à peu près à la même
+heure qu’hier, cependant pas d’aussi bonne heure à cause de la
+chaleur qui accompagne le sirocco.</p>
+
+<p>Nous rencontrons sur la route trois charges de chameaux de
+vêtements et d’autres menus objets rassemblés en un tas. Ces sortes
+de dépôts, occasionnés le plus souvent par la mort d’un chameau,
+sont religieusement respectés sur cette route, et j’apprends
+d’Othman qu’il en est de même sur les routes de Ghadāmès au Touat
+et au Soudan par l’Aïr&nbsp;; elles restent quelquefois des années
+sans que le propriétaire trouve une occasion pour les faire
+enlever.</p>
+
+<p>Un peu plus loin, nous trouvons les premières traces de cet
+animal que les chasseurs des dunes appellent «&nbsp;beguer&nbsp;»,
+mais dont le vrai nom arabe est <span class=
+"arabic">مَهَى</span><a id="FNanchor_231"></a><a href=
+"#Footnote_231" class="fnanchor">[231]</a> et qui est notre
+antilope oryx ou leucoryx.</p>
+
+<p>Près de Ghourd et Trouniya la nuit nous surprend, et peu après
+nous arrive un accident qui manque de nous causer un retard
+sérieux. Un des chameaux des Touareg s’était mêlé aux miens, et
+soit qu’il eût été effrayé par quelque chose, soit qu’il voulût
+rejoindre ses frères, il prit tout d’un coup le galop en faisant
+des sauts et des gambades dont je n’aurais pas cru un chameau
+capable et il disparut dans les dunes. Quand les Touareg
+arrivèrent, nous constatâmes que sur quatre outres qu’il portait
+deux avaient été crevées et ne contenaient plus rien. Othman
+attribua cet accident à l’<em>aïn</em><a id=
+"FNanchor_232"></a><a href="#Footnote_232" class=
+"fnanchor">[232]</a>, en disant qu’un de ses suivants, Ihemma,
+venait de dire tout à l’heure que l’on ne manquerait pas d’eau, et
+cela avait porté malheur. Après bien des discussions, il fut
+convenu que le maître du chameau irait sur son méhari à sa
+recherche et tâcherait de nous rattraper. On lui fit une petite
+part d’eau dans une outre et il partit, tandis que nous continuâmes
+notre route.</p>
+
+<p>Lorsque la lune se leva, je pus remarquer que la végétation
+avait notablement diminué de force et de nombre&nbsp;; nous n’avons
+plus que de rares pieds de <em>seffār</em> et de <em>hād</em>. Dans
+l’obscurité complète (lueur des étoiles) je puis continuer presque
+aussi bien qu’en plein jour le levé des distances et des
+directions, seulement le détail des dunes à droite et à gauche de
+la route souffre de cette route de nuit. Je remarque des
+affleurements du plateau calcaire. Nous voyageons entre des rangées
+de dunes, qui tantôt s’éloignent<span class="pagenum" id=
+"Page_154">[154]</span> tantôt se rapprochent et quelquefois nous
+barrent la route&nbsp;; mais elles sont alors très diminuées. De
+temps en temps aussi nous trouvons des <em>sahan</em> analogues à
+ceux dans lesquels les puits sont creusés, mais ici on trouve
+parsemées sur leur surface des pierres (dolomies appartenant au
+plateau).</p>
+
+<p class="datesect">7 août.</p>
+
+<p>Après un repos beaucoup moins long que celui d’hier nous
+repartons, et rencontrons bientôt de nouveaux affleurements de
+calcaire. Nous arrivons au commencement de la chaleur du jour à des
+dépressions irrégulières allongées courant à peu près du E. 1/4 S.
+à l’O. 1/4 N., et séparées par des chaînons de dunes. Othman
+m’assure que ces dépressions s’en vont jusque sur la route de
+Ouarglā à Ghadāmès où elles prennent le nom de Oudiān el
+Halma<a id="FNanchor_233"></a><a href="#Footnote_233" class=
+"fnanchor">[233]</a>. Je commence à remarquer qu’Othman a le sens
+géographique très développé et qu’il possède, ce que je n’ai
+remarqué chez aucun Arabe, la connaissance du rapport des
+différents accidents du sol et de leur enchaînement. Nous faisons
+la sieste dans un de ces derniers oueds, après une marche totale de
+13 h. 46 m.</p>
+
+<p>Dans la soirée, un de mes Arabes m’apporte une corne de
+<em>meha</em><a id="FNanchor_234"></a><a href="#Footnote_234"
+class="fnanchor">[234]</a> qu’il a ramassée sur la route. Nous
+rencontrons des traces de chacals, ce qui me donne l’occasion
+d’apprendre du cheikh Othman que partout, dans son pays, les
+chacals boivent et ne s’éloignent pas de plus d’un ou deux jours de
+la source qui les abreuve, qu’il ne connaît que l’Erg où le chacal
+vive naturellement sans boire<a id="FNanchor_235"></a><a href=
+"#Footnote_235" class="fnanchor">[235]</a>. Le <em>fenek</em> au
+contraire ne boit jamais, et aussi se trouve-t-il presque
+exclusivement dans ces sables. Un proverbe arabe dit&nbsp;: Trace
+de chacal, eau proche&nbsp;; trace de <em>fenek</em>, ceins-toi et
+marche.</p>
+
+<p>Mon serviteur Ahmed a encore des accès de fièvre, ce qui dérange
+tout, mes deux autres Arabes n’étant bons à rien ou à très peu de
+chose. La végétation est toujours presque nulle<a id=
+"FNanchor_236"></a><a href="#Footnote_236" class=
+"fnanchor">[236]</a>.<span class="pagenum" id=
+"Page_155">[155]</span> Nous arrivons dans la nuit au Sahan Tángăr
+où la route de Moui ’Aissa vient rejoindre celle de Djedid&nbsp;;
+près de là il y a, à droite, un petit <em>ghourd</em><a id=
+"FNanchor_237"></a><a href="#Footnote_237" class=
+"fnanchor">[237]</a> appelé Gherīd Tángăr. Mes chameliers me font
+remarquer que la marche est devenue plus rapide parce que les
+chameaux commencent à avoir diminué notablement leur provision
+d’eau et ont le ventre allégé. Nous faisons la halte de nuit à
+Ghourd es Sīd.</p>
+
+<p class="datesect">8 août.</p>
+
+<p>Après un sommeil d’environ une heure et demie, nous nous
+remettons en marche, et suivons des sortes de boyaux entre deux
+dunes&nbsp;; quelquefois ces boyaux s’élargissent et ressemblent à
+de petits oueds (style du Souf). Nous faisons la sieste dans une
+dépression après avoir fait une marche de 14 h. 11 m. depuis hier à
+pareille heure.</p>
+
+<p>Ahmed, au départ le soir, est encore pris par la fièvre.</p>
+
+<p>Le cheikh Othman me dit que nous sommes ici au Dhahar el ’Erg,
+c’est-à-dire au point culminant de la région des dunes, qu’à partir
+d’ici le sol va en s’abaissant vers Ghadāmès et vers El-Ouād<a id=
+"FNanchor_238"></a><a href="#Footnote_238" class=
+"fnanchor">[238]</a>. Cet avis a besoin d’être pesé, mais le fait
+sur lequel s’appuie mon compagnon targui est indubitable, c’est la
+forme nouvelle que prennent les dunes. Les <em>ghourds</em> sont
+encore petits, pas aussi hauts que le Ketef, à mon avis, mais leurs
+formes ont changé&nbsp;; ils ont pris des formes de montagnes
+pointues, anguleuses sur toutes les faces&nbsp;; les ghourds sont
+moins allongés. Nous rencontrons de temps en temps en travers de la
+route des dunes en cordons hauts de 1 à 3 mètres seulement, mais
+longues de 400 à 700 mètres et très régulières, que le vent change
+sans cesse de force et de direction. Ces endroits sont toujours un
+obstacle pénible pour les chameaux et tout le monde se met à
+l’ouvrage pour leur frayer un chemin oblique avec une pente légère.
+Le vieil Othman est toujours le premier à l’ouvrage.</p>
+
+<p>Deux des Arabes ont des symptômes d’ophtalmie.</p>
+
+<p>Le khebir me dit que Ghourd Meçaouda est, selon lui, à
+moitié<span class="pagenum" id="Page_156">[156]</span> route de
+Ghadāmès à Berresof. Au ghourd Rouba que nous avons passé il y a
+longtemps, vient se joindre à notre route une des routes de Bīr
+Ghardāya&nbsp;; d’autres viennent ici et d’autres plus loin encore.
+Cette route est peu stable, comme on le voit, et dépend du caprice
+du guide. La végétation est toujours presque nulle. Nous arrivons
+au ghourd Ben ’Akkou, qui est le point très connu anciennement
+comme faisant le point du milieu entre le puits de Djedid et
+Ghadāmès.</p>
+
+<p>Dans le Haoudh<a id="FNanchor_239"></a><a href="#Footnote_239"
+class="fnanchor">[239]</a> es Sefār je remarque une petite butte
+d’un blanc éclatant. Nous nous arrêtons pour dormir un peu dans un
+endroit appelé Ma’dhema.</p>
+
+<p class="datesect">9 août.</p>
+
+<p>Nous partons comme toujours de bonne heure, et marchons entre
+les <em>ghourds</em> et les <em>zemlāt</em><a id=
+"FNanchor_240"></a><a href="#Footnote_240" class=
+"fnanchor">[240]</a>. Nous arrivons bientôt dans une série de
+bas-fonds entre les dunes, que l’on a désignés sous le nom
+générique d’El-Hiádh<a id="FNanchor_241"></a><a href=
+"#Footnote_241" class="fnanchor">[241]</a>. De temps en temps des
+pierres de calcaire gris plus ou moins décomposé. Nous allons faire
+la sieste à l’extrémité sud du Haoudh El-Hadj S’aīd, aussi nommé
+Hoūdh el Belbelāt à cause de la plante nommée <em>belbal</em> qui y
+croît. Le sol de ce terrain est très ferme, composé de détritus de
+calcaire. Othman et les guides me désignent cet endroit comme étant
+celui où l’on devrait tenter le forage d’un puits. La présence de
+<em>belbal</em>, disent-ils, est un signe que l’eau ne doit pas
+être loin. L’endroit me paraîtrait, à moi aussi, bien choisi.</p>
+
+<p>Nous avons rencontré avant l’étape deux Souāfa venant de
+Ghadāmès avec un chameau&nbsp;; ils apportent la nouvelle que la
+plus grande partie des Touareg ont quitté les environs de la ville
+par suite de la petite vérole qui y règne et qui les décime. Si
+Othman me dit&nbsp;: «&nbsp;Dieu a créé la petite vérole ennemie
+des Touareg et aussi la craignent-ils très fort&nbsp;». On me dit
+plus tard à Ghadāmès que si elle est si fatale pour les Touareg,
+c’est qu’ils sont sales, et que même quand ils ont de l’eau, ils
+font leurs ablutions en se frottant les mains sur une pierre.</p>
+
+<p>Nous avons marché 14 h. 50 m. depuis la dernière étape. A notre
+départ, la végétation, presque nulle comme toujours, se<span class=
+"pagenum" id="Page_157">[157]</span> compose d’<em>álenda</em>, de
+<em>drīn</em> et de <em>hād</em>. A la nuit nous passons deux
+tombeaux d’individus assassinés par les Arabes, dont l’un nommé
+Mîdi de Ghadāmès a donné son nom à un ghourd voisin. Le vent a
+tourné à l’est. Nous marchons toute la nuit et ne nous arrêtons
+qu’à 6 h. 65 m. du chronomètre le 10 août pour faire la sieste.
+Cette deuxième étape a été de 13 h. 30 m. de marche.</p>
+
+<p class="datesect">10 août 1860.</p>
+
+<p>Nous nous arrêtons pour la sieste épuisés de fatigue<a id=
+"FNanchor_242"></a><a href="#Footnote_242" class=
+"fnanchor">[242]</a>&nbsp;; je n’ose pas comparer celle de mes
+domestiques à la mienne tant j’aurais pitié d’eux. On verse dans le
+nez d’un chameau qui souffre de la soif une gamelle d’eau. Cela
+vaut beaucoup mieux que donner à boire, parce que le peu d’eau dont
+on peut disposer ne fait rien dans l’estomac de l’animal. Nous
+arrivons près du ghourd Mámmer, à une dépression où je reconnais la
+roche blanc d’argent dont j’ai parlé. Je trouve que c’est une terre
+très savonneuse et salissant les doigts, toute imprégnée de
+coquilles de <i>planorbis</i>, signe évident qu’il y avait là un
+petit lac autrefois. Tout à côté de cette terre se trouve sous le
+sable une poussière noire, qui m’intrigue beaucoup et dont je
+prends une petite quantité<a id="FNanchor_243"></a><a href=
+"#Footnote_243" class="fnanchor">[243]</a>.</p>
+
+<p>A la tombée de la nuit, le chameau sur lequel je suis monté, sur
+un lit formé de mon matelas jeté sur les caisses, prend peur et
+part au galop en sautant&nbsp;; je suis lancé en l’air et un peu
+plus loin tombent les cantines. Rien n’est cassé heureusement ni
+sur moi ni dans les caisses. J’aurais été tué ou estropié si
+j’étais tombé sous les cantines.</p>
+
+<p>Les dunes diminuent notablement et rapidement de hauteur, elles
+reprennent la forme de <em>zemlat</em>. Nous traversons un petit
+<em>hamada</em>, nommé Hameida, et nous reprenons les dunes,
+redevenues simples ondulations de sables. Nous voyageons toute la
+nuit&nbsp;; de bonne heure nous entrons sur la hamada de Ghadāmès
+qui est d’abord recouverte de sable, puis apparaît comme la chebka
+des Beni Mezāb, semée de pierres de dolomies violettes, noires ou
+grises.</p>
+
+<p>Peu après nous descendons dans une dépression profonde<a id=
+"FNanchor_244"></a><a href="#Footnote_244" class=
+"fnanchor">[244]</a> de<span class="pagenum" id=
+"Page_158">[158]</span> la chebka&nbsp;; c’est un chott à sol de
+<em>heicha</em>, tout semblable à celui de l’Oued-Righ&nbsp;; nous
+dépassons une grande dune située au milieu et enfin nous arrivons à
+l’autre extrémité à une petite <em>ghaba</em><a id=
+"FNanchor_245"></a><a href="#Footnote_245" class=
+"fnanchor">[245]</a>, appartenant à la zaouiya de Sidi Maābed.</p>
+
+<p>Marche de cette étape, 15 h. 36 m.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp3c01">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_220"></a><a href="#FNanchor_220"><span class=
+"label">[220]</span></a>Cf. <em>Relation du voyage de M. de
+Bonnemain</em>, par A. Cherbonneau, <em>Nouv. Annales des
+Voyages</em>, juin 1857, et A. Bernard et N. Lacroix,
+<em>Historique de la pénétration saharienne</em>. Alger, 1900, p.
+46-47.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_221"></a><a href="#FNanchor_221"><span class=
+"label">[221]</span></a>Du Sud.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_222"></a><a href="#FNanchor_222"><span class=
+"label">[222]</span></a>D’après la détermination de
+Bourguignat&nbsp;: <i>Physa contorta</i>, <i>Physa Brocchii</i>,
+<i>Physa truncata</i>, <i>Planorbis Maresianus</i>. (<em>Les
+Touareg du Nord</em>, Append., p. 27.) On sait, par les
+explorations de MM. Foureau et Flamand, que les fonds de sebkha à
+coquilles d’eau douce et saumâtre se rencontrent fréquemment dans
+l’Erg, où ils apparaissent entre les dunes. Le vent soulève les
+tests légers des coquilles et les éparpille sur les sables.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_223"></a><a href="#FNanchor_223"><span class=
+"label">[223]</span></a>Géants auxquels les indigènes attribuent
+aussi les tombeaux mégalithiques (<em>Touareg du Nord</em>, p.
+416).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_224"></a><a href="#FNanchor_224"><span class=
+"label">[224]</span></a>«&nbsp;Dépression de terrain solide en
+forme de bassin arrondi au milieu des sables&nbsp;» (H. Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_225"></a><a href="#FNanchor_225"><span class=
+"label">[225]</span></a>Le vrai nom de ces puits est Maatig (H.
+Duv.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_226"></a><a href="#FNanchor_226"><span class=
+"label">[226]</span></a>Ou Rebaya&nbsp;; fraction des Souafa.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_227"></a><a href="#FNanchor_227"><span class=
+"label">[227]</span></a>Le kaïd de Tougourt.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_228"></a><a href="#FNanchor_228"><span class=
+"label">[228]</span></a>Seau de cuir.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_229"></a><a href="#FNanchor_229"><span class=
+"label">[229]</span></a>Le général de Martimprey fut un des
+principaux partisans du commerce du Sud. Commandant des forces de
+terre et de mer en Algérie, il écrivait dans une lettre officielle
+du 22 juillet 1860, reçue par Duveyrier à ce puits de
+Berresof&nbsp;: «&nbsp;Un décret impérial vient de faire tomber les
+barrières qui s’opposaient à nos relations commerciales avec le
+Sud&nbsp;; aujourd’hui et désormais les produits soudanais et
+sahariens doivent entrer en Algérie en toute franchise. Veuillez
+répandre cette bonne nouvelle...&nbsp;» Et il ajoutait ce
+<em>post-scriptum</em> de sa main&nbsp;: «&nbsp;Avant d’avoir reçu
+votre lettre qui me fait connaître l’intention où vous êtes de vous
+faire accompagner par le cheikh Othman, je venais d’adresser à ce
+chef l’invitation de se rendre auprès de moi. J’ai hâte de conclure
+tous les arrangements qui pourront le plus tôt possible, la
+sécurité existant à un degré suffisant, amener la liaison des
+relations qu’il faut établir entre l’Algérie, le Soudan et les
+régions intermédiaires... Vous comprenez que je tienne à ce que le
+cheikh Othman soit ici quand l’Empereur y viendra.&nbsp;» — On sait
+que le cheikh Othman préféra suivre Duveyrier.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_230"></a><a href="#FNanchor_230"><span class=
+"label">[230]</span></a>«&nbsp;La cuvette du chien&nbsp;», un des
+pâturages de l’Erg.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_231"></a><a href="#FNanchor_231"><span class=
+"label">[231]</span></a>Meha. «&nbsp;Beguer&nbsp;» ou «&nbsp;beguer
+el-ouahch&nbsp;» est le nom vulgaire. (O. H.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_232"></a><a href="#FNanchor_232"><span class=
+"label">[232]</span></a>Cf. <em>Les Touareg du Nord</em>, p.
+415-416.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_233"></a><a href="#FNanchor_233"><span class=
+"label">[233]</span></a>«&nbsp;Les oueds du halma&nbsp;»
+(<i>Plantago ovata</i>). M. Foureau les a retrouvés en 1893 sur la
+route de Ghadāmès à Tougourt, et en 1896 plus au sud, vers 30° de
+latitude, mais là ce ne sont plus que des sillons ou entonnoirs
+coupés de dunes sans orientation régulière. (<em>Dans le grand
+Erg</em>, Paris, 1896, p. 43.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_234"></a><a href="#FNanchor_234"><span class=
+"label">[234]</span></a>Antilope addax (<em>Les Touareg du
+Nord</em>, p. 225.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_235"></a><a href="#FNanchor_235"><span class=
+"label">[235]</span></a>On rapporte le même fait du mouton en
+hiver. L’Erg est plus riche en plantes vertes qui, mâchées,
+fournissent une certaine quantité d’eau.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_236"></a><a href="#FNanchor_236"><span class=
+"label">[236]</span></a>Plantes notées sur le carnet pendant cette
+journée de marche&nbsp;: <em>drine</em>, <em>neci</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_237"></a><a href="#FNanchor_237"><span class=
+"label">[237]</span></a>Dune à plusieurs arêtes, pâté de dunes.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_238"></a><a href="#FNanchor_238"><span class=
+"label">[238]</span></a>Ce renseignement n’a pas été reporté sur la
+carte de Duveyrier. Il mérite pourtant sérieuse considération, car
+M. Foureau, faisant en 1893 une route un peu plus occidentale, a
+noté vers 31° de latitude, l’altitude extraordinaire de 406 mètres,
+résultat de trois lectures barométriques (renseignement manuscrit
+de M. Foureau). En admettant une correction à faire du fait des
+variations atmosphériques, il n’en faut pas moins voir dans ce
+«&nbsp;dos de l’Erg&nbsp;» un relief réel.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_239"></a><a href="#FNanchor_239"><span class=
+"label">[239]</span></a>«&nbsp;La cuvette du Sfar&nbsp;» (variété
+d’<i>Arthratherum</i>).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_240"></a><a href="#FNanchor_240"><span class=
+"label">[240]</span></a>Ce sont les longs cordons de sable signalés
+plus haut.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_241"></a><a href="#FNanchor_241"><span class=
+"label">[241]</span></a>Pluriel de <em>el haoudh</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_242"></a><a href="#FNanchor_242"><span class=
+"label">[242]</span></a>Le carnet porte ce jour-là&nbsp;:
+Végétation rare et maigre&nbsp;: <em>ézal</em>, <em>alenda</em>,
+<em>halma</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_243"></a><a href="#FNanchor_243"><span class=
+"label">[243]</span></a>C’est le <em>torba</em> des Arabes. La
+poussière noire doit sa coloration à des éléments tourbeux.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_244"></a><a href="#FNanchor_244"><span class=
+"label">[244]</span></a>Le carnet de route dit&nbsp;: plus basse de
+dix mètres.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_245"></a><a href="#FNanchor_245"><span class=
+"label">[245]</span></a>Endroit planté d’arbres (O. H.).</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_159">[159]</span><a id=
+"p3c02"></a>CHAPITRE II</h3>
+
+<p class="sch">ARRIVÉE A GHADAMÈS</p>
+
+<p class="datesect">11 août.</p>
+
+<p>Nous trouvâmes dans cette <em>ghaba</em> un jeune homme de la
+zaouiya, vêtu de pantalons blancs descendant jusqu’à la cheville,
+d’une sorte de blouse blanche et d’un turban blanc. Ce jeune homme
+ne me reconnut pas pour chrétien parce qu’il est rare de rencontrer
+un Français jambes, pieds et bras nus et en chemise. Il me salua,
+croyant probablement que j’étais Tunisien, et nous aida à
+débarrasser les chameaux. Je m’établis sur mon matelas, à l’ombre
+d’un palmier&nbsp;; la chaleur, le sirocco violent qui nous avait
+fouettés dans le chott, nous avaient épuisés et brûlés.</p>
+
+<p>La nouvelle de l’arrivée d’Othman fut bientôt portée à Ghadāmès
+et une foule de Touareg Ifoghas, à pied ou montés à méhara, vinrent
+au-devant de lui. Il leur expliqua loin de moi qui j’étais et
+pourquoi j’étais venu et plusieurs d’entre eux demandèrent s’ils
+pouvaient venir me saluer. Ils vinrent en effet, et je leur fis des
+compliments. Tout ceci est bien poli et n’aurait jamais lieu en
+pays arabe. La foule des Touareg augmenta beaucoup, et, quand nous
+partîmes, nous avions une nombreuse escorte en très beaux habits de
+parade. Tout ce monde se comporta bien et ne fit aucune remarque
+sur ce que je relevais le pays. Nous laissâmes d’abord le zaouiya
+de Sidi Maābed à droite avec ses palmiers&nbsp;; c’est non
+seulement une zaouiya, mais encore un petit village. Plus loin,
+nous passons à une plus grande distance la zaouiya de Sidi Mohammed
+es Senoūsi, bâtie depuis trois ans par cet ennemi mortel des
+Français et des chrétiens. Dans le petit bassin dans lequel se
+trouve la zaouiya, les puits sont comme à El-Guettar (Tunisie). On
+creuse un puits près du bord élevé de la dépression&nbsp;; on y
+trouve de l’eau coulant légèrement&nbsp;; on creuse plus loin un
+autre puits dans la direction du courant,<span class="pagenum" id=
+"Page_160">[160]</span> et ainsi de suite&nbsp;; de sorte que l’eau
+d’un puits passe dans l’autre. De la zaouiya nous marchons dans la
+chebka, dans un labyrinthe, et nous arrivons en vue de Ghadāmès,
+qui est située au haut du plateau. Nous laissons en même temps à
+gauche le commencement de la <em>ghaba</em> et à droite des ruines
+gigantesques que je crois romaines.</p>
+
+<p>Nous arrivons à la porte de Ghadāmès, qui est tout entourée par
+les palmiers, sauf à cet endroit. Nous laissons en face de la porte
+plusieurs nezla de petites tentes de peau des Touareg. Arrivés en
+dedans des murs, on me dit que le moudir est dans les
+jardins&nbsp;; j’envoie un de mes domestiques, qui arrive avec la
+réponse qu’il faut que je vienne en personne ou que j’envoie mon
+firman.</p>
+
+<p>Je me rends en personne dans le jardin où je trouve le moudir,
+un vieux turc abruti, en chemise et gilet de coton et une calotte
+idem, assis sur un tapis, par terre. Il a avec lui de petits
+serviteurs turcs mulâtres, un interprète assez bien et assez beau
+et un qawwas, qui est venu de Tripoli pour une affaire à part. Ce
+dernier, habillé à l’européenne, porte, entre autres, des pantalons
+blancs, des escarpins et des cheveux. Le moudir Hadj Ibrahim me
+reçoit sans daigner se lever, mais il est obligé de me souhaiter la
+bienvenue lorsqu’il a lu le firman du Pacha. Je reste là, il fait
+chercher une maison pour m’y loger et y fait conduire le bagage
+après m’avoir interrogé sur le contenu des cantines et des
+<em>gherair</em><a id="FNanchor_246"></a><a href="#Footnote_246"
+class="fnanchor">[246]</a>. Je dîne avec lui&nbsp;; il mange à
+table le premier&nbsp;; je ne dis rien, mais je n’en pense pas
+moins. Ce vieux squelette à moustaches ne fait pas un changement de
+place de cinq pas sans traîner après lui ses immenses pistolets. La
+conversation roule sur le Iemen où il a vécu longtemps, et Saouakim
+où il a connu, il y a deux ans et demi, le voyageur Hadj
+Iskander<a id="FNanchor_247"></a><a href="#Footnote_247" class=
+"fnanchor">[247]</a> allant au Soudan.</p>
+
+<p>Le soir, je vais à la maison qui m’est destinée, en attendant
+mieux, et qui se trouve près de la ghaba. Je suis heureux de me
+reposer. De la ghaba à Ghadāmès, 1 heure 2 minutes.</p>
+
+<p class="datesect">12 août.</p>
+
+<p>Ce matin, de bonne heure, je suis encore dans mon lit,
+lorsque<span class="pagenum" id="Page_161">[161]</span> vient me
+trouver un des petits négroturcs frisés du moudir, armé d’un sac en
+toile et d’un billet très aimable, mais très inintelligible. Le
+petit négroturc est plus clair et m’exprime que son noble maître
+désire une bouteille d’araki. Or, en fait de liqueurs, je possède
+une bouteille entamée d’absinthe, et une d’eau de noix. Je remets
+au petit l’eau de noix et on l’emporte avec de grandes
+précautions.</p>
+
+<p>Je vais ensuite chez le moudir pour lui parler de la maison que
+je dois habiter et que je veux louer&nbsp;; il me retient à
+déjeuner. Je vois la maison qu’on m’a destinée&nbsp;; elle ne peut
+pas me convenir&nbsp;; on m’en montre une seconde, qui est moins
+mal et que je prends.</p>
+
+<p>Le moudir me retient à dîner et j’accepte, quoique je commence à
+avoir assez de sa société et de ses repas. Mais, pendant
+l’après-midi, je vois revenir le négroturc qui, après bien des
+caresses, me montre une damejeanne qu’il a apportée et que son
+maître voudrait avoir remplie d’araki, contre remboursement bien
+entendu. Ceci me paraît trop fort, et je renvoie le bonhomme avec
+le «&nbsp;non&nbsp;» le plus formel et le plus véridique. Je fais
+suivre Ahmed, qui va dire au moudir, qu’étant indisposé, je ne
+viendrai pas dîner chez lui. Le moudir cependant prétexte qu’il
+s’est mis en frais et qu’il faut que je fasse honneur à son
+repas.</p>
+
+<p>A l’heure dite, je ne me rends à son habitation que lorsqu’on
+vient me chercher. Je trouve tout le monde en prières de l’air le
+plus contrit du monde. On sert plusieurs plats, parmi lesquels une
+poule pour cinq personnes&nbsp;; le moudir s’excuse sur ce
+«&nbsp;qu’il n’a pas pu trouver de viande en ville&nbsp;». J’avais
+vu un mouton et plusieurs chèvres dans les rues. Le stupide homme
+me demande&nbsp;: «&nbsp;Y a-t-il de la viande dans votre
+pays&nbsp;? — Oui, nous autres Français, nous en mangeons deux fois
+par jour. — En France ou bien en Alger&nbsp;? — En France, à Alger
+et même à Ghadāmès.&nbsp;» Notez qu’au déjeuner nous n’avions eu
+que des légumes. Je n’ai lâché mot que de force à dîner, et, sans
+attendre le café, je suis revenu chez moi. Or le moudir avait dit
+qu’il se chargeait de mon dîner et de celui de mes gens. On apporte
+en effet ce dernier, et il se compose de deux assiettes, l’une
+contenant un peu de légumes qui ne dépassent pas le fond de
+l’assiette, l’autre contient la même quantité de vermicelle. Enfin
+quelques onces de pain. Je fais renvoyer le tout chez le donateur.
+Ahmed et<span class="pagenum" id="Page_162">[162]</span> Brahim
+dans les rues sombres et couvertes de Ghadāmès manquent l’un de
+renverser une femme, l’autre de se casser la tête.</p>
+
+<p>Je vois deux fois Othman&nbsp;; bonnes nouvelles de chez les
+Touareg. Il trouve le moudir ce que j’ai dit. Le moudir a des
+soldats sous ses ordres. Ce sont des Djebaliya, depuis l’âge le
+plus jeune jusqu’aux vieillards à barbe blanche. Ils ont pour se
+vêtir un <em>haouli</em>, de sorte qu’ils laissent leurs poitrines,
+y compris les tétons, nues, ce qui, je n’ai pas besoin de le dire,
+serait plus gracieux chez une belle femme que chez ces squelettes
+affamés.</p>
+
+<p>C’est la nuit que les femmes des Ghadamsya sortent pour aller à
+la fontaine et à leurs affaires. Celles que j’ai vues sur les toits
+portaient un haïk bleu tourné comme chez les femmes des Beni-Mezab.
+J’ai vu dans les rues d’autres femmes sans voiles et portant un
+diadème de cuivre doré&nbsp;: ce sont ce qu’on appelle ici des
+’Atriya, c’est-à-dire de la caste mélangée de sang noir. Ce sont
+les mulâtresses.</p>
+
+<p>Les maisons de Ghadāmès sont hautes, ayant quelquefois un
+rez-de-chaussée et deux ou même trois étages<a id=
+"FNanchor_248"></a><a href="#Footnote_248" class=
+"fnanchor">[248]</a>&nbsp;; les murs, bâtis en briques de terre
+crue, sont blanchis à la chaux. L’architecture ressemble à celle
+des Beni-Mezab. Les rues sont couvertes et fort obscures en plein
+jour, à plus forte raison de nuit. La ville et les plantations sont
+entourées de murailles et l’on reconnaît en certains endroits que
+ces murailles ont été détruites deux fois avant celles qui existent
+aujourd’hui.</p>
+
+<p>La ville possède un citronnier&nbsp;; il y a maintenant des
+pastèques en quantité, mais elles sont dures&nbsp;; les melons sont
+aussi en grand nombre&nbsp;; ce sont les meilleurs que j’aie
+trouvés dans le Sahara. Il y a des citrouilles, <em>gauráa</em>,
+tomates, etc. Les dattes de la petite espèce noire sont mûres, mais
+on ne les a pas encore cueillies.</p>
+
+<p>La ville est remplie de Touareg. Il paraît qu’ils m’ont tous
+très bien vu, d’après les discours d’introduction qu’a faits
+Othman. Ceux qui sont venus hier me voir dans la Ghaba avaient
+demandé à Othman&nbsp;: «&nbsp;Pouvons-nous venir le
+saluer&nbsp;?&nbsp;»</p>
+
+<p>Le moudir fait donner la bastonnade devant moi à un nègre
+colossal qui avait commis le crime d’aller voir deux fois cette
+année une négresse dans une maison particulière.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_163">[163]</span>13 août.</p>
+
+<p>Le matin, je change de demeure&nbsp;; le pauvre cheikh Ali<a id=
+"FNanchor_249"></a><a href="#Footnote_249" class=
+"fnanchor">[249]</a>, qui bégaye tant qu’on ne peut pas se moquer
+de lui, est presque toute la journée chez moi&nbsp;; il va me
+chercher tout ce qui me manque.</p>
+
+<p>Je fais la sieste et écris quelques lettres. A l’heure du
+Medjelès, qui a lieu toutes les semaines à pareil jour et une autre
+fois par semaine, le moudir fait envoyer chercher mon firman. Je
+trouve bon de donner aussi celui du Bey de Tunis et le décret des
+douanes, qui sont tous lus, et sont le sujet d’un commentaire de la
+part du moudir. Dans la soirée, on m’annonce sa venue&nbsp;; j’ai
+une explication avec lui, mais il est si bête, si borné, si entiché
+de son osmanlisme que l’on n’arrive à rien avec lui. Enfin, il dîne
+avec moi. Il vient ici avec un armement complet. Il me promet que,
+partout où j’irai, il me fera accompagner par deux de ses fameux
+soldats.</p>
+
+<p>J’apprends aujourd’hui que les nobles Ghadāmsia (sang blanc) qui
+épousent une ’Atriya sont mal vus, que les ’Atriya mâles ne
+trouvent jamais à épouser une femme noble.</p>
+
+<p class="datesect">14 août.</p>
+
+<p>De bonne heure, le cheikh Ali vient m’apporter un panier de
+légumes. Il m’apprend que chaque grande famille de nobles a ses
+’Atriya nés depuis longtemps des négresses de ses aïeux, et doit
+les protéger, leur fournir du travail et de la nourriture s’ils
+sont dans le besoin. Il paraît que les femmes ’Atriya n’ont pas
+toujours des mœurs très chastes.</p>
+
+<p>On m’apporte des dattes mûres&nbsp;; elles sont toutes petites
+et noirâtres, mais je ne les trouve pas mauvaises.</p>
+
+<p>Des Touareg viennent à l’heure du déjeuner frapper à la porte
+pour me voir, mais je ne fais pas ouvrir. Le cheikh Othman
+m’approuve. Du reste, ils n’ont pas insisté. Dans l’après-midi, le
+petit Abyssin m’apporte un panier de légumes de la part du moudir.
+On sème en ce moment une graminée, céréale, appelée ici
+El-Gossob<a id="FNanchor_250"></a><a href="#Footnote_250" class=
+"fnanchor">[250]</a>, et dans le nord <em>dra’</em>&nbsp;; on ne la
+récolte qu’à la fin de l’automne.</p>
+
+<p>Visites de quelques grands de la ville.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_164">[164]</span>15 août.</p>
+
+<p>Je sors accompagné de deux soldats et je vais voir d’abord les
+Esnām<a id="FNanchor_251"></a><a href="#Footnote_251" class=
+"fnanchor">[251]</a>, ces restes de constructions que je crois être
+les ruines de la ville ancienne du temps des Romains. Ce sont des
+supports de vastes arcades, je le crois du moins&nbsp;; tout à
+l’entour, s’étendent des débris de pierres, et des fondations comme
+on en voit dans toutes les ruines romaines de ce pays. Les pierres
+ne sont pas taillées&nbsp;; quelquefois cependant elles sont
+dégrossies&nbsp;; elles sont unies par un ciment de plâtre. Au
+milieu des décombres sont quelques tentes touareg, mais leurs
+occupants n’étaient pas là et nous n’eûmes à disputer le chemin
+qu’à deux lévriers qui gardaient les tentes.</p>
+
+<p>Je vais voir la source&nbsp;; elle forme un bassin profond d’une
+eau transparente et d’un bleu charmant&nbsp;; l’eau donne naissance
+à quelques mousses aquatiques qui paraissent au fond en plusieurs
+endroits. Des libellules rouge brique planent au-dessus de l’eau.
+Je ne vois pas de poissons. Le bassin a une forme inégale&nbsp;: il
+est garni de pierres. L’eau s’écoule d’une manière insensible à
+l’œil par un canal souterrain près de l’endroit où l’on vient
+puiser l’eau. Le kaïd el mā, chargé de distribuer l’eau, est loin
+de là dans une petite niche sur le marché.</p>
+
+<p>Je passe la soirée couché sur un banc de la rue, où j’ai fait
+porter une couverture et des coussins. Je regarde le mouvement
+autour de moi. Il y a plusieurs négresses qui paraissent à poste
+fixe près d’ici&nbsp;; elles jacassent toute la journée. Quelques
+nobles Ghadamsia passent devant moi&nbsp;; les uns me saluent, les
+autres ne me disent rien. Je rends les saluts à ceux qui me
+parlent. Les noirs dépassent de beaucoup parmi les passants le
+nombre des blancs. Presque pas de Touareg.</p>
+
+<p>Un de mes voisins possède une jument du Touat&nbsp;; c’est le
+seul cheval qu’il y ait en ce moment à Ghadāmès.</p>
+
+<p>J’obtiens le soir la latitude de Ghadāmès par le passage de Mars
+au méridien&nbsp;: j’ai 30° 6′ 33″ N.</p>
+
+<p class="datesect">16 août.</p>
+
+<p>Je vais me promener dans la ville. Il y a près d’ici, je crois
+dans<span class="pagenum" id="Page_165">[165]</span> le quartier
+d’El Aouina<a id="FNanchor_252"></a><a href="#Footnote_252" class=
+"fnanchor">[252]</a>, un petit marché où l’on vend des
+liqueurs&nbsp;; il est remarquable aussi sous un autre point de
+vue. D’un côté il est bordé d’arcades, et je remarque un tronçon de
+colonne qui me paraît être évidemment romain. Du côté opposé coule
+sous terre une petite rigole auprès de laquelle est un abreuvoir et
+un lavoir. Plusieurs petites auges carrées, en pierres de
+différentes grandeurs, sont encore ici en souvenir de l’ancienne
+Ghadāmès. Mais j’étudierai tout cela systématiquement un peu plus
+tard.</p>
+
+<p>Je rends une visite au moudir et je le trouve très bien.
+Cependant, j’apprends plus tard qu’il a eu une violente dispute
+avec sa femme turque à la suite de laquelle celle-ci a demandé du
+poison pour le tuer. De là rupture, et la femme répudiée s’en est
+allée à Dérdj. Le fils du moudir qui est à Sinaoun est parti pour
+Tripoli aussitôt qu’il a appris cette nouvelle. De sorte que le
+moudir est d’une humeur de chien pour tout le monde. Je donne de
+l’opium au moudir, qui est dérangé à état permanent. Il m’envoie le
+soir une excellente pastèque.</p>
+
+<p>Il est curieux de voir les Ghadāmsia savoir presque tous le
+haoussa&nbsp;; rarement ils parlent à leurs esclaves dans une autre
+langue. Les enfants blancs et les esclaves apprennent d’abord le
+ghadāmsia<a id="FNanchor_253"></a><a href="#Footnote_253" class=
+"fnanchor">[253]</a>, et ce n’est que plus tard qu’ils se mettent à
+l’arabe.</p>
+
+<p>On a toutes les peines du monde à se procurer ici des légumes,
+des melons et de la viande. Tout est pris d’avance&nbsp;: les
+acheteurs vont chercher les fruitiers jusque dans leur ghaba, et le
+peu qui arrive au marché est de suite accaparé. Quant à de la
+viande, depuis que je suis ici, les Arabes n’ont pas apporté de
+moutons, il se passe quelquefois quinze jours sans qu’il en vienne.
+On est réduit aux poules, pigeons et à quelques chevreaux.</p>
+
+<p>Le soir, je fais porter mon lit sur la terrasse et j’y dors en
+compagnie de mon fusil chargé à balles. J’ai la distraction de voir
+les ombres de mes voisines, blanches et noires, se promener sur les
+terrasses d’alentour et d’entendre leur caquet à voix basse.</p>
+
+<p class="datesect">17 août.</p>
+
+<p>Ihemma, le petit bandit targui qui accompagnait Si
+’Othman,<span class="pagenum" id="Page_166">[166]</span> m’apporte
+quelques lignes de tefinagh que m’ont écrites ses sœurs auxquelles
+j’avais envoyé à chacune un miroir.</p>
+
+<p>Je vais voir le marché qui a lieu toutes les semaines à pareil
+jour. Il a lieu immédiatement après la prière à la mosquée au
+dohor. On prend ses places d’avance&nbsp;; le moudir m’a envoyé
+deux soldats qui sont postés à côté de moi pour écarter les
+badauds. Je vois arriver le moudir, avec son page abyssin et ses
+longs pistolets, puis le qawwas&nbsp;; ils entrent dans la mosquée
+par une porte à part donnant sur le marché. La prière ne dure qu’un
+instant&nbsp;; je suis ensuite rejoint par le cheikh de la ville
+(Cheikh Ali) et il se rassemble autour de moi plusieurs Ghadāmsia,
+entre autres Abd el Aziz, bel homme à barbe grisonnante et à beaux
+vêtements, qui connaît de vue Tombouctou, Oualata, Tichit, le
+Soudan et le Touat, ainsi que les pays intermédiaires. C’est un
+homme intelligent et d’autant plus poli qu’il connaît Tunis et
+Tripoli. Nous nous tenons sous un corridor, près de la boutique du
+gomrekdji<a id="FNanchor_254"></a><a href="#Footnote_254" class=
+"fnanchor">[254]</a>. Nous voyons passer beaucoup de Touareg, dont
+plusieurs sont d’une taille colossale. Quelques-uns me
+saluent&nbsp;; d’autres me regardent et passent&nbsp;; deux
+Sakomāren<a id="FNanchor_255"></a><a href="#Footnote_255" class=
+"fnanchor">[255]</a> seulement se permettent de dire&nbsp;:
+«&nbsp;Fi&nbsp;! c’est lui qui a amené Cheikh Othman&nbsp;». Mais
+cette parole de la bouche d’Imrhad n’a pas beaucoup de poids.</p>
+
+<p>Le marché n’est pas brillant&nbsp;; on y vend des cotonnades
+anglaises et maltaises, des étoffes de coton bleu à rayons rouges,
+du Soudan, dont les unes servent de couverture et les autres de
+vêtements de dessus aux femmes de Ghadāmès. On vend quelques
+fusils, des chameaux et un coffre. On me dit que d’ordinaire le
+marché est plus beau.</p>
+
+<p>Les Sakomaren qui sont ici sont des chameliers qui doivent
+amener au Touat la grande caravane des Ghadāmsia dont les bagages
+sont déjà exposés hors de la ville en attendant que les affaires
+soient arrangées avec Ikhenoukhen.</p>
+
+<p class="datesect">18 août.</p>
+
+<p>De bon matin, un Targui m’amène un enfant parent de Si ’Othman,
+qui est affecté d’un œdème très avancé provenant d’un anévrisme du
+cœur. Cet enfant, âgé de 12 ans, fait mal à voir&nbsp;; outre sa
+maladie qui l’a rendu presque impotent, et qui a répandu une
+couleur jaune uniforme sur ses chairs molles, il a eu encore
+dernièrement<span class="pagenum" id="Page_167">[167]</span> la
+petite vérole, qui a laissé sur lui des traces profondes. Je
+déclare après l’examen que, lorsque Si ’Othman viendra, je lui
+dirai mon avis sur la maladie. Je crains toujours que les gens
+ignorants ne pensent que j’ai le remède de telle ou telle maladie
+et que je ne veux pas la guérir.</p>
+
+<p>Quelque temps après, je reçois la visite bienvenue de trois
+dames targuies, l’une d’elles est jeune, assez grande et d’une
+blancheur rare&nbsp;; elle est de plus très bien peignée. Sa
+coiffure est, sur le devant, identique à nos bandeaux plats
+d’Europe, mais ces derniers se terminent derrière les oreilles par
+deux nattes courtes et épaisses. Les ornements de ces Targuiāt sont
+sobres&nbsp;; la belle porte trois légers bracelets à chaque
+bras&nbsp;; le tout est de bon goût et serait bien vu en Europe.
+Ainsi ce ne sont plus les ornements grossiers des Arabes.</p>
+
+<p>La conversation roule sur très peu de choses parce que ces dames
+me font la malice de prétendre ne pas comprendre l’arabe, de sorte
+que je suis à m’éreinter à chercher de rares expressions dans le
+cinquième volume du D<sup>r</sup> Barth. — Elles partent d’un éclat
+de rire formidable quand je parviens à leur désigner
+«&nbsp;ulhi&nbsp;»<a id="FNanchor_256"></a><a href="#Footnote_256"
+class="fnanchor">[256]</a> et «&nbsp;teraouen&nbsp;»<a id=
+"FNanchor_257"></a><a href="#Footnote_257" class=
+"fnanchor">[257]</a> comme étant le siège primitif de la maladie du
+jeune Targui qui est le frère de l’une d’elles. Lorsque nous étions
+ainsi aux prises, arrive Si’Othman qui, en voyant les Targuiāt,
+s’écrie&nbsp;: «&nbsp;Bism Illah er Rahman er Rahim&nbsp;»,
+expression que les Touareg emploient lorsqu’ils sont affectés d’une
+surprise pénible. Nous parlons de nos affaires et, pendant ce
+temps, les Targuiāt veulent s’en aller&nbsp;; l’une d’elles
+retrouve son arabe pour me demander du tabac. Je leur dis que je
+n’en ai pas, mais que, si elles veulent bien revenir, j’espère être
+plus riche.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, on vend au marché tous les moutons qui sont arrivés
+hier. Le cheikh Ali me dit qu’on en vend quelquefois 300 en un seul
+jour. Les occasions sont si rares que l’on fait ses provisions. Le
+même homme me raconte qu’à la dernière vente il acheta trois
+moutons, que cinq jours après il en vendit deux, et qu’il eut le
+troisième pour profit de sa spéculation. J’achète un mouton, hier
+j’en avais acheté un autre engraissé en ville. Les moutons se
+vendent, comme du reste tout ce qui passe sur le marché, par
+l’entremise de «&nbsp;dellāl&nbsp;», crieurs, et tout est cédé à
+l’enchère. Les principaux<span class="pagenum" id=
+"Page_168">[168]</span> marchands, et en général tous ceux qui ont
+besoin de quelques-uns des articles en vente, se tiennent assis
+autour du marché&nbsp;; et les crieurs passent en exposant la
+marchandise et en indiquant le dernier prix offert.</p>
+
+<p>J’apprends qu’autrefois, les Ouled Hamed d’El-Ouad prélevaient
+un petit tribut, «&nbsp;ghefara&nbsp;», sur les marchands de
+Ghadāmès qui passaient par le Souf se rendant à Tunis&nbsp;; depuis
+l’occupation française, cela n’a plus lieu.</p>
+
+<p>Autrefois, la route de Ghadāmès à Gabès était très fréquentée,
+maintenant personne ne fait plus ce voyage de crainte des
+Ourghemma. Je vois plusieurs Ghadāmsia qui ont fait chacun une
+demi-douzaine de fois cette route.</p>
+
+<p>Les nouvelles d’Ikhenoukhen sont qu’il est arrivé à Māsīn avec
+ses chameaux altérés (les puits de cette région sont presque tous à
+sec cette année). A Māsīn, ils ont trouvé le puisard contenant très
+peu d’eau (le mot Māsīn ne signifie pas autre chose)&nbsp;; il faut
+qu’il séjourne là jusqu’à ce que les chameaux aient bu pour pouvoir
+franchir les dernières étapes jusqu’à Ghadāmès. Le puits
+d’Inguelzām<a id="FNanchor_258"></a><a href="#Footnote_258" class=
+"fnanchor">[258]</a> est aussi tari.</p>
+
+<p>Toujours des difficultés pour trouver des légumes et des fruits.
+Santé parfaite.</p>
+
+<p class="datesect">19 août.</p>
+
+<p>Je reçois dans la matinée la visite de Si ’Othman et d’un vieux
+Targui qui semble être de ses intimes&nbsp;; je leur fais voir les
+livres arabes que je destine à Cheikh el Bakkay de Tombouctou.
+Parmi ces livres est mon Coran doré sur tranche&nbsp;; Si ’Othman
+en est épris. Il commence à chanter la sourate de la vache et j’ai
+peine à l’arrêter. Voyant que ce livre faisait tant de plaisir à
+mon ami, je lui en fais présent. Si ’Othman ne peut contenir des
+démonstrations de joie enfantine. Là-dessus, il s’en va pour
+prévenir le crieur, qui est en train de lui procurer une
+«&nbsp;Neskha&nbsp;» manuscrite, qu’il n’en a pas besoin.</p>
+
+<p>A peine Othman était-il sorti qu’au milieu de mon déjeuner
+arrive ma belle Targuie d’hier, accompagnée cette fois d’une belle
+jeune femme seulement. Elles me disent qu’Othman leur a défendu de
+venir et que c’est pour cela qu’elles ont attendu sa sortie.
+J’apprends aujourd’hui que Télengui, c’est le nom de la<span class=
+"pagenum" id="Page_169">[169]</span> belle Targuie, est mariée,
+mais elle me dit que son mari part demain pour le Touat. Je leur
+fais cadeau à chacune d’un foulard de coton et d’un miroir, et d’un
+peu d’argent pour acheter du tabac, car toutes les Targuiāt fument.
+En échange de mes présents, Télingui me demande du papier pour
+m’écrire du tefinagh. Télengui me distrait beaucoup&nbsp;; je
+l’engage à revenir. Son vêtement se compose d’une blouse bleu de
+ciel, à manches courtes, n’atteignant pas le coude, et d’une
+couverture de coton blanc dont elle s’enveloppe tout entière, sauf
+la figure.</p>
+
+<p>Les moutons des Arabes d’ici ont tous la grosse queue&nbsp;; au
+Souf ils n’en ont pas de cette espèce, mais les Nemēmcha et les
+Hamamma en possèdent.</p>
+
+<p>Dans la soirée, Ikhenoukhen envoie à Othman deux Targuis, pour
+lui dire de venir apporter de l’eau à une demi-journée de Ghadāmès.
+Ikhenoukhen, à ce qu’il paraît, veut avoir des nouvelles&nbsp;; il
+sait maintenant que je suis venu. Dans la soirée Othman vient me
+dire adieu&nbsp;; il part cette nuit. Il ne sera absent qu’un jour,
+deux au plus.</p>
+
+<p>J’apprends que le district de Dérdj est très malsain, des
+fièvres très violentes y règnent. C’est une terre de labours avec
+des sources&nbsp;; on y cultive du blé et du guessob. Othman me dit
+qu’il y a des fièvres jusqu’à Ghadāmès, et me demande de la quinine
+pour deux femmes targuies qui sont fiévreuses.</p>
+
+<p class="datesect">20 août.</p>
+
+<p>Ce matin, je prie le cheikh Ali de vouloir bien emporter chez
+lui les objets qu’il a encore ici et qui lui font faire par jour
+trois ou quatre ascensions chez moi. Cela ne peut pas durer. Le
+petit bègue, au lieu de s’exécuter, me fait dire, quelque temps
+après, qu’il a trouvé une autre maison et qu’il m’invite à venir la
+voir&nbsp;; je lui fais répondre que je me trouve bien ici et que
+les convenances m’obligent à ne pas changer de demeure comme de
+chemise. Cheikh Ali me fait dire là-dessus qu’il viendra me
+déranger vingt fois par jour&nbsp;; je sors alors et je trouve mon
+homme à la porte&nbsp;; il est chassé comme un chien, avec défense
+expresse de remettre les pieds ici.</p>
+
+<p>Dans la chaleur du jour, je vais chez le moudir pour signaler la
+conduite du cheikh, et déclare que je ne sortirai que par la force
+d’une maison que j’avais acceptée à contre-cœur&nbsp;; mais
+le<span class="pagenum" id="Page_170">[170]</span> petit bègue est
+aux cent coups, et il jure, à qui veut l’entendre, qu’il me
+chassera de sa maison, et qu’il enverra, s’il le faut, cinq ou six
+esclaves armés pour me faire sortir&nbsp;; il menace mes
+domestiques de prêcher le Djehad, ou guerre sainte, et dit que,
+dans ce cas, toute la ville suivrait son avis. Il bégaye sa colère
+partout, dans la rue et chez le moudir.</p>
+
+<p>Le moudir vient me trouver et tâche de m’apaiser&nbsp;: en me
+disant qu’il a vu la nouvelle maison, qu’elle est plus belle que
+celle que j’habite et que le loyer en est très bon marché. Mais
+toutes ces conditions ne me font pas changer d’avis, et je lui
+renouvelle ma déclaration que, si l’on voulait me faire changer de
+demeure, il fallait employer la force, et que, dans ce cas, je ne
+sortirais de ma maison que pour me rendre à Tripoli. Le moudir me
+fait entrevoir qu’il n’est pas tout à fait le maître ici, que les
+Touareg le sont plus que lui, et que, si le cheikh en venait aux
+extrémités, la seule chose qu’il pourrait faire serait de déclarer
+que tout ce qui m’adviendrait serait fait à lui et serait une
+injure pour le gouvernement turc. Pendant ce temps, il m’emporte le
+fond d’un petit flacon d’absinthe qui me reste, ma dernière goutte
+de spiritueux.</p>
+
+<p>Enfin, après le coucher du soleil, le moudir revient accompagné
+d’El Mokhtar, l’un des membres du Medjelès. Ils me disent que le
+Medjelès a été assemblé extraordinairement pendant toute
+l’après-midi, que l’on a vivement blâmé la conduite du cheikh et
+que l’on a conclu que, s’il n’y avait pas moyen d’arranger les
+choses autrement, le cheikh serait obligé à me céder sa maison pour
+le temps de mon séjour. Là-dessus, ils me prient de pardonner la
+conduite de Cheikh Ali. Ceci est une autre question. Je déclare
+que, comme homme, je lui pardonne volontiers, mais, comme
+représentant de mon gouvernement, je ne puis le faire aussi
+facilement, et que je demande mûre réflexion à ce sujet. Là-dessus
+ces messieurs se retirent après avoir pris le café.</p>
+
+<p>J’ai reçu la visite d’un marchand de Ghadāmès, l’un de ceux qui
+prêtèrent de l’argent à Barth, à Kanō, lors de son retour de
+Tombouctou et au joli taux de 100 % au bout de quatre mois. Je lui
+fais des compliments sur sa libéralité, d’autant plus que l’argent
+qu’il prêtait était de l’argent anglais&nbsp;; mais il me dit
+<em>qu’il avait calculé le profit que lui aurait rapporté cet
+argent mis en ivoire dans le même espace de temps</em> et prêté son
+argent avec le même profit.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_171">[171]</span>Les Targuiāt
+(les deux mêmes qu’hier) sont venues me voir, mais ne sont restées
+qu’un instant, elles m’ont apporté quelques lignes de Tefinagh.</p>
+
+<p>J’ai tellement cru aujourd’hui qu’il allait se passer quelque
+chose, que j’ai fondu des balles de revolver.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp3c02">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_246"></a><a href="#FNanchor_246"><span class=
+"label">[246]</span></a>Pluriel de <em>gherâra</em>, sac en laine
+servant à contenir les objets chargés sur les chameaux. (O. H.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_247"></a><a href="#FNanchor_247"><span class=
+"label">[247]</span></a>Nom pris par le baron de Krafft. Sur son
+séjour en Tripolitaine, voir <em>Mittheil. de Petermann</em>,
+1861-1862, <em>passim</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_248"></a><a href="#FNanchor_248"><span class=
+"label">[248]</span></a>Ces dernières doivent être très peu
+nombreuses&nbsp;; Mircher ne parle que de maisons à rez-de-chaussée
+et un étage (<em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 100).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_249"></a><a href="#FNanchor_249"><span class=
+"label">[249]</span></a>C’était le <em>cheikh el bled</em>, ou
+maire de la ville.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_250"></a><a href="#FNanchor_250"><span class=
+"label">[250]</span></a>Draa désigne au Sahara, suivant les
+régions, tantôt le sorgho à grains noirs, tantôt le millet blanc à
+chandelles. Il s’agit probablement du dernier. (Cf. Catalogue
+Foureau, p. 15.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_251"></a><a href="#FNanchor_251"><span class=
+"label">[251]</span></a>«&nbsp;Les idoles.&nbsp;» On sait qu’après
+avoir visité Djerma au Fezzân, Duveyrier a rapporté les Esnamen aux
+Garamantes. (<em>Les Touareg du Nord</em>, p. 251.) Vatonne se
+borne à les qualifier «&nbsp;d’affreuses ruines sans caractère et
+sans intérêt&nbsp;». (<em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 268.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_252"></a><a href="#FNanchor_252"><span class=
+"label">[252]</span></a>Ce quartier porte aussi un autre nom
+intéressant pour les origines&nbsp;: Beni-Mâzigh.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_253"></a><a href="#FNanchor_253"><span class=
+"label">[253]</span></a>C’est-à-dire le dialecte berbère.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_254"></a><a href="#FNanchor_254"><span class=
+"label">[254]</span></a><em>Isaqqamaren</em>, vassaux des
+Kel-Rhela.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_255"></a><a href="#FNanchor_255"><span class=
+"label">[255]</span></a>«&nbsp;Douanier&nbsp;». (O. H.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_256"></a><a href="#FNanchor_256"><span class=
+"label">[256]</span></a><em>Oulhi</em>, le cœur.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_257"></a><a href="#FNanchor_257"><span class=
+"label">[257]</span></a><em>Touraouen</em>, le poumon.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_258"></a><a href="#FNanchor_258"><span class=
+"label">[258]</span></a>Inguelzam, Māsīn, points d’eau de la roule
+orientale de Ghât à Ghadāmes.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_172">[172]</span><a id=
+"p3c03"></a>CHAPITRE III</h3>
+
+<p class="sch">IKHENOUKHEN</p>
+
+<p class="datesect">21 août.</p>
+
+<p>Dans la matinée vient me voir le petit brigand Ihemma&nbsp;; il
+me raconte encore qu’il veut assommer un Targui qui s’est servi
+d’un de ses chameaux sans sa permission. Il m’annonce le premier
+qu’Ikhenoukhen est arrivé, avec très peu de monde et deux chameaux
+seulement.</p>
+
+<p>Ikhenoukhen est arrivé d’un côté et Othman est parti de l’autre,
+de sorte qu’ils se sont croisés&nbsp;; cependant Othman revient
+lui-même dans l’après-midi, et me dit que les nouvelles sont
+bonnes. Ikhenoukhen est très occupé&nbsp;; il est encombré de
+visites&nbsp;; le moudir va le voir et une foule de
+Ghadāmsia&nbsp;; on traite l’affaire du vol des chameaux et puis
+celle du départ de la caravane du Touat. Il paraît qu’il n’est pas
+bien disposé pour les Hogar, et qu’il défend aux Ghadāmsia de
+prendre des chameliers Sakomaren qui sont ici (ils sont imrhad des
+Hogar)&nbsp;; il veut que les chameliers soient Azgar ou
+Ifoghas<a id="FNanchor_259"></a><a href="#Footnote_259" class=
+"fnanchor">[259]</a>&nbsp;; les Hogar sont ennemis. Il déclare
+qu’il brûlerait les charges des chameaux de la caravane si elle
+partait avec les Sakomaren. La nouvelle arrive de Rhat, que l’Aïr a
+envoyé deux députés à Rhat pour dire que la route du Soudan était
+de nouveau ouverte, ce qui cause grande joie aux Ghadāmsia, et fait
+espérer qu’il y aura cette année un marché à Rhat, ce dont on
+commençait à désespérer. On apporte en même temps la nouvelle que
+le Hadj Ahmed, frère de Si ’Othman et chef des Touareg Hogar, va
+arriver ici sous peu.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_173">[173]</span>Othman vient me
+prier, de la part du cheikh Ali, de lui pardonner ce qu’il a fait
+avant-hier.</p>
+
+<p class="datesect">22 août.</p>
+
+<p>Othman vient me prendre dans la matinée et me mène chez
+Ikhenoukhen. Le sultan des Azgar est campé au loin, hors des
+plantations, tant il craint la petite vérole qui règne à Ghadāmès.
+(quoiqu’elle ait beaucoup diminué). Je trouve Ikhenoukhen entouré
+de quelques Touareg, de deux Ouled Hamed, et de deux Ghadāmsia. Il
+me fait asseoir d’un geste imperceptible et, sans se mouvoir, me
+fait, ainsi qu’à Othman, les questions de politesse targuie&nbsp;:
+«&nbsp;Mattoullid&nbsp;? Māni ouinnek&nbsp;?&nbsp;» — Comment vous
+portez-vous par cette chaleur&nbsp;? Grâce à Dieu vous êtes venu
+ici, et les circonstances m’y ont aussi amené, etc., etc.</p>
+
+<p>Ensuite, Othman fait lire les lettres adressées au cheikh
+Ikhenoukhen lui-même, et les firmans de Tripoli et de Tunis que
+j’ai. On est obligé de traduire les passages importants, car
+Ikhenoukhen comprend à peine l’arabe et ne le parle pas. Après
+cette cérémonie, Ikhenoukhen, qui a montré tout le temps la plus
+grande réserve, me souhaite froidement la bienvenue, puis nous
+prenons congé de lui. Othman trouve que l’accueil qu’il m’a fait
+est bon, quoique j’aie presque été tenté d’abord de croire le
+contraire. Il me dit que l’habitude des Touareg est de paraître
+fuir d’abord une nouvelle connaissance, mais que les autres Touareg
+qui assistent à notre entrevue ont certainement dit en
+eux-mêmes&nbsp;: Ikhenoukhen se réjouit déjà du cadeau qu’il
+obtiendra de ce Français.</p>
+
+<p>J’ai ensuite une très longue conversation avec Othman au sujet
+de mes projets&nbsp;; je leur donne une plus grande extension et
+pense aller de Rhat à Insalah. Il me dit que cela se décidera à
+l’arrivée de son frère Hadj Ahmed<a id="FNanchor_260"></a><a href=
+"#Footnote_260" class="fnanchor">[260]</a>.</p>
+
+<p>Je demande à deux des Hamed d’El-Ouad, qui ont été trois fois
+d’El-Ouad à Rhat, ce qu’ils ont emporté. C’est des douros. Ils en
+ont rapporté des ânes touareg&nbsp;; prix à Rhat, 6 1/2, 7 et 8
+douros, et à El-Ouad 60, 61, 80 fr. Des chameaux (petites
+chamelles) achetés<span class="pagenum" id="Page_174">[174]</span>
+100, 105, 110 francs et vendus à El-Ouad 150, 160 francs. — Zebed
+(civette), achetée l’once 26 fr. 50 et vendue 33 francs. Outres du
+Soudan achetées 3 fr. 40 à 4 francs et vendues 6 fr. Peaux de
+buffles (kelābo), achetées 10 fr. les grandes, vendues 11 fr. 40 et
+15 fr.</p>
+
+<p class="datesect">23 août.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, pas d’événements&nbsp;; je cause avec un Ghadamsi,
+Mohammed ben Mohammed, qui connaît très bien Rhat. Il m’explique
+plusieurs des particularités du commerce de Ghadāmès.</p>
+
+<p>L’ivoire, et les principales autres denrées du Soudan qui
+viennent ici, ne sont jamais vendues sur place, mais sont dirigées
+sur Tripoli. Elles ne pourraient être obtenues ici que pour un prix
+très approché de celui de Tripoli, comme par exemple 2 % en moins.
+L’or est quelquefois vendu en petites quantités sur le marché, par
+des individus qui ont besoin d’argent immédiatement. Les peaux de
+panthères et les autres petits articles se trouvent aussi de temps
+en temps.</p>
+
+<p>Les Ghadāmsia qui vont à Rhat donnent un cadeau de 10
+douros<a id="FNanchor_261"></a><a href="#Footnote_261" class=
+"fnanchor">[261]</a> à Ikhenoukhen, et ils peuvent alors commercer
+comme bon leur semble. A Rhat même, les charges d’ivoire ne font
+que passer&nbsp;; sauf dans de rares cas, par exemple quand un
+marchand du Soudan a besoin de quelques objets qui se trouvent sur
+le marché de Rhat, il envoie un peu d’ivoire qui se vend là et dont
+le prix sert à acheter ce dont il a besoin. La plupart des
+marchands Ghadāmsia du Soudan envoient leurs caravanes à des
+correspondants à Rhat et à Ghadāmès et leurs produits ne sont
+vendus qu’à Tripoli même. A Rhat, les maisons se louent 6 douros
+pour le temps qu’on y reste à la foire, soit 15 jours, soit un
+an.</p>
+
+<p>Les Ghadāmsia ne prennent pas de commission entre eux, ils se
+rendent de petits services commerciaux sans exiger de
+rétribution.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, il est arrivé une petite caravane de Rhat avec un
+chargement d’ivoire. Les nouvelles qu’elle apporte sont bonnes,
+l’Aïr a fait la paix avec Rhat, et l’on espère avoir un marché
+cette année, ce dont on avait d’abord douté. Les Ghadāmsia
+confient<span class="pagenum" id="Page_175">[175]</span> leurs
+marchandises aux chameliers touareg, qui les transportent à
+destination avec le plus grand scrupule.</p>
+
+<p class="datesect">24 août.</p>
+
+<p>Dans la matinée, je suis encore obligé de me fâcher «&nbsp;tout
+rouge&nbsp;» contre mes domestiques.</p>
+
+<p>Je reçois la visite de quelques Touareg. Dans la soirée, je vais
+voir Ikhenoukhen. Il sort de sa tente seul et vient nous rejoindre
+dans la dépression où il campe, à part de toute oreille indiscrète,
+et nous nous asseyons. Il me salue, cette fois comme une vieille
+connaissance, et commence, en bon Targui, par des questions de
+politesse. «&nbsp;Comment allez-vous&nbsp;? Comment trouvez-vous le
+temps&nbsp;? Supportez-vous bien cette chaleur&nbsp;? Êtes-vous
+rétabli de votre voyage dans l’Erg&nbsp;? C’est là que nous voyions
+du merveilleux lorsque nous allions sur nos méhara piller les
+Chaanba et les Souâfa, etc.&nbsp;» Puis, après avoir rendu ces
+politesses, je commençai à parler&nbsp;; Si ’Othman traduisait mes
+paroles en Temāhaght<a id="FNanchor_262"></a><a href=
+"#Footnote_262" class="fnanchor">[262]</a>.</p>
+
+<p>Je dis à Ikhenoukhen que le sultan d’Alger qui lui avait envoyé
+Si Ismail<a id="FNanchor_263"></a><a href="#Footnote_263" class=
+"fnanchor">[263]</a> était rentré en France, mais que son
+successeur, qui était mû par les mêmes idées, m’avait envoyé à lui
+comme gage de son amitié et de son grand désir de lier des
+relations amicales avec les chefs touareg et en particulier lui
+Ikhenoukhen. Je lui expliquai nos intentions de commerce avec le
+Soudan, et notre désir de le voir l’intermédiaire entre nous et les
+noirs. Je l’assurai que tous les Touareg qui viendraient chez nous
+seraient reçus avec honneur et empressement&nbsp;; qu’on les
+traiterait selon leur rang et qu’on leur ferait de beaux
+cadeaux&nbsp;; que, si lui-même Ikhenoukhen voulait se décider à
+faire le voyage d’Alger, il pouvait compter sur toute la sincérité,
+tous les égards et toutes les marques d’amitié qu’il pourrait
+désirer.</p>
+
+<p>Ikhenoukhen me répondit qu’il était devenu vieux et qu’il ne
+pouvait s’absenter du milieu des siens, qu’il avait déjà tant de
+peines à les tenir d’accord et à apaiser leurs querelles
+naissantes, qu’il ne pouvait pas penser à s’éloigner d’eux. Puis,
+passant à un autre sujet, il causa pendant quelque temps à Othman
+en temahaght et je les vis rire ensemble. Ils ne voulurent pas
+me<span class="pagenum" id="Page_176">[176]</span> dire de quoi il
+s’agissait&nbsp;; mais, plus tard, je le sus par Othman et j’en
+parlerai à l’occasion.</p>
+
+<p>Se retournant vers moi, il me fit la question insidieuse&nbsp;:
+«&nbsp;Pourquoi les Anglais sont-ils bien reçus partout et pourquoi
+les Français, quand ils envoient même leurs domestiques, sont-ils
+en butte à toutes sortes de difficultés et toujours mal
+reçus&nbsp;?&nbsp;» Je lui répondis&nbsp;: «&nbsp;Cette demande
+m’étonne, car j’aurais cru que vous saviez cette raison mieux que
+moi-même. Mais je vais vous l’expliquer brièvement. Vous ne
+connaissez les Anglais que comme marchands et voyageurs riches et
+prodigues&nbsp;; vous ne les avez donc rencontrés que vous offrant
+des profits et des gains considérables&nbsp;; il est naturel que
+l’accueil qu’on leur fait soit bon. Mais nous, Dieu nous a mis
+maîtres d’Alger, nous avons été sans cesse forcés de combattre,
+toujours malgré nous, et ce que vous savez de nous, la connaissance
+que vous avez de notre administration et de nos vues, vous l’avez
+reçue à travers une digue d’ennemis. Sans vous parler du chérif, la
+digue ennemie nous l’avons au milieu de nous, ce sont les Chaanba,
+ce sont les Souāfa, les Beni-Mezab et enfin tous ceux qui sont nos
+voisins. Moi-même, à El-Goléa, j’ai été menacé de la mort par des
+Chaanba qui avaient été faire leur soumission à Alger. Je crains
+plus les Chaanba que les Iboguelan<a id="FNanchor_264"></a><a href=
+"#Footnote_264" class="fnanchor">[264]</a>.&nbsp;»</p>
+
+<p>Ikhenoukhen approuva énergiquement mon avis par un
+«&nbsp;hakk&nbsp;» significatif. Il me dit que c’était précisément
+là la différence, mais que pour lui il n’ouvrait pas son oreille à
+ces mauvais bruits, et qu’il s’était fait une ligne de conduite,
+dans toute sa vie, de ne faire que le bien, de ne jamais léser le
+faible et de redresser les torts&nbsp;; que, puisque j’étais venu à
+lui, il me mènerait partout où je voudrais dans l’étendue de son
+commandement.</p>
+
+<p>Pour persuader encore plus le chef de notre
+«&nbsp;non-ogrerie&nbsp;», je lui fis la remarque que le sultan de
+Constantinople, celui du Caire, celui de Tripoli, de Tunis et de
+Fez étaient nos amis, comme aussi celui des Anglais, qu’ils avaient
+la plupart des officiers et des industriels français chez eux, et
+que nous étions sur le meilleur pied&nbsp;; que si réellement nous
+étions si mauvais, ces hommes puissants et éclairés ne manqueraient
+pas de se tenir éloignés de nous. Ikhenoukhen fit alors une
+allusion aux<span class="pagenum" id="Page_177">[177]</span>
+événements de Syrie qui me désappointa&nbsp;; il me donna la
+nouvelle d’une intervention anglaise et française, mais je lui
+objectai que je n’avais pas de nouvelles aussi neuves. Il mentionna
+aussi l’entreprise du canal de Suez dont il ne comprenait pas le
+but. Je le lui expliquai en particulier au point de vue du
+pèlerinage de la Mekke et lui dis que le chef de l’entreprise était
+un Français et l’ami intime de mon père.</p>
+
+<p>Passant à mon voyage, je dis à Ikhenoukhen que mon but était de
+voir le marché de Rhat et de revenir par In-Salah. Rhat, me
+répondit-il, c’est très facile, mais In-Salah, je ne peux pas
+mentir, ma puissance ne s’étend pas jusque-là&nbsp;; les gens du
+pays même ne sont pas mes amis. Mais, ajouta-t-il&nbsp;:
+«&nbsp;Voilà le sultan d’In-Salah&nbsp;», et il me montra Si
+’Othman. Othman se défendit de toutes ses forces, mais Ikhenoukhen
+revint au moins trente fois à la charge pour me faire comprendre
+que c’était lui qui pouvait me mener à In-Salah. Othman tint
+ferme.</p>
+
+<p>En terminant, Ikhenoukhen me dit qu’il voudrait bien me voir
+recevoir de Tripoli un firman qui recommanderait qu’on me traitât
+bien et que le pacha y fît la remarque que ce qui serait fait pour
+moi serait fait pour lui. Je dis au chef targui&nbsp;: «&nbsp;Bien,
+je vais demander ce firman, mais je dois te dire, en toute
+franchise, notre amour-propre est blessé de voir que tu nous aimes
+pour un autre et non pas pour nous-mêmes&nbsp;». Ikhenoukhen,
+prenant quelques pierres et les lançant négligemment de côté,
+dit&nbsp;: «&nbsp;Les Turcs, voilà le cas que nous en faisons, nous
+savons que ce sont vos esclaves&nbsp;; partout où vient un conseil
+de vous, c’est lui qui gouverne réellement le pays et le
+gouvernement turc ne peut plus rien d’arbitraire&nbsp;; nous
+autres, nous n’avons pas besoin du firman, mais nous serons bien
+aises de le montrer à d’autres.&nbsp;»</p>
+
+<p>Je terminai en priant Ikhenoukhen de consentir à échanger un
+traité d’amitié. Il me répondit que cela ne pressait pas et que
+nous nous retrouverions encore souvent. Puis, je lui fis dire par
+Othman que je n’avais pas apporté de présents en nature, craignant
+de ne pas tomber sur ce qui lui plairait, mais que je lui destinais
+100 douros et une bague, avec une pierre précieuse, que je lui
+laissais en souvenir. Il répondit que le profit n’était rien pour
+lui et qu’il agissait ainsi envers moi parce qu’il le trouvait bon
+(je compris plus tard que la somme offerte lui paraissait
+peut-être<span class="pagenum" id="Page_178">[178]</span> un peu
+faible<a id="FNanchor_265"></a><a href="#Footnote_265" class=
+"fnanchor">[265]</a> en comparaison des présents anglais), que du
+reste rien ne pressait et que ce que je remettrais à Othman lui
+parviendrait. Là-dessus, nous nous saluâmes amicalement et nous
+revînmes chacun de notre côté.</p>
+
+<p>Dans la nuit, je prends des renseignements sur les exactions du
+kaïd Ali Bey<a id="FNanchor_266"></a><a href="#Footnote_266" class=
+"fnanchor">[266]</a> et de son cousin le khalifa.</p>
+
+<p class="datesect">25 août.</p>
+
+<p>Hier au soir, en allant voir Ikhenoukhen, j’ai remarqué que le
+sol de la grande dépression où il est campé est composé, sauf une
+légère couche superficielle, de cette roche terreuse, blanche et
+savonneuse déjà notée dans les dunes, et j’y trouvai des planorbes
+et des limnées, ces dernières un peu plus fortes que celles
+rencontrées au puits de Zouait.</p>
+
+<p>Visite de Telingui, qui vient avec son brigand de frère et sa
+vieille sœur. Telingui est toujours aussi belle et aussi
+gaie&nbsp;; elle ne reste pas longtemps. Je lui donne une feuille
+de papier pour qu’elle me la remplisse de mots targuis en
+Tefînagh.</p>
+
+<p>J’ai été obligé de rosser deux de mes serviteurs à coups de
+bâton&nbsp;; ce sont de vrais sauvages et ils ont la tête
+dure&nbsp;! J’ai été forcé de les menacer de mort dans le cas où
+ils s’en iraient. Ils trouvent le voyage dur et s’imaginent qu’ils
+peuvent me planter là et s’en retourner chez eux. Ahmed a repris la
+fièvre.</p>
+
+<p>Les melons ont fini&nbsp;; les pastèques sont à leur fin.
+J’achète aujourd’hui des citrons verts pour faire de la limonade.
+J’ai déjà dit qu’il y a un seul citronnier à Ghadāmès.</p>
+
+<p>J’apprends que les pauvres Touareg, principalement les femmes,
+se retirent à Ghadāmès&nbsp;; dans chaque maison où ils se
+présentent et demandent, on leur donne des vivres, de sorte qu’ils
+peuvent vivre sans rien faire. C’est une coutume très ancienne, et
+une obligation des Ghadāmsia qui rappelle les conditions de vie des
+habitants du Djérid.</p>
+
+<p>L’eau d’ici est très lourde, les indigènes l’ont pesée
+comparativement à celle des endroits voisins. Le moudir, moi et mes
+domestiques, nous sommes à l’état permanent au <em>nec plus
+ultra</em> de la diarrhée<a id="FNanchor_267"></a><a href=
+"#Footnote_267" class="fnanchor">[267]</a>. Mes domestiques
+trouvent aussi l’air lourd.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_179">[179]</span>26 août.</p>
+
+<p>Voici la raison pour laquelle, pendant ma conférence avec
+Ikhenoukhen, ce chef s’est entretenu avec Othman, à part, en targui
+et en riant. Ikhenoukhen a reçu la nouvelle qu’une lettre était
+arrivée ici, engageant la personne, à qui elle est adressée, à me
+<em>tuer, moi et Si ’Othman</em> ou, au moins, à chercher quelqu’un
+qui exécutât la commission. Or, on a dit à Ikhenoukhen que la
+lettre vient de Sidi Hamza, ce qui déroute un peu Othman parce
+qu’il serait étonnant qu’il eût déjà reçu avis de notre départ
+<em>ensemble</em>. Othman, en homme fin, me fait part d’un soupçon
+que cela pourrait bien venir de Sidi Ali Bey qui aurait mis le nom
+de Sidi Hamza en avant pour cacher le sien. Cela me paraît aussi
+possible parce qu’Ali Bey doit savoir que j’ai donné avis à
+l’autorité de ses exactions dans le Souf. Mais alors pourquoi
+vouloir la mort de Si ’Othman&nbsp;? Je noterai ici un fait qui
+m’apparaît significatif aujourd’hui&nbsp;: M. Margueritte, alors
+commandant supérieur de Laghouât, me dit à mon retour d’El
+Goléa<a id="FNanchor_268"></a><a href="#Footnote_268" class=
+"fnanchor">[268]</a>, lorsqu’il eut connaissance de tous les
+détails de cette entreprise&nbsp;: «&nbsp;Écoutez, autant que je
+connais l’homme (Sidi Hamza), je ne trouverais pas impossible qu’il
+vous eût envoyé une lettre de recommandation pressante pour les
+gens d’El Goléa tout en les prévenant directement de vous traiter
+le plus mal possible afin d’ôter l’envie à tout autre de
+revenir.&nbsp;» En effet, il est très connu que Sidi Hamza voudrait
+que nous ne vissions le Sud que par ses yeux<a id=
+"FNanchor_269"></a><a href="#Footnote_269" class=
+"fnanchor">[269]</a>. J’ai voulu écrire cette nouvelle, avant que
+son authenticité fût tout à fait établie, afin que, dans le cas où
+elle serait vraie et que je dusse succomber, l’on pût trouver dans
+mes papiers des indications pour tomber sur la vraie trace du
+crime. Toutefois, je le déclare, cette nouvelle m’a peu ému, et
+m’amuse plutôt qu’elle ne me chagrine.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_180">[180]</span>On me raconte
+qu’Ikhenoukhen reste quelquefois deux jours sans manger par
+fantazia&nbsp;; il affecte de se faire apporter de bons repas et
+invite ceux qui sont présents à s’attabler, refusant lui-même de
+rien prendre. De même, lorsqu’il alla chez les Hoggar, il resta
+deux jours et une nuit, accroupi à l’arabe, à recevoir des visites
+et sans demander le temps de se reposer. Toujours par fantazia.</p>
+
+<p>Si ’Abd el Aziz, qui alla à Tombouctou avec le major Laing, me
+dit qu’ils prirent la route d’Inzize (partis d’Aqàbli) et que, de
+là, ils coupèrent le Tanezrouft obliquement sur Am Rannān où ils
+prirent de l’eau.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp3c03">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_259"></a><a href="#FNanchor_259"><span class=
+"label">[259]</span></a>Ceci indique que les tribus maraboutiques
+des Ifoghas ne font partie ni des Azdjer ni des Hoggar, mais sont
+en quelque sorte leurs intermédiaires.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_260"></a><a href="#FNanchor_260"><span class=
+"label">[260]</span></a>Duveyrier songeait encore à explorer
+l’Ahaggar. Il l’avait écrit à Barth, qui l’encourageait en ces
+termes&nbsp;: «&nbsp;Votre lettre me remplit de joie&nbsp;; elle me
+prouve que nous pouvons encore espérer vous voir explorer le massif
+si intéressant des Hoggar et combler cette lacune capitale de notre
+connaissance de l’Afrique du Nord... Mes vœux les plus sincères
+vous accompagnent dans cette tentative grosse de difficultés et de
+périls.&nbsp;» (Lettre du 11 juin 1860, retrouvée dans les papiers
+de Duveyrier.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_261"></a><a href="#FNanchor_261"><span class=
+"label">[261]</span></a>Le mot douro, en Tripolitaine, s’appliquait
+indifféremment à notre pièce de 5 francs, au douro d’Espagne
+(appelé aussi bou-medfa), et au thaler Marie-Thérèse (appelé aussi
+bou-tir). Le cours de ces monnaies variait d’ailleurs beaucoup par
+rapport à la monnaie de compte légale (le mahboub = 20 piastres
+turques).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_262"></a><a href="#FNanchor_262"><span class=
+"label">[262]</span></a>Temahaght ou temahaq (<em>Les Touareg du
+Nord</em>, p. 317).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_263"></a><a href="#FNanchor_263"><span class=
+"label">[263]</span></a>Ismaïl Bou-Derba.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_264"></a><a href="#FNanchor_264"><span class=
+"label">[264]</span></a>Tribu traitée de brigands par les Touareg
+eux-mêmes.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_265"></a><a href="#FNanchor_265"><span class=
+"label">[265]</span></a>Duveyrier dut finalement payer quatre fois
+autant (2.000 fr.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_266"></a><a href="#FNanchor_266"><span class=
+"label">[266]</span></a>Ali Bey, kaïd de Tougourt.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_267"></a><a href="#FNanchor_267"><span class=
+"label">[267]</span></a>L’eau de la source de Ghadāmès renferme 2
+gr. 54 de sels par litre, dont 0,38 de sulfate de magnésie et 0,90
+de sulfate de chaux. Les indigènes y sont accoutumés, mais tous les
+étrangers en subissent les effets. (<em>Mission de Ghadāmès,
+Rapports officiels</em>, Paris, 1863, in-8, p. 260, 326.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_268"></a><a href="#FNanchor_268"><span class=
+"label">[268]</span></a>Voir entre autres, sur ce séjour,
+<em>Excursion à El-Golea’a</em>, <em>Nouv. Annales des
+voyages</em>, novembre 1859. p. 189-197 et <em>Bulletin Soc. de
+Géogr.</em> Paris, 1859, XVIII, p. 217.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_269"></a><a href="#FNanchor_269"><span class=
+"label">[269]</span></a>De très intéressantes lettres du maréchal
+Randon et du général Durrieu (juin-juillet 1858) ont été publiées
+depuis par MM. Augustin Bernard et le commandant Lacroix
+(<em>Historique de la pénétration saharienne</em>. Alger, 1900,
+in-8, p. 34-37). Elles montrent quelle était alors l’opinion
+dominante à Alger. Dans une lettre adressée à Duveyrier le 27 mai
+1861, le D<sup>r</sup> Warnier donne la même note&nbsp;: «&nbsp;On
+sait ici à quoi s’en tenir. Dans votre mission, me disait-on hier
+après lecture de votre lettre, vous trouverez comme premier
+obstacle nos grands chefs indigènes...&nbsp;» (Papiers de
+Duveyrier.)</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_181">[181]</span><a id=
+"p3c04"></a>CHAPITRE IV</h3>
+
+<p class="sch">GHADAMÉSIENS ET TOUAREG</p>
+
+<p class="datesect">27 août.</p>
+
+<p>Voici quelques renseignements sur la soie de tsámia<a id=
+"FNanchor_270"></a><a href="#Footnote_270" class=
+"fnanchor">[270]</a>.</p>
+
+<p>L’insecte qui la produit vit sur le tamarinier dont le fruit
+est<span class="pagenum" id="Page_182">[182]</span> appelé aussi
+tsámia en haoussa. Il émigre tous les deux ou trois ans, d’une
+province du Haoussa à l’autre, pour reparaître au bout de quelque
+temps dans celle d’où il est sorti. Ce ver n’est pas cultivé. Il
+vit sauvage et les gens du pays attendent l’époque où il devient
+chrysalide pour aller faire la récolte dans la campagne. On détache
+les cocons pêle-mêle avec les chrysalides et on les jette dans de
+l’eau bouillante pour tuer les insectes. C’est dans cet état que la
+soie est vendue à Kanō. On la vend à Kanō par petites portions
+appelées nōnō de quatre ou cinq fois la quantité que j’en possède
+(7 gr. 65), c’est-à-dire 34 gr. 5 et au prix de 15-20 oud’a<a id=
+"FNanchor_271"></a><a href="#Footnote_271" class=
+"fnanchor">[271]</a>, lorsqu’elle est bon marché, ou de 50 oud’a
+lorsqu’elle est chère. Les acheteurs secouent alors la soie et en
+font tomber les chrysalides, et cette soie est filée à la main
+comme bourre&nbsp;; on ne dévide pas les cocons. Cette soie a le
+défaut, me dit-on, de ne pas prendre les couleurs, cependant je
+vois ici des tissus du Soudan, coton et tsámia, où cette dernière
+est teinte en rose. On ne fait pas de vêtements de tsámia pure,
+mais de petites bandes alternatives coton et tsámia. Les
+chrysalides,<span class="pagenum" id="Page_183">[183]</span> pilées
+et infusées dans de l’eau, sont un remède contre les douleurs
+d’oreille&nbsp;; on verse la décoction dans l’oreille du malade. On
+n’apporte pas de tsámia brute à Rhat ni à Ghadāmès.</p>
+
+<p>La «&nbsp;nila&nbsp;» ou teinture bleue qui sert à teindre les
+cotonnades du Soudan est estimée par les Touareg comme ornement et
+comme hygiénique. Ils l’achètent ici à la livre aux Ghadāmsia et
+s’en frottent les bras et les mains&nbsp;; les femmes, les lèvres,
+les joues et le front. C’est, comme je le dis, un ornement sans
+lequel un homme n’est pas considéré et une femme n’est pas belle
+et, de plus, un préservatif contre le froid et un émollient ou
+lénitif pour la peau.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, Othman va à Tābia où Ikhenoukhen s’est rendu de son
+côté, ils ont une longue discussion avec Eg ech Cheikh<a id=
+"FNanchor_272"></a><a href="#Footnote_272" class=
+"fnanchor">[272]</a> qui est campé là. On discute les moyens de
+faire la paix avec les Hoggār&nbsp;; naturellement, il n’y aurait
+qu’un moyen, c’est de rendre de chaque côté les chameaux qui
+auraient été volés.</p>
+
+<p class="datesect">28 août.</p>
+
+<p>Après ma leçon de targui, Ihemma me raconte qu’à Tabia il y a
+une inscription qu’un Ghadāmsi a copiée et apportée en ville que,
+l’ayant montrée aux Touareg, ils n’ont pas pu la lire parce que
+<em>nos</em> Tefinaghen ne sont pas tout à fait pareils aux leurs.
+Ce serait donc une inscription latine&nbsp;? Ihemma a été chargé
+par moi de faire des recherches.</p>
+
+<p>Il me raconte qu’il y a aux environs des tombeaux des
+Djohāla<a id="FNanchor_273"></a><a href="#Footnote_273" class=
+"fnanchor">[273]</a> où les Touareg vont dormir lorsqu’ils veulent
+avoir une inspiration, comme, par exemple, savoir où un voleur
+s’est enfui, et que le lendemain, à leur réveil, les maîtres des
+tombeaux leur ont dit ce qu’ils cherchaient.</p>
+
+<p>Aujourd’hui part une petite compagnie de gens du Souf qui
+emportent des lettres de moi&nbsp;; je crois aussi que mes lettres
+au Consul de Tripoli partent aujourd’hui.</p>
+
+<p class="datesect">29 août.</p>
+
+<p>Les Touareg ont presque tous leur amie. Ils la prônent
+comme<span class="pagenum" id="Page_184">[184]</span> les
+chevaliers prônaient leur dame, et ils inscrivent sur les rochers
+ou sur les murs à Ghadāmès des louanges à leur adresse en
+Tefinaghen. Si je dois les croire, l’amie n’est que pour les yeux
+et non pas pour le lit, comme chez les Arabes. Ils se vêtissent de
+leur mieux et vont causer avec elle et là se bornent leurs
+relations. La nuit les Touareg veillent longtemps&nbsp;; j’entends
+toujours un son semblable au violon, et j’apprends que ce sont les
+Targuiāt qui jouent du rebāb en s’accompagnant de la voix&nbsp;;
+lorsqu’une femme chante, les hommes s’accroupissent en cercle
+autour d’elle et écoutent. Presque tous et toutes savent
+improviser.</p>
+
+<p>Il y a au Dhâhara (endroit où campent les Touareg) des
+prostituées qui vivent sous la tente&nbsp;; je sais cela parce que
+j’ai aujourd’hui un malade syphilitique et que je le questionne sur
+la manière dont sa maladie lui est venue.</p>
+
+<p>Je reste à la maison, prends ma leçon de targui. Ihemma me dit
+que sa sœur Télingui ne pourra plus venir parce que son mari l’a
+beaucoup grondée de venir me voir.</p>
+
+<p>Mon cordonnier qui me fait une belle paire de souliers brodés en
+soie, est situé dans le quartier des Beni-Ouazit et nous, nous
+sommes dans celui des Beni-Oulid&nbsp;; c’est le marché qui fait la
+limite entre les deux tribus, et il n’y a jamais eu de mur entre
+eux, pas de <span class="arabic">سور</span>, mais un <span class=
+"arabic">سوڧ</span>, ce qui a pu causer l’erreur de C. Ritter<a id=
+"FNanchor_274"></a><a href="#Footnote_274" class=
+"fnanchor">[274]</a>. Or, je désire avoir des bottes molles, et
+j’envoie à mon cordonnier pour le prier de venir prendre
+mesure&nbsp;; il me fait répondre qu’il ne sortira pas pour 100.000
+rials de son quartier pour venir dans le mien. J’apprends que les
+hommes nobles «&nbsp;harār&nbsp;» ne sortent de leur quartier pour
+aller dans l’autre qu’à de rares exceptions et qu’il y en a qui
+n’ont jamais vu l’autre quartier. Ils envoient les nègres et les
+mulâtres en commissions. Autrefois les deux tribus étaient
+ennemies, mais maintenant, quoiqu’elles aient fait la paix,
+l’ancienne retenue respective existe très forte. Les Beni Oulid ont
+deux chará ou rues voûtées&nbsp;; les Beni Ouazit en ont
+quatre.</p>
+
+<p class="datesect"><span class="pagenum" id=
+"Page_185">[185]</span>30 août.</p>
+
+<p>Les retards qu’éprouve la caravane du Touāt sont des suites de
+la razzia des Oulad Ba Hammou sur les Azgar, laquelle razzia fut
+rattrapée à deux jours du Touāt par Ikhenoukhen et à la suite de
+laquelle on parla de rendre les chameaux enlevés de part et
+d’autre. Il y a ici des Sakomaren<a id="FNanchor_275"></a><a href=
+"#Footnote_275" class="fnanchor">[275]</a>, imrad des Hoggar et des
+Oulad Ba Hammou ainsi que des gens d’In-Salah, mais en petit
+nombre. Tous ces gens craignent de se mettre en route avant d’avoir
+été autorisés par Ikhenoukhen, sans cela ils pourraient bien être
+attrapés en route et dévalisés. D’un autre côté, la caravane des
+Ghadāmsia, conduite par les Ifoghas ne veut pas aller au Touāt
+avant de voir les affaires arrangées ici, de crainte qu’on use de
+représailles sur eux à In-Salah.</p>
+
+<p>La nouvelle arrive que les Ourghamma sont montés à cheval pour
+aller en expédition et on ne sait pas où. Ikhenoukhen part à cheval
+pour aller voir où sont ses chameaux, qu’il trouve au Tabia&nbsp;;
+tout le monde se tient sur le qui-vive. On envoie une vigie à
+Mézezzem.</p>
+
+<p>Ihemma a été au Tabia ce matin et a cherché partout
+l’inscription en question, mais ne l’a pas trouvée. L’individu qui
+l’a apportée est fou actuellement (il a plus de 150 ans, disent les
+Touareg).</p>
+
+<p class="datesect">31 août.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, dans l’après-midi, part une caravane pour le
+Touāt&nbsp;; il arrive depuis quelques jours des nouvelles de
+Tripoli.</p>
+
+<p>Il paraît que chez les Touareg une femme, pour être «&nbsp;comme
+il faut&nbsp;», doit avoir beaucoup d’amis et n’en préférer aucun.
+Elle leur donne des témoignages d’amitié comme, par exemple,
+d’écrire sur leurs voiles rouges en broderie ou sur leurs boucliers
+et anneaux de bras des inscriptions Tefinagh. Si une femme n’a
+qu’un ami, on se moque d’elle et on lui dit que c’est son mari et
+qu’elle est pervertie. Cependant les maris sont jaloux de la
+préférence et ils tueraient leur femme si celle-ci leur
+disait&nbsp;: «&nbsp;Un tel est mieux que toi&nbsp;», à plus forte
+raison s’ils apprenaient qu’elle commet des infidélités. De son
+côté, la femme ne peut pas supporter de rivale, et elle divorce,
+car elle a ce droit, quand<span class="pagenum" id=
+"Page_186">[186]</span> elle apprend que son mari en courtise une
+autre. Les Touareg ne prennent jamais une nouvelle femme sans
+divorcer avec l’ancienne. Quoique la femme donne souvent son avis
+dans les conseils, dans le ménage le mari est tout à fait le maître
+et il peut tuer sa femme, si elle le mérite, sans que ses parents
+lui demandent compte de son action. Mais d’un autre côté les
+parents de la femme exigent qu’elle soit bien habillée, bien
+nourrie et pas délaissée.</p>
+
+<p>Un Ghadāmsi estime à 3.000 le nombre des habitants de la ville y
+compris les femmes&nbsp;; ce nombre est bien trop faible<a id=
+"FNanchor_276"></a><a href="#Footnote_276" class=
+"fnanchor">[276]</a>.</p>
+
+<p>L’impôt de Ghadāmès est de 2.500 mitcals d’or, ou bien, au taux
+moyen de 16 1/2 rials tounsi le mitcal, 30.937 fr. 50. Je prends
+des renseignements sur la douane&nbsp;; en moyenne, elle prélève
+ici ou à Tripoli 13 % de la valeur des objets importés du Soudan.
+La poudre d’or seule ne paie rien. Les Ghadāmsia dansent dans les
+rues les jours de fête&nbsp;; les Touareg ne dansent jamais, ni les
+hommes, ni les femmes&nbsp;; les tribus assujetties des Imrad
+seules ont cette coutume en commun avec les nègres.</p>
+
+<p class="datesect">1<sup>er</sup> septembre 1860.</p>
+
+<p>Je vais de bonne heure chez un commerçant nommé Brahim ben
+Ahmed, qui est revenu du Soudan au mois de Ramadhan dernier. Je m’y
+rends avec le cheikh Ali. Nous sommes reçus dans une chambre haute
+entourée de petits réduits à portes en bois peint en rouge et à
+tapisseries. La chambre est blanchie, le parquet est couvert de
+nattes et de coussins touareg&nbsp;; les murs sont presque cachés
+par des grands plats en métal doré, cloués au mur, et par des
+multitudes de petites corbeilles rondes sans anses de toutes
+grandeurs. En somme, cette chambre est très jolie, et j’étais loin
+de m’imaginer que les Ghadāmsia avaient un intérieur aussi
+attrayant.</p>
+
+<p>Nous trouvons ici rassemblées les principales marchandises du
+Soudan&nbsp;; j’examine chacune d’elles en détail et je prends note
+de sa nature et du prix qu’elle atteint ici. Par la même occasion
+j’apprends que le tarif de la douane pour les objets du Soudan
+n’est que de 9 %&nbsp;; cependant je dois m’informer de cela auprès
+de l’amine. Après le travail en question on nous sert du thé, qu’on
+apporte dans une théière anglaise, et que nous buvons avec des
+trempades<span class="pagenum" id="Page_187">[187]</span> de
+«&nbsp;biscuit&nbsp;». Je m’amuse beaucoup du jeune fils mulâtre
+que mon hôte a ramené du Soudan et qui ne sait pas encore un mot
+d’arabe. Il y a aussi de nombreux esclaves.</p>
+
+<p>’Aissa, le petit Targui malade d’un œdème, meurt tranquillement.
+On ne manque pas de remarquer que j’avais prédit qu’il ne vivrait
+pas longtemps.</p>
+
+<p>Les caravanes qui sont parties aujourd’hui et hier peuvent avoir
+300 chameaux&nbsp;; ce nombre n’est pas normal&nbsp;; il est causé
+par l’insécurité de la route, qui régnait depuis trois mois et
+qu’Othman vient de faire cesser. Les gens d’In-Salāh qui étaient
+ici avaient attendu trois mois sans pouvoir partir.</p>
+
+<p class="datesect">2 septembre.</p>
+
+<p>Je m’amuse à recueillir des notes sur les coutumes intimes des
+Ghadāmsia et des Touareg.</p>
+
+<p>Les Ghadāmsia ne mangent pas devant leurs femmes. Celles-ci font
+la cuisine, leur apprêtent la viande et la leur servent. Les
+Ghadāmsia mangent à leur gré et ne laissent que les os à leurs
+femmes. Ceci est littéral&nbsp;; il est même considéré comme
+inconvenant à une femme de manger de la viande. Les Touareg, au
+contraire, mangent en compagnie de leur épouse&nbsp;; s’ils
+mangeaient à part, ce serait la mépriser. Ils lui donnent même la
+meilleure part. Dans la viande, il y a certaines parties que les
+femmes Targuiāt considéreraient comme inconvenant de manger, ce
+sont le cœur, l’intestin gras&nbsp;; le café aussi et le thé sont
+dans cette catégorie d’aliments. Les Targuiāt, au contraire, se
+réservent le foie et les reins qu’aucun Targui ne mangerait.</p>
+
+<p>Quand quelqu’un meurt, on ne pleure pas chez les Touareg, on ne
+vient pas comme chez les Arabes faire des visites de condoléances
+et des singeries. Les Touareg disent à ceux qui pleurent dans ces
+occasions&nbsp;: «&nbsp;Réserve tes larmes pour toi&nbsp;». Comme
+aujourd’hui meurt une des proches parentes d’Othman, vieille femme
+malade de la petite vérole, je puis me convaincre qu’ils supportent
+très bien les pertes de leurs proches. Les Ghadāmsia, au contraire,
+font le deuil à l’arabe. Les «&nbsp;Atrîyat&nbsp;» surtout se
+montrent dans ces occasions. Elles courent à la maison du mort et
+pleurent en disant «&nbsp;Ya Sidi&nbsp;»&nbsp;! Manaaraf
+chey&nbsp;»&nbsp;! etc., puis viennent rire à la porte du mort.
+Elles sont de véritables pleureuses et n’accourent que pour
+recevoir un peu d’argent.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_188">[188]</span>Je reçois la
+visite de deux Targuiāt, dont l’une est Tekiddout qui doit être ma
+maîtresse de Tefinagh. Elle emporte le papier et viendra demain me
+donner ma première leçon. Ces deux dames sont très dégourdies et je
+suis de plus en plus frappé des rapports qu’il y a entre l’esprit
+des Targuiāt, leurs relations avec les hommes, leurs idées de
+convenance et celles qu’ont mes concitoyennes. Tekiddout ramène si
+habilement son voile (haïk) sur sa figure, que je ne puis voir ses
+traits, j’ai beau user de tous les moyens possibles, je ne puis
+l’amener à se découvrir. Elle donne pour prétexte que je suis jeune
+et beau&nbsp;! Chez les Touareg, c’est du reste une manière de
+montrer le respect ou la timidité que de se couvrir la bouche, la
+figure entière, même de tourner le dos à la personne à qui l’on
+parle.</p>
+
+<p>Le soir, je reçois la visite d’Othman et d’un Arabe Kounta, de
+la suite du parent du cheikh el Bakkay qui est ici et qui a épousé
+la fille de Ikhenoukhen. Je suis frappé des manières polies de cet
+Arabe qui n’est cependant pas de la première classe. En s’en allant
+et emportant le petit présent que je lui fais, il me prie de rester
+assis.</p>
+
+<p class="datesect">3 septembre.</p>
+
+<p>Aujourd’hui vient un express de Rhat qui donne de bonnes
+nouvelles. Le Hadj Ahmed est retourné au Hoggar. La paix règne
+partout. On attend à Rhat de grandes caravanes du Soudan.</p>
+
+<p>D’un autre côté, arrive une ambassade des Ghorīb et des Merazig
+à Ikhenoukhen. J’apprends à cette occasion que les Ghorīb paient à
+ce chef chaque année un tribut de haoulis pour prévenir les razzias
+que les Touāreg faisaient sur eux autrefois. Les Merāzig paient de
+même un tribut à mon ami Othman. Or, cette fois, les deux tribus
+ont envoyé leurs députés à Ikhenoukhen, et Othman en est jaloux.
+Nous allons voir comment se passera cette aventure.</p>
+
+<p>Je reçois la visite de Tekiddout et peu après celle d’Othman qui
+reproche à cette Targuie de venir ici, mais elle paraît se moquer
+pas mal de son avis. Après le départ de Tekiddout, Othman reste
+longtemps avec moi et me raconte plusieurs chansons qu’il a faites
+ou qu’on a faites à son sujet. J’en écris une avec sa
+traduction.</p>
+
+<p>Les Touareg, surtout les chefs et les amateurs de femmes,
+considèrent comme mal de manger d’une bête plumée&nbsp;; ils ont
+raison en parlant de l’autruche qui a une mauvaise odeur, mais ils
+n’ont<span class="pagenum" id="Page_189">[189]</span> pas d’excuses
+pour les autres oiseaux. Les marabouts et Othman, par conséquent,
+mangent de tout ce que les Arabes mangent.</p>
+
+<p>Les Ghadāmsia prennent presque tous le thé, même les plus
+pauvres&nbsp;; le café est peu estimé d’eux.</p>
+
+<p>Les Touareg ne se lavent presque jamais&nbsp;; je suis fâché de
+le dire&nbsp;; et, comme ils ne changent pas de vêtements, la
+plupart exhalent une odeur écœurante de sueur concentrée. Il y a
+cependant des exceptions. Ils prétendent que l’eau ne leur va pas
+et leur donne des maladies. Les Touareg prétendent, avec raison,
+que les villes ne leur vont pas&nbsp;; en effet, ici à Ghadāmès, il
+règne parmi eux des maladies nombreuses dont les principales sont
+la dysenterie, diarrhée, fièvres et petite vérole. Quant aux
+fièvres, il paraît que ce pays n’en est pas exempt, ainsi les
+soldats qui gardent la porte sont en ce moment tous pris de la
+fièvre, et ils grelottent toute la journée&nbsp;; les Touareg en
+souffrent aussi, et Ahmed, mon premier domestique, en a encore des
+attaques, surtout ces jours derniers. Maintenant, je vais le mettre
+à un traitement régulier jusqu’à parfaite guérison.</p>
+
+<p class="datesect">4 septembre.</p>
+
+<p>Aujourd’hui partent encore environ 55 chameaux pour In-Salah. La
+plupart des charges sont des cotonnades anglaises.</p>
+
+<p>J’ai probablement négligé de noter une coutume des Touareg qui
+est de ne jamais coucher en ville. Cela est encore considéré A’ïb
+ou péché, tant pour les hommes que pour les femmes. Jamais ils ne
+manquent à cette règle. Quand les Touareg arrivent à Ghadāmès, ils
+vont trouver leur ami Ghadāmsi, c’est-à-dire le marchand qui leur
+confie ses charges de marchandises, etc. Celui-ci sort une tente de
+toile ronde pour son ami targui et la lui prête pendant tout le
+temps de son séjour.</p>
+
+<p>Othman se moque chez moi des Merazig et des Ghorib&nbsp;; les
+Arabes, me dit-il, sont si avares du bien de ce monde, que
+l’ambassade du Nefzaoua, composée de sept hommes, est arrivée sur
+trois chameaux&nbsp;! Ils ont apporté un présent de haoulis, mais
+tous les parents et amis d’Ikhenoukhen viennent lui demander leur
+part du tribut, de sorte qu’il n’en conservera probablement rien
+pour lui.</p>
+
+<p>Je vais voir le moudir dans son jardin&nbsp;; comme il est là,
+seul avec le cheikh, il est très aimable et m’explique qu’il a des
+dettes<span class="pagenum" id="Page_190">[190]</span> occasionnées
+par ses longs voyages dans les dernières années, que c’est pour
+cela qu’il désire rester à Ghadāmès quelques années pour se
+refaire. — Ce Turc est à crever de rire avec ses airs d’importance.
+Je ne vais pas le voir qu’il ne me répète plusieurs fois avec une
+grimace dégoûtée&nbsp;: «&nbsp;Mon cœur est fatigué des affaires de
+ce monde&nbsp;».</p>
+
+<p class="datesect">5 septembre.</p>
+
+<p>Je vais de bon matin voir Ikhenoukhen. J’ai une longue
+conversation avec lui et son frère ’Omar el Hadj, au sujet de mon
+départ pour le Djebel. Ils sont d’avis que je m’abstienne d’y
+aller, tant à cause des nouvelles d’une expédition des Ourghamma,
+qu’à cause de la longueur de la route. Ils semblent être près de
+leur départ. Ikhenoukhen, avec qui je parle ensuite des affaires
+politiques, accepte de faire un traité avec l’Algérie&nbsp;; il
+conseille de ne s’adresser qu’à lui et à ses deux frères, les
+autres chefs des Azgar, les Imarasāten<a id=
+"FNanchor_277"></a><a href="#Footnote_277" class=
+"fnanchor">[277]</a>, amis des Anglais en particulier, étant en
+quelque sorte sous ses ordres.</p>
+
+<p>Je vais ensuite voir Hadj Mohammed ou Ahmed, le plus grand
+commerçant de la ville et l’homme le plus considéré, qui vient
+d’arriver, il y a peu de jours, de Tripoli&nbsp;; il me conseille
+de partir pour le Djebel, m’assurant que j’aurai toujours le temps
+de trouver Ikhenoukhen ici. Là-dessus, après être entré un instant
+au Medjélès, je vais faire part à Si ’Othman de ma décision et le
+prie d’aller trouver Ikhenoukhen pour lui en parler.</p>
+
+<p>J’apprends que Sid el Bakkay, qui a épousé une fille
+d’Ikhenoukhen (il est parent de Sidi Ahmed el Bakkay de
+Tombouctou), est en ce moment un peu en querelle avec son
+beau-père, parce qu’il voudrait que les Azgar fissent la guerre aux
+Hoggar qui sont les ennemis de sa propre famille&nbsp;; or, depuis
+trois ans et plus qu’il est auprès d’Ikhenoukhen, il ne fait que
+l’exciter à cette rupture. Ikhenoukhen a trop de bon sens pour ne
+pas voir que ce serait la perte des Touareg que de suivre ce
+conseil&nbsp;; de la petite bouderie de la part du marabout.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_191">[191]</span>J’apprends qu’un
+Rahti, qui est parti pour son pays il y a peu de jours, a déclaré
+que jamais un Français n’entrerait à Rhat, et, comme il parlait un
+peu haut dans le marché, Si ’Othman a été obligé de le mettre au
+silence. Il va porter de mauvaises nouvelles à Rhat, et
+certainement nous allons trouver tout le monde prévenu à notre
+arrivée. Ikhenoukhen ne veut partir qu’avec tout son monde.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp3c04">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_270"></a><a href="#FNanchor_270"><span class=
+"label">[270]</span></a>Ceci est une réponse aux instructions du
+D<sup>r</sup> Warnier. Elles sont contenues dans une volumineuse
+correspondance, embrassant toute la durée du voyage, pendant lequel
+Warnier n’a cessé de jouer le rôle de Mentor. Mentor systématique
+et autoritaire parfois, et qui n’abdiqua pas lors de la rédaction
+des <em>Touareg du Nord</em>, dont le brouillon renferme plus d’une
+page entièrement raturée et modifiée de sa main. Duveyrier souffrit
+de cette tutelle, et certaines de ses lettres (1867-1870) en
+parlent d’un ton amer. Plus tard, il ne voulut se rappeler que les
+soins dévoues du médecin, et le zele enthousiaste de l’initiateur
+scientifique que Warnier avait été. «&nbsp;La mort, écrivait
+Duveyrier en 1875, efface certains souvenirs et en ravive d’autres.
+Je n’ai pas besoin de vous dire que ceux-là sont les
+meilleurs.&nbsp;» (Lettre au commandant Warnier, frère du Docteur.)
+Il avait raison. Qu’on en juge par cette lettre de Warnier (27
+décembre 1859), reçue par Duveyrier à Biskra le 8 janvier 1860, et
+qu’on voudrait pouvoir citer tout entière&nbsp;:</p>
+
+<p>«... Dans un voyage comme celui que vous entreprenez, un
+explorateur doit se rattacher à tout ce qu’il y a de forces vives
+dans son pays. La Société d’acclimatation de Paris est aujourd’hui
+à la tête d’un mouvement important. Elle a créé à Alger un comité
+dont le domaine embrasse l’Afrique entière. Ce comité sera heureux
+d’entrer en relations avec vous, pour tout ce que le pays que vous
+allez explorer peut donner et recevoir. Vous êtes sur un des points
+du globe les moins connus, et si pauvre qu’il soit, il peut donner
+en végétaux, en minéraux, en animaux, des choses nouvelles,
+utilisées ou non par les indigènes. Parmi les choses sur lesquelles
+j’appelle surtout votre attention, est celle-ci&nbsp;: Déterminer
+la limite botanique des végétaux qui appartiennent au bassin
+méditerranéen, et entre autres l’olivier... Là ou finissent ces
+espèces, doit commencer une région botanique nouvelle, la région
+désertique, entre lesquelles peut se trouver une région
+intermédiaire, la région saharienne, donnant à la fois
+l’hospitalité à des végétaux méditerranéens et désertiques. Il
+importe à la science que ces limites soient bien précisées...
+J’appelle surtout votre attention sur les acacias producteurs de
+gomme... On en trouve en Tunisie, en Marokie, à peu de distance du
+littoral. Où commencent-ils au sud de l’Algérie&nbsp;? Où
+pourrait-on les introduire&nbsp;? L’Argan, commun au Maroc, se
+montre-t-il dans notre Sud&nbsp;?... Je vous serais infiniment
+reconnaissant, <em>personnellement</em>, si vous vouliez bien
+m’envoyer la liste des arbres, arbustes, avec leurs noms indigènes
+et lieux de station... Il y a de nombreux tamarix, espèces
+nouvelles pour la plupart. Ces espèces produisent des galles
+(Takaout) employées comme succédanés des galles du chêne. —
+Quid&nbsp;?... Avez-vous étudié avec soin le système d’aménagement
+des eaux des Beni Mzab&nbsp;? D’après ce que j’en sais, c’est
+merveilleux. Sans aucun doute, le général Desvaux vous aura
+recommandé d’étudier les lignes de fond sous lesquelles on peut
+espérer trouver des eaux artésiennes&nbsp;; c’est avec la sonde que
+la civilisation doit pénétrer dans le Sud... J’appelle aussi votre
+attention sur l’action du climat relativement à la coloration de la
+peau... Déterminez la limite méridionale des civilisations qui ont
+pénétré dans ce continent&nbsp;; vous les trouverez indiquées par
+des ruines... Ne négligez pas de recueillir des renseignements
+précis sur les poids, les mesures et les monnaies... Si des
+règlements relatifs à l’usage des eaux tombent sous votre main,
+rapportez-nous-les, soit en original, soit en copie. Recueillez ce
+qui est tradition orale. La teinture et la tannerie ont atteint un
+certain degré de développement&nbsp;: sachez nous dire quels sont
+les procédés de fabrication... On a signalé dans le Sud des
+gisements de combustible minéral. Tâchez de savoir ce qu’il en
+est... Notez également toute rencontre d’oiseaux ou d’insectes
+migrateurs. Les sauterelles qui ravagent périodiquement le Nord de
+l’Afrique prennent naissance dans le Sud. Quels sont les foyers de
+production&nbsp;?... Notez aussi la limite où parviennent d’un côté
+les produits manufacturés ou les matières premières du Nord, et de
+l’autre côté ceux venant du Soudan... J’ai remarqué que la race
+nègre, dans ses migrations vers le Nord, rencontrait des obstacles
+hygiéniques analogues à ceux de l’Européen venant en Algérie.
+Enregistrez tout ce que vous apprendrez à ce sujet... Du foyer
+soudanien ont dû sortir, en plantes et animaux, des espèces
+originaires de ce foyer. Quelles sont-elles et quelles
+modifications ont-elles éprouvées&nbsp;?... Quel est l’arbre appelé
+en arabe tsámia, qui produit la soie végétale du Soudan, avec
+laquelle on brode les turbans&nbsp;?... L’Angleterre n’a fait de si
+grands sacrifices pour l’exploration de l’Afrique que pour savoir
+si, en cas de rupture avec les États-Unis, ses manufactures
+pourraient trouver un foyer d’origine du coton. La France aussi a
+intérêt à voir accroître le champ de cette culture... Il importe
+donc de recueillir tous les renseignements... Informez-vous des
+lieux d’où l’on tire le nitre ou azotate de potasse, de
+l’importance de la production... Le soufre doit exister dans
+certaines parties&nbsp;: — attention spéciale.&nbsp;» (Papiers de
+Duveyrier.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_271"></a><a href="#FNanchor_271"><span class=
+"label">[271]</span></a>Ouda, cauri.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_272"></a><a href="#FNanchor_272"><span class=
+"label">[272]</span></a>Chef de la tribu des Imanghasaten, rivale
+de celle des Oraghen dans la confédération des Azdjer.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_273"></a><a href="#FNanchor_273"><span class=
+"label">[273]</span></a>Païens. On trouve la même superstition
+attribuée par Pomponius Mela aux anciens habitants d’Augile (cf.
+les remarques de Duv. <em>Les Touareg du Nord</em>, p. 415) et chez
+les habitants actuels de l’Aïr (<em>Journ. de voyage</em> d’Erwin
+de Bary, trad. Schirmer, Paris, 1898, p. 187).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_274"></a><a href="#FNanchor_274"><span class=
+"label">[274]</span></a>Ritter (<em>Géogr. gén. comparée</em>, III,
+p. 316) avait dit qu’un mur très large sépare diamétralement la
+ville, et que les deux tribus ne communiquent que par une porte
+fermée à la première apparence de trouble. Richardson (1845) et la
+<em>Relation du voyage de M. le capitaine de Bonnemain</em>,
+publiée par Cherbonneau en 1857 dans les <em>Nouv. Annales des
+voyages</em>, n’avaient ni infirmé ni confirmé cette
+information.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_275"></a><a href="#FNanchor_275"><span class=
+"label">[275]</span></a>Ou mieux Isaqqamaren.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_276"></a><a href="#FNanchor_276"><span class=
+"label">[276]</span></a>Mircher (1862) dit 6 à 7.000 (ouv. cité, p.
+98)&nbsp;; Rohlfs (1865) dit 5.000 (<em>Quer durch Afrika</em>,
+Leipzig, 1874, I, p. 81).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_277"></a><a href="#FNanchor_277"><span class=
+"label">[277]</span></a>Imanghasaten. Sur leur rivalité avec les
+chefs des Oraghen, voir <em>Les Touareg du Nord</em>, p.
+355-6&nbsp;; voir aussi Schirmer, <em>Pourquoi Flatters et ses
+compagnons sont morts</em>. Paris, 1896, p. 15-20.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h3><span class="pagenum" id="Page_192">[192]</span><a id=
+"p3c05"></a>CHAPITRE V</h3>
+
+<p class="sch">A GHADAMÈS (<em>suite</em>)</p>
+
+<p class="datesect">6 septembre.</p>
+
+<p>Autrefois, les Beni Oulid et les Beni Ouazit étaient
+ennemis&nbsp;; aujourd’hui encore, ils sont loin d’être amis, et
+leur inimitié s’est seulement transformée en jalousie. Encore
+aujourd’hui, les Beni Oulid ont l’ouest, c’est-à-dire voyagent à
+Tunis et au Souf&nbsp;; les gens de ces contrées viennent aussi à
+eux. Ils ont aussi Douirat et Nalout. Les Beni Ouazit, au
+contraire, vont à Tripoli et dans l’est et les gens de ces contrées
+viennent descendre dans leur quartier.</p>
+
+<p>On prétend maintenant que les seuls individus atteints de
+fièvres à Ghadāmès les ont emportées soit de Derdj (les soldats),
+soit de Ouargla et du Fezzan. Ceci expliquerait ce phénomène qui
+est singulier vu l’élévation de Ghadāmès et la nature de son
+terrain<a id="FNanchor_278"></a><a href="#Footnote_278" class=
+"fnanchor">[278]</a>.</p>
+
+<p>On m’apporte une inscription latine. Elle est gravée sur une
+plaque de grès assez tendre, rougeâtre&nbsp;; le fac-similé que
+j’en ai fait est exact&nbsp;; elle ne présente, du reste, guère de
+difficultés pour la lecture des lettres, même de celles des deux
+mots qui ont été martelés. L’endroit d’où provient cette
+inscription, et que j’ai été voir aujourd’hui, contient les
+fondations d’un édifice, sûrement l’un des «&nbsp;castrorum&nbsp;»
+indiqués dans le texte de l’inscription<a id=
+"FNanchor_279"></a><a href="#Footnote_279" class=
+"fnanchor">[279]</a>. Cet endroit peut être déterminé de la manière
+suivante&nbsp;:<span class="pagenum" id="Page_193">[193]</span> En
+tirant une droite d’El-Esnām à la pointe des jardins que j’ai
+relevés sur la gauche en venant de Sidi Maabed, les fondations dans
+lesquelles on a déterré l’inscription sont à peu près au milieu des
+deux points. Malheureusement, cette inscription est<span class=
+"pagenum" id="Page_194">[194]</span> incomplète. Je n’en ai sous
+les yeux qu’une moitié, c’est-à-dire le milieu, auquel il manque
+les deux côtés. Les côtés cassés, surtout celui de gauche, ont été
+polis et travaillés, comme si on s’était servi de cette pierre pour
+une bâtisse plus récente.</p>
+
+<div class="figcenter iw2">
+<figure id="i14"><a href="images/i14.jpg"><img src='images/i14.jpg'
+alt=''></a>
+<p class="cp1"><span class="sc">Inscription romaine trouvée a
+Ghadamès</span>.</p>
+
+<p class="cp2">Hauteur de la pierre, 0<sup>m</sup>,52. — Largeur,
+0<sup>m</sup>,26.</p>
+
+<p class="cp2">Les lettres des deux premières lignes ont 1
+centimètre de plus que les autres. Le trait de la gravure est brisé
+partout où il y a eu martelage.</p>
+</figure>
+</div>
+
+<p>Je dessine les chapiteaux des colonnes de la place
+d’El-Aouïna<a id="FNanchor_280"></a><a href="#Footnote_280" class=
+"fnanchor">[280]</a>. J’apprends que, dans la mosquée, il y en a
+beaucoup de semblables, mais, quoique ce soit un sujet curieux
+d’études que ce monument qui a peut-être eu autrefois une autre
+destination, je ne crois pas pouvoir demander de les voir<a id=
+"FNanchor_281"></a><a href="#Footnote_281" class=
+"fnanchor">[281]</a>.</p>
+
+<p>J’ai été faire une longue promenade aux Esnām et de là aux
+tentes des Touareg du Dhahara. J’ai passé auprès de la cabane de
+paille proprette de Tekiddout&nbsp;; elle était là, par
+terre&nbsp;; quand elle m’a vu, elle m’a salué en riant et en
+mettant ses mains sur sa figure. Je vois là des charges de chameaux
+arrangées par terre et je vois venir des chameaux chargés, qui
+sortent de la ville. Tout cela est encore pour In-Salāh, et, tous
+les jours, partent de petits partis de Touareg.</p>
+
+<p>Du Dhahara, ce plateau où sont les Touareg, on a une vue très
+étendue sur la Hamada vers l’est&nbsp;; on voit là se dérouler
+cette surface déserte et nue, avec ses différentes teintes&nbsp;;
+des blancs éclatant au rouge pâle, et les nombreuses
+«&nbsp;goūr&nbsp;» ou témoins qui la surmontent. Ghadāmès pointe à
+travers les palmiers et l’on n’en aperçoit que les sommets curieux
+des maisons, blanchies à la chaux&nbsp;; ces coquettes terrasses
+blanches ressortent d’une manière très agréable à l’œil de la
+verdure foncée des palmiers.</p>
+
+<p>Je rentre en ville et vais à la source où je me baigne.
+L’eau<span class="pagenum" id="Page_195">[195]</span> est
+tiède&nbsp;; en hiver elle fume. La source qui alimente le bassin
+est très forte, car, les Ghadāmsia ayant vidé il y a quelque temps
+l’immense bassin qu’elle remplit, il ne fallut à la source que
+trois demi-heures pour rétablir le niveau ordinaire. Ces trois
+demi-heures représentent 70 qila ou mesures du petit entonnoir en
+līf qui, rempli d’eau et jusqu’à ce qu’il soit vide, représente un
+qīla. Plus tard, je mesurerai approximativement la capacité du
+bassin de la source, et obtiendrai ainsi le jaugeage approché de la
+source. Des négrillons se baignaient en même temps que moi&nbsp;;
+ils nagent comme des chiens, refoulant l’eau derrière eux,
+alternativement d’un bras et de l’autre. Ils nagent du reste comme
+des poissons. La source ne renferme pas de poissons, ni de
+coquillages. On y voit quelques plantes aquatiques cryptogames et
+des libellules rasent la surface de l’eau. Othman vient le soir et
+me dit que Ikhenoukhen ne s’oppose pas à ce que j’aille à
+Tripoli.</p>
+
+<p>Quand les Touareg ici perdent quelqu’un, ils changent de suite
+l’emplacement de leur tente.</p>
+
+<p class="datesect">Le 7 septembre.</p>
+
+<p>Je vais voir Sid el Bakkay, le parent de Sidi Ahmed de
+Tombouctou&nbsp;; je lui fais présent d’un haouli de fabrique et
+d’une tabatière d’argent, deux des objets que j’ai reçus du
+gouvernement pour faire des présents. Je trouve un homme civilisé,
+qui cause de Barth (dont je lui montre le billet)<a id=
+"FNanchor_282"></a><a href="#Footnote_282" class=
+"fnanchor">[282]</a> et qui m’invite à aller à Tombouctou,
+m’assurant que Sidi Ahmed me préserverait du mal, comme il en avait
+défendu mon ami. Je suis très content de la connaissance de ce
+marabout&nbsp;; il est très intelligent et très convenable.</p>
+
+<p>Je reçois dans la gaïla des visites de Tekiddout et de sa sœur
+Chaddy&nbsp;; cette dernière finit par m’avouer qu’elle a une
+maladie dont je lui donne le remède. Tekiddout m’écrit sur une
+feuille de papier ses pensées qui n’étaient pas tout à fait
+orthodoxes&nbsp;; nous restons un bon moment à blaguer, tout à fait
+en petit comité.</p>
+
+<p>Je vais voir Hadj Ahmed ou Mohammed, et lui dis que je vais
+partir&nbsp;; il m’encourage à aller à Tripoli et me dit que la
+route est sûre.</p>
+
+<p class="datesect">Le 8 septembre.</p>
+
+<p>Le matin, je vais voir Ikhenoukhen que j’exhorte de plus en plus
+à se rendre à Alger&nbsp;; il me fait entrevoir qu’il me donnera,
+à<span class="pagenum" id="Page_196">[196]</span> mon départ, un de
+ses frères&nbsp;; lui, ne peut pas quitter son pays à cause de
+l’état des esprits.</p>
+
+<p>Je reviens chez moi et reste à écrire plusieurs lettres. Dans la
+gaïla, je reçois la visite d’une négresse très jolie et très
+richement habillée&nbsp;; elle est de Ghadāmès. Je n’ai jamais vu
+une personne aussi pleine de fantazia&nbsp;: elle est près de
+mettre la maison sens dessus dessous, mais cela m’amuse beaucoup.
+Comme elle était venue en compagnie d’une voisine de traits moins
+délicats, elle s’en va avec elle, mais dit à Ahmed qu’elle
+reviendra et qu’elle veut venir habiter près de nous. La manière
+dont elle s’est introduite est curieuse. Elle dit à Ahmed dans la
+rue&nbsp;: «&nbsp;Je veux voir le consul.&nbsp;» — «&nbsp;Que lui
+veux-tu&nbsp;?&nbsp;» — C’est lui qui m’a dit de venir.</p>
+
+<p>Vers l’aser<a id="FNanchor_283"></a><a href="#Footnote_283"
+class="fnanchor">[283]</a>, Si ’Othman se présente et j’envoie
+Ahmed avec lui remettre à Ikhenoukhen le présent que je lui destine
+et dont je lui ai parlé depuis longtemps. Ce présent se compose de
+100 douros (500 francs) pour lui et de 50 douros (250 francs) pour
+son frère Omar el Hadj.</p>
+
+<p>Ahmed revient seul. Il est resté longtemps et me raconte ce qui
+s’est passé. Ikhenoukhen n’accepte pas cette somme&nbsp;; elle ne
+lui suffit pas, prétend-il, à nourrir sa jument un mois. Il est
+ici, à Ghadāmès, mal vu par tout le monde, mal vu par les Turcs,
+mal vu par ses frères les Touareg, et tout cela à cause de sa
+prédilection pour les Français. Il ne mange ici que sur la ville et
+il a du «&nbsp;nif<a id="FNanchor_284"></a><a href="#Footnote_284"
+class="fnanchor">[284]</a>&nbsp;» avec elle. Pourquoi les Anglais
+sont-ils préférés&nbsp;? C’est parce qu’ils jettent les douros à
+droite et à gauche. Ils lui ont donné à lui et à ses frères 900
+douros (4.500 francs) et des effets (expédition de Richardson,
+etc.). Partout où les Anglais ont passé, ils ont rempli le ventre
+du monde. Ce n’est qu’en les imitant que nous pourrons nous faire
+un parti. Lui, doit m’accompagner à Rhat avec tous ses parents et
+ses amis&nbsp;; il faut avancer en forces et la somme que je lui
+donne ne suffit pas de loin à cette expédition. Enfin ses
+compagnons sont tous venus lui demander leur part de mon présent et
+il ne lui restera rien. Si nous étions venus pour avancer avec de
+tels moyens, nous n’avions qu’à nous en retourner en paix&nbsp;; il
+nous donnerait une ou deux fois autant que cela. Les Ghadāmsia
+étaient prêts à faire de grands sacrifices pour<span class=
+"pagenum" id="Page_197">[197]</span> empêcher que je réussisse.
+Cette nouvelle me bouleverse, et Si ’Othman ne vient pas le soir.
+J’annule mon départ demain pour Tripoli.</p>
+
+<p>Le moudir vient&nbsp;; je le reçois comme un chien dans un jeu
+de quilles, tant je suis de mauvaise humeur&nbsp;; du reste, il
+vient pour me recommander de lui apporter 20 litres de liqueurs, ce
+qui est peu délicat de sa part. Je le force à se lever et à s’en
+aller.</p>
+
+<p>Ikhenoukhen m’a affirmé que la nouvelle de la lettre de Sidi
+Hamza est vraie. Elle a été apportée au chef des Oulād Messāoud,
+qui est parti d’ici hier&nbsp;; il est certain que cet homme a la
+lettre parce qu’il a juré que c’est vrai. Sidi Hamza recommande de
+me tuer, moi et Si ’Othman ou bien les Oulād Messāoud ne valent
+rien. Nous ne savons pas d’où la lettre est arrivée, mais à coup
+sûr, c’est Ouled el Ghediyyēr qui l’a apportée ou un autre Chaanbi
+qui nous a précédés ici de quelques jours seulement.</p>
+
+<p class="datesect">Le 9 septembre.</p>
+
+<p>Othman vient de très bonne heure, je l’envoie à Ikhenoukhen lui
+demander quelle est la somme qu’il juge nécessaire que je lui
+donne. Ikhenoukhen se refuse à parler dans ce sens et me fait prier
+de me rendre auprès de lui dans la soirée. Je passe une journée
+très monotone&nbsp;; tout le monde me croit parti.</p>
+
+<p>Le soir, je vais au camp du chef des Azgar. Il vient au-devant
+de nous avec son frère Omar el Hadj. Je vois qu’Ahmed a exagéré la
+valeur du discours d’Ikhenoukhen hier&nbsp;; ce chef est fâché de
+l’impression que j’en ai reçue. Il me dit que la somme que je lui
+ai donnée ne compte pour rien chez lui, que de tels cadeaux sont
+ceux qu’il peut faire, lui. Tous ses compagnons vont lui demander
+leur part du présent que je lui ai fait et il ne lui en restera
+plus rien. Je lui répondis que, s’il en était ainsi, je préférais
+ne rien décider de moi-même, et demander avis au général
+gouverneur&nbsp;; qu’une occasion se présentait aujourd’hui tout à
+propos. Ikhenoukhen approuva cette décision&nbsp;; il me demanda de
+faire connaître au général l’état des choses et les services qu’il
+était disposé à nous rendre, ajoutant que la réponse, quelle
+qu’elle soit, serait la bienvenue. Quant à moi, il me demanda de ne
+pas me tracasser, d’aller tranquillement à Tripoli et qu’à mon
+retour, je le trouverais ici, et que j’atteindrais mon but de
+toutes façons, même sans présent. Il insista pour me faire bien
+sentir que la chose<span class="pagenum" id="Page_198">[198]</span>
+qu’il craindrait la plus au monde serait d’entendre dire qu’il eût
+imposé des conditions de force à son hôte.</p>
+
+<p>Je quittai Ikhenoukhen, réconcilié avec lui, et même
+impressionné par la noble tournure avec laquelle il envisageait
+l’affaire.</p>
+
+<p>Je passai la soirée à écrire des lettres qui partiront
+demain.</p>
+
+<p class="datesect">10 septembre.</p>
+
+<p>Dans la matinée, je me rendis avec le Ghadāmsi, ami de ma
+nation, qui m’a donné l’inscription latine, pour examiner une
+pierre sculptée qui avait été déterrée l’an dernier dans des
+constructions souterraines tout près d’une maison nommée
+Taskô<a id="FNanchor_285"></a><a href="#Footnote_285" class=
+"fnanchor">[285]</a>, un très ancien bordj qui appartenait
+autrefois au gouvernement, mais que Hadj Mohammed Heika a
+acheté<a id="FNanchor_286"></a><a href="#Footnote_286" class=
+"fnanchor">[286]</a>.</p>
+
+<p>Le moudir m’envoie un billet en me priant de lui rapporter de
+Tripoli 28 bouteilles de liqueurs&nbsp;; je m’empresserai de ne pas
+exécuter cette modeste commission.</p>
+
+<p>Il arrive une nombreuse caravane de Tripoli&nbsp;; je ne note
+pas tous les arrivages de ce côté, j’aurais trop à faire.</p>
+
+<p>Nous avons une nouvelle curieuse. Les Ourghamma sont réellement
+allés en expédition. Ils ont attaqué près de Sinaoun la caravane
+qui avait amené Hadj Ahmed ou Mohammed, et qui retournait vers
+Tripoli. Ils ont emmené les chameaux, mais les gens de Sinaoun sont
+partis à mehara et ont rattrapé le <em>rhezi</em> près de son
+pays&nbsp;; ils sont tombés sur six cavaliers, pendant que les
+autres étaient allés faire boire leurs chevaux, et ont enlevé tout
+le butin et, je crois, les selles des cavaliers.</p>
+
+<p class="datesect">11 septembre.</p>
+
+<p>Je reprends l’étude de la langue targuie. Tekiddout me trouve
+trop peu généreux, au moins le prétend-elle, et prétexte toutes
+sortes d’occupations pour ne pas se charger de m’écrire de nouveaux
+papiers. Ihemma m’a trouvé une autre femme jeune, jolie,
+blanche<span class="pagenum" id="Page_199">[199]</span> et modeste
+qui vient avec lui&nbsp;; elle a, de plus, la qualité de ne pas
+comprendre un mot d’arabe. Elle me promet de revenir et de
+m’apporter de l’écriture tefīnagh. Elle l’écrit avec de l’ocre
+rouge et de l’encre.</p>
+
+<p>Othman vient me demander des médicaments pour la femme
+d’Ikhenoukhen&nbsp;; ce chef la répudie, mais elle vit toujours à
+ses côtés avec ses enfants. Elle me demande un collyre pour les
+yeux et de la quinine.</p>
+
+<p>Le <em>qadhi</em>, qui est un gros homme bien modeste et assez
+bon, je crois, m’envoie un bout de papier sur lequel est copié ce
+passage d’un livre musulman, passage relatif à Ghadāmès<a id=
+"FNanchor_287"></a><a href="#Footnote_287" class=
+"fnanchor">[287]</a>.</p>
+
+<p>«&nbsp;Ghadāmès est dans le Sahara à sept journées (de marche)
+du Djebel Nefousa. C’est une jolie ville, ancienne et antérieure à
+l’islamisme. Les peaux dites <em>ghadamsi</em> tirent leur nom de
+cette ville. On y trouve des souterrains et des grottes<a id=
+"FNanchor_288"></a><a href="#Footnote_288" class=
+"fnanchor">[288]</a> qui servirent de prisons à la reine Kahina qui
+régna en Ifriqiya. Ces souterrains ont été édifiés par les anciens.
+Ce sont de merveilleuses constructions et leurs voûtes, établies
+au-dessous du sol, font l’étonnement du spectateur. En les
+examinant, on voit qu’elles sont l’œuvre de souverains anciens et
+de nations aujourd’hui disparues.</p>
+
+<p>«&nbsp;Le pays n’a pas toujours été désertique et il a été
+autrefois fertile et peuplé. Le comestible qu’il produit en plus
+grande abondance est la truffe, appelée par les habitants
+<em>terfâs</em>. Elles deviennent si grosses dans ces régions que
+les gerboises et les lièvres y creusent leurs gîtes.</p>
+
+<p>«&nbsp;Ghadāmès est le point d’où on se rend à Tadmekka et
+autres localités du Soudan qui en est située à quarante jours de
+marche. Les habitants sont des Berbères musulmans&nbsp;; ils
+portent le voile à la façon des autres Berbères du Sahara, tels que
+les Lemtouna et les Messoufa.&nbsp;»</p>
+
+<p>Ici se termine le passage extrait du livre intitulé&nbsp;:
+<em>Erraudh el-miʿ-ṭâr fi akhbâr el-aqṭâr</em> dont l’auteur est
+Abd-Ennour el Ḥimyari el Tounsi. Ce passage a été transcrit par
+Mohalhil el Ghadāmsi dans son ouvrage intitulé&nbsp;: <em>Menâqib
+Ech-cheikh Sidi Abdallah-ben-Abou-Bakr El-ghadamsi</em>.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_200">[200]</span>Autant que ma
+mémoire est fidèle, ce passage est le même que celui de l’anonyme
+du sixième siècle de l’hégire publié à Vienne, par M. Alfred de
+Kremer. S’il en était ainsi, nous aurions le nom de l’auteur de ce
+livre, lequel nom est jusqu’à présent inconnu.</p>
+
+<p class="datesect">12 septembre.</p>
+
+<p>Je vais faire une longue promenade ce matin. Je m’enquiers
+d’abord de la santé de Sid el Bakkay auquel j’enverrai des
+médicaments ce soir. De là, je me rends aux tentes des
+Targuiāt&nbsp;; j’en trouve une couchée, malade d’un anévrisme
+(cette affection serait-elle commune chez les Touareg&nbsp;?) et
+ayant des hémorragies par le nez. De là, je me rends à la zériba de
+Tekiddout, j’y trouve le moutard malade, qui va un peu mieux, avec
+son père Kel es Soūki<a id="FNanchor_289"></a><a href=
+"#Footnote_289" class="fnanchor">[289]</a> qui a été à Alger&nbsp;;
+mais les dames sont absentes et je n’ai pas ce que je désirais le
+plus. J’examine leur intérieur&nbsp;; il y a une natte assez
+proprement arrangée dans un coin et formant chambre, où l’on doit
+être à peu près chez soi. Je vois là la rebaza que la célèbre
+courtisane sait si bien manier. Le corps du violon et l’archet sont
+couverts d’inscriptions tefinag qui viennent de la main de ses
+auditeurs. Un certain nombre de vases, en gourdes et en nattes,
+complète l’ameublement&nbsp;; la cuisine est dans un coin à
+l’extérieur et elle est garantie par un mur.</p>
+
+<p>Là commence le cimetière des Beni Ouazit. C’est quelque chose
+d’effrayant que l’immense espace couvert des tombeaux de cette
+moitié de la population de la ville. Il y en a de tous les âges,
+depuis la période païenne jusqu’à nos jours. Les plus récents sont
+indiqués par deux pierres droites peu élevées, situées à la tête et
+aux pieds du mort. L’espace qui sépare ces pierres est limité par
+une petite ligne de gros cailloux de chaque côté du corps, les deux
+lignes sont très resserrées. Puis viennent des tombeaux plus
+anciens&nbsp;; les pierres à la tête et aux pieds deviennent très
+grandes, elles atteignent, en certains endroits, hauteur d’homme.
+J’ai cherché en vain sur leur surface des signes ou des
+dessins&nbsp;: je n’y ai rien trouvé&nbsp;; ces tombeaux datent,
+selon la tradition, d’avant l’islamisme. Puis viennent enfin les
+plus anciennes sépultures, beaucoup plus vastes que les
+précédentes&nbsp;; elles affectent des formes ovales, rondes ou
+carrées (quadrilatères<span class="pagenum" id=
+"Page_201">[201]</span> allongés)&nbsp;; on n’y remarque plus des
+pierres droites, mais des enceintes très bien déterminées et des
+fondations solides et soignées. Quelques-uns de ces tombeaux ronds
+sont indiqués par une bosse de terrain avec des débris de
+constructions et forment ainsi des tumulus<a id=
+"FNanchor_290"></a><a href="#Footnote_290" class=
+"fnanchor">[290]</a>. Les tombeaux portent le cachet d’une haute
+antiquité et sont très intéressants&nbsp;; je reviendrai les
+étudier. Ils m’ont vivement rappelé les petites enceintes que
+Mac-Carthy et moi avons rencontrées en 1857 sur la route de Taguin
+à Boghar. Mais ces dernières n’avaient pas l’air aussi soigné que
+celles de Ghadāmès.</p>
+
+<p>Nous traversons les routes de Tripoli et des endroits entourés
+de murs en démolition qui indiquent la place d’anciens jardins,
+aujourd’hui tout à fait détruits et abandonnés. Nous laissons à
+droite El Bir, construction de pierre assez remarquable, et entrons
+dans la <em>ghaba</em>. Je remarque un amandier. Nous rentrons en
+ville après avoir traversé une partie des rues qui m’étaient
+inconnues et où je rencontre des chapiteaux de colonnes et des
+colonnes carrées, des pierres plates, etc., toutes de constructions
+et de travail anciens.</p>
+
+<p>Māla, ma gentille amie targuie, m’apporte de l’écriture tefinagh
+et me l’explique avec Ihemma. J’envoie à Moussa, frère de Kelāla,
+un des jeunes champions les plus puissants d’Ikhenoukhen, un cadeau
+consistant en un haouli de fabrique, rouge, pour femme (acheté
+d’Othman) et un haïk de fabrique, blanc, pour homme.</p>
+
+<p class="datesect">13 septembre.</p>
+
+<p>Je retourne aux tombeaux. En passant, je vois Sid el Bakkay,
+mais le trouvant très occupé, je le laisse avec son entourage, Omar
+el Hadj, etc., et je continue mon chemin. Je lui laisse des
+médicaments pour lui et pour son domestique&nbsp;; entre autres, de
+l’aloès enveloppé de papier de plomb. J’apprends ensuite qu’il a
+mangé le médicament et son enveloppe.</p>
+
+<p>Je remarque sur le rebord de la hamada, en haut de l’immense
+cimetière, des marques très anciennes creusées dans le roc&nbsp;;
+ce sont des trous ronds très régulièrement creusés, en nombre
+inégal, sur les pierres plates&nbsp;; ces trous forment autant de
+petits<span class="pagenum" id="Page_202">[202]</span> réservoirs
+ou bols dans lesquels les moutards Touareg s’amusent à pisser, mais
+qui n’ont pas dû avoir toujours la même destination. Je remarquai
+ensuite des tracés de contours de sandales ou de souliers, plutôt
+les premières. Si je me souviens bien, la pointe était dirigée vers
+la ville, c’est-à-dire vers l’est et, ces contours de sandales
+rapprochées, telles que celles d’un homme debout, et ces petits
+réservoirs, pourraient bien indiquer la place où se tenait un homme
+et celle où il sacrifiait aux mânes des morts du cimetière.</p>
+
+<p>Je remarque en examinant de plus près les tombes que celles qui
+sont indiquées par une pierre à la tête et une aux pieds du mort,
+quelque grandes et pointues que soient ces pierres, sont toutes
+musulmanes&nbsp;; en les regardant bien, je découvre quelques
+fragments d’inscriptions arabes indiquant les noms des principaux
+personnages, nous remarquons ceux de femmes maraboutes, et celui
+d’un Es Soūqi, ancêtre de Si ’Othman. Les grandes tombes carrées et
+celles qui sont arrondies surtout doivent seules avoir une
+antiquité antérieure à l’Islam.</p>
+
+<p>En sortant de cet amas de tombes, nous arrivons, toujours dans
+la dépression où la ville est bâtie et où se trouvent aussi les
+cimetières, à un endroit où le sol se compose d’une pâte
+cristalline légère de plâtre<a id="FNanchor_291"></a><a href=
+"#Footnote_291" class="fnanchor">[291]</a>. C’est là un des
+endroits où on l’exploite, c’est-à-dire où l’on en extrait. Cette
+roche est identique à celle qui se retrouve partout dans l’Oued
+Righ, et principalement au puits d’El Hachchāna près de Chegga du
+Sud.</p>
+
+<p>Nous montons la hamada qui ne domine Ghadāmès que de 3, 4 mètres
+de ce côté. Le sol est composé de pierres très grosses et d’autres
+plus petites semées sans ordre et s’appuyant sur le plateau. La
+couleur du calcaire varie du blanc au brun et au gris de rouille.
+Je découvre des empreintes de différents bivalves, notamment d’une
+coquille à côtes (<i>griphus</i>)<a id="FNanchor_292"></a><a href=
+"#Footnote_292" class="fnanchor">[292]</a>.</p>
+
+<p>D’ici, nous plongeons directement sur El-Esnām, laissant à
+droite assez loin, le Dhahara avec les tentes des Touareg. Nous
+rencontrons des tombeaux d’un autre ordre et d’une antiquité moins
+incertaine&nbsp;; ils ressemblent en tout à ceux des environs de
+Djelfa que je visitai en 1857 avec Mac Carthy et le D<sup>r</sup>
+Reboud. Ce<span class="pagenum" id="Page_203">[203]</span> sont de
+petites enceintes en grandes pierres plates, ouvertes par une des
+petites extrémités et qui devaient être autrefois recouvertes par
+d’autres pierres plates. Ces tombeaux ne me paraissent pas devoir
+renfermer un homme étendu, mais bien dans une position repliée,
+assis, accroupi ou autrement. La plupart de ces sépultures ont été
+fouillées&nbsp;; nous-mêmes en creusons une et sortons quelques
+ossements et un petit morceau de cuivre qui devait faire partie
+d’une parure indigène. Les tombeaux de ce genre, de différentes
+grandeurs, sont fréquents&nbsp;; et on les trouve dans différents
+degrés de conservation. Ihemma m’assure qu’à Rhat, il y en a et que
+l’on en rencontre quelquefois en plein Sahara<a id=
+"FNanchor_293"></a><a href="#Footnote_293" class=
+"fnanchor">[293]</a>.</p>
+
+<p>En approchant d’El-Esnām, les hautes constructions du plateau,
+Ihemma me raconte que, près des piliers immenses, se trouvent des
+tombeaux en forme de buttes sur lesquels les femmes des Touareg
+allaient se coucher lorsque les Touareg étaient en expédition et où
+elles obtenaient des nouvelles. Elles se paraient de leur mieux et
+allaient se coucher sur le tombeau&nbsp;; alors venait
+«&nbsp;idébni&nbsp;», esprit, sous la forme d’un homme, qui leur
+racontait ce qui s’était passé dans l’expédition. Si elles
+n’étaient pas bien parées, il les étranglait. Ces révélations ont
+lieu en plein jour et on me dit qu’elles sont toujours
+vérifiées<a id="FNanchor_294"></a><a href="#Footnote_294" class=
+"fnanchor">[294]</a>. Les Touareg, du reste, sont très
+superstitieux&nbsp;; ils n’osent pas se présenter seuls à la tombe
+d’un de leurs amis de peur qu’il ne revienne.</p>
+
+<p>Dans la soirée, j’ai un exemple de la liberté des relations
+qu’il y a entre les Touareg. Ihemma, qui a à peine vingt ans,
+conseille à Othman qui en a près de soixante, de ne pas sentir du
+camphre que je lui offrais de crainte qu’il ne perdît ses forces
+sexuelles en lui disant que Tekiddout prétendait qu’il était
+l’amant d’une femme qu’il nomma. Othman assura que ce n’était pas
+vrai et ne fit aucun reproche à Ihemma de son observation.</p>
+
+<p>Les Ifoghas, qui écoutent les conseils d’Othman, et lui
+obéissent en quelque sorte, sont exaspérés de la conduite des
+Mérazig<a id="FNanchor_295"></a><a href="#Footnote_295" class=
+"fnanchor">[295]</a> qui devaient apporter leur tribut à
+Othman&nbsp;; ils parlent d’aller les razzier.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_204">[204]</span>La rebazā, cette
+espèce de violon ou de violoncelle des dames targuies, forme un
+point important de la vie de ces gens. Tous les soirs, j’entends
+jouer de cet instrument&nbsp;; hier des Imrhad chantaient. Lorsque
+les Touareg se battent entre eux et qu’un parti est mis en déroute,
+les vainqueurs crient avec ces cris sauvages qui sont particuliers
+aux Touareg&nbsp;: «&nbsp;Hé&nbsp;! Hé&nbsp;! Il n’y a donc pas de
+rebazā&nbsp;?&nbsp;» Alors il est rare que les vaincus ne
+reviennent pas à la charge avec fureur. La crainte du
+qu’en-dira-t-on des femmes a une grande influence sur les
+Touareg.</p>
+
+<p class="datesect">14 septembre.</p>
+
+<p>Aujourd’hui, je ne fais pas de promenade&nbsp;; j’ai une longue
+leçon de tefinagh avec Mala et Ihemma. Mala est toute jeune, sans
+méchanceté ni préventions et très jolie. Pendant la leçon, je
+m’amuse avec son petit pied et, après la leçon, quand Ihemma s’en
+va, j’échange plusieurs baisers avec elle. Nous sommes donc très
+bons amis. Elle m’a promis de revenir à mon retour et de me jouer
+ici de la rebazā.</p>
+
+<p>Dans l’après-midi, je travaille à emballer&nbsp;; j’arrange dans
+ma chambre les objets que je laisse et je mets dans les cantines le
+peu de bagages que j’emporte.</p>
+
+<p>Je vais, le soir, avec Othman voir Ikhenoukhen, qui vient avec
+son frère&nbsp;; j’apprends que j’ai maigri depuis mon arrivée.
+C’est le chef des Azgar qui me fait cette remarque. Je décide
+Ikhenoukhen à écrire au général gouverneur de l’Algérie.
+Ikhenoukhen me dit adieu et me dit que tout sera facile, faisant
+allusion probablement à mon voyage à Rhat. Je dis à Si ’Othman ce
+qu’il faudrait écrire dans la lettre.</p>
+
+<p class="datesect">15 septembre.</p>
+
+<p>Emballage et départ pour Tripoli.</p>
+
+<div class="footnotes" id="ftp3c05">
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_278"></a><a href="#FNanchor_278"><span class=
+"label">[278]</span></a>Rohlfs y mentionne cependant des moustiques
+(<em>Quer durch Afrika</em>, I, p. 74).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_279"></a><a href="#FNanchor_279"><span class=
+"label">[279]</span></a>Duveyrier donne ici au mot
+<em>castrorum</em> un sens trop précis. Cf. au sujet de cette
+inscription la lettre suivante de Tissot, à qui Duveyrier avait
+communiqué son estampage&nbsp;: «... Grâce à l’estampage, j’ai pu
+corriger quelques incertitudes qui se sont glissées dans le
+fac-similé (ceci pour votre seconde édition). Le P de la
+2<sup>e</sup> ligne est certainement un D. L’antépénultième lettre
+de la 6<sup>e</sup> ligne est un P. (J’ai obtenu une image très
+exacte et directe de l’estampage en la posant sur un lit de
+farine&nbsp;: les moindres détails sont alors moulés comme certains
+lézards le sont dans le sable du Sahara). En cherchant à restituer
+l’inscription tout entière et en calculant le nombre de lettres
+absentes, j’arrive à la lecture suivante&nbsp;:</p>
+
+<div class="linegrp-container">
+<div class="linegrp">
+<div class="group">
+<div class="line indent0">Imp. CAES. M. AVRELio Severo</div>
+
+<div class="line indent0">AleXANDRO. PIO. FELici Aug.</div>
+
+<div class="line indent0">et iuliAE MAMMEAE. AVG. matri</div>
+
+<div class="line indent0">aug. et CASTRORUM. SVB cura M. ul</div>
+
+<div class="line indent0">pii Maximi&nbsp;? LEG. AVG. PR. PR. CV.
+VEX illatio</div>
+
+<div class="line indent0">leg. iii Aug. <span class=
+"word-spaced10">&nbsp;</span> SEVERIANÆ PER. .</div>
+
+<div class="line indent0">. . . . . . . . . . VM] LEG.
+EIVSDEM</div>
+
+<div class="line indent0">. . . . . . . PERFECIT.</div>
+</div>
+</div>
+</div>
+
+<p class="nind">A l’Empereur César M. Aurélius Severus Alexander
+Pieux, Heureux, Auguste, et à Julia Mammaea Auguste, mère d’Auguste
+et des Camps. Par l’ordre de M. Ulpius Maximus (?) Légat Propréteur
+d’Auguste, personnage clarissime, le détachement de la Légion
+Troisième Auguste Pieuse, Vengeresse, commandé par..., Centurion de
+la dite Légion, a achevé [ce monument].</p>
+
+<p>«&nbsp;Nous connaissons trois légats propréteurs d’Afrique sous
+Alexandre Sévère&nbsp;: le nom qui m’a paru convenir le mieux, eu
+égard à la place disponible, est celui que j’ai fait figurer à
+titre purement hypothétique dans la restitution.&nbsp;» (Lettre du
+7 avril 1879). Voir aussi le texte définitivement adopté par MM. R.
+Cagnat et J. Schmidt (<em>C. I. L.</em>, <span class=
+"sc2">VIII</span>, Suppl. Pars I, 10990).</p>
+
+<p>Quant à la nature de ces ruines, Duveyrier a été plus tard
+beaucoup moins affirmatif. On lit sur un brouillon de lettre à M.
+Cagnat&nbsp;: «&nbsp;Dans <em>Les Touareg du Nord</em>, p. 252-3,
+j’ai eu tort de m’exprimer comme si le camp de Ghadāmès était une
+réalité vue&nbsp;; j’ai supposé que Cidamus devait avoir possédé un
+camp. Voilà tout.&nbsp;» Comme l’a établi M. Cagnat (<em>L’Armée
+romaine d’Afrique</em>, Paris, 1892, p. 555), on ne peut douter de
+l’existence de la forteresse romaine. Mais son emplacement reste
+incertain.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_280"></a><a href="#FNanchor_280"><span class=
+"label">[280]</span></a>Cf. <em>Les Touareg du Nord</em>, pl.
+X.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_281"></a><a href="#FNanchor_281"><span class=
+"label">[281]</span></a>En 1864, Rohlfs, voyageant comme mokaddem
+de l’ordre de Mouley-Taïeb d’Ouezzan, a pu pénétrer dans les
+mosquées de Ghadāmès. «&nbsp;Toutes, comme j’ai pu m’en assurer
+moi-même, reposent intérieurement sur des colonnes romaines, qui
+toutefois sont disposées pêle-mêle, sans ordre aucun&nbsp;: ici une
+colonne dorique à côté d’une colonne corinthienne, là une colonne
+ionique à côté d’une colonne dorique, etc.&nbsp;» (<em>Reise durch
+Marokko und Reise durch die grosse Wüste</em>, 4<sup>e</sup> édit.,
+Norden, 1884, in-8<sup>o</sup>, p. 245-6.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_282"></a><a href="#FNanchor_282"><span class=
+"label">[282]</span></a>Recommandation de Barth pour le cheikh el
+Bakkay de Tombouctou.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_283"></a><a href="#FNanchor_283"><span class=
+"label">[283]</span></a>Deux à trois heures avant le coucher du
+soleil.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_284"></a><a href="#FNanchor_284"><span class=
+"label">[284]</span></a>Avoir du nif avec quelqu’un signifie
+«&nbsp;être en délicatesse avec lui&nbsp;». Au propre, <em>fin</em>
+veut dire <em>nez</em> et, métaphoriquement, <em>amour-propre,
+susceptibilité</em>. (O. H.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_285"></a><a href="#FNanchor_285"><span class=
+"label">[285]</span></a>Taskô est le nom d’une des rues de
+Ghadāmès. (Voir <em>Les Touareg du Nord</em>, p. 262&nbsp;;
+<em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 99.)</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_286"></a><a href="#FNanchor_286"><span class=
+"label">[286]</span></a>Voir le dessin et la mention de ce
+bas-relief dans <em>Les Touareg du Nord</em>, pl. X, p. 250-251. Le
+journal donne quelques détails complémentaires&nbsp;: «&nbsp;La
+hauteur de la pierre est d’un peu moins de 55 centimètres et la
+largeur de 50 centimètres à peu près. Les accidents ont rendu
+incertains plusieurs des contours, principalement la figure des
+deux personnages.&nbsp;»</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_287"></a><a href="#FNanchor_287"><span class=
+"label">[287]</span></a>Ce passage, traduit par M. le professeur
+Houdas, est en arabe dans le manuscrit de Duveyrier.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_288"></a><a href="#FNanchor_288"><span class=
+"label">[288]</span></a>Ce mot doit être entendu dans le sens de
+cavité souterraine artificielle&nbsp;; il sert à expliquer le
+synonyme précédent d’un usage moins courant (O. H.).</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_289"></a><a href="#FNanchor_289"><span class=
+"label">[289]</span></a>De la tribu des Kêl es Soûk.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_290"></a><a href="#FNanchor_290"><span class=
+"label">[290]</span></a>Cf. E. de Bary, <em>Senams et tumuli de la
+chaîne de montagnes de la Tripolitaine</em>, trad. du D<sup>r</sup>
+Dargaud, <em>Revue d’Ethnographie</em>, II, 1883, p. 426-437&nbsp;;
+— Foureau, <em>Mission chez les Touareg</em>. Paris, 1895, p. 8,
+34-35, 102, etc.&nbsp;; G. Mercier, <em>Les mégalithes du
+Sahara</em>, Rec. des Notices et Mém. Soc. d’archéol. de
+Constantine, 1900, p. 247, etc.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_291"></a><a href="#FNanchor_291"><span class=
+"label">[291]</span></a>Voir l’analyse, <em>Touareg du Nord</em>,
+p. 47.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_292"></a><a href="#FNanchor_292"><span class=
+"label">[292]</span></a>Cf. <em>Les Touareg du Nord</em>, p.
+47&nbsp;; Vatonne, <em>Mission de Ghadāmès</em>, p. 268-269. Ces
+bivalves n’ont pu être déterminés.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_293"></a><a href="#FNanchor_293"><span class=
+"label">[293]</span></a>Voir Tissot, I, p. 499-501&nbsp;; Erwin de
+Bary. trad. Schirmer, p. 41-42&nbsp;; Rabourdin, <em>Documents
+relatifs à la mission Flatters</em>, Paris, 1885, p. 256.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_294"></a><a href="#FNanchor_294"><span class=
+"label">[294]</span></a>Cf. Erwin de Bary, trad. citée, p.
+187-188.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_295"></a><a href="#FNanchor_295"><span class=
+"label">[295]</span></a>Tribu du Nefzaoua, ayant pour centre
+l’oasis de Negga et fréquentant le marché de Ghadāmès.</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2 class="large letter-spaced01"><span class="pagenum" id=
+"Page_205">[205]</span><a id="err"></a>ERRATA</h2>
+
+<hr class="decor width4 space-below15">
+
+<table class="bd-collapse" id="terrata">
+<tr>
+<td>Page</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_11">11</a>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td><em>au lieu de&nbsp;:</em>
+</td>
+<td><em>dhomran</em>,</td>
+<td><em>lisez&nbsp;:</em>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td><em>dhomrân</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_18">18</a>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">سڢش</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">سڢشى</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>ligne 11,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><em>soufar</em>,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><em>sefâr</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_20">20</a>
+</td>
+<td>ligne 4,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>El Benib,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>El Bouïb (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_22">22</a>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">نصر صن الله</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">نصر من الله</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">اله لا اله</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">لا اله الا الله</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_26">26</a>
+</td>
+<td>ligne 13,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Insalah,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>In-Salah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_26">26</a>
+</td>
+<td>dern. ligne,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>en Arabes,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>en arabe.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_34">34</a>
+</td>
+<td>ligne 18,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><em>lebīn</em>,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><em>lebbîn</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_40">40</a>
+</td>
+<td>note <a href="#Footnote_74" class="fnanchor">[74]</a></td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Entonnoir,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Dépression (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_42">42</a>
+</td>
+<td>ligne 15,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Hamamma,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Hammama.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_43">43</a>
+</td>
+<td>note <a href="#Footnote_78" class="fnanchor">[78]</a></td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">ذصان</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">ذمران</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_48">48</a>
+</td>
+<td>note <a href="#Footnote_84" class="fnanchor">[84]</a></td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><em>Zegzeg</em>,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><em>Zefzef</em> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_57">57</a>
+</td>
+<td>av.-dern. l.</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Oumel</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Oumm el (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_58">58</a>
+</td>
+<td>ligne 37,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Si Ali Sari,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Si Ali Saci.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_101">101</a>
+</td>
+<td>ligne 1,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>La tribu,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Le tribut.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_111">111</a>
+</td>
+<td>ligne 8,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>lecrīma,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>berima (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_111">111</a>
+</td>
+<td>ligne 10,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">صبل</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">طبل</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_112">112</a>
+</td>
+<td>ligne 33,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">احن َڢم</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">احناڢم</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_120">120</a>
+</td>
+<td>ligne 13,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">غكلن</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">غدران</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_127">127</a>
+</td>
+<td>note <a href="#Footnote_189" class="fnanchor">[189]</a></td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Duocyries,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Duveyrier.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_128">128</a>
+</td>
+<td>lignes 6 et 19,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Merd-jadja,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Merdjadja (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_131">131</a>
+</td>
+<td>note <a href="#Footnote_195" class="fnanchor">[195]</a></td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><span class="arabic">ٮادج</span>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><span class="arabic">حلاج</span> (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_137">137</a>
+</td>
+<td>ligne 20,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Ia chïfā</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Ya chïfā (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td rowspan="2" class="tdc">—</td>
+<td rowspan="2" class="tdr"><a href="#Page_140">140</a>
+</td>
+<td rowspan="2">note <a href="#Footnote_214" class=
+"fnanchor">[214]</a></td>
+<td rowspan="2" class="tdc">—</td>
+<td rowspan="2">Toile de bât,</td>
+<td rowspan="2" class="tdc">—</td>
+<td class="blt width-brace1">
+</td>
+<td>(tellis) sac pour mulet ou cheval.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="blb">
+</td>
+<td>(guerara) sac pour chameaux (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_144">144</a>
+</td>
+<td>ligne 8,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Abed el Qader,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Abd el Qader (O. H.).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_146">146</a>
+</td>
+<td>
+</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td><em>ouran</em>,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td><em>ourân</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdc">—</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_150">150</a>
+</td>
+<td>lignes 1 et 9,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>Roubaaya,</td>
+<td class="tdc">—</td>
+<td>
+</td>
+<td>Roubayaa.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2 class="large letter-spaced01"><span class="pagenum" id=
+"Page_207">[207]</span><a id="add"></a>ADDENDA</h2>
+
+<hr class="decor width4">
+
+<p class="hang1 space-above15">P. <a href="#Page_53">53,</a>
+<a href="#Page_81">81</a>&nbsp;: travaux hydrauliques dans le Sud
+tunisien&nbsp;: Cf. les études du D<sup>r</sup> Carton dans
+<em>Bull. archéol. du Comité des Travaux hist.</em> 1888 et
+<em>Rev. tunisienne</em>, III, 1896, p. 281&nbsp;; Gauckler,
+<em>Enquête sur les installations hydrauliques romaines en
+Tunisie</em>, II, Tunis, 1903.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_56">56</a>&nbsp;: ruines de
+l’Oued Zitouna&nbsp;: M. le capitaine Privé qui a étudié cette
+région de 1881 à 1884, a signalé les restes de trois
+<em>oppida</em> au débouché des gorges du Zitouna. (Cf. pour
+l’extension progressive de la colonisation romaine vers le Sud, J.
+Toutain, <em>Note sur une inscription trouvée dans le Djebel Asker
+au Sud de Gafsa</em> (<em>Bull. Archéol. Comité Trav. hist.</em>
+1903, p. 202-205).</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_57">57,</a> note <a id=
+"FNanchor_100b"></a><a href="#Footnote_100" class=
+"fnanchor">[100]</a>&nbsp;: Dans un mémoire très important
+(<em>Notes et documents sur les voies stratégiques et sur
+l’occupation militaire du Sud tunisien à l’époque romaine, par MM.
+les capitaines Donau et Le Bœuf, les lieutenants de Pontbriand,
+Goulon et Tardy</em>, <em>Bull. archéol. Comité Trav. hist.</em>,
+1903, p. 272-409), M. J. Toutain a groupé tous les renseignements
+recueillis depuis sur les routes de la région des chotts (routes de
+Tacape au Nefzaoua, p. 289-303, 336). Voir aussi Gauckler,
+<em>Rapport sur l’exploration du Sud tunisien en 1903</em>,
+<em>ibid.</em>, 1904, p. 149-150&nbsp;: route de Capsa à Turris
+Tamalleni.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_65">65</a>&nbsp;: El
+Hamma&nbsp;: il y a en réalité dans l’oasis deux bourgs&nbsp;: El
+Ksar et Dabdaba, et deux villages&nbsp;: Zaouïet el Mehadjba et
+Sombat (ce dernier tout récent). Sur El Hamma et le caractère de
+ses habitants, voir la notice anonyme parue dans la <em>Revue
+tunisienne</em>, X, 1903, p. 424-436&nbsp;: <em>Les Beni-Zid et
+l’oasis d’El Hamma</em>.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_66">66</a>&nbsp;: El
+Hamma&nbsp;: P. Blanchet (<em>Mission archéologique dans le centre
+et le sud de la Tunisie</em>, <em>Archives des missions scient. et
+litt.</em>, IX, 1899, p. 145-146) a donné des détails sur les
+sources et les restes de construction romaine.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_72">72-3</a>&nbsp;: Hareïga et
+Sagui&nbsp;: Cf. Toutain, art. cités, <em>Bull. archéol. Comité
+1903</em>, p. 205-7, 287-8&nbsp;; <em>ibid.</em>, 1904, p. 129,
+142, 146&nbsp;; Gauckler, <em>ibid.</em>, 1904, p. 146-149&nbsp;:
+route de Tacapes à Capsa&nbsp;; 149-150&nbsp;: route de Tuzurus à
+la côte par le Sagui.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_74">74</a>&nbsp;: milliaire
+d’Asprenas&nbsp;: voir sur un autre milliaire du même proconsul,
+capitaine Hilaire, <em>Reconnaissance du segment Tacape-Thasarte de
+la voie romaine</em>, etc. <em>Bull. archéol. Comité</em> 1899, p.
+542-555.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_75">75</a>&nbsp;: Henchir
+Somàa&nbsp;: Cf. Tissot, II, p. 657-8, et capitaine Donau, <em>Note
+sur une voie de Turris Tamalleni à Capsa et sur quelques ruines
+romaines situées dans le Blad Segui</em>, <em>Bull. Archéol.
+Comité</em>, 1904, p. 356-359.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_80">80</a>&nbsp;: inscr. de
+Gafsa&nbsp;: ces textes n’ont pas été retrouvés dans le
+manuscrit.</p>
+
+<p class="hang1"><span class="pagenum" id="Page_208">[208]</span>P.
+<a href="#Page_96">96</a>&nbsp;: inscr. I&nbsp;: voir pour la suite
+de cette inscr. (dédicace à Trajan par L. Minicius Natalis, légat
+de la légion III<sup>e</sup> Auguste), Tissot, II, p. 532&nbsp;;
+<em>C. I. L.</em>, VIII, 2478=17969.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_103">103,</a> <a href=
+"#Page_107">107</a>&nbsp;: Oued el Arab&nbsp;: Cf. <em>Enquête
+administrative sur les travaux hydrauliques anciens en Algérie,
+publiée par les soins de M. S. Gsell</em>, <em>Bibl. d’archéologie
+africaine</em>, fasc. VII, Paris, 1902, in-8, <em>Rapport de M. le
+L<sup>t</sup> Touchard</em>, p. 104-114 et croquis.</p>
+
+<p class="hang1">P. <a href="#Page_194">194</a>&nbsp;: ligne
+4&nbsp;: Le manuscrit porte ici la mention suivante&nbsp;:
+«&nbsp;Cette inscription, que je vais envoyer à Tougourt, est très
+importante, étant la seule qui ait été trouvée à Ghadāmès jusqu’à
+ce jour. (Faux&nbsp;!)&nbsp;» Duveyrier fait évidemment allusion à
+Richardson ou à l’inscription publiée en 1847 par Letronne et
+reproduite depuis dans le <em>Corpus I. L.</em> (VIII, 2). Letronne
+la tenait de M. de Bourville, chancelier du consulat de France à
+Tripoli, qui l’avait reçue lui-même d’un Arabe. Cette copie était
+si défectueuse, qu’on n’en pouvait lire que les deux premiers
+mots&nbsp;: <em>Diis Manibus</em> (<em>Revue archéol.</em>, 1847,
+p. 301-302.)</p>
+
+<p class="hang1">Le <em>Corpus</em> (VIII, 2) cite en outre ce
+passage de Letronne&nbsp;: «&nbsp;Je tiens de M. de Bourville qu’un
+M. Richardson, agent, disait-on, de la Société pour l’abolition de
+l’esclavage, se rendit à Ghadāmès vers la fin de juin 1845. Après y
+avoir séjourné peu de temps, il en revint et remit au consul
+général d’Angleterre à Tripoli un marbre portant une inscription
+latine et une figure d’homme en bas-relief, probablement un
+monument funéraire, qui est peut-être encore à présent au
+consulat&nbsp;; M. Richardson déclara qu’il existe à Ghadāmès
+plusieurs monuments analogues.&nbsp;»</p>
+
+<p>Voici comment s’exprime Richardson lui-même&nbsp;: «&nbsp;This
+Kesar En Ensara (les Esnam), together with the bas-relief, and the
+latin inscription, copied by a Moor from a tomb-stone, beginning
+with the words <em>Diis Manibus</em>, are more than sufficiant
+evidence to prove that Ghadāmès was colonized. The same Moorish
+prince who blew up the ruins, carried away also to Tripolis the
+tomb-stone, from which a Moor copied the inscription, and which
+transcript I brought with me from Ghadāmès&nbsp;». (<em>Travels in
+the Great Desert of Sahara</em>, I, Londres, 1848, p. 356.) — On
+lit d’autre part dans un rapport de Richardson au Foreign Office
+(<em>An Account of the Oasis and City of Ghadames</em>), p.
+18&nbsp;: «&nbsp;I have however in my possession a copy of a Latin
+inscription, said to have been found in a tomb, but so badly copied
+as to be almost illegible. The tablet of stone was taken away some
+thirty years ago by an officer of Yousef Bashaw. Also I have a
+slab, on which there is a very rudely sculptured relief of a Greek
+or Roman soldier, holding, apparently, a horse&nbsp;; but only the
+forepart or the animal remains, the rest is broken off. I will send
+you this the first opportunity, and if of any value, it may be
+presented to the British Museum.&nbsp;» Ces deux textes prouvent
+que Richardson n’a connu et rapporté de Ghadāmès qu’une seule copie
+d’inscription latine, copie illisible, à part <em>Diis
+Manibus</em>, tout comme celle de Letronne, et que Richardson ne
+s’est pas donné la peine de reproduire dans son ouvrage. On peut se
+demander s’il ne faut pas rapporter les deux copies susdites à un
+seul et même modèle, qui serait à chercher à Tripoli. En tout cas,
+la note de Letronne pourrait disparaître d’une nouvelle édition du
+<em>Corpus</em>, sans que ce magistral recueil risque de paraître
+moins complet.</p>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2 class="spaced2"><span class="pagenum" id=
+"Page_209">[209]</span><a id="indgeo"></a>INDEX<br>
+<span class="med">DES NOMS GÉOGRAPHIQUES ET DES PRINCIPALES
+MATIÈRES</span></h2>
+
+<hr class="decor width8 space-below15">
+
+<ul class="ind1">
+<li>Abadiâ, <a href="#Page_15">15</a>.</li>
+
+<li>’Adouan, <a href="#Page_15">15</a>, <a href=
+"#Page_101">101</a>, <a href="#Page_125">125</a>.</li>
+
+<li>Affadē, <a href="#Page_3">3</a>.</li>
+
+<li>’Aïn ed Daouira, <a href="#Page_10">10</a>.</li>
+
+<li>’Aïn el Magroun, <a href="#Page_65">65</a>.</li>
+
+<li>Aïr, <a href="#Page_172">172</a>, <a href=
+"#Page_174">174</a>.</li>
+
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+
+<li>Oulad Yagoub, <a href="#Page_119">119</a>, <a href=
+"#Page_141">141</a>.</li>
+
+<li>Oum el Goreīnat, <a href="#Page_57">57</a>.</li>
+
+<li>Oumm et Tiour, <a href="#Page_8">8</a>, <a href=
+"#Page_114">114</a>.</li>
+
+<li>Ourghamma, <a href="#Page_138">138</a>, <a href=
+"#Page_150">150</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href=
+"#Page_185">185</a>, <a href="#Page_198">198</a>.</li>
+
+<li>Ourhlana, <a href="#Page_115">115</a>.</li>
+
+<li>Ourir, <a href="#Page_110">110</a>, <a href=
+"#Page_112">112</a>.</li>
+
+<li>Ourmās, <a href="#Page_35">35</a>.</li>
+
+<li>Palus Tritonis, <a href="#Page_14">14</a>, <a href=
+"#Page_67">67</a>.</li>
+
+<li>Puits, <a href="#Page_11">11</a>-13, <a href="#Page_19">19</a>,
+<a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_31">31</a>, <a href=
+"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_38">38</a>, <a href=
+"#Page_41">41</a>, <a href="#Page_42">42</a>, <a href=
+"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_118">118</a>, <a href=
+"#Page_120">120</a>, <a href="#Page_126">126</a>, <a href=
+"#Page_135">135</a>, <a href="#Page_145">145</a>, <a href=
+"#Page_152">152</a>, <a href="#Page_156">156</a>, <a href=
+"#Page_159">159</a>.</li>
+
+<li>Puits artésiens, <a href="#Page_7">7</a>-9, <a href=
+"#Page_26">26</a>, <a href="#Page_107">107</a>, <a href=
+"#Page_113">113</a>-115, <a href="#Page_127">127</a>.</li>
+
+<li>Qoreich, <a href="#Page_15">15</a>.</li>
+
+<li>Rebāya, Roubaa’ya, <a href="#Page_143">143</a>, <a href=
+"#Page_148">148</a>-150.</li>
+
+<li>Rhat, <a href="#Page_172">172</a>-174, <a href=
+"#Page_188">188</a>, <a href="#Page_191">191</a>, <a href=
+"#Page_203">203</a>.</li>
+
+<li>Rouâgha, <a href="#Page_9">9</a>, <a href=
+"#Page_111">111</a>-113.</li>
+
+<li>Ruines romaines, <a href="#Page_5">5</a>, <a href=
+"#Page_50">50</a>-54, <a href="#Page_56">56</a>, <a href=
+"#Page_57">57</a>, <a href="#Page_59">59</a>, <a href=
+"#Page_60">60</a>, <a href="#Page_63">63</a>, <a href=
+"#Page_65">65</a>, <a href="#Page_66">66</a>, <a href=
+"#Page_68">68</a>, <a href="#Page_72">72</a>-77, <a href=
+"#Page_80">80</a>, <a href="#Page_81">81</a>, <a href=
+"#Page_85">85</a>, <a href="#Page_86">86</a>, <a href=
+"#Page_88">88</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href=
+"#Page_92">92</a>, <a href="#Page_94">94</a>-97, <a href=
+"#Page_165">165</a>, <a href="#Page_192">192</a>-194, <a href=
+"#Page_201">201</a>.</li>
+
+<li>Saada, <a href="#Page_8">8</a>.</li>
+
+<li>Sabrīa, <a href="#Page_119">119</a>.</li>
+
+<li>Săgui, <a href="#Page_73">73</a>.</li>
+
+<li>Sakomaren (Isaqqamaren), <a href="#Page_166">166</a>, <a href=
+"#Page_172">172</a>, <a href="#Page_185">185</a>.</li>
+
+<li>Sedāda, <a href="#Page_54">54</a>.</li>
+
+<li>Selmia, Selmiya, <a href="#Page_9">9</a>, <a href=
+"#Page_113">113</a>, <a href="#Page_114">114</a>.</li>
+
+<li>Sidi Khelil, <a href="#Page_115">115</a>, <a href=
+"#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Sidi Okba, <a href="#Page_105">105</a>.</li>
+
+<li>Sif bou Delal, <a href="#Page_10">10</a>.</li>
+
+<li>Sirocco (Chehili), <a href="#Page_127">127</a>, <a href=
+"#Page_152">152</a>.</li>
+
+<li><span class="pagenum" id="Page_211">[211]</span>Solaā, <a href=
+"#Page_119">119</a>.</li>
+
+<li>Souf, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_15">15</a>,
+<a href="#Page_35">35</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href=
+"#Page_120">120</a>, <a href="#Page_136">136</a>.</li>
+
+<li>Tadmekka, <a href="#Page_199">199</a>.</li>
+
+<li>Tagiānoūs, <a href="#Page_52">52</a>.</li>
+
+<li>Tahrzout, <a href="#Page_15">15</a>, <a href=
+"#Page_124">124</a>.</li>
+
+<li>Taïbāt, <a href="#Page_118">118</a>.</li>
+
+<li>Tāla, <a href="#Page_133">133</a>, <a href=
+"#Page_134">134</a>.</li>
+
+<li>Tamerna, <a href="#Page_116">116</a>, <a href=
+"#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Tebesbest, <a href="#Page_132">132</a>.</li>
+
+<li>Teda, <a href="#Page_3">3</a>.</li>
+
+<li>Tedjini, <a href="#Page_15">15</a>.</li>
+
+<li>Tellimīn, <a href="#Page_59">59</a>, <a href=
+"#Page_60">60</a>.</li>
+
+<li>Temassīn, <a href="#Page_132">132</a>, <a href=
+"#Page_133">133</a>.</li>
+
+<li>Tinedla, <a href="#Page_115">115</a>.</li>
+
+<li>Tolga, <a href="#Page_15">15</a>.</li>
+
+<li>Tombeaux, <a href="#Page_200">200</a>-203.</li>
+
+<li>Torba, <a href="#Page_157">157</a>.</li>
+
+<li>Toroud, <a href="#Page_13">13</a>, <a href="#Page_15">15</a>,
+<a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_125">125</a>, <a href=
+"#Page_143">143</a>.</li>
+
+<li>Tŏrra, <a href="#Page_58">58</a>.</li>
+
+<li>Tougourt, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_30">30</a>,
+<a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href=
+"#Page_116">116</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href=
+"#Page_127">127</a>-133.</li>
+
+<li>Touareg, <a href="#Page_18">18</a>, <a href=
+"#Page_119">119</a>, <a href="#Page_150">150</a>, <a href=
+"#Page_152">152</a>, <a href="#Page_156">156</a>, <a href=
+"#Page_166">166</a>-169, <a href="#Page_171">171</a>-173, <a href=
+"#Page_175">175</a>-180, <a href="#Page_183">183</a>-208.</li>
+
+<li>Tozeur, <a href="#Page_50">50</a>, <a href=
+"#Page_51">51</a>.</li>
+
+<li>Traite des nègres, <a href="#Page_3">3</a>, <a href=
+"#Page_23">23</a>, <a href="#Page_165">165</a>.</li>
+
+<li>Tsamia (soie de), <a href="#Page_181">181</a>-182.</li>
+
+<li>Zaouïas, <a href="#Page_49">49</a>, <a href=
+"#Page_132">132</a>, <a href="#Page_159">159</a>.</li>
+
+<li>Zaouiyēt ed Debabkha, <a href="#Page_58">58</a>.</li>
+
+<li>Zenata, <a href="#Page_15">15</a>, <a href=
+"#Page_125">125</a>.</li>
+
+<li>Zeribet Ahmed, <a href="#Page_103">103</a>.</li>
+
+<li>Zeribet el Ouad, <a href="#Page_104">104</a>-106.</li>
+
+<li>Zonghay, <a href="#Page_3">3</a>.</li>
+</ul>
+
+<hr class="decor width10">
+
+<h2 class="nopb"><a id="indnom"></a>INDEX DES NOMS PROPRES</h2>
+
+<ul class="ind1">
+<li>Abd-Ennour el Himyari el Tounsi, <a href=
+"#Page_199">199</a>.</li>
+
+<li>Auer, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_117">117</a>,
+<a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_129">129</a>, <a href=
+"#Page_131">131</a>.</li>
+
+<li>Barth, <a href="#Page_173">173</a>, <a href=
+"#Page_195">195</a>.</li>
+
+<li>Canat, <a href="#Page_117">117</a>.</li>
+
+<li>Colombo, <a href="#Page_6">6</a>, <a href="#Page_7">7</a>.</li>
+
+<li>El Arbi Mamelouk, <a href="#Page_104">104</a>, <a href=
+"#Page_106">106</a>.</li>
+
+<li>Fleischer, <a href="#Page_29">29</a>.</li>
+
+<li>Ikhenoukhen, <a href="#Page_172">172</a>-180, <a href=
+"#Page_183">183</a>-185, <a href="#Page_188">188</a>, <a href=
+"#Page_189">189</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href=
+"#Page_196">196</a>-198.</li>
+
+<li>Kahina, <a href="#Page_199">199</a>.</li>
+
+<li>Kēlala, <a href="#Page_201">201</a>.</li>
+
+<li>Kremer (A. de), <a href="#Page_200">200</a>.</li>
+
+<li>Laing (major), <a href="#Page_180">180</a>.</li>
+
+<li>Lehaut, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_9">9</a>.</li>
+
+<li>Mac Carthy, <a href="#Page_201">201</a>, <a href=
+"#Page_202">202</a>.</li>
+
+<li>Margueritte, <a href="#Page_179">179</a>.</li>
+
+<li>Martimprey (de), <a href="#Page_151">151</a>.</li>
+
+<li>Mohalhil el Ghadāmsi, <a href="#Page_199">199</a>.</li>
+
+<li>Othman (cheikh), <a href="#Page_132">132</a>, <a href=
+"#Page_149">149</a>, <a href="#Page_154">154</a>, <a href=
+"#Page_168">168</a>, <a href="#Page_172">172</a>, <a href=
+"#Page_173">173</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href=
+"#Page_183">183</a>, <a href="#Page_188">188</a>.</li>
+
+<li>Randon (maréchal), <a href="#Page_179">179</a>.</li>
+
+<li>Rhōma, <a href="#Page_60">60</a>.</li>
+
+<li>Séroka (C<sup>el</sup>), <a href="#Page_4">4</a>, <a href=
+"#Page_7">7</a>.</li>
+
+<li>Sid el Bakkay, <a href="#Page_190">190</a>, <a href=
+"#Page_195">195</a>.</li>
+
+<li>Sidi Hamza, <a href="#Page_23">23</a>, <a href=
+"#Page_26">26</a>, <a href="#Page_179">179</a>, <a href=
+"#Page_197">197</a>.</li>
+
+<li>Si Zoubir-bou-Bekr, <a href="#Page_23">23</a>.</li>
+
+<li>Tissot (Ch.), <a href="#Page_86">86</a>, <a href=
+"#Page_192">192</a>-193.</li>
+
+<li>Warnier (D<sup>r</sup>), <a href="#Page_179">179</a>, <a href=
+"#Page_181">181</a>.</li>
+
+<li>Zickel, <a href="#Page_115">115</a>.</li>
+</ul>
+
+<hr class="decor width8">
+
+<h2><span class="pagenum" id="Page_212">[212]</span><a id=
+"indpla"></a>INDEX DES PLANTES CITÉES</h2>
+
+<hr class="decor width8">
+
+<p class="space-above15">Avec la synonymie arabe-latine
+d’après&nbsp;:</p>
+
+<p>Ascherson, <em>Pflanzen des mittlern Nord-Afrika</em>. Append.
+<span class="sc2">VII</span>, à Rohlfs, <em>Kufra</em>, Leipzig,
+1881, in-8, p. 386-559.</p>
+
+<p><em>Le Pays du mouton</em>. Ouvrage publié par ordre de M. Jules
+Cambon, gouverneur gén. de l’Algérie (par MM. Turlin, F. Accardo,
+G. B. M. Flamand). Alger, 1893, in-fol., Append.&nbsp;: Table
+alphabétique des noms arabes des principaux végétaux des Hauts
+Plateaux et du Sahara algérien, <span class="sc2">CXXI</span>
+pages.</p>
+
+<p>Foureau, <em>Essai de catalogue des noms arabes et berbères de
+quelques plantes, arbustes et arbres algériens et sahariens</em>,
+Paris, 1896, in-4, 48 pages.</p>
+
+<p>Foureau, <em>Mon neuvième voyage au Sahara</em>, Paris, 1898,
+in-8, Append. V, p. 142-144.</p>
+
+<p>En cas de divergences, Ascherson est désigné par la lettre (A),
+<em>Le Pays du mouton</em>, par (P. M.), Foureau par
+(F<sup>1</sup>) et (F<sup>2</sup>), <em>Les Touareg du Nord</em>,
+par T. du N. Les chiffres indiquent la page correspondante du
+<em>Journal</em> de Duveyrier.</p>
+
+<ul class="ind2">
+<li>Abricotier, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Ail, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Alenda, <i>Ephedra alata</i> Decaisne, <a href=
+"#Page_11">11</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href=
+"#Page_19">19</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href=
+"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href=
+"#Page_126">126</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href=
+"#Page_147">147</a>, <a href="#Page_157">157</a>.</li>
+
+<li>Alga, <i>Henophyton deserti</i> Coss., <a href=
+"#Page_18">18</a>.</li>
+
+<li>Arfiji, <i>Rhanterium adpressum</i> Coss., Dur. (P. M.),
+<a href="#Page_145">145</a>.</li>
+
+<li>Arta, <i>Calligonum comosum</i> L’Hérit., <a href=
+"#Page_145">145</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href=
+"#Page_147">147</a>.</li>
+
+<li>Baguel, <i>Anabasis articulata</i> Moq. Tand., <a href=
+"#Page_7">7</a>, <a href="#Page_19">19</a>, <a href=
+"#Page_20">20</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href=
+"#Page_147">147</a>, <a href="#Page_151">151</a>.</li>
+
+<li>Belbâl, <i>Anabasis articulata</i> Moq. Tand. D’après A., aussi
+<i>Zygophyllum album</i> L. en Tripolit<sup>ne</sup>&nbsp;; d’après
+F<sup>1</sup> et F<sup>2</sup>, aussi <i>Caroxylon tetragonum</i>,
+<a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href=
+"#Page_156">156</a>.</li>
+
+<li>Bou akerich, <a href="#Page_108">108</a>.</li>
+
+<li>Bou choucha, <i>Salvia lanigera</i> Peir. <i>Salvia
+phlomoïdes</i> Asso., <a href="#Page_7">7</a>.</li>
+
+<li>Bou deraga, <span class="word-spaced12">&nbsp;?&nbsp;</span>,
+<a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Bou griba, <i>Zygophyllum cornutum</i> Coss., <i>Z. Geslini</i>
+Coss., <i>Z. album</i> L. (Cf. T. du N., p. 157), <a href=
+"#Page_47">47</a>, <a href="#Page_70">70</a>.</li>
+
+<li>Carotte, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Chih, <i>Artemisia herba alba</i> Asso.&nbsp;; aussi
+<i>Artemisia campestris</i> L. (A.) et <i>Artemisia atlantica</i>
+(F<sup>1</sup>) (Cf. T. du N., p. 177-178), <a href=
+"#Page_70">70</a>, <a href="#Page_72">72</a>, <a href=
+"#Page_75">75</a>.</li>
+
+<li>Chou, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Citronnier, <a href="#Page_47">47</a>, <a href=
+"#Page_178">178</a>.</li>
+
+<li>Cotonnier, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Dattier, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_15">15</a>,
+<a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href=
+"#Page_25">25</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href=
+"#Page_30">30</a>, <a href="#Page_39">39</a>, <a href=
+"#Page_44">44</a>, <a href="#Page_47">47</a>, <a href=
+"#Page_50">50</a>-52, <a href="#Page_58">58</a>, <a href=
+"#Page_69">69</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href=
+"#Page_93">93</a>, <a href="#Page_104">104</a>, <a href=
+"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_107">107</a>, <a href=
+"#Page_109">109</a>, <a href="#Page_110">110</a>, <a href=
+"#Page_113">113</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href=
+"#Page_127">127</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href=
+"#Page_140">140</a>, <a href="#Page_143">143</a>, <a href=
+"#Page_144">144</a>.</li>
+
+<li>Dhomràn, <i>Traganum nudatum</i> Del., <a href=
+"#Page_11">11</a>, <a href="#Page_19">19</a>, <a href=
+"#Page_25">25</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href=
+"#Page_43">43</a>.</li>
+
+<li>Drin, <i>Aristida pungens</i> Desf., <a href="#Page_11">11</a>,
+<a href="#Page_17">17</a>-19, <a href="#Page_28">28</a>, <a href=
+"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href=
+"#Page_109">109</a>, <a href="#Page_126">126</a>, <a href=
+"#Page_146">146</a>, <a href="#Page_147">147</a>, <a href=
+"#Page_151">151</a>, <a href="#Page_154">154</a>, <a href=
+"#Page_157">157</a>.</li>
+
+<li>Ephedra, <a href="#Page_17">17</a>.</li>
+
+<li>Ezal (azal), <i>Calligonum comosum</i> L’Hérit.&nbsp;; aussi
+<i>Caroxylon articulatum</i> Moq. Tand. (P. M.), <a href=
+"#Page_17">17</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href=
+"#Page_147">147</a>, <a href="#Page_157">157</a>.</li>
+
+<li><span class="pagenum" id="Page_213">[213]</span>Fedjel (fidjl),
+<i>Raphanus sativus</i> L. (A.), <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Fève, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Figuier, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_47">47</a>,
+<a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href=
+"#Page_133">133</a>.</li>
+
+<li>Gandoul, <i>Calycotome spinosa</i> Lmk (A.), <em>guendoul</em>
+(genêt épineux) (P. M.), <i>Calycotome villosa</i>, <i>spinosa</i>,
+<i>intermedia</i> (F<sup>1</sup>), <a href="#Page_7">7</a>.</li>
+
+<li>Garana, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Godhâm (guedhâm), <i>Salsola vermiculata</i> L., <a href=
+"#Page_145">145</a>.</li>
+
+<li>Goreyna (greïna), <i>Halocnemum tetragonum</i>
+(F<sup>1</sup>)&nbsp;; gueraïna, <i>Halogeton sativus</i> Moq. (P.
+M.), <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_109">109</a>,
+<a href="#Page_110">110</a>.</li>
+
+<li>Goseyba, graminée&nbsp;? <a href="#Page_145">145</a>.</li>
+
+<li>Gossob (draa), <i>Penicillaria spicata</i> Willd., <a href=
+"#Page_163">163</a>, <a href="#Page_169">169</a>.</li>
+
+<li>Grenadier, <a href="#Page_126">126</a>, <a href=
+"#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Guerch, <span class="word-spaced10">&nbsp;?&nbsp;</span>
+<a href="#Page_110">110</a>.</li>
+
+<li>Guetaf, <i>Atriplex halimus</i> L., <a href=
+"#Page_106">106</a>, <a href="#Page_108">108</a>.</li>
+
+<li>Hâd, <i>Cornulaca monacantha</i> Del., <a href=
+"#Page_19">19</a>, <a href="#Page_147">147</a>, <a href=
+"#Page_151">151</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href=
+"#Page_157">157</a>.</li>
+
+<li>Halfa, <i>Stipa tenacissima</i> L., <a href="#Page_64">64</a>,
+<a href="#Page_70">70</a>.</li>
+
+<li>Halhâl, <i>Lavandula Stoechas</i> L. (P. M.), <i>Lavandula
+multifida</i> L. (F<sup>1</sup>), <a href="#Page_27">27</a>.</li>
+
+<li>Halma, <i>Plantago ovata</i> Forsk, <a href="#Page_18">18</a>,
+<a href="#Page_151">151</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href=
+"#Page_157">157</a>.</li>
+
+<li>Haricot, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Harmel, <i>Peganum Harmala</i> L., <a href="#Page_11">11</a>,
+<a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_77">77</a>.</li>
+
+<li>Isrif, <i>Suaeda vermiculata</i> Forsk, <a href=
+"#Page_109">109</a>, <a href="#Page_110">110</a>.</li>
+
+<li>Jell, <i>Ruta bracteosa</i> D. C., <a href="#Page_108">108</a>,
+<a href="#Page_109">109</a>.</li>
+
+<li>Jonc, <a href="#Page_30">30</a>.</li>
+
+<li>Kabouya, <i>Cucurbita Pepo</i> Seringe, <a href=
+"#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Kelkha, <i>Ferula communis</i> Desf. (P. M.), <a href=
+"#Page_7">7</a>.</li>
+
+<li>Khez (Khazz = une <i>Lemna</i> dans les oasis égyptiennes (A.),
+<a href="#Page_6">6</a>.</li>
+
+<li>Lebbîn, <i>Euphorbia guyoniana</i> Boiss. <i>Euphorbia
+Paralias</i> L., <a href="#Page_34">34</a>, <a href=
+"#Page_39">39</a>.</li>
+
+<li>Luzerne, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Markh, <i>Genista Saharae</i> Coss. (A.) (Cf. T. du N., p.
+161), <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_18">18</a>.</li>
+
+<li>Melon, <a href="#Page_128">128</a>, <a href=
+"#Page_165">165</a>.</li>
+
+<li>Methennân, <i>Thymelaea hirsuta</i> Endl. <i>Passerina
+hirsuta</i> L., <a href="#Page_7">7</a>, <a href=
+"#Page_110">110</a>.</li>
+
+<li>Navet, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Nebqa, <i>Zizyphus Spina Christi</i> Willd. (A.) (Cf. T. du N.,
+p. 159), <a href="#Page_48">48</a>.</li>
+
+<li>Neci, <i>Aristida plumosa</i> L. <i>Arthratherum plumosum</i>
+Nees. <a href="#Page_154">154</a>.</li>
+
+<li>Oignon, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Olivier, <a href="#Page_51">51</a>, <a href=
+"#Page_77">77</a>.</li>
+
+<li>Oranger, <a href="#Page_47">47</a>.</li>
+
+<li>Orge, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Pastèque, <a href="#Page_128">128</a>, <a href=
+"#Page_178">178</a>.</li>
+
+<li>Pêcher, <a href="#Page_9">9</a>, <a href=
+"#Page_47">47</a>.</li>
+
+<li>Poireau, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Poirier, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Poivre rouge, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Pommier, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Réglisse, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Remeth, <i>Haloxylon articulatum</i> Boiss. <i>Caroxylon
+articulatum</i> Moq. Tand., <a href="#Page_7">7</a>, <a href=
+"#Page_72">72</a>, <a href="#Page_75">75</a>.</li>
+
+<li>Retem, <i>Retama raetam</i> Webb.&nbsp;; aussi <i>Genista
+barbara</i> Mumby&nbsp;; <i>Genista Duriaei</i> Spach (P. M.),
+<a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href=
+"#Page_110">110</a>.</li>
+
+<li><i>Rhamnus arabica</i>, <a href="#Page_103">103</a>.</li>
+
+<li>Rhardeg, <i>Nitraria tridentata</i> Desf. (A., P. M.)&nbsp;;
+aussi <i>Salix tridentata</i> Viv. (Cosson, ap. A.) (Cf. T. du N.,
+p. 175), <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_77">77</a>,
+<a href="#Page_110">110</a>.</li>
+
+<li><span class="pagenum" id="Page_214">[214]</span>Rhodhdhâm,
+ghedem, <i>Salicornia fruticosa</i> L., en Tripolitaine (A.),
+guedhdham, <i>Salsola brevifolia</i> Desf. (P. M.), <a href=
+"#Page_33">33</a>.</li>
+
+<li>Sebot, <i>Aristida pungens</i> Desf. <i>Arthratherum
+pungens</i> P. B. Variété non déterminée (F<sup>2</sup>) (Cf. T. du
+N., p. 204), <a href="#Page_151">151</a>.</li>
+
+<li>Sedra, <i>Zizyphus Lotus</i> L., <a href="#Page_7">7</a>,
+<a href="#Page_72">72</a>.</li>
+
+<li>Sefâr, <i>Aristida brachyptera</i> Coss. et Balansa&nbsp;;
+aussi <i>Aristida plumosa</i> P. M., (F<sup>1</sup> et
+F<sup>2</sup>), <a href="#Page_18">18</a>-20, <a href=
+"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_151">151</a>, <a href=
+"#Page_153">153</a>, <a href="#Page_156">156</a>.</li>
+
+<li>Semhari, <i>Helianthemum sessiliflorum</i> Pers.&nbsp;; aussi
+<i>Helianthemum metlilense</i> Coss. et Dur. (P. M.), <a href=
+"#Page_41">41</a>.</li>
+
+<li>Souïd, <i>Suaeda vermiculata</i> Desf.&nbsp;; aussi <i>Suaeda
+fruticosa</i> Moq. Tand. (A. et F<sup>1</sup>)&nbsp;; aussi
+<i>Salsola vera</i> (F<sup>2</sup>), <a href="#Page_43">43</a>,
+<a href="#Page_64">64</a>.</li>
+
+<li>Tabac, <a href="#Page_13">13</a>, <a href=
+"#Page_139">139</a>-141.</li>
+
+<li>Thym, <a href="#Page_70">70</a>.</li>
+
+<li>Tarfa, <i>Tamarix africana</i> Poiret&nbsp;; aussi <i>Tamarix
+gallica</i> L. <a href="#Page_25">25</a>, <a href=
+"#Page_47">47</a>, <a href="#Page_57">57</a>, <a href=
+"#Page_58">58</a>, <a href="#Page_64">64</a>, <a href=
+"#Page_81">81</a>.</li>
+
+<li>Terfâs, <i>Terfezia africana</i> Chatin (P. M.). <i>Terfezia
+Leonis</i> Tulasne, <a href="#Page_199">199</a>.</li>
+
+<li>Tomate, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Vigne, <a href="#Page_128">128</a>.</li>
+
+<li>Zeïta, <i>Limoniastrum Guyonianum</i> Dur., <a href=
+"#Page_19">19</a>, <a href="#Page_24">24</a>, <a href=
+"#Page_25">25</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href=
+"#Page_34">34</a>, <a href="#Page_43">43</a>, <a href=
+"#Page_57">57</a>, <a href="#Page_64">64</a>, <a href=
+"#Page_69">69</a>, <a href="#Page_72">72</a>, <a href=
+"#Page_88">88</a>, <a href="#Page_109">109</a>, <a href=
+"#Page_110">110</a>, <a href="#Page_127">127</a>.</li>
+
+<li><i>Zizyphus Lotus</i>, <a href="#Page_86">86</a>. (Voir aussi
+<em>Sedra</em>).</li>
+
+<li><i>Zizyphus Spina Christi</i>, <a href="#Page_48">48</a>.</li>
+</ul>
+
+<hr class="decor width10">
+
+<h2 class="nopb"><a id="indani"></a>INDEX DES ANIMAUX CITÉS</h2>
+
+<ul class="ind1">
+<li>Alouette, <a href="#Page_30">30</a>, <a href=
+"#Page_32">32</a>.</li>
+
+<li>Autruche, <a href="#Page_139">139</a>.</li>
+
+<li>Barbeau, <a href="#Page_106">106</a>.</li>
+
+<li>Bécassine, <a href="#Page_30">30</a>.</li>
+
+<li>Beguer-el-ouahch, <a href="#Page_148">148</a>, <a href=
+"#Page_153">153</a>.</li>
+
+<li>Bergeronnette, <a href="#Page_30">30</a>.</li>
+
+<li>Bœuf, <a href="#Page_49">49</a>.</li>
+
+<li><i>Bulimus truncatus</i>, <a href="#Page_87">87</a>.</li>
+
+<li>Canard, <a href="#Page_32">32</a>.</li>
+
+<li><i>Cardium edule</i>, <a href="#Page_87">87</a>.</li>
+
+<li>Chacal, <a href="#Page_154">154</a>.</li>
+
+<li>Chameau, <a href="#Page_155">155</a>.</li>
+
+<li>Chat sauvage, <a href="#Page_30">30</a>.</li>
+
+<li>Cherchimāna, <a href="#Page_147">147</a>.</li>
+
+<li>Cheval, <a href="#Page_161">161</a>.</li>
+
+<li>Cigale, <a href="#Page_146">146</a>.</li>
+
+<li>Courlis, <a href="#Page_32">32</a>.</li>
+
+<li>Cyprinus, <a href="#Page_83">83</a>.</li>
+
+<li>Djird, <a href="#Page_11">11</a>.</li>
+
+<li>Fenek, <a href="#Page_154">154</a>.</li>
+
+<li>Flamant, <a href="#Page_30">30</a>, <a href=
+"#Page_32">32</a>.</li>
+
+<li>Gazelle, <a href="#Page_63">63</a>.</li>
+
+<li>Gazelle commune, <a href="#Page_152">152</a>.</li>
+
+<li>Gerboise, <a href="#Page_147">147</a>.</li>
+
+<li>Héron, <a href="#Page_30">30</a>.</li>
+
+<li>Himed, <a href="#Page_152">152</a>.</li>
+
+<li>Lapin, <a href="#Page_49">49</a>.</li>
+
+<li>Libellules, <a href="#Page_30">30</a>, <a href=
+"#Page_164">164</a>.</li>
+
+<li>Limnées, <a href="#Page_178">178</a>.</li>
+
+<li>Meha, <a href="#Page_153">153</a>, <a href=
+"#Page_154">154</a>.</li>
+
+<li>Melania, <a href="#Page_30">30</a>.</li>
+
+<li><i>Melanopsis Maroccana</i>, <a href="#Page_47">47</a>.</li>
+
+<li>Moustiques, <a href="#Page_30">30</a>, <a href=
+"#Page_192">192</a>.</li>
+
+<li>Mouton, <a href="#Page_154">154</a>, <a href=
+"#Page_169">169</a>.</li>
+
+<li>Nadja, <a href="#Page_108">108</a>.</li>
+
+<li>Ouran, <a href="#Page_146">146</a>.</li>
+
+<li>Outarde, <a href="#Page_64">64</a>.</li>
+
+<li><i>Physa contorta</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li>
+
+<li><i>Physa Brocchii</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li>
+
+<li><i>Physa truncata</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li>
+
+<li><i>Planorbis</i>, <a href="#Page_157">157</a>, <a href=
+"#Page_178">178</a>.</li>
+
+<li><i>Planorbis Maresianus</i>, <a href="#Page_146">146</a>.</li>
+
+<li>Pigeon, <a href="#Page_165">165</a>.</li>
+
+<li>Poule, <a href="#Page_165">165</a>.</li>
+
+<li>Rim, <a href="#Page_152">152</a>.</li>
+
+<li>Sanglier, <a href="#Page_114">114</a>.</li>
+
+<li>Sarcelle, <a href="#Page_30">30</a>.</li>
+
+<li>Scorpion, <a href="#Page_141">141</a>.</li>
+
+<li>Sefchi, <a href="#Page_18">18</a>.</li>
+</ul>
+
+<hr class="decor width8">
+
+<hr class="chap">
+
+<h2><span class="pagenum" id="Page_215">[215]</span><a id=
+"toc"></a>TABLE DES MATIÈRES</h2>
+
+<hr class="decor width8 space-below15">
+
+<table class="toc">
+<tr>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr med">Pages.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Avant-propos</span>
+</td>
+<td class="tdr-bot med"><a href="#ava">V</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Biographie</span>
+</td>
+<td class="tdr-bot med"><a href="#bio">IX</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td colspan="2" class="tdc sect1 large">PREMIÈRE PARTIE</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre premier</span>. —
+De Biskra à l’Oued-Righ et au Souf</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p1c01">3</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> II. —
+Ouargla et Tougourt</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p1c02">22</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> III. — De
+Tougourt au Djérid par le Souf</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p1c03">34</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> IV. — Au
+Djérid</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p1c04">46</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> V. —
+Nefzaoua et Gabès</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p1c05">57</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> VI. — Retour
+au Djérid par Gafsa</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p1c06">72</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> VII. — De
+Tozer à Biskra</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p1c07">87</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td colspan="2" class="tdc sect1 large">DEUXIÈME PARTIE</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre premier</span>. —
+Dans l’Oued-Righ</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p2c01">105</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> II. — Au
+Souf</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p2c02">118</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td colspan="2" class="tdc sect1 large">TROISIÈME PARTIE</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td colspan="2" class="tdc sect less bold">VOYAGE A GHADAMÈS</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre premier</span>. —
+Dans l’Erg</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p3c01">143</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> II. —
+Arrivée à Ghadāmès</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p3c02">159</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> III. —
+Ikhenoukhen</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p3c03">172</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> IV. —
+Ghadamésiens et Touareg</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p3c04">181</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1"><span class="sc">Chapitre</span> V. — A
+Ghadāmès (<em>suite</em>)</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#p3c05">192</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1 sect1">Errata</td>
+<td class="tdr-bot sect1"><a href="#err">205</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Addenda</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#add">207</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Index des noms géographiques</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#indgeo">209</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Index des noms propres</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#indnom">211</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Index des plantes citées</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#indpla">212</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl hang1">Index des animaux cités</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#indani">214</a>
+</td>
+</tr>
+</table>
+
+<hr class="decor width10">
+
+<p class="space-above x-ebookmaker-drop">
+</p>
+
+<div class="container pb">
+<div class="addit-box">
+<h2 class="space-above1"><a id="toi"></a>ILLUSTRATIONS</h2>
+
+<table class="toi">
+<tr>
+<td>
+</td>
+<td class="tdr med">Pages</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Portion de muraille</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i01">53</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscription du Djébel-Sebaa Regoûd</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i02">54</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscriptions et chapiteaux —
+Tillimīn</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i03">51</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscription de la borne milliaire de
+Henchir Aichou</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i04">68</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — route de Gabès à
+Gafsa</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i05">74</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Monument tumulaire en forme de tour
+carrée</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i06">76</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Gravure rupestre du Djebel Sebaa
+Regoud</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i07">85</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i08">95</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i09">96</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i10">96</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscriptions — Besseriani</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i11">97</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscription arabe du tombeau de
+Sidi’Okba</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i12">105</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Vue de la ville d’Ezgoum (?)<a href=
+"#Footnote_187" class="fnanchor">[187]</a></td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i13">124</a>
+</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td class="tdl-top hang1">Inscription romaine trouvée à
+Ghadamès</td>
+<td class="tdr-bot"><a href="#i14">193</a>
+</td>
+</tr>
+</table>
+</div>
+</div>
+
+<p class="space-above15 x-ebookmaker-drop">
+</p>
+
+<div class="transnote">
+<h2>Note du transcripteur&nbsp;:</h2>
+
+<ul>
+<li class="simple">Les changements dans <a href="#err">l’ERRATA</a>
+ont été apportés, sauf l'orthographe d'"&nbsp;Insalah&nbsp;" et
+"&nbsp;Robaa’ya&nbsp;" et la modification de la note 214 (page
+140).</li>
+
+<li class="space-above15 simple">Autrement&nbsp;:</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_47">47,</a> note <a href=
+"#Footnote_81">81,</a> "&nbsp;<em>dernière expédition des
+Chotts</em>. Paris, 1891&nbsp;" a été remplacé par
+"&nbsp;1881&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_52">52,</a> "&nbsp;d’égaler les
+contructions&nbsp;" a été remplacé par
+"&nbsp;constructions&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_66">66,</a> "&nbsp;et d’une inscri tion
+arabe&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;inscription&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_162">162,</a> "&nbsp;un nègre co-ossal
+qui&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;colossal&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_173">173,</a> Ajouté ( avant
+"&nbsp;quoiqu’elle ait beaucoup&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_175">175,</a> Ajouté&nbsp;» après
+"&nbsp;les Chaanba et les Souâfa, etc.&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_176">176,</a> Ajouté&nbsp;» après "&nbsp;et
+toujours mal reçus&nbsp;?&nbsp;" et "Chaanba que les
+Iboguelan."</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_177">177,</a> Ajouté&nbsp;» après "&nbsp;le
+montrer à d’autres.&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_214">214,</a> "&nbsp;ghedem, <i>Salicornia
+fructicosa</i>&nbsp;" a été remplacé par
+"&nbsp;<i>fruticosa</i>&nbsp;"</li>
+
+<li class="simple">Quelques changements mineurs de ponctuation et
+d’orthographe ont été apportés, mais la plupart des variations
+orthographiques ont été laissées telles quelles.</li>
+</ul>
+</div>
+</div>
+<div style='text-align:center'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 76633 ***</div>
+</body>
+</html>
+
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