diff options
| -rw-r--r-- | 75581-0.txt | 1548 | ||||
| -rw-r--r-- | 75581-h/75581-h.htm | 1996 | ||||
| -rw-r--r-- | 75581-h/images/cover.jpg | bin | 0 -> 180479 bytes |
3 files changed, 3544 insertions, 0 deletions
diff --git a/75581-0.txt b/75581-0.txt new file mode 100644 index 0000000..4e0fc16 --- /dev/null +++ b/75581-0.txt @@ -0,0 +1,1548 @@ + +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75581 *** + + + + + + + + SCIENCE ET RELIGION + Études pour le temps présent + + Comment je suis arrivé à croire + + CONFESSION D’UN INCROYANT + + PAR LE + Dr FRANCUS + + + PARIS + LIBRAIRIE B. BLOUD + 4, RUE MADAME ET RUE DE RENNES, 59 + + 1901 + Tous droits réservés. + + + + +AU LECTEUR + + +Ceci n’est pas un traité philosophique ou religieux, mais simplement le +résumé de Notes de conscience intime laissées par un homme qui, après +avoir été libre penseur, à la façon dont on entend ce mot, c’est-à-dire +hostile à toute idée religieuse, s’est retrouvé, dans la suite des +temps, par l’effet de la réflexion et de l’expérience, ramené à des +conceptions différentes sur Dieu, sur l’univers, sur la nature humaine +et sur la religion chrétienne. + +L’auteur, mort récemment, a été, même pendant les aveuglements de sa +jeunesse, un curieux observateur du monde et de lui-même. Le fond de son +caractère était une complète indépendance d’esprit, une franchise sans +limites, et un mépris absolu du qu’en dira-t-on? Mais, après avoir eu +toutes les hardiesses de l’esprit, il avait compris qu’il fallait les +tempérer par cette sorte de raison pratique qu’on appelle le bon sens. +Par suite de quoi, il préférait les simples aux philosophes, non pas aux +vrais, qui sont rares, mais aux faux dont la société est pleine, prisant +fort peu notamment ceux d’outre-Rhin et leurs imitateurs de ce côté des +Vosges, les uns et les autres lui apparaissant pour la plupart comme de +parfaits pédants. Il causait plus volontiers avec un paysan qu’avec un +lettré, trouvant plus de droiture naturelle dans les âmes incultes, et +persuadé qu’à défaut de science acquise, c’est là qu’on trouve mieux +cette science infuse, qui, pareille à l’instinct des animaux, leur +découvre, même dans l’ordre métaphysique, des vérités qui restent +cachées à la science orgueilleuse. Il avait cru longtemps à la bonté +native de l’homme, mais il avait dû en rabattre, non seulement à cause +des tristes résultats historiques de cette théorie, mais encore parce +que l’observation lui avait démontré l’action profonde des climats, des +circonstances et de l’atavisme, le tout, d’ailleurs, modifiable sous +l’influence religieuse. Il ne séparait pas l’honnêteté de la vie de la +rectitude de la pensée et croyait que toute lacune dans l’une avait +nécessairement son contre-coup dans l’autre. Il avait en horreur les +politiciens et les esprits forts et ne voyait guère dans ces derniers +qu’une forme spéciale de débilité intellectuelle. Il se défiait +particulièrement des suggestions que peuvent nous fournir l’amour propre +ou la vanité, et disait que si la réserve et l’humilité pouvaient être +mises en potion, c’est celle dont nous aurions tous le plus besoin de +faire usage. + +Il passait, parmi ses amis et connaissances, pour être plus songeur que +savant, mais il y avait unanimité pour dire de lui: C’est un brave homme +et un homme de bon sens; et c’était l’éloge dont il était le plus fier +intérieurement, car autrement personne n’avait une plus modeste opinion +de soi-même. Dans sa conversation comme dans ses écrits, il dédaignait +les arguties et croyait être dans l’esprit du génie français comme dans +celui de la langue française, en n’admettant que des idées claires +confinant à des solutions pratiques. + +Ces notes sont une sorte de récit de voyage à travers la forêt du doute, +voyage qui a duré plus d’un quart de siècle, et au bout duquel il +s’était convaincu que la religion chrétienne n’a pas de plus grand +ennemi que l’ignorance ou des préjugés faciles à dissiper par un examen +approfondi et de bonne foi; que, plus on étudie ses dogmes et sa +doctrine, plus on y trouve de sagesse et de raison; enfin que sa +pratique elle-même est infiniment plus aisée qu’on ne pense, et que là +seulement se trouve le repos d’âme auquel chacun de nous aspire +invinciblement. Et, comme il y avait trouvé ce repos, il nous a semblé +que la lecture de ces notes pouvait présenter un véritable intérêt, ou +même servir de guide, aux voyageurs de l’heure présente égarés dans les +parages difficiles où il a si longtemps erré. C’est pourquoi... + +Nous lui laissons la parole. + +Docteur FRANCUS. + + + + +COMMENT JE SUIS ARRIVÉ A CROIRE + +CONFESSION D’UN INCROYANT + + + + +I + +LE PREMIER DES MOBILES ANTI-CHRÉTIENS + + +En cherchant dans mes souvenirs la plus lointaine histoire de ma +métaphysique, je trouve qu’elle a débuté par une foi simple et naïve à +l’enseignement religieux que je recevais. Et je pense qu’il en a été +pour tout le monde à peu près de même. La nature étant pleine de +mystères dont l’existence s’impose, l’acceptation des dogmes +traditionnels, qui en donnent l’explication, est beaucoup plus naturelle +chez l’enfant que leur négation, car il faut à l’esprit quelque temps et +quelque étude avant qu’il songe à les discuter. + +Les avais-je bien examinés quand je me suis déclaré libre penseur? +Étais-je bien capable d’abord de faire cet examen? Cela me paraît +aujourd’hui plus que douteux. Le fait est que je les rejetai, agissant +en cela comme le plus grand nombre, sous une influence qui n’était pas +celle de l’esprit. + +Quand on songe aux services qu’a rendus le christianisme à la pauvre +humanité, la première pensée est de dire de lui ce qu’on a dit de Dieu +lui-même que, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. Et cependant +il y a, il y a eu et il y aura probablement toujours dans certaines +têtes une sorte de rage contre lui. + +Pourquoi cela? La cause est facile à trouver. Elle est dans l’obligation +qu’il impose à l’homme de réfréner ses passions. C’est pourquoi l’homme +vicieux est naturellement son ennemi comme le malfaiteur est l’ennemi du +gendarme. + +De même, le jeune homme, une fois émancipé, devient facilement, s’il n’a +pas reçu une éducation solide, l’ennemi de la religion. Il est dominé +par les sens, quand il ne l’est pas par des principes supérieurs. Il +peut en être quelquefois autrement, mais c’est l’exception. Quant à moi, +j’avoue très humblement qu’une des raisons qui me firent éloigner de la +religion de mon enfance et chercher les moyens de lui substituer un +simple déisme, c’est que je la trouvai gênante. On ne peut pas, si on +accepte sa règle, se livrer à ses passions, et l’on sait à quelles +passions violentes la jeunesse est en butte. + +L’histoire m’a montré, depuis, dans cette même cause, le gros +secret--qui n’en est pas un--des succès du protestantisme: demandez à +Luther, à Henri VIII d’Angleterre et à toute la bande de moines +défroqués dont le premier soin fut, sortis de leurs couvents, de +chercher femme. + +Sommes-nous meilleurs aujourd’hui? L’influence de la chair sur l’esprit +est-elle moindre en notre siècle de lumières? «Ce qui est en conflit +avec l’esprit chrétien, dit un économiste, c’est moins encore la science +nouvelle et l’esprit moderne avec ses confuses aspirations, que les +vieux instincts païens, les concupiscences de la chair et l’orgueil de +la vie débridés par les siècles. L’idolâtrie de la nature, l’idolâtrie +de l’homme érigé en Dieu: tel est le nouveau culte auquel semble revenir +notre civilisation occidentale[1].» + + [1] LEROY-BEAULIEU, _Revue des Deux-Mondes_, 1891, p. 812. + +Les Francs-Maçons, dans lesquels on peut voir, d’ailleurs, une branche, +ou plutôt une excroissance toute naturelle du protestantisme, ne cachent +pas, dans leurs convents, leurs principes de morale intime. Pour eux, la +morale catholique n’est qu’un mentor revêche et grognon qui refuse aux +pauvres humains toute espèce de satisfactions. Pour se rendre la vie +supportable, ils font de la nature leur directeur de conscience. Foin de +la continence et de toute espèce de privations! Ils veulent qu’on laisse +aux passions leur cours naturel, limité seulement par l’intérêt bien +entendu. Voilà la morale à laquelle l’excellent docteur Blatin, un +célèbre Maçon d’Auvergne, faisait allusion récemment, quand il disait +que les Maçons trouvent licites bien des choses que les catholiques +trouvent illicites, et réciproquement[2]. + + [2] Convent maçonnique de 1895. + +La sensualité et l’orgueil: voilà les deux grands ennemis du +christianisme. En confessant l’influence du premier, je ne peux guère +offusquer que les hypocrites. Nous retrouverons trop tôt l’influence du +second. + + + + +II + +L’IDÉE DE DIEU + + +Après les passions, qui, d’ailleurs, s’effaçaient soigneusement derrière +des motifs plus avouables, le sentiment qui me paraît avoir joué le rôle +le plus important dans cette première évolution de mes idées, est un +mélange d’orgueil juvénile et d’esprit de révolte contre toute autorité: +deux penchants innés dans l’homme, qui ne sont peut-être pas absolument +condamnables en eux-mêmes et qui ont leur bon et leur mauvais côté, mais +qui ont singulièrement besoin d’un guide ou d’un modérateur. + +Notre égoïsme naturel fait de nous-même le centre de l’univers. Notre +raison superbe veut que tout lui soit soumis. Nous voulons tout +pénétrer. Nous croyons tout savoir, et ce n’est qu’à la longue, à force +d’étude--ceux qui étudient--après beaucoup de déceptions--ce qui ne +manque à personne--qu’on finit par s’apercevoir qu’on ne sait rien ou +pas grand chose. Quelques-uns alors se demandent si ces traditions, ces +dogmes, ces mystères, contre lesquels s’était insurgée leur +intelligence, ne cachent pas un sens profond. Ce sont les plus +philosophes qui en arrivent là. Les esprits bornés se buttent dans leurs +négations, impuissants à en saisir davantage, se croyant cependant plus +forts que les autres, tandis qu’ils font simplement preuve de leur +ignorance de la nature humaine et des enseignements de l’histoire. + +Avant d’arriver à ce tournant psychologique, j’étais anti-chrétien, mais +non pas athée. + +_Ab Jove principium._ En rencontrant Dieu sur son chemin, ma libre +pensée ne l’avait méconnu qu’à demi. + +Dans tout sujet d’étude, un esprit méthodique cherche, pour élucider la +question, à l’envisager d’ensemble, à la résumer, à la synthétiser. Et +c’est ainsi que j’avais admis d’abord Dieu comme l’incarnation des +mystères du monde, le grand X qu’il appartient à chacun de déchiffrer +selon les ressources de son intelligence. Il m’a toujours semblé que le +véritable athéisme était un non sens, une impossibilité, s’appliquant à +l’une ou l’autre des formes sous lesquelles notre esprit cherche à se +représenter Dieu, et que l’idée même de Dieu était bien au-dessus de +tout cela, puisqu’il est: en fait, le mystère lui-même qui se manifeste +partout, et en esprit le résumé et la perfection de nos conceptions les +plus idéales. + +Les Francs-Maçons du Grand Orient ont récemment supprimé le Grand +Architecte de l’Univers, ce qui était leur façon de nommer Dieu, et +chacun sait que cela n’a donné, ni en France ni à l’étranger, une haute +idée de leur esprit. Aux objections venues d’Angleterre et d’Amérique, +ils ont répondu qu’ils avaient supprimé Dieu pour ne pas blesser les +athées qui ne le comprennent pas. Mais, dans ce cas, que de suppressions +à faire! Est-ce que nous comprenons mieux la chaleur, l’électricité, la +lumière, la pesanteur, que les athées ne comprennent Dieu?--Ce sont des +faits, dira-t-on, qui sont l’indice de forces inconnues. Puisqu’on ne +refuse pas un nom à ces forces inconnues, n’y a-t-il pas quelque +puérilité à proscrire le nom qui, au point de vue philosophique, est la +synthèse de toutes les grandeurs et de toutes les forces inconnues? + +L’athéisme est une conclusion qui témoigne d’une véritable lacune morale +et intellectuelle. Est-ce que personne a jamais soutenu qu’une montre +pouvait exister sans un ouvrier? Or, le monde est un immense objet +d’art, plein d’obscurités sans doute, mais où éclatent, d’autre part, +une harmonie et un ordre admirables, et plus difficile à construire +certainement qu’une montre. Si l’on est en droit de taxer d’aveuglement +et de folie celui qui dirait qu’une montre s’est fabriquée toute seule, +à plus forte raison celui qui dirait la même chose du monde. + +Il y a donc un ouvrier. Nous l’appelons Dieu. On peut lui donner un +autre nom, mais le fond reste le même, c’est-à-dire que la montre est +toujours là, témoignant par son existence de celle de l’ouvrier. + +Nous ne le comprenons pas sans doute, mais quoi d’étonnant, étant donnée +l’infinité de sa grandeur et de notre petitesse! Est-ce une raison pour +nier son existence, surtout quand, à chaque détour du chemin, cette +redoutable entité métaphysique se dresse en face de la pauvre humanité, +lui posant chaque fois des questions insolubles en dehors de l’idée +divine? Au reste, en y regardant bien, n’est pas athée qui veut; la +preuve, c’est qu’il ne faut pas presser longtemps un athée pour l’amener +à émettre une idée ou un nom: Nature, Hasard, Destin ou Force des +choses, qui soit en contradiction avec son prétendu athéisme, puisqu’il +répond, avec plus ou moins de circonlocutions, à l’idée fondamentale que +les autres se font de Dieu. + +Les panthéistes qui ne veulent pas admettre un Dieu personnel et +distinct de la matière et qui soutiennent que le monde a existé de toute +éternité, me paraissent agrandir et compliquer le problème plutôt que le +résoudre. Outre que le simple bon sens repousse leur système, on peut se +demander si nous sommes plus avancés aujourd’hui que du temps de Gœthe +qui disait à Eckermann: «Je n’ai pas encore rencontré une personne qui +sache ce que le mot panthéisme signifie.» + +De quelques distinctions et analyses subtiles qu’usent les philosophes, +l’esprit humain, poussé par une curiosité invincible à remonter d’une +cause à l’autre, ne peut être satisfait que lorsqu’il doit s’incliner +devant une cause suprême, qu’il ne comprend pas sans doute, mais qui, +sous son voile mystérieux, répond à l’idée, innée en lui, qu’il n’y a +pas d’effet sans cause. + +Invisible à nos sens, Dieu est indispensable à notre esprit, et la vie +de l’âme ne se comprend pas plus sans lui que celle de la terre sans le +soleil. + +Les astronomes nous ont démontré que la terre tournait à la fois sur +elle-même, ce qui fait le jour et la nuit, et autour du soleil, en lui +présentant successivement ses deux hémisphères, ce qui fait l’été et +l’hiver pour les diverses parties du monde. + +De même Dieu est le soleil intellectuel et moral autour duquel tourne +l’humanité. Notre esprit ne peut pas plus le comprendre que nos yeux ne +peuvent fixer le soleil. Mais l’un et l’autre nous éblouissent de leurs +rayons, et il ne faut pas chercher bien longtemps pour trouver les +relations qui existent entre les révolutions humaines et les éclipses +partielles ou passagères de l’idée divine sur notre planète. + +Et voilà pourquoi, au plus fort de ma libre pensée, j’aurais trouvé +puéril de nier Dieu. + +Le grand ennemi de Dieu dans ce pauvre monde est indiqué dans la boutade +d’un humouriste: Au commencement du monde, Dieu créa l’homme à son +image; mais l’homme lui a bien rendu la pareille. + +Il est certain que les plus sages n’échappent pas à cet +anthropomorphisme. Nous faisons toujours plus ou moins Dieu semblable à +nous-mêmes; nous lui prêtons trop facilement nos petites passions, nos +petites idées, et c’est en le trouvant ainsi défiguré que les gens de +petite cervelle croient pouvoir dire: Vous voyez bien: Dieu ne peut pas +être ainsi, donc Dieu n’existe pas! + +Rien n’est plus naturel après tout que l’anthropomorphisme, et je me +demande comment on pouvait y échapper, même après les sublimes visions +de la Bible; mais il me semble que depuis l’Évangile il y a quelque +chose de changé. + + + + +III + +NÉCESSITÉ D’UNE RELIGION ET D’UN CULTE + + +Après avoir reconnu Dieu, il fallut quelque temps à ma libre pensée pour +comprendre que son existence impliquait la nécessité d’une religion, par +quoi j’entends une façon pour l’homme de régler ses rapports avec +l’idéal divin. + +Je ne pouvais méconnaître aussi l’utilité sociale de la religion. Les +philosophes de tous les temps l’ont reconnue, et l’expérience des +siècles la confirme; on ne connaît pas de société humaine qui n’ait eu à +sa base une religion quelconque. Si l’on peut admettre que l’individu, +très éclairé et très moral déjà, puisse trouver en lui assez de lumière +et de force pour s’en passer, il est évident qu’elle est nécessaire à la +masse ignorante et impressionnable. Son influence pénètre aux régions du +cœur inaccessibles aux lois humaines. Elle crée l’ordre dans le monde +moral et constitue la loi des âmes. Hors d’elle, c’est le chaos et +l’anarchie. Elle est tellement dans la nécessité des sociétés humaines +qu’on ne détruit jamais une religion que pour lui en substituer une +autre, de même qu’en politique on ne renverse jamais un gouvernement que +pour en mettre un autre à sa place. Manquer de religion, c’est manquer +d’un sens; c’est aussi manquer de justice, et Cicéron a justement dit: +_Pictas est justitia erga Deum._ + +La religion est à l’immense majorité des hommes ce que l’instinct est +aux animaux. N’étant pas philosophe, heureusement pour elle, la masse a +reçu, infusée dans son sang, toute la dose de métaphysique nécessaire à +son existence, laquelle se résume dans le sentiment religieux, dans le +besoin de croire en Dieu et de se faire une loi morale. Et ce n’est pas +sans raison qu’un éminent physiologiste[3] assigne à l’homme la faculté +religieuse comme son caractère distinctif, le trait qui le sépare le +mieux de l’animal. Cette faculté est le fondement de la morale, car si +la morale ne descend pas de Dieu, si elle n’est qu’un produit de la +raison humaine, elle ne peut avoir qu’une valeur relative et reste à la +merci de sa créatrice. C’est pourquoi, après avoir cru un certain temps +à ce qu’on a appelé la _morale indépendante_, j’ai été amené avec le +temps à n’y voir qu’une conception absurde, ou tout au moins d’une +application extrêmement restreinte. + + [3] M. de QUATREFAGES. + +De même que la terre est liée au soleil par la force centripète, il faut +que la conscience humaine soit _religata_ à son soleil moral qui est +Dieu. C’est par cette attraction divine qu’elle peut contrebalancer la +force centrifuge, formée par sa mauvaise nature et par ses passions, qui +la conduiraient aux abîmes sans le providentiel contrepoids de l’autre. + +Les fondateurs de la nouvelle école dite _positiviste_ veulent qu’on +fasse abstraction de tout ce qui est hors de la portée de notre esprit +et qu’on renonce à s’occuper de Dieu comme étant l’Inconnaissable. Donc, +pas de religion. Mais l’inanité de ce raisonnement saute aux yeux. +L’inconnaissable n’en reste pas moins, malgré les plus belles théories, +la force attractive qui porte l’âme humaine vers un monde +supérieur--comme les animaux et les plantes vers la lumière--sans parler +des ténèbres, du vide et du néant qu’elle rencontre en dehors de là. +Elle est donc invinciblement poussée à une religion quelconque. + +Je me suis souvent demandé s’il pouvait exister une théologie capable de +satisfaire à la fois une minorité raisonneuse, plus ou moins savante, +amoureuse d’analyses à perte de vue, et la masse simple, croyante et +synthétique. + +Ne sommes-nous pas dans le monde comme les voyageurs dans une diligence, +où l’un craignant le froid veut tout fermer, et l’autre craignant le +chaud veut tout ouvrir? + +N’est-il pas raisonnable de faire des concessions à ceux qui paraissent +en avoir le plus besoin, et n’est-ce pas à leur empressement à sacrifier +leurs aises et leurs convenances à ceux du prochain, que l’on reconnaît +les gens bien élevés et les meilleurs caractères? + +Puisqu’il n’y a pas de théologie qui puisse satisfaire tout le monde à +la fois, n’est-ce pas aux plus intelligents, ou se croyant tels, à se +mettre au niveau des autres, non pas en sacrifiant leurs opinions +intimes qui ne relèvent que de leur conscience, mais en ne cherchant pas +à imposer à la masse, dont l’esprit est différent du leur, leur propre +manière de voir, sur des questions où, d’ailleurs, le plus savant n’en +sait pas davantage que le plus ignorant. + +Quelque supérieurs qu’ils puissent se croire au commun des martyrs, ils +ne peuvent ignorer qu’ils sont sujets aussi à bien des erreurs, et un +peu d’humilité ne serait-elle pas la plus belle preuve d’intelligence +qu’ils pourraient donner? + +En même temps qu’elle munissait chaque individu de l’outil le plus +nécessaire au travail de la vie, la religion apprenait aux pasteurs des +peuples le seul moyen de bien garder leur troupeau. «Quand on ignore, +dit Jouffroy, la destinée humaine, on ignore celle de la société, et +quand on ignore la destinée de la société, on ne peut l’organiser. La +solution du problème est donc une foi morale et religieuse.» + +Et le plus radical des radicaux de notre temps ne disait-il pas +récemment que la question sociale n’existerait pas si le christianisme +était pratiqué? + +Je comprenais donc en principe la nécessité d’une religion, et +j’admirais son action sociale. Mais je voulais qu’on s’en tînt à la +religion naturelle. J’admettais, comme les protestants _libéraux_ de nos +jours, le Dieu intérieur, mais je rejetais comme pratiques +superstitieuses, indignes d’un esprit libre, tout culte extérieur et +public, et ce n’est que bien longtemps après, surtout après m’être rendu +compte de l’attachement obstiné des masses populaires à un culte public, +que je compris les profondes racines qu’il avait dans la nature humaine. +Vouloir empêcher, en effet, le sentiment religieux de se manifester +extérieurement et publiquement, n’est-ce pas comme si on défendait à la +pensée de s’exprimer en paroles ou par écrit? + +Les _intellectuels_ qui prétendent que le christianisme a fait son +temps, ont-ils bien songé à ce qui arriverait s’il venait, en effet, à +disparaître, si «la vieille chanson» cessait un moment de bercer les +misères humaines? Accordons-leur qu’ils soient plus intelligents que les +autres. Ils ne nieront pas, en tous cas, que leur état, à ce point de +vue, n’est pas celui du plus grand nombre. Pour un homme instruit, un +esprit cultivé, combien d’ignorants! Et même parmi les gens instruits et +cultivés, que de lacunes, que de défaillances, que d’incroyables erreurs +de jugement et même de sens commun! + +C’est étonnant, dit un personnage de comédie, combien les gens d’esprit +sont bêtes!--Et encore, lui répond son interlocuteur, c’est qu’ils ne +veulent pas le croire! + +Et parmi ce qu’on est convenu d’appeler l’élite d’un pays, combien ont +le goût des choses métaphysiques et le temps d’en escalader les sommets! +Et quand ils le font, n’est-ce pas la tour de Babel, qui en est +peut-être l’histoire légendaire? + +Est-ce pour cette infime minorité, d’ailleurs impossible à satisfaire, +que le grand législateur devait légiférer sans souci de la masse immense +qui pense et surtout sent autrement qu’eux? + +En dehors, en effet, des philosophes ou simples lettrés, de ceux qui +savent penser et en ont le temps, il y a des foules immenses de pauvres +diables en lutte avec les nécessités de la vie, qui ont à peine le temps +et la force de gagner leur pain quotidien. _Primo vivere, deinde +philosophare._ N’est-ce pas un crime de les faire philosopher tandis que +leur existence n’est pas assurée? + +«La religion, disait fort justement l’auteur d’un petit opuscule publié +vers 1840, la religion est le canal nécessaire par lequel les idées +d’ordre, de devoir, d’humanité, de justice, coulent dans toutes les +classes des citoyens. Peu d’hommes ont les moyens et le temps d’acquérir +la science mais avec la religion on peut être instruit sans être savant. +C’est elle, et elle seule, qui enseigne, qui révèle toutes les vérités +utiles et nécessaires aux hommes de toutes les conditions[4].» + + [4] ALLIGNOL, _De l’état actuel du clergé en France_. + +M. Barthélemy Saint-Hilaire a résumé d’un trait la même idée en disant +que «la religion est la philosophie du peuple». Et c’est une philosophie +bien supérieure à celle des philosophes, à laquelle aboutit, +pratiquement d’ailleurs, toute philosophie vraiment digne de ce nom. +Toutes les religions ont enseigné aux hommes la vertu, le travail et la +justice; la religion chrétienne a couronné ces enseignements en leur +apprenant la résignation et le sacrifice. N’ont-elles pas ainsi mieux +fait pour les classes déshéritées que ceux qui les poussent à la révolte +contre des états de choses qui ne sont souvent que les résultats +inéluctables des lois de la nature? + +La religion a fait tout le travail philosophique nécessaire pour ceux +qui en étaient incapables: elle leur a donné la substance de la vérité; +elle leur a épargné un temps infini et des erreurs sans nombre. Elle +leur a mis en mains un manuel de la vie pratique, qui n’empêche en rien +ceux qui ne le trouvent pas suffisant de chercher ailleurs des lumières +plus complètes, s’il en existe, mais ne leur donne pas le droit d’exiger +que la religion soit faite exclusivement à leur mesure. + + + + +IV + +L’ÉGLISE ET LES PHILOSOPHES + + +Une religion est donc nécessaire, et un culte extérieur en est le +corollaire indispensable. + +Quelle est la meilleure des religions? + +Dès le début de ma libre pensée, je me suis trouvé plein de préjugés +contre la religion catholique, et c’était là, surtout, je crois, un +résultat de mes lectures des soi-disant philosophes du XVIIIe siècle. +Voltaire et ses compères me paraissaient alors de très puissants +raisonneurs et je trouvais irréfutables la plupart des mauvaises +querelles qu’ils ont faites: à la Bible, en y relevant des énormités et +des contradictions que je trouve aujourd’hui fort discutables; à +l’Église, en lui imputant des crimes et des erreurs dont elle n’est pas +responsable; à la religion catholique, en la confondant sans cesse avec +les abus que la pauvre humanité peut en faire et n’en a que trop souvent +faits. Quelle fête pour l’orgueil et la passion débordés, de pouvoir, +devant ce déluge de sarcasmes et d’attaques de tout genre, prendre en +pitié les générations passées, de croire que la nouvelle philosophie +avait pénétré les arcanes de l’histoire et reconnu l’origine humaine de +toutes les religions! + +Je n’ai compris que plus tard le peu de valeur de ce genre de critique. +Il m’a paru, en y réfléchissant, que les voltairiens anciens et modernes +étaient peut-être un peu trop exigeants, en voulant que Dieu, occupé à +tracer aux Juifs des lois morales, s’interrompît pour leur révéler aussi +tous les secrets de la nature, leur parlant un langage entièrement +conforme aux données, d’ailleurs si incertaines et si variables, de la +science, et qu’il leur fît, par exemple, une petite dissertation +astronomique pour remplacer l’image de Josué arrêtant le soleil. + +On peut en dire autant des jours de la Genèse, dans lesquels il convient +de voir, non pas un traité de cosmogonie, mais un aperçu substantiel +très général de la formation du monde, tel qu’il le fallait aux Juifs du +temps de Moïse--aperçu, du reste, où il y a beaucoup plus à s’étonner +des conformités avec la science moderne qu’on peut y voir, que des +contradictions apparentes qu’on peut y découvrir. + +La preuve finalement de la fragilité des polémiques voltairiennes se +trouve dans le discrédit où elles sont tombées. Combien en reste-t-il +qu’un vrai savant de nos jours oserait opposer à l’apologétique +chrétienne? + +Ce n’est pas sans peine que j’appris à envisager de haut les traditions +juives et à lire ses révélations, sans me laisser arrêter par des +considérations ethniques de temps et de lieu. + +Il est évident que, dans la Bible et même dans le Nouveau Testament, il +y a deux parties très distinctes: l’une qui se rapporte à la vie +légendaire du peuple juif, et l’autre qui est un enseignement dogmatique +et moral, et qu’il n’est pas de bonne guerre de les confondre--d’autant +que, pour tout ce qui concerne la morale, il n’y a pas sujet de doute, +et c’était l’essentiel. + +Pour tout le reste, on peut trouver que si l’inspirateur des Livres +Sacrés n’a pas toujours parlé avec la précision de style d’un notaire ou +d’un académicien, c’est qu’il avait peut-être ses raisons pour cela. Et +l’une de ces raisons sans doute, c’est qu’il savait qu’on aurait tout +autant ergoté sur sa parole, lors même qu’elle eût été plus claire, +attendu qu’il est dans notre nature de tout discuter. + +Des raisons plus hautes justifient Dieu du reproche qu’on lui fait +implicitement de n’avoir pas usé de son omniscience pour parler aux +Juifs, en d’autres termes, de ne pas nous avoir révélé d’un coup tous +les secrets de l’univers. A-t-on réfléchi que par là il aurait enlevé à +l’humanité la plus délicate de ses joies: celle de les découvrir +successivement elle-même, outre que nous aurions perdu tout mérite à +reconnaître sa grandeur et à lui rendre hommage, puisque nous n’aurions +pas eu la peine de chercher? Est-il nécessaire enfin de faire ressortir +tout ce qu’il y a de présomption enfantine à vouloir imposer au grand +Être des conditions qui bouleverseraient le système du monde? + +A l’obligation de parler plus clair, il faudrait ajouter celle de donner +à tous la même intelligence et le même tempérament, si l’on voulait que +les mêmes paroles fussent comprises par tous de la môme façon. D’une +chose à l’autre, il faudrait tout changer. + +C’est pourquoi les obscurités qui jadis m’offusquaient dans ces antiques +traditions, produisent aujourd’hui sur moi un effet contraire, et, de +même que les nuages orageux sont ordinairement la source de pluies +bienfaisantes, je me demande si ce n’est pas dans leur sein que se +cachent les plus hautes vérités. + + + + +V + +L’ORGUEIL + + +L’homme qui regarde attentivement au fond de son âme finit toujours par +reconnaître, au milieu des monstres qui y grouillent, le serpent Python +de Platon, qui n’est autre que le Satan de l’Écriture, en d’autres +termes, l’orgueil, l’insatiable orgueil, qui est le trait distinctif de +la philosophie voltairienne et de ses disciples modernes. Ils se +croient, et beaucoup en sont très naïvement convaincus,--et je ne +prétends pas avoir échappé à ce travers--ils se croient de cent coudées +supérieurs aux générations précédentes; ils ont la certitude d’avoir +découvert ce que celles-ci n’avaient pas même soupçonné. De même que la +liberté pour certains politiciens n’a commencé qu’en 1789, la raison +pour eux n’existe réellement que depuis qu’ils l’ont fait connaître au +monde. Ils se figurent que, si leurs prédécesseurs avaient su ce qu’ils +savent eux-mêmes, s’ils avaient connu par exemple la vapeur et +l’électricité, ils auraient été également sceptiques et que leur foi +religieuse a été simplement l’effet de leur ignorance. + +Les plus réfléchis, tout en subissant cette influence, ont quelques +retours. Pour ma part, je me suis bien souvent demandé, même avant l’âge +mûr, s’il ne conviendrait pas d’être plus modeste, et dans mon for +intérieur je me déclarais à moi même qu’après tout il n’était ni sage, +ni équitable de considérer, sous prétexte de progrès, tant de beaux +génies disparus comme des espèces d’imbéciles. Si Bossuet, Leibnitz et +tant d’autres grands hommes ont cru à la divinité du Christ, c’est +évidemment parce qu’ils avaient trouvé à cela, bien que privés des +inventions modernes, des raisons à leurs yeux suffisantes et bien +au-dessus de celles que peuvent leur opposer la physique et la chimie, +et le fait seul de leur foi me paraissait mériter autre chose que le +dédain. Il est clair qu’ils raisonnaient d’une autre façon que nous; +mais je n’admettais pas que leur raisonnement valût le nôtre. Songez +donc à tout ce que nous avons appris depuis un siècle, à toutes les +conquêtes de l’homme sur la matière, et à la légitime espérance qu’il +peut concevoir de devenir le roi de la planète où Dieu l’a placé. +Toutefois, il y avait là une masse imposante de convictions qui me +troublait. + +Ma vieille admiration pour la science moderne s’est un peu modifiée +depuis; je l’admire toujours, mais à la condition qu’elle se tienne à sa +place et n’ait pas la prétention de régenter la métaphysique où elle ne +peut juger que comme un sourd de musique ou un aveugle de peinture. + +Je n’ai jamais trouvé bien sérieux les savants ou prétendus tels qui ont +proposé l’Évolution ou le Panthéisme pour remplacer la Genèse. Quand +Renan dit que le monde s’est fait tout seul, et qu’il écrit au chimiste +Berthelot que «la molécule pourrait bien être, comme toute chose, le +fruit du temps, le résultat d’un phénomène très prolongé, d’une +agglutination continuée pendant des milliards de milliards de siècles», +il est permis de penser qu’il se moquait au fond de son correspondant +comme du bon public, et qu’il aurait trouvé infiniment plus d’esprit à +ceux qui auraient accueilli son hypothèse par un éclat de rire, qu’à +ceux qui l’auraient saluée avec respect comme un trait de génie. + +Dans cette dernière catégorie, il faut évidemment ranger les membres de +l’ancien conseil municipal de Paris qui ont fait placer sur le socle de +la statue de Raspail des inscriptions comme celles-ci: _Donnez-moi une +cellule animée de sa vitalité, et je vous rendrai l’univers. A la +Science! Hors de la Science tout n’est que folie! A la Science, unique +religion de l’avenir!_ + +Au fond du mot de Raspail, il y a bien une idée vraie, celle que Pascal +avait déjà exprimée en disant que «Nous ne savons le tout de rien». Il +appartenait aux auteurs de l’inscription de le rendre grotesque par le +commentaire dont ils l’ont accompagné. + +Plus tard, le prestige scientifique de notre siècle baissa +singulièrement à mes yeux, quand je vis que le progrès moral était loin +d’accompagner le progrès matériel, et je compris qu’on pût parler de la +faillite de la science. + +J’ai été frappé finalement en reconnaissant que toutes les nouveautés +métaphysiques, par lesquelles on prétend remplacer la religion +chrétienne, sont plus ou moins contenues en germe ou explicitement dans +ce qu’on appelait autrefois des hérésies, en sorte que nous ne faisons +guère sur ce terrain que rebattre des chemins parcourus et rajeunir des +systèmes dont la critique religieuse de nos pères, confirmée par +l’expérience des temps, avait déjà fait justice. + +Après avoir longtemps considéré la science et la religion comme +inconciliables, je me suis demandé si leur antagonisme, dont on fait +tant de bruit, est bien réel et ne consiste pas souvent en ceci qu’on +fait dire à la religion ce qu’elle ne dit pas, et qu’on fait rendre à la +science des arrêts dont elle n’est rien moins que sûre elle-même. +Connaissez-vous un Protée pareil à la science? Elle dément un jour ce +qu’elle affirmait la veille. D’ailleurs, sur la raison des choses, elle +ne peut aller que d’une hypothèse à l’autre. Plus on est savant, plus on +doute. Peut-être n’y a-t-il pas lieu par conséquent de tant se +préoccuper des rapports de la science et de la religion. Ce sont deux +terrains parfaitement distincts. La religion n’est pas incompatible avec +la science, elle la domine. Elle la laisse faire, certaine d’avoir tôt +ou tard le dernier mot. + + + + +VI + +LES MYSTÈRES + + +Le premier mouvement de l’esprit est de s’insurger contre le mystère. +Comme il est un défi à notre raison et que notre raison est très +orgueilleuse, elle cherche d’abord à le nier. Mais rien n’est plus +opiniâtre que le mystère. Il revient sous toutes les formes comme pour +nous narguer au logis, dans la rue, en voyage, partout. Un +commis-voyageur rationaliste, à qui l’on venait de servir un œuf à la +coque, à une table d’hôte, et qui le dégustait en niant tous les +mystères, s’entendit interpeller par un autre voyageur qui lui cria: + +--Vous en avez un dans votre assiette + +--Comment cela? + +--Et oui, un œuf: d’où vient-il? + +--D’une poule, parbleu. + +--Et la poule? + +--D’un œuf. + +--Qui a commencé de l’œuf ou de la poule? + +Notre homme, d’abord interloqué, finit par trouver cette réponse: + +--Ni l’un ni l’autre: ce sont deux types éternels symbolisés par le +serpent égyptien qui se mord la queue. + +--Peut-être, répartit l’interlocuteur, serait-il plus simple de dire que +vous n’en savez rien--ni moi non plus--que de remplacer le mystère de +l’œuf par un autre encore plus grand. + +Je me souviens qu’au temps où j’étais capable de déraisonner tout aussi +bien que notre commis-voyageur, causant des mystères de la religion +chrétienne avec un vieil aumônier militaire de mes voisins, je ne lui +cachai pas que ma raison en était révoltée. Il me répondit doucement: + +--Quand l’expérience vous sera venue avec l’âge, vous verrez les choses +autrement et vous comprendrez plus ou moins ce que vous ne pouvez +comprendre aujourd’hui. + +Il voulut parler d’autre chose, mais j’étais entêté, et je le ramenai à +mon sujet, en lui disant que je n’admettais pas les choses qui +déroutaient la raison humaine, la sienne comme la mienne. + +--Les mystères déroutent notre raison, répondit-il: la belle affaire! +Est-ce que le plus simple coup d’œil sur la nature ne la déroute pas +perpétuellement? Vous n’admettez pas Dieu et homme tout ensemble. Est-ce +que nous ne sommes pas corps et âme tout ensemble? Le comprenez-vous +mieux? Est-ce que vous savez pourquoi les tisanes calment les malades, +pourquoi l’opium fait dormir et pourquoi l’arsenic tue? Et, au lieu de +trouver là un motif d’humilité, cette pauvre raison humaine va +s’enivrant toujours d’un nouvel orgueil.--A cet orgueil, la religion +oppose le mystère. Elle lui montre ainsi une fois de plus qu’elle +procède d’inspirations différentes, ne suit pas la même route et tend +vers un but plus élevé. La raison cultive la terre, la religion montre +le ciel. La religion s’adresse à l’âme: elle désaltère en nous la soif +du sublime et de l’infini. Il lui faut un langage à la hauteur de son +but. Si elle n’est pas mystérieuse, incompréhensible dans ses dogmes, +elle n’est plus la religion. L’homme n’adorera jamais ce qu’il comprend. +Il n’est pas dominé par ce qui n’est qu’à sa hauteur. Il n’y a pas de +Dieu pour lui, si ce Dieu ne se tient pas à une hauteur infinie, +environné de nuages impénétrables. Il faut qu’en inspirant la vénération +et l’amour, la religion inspire aussi le respect et la crainte. + +Ce discours me parut étrange et je répliquai par des arguments que je +croyais irréfutables, et que je n’ose plus répéter aujourd’hui, +tellement je leur trouve un caractère de banalité et peu concluants en +l’espèce. + +Le vieux prêtre finit par me dire: + +--Mon ami, vous êtes trop pointu; j’attendrai que le roulement de la vie +ait émoussé vos angles. + +Il a fallu du temps, en effet, pour me faire comprendre le peu de +compétence de la raison pure dans les questions religieuses, et combien +les fondateurs des anciennes religions--en laissant de côté la question +d’origine divine--connaissaient mieux la nature humaine que les +néo-philosophes de nos jours. + +M. Guizot rappelle quelque part les problèmes naturels qui pèsent sur +l’âme et sont le fondement de toutes les religions. Il réfute ceux qui +veulent abolir le surnaturel, «car la croyance au surnaturel est un fait +naturel, primitif, universel, permanent dans la vie et l’histoire du +genre humain. Là où la croyance au surnaturel disparaît, la croyance à +Dieu disparaît aussi. La science humaine est-elle compétente sur la +question du surnaturel? Reconnaître qu’il y a certaines choses qu’elle +ne peut savoir devrait être le premier mot de la science, et c’est lui +rendre service que de la ramener dans son domaine quand elle en +sort[5]». + + [5] _Méditations_, I, 1re série. + +On a vu plus haut le mot de M. de Quatrefages qui voit dans le sentiment +religieux le signe distinctif de l’homme. A ce même point de vue, on +pourrait définir l’homme un animal qui croit au surnaturel. + +Un éminent prédicateur disait, il y a quelques années: «Nous nous +plaçons en face de l’univers, non pas avec l’humilité qui devrait +courber toutes les têtes, si nous réfléchissions à son immensité, à son +organisation sublime et à notre petitesse. Nous nous plaçons en face de +l’univers arrogamment, superbement, et nous en abordons l’étude avec la +prétention de tout expliquer.» + +Nous sommons Dieu de rendre ses comptes; il devrait nous suffire de +contempler son œuvre. + +Si Dieu était accessible à nos sentiments humains, on pourrait dire +qu’il se venge en nous faisant déraisonner. + +Comme le fait observer Bossuet, «les absurdités où tombent les +détracteurs de la religion deviennent plus incompréhensibles que les +vérités dont la hauteur nous étonne, et pour ne vouloir pas croire des +mystères incompréhensibles, ils suivent l’une après l’autre +d’incompréhensibles erreurs.» + +Avez-vous lu, dans _Tristesses et Sourires_ de Gustave Droz, ces paroles +de la douairière à son vieux voltairien d’ami Férou? + +«Vous ne voulez plus de culte, de religion, et vous passez votre vie à +dire la messe devant des principes plus incompréhensibles cent fois que +les dogmes les plus mystérieux! Vous adorez les vessies, vous sanctifiez +les lanternes, vous encensez les girouettes, tout vous est bon pour +pontifier. O Férou, comme votre athéisme me rend religieuse! Comme +j’aime Dieu, depuis que vous le niez! Comme je deviens croyante en face +de votre incrédulité savante!» + +Je comprends d’autant mieux la douairière que le spectacle de la coterie +maçonnique, ou sont venues se concréter toutes les doctes âneries des +ennemis du mystère, a certainement beaucoup servi à me rejeter vers les +croyances catholiques. + +C’est contre sa métaphysique, assez semblable, d’ailleurs, à l’habit +d’Arlequin, car elle se compose de tous les rebuts philosophiques du +passé, qu’il faut retourner aujourd’hui ce mot du grand ironiste du +siècle dernier: + +«La métaphysique, c’est lorsque ceux qui écoutent n’y entendent rien, et +lorsque celui qui parle ne se comprend pas lui-même.» + +Les mystères en religion correspondent à l’instinct religieux qui est +dans notre nature. Nous ne voudrions pas d’un Dieu sans mystères. Le +monde lui-même sans mystères nous paraîtrait bien fade et bien monotone. +C’est pourquoi il n’y a rien de plus universel parmi les hommes que la +croyance au surnaturel. Et l’on peut ajouter, avec M. Guizot, qu’il n’y +a rien de plus naturel. + + + + +VII + +LE PÉCHÉ ORIGINEL ET LA PRESCIENCE DIVINE + + +Quand ma raison, commençant à mieux se rendre compte du système du +monde, fut arrivée à cette idée que ses mystères n’étaient peut-être pas +aussi déraisonnables qu’ils le semblaient, mon bon sens me dit qu’en +tous cas, comme ils étaient plus forts que nous, leur existence ne +pouvant être niée, le plus sage était de les prendre tels qu’ils sont et +de tâcher de s’accommoder avec eux. + +Nous acceptons bien, puisque nos sens ne nous permettent pas d’en +douter, qu’un grain de blé mis dans la terre produit un épi et qu’un +chêne est le produit d’un gland. + +Or, la tradition, qui est l’œil des siècles précédents, nous apprend que +le genre humain vient d’un premier homme et d’une première femme créés +incompréhensiblement par l’Être incompréhensible que nous appelons Dieu. + +Là-dessus, la science proteste. Comme il est impossible de prouver la +chose mathématiquement, elle la nie. Il est vrai qu’elle est, de son +côté, impuissante à prouver le contraire--également impuissante à +trouver une autre solution quelque peu acceptable. + +On l’a entendue parler dans le socle de la statue de Raspail. + +On a entendu aussi Férou chantant la messe devant l’Évolution. + +Si le bon sens populaire comprend encore moins ces histoires que celles +de la Bible, qui pourrait bien s’en étonner? + +Mais, s’il faut s’incliner devant le mystère de notre origine, celui du +péché originel rapproché de la prescience divine me parut longtemps +d’une gravité exceptionnelle. Outre qu’il n’est pas juste de faire +porter aux enfants la faute de leurs parents, il me paraissait fort +singulier que Dieu, dominant l’avenir, prévoyant, par conséquent, le +péché d’Adam et d’Ève, n’eût pas agi, dans sa souveraine bonté, de façon +à nous épargner cette fâcheuse éventualité. Il y a donc contradiction +dans les idées qu’on se fait de Dieu. Si sa bonté n’est pas en défaut, +c’est sa prescience. Il est méchant ou aveugle. Et cela me paraissait un +dilemme d’où Jéhovah ne pouvait pas sortir. + +Peu à peu j’ai raisonné différemment. Allant du connu à l’inconnu, et ne +pouvant mettre en doute l’existence de Dieu, pas plus que l’existence du +mal et de la douleur en ce pauvre monde, j’ai cherché dans l’étude de la +nature humaine une explication de ce mystère du gouvernement divin, et +j’ai trouvé là des lumières qui, si elles n’ont pas dissipé pour moi +toutes les ténèbres, ont au moins changé l’aspect de la question et +m’ont appris à la considérer avec plus de réserve. + +L’essence de l’homme n’est-ce pas la volonté libre, sans laquelle il n’y +a ni mérite ni démérite, ni mal ni bien? Sans liberté d’action, que +devient l’être humain? Pourquoi et dans quel but aurait-il été mis sur +la terre? Autrement, autant vaudrait que la terre eût été peuplée +d’automates. Où serait la différence essentielle entre l’homme et les +animaux, si Dieu ne l’avait pas créé libre? La liberté admise, l’homme +est responsable de ses actes, et la punition du coupable--dont il est, +d’ailleurs, téméraire de déterminer la mesure--est la conséquence de la +justice divine qui n’exclut rien moins que la plus large miséricorde. Et +c’est précisément tout cela qui constitue la révélation chrétienne, et +c’est ainsi que la véritable philosophie peut se rencontrer avec la +Bible. + +Que si l’on ne veut voir dans la version biblique que l’expression +figurée de la sagesse antique pour expliquer la présence du mal et de la +douleur en ce monde, il faut convenir que, toute extraordinaire qu’elle +nous paraisse, on n’en a pas encore trouvé de plus acceptable. Le mal et +la douleur, en effet, sont là, et proclament plus haut que la Bible le +péché originel. On peut ne pas le comprendre--on ne le comprend +pas--mais on ne peut le nier, car il est sous nos yeux patent, +quotidien, puisqu’on voit tous les jours les enfants profiter ou pâtir +des vertus ou des fautes de leurs parents, puisque l’histoire n’est pas +autre chose que le tableau successif des peuples ou des générations, +récompensés ou punis, non seulement selon leurs propres mérites, mais +aussi selon les mérites de leurs prédécesseurs. + + + + +VIII + +L’ENFER + + +Ceci me conduit à la grosse question de l’Enfer. Et ici (pas plus +qu’ailleurs bien entendu), je ne prétends faire de la doctrine et en +savoir plus que les théologiens. Je veux simplement expliquer comment et +de quelle façon ce point des enseignements chrétiens, qui me choquait si +fort, est devenu pour moi explicable. + +Le feu! L’éternité des peines! Le cœur se révolte contre ces idées. + +Sur le second point, on peut remarquer que si l’éternité des peines est +inscrite en principe, elle peut en fait être annulée par le repentir +dont nul ne peut assigner la limite et par la relation mystérieuse entre +les vivants et les morts qu’établit la prière catholique. + +Sur le feu, les théologiens ne sont nullement d’accord, mais il est +évident que ce mot, qui répond à une souffrance physique, alors qu’il +s’agit de la punition des âmes, ne doit pas être pris au pied de la +lettre. Ce qui est de foi, c’est la punition et non le feu. L’enfer peut +n’être que le remords de n’avoir pas ouvert son âme à la vérité, de +n’avoir pas apprécié, durant la vie humaine, la sublimité des +révélations du Christ, le regret de nos fautes et la vue claire de leurs +conséquences et de notre honte. Voilà sans doute ce que pensent beaucoup +de théologiens, mais ce qu’ils ne se croient pas obligés de prêcher sur +les toits. Il y a sur ce sujet dans _L’Église et les temps présents_ de +Mgr Bougaud, un chapitre qu’on devrait faire lire à tous les jeunes +prédicateurs. Bien des gens sont incrédules parce qu’ils ne peuvent +concilier l’idée de l’enfer, telle qu’elle est trop généralement +présentée, avec celle de la bonté de Dieu. Ils accepteraient bien plus +aisément l’enfer tel que le conçoit l’éminent prélat. Au reste, la +question est fort délicate, et l’auteur en convient lui-même: «Je +n’insiste pas. Il y a ici un double écueil à éviter: ou d’atténuer +tellement les peines éternelles qu’elles n’effrayent plus les +consciences, ou de les exagérer de manière à révolter les âmes et à les +faire douter de l’enfer.» + +Le même ouvrage rectifie les préjugés trop répandus sur le petit nombre +des élus. Ces préjugés, accrédités par un discours de Massillon qu’on +aurait dû mettre à l’Index, sont le fait d’une opinion mal éclairée bien +plus que de l’Église. Le jansénisme a fait ici beaucoup de mal. Il y a +beaucoup plus d’élus qu’on ne croit, et Dieu est meilleur que des excès +de zèle ne le font entendre. «Nous pouvons espérer, dit le P. Faber, que +Dieu ne juge pas comme les hommes et que la grande majorité des +catholiques seront sauvés.» De ces paroles on peut rapprocher celle d’un +des regrettés collaborateurs de cette collection, qui, après avoir parlé +de l’enfer dans le même sens que nous, n’hésite pas, comme le P. Ventura +et tant d’autres, à ouvrir le ciel, même aux hérétiques, aux +schismatiques et aux païens qui ont été justes et de bonne foi[6]. + + [6] Voir le _Mal_, par l’abbé Constant, docteur en théologie. Bloud et + Barral (_collection Science et Religion_). + +Une autre conversation avec mon vieil aumônier me revient ici en +mémoire. Ce digne prêtre était revenu de ses longues campagnes très +frappé de la nécessité d’une forte discipline dans l’année. Sans doute, +disait-il, il y a bien des détails des règlements dont l’infraction +n’atteint pas la force de l’armée, mais si on se néglige, si on +raisonne, le relâchement dans l’ensemble est à craindre, et rien de plus +grave. De même, la discipline est nécessaire dans l’Église: pour les +dogmes comme pour la pratique courante. + +--Est-ce qu’il faut accepter le ciel et l’enfer comme on nous les +dépeint? lui dit quelqu’un. + +--Comment les dépeint-on? + +L’interlocuteur peignit un ciel ou l’on s’ennuyait et un enfer où l’on +rôtissait. + +--Il me semble, dit l’aumônier, que ceux qui précisent et matérialisent +ainsi la récompense ou la punition qui nous attendent dans l’autre vie, +sont bien hardis et ne méritent ni un brevet d’invention ni un +compliment sur l’originalité de leur esprit. Soyons plus humbles. Nous +savons que Dieu est juste et qu’il nous récompensera ou nous punira +mieux que nous ne pouvons l’imaginer. Mais n’allons pas plus loin, et, +en songeant que les peintures courantes ont répondu et peuvent encore +répondre à des nécessités sociales, sans être des articles de foi, ne +nous prononçons sur leur sujet qu’avec réserve. L’enfer est peut-être un +gendarme dont on a grossi les traits et la sévérité, mais songeons qu’en +le ramenant avant l’heure à des proportions plus humaines, nous risquons +d’encourager les maraudeurs. + +--Enfin qu’en pensez-vous? + +--Moi, j’en pense ce qu’il me plaît dans mon for intérieur, et, bien +convaincu de la bonté de Dieu autant que de sa justice, je pense avant +tout que chacun ferait bien d’imiter à cet égard la prudence de +l’Église. + + + + +IX + +LA RAISON ET LA FOI + + +Pendant longtemps j’ai considéré la raison comme un juge sans appel, +devant lequel il fallait toujours s’incliner, attendu que contester sa +compétence, c’était encore la reconnaître, puisqu’il n’y a pas moyen +sans elle d’argumenter contre elle. + +Et je croyais cet argument irréfutable. + +Plus tard, je réfléchis qu’il y avait plus d’une question préalable à +vider. + +Qu’est-ce d’abord que la raison? + +N’est-ce pas un mot sur lequel on a déraisonné beaucoup plus que de +raison? + +Est-ce une faculté aussi simple qu’on le dit? Est-ce une reine absolue, +et n’a-t-elle pas auprès d’elle des conseillers, sans lesquels elle ne +peut rendre, suivant les cas, de verdicts parfaitement valables? + +On enseigne aux élèves de philosophie que la raison est la faculté pour +notre esprit de voir au-delà de l’apparence des choses, de comparer, de +juger, en un mot de raisonner. On leur apprend, en outre, que c’est une +des trois facultés de l’âme; les deux autres sont la sensibilité et la +volonté. + +Nous sommes donc en présence d’une trinité psychique dont on a distingué +les membres pour les besoins de l’analyse, mais qui n’en constitue pas +moins un bloc indivisible. + +Pour moi, je pense que l’âme a son instinct comme le corps, pour la +prémunir de certains dangers que la raison ne saurait lui montrer, ou +pour lui faire apercevoir des vérités qui, autrement, lui resteraient +cachées. Cet instinct, qui procède de la sensibilité ou sentiment, est +en quelque sorte le prolongement de la raison, sa partie ailée, la plus +essentielle pour un certain ordre de connaissances. + +Quand il s’agit, par exemple, du grand problème de notre origine et de +nos destinées, vouloir que l’homme l’aborde avec la raison pure, la +froide raison, c’est vouloir qu’un soldat aille au combat à moitié +désarmé. C’est le priver de son arme la meilleure, car le sentiment qui +marque la direction à suivre, qui synthétise le but avant qu’on puisse +l’apercevoir, porte plus loin que la simple raison. Celle-ci peut lui +servir de modérateur, mais elle serait folle de ne pas user de sa flamme +et de sa lumière. + +C’est dans cet ordre d’idées que M. Ollé-Laprune dit: «Le vrai +philosophe pense avec son être tout entier. Il pense, en faisant +concourir à sa pensée et l’imagination et le sentiment, et d’une +certaine manière l’organisme même, car il pense en homme et humainement. +Il pense en s’appuyant sur le sol qui le porte, en demeurant en contact +avec l’humanité dont il fait partie, avec les vivants, avec les morts; +la pensée d’autrui, la pensée du genre humain, grâce à la parole, lui +sont présentes et entrent dans sa substance. Il pense enfin, attaché à +Dieu, principe, soutien, lumière, règle de toute pensée... Qu’on aille à +la recherche de la vérité avec une âme mutilée, c’est ce que je ne puis +comprendre...» + +Le rationalisme qui, en fait, est la négation brutale de toute religion, +est, en théorie, la prétention d’obliger la religion à donner la preuve +des vérités qu’elle enseigne. Il n’y a pas, dit-il, deux ordres de +connaissances: la science et la foi; les articles de foi ne sont pas +admissibles sans un certificat de la science. + +En quoi le temps et la réflexion m’ont fait voir qu’il commettait une +grosse erreur, en méconnaissant les droits du sentiment et en voulant +faire juger à la raison pure des questions qui ressortent du tribunal +tout entier. + + La Raison dans mes vers conduit l’homme à la Foi, + +dit Racine le fils, entendant évidemment par ce mot l’action combinée de +la raison pure et du sentiment. Les théologiens ne sont pas tout à fait +de son avis; ils pensent que la raison peut produire un état favorable à +la foi, mais qui doit être fécondé par la grâce. + +Qu’on le veuille ou non, l’âme est invinciblement portée à une synthèse +suprême, à une foi quelconque. Pour arriver à la meilleure, ce n’est pas +trop de toutes les facultés de l’esprit et du cœur. Il faut de plus, +croyons-nous, quelque humilité personnelle, ce qui se rapproche de la +thèse des théologiens; et le Moyen Age, ce siècle de soi-disant +obscurantisme, montrait plus de connaissance de la nature humaine que +les novateurs modernes, quand il disait: + + _Nulla ratio si non sit oratio_; + +il n’y a pas de raison sans oraison; ce qui signifie simplement que la +raison s’égare si elle ne reconnaît pas un principe supérieur et ne sait +pas s’humilier devant lui. L’oraison est aussi une sorte de retour sur +soi-même: _recogitatio_; en sorte que ce mot veut dire à la fois prière +et réflexion. + +La raison, telle qu’on la conçoit de nos jours, qui refuse de s’incliner +devant un Être supérieur, qui prétend se passer de lui et ose tenir pour +non avenues les traditions de foi des générations précédentes, est +exactement le contrepied de la haute raison d’autrefois qui priait et +réfléchissait. Elle n’est pas autre chose, en définitive, que la +déification du moi, et comme il n’y a rien de si dissemblable que le +moi, comme la raison pour chacun est sa propre raison et non pas celle +du voisin, on conçoit la confusion et le désordre qui doivent résulter +d’un pareil système. + +Les catholiques ne repoussent pas la raison, mais seulement son emploi +exclusif et surtout son rôle dominant dans la recherche de la vérité. +Ils disent que la religion vient de Dieu comme la foi, et qu’il n’y a +pas, qu’il ne peut pas y avoir entre elles de véritable désaccord. Ils +enseignent qu’il y a deux ordres de connaissances, qu’on arrive aux uns +par la raison, et aux autres par la foi. + +Ils font observer que les actes de foi sont la monnaie courante de +l’existence, et que les plus savants eux-mêmes sont obligés d’en faire +constamment, n’ayant ni le temps ni parfois la possibilité de vérifier +les conclusions qu’ils ont adoptées sur la foi d’autrui. En dehors des +physiciens, combien, par exemple, peuvent se rendre compte du nombre +incroyable de vibrations que représentent la chaleur, la lumière et +l’électricité? Et en dehors des astronomes, combien ont de sérieuses +raisons de croire que la terre tourne autour du soleil, et que l’univers +est peuplé d’une infinité de mondes, dont le nôtre peut à peine donner +une idée! Par suite de quoi, on a bien raison de dire que la science +exige encore plus d’actes de foi que la religion. + +Ici encore il nous faudrait insister sur la prodigieuse marque d’orgueil +que donnent ceux qui prétendent aujourd’hui, avec leur parcelle de +raison, ne pas avoir à tenir compte du majestueux ensemble des +traditions du passé. + +Celui-ci pourrait, en se plaçant sur leur propre terrain, répondre qu’il +a donné le plus bel exemple de l’exercice de la raison humaine: celui de +cette même raison sachant se brider elle-même, s’assujettissant +volontairement à certaines règles, dont elle a reconnu la justice et +l’utilité. + +Est-ce que la raison ne trouve pas partout, dans ses propres réflexions +comme dans le spectacle des faits, des motifs de se brider? + +Quelle est la plus raisonnable, de la raison qui ne veut reconnaître +aucune limite, aucune supériorité, aucune mesure, ou de celle qui, +convaincue par l’étude d’elle-même, par le sentiment de son impuissance, +par l’expérience de la vie, s’incline devant la majesté et la puissance +de l’inconnu, tient compte des traditions, accepte les mystères, subit +l’influence religieuse? + +Il est évident qu’une foule de choses sont au-dessus de notre +intelligence. + +Cependant nous sommes pressés de savoir, de connaître, de _relier_ le +visible à l’invisible, la matière à l’esprit. La foi est une nécessité +de notre esprit, un besoin de notre cœur. La foi, c’est la confiance en +Dieu, le repos dans un état d’esprit supérieur. C’est une sorte de vie +surnaturelle. + +La preuve en est dans le fait qu’elle a poussé spontanément partout où +il y a eu une société humaine. + +N’est-ce pas la plus haute raison que celle qui nous dit: Acceptez celle +des religions qui vous paraîtra la meilleure--qu’elle soit le produit +d’une révélation, ou seulement le produit de la sagesse et de +l’expérience des siècles? + +En examinant de plus près les deux facultés maîtresses de l’âme: la +raison et le sentiment, il me parut qu’elles correspondaient à deux +besoins également puissants: celui de raisonner et celui de croire. Ces +deux facultés se suppléent parfois l’une l’autre, mais il est rare +qu’aucune d’elles se laisse complètement étouffer. Le malheur est que +chacune a des partisans exclusifs. + +Quand la raison s’éveille et commence à se posséder, il est difficile +d’échapper à ses ivresses et à ses entraînements, et l’on est toujours +disposé à lui sacrifier la part de l’autre légitime maître du logis. +Plus tard, celui-ci se fait apprécier à son tour et reprend ses droits. +Les épreuves de ce bas monde, auxquelles personne n’échappe, donnent +naissance à des pensées et à des aspirations que la raison ne peut +satisfaire et provoquent une révolution morale dans laquelle le +sentiment religieux prend sa revanche et empiète même quelquefois sur le +domaine de la raison. Heureux ceux qui savent s’arrêter au point juste +et maintenir l’équilibre entre ces deux souverains de l’âme humaine! + + + + +X + +DEO IGNOTO + + +Qui que tu sois, Cause suprême, Être incompréhensible, écoute mon humble +prière. + +Je puis me tromper dans ma façon de te concevoir, mais c’est toujours ta +réalité divine que j’adore à travers les nuages dont tu as voulu +t’envelopper. + +Sois indulgent aux efforts que je fais pour me rapprocher de toi, au +moyen de l’intelligence que tu m’as donnée. + +Est-il vrai qu’outre les révélations qui jaillissent de la grandeur et +de la magnifique harmonie de l’univers, et de celles que nous trouvons +au fond de notre conscience, tu as voulu nous parler directement par une +bouche humaine? + +Est-il vrai que tu as daigné venir à nous, en la personne du Christ, +pour nous enseigner la pure doctrine de la charité, de l’abnégation, du +sacrifice, jusque-là ignorée de la pauvre humanité? + +Ma raison refuse encore de croire à cette manifestation extraordinaire +et ne veut voir dans le Christ que le plus grand des législateurs +humains. Toutefois, comme rien ne répond mieux que la vie et les +enseignements du Christ à l’idéal divin, elle se demande s’il est juste +de lui refuser les hommages que ce caractère nous impose. + +En supposant qu’il ne soit pas Dieu, pourrais-tu, grand Être inconnu, +trouver mauvais que nous l’adorions, puisque c’est toi que nous +adorerions en lui? + + + + +XI + +LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE + + +Voilà l’état d’âme dans lequel je suis resté bien longtemps avant +d’arriver à la foi chrétienne. + +J’avais beau me dire, avec Rousseau, que «l’Évangile a des caractères de +vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que +l’inventeur en serait plus étonnant que le héros», mon esprit ne pouvait +se décider à admettre tant de dogmes mystérieux, et notamment +l’Incarnation, trouvant qu’il y avait là un bien petit moyen pour un +Être aussi grand que Dieu. + +Il est vrai qu’après m’être efforcé de trouver mieux, je revenais +bredouille et passablement écœuré de mon voyage à travers les systèmes +qu’on a essayé de mettre à la place. Peut-être aussi la violence et la +mauvaise foi des attaques dirigées contre le christianisme, en me le +rendant plus sympathique, ont-elles contribué à diminuer la distance qui +me séparait de lui. + +L’histoire m’apprit qu’il avait été dans le passé calomnié au delà de +toute mesure, en même temps que le spectacle du temps présent me +montrait ses ennemis d’aujourd’hui aussi intolérants qu’ont pu l’être +les plus fougueux persécuteurs d’autrefois, outre que ce nouveau +fanatisme est infiniment plus bête que ne semblaient le comporter les +mœurs actuelles.--A preuve, la mesure du Franc-Maçon, ministre de la +marine, interdisant le deuil des navires le vendredi saint, sachant bien +que le moral de l’immense majorité des marins sera atteint par cette +blessure faite à leur sentiment religieux--de même, d’ailleurs, que +l’âme du pays tout entier est atteinte par la politique anti-religieuse +que nous subissons. + +Car la terre est un navire, et les marins qu’elle porte dans l’espace +ont encore plus que ceux de nos mers des motifs d’adorer le suprême +Inconnu et de chercher dans la foi des motifs de force et d’espérance, +en attendant qu’on ait trouvé ailleurs--si cela se peut en dehors du +christianisme--le mot de l’énigme, c’est-à-dire le secret de leur +origine et de leur destinée. Et ceux qui prétendent réprimer en eux ce +besoin naturel de respect et de foi, non seulement font preuve de +présomptueuse ignorance, mais encore commettent une mauvaise action, en +risquant de paralyser l’action du grand équipage de l’humanité et de lui +enlever la confiance nécessaire à sa difficile navigation. + +Un autre exploit de la Franc-Maçonnerie,--car c’est chez elle qu’il faut +toujours chercher le dernier mot des aberrations modernes, exploit +d’ailleurs particulièrement ridicule--a été de déshabiller la plus belle +des vertus chrétiennes pour lui mettre des habits de garçon en la +baptisant Altruisme. La Charité s’en est vengée, en continuant ses +miracles de bienfaisance, tandis que le malheureux altruisme attend +encore, au fond des loges, l’effet de cette mascarade réjouissante. + +Étudiant le christianisme plus à fond, je vis mieux tout ce qu’il +contient d’harmonie avec les lois de l’âme, de la société et de la +nature. Il n’y a rien en lui, comme dit de Maistre, qui n’ait ses +racines dans les dernières profondeurs du cœur humain. + +Les sacrements, dans lesquels je ne voyais jadis que des pratiques +superstitieuses, me frappèrent par leur intime connaissance de +notre nature. N’avons-nous pas vu, l’autre jour, un journal +protestant d’Allemagne, regretter que la Réforme ait aboli la +confession--rappelant, sans s’en douter, le mot de Lamennais, que la +confession a été créée pour empêcher le péché de pourrir au cœur de +l’homme? Et cette réforme serait probablement vite effectuée dans le +protestantisme, si elle n’en impliquait une autre que les pasteurs +n’accepteront jamais, c’est-à-dire le retour au célibat ecclésiastique, +attendu que la qualité de confesseur et celle d’homme marié sont +incompatibles. + +L’Eucharistie, le plus incompréhensible des mystères, non seulement +parle au cœur, mais laisse soupçonner sa compréhensibilité à chaque +découverte de la science, laquelle tend de plus en plus à formuler le +principe: Tout est dans tout. Si on connaissait bien à fond le mystère +d’une goutte d’eau, on connaîtrait celui de l’univers. + +Quand les savants disent que les ailes du cousin exécutent quinze mille +battements par seconde; qu’il faut trois millions d’atomes d’éther pour +faire une molécule qui n’a pas un millimètre de long; que ces atomes, +pour produire la chaleur et la lumière, font quatre cent trente +trillions d’ondulations par seconde; que les rayons Rœntgen donnent +jusqu’à deux quintilions de vibrations à la seconde et qu’il existe dans +les agents de la nature des vibrations encore plus nombreuses, etc., +etc., est-ce qu’ils ne présentent pas aux intelligences, même les plus +cultivées, des mystères non moins inconcevables que ceux de la religion +chrétienne? + +La prière chrétienne qui, je dois l’avouer, m’avait souvent ennuyé quand +j’étais jeune, et dont je n’avais pas saisi plus tard la profonde +philosophie, m’apparut comme un lest et une consolation; elle nous +retient dans le sentiment de notre petitesse et elle nous fait trouver +un charme dans la contemplation de l’idéal divin dont elle évoque la +présence et le secours. Il n’est pas besoin de formules pour la +véritable prière: il suffit d’élever son âme à Dieu; les plus courtes et +les plus simples sont les meilleures. La prière produit tous les jours +des miracles d’apaisement, de patience et de courage. Et comme ses +effets heureux apparaissent parfois avec la dernière évidence, les +rationalistes ont imaginé une explication ingénieuse: ce n’est pas +d’elle que viennent les résultats merveilleux qu’on ne peut nier, c’est +de l’_autosuggestion_. Une dame, à qui son médecin, disciple de Charcot, +faisait cette réflexion, lui disait finement le lendemain: Je vais bien +mieux aujourd’hui, m’étant très bien autosuggestionnée, grâce à Dieu! + +Ou trouve-t-on ailleurs que dans la doctrine chrétienne les +satisfactions que peuvent désirer une haute intelligence et un cœur +délicat? + +Et Montesquieu, n’a-t-il pas raison de dire: «La religion chrétienne, +qui ne semble avoir d’autre objet que la félicité de l’autre vie, fait +encore notre bonheur en celle-ci»? + +Plus j’ai vu, plus j’ai étudié, plus il m’a paru que tous les systèmes +soi-disant philosophiques ne faisaient que remplacer la révélation +chrétienne par des suppositions encore plus invraisemblables, +compliquant les problèmes au lieu de les résoudre, sans parler de leurs +effets déplorables sur la vie individuelle et sociale. + +Les Évangiles sont aussi remarquables par ce qui s’y trouve que par ce +qui ne s’y trouve pas. Que l’on veuille bien songer aux démentis que +l’expérience des temps et les découvertes de la science auraient pu +donner à une inspiration moins éclairée que celle du Christ. Or, sa +doctrine est inattaquable aujourd’hui comme il y a vingt siècles. De là +à la considérer comme divine, y a-t-il bien loin? + +Si les preuves historiques de la divinité du Christ me paraissaient +insuffisantes, les preuves morales m’éblouissaient. + +Les philosophes de nos jours insistent, comme ceux du siècle dernier, +sur les analogies que présente le christianisme avec d’autres religions +plus anciennes. Tous les dogmes chrétiens, la morale chrétienne +elle-même, se retrouveraient, suivant eux, dans les livres sacrés de +l’Égypte, de l’Inde et de la Chine. Jésus ne serait qu’un plagiaire de +Boudha ou de Confucius. + +Tout cela est faux ou exagéré. La révélation chrétienne n’exclut pas la +révélation naturelle qui parle à l’homme par sa raison et qui a trouvé +de beaux interprètes dans les philosophes anciens et dans les fondateurs +des vieilles religions, mais qui n’a pas dépassé les notions de justice, +de bonté et d’humanité, tandis que la révélation chrétienne s’est élevée +à une sublimité morale qu’on n’avait pas soupçonnée jusque-là: + +Par le précepte de rendre le bien pour le mal; + +Par le sacrifice; + +Par la promesse de miséricordes infinies; + +Par la fusion de l’âme humaine dans l’idéal divin, contenue dans +l’Eucharistie; + +Par un ensemble de sentiments et de doctrines, tellement au-dessus de +l’humanité, qu’ils faisaient dire à Lamartine: + + Oui, de quelque faux nom que l’avenir te nomme, + Nous te saluons Dieu, car tu n’es pas un homme. + L’homme n’eût pas trouvé dans notre infirmité + Le germe tout divin de l’immortatité, + La clarté dans la nuit, la vertu dans le vice, + Dans l’égoïsme étroit la soif du sacrifice, + Dans la lutte la paix, l’espoir dans la douleur, + Dans l’orgueil révolté l’humilité du cœur, + Dans la haine l’amour, le pardon dans l’offense, + Et dans le repentir la seconde innocence. + Notre encens à ce prix ne saurait s’égarer, + Et j’en crois des vertus qui se font adorer. + +Finalement, comment ne pas être frappé de l’œuvre accomplie par le +christianisme? + +Comme on reconnaît l’arbre à ses fruits, c’est à son action sur le monde +qu’on doit reconnaître la vraie religion. + +Et comme le christianisme seul a produit et produit tous les jours les +vertus que la voix unanime des consciences proclame supérieures à +l’humanité: l’humilité, la chasteté, le sacrifice; comme il a ainsi +renouvelé le monde et qu’il est impossible de nier son triomphe +historique qui est un miracle autrement grand que ceux des Évangiles, il +me parut qu’il n’était que juste et raisonnable de lui reconnaître un +caractère supérieur au pouvoir de l’humanité. + + + + +XII + +JÉSUS-CHRIST EST-IL DIEU? + + +Une pensée, déjà exprimée dans la prière _Deo ignoto_, devint bientôt, +chez moi, l’idée dominante. + +Si le Christ n’est pas Dieu, il est au moins dans la direction de Dieu. + +C’est Dieu qu’on adore en lui. + +On peut se tromper dans la forme; on ne se trompe pas dans le fond, dans +le but. + +En nous montrant Dieu en lui, notre raison, guidée par un sentiment +supérieur, ne se trompe pas. + +Lors même que le Christ ne serait pas Dieu, il serait encore sage, pour +ceux qui répugnent à cette hypothèse, de l’accepter comme tel. + +Qui de nous, en effet, est capable de se faire une idée de Dieu, de le +définir autrement que par la formule très haute, très vague, que c’est +l’idéal, le résumé de toutes les perfections et de toutes les +puissances, sans qu’aucune forme, aucune expression, puisse donner sa +mesure? + +Notre cerveau étant incapable de le comprendre autrement, pourquoi lui +refuserions-nous le droit de se montrer à nous sous une forme et dans +des conditions accessibles à nos sens et à notre intelligence? + +En ajoutant à cela que le Christ représente la vie la plus pure, la +morale la plus élevée, tout ce qui répond le mieux à l’idéal divin, il +me sembla que je réfutais très raisonnablement toutes les objections +tirées de l’invraisemblance d’un Dieu fait homme pour venir nous révéler +les plus sublimes vérités. + +J’ai été heureux de retrouver depuis, dans une conférence de M. +Brunetière, quelques traits du travail intime qui s’était opéré dans mon +esprit: «Il s’agit de savoir, dit l’éminent académicien, non pas si +Jésus-Christ est Dieu, car ce mot Dieu représente un idéal de puissance +et de perfection au-dessus de notre connaissance; mais de savoir si sa +morale et son œuvre sont divines, et par conséquent se rapprochent le +plus de ce que signifie pour nous l’idéal divin. Cela admis, qu’on +l’appelle fils de Dieu, envoyé de Dieu, ou même grand homme inspiré de +Dieu, il me semble qu’il y a là une question de logomachie plutôt qu’une +question de fond. Ne pouvant juger des choses divines que par les +lumières que nous donnent nos sens, ou notre raison servie et aussi +desservie par les sens, ne pouvant juger des choses de l’en haut que +comme les poissons, par exemple, pourraient juger des choses humaines, +il nous semble que ce mot de fils de Dieu--et par suite la question +vitale du christianisme, l’Incarnation--n’est pas de nature à rebuter un +vrai philosophe...» + +Cette question de l’Incarnation me rappelle une conversation avec +l’illustre traducteur d’Aristote, M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui +m’honorait de son amitié, et avec qui j’ai fait plus d’une excursion +métaphysique dans les dernières années de sa vie. + +La _Somme_ de saint Thomas d’Aquin et Platon, dont il faisait à +quatre-vingt-dix ans une nouvelle édition, étaient alors ses deux +lectures de prédilection. Ce n’était pas un croyant, mais c’était le +plus honnête des penseurs libres. Son opinion sur le catholicisme est +tout entière dans ces quelques mots qu’il me disait trois ou quatre mois +avant sa mort: «J’admire les catholiques; je suis avec eux en tout, +excepté sur l’Incarnation.» Je lui exposai les raisons qui pouvaient +faire accepter l’Incarnation par un philosophe, raisons qu’il écouta +attentivement et sans y répondre, comme s’il se réservait d’y réfléchir. +A mon retour du Midi, au mois de novembre, on me dit qu’il était mort la +veille; j’assistai à ses obsèques à l’église Saint-Honoré d’Eylau, et +j’appris qu’il avait exprimé dans son testament le désir que son corps y +fût porté, «si M. le curé voulait bien le recevoir»; en quoi je vis +l’indice que ce grand et honnête esprit avait peut-être, depuis notre +conversation, fait un pas de plus vers le but auquel devait le conduire +un jour ou l’autre sa haute raison. + +En jugeant des autres par moi-même et en analysant mes sentiments de +l’époque où je n’admettais pas encore la divinité du Christ, je me +demande si beaucoup d’incroyants de bonne foi ne sont pas la dupe d’une +sorte d’illusion intellectuelle qui leur fait dire: «Je ne puis y +croire», alors qu’ils veulent dire simplement: «Je ne puis le +comprendre». + +Si, avec cela, disait mon vieil aumônier, comprenant la grandeur et la +beauté de la religion chrétienne, ils sont véritablement animés du désir +d’y croire, c’est qu’ils ont la foi sans le savoir; Dieu ne leur en +demande pas davantage. Et de là aussi cette parole si profonde que +l’Église adresse aux cœurs anxieux: On croit quand on veut croire! + +Et voilà par quelle série d’impressions, de raisonnements et +d’aspirations au mieux, après une foule de déceptions et de mécomptes +dans la forêt du doute et de l’incrédulité, j’en suis venu à penser que +le plus sage était encore d’accepter la révélation chrétienne comme +étant la solution la plus rationnelle des mystères du monde et la plus +haute philosophie qu’aient entendue les oreilles humaines. + + +FIN + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + + Au lecteur 5 + I.--Le premier des mobiles anti-chrétiens 9 + II.--L’idée de Dieu 12 + III.--Nécessité d’une religion et d’un culte 17 + IV.--L’Église et les philosophes 23 + V.--L’orgueil 26 + VI.--Les mystères 30 + VII.--Le péché originel et la prescience divine 35 + VIII.--L’enfer 38 + IX.--La Raison et la Foi 42 + X.--Deo ignoto 48 + XI.--La révélation chrétienne 50 + XII.--Jésus-Christ est-il Dieu? 56 + + +FIN DE LA TABLE + + + + +SAINT-AMAND (CHER).--IMPRIMERIE BUSSIÈRE + + + + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75581 *** diff --git a/75581-h/75581-h.htm b/75581-h/75581-h.htm new file mode 100644 index 0000000..51883a6 --- /dev/null +++ b/75581-h/75581-h.htm @@ -0,0 +1,1996 @@ +<!DOCTYPE html> +<html lang="fr"> +<head> + <meta charset="UTF-8"> + <title>Comment je suis arrivé à croire | Project Gutenberg</title> + <link rel="icon" href="images/cover.jpg" type="image/x-cover"> + <style> + +p { text-align: justify; line-height: 1.2em; text-indent: 1.5em; + margin: .3em 0;} +p.noindent { text-indent: 0; } + +h1 { text-align: center; line-height: 1.5em; margin: 1em 0; } +h2 { text-align: center; line-height: 1.5em; margin: 4em 0 2em 0; } + +div.c, p.c { text-align: center; line-height: 1.5em; text-indent: 0; + margin: 1em 0; } + +.large { font-size: 130%; } +.xlarge {font-size: 150%; } +.small { font-size: 90%; } +.xsmall, small { font-size: 80%; letter-spacing: .05em; } + +.b { font-weight: bold; } +.i { font-style: italic; } +.i i, .i em { font-style: normal; } +.g { letter-spacing: .1em; } + +.sc { font-variant: small-caps; } +.ssf { font-family: sans-serif; } + +.poetry { text-align: left; margin: 1em 0 1em 5%; } +.verse { padding-left: 3em; text-indent: -3em; } + +.sign { margin: 1em 5% 1em 20%; text-align: right; } + +hr { width: 20%; margin: 1em 40%; } + +sup { font-size: smaller; vertical-align: 30%; line-height: 1em; } + +li { list-style: none; text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; } + +div.flex { display: flex; justify-content: center; } +table { margin: 1em auto; } +td { vertical-align: top; } +td.bot { vertical-align: bottom; padding-left: 1em; } +td.c div { text-align: center; } +td.r div { text-align: right; } +td.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: left; } + +a { text-decoration: none; } + +.fnanchor { font-size: 80%; vertical-align: 0.35em; padding: 0 .15em; + text-decoration: none; font-style: normal; line-height: 1em; +} +.footnote { margin: 1em 0 1em 30%; font-size: 90%; } +.footnote .label { } +.footnote + .footnote { margin-top: -.5em; } + +div.gap, p.gap { margin-top: 2.5em; } +.break, .chapter { margin-top: 4em; } + +img { max-width: 100%; } + +@media screen { + body { max-width: 40em; width: 80%; margin: 0 auto; } + img { max-height: 700px; } +} + +.x-ebookmaker .break, .x-ebookmaker .chapter { page-break-before: always; } +.top2em { padding-top: 2em; } +.top4em { padding-top: 4em; } +.nobreak { page-break-before: avoid; } + + </style> +</head> +<body> +<div style='text-align:center'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75581 ***</div> +<div class="x-ebookmaker-drop c"><img src="images/cover.jpg" alt=""></div> +<div class="x-ebookmaker-drop break"></div> +<p class="c top2em"><span class="g small">SCIENCE ET RELIGION</span><br> +<span class="b small">Études pour le temps présent</span></p> + +<h1 class="ssf">Comment je suis arrivé à croire</h1> + +<p class="c">CONFESSION D’UN INCROYANT</p> + +<p class="c"><span class="xsmall">PAR LE</span><br> +Dr FRANCUS</p> + + +<p class="c gap">PARIS<br> +<span class="large">LIBRAIRIE B. BLOUD</span><br> +4, <span class="xsmall">RUE MADAME ET RUE DE RENNES</span>, 59</p> + +<p class="c"><span class="small">1901</span><br> +<span class="xsmall">Tous droits réservés.</span></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak i" id="c0">AU LECTEUR</h2> + + +<p class="i">Ceci n’est pas un traité philosophique ou religieux, +mais simplement le résumé de Notes de +conscience intime laissées par un homme qui, après +avoir été libre penseur, à la façon dont on entend +ce mot, c’est-à-dire hostile à toute idée religieuse, +s’est retrouvé, dans la suite des temps, par l’effet +de la réflexion et de l’expérience, ramené à des +conceptions différentes sur Dieu, sur l’univers, sur +la nature humaine et sur la religion chrétienne.</p> + +<p class="i">L’auteur, mort récemment, a été, même pendant +les aveuglements de sa jeunesse, un curieux observateur +du monde et de lui-même. Le fond de +son caractère était une complète indépendance +d’esprit, une franchise sans limites, et un mépris +absolu du qu’en dira-t-on ? Mais, après avoir eu +toutes les hardiesses de l’esprit, il avait compris +qu’il fallait les tempérer par cette sorte de raison +pratique qu’on appelle le bon sens. Par suite de +quoi, il préférait les simples aux philosophes, non +pas aux vrais, qui sont rares, mais aux faux dont +la société est pleine, prisant fort peu notamment +ceux d’outre-Rhin et leurs imitateurs de ce côté des +Vosges, les uns et les autres lui apparaissant pour +la plupart comme de parfaits pédants. Il causait +plus volontiers avec un paysan qu’avec un lettré, +trouvant plus de droiture naturelle dans les âmes +incultes, et persuadé qu’à défaut de science acquise, +c’est là qu’on trouve mieux cette science infuse, +qui, pareille à l’instinct des animaux, leur +découvre, même dans l’ordre métaphysique, des +vérités qui restent cachées à la science orgueilleuse. +Il avait cru longtemps à la bonté native de +l’homme, mais il avait dû en rabattre, non seulement +à cause des tristes résultats historiques de +cette théorie, mais encore parce que l’observation +lui avait démontré l’action profonde des climats, +des circonstances et de l’atavisme, le tout, +d’ailleurs, modifiable sous l’influence religieuse. +Il ne séparait pas l’honnêteté de la vie de la rectitude +de la pensée et croyait que toute lacune dans +l’une avait nécessairement son contre-coup dans +l’autre. Il avait en horreur les politiciens et les +esprits forts et ne voyait guère dans ces derniers +qu’une forme spéciale de débilité intellectuelle. Il +se défiait particulièrement des suggestions que +peuvent nous fournir l’amour propre ou la vanité, +et disait que si la réserve et l’humilité pouvaient +être mises en potion, c’est celle dont nous aurions +tous le plus besoin de faire usage.</p> + +<p class="i">Il passait, parmi ses amis et connaissances, +pour être plus songeur que savant, mais il y avait +unanimité pour dire de lui : C’est un brave +homme et un homme de bon sens ; et c’était l’éloge +dont il était le plus fier intérieurement, car autrement +personne n’avait une plus modeste opinion +de soi-même. Dans sa conversation comme dans +ses écrits, il dédaignait les arguties et croyait être +dans l’esprit du génie français comme dans celui +de la langue française, en n’admettant que des +idées claires confinant à des solutions pratiques.</p> + +<p class="i">Ces notes sont une sorte de récit de voyage à +travers la forêt du doute, voyage qui a duré plus +d’un quart de siècle, et au bout duquel il s’était +convaincu que la religion chrétienne n’a pas de +plus grand ennemi que l’ignorance ou des préjugés +faciles à dissiper par un examen approfondi et +de bonne foi ; que, plus on étudie ses dogmes et sa +doctrine, plus on y trouve de sagesse et de raison ; +enfin que sa pratique elle-même est infiniment +plus aisée qu’on ne pense, et que là seulement se +trouve le repos d’âme auquel chacun de nous aspire +invinciblement. Et, comme il y avait trouvé +ce repos, il nous a semblé que la lecture de ces +notes pouvait présenter un véritable intérêt, ou +même servir de guide, aux voyageurs de l’heure +présente égarés dans les parages difficiles où il a +si longtemps erré. C’est pourquoi…</p> + +<p class="i">Nous lui laissons la parole.</p> + +<p class="sign">Docteur <span class="sc">Francus</span>.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<p class="c"><span class="xlarge">COMMENT JE SUIS ARRIVÉ A CROIRE</span><br> +CONFESSION D’UN INCROYANT</p> + + + + +<h2 class="nobreak" id="c1">I<br> +<span class="small">LE PREMIER DES MOBILES ANTI-CHRÉTIENS</span></h2> + + +<p>En cherchant dans mes souvenirs la plus lointaine +histoire de ma métaphysique, je trouve qu’elle a +débuté par une foi simple et naïve à l’enseignement +religieux que je recevais. Et je pense qu’il en a été +pour tout le monde à peu près de même. La nature +étant pleine de mystères dont l’existence s’impose, +l’acceptation des dogmes traditionnels, qui en donnent +l’explication, est beaucoup plus naturelle chez +l’enfant que leur négation, car il faut à l’esprit quelque +temps et quelque étude avant qu’il songe à les +discuter.</p> + +<p>Les avais-je bien examinés quand je me suis déclaré +libre penseur ? Étais-je bien capable d’abord +de faire cet examen ? Cela me paraît aujourd’hui plus +que douteux. Le fait est que je les rejetai, agissant +en cela comme le plus grand nombre, sous une influence +qui n’était pas celle de l’esprit.</p> + +<p>Quand on songe aux services qu’a rendus le christianisme +à la pauvre humanité, la première pensée +est de dire de lui ce qu’on a dit de Dieu lui-même +que, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. Et cependant +il y a, il y a eu et il y aura probablement +toujours dans certaines têtes une sorte de rage contre +lui.</p> + +<p>Pourquoi cela ? La cause est facile à trouver. Elle +est dans l’obligation qu’il impose à l’homme de réfréner +ses passions. C’est pourquoi l’homme vicieux +est naturellement son ennemi comme le malfaiteur +est l’ennemi du gendarme.</p> + +<p>De même, le jeune homme, une fois émancipé, devient +facilement, s’il n’a pas reçu une éducation solide, +l’ennemi de la religion. Il est dominé par les sens, +quand il ne l’est pas par des principes supérieurs. +Il peut en être quelquefois autrement, mais c’est +l’exception. Quant à moi, j’avoue très humblement +qu’une des raisons qui me firent éloigner de la religion +de mon enfance et chercher les moyens de lui +substituer un simple déisme, c’est que je la trouvai +gênante. On ne peut pas, si on accepte sa règle, se +livrer à ses passions, et l’on sait à quelles passions +violentes la jeunesse est en butte.</p> + +<p>L’histoire m’a montré, depuis, dans cette même +cause, le gros secret — qui n’en est pas un — des +succès du protestantisme : demandez à Luther, à +Henri VIII d’Angleterre et à toute la bande de +moines défroqués dont le premier soin fut, sortis de +leurs couvents, de chercher femme.</p> + +<p>Sommes-nous meilleurs aujourd’hui ? L’influence +de la chair sur l’esprit est-elle moindre en notre +siècle de lumières ? « Ce qui est en conflit avec l’esprit +chrétien, dit un économiste, c’est moins encore +la science nouvelle et l’esprit moderne avec ses confuses +aspirations, que les vieux instincts païens, les +concupiscences de la chair et l’orgueil de la vie débridés +par les siècles. L’idolâtrie de la nature, l’idolâtrie +de l’homme érigé en Dieu : tel est le nouveau +culte auquel semble revenir notre civilisation occidentale<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>. »</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> <span class="sc">Leroy-Beaulieu</span>, <i>Revue des Deux-Mondes</i>, 1891, +p. 812.</p> +</div> +<p>Les Francs-Maçons, dans lesquels on peut voir, +d’ailleurs, une branche, ou plutôt une excroissance +toute naturelle du protestantisme, ne cachent pas, +dans leurs convents, leurs principes de morale intime. +Pour eux, la morale catholique n’est qu’un mentor +revêche et grognon qui refuse aux pauvres humains +toute espèce de satisfactions. Pour se rendre la vie +supportable, ils font de la nature leur directeur de +conscience. Foin de la continence et de toute espèce +de privations ! Ils veulent qu’on laisse aux passions +leur cours naturel, limité seulement par l’intérêt +bien entendu. Voilà la morale à laquelle l’excellent +docteur Blatin, un célèbre Maçon d’Auvergne, +faisait allusion récemment, quand il disait que les +Maçons trouvent licites bien des choses que les catholiques +trouvent illicites, et réciproquement<a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Convent maçonnique de 1895.</p> +</div> +<p>La sensualité et l’orgueil : voilà les deux grands +ennemis du christianisme. En confessant l’influence +du premier, je ne peux guère offusquer que les +hypocrites. Nous retrouverons trop tôt l’influence +du second.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c2">II<br> +<span class="small">L’IDÉE DE DIEU</span></h2> + + +<p>Après les passions, qui, d’ailleurs, s’effaçaient soigneusement +derrière des motifs plus avouables, le +sentiment qui me paraît avoir joué le rôle le plus +important dans cette première évolution de mes +idées, est un mélange d’orgueil juvénile et d’esprit +de révolte contre toute autorité : deux penchants +innés dans l’homme, qui ne sont peut-être pas absolument +condamnables en eux-mêmes et qui ont leur +bon et leur mauvais côté, mais qui ont singulièrement +besoin d’un guide ou d’un modérateur.</p> + +<p>Notre égoïsme naturel fait de nous-même le centre +de l’univers. Notre raison superbe veut que tout +lui soit soumis. Nous voulons tout pénétrer. Nous +croyons tout savoir, et ce n’est qu’à la longue, à +force d’étude — ceux qui étudient — après beaucoup +de déceptions — ce qui ne manque à personne — qu’on +finit par s’apercevoir qu’on ne sait rien ou +pas grand chose. Quelques-uns alors se demandent +si ces traditions, ces dogmes, ces mystères, contre +lesquels s’était insurgée leur intelligence, ne cachent +pas un sens profond. Ce sont les plus philosophes +qui en arrivent là. Les esprits bornés se buttent +dans leurs négations, impuissants à en saisir davantage, +se croyant cependant plus forts que les autres, +tandis qu’ils font simplement preuve de leur ignorance +de la nature humaine et des enseignements de +l’histoire.</p> + +<p>Avant d’arriver à ce tournant psychologique, +j’étais anti-chrétien, mais non pas athée.</p> + +<p><i lang="la" xml:lang="la">Ab Jove principium.</i> En rencontrant Dieu sur son +chemin, ma libre pensée ne l’avait méconnu qu’à +demi.</p> + +<p>Dans tout sujet d’étude, un esprit méthodique +cherche, pour élucider la question, à l’envisager +d’ensemble, à la résumer, à la synthétiser. Et c’est +ainsi que j’avais admis d’abord Dieu comme l’incarnation +des mystères du monde, le grand X qu’il appartient +à chacun de déchiffrer selon les ressources +de son intelligence. Il m’a toujours semblé que le véritable +athéisme était un non sens, une impossibilité, +s’appliquant à l’une ou l’autre des formes sous lesquelles +notre esprit cherche à se représenter Dieu, +et que l’idée même de Dieu était bien au-dessus +de tout cela, puisqu’il est : en fait, le mystère lui-même +qui se manifeste partout, et en esprit le résumé +et la perfection de nos conceptions les plus +idéales.</p> + +<p>Les Francs-Maçons du Grand Orient ont récemment +supprimé le Grand Architecte de l’Univers, ce +qui était leur façon de nommer Dieu, et chacun +sait que cela n’a donné, ni en France ni à l’étranger, +une haute idée de leur esprit. Aux objections venues +d’Angleterre et d’Amérique, ils ont répondu qu’ils +avaient supprimé Dieu pour ne pas blesser les +athées qui ne le comprennent pas. Mais, dans ce +cas, que de suppressions à faire ! Est-ce que nous +comprenons mieux la chaleur, l’électricité, la lumière, +la pesanteur, que les athées ne comprennent +Dieu ? — Ce sont des faits, dira-t-on, qui sont l’indice +de forces inconnues. Puisqu’on ne refuse pas un +nom à ces forces inconnues, n’y a-t-il pas quelque +puérilité à proscrire le nom qui, au point de vue +philosophique, est la synthèse de toutes les grandeurs +et de toutes les forces inconnues ?</p> + +<p>L’athéisme est une conclusion qui témoigne d’une +véritable lacune morale et intellectuelle. Est-ce que +personne a jamais soutenu qu’une montre pouvait +exister sans un ouvrier ? Or, le monde est un immense +objet d’art, plein d’obscurités sans doute, +mais où éclatent, d’autre part, une harmonie et un +ordre admirables, et plus difficile à construire certainement +qu’une montre. Si l’on est en droit de +taxer d’aveuglement et de folie celui qui dirait +qu’une montre s’est fabriquée toute seule, à plus +forte raison celui qui dirait la même chose du monde.</p> + +<p>Il y a donc un ouvrier. Nous l’appelons Dieu. On +peut lui donner un autre nom, mais le fond reste le +même, c’est-à-dire que la montre est toujours là, +témoignant par son existence de celle de l’ouvrier.</p> + +<p>Nous ne le comprenons pas sans doute, mais quoi +d’étonnant, étant donnée l’infinité de sa grandeur et +de notre petitesse ! Est-ce une raison pour nier son +existence, surtout quand, à chaque détour du chemin, +cette redoutable entité métaphysique se dresse +en face de la pauvre humanité, lui posant chaque +fois des questions insolubles en dehors de l’idée divine ? +Au reste, en y regardant bien, n’est pas athée +qui veut ; la preuve, c’est qu’il ne faut pas presser +longtemps un athée pour l’amener à émettre une +idée ou un nom : Nature, Hasard, Destin ou Force des +choses, qui soit en contradiction avec son prétendu +athéisme, puisqu’il répond, avec plus ou moins de +circonlocutions, à l’idée fondamentale que les autres +se font de Dieu.</p> + +<p>Les panthéistes qui ne veulent pas admettre un +Dieu personnel et distinct de la matière et qui soutiennent +que le monde a existé de toute éternité, me +paraissent agrandir et compliquer le problème plutôt +que le résoudre. Outre que le simple bon sens repousse +leur système, on peut se demander si nous +sommes plus avancés aujourd’hui que du temps de +Gœthe qui disait à Eckermann : « Je n’ai pas encore +rencontré une personne qui sache ce que le mot panthéisme +signifie. »</p> + +<p>De quelques distinctions et analyses subtiles +qu’usent les philosophes, l’esprit humain, poussé par +une curiosité invincible à remonter d’une cause à +l’autre, ne peut être satisfait que lorsqu’il doit s’incliner +devant une cause suprême, qu’il ne comprend +pas sans doute, mais qui, sous son voile mystérieux, +répond à l’idée, innée en lui, qu’il n’y a pas d’effet +sans cause.</p> + +<p>Invisible à nos sens, Dieu est indispensable à +notre esprit, et la vie de l’âme ne se comprend pas +plus sans lui que celle de la terre sans le soleil.</p> + +<p>Les astronomes nous ont démontré que la terre +tournait à la fois sur elle-même, ce qui fait le jour et +la nuit, et autour du soleil, en lui présentant successivement +ses deux hémisphères, ce qui fait l’été et +l’hiver pour les diverses parties du monde.</p> + +<p>De même Dieu est le soleil intellectuel et moral autour +duquel tourne l’humanité. Notre esprit ne peut +pas plus le comprendre que nos yeux ne peuvent +fixer le soleil. Mais l’un et l’autre nous éblouissent +de leurs rayons, et il ne faut pas chercher bien longtemps +pour trouver les relations qui existent entre +les révolutions humaines et les éclipses partielles ou +passagères de l’idée divine sur notre planète.</p> + +<p>Et voilà pourquoi, au plus fort de ma libre pensée, +j’aurais trouvé puéril de nier Dieu.</p> + +<p>Le grand ennemi de Dieu dans ce pauvre monde +est indiqué dans la boutade d’un humouriste : Au +commencement du monde, Dieu créa l’homme à son +image ; mais l’homme lui a bien rendu la pareille.</p> + +<p>Il est certain que les plus sages n’échappent pas à +cet anthropomorphisme. Nous faisons toujours plus +ou moins Dieu semblable à nous-mêmes ; nous lui +prêtons trop facilement nos petites passions, nos petites +idées, et c’est en le trouvant ainsi défiguré que +les gens de petite cervelle croient pouvoir dire : Vous +voyez bien : Dieu ne peut pas être ainsi, donc Dieu +n’existe pas !</p> + +<p>Rien n’est plus naturel après tout que l’anthropomorphisme, +et je me demande comment on pouvait y +échapper, même après les sublimes visions de la Bible ; +mais il me semble que depuis l’Évangile il y a +quelque chose de changé.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c3">III<br> +<span class="small">NÉCESSITÉ D’UNE RELIGION ET D’UN CULTE</span></h2> + + +<p>Après avoir reconnu Dieu, il fallut quelque temps +à ma libre pensée pour comprendre que son existence +impliquait la nécessité d’une religion, par quoi +j’entends une façon pour l’homme de régler ses rapports +avec l’idéal divin.</p> + +<p>Je ne pouvais méconnaître aussi l’utilité sociale de +la religion. Les philosophes de tous les temps l’ont +reconnue, et l’expérience des siècles la confirme ; on +ne connaît pas de société humaine qui n’ait eu à sa +base une religion quelconque. Si l’on peut admettre +que l’individu, très éclairé et très moral déjà, puisse +trouver en lui assez de lumière et de force pour s’en +passer, il est évident qu’elle est nécessaire à la +masse ignorante et impressionnable. Son influence +pénètre aux régions du cœur inaccessibles aux lois +humaines. Elle crée l’ordre dans le monde moral +et constitue la loi des âmes. Hors d’elle, c’est le +chaos et l’anarchie. Elle est tellement dans la nécessité +des sociétés humaines qu’on ne détruit jamais +une religion que pour lui en substituer une autre, +de même qu’en politique on ne renverse jamais un +gouvernement que pour en mettre un autre à sa +place. Manquer de religion, c’est manquer d’un sens ; +c’est aussi manquer de justice, et Cicéron a justement +dit : <i lang="la" xml:lang="la">Pictas est justitia erga Deum.</i></p> + +<p>La religion est à l’immense majorité des hommes +ce que l’instinct est aux animaux. N’étant pas philosophe, +heureusement pour elle, la masse a reçu, infusée +dans son sang, toute la dose de métaphysique +nécessaire à son existence, laquelle se résume dans +le sentiment religieux, dans le besoin de croire en +Dieu et de se faire une loi morale. Et ce n’est pas +sans raison qu’un éminent physiologiste<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a> assigne +à l’homme la faculté religieuse comme son caractère +distinctif, le trait qui le sépare le mieux de l’animal. +Cette faculté est le fondement de la morale, car si la +morale ne descend pas de Dieu, si elle n’est qu’un +produit de la raison humaine, elle ne peut avoir +qu’une valeur relative et reste à la merci de sa créatrice. +C’est pourquoi, après avoir cru un certain +temps à ce qu’on a appelé la <i>morale indépendante</i>, +j’ai été amené avec le temps à n’y voir qu’une conception +absurde, ou tout au moins d’une application +extrêmement restreinte.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> M. de <span class="sc">Quatrefages</span>.</p> +</div> +<p>De même que la terre est liée au soleil par la force +centripète, il faut que la conscience humaine soit <i lang="la" xml:lang="la">religata</i> +à son soleil moral qui est Dieu. C’est par cette +attraction divine qu’elle peut contrebalancer la force +centrifuge, formée par sa mauvaise nature et par ses +passions, qui la conduiraient aux abîmes sans le providentiel +contrepoids de l’autre.</p> + +<p>Les fondateurs de la nouvelle école dite <i>positiviste</i> +veulent qu’on fasse abstraction de tout ce qui +est hors de la portée de notre esprit et qu’on renonce +à s’occuper de Dieu comme étant l’Inconnaissable. +Donc, pas de religion. Mais l’inanité de ce raisonnement +saute aux yeux. L’inconnaissable n’en reste +pas moins, malgré les plus belles théories, la force +attractive qui porte l’âme humaine vers un monde +supérieur — comme les animaux et les plantes vers +la lumière — sans parler des ténèbres, du vide et +du néant qu’elle rencontre en dehors de là. Elle est +donc invinciblement poussée à une religion quelconque.</p> + +<p>Je me suis souvent demandé s’il pouvait exister +une théologie capable de satisfaire à la fois une minorité +raisonneuse, plus ou moins savante, amoureuse +d’analyses à perte de vue, et la masse simple, +croyante et synthétique.</p> + +<p>Ne sommes-nous pas dans le monde comme les +voyageurs dans une diligence, où l’un craignant le +froid veut tout fermer, et l’autre craignant le chaud +veut tout ouvrir ?</p> + +<p>N’est-il pas raisonnable de faire des concessions à +ceux qui paraissent en avoir le plus besoin, et n’est-ce +pas à leur empressement à sacrifier leurs aises et +leurs convenances à ceux du prochain, que l’on reconnaît +les gens bien élevés et les meilleurs caractères ?</p> + +<p>Puisqu’il n’y a pas de théologie qui puisse satisfaire +tout le monde à la fois, n’est-ce pas aux plus +intelligents, ou se croyant tels, à se mettre au niveau +des autres, non pas en sacrifiant leurs opinions intimes +qui ne relèvent que de leur conscience, mais +en ne cherchant pas à imposer à la masse, dont l’esprit +est différent du leur, leur propre manière de +voir, sur des questions où, d’ailleurs, le plus savant +n’en sait pas davantage que le plus ignorant.</p> + +<p>Quelque supérieurs qu’ils puissent se croire au +commun des martyrs, ils ne peuvent ignorer qu’ils +sont sujets aussi à bien des erreurs, et un peu d’humilité +ne serait-elle pas la plus belle preuve d’intelligence +qu’ils pourraient donner ?</p> + +<p>En même temps qu’elle munissait chaque individu +de l’outil le plus nécessaire au travail de la vie, la +religion apprenait aux pasteurs des peuples le seul +moyen de bien garder leur troupeau. « Quand on +ignore, dit Jouffroy, la destinée humaine, on ignore +celle de la société, et quand on ignore la destinée de +la société, on ne peut l’organiser. La solution du +problème est donc une foi morale et religieuse. »</p> + +<p>Et le plus radical des radicaux de notre temps ne +disait-il pas récemment que la question sociale +n’existerait pas si le christianisme était pratiqué ?</p> + +<p>Je comprenais donc en principe la nécessité d’une +religion, et j’admirais son action sociale. Mais je +voulais qu’on s’en tînt à la religion naturelle. J’admettais, +comme les protestants <i>libéraux</i> de nos +jours, le Dieu intérieur, mais je rejetais comme pratiques +superstitieuses, indignes d’un esprit libre, +tout culte extérieur et public, et ce n’est que bien +longtemps après, surtout après m’être rendu compte +de l’attachement obstiné des masses populaires à +un culte public, que je compris les profondes racines +qu’il avait dans la nature humaine. Vouloir empêcher, +en effet, le sentiment religieux de se manifester +extérieurement et publiquement, n’est-ce pas comme +si on défendait à la pensée de s’exprimer en paroles +ou par écrit ?</p> + +<p>Les <i>intellectuels</i> qui prétendent que le christianisme +a fait son temps, ont-ils bien songé à ce qui +arriverait s’il venait, en effet, à disparaître, si « la +vieille chanson » cessait un moment de bercer les +misères humaines ? Accordons-leur qu’ils soient plus +intelligents que les autres. Ils ne nieront pas, en +tous cas, que leur état, à ce point de vue, n’est pas +celui du plus grand nombre. Pour un homme instruit, +un esprit cultivé, combien d’ignorants ! Et +même parmi les gens instruits et cultivés, que de +lacunes, que de défaillances, que d’incroyables erreurs +de jugement et même de sens commun !</p> + +<p>C’est étonnant, dit un personnage de comédie, +combien les gens d’esprit sont bêtes ! — Et encore, +lui répond son interlocuteur, c’est qu’ils ne veulent +pas le croire !</p> + +<p>Et parmi ce qu’on est convenu d’appeler l’élite +d’un pays, combien ont le goût des choses métaphysiques +et le temps d’en escalader les sommets ! Et +quand ils le font, n’est-ce pas la tour de Babel, qui +en est peut-être l’histoire légendaire ?</p> + +<p>Est-ce pour cette infime minorité, d’ailleurs impossible +à satisfaire, que le grand législateur devait +légiférer sans souci de la masse immense qui pense +et surtout sent autrement qu’eux ?</p> + +<p>En dehors, en effet, des philosophes ou simples +lettrés, de ceux qui savent penser et en ont le +temps, il y a des foules immenses de pauvres diables +en lutte avec les nécessités de la vie, qui ont à peine +le temps et la force de gagner leur pain quotidien. +<i lang="la" xml:lang="la">Primo vivere, deinde philosophare.</i> N’est-ce pas un +crime de les faire philosopher tandis que leur existence +n’est pas assurée ?</p> + +<p>« La religion, disait fort justement l’auteur d’un +petit opuscule publié vers 1840, la religion est le +canal nécessaire par lequel les idées d’ordre, de devoir, +d’humanité, de justice, coulent dans toutes les +classes des citoyens. Peu d’hommes ont les moyens +et le temps d’acquérir la science mais avec la religion +on peut être instruit sans être savant. C’est elle, +et elle seule, qui enseigne, qui révèle toutes les vérités +utiles et nécessaires aux hommes de toutes les +conditions<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a>. »</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> <span class="sc">Allignol</span>, <i>De l’état actuel du clergé en France</i>.</p> +</div> +<p>M. Barthélemy Saint-Hilaire a résumé d’un trait +la même idée en disant que « la religion est la philosophie +du peuple ». Et c’est une philosophie bien +supérieure à celle des philosophes, à laquelle aboutit, +pratiquement d’ailleurs, toute philosophie vraiment +digne de ce nom. Toutes les religions ont enseigné +aux hommes la vertu, le travail et la justice ; +la religion chrétienne a couronné ces enseignements +en leur apprenant la résignation et le sacrifice. +N’ont-elles pas ainsi mieux fait pour les classes déshéritées +que ceux qui les poussent à la révolte +contre des états de choses qui ne sont souvent que +les résultats inéluctables des lois de la nature ?</p> + +<p>La religion a fait tout le travail philosophique +nécessaire pour ceux qui en étaient incapables : elle +leur a donné la substance de la vérité ; elle leur a +épargné un temps infini et des erreurs sans nombre. +Elle leur a mis en mains un manuel de la vie pratique, +qui n’empêche en rien ceux qui ne le trouvent +pas suffisant de chercher ailleurs des lumières plus +complètes, s’il en existe, mais ne leur donne pas le +droit d’exiger que la religion soit faite exclusivement +à leur mesure.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c4">IV<br> +<span class="small">L’ÉGLISE ET LES PHILOSOPHES</span></h2> + + +<p>Une religion est donc nécessaire, et un culte extérieur +en est le corollaire indispensable.</p> + +<p>Quelle est la meilleure des religions ?</p> + +<p>Dès le début de ma libre pensée, je me suis trouvé +plein de préjugés contre la religion catholique, et +c’était là, surtout, je crois, un résultat de mes lectures +des soi-disant philosophes du <small>XVIII</small><sup>e</sup> siècle. +Voltaire et ses compères me paraissaient alors de +très puissants raisonneurs et je trouvais irréfutables +la plupart des mauvaises querelles qu’ils ont faites : +à la Bible, en y relevant des énormités et des contradictions +que je trouve aujourd’hui fort discutables ; +à l’Église, en lui imputant des crimes et des erreurs +dont elle n’est pas responsable ; à la religion catholique, +en la confondant sans cesse avec les abus que +la pauvre humanité peut en faire et n’en a que +trop souvent faits. Quelle fête pour l’orgueil et la +passion débordés, de pouvoir, devant ce déluge de +sarcasmes et d’attaques de tout genre, prendre en +pitié les générations passées, de croire que la nouvelle +philosophie avait pénétré les arcanes de l’histoire +et reconnu l’origine humaine de toutes les religions !</p> + +<p>Je n’ai compris que plus tard le peu de valeur de +ce genre de critique. Il m’a paru, en y réfléchissant, +que les voltairiens anciens et modernes étaient peut-être +un peu trop exigeants, en voulant que Dieu, occupé +à tracer aux Juifs des lois morales, s’interrompît +pour leur révéler aussi tous les secrets de la +nature, leur parlant un langage entièrement conforme +aux données, d’ailleurs si incertaines et si variables, +de la science, et qu’il leur fît, par exemple, une petite +dissertation astronomique pour remplacer l’image +de Josué arrêtant le soleil.</p> + +<p>On peut en dire autant des jours de la Genèse, +dans lesquels il convient de voir, non pas un traité +de cosmogonie, mais un aperçu substantiel très général +de la formation du monde, tel qu’il le fallait +aux Juifs du temps de Moïse — aperçu, du reste, où +il y a beaucoup plus à s’étonner des conformités avec +la science moderne qu’on peut y voir, que des contradictions +apparentes qu’on peut y découvrir.</p> + +<p>La preuve finalement de la fragilité des polémiques +voltairiennes se trouve dans le discrédit +où elles sont tombées. Combien en reste-t-il qu’un +vrai savant de nos jours oserait opposer à l’apologétique +chrétienne ?</p> + +<p>Ce n’est pas sans peine que j’appris à envisager +de haut les traditions juives et à lire ses révélations, +sans me laisser arrêter par des considérations ethniques +de temps et de lieu.</p> + +<p>Il est évident que, dans la Bible et même dans le +Nouveau Testament, il y a deux parties très distinctes : +l’une qui se rapporte à la vie légendaire du +peuple juif, et l’autre qui est un enseignement dogmatique +et moral, et qu’il n’est pas de bonne guerre +de les confondre — d’autant que, pour tout ce qui +concerne la morale, il n’y a pas sujet de doute, et +c’était l’essentiel.</p> + +<p>Pour tout le reste, on peut trouver que si l’inspirateur +des Livres Sacrés n’a pas toujours parlé avec +la précision de style d’un notaire ou d’un académicien, +c’est qu’il avait peut-être ses raisons pour cela. +Et l’une de ces raisons sans doute, c’est qu’il savait +qu’on aurait tout autant ergoté sur sa parole, lors +même qu’elle eût été plus claire, attendu qu’il est +dans notre nature de tout discuter.</p> + +<p>Des raisons plus hautes justifient Dieu du reproche +qu’on lui fait implicitement de n’avoir pas usé de +son omniscience pour parler aux Juifs, en d’autres +termes, de ne pas nous avoir révélé d’un coup tous +les secrets de l’univers. A-t-on réfléchi que par là il +aurait enlevé à l’humanité la plus délicate de ses +joies : celle de les découvrir successivement elle-même, +outre que nous aurions perdu tout mérite à +reconnaître sa grandeur et à lui rendre hommage, +puisque nous n’aurions pas eu la peine de chercher ? +Est-il nécessaire enfin de faire ressortir tout +ce qu’il y a de présomption enfantine à vouloir imposer +au grand Être des conditions qui bouleverseraient +le système du monde ?</p> + +<p>A l’obligation de parler plus clair, il faudrait +ajouter celle de donner à tous la même intelligence +et le même tempérament, si l’on voulait que les +mêmes paroles fussent comprises par tous de la +môme façon. D’une chose à l’autre, il faudrait tout +changer.</p> + +<p>C’est pourquoi les obscurités qui jadis m’offusquaient +dans ces antiques traditions, produisent aujourd’hui +sur moi un effet contraire, et, de même +que les nuages orageux sont ordinairement la source +de pluies bienfaisantes, je me demande si ce n’est +pas dans leur sein que se cachent les plus hautes +vérités.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c5">V<br> +<span class="small">L’ORGUEIL</span></h2> + + +<p>L’homme qui regarde attentivement au fond de son +âme finit toujours par reconnaître, au milieu des +monstres qui y grouillent, le serpent Python de Platon, +qui n’est autre que le Satan de l’Écriture, en +d’autres termes, l’orgueil, l’insatiable orgueil, qui +est le trait distinctif de la philosophie voltairienne et +de ses disciples modernes. Ils se croient, et beaucoup +en sont très naïvement convaincus, — et je ne +prétends pas avoir échappé à ce travers — ils se +croient de cent coudées supérieurs aux générations +précédentes ; ils ont la certitude d’avoir découvert +ce que celles-ci n’avaient pas même soupçonné. De +même que la liberté pour certains politiciens n’a +commencé qu’en 1789, la raison pour eux n’existe +réellement que depuis qu’ils l’ont fait connaître au +monde. Ils se figurent que, si leurs prédécesseurs +avaient su ce qu’ils savent eux-mêmes, s’ils avaient +connu par exemple la vapeur et l’électricité, ils auraient +été également sceptiques et que leur foi religieuse +a été simplement l’effet de leur ignorance.</p> + +<p>Les plus réfléchis, tout en subissant cette influence, +ont quelques retours. Pour ma part, je me suis bien +souvent demandé, même avant l’âge mûr, s’il ne +conviendrait pas d’être plus modeste, et dans mon +for intérieur je me déclarais à moi même qu’après +tout il n’était ni sage, ni équitable de considérer, +sous prétexte de progrès, tant de beaux génies disparus +comme des espèces d’imbéciles. Si Bossuet, +Leibnitz et tant d’autres grands hommes ont cru à la +divinité du Christ, c’est évidemment parce qu’ils +avaient trouvé à cela, bien que privés des inventions +modernes, des raisons à leurs yeux suffisantes et +bien au-dessus de celles que peuvent leur opposer +la physique et la chimie, et le fait seul de leur foi me +paraissait mériter autre chose que le dédain. Il est +clair qu’ils raisonnaient d’une autre façon que nous ; +mais je n’admettais pas que leur raisonnement valût +le nôtre. Songez donc à tout ce que nous avons appris +depuis un siècle, à toutes les conquêtes de +l’homme sur la matière, et à la légitime espérance +qu’il peut concevoir de devenir le roi de la planète +où Dieu l’a placé. Toutefois, il y avait là une masse +imposante de convictions qui me troublait.</p> + +<p>Ma vieille admiration pour la science moderne +s’est un peu modifiée depuis ; je l’admire toujours, +mais à la condition qu’elle se tienne à sa place et n’ait +pas la prétention de régenter la métaphysique où +elle ne peut juger que comme un sourd de musique +ou un aveugle de peinture.</p> + +<p>Je n’ai jamais trouvé bien sérieux les savants ou +prétendus tels qui ont proposé l’Évolution ou le +Panthéisme pour remplacer la Genèse. Quand Renan +dit que le monde s’est fait tout seul, et qu’il +écrit au chimiste Berthelot que « la molécule pourrait +bien être, comme toute chose, le fruit du +temps, le résultat d’un phénomène très prolongé, +d’une agglutination continuée pendant des milliards +de milliards de siècles », il est permis de penser +qu’il se moquait au fond de son correspondant +comme du bon public, et qu’il aurait trouvé infiniment +plus d’esprit à ceux qui auraient accueilli son +hypothèse par un éclat de rire, qu’à ceux qui l’auraient +saluée avec respect comme un trait de génie.</p> + +<p>Dans cette dernière catégorie, il faut évidemment +ranger les membres de l’ancien conseil municipal de +Paris qui ont fait placer sur le socle de la statue de +Raspail des inscriptions comme celles-ci : <i>Donnez-moi +une cellule animée de sa vitalité, et je vous +rendrai l’univers. A la Science ! Hors de la +Science tout n’est que folie ! A la Science, unique +religion de l’avenir !</i></p> + +<p>Au fond du mot de Raspail, il y a bien une idée +vraie, celle que Pascal avait déjà exprimée en disant +que « Nous ne savons le tout de rien ». Il appartenait +aux auteurs de l’inscription de le rendre grotesque +par le commentaire dont ils l’ont accompagné.</p> + +<p>Plus tard, le prestige scientifique de notre siècle +baissa singulièrement à mes yeux, quand je vis que +le progrès moral était loin d’accompagner le progrès +matériel, et je compris qu’on pût parler de la +faillite de la science.</p> + +<p>J’ai été frappé finalement en reconnaissant que +toutes les nouveautés métaphysiques, par lesquelles +on prétend remplacer la religion chrétienne, sont plus +ou moins contenues en germe ou explicitement dans +ce qu’on appelait autrefois des hérésies, en sorte +que nous ne faisons guère sur ce terrain que rebattre +des chemins parcourus et rajeunir des systèmes +dont la critique religieuse de nos pères, confirmée +par l’expérience des temps, avait déjà fait justice.</p> + +<p>Après avoir longtemps considéré la science et la +religion comme inconciliables, je me suis demandé +si leur antagonisme, dont on fait tant de bruit, est +bien réel et ne consiste pas souvent en ceci qu’on +fait dire à la religion ce qu’elle ne dit pas, et qu’on +fait rendre à la science des arrêts dont elle n’est rien +moins que sûre elle-même. Connaissez-vous un +Protée pareil à la science ? Elle dément un jour ce +qu’elle affirmait la veille. D’ailleurs, sur la raison +des choses, elle ne peut aller que d’une hypothèse à +l’autre. Plus on est savant, plus on doute. Peut-être +n’y a-t-il pas lieu par conséquent de tant se préoccuper +des rapports de la science et de la religion. +Ce sont deux terrains parfaitement distincts. La religion +n’est pas incompatible avec la science, elle la +domine. Elle la laisse faire, certaine d’avoir tôt ou +tard le dernier mot.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c6">VI<br> +<span class="small">LES MYSTÈRES</span></h2> + + +<p>Le premier mouvement de l’esprit est de s’insurger +contre le mystère. Comme il est un défi à notre +raison et que notre raison est très orgueilleuse, elle +cherche d’abord à le nier. Mais rien n’est plus opiniâtre +que le mystère. Il revient sous toutes les +formes comme pour nous narguer au logis, dans la +rue, en voyage, partout. Un commis-voyageur rationaliste, +à qui l’on venait de servir un œuf à la +coque, à une table d’hôte, et qui le dégustait en +niant tous les mystères, s’entendit interpeller par +un autre voyageur qui lui cria :</p> + +<p>— Vous en avez un dans votre assiette</p> + +<p>— Comment cela ?</p> + +<p>— Et oui, un œuf : d’où vient-il ?</p> + +<p>— D’une poule, parbleu.</p> + +<p>— Et la poule ?</p> + +<p>— D’un œuf.</p> + +<p>— Qui a commencé de l’œuf ou de la poule ?</p> + +<p>Notre homme, d’abord interloqué, finit par trouver +cette réponse :</p> + +<p>— Ni l’un ni l’autre : ce sont deux types éternels +symbolisés par le serpent égyptien qui se mord la +queue.</p> + +<p>— Peut-être, répartit l’interlocuteur, serait-il +plus simple de dire que vous n’en savez rien — ni +moi non plus — que de remplacer le mystère de +l’œuf par un autre encore plus grand.</p> + +<p>Je me souviens qu’au temps où j’étais capable +de déraisonner tout aussi bien que notre commis-voyageur, +causant des mystères de la religion chrétienne +avec un vieil aumônier militaire de mes voisins, +je ne lui cachai pas que ma raison en était révoltée. +Il me répondit doucement :</p> + +<p>— Quand l’expérience vous sera venue avec l’âge, +vous verrez les choses autrement et vous comprendrez +plus ou moins ce que vous ne pouvez comprendre +aujourd’hui.</p> + +<p>Il voulut parler d’autre chose, mais j’étais entêté, +et je le ramenai à mon sujet, en lui disant que je +n’admettais pas les choses qui déroutaient la raison +humaine, la sienne comme la mienne.</p> + +<p>— Les mystères déroutent notre raison, répondit-il : +la belle affaire ! Est-ce que le plus simple coup +d’œil sur la nature ne la déroute pas perpétuellement ? +Vous n’admettez pas Dieu et homme tout ensemble. +Est-ce que nous ne sommes pas corps et +âme tout ensemble ? Le comprenez-vous mieux ? +Est-ce que vous savez pourquoi les tisanes calment +les malades, pourquoi l’opium fait dormir et pourquoi +l’arsenic tue ? Et, au lieu de trouver là un motif +d’humilité, cette pauvre raison humaine va s’enivrant +toujours d’un nouvel orgueil. — A cet orgueil, +la religion oppose le mystère. Elle lui montre ainsi +une fois de plus qu’elle procède d’inspirations différentes, +ne suit pas la même route et tend vers un +but plus élevé. La raison cultive la terre, la religion +montre le ciel. La religion s’adresse à l’âme : elle +désaltère en nous la soif du sublime et de l’infini. +Il lui faut un langage à la hauteur de son but. Si +elle n’est pas mystérieuse, incompréhensible dans +ses dogmes, elle n’est plus la religion. L’homme +n’adorera jamais ce qu’il comprend. Il n’est pas +dominé par ce qui n’est qu’à sa hauteur. Il n’y a pas +de Dieu pour lui, si ce Dieu ne se tient pas à une +hauteur infinie, environné de nuages impénétrables. +Il faut qu’en inspirant la vénération et l’amour, la +religion inspire aussi le respect et la crainte.</p> + +<p>Ce discours me parut étrange et je répliquai par +des arguments que je croyais irréfutables, et que je +n’ose plus répéter aujourd’hui, tellement je leur trouve +un caractère de banalité et peu concluants en l’espèce.</p> + +<p>Le vieux prêtre finit par me dire :</p> + +<p>— Mon ami, vous êtes trop pointu ; j’attendrai que +le roulement de la vie ait émoussé vos angles.</p> + +<p>Il a fallu du temps, en effet, pour me faire comprendre +le peu de compétence de la raison pure dans +les questions religieuses, et combien les fondateurs +des anciennes religions — en laissant de côté la +question d’origine divine — connaissaient mieux la +nature humaine que les néo-philosophes de nos jours.</p> + +<p>M. Guizot rappelle quelque part les problèmes naturels +qui pèsent sur l’âme et sont le fondement de +toutes les religions. Il réfute ceux qui veulent +abolir le surnaturel, « car la croyance au surnaturel +est un fait naturel, primitif, universel, permanent +dans la vie et l’histoire du genre humain. Là où la +croyance au surnaturel disparaît, la croyance à Dieu +disparaît aussi. La science humaine est-elle compétente +sur la question du surnaturel ? Reconnaître +qu’il y a certaines choses qu’elle ne peut savoir devrait +être le premier mot de la science, et c’est lui +rendre service que de la ramener dans son domaine +quand elle en sort<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a> ».</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> <i>Méditations</i>, I, 1<sup>re</sup> série.</p> +</div> +<p>On a vu plus haut le mot de M. de Quatrefages +qui voit dans le sentiment religieux le signe distinctif +de l’homme. A ce même point de vue, on +pourrait définir l’homme un animal qui croit au surnaturel.</p> + +<p>Un éminent prédicateur disait, il y a quelques +années : « Nous nous plaçons en face de l’univers, +non pas avec l’humilité qui devrait courber toutes +les têtes, si nous réfléchissions à son immensité, à +son organisation sublime et à notre petitesse. Nous +nous plaçons en face de l’univers arrogamment, superbement, +et nous en abordons l’étude avec la prétention +de tout expliquer. »</p> + +<p>Nous sommons Dieu de rendre ses comptes ; il devrait +nous suffire de contempler son œuvre.</p> + +<p>Si Dieu était accessible à nos sentiments humains, +on pourrait dire qu’il se venge en nous faisant déraisonner.</p> + +<p>Comme le fait observer Bossuet, « les absurdités +où tombent les détracteurs de la religion deviennent +plus incompréhensibles que les vérités dont la hauteur +nous étonne, et pour ne vouloir pas croire des +mystères incompréhensibles, ils suivent l’une après +l’autre d’incompréhensibles erreurs. »</p> + +<p>Avez-vous lu, dans <i>Tristesses et Sourires</i> de Gustave +Droz, ces paroles de la douairière à son vieux +voltairien d’ami Férou ?</p> + +<p>« Vous ne voulez plus de culte, de religion, et +vous passez votre vie à dire la messe devant des +principes plus incompréhensibles cent fois que les +dogmes les plus mystérieux ! Vous adorez les vessies, +vous sanctifiez les lanternes, vous encensez les +girouettes, tout vous est bon pour pontifier. O Férou, +comme votre athéisme me rend religieuse ! Comme +j’aime Dieu, depuis que vous le niez ! Comme je deviens +croyante en face de votre incrédulité savante ! »</p> + +<p>Je comprends d’autant mieux la douairière que le +spectacle de la coterie maçonnique, ou sont venues +se concréter toutes les doctes âneries des ennemis du +mystère, a certainement beaucoup servi à me rejeter +vers les croyances catholiques.</p> + +<p>C’est contre sa métaphysique, assez semblable, +d’ailleurs, à l’habit d’Arlequin, car elle se compose +de tous les rebuts philosophiques du passé, qu’il +faut retourner aujourd’hui ce mot du grand ironiste +du siècle dernier :</p> + +<p>« La métaphysique, c’est lorsque ceux qui écoutent +n’y entendent rien, et lorsque celui qui parle ne +se comprend pas lui-même. »</p> + +<p>Les mystères en religion correspondent à l’instinct +religieux qui est dans notre nature. Nous ne +voudrions pas d’un Dieu sans mystères. Le monde +lui-même sans mystères nous paraîtrait bien fade et +bien monotone. C’est pourquoi il n’y a rien de plus +universel parmi les hommes que la croyance au surnaturel. +Et l’on peut ajouter, avec M. Guizot, qu’il +n’y a rien de plus naturel.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c7">VII<br> +<span class="small">LE PÉCHÉ ORIGINEL ET LA PRESCIENCE DIVINE</span></h2> + + +<p>Quand ma raison, commençant à mieux se rendre +compte du système du monde, fut arrivée à cette +idée que ses mystères n’étaient peut-être pas aussi +déraisonnables qu’ils le semblaient, mon bon sens +me dit qu’en tous cas, comme ils étaient plus forts +que nous, leur existence ne pouvant être niée, le +plus sage était de les prendre tels qu’ils sont et de +tâcher de s’accommoder avec eux.</p> + +<p>Nous acceptons bien, puisque nos sens ne nous +permettent pas d’en douter, qu’un grain de blé mis +dans la terre produit un épi et qu’un chêne est le +produit d’un gland.</p> + +<p>Or, la tradition, qui est l’œil des siècles précédents, +nous apprend que le genre humain vient d’un +premier homme et d’une première femme créés incompréhensiblement +par l’Être incompréhensible que +nous appelons Dieu.</p> + +<p>Là-dessus, la science proteste. Comme il est impossible +de prouver la chose mathématiquement, +elle la nie. Il est vrai qu’elle est, de son côté, impuissante +à prouver le contraire — également impuissante +à trouver une autre solution quelque peu +acceptable.</p> + +<p>On l’a entendue parler dans le socle de la statue +de Raspail.</p> + +<p>On a entendu aussi Férou chantant la messe devant +l’Évolution.</p> + +<p>Si le bon sens populaire comprend encore moins +ces histoires que celles de la Bible, qui pourrait bien +s’en étonner ?</p> + +<p>Mais, s’il faut s’incliner devant le mystère de notre +origine, celui du péché originel rapproché de la +prescience divine me parut longtemps d’une gravité +exceptionnelle. Outre qu’il n’est pas juste de faire +porter aux enfants la faute de leurs parents, il me +paraissait fort singulier que Dieu, dominant l’avenir, +prévoyant, par conséquent, le péché d’Adam et d’Ève, +n’eût pas agi, dans sa souveraine bonté, de façon à +nous épargner cette fâcheuse éventualité. Il y a donc +contradiction dans les idées qu’on se fait de Dieu. +Si sa bonté n’est pas en défaut, c’est sa prescience. +Il est méchant ou aveugle. Et cela me paraissait un +dilemme d’où Jéhovah ne pouvait pas sortir.</p> + +<p>Peu à peu j’ai raisonné différemment. Allant du +connu à l’inconnu, et ne pouvant mettre en doute +l’existence de Dieu, pas plus que l’existence du +mal et de la douleur en ce pauvre monde, j’ai +cherché dans l’étude de la nature humaine une explication +de ce mystère du gouvernement divin, et +j’ai trouvé là des lumières qui, si elles n’ont pas dissipé +pour moi toutes les ténèbres, ont au moins +changé l’aspect de la question et m’ont appris à la +considérer avec plus de réserve.</p> + +<p>L’essence de l’homme n’est-ce pas la volonté libre, +sans laquelle il n’y a ni mérite ni démérite, ni mal +ni bien ? Sans liberté d’action, que devient l’être +humain ? Pourquoi et dans quel but aurait-il été mis +sur la terre ? Autrement, autant vaudrait que la terre +eût été peuplée d’automates. Où serait la différence +essentielle entre l’homme et les animaux, si Dieu ne +l’avait pas créé libre ? La liberté admise, l’homme +est responsable de ses actes, et la punition du coupable — dont +il est, d’ailleurs, téméraire de déterminer +la mesure — est la conséquence de la justice +divine qui n’exclut rien moins que la plus large miséricorde. +Et c’est précisément tout cela qui constitue +la révélation chrétienne, et c’est ainsi que la +véritable philosophie peut se rencontrer avec la +Bible.</p> + +<p>Que si l’on ne veut voir dans la version biblique +que l’expression figurée de la sagesse antique pour +expliquer la présence du mal et de la douleur en ce +monde, il faut convenir que, toute extraordinaire +qu’elle nous paraisse, on n’en a pas encore trouvé +de plus acceptable. Le mal et la douleur, en effet, +sont là, et proclament plus haut que la Bible le +péché originel. On peut ne pas le comprendre — on +ne le comprend pas — mais on ne peut le nier, car +il est sous nos yeux patent, quotidien, puisqu’on +voit tous les jours les enfants profiter ou pâtir des +vertus ou des fautes de leurs parents, puisque l’histoire +n’est pas autre chose que le tableau successif +des peuples ou des générations, récompensés ou +punis, non seulement selon leurs propres mérites, +mais aussi selon les mérites de leurs prédécesseurs.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c8">VIII<br> +<span class="small">L’ENFER</span></h2> + + +<p>Ceci me conduit à la grosse question de l’Enfer. +Et ici (pas plus qu’ailleurs bien entendu), je ne prétends +faire de la doctrine et en savoir plus que les +théologiens. Je veux simplement expliquer comment +et de quelle façon ce point des enseignements +chrétiens, qui me choquait si fort, est devenu pour +moi explicable.</p> + +<p>Le feu ! L’éternité des peines ! Le cœur se révolte +contre ces idées.</p> + +<p>Sur le second point, on peut remarquer que si +l’éternité des peines est inscrite en principe, elle +peut en fait être annulée par le repentir dont nul ne +peut assigner la limite et par la relation mystérieuse +entre les vivants et les morts qu’établit la prière catholique.</p> + +<p>Sur le feu, les théologiens ne sont nullement d’accord, +mais il est évident que ce mot, qui répond à +une souffrance physique, alors qu’il s’agit de la punition +des âmes, ne doit pas être pris au pied de la +lettre. Ce qui est de foi, c’est la punition et non le +feu. L’enfer peut n’être que le remords de n’avoir +pas ouvert son âme à la vérité, de n’avoir pas apprécié, +durant la vie humaine, la sublimité des révélations +du Christ, le regret de nos fautes et la vue +claire de leurs conséquences et de notre honte. Voilà +sans doute ce que pensent beaucoup de théologiens, +mais ce qu’ils ne se croient pas obligés de prêcher +sur les toits. Il y a sur ce sujet dans <i>L’Église et les +temps présents</i> de Mgr Bougaud, un chapitre qu’on +devrait faire lire à tous les jeunes prédicateurs. Bien +des gens sont incrédules parce qu’ils ne peuvent +concilier l’idée de l’enfer, telle qu’elle est trop généralement +présentée, avec celle de la bonté de Dieu. +Ils accepteraient bien plus aisément l’enfer tel que +le conçoit l’éminent prélat. Au reste, la question est +fort délicate, et l’auteur en convient lui-même : « Je +n’insiste pas. Il y a ici un double écueil à éviter : ou +d’atténuer tellement les peines éternelles qu’elles +n’effrayent plus les consciences, ou de les exagérer +de manière à révolter les âmes et à les faire douter +de l’enfer. »</p> + +<p>Le même ouvrage rectifie les préjugés trop répandus +sur le petit nombre des élus. Ces préjugés, +accrédités par un discours de Massillon qu’on aurait +dû mettre à l’Index, sont le fait d’une opinion +mal éclairée bien plus que de l’Église. Le jansénisme +a fait ici beaucoup de mal. Il y a beaucoup +plus d’élus qu’on ne croit, et Dieu est meilleur que +des excès de zèle ne le font entendre. « Nous pouvons +espérer, dit le P. Faber, que Dieu ne juge pas +comme les hommes et que la grande majorité des +catholiques seront sauvés. » De ces paroles on peut +rapprocher celle d’un des regrettés collaborateurs de +cette collection, qui, après avoir parlé de l’enfer +dans le même sens que nous, n’hésite pas, comme +le P. Ventura et tant d’autres, à ouvrir le ciel, même +aux hérétiques, aux schismatiques et aux païens qui +ont été justes et de bonne foi<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a>.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Voir le <i>Mal</i>, par l’abbé Constant, docteur en théologie. +Bloud et Barral (<i>collection Science et Religion</i>).</p> +</div> +<p>Une autre conversation avec mon vieil aumônier +me revient ici en mémoire. Ce digne prêtre était revenu +de ses longues campagnes très frappé de la +nécessité d’une forte discipline dans l’année. Sans +doute, disait-il, il y a bien des détails des règlements +dont l’infraction n’atteint pas la force de +l’armée, mais si on se néglige, si on raisonne, le relâchement +dans l’ensemble est à craindre, et rien de +plus grave. De même, la discipline est nécessaire +dans l’Église : pour les dogmes comme pour la pratique +courante.</p> + +<p>— Est-ce qu’il faut accepter le ciel et l’enfer +comme on nous les dépeint ? lui dit quelqu’un.</p> + +<p>— Comment les dépeint-on ?</p> + +<p>L’interlocuteur peignit un ciel ou l’on s’ennuyait +et un enfer où l’on rôtissait.</p> + +<p>— Il me semble, dit l’aumônier, que ceux qui précisent +et matérialisent ainsi la récompense ou la punition +qui nous attendent dans l’autre vie, sont bien +hardis et ne méritent ni un brevet d’invention ni un +compliment sur l’originalité de leur esprit. Soyons +plus humbles. Nous savons que Dieu est juste et +qu’il nous récompensera ou nous punira mieux que +nous ne pouvons l’imaginer. Mais n’allons pas plus +loin, et, en songeant que les peintures courantes ont +répondu et peuvent encore répondre à des nécessités +sociales, sans être des articles de foi, ne nous prononçons +sur leur sujet qu’avec réserve. L’enfer est +peut-être un gendarme dont on a grossi les traits et +la sévérité, mais songeons qu’en le ramenant avant +l’heure à des proportions plus humaines, nous risquons +d’encourager les maraudeurs.</p> + +<p>— Enfin qu’en pensez-vous ?</p> + +<p>— Moi, j’en pense ce qu’il me plaît dans mon for +intérieur, et, bien convaincu de la bonté de Dieu autant +que de sa justice, je pense avant tout que chacun +ferait bien d’imiter à cet égard la prudence de +l’Église.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c9">IX<br> +<span class="small">LA RAISON ET LA FOI</span></h2> + + +<p>Pendant longtemps j’ai considéré la raison comme +un juge sans appel, devant lequel il fallait toujours +s’incliner, attendu que contester sa compétence, +c’était encore la reconnaître, puisqu’il n’y a pas +moyen sans elle d’argumenter contre elle.</p> + +<p>Et je croyais cet argument irréfutable.</p> + +<p>Plus tard, je réfléchis qu’il y avait plus d’une +question préalable à vider.</p> + +<p>Qu’est-ce d’abord que la raison ?</p> + +<p>N’est-ce pas un mot sur lequel on a déraisonné +beaucoup plus que de raison ?</p> + +<p>Est-ce une faculté aussi simple qu’on le dit ? Est-ce +une reine absolue, et n’a-t-elle pas auprès d’elle des +conseillers, sans lesquels elle ne peut rendre, suivant +les cas, de verdicts parfaitement valables ?</p> + +<p>On enseigne aux élèves de philosophie que la +raison est la faculté pour notre esprit de voir au-delà +de l’apparence des choses, de comparer, de juger, +en un mot de raisonner. On leur apprend, en outre, +que c’est une des trois facultés de l’âme ; les deux +autres sont la sensibilité et la volonté.</p> + +<p>Nous sommes donc en présence d’une trinité psychique +dont on a distingué les membres pour les +besoins de l’analyse, mais qui n’en constitue pas +moins un bloc indivisible.</p> + +<p>Pour moi, je pense que l’âme a son instinct comme +le corps, pour la prémunir de certains dangers que +la raison ne saurait lui montrer, ou pour lui faire +apercevoir des vérités qui, autrement, lui resteraient +cachées. Cet instinct, qui procède de la sensibilité +ou sentiment, est en quelque sorte le prolongement +de la raison, sa partie ailée, la plus essentielle pour +un certain ordre de connaissances.</p> + +<p>Quand il s’agit, par exemple, du grand problème +de notre origine et de nos destinées, vouloir que +l’homme l’aborde avec la raison pure, la froide raison, +c’est vouloir qu’un soldat aille au combat à +moitié désarmé. C’est le priver de son arme la +meilleure, car le sentiment qui marque la direction +à suivre, qui synthétise le but avant qu’on puisse +l’apercevoir, porte plus loin que la simple raison. +Celle-ci peut lui servir de modérateur, mais elle serait +folle de ne pas user de sa flamme et de sa lumière.</p> + +<p>C’est dans cet ordre d’idées que M. Ollé-Laprune +dit : « Le vrai philosophe pense avec son être tout +entier. Il pense, en faisant concourir à sa pensée et +l’imagination et le sentiment, et d’une certaine manière +l’organisme même, car il pense en homme et +humainement. Il pense en s’appuyant sur le sol qui +le porte, en demeurant en contact avec l’humanité +dont il fait partie, avec les vivants, avec les morts ; +la pensée d’autrui, la pensée du genre humain, grâce +à la parole, lui sont présentes et entrent dans sa +substance. Il pense enfin, attaché à Dieu, principe, +soutien, lumière, règle de toute pensée… Qu’on aille +à la recherche de la vérité avec une âme mutilée, +c’est ce que je ne puis comprendre… »</p> + +<p>Le rationalisme qui, en fait, est la négation brutale +de toute religion, est, en théorie, la prétention +d’obliger la religion à donner la preuve des vérités +qu’elle enseigne. Il n’y a pas, dit-il, deux ordres de +connaissances : la science et la foi ; les articles de +foi ne sont pas admissibles sans un certificat de la +science.</p> + +<p>En quoi le temps et la réflexion m’ont fait voir +qu’il commettait une grosse erreur, en méconnaissant +les droits du sentiment et en voulant faire juger à la +raison pure des questions qui ressortent du tribunal +tout entier.</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">La Raison dans mes vers conduit l’homme à la Foi,</div> +</div> + +</div> +<p class="noindent">dit Racine le fils, entendant évidemment par ce +mot l’action combinée de la raison pure et du sentiment. +Les théologiens ne sont pas tout à fait de +son avis ; ils pensent que la raison peut produire un +état favorable à la foi, mais qui doit être fécondé par +la grâce.</p> + +<p>Qu’on le veuille ou non, l’âme est invinciblement +portée à une synthèse suprême, à une foi quelconque. +Pour arriver à la meilleure, ce n’est pas +trop de toutes les facultés de l’esprit et du cœur. Il +faut de plus, croyons-nous, quelque humilité personnelle, +ce qui se rapproche de la thèse des théologiens ; +et le Moyen Age, ce siècle de soi-disant obscurantisme, +montrait plus de connaissance de la +nature humaine que les novateurs modernes, quand +il disait :</p> + + +<p class="c"><i lang="la" xml:lang="la">Nulla ratio si non sit oratio</i> ;</p> + + +<p class="noindent">il n’y a pas de raison sans oraison ; ce qui signifie +simplement que la raison s’égare si elle ne reconnaît +pas un principe supérieur et ne sait pas s’humilier +devant lui. L’oraison est aussi une sorte de retour +sur soi-même : <i lang="la" xml:lang="la">recogitatio</i> ; en sorte que ce mot +veut dire à la fois prière et réflexion.</p> + +<p>La raison, telle qu’on la conçoit de nos jours, qui +refuse de s’incliner devant un Être supérieur, qui +prétend se passer de lui et ose tenir pour non avenues +les traditions de foi des générations précédentes, +est exactement le contrepied de la haute raison +d’autrefois qui priait et réfléchissait. Elle n’est +pas autre chose, en définitive, que la déification du +moi, et comme il n’y a rien de si dissemblable que +le moi, comme la raison pour chacun est sa propre +raison et non pas celle du voisin, on conçoit la confusion +et le désordre qui doivent résulter d’un pareil +système.</p> + +<p>Les catholiques ne repoussent pas la raison, mais +seulement son emploi exclusif et surtout son rôle dominant +dans la recherche de la vérité. Ils disent que +la religion vient de Dieu comme la foi, et qu’il n’y a +pas, qu’il ne peut pas y avoir entre elles de véritable +désaccord. Ils enseignent qu’il y a deux ordres +de connaissances, qu’on arrive aux uns par la +raison, et aux autres par la foi.</p> + +<p>Ils font observer que les actes de foi sont la monnaie +courante de l’existence, et que les plus savants +eux-mêmes sont obligés d’en faire constamment, +n’ayant ni le temps ni parfois la possibilité de vérifier +les conclusions qu’ils ont adoptées sur la foi +d’autrui. En dehors des physiciens, combien, par +exemple, peuvent se rendre compte du nombre incroyable +de vibrations que représentent la chaleur, +la lumière et l’électricité ? Et en dehors des astronomes, +combien ont de sérieuses raisons de croire +que la terre tourne autour du soleil, et que l’univers +est peuplé d’une infinité de mondes, dont le nôtre +peut à peine donner une idée ! Par suite de quoi, on +a bien raison de dire que la science exige encore +plus d’actes de foi que la religion.</p> + +<p>Ici encore il nous faudrait insister sur la prodigieuse +marque d’orgueil que donnent ceux qui prétendent +aujourd’hui, avec leur parcelle de raison, ne +pas avoir à tenir compte du majestueux ensemble +des traditions du passé.</p> + +<p>Celui-ci pourrait, en se plaçant sur leur propre +terrain, répondre qu’il a donné le plus bel exemple +de l’exercice de la raison humaine : celui de cette +même raison sachant se brider elle-même, s’assujettissant +volontairement à certaines règles, dont elle a +reconnu la justice et l’utilité.</p> + +<p>Est-ce que la raison ne trouve pas partout, dans +ses propres réflexions comme dans le spectacle des +faits, des motifs de se brider ?</p> + +<p>Quelle est la plus raisonnable, de la raison qui ne +veut reconnaître aucune limite, aucune supériorité, +aucune mesure, ou de celle qui, convaincue par +l’étude d’elle-même, par le sentiment de son impuissance, +par l’expérience de la vie, s’incline devant la +majesté et la puissance de l’inconnu, tient compte des +traditions, accepte les mystères, subit l’influence religieuse ?</p> + +<p>Il est évident qu’une foule de choses sont au-dessus +de notre intelligence.</p> + +<p>Cependant nous sommes pressés de savoir, de +connaître, de <i>relier</i> le visible à l’invisible, la matière +à l’esprit. La foi est une nécessité de notre esprit, +un besoin de notre cœur. La foi, c’est la confiance +en Dieu, le repos dans un état d’esprit +supérieur. C’est une sorte de vie surnaturelle.</p> + +<p>La preuve en est dans le fait qu’elle a poussé +spontanément partout où il y a eu une société humaine.</p> + +<p>N’est-ce pas la plus haute raison que celle qui +nous dit : Acceptez celle des religions qui vous paraîtra +la meilleure — qu’elle soit le produit d’une révélation, +ou seulement le produit de la sagesse et de +l’expérience des siècles ?</p> + +<p>En examinant de plus près les deux facultés maîtresses +de l’âme : la raison et le sentiment, il me +parut qu’elles correspondaient à deux besoins également +puissants : celui de raisonner et celui de +croire. Ces deux facultés se suppléent parfois l’une +l’autre, mais il est rare qu’aucune d’elles se laisse +complètement étouffer. Le malheur est que chacune +a des partisans exclusifs.</p> + +<p>Quand la raison s’éveille et commence à se posséder, +il est difficile d’échapper à ses ivresses et à +ses entraînements, et l’on est toujours disposé à lui +sacrifier la part de l’autre légitime maître du logis. +Plus tard, celui-ci se fait apprécier à son tour et reprend +ses droits. Les épreuves de ce bas monde, +auxquelles personne n’échappe, donnent naissance à +des pensées et à des aspirations que la raison ne +peut satisfaire et provoquent une révolution morale +dans laquelle le sentiment religieux prend sa revanche +et empiète même quelquefois sur le domaine +de la raison. Heureux ceux qui savent s’arrêter au +point juste et maintenir l’équilibre entre ces deux +souverains de l’âme humaine !</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c10">X<br> +<span class="small" lang="la" xml:lang="la">DEO IGNOTO</span></h2> + + +<p>Qui que tu sois, Cause suprême, Être incompréhensible, +écoute mon humble prière.</p> + +<p>Je puis me tromper dans ma façon de te concevoir, +mais c’est toujours ta réalité divine que j’adore +à travers les nuages dont tu as voulu t’envelopper.</p> + +<p>Sois indulgent aux efforts que je fais pour me +rapprocher de toi, au moyen de l’intelligence que +tu m’as donnée.</p> + +<p>Est-il vrai qu’outre les révélations qui jaillissent +de la grandeur et de la magnifique harmonie de +l’univers, et de celles que nous trouvons au fond de +notre conscience, tu as voulu nous parler directement +par une bouche humaine ?</p> + +<p>Est-il vrai que tu as daigné venir à nous, en la +personne du Christ, pour nous enseigner la pure +doctrine de la charité, de l’abnégation, du sacrifice, +jusque-là ignorée de la pauvre humanité ?</p> + +<p>Ma raison refuse encore de croire à cette manifestation +extraordinaire et ne veut voir dans le Christ +que le plus grand des législateurs humains. Toutefois, +comme rien ne répond mieux que la vie et les +enseignements du Christ à l’idéal divin, elle se demande +s’il est juste de lui refuser les hommages que +ce caractère nous impose.</p> + +<p>En supposant qu’il ne soit pas Dieu, pourrais-tu, +grand Être inconnu, trouver mauvais que nous +l’adorions, puisque c’est toi que nous adorerions +en lui ?</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c11">XI<br> +<span class="small">LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE</span></h2> + + +<p>Voilà l’état d’âme dans lequel je suis resté bien +longtemps avant d’arriver à la foi chrétienne.</p> + +<p>J’avais beau me dire, avec Rousseau, que « l’Évangile +a des caractères de vérité si grands, si frappants, +si parfaitement inimitables, que l’inventeur en serait +plus étonnant que le héros », mon esprit ne pouvait +se décider à admettre tant de dogmes mystérieux, +et notamment l’Incarnation, trouvant qu’il y +avait là un bien petit moyen pour un Être aussi +grand que Dieu.</p> + +<p>Il est vrai qu’après m’être efforcé de trouver mieux, +je revenais bredouille et passablement écœuré de +mon voyage à travers les systèmes qu’on a essayé +de mettre à la place. Peut-être aussi la violence et +la mauvaise foi des attaques dirigées contre le christianisme, +en me le rendant plus sympathique, ont-elles +contribué à diminuer la distance qui me séparait +de lui.</p> + +<p>L’histoire m’apprit qu’il avait été dans le passé +calomnié au delà de toute mesure, en même temps +que le spectacle du temps présent me montrait ses +ennemis d’aujourd’hui aussi intolérants qu’ont pu +l’être les plus fougueux persécuteurs d’autrefois, +outre que ce nouveau fanatisme est infiniment plus +bête que ne semblaient le comporter les mœurs +actuelles. — A preuve, la mesure du Franc-Maçon, +ministre de la marine, interdisant le deuil des navires +le vendredi saint, sachant bien que le moral de +l’immense majorité des marins sera atteint par cette +blessure faite à leur sentiment religieux — de même, +d’ailleurs, que l’âme du pays tout entier est atteinte +par la politique anti-religieuse que nous subissons.</p> + +<p>Car la terre est un navire, et les marins qu’elle +porte dans l’espace ont encore plus que ceux de nos +mers des motifs d’adorer le suprême Inconnu et de +chercher dans la foi des motifs de force et d’espérance, +en attendant qu’on ait trouvé ailleurs — si +cela se peut en dehors du christianisme — le mot +de l’énigme, c’est-à-dire le secret de leur origine et +de leur destinée. Et ceux qui prétendent réprimer +en eux ce besoin naturel de respect et de foi, non +seulement font preuve de présomptueuse ignorance, +mais encore commettent une mauvaise action, en +risquant de paralyser l’action du grand équipage de +l’humanité et de lui enlever la confiance nécessaire +à sa difficile navigation.</p> + +<p>Un autre exploit de la Franc-Maçonnerie, — car +c’est chez elle qu’il faut toujours chercher le dernier +mot des aberrations modernes, exploit d’ailleurs +particulièrement ridicule — a été de déshabiller la +plus belle des vertus chrétiennes pour lui mettre des +habits de garçon en la baptisant Altruisme. La Charité +s’en est vengée, en continuant ses miracles de bienfaisance, +tandis que le malheureux altruisme attend +encore, au fond des loges, l’effet de cette mascarade +réjouissante.</p> + +<p>Étudiant le christianisme plus à fond, je vis mieux +tout ce qu’il contient d’harmonie avec les lois de +l’âme, de la société et de la nature. Il n’y a rien en +lui, comme dit de Maistre, qui n’ait ses racines dans +les dernières profondeurs du cœur humain.</p> + +<p>Les sacrements, dans lesquels je ne voyais jadis +que des pratiques superstitieuses, me frappèrent par +leur intime connaissance de notre nature. N’avons-nous +pas vu, l’autre jour, un journal protestant +d’Allemagne, regretter que la Réforme ait aboli la +confession — rappelant, sans s’en douter, le mot de +Lamennais, que la confession a été créée pour empêcher +le péché de pourrir au cœur de l’homme ? +Et cette réforme serait probablement vite effectuée +dans le protestantisme, si elle n’en impliquait une +autre que les pasteurs n’accepteront jamais, c’est-à-dire +le retour au célibat ecclésiastique, attendu que +la qualité de confesseur et celle d’homme marié sont +incompatibles.</p> + +<p>L’Eucharistie, le plus incompréhensible des mystères, +non seulement parle au cœur, mais laisse +soupçonner sa compréhensibilité à chaque découverte +de la science, laquelle tend de plus en plus à +formuler le principe : Tout est dans tout. Si on connaissait +bien à fond le mystère d’une goutte d’eau, +on connaîtrait celui de l’univers.</p> + +<p>Quand les savants disent que les ailes du cousin +exécutent quinze mille battements par seconde ; +qu’il faut trois millions d’atomes d’éther pour faire +une molécule qui n’a pas un millimètre de long ; +que ces atomes, pour produire la chaleur et la lumière, +font quatre cent trente trillions d’ondulations +par seconde ; que les rayons Rœntgen donnent jusqu’à +deux quintilions de vibrations à la seconde et +qu’il existe dans les agents de la nature des vibrations +encore plus nombreuses, etc., etc., est-ce qu’ils +ne présentent pas aux intelligences, même les plus +cultivées, des mystères non moins inconcevables que +ceux de la religion chrétienne ?</p> + +<p>La prière chrétienne qui, je dois l’avouer, m’avait +souvent ennuyé quand j’étais jeune, et dont je n’avais +pas saisi plus tard la profonde philosophie, m’apparut +comme un lest et une consolation ; elle nous +retient dans le sentiment de notre petitesse et elle +nous fait trouver un charme dans la contemplation +de l’idéal divin dont elle évoque la présence et le secours. +Il n’est pas besoin de formules pour la véritable +prière : il suffit d’élever son âme à Dieu ; les +plus courtes et les plus simples sont les meilleures. +La prière produit tous les jours des miracles d’apaisement, +de patience et de courage. Et comme ses +effets heureux apparaissent parfois avec la dernière +évidence, les rationalistes ont imaginé une explication +ingénieuse : ce n’est pas d’elle que viennent les +résultats merveilleux qu’on ne peut nier, c’est de +l’<i>autosuggestion</i>. Une dame, à qui son médecin, disciple +de Charcot, faisait cette réflexion, lui disait +finement le lendemain : Je vais bien mieux aujourd’hui, +m’étant très bien autosuggestionnée, grâce à +Dieu !</p> + +<p>Ou trouve-t-on ailleurs que dans la doctrine chrétienne +les satisfactions que peuvent désirer une haute +intelligence et un cœur délicat ?</p> + +<p>Et Montesquieu, n’a-t-il pas raison de dire : « La +religion chrétienne, qui ne semble avoir d’autre objet +que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur +en celle-ci » ?</p> + +<p>Plus j’ai vu, plus j’ai étudié, plus il m’a paru +que tous les systèmes soi-disant philosophiques ne +faisaient que remplacer la révélation chrétienne par +des suppositions encore plus invraisemblables, compliquant +les problèmes au lieu de les résoudre, sans +parler de leurs effets déplorables sur la vie individuelle +et sociale.</p> + +<p>Les Évangiles sont aussi remarquables par ce qui +s’y trouve que par ce qui ne s’y trouve pas. Que l’on +veuille bien songer aux démentis que l’expérience +des temps et les découvertes de la science auraient +pu donner à une inspiration moins éclairée que celle +du Christ. Or, sa doctrine est inattaquable aujourd’hui +comme il y a vingt siècles. De là à la considérer +comme divine, y a-t-il bien loin ?</p> + +<p>Si les preuves historiques de la divinité du Christ +me paraissaient insuffisantes, les preuves morales +m’éblouissaient.</p> + +<p>Les philosophes de nos jours insistent, comme +ceux du siècle dernier, sur les analogies que présente +le christianisme avec d’autres religions plus anciennes. +Tous les dogmes chrétiens, la morale chrétienne +elle-même, se retrouveraient, suivant eux, +dans les livres sacrés de l’Égypte, de l’Inde et de la +Chine. Jésus ne serait qu’un plagiaire de Boudha ou +de Confucius.</p> + +<p>Tout cela est faux ou exagéré. La révélation chrétienne +n’exclut pas la révélation naturelle qui parle +à l’homme par sa raison et qui a trouvé de beaux +interprètes dans les philosophes anciens et dans les +fondateurs des vieilles religions, mais qui n’a pas dépassé +les notions de justice, de bonté et d’humanité, +tandis que la révélation chrétienne s’est élevée à +une sublimité morale qu’on n’avait pas soupçonnée +jusque-là :</p> + +<p>Par le précepte de rendre le bien pour le mal ;</p> + +<p>Par le sacrifice ;</p> + +<p>Par la promesse de miséricordes infinies ;</p> + +<p>Par la fusion de l’âme humaine dans l’idéal divin, +contenue dans l’Eucharistie ;</p> + +<p>Par un ensemble de sentiments et de doctrines, +tellement au-dessus de l’humanité, qu’ils faisaient +dire à Lamartine :</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">Oui, de quelque faux nom que l’avenir te nomme,</div> +<div class="verse">Nous te saluons Dieu, car tu n’es pas un homme.</div> +<div class="verse">L’homme n’eût pas trouvé dans notre infirmité</div> +<div class="verse">Le germe tout divin de l’immortatité,</div> +<div class="verse">La clarté dans la nuit, la vertu dans le vice,</div> +<div class="verse">Dans l’égoïsme étroit la soif du sacrifice,</div> +<div class="verse">Dans la lutte la paix, l’espoir dans la douleur,</div> +<div class="verse">Dans l’orgueil révolté l’humilité du cœur,</div> +<div class="verse">Dans la haine l’amour, le pardon dans l’offense,</div> +<div class="verse">Et dans le repentir la seconde innocence.</div> +<div class="verse">Notre encens à ce prix ne saurait s’égarer,</div> +<div class="verse">Et j’en crois des vertus qui se font adorer.</div> +</div> + +</div> +<p>Finalement, comment ne pas être frappé de l’œuvre +accomplie par le christianisme ?</p> + +<p>Comme on reconnaît l’arbre à ses fruits, c’est à son +action sur le monde qu’on doit reconnaître la vraie +religion.</p> + +<p>Et comme le christianisme seul a produit et produit +tous les jours les vertus que la voix unanime +des consciences proclame supérieures à l’humanité : +l’humilité, la chasteté, le sacrifice ; comme il a ainsi +renouvelé le monde et qu’il est impossible de nier +son triomphe historique qui est un miracle autrement +grand que ceux des Évangiles, il me parut +qu’il n’était que juste et raisonnable de lui reconnaître +un caractère supérieur au pouvoir de l’humanité.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak" id="c12">XII<br> +<span class="small">JÉSUS-CHRIST EST-IL DIEU ?</span></h2> + + +<p>Une pensée, déjà exprimée dans la prière <i lang="la" xml:lang="la">Deo +ignoto</i>, devint bientôt, chez moi, l’idée dominante.</p> + +<p>Si le Christ n’est pas Dieu, il est au moins dans la +direction de Dieu.</p> + +<p>C’est Dieu qu’on adore en lui.</p> + +<p>On peut se tromper dans la forme ; on ne se trompe +pas dans le fond, dans le but.</p> + +<p>En nous montrant Dieu en lui, notre raison, +guidée par un sentiment supérieur, ne se trompe +pas.</p> + +<p>Lors même que le Christ ne serait pas Dieu, il serait +encore sage, pour ceux qui répugnent à cette +hypothèse, de l’accepter comme tel.</p> + +<p>Qui de nous, en effet, est capable de se faire une +idée de Dieu, de le définir autrement que par la +formule très haute, très vague, que c’est l’idéal, le +résumé de toutes les perfections et de toutes les +puissances, sans qu’aucune forme, aucune expression, +puisse donner sa mesure ?</p> + +<p>Notre cerveau étant incapable de le comprendre +autrement, pourquoi lui refuserions-nous le droit de +se montrer à nous sous une forme et dans des conditions +accessibles à nos sens et à notre intelligence ?</p> + +<p>En ajoutant à cela que le Christ représente la vie +la plus pure, la morale la plus élevée, tout ce qui répond +le mieux à l’idéal divin, il me sembla que je +réfutais très raisonnablement toutes les objections +tirées de l’invraisemblance d’un Dieu fait homme +pour venir nous révéler les plus sublimes vérités.</p> + +<p>J’ai été heureux de retrouver depuis, dans une +conférence de M. Brunetière, quelques traits du +travail intime qui s’était opéré dans mon esprit : « Il +s’agit de savoir, dit l’éminent académicien, non pas +si Jésus-Christ est Dieu, car ce mot Dieu représente +un idéal de puissance et de perfection au-dessus de +notre connaissance ; mais de savoir si sa morale et +son œuvre sont divines, et par conséquent se rapprochent +le plus de ce que signifie pour nous l’idéal +divin. Cela admis, qu’on l’appelle fils de Dieu, envoyé +de Dieu, ou même grand homme inspiré de +Dieu, il me semble qu’il y a là une question de logomachie +plutôt qu’une question de fond. Ne pouvant +juger des choses divines que par les lumières que +nous donnent nos sens, ou notre raison servie et aussi +desservie par les sens, ne pouvant juger des choses +de l’en haut que comme les poissons, par exemple, +pourraient juger des choses humaines, il nous semble +que ce mot de fils de Dieu — et par suite la question +vitale du christianisme, l’Incarnation — n’est pas de +nature à rebuter un vrai philosophe… »</p> + +<p>Cette question de l’Incarnation me rappelle une +conversation avec l’illustre traducteur d’Aristote, +M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui m’honorait de son +amitié, et avec qui j’ai fait plus d’une excursion métaphysique +dans les dernières années de sa vie.</p> + +<p>La <i>Somme</i> de saint Thomas d’Aquin et Platon, dont +il faisait à quatre-vingt-dix ans une nouvelle édition, +étaient alors ses deux lectures de prédilection. Ce +n’était pas un croyant, mais c’était le plus honnête +des penseurs libres. Son opinion sur le catholicisme +est tout entière dans ces quelques mots qu’il me disait +trois ou quatre mois avant sa mort : « J’admire +les catholiques ; je suis avec eux en tout, excepté +sur l’Incarnation. » Je lui exposai les raisons qui +pouvaient faire accepter l’Incarnation par un philosophe, +raisons qu’il écouta attentivement et sans y +répondre, comme s’il se réservait d’y réfléchir. A +mon retour du Midi, au mois de novembre, on me dit +qu’il était mort la veille ; j’assistai à ses obsèques à +l’église Saint-Honoré d’Eylau, et j’appris qu’il avait +exprimé dans son testament le désir que son corps y +fût porté, « si M. le curé voulait bien le recevoir » ; en +quoi je vis l’indice que ce grand et honnête esprit +avait peut-être, depuis notre conversation, fait un +pas de plus vers le but auquel devait le conduire un +jour ou l’autre sa haute raison.</p> + +<p>En jugeant des autres par moi-même et en analysant +mes sentiments de l’époque où je n’admettais +pas encore la divinité du Christ, je me demande si +beaucoup d’incroyants de bonne foi ne sont pas la +dupe d’une sorte d’illusion intellectuelle qui leur fait +dire : « Je ne puis y croire », alors qu’ils veulent +dire simplement : « Je ne puis le comprendre ».</p> + +<p>Si, avec cela, disait mon vieil aumônier, comprenant +la grandeur et la beauté de la religion chrétienne, +ils sont véritablement animés du désir d’y +croire, c’est qu’ils ont la foi sans le savoir ; Dieu ne +leur en demande pas davantage. Et de là aussi cette +parole si profonde que l’Église adresse aux cœurs +anxieux : On croit quand on veut croire !</p> + +<p>Et voilà par quelle série d’impressions, de raisonnements +et d’aspirations au mieux, après une foule +de déceptions et de mécomptes dans la forêt du +doute et de l’incrédulité, j’en suis venu à penser que +le plus sage était encore d’accepter la révélation +chrétienne comme étant la solution la plus rationnelle +des mystères du monde et la plus haute philosophie +qu’aient entendue les oreilles humaines.</p> + + +<p class="c gap small">FIN</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2> + + +<div class="flex"> +<table> +<tr><td colspan="2" class="sc drap">Au lecteur</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c0">5</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>I.</div></td> +<td class="drap">— Le premier des mobiles anti-chrétiens</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c1">9</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>II.</div></td> +<td class="drap">— L’idée de Dieu</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c2">12</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>III.</div></td> +<td class="drap">— Nécessité d’une religion et d’un culte</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c3">17</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>IV.</div></td> +<td class="drap">— L’Église et les philosophes</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c4">23</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>V.</div></td> +<td class="drap">— L’orgueil</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c5">26</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>VI.</div></td> +<td class="drap">— Les mystères</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c6">30</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>VII.</div></td> +<td class="drap">— Le péché originel et la prescience divine</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c7">35</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>VIII.</div></td> +<td class="drap">— L’enfer</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c8">38</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>IX.</div></td> +<td class="drap">— La Raison et la Foi</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c9">42</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>X.</div></td> +<td class="drap" lang="la" xml:lang="la">— Deo ignoto</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c10">48</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>XI.</div></td> +<td class="drap">— La révélation chrétienne</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c11">50</a></div></td></tr> +<tr><td class="r"><div>XII.</div></td> +<td class="drap">— Jésus-Christ est-il Dieu ?</td> +<td class="bot r"><div><a href="#c12">56</a></div></td></tr> +</table> +</div> + +<p class="c gap xsmall">FIN DE LA TABLE</p> + +<div class="break"></div> + +<p class="c top4em"><span class="xsmall">SAINT-AMAND</span> +(<span class="xsmall">CHER</span>). — <span class="xsmall">IMPRIMERIE BUSSIÈRE</span></p> + + +<div style='text-align:center'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75581 ***</div> +</body> +</html> + diff --git a/75581-h/images/cover.jpg b/75581-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1b05b8a --- /dev/null +++ b/75581-h/images/cover.jpg |
