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+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75253 ***
+
+
+
+
+
+
+ CYRANO DE BERGERAC
+
+ LETTRES D’AMOUR
+ publiées d’après le manuscrit inédit
+ de la
+ Bibliothèque Nationale
+
+ AVEC UNE INTRODUCTION
+ par
+ G. CAPON et R. YVE-PLESSIS
+
+
+ PLESSIS, LIBRAIRE
+ 23, Rue de Châteaudun, Paris
+ 1905
+
+
+
+
+DES MÊMES AUTEURS
+
+
+G. CAPON: _Les Petites Maisons galantes de Paris au XVIIIe siècle_; 1
+vol. in-8. Épuisé.
+
+_Les Maisons closes au XVIIIe siècle_; 1 vol. in-8. Épuisé.
+
+G. CAPON et H. VIAL: _Journal d’un bourgeois de Popincourt_; 1 vol.
+in-8. Épuisé.
+
+R. YVE-PLESSIS: _Essai d’une Bibliographie française de la Sorcellerie_;
+Paris, 1900, in-8.
+
+-- _Petit essai de Bibliothérapeutique ou l’Art de soigner les livres
+vieux et malades_; 1 vol. in-12. Épuisé.
+
+-- _Bibliographie de l’Argot et de la Langue verte, du XVe au XXe
+siècle_; Paris, 1901, in-8.
+
+
+VIENT DE PARAITRE
+
+ G. CAPON et R. YVE-PLESSIS: _Paris galant au XVIIIe siècle:
+ Les Théâtres clandestins_. Ouvrage orné de 8 planches.
+ Paris, PLESSIS, 1905, in-8 15 fr.
+
+
+
+N.-B.--Les exemplaires en grand papier sont épuisés.
+
+
+
+
+ Il a été tiré de cet Ouvrage
+ 310 exemplaires, tous numérotés:
+
+ 10 Japon impérial extra (nºs 1 à 10)
+ 50 Japon impérial (nºs 11 à 60)
+ 250 Papier à la forme (nºs 61 à 310)
+
+Nº
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+Le mercredi, 7 septembre 1707 (que de sept en ce mercredi!) le suisse de
+Notre-Dame de Paris agrippait au collet et traînait jusqu’au bureau du
+sieur Delamarre, commissaire du Châtelet, un individu qui, sans débat,
+avouait tout aussitôt les faits mis à sa charge.
+
+C’était un de ces aberrants passionnels que les psychiâtres d’à présent
+nomment «exhibitionnistes». Le mot n’existait pas encore dans la
+technologie médicale de ce temps-là; mais la chose précède toujours le
+mot. Le plaisir favori de cet homme était de flâner dans les chapelles,
+de rôder autour des piliers de la nef et, quand il se croyait à peu près
+sûr d’être impuni, de dévoiler brusquement son sexe aux yeux des dévotes
+médusées.
+
+Vu la rareté du cas, le lieu du sacrilège et le nom du criminel, le
+commissaire Delamarre, ayant confié son prisonnier à la garde de
+l’exempt Simonnet, réclamait du lieutenant de police des instructions
+spéciales. Fallait-il écrouer le satyre à l’Hôpital ou bien, comme il
+avait de quoi payer pension, à Saint-Lazare, à Charenton?--«Le Roy veut
+que vous le fassiez mettre à la Bastille», répondait le ministre
+Pontchartrain à qui le lieutenant de police en avait lui-même référé;
+«et que vous l’interrogiez à fond sur sa naissance et sur les désordres
+qui ont donné lieu de l’arrester; après quoi, on verra ce qu’il
+conviendra de faire».
+
+Ces pourparlers avaient pris plusieurs jours. L’exhibitionniste ne fut
+mené à la Bastille que le 25 septembre. Le 6 octobre suivant,
+conformément aux ordres reçus, M. d’Argenson en personne procédait, dans
+la grande salle du château, à un interrogatoire dont il rapportait le
+curieux procès-verbal ci-dessous:
+
+ «Interrogé... a dit qu’il se nomme PIERRE DE CYRANO, âgé de
+ cinquante-un ans, de la religion catholique, apostolique et romaine;
+ estre bourgeois de Paris, natif de cette ville et qu’il a esté arresté
+ de l’ordre du Roy;
+
+ «Que son père estoit bourgeois de Paris où il vivoit de son bien; que
+ Cyrano de Bergerac estoit son oncle et que ses ouvrages ont esté
+ dédiés par le sieur Le Brest (qui les a recueillys et fait imprimer)
+ [_à_] Abel Cyrano de Mauvières, père de lui, répondant; que les
+ ouvrages de Cyrano de Bergerac sont, entr’autres choses, _Agrippine_,
+ tragédie; des _Lettres_ satiriques et amoureuses; _Les États de
+ l’Empire de la Lune et du Soleil_ et la comédie du _Pédant Joué_;
+
+ «Que son oncle estoit originaire de Paris, et fils d’Abel Cyrano,
+ ayeul du répondant, qui estoit de Paris et y vivoit de son bien; qu’il
+ croit qu’il a esté baptisé ou sur les fonts de la paroisse
+ Saint-Nicolas-des-Champs ou sur ceux de Saint-Eustache et que le nom
+ de Bergerac que portoit son oncle avec celui de Cyrano, vient d’une
+ petite terre ou hameau située près de Chevreuse, ainsi que celle de
+ Mauvières, dont le père du répondant portoit le nom, lesquelles deux
+ terres ont esté vendues par l’ayeul du répondant en l’année 1636;
+
+ «Qu’il a entendu dire que son ayeul estoit originaire de Paris et que
+ son bisayeul estoit originaire de Sardaigne; que son père est mort il
+ y a vingt-un ans et qu’il n’y a pas plus de cinq mois et demy que sa
+ mère avec laquelle luy, répondant, demeuroit, est décédée et a esté
+ enterrée dans l’église Saint-Benoist; que sa mère estoit fille de
+ Simon Marcy, marchand mercier au faubourg Saint-Jacques, dit de Soy;
+ que celle de Cyrano de Bergerac, son oncle, se nommoit Espérance
+ Belanger et estoit fille d’Estienne Belanger duquel le répondant n’a
+ pas sçu la qualité;
+
+ «Qu’il a estudié jusqu’en seconde au collège des Jésuites, qu’ensuite
+ il est entré, en qualité de cadet dans le régiment de Navarre et,
+ après y avoir servi deux années, il est entré dans le régiment
+ Colonel-Général de la cavalerie où il y a servy trois campagnes, et
+ enfin qu’il est entré dans la gendarmerie, compagnie des gendarmes de
+ Flandres, brigade de feu M. de Marsin où il y a servy dix campagnes,
+ s’estant trouvé aux batailles de Stinkerque, de la Marsaille et de
+ Fleurus; qu’il a esté dangereusement blessé à la dernière, d’un coup
+ de feu à la teste, et qu’estant tombé malade en l’année 1698, demanda
+ son congé qu’il obtint de M. le marquis de Beauvau qui estoit pour
+ l’ors au quartier à Ham;
+
+ «Qu’il n’a qu’une sœur laquelle est mariée au sieur Vlaighels, commis
+ dans les gabelles de Saint-Quentin;
+
+ «Qu’il jouit de 400 livres de rentes qui lui appartiennent sur
+ l’hostel de Ville de Paris et proviennent de la succession de son
+ père;
+
+ «Que provoqué par le vin et l’eau-de-vie dont sa fénéantise luy a
+ malheureusement fait contracter l’habitude, il s’est abandonné à des
+ infamies dont il se repent et en demande pardon à Dieu et au Roy...»
+
+Suit le détail des «infamies» auxquelles se livrait le «répondant». Mais
+ceci n’intéresse plus notre sujet. Bornons-nous à noter que Pierre de
+Cyrano sortit de la Bastille le 19 octobre 1707, «pour être transporté
+dans un autre lieu de détention», où nous n’avons pas poursuivi sa
+trace.
+
+Pour nous, le point capital dans cette pièce d’archives, jusqu’ici
+demeurée inédite, c’est la généalogie de ce gendarme à passions. Par un
+témoignage qui ne saurait être révoqué en doute, sont précisés et
+confirmés les dires des biographes avisés qui ont combattu la légende,
+trop longtemps tenue pour vérité, du Cyrano de Bergerac gascon, parce
+que de Bergerac, en Gascogne.
+
+L’auteur des _Lettres d’Amour_ que nous avons entrepris de restituer au
+public lettré d’après le seul manuscrit contemporain que l’on connaisse,
+était Parisien, fils de Parisien; c’est son propre neveu qui l’atteste.
+Et son nom de Bergerac venait d’une terre que son père possédait auprès
+de Chevreuse. Ajoutons que ce dernier, noble homme Abel de Cyrano,
+écuyer, seigneur de Mauvières et de Bergerac, tenait en plein fief de
+Charles de Lorraine, duc de Chevreuse, cette terre et seigneurie qui se
+nommait Sous-Forêt avant que de s’appeler Bergerac.
+
+ * * * * *
+
+Savinien de Cyrano, cinquième fils d’Abel et d’Espérance Belanger,
+mariés en 1612 à la paroisse Saint-Gervais, fut baptisé le 10 mars 1619,
+à la paroisse Saint-Sauveur. Tous ses aînés moururent en bas âge, sauf
+le deuxième, prénommé Abel, comme son père. (A la mort du seigneur de
+Mauvières et de Bergerac, Abel devait prendre le nom de Cyrano de
+Mauvières; Savinien, celui de Cyrano de Bergerac).
+
+Deux filles, Marie et Anne, vinrent au monde après Savinien. Comme on
+n’a pu découvrir leurs actes de baptême à Paris, on a présumé que la
+famille Cyrano abandonna, postérieurement à 1619, son logis de la rue
+des Prouvaires pour aller se fixer à la campagne; peut-être à Bergerac
+ou à Mauvières, puisque ces domaines ne furent vendus qu’en 1636. Il est
+probable également qu’après cette vente les Cyrano revinrent dans la
+capitale; ce qui est sûr, c’est que l’acte de décès d’Abel de Cyrano
+père (1645) dit formellement que celui-ci habitait Paris au moment de sa
+mort, et, de nouveau, rue des Prouvaires.
+
+Toujours est-il que Savinien fut élevé aux champs. Son futur panégyriste
+Le Bret, qui le connut et qui l’aima dès son enfance, était élève du
+même maître: un curé de village, «bon prebstre» paraît-il, mais des
+leçons et des corrections duquel Savinien faisait peu de cas, le
+considérant comme un «âne aristotélique». Si bien que l’enfant obtenait
+de son père d’être envoyé à Paris faire ses humanités au collège de
+Dormans ou de Beauvais.
+
+C’était tomber de Charybde en Scylla. Le principal de ce collège était
+pour lors une espèce de savantasse fort érudit mais très maniaque, et
+plus pédant encore. Jean Grangier s’était rendu fameux dans l’Université
+de Paris par sa pouilleuse avarice autant que par ses polémiques
+acerbes, par ses amours ancillaires autant que par ses saillies de
+cuistre rhétoricien. Sans doute, le caractère tout d’une pièce de
+Savinien se heurta plus d’une fois aux procédés d’éducation de ce
+fouettard sorbonique. L’élève semble avoir gardé au maître une terrible
+rancune des quelques années qu’il passa sous sa férule: la vengeance de
+Cyrano devait s’intituler _Le Pédant Joué_, comédie où Grangier, mis en
+scène presque nommément, est drapé de la belle manière.
+
+Ses études achevées, vers l’âge de dix-huit ans, Savinien mena la vie
+joyeuse des garçons de son âge. Nous croyons pourtant que ses biographes
+ont exagéré en avançant qu’abandonné à lui-même, il se livra aux écarts
+d’un effréné libertinage. D’abord il n’était pas abandonné des siens
+puisque son père, ayant vendu Mauvières et Bergerac l’année d’avant,
+devait être revenu à Paris en 1637. Par ailleurs Savinien ne manquait
+point de parents pour veiller sur sa conduite. N’avait-il pas son oncle,
+Samuel de Cyrano, trésorier des aumônes à l’Hôtel Dieu; et son oncle
+Pierre, sur l’état de qui nous manquons de documents, mais que nous
+savons avoir été paroissien de Saint-Germain-l’Auxerrois; et sa tante
+Anne, épouse de Jacques Stoppar, trésorier des aumônes royales; et sa
+tante Catherine, enfin, qui, plus tard, sera prieure des Filles de la
+Croix? L’abandon de Cyrano à Paris est encore une de ces hypothèses
+échafaudées sur sa prétendue origine gasconne et l’éloignement de la
+ville de Bergerac. Lebret a écrit simplement ceci dans la notice qu’il
+consacra à son ami en publiant ses œuvres: «Cet âge où la nature se
+corrompt plus aisément et la grande liberté qu’il avoit de ne faire que
+ce que bon lui sembloit, le portèrent sur un dangereux penchant où j’ose
+dire que je l’arrestay». Mais Lebret ne dit pas quel était ce penchant.
+Les femmes? Cyrano était un chaste, ou du moins un timide en amour et sa
+remarquable laideur ne devait pas peu contribuer à lui inspirer «cette
+grande retenue auprès du beau sexe» dont Lebret lui fait un mérite. Le
+vin? Cyrano était d’une exemplaire sobriété dans le manger et dans le
+boire; même il tenait le vin pour «un poison comparable à l’arsenic».
+Les coups? Lebret témoigne que le talent d’escrimeur de Cyrano qui lui
+valut une si grande réputation, ne s’exerça jamais qu’en qualité de
+second, car «il n’eut jamais une querelle de son chef». Tous ces traits,
+on en conviendra, ne peignent guère un débauché. Peut-être Cyrano fut-il
+un prodigue. Il afficha jusqu’au tombeau un souverain mépris de
+l’argent. Encore ce grief de prodigalité n’est-il, de notre part, qu’une
+conjecture.
+
+Quoi qu’il en soit, les déportements du jeune homme (si déportements il
+y eut) furent de courte durée, puisque Lebret, que ses parents
+destinaient à la carrière des armes, déterminait Cyrano à s’engager en
+même temps que lui dans les gardes-nobles du capitaine Carbon de
+Castel-Geloux.
+
+Carbon comptait dans sa compagnie presque autant de gascons que de
+soldats. Parmi ces raffinés d’honneur, qui la plupart n’avaient pour
+biens qu’une épée solide et un nom sonore, Cyrano se fit, de prime-saut,
+un renom par son adresse, par son esprit, par sa bravoure. Celle-ci
+allait avoir l’occasion de s’affirmer au service du Roi.
+
+C’était l’époque (1639) où la France, intervenant après le traité de
+Prague qui clôturait la période suédoise de la guerre de Trente ans,
+avait à la fois sur les bras l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie. La
+compagnie Carbon fut désignée pour être de la petite armée opposée en
+Champagne à l’effort allemand. Enfermée dans Monzou où elle subit un
+rigoureux blocus, elle ne se ravitaillait que par des sorties répétées.
+A l’une, Cyrano reçut une balle de mousquet au travers du corps. Il
+était à peine rétabli quand la place fut débloquée par le maréchal de
+Châtillon. Cependant il rejoignait l’année suivante au siège d’Arras, où
+nous tenions les Espagnols. Dans l’intervalle, il avait permuté, des
+gardes-nobles aux gendarmes de Conti.
+
+Cyrano n’était pas de ceux qu’une première blessure barde de prudence.
+Avant la fin du siège, il était frappé à la gorge d’un coup d’épée dont
+il se ressentit toute sa vie.
+
+«Les incommodités que lui laissèrent ces deux grandes plaies (dit
+Lebret) et le peu d’espérance qu’il avoit d’avancer», faute d’un patron
+influent, le firent renoncer au métier des armes pour se consacrer tout
+entier à l’étude. Il avait vingt-deux ans.
+
+C’est alors que, rentré au bercail, il compléta son instruction en
+suivant les leçons privées que professait Gassendi, récemment établi à
+Paris chez son ami François Luillier, maître des requêtes. Gassendi
+avait pour élèves: Chapelle, fils naturel de Luillier; Jean-Baptiste
+Poquelin, le futur Molière; Bernier, Hesnaut et La Mothe Le Vayer.
+Cyrano compléta la demi-douzaine...
+
+Combien de temps durèrent ces leçons? Il n’est guère possible de le
+savoir au juste. Pas plus qu’il n’est possible de classer désormais sous
+des dates précises la plupart des faits et gestes de Cyrano jusqu’à la
+veille, presque, de sa mort.
+
+Quelques-uns prétendent qu’il voyagea en Angleterre, en Italie, en
+Pologne, fondant leur assertion sur certains passages de ses œuvres où
+il semble en effet se désigner comme ayant visité ces pays. Mais rien
+n’est moins prouvé. Car si l’on admet qu’il est lui-même ce philosophe
+des _États et Empires de la Lune_, lequel parle de «sa traversée de
+France en Angleterre», doit-on admettre également qu’il alla au Canada,
+parce qu’il raconte (même ouvrage) son arrivée aérienne dans la
+Nouvelle-France, sur une ceinture de «phioles pleines de rosée»? Et si
+l’on tient pour sérieux le récit de son séjour à Rome et de son
+embarquement à Civita-Vecchia, doit-on prendre de même au pied de la
+lettre ces lignes de l’_Histoire de la République du Soleil_ où il dit
+avoir retrouvé en Pologne sa boîte aérostatique? Il est bien malaisé,
+dans tout cela, de départager entre la fiction et la réalité. Toute la
+période de l’existence de Cyrano qui va de 1642 à 1648 est en vérité
+fort obscure et nous n’avons pour jalonner notre route que quelques
+anecdotes assez décousues.
+
+L’une, rapportée par Lebret, est la lutte homérique qu’il soutint seul,
+un soir, l’épée au poing, contre cent coupe-jarrets apostés qui
+guettaient le poète Linières à la porte de Nesles; Linières, prévenu,
+n’osait point retourner coucher à son domicile: «Prends une lanterne et
+marche derrière moi, dit Cyrano à son ami. Je veux t’aider moi-même à
+faire ta couverture.» Le lendemain matin, on relevait au lieu dit sept
+blessés et deux morts; les quatre-vingt-onze autres chenapans avaient
+fui devant ce «démon de la bravoure».
+
+Une autre historiette, moins héroïque et peut-être inventée, est le
+combat de Cyrano contre le singe de Brioché, montreur de marionnettes,
+près du Pont-Neuf. Ce singe, appelé Fagotin, était «grand comme un petit
+homme et gros comme un pâté d’Amiens». Son maître qui se servait de lui
+pour ses parades, l’avait affublé «d’une fraise à la Scaramouche, revêtu
+d’un pourpoint à six basques et d’un baudrier où pendait une lame sans
+pointe». Pour justifier cette inoffensive colichemarde, il lui avait
+enseigné l’escrime et Fagotin déguisé, en bretteur, imitait sans le
+savoir Cyrano. On se figure la joie des laquais massés devant les
+tréteaux de Brioché quand, d’aventure, ils aperçurent un jour Cyrano
+dans la foule, le modèle près de la copie. Savinien n’était pas très
+endurant. Aux premiers lazzis de cette populace, il met flamberge au
+vent; les laquais dégaînent aussi (la valetaille portait encore l’épée).
+Notre héros, à qui cent spadassins ne pesaient guère, n’eut pas gros
+mérite à mettre en déroute cette racaille. Mais le malheur voulut que
+Fagotin, qui prenait cela pour un jeu, se campât en garde devant Cyrano
+et que Cyrano prît Fagotin pour un laquais plus brave que les autres.
+D’un coup d’estoc il vous l’embrocha net. D’où procès, que Cyrano gagna,
+dit-on, tant sa bonne foi sauta aux yeux des juges.
+
+Tel est du moins le récit, très enjolivé, d’un contemporain, récit
+publié après la mort de Cyrano. Le même factum contient un portrait en
+pied, à la plume, qui ne correspond guère aux portraits au burin que
+nous ont laissés les graveurs:
+
+ Bergerac n’estoit ni de la nature des Lapons ny de celle des géans. Sa
+ tête paraissoit presque veuve de cheveux: on les eût comptez de dix
+ pas. Ses yeux se perdoient dans ses sourcils; son nez, large par la
+ tige et recourbé, représentoit celuy de ces babillards jaunes et verds
+ qu’on apporte d’Amérique. Ses jambes brouillées avec sa chair
+ figuroient des fuseaux. Son œsophage pagotoit un peu. Son estomach
+ étoit une copie de la bedaine ésopique. Il n’est pas vray que notre
+ auteur fut malpropre; mais il est vray que ses souliers aimoient fort
+ madame la boue; ils ne se quittoient presque point...
+
+Nous connaissons encore, par les Lettres satiriques de Cyrano, ses
+querelles avec Scarron, Beaulieu, Loret, avec le comédien Montfleury,
+auquel il interdit (s’il en faut croire le _Ménagiana_) de paraître sur
+la scène un mois durant, l’invectivant du milieu du parterre et défiant
+collectivement les spectateurs qui faisaient mine de s’interposer.
+
+Nous n’ignorons pas qu’il sut se faire, malgré tant d’ennemis, des
+amitiés précieuses: Longueville-Gontier, conseiller au Parlement; Gilles
+Filleau des Billettes, l’érudit; Adrien de la Morlière, le chanoine
+généalogiste; Michel de Marolles, abbé de Villeloin; Jacques Rohault, le
+mathématicien philosophe; Tristan L’hermite, le duelliste, et Le Royer
+de Prades, l’historien... Sans parler de ses anciens compagnons d’armes:
+Cavoye, Brissailles, Saint-Gilles, Châteaufort, Brienne, Cuigny,
+Bourgogne, bien d’autres encore dont il serait fastidieux d’énumérer les
+noms. Mais nous ignorons où, quand, comment, il les connut.
+
+De façon plus sûre nous savons que Cyrano était à Paris en 1648,
+puisqu’il écrivait, à cette date, une préface pour le _Jugement de
+Paris_ de Dassoucy, ami d’aujourd’hui, ennemi de demain. Nous savons
+aussi qu’il prit parti dans la Fronde, d’abord contre, ensuite pour
+Mazarin.
+
+Lebret nous apprend que MM. de Bourgogne et de Cuigny, témoins de
+l’exploit de Cyrano à la porte de Nesles, ayant narré l’aventure au
+maréchal de Gassion, celui-ci s’était offert pour prendre à sa solde un
+homme si valeureux. Mais Bergerac était trop orgueilleux pour accepter
+une domesticité même dorée. Il préférait «ses grandes libertés de
+sentiments et de paroles en sa qualité d’esprit fort», comme dit La
+Monnoye. Il avait donc décliné l’offre, encore que celle-ci n’eût rien
+que d’honorable à une époque où tous les hommes de lettres vivaient plus
+ou moins, de leurs dédicaces, aux crocs de quelque grand seigneur.
+
+Cependant, assagi par les ans, assoupli peut-être par la misère, Cyrano
+devait se résoudre à subir le collier. En 1653 il se donnait au duc
+d’Arpajon qui le logeait en qualité de secrétaire dans son hôtel de la
+rue des Archives, au Marais, près du couvent de la Merci. Savinien
+jusque-là avait habité, croit-on, dans le faubourg Saint-Jacques.
+
+Mais il était écrit que Cyrano ne vivrait jamais tranquille. Il avait
+déjà indisposé son Mécène par le succès de scandale de son _Agrippine_,
+quand, un soir de juillet 1654, rentrant au Marais, il reçut sur le
+crâne une poutre qui faillit le tuer du coup. Crime ou accident? On n’a
+jamais su. Et tous les doutes sont permis en présence du silence
+mystérieux des biographes, en présence aussi de l’attitude de M.
+d’Arpajon qui s’empressa de mettre son «client» à la porte.
+
+Cyrano malade, mourant, dut accepter l’hospitalité généreuse que lui
+offrait un ami de Le Bret, M. Tanneguy des Bois-Clairs, conseiller du
+Roi. Savinien languit pendant quatorze mois sans pouvoir se rétablir,
+quotidiennement chapitré par trois pieuses femmes qui avaient conspiré
+de réconcilier avec le ciel un libertin philosophe: l’une d’elles était
+cette tante dont il fut question plus haut, Catherine de Cyrano, en
+religion sœur Saint-Hyacinthe, prieure des Filles de la Croix.
+
+Enfin, au mois de septembre 1655, Bergerac, se sentant perdu, voulut
+être porté à la campagne, chez son cousin, Pierre Cyrano, fils de
+Samuel. Il mourut cinq jours plus tard, âgé de trente-six ans et demi,
+laissant aux Filles de la Croix neuf cents livres, pour une messe
+hebdomadaire, à perpétuité. Par reconnaissance, ces dominicaines
+réclamèrent le corps de l’écrivain qui fut inhumé dans la chapelle même
+de leur couvent.
+
+Ce couvent existe encore au numéro 92 de la rue de Charonne. Les cendres
+de Cyrano de Bergerac y reposent donc, à moins qu’elles n’aient été
+jetées au vent sous la Terreur, alors que l’église était transformée en
+dépôt de charbon.
+
+ * * * * *
+
+Nous ne saurions, au sujet des seules _Lettres d’Amour_ entreprendre une
+étude, même succincte, des Œuvres complètes de Cyrano. Nous devons dire
+pourtant quelques mots de son style et chercher le pourquoi de son
+_écriture_ bizarre.
+
+Afféterie des termes, mythologie tortillée, raffinements burlesques,
+esprit de mauvais aloi, abus des concetti et des _pointes_, voilà ce qui
+frappe dès l’abord chez Cyrano. Mais ces défauts de plume étaient ceux
+de tous les épistolaires admirés de son temps, Balzac et Voiture en
+tête. L’Hôtel de Rambouillet donnait le ton à la société polie quand
+notre auteur naquit aux lettres; et, lorsqu’il mourut, les samedis de
+Mlle de Scudéry étaient en pleine vogue. Nul ne trouvait encore les
+précieuses ridicules. Alors que les Corneille, les Saint-Evremont, les
+Larochefoucauld, les Ménage, les Chapelain, les Sarrasin raffolaient de
+la _pointe_, comment un nouveau venu dans la littérature aurait-il
+échappé à cette espèce d’épidémie qui frappait les amoureux de bel
+esprit?
+
+La _pointe_ telle que la cultiva le XVIIe siècle était une manière de
+calembour honteux, équivoquant non sur des sons, mais sur les sens
+multiples de certains mots. Le fin du fin consistait à bien placer les
+équivoques. Cyrano se conformait à la mode des ruelles en faisant,
+quelque part, agenouiller le brin de thym devant la tulipe «à cause
+qu’elle porte un calice»; en plaçant, dans les Enfers, Lucain, que Néron
+fit tuer par jalousie de poète, à côté de petits enfants «que les vers
+ont fait mourir»; et Raymond Lulle, l’alchimiste fameux «qui juroit
+d’avoir rendu l’or potable», en compagnie d’ivrognes «qui avoient fait
+la même chose», buvant leurs écus. Tout cela est assurément d’un goût
+lamentable; mais c’était le goût du jour. Et si Bergerac force parfois
+la note, c’est qu’il vise en outre au burlesque et recherche l’effet
+comique.
+
+Par où, en revanche, Cyrano se distingue de la plupart des précieux de
+son temps, c’est par son procédé de recherche. Et l’on ne découvrirait
+peut-être pas la source secrète où s’abreuva sa verve, si l’on oubliait
+qu’il fut, un moment, l’élève de Gassendi. Sans doute lui-même eût été
+bien en peine d’_anatomiser_ comment, du naturalisme scientifique de son
+professeur, il tira son naturalisme à lui, disciple excentrique. Les
+auteurs novices, ou qui s’essaient dans un genre nouveau, n’ont pas le
+loisir d’analyser leur propre mentalité ni de décrire la spécialité de
+leur état d’âme. Mais si les compositions de Cyrano, précurseur de nos
+humoristes familiers, ne nous exposent ni sa méthode littéraire ni ses
+disciplines philosophiques, il n’en demeure pas moins très visible que
+la doctrine gassendiste a réglé et dominé sa fantaisie.
+
+Les gassendistes, qui se réclamaient d’Épicure, prisaient fort, avec les
+épicuriens, la qualité irréductible des sensations, la saveur de ce qui
+est individuel, la physionomie pittoresque de la chose vue, le charme,
+saisi sur le vif, d’une rencontre inopinée. Tandis que les cartésiens,
+tournés vers l’étude abstraite des phénomènes moraux, estimaient trop
+bas les objets sensibles et repoussaient comme indignes du penseur et du
+styliste les vils accidents de la substance-matière, les gassendistes
+professaient une curiosité naturaliste toujours en éveil, et quêtaient
+perpétuellement la sensation neuve.
+
+Chez un gassendiste savant, le devoir de curiosité, enseigné par le
+maître, s’aiguillera vers la découverte des lois mécaniques de
+l’univers. Chez un imaginatif, comme Cyrano, cette curiosité se traduira
+par la recherche inconsciente ou réfléchie de l’inédit littéraire, par
+la haine du plagiat, par le mépris du _déjà lu_; Cyrano sera le
+_chasseur d’images_ si bien crayonné depuis par M. Jules Renard: «Ses
+yeux servent de filets où les images s’emprisonnent d’elles-mêmes...» Et
+notre auteur burlesque trouvera dans ce mariage du concret et de
+l’abstrait, de l’image réaliste et de l’équivoque morale, les meilleures
+bouffonneries de son style pointu.
+
+Lorsque Cyrano écrit à une dame: «Encore si vous n’aviez mon cœur,
+j’aurois le cœur de me défendre; mais j’ai fait, par ce présent, que je
+n’oserois pas même me fier à vous, à cause que vous avez le cœur
+double...», c’est comme s’il écrivait: «Je vous ai donné mon cœur; je
+n’en ai plus et vous en avez deux; on ne peut se fier à un cœur double».
+Il équivoque, c’est convenu, sur le sens de duplicité inclus dans le mot
+double. Mais il n’arrive à cette équivoque qu’en posant comme prémisse
+une absurdité physique: vous avez deux cœurs. Et cette recherche,
+intentionnelle quoique irrationnelle, de l’aspect physique d’une
+situation morale, fait l’originalité de sa pointe.
+
+Lorsqu’il dit à une autre: «Dois-je pleurer, dois-je écrire, dois-je
+mourir? Il vaut mieux que j’écrive; mon cornet me prêtera plus d’encre
+que mes yeux ne me fourniront de larmes...», c’est encore par une
+contingence physique, hors du champ de l’attention de son lecteur, qu’il
+provoque ce dernier à sourire. Pointe burlesque par réalisme, phrase
+relevée par l’épice imprévue d’une trivialité préméditée.
+
+Le burlesque de Cyrano ne serait ni meilleur ni pire que celui de Sorel,
+de Dassoucy ou de Scarron, si l’on n’y retrouvait ce constant scrupule
+d’observation qui rend parfois ses comparaisons ingénieuses et jolies.
+C’est ainsi qu’avant le «chemin qui marche» de Pascal, il voit un
+aqueduc comme «un os dont la moelle chemine»; avant l’«obélisque vert»
+de Flaubert, il voit le cyprès comme «une pique allumée à la flamme
+verte»; le lys, sur quoi furent débitées tant de fadeurs, lui apparaît
+tel un «géant de lait caillé», et les nuages lui semblent de «grands
+arrosoirs» qui se promènent au ciel.
+
+Qu’on n’aille pas conclure que Cyrano fut un descriptif à outrance. Tout
+au contraire, il est sobre, presque sec, dans ses descriptions. Et s’il
+s’efforce de peindre d’après nature, quand ses contemporains ne peignent
+que «de chic» ou d’après l’antique, c’est toujours par petites touches
+qu’il procède, fichant çà et là ses impressions, comme on pique des
+fleurs sur un tapis de mousse.
+
+Au résumé, Bergerac ouvrit le premier la veine que devaient exploiter
+longtemps après lui tant de nos écrivains modernes. Mort jeune, il ne
+pouvait qu’être incompris des classiques de son temps qui le regardaient
+un peu comme un fou, à cause de ses allures extérieures de bravo
+littéraire. Ce n’était qu’un amant de la douce nature, né dans la peau
+rude d’un «réfractaire».
+
+ * * * * *
+
+Les _Lettres d’Amour_ que nous publions ci-après ne peuvent être
+absolument qualifiées: inédites. Elles n’ont pourtant jamais été éditées
+fidèlement. Les éditions imprimées présentent avec le manuscrit que nous
+avons eu sous les yeux des différences importantes.
+
+Ce manuscrit, d’une grosse écriture du XVIIe siècle appartint au
+regretté savant Monmerqué qui l’avait acheté en 1837 près de
+Saint-Sulpice.
+
+Il écrivait à ce propos en 1856 au bibliophile Paul Lacroix: «Mon
+manuscrit est du temps de Bergerac et je ne serais pas éloigné de croire
+qu’il est de sa main; mais je n’ai jamais vu une lettre écrite et signée
+par lui...»
+
+Ce précieux recueil fut vendu en 1861 et il faisait partie, en 1890, de
+la bibliothèque de M. Deullin, d’Épernay, lorsque ce dernier l’offrit à
+la Bibliothèque nationale.
+
+Nous avons extrait onze lettres des quarante et une qu’il renferme;
+quelques-unes sont étiquetées formellement: _d’amour_. D’autres, qui
+entrent par leur sujet dans la même catégorie, portent des titres
+spéciaux que nous avons reproduits. Nous avons aussi scrupuleusement
+respecté l’orthographe et nous n’avons modifié la ponctuation, souvent
+défectueuse, que pour rendre le texte intelligible.
+
+Ces lettres furent-elles adressées à des correspondantes de chair et
+d’os? Ou bien faut-il ne voir dans ces galanteries caricaturales que des
+exercices de rhétorique pure? C’est un problème que nous ne nous
+chargerons point de résoudre, la vie privée de Cyrano étant trop
+inconnue pour rien hasarder sur ses liaisons amoureuses. Il faut laisser
+aux poètes et aux dramaturges le soin d’arranger ou de déranger
+l’Histoire.
+
+G. Capon,
+
+R. Yve-Plessis.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+
+
+
+A Mademoiselle de St Denis
+
+
+MONSIEUR,
+
+Ie ne me plains pas tant du mal que vous auez pris la peine de me faire,
+que de celui qu’on ma fait de vôtre part. En me quitant, vous laissâtes
+chez moy une insolente qui, sous ombre qu’elle se dit vôtre idée, se
+vante d’auoir sur moy puissance de vie et de mort. Encore, elle encherit
+tiranniquement sur vôtre empire. Car, au lieu que vous ne me blessiez
+iamais, si ce n’étoit par mégarde, et que j’obtenois de vôtre pitié
+l’apareil aussi-tôt que la plaie étoit faite, l’inhumaine prend plaisir
+à déchirer les blessures que vous m’auiez fermées, et à m’en creuser de
+nouuelles, qu’elle sçait bien ne pouuoir guérir: peut estre vous
+absentez-vous de moy pendant mon suplice, comme le Roy s’éloigne des
+lieux où l’on exécute des criminels, à fin de n’estre point importuné de
+leur grace. Hélas! à quoy tant de précautions; vous connoissez trop bien
+la force de vos coups, pour apréhender que ie r’echape. La médecine qui
+parle de toutes les maladies, n’a rien écrit de la mienne, à cause
+qu’elle entrait [_en traite_] comme les pouuant guerir, et l’amour est
+un mal incurable. Quelqu’un moins proche de la mort, apuiroit son
+discours d’hiperboles. Il vous diroit que vous auez pris son cœur, et
+que le cœur étant la cause de la vie, il ne peut viure; à tort et sans
+cause, un autre protesteroit qu’il se seroit desia sacrifié pour vous,
+mais qu’il pensa que ç’eût esté rendre l’augure de vos victoires trop
+funeste, s’il vous eût immolé une victime, où l’on n’eût point trouué de
+cœur; un autre encore auroit exagêre sa passion d’autre sorte. Mais moy
+qui suis prêt de partir pour l’examen, ie dois penser à rendre plutôt
+qu’à faire des comptes. Receuez donc cet acte de foy que ie fais à
+l’agonie. Premièrement, ie ne suis point atée puisque ie vous adore; ie
+crûs fermement que Dieu s’étoit incarné aussitôt qu’on me dit que vous
+étiez née d’une femme; les prières, les vœux et les respects que ie rens
+à saint Denis témoignent assez la vénéracion que ie porte aux saints;
+l’espérance de vôtre possession n’a jamais enflé ma nature, que ie ne me
+soit trouué conuaincu de la resurection de la chair. Enfin pour
+m’assurer de la vie éternelle, j’ordonne à mes heritiers de placer mes
+os dans l’église de ma paroisse, non pas au cimetière, parce que hors
+l’Eglise il ni à point de salut. Mourant ainsi, ie ne puis faire une
+mauuaise fin, quand mesme ie ferois tomber ici mal à propos que ie suis,
+
+MONSIEUR,
+
+Vôtre seruiteur.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Vous sçauez que ie n’auois encore aucune connoissance des fers ou le
+Ciel m’auoit condamné, lors qu’à la pesche ie vous vis la première fois.
+Certes le hazard eût esté bien grand, que, si proche de filets, ie
+n’usse pas esté pris: et quand i’usse mesme échapé les filets, vôtre
+charmante lettre m’a fait assez connoître que ie ne me fusse pas sauué
+de vos lignes: elles me présentoient autant d’ameçons que de paroles et
+chaque parole n’étoit composée de plusieurs caracteres que pour
+m’ensorceler. Ie receus cette belle missiue auec des respects dont ie
+serois l’expression en disant que ie l’adore, si i’étois capable
+d’adorer quelque autre chose que vous. Ie la baisé au moins, et ie
+m’imaginois en la baisant, baiser vôtre esprit mesme, duquel elle étoit
+l’ouurage. Mes yeux prenoient plaisir de refaire inuisiblement les
+mesmes lettres que vôtre plume auoit marquées; insolens de leur fortune,
+ils atiroient chez ceux toute mon ame et par de lons regars s’atachoient
+à ce beau craion de la vôtre, pour s’unir à leur Idole: mais se sentans
+emprisonnez, ils pleuroient, à fin que ces larmes (comme d’autres petits
+yeux qu’ils enuoioient à leur place) s’esquiuassent à la file,
+puisqu’ils ne pouuoient sortir en corps. Vous fussiez-vous imaginé
+qu’une feuille de papier eût fait un si grand feu. Il n’étindra iamais
+pourtant, que le iour ne soit éteint pour moy. Si mon esprit et ma
+passion se partagent en deux soupirs, quand ie mourray, celui de mon
+amour partira le dernier. Ie conuieray à l’agonie le plus fidelle de mes
+amis de me réciter cette chère lettre: et lorsqu’en lisant il sera
+paruenu à l’endroit ou vous protestez d’estre...... ie criray iusqu’à la
+mort: cela n’est pas possible, MADAME, car moy mesme i’ay tousiours esté
+
+Vôtre esclave.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Donc vous me voulez du bien. Ha! dés la première ligne je suis vôtre
+très humble, très obeissant, et très passionné seruiteur, car ie sens
+mon ame se dissoudre en extases si prochains de la priuacion, que ie
+mouray de ioie auparauant que i’aie le temps de finir ainsi ma lettre;
+toutefois, la voila concluë et ie puis si ie veux la fermer. Aussi-bien,
+étant assuré de vôtre afeccion, tant de lignes ne sont pas nécessaires
+contre une place prise. Mais parce qu’un Empereur doit expirer debout,
+et un amoureux en se plaignant, ie veux profiter en sorte du reste de ma
+vie que mon dernier soupir soit tout emploié à propher [_proférer?_]
+MADAME, je meurs d’amour. Mais vous croiez peut estre que le mourir des
+amans n’est autre chose qu’une façon de parler, et qu’à cause de la
+conformité des noms de l’amour et de la mort, nous prenons souuent l’un
+pour l’autre. Mais vous ne douterez pas de la possibilité du mien quand
+vous aurez suputé la longueur de ma maladie: et moins encore, quand
+après auoir lû ce discours, vous trouuerez à l’extrémité
+
+Votre Seruiteur. Le pauure D. C.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Bien loin d’auoir perdu le cœur en vous voiant, comme préchent les
+passionnez du siècle, ie me trouue depuis ce jour la beaucoup plus
+honneste homme. Mais comment aussi l’aurois-ie perdu, que, comme s’il
+eut aprehendé de n’estre pas assez d’un pour tous vos coups, ie le
+sentis palpiter à cét abord en tous mes artères: et c’étoit ce petit
+ialoux qui se reproduisoit indiuisiblement en chàque atome de ma chair,
+à fin qu’ocupant tout seul mon corps tout entier, rien que lui ne
+participât à l’honneur d’estre blessé de vous. Ie ne diray point non
+plus comme le vulgaire, de mesme que si vous étiez un basilic, que ce
+furent vos yeux qui me firent mourir: comme toutes vos armes ne
+sortirent pas de notre veuë, toutes vos armes n’entrerent pas par la
+mienne. Quand votre bouche me charmoit, c’étoit mon oreille qui m’en
+aportoit le poison. Quand i’étois excité par l’aimable douceur de votre
+peau bien unie, c’étoit sur la déposicion de mes mains que ie me
+condamnois au feu. Votre beauté mesme ne faisoit pas grand effort contre
+moy, parce que votre visage qui fut iadis son trône, étoit alors son
+cimetiere; et tant de petits trous, qu’on y discerne, me sembloient
+estre les fosses, où la vérole auoit mis vos atrais en sepulture.
+Cependant la franchise pour qui Rome autrefois a risqué l’Empire du
+monde, cette diuine liberté, vous me l’auez rauie, et rien de ce qui
+chez l’ame se glisse par le sens, n’en à fait la conqueste: votre esprit
+seul méritoit cette gloire; sa viuacité, sa douceur, son courage,
+valoient bien que ie me donnasse à de si beaux fers. Ie ne croy pas
+pourtant que vous soiez un ange, car vous estes palpable; ie n’ay garde
+aussi de penser que vous soiez comme moy puisque vous estes insensible;
+cela me fait imaginer que vous estes quelque chose au milieu du
+raisonnable et de l’inteligible. I’aurois dit mesme que vous tenez de la
+nature humaine et diuine, si de tous les atribus qui sont necessaires à
+la perfeccion du premier estre, et qui vous sont essenciels, celui de
+misericordieuse ne vous manquoit. Oui! Si l’on peut imaginer en une
+diuinité quelque défaut, ie vous acuse de celui là: ce iour mesme que
+vous me blessâtes, vous me promîtes l’apareil dans trois autres; outre
+que c’eut esté donner remede trop tard à un mal qui gaigne le cœur,
+encore n’y vîntes vous pas. Mais vous fîtes bien! car on doit se tenir
+caché quand on a tué un homme. Sortez toutefois sans rien craindre;
+sortez, c’est une loy pour le vulgaire qui ne vous regarde point. Il
+serait fort nouueau qu’on recherchât un tiran de la mort de son esclaue.
+Vous vous étonnez possible que moy mesme i’escrime. Ie le fais pourtant
+sans miracle; mais aussi l’homme à deux trépas à souffrir sur la terre,
+celui d’amour, et celui de nature. Ie puis donc croire que quand ie
+commancé de vous aimer, ie commancé de mourir; puisque la mort est
+definiée la separacion de l’esprit et du corps; et que ie perdis
+l’esprit au moment que ie vous aimé. Mais quand auec la peine d’amour
+i’auray encore subi celle ou la condicion d’animal nous astrint (quoy
+que ie ne sens plus les douleurs de la première), ie ne laisseray pas de
+m’en souuenir éternellement la bas, et si on diffère de qualitez en
+l’autre monde, comm’en celui ci, vous serez touiours ma souueraine, et
+moy (fusse entre les flammes qui deuoreront ma substance), ie seray
+toujours
+
+Votre Seruiteur très ardant.
+
+
+
+
+Regret d’un éloignement
+
+
+MADAME,
+
+Dois-ie pleurer, dois-ie écrire, dois-ie mourir? Il vaut mieux que
+i’écriue; mon cornet me prétera plus d’ancre que mes yeux ne me
+fourniront de larmes; et quand ie penserois guerir de la tristesse de
+votre absence par ma mort, ce ne seroit pas me r’aprocher de vous puis
+que Paris est plus près de Saumur, que Saumur des Champs Elisées. Mais
+que vous ecriray-ie, bons dieux? Rien, sinon que i’espère bien tôt faire
+voiage pour le Poitou ou pour l’Enfer; que ie vous prie de consoler mes
+amis de la perte qu’ils font, a cause de vous, et que si vous souhaitez
+me mander quelque chose, vous adressiez vos lettres au Cimetière de
+Saint Iaques. C’est là que votre messager aura de mes nouuelles; le
+fossoieur ou mon épitaphe lui aprendront mon logis, et lui feront lire
+que, ne sachant ou vous rencontrer en ce monde, ie suis parti pour
+l’autre, étant bien assuré que vous y viendriez: ce ne vous sera pas peu
+de consolacion quand vous trouuerez pour vous garantir des insolences du
+Diable, ce Diable,
+
+MADAME,
+
+Votre Seruiteur De Bergerac.
+
+
+
+
+Contre une femme interessée
+
+
+MADAME,
+
+Si chacun étoit obligé comme moy, pour faciliter la lecture de ses
+œuvres, de donner de l’argent, les Balsacs n’auroient jamais écrit, et
+les aueugles sçauroient lire. Mais quoy. Si mes lettres ne sont
+éclairées de la reuerbéracion de quelque écu d’or, quand ie les aurois
+prises dans Polexandre, ie suis assuré d’auoir écrit en hébreu. Chez
+vous, ouurir simplement la bouche ne sert qu’a la prononciacion de
+l’Arabe et du Margajat; pour vous parler François, il faut ouvrir la
+main; ainsi i’ay dans mon coffre le secret de vous éclairer la Bible, et
+de vous rendre les Centuries de Nostradamus plus intelligibles que le
+pater. C’est de vous qu’on peut dire, point d’argent point de suisse.
+Mais, d’un autre côté, ie me console en ce que, quand vous auriez
+combatu dix ans mes seruices, mes larmes et mon désespoir, ie suis
+assuré auec la croix d’un Louis, de chasser de votre corps ces diables
+de refus; iamais les malfaicteurs de Iudée, n’ont tant tombé sous la
+croix que vous; vous croiez qu’un iuste ne vous sçauroit rien demander
+iniustement, et que des intencions qui sont accompagnées d’un métal pur
+comme l’or, ne sçauroient estre que très pures. I’aurois grand tort
+apres cela de dire que votre auarice est égale a celle de Iudas, lui qui
+vendit un Iuste; et vous vous vendez pour un Iuste. Le palais Roial vous
+à accoutumée a porter tant de respect aux princes que vous vous abaissez
+sous tous ceux qui portent leurs images; et quelqu’un aioûte que vous
+étes tellement circonspecte à la distribucion de vos faueurs, que vous
+pesez dauantage sur les baisers d’un quart d’écu que sur ceux d’un
+teston. Cette façon d’œconomie ne me déplait pas tout à fait, car quand
+ie viendray vint sols dans une main, ie suis certain que ie tiendray
+votre cœur dans l’autre. Tout ce qui me fàche, c’est que vous métrez mon
+image hors de chez vous par les épaules, dès qu’elle y a demeuré trois
+iours sans paier son gîte; qu’il me semble que la définicion de mon
+estre soit de donner, et qu’aussi-tôt que ie cesse de fouiller à ma
+pochette, ie cesse d’estre animal raisonnable. Corrigez cette humeur
+auare, car il vous est honteux d’estre a mes gages, moy qui suis
+
+Votre Seruiteur.
+
+
+
+
+Effets amoureux d’une absence
+
+
+MADAME,
+
+Suis-ie condamné à pleurer encore long temps pour votre absence; mes
+yeux ne sont plus que deux alambics, par ou distilent mon humide et ma
+vie; en vérité ie soupçonnerois (si ma mort vous étoit utile) que vous
+tâchez d’ôter toute l’eau de chez moy, de peur que ie n’echape au feu.
+Cependant votre entreprise n’auroit pas de succès; plus ie mouille mon
+sein plus il brûle, et sans doute que ce Dieu qui composa d’argile le
+corps du premier homme, a taillé le mien d’une pierre de chaux, puisque
+ie m’alume dans l’eau. Ie n’oserois plus marcher dans les rues embrasé
+comme ie suis, que les enfans ne m’enuironnent de fusées, pour que ie
+leur semble une figure d’artifice echapé de la grèue; n’y a la campagne,
+qu’on me prenne pour un de ces ardans qui traînent a la riuière. Et si
+vous ne reuenez bien tôt, on vous répondra quelque iour quand vous
+demanderez a me voir, que ie suis la beste à feu, qu’on montre aux
+Thuilleries; alors vous aurez la honte d’auoir un amant Salemandre, et
+le regret de voir brûler des ce monde
+
+Votre Seruiteur De B.
+
+
+
+
+Éloge d’une rousse
+
+
+MADAME,
+
+Ie sçay bien que nous viuons dans une province où l’on n’estime pas la
+couleur rousse de votre poil; mais ie sçay bien aussi que le vulgaire ne
+peut iuger comm’ il faut, des choses excellentes, puisqu’il seroit
+necessaire qu’il les connût; mais quel que soit son sentiment, permétez
+que ie parle ainsi à votre cheuelure. Lumineux dégorgement de l’essence
+du plus beau des êtres visibles; Intelligente réflexion du feu radical
+de la nature; Image du jour la mieux trauaillée, ie ne suis point si
+brutal de méconnoître pour ma Reine l’enfant de celui que mes pères ont
+connu pour leur Dieu. Athènes pleura sa couronne tombée sous les Temples
+abatus d’Apollon; Rome cessa de commander à la terre, quand elle refusa
+de l’encens à la lumière; et Bisance est entrée en possession de mettre
+aux fers le genre humain, aussi-tôt qu’elle a pris pour ses armes celles
+de la sœur du Soleil. Tant qu’à cet esprit uniuersel le perse fit
+hommage du raion qu’il tenoit de lui, quatre mil ans n’ont pu vieillir
+la jeunesse de sa monarchie: mais sur le point de voir briser ses
+simulacres, il se sauua dans Pequin des outrages de Babilonne. Il semble
+maintenant echauffer à regret d’autres terres que celles des Chinois; et
+i’apréhende qu’il ne se fixe dessus leur Emisphère, s’il peut un iour
+(sans venir à nous) leur donner les quatre saisons. La France toutefois,
+MADAME, a des mains en votre visage qui ne sont pas moins fortes que les
+mains de Josué pour l’enchaîner; vos triomphes (ainsi que les victoires
+de ce heros) sont trop illustres pour estre cachez de la nuit. Il
+manquera plutôt de promesse à l’homme, qu’il ne se tienne toujours en
+lieu d’où il puisse contempler à son aise l’ouurage de ses ouurages le
+plus parfait: voiez comme par son amour l’esté dernier il échauffa les
+signes d’une ardeur si longue et si véhémente qu’il en pensa brûler la
+moitié de ses maisons; et, sans consulter l’almanach, nous n’auons
+iamais pû, cette année, distinguer l’hiuer de l’automne pour sa
+benignité, à cause qu’impacient de vous reuoir, il n’a pu continuer son
+voiage iusqu’au tropique. Ne pensez point que ce discours soit une
+hiperbole: si iadis la beauté de Climeine l’a fait descendre du Ciel, la
+beauté de M..... est assez considérable, pour le faire un peu détourner
+de son chemin: l’égalité de vos âges, la conformité de vos corps, la
+ressemblance peut-estre de vos humeurs,--peuuent bien r’alumer en lui ce
+beau feu.--Mais, si vous êtes fille du Soleil (adorable Alexie) i’ay
+tort de dire que votre père soit amoureux de vous. Il vous aime
+véritablement; et la passion dont il s’inquiéte pour vous, est celle qui
+lui fit soupirer le malheur de son Phaëton, et de ses sœurs: non pas
+celle qui lui fit répandre des larmes à la mort de sa Daphné; cette
+ardeur dont il brûle pour vous est l’ardeur dont il brûla iadis tout le
+monde; non pas celle dont il fut lui-mesmes brûlé: Il vous regarde tous
+les iours avec les frissons et les tendresses que lui donne la mémoire
+du désastre de son fils aîné: Il ne voit sur la Terre que vous, ou il se
+reconnoisse; s’il vous considère marcher, voilà, dit-il, la généreuse
+insolence, dont ie marchois contre le serpent Piton; s’il vous entend
+debiter sur des matières délicates, c’est ainsi que ie parle, dit-il,
+sur le Parnasse avec mes sœurs. Enfin, ce pauure père, ne sçait en
+quelle façon exprimer la ioie que lui cause l’imaginacion de vous auoir
+engendrée. Il est ieune comme vous, [_vous_] étes belle comme lui: son
+tempérament et le vôtre sont tout de feu: par vous il se trouue deux en
+deux endrois. Il donne la vie et la mort aux animaux, et bientôt, comme
+lui, vous donnerez la vie à vos ennemis, et la mort à ceux du Roïaume:
+comme lui vous auez les cheueux roux. I’en étois là de ma lettre,
+adorable M..... lors qu’un censeur à contre sens, m’aracha la plume, et
+me dit que c’étoit mal se prendre au panegirique, de louër une ieune
+personne de beauté parce qu’elle étoit rousse: moy ne pouuant punir cet
+orgueilleux jdiot, plus sensiblement que par le silence, Ie pris une
+autre plume, et continué ainsi. Une belle teste sous une perruque
+rousse, n’est autre chose que le soleil au milieu de ses raions; ou le
+soleil lui-mesme n’est autre chose qu’un grand œil sous la perruque
+d’une rousse. Cependant, tout le monde en médit, a cause que tout le
+monde à la gloire de l’estre; et cent hommes à peine en fournissent un,
+parce qu’étans enuoiez du Ciel pour commander, il est besoin qu’il y ait
+moins de sujets que de Seigneurs. Ne voions-nous pas que toutes choses
+en la nature sont, ou plus ou moins nobles, selon qu’elles sont ou plus
+ou moins rousses. Entre les Elemens, celui qui contient le plus
+d’essence et le moins de matière, c’est le feu, a cause de sa rouge
+couleur; l’or à receu, de la beauté de sa teinture, la gloire de regner
+sur les métaux; et de tous les astres, le soleil n’est le plus
+considerable, que parce qu’il est le plus roux. Les comètes cheuelus
+qu’on void voltiger au ciel à la mort des grans hommes, sont-ce pas les
+rousses moustaches des Dieux qu’ils s’arachent de regret? Castor et
+Pollux, ces petits feux qui font prédire aux matelos la fin de la
+tempeste, peuuent-ils être autre chose que les cheueux roux de Iunon
+qu’elle enuoie a Neptune en signe d’amour? Enfin, sans le désir
+qu’eurent les hommes de posséder la toison d’une brebis rousse, la
+gloire de trente demi dieux seroit au berceau des choses qui ne sont pas
+néés; et (un nauire n’étant encore qu’un être de raison) Americ ne nous
+auroit pas conté que la terre à quatre parties. Apollon, Vénus et
+l’Amour, les plus belles diuinitez du pantheon sont rousses en cramoisi;
+et Jupiter n’est brun que par accident, a cause de la fumée de son
+foudre qui la noirci. Mais si les exemples de la Mitologie ne satisfont
+pas les aheuris, qu’ils confrontent l’histoire: Sanson, qui tenoit toute
+sa force pendüe à ses cheueux, n’avoit-il pas receu l’énergie de son
+miraculeux estre dans le roux coloris de sa perruque? Les destins
+n’auoient-ils pas ataché la conseruacion de l’empire d’Atènes, a un seul
+cheueu rouge de Nisus; et Dieu n’at-il pas enuoié aux Etiopiens la
+lumière de la foy, s’il eut trouué parmi eux seulement un rousseau. On
+ne douteroit point de l’eminente dignité de ces personnes la, si l’on
+consideroit que tous les hommes qui n’ont point été fais d’hommes, et
+pour l’ouurage de qui Dieu lui mesme à choisi et pétri la matière, ont
+toûjours été rousseaux; Adam fut rousseau; Iesus Crît fut rousseau;
+Iudas mesme eut l’honneur d’estre l’instrument de notre salut, et de
+baiser le Messie en le trahissant, à cause qu’il étoit rousseau; et Dieu
+ne le reprouua que faché de voir qu’un homme qui n’étoit que son
+estafier fût cependant plus rousseau que lui. Et toute philosophie bien
+corecte doit aprendre que la nature qui tend au plus parfait, essaie
+toûjours en formant un homme de former un rousseau; de mesme qu’elle
+aspire à faire de l’or en faisant du mercure. Car quoy qu’elle rencontre
+rarement, un archer n’est pas estimé mal adroit qui, lâchant trente
+flèches, en adresse cinq ou six au but: comme le tempérament le mieux
+balancé, est celui qui fait le milieu du flegme et de la mélancolie, il
+faut estre bien heureux pour fraper iustement un point indiuisible: au
+deça sont les blons, au dela sont les noirs, c’est-à-dire les volages,
+et les opiniatres: entre deux est le milieu, ou la sagesse (en faueur
+des rousseaux) à logé la vertu; aussi leur chair est bien plus délicate,
+le sang plus suptil, les espris plus épurés et l’intellect par
+conséquent plus vîf, à cause du mélange parfait des quatre qualitez.
+C’est la raison qui fait que les rousseaux blanchissent plus tard que
+les noirs, comme si la nature se fâchoit, de détruire ce qu’elle a pris
+plaisir à faire; en vérité, ie ne vois iamais de cheuelure blonde que ie
+ne me souuienne d’un toupon de filasse mal habillée; n’y de noire, que
+ie ne me figure un faisseau de cordes d’épinette enrouillées; mais ie
+veux que les blons quand ils sont jeunes soient agréables; ne semblent
+ils pas, si tôt que leurs ioües commancent a cotonner, que leur chair se
+diuise par filamens pour leur faire une barbe? Ie ne parle point des
+barbes noires; car on sçait bien que si le Diable en porte, elle ne peut
+être que fort brune. Puis donc que nous auons tous a deuenir esclaves de
+la beauté, ne vaut-il pas bien mieux, que nous perdions notre franchise
+dessous des chaînes d’or, que sous des cordes de chanure, ou des
+entraues de fer? Pour moy tout ce que ie souhaite, ô ma belle M.....,
+est qu’a force de promener la mienne dedans ces petits labirintes d’or
+qui vous seruent de cheueux, ie l’y perde bientot; et tout ce que
+i’aprehende, c’est de la recouurer quand je l’auray perduë. Voudriez
+vous bien me prométre que ma vie ne sera point plus longue que ma
+seruitude: Ie le souhaite au moins n’osant pas vous en conjurer; car en
+quelle qualité vous ferois ie cette prière? Ie ne suis point votre ami,
+la fortune ne m’aiant pas encore présenté l’ocasion de le meriter; Ie ne
+suis point votre seruiteur, n’aiant pas encore de vous permission de me
+le dire; cependant ie seray donc,
+
+MADAME,
+
+Votre ie ne sçay quoy.
+
+
+
+
+Sur des brasselets de cheueux
+
+
+MADEMOISELLE,
+
+I’ay receu vos brasselets marquez de vos chifres; ne craignez donc plus
+qu’un prisonier arété par les bras et par le cœur, vous échape. Je vous
+confesseray cependant (si vous ne me sembliez trop belle pour estre
+sorcière) que votre don m’ût été suspect, a cause qu’il entre quasi
+toujours des cheueux et des caractères dans la composicion des charmes.
+Mais comme vous étes en possession de massacrer impunement, le venin
+vous est inutile, et quoy que ie vous puisse conuaincre auec ces
+brasselets d’auoir usé sur moy, sinon de sortilége, au moins de
+ligature, i’aurois tort de me dérober aux secrets de votre magie;
+puisqu’aiant à choir sous vos coups, mon trépas sera plus glorieux, s’il
+ariue par des moiens surnaturels, et s’il faut un miracle pour me tuer.
+Ie m’imagine que vous prenez tout ceci pour une matamorade. Hé!
+bien,--parlons sérieusement; dites moy donc en conscience, nesse pas
+auoir un cœur à bon marché, qui ne vous coûte que trois coups de
+brosses; ma foy, si vous en trouuez plusieurs a ce pris la, ie vous
+conseille de les prendre; vous risquez peu de chose, et pouuez gangner
+beaucoup; car il reuient toûjours des cheueux à la teste, et non des
+cœurs à la poitrine. Peut estre que mesurant mon mérite, a la hardiesse
+d’éleuer mes desirs iusqu’à vous, vous m’offrez votre cheuelure, pour me
+traiter en Dieu. Mais peut estre aussi (petite moqueuse) que me voulant
+donner à connoître comme vous étiez viuement touchée de mon amour, vous
+m’auez enuoié de votre personne la partie la plus insensible. Quelque
+malicieuses, cependant, que soient vos intencions, du bien ou du mal que
+vous me faites, ie confons tellement la simpathie auec l’anthipatie que
+les mains qui me frapent, ou qui me carressent me paroissent également
+souhaitables lorsqu’elles sont à vous. Cette lettre en est une preuue
+assez conuaincante; puisqu’elle ne tend qu’a vous remercier de m’auoir
+tiré par les cheueux, de m’auoir lié les bras, et par toutes ces
+violences m’auoir fait,
+
+MADEMOISELLE,
+
+Votre esclaue.
+
+
+
+
+MADAME
+
+Le mal que ie souffre pour vous, n’est point la mort assurement, et
+toutefois ie me meurs depuis que ie vous ay veuë. Ie brule, je tremble,
+mon poux est déréglé, c’est donc la fiéure: hélas! ce ne l’est point;
+car on la définit une disproporcion querelleuse des qualitez de
+l’animal; et c’est la parfaite harmonie de nos temperamens, qui m’a
+rendu malade. Quand ie vous aperceus, il me sembla trouuer ce beau, a la
+recherche de qui la nature pousse tous les hommes: quand vous parlâtes,
+ie m’ecriay, voilà ce que i’ay voulu dire tant de fois; mon cœur
+souffloit dans mes entrailles, frapoit contre les murs de sa prison, et
+maudissoit le Ciel, qui lui donnant l’enuie et les moiens de reconnoître
+sa moitié, lui refusoit le pouuoir de la joindre après l’auoir trouuée.
+Cependant, il s’est dépité de telle sorte (ce petit souuerain) de n’être
+pas absolu dans son empire, qu’il me refuse ses fonccions: il ne prend
+rien de mon foie, qui ne soit combustible; il aréte le mouuement de mes
+poulmons, de peur d’en estre rafraîchi; partout, il enuoie du feu, et si
+ie dure encore trois iours en cet état, on verra peut-être mon corps
+s’alumer au milieu des rues: ie suis déjà si sec, que la moindre
+étincelle qui me touchera, c’est fait de moy. Preuenez cet accident,
+MADAME, venez à lui, puisqu’il ne peut aler à vous: helas! c’est un
+téméraire, c’est un Sanson, qui ne se soucira pas de mourir étouffé sous
+les ruines de son palais, pourueu qu’il acable en tombant ceux qui
+l’empéchent de vous embrasser. Songez, que la nature vous aiant faite
+capable de me blesser, vous a lié une jambe, de peur que vous ne
+puissiez emporter en fuiant le remède que vous me deuez; et ces
+blessures ne sont point imaginaires, car enseignez moy, ie vous prie, un
+endroit de votre corps ou ie puisse atacher ma veuë, dont il ne soit
+sorti une fleche inuisible qui ma frapé? Y à t-il sur vous un àtome, qui
+ne soit coupable de ma mort? Autant de fois que ie le trouue beau, vous
+me semblez un agreable herisson, qui ne souffrez iamais qu’on se detache
+d’une épine que pour faire tomber sur d’autres; votre front me flate,
+vos yeux me prométent; votre bouche me rit, mais il suruient à la
+trauerse ma mauuaise fortune qui me d’éfend d’espérer. Opprimez, pour
+l’amour de moy, cette barbare; ne souffrez pas qu’une aueugle malicieuse
+triomphe de votre bonté; votre visage me dit oui; cette cruelle me dit
+non. Vous feroit elle mentir, la maraude? Elle ne sçauroit, ou bien vous
+le voudrez. Ha! qu’elle seroit brauée, et que ie serois heureux, si ce
+bien qu’une personne disgraciée de la nature ne sçauroit esperer que du
+caprice de cette fole, ie le receuois de votre propre main; car
+j’aimerois bien mieux vous étre obligé, qu’a mon ennemie. Ie suis
+cependant, entre les deux, ocupé à regarder, tantôt vous, tantôt elle,
+et ie demande en pleurant qui me fera meilleur visage. Ie l’espère de
+vous; et qui m’en demanderoit la raison, ie ne sçay, sinon que vous étes
+belle: Ie l’atens d’elle; a cause qu’elle ne se peut reconcilier auec
+moy, sinon par un plaisir dont la grandeur soit proportionnée à la
+grandeur des déplaisirs qu’elle m’à fais. O! Dieux, que notre bien est
+mal assuré, lorsqu’il est entre les mains d’une jeune fille et de la
+fortune; mais si l’un et l’autre négligent de me guerir, i’auray recours
+au médecin de tous les grans maux; c’est la mort; oui, ie mourray:
+possible qu’alors mon desastre vous atendrira; que vous résisterez plus
+douloureusement aux trais de la mort que de l’amour; et qu’un iour,
+quand on demandera qui i’étois, vous aiouterez aux larmes que l’humanité
+forcera vos yeux de donner un petit souleuement d’estomach aux manes
+d’une personne qui uous à tant aimé. Ha! si ce bonheur acompagne mes
+cendres, que les pierres de mon tombeau seront legéres dessus elles;
+qu’elles attendront bien paisiblement le dernier iour du monde; qu’elles
+se leueront de bon cœur, pour aller au tribunal rendre compte de ma vie.
+I’iray toutefois; ie me plaindray de votre barbarie; ie demanderay a
+Dieu qu’il m’en fasse îustice. Il vous condamnera de brûler sous la
+Terre, car i’ai brûlé dessus. Prevenez par la cependant, MADAME, un si
+rigoureux arrest: brûlons d’amour, céte flame est si douce; personne
+n’en est iamais mort; l’aimez vous mieux estre par la main d’un autre
+que par moy, qui n’ay garde de vous faire du mal, puisque ie suis
+
+Votre Seruiteur D. C.
+
+
+
+
+Reproche à une cruelle
+
+
+MADEMOISELLE,
+
+Ie vous écris auec du sang barbare, àfin que vous baigniez vos yeux
+dedans la source de ma vie; que ne pouuez vous le boire en le regardant!
+I’aurois plus obtenu, de votre cruauté en une heure, que ie n’ay fait en
+dix ans, de votre affeccion; puis que, par elle, ie verrois unir mon ame
+à la votre. Figurez vous donc, non seulement mes idées peintes avec mon
+sang, mais mon sang, comm’ il fumoit dans mes veines, encore imprimé des
+idées qu’il a receües de la douleur. Oui! Ie sentois en vous écriuant
+mon cœur distilez par ma plume, car au defaut des larmes, que mes
+infortunes ont épuisées, ie n’ay trouué chez moy que cet esclaue qui
+vous pût entretenir. Le Soleil, plus billieux que vous, est pourtant
+plus pitoiable. Il ne consume aucune chose, tant qu’il y trouue une
+larme: mais vous êtes sans doute un Soleil hétéroclite; et ce qui me le
+fait croire, c’est, que celui de la haut ne loge qu’un mois dans une
+maison, et votre hôte se plaint qu’il y en a trois que vous ètes au
+gemini. C’est peut-être la raison, qui ma si long temps empéché de vous
+voir, ou bien, pour passer des supersticions de jadis à celles
+d’aprésent, et m’acomoder au bruis qui courent de votre conuersion, ie
+ne puis maintenant vous voir, a cause que les saints sont cachez en
+Caresme. Ma foy pourtant, faites ariuer Pasques auant la semaine sainte,
+ou bien ie suis,
+
+MADEMOISELLE,
+
+Votre seruiteur.
+
+
+
+
+Le manuscrit retrouvé par Monmerqué est incomplet de plusieurs
+feuillets. Il ne contient pas toutes les _Lettres d’Amour_ de Cyrano.
+Afin de présenter au lecteur l’ensemble de cette correspondance
+amoureuse, nous empruntons à l’édition donnée par Le Bret le texte des
+épitres suivantes.
+
+Quelques-unes, on le remarquera, reproduisent en partie certaines
+lettres déjà lues. On y trouvera la preuve que Cyrano, lorsqu’il avait
+aiguisé quelques _pointes_, heureuses à son gré, n’hésitait pas à les
+faire resservir, tirant volontiers plusieurs moutures du même sac.
+
+
+
+
+A Madame ***
+
+
+MADAME,
+
+Pour une personne aussi belle qu’Alcidiane, il vous falloit sans doute,
+comme à cette Héroïne, une demeure inaccessible; car puis qu’on
+n’abordoit à celle du Roman que par hazard, et que sans un hazard
+semblable on ne peut aborder chez vous; je croy que par enchantement vos
+charmes ont transporté ailleurs, depuis ma sortie, la Province où j’ay
+eu l’honneur de vous voir; je veux dire, Madame, qu’elle est devenuë une
+seconde Isle flotante, que le vent trop furieux de mes soûpirs pousse et
+fait reculer devant moy, à mesure que j’essaye d’en approcher. Mes
+Lettres mesmes pleines de soûmissions et de respects, malgré l’art et la
+routine des Messagers les mieux instruits n’y sçauroient aborder. Il ne
+me sert de rien que vos loüanges qu’elles publient, les fassent voler de
+toutes parts, elles ne vous peuvent rencontrer; et je croy mesme que si
+par le caprice du hazard ou de la Renommée qui se charge fort souvent de
+ce qui s’adresse à vous, il en tomboit quelqu’une du Ciel dans vostre
+cheminée, elle seroit capable de faire évanoüir vostre Chasteau. Pour
+moy, Madame, aprés des avantures si surprenantes, je ne doute quasi plus
+que vostre Comté n’ait changé de Climat avec le Païs qui luy est
+Antipode, et j’apprehende que le cherchant dans la Carte, je ne
+rencontre à sa place, comme on trouve aux extremitez du Septentrion,
+(Cecy est une Terre où les Glaces empeschent d’aborder.) Ha! Madame, le
+Soleil à qui vous ressemblez, et à qui l’ordre de l’Univers ne permet
+point de repos, s’est bien fixé dans les Cieux pour éclairer une
+victoire, où il n’avoit presque pas d’interest. Arrestez-vous pour
+éclairer la plus belle des vostres; car je proteste (pourveu que vous ne
+fassiez plus disparoistre ce Palais enchanté, où je vous parle tous les
+jours en esprit) que mon entretien muet et discret ne vous fera jamais
+entendre que des vœux, des hommages et des adorations. Vous sçavez que
+mes Lettres n’ont rien qui puisse estre suspect; Pourquoy donc
+apprehendez-vous la conversation d’une chose qui n’a jamais parlé? Ha!
+Madame! s’il m’est permis d’expliquer mes soupçons, je pense que vous me
+refusez vostre veuë, pour ne pas communiquer plus d’une fois, un miracle
+avec un prophane; Cependant vous sçavez que la conversion d’un incrédule
+comme moy, (c’est une qualité que vous m’avez jadis reprochée)
+demanderoit que je visse un tel miracle plus d’une fois. Soyez donc
+accessible aux témoignages de veneration que j’ay dessein de vous
+rendre. Vous sçavez que les Dieux reçoivent favorablement la fumée de
+l’encens que nous leur bruslons icy bas, et qu’il manqueroit quelque
+chose à leur gloire, s’ils n’estoient adorez; Ne refusez donc pas de
+l’estre, car si tous attributs sont adorables, puis que vous possédez
+tres-éminemment les deux principaux, la Sagesse et la Beauté, vous me
+feriez faire un crime, m’empeschant d’adorer en vostre personne le divin
+caractère que les Dieux ont imprimé: Moy principalement, qui suis et
+seray toute ma vie,
+
+MADAME,
+
+Vostre tres-humble Serviteur.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Le feu dont vous me bruslez, a si peu de fumée, que je défie le plus
+severe Capuchon d’y noircir sa conscience et son humeur; Cette chaleur
+celeste, pour qui tant de fois S. Xavier pensa crever son pourpoinct,
+n’estoit pas plus pure que la mienne, puis que je vous aime, comme il
+aimoit Dieu, sans vous avoir jamais veuë. Il est vray que la personne
+qui me parla de vous, fit de vos charmes un Tableau si achevé, que tant
+que dura le travail de son chef d’œuvre, je ne pû m’imaginer qu’elle
+vous peignoit, mais qu’elle vous produisoit. Ç’a esté sur sa caution que
+j’ay capitulé de me rendre, ma Lettre en est l’ostage: Traittez-la, je
+vous prie humainement, et agissez avec elle de bonne guerre; car quand
+le droit des Gens ne vous y obligeroit pas, la prise n’est pas si peu
+considerable, qu’elle en puisse faire rougir le Conquerant. Je ne nie
+pas, à la verité, que la seule imagination des puissans traits de vos
+yeux, ne m’ait fait tomber les armes de ma main, et ne m’ait contraint
+de vous demander la vie; Mais aussi, en verité, je pense avoir beaucoup
+aidé a vostre victoire; Je combattois, comme qui vouloit estre vaincu;
+Je presentois à vos assauts toûjours le costé le plus foible; et tandis
+que j’encourageois ma raison au triomphe, je formois en mon ame des vœux
+pour sa défaite: Moy-mesme, contre moy, je vous prestois main forte, et
+cependant le repentir d’un dessein si temeraire me forçoit d’en pleurer.
+Je me persuadois que vous tiriez ces larmes de mon cœur, pour le rendre
+plus combustible, ayant osté l’eau d’une Maison, où vous vouliez mettre
+le feu; et je me confirmois dans cette pensée, lors qu’il me venoit en
+memoire que le cœur est une place au contraire des autres, qu’on ne peut
+garder, si l’on ne la brusle. Vous ne croyez peut estre pas que je parle
+serieusement; Si fait en verité; et je vous proteste, si je ne vous vois
+bien-tost, que la bile et l’Amour me vont rostir d’une si belle sorte,
+que je laisseray aux Vers du Cimetiere l’esperance d’un maigre déjeusné.
+Quoy vous vous en riez: Non, non, je ne me mocque point, et je prevoy
+par tant de Sonnets, de Madrigaux et d’Elegies, que vous avez receus ces
+jours cy de moy (qui ne sçait ce que c’est de Poësie) que l’amour me
+destine au voyage du Royaume des Dieux, puis qu’il m’a enseigné la
+langue du Païs: Si toutefois quelque pitié vous émeut à differer ma
+mort, mandez-moy que vous me permettez de vous aller offrir ma
+servitude; car si vous ne le faites, et bientost, on vous reprochera que
+vous avez, sans connoissance de cause, inhumainement tué de tous vos
+Serviteurs le plus passionné, le plus humble, et le plus obeïssant
+Serviteur,
+
+DE BERGERAC.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Bien loin d’avoir perdu le cœur quand je vous fis hommage de ma liberté,
+je me trouve au contraire depuis ce jour là, le cœur beaucoup plus
+grand: Je pense qu’il s’est multiplié, et que comme s’il n’estoit pas
+assez d’un pour tous vos coups, il s’est efforcé de se reproduire en
+toutes mes arteres, où je le sens palpiter, afin d’estre present en plus
+de lieux, et de devenir luy seul, le seul objet de tous vos traits.
+Cependant, Madame, la franchise, ce tresor precieux pour qui Rome
+autrefois a risqué l’Empire du monde; Cette charmante liberté, vous me
+l’avez ravie; et rien de ce qui chez l’ame se glisse par les sens, n’en
+a fait la conqueste: Vôtre esprit seul meritoit cette gloire; sa
+vivacité, sa douceur, son etenduë, et sa force, valoient bien que je
+l’abandonnasse à de si nobles fers: Cette belle et grande ame élevée
+dans un Ciel, si fort au dessus de la raisonnable, et si proche de
+l’intelligible, qu’elle en possede éminemment tout le beau; Et je dirois
+mesme beaucoup du Souverain Créateur qui l’a formée, si de tous les
+attributs, qui sont essentiels à sa perfection, il ne manquoit en elle
+celuy de misericordieuse; Oüy, si l’on peut imaginer dans une Divinité
+quelque défaut, je vous accuse de celuy-là. Ne vous souvient-il pas de
+ma derniere visite, où me plaignant de vos rigueurs, vous me promistes
+au sortir de chez vous, que je vous retrouverois plus humaine, si vous
+me retrouviez plus discret, et que je vinsse, en me disant adieu, le
+lendemain, parce que vous aviez resolu d’en faire l’épreuve? Mais helas!
+demander l’espace d’un jour, pour appliquer le remede à des blessures
+qui sont au cœur! N’est-ce pas attendre, pour secourir un malade, qu’il
+ait cessé de vivre? et ce qui m’étonne encore davantage, c’est que vous
+défiant que ce miracle ne puisse arriver, vous fuyez de chez vous pour
+éviter ma rencontre funeste: Hé bien! Madame, hé bien! fuyez-moy,
+cachez-vous, mesme de mon souvenir; on doit prendre la fuite, et l’on se
+doit cacher quand on a fait un meurtre. Que dis-je, grands Dieux: Ha!
+Madame, excusez la fureur d’un desesperé; Non, non, paroissez, c’est une
+Loy pour les hommes, qui n’est pas faite pour vous, car il est inoüy que
+les Souverains ayent jamais rendu compte de la mort de leurs Esclaves;
+Ouy je dois estimer mon sort très-glorieux, d’avoir merité que vous
+prissiez la peine de causer sa ruine; car du moins puis que vous avez
+daigné me haïr, ce sera un témoignage à la posterité, que je ne vous
+estois pas indifferent. Aussi la mort dont vous avez crû me punir, me
+cause de la joye; Et si vous avez de la peine à comprendre quelle peut
+estre cette joye, c’est la satisfaction secrete que je ressens d’estre
+mort pour vous, en vous faisant ingrate: Ouy, Madame, je suis mort, et
+je prevois que vous aurez bien de la difficulté a concevoir, comment il
+se peut faire si ma mort est veritable, que moy même je vous en mande la
+nouvelle: Cependant il n’est rien de plus vray; mais apprenez que
+l’homme a deux trépas à souffrir sur la terre, l’un violent, qui est
+l’Amour, et l’autre naturel qui nous rejoint à l’indolence de la
+matiere; Et cette mort qu’on appelle Amour, est d’autant plus cruelle,
+qu’en commençant d’aimer, on commence aussi-tost à mourir. C’est le
+passage reciproque de deux ames qui se cherchent, pour animer en commun
+ce qu’elles aiment, et dont une moitié ne peut estre separée de sa
+moitié, sans mourir, comme il est arrivé
+
+MADAME,
+
+A vostre fidelle Serviteur.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Suis-je condamné de pleurer encore bien longtemps? Hé je vous prie, ma
+belle Maistresse, au nom de vôtre bon Ange, faites-moy cette amitié, de
+me découvrir là-dessus vôtre intention, afin que j’aille de bonne heure
+retenir place aux Quinze Vingts parce que je prévoy que de vôtre
+courtoisie, je suis prédestiné a mourir aveugle. Ouy aveugle (car vôtre
+ambition ne se contenteroit pas que je fusse simplement borgne).
+N’avez-vous pas fait deux alambics de mes deux yeux, par où vous avez
+trouvé l’invention de distiler ma vie, et de la convertir en eau toute
+claire? En verité, je soupçonnerois (si ma mort vous estoit utile, et si
+ce n’estoit la seule chose que je ne puis obtenir de vostre pitié) que
+vous n’épuisiez ces sources d’eau, qui sont chez moy, que pour me
+brusler plus facilement; et je commence d’en croire quelque chose,
+depuis que j’ay pris garde, que plus mes yeux tirent d’humide de mon
+cœur, plus il brusle: Il faut bien dire que mon Pere ne forma pas mon
+corps du mesme argile, dont celuy du premier homme fut composé; mais
+qu’il le tailla sans doute d’une pierre de chaux, puis que l’humidité
+des larmes que je répands m’a tantost consommé: Mais consommé,
+croiriez-vous bien, Madame, de quelle façon? je n’oserois plus marcher
+dans les ruës embrasé comme je suis, que les enfans ne m’environnent de
+fusées, parce que je leur semble une figure échappée d’un feu
+d’artifice, ny à la Campagne, qu’on ne me prenne pour un de ces Ardens,
+qui traisnent les Gens à la riviere. Enfin vous pouvez connoistre tout
+ce que cela veut dire; c’est, Madame, que si vous ne revenez bien-tost,
+vous entendrez dire à vostre retour, quand vous demanderez où je
+demeure, que je demeure aux Tuilleries, et que mon nom c’est la beste à
+feu qu’on fait voir aux Badauts pour de l’argent. Alors vous serez bien
+honteuse, d’avoir un Amant Salemandre, et le regret de voir brusler dés
+ce Monde,
+
+MADAME,
+
+Vostre Serviteur.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Vous vous plaignez d’avoir reconnu ma passion dès le premier moment que
+la Fortune m’obligea de vostre rencontre; mais vous à qui vôtre miroir
+fait connoistre, quand il vous montre vôtre image, que le Soleil a toute
+sa lumière et toute son ardeur, dès l’instant qu’il paroist, quel motif
+avez-vous de vous plaindre d’une chose à qui ny vous ny moy ne pouvons
+apporter d’obstacle? Il est essentiel à la splendeur des rayons de vôtre
+beauté d’illuminer les corps, comme il est naturel au mien de refleschir
+vers vous cette lumière que vous jettez sur moy; et de mesme qu’il est
+de la puissance du feu de vos bruslans regards d’allumer une matiere
+disposée, il est de celle de mon cœur d’en pouvoir être consumé. Ne vous
+plaignez donc pas, Madame, avec injustice, de cet admirable
+enchaisnement, dont la Nature a joint d’une société commune les effets
+avec leurs causes. Cette connoissance impreveuë est une suite de l’ordre
+qui compose l’harmonie de l’Univers, et c’étoit une nécessité preveuë au
+jour natal de la Creation du Monde, que je vous visse, vous connusse, et
+vous aimasse; mais parce qu’il n’y a point de cause qui ne tende à une
+fin, le poinct auquel nous devions unir nos ames estant arrivé, vous et
+moy tenterions en vain d’empêcher notre destinée. Mais admirez les
+mouvemens de cette predestination, ce fut à la pesche où je vous
+rencontray: Les filets que vous dépliastes en me regardant, ne vous
+annonçoient-ils pas ma prise? et quand j’eusse évité vos filets,
+pouvois-je me sauver des hameçons pendus aux lignes de cette belle
+Lettre, que vous me fistes l’honneur de m’envoyer quelques jours après,
+dont chaque parole obligeante n’estoit composée de plusieurs caractères,
+qu’afin de me charmer: Aussi je l’ay receuë avec des respects, dont je
+ferois l’expression, en disant que je l’adore, si j’estois capable
+d’adorer quelqu’autre chose que vous. Je la baisay au moins avec
+beaucoup de tendresse, et je m’imaginois, en pressant mes lèvres sur
+vostre chere Lettre, baiser vôtre bel esprit dont elle est l’ouvrage:
+Mes yeux prenoient plaisir de repasser plusieurs fois sur tous les
+caracteres que vôtre plume avoit marquez, Insolens de leur fortune, ils
+attiroient chez eux toute mon ame, et par de longs regards, s’y
+attachoient pour se joindre à ce beau crayon de la vôtre. Vous
+fussiez-vous imaginée, Madame, que d’une feüille de papier, j’eusse pû
+faire un si grand feu; il ne s’éteindra jamais pourtant, que le jour ne
+soit éteint pour moy; que si mon ame et mon amour se partagent en deux
+soûpirs, quand je mourray, celui de mon amour partira le dernier. Je
+conjureray a l’agonie, le plus fidelle de mes Amis, de me reciter cette
+aimable Lettre, et lors qu’en lisant, il sera parvenu a la fin, où vous
+vous abaissez, jusqu’à vous dire ma Servante: Je m’écrieray jusqu’à la
+mort. Ha! cela n’est pas possible, car moy-mesme j’ay toujours esté,
+
+MADAME,
+
+Vostre.
+
+
+
+
+MADAME,
+
+Le souvenir que j’ay de vous, au lieu de vous rejoüir, devroit vous
+faire pitié. Imaginez-vous un feu composé de glace embrasée qui brûle à
+force de trembler, que la douleur fait tressaillir de joye, et qui
+craint autant que la mort la guérison de ses blessures: Voilà ce que je
+suis lors que je parle à vous. Je m’informe aux plus habiles de ma
+connoissance d’où vient cette maladie; ils disent que c’est Amour: mais
+je ne le puis croire, à cause que ceux de mon âge ne sont gueres
+travaillez de cette infirmité. Ils répondent que l’Amour est un enfant,
+et qu’il s’arreste à ses pareils, qu’il est malaisé à des enfans de se
+joüer long temps avec du feu sans se bruler, et que leur poitrine est
+plus tendre que celle des Hommes. O Dieux! s’il est vray, que
+deviendray-je? Je n’ay point d’experience, je hay les remedes, j’aime la
+main qui me frape, et enfin je suis attaqué d’un mal où je ne puis
+appeller le Medecin, qu’on ne se moque de moy: Encore si vous n’aviez
+mon cœur, j’aurois le cœur de me défendre; Mais j’ay fait par ce present
+que je n’oserois pas mesme me fier a vous, à cause que vous avez le cœur
+double. Songez donc à me donner le vostre; car je suis d’une profession
+à estre montré au doigt, si l’on vient a sçavoir que je n’ay point de
+cœur; et puis voudriez-vous avoüer une personne sans cœur pour vostre
+passionné serviteur?
+
+
+
+
+M...
+
+Je ne te vois qu’à demy, parce que je t’aime trop; et tu pense me voir
+trop, parce que tu ne m’aime qu’à demy. Viens chez moy tout à l’heure,
+si tu veux convaincre de mensonge l’apprehension que j’ay de ne te voir
+jamais. Il y a déjà un jour que nous ne nous sommes veus: Un jour, bons
+Dieux! Ha! je ne le veux pas croire, ou bien il faut me resoudre à
+mourir. Penses-tu donc m’avoir laissé dans le cœur ton image assez
+achevée, pour se reposer sur elle de tout ce qu’elle me doit promettre
+de ta part? Il est vray qu’elle y est, et tres-veritable encore qu’elle
+y est peinte fort bien: Mais je n’oserois la presenter à mes yeux, parce
+que je m’imagine qu’il la faudroit tirer de mon cœur, et je ne sçay si
+je l’y pourrois remettre sans toy. Je voy bien maintenant que je ne suis
+pas un Soleil comme tu m’as souvent appellée; car les Cadrans ne
+s’accordent pas au compte que je fais des heures, j’en compte plus de
+mille depuis ta cruelle absence de chez nous. Cependant tu ne regarde
+l’Horloge que pour y apprendre l’heure de ton disner; sans te soucier si
+celle que tu souhaites ne sera point peut-estre ma derniere; ou quand tu
+viendras faire de belles excuses, si tu me trouveras en vie pour les
+écouter.
+
+
+
+
+ Achevé d’imprimer
+ à Laval
+ le mardi 28 février 1905
+ sur les presses de
+ L. BARNÉOUD et Cie
+ pour
+ PLESSIS, libraire
+ à Paris
+
+
+
+
+ LES «LETTRES
+ D’AMOUR»
+ SE TROUVENT CHEZ
+ PLESSIS, LIBRAIRE
+ 23, RUE DE CHATEAUDUN,
+ PARIS
+
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75253 ***
diff --git a/75253-h/75253-h.htm b/75253-h/75253-h.htm
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+<!DOCTYPE html>
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+ <meta charset="UTF-8">
+ <title>Lettres d’amour | Project Gutenberg</title>
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+<body>
+<div style='text-align:center'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75253 ***</div>
+<div class="x-ebookmaker-drop c"><img src="images/cover.jpg" alt=""></div>
+<div class="x-ebookmaker-drop break"></div>
+<p class="c top2em large b">CYRANO DE BERGERAC</p>
+
+<h1>LETTRES D’AMOUR</h1>
+
+<p class="c">publiées d’après le manuscrit inédit<br>
+de la<br>
+<i>Bibliothèque Nationale</i></p>
+
+<p class="c"><span class="small g">AVEC UNE INTRODUCTION</span><br>
+par<br>
+<b>G. CAPON <span class="large">et</span> R. YVE-PLESSIS</b></p>
+
+
+<p class="c gap"><b class="small">PLESSIS, LIBRAIRE</b><br>
+23, Rue de Châteaudun, Paris<br>
+1905</p>
+
+<div class="break"></div>
+
+<p class="c top4em">DES MÊMES AUTEURS</p>
+
+
+<ul><li><span class="sc">G. Capon</span> : <i>Les Petites Maisons galantes de Paris
+au XVIII<sup>e</sup> siècle</i> ; 1 vol. in-8. Épuisé.</li>
+<li><i>Les Maisons closes au XVIII<sup>e</sup> siècle</i> ; 1 vol. in-8.
+Épuisé.</li>
+<li><span class="sc">G. Capon</span> et <span class="sc">H. Vial</span> : <i>Journal d’un bourgeois de
+Popincourt</i> ; 1 vol. in-8. Épuisé.</li>
+<li><span class="sc">R. Yve-Plessis</span> : <i>Essai d’une Bibliographie française
+de la Sorcellerie</i> ; Paris, 1900, in-8.</li>
+<li>— <i>Petit essai de Bibliothérapeutique ou l’Art de
+soigner les livres vieux et malades</i> ; 1 vol. in-12.
+Épuisé.</li>
+<li>— <i>Bibliographie de l’Argot et de la Langue verte,
+du XV<sup>e</sup> au XX<sup>e</sup> siècle</i> ; Paris, 1901, in-8.</li></ul>
+
+<p class="c">VIENT DE PARAITRE</p>
+
+<div class="flex">
+<table>
+<tr><td class="drap"><span class="sc">G. Capon</span> et <span class="sc">R. Yve-Plessis</span> : <i>Paris galant au
+XVIII<sup>e</sup> siècle : Les Théâtres clandestins</i>. Ouvrage
+orné de 8 planches. Paris, <span class="sc">Plessis</span>, 1905,
+in-8</td>
+<td class="bot r w3"><div><b>15</b> fr.</div></td></tr>
+</table>
+</div>
+
+<p>N.-B. — Les exemplaires en grand papier sont
+épuisés.</p>
+
+<div class="break"></div>
+
+
+<p class="i c top4em">Il a été tiré de cet Ouvrage<br>
+310 exemplaires, tous numérotés :<br>
+10 Japon impérial extra (n<sup>os</sup> 1 à 10)<br>
+50 Japon impérial (n<sup>os</sup> 11 à 60)<br>
+250 Papier à la forme (n<sup>os</sup> 61 à 310)</p>
+
+
+<p class="c i large">N<sup>o</sup></p>
+
+<div class="break"></div>
+
+<p class="top2em c"><img src="images/illu.jpg" alt=""></p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="i">Le mercredi, 7 septembre 1707 (que de
+sept en ce mercredi !) le suisse de Notre-Dame
+de Paris agrippait au collet et
+traînait jusqu’au bureau du sieur Delamarre,
+commissaire du Châtelet, un
+individu qui, sans débat, avouait tout
+aussitôt les faits mis à sa charge.</p>
+
+<p class="i">C’était un de ces aberrants passionnels
+que les psychiâtres d’à présent nomment
+« exhibitionnistes ». Le mot n’existait
+pas encore dans la technologie médicale
+de ce temps-là ; mais la chose précède
+toujours le mot. Le plaisir favori de cet
+homme était de flâner dans les chapelles,
+de rôder autour des piliers de la nef et,
+quand il se croyait à peu près sûr d’être
+impuni, de dévoiler brusquement son sexe
+aux yeux des dévotes médusées.</p>
+
+<p class="i">Vu la rareté du cas, le lieu du sacrilège
+et le nom du criminel, le commissaire
+Delamarre, ayant confié son prisonnier
+à la garde de l’exempt Simonnet, réclamait
+du lieutenant de police des instructions
+spéciales. Fallait-il écrouer le
+satyre à l’Hôpital ou bien, comme il
+avait de quoi payer pension, à Saint-Lazare,
+à Charenton ? — « Le Roy veut que
+vous le fassiez mettre à la Bastille »,
+répondait le ministre Pontchartrain à
+qui le lieutenant de police en avait lui-même
+référé ; « et que vous l’interrogiez
+à fond sur sa naissance et sur les désordres
+qui ont donné lieu de l’arrester ;
+après quoi, on verra ce qu’il conviendra
+de faire ».</p>
+
+<p class="i">Ces pourparlers avaient pris plusieurs
+jours. L’exhibitionniste ne fut mené à
+la Bastille que le 25 septembre. Le 6 octobre
+suivant, conformément aux ordres
+reçus, M. d’Argenson en personne procédait,
+dans la grande salle du château, à
+un interrogatoire dont il rapportait le
+curieux procès-verbal ci-dessous :</p>
+
+<blockquote>
+<p>« Interrogé… a dit qu’il se nomme
+<span class="sc">Pierre de Cyrano</span>, âgé de cinquante-un
+ans, de la religion catholique, apostolique
+et romaine ; estre bourgeois de Paris, natif
+de cette ville et qu’il a esté arresté de l’ordre
+du Roy ;</p>
+
+<p>« Que son père estoit bourgeois de Paris
+où il vivoit de son bien ; que Cyrano de
+Bergerac estoit son oncle et que ses ouvrages
+ont esté dédiés par le sieur Le Brest
+(qui les a recueillys et fait imprimer) [<i>à</i>]
+Abel Cyrano de Mauvières, père de lui,
+répondant ; que les ouvrages de Cyrano
+de Bergerac sont, entr’autres choses, <i>Agrippine</i>,
+tragédie ; des <i>Lettres</i> satiriques et
+amoureuses ; <i>Les États de l’Empire de la
+Lune et du Soleil</i> et la comédie du <i>Pédant
+Joué</i> ;</p>
+
+<p>« Que son oncle estoit originaire de Paris,
+et fils d’Abel Cyrano, ayeul du répondant,
+qui estoit de Paris et y vivoit de son
+bien ; qu’il croit qu’il a esté baptisé ou sur
+les fonts de la paroisse Saint-Nicolas-des-Champs
+ou sur ceux de Saint-Eustache et
+que le nom de Bergerac que portoit son
+oncle avec celui de Cyrano, vient d’une
+petite terre ou hameau située près de Chevreuse,
+ainsi que celle de Mauvières, dont
+le père du répondant portoit le nom, lesquelles
+deux terres ont esté vendues par
+l’ayeul du répondant en l’année 1636 ;</p>
+
+<p>« Qu’il a entendu dire que son ayeul
+estoit originaire de Paris et que son
+bisayeul estoit originaire de Sardaigne ;
+que son père est mort il y a vingt-un ans
+et qu’il n’y a pas plus de cinq mois et
+demy que sa mère avec laquelle luy, répondant,
+demeuroit, est décédée et a esté
+enterrée dans l’église Saint-Benoist ; que
+sa mère estoit fille de Simon Marcy, marchand
+mercier au faubourg Saint-Jacques,
+dit de Soy ; que celle de Cyrano de Bergerac,
+son oncle, se nommoit Espérance
+Belanger et estoit fille d’Estienne Belanger
+duquel le répondant n’a pas sçu la qualité ;</p>
+
+<p>« Qu’il a estudié jusqu’en seconde au
+collège des Jésuites, qu’ensuite il est entré,
+en qualité de cadet dans le régiment de
+Navarre et, après y avoir servi deux
+années, il est entré dans le régiment Colonel-Général
+de la cavalerie où il y a servy
+trois campagnes, et enfin qu’il est entré
+dans la gendarmerie, compagnie des gendarmes
+de Flandres, brigade de feu M. de
+Marsin où il y a servy dix campagnes,
+s’estant trouvé aux batailles de Stinkerque,
+de la Marsaille et de Fleurus ; qu’il a esté
+dangereusement blessé à la dernière,
+d’un coup de feu à la teste, et qu’estant
+tombé malade en l’année 1698, demanda
+son congé qu’il obtint de M. le marquis
+de Beauvau qui estoit pour l’ors au quartier
+à Ham ;</p>
+
+<p>« Qu’il n’a qu’une sœur laquelle est
+mariée au sieur Vlaighels, commis dans
+les gabelles de Saint-Quentin ;</p>
+
+<p>« Qu’il jouit de 400 livres de rentes qui
+lui appartiennent sur l’hostel de Ville de
+Paris et proviennent de la succession de
+son père ;</p>
+
+<p>« Que provoqué par le vin et l’eau-de-vie
+dont sa fénéantise luy a malheureusement
+fait contracter l’habitude, il s’est abandonné
+à des infamies dont il se repent et en
+demande pardon à Dieu et au Roy… »</p>
+</blockquote>
+
+<p class="i">Suit le détail des « infamies » auxquelles
+se livrait le « répondant ». Mais ceci
+n’intéresse plus notre sujet. Bornons-nous
+à noter que Pierre de Cyrano sortit de la
+Bastille le 19 octobre 1707, « pour être
+transporté dans un autre lieu de détention »,
+où nous n’avons pas poursuivi sa
+trace.</p>
+
+<p class="i">Pour nous, le point capital dans cette
+pièce d’archives, jusqu’ici demeurée inédite,
+c’est la généalogie de ce gendarme
+à passions. Par un témoignage qui ne
+saurait être révoqué en doute, sont précisés
+et confirmés les dires des biographes
+avisés qui ont combattu la légende, trop
+longtemps tenue pour vérité, du Cyrano
+de Bergerac gascon, parce que de Bergerac,
+en Gascogne.</p>
+
+<p class="i">L’auteur des <i>Lettres d’Amour</i> que nous
+avons entrepris de restituer au public
+lettré d’après le seul manuscrit contemporain
+que l’on connaisse, était Parisien,
+fils de Parisien ; c’est son propre neveu
+qui l’atteste. Et son nom de Bergerac
+venait d’une terre que son père possédait
+auprès de Chevreuse. Ajoutons que ce
+dernier, noble homme Abel de Cyrano,
+écuyer, seigneur de Mauvières et de Bergerac,
+tenait en plein fief de Charles de
+Lorraine, duc de Chevreuse, cette terre
+et seigneurie qui se nommait Sous-Forêt
+avant que de s’appeler Bergerac.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p class="i">Savinien de Cyrano, cinquième fils
+d’Abel et d’Espérance Belanger, mariés
+en 1612 à la paroisse Saint-Gervais, fut
+baptisé le 10 mars 1619, à la paroisse
+Saint-Sauveur. Tous ses aînés moururent
+en bas âge, sauf le deuxième, prénommé
+Abel, comme son père. (A la mort du
+seigneur de Mauvières et de Bergerac,
+Abel devait prendre le nom de Cyrano
+de Mauvières ; Savinien, celui de Cyrano
+de Bergerac).</p>
+
+<p class="i">Deux filles, Marie et Anne, vinrent au
+monde après Savinien. Comme on n’a pu
+découvrir leurs actes de baptême à Paris,
+on a présumé que la famille Cyrano abandonna,
+postérieurement à 1619, son logis
+de la rue des Prouvaires pour aller se fixer
+à la campagne ; peut-être à Bergerac ou
+à Mauvières, puisque ces domaines ne
+furent vendus qu’en 1636. Il est probable
+également qu’après cette vente les Cyrano
+revinrent dans la capitale ; ce qui est sûr,
+c’est que l’acte de décès d’Abel de Cyrano
+père (1645) dit formellement que celui-ci
+habitait Paris au moment de sa mort, et,
+de nouveau, rue des Prouvaires.</p>
+
+<p class="i">Toujours est-il que Savinien fut élevé
+aux champs. Son futur panégyriste Le
+Bret, qui le connut et qui l’aima dès son
+enfance, était élève du même maître : un
+curé de village, « bon prebstre » paraît-il,
+mais des leçons et des corrections duquel
+Savinien faisait peu de cas, le considérant
+comme un « âne aristotélique ». Si bien
+que l’enfant obtenait de son père d’être
+envoyé à Paris faire ses humanités au
+collège de Dormans ou de Beauvais.</p>
+
+<p class="i">C’était tomber de Charybde en Scylla.
+Le principal de ce collège était pour lors
+une espèce de savantasse fort érudit
+mais très maniaque, et plus pédant
+encore. Jean Grangier s’était rendu
+fameux dans l’Université de Paris par
+sa pouilleuse avarice autant que par ses
+polémiques acerbes, par ses amours
+ancillaires autant que par ses saillies de
+cuistre rhétoricien. Sans doute, le caractère
+tout d’une pièce de Savinien se heurta
+plus d’une fois aux procédés d’éducation
+de ce fouettard sorbonique. L’élève semble
+avoir gardé au maître une terrible
+rancune des quelques années qu’il passa
+sous sa férule : la vengeance de Cyrano
+devait s’intituler <i>Le Pédant Joué</i>, comédie
+où Grangier, mis en scène presque nommément,
+est drapé de la belle manière.</p>
+
+<p class="i">Ses études achevées, vers l’âge de dix-huit
+ans, Savinien mena la vie joyeuse
+des garçons de son âge. Nous croyons
+pourtant que ses biographes ont exagéré
+en avançant qu’abandonné à lui-même,
+il se livra aux écarts d’un effréné libertinage.
+D’abord il n’était pas abandonné
+des siens puisque son père, ayant vendu
+Mauvières et Bergerac l’année d’avant,
+devait être revenu à Paris en 1637. Par
+ailleurs Savinien ne manquait point de
+parents pour veiller sur sa conduite.
+N’avait-il pas son oncle, Samuel de
+Cyrano, trésorier des aumônes à l’Hôtel
+Dieu ; et son oncle Pierre, sur l’état de
+qui nous manquons de documents, mais
+que nous savons avoir été paroissien de
+Saint-Germain-l’Auxerrois ; et sa tante
+Anne, épouse de Jacques Stoppar, trésorier
+des aumônes royales ; et sa tante
+Catherine, enfin, qui, plus tard, sera
+prieure des Filles de la Croix ? L’abandon
+de Cyrano à Paris est encore une de ces
+hypothèses échafaudées sur sa prétendue
+origine gasconne et l’éloignement de la
+ville de Bergerac. Lebret a écrit simplement
+ceci dans la notice qu’il consacra
+à son ami en publiant ses œuvres : « Cet
+âge où la nature se corrompt plus aisément
+et la grande liberté qu’il avoit de
+ne faire que ce que bon lui sembloit, le
+portèrent sur un dangereux penchant
+où j’ose dire que je l’arrestay ». Mais
+Lebret ne dit pas quel était ce penchant.
+Les femmes ? Cyrano était un chaste, ou
+du moins un timide en amour et sa remarquable
+laideur ne devait pas peu contribuer
+à lui inspirer « cette grande retenue
+auprès du beau sexe » dont Lebret lui fait
+un mérite. Le vin ? Cyrano était d’une
+exemplaire sobriété dans le manger et
+dans le boire ; même il tenait le vin pour
+« un poison comparable à l’arsenic ».
+Les coups ? Lebret témoigne que le talent
+d’escrimeur de Cyrano qui lui valut une
+si grande réputation, ne s’exerça jamais
+qu’en qualité de second, car « il n’eut
+jamais une querelle de son chef ». Tous
+ces traits, on en conviendra, ne peignent
+guère un débauché. Peut-être Cyrano fut-il
+un prodigue. Il afficha jusqu’au tombeau
+un souverain mépris de l’argent.
+Encore ce grief de prodigalité n’est-il, de
+notre part, qu’une conjecture.</p>
+
+<p class="i">Quoi qu’il en soit, les déportements du
+jeune homme (si déportements il y eut)
+furent de courte durée, puisque Lebret,
+que ses parents destinaient à la carrière
+des armes, déterminait Cyrano à s’engager
+en même temps que lui dans les
+gardes-nobles du capitaine Carbon de
+Castel-Geloux.</p>
+
+<p class="i">Carbon comptait dans sa compagnie
+presque autant de gascons que de soldats.
+Parmi ces raffinés d’honneur, qui la plupart
+n’avaient pour biens qu’une épée solide
+et un nom sonore, Cyrano se fit, de
+prime-saut, un renom par son adresse, par
+son esprit, par sa bravoure. Celle-ci allait
+avoir l’occasion de s’affirmer au service
+du Roi.</p>
+
+<p class="i">C’était l’époque (1639) où la France,
+intervenant après le traité de Prague
+qui clôturait la période suédoise de la
+guerre de Trente ans, avait à la fois sur
+les bras l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie.
+La compagnie Carbon fut désignée pour
+être de la petite armée opposée en Champagne
+à l’effort allemand. Enfermée
+dans Monzou où elle subit un rigoureux
+blocus, elle ne se ravitaillait que par des
+sorties répétées. A l’une, Cyrano reçut
+une balle de mousquet au travers du corps.
+Il était à peine rétabli quand la place
+fut débloquée par le maréchal de Châtillon.
+Cependant il rejoignait l’année suivante
+au siège d’Arras, où nous tenions les
+Espagnols. Dans l’intervalle, il avait permuté,
+des gardes-nobles aux gendarmes
+de Conti.</p>
+
+<p class="i">Cyrano n’était pas de ceux qu’une première
+blessure barde de prudence. Avant
+la fin du siège, il était frappé à la gorge
+d’un coup d’épée dont il se ressentit toute
+sa vie.</p>
+
+<p class="i">« Les incommodités que lui laissèrent
+ces deux grandes plaies (dit Lebret) et
+le peu d’espérance qu’il avoit d’avancer »,
+faute d’un patron influent, le firent renoncer
+au métier des armes pour se consacrer
+tout entier à l’étude. Il avait vingt-deux
+ans.</p>
+
+<p class="i">C’est alors que, rentré au bercail, il
+compléta son instruction en suivant les
+leçons privées que professait Gassendi,
+récemment établi à Paris chez son ami
+François Luillier, maître des requêtes.
+Gassendi avait pour élèves : Chapelle, fils
+naturel de Luillier ; Jean-Baptiste Poquelin,
+le futur Molière ; Bernier, Hesnaut
+et La Mothe Le Vayer. Cyrano compléta
+la demi-douzaine…</p>
+
+<p class="i">Combien de temps durèrent ces leçons ?
+Il n’est guère possible de le savoir au
+juste. Pas plus qu’il n’est possible de
+classer désormais sous des dates précises
+la plupart des faits et gestes de Cyrano
+jusqu’à la veille, presque, de sa mort.</p>
+
+<p class="i">Quelques-uns prétendent qu’il voyagea
+en Angleterre, en Italie, en Pologne,
+fondant leur assertion sur certains passages
+de ses œuvres où il semble en effet
+se désigner comme ayant visité ces pays.
+Mais rien n’est moins prouvé. Car si
+l’on admet qu’il est lui-même ce philosophe
+des <i>États et Empires de la Lune</i>, lequel
+parle de « sa traversée de France en
+Angleterre », doit-on admettre également
+qu’il alla au Canada, parce qu’il raconte
+(même ouvrage) son arrivée aérienne
+dans la Nouvelle-France, sur une ceinture
+de « phioles pleines de rosée » ? Et
+si l’on tient pour sérieux le récit de son
+séjour à Rome et de son embarquement à
+Civita-Vecchia, doit-on prendre de même
+au pied de la lettre ces lignes de l’<i>Histoire
+de la République du Soleil</i> où il dit avoir
+retrouvé en Pologne sa boîte aérostatique ?
+Il est bien malaisé, dans tout
+cela, de départager entre la fiction et la
+réalité. Toute la période de l’existence de
+Cyrano qui va de 1642 à 1648 est en
+vérité fort obscure et nous n’avons pour
+jalonner notre route que quelques anecdotes
+assez décousues.</p>
+
+<p class="i">L’une, rapportée par Lebret, est la lutte
+homérique qu’il soutint seul, un soir,
+l’épée au poing, contre cent coupe-jarrets
+apostés qui guettaient le poète
+Linières à la porte de Nesles ; Linières,
+prévenu, n’osait point retourner coucher
+à son domicile : « Prends une lanterne et
+marche derrière moi, dit Cyrano à son
+ami. Je veux t’aider moi-même à faire ta
+couverture. » Le lendemain matin, on
+relevait au lieu dit sept blessés et deux
+morts ; les quatre-vingt-onze autres chenapans
+avaient fui devant ce « démon de
+la bravoure ».</p>
+
+<p class="i">Une autre historiette, moins héroïque et
+peut-être inventée, est le combat de Cyrano
+contre le singe de Brioché, montreur
+de marionnettes, près du Pont-Neuf. Ce
+singe, appelé Fagotin, était « grand
+comme un petit homme et gros comme un
+pâté d’Amiens ». Son maître qui se servait
+de lui pour ses parades, l’avait
+affublé « d’une fraise à la Scaramouche,
+revêtu d’un pourpoint à six basques et
+d’un baudrier où pendait une lame sans
+pointe ». Pour justifier cette inoffensive
+colichemarde, il lui avait enseigné l’escrime
+et Fagotin déguisé, en bretteur,
+imitait sans le savoir Cyrano. On se
+figure la joie des laquais massés devant
+les tréteaux de Brioché quand, d’aventure,
+ils aperçurent un jour Cyrano dans
+la foule, le modèle près de la copie.
+Savinien n’était pas très endurant. Aux
+premiers lazzis de cette populace, il met
+flamberge au vent ; les laquais dégaînent
+aussi (la valetaille portait encore l’épée).
+Notre héros, à qui cent spadassins ne
+pesaient guère, n’eut pas gros mérite à
+mettre en déroute cette racaille. Mais le
+malheur voulut que Fagotin, qui prenait
+cela pour un jeu, se campât en garde
+devant Cyrano et que Cyrano prît Fagotin
+pour un laquais plus brave que les
+autres. D’un coup d’estoc il vous l’embrocha
+net. D’où procès, que Cyrano gagna,
+dit-on, tant sa bonne foi sauta aux yeux
+des juges.</p>
+
+<p class="i">Tel est du moins le récit, très enjolivé,
+d’un contemporain, récit publié après la
+mort de Cyrano. Le même factum contient
+un portrait en pied, à la plume, qui
+ne correspond guère aux portraits au
+burin que nous ont laissés les graveurs :</p>
+
+<blockquote>
+<p>Bergerac n’estoit ni de la nature des Lapons
+ny de celle des géans. Sa tête paraissoit
+presque veuve de cheveux : on les eût
+comptez de dix pas. Ses yeux se perdoient
+dans ses sourcils ; son nez, large par la tige
+et recourbé, représentoit celuy de ces babillards
+jaunes et verds qu’on apporte d’Amérique.
+Ses jambes brouillées avec sa chair
+figuroient des fuseaux. Son œsophage pagotoit
+un peu. Son estomach étoit une copie
+de la bedaine ésopique. Il n’est pas vray que
+notre auteur fut malpropre ; mais il est vray
+que ses souliers aimoient fort madame la
+boue ; ils ne se quittoient presque point…</p>
+</blockquote>
+
+<p class="i">Nous connaissons encore, par les Lettres
+satiriques de Cyrano, ses querelles
+avec Scarron, Beaulieu, Loret, avec le
+comédien Montfleury, auquel il interdit
+(s’il en faut croire le <i>Ménagiana</i>) de
+paraître sur la scène un mois durant,
+l’invectivant du milieu du parterre et
+défiant collectivement les spectateurs qui
+faisaient mine de s’interposer.</p>
+
+<p class="i">Nous n’ignorons pas qu’il sut se faire,
+malgré tant d’ennemis, des amitiés précieuses :
+Longueville-Gontier, conseiller
+au Parlement ; Gilles Filleau des Billettes,
+l’érudit ; Adrien de la Morlière, le
+chanoine généalogiste ; Michel de Marolles,
+abbé de Villeloin ; Jacques Rohault,
+le mathématicien philosophe ; Tristan
+L’hermite, le duelliste, et Le Royer de
+Prades, l’historien… Sans parler de ses
+anciens compagnons d’armes : Cavoye,
+Brissailles, Saint-Gilles, Châteaufort,
+Brienne, Cuigny, Bourgogne, bien d’autres
+encore dont il serait fastidieux
+d’énumérer les noms. Mais nous ignorons
+où, quand, comment, il les connut.</p>
+
+<p class="i">De façon plus sûre nous savons que
+Cyrano était à Paris en 1648, puisqu’il
+écrivait, à cette date, une préface pour
+le <i>Jugement de Paris</i> de Dassoucy, ami
+d’aujourd’hui, ennemi de demain. Nous
+savons aussi qu’il prit parti dans la
+Fronde, d’abord contre, ensuite pour
+Mazarin.</p>
+
+<p class="i">Lebret nous apprend que MM. de
+Bourgogne et de Cuigny, témoins de
+l’exploit de Cyrano à la porte de Nesles,
+ayant narré l’aventure au maréchal de
+Gassion, celui-ci s’était offert pour prendre
+à sa solde un homme si valeureux.
+Mais Bergerac était trop orgueilleux
+pour accepter une domesticité même dorée.
+Il préférait « ses grandes libertés de
+sentiments et de paroles en sa qualité
+d’esprit fort », comme dit La Monnoye.
+Il avait donc décliné l’offre, encore que
+celle-ci n’eût rien que d’honorable à une
+époque où tous les hommes de lettres vivaient
+plus ou moins, de leurs dédicaces,
+aux crocs de quelque grand seigneur.</p>
+
+<p class="i">Cependant, assagi par les ans, assoupli
+peut-être par la misère, Cyrano devait se
+résoudre à subir le collier. En 1653 il se
+donnait au duc d’Arpajon qui le logeait
+en qualité de secrétaire dans son hôtel
+de la rue des Archives, au Marais, près
+du couvent de la Merci. Savinien jusque-là
+avait habité, croit-on, dans le faubourg
+Saint-Jacques.</p>
+
+<p class="i">Mais il était écrit que Cyrano ne
+vivrait jamais tranquille. Il avait déjà
+indisposé son Mécène par le succès de
+scandale de son <i>Agrippine</i>, quand, un
+soir de juillet 1654, rentrant au Marais,
+il reçut sur le crâne une poutre qui faillit
+le tuer du coup. Crime ou accident ? On
+n’a jamais su. Et tous les doutes sont
+permis en présence du silence mystérieux
+des biographes, en présence aussi de
+l’attitude de M. d’Arpajon qui s’empressa
+de mettre son « client » à la porte.</p>
+
+<p class="i">Cyrano malade, mourant, dut accepter
+l’hospitalité généreuse que lui offrait un
+ami de Le Bret, M. Tanneguy des Bois-Clairs,
+conseiller du Roi. Savinien languit
+pendant quatorze mois sans pouvoir
+se rétablir, quotidiennement chapitré par
+trois pieuses femmes qui avaient conspiré
+de réconcilier avec le ciel un libertin
+philosophe : l’une d’elles était cette tante
+dont il fut question plus haut, Catherine
+de Cyrano, en religion sœur Saint-Hyacinthe,
+prieure des Filles de la Croix.</p>
+
+<p class="i">Enfin, au mois de septembre 1655,
+Bergerac, se sentant perdu, voulut être
+porté à la campagne, chez son cousin,
+Pierre Cyrano, fils de Samuel. Il mourut
+cinq jours plus tard, âgé de trente-six
+ans et demi, laissant aux Filles de la
+Croix neuf cents livres, pour une messe
+hebdomadaire, à perpétuité. Par reconnaissance,
+ces dominicaines réclamèrent
+le corps de l’écrivain qui fut inhumé dans
+la chapelle même de leur couvent.</p>
+
+<p class="i">Ce couvent existe encore au numéro 92
+de la rue de Charonne. Les cendres de
+Cyrano de Bergerac y reposent donc,
+à moins qu’elles n’aient été jetées au vent
+sous la Terreur, alors que l’église était
+transformée en dépôt de charbon.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p class="i">Nous ne saurions, au sujet des seules
+<i>Lettres d’Amour</i> entreprendre une étude,
+même succincte, des Œuvres complètes
+de Cyrano. Nous devons dire pourtant
+quelques mots de son style et chercher le
+pourquoi de son <i>écriture</i> bizarre.</p>
+
+<p class="i">Afféterie des termes, mythologie tortillée,
+raffinements burlesques, esprit de
+mauvais aloi, abus des concetti et des
+<i>pointes</i>, voilà ce qui frappe dès l’abord
+chez Cyrano. Mais ces défauts de plume
+étaient ceux de tous les épistolaires
+admirés de son temps, Balzac et Voiture
+en tête. L’Hôtel de Rambouillet donnait
+le ton à la société polie quand notre
+auteur naquit aux lettres ; et, lorsqu’il
+mourut, les samedis de Mlle de Scudéry
+étaient en pleine vogue. Nul ne trouvait
+encore les précieuses ridicules. Alors que
+les Corneille, les Saint-Evremont, les
+Larochefoucauld, les Ménage, les Chapelain,
+les Sarrasin raffolaient de la
+<i>pointe</i>, comment un nouveau venu dans
+la littérature aurait-il échappé à cette
+espèce d’épidémie qui frappait les amoureux
+de bel esprit ?</p>
+
+<p class="i">La <i>pointe</i> telle que la cultiva le
+XVII<sup>e</sup> siècle était une manière de calembour
+honteux, équivoquant non sur des
+sons, mais sur les sens multiples de certains
+mots. Le fin du fin consistait à bien
+placer les équivoques. Cyrano se conformait
+à la mode des ruelles en faisant,
+quelque part, agenouiller le brin de thym
+devant la tulipe « à cause qu’elle porte
+un calice » ; en plaçant, dans les Enfers,
+Lucain, que Néron fit tuer par jalousie
+de poète, à côté de petits enfants « que
+les vers ont fait mourir » ; et Raymond
+Lulle, l’alchimiste fameux « qui juroit
+d’avoir rendu l’or potable », en compagnie
+d’ivrognes « qui avoient fait la même
+chose », buvant leurs écus. Tout cela est
+assurément d’un goût lamentable ; mais
+c’était le goût du jour. Et si Bergerac force
+parfois la note, c’est qu’il vise en outre au
+burlesque et recherche l’effet comique.</p>
+
+<p class="i">Par où, en revanche, Cyrano se distingue
+de la plupart des précieux de son
+temps, c’est par son procédé de recherche.
+Et l’on ne découvrirait peut-être pas la
+source secrète où s’abreuva sa verve, si
+l’on oubliait qu’il fut, un moment, l’élève
+de Gassendi. Sans doute lui-même eût été
+bien en peine d’<i>anatomiser</i> comment, du
+naturalisme scientifique de son professeur,
+il tira son naturalisme à lui, disciple
+excentrique. Les auteurs novices, ou
+qui s’essaient dans un genre nouveau,
+n’ont pas le loisir d’analyser leur propre
+mentalité ni de décrire la spécialité de
+leur état d’âme. Mais si les compositions
+de Cyrano, précurseur de nos humoristes
+familiers, ne nous exposent ni sa méthode
+littéraire ni ses disciplines philosophiques,
+il n’en demeure pas moins très visible
+que la doctrine gassendiste a réglé et
+dominé sa fantaisie.</p>
+
+<p class="i">Les gassendistes, qui se réclamaient
+d’Épicure, prisaient fort, avec les épicuriens,
+la qualité irréductible des sensations,
+la saveur de ce qui est individuel,
+la physionomie pittoresque de la chose
+vue, le charme, saisi sur le vif, d’une
+rencontre inopinée. Tandis que les cartésiens,
+tournés vers l’étude abstraite des
+phénomènes moraux, estimaient trop bas
+les objets sensibles et repoussaient comme
+indignes du penseur et du styliste les
+vils accidents de la substance-matière,
+les gassendistes professaient une curiosité
+naturaliste toujours en éveil, et quêtaient
+perpétuellement la sensation neuve.</p>
+
+<p class="i">Chez un gassendiste savant, le devoir
+de curiosité, enseigné par le maître,
+s’aiguillera vers la découverte des lois
+mécaniques de l’univers. Chez un imaginatif,
+comme Cyrano, cette curiosité se
+traduira par la recherche inconsciente
+ou réfléchie de l’inédit littéraire, par la
+haine du plagiat, par le mépris du <i>déjà
+lu</i> ; Cyrano sera le <i>chasseur d’images</i> si
+bien crayonné depuis par M. Jules
+Renard : « Ses yeux servent de filets où
+les images s’emprisonnent d’elles-mêmes… »
+Et notre auteur burlesque trouvera
+dans ce mariage du concret et de
+l’abstrait, de l’image réaliste et de l’équivoque
+morale, les meilleures bouffonneries
+de son style pointu.</p>
+
+<p class="i">Lorsque Cyrano écrit à une dame :
+« Encore si vous n’aviez mon cœur,
+j’aurois le cœur de me défendre ; mais
+j’ai fait, par ce présent, que je n’oserois
+pas même me fier à vous, à cause que
+vous avez le cœur double… », c’est
+comme s’il écrivait : « Je vous ai donné
+mon cœur ; je n’en ai plus et vous en
+avez deux ; on ne peut se fier à un cœur
+double ». Il équivoque, c’est convenu, sur
+le sens de duplicité inclus dans le mot
+double. Mais il n’arrive à cette équivoque
+qu’en posant comme prémisse une absurdité
+physique : vous avez deux cœurs.
+Et cette recherche, intentionnelle quoique
+irrationnelle, de l’aspect physique d’une
+situation morale, fait l’originalité de sa
+pointe.</p>
+
+<p class="i">Lorsqu’il dit à une autre : « Dois-je
+pleurer, dois-je écrire, dois-je mourir ?
+Il vaut mieux que j’écrive ; mon cornet
+me prêtera plus d’encre que mes yeux
+ne me fourniront de larmes… », c’est
+encore par une contingence physique,
+hors du champ de l’attention de son
+lecteur, qu’il provoque ce dernier à sourire.
+Pointe burlesque par réalisme,
+phrase relevée par l’épice imprévue d’une
+trivialité préméditée.</p>
+
+<p class="i">Le burlesque de Cyrano ne serait ni
+meilleur ni pire que celui de Sorel,
+de Dassoucy ou de Scarron, si l’on n’y
+retrouvait ce constant scrupule d’observation
+qui rend parfois ses comparaisons
+ingénieuses et jolies. C’est ainsi qu’avant
+le « chemin qui marche » de Pascal, il
+voit un aqueduc comme « un os dont la
+moelle chemine » ; avant l’« obélisque
+vert » de Flaubert, il voit le cyprès comme
+« une pique allumée à la flamme verte » ;
+le lys, sur quoi furent débitées tant de
+fadeurs, lui apparaît tel un « géant de
+lait caillé », et les nuages lui semblent de
+« grands arrosoirs » qui se promènent au
+ciel.</p>
+
+<p class="i">Qu’on n’aille pas conclure que Cyrano
+fut un descriptif à outrance. Tout au contraire,
+il est sobre, presque sec, dans ses
+descriptions. Et s’il s’efforce de peindre
+d’après nature, quand ses contemporains
+ne peignent que « de chic » ou d’après
+l’antique, c’est toujours par petites touches
+qu’il procède, fichant çà et là ses impressions,
+comme on pique des fleurs sur
+un tapis de mousse.</p>
+
+<p class="i">Au résumé, Bergerac ouvrit le premier
+la veine que devaient exploiter longtemps
+après lui tant de nos écrivains modernes.
+Mort jeune, il ne pouvait qu’être
+incompris des classiques de son temps qui
+le regardaient un peu comme un fou, à
+cause de ses allures extérieures de bravo
+littéraire. Ce n’était qu’un amant de la
+douce nature, né dans la peau rude d’un
+« réfractaire ».</p>
+
+<hr>
+
+
+<p class="i">Les <i>Lettres d’Amour</i> que nous publions
+ci-après ne peuvent être absolument qualifiées :
+inédites. Elles n’ont pourtant
+jamais été éditées fidèlement. Les éditions
+imprimées présentent avec le manuscrit
+que nous avons eu sous les yeux des
+différences importantes.</p>
+
+<p class="i">Ce manuscrit, d’une grosse écriture
+du XVII<sup>e</sup> siècle appartint au regretté
+savant Monmerqué qui l’avait acheté
+en 1837 près de Saint-Sulpice.</p>
+
+<p class="i">Il écrivait à ce propos en 1856 au bibliophile
+Paul Lacroix : « Mon manuscrit
+est du temps de Bergerac et je ne serais
+pas éloigné de croire qu’il est de sa
+main ; mais je n’ai jamais vu une lettre
+écrite et signée par lui… »</p>
+
+<p class="i">Ce précieux recueil fut vendu en 1861
+et il faisait partie, en 1890, de la bibliothèque
+de M. Deullin, d’Épernay,
+lorsque ce dernier l’offrit à la Bibliothèque
+nationale.</p>
+
+<p class="i">Nous avons extrait onze lettres des
+quarante et une qu’il renferme ; quelques-unes
+sont étiquetées formellement :
+<i>d’amour</i>. D’autres, qui entrent par leur
+sujet dans la même catégorie, portent
+des titres spéciaux que nous avons reproduits.
+Nous avons aussi scrupuleusement
+respecté l’orthographe et nous n’avons
+modifié la ponctuation, souvent défectueuse,
+que pour rendre le texte intelligible.</p>
+
+<p class="i">Ces lettres furent-elles adressées à des
+correspondantes de chair et d’os ? Ou bien
+faut-il ne voir dans ces galanteries caricaturales
+que des exercices de rhétorique
+pure ? C’est un problème que nous ne
+nous chargerons point de résoudre, la
+vie privée de Cyrano étant trop inconnue
+pour rien hasarder sur ses liaisons amoureuses.
+Il faut laisser aux poètes et aux
+dramaturges le soin d’arranger ou de déranger
+l’Histoire.</p>
+
+<p class="sign i"><span class="blkl">G. Capon,<br>
+R. Yve-Plessis.</span></p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="c xlarge">LETTRES</p>
+
+
+
+
+<h2 class="nobreak i">A Mademoiselle de St Denis</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>Ie ne me plains pas tant du mal que vous
+auez pris la peine de me faire, que de celui
+qu’on ma fait de vôtre part. En me quitant,
+vous laissâtes chez moy une insolente
+qui, sous ombre qu’elle se dit vôtre idée,
+se vante d’auoir sur moy puissance de vie
+et de mort. Encore, elle encherit tiranniquement
+sur vôtre empire. Car, au lieu que
+vous ne me blessiez iamais, si ce n’étoit par
+mégarde, et que j’obtenois de vôtre pitié
+l’apareil aussi-tôt que la plaie étoit faite,
+l’inhumaine prend plaisir à déchirer les
+blessures que vous m’auiez fermées, et à
+m’en creuser de nouuelles, qu’elle sçait bien
+ne pouuoir guérir : peut estre vous absentez-vous
+de moy pendant mon suplice,
+comme le Roy s’éloigne des lieux où l’on
+exécute des criminels, à fin de n’estre
+point importuné de leur grace. Hélas ! à
+quoy tant de précautions ; vous connoissez
+trop bien la force de vos coups, pour apréhender
+que ie r’echape. La médecine qui
+parle de toutes les maladies, n’a rien écrit
+de la mienne, à cause qu’elle entrait [<i>en
+traite</i>] comme les pouuant guerir, et
+l’amour est un mal incurable. Quelqu’un
+moins proche de la mort, apuiroit son discours
+d’hiperboles. Il vous diroit que vous
+auez pris son cœur, et que le cœur étant la
+cause de la vie, il ne peut viure ; à tort
+et sans cause, un autre protesteroit qu’il
+se seroit desia sacrifié pour vous, mais
+qu’il pensa que ç’eût esté rendre l’augure
+de vos victoires trop funeste, s’il vous eût
+immolé une victime, où l’on n’eût point
+trouué de cœur ; un autre encore auroit
+exagêre sa passion d’autre sorte. Mais moy
+qui suis prêt de partir pour l’examen, ie
+dois penser à rendre plutôt qu’à faire des
+comptes. Receuez donc cet acte de foy que
+ie fais à l’agonie. Premièrement, ie ne suis
+point atée puisque ie vous adore ; ie crûs
+fermement que Dieu s’étoit incarné aussitôt
+qu’on me dit que vous étiez née d’une
+femme ; les prières, les vœux et les respects
+que ie rens à saint Denis témoignent assez
+la vénéracion que ie porte aux saints ; l’espérance
+de vôtre possession n’a jamais enflé
+ma nature, que ie ne me soit trouué conuaincu
+de la resurection de la chair. Enfin
+pour m’assurer de la vie éternelle, j’ordonne
+à mes heritiers de placer mes os
+dans l’église de ma paroisse, non pas au
+cimetière, parce que hors l’Eglise il ni à
+point de salut. Mourant ainsi, ie ne puis
+faire une mauuaise fin, quand mesme ie
+ferois tomber ici mal à propos que ie suis,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p class="sign">Vôtre seruiteur.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Vous sçauez que ie n’auois encore aucune
+connoissance des fers ou le Ciel m’auoit
+condamné, lors qu’à la pesche ie vous vis
+la première fois. Certes le hazard eût esté
+bien grand, que, si proche de filets, ie
+n’usse pas esté pris : et quand i’usse mesme
+échapé les filets, vôtre charmante lettre m’a
+fait assez connoître que ie ne me fusse pas
+sauué de vos lignes : elles me présentoient
+autant d’ameçons que de paroles et chaque
+parole n’étoit composée de plusieurs caracteres
+que pour m’ensorceler. Ie receus cette
+belle missiue auec des respects dont ie
+serois l’expression en disant que ie l’adore,
+si i’étois capable d’adorer quelque autre
+chose que vous. Ie la baisé au moins, et ie
+m’imaginois en la baisant, baiser vôtre
+esprit mesme, duquel elle étoit l’ouurage.
+Mes yeux prenoient plaisir de refaire inuisiblement
+les mesmes lettres que vôtre
+plume auoit marquées ; insolens de leur
+fortune, ils atiroient chez ceux toute mon
+ame et par de lons regars s’atachoient à ce
+beau craion de la vôtre, pour s’unir à leur
+Idole : mais se sentans emprisonnez, ils
+pleuroient, à fin que ces larmes (comme
+d’autres petits yeux qu’ils enuoioient à leur
+place) s’esquiuassent à la file, puisqu’ils ne
+pouuoient sortir en corps. Vous fussiez-vous
+imaginé qu’une feuille de papier eût fait
+un si grand feu. Il n’étindra iamais pourtant,
+que le iour ne soit éteint pour moy.
+Si mon esprit et ma passion se partagent
+en deux soupirs, quand ie mourray, celui
+de mon amour partira le dernier. Ie conuieray
+à l’agonie le plus fidelle de mes amis
+de me réciter cette chère lettre : et lorsqu’en
+lisant il sera paruenu à l’endroit ou vous
+protestez d’estre…… ie criray iusqu’à la
+mort : cela n’est pas possible, <span class="sc">Madame</span>, car
+moy mesme i’ay tousiours esté</p>
+
+<p class="sign">Vôtre esclave.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Donc vous me voulez du bien. Ha ! dés
+la première ligne je suis vôtre très humble,
+très obeissant, et très passionné seruiteur,
+car ie sens mon ame se dissoudre en
+extases si prochains de la priuacion, que ie
+mouray de ioie auparauant que i’aie le
+temps de finir ainsi ma lettre ; toutefois, la
+voila concluë et ie puis si ie veux la fermer.
+Aussi-bien, étant assuré de vôtre afeccion,
+tant de lignes ne sont pas nécessaires contre
+une place prise. Mais parce qu’un
+Empereur doit expirer debout, et un amoureux
+en se plaignant, ie veux profiter en
+sorte du reste de ma vie que mon dernier
+soupir soit tout emploié à propher [<i>proférer ?</i>]
+<span class="sc">Madame</span>, je meurs d’amour. Mais
+vous croiez peut estre que le mourir des
+amans n’est autre chose qu’une façon de
+parler, et qu’à cause de la conformité des
+noms de l’amour et de la mort, nous prenons
+souuent l’un pour l’autre. Mais vous
+ne douterez pas de la possibilité du mien
+quand vous aurez suputé la longueur de ma
+maladie : et moins encore, quand après
+auoir lû ce discours, vous trouuerez à l’extrémité</p>
+
+<p class="sign">Votre Seruiteur. Le pauure D. C.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Bien loin d’auoir perdu le cœur en vous
+voiant, comme préchent les passionnez du
+siècle, ie me trouue depuis ce jour la beaucoup
+plus honneste homme. Mais comment
+aussi l’aurois-ie perdu, que, comme
+s’il eut aprehendé de n’estre pas assez d’un
+pour tous vos coups, ie le sentis palpiter à
+cét abord en tous mes artères : et c’étoit ce
+petit ialoux qui se reproduisoit indiuisiblement
+en chàque atome de ma chair, à
+fin qu’ocupant tout seul mon corps tout
+entier, rien que lui ne participât à l’honneur
+d’estre blessé de vous. Ie ne diray
+point non plus comme le vulgaire, de
+mesme que si vous étiez un basilic, que ce
+furent vos yeux qui me firent mourir :
+comme toutes vos armes ne sortirent pas
+de notre veuë, toutes vos armes n’entrerent
+pas par la mienne. Quand votre bouche me
+charmoit, c’étoit mon oreille qui m’en
+aportoit le poison. Quand i’étois excité par
+l’aimable douceur de votre peau bien unie,
+c’étoit sur la déposicion de mes mains que
+ie me condamnois au feu. Votre beauté
+mesme ne faisoit pas grand effort contre
+moy, parce que votre visage qui fut iadis
+son trône, étoit alors son cimetiere ; et tant
+de petits trous, qu’on y discerne, me sembloient
+estre les fosses, où la vérole auoit
+mis vos atrais en sepulture. Cependant la
+franchise pour qui Rome autrefois a risqué
+l’Empire du monde, cette diuine liberté,
+vous me l’auez rauie, et rien de ce qui chez
+l’ame se glisse par le sens, n’en à fait la
+conqueste : votre esprit seul méritoit cette
+gloire ; sa viuacité, sa douceur, son courage,
+valoient bien que ie me donnasse à de si
+beaux fers. Ie ne croy pas pourtant que
+vous soiez un ange, car vous estes palpable ;
+ie n’ay garde aussi de penser que vous soiez
+comme moy puisque vous estes insensible ;
+cela me fait imaginer que vous estes quelque
+chose au milieu du raisonnable et de
+l’inteligible. I’aurois dit mesme que vous
+tenez de la nature humaine et diuine, si de
+tous les atribus qui sont necessaires à la
+perfeccion du premier estre, et qui vous
+sont essenciels, celui de misericordieuse
+ne vous manquoit. Oui ! Si l’on peut imaginer
+en une diuinité quelque défaut, ie
+vous acuse de celui là : ce iour mesme que
+vous me blessâtes, vous me promîtes l’apareil
+dans trois autres ; outre que c’eut esté
+donner remede trop tard à un mal qui
+gaigne le cœur, encore n’y vîntes vous pas.
+Mais vous fîtes bien ! car on doit se tenir
+caché quand on a tué un homme. Sortez
+toutefois sans rien craindre ; sortez, c’est
+une loy pour le vulgaire qui ne vous
+regarde point. Il serait fort nouueau qu’on
+recherchât un tiran de la mort de son
+esclaue. Vous vous étonnez possible que
+moy mesme i’escrime. Ie le fais pourtant
+sans miracle ; mais aussi l’homme à deux
+trépas à souffrir sur la terre, celui d’amour,
+et celui de nature. Ie puis donc croire que
+quand ie commancé de vous aimer, ie commancé
+de mourir ; puisque la mort est
+definiée la separacion de l’esprit et du
+corps ; et que ie perdis l’esprit au moment
+que ie vous aimé. Mais quand auec la peine
+d’amour i’auray encore subi celle ou la
+condicion d’animal nous astrint (quoy que
+ie ne sens plus les douleurs de la première),
+ie ne laisseray pas de m’en souuenir éternellement
+la bas, et si on diffère de qualitez
+en l’autre monde, comm’en celui ci, vous
+serez touiours ma souueraine, et moy (fusse
+entre les flammes qui deuoreront ma substance),
+ie seray toujours</p>
+
+<p class="sign">Votre Seruiteur très ardant.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<h2 class="nobreak i">Regret d’un éloignement</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Dois-ie pleurer, dois-ie écrire, dois-ie
+mourir ? Il vaut mieux que i’écriue ; mon
+cornet me prétera plus d’ancre que mes yeux
+ne me fourniront de larmes ; et quand ie penserois
+guerir de la tristesse de votre absence
+par ma mort, ce ne seroit pas me r’aprocher
+de vous puis que Paris est plus près de
+Saumur, que Saumur des Champs Elisées.
+Mais que vous ecriray-ie, bons dieux ? Rien,
+sinon que i’espère bien tôt faire voiage pour
+le Poitou ou pour l’Enfer ; que ie vous prie
+de consoler mes amis de la perte qu’ils
+font, a cause de vous, et que si vous souhaitez
+me mander quelque chose, vous
+adressiez vos lettres au Cimetière de Saint
+Iaques. C’est là que votre messager aura
+de mes nouuelles ; le fossoieur ou mon épitaphe
+lui aprendront mon logis, et lui
+feront lire que, ne sachant ou vous rencontrer
+en ce monde, ie suis parti pour l’autre,
+étant bien assuré que vous y viendriez : ce
+ne vous sera pas peu de consolacion quand
+vous trouuerez pour vous garantir des insolences
+du Diable, ce Diable,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p class="sign">Votre Seruiteur De Bergerac.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<h2 class="nobreak i">Contre une femme interessée</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Si chacun étoit obligé comme moy, pour
+faciliter la lecture de ses œuvres, de donner
+de l’argent, les Balsacs n’auroient jamais
+écrit, et les aueugles sçauroient lire. Mais
+quoy. Si mes lettres ne sont éclairées de la
+reuerbéracion de quelque écu d’or, quand
+ie les aurois prises dans Polexandre, ie suis
+assuré d’auoir écrit en hébreu. Chez vous,
+ouurir simplement la bouche ne sert qu’a
+la prononciacion de l’Arabe et du Margajat ;
+pour vous parler François, il faut
+ouvrir la main ; ainsi i’ay dans mon coffre
+le secret de vous éclairer la Bible, et de
+vous rendre les Centuries de Nostradamus
+plus intelligibles que le <span lang="la" xml:lang="la">pater</span>. C’est de
+vous qu’on peut dire, point d’argent point
+de suisse. Mais, d’un autre côté, ie me console
+en ce que, quand vous auriez combatu
+dix ans mes seruices, mes larmes et mon
+désespoir, ie suis assuré auec la croix d’un
+Louis, de chasser de votre corps ces diables
+de refus ; iamais les malfaicteurs de Iudée,
+n’ont tant tombé sous la croix que vous ;
+vous croiez qu’un iuste ne vous sçauroit
+rien demander iniustement, et que des
+intencions qui sont accompagnées d’un
+métal pur comme l’or, ne sçauroient estre
+que très pures. I’aurois grand tort apres
+cela de dire que votre auarice est égale a
+celle de Iudas, lui qui vendit un Iuste ; et
+vous vous vendez pour un Iuste. Le palais
+Roial vous à accoutumée a porter tant de
+respect aux princes que vous vous abaissez
+sous tous ceux qui portent leurs images ;
+et quelqu’un aioûte que vous étes tellement
+circonspecte à la distribucion de vos faueurs,
+que vous pesez dauantage sur les
+baisers d’un quart d’écu que sur ceux d’un
+teston. Cette façon d’œconomie ne me déplait
+pas tout à fait, car quand ie viendray
+vint sols dans une main, ie suis certain que
+ie tiendray votre cœur dans l’autre. Tout ce
+qui me fàche, c’est que vous métrez mon
+image hors de chez vous par les épaules,
+dès qu’elle y a demeuré trois iours sans
+paier son gîte ; qu’il me semble que la définicion
+de mon estre soit de donner, et
+qu’aussi-tôt que ie cesse de fouiller à ma
+pochette, ie cesse d’estre animal raisonnable.
+Corrigez cette humeur auare, car il
+vous est honteux d’estre a mes gages, moy
+qui suis</p>
+
+<p class="sign">Votre Seruiteur.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<h2 class="nobreak i">Effets amoureux d’une absence</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Suis-ie condamné à pleurer encore long
+temps pour votre absence ; mes yeux ne
+sont plus que deux alambics, par ou distilent
+mon humide et ma vie ; en vérité ie
+soupçonnerois (si ma mort vous étoit utile)
+que vous tâchez d’ôter toute l’eau de chez
+moy, de peur que ie n’echape au feu.
+Cependant votre entreprise n’auroit pas de
+succès ; plus ie mouille mon sein plus il
+brûle, et sans doute que ce Dieu qui composa
+d’argile le corps du premier homme,
+a taillé le mien d’une pierre de chaux, puisque
+ie m’alume dans l’eau. Ie n’oserois plus
+marcher dans les rues embrasé comme ie
+suis, que les enfans ne m’enuironnent de
+fusées, pour que ie leur semble une figure
+d’artifice echapé de la grèue ; n’y a la campagne,
+qu’on me prenne pour un de ces
+ardans qui traînent a la riuière. Et si vous
+ne reuenez bien tôt, on vous répondra quelque
+iour quand vous demanderez a me
+voir, que ie suis la beste à feu, qu’on montre
+aux Thuilleries ; alors vous aurez la
+honte d’auoir un amant Salemandre, et le
+regret de voir brûler des ce monde</p>
+
+<p class="sign">Votre Seruiteur De B.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<h2 class="nobreak i">Éloge d’une rousse</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Ie sçay bien que nous viuons dans
+une province où l’on n’estime pas la couleur
+rousse de votre poil ; mais ie sçay bien
+aussi que le vulgaire ne peut iuger comm’
+il faut, des choses excellentes, puisqu’il
+seroit necessaire qu’il les connût ; mais
+quel que soit son sentiment, permétez que
+ie parle ainsi à votre cheuelure. Lumineux
+dégorgement de l’essence du plus beau des
+êtres visibles ; Intelligente réflexion du feu
+radical de la nature ; Image du jour la
+mieux trauaillée, ie ne suis point si brutal
+de méconnoître pour ma Reine l’enfant de
+celui que mes pères ont connu pour leur
+Dieu. Athènes pleura sa couronne tombée
+sous les Temples abatus d’Apollon ; Rome
+cessa de commander à la terre, quand elle
+refusa de l’encens à la lumière ; et Bisance
+est entrée en possession de mettre aux fers
+le genre humain, aussi-tôt qu’elle a pris
+pour ses armes celles de la sœur du Soleil.
+Tant qu’à cet esprit uniuersel le perse fit
+hommage du raion qu’il tenoit de lui, quatre
+mil ans n’ont pu vieillir la jeunesse de
+sa monarchie : mais sur le point de voir
+briser ses simulacres, il se sauua dans
+Pequin des outrages de Babilonne. Il semble
+maintenant echauffer à regret d’autres
+terres que celles des Chinois ; et i’apréhende
+qu’il ne se fixe dessus leur Emisphère,
+s’il peut un iour (sans venir à nous)
+leur donner les quatre saisons. La France
+toutefois, <span class="sc">Madame</span>, a des mains en votre
+visage qui ne sont pas moins fortes que les
+mains de Josué pour l’enchaîner ; vos
+triomphes (ainsi que les victoires de ce
+heros) sont trop illustres pour estre cachez
+de la nuit. Il manquera plutôt de promesse
+à l’homme, qu’il ne se tienne toujours en
+lieu d’où il puisse contempler à son aise
+l’ouurage de ses ouurages le plus parfait :
+voiez comme par son amour l’esté dernier
+il échauffa les signes d’une ardeur si longue
+et si véhémente qu’il en pensa brûler
+la moitié de ses maisons ; et, sans consulter
+l’almanach, nous n’auons iamais pû,
+cette année, distinguer l’hiuer de l’automne
+pour sa benignité, à cause qu’impacient de
+vous reuoir, il n’a pu continuer son voiage
+iusqu’au tropique. Ne pensez point que ce
+discours soit une hiperbole : si iadis la
+beauté de Climeine l’a fait descendre du
+Ciel, la beauté de M….. est assez considérable,
+pour le faire un peu détourner de
+son chemin : l’égalité de vos âges, la conformité
+de vos corps, la ressemblance peut-estre
+de vos humeurs, — peuuent bien
+r’alumer en lui ce beau feu. — Mais, si
+vous êtes fille du Soleil (adorable Alexie)
+i’ay tort de dire que votre père soit amoureux
+de vous. Il vous aime véritablement ;
+et la passion dont il s’inquiéte pour vous,
+est celle qui lui fit soupirer le malheur de
+son Phaëton, et de ses sœurs : non pas celle
+qui lui fit répandre des larmes à la mort
+de sa Daphné ; cette ardeur dont il brûle
+pour vous est l’ardeur dont il brûla iadis
+tout le monde ; non pas celle dont il fut
+lui-mesmes brûlé : Il vous regarde tous les
+iours avec les frissons et les tendresses que
+lui donne la mémoire du désastre de son
+fils aîné : Il ne voit sur la Terre que vous,
+ou il se reconnoisse ; s’il vous considère
+marcher, voilà, dit-il, la généreuse insolence,
+dont ie marchois contre le serpent
+Piton ; s’il vous entend debiter sur des
+matières délicates, c’est ainsi que ie parle,
+dit-il, sur le Parnasse avec mes sœurs.
+Enfin, ce pauure père, ne sçait en quelle
+façon exprimer la ioie que lui cause l’imaginacion
+de vous auoir engendrée. Il est
+ieune comme vous, [<i>vous</i>] étes belle comme
+lui : son tempérament et le vôtre sont tout
+de feu : par vous il se trouue deux en deux
+endrois. Il donne la vie et la mort aux animaux,
+et bientôt, comme lui, vous donnerez
+la vie à vos ennemis, et la mort à ceux
+du Roïaume : comme lui vous auez les
+cheueux roux. I’en étois là de ma lettre,
+adorable M….. lors qu’un censeur à contre
+sens, m’aracha la plume, et me dit que
+c’étoit mal se prendre au panegirique, de
+louër une ieune personne de beauté parce
+qu’elle étoit rousse : moy ne pouuant punir
+cet orgueilleux jdiot, plus sensiblement
+que par le silence, Ie pris une autre plume,
+et continué ainsi. Une belle teste sous une
+perruque rousse, n’est autre chose que le
+soleil au milieu de ses raions ; ou le soleil
+lui-mesme n’est autre chose qu’un grand
+œil sous la perruque d’une rousse. Cependant,
+tout le monde en médit, a cause que
+tout le monde à la gloire de l’estre ; et cent
+hommes à peine en fournissent un, parce
+qu’étans enuoiez du Ciel pour commander,
+il est besoin qu’il y ait moins de sujets que
+de Seigneurs. Ne voions-nous pas que toutes
+choses en la nature sont, ou plus ou
+moins nobles, selon qu’elles sont ou plus
+ou moins rousses. Entre les Elemens, celui
+qui contient le plus d’essence et le moins
+de matière, c’est le feu, a cause de sa rouge
+couleur ; l’or à receu, de la beauté de sa
+teinture, la gloire de regner sur les métaux ;
+et de tous les astres, le soleil n’est le plus
+considerable, que parce qu’il est le plus
+roux. Les comètes cheuelus qu’on void voltiger
+au ciel à la mort des grans hommes,
+sont-ce pas les rousses moustaches des
+Dieux qu’ils s’arachent de regret ? Castor
+et Pollux, ces petits feux qui font prédire
+aux matelos la fin de la tempeste, peuuent-ils
+être autre chose que les cheueux roux
+de Iunon qu’elle enuoie a Neptune en signe
+d’amour ? Enfin, sans le désir qu’eurent
+les hommes de posséder la toison d’une
+brebis rousse, la gloire de trente demi
+dieux seroit au berceau des choses qui ne
+sont pas néés ; et (un nauire n’étant encore
+qu’un être de raison) Americ ne nous
+auroit pas conté que la terre à quatre parties.
+Apollon, Vénus et l’Amour, les plus
+belles diuinitez du pantheon sont rousses
+en cramoisi ; et Jupiter n’est brun que par
+accident, a cause de la fumée de son foudre
+qui la noirci. Mais si les exemples de
+la Mitologie ne satisfont pas les aheuris,
+qu’ils confrontent l’histoire : Sanson, qui
+tenoit toute sa force pendüe à ses cheueux,
+n’avoit-il pas receu l’énergie de son miraculeux
+estre dans le roux coloris de sa perruque ?
+Les destins n’auoient-ils pas ataché
+la conseruacion de l’empire d’Atènes,
+a un seul cheueu rouge de Nisus ; et Dieu
+n’at-il pas enuoié aux Etiopiens la lumière
+de la foy, s’il eut trouué parmi eux seulement
+un rousseau. On ne douteroit point
+de l’eminente dignité de ces personnes la,
+si l’on consideroit que tous les hommes
+qui n’ont point été fais d’hommes, et pour
+l’ouurage de qui Dieu lui mesme à choisi
+et pétri la matière, ont toûjours été rousseaux ;
+Adam fut rousseau ; Iesus Crît fut
+rousseau ; Iudas mesme eut l’honneur d’estre
+l’instrument de notre salut, et de baiser
+le Messie en le trahissant, à cause qu’il
+étoit rousseau ; et Dieu ne le reprouua que
+faché de voir qu’un homme qui n’étoit que
+son estafier fût cependant plus rousseau
+que lui. Et toute philosophie bien corecte
+doit aprendre que la nature qui tend au
+plus parfait, essaie toûjours en formant un
+homme de former un rousseau ; de mesme
+qu’elle aspire à faire de l’or en faisant du
+mercure. Car quoy qu’elle rencontre rarement,
+un archer n’est pas estimé mal
+adroit qui, lâchant trente flèches, en
+adresse cinq ou six au but : comme le
+tempérament le mieux balancé, est celui
+qui fait le milieu du flegme et de la mélancolie,
+il faut estre bien heureux pour fraper
+iustement un point indiuisible : au deça
+sont les blons, au dela sont les noirs, c’est-à-dire
+les volages, et les opiniatres : entre
+deux est le milieu, ou la sagesse (en faueur
+des rousseaux) à logé la vertu ; aussi leur
+chair est bien plus délicate, le sang plus
+suptil, les espris plus épurés et l’intellect
+par conséquent plus vîf, à cause du mélange
+parfait des quatre qualitez. C’est la raison
+qui fait que les rousseaux blanchissent
+plus tard que les noirs, comme si la nature
+se fâchoit, de détruire ce qu’elle a pris
+plaisir à faire ; en vérité, ie ne vois iamais
+de cheuelure blonde que ie ne me souuienne
+d’un toupon de filasse mal habillée ;
+n’y de noire, que ie ne me figure un
+faisseau de cordes d’épinette enrouillées ;
+mais ie veux que les blons quand ils sont
+jeunes soient agréables ; ne semblent ils
+pas, si tôt que leurs ioües commancent a
+cotonner, que leur chair se diuise par filamens
+pour leur faire une barbe ? Ie ne
+parle point des barbes noires ; car on sçait
+bien que si le Diable en porte, elle ne peut
+être que fort brune. Puis donc que nous
+auons tous a deuenir esclaves de la beauté,
+ne vaut-il pas bien mieux, que nous perdions
+notre franchise dessous des chaînes
+d’or, que sous des cordes de chanure, ou
+des entraues de fer ? Pour moy tout ce que
+ie souhaite, ô ma belle M….., est qu’a
+force de promener la mienne dedans ces
+petits labirintes d’or qui vous seruent de
+cheueux, ie l’y perde bientot ; et tout ce
+que i’aprehende, c’est de la recouurer
+quand je l’auray perduë. Voudriez vous
+bien me prométre que ma vie ne sera
+point plus longue que ma seruitude : Ie le
+souhaite au moins n’osant pas vous en conjurer ;
+car en quelle qualité vous ferois ie
+cette prière ? Ie ne suis point votre ami, la
+fortune ne m’aiant pas encore présenté
+l’ocasion de le meriter ; Ie ne suis point
+votre seruiteur, n’aiant pas encore de vous
+permission de me le dire ; cependant ie
+seray donc,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p class="sign">Votre ie ne sçay quoy.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<h2 class="nobreak i">Sur des brasselets de cheueux</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Mademoiselle</span>,</p>
+
+<p>I’ay receu vos brasselets marquez de vos
+chifres ; ne craignez donc plus qu’un prisonier
+arété par les bras et par le cœur,
+vous échape. Je vous confesseray cependant
+(si vous ne me sembliez trop belle pour
+estre sorcière) que votre don m’ût été suspect,
+a cause qu’il entre quasi toujours des
+cheueux et des caractères dans la composicion
+des charmes. Mais comme vous étes
+en possession de massacrer impunement,
+le venin vous est inutile, et quoy que ie
+vous puisse conuaincre auec ces brasselets
+d’auoir usé sur moy, sinon de sortilége, au
+moins de ligature, i’aurois tort de me
+dérober aux secrets de votre magie ; puisqu’aiant
+à choir sous vos coups, mon trépas
+sera plus glorieux, s’il ariue par des
+moiens surnaturels, et s’il faut un miracle
+pour me tuer. Ie m’imagine que vous prenez
+tout ceci pour une matamorade. Hé !
+bien, — parlons sérieusement ; dites moy
+donc en conscience, nesse pas auoir un
+cœur à bon marché, qui ne vous coûte
+que trois coups de brosses ; ma foy, si vous
+en trouuez plusieurs a ce pris la, ie vous
+conseille de les prendre ; vous risquez peu
+de chose, et pouuez gangner beaucoup ;
+car il reuient toûjours des cheueux à la
+teste, et non des cœurs à la poitrine. Peut
+estre que mesurant mon mérite, a la hardiesse
+d’éleuer mes desirs iusqu’à vous,
+vous m’offrez votre cheuelure, pour me
+traiter en Dieu. Mais peut estre aussi
+(petite moqueuse) que me voulant donner
+à connoître comme vous étiez viuement
+touchée de mon amour, vous m’auez
+enuoié de votre personne la partie la plus
+insensible. Quelque malicieuses, cependant,
+que soient vos intencions, du bien
+ou du mal que vous me faites, ie confons
+tellement la simpathie auec l’anthipatie
+que les mains qui me frapent, ou qui me
+carressent me paroissent également souhaitables
+lorsqu’elles sont à vous. Cette lettre
+en est une preuue assez conuaincante ;
+puisqu’elle ne tend qu’a vous remercier de
+m’auoir tiré par les cheueux, de m’auoir
+lié les bras, et par toutes ces violences
+m’auoir fait,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Mademoiselle</span>,</p>
+
+<p class="sign">Votre esclaue.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span></p>
+
+<p>Le mal que ie souffre pour vous, n’est
+point la mort assurement, et toutefois ie
+me meurs depuis que ie vous ay veuë. Ie
+brule, je tremble, mon poux est déréglé,
+c’est donc la fiéure : hélas ! ce ne l’est
+point ; car on la définit une disproporcion
+querelleuse des qualitez de l’animal ; et
+c’est la parfaite harmonie de nos temperamens,
+qui m’a rendu malade. Quand ie
+vous aperceus, il me sembla trouuer ce
+beau, a la recherche de qui la nature
+pousse tous les hommes : quand vous parlâtes,
+ie m’ecriay, voilà ce que i’ay voulu
+dire tant de fois ; mon cœur souffloit dans
+mes entrailles, frapoit contre les murs de sa
+prison, et maudissoit le Ciel, qui lui donnant
+l’enuie et les moiens de reconnoître
+sa moitié, lui refusoit le pouuoir de la
+joindre après l’auoir trouuée. Cependant,
+il s’est dépité de telle sorte (ce petit souuerain)
+de n’être pas absolu dans son empire,
+qu’il me refuse ses fonccions : il ne prend
+rien de mon foie, qui ne soit combustible ; il
+aréte le mouuement de mes poulmons, de
+peur d’en estre rafraîchi ; partout, il enuoie
+du feu, et si ie dure encore trois iours en
+cet état, on verra peut-être mon corps s’alumer
+au milieu des rues : ie suis déjà si
+sec, que la moindre étincelle qui me touchera,
+c’est fait de moy. Preuenez cet accident,
+<span class="sc">Madame</span>, venez à lui, puisqu’il ne
+peut aler à vous : helas ! c’est un téméraire,
+c’est un Sanson, qui ne se soucira
+pas de mourir étouffé sous les ruines de
+son palais, pourueu qu’il acable en tombant
+ceux qui l’empéchent de vous embrasser.
+Songez, que la nature vous aiant faite
+capable de me blesser, vous a lié une
+jambe, de peur que vous ne puissiez
+emporter en fuiant le remède que vous me
+deuez ; et ces blessures ne sont point imaginaires,
+car enseignez moy, ie vous prie,
+un endroit de votre corps ou ie puisse atacher
+ma veuë, dont il ne soit sorti une fleche
+inuisible qui ma frapé ? Y à t-il sur
+vous un àtome, qui ne soit coupable de
+ma mort ? Autant de fois que ie le trouue
+beau, vous me semblez un agreable herisson,
+qui ne souffrez iamais qu’on se detache
+d’une épine que pour faire tomber sur
+d’autres ; votre front me flate, vos yeux me
+prométent ; votre bouche me rit, mais il
+suruient à la trauerse ma mauuaise fortune
+qui me d’éfend d’espérer. Opprimez,
+pour l’amour de moy, cette barbare ; ne
+souffrez pas qu’une aueugle malicieuse
+triomphe de votre bonté ; votre visage me
+dit oui ; cette cruelle me dit non. Vous
+feroit elle mentir, la maraude ? Elle ne
+sçauroit, ou bien vous le voudrez. Ha !
+qu’elle seroit brauée, et que ie serois heureux,
+si ce bien qu’une personne disgraciée
+de la nature ne sçauroit esperer que du
+caprice de cette fole, ie le receuois de votre
+propre main ; car j’aimerois bien mieux
+vous étre obligé, qu’a mon ennemie. Ie
+suis cependant, entre les deux, ocupé à
+regarder, tantôt vous, tantôt elle, et ie
+demande en pleurant qui me fera meilleur
+visage. Ie l’espère de vous ; et qui m’en
+demanderoit la raison, ie ne sçay, sinon
+que vous étes belle : Ie l’atens d’elle ; a
+cause qu’elle ne se peut reconcilier auec
+moy, sinon par un plaisir dont la grandeur
+soit proportionnée à la grandeur des déplaisirs
+qu’elle m’à fais. O ! Dieux, que notre
+bien est mal assuré, lorsqu’il est entre les
+mains d’une jeune fille et de la fortune ;
+mais si l’un et l’autre négligent de me
+guerir, i’auray recours au médecin de tous
+les grans maux ; c’est la mort ; oui, ie
+mourray : possible qu’alors mon desastre
+vous atendrira ; que vous résisterez plus
+douloureusement aux trais de la mort que
+de l’amour ; et qu’un iour, quand on
+demandera qui i’étois, vous aiouterez aux
+larmes que l’humanité forcera vos yeux de
+donner un petit souleuement d’estomach
+aux manes d’une personne qui uous à tant
+aimé. Ha ! si ce bonheur acompagne mes
+cendres, que les pierres de mon tombeau
+seront legéres dessus elles ; qu’elles attendront
+bien paisiblement le dernier iour du
+monde ; qu’elles se leueront de bon cœur,
+pour aller au tribunal rendre compte de
+ma vie. I’iray toutefois ; ie me plaindray
+de votre barbarie ; ie demanderay a Dieu
+qu’il m’en fasse îustice. Il vous condamnera
+de brûler sous la Terre, car i’ai brûlé dessus.
+Prevenez par la cependant, <span class="sc">Madame</span>,
+un si rigoureux arrest : brûlons d’amour,
+céte flame est si douce ; personne n’en est
+iamais mort ; l’aimez vous mieux estre par
+la main d’un autre que par moy, qui n’ay
+garde de vous faire du mal, puisque ie
+suis</p>
+
+<p class="sign">Votre Seruiteur D. C.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<h2 class="nobreak i">Reproche à une cruelle</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Mademoiselle</span>,</p>
+
+<p>Ie vous écris auec du sang barbare, àfin
+que vous baigniez vos yeux dedans la
+source de ma vie ; que ne pouuez vous le
+boire en le regardant ! I’aurois plus obtenu,
+de votre cruauté en une heure, que ie n’ay
+fait en dix ans, de votre affeccion ; puis
+que, par elle, ie verrois unir mon ame à la
+votre. Figurez vous donc, non seulement
+mes idées peintes avec mon sang, mais mon
+sang, comm’ il fumoit dans mes veines,
+encore imprimé des idées qu’il a receües
+de la douleur. Oui ! Ie sentois en vous écriuant
+mon cœur distilez par ma plume, car
+au defaut des larmes, que mes infortunes
+ont épuisées, ie n’ay trouué chez moy que
+cet esclaue qui vous pût entretenir. Le
+Soleil, plus billieux que vous, est pourtant
+plus pitoiable. Il ne consume aucune chose,
+tant qu’il y trouue une larme : mais vous
+êtes sans doute un Soleil hétéroclite ; et ce
+qui me le fait croire, c’est, que celui de la
+haut ne loge qu’un mois dans une maison,
+et votre hôte se plaint qu’il y en a trois
+que vous ètes au gemini. C’est peut-être
+la raison, qui ma si long temps empéché
+de vous voir, ou bien, pour passer des
+supersticions de jadis à celles d’aprésent,
+et m’acomoder au bruis qui courent de
+votre conuersion, ie ne puis maintenant
+vous voir, a cause que les saints sont
+cachez en Caresme. Ma foy pourtant, faites
+ariuer Pasques auant la semaine sainte, ou
+bien ie suis,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Mademoiselle</span>,</p>
+
+<p class="sign">Votre seruiteur.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="i">Le manuscrit retrouvé par Monmerqué
+est incomplet de plusieurs feuillets. Il ne
+contient pas toutes les <i>Lettres d’Amour</i> de
+Cyrano. Afin de présenter au lecteur
+l’ensemble de cette correspondance amoureuse,
+nous empruntons à l’édition donnée
+par Le Bret le texte des épitres
+suivantes.</p>
+
+<p class="i">Quelques-unes, on le remarquera, reproduisent
+en partie certaines lettres
+déjà lues. On y trouvera la preuve que
+Cyrano, lorsqu’il avait aiguisé quelques
+<i>pointes</i>, heureuses à son gré, n’hésitait
+pas à les faire resservir, tirant volontiers
+plusieurs moutures du même sac.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<h2 class="nobreak i">A Madame ***</h2>
+
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Pour une personne aussi belle qu’Alcidiane,
+il vous falloit sans doute, comme à
+cette Héroïne, une demeure inaccessible ;
+car puis qu’on n’abordoit à celle du Roman
+que par hazard, et que sans un hazard
+semblable on ne peut aborder chez vous ;
+je croy que par enchantement vos charmes
+ont transporté ailleurs, depuis ma sortie,
+la Province où j’ay eu l’honneur de vous
+voir ; je veux dire, Madame, qu’elle est devenuë
+une seconde Isle flotante, que le
+vent trop furieux de mes soûpirs pousse
+et fait reculer devant moy, à mesure que
+j’essaye d’en approcher. Mes Lettres mesmes
+pleines de soûmissions et de respects,
+malgré l’art et la routine des Messagers les
+mieux instruits n’y sçauroient aborder. Il
+ne me sert de rien que vos loüanges qu’elles
+publient, les fassent voler de toutes
+parts, elles ne vous peuvent rencontrer ; et
+je croy mesme que si par le caprice du
+hazard ou de la Renommée qui se charge
+fort souvent de ce qui s’adresse à vous, il en
+tomboit quelqu’une du Ciel dans vostre
+cheminée, elle seroit capable de faire évanoüir
+vostre Chasteau. Pour moy, Madame,
+aprés des avantures si surprenantes,
+je ne doute quasi plus que vostre Comté
+n’ait changé de Climat avec le Païs qui luy
+est Antipode, et j’apprehende que le cherchant
+dans la Carte, je ne rencontre à sa
+place, comme on trouve aux extremitez du
+Septentrion, (Cecy est une Terre où les
+Glaces empeschent d’aborder.) Ha ! Madame,
+le Soleil à qui vous ressemblez, et
+à qui l’ordre de l’Univers ne permet point
+de repos, s’est bien fixé dans les Cieux
+pour éclairer une victoire, où il n’avoit
+presque pas d’interest. Arrestez-vous pour
+éclairer la plus belle des vostres ; car je
+proteste (pourveu que vous ne fassiez plus
+disparoistre ce Palais enchanté, où je vous
+parle tous les jours en esprit) que mon entretien
+muet et discret ne vous fera jamais
+entendre que des vœux, des hommages et
+des adorations. Vous sçavez que mes Lettres
+n’ont rien qui puisse estre suspect ;
+Pourquoy donc apprehendez-vous la conversation
+d’une chose qui n’a jamais parlé ?
+Ha ! Madame ! s’il m’est permis d’expliquer
+mes soupçons, je pense que vous me
+refusez vostre veuë, pour ne pas communiquer
+plus d’une fois, un miracle avec un
+prophane ; Cependant vous sçavez que la
+conversion d’un incrédule comme moy,
+(c’est une qualité que vous m’avez jadis
+reprochée) demanderoit que je visse un tel
+miracle plus d’une fois. Soyez donc accessible
+aux témoignages de veneration que
+j’ay dessein de vous rendre. Vous sçavez
+que les Dieux reçoivent favorablement la
+fumée de l’encens que nous leur bruslons
+icy bas, et qu’il manqueroit quelque chose
+à leur gloire, s’ils n’estoient adorez ; Ne
+refusez donc pas de l’estre, car si tous
+attributs sont adorables, puis que vous
+possédez tres-éminemment les deux principaux,
+la Sagesse et la Beauté, vous me
+feriez faire un crime, m’empeschant d’adorer
+en vostre personne le divin caractère
+que les Dieux ont imprimé : Moy principalement,
+qui suis et seray toute ma vie,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p class="sign">Vostre tres-humble Serviteur.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Le feu dont vous me bruslez, a si peu
+de fumée, que je défie le plus severe Capuchon
+d’y noircir sa conscience et son humeur ;
+Cette chaleur celeste, pour qui tant
+de fois S. Xavier pensa crever son pourpoinct,
+n’estoit pas plus pure que la
+mienne, puis que je vous aime, comme
+il aimoit Dieu, sans vous avoir jamais
+veuë. Il est vray que la personne qui
+me parla de vous, fit de vos charmes un
+Tableau si achevé, que tant que dura
+le travail de son chef d’œuvre, je ne pû
+m’imaginer qu’elle vous peignoit, mais
+qu’elle vous produisoit. Ç’a esté sur sa
+caution que j’ay capitulé de me rendre, ma
+Lettre en est l’ostage : Traittez-la, je vous
+prie humainement, et agissez avec elle de
+bonne guerre ; car quand le droit des Gens
+ne vous y obligeroit pas, la prise n’est pas
+si peu considerable, qu’elle en puisse faire
+rougir le Conquerant. Je ne nie pas, à la
+verité, que la seule imagination des puissans
+traits de vos yeux, ne m’ait fait tomber
+les armes de ma main, et ne m’ait contraint
+de vous demander la vie ; Mais
+aussi, en verité, je pense avoir beaucoup
+aidé a vostre victoire ; Je combattois,
+comme qui vouloit estre vaincu ; Je presentois
+à vos assauts toûjours le costé le
+plus foible ; et tandis que j’encourageois
+ma raison au triomphe, je formois en mon
+ame des vœux pour sa défaite : Moy-mesme,
+contre moy, je vous prestois main forte, et
+cependant le repentir d’un dessein si temeraire
+me forçoit d’en pleurer. Je me persuadois
+que vous tiriez ces larmes de mon
+cœur, pour le rendre plus combustible,
+ayant osté l’eau d’une Maison, où vous
+vouliez mettre le feu ; et je me confirmois
+dans cette pensée, lors qu’il me venoit en
+memoire que le cœur est une place au contraire
+des autres, qu’on ne peut garder, si
+l’on ne la brusle. Vous ne croyez peut estre
+pas que je parle serieusement ; Si fait en
+verité ; et je vous proteste, si je ne vous
+vois bien-tost, que la bile et l’Amour me
+vont rostir d’une si belle sorte, que je laisseray
+aux Vers du Cimetiere l’esperance d’un
+maigre déjeusné. Quoy vous vous en riez :
+Non, non, je ne me mocque point, et je
+prevoy par tant de Sonnets, de Madrigaux
+et d’Elegies, que vous avez receus ces jours
+cy de moy (qui ne sçait ce que c’est de
+Poësie) que l’amour me destine au voyage
+du Royaume des Dieux, puis qu’il m’a enseigné
+la langue du Païs : Si toutefois
+quelque pitié vous émeut à differer ma
+mort, mandez-moy que vous me permettez
+de vous aller offrir ma servitude ; car si
+vous ne le faites, et bientost, on vous reprochera
+que vous avez, sans connoissance
+de cause, inhumainement tué de tous vos
+Serviteurs le plus passionné, le plus humble,
+et le plus obeïssant Serviteur,</p>
+
+<p class="sign"><span class="sc">de Bergerac</span>.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Bien loin d’avoir perdu le cœur quand
+je vous fis hommage de ma liberté, je me
+trouve au contraire depuis ce jour là, le
+cœur beaucoup plus grand : Je pense qu’il
+s’est multiplié, et que comme s’il n’estoit
+pas assez d’un pour tous vos coups, il s’est
+efforcé de se reproduire en toutes mes arteres,
+où je le sens palpiter, afin d’estre present
+en plus de lieux, et de devenir luy
+seul, le seul objet de tous vos traits. Cependant,
+Madame, la franchise, ce tresor
+precieux pour qui Rome autrefois a risqué
+l’Empire du monde ; Cette charmante liberté,
+vous me l’avez ravie ; et rien de ce
+qui chez l’ame se glisse par les sens, n’en
+a fait la conqueste : Vôtre esprit seul meritoit
+cette gloire ; sa vivacité, sa douceur,
+son etenduë, et sa force, valoient bien que
+je l’abandonnasse à de si nobles fers :
+Cette belle et grande ame élevée dans un
+Ciel, si fort au dessus de la raisonnable, et
+si proche de l’intelligible, qu’elle en possede
+éminemment tout le beau ; Et je dirois
+mesme beaucoup du Souverain Créateur
+qui l’a formée, si de tous les attributs,
+qui sont essentiels à sa perfection, il ne
+manquoit en elle celuy de misericordieuse ;
+Oüy, si l’on peut imaginer dans une Divinité
+quelque défaut, je vous accuse de celuy-là.
+Ne vous souvient-il pas de ma
+derniere visite, où me plaignant de vos
+rigueurs, vous me promistes au sortir de
+chez vous, que je vous retrouverois plus
+humaine, si vous me retrouviez plus discret,
+et que je vinsse, en me disant adieu,
+le lendemain, parce que vous aviez resolu
+d’en faire l’épreuve ? Mais helas ! demander
+l’espace d’un jour, pour appliquer le
+remede à des blessures qui sont au cœur !
+N’est-ce pas attendre, pour secourir un
+malade, qu’il ait cessé de vivre ? et ce qui
+m’étonne encore davantage, c’est que vous
+défiant que ce miracle ne puisse arriver,
+vous fuyez de chez vous pour éviter ma
+rencontre funeste : Hé bien ! Madame, hé
+bien ! fuyez-moy, cachez-vous, mesme de
+mon souvenir ; on doit prendre la fuite, et
+l’on se doit cacher quand on a fait un
+meurtre. Que dis-je, grands Dieux : Ha !
+Madame, excusez la fureur d’un desesperé ;
+Non, non, paroissez, c’est une Loy
+pour les hommes, qui n’est pas faite pour
+vous, car il est inoüy que les Souverains
+ayent jamais rendu compte de la mort de
+leurs Esclaves ; Ouy je dois estimer mon
+sort très-glorieux, d’avoir merité que vous
+prissiez la peine de causer sa ruine ; car
+du moins puis que vous avez daigné me
+haïr, ce sera un témoignage à la posterité,
+que je ne vous estois pas indifferent. Aussi
+la mort dont vous avez crû me punir, me
+cause de la joye ; Et si vous avez de la
+peine à comprendre quelle peut estre cette
+joye, c’est la satisfaction secrete que je ressens
+d’estre mort pour vous, en vous faisant
+ingrate : Ouy, Madame, je suis mort,
+et je prevois que vous aurez bien de la difficulté
+a concevoir, comment il se peut
+faire si ma mort est veritable, que moy
+même je vous en mande la nouvelle : Cependant
+il n’est rien de plus vray ; mais
+apprenez que l’homme a deux trépas à
+souffrir sur la terre, l’un violent, qui est
+l’Amour, et l’autre naturel qui nous rejoint
+à l’indolence de la matiere ; Et cette mort
+qu’on appelle Amour, est d’autant plus
+cruelle, qu’en commençant d’aimer, on
+commence aussi-tost à mourir. C’est le
+passage reciproque de deux ames qui se
+cherchent, pour animer en commun ce
+qu’elles aiment, et dont une moitié ne peut
+estre separée de sa moitié, sans mourir,
+comme il est arrivé</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p class="sign">A vostre fidelle Serviteur.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Suis-je condamné de pleurer encore bien
+longtemps ? Hé je vous prie, ma belle Maistresse,
+au nom de vôtre bon Ange, faites-moy
+cette amitié, de me découvrir là-dessus
+vôtre intention, afin que j’aille de
+bonne heure retenir place aux Quinze
+Vingts parce que je prévoy que de vôtre
+courtoisie, je suis prédestiné a mourir
+aveugle. Ouy aveugle (car vôtre ambition
+ne se contenteroit pas que je fusse simplement
+borgne). N’avez-vous pas fait deux
+alambics de mes deux yeux, par où vous
+avez trouvé l’invention de distiler ma vie,
+et de la convertir en eau toute claire ? En
+verité, je soupçonnerois (si ma mort vous
+estoit utile, et si ce n’estoit la seule chose
+que je ne puis obtenir de vostre pitié) que
+vous n’épuisiez ces sources d’eau, qui sont
+chez moy, que pour me brusler plus facilement ;
+et je commence d’en croire quelque
+chose, depuis que j’ay pris garde, que plus
+mes yeux tirent d’humide de mon cœur, plus
+il brusle : Il faut bien dire que mon Pere
+ne forma pas mon corps du mesme argile,
+dont celuy du premier homme fut composé ;
+mais qu’il le tailla sans doute d’une
+pierre de chaux, puis que l’humidité des
+larmes que je répands m’a tantost consommé :
+Mais consommé, croiriez-vous
+bien, Madame, de quelle façon ? je n’oserois
+plus marcher dans les ruës embrasé
+comme je suis, que les enfans ne m’environnent
+de fusées, parce que je leur semble
+une figure échappée d’un feu d’artifice, ny
+à la Campagne, qu’on ne me prenne pour
+un de ces Ardens, qui traisnent les Gens à
+la riviere. Enfin vous pouvez connoistre
+tout ce que cela veut dire ; c’est, Madame,
+que si vous ne revenez bien-tost, vous entendrez
+dire à vostre retour, quand vous
+demanderez où je demeure, que je demeure
+aux Tuilleries, et que mon nom c’est
+la beste à feu qu’on fait voir aux Badauts
+pour de l’argent. Alors vous serez bien
+honteuse, d’avoir un Amant Salemandre,
+et le regret de voir brusler dés ce Monde,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p class="sign">Vostre Serviteur.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Vous vous plaignez d’avoir reconnu ma
+passion dès le premier moment que la Fortune
+m’obligea de vostre rencontre ; mais
+vous à qui vôtre miroir fait connoistre,
+quand il vous montre vôtre image, que le
+Soleil a toute sa lumière et toute son ardeur,
+dès l’instant qu’il paroist, quel motif
+avez-vous de vous plaindre d’une chose à
+qui ny vous ny moy ne pouvons apporter
+d’obstacle ? Il est essentiel à la splendeur
+des rayons de vôtre beauté d’illuminer les
+corps, comme il est naturel au mien de refleschir
+vers vous cette lumière que vous
+jettez sur moy ; et de mesme qu’il est de la
+puissance du feu de vos bruslans regards
+d’allumer une matiere disposée, il est de
+celle de mon cœur d’en pouvoir être consumé.
+Ne vous plaignez donc pas, Madame,
+avec injustice, de cet admirable enchaisnement,
+dont la Nature a joint d’une société
+commune les effets avec leurs causes.
+Cette connoissance impreveuë est une suite
+de l’ordre qui compose l’harmonie de l’Univers,
+et c’étoit une nécessité preveuë au
+jour natal de la Creation du Monde, que je
+vous visse, vous connusse, et vous aimasse ;
+mais parce qu’il n’y a point de cause qui
+ne tende à une fin, le poinct auquel nous
+devions unir nos ames estant arrivé, vous
+et moy tenterions en vain d’empêcher notre
+destinée. Mais admirez les mouvemens de
+cette predestination, ce fut à la pesche où
+je vous rencontray : Les filets que vous dépliastes
+en me regardant, ne vous annonçoient-ils
+pas ma prise ? et quand j’eusse
+évité vos filets, pouvois-je me sauver des
+hameçons pendus aux lignes de cette belle
+Lettre, que vous me fistes l’honneur de
+m’envoyer quelques jours après, dont chaque
+parole obligeante n’estoit composée de
+plusieurs caractères, qu’afin de me charmer :
+Aussi je l’ay receuë avec des respects,
+dont je ferois l’expression, en disant que
+je l’adore, si j’estois capable d’adorer quelqu’autre
+chose que vous. Je la baisay au
+moins avec beaucoup de tendresse, et je
+m’imaginois, en pressant mes lèvres sur
+vostre chere Lettre, baiser vôtre bel esprit
+dont elle est l’ouvrage : Mes yeux prenoient
+plaisir de repasser plusieurs fois sur
+tous les caracteres que vôtre plume avoit
+marquez, Insolens de leur fortune, ils attiroient
+chez eux toute mon ame, et par de
+longs regards, s’y attachoient pour se
+joindre à ce beau crayon de la vôtre. Vous
+fussiez-vous imaginée, Madame, que d’une
+feüille de papier, j’eusse pû faire un si
+grand feu ; il ne s’éteindra jamais pourtant,
+que le jour ne soit éteint pour moy ;
+que si mon ame et mon amour se partagent
+en deux soûpirs, quand je mourray,
+celui de mon amour partira le dernier. Je
+conjureray a l’agonie, le plus fidelle de mes
+Amis, de me reciter cette aimable Lettre, et
+lors qu’en lisant, il sera parvenu a la fin,
+où vous vous abaissez, jusqu’à vous dire
+ma Servante : Je m’écrieray jusqu’à la
+mort. Ha ! cela n’est pas possible, car moy-mesme
+j’ay toujours esté,</p>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p class="sign">Vostre.</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind"><span class="sc">Madame</span>,</p>
+
+<p>Le souvenir que j’ay de vous, au lieu de
+vous rejoüir, devroit vous faire pitié. Imaginez-vous
+un feu composé de glace embrasée
+qui brûle à force de trembler, que
+la douleur fait tressaillir de joye, et qui
+craint autant que la mort la guérison de
+ses blessures : Voilà ce que je suis lors que
+je parle à vous. Je m’informe aux plus
+habiles de ma connoissance d’où vient cette
+maladie ; ils disent que c’est Amour : mais
+je ne le puis croire, à cause que ceux de
+mon âge ne sont gueres travaillez de cette
+infirmité. Ils répondent que l’Amour est
+un enfant, et qu’il s’arreste à ses pareils,
+qu’il est malaisé à des enfans de se joüer
+long temps avec du feu sans se bruler, et
+que leur poitrine est plus tendre que celle
+des Hommes. O Dieux ! s’il est vray, que
+deviendray-je ? Je n’ay point d’experience,
+je hay les remedes, j’aime la main qui me
+frape, et enfin je suis attaqué d’un mal où
+je ne puis appeller le Medecin, qu’on ne se
+moque de moy : Encore si vous n’aviez
+mon cœur, j’aurois le cœur de me défendre ;
+Mais j’ay fait par ce present que je
+n’oserois pas mesme me fier a vous, à
+cause que vous avez le cœur double. Songez
+donc à me donner le vostre ; car je suis
+d’une profession à estre montré au doigt,
+si l’on vient a sçavoir que je n’ay point de
+cœur ; et puis voudriez-vous avoüer une
+personne sans cœur pour vostre passionné
+serviteur ?</p>
+
+<div class="chapter"></div>
+
+<p class="ind">M…</p>
+
+<p>Je ne te vois qu’à demy, parce que je
+t’aime trop ; et tu pense me voir trop,
+parce que tu ne m’aime qu’à demy. Viens
+chez moy tout à l’heure, si tu veux convaincre
+de mensonge l’apprehension que
+j’ay de ne te voir jamais. Il y a déjà un
+jour que nous ne nous sommes veus : Un
+jour, bons Dieux ! Ha ! je ne le veux pas
+croire, ou bien il faut me resoudre à mourir.
+Penses-tu donc m’avoir laissé dans le
+cœur ton image assez achevée, pour se reposer
+sur elle de tout ce qu’elle me doit
+promettre de ta part ? Il est vray qu’elle y
+est, et tres-veritable encore qu’elle y est
+peinte fort bien : Mais je n’oserois la presenter
+à mes yeux, parce que je m’imagine
+qu’il la faudroit tirer de mon cœur, et je
+ne sçay si je l’y pourrois remettre sans toy.
+Je voy bien maintenant que je ne suis pas
+un Soleil comme tu m’as souvent appellée ;
+car les Cadrans ne s’accordent pas au
+compte que je fais des heures, j’en compte
+plus de mille depuis ta cruelle absence de
+chez nous. Cependant tu ne regarde l’Horloge
+que pour y apprendre l’heure de ton
+disner ; sans te soucier si celle que tu souhaites
+ne sera point peut-estre ma derniere ;
+ou quand tu viendras faire de belles excuses,
+si tu me trouveras en vie pour les
+écouter.</p>
+
+<div class="break"></div>
+
+
+<p class="c top4em i">Achevé d’imprimer<br>
+à Laval<br>
+le mardi 28 février 1905<br>
+sur les presses de<br>
+L. BARNÉOUD et C<sup>ie</sup><br>
+pour<br>
+PLESSIS, libraire<br>
+à Paris</p>
+
+
+<div class="break"></div>
+
+
+<p class="sign top4em"><span class="blkl">LES « LETTRES<br>
+D’AMOUR »<br>
+SE TROUVENT CHEZ<br>
+PLESSIS, LIBRAIRE<br>
+23, RUE DE CHATEAUDUN,<br>
+PARIS</span></p>
+
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+
+<div style='text-align:center'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75253 ***</div>
+</body>
+</html>
+
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