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| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-01-14 16:50:30 -0800 |
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-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 ***
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-
- RUDYARD KIPLING
-
- L’Histoire
- des Gadsby
-
- CONTE SANS INTRIGUE
-
- TRADUIT PAR
- LOUIS FABULET et ARTHUR AUSTIN-JACKSON
-
- SIXIÈME ÉDITION
-
-
- PARIS
- SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
- XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI
-
- MCMVIII
-
-
-
-
-ŒUVRES DE RUDYARD KIPLING
-
-A LA MÊME LIBRAIRIE
-
-
- LE LIVRE DE LA JUNGLE, traduit par Louis Fabulet et Robert
- d’Humières. Vol. in-18 3.50
-
- LE SECOND LIVRE DE LA JUNGLE, traduit par Louis Fabulet et
- Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50
-
- LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE (La plus Belle Histoire du
- Monde. Le Perturbateur du Trafic. La Légion perdue.
- Par-dessus bord. Dans le Rukh. Un Congrès des Puissances.
- Un Fait. Amour des Femmes), traduit par Louis Fabulet et
- Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50
-
- L’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI (L’Homme qui voulut être Roi. La
- Porte des Cent mille Peines. L’Étrange chevauchée.
- L’Amendement de Tods. La Marque de la Bête. Bisesa. Bertran
- et Bimi. L’Homme qui fut. Les Tambours du «Fore and Aft»),
- traduit par Louis Fabulet et Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50
-
- KIM, roman, traduit par Louis Fabulet et Charles
- Fountaine-Walker. Vol. in-18 3.50
-
- LES BATISSEURS DE PONTS (Les Bâtisseurs de Ponts. Petit Tobrah.
- Namgay Doola. En Famine. Au fond de l’Impasse. Les Finances
- des Dieux. La Cité des Songes), traduit par Louis Fabulet et
- Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50
-
- STALKY ET Cie, roman, traduit par Paul Bettelheim et Rodolphe
- Thomas. Vol. in-18 3.50
-
- SUR LE MUR DE LA VILLE (Sur le Mur de la Ville. Trois et un...
- de plus. L’Histoire de Muhammad Din. Lispeth. L’Autre.
- Moti-Guj-Mutin. Une Fraude. La Libération de Pluffles.
- L’Arrestation du Lieutenant Golightly. Une affaire de chance.
- Dans l’erreur. Le Cas de divorce Bronckhort. Wee Willie
- Winkie. En plein orgueil de jeunesse. Sans bénéfice de
- clergé), traduit par Louis Fabulet, précédé d’une Étude sur
- Rudyard Kipling par André Chevrillon. Vol. in-18 3.50
-
- LETTRES DU JAPON, traduit par Louis Fabulet et Arthur
- Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50
-
- L’HISTOIRE DES GADSBY, roman, traduit par Louis Fabulet et
- Arthur Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50
-
- LE RETOUR D’IMRAY (Le Retour d’Imray. Dray wara yow dee. Le
- Rickshaw-Fantôme. 007. Le Bisara de Pooree. Au bord de
- l’Abime. Le Chef du district. Le Navire qui s’y retrouve.
- Naboth. Les Bornes mentales de Pambé Serang. Eux. A mettre
- au dossier), traduit par Louis Fabulet et Arthur
- Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50
-
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-
-
-IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
-
-Sept exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 1 à 7.
-
-JUSTIFICATION DU TIRAGE
-
-
-Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y
-compris la Suède et la Norvège.
-
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-
-PAUVRE CHÈRE MAMAN
-
- L’épervier sauvage au ciel balayé de vent,
- Le cerf à la plaine salubre,
- Le cœur d’un homme au cœur d’une fille
- Comme c’était au temps d’antan.
-
- (_Chanson bohémienne._)
-
-
- DÉCOR:--_Chambre de MISS MINNIE THREEGAN à Simla. MISS THREEGAN dans
- l’embrasure de la fenêtre, en train de fouiller dans un tiroir plein
- de toutes sortes de choses._
-
- MISS EMMA DEERCOURT, _amie de cœur, qui est venue passer la journée,
- assise sur le lit, en train d’agencer le corsage d’une robe de bal et
- une touffe de muguet artificiel. Cinq heures trente, par un chaud
- après-midi de mai._
-
-MISS DEERCOURT.--Et _il_ a dit: «Je n’oublierai _jamais_ cette danse»,
-et, naturellement, j’ai répondu: «Oh, comment _pouvez_-vous être sot à
-ce point!» Penses-tu, chérie, qu’il avait une intention?
-
-MISS THREEGAN (_sortant du fouillis un long bas de soie lavande_).--Tu
-le connais mieux que _moi_.
-
-MISS D.--Oh, tâche d’être sympathique, Minnie! Je suis _sûre_ qu’il a
-une intention. Au moins j’en serais sûre s’il n’était pas toujours à
-monter à cheval avec cette odieuse Mrs. Hagan.
-
-MISS T.--Je le suppose. Comment diable s’arrange-t-on, lorsqu’on danse,
-pour passer à travers ses talons les premiers? Regarde-moi cela, si ce
-n’est pas honteux? (_Elle tend le talon du bas sur sa main ouverte pour
-en faire l’inspection._)
-
-MISS D.--Ne t’en occupe pas! Impossible à raccommoder. Aide-moi à
-arranger ce maudit corsage. J’ai passé le lacet _comme ceci_, je l’ai
-passé _comme cela_ et _je ne peux pas_ arriver à mettre le bombé en
-place. Et cela, où le mettrais-tu? (_Elle montre les muguets._)
-
-MISS T.--Aussi haut sur l’épaule que possible.
-
-MISS D.--Suis-je assez grande? Je sais que cela fait paraître May Olger
-bancale.
-
-MISS T.--Oui, mais elle n’a pas tes épaules. Les siennes ressemblent à
-une bouteille à vin du Rhin.
-
-LE PORTEFAIX (_frappant à la porte_).--Le capitaine _sahib_ est là.
-
-MISS D. (_se levant avec effarement, et se mettant à la recherche de son
-corset qu’elle a banni eu égard à la chaleur du jour_).--Le capitaine
-_sahib_? Quel capitaine _sahib_? Oh, bonté divine, et je ne suis qu’à
-demi vêtue! Eh bien, tant pis, je ne me dérangerai pas.
-
-MISS T. (_avec calme_).--Inutile, en effet. Ce n’est pas pour nous.
-C’est le capitaine Gadsby. Il s’en va faire une promenade à cheval avec
-maman. Il vient en général cinq jours sur sept.
-
-VOIX D’ANGOISSE (_d’une chambre intérieure_).--Minnie, cours donner du
-thé au capitaine Gadsby, et dis-lui que je serai prête dans dix minutes;
-et, écoute, Minnie, viens ici un instant, tu serais si gentille!
-
-MISS T.--Oh, zut! (_A haute voix._) Fort bien, maman.
-
- _Elle sort et réapparaît au bout de cinq minutes, les joues rouges et
- en se frottant les doigts._
-
-MISS D.--Comme tu es rouge! Qu’est-il arrivé?
-
-MISS T. (_chuchotant de toutes ses forces_).--Vingt-quatre pouces de
-taille, et il faut que tout rentre. Où sont mes porte-bonheur? (_Elle
-fouille sur la table de toilette, et se passe, dans l’intervalle, la
-brosse sur les cheveux._)
-
-MISS D.--Qui est ce capitaine Gadsby? Je ne pense pas l’avoir jamais
-rencontré.
-
-MISS T.--Oh si, pour sûr. Il est du clan Harrar. J’ai dansé avec lui,
-mais je ne lui ai jamais parlé. C’est un grand garçon jaune, absolument
-un poussin frais éclos, avec une é-norme moustache. Il marche comme ceci
-(_elle imite la démarche de la cavalerie_), et il fait «Ha-hmm!» du fin
-fond de la gorge lorsqu’il ne trouve rien à dire. Maman le goûte. Pas
-moi.
-
-MISS D. (_distraitement_).--La cire-t-il, cette moustache?
-
-MISS T. (_occupée avec la houppe à poudrer_).--Oui, je le pense.
-Pourquoi?
-
-MISS D. (_se penchant sur le corsage et cousant avec ardeur_).--Oh,
-rien... seulement...
-
-MISS T. (_sévèrement_).--Seulement quoi? Allons, dis, Emma.
-
-MISS D.--Eh bien, May Olger--elle est fiancée à Mr. Charteris, tu
-sais--disait...--Tu me promets de ne pas le répéter?
-
-MISS T.--Oui, je te le promets. Qu’a-t-elle dit?
-
-MISS D.--Que... que d’être embrassée (_tout d’un élan_) par un homme qui
-ne cirait pas sa moustache, c’était... comme si l’on mangeait un œuf
-sans sel.
-
-MISS T. (_du haut de sa grandeur, avec un mépris écrasant_).--May Olger
-est une _horreur_, et tu peux le lui répéter. Je suis heureuse qu’elle
-ne fasse pas partie de mon clan... Il faut que j’aille donner à manger à
-cet _homme_. Ai-je l’air présentable?
-
-MISS D.--Oui, parfaitement. Fais vite et passe-le à ta mère, pour que
-nous puissions causer. Moi, je vais écouter à la porte pour entendre ce
-que tu lui dis.
-
-MISS T.--Pour ce que je m’en soucie. Je t’assure que je n’ai pas peur du
-capitaine Gadsby.
-
- _Comme preuve, elle pénètre dans le salon d’un grand pas masculin
- suivi de deux petits pas écourtés, ce qui produit l’effet d’un cheval
- rétif entrant. Elle manque LE CAPITAINE GADSBY, lequel est assis dans
- l’ombre du rideau, et elle jette tout alentour un regard désespéré._
-
-LE CAPITAINE GADSBY (_à part_).--La pouliche, mâtin! doit avoir pigé
-cette allure à l’étalon. (_Haut, se levant._) Bonsoir, miss Threegan.
-
-MISS T. (_ayant conscience qu’elle rougit_).--Bonsoir, capitaine Gadsby.
-Maman m’a chargée de vous dire qu’elle sera prête dans quelques minutes.
-Ne prendriez-vous pas du thé? (_A part._) J’espère que maman va se
-dépêcher. Qu’est-ce que je _vais_ bien dire à ce grand animal-là? (_Haut
-et brusquement._) Du lait et du sucre?
-
-LE CAP. G.--Pas de sucre, me-erci, et fort peu de lait. Ha-hmmm.
-
-MISS T. (_à part_).--S’il fait cela, je suis perdue. Je vais rire. Je
-_sais_ que je vais rire!
-
-LE CAP. G. (_tirant sur sa moustache et la regardant de côté, au bas de
-son nez_).--Ha-hmmm. (_A part._) Me demande ce dont la petite bécasse
-peut parler. Faut risquer le coup cependant.
-
-MISS T. (_à part_).--Oh! mais, c’est une torture! Il _faut_ que je dise
-quelque chose.
-
-TOUS LES DEUX ENSEMBLE.--Êtes-vous allé...
-
-LE CAP. G.--Je vous demande pardon. Vous alliez dire...
-
-MISS T. (_qui est restée à regarder la moustache avec une fascination
-pleine de respect_).--Ne prendriez-vous pas des œufs?
-
-LE CAP. G. (_regardant d’un air effaré la table à thé_).--Des œufs! (_A
-part._) Diable! c’est l’heure où elle fait quelque dînette. Je suppose
-qu’on lui a essuyé la bouche pour me l’envoyer tandis que la mère est en
-train de mettre ses frusques. (_Haut._) Non, merci.
-
-MISS T. (_pourpre de confusion_).--Oh! ce n’est pas cela que je voulais
-dire. Je ne pensais pas pour un instant à des mou--à des œufs. Je
-voulais dire du _sel_. Ne prendriez-vous pas du s... des bonbons? (_A
-part._) Il va me prendre pour une folle furieuse. Je voudrais bien que
-maman arrive.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--C’_était_ bien une dînette, et elle en a honte.
-Mâtin, elle n’a pas l’air si mal, lorsqu’elle rougit comme cela. (_Haut,
-en puisant lui-même dans l’assiette._) Avez-vous vu ces nouveaux
-chocolats chez Péliti?
-
-MISS T.--Non, j’ai fait ceux-ci moi-même. De quoi ont-ils l’air?
-
-LE CAP. G.--Ceux-ci!... _Dé_-licieux. (_A part._) Et c’est un fait.
-
-MISS T. (_à part_).--Oh, zut! il va croire que je suis en quête de
-compliments. (_Haut._) Non, ceux de Péliti, naturellement.
-
-LE CAP. G. (_avec enthousiasme_).--Pas à comparer avec ceux-ci. Comment
-les faites-vous? Je ne peux arriver à ce que mon _khansamah_[1]
-comprenne la plus simple chose en dehors du mouton et du poulet.
-
- [1] Cuisinier indigène.
-
-MISS T.--Oui? Je ne suis pas un _khansamah_, vous savez. Peut-être que
-vous lui faites peur. Il ne faut jamais faire peur à un domestique. Il
-perd la tête. C’est de très mauvaise politique.
-
-LE CAP. G.--Il est d’une si effroyable bêtise.
-
-MISS T. (_se croisant les mains sur les genoux_).--Il faudrait l’appeler
-tout tranquillement et lui dire: «_O khansamah jee!_»
-
-LE CAP. G. (_commençant à s’intéresser_).--Oui! (_A part._) Imaginez ce
-petit poids-léger disant: «_O khansamah jee_» à mon farouche Mir Khan!
-
-MISS T.--Puis vous lui expliqueriez le dîner, plat par plat.
-
-LE CAP. G.--Mais je ne sais pas parler le langage du pays.
-
-MISS T. (_d’un air protecteur_).--Vous devriez passer l’examen des
-langues orientales et essayer.
-
-LE CAP. G.--Je l’ai fait, mais il ne semble pas que j’en sois plus
-habile pour cela. Et vous?
-
-MISS T.--Je n’ai jamais passé l’examen. Mais le _khansamah_ est très
-patient avec moi. Il ne se fâche pas quand je parle de _topees_
-(chapeaux) de mouton, alors que je veux dire des têtes, ou que je
-commande des _maunds_ (tonnes) de grain, alors que je veux dire des
-livres.
-
-LE CAP. G. (_à part, avec une forte indignation_).--Je voudrais voir Mir
-Khan se montrer grossier vis-à-vis de cette petite! Allons, allons! ne
-nous emballons pas. (_Haut._) Et vous y entendez-vous aussi pour ce qui
-est des chevaux?
-
-MISS T.--Un peu... pas beaucoup. Je ne sais pas les médicamenter, mais
-je sais ce qu’il faut qu’ils mangent, et c’est moi qui suis chargée de
-l’écurie.
-
-LE CAP. G.--Vraiment! Vous pourriez m’aider, alors. Qu’est-ce qu’on doit
-donner à son _saïs_[2], dans les montagnes? Mon brigand dit huit roupies
-parce que tout est si cher.
-
- [2] Palefrenier.
-
-MISS T.--Six roupies par mois, et une roupie de supplément à Simla... Ni
-plus ni moins. Et un coupeur d’herbe gagne six roupies, cela vaut mieux
-que d’acheter l’herbe au bazar.
-
-LE CAP. G. (_avec admiration_).--Comment savez-vous?
-
-MISS T.--J’ai essayé l’un et l’autre.
-
-LE CAP. G.--Vous montez donc beaucoup à cheval? Je ne vous ai jamais vue
-sur le Mall?
-
-MISS T. (_à part_).--Je ne l’ai pas croisé _plus_ de cinquante fois.
-(_Haut._) Presque tous les jours.
-
-LE CAP. G.--Sapristi! Je ne savais pas cela. Ha-hmmm! (_Il tire sur sa
-moustache et reste silencieux l’espace de quarante secondes._)
-
-MISS T. (_éperdument, et se demandant ce qui va arriver_).--Elle est
-très bien. A votre place je n’y toucherais pas. (_A part._) C’est la
-faute à maman qui n’est pas venue plus tôt. Je _vais_ être grossière!
-
-LE CAP. G. (_se bronzant sous le hâle, et ramenant sa main très
-promptement_).--Hein! Quo-oi! Oh, oui! Ha! ha! (_Il rit d’un air gêné._)
-(_A part._) Ah! bien, elle en a un sacré toupet! Je n’ai jamais encore
-vu une femme me dire cela. Ce doit être une mâtine, sans quoi... Ah!
-cette dînette!
-
-VOIX SORTANT DE L’INCONNU.--Tchk! tchk! tchk!
-
-LE CAP. G.--Bonté divine! Qu’est-ce que c’est que cela?
-
-MISS T.--Le chien, je crois. (_A part._) Emma écoutait, et je ne le lui
-pardonnerai jamais!
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Ils n’ont pas de chien. (_Haut._) On n’eût pas
-dit un chien, n’est-ce pas?
-
-MISS T.--Alors, ce devait être le chat. Allons dans la verandah. Quel
-délicieux après-midi!
-
- _Elle pénètre dans la verandah et regarde au loin dans les montagnes
- en plein soleil couchant. Le capitaine suit._
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Des yeux superbes! Je m’étonne de ne les avoir
-jamais encore remarqués. (_Haut._) Il doit y avoir un bal au palais
-vice-royal mercredi. Pouvez-vous me réserver une danse?
-
-MISS T. (_brièvement_).--Non! Je n’ai pas besoin de vos danses par
-charité. Vous ne m’invitez que parce que maman vous a dit de le faire.
-Je saute et je bouscule. Vous le _savez_ bien!
-
-LE CAP. G. (_à part_).--C’est vrai, mais ce n’est pas aux petites filles
-à comprendre ces choses-là. (_Haut._) Non, sur ma parole, je ne le sais
-pas. Vous dansez à merveille.
-
-MISS T.--Alors pourquoi vous arrêtez-vous toujours après une
-demi-douzaine de tours! Je croyais que dans l’armée les officiers ne
-contaient jamais de craques.
-
-LE CAP. G.--Ce n’était pas une craque, croyez-moi. Je sollicite
-réellement le plaisir d’une danse avec vous.
-
-MISS T. (_avec malice_).--Pourquoi? Est-ce que maman ne veut plus danser
-avec vous?
-
-LE CAP. G. (_plus vivement que ne le réclament les circonstances_).--Je
-ne pensais pas à madame votre mère. (_A part._) Petite poison, va!
-
-MISS T. (_regardant toujours par la fenêtre_).--Hein? Oh, je vous
-demande pardon. Je pensais à autre chose.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Eh bien! je me demande ce qu’elle va pouvoir
-dire encore. Je n’ai jamais vu une femme me traiter de la sorte. Autant
-être--le diable m’emporte,--autant être sous-lieutenant d’infanterie.
-(_Haut._) Oh! _je vous en prie._ Je n’en vaux pas la peine. Madame votre
-mère n’est-elle pas encore prête?
-
-MISS T.--Je pense que oui; mais promettez-moi, capitaine Gadsby, que
-vous ne ferez plus faire deux fois de suite le tour du Jakko à ma pauvre
-chère maman. Cela la fatigue tant!
-
-LE CAP. G.--Elle prétend qu’aucun exercice ne la fatigue.
-
-MISS T.--Oui, mais elle souffre après. Vous ne savez pas, vous, ce que
-c’est que les rhumatismes, et vous ne devriez pas la retenir dehors si
-tard, quand il se met, le soir, à faire frais.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Les rhumatismes! Il me semblait aussi qu’elle
-descendait de cheval un peu tout d’une pièce. Huuuou! On s’instruit tous
-les jours. (_Haut._) Je suis fâché de l’apprendre. Elle ne m’en a pas
-parlé.
-
-MISS T. (_troublée_).--Naturellement non. La pauvre chère maman ne l’eût
-pas fait. Et il ne faut pas non plus aller raconter que je vous l’ai
-dit. Promettez-moi que vous ne le répéterez pas. Oh, capitaine Gadsby,
-_promettez_-le-moi!
-
-LE CAP. G.--Je suis muet, ou... je le serai dès que vous m’aurez accordé
-cette danse, et une autre... si vous voulez bien prendre la peine de
-penser une minute à moi.
-
-MISS T.--Mais cela ne vous plaira pas le moins du monde. Vous le
-regretterez affreusement ensuite.
-
-LE CAP. G.--Cela me plaira par-dessus toutes choses, et ce que je
-regretterai, ce sera de ne pas avoir obtenu davantage. (_A part._) De
-par tous les diables, qu’est-ce donc que je me mets à dire?
-
-MISS T.--Fort bien. Ce sera vous-même que vous aurez à remercier si l’on
-vous écrase les pieds. Dirons-nous la septième?
-
-LE CAP. G.--Et la onzième. (_A part._) Elle ne peut pas peser plus de
-cent livres, et même alors, elle a le pied ridiculement petit. (_Il
-jette les yeux sur ses propres bottes de cheval._)
-
-MISS T.--Elles reluisent superbement. Je peux presque me mirer dedans.
-
-LE CAP. G.--Je me demandais s’il me faudrait me servir de béquilles pour
-le reste de mes jours au cas où vous me marcheriez sur les pieds.
-
-MISS T.--Fort probablement. Pourquoi ne pas changer la onzième pour un
-quadrille?
-
-LE CAP. G.--Non, _je vous en prie_! Il faut que ce soient deux valses.
-Ne voulez-vous pas les marquer?
-
-MISS T.--Je ne reçois pas tant d’invitations que je doive les
-embrouiller. Ce sera _vous_ le coupable.
-
-LE CAP. G.--Attendez pour voir! (_A part._) Elle ne danse pas
-parfaitement, peut-être, mais...
-
-MISS T.--Votre thé doit être froid maintenant. En voulez-vous une autre
-tasse?
-
-LE CAP. G.--Non, merci. Ne trouvez-vous pas qu’il fait plus agréable
-dehors sous la verandah. (_A part._) Je n’ai jamais vu encore de cheveux
-prendre cette couleur au soleil couchant. (_Haut._) C’est comme un
-tableau de Dicksee.
-
-MISS T.--Oui! c’est un merveilleux coucher de soleil, n’est-ce pas?
-(_Crûment._) Mais qu’est-ce que vous savez, vous, des tableaux de
-Dicksee?
-
-LE CAP. G.--Je retourne en Angleterre de temps en temps. Et je n’étais
-pas sans connaître les musées. (_Nerveusement._) Il ne faut pas croire
-que je ne suis qu’un Philistin à... moustache.
-
-MISS T.--Je vous en prie! Je vous en supplie! Je suis _si_ fâchée de ce
-que je vous ai dit tout à l’heure. J’ai été affreusement impolie. C’est
-parti sans y penser. Est-ce que vous ne connaissez pas la tentation que
-l’on a parfois de dire des choses horribles et offensantes pour le seul
-plaisir de les dire! J’ai peur d’y avoir cédé.
-
-LE CAP. G. (_épiant la jeune fille qui rougit_).--Je crois connaître ce
-sentiment-là. Ce serait terrible si nous y cédions tous, n’est-ce pas?
-Par exemple, je pourrais dire...
-
-PAUVRE CHÈRE MAMAN (_entrant, amazone, chapeau d’homme et bottes_).--Ah!
-le capitaine Gadsby! Fâchée de vous faire attendre. J’espère que vous ne
-vous êtes pas trop ennuyé. Ma petite fille vous a tenu conversation?
-
-MISS T. (_à part_).--Je ne regrette pas d’avoir parlé des rhumatismes.
-Non! non! Je ne regrette qu’une chose, c’est de n’avoir pas mentionné
-aussi les cors.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Quelle honte! Je me demande l’âge qu’elle a.
-Cela ne m’était pas encore venu à l’idée. (_Haut._) Nous avons discuté
-«Shakespeare et les harmonicas»[3] dans la verandah.
-
- [3] Goldsmith. _Le Vicaire de Wakefield_.
-
-MISS T. (_à part_.)--Qu’il est gentil! Il connaît cette citation. Ce
-_n’est pas_ un Philistin à moustache. (_Haut._) Au revoir, capitaine
-Gadsby. (_A part._) En voilà une main, et _quelle_ poigne! Je ne crois
-pas que ce soit avec intention, mais il m’a rentré les bagues dans les
-doigts.
-
-PAUVRE CHÈRE MAMAN.--Est-ce que Vermillon n’est pas encore là? Oh, oui!
-Capitaine Gadsby, ne trouvez-vous pas que la selle est trop en avant?
-(_Ils passent dans la verandah de devant._)
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Comment, diantre, saurais-je ce qu’elle préfère?
-Elle m’a dit qu’elle raffolait des chevaux. (_Haut._) Je crois que oui.
-
-MISS T. (_s’en venant dans la verandah de devant_).--Oh! ce Buldoo! Il
-faut que je le lui dise. Il a raccourci la gourmette de deux anneaux, et
-c’est chose que Vermillon déteste. (_Elle sort et va à la tête du
-cheval._)
-
-LE CAP. G.--Laissez-moi faire cela.
-
-MISS T.--Non. Vermillon me comprend. N’est-ce pas, vieux? (_Elle
-desserre adroitement la gourmette, et caresse le cheval aux narines et
-sous le cou._) Pauvre Vermillon! Est-ce qu’on voulait lui couper son
-menton? Là!
-
- _LE CAPITAINE GADSBY considère l’intermède avec une admiration non
- déguisée._
-
-PAUVRE CHÈRE MAMAN (_vertement à MISS T._).--Tu as, je pense, oublié ton
-hôte, ma chère amie.
-
-MISS T.--Bonté divine! Mais oui! Adieu. (_Elle bat promptement en
-retraite à l’intérieur._)
-
-PAUVRE CHÈRE MAMAN (_rassemblant les rênes dans des doigts empêchés par
-des gants trop étroits_).--Capitaine Gadsby!
-
- _LE CAP. GADSBY se baisse et fait le marchepied. PAUVRE CHÈRE MAMAN
- tâtonne, stationne trop longtemps, et passe au travers._
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Je ne peux pas tenir en l’air cent soixante
-livres toute une éternité. Ce sont vos rhumatismes. (_Haut._) Je ne peux
-croire que j’aie été si maladroit. (_A part._) Si ç’avait été
-Petit-Poidsléger, elle se fût enlevée comme un oiseau.
-
- _Ils sortent à cheval du jardin. Le capitaine se laisse distancer._
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Comme cette amazone la pince sous les bras!
-Peuh!
-
-PAUVRE CHÈRE MAMAN (_avec le sourire effacé de seize saisons, le pire
-pour l’échange_).--Vous êtes terne, cet après-midi, capitaine Gadsby.
-
-LE CAP. G. (_éperonnant d’un air las_).--Pourquoi m’avez-vous fait
-attendre si longtemps?
-
-_Et cætera, et cætera, et cætera._
-
-
-(UN INTERVALLE DE TROIS SEMAINES)
-
-
-LA JEUNESSE DORÉE (_assise sur les balustrades en face de l’hôtel de
-ville_).--Hé, Gaddy! Venez de promener la Gorgonzola! Nous pensions tous
-que c’était à la Gorgone[4] que vous faisiez la cour.
-
- [4] Dans la société anglo-indienne chacun reçoit un surnom.
-
-LE CAP. G. (_d’un ton foudroyant_).--Espèce d’ourson! Qu’est-ce que nom
-de D. cela peut bien vous faire?
-
- _Il se lance, à l’adresse de la JEUNESSE DORÉE, dans tout un sermon
- sur la retenue et le savoir-vivre, lequel aplatit l’autre comme une
- lanterne vénitienne. Il s’éloigne courroucé._
-
-
-(AUTRE NOUVEL INTERVALLE DE CINQ SEMAINES)
-
-
- DÉCOR.--_Extérieur de la nouvelle bibliothèque de Simla par un soir de
- brouillard. MISS THREEGAN et MISS DEERCOURT se rencontrent au milieu
- des rickshaws. MISS T. porte un paquet de livres sous le bras gauche._
-
-MISS D. (_ton égal_).--Eh bien?
-
-MISS T. (_ton ascendant_).--Eh bien?
-
-MISS D. (_emprisonnant le bras gauche de son amie, enlevant tous les
-livres, plaçant les livres dans une rickshaw, revenant au bras,
-s’emparant de la main par le troisième doigt et cherchant_).--Eh bien!
-C’en est une vilaine fille! Et tu ne m’en aurais _pas_ soufflé mot!
-
-MISS T. (_modestement_).--Il... il... il n’a parlé que hier dans
-l’après-midi.
-
-MISS D.--Tous mes souhaits, ma chère. Et je vais être demoiselle
-d’honneur, n’est-ce pas? Tu _sais_ que tu l’as promis il y a _si_
-longtemps.
-
-MISS T.--Cela va sans dire. Je te raconterai tout demain. (_Elle entre
-dans la rickshaw._) Oh! Emma!
-
-MISS D. (_avec un intense intérêt_).--Oui, chère amie?
-
-MISS T. (_piano_).--C’est parfaitement vrai... à propos... de l’... œuf.
-
-MISS D.--Quel œuf?
-
-MISS T. (_pianissimo prestissimo_).--L’œuf sans le sel. (_Forte._)
-_Chalo ghar ko jaldi, jhampani![5]_
-
- [5] A la maison, jhampani.
-
-
-
-
-LE MONDE EXTÉRIEUR
-
- Certaines gens d’importance.
-
-
- DÉCOR.--_Fumoir du Degchi Club. Dix heures et demie, par une soirée
- étouffante pendant les pluies. Quatre hommes dispersés dans des
- attitudes pittoresques et des fauteuils. Entre en scène BLAYNE, des
- Irregular Moguls, en tenue du soir._
-
-BLAYNE.--Phuuu! On devrait bien pendre le juge dans sa boutique. Ici,
-_khitmatgar_! Un _poora_[6] whisky pour m’enlever le goût de la bouche.
-
- [6] Fort.
-
-CURTISS (_Royal Artillery_).--Ah, c’est cela, vraiment? Qu’est-ce qui
-diable a pu vous faire aller dîner chez le juge? Vous connaissez sa
-_bandobust_[7].
-
- [7] Cuisine.
-
-BLAYNE.--Pensais que cela ne pouvait être pire que le club; mais je
-parierais qu’il achète de la liqueur de vidange, et qu’il la drogue de
-gin et d’encre. (_Regardant autour de la pièce._) Est-ce tout ce que
-vous êtes, ce soir?
-
-DOONE (_des Travaux Publics_).--On a appelé Anthony pendant le dîner.
-Mingle avait mal au ventre.
-
-CURTISS.--Miggy meurt du choléra une fois par semaine pendant les
-pluies, et se saoule de chlorodyne dans l’intervalle. Bon petit type,
-quand même. Du monde chez le juge, Blayne?
-
-BLAYNE.--Cockley et sa _memsahib_, qui paraît affreusement pâle et
-éreintée. Une jeune fille quelconque--n’ai pas saisi le nom--en route
-pour les montagnes, sous l’égide des Cockley--le juge et Markyn, frais
-arrivé de Simla... dégoûtant de bonne santé.
-
-CURTISS.--Seigneur Dieu, que de splendeurs? Y avait-il assez de glace?
-La dernière fois que je broutai là, j’en eus tout un morceau... presque
-aussi gros qu’une noix. Qu’est-ce que disait Markyn?
-
-BLAYNE.--Il paraît que tout le monde se donne du bon temps, là-haut,
-malgré la pluie. Sacrebleu, cela me rappelle! Je savais bien que je
-n’étais pas venu pour le simple plaisir de votre société. Des nouvelles!
-De grandes nouvelles! C’est Markyn qui me l’a raconté.
-
-DOONE.--Qui est-ce qui est mort?
-
-BLAYNE.--Personne, que je sache; mais Gaddy a fini par se laisser mettre
-le grappin dessus!
-
-TOUS EN CHŒUR.--Comment, diable! Markyn s’est payé votre tête. Pas
-GADDY!
-
-BLAYNE (_fredonnant_).--«Oui-da, en vérité, en vérité, en vérité! En
-vérité, en vérité, je te le dis,» Théodore, le présent de Dieu! Notre
-Philippe! La chose a été promulguée.
-
-MACKESY (_avocat_).--Peuh! Les femmes promulgueront n’importe quoi. Que
-dit l’accusé?
-
-BLAYNE.--Markyn m’a dit l’avoir congratulé avec circonspection... une
-main tendue, l’autre prête à se mettre en garde. Gaddy a piqué un fard
-et a déclaré qu’il en était ainsi.
-
-CURTISS.--Pauvre vieux Gaddy! Ils y arrivent tous. Qui est-_elle_?
-Écoutons les détails.
-
-BLAYNE.--C’est une jeune fille... dont le père est un certain colonel
-Quelque Chose.
-
-DOONE.--Simla en est bondé, de filles de colonels. Soyez plus explicite.
-
-BLAYNE.--Attendez donc. Quel était son nom? Three... quelque chose.
-Three...
-
-CURTISS.--Trois Étoiles[8], comme on dit en français. Gaddy connaît
-cette marque-là.
-
- [8] En anglais, trois se dit _three_.
-
-BLAYNE.--Threegan... Minnie Threegan.
-
-MACKESY.--Threegan! N’est-ce pas un petit brin de fille aux cheveux
-rouges?
-
-BLAYNE.--Quelque chose comme cela... d’après ce que dit Markyn.
-
-MACKESY.--Alors, je l’ai rencontrée. Elle était à Lucknow la saison
-dernière. Possédait une maman atteinte de jeunesse chronique, et dansait
-abominablement. Dites-moi, Jervoise, vous avez connu les Threegan,
-n’est-ce pas?
-
-JERVOISE (_fonctionnaire de vingt-cinq années de service, se réveillant
-de son somme_).--Hein! Qu’est-ce que c’est? Connu qui? Comment? Je me
-croyais au pays, Dieu vous confonde!
-
-MACKESY.--La petite Threegan est fiancée, à ce que dit Blayne.
-
-JERVOISE (_avec lenteur_).--Fiancée... fiancée! Par exemple! voilà qui
-ne me rajeunit pas! La petite Minnie Threegan fiancée. C’était encore
-l’autre jour que j’allais au pays avec elle sur le _Surat_--non, le
-_Massilia_--et elle se traînait à quatre pattes au milieu des _ayahs_.
-Elle m’appelait le «Tic Tac sahib» parce que je lui montrais ma montre.
-Et c’était, cela, en 67... non, 70. Bon Dieu, comme le temps marche! Me
-voici un vieillard. Je me rappelle quand Threegan épousa Miss
-Derwent--fille du vieux Hooky Derwent... mais c’était avant vous. Ainsi,
-le petit bébé est fiancé pour avoir un petit bébé à son tour! Qui est
-l’autre insensé?
-
-MACKESY.--Gadsby, des Hussards Roses.
-
-JERVOISE.--Connais pas. Threegan a vécu dans les dettes, s’est marié
-dans les dettes, et mourra dans les dettes. Doit être content de se voir
-débarrassé de la petite.
-
-BLAYNE.--Gaddy a de l’argent... le veinard. Une terre au pays aussi.
-
-DOONE.--Il sort de la haute. Peux pas arriver à comprendre comment il
-s’est laissé pincer par la fille d’un colonel, et (_regardant prudemment
-autour de lui_) d’infanterie indigène encore! Sans vous offenser,
-Blayne.
-
-BLAYNE (_avec raideur_).--Non, au contraire, me-erci.
-
-CURTISS (_citant la devise des Irregular Moguls_).--«Nous sommes ce que
-nous sommes», hein, mon vieux? Mais Gaddy était en général un type si
-supérieur. Pourquoi n’est-il pas allé au pays choisir sa femme?
-
-MACKESY.--Ils sont tous pareils quand ils arrivent au tournant dans la
-ligne droite. Vers trente ans, un homme commence à en avoir assez de
-vivre seul...
-
-CURTISS.--Et de l’éternelle côtelette de mouton le matin.
-
-DOONE.--En général, c’est de la chèvre morte, mais continuez, Mackesy.
-
-MACKESY.--Une fois qu’un homme a pris cette voie, rien ne le retiendra.
-Vous rappelez-vous Benoît de votre service, Doone? On le transféra à
-Tharanda lorsque son tour vint, et il épousa la fille d’un poseur de la
-voie, ou quelque chose d’approchant. C’était l’unique femelle de
-l’endroit.
-
-DOONE.--Oui, le pauvre idiot! Cela brisa du coup ses chances
-d’avancement. Mrs. Benoît avait l’habitude de vous demander: «C’est-y
-qu’on vous verra à la danse, ce soir?»
-
-CURTISS.--Voyons, après tout! Gaddy n’a pas fait un mariage au-dessous
-de lui. Il n’y a pas de sang noir dans la famille, je suppose.
-
-JERVOISE.--De sang noir! Pas pour un anna. Vous autres, jeunes
-garnements, vous parlez comme si le monsieur faisait un honneur à la
-jeune fille en l’épousant. Vous êtes tous trop infatués de
-vous-mêmes..., il n’y aurait jamais rien d’assez bon pour vous.
-
-BLAYNE.--Pas même un club désert, un sacré sale dîner chez le juge, et
-une station aussi insalubre qu’un hôpital. Vous avez parfaitement
-raison. Nous sommes une collection de sybarites.
-
-DOONE.--De luxurieux coquins vautrés dans...
-
-CURTISS.--L’éruption de chaleur entre les épaules. J’en suis couvert.
-Espérons que Béora sera plus frais.
-
-BLAYNE.--Uhhhou! Est-ce qu’on vous envoie, vous aussi, camper? Je
-croyais que les artilleurs avaient une feuille blanche.
-
-CURTISS.--Non, malheureusement. Deux cas hier--l’un est mort--et si nous
-en avons un troisième, nous nous en allons. Est-ce qu’on peut chasser, à
-Béora, Doone?
-
-DOONE.--Le pays est sous l’eau, sauf le morceau contre la Grand Trunk
-Road. J’y étais hier à visiter un _bund_[9], et j’y ai trouvé quatre
-pauvres diables à leur dernière étape. C’est plutôt mauvais, d’ici à
-Kuchara.
-
- [9] Barrage.
-
-CURTISS.--Alors, nous sommes à peu près certains d’écoper dans les
-grandes largeurs. Ah! je ne craindrais pas de changer avec Gaddy pour
-quelque temps. L’amour avec Amaryllis à l’ombre de l’hôtel de ville, et
-le reste. Oh! pourquoi ne vient-il pas quelqu’un m’épouser, au lieu de
-me laisser aller dans un camp de choléra?
-
-MACKESY.--Demandez cela au comité du cercle.
-
-CURTISS.--Animal! voilà qui va vous coûter une tournée. Blayne,
-qu’est-ce que vous prenez? Mackesy est à l’amende pour immoralité.
-Doone, avez-vous une préférence?
-
-DOONE.--Un petit verre de kummel, s’il vous plaît. C’est un excellent
-carminatif par ce temps-ci. C’est Anthony qui me l’a dit.
-
-MACKESY (_signant un bon pour quatre verres_).--Châtiment on ne peut
-plus injuste. Je pensais seulement à Curtiss en Actéon poursuivi autour
-des billards par les nymphes de Diane.
-
-BLAYNE.--Il faudrait que Curtiss fît l’importation de ses nymphes par
-chemin de fer. Mrs. Cockley est l’unique femme de la station. Elle ne
-quitterait pas Cockley, et il fait de son mieux pour arriver à ce
-qu’elle s’en aille.
-
-CURTISS.--Cela, c’est bien! A la santé de Mrs. Cockley. A l’unique femme
-de la station, et une femme sacrément brave!
-
-TOUS (_buvant_).--Une femme sacrément brave!
-
-BLAYNE.--Je suppose que Gaddy amènera sa femme ici à la fin du froid.
-Ils se marient presque immédiatement, je crois.
-
-CURTISS.--Gaddy peut remercier son étoile de ce que les Hussards Roses
-sont tous en détachement et pas au quartier général pendant ces
-chaleurs, sans quoi il se trouverait arraché aux bras de son amour, sûr
-comme la mort. Avez-vous jamais remarqué la liberté d’esprit avec
-laquelle la cavalerie britannique s’adonne au choléra. C’est parce
-qu’ils coûtent si cher. Si les Roses avaient tenu bon ici, ils seraient
-partis camper il y a un mois. Oui, je voudrais bien décidément être à la
-place de Gaddy.
-
-MACKESY.--Il ira au pays après son mariage, et donnera sa démission...
-vous verrez cela.
-
-BLAYNE.--Pourquoi ne le ferait-il pas? N’a-t-il pas de l’argent? Est-ce
-qu’il y en aurait ici un seul d’entre nous si nous n’étions pas tous des
-gueux?
-
-DOONE.--Pauvre vieux gueux! Que sont devenues les six cents roupies que
-vous avez subtilisées à notre table le mois dernier?
-
-BLAYNE.--Elles se sont donné des ailes. Je crois qu’un commerçant
-quelque peu entreprenant en a eu sa part, et qu’un _shroff_[10] a gobé
-le reste... Ou, pour mieux dire, je les ai dépensées.
-
- [10] Usurier.
-
-CURTISS.--Gaddy, lui, n’a jamais de sa vie eu affaire à un _shroff_.
-
-DOONE.--Vertueux Gaddy! Si j’avais, moi, trois mille roupies par mois,
-qui me viennent d’Angleterre, je ne crois pas que j’aurais affaire à un
-_shroff_.
-
-MACKESY (_bâillant_).--Oh! c’est une vie délicieuse! Je me demande si le
-mariage en augmenterait le charme.
-
-CURTISS.--Demandez à Cockley... avec sa femme qui meurt à petit feu!
-
-BLAYNE.--Allez au pays demander à quelque petite sotte de s’en venir par
-ici--qu’est-ce que dit Thackeray?--«au splendide palais d’un proconsul
-indien».
-
-DOONE.--Ce qui me rappelle. Mon logis laisse passer l’eau comme un
-crible. J’ai eu la fièvre, la nuit dernière, d’avoir dormi dans un
-marécage. Et le pire, c’est qu’il n’y a rien à faire à un toit, jusqu’à
-ce que les pluies soient passées.
-
-CURTISS.--Qu’est-ce qui vous chiffonne? Vous n’avez pas, vous,
-quatre-vingts piou-pious en train de pourrir, à conduire dans le courant
-d’un fleuve.
-
-DOONE.--Non, mais je suis tout en clous et en jurons. Je suis un
-véritable Job par tout le corps. C’est pure pauvreté de sang, et je ne
-vois aucune chance de devenir plus riche... ni de l’une ni de l’autre
-façon.
-
-BLAYNE.--Ne pouvez-vous pas prendre un congé?
-
-DOONE.--C’est là l’avantage que vous autres, les gens de l’armée, vous
-avez sur nous. Dix jours, ce n’est rien à vos yeux. Moi, je suis si
-important que le gouvernement ne peut me trouver de remplaçant si je
-m’en vais. Ou-ui, je voudrais être à la place de Gaddy, quelle que
-puisse être sa femme.
-
-CURTISS.--Vous avez passé le tournant de la vie dont Mackesy parlait.
-
-DOONE.--Certes, je l’ai passé, mais je n’ai jamais encore eu la
-brutalité de demander à une femme de partager mon existence par ici.
-
-BLAYNE.--Sur mon âme, je crois que vous avez raison. Je pense à Mrs.
-Cockley. C’est une véritable ruine que cette femme.
-
-DOONE.--Absolument. Parce qu’elle reste ici en bas. Le seul moyen de la
-conserver en état serait de l’envoyer dans les montagnes pendant huit
-mois--et la même chose avec n’importe quelle femme. Je me vois prenant
-femme dans ces conditions.
-
-MACKESY.--Avec la roupie à un shilling six pence. Les petits Doone
-deviendraient des petits Doone de Dehra avec un bel accent _chi-chi_ de
-Mussourie à rapporter à la maison pour les vacances.
-
-CURTISS.--Et une paire de belles cornes de sambhur à porter pour Doone,
-franco de port, offertes par...
-
-DOONE.--Oui, c’est une perspective enchanteresse. En passant, la roupie
-n’a pas encore fini de baisser. Le temps viendra où il faudra nous
-trouver heureux si nous ne perdons que la moitié de notre solde.
-
-CURTISS.--J’aurais cru qu’un tiers suffisait comme perte. Qui est-ce qui
-gagne à l’arrangement? C’est ce que je voudrais bien savoir.
-
-BLAYNE.--La question d’argent! Je vais me coucher si vous vous mettez à
-vous chamailler. Grâces soient rendues, voici Anthony... qui a l’air
-d’une ombre.
-
- _Entre ANTHONY, du corps médical des Indes, très pâle et très
- fatigué._
-
-ANTHONY.--Bonsoir, Blayne. Il pleut à torrents. Apporte-moi un
-whisky-soda, _khitmatgar_. Les routes sont quelque chose d’affreux.
-
-CURTISS.--Comment va Mingle?
-
-ANTHONY.--Très mal, et plus de peur encore. Je l’ai passé à Fewton.
-Mingle aurait tout aussi bien pu commencer par l’appeler au lieu de me
-tracasser.
-
-BLAYNE.--C’est un petit type nerveux. Qu’est-ce qu’il a, cette fois-ci?
-
-ANTHONY.--Ne saurais trop dire. Le ventre très mauvais et jusqu’ici une
-peur bleue. Il m’a demandé tout de suite si c’était le choléra, et je
-lui ai répondu de ne pas faire la bête. Cela l’a calmé.
-
-CURTISS.--Pauvre diable! La frousse fait la moitié de la besogne chez un
-homme de cet acabit.
-
-ANTHONY (_allumant un cheroot_).--Je crois fermement que la frousse le
-tuera s’il reste en bas. Vous savez la somme d’ennui qu’il a causée à
-Fewton pendant ces trois dernières semaines. Il fait tout ce qu’il peut
-pour mourir de peur.
-
-CHŒUR GÉNÉRAL.--Pauvre petit diable! Pourquoi ne s’en va-t-il pas?
-
-ANTHONY.--Ne peut pas. Il a sa permission en règle, mais il est
-tellement à fond de cale qu’il ne peut la prendre, et je ne crois pas
-que sa signature vaudrait quatre annas. Ceci en confidence, toutefois.
-
-MACKESY.--Toute la station le sait.
-
-ANTHONY.--«Je suppose qu’il me faudra mourir ici», a-t-il dit, en se
-tordant en travers de son lit. Il est absolument persuadé qu’il va s’en
-aller _ad patres_. Et je sais pertinemment qu’il n’a rien de plus qu’un
-ventre de temps humide, si seulement il pouvait prendre un peu le
-dessus.
-
-BLAYNE.--C’est mauvais, c’est _très_ mauvais. Pauvre petit Miggy! Bon
-petit type tout de même. Dites donc?
-
-ANTHONY.--Quoi «dites donc»?
-
-BLAYNE.--Eh bien, écoutez... voici... Si c’est comme cela... comme vous
-dites... moi, je dis cinquante.
-
-CURTISS.--Je dis cinquante.
-
-MACKESY.--J’y vais de vingt de plus.
-
-DOONE.--Gros Crésus du bar! Je dis cinquante. Jervoise, que dites-vous?
-Hi! Réveillez-vous!
-
-JERVOISE.--Hein? Qu’est-ce que c’est? Qu’est-ce que c’est?
-
-CURTISS.--Nous voulons vous soutirer cent roupies. Vous êtes un
-célibataire à revenus gigantesques, et il y a un homme dans le lac.
-
-JERVOISE.--Quel homme? Quelqu’un de mort?
-
-BLAYNE.--Non, mais il mourra si vous ne donnez pas les cent. Tenez!
-voici un bon tout prêt. Vous pouvez voir pour combien nous avons signé,
-et l’homme d’Anthony viendra demain l’encaisser. De sorte qu’il n’y aura
-pas de difficultés.
-
-JERVOISE (_signant_).--Cent. E.M.J. Voilà. (_Faiblement._) Ce n’est pas
-une de vos facéties, n’est-ce pas?
-
-BLAYNE.--Non, il les vaut vraiment. Anthony, vous avez été le plus gros
-gagnant au poker la semaine dernière et vous avez frustré le percepteur
-trop longtemps. Signez!
-
-ANTHONY.--Voyons, trois cinquante et un soixante-dix... deux cent
-vingt... trois cent vingt... disons quatre cent vingt. Cela lui donnera
-un bon mois dans les montagnes. Mille merci, vous autres. J’enverrai le
-_chaprassi_[11] demain.
-
- [11] Commis.
-
-CURTISS.--Il faut vous arranger pour qu’il accepte, et naturellement il
-ne faut pas...
-
-ANTHONY.--Naturellement. Cela ne ferait pas l’affaire. Il s’en irait
-pleurer de gratitude sur son verre du soir.
-
-BLAYNE.--Maudit soit-il, c’est bien ce qu’il irait faire. Oh! dites-moi,
-Anthony, vous qui prétendez tout savoir: avez-vous entendu parler de
-Gaddy?
-
-ANTHONY.--Non. Un procès en divorce, enfin?
-
-BLAYNE.--Pire. Il est fiancé!
-
-ANTHONY.--Comment dites-vous? Pas possible!
-
-BLAYNE.--Plus que possible. Il va se marier dans quelques semaines.
-C’est Markyn qui me l’a dit chez le juge ce soir. C’est _pukka_[12].
-
- [12] Une affaire réglée.
-
-ANTHONY.--Vous ne parlez pas sérieusement? Saperlipopette! Il y aura du
-grabuge sous les tentes de Cédar.
-
-CURTISS.--Croyez-vous que le régiment montrera son mécontentement?
-
-ANTHONY.--Ne sais quoi que ce soit sur le régiment.
-
-MACKESY.--C’est la bigamie, alors?
-
-ANTHONY.--Peut-être bien. Voulez-vous dire que vous autres, vous avez
-oublié, ou est-ce qu’il y a dans le monde plus de charité que je ne
-pensais?
-
-DOONE.--Cela ne vous embellit pas d’essayer de garder un secret. Vous
-gonflez à péter. Expliquez.
-
-ANTHONY.--Mrs. Herriott.
-
-BLAYNE (_après une longue pause, à tout le monde à la ronde_).--C’est
-mon avis que nous sommes une collection d’idiots.
-
-MACKESY.--Allons donc! Cette affaire-là était morte et enterrée à la
-saison dernière. Comment donc? Le jeune Mallard...
-
-ANTHONY.--Mallard tenait la chandelle. C’est pour cela qu’il était là.
-Réfléchissez un instant. Rappelez-vous la saison dernière et ce qu’on
-disait. Mallard ou pas Mallard, Gaddy a-t-il adressé la parole à une
-seule autre femme?
-
-CURTISS.--Il y a quelque chose là-dedans. C’était quelque peu
-remarquable, maintenant que vous en parlez. Mais elle est à Naini Tal et
-il est à Simla.
-
-ANTHONY.--Il lui a fallu aller à Simla pour piloter un globe-trotter de
-sa famille... un personnage titré, oncle ou tante.
-
-BLAYNE.--Et c’est là qu’il s’est fiancé. Il n’y a pas de loi qui empêche
-un homme de se fatiguer d’une femme.
-
-ANTHONY.--Sauf qu’il ne doit pas le faire tant que la femme n’est pas
-fatiguée de lui. Et ce n’était pas le cas de la Herriott.
-
-CURTISS.--Il se peut qu’elle le soit maintenant. Deux mois de Naini Tal
-accomplissent des prodiges.
-
-DOONE.--C’est curieux comme il y a des femmes qui portent un sort avec
-elles. Il y avait une certaine Mrs. Deegie, dans les provinces du
-centre, que les hommes finissaient invariablement par quitter pour se
-marier. C’était passé en proverbe parmi nous quand j’étais là-bas. Je me
-souviens de trois hommes qui étaient éperdument à sa dévotion, et qui,
-tous, l’un après l’autre, prirent femme.
-
-CURTISS.--C’est bizarre. Pour moi, j’aurais pensé que l’influence de
-Mrs. Deegie devait les pousser à prendre les femmes des autres. Cela
-aura dû leur inspirer la crainte du jugement de la Providence.
-
-ANTHONY.--Mrs. Herriott inspirera à Gaddy la crainte de quelque chose de
-plus que le jugement de la Providence, j’imagine.
-
-BLAYNE.--En supposant que les choses soient comme vous dites, ce serait
-un imbécile d’aller affronter cette femme. Il ne bougera pas de Simla.
-
-ANTHONY.--Serais pas le moins du monde surpris qu’il s’en aille à Naini
-s’expliquer. C’est une espèce d’homme incompréhensible, et, quant à
-elle, c’est probablement une femme plus qu’incompréhensible.
-
-DOONE.--Qu’est-ce qui vous fait la débiner avec une pareille confiance?
-
-ANTHONY.--_Primum tempus._ Gaddy a été son premier, et une femme ne
-laisse pas échapper son premier amant sans se plaindre. Elle se justifie
-à elle-même le premier transfert d’affection en jurant que c’est pour
-toujours et toujours. Par conséquent...
-
-BLAYNE.--Par conséquent, nous voilà assis jusqu’à une heure passée à
-causer scandale comme un cénacle de portières. Anthony, c’est aussi
-votre faute. Nous étions parfaitement respectables jusqu’au moment où
-vous êtes entré. Allez vous coucher. J’y vais. Bonne nuit tous.
-
-CURTISS.--Une heure passée! Il est deux heures passées, sur mon âme, et
-voici venir le _khit_ pour l’extra. Justes cieux! Une, deux, trois,
-quatre, _cinq_ roupies à payer pour le plaisir de dire qu’un pauvre
-petit diable de femme ne vaut pas mieux que cela. J’ai honte de
-moi-même. Allez vous coucher, méchantes langues, et si l’on m’envoie
-demain à Béora, préparez-vous à apprendre que je suis mort avant de
-payer mes dettes de jeu!
-
-
-
-
-LES TENTES DE CÉDAR
-
- Only why should it be with stain at all,
- Why must I, ’twixt the leaves of coronal
- Put any kiss of pardon on thy brow?
- Why should the other women know so much,
- And talk together «such the look and such
- The smile he used to love with, then as now!»
-
- _Any wife to any Husband[13]._
-
- [13] Robert Browning.
-
-
- DÉCOR.--_Un dîner de Naini Tal de trente-quatre couverts. Argenterie,
- vins, vaisselle, et khitmatgars soigneusement calculés à l’échelle de
- 6.000 roupies par mois, le change en moins. La table divisée dans
- toute sa longueur par une haie de fleurs._
-
-MRS. HERRIOTT (_après que la conversation s’est élevée au diapason
-convenable_).--Ah! Je ne vous ai pas vu dans la cohue au salon. (_Sotto
-voce._) Où avez-vous bien pu être tout ce temps-là, Pip?
-
-LE CAPITAINE GADSBY (_se détournant de la dame dont il a reçu
-officiellement la charge et remuant les verres à vin du
-Rhin_).--Bonsoir. (_Sotto voce._) Pas tout à fait si haut une autre
-fois. Vous n’avez pas idée comme votre voix porte. (_A part._) Voilà ce
-que c’est que d’avoir voulu esquiver l’explication écrite. Il va
-maintenant la falloir verbale. Charmante perspective! Comment diable
-vais-je lui dire que je suis fiancé, membre respectable de la société,
-et que tout est fini entre nous.
-
-MRS. H.--J’ai un gros compte à régler avec vous. Où étiez-vous, au
-concert Pop[14] de lundi? Où étiez-vous mardi? Où étiez-vous au tennis
-des Lamont? Je cherchais partout.
-
- [14] Concert populaire.
-
-LE CAP. G.--Pour me voir? Oh! j’étais en vie quelque part, je suppose.
-(_A part._) C’est pour Minnie, mais cela va être salement désagréable.
-
-MRS. H.--Ai-je fait quelque chose pour vous offenser? Si oui, cela n’a
-jamais été mon intention. Je ne pouvais m’abstenir d’aller faire une
-promenade à cheval avec ce Vaynor. C’était promis une semaine avant que
-vous n’arriviez.
-
-LE CAP. G.--J’ignorais...
-
-MRS. H.--Cela l’_était_ vraiment.
-
-LE CAP. G.--Quoi que ce soit à ce sujet, voilà ce que je veux dire.
-
-MRS. H.--Qu’est-ce que vous avez aujourd’hui? Tous ces jours-ci? Il y a
-quatre grands jours, presque cent heures, que vous n’avez été près de
-moi. Est-ce _gentil_ à vous, Pip? Et j’ai tant attendu votre arrivée!
-
-LE CAP. G.--Vraiment?
-
-MRS. H.--Vous le savez bien! J’ai été aussi sotte à ce propos qu’une
-pensionnaire. J’ai fait un petit calendrier que j’ai mis dans mon
-porte-cartes, et chaque fois que le canon de midi partait, j’effaçais
-une ligne et disais: «cela me rapproche de Pip. _Mon_ Pip!»
-
-LE CAP. G. (_avec un rire contraint_).--Que va penser Mackler si vous le
-négligez pareillement.
-
-MRS. H.--Et cela ne vous a pas rapproché. Vous paraissez beaucoup plus
-loin que jamais. Avez-vous quelque raison de bouder? Je connais votre
-caractère.
-
-LE CAP. G.--Non.
-
-MRS. H.--Suis-je donc devenue vieille dans ces quelques derniers mois?
-(_Elle étend la main vers la haie de fleurs pour prendre le menu._)
-
-VOISIN DE GAUCHE.--Permettez-moi. (_Il tend le menu. MRS. H. reste le
-bras étendu l’espace de trois secondes._)
-
-MRS. H. (_au voisin, son cavalier_).--Oh! merci, je ne voyais pas.
-(_Elle se retourne à droite._)--Y a-t-il en moi quelque chose de changé?
-
-LE CAP. G.--De grâce occupez-vous de dîner! Il faut manger quelque
-chose. Essayez une de ces façons de côtelettes. (_A part._) Et je
-m’imaginais qu’elle avait de belles épaules, au beau temps jadis! Quel
-âne on peut faire de soi!
-
-MRS. H. (_se servant une manchette de papier, sept pois, quelques
-carottes découpées à l’emporte-pièce et une cuillerée de sauce_).--Ce
-n’est pas une réponse. Dites-moi si j’ai fait quelque chose.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Si l’on n’en finit pas ici, il y aura quelque
-scène diabolique ailleurs. Si seulement j’avais écrit et que j’eusse
-accepté la bataille... à longue portée! (_Au khitmatgar._) _Han! Simpkin
-do[15]._ (_Haut._) Je vous raconterai cela plus tard.
-
- [15] Oui, du champagne.
-
-MRS. H.--Racontez-le-moi _tout de suite_. Ce doit être quelque ridicule
-malentendu, et vous savez qu’il ne devait rien arriver de la sorte entre
-nous. _Nous_, moins que personne ne pouvons nous le permettre. C’est ce
-Vaynor et vous ne voulez pas le dire? Sur mon honneur...
-
-LE CAP. G.--Je n’ai jamais pensé un instant à ce Vaynor.
-
-MRS. H.--Mais comment savez-vous que moi, je n’y ai pas pensé?
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Voici l’occasion et puisse le diable me la faire
-prendre aux cheveux. (_Haut et d’un ton mesuré._) Croyez-moi, peu
-m’importe que vous pensiez plus ou moins souvent à ce Vaynor, ni que
-vous y pensiez d’une façon plus ou moins tendre.
-
-MRS. H.--Je me demande si c’est bien ce que vous voulez dire... Oh!
-qu’est-ce que cela rapporte de se chamailler et de prétendre ne pas se
-comprendre quand vous n’êtes ici en haut que pour si peu de temps. Pip,
-ne faites pas la bête!
-
- _Suit une pause, pendant laquelle il croise sa jambe gauche par-dessus
- la droite et continue son dîner._
-
-LE CAP. G. (_en réponse à l’orage qui s’amasse dans les yeux de MRS.
-H._).--Oh là là, mes cors... C’est mon plus sensible.
-
-MRS. H.--Ma parole, vous êtes l’homme le plus grossier de la terre!
-Jamais plus je ne recommencerai.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Non, je ne crois pas que vous recommenciez; mais
-je me demande ce que vous ferez avant que tout soit fini. (_Au
-khitmatgar._) _Thorah ur Simpkin do[16]._
-
- [16] Donnez-moi du champagne.
-
-MRS. H.--Eh bien! vous n’avez pas même la politesse de vous excuser,
-vilain homme?
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Ce n’est pas la peine de lâcher pied maintenant.
-Fiez-vous à une femme pour être aveugle comme une taupe lorsqu’elle ne
-veut pas voir.
-
-MRS. H.--J’attends. Ou vous sied-il que je dicte une formule d’excuse?
-
-LE CAP. G. (_en désespéré_).--Parfaitement, dictez.
-
-MRS. H. (_gaîment_).--Fort bien. Répétez tous vos noms de baptême après
-moi et continuez: «Professe mon sincère repentir...»
-
-LE CAP. G.--«Sincère repentir...»
-
-MRS. H.--«Pour m’être conduit...»
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Enfin! Si seulement elle voulait regarder
-ailleurs. (_Haut._) «Pour m’être conduit»... comme je me suis conduit,
-et déclare que je suis à fond et franchement malade de toute cette
-histoire, et saisis cette occasion de faire connaître clairement mon
-intention d’y mettre fin, maintenant, désormais, et pour toujours. (_A
-part._) Si quelqu’un m’eût dit que je jouerais jamais ce rôle de
-mufle!...
-
-MRS. H. (_versant une cuillerée de pommes de terre paille dans son
-assiette_).--Ce n’est pas une belle plaisanterie.
-
-LE CAP. G.--Non, c’est une réalité. (_A part._) Je me demande si les
-catastrophes de ce genre sont toujours aussi brutales.
-
-MRS. H.--En vérité, Pip, vous devenez plus drôle de jour en jour.
-
-LE CAP. G.--Je crois que vous ne me comprenez pas bien. Faut-il le
-répéter?
-
-MRS. H.--Non! par pitié, ne faites pas cela. C’est trop terrible, même
-pour rire.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Je vais la laisser y réfléchir pendant un
-moment. Mais je mériterais la cravache.
-
-MRS. H.--Je veux savoir ce qu’il y avait au fond de ce que vous venez de
-me dire.
-
-LE CAP. G.--Exactement ce que j’ai dit. Rien de moins.
-
-MRS. H.--Mais qu’est-ce que j’ai fait pour le mériter? Qu’est-ce que
-j’ai donc fait?
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Si seulement elle voulait bien ne pas me
-regarder. (_Haut et très lentement, les yeux sur son assiette._) Vous
-rappelez-vous ce soir de juillet, avant que les pluies éclatent, où vous
-me disiez que la fin arriverait forcément tôt ou tard... et où vous vous
-demandiez pour lequel de nous elle arriverait le premier?
-
-MRS. H.--Oui, c’était seulement pour rire. Et vous jurâtes que, aussi
-longtemps qu’il vous resterait un souffle dans la poitrine, _jamais_
-elle n’arriverait. Et je vous crus.
-
-LE CAP. G. (_jouant avec le menu_).--Eh bien, elle est arrivée. Voilà
-tout.
-
- _Une longue pause durant laquelle MRS. H. tient la tête courbée et
- roule son pain viennois en petites boulettes. G. regarde les lauriers
- roses._
-
-MRS. H. (_rejetant la tête en arrière et riant d’un rire naturel_).--On
-nous dresse bien, nous autres femmes, n’est-ce pas, Pip?
-
-LE CAP. G. (_brutalement, en touchant son bouton de chemise_).--Pour ce
-qui est de savoir porter le masque. (_A part._) Ce n’est pas dans sa
-nature de prendre les choses tranquillement. Il faudra bien qu’il y ait
-une explosion.
-
-MRS. H. (_avec un frisson_).--Merci. Ma-ais les Peaux-Rouges eux-mêmes
-laissent, je crois, les gens se tortiller pendant qu’on les torture.
-(_Elle tire son éventail de sa ceinture et s’évente lentement, le bord
-de l’éventail au niveau du menton._)
-
-VOISIN DE GAUCHE.--Très lourd, ce soir, n’est-ce pas? Cela vous
-incommode?
-
-MRS. H.--Oh non, pas le moins du monde. Mais on devrait avoir vraiment
-des punkahs, même dans votre frais Naini Tal, ne trouvez-vous pas?
-(_Elle se retourne en laissant retomber son éventail et en levant les
-sourcils._)
-
-LE CAP. G.--Cela va-t-il mieux? (_A part._) Voici venir l’orage!
-
-MRS. H. (_les yeux sur la nappe, l’éventail tout prêt dans la main
-droite_).--Cela fut fort habilement conduit, Pip, et je vous félicite.
-Vous aviez juré--vous ne vous contentiez jamais de dire simplement les
-choses--vous aviez _juré_ que, autant qu’il serait en votre pouvoir,
-vous rendriez aimable pour moi ma triste existence. Et vous m’avez
-refusé la consolation de pouvoir pleurer. Moi, je l’eusse fait...
-certes, je l’eusse fait. C’est à peine si une femme eût pensé à ce
-raffinement, mon prévenant, prudent ami. (_L’éventail au niveau du
-menton, comme plus haut._) Vous vous êtes, en outre, expliqué avec une
-telle tendresse, une telle véracité! Vous n’avez pas prononcé, pas écrit
-un mot d’avertissement, et vous m’avez laissée croire en vous jusqu’à la
-dernière minute. Vous n’avez pas encore condescendu à me donner la
-_raison_. Une femme n’eût pu conduire l’affaire la moitié aussi bien.
-Est-ce qu’il y a beaucoup d’hommes comme vous dans le monde?
-
-LE CAP. G.--Pour sûr, je n’en sais rien. (_Au khitmatgar._) Eh là!
-_Simpkin do._
-
-MRS. H.--Vous vous dites un homme du monde, n’est-ce pas? Est-ce que les
-hommes du monde se conduisent comme des tortionnaires lorsqu’ils font à
-une femme l’honneur d’être fatigués d’elle?
-
-LE CAP. G.--Pour sûr, je n’en sais rien. Ne parlez pas si haut!
-
-MRS. H.--Conservons la correction, ô Seigneur, quoi qu’il arrive. N’ayez
-pas peur que je vous compromette. Vous avez trop bien choisi votre
-terrain, et j’ai été convenablement élevée. (_Baissant son éventail._)
-N’avez-vous pas de pitié, Pip, si ce n’est pour vous-même?
-
-LE CAP. G.--Ne serait-il pas quelque peu impertinent de ma part de dire
-que je suis fâché pour vous?
-
-MRS. H.--Je crois que vous l’avez déjà dit une ou deux fois. Vous
-devenez très soucieux de mes sentiments. Mon Dieu, Pip, j’étais jadis
-une honnête femme! Vous le disiez. Vous m’avez faite ce que je suis.
-Qu’allez-vous faire de moi? Qu’allez-vous faire de moi? Vous ne voulez
-pas même dire que vous êtes fâché? (_Elle se sert des asperges
-glacées._)
-
-LE CAP. G.--Je suis fâché pour vous, s’il vous faut la pitié d’une brute
-comme moi. Je suis _horriblement_ fâché pour vous.
-
-MRS. H.--Quelque peu bénin pour un homme du monde. Pensez-vous vous
-sauver par cet aveu?
-
-LE CAP. G.--Que puis-je faire? Je ne peux que vous dire ce que je pense
-de moi-même. Vous ne pouvez en penser pire?
-
-MRS. H.--Oh! oui, je le peux. Et maintenant, voulez-vous me dire la
-raison de tout cela? Du remords? Bayard a-t-il été soudain frappé de
-scrupule.
-
-LE CAP. G. (_avec colère, les yeux toujours baissés_).--Non! La chose a
-pris fin de mon côté. C’est tout. _Mafisch!_
-
-MRS. H.--«C’est tout. _Mafisch!_» Comme si j’étais un interprète arabe.
-Vous faisiez jadis de plus jolis discours. Vous rappelez-vous lorsque
-vous disiez?...
-
-LE CAP. G.--Pour l’amour du ciel, ne revenez plus là-dessus. Appelez-moi
-tout ce que vous voudrez et je l’admettrai...
-
-MRS. H.--Mais vous ne tenez pas à ce qu’on vous remette en mémoire les
-vieux mensonges. Si je pouvais espérer vous faire la dixième partie du
-mal que vous m’avez fait ce soir... Non... Je ne le voudrais pas... je
-ne pourrais pas le faire... quelque menteur que vous soyez.
-
-LE CAP. G.--J’ai dit la vérité.
-
-MRS. H.--Mon _cher_ monsieur, vous vous flattez. Vous avez menti au
-sujet du motif. Pip, rappelez-vous que je vous connais comme vous ne
-vous connaissez pas vous-même. Vous avez été tout pour moi, quoique vous
-soyez... (_Même jeu d’éventail._) Oh! comme tout cela est méprisable!
-Ainsi, vous êtes tout simplement fatigué de moi?
-
-LE CAP. G.--Puisque vous insistez pour que je le répète... Oui.
-
-MRS. H.--Mensonge numéro un. Que ne suis-je en possession d’un mot plus
-cru! Mensonge semble si insuffisant dans votre cas. Le feu vient de
-s’éteindre et il n’y en a pas un nouveau? Réfléchissez une minute, Pip,
-si vous ne voulez pas que je vous méprise plus que je ne fais.
-Simplement _Mafisch_, alors?
-
-LE CAP. G.--Oui. (_A part._) Je crois le mériter.
-
-MRS. H.--Mensonge numéro deux. Avant que le prochain verre ne vous
-étrangle, dites-moi son nom.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Je lui revaudrai cela, de faire intervenir
-Minnie dans l’affaire! (_Haut._) Est-ce vraisemblable?
-
-MRS. H.--_Fort_ vraisemblable si vous pensiez que cela flatterait votre
-vanité. Vous crieriez mon nom sur les toits pour faire se retourner les
-gens.
-
-LE CAP. G.--Que ne l’ai-je fait! Cela eût mis fin à cette affaire.
-
-MRS. H.--Oh! non, cela n’eût mis fin à rien du tout... Ainsi, monsieur
-allait devenir vertueux et blasé, n’est-ce pas? Venir me dire: «J’ai
-assez de vous. L’incident est clo-os.» Je devrais être fière d’avoir
-gardé un homme pareil si longtemps.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Il ne me reste qu’à prier pour que le dîner
-finisse. (_Haut._) Vous savez ce que je pense de moi-même.
-
-MRS. H.--Comme c’est la seule personne du monde à laquelle jamais vous
-pensiez, et comme je vous connais jusqu’au fond de l’âme, oui, je le
-sais. Vous voulez qu’on n’en parle plus et... Oh! je ne peux pas vous en
-empêcher! Et vous allez--pensez-y, Pip--me mettre au rancart pour une
-autre femme. Et vous aviez juré que toutes les autres femmes étaient...
-Pip, mon Pip! Elle _ne peut_ se soucier de vous comme je fais.
-Croyez-moi, elle ne le peut! Est-ce quelqu’un que je connais?
-
-LE CAP. G.--Dieu merci, non! (_A part._) Je m’attendais à un cyclone,
-mais pas à un tremblement de terre.
-
-MRS. H.--Elle _ne le peut_! Y a-t-il quelque chose que je ne ferais pas
-pour vous... ou que je n’aie fait? Et penser que je me donne ce mal à
-votre sujet, sachant ce que vous êtes! M’en méprisez-vous?
-
-LE CAP. G. (_se passant la serviette sur la bouche pour dissimuler un
-sourire_).--_Encore?_ C’est entièrement une œuvre de charité de votre
-part.
-
-MRS. H.--Ahhh! Mais je n’ai aucun droit à me formaliser... Est-elle
-mieux que moi? Qui est-ce qui disait...?
-
-LE CAP. G.--Non... pas cela!
-
-MRS. H.--Je serai plus compatissante que vous. Ne savez-vous pas que
-toutes les femmes sont pareilles?
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Alors, il s’agit de l’exception qui prouve la
-règle.
-
-MRS. H.--_Toutes!_ Je vous dirai n’importe ce que vous voulez. Je vous
-le dirai, sur ma parole! Ce qu’il leur faut, c’est uniquement
-l’admiration... du premier venu--peu importe qui--du premier venu! Mais
-il est toujours _un_ homme dont elles se soucient plus que de personne
-au monde, et auquel elles sacrifieraient tous les autres. Oh! écoutez
-bien! J’ai laissé ce Vaynor trotter derrière moi comme un caniche, et il
-se croit le seul homme auquel je m’intéresse. Je vais vous raconter ce
-qu’il m’a dit.
-
-LE CAP. G.--Épargnez-le. (_A part._) Je me demande quelle est sa
-version, à ce Vaynor.
-
-MRS. H.--Pendant tout le dîner il a attendu que je le regarde. Le
-regarderai-je, pour que vous puissiez voir l’air idiot qu’il va prendre?
-
-LE CAP. G.--Mais qu’importe l’entrée en scène de ce monsieur?
-
-MRS. H.--Regardez! (_Elle adresse un coup d’œil audit Vaynor, lequel
-essaye vainement de concilier une bouchée de pudding à la glace, un
-sourire de satisfaction personnelle, un regard de dévotion intense et la
-solidité d’une contenance britannique à une table de dîner._)
-
-LE CAP. G. (_judicieusement_).--Il n’a pas l’air joli. Pourquoi
-n’avez-vous pas attendu que la cuiller lui soit sortie de la bouche?
-
-MRS. H.--Pour vous amuser. Elle vous donnera en spectacle comme j’ai
-fait pour lui; et les gens riront de vous. Oh, Pip, ne le voyez-vous
-pas? C’est aussi clair que le soleil en plein midi. On vous fera trotter
-de côté et d’autre et on vous contera des mensonges, on fera de vous un
-objet de risée comme les autres. Je n’ai jamais, moi, fait de vous un
-objet de risée, n’est-ce pas?
-
-LE CAP. G. (_à part_).--L’intelligente petite femme!
-
-MRS. H.--Eh bien, qu’avez-vous à dire?
-
-LE CAP. G.--Je me sens mieux.
-
-MRS. H.--Oui, je le suppose, maintenant que me voici descendue à votre
-niveau. Je n’aurais jamais pu le faire si je ne vous aimais pas autant.
-J’ai dit la vérité.
-
-LE CAP. G.--Cela ne change en rien la situation.
-
-MRS. H. (_avec emportement_).--Alors, elle _a_ dit qu’elle vous aimait!
-Ne la croyez pas, Pip. C’est un mensonge... aussi vilain que le vôtre à
-mon égard!
-
-LE CAP. G.--Ffffixe! J’ai idée qu’un de vos amis vous regarde.
-
-MRS. H.--Lui! Je le _hais_. C’est lui qui vous a présenté à moi.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Et il y a des gens pour vouloir que les femmes
-aident à confectionner les lois! Une présentation impliquer tout le
-reste! (_Haut._) Mais, vous comprenez, si vous pouvez faire remonter vos
-souvenirs jusque-là, il ne m’était guère possible, en toute politesse,
-de refuser l’offre.
-
-MRS. H.--En toute politesse! Nous sommes allés plus loin que _cela_!
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Vieux terrain veut dire nouvel ennui. (_Haut._)
-Sur mon honneur...
-
-MRS. H.--Votre quoi? Ha, ha!
-
-LE CAP. G.--Déshonneur, alors. Elle n’est pas ce que vous imaginez. Je
-voulais...
-
-MRS. H.--Ne me parlez pas d’elle! Elle ne saurait vous aimer, et lorsque
-vous reviendrez, après vous être donné en spectacle, vous me trouverez
-occupée de...
-
-LE CAP. G. (_insolemment_).--Vous ne pourriez pas tant que je suis
-vivant. (_A part._) Si cela n’appelle pas son orgueil à la rescousse,
-rien ne le fera.
-
-MRS. H. (_se redressant_).--Je ne pourrais pas? _Moi?_
-(_S’adoucissant._) Vous avez raison. Je ne crois pas que je le
-pourrais... malgré tout ce que vous êtes... un lâche et un menteur
-jusque dans la moelle.
-
-LE CAP. G.--Cela ne blesse pas autant après votre petit cours... avec
-démonstrations.
-
-MRS. H.--Une montagne de vanité! Rien ne vous touchera-t-il donc
-_jamais_ en cette vie? Il doit y avoir une Vie Future quand ce ne serait
-que pour le bénéfice de... Mais vous ne la partagerez avec personne.
-
-LE CAP. G. (_par-dessous ses sourcils_).--En êtes-vous si certaine?
-
-MRS. H.--J’aurai eu mon enfer en cette vie, et je l’aurai bien mérité.
-
-LE CAP. G.--Mais l’admiration sur laquelle vous insistiez si fort, il y
-a un instant? (_A part._) Oh! quelle brute je _fais_!
-
-MRS. H. (_d’un ton farouche_).--_Cela_ me consolera-t-il de la
-connaissance que j’aurai que vous allez à elle avec les mêmes mots, les
-mêmes arguments, et les... les mêmes noms d’amitié que ceux dont vous
-vous êtes servi pour moi? Et si elle vous aime, vous rirez tous deux de
-mon histoire. Serait-ce un châtiment assez lourd même pour moi... même
-pour moi?... Et tout cela pour rien. Autre châtiment!
-
-LE CAP. G. (_faiblement_).--Oh, allons! Je ne suis pas aussi bas que
-vous pensez.
-
-MRS. H.--Pas en ce moment, peut-être, mais vous le serez. Oh! Pip, au
-cas où une femme flatterait votre vanité, il n’y a rien sur terre que
-vous ne lui racontiez; et pas de bassesse à quoi vous ne descendiez.
-Vous ai-je connu si longtemps pour ne pas le savoir?
-
-LE CAP. G.--Si vous ne pouvez avoir confiance en moi pour rien autre--et
-je ne vois pas après tout pourquoi on aurait confiance en moi--vous
-pouvez compter que je saurai me taire.
-
-MRS. H.--Si vous démentiez tout ce que vous m’avez dit ce soir et
-déclariez que tout cela n’était que pour plaisanter (_une longue
-pause_), j’aurais confiance en vous. Pas autrement. Tout ce que je vous
-demande, c’est de ne pas lui dire mon nom. _Je vous en prie_, ne le lui
-dites pas. Un homme pourrait oublier; une femme, jamais. (_Elle lève les
-yeux au-dessus de la table et voit la maîtresse de maison qui commence à
-rassembler les regards._) Ainsi, tout est fini, sans qu’il y ait de ma
-faute... Ne me suis-je pas admirablement conduite! J’ai accepté votre
-congé, et vous l’avez cuisiné aussi cruel possible, et je vous ai fait
-respecter mon sexe, n’est-ce pas? (_Arrangeant ses gants et son
-éventail._) Je prie seulement pour qu’elle vous connaisse un jour comme
-je vous connais à présent. Je ne voudrais pas, alors, être à votre
-place, car je crois que vous vous trouverez atteint jusque dans votre
-vanité. J’espère qu’elle vous rendra l’humiliation que vous m’avez
-causée. Je l’espère... Non. Je ne l’espère pas. _Je ne peux pas_
-renoncer à vous! Il me faut quelque chose à espérer, sans quoi je
-deviendrai folle. Quand tout cela sera fini, revenez-moi, revenez-moi,
-et vous vous apercevrez que vous êtes toujours mon Pip!
-
-LE CAP. G. (_très clairement_).--Mal joué, et cela vous coûte cher.
-C’est une jeune fille!
-
-MRS. H. (_se levant_).--Alors, _c’était_ vrai! On disait... mais je ne
-voudrais pas vous insulter en vous questionnant. Une jeune fille! Il n’y
-a pas longtemps que j’étais une jeune fille. Soyez-lui bon, Pip. C’est
-possible qu’elle croie en vous.
-
- _Elle sort avec un sourire incertain. Il la regarde par la porte, et
- se rassoit sur une chaise, tandis que les hommes se redistribuent._
-
-LE CAP. G--Maintenant, s’il est une Force qui veille sur ce monde,
-voudra-t-elle avoir la bonté de me dire ce que j’ai fait? (_Étendant le
-bras vers le vin de Bordeaux, et presque à haute voix._) Qu’_ai_-je
-fait?
-
-
-
-
-PAR AUCUNE CRAINTE
-
- Et ne vous laissez troubler par aucune crainte.
-
- _Office du mariage._
-
-
- DÉCOR.--_Une chambre de célibataire. Table de toilette rangée avec un
- soin qui n’est pas naturel. LE CAPITAINE GADSBY dort et ronfle fort.
- Dix heures et demie du matin--une admirable journée d’automne à Simla.
- Entre avec précaution LE CAPITAINE MAFFLIN, du régiment de GADSBY.
- Regarde le dormeur, et branle la tête, en murmurant: «Pauvre Gaddy!»
- Exécute une brillante fantaisie à l’aide des brosses à cheveux sur un
- dos de chaise._
-
-LE CAP. M.--Éveillez-vous, belle endormie! (_Il rugit._)
-
- «Uprouse ye, then, my merry, merry men!
- It is our opening day!
- It is our opening day!»
-
-Gaddy, voilà déjà longtemps que les petits pierrots piaillent et se
-becquettent; et je suis ici!
-
-LE CAP. G. (_s’asseyant sur son séant et bâillant_).--Bonjour. C’est
-diantrement bien à toi, mon vieux. Tout ce qu’il y a de bien. Ne sais
-pas ce que j’aurais fait sans toi. Sur mon âme, sais pas. N’ai pas fermé
-l’œil de la nuit.
-
-LE CAP. M.--Je ne suis rentré qu’à onze heures et demie. J’ai jeté un
-coup d’œil sur toi, et tu paraissais dormir aussi profondément qu’un
-condamné à mort.
-
-LE CAP. G.--Jack, si c’est pour faire de ces plaisanteries éventées à
-pleurer que tu es là, tu ferais tout aussi bien de t’en aller. (_Avec
-une énorme gravité._) C’est le plus heureux jour de ma vie.
-
-LE CAP. M. (_riant tout bas d’un air menaçant_).--Tu verras cela, mon
-garçon. Tu vas passer par quelques-unes des tortures les plus raffinées
-que tu aies jamais connues. Mais sois calme. Je suis avec toi.
-’Ttention! Alignement!
-
-LE CAP. G.--Hein! Quo-oi?
-
-LE CAP. M.--Supposes-tu que tu es ton maître pour douze grandes heures
-d’horloge? Si oui, naturellement... (_Il fait un mouvement vers la
-porte._)
-
-LE CAP. G.--Non! Pour l’amour du ciel, mon vieux, ne fais pas cela! Tu
-ne vas pas me lâcher que ce ne soit fini, n’est-ce pas? J’ai sué sur
-cette fichue manœuvre sans pouvoir m’en rappeler une ligne.
-
-LE CAP. M. (_inspectant l’uniforme de G._).--Allons, prends ton tub. Ne
-m’assomme pas. Je te donne dix minutes pour t’habiller.
-
- _Intervalle, rempli par un bruit de quelque chose comme un
- éclaboussement dans la salle de bain._
-
-LE CAP. G. (_émergeant du cabinet de toilette_).--Quelle heure est-il?
-
-LE CAP. M.--Presque onze heures.
-
-LE CAP. G.--Encore cinq heures. Grand Dieu!
-
-LE CAP. M. (_à part_).--Premier signe de frousse, cela. Je voudrais bien
-savoir si cela va continuer. (_Haut._) Viens déjeuner.
-
-LE CAP. G.--Pas le moindre appétit. Pourrais rien manger.
-
-LE CAP. M. (_à part_).--Si tôt! (_Haut._) Capitaine Gadsby, je vous
-_ordonne_ de manger votre déjeuner, et un sacré bon déjeuner encore. Ces
-airs et ces grâces de jeune épousée ne prennent pas avec moi!
-
- _Il conduit G. au rez-de-chaussée, et reste debout derrière lui
- pendant qu’il mange deux côtelettes._
-
-LE CAP. G. (_qui a regardé trois fois à sa montre dans les cinq
-dernières minutes_).--Quelle heure est-il?
-
-LE CAP. M.--L’heure de venir faire un tour. Allume.
-
-LE CAP. G.--Voilà dix jours que je n’ai fumé, et je ne vais pas
-commencer maintenant. (_Il prend le cheroot dont M. a coupé le bout pour
-lui, et souffle voluptueusement la fumée par les narines._) Nous
-n’allons pas descendre le Mall, n’est-ce pas?
-
-LE CAP. M. (_à part_).--Ils sont tous pareils dans ces moments-là?
-(_Haut._) Non, ma vestale. Nous allons prendre la route la plus
-tranquille que nous puissions trouver.
-
-LE CAP. G.--Des chances de _la_ rencontrer?
-
-LE CAP. M.--Pauvre innocent! Non! Viens, et si tu as besoin de moi pour
-les obsèques finales, ne m’enlève pas l’œil avec ta canne.
-
-LE CAP. G. (_se retournant brusquement_).--Dis-moi, n’est-ce pas la plus
-charmante créature qui ait jamais existé? Quelle heure as-tu? Qu’est-ce
-qui vient après «voulez-vous prendre pour épouse»?
-
-LE CAP. M.--On cherche l’anneau. Rappelle-toi qu’il sera au bout du
-petit doigt de ma main droite, et fais bien attention à la façon dont tu
-le tireras, car j’aurai les honoraires du sacristain quelque part dans
-mon gant.
-
-LE CAP. G. (_précipitant le pas_).--Au diable le sacristain! Viens donc!
-Il est midi passé, et je ne l’ai pas vue depuis hier soir. (_Se
-retournant de nouveau._) C’est absolument un ange, Jack, et elle est
-mille fois trop bien pour moi. Dis-moi, remonte-t-elle la nef à mon
-bras, ou comment?
-
-LE CAP. M.--Si je pensais qu’il y eût pour toi la moindre chance de te
-rappeler quelque chose durant deux minutes consécutives, je te le
-dirais. Cesse de passager comme cela!
-
-LE CAP. G. (_faisant halte au milieu de la route_).--Dis-donc, Jack?
-
-LE CAP. M.--Reste tranquille encore dix minutes si tu peux, fou que tu
-es, et _marche_!
-
- _Tous deux déguerpissent à cinq milles à l’heure pendant quinze
- minutes._
-
-LE CAP. G.--Quelle heure as-tu? Qu’est-ce qui se passe au sujet de ce
-maudit wedding-cake et des petits souliers blancs? Ils ne les jettent
-pas dans l’église, n’est-ce pas?
-
-LE CAP. M.--In-variablement. Le pasteur ouvre la danse avec ses
-bottines.
-
-LE CAP. G.--Dieu te confonde, imbécile! Ne te moque pas de moi. Je ne
-peux le supporter, et ne le supporterais pas!
-
-LE CAP. M. (_sans se troubler_).--Tout doux, ma vieille carne! Il va
-falloir faire dodo deux heures cet après-midi.
-
-LE CAP. G. (_se retournant_).--Je ne vais pas me laisser traiter comme
-un sacré gamin. Tâche de comprendre cela!
-
-LE CAP. M. (_à part_).--Les nerfs comme des cordes à violon. En voilà,
-une journée! (_Posant tendrement la main sur l’épaule de G._) Mon David,
-combien y a-t-il de temps que tu connais ce Jonathan? Est-ce que je
-viendrais ici pour me moquer de toi... après toutes ces années-là?
-
-LE CAP. G. (_avec repentir_).--Je sais, je sais, Jack... mais je suis
-aussi chaviré qu’il est possible. Ne fais pas attention à ce que je dis.
-Écoute-moi un peu répéter la manœuvre pour voir si je la tiens:
-
-«Pour t’avoir et garder, soit que tu sois meilleure ou pire, comme il
-était au commencement, comme il est maintenant, et comme il sera
-éternellement, avec l’aide de Dieu.--Amen[17].»
-
- [17] Ici, Gadsby mêle trois passages différents de l’office de mariage
- anglican.
-
-LE CAP. M. (_suffoquant de rire_).--Oui, c’est à peu près le sel de la
-chose. Je soufflerai si tu t’arrêtes en route.
-
-LE CAP. G. (_vivement_).--Oui, tu ne vas pas me lâcher, Jack, n’est-ce
-pas? Je suis salement heureux, mais je ne te cacherai pas, à toi, que
-j’ai une peur bleue!
-
-LE CAP. M. (_gravement_).--Vrai? Jamais je ne m’en serais aperçu. Tu
-n’en as pas l’air.
-
-LE CAP. G.--Tu crois? A la bonne heure. (_Se retournant._) Sur mon âme
-et mon honneur, Jack, c’est le plus doux petit ange qui soit jamais
-descendu du ciel. Il n’y a pas de femme sur terre qui soit digne de lui
-adresser la parole!
-
-LE CAP. M. (_à part_).--Et c’est le vieux Gaddy! (_Haut._) Va donc, si
-cela te soulage.
-
-LE CAP. G.--Tu peux bien rire! C’est tout ce à quoi vous êtes bons, vous
-autres, onagres de célibataires.
-
-LE CAP. M. (_traînant ses paroles_).--Tu veux toujours devancer la
-troupe. Tu n’es pas encore tout à fait marié, tu sais.
-
-LE CAP. G.--Peuh! cela me rappelle. Je ne crois pas pouvoir entrer dans
-mes bottes. Allons à la maison les essayer! (_Il se presse en avant._)
-
-LE CAP. M.--Voudrais pas être dans _tes_ souliers pour tout ce que
-l’Asie peut offrir.
-
-LE CAP. G. (_se retournant_).--Voilà qui prouve bien ta hideuse noirceur
-d’âme... ta couche de bêtise... ta brutale étroitesse d’idées. Tu n’as
-qu’un défaut. Tu es le meilleur des bons zigues, et je ne sais pas ce
-que j’aurais fait sans toi, mais... tu n’es pas marié. (_Il branle
-gravement la tête._) Prends une femme, Jack.
-
-LE CAP. M. (_le visage comme un mur_).--Ou-é. La femme de qui, de
-préférence?
-
-LE CAP. G.--Si tu te mets à faire le polisson, je te quitte... Quelle
-heure as-tu?
-
-LE CAP. M. (_il chantonne_).
-
- An’ since ’twas very clear we drank only gingerbeer,
- Faith, there must ha’ been some stingo in the ginger!
-
-Rentrons, espèce d’enragé. Je vais te ramener au logis, et tu vas te
-coucher.
-
-LE CAP. G.--Que diable ai-je besoin de me coucher?
-
-LE CAP. M.--Tends-moi ton cheroot pour me donner du feu et tu vas voir.
-
-LE CAP. G. (_qui regarde le bout du cheroot trembler comme un
-diapason_).--Je suis dans un délicieux état!
-
-LE CAP. M.--Effectivement. Je vais te faire prendre un verre et tu t’en
-iras dormir.
-
- _Ils rentrent et M. compose un whisky-soda bien corsé._
-
-LE CAP. G.--Oh, _bus! bus![18]_ Cela va me saouler comme un polonais.
-
- [18] Assez! assez! (en hindoustani).
-
-LE CAP. M.--Chose curieuse, cela n’aura pas le moindre effet sur toi.
-Avale-moi cela, jette-toi là, et mets-toi à faire dodo.
-
-LE CAP. G.--C’est absurde. Je ne dormirai pas. Je _sais_ que non!
-
- _Il tombe dans un lourd sommeil au bout de sept minutes. LE CAP. M. le
- veille tendrement._
-
-LE CAP. M.--Pauvre vieux Gaddy! J’en ai vu déjà quelques-uns lancés dans
-le vide, mais jamais aucun marcher au gibet dans ces conditions-là. On
-ne peut jamais dire comment ils vont prendre cela. Ce sont les pur-sang
-qui suent au reculer dans l’attelage à deux... Et c’est là l’homme qui a
-traversé les pièces à la charge à Amdhéran, comme un enragé. (_Il se
-penche sur G._) Mais c’est pire que les pièces, vieux copain... pire que
-les pièces, n’est-ce pas? (_G. se retourne dans son sommeil et M. lui
-effleure gauchement le front._) Pauvre, cher vieux Gaddy! Qui s’en va
-comme les autres... qui s’en va comme les autres... _L’ami qui vous est
-plus attaché qu’un frère_... huit années. Sacrée petite garce de
-fille... huit semaines! Et... où est votre ami? (_Il fume
-inconsolablement jusqu’à ce que l’horloge de l’église sonne trois
-heures._)
-
-LE CAP. M.--Debout! Allons, équipe-toi!
-
-LE CAP. G.--Déjà? N’est-ce pas trop tôt? N’aurais-je pas dû me raser de
-frais?
-
-LE CAP. M.--_Non!_ Tu es très bien comme cela. (_A part._) Il se
-mettrait le menton en pièces.
-
-LE CAP. G.--Pourquoi se presser?
-
-LE CAP. M.--Il faut que tu sois là le premier.
-
-LE CAP. G.--Pour servir de point de mire?
-
-LE CAP. M.--Justement. Tu fais partie du spectacle. Où est le tripoli?
-Tes éperons sont dans un état honteux.
-
-LE CAP. G. (_d’un ton bourru_).--Jack, jamais tu ne feras cela pour moi?
-
-LE CAP. M. (_d’un ton plus bourru_).--Ferme cela et habille-toi! S’il me
-plaît de nettoyer tes éperons, tu es sous _mes_ ordres.
-
- _LE CAP. G. s’habille. M. en fait autant._
-
-LE CAP. M. (_faisant le tour en l’inspectant_).--Oui, cela va.
-Seulement, ne prends pas cet air de criminel. L’anneau, les gants,
-l’argent--cela va bien pour moi. Laisse ta moustache tranquille.
-Maintenant, si les poneys sont prêts, nous allons partir.
-
-LE CAP. G. (_nerveusement_).--Il est beaucoup trop tôt. Allumons un
-cigare! Buvons quelque chose! Faisons...
-
-LE CAP. M.--Faisons les sacrés ânes!
-
-LES CLOCHES (_au dehors_).--
-
- «I--ci--bonnes--gens
- La prière--vous attend.»
-
-LE CAP. M.--Voilà les cloches! Viens... à moins que tu ne préfères
-rester. (_Ils s’éloignent à cheval._)
-
-LES CLOCHES.--
-
- Oui nous honorons le roi,
- La bru mettons en émoi...
- Chaque nouvelle a son sort,
- Nous sonnons le glas du mort.
-
-LE CAP. G. (_descendant de cheval à la porte de l’église_).--Dis-moi, ne
-sommes-nous pas là beaucoup trop tôt? Il y a du monde à n’en plus finir
-dans l’intérieur. Dis-moi, ne sommes-nous pas très en retard? Reste près
-de moi, Jack! Que diable dois-je faire?
-
-LE CAP. M.--Assume une contenance à l’entrée de la nef et attends-_la_.
-(_LE CAP. G. grogne, tandis que M. lui fait faire volte-face devant
-trois cents yeux._)
-
-LE CAP. M. (_d’un air suppliant_).--Gaddy, si tu m’aimes, pour la grâce
-de Dieu, pour l’honneur du régiment, tiens-toi droit! Remplis ton
-uniforme! Aie l’air d’un homme! J’ai à parler une minute au pasteur.
-(_G. est pris d’une douce transpiration._) Si tu t’essuies le visage,
-jamais plus je ne serai ton témoin. Poitrine! (_G. tremble
-visiblement._)
-
-LE CAP. M. (_revenant_).--Voici qu’elle arrive. Fais attention quand la
-musique va commencer. Voilà l’orgue qui se met en branle.
-
- _La mariée sort de la rickshaw à la porte de l’église. G. l’entrevoit
- et prend courage._
-
-L’ORGUE.--
-
- La Voix qui souffla sur Éden,
- Le premier jour de mariage,
- Et bénit le premier hymen,
- A bravé les saisons et l’âge.
-
-LE CAP. M. (_surveillant G._).--Ma parole! Il a pris bon air. Je ne l’en
-aurais pas cru capable aujourd’hui.
-
-LE CAP. G.--Combien de temps va durer cet hymne?
-
-LE CAP. M.--Cela va être fini tout de suite. (_Anxieusement._) Vas-tu te
-mettre à pâlir et à ravaler ta salive? Tiens bon, Gaddy, et pense au
-régiment.
-
-LE CAP. G. (_d’un ton mesuré_).--Dis donc, il y a un gros lézard brun en
-train de grimper le long de ce mur.
-
-LE CAP. M.--Oh! ma mère! Le dernier degré d’affaissement!
-
- _La mariée monte à gauche de l’autel, lève les yeux une bonne fois sur
- G., lequel est subitement frappé de folie._
-
-LE CAP. G. (_à lui-même encore et encore_).--Petit Poidsléger, une
-femme... une femme! Et je croyais que c’était une petite fille.
-
-LE CAP. M. (_chuchotant_).--Garde à vous... demi-tour à gauche.
-
- _LE CAP. G. obéit machinalement, et la cérémonie se poursuit._
-
-LE PASTEUR.--... à elle seule, tant que vous vivrez tous deux?
-
-LE CAP. G. (_la gorge sèche_).--Ha-hmmm!
-
-LE CAP. M.--Dis oui ou non. Il n’y a pas de seconde donne ici.
-
- _La mariée articule sa réponse avec un sang-froid parfait, et son père
- en fait la remise._
-
-LE CAP. G. (_croyant montrer son savoir_).--Jack, c’est à ton tour,
-maintenant, de faire ma remise, _vite_!
-
-LE CAP. M.--Tu t’es remisé bien assez comme cela toi-même. Sa main
-_droite_, mon gars! Récite! Récite! «Théodore Philip.» As-tu oublié ton
-propre nom?
-
- _LE CAP. G. s’embarrasse dans le «oui», que la mariée répète sans un
- tremblement._
-
-LE CAP. M.--Maintenant, l’anneau! Suis le pasteur! Ne m’arrache pas mon
-gant! Le voici! Grand Dieu, il a retrouvé sa voix!
-
- _G. répète la parole sacramentelle d’une voix à se faire entendre au
- bout de l’église et tourne sur son talon._
-
-LE CAP. M. (_d’un air désespéré_).--A vos rênes! Doucement sur le pavé!
-Nous n’en sommes pas à la moitié.
-
-LE PASTEUR--... à conjoints, que l’homme ne les sépare point.
-
- _LE CAP. G., paralysé de peur, a un mouvement de recul après la
- bénédiction._
-
-LE CAP. M. (_vivement_).--Avance... d’une longueur. Prends-la avec toi.
-Je ne viens pas. Tu n’as rien à dire.
-
- _LE CAP. G. monte à l’autel dans tout un cliquetis de choses._
-
-LE CAP. M. (_en un râle perçant qui veut dire un murmure_).--A genoux,
-têtu bandit! A genoux!
-
-LE PASTEUR--... de laquelle vous êtes les filles, tant que vous
-pratiquez le bien et ne vous laissez troubler par aucune crainte.
-
-LE CAP. M.--Ça y est! Rompez! Par file à gauche.
-
- _Tout le monde à la sacristie. On signe._
-
-LE CAP. M.--Embrasse-la, Gaddy.
-
-LE CAP. G. (_frottant l’encre sous son gant_).--Hein! Quo-oi?
-
-LE CAP. M. (_Faisant un pas vers la mariée_).--Si tu ne le fais pas, je
-vais le faire.
-
-LE CAP. G. (_interposant le bras_).--Merci bien!
-
- _Embrassement général._
-
-LE CAP. G. (_n’en pouvant plus, à M._).--Ah, nom de nom! Est-ce que je
-peux maintenant m’essuyer le visage?
-
-LE CAP. M.--Ma responsabilité finit là. Demande plutôt à _Missis_
-Gadsby.
-
- _LE CAP. G. recule comme frappé d’une balle, et le cortège sort de
- l’église à coups de Mendelssohn pour se rendre à la maison paternelle,
- où ont lieu les tortures d’usage autour du wedding-cake._
-
-LE CAP. M. (_à table_).--Debout, Gaddy. On attend un speech.
-
-LE CAP. G. (_après trois minutes d’agonie_).--Ha-hmmm. (_Tonnerre
-d’applaudissements._)
-
-LE CAP. M.--Pas mal, pour un début. Maintenant va changer d’équipement
-pendant que la maman est en train de pleurer sur--«la madame». (_LE CAP.
-G. disparaît. LE CAP. M. se lève précipitamment en s’arrachant les
-cheveux._) Ce n’est pas encore complet. Où sont les souliers? Allez
-chercher une _ayah_.
-
-L’AYAH.--Missie captain _sahib band karo_ tous les _jutis_[19].
-
- [19] Missie capitaine _sahib_ a caché tous les souliers.
-
-LE CAP. M. (_brandissant son sabre dans le fourreau_).--Femme, produis
-ces souliers! Que quelqu’un me prête un couteau à pain. Il ne s’agit pas
-de fêler la tête de Gaddy plus qu’elle ne l’est. (_Il tranche le talon
-d’une mule de satin blanc et serre la mule dans sa manche._) Où est la
-mariée? (A tout le monde à la ronde.) Allez-y doucement avec ce riz.
-C’est une coutume païenne. Donnez-moi le gros sac.
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
- _La mariée se glisse sans bruit dans une rickshaw et part vers le
- coucher du soleil._
-
-LE CAP. M. (_en plein air_).--Envolée, ma parole! Tant pis pour Gaddy!
-Le voici. Allons, Gaddy, cela va chauffer plus dur qu’à Amdhéran! Où est
-ton cheval!
-
-LE CAP. G. (_furieusement, voyant que les femmes sont hors de portée de
-voix_).--Où est ma _femme_, n. de D...?
-
-LE CAP. M.--A moitié route maintenant de Mahasu. Il va te falloir
-chevaucher comme le jeune Lochinvar[20].
-
- [20] Voir la ballade de Walter Scott.
-
- _Le cheval se présente en se cabrant; il refuse de laisser G.
- l’approcher._
-
-LE CAP. G.--Oh! tu veux faire la bête, n’est-ce pas? Demi-tour,
-animal... cochon... brute! _Demi-tour!_
-
- _Il force le cheval à tourner, d’un coup de poignet à lui briser la
- mâchoire inférieure; se jette en selle, et donne des deux éperons au
- beau milieu d’une grêle du meilleur riz de Patna._
-
-LE CAP. M.--Sur ton amour et ta vie... pousse, Gaddy! Et que... Dieu te
-bénisse!
-
- _Il jette une demi-livre de riz à G., lequel disparaît, penché en
- avant sur la selle, dans un nuage de poussière éclairée de soleil_.
-
-LE CAP. M.--Voilà perdu le vieux Gaddy. (_Il allume une cigarette et
-s’éloigne en flânant, et en chantant d’un air absent:_)
-
- «You may carve it on his tombstone, you may cut it on his card,
- That a young man married is a young man marred[21].»
-
- [21]
-
- «Vous pouvez le graver sur sa tombe, vous pouvez le graver sur
- sa carte,
- Qu’un jeune homme marié est un jeune homme perdu.»
-
-MISS DEERCOURT (_de son cheval_).--Vraiment, capitaine Mafflin! Vous
-parlez plus à cœur ouvert que vous n’êtes poli!
-
-LE CAP. M. (_à part_).--On dit que le mariage, c’est comme le choléra.
-Me demande qui sera la prochaine victime.
-
- _Une mule de satin blanc glisse de sa manche et tombe à ses pieds.
- Reste livré à ses réflexions._
-
-
-
-
-LE JARDIN D’ÉDEN
-
- Et vous serez... comme des dieux!
-
-
- DÉCOR.--_Pelouse arômée de thym derrière l’hôtellerie de Mahasu,
- dominant la petite vallée boisée. A gauche, un aperçu de la Forêt
- Morte du Fagoo; à droite, les montagnes de Simla. Tout au fond la
- ligne des neiges. LE CAP. GADSBY, mari de trois semaines maintenant,
- fume le calumet de paix sur un tapis au soleil. Banjo et blague à
- tabac sur le tapis. En l’air, les aigles du Fagoo. MRS. G. sort du
- bungalow._
-
-MRS. G.--Mon mari!
-
-LE CAP. G. (_paresseusement, avec une jouissance intense_).--Hein,
-quo-oi? Dites-le encore.
-
-MRS. G.--J’ai écrit à maman pour lui annoncer que nous serons de retour
-le 17.
-
-LE CAP. G.--Lui avez-vous fait part de mes tendresses?
-
-MRS. G.--Non, j’ai gardé tout pour moi. (_S’asseyant à son côté._) J’ai
-pensé que cela ne vous ferait rien.
-
-LE CAP. G. (_avec une feinte sévérité_).--Cela me fait beaucoup. Comment
-saviez-vous que tout était pour vous?
-
-MRS. G.--J’ai deviné, Phil.
-
-LE CAP. G. (_avec ravissement_).--_Pe-tit_ Poidsléger!
-
-MRS. G.--Je voudrais bien ne pas me voir donner ces petits noms de
-sport, vilain.
-
-LE CAP. G.--Vous aurez tous les noms qu’il me plaît. Vous est-il jamais
-venu à l’esprit, madame, que vous êtes ma femme?
-
-MRS. G.--Oui, certes. Je n’ai pas encore cessé de m’en étonner.
-
-LE CAP. G.--Ni moi. Cela semble étrange; et cependant, je ne sais
-comment, cela ne l’est pas. (_Avec confiance._) Vous comprenez, cela
-n’aurait pu être personne autre.
-
-MRS. G. (_doucement_).--Non. Personne autre... ni pour moi ni pour vous.
-_Tout_ cela a dû être arrangé dès l’origine des choses. Phil,
-redites-moi ce qui vous a fait m’aimer.
-
-LE CAP. G.--Comment eussé-je pu m’en empêcher? Vous étiez _vous_, vous
-savez.
-
-MRS. G.--Est-ce que vous avez jamais senti le besoin de vous en
-empêcher? Dites la vérité!
-
-LE CAP. G. (_l’œil malicieux_).--Oui, chérie, tout au commencement, mais
-seulement au commencement. (_Il rit tout bas._) Je vous
-appelais--penchez-vous tout près et je vais vous le dire à
-l’oreille--«une petite bécasse». Ho! ho! ho!
-
-MRS. G. (_le prenant par la moustache et le forçant à s’asseoir sur son
-séant_).--«Une... petite... bécasse!» Voulez-vous bien ne pas rire de
-votre crime! Et encore vous avez eu le... le... l’affreux toupet de
-demander ma main!
-
-LE CAP. G.--J’avais alors changé d’avis. Et vous n’étiez plus une petite
-bécasse.
-
-MRS. G.--Merci, monsieur! Et quand l’ai-je été jamais?
-
-LE CAP. G.--_Jamais!_ Mais ce premier jour où vous m’avez donné du thé
-sous cette petite robe de mousseline couleur fleur de pêcher, vous aviez
-l’air--vous aviez vraiment l’air, ma chère amie--d’un si absurde petit
-moucheron. Et je ne savais que vous dire.
-
-MRS. G. (_tordant la moustache_).--Ainsi, vous avez dit «petite
-bécasse». Sur ma parole, monsieur, moi, je vous ai appelé «ce grrrrand
-animal-là»; mais je regrette de ne pas vous avoir appelé quelque chose
-de pire.
-
-LE CAP. G. (_très humblement_).--Je m’excuse, mais vous me faites
-affreusement mal. (_Intermède._) Vous avez toute permission de me
-torturer encore aux mêmes conditions.
-
-MRS. G.--Oh! _pourquoi_ me l’avez-vous laissé faire?
-
-LE CAP. G. (_regardant le long de la vallée_).--Sans raison
-particulière, mais... si cela vous amusait ou vous faisait le moindre
-bien vous pouvez... essuyer ces chères petites bottines-là sur moi.
-
-MRS. G. (_étendant le bras_).--Taisez-vous! Oh! taisez-vous! Philippe,
-mon roi, je vous en prie, ne parlez pas comme cela. C’est tout à fait ce
-que, moi, je ressens. Vous êtes beaucoup trop bon pour moi. Tellement
-trop bon!
-
-LE CAP. G.--Moi! Je ne suis pas digne de vous approcher. (_Il l’entoure
-de son bras._)
-
-MRS. G.--Oui, vous en êtes digne. Mais moi... qu’ai-je jamais fait?
-
-LE CAP. G.--Donné un tout petit brin de votre cœur, n’est-ce pas, ma
-reine?
-
-MRS. G.--Ce n’est rien, cela. N’importe qui le ferait. On ne pourr...
-pourrait jamais s’en empêcher.
-
-LE CAP. G.--Chaton, vous allez me rendre horriblement fat. Et cela,
-juste au moment où je commençais à me sentir si humble.
-
-MRS. G.--Humble! je ne crois pas que ce soit dans votre caractère.
-
-LE CAP. G.--Qu’est-ce que vous en connaissez, de mon caractère, petite
-impertinente?
-
-MRS. G.--Ah! mais je le connaîtrai, n’est-ce pas, Phil? J’aurai le
-temps, durant toutes les années et encore les années à venir, de
-connaître tout ce qui vous concerne; et il n’y aura pas de secrets entre
-nous.
-
-LE CAP. G.--Petite sorcière! Je pense que vous me connaissez déjà à
-fond.
-
-MRS. G.--Je crois pouvoir deviner. Vous êtes égoïste?
-
-LE CAP. G.--Oui.
-
-MRS. G.--Un peu bêta?
-
-LE CAP. G.--_Très._
-
-MRS. G.--Et un chéri.
-
-LE CAP. G.--Cela, c’est comme il plaît à ma lady.
-
-MRS. G.--Alors, il plaît à votre lady. (_Une pause._) Savez-vous que
-nous sommes deux grandes personnes solennelles, sérieuses.
-
-LE CAP. G. (_lui inclinant son chapeau de paille sur les yeux_).--Vous,
-grande personne! Peuh! Vous êtes un bébé.
-
-MRS. G.--Et nous disions des bêtises.
-
-LE CAP. G.--Alors, continuons à dire des bêtises. J’aime assez cela.
-Chaton, je vais vous dire un secret. Vous promettez de ne pas le
-répéter?
-
-MRS. G.--Ou-ui. Rien qu’à vous.
-
-LE CAP. G.--Je vous aime.
-
-MRS. G.--Vrai-ment! Pour combien de temps?
-
-LE CAP. G.--Pour toujours et toujours?
-
-MRS. G.--C’est beaucoup.
-
-LE CAP. G.--Vous pensez? Je ne peux pas me contenter de moins.
-
-MRS. G.--Vous devenez tout à fait brillant.
-
-LE CAP. G.--Je cause avec _vous_.
-
-MRS. G.--Joliment tourné. Tenez levée votre stupide vieille tête et je
-vais vous rendre cela!
-
-LE CAP. G. (_affectant un suprême mépris_).--Prenez-la vous-même si vous
-la voulez.
-
-MRS. G.--J’ai grande envie de... et pourquoi pas?
-
- _Elle la lui prend, et se le voit rendre avec usure._
-
-LE CAP. G.--Petit Poidsléger, c’est mon avis que nous _sommes_ une paire
-d’idiots.
-
-MRS. G.--Nous sommes les deux seuls gens sensés du monde! Demandez à
-l’aigle. Le voilà qui vient par ici.
-
-LE CAP. G.--Ah! j’ose dire qu’il a vu pas mal de gens sensés à Mahasu.
-On prétend que ces oiseaux-là vivent une éternité.
-
-MRS. G.--Combien de temps?
-
-LE CAP. G.--Cent vingt ans.
-
-MRS. G.--Cent vingt ans! O-oh! Et dans cent vingt ans, où seront-ils,
-ces deux gens sensés?
-
-LE CAP. G.--Qu’est-ce que cela peut faire tant que nous sommes ensemble
-maintenant?
-
-MRS. G. (_faisant du regard le tour de l’horizon_).--Oui. Rien que vous
-et moi... moi et vous... dans tout le vaste, vaste monde jusqu’à la fin.
-(_Son regard se pose sur la ligne des neiges._) Comme les montagnes ont
-l’air énormes et calmes! Croyez-vous qu’elles s’inquiètent de nous?
-
-LE CAP. G.--Je ne saurais affirmer les avoir particulièrement
-consultées. Moi, je m’en inquiète, cela me suffit.
-
-MRS. G. (_se rapprochant de lui_).--Oui, en ce moment... mais plus tard.
-Qu’est-ce c’est que ce petit barbouillage noir sur les neiges?
-
-LE CAP. G.--Une tempête de neige, là-bas, à quarante milles. Vous allez
-la voir se déplacer au fur et à mesure que le vent la charrie sur les
-flancs de ce contrefort, et puis, plus rien.
-
-MRS. G.--Et puis, plus rien. (_Elle frissonne._)
-
-LE CAP. G. (_anxieusement_).--Vous ne vous refroidissez pas, petite,
-n’est-ce pas? Il vaut mieux me laisser aller chercher votre manteau.
-
-MRS. G.--Non. Ne me quittez pas, Phil. Restez ici. Je crois que j’ai
-peur. Oh! pourquoi les montagnes sont-elles si _effroyables_? Phil,
-promettez-moi, promettez-moi que vous m’aimerez _toujours_.
-
-LE CAP. G.--Qu’est-ce qu’il y a donc, chérie? Je ne peux promettre plus
-que je n’ai fait; mais je ne cesserai de le promettre encore et encore
-si vous voulez.
-
-MRS. G. (_la tête sur l’épaule de son mari_).--Dites-le donc...
-dites-le. N-non... ne le dites pas! Les... les... aigles riraient. (_Se
-remettant._) Mon mari, vous avez épousé une petite oie.
-
-LE CAP. G. (_très tendrement_).--Vraiment? Je me contente de ce qu’elle
-est, tant qu’elle est à moi.
-
-MRS. G. (_promptement_).--Parce qu’elle est à vous ou parce qu’elle est
-moi en personne?
-
-LE CAP. G.--Parce qu’elle est l’un et l’autre. (_Piteusement._) Je ne
-suis pas très fort, ma chère amie, et je ne crois pas pouvoir me faire
-comprendre convenablement.
-
-MRS. G.--_Je_ comprends. Pip, voulez-vous me dire quelque chose?
-
-LE CAP. G.--Tout ce que vous voudrez. (_A part._) Je me demande ce qui
-va venir maintenant.
-
-MRS. G. (_hésitante, les yeux baissés_).--Vous m’avez raconté une fois,
-dans le temps jadis--il y a des siècles et des siècles--que vous aviez
-été fiancé déjà auparavant. Je n’ai rien dit... _alors_.
-
-LE CAP. G. (_naïvement_).--Pourquoi cela?
-
-MRS. G. (_levant les yeux sur ceux de son mari_).--Parce que--parce que
-j’avais peur de vous perdre, mon cœur. Mais maintenant... racontez-le...
-_s’il vous plaît_.
-
-LE CAP. G.--Il n’y a rien à raconter. J’étais alors terriblement
-vieux--presque vingt-deux ans--et elle avait au moins cela.
-
-MRS. G.--Ce qui veut dire qu’elle était plus vieille que vous. Je
-n’aimerais pas qu’elle eût été plus jeune. Eh bien?
-
-LE CAP. G.--Eh bien! je me crus amoureux et en raffolai quelque peu,
-et... oh! oui, ma parole, je me livrai à la poésie. Ha, ha!
-
-MRS. G.--Vous n’avez pas écrit un vers pour _moi_! Qu’est-ce qui se
-passa?
-
-LE CAP. G.--Je m’en vins par ici, et toute l’affaire s’en alla en fumée.
-Elle écrivit pour dire qu’il y avait eu malentendu, et puis elle se
-maria.
-
-MRS. G.--Vous aimait-elle beaucoup?
-
-LE CAP. G.--Non. Au moins elle ne le laissa pas voir, autant que je me
-rappelle.
-
-MRS. G.--Autant que vous vous rappelez! Vous rappelez-vous son nom?
-(_Elle l’écoute et baisse la tête._) Merci, mon mari.
-
-LE CAP. G.--Qui, si ce n’est vous, en avait le droit? Maintenant, Petit
-Poidsléger, vous êtes-vous jamais trouvée mêlée à quelque sombre et
-horrible drame?
-
-MRS. G.--Si vous m’appelez _missis_ Gadsby, peut-être vous le
-raconterai-je.
-
-LE CAP. G. (_prenant sa voix de commandement_).--_Missis_ Gadsby,
-confessez!
-
-MRS. G.--Juste Ciel, Phil! Je n’eusse jamais cru que vous pouviez
-prendre cette terrible voix.
-
-LE CAP. G.--Vous ne connaissez pas encore le quart de mes talents.
-Attendez que nous soyons installés dans les plaines, et je vous
-montrerai comment j’aboie après mes hommes. Vous alliez dire, chérie?
-
-MRS. G.--Je... n’ose guère continuer, après cette voix-là.
-(_Chevrotant._) Phil, n’ayez jamais l’audace de me parler sur ce ton-là,
-quoi que je puisse faire!
-
-LE CAP. G.--Mon pauvre petit amour! Mais vous tremblez toute. Je _suis_
-si fâché. Il va sans dire que je n’ai jamais eu l’intention de vous
-bouleverser. Ne me racontez rien. Je suis une brute.
-
-MRS. G.--Non, vous n’êtes pas une brute, et je vais vous raconter... Il
-y eut un homme.
-
-LE CAP. G. (_gaiement_).--Y eut-il? L’heureux mortel!
-
-MRS. G. (_tout bas_).--Et je crus que je l’aimais.
-
-LE CAP. G.--Mortel deux fois heureux! Eh bien?
-
-MRS. G.--Et je crus que je l’aimais... et je ne l’aimais pas... et alors
-vous êtes venu... et c’était vous que j’aimais, beaucoup, _beaucoup_.
-Oui, vraiment. C’est tout. (_Face voilée._) Vous n’êtes pas fâché,
-n’est-ce pas?
-
-LE CAP. G.--Fâché? Pas le moins du monde. (_A part._) Bon Dieu, qu’ai-je
-fait pour mériter cet ange?
-
-MRS. G. (_à part_).--Et il ne m’a même pas demandé le nom! Comme les
-hommes sont drôles! Mais c’est peut-être aussi bien.
-
-LE CAP. G.--Cet homme ira au ciel parce que jadis vous avez cru l’aimer.
-Je me demande si, moi, vous me remorquerez jamais là-haut?
-
-MRS. G. (_fermement_).--Je n’irai pas si vous n’y allez pas.
-
-LE CAP. G.--Merci. Dites-moi, Chaton, je ne connais pas beaucoup vos
-croyances religieuses. Vous avez été élevée à croire en un ciel et tout
-cela, n’est-ce pas?
-
-MRS. G.--Oui. Mais c’était un ciel capitonné, avec des livres d’hymnes
-dans tous les bancs.
-
-LE CAP. G. (_branlant la tête avec une conviction intense_).--Qu’à cela
-ne tienne. Il y en a un de vrai, un ciel.
-
-MRS. G.--D’où apportez-vous ce message, mon prophète?
-
-LE CAP. G.--D’ici! Parce que nous nous aimons tous deux. De sorte que
-tout va bien.
-
-MRS. G. (_tandis qu’une troupe de langurs[22] mène fracas à travers les
-branches_).--De sorte que tout va bien. Mais Darwin dit que nous
-descendons de ces animaux-là!
-
- [22] Espèce de singes qui pullulent dans l’Inde.
-
-LE CAP. G. (_avec sérénité_).--Ah! Darwin ne fut jamais amoureux d’un
-ange. Voilà qui règle la question. Sstt, espèces de brutes! Des singes,
-vraiment! Vous ne devriez pas lire ces livres-là.
-
-MRS. G. (_se croisant les mains_).--S’il plaît à mon seigneur et maître
-de publier sa proclamation.
-
-LE CAP. G.--Taisez-vous, chère amie. Il n’y a pas d’ordres entre nous.
-Seulement, j’aimerais mieux que vous ne les lisiez pas. Ils ne
-conduisent à rien et cassent la tête aux gens.
-
-MRS. G.--Comme vos premières fiançailles.
-
-LE CAP. G. (_avec un calme immense_).--C’était un mal nécessaire, et qui
-m’a conduit à vous. N’êtes-vous rien?
-
-MRS. G.--Pas tant que cela, n’est-ce pas?
-
-LE CAP. G.--Tout ce monde-ci et l’autre pour moi.
-
-MRS. G. (_très tendrement_).--Mon cher, cher petit mari! A mon tour
-_vous_ dirai-je quelque chose?
-
-LE CAP. G.--Oui, si ce n’est pas terrible... au sujet des autres hommes.
-
-MRS. G.--C’est au sujet de ma propre vilaine petite personne.
-
-LE CAP. G.--Alors, ce doit être charmant. Allez, ma chère amie.
-
-MRS. G. (_lentement_).--Je ne sais pas pourquoi je vous le dis, Pip,
-mais si jamais vous vous remariiez... (_Intermède._) Enlevez votre main
-de ma bouche ou je _mords_! Dans l’avenir, donc, rappelez-vous... je ne
-sais pas trop comment dire cela!
-
-LE CAP. G. (_reniflant avec indignation_).--N’essayez pas. «Me
-remarier», vraiment!
-
-MRS. G.--Je dois. Écoutez, mon mari. Jamais, jamais, _jamais_ ne dites à
-votre femme quoi que ce soit que vous ne vouliez pas qu’elle se rappelle
-ni qui fasse l’objet de ses pensées toute sa vie. Parce qu’une
-femme--oui, je _suis_ une femme--_ne peut pas_ oublier.
-
-LE CAP. G.--Ma parole, comment savez-vous cela?
-
-MRS. G. (_avec confusion_).--Je ne le sais pas. Je ne fais que le
-deviner. Je suis--j’étais--une sotte petite fille; mais je sens que j’en
-sais tant--oh! tellement plus que vous, mon bien aimé! Pour commencer,
-je suis votre femme.
-
-LE CAP. G.--C’est ce que j’ai été induit à croire.
-
-MRS. G.--Et j’aurai besoin de connaître chacun de vos secrets... de
-partager avec vous tout ce que vous savez.
-
- _Elle ouvre les yeux autour d’elle d’un air désespéré._
-
-LE CAP. G.--C’est ce que vous ferez, mon amie, c’est ce que vous
-ferez... mais ne regardez pas comme cela.
-
-MRS. G.--Dans votre propre intérêt, ne m’arrêtez pas, Phil. Je ne
-recommencerai jamais une conversation de ce genre avec vous. Il _ne_
-faut _pas_ me dire! Du moins, pas maintenant. Plus tard, quand je serai
-une vieille dame, cela ne fera rien; mais si vous m’aimez, montrez-vous
-bon, très bon pour moi; car cette heure de ma vie, _jamais_ je ne
-l’oublierai! Vous ai-je fait comprendre?
-
-LE CAP. G.--Je le crois, enfant. Ai-je rien dit encore que vous
-désapprouviez?
-
-MRS. G.--Serez-vous _très_ fâché? Cette... cette voix, et ce que vous
-avez dit à propos de l’engagement...
-
-LE CAP. G.--Mais c’est vous qui avez _demandé_ qu’on vous le raconte,
-chérie.
-
-MRS. G.--Et _c’est_ pourquoi vous n’auriez pas dû me le raconter! Vous
-devez être le juge, et, oh! Pip, malgré tout mon amour pour vous, je ne
-serai jamais capable de vous aider! Je ne ferai que vous empêcher, et il
-vous faut juger en dépit de moi!
-
-LE CAP. G. (_d’un air méditatif_).--Nous avons un grand nombre de choses
-à découvrir ensemble, Dieu nous vienne en aide à tous deux--répétez-le,
-chaton--mais nous nous comprendrons l’un l’autre de mieux en mieux
-chaque jour; et je crois que je commence à voir, maintenant. Comment,
-diable, êtes-vous arrivée à savoir l’importance _au juste_ qu’il y avait
-à me donner _justement_ cette inspiration-là?
-
-MRS. G.--Je vous ai dit que je ne sais pas. Seulement, de manière ou
-d’autre, il semblait que, dans toute cette nouvelle vie, j’étais guidée
-pour votre salut aussi bien que pour le mien.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Alors, Mafflin avait raison! Elles savent, et
-nous... nous sommes aveugles... tous. (_Gaiement._) Il me semble que
-nous perdons un peu pied, ma chère amie, ne trouvez-vous pas? Je me
-rappellerai, et si je viens à faillir, puissé-je être châtié comme je le
-mérite.
-
-MRS. G.--Il n’y aura pas de châtiment. C’est d’ici que nous allons faire
-voile pour la vie... vous et moi... et personne autre.
-
-LE CAP. G.--Et personne autre. (_Une pause._) Vous avez les cils tout
-mouillés, ma jolie! Vit-on jamais si absurde petite fille?
-
-MRS. G.--Entendit-on jamais dire de telles bêtises?
-
-LE CAP. G. (_secouant les cendres de sa pipe_).--Ce n’est pas ce que
-nous disons, c’est ce que nous ne disons pas, qui est utile. Et tout ce
-que nous avons dit est profonde philosophie. Mais personne ne
-comprendrait... même si on le mettait dans un livre.
-
-MRS. G.--Quelle idée! Non... rien que nous autres, ou les gens comme
-nous... s’il y a des gens comme nous.
-
-LE CAP. G. (_d’un ton doctoral_).--Tous les gens, qui ne sont pas comme
-nous, sont d’aveugles idiots.
-
-MRS. G. (_s’essuyant les yeux_).--Croyez-vous, alors, qu’il existe des
-gens aussi heureux que nous?
-
-LE CAP. G.--Il doit en exister--à moins que nous ne nous soyons
-approprié tout le bonheur du monde.
-
-MRS. G. (_regardant vers Simla_).--Les pauvres gens! Si c’était vrai,
-tout de même!
-
-LE CAP. G.--Eh bien, dans ce cas, gardons tout le fourbi pour nous, car
-c’est trop chouette pour le perdre... hein, petite femme à moi?
-
-MRS. G.--Oh! Pip! Pip! Jusqu’à quel point êtes-vous un homme grave et
-marié, et jusqu’à quel point un horrible gavroche?
-
-LE CAP. G.--Quand vous me direz jusqu’à quel point vous aviez dix-huit
-ans à votre dernier anniversaire, et jusqu’à quel point vous êtes aussi
-vieille que le sphinx et deux fois aussi mystérieuse, peut-être vous
-écouterai-je. Prêtez-moi ce banjo. La nature m’incite à hurler au
-coucher du soleil.
-
-MRS. G.--Faites attention! Il n’est pas accordé. Ah! cela fait mal!
-
-LE CAP. G. (_tournant les chevilles_).--C’est étonnamment difficile de
-garder un banjo au diapason convenable.
-
-MRS. G.--C’est la même chose avec tous les instruments de musique.
-Qu’est-ce que cela va être?
-
-LE CAP. G.--«Vanité», et que les montagnes entendent. (_Il chante d’un
-bout à l’autre le premier couplet et la moitié du second. Se tournant
-vers MRS. G._) Maintenant, le chœur! Chantez, chaton!
-
-TOUS DEUX ENSEMBLE. (_Con brio, à l’horreur des singes, lesquels sont en
-train de s’installer pour la nuit._)
-
- «Vanité, tout est vanité,»
- Disait la Sagesse railleuse...
- Sur quoi, pressant de ma Beauté
- La main délicate et moelleuse,
- Répondis: «Si c’est vanité,
- Qui donc s’en irait être sage?
- Qui donc s’en irait être sage?
- Qui donc s’en irait être sa-age?
- (_Crescendo_)
- Non, restons sur la vanité!»
-
-MRS. G. (_d’un air de défi au gris du ciel crépusculaire_).--«Restons
-sur la vanité.»
-
-L’ÉCHO (_du contrefort du Fagoo_).--Vanité!
-
-
-
-
-MADAME BARBE-BLEUE
-
- Ouvrez tout, allez partout; mais pour ce petit cabinet, je vous
- défends d’y entrer.
-
- _La Barbe-Bleue._
-
-
- DÉCOR.--_Le bungalow des GADSBY dans les plaines. Un dimanche matin,
- onze heures. LE CAPITAINE GADSBY, en manches de chemise, est penché
- sur un harnachement complet de hussard, depuis la selle jusqu’à la
- corde de bivouac, lequel est proprement rangé sur le plancher de son
- cabinet. Il fume une vieille bouffarde de bruyère, et la pensée lui
- ride le front._
-
-LE CAP. G. (_à lui-même, en maniant une têtière_).--Jack est un âne. Il
-y a du cuivre là-dessus de quoi charger une mule--et si les Américains
-connaissent rien à rien, on peut faire tout sauter, sauf le mors. Pas
-besoin non plus du licol d’abreuvoir. De la blague!--Une demi-douzaine
-de parures de chaînes et de porte-mousqueton pour un seul cheval!
-Absurde! (_Se grattant la tête._) Voyons, réfléchissons à tout, en
-prenant les choses au commencement. Ma parole, j’ai oublié le barême des
-poids! N’importe. Garderons le mors seulement, et éliminerons tous les
-cuivres, depuis la croupière jusqu’au poitrail. Pas de poitrail du tout.
-Une simple courroie... comme les Russes. Hi! Jack n’aurait jamais pensé
-à cela!
-
-MRS. G. (_entrant précipitamment, la main bandée_).--Oh! Pip, je me suis
-brûlé la main avec ces horribles, horribles confitures de Tiparee!
-
-LE CAP. G. (_d’un air absent_).--Hein! Quo-oi?
-
-MRS. G. (_l’œil tout grand de reproche_).--Je me suis brûlée
-_af_-freusement! Cela ne vous fait rien? Et moi qui tenais tant à ce que
-ces confitures confiturent comme il faut!
-
-LE CAP. G.--Pauvre petite femme! Laissez-moi embrasser la place et qu’il
-n’y paraisse plus. (_Déroulant le bandage._) Petite farceuse! Où
-est-elle, cette brûlure? Je ne la vois pas.
-
-MRS. G.--Au bout du petit doigt. Là!... C’est une grosse, grosse
-brûlure!
-
-LE CAP. G. (_baisant le petit doigt_).--Bébé! Laissez Hyder veiller aux
-confitures. Vous savez que je ne tiens pas aux chatteries.
-
-MRS. G.--Vrai-ment?... Pip!
-
-LE CAP. G.--Pas de ce genre en tout cas. Et maintenant, sauvez-vous,
-Minnie, et laissez-moi à mes bas calculs. Je suis occupé.
-
-MRS. G. (_s’installant avec calme sur une chaise longue_).--Je le vois.
-Quel gâchis vous faites! Pourquoi avez-vous apporté toutes ces machines
-en cuir qui empestent la maison?
-
-LE CAP. G.--Pour faire joujou. Est-ce que cela vous ennuie, ma chère?
-
-MRS. G.--Laissez-_moi_ faire joujou aussi. Cela me ferait plaisir.
-
-LE CAP. G.--Je crains que non, chaton... Ne pensez-vous pas que ces
-confitures vont brûler, ou quoi que ce soit que font les confitures
-lorsqu’une adroite petite femme de ménage ne les surveille pas?
-
-MRS. G.--Je croyais vous avoir entendu dire que Hyder pouvait s’en
-occuper. Je l’ai laissé dans la verandah, en train de les remuer...
-quand je me suis fait tant de mal.
-
-LE CAP. G. (_l’œil revenant au harnachement_).--Po-oovre petite
-femme!... Trois livres quatre onces et sept onces font trois livres onze
-onces, et on peut réduire cela à deux livres huit onces, rien qu’avec un
-peuu-tit peu de soin, sans rien affaiblir. La ferrure, c’est de la
-blague dans des mains incompétentes. Quel besoin d’une poche à fers
-quand un homme s’en va en éclaireur? Il ne peut pas le coller d’un coup
-de langue... comme un timbre-poste... ce fer! Balivernes!
-
-MRS. G.--Qu’est-ce qui est des balivernes? Puhh! Avec quoi nettoie-t-on
-ce cuir?
-
-LE CAP. G.--Avec de la crème, du champagne et... Écoutez, chère amie,
-avez-vous vraiment besoin de me parler à propos de quelque chose
-d’important?
-
-MRS. G.--Non. J’ai fini mes comptes, et je pensais que cela m’amuserait
-de voir ce que vous faisiez.
-
-LE CAP. G.--Eh bien, amour, maintenant vous avez vu et... cela ne vous
-ferait-il rien?... c’est-à-dire... Minnie, je suis _vraiment_ occupé.
-
-MRS. G.--Vous voulez que je m’en aille?
-
-LE CAP. G.--Oui, chère amie, pour un petit moment. Ce tabac va coller à
-votre robe, et des affaires de sellerie ne vous intéressent pas.
-
-MRS. G.--Tout ce que vous faites m’intéresse, Pip.
-
-LE CAP. G.--Oui, je le sais, je le sais, chère amie. Je vous dirai tout
-ce qui concerne cela à quelque jour, lorsque j’aurai tiré la chose au
-clair. En attendant...
-
-MRS. G.--On va me renvoyer de la pièce comme un enfant ennuyeux?
-
-LE CAP. G.--No-on. Ce n’est pas exactement cela que je veux dire. Mais,
-vous comprenez, je vais être là à piétiner de côté et d’autre, à changer
-ces choses de place en place, et je serai toujours à vous gêner. Ne
-croyez-vous pas?
-
-MRS. G.--Est-ce que je ne peux pas le faire? Laissez-moi essayer.
-
- _Elle étend la main vers la selle de cavalier._
-
-LE CAP. G.--Bonté divine, enfant, pas touche! Vous allez vous faire du
-mal. (_Ramassant la selle._) Les _numdahs_ ne sont pas faits pour se
-voir maniés par des petites filles. Voyons, où voulez-vous que je le
-mette?
-
- _Il tient la selle levée au-dessus de sa tête._
-
-MRS. G. (_la voix altérée_).--Nulle part. Pip, comme vous êtes bon... et
-fort! Oh! qu’est-ce que c’est que cette vilaine barre rouge à
-l’intérieur de votre bras?
-
-LE CAP. G. (_baissant vivement la selle_).--Rien. C’est une marque
-quelconque. (_A part._) Et Jack qui vient à l’heure du tiffin[23] avec
-_ses_ idées toutes faites!
-
- [23] Second déjeuner, dans l’Inde.
-
-MRS. G.--Je sais bien que c’est une marque, mais je ne l’avais pas vue
-encore. Elle court tout du long du bras. Qu’est-ce que c’est?
-
-LE CAP. G.--Une coupure... si vous voulez savoir.
-
-MRS. G.--Si je veux savoir! Naturellement que je le veux! Je ne tiens
-pas à voir mon mari taillé en morceaux de cette façon-là. Comment est-ce
-arrivé? Est-ce un accident? Racontez-moi, Pip.
-
-LE CAP. G. (_d’un air renfrogné_).--Non, ce n’est pas un accident. J’ai
-reçu cela... d’un homme... en Afghanistan.
-
-MRS. G.--A la guerre? Oh! Pip, et vous ne me l’avez _jamais_ dit!
-
-LE CAP. G.--Je l’avais complètement oublié.
-
-MRS. G.--Tenez votre bras en l’air! Quelle horrible, vilaine cicatrice?
-Êtes-vous sûr que cela ne fait plus de mal maintenant? Comment cet homme
-vous a-t-il fait cela?
-
-LE CAP. G. (_regardant d’un air désespéré à sa montre_).--Avec un
-coutelas. Je suis tombé... le vieux Van Loo plutôt... qui me tomba sur
-la jambe, de sorte que je ne pouvais pas me sauver. Et alors cet homme
-s’en vint et se mit en devoir de me tailler en tranches pendant que
-j’étais les quatre fers en l’air.
-
-MRS. G.--Oh! taisez-vous! C’est assez!... Eh bien, qu’arriva-t-il?
-
-LE CAP. G.--Je ne pouvais atteindre à ma fonte, et c’est alors que
-Mafflin arriva fort à propos pour mettre fin à la petite fête.
-
-MRS. G.--Comment? Un paresseux comme lui; je ne crois pas cela.
-
-LE CAP. G.--Non? Je ne pense pas que l’homme eut beaucoup de doute à cet
-égard. Jack lui trancha la tête.
-
-MRS. G.--Tran-cha-la-tête! «D’un seul coup», comme on dit dans les
-livres?
-
-LE CAP. G.--Je ne suis pas sûr. J’étais trop intéressé à moi-même pour
-en savoir long à ce propos. N’importe comment, la tête était tranchée,
-et Jack donnait au vieux Van Loo des coups de poing dans les côtes pour
-le faire se lever. Maintenant vous savez tout, chère amie, et
-maintenant...
-
-MRS. G.--Vous voulez que je m’en aille, naturellement. Vous ne m’aviez
-jamais parlé de cela, quoique nous soyons déjà depuis _si longtemps_
-mariés; vous ne me _l’eussiez_ jamais dit si je n’avais pas découvert la
-chose; vous _ne me dites_ jamais quoi que ce soit sur vous, ou ce que
-vous faites, et ce qui vous intéresse.
-
-LE CAP. G.--Chérie, je suis toujours avec vous, dites-moi?
-
-MRS. G.--Toujours dans mes jupes, alliez-vous dire. Je sais que vous y
-êtes; mais votre _pensée_ est toujours ailleurs.
-
-LE CAP. G. (_essayant de dissimuler un sourire_).--Vraiment? Je ne m’en
-doutais pas. Je suis horriblement fâché.
-
-MRS. G. (_piteusement_).--Oh! ne vous moquez pas de moi! Pip, vous savez
-ce que je veux dire. Quand vous lisez une de ces choses sur la
-cavalerie, par cet idiot de prince... Pourquoi ne reste-t-il pas prince,
-celui-là, au lieu de faire le garçon d’écurie?
-
-LE CAP. G.--Le prince Kraft, un garçon d’écurie!... Oh! ma mère! Ne
-faites pas attention, chère amie. Vous alliez dire?
-
-MRS. G.--Peu importe; vous ne vous inquiétez pas de ce que je dis.
-Seulement... seulement vous vous levez pour arpenter la pièce, en
-regardant devant vous, et alors Mafflin arrive pour dîner, et une fois
-que je suis dans le salon, je vous entends, vous et lui, causer, causer,
-causer, de choses que je ne peux pas comprendre, et... oh! je deviens
-_si_ lasse et me sens _si_ seule!... Je ne cherche pas à me plaindre ni
-à être un sujet d’ennui, Pip; mais c’est comme cela... oui, c’est comme
-cela!
-
-LE CAP. G.--Ma pauvre chérie! Je n’y ai jamais pensé. Pourquoi
-n’invitez-vous pas à dîner quelques gens agréables?
-
-MRS. G.--Des gens agréables! Où donc les trouver? D’horribles toupies!
-Et si je le _faisais_, cela ne m’amuserait pas. Vous savez que je ne
-veux que _vous_.
-
-LE CAP. G.--Et vous m’avez à coup sûr, amour?
-
-MRS. G.--Je ne vous ai pas! Pip, pourquoi ne me faites-vous pas entrer
-dans votre existence?
-
-LE CAP. G.--Plus que je ne fais? Ce serait difficile, chère amie.
-
-MRS. G.--Oui, je le suppose... à vos yeux. Je ne vous suis d’aucune
-aide... nullement un compagnon; et vous aimez mieux qu’il en soit ainsi.
-
-LE CAP. G.--N’êtes-vous pas quelque peu déraisonnable, chaton?
-
-MRS. G. (_frappant du pied_).--Je suis la femme la plus raisonnable du
-monde... lorsqu’on me traite d’une façon convenable.
-
-LE CAP. G.--Et depuis quand vous ai-je traitée d’une façon qui ne fût
-pas convenable?
-
-MRS. G.--Toujours... et depuis le commencement. Vous le _savez_ bien.
-
-LE CAP. G.--Non, je ne le sais pas; mais je ne demande qu’à être
-convaincu.
-
-MRS. G. (_désignant le harnachement_).--Là!
-
-LE CAP. G.--Que voulez-vous dire?
-
-MRS. G.--Qu’est-ce que tout _cela_ veut dire? Pourquoi ne m’en
-parle-t-on pas? Est-ce si précieux?
-
-LE CAP. G.--J’oublie sa valeur exacte pour le gouvernement quant à
-présent. Ce que cela veut dire, c’est ce que c’est beaucoup trop lourd.
-
-MRS. G.--Alors pourquoi y toucher?
-
-LE CAP. G.--Pour le rendre plus léger. Écoutez-moi, petit amour, j’ai
-une idée et Jack en a une autre, mais nous sommes tous deux d’accord que
-tout ce harnachement est d’environ trente livres trop lourd. La question
-est de savoir comment le réduire sans en affaiblir aucune partie, et en
-même temps comment permettre au cavalier de porter tout ce dont il a
-besoin pour son propre confort--chaussettes, chemises et choses de ce
-genre.
-
-MRS. G.--Pourquoi ne les emballe-t-il pas dans une petite malle?
-
-LE CAP. G. (_l’embrassant_).--Oh! petit ange! Les emballer dans une
-petite malle, vraiment! Les housards ne trimbalent pas de malles, et
-c’est une chose on ne peut plus importante que de faire opérer au cheval
-tout le transport.
-
-MRS. G.--Mais pourquoi avez-vous besoin, vous, de vous tracasser à ce
-sujet? Vous n’êtes pas un simple cavalier.
-
-LE CAP. G.--Non; mais je commande à quelques douzaines d’entre eux; et
-le harnachement est presque tout, à l’heure qu’il est.
-
-MRS. G.--Plus que _moi_?
-
-LE CAP. G.--Petite sotte! Naturellement non; mais c’est une affaire dans
-laquelle je suis terriblement intéressé, attendu que si moi ou Jack, ou
-moi et Jack, venons à bout de quelque espèce de selle plus légère et
-tout cela, il est possible que nous arrivions à la faire adopter.
-
-MRS. G.--Comment?
-
-LE CAP. G.--Sanctionner en Angleterre, où l’on fera un modèle poinçonné,
-un modèle que tous les selliers doivent copier; et de la sorte, elle
-sera employée par tous les régiments.
-
-MRS. G.--Et cela vous intéresse?
-
-LE CAP. G.--Cela fait partie de ma profession, vous savez, et ma
-profession est beaucoup pour moi. Tout, dans l’équipement d’un soldat,
-est important, et si nous pouvons l’améliorer, cet équipement, tant
-mieux pour le soldat et pour nous.
-
-MRS. G.--Qui «nous»?
-
-LE CAP. G.--Jack et moi; seulement les idées de Jack sont trop
-radicales. Pour quel motif ce gros soupir, Minnie?
-
-MRS. G.--Oh! rien... Et vous avez fait de tout cela un secret pour moi?
-
-LE CAP. G.--Pas un secret, exactement, ma chère amie. Je ne vous en ai
-rien dit parce que je ne pensais pas que cela vous amuserait.
-
-MRS. G.--Et suis-je faite seulement pour qu’on m’amuse?
-
-LE CAP. G.--Non, naturellement. Je veux dire simplement que cela ne
-pouvait pas vous intéresser.
-
-MRS. G.--C’est _votre_ travail et... et si vous vouliez me le permettre,
-je ferais tous les calculs. Si ces choses sont trop lourdes, vous savez
-de combien, et il vous faut avoir une liste de choses dressée d’avance
-pour arriver à l’allègement souhaité, et...
-
-LE CAP. G.--J’ai bien mes deux listes de comparaison quelque part dans
-la tête; mais il est difficile de dire la légèreté que l’on peut donner
-à une têtière, par exemple, avant d’en avoir fait faire vraiment un
-modèle.
-
-MRS. G.--Mais si vous lisiez tout haut la liste, je pourrais l’écrire
-sous votre dictée, et l’épingler là en face, juste au-dessus de votre
-table. Cela ne ferait-il pas l’affaire?
-
-LE CAP. G.--Ce serait tout ce qu’il y a de plus charmant, chère amie,
-mais ce serait aussi vous donner de l’ennui pour rien. Je ne peux pas
-travailler de cette manière-là. Je fais cela à vue de nez. Je connais
-l’échelle de poids actuelle, et l’autre--celle à laquelle je tâche de
-travailler--montera et descendra au point que je ne pourrais être
-certain, même si je la couchais par écrit.
-
-MRS. G.--Je suis _si_ désolée. Je pensais que je pourrais vous aider.
-N’y a-t-il rien autre en quoi je pourrais être utile?
-
-LE CAP. G. (_faisant du regard le tour de la pièce_).--Je ne vois rien.
-Vous êtes pour moi d’une aide constante, vous savez.
-
-MRS. G.--Oui? Comment?
-
-LE CAP. G.--Vous êtes vous, naturellement, et tant que vous êtes près de
-moi... je ne saurais expliquer exactement... mais c’est dans l’air.
-
-MRS. G.--Et c’est pourquoi vous vouliez me renvoyer?
-
-LE CAP. G.--C’est seulement quand j’essaie de faire du travail... du
-travail de manœuvre comme ceci.
-
-MRS. G.--Mafflin est préférable, alors, n’est-ce pas?
-
-LE CAP. G. (_sans réfléchir_).--Naturellement oui. Jack et moi avons
-passé deux ou trois années penchés sur le même sillon à propos de ce
-harnachement. C’est notre dada, et cela peut, à quelque jour, rendre de
-réels services.
-
-MRS. G. (_après une pause_).--Et c’est tout ce dont vous me tenez
-écartée?
-
-LE CAP. G.--Vous n’en êtes pas très écartée maintenant. Prenez garde que
-l’huile de ce mors ne passe sur votre robe.
-
-MRS. G.--Je voudrais... je voudrais tant pouvoir effectivement vous
-aider. Je crois que je le pourrais... en quittant cette pièce. Mais ce
-n’est pas cela que je veux dire.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Que Dieu m’accorde patience! Je voudrais qu’elle
-s’en aille. (_Haut._) Je vous assure que vous ne pouvez rien pour moi,
-Minnie, et il faut absolument que je m’y mette. Où est ma blague?
-
-MRS. G. (_se dirigeant vers la table à écrire_).--La voilà, ours. Dans
-quel gâchis vous tenez votre table!
-
-LE CAP. G.--N’y touchez pas. Il y a de l’ordre dans mon désordre, aussi
-étrange que cela puisse vous paraître.
-
-MRS. G. (_à la table_).--Je veux voir... Est-ce que vous tenez des
-comptes, Pip?
-
-LE CAP. G. (_se penchant sur le harnachement_).--Si vous voulez.
-Êtes-vous en train de ravager dans les papiers de service? Faites
-attention.
-
-MRS. G.--Pourquoi? Je ne vais rien déranger. Bonté divine! Je n’avais
-pas idée que vous eussiez quoi que ce soit à faire avec tant de chevaux
-malades.
-
-LE CAP. G.--Je voudrais bien qu’il en soit autrement, mais ils insistent
-pour tomber malades. Minnie, à votre place, je ne mettrais vraiment pas
-le nez dans ces papiers-là. Il se peut que vous tombiez sur quelque
-chose qui ne vous plaise pas.
-
-MRS. G.--Pourquoi voulez-vous toujours me traiter en enfant? Je sais que
-je ne dérange rien de toutes ces sales choses-là.
-
-LE CAP. G. (_avec résignation_).--Très bien; alors, ne m’accusez pas
-s’il vous arrive quoi que ce soit. Amusez-vous avec la table et
-laissez-moi continuer avec le harnachement. (_Glissant la main dans la
-poche de son pantalon._) Oh! diable!
-
-MRS. G. (_le dos tourné_).--Pourquoi cela?
-
-LE CAP. G.--Rien. (_A part._) Cela ne dit pas grand’chose, mais je
-voudrais bien l’avoir déchiré.
-
-MRS. G. (_examinant tout ce qu’il y a sur la table_).--Je sais que je
-vais me faire détester par vous, mais je veux voir à quoi cela
-ressemble, votre travail. (_Une pause._) Pip, qu’est-ce que c’est que
-des «boutons de farcin»?
-
-LE CAP. G.--Ha! Vous voulez vraiment savoir? Ce n’est rien de joli.
-
-MRS. G.--Ce _Journal de Science Vétérinaire_ déclare que c’est d’un
-«intérêt palpitant». Expliquez-moi.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Il se peut que cela détourne son attention.
-
- _Il donne une description longue, et dégoûtante à dessein, de la morve
- et du farcin._
-
-MRS. G.--Oh! cela suffit. Ne poursuivez pas!
-
-LE CAP. G.--Mais vous vouliez savoir... Alors ces machines-là suppurent,
-coulent et se propagent...
-
-MRS. G.--Pip, vous me faites mal au cœur! Vous n’êtes qu’un horrible et
-dégoûtant écolier.
-
-LE CAP. G. (_à genoux parmi les brides_).--C’est vous qui me l’avez
-demandé. Ce n’est pas ma faute si vous êtes là à me tracasser pour vous
-raconter des horreurs.
-
-MRS. G.--Pourquoi n’avez-vous pas dit non?
-
-LE CAP. G.--Juste Ciel, enfant! Êtes-vous venue ici simplement pour me
-tyranniser?
-
-MRS. G.--Moi, vous tyranniser? Comment le pourrais-je. Vous êtes si
-fort. (_A deux doigts d’une crise._) Assez fort pour me prendre dans vos
-bras et me mettre à la porte pour m’y laisser pleurer, n’est-ce pas?
-
-LE CAP. G.--Il me semble que vous êtes un petit bébé déraisonnable.
-Allez-vous tout à fait bien?
-
-MRS. G.--Est-ce que j’ai l’air malade? (_Retournant à la table._) Qui
-est cette amie à la grande enveloppe grise avec le gros monogramme
-dessus?
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Ce n’était donc pas sous clef, saperlipopette!
-(_Haut._) «Dieu l’a faite, qu’elle passe donc pour une femme[24].» Vous
-vous rappelez ce que c’est que les boutons de farcin?
-
- [24] Shakespeare. _Le Marchand de Venise._
-
-MRS. G. (_montrant l’enveloppe_).--Ceci n’a rien à faire avec _eux_. Je
-vais l’ouvrir. Le puis-je?
-
-LE CAP. G.--Certainement, si vous y tenez. Je préférerais que non,
-cependant. Je ne demande pas à voir vos lettres à la petite Deercourt.
-
-MRS. G.--Vous faites aussi bien, monsieur. (_Elle tire la lettre de
-l’enveloppe._) Maintenant, puis-je regarder? Si vous dites non, je vais
-pleurer.
-
-LE CAP. G.--Vous n’avez jamais pleuré à ma connaissance, et je ne crois
-pas que vous le puissiez.
-
-MRS. G.--Je m’en sens tout près aujourd’hui, Pip. Ne soyez pas dur avec
-moi. (_Elle lit la lettre._) Cela commence au milieu, sans «Cher
-capitaine Gadsby», ou quoi que ce soit. Comme c’est drôle!
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Non, ce n’est pas «Cher capitaine Gadsby», ou
-quoi que ce soit, maintenant. Comme c’est drôle!
-
-MRS. G.--Quelle étrange lettre! (_Elle lit._) «Ainsi, le papillon a fini
-par s’approcher trop près de la chandelle, et s’est vu passer de la
-flamme dans la... dirai-je respectabilité? Je le félicite, et j’espère
-qu’il aura tout le bonheur qu’il mérite.» Qu’est-ce que cela veut dire?
-Vous félicite-t-elle à propos de notre mariage?
-
-LE CAP. G.--Oui, je le suppose.
-
-MRS. G. (_lisant toujours la lettre_).--On dirait que c’est une de vos
-amies particulières.
-
-LE CAP. G.--Oui. C’était une excellente brave dame... une Mrs.
-Herriott... femme d’un certain colonel Herriott. J’ai connu quelques-uns
-de ses parents au pays, il y a de cela longtemps... avant de venir par
-ici.
-
-MRS. G.--Il y a des femmes de colonel qui sont jeunes... aussi jeunes
-que moi. J’en ai connu une qui était plus jeune.
-
-LE CAP. G.--Alors, ce ne pouvait être Mrs. Herriott. Elle était assez
-âgée pour être votre mère, ma chère amie.
-
-MRS. G.--Je me rappelle maintenant. Mrs. Scargill parlait d’elle au
-tennis chez les Duffin, avant que vous ne veniez me chercher, mardi. Le
-capitaine Mafflin disait que c’était une «bonne vieille dame».
-Savez-vous, je crois que Mafflin est très maladroit de ses pieds.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Ce brave Jack! (_Haut._) Pourquoi, chère amie?
-
-MRS. G.--Il avait posé sa tasse à terre, et il a littéralement marché
-dedans. J’ai eu ma robe toute éclaboussée de thé... la grise. Je voulais
-vous le dire déjà auparavant.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Il y a en Jack l’étoffe d’un stratégiste, bien
-qu’il emploie des moyens un peu rudes. (_Haut._) Vous ferez bien de
-faire faire une nouvelle robe, alors. (_A part._) Prions pour que cela
-détourne son attention.
-
-MRS. G.--Oh! elle n’est pas tachée le moins du monde. Je croyais
-seulement devoir vous le dire. (_Revenant à la lettre._) Quelle
-extraordinaire personne! (_Elle lit._) «Mais ai-je besoin de vous
-rappeler que vous avez assumé une charge de tutelle»--qu’est-ce que cela
-peut bien être, qu’une charge de tutelle?--«qui, vous le savez
-vous-même, peut aboutir à des Conséquences...»
-
-LE CAP. G. (_à part_).--C’est le plus sûr de les laisser voir tout au
-fur et à mesure qu’elles mettent le nez dessus; mais il me semble qu’il
-y a des exceptions à la règle. (_Haut._) Je vous ai dit qu’il n’y avait
-rien à tirer de bon du fait de remettre de l’ordre sur ma table.
-
-MRS. G. (_d’un air absent_).--Que _veut_ dire cette femme? Elle continue
-de parler de Conséquences--de «presque inévitables Conséquences» avec un
-grand C--pendant une demi-page. (_Devenant écarlate._) Oh! bonté divine!
-Mais c’est abominable!
-
-LE CAP. G. (_promptement_).--Croyez-vous? Cela ne montre-t-il pas une
-sorte d’intérêt maternel à notre égard? (_A part._) Dieu merci, Harrie
-enveloppait toujours prudemment ce qu’elle voulait dire! (_Haut._)
-Est-il absolument nécessaire de continuer la lettre, ma chérie?
-
-MRS. G.--C’est de l’impertinence--c’est simplement horrible. Quel
-_droit_ avait cette femme de vous écrire de cette façon? Elle n’eût pas
-dû le faire.
-
-LE CAP. G.--Quand vous écrivez à la petite Deercourt, je remarque que
-vous remplissez trois ou quatre feuillets. Ne pouvez-vous pas laisser
-une vieille femme babiller sur du papier une fois par hasard? Elle n’a
-que de bonnes intentions.
-
-MRS. G.--Cela m’est égal. Elle n’eût pas dû écrire, et si elle l’a fait,
-vous eussiez dû me montrer sa lettre.
-
-LE CAP. G.--Ne pouvez-vous pas comprendre pourquoi j’ai gardé la lettre
-pour moi seul, ou faut-il entrer dans de longues explications... comme
-j’ai fait pour les boutons de farcin?
-
-MRS. G. (_d’un ton furieux_).--Pip, je vous _déteste_! C’est aussi mal
-que ces idiotes de sacoches, là, sur le plancher. Peu importe si cela
-m’eût plu ou non, vous eussiez dû me la donner à lire.
-
-LE CAP. G.--C’est tout un. Vous l’avez prise vous-même.
-
-MRS. G.--Oui, mais si je ne l’eusse pas prise, vous n’en eussiez soufflé
-mot. Je crois que cette Harriet Herriott--c’est comme un nom dans un
-livre--est une vieille fouine qui vient s’immiscer dans ce qui ne la
-regarde pas.
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Tant que vous resterez bien persuadée qu’elle
-_est_ vieille, je ne me soucie guère de ce que vous pensez. (_Haut._)
-Fort bien, ma chère amie. Vous plairait-il de lui écrire pour le lui
-dire? Elle est à sept mille milles d’ici.
-
-MRS. G.--Je n’ai pas besoin d’avoir rien à faire avec elle, mais vous
-eussiez dû m’en parler. (_Tournant à la dernière page de la lettre._) Et
-elle prend des airs protecteurs à mon égard aussi. Je ne l’ai jamais
-vue, moi! (_Elle lit._) «Je ne sais pas comment il en retourne avec
-vous; selon toute probabilité humaine jamais je ne le saurai; mais quoi
-que j’aie pu dire jadis, je prie pour _elle_ plus que pour vous, afin
-que tout aille bien. J’ai appris ce que c’est que la souffrance, et je
-n’ose souhaiter que quiconque vous est cher partage ma science.»
-
-LE CAP. G.--Bon Dieu! Ne pouvez-vous laisser cette lettre tranquille,
-ou, tout au moins, ne pouvez-vous vous abstenir de la lire à haute voix?
-Je l’ai déjà parcourue. Remettez-la sur le bureau. M’entendez-vous?
-
-MRS. G. (_d’un air irrésolu_).--Je... je n’en ferai rien! (_Elle regarde
-G. en face._) Oh! Pip, _je vous en prie_! Je ne voulais pas vous
-fâcher... Non, vraiment, je ne voulais pas. Pip, je suis si désolée, je
-sais que je vous ai fait perdre votre temps...
-
-LE CAP. G. (_d’un air renfrogné_).--Oui, vous me l’avez fait perdre.
-Maintenant, voulez-vous être assez bonne pour vous en aller... s’il n’y
-a plus rien dans mon cabinet où vous ne soyez impatiente de fourrer le
-nez?
-
-MRS. G. (_étendant les mains_).--Oh! Pip, ne me regardez pas comme cela!
-Je ne vous ai jamais encore vu regarder comme cela et cela me fai-ait
-mal! Je suis si désolée. Je n’aurais pas dû venir ici du tout, et...
-et... et... (_Sanglotant._) Oh! soyez-moi bon! Soyez-moi bon! Il n’y a
-que vous... au monde!
-
- _Elle s’abandonne sur la chaise longue, en se cachant le visage dans
- les coussins._
-
-LE CAP. G. (_à part_).--Elle ne sait pas comme elle m’a fouetté au sang.
-(_Haut, se penchant sur la chaise._) Je n’ai pas eu l’intention d’être
-dur, ma chère amie... non, vraiment. Vous pouvez rester ici aussi
-longtemps que voulez et faire ce que vous voulez. Ne pleurez pas comme
-cela. Vous allez vous rendre malade. (_A part._) Que diable a-t-il pu
-lui arriver? (_Haut._) Ma chérie, qu’est-ce que vous avez?
-
-MRS. G. (_le visage toujours caché_).--Laissez-moi m’en aller...
-laissez-moi m’en aller dans ma chambre. Seulement... seulement dites-moi
-que vous n’êtes pas fâché contre moi.
-
-LE CAP. G.--Fâché contre _vous_, amour! Cela va sans dire que non.
-C’était contre moi-même que j’étais fâché. C’est le harnachement qui
-m’avait fait sortir de mon caractère... Ne vous cachez pas le visage,
-chaton. Il faut que je l’embrasse.
-
- _Il se penche plus près, MRS. G. lui glisse le bras droit autour du
- cou. Plusieurs intermèdes et beaucoup de sanglots._
-
-MRS. G. (_tout bas_).--Ce n’était pas des confitures que je voulais vous
-parler quand je suis entrée pour vous dire...
-
-LE CAP. G.--Peste soit des confitures et du harnachement! (_Intermède._)
-
-MRS. G. (_encore plus faiblement_).--Mon doigt n’était pas brûlé _du
-tout_. Je... je voulais vous parler de... de... de quelque chose autre,
-et... je ne savais pas comment.
-
-LE CAP. G.--Dites, alors. (_La regardant au fond des yeux._) Hein?
-Quo-oi? Minnie! Voyons, ne vous en allez pas! Vous ne voulez pas dire?
-
-MRS. G. (_hors d’elle, reculant jusqu’à la portière et se cachant le
-visage dans ses plis_).--Les... les Presque Inévitables Conséquences!
-
- _Elle s’enfuit par la portière tandis que G. essaie de l’attraper et
- s’en va se verrouiller dans sa chambre._
-
-LE CAP. G. (_les bras pleins de la portière_).--Oh! (_Tombant lourdement
-sur la chaise longue._) Je ne suis qu’une brute... un cochon... un tyran
-et un galopin. Ma pauvre, pauvre petite chérie! «Faite seulement pour
-qu’on l’amuse...?»
-
-
-
-
-LA VALLÉE DE L’OMBRE
-
- Connaissant le Bien et le Mal.
-
-
- DÉCOR.--_Le bungalow des Gadsby dans les plaines, en juin. Des coolies
- de punkah endormis dans la verandah que LE CAP. GADSBY arpente de haut
- en bas. Charrette du DOCTEUR sous le porche. LE SOUS-AUMÔNIER erre de
- côté et d’autre partout et avec inquiétude dans la maison. Trois
- heures quarante du matin. 34° de chaleur dans la verandah._
-
-LE DOCTEUR (_s’en venant dans la verandah et touchant G. à
-l’épaule_).--Vous feriez bien de rentrer la voir en ce moment.
-
-LE CAP. G. (_la couleur de la cendre d’un bon cigare_).--Hein, quo-oi?
-Oh! oui, sans doute. Qu’est-ce que vous disiez?
-
-LE DOCTEUR (_syllabe par syllabe_).--Al--lez... dans... la... chambre...
-la... voir. Elle veut vous parler. (_A part, d’un air bourru._) Ensuite
-ce sera _lui_ que j’aurai sur les bras.
-
-LE SOUS-AUMÔNIER (_dans la salle à manger à moitié éclairée_).--Est-ce
-qu’il n’y a pas?...
-
-LE DOCTEUR (_d’un air farouche_).--Chut, petit insensé.
-
-LE SOUS-AUMÔNIER.--Laissez-moi faire mon affaire. Gadsby, arrêtez une
-minute!
-
- _Il entreprend de suivre G._
-
-LE DOCTEUR.--Attendez qu’elle vous envoie chercher au moins... _au
-moins_. Malheureux, il va vous tuer si vous entrez là! Pourquoi le
-tracassez-vous comme cela?
-
-LE SOUS-AUMÔNIER (_s’en venant dans la verandah_).--Je lui ai donné un
-grog bien corsé. Il en a besoin. Vous l’avez oublié durant les dix
-heures qui viennent de s’écouler, et... vous vous êtes oublié vous-même
-aussi.
-
- _G. pénètre dans la chambre à coucher, laquelle est éclairée par une
- veilleuse. Sur le plancher une ayah fait semblant de dormir._
-
-UNE VOIX (_du lit_).--Tout le long de la rue... en voilà des feux de
-joie! _Ayah_, allez les éteindre! (_Semblant en appeler à témoin ceux
-qui écoutent._) Comment pouvoir dormir avec une remise de décorations
-dans ma chambre? Non... pas une remise de décorations. Quelque chose
-autre. _Qu’est-ce_ que c’était?
-
-LE CAP. G. (_tâchant de se rendre maître de sa voix_).--Minnie, je suis
-ici. (_Se penchant sur le lit._) Ne me reconnaissez-vous pas, Minnie?
-C’est moi... c’est Phil... c’est votre mari.
-
-LA VOIX (_machinalement_).--C’est moi... c’est Phil... c’est votre mari.
-
-LE CAP. G.--Elle ne me reconnaît pas! C’est votre mari à vous, chérie.
-
-LA VOIX.--Votre mari à vous, chérie.
-
-L’AYAH (_sous le coup d’une inspiration_).--_Memsahib_ comprendre tout
-ce que _moi_ dire.
-
-LE CAP. G.--Fais-moi comprendre d’elle, alors... vite!
-
-L’AYAH (_la main sur le front de Mrs. G._).--_Memsahib!_ Capitaine Sahib
-ici.
-
-LA VOIX.--_Salaam do[25]._ (_Avec humeur._) Je sais que je ne suis pas
-présentable.
-
- [25] Salue-le.
-
-L’AYAH (_à part, à G._).--Dites «bonjour», comme à déjeuner.
-
-LE CAP. G.--Bonjour, petite femme. Comment allons-nous aujourd’hui?
-
-LA VOIX.--C’est Phil. Pauvre vieux Phil! (_D’un ton acerbe._) Phil,
-espèce de bête, je ne peux pas vous voir. Venez plus près.
-
-LE CAP. G.--Minnie, Minnie! C’est moi... Vous me reconnaissez?
-
-LA VOIX (_d’un ton moqueur_).--Sans doute, que je vous reconnais. Qui ne
-reconnaîtrait l’homme qui s’est montré si cruel pour sa femme... presque
-la seule qu’il ait jamais eue?
-
-LE CAP. G.--Oui, chère amie. Oui... sans doute, sans doute. Mais ne
-voulez-vous pas lui parler? Il voudrait tant vous parler!
-
-LA VOIX.--Jamais ils ne le laisseront entrer. Le docteur l’empêcherait,
-même s’il était dans la maison. Il ne viendra jamais. (_D’un ton
-désespéré._) Oh! Judas! Judas! Judas!
-
-LE CAP. G. (_étendant les bras_).--Ils l’ont laissé entrer, et il a
-toujours été dans la maison. Oh! mon amour... est-ce que vous ne me
-reconnaissez pas?
-
-LA VOIX (_chantonnant_).--«Et il arriva à l’onzième heure que cette
-pauvre âme se repentit.» Elle frappa aux portes, mais elles étaient
-fermées... serrées comme un emplâtre... un grand emplâtre tout brûlant.
-Ils ont collé notre certificat de mariage tout en travers de la porte,
-et elle était en fer chauffé à blanc... Vraiment les gens devraient
-faire plus attention, vous savez.
-
-LE CAP. G.--Que faire? (_Il la prend dans ses bras._) Minnie!
-parlez-moi... à Phil.
-
-LA VOIX.--Que vais-je dire? Oh! dites-moi ce qu’il faut dire avant qu’il
-soit trop tard! Ils s’en vont tous et je ne peux rien dire.
-
-LE CAP. G.--Dites que vous me reconnaissez! Dites seulement que vous me
-reconnaissez!
-
-LE DOCTEUR (_qui est entré sans bruit_).--Par pitié, ne prenez pas la
-chose trop à cœur, Gadsby! Cela se produit quelquefois. Ils ne vous
-reconnaissent pas. Ils disent toutes sortes de choses bizarres...
-comprenez-vous?
-
-LE CAP. G.--Oui, oui! Allez-vous-en maintenant, elle va me reconnaître;
-vous l’ennuyez. Il le _faut_... N’est-ce pas qu’il le faut?
-
-LE DOCTEUR.--Elle le fera avant... Me permettez-vous d’essayer...?
-
-LE CAP. G.--Tout ce que vous voulez, pourvu qu’elle me reconnaisse. Ce
-n’est qu’une question d’... heures, n’est-ce pas?
-
-LE DOCTEUR (_sur le ton professionnel_).--Tant qu’il y a de la vie, il y
-a de l’espoir, vous savez. Mais ne comptez pas dessus.
-
-LE CAP. G.--Je ne compte sur rien. Rappelez-la à elle si c’est possible.
-(_A part._) Qu’ai-je fait pour mériter cela?
-
-LE DOCTEUR (_se penchant sur le lit_).--Voyons, Mrs. Gadsby! Nous serons
-guérie demain. Il _faut_ le prendre, sans quoi je ne laisserai pas Phil
-vous voir. Ce n’est pas mauvais, n’est-ce pas?
-
-LA VOIX.--Des médecines! _Toujours_ des médecines! Ne pouvez-vous pas me
-laisser tranquille?
-
-LE CAP. G.--Oh! laissez-la en paix, docteur!
-
-LE DOCTEUR (_se retirant en arrière--à part_).--Dieu me pardonne si j’ai
-mal fait. (_Haut._) Dans quelques instants elle devrait revenir à elle;
-mais je n’ose vous dire de vous attendre à quoi que ce soit. C’est
-seulement...
-
-LE CAP. G.--Quo-oi? Continuez donc.
-
-LE DOCTEUR (_tout bas_).--Une façon de hâter le dernier effort.
-
-LE CAP. G.--Alors, laissez-nous seuls.
-
-LE DOCTEUR.--Ne vous occupez pas de ce qu’elle dira pour commencer, si
-vous pouvez. Ils... ils... ils se retournent quelquefois, en cet
-état-là, contre ceux qu’ils aiment le plus... C’est dur, mais...
-
-LE CAP. G.--Est-ce moi son mari, ou est-ce vous? Laissez-nous seuls pour
-ce que nous avons de temps à rester ensemble.
-
-LA VOIX (_confidentiellement_).--Et nous avons été fiancés de la façon
-_la plus_ soudaine, Emma. Je t’assure que je n’y ai jamais pensé un seul
-moment; mais, pauvre de moi!... je ne sais pas _ce que_ j’aurais fait
-s’il ne _s’était pas_ proposé.
-
-LE CAP. G.--Elle pense à la petite Deercourt avant de penser à moi.
-(_Haut._) Minnie!
-
-LA VOIX.--Pas dans les boutiques, chère maman. Vous pouvez faire venir
-les feuilles naturelles de Kaintu, et (_riant faiblement_) ne vous
-occupez pas des fleurs... La soie blanc mat ne convient qu’aux veuves,
-et je _ne veux pas_ en porter. Cela ressemble à un suaire.
-
- _Une longue pause._
-
-LE CAP. G.--Je n’ai jamais encore demandé de faveur. S’il est quelqu’un
-qui m’écoute, qu’elle me reconnaisse... quand je devrais, moi aussi,
-mourir!
-
-LA VOIX (_très faiblement_).--Pip, mon cher Pip.
-
-LE CAP. G.--Je suis ici, chérie.
-
-LA VOIX.--Qu’est-ce qui est arrivé? Ils m’ont tellement ennuyée avec les
-médecines et un tas de choses, et ils ne voulaient pas vous laisser
-venir me voir. Je n’avais jamais encore été malade. Est-ce que je suis
-malade en ce moment?
-
-LE CAP. G.--Vous... vous n’êtes pas très bien.
-
-LA VOIX.--Comme c’est drôle! Est-ce qu’il y a longtemps que je suis
-malade?
-
-LE CAP. G.--Quelques jours; mais vous n’allez pas tarder à vous
-remettre.
-
-LA VOIX.--Croyez-vous, Pip? Je ne me sens pas bien et... Oh! qu’est-ce
-qu’on a fait à mes cheveux?
-
-LE CAP. G.--Je ne... ne... ne sais pas.
-
-LA VOIX.--On les a coupés. Si c’est possible!
-
-LE CAP. G.--C’était sans doute pour vous tenir la tête plus fraîche.
-
-LA VOIX.--Absolument une perruque de gamin. J’ai l’air affreuse, hein?
-
-LE CAP. G.--Vous n’avez jamais paru plus jolie de votre vie, ma chère
-amie. (_A part._) Comment vais-je lui demander de me dire adieu?
-
-LA VOIX.--Je ne me _sens_ pas jolie. Je me sens très malade. Mon cœur ne
-marche pas. C’est presque mort à l’intérieur de moi, et j’éprouve
-quelque chose de drôle dans les yeux. Tout me semble à la même
-distance... vous, l’armoire, la table... à l’intérieur de mes yeux ou à
-des milles de distance. Qu’est-ce que cela veut dire, Pip?
-
-LE CAP. G.--Vous êtes un peu fiévreuse, chérie... très fiévreuse.
-(_Défaillant._) Mon amour! mon amour! Comment vous laisser aller?
-
-LA VOIX.--C’est ce que je pensais. Pourquoi n’avoir pas commencé par le
-dire?
-
-LE CAP. G.--Quoi?
-
-LA VOIX.--Que je vais... mourir.
-
-LE CAP. G.--Mais, vous n’allez pas mourir! Vous ne mourrez pas!
-
-L’AYAH (_au coolie de punkah, pénétrant dans la verandah après un coup
-d’œil au lit_).--_Punkah chor do![26]_
-
- [26] Cesse de tirer le punkah.
-
-LA VOIX.--C’est dur, Pip. Si, si dur après une année... rien qu’une
-année. (_Gémissant._) Et je n’ai que vingt ans. La plupart des jeunes
-filles ne sont même pas mariées, à vingt ans. Ne peut-on rien faire pour
-me tirer de là? Je ne _veux_ pas mourir.
-
-LE CAP. G.--Chut, ma chère amie. Vous ne mourrez pas.
-
-LA VOIX.--Quel besoin de parler? _Secourez_-moi! Vous ne m’avez jamais
-encore fait défaut. Oh! Phil, aidez-moi à rester en vie.
-(_Fiévreusement._) Je ne crois pas que vous vouliez que je vive. Vous
-n’avez pas été triste le moins du monde quand cette horreur de bébé est
-mort. J’aurais voulu le tuer!
-
-LE CAP. G. (_se passant la main sur le front_).--On n’est pas fait pour
-supporter de pareilles choses... ce n’est pas permis. (_Haut._) Minnie,
-amour, je mourrais pour vous si cela pouvait vous secourir.
-
-LA VOIX.--Ne parlons plus de mort. Il y en a déjà assez comme cela. Pip,
-n’allez pas, vous, mourir aussi.
-
-LE CAP. G.--Si seulement j’osais.
-
-LA VOIX.--Il dit: «Jusqu’à ce que la mort nous sépare.» Rien après... et
-du reste cela ne servirait à rien. Cela s’arrête à la mort. _Pourquoi_
-cela s’arrête-t-il là? Et une vie si courte, encore. Pip, je regrette
-que nous nous soyons mariés.
-
-LE CAP. G.--Non? Tout, mais pas cela, Minnie!
-
-LA VOIX.--Parce que vous oublierez et que j’oublierai. Oh! Pip,
-n’oubliez pas. Je vous ai toujours aimé, quoique parfois je fusse
-contrariante. Si j’ai jamais rien fait qui vous ait déplu, dites que
-vous me pardonnez en ce moment.
-
-LE CAP. G.--Vous n’avez jamais rien fait qui m’ait déplu, chérie, sur
-mon âme et sur mon honneur, jamais. Je n’ai pas la moindre chose à vous
-pardonner.
-
-LA VOIX.--J’ai boudé toute une grande semaine à propos de ces pétunias.
-(_Avec un léger rire._) En ai-je été, une petite misérable, et quelle
-peine cela vous a faite! Pardonnez-le-moi, Pip.
-
-LE CAP. G.--Il n’y a rien à pardonner. Ce fut ma faute. Ils _étaient_
-trop près de l’allée des voitures. Pour l’amour de Dieu, ne parlez pas
-ainsi, Minnie! Il reste tant de choses à dire et si peu de temps pour
-les dire.
-
-LA VOIX.--Dites que vous m’aimerez toujours... jusqu’à la fin.
-
-LE CAP. G.--Jusqu’à la fin. (_Hors de lui._) C’est un mensonge. Cela
-n’en peut être qu’un, attendu que nous nous sommes aimés. Ce n’est pas
-la fin.
-
-LA VOIX (_retombant dans une sorte de délire_).--Mon paroissien, à moi,
-a au dos une croix d’ivoire, et _il_ le dit, donc c’est vrai. «Jusqu’à
-ce que la mort nous sépare.»--Mais c’est un mensonge. (_Parodiant un
-geste de G._) Un sacré mensonge! (_D’un air insouciant._) Oui, je jure
-aussi bien que le cavalier Pip. Je ne peux pas faire penser ma tête,
-pourtant. C’est parce qu’ils m’ont coupé les cheveux. Comment _pouvoir_
-penser avec une tête de hérisson? (_D’un ton implorant._) Tenez-moi
-bien, Pip! Gardez-moi avec vous toujours, toujours. (_Retombant._) Mais
-si vous vous mariez avec la petite Thorniss, quand je serai morte, je
-reviendrai hurler sous la fenêtre de votre chambre toute la nuit. Oh!
-zut! Vous me prendrez pour un chacal. Pip, quelle heure est-il?
-
-LE CAP. G.--Le jour va paraître, ma chère amie.
-
-LA VOIX.--Je demande où je serai demain à cette heure-ci.
-
-LE CAP. G.--Voudriez-vous voir le pasteur?
-
-LA VOIX.--Pourquoi le verrais-je? Il me dirait que je vais au ciel; et
-ce ne serait pas vrai, puisque vous êtes ici. Vous rappelez-vous quand
-il a renversé sa glace sur tout son pantalon au tennis des Gasser?
-
-LE CAP. G.--Oui, chère amie.
-
-LA VOIX.--Je me suis souvent demandé s’il avait acheté un autre
-pantalon; et pourtant le sien était si brillant qu’on ne pouvait
-vraiment pas s’en apercevoir à moins qu’on vous le dise. Faisons-le
-venir pour le lui demander.
-
-LE CAP. G. (_gravement_).--Non. Je crois que cela ne lui ferait pas
-plaisir. Avez-vous la tête à l’aise, chérie?
-
-LA VOIX (_faiblement, avec un soupir de contentement_).--Ou-ué! De
-grâce, Pip, quand vous êtes-vous rasé la dernière fois? Vous avez le
-menton pire que le rouleau d’une boîte à musique... Non, ne le relevez
-pas. Je l’aime comme cela. (_Une pause._) Vous disiez que vous n’aviez
-jamais pleuré. Vous pleurez sur toute ma joue.
-
-LE CAP. G.--Je... je... je ne peux pas m’en empêcher, ma chère amie.
-
-LA VOIX.--Comme c’est drôle! Je ne pourrais pas pleurer en ce moment,
-quand il s’agirait de ma vie. (_G. frissonne._) Ce dont j’ai besoin,
-moi, c’est de chanter.
-
-LE CAP. G.--Cela ne vous fatiguerait-il pas? Il vaut peut-être mieux que
-non.
-
-LA VOIX.--Pourquoi? Je ne veux pas qu’on m’ennuie. (_Elle commence d’une
-voix chevrotante et rauque._)
-
- «Minnie fait un gâteau d’avoine, Minnie brasse de l’ale,
- Tout cela parce que son Yannik va rentrer de la mer,
- (C’est la manœuvre, Pip.)
- Rouge comme rose devient-elle, qui fut si pâle,
- Et dit: (Êtes-vous sûr que marche l’horloge du clocher?)»
-
-(_Avec humeur._) Je savais bien que je ne pourrais pas monter jusqu’à la
-dernière note. Comment est-ce, à la main gauche? (_Elle tire ses mains
-de dedans le lit et se met à jouer du piano sur le drap._)
-
-LE CAP. G. (_s’emparant de ses mains_).--Ahh! Ne faites pas cela,
-chaton, si vous m’aimez.
-
-LA VOIX.--Si je vous aime? Naturellement, que je vous aime, qui
-pourrais-je aimer d’autre?
-
- _Une pause._
-
-LA VOIX (_très clairement_).--Pip, voici que je m’en vais. Il y a
-quelque chose qui m’étouffe affreusement. (_Indistinctement._) Dans les
-ténèbres... sans vous, mon cœur... Mais c’est un mensonge, cher ami...
-il ne faut pas y croire... Pour jamais et jamais, vivants ou morts. Ne
-me laissez pas m’en aller, mon mari... tenez-moi bien... Ils ne peuvent
-pas... quoi qu’il arrive. (_Elle tousse._) Pip... _mon_ Pip! Pas pour
-toujours... et... si... tôt! (_LA VOIX cesse._)
-
- _Suspension de dix minutes. G. s’ensevelit le visage dans les draps,
- tandis que L’AYAH se penche sur le lit, du côté opposé, et tâte le
- sein et le front de MRS. G._
-
-LE CAP. G. (_se levant_).--_Docteur sahib ko salaam do[27]._
-
- [27] Dites au docteur.
-
-L’AYAH (_toujours contre le lit, avec un cri aigu_).--Aï! Aï! ma
-_memsahib_! Pas morte--pas mourir--_Poussîna agya!_[28] (_Farouchement à
-G._) _Tum jao docteur sahib ko jaldi[29]!_ Oh! ma _memsahib_!
-
- [28] La transpiration est venue.
-
- [29] Vous aller au docteur.
-
-LE DOCTEUR (_entrant précipitamment_).--Retirez-vous, Gadsby. ( _Il se
-penche sur le lit._) Hein? Le di... Qu’est-ce qui vous a inspiré
-d’arrêter le punkah? Sortez, mon brave... allez-vous-en... attendez
-dehors. _Allez!_ Ici, ayah! (_Par-dessus son épaule, à G._)
-Remarquez-le, je ne promets rien.
-
- _Le jour paraît au moment où G. pénètre en trébuchant dans le jardin._
-
-LE CAP. M. (_retenant son cheval à la grille au moment où il passe pour
-se rendre à la manœuvre, et très gravement_).--Mon vieux, comment cela
-va-t-il?
-
-LE CAP. G. (_ébloui_).--Je ne sais pas bien. Arrête un instant. Viens
-prendre un verre ou quelque chose. Ne te sauve pas. C’est le moment où
-cela devient drôle. Ha! ha!
-
-LE CAP. M. (_à part_).--Qu’est-ce qui _m_’arrive? Gaddy a vieilli de dix
-ans en une nuit.
-
-LE CAP. G. (_lentement, tout en maniant la têtière du cheval_).--Ta
-gourmette est trop lâche.
-
-LE CAP. M.--En effet. Remets-la comme il faut, veux-tu? (_A part._) Je
-vais être en retard pour la manœuvre. Pauvre Gaddy.
-
- _LE CAP. G. attache et détache la gourmette sans savoir ce qu’il fait,
- et finalement reste là debout à regarder du côté de la verandah. Le
- jour grandit._
-
-LE DOCTEUR (_sorti de la gravité professionnelle, piétinant à travers
-les corbeilles de fleurs pour venir serrer la main à G._)--C’est...
-c’est... c’est!... Gadsby, il y a des chances... de sacrées chances!
-L’étincelle, vous savez! La transpiration, vous savez! Je l’avais bien
-_deviné_. Le punkah, vous savez! Une femme diantrement intelligente,
-votre ayah. Elle a arrêté le punkah juste au bon moment. De sacrées
-chances! Non... vous n’entrerez pas. Nous allons la tirer de là, je vous
-le promets sur ma réputation... si Dieu le permet. Envoyez un homme avec
-ce billet chez Bingle. Deux têtes valent mieux qu’une. Surtout l’ayah!
-Nous allons la tirer de là. (_Il bat précipitamment en retraite dans la
-maison._)
-
-LE CAP. G. (_la tête sur le cou du cheval de M._)--Jack! Je gr... gr...
-grois que j’... j’... je bais me donner salement en spectagle.
-
-LE CAP. M. (_reniflant ouvertement et tâtant dans sa manchette de
-gauche_).--Je b’... b’... je b’y donne déjà. Mon vieux, que te dire? Je
-suis si gontent... Le diable d’emporte, Gaddy! Du es un grand idiot, et
-boi, un autre. (_Se reprenant._) Attention! Voici venir
-Trompe-le-Diable.
-
-LE SOUS-AUMÔNIER (_qui n’est pas dans la confidence du
-docteur_).--Nous... nous ne sommes que des hommes en ces sortes de
-choses, Gadsby. Je sais que mes paroles, en ce moment, ne peuvent être
-d’aucun secours...
-
-LE CAP. M. (_avec jalousie_).--Alors, ne parlez pas. Laissez-le
-tranquille. Ce n’est pas tel qu’il y ait lieu de croasser. Tiens, Gaddy,
-porte le _chit_[30] à Bingle, et... train d’enfer! Cela te fera du bien.
-Je ne peux pas y aller.
-
- [30] Billet.
-
-LE SOUS-AUMÔNIER.--Lui faire du bien! (_Souriant._) Donnez-moi le
-_chit_, et je vais y aller en voiture. Laissez-le se coucher. Votre
-cheval barre le chemin à ma charrette... _si vous permettez!_
-
-LE CAP. M. (_lentement, sans tirer sur la bride_).--Je vous demande
-pardon... je m’excuserai. Par écrit, si vous y tenez.
-
-LE SOUS-AUMÔNIER (_tapant sur le cheval de M._)--Voilà qui suffira,
-merci. Rentrez, Gadsby, et je vais ramener Bingle... hem, hem... «train
-d’enfer».
-
-LE CAP. M. (_seul_).--Je n’aurais eu que ce que je mérite s’il m’avait
-cinglé le visage. Il sait aussi ce que c’est que de mener un cheval. Je
-ne me soucierais guère d’aller à cette allure dans une charrette en
-bambou. Quelle foi il lui faut en son... bourrelier! Allons, hue,
-cocotte!
-
- _Il s’éloigne au galop pour se rendre à la manœuvre, en se mouchant,
- tandis que le soleil se lève._
-
-
-INTERVALLE DE CINQ SEMAINES
-
-
-MRS. G. (_très pâle et le visage tiré, en peignoir du matin au petit
-déjeuner_).--Comme la pièce paraît grande et étrange, et, oh! comme je
-suis contente de la revoir! Quelle poussière, pourtant! Il faut que je
-parle aux domestiques. Du sucre, Pip? J’ai presque oublié.
-(_Sérieusement._) N’ai-je pas été très malade?
-
-LE CAP. G.--Plus malade que je n’eusse voulu. (_Tendrement._) Oh! vilain
-petit chaton, quelle peur vous m’avez faite!
-
-MRS. G.--Je ne recommencerai plus.
-
-LE CAP. G.--Vous ferez bien. Et maintenant tâchez de reprendre vos
-couleurs, sans quoi je me fâcherai. N’essayez pas de soulever le
-samovar. Vous allez le renverser. Attendez.
-
- _Il s’en vient en faisant le tour jusqu’au haut bout de la table, et
- soulève le samovar._
-
-MRS. G. (_vivement._)--_Khitmatgar, bowarchikhana sî kettlé lao[31]._
-(_Attirant la tête de G. tout contre la sienne._) Mon Pip aimé, _je_ me
-rappelle.
-
- [31] Majordome, allez chercher une bouilloire à la cuisine.
-
-LE CAP. G.--Quoi?
-
-MRS. G.--Cette dernière et terrible nuit.
-
-LE CAP. G.--Alors, tâchez maintenant d’oublier tout cela.
-
-MRS. G. (_doucement, les yeux se remplissant de larmes_).--Jamais. Cela
-nous a rapprochés _bien_ près l’un de l’autre, mon mari. Là!
-(_Intermède._) Je vais donner une _sarie_[32] à Junda.
-
- [32] Robe.
-
-LE CAP. G.--Je lui ai donné cinquante _dibs_[33].
-
- [33] Roupies.
-
-MRS. G.--C’est ce qu’elle m’a dit. C’était une récompense énorme. Est-ce
-que j’en valais la peine? (_Plusieurs intermèdes._) Finissez! Voici le
-_khitmatgar_... Deux morceaux ou un seul, Monsieur?
-
-
-
-
-LE DÉBORDEMENT DU JOURDAIN
-
- Si les gens de pied vous ont fatigué quand vous avez couru avec
- eux, comment pourriez-vous courir contre ceux qui sont à cheval?
- Si vous espériez d’être en assurance dans une terre de paix, que
- ferez-vous parmi des gens aussi fiers que le Jourdain lorsqu’il
- se déborde?
-
-
- DÉCOR.--_Le bungalow des GADSBY dans les plaines, un matin de janvier.
- MRS. G. discute avec le portefaix dans la verandah de derrière. LE
- CAP. M. arrive à cheval._
-
-LE CAP. M.--Bonjour, Mrs. Gadsby. Comment se portent le Petit Prodige et
-l’Orgueilleux Propriétaire?
-
-MRS. G.--Vous les trouverez dans la verandah de devant; traversez la
-maison. Pour le moment je remplis le rôle de Marthe.
-
-LE CAP. M.--Accablée par les soucis des khitmatgars? Je me sauve.
-
- _Il passe dans la verandah de devant, où GADSBY surveille GADSBY
- JUNIOR, âgé de dix mois, en train de ramper sur la natte._
-
-LE CAP. M.--Qu’est-ce qu’il te prend, Gaddy, de gâter ainsi la matinée
-d’un honnête homme? (_Apercevant GADSBY JUNIOR._) Ma parole, ce
-poulain-là se devient à merveille? Un bon appoint d’os, là, sous le
-genou.
-
-LE CAP. G.--Oui, c’est un petit gredin plein de santé. Ne crois-tu pas
-que les cheveux lui poussent?
-
-M.--Jetons un coup d’œil. Hi! Hst! Ici, général Luck, que nous fassions
-notre rapport sur vous.
-
-MRS. G. (_dans l’intérieur_).--De quel nom absurde le baptiserez-vous
-encore la prochaine fois? Pourquoi l’appelez-vous comme cela?
-
-M.--N’est-ce pas notre inspecteur général de cavalerie? Ne s’en vient-il
-pas dans sa voiture, haute comme cela, tous les matins où les Hussards
-Roses font la manœuvre? Ne gigotez pas, brigadier. Donnez-nous votre
-opinion personnelle sur la façon dont le troisième escadron a défilé. Un
-brin décousus, n’est-ce pas?
-
-G.--Tout ce que je désire, c’est de ne jamais revoir un tas de bouifs
-pareils aux derniers bleus. Ils m’ont fourni plus que ma belle part...
-en mettant la pagaille dans mon escadron. C’est à faire vomir!
-
-M.--Quand vous aurez un commandement, vous tâcherez de faire mieux,
-jeune homme. Commence-t-on à marcher? Tenez-vous à mon doigt pour
-essayer. (_A G._) Cela ne peut lui faire mal aux boulets, n’est-ce pas?
-
-G.--Oh! que non. Ne le laisse pas retomber, cependant, sans quoi il va
-t’enlever tout le cirage de tes bottes avec sa langue.
-
-MRS. G. (_dans l’intérieur_).--Qui est-ce qui déblatère contre mon fils?
-
-M.--Et mon filleul. J’ai honte de toi, Gaddy. Jack, donnez-lui un coup
-de poing dans l’œil, à votre père. N’allez pas accepter cela! Frappez-le
-encore!
-
-G. (_sotto voce_).--Pose à terre le _butcha_ et viens au bout de la
-verandah. Je préférerais que ma femme n’entende pas... pour le moment.
-
-M.--Tu as l’air terriblement sérieux. Rien de grave?
-
-G.--Cela dépend entièrement de ton point de vue. Écoute, Jack, tu ne
-seras pas plus dur qu’il ne faut vis-à-vis de moi, n’est-ce pas? Viens
-par ici plus loin... En deux mots voici l’affaire: je suis décidé... ou
-tout au moins je pense sérieusement... à lâcher le service.
-
-M.--Hhhein?
-
-G.--Ne pousse pas de cris. Je vais envoyer ma démission.
-
-M.--Toi! Es-tu fou?
-
-G.--Non... seulement marié.
-
-M.--Voyons! Qu’est-ce tout cela veut dire? Tu ne peux avoir dans l’idée
-de _nous_ quitter. C’est _impossible_. Le plus bel escadron du plus beau
-régiment de la plus belle cavalerie du monde entier n’est-il pas assez
-bon pour toi?
-
-G. (_secouant la tête par-dessus son épaule_).--Elle n’a pas l’air de
-prospérer dans ce pays abandonné du ciel et de la terre, et il y a aussi
-le _butcha_ à considérer, et tout cela, tu sais.
-
-M.--Dit-elle qu’elle n’aime pas l’Inde?
-
-G.--C’est là le pire. Elle n’en soufflerait mot de peur d’avoir à me
-quitter.
-
-M.--Pour quoi les montagnes sont-elles faites?
-
-G.--Pas pour ma femme à moi, en tout cas.
-
-M.--Tu en sais trop, Gaddy, et... je ne t’en aime pas mieux pour cela!
-
-G.--Que m’importe? Il lui faut l’Angleterre, et le _butcha_ n’en irait
-que mieux. Je vais tout lâcher. Tu ne comprends pas?
-
-M. (_chaudement_).--Je comprends _ceci_: cent trente-sept jeunes chevaux
-à peaufiner de façon quelconque avant que Luck revienne par ici; des
-recrues qui ont un poil dans la main et qui nous causeront plus de
-turbin que les chevaux; le camp comme certitude dès la première saison
-froide; nous-mêmes les premiers à mobiliser; le pétard russe prêt à
-éclater en cinq minutes, et toi, le meilleur de nous tous, te retirant
-de tout! Réfléchis un peu, Gaddy. Tu _ne vas pas_ faire cela.
-
-G.--Mais, sacrebleu, un homme a des devoirs vis-à-vis de sa famille, je
-suppose.
-
-M.--Je me rappelle un homme, cependant qui m’a dit, la nuit après
-Amdhéran, alors que nous étions à la corde sous le Jagai, et qu’il avait
-laissé son sabre--en passant, l’as-tu jamais payé à Ranken[34], ce
-sabre?--dans la tête d’un Utmanzai... qui m’a dit qu’il ne me lâcherait
-jamais, ni moi ni les Roses, tant qu’il vivrait. Je ne le blâme pas de
-me lâcher, moi--je ne vaux pas les quatre fers d’un chien--mais je le
-blâme de lâcher les Hussards Roses.
-
- [34] Ranken, le grand fabricant de sabres, à Londres.
-
-G. (_d’un air gêné_).--Nous n’étions guère plus que des gosses, alors.
-Te rends-tu compte, Jack, de la tournure que les choses ont prise? Ce
-n’est pas comme si nous étions au service pour gagner notre pain. Nous
-avons plus ou moins, nous tous, la sale galette. Je suis peut-être, sous
-ce rapport, plus veinard que d’autres. Il n’y a pas pour moi
-d’obligation de rester au service.
-
-M.--Aucune pour toi comme pour nous, sauf l’obligation vis-à-vis du
-régiment. S’il ne te plaît pas d’obéir à cette obligation-là,
-naturellement...
-
-G.--Ne te montre pas par trop dur vis-à-vis d’un semblable. Tu sais bien
-que quantité d’entre nous n’acceptent la chose que pour quelques années,
-et puis s’en reviennent à Londres reprendre la vie avec les autres.
-
-M.--Pas des quantités, et ces gens-là ne sont pas _nous_.
-
-G.--Et puis il faut aussi considérer les affaires qu’on a au pays... mon
-coin de terre et les revenus, et tout cela. Je ne pense pas que mon père
-aille bien loin maintenant, et cela, c’est le titre et tout ce qui
-s’ensuit.
-
-M.--Tu as peur de ne pas figurer correctement dans le Stud Book à moins
-de retourner au pays. Prends six mois, alors, et reviens en octobre. Si
-je pouvais estourbir un frère ou deux, je crois que je serais quelque
-chose comme marquis. Le premier imbécile venu peut l’être; mais il faut
-des _hommes_, Gaddy..., des hommes comme toi... pour mener proprement
-des escadrons flanc-garde. Ne va pas te mettre dans la tête que tu
-retournes au pays pour prendre ta place et faire la roue au milieu de
-douairières kabouli au nez rouge. Tu n’es pas bâti pour cela. C’est moi
-qui te le dis.
-
-G.--Tout homme a le droit de vivre sa vie aussi heureusement qu’il peut.
-Tu n’es pas marié, toi.
-
-M.--Non... grâce à la Providence et à la femme ou deux qui ont eu le bon
-sens de me refuser.
-
-G.--Alors tu ne sais pas ce que c’est que d’entrer dans sa chambre et de
-voir la tête de sa femme sur l’oreiller, pour se demander, alors que
-tout le reste est sauf et la maison sous les verrous pour la nuit, si
-les poutres du toit ne vont pas céder et la tuer.
-
-M. (_à part_).--Révélations première et seconde! (_Haut._) Ssss! J’ai
-connu un homme qui se grisait jadis à notre mess et m’a confié qu’il
-n’aidait jamais sa femme à monter à cheval sans prier pour qu’elle se
-rompe le cou avant de rentrer. Tous les maris ne se ressemblent pas, tu
-vois.
-
-G.--Que diable cela peut-il avoir à faire avec mon cas? Il fallait que
-cet homme-là fût fou, ou sa femme pas grand’chose de rare.
-
-M. (_à part_).--Pas ta faute si les deux n’étaient pas tout ce que tu
-dis. Tu as oublié le temps où la Herriott t’avait fait perdre la raison.
-Tu as toujours eu le don d’oublier. (_Haut._) Pas plus fou que les gens
-qui vont à l’autre extrême. Sois raisonnable, Gaddy. Les poutres de ton
-toit sont assez solides.
-
-G.--Ce n’était qu’une façon de parler. Je me suis toujours senti inquiet
-et tracassé au sujet de ma femme depuis cette affreuse affaire d’il y a
-trois ans... quand... j’ai failli la perdre. Peux-tu t’en étonner?
-
-M.--Oh! un obus ne tombe jamais deux fois à la même place. Tu as payé ta
-part de malheur... Pourquoi serait-ce ta femme qui se trouverait choisie
-plutôt que celle d’un autre?
-
-G.--S’il ne s’agissait que de parler, je peux le faire tout aussi
-raisonnablement que toi, mais tu ne comprends pas... tu ne comprends
-pas. Et puis il y a le _butcha_. Dieu seul sait où son ayah le mène
-s’asseoir quand arrive le frais! Il a un petit commencement de rhume.
-N’as-tu pas remarqué?
-
-M.--La bonne blague! Le _brigadier_ crève de santé. Il a le museau comme
-une feuille de rose et le coffre d’un poulain de deux ans. Qu’est-ce qui
-a bien pu te démoraliser?
-
-G.--La frousse. En un mot comme en cent: la frousse!
-
-M.--Mais qu’est-ce qu’il y _a_ pour y donner lieu?
-
-G.--Tout. C’est effarant.
-
-M.--Ah! je devine.
-
- «You don’t want to fight,
- And by Jingo when we do,
- You’ve got the kid, you’ve got the wife,
- You’ve got the money, too[35].»
-
- [35]
-
- «Vous ne voulez pas vous battre,
- Et par Jingo quand nous nous battons,
- Vous avez le petit, vous avez la femme,
- Vous avez l’argent aussi.»
-
- Chanson qui fut composée lors d’un projet de guerre entre
- l’Angleterre et la Russie, en 1878, et qui a donné naissance au mot
- «jingoïsme». Ici, Mafflin modifie le texte du troisième vers qui,
- dans la chanson originale, est: «_We’ve got the men, we’ve got the
- ships._»
-
-Hein, c’est à peu près le cas?
-
-G.--Je suppose que oui. Mais ce n’est pas pour moi. C’est à cause
-d’_eux_. Du moins, je le crois.
-
-M.--Es-tu sûr? En envisageant les choses de sang-froid, ta femme est
-pourvue même au cas où tu serais nettoyé dès ce soir. Elle a une demeure
-seigneuriale où se retirer, de l’argent, et le _brigadier_ pour
-continuer à porter le nom illustre.
-
-G.--Alors c’est pour moi-même ou parce qu’ils sont une partie de moi. Tu
-ne le vois pas. Ma vie est si bonne, si agréable, telle qu’elle est, que
-j’ai besoin de la rendre tout à fait stable. Est-ce que tu ne comprends
-pas?
-
-M.--Parfaitement. «Tranchée-abri pour cheval d’officier», comme on dit
-dans la ligne.
-
-G.--Et j’ai tout ce qu’il faut en main pour la rendre telle. J’en ai
-soupé, de la tension morale et de la bile à leur sujet ici, et je ne
-vois pas qu’il y ait pour moi la moindre difficulté à envoyer tout
-promener. Cela me coûtera seulement... Jack, j’espère que tu ne
-connaîtras jamais la honte par laquelle j’ai passé durant ces derniers
-six mois.
-
-M.--Tiens bon là! Je n’ai pas besoin qu’on me dise. Tout homme a ses
-hauts et ses bas.
-
-G. (_riant amèrement_).--Tu crois? Qu’est-ce que tu dis du monsieur qui
-tend le cou pour voir où son cheval met le pied?
-
-M.--Dans mon cas, cela signifie que j’ai fait la noce, et que j’arrive à
-la manœuvre avec le mal aux cheveux! Cela passe en trois foulées.
-
-G. (_baissant la voix_).--Cela ne passe jamais avec moi, Jack. J’y pense
-toujours. Phil Gadsby ayant la frousse d’une chute à la manœuvre! Un
-joli tableau, n’est-ce pas? Dessine-le pour moi.
-
-M. (_gravement_).--Dieu me pardonne! Un homme comme toi ne peut pas en
-arriver à ce degré-là. Une chute n’a rien d’agréable. Mais on ne pense
-jamais à cela.
-
-G.--Tu crois? Attends d’avoir à toi femme et enfant, et alors tu sauras
-comment le grondement de l’escadron derrière vous vous fait froid tout
-le long du dos.
-
-M. (_à part_).--Et c’est là l’homme qui menait à Amdhéran après que
-Bayal-Deasin eût été dévissé, et nous étions tous en _méli-mélo_, et il
-sortit de la bagarre ruisselant comme un boucher. (_Haut._) Balivernes!
-Les files peuvent toujours s’entr’ouvrir, et vous pouvez toujours plus
-ou moins chercher votre chemin. Nous autres, nous n’avons pas la
-poussière pour nous embêter, comme les hommes, et qu’est-ce qui a jamais
-entendu parler d’un cheval mettant le pied sur un homme.
-
-G.--Jamais... tant qu’il est en état de voir. Mais est-ce qu’ils se sont
-entr’ouverts pour le pauvre Errington?
-
-M.--Oh! voilà qui est puéril!
-
-G.--Je sais que cela l’est, et pire que cela. Peu m’importe. Tu as monté
-Van Loo. Est-ce une bête à chercher son chemin... surtout lorsque nous
-partons à bonne allure à l’attaque en colonne?
-
-M.--C’est une fois par hasard que nous partons à l’attaque en colonne,
-et alors seulement pour épargner du temps. Est-ce que tu n’as pas assez
-de trois longueurs?
-
-G.--Oui... tout à fait assez. C’est juste ce qu’il faut d’espace pour se
-voir écrasé dans les règles. Je parle en chien hargneux, je le sais
-bien; mais ce que je veux te dire, c’est que, ces derniers trois mois,
-je me suis senti tous les sabots de l’escadron au bas du dos chaque fois
-que j’ai commandé.
-
-M.--Mais, Gaddy, c’est terrible!
-
-G.--N’est-ce pas délicieux? N’est-ce pas royal? Un capitaine de Hussards
-Roses gorgeant d’eau son cheval avant la manœuvre comme le sacré soulaud
-de colonel d’un régiment indigène.
-
-M.--Tu n’as jamais fait cela!
-
-G.--Une fois seulement. Il gargouillait comme une outre, et mon vieux
-chef m’a regardé du coin de l’œil. Tu connais l’œil du vieux Haffy. J’ai
-eu peur de recommencer.
-
-M.--Je te crois. C’était le meilleur moyen de flanquer une hernie au
-pauvre Van Loo, et de te faire esquinter. Tu le _savais_ bien.
-
-G.--Peu m’importait. Cela lui enlevait le mordant.
-
-M.--«Lui enlevait le mordant!» Gaddy, il... il... il _ne faut pas_, tu
-sais! Pense aux hommes.
-
-G.--Cela, c’est encore une chose dont j’ai peur. Crois-tu qu’ils savent?
-
-M.--Espérons que non; mais ils sont salement prompts à reluquer le
-frouss... de petites choses de ce genre. Écoute, mon vieux, envoie la
-femme au pays pour la saison chaude et viens au Kashmir avec moi. Nous
-aurons un bateau sur le Dal ou traverserons le Rhothang... nous
-flânerons ou nous chasserons le bouquetin ou... ce qui te plaira.
-Seulement, _viens_! Tu boudes un brin sur ton avoine, et tu dis des
-bêtises. Regarde le colonel... tout vieux lascar ventripotent qu’il est.
-Lui aussi a une femme et des châteaux à n’en plus finir. Y en a-t-il un
-de nous capable de lui damer le pion à cheval... malgré sa goutte et
-tout? Moi, je ne peux pas, et je crois savoir ce que c’est que de
-pullupper.
-
-G.--Il y a des gens autrement bâtis. Je n’ai pas le nerf. Dieu m’aide,
-je n’ai pas le nerf! J’ai raccourci mes étriers d’un cran et demi pour
-avoir les genoux bien aux sacoches. Je n’y peux rien. J’ai tellement
-peur qu’il m’arrive quoi que ce soit! Sur mon âme, on devrait me casser
-devant l’escadron pour couardise.
-
-M.--Un vilain mot, cela. Je n’aurais jamais le courage d’avouer.
-
-G.--Mon intention, en commençant, était de mentir sur mes véritables
-motifs, mais... mais j’ai perdu l’habitude de te mentir, mon vieux.
-Jack, motus, n’est-ce pas?... Mais je sais bien que c’est inutile avec
-toi.
-
-M.--’Turellement. (_Presque tout haut._) Voilà que les Roses paient cher
-leur Orgueil.
-
-G.--Hein! Quo-oi?
-
-M.--Ah! tu ne sais pas? Les hommes ont toujours appelé Mrs. Gadsby
-l’Orgueil des Hussards Roses depuis qu’elle nous est arrivée.
-
-G.--Ce n’est pas _sa_ faute. Ne le crois pas. C’est entièrement la
-mienne.
-
-M.--Que dit-elle?
-
-G.--Je ne lui ai pas encore positivement soumis la question. C’est la
-meilleure petite femme de la terre, Jack, et tout le reste... mais ce
-n’est pas celle qui conseillerait à un homme de rester attaché à son
-métier si ce métier s’interposait entre lui et elle. Au moins, je
-crois...
-
-M.--N’importe. Ne lui dis pas ce que tu m’as dit. Appuie sur la
-succession du titre et des terres.
-
-G.--Elle devinerait. Elle est dix fois plus fine que moi.
-
-M. (_à part_).--Alors elle acceptera le sacrifice et pensera un petit
-peu plus mal de lui pour le reste de ses jours.
-
-G. (_d’un air absent_).--Dis-moi, est-ce que tu me méprises?
-
-M.--Drôle de façon de poser la question. Est-ce qu’on te l’a quelquefois
-posée? Réfléchis une minute. Quelle réponse faisais-tu?
-
-G.--Comment, j’en suis _là_? Je ne peux guère m’attendre à davantage;
-mais c’est un brin dur quand c’est son meilleur ami qui se retourne
-contre vous et...
-
-M.--C’est ce que je trouve. Mais tu auras des consolations... intendants
-et drainages, l’engrais liquide, la _Primrose League_[36] et, peut-être,
-si tu as de la veine, le commandement d’un régiment de cav-ale-rie
-yeomanry... épaulette et galons, je crois, mais pour ce qui est de faire
-du cheval... Quel âge as-tu?
-
- [36] La ligue des Conservateurs.
-
-G.--Trente-trois ans. Je sais que c’est...
-
-M.--A quarante tu seras un imbécile de gros propriétaire. A cinquante tu
-te feras pousser dans une petite voiture, et le _brigadier_, s’il te
-ressemble, passera son temps à effaroucher toutes les petites colombes
-de... quel est le nom du patelin où tu vas? En outre, Mrs. Gadsby aura
-pris de l’embonpoint.
-
-G. (_mollement_).--Voilà qui dépasse un peu la plaisanterie.
-
-M.--Tu crois? N’est-ce pas dépasser la plaisanterie que de lâcher le
-service? Cela vous demande en général cinquante ans pour arriver à cette
-plaisanterie-là. Tu as bien raison, cependant. Cela dépasse la
-plaisanterie. Tu t’es arrangé pour la faire au bout de trente-trois ans.
-
-G.--N’appuie pas sur l’amertume de la chose. Seras-tu content si j’avoue
-être un lâcheur, un froussard et un couard?
-
-M.--Non, attendu que je suis le seul homme au monde à pouvoir te parler
-de la sorte sans me faire assommer. Il ne faut pas prendre à cœur, de
-cette façon-là, tout ce que je t’ai dit. Je ne parlais--en grande
-partie, du moins--que par pur égoïsme, parce que, parce que... Oh! zut,
-mon vieux... je me demande ce que je ferai sans toi. Naturellement, tu
-as l’argent, la terre, et tout... et tu as ici deux bons motifs pour
-veiller à toi.
-
-G.--Cela ne rend pas la chose plus douce. Je me sauve... je le sais
-bien. J’ai toujours eu quelque part en moi un point faible... et je
-n’ose risquer aucun danger à cause d’_eux_.
-
-M.--Pourquoi diable le ferais-tu? Tu es tenu de penser à ta famille...
-tenu d’y penser. Er-hmm. Si je n’étais pas fils cadet, je m’en irais
-aussi... que je sois pendu si je ne le ferais pas!
-
-G.--Merci, Jack. C’est un gentil mensonge, mais c’est le plus noir que
-tu aies proféré depuis quelque temps. Je sais ce que je fais, et
-l’entreprends en connaissance de cause. Mon vieux, c’est plus fort que
-moi. Qu’est-ce que tu ferais à ma place?
-
-M. (_à part_).--Peux pas m’imaginer une femme en permanence entre moi et
-le régiment. (_Haut._) Ne saurais dire. Fort probable que je ne ferais
-pas mieux. Je suis fâché pour toi... affreusement fâché... mais «si ce
-sont tes sentiments», je crois... oui, je crois que tu agis sagement.
-
-G.--Vrai? Je l’espère. (_Tout bas._) Jack, sois très sûr de toi-même
-avant de te marier. Je suis un ingrat ruffian de le dire, mais le
-mariage--même un mariage aussi réussi que le mien--est une entrave à
-l’ouvrage d’un homme, lui paralyse le bras droit, et, oh, cela disperse
-vos idées de devoir aux quatre vents! Quelquefois--aussi bonne et aussi
-douce qu’elle soit--quelquefois j’aurais presque le désir d’avoir
-conservé ma liberté... Non, ce n’est pas exactement cela que je veux
-dire.
-
-MRS. G. (_arrivant dans la verandah_).--A propos de quoi ce branlement
-de tête, Pip?
-
-M. (_se retournant vivement_).--A propos de moi, comme d’habitude. Le
-vieux sermon. Votre mari me conseille de me marier. Jamais vu pareil
-monomane!
-
-MRS. G.--Mais pourquoi non? Je ne dis pas que vous ne rendiez quelque
-femme très heureuse.
-
-G.--Voilà la loi et les prophètes, Jack. Peu importe le régiment. Rends
-une femme heureuse. (_A part._) Bon Dieu!
-
-M.--Nous verrons. Il faut que j’aille faire le désespoir d’un de nos
-cuisiniers. Je ne veux pas qu’on nourrisse mes petits housards de tibias
-de bœufs de trait. (_Avec vivacité._) Pour sûr que les fourmis ne
-sauraient être bonnes pour le _brigadier_. Il est en train de les
-ramasser sur la natte pour les boulotter. Ici, Señor Comandante Don
-Salenez, venez me parler. (_Il soulève G. JUNIOR dans ses bras._) Vous
-voulez ma montre? Vous ne seriez jamais capable de la mettre dans votre
-bouche, mais vous pouvez essayer.
-
- _G. JUNIOR laisse tomber la montre, et brise cadran et aiguilles._
-
-MRS. G.--Oh, capitaine Mafflin, je suis désolée! Jack, méchant, méchant
-petit vilain. Ahhh!
-
-M.--Cela n’a pas la moindre importance, je vous assure. Il traiterait
-l’univers de la même façon s’il pouvait le prendre dans ses mains. Tout
-est fait pour servir de jouet et se voir brisé, n’est-ce pas, jeune
-homme?
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-MRS. G.--Mafflin n’a pas dû trouver drôle du tout de voir sa montre
-brisée, quoiqu’il ait été trop poli pour le dire. C’est entièrement sa
-faute. Pourquoi l’avoir donnée à l’enfant? Ces petites pattes-là sont
-très, très faibles, n’est-ce pas, mon Jacquot? (_A Gadsby._) Pourquoi
-voulait-il vous voir?
-
-G.--Cette sale boutique du régiment, comme d’habitude.
-
-MRS. G.--Le régiment! _Toujours_ le régiment. Ma parole, je me sens
-quelquefois jalouse de Mafflin.
-
-G. (_avec lassitude_).--Le pauvre vieux Jack? Je ne crois pas que vous
-en ayez besoin. N’est-ce pas l’heure pour le _butcha_ de faire son
-somme? Apportez une chaise ici pour vous, ma chère amie. J’ai à vous
-parler.
-
-
-ET TELLE EST LA FIN DE L’HISTOIRE DES GADSBY
-
-
-
-
- ACHEVÉ D’IMPRIMER
- le vingt septembre mil neuf cent cinq
- PAR
- BLAIS ET ROY
- A POITIERS
- pour le
- MERCVRE
- DE
- FRANCE
-
-
-
-
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 ***
+ +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 *** + + + + + + + RUDYARD KIPLING + + L’Histoire + des Gadsby + + CONTE SANS INTRIGUE + + TRADUIT PAR + LOUIS FABULET et ARTHUR AUSTIN-JACKSON + + SIXIÈME ÉDITION + + + PARIS + SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE + XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI + + MCMVIII + + + + +ŒUVRES DE RUDYARD KIPLING + +A LA MÊME LIBRAIRIE + + + LE LIVRE DE LA JUNGLE, traduit par Louis Fabulet et Robert + d’Humières. Vol. in-18 3.50 + + LE SECOND LIVRE DE LA JUNGLE, traduit par Louis Fabulet et + Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50 + + LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE (La plus Belle Histoire du + Monde. Le Perturbateur du Trafic. La Légion perdue. + Par-dessus bord. Dans le Rukh. Un Congrès des Puissances. + Un Fait. Amour des Femmes), traduit par Louis Fabulet et + Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50 + + L’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI (L’Homme qui voulut être Roi. La + Porte des Cent mille Peines. L’Étrange chevauchée. + L’Amendement de Tods. La Marque de la Bête. Bisesa. Bertran + et Bimi. L’Homme qui fut. Les Tambours du «Fore and Aft»), + traduit par Louis Fabulet et Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50 + + KIM, roman, traduit par Louis Fabulet et Charles + Fountaine-Walker. Vol. in-18 3.50 + + LES BATISSEURS DE PONTS (Les Bâtisseurs de Ponts. Petit Tobrah. + Namgay Doola. En Famine. Au fond de l’Impasse. Les Finances + des Dieux. La Cité des Songes), traduit par Louis Fabulet et + Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50 + + STALKY ET Cie, roman, traduit par Paul Bettelheim et Rodolphe + Thomas. Vol. in-18 3.50 + + SUR LE MUR DE LA VILLE (Sur le Mur de la Ville. Trois et un... + de plus. L’Histoire de Muhammad Din. Lispeth. L’Autre. + Moti-Guj-Mutin. Une Fraude. La Libération de Pluffles. + L’Arrestation du Lieutenant Golightly. Une affaire de chance. + Dans l’erreur. Le Cas de divorce Bronckhort. Wee Willie + Winkie. En plein orgueil de jeunesse. Sans bénéfice de + clergé), traduit par Louis Fabulet, précédé d’une Étude sur + Rudyard Kipling par André Chevrillon. Vol. in-18 3.50 + + LETTRES DU JAPON, traduit par Louis Fabulet et Arthur + Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50 + + L’HISTOIRE DES GADSBY, roman, traduit par Louis Fabulet et + Arthur Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50 + + LE RETOUR D’IMRAY (Le Retour d’Imray. Dray wara yow dee. Le + Rickshaw-Fantôme. 007. Le Bisara de Pooree. Au bord de + l’Abime. Le Chef du district. Le Navire qui s’y retrouve. + Naboth. Les Bornes mentales de Pambé Serang. Eux. A mettre + au dossier), traduit par Louis Fabulet et Arthur + Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50 + + + + +IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE + +Sept exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 1 à 7. + +JUSTIFICATION DU TIRAGE + + +Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y +compris la Suède et la Norvège. + + + + +PAUVRE CHÈRE MAMAN + + L’épervier sauvage au ciel balayé de vent, + Le cerf à la plaine salubre, + Le cœur d’un homme au cœur d’une fille + Comme c’était au temps d’antan. + + (_Chanson bohémienne._) + + + DÉCOR:--_Chambre de MISS MINNIE THREEGAN à Simla. MISS THREEGAN dans + l’embrasure de la fenêtre, en train de fouiller dans un tiroir plein + de toutes sortes de choses._ + + MISS EMMA DEERCOURT, _amie de cœur, qui est venue passer la journée, + assise sur le lit, en train d’agencer le corsage d’une robe de bal et + une touffe de muguet artificiel. Cinq heures trente, par un chaud + après-midi de mai._ + +MISS DEERCOURT.--Et _il_ a dit: «Je n’oublierai _jamais_ cette danse», +et, naturellement, j’ai répondu: «Oh, comment _pouvez_-vous être sot à +ce point!» Penses-tu, chérie, qu’il avait une intention? + +MISS THREEGAN (_sortant du fouillis un long bas de soie lavande_).--Tu +le connais mieux que _moi_. + +MISS D.--Oh, tâche d’être sympathique, Minnie! Je suis _sûre_ qu’il a +une intention. Au moins j’en serais sûre s’il n’était pas toujours à +monter à cheval avec cette odieuse Mrs. Hagan. + +MISS T.--Je le suppose. Comment diable s’arrange-t-on, lorsqu’on danse, +pour passer à travers ses talons les premiers? Regarde-moi cela, si ce +n’est pas honteux? (_Elle tend le talon du bas sur sa main ouverte pour +en faire l’inspection._) + +MISS D.--Ne t’en occupe pas! Impossible à raccommoder. Aide-moi à +arranger ce maudit corsage. J’ai passé le lacet _comme ceci_, je l’ai +passé _comme cela_ et _je ne peux pas_ arriver à mettre le bombé en +place. Et cela, où le mettrais-tu? (_Elle montre les muguets._) + +MISS T.--Aussi haut sur l’épaule que possible. + +MISS D.--Suis-je assez grande? Je sais que cela fait paraître May Olger +bancale. + +MISS T.--Oui, mais elle n’a pas tes épaules. Les siennes ressemblent à +une bouteille à vin du Rhin. + +LE PORTEFAIX (_frappant à la porte_).--Le capitaine _sahib_ est là. + +MISS D. (_se levant avec effarement, et se mettant à la recherche de son +corset qu’elle a banni eu égard à la chaleur du jour_).--Le capitaine +_sahib_? Quel capitaine _sahib_? Oh, bonté divine, et je ne suis qu’à +demi vêtue! Eh bien, tant pis, je ne me dérangerai pas. + +MISS T. (_avec calme_).--Inutile, en effet. Ce n’est pas pour nous. +C’est le capitaine Gadsby. Il s’en va faire une promenade à cheval avec +maman. Il vient en général cinq jours sur sept. + +VOIX D’ANGOISSE (_d’une chambre intérieure_).--Minnie, cours donner du +thé au capitaine Gadsby, et dis-lui que je serai prête dans dix minutes; +et, écoute, Minnie, viens ici un instant, tu serais si gentille! + +MISS T.--Oh, zut! (_A haute voix._) Fort bien, maman. + + _Elle sort et réapparaît au bout de cinq minutes, les joues rouges et + en se frottant les doigts._ + +MISS D.--Comme tu es rouge! Qu’est-il arrivé? + +MISS T. (_chuchotant de toutes ses forces_).--Vingt-quatre pouces de +taille, et il faut que tout rentre. Où sont mes porte-bonheur? (_Elle +fouille sur la table de toilette, et se passe, dans l’intervalle, la +brosse sur les cheveux._) + +MISS D.--Qui est ce capitaine Gadsby? Je ne pense pas l’avoir jamais +rencontré. + +MISS T.--Oh si, pour sûr. Il est du clan Harrar. J’ai dansé avec lui, +mais je ne lui ai jamais parlé. C’est un grand garçon jaune, absolument +un poussin frais éclos, avec une é-norme moustache. Il marche comme ceci +(_elle imite la démarche de la cavalerie_), et il fait «Ha-hmm!» du fin +fond de la gorge lorsqu’il ne trouve rien à dire. Maman le goûte. Pas +moi. + +MISS D. (_distraitement_).--La cire-t-il, cette moustache? + +MISS T. (_occupée avec la houppe à poudrer_).--Oui, je le pense. +Pourquoi? + +MISS D. (_se penchant sur le corsage et cousant avec ardeur_).--Oh, +rien... seulement... + +MISS T. (_sévèrement_).--Seulement quoi? Allons, dis, Emma. + +MISS D.--Eh bien, May Olger--elle est fiancée à Mr. Charteris, tu +sais--disait...--Tu me promets de ne pas le répéter? + +MISS T.--Oui, je te le promets. Qu’a-t-elle dit? + +MISS D.--Que... que d’être embrassée (_tout d’un élan_) par un homme qui +ne cirait pas sa moustache, c’était... comme si l’on mangeait un œuf +sans sel. + +MISS T. (_du haut de sa grandeur, avec un mépris écrasant_).--May Olger +est une _horreur_, et tu peux le lui répéter. Je suis heureuse qu’elle +ne fasse pas partie de mon clan... Il faut que j’aille donner à manger à +cet _homme_. Ai-je l’air présentable? + +MISS D.--Oui, parfaitement. Fais vite et passe-le à ta mère, pour que +nous puissions causer. Moi, je vais écouter à la porte pour entendre ce +que tu lui dis. + +MISS T.--Pour ce que je m’en soucie. Je t’assure que je n’ai pas peur du +capitaine Gadsby. + + _Comme preuve, elle pénètre dans le salon d’un grand pas masculin + suivi de deux petits pas écourtés, ce qui produit l’effet d’un cheval + rétif entrant. Elle manque LE CAPITAINE GADSBY, lequel est assis dans + l’ombre du rideau, et elle jette tout alentour un regard désespéré._ + +LE CAPITAINE GADSBY (_à part_).--La pouliche, mâtin! doit avoir pigé +cette allure à l’étalon. (_Haut, se levant._) Bonsoir, miss Threegan. + +MISS T. (_ayant conscience qu’elle rougit_).--Bonsoir, capitaine Gadsby. +Maman m’a chargée de vous dire qu’elle sera prête dans quelques minutes. +Ne prendriez-vous pas du thé? (_A part._) J’espère que maman va se +dépêcher. Qu’est-ce que je _vais_ bien dire à ce grand animal-là? (_Haut +et brusquement._) Du lait et du sucre? + +LE CAP. G.--Pas de sucre, me-erci, et fort peu de lait. Ha-hmmm. + +MISS T. (_à part_).--S’il fait cela, je suis perdue. Je vais rire. Je +_sais_ que je vais rire! + +LE CAP. G. (_tirant sur sa moustache et la regardant de côté, au bas de +son nez_).--Ha-hmmm. (_A part._) Me demande ce dont la petite bécasse +peut parler. Faut risquer le coup cependant. + +MISS T. (_à part_).--Oh! mais, c’est une torture! Il _faut_ que je dise +quelque chose. + +TOUS LES DEUX ENSEMBLE.--Êtes-vous allé... + +LE CAP. G.--Je vous demande pardon. Vous alliez dire... + +MISS T. (_qui est restée à regarder la moustache avec une fascination +pleine de respect_).--Ne prendriez-vous pas des œufs? + +LE CAP. G. (_regardant d’un air effaré la table à thé_).--Des œufs! (_A +part._) Diable! c’est l’heure où elle fait quelque dînette. Je suppose +qu’on lui a essuyé la bouche pour me l’envoyer tandis que la mère est en +train de mettre ses frusques. (_Haut._) Non, merci. + +MISS T. (_pourpre de confusion_).--Oh! ce n’est pas cela que je voulais +dire. Je ne pensais pas pour un instant à des mou--à des œufs. Je +voulais dire du _sel_. Ne prendriez-vous pas du s... des bonbons? (_A +part._) Il va me prendre pour une folle furieuse. Je voudrais bien que +maman arrive. + +LE CAP. G. (_à part_).--C’_était_ bien une dînette, et elle en a honte. +Mâtin, elle n’a pas l’air si mal, lorsqu’elle rougit comme cela. (_Haut, +en puisant lui-même dans l’assiette._) Avez-vous vu ces nouveaux +chocolats chez Péliti? + +MISS T.--Non, j’ai fait ceux-ci moi-même. De quoi ont-ils l’air? + +LE CAP. G.--Ceux-ci!... _Dé_-licieux. (_A part._) Et c’est un fait. + +MISS T. (_à part_).--Oh, zut! il va croire que je suis en quête de +compliments. (_Haut._) Non, ceux de Péliti, naturellement. + +LE CAP. G. (_avec enthousiasme_).--Pas à comparer avec ceux-ci. Comment +les faites-vous? Je ne peux arriver à ce que mon _khansamah_[1] +comprenne la plus simple chose en dehors du mouton et du poulet. + + [1] Cuisinier indigène. + +MISS T.--Oui? Je ne suis pas un _khansamah_, vous savez. Peut-être que +vous lui faites peur. Il ne faut jamais faire peur à un domestique. Il +perd la tête. C’est de très mauvaise politique. + +LE CAP. G.--Il est d’une si effroyable bêtise. + +MISS T. (_se croisant les mains sur les genoux_).--Il faudrait l’appeler +tout tranquillement et lui dire: «_O khansamah jee!_» + +LE CAP. G. (_commençant à s’intéresser_).--Oui! (_A part._) Imaginez ce +petit poids-léger disant: «_O khansamah jee_» à mon farouche Mir Khan! + +MISS T.--Puis vous lui expliqueriez le dîner, plat par plat. + +LE CAP. G.--Mais je ne sais pas parler le langage du pays. + +MISS T. (_d’un air protecteur_).--Vous devriez passer l’examen des +langues orientales et essayer. + +LE CAP. G.--Je l’ai fait, mais il ne semble pas que j’en sois plus +habile pour cela. Et vous? + +MISS T.--Je n’ai jamais passé l’examen. Mais le _khansamah_ est très +patient avec moi. Il ne se fâche pas quand je parle de _topees_ +(chapeaux) de mouton, alors que je veux dire des têtes, ou que je +commande des _maunds_ (tonnes) de grain, alors que je veux dire des +livres. + +LE CAP. G. (_à part, avec une forte indignation_).--Je voudrais voir Mir +Khan se montrer grossier vis-à-vis de cette petite! Allons, allons! ne +nous emballons pas. (_Haut._) Et vous y entendez-vous aussi pour ce qui +est des chevaux? + +MISS T.--Un peu... pas beaucoup. Je ne sais pas les médicamenter, mais +je sais ce qu’il faut qu’ils mangent, et c’est moi qui suis chargée de +l’écurie. + +LE CAP. G.--Vraiment! Vous pourriez m’aider, alors. Qu’est-ce qu’on doit +donner à son _saïs_[2], dans les montagnes? Mon brigand dit huit roupies +parce que tout est si cher. + + [2] Palefrenier. + +MISS T.--Six roupies par mois, et une roupie de supplément à Simla... Ni +plus ni moins. Et un coupeur d’herbe gagne six roupies, cela vaut mieux +que d’acheter l’herbe au bazar. + +LE CAP. G. (_avec admiration_).--Comment savez-vous? + +MISS T.--J’ai essayé l’un et l’autre. + +LE CAP. G.--Vous montez donc beaucoup à cheval? Je ne vous ai jamais vue +sur le Mall? + +MISS T. (_à part_).--Je ne l’ai pas croisé _plus_ de cinquante fois. +(_Haut._) Presque tous les jours. + +LE CAP. G.--Sapristi! Je ne savais pas cela. Ha-hmmm! (_Il tire sur sa +moustache et reste silencieux l’espace de quarante secondes._) + +MISS T. (_éperdument, et se demandant ce qui va arriver_).--Elle est +très bien. A votre place je n’y toucherais pas. (_A part._) C’est la +faute à maman qui n’est pas venue plus tôt. Je _vais_ être grossière! + +LE CAP. G. (_se bronzant sous le hâle, et ramenant sa main très +promptement_).--Hein! Quo-oi! Oh, oui! Ha! ha! (_Il rit d’un air gêné._) +(_A part._) Ah! bien, elle en a un sacré toupet! Je n’ai jamais encore +vu une femme me dire cela. Ce doit être une mâtine, sans quoi... Ah! +cette dînette! + +VOIX SORTANT DE L’INCONNU.--Tchk! tchk! tchk! + +LE CAP. G.--Bonté divine! Qu’est-ce que c’est que cela? + +MISS T.--Le chien, je crois. (_A part._) Emma écoutait, et je ne le lui +pardonnerai jamais! + +LE CAP. G. (_à part_).--Ils n’ont pas de chien. (_Haut._) On n’eût pas +dit un chien, n’est-ce pas? + +MISS T.--Alors, ce devait être le chat. Allons dans la verandah. Quel +délicieux après-midi! + + _Elle pénètre dans la verandah et regarde au loin dans les montagnes + en plein soleil couchant. Le capitaine suit._ + +LE CAP. G. (_à part_).--Des yeux superbes! Je m’étonne de ne les avoir +jamais encore remarqués. (_Haut._) Il doit y avoir un bal au palais +vice-royal mercredi. Pouvez-vous me réserver une danse? + +MISS T. (_brièvement_).--Non! Je n’ai pas besoin de vos danses par +charité. Vous ne m’invitez que parce que maman vous a dit de le faire. +Je saute et je bouscule. Vous le _savez_ bien! + +LE CAP. G. (_à part_).--C’est vrai, mais ce n’est pas aux petites filles +à comprendre ces choses-là. (_Haut._) Non, sur ma parole, je ne le sais +pas. Vous dansez à merveille. + +MISS T.--Alors pourquoi vous arrêtez-vous toujours après une +demi-douzaine de tours! Je croyais que dans l’armée les officiers ne +contaient jamais de craques. + +LE CAP. G.--Ce n’était pas une craque, croyez-moi. Je sollicite +réellement le plaisir d’une danse avec vous. + +MISS T. (_avec malice_).--Pourquoi? Est-ce que maman ne veut plus danser +avec vous? + +LE CAP. G. (_plus vivement que ne le réclament les circonstances_).--Je +ne pensais pas à madame votre mère. (_A part._) Petite poison, va! + +MISS T. (_regardant toujours par la fenêtre_).--Hein? Oh, je vous +demande pardon. Je pensais à autre chose. + +LE CAP. G. (_à part_).--Eh bien! je me demande ce qu’elle va pouvoir +dire encore. Je n’ai jamais vu une femme me traiter de la sorte. Autant +être--le diable m’emporte,--autant être sous-lieutenant d’infanterie. +(_Haut._) Oh! _je vous en prie._ Je n’en vaux pas la peine. Madame votre +mère n’est-elle pas encore prête? + +MISS T.--Je pense que oui; mais promettez-moi, capitaine Gadsby, que +vous ne ferez plus faire deux fois de suite le tour du Jakko à ma pauvre +chère maman. Cela la fatigue tant! + +LE CAP. G.--Elle prétend qu’aucun exercice ne la fatigue. + +MISS T.--Oui, mais elle souffre après. Vous ne savez pas, vous, ce que +c’est que les rhumatismes, et vous ne devriez pas la retenir dehors si +tard, quand il se met, le soir, à faire frais. + +LE CAP. G. (_à part_).--Les rhumatismes! Il me semblait aussi qu’elle +descendait de cheval un peu tout d’une pièce. Huuuou! On s’instruit tous +les jours. (_Haut._) Je suis fâché de l’apprendre. Elle ne m’en a pas +parlé. + +MISS T. (_troublée_).--Naturellement non. La pauvre chère maman ne l’eût +pas fait. Et il ne faut pas non plus aller raconter que je vous l’ai +dit. Promettez-moi que vous ne le répéterez pas. Oh, capitaine Gadsby, +_promettez_-le-moi! + +LE CAP. G.--Je suis muet, ou... je le serai dès que vous m’aurez accordé +cette danse, et une autre... si vous voulez bien prendre la peine de +penser une minute à moi. + +MISS T.--Mais cela ne vous plaira pas le moins du monde. Vous le +regretterez affreusement ensuite. + +LE CAP. G.--Cela me plaira par-dessus toutes choses, et ce que je +regretterai, ce sera de ne pas avoir obtenu davantage. (_A part._) De +par tous les diables, qu’est-ce donc que je me mets à dire? + +MISS T.--Fort bien. Ce sera vous-même que vous aurez à remercier si l’on +vous écrase les pieds. Dirons-nous la septième? + +LE CAP. G.--Et la onzième. (_A part._) Elle ne peut pas peser plus de +cent livres, et même alors, elle a le pied ridiculement petit. (_Il +jette les yeux sur ses propres bottes de cheval._) + +MISS T.--Elles reluisent superbement. Je peux presque me mirer dedans. + +LE CAP. G.--Je me demandais s’il me faudrait me servir de béquilles pour +le reste de mes jours au cas où vous me marcheriez sur les pieds. + +MISS T.--Fort probablement. Pourquoi ne pas changer la onzième pour un +quadrille? + +LE CAP. G.--Non, _je vous en prie_! Il faut que ce soient deux valses. +Ne voulez-vous pas les marquer? + +MISS T.--Je ne reçois pas tant d’invitations que je doive les +embrouiller. Ce sera _vous_ le coupable. + +LE CAP. G.--Attendez pour voir! (_A part._) Elle ne danse pas +parfaitement, peut-être, mais... + +MISS T.--Votre thé doit être froid maintenant. En voulez-vous une autre +tasse? + +LE CAP. G.--Non, merci. Ne trouvez-vous pas qu’il fait plus agréable +dehors sous la verandah. (_A part._) Je n’ai jamais vu encore de cheveux +prendre cette couleur au soleil couchant. (_Haut._) C’est comme un +tableau de Dicksee. + +MISS T.--Oui! c’est un merveilleux coucher de soleil, n’est-ce pas? +(_Crûment._) Mais qu’est-ce que vous savez, vous, des tableaux de +Dicksee? + +LE CAP. G.--Je retourne en Angleterre de temps en temps. Et je n’étais +pas sans connaître les musées. (_Nerveusement._) Il ne faut pas croire +que je ne suis qu’un Philistin à... moustache. + +MISS T.--Je vous en prie! Je vous en supplie! Je suis _si_ fâchée de ce +que je vous ai dit tout à l’heure. J’ai été affreusement impolie. C’est +parti sans y penser. Est-ce que vous ne connaissez pas la tentation que +l’on a parfois de dire des choses horribles et offensantes pour le seul +plaisir de les dire! J’ai peur d’y avoir cédé. + +LE CAP. G. (_épiant la jeune fille qui rougit_).--Je crois connaître ce +sentiment-là. Ce serait terrible si nous y cédions tous, n’est-ce pas? +Par exemple, je pourrais dire... + +PAUVRE CHÈRE MAMAN (_entrant, amazone, chapeau d’homme et bottes_).--Ah! +le capitaine Gadsby! Fâchée de vous faire attendre. J’espère que vous ne +vous êtes pas trop ennuyé. Ma petite fille vous a tenu conversation? + +MISS T. (_à part_).--Je ne regrette pas d’avoir parlé des rhumatismes. +Non! non! Je ne regrette qu’une chose, c’est de n’avoir pas mentionné +aussi les cors. + +LE CAP. G. (_à part_).--Quelle honte! Je me demande l’âge qu’elle a. +Cela ne m’était pas encore venu à l’idée. (_Haut._) Nous avons discuté +«Shakespeare et les harmonicas»[3] dans la verandah. + + [3] Goldsmith. _Le Vicaire de Wakefield_. + +MISS T. (_à part_.)--Qu’il est gentil! Il connaît cette citation. Ce +_n’est pas_ un Philistin à moustache. (_Haut._) Au revoir, capitaine +Gadsby. (_A part._) En voilà une main, et _quelle_ poigne! Je ne crois +pas que ce soit avec intention, mais il m’a rentré les bagues dans les +doigts. + +PAUVRE CHÈRE MAMAN.--Est-ce que Vermillon n’est pas encore là? Oh, oui! +Capitaine Gadsby, ne trouvez-vous pas que la selle est trop en avant? +(_Ils passent dans la verandah de devant._) + +LE CAP. G. (_à part_).--Comment, diantre, saurais-je ce qu’elle préfère? +Elle m’a dit qu’elle raffolait des chevaux. (_Haut._) Je crois que oui. + +MISS T. (_s’en venant dans la verandah de devant_).--Oh! ce Buldoo! Il +faut que je le lui dise. Il a raccourci la gourmette de deux anneaux, et +c’est chose que Vermillon déteste. (_Elle sort et va à la tête du +cheval._) + +LE CAP. G.--Laissez-moi faire cela. + +MISS T.--Non. Vermillon me comprend. N’est-ce pas, vieux? (_Elle +desserre adroitement la gourmette, et caresse le cheval aux narines et +sous le cou._) Pauvre Vermillon! Est-ce qu’on voulait lui couper son +menton? Là! + + _LE CAPITAINE GADSBY considère l’intermède avec une admiration non + déguisée._ + +PAUVRE CHÈRE MAMAN (_vertement à MISS T._).--Tu as, je pense, oublié ton +hôte, ma chère amie. + +MISS T.--Bonté divine! Mais oui! Adieu. (_Elle bat promptement en +retraite à l’intérieur._) + +PAUVRE CHÈRE MAMAN (_rassemblant les rênes dans des doigts empêchés par +des gants trop étroits_).--Capitaine Gadsby! + + _LE CAP. GADSBY se baisse et fait le marchepied. PAUVRE CHÈRE MAMAN + tâtonne, stationne trop longtemps, et passe au travers._ + +LE CAP. G. (_à part_).--Je ne peux pas tenir en l’air cent soixante +livres toute une éternité. Ce sont vos rhumatismes. (_Haut._) Je ne peux +croire que j’aie été si maladroit. (_A part._) Si ç’avait été +Petit-Poidsléger, elle se fût enlevée comme un oiseau. + + _Ils sortent à cheval du jardin. Le capitaine se laisse distancer._ + +LE CAP. G. (_à part_).--Comme cette amazone la pince sous les bras! +Peuh! + +PAUVRE CHÈRE MAMAN (_avec le sourire effacé de seize saisons, le pire +pour l’échange_).--Vous êtes terne, cet après-midi, capitaine Gadsby. + +LE CAP. G. (_éperonnant d’un air las_).--Pourquoi m’avez-vous fait +attendre si longtemps? + +_Et cætera, et cætera, et cætera._ + + +(UN INTERVALLE DE TROIS SEMAINES) + + +LA JEUNESSE DORÉE (_assise sur les balustrades en face de l’hôtel de +ville_).--Hé, Gaddy! Venez de promener la Gorgonzola! Nous pensions tous +que c’était à la Gorgone[4] que vous faisiez la cour. + + [4] Dans la société anglo-indienne chacun reçoit un surnom. + +LE CAP. G. (_d’un ton foudroyant_).--Espèce d’ourson! Qu’est-ce que nom +de D. cela peut bien vous faire? + + _Il se lance, à l’adresse de la JEUNESSE DORÉE, dans tout un sermon + sur la retenue et le savoir-vivre, lequel aplatit l’autre comme une + lanterne vénitienne. Il s’éloigne courroucé._ + + +(AUTRE NOUVEL INTERVALLE DE CINQ SEMAINES) + + + DÉCOR.--_Extérieur de la nouvelle bibliothèque de Simla par un soir de + brouillard. MISS THREEGAN et MISS DEERCOURT se rencontrent au milieu + des rickshaws. MISS T. porte un paquet de livres sous le bras gauche._ + +MISS D. (_ton égal_).--Eh bien? + +MISS T. (_ton ascendant_).--Eh bien? + +MISS D. (_emprisonnant le bras gauche de son amie, enlevant tous les +livres, plaçant les livres dans une rickshaw, revenant au bras, +s’emparant de la main par le troisième doigt et cherchant_).--Eh bien! +C’en est une vilaine fille! Et tu ne m’en aurais _pas_ soufflé mot! + +MISS T. (_modestement_).--Il... il... il n’a parlé que hier dans +l’après-midi. + +MISS D.--Tous mes souhaits, ma chère. Et je vais être demoiselle +d’honneur, n’est-ce pas? Tu _sais_ que tu l’as promis il y a _si_ +longtemps. + +MISS T.--Cela va sans dire. Je te raconterai tout demain. (_Elle entre +dans la rickshaw._) Oh! Emma! + +MISS D. (_avec un intense intérêt_).--Oui, chère amie? + +MISS T. (_piano_).--C’est parfaitement vrai... à propos... de l’... œuf. + +MISS D.--Quel œuf? + +MISS T. (_pianissimo prestissimo_).--L’œuf sans le sel. (_Forte._) +_Chalo ghar ko jaldi, jhampani![5]_ + + [5] A la maison, jhampani. + + + + +LE MONDE EXTÉRIEUR + + Certaines gens d’importance. + + + DÉCOR.--_Fumoir du Degchi Club. Dix heures et demie, par une soirée + étouffante pendant les pluies. Quatre hommes dispersés dans des + attitudes pittoresques et des fauteuils. Entre en scène BLAYNE, des + Irregular Moguls, en tenue du soir._ + +BLAYNE.--Phuuu! On devrait bien pendre le juge dans sa boutique. Ici, +_khitmatgar_! Un _poora_[6] whisky pour m’enlever le goût de la bouche. + + [6] Fort. + +CURTISS (_Royal Artillery_).--Ah, c’est cela, vraiment? Qu’est-ce qui +diable a pu vous faire aller dîner chez le juge? Vous connaissez sa +_bandobust_[7]. + + [7] Cuisine. + +BLAYNE.--Pensais que cela ne pouvait être pire que le club; mais je +parierais qu’il achète de la liqueur de vidange, et qu’il la drogue de +gin et d’encre. (_Regardant autour de la pièce._) Est-ce tout ce que +vous êtes, ce soir? + +DOONE (_des Travaux Publics_).--On a appelé Anthony pendant le dîner. +Mingle avait mal au ventre. + +CURTISS.--Miggy meurt du choléra une fois par semaine pendant les +pluies, et se saoule de chlorodyne dans l’intervalle. Bon petit type, +quand même. Du monde chez le juge, Blayne? + +BLAYNE.--Cockley et sa _memsahib_, qui paraît affreusement pâle et +éreintée. Une jeune fille quelconque--n’ai pas saisi le nom--en route +pour les montagnes, sous l’égide des Cockley--le juge et Markyn, frais +arrivé de Simla... dégoûtant de bonne santé. + +CURTISS.--Seigneur Dieu, que de splendeurs? Y avait-il assez de glace? +La dernière fois que je broutai là, j’en eus tout un morceau... presque +aussi gros qu’une noix. Qu’est-ce que disait Markyn? + +BLAYNE.--Il paraît que tout le monde se donne du bon temps, là-haut, +malgré la pluie. Sacrebleu, cela me rappelle! Je savais bien que je +n’étais pas venu pour le simple plaisir de votre société. Des nouvelles! +De grandes nouvelles! C’est Markyn qui me l’a raconté. + +DOONE.--Qui est-ce qui est mort? + +BLAYNE.--Personne, que je sache; mais Gaddy a fini par se laisser mettre +le grappin dessus! + +TOUS EN CHŒUR.--Comment, diable! Markyn s’est payé votre tête. Pas +GADDY! + +BLAYNE (_fredonnant_).--«Oui-da, en vérité, en vérité, en vérité! En +vérité, en vérité, je te le dis,» Théodore, le présent de Dieu! Notre +Philippe! La chose a été promulguée. + +MACKESY (_avocat_).--Peuh! Les femmes promulgueront n’importe quoi. Que +dit l’accusé? + +BLAYNE.--Markyn m’a dit l’avoir congratulé avec circonspection... une +main tendue, l’autre prête à se mettre en garde. Gaddy a piqué un fard +et a déclaré qu’il en était ainsi. + +CURTISS.--Pauvre vieux Gaddy! Ils y arrivent tous. Qui est-_elle_? +Écoutons les détails. + +BLAYNE.--C’est une jeune fille... dont le père est un certain colonel +Quelque Chose. + +DOONE.--Simla en est bondé, de filles de colonels. Soyez plus explicite. + +BLAYNE.--Attendez donc. Quel était son nom? Three... quelque chose. +Three... + +CURTISS.--Trois Étoiles[8], comme on dit en français. Gaddy connaît +cette marque-là. + + [8] En anglais, trois se dit _three_. + +BLAYNE.--Threegan... Minnie Threegan. + +MACKESY.--Threegan! N’est-ce pas un petit brin de fille aux cheveux +rouges? + +BLAYNE.--Quelque chose comme cela... d’après ce que dit Markyn. + +MACKESY.--Alors, je l’ai rencontrée. Elle était à Lucknow la saison +dernière. Possédait une maman atteinte de jeunesse chronique, et dansait +abominablement. Dites-moi, Jervoise, vous avez connu les Threegan, +n’est-ce pas? + +JERVOISE (_fonctionnaire de vingt-cinq années de service, se réveillant +de son somme_).--Hein! Qu’est-ce que c’est? Connu qui? Comment? Je me +croyais au pays, Dieu vous confonde! + +MACKESY.--La petite Threegan est fiancée, à ce que dit Blayne. + +JERVOISE (_avec lenteur_).--Fiancée... fiancée! Par exemple! voilà qui +ne me rajeunit pas! La petite Minnie Threegan fiancée. C’était encore +l’autre jour que j’allais au pays avec elle sur le _Surat_--non, le +_Massilia_--et elle se traînait à quatre pattes au milieu des _ayahs_. +Elle m’appelait le «Tic Tac sahib» parce que je lui montrais ma montre. +Et c’était, cela, en 67... non, 70. Bon Dieu, comme le temps marche! Me +voici un vieillard. Je me rappelle quand Threegan épousa Miss +Derwent--fille du vieux Hooky Derwent... mais c’était avant vous. Ainsi, +le petit bébé est fiancé pour avoir un petit bébé à son tour! Qui est +l’autre insensé? + +MACKESY.--Gadsby, des Hussards Roses. + +JERVOISE.--Connais pas. Threegan a vécu dans les dettes, s’est marié +dans les dettes, et mourra dans les dettes. Doit être content de se voir +débarrassé de la petite. + +BLAYNE.--Gaddy a de l’argent... le veinard. Une terre au pays aussi. + +DOONE.--Il sort de la haute. Peux pas arriver à comprendre comment il +s’est laissé pincer par la fille d’un colonel, et (_regardant prudemment +autour de lui_) d’infanterie indigène encore! Sans vous offenser, +Blayne. + +BLAYNE (_avec raideur_).--Non, au contraire, me-erci. + +CURTISS (_citant la devise des Irregular Moguls_).--«Nous sommes ce que +nous sommes», hein, mon vieux? Mais Gaddy était en général un type si +supérieur. Pourquoi n’est-il pas allé au pays choisir sa femme? + +MACKESY.--Ils sont tous pareils quand ils arrivent au tournant dans la +ligne droite. Vers trente ans, un homme commence à en avoir assez de +vivre seul... + +CURTISS.--Et de l’éternelle côtelette de mouton le matin. + +DOONE.--En général, c’est de la chèvre morte, mais continuez, Mackesy. + +MACKESY.--Une fois qu’un homme a pris cette voie, rien ne le retiendra. +Vous rappelez-vous Benoît de votre service, Doone? On le transféra à +Tharanda lorsque son tour vint, et il épousa la fille d’un poseur de la +voie, ou quelque chose d’approchant. C’était l’unique femelle de +l’endroit. + +DOONE.--Oui, le pauvre idiot! Cela brisa du coup ses chances +d’avancement. Mrs. Benoît avait l’habitude de vous demander: «C’est-y +qu’on vous verra à la danse, ce soir?» + +CURTISS.--Voyons, après tout! Gaddy n’a pas fait un mariage au-dessous +de lui. Il n’y a pas de sang noir dans la famille, je suppose. + +JERVOISE.--De sang noir! Pas pour un anna. Vous autres, jeunes +garnements, vous parlez comme si le monsieur faisait un honneur à la +jeune fille en l’épousant. Vous êtes tous trop infatués de +vous-mêmes..., il n’y aurait jamais rien d’assez bon pour vous. + +BLAYNE.--Pas même un club désert, un sacré sale dîner chez le juge, et +une station aussi insalubre qu’un hôpital. Vous avez parfaitement +raison. Nous sommes une collection de sybarites. + +DOONE.--De luxurieux coquins vautrés dans... + +CURTISS.--L’éruption de chaleur entre les épaules. J’en suis couvert. +Espérons que Béora sera plus frais. + +BLAYNE.--Uhhhou! Est-ce qu’on vous envoie, vous aussi, camper? Je +croyais que les artilleurs avaient une feuille blanche. + +CURTISS.--Non, malheureusement. Deux cas hier--l’un est mort--et si nous +en avons un troisième, nous nous en allons. Est-ce qu’on peut chasser, à +Béora, Doone? + +DOONE.--Le pays est sous l’eau, sauf le morceau contre la Grand Trunk +Road. J’y étais hier à visiter un _bund_[9], et j’y ai trouvé quatre +pauvres diables à leur dernière étape. C’est plutôt mauvais, d’ici à +Kuchara. + + [9] Barrage. + +CURTISS.--Alors, nous sommes à peu près certains d’écoper dans les +grandes largeurs. Ah! je ne craindrais pas de changer avec Gaddy pour +quelque temps. L’amour avec Amaryllis à l’ombre de l’hôtel de ville, et +le reste. Oh! pourquoi ne vient-il pas quelqu’un m’épouser, au lieu de +me laisser aller dans un camp de choléra? + +MACKESY.--Demandez cela au comité du cercle. + +CURTISS.--Animal! voilà qui va vous coûter une tournée. Blayne, +qu’est-ce que vous prenez? Mackesy est à l’amende pour immoralité. +Doone, avez-vous une préférence? + +DOONE.--Un petit verre de kummel, s’il vous plaît. C’est un excellent +carminatif par ce temps-ci. C’est Anthony qui me l’a dit. + +MACKESY (_signant un bon pour quatre verres_).--Châtiment on ne peut +plus injuste. Je pensais seulement à Curtiss en Actéon poursuivi autour +des billards par les nymphes de Diane. + +BLAYNE.--Il faudrait que Curtiss fît l’importation de ses nymphes par +chemin de fer. Mrs. Cockley est l’unique femme de la station. Elle ne +quitterait pas Cockley, et il fait de son mieux pour arriver à ce +qu’elle s’en aille. + +CURTISS.--Cela, c’est bien! A la santé de Mrs. Cockley. A l’unique femme +de la station, et une femme sacrément brave! + +TOUS (_buvant_).--Une femme sacrément brave! + +BLAYNE.--Je suppose que Gaddy amènera sa femme ici à la fin du froid. +Ils se marient presque immédiatement, je crois. + +CURTISS.--Gaddy peut remercier son étoile de ce que les Hussards Roses +sont tous en détachement et pas au quartier général pendant ces +chaleurs, sans quoi il se trouverait arraché aux bras de son amour, sûr +comme la mort. Avez-vous jamais remarqué la liberté d’esprit avec +laquelle la cavalerie britannique s’adonne au choléra. C’est parce +qu’ils coûtent si cher. Si les Roses avaient tenu bon ici, ils seraient +partis camper il y a un mois. Oui, je voudrais bien décidément être à la +place de Gaddy. + +MACKESY.--Il ira au pays après son mariage, et donnera sa démission... +vous verrez cela. + +BLAYNE.--Pourquoi ne le ferait-il pas? N’a-t-il pas de l’argent? Est-ce +qu’il y en aurait ici un seul d’entre nous si nous n’étions pas tous des +gueux? + +DOONE.--Pauvre vieux gueux! Que sont devenues les six cents roupies que +vous avez subtilisées à notre table le mois dernier? + +BLAYNE.--Elles se sont donné des ailes. Je crois qu’un commerçant +quelque peu entreprenant en a eu sa part, et qu’un _shroff_[10] a gobé +le reste... Ou, pour mieux dire, je les ai dépensées. + + [10] Usurier. + +CURTISS.--Gaddy, lui, n’a jamais de sa vie eu affaire à un _shroff_. + +DOONE.--Vertueux Gaddy! Si j’avais, moi, trois mille roupies par mois, +qui me viennent d’Angleterre, je ne crois pas que j’aurais affaire à un +_shroff_. + +MACKESY (_bâillant_).--Oh! c’est une vie délicieuse! Je me demande si le +mariage en augmenterait le charme. + +CURTISS.--Demandez à Cockley... avec sa femme qui meurt à petit feu! + +BLAYNE.--Allez au pays demander à quelque petite sotte de s’en venir par +ici--qu’est-ce que dit Thackeray?--«au splendide palais d’un proconsul +indien». + +DOONE.--Ce qui me rappelle. Mon logis laisse passer l’eau comme un +crible. J’ai eu la fièvre, la nuit dernière, d’avoir dormi dans un +marécage. Et le pire, c’est qu’il n’y a rien à faire à un toit, jusqu’à +ce que les pluies soient passées. + +CURTISS.--Qu’est-ce qui vous chiffonne? Vous n’avez pas, vous, +quatre-vingts piou-pious en train de pourrir, à conduire dans le courant +d’un fleuve. + +DOONE.--Non, mais je suis tout en clous et en jurons. Je suis un +véritable Job par tout le corps. C’est pure pauvreté de sang, et je ne +vois aucune chance de devenir plus riche... ni de l’une ni de l’autre +façon. + +BLAYNE.--Ne pouvez-vous pas prendre un congé? + +DOONE.--C’est là l’avantage que vous autres, les gens de l’armée, vous +avez sur nous. Dix jours, ce n’est rien à vos yeux. Moi, je suis si +important que le gouvernement ne peut me trouver de remplaçant si je +m’en vais. Ou-ui, je voudrais être à la place de Gaddy, quelle que +puisse être sa femme. + +CURTISS.--Vous avez passé le tournant de la vie dont Mackesy parlait. + +DOONE.--Certes, je l’ai passé, mais je n’ai jamais encore eu la +brutalité de demander à une femme de partager mon existence par ici. + +BLAYNE.--Sur mon âme, je crois que vous avez raison. Je pense à Mrs. +Cockley. C’est une véritable ruine que cette femme. + +DOONE.--Absolument. Parce qu’elle reste ici en bas. Le seul moyen de la +conserver en état serait de l’envoyer dans les montagnes pendant huit +mois--et la même chose avec n’importe quelle femme. Je me vois prenant +femme dans ces conditions. + +MACKESY.--Avec la roupie à un shilling six pence. Les petits Doone +deviendraient des petits Doone de Dehra avec un bel accent _chi-chi_ de +Mussourie à rapporter à la maison pour les vacances. + +CURTISS.--Et une paire de belles cornes de sambhur à porter pour Doone, +franco de port, offertes par... + +DOONE.--Oui, c’est une perspective enchanteresse. En passant, la roupie +n’a pas encore fini de baisser. Le temps viendra où il faudra nous +trouver heureux si nous ne perdons que la moitié de notre solde. + +CURTISS.--J’aurais cru qu’un tiers suffisait comme perte. Qui est-ce qui +gagne à l’arrangement? C’est ce que je voudrais bien savoir. + +BLAYNE.--La question d’argent! Je vais me coucher si vous vous mettez à +vous chamailler. Grâces soient rendues, voici Anthony... qui a l’air +d’une ombre. + + _Entre ANTHONY, du corps médical des Indes, très pâle et très + fatigué._ + +ANTHONY.--Bonsoir, Blayne. Il pleut à torrents. Apporte-moi un +whisky-soda, _khitmatgar_. Les routes sont quelque chose d’affreux. + +CURTISS.--Comment va Mingle? + +ANTHONY.--Très mal, et plus de peur encore. Je l’ai passé à Fewton. +Mingle aurait tout aussi bien pu commencer par l’appeler au lieu de me +tracasser. + +BLAYNE.--C’est un petit type nerveux. Qu’est-ce qu’il a, cette fois-ci? + +ANTHONY.--Ne saurais trop dire. Le ventre très mauvais et jusqu’ici une +peur bleue. Il m’a demandé tout de suite si c’était le choléra, et je +lui ai répondu de ne pas faire la bête. Cela l’a calmé. + +CURTISS.--Pauvre diable! La frousse fait la moitié de la besogne chez un +homme de cet acabit. + +ANTHONY (_allumant un cheroot_).--Je crois fermement que la frousse le +tuera s’il reste en bas. Vous savez la somme d’ennui qu’il a causée à +Fewton pendant ces trois dernières semaines. Il fait tout ce qu’il peut +pour mourir de peur. + +CHŒUR GÉNÉRAL.--Pauvre petit diable! Pourquoi ne s’en va-t-il pas? + +ANTHONY.--Ne peut pas. Il a sa permission en règle, mais il est +tellement à fond de cale qu’il ne peut la prendre, et je ne crois pas +que sa signature vaudrait quatre annas. Ceci en confidence, toutefois. + +MACKESY.--Toute la station le sait. + +ANTHONY.--«Je suppose qu’il me faudra mourir ici», a-t-il dit, en se +tordant en travers de son lit. Il est absolument persuadé qu’il va s’en +aller _ad patres_. Et je sais pertinemment qu’il n’a rien de plus qu’un +ventre de temps humide, si seulement il pouvait prendre un peu le +dessus. + +BLAYNE.--C’est mauvais, c’est _très_ mauvais. Pauvre petit Miggy! Bon +petit type tout de même. Dites donc? + +ANTHONY.--Quoi «dites donc»? + +BLAYNE.--Eh bien, écoutez... voici... Si c’est comme cela... comme vous +dites... moi, je dis cinquante. + +CURTISS.--Je dis cinquante. + +MACKESY.--J’y vais de vingt de plus. + +DOONE.--Gros Crésus du bar! Je dis cinquante. Jervoise, que dites-vous? +Hi! Réveillez-vous! + +JERVOISE.--Hein? Qu’est-ce que c’est? Qu’est-ce que c’est? + +CURTISS.--Nous voulons vous soutirer cent roupies. Vous êtes un +célibataire à revenus gigantesques, et il y a un homme dans le lac. + +JERVOISE.--Quel homme? Quelqu’un de mort? + +BLAYNE.--Non, mais il mourra si vous ne donnez pas les cent. Tenez! +voici un bon tout prêt. Vous pouvez voir pour combien nous avons signé, +et l’homme d’Anthony viendra demain l’encaisser. De sorte qu’il n’y aura +pas de difficultés. + +JERVOISE (_signant_).--Cent. E.M.J. Voilà. (_Faiblement._) Ce n’est pas +une de vos facéties, n’est-ce pas? + +BLAYNE.--Non, il les vaut vraiment. Anthony, vous avez été le plus gros +gagnant au poker la semaine dernière et vous avez frustré le percepteur +trop longtemps. Signez! + +ANTHONY.--Voyons, trois cinquante et un soixante-dix... deux cent +vingt... trois cent vingt... disons quatre cent vingt. Cela lui donnera +un bon mois dans les montagnes. Mille merci, vous autres. J’enverrai le +_chaprassi_[11] demain. + + [11] Commis. + +CURTISS.--Il faut vous arranger pour qu’il accepte, et naturellement il +ne faut pas... + +ANTHONY.--Naturellement. Cela ne ferait pas l’affaire. Il s’en irait +pleurer de gratitude sur son verre du soir. + +BLAYNE.--Maudit soit-il, c’est bien ce qu’il irait faire. Oh! dites-moi, +Anthony, vous qui prétendez tout savoir: avez-vous entendu parler de +Gaddy? + +ANTHONY.--Non. Un procès en divorce, enfin? + +BLAYNE.--Pire. Il est fiancé! + +ANTHONY.--Comment dites-vous? Pas possible! + +BLAYNE.--Plus que possible. Il va se marier dans quelques semaines. +C’est Markyn qui me l’a dit chez le juge ce soir. C’est _pukka_[12]. + + [12] Une affaire réglée. + +ANTHONY.--Vous ne parlez pas sérieusement? Saperlipopette! Il y aura du +grabuge sous les tentes de Cédar. + +CURTISS.--Croyez-vous que le régiment montrera son mécontentement? + +ANTHONY.--Ne sais quoi que ce soit sur le régiment. + +MACKESY.--C’est la bigamie, alors? + +ANTHONY.--Peut-être bien. Voulez-vous dire que vous autres, vous avez +oublié, ou est-ce qu’il y a dans le monde plus de charité que je ne +pensais? + +DOONE.--Cela ne vous embellit pas d’essayer de garder un secret. Vous +gonflez à péter. Expliquez. + +ANTHONY.--Mrs. Herriott. + +BLAYNE (_après une longue pause, à tout le monde à la ronde_).--C’est +mon avis que nous sommes une collection d’idiots. + +MACKESY.--Allons donc! Cette affaire-là était morte et enterrée à la +saison dernière. Comment donc? Le jeune Mallard... + +ANTHONY.--Mallard tenait la chandelle. C’est pour cela qu’il était là. +Réfléchissez un instant. Rappelez-vous la saison dernière et ce qu’on +disait. Mallard ou pas Mallard, Gaddy a-t-il adressé la parole à une +seule autre femme? + +CURTISS.--Il y a quelque chose là-dedans. C’était quelque peu +remarquable, maintenant que vous en parlez. Mais elle est à Naini Tal et +il est à Simla. + +ANTHONY.--Il lui a fallu aller à Simla pour piloter un globe-trotter de +sa famille... un personnage titré, oncle ou tante. + +BLAYNE.--Et c’est là qu’il s’est fiancé. Il n’y a pas de loi qui empêche +un homme de se fatiguer d’une femme. + +ANTHONY.--Sauf qu’il ne doit pas le faire tant que la femme n’est pas +fatiguée de lui. Et ce n’était pas le cas de la Herriott. + +CURTISS.--Il se peut qu’elle le soit maintenant. Deux mois de Naini Tal +accomplissent des prodiges. + +DOONE.--C’est curieux comme il y a des femmes qui portent un sort avec +elles. Il y avait une certaine Mrs. Deegie, dans les provinces du +centre, que les hommes finissaient invariablement par quitter pour se +marier. C’était passé en proverbe parmi nous quand j’étais là-bas. Je me +souviens de trois hommes qui étaient éperdument à sa dévotion, et qui, +tous, l’un après l’autre, prirent femme. + +CURTISS.--C’est bizarre. Pour moi, j’aurais pensé que l’influence de +Mrs. Deegie devait les pousser à prendre les femmes des autres. Cela +aura dû leur inspirer la crainte du jugement de la Providence. + +ANTHONY.--Mrs. Herriott inspirera à Gaddy la crainte de quelque chose de +plus que le jugement de la Providence, j’imagine. + +BLAYNE.--En supposant que les choses soient comme vous dites, ce serait +un imbécile d’aller affronter cette femme. Il ne bougera pas de Simla. + +ANTHONY.--Serais pas le moins du monde surpris qu’il s’en aille à Naini +s’expliquer. C’est une espèce d’homme incompréhensible, et, quant à +elle, c’est probablement une femme plus qu’incompréhensible. + +DOONE.--Qu’est-ce qui vous fait la débiner avec une pareille confiance? + +ANTHONY.--_Primum tempus._ Gaddy a été son premier, et une femme ne +laisse pas échapper son premier amant sans se plaindre. Elle se justifie +à elle-même le premier transfert d’affection en jurant que c’est pour +toujours et toujours. Par conséquent... + +BLAYNE.--Par conséquent, nous voilà assis jusqu’à une heure passée à +causer scandale comme un cénacle de portières. Anthony, c’est aussi +votre faute. Nous étions parfaitement respectables jusqu’au moment où +vous êtes entré. Allez vous coucher. J’y vais. Bonne nuit tous. + +CURTISS.--Une heure passée! Il est deux heures passées, sur mon âme, et +voici venir le _khit_ pour l’extra. Justes cieux! Une, deux, trois, +quatre, _cinq_ roupies à payer pour le plaisir de dire qu’un pauvre +petit diable de femme ne vaut pas mieux que cela. J’ai honte de +moi-même. Allez vous coucher, méchantes langues, et si l’on m’envoie +demain à Béora, préparez-vous à apprendre que je suis mort avant de +payer mes dettes de jeu! + + + + +LES TENTES DE CÉDAR + + Only why should it be with stain at all, + Why must I, ’twixt the leaves of coronal + Put any kiss of pardon on thy brow? + Why should the other women know so much, + And talk together «such the look and such + The smile he used to love with, then as now!» + + _Any wife to any Husband[13]._ + + [13] Robert Browning. + + + DÉCOR.--_Un dîner de Naini Tal de trente-quatre couverts. Argenterie, + vins, vaisselle, et khitmatgars soigneusement calculés à l’échelle de + 6.000 roupies par mois, le change en moins. La table divisée dans + toute sa longueur par une haie de fleurs._ + +MRS. HERRIOTT (_après que la conversation s’est élevée au diapason +convenable_).--Ah! Je ne vous ai pas vu dans la cohue au salon. (_Sotto +voce._) Où avez-vous bien pu être tout ce temps-là, Pip? + +LE CAPITAINE GADSBY (_se détournant de la dame dont il a reçu +officiellement la charge et remuant les verres à vin du +Rhin_).--Bonsoir. (_Sotto voce._) Pas tout à fait si haut une autre +fois. Vous n’avez pas idée comme votre voix porte. (_A part._) Voilà ce +que c’est que d’avoir voulu esquiver l’explication écrite. Il va +maintenant la falloir verbale. Charmante perspective! Comment diable +vais-je lui dire que je suis fiancé, membre respectable de la société, +et que tout est fini entre nous. + +MRS. H.--J’ai un gros compte à régler avec vous. Où étiez-vous, au +concert Pop[14] de lundi? Où étiez-vous mardi? Où étiez-vous au tennis +des Lamont? Je cherchais partout. + + [14] Concert populaire. + +LE CAP. G.--Pour me voir? Oh! j’étais en vie quelque part, je suppose. +(_A part._) C’est pour Minnie, mais cela va être salement désagréable. + +MRS. H.--Ai-je fait quelque chose pour vous offenser? Si oui, cela n’a +jamais été mon intention. Je ne pouvais m’abstenir d’aller faire une +promenade à cheval avec ce Vaynor. C’était promis une semaine avant que +vous n’arriviez. + +LE CAP. G.--J’ignorais... + +MRS. H.--Cela l’_était_ vraiment. + +LE CAP. G.--Quoi que ce soit à ce sujet, voilà ce que je veux dire. + +MRS. H.--Qu’est-ce que vous avez aujourd’hui? Tous ces jours-ci? Il y a +quatre grands jours, presque cent heures, que vous n’avez été près de +moi. Est-ce _gentil_ à vous, Pip? Et j’ai tant attendu votre arrivée! + +LE CAP. G.--Vraiment? + +MRS. H.--Vous le savez bien! J’ai été aussi sotte à ce propos qu’une +pensionnaire. J’ai fait un petit calendrier que j’ai mis dans mon +porte-cartes, et chaque fois que le canon de midi partait, j’effaçais +une ligne et disais: «cela me rapproche de Pip. _Mon_ Pip!» + +LE CAP. G. (_avec un rire contraint_).--Que va penser Mackler si vous le +négligez pareillement. + +MRS. H.--Et cela ne vous a pas rapproché. Vous paraissez beaucoup plus +loin que jamais. Avez-vous quelque raison de bouder? Je connais votre +caractère. + +LE CAP. G.--Non. + +MRS. H.--Suis-je donc devenue vieille dans ces quelques derniers mois? +(_Elle étend la main vers la haie de fleurs pour prendre le menu._) + +VOISIN DE GAUCHE.--Permettez-moi. (_Il tend le menu. MRS. H. reste le +bras étendu l’espace de trois secondes._) + +MRS. H. (_au voisin, son cavalier_).--Oh! merci, je ne voyais pas. +(_Elle se retourne à droite._)--Y a-t-il en moi quelque chose de changé? + +LE CAP. G.--De grâce occupez-vous de dîner! Il faut manger quelque +chose. Essayez une de ces façons de côtelettes. (_A part._) Et je +m’imaginais qu’elle avait de belles épaules, au beau temps jadis! Quel +âne on peut faire de soi! + +MRS. H. (_se servant une manchette de papier, sept pois, quelques +carottes découpées à l’emporte-pièce et une cuillerée de sauce_).--Ce +n’est pas une réponse. Dites-moi si j’ai fait quelque chose. + +LE CAP. G. (_à part_).--Si l’on n’en finit pas ici, il y aura quelque +scène diabolique ailleurs. Si seulement j’avais écrit et que j’eusse +accepté la bataille... à longue portée! (_Au khitmatgar._) _Han! Simpkin +do[15]._ (_Haut._) Je vous raconterai cela plus tard. + + [15] Oui, du champagne. + +MRS. H.--Racontez-le-moi _tout de suite_. Ce doit être quelque ridicule +malentendu, et vous savez qu’il ne devait rien arriver de la sorte entre +nous. _Nous_, moins que personne ne pouvons nous le permettre. C’est ce +Vaynor et vous ne voulez pas le dire? Sur mon honneur... + +LE CAP. G.--Je n’ai jamais pensé un instant à ce Vaynor. + +MRS. H.--Mais comment savez-vous que moi, je n’y ai pas pensé? + +LE CAP. G. (_à part_).--Voici l’occasion et puisse le diable me la faire +prendre aux cheveux. (_Haut et d’un ton mesuré._) Croyez-moi, peu +m’importe que vous pensiez plus ou moins souvent à ce Vaynor, ni que +vous y pensiez d’une façon plus ou moins tendre. + +MRS. H.--Je me demande si c’est bien ce que vous voulez dire... Oh! +qu’est-ce que cela rapporte de se chamailler et de prétendre ne pas se +comprendre quand vous n’êtes ici en haut que pour si peu de temps. Pip, +ne faites pas la bête! + + _Suit une pause, pendant laquelle il croise sa jambe gauche par-dessus + la droite et continue son dîner._ + +LE CAP. G. (_en réponse à l’orage qui s’amasse dans les yeux de MRS. +H._).--Oh là là, mes cors... C’est mon plus sensible. + +MRS. H.--Ma parole, vous êtes l’homme le plus grossier de la terre! +Jamais plus je ne recommencerai. + +LE CAP. G. (_à part_).--Non, je ne crois pas que vous recommenciez; mais +je me demande ce que vous ferez avant que tout soit fini. (_Au +khitmatgar._) _Thorah ur Simpkin do[16]._ + + [16] Donnez-moi du champagne. + +MRS. H.--Eh bien! vous n’avez pas même la politesse de vous excuser, +vilain homme? + +LE CAP. G. (_à part_).--Ce n’est pas la peine de lâcher pied maintenant. +Fiez-vous à une femme pour être aveugle comme une taupe lorsqu’elle ne +veut pas voir. + +MRS. H.--J’attends. Ou vous sied-il que je dicte une formule d’excuse? + +LE CAP. G. (_en désespéré_).--Parfaitement, dictez. + +MRS. H. (_gaîment_).--Fort bien. Répétez tous vos noms de baptême après +moi et continuez: «Professe mon sincère repentir...» + +LE CAP. G.--«Sincère repentir...» + +MRS. H.--«Pour m’être conduit...» + +LE CAP. G. (_à part_).--Enfin! Si seulement elle voulait regarder +ailleurs. (_Haut._) «Pour m’être conduit»... comme je me suis conduit, +et déclare que je suis à fond et franchement malade de toute cette +histoire, et saisis cette occasion de faire connaître clairement mon +intention d’y mettre fin, maintenant, désormais, et pour toujours. (_A +part._) Si quelqu’un m’eût dit que je jouerais jamais ce rôle de +mufle!... + +MRS. H. (_versant une cuillerée de pommes de terre paille dans son +assiette_).--Ce n’est pas une belle plaisanterie. + +LE CAP. G.--Non, c’est une réalité. (_A part._) Je me demande si les +catastrophes de ce genre sont toujours aussi brutales. + +MRS. H.--En vérité, Pip, vous devenez plus drôle de jour en jour. + +LE CAP. G.--Je crois que vous ne me comprenez pas bien. Faut-il le +répéter? + +MRS. H.--Non! par pitié, ne faites pas cela. C’est trop terrible, même +pour rire. + +LE CAP. G. (_à part_).--Je vais la laisser y réfléchir pendant un +moment. Mais je mériterais la cravache. + +MRS. H.--Je veux savoir ce qu’il y avait au fond de ce que vous venez de +me dire. + +LE CAP. G.--Exactement ce que j’ai dit. Rien de moins. + +MRS. H.--Mais qu’est-ce que j’ai fait pour le mériter? Qu’est-ce que +j’ai donc fait? + +LE CAP. G. (_à part_).--Si seulement elle voulait bien ne pas me +regarder. (_Haut et très lentement, les yeux sur son assiette._) Vous +rappelez-vous ce soir de juillet, avant que les pluies éclatent, où vous +me disiez que la fin arriverait forcément tôt ou tard... et où vous vous +demandiez pour lequel de nous elle arriverait le premier? + +MRS. H.--Oui, c’était seulement pour rire. Et vous jurâtes que, aussi +longtemps qu’il vous resterait un souffle dans la poitrine, _jamais_ +elle n’arriverait. Et je vous crus. + +LE CAP. G. (_jouant avec le menu_).--Eh bien, elle est arrivée. Voilà +tout. + + _Une longue pause durant laquelle MRS. H. tient la tête courbée et + roule son pain viennois en petites boulettes. G. regarde les lauriers + roses._ + +MRS. H. (_rejetant la tête en arrière et riant d’un rire naturel_).--On +nous dresse bien, nous autres femmes, n’est-ce pas, Pip? + +LE CAP. G. (_brutalement, en touchant son bouton de chemise_).--Pour ce +qui est de savoir porter le masque. (_A part._) Ce n’est pas dans sa +nature de prendre les choses tranquillement. Il faudra bien qu’il y ait +une explosion. + +MRS. H. (_avec un frisson_).--Merci. Ma-ais les Peaux-Rouges eux-mêmes +laissent, je crois, les gens se tortiller pendant qu’on les torture. +(_Elle tire son éventail de sa ceinture et s’évente lentement, le bord +de l’éventail au niveau du menton._) + +VOISIN DE GAUCHE.--Très lourd, ce soir, n’est-ce pas? Cela vous +incommode? + +MRS. H.--Oh non, pas le moins du monde. Mais on devrait avoir vraiment +des punkahs, même dans votre frais Naini Tal, ne trouvez-vous pas? +(_Elle se retourne en laissant retomber son éventail et en levant les +sourcils._) + +LE CAP. G.--Cela va-t-il mieux? (_A part._) Voici venir l’orage! + +MRS. H. (_les yeux sur la nappe, l’éventail tout prêt dans la main +droite_).--Cela fut fort habilement conduit, Pip, et je vous félicite. +Vous aviez juré--vous ne vous contentiez jamais de dire simplement les +choses--vous aviez _juré_ que, autant qu’il serait en votre pouvoir, +vous rendriez aimable pour moi ma triste existence. Et vous m’avez +refusé la consolation de pouvoir pleurer. Moi, je l’eusse fait... +certes, je l’eusse fait. C’est à peine si une femme eût pensé à ce +raffinement, mon prévenant, prudent ami. (_L’éventail au niveau du +menton, comme plus haut._) Vous vous êtes, en outre, expliqué avec une +telle tendresse, une telle véracité! Vous n’avez pas prononcé, pas écrit +un mot d’avertissement, et vous m’avez laissée croire en vous jusqu’à la +dernière minute. Vous n’avez pas encore condescendu à me donner la +_raison_. Une femme n’eût pu conduire l’affaire la moitié aussi bien. +Est-ce qu’il y a beaucoup d’hommes comme vous dans le monde? + +LE CAP. G.--Pour sûr, je n’en sais rien. (_Au khitmatgar._) Eh là! +_Simpkin do._ + +MRS. H.--Vous vous dites un homme du monde, n’est-ce pas? Est-ce que les +hommes du monde se conduisent comme des tortionnaires lorsqu’ils font à +une femme l’honneur d’être fatigués d’elle? + +LE CAP. G.--Pour sûr, je n’en sais rien. Ne parlez pas si haut! + +MRS. H.--Conservons la correction, ô Seigneur, quoi qu’il arrive. N’ayez +pas peur que je vous compromette. Vous avez trop bien choisi votre +terrain, et j’ai été convenablement élevée. (_Baissant son éventail._) +N’avez-vous pas de pitié, Pip, si ce n’est pour vous-même? + +LE CAP. G.--Ne serait-il pas quelque peu impertinent de ma part de dire +que je suis fâché pour vous? + +MRS. H.--Je crois que vous l’avez déjà dit une ou deux fois. Vous +devenez très soucieux de mes sentiments. Mon Dieu, Pip, j’étais jadis +une honnête femme! Vous le disiez. Vous m’avez faite ce que je suis. +Qu’allez-vous faire de moi? Qu’allez-vous faire de moi? Vous ne voulez +pas même dire que vous êtes fâché? (_Elle se sert des asperges +glacées._) + +LE CAP. G.--Je suis fâché pour vous, s’il vous faut la pitié d’une brute +comme moi. Je suis _horriblement_ fâché pour vous. + +MRS. H.--Quelque peu bénin pour un homme du monde. Pensez-vous vous +sauver par cet aveu? + +LE CAP. G.--Que puis-je faire? Je ne peux que vous dire ce que je pense +de moi-même. Vous ne pouvez en penser pire? + +MRS. H.--Oh! oui, je le peux. Et maintenant, voulez-vous me dire la +raison de tout cela? Du remords? Bayard a-t-il été soudain frappé de +scrupule. + +LE CAP. G. (_avec colère, les yeux toujours baissés_).--Non! La chose a +pris fin de mon côté. C’est tout. _Mafisch!_ + +MRS. H.--«C’est tout. _Mafisch!_» Comme si j’étais un interprète arabe. +Vous faisiez jadis de plus jolis discours. Vous rappelez-vous lorsque +vous disiez?... + +LE CAP. G.--Pour l’amour du ciel, ne revenez plus là-dessus. Appelez-moi +tout ce que vous voudrez et je l’admettrai... + +MRS. H.--Mais vous ne tenez pas à ce qu’on vous remette en mémoire les +vieux mensonges. Si je pouvais espérer vous faire la dixième partie du +mal que vous m’avez fait ce soir... Non... Je ne le voudrais pas... je +ne pourrais pas le faire... quelque menteur que vous soyez. + +LE CAP. G.--J’ai dit la vérité. + +MRS. H.--Mon _cher_ monsieur, vous vous flattez. Vous avez menti au +sujet du motif. Pip, rappelez-vous que je vous connais comme vous ne +vous connaissez pas vous-même. Vous avez été tout pour moi, quoique vous +soyez... (_Même jeu d’éventail._) Oh! comme tout cela est méprisable! +Ainsi, vous êtes tout simplement fatigué de moi? + +LE CAP. G.--Puisque vous insistez pour que je le répète... Oui. + +MRS. H.--Mensonge numéro un. Que ne suis-je en possession d’un mot plus +cru! Mensonge semble si insuffisant dans votre cas. Le feu vient de +s’éteindre et il n’y en a pas un nouveau? Réfléchissez une minute, Pip, +si vous ne voulez pas que je vous méprise plus que je ne fais. +Simplement _Mafisch_, alors? + +LE CAP. G.--Oui. (_A part._) Je crois le mériter. + +MRS. H.--Mensonge numéro deux. Avant que le prochain verre ne vous +étrangle, dites-moi son nom. + +LE CAP. G. (_à part_).--Je lui revaudrai cela, de faire intervenir +Minnie dans l’affaire! (_Haut._) Est-ce vraisemblable? + +MRS. H.--_Fort_ vraisemblable si vous pensiez que cela flatterait votre +vanité. Vous crieriez mon nom sur les toits pour faire se retourner les +gens. + +LE CAP. G.--Que ne l’ai-je fait! Cela eût mis fin à cette affaire. + +MRS. H.--Oh! non, cela n’eût mis fin à rien du tout... Ainsi, monsieur +allait devenir vertueux et blasé, n’est-ce pas? Venir me dire: «J’ai +assez de vous. L’incident est clo-os.» Je devrais être fière d’avoir +gardé un homme pareil si longtemps. + +LE CAP. G. (_à part_).--Il ne me reste qu’à prier pour que le dîner +finisse. (_Haut._) Vous savez ce que je pense de moi-même. + +MRS. H.--Comme c’est la seule personne du monde à laquelle jamais vous +pensiez, et comme je vous connais jusqu’au fond de l’âme, oui, je le +sais. Vous voulez qu’on n’en parle plus et... Oh! je ne peux pas vous en +empêcher! Et vous allez--pensez-y, Pip--me mettre au rancart pour une +autre femme. Et vous aviez juré que toutes les autres femmes étaient... +Pip, mon Pip! Elle _ne peut_ se soucier de vous comme je fais. +Croyez-moi, elle ne le peut! Est-ce quelqu’un que je connais? + +LE CAP. G.--Dieu merci, non! (_A part._) Je m’attendais à un cyclone, +mais pas à un tremblement de terre. + +MRS. H.--Elle _ne le peut_! Y a-t-il quelque chose que je ne ferais pas +pour vous... ou que je n’aie fait? Et penser que je me donne ce mal à +votre sujet, sachant ce que vous êtes! M’en méprisez-vous? + +LE CAP. G. (_se passant la serviette sur la bouche pour dissimuler un +sourire_).--_Encore?_ C’est entièrement une œuvre de charité de votre +part. + +MRS. H.--Ahhh! Mais je n’ai aucun droit à me formaliser... Est-elle +mieux que moi? Qui est-ce qui disait...? + +LE CAP. G.--Non... pas cela! + +MRS. H.--Je serai plus compatissante que vous. Ne savez-vous pas que +toutes les femmes sont pareilles? + +LE CAP. G. (_à part_).--Alors, il s’agit de l’exception qui prouve la +règle. + +MRS. H.--_Toutes!_ Je vous dirai n’importe ce que vous voulez. Je vous +le dirai, sur ma parole! Ce qu’il leur faut, c’est uniquement +l’admiration... du premier venu--peu importe qui--du premier venu! Mais +il est toujours _un_ homme dont elles se soucient plus que de personne +au monde, et auquel elles sacrifieraient tous les autres. Oh! écoutez +bien! J’ai laissé ce Vaynor trotter derrière moi comme un caniche, et il +se croit le seul homme auquel je m’intéresse. Je vais vous raconter ce +qu’il m’a dit. + +LE CAP. G.--Épargnez-le. (_A part._) Je me demande quelle est sa +version, à ce Vaynor. + +MRS. H.--Pendant tout le dîner il a attendu que je le regarde. Le +regarderai-je, pour que vous puissiez voir l’air idiot qu’il va prendre? + +LE CAP. G.--Mais qu’importe l’entrée en scène de ce monsieur? + +MRS. H.--Regardez! (_Elle adresse un coup d’œil audit Vaynor, lequel +essaye vainement de concilier une bouchée de pudding à la glace, un +sourire de satisfaction personnelle, un regard de dévotion intense et la +solidité d’une contenance britannique à une table de dîner._) + +LE CAP. G. (_judicieusement_).--Il n’a pas l’air joli. Pourquoi +n’avez-vous pas attendu que la cuiller lui soit sortie de la bouche? + +MRS. H.--Pour vous amuser. Elle vous donnera en spectacle comme j’ai +fait pour lui; et les gens riront de vous. Oh, Pip, ne le voyez-vous +pas? C’est aussi clair que le soleil en plein midi. On vous fera trotter +de côté et d’autre et on vous contera des mensonges, on fera de vous un +objet de risée comme les autres. Je n’ai jamais, moi, fait de vous un +objet de risée, n’est-ce pas? + +LE CAP. G. (_à part_).--L’intelligente petite femme! + +MRS. H.--Eh bien, qu’avez-vous à dire? + +LE CAP. G.--Je me sens mieux. + +MRS. H.--Oui, je le suppose, maintenant que me voici descendue à votre +niveau. Je n’aurais jamais pu le faire si je ne vous aimais pas autant. +J’ai dit la vérité. + +LE CAP. G.--Cela ne change en rien la situation. + +MRS. H. (_avec emportement_).--Alors, elle _a_ dit qu’elle vous aimait! +Ne la croyez pas, Pip. C’est un mensonge... aussi vilain que le vôtre à +mon égard! + +LE CAP. G.--Ffffixe! J’ai idée qu’un de vos amis vous regarde. + +MRS. H.--Lui! Je le _hais_. C’est lui qui vous a présenté à moi. + +LE CAP. G. (_à part_).--Et il y a des gens pour vouloir que les femmes +aident à confectionner les lois! Une présentation impliquer tout le +reste! (_Haut._) Mais, vous comprenez, si vous pouvez faire remonter vos +souvenirs jusque-là, il ne m’était guère possible, en toute politesse, +de refuser l’offre. + +MRS. H.--En toute politesse! Nous sommes allés plus loin que _cela_! + +LE CAP. G. (_à part_).--Vieux terrain veut dire nouvel ennui. (_Haut._) +Sur mon honneur... + +MRS. H.--Votre quoi? Ha, ha! + +LE CAP. G.--Déshonneur, alors. Elle n’est pas ce que vous imaginez. Je +voulais... + +MRS. H.--Ne me parlez pas d’elle! Elle ne saurait vous aimer, et lorsque +vous reviendrez, après vous être donné en spectacle, vous me trouverez +occupée de... + +LE CAP. G. (_insolemment_).--Vous ne pourriez pas tant que je suis +vivant. (_A part._) Si cela n’appelle pas son orgueil à la rescousse, +rien ne le fera. + +MRS. H. (_se redressant_).--Je ne pourrais pas? _Moi?_ +(_S’adoucissant._) Vous avez raison. Je ne crois pas que je le +pourrais... malgré tout ce que vous êtes... un lâche et un menteur +jusque dans la moelle. + +LE CAP. G.--Cela ne blesse pas autant après votre petit cours... avec +démonstrations. + +MRS. H.--Une montagne de vanité! Rien ne vous touchera-t-il donc +_jamais_ en cette vie? Il doit y avoir une Vie Future quand ce ne serait +que pour le bénéfice de... Mais vous ne la partagerez avec personne. + +LE CAP. G. (_par-dessous ses sourcils_).--En êtes-vous si certaine? + +MRS. H.--J’aurai eu mon enfer en cette vie, et je l’aurai bien mérité. + +LE CAP. G.--Mais l’admiration sur laquelle vous insistiez si fort, il y +a un instant? (_A part._) Oh! quelle brute je _fais_! + +MRS. H. (_d’un ton farouche_).--_Cela_ me consolera-t-il de la +connaissance que j’aurai que vous allez à elle avec les mêmes mots, les +mêmes arguments, et les... les mêmes noms d’amitié que ceux dont vous +vous êtes servi pour moi? Et si elle vous aime, vous rirez tous deux de +mon histoire. Serait-ce un châtiment assez lourd même pour moi... même +pour moi?... Et tout cela pour rien. Autre châtiment! + +LE CAP. G. (_faiblement_).--Oh, allons! Je ne suis pas aussi bas que +vous pensez. + +MRS. H.--Pas en ce moment, peut-être, mais vous le serez. Oh! Pip, au +cas où une femme flatterait votre vanité, il n’y a rien sur terre que +vous ne lui racontiez; et pas de bassesse à quoi vous ne descendiez. +Vous ai-je connu si longtemps pour ne pas le savoir? + +LE CAP. G.--Si vous ne pouvez avoir confiance en moi pour rien autre--et +je ne vois pas après tout pourquoi on aurait confiance en moi--vous +pouvez compter que je saurai me taire. + +MRS. H.--Si vous démentiez tout ce que vous m’avez dit ce soir et +déclariez que tout cela n’était que pour plaisanter (_une longue +pause_), j’aurais confiance en vous. Pas autrement. Tout ce que je vous +demande, c’est de ne pas lui dire mon nom. _Je vous en prie_, ne le lui +dites pas. Un homme pourrait oublier; une femme, jamais. (_Elle lève les +yeux au-dessus de la table et voit la maîtresse de maison qui commence à +rassembler les regards._) Ainsi, tout est fini, sans qu’il y ait de ma +faute... Ne me suis-je pas admirablement conduite! J’ai accepté votre +congé, et vous l’avez cuisiné aussi cruel possible, et je vous ai fait +respecter mon sexe, n’est-ce pas? (_Arrangeant ses gants et son +éventail._) Je prie seulement pour qu’elle vous connaisse un jour comme +je vous connais à présent. Je ne voudrais pas, alors, être à votre +place, car je crois que vous vous trouverez atteint jusque dans votre +vanité. J’espère qu’elle vous rendra l’humiliation que vous m’avez +causée. Je l’espère... Non. Je ne l’espère pas. _Je ne peux pas_ +renoncer à vous! Il me faut quelque chose à espérer, sans quoi je +deviendrai folle. Quand tout cela sera fini, revenez-moi, revenez-moi, +et vous vous apercevrez que vous êtes toujours mon Pip! + +LE CAP. G. (_très clairement_).--Mal joué, et cela vous coûte cher. +C’est une jeune fille! + +MRS. H. (_se levant_).--Alors, _c’était_ vrai! On disait... mais je ne +voudrais pas vous insulter en vous questionnant. Une jeune fille! Il n’y +a pas longtemps que j’étais une jeune fille. Soyez-lui bon, Pip. C’est +possible qu’elle croie en vous. + + _Elle sort avec un sourire incertain. Il la regarde par la porte, et + se rassoit sur une chaise, tandis que les hommes se redistribuent._ + +LE CAP. G--Maintenant, s’il est une Force qui veille sur ce monde, +voudra-t-elle avoir la bonté de me dire ce que j’ai fait? (_Étendant le +bras vers le vin de Bordeaux, et presque à haute voix._) Qu’_ai_-je +fait? + + + + +PAR AUCUNE CRAINTE + + Et ne vous laissez troubler par aucune crainte. + + _Office du mariage._ + + + DÉCOR.--_Une chambre de célibataire. Table de toilette rangée avec un + soin qui n’est pas naturel. LE CAPITAINE GADSBY dort et ronfle fort. + Dix heures et demie du matin--une admirable journée d’automne à Simla. + Entre avec précaution LE CAPITAINE MAFFLIN, du régiment de GADSBY. + Regarde le dormeur, et branle la tête, en murmurant: «Pauvre Gaddy!» + Exécute une brillante fantaisie à l’aide des brosses à cheveux sur un + dos de chaise._ + +LE CAP. M.--Éveillez-vous, belle endormie! (_Il rugit._) + + «Uprouse ye, then, my merry, merry men! + It is our opening day! + It is our opening day!» + +Gaddy, voilà déjà longtemps que les petits pierrots piaillent et se +becquettent; et je suis ici! + +LE CAP. G. (_s’asseyant sur son séant et bâillant_).--Bonjour. C’est +diantrement bien à toi, mon vieux. Tout ce qu’il y a de bien. Ne sais +pas ce que j’aurais fait sans toi. Sur mon âme, sais pas. N’ai pas fermé +l’œil de la nuit. + +LE CAP. M.--Je ne suis rentré qu’à onze heures et demie. J’ai jeté un +coup d’œil sur toi, et tu paraissais dormir aussi profondément qu’un +condamné à mort. + +LE CAP. G.--Jack, si c’est pour faire de ces plaisanteries éventées à +pleurer que tu es là, tu ferais tout aussi bien de t’en aller. (_Avec +une énorme gravité._) C’est le plus heureux jour de ma vie. + +LE CAP. M. (_riant tout bas d’un air menaçant_).--Tu verras cela, mon +garçon. Tu vas passer par quelques-unes des tortures les plus raffinées +que tu aies jamais connues. Mais sois calme. Je suis avec toi. +’Ttention! Alignement! + +LE CAP. G.--Hein! Quo-oi? + +LE CAP. M.--Supposes-tu que tu es ton maître pour douze grandes heures +d’horloge? Si oui, naturellement... (_Il fait un mouvement vers la +porte._) + +LE CAP. G.--Non! Pour l’amour du ciel, mon vieux, ne fais pas cela! Tu +ne vas pas me lâcher que ce ne soit fini, n’est-ce pas? J’ai sué sur +cette fichue manœuvre sans pouvoir m’en rappeler une ligne. + +LE CAP. M. (_inspectant l’uniforme de G._).--Allons, prends ton tub. Ne +m’assomme pas. Je te donne dix minutes pour t’habiller. + + _Intervalle, rempli par un bruit de quelque chose comme un + éclaboussement dans la salle de bain._ + +LE CAP. G. (_émergeant du cabinet de toilette_).--Quelle heure est-il? + +LE CAP. M.--Presque onze heures. + +LE CAP. G.--Encore cinq heures. Grand Dieu! + +LE CAP. M. (_à part_).--Premier signe de frousse, cela. Je voudrais bien +savoir si cela va continuer. (_Haut._) Viens déjeuner. + +LE CAP. G.--Pas le moindre appétit. Pourrais rien manger. + +LE CAP. M. (_à part_).--Si tôt! (_Haut._) Capitaine Gadsby, je vous +_ordonne_ de manger votre déjeuner, et un sacré bon déjeuner encore. Ces +airs et ces grâces de jeune épousée ne prennent pas avec moi! + + _Il conduit G. au rez-de-chaussée, et reste debout derrière lui + pendant qu’il mange deux côtelettes._ + +LE CAP. G. (_qui a regardé trois fois à sa montre dans les cinq +dernières minutes_).--Quelle heure est-il? + +LE CAP. M.--L’heure de venir faire un tour. Allume. + +LE CAP. G.--Voilà dix jours que je n’ai fumé, et je ne vais pas +commencer maintenant. (_Il prend le cheroot dont M. a coupé le bout pour +lui, et souffle voluptueusement la fumée par les narines._) Nous +n’allons pas descendre le Mall, n’est-ce pas? + +LE CAP. M. (_à part_).--Ils sont tous pareils dans ces moments-là? +(_Haut._) Non, ma vestale. Nous allons prendre la route la plus +tranquille que nous puissions trouver. + +LE CAP. G.--Des chances de _la_ rencontrer? + +LE CAP. M.--Pauvre innocent! Non! Viens, et si tu as besoin de moi pour +les obsèques finales, ne m’enlève pas l’œil avec ta canne. + +LE CAP. G. (_se retournant brusquement_).--Dis-moi, n’est-ce pas la plus +charmante créature qui ait jamais existé? Quelle heure as-tu? Qu’est-ce +qui vient après «voulez-vous prendre pour épouse»? + +LE CAP. M.--On cherche l’anneau. Rappelle-toi qu’il sera au bout du +petit doigt de ma main droite, et fais bien attention à la façon dont tu +le tireras, car j’aurai les honoraires du sacristain quelque part dans +mon gant. + +LE CAP. G. (_précipitant le pas_).--Au diable le sacristain! Viens donc! +Il est midi passé, et je ne l’ai pas vue depuis hier soir. (_Se +retournant de nouveau._) C’est absolument un ange, Jack, et elle est +mille fois trop bien pour moi. Dis-moi, remonte-t-elle la nef à mon +bras, ou comment? + +LE CAP. M.--Si je pensais qu’il y eût pour toi la moindre chance de te +rappeler quelque chose durant deux minutes consécutives, je te le +dirais. Cesse de passager comme cela! + +LE CAP. G. (_faisant halte au milieu de la route_).--Dis-donc, Jack? + +LE CAP. M.--Reste tranquille encore dix minutes si tu peux, fou que tu +es, et _marche_! + + _Tous deux déguerpissent à cinq milles à l’heure pendant quinze + minutes._ + +LE CAP. G.--Quelle heure as-tu? Qu’est-ce qui se passe au sujet de ce +maudit wedding-cake et des petits souliers blancs? Ils ne les jettent +pas dans l’église, n’est-ce pas? + +LE CAP. M.--In-variablement. Le pasteur ouvre la danse avec ses +bottines. + +LE CAP. G.--Dieu te confonde, imbécile! Ne te moque pas de moi. Je ne +peux le supporter, et ne le supporterais pas! + +LE CAP. M. (_sans se troubler_).--Tout doux, ma vieille carne! Il va +falloir faire dodo deux heures cet après-midi. + +LE CAP. G. (_se retournant_).--Je ne vais pas me laisser traiter comme +un sacré gamin. Tâche de comprendre cela! + +LE CAP. M. (_à part_).--Les nerfs comme des cordes à violon. En voilà, +une journée! (_Posant tendrement la main sur l’épaule de G._) Mon David, +combien y a-t-il de temps que tu connais ce Jonathan? Est-ce que je +viendrais ici pour me moquer de toi... après toutes ces années-là? + +LE CAP. G. (_avec repentir_).--Je sais, je sais, Jack... mais je suis +aussi chaviré qu’il est possible. Ne fais pas attention à ce que je dis. +Écoute-moi un peu répéter la manœuvre pour voir si je la tiens: + +«Pour t’avoir et garder, soit que tu sois meilleure ou pire, comme il +était au commencement, comme il est maintenant, et comme il sera +éternellement, avec l’aide de Dieu.--Amen[17].» + + [17] Ici, Gadsby mêle trois passages différents de l’office de mariage + anglican. + +LE CAP. M. (_suffoquant de rire_).--Oui, c’est à peu près le sel de la +chose. Je soufflerai si tu t’arrêtes en route. + +LE CAP. G. (_vivement_).--Oui, tu ne vas pas me lâcher, Jack, n’est-ce +pas? Je suis salement heureux, mais je ne te cacherai pas, à toi, que +j’ai une peur bleue! + +LE CAP. M. (_gravement_).--Vrai? Jamais je ne m’en serais aperçu. Tu +n’en as pas l’air. + +LE CAP. G.--Tu crois? A la bonne heure. (_Se retournant._) Sur mon âme +et mon honneur, Jack, c’est le plus doux petit ange qui soit jamais +descendu du ciel. Il n’y a pas de femme sur terre qui soit digne de lui +adresser la parole! + +LE CAP. M. (_à part_).--Et c’est le vieux Gaddy! (_Haut._) Va donc, si +cela te soulage. + +LE CAP. G.--Tu peux bien rire! C’est tout ce à quoi vous êtes bons, vous +autres, onagres de célibataires. + +LE CAP. M. (_traînant ses paroles_).--Tu veux toujours devancer la +troupe. Tu n’es pas encore tout à fait marié, tu sais. + +LE CAP. G.--Peuh! cela me rappelle. Je ne crois pas pouvoir entrer dans +mes bottes. Allons à la maison les essayer! (_Il se presse en avant._) + +LE CAP. M.--Voudrais pas être dans _tes_ souliers pour tout ce que +l’Asie peut offrir. + +LE CAP. G. (_se retournant_).--Voilà qui prouve bien ta hideuse noirceur +d’âme... ta couche de bêtise... ta brutale étroitesse d’idées. Tu n’as +qu’un défaut. Tu es le meilleur des bons zigues, et je ne sais pas ce +que j’aurais fait sans toi, mais... tu n’es pas marié. (_Il branle +gravement la tête._) Prends une femme, Jack. + +LE CAP. M. (_le visage comme un mur_).--Ou-é. La femme de qui, de +préférence? + +LE CAP. G.--Si tu te mets à faire le polisson, je te quitte... Quelle +heure as-tu? + +LE CAP. M. (_il chantonne_). + + An’ since ’twas very clear we drank only gingerbeer, + Faith, there must ha’ been some stingo in the ginger! + +Rentrons, espèce d’enragé. Je vais te ramener au logis, et tu vas te +coucher. + +LE CAP. G.--Que diable ai-je besoin de me coucher? + +LE CAP. M.--Tends-moi ton cheroot pour me donner du feu et tu vas voir. + +LE CAP. G. (_qui regarde le bout du cheroot trembler comme un +diapason_).--Je suis dans un délicieux état! + +LE CAP. M.--Effectivement. Je vais te faire prendre un verre et tu t’en +iras dormir. + + _Ils rentrent et M. compose un whisky-soda bien corsé._ + +LE CAP. G.--Oh, _bus! bus![18]_ Cela va me saouler comme un polonais. + + [18] Assez! assez! (en hindoustani). + +LE CAP. M.--Chose curieuse, cela n’aura pas le moindre effet sur toi. +Avale-moi cela, jette-toi là, et mets-toi à faire dodo. + +LE CAP. G.--C’est absurde. Je ne dormirai pas. Je _sais_ que non! + + _Il tombe dans un lourd sommeil au bout de sept minutes. LE CAP. M. le + veille tendrement._ + +LE CAP. M.--Pauvre vieux Gaddy! J’en ai vu déjà quelques-uns lancés dans +le vide, mais jamais aucun marcher au gibet dans ces conditions-là. On +ne peut jamais dire comment ils vont prendre cela. Ce sont les pur-sang +qui suent au reculer dans l’attelage à deux... Et c’est là l’homme qui a +traversé les pièces à la charge à Amdhéran, comme un enragé. (_Il se +penche sur G._) Mais c’est pire que les pièces, vieux copain... pire que +les pièces, n’est-ce pas? (_G. se retourne dans son sommeil et M. lui +effleure gauchement le front._) Pauvre, cher vieux Gaddy! Qui s’en va +comme les autres... qui s’en va comme les autres... _L’ami qui vous est +plus attaché qu’un frère_... huit années. Sacrée petite garce de +fille... huit semaines! Et... où est votre ami? (_Il fume +inconsolablement jusqu’à ce que l’horloge de l’église sonne trois +heures._) + +LE CAP. M.--Debout! Allons, équipe-toi! + +LE CAP. G.--Déjà? N’est-ce pas trop tôt? N’aurais-je pas dû me raser de +frais? + +LE CAP. M.--_Non!_ Tu es très bien comme cela. (_A part._) Il se +mettrait le menton en pièces. + +LE CAP. G.--Pourquoi se presser? + +LE CAP. M.--Il faut que tu sois là le premier. + +LE CAP. G.--Pour servir de point de mire? + +LE CAP. M.--Justement. Tu fais partie du spectacle. Où est le tripoli? +Tes éperons sont dans un état honteux. + +LE CAP. G. (_d’un ton bourru_).--Jack, jamais tu ne feras cela pour moi? + +LE CAP. M. (_d’un ton plus bourru_).--Ferme cela et habille-toi! S’il me +plaît de nettoyer tes éperons, tu es sous _mes_ ordres. + + _LE CAP. G. s’habille. M. en fait autant._ + +LE CAP. M. (_faisant le tour en l’inspectant_).--Oui, cela va. +Seulement, ne prends pas cet air de criminel. L’anneau, les gants, +l’argent--cela va bien pour moi. Laisse ta moustache tranquille. +Maintenant, si les poneys sont prêts, nous allons partir. + +LE CAP. G. (_nerveusement_).--Il est beaucoup trop tôt. Allumons un +cigare! Buvons quelque chose! Faisons... + +LE CAP. M.--Faisons les sacrés ânes! + +LES CLOCHES (_au dehors_).-- + + «I--ci--bonnes--gens + La prière--vous attend.» + +LE CAP. M.--Voilà les cloches! Viens... à moins que tu ne préfères +rester. (_Ils s’éloignent à cheval._) + +LES CLOCHES.-- + + Oui nous honorons le roi, + La bru mettons en émoi... + Chaque nouvelle a son sort, + Nous sonnons le glas du mort. + +LE CAP. G. (_descendant de cheval à la porte de l’église_).--Dis-moi, ne +sommes-nous pas là beaucoup trop tôt? Il y a du monde à n’en plus finir +dans l’intérieur. Dis-moi, ne sommes-nous pas très en retard? Reste près +de moi, Jack! Que diable dois-je faire? + +LE CAP. M.--Assume une contenance à l’entrée de la nef et attends-_la_. +(_LE CAP. G. grogne, tandis que M. lui fait faire volte-face devant +trois cents yeux._) + +LE CAP. M. (_d’un air suppliant_).--Gaddy, si tu m’aimes, pour la grâce +de Dieu, pour l’honneur du régiment, tiens-toi droit! Remplis ton +uniforme! Aie l’air d’un homme! J’ai à parler une minute au pasteur. +(_G. est pris d’une douce transpiration._) Si tu t’essuies le visage, +jamais plus je ne serai ton témoin. Poitrine! (_G. tremble +visiblement._) + +LE CAP. M. (_revenant_).--Voici qu’elle arrive. Fais attention quand la +musique va commencer. Voilà l’orgue qui se met en branle. + + _La mariée sort de la rickshaw à la porte de l’église. G. l’entrevoit + et prend courage._ + +L’ORGUE.-- + + La Voix qui souffla sur Éden, + Le premier jour de mariage, + Et bénit le premier hymen, + A bravé les saisons et l’âge. + +LE CAP. M. (_surveillant G._).--Ma parole! Il a pris bon air. Je ne l’en +aurais pas cru capable aujourd’hui. + +LE CAP. G.--Combien de temps va durer cet hymne? + +LE CAP. M.--Cela va être fini tout de suite. (_Anxieusement._) Vas-tu te +mettre à pâlir et à ravaler ta salive? Tiens bon, Gaddy, et pense au +régiment. + +LE CAP. G. (_d’un ton mesuré_).--Dis donc, il y a un gros lézard brun en +train de grimper le long de ce mur. + +LE CAP. M.--Oh! ma mère! Le dernier degré d’affaissement! + + _La mariée monte à gauche de l’autel, lève les yeux une bonne fois sur + G., lequel est subitement frappé de folie._ + +LE CAP. G. (_à lui-même encore et encore_).--Petit Poidsléger, une +femme... une femme! Et je croyais que c’était une petite fille. + +LE CAP. M. (_chuchotant_).--Garde à vous... demi-tour à gauche. + + _LE CAP. G. obéit machinalement, et la cérémonie se poursuit._ + +LE PASTEUR.--... à elle seule, tant que vous vivrez tous deux? + +LE CAP. G. (_la gorge sèche_).--Ha-hmmm! + +LE CAP. M.--Dis oui ou non. Il n’y a pas de seconde donne ici. + + _La mariée articule sa réponse avec un sang-froid parfait, et son père + en fait la remise._ + +LE CAP. G. (_croyant montrer son savoir_).--Jack, c’est à ton tour, +maintenant, de faire ma remise, _vite_! + +LE CAP. M.--Tu t’es remisé bien assez comme cela toi-même. Sa main +_droite_, mon gars! Récite! Récite! «Théodore Philip.» As-tu oublié ton +propre nom? + + _LE CAP. G. s’embarrasse dans le «oui», que la mariée répète sans un + tremblement._ + +LE CAP. M.--Maintenant, l’anneau! Suis le pasteur! Ne m’arrache pas mon +gant! Le voici! Grand Dieu, il a retrouvé sa voix! + + _G. répète la parole sacramentelle d’une voix à se faire entendre au + bout de l’église et tourne sur son talon._ + +LE CAP. M. (_d’un air désespéré_).--A vos rênes! Doucement sur le pavé! +Nous n’en sommes pas à la moitié. + +LE PASTEUR--... à conjoints, que l’homme ne les sépare point. + + _LE CAP. G., paralysé de peur, a un mouvement de recul après la + bénédiction._ + +LE CAP. M. (_vivement_).--Avance... d’une longueur. Prends-la avec toi. +Je ne viens pas. Tu n’as rien à dire. + + _LE CAP. G. monte à l’autel dans tout un cliquetis de choses._ + +LE CAP. M. (_en un râle perçant qui veut dire un murmure_).--A genoux, +têtu bandit! A genoux! + +LE PASTEUR--... de laquelle vous êtes les filles, tant que vous +pratiquez le bien et ne vous laissez troubler par aucune crainte. + +LE CAP. M.--Ça y est! Rompez! Par file à gauche. + + _Tout le monde à la sacristie. On signe._ + +LE CAP. M.--Embrasse-la, Gaddy. + +LE CAP. G. (_frottant l’encre sous son gant_).--Hein! Quo-oi? + +LE CAP. M. (_Faisant un pas vers la mariée_).--Si tu ne le fais pas, je +vais le faire. + +LE CAP. G. (_interposant le bras_).--Merci bien! + + _Embrassement général._ + +LE CAP. G. (_n’en pouvant plus, à M._).--Ah, nom de nom! Est-ce que je +peux maintenant m’essuyer le visage? + +LE CAP. M.--Ma responsabilité finit là. Demande plutôt à _Missis_ +Gadsby. + + _LE CAP. G. recule comme frappé d’une balle, et le cortège sort de + l’église à coups de Mendelssohn pour se rendre à la maison paternelle, + où ont lieu les tortures d’usage autour du wedding-cake._ + +LE CAP. M. (_à table_).--Debout, Gaddy. On attend un speech. + +LE CAP. G. (_après trois minutes d’agonie_).--Ha-hmmm. (_Tonnerre +d’applaudissements._) + +LE CAP. M.--Pas mal, pour un début. Maintenant va changer d’équipement +pendant que la maman est en train de pleurer sur--«la madame». (_LE CAP. +G. disparaît. LE CAP. M. se lève précipitamment en s’arrachant les +cheveux._) Ce n’est pas encore complet. Où sont les souliers? Allez +chercher une _ayah_. + +L’AYAH.--Missie captain _sahib band karo_ tous les _jutis_[19]. + + [19] Missie capitaine _sahib_ a caché tous les souliers. + +LE CAP. M. (_brandissant son sabre dans le fourreau_).--Femme, produis +ces souliers! Que quelqu’un me prête un couteau à pain. Il ne s’agit pas +de fêler la tête de Gaddy plus qu’elle ne l’est. (_Il tranche le talon +d’une mule de satin blanc et serre la mule dans sa manche._) Où est la +mariée? (A tout le monde à la ronde.) Allez-y doucement avec ce riz. +C’est une coutume païenne. Donnez-moi le gros sac. + +. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + _La mariée se glisse sans bruit dans une rickshaw et part vers le + coucher du soleil._ + +LE CAP. M. (_en plein air_).--Envolée, ma parole! Tant pis pour Gaddy! +Le voici. Allons, Gaddy, cela va chauffer plus dur qu’à Amdhéran! Où est +ton cheval! + +LE CAP. G. (_furieusement, voyant que les femmes sont hors de portée de +voix_).--Où est ma _femme_, n. de D...? + +LE CAP. M.--A moitié route maintenant de Mahasu. Il va te falloir +chevaucher comme le jeune Lochinvar[20]. + + [20] Voir la ballade de Walter Scott. + + _Le cheval se présente en se cabrant; il refuse de laisser G. + l’approcher._ + +LE CAP. G.--Oh! tu veux faire la bête, n’est-ce pas? Demi-tour, +animal... cochon... brute! _Demi-tour!_ + + _Il force le cheval à tourner, d’un coup de poignet à lui briser la + mâchoire inférieure; se jette en selle, et donne des deux éperons au + beau milieu d’une grêle du meilleur riz de Patna._ + +LE CAP. M.--Sur ton amour et ta vie... pousse, Gaddy! Et que... Dieu te +bénisse! + + _Il jette une demi-livre de riz à G., lequel disparaît, penché en + avant sur la selle, dans un nuage de poussière éclairée de soleil_. + +LE CAP. M.--Voilà perdu le vieux Gaddy. (_Il allume une cigarette et +s’éloigne en flânant, et en chantant d’un air absent:_) + + «You may carve it on his tombstone, you may cut it on his card, + That a young man married is a young man marred[21].» + + [21] + + «Vous pouvez le graver sur sa tombe, vous pouvez le graver sur + sa carte, + Qu’un jeune homme marié est un jeune homme perdu.» + +MISS DEERCOURT (_de son cheval_).--Vraiment, capitaine Mafflin! Vous +parlez plus à cœur ouvert que vous n’êtes poli! + +LE CAP. M. (_à part_).--On dit que le mariage, c’est comme le choléra. +Me demande qui sera la prochaine victime. + + _Une mule de satin blanc glisse de sa manche et tombe à ses pieds. + Reste livré à ses réflexions._ + + + + +LE JARDIN D’ÉDEN + + Et vous serez... comme des dieux! + + + DÉCOR.--_Pelouse arômée de thym derrière l’hôtellerie de Mahasu, + dominant la petite vallée boisée. A gauche, un aperçu de la Forêt + Morte du Fagoo; à droite, les montagnes de Simla. Tout au fond la + ligne des neiges. LE CAP. GADSBY, mari de trois semaines maintenant, + fume le calumet de paix sur un tapis au soleil. Banjo et blague à + tabac sur le tapis. En l’air, les aigles du Fagoo. MRS. G. sort du + bungalow._ + +MRS. G.--Mon mari! + +LE CAP. G. (_paresseusement, avec une jouissance intense_).--Hein, +quo-oi? Dites-le encore. + +MRS. G.--J’ai écrit à maman pour lui annoncer que nous serons de retour +le 17. + +LE CAP. G.--Lui avez-vous fait part de mes tendresses? + +MRS. G.--Non, j’ai gardé tout pour moi. (_S’asseyant à son côté._) J’ai +pensé que cela ne vous ferait rien. + +LE CAP. G. (_avec une feinte sévérité_).--Cela me fait beaucoup. Comment +saviez-vous que tout était pour vous? + +MRS. G.--J’ai deviné, Phil. + +LE CAP. G. (_avec ravissement_).--_Pe-tit_ Poidsléger! + +MRS. G.--Je voudrais bien ne pas me voir donner ces petits noms de +sport, vilain. + +LE CAP. G.--Vous aurez tous les noms qu’il me plaît. Vous est-il jamais +venu à l’esprit, madame, que vous êtes ma femme? + +MRS. G.--Oui, certes. Je n’ai pas encore cessé de m’en étonner. + +LE CAP. G.--Ni moi. Cela semble étrange; et cependant, je ne sais +comment, cela ne l’est pas. (_Avec confiance._) Vous comprenez, cela +n’aurait pu être personne autre. + +MRS. G. (_doucement_).--Non. Personne autre... ni pour moi ni pour vous. +_Tout_ cela a dû être arrangé dès l’origine des choses. Phil, +redites-moi ce qui vous a fait m’aimer. + +LE CAP. G.--Comment eussé-je pu m’en empêcher? Vous étiez _vous_, vous +savez. + +MRS. G.--Est-ce que vous avez jamais senti le besoin de vous en +empêcher? Dites la vérité! + +LE CAP. G. (_l’œil malicieux_).--Oui, chérie, tout au commencement, mais +seulement au commencement. (_Il rit tout bas._) Je vous +appelais--penchez-vous tout près et je vais vous le dire à +l’oreille--«une petite bécasse». Ho! ho! ho! + +MRS. G. (_le prenant par la moustache et le forçant à s’asseoir sur son +séant_).--«Une... petite... bécasse!» Voulez-vous bien ne pas rire de +votre crime! Et encore vous avez eu le... le... l’affreux toupet de +demander ma main! + +LE CAP. G.--J’avais alors changé d’avis. Et vous n’étiez plus une petite +bécasse. + +MRS. G.--Merci, monsieur! Et quand l’ai-je été jamais? + +LE CAP. G.--_Jamais!_ Mais ce premier jour où vous m’avez donné du thé +sous cette petite robe de mousseline couleur fleur de pêcher, vous aviez +l’air--vous aviez vraiment l’air, ma chère amie--d’un si absurde petit +moucheron. Et je ne savais que vous dire. + +MRS. G. (_tordant la moustache_).--Ainsi, vous avez dit «petite +bécasse». Sur ma parole, monsieur, moi, je vous ai appelé «ce grrrrand +animal-là»; mais je regrette de ne pas vous avoir appelé quelque chose +de pire. + +LE CAP. G. (_très humblement_).--Je m’excuse, mais vous me faites +affreusement mal. (_Intermède._) Vous avez toute permission de me +torturer encore aux mêmes conditions. + +MRS. G.--Oh! _pourquoi_ me l’avez-vous laissé faire? + +LE CAP. G. (_regardant le long de la vallée_).--Sans raison +particulière, mais... si cela vous amusait ou vous faisait le moindre +bien vous pouvez... essuyer ces chères petites bottines-là sur moi. + +MRS. G. (_étendant le bras_).--Taisez-vous! Oh! taisez-vous! Philippe, +mon roi, je vous en prie, ne parlez pas comme cela. C’est tout à fait ce +que, moi, je ressens. Vous êtes beaucoup trop bon pour moi. Tellement +trop bon! + +LE CAP. G.--Moi! Je ne suis pas digne de vous approcher. (_Il l’entoure +de son bras._) + +MRS. G.--Oui, vous en êtes digne. Mais moi... qu’ai-je jamais fait? + +LE CAP. G.--Donné un tout petit brin de votre cœur, n’est-ce pas, ma +reine? + +MRS. G.--Ce n’est rien, cela. N’importe qui le ferait. On ne pourr... +pourrait jamais s’en empêcher. + +LE CAP. G.--Chaton, vous allez me rendre horriblement fat. Et cela, +juste au moment où je commençais à me sentir si humble. + +MRS. G.--Humble! je ne crois pas que ce soit dans votre caractère. + +LE CAP. G.--Qu’est-ce que vous en connaissez, de mon caractère, petite +impertinente? + +MRS. G.--Ah! mais je le connaîtrai, n’est-ce pas, Phil? J’aurai le +temps, durant toutes les années et encore les années à venir, de +connaître tout ce qui vous concerne; et il n’y aura pas de secrets entre +nous. + +LE CAP. G.--Petite sorcière! Je pense que vous me connaissez déjà à +fond. + +MRS. G.--Je crois pouvoir deviner. Vous êtes égoïste? + +LE CAP. G.--Oui. + +MRS. G.--Un peu bêta? + +LE CAP. G.--_Très._ + +MRS. G.--Et un chéri. + +LE CAP. G.--Cela, c’est comme il plaît à ma lady. + +MRS. G.--Alors, il plaît à votre lady. (_Une pause._) Savez-vous que +nous sommes deux grandes personnes solennelles, sérieuses. + +LE CAP. G. (_lui inclinant son chapeau de paille sur les yeux_).--Vous, +grande personne! Peuh! Vous êtes un bébé. + +MRS. G.--Et nous disions des bêtises. + +LE CAP. G.--Alors, continuons à dire des bêtises. J’aime assez cela. +Chaton, je vais vous dire un secret. Vous promettez de ne pas le +répéter? + +MRS. G.--Ou-ui. Rien qu’à vous. + +LE CAP. G.--Je vous aime. + +MRS. G.--Vrai-ment! Pour combien de temps? + +LE CAP. G.--Pour toujours et toujours? + +MRS. G.--C’est beaucoup. + +LE CAP. G.--Vous pensez? Je ne peux pas me contenter de moins. + +MRS. G.--Vous devenez tout à fait brillant. + +LE CAP. G.--Je cause avec _vous_. + +MRS. G.--Joliment tourné. Tenez levée votre stupide vieille tête et je +vais vous rendre cela! + +LE CAP. G. (_affectant un suprême mépris_).--Prenez-la vous-même si vous +la voulez. + +MRS. G.--J’ai grande envie de... et pourquoi pas? + + _Elle la lui prend, et se le voit rendre avec usure._ + +LE CAP. G.--Petit Poidsléger, c’est mon avis que nous _sommes_ une paire +d’idiots. + +MRS. G.--Nous sommes les deux seuls gens sensés du monde! Demandez à +l’aigle. Le voilà qui vient par ici. + +LE CAP. G.--Ah! j’ose dire qu’il a vu pas mal de gens sensés à Mahasu. +On prétend que ces oiseaux-là vivent une éternité. + +MRS. G.--Combien de temps? + +LE CAP. G.--Cent vingt ans. + +MRS. G.--Cent vingt ans! O-oh! Et dans cent vingt ans, où seront-ils, +ces deux gens sensés? + +LE CAP. G.--Qu’est-ce que cela peut faire tant que nous sommes ensemble +maintenant? + +MRS. G. (_faisant du regard le tour de l’horizon_).--Oui. Rien que vous +et moi... moi et vous... dans tout le vaste, vaste monde jusqu’à la fin. +(_Son regard se pose sur la ligne des neiges._) Comme les montagnes ont +l’air énormes et calmes! Croyez-vous qu’elles s’inquiètent de nous? + +LE CAP. G.--Je ne saurais affirmer les avoir particulièrement +consultées. Moi, je m’en inquiète, cela me suffit. + +MRS. G. (_se rapprochant de lui_).--Oui, en ce moment... mais plus tard. +Qu’est-ce c’est que ce petit barbouillage noir sur les neiges? + +LE CAP. G.--Une tempête de neige, là-bas, à quarante milles. Vous allez +la voir se déplacer au fur et à mesure que le vent la charrie sur les +flancs de ce contrefort, et puis, plus rien. + +MRS. G.--Et puis, plus rien. (_Elle frissonne._) + +LE CAP. G. (_anxieusement_).--Vous ne vous refroidissez pas, petite, +n’est-ce pas? Il vaut mieux me laisser aller chercher votre manteau. + +MRS. G.--Non. Ne me quittez pas, Phil. Restez ici. Je crois que j’ai +peur. Oh! pourquoi les montagnes sont-elles si _effroyables_? Phil, +promettez-moi, promettez-moi que vous m’aimerez _toujours_. + +LE CAP. G.--Qu’est-ce qu’il y a donc, chérie? Je ne peux promettre plus +que je n’ai fait; mais je ne cesserai de le promettre encore et encore +si vous voulez. + +MRS. G. (_la tête sur l’épaule de son mari_).--Dites-le donc... +dites-le. N-non... ne le dites pas! Les... les... aigles riraient. (_Se +remettant._) Mon mari, vous avez épousé une petite oie. + +LE CAP. G. (_très tendrement_).--Vraiment? Je me contente de ce qu’elle +est, tant qu’elle est à moi. + +MRS. G. (_promptement_).--Parce qu’elle est à vous ou parce qu’elle est +moi en personne? + +LE CAP. G.--Parce qu’elle est l’un et l’autre. (_Piteusement._) Je ne +suis pas très fort, ma chère amie, et je ne crois pas pouvoir me faire +comprendre convenablement. + +MRS. G.--_Je_ comprends. Pip, voulez-vous me dire quelque chose? + +LE CAP. G.--Tout ce que vous voudrez. (_A part._) Je me demande ce qui +va venir maintenant. + +MRS. G. (_hésitante, les yeux baissés_).--Vous m’avez raconté une fois, +dans le temps jadis--il y a des siècles et des siècles--que vous aviez +été fiancé déjà auparavant. Je n’ai rien dit... _alors_. + +LE CAP. G. (_naïvement_).--Pourquoi cela? + +MRS. G. (_levant les yeux sur ceux de son mari_).--Parce que--parce que +j’avais peur de vous perdre, mon cœur. Mais maintenant... racontez-le... +_s’il vous plaît_. + +LE CAP. G.--Il n’y a rien à raconter. J’étais alors terriblement +vieux--presque vingt-deux ans--et elle avait au moins cela. + +MRS. G.--Ce qui veut dire qu’elle était plus vieille que vous. Je +n’aimerais pas qu’elle eût été plus jeune. Eh bien? + +LE CAP. G.--Eh bien! je me crus amoureux et en raffolai quelque peu, +et... oh! oui, ma parole, je me livrai à la poésie. Ha, ha! + +MRS. G.--Vous n’avez pas écrit un vers pour _moi_! Qu’est-ce qui se +passa? + +LE CAP. G.--Je m’en vins par ici, et toute l’affaire s’en alla en fumée. +Elle écrivit pour dire qu’il y avait eu malentendu, et puis elle se +maria. + +MRS. G.--Vous aimait-elle beaucoup? + +LE CAP. G.--Non. Au moins elle ne le laissa pas voir, autant que je me +rappelle. + +MRS. G.--Autant que vous vous rappelez! Vous rappelez-vous son nom? +(_Elle l’écoute et baisse la tête._) Merci, mon mari. + +LE CAP. G.--Qui, si ce n’est vous, en avait le droit? Maintenant, Petit +Poidsléger, vous êtes-vous jamais trouvée mêlée à quelque sombre et +horrible drame? + +MRS. G.--Si vous m’appelez _missis_ Gadsby, peut-être vous le +raconterai-je. + +LE CAP. G. (_prenant sa voix de commandement_).--_Missis_ Gadsby, +confessez! + +MRS. G.--Juste Ciel, Phil! Je n’eusse jamais cru que vous pouviez +prendre cette terrible voix. + +LE CAP. G.--Vous ne connaissez pas encore le quart de mes talents. +Attendez que nous soyons installés dans les plaines, et je vous +montrerai comment j’aboie après mes hommes. Vous alliez dire, chérie? + +MRS. G.--Je... n’ose guère continuer, après cette voix-là. +(_Chevrotant._) Phil, n’ayez jamais l’audace de me parler sur ce ton-là, +quoi que je puisse faire! + +LE CAP. G.--Mon pauvre petit amour! Mais vous tremblez toute. Je _suis_ +si fâché. Il va sans dire que je n’ai jamais eu l’intention de vous +bouleverser. Ne me racontez rien. Je suis une brute. + +MRS. G.--Non, vous n’êtes pas une brute, et je vais vous raconter... Il +y eut un homme. + +LE CAP. G. (_gaiement_).--Y eut-il? L’heureux mortel! + +MRS. G. (_tout bas_).--Et je crus que je l’aimais. + +LE CAP. G.--Mortel deux fois heureux! Eh bien? + +MRS. G.--Et je crus que je l’aimais... et je ne l’aimais pas... et alors +vous êtes venu... et c’était vous que j’aimais, beaucoup, _beaucoup_. +Oui, vraiment. C’est tout. (_Face voilée._) Vous n’êtes pas fâché, +n’est-ce pas? + +LE CAP. G.--Fâché? Pas le moins du monde. (_A part._) Bon Dieu, qu’ai-je +fait pour mériter cet ange? + +MRS. G. (_à part_).--Et il ne m’a même pas demandé le nom! Comme les +hommes sont drôles! Mais c’est peut-être aussi bien. + +LE CAP. G.--Cet homme ira au ciel parce que jadis vous avez cru l’aimer. +Je me demande si, moi, vous me remorquerez jamais là-haut? + +MRS. G. (_fermement_).--Je n’irai pas si vous n’y allez pas. + +LE CAP. G.--Merci. Dites-moi, Chaton, je ne connais pas beaucoup vos +croyances religieuses. Vous avez été élevée à croire en un ciel et tout +cela, n’est-ce pas? + +MRS. G.--Oui. Mais c’était un ciel capitonné, avec des livres d’hymnes +dans tous les bancs. + +LE CAP. G. (_branlant la tête avec une conviction intense_).--Qu’à cela +ne tienne. Il y en a un de vrai, un ciel. + +MRS. G.--D’où apportez-vous ce message, mon prophète? + +LE CAP. G.--D’ici! Parce que nous nous aimons tous deux. De sorte que +tout va bien. + +MRS. G. (_tandis qu’une troupe de langurs[22] mène fracas à travers les +branches_).--De sorte que tout va bien. Mais Darwin dit que nous +descendons de ces animaux-là! + + [22] Espèce de singes qui pullulent dans l’Inde. + +LE CAP. G. (_avec sérénité_).--Ah! Darwin ne fut jamais amoureux d’un +ange. Voilà qui règle la question. Sstt, espèces de brutes! Des singes, +vraiment! Vous ne devriez pas lire ces livres-là. + +MRS. G. (_se croisant les mains_).--S’il plaît à mon seigneur et maître +de publier sa proclamation. + +LE CAP. G.--Taisez-vous, chère amie. Il n’y a pas d’ordres entre nous. +Seulement, j’aimerais mieux que vous ne les lisiez pas. Ils ne +conduisent à rien et cassent la tête aux gens. + +MRS. G.--Comme vos premières fiançailles. + +LE CAP. G. (_avec un calme immense_).--C’était un mal nécessaire, et qui +m’a conduit à vous. N’êtes-vous rien? + +MRS. G.--Pas tant que cela, n’est-ce pas? + +LE CAP. G.--Tout ce monde-ci et l’autre pour moi. + +MRS. G. (_très tendrement_).--Mon cher, cher petit mari! A mon tour +_vous_ dirai-je quelque chose? + +LE CAP. G.--Oui, si ce n’est pas terrible... au sujet des autres hommes. + +MRS. G.--C’est au sujet de ma propre vilaine petite personne. + +LE CAP. G.--Alors, ce doit être charmant. Allez, ma chère amie. + +MRS. G. (_lentement_).--Je ne sais pas pourquoi je vous le dis, Pip, +mais si jamais vous vous remariiez... (_Intermède._) Enlevez votre main +de ma bouche ou je _mords_! Dans l’avenir, donc, rappelez-vous... je ne +sais pas trop comment dire cela! + +LE CAP. G. (_reniflant avec indignation_).--N’essayez pas. «Me +remarier», vraiment! + +MRS. G.--Je dois. Écoutez, mon mari. Jamais, jamais, _jamais_ ne dites à +votre femme quoi que ce soit que vous ne vouliez pas qu’elle se rappelle +ni qui fasse l’objet de ses pensées toute sa vie. Parce qu’une +femme--oui, je _suis_ une femme--_ne peut pas_ oublier. + +LE CAP. G.--Ma parole, comment savez-vous cela? + +MRS. G. (_avec confusion_).--Je ne le sais pas. Je ne fais que le +deviner. Je suis--j’étais--une sotte petite fille; mais je sens que j’en +sais tant--oh! tellement plus que vous, mon bien aimé! Pour commencer, +je suis votre femme. + +LE CAP. G.--C’est ce que j’ai été induit à croire. + +MRS. G.--Et j’aurai besoin de connaître chacun de vos secrets... de +partager avec vous tout ce que vous savez. + + _Elle ouvre les yeux autour d’elle d’un air désespéré._ + +LE CAP. G.--C’est ce que vous ferez, mon amie, c’est ce que vous +ferez... mais ne regardez pas comme cela. + +MRS. G.--Dans votre propre intérêt, ne m’arrêtez pas, Phil. Je ne +recommencerai jamais une conversation de ce genre avec vous. Il _ne_ +faut _pas_ me dire! Du moins, pas maintenant. Plus tard, quand je serai +une vieille dame, cela ne fera rien; mais si vous m’aimez, montrez-vous +bon, très bon pour moi; car cette heure de ma vie, _jamais_ je ne +l’oublierai! Vous ai-je fait comprendre? + +LE CAP. G.--Je le crois, enfant. Ai-je rien dit encore que vous +désapprouviez? + +MRS. G.--Serez-vous _très_ fâché? Cette... cette voix, et ce que vous +avez dit à propos de l’engagement... + +LE CAP. G.--Mais c’est vous qui avez _demandé_ qu’on vous le raconte, +chérie. + +MRS. G.--Et _c’est_ pourquoi vous n’auriez pas dû me le raconter! Vous +devez être le juge, et, oh! Pip, malgré tout mon amour pour vous, je ne +serai jamais capable de vous aider! Je ne ferai que vous empêcher, et il +vous faut juger en dépit de moi! + +LE CAP. G. (_d’un air méditatif_).--Nous avons un grand nombre de choses +à découvrir ensemble, Dieu nous vienne en aide à tous deux--répétez-le, +chaton--mais nous nous comprendrons l’un l’autre de mieux en mieux +chaque jour; et je crois que je commence à voir, maintenant. Comment, +diable, êtes-vous arrivée à savoir l’importance _au juste_ qu’il y avait +à me donner _justement_ cette inspiration-là? + +MRS. G.--Je vous ai dit que je ne sais pas. Seulement, de manière ou +d’autre, il semblait que, dans toute cette nouvelle vie, j’étais guidée +pour votre salut aussi bien que pour le mien. + +LE CAP. G. (_à part_).--Alors, Mafflin avait raison! Elles savent, et +nous... nous sommes aveugles... tous. (_Gaiement._) Il me semble que +nous perdons un peu pied, ma chère amie, ne trouvez-vous pas? Je me +rappellerai, et si je viens à faillir, puissé-je être châtié comme je le +mérite. + +MRS. G.--Il n’y aura pas de châtiment. C’est d’ici que nous allons faire +voile pour la vie... vous et moi... et personne autre. + +LE CAP. G.--Et personne autre. (_Une pause._) Vous avez les cils tout +mouillés, ma jolie! Vit-on jamais si absurde petite fille? + +MRS. G.--Entendit-on jamais dire de telles bêtises? + +LE CAP. G. (_secouant les cendres de sa pipe_).--Ce n’est pas ce que +nous disons, c’est ce que nous ne disons pas, qui est utile. Et tout ce +que nous avons dit est profonde philosophie. Mais personne ne +comprendrait... même si on le mettait dans un livre. + +MRS. G.--Quelle idée! Non... rien que nous autres, ou les gens comme +nous... s’il y a des gens comme nous. + +LE CAP. G. (_d’un ton doctoral_).--Tous les gens, qui ne sont pas comme +nous, sont d’aveugles idiots. + +MRS. G. (_s’essuyant les yeux_).--Croyez-vous, alors, qu’il existe des +gens aussi heureux que nous? + +LE CAP. G.--Il doit en exister--à moins que nous ne nous soyons +approprié tout le bonheur du monde. + +MRS. G. (_regardant vers Simla_).--Les pauvres gens! Si c’était vrai, +tout de même! + +LE CAP. G.--Eh bien, dans ce cas, gardons tout le fourbi pour nous, car +c’est trop chouette pour le perdre... hein, petite femme à moi? + +MRS. G.--Oh! Pip! Pip! Jusqu’à quel point êtes-vous un homme grave et +marié, et jusqu’à quel point un horrible gavroche? + +LE CAP. G.--Quand vous me direz jusqu’à quel point vous aviez dix-huit +ans à votre dernier anniversaire, et jusqu’à quel point vous êtes aussi +vieille que le sphinx et deux fois aussi mystérieuse, peut-être vous +écouterai-je. Prêtez-moi ce banjo. La nature m’incite à hurler au +coucher du soleil. + +MRS. G.--Faites attention! Il n’est pas accordé. Ah! cela fait mal! + +LE CAP. G. (_tournant les chevilles_).--C’est étonnamment difficile de +garder un banjo au diapason convenable. + +MRS. G.--C’est la même chose avec tous les instruments de musique. +Qu’est-ce que cela va être? + +LE CAP. G.--«Vanité», et que les montagnes entendent. (_Il chante d’un +bout à l’autre le premier couplet et la moitié du second. Se tournant +vers MRS. G._) Maintenant, le chœur! Chantez, chaton! + +TOUS DEUX ENSEMBLE. (_Con brio, à l’horreur des singes, lesquels sont en +train de s’installer pour la nuit._) + + «Vanité, tout est vanité,» + Disait la Sagesse railleuse... + Sur quoi, pressant de ma Beauté + La main délicate et moelleuse, + Répondis: «Si c’est vanité, + Qui donc s’en irait être sage? + Qui donc s’en irait être sage? + Qui donc s’en irait être sa-age? + (_Crescendo_) + Non, restons sur la vanité!» + +MRS. G. (_d’un air de défi au gris du ciel crépusculaire_).--«Restons +sur la vanité.» + +L’ÉCHO (_du contrefort du Fagoo_).--Vanité! + + + + +MADAME BARBE-BLEUE + + Ouvrez tout, allez partout; mais pour ce petit cabinet, je vous + défends d’y entrer. + + _La Barbe-Bleue._ + + + DÉCOR.--_Le bungalow des GADSBY dans les plaines. Un dimanche matin, + onze heures. LE CAPITAINE GADSBY, en manches de chemise, est penché + sur un harnachement complet de hussard, depuis la selle jusqu’à la + corde de bivouac, lequel est proprement rangé sur le plancher de son + cabinet. Il fume une vieille bouffarde de bruyère, et la pensée lui + ride le front._ + +LE CAP. G. (_à lui-même, en maniant une têtière_).--Jack est un âne. Il +y a du cuivre là-dessus de quoi charger une mule--et si les Américains +connaissent rien à rien, on peut faire tout sauter, sauf le mors. Pas +besoin non plus du licol d’abreuvoir. De la blague!--Une demi-douzaine +de parures de chaînes et de porte-mousqueton pour un seul cheval! +Absurde! (_Se grattant la tête._) Voyons, réfléchissons à tout, en +prenant les choses au commencement. Ma parole, j’ai oublié le barême des +poids! N’importe. Garderons le mors seulement, et éliminerons tous les +cuivres, depuis la croupière jusqu’au poitrail. Pas de poitrail du tout. +Une simple courroie... comme les Russes. Hi! Jack n’aurait jamais pensé +à cela! + +MRS. G. (_entrant précipitamment, la main bandée_).--Oh! Pip, je me suis +brûlé la main avec ces horribles, horribles confitures de Tiparee! + +LE CAP. G. (_d’un air absent_).--Hein! Quo-oi? + +MRS. G. (_l’œil tout grand de reproche_).--Je me suis brûlée +_af_-freusement! Cela ne vous fait rien? Et moi qui tenais tant à ce que +ces confitures confiturent comme il faut! + +LE CAP. G.--Pauvre petite femme! Laissez-moi embrasser la place et qu’il +n’y paraisse plus. (_Déroulant le bandage._) Petite farceuse! Où +est-elle, cette brûlure? Je ne la vois pas. + +MRS. G.--Au bout du petit doigt. Là!... C’est une grosse, grosse +brûlure! + +LE CAP. G. (_baisant le petit doigt_).--Bébé! Laissez Hyder veiller aux +confitures. Vous savez que je ne tiens pas aux chatteries. + +MRS. G.--Vrai-ment?... Pip! + +LE CAP. G.--Pas de ce genre en tout cas. Et maintenant, sauvez-vous, +Minnie, et laissez-moi à mes bas calculs. Je suis occupé. + +MRS. G. (_s’installant avec calme sur une chaise longue_).--Je le vois. +Quel gâchis vous faites! Pourquoi avez-vous apporté toutes ces machines +en cuir qui empestent la maison? + +LE CAP. G.--Pour faire joujou. Est-ce que cela vous ennuie, ma chère? + +MRS. G.--Laissez-_moi_ faire joujou aussi. Cela me ferait plaisir. + +LE CAP. G.--Je crains que non, chaton... Ne pensez-vous pas que ces +confitures vont brûler, ou quoi que ce soit que font les confitures +lorsqu’une adroite petite femme de ménage ne les surveille pas? + +MRS. G.--Je croyais vous avoir entendu dire que Hyder pouvait s’en +occuper. Je l’ai laissé dans la verandah, en train de les remuer... +quand je me suis fait tant de mal. + +LE CAP. G. (_l’œil revenant au harnachement_).--Po-oovre petite +femme!... Trois livres quatre onces et sept onces font trois livres onze +onces, et on peut réduire cela à deux livres huit onces, rien qu’avec un +peuu-tit peu de soin, sans rien affaiblir. La ferrure, c’est de la +blague dans des mains incompétentes. Quel besoin d’une poche à fers +quand un homme s’en va en éclaireur? Il ne peut pas le coller d’un coup +de langue... comme un timbre-poste... ce fer! Balivernes! + +MRS. G.--Qu’est-ce qui est des balivernes? Puhh! Avec quoi nettoie-t-on +ce cuir? + +LE CAP. G.--Avec de la crème, du champagne et... Écoutez, chère amie, +avez-vous vraiment besoin de me parler à propos de quelque chose +d’important? + +MRS. G.--Non. J’ai fini mes comptes, et je pensais que cela m’amuserait +de voir ce que vous faisiez. + +LE CAP. G.--Eh bien, amour, maintenant vous avez vu et... cela ne vous +ferait-il rien?... c’est-à-dire... Minnie, je suis _vraiment_ occupé. + +MRS. G.--Vous voulez que je m’en aille? + +LE CAP. G.--Oui, chère amie, pour un petit moment. Ce tabac va coller à +votre robe, et des affaires de sellerie ne vous intéressent pas. + +MRS. G.--Tout ce que vous faites m’intéresse, Pip. + +LE CAP. G.--Oui, je le sais, je le sais, chère amie. Je vous dirai tout +ce qui concerne cela à quelque jour, lorsque j’aurai tiré la chose au +clair. En attendant... + +MRS. G.--On va me renvoyer de la pièce comme un enfant ennuyeux? + +LE CAP. G.--No-on. Ce n’est pas exactement cela que je veux dire. Mais, +vous comprenez, je vais être là à piétiner de côté et d’autre, à changer +ces choses de place en place, et je serai toujours à vous gêner. Ne +croyez-vous pas? + +MRS. G.--Est-ce que je ne peux pas le faire? Laissez-moi essayer. + + _Elle étend la main vers la selle de cavalier._ + +LE CAP. G.--Bonté divine, enfant, pas touche! Vous allez vous faire du +mal. (_Ramassant la selle._) Les _numdahs_ ne sont pas faits pour se +voir maniés par des petites filles. Voyons, où voulez-vous que je le +mette? + + _Il tient la selle levée au-dessus de sa tête._ + +MRS. G. (_la voix altérée_).--Nulle part. Pip, comme vous êtes bon... et +fort! Oh! qu’est-ce que c’est que cette vilaine barre rouge à +l’intérieur de votre bras? + +LE CAP. G. (_baissant vivement la selle_).--Rien. C’est une marque +quelconque. (_A part._) Et Jack qui vient à l’heure du tiffin[23] avec +_ses_ idées toutes faites! + + [23] Second déjeuner, dans l’Inde. + +MRS. G.--Je sais bien que c’est une marque, mais je ne l’avais pas vue +encore. Elle court tout du long du bras. Qu’est-ce que c’est? + +LE CAP. G.--Une coupure... si vous voulez savoir. + +MRS. G.--Si je veux savoir! Naturellement que je le veux! Je ne tiens +pas à voir mon mari taillé en morceaux de cette façon-là. Comment est-ce +arrivé? Est-ce un accident? Racontez-moi, Pip. + +LE CAP. G. (_d’un air renfrogné_).--Non, ce n’est pas un accident. J’ai +reçu cela... d’un homme... en Afghanistan. + +MRS. G.--A la guerre? Oh! Pip, et vous ne me l’avez _jamais_ dit! + +LE CAP. G.--Je l’avais complètement oublié. + +MRS. G.--Tenez votre bras en l’air! Quelle horrible, vilaine cicatrice? +Êtes-vous sûr que cela ne fait plus de mal maintenant? Comment cet homme +vous a-t-il fait cela? + +LE CAP. G. (_regardant d’un air désespéré à sa montre_).--Avec un +coutelas. Je suis tombé... le vieux Van Loo plutôt... qui me tomba sur +la jambe, de sorte que je ne pouvais pas me sauver. Et alors cet homme +s’en vint et se mit en devoir de me tailler en tranches pendant que +j’étais les quatre fers en l’air. + +MRS. G.--Oh! taisez-vous! C’est assez!... Eh bien, qu’arriva-t-il? + +LE CAP. G.--Je ne pouvais atteindre à ma fonte, et c’est alors que +Mafflin arriva fort à propos pour mettre fin à la petite fête. + +MRS. G.--Comment? Un paresseux comme lui; je ne crois pas cela. + +LE CAP. G.--Non? Je ne pense pas que l’homme eut beaucoup de doute à cet +égard. Jack lui trancha la tête. + +MRS. G.--Tran-cha-la-tête! «D’un seul coup», comme on dit dans les +livres? + +LE CAP. G.--Je ne suis pas sûr. J’étais trop intéressé à moi-même pour +en savoir long à ce propos. N’importe comment, la tête était tranchée, +et Jack donnait au vieux Van Loo des coups de poing dans les côtes pour +le faire se lever. Maintenant vous savez tout, chère amie, et +maintenant... + +MRS. G.--Vous voulez que je m’en aille, naturellement. Vous ne m’aviez +jamais parlé de cela, quoique nous soyons déjà depuis _si longtemps_ +mariés; vous ne me _l’eussiez_ jamais dit si je n’avais pas découvert la +chose; vous _ne me dites_ jamais quoi que ce soit sur vous, ou ce que +vous faites, et ce qui vous intéresse. + +LE CAP. G.--Chérie, je suis toujours avec vous, dites-moi? + +MRS. G.--Toujours dans mes jupes, alliez-vous dire. Je sais que vous y +êtes; mais votre _pensée_ est toujours ailleurs. + +LE CAP. G. (_essayant de dissimuler un sourire_).--Vraiment? Je ne m’en +doutais pas. Je suis horriblement fâché. + +MRS. G. (_piteusement_).--Oh! ne vous moquez pas de moi! Pip, vous savez +ce que je veux dire. Quand vous lisez une de ces choses sur la +cavalerie, par cet idiot de prince... Pourquoi ne reste-t-il pas prince, +celui-là, au lieu de faire le garçon d’écurie? + +LE CAP. G.--Le prince Kraft, un garçon d’écurie!... Oh! ma mère! Ne +faites pas attention, chère amie. Vous alliez dire? + +MRS. G.--Peu importe; vous ne vous inquiétez pas de ce que je dis. +Seulement... seulement vous vous levez pour arpenter la pièce, en +regardant devant vous, et alors Mafflin arrive pour dîner, et une fois +que je suis dans le salon, je vous entends, vous et lui, causer, causer, +causer, de choses que je ne peux pas comprendre, et... oh! je deviens +_si_ lasse et me sens _si_ seule!... Je ne cherche pas à me plaindre ni +à être un sujet d’ennui, Pip; mais c’est comme cela... oui, c’est comme +cela! + +LE CAP. G.--Ma pauvre chérie! Je n’y ai jamais pensé. Pourquoi +n’invitez-vous pas à dîner quelques gens agréables? + +MRS. G.--Des gens agréables! Où donc les trouver? D’horribles toupies! +Et si je le _faisais_, cela ne m’amuserait pas. Vous savez que je ne +veux que _vous_. + +LE CAP. G.--Et vous m’avez à coup sûr, amour? + +MRS. G.--Je ne vous ai pas! Pip, pourquoi ne me faites-vous pas entrer +dans votre existence? + +LE CAP. G.--Plus que je ne fais? Ce serait difficile, chère amie. + +MRS. G.--Oui, je le suppose... à vos yeux. Je ne vous suis d’aucune +aide... nullement un compagnon; et vous aimez mieux qu’il en soit ainsi. + +LE CAP. G.--N’êtes-vous pas quelque peu déraisonnable, chaton? + +MRS. G. (_frappant du pied_).--Je suis la femme la plus raisonnable du +monde... lorsqu’on me traite d’une façon convenable. + +LE CAP. G.--Et depuis quand vous ai-je traitée d’une façon qui ne fût +pas convenable? + +MRS. G.--Toujours... et depuis le commencement. Vous le _savez_ bien. + +LE CAP. G.--Non, je ne le sais pas; mais je ne demande qu’à être +convaincu. + +MRS. G. (_désignant le harnachement_).--Là! + +LE CAP. G.--Que voulez-vous dire? + +MRS. G.--Qu’est-ce que tout _cela_ veut dire? Pourquoi ne m’en +parle-t-on pas? Est-ce si précieux? + +LE CAP. G.--J’oublie sa valeur exacte pour le gouvernement quant à +présent. Ce que cela veut dire, c’est ce que c’est beaucoup trop lourd. + +MRS. G.--Alors pourquoi y toucher? + +LE CAP. G.--Pour le rendre plus léger. Écoutez-moi, petit amour, j’ai +une idée et Jack en a une autre, mais nous sommes tous deux d’accord que +tout ce harnachement est d’environ trente livres trop lourd. La question +est de savoir comment le réduire sans en affaiblir aucune partie, et en +même temps comment permettre au cavalier de porter tout ce dont il a +besoin pour son propre confort--chaussettes, chemises et choses de ce +genre. + +MRS. G.--Pourquoi ne les emballe-t-il pas dans une petite malle? + +LE CAP. G. (_l’embrassant_).--Oh! petit ange! Les emballer dans une +petite malle, vraiment! Les housards ne trimbalent pas de malles, et +c’est une chose on ne peut plus importante que de faire opérer au cheval +tout le transport. + +MRS. G.--Mais pourquoi avez-vous besoin, vous, de vous tracasser à ce +sujet? Vous n’êtes pas un simple cavalier. + +LE CAP. G.--Non; mais je commande à quelques douzaines d’entre eux; et +le harnachement est presque tout, à l’heure qu’il est. + +MRS. G.--Plus que _moi_? + +LE CAP. G.--Petite sotte! Naturellement non; mais c’est une affaire dans +laquelle je suis terriblement intéressé, attendu que si moi ou Jack, ou +moi et Jack, venons à bout de quelque espèce de selle plus légère et +tout cela, il est possible que nous arrivions à la faire adopter. + +MRS. G.--Comment? + +LE CAP. G.--Sanctionner en Angleterre, où l’on fera un modèle poinçonné, +un modèle que tous les selliers doivent copier; et de la sorte, elle +sera employée par tous les régiments. + +MRS. G.--Et cela vous intéresse? + +LE CAP. G.--Cela fait partie de ma profession, vous savez, et ma +profession est beaucoup pour moi. Tout, dans l’équipement d’un soldat, +est important, et si nous pouvons l’améliorer, cet équipement, tant +mieux pour le soldat et pour nous. + +MRS. G.--Qui «nous»? + +LE CAP. G.--Jack et moi; seulement les idées de Jack sont trop +radicales. Pour quel motif ce gros soupir, Minnie? + +MRS. G.--Oh! rien... Et vous avez fait de tout cela un secret pour moi? + +LE CAP. G.--Pas un secret, exactement, ma chère amie. Je ne vous en ai +rien dit parce que je ne pensais pas que cela vous amuserait. + +MRS. G.--Et suis-je faite seulement pour qu’on m’amuse? + +LE CAP. G.--Non, naturellement. Je veux dire simplement que cela ne +pouvait pas vous intéresser. + +MRS. G.--C’est _votre_ travail et... et si vous vouliez me le permettre, +je ferais tous les calculs. Si ces choses sont trop lourdes, vous savez +de combien, et il vous faut avoir une liste de choses dressée d’avance +pour arriver à l’allègement souhaité, et... + +LE CAP. G.--J’ai bien mes deux listes de comparaison quelque part dans +la tête; mais il est difficile de dire la légèreté que l’on peut donner +à une têtière, par exemple, avant d’en avoir fait faire vraiment un +modèle. + +MRS. G.--Mais si vous lisiez tout haut la liste, je pourrais l’écrire +sous votre dictée, et l’épingler là en face, juste au-dessus de votre +table. Cela ne ferait-il pas l’affaire? + +LE CAP. G.--Ce serait tout ce qu’il y a de plus charmant, chère amie, +mais ce serait aussi vous donner de l’ennui pour rien. Je ne peux pas +travailler de cette manière-là. Je fais cela à vue de nez. Je connais +l’échelle de poids actuelle, et l’autre--celle à laquelle je tâche de +travailler--montera et descendra au point que je ne pourrais être +certain, même si je la couchais par écrit. + +MRS. G.--Je suis _si_ désolée. Je pensais que je pourrais vous aider. +N’y a-t-il rien autre en quoi je pourrais être utile? + +LE CAP. G. (_faisant du regard le tour de la pièce_).--Je ne vois rien. +Vous êtes pour moi d’une aide constante, vous savez. + +MRS. G.--Oui? Comment? + +LE CAP. G.--Vous êtes vous, naturellement, et tant que vous êtes près de +moi... je ne saurais expliquer exactement... mais c’est dans l’air. + +MRS. G.--Et c’est pourquoi vous vouliez me renvoyer? + +LE CAP. G.--C’est seulement quand j’essaie de faire du travail... du +travail de manœuvre comme ceci. + +MRS. G.--Mafflin est préférable, alors, n’est-ce pas? + +LE CAP. G. (_sans réfléchir_).--Naturellement oui. Jack et moi avons +passé deux ou trois années penchés sur le même sillon à propos de ce +harnachement. C’est notre dada, et cela peut, à quelque jour, rendre de +réels services. + +MRS. G. (_après une pause_).--Et c’est tout ce dont vous me tenez +écartée? + +LE CAP. G.--Vous n’en êtes pas très écartée maintenant. Prenez garde que +l’huile de ce mors ne passe sur votre robe. + +MRS. G.--Je voudrais... je voudrais tant pouvoir effectivement vous +aider. Je crois que je le pourrais... en quittant cette pièce. Mais ce +n’est pas cela que je veux dire. + +LE CAP. G. (_à part_).--Que Dieu m’accorde patience! Je voudrais qu’elle +s’en aille. (_Haut._) Je vous assure que vous ne pouvez rien pour moi, +Minnie, et il faut absolument que je m’y mette. Où est ma blague? + +MRS. G. (_se dirigeant vers la table à écrire_).--La voilà, ours. Dans +quel gâchis vous tenez votre table! + +LE CAP. G.--N’y touchez pas. Il y a de l’ordre dans mon désordre, aussi +étrange que cela puisse vous paraître. + +MRS. G. (_à la table_).--Je veux voir... Est-ce que vous tenez des +comptes, Pip? + +LE CAP. G. (_se penchant sur le harnachement_).--Si vous voulez. +Êtes-vous en train de ravager dans les papiers de service? Faites +attention. + +MRS. G.--Pourquoi? Je ne vais rien déranger. Bonté divine! Je n’avais +pas idée que vous eussiez quoi que ce soit à faire avec tant de chevaux +malades. + +LE CAP. G.--Je voudrais bien qu’il en soit autrement, mais ils insistent +pour tomber malades. Minnie, à votre place, je ne mettrais vraiment pas +le nez dans ces papiers-là. Il se peut que vous tombiez sur quelque +chose qui ne vous plaise pas. + +MRS. G.--Pourquoi voulez-vous toujours me traiter en enfant? Je sais que +je ne dérange rien de toutes ces sales choses-là. + +LE CAP. G. (_avec résignation_).--Très bien; alors, ne m’accusez pas +s’il vous arrive quoi que ce soit. Amusez-vous avec la table et +laissez-moi continuer avec le harnachement. (_Glissant la main dans la +poche de son pantalon._) Oh! diable! + +MRS. G. (_le dos tourné_).--Pourquoi cela? + +LE CAP. G.--Rien. (_A part._) Cela ne dit pas grand’chose, mais je +voudrais bien l’avoir déchiré. + +MRS. G. (_examinant tout ce qu’il y a sur la table_).--Je sais que je +vais me faire détester par vous, mais je veux voir à quoi cela +ressemble, votre travail. (_Une pause._) Pip, qu’est-ce que c’est que +des «boutons de farcin»? + +LE CAP. G.--Ha! Vous voulez vraiment savoir? Ce n’est rien de joli. + +MRS. G.--Ce _Journal de Science Vétérinaire_ déclare que c’est d’un +«intérêt palpitant». Expliquez-moi. + +LE CAP. G. (_à part_).--Il se peut que cela détourne son attention. + + _Il donne une description longue, et dégoûtante à dessein, de la morve + et du farcin._ + +MRS. G.--Oh! cela suffit. Ne poursuivez pas! + +LE CAP. G.--Mais vous vouliez savoir... Alors ces machines-là suppurent, +coulent et se propagent... + +MRS. G.--Pip, vous me faites mal au cœur! Vous n’êtes qu’un horrible et +dégoûtant écolier. + +LE CAP. G. (_à genoux parmi les brides_).--C’est vous qui me l’avez +demandé. Ce n’est pas ma faute si vous êtes là à me tracasser pour vous +raconter des horreurs. + +MRS. G.--Pourquoi n’avez-vous pas dit non? + +LE CAP. G.--Juste Ciel, enfant! Êtes-vous venue ici simplement pour me +tyranniser? + +MRS. G.--Moi, vous tyranniser? Comment le pourrais-je. Vous êtes si +fort. (_A deux doigts d’une crise._) Assez fort pour me prendre dans vos +bras et me mettre à la porte pour m’y laisser pleurer, n’est-ce pas? + +LE CAP. G.--Il me semble que vous êtes un petit bébé déraisonnable. +Allez-vous tout à fait bien? + +MRS. G.--Est-ce que j’ai l’air malade? (_Retournant à la table._) Qui +est cette amie à la grande enveloppe grise avec le gros monogramme +dessus? + +LE CAP. G. (_à part_).--Ce n’était donc pas sous clef, saperlipopette! +(_Haut._) «Dieu l’a faite, qu’elle passe donc pour une femme[24].» Vous +vous rappelez ce que c’est que les boutons de farcin? + + [24] Shakespeare. _Le Marchand de Venise._ + +MRS. G. (_montrant l’enveloppe_).--Ceci n’a rien à faire avec _eux_. Je +vais l’ouvrir. Le puis-je? + +LE CAP. G.--Certainement, si vous y tenez. Je préférerais que non, +cependant. Je ne demande pas à voir vos lettres à la petite Deercourt. + +MRS. G.--Vous faites aussi bien, monsieur. (_Elle tire la lettre de +l’enveloppe._) Maintenant, puis-je regarder? Si vous dites non, je vais +pleurer. + +LE CAP. G.--Vous n’avez jamais pleuré à ma connaissance, et je ne crois +pas que vous le puissiez. + +MRS. G.--Je m’en sens tout près aujourd’hui, Pip. Ne soyez pas dur avec +moi. (_Elle lit la lettre._) Cela commence au milieu, sans «Cher +capitaine Gadsby», ou quoi que ce soit. Comme c’est drôle! + +LE CAP. G. (_à part_).--Non, ce n’est pas «Cher capitaine Gadsby», ou +quoi que ce soit, maintenant. Comme c’est drôle! + +MRS. G.--Quelle étrange lettre! (_Elle lit._) «Ainsi, le papillon a fini +par s’approcher trop près de la chandelle, et s’est vu passer de la +flamme dans la... dirai-je respectabilité? Je le félicite, et j’espère +qu’il aura tout le bonheur qu’il mérite.» Qu’est-ce que cela veut dire? +Vous félicite-t-elle à propos de notre mariage? + +LE CAP. G.--Oui, je le suppose. + +MRS. G. (_lisant toujours la lettre_).--On dirait que c’est une de vos +amies particulières. + +LE CAP. G.--Oui. C’était une excellente brave dame... une Mrs. +Herriott... femme d’un certain colonel Herriott. J’ai connu quelques-uns +de ses parents au pays, il y a de cela longtemps... avant de venir par +ici. + +MRS. G.--Il y a des femmes de colonel qui sont jeunes... aussi jeunes +que moi. J’en ai connu une qui était plus jeune. + +LE CAP. G.--Alors, ce ne pouvait être Mrs. Herriott. Elle était assez +âgée pour être votre mère, ma chère amie. + +MRS. G.--Je me rappelle maintenant. Mrs. Scargill parlait d’elle au +tennis chez les Duffin, avant que vous ne veniez me chercher, mardi. Le +capitaine Mafflin disait que c’était une «bonne vieille dame». +Savez-vous, je crois que Mafflin est très maladroit de ses pieds. + +LE CAP. G. (_à part_).--Ce brave Jack! (_Haut._) Pourquoi, chère amie? + +MRS. G.--Il avait posé sa tasse à terre, et il a littéralement marché +dedans. J’ai eu ma robe toute éclaboussée de thé... la grise. Je voulais +vous le dire déjà auparavant. + +LE CAP. G. (_à part_).--Il y a en Jack l’étoffe d’un stratégiste, bien +qu’il emploie des moyens un peu rudes. (_Haut._) Vous ferez bien de +faire faire une nouvelle robe, alors. (_A part._) Prions pour que cela +détourne son attention. + +MRS. G.--Oh! elle n’est pas tachée le moins du monde. Je croyais +seulement devoir vous le dire. (_Revenant à la lettre._) Quelle +extraordinaire personne! (_Elle lit._) «Mais ai-je besoin de vous +rappeler que vous avez assumé une charge de tutelle»--qu’est-ce que cela +peut bien être, qu’une charge de tutelle?--«qui, vous le savez +vous-même, peut aboutir à des Conséquences...» + +LE CAP. G. (_à part_).--C’est le plus sûr de les laisser voir tout au +fur et à mesure qu’elles mettent le nez dessus; mais il me semble qu’il +y a des exceptions à la règle. (_Haut._) Je vous ai dit qu’il n’y avait +rien à tirer de bon du fait de remettre de l’ordre sur ma table. + +MRS. G. (_d’un air absent_).--Que _veut_ dire cette femme? Elle continue +de parler de Conséquences--de «presque inévitables Conséquences» avec un +grand C--pendant une demi-page. (_Devenant écarlate._) Oh! bonté divine! +Mais c’est abominable! + +LE CAP. G. (_promptement_).--Croyez-vous? Cela ne montre-t-il pas une +sorte d’intérêt maternel à notre égard? (_A part._) Dieu merci, Harrie +enveloppait toujours prudemment ce qu’elle voulait dire! (_Haut._) +Est-il absolument nécessaire de continuer la lettre, ma chérie? + +MRS. G.--C’est de l’impertinence--c’est simplement horrible. Quel +_droit_ avait cette femme de vous écrire de cette façon? Elle n’eût pas +dû le faire. + +LE CAP. G.--Quand vous écrivez à la petite Deercourt, je remarque que +vous remplissez trois ou quatre feuillets. Ne pouvez-vous pas laisser +une vieille femme babiller sur du papier une fois par hasard? Elle n’a +que de bonnes intentions. + +MRS. G.--Cela m’est égal. Elle n’eût pas dû écrire, et si elle l’a fait, +vous eussiez dû me montrer sa lettre. + +LE CAP. G.--Ne pouvez-vous pas comprendre pourquoi j’ai gardé la lettre +pour moi seul, ou faut-il entrer dans de longues explications... comme +j’ai fait pour les boutons de farcin? + +MRS. G. (_d’un ton furieux_).--Pip, je vous _déteste_! C’est aussi mal +que ces idiotes de sacoches, là, sur le plancher. Peu importe si cela +m’eût plu ou non, vous eussiez dû me la donner à lire. + +LE CAP. G.--C’est tout un. Vous l’avez prise vous-même. + +MRS. G.--Oui, mais si je ne l’eusse pas prise, vous n’en eussiez soufflé +mot. Je crois que cette Harriet Herriott--c’est comme un nom dans un +livre--est une vieille fouine qui vient s’immiscer dans ce qui ne la +regarde pas. + +LE CAP. G. (_à part_).--Tant que vous resterez bien persuadée qu’elle +_est_ vieille, je ne me soucie guère de ce que vous pensez. (_Haut._) +Fort bien, ma chère amie. Vous plairait-il de lui écrire pour le lui +dire? Elle est à sept mille milles d’ici. + +MRS. G.--Je n’ai pas besoin d’avoir rien à faire avec elle, mais vous +eussiez dû m’en parler. (_Tournant à la dernière page de la lettre._) Et +elle prend des airs protecteurs à mon égard aussi. Je ne l’ai jamais +vue, moi! (_Elle lit._) «Je ne sais pas comment il en retourne avec +vous; selon toute probabilité humaine jamais je ne le saurai; mais quoi +que j’aie pu dire jadis, je prie pour _elle_ plus que pour vous, afin +que tout aille bien. J’ai appris ce que c’est que la souffrance, et je +n’ose souhaiter que quiconque vous est cher partage ma science.» + +LE CAP. G.--Bon Dieu! Ne pouvez-vous laisser cette lettre tranquille, +ou, tout au moins, ne pouvez-vous vous abstenir de la lire à haute voix? +Je l’ai déjà parcourue. Remettez-la sur le bureau. M’entendez-vous? + +MRS. G. (_d’un air irrésolu_).--Je... je n’en ferai rien! (_Elle regarde +G. en face._) Oh! Pip, _je vous en prie_! Je ne voulais pas vous +fâcher... Non, vraiment, je ne voulais pas. Pip, je suis si désolée, je +sais que je vous ai fait perdre votre temps... + +LE CAP. G. (_d’un air renfrogné_).--Oui, vous me l’avez fait perdre. +Maintenant, voulez-vous être assez bonne pour vous en aller... s’il n’y +a plus rien dans mon cabinet où vous ne soyez impatiente de fourrer le +nez? + +MRS. G. (_étendant les mains_).--Oh! Pip, ne me regardez pas comme cela! +Je ne vous ai jamais encore vu regarder comme cela et cela me fai-ait +mal! Je suis si désolée. Je n’aurais pas dû venir ici du tout, et... +et... et... (_Sanglotant._) Oh! soyez-moi bon! Soyez-moi bon! Il n’y a +que vous... au monde! + + _Elle s’abandonne sur la chaise longue, en se cachant le visage dans + les coussins._ + +LE CAP. G. (_à part_).--Elle ne sait pas comme elle m’a fouetté au sang. +(_Haut, se penchant sur la chaise._) Je n’ai pas eu l’intention d’être +dur, ma chère amie... non, vraiment. Vous pouvez rester ici aussi +longtemps que voulez et faire ce que vous voulez. Ne pleurez pas comme +cela. Vous allez vous rendre malade. (_A part._) Que diable a-t-il pu +lui arriver? (_Haut._) Ma chérie, qu’est-ce que vous avez? + +MRS. G. (_le visage toujours caché_).--Laissez-moi m’en aller... +laissez-moi m’en aller dans ma chambre. Seulement... seulement dites-moi +que vous n’êtes pas fâché contre moi. + +LE CAP. G.--Fâché contre _vous_, amour! Cela va sans dire que non. +C’était contre moi-même que j’étais fâché. C’est le harnachement qui +m’avait fait sortir de mon caractère... Ne vous cachez pas le visage, +chaton. Il faut que je l’embrasse. + + _Il se penche plus près, MRS. G. lui glisse le bras droit autour du + cou. Plusieurs intermèdes et beaucoup de sanglots._ + +MRS. G. (_tout bas_).--Ce n’était pas des confitures que je voulais vous +parler quand je suis entrée pour vous dire... + +LE CAP. G.--Peste soit des confitures et du harnachement! (_Intermède._) + +MRS. G. (_encore plus faiblement_).--Mon doigt n’était pas brûlé _du +tout_. Je... je voulais vous parler de... de... de quelque chose autre, +et... je ne savais pas comment. + +LE CAP. G.--Dites, alors. (_La regardant au fond des yeux._) Hein? +Quo-oi? Minnie! Voyons, ne vous en allez pas! Vous ne voulez pas dire? + +MRS. G. (_hors d’elle, reculant jusqu’à la portière et se cachant le +visage dans ses plis_).--Les... les Presque Inévitables Conséquences! + + _Elle s’enfuit par la portière tandis que G. essaie de l’attraper et + s’en va se verrouiller dans sa chambre._ + +LE CAP. G. (_les bras pleins de la portière_).--Oh! (_Tombant lourdement +sur la chaise longue._) Je ne suis qu’une brute... un cochon... un tyran +et un galopin. Ma pauvre, pauvre petite chérie! «Faite seulement pour +qu’on l’amuse...?» + + + + +LA VALLÉE DE L’OMBRE + + Connaissant le Bien et le Mal. + + + DÉCOR.--_Le bungalow des Gadsby dans les plaines, en juin. Des coolies + de punkah endormis dans la verandah que LE CAP. GADSBY arpente de haut + en bas. Charrette du DOCTEUR sous le porche. LE SOUS-AUMÔNIER erre de + côté et d’autre partout et avec inquiétude dans la maison. Trois + heures quarante du matin. 34° de chaleur dans la verandah._ + +LE DOCTEUR (_s’en venant dans la verandah et touchant G. à +l’épaule_).--Vous feriez bien de rentrer la voir en ce moment. + +LE CAP. G. (_la couleur de la cendre d’un bon cigare_).--Hein, quo-oi? +Oh! oui, sans doute. Qu’est-ce que vous disiez? + +LE DOCTEUR (_syllabe par syllabe_).--Al--lez... dans... la... chambre... +la... voir. Elle veut vous parler. (_A part, d’un air bourru._) Ensuite +ce sera _lui_ que j’aurai sur les bras. + +LE SOUS-AUMÔNIER (_dans la salle à manger à moitié éclairée_).--Est-ce +qu’il n’y a pas?... + +LE DOCTEUR (_d’un air farouche_).--Chut, petit insensé. + +LE SOUS-AUMÔNIER.--Laissez-moi faire mon affaire. Gadsby, arrêtez une +minute! + + _Il entreprend de suivre G._ + +LE DOCTEUR.--Attendez qu’elle vous envoie chercher au moins... _au +moins_. Malheureux, il va vous tuer si vous entrez là! Pourquoi le +tracassez-vous comme cela? + +LE SOUS-AUMÔNIER (_s’en venant dans la verandah_).--Je lui ai donné un +grog bien corsé. Il en a besoin. Vous l’avez oublié durant les dix +heures qui viennent de s’écouler, et... vous vous êtes oublié vous-même +aussi. + + _G. pénètre dans la chambre à coucher, laquelle est éclairée par une + veilleuse. Sur le plancher une ayah fait semblant de dormir._ + +UNE VOIX (_du lit_).--Tout le long de la rue... en voilà des feux de +joie! _Ayah_, allez les éteindre! (_Semblant en appeler à témoin ceux +qui écoutent._) Comment pouvoir dormir avec une remise de décorations +dans ma chambre? Non... pas une remise de décorations. Quelque chose +autre. _Qu’est-ce_ que c’était? + +LE CAP. G. (_tâchant de se rendre maître de sa voix_).--Minnie, je suis +ici. (_Se penchant sur le lit._) Ne me reconnaissez-vous pas, Minnie? +C’est moi... c’est Phil... c’est votre mari. + +LA VOIX (_machinalement_).--C’est moi... c’est Phil... c’est votre mari. + +LE CAP. G.--Elle ne me reconnaît pas! C’est votre mari à vous, chérie. + +LA VOIX.--Votre mari à vous, chérie. + +L’AYAH (_sous le coup d’une inspiration_).--_Memsahib_ comprendre tout +ce que _moi_ dire. + +LE CAP. G.--Fais-moi comprendre d’elle, alors... vite! + +L’AYAH (_la main sur le front de Mrs. G._).--_Memsahib!_ Capitaine Sahib +ici. + +LA VOIX.--_Salaam do[25]._ (_Avec humeur._) Je sais que je ne suis pas +présentable. + + [25] Salue-le. + +L’AYAH (_à part, à G._).--Dites «bonjour», comme à déjeuner. + +LE CAP. G.--Bonjour, petite femme. Comment allons-nous aujourd’hui? + +LA VOIX.--C’est Phil. Pauvre vieux Phil! (_D’un ton acerbe._) Phil, +espèce de bête, je ne peux pas vous voir. Venez plus près. + +LE CAP. G.--Minnie, Minnie! C’est moi... Vous me reconnaissez? + +LA VOIX (_d’un ton moqueur_).--Sans doute, que je vous reconnais. Qui ne +reconnaîtrait l’homme qui s’est montré si cruel pour sa femme... presque +la seule qu’il ait jamais eue? + +LE CAP. G.--Oui, chère amie. Oui... sans doute, sans doute. Mais ne +voulez-vous pas lui parler? Il voudrait tant vous parler! + +LA VOIX.--Jamais ils ne le laisseront entrer. Le docteur l’empêcherait, +même s’il était dans la maison. Il ne viendra jamais. (_D’un ton +désespéré._) Oh! Judas! Judas! Judas! + +LE CAP. G. (_étendant les bras_).--Ils l’ont laissé entrer, et il a +toujours été dans la maison. Oh! mon amour... est-ce que vous ne me +reconnaissez pas? + +LA VOIX (_chantonnant_).--«Et il arriva à l’onzième heure que cette +pauvre âme se repentit.» Elle frappa aux portes, mais elles étaient +fermées... serrées comme un emplâtre... un grand emplâtre tout brûlant. +Ils ont collé notre certificat de mariage tout en travers de la porte, +et elle était en fer chauffé à blanc... Vraiment les gens devraient +faire plus attention, vous savez. + +LE CAP. G.--Que faire? (_Il la prend dans ses bras._) Minnie! +parlez-moi... à Phil. + +LA VOIX.--Que vais-je dire? Oh! dites-moi ce qu’il faut dire avant qu’il +soit trop tard! Ils s’en vont tous et je ne peux rien dire. + +LE CAP. G.--Dites que vous me reconnaissez! Dites seulement que vous me +reconnaissez! + +LE DOCTEUR (_qui est entré sans bruit_).--Par pitié, ne prenez pas la +chose trop à cœur, Gadsby! Cela se produit quelquefois. Ils ne vous +reconnaissent pas. Ils disent toutes sortes de choses bizarres... +comprenez-vous? + +LE CAP. G.--Oui, oui! Allez-vous-en maintenant, elle va me reconnaître; +vous l’ennuyez. Il le _faut_... N’est-ce pas qu’il le faut? + +LE DOCTEUR.--Elle le fera avant... Me permettez-vous d’essayer...? + +LE CAP. G.--Tout ce que vous voulez, pourvu qu’elle me reconnaisse. Ce +n’est qu’une question d’... heures, n’est-ce pas? + +LE DOCTEUR (_sur le ton professionnel_).--Tant qu’il y a de la vie, il y +a de l’espoir, vous savez. Mais ne comptez pas dessus. + +LE CAP. G.--Je ne compte sur rien. Rappelez-la à elle si c’est possible. +(_A part._) Qu’ai-je fait pour mériter cela? + +LE DOCTEUR (_se penchant sur le lit_).--Voyons, Mrs. Gadsby! Nous serons +guérie demain. Il _faut_ le prendre, sans quoi je ne laisserai pas Phil +vous voir. Ce n’est pas mauvais, n’est-ce pas? + +LA VOIX.--Des médecines! _Toujours_ des médecines! Ne pouvez-vous pas me +laisser tranquille? + +LE CAP. G.--Oh! laissez-la en paix, docteur! + +LE DOCTEUR (_se retirant en arrière--à part_).--Dieu me pardonne si j’ai +mal fait. (_Haut._) Dans quelques instants elle devrait revenir à elle; +mais je n’ose vous dire de vous attendre à quoi que ce soit. C’est +seulement... + +LE CAP. G.--Quo-oi? Continuez donc. + +LE DOCTEUR (_tout bas_).--Une façon de hâter le dernier effort. + +LE CAP. G.--Alors, laissez-nous seuls. + +LE DOCTEUR.--Ne vous occupez pas de ce qu’elle dira pour commencer, si +vous pouvez. Ils... ils... ils se retournent quelquefois, en cet +état-là, contre ceux qu’ils aiment le plus... C’est dur, mais... + +LE CAP. G.--Est-ce moi son mari, ou est-ce vous? Laissez-nous seuls pour +ce que nous avons de temps à rester ensemble. + +LA VOIX (_confidentiellement_).--Et nous avons été fiancés de la façon +_la plus_ soudaine, Emma. Je t’assure que je n’y ai jamais pensé un seul +moment; mais, pauvre de moi!... je ne sais pas _ce que_ j’aurais fait +s’il ne _s’était pas_ proposé. + +LE CAP. G.--Elle pense à la petite Deercourt avant de penser à moi. +(_Haut._) Minnie! + +LA VOIX.--Pas dans les boutiques, chère maman. Vous pouvez faire venir +les feuilles naturelles de Kaintu, et (_riant faiblement_) ne vous +occupez pas des fleurs... La soie blanc mat ne convient qu’aux veuves, +et je _ne veux pas_ en porter. Cela ressemble à un suaire. + + _Une longue pause._ + +LE CAP. G.--Je n’ai jamais encore demandé de faveur. S’il est quelqu’un +qui m’écoute, qu’elle me reconnaisse... quand je devrais, moi aussi, +mourir! + +LA VOIX (_très faiblement_).--Pip, mon cher Pip. + +LE CAP. G.--Je suis ici, chérie. + +LA VOIX.--Qu’est-ce qui est arrivé? Ils m’ont tellement ennuyée avec les +médecines et un tas de choses, et ils ne voulaient pas vous laisser +venir me voir. Je n’avais jamais encore été malade. Est-ce que je suis +malade en ce moment? + +LE CAP. G.--Vous... vous n’êtes pas très bien. + +LA VOIX.--Comme c’est drôle! Est-ce qu’il y a longtemps que je suis +malade? + +LE CAP. G.--Quelques jours; mais vous n’allez pas tarder à vous +remettre. + +LA VOIX.--Croyez-vous, Pip? Je ne me sens pas bien et... Oh! qu’est-ce +qu’on a fait à mes cheveux? + +LE CAP. G.--Je ne... ne... ne sais pas. + +LA VOIX.--On les a coupés. Si c’est possible! + +LE CAP. G.--C’était sans doute pour vous tenir la tête plus fraîche. + +LA VOIX.--Absolument une perruque de gamin. J’ai l’air affreuse, hein? + +LE CAP. G.--Vous n’avez jamais paru plus jolie de votre vie, ma chère +amie. (_A part._) Comment vais-je lui demander de me dire adieu? + +LA VOIX.--Je ne me _sens_ pas jolie. Je me sens très malade. Mon cœur ne +marche pas. C’est presque mort à l’intérieur de moi, et j’éprouve +quelque chose de drôle dans les yeux. Tout me semble à la même +distance... vous, l’armoire, la table... à l’intérieur de mes yeux ou à +des milles de distance. Qu’est-ce que cela veut dire, Pip? + +LE CAP. G.--Vous êtes un peu fiévreuse, chérie... très fiévreuse. +(_Défaillant._) Mon amour! mon amour! Comment vous laisser aller? + +LA VOIX.--C’est ce que je pensais. Pourquoi n’avoir pas commencé par le +dire? + +LE CAP. G.--Quoi? + +LA VOIX.--Que je vais... mourir. + +LE CAP. G.--Mais, vous n’allez pas mourir! Vous ne mourrez pas! + +L’AYAH (_au coolie de punkah, pénétrant dans la verandah après un coup +d’œil au lit_).--_Punkah chor do![26]_ + + [26] Cesse de tirer le punkah. + +LA VOIX.--C’est dur, Pip. Si, si dur après une année... rien qu’une +année. (_Gémissant._) Et je n’ai que vingt ans. La plupart des jeunes +filles ne sont même pas mariées, à vingt ans. Ne peut-on rien faire pour +me tirer de là? Je ne _veux_ pas mourir. + +LE CAP. G.--Chut, ma chère amie. Vous ne mourrez pas. + +LA VOIX.--Quel besoin de parler? _Secourez_-moi! Vous ne m’avez jamais +encore fait défaut. Oh! Phil, aidez-moi à rester en vie. +(_Fiévreusement._) Je ne crois pas que vous vouliez que je vive. Vous +n’avez pas été triste le moins du monde quand cette horreur de bébé est +mort. J’aurais voulu le tuer! + +LE CAP. G. (_se passant la main sur le front_).--On n’est pas fait pour +supporter de pareilles choses... ce n’est pas permis. (_Haut._) Minnie, +amour, je mourrais pour vous si cela pouvait vous secourir. + +LA VOIX.--Ne parlons plus de mort. Il y en a déjà assez comme cela. Pip, +n’allez pas, vous, mourir aussi. + +LE CAP. G.--Si seulement j’osais. + +LA VOIX.--Il dit: «Jusqu’à ce que la mort nous sépare.» Rien après... et +du reste cela ne servirait à rien. Cela s’arrête à la mort. _Pourquoi_ +cela s’arrête-t-il là? Et une vie si courte, encore. Pip, je regrette +que nous nous soyons mariés. + +LE CAP. G.--Non? Tout, mais pas cela, Minnie! + +LA VOIX.--Parce que vous oublierez et que j’oublierai. Oh! Pip, +n’oubliez pas. Je vous ai toujours aimé, quoique parfois je fusse +contrariante. Si j’ai jamais rien fait qui vous ait déplu, dites que +vous me pardonnez en ce moment. + +LE CAP. G.--Vous n’avez jamais rien fait qui m’ait déplu, chérie, sur +mon âme et sur mon honneur, jamais. Je n’ai pas la moindre chose à vous +pardonner. + +LA VOIX.--J’ai boudé toute une grande semaine à propos de ces pétunias. +(_Avec un léger rire._) En ai-je été, une petite misérable, et quelle +peine cela vous a faite! Pardonnez-le-moi, Pip. + +LE CAP. G.--Il n’y a rien à pardonner. Ce fut ma faute. Ils _étaient_ +trop près de l’allée des voitures. Pour l’amour de Dieu, ne parlez pas +ainsi, Minnie! Il reste tant de choses à dire et si peu de temps pour +les dire. + +LA VOIX.--Dites que vous m’aimerez toujours... jusqu’à la fin. + +LE CAP. G.--Jusqu’à la fin. (_Hors de lui._) C’est un mensonge. Cela +n’en peut être qu’un, attendu que nous nous sommes aimés. Ce n’est pas +la fin. + +LA VOIX (_retombant dans une sorte de délire_).--Mon paroissien, à moi, +a au dos une croix d’ivoire, et _il_ le dit, donc c’est vrai. «Jusqu’à +ce que la mort nous sépare.»--Mais c’est un mensonge. (_Parodiant un +geste de G._) Un sacré mensonge! (_D’un air insouciant._) Oui, je jure +aussi bien que le cavalier Pip. Je ne peux pas faire penser ma tête, +pourtant. C’est parce qu’ils m’ont coupé les cheveux. Comment _pouvoir_ +penser avec une tête de hérisson? (_D’un ton implorant._) Tenez-moi +bien, Pip! Gardez-moi avec vous toujours, toujours. (_Retombant._) Mais +si vous vous mariez avec la petite Thorniss, quand je serai morte, je +reviendrai hurler sous la fenêtre de votre chambre toute la nuit. Oh! +zut! Vous me prendrez pour un chacal. Pip, quelle heure est-il? + +LE CAP. G.--Le jour va paraître, ma chère amie. + +LA VOIX.--Je demande où je serai demain à cette heure-ci. + +LE CAP. G.--Voudriez-vous voir le pasteur? + +LA VOIX.--Pourquoi le verrais-je? Il me dirait que je vais au ciel; et +ce ne serait pas vrai, puisque vous êtes ici. Vous rappelez-vous quand +il a renversé sa glace sur tout son pantalon au tennis des Gasser? + +LE CAP. G.--Oui, chère amie. + +LA VOIX.--Je me suis souvent demandé s’il avait acheté un autre +pantalon; et pourtant le sien était si brillant qu’on ne pouvait +vraiment pas s’en apercevoir à moins qu’on vous le dise. Faisons-le +venir pour le lui demander. + +LE CAP. G. (_gravement_).--Non. Je crois que cela ne lui ferait pas +plaisir. Avez-vous la tête à l’aise, chérie? + +LA VOIX (_faiblement, avec un soupir de contentement_).--Ou-ué! De +grâce, Pip, quand vous êtes-vous rasé la dernière fois? Vous avez le +menton pire que le rouleau d’une boîte à musique... Non, ne le relevez +pas. Je l’aime comme cela. (_Une pause._) Vous disiez que vous n’aviez +jamais pleuré. Vous pleurez sur toute ma joue. + +LE CAP. G.--Je... je... je ne peux pas m’en empêcher, ma chère amie. + +LA VOIX.--Comme c’est drôle! Je ne pourrais pas pleurer en ce moment, +quand il s’agirait de ma vie. (_G. frissonne._) Ce dont j’ai besoin, +moi, c’est de chanter. + +LE CAP. G.--Cela ne vous fatiguerait-il pas? Il vaut peut-être mieux que +non. + +LA VOIX.--Pourquoi? Je ne veux pas qu’on m’ennuie. (_Elle commence d’une +voix chevrotante et rauque._) + + «Minnie fait un gâteau d’avoine, Minnie brasse de l’ale, + Tout cela parce que son Yannik va rentrer de la mer, + (C’est la manœuvre, Pip.) + Rouge comme rose devient-elle, qui fut si pâle, + Et dit: (Êtes-vous sûr que marche l’horloge du clocher?)» + +(_Avec humeur._) Je savais bien que je ne pourrais pas monter jusqu’à la +dernière note. Comment est-ce, à la main gauche? (_Elle tire ses mains +de dedans le lit et se met à jouer du piano sur le drap._) + +LE CAP. G. (_s’emparant de ses mains_).--Ahh! Ne faites pas cela, +chaton, si vous m’aimez. + +LA VOIX.--Si je vous aime? Naturellement, que je vous aime, qui +pourrais-je aimer d’autre? + + _Une pause._ + +LA VOIX (_très clairement_).--Pip, voici que je m’en vais. Il y a +quelque chose qui m’étouffe affreusement. (_Indistinctement._) Dans les +ténèbres... sans vous, mon cœur... Mais c’est un mensonge, cher ami... +il ne faut pas y croire... Pour jamais et jamais, vivants ou morts. Ne +me laissez pas m’en aller, mon mari... tenez-moi bien... Ils ne peuvent +pas... quoi qu’il arrive. (_Elle tousse._) Pip... _mon_ Pip! Pas pour +toujours... et... si... tôt! (_LA VOIX cesse._) + + _Suspension de dix minutes. G. s’ensevelit le visage dans les draps, + tandis que L’AYAH se penche sur le lit, du côté opposé, et tâte le + sein et le front de MRS. G._ + +LE CAP. G. (_se levant_).--_Docteur sahib ko salaam do[27]._ + + [27] Dites au docteur. + +L’AYAH (_toujours contre le lit, avec un cri aigu_).--Aï! Aï! ma +_memsahib_! Pas morte--pas mourir--_Poussîna agya!_[28] (_Farouchement à +G._) _Tum jao docteur sahib ko jaldi[29]!_ Oh! ma _memsahib_! + + [28] La transpiration est venue. + + [29] Vous aller au docteur. + +LE DOCTEUR (_entrant précipitamment_).--Retirez-vous, Gadsby. ( _Il se +penche sur le lit._) Hein? Le di... Qu’est-ce qui vous a inspiré +d’arrêter le punkah? Sortez, mon brave... allez-vous-en... attendez +dehors. _Allez!_ Ici, ayah! (_Par-dessus son épaule, à G._) +Remarquez-le, je ne promets rien. + + _Le jour paraît au moment où G. pénètre en trébuchant dans le jardin._ + +LE CAP. M. (_retenant son cheval à la grille au moment où il passe pour +se rendre à la manœuvre, et très gravement_).--Mon vieux, comment cela +va-t-il? + +LE CAP. G. (_ébloui_).--Je ne sais pas bien. Arrête un instant. Viens +prendre un verre ou quelque chose. Ne te sauve pas. C’est le moment où +cela devient drôle. Ha! ha! + +LE CAP. M. (_à part_).--Qu’est-ce qui _m_’arrive? Gaddy a vieilli de dix +ans en une nuit. + +LE CAP. G. (_lentement, tout en maniant la têtière du cheval_).--Ta +gourmette est trop lâche. + +LE CAP. M.--En effet. Remets-la comme il faut, veux-tu? (_A part._) Je +vais être en retard pour la manœuvre. Pauvre Gaddy. + + _LE CAP. G. attache et détache la gourmette sans savoir ce qu’il fait, + et finalement reste là debout à regarder du côté de la verandah. Le + jour grandit._ + +LE DOCTEUR (_sorti de la gravité professionnelle, piétinant à travers +les corbeilles de fleurs pour venir serrer la main à G._)--C’est... +c’est... c’est!... Gadsby, il y a des chances... de sacrées chances! +L’étincelle, vous savez! La transpiration, vous savez! Je l’avais bien +_deviné_. Le punkah, vous savez! Une femme diantrement intelligente, +votre ayah. Elle a arrêté le punkah juste au bon moment. De sacrées +chances! Non... vous n’entrerez pas. Nous allons la tirer de là, je vous +le promets sur ma réputation... si Dieu le permet. Envoyez un homme avec +ce billet chez Bingle. Deux têtes valent mieux qu’une. Surtout l’ayah! +Nous allons la tirer de là. (_Il bat précipitamment en retraite dans la +maison._) + +LE CAP. G. (_la tête sur le cou du cheval de M._)--Jack! Je gr... gr... +grois que j’... j’... je bais me donner salement en spectagle. + +LE CAP. M. (_reniflant ouvertement et tâtant dans sa manchette de +gauche_).--Je b’... b’... je b’y donne déjà. Mon vieux, que te dire? Je +suis si gontent... Le diable d’emporte, Gaddy! Du es un grand idiot, et +boi, un autre. (_Se reprenant._) Attention! Voici venir +Trompe-le-Diable. + +LE SOUS-AUMÔNIER (_qui n’est pas dans la confidence du +docteur_).--Nous... nous ne sommes que des hommes en ces sortes de +choses, Gadsby. Je sais que mes paroles, en ce moment, ne peuvent être +d’aucun secours... + +LE CAP. M. (_avec jalousie_).--Alors, ne parlez pas. Laissez-le +tranquille. Ce n’est pas tel qu’il y ait lieu de croasser. Tiens, Gaddy, +porte le _chit_[30] à Bingle, et... train d’enfer! Cela te fera du bien. +Je ne peux pas y aller. + + [30] Billet. + +LE SOUS-AUMÔNIER.--Lui faire du bien! (_Souriant._) Donnez-moi le +_chit_, et je vais y aller en voiture. Laissez-le se coucher. Votre +cheval barre le chemin à ma charrette... _si vous permettez!_ + +LE CAP. M. (_lentement, sans tirer sur la bride_).--Je vous demande +pardon... je m’excuserai. Par écrit, si vous y tenez. + +LE SOUS-AUMÔNIER (_tapant sur le cheval de M._)--Voilà qui suffira, +merci. Rentrez, Gadsby, et je vais ramener Bingle... hem, hem... «train +d’enfer». + +LE CAP. M. (_seul_).--Je n’aurais eu que ce que je mérite s’il m’avait +cinglé le visage. Il sait aussi ce que c’est que de mener un cheval. Je +ne me soucierais guère d’aller à cette allure dans une charrette en +bambou. Quelle foi il lui faut en son... bourrelier! Allons, hue, +cocotte! + + _Il s’éloigne au galop pour se rendre à la manœuvre, en se mouchant, + tandis que le soleil se lève._ + + +INTERVALLE DE CINQ SEMAINES + + +MRS. G. (_très pâle et le visage tiré, en peignoir du matin au petit +déjeuner_).--Comme la pièce paraît grande et étrange, et, oh! comme je +suis contente de la revoir! Quelle poussière, pourtant! Il faut que je +parle aux domestiques. Du sucre, Pip? J’ai presque oublié. +(_Sérieusement._) N’ai-je pas été très malade? + +LE CAP. G.--Plus malade que je n’eusse voulu. (_Tendrement._) Oh! vilain +petit chaton, quelle peur vous m’avez faite! + +MRS. G.--Je ne recommencerai plus. + +LE CAP. G.--Vous ferez bien. Et maintenant tâchez de reprendre vos +couleurs, sans quoi je me fâcherai. N’essayez pas de soulever le +samovar. Vous allez le renverser. Attendez. + + _Il s’en vient en faisant le tour jusqu’au haut bout de la table, et + soulève le samovar._ + +MRS. G. (_vivement._)--_Khitmatgar, bowarchikhana sî kettlé lao[31]._ +(_Attirant la tête de G. tout contre la sienne._) Mon Pip aimé, _je_ me +rappelle. + + [31] Majordome, allez chercher une bouilloire à la cuisine. + +LE CAP. G.--Quoi? + +MRS. G.--Cette dernière et terrible nuit. + +LE CAP. G.--Alors, tâchez maintenant d’oublier tout cela. + +MRS. G. (_doucement, les yeux se remplissant de larmes_).--Jamais. Cela +nous a rapprochés _bien_ près l’un de l’autre, mon mari. Là! +(_Intermède._) Je vais donner une _sarie_[32] à Junda. + + [32] Robe. + +LE CAP. G.--Je lui ai donné cinquante _dibs_[33]. + + [33] Roupies. + +MRS. G.--C’est ce qu’elle m’a dit. C’était une récompense énorme. Est-ce +que j’en valais la peine? (_Plusieurs intermèdes._) Finissez! Voici le +_khitmatgar_... Deux morceaux ou un seul, Monsieur? + + + + +LE DÉBORDEMENT DU JOURDAIN + + Si les gens de pied vous ont fatigué quand vous avez couru avec + eux, comment pourriez-vous courir contre ceux qui sont à cheval? + Si vous espériez d’être en assurance dans une terre de paix, que + ferez-vous parmi des gens aussi fiers que le Jourdain lorsqu’il + se déborde? + + + DÉCOR.--_Le bungalow des GADSBY dans les plaines, un matin de janvier. + MRS. G. discute avec le portefaix dans la verandah de derrière. LE + CAP. M. arrive à cheval._ + +LE CAP. M.--Bonjour, Mrs. Gadsby. Comment se portent le Petit Prodige et +l’Orgueilleux Propriétaire? + +MRS. G.--Vous les trouverez dans la verandah de devant; traversez la +maison. Pour le moment je remplis le rôle de Marthe. + +LE CAP. M.--Accablée par les soucis des khitmatgars? Je me sauve. + + _Il passe dans la verandah de devant, où GADSBY surveille GADSBY + JUNIOR, âgé de dix mois, en train de ramper sur la natte._ + +LE CAP. M.--Qu’est-ce qu’il te prend, Gaddy, de gâter ainsi la matinée +d’un honnête homme? (_Apercevant GADSBY JUNIOR._) Ma parole, ce +poulain-là se devient à merveille? Un bon appoint d’os, là, sous le +genou. + +LE CAP. G.--Oui, c’est un petit gredin plein de santé. Ne crois-tu pas +que les cheveux lui poussent? + +M.--Jetons un coup d’œil. Hi! Hst! Ici, général Luck, que nous fassions +notre rapport sur vous. + +MRS. G. (_dans l’intérieur_).--De quel nom absurde le baptiserez-vous +encore la prochaine fois? Pourquoi l’appelez-vous comme cela? + +M.--N’est-ce pas notre inspecteur général de cavalerie? Ne s’en vient-il +pas dans sa voiture, haute comme cela, tous les matins où les Hussards +Roses font la manœuvre? Ne gigotez pas, brigadier. Donnez-nous votre +opinion personnelle sur la façon dont le troisième escadron a défilé. Un +brin décousus, n’est-ce pas? + +G.--Tout ce que je désire, c’est de ne jamais revoir un tas de bouifs +pareils aux derniers bleus. Ils m’ont fourni plus que ma belle part... +en mettant la pagaille dans mon escadron. C’est à faire vomir! + +M.--Quand vous aurez un commandement, vous tâcherez de faire mieux, +jeune homme. Commence-t-on à marcher? Tenez-vous à mon doigt pour +essayer. (_A G._) Cela ne peut lui faire mal aux boulets, n’est-ce pas? + +G.--Oh! que non. Ne le laisse pas retomber, cependant, sans quoi il va +t’enlever tout le cirage de tes bottes avec sa langue. + +MRS. G. (_dans l’intérieur_).--Qui est-ce qui déblatère contre mon fils? + +M.--Et mon filleul. J’ai honte de toi, Gaddy. Jack, donnez-lui un coup +de poing dans l’œil, à votre père. N’allez pas accepter cela! Frappez-le +encore! + +G. (_sotto voce_).--Pose à terre le _butcha_ et viens au bout de la +verandah. Je préférerais que ma femme n’entende pas... pour le moment. + +M.--Tu as l’air terriblement sérieux. Rien de grave? + +G.--Cela dépend entièrement de ton point de vue. Écoute, Jack, tu ne +seras pas plus dur qu’il ne faut vis-à-vis de moi, n’est-ce pas? Viens +par ici plus loin... En deux mots voici l’affaire: je suis décidé... ou +tout au moins je pense sérieusement... à lâcher le service. + +M.--Hhhein? + +G.--Ne pousse pas de cris. Je vais envoyer ma démission. + +M.--Toi! Es-tu fou? + +G.--Non... seulement marié. + +M.--Voyons! Qu’est-ce tout cela veut dire? Tu ne peux avoir dans l’idée +de _nous_ quitter. C’est _impossible_. Le plus bel escadron du plus beau +régiment de la plus belle cavalerie du monde entier n’est-il pas assez +bon pour toi? + +G. (_secouant la tête par-dessus son épaule_).--Elle n’a pas l’air de +prospérer dans ce pays abandonné du ciel et de la terre, et il y a aussi +le _butcha_ à considérer, et tout cela, tu sais. + +M.--Dit-elle qu’elle n’aime pas l’Inde? + +G.--C’est là le pire. Elle n’en soufflerait mot de peur d’avoir à me +quitter. + +M.--Pour quoi les montagnes sont-elles faites? + +G.--Pas pour ma femme à moi, en tout cas. + +M.--Tu en sais trop, Gaddy, et... je ne t’en aime pas mieux pour cela! + +G.--Que m’importe? Il lui faut l’Angleterre, et le _butcha_ n’en irait +que mieux. Je vais tout lâcher. Tu ne comprends pas? + +M. (_chaudement_).--Je comprends _ceci_: cent trente-sept jeunes chevaux +à peaufiner de façon quelconque avant que Luck revienne par ici; des +recrues qui ont un poil dans la main et qui nous causeront plus de +turbin que les chevaux; le camp comme certitude dès la première saison +froide; nous-mêmes les premiers à mobiliser; le pétard russe prêt à +éclater en cinq minutes, et toi, le meilleur de nous tous, te retirant +de tout! Réfléchis un peu, Gaddy. Tu _ne vas pas_ faire cela. + +G.--Mais, sacrebleu, un homme a des devoirs vis-à-vis de sa famille, je +suppose. + +M.--Je me rappelle un homme, cependant qui m’a dit, la nuit après +Amdhéran, alors que nous étions à la corde sous le Jagai, et qu’il avait +laissé son sabre--en passant, l’as-tu jamais payé à Ranken[34], ce +sabre?--dans la tête d’un Utmanzai... qui m’a dit qu’il ne me lâcherait +jamais, ni moi ni les Roses, tant qu’il vivrait. Je ne le blâme pas de +me lâcher, moi--je ne vaux pas les quatre fers d’un chien--mais je le +blâme de lâcher les Hussards Roses. + + [34] Ranken, le grand fabricant de sabres, à Londres. + +G. (_d’un air gêné_).--Nous n’étions guère plus que des gosses, alors. +Te rends-tu compte, Jack, de la tournure que les choses ont prise? Ce +n’est pas comme si nous étions au service pour gagner notre pain. Nous +avons plus ou moins, nous tous, la sale galette. Je suis peut-être, sous +ce rapport, plus veinard que d’autres. Il n’y a pas pour moi +d’obligation de rester au service. + +M.--Aucune pour toi comme pour nous, sauf l’obligation vis-à-vis du +régiment. S’il ne te plaît pas d’obéir à cette obligation-là, +naturellement... + +G.--Ne te montre pas par trop dur vis-à-vis d’un semblable. Tu sais bien +que quantité d’entre nous n’acceptent la chose que pour quelques années, +et puis s’en reviennent à Londres reprendre la vie avec les autres. + +M.--Pas des quantités, et ces gens-là ne sont pas _nous_. + +G.--Et puis il faut aussi considérer les affaires qu’on a au pays... mon +coin de terre et les revenus, et tout cela. Je ne pense pas que mon père +aille bien loin maintenant, et cela, c’est le titre et tout ce qui +s’ensuit. + +M.--Tu as peur de ne pas figurer correctement dans le Stud Book à moins +de retourner au pays. Prends six mois, alors, et reviens en octobre. Si +je pouvais estourbir un frère ou deux, je crois que je serais quelque +chose comme marquis. Le premier imbécile venu peut l’être; mais il faut +des _hommes_, Gaddy..., des hommes comme toi... pour mener proprement +des escadrons flanc-garde. Ne va pas te mettre dans la tête que tu +retournes au pays pour prendre ta place et faire la roue au milieu de +douairières kabouli au nez rouge. Tu n’es pas bâti pour cela. C’est moi +qui te le dis. + +G.--Tout homme a le droit de vivre sa vie aussi heureusement qu’il peut. +Tu n’es pas marié, toi. + +M.--Non... grâce à la Providence et à la femme ou deux qui ont eu le bon +sens de me refuser. + +G.--Alors tu ne sais pas ce que c’est que d’entrer dans sa chambre et de +voir la tête de sa femme sur l’oreiller, pour se demander, alors que +tout le reste est sauf et la maison sous les verrous pour la nuit, si +les poutres du toit ne vont pas céder et la tuer. + +M. (_à part_).--Révélations première et seconde! (_Haut._) Ssss! J’ai +connu un homme qui se grisait jadis à notre mess et m’a confié qu’il +n’aidait jamais sa femme à monter à cheval sans prier pour qu’elle se +rompe le cou avant de rentrer. Tous les maris ne se ressemblent pas, tu +vois. + +G.--Que diable cela peut-il avoir à faire avec mon cas? Il fallait que +cet homme-là fût fou, ou sa femme pas grand’chose de rare. + +M. (_à part_).--Pas ta faute si les deux n’étaient pas tout ce que tu +dis. Tu as oublié le temps où la Herriott t’avait fait perdre la raison. +Tu as toujours eu le don d’oublier. (_Haut._) Pas plus fou que les gens +qui vont à l’autre extrême. Sois raisonnable, Gaddy. Les poutres de ton +toit sont assez solides. + +G.--Ce n’était qu’une façon de parler. Je me suis toujours senti inquiet +et tracassé au sujet de ma femme depuis cette affreuse affaire d’il y a +trois ans... quand... j’ai failli la perdre. Peux-tu t’en étonner? + +M.--Oh! un obus ne tombe jamais deux fois à la même place. Tu as payé ta +part de malheur... Pourquoi serait-ce ta femme qui se trouverait choisie +plutôt que celle d’un autre? + +G.--S’il ne s’agissait que de parler, je peux le faire tout aussi +raisonnablement que toi, mais tu ne comprends pas... tu ne comprends +pas. Et puis il y a le _butcha_. Dieu seul sait où son ayah le mène +s’asseoir quand arrive le frais! Il a un petit commencement de rhume. +N’as-tu pas remarqué? + +M.--La bonne blague! Le _brigadier_ crève de santé. Il a le museau comme +une feuille de rose et le coffre d’un poulain de deux ans. Qu’est-ce qui +a bien pu te démoraliser? + +G.--La frousse. En un mot comme en cent: la frousse! + +M.--Mais qu’est-ce qu’il y _a_ pour y donner lieu? + +G.--Tout. C’est effarant. + +M.--Ah! je devine. + + «You don’t want to fight, + And by Jingo when we do, + You’ve got the kid, you’ve got the wife, + You’ve got the money, too[35].» + + [35] + + «Vous ne voulez pas vous battre, + Et par Jingo quand nous nous battons, + Vous avez le petit, vous avez la femme, + Vous avez l’argent aussi.» + + Chanson qui fut composée lors d’un projet de guerre entre + l’Angleterre et la Russie, en 1878, et qui a donné naissance au mot + «jingoïsme». Ici, Mafflin modifie le texte du troisième vers qui, + dans la chanson originale, est: «_We’ve got the men, we’ve got the + ships._» + +Hein, c’est à peu près le cas? + +G.--Je suppose que oui. Mais ce n’est pas pour moi. C’est à cause +d’_eux_. Du moins, je le crois. + +M.--Es-tu sûr? En envisageant les choses de sang-froid, ta femme est +pourvue même au cas où tu serais nettoyé dès ce soir. Elle a une demeure +seigneuriale où se retirer, de l’argent, et le _brigadier_ pour +continuer à porter le nom illustre. + +G.--Alors c’est pour moi-même ou parce qu’ils sont une partie de moi. Tu +ne le vois pas. Ma vie est si bonne, si agréable, telle qu’elle est, que +j’ai besoin de la rendre tout à fait stable. Est-ce que tu ne comprends +pas? + +M.--Parfaitement. «Tranchée-abri pour cheval d’officier», comme on dit +dans la ligne. + +G.--Et j’ai tout ce qu’il faut en main pour la rendre telle. J’en ai +soupé, de la tension morale et de la bile à leur sujet ici, et je ne +vois pas qu’il y ait pour moi la moindre difficulté à envoyer tout +promener. Cela me coûtera seulement... Jack, j’espère que tu ne +connaîtras jamais la honte par laquelle j’ai passé durant ces derniers +six mois. + +M.--Tiens bon là! Je n’ai pas besoin qu’on me dise. Tout homme a ses +hauts et ses bas. + +G. (_riant amèrement_).--Tu crois? Qu’est-ce que tu dis du monsieur qui +tend le cou pour voir où son cheval met le pied? + +M.--Dans mon cas, cela signifie que j’ai fait la noce, et que j’arrive à +la manœuvre avec le mal aux cheveux! Cela passe en trois foulées. + +G. (_baissant la voix_).--Cela ne passe jamais avec moi, Jack. J’y pense +toujours. Phil Gadsby ayant la frousse d’une chute à la manœuvre! Un +joli tableau, n’est-ce pas? Dessine-le pour moi. + +M. (_gravement_).--Dieu me pardonne! Un homme comme toi ne peut pas en +arriver à ce degré-là. Une chute n’a rien d’agréable. Mais on ne pense +jamais à cela. + +G.--Tu crois? Attends d’avoir à toi femme et enfant, et alors tu sauras +comment le grondement de l’escadron derrière vous vous fait froid tout +le long du dos. + +M. (_à part_).--Et c’est là l’homme qui menait à Amdhéran après que +Bayal-Deasin eût été dévissé, et nous étions tous en _méli-mélo_, et il +sortit de la bagarre ruisselant comme un boucher. (_Haut._) Balivernes! +Les files peuvent toujours s’entr’ouvrir, et vous pouvez toujours plus +ou moins chercher votre chemin. Nous autres, nous n’avons pas la +poussière pour nous embêter, comme les hommes, et qu’est-ce qui a jamais +entendu parler d’un cheval mettant le pied sur un homme. + +G.--Jamais... tant qu’il est en état de voir. Mais est-ce qu’ils se sont +entr’ouverts pour le pauvre Errington? + +M.--Oh! voilà qui est puéril! + +G.--Je sais que cela l’est, et pire que cela. Peu m’importe. Tu as monté +Van Loo. Est-ce une bête à chercher son chemin... surtout lorsque nous +partons à bonne allure à l’attaque en colonne? + +M.--C’est une fois par hasard que nous partons à l’attaque en colonne, +et alors seulement pour épargner du temps. Est-ce que tu n’as pas assez +de trois longueurs? + +G.--Oui... tout à fait assez. C’est juste ce qu’il faut d’espace pour se +voir écrasé dans les règles. Je parle en chien hargneux, je le sais +bien; mais ce que je veux te dire, c’est que, ces derniers trois mois, +je me suis senti tous les sabots de l’escadron au bas du dos chaque fois +que j’ai commandé. + +M.--Mais, Gaddy, c’est terrible! + +G.--N’est-ce pas délicieux? N’est-ce pas royal? Un capitaine de Hussards +Roses gorgeant d’eau son cheval avant la manœuvre comme le sacré soulaud +de colonel d’un régiment indigène. + +M.--Tu n’as jamais fait cela! + +G.--Une fois seulement. Il gargouillait comme une outre, et mon vieux +chef m’a regardé du coin de l’œil. Tu connais l’œil du vieux Haffy. J’ai +eu peur de recommencer. + +M.--Je te crois. C’était le meilleur moyen de flanquer une hernie au +pauvre Van Loo, et de te faire esquinter. Tu le _savais_ bien. + +G.--Peu m’importait. Cela lui enlevait le mordant. + +M.--«Lui enlevait le mordant!» Gaddy, il... il... il _ne faut pas_, tu +sais! Pense aux hommes. + +G.--Cela, c’est encore une chose dont j’ai peur. Crois-tu qu’ils savent? + +M.--Espérons que non; mais ils sont salement prompts à reluquer le +frouss... de petites choses de ce genre. Écoute, mon vieux, envoie la +femme au pays pour la saison chaude et viens au Kashmir avec moi. Nous +aurons un bateau sur le Dal ou traverserons le Rhothang... nous +flânerons ou nous chasserons le bouquetin ou... ce qui te plaira. +Seulement, _viens_! Tu boudes un brin sur ton avoine, et tu dis des +bêtises. Regarde le colonel... tout vieux lascar ventripotent qu’il est. +Lui aussi a une femme et des châteaux à n’en plus finir. Y en a-t-il un +de nous capable de lui damer le pion à cheval... malgré sa goutte et +tout? Moi, je ne peux pas, et je crois savoir ce que c’est que de +pullupper. + +G.--Il y a des gens autrement bâtis. Je n’ai pas le nerf. Dieu m’aide, +je n’ai pas le nerf! J’ai raccourci mes étriers d’un cran et demi pour +avoir les genoux bien aux sacoches. Je n’y peux rien. J’ai tellement +peur qu’il m’arrive quoi que ce soit! Sur mon âme, on devrait me casser +devant l’escadron pour couardise. + +M.--Un vilain mot, cela. Je n’aurais jamais le courage d’avouer. + +G.--Mon intention, en commençant, était de mentir sur mes véritables +motifs, mais... mais j’ai perdu l’habitude de te mentir, mon vieux. +Jack, motus, n’est-ce pas?... Mais je sais bien que c’est inutile avec +toi. + +M.--’Turellement. (_Presque tout haut._) Voilà que les Roses paient cher +leur Orgueil. + +G.--Hein! Quo-oi? + +M.--Ah! tu ne sais pas? Les hommes ont toujours appelé Mrs. Gadsby +l’Orgueil des Hussards Roses depuis qu’elle nous est arrivée. + +G.--Ce n’est pas _sa_ faute. Ne le crois pas. C’est entièrement la +mienne. + +M.--Que dit-elle? + +G.--Je ne lui ai pas encore positivement soumis la question. C’est la +meilleure petite femme de la terre, Jack, et tout le reste... mais ce +n’est pas celle qui conseillerait à un homme de rester attaché à son +métier si ce métier s’interposait entre lui et elle. Au moins, je +crois... + +M.--N’importe. Ne lui dis pas ce que tu m’as dit. Appuie sur la +succession du titre et des terres. + +G.--Elle devinerait. Elle est dix fois plus fine que moi. + +M. (_à part_).--Alors elle acceptera le sacrifice et pensera un petit +peu plus mal de lui pour le reste de ses jours. + +G. (_d’un air absent_).--Dis-moi, est-ce que tu me méprises? + +M.--Drôle de façon de poser la question. Est-ce qu’on te l’a quelquefois +posée? Réfléchis une minute. Quelle réponse faisais-tu? + +G.--Comment, j’en suis _là_? Je ne peux guère m’attendre à davantage; +mais c’est un brin dur quand c’est son meilleur ami qui se retourne +contre vous et... + +M.--C’est ce que je trouve. Mais tu auras des consolations... intendants +et drainages, l’engrais liquide, la _Primrose League_[36] et, peut-être, +si tu as de la veine, le commandement d’un régiment de cav-ale-rie +yeomanry... épaulette et galons, je crois, mais pour ce qui est de faire +du cheval... Quel âge as-tu? + + [36] La ligue des Conservateurs. + +G.--Trente-trois ans. Je sais que c’est... + +M.--A quarante tu seras un imbécile de gros propriétaire. A cinquante tu +te feras pousser dans une petite voiture, et le _brigadier_, s’il te +ressemble, passera son temps à effaroucher toutes les petites colombes +de... quel est le nom du patelin où tu vas? En outre, Mrs. Gadsby aura +pris de l’embonpoint. + +G. (_mollement_).--Voilà qui dépasse un peu la plaisanterie. + +M.--Tu crois? N’est-ce pas dépasser la plaisanterie que de lâcher le +service? Cela vous demande en général cinquante ans pour arriver à cette +plaisanterie-là. Tu as bien raison, cependant. Cela dépasse la +plaisanterie. Tu t’es arrangé pour la faire au bout de trente-trois ans. + +G.--N’appuie pas sur l’amertume de la chose. Seras-tu content si j’avoue +être un lâcheur, un froussard et un couard? + +M.--Non, attendu que je suis le seul homme au monde à pouvoir te parler +de la sorte sans me faire assommer. Il ne faut pas prendre à cœur, de +cette façon-là, tout ce que je t’ai dit. Je ne parlais--en grande +partie, du moins--que par pur égoïsme, parce que, parce que... Oh! zut, +mon vieux... je me demande ce que je ferai sans toi. Naturellement, tu +as l’argent, la terre, et tout... et tu as ici deux bons motifs pour +veiller à toi. + +G.--Cela ne rend pas la chose plus douce. Je me sauve... je le sais +bien. J’ai toujours eu quelque part en moi un point faible... et je +n’ose risquer aucun danger à cause d’_eux_. + +M.--Pourquoi diable le ferais-tu? Tu es tenu de penser à ta famille... +tenu d’y penser. Er-hmm. Si je n’étais pas fils cadet, je m’en irais +aussi... que je sois pendu si je ne le ferais pas! + +G.--Merci, Jack. C’est un gentil mensonge, mais c’est le plus noir que +tu aies proféré depuis quelque temps. Je sais ce que je fais, et +l’entreprends en connaissance de cause. Mon vieux, c’est plus fort que +moi. Qu’est-ce que tu ferais à ma place? + +M. (_à part_).--Peux pas m’imaginer une femme en permanence entre moi et +le régiment. (_Haut._) Ne saurais dire. Fort probable que je ne ferais +pas mieux. Je suis fâché pour toi... affreusement fâché... mais «si ce +sont tes sentiments», je crois... oui, je crois que tu agis sagement. + +G.--Vrai? Je l’espère. (_Tout bas._) Jack, sois très sûr de toi-même +avant de te marier. Je suis un ingrat ruffian de le dire, mais le +mariage--même un mariage aussi réussi que le mien--est une entrave à +l’ouvrage d’un homme, lui paralyse le bras droit, et, oh, cela disperse +vos idées de devoir aux quatre vents! Quelquefois--aussi bonne et aussi +douce qu’elle soit--quelquefois j’aurais presque le désir d’avoir +conservé ma liberté... Non, ce n’est pas exactement cela que je veux +dire. + +MRS. G. (_arrivant dans la verandah_).--A propos de quoi ce branlement +de tête, Pip? + +M. (_se retournant vivement_).--A propos de moi, comme d’habitude. Le +vieux sermon. Votre mari me conseille de me marier. Jamais vu pareil +monomane! + +MRS. G.--Mais pourquoi non? Je ne dis pas que vous ne rendiez quelque +femme très heureuse. + +G.--Voilà la loi et les prophètes, Jack. Peu importe le régiment. Rends +une femme heureuse. (_A part._) Bon Dieu! + +M.--Nous verrons. Il faut que j’aille faire le désespoir d’un de nos +cuisiniers. Je ne veux pas qu’on nourrisse mes petits housards de tibias +de bœufs de trait. (_Avec vivacité._) Pour sûr que les fourmis ne +sauraient être bonnes pour le _brigadier_. Il est en train de les +ramasser sur la natte pour les boulotter. Ici, Señor Comandante Don +Salenez, venez me parler. (_Il soulève G. JUNIOR dans ses bras._) Vous +voulez ma montre? Vous ne seriez jamais capable de la mettre dans votre +bouche, mais vous pouvez essayer. + + _G. JUNIOR laisse tomber la montre, et brise cadran et aiguilles._ + +MRS. G.--Oh, capitaine Mafflin, je suis désolée! Jack, méchant, méchant +petit vilain. Ahhh! + +M.--Cela n’a pas la moindre importance, je vous assure. Il traiterait +l’univers de la même façon s’il pouvait le prendre dans ses mains. Tout +est fait pour servir de jouet et se voir brisé, n’est-ce pas, jeune +homme? + +. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + +MRS. G.--Mafflin n’a pas dû trouver drôle du tout de voir sa montre +brisée, quoiqu’il ait été trop poli pour le dire. C’est entièrement sa +faute. Pourquoi l’avoir donnée à l’enfant? Ces petites pattes-là sont +très, très faibles, n’est-ce pas, mon Jacquot? (_A Gadsby._) Pourquoi +voulait-il vous voir? + +G.--Cette sale boutique du régiment, comme d’habitude. + +MRS. G.--Le régiment! _Toujours_ le régiment. Ma parole, je me sens +quelquefois jalouse de Mafflin. + +G. (_avec lassitude_).--Le pauvre vieux Jack? Je ne crois pas que vous +en ayez besoin. N’est-ce pas l’heure pour le _butcha_ de faire son +somme? Apportez une chaise ici pour vous, ma chère amie. J’ai à vous +parler. + + +ET TELLE EST LA FIN DE L’HISTOIRE DES GADSBY + + + + + ACHEVÉ D’IMPRIMER + le vingt septembre mil neuf cent cinq + PAR + BLAIS ET ROY + A POITIERS + pour le + MERCVRE + DE + FRANCE + + + + + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 *** diff --git a/74052-h/74052-h.htm b/74052-h/74052-h.htm index 2277b8c..5fe67d4 100644 --- a/74052-h/74052-h.htm +++ b/74052-h/74052-h.htm @@ -1,5943 +1,5943 @@ -<!DOCTYPE html>
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-
- </style>
-</head>
-<body>
-<div style='text-align:center'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 ***</div>
-<p class="c top2em large">RUDYARD KIPLING</p>
-
-<h1>L’Histoire<br>
-<span class="large">des Gadsby</span></h1>
-
-<p class="c small">CONTE SANS INTRIGUE</p>
-
-<p class="c"><span class="xs">TRADUIT PAR</span><br>
-<b>LOUIS FABULET et ARTHUR AUSTIN-JACKSON</b></p>
-
-<p class="c xs">SIXIÈME ÉDITION</p>
-
-
-<p class="c gap"><span class="large">PARIS</span><br>
-SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE<br>
-<span class="xs">XXVI</span>, <span class="xs">RVE DE CONDÉ</span>, <span class="xs">XXVI</span></p>
-
-<p class="c small">MCMVIII</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top4em"><span class="i">ŒUVRES DE RUDYARD KIPLING</span><br>
-<span class="small">A LA MÊME LIBRAIRIE</span></p>
-
-
-<div class="flex">
-<table>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">LE LIVRE DE LA JUNGLE</span>, traduit par Louis Fabulet et Robert
-d’Humières. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">LE SECOND LIVRE DE LA JUNGLE</span>, traduit par Louis Fabulet
-et Robert d’Humières. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE</span> (<i>La plus Belle Histoire du
-Monde</i>. <i>Le Perturbateur du Trafic</i>. <i>La Légion perdue</i>.
-<i>Par-dessus bord</i>. <i>Dans le Rukh</i>. <i>Un Congrès des Puissances</i>.
-<i>Un Fait</i>. <i>Amour des Femmes</i>), traduit par Louis
-Fabulet et Robert d’Humières. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">L</span>’<span class="xs">HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI</span> (<i>L’Homme qui voulut être
-Roi</i>. <i>La Porte des Cent mille Peines</i>. <i>L’Étrange chevauchée</i>.
-<i>L’Amendement de Tods</i>. <i>La Marque de la Bête</i>.
-<i>Bisesa</i>. <i>Bertran et Bimi</i>. <i>L’Homme qui fut</i>. <i>Les Tambours
-du « <span lang="en" xml:lang="en">Fore and Aft</span> »</i>), traduit par Louis Fabulet
-et Robert d’Humières. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">KIM</span>, roman, traduit par Louis Fabulet et Charles Fountaine-Walker.
-Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">LES BATISSEURS DE PONTS</span> (<i>Les Bâtisseurs de Ponts</i>. <i>Petit
-Tobrah</i>. <i>Namgay Doola</i>. <i>En Famine</i>. <i>Au fond de l’Impasse</i>.
-<i>Les Finances des Dieux</i>. <i>La Cité des Songes</i>),
-traduit par Louis Fabulet et Robert d’Humières. Vol.
-in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">STALKY ET C</span><sup>ie</sup>, roman, traduit par Paul Bettelheim et Rodolphe
-Thomas. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">SUR LE MUR DE LA VILLE</span> (<i>Sur le Mur de la Ville</i>. <i>Trois
-et un…de plus</i>. <i>L’Histoire de Muhammad Din</i>. <i>Lispeth</i>.
-<i>L’Autre</i>. <i>Moti-Guj-Mutin</i>. <i>Une Fraude</i>. <i>La Libération
-de Pluffles</i>. <i>L’Arrestation du Lieutenant Golightly</i>.
-<i>Une affaire de chance</i>. <i>Dans l’erreur</i>. <i>Le Cas de divorce
-Bronckhort</i>. <i>Wee Willie Winkie</i>. <i>En plein orgueil
-de jeunesse</i>. <i>Sans bénéfice de clergé</i>), traduit par Louis
-Fabulet, précédé d’une Étude sur Rudyard Kipling par
-André Chevrillon. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">LETTRES DU JAPON</span>, traduit par Louis Fabulet et Arthur
-Austin-Jackson. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">L</span>’<span class="xs">HISTOIRE DES GADSBY</span>, roman, traduit par Louis Fabulet
-et Arthur Austin-Jackson. Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="xs">LE RETOUR D</span>’<span class="xs">IMRAY</span>,
-(<i>Le Retour d’Imray</i>. <i>Dray wara
-yow dee</i>. <i>Le Rickshaw-Fantôme</i>. <i>007</i>. <i>Le Bisara de
-Pooree</i>. <i>Au bord de l’Abîme</i>. <i>Le Chef du district</i>. <i>Le
-Navire qui s’y retrouve</i>. <i>Naboth</i>. <i>Les Bornes mentales
-de Pambé Serang</i>. <i>Eux</i>. <i>A mettre au dossier</i>),
-traduit par Louis Fabulet et Arthur Austin-Jackson.
-Vol. in-18</td>
-<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr>
-</table>
-</div>
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top4em"><span class="xs">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE</span><br>
-<span class="i">Sept exemplaires sur papier de Hollande,<br>
-numérotés de 1 à 7.</span></p>
-
-<p class="c xs">JUSTIFICATION DU TIRAGE</p>
-
-<div class="c"><img src="images/justif.jpg" alt=""></div>
-<p class="c gap small">Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y compris
-la Suède et la Norvège.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">PAUVRE CHÈRE MAMAN</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse">L’épervier sauvage au ciel balayé de vent,</div>
-<div class="verse i3">Le cerf à la plaine salubre,</div>
-<div class="verse">Le cœur d’un homme au cœur d’une fille</div>
-<div class="verse i3">Comme c’était au temps d’antan.</div>
-</div>
-
-</div>
-<p class="sign">(<i>Chanson bohémienne.</i>)</p>
-
-</blockquote>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR</span> : — <i>Chambre de <span class="xs">MISS MINNIE THREEGAN</span> à
-Simla. <span class="xs">MISS THREEGAN</span> dans l’embrasure de
-la fenêtre, en train de fouiller dans un tiroir
-plein de toutes sortes de choses.</i></p>
-
-<p class="drap"><span class="xs">MISS EMMA DEERCOURT</span>, <i>amie de cœur, qui est
-venue passer la journée, assise sur le lit, en
-train d’agencer le corsage d’une robe de bal
-et une touffe de muguet artificiel. Cinq heures
-trente, par un chaud après-midi de mai.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">MISS DEERCOURT.</span> — Et <i>il</i> a dit : « Je n’oublierai
-<i>jamais</i> cette danse », et, naturellement,
-j’ai répondu : « Oh, comment <i>pouvez</i>-vous
-être sot à ce point ! » Penses-tu, chérie,
-qu’il avait une intention ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS THREEGAN</span> (<i>sortant du fouillis un long
-bas de soie lavande</i>). — Tu le connais mieux
-que <i>moi</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Oh, tâche d’être sympathique,
-Minnie ! Je suis <i>sûre</i> qu’il a une intention.
-Au moins j’en serais sûre s’il n’était pas toujours
-à monter à cheval avec cette odieuse
-Mrs. Hagan.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je le suppose. Comment diable
-s’arrange-t-on, lorsqu’on danse, pour passer
-à travers ses talons les premiers ? Regarde-moi
-cela, si ce n’est pas honteux ? (<i>Elle tend le
-talon du bas sur sa main ouverte pour en
-faire l’inspection.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Ne t’en occupe pas ! Impossible
-à raccommoder. Aide-moi à arranger
-ce maudit corsage. J’ai passé le lacet
-<i>comme ceci</i>, je l’ai passé <i>comme cela</i> et <i>je ne
-peux pas</i> arriver à mettre le bombé en place.
-Et cela, où le mettrais-tu ? (<i>Elle montre les
-muguets.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Aussi haut sur l’épaule que possible.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Suis-je assez grande ? Je sais
-que cela fait paraître May Olger bancale.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui, mais elle n’a pas tes épaules.
-Les siennes ressemblent à une bouteille à
-vin du Rhin.</p>
-
-<p><span class="xs">LE PORTEFAIX</span> (<i>frappant à la porte</i>). — Le
-capitaine <i>sahib</i> est là.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>se levant avec effarement, et se
-mettant à la recherche de son corset qu’elle
-a banni eu égard à la chaleur du jour</i>). — Le
-capitaine <i>sahib</i> ? Quel capitaine <i>sahib</i> ?
-Oh, bonté divine, et je ne suis qu’à demi
-vêtue ! Eh bien, tant pis, je ne me dérangerai
-pas.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>avec calme</i>). — Inutile, en effet.
-Ce n’est pas pour nous. C’est le capitaine
-Gadsby. Il s’en va faire une promenade à
-cheval avec maman. Il vient en général cinq
-jours sur sept.</p>
-
-<p><span class="xs">VOIX D’ANGOISSE</span> (<i>d’une chambre intérieure</i>). — Minnie,
-cours donner du thé au capitaine
-Gadsby, et dis-lui que je serai prête
-dans dix minutes ; et, écoute, Minnie, viens
-ici un instant, tu serais si gentille !</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oh, zut ! (<i>A haute voix.</i>) Fort bien,
-maman.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle sort et réapparaît
-au bout de cinq minutes, les
-joues rouges et en se
-frottant les doigts.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Comme tu es rouge ! Qu’est-il
-arrivé ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>chuchotant de toutes ses forces</i>). — Vingt-quatre
-pouces de taille, et il faut
-que tout rentre. Où sont mes porte-bonheur ?
-(<i>Elle fouille sur la table de toilette, et se passe,
-dans l’intervalle, la brosse sur les cheveux.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Qui est ce capitaine Gadsby ? Je
-ne pense pas l’avoir jamais rencontré.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oh si, pour sûr. Il est du clan
-Harrar. J’ai dansé avec lui, mais je ne lui ai
-jamais parlé. C’est un grand garçon jaune,
-absolument un poussin frais éclos, avec une
-é-norme moustache. Il marche comme ceci
-(<i>elle imite la démarche de la cavalerie</i>), et il
-fait « Ha-hmm ! » du fin fond de la gorge
-lorsqu’il ne trouve rien à dire. Maman le
-goûte. Pas moi.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>distraitement</i>). — La cire-t-il, cette
-moustache ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>occupée avec la houppe à poudrer</i>). — Oui,
-je le pense. Pourquoi ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>se penchant sur le corsage et
-cousant avec ardeur</i>). — Oh, rien… seulement…</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>sévèrement</i>). — Seulement quoi ?
-Allons, dis, Emma.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Eh bien, May Olger — elle est
-fiancée à Mr. Charteris, tu sais — disait… — Tu
-me promets de ne pas le répéter ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui, je te le promets. Qu’a-t-elle
-dit ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Que… que d’être embrassée
-(<i>tout d’un élan</i>) par un homme qui ne cirait
-pas sa moustache, c’était… comme si l’on
-mangeait un œuf sans sel.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>du haut de sa grandeur, avec un
-mépris écrasant</i>). — May Olger est une
-<i>horreur</i>, et tu peux le lui répéter. Je suis
-heureuse qu’elle ne fasse pas partie de
-mon clan… Il faut que j’aille donner à
-manger à cet <i>homme</i>. Ai-je l’air présentable ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Oui, parfaitement. Fais vite et
-passe-le à ta mère, pour que nous puissions
-causer. Moi, je vais écouter à la porte pour
-entendre ce que tu lui dis.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Pour ce que je m’en soucie. Je
-t’assure que je n’ai pas peur du capitaine
-Gadsby.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Comme preuve, elle pénètre
-dans le salon d’un grand
-pas masculin suivi de
-deux petits pas écourtés,
-ce qui produit l’effet d’un
-cheval rétif entrant. Elle
-manque <span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span>,
-lequel est assis dans
-l’ombre du rideau, et elle
-jette tout alentour un regard
-désespéré.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> (<i>à part</i>). — La pouliche,
-mâtin ! doit avoir pigé cette allure à
-l’étalon. (<i>Haut, se levant.</i>) Bonsoir, miss
-Threegan.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>ayant conscience qu’elle rougit</i>). — Bonsoir,
-capitaine Gadsby. Maman m’a
-chargée de vous dire qu’elle sera prête dans
-quelques minutes. Ne prendriez-vous pas du
-thé ? (<i>A part.</i>) J’espère que maman va se
-dépêcher. Qu’est-ce que je <i>vais</i> bien dire à ce
-grand animal-là ? (<i>Haut et brusquement.</i>) Du
-lait et du sucre ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas de sucre, me-erci, et fort
-peu de lait. Ha-hmmm.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — S’il fait cela, je suis
-perdue. Je vais rire. Je <i>sais</i> que je vais
-rire !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>tirant sur sa moustache et la
-regardant de côté, au bas de son nez</i>). — Ha-hmmm.
-(<i>A part.</i>) Me demande ce dont la
-petite bécasse peut parler. Faut risquer le
-coup cependant.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Oh ! mais, c’est une
-torture ! Il <i>faut</i> que je dise quelque chose.</p>
-
-<p><span class="xs">TOUS LES DEUX ENSEMBLE.</span> — Êtes-vous
-allé…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je vous demande pardon.
-Vous alliez dire…</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>qui est restée à regarder la moustache
-avec une fascination pleine de respect</i>). — Ne
-prendriez-vous pas des œufs ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>regardant d’un air effaré la
-table à thé</i>). — Des œufs ! (<i>A part.</i>) Diable !
-c’est l’heure où elle fait quelque dînette. Je
-suppose qu’on lui a essuyé la bouche pour me
-l’envoyer tandis que la mère est en train de
-mettre ses frusques. (<i>Haut.</i>) Non, merci.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>pourpre de confusion</i>). — Oh ! ce
-n’est pas cela que je voulais dire. Je ne pensais
-pas pour un instant à des mou — à des
-œufs. Je voulais dire du <i>sel</i>. Ne prendriez-vous
-pas du s… des bonbons ? (<i>A part.</i>) Il
-va me prendre pour une folle furieuse. Je
-voudrais bien que maman arrive.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — C’<i>était</i> bien une
-dînette, et elle en a honte. Mâtin, elle n’a pas
-l’air si mal, lorsqu’elle rougit comme cela.
-(<i>Haut, en puisant lui-même dans l’assiette.</i>)
-Avez-vous vu ces nouveaux chocolats chez
-Péliti ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Non, j’ai fait ceux-ci moi-même.
-De quoi ont-ils l’air ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ceux-ci !… <i>Dé</i>-licieux. (<i>A
-part.</i>) Et c’est un fait.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Oh, zut ! il va croire
-que je suis en quête de compliments. (<i>Haut.</i>)
-Non, ceux de Péliti, naturellement.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec enthousiasme</i>). — Pas à
-comparer avec ceux-ci. Comment les faites-vous ?
-Je ne peux arriver à ce que mon <i>khansamah</i><a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>
-comprenne la plus simple chose en
-dehors du mouton et du poulet.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Cuisinier indigène.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui ? Je ne suis pas un <i>khansamah</i>,
-vous savez. Peut-être que vous lui faites
-peur. Il ne faut jamais faire peur à un
-domestique. Il perd la tête. C’est de très mauvaise
-politique.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il est d’une si effroyable bêtise.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>se croisant les mains sur les genoux</i>). — Il
-faudrait l’appeler tout tranquillement
-et lui dire : « <i>O khansamah jee !</i> »</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>commençant à s’intéresser</i>). — Oui !
-(<i>A part.</i>) Imaginez ce petit poids-léger
-disant : « <i>O khansamah jee</i> » à mon farouche
-Mir Khan !</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Puis vous lui expliqueriez le
-dîner, plat par plat.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais je ne sais pas parler le
-langage du pays.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>d’un air protecteur</i>). — Vous
-devriez passer l’examen des langues orientales
-et essayer.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je l’ai fait, mais il ne semble
-pas que j’en sois plus habile pour cela. Et
-vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je n’ai jamais passé l’examen.
-Mais le <i>khansamah</i> est très patient avec moi.
-Il ne se fâche pas quand je parle de <i>topees</i>
-(chapeaux) de mouton, alors que je veux dire
-des têtes, ou que je commande des <i>maunds</i>
-(tonnes) de grain, alors que je veux dire des
-livres.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part, avec une forte indignation</i>). — Je
-voudrais voir Mir Khan se montrer
-grossier vis-à-vis de cette petite ! Allons,
-allons ! ne nous emballons pas. (<i>Haut.</i>) Et
-vous y entendez-vous aussi pour ce qui est
-des chevaux ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Un peu… pas beaucoup. Je ne
-sais pas les médicamenter, mais je sais ce
-qu’il faut qu’ils mangent, et c’est moi qui
-suis chargée de l’écurie.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vraiment ! Vous pourriez
-m’aider, alors. Qu’est-ce qu’on doit donner à
-son <i>saïs</i><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>, dans les montagnes ? Mon brigand
-dit huit roupies parce que tout est si cher.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Palefrenier.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Six roupies par mois, et une
-roupie de supplément à Simla… Ni plus ni
-moins. Et un coupeur d’herbe gagne six roupies,
-cela vaut mieux que d’acheter l’herbe au
-bazar.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec admiration</i>). — Comment
-savez-vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — J’ai essayé l’un et l’autre.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous montez donc beaucoup
-à cheval ? Je ne vous ai jamais vue sur le
-Mall ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Je ne l’ai pas croisé
-<i>plus</i> de cinquante fois. (<i>Haut.</i>) Presque tous
-les jours.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Sapristi ! Je ne savais pas
-cela. Ha-hmmm ! (<i>Il tire sur sa moustache
-et reste silencieux l’espace de quarante
-secondes.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>éperdument, et se demandant ce
-qui va arriver</i>). — Elle est très bien. A
-votre place je n’y toucherais pas. (<i>A part.</i>)
-C’est la faute à maman qui n’est pas venue
-plus tôt. Je <i>vais</i> être grossière !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se bronzant sous le hâle, et
-ramenant sa main très promptement</i>). — Hein !
-Quo-oi ! Oh, oui ! Ha ! ha ! (<i>Il rit d’un
-air gêné.</i>) (<i>A part.</i>) Ah ! bien, elle en a un
-sacré toupet ! Je n’ai jamais encore vu une
-femme me dire cela. Ce doit être une mâtine,
-sans quoi… Ah ! cette dînette !</p>
-
-<p><span class="xs">VOIX SORTANT DE L’INCONNU.</span> — Tchk ! tchk !
-tchk !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bonté divine ! Qu’est-ce que
-c’est que cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Le chien, je crois. (<i>A part.</i>)
-Emma écoutait, et je ne le lui pardonnerai
-jamais !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ils n’ont pas de
-chien. (<i>Haut.</i>) On n’eût pas dit un chien,
-n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Alors, ce devait être le chat.
-Allons dans la verandah. Quel délicieux
-après-midi !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle pénètre dans la verandah
-et regarde au loin
-dans les montagnes en
-plein soleil couchant. Le
-capitaine suit.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Des yeux superbes !
-Je m’étonne de ne les avoir jamais encore
-remarqués. (<i>Haut.</i>) Il doit y avoir un bal au
-palais vice-royal mercredi. Pouvez-vous me
-réserver une danse ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>brièvement</i>). — Non ! Je n’ai pas
-besoin de vos danses par charité. Vous ne
-m’invitez que parce que maman vous a dit de
-le faire. Je saute et je bouscule. Vous le
-<i>savez</i> bien !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — C’est vrai, mais ce
-n’est pas aux petites filles à comprendre ces
-choses-là. (<i>Haut.</i>) Non, sur ma parole, je ne
-le sais pas. Vous dansez à merveille.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Alors pourquoi vous arrêtez-vous
-toujours après une demi-douzaine de
-tours ! Je croyais que dans l’armée les officiers
-ne contaient jamais de craques.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ce n’était pas une craque,
-croyez-moi. Je sollicite réellement le plaisir
-d’une danse avec vous.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>avec malice</i>). — Pourquoi ? Est-ce
-que maman ne veut plus danser avec vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>plus vivement que ne le réclament
-les circonstances</i>). — Je ne pensais
-pas à madame votre mère. (<i>A part.</i>) Petite
-poison, va !</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>regardant toujours par la fenêtre</i>). — Hein ?
-Oh, je vous demande pardon.
-Je pensais à autre chose.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Eh bien ! je me
-demande ce qu’elle va pouvoir dire encore.
-Je n’ai jamais vu une femme me traiter de la
-sorte. Autant être — le diable m’emporte, — autant
-être sous-lieutenant d’infanterie.
-(<i>Haut.</i>) Oh ! <i>je vous en prie.</i> Je n’en vaux
-pas la peine. Madame votre mère n’est-elle
-pas encore prête ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je pense que oui ; mais promettez-moi,
-capitaine Gadsby, que vous ne
-ferez plus faire deux fois de suite le tour du
-Jakko à ma pauvre chère maman. Cela la
-fatigue tant !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Elle prétend qu’aucun exercice
-ne la fatigue.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui, mais elle souffre après.
-Vous ne savez pas, vous, ce que c’est que les
-rhumatismes, et vous ne devriez pas la retenir
-dehors si tard, quand il se met, le soir,
-à faire frais.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Les rhumatismes !
-Il me semblait aussi qu’elle descendait de
-cheval un peu tout d’une pièce. Huuuou ! On
-s’instruit tous les jours. (<i>Haut.</i>) Je suis
-fâché de l’apprendre. Elle ne m’en a pas
-parlé.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>troublée</i>). — Naturellement non.
-La pauvre chère maman ne l’eût pas fait. Et
-il ne faut pas non plus aller raconter que je
-vous l’ai dit. Promettez-moi que vous ne le
-répéterez pas. Oh, capitaine Gadsby, <i>promettez</i>-le-moi !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je suis muet, ou… je le serai
-dès que vous m’aurez accordé cette danse, et
-une autre… si vous voulez bien prendre la
-peine de penser une minute à moi.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Mais cela ne vous plaira pas le
-moins du monde. Vous le regretterez affreusement
-ensuite.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela me plaira par-dessus
-toutes choses, et ce que je regretterai, ce sera
-de ne pas avoir obtenu davantage. (<i>A part.</i>)
-De par tous les diables, qu’est-ce donc que
-je me mets à dire ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Fort bien. Ce sera vous-même
-que vous aurez à remercier si l’on vous écrase
-les pieds. Dirons-nous la septième ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et la onzième. (<i>A part.</i>) Elle
-ne peut pas peser plus de cent livres, et même
-alors, elle a le pied ridiculement petit. (<i>Il
-jette les yeux sur ses propres bottes de cheval.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Elles reluisent superbement. Je
-peux presque me mirer dedans.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je me demandais s’il me faudrait
-me servir de béquilles pour le reste de
-mes jours au cas où vous me marcheriez sur
-les pieds.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Fort probablement. Pourquoi ne
-pas changer la onzième pour un quadrille ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, <i>je vous en prie</i> ! Il faut
-que ce soient deux valses. Ne voulez-vous
-pas les marquer ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je ne reçois pas tant d’invitations
-que je doive les embrouiller. Ce sera <i>vous</i> le
-coupable.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Attendez pour voir ! (<i>A part.</i>)
-Elle ne danse pas parfaitement, peut-être,
-mais…</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Votre thé doit être froid maintenant.
-En voulez-vous une autre tasse ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, merci. Ne trouvez-vous
-pas qu’il fait plus agréable dehors sous la
-verandah. (<i>A part.</i>) Je n’ai jamais vu encore
-de cheveux prendre cette couleur au soleil
-couchant. (<i>Haut.</i>) C’est comme un tableau
-de Dicksee.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui ! c’est un merveilleux coucher
-de soleil, n’est-ce pas ? (<i>Crûment.</i>) Mais
-qu’est-ce que vous savez, vous, des tableaux
-de Dicksee ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je retourne en Angleterre de
-temps en temps. Et je n’étais pas sans connaître
-les musées. (<i>Nerveusement.</i>) Il ne faut
-pas croire que je ne suis qu’un Philistin à…
-moustache.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je vous en prie ! Je vous en supplie !
-Je suis <i>si</i> fâchée de ce que je vous ai
-dit tout à l’heure. J’ai été affreusement impolie.
-C’est parti sans y penser. Est-ce que
-vous ne connaissez pas la tentation que l’on a
-parfois de dire des choses horribles et offensantes
-pour le seul plaisir de les dire ! J’ai
-peur d’y avoir cédé.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>épiant la jeune fille qui rougit</i>). — Je
-crois connaître ce sentiment-là. Ce serait
-terrible si nous y cédions tous, n’est-ce pas ?
-Par exemple, je pourrais dire…</p>
-
-<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>entrant, amazone,
-chapeau d’homme et bottes</i>). — Ah ! le capitaine
-Gadsby ! Fâchée de vous faire attendre.
-J’espère que vous ne vous êtes pas trop
-ennuyé. Ma petite fille vous a tenu conversation ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Je ne regrette pas d’avoir
-parlé des rhumatismes. Non ! non ! Je ne
-regrette qu’une chose, c’est de n’avoir pas
-mentionné aussi les cors.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Quelle honte ! Je
-me demande l’âge qu’elle a. Cela ne m’était pas
-encore venu à l’idée. (<i>Haut.</i>) Nous avons
-discuté « Shakespeare et les harmonicas »<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>
-dans la verandah.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Goldsmith. <i>Le Vicaire de Wakefield</i>.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>.) — Qu’il est gentil ! Il
-connaît cette citation. Ce <i>n’est pas</i> un Philistin
-à moustache. (<i>Haut.</i>) Au revoir, capitaine
-Gadsby. (<i>A part.</i>) En voilà une main, et
-<i>quelle</i> poigne ! Je ne crois pas que ce soit
-avec intention, mais il m’a rentré les bagues
-dans les doigts.</p>
-
-<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN.</span> — Est-ce que Vermillon
-n’est pas encore là ? Oh, oui ! Capitaine
-Gadsby, ne trouvez-vous pas que la selle
-est trop en avant ? (<i>Ils passent dans la verandah
-de devant.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Comment, diantre,
-saurais-je ce qu’elle préfère ? Elle m’a dit
-qu’elle raffolait des chevaux. (<i>Haut.</i>) Je crois
-que oui.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>s’en venant dans la verandah de
-devant</i>). — Oh ! ce Buldoo ! Il faut que je le
-lui dise. Il a raccourci la gourmette de deux
-anneaux, et c’est chose que Vermillon déteste.
-(<i>Elle sort et va à la tête du cheval.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Laissez-moi faire cela.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Non. Vermillon me comprend.
-N’est-ce pas, vieux ? (<i>Elle desserre adroitement
-la gourmette, et caresse le cheval aux
-narines et sous le cou.</i>) Pauvre Vermillon !
-Est-ce qu’on voulait lui couper son menton ?
-Là !</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> considère
-l’intermède avec une
-admiration non déguisée.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>vertement à <span class="xs">MISS T.</span></i>). — Tu
-as, je pense, oublié ton hôte, ma chère
-amie.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Bonté divine ! Mais oui ! Adieu.
-(<i>Elle bat promptement en retraite à l’intérieur.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>rassemblant les rênes
-dans des doigts empêchés par des gants
-trop étroits</i>). — Capitaine Gadsby !</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. GADSBY</span> se baisse et
-fait le marchepied. <span class="xs">PAUVRE
-CHÈRE MAMAN</span> tâtonne,
-stationne trop longtemps,
-et passe au travers.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Je ne peux pas tenir
-en l’air cent soixante livres toute une éternité.
-Ce sont vos rhumatismes. (<i>Haut.</i>) Je ne peux
-croire que j’aie été si maladroit. (<i>A part.</i>) Si
-ç’avait été Petit-Poidsléger, elle se fût enlevée
-comme un oiseau.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Ils sortent à cheval du jardin.
-Le capitaine se laisse
-distancer.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Comme cette amazone
-la pince sous les bras ! Peuh !</p>
-
-<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>avec le sourire effacé
-de seize saisons, le pire pour l’échange</i>). — Vous
-êtes terne, cet après-midi, capitaine
-Gadsby.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>éperonnant d’un air las</i>). — Pourquoi
-m’avez-vous fait attendre si longtemps ?</p>
-
-<p class="c"><i>Et cætera, et cætera, et cætera.</i></p>
-
-
-<p class="c gap">(<span class="xs">UN INTERVALLE DE TROIS SEMAINES</span>)</p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">LA JEUNESSE DORÉE</span> (<i>assise sur les balustrades
-en face de l’hôtel de ville</i>). — Hé, Gaddy !
-Venez de promener la Gorgonzola ! Nous pensions
-tous que c’était à la Gorgone<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a> que
-vous faisiez la cour.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> Dans la société anglo-indienne chacun reçoit un surnom.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton foudroyant</i>). — Espèce
-d’ourson ! Qu’est-ce que nom de D. cela peut
-bien vous faire ?</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il se lance, à l’adresse de la
-<span class="xs">JEUNESSE DORÉE</span>, dans tout
-un sermon sur la retenue
-et le savoir-vivre, lequel
-aplatit l’autre comme une
-lanterne vénitienne. Il s’éloigne
-courroucé.</i></p>
-
-
-
-<p class="c gap">(<span class="xs">AUTRE NOUVEL INTERVALLE DE CINQ SEMAINES</span>)</p>
-
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Extérieur de la nouvelle bibliothèque
-de Simla par un soir de brouillard. <span class="xs">MISS
-THREEGAN</span> et <span class="xs">MISS DEERCOURT</span> se rencontrent au
-milieu des rickshaws. <span class="xs">MISS T.</span> porte un paquet
-de livres sous le bras gauche.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">MISS D.</span> (<i>ton égal</i>). — Eh bien ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>ton ascendant</i>). — Eh bien ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>emprisonnant le bras gauche de
-son amie, enlevant tous les livres, plaçant les
-livres dans une rickshaw, revenant au bras,
-s’emparant de la main par le troisième doigt
-et cherchant</i>). — Eh bien ! C’en est une
-vilaine fille ! Et tu ne m’en aurais <i>pas</i> soufflé
-mot !</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>modestement</i>). — Il… il… il n’a
-parlé que hier dans l’après-midi.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Tous mes souhaits, ma chère.
-Et je vais être demoiselle d’honneur, n’est-ce
-pas ? Tu <i>sais</i> que tu l’as promis il y a <i>si</i> longtemps.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> — Cela va sans dire. Je te raconterai
-tout demain. (<i>Elle entre dans la rickshaw.</i>)
-Oh ! Emma !</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>avec un intense intérêt</i>). — Oui,
-chère amie ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i lang="it" xml:lang="it">piano</i>). — C’est parfaitement vrai…
-à propos… de l’… œuf.</p>
-
-<p><span class="xs">MISS D.</span> — Quel œuf ?</p>
-
-<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i lang="it" xml:lang="it">pianissimo prestissimo</i>). — L’œuf
-sans le sel. (<i lang="it" xml:lang="it">Forte.</i>) <i>Chalo ghar ko jaldi,
-jhampani !<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a></i></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> A la maison, jhampani.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">LE MONDE EXTÉRIEUR</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<p>Certaines gens d’importance.</p>
-
-</blockquote>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Fumoir du Degchi Club. Dix heures
-et demie, par une soirée étouffante pendant
-les pluies. Quatre hommes dispersés dans des
-attitudes pittoresques et des fauteuils. Entre
-en scène <span class="xs">BLAYNE</span>, des <span lang="en" xml:lang="en">Irregular Moguls</span>, en
-tenue du soir.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">BLAYNE.</span> — Phuuu ! On devrait bien pendre
-le juge dans sa boutique. Ici, <i>khitmatgar</i> !
-Un <i>poora</i><a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a> whisky pour m’enlever le goût
-de la bouche.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Fort.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">CURTISS</span> (<i lang="en" xml:lang="en">Royal Artillery</i>). — Ah, c’est cela,
-vraiment ? Qu’est-ce qui diable a pu vous faire
-aller dîner chez le juge ? Vous connaissez sa
-<i>bandobust</i><a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Cuisine.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pensais que cela ne pouvait être
-pire que le club ; mais je parierais qu’il achète
-de la liqueur de vidange, et qu’il la drogue
-de gin et d’encre. (<i>Regardant autour de la
-pièce.</i>) Est-ce tout ce que vous êtes, ce soir ?</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE</span> (<i>des Travaux Publics</i>). — On a
-appelé Anthony pendant le dîner. Mingle
-avait mal au ventre.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Miggy meurt du choléra une
-fois par semaine pendant les pluies, et se
-saoule de chlorodyne dans l’intervalle. Bon
-petit type, quand même. Du monde chez le
-juge, Blayne ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Cockley et sa <i>memsahib</i>, qui
-paraît affreusement pâle et éreintée. Une
-jeune fille quelconque — n’ai pas saisi le nom — en
-route pour les montagnes, sous l’égide
-des Cockley — le juge et Markyn, frais arrivé
-de Simla… dégoûtant de bonne santé.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Seigneur Dieu, que de splendeurs ?
-Y avait-il assez de glace ? La dernière
-fois que je broutai là, j’en eus tout un morceau…
-presque aussi gros qu’une noix. Qu’est-ce
-que disait Markyn ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Il paraît que tout le monde se
-donne du bon temps, là-haut, malgré la
-pluie. Sacrebleu, cela me rappelle ! Je savais
-bien que je n’étais pas venu pour le simple
-plaisir de votre société. Des nouvelles ! De
-grandes nouvelles ! C’est Markyn qui me l’a
-raconté.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Qui est-ce qui est mort ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Personne, que je sache ; mais
-Gaddy a fini par se laisser mettre le grappin
-dessus !</p>
-
-<p><span class="xs">TOUS EN CHŒUR.</span> — Comment, diable ! Markyn
-s’est payé votre tête. Pas <span class="xs">GADDY</span> !</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE</span> (<i>fredonnant</i>). — « Oui-da, en vérité,
-en vérité, en vérité ! En vérité, en vérité, je
-te le dis, » Théodore, le présent de Dieu ! Notre
-Philippe ! La chose a été promulguée.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY</span> (<i>avocat</i>). — Peuh ! Les femmes
-promulgueront n’importe quoi. Que dit l’accusé ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Markyn m’a dit l’avoir congratulé
-avec circonspection… une main tendue,
-l’autre prête à se mettre en garde. Gaddy a
-piqué un fard et a déclaré qu’il en était ainsi.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Pauvre vieux Gaddy ! Ils y
-arrivent tous. Qui est-<i>elle</i> ? Écoutons les
-détails.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — C’est une jeune fille… dont le
-père est un certain colonel Quelque Chose.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Simla en est bondé, de filles de
-colonels. Soyez plus explicite.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Attendez donc. Quel était son
-nom ? <span lang="en" xml:lang="en">Three</span>… quelque chose. <span lang="en" xml:lang="en">Three</span>…</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Trois Étoiles<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a>, comme on dit
-en français. Gaddy connaît cette marque-là.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> En anglais, trois se dit <i lang="en" xml:lang="en">three</i>.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Threegan… Minnie Threegan.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Threegan ! N’est-ce pas un
-petit brin de fille aux cheveux rouges ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Quelque chose comme cela…
-d’après ce que dit Markyn.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Alors, je l’ai rencontrée. Elle
-était à Lucknow la saison dernière. Possédait
-une maman atteinte de jeunesse chronique,
-et dansait abominablement. Dites-moi, Jervoise,
-vous avez connu les Threegan, n’est-ce
-pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">JERVOISE</span> (<i>fonctionnaire de vingt-cinq années
-de service, se réveillant de son somme</i>). — Hein !
-Qu’est-ce que c’est ? Connu qui ? Comment ?
-Je me croyais au pays, Dieu vous confonde !</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — La petite Threegan est fiancée,
-à ce que dit Blayne.</p>
-
-<p><span class="xs">JERVOISE</span> (<i>avec lenteur</i>). — Fiancée…
-fiancée ! Par exemple ! voilà qui ne me rajeunit
-pas ! La petite Minnie Threegan fiancée.
-C’était encore l’autre jour que j’allais au pays
-avec elle sur le <i>Surat</i> — non, le <i>Massilia</i> — et
-elle se traînait à quatre pattes au milieu
-des <i>ayahs</i>. Elle m’appelait le « Tic Tac
-sahib » parce que je lui montrais ma montre.
-Et c’était, cela, en 67… non, 70. Bon Dieu,
-comme le temps marche ! Me voici un vieillard.
-Je me rappelle quand Threegan épousa
-Miss Derwent — fille du vieux Hooky Derwent…
-mais c’était avant vous. Ainsi, le petit
-bébé est fiancé pour avoir un petit bébé à son
-tour ! Qui est l’autre insensé ?</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Gadsby, des Hussards Roses.</p>
-
-<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — Connais pas. Threegan a vécu
-dans les dettes, s’est marié dans les dettes, et
-mourra dans les dettes. Doit être content de
-se voir débarrassé de la petite.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Gaddy a de l’argent… le veinard.
-Une terre au pays aussi.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Il sort de la haute. Peux pas
-arriver à comprendre comment il s’est laissé
-pincer par la fille d’un colonel, et (<i>regardant
-prudemment autour de lui</i>) d’infanterie
-indigène encore ! Sans vous offenser, Blayne.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE</span> (<i>avec raideur</i>). — Non, au contraire,
-me-erci.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS</span> (<i>citant la devise des <span lang="en" xml:lang="en">Irregular
-Moguls</span></i>). — « Nous sommes ce que nous
-sommes », hein, mon vieux ? Mais Gaddy
-était en général un type si supérieur. Pourquoi
-n’est-il pas allé au pays choisir sa
-femme ?</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Ils sont tous pareils quand ils
-arrivent au tournant dans la ligne droite.
-Vers trente ans, un homme commence à en
-avoir assez de vivre seul…</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Et de l’éternelle côtelette de
-mouton le matin.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — En général, c’est de la chèvre
-morte, mais continuez, Mackesy.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Une fois qu’un homme a pris
-cette voie, rien ne le retiendra. Vous rappelez-vous
-Benoît de votre service, Doone ?
-On le transféra à Tharanda lorsque son tour
-vint, et il épousa la fille d’un poseur de la
-voie, ou quelque chose d’approchant. C’était
-l’unique femelle de l’endroit.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Oui, le pauvre idiot ! Cela brisa
-du coup ses chances d’avancement. Mrs.
-Benoît avait l’habitude de vous demander :
-« C’est-y qu’on vous verra à la danse, ce
-soir ? »</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Voyons, après tout ! Gaddy
-n’a pas fait un mariage au-dessous de lui.
-Il n’y a pas de sang noir dans la famille, je
-suppose.</p>
-
-<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — De sang noir ! Pas pour un
-anna. Vous autres, jeunes garnements, vous
-parlez comme si le monsieur faisait un honneur
-à la jeune fille en l’épousant. Vous êtes
-tous trop infatués de vous-mêmes…, il n’y
-aurait jamais rien d’assez bon pour vous.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pas même un club désert, un
-sacré sale dîner chez le juge, et une station
-aussi insalubre qu’un hôpital. Vous avez
-parfaitement raison. Nous sommes une collection
-de sybarites.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — De luxurieux coquins vautrés
-dans…</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — L’éruption de chaleur entre les
-épaules. J’en suis couvert. Espérons que
-Béora sera plus frais.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Uhhhou ! Est-ce qu’on vous
-envoie, vous aussi, camper ? Je croyais que les
-artilleurs avaient une feuille blanche.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Non, malheureusement. Deux
-cas hier — l’un est mort — et si nous en
-avons un troisième, nous nous en allons.
-Est-ce qu’on peut chasser, à Béora, Doone ?</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Le pays est sous l’eau, sauf le
-morceau contre la <span lang="en" xml:lang="en">Grand Trunk Road</span>. J’y
-étais hier à visiter un <i>bund</i><a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>, et j’y ai
-trouvé quatre pauvres diables à leur dernière
-étape. C’est plutôt mauvais, d’ici à Kuchara.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> Barrage.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Alors, nous sommes à peu près
-certains d’écoper dans les grandes largeurs.
-Ah ! je ne craindrais pas de changer avec
-Gaddy pour quelque temps. L’amour avec
-Amaryllis à l’ombre de l’hôtel de ville, et
-le reste. Oh ! pourquoi ne vient-il pas quelqu’un
-m’épouser, au lieu de me laisser aller
-dans un camp de choléra ?</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Demandez cela au comité du
-cercle.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Animal ! voilà qui va vous coûter
-une tournée. Blayne, qu’est-ce que vous
-prenez ? Mackesy est à l’amende pour immoralité.
-Doone, avez-vous une préférence ?</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Un petit verre de kummel, s’il
-vous plaît. C’est un excellent carminatif par
-ce temps-ci. C’est Anthony qui me l’a dit.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY</span> (<i>signant un bon pour quatre
-verres</i>). — Châtiment on ne peut plus injuste.
-Je pensais seulement à Curtiss en Actéon
-poursuivi autour des billards par les nymphes
-de Diane.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Il faudrait que Curtiss fît l’importation
-de ses nymphes par chemin de fer.
-Mrs. Cockley est l’unique femme de la station.
-Elle ne quitterait pas Cockley, et il fait de
-son mieux pour arriver à ce qu’elle s’en aille.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Cela, c’est bien ! A la santé de
-Mrs. Cockley. A l’unique femme de la station,
-et une femme sacrément brave !</p>
-
-<p><span class="xs">TOUS</span> (<i>buvant</i>). — Une femme sacrément
-brave !</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Je suppose que Gaddy amènera
-sa femme ici à la fin du froid. Ils se marient
-presque immédiatement, je crois.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Gaddy peut remercier son
-étoile de ce que les Hussards Roses sont tous
-en détachement et pas au quartier général
-pendant ces chaleurs, sans quoi il se trouverait
-arraché aux bras de son amour, sûr
-comme la mort. Avez-vous jamais remarqué
-la liberté d’esprit avec laquelle la cavalerie
-britannique s’adonne au choléra. C’est parce
-qu’ils coûtent si cher. Si les Roses avaient
-tenu bon ici, ils seraient partis camper il y a
-un mois. Oui, je voudrais bien décidément
-être à la place de Gaddy.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Il ira au pays après son mariage,
-et donnera sa démission… vous verrez cela.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pourquoi ne le ferait-il pas ?
-N’a-t-il pas de l’argent ? Est-ce qu’il y en
-aurait ici un seul d’entre nous si nous n’étions
-pas tous des gueux ?</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Pauvre vieux gueux ! Que sont
-devenues les six cents roupies que vous avez
-subtilisées à notre table le mois dernier ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Elles se sont donné des ailes.
-Je crois qu’un commerçant quelque peu entreprenant
-en a eu sa part, et qu’un <i>shroff</i><a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>
-a gobé le reste… Ou, pour mieux dire, je les
-ai dépensées.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> Usurier.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Gaddy, lui, n’a jamais de sa vie
-eu affaire à un <i>shroff</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Vertueux Gaddy ! Si j’avais,
-moi, trois mille roupies par mois, qui me
-viennent d’Angleterre, je ne crois pas que
-j’aurais affaire à un <i>shroff</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY</span> (<i>bâillant</i>). — Oh ! c’est une vie
-délicieuse ! Je me demande si le mariage en
-augmenterait le charme.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Demandez à Cockley… avec sa
-femme qui meurt à petit feu !</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Allez au pays demander à quelque
-petite sotte de s’en venir par ici — qu’est-ce
-que dit Thackeray ? — « au splendide
-palais d’un proconsul indien ».</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Ce qui me rappelle. Mon logis
-laisse passer l’eau comme un crible. J’ai eu la
-fièvre, la nuit dernière, d’avoir dormi dans
-un marécage. Et le pire, c’est qu’il n’y a rien
-à faire à un toit, jusqu’à ce que les pluies
-soient passées.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Qu’est-ce qui vous chiffonne ?
-Vous n’avez pas, vous, quatre-vingts piou-pious
-en train de pourrir, à conduire dans le
-courant d’un fleuve.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Non, mais je suis tout en
-clous et en jurons. Je suis un véritable Job
-par tout le corps. C’est pure pauvreté de sang,
-et je ne vois aucune chance de devenir plus
-riche… ni de l’une ni de l’autre façon.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Ne pouvez-vous pas prendre un
-congé ?</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — C’est là l’avantage que vous autres,
-les gens de l’armée, vous avez sur nous.
-Dix jours, ce n’est rien à vos yeux. Moi, je
-suis si important que le gouvernement ne
-peut me trouver de remplaçant si je m’en
-vais. Ou-ui, je voudrais être à la place de
-Gaddy, quelle que puisse être sa femme.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Vous avez passé le tournant de
-la vie dont Mackesy parlait.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Certes, je l’ai passé, mais je n’ai
-jamais encore eu la brutalité de demander à
-une femme de partager mon existence par
-ici.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Sur mon âme, je crois que vous
-avez raison. Je pense à Mrs. Cockley. C’est
-une véritable ruine que cette femme.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Absolument. Parce qu’elle reste
-ici en bas. Le seul moyen de la conserver en
-état serait de l’envoyer dans les montagnes
-pendant huit mois — et la même chose avec
-n’importe quelle femme. Je me vois prenant
-femme dans ces conditions.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Avec la roupie à un shilling
-six pence. Les petits Doone deviendraient des
-petits Doone de Dehra avec un bel accent
-<i>chi-chi</i> de Mussourie à rapporter à la maison
-pour les vacances.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Et une paire de belles cornes
-de sambhur à porter pour Doone, franco de
-port, offertes par…</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Oui, c’est une perspective enchanteresse.
-En passant, la roupie n’a pas
-encore fini de baisser. Le temps viendra
-où il faudra nous trouver heureux si nous
-ne perdons que la moitié de notre solde.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — J’aurais cru qu’un tiers suffisait
-comme perte. Qui est-ce qui gagne à l’arrangement ?
-C’est ce que je voudrais bien savoir.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — La question d’argent ! Je vais
-me coucher si vous vous mettez à vous chamailler.
-Grâces soient rendues, voici Anthony… qui
-a l’air d’une ombre.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Entre <span class="xs">ANTHONY</span>, du corps
-médical des Indes, très
-pâle et très fatigué.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Bonsoir, Blayne. Il pleut à
-torrents. Apporte-moi un whisky-soda, <i>khitmatgar</i>.
-Les routes sont quelque chose d’affreux.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Comment va Mingle ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Très mal, et plus de peur encore.
-Je l’ai passé à Fewton. Mingle aurait
-tout aussi bien pu commencer par l’appeler
-au lieu de me tracasser.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — C’est un petit type nerveux.
-Qu’est-ce qu’il a, cette fois-ci ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Ne saurais trop dire. Le ventre
-très mauvais et jusqu’ici une peur bleue.
-Il m’a demandé tout de suite si c’était le
-choléra, et je lui ai répondu de ne pas faire
-la bête. Cela l’a calmé.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Pauvre diable ! La frousse fait
-la moitié de la besogne chez un homme de cet
-acabit.</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY</span> (<i>allumant un cheroot</i>). — Je crois
-fermement que la frousse le tuera s’il reste
-en bas. Vous savez la somme d’ennui qu’il a
-causée à Fewton pendant ces trois dernières
-semaines. Il fait tout ce qu’il peut pour mourir
-de peur.</p>
-
-<p><span class="xs">CHŒUR GÉNÉRAL.</span> — Pauvre petit diable !
-Pourquoi ne s’en va-t-il pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Ne peut pas. Il a sa permission
-en règle, mais il est tellement à fond de
-cale qu’il ne peut la prendre, et je ne crois
-pas que sa signature vaudrait quatre annas.
-Ceci en confidence, toutefois.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Toute la station le sait.</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — « Je suppose qu’il me faudra
-mourir ici », a-t-il dit, en se tordant en travers
-de son lit. Il est absolument persuadé
-qu’il va s’en aller <i lang="la" xml:lang="la">ad patres</i>. Et je sais pertinemment
-qu’il n’a rien de plus qu’un ventre
-de temps humide, si seulement il pouvait
-prendre un peu le dessus.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — C’est mauvais, c’est <i>très</i> mauvais.
-Pauvre petit Miggy ! Bon petit type tout
-de même. Dites donc ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Quoi « dites donc » ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Eh bien, écoutez… voici… Si
-c’est comme cela… comme vous dites… moi,
-je dis cinquante.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Je dis cinquante.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — J’y vais de vingt de plus.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Gros Crésus du bar ! Je dis cinquante.
-Jervoise, que dites-vous ? Hi ! Réveillez-vous !</p>
-
-<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — Hein ? Qu’est-ce que c’est ?
-Qu’est-ce que c’est ?</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Nous voulons vous soutirer cent
-roupies. Vous êtes un célibataire à revenus
-gigantesques, et il y a un homme dans le lac.</p>
-
-<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — Quel homme ? Quelqu’un de
-mort ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Non, mais il mourra si vous ne
-donnez pas les cent. Tenez ! voici un bon
-tout prêt. Vous pouvez voir pour combien
-nous avons signé, et l’homme d’Anthony
-viendra demain l’encaisser. De sorte qu’il n’y
-aura pas de difficultés.</p>
-
-<p><span class="xs">JERVOISE</span> (<i>signant</i>). — Cent. E.M.J. Voilà.
-(<i>Faiblement.</i>) Ce n’est pas une de vos facéties,
-n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Non, il les vaut vraiment. Anthony,
-vous avez été le plus gros gagnant au
-poker la semaine dernière et vous avez frustré
-le percepteur trop longtemps. Signez !</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Voyons, trois cinquante et un
-soixante-dix… deux cent vingt… trois cent
-vingt… disons quatre cent vingt. Cela lui
-donnera un bon mois dans les montagnes.
-Mille merci, vous autres. J’enverrai le <i>chaprassi</i><a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a>
-demain.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> Commis.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Il faut vous arranger pour qu’il
-accepte, et naturellement il ne faut pas…</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Naturellement. Cela ne ferait
-pas l’affaire. Il s’en irait pleurer de gratitude
-sur son verre du soir.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Maudit soit-il, c’est bien ce
-qu’il irait faire. Oh ! dites-moi, Anthony, vous
-qui prétendez tout savoir : avez-vous entendu
-parler de Gaddy ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Non. Un procès en divorce,
-enfin ?</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pire. Il est fiancé !</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Comment dites-vous ? Pas
-possible !</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Plus que possible. Il va se
-marier dans quelques semaines. C’est Markyn
-qui me l’a dit chez le juge ce soir. C’est
-<i>pukka</i><a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> Une affaire réglée.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Vous ne parlez pas sérieusement ?
-Saperlipopette ! Il y aura du grabuge
-sous les tentes de Cédar.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Croyez-vous que le régiment
-montrera son mécontentement ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Ne sais quoi que ce soit sur le
-régiment.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — C’est la bigamie, alors ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Peut-être bien. Voulez-vous
-dire que vous autres, vous avez oublié, ou
-est-ce qu’il y a dans le monde plus de charité
-que je ne pensais ?</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Cela ne vous embellit pas d’essayer
-de garder un secret. Vous gonflez à péter.
-Expliquez.</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Mrs. Herriott.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE</span> (<i>après une longue pause, à tout le
-monde à la ronde</i>). — C’est mon avis que
-nous sommes une collection d’idiots.</p>
-
-<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Allons donc ! Cette affaire-là
-était morte et enterrée à la saison dernière.
-Comment donc ? Le jeune Mallard…</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Mallard tenait la chandelle.
-C’est pour cela qu’il était là. Réfléchissez un
-instant. Rappelez-vous la saison dernière et
-ce qu’on disait. Mallard ou pas Mallard,
-Gaddy a-t-il adressé la parole à une seule
-autre femme ?</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Il y a quelque chose là-dedans.
-C’était quelque peu remarquable, maintenant
-que vous en parlez. Mais elle est à Naini Tal
-et il est à Simla.</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Il lui a fallu aller à Simla
-pour piloter un <span lang="en" xml:lang="en">globe-trotter</span> de sa famille…
-un personnage titré, oncle ou tante.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Et c’est là qu’il s’est fiancé. Il
-n’y a pas de loi qui empêche un homme de se
-fatiguer d’une femme.</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Sauf qu’il ne doit pas le faire
-tant que la femme n’est pas fatiguée de lui.
-Et ce n’était pas le cas de la Herriott.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Il se peut qu’elle le soit maintenant.
-Deux mois de Naini Tal accomplissent
-des prodiges.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — C’est curieux comme il y a des
-femmes qui portent un sort avec elles. Il y
-avait une certaine Mrs. Deegie, dans les provinces
-du centre, que les hommes finissaient
-invariablement par quitter pour se marier.
-C’était passé en proverbe parmi nous quand
-j’étais là-bas. Je me souviens de trois hommes
-qui étaient éperdument à sa dévotion, et qui,
-tous, l’un après l’autre, prirent femme.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — C’est bizarre. Pour moi, j’aurais
-pensé que l’influence de Mrs. Deegie devait
-les pousser à prendre les femmes des autres.
-Cela aura dû leur inspirer la crainte du jugement
-de la Providence.</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Mrs. Herriott inspirera à Gaddy
-la crainte de quelque chose de plus que le
-jugement de la Providence, j’imagine.</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — En supposant que les choses
-soient comme vous dites, ce serait un imbécile
-d’aller affronter cette femme. Il ne bougera
-pas de Simla.</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Serais pas le moins du monde
-surpris qu’il s’en aille à Naini s’expliquer.
-C’est une espèce d’homme incompréhensible,
-et, quant à elle, c’est probablement une femme
-plus qu’incompréhensible.</p>
-
-<p><span class="xs">DOONE.</span> — Qu’est-ce qui vous fait la débiner
-avec une pareille confiance ?</p>
-
-<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — <i lang="la" xml:lang="la">Primum tempus.</i> Gaddy a été
-son premier, et une femme ne laisse pas
-échapper son premier amant sans se plaindre.
-Elle se justifie à elle-même le premier transfert
-d’affection en jurant que c’est pour
-toujours et toujours. Par conséquent…</p>
-
-<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Par conséquent, nous voilà assis
-jusqu’à une heure passée à causer scandale
-comme un cénacle de portières. Anthony, c’est
-aussi votre faute. Nous étions parfaitement
-respectables jusqu’au moment où vous êtes
-entré. Allez vous coucher. J’y vais. Bonne
-nuit tous.</p>
-
-<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Une heure passée ! Il est deux
-heures passées, sur mon âme, et voici venir
-le <i>khit</i> pour l’extra. Justes cieux ! Une, deux,
-trois, quatre, <i>cinq</i> roupies à payer pour le
-plaisir de dire qu’un pauvre petit diable de
-femme ne vaut pas mieux que cela. J’ai honte
-de moi-même. Allez vous coucher, méchantes
-langues, et si l’on m’envoie demain à
-Béora, préparez-vous à apprendre que je
-suis mort avant de payer mes dettes de
-jeu !</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2>LES TENTES DE CÉDAR</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Only why should it be with stain at all,</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Why must I, ’twixt the leaves of coronal</div>
-<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">Put any kiss of pardon on thy brow ?</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Why should the other women know so much,</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">And talk together « such the look and such</div>
-<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">The smile he used to love with, then as now ! »</div>
-</div>
-
-</div>
-<p class="sign"><i lang="en" xml:lang="en">Any wife to any Husband<a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>.</i></p>
-
-</blockquote>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> Robert Browning.</p>
-</div>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Un dîner de Naini Tal de trente-quatre
-couverts. Argenterie, vins, vaisselle, et khitmatgars
-soigneusement calculés à l’échelle
-de <span class="rm">6.000</span> roupies par mois, le change en moins.
-La table divisée dans toute sa longueur par
-une haie de fleurs.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">MRS. HERRIOTT</span> (<i>après que la conversation
-s’est élevée au diapason convenable</i>). — Ah !
-Je ne vous ai pas vu dans la cohue au salon.
-(<i lang="it" xml:lang="it">Sotto voce.</i>) Où avez-vous bien pu être tout
-ce temps-là, Pip ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> (<i>se détournant de la
-dame dont il a reçu officiellement la charge
-et remuant les verres à vin du Rhin</i>). — Bonsoir.
-(<i lang="it" xml:lang="it">Sotto voce.</i>) Pas tout à fait si haut une
-autre fois. Vous n’avez pas idée comme votre
-voix porte. (<i>A part.</i>) Voilà ce que c’est que
-d’avoir voulu esquiver l’explication écrite. Il va
-maintenant la falloir verbale. Charmante perspective !
-Comment diable vais-je lui dire que je
-suis fiancé, membre respectable de la société,
-et que tout est fini entre nous.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — J’ai un gros compte à régler
-avec vous. Où étiez-vous, au concert Pop<a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>
-de lundi ? Où étiez-vous mardi ? Où étiez-vous
-au tennis des Lamont ? Je cherchais partout.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> Concert populaire.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour me voir ? Oh ! j’étais en
-vie quelque part, je suppose. (<i>A part.</i>) C’est
-pour Minnie, mais cela va être salement
-désagréable.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ai-je fait quelque chose pour
-vous offenser ? Si oui, cela n’a jamais été
-mon intention. Je ne pouvais m’abstenir
-d’aller faire une promenade à cheval avec ce
-Vaynor. C’était promis une semaine avant
-que vous n’arriviez.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’ignorais…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Cela l’<i>était</i> vraiment.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quoi que ce soit à ce sujet,
-voilà ce que je veux dire.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Qu’est-ce que vous avez aujourd’hui ?
-Tous ces jours-ci ? Il y a quatre grands
-jours, presque cent heures, que vous n’avez
-été près de moi. Est-ce <i>gentil</i> à vous, Pip ?
-Et j’ai tant attendu votre arrivée !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vraiment ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Vous le savez bien ! J’ai été
-aussi sotte à ce propos qu’une pensionnaire.
-J’ai fait un petit calendrier que j’ai mis dans
-mon porte-cartes, et chaque fois que le canon
-de midi partait, j’effaçais une ligne et disais :
-« cela me rapproche de Pip. <i>Mon</i> Pip ! »</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec un rire contraint</i>). — Que
-va penser Mackler si vous le négligez pareillement.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Et cela ne vous a pas rapproché.
-Vous paraissez beaucoup plus loin que jamais.
-Avez-vous quelque raison de bouder ? Je connais
-votre caractère.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Suis-je donc devenue vieille
-dans ces quelques derniers mois ? (<i>Elle étend
-la main vers la haie de fleurs pour prendre
-le menu.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">VOISIN DE GAUCHE.</span> — Permettez-moi. (<i>Il
-tend le menu. <span class="xs">MRS. H.</span> reste le bras étendu
-l’espace de trois secondes.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>au voisin, son cavalier</i>). — Oh !
-merci, je ne voyais pas. (<i>Elle se retourne à
-droite.</i>) — Y a-t-il en moi quelque chose de
-changé ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — De grâce occupez-vous de
-dîner ! Il faut manger quelque chose. Essayez
-une de ces façons de côtelettes. (<i>A part.</i>) Et je
-m’imaginais qu’elle avait de belles épaules, au
-beau temps jadis ! Quel âne on peut faire de soi !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>se servant une manchette de papier,
-sept pois, quelques carottes découpées à l’emporte-pièce
-et une cuillerée de sauce</i>). — Ce
-n’est pas une réponse. Dites-moi si j’ai fait
-quelque chose.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Si l’on n’en finit pas
-ici, il y aura quelque scène diabolique ailleurs.
-Si seulement j’avais écrit et que j’eusse accepté
-la bataille… à longue portée ! (<i>Au khitmatgar.</i>)
-<i>Han ! Simpkin do<a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>.</i> (<i>Haut.</i>) Je vous
-raconterai cela plus tard.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> Oui, du champagne.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Racontez-le-moi <i>tout de suite</i>.
-Ce doit être quelque ridicule malentendu, et
-vous savez qu’il ne devait rien arriver de la
-sorte entre nous. <i>Nous</i>, moins que personne
-ne pouvons nous le permettre. C’est ce Vaynor
-et vous ne voulez pas le dire ? Sur mon
-honneur…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je n’ai jamais pensé un instant
-à ce Vaynor.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mais comment savez-vous que
-moi, je n’y ai pas pensé ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Voici l’occasion et
-puisse le diable me la faire prendre aux cheveux.
-(<i>Haut et d’un ton mesuré.</i>) Croyez-moi,
-peu m’importe que vous pensiez plus ou
-moins souvent à ce Vaynor, ni que vous y
-pensiez d’une façon plus ou moins tendre.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je me demande si c’est bien ce
-que vous voulez dire… Oh ! qu’est-ce que cela
-rapporte de se chamailler et de prétendre ne
-pas se comprendre quand vous n’êtes ici en
-haut que pour si peu de temps. Pip, ne faites
-pas la bête !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Suit une pause, pendant laquelle
-il croise sa jambe
-gauche par-dessus la droite
-et continue son dîner.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>en réponse à l’orage qui
-s’amasse dans les yeux de <span class="xs">MRS. H.</span></i>). — Oh là
-là, mes cors… C’est mon plus sensible.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ma parole, vous êtes l’homme le
-plus grossier de la terre ! Jamais plus je ne
-recommencerai.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Non, je ne crois pas
-que vous recommenciez ; mais je me demande
-ce que vous ferez avant que tout soit fini. (<i>Au
-khitmatgar.</i>) <i>Thorah ur Simpkin do<a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>.</i></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> Donnez-moi du champagne.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Eh bien ! vous n’avez pas même
-la politesse de vous excuser, vilain homme ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ce n’est pas la
-peine de lâcher pied maintenant. Fiez-vous à
-une femme pour être aveugle comme une
-taupe lorsqu’elle ne veut pas voir.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — J’attends. Ou vous sied-il que je
-dicte une formule d’excuse ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>en désespéré</i>). — Parfaitement,
-dictez.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>gaîment</i>). — Fort bien. Répétez
-tous vos noms de baptême après moi et
-continuez : « Professe mon sincère repentir… »</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — « Sincère repentir… »</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — « Pour m’être conduit… »</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Enfin ! Si seulement
-elle voulait regarder ailleurs. (<i>Haut.</i>) « Pour
-m’être conduit »… comme je me suis conduit,
-et déclare que je suis à fond et franchement
-malade de toute cette histoire, et saisis cette
-occasion de faire connaître clairement mon
-intention d’y mettre fin, maintenant, désormais,
-et pour toujours. (<i>A part.</i>) Si quelqu’un
-m’eût dit que je jouerais jamais ce rôle de
-mufle !…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>versant une cuillerée de pommes
-de terre paille dans son assiette</i>). — Ce n’est
-pas une belle plaisanterie.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, c’est une réalité. (<i>A
-part.</i>) Je me demande si les catastrophes de
-ce genre sont toujours aussi brutales.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — En vérité, Pip, vous devenez
-plus drôle de jour en jour.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je crois que vous ne me comprenez
-pas bien. Faut-il le répéter ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Non ! par pitié, ne faites
-pas cela. C’est trop terrible, même pour
-rire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Je vais la laisser y
-réfléchir pendant un moment. Mais je mériterais
-la cravache.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je veux savoir ce qu’il y avait au
-fond de ce que vous venez de me dire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Exactement ce que j’ai dit.
-Rien de moins.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mais qu’est-ce que j’ai fait pour
-le mériter ? Qu’est-ce que j’ai donc fait ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Si seulement elle
-voulait bien ne pas me regarder. (<i>Haut et très
-lentement, les yeux sur son assiette.</i>) Vous
-rappelez-vous ce soir de juillet, avant que les
-pluies éclatent, où vous me disiez que la fin
-arriverait forcément tôt ou tard… et où vous
-vous demandiez pour lequel de nous elle arriverait
-le premier ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oui, c’était seulement pour rire.
-Et vous jurâtes que, aussi longtemps qu’il vous
-resterait un souffle dans la poitrine, <i>jamais</i>
-elle n’arriverait. Et je vous crus.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>jouant avec le menu</i>). — Eh bien,
-elle est arrivée. Voilà tout.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Une longue pause durant
-laquelle <span class="xs">MRS. H.</span> tient la
-tête courbée et roule son
-pain viennois en petites
-boulettes. <span class="xs">G.</span> regarde les
-lauriers roses.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>rejetant la tête en arrière et riant
-d’un rire naturel</i>). — On nous dresse bien,
-nous autres femmes, n’est-ce pas, Pip ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>brutalement, en touchant son
-bouton de chemise</i>). — Pour ce qui est de
-savoir porter le masque. (<i>A part.</i>) Ce n’est
-pas dans sa nature de prendre les choses
-tranquillement. Il faudra bien qu’il y ait une
-explosion.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>avec un frisson</i>). — Merci. Ma-ais
-les Peaux-Rouges eux-mêmes laissent, je
-crois, les gens se tortiller pendant qu’on les
-torture. (<i>Elle tire son éventail de sa ceinture
-et s’évente lentement, le bord de l’éventail au
-niveau du menton.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">VOISIN DE GAUCHE.</span> — Très lourd, ce
-soir, n’est-ce pas ? Cela vous incommode ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oh non, pas le moins du monde.
-Mais on devrait avoir vraiment des punkahs,
-même dans votre frais Naini Tal, ne trouvez-vous
-pas ? (<i>Elle se retourne en laissant retomber
-son éventail et en levant les sourcils.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela va-t-il mieux ? (<i>A part.</i>)
-Voici venir l’orage !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>les yeux sur la nappe, l’éventail
-tout prêt dans la main droite</i>). — Cela fut
-fort habilement conduit, Pip, et je vous félicite.
-Vous aviez juré — vous ne vous contentiez
-jamais de dire simplement les choses — vous
-aviez <i>juré</i> que, autant qu’il serait
-en votre pouvoir, vous rendriez aimable pour
-moi ma triste existence. Et vous m’avez refusé
-la consolation de pouvoir pleurer. Moi, je
-l’eusse fait… certes, je l’eusse fait. C’est à
-peine si une femme eût pensé à ce raffinement,
-mon prévenant, prudent ami. (<i>L’éventail au
-niveau du menton, comme plus haut.</i>) Vous
-vous êtes, en outre, expliqué avec une telle
-tendresse, une telle véracité ! Vous n’avez pas
-prononcé, pas écrit un mot d’avertissement, et
-vous m’avez laissée croire en vous jusqu’à la
-dernière minute. Vous n’avez pas encore condescendu
-à me donner la <i>raison</i>. Une femme
-n’eût pu conduire l’affaire la moitié aussi bien.
-Est-ce qu’il y a beaucoup d’hommes comme
-vous dans le monde ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour sûr, je n’en sais rien.
-(<i>Au khitmatgar.</i>) Eh là ! <i>Simpkin do.</i></p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Vous vous dites un homme du
-monde, n’est-ce pas ? Est-ce que les hommes
-du monde se conduisent comme des tortionnaires
-lorsqu’ils font à une femme l’honneur
-d’être fatigués d’elle ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour sûr, je n’en sais rien. Ne
-parlez pas si haut !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Conservons la correction, ô Seigneur,
-quoi qu’il arrive. N’ayez pas peur que
-je vous compromette. Vous avez trop bien
-choisi votre terrain, et j’ai été convenablement
-élevée. (<i>Baissant son éventail.</i>) N’avez-vous
-pas de pitié, Pip, si ce n’est pour vous-même ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ne serait-il pas quelque peu
-impertinent de ma part de dire que je suis
-fâché pour vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je crois que vous l’avez déjà
-dit une ou deux fois. Vous devenez très
-soucieux de mes sentiments. Mon Dieu, Pip,
-j’étais jadis une honnête femme ! Vous le
-disiez. Vous m’avez faite ce que je suis. Qu’allez-vous
-faire de moi ? Qu’allez-vous faire de
-moi ? Vous ne voulez pas même dire que vous
-êtes fâché ? (<i>Elle se sert des asperges glacées.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je suis fâché pour vous, s’il
-vous faut la pitié d’une brute comme moi. Je
-suis <i>horriblement</i> fâché pour vous.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Quelque peu bénin pour un
-homme du monde. Pensez-vous vous sauver
-par cet aveu ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que puis-je faire ? Je ne peux
-que vous dire ce que je pense de moi-même.
-Vous ne pouvez en penser pire ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oh ! oui, je le peux. Et maintenant,
-voulez-vous me dire la raison de tout
-cela ? Du remords ? Bayard a-t-il été soudain
-frappé de scrupule.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec colère, les yeux toujours
-baissés</i>). — Non ! La chose a pris fin de mon
-côté. C’est tout. <i>Mafisch !</i></p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — « C’est tout. <i>Mafisch !</i> » Comme
-si j’étais un interprète arabe. Vous faisiez
-jadis de plus jolis discours. Vous rappelez-vous
-lorsque vous disiez ?…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour l’amour du ciel, ne revenez
-plus là-dessus. Appelez-moi tout ce que
-vous voudrez et je l’admettrai…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mais vous ne tenez pas à ce
-qu’on vous remette en mémoire les vieux
-mensonges. Si je pouvais espérer vous faire
-la dixième partie du mal que vous m’avez
-fait ce soir… Non… Je ne le voudrais pas…
-je ne pourrais pas le faire… quelque menteur
-que vous soyez.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’ai dit la vérité.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mon <i>cher</i> monsieur, vous vous
-flattez. Vous avez menti au sujet du motif.
-Pip, rappelez-vous que je vous connais comme
-vous ne vous connaissez pas vous-même. Vous
-avez été tout pour moi, quoique vous soyez…
-(<i>Même jeu d’éventail.</i>) Oh ! comme tout cela
-est méprisable ! Ainsi, vous êtes tout simplement
-fatigué de moi ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Puisque vous insistez pour
-que je le répète… Oui.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mensonge numéro un. Que ne
-suis-je en possession d’un mot plus cru !
-Mensonge semble si insuffisant dans votre cas.
-Le feu vient de s’éteindre et il n’y en a pas
-un nouveau ? Réfléchissez une minute, Pip,
-si vous ne voulez pas que je vous méprise
-plus que je ne fais. Simplement <i>Mafisch</i>, alors ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui. (<i>A part.</i>) Je crois le
-mériter.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mensonge numéro deux. Avant
-que le prochain verre ne vous étrangle, dites-moi
-son nom.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Je lui revaudrai
-cela, de faire intervenir Minnie dans l’affaire !
-(<i>Haut.</i>) Est-ce vraisemblable ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — <i>Fort</i> vraisemblable si vous
-pensiez que cela flatterait votre vanité. Vous
-crieriez mon nom sur les toits pour faire se
-retourner les gens.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que ne l’ai-je fait ! Cela eût
-mis fin à cette affaire.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oh ! non, cela n’eût mis fin à rien
-du tout… Ainsi, monsieur allait devenir vertueux
-et blasé, n’est-ce pas ? Venir me dire :
-« J’ai assez de vous. L’incident est clo-os. »
-Je devrais être fière d’avoir gardé un homme
-pareil si longtemps.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Il ne me reste qu’à
-prier pour que le dîner finisse. (<i>Haut.</i>) Vous
-savez ce que je pense de moi-même.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Comme c’est la seule personne
-du monde à laquelle jamais vous pensiez, et
-comme je vous connais jusqu’au fond de
-l’âme, oui, je le sais. Vous voulez qu’on n’en
-parle plus et… Oh ! je ne peux pas vous
-en empêcher ! Et vous allez — pensez-y, Pip — me
-mettre au rancart pour une autre femme.
-Et vous aviez juré que toutes les autres femmes
-étaient… Pip, mon Pip ! Elle <i>ne peut</i> se soucier
-de vous comme je fais. Croyez-moi, elle
-ne le peut ! Est-ce quelqu’un que je connais ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dieu merci, non ! (<i>A part.</i>) Je
-m’attendais à un cyclone, mais pas à un tremblement
-de terre.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Elle <i>ne le peut</i> ! Y a-t-il quelque
-chose que je ne ferais pas pour vous…
-ou que je n’aie fait ? Et penser que je me donne
-ce mal à votre sujet, sachant ce que vous êtes !
-M’en méprisez-vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se passant la serviette sur la
-bouche pour dissimuler un sourire</i>). — <i>Encore ?</i>
-C’est entièrement une œuvre de charité
-de votre part.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ahhh ! Mais je n’ai aucun droit
-à me formaliser… Est-elle mieux que moi ? Qui
-est-ce qui disait…?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non… pas cela !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je serai plus compatissante que
-vous. Ne savez-vous pas que toutes les femmes
-sont pareilles ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Alors, il s’agit de
-l’exception qui prouve la règle.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — <i>Toutes !</i> Je vous dirai n’importe
-ce que vous voulez. Je vous le dirai, sur
-ma parole ! Ce qu’il leur faut, c’est uniquement
-l’admiration… du premier venu — peu importe
-qui — du premier venu ! Mais il est
-toujours <i>un</i> homme dont elles se soucient plus
-que de personne au monde, et auquel elles
-sacrifieraient tous les autres. Oh ! écoutez bien !
-J’ai laissé ce Vaynor trotter derrière moi
-comme un caniche, et il se croit le seul homme
-auquel je m’intéresse. Je vais vous raconter
-ce qu’il m’a dit.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Épargnez-le. (<i>A part.</i>) Je me
-demande quelle est sa version, à ce Vaynor.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Pendant tout le dîner il a attendu
-que je le regarde. Le regarderai-je, pour que
-vous puissiez voir l’air idiot qu’il va prendre ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais qu’importe l’entrée en
-scène de ce monsieur ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Regardez ! (<i>Elle adresse un coup
-d’œil audit Vaynor, lequel essaye vainement
-de concilier une bouchée de pudding à la glace,
-un sourire de satisfaction personnelle, un
-regard de dévotion intense et la solidité d’une
-contenance britannique à une table de dîner.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>judicieusement</i>). — Il n’a pas l’air
-joli. Pourquoi n’avez-vous pas attendu que
-la cuiller lui soit sortie de la bouche ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Pour vous amuser. Elle vous
-donnera en spectacle comme j’ai fait pour lui ;
-et les gens riront de vous. Oh, Pip, ne le
-voyez-vous pas ? C’est aussi clair que le
-soleil en plein midi. On vous fera trotter de
-côté et d’autre et on vous contera des mensonges,
-on fera de vous un objet de risée
-comme les autres. Je n’ai jamais, moi, fait de
-vous un objet de risée, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — L’intelligente petite
-femme !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Eh bien, qu’avez-vous à dire ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je me sens mieux.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oui, je le suppose, maintenant
-que me voici descendue à votre niveau. Je
-n’aurais jamais pu le faire si je ne vous aimais
-pas autant. J’ai dit la vérité.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela ne change en rien la situation.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>avec emportement</i>). — Alors, elle
-<i>a</i> dit qu’elle vous aimait ! Ne la croyez pas,
-Pip. C’est un mensonge… aussi vilain que
-le vôtre à mon égard !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ffffixe ! J’ai idée qu’un de vos
-amis vous regarde.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Lui ! Je le <i>hais</i>. C’est lui qui
-vous a présenté à moi.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Et il y a des gens
-pour vouloir que les femmes aident à confectionner
-les lois ! Une présentation impliquer
-tout le reste ! (<i>Haut.</i>) Mais, vous comprenez,
-si vous pouvez faire remonter vos
-souvenirs jusque-là, il ne m’était guère possible,
-en toute politesse, de refuser l’offre.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — En toute politesse ! Nous sommes
-allés plus loin que <i>cela</i> !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Vieux terrain veut
-dire nouvel ennui. (<i>Haut.</i>) Sur mon honneur…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Votre quoi ? Ha, ha !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Déshonneur, alors. Elle n’est
-pas ce que vous imaginez. Je voulais…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ne me parlez pas d’elle ! Elle ne
-saurait vous aimer, et lorsque vous reviendrez,
-après vous être donné en spectacle, vous
-me trouverez occupée de…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>insolemment</i>). — Vous ne pourriez
-pas tant que je suis vivant. (<i>A part.</i>) Si
-cela n’appelle pas son orgueil à la rescousse,
-rien ne le fera.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>se redressant</i>). — Je ne pourrais
-pas ? <i>Moi ?</i> (<i>S’adoucissant.</i>) Vous avez raison.
-Je ne crois pas que je le pourrais…
-malgré tout ce que vous êtes… un lâche et un
-menteur jusque dans la moelle.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela ne blesse pas autant
-après votre petit cours… avec démonstrations.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Une montagne de vanité ! Rien
-ne vous touchera-t-il donc <i>jamais</i> en cette
-vie ? Il doit y avoir une Vie Future quand ce
-ne serait que pour le bénéfice de… Mais vous
-ne la partagerez avec personne.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>par-dessous ses sourcils</i>). — En
-êtes-vous si certaine ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — J’aurai eu mon enfer en cette
-vie, et je l’aurai bien mérité.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais l’admiration sur laquelle
-vous insistiez si fort, il y a un instant ? (<i>A
-part.</i>) Oh ! quelle brute je <i>fais</i> !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>d’un ton farouche</i>). — <i>Cela</i> me
-consolera-t-il de la connaissance que j’aurai
-que vous allez à elle avec les mêmes mots, les
-mêmes arguments, et les… les mêmes noms
-d’amitié que ceux dont vous vous êtes servi
-pour moi ? Et si elle vous aime, vous rirez
-tous deux de mon histoire. Serait-ce un châtiment
-assez lourd même pour moi… même
-pour moi ?… Et tout cela pour rien. Autre
-châtiment !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>faiblement</i>). — Oh, allons ! Je
-ne suis pas aussi bas que vous pensez.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Pas en ce moment, peut-être,
-mais vous le serez. Oh ! Pip, au cas où une
-femme flatterait votre vanité, il n’y a rien sur
-terre que vous ne lui racontiez ; et pas de bassesse
-à quoi vous ne descendiez. Vous ai-je
-connu si longtemps pour ne pas le savoir ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Si vous ne pouvez avoir confiance
-en moi pour rien autre — et je ne vois
-pas après tout pourquoi on aurait confiance
-en moi — vous pouvez compter que je saurai
-me taire.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Si vous démentiez tout ce que
-vous m’avez dit ce soir et déclariez que tout
-cela n’était que pour plaisanter (<i>une longue
-pause</i>), j’aurais confiance en vous. Pas autrement.
-Tout ce que je vous demande, c’est
-de ne pas lui dire mon nom. <i>Je vous en prie</i>,
-ne le lui dites pas. Un homme pourrait oublier ;
-une femme, jamais. (<i>Elle lève les yeux
-au-dessus de la table et voit la maîtresse de
-maison qui commence à rassembler les
-regards.</i>) Ainsi, tout est fini, sans qu’il y ait
-de ma faute… Ne me suis-je pas admirablement
-conduite ! J’ai accepté votre congé, et
-vous l’avez cuisiné aussi cruel possible, et je
-vous ai fait respecter mon sexe, n’est-ce pas ?
-(<i>Arrangeant ses gants et son éventail.</i>) Je
-prie seulement pour qu’elle vous connaisse
-un jour comme je vous connais à présent. Je
-ne voudrais pas, alors, être à votre place, car
-je crois que vous vous trouverez atteint jusque
-dans votre vanité. J’espère qu’elle vous rendra
-l’humiliation que vous m’avez causée. Je l’espère…
-Non. Je ne l’espère pas. <i>Je ne peux
-pas</i> renoncer à vous ! Il me faut quelque chose
-à espérer, sans quoi je deviendrai folle. Quand
-tout cela sera fini, revenez-moi, revenez-moi,
-et vous vous apercevrez que vous êtes toujours
-mon Pip !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>très clairement</i>). — Mal joué,
-et cela vous coûte cher. C’est une jeune fille !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>se levant</i>). — Alors, <i>c’était</i> vrai ! On
-disait… mais je ne voudrais pas vous insulter
-en vous questionnant. Une jeune fille ! Il n’y
-a pas longtemps que j’étais une jeune fille.
-Soyez-lui bon, Pip. C’est possible qu’elle
-croie en vous.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle sort avec un sourire
-incertain. Il la regarde
-par la porte, et se rassoit
-sur une chaise, tandis que
-les hommes se redistribuent.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G</span> — Maintenant, s’il est une Force
-qui veille sur ce monde, voudra-t-elle avoir
-la bonté de me dire ce que j’ai fait ? (<i>Étendant
-le bras vers le vin de Bordeaux, et presque à
-haute voix.</i>) Qu’<i>ai</i>-je fait ?</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">PAR AUCUNE CRAINTE</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<p>Et ne vous laissez troubler par
-aucune crainte.</p>
-
-<p class="sign"><i>Office du mariage.</i></p>
-
-</blockquote>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Une chambre de célibataire. Table
-de toilette rangée avec un soin qui n’est pas
-naturel. <span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> dort et ronfle
-fort. Dix heures et demie du matin — une
-admirable journée d’automne à Simla. Entre
-avec précaution <span class="xs">LE CAPITAINE MAFFLIN</span>, du régiment
-de <span class="xs">GADSBY</span>. Regarde le dormeur, et
-branle la tête, en murmurant : « Pauvre Gaddy ! »
-Exécute une brillante fantaisie à l’aide
-des brosses à cheveux sur un dos de chaise.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Éveillez-vous, belle endormie !
-(<i>Il rugit.</i>)</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">« Uprouse ye, then, my merry, merry men !</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">It is our opening day !</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">It is our opening day ! »</div>
-</div>
-
-</div>
-<p>Gaddy, voilà déjà longtemps que les petits
-pierrots piaillent et se becquettent ; et je suis
-ici !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>s’asseyant sur son séant et
-bâillant</i>). — Bonjour. C’est diantrement bien
-à toi, mon vieux. Tout ce qu’il y a de bien.
-Ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Sur
-mon âme, sais pas. N’ai pas fermé l’œil de la
-nuit.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Je ne suis rentré qu’à onze
-heures et demie. J’ai jeté un coup d’œil sur
-toi, et tu paraissais dormir aussi profondément
-qu’un condamné à mort.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Jack, si c’est pour faire de
-ces plaisanteries éventées à pleurer que tu es
-là, tu ferais tout aussi bien de t’en aller. (<i>Avec
-une énorme gravité.</i>) C’est le plus heureux
-jour de ma vie.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>riant tout bas d’un air menaçant</i>). — Tu
-verras cela, mon garçon. Tu vas
-passer par quelques-unes des tortures les
-plus raffinées que tu aies jamais connues.
-Mais sois calme. Je suis avec toi. ’Ttention !
-Alignement !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Hein ! Quo-oi ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Supposes-tu que tu es ton
-maître pour douze grandes heures d’horloge ?
-Si oui, naturellement… (<i>Il fait un mouvement
-vers la porte.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ! Pour l’amour du ciel,
-mon vieux, ne fais pas cela ! Tu ne vas pas
-me lâcher que ce ne soit fini, n’est-ce pas ?
-J’ai sué sur cette fichue manœuvre sans pouvoir
-m’en rappeler une ligne.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>inspectant l’uniforme de <span class="xs">G.</span></i>). — Allons,
-prends ton tub. Ne m’assomme pas.
-Je te donne dix minutes pour t’habiller.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Intervalle, rempli par un
-bruit de quelque chose
-comme un éclaboussement
-dans la salle de
-bain.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>émergeant du cabinet de toilette</i>). — Quelle
-heure est-il ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Presque onze heures.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Encore cinq heures. Grand
-Dieu !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Premier signe de
-frousse, cela. Je voudrais bien savoir si cela
-va continuer. (<i>Haut.</i>) Viens déjeuner.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas le moindre appétit. Pourrais
-rien manger.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Si tôt ! (<i>Haut.</i>)
-Capitaine Gadsby, je vous <i>ordonne</i> de manger
-votre déjeuner, et un sacré bon déjeuner
-encore. Ces airs et ces grâces de jeune épousée
-ne prennent pas avec moi !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il conduit <span class="xs">G.</span> au rez-de-chaussée,
-et reste debout
-derrière lui pendant qu’il
-mange deux côtelettes.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>qui a regardé trois fois à sa
-montre dans les cinq dernières minutes</i>). — Quelle
-heure est-il ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — L’heure de venir faire un tour.
-Allume.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Voilà dix jours que je n’ai
-fumé, et je ne vais pas commencer maintenant.
-(<i>Il prend le cheroot dont <span class="xs">M.</span> a coupé le
-bout pour lui, et souffle voluptueusement la
-fumée par les narines.</i>) Nous n’allons pas
-descendre le Mall, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Ils sont tous pareils
-dans ces moments-là ? (<i>Haut.</i>) Non, ma vestale.
-Nous allons prendre la route la plus
-tranquille que nous puissions trouver.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Des chances de <i>la</i> rencontrer ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Pauvre innocent ! Non ! Viens,
-et si tu as besoin de moi pour les obsèques
-finales, ne m’enlève pas l’œil avec ta canne.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se retournant brusquement</i>). — Dis-moi,
-n’est-ce pas la plus charmante
-créature qui ait jamais existé ? Quelle heure
-as-tu ? Qu’est-ce qui vient après « voulez-vous
-prendre pour épouse » ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — On cherche l’anneau. Rappelle-toi
-qu’il sera au bout du petit doigt de
-ma main droite, et fais bien attention à la
-façon dont tu le tireras, car j’aurai les honoraires
-du sacristain quelque part dans mon
-gant.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>précipitant le pas</i>). — Au diable
-le sacristain ! Viens donc ! Il est midi
-passé, et je ne l’ai pas vue depuis hier soir.
-(<i>Se retournant de nouveau.</i>) C’est absolument
-un ange, Jack, et elle est mille fois trop
-bien pour moi. Dis-moi, remonte-t-elle la nef
-à mon bras, ou comment ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Si je pensais qu’il y eût pour
-toi la moindre chance de te rappeler quelque
-chose durant deux minutes consécutives, je te
-le dirais. Cesse de passager comme cela !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>faisant halte au milieu de la
-route</i>). — Dis-donc, Jack ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Reste tranquille encore dix
-minutes si tu peux, fou que tu es, et <i>marche</i> !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Tous deux déguerpissent à
-cinq milles à l’heure pendant
-quinze minutes.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quelle heure as-tu ? Qu’est-ce
-qui se passe au sujet de ce maudit <span lang="en" xml:lang="en">wedding-cake</span>
-et des petits souliers blancs ? Ils ne les
-jettent pas dans l’église, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — In-variablement. Le pasteur
-ouvre la danse avec ses bottines.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dieu te confonde, imbécile !
-Ne te moque pas de moi. Je ne peux le supporter,
-et ne le supporterais pas !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>sans se troubler</i>). — Tout
-doux, ma vieille carne ! Il va falloir faire dodo
-deux heures cet après-midi.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se retournant</i>). — Je ne vais
-pas me laisser traiter comme un sacré gamin.
-Tâche de comprendre cela !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Les nerfs comme
-des cordes à violon. En voilà, une journée !
-(<i>Posant tendrement la main sur l’épaule de
-<span class="xs">G.</span></i>) Mon David, combien y a-t-il de temps
-que tu connais ce Jonathan ? Est-ce que je
-viendrais ici pour me moquer de toi… après
-toutes ces années-là ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec repentir</i>). — Je sais, je
-sais, Jack… mais je suis aussi chaviré qu’il
-est possible. Ne fais pas attention à ce que je
-dis. Écoute-moi un peu répéter la manœuvre
-pour voir si je la tiens :</p>
-
-<p>« Pour t’avoir et garder, soit que tu sois
-meilleure ou pire, comme il était au commencement,
-comme il est maintenant, et comme
-il sera éternellement, avec l’aide de Dieu. — Amen<a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> Ici, Gadsby mêle trois passages différents de l’office
-de mariage anglican.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>suffoquant de rire</i>). — Oui,
-c’est à peu près le sel de la chose. Je soufflerai
-si tu t’arrêtes en route.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>vivement</i>). — Oui, tu ne vas
-pas me lâcher, Jack, n’est-ce pas ? Je suis
-salement heureux, mais je ne te cacherai pas,
-à toi, que j’ai une peur bleue !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>gravement</i>). — Vrai ? Jamais
-je ne m’en serais aperçu. Tu n’en as pas
-l’air.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tu crois ? A la bonne heure.
-(<i>Se retournant.</i>) Sur mon âme et mon honneur,
-Jack, c’est le plus doux petit ange qui
-soit jamais descendu du ciel. Il n’y a pas de
-femme sur terre qui soit digne de lui adresser
-la parole !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Et c’est le vieux
-Gaddy ! (<i>Haut.</i>) Va donc, si cela te soulage.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tu peux bien rire ! C’est tout
-ce à quoi vous êtes bons, vous autres, onagres
-de célibataires.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>traînant ses paroles</i>). — Tu
-veux toujours devancer la troupe. Tu n’es
-pas encore tout à fait marié, tu sais.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Peuh ! cela me rappelle. Je
-ne crois pas pouvoir entrer dans mes bottes.
-Allons à la maison les essayer ! (<i>Il se presse
-en avant.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Voudrais pas être dans <i>tes</i>
-souliers pour tout ce que l’Asie peut offrir.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se retournant</i>). — Voilà qui
-prouve bien ta hideuse noirceur d’âme… ta
-couche de bêtise… ta brutale étroitesse d’idées.
-Tu n’as qu’un défaut. Tu es le meilleur
-des bons zigues, et je ne sais pas ce que j’aurais
-fait sans toi, mais… tu n’es pas marié.
-(<i>Il branle gravement la tête.</i>) Prends une
-femme, Jack.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>le visage comme un mur</i>). — Ou-é.
-La femme de qui, de préférence ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Si tu te mets à faire le polisson,
-je te quitte… Quelle heure as-tu ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>il chantonne</i>).</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">An’ since ’twas very clear we drank only gingerbeer,</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Faith, there must ha’ been some stingo in the ginger !</div>
-</div>
-
-</div>
-<p>Rentrons, espèce d’enragé. Je vais te ramener
-au logis, et tu vas te coucher.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que diable ai-je besoin de me
-coucher ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Tends-moi ton cheroot pour
-me donner du feu et tu vas voir.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>qui regarde le bout du cheroot
-trembler comme un diapason</i>). — Je suis
-dans un délicieux état !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Effectivement. Je vais te faire
-prendre un verre et tu t’en iras dormir.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Ils rentrent et <span class="xs">M.</span> compose un
-whisky-soda bien corsé.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oh, <i>bus ! bus !<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a></i> Cela va me
-saouler comme un polonais.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> Assez ! assez ! (en hindoustani).</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Chose curieuse, cela n’aura
-pas le moindre effet sur toi. Avale-moi cela,
-jette-toi là, et mets-toi à faire dodo.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est absurde. Je ne dormirai
-pas. Je <i>sais</i> que non !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il tombe dans un lourd
-sommeil au bout de sept
-minutes. <span class="xs">LE CAP. M.</span> le
-veille tendrement.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Pauvre vieux Gaddy ! J’en ai
-vu déjà quelques-uns lancés dans le vide,
-mais jamais aucun marcher au gibet dans ces
-conditions-là. On ne peut jamais dire comment
-ils vont prendre cela. Ce sont les pur-sang
-qui suent au reculer dans l’attelage à
-deux… Et c’est là l’homme qui a traversé
-les pièces à la charge à Amdhéran, comme
-un enragé. (<i>Il se penche sur <span class="xs">G.</span></i>) Mais c’est
-pire que les pièces, vieux copain… pire que
-les pièces, n’est-ce pas ? (<i><span class="xs">G.</span> se retourne dans
-son sommeil et <span class="xs">M.</span> lui effleure gauchement le
-front.</i>) Pauvre, cher vieux Gaddy ! Qui s’en
-va comme les autres… qui s’en va comme
-les autres… <i>L’ami qui vous est plus attaché
-qu’un frère</i>… huit années. Sacrée petite
-garce de fille… huit semaines ! Et… où est
-votre ami ? (<i>Il fume inconsolablement jusqu’à
-ce que l’horloge de l’église sonne trois
-heures.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Debout ! Allons, équipe-toi !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Déjà ? N’est-ce pas trop tôt ?
-N’aurais-je pas dû me raser de frais ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — <i>Non !</i> Tu es très bien comme
-cela. (<i>A part.</i>) Il se mettrait le menton en
-pièces.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pourquoi se presser ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Il faut que tu sois là le premier.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour servir de point de mire ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Justement. Tu fais partie du
-spectacle. Où est le tripoli ? Tes éperons sont
-dans un état honteux.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton bourru</i>). — Jack,
-jamais tu ne feras cela pour moi ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>d’un ton plus bourru</i>). — Ferme
-cela et habille-toi ! S’il me plaît de nettoyer
-tes éperons, tu es sous <i>mes</i> ordres.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> s’habille. <span class="xs">M.</span> en
-fait autant.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>faisant le tour en l’inspectant</i>). — Oui,
-cela va. Seulement, ne prends pas cet
-air de criminel. L’anneau, les gants, l’argent — cela
-va bien pour moi. Laisse ta moustache
-tranquille. Maintenant, si les poneys sont prêts,
-nous allons partir.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>nerveusement</i>). — Il est beaucoup
-trop tôt. Allumons un cigare ! Buvons
-quelque chose ! Faisons…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Faisons les sacrés ânes !</p>
-
-<p><span class="xs">LES CLOCHES</span> (<i>au dehors</i>). —</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse">« I — ci — bonnes — gens</div>
-<div class="verse">La prière — vous attend. »</div>
-</div>
-
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Voilà les cloches ! Viens…
-à moins que tu ne préfères rester. (<i>Ils s’éloignent
-à cheval.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LES CLOCHES.</span> —</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Oui nous honorons le roi,</div>
-<div class="verse">La bru mettons en émoi…</div>
-<div class="verse">Chaque nouvelle a son sort,</div>
-<div class="verse">Nous sonnons le glas du mort.</div>
-</div>
-
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>descendant de cheval à la porte
-de l’église</i>). — Dis-moi, ne sommes-nous
-pas là beaucoup trop tôt ? Il y a du monde
-à n’en plus finir dans l’intérieur. Dis-moi, ne
-sommes-nous pas très en retard ? Reste près
-de moi, Jack ! Que diable dois-je faire ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Assume une contenance à
-l’entrée de la nef et attends-<i>la</i>. (<i><span class="xs">LE CAP. G.</span>
-grogne, tandis que <span class="xs">M.</span> lui fait faire volte-face
-devant trois cents yeux.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>d’un air suppliant</i>). — Gaddy,
-si tu m’aimes, pour la grâce de Dieu, pour
-l’honneur du régiment, tiens-toi droit ! Remplis
-ton uniforme ! Aie l’air d’un homme ! J’ai
-à parler une minute au pasteur. (<i><span class="xs">G.</span> est pris
-d’une douce transpiration.</i>) Si tu t’essuies le
-visage, jamais plus je ne serai ton témoin.
-Poitrine ! (<i><span class="xs">G.</span> tremble visiblement.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>revenant</i>). — Voici qu’elle
-arrive. Fais attention quand la musique va
-commencer. Voilà l’orgue qui se met en
-branle.</p>
-
-
-<p class="did"><i>La mariée sort de la rickshaw
-à la porte de l’église.
-<span class="xs">G.</span> l’entrevoit et prend
-courage.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">L’ORGUE</span>. —</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse">La Voix qui souffla sur Éden,</div>
-<div class="verse">Le premier jour de mariage,</div>
-<div class="verse">Et bénit le premier hymen,</div>
-<div class="verse">A bravé les saisons et l’âge.</div>
-</div>
-
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>surveillant <span class="xs">G.</span></i>). — Ma parole !
-Il a pris bon air. Je ne l’en aurais pas cru
-capable aujourd’hui.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Combien de temps va durer
-cet hymne ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Cela va être fini tout de suite.
-(<i>Anxieusement.</i>) Vas-tu te mettre à pâlir et
-à ravaler ta salive ? Tiens bon, Gaddy, et
-pense au régiment.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton mesuré</i>). — Dis donc,
-il y a un gros lézard brun en train de grimper
-le long de ce mur.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Oh ! ma mère ! Le dernier
-degré d’affaissement !</p>
-
-
-<p class="did"><i>La mariée monte à gauche
-de l’autel, lève les yeux
-une bonne fois sur <span class="xs">G.</span>, lequel
-est subitement frappé
-de folie.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à lui-même encore et encore</i>). — Petit
-Poidsléger, une femme… une femme !
-Et je croyais que c’était une petite
-fille.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>chuchotant</i>). — Garde à vous…
-demi-tour à gauche.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> obéit machinalement,
-et la cérémonie se
-poursuit.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE PASTEUR.</span> — … à elle seule, tant que vous
-vivrez tous deux ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>la gorge sèche</i>). — Ha-hmmm !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Dis oui ou non. Il n’y a pas
-de seconde donne ici.</p>
-
-
-<p class="did"><i>La mariée articule sa
-réponse avec un sang-froid
-parfait, et son père
-en fait la remise.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>croyant montrer son savoir</i>). — Jack,
-c’est à ton tour, maintenant, de faire
-ma remise, <i>vite</i> !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Tu t’es remisé bien assez
-comme cela toi-même. Sa main <i>droite</i>, mon
-gars ! Récite ! Récite ! « Théodore Philip. »
-As-tu oublié ton propre nom ?</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> s’embarrasse dans
-le « oui », que la mariée
-répète sans un tremblement.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Maintenant, l’anneau ! Suis
-le pasteur ! Ne m’arrache pas mon gant !
-Le voici ! Grand Dieu, il a retrouvé sa
-voix !</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">G.</span> répète la parole sacramentelle
-d’une voix à se
-faire entendre au bout de
-l’église et tourne sur son
-talon.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>d’un air désespéré</i>). — A vos
-rênes ! Doucement sur le pavé ! Nous n’en
-sommes pas à la moitié.</p>
-
-<p><span class="xs">LE PASTEUR</span> — … à conjoints, que l’homme
-ne les sépare point.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span>, paralysé de peur,
-a un mouvement de recul
-après la bénédiction.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>vivement</i>). — Avance… d’une
-longueur. Prends-la avec toi. Je ne viens pas.
-Tu n’as rien à dire.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> monte à l’autel dans
-tout un cliquetis de choses.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>en un râle perçant qui veut
-dire un murmure</i>). — A genoux, têtu bandit !
-A genoux !</p>
-
-<p><span class="xs">LE PASTEUR</span> — … de laquelle vous êtes les
-filles, tant que vous pratiquez le bien et ne
-vous laissez troubler par aucune crainte.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Ça y est ! Rompez ! Par file
-à gauche.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Tout le monde à la sacristie.
-On signe.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Embrasse-la, Gaddy.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>frottant l’encre sous son gant</i>). — Hein !
-Quo-oi ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>Faisant un pas vers la mariée</i>). — Si
-tu ne le fais pas, je vais le faire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>interposant le bras</i>). — Merci bien !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Embrassement général.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>n’en pouvant plus, à <span class="xs">M.</span></i>). — Ah,
-nom de nom ! Est-ce que je peux maintenant
-m’essuyer le visage ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Ma responsabilité finit là.
-Demande plutôt à <i>Missis</i> Gadsby.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> recule comme
-frappé d’une balle, et le
-cortège sort de l’église à
-coups de Mendelssohn pour
-se rendre à la maison paternelle,
-où ont lieu les
-tortures d’usage autour
-du <span lang="en" xml:lang="en">wedding-cake</span>.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à table</i>). — Debout, Gaddy. On
-attend un <span lang="en" xml:lang="en">speech</span>.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>après trois minutes d’agonie</i>). — Ha-hmmm.
-(<i>Tonnerre d’applaudissements.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Pas mal, pour un début.
-Maintenant va changer d’équipement pendant
-que la maman est en train de pleurer
-sur — « la madame ». (<i><span class="xs">LE CAP. G.</span> disparaît.
-<span class="xs">LE CAP. M.</span> se lève précipitamment en
-s’arrachant les cheveux.</i>) Ce n’est pas encore
-complet. Où sont les souliers ? Allez chercher
-une <i>ayah</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">L’AYAH.</span> — Missie <span lang="en" xml:lang="en">captain</span> <i>sahib band karo</i>
-tous les <i>jutis</i><a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> Missie capitaine <i>sahib</i> a caché tous les souliers.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>brandissant son sabre dans
-le fourreau</i>). — Femme, produis ces souliers !
-Que quelqu’un me prête un couteau à pain.
-Il ne s’agit pas de fêler la tête de Gaddy plus
-qu’elle ne l’est. (<i>Il tranche le talon d’une
-mule de satin blanc et serre la mule dans sa
-manche.</i>) Où est la mariée ? (A tout le monde
-à la ronde.) Allez-y doucement avec ce riz.
-C’est une coutume païenne. Donnez-moi le
-gros sac.</p>
-
-<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div>
-
-<p class="did"><i>La mariée se glisse sans
-bruit dans une rickshaw
-et part vers le coucher du
-soleil.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>en plein air</i>). — Envolée,
-ma parole ! Tant pis pour Gaddy ! Le voici.
-Allons, Gaddy, cela va chauffer plus dur qu’à
-Amdhéran ! Où est ton cheval !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>furieusement, voyant que les
-femmes sont hors de portée de voix</i>). — Où
-est ma <i>femme</i>, n. de D…?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — A moitié route maintenant
-de Mahasu. Il va te falloir chevaucher comme
-le jeune Lochinvar<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> Voir la ballade de Walter Scott.</p>
-</div>
-
-<p class="did"><i>Le cheval se présente en se
-cabrant ; il refuse de laisser
-<span class="xs">G.</span> l’approcher.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oh ! tu veux faire la bête,
-n’est-ce pas ? Demi-tour, animal… cochon…
-brute ! <i>Demi-tour !</i></p>
-
-
-<p class="did"><i>Il force le cheval à tourner,
-d’un coup de poignet à lui
-briser la mâchoire inférieure ;
-se jette en selle,
-et donne des deux éperons
-au beau milieu d’une grêle
-du meilleur riz de Patna.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Sur ton amour et ta vie…
-pousse, Gaddy ! Et que… Dieu te bénisse !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il jette une demi-livre de
-riz à <span class="xs">G.</span>, lequel disparaît,
-penché en avant sur la
-selle, dans un nuage de
-poussière éclairée de soleil</i>.</p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Voilà perdu le vieux Gaddy.
-(<i>Il allume une cigarette et s’éloigne en
-flânant, et en chantant d’un air absent :</i>)</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">« You may carve it on his tombstone, you may cut it on his card,</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">That a young man married is a young man marred<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a>. »</div>
-</div>
-
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a></p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse">« Vous pouvez le graver sur sa tombe, vous pouvez le graver sur sa carte,</div>
-<div class="verse">Qu’un jeune homme marié est un jeune homme perdu. »</div>
-</div>
-
-</div></div>
-<p><span class="xs">MISS DEERCOURT</span> (<i>de son cheval</i>). — Vraiment,
-capitaine Mafflin ! Vous parlez plus à
-cœur ouvert que vous n’êtes poli !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — On dit que le mariage,
-c’est comme le choléra. Me demande
-qui sera la prochaine victime.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Une mule de satin blanc
-glisse de sa manche et
-tombe à ses pieds. Reste
-livré à ses réflexions.</i></p>
-
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">LE JARDIN D’ÉDEN</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<p>Et vous serez… comme des
-dieux !</p>
-
-</blockquote>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Pelouse arômée de thym derrière
-l’hôtellerie de Mahasu, dominant la petite
-vallée boisée. A gauche, un aperçu de la
-Forêt Morte du Fagoo ; à droite, les montagnes
-de Simla. Tout au fond la ligne des
-neiges. <span class="xs">LE CAP. GADSBY</span>, mari de trois semaines
-maintenant, fume le calumet de paix sur
-un tapis au soleil. Banjo et blague à tabac
-sur le tapis. En l’air, les aigles du Fagoo.
-<span class="xs">MRS. G.</span> sort du bungalow.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">MRS. G.</span> — Mon mari !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>paresseusement, avec une jouissance
-intense</i>). — Hein, quo-oi ? Dites-le encore.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — J’ai écrit à maman pour lui
-annoncer que nous serons de retour le 17.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Lui avez-vous fait part de mes
-tendresses ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non, j’ai gardé tout pour moi.
-(<i>S’asseyant à son côté.</i>) J’ai pensé que cela ne
-vous ferait rien.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec une feinte sévérité</i>). — Cela
-me fait beaucoup. Comment saviez-vous
-que tout était pour vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — J’ai deviné, Phil.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec ravissement</i>). — <i>Pe-tit</i>
-Poidsléger !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je voudrais bien ne pas me voir
-donner ces petits noms de sport, vilain.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous aurez tous les noms
-qu’il me plaît. Vous est-il jamais venu à l’esprit,
-madame, que vous êtes ma femme ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, certes. Je n’ai pas encore
-cessé de m’en étonner.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ni moi. Cela semble étrange ;
-et cependant, je ne sais comment, cela ne
-l’est pas. (<i>Avec confiance.</i>) Vous comprenez,
-cela n’aurait pu être personne autre.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>doucement</i>). — Non. Personne
-autre… ni pour moi ni pour vous. <i>Tout</i> cela
-a dû être arrangé dès l’origine des choses.
-Phil, redites-moi ce qui vous a fait m’aimer.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Comment eussé-je pu m’en
-empêcher ? Vous étiez <i>vous</i>, vous savez.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Est-ce que vous avez jamais
-senti le besoin de vous en empêcher ? Dites
-la vérité !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>l’œil malicieux</i>). — Oui, chérie,
-tout au commencement, mais seulement au
-commencement. (<i>Il rit tout bas.</i>) Je vous
-appelais — penchez-vous tout près et je vais
-vous le dire à l’oreille — « une petite bécasse ».
-Ho ! ho ! ho !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>le prenant par la moustache et le
-forçant à s’asseoir sur son séant</i>). — « Une…
-petite… bécasse ! » Voulez-vous bien ne pas
-rire de votre crime ! Et encore vous avez eu
-le… le… l’affreux toupet de demander ma
-main !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’avais alors changé d’avis.
-Et vous n’étiez plus une petite bécasse.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Merci, monsieur ! Et quand l’ai-je
-été jamais ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — <i>Jamais !</i> Mais ce premier jour
-où vous m’avez donné du thé sous cette petite
-robe de mousseline couleur fleur de pêcher,
-vous aviez l’air — vous aviez vraiment l’air,
-ma chère amie — d’un si absurde petit moucheron.
-Et je ne savais que vous dire.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tordant la moustache</i>). — Ainsi,
-vous avez dit « petite bécasse ». Sur ma
-parole, monsieur, moi, je vous ai appelé « ce
-grrrrand animal-là » ; mais je regrette de ne
-pas vous avoir appelé quelque chose de pire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>très humblement</i>). — Je m’excuse,
-mais vous me faites affreusement mal.
-(<i>Intermède.</i>) Vous avez toute permission de
-me torturer encore aux mêmes conditions.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! <i>pourquoi</i> me l’avez-vous
-laissé faire ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>regardant le long de la vallée</i>). — Sans
-raison particulière, mais… si cela
-vous amusait ou vous faisait le moindre
-bien vous pouvez… essuyer ces chères petites
-bottines-là sur moi.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>étendant le bras</i>). — Taisez-vous !
-Oh ! taisez-vous ! Philippe, mon roi, je vous
-en prie, ne parlez pas comme cela. C’est tout
-à fait ce que, moi, je ressens. Vous êtes beaucoup
-trop bon pour moi. Tellement trop bon !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Moi ! Je ne suis pas digne de
-vous approcher. (<i>Il l’entoure de son bras.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, vous en êtes digne. Mais
-moi… qu’ai-je jamais fait ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Donné un tout petit brin de
-votre cœur, n’est-ce pas, ma reine ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ce n’est rien, cela. N’importe
-qui le ferait. On ne pourr… pourrait jamais
-s’en empêcher.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Chaton, vous allez me rendre
-horriblement fat. Et cela, juste au moment où
-je commençais à me sentir si humble.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Humble ! je ne crois pas que ce
-soit dans votre caractère.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qu’est-ce que vous en connaissez,
-de mon caractère, petite impertinente ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ah ! mais je le connaîtrai, n’est-ce
-pas, Phil ? J’aurai le temps, durant toutes
-les années et encore les années à venir, de
-connaître tout ce qui vous concerne ; et il n’y
-aura pas de secrets entre nous.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Petite sorcière ! Je pense que
-vous me connaissez déjà à fond.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je crois pouvoir deviner. Vous
-êtes égoïste ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Un peu bêta ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — <i>Très.</i></p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et un chéri.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela, c’est comme il plaît à
-ma <span lang="en" xml:lang="en">lady</span>.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Alors, il plaît à votre <span lang="en" xml:lang="en">lady</span>. (<i>Une
-pause.</i>) Savez-vous que nous sommes deux
-grandes personnes solennelles, sérieuses.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>lui inclinant son chapeau de
-paille sur les yeux</i>). — Vous, grande personne !
-Peuh ! Vous êtes un bébé.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et nous disions des bêtises.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, continuons à dire des
-bêtises. J’aime assez cela. Chaton, je vais
-vous dire un secret. Vous promettez de ne pas
-le répéter ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ou-ui. Rien qu’à vous.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je vous aime.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vrai-ment ! Pour combien de
-temps ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour toujours et toujours ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est beaucoup.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous pensez ? Je ne peux pas
-me contenter de moins.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous devenez tout à fait brillant.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je cause avec <i>vous</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Joliment tourné. Tenez levée
-votre stupide vieille tête et je vais vous rendre
-cela !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>affectant un suprême mépris</i>). — Prenez-la
-vous-même si vous la voulez.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — J’ai grande envie de… et pourquoi
-pas ?</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle la lui prend, et se le voit
-rendre avec usure.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Petit Poidsléger, c’est mon
-avis que nous <i>sommes</i> une paire d’idiots.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Nous sommes les deux seuls
-gens sensés du monde ! Demandez à l’aigle.
-Le voilà qui vient par ici.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ah ! j’ose dire qu’il a vu pas
-mal de gens sensés à Mahasu. On prétend que
-ces oiseaux-là vivent une éternité.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Combien de temps ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cent vingt ans.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Cent vingt ans ! O-oh ! Et dans
-cent vingt ans, où seront-ils, ces deux gens
-sensés ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qu’est-ce que cela peut faire
-tant que nous sommes ensemble maintenant ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>faisant du regard le tour de l’horizon</i>). — Oui.
-Rien que vous et moi… moi
-et vous… dans tout le vaste, vaste monde
-jusqu’à la fin. (<i>Son regard se pose sur la ligne
-des neiges.</i>) Comme les montagnes ont l’air
-énormes et calmes ! Croyez-vous qu’elles s’inquiètent
-de nous ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne saurais affirmer les
-avoir particulièrement consultées. Moi, je
-m’en inquiète, cela me suffit.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>se rapprochant de lui</i>). — Oui, en
-ce moment… mais plus tard. Qu’est-ce c’est
-que ce petit barbouillage noir sur les neiges ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Une tempête de neige, là-bas,
-à quarante milles. Vous allez la voir se déplacer
-au fur et à mesure que le vent la charrie
-sur les flancs de ce contrefort, et puis, plus
-rien.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et puis, plus rien. (<i>Elle frissonne.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>anxieusement</i>). — Vous ne vous
-refroidissez pas, petite, n’est-ce pas ? Il vaut
-mieux me laisser aller chercher votre manteau.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non. Ne me quittez pas, Phil.
-Restez ici. Je crois que j’ai peur. Oh ! pourquoi
-les montagnes sont-elles si <i>effroyables</i> ?
-Phil, promettez-moi, promettez-moi que vous
-m’aimerez <i>toujours</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qu’est-ce qu’il y a donc, chérie ?
-Je ne peux promettre plus que je n’ai fait ; mais
-je ne cesserai de le promettre encore et encore
-si vous voulez.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>la tête sur l’épaule de son mari</i>). — Dites-le
-donc… dites-le. N-non… ne le
-dites pas ! Les… les… aigles riraient. (<i>Se
-remettant.</i>) Mon mari, vous avez épousé une
-petite oie.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>très tendrement</i>). — Vraiment ?
-Je me contente de ce qu’elle est, tant qu’elle
-est à moi.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>promptement</i>). — Parce qu’elle est
-à vous ou parce qu’elle est moi en personne ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Parce qu’elle est l’un et l’autre.
-(<i>Piteusement.</i>) Je ne suis pas très fort, ma
-chère amie, et je ne crois pas pouvoir me faire
-comprendre convenablement.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — <i>Je</i> comprends. Pip, voulez-vous
-me dire quelque chose ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tout ce que vous voudrez.
-(<i>A part.</i>) Je me demande ce qui va venir
-maintenant.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>hésitante, les yeux baissés</i>). — Vous
-m’avez raconté une fois, dans le temps
-jadis — il y a des siècles et des siècles — que
-vous aviez été fiancé déjà auparavant. Je n’ai
-rien dit… <i>alors</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>naïvement</i>). — Pourquoi
-cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>levant les yeux sur ceux de son
-mari</i>). — Parce que — parce que j’avais peur
-de vous perdre, mon cœur. Mais maintenant…
-racontez-le… <i>s’il vous plaît</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il n’y a rien à raconter. J’étais
-alors terriblement vieux — presque vingt-deux
-ans — et elle avait au moins cela.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ce qui veut dire qu’elle était
-plus vieille que vous. Je n’aimerais pas qu’elle
-eût été plus jeune. Eh bien ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Eh bien ! je me crus amoureux
-et en raffolai quelque peu, et… oh !
-oui, ma parole, je me livrai à la poésie. Ha,
-ha !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous n’avez pas écrit un vers
-pour <i>moi</i> ! Qu’est-ce qui se passa ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je m’en vins par ici, et toute
-l’affaire s’en alla en fumée. Elle écrivit pour
-dire qu’il y avait eu malentendu, et puis elle
-se maria.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous aimait-elle beaucoup ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non. Au moins elle ne le laissa
-pas voir, autant que je me rappelle.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Autant que vous vous rappelez !
-Vous rappelez-vous son nom ? (<i>Elle l’écoute
-et baisse la tête.</i>) Merci, mon mari.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qui, si ce n’est vous, en avait
-le droit ? Maintenant, Petit Poidsléger, vous
-êtes-vous jamais trouvée mêlée à quelque sombre
-et horrible drame ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Si vous m’appelez <i>missis</i> Gadsby,
-peut-être vous le raconterai-je.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>prenant sa voix de commandement</i>). — <i>Missis</i>
-Gadsby, confessez !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Juste Ciel, Phil ! Je n’eusse
-jamais cru que vous pouviez prendre cette
-terrible voix.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous ne connaissez pas encore
-le quart de mes talents. Attendez que
-nous soyons installés dans les plaines, et je
-vous montrerai comment j’aboie après mes
-hommes. Vous alliez dire, chérie ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je… n’ose guère continuer, après
-cette voix-là. (<i>Chevrotant.</i>) Phil, n’ayez
-jamais l’audace de me parler sur ce ton-là,
-quoi que je puisse faire !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mon pauvre petit amour ! Mais
-vous tremblez toute. Je <i>suis</i> si fâché. Il va
-sans dire que je n’ai jamais eu l’intention de
-vous bouleverser. Ne me racontez rien. Je
-suis une brute.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non, vous n’êtes pas une brute,
-et je vais vous raconter… Il y eut un homme.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>gaiement</i>). — Y eut-il ? L’heureux
-mortel !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tout bas</i>). — Et je crus que je
-l’aimais.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mortel deux fois heureux ! Eh
-bien ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et je crus que je l’aimais… et
-je ne l’aimais pas… et alors vous êtes venu…
-et c’était vous que j’aimais, beaucoup, <i>beaucoup</i>.
-Oui, vraiment. C’est tout. (<i>Face voilée.</i>)
-Vous n’êtes pas fâché, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Fâché ? Pas le moins du monde.
-(<i>A part.</i>) Bon Dieu, qu’ai-je fait pour mériter
-cet ange ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>à part</i>). — Et il ne m’a même pas
-demandé le nom ! Comme les hommes sont
-drôles ! Mais c’est peut-être aussi bien.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cet homme ira au ciel parce
-que jadis vous avez cru l’aimer. Je me demande
-si, moi, vous me remorquerez jamais
-là-haut ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>fermement</i>). — Je n’irai pas si
-vous n’y allez pas.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Merci. Dites-moi, Chaton, je
-ne connais pas beaucoup vos croyances religieuses.
-Vous avez été élevée à croire en un
-ciel et tout cela, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui. Mais c’était un ciel capitonné,
-avec des livres d’hymnes dans tous les
-bancs.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>branlant la tête avec une conviction
-intense</i>). — Qu’à cela ne tienne. Il y
-en a un de vrai, un ciel.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — D’où apportez-vous ce message,
-mon prophète ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — D’ici ! Parce que nous nous
-aimons tous deux. De sorte que tout va
-bien.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tandis qu’une troupe de langurs<a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a>
-mène fracas à travers les branches</i>). — De
-sorte que tout va bien. Mais Darwin
-dit que nous descendons de ces animaux-là !</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> Espèce de singes qui pullulent dans l’Inde.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec sérénité</i>). — Ah ! Darwin
-ne fut jamais amoureux d’un ange. Voilà qui
-règle la question. Sstt, espèces de brutes !
-Des singes, vraiment ! Vous ne devriez pas
-lire ces livres-là.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>se croisant les mains</i>). — S’il plaît
-à mon seigneur et maître de publier sa proclamation.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Taisez-vous, chère amie. Il
-n’y a pas d’ordres entre nous. Seulement, j’aimerais
-mieux que vous ne les lisiez pas. Ils
-ne conduisent à rien et cassent la tête aux
-gens.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Comme vos premières fiançailles.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec un calme immense</i>). — C’était
-un mal nécessaire, et qui m’a conduit
-à vous. N’êtes-vous rien ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pas tant que cela, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tout ce monde-ci et l’autre
-pour moi.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>très tendrement</i>). — Mon cher,
-cher petit mari ! A mon tour <i>vous</i> dirai-je
-quelque chose ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, si ce n’est pas terrible…
-au sujet des autres hommes.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est au sujet de ma propre
-vilaine petite personne.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, ce doit être charmant.
-Allez, ma chère amie.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>lentement</i>). — Je ne sais pas pourquoi
-je vous le dis, Pip, mais si jamais vous
-vous remariiez… (<i>Intermède.</i>) Enlevez votre
-main de ma bouche ou je <i>mords</i> ! Dans l’avenir,
-donc, rappelez-vous… je ne sais pas trop
-comment dire cela !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>reniflant avec indignation</i>). — N’essayez
-pas. « Me remarier », vraiment !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je dois. Écoutez, mon mari.
-Jamais, jamais, <i>jamais</i> ne dites à votre
-femme quoi que ce soit que vous ne vouliez
-pas qu’elle se rappelle ni qui fasse l’objet
-de ses pensées toute sa vie. Parce qu’une
-femme — oui, je <i>suis</i> une femme — <i>ne peut
-pas</i> oublier.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ma parole, comment savez-vous
-cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>avec confusion</i>). — Je ne le sais
-pas. Je ne fais que le deviner. Je suis — j’étais — une
-sotte petite fille ; mais je sens
-que j’en sais tant — oh ! tellement plus que
-vous, mon bien aimé ! Pour commencer, je
-suis votre femme.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est ce que j’ai été induit à
-croire.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et j’aurai besoin de connaître
-chacun de vos secrets… de partager avec vous
-tout ce que vous savez.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle ouvre les yeux autour
-d’elle d’un air désespéré.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est ce que vous ferez, mon
-amie, c’est ce que vous ferez… mais ne regardez
-pas comme cela.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Dans votre propre intérêt, ne
-m’arrêtez pas, Phil. Je ne recommencerai
-jamais une conversation de ce genre avec
-vous. Il <i>ne</i> faut <i>pas</i> me dire ! Du moins, pas
-maintenant. Plus tard, quand je serai une
-vieille dame, cela ne fera rien ; mais si vous
-m’aimez, montrez-vous bon, très bon pour
-moi ; car cette heure de ma vie, <i>jamais</i> je
-ne l’oublierai ! Vous ai-je fait comprendre ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je le crois, enfant. Ai-je rien
-dit encore que vous désapprouviez ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Serez-vous <i>très</i> fâché ? Cette…
-cette voix, et ce que vous avez dit à propos
-de l’engagement…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais c’est vous qui avez
-<i>demandé</i> qu’on vous le raconte, chérie.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et <i>c’est</i> pourquoi vous n’auriez
-pas dû me le raconter ! Vous devez être le
-juge, et, oh ! Pip, malgré tout mon amour
-pour vous, je ne serai jamais capable de vous
-aider ! Je ne ferai que vous empêcher, et il
-vous faut juger en dépit de moi !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air méditatif</i>). — Nous
-avons un grand nombre de choses à découvrir
-ensemble, Dieu nous vienne en aide à tous deux — répétez-le,
-chaton — mais nous nous comprendrons
-l’un l’autre de mieux en mieux
-chaque jour ; et je crois que je commence à
-voir, maintenant. Comment, diable, êtes-vous
-arrivée à savoir l’importance <i>au juste</i> qu’il y
-avait à me donner <i>justement</i> cette inspiration-là ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je vous ai dit que je ne sais pas.
-Seulement, de manière ou d’autre, il semblait
-que, dans toute cette nouvelle vie, j’étais
-guidée pour votre salut aussi bien que pour
-le mien.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Alors, Mafflin avait
-raison ! Elles savent, et nous… nous sommes
-aveugles… tous. (<i>Gaiement.</i>) Il me semble que
-nous perdons un peu pied, ma chère amie, ne
-trouvez-vous pas ? Je me rappellerai, et si je
-viens à faillir, puissé-je être châtié comme je
-le mérite.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Il n’y aura pas de châtiment.
-C’est d’ici que nous allons faire voile pour
-la vie… vous et moi… et personne autre.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et personne autre. (<i>Une
-pause.</i>) Vous avez les cils tout mouillés, ma
-jolie ! Vit-on jamais si absurde petite fille ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Entendit-on jamais dire de telles
-bêtises ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>secouant les cendres de sa pipe</i>). — Ce
-n’est pas ce que nous disons, c’est ce que
-nous ne disons pas, qui est utile. Et tout ce
-que nous avons dit est profonde philosophie.
-Mais personne ne comprendrait… même si
-on le mettait dans un livre.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Quelle idée ! Non… rien que
-nous autres, ou les gens comme nous… s’il
-y a des gens comme nous.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton doctoral</i>). — Tous les
-gens, qui ne sont pas comme nous, sont
-d’aveugles idiots.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>s’essuyant les yeux</i>). — Croyez-vous,
-alors, qu’il existe des gens aussi heureux
-que nous ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il doit en exister — à moins
-que nous ne nous soyons approprié tout le
-bonheur du monde.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>regardant vers Simla</i>). — Les
-pauvres gens ! Si c’était vrai, tout de même !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Eh bien, dans ce cas, gardons
-tout le fourbi pour nous, car c’est trop
-chouette pour le perdre… hein, petite femme
-à moi ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! Pip ! Pip ! Jusqu’à quel
-point êtes-vous un homme grave et marié, et
-jusqu’à quel point un horrible gavroche ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quand vous me direz jusqu’à
-quel point vous aviez dix-huit ans à votre
-dernier anniversaire, et jusqu’à quel point
-vous êtes aussi vieille que le sphinx et deux
-fois aussi mystérieuse, peut-être vous écouterai-je.
-Prêtez-moi ce banjo. La nature m’incite
-à hurler au coucher du soleil.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Faites attention ! Il n’est pas
-accordé. Ah ! cela fait mal !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>tournant les chevilles</i>). — C’est
-étonnamment difficile de garder un banjo au
-diapason convenable.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est la même chose avec tous
-les instruments de musique. Qu’est-ce que
-cela va être ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — « Vanité », et que les montagnes
-entendent. (<i>Il chante d’un bout à
-l’autre le premier couplet et la moitié du
-second. Se tournant vers <span class="xs">MRS. G.</span></i>) Maintenant,
-le chœur ! Chantez, chaton !</p>
-
-<p><span class="xs">TOUS DEUX ENSEMBLE.</span> (<i><span lang="it" xml:lang="it">Con brio</span>, à l’horreur
-des singes, lesquels sont en train de
-s’installer pour la nuit.</i>)</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse i2">« Vanité, tout est vanité, »</div>
-<div class="verse i2">Disait la Sagesse railleuse…</div>
-<div class="verse i2">Sur quoi, pressant de ma Beauté</div>
-<div class="verse i2">La main délicate et moelleuse,</div>
-<div class="verse i2">Répondis : « Si c’est vanité,</div>
-<div class="verse i2">Qui donc s’en irait être sage ?</div>
-<div class="verse i2">Qui donc s’en irait être sage ?</div>
-<div class="verse i2">Qui donc s’en irait être sa-age ?</div>
-<div class="verse">(<i lang="it" xml:lang="it">Crescendo</i>)</div>
-<div class="verse i2">Non, restons sur la vanité ! »</div>
-</div>
-
-</div>
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un air de défi au gris du ciel
-crépusculaire</i>). — « Restons sur la vanité. »</p>
-
-<p><span class="xs">L’ÉCHO</span> (<i>du contrefort du Fagoo</i>). — Vanité !</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">MADAME BARBE-BLEUE</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<p>Ouvrez tout, allez partout ;
-mais pour ce petit cabinet, je
-vous défends d’y entrer.</p>
-
-<p class="sign"><i>La Barbe-Bleue.</i></p>
-
-</blockquote>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Le bungalow des <span class="xs">GADSBY</span> dans les
-plaines. Un dimanche matin, onze heures. <span class="xs">LE
-CAPITAINE GADSBY</span>, en manches de chemise, est
-penché sur un harnachement complet de hussard,
-depuis la selle jusqu’à la corde de
-bivouac, lequel est proprement rangé sur le
-plancher de son cabinet. Il fume une vieille
-bouffarde de bruyère, et la pensée lui ride le
-front.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à lui-même, en maniant une
-têtière</i>). — Jack est un âne. Il y a du cuivre
-là-dessus de quoi charger une mule — et si
-les Américains connaissent rien à rien, on
-peut faire tout sauter, sauf le mors. Pas
-besoin non plus du licol d’abreuvoir. De la
-blague ! — Une demi-douzaine de parures de
-chaînes et de porte-mousqueton pour un seul
-cheval ! Absurde ! (<i>Se grattant la tête.</i>)
-Voyons, réfléchissons à tout, en prenant les
-choses au commencement. Ma parole, j’ai
-oublié le barême des poids ! N’importe. Garderons
-le mors seulement, et éliminerons tous
-les cuivres, depuis la croupière jusqu’au poitrail.
-Pas de poitrail du tout. Une simple
-courroie… comme les Russes. Hi ! Jack n’aurait
-jamais pensé à cela !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>entrant précipitamment, la main
-bandée</i>). — Oh ! Pip, je me suis brûlé la main
-avec ces horribles, horribles confitures de
-Tiparee !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air absent</i>). — Hein ! Quo-oi ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>l’œil tout grand de reproche</i>). — Je
-me suis brûlée <i>af</i>-freusement ! Cela ne
-vous fait rien ? Et moi qui tenais tant à ce
-que ces confitures confiturent comme il faut !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pauvre petite femme ! Laissez-moi
-embrasser la place et qu’il n’y paraisse
-plus. (<i>Déroulant le bandage.</i>) Petite farceuse !
-Où est-elle, cette brûlure ? Je ne la
-vois pas.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Au bout du petit doigt. Là !…
-C’est une grosse, grosse brûlure !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>baisant le petit doigt</i>). — Bébé !
-Laissez Hyder veiller aux confitures.
-Vous savez que je ne tiens pas aux chatteries.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vrai-ment ?… Pip !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas de ce genre en tout cas.
-Et maintenant, sauvez-vous, Minnie, et laissez-moi
-à mes bas calculs. Je suis occupé.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>s’installant avec calme sur une
-chaise longue</i>). — Je le vois. Quel gâchis vous
-faites ! Pourquoi avez-vous apporté toutes
-ces machines en cuir qui empestent la maison ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour faire joujou. Est-ce que
-cela vous ennuie, ma chère ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Laissez-<i>moi</i> faire joujou aussi.
-Cela me ferait plaisir.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je crains que non, chaton…
-Ne pensez-vous pas que ces confitures vont
-brûler, ou quoi que ce soit que font les confitures
-lorsqu’une adroite petite femme de
-ménage ne les surveille pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je croyais vous avoir entendu
-dire que Hyder pouvait s’en occuper. Je l’ai
-laissé dans la verandah, en train de les remuer…
-quand je me suis fait tant de mal.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>l’œil revenant au harnachement</i>). — Po-oovre
-petite femme !… Trois
-livres quatre onces et sept onces font trois
-livres onze onces, et on peut réduire cela
-à deux livres huit onces, rien qu’avec un
-peuu-tit peu de soin, sans rien affaiblir. La ferrure,
-c’est de la blague dans des mains incompétentes.
-Quel besoin d’une poche à fers quand
-un homme s’en va en éclaireur ? Il ne peut
-pas le coller d’un coup de langue… comme
-un timbre-poste… ce fer ! Balivernes !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Qu’est-ce qui est des balivernes ?
-Puhh ! Avec quoi nettoie-t-on ce cuir ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Avec de la crème, du champagne
-et… Écoutez, chère amie, avez-vous
-vraiment besoin de me parler à propos de
-quelque chose d’important ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non. J’ai fini mes comptes, et je
-pensais que cela m’amuserait de voir ce que
-vous faisiez.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Eh bien, amour, maintenant
-vous avez vu et… cela ne vous ferait-il rien ?…
-c’est-à-dire… Minnie, je suis <i>vraiment</i> occupé.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous voulez que je m’en aille ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, chère amie, pour un
-petit moment. Ce tabac va coller à votre
-robe, et des affaires de sellerie ne vous intéressent
-pas.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Tout ce que vous faites m’intéresse,
-Pip.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, je le sais, je le sais,
-chère amie. Je vous dirai tout ce qui concerne
-cela à quelque jour, lorsque j’aurai
-tiré la chose au clair. En attendant…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — On va me renvoyer de la pièce
-comme un enfant ennuyeux ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — No-on. Ce n’est pas exactement
-cela que je veux dire. Mais, vous comprenez,
-je vais être là à piétiner de côté et
-d’autre, à changer ces choses de place en
-place, et je serai toujours à vous gêner. Ne
-croyez-vous pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Est-ce que je ne peux pas le
-faire ? Laissez-moi essayer.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle étend la main vers
-la selle de cavalier.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bonté divine, enfant, pas touche !
-Vous allez vous faire du mal. (<i>Ramassant
-la selle.</i>) Les <i>numdahs</i> ne sont pas faits
-pour se voir maniés par des petites filles.
-Voyons, où voulez-vous que je le mette ?</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il tient la selle levée au-dessus
-de sa tête.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>la voix altérée</i>). — Nulle part.
-Pip, comme vous êtes bon… et fort ! Oh !
-qu’est-ce que c’est que cette vilaine barre
-rouge à l’intérieur de votre bras ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>baissant vivement la selle</i>). — Rien.
-C’est une marque quelconque. (<i>A part.</i>)
-Et Jack qui vient à l’heure du tiffin<a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a> avec
-<i>ses</i> idées toutes faites !</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> Second déjeuner, dans l’Inde.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je sais bien que c’est une marque,
-mais je ne l’avais pas vue encore. Elle
-court tout du long du bras. Qu’est-ce que c’est ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Une coupure… si vous voulez
-savoir.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Si je veux savoir ! Naturellement
-que je le veux ! Je ne tiens pas à voir mon
-mari taillé en morceaux de cette façon-là. Comment
-est-ce arrivé ? Est-ce un accident ? Racontez-moi,
-Pip.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air renfrogné</i>). — Non,
-ce n’est pas un accident. J’ai reçu cela… d’un
-homme… en Afghanistan.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — A la guerre ? Oh ! Pip, et vous
-ne me l’avez <i>jamais</i> dit !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je l’avais complètement oublié.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Tenez votre bras en l’air ! Quelle
-horrible, vilaine cicatrice ? Êtes-vous sûr que
-cela ne fait plus de mal maintenant ? Comment
-cet homme vous a-t-il fait cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>regardant d’un air désespéré
-à sa montre</i>). — Avec un coutelas. Je suis
-tombé… le vieux Van Loo plutôt… qui me
-tomba sur la jambe, de sorte que je ne pouvais
-pas me sauver. Et alors cet homme s’en vint
-et se mit en devoir de me tailler en tranches
-pendant que j’étais les quatre fers en l’air.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! taisez-vous ! C’est assez !…
-Eh bien, qu’arriva-t-il ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne pouvais atteindre à ma
-fonte, et c’est alors que Mafflin arriva fort à
-propos pour mettre fin à la petite fête.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Comment ? Un paresseux comme
-lui ; je ne crois pas cela.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ? Je ne pense pas que
-l’homme eut beaucoup de doute à cet égard.
-Jack lui trancha la tête.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Tran-cha-la-tête ! « D’un seul
-coup », comme on dit dans les livres ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne suis pas sûr. J’étais trop
-intéressé à moi-même pour en savoir long à
-ce propos. N’importe comment, la tête était
-tranchée, et Jack donnait au vieux Van Loo
-des coups de poing dans les côtes pour le
-faire se lever. Maintenant vous savez tout,
-chère amie, et maintenant…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous voulez que je m’en aille, naturellement.
-Vous ne m’aviez jamais parlé de
-cela, quoique nous soyons déjà depuis <i>si longtemps</i>
-mariés ; vous ne me <i>l’eussiez</i> jamais dit
-si je n’avais pas découvert la chose ; vous <i>ne
-me dites</i> jamais quoi que ce soit sur vous, ou
-ce que vous faites, et ce qui vous intéresse.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Chérie, je suis toujours avec
-vous, dites-moi ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Toujours dans mes jupes, alliez-vous
-dire. Je sais que vous y êtes ; mais votre
-<i>pensée</i> est toujours ailleurs.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>essayant de dissimuler un sourire</i>). — Vraiment ?
-Je ne m’en doutais pas.
-Je suis horriblement fâché.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>piteusement</i>). — Oh ! ne vous
-moquez pas de moi ! Pip, vous savez ce que
-je veux dire. Quand vous lisez une de ces
-choses sur la cavalerie, par cet idiot de prince…
-Pourquoi ne reste-t-il pas prince, celui-là, au
-lieu de faire le garçon d’écurie ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Le prince Kraft, un garçon
-d’écurie !… Oh ! ma mère ! Ne faites pas attention,
-chère amie. Vous alliez dire ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Peu importe ; vous ne vous
-inquiétez pas de ce que je dis. Seulement…
-seulement vous vous levez pour arpenter la
-pièce, en regardant devant vous, et alors Mafflin
-arrive pour dîner, et une fois que je suis
-dans le salon, je vous entends, vous et lui,
-causer, causer, causer, de choses que je ne
-peux pas comprendre, et… oh ! je deviens <i>si</i>
-lasse et me sens <i>si</i> seule !… Je ne cherche
-pas à me plaindre ni à être un sujet d’ennui,
-Pip ; mais c’est comme cela… oui, c’est
-comme cela !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ma pauvre chérie ! Je n’y ai
-jamais pensé. Pourquoi n’invitez-vous pas à
-dîner quelques gens agréables ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Des gens agréables ! Où donc
-les trouver ? D’horribles toupies ! Et si je le
-<i>faisais</i>, cela ne m’amuserait pas. Vous savez
-que je ne veux que <i>vous</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et vous m’avez à coup sûr,
-amour ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je ne vous ai pas ! Pip, pourquoi
-ne me faites-vous pas entrer dans votre
-existence ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Plus que je ne fais ? Ce serait
-difficile, chère amie.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, je le suppose… à vos
-yeux. Je ne vous suis d’aucune aide… nullement
-un compagnon ; et vous aimez mieux
-qu’il en soit ainsi.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — N’êtes-vous pas quelque peu
-déraisonnable, chaton ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>frappant du pied</i>). — Je suis la
-femme la plus raisonnable du monde… lorsqu’on
-me traite d’une façon convenable.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et depuis quand vous ai-je
-traitée d’une façon qui ne fût pas convenable ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Toujours… et depuis le commencement.
-Vous le <i>savez</i> bien.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, je ne le sais pas ; mais
-je ne demande qu’à être convaincu.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>désignant le harnachement</i>). — Là !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que voulez-vous dire ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Qu’est-ce que tout <i>cela</i> veut dire ?
-Pourquoi ne m’en parle-t-on pas ? Est-ce si
-précieux ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’oublie sa valeur exacte pour
-le gouvernement quant à présent. Ce que cela
-veut dire, c’est ce que c’est beaucoup trop
-lourd.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Alors pourquoi y toucher ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour le rendre plus léger.
-Écoutez-moi, petit amour, j’ai une idée et
-Jack en a une autre, mais nous sommes tous
-deux d’accord que tout ce harnachement est
-d’environ trente livres trop lourd. La question
-est de savoir comment le réduire sans
-en affaiblir aucune partie, et en même temps
-comment permettre au cavalier de porter tout
-ce dont il a besoin pour son propre confort — chaussettes,
-chemises et choses de ce
-genre.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi ne les emballe-t-il pas
-dans une petite malle ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>l’embrassant</i>). — Oh ! petit
-ange ! Les emballer dans une petite malle,
-vraiment ! Les housards ne trimbalent pas de
-malles, et c’est une chose on ne peut plus
-importante que de faire opérer au cheval tout
-le transport.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mais pourquoi avez-vous besoin,
-vous, de vous tracasser à ce sujet ? Vous
-n’êtes pas un simple cavalier.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ; mais je commande à
-quelques douzaines d’entre eux ; et le harnachement
-est presque tout, à l’heure qu’il est.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Plus que <i>moi</i> ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Petite sotte ! Naturellement
-non ; mais c’est une affaire dans laquelle je
-suis terriblement intéressé, attendu que si
-moi ou Jack, ou moi et Jack, venons à bout
-de quelque espèce de selle plus légère et tout
-cela, il est possible que nous arrivions à la
-faire adopter.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Comment ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Sanctionner en Angleterre,
-où l’on fera un modèle poinçonné, un modèle
-que tous les selliers doivent copier ; et
-de la sorte, elle sera employée par tous les
-régiments.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et cela vous intéresse ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela fait partie de ma profession,
-vous savez, et ma profession est
-beaucoup pour moi. Tout, dans l’équipement
-d’un soldat, est important, et si nous pouvons
-l’améliorer, cet équipement, tant mieux
-pour le soldat et pour nous.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Qui « nous » ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Jack et moi ; seulement les
-idées de Jack sont trop radicales. Pour quel
-motif ce gros soupir, Minnie ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! rien… Et vous avez fait de
-tout cela un secret pour moi ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas un secret, exactement,
-ma chère amie. Je ne vous en ai rien dit parce
-que je ne pensais pas que cela vous amuserait.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et suis-je faite seulement pour
-qu’on m’amuse ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, naturellement. Je veux
-dire simplement que cela ne pouvait pas vous
-intéresser.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est <i>votre</i> travail et… et si vous
-vouliez me le permettre, je ferais tous les calculs.
-Si ces choses sont trop lourdes, vous
-savez de combien, et il vous faut avoir une
-liste de choses dressée d’avance pour arriver à
-l’allègement souhaité, et…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’ai bien mes deux listes de
-comparaison quelque part dans la tête ; mais
-il est difficile de dire la légèreté que l’on peut
-donner à une têtière, par exemple, avant d’en
-avoir fait faire vraiment un modèle.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mais si vous lisiez tout haut la
-liste, je pourrais l’écrire sous votre dictée, et
-l’épingler là en face, juste au-dessus de votre
-table. Cela ne ferait-il pas l’affaire ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ce serait tout ce qu’il y a de
-plus charmant, chère amie, mais ce serait
-aussi vous donner de l’ennui pour rien. Je ne
-peux pas travailler de cette manière-là. Je
-fais cela à vue de nez. Je connais l’échelle de
-poids actuelle, et l’autre — celle à laquelle je
-tâche de travailler — montera et descendra
-au point que je ne pourrais être certain, même
-si je la couchais par écrit.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je suis <i>si</i> désolée. Je pensais
-que je pourrais vous aider. N’y a-t-il rien
-autre en quoi je pourrais être utile ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>faisant du regard le tour
-de la pièce</i>). — Je ne vois rien. Vous êtes
-pour moi d’une aide constante, vous savez.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui ? Comment ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous êtes vous, naturellement,
-et tant que vous êtes près de moi… je
-ne saurais expliquer exactement… mais c’est
-dans l’air.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et c’est pourquoi vous vouliez
-me renvoyer ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est seulement quand j’essaie
-de faire du travail… du travail de manœuvre
-comme ceci.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mafflin est préférable, alors,
-n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>sans réfléchir</i>). — Naturellement
-oui. Jack et moi avons passé deux ou
-trois années penchés sur le même sillon à
-propos de ce harnachement. C’est notre dada,
-et cela peut, à quelque jour, rendre de réels
-services.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>après une pause</i>). — Et c’est tout
-ce dont vous me tenez écartée ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’en êtes pas très écartée
-maintenant. Prenez garde que l’huile de
-ce mors ne passe sur votre robe.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je voudrais… je voudrais tant
-pouvoir effectivement vous aider. Je crois que
-je le pourrais… en quittant cette pièce. Mais ce
-n’est pas cela que je veux dire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Que Dieu m’accorde
-patience ! Je voudrais qu’elle s’en aille. (<i>Haut.</i>)
-Je vous assure que vous ne pouvez rien pour
-moi, Minnie, et il faut absolument que je m’y
-mette. Où est ma blague ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>se dirigeant vers la table à écrire</i>). — La
-voilà, ours. Dans quel gâchis vous tenez
-votre table !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — N’y touchez pas. Il y a de
-l’ordre dans mon désordre, aussi étrange que
-cela puisse vous paraître.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>à la table</i>). — Je veux voir… Est-ce
-que vous tenez des comptes, Pip ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se penchant sur le harnachement</i>). — Si
-vous voulez. Êtes-vous en train de ravager
-dans les papiers de service ? Faites attention.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi ? Je ne vais rien déranger.
-Bonté divine ! Je n’avais pas idée que
-vous eussiez quoi que ce soit à faire avec tant
-de chevaux malades.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je voudrais bien qu’il en soit
-autrement, mais ils insistent pour tomber
-malades. Minnie, à votre place, je ne mettrais
-vraiment pas le nez dans ces papiers-là. Il se
-peut que vous tombiez sur quelque chose qui
-ne vous plaise pas.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi voulez-vous toujours
-me traiter en enfant ? Je sais que je ne dérange
-rien de toutes ces sales choses-là.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec résignation</i>). — Très bien ;
-alors, ne m’accusez pas s’il vous arrive quoi
-que ce soit. Amusez-vous avec la table et
-laissez-moi continuer avec le harnachement.
-(<i>Glissant la main dans la poche de son pantalon.</i>)
-Oh ! diable !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>le dos tourné</i>). — Pourquoi cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Rien. (<i>A part.</i>) Cela ne dit
-pas grand’chose, mais je voudrais bien l’avoir
-déchiré.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>examinant tout ce qu’il y a sur
-la table</i>). — Je sais que je vais me faire détester
-par vous, mais je veux voir à quoi cela
-ressemble, votre travail. (<i>Une pause.</i>) Pip,
-qu’est-ce que c’est que des « boutons de farcin » ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ha ! Vous voulez vraiment
-savoir ? Ce n’est rien de joli.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ce <i>Journal de Science Vétérinaire</i>
-déclare que c’est d’un « intérêt palpitant ».
-Expliquez-moi.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Il se peut que cela
-détourne son attention.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il donne une description
-longue, et dégoûtante à
-dessein, de la morve et
-du farcin.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! cela suffit. Ne poursuivez
-pas !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais vous vouliez savoir…
-Alors ces machines-là suppurent, coulent et
-se propagent…</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pip, vous me faites mal au cœur !
-Vous n’êtes qu’un horrible et dégoûtant écolier.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à genoux parmi les brides</i>). — C’est
-vous qui me l’avez demandé. Ce n’est pas
-ma faute si vous êtes là à me tracasser pour
-vous raconter des horreurs.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi n’avez-vous pas dit
-non ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Juste Ciel, enfant ! Êtes-vous
-venue ici simplement pour me tyranniser ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Moi, vous tyranniser ? Comment
-le pourrais-je. Vous êtes si fort. (<i>A deux
-doigts d’une crise.</i>) Assez fort pour me prendre
-dans vos bras et me mettre à la porte
-pour m’y laisser pleurer, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il me semble que vous êtes
-un petit bébé déraisonnable. Allez-vous tout
-à fait bien ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Est-ce que j’ai l’air malade ?
-(<i>Retournant à la table.</i>) Qui est cette amie à
-la grande enveloppe grise avec le gros monogramme
-dessus ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ce n’était donc pas
-sous clef, saperlipopette ! (<i>Haut.</i>) « Dieu l’a
-faite, qu’elle passe donc pour une femme<a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a>. »
-Vous vous rappelez ce que c’est que les boutons
-de farcin ?</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> Shakespeare. <i>Le Marchand de Venise.</i></p>
-</div>
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>montrant l’enveloppe</i>). — Ceci n’a
-rien à faire avec <i>eux</i>. Je vais l’ouvrir. Le
-puis-je ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Certainement, si vous y tenez.
-Je préférerais que non, cependant. Je ne
-demande pas à voir vos lettres à la petite Deercourt.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous faites aussi bien, monsieur.
-(<i>Elle tire la lettre de l’enveloppe.</i>) Maintenant,
-puis-je regarder ? Si vous dites non, je vais
-pleurer.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’avez jamais pleuré à
-ma connaissance, et je ne crois pas que vous
-le puissiez.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je m’en sens tout près aujourd’hui,
-Pip. Ne soyez pas dur avec moi. (<i>Elle
-lit la lettre.</i>) Cela commence au milieu, sans
-« Cher capitaine Gadsby », ou quoi que ce
-soit. Comme c’est drôle !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Non, ce n’est pas
-« Cher capitaine Gadsby », ou quoi que ce soit,
-maintenant. Comme c’est drôle !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Quelle étrange lettre ! (<i>Elle lit.</i>)
-« Ainsi, le papillon a fini par s’approcher trop
-près de la chandelle, et s’est vu passer de la
-flamme dans la… dirai-je respectabilité ? Je le
-félicite, et j’espère qu’il aura tout le bonheur
-qu’il mérite. » Qu’est-ce que cela veut dire ?
-Vous félicite-t-elle à propos de notre mariage ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, je le suppose.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>lisant toujours la lettre</i>). — On
-dirait que c’est une de vos amies particulières.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui. C’était une excellente brave
-dame… une Mrs. Herriott… femme d’un
-certain colonel Herriott. J’ai connu quelques-uns
-de ses parents au pays, il y a de cela
-longtemps… avant de venir par ici.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Il y a des femmes de colonel qui
-sont jeunes… aussi jeunes que moi. J’en ai
-connu une qui était plus jeune.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, ce ne pouvait être Mrs.
-Herriott. Elle était assez âgée pour être votre
-mère, ma chère amie.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je me rappelle maintenant. Mrs.
-Scargill parlait d’elle au tennis chez les Duffin,
-avant que vous ne veniez me chercher, mardi.
-Le capitaine Mafflin disait que c’était une
-« bonne vieille dame ». Savez-vous, je crois
-que Mafflin est très maladroit de ses pieds.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ce brave Jack !
-(<i>Haut.</i>) Pourquoi, chère amie ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Il avait posé sa tasse à terre, et
-il a littéralement marché dedans. J’ai eu ma
-robe toute éclaboussée de thé… la grise. Je
-voulais vous le dire déjà auparavant.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Il y a en Jack l’étoffe
-d’un stratégiste, bien qu’il emploie des moyens
-un peu rudes. (<i>Haut.</i>) Vous ferez bien de faire
-faire une nouvelle robe, alors. (<i>A part.</i>)
-Prions pour que cela détourne son attention.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! elle n’est pas tachée le moins
-du monde. Je croyais seulement devoir vous
-le dire. (<i>Revenant à la lettre.</i>) Quelle extraordinaire
-personne ! (<i>Elle lit.</i>) « Mais ai-je
-besoin de vous rappeler que vous avez assumé
-une charge de tutelle » — qu’est-ce que cela
-peut bien être, qu’une charge de tutelle ? — « qui,
-vous le savez vous-même, peut aboutir
-à des Conséquences… »</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — C’est le plus sûr de
-les laisser voir tout au fur et à mesure qu’elles
-mettent le nez dessus ; mais il me semble qu’il
-y a des exceptions à la règle. (<i>Haut.</i>) Je vous
-ai dit qu’il n’y avait rien à tirer de bon du
-fait de remettre de l’ordre sur ma table.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un air absent</i>). — Que <i>veut</i>
-dire cette femme ? Elle continue de parler de
-Conséquences — de « presque inévitables
-Conséquences » avec un grand C — pendant
-une demi-page. (<i>Devenant écarlate.</i>) Oh !
-bonté divine ! Mais c’est abominable !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>promptement</i>). — Croyez-vous ?
-Cela ne montre-t-il pas une sorte d’intérêt
-maternel à notre égard ? (<i>A part.</i>) Dieu merci,
-Harrie enveloppait toujours prudemment ce
-qu’elle voulait dire ! (<i>Haut.</i>) Est-il absolument
-nécessaire de continuer la lettre, ma chérie ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est de l’impertinence — c’est
-simplement horrible. Quel <i>droit</i> avait cette
-femme de vous écrire de cette façon ? Elle
-n’eût pas dû le faire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quand vous écrivez à la petite
-Deercourt, je remarque que vous remplissez
-trois ou quatre feuillets. Ne pouvez-vous pas
-laisser une vieille femme babiller sur du papier
-une fois par hasard ? Elle n’a que de
-bonnes intentions.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Cela m’est égal. Elle n’eût pas
-dû écrire, et si elle l’a fait, vous eussiez dû
-me montrer sa lettre.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ne pouvez-vous pas comprendre
-pourquoi j’ai gardé la lettre pour
-moi seul, ou faut-il entrer dans de longues
-explications… comme j’ai fait pour les boutons
-de farcin ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un ton furieux</i>). — Pip, je vous
-<i>déteste</i> ! C’est aussi mal que ces idiotes de
-sacoches, là, sur le plancher. Peu importe si
-cela m’eût plu ou non, vous eussiez dû me la
-donner à lire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est tout un. Vous l’avez
-prise vous-même.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, mais si je ne l’eusse pas
-prise, vous n’en eussiez soufflé mot. Je crois
-que cette Harriet Herriott — c’est comme un
-nom dans un livre — est une vieille fouine
-qui vient s’immiscer dans ce qui ne la regarde
-pas.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Tant que vous resterez
-bien persuadée qu’elle <i>est</i> vieille, je ne
-me soucie guère de ce que vous pensez.
-(<i>Haut.</i>) Fort bien, ma chère amie. Vous plairait-il
-de lui écrire pour le lui dire ? Elle est
-à sept mille milles d’ici.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je n’ai pas besoin d’avoir rien à
-faire avec elle, mais vous eussiez dû m’en
-parler. (<i>Tournant à la dernière page de la
-lettre.</i>) Et elle prend des airs protecteurs à
-mon égard aussi. Je ne l’ai jamais vue, moi !
-(<i>Elle lit.</i>) « Je ne sais pas comment il en
-retourne avec vous ; selon toute probabilité
-humaine jamais je ne le saurai ; mais quoi que
-j’aie pu dire jadis, je prie pour <i>elle</i> plus que
-pour vous, afin que tout aille bien. J’ai appris
-ce que c’est que la souffrance, et je n’ose souhaiter
-que quiconque vous est cher partage
-ma science. »</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bon Dieu ! Ne pouvez-vous
-laisser cette lettre tranquille, ou, tout au
-moins, ne pouvez-vous vous abstenir de la lire
-à haute voix ? Je l’ai déjà parcourue. Remettez-la
-sur le bureau. M’entendez-vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un air irrésolu</i>). — Je… je n’en
-ferai rien ! (<i>Elle regarde <span class="xs">G.</span> en face.</i>) Oh ! Pip,
-<i>je vous en prie</i> ! Je ne voulais pas vous fâcher…
-Non, vraiment, je ne voulais pas.
-Pip, je suis si désolée, je sais que je vous ai
-fait perdre votre temps…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air renfrogné</i>). — Oui,
-vous me l’avez fait perdre. Maintenant,
-voulez-vous être assez bonne pour vous en
-aller… s’il n’y a plus rien dans mon cabinet
-où vous ne soyez impatiente de fourrer le nez ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>étendant les mains</i>). — Oh ! Pip,
-ne me regardez pas comme cela ! Je ne
-vous ai jamais encore vu regarder comme
-cela et cela me fai-ait mal ! Je suis si désolée.
-Je n’aurais pas dû venir ici du tout,
-et… et… et… (<i>Sanglotant.</i>) Oh ! soyez-moi
-bon ! Soyez-moi bon ! Il n’y a que vous… au
-monde !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle s’abandonne sur la
-chaise longue, en se cachant
-le visage dans les
-coussins.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Elle ne sait pas
-comme elle m’a fouetté au sang. (<i>Haut, se
-penchant sur la chaise.</i>) Je n’ai pas eu l’intention
-d’être dur, ma chère amie… non, vraiment.
-Vous pouvez rester ici aussi longtemps
-que voulez et faire ce que vous voulez. Ne
-pleurez pas comme cela. Vous allez vous
-rendre malade. (<i>A part.</i>) Que diable a-t-il pu
-lui arriver ? (<i>Haut.</i>) Ma chérie, qu’est-ce que
-vous avez ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>le visage toujours caché</i>). — Laissez-moi
-m’en aller… laissez-moi m’en aller
-dans ma chambre. Seulement… seulement
-dites-moi que vous n’êtes pas fâché contre
-moi.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Fâché contre <i>vous</i>, amour !
-Cela va sans dire que non. C’était contre
-moi-même que j’étais fâché. C’est le harnachement
-qui m’avait fait sortir de mon caractère…
-Ne vous cachez pas le visage, chaton.
-Il faut que je l’embrasse.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il se penche plus près, <span class="xs">MRS.
-G.</span> lui glisse le bras droit
-autour du cou. Plusieurs
-intermèdes et beaucoup
-de sanglots.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tout bas</i>). — Ce n’était pas des
-confitures que je voulais vous parler quand je
-suis entrée pour vous dire…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Peste soit des confitures et
-du harnachement ! (<i>Intermède.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>encore plus faiblement</i>). — Mon
-doigt n’était pas brûlé <i>du tout</i>. Je… je voulais
-vous parler de… de… de quelque chose
-autre, et… je ne savais pas comment.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dites, alors. (<i>La regardant
-au fond des yeux.</i>) Hein ? Quo-oi ? Minnie !
-Voyons, ne vous en allez pas ! Vous ne voulez
-pas dire ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>hors d’elle, reculant jusqu’à la portière
-et se cachant le visage dans ses plis</i>). — Les…
-les Presque Inévitables Conséquences !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Elle s’enfuit par la portière
-tandis que <span class="xs">G.</span> essaie de
-l’attraper et s’en va se verrouiller
-dans sa chambre.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>les bras pleins de la portière</i>). — Oh !
-(<i>Tombant lourdement sur la chaise
-longue.</i>) Je ne suis qu’une brute… un cochon…
-un tyran et un galopin. Ma pauvre, pauvre
-petite chérie ! « Faite seulement pour qu’on
-l’amuse…? »</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">LA VALLÉE DE L’OMBRE</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<p>Connaissant le Bien et le Mal.</p>
-
-</blockquote>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Le bungalow des Gadsby dans les
-plaines, en juin. Des coolies de punkah endormis
-dans la verandah que <span class="xs">LE CAP. GADSBY</span>
-arpente de haut en bas. Charrette du <span class="xs">DOCTEUR</span>
-sous le porche. <span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> erre de côté
-et d’autre partout et avec inquiétude dans la
-maison. Trois heures quarante du matin.
-34° de chaleur dans la verandah.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>s’en venant dans la verandah
-et touchant <span class="xs">G.</span> à l’épaule</i>). — Vous feriez
-bien de rentrer la voir en ce moment.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>la couleur de la cendre d’un
-bon cigare</i>). — Hein, quo-oi ? Oh ! oui, sans
-doute. Qu’est-ce que vous disiez ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>syllabe par syllabe</i>). — Al — lez…
-dans… la… chambre… la… voir. Elle
-veut vous parler. (<i>A part, d’un air bourru.</i>)
-Ensuite ce sera <i>lui</i> que j’aurai sur les bras.</p>
-
-<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>dans la salle à manger
-à moitié éclairée</i>). — Est-ce qu’il n’y a
-pas ?…</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>d’un air farouche</i>). — Chut,
-petit insensé.</p>
-
-<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER.</span> — Laissez-moi faire mon
-affaire. Gadsby, arrêtez une minute !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il entreprend de suivre <span class="xs">G.</span></i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR.</span> — Attendez qu’elle vous envoie
-chercher au moins… <i>au moins</i>. Malheureux,
-il va vous tuer si vous entrez là ! Pourquoi
-le tracassez-vous comme cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>s’en venant dans la
-verandah</i>). — Je lui ai donné un grog bien
-corsé. Il en a besoin. Vous l’avez oublié
-durant les dix heures qui viennent de s’écouler,
-et… vous vous êtes oublié vous-même
-aussi.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">G.</span> pénètre dans la chambre
-à coucher, laquelle est
-éclairée par une veilleuse.
-Sur le plancher une ayah
-fait semblant de dormir.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">UNE VOIX</span> (<i>du lit</i>). — Tout le long de la
-rue… en voilà des feux de joie ! <i>Ayah</i>, allez
-les éteindre ! (<i>Semblant en appeler à témoin
-ceux qui écoutent.</i>) Comment pouvoir dormir
-avec une remise de décorations dans ma
-chambre ? Non… pas une remise de décorations.
-Quelque chose autre. <i>Qu’est-ce</i> que
-c’était ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>tâchant de se rendre maître de
-sa voix</i>). — Minnie, je suis ici. (<i>Se penchant
-sur le lit.</i>) Ne me reconnaissez-vous pas,
-Minnie ? C’est moi… c’est Phil… c’est votre
-mari.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>machinalement</i>). — C’est moi…
-c’est Phil… c’est votre mari.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Elle ne me reconnaît pas !
-C’est votre mari à vous, chérie.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Votre mari à vous, chérie.</p>
-
-<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>sous le coup d’une inspiration</i>). — <i>Memsahib</i>
-comprendre tout ce que <i>moi</i>
-dire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Fais-moi comprendre d’elle,
-alors… vite !</p>
-
-<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>la main sur le front de Mrs. G.</i>). — <i>Memsahib !</i>
-Capitaine Sahib ici.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — <i>Salaam do<a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a>.</i> (<i>Avec humeur.</i>)
-Je sais que je ne suis pas présentable.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> Salue-le.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>à part, à <span class="xs">G.</span></i>). — Dites « bonjour »,
-comme à déjeuner.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bonjour, petite femme. Comment
-allons-nous aujourd’hui ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — C’est Phil. Pauvre vieux Phil !
-(<i>D’un ton acerbe.</i>) Phil, espèce de bête, je
-ne peux pas vous voir. Venez plus près.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Minnie, Minnie ! C’est moi…
-Vous me reconnaissez ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>d’un ton moqueur</i>). — Sans
-doute, que je vous reconnais. Qui ne reconnaîtrait
-l’homme qui s’est montré si cruel
-pour sa femme… presque la seule qu’il ait
-jamais eue ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, chère amie. Oui… sans
-doute, sans doute. Mais ne voulez-vous pas
-lui parler ? Il voudrait tant vous parler !</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Jamais ils ne le laisseront entrer.
-Le docteur l’empêcherait, même s’il était
-dans la maison. Il ne viendra jamais. (<i>D’un
-ton désespéré.</i>) Oh ! Judas ! Judas ! Judas !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>étendant les bras</i>). — Ils l’ont
-laissé entrer, et il a toujours été dans la maison.
-Oh ! mon amour… est-ce que vous ne
-me reconnaissez pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>chantonnant</i>). — « Et il arriva à
-l’onzième heure que cette pauvre âme se
-repentit. » Elle frappa aux portes, mais elles
-étaient fermées… serrées comme un emplâtre…
-un grand emplâtre tout brûlant. Ils
-ont collé notre certificat de mariage tout en
-travers de la porte, et elle était en fer chauffé
-à blanc… Vraiment les gens devraient faire
-plus attention, vous savez.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que faire ? (<i>Il la prend dans
-ses bras.</i>) Minnie ! parlez-moi… à Phil.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Que vais-je dire ? Oh ! dites-moi
-ce qu’il faut dire avant qu’il soit trop
-tard ! Ils s’en vont tous et je ne peux rien
-dire.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dites que vous me reconnaissez !
-Dites seulement que vous me reconnaissez !</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>qui est entré sans bruit</i>). — Par
-pitié, ne prenez pas la chose trop à
-cœur, Gadsby ! Cela se produit quelquefois.
-Ils ne vous reconnaissent pas. Ils disent toutes
-sortes de choses bizarres… comprenez-vous ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, oui ! Allez-vous-en
-maintenant, elle va me reconnaître ; vous
-l’ennuyez. Il le <i>faut</i>… N’est-ce pas qu’il le
-faut ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR.</span> — Elle le fera avant… Me
-permettez-vous d’essayer…?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tout ce que vous voulez,
-pourvu qu’elle me reconnaisse. Ce n’est
-qu’une question d’… heures, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>sur le ton professionnel</i>). — Tant
-qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, vous
-savez. Mais ne comptez pas dessus.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne compte sur rien. Rappelez-la
-à elle si c’est possible. (<i>A part.</i>)
-Qu’ai-je fait pour mériter cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>se penchant sur le lit</i>). — Voyons,
-Mrs. Gadsby ! Nous serons guérie
-demain. Il <i>faut</i> le prendre, sans quoi je ne
-laisserai pas Phil vous voir. Ce n’est pas mauvais,
-n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Des médecines ! <i>Toujours</i> des
-médecines ! Ne pouvez-vous pas me laisser
-tranquille ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oh ! laissez-la en paix, docteur !</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>se retirant en arrière — à
-part</i>). — Dieu me pardonne si j’ai mal fait.
-(<i>Haut.</i>) Dans quelques instants elle devrait
-revenir à elle ; mais je n’ose vous dire de
-vous attendre à quoi que ce soit. C’est seulement…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quo-oi ? Continuez donc.</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>tout bas</i>). — Une façon de
-hâter le dernier effort.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, laissez-nous seuls.</p>
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR.</span> — Ne vous occupez pas de ce
-qu’elle dira pour commencer, si vous pouvez.
-Ils… ils… ils se retournent quelquefois, en
-cet état-là, contre ceux qu’ils aiment le plus…
-C’est dur, mais…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Est-ce moi son mari, ou est-ce
-vous ? Laissez-nous seuls pour ce que nous
-avons de temps à rester ensemble.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>confidentiellement</i>). — Et nous
-avons été fiancés de la façon <i>la plus</i> soudaine,
-Emma. Je t’assure que je n’y ai jamais pensé
-un seul moment ; mais, pauvre de moi !… je
-ne sais pas <i>ce que</i> j’aurais fait s’il ne <i>s’était
-pas</i> proposé.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Elle pense à la petite Deercourt
-avant de penser à moi. (<i>Haut.</i>) Minnie !</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Pas dans les boutiques, chère
-maman. Vous pouvez faire venir les feuilles
-naturelles de Kaintu, et (<i>riant faiblement</i>) ne
-vous occupez pas des fleurs… La soie blanc
-mat ne convient qu’aux veuves, et je <i>ne veux
-pas</i> en porter. Cela ressemble à un suaire.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Une longue pause.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je n’ai jamais encore demandé
-de faveur. S’il est quelqu’un qui m’écoute,
-qu’elle me reconnaisse… quand je devrais,
-moi aussi, mourir !</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>très faiblement</i>). — Pip, mon
-cher Pip.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je suis ici, chérie.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Qu’est-ce qui est arrivé ? Ils
-m’ont tellement ennuyée avec les médecines
-et un tas de choses, et ils ne voulaient pas
-vous laisser venir me voir. Je n’avais jamais
-encore été malade. Est-ce que je suis malade
-en ce moment ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous… vous n’êtes pas très
-bien.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Comme c’est drôle ! Est-ce qu’il
-y a longtemps que je suis malade ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quelques jours ; mais vous
-n’allez pas tarder à vous remettre.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Croyez-vous, Pip ? Je ne me
-sens pas bien et… Oh ! qu’est-ce qu’on a fait
-à mes cheveux ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne… ne… ne sais pas.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — On les a coupés. Si c’est possible !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’était sans doute pour vous
-tenir la tête plus fraîche.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Absolument une perruque de
-gamin. J’ai l’air affreuse, hein ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’avez jamais paru plus
-jolie de votre vie, ma chère amie. (<i>A part.</i>)
-Comment vais-je lui demander de me dire
-adieu ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Je ne me <i>sens</i> pas jolie. Je me
-sens très malade. Mon cœur ne marche pas.
-C’est presque mort à l’intérieur de moi, et
-j’éprouve quelque chose de drôle dans les
-yeux. Tout me semble à la même distance…
-vous, l’armoire, la table… à l’intérieur de mes
-yeux ou à des milles de distance. Qu’est-ce
-que cela veut dire, Pip ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous êtes un peu fiévreuse,
-chérie… très fiévreuse. (<i>Défaillant.</i>) Mon
-amour ! mon amour ! Comment vous laisser
-aller ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — C’est ce que je pensais. Pourquoi
-n’avoir pas commencé par le dire ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quoi ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Que je vais… mourir.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais, vous n’allez pas mourir !
-Vous ne mourrez pas !</p>
-
-<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>au coolie de punkah, pénétrant
-dans la verandah après un coup d’œil au lit</i>). — <i>Punkah
-chor do !<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a></i></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> Cesse de tirer le punkah.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — C’est dur, Pip. Si, si dur après
-une année… rien qu’une année. (<i>Gémissant.</i>)
-Et je n’ai que vingt ans. La plupart
-des jeunes filles ne sont même pas mariées,
-à vingt ans. Ne peut-on rien faire pour me
-tirer de là ? Je ne <i>veux</i> pas mourir.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Chut, ma chère amie. Vous
-ne mourrez pas.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Quel besoin de parler ? <i>Secourez</i>-moi !
-Vous ne m’avez jamais encore
-fait défaut. Oh ! Phil, aidez-moi à rester en
-vie. (<i>Fiévreusement.</i>) Je ne crois pas que
-vous vouliez que je vive. Vous n’avez pas été
-triste le moins du monde quand cette horreur
-de bébé est mort. J’aurais voulu le
-tuer !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se passant la main sur le front</i>). — On
-n’est pas fait pour supporter de pareilles
-choses… ce n’est pas permis. (<i>Haut.</i>)
-Minnie, amour, je mourrais pour vous si
-cela pouvait vous secourir.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Ne parlons plus de mort. Il y
-en a déjà assez comme cela. Pip, n’allez pas,
-vous, mourir aussi.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Si seulement j’osais.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Il dit : « Jusqu’à ce que la mort
-nous sépare. » Rien après… et du reste cela
-ne servirait à rien. Cela s’arrête à la mort.
-<i>Pourquoi</i> cela s’arrête-t-il là ? Et une vie si
-courte, encore. Pip, je regrette que nous
-nous soyons mariés.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ? Tout, mais pas cela,
-Minnie !</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Parce que vous oublierez et que
-j’oublierai. Oh ! Pip, n’oubliez pas. Je vous
-ai toujours aimé, quoique parfois je fusse
-contrariante. Si j’ai jamais rien fait qui vous
-ait déplu, dites que vous me pardonnez en ce
-moment.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’avez jamais rien fait
-qui m’ait déplu, chérie, sur mon âme et sur
-mon honneur, jamais. Je n’ai pas la moindre
-chose à vous pardonner.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — J’ai boudé toute une grande
-semaine à propos de ces pétunias. (<i>Avec un
-léger rire.</i>) En ai-je été, une petite misérable,
-et quelle peine cela vous a faite ! Pardonnez-le-moi,
-Pip.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il n’y a rien à pardonner. Ce
-fut ma faute. Ils <i>étaient</i> trop près de l’allée
-des voitures. Pour l’amour de Dieu, ne parlez
-pas ainsi, Minnie ! Il reste tant de choses
-à dire et si peu de temps pour les dire.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Dites que vous m’aimerez toujours…
-jusqu’à la fin.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Jusqu’à la fin. (<i>Hors de lui.</i>)
-C’est un mensonge. Cela n’en peut être qu’un,
-attendu que nous nous sommes aimés. Ce
-n’est pas la fin.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>retombant dans une sorte de
-délire</i>). — Mon paroissien, à moi, a au dos
-une croix d’ivoire, et <i>il</i> le dit, donc c’est vrai.
-« Jusqu’à ce que la mort nous sépare. » — Mais
-c’est un mensonge. (<i>Parodiant un
-geste de <span class="xs">G.</span></i>) Un sacré mensonge ! (<i>D’un air
-insouciant.</i>) Oui, je jure aussi bien que le
-cavalier Pip. Je ne peux pas faire penser ma
-tête, pourtant. C’est parce qu’ils m’ont coupé
-les cheveux. Comment <i>pouvoir</i> penser avec
-une tête de hérisson ? (<i>D’un ton implorant.</i>)
-Tenez-moi bien, Pip ! Gardez-moi avec vous
-toujours, toujours. (<i>Retombant.</i>) Mais si vous
-vous mariez avec la petite Thorniss, quand
-je serai morte, je reviendrai hurler sous la
-fenêtre de votre chambre toute la nuit. Oh !
-zut ! Vous me prendrez pour un chacal. Pip,
-quelle heure est-il ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Le jour va paraître, ma chère
-amie.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Je demande où je serai demain
-à cette heure-ci.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Voudriez-vous voir le pasteur ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Pourquoi le verrais-je ? Il me
-dirait que je vais au ciel ; et ce ne serait pas
-vrai, puisque vous êtes ici. Vous rappelez-vous
-quand il a renversé sa glace sur tout son pantalon
-au tennis des Gasser ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, chère amie.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Je me suis souvent demandé
-s’il avait acheté un autre pantalon ; et pourtant
-le sien était si brillant qu’on ne pouvait
-vraiment pas s’en apercevoir à moins qu’on
-vous le dise. Faisons-le venir pour le lui
-demander.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>gravement</i>). — Non. Je crois
-que cela ne lui ferait pas plaisir. Avez-vous
-la tête à l’aise, chérie ?</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>faiblement, avec un soupir de
-contentement</i>). — Ou-ué ! De grâce, Pip, quand
-vous êtes-vous rasé la dernière fois ? Vous
-avez le menton pire que le rouleau d’une boîte
-à musique… Non, ne le relevez pas. Je l’aime
-comme cela. (<i>Une pause.</i>) Vous disiez que
-vous n’aviez jamais pleuré. Vous pleurez sur
-toute ma joue.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je… je… je ne peux pas
-m’en empêcher, ma chère amie.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Comme c’est drôle ! Je ne pourrais
-pas pleurer en ce moment, quand il
-s’agirait de ma vie. (<i><span class="xs">G.</span> frissonne.</i>) Ce dont
-j’ai besoin, moi, c’est de chanter.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela ne vous fatiguerait-il pas ?
-Il vaut peut-être mieux que non.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Pourquoi ? Je ne veux pas qu’on
-m’ennuie. (<i>Elle commence d’une voix chevrotante
-et rauque.</i>)</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse">« Minnie fait un gâteau d’avoine, Minnie brasse de l’ale,</div>
-<div class="verse">Tout cela parce que son Yannik va rentrer de la mer,</div>
-<div class="verse i3">(C’est la manœuvre, Pip.)</div>
-<div class="verse">Rouge comme rose devient-elle, qui fut si pâle,</div>
-<div class="verse">Et dit : (Êtes-vous sûr que marche l’horloge du clocher ?) »</div>
-</div>
-
-</div>
-<p>(<i>Avec humeur.</i>) Je savais bien que je ne
-pourrais pas monter jusqu’à la dernière note.
-Comment est-ce, à la main gauche ? (<i>Elle tire
-ses mains de dedans le lit et se met à jouer
-du piano sur le drap.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>s’emparant de ses mains</i>). — Ahh !
-Ne faites pas cela, chaton, si vous
-m’aimez.</p>
-
-<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Si je vous aime ? Naturellement,
-que je vous aime, qui pourrais-je aimer d’autre ?</p>
-
-
-<p class="did"><i>Une pause.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>très clairement</i>). — Pip, voici que
-je m’en vais. Il y a quelque chose qui m’étouffe
-affreusement. (<i>Indistinctement.</i>) Dans
-les ténèbres… sans vous, mon cœur… Mais
-c’est un mensonge, cher ami… il ne faut pas
-y croire… Pour jamais et jamais, vivants ou
-morts. Ne me laissez pas m’en aller, mon
-mari… tenez-moi bien… Ils ne peuvent pas…
-quoi qu’il arrive. (<i>Elle tousse.</i>) Pip… <i>mon</i> Pip !
-Pas pour toujours… et… si… tôt ! (<i><span class="xs">LA VOIX</span>
-cesse.</i>)</p>
-
-
-<p class="did"><i>Suspension de dix minutes.
-<span class="xs">G.</span> s’ensevelit le visage
-dans les draps, tandis
-que <span class="xs">L’AYAH</span> se penche sur
-le lit, du côté opposé, et
-tâte le sein et le front de
-<span class="xs">MRS. G.</span></i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se levant</i>). — <i>Docteur sahib ko
-salaam do<a id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a>.</i></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_27" href="#FNanchor_27"><span class="label">[27]</span></a> Dites au docteur.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>toujours contre le lit, avec un cri
-aigu</i>). — Aï ! Aï ! ma <i>memsahib</i> ! Pas morte — pas
-mourir — <i>Poussîna agya !</i><a id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a> (<i>Farouchement
-à <span class="xs">G.</span></i>) <i>Tum jao docteur sahib ko
-jaldi<a id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a> !</i> Oh ! ma <i>memsahib</i> !</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_28" href="#FNanchor_28"><span class="label">[28]</span></a> La transpiration est venue.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_29" href="#FNanchor_29"><span class="label">[29]</span></a> Vous aller au docteur.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>entrant précipitamment</i>). — Retirez-vous,
-Gadsby. ( <i>Il se penche sur le
-lit.</i>) Hein ? Le di… Qu’est-ce qui vous a inspiré
-d’arrêter le punkah ? Sortez, mon brave…
-allez-vous-en… attendez dehors. <i>Allez !</i>
-Ici, ayah ! (<i>Par-dessus son épaule, à <span class="xs">G.</span></i>) Remarquez-le,
-je ne promets rien.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Le jour paraît au moment
-où <span class="xs">G.</span> pénètre en trébuchant
-dans le jardin.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>retenant son cheval à la grille
-au moment où il passe pour se rendre à la
-manœuvre, et très gravement</i>). — Mon vieux,
-comment cela va-t-il ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>ébloui</i>). — Je ne sais pas bien.
-Arrête un instant. Viens prendre un verre ou
-quelque chose. Ne te sauve pas. C’est le moment
-où cela devient drôle. Ha ! ha !</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Qu’est-ce qui <i>m</i>’arrive ?
-Gaddy a vieilli de dix ans en une nuit.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>lentement, tout en maniant la
-têtière du cheval</i>). — Ta gourmette est trop
-lâche.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — En effet. Remets-la comme
-il faut, veux-tu ? (<i>A part.</i>) Je vais être en
-retard pour la manœuvre. Pauvre Gaddy.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> attache et détache
-la gourmette sans savoir
-ce qu’il fait, et finalement
-reste là debout à regarder
-du côté de la verandah.
-Le jour grandit.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>sorti de la gravité professionnelle,
-piétinant à travers les corbeilles
-de fleurs pour venir serrer la main à <span class="xs">G.</span></i>) — C’est…
-c’est… c’est !… Gadsby, il y a des
-chances… de sacrées chances ! L’étincelle,
-vous savez ! La transpiration, vous savez ! Je
-l’avais bien <i>deviné</i>. Le punkah, vous savez !
-Une femme diantrement intelligente, votre
-ayah. Elle a arrêté le punkah juste au bon
-moment. De sacrées chances ! Non… vous
-n’entrerez pas. Nous allons la tirer de là, je
-vous le promets sur ma réputation… si Dieu
-le permet. Envoyez un homme avec ce billet
-chez Bingle. Deux têtes valent mieux qu’une.
-Surtout l’ayah ! Nous allons la tirer de là.
-(<i>Il bat précipitamment en retraite dans la
-maison.</i>)</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>la tête sur le cou du cheval de
-<span class="xs">M.</span></i>) — Jack ! Je gr… gr… grois que j’… j’…
-je bais me donner salement en spectagle.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>reniflant ouvertement et tâtant
-dans sa manchette de gauche</i>). — Je b’… b’…
-je b’y donne déjà. Mon vieux, que te dire ?
-Je suis si gontent… Le diable d’emporte,
-Gaddy ! Du es un grand idiot, et boi, un
-autre. (<i>Se reprenant.</i>) Attention ! Voici venir
-Trompe-le-Diable.</p>
-
-<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>qui n’est pas dans la
-confidence du docteur</i>). — Nous… nous ne
-sommes que des hommes en ces sortes de
-choses, Gadsby. Je sais que mes paroles,
-en ce moment, ne peuvent être d’aucun
-secours…</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>avec jalousie</i>). — Alors, ne
-parlez pas. Laissez-le tranquille. Ce n’est pas
-tel qu’il y ait lieu de croasser. Tiens, Gaddy,
-porte le <i>chit</i><a id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a> à Bingle, et… train d’enfer !
-Cela te fera du bien. Je ne peux pas y aller.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_30" href="#FNanchor_30"><span class="label">[30]</span></a> Billet.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER.</span> — Lui faire du bien !
-(<i>Souriant.</i>) Donnez-moi le <i>chit</i>, et je vais y
-aller en voiture. Laissez-le se coucher. Votre
-cheval barre le chemin à ma charrette… <i>si
-vous permettez !</i></p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>lentement, sans tirer sur la
-bride</i>). — Je vous demande pardon… je
-m’excuserai. Par écrit, si vous y tenez.</p>
-
-<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>tapant sur le cheval
-de <span class="xs">M.</span></i>) — Voilà qui suffira, merci. Rentrez,
-Gadsby, et je vais ramener Bingle… hem,
-hem… « train d’enfer ».</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>seul</i>). — Je n’aurais eu que ce
-que je mérite s’il m’avait cinglé le visage. Il
-sait aussi ce que c’est que de mener un cheval.
-Je ne me soucierais guère d’aller à cette
-allure dans une charrette en bambou. Quelle
-foi il lui faut en son… bourrelier ! Allons,
-hue, cocotte !</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il s’éloigne au galop pour
-se rendre à la manœuvre,
-en se mouchant, tandis
-que le soleil se lève.</i></p>
-
-
-
-<p class="c gap xs">INTERVALLE DE CINQ SEMAINES</p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>très pâle et le visage tiré, en peignoir
-du matin au petit déjeuner</i>). — Comme
-la pièce paraît grande et étrange, et, oh !
-comme je suis contente de la revoir ! Quelle
-poussière, pourtant ! Il faut que je parle aux
-domestiques. Du sucre, Pip ? J’ai presque
-oublié. (<i>Sérieusement.</i>) N’ai-je pas été très
-malade ?</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Plus malade que je n’eusse
-voulu. (<i>Tendrement.</i>) Oh ! vilain petit chaton,
-quelle peur vous m’avez faite !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je ne recommencerai plus.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous ferez bien. Et maintenant
-tâchez de reprendre vos couleurs, sans
-quoi je me fâcherai. N’essayez pas de soulever
-le samovar. Vous allez le renverser. Attendez.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il s’en vient en faisant
-le tour jusqu’au haut
-bout de la table, et soulève
-le samovar.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>vivement.</i>) — <i>Khitmatgar, bowarchikhana
-sî kettlé lao<a id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a>.</i> (<i>Attirant la tête
-de <span class="xs">G.</span> tout contre la sienne.</i>) Mon Pip aimé,
-<i>je</i> me rappelle.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_31" href="#FNanchor_31"><span class="label">[31]</span></a> Majordome, allez chercher une bouilloire à la cuisine.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quoi ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Cette dernière et terrible nuit.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, tâchez maintenant
-d’oublier tout cela.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>doucement, les yeux se remplissant
-de larmes</i>). — Jamais. Cela nous a rapprochés
-<i>bien</i> près l’un de l’autre, mon mari.
-Là ! (<i>Intermède.</i>) Je vais donner une <i>sarie</i><a id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a>
-à Junda.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_32" href="#FNanchor_32"><span class="label">[32]</span></a> Robe.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je lui ai donné cinquante
-<i>dibs</i><a id="FNanchor_33" href="#Footnote_33" class="fnanchor">[33]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_33" href="#FNanchor_33"><span class="label">[33]</span></a> Roupies.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est ce qu’elle m’a dit. C’était
-une récompense énorme. Est-ce que j’en valais
-la peine ? (<i>Plusieurs intermèdes.</i>) Finissez !
-Voici le <i>khitmatgar</i>… Deux morceaux ou un
-seul, Monsieur ?</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">LE DÉBORDEMENT DU JOURDAIN</h2>
-
-<blockquote class="epi">
-<p>Si les gens de pied vous ont
-fatigué quand vous avez couru
-avec eux, comment pourriez-vous
-courir contre ceux qui
-sont à cheval ? Si vous espériez
-d’être en assurance dans une
-terre de paix, que ferez-vous
-parmi des gens aussi fiers que
-le Jourdain lorsqu’il se déborde ?</p>
-
-</blockquote>
-
-
-<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Le bungalow des <span class="xs">GADSBY</span> dans les plaines,
-un matin de janvier. <span class="xs">MRS. G.</span> discute avec
-le portefaix dans la verandah de derrière.
-<span class="xs">LE CAP. M.</span> arrive à cheval.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Bonjour, Mrs. Gadsby. Comment
-se portent le Petit Prodige et l’Orgueilleux
-Propriétaire ?</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous les trouverez dans la
-verandah de devant ; traversez la maison.
-Pour le moment je remplis le rôle de Marthe.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Accablée par les soucis des
-khitmatgars ? Je me sauve.</p>
-
-
-<p class="did"><i>Il passe dans la verandah
-de devant, où <span class="xs">GADSBY</span> surveille
-<span class="xs">GADSBY JUNIOR</span>, âgé
-de dix mois, en train de
-ramper sur la natte.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Qu’est-ce qu’il te prend, Gaddy,
-de gâter ainsi la matinée d’un honnête
-homme ? (<i>Apercevant <span class="xs">GADSBY JUNIOR</span>.</i>) Ma
-parole, ce poulain-là se devient à merveille ?
-Un bon appoint d’os, là, sous le genou.</p>
-
-<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, c’est un petit gredin plein
-de santé. Ne crois-tu pas que les cheveux lui
-poussent ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Jetons un coup d’œil. Hi ! Hst ! Ici,
-général Luck, que nous fassions notre rapport
-sur vous.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>dans l’intérieur</i>). — De quel nom
-absurde le baptiserez-vous encore la prochaine
-fois ? Pourquoi l’appelez-vous comme
-cela ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — N’est-ce pas notre inspecteur général
-de cavalerie ? Ne s’en vient-il pas dans sa
-voiture, haute comme cela, tous les matins
-où les Hussards Roses font la manœuvre ?
-Ne gigotez pas, brigadier. Donnez-nous votre
-opinion personnelle sur la façon dont le troisième
-escadron a défilé. Un brin décousus,
-n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Tout ce que je désire, c’est de ne
-jamais revoir un tas de bouifs pareils aux
-derniers bleus. Ils m’ont fourni plus que ma
-belle part… en mettant la pagaille dans mon
-escadron. C’est à faire vomir !</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Quand vous aurez un commandement,
-vous tâcherez de faire mieux, jeune homme.
-Commence-t-on à marcher ? Tenez-vous à
-mon doigt pour essayer. (<i>A <span class="xs">G.</span></i>) Cela ne peut
-lui faire mal aux boulets, n’est-ce pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Oh ! que non. Ne le laisse pas retomber,
-cependant, sans quoi il va t’enlever tout
-le cirage de tes bottes avec sa langue.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>dans l’intérieur</i>). — Qui est-ce qui
-déblatère contre mon fils ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Et mon filleul. J’ai honte de toi,
-Gaddy. Jack, donnez-lui un coup de poing
-dans l’œil, à votre père. N’allez pas accepter
-cela ! Frappez-le encore !</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> (<i lang="it" xml:lang="it">sotto voce</i>). — Pose à terre le <i>butcha</i> et
-viens au bout de la verandah. Je préférerais
-que ma femme n’entende pas… pour le moment.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Tu as l’air terriblement sérieux.
-Rien de grave ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Cela dépend entièrement de ton point
-de vue. Écoute, Jack, tu ne seras pas plus dur
-qu’il ne faut vis-à-vis de moi, n’est-ce pas ?
-Viens par ici plus loin… En deux mots
-voici l’affaire : je suis décidé… ou tout au
-moins je pense sérieusement… à lâcher le
-service.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Hhhein ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Ne pousse pas de cris. Je vais envoyer
-ma démission.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Toi ! Es-tu fou ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Non… seulement marié.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Voyons ! Qu’est-ce tout cela veut dire ?
-Tu ne peux avoir dans l’idée de <i>nous</i> quitter.
-C’est <i>impossible</i>. Le plus bel escadron du
-plus beau régiment de la plus belle cavalerie
-du monde entier n’est-il pas assez bon pour
-toi ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> (<i>secouant la tête par-dessus son épaule</i>). — Elle
-n’a pas l’air de prospérer dans ce
-pays abandonné du ciel et de la terre, et il y
-a aussi le <i>butcha</i> à considérer, et tout cela,
-tu sais.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Dit-elle qu’elle n’aime pas l’Inde ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — C’est là le pire. Elle n’en soufflerait
-mot de peur d’avoir à me quitter.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Pour quoi les montagnes sont-elles
-faites ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Pas pour ma femme à moi, en tout
-cas.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Tu en sais trop, Gaddy, et… je ne
-t’en aime pas mieux pour cela !</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Que m’importe ? Il lui faut l’Angleterre,
-et le <i>butcha</i> n’en irait que mieux. Je
-vais tout lâcher. Tu ne comprends pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>chaudement</i>). — Je comprends <i>ceci</i> :
-cent trente-sept jeunes chevaux à peaufiner
-de façon quelconque avant que Luck revienne
-par ici ; des recrues qui ont un poil dans la
-main et qui nous causeront plus de turbin
-que les chevaux ; le camp comme certitude dès
-la première saison froide ; nous-mêmes les
-premiers à mobiliser ; le pétard russe prêt à
-éclater en cinq minutes, et toi, le meilleur de
-nous tous, te retirant de tout ! Réfléchis un
-peu, Gaddy. Tu <i>ne vas pas</i> faire cela.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Mais, sacrebleu, un homme a des
-devoirs vis-à-vis de sa famille, je suppose.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Je me rappelle un homme, cependant
-qui m’a dit, la nuit après Amdhéran, alors
-que nous étions à la corde sous le Jagai, et
-qu’il avait laissé son sabre — en passant, l’as-tu
-jamais payé à Ranken<a id="FNanchor_34" href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a>, ce sabre ? — dans
-la tête d’un Utmanzai… qui m’a dit qu’il ne
-me lâcherait jamais, ni moi ni les Roses, tant
-qu’il vivrait. Je ne le blâme pas de me lâcher,
-moi — je ne vaux pas les quatre fers d’un
-chien — mais je le blâme de lâcher les Hussards
-Roses.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_34" href="#FNanchor_34"><span class="label">[34]</span></a> Ranken, le grand fabricant de sabres, à Londres.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">G.</span> (<i>d’un air gêné</i>). — Nous n’étions guère
-plus que des gosses, alors. Te rends-tu compte,
-Jack, de la tournure que les choses ont prise ?
-Ce n’est pas comme si nous étions au service
-pour gagner notre pain. Nous avons plus ou
-moins, nous tous, la sale galette. Je suis peut-être,
-sous ce rapport, plus veinard que d’autres.
-Il n’y a pas pour moi d’obligation de
-rester au service.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Aucune pour toi comme pour nous,
-sauf l’obligation vis-à-vis du régiment. S’il ne
-te plaît pas d’obéir à cette obligation-là, naturellement…</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Ne te montre pas par trop dur vis-à-vis
-d’un semblable. Tu sais bien que quantité
-d’entre nous n’acceptent la chose que pour
-quelques années, et puis s’en reviennent à
-Londres reprendre la vie avec les autres.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Pas des quantités, et ces gens-là ne
-sont pas <i>nous</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Et puis il faut aussi considérer les affaires
-qu’on a au pays… mon coin de terre et
-les revenus, et tout cela. Je ne pense pas que
-mon père aille bien loin maintenant, et cela,
-c’est le titre et tout ce qui s’ensuit.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Tu as peur de ne pas figurer correctement
-dans le <span lang="en" xml:lang="en">Stud Book</span> à moins de retourner
-au pays. Prends six mois, alors, et reviens
-en octobre. Si je pouvais estourbir un frère
-ou deux, je crois que je serais quelque chose
-comme marquis. Le premier imbécile venu
-peut l’être ; mais il faut des <i>hommes</i>, Gaddy…,
-des hommes comme toi… pour mener
-proprement des escadrons flanc-garde. Ne va
-pas te mettre dans la tête que tu retournes au
-pays pour prendre ta place et faire la roue
-au milieu de douairières kabouli au nez rouge.
-Tu n’es pas bâti pour cela. C’est moi qui te
-le dis.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Tout homme a le droit de vivre sa
-vie aussi heureusement qu’il peut. Tu n’es pas
-marié, toi.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Non… grâce à la Providence et à la
-femme ou deux qui ont eu le bon sens de me
-refuser.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Alors tu ne sais pas ce que c’est que
-d’entrer dans sa chambre et de voir la tête de
-sa femme sur l’oreiller, pour se demander,
-alors que tout le reste est sauf et la maison
-sous les verrous pour la nuit, si les poutres
-du toit ne vont pas céder et la tuer.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Révélations première et
-seconde ! (<i>Haut.</i>) Ssss ! J’ai connu un homme
-qui se grisait jadis à notre mess et m’a confié
-qu’il n’aidait jamais sa femme à monter à
-cheval sans prier pour qu’elle se rompe le
-cou avant de rentrer. Tous les maris ne se
-ressemblent pas, tu vois.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Que diable cela peut-il avoir à faire
-avec mon cas ? Il fallait que cet homme-là
-fût fou, ou sa femme pas grand’chose de
-rare.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Pas ta faute si les deux
-n’étaient pas tout ce que tu dis. Tu as oublié
-le temps où la Herriott t’avait fait perdre la
-raison. Tu as toujours eu le don d’oublier.
-(<i>Haut.</i>) Pas plus fou que les gens qui vont à
-l’autre extrême. Sois raisonnable, Gaddy. Les
-poutres de ton toit sont assez solides.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Ce n’était qu’une façon de parler. Je
-me suis toujours senti inquiet et tracassé au
-sujet de ma femme depuis cette affreuse affaire
-d’il y a trois ans… quand… j’ai failli la
-perdre. Peux-tu t’en étonner ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Oh ! un obus ne tombe jamais deux
-fois à la même place. Tu as payé ta part de
-malheur… Pourquoi serait-ce ta femme qui
-se trouverait choisie plutôt que celle d’un
-autre ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — S’il ne s’agissait que de parler, je
-peux le faire tout aussi raisonnablement que
-toi, mais tu ne comprends pas… tu ne comprends
-pas. Et puis il y a le <i>butcha</i>. Dieu
-seul sait où son ayah le mène s’asseoir quand
-arrive le frais ! Il a un petit commencement
-de rhume. N’as-tu pas remarqué ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — La bonne blague ! Le <i>brigadier</i> crève
-de santé. Il a le museau comme une feuille de
-rose et le coffre d’un poulain de deux ans.
-Qu’est-ce qui a bien pu te démoraliser ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — La frousse. En un mot comme en
-cent : la frousse !</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Mais qu’est-ce qu’il y <i>a</i> pour y donner
-lieu ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Tout. C’est effarant.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Ah ! je devine.</p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">« You don’t want to fight,</div>
-<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">And by Jingo when we do,</div>
-<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">You’ve got the kid, you’ve got the wife,</div>
-<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">You’ve got the money, too<a id="FNanchor_35" href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a>. »</div>
-</div>
-
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_35" href="#FNanchor_35"><span class="label">[35]</span></a></p>
-
-<div class="flex">
-<div class="poetry">
-<div class="verse">« Vous ne voulez pas vous battre,</div>
-<div class="verse">Et par Jingo quand nous nous battons,</div>
-<div class="verse">Vous avez le petit, vous avez la femme,</div>
-<div class="verse">Vous avez l’argent aussi. »</div>
-</div>
-
-</div>
-<p>Chanson qui fut composée lors d’un projet de guerre entre
-l’Angleterre et la Russie, en 1878, et qui a donné naissance
-au mot « jingoïsme ». Ici, Mafflin modifie le texte du troisième
-vers qui, dans la chanson originale, est : « <i lang="en" xml:lang="en">We’ve
-got the men, we’ve got the ships.</i> »</p>
-</div>
-<p>Hein, c’est à peu près le cas ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Je suppose que oui. Mais ce n’est pas
-pour moi. C’est à cause d’<i>eux</i>. Du moins, je
-le crois.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Es-tu sûr ? En envisageant les choses
-de sang-froid, ta femme est pourvue même
-au cas où tu serais nettoyé dès ce soir. Elle
-a une demeure seigneuriale où se retirer, de
-l’argent, et le <i>brigadier</i> pour continuer à
-porter le nom illustre.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Alors c’est pour moi-même ou parce
-qu’ils sont une partie de moi. Tu ne le vois
-pas. Ma vie est si bonne, si agréable, telle
-qu’elle est, que j’ai besoin de la rendre tout
-à fait stable. Est-ce que tu ne comprends
-pas ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Parfaitement. « Tranchée-abri pour
-cheval d’officier », comme on dit dans la
-ligne.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Et j’ai tout ce qu’il faut en main pour
-la rendre telle. J’en ai soupé, de la tension
-morale et de la bile à leur sujet ici, et je ne
-vois pas qu’il y ait pour moi la moindre difficulté
-à envoyer tout promener. Cela me coûtera
-seulement… Jack, j’espère que tu ne
-connaîtras jamais la honte par laquelle j’ai
-passé durant ces derniers six mois.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Tiens bon là ! Je n’ai pas besoin qu’on
-me dise. Tout homme a ses hauts et ses bas.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> (<i>riant amèrement</i>). — Tu crois ? Qu’est-ce
-que tu dis du monsieur qui tend le cou
-pour voir où son cheval met le pied ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Dans mon cas, cela signifie que j’ai
-fait la noce, et que j’arrive à la manœuvre
-avec le mal aux cheveux ! Cela passe en trois
-foulées.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> (<i>baissant la voix</i>). — Cela ne passe
-jamais avec moi, Jack. J’y pense toujours.
-Phil Gadsby ayant la frousse d’une chute à
-la manœuvre ! Un joli tableau, n’est-ce pas ?
-Dessine-le pour moi.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>gravement</i>). — Dieu me pardonne ! Un
-homme comme toi ne peut pas en arriver à ce
-degré-là. Une chute n’a rien d’agréable. Mais
-on ne pense jamais à cela.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Tu crois ? Attends d’avoir à toi femme
-et enfant, et alors tu sauras comment le grondement
-de l’escadron derrière vous vous fait
-froid tout le long du dos.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Et c’est là l’homme qui
-menait à Amdhéran après que Bayal-Deasin
-eût été dévissé, et nous étions tous en
-<i>méli-mélo</i>, et il sortit de la bagarre ruisselant
-comme un boucher. (<i>Haut.</i>) Balivernes !
-Les files peuvent toujours s’entr’ouvrir, et
-vous pouvez toujours plus ou moins chercher
-votre chemin. Nous autres, nous n’avons pas
-la poussière pour nous embêter, comme les
-hommes, et qu’est-ce qui a jamais entendu
-parler d’un cheval mettant le pied sur un
-homme.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Jamais… tant qu’il est en état de
-voir. Mais est-ce qu’ils se sont entr’ouverts
-pour le pauvre Errington ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Oh ! voilà qui est puéril !</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Je sais que cela l’est, et pire que cela.
-Peu m’importe. Tu as monté Van Loo. Est-ce
-une bête à chercher son chemin… surtout
-lorsque nous partons à bonne allure à l’attaque
-en colonne ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — C’est une fois par hasard que nous
-partons à l’attaque en colonne, et alors seulement
-pour épargner du temps. Est-ce que
-tu n’as pas assez de trois longueurs ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Oui… tout à fait assez. C’est juste ce
-qu’il faut d’espace pour se voir écrasé dans les
-règles. Je parle en chien hargneux, je le sais
-bien ; mais ce que je veux te dire, c’est que,
-ces derniers trois mois, je me suis senti tous
-les sabots de l’escadron au bas du dos chaque
-fois que j’ai commandé.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Mais, Gaddy, c’est terrible !</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — N’est-ce pas délicieux ? N’est-ce pas
-royal ? Un capitaine de Hussards Roses gorgeant
-d’eau son cheval avant la manœuvre
-comme le sacré soulaud de colonel d’un régiment
-indigène.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Tu n’as jamais fait cela !</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Une fois seulement. Il gargouillait
-comme une outre, et mon vieux chef m’a
-regardé du coin de l’œil. Tu connais l’œil du
-vieux Haffy. J’ai eu peur de recommencer.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Je te crois. C’était le meilleur moyen
-de flanquer une hernie au pauvre Van
-Loo, et de te faire esquinter. Tu le <i>savais</i>
-bien.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Peu m’importait. Cela lui enlevait le
-mordant.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — « Lui enlevait le mordant ! » Gaddy,
-il… il… il <i>ne faut pas</i>, tu sais ! Pense aux
-hommes.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Cela, c’est encore une chose dont j’ai
-peur. Crois-tu qu’ils savent ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Espérons que non ; mais ils sont
-salement prompts à reluquer le frouss… de
-petites choses de ce genre. Écoute, mon vieux,
-envoie la femme au pays pour la saison chaude
-et viens au Kashmir avec moi. Nous aurons
-un bateau sur le Dal ou traverserons le Rhothang…
-nous flânerons ou nous chasserons
-le bouquetin ou… ce qui te plaira. Seulement,
-<i>viens</i> ! Tu boudes un brin sur ton
-avoine, et tu dis des bêtises. Regarde le colonel…
-tout vieux lascar ventripotent qu’il
-est. Lui aussi a une femme et des châteaux à
-n’en plus finir. Y en a-t-il un de nous capable
-de lui damer le pion à cheval… malgré
-sa goutte et tout ? Moi, je ne peux pas, et je
-crois savoir ce que c’est que de pullupper.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Il y a des gens autrement bâtis. Je
-n’ai pas le nerf. Dieu m’aide, je n’ai pas le
-nerf ! J’ai raccourci mes étriers d’un cran et
-demi pour avoir les genoux bien aux sacoches.
-Je n’y peux rien. J’ai tellement peur
-qu’il m’arrive quoi que ce soit ! Sur mon âme,
-on devrait me casser devant l’escadron pour
-couardise.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Un vilain mot, cela. Je n’aurais jamais
-le courage d’avouer.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Mon intention, en commençant, était
-de mentir sur mes véritables motifs, mais…
-mais j’ai perdu l’habitude de te mentir, mon
-vieux. Jack, motus, n’est-ce pas ?… Mais je
-sais bien que c’est inutile avec toi.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — ’Turellement. (<i>Presque tout haut.</i>)
-Voilà que les Roses paient cher leur Orgueil.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Hein ! Quo-oi ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Ah ! tu ne sais pas ? Les hommes ont
-toujours appelé Mrs. Gadsby l’Orgueil des
-Hussards Roses depuis qu’elle nous est arrivée.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Ce n’est pas <i>sa</i> faute. Ne le crois pas.
-C’est entièrement la mienne.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Que dit-elle ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Je ne lui ai pas encore positivement
-soumis la question. C’est la meilleure petite
-femme de la terre, Jack, et tout le reste…
-mais ce n’est pas celle qui conseillerait à un
-homme de rester attaché à son métier si ce
-métier s’interposait entre lui et elle. Au moins,
-je crois…</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — N’importe. Ne lui dis pas ce que tu
-m’as dit. Appuie sur la succession du titre et
-des terres.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Elle devinerait. Elle est dix fois
-plus fine que moi.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Alors elle acceptera le sacrifice
-et pensera un petit peu plus mal de lui
-pour le reste de ses jours.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> (<i>d’un air absent</i>). — Dis-moi, est-ce
-que tu me méprises ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Drôle de façon de poser la question.
-Est-ce qu’on te l’a quelquefois posée ? Réfléchis
-une minute. Quelle réponse faisais-tu ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Comment, j’en suis <i>là</i> ? Je ne peux
-guère m’attendre à davantage ; mais c’est un
-brin dur quand c’est son meilleur ami qui se
-retourne contre vous et…</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — C’est ce que je trouve. Mais tu auras
-des consolations… intendants et drainages,
-l’engrais liquide, la <i lang="en" xml:lang="en">Primrose League</i><a id="FNanchor_36" href="#Footnote_36" class="fnanchor">[36]</a> et,
-peut-être, si tu as de la veine, le commandement
-d’un régiment de cav-ale-rie <span lang="en" xml:lang="en">yeomanry</span>…
-épaulette et galons, je crois, mais pour ce
-qui est de faire du cheval… Quel âge as-tu ?</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_36" href="#FNanchor_36"><span class="label">[36]</span></a> La ligue des Conservateurs.</p>
-</div>
-<p><span class="xs">G.</span> — Trente-trois ans. Je sais que c’est…</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — A quarante tu seras un imbécile de
-gros propriétaire. A cinquante tu te feras
-pousser dans une petite voiture, et le <i>brigadier</i>,
-s’il te ressemble, passera son temps à
-effaroucher toutes les petites colombes de…
-quel est le nom du patelin où tu vas ? En
-outre, Mrs. Gadsby aura pris de l’embonpoint.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> (<i>mollement</i>). — Voilà qui dépasse un
-peu la plaisanterie.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Tu crois ? N’est-ce pas dépasser la
-plaisanterie que de lâcher le service ? Cela
-vous demande en général cinquante ans pour
-arriver à cette plaisanterie-là. Tu as bien
-raison, cependant. Cela dépasse la plaisanterie.
-Tu t’es arrangé pour la faire au bout de
-trente-trois ans.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — N’appuie pas sur l’amertume de la
-chose. Seras-tu content si j’avoue être un
-lâcheur, un froussard et un couard ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Non, attendu que je suis le seul
-homme au monde à pouvoir te parler de la
-sorte sans me faire assommer. Il ne faut pas
-prendre à cœur, de cette façon-là, tout ce
-que je t’ai dit. Je ne parlais — en grande
-partie, du moins — que par pur égoïsme,
-parce que, parce que… Oh ! zut, mon vieux…
-je me demande ce que je ferai sans toi. Naturellement,
-tu as l’argent, la terre, et tout…
-et tu as ici deux bons motifs pour veiller à toi.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Cela ne rend pas la chose plus douce.
-Je me sauve… je le sais bien. J’ai toujours
-eu quelque part en moi un point faible… et
-je n’ose risquer aucun danger à cause d’<i>eux</i>.</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Pourquoi diable le ferais-tu ? Tu es
-tenu de penser à ta famille… tenu d’y penser.
-Er-hmm. Si je n’étais pas fils cadet, je m’en
-irais aussi… que je sois pendu si je ne le ferais
-pas !</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Merci, Jack. C’est un gentil mensonge,
-mais c’est le plus noir que tu aies proféré
-depuis quelque temps. Je sais ce que je fais,
-et l’entreprends en connaissance de cause.
-Mon vieux, c’est plus fort que moi. Qu’est-ce
-que tu ferais à ma place ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Peux pas m’imaginer une
-femme en permanence entre moi et le régiment.
-(<i>Haut.</i>) Ne saurais dire. Fort probable
-que je ne ferais pas mieux. Je suis fâché pour
-toi… affreusement fâché… mais « si ce sont
-tes sentiments », je crois… oui, je crois que
-tu agis sagement.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Vrai ? Je l’espère. (<i>Tout bas.</i>) Jack,
-sois très sûr de toi-même avant de te marier.
-Je suis un ingrat ruffian de le dire, mais le
-mariage — même un mariage aussi réussi que
-le mien — est une entrave à l’ouvrage d’un
-homme, lui paralyse le bras droit, et, oh, cela
-disperse vos idées de devoir aux quatre vents !
-Quelquefois — aussi bonne et aussi douce
-qu’elle soit — quelquefois j’aurais presque le
-désir d’avoir conservé ma liberté… Non, ce
-n’est pas exactement cela que je veux dire.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>arrivant dans la verandah</i>). — A
-propos de quoi ce branlement de tête, Pip ?</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> (<i>se retournant vivement</i>). — A propos
-de moi, comme d’habitude. Le vieux sermon.
-Votre mari me conseille de me marier. Jamais
-vu pareil monomane !</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mais pourquoi non ? Je ne dis
-pas que vous ne rendiez quelque femme très
-heureuse.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Voilà la loi et les prophètes, Jack.
-Peu importe le régiment. Rends une femme
-heureuse. (<i>A part.</i>) Bon Dieu !</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Nous verrons. Il faut que j’aille faire
-le désespoir d’un de nos cuisiniers. Je ne veux
-pas qu’on nourrisse mes petits housards de
-tibias de bœufs de trait. (<i>Avec vivacité.</i>) Pour
-sûr que les fourmis ne sauraient être bonnes
-pour le <i>brigadier</i>. Il est en train de les ramasser
-sur la natte pour les boulotter. Ici,
-<span lang="es" xml:lang="es">Señor Comandante</span> Don Salenez, venez me
-parler. (<i>Il soulève <span class="xs">G. JUNIOR</span> dans ses bras.</i>)
-Vous voulez ma montre ? Vous ne seriez jamais
-capable de la mettre dans votre bouche, mais
-vous pouvez essayer.</p>
-
-
-<p class="did"><i><span class="xs">G. JUNIOR</span> laisse tomber la
-montre, et brise cadran
-et aiguilles.</i></p>
-
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh, capitaine Mafflin, je suis
-désolée ! Jack, méchant, méchant petit vilain.
-Ahhh !</p>
-
-<p><span class="xs">M.</span> — Cela n’a pas la moindre importance,
-je vous assure. Il traiterait l’univers de la
-même façon s’il pouvait le prendre dans ses
-mains. Tout est fait pour servir de jouet et
-se voir brisé, n’est-ce pas, jeune homme ?</p>
-
-<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div>
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mafflin n’a pas dû trouver drôle
-du tout de voir sa montre brisée, quoiqu’il
-ait été trop poli pour le dire. C’est entièrement
-sa faute. Pourquoi l’avoir donnée à
-l’enfant ? Ces petites pattes-là sont très, très
-faibles, n’est-ce pas, mon Jacquot ? (<i>A Gadsby.</i>)
-Pourquoi voulait-il vous voir ?</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> — Cette sale boutique du régiment,
-comme d’habitude.</p>
-
-<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Le régiment ! <i>Toujours</i> le régiment.
-Ma parole, je me sens quelquefois
-jalouse de Mafflin.</p>
-
-<p><span class="xs">G.</span> (<i>avec lassitude</i>). — Le pauvre vieux
-Jack ? Je ne crois pas que vous en ayez besoin.
-N’est-ce pas l’heure pour le <i>butcha</i> de faire
-son somme ? Apportez une chaise ici pour
-vous, ma chère amie. J’ai à vous parler.</p>
-
-
-<p class="c gap xs">ET TELLE EST LA FIN DE L’HISTOIRE DES GADSBY</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-
-<p class="c top4em"><span class="i">ACHEVÉ D’IMPRIMER</span><br>
-<span class="small">le vingt septembre mil neuf cent cinq</span><br>
-<span class="xs">PAR</span><br>
-BLAIS ET ROY<br>
-<span class="xs">A POITIERS</span><br>
-pour le<br>
-MERCVRE<br>
-<span class="xs">DE</span><br>
-FRANCE</p>
-
-
-
-
-<div style='text-align:center'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 ***</div>
-</body>
-</html>
-
+<!DOCTYPE html> +<html lang="fr"> +<head> + <meta charset="UTF-8"> + <title>L’histoire des Gatsby | Project Gutenberg</title> + <link rel="icon" href="images/cover.jpg" type="image/x-cover"> + <style> + +p { text-align: justify; line-height: 1.2em; text-indent: 1.5em; + margin: .3em 0;} + +h1 { text-align: center; line-height: 1.5em; margin: 1em 0; } +h2 { text-align: center; line-height: 1.5em; margin: 4em 0 2em 0; } + +div.c, p.c { text-align: center; line-height: 1.5em; text-indent: 0; + margin: 1em 0; } + +blockquote.epi { margin: 1em 0 1em 40%; font-size: 95%; } + +.large { font-size: 130%; } +.small { font-size: 90%; } +.xs, small { font-size: 80%; letter-spacing: .05em; font-style: normal; } + +.i { font-style: italic; } +.i i, .i em, .rm { font-style: normal; } + +.poetry { text-align: left; margin: 1em 0 1em 5%; } +.verse { padding-left: 3em; text-indent: -3em; } +.i2 { text-indent: -1em; } +.i3 { text-indent: 0; } + +p.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; } +p.did { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; margin: .7em 0 .7em 20%; } +.sign { margin: 1em 5% 1em 20%; text-align: right; } + +hr { width: 20%; margin: 1em 40%; } +div.dots { margin: 1.5em 0; text-align: center; } +div.dots b { display: inline-block; width: 4.8%; } + +sup { font-size: smaller; vertical-align: 30%; line-height: 1em; } + +li { list-style: none; text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; } + +div.flex { display: flex; justify-content: center; } +table { margin: 1em auto; } +td { vertical-align: top; } +td.bot { vertical-align: bottom; } +td.c div { text-align: center; } +td.r div { text-align: right; padding-left: 1em; } +td.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: left; } + +a { text-decoration: none; } + +.fnanchor { font-size: 80%; vertical-align: 0.35em; padding: 0 .15em; + text-decoration: none; font-style: normal; line-height: 1em; +} +.footnote { margin: 1em 0 1em 30%; font-size: 90%; } +.footnote .label { } +.footnote + .footnote { margin-top: -.5em; } + +div.gap, p.gap { margin-top: 2.5em; } +.break, .chapter { margin-top: 4em; } + +img { max-width: 100%; } + +@media screen { + body { max-width: 40em; width: 80%; margin: 0 auto; } + img { max-height: 700px; } +} + +.x-ebookmaker .break, .x-ebookmaker .chapter { page-break-before: always; } +.top2em { padding-top: 2em; } +.top4em { padding-top: 4em; } +.nobreak { page-break-before: avoid; } + + </style> +</head> +<body> +<div style='text-align:center'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 ***</div> +<p class="c top2em large">RUDYARD KIPLING</p> + +<h1>L’Histoire<br> +<span class="large">des Gadsby</span></h1> + +<p class="c small">CONTE SANS INTRIGUE</p> + +<p class="c"><span class="xs">TRADUIT PAR</span><br> +<b>LOUIS FABULET et ARTHUR AUSTIN-JACKSON</b></p> + +<p class="c xs">SIXIÈME ÉDITION</p> + + +<p class="c gap"><span class="large">PARIS</span><br> +SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE<br> +<span class="xs">XXVI</span>, <span class="xs">RVE DE CONDÉ</span>, <span class="xs">XXVI</span></p> + +<p class="c small">MCMVIII</p> + +<div class="break"></div> + +<p class="c top4em"><span class="i">ŒUVRES DE RUDYARD KIPLING</span><br> +<span class="small">A LA MÊME LIBRAIRIE</span></p> + + +<div class="flex"> +<table> +<tr><td class="drap"><span class="xs">LE LIVRE DE LA JUNGLE</span>, traduit par Louis Fabulet et Robert +d’Humières. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">LE SECOND LIVRE DE LA JUNGLE</span>, traduit par Louis Fabulet +et Robert d’Humières. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE</span> (<i>La plus Belle Histoire du +Monde</i>. <i>Le Perturbateur du Trafic</i>. <i>La Légion perdue</i>. +<i>Par-dessus bord</i>. <i>Dans le Rukh</i>. <i>Un Congrès des Puissances</i>. +<i>Un Fait</i>. <i>Amour des Femmes</i>), traduit par Louis +Fabulet et Robert d’Humières. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">L</span>’<span class="xs">HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI</span> (<i>L’Homme qui voulut être +Roi</i>. <i>La Porte des Cent mille Peines</i>. <i>L’Étrange chevauchée</i>. +<i>L’Amendement de Tods</i>. <i>La Marque de la Bête</i>. +<i>Bisesa</i>. <i>Bertran et Bimi</i>. <i>L’Homme qui fut</i>. <i>Les Tambours +du « <span lang="en" xml:lang="en">Fore and Aft</span> »</i>), traduit par Louis Fabulet +et Robert d’Humières. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">KIM</span>, roman, traduit par Louis Fabulet et Charles Fountaine-Walker. +Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">LES BATISSEURS DE PONTS</span> (<i>Les Bâtisseurs de Ponts</i>. <i>Petit +Tobrah</i>. <i>Namgay Doola</i>. <i>En Famine</i>. <i>Au fond de l’Impasse</i>. +<i>Les Finances des Dieux</i>. <i>La Cité des Songes</i>), +traduit par Louis Fabulet et Robert d’Humières. Vol. +in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">STALKY ET C</span><sup>ie</sup>, roman, traduit par Paul Bettelheim et Rodolphe +Thomas. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">SUR LE MUR DE LA VILLE</span> (<i>Sur le Mur de la Ville</i>. <i>Trois +et un…de plus</i>. <i>L’Histoire de Muhammad Din</i>. <i>Lispeth</i>. +<i>L’Autre</i>. <i>Moti-Guj-Mutin</i>. <i>Une Fraude</i>. <i>La Libération +de Pluffles</i>. <i>L’Arrestation du Lieutenant Golightly</i>. +<i>Une affaire de chance</i>. <i>Dans l’erreur</i>. <i>Le Cas de divorce +Bronckhort</i>. <i>Wee Willie Winkie</i>. <i>En plein orgueil +de jeunesse</i>. <i>Sans bénéfice de clergé</i>), traduit par Louis +Fabulet, précédé d’une Étude sur Rudyard Kipling par +André Chevrillon. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">LETTRES DU JAPON</span>, traduit par Louis Fabulet et Arthur +Austin-Jackson. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">L</span>’<span class="xs">HISTOIRE DES GADSBY</span>, roman, traduit par Louis Fabulet +et Arthur Austin-Jackson. Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +<tr><td class="drap"><span class="xs">LE RETOUR D</span>’<span class="xs">IMRAY</span>, +(<i>Le Retour d’Imray</i>. <i>Dray wara +yow dee</i>. <i>Le Rickshaw-Fantôme</i>. <i>007</i>. <i>Le Bisara de +Pooree</i>. <i>Au bord de l’Abîme</i>. <i>Le Chef du district</i>. <i>Le +Navire qui s’y retrouve</i>. <i>Naboth</i>. <i>Les Bornes mentales +de Pambé Serang</i>. <i>Eux</i>. <i>A mettre au dossier</i>), +traduit par Louis Fabulet et Arthur Austin-Jackson. +Vol. in-18</td> +<td class="r bot"><div>3.50</div></td></tr> +</table> +</div> +<div class="break"></div> + +<p class="c top4em"><span class="xs">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE</span><br> +<span class="i">Sept exemplaires sur papier de Hollande,<br> +numérotés de 1 à 7.</span></p> + +<p class="c xs">JUSTIFICATION DU TIRAGE</p> + +<div class="c"><img src="images/justif.jpg" alt=""></div> +<p class="c gap small">Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y compris +la Suède et la Norvège.</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">PAUVRE CHÈRE MAMAN</h2> + +<blockquote class="epi"> +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">L’épervier sauvage au ciel balayé de vent,</div> +<div class="verse i3">Le cerf à la plaine salubre,</div> +<div class="verse">Le cœur d’un homme au cœur d’une fille</div> +<div class="verse i3">Comme c’était au temps d’antan.</div> +</div> + +</div> +<p class="sign">(<i>Chanson bohémienne.</i>)</p> + +</blockquote> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR</span> : — <i>Chambre de <span class="xs">MISS MINNIE THREEGAN</span> à +Simla. <span class="xs">MISS THREEGAN</span> dans l’embrasure de +la fenêtre, en train de fouiller dans un tiroir +plein de toutes sortes de choses.</i></p> + +<p class="drap"><span class="xs">MISS EMMA DEERCOURT</span>, <i>amie de cœur, qui est +venue passer la journée, assise sur le lit, en +train d’agencer le corsage d’une robe de bal +et une touffe de muguet artificiel. Cinq heures +trente, par un chaud après-midi de mai.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">MISS DEERCOURT.</span> — Et <i>il</i> a dit : « Je n’oublierai +<i>jamais</i> cette danse », et, naturellement, +j’ai répondu : « Oh, comment <i>pouvez</i>-vous +être sot à ce point ! » Penses-tu, chérie, +qu’il avait une intention ?</p> + +<p><span class="xs">MISS THREEGAN</span> (<i>sortant du fouillis un long +bas de soie lavande</i>). — Tu le connais mieux +que <i>moi</i>.</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Oh, tâche d’être sympathique, +Minnie ! Je suis <i>sûre</i> qu’il a une intention. +Au moins j’en serais sûre s’il n’était pas toujours +à monter à cheval avec cette odieuse +Mrs. Hagan.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je le suppose. Comment diable +s’arrange-t-on, lorsqu’on danse, pour passer +à travers ses talons les premiers ? Regarde-moi +cela, si ce n’est pas honteux ? (<i>Elle tend le +talon du bas sur sa main ouverte pour en +faire l’inspection.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Ne t’en occupe pas ! Impossible +à raccommoder. Aide-moi à arranger +ce maudit corsage. J’ai passé le lacet +<i>comme ceci</i>, je l’ai passé <i>comme cela</i> et <i>je ne +peux pas</i> arriver à mettre le bombé en place. +Et cela, où le mettrais-tu ? (<i>Elle montre les +muguets.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Aussi haut sur l’épaule que possible.</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Suis-je assez grande ? Je sais +que cela fait paraître May Olger bancale.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui, mais elle n’a pas tes épaules. +Les siennes ressemblent à une bouteille à +vin du Rhin.</p> + +<p><span class="xs">LE PORTEFAIX</span> (<i>frappant à la porte</i>). — Le +capitaine <i>sahib</i> est là.</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>se levant avec effarement, et se +mettant à la recherche de son corset qu’elle +a banni eu égard à la chaleur du jour</i>). — Le +capitaine <i>sahib</i> ? Quel capitaine <i>sahib</i> ? +Oh, bonté divine, et je ne suis qu’à demi +vêtue ! Eh bien, tant pis, je ne me dérangerai +pas.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>avec calme</i>). — Inutile, en effet. +Ce n’est pas pour nous. C’est le capitaine +Gadsby. Il s’en va faire une promenade à +cheval avec maman. Il vient en général cinq +jours sur sept.</p> + +<p><span class="xs">VOIX D’ANGOISSE</span> (<i>d’une chambre intérieure</i>). — Minnie, +cours donner du thé au capitaine +Gadsby, et dis-lui que je serai prête +dans dix minutes ; et, écoute, Minnie, viens +ici un instant, tu serais si gentille !</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oh, zut ! (<i>A haute voix.</i>) Fort bien, +maman.</p> + + +<p class="did"><i>Elle sort et réapparaît +au bout de cinq minutes, les +joues rouges et en se +frottant les doigts.</i></p> + + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Comme tu es rouge ! Qu’est-il +arrivé ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>chuchotant de toutes ses forces</i>). — Vingt-quatre +pouces de taille, et il faut +que tout rentre. Où sont mes porte-bonheur ? +(<i>Elle fouille sur la table de toilette, et se passe, +dans l’intervalle, la brosse sur les cheveux.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Qui est ce capitaine Gadsby ? Je +ne pense pas l’avoir jamais rencontré.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oh si, pour sûr. Il est du clan +Harrar. J’ai dansé avec lui, mais je ne lui ai +jamais parlé. C’est un grand garçon jaune, +absolument un poussin frais éclos, avec une +é-norme moustache. Il marche comme ceci +(<i>elle imite la démarche de la cavalerie</i>), et il +fait « Ha-hmm ! » du fin fond de la gorge +lorsqu’il ne trouve rien à dire. Maman le +goûte. Pas moi.</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>distraitement</i>). — La cire-t-il, cette +moustache ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>occupée avec la houppe à poudrer</i>). — Oui, +je le pense. Pourquoi ?</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>se penchant sur le corsage et +cousant avec ardeur</i>). — Oh, rien… seulement…</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>sévèrement</i>). — Seulement quoi ? +Allons, dis, Emma.</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Eh bien, May Olger — elle est +fiancée à Mr. Charteris, tu sais — disait… — Tu +me promets de ne pas le répéter ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui, je te le promets. Qu’a-t-elle +dit ?</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Que… que d’être embrassée +(<i>tout d’un élan</i>) par un homme qui ne cirait +pas sa moustache, c’était… comme si l’on +mangeait un œuf sans sel.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>du haut de sa grandeur, avec un +mépris écrasant</i>). — May Olger est une +<i>horreur</i>, et tu peux le lui répéter. Je suis +heureuse qu’elle ne fasse pas partie de +mon clan… Il faut que j’aille donner à +manger à cet <i>homme</i>. Ai-je l’air présentable ?</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Oui, parfaitement. Fais vite et +passe-le à ta mère, pour que nous puissions +causer. Moi, je vais écouter à la porte pour +entendre ce que tu lui dis.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Pour ce que je m’en soucie. Je +t’assure que je n’ai pas peur du capitaine +Gadsby.</p> + + +<p class="did"><i>Comme preuve, elle pénètre +dans le salon d’un grand +pas masculin suivi de +deux petits pas écourtés, +ce qui produit l’effet d’un +cheval rétif entrant. Elle +manque <span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span>, +lequel est assis dans +l’ombre du rideau, et elle +jette tout alentour un regard +désespéré.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> (<i>à part</i>). — La pouliche, +mâtin ! doit avoir pigé cette allure à +l’étalon. (<i>Haut, se levant.</i>) Bonsoir, miss +Threegan.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>ayant conscience qu’elle rougit</i>). — Bonsoir, +capitaine Gadsby. Maman m’a +chargée de vous dire qu’elle sera prête dans +quelques minutes. Ne prendriez-vous pas du +thé ? (<i>A part.</i>) J’espère que maman va se +dépêcher. Qu’est-ce que je <i>vais</i> bien dire à ce +grand animal-là ? (<i>Haut et brusquement.</i>) Du +lait et du sucre ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas de sucre, me-erci, et fort +peu de lait. Ha-hmmm.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — S’il fait cela, je suis +perdue. Je vais rire. Je <i>sais</i> que je vais +rire !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>tirant sur sa moustache et la +regardant de côté, au bas de son nez</i>). — Ha-hmmm. +(<i>A part.</i>) Me demande ce dont la +petite bécasse peut parler. Faut risquer le +coup cependant.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Oh ! mais, c’est une +torture ! Il <i>faut</i> que je dise quelque chose.</p> + +<p><span class="xs">TOUS LES DEUX ENSEMBLE.</span> — Êtes-vous +allé…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je vous demande pardon. +Vous alliez dire…</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>qui est restée à regarder la moustache +avec une fascination pleine de respect</i>). — Ne +prendriez-vous pas des œufs ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>regardant d’un air effaré la +table à thé</i>). — Des œufs ! (<i>A part.</i>) Diable ! +c’est l’heure où elle fait quelque dînette. Je +suppose qu’on lui a essuyé la bouche pour me +l’envoyer tandis que la mère est en train de +mettre ses frusques. (<i>Haut.</i>) Non, merci.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>pourpre de confusion</i>). — Oh ! ce +n’est pas cela que je voulais dire. Je ne pensais +pas pour un instant à des mou — à des +œufs. Je voulais dire du <i>sel</i>. Ne prendriez-vous +pas du s… des bonbons ? (<i>A part.</i>) Il +va me prendre pour une folle furieuse. Je +voudrais bien que maman arrive.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — C’<i>était</i> bien une +dînette, et elle en a honte. Mâtin, elle n’a pas +l’air si mal, lorsqu’elle rougit comme cela. +(<i>Haut, en puisant lui-même dans l’assiette.</i>) +Avez-vous vu ces nouveaux chocolats chez +Péliti ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Non, j’ai fait ceux-ci moi-même. +De quoi ont-ils l’air ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ceux-ci !… <i>Dé</i>-licieux. (<i>A +part.</i>) Et c’est un fait.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Oh, zut ! il va croire +que je suis en quête de compliments. (<i>Haut.</i>) +Non, ceux de Péliti, naturellement.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec enthousiasme</i>). — Pas à +comparer avec ceux-ci. Comment les faites-vous ? +Je ne peux arriver à ce que mon <i>khansamah</i><a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a> +comprenne la plus simple chose en +dehors du mouton et du poulet.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Cuisinier indigène.</p> +</div> +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui ? Je ne suis pas un <i>khansamah</i>, +vous savez. Peut-être que vous lui faites +peur. Il ne faut jamais faire peur à un +domestique. Il perd la tête. C’est de très mauvaise +politique.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il est d’une si effroyable bêtise.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>se croisant les mains sur les genoux</i>). — Il +faudrait l’appeler tout tranquillement +et lui dire : « <i>O khansamah jee !</i> »</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>commençant à s’intéresser</i>). — Oui ! +(<i>A part.</i>) Imaginez ce petit poids-léger +disant : « <i>O khansamah jee</i> » à mon farouche +Mir Khan !</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Puis vous lui expliqueriez le +dîner, plat par plat.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais je ne sais pas parler le +langage du pays.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>d’un air protecteur</i>). — Vous +devriez passer l’examen des langues orientales +et essayer.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je l’ai fait, mais il ne semble +pas que j’en sois plus habile pour cela. Et +vous ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je n’ai jamais passé l’examen. +Mais le <i>khansamah</i> est très patient avec moi. +Il ne se fâche pas quand je parle de <i>topees</i> +(chapeaux) de mouton, alors que je veux dire +des têtes, ou que je commande des <i>maunds</i> +(tonnes) de grain, alors que je veux dire des +livres.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part, avec une forte indignation</i>). — Je +voudrais voir Mir Khan se montrer +grossier vis-à-vis de cette petite ! Allons, +allons ! ne nous emballons pas. (<i>Haut.</i>) Et +vous y entendez-vous aussi pour ce qui est +des chevaux ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Un peu… pas beaucoup. Je ne +sais pas les médicamenter, mais je sais ce +qu’il faut qu’ils mangent, et c’est moi qui +suis chargée de l’écurie.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vraiment ! Vous pourriez +m’aider, alors. Qu’est-ce qu’on doit donner à +son <i>saïs</i><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>, dans les montagnes ? Mon brigand +dit huit roupies parce que tout est si cher.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Palefrenier.</p> +</div> +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Six roupies par mois, et une +roupie de supplément à Simla… Ni plus ni +moins. Et un coupeur d’herbe gagne six roupies, +cela vaut mieux que d’acheter l’herbe au +bazar.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec admiration</i>). — Comment +savez-vous ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — J’ai essayé l’un et l’autre.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous montez donc beaucoup +à cheval ? Je ne vous ai jamais vue sur le +Mall ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Je ne l’ai pas croisé +<i>plus</i> de cinquante fois. (<i>Haut.</i>) Presque tous +les jours.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Sapristi ! Je ne savais pas +cela. Ha-hmmm ! (<i>Il tire sur sa moustache +et reste silencieux l’espace de quarante +secondes.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>éperdument, et se demandant ce +qui va arriver</i>). — Elle est très bien. A +votre place je n’y toucherais pas. (<i>A part.</i>) +C’est la faute à maman qui n’est pas venue +plus tôt. Je <i>vais</i> être grossière !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se bronzant sous le hâle, et +ramenant sa main très promptement</i>). — Hein ! +Quo-oi ! Oh, oui ! Ha ! ha ! (<i>Il rit d’un +air gêné.</i>) (<i>A part.</i>) Ah ! bien, elle en a un +sacré toupet ! Je n’ai jamais encore vu une +femme me dire cela. Ce doit être une mâtine, +sans quoi… Ah ! cette dînette !</p> + +<p><span class="xs">VOIX SORTANT DE L’INCONNU.</span> — Tchk ! tchk ! +tchk !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bonté divine ! Qu’est-ce que +c’est que cela ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Le chien, je crois. (<i>A part.</i>) +Emma écoutait, et je ne le lui pardonnerai +jamais !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ils n’ont pas de +chien. (<i>Haut.</i>) On n’eût pas dit un chien, +n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Alors, ce devait être le chat. +Allons dans la verandah. Quel délicieux +après-midi !</p> + + +<p class="did"><i>Elle pénètre dans la verandah +et regarde au loin +dans les montagnes en +plein soleil couchant. Le +capitaine suit.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Des yeux superbes ! +Je m’étonne de ne les avoir jamais encore +remarqués. (<i>Haut.</i>) Il doit y avoir un bal au +palais vice-royal mercredi. Pouvez-vous me +réserver une danse ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>brièvement</i>). — Non ! Je n’ai pas +besoin de vos danses par charité. Vous ne +m’invitez que parce que maman vous a dit de +le faire. Je saute et je bouscule. Vous le +<i>savez</i> bien !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — C’est vrai, mais ce +n’est pas aux petites filles à comprendre ces +choses-là. (<i>Haut.</i>) Non, sur ma parole, je ne +le sais pas. Vous dansez à merveille.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Alors pourquoi vous arrêtez-vous +toujours après une demi-douzaine de +tours ! Je croyais que dans l’armée les officiers +ne contaient jamais de craques.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ce n’était pas une craque, +croyez-moi. Je sollicite réellement le plaisir +d’une danse avec vous.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>avec malice</i>). — Pourquoi ? Est-ce +que maman ne veut plus danser avec vous ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>plus vivement que ne le réclament +les circonstances</i>). — Je ne pensais +pas à madame votre mère. (<i>A part.</i>) Petite +poison, va !</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>regardant toujours par la fenêtre</i>). — Hein ? +Oh, je vous demande pardon. +Je pensais à autre chose.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Eh bien ! je me +demande ce qu’elle va pouvoir dire encore. +Je n’ai jamais vu une femme me traiter de la +sorte. Autant être — le diable m’emporte, — autant +être sous-lieutenant d’infanterie. +(<i>Haut.</i>) Oh ! <i>je vous en prie.</i> Je n’en vaux +pas la peine. Madame votre mère n’est-elle +pas encore prête ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je pense que oui ; mais promettez-moi, +capitaine Gadsby, que vous ne +ferez plus faire deux fois de suite le tour du +Jakko à ma pauvre chère maman. Cela la +fatigue tant !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Elle prétend qu’aucun exercice +ne la fatigue.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui, mais elle souffre après. +Vous ne savez pas, vous, ce que c’est que les +rhumatismes, et vous ne devriez pas la retenir +dehors si tard, quand il se met, le soir, +à faire frais.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Les rhumatismes ! +Il me semblait aussi qu’elle descendait de +cheval un peu tout d’une pièce. Huuuou ! On +s’instruit tous les jours. (<i>Haut.</i>) Je suis +fâché de l’apprendre. Elle ne m’en a pas +parlé.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>troublée</i>). — Naturellement non. +La pauvre chère maman ne l’eût pas fait. Et +il ne faut pas non plus aller raconter que je +vous l’ai dit. Promettez-moi que vous ne le +répéterez pas. Oh, capitaine Gadsby, <i>promettez</i>-le-moi !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je suis muet, ou… je le serai +dès que vous m’aurez accordé cette danse, et +une autre… si vous voulez bien prendre la +peine de penser une minute à moi.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Mais cela ne vous plaira pas le +moins du monde. Vous le regretterez affreusement +ensuite.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela me plaira par-dessus +toutes choses, et ce que je regretterai, ce sera +de ne pas avoir obtenu davantage. (<i>A part.</i>) +De par tous les diables, qu’est-ce donc que +je me mets à dire ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Fort bien. Ce sera vous-même +que vous aurez à remercier si l’on vous écrase +les pieds. Dirons-nous la septième ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et la onzième. (<i>A part.</i>) Elle +ne peut pas peser plus de cent livres, et même +alors, elle a le pied ridiculement petit. (<i>Il +jette les yeux sur ses propres bottes de cheval.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Elles reluisent superbement. Je +peux presque me mirer dedans.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je me demandais s’il me faudrait +me servir de béquilles pour le reste de +mes jours au cas où vous me marcheriez sur +les pieds.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Fort probablement. Pourquoi ne +pas changer la onzième pour un quadrille ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, <i>je vous en prie</i> ! Il faut +que ce soient deux valses. Ne voulez-vous +pas les marquer ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je ne reçois pas tant d’invitations +que je doive les embrouiller. Ce sera <i>vous</i> le +coupable.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Attendez pour voir ! (<i>A part.</i>) +Elle ne danse pas parfaitement, peut-être, +mais…</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Votre thé doit être froid maintenant. +En voulez-vous une autre tasse ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, merci. Ne trouvez-vous +pas qu’il fait plus agréable dehors sous la +verandah. (<i>A part.</i>) Je n’ai jamais vu encore +de cheveux prendre cette couleur au soleil +couchant. (<i>Haut.</i>) C’est comme un tableau +de Dicksee.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Oui ! c’est un merveilleux coucher +de soleil, n’est-ce pas ? (<i>Crûment.</i>) Mais +qu’est-ce que vous savez, vous, des tableaux +de Dicksee ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je retourne en Angleterre de +temps en temps. Et je n’étais pas sans connaître +les musées. (<i>Nerveusement.</i>) Il ne faut +pas croire que je ne suis qu’un Philistin à… +moustache.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Je vous en prie ! Je vous en supplie ! +Je suis <i>si</i> fâchée de ce que je vous ai +dit tout à l’heure. J’ai été affreusement impolie. +C’est parti sans y penser. Est-ce que +vous ne connaissez pas la tentation que l’on a +parfois de dire des choses horribles et offensantes +pour le seul plaisir de les dire ! J’ai +peur d’y avoir cédé.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>épiant la jeune fille qui rougit</i>). — Je +crois connaître ce sentiment-là. Ce serait +terrible si nous y cédions tous, n’est-ce pas ? +Par exemple, je pourrais dire…</p> + +<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>entrant, amazone, +chapeau d’homme et bottes</i>). — Ah ! le capitaine +Gadsby ! Fâchée de vous faire attendre. +J’espère que vous ne vous êtes pas trop +ennuyé. Ma petite fille vous a tenu conversation ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>). — Je ne regrette pas d’avoir +parlé des rhumatismes. Non ! non ! Je ne +regrette qu’une chose, c’est de n’avoir pas +mentionné aussi les cors.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Quelle honte ! Je +me demande l’âge qu’elle a. Cela ne m’était pas +encore venu à l’idée. (<i>Haut.</i>) Nous avons +discuté « Shakespeare et les harmonicas »<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a> +dans la verandah.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Goldsmith. <i>Le Vicaire de Wakefield</i>.</p> +</div> +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>à part</i>.) — Qu’il est gentil ! Il +connaît cette citation. Ce <i>n’est pas</i> un Philistin +à moustache. (<i>Haut.</i>) Au revoir, capitaine +Gadsby. (<i>A part.</i>) En voilà une main, et +<i>quelle</i> poigne ! Je ne crois pas que ce soit +avec intention, mais il m’a rentré les bagues +dans les doigts.</p> + +<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN.</span> — Est-ce que Vermillon +n’est pas encore là ? Oh, oui ! Capitaine +Gadsby, ne trouvez-vous pas que la selle +est trop en avant ? (<i>Ils passent dans la verandah +de devant.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Comment, diantre, +saurais-je ce qu’elle préfère ? Elle m’a dit +qu’elle raffolait des chevaux. (<i>Haut.</i>) Je crois +que oui.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>s’en venant dans la verandah de +devant</i>). — Oh ! ce Buldoo ! Il faut que je le +lui dise. Il a raccourci la gourmette de deux +anneaux, et c’est chose que Vermillon déteste. +(<i>Elle sort et va à la tête du cheval.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Laissez-moi faire cela.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Non. Vermillon me comprend. +N’est-ce pas, vieux ? (<i>Elle desserre adroitement +la gourmette, et caresse le cheval aux +narines et sous le cou.</i>) Pauvre Vermillon ! +Est-ce qu’on voulait lui couper son menton ? +Là !</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> considère +l’intermède avec une +admiration non déguisée.</i></p> + + +<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>vertement à <span class="xs">MISS T.</span></i>). — Tu +as, je pense, oublié ton hôte, ma chère +amie.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Bonté divine ! Mais oui ! Adieu. +(<i>Elle bat promptement en retraite à l’intérieur.</i>)</p> + +<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>rassemblant les rênes +dans des doigts empêchés par des gants +trop étroits</i>). — Capitaine Gadsby !</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. GADSBY</span> se baisse et +fait le marchepied. <span class="xs">PAUVRE +CHÈRE MAMAN</span> tâtonne, +stationne trop longtemps, +et passe au travers.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Je ne peux pas tenir +en l’air cent soixante livres toute une éternité. +Ce sont vos rhumatismes. (<i>Haut.</i>) Je ne peux +croire que j’aie été si maladroit. (<i>A part.</i>) Si +ç’avait été Petit-Poidsléger, elle se fût enlevée +comme un oiseau.</p> + + +<p class="did"><i>Ils sortent à cheval du jardin. +Le capitaine se laisse +distancer.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Comme cette amazone +la pince sous les bras ! Peuh !</p> + +<p><span class="xs">PAUVRE CHÈRE MAMAN</span> (<i>avec le sourire effacé +de seize saisons, le pire pour l’échange</i>). — Vous +êtes terne, cet après-midi, capitaine +Gadsby.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>éperonnant d’un air las</i>). — Pourquoi +m’avez-vous fait attendre si longtemps ?</p> + +<p class="c"><i>Et cætera, et cætera, et cætera.</i></p> + + +<p class="c gap">(<span class="xs">UN INTERVALLE DE TROIS SEMAINES</span>)</p> + + +<p class="gap"><span class="xs">LA JEUNESSE DORÉE</span> (<i>assise sur les balustrades +en face de l’hôtel de ville</i>). — Hé, Gaddy ! +Venez de promener la Gorgonzola ! Nous pensions +tous que c’était à la Gorgone<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a> que +vous faisiez la cour.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> Dans la société anglo-indienne chacun reçoit un surnom.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton foudroyant</i>). — Espèce +d’ourson ! Qu’est-ce que nom de D. cela peut +bien vous faire ?</p> + + +<p class="did"><i>Il se lance, à l’adresse de la +<span class="xs">JEUNESSE DORÉE</span>, dans tout +un sermon sur la retenue +et le savoir-vivre, lequel +aplatit l’autre comme une +lanterne vénitienne. Il s’éloigne +courroucé.</i></p> + + + +<p class="c gap">(<span class="xs">AUTRE NOUVEL INTERVALLE DE CINQ SEMAINES</span>)</p> + + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Extérieur de la nouvelle bibliothèque +de Simla par un soir de brouillard. <span class="xs">MISS +THREEGAN</span> et <span class="xs">MISS DEERCOURT</span> se rencontrent au +milieu des rickshaws. <span class="xs">MISS T.</span> porte un paquet +de livres sous le bras gauche.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">MISS D.</span> (<i>ton égal</i>). — Eh bien ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>ton ascendant</i>). — Eh bien ?</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>emprisonnant le bras gauche de +son amie, enlevant tous les livres, plaçant les +livres dans une rickshaw, revenant au bras, +s’emparant de la main par le troisième doigt +et cherchant</i>). — Eh bien ! C’en est une +vilaine fille ! Et tu ne m’en aurais <i>pas</i> soufflé +mot !</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i>modestement</i>). — Il… il… il n’a +parlé que hier dans l’après-midi.</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Tous mes souhaits, ma chère. +Et je vais être demoiselle d’honneur, n’est-ce +pas ? Tu <i>sais</i> que tu l’as promis il y a <i>si</i> longtemps.</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> — Cela va sans dire. Je te raconterai +tout demain. (<i>Elle entre dans la rickshaw.</i>) +Oh ! Emma !</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> (<i>avec un intense intérêt</i>). — Oui, +chère amie ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i lang="it" xml:lang="it">piano</i>). — C’est parfaitement vrai… +à propos… de l’… œuf.</p> + +<p><span class="xs">MISS D.</span> — Quel œuf ?</p> + +<p><span class="xs">MISS T.</span> (<i lang="it" xml:lang="it">pianissimo prestissimo</i>). — L’œuf +sans le sel. (<i lang="it" xml:lang="it">Forte.</i>) <i>Chalo ghar ko jaldi, +jhampani !<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a></i></p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> A la maison, jhampani.</p> +</div> +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">LE MONDE EXTÉRIEUR</h2> + +<blockquote class="epi"> +<p>Certaines gens d’importance.</p> + +</blockquote> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Fumoir du Degchi Club. Dix heures +et demie, par une soirée étouffante pendant +les pluies. Quatre hommes dispersés dans des +attitudes pittoresques et des fauteuils. Entre +en scène <span class="xs">BLAYNE</span>, des <span lang="en" xml:lang="en">Irregular Moguls</span>, en +tenue du soir.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">BLAYNE.</span> — Phuuu ! On devrait bien pendre +le juge dans sa boutique. Ici, <i>khitmatgar</i> ! +Un <i>poora</i><a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a> whisky pour m’enlever le goût +de la bouche.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Fort.</p> +</div> +<p><span class="xs">CURTISS</span> (<i lang="en" xml:lang="en">Royal Artillery</i>). — Ah, c’est cela, +vraiment ? Qu’est-ce qui diable a pu vous faire +aller dîner chez le juge ? Vous connaissez sa +<i>bandobust</i><a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Cuisine.</p> +</div> +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pensais que cela ne pouvait être +pire que le club ; mais je parierais qu’il achète +de la liqueur de vidange, et qu’il la drogue +de gin et d’encre. (<i>Regardant autour de la +pièce.</i>) Est-ce tout ce que vous êtes, ce soir ?</p> + +<p><span class="xs">DOONE</span> (<i>des Travaux Publics</i>). — On a +appelé Anthony pendant le dîner. Mingle +avait mal au ventre.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Miggy meurt du choléra une +fois par semaine pendant les pluies, et se +saoule de chlorodyne dans l’intervalle. Bon +petit type, quand même. Du monde chez le +juge, Blayne ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Cockley et sa <i>memsahib</i>, qui +paraît affreusement pâle et éreintée. Une +jeune fille quelconque — n’ai pas saisi le nom — en +route pour les montagnes, sous l’égide +des Cockley — le juge et Markyn, frais arrivé +de Simla… dégoûtant de bonne santé.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Seigneur Dieu, que de splendeurs ? +Y avait-il assez de glace ? La dernière +fois que je broutai là, j’en eus tout un morceau… +presque aussi gros qu’une noix. Qu’est-ce +que disait Markyn ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Il paraît que tout le monde se +donne du bon temps, là-haut, malgré la +pluie. Sacrebleu, cela me rappelle ! Je savais +bien que je n’étais pas venu pour le simple +plaisir de votre société. Des nouvelles ! De +grandes nouvelles ! C’est Markyn qui me l’a +raconté.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Qui est-ce qui est mort ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Personne, que je sache ; mais +Gaddy a fini par se laisser mettre le grappin +dessus !</p> + +<p><span class="xs">TOUS EN CHŒUR.</span> — Comment, diable ! Markyn +s’est payé votre tête. Pas <span class="xs">GADDY</span> !</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE</span> (<i>fredonnant</i>). — « Oui-da, en vérité, +en vérité, en vérité ! En vérité, en vérité, je +te le dis, » Théodore, le présent de Dieu ! Notre +Philippe ! La chose a été promulguée.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY</span> (<i>avocat</i>). — Peuh ! Les femmes +promulgueront n’importe quoi. Que dit l’accusé ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Markyn m’a dit l’avoir congratulé +avec circonspection… une main tendue, +l’autre prête à se mettre en garde. Gaddy a +piqué un fard et a déclaré qu’il en était ainsi.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Pauvre vieux Gaddy ! Ils y +arrivent tous. Qui est-<i>elle</i> ? Écoutons les +détails.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — C’est une jeune fille… dont le +père est un certain colonel Quelque Chose.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Simla en est bondé, de filles de +colonels. Soyez plus explicite.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Attendez donc. Quel était son +nom ? <span lang="en" xml:lang="en">Three</span>… quelque chose. <span lang="en" xml:lang="en">Three</span>…</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Trois Étoiles<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a>, comme on dit +en français. Gaddy connaît cette marque-là.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> En anglais, trois se dit <i lang="en" xml:lang="en">three</i>.</p> +</div> +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Threegan… Minnie Threegan.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Threegan ! N’est-ce pas un +petit brin de fille aux cheveux rouges ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Quelque chose comme cela… +d’après ce que dit Markyn.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Alors, je l’ai rencontrée. Elle +était à Lucknow la saison dernière. Possédait +une maman atteinte de jeunesse chronique, +et dansait abominablement. Dites-moi, Jervoise, +vous avez connu les Threegan, n’est-ce +pas ?</p> + +<p><span class="xs">JERVOISE</span> (<i>fonctionnaire de vingt-cinq années +de service, se réveillant de son somme</i>). — Hein ! +Qu’est-ce que c’est ? Connu qui ? Comment ? +Je me croyais au pays, Dieu vous confonde !</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — La petite Threegan est fiancée, +à ce que dit Blayne.</p> + +<p><span class="xs">JERVOISE</span> (<i>avec lenteur</i>). — Fiancée… +fiancée ! Par exemple ! voilà qui ne me rajeunit +pas ! La petite Minnie Threegan fiancée. +C’était encore l’autre jour que j’allais au pays +avec elle sur le <i>Surat</i> — non, le <i>Massilia</i> — et +elle se traînait à quatre pattes au milieu +des <i>ayahs</i>. Elle m’appelait le « Tic Tac +sahib » parce que je lui montrais ma montre. +Et c’était, cela, en 67… non, 70. Bon Dieu, +comme le temps marche ! Me voici un vieillard. +Je me rappelle quand Threegan épousa +Miss Derwent — fille du vieux Hooky Derwent… +mais c’était avant vous. Ainsi, le petit +bébé est fiancé pour avoir un petit bébé à son +tour ! Qui est l’autre insensé ?</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Gadsby, des Hussards Roses.</p> + +<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — Connais pas. Threegan a vécu +dans les dettes, s’est marié dans les dettes, et +mourra dans les dettes. Doit être content de +se voir débarrassé de la petite.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Gaddy a de l’argent… le veinard. +Une terre au pays aussi.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Il sort de la haute. Peux pas +arriver à comprendre comment il s’est laissé +pincer par la fille d’un colonel, et (<i>regardant +prudemment autour de lui</i>) d’infanterie +indigène encore ! Sans vous offenser, Blayne.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE</span> (<i>avec raideur</i>). — Non, au contraire, +me-erci.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS</span> (<i>citant la devise des <span lang="en" xml:lang="en">Irregular +Moguls</span></i>). — « Nous sommes ce que nous +sommes », hein, mon vieux ? Mais Gaddy +était en général un type si supérieur. Pourquoi +n’est-il pas allé au pays choisir sa +femme ?</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Ils sont tous pareils quand ils +arrivent au tournant dans la ligne droite. +Vers trente ans, un homme commence à en +avoir assez de vivre seul…</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Et de l’éternelle côtelette de +mouton le matin.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — En général, c’est de la chèvre +morte, mais continuez, Mackesy.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Une fois qu’un homme a pris +cette voie, rien ne le retiendra. Vous rappelez-vous +Benoît de votre service, Doone ? +On le transféra à Tharanda lorsque son tour +vint, et il épousa la fille d’un poseur de la +voie, ou quelque chose d’approchant. C’était +l’unique femelle de l’endroit.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Oui, le pauvre idiot ! Cela brisa +du coup ses chances d’avancement. Mrs. +Benoît avait l’habitude de vous demander : +« C’est-y qu’on vous verra à la danse, ce +soir ? »</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Voyons, après tout ! Gaddy +n’a pas fait un mariage au-dessous de lui. +Il n’y a pas de sang noir dans la famille, je +suppose.</p> + +<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — De sang noir ! Pas pour un +anna. Vous autres, jeunes garnements, vous +parlez comme si le monsieur faisait un honneur +à la jeune fille en l’épousant. Vous êtes +tous trop infatués de vous-mêmes…, il n’y +aurait jamais rien d’assez bon pour vous.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pas même un club désert, un +sacré sale dîner chez le juge, et une station +aussi insalubre qu’un hôpital. Vous avez +parfaitement raison. Nous sommes une collection +de sybarites.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — De luxurieux coquins vautrés +dans…</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — L’éruption de chaleur entre les +épaules. J’en suis couvert. Espérons que +Béora sera plus frais.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Uhhhou ! Est-ce qu’on vous +envoie, vous aussi, camper ? Je croyais que les +artilleurs avaient une feuille blanche.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Non, malheureusement. Deux +cas hier — l’un est mort — et si nous en +avons un troisième, nous nous en allons. +Est-ce qu’on peut chasser, à Béora, Doone ?</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Le pays est sous l’eau, sauf le +morceau contre la <span lang="en" xml:lang="en">Grand Trunk Road</span>. J’y +étais hier à visiter un <i>bund</i><a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>, et j’y ai +trouvé quatre pauvres diables à leur dernière +étape. C’est plutôt mauvais, d’ici à Kuchara.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> Barrage.</p> +</div> +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Alors, nous sommes à peu près +certains d’écoper dans les grandes largeurs. +Ah ! je ne craindrais pas de changer avec +Gaddy pour quelque temps. L’amour avec +Amaryllis à l’ombre de l’hôtel de ville, et +le reste. Oh ! pourquoi ne vient-il pas quelqu’un +m’épouser, au lieu de me laisser aller +dans un camp de choléra ?</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Demandez cela au comité du +cercle.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Animal ! voilà qui va vous coûter +une tournée. Blayne, qu’est-ce que vous +prenez ? Mackesy est à l’amende pour immoralité. +Doone, avez-vous une préférence ?</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Un petit verre de kummel, s’il +vous plaît. C’est un excellent carminatif par +ce temps-ci. C’est Anthony qui me l’a dit.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY</span> (<i>signant un bon pour quatre +verres</i>). — Châtiment on ne peut plus injuste. +Je pensais seulement à Curtiss en Actéon +poursuivi autour des billards par les nymphes +de Diane.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Il faudrait que Curtiss fît l’importation +de ses nymphes par chemin de fer. +Mrs. Cockley est l’unique femme de la station. +Elle ne quitterait pas Cockley, et il fait de +son mieux pour arriver à ce qu’elle s’en aille.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Cela, c’est bien ! A la santé de +Mrs. Cockley. A l’unique femme de la station, +et une femme sacrément brave !</p> + +<p><span class="xs">TOUS</span> (<i>buvant</i>). — Une femme sacrément +brave !</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Je suppose que Gaddy amènera +sa femme ici à la fin du froid. Ils se marient +presque immédiatement, je crois.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Gaddy peut remercier son +étoile de ce que les Hussards Roses sont tous +en détachement et pas au quartier général +pendant ces chaleurs, sans quoi il se trouverait +arraché aux bras de son amour, sûr +comme la mort. Avez-vous jamais remarqué +la liberté d’esprit avec laquelle la cavalerie +britannique s’adonne au choléra. C’est parce +qu’ils coûtent si cher. Si les Roses avaient +tenu bon ici, ils seraient partis camper il y a +un mois. Oui, je voudrais bien décidément +être à la place de Gaddy.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Il ira au pays après son mariage, +et donnera sa démission… vous verrez cela.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pourquoi ne le ferait-il pas ? +N’a-t-il pas de l’argent ? Est-ce qu’il y en +aurait ici un seul d’entre nous si nous n’étions +pas tous des gueux ?</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Pauvre vieux gueux ! Que sont +devenues les six cents roupies que vous avez +subtilisées à notre table le mois dernier ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Elles se sont donné des ailes. +Je crois qu’un commerçant quelque peu entreprenant +en a eu sa part, et qu’un <i>shroff</i><a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a> +a gobé le reste… Ou, pour mieux dire, je les +ai dépensées.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> Usurier.</p> +</div> +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Gaddy, lui, n’a jamais de sa vie +eu affaire à un <i>shroff</i>.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Vertueux Gaddy ! Si j’avais, +moi, trois mille roupies par mois, qui me +viennent d’Angleterre, je ne crois pas que +j’aurais affaire à un <i>shroff</i>.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY</span> (<i>bâillant</i>). — Oh ! c’est une vie +délicieuse ! Je me demande si le mariage en +augmenterait le charme.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Demandez à Cockley… avec sa +femme qui meurt à petit feu !</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Allez au pays demander à quelque +petite sotte de s’en venir par ici — qu’est-ce +que dit Thackeray ? — « au splendide +palais d’un proconsul indien ».</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Ce qui me rappelle. Mon logis +laisse passer l’eau comme un crible. J’ai eu la +fièvre, la nuit dernière, d’avoir dormi dans +un marécage. Et le pire, c’est qu’il n’y a rien +à faire à un toit, jusqu’à ce que les pluies +soient passées.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Qu’est-ce qui vous chiffonne ? +Vous n’avez pas, vous, quatre-vingts piou-pious +en train de pourrir, à conduire dans le +courant d’un fleuve.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Non, mais je suis tout en +clous et en jurons. Je suis un véritable Job +par tout le corps. C’est pure pauvreté de sang, +et je ne vois aucune chance de devenir plus +riche… ni de l’une ni de l’autre façon.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Ne pouvez-vous pas prendre un +congé ?</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — C’est là l’avantage que vous autres, +les gens de l’armée, vous avez sur nous. +Dix jours, ce n’est rien à vos yeux. Moi, je +suis si important que le gouvernement ne +peut me trouver de remplaçant si je m’en +vais. Ou-ui, je voudrais être à la place de +Gaddy, quelle que puisse être sa femme.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Vous avez passé le tournant de +la vie dont Mackesy parlait.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Certes, je l’ai passé, mais je n’ai +jamais encore eu la brutalité de demander à +une femme de partager mon existence par +ici.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Sur mon âme, je crois que vous +avez raison. Je pense à Mrs. Cockley. C’est +une véritable ruine que cette femme.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Absolument. Parce qu’elle reste +ici en bas. Le seul moyen de la conserver en +état serait de l’envoyer dans les montagnes +pendant huit mois — et la même chose avec +n’importe quelle femme. Je me vois prenant +femme dans ces conditions.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Avec la roupie à un shilling +six pence. Les petits Doone deviendraient des +petits Doone de Dehra avec un bel accent +<i>chi-chi</i> de Mussourie à rapporter à la maison +pour les vacances.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Et une paire de belles cornes +de sambhur à porter pour Doone, franco de +port, offertes par…</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Oui, c’est une perspective enchanteresse. +En passant, la roupie n’a pas +encore fini de baisser. Le temps viendra +où il faudra nous trouver heureux si nous +ne perdons que la moitié de notre solde.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — J’aurais cru qu’un tiers suffisait +comme perte. Qui est-ce qui gagne à l’arrangement ? +C’est ce que je voudrais bien savoir.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — La question d’argent ! Je vais +me coucher si vous vous mettez à vous chamailler. +Grâces soient rendues, voici Anthony… qui +a l’air d’une ombre.</p> + + +<p class="did"><i>Entre <span class="xs">ANTHONY</span>, du corps +médical des Indes, très +pâle et très fatigué.</i></p> + + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Bonsoir, Blayne. Il pleut à +torrents. Apporte-moi un whisky-soda, <i>khitmatgar</i>. +Les routes sont quelque chose d’affreux.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Comment va Mingle ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Très mal, et plus de peur encore. +Je l’ai passé à Fewton. Mingle aurait +tout aussi bien pu commencer par l’appeler +au lieu de me tracasser.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — C’est un petit type nerveux. +Qu’est-ce qu’il a, cette fois-ci ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Ne saurais trop dire. Le ventre +très mauvais et jusqu’ici une peur bleue. +Il m’a demandé tout de suite si c’était le +choléra, et je lui ai répondu de ne pas faire +la bête. Cela l’a calmé.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Pauvre diable ! La frousse fait +la moitié de la besogne chez un homme de cet +acabit.</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY</span> (<i>allumant un cheroot</i>). — Je crois +fermement que la frousse le tuera s’il reste +en bas. Vous savez la somme d’ennui qu’il a +causée à Fewton pendant ces trois dernières +semaines. Il fait tout ce qu’il peut pour mourir +de peur.</p> + +<p><span class="xs">CHŒUR GÉNÉRAL.</span> — Pauvre petit diable ! +Pourquoi ne s’en va-t-il pas ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Ne peut pas. Il a sa permission +en règle, mais il est tellement à fond de +cale qu’il ne peut la prendre, et je ne crois +pas que sa signature vaudrait quatre annas. +Ceci en confidence, toutefois.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Toute la station le sait.</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — « Je suppose qu’il me faudra +mourir ici », a-t-il dit, en se tordant en travers +de son lit. Il est absolument persuadé +qu’il va s’en aller <i lang="la" xml:lang="la">ad patres</i>. Et je sais pertinemment +qu’il n’a rien de plus qu’un ventre +de temps humide, si seulement il pouvait +prendre un peu le dessus.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — C’est mauvais, c’est <i>très</i> mauvais. +Pauvre petit Miggy ! Bon petit type tout +de même. Dites donc ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Quoi « dites donc » ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Eh bien, écoutez… voici… Si +c’est comme cela… comme vous dites… moi, +je dis cinquante.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Je dis cinquante.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — J’y vais de vingt de plus.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Gros Crésus du bar ! Je dis cinquante. +Jervoise, que dites-vous ? Hi ! Réveillez-vous !</p> + +<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — Hein ? Qu’est-ce que c’est ? +Qu’est-ce que c’est ?</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Nous voulons vous soutirer cent +roupies. Vous êtes un célibataire à revenus +gigantesques, et il y a un homme dans le lac.</p> + +<p><span class="xs">JERVOISE.</span> — Quel homme ? Quelqu’un de +mort ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Non, mais il mourra si vous ne +donnez pas les cent. Tenez ! voici un bon +tout prêt. Vous pouvez voir pour combien +nous avons signé, et l’homme d’Anthony +viendra demain l’encaisser. De sorte qu’il n’y +aura pas de difficultés.</p> + +<p><span class="xs">JERVOISE</span> (<i>signant</i>). — Cent. E.M.J. Voilà. +(<i>Faiblement.</i>) Ce n’est pas une de vos facéties, +n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Non, il les vaut vraiment. Anthony, +vous avez été le plus gros gagnant au +poker la semaine dernière et vous avez frustré +le percepteur trop longtemps. Signez !</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Voyons, trois cinquante et un +soixante-dix… deux cent vingt… trois cent +vingt… disons quatre cent vingt. Cela lui +donnera un bon mois dans les montagnes. +Mille merci, vous autres. J’enverrai le <i>chaprassi</i><a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a> +demain.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> Commis.</p> +</div> +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Il faut vous arranger pour qu’il +accepte, et naturellement il ne faut pas…</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Naturellement. Cela ne ferait +pas l’affaire. Il s’en irait pleurer de gratitude +sur son verre du soir.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Maudit soit-il, c’est bien ce +qu’il irait faire. Oh ! dites-moi, Anthony, vous +qui prétendez tout savoir : avez-vous entendu +parler de Gaddy ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Non. Un procès en divorce, +enfin ?</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Pire. Il est fiancé !</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Comment dites-vous ? Pas +possible !</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Plus que possible. Il va se +marier dans quelques semaines. C’est Markyn +qui me l’a dit chez le juge ce soir. C’est +<i>pukka</i><a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> Une affaire réglée.</p> +</div> +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Vous ne parlez pas sérieusement ? +Saperlipopette ! Il y aura du grabuge +sous les tentes de Cédar.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Croyez-vous que le régiment +montrera son mécontentement ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Ne sais quoi que ce soit sur le +régiment.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — C’est la bigamie, alors ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Peut-être bien. Voulez-vous +dire que vous autres, vous avez oublié, ou +est-ce qu’il y a dans le monde plus de charité +que je ne pensais ?</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Cela ne vous embellit pas d’essayer +de garder un secret. Vous gonflez à péter. +Expliquez.</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Mrs. Herriott.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE</span> (<i>après une longue pause, à tout le +monde à la ronde</i>). — C’est mon avis que +nous sommes une collection d’idiots.</p> + +<p><span class="xs">MACKESY.</span> — Allons donc ! Cette affaire-là +était morte et enterrée à la saison dernière. +Comment donc ? Le jeune Mallard…</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Mallard tenait la chandelle. +C’est pour cela qu’il était là. Réfléchissez un +instant. Rappelez-vous la saison dernière et +ce qu’on disait. Mallard ou pas Mallard, +Gaddy a-t-il adressé la parole à une seule +autre femme ?</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Il y a quelque chose là-dedans. +C’était quelque peu remarquable, maintenant +que vous en parlez. Mais elle est à Naini Tal +et il est à Simla.</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Il lui a fallu aller à Simla +pour piloter un <span lang="en" xml:lang="en">globe-trotter</span> de sa famille… +un personnage titré, oncle ou tante.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Et c’est là qu’il s’est fiancé. Il +n’y a pas de loi qui empêche un homme de se +fatiguer d’une femme.</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Sauf qu’il ne doit pas le faire +tant que la femme n’est pas fatiguée de lui. +Et ce n’était pas le cas de la Herriott.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Il se peut qu’elle le soit maintenant. +Deux mois de Naini Tal accomplissent +des prodiges.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — C’est curieux comme il y a des +femmes qui portent un sort avec elles. Il y +avait une certaine Mrs. Deegie, dans les provinces +du centre, que les hommes finissaient +invariablement par quitter pour se marier. +C’était passé en proverbe parmi nous quand +j’étais là-bas. Je me souviens de trois hommes +qui étaient éperdument à sa dévotion, et qui, +tous, l’un après l’autre, prirent femme.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — C’est bizarre. Pour moi, j’aurais +pensé que l’influence de Mrs. Deegie devait +les pousser à prendre les femmes des autres. +Cela aura dû leur inspirer la crainte du jugement +de la Providence.</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Mrs. Herriott inspirera à Gaddy +la crainte de quelque chose de plus que le +jugement de la Providence, j’imagine.</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — En supposant que les choses +soient comme vous dites, ce serait un imbécile +d’aller affronter cette femme. Il ne bougera +pas de Simla.</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — Serais pas le moins du monde +surpris qu’il s’en aille à Naini s’expliquer. +C’est une espèce d’homme incompréhensible, +et, quant à elle, c’est probablement une femme +plus qu’incompréhensible.</p> + +<p><span class="xs">DOONE.</span> — Qu’est-ce qui vous fait la débiner +avec une pareille confiance ?</p> + +<p><span class="xs">ANTHONY.</span> — <i lang="la" xml:lang="la">Primum tempus.</i> Gaddy a été +son premier, et une femme ne laisse pas +échapper son premier amant sans se plaindre. +Elle se justifie à elle-même le premier transfert +d’affection en jurant que c’est pour +toujours et toujours. Par conséquent…</p> + +<p><span class="xs">BLAYNE.</span> — Par conséquent, nous voilà assis +jusqu’à une heure passée à causer scandale +comme un cénacle de portières. Anthony, c’est +aussi votre faute. Nous étions parfaitement +respectables jusqu’au moment où vous êtes +entré. Allez vous coucher. J’y vais. Bonne +nuit tous.</p> + +<p><span class="xs">CURTISS.</span> — Une heure passée ! Il est deux +heures passées, sur mon âme, et voici venir +le <i>khit</i> pour l’extra. Justes cieux ! Une, deux, +trois, quatre, <i>cinq</i> roupies à payer pour le +plaisir de dire qu’un pauvre petit diable de +femme ne vaut pas mieux que cela. J’ai honte +de moi-même. Allez vous coucher, méchantes +langues, et si l’on m’envoie demain à +Béora, préparez-vous à apprendre que je +suis mort avant de payer mes dettes de +jeu !</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2>LES TENTES DE CÉDAR</h2> + +<blockquote class="epi"> +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Only why should it be with stain at all,</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Why must I, ’twixt the leaves of coronal</div> +<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">Put any kiss of pardon on thy brow ?</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Why should the other women know so much,</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">And talk together « such the look and such</div> +<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">The smile he used to love with, then as now ! »</div> +</div> + +</div> +<p class="sign"><i lang="en" xml:lang="en">Any wife to any Husband<a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>.</i></p> + +</blockquote> +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> Robert Browning.</p> +</div> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Un dîner de Naini Tal de trente-quatre +couverts. Argenterie, vins, vaisselle, et khitmatgars +soigneusement calculés à l’échelle +de <span class="rm">6.000</span> roupies par mois, le change en moins. +La table divisée dans toute sa longueur par +une haie de fleurs.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">MRS. HERRIOTT</span> (<i>après que la conversation +s’est élevée au diapason convenable</i>). — Ah ! +Je ne vous ai pas vu dans la cohue au salon. +(<i lang="it" xml:lang="it">Sotto voce.</i>) Où avez-vous bien pu être tout +ce temps-là, Pip ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> (<i>se détournant de la +dame dont il a reçu officiellement la charge +et remuant les verres à vin du Rhin</i>). — Bonsoir. +(<i lang="it" xml:lang="it">Sotto voce.</i>) Pas tout à fait si haut une +autre fois. Vous n’avez pas idée comme votre +voix porte. (<i>A part.</i>) Voilà ce que c’est que +d’avoir voulu esquiver l’explication écrite. Il va +maintenant la falloir verbale. Charmante perspective ! +Comment diable vais-je lui dire que je +suis fiancé, membre respectable de la société, +et que tout est fini entre nous.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — J’ai un gros compte à régler +avec vous. Où étiez-vous, au concert Pop<a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a> +de lundi ? Où étiez-vous mardi ? Où étiez-vous +au tennis des Lamont ? Je cherchais partout.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> Concert populaire.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour me voir ? Oh ! j’étais en +vie quelque part, je suppose. (<i>A part.</i>) C’est +pour Minnie, mais cela va être salement +désagréable.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ai-je fait quelque chose pour +vous offenser ? Si oui, cela n’a jamais été +mon intention. Je ne pouvais m’abstenir +d’aller faire une promenade à cheval avec ce +Vaynor. C’était promis une semaine avant +que vous n’arriviez.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’ignorais…</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Cela l’<i>était</i> vraiment.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quoi que ce soit à ce sujet, +voilà ce que je veux dire.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Qu’est-ce que vous avez aujourd’hui ? +Tous ces jours-ci ? Il y a quatre grands +jours, presque cent heures, que vous n’avez +été près de moi. Est-ce <i>gentil</i> à vous, Pip ? +Et j’ai tant attendu votre arrivée !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vraiment ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Vous le savez bien ! J’ai été +aussi sotte à ce propos qu’une pensionnaire. +J’ai fait un petit calendrier que j’ai mis dans +mon porte-cartes, et chaque fois que le canon +de midi partait, j’effaçais une ligne et disais : +« cela me rapproche de Pip. <i>Mon</i> Pip ! »</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec un rire contraint</i>). — Que +va penser Mackler si vous le négligez pareillement.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Et cela ne vous a pas rapproché. +Vous paraissez beaucoup plus loin que jamais. +Avez-vous quelque raison de bouder ? Je connais +votre caractère.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Suis-je donc devenue vieille +dans ces quelques derniers mois ? (<i>Elle étend +la main vers la haie de fleurs pour prendre +le menu.</i>)</p> + +<p><span class="xs">VOISIN DE GAUCHE.</span> — Permettez-moi. (<i>Il +tend le menu. <span class="xs">MRS. H.</span> reste le bras étendu +l’espace de trois secondes.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>au voisin, son cavalier</i>). — Oh ! +merci, je ne voyais pas. (<i>Elle se retourne à +droite.</i>) — Y a-t-il en moi quelque chose de +changé ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — De grâce occupez-vous de +dîner ! Il faut manger quelque chose. Essayez +une de ces façons de côtelettes. (<i>A part.</i>) Et je +m’imaginais qu’elle avait de belles épaules, au +beau temps jadis ! Quel âne on peut faire de soi !</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>se servant une manchette de papier, +sept pois, quelques carottes découpées à l’emporte-pièce +et une cuillerée de sauce</i>). — Ce +n’est pas une réponse. Dites-moi si j’ai fait +quelque chose.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Si l’on n’en finit pas +ici, il y aura quelque scène diabolique ailleurs. +Si seulement j’avais écrit et que j’eusse accepté +la bataille… à longue portée ! (<i>Au khitmatgar.</i>) +<i>Han ! Simpkin do<a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>.</i> (<i>Haut.</i>) Je vous +raconterai cela plus tard.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> Oui, du champagne.</p> +</div> +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Racontez-le-moi <i>tout de suite</i>. +Ce doit être quelque ridicule malentendu, et +vous savez qu’il ne devait rien arriver de la +sorte entre nous. <i>Nous</i>, moins que personne +ne pouvons nous le permettre. C’est ce Vaynor +et vous ne voulez pas le dire ? Sur mon +honneur…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je n’ai jamais pensé un instant +à ce Vaynor.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mais comment savez-vous que +moi, je n’y ai pas pensé ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Voici l’occasion et +puisse le diable me la faire prendre aux cheveux. +(<i>Haut et d’un ton mesuré.</i>) Croyez-moi, +peu m’importe que vous pensiez plus ou +moins souvent à ce Vaynor, ni que vous y +pensiez d’une façon plus ou moins tendre.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je me demande si c’est bien ce +que vous voulez dire… Oh ! qu’est-ce que cela +rapporte de se chamailler et de prétendre ne +pas se comprendre quand vous n’êtes ici en +haut que pour si peu de temps. Pip, ne faites +pas la bête !</p> + + +<p class="did"><i>Suit une pause, pendant laquelle +il croise sa jambe +gauche par-dessus la droite +et continue son dîner.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>en réponse à l’orage qui +s’amasse dans les yeux de <span class="xs">MRS. H.</span></i>). — Oh là +là, mes cors… C’est mon plus sensible.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ma parole, vous êtes l’homme le +plus grossier de la terre ! Jamais plus je ne +recommencerai.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Non, je ne crois pas +que vous recommenciez ; mais je me demande +ce que vous ferez avant que tout soit fini. (<i>Au +khitmatgar.</i>) <i>Thorah ur Simpkin do<a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>.</i></p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> Donnez-moi du champagne.</p> +</div> +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Eh bien ! vous n’avez pas même +la politesse de vous excuser, vilain homme ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ce n’est pas la +peine de lâcher pied maintenant. Fiez-vous à +une femme pour être aveugle comme une +taupe lorsqu’elle ne veut pas voir.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — J’attends. Ou vous sied-il que je +dicte une formule d’excuse ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>en désespéré</i>). — Parfaitement, +dictez.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>gaîment</i>). — Fort bien. Répétez +tous vos noms de baptême après moi et +continuez : « Professe mon sincère repentir… »</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — « Sincère repentir… »</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — « Pour m’être conduit… »</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Enfin ! Si seulement +elle voulait regarder ailleurs. (<i>Haut.</i>) « Pour +m’être conduit »… comme je me suis conduit, +et déclare que je suis à fond et franchement +malade de toute cette histoire, et saisis cette +occasion de faire connaître clairement mon +intention d’y mettre fin, maintenant, désormais, +et pour toujours. (<i>A part.</i>) Si quelqu’un +m’eût dit que je jouerais jamais ce rôle de +mufle !…</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>versant une cuillerée de pommes +de terre paille dans son assiette</i>). — Ce n’est +pas une belle plaisanterie.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, c’est une réalité. (<i>A +part.</i>) Je me demande si les catastrophes de +ce genre sont toujours aussi brutales.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — En vérité, Pip, vous devenez +plus drôle de jour en jour.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je crois que vous ne me comprenez +pas bien. Faut-il le répéter ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Non ! par pitié, ne faites +pas cela. C’est trop terrible, même pour +rire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Je vais la laisser y +réfléchir pendant un moment. Mais je mériterais +la cravache.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je veux savoir ce qu’il y avait au +fond de ce que vous venez de me dire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Exactement ce que j’ai dit. +Rien de moins.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mais qu’est-ce que j’ai fait pour +le mériter ? Qu’est-ce que j’ai donc fait ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Si seulement elle +voulait bien ne pas me regarder. (<i>Haut et très +lentement, les yeux sur son assiette.</i>) Vous +rappelez-vous ce soir de juillet, avant que les +pluies éclatent, où vous me disiez que la fin +arriverait forcément tôt ou tard… et où vous +vous demandiez pour lequel de nous elle arriverait +le premier ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oui, c’était seulement pour rire. +Et vous jurâtes que, aussi longtemps qu’il vous +resterait un souffle dans la poitrine, <i>jamais</i> +elle n’arriverait. Et je vous crus.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>jouant avec le menu</i>). — Eh bien, +elle est arrivée. Voilà tout.</p> + + +<p class="did"><i>Une longue pause durant +laquelle <span class="xs">MRS. H.</span> tient la +tête courbée et roule son +pain viennois en petites +boulettes. <span class="xs">G.</span> regarde les +lauriers roses.</i></p> + + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>rejetant la tête en arrière et riant +d’un rire naturel</i>). — On nous dresse bien, +nous autres femmes, n’est-ce pas, Pip ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>brutalement, en touchant son +bouton de chemise</i>). — Pour ce qui est de +savoir porter le masque. (<i>A part.</i>) Ce n’est +pas dans sa nature de prendre les choses +tranquillement. Il faudra bien qu’il y ait une +explosion.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>avec un frisson</i>). — Merci. Ma-ais +les Peaux-Rouges eux-mêmes laissent, je +crois, les gens se tortiller pendant qu’on les +torture. (<i>Elle tire son éventail de sa ceinture +et s’évente lentement, le bord de l’éventail au +niveau du menton.</i>)</p> + +<p><span class="xs">VOISIN DE GAUCHE.</span> — Très lourd, ce +soir, n’est-ce pas ? Cela vous incommode ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oh non, pas le moins du monde. +Mais on devrait avoir vraiment des punkahs, +même dans votre frais Naini Tal, ne trouvez-vous +pas ? (<i>Elle se retourne en laissant retomber +son éventail et en levant les sourcils.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela va-t-il mieux ? (<i>A part.</i>) +Voici venir l’orage !</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>les yeux sur la nappe, l’éventail +tout prêt dans la main droite</i>). — Cela fut +fort habilement conduit, Pip, et je vous félicite. +Vous aviez juré — vous ne vous contentiez +jamais de dire simplement les choses — vous +aviez <i>juré</i> que, autant qu’il serait +en votre pouvoir, vous rendriez aimable pour +moi ma triste existence. Et vous m’avez refusé +la consolation de pouvoir pleurer. Moi, je +l’eusse fait… certes, je l’eusse fait. C’est à +peine si une femme eût pensé à ce raffinement, +mon prévenant, prudent ami. (<i>L’éventail au +niveau du menton, comme plus haut.</i>) Vous +vous êtes, en outre, expliqué avec une telle +tendresse, une telle véracité ! Vous n’avez pas +prononcé, pas écrit un mot d’avertissement, et +vous m’avez laissée croire en vous jusqu’à la +dernière minute. Vous n’avez pas encore condescendu +à me donner la <i>raison</i>. Une femme +n’eût pu conduire l’affaire la moitié aussi bien. +Est-ce qu’il y a beaucoup d’hommes comme +vous dans le monde ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour sûr, je n’en sais rien. +(<i>Au khitmatgar.</i>) Eh là ! <i>Simpkin do.</i></p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Vous vous dites un homme du +monde, n’est-ce pas ? Est-ce que les hommes +du monde se conduisent comme des tortionnaires +lorsqu’ils font à une femme l’honneur +d’être fatigués d’elle ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour sûr, je n’en sais rien. Ne +parlez pas si haut !</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Conservons la correction, ô Seigneur, +quoi qu’il arrive. N’ayez pas peur que +je vous compromette. Vous avez trop bien +choisi votre terrain, et j’ai été convenablement +élevée. (<i>Baissant son éventail.</i>) N’avez-vous +pas de pitié, Pip, si ce n’est pour vous-même ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ne serait-il pas quelque peu +impertinent de ma part de dire que je suis +fâché pour vous ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je crois que vous l’avez déjà +dit une ou deux fois. Vous devenez très +soucieux de mes sentiments. Mon Dieu, Pip, +j’étais jadis une honnête femme ! Vous le +disiez. Vous m’avez faite ce que je suis. Qu’allez-vous +faire de moi ? Qu’allez-vous faire de +moi ? Vous ne voulez pas même dire que vous +êtes fâché ? (<i>Elle se sert des asperges glacées.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je suis fâché pour vous, s’il +vous faut la pitié d’une brute comme moi. Je +suis <i>horriblement</i> fâché pour vous.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Quelque peu bénin pour un +homme du monde. Pensez-vous vous sauver +par cet aveu ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que puis-je faire ? Je ne peux +que vous dire ce que je pense de moi-même. +Vous ne pouvez en penser pire ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oh ! oui, je le peux. Et maintenant, +voulez-vous me dire la raison de tout +cela ? Du remords ? Bayard a-t-il été soudain +frappé de scrupule.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec colère, les yeux toujours +baissés</i>). — Non ! La chose a pris fin de mon +côté. C’est tout. <i>Mafisch !</i></p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — « C’est tout. <i>Mafisch !</i> » Comme +si j’étais un interprète arabe. Vous faisiez +jadis de plus jolis discours. Vous rappelez-vous +lorsque vous disiez ?…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour l’amour du ciel, ne revenez +plus là-dessus. Appelez-moi tout ce que +vous voudrez et je l’admettrai…</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mais vous ne tenez pas à ce +qu’on vous remette en mémoire les vieux +mensonges. Si je pouvais espérer vous faire +la dixième partie du mal que vous m’avez +fait ce soir… Non… Je ne le voudrais pas… +je ne pourrais pas le faire… quelque menteur +que vous soyez.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’ai dit la vérité.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mon <i>cher</i> monsieur, vous vous +flattez. Vous avez menti au sujet du motif. +Pip, rappelez-vous que je vous connais comme +vous ne vous connaissez pas vous-même. Vous +avez été tout pour moi, quoique vous soyez… +(<i>Même jeu d’éventail.</i>) Oh ! comme tout cela +est méprisable ! Ainsi, vous êtes tout simplement +fatigué de moi ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Puisque vous insistez pour +que je le répète… Oui.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mensonge numéro un. Que ne +suis-je en possession d’un mot plus cru ! +Mensonge semble si insuffisant dans votre cas. +Le feu vient de s’éteindre et il n’y en a pas +un nouveau ? Réfléchissez une minute, Pip, +si vous ne voulez pas que je vous méprise +plus que je ne fais. Simplement <i>Mafisch</i>, alors ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui. (<i>A part.</i>) Je crois le +mériter.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Mensonge numéro deux. Avant +que le prochain verre ne vous étrangle, dites-moi +son nom.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Je lui revaudrai +cela, de faire intervenir Minnie dans l’affaire ! +(<i>Haut.</i>) Est-ce vraisemblable ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — <i>Fort</i> vraisemblable si vous +pensiez que cela flatterait votre vanité. Vous +crieriez mon nom sur les toits pour faire se +retourner les gens.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que ne l’ai-je fait ! Cela eût +mis fin à cette affaire.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oh ! non, cela n’eût mis fin à rien +du tout… Ainsi, monsieur allait devenir vertueux +et blasé, n’est-ce pas ? Venir me dire : +« J’ai assez de vous. L’incident est clo-os. » +Je devrais être fière d’avoir gardé un homme +pareil si longtemps.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Il ne me reste qu’à +prier pour que le dîner finisse. (<i>Haut.</i>) Vous +savez ce que je pense de moi-même.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Comme c’est la seule personne +du monde à laquelle jamais vous pensiez, et +comme je vous connais jusqu’au fond de +l’âme, oui, je le sais. Vous voulez qu’on n’en +parle plus et… Oh ! je ne peux pas vous +en empêcher ! Et vous allez — pensez-y, Pip — me +mettre au rancart pour une autre femme. +Et vous aviez juré que toutes les autres femmes +étaient… Pip, mon Pip ! Elle <i>ne peut</i> se soucier +de vous comme je fais. Croyez-moi, elle +ne le peut ! Est-ce quelqu’un que je connais ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dieu merci, non ! (<i>A part.</i>) Je +m’attendais à un cyclone, mais pas à un tremblement +de terre.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Elle <i>ne le peut</i> ! Y a-t-il quelque +chose que je ne ferais pas pour vous… +ou que je n’aie fait ? Et penser que je me donne +ce mal à votre sujet, sachant ce que vous êtes ! +M’en méprisez-vous ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se passant la serviette sur la +bouche pour dissimuler un sourire</i>). — <i>Encore ?</i> +C’est entièrement une œuvre de charité +de votre part.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ahhh ! Mais je n’ai aucun droit +à me formaliser… Est-elle mieux que moi ? Qui +est-ce qui disait…?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non… pas cela !</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Je serai plus compatissante que +vous. Ne savez-vous pas que toutes les femmes +sont pareilles ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Alors, il s’agit de +l’exception qui prouve la règle.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — <i>Toutes !</i> Je vous dirai n’importe +ce que vous voulez. Je vous le dirai, sur +ma parole ! Ce qu’il leur faut, c’est uniquement +l’admiration… du premier venu — peu importe +qui — du premier venu ! Mais il est +toujours <i>un</i> homme dont elles se soucient plus +que de personne au monde, et auquel elles +sacrifieraient tous les autres. Oh ! écoutez bien ! +J’ai laissé ce Vaynor trotter derrière moi +comme un caniche, et il se croit le seul homme +auquel je m’intéresse. Je vais vous raconter +ce qu’il m’a dit.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Épargnez-le. (<i>A part.</i>) Je me +demande quelle est sa version, à ce Vaynor.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Pendant tout le dîner il a attendu +que je le regarde. Le regarderai-je, pour que +vous puissiez voir l’air idiot qu’il va prendre ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais qu’importe l’entrée en +scène de ce monsieur ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Regardez ! (<i>Elle adresse un coup +d’œil audit Vaynor, lequel essaye vainement +de concilier une bouchée de pudding à la glace, +un sourire de satisfaction personnelle, un +regard de dévotion intense et la solidité d’une +contenance britannique à une table de dîner.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>judicieusement</i>). — Il n’a pas l’air +joli. Pourquoi n’avez-vous pas attendu que +la cuiller lui soit sortie de la bouche ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Pour vous amuser. Elle vous +donnera en spectacle comme j’ai fait pour lui ; +et les gens riront de vous. Oh, Pip, ne le +voyez-vous pas ? C’est aussi clair que le +soleil en plein midi. On vous fera trotter de +côté et d’autre et on vous contera des mensonges, +on fera de vous un objet de risée +comme les autres. Je n’ai jamais, moi, fait de +vous un objet de risée, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — L’intelligente petite +femme !</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Eh bien, qu’avez-vous à dire ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je me sens mieux.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Oui, je le suppose, maintenant +que me voici descendue à votre niveau. Je +n’aurais jamais pu le faire si je ne vous aimais +pas autant. J’ai dit la vérité.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela ne change en rien la situation.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>avec emportement</i>). — Alors, elle +<i>a</i> dit qu’elle vous aimait ! Ne la croyez pas, +Pip. C’est un mensonge… aussi vilain que +le vôtre à mon égard !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ffffixe ! J’ai idée qu’un de vos +amis vous regarde.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Lui ! Je le <i>hais</i>. C’est lui qui +vous a présenté à moi.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Et il y a des gens +pour vouloir que les femmes aident à confectionner +les lois ! Une présentation impliquer +tout le reste ! (<i>Haut.</i>) Mais, vous comprenez, +si vous pouvez faire remonter vos +souvenirs jusque-là, il ne m’était guère possible, +en toute politesse, de refuser l’offre.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — En toute politesse ! Nous sommes +allés plus loin que <i>cela</i> !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Vieux terrain veut +dire nouvel ennui. (<i>Haut.</i>) Sur mon honneur…</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Votre quoi ? Ha, ha !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Déshonneur, alors. Elle n’est +pas ce que vous imaginez. Je voulais…</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Ne me parlez pas d’elle ! Elle ne +saurait vous aimer, et lorsque vous reviendrez, +après vous être donné en spectacle, vous +me trouverez occupée de…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>insolemment</i>). — Vous ne pourriez +pas tant que je suis vivant. (<i>A part.</i>) Si +cela n’appelle pas son orgueil à la rescousse, +rien ne le fera.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>se redressant</i>). — Je ne pourrais +pas ? <i>Moi ?</i> (<i>S’adoucissant.</i>) Vous avez raison. +Je ne crois pas que je le pourrais… +malgré tout ce que vous êtes… un lâche et un +menteur jusque dans la moelle.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela ne blesse pas autant +après votre petit cours… avec démonstrations.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Une montagne de vanité ! Rien +ne vous touchera-t-il donc <i>jamais</i> en cette +vie ? Il doit y avoir une Vie Future quand ce +ne serait que pour le bénéfice de… Mais vous +ne la partagerez avec personne.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>par-dessous ses sourcils</i>). — En +êtes-vous si certaine ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — J’aurai eu mon enfer en cette +vie, et je l’aurai bien mérité.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais l’admiration sur laquelle +vous insistiez si fort, il y a un instant ? (<i>A +part.</i>) Oh ! quelle brute je <i>fais</i> !</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>d’un ton farouche</i>). — <i>Cela</i> me +consolera-t-il de la connaissance que j’aurai +que vous allez à elle avec les mêmes mots, les +mêmes arguments, et les… les mêmes noms +d’amitié que ceux dont vous vous êtes servi +pour moi ? Et si elle vous aime, vous rirez +tous deux de mon histoire. Serait-ce un châtiment +assez lourd même pour moi… même +pour moi ?… Et tout cela pour rien. Autre +châtiment !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>faiblement</i>). — Oh, allons ! Je +ne suis pas aussi bas que vous pensez.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Pas en ce moment, peut-être, +mais vous le serez. Oh ! Pip, au cas où une +femme flatterait votre vanité, il n’y a rien sur +terre que vous ne lui racontiez ; et pas de bassesse +à quoi vous ne descendiez. Vous ai-je +connu si longtemps pour ne pas le savoir ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Si vous ne pouvez avoir confiance +en moi pour rien autre — et je ne vois +pas après tout pourquoi on aurait confiance +en moi — vous pouvez compter que je saurai +me taire.</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> — Si vous démentiez tout ce que +vous m’avez dit ce soir et déclariez que tout +cela n’était que pour plaisanter (<i>une longue +pause</i>), j’aurais confiance en vous. Pas autrement. +Tout ce que je vous demande, c’est +de ne pas lui dire mon nom. <i>Je vous en prie</i>, +ne le lui dites pas. Un homme pourrait oublier ; +une femme, jamais. (<i>Elle lève les yeux +au-dessus de la table et voit la maîtresse de +maison qui commence à rassembler les +regards.</i>) Ainsi, tout est fini, sans qu’il y ait +de ma faute… Ne me suis-je pas admirablement +conduite ! J’ai accepté votre congé, et +vous l’avez cuisiné aussi cruel possible, et je +vous ai fait respecter mon sexe, n’est-ce pas ? +(<i>Arrangeant ses gants et son éventail.</i>) Je +prie seulement pour qu’elle vous connaisse +un jour comme je vous connais à présent. Je +ne voudrais pas, alors, être à votre place, car +je crois que vous vous trouverez atteint jusque +dans votre vanité. J’espère qu’elle vous rendra +l’humiliation que vous m’avez causée. Je l’espère… +Non. Je ne l’espère pas. <i>Je ne peux +pas</i> renoncer à vous ! Il me faut quelque chose +à espérer, sans quoi je deviendrai folle. Quand +tout cela sera fini, revenez-moi, revenez-moi, +et vous vous apercevrez que vous êtes toujours +mon Pip !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>très clairement</i>). — Mal joué, +et cela vous coûte cher. C’est une jeune fille !</p> + +<p><span class="xs">MRS. H.</span> (<i>se levant</i>). — Alors, <i>c’était</i> vrai ! On +disait… mais je ne voudrais pas vous insulter +en vous questionnant. Une jeune fille ! Il n’y +a pas longtemps que j’étais une jeune fille. +Soyez-lui bon, Pip. C’est possible qu’elle +croie en vous.</p> + + +<p class="did"><i>Elle sort avec un sourire +incertain. Il la regarde +par la porte, et se rassoit +sur une chaise, tandis que +les hommes se redistribuent.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G</span> — Maintenant, s’il est une Force +qui veille sur ce monde, voudra-t-elle avoir +la bonté de me dire ce que j’ai fait ? (<i>Étendant +le bras vers le vin de Bordeaux, et presque à +haute voix.</i>) Qu’<i>ai</i>-je fait ?</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">PAR AUCUNE CRAINTE</h2> + +<blockquote class="epi"> +<p>Et ne vous laissez troubler par +aucune crainte.</p> + +<p class="sign"><i>Office du mariage.</i></p> + +</blockquote> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Une chambre de célibataire. Table +de toilette rangée avec un soin qui n’est pas +naturel. <span class="xs">LE CAPITAINE GADSBY</span> dort et ronfle +fort. Dix heures et demie du matin — une +admirable journée d’automne à Simla. Entre +avec précaution <span class="xs">LE CAPITAINE MAFFLIN</span>, du régiment +de <span class="xs">GADSBY</span>. Regarde le dormeur, et +branle la tête, en murmurant : « Pauvre Gaddy ! » +Exécute une brillante fantaisie à l’aide +des brosses à cheveux sur un dos de chaise.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Éveillez-vous, belle endormie ! +(<i>Il rugit.</i>)</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">« Uprouse ye, then, my merry, merry men !</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">It is our opening day !</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">It is our opening day ! »</div> +</div> + +</div> +<p>Gaddy, voilà déjà longtemps que les petits +pierrots piaillent et se becquettent ; et je suis +ici !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>s’asseyant sur son séant et +bâillant</i>). — Bonjour. C’est diantrement bien +à toi, mon vieux. Tout ce qu’il y a de bien. +Ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Sur +mon âme, sais pas. N’ai pas fermé l’œil de la +nuit.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Je ne suis rentré qu’à onze +heures et demie. J’ai jeté un coup d’œil sur +toi, et tu paraissais dormir aussi profondément +qu’un condamné à mort.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Jack, si c’est pour faire de +ces plaisanteries éventées à pleurer que tu es +là, tu ferais tout aussi bien de t’en aller. (<i>Avec +une énorme gravité.</i>) C’est le plus heureux +jour de ma vie.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>riant tout bas d’un air menaçant</i>). — Tu +verras cela, mon garçon. Tu vas +passer par quelques-unes des tortures les +plus raffinées que tu aies jamais connues. +Mais sois calme. Je suis avec toi. ’Ttention ! +Alignement !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Hein ! Quo-oi ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Supposes-tu que tu es ton +maître pour douze grandes heures d’horloge ? +Si oui, naturellement… (<i>Il fait un mouvement +vers la porte.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ! Pour l’amour du ciel, +mon vieux, ne fais pas cela ! Tu ne vas pas +me lâcher que ce ne soit fini, n’est-ce pas ? +J’ai sué sur cette fichue manœuvre sans pouvoir +m’en rappeler une ligne.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>inspectant l’uniforme de <span class="xs">G.</span></i>). — Allons, +prends ton tub. Ne m’assomme pas. +Je te donne dix minutes pour t’habiller.</p> + + +<p class="did"><i>Intervalle, rempli par un +bruit de quelque chose +comme un éclaboussement +dans la salle de +bain.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>émergeant du cabinet de toilette</i>). — Quelle +heure est-il ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Presque onze heures.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Encore cinq heures. Grand +Dieu !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Premier signe de +frousse, cela. Je voudrais bien savoir si cela +va continuer. (<i>Haut.</i>) Viens déjeuner.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas le moindre appétit. Pourrais +rien manger.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Si tôt ! (<i>Haut.</i>) +Capitaine Gadsby, je vous <i>ordonne</i> de manger +votre déjeuner, et un sacré bon déjeuner +encore. Ces airs et ces grâces de jeune épousée +ne prennent pas avec moi !</p> + + +<p class="did"><i>Il conduit <span class="xs">G.</span> au rez-de-chaussée, +et reste debout +derrière lui pendant qu’il +mange deux côtelettes.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>qui a regardé trois fois à sa +montre dans les cinq dernières minutes</i>). — Quelle +heure est-il ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — L’heure de venir faire un tour. +Allume.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Voilà dix jours que je n’ai +fumé, et je ne vais pas commencer maintenant. +(<i>Il prend le cheroot dont <span class="xs">M.</span> a coupé le +bout pour lui, et souffle voluptueusement la +fumée par les narines.</i>) Nous n’allons pas +descendre le Mall, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Ils sont tous pareils +dans ces moments-là ? (<i>Haut.</i>) Non, ma vestale. +Nous allons prendre la route la plus +tranquille que nous puissions trouver.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Des chances de <i>la</i> rencontrer ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Pauvre innocent ! Non ! Viens, +et si tu as besoin de moi pour les obsèques +finales, ne m’enlève pas l’œil avec ta canne.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se retournant brusquement</i>). — Dis-moi, +n’est-ce pas la plus charmante +créature qui ait jamais existé ? Quelle heure +as-tu ? Qu’est-ce qui vient après « voulez-vous +prendre pour épouse » ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — On cherche l’anneau. Rappelle-toi +qu’il sera au bout du petit doigt de +ma main droite, et fais bien attention à la +façon dont tu le tireras, car j’aurai les honoraires +du sacristain quelque part dans mon +gant.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>précipitant le pas</i>). — Au diable +le sacristain ! Viens donc ! Il est midi +passé, et je ne l’ai pas vue depuis hier soir. +(<i>Se retournant de nouveau.</i>) C’est absolument +un ange, Jack, et elle est mille fois trop +bien pour moi. Dis-moi, remonte-t-elle la nef +à mon bras, ou comment ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Si je pensais qu’il y eût pour +toi la moindre chance de te rappeler quelque +chose durant deux minutes consécutives, je te +le dirais. Cesse de passager comme cela !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>faisant halte au milieu de la +route</i>). — Dis-donc, Jack ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Reste tranquille encore dix +minutes si tu peux, fou que tu es, et <i>marche</i> !</p> + + +<p class="did"><i>Tous deux déguerpissent à +cinq milles à l’heure pendant +quinze minutes.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quelle heure as-tu ? Qu’est-ce +qui se passe au sujet de ce maudit <span lang="en" xml:lang="en">wedding-cake</span> +et des petits souliers blancs ? Ils ne les +jettent pas dans l’église, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — In-variablement. Le pasteur +ouvre la danse avec ses bottines.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dieu te confonde, imbécile ! +Ne te moque pas de moi. Je ne peux le supporter, +et ne le supporterais pas !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>sans se troubler</i>). — Tout +doux, ma vieille carne ! Il va falloir faire dodo +deux heures cet après-midi.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se retournant</i>). — Je ne vais +pas me laisser traiter comme un sacré gamin. +Tâche de comprendre cela !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Les nerfs comme +des cordes à violon. En voilà, une journée ! +(<i>Posant tendrement la main sur l’épaule de +<span class="xs">G.</span></i>) Mon David, combien y a-t-il de temps +que tu connais ce Jonathan ? Est-ce que je +viendrais ici pour me moquer de toi… après +toutes ces années-là ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec repentir</i>). — Je sais, je +sais, Jack… mais je suis aussi chaviré qu’il +est possible. Ne fais pas attention à ce que je +dis. Écoute-moi un peu répéter la manœuvre +pour voir si je la tiens :</p> + +<p>« Pour t’avoir et garder, soit que tu sois +meilleure ou pire, comme il était au commencement, +comme il est maintenant, et comme +il sera éternellement, avec l’aide de Dieu. — Amen<a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a>. »</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> Ici, Gadsby mêle trois passages différents de l’office +de mariage anglican.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>suffoquant de rire</i>). — Oui, +c’est à peu près le sel de la chose. Je soufflerai +si tu t’arrêtes en route.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>vivement</i>). — Oui, tu ne vas +pas me lâcher, Jack, n’est-ce pas ? Je suis +salement heureux, mais je ne te cacherai pas, +à toi, que j’ai une peur bleue !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>gravement</i>). — Vrai ? Jamais +je ne m’en serais aperçu. Tu n’en as pas +l’air.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tu crois ? A la bonne heure. +(<i>Se retournant.</i>) Sur mon âme et mon honneur, +Jack, c’est le plus doux petit ange qui +soit jamais descendu du ciel. Il n’y a pas de +femme sur terre qui soit digne de lui adresser +la parole !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Et c’est le vieux +Gaddy ! (<i>Haut.</i>) Va donc, si cela te soulage.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tu peux bien rire ! C’est tout +ce à quoi vous êtes bons, vous autres, onagres +de célibataires.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>traînant ses paroles</i>). — Tu +veux toujours devancer la troupe. Tu n’es +pas encore tout à fait marié, tu sais.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Peuh ! cela me rappelle. Je +ne crois pas pouvoir entrer dans mes bottes. +Allons à la maison les essayer ! (<i>Il se presse +en avant.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Voudrais pas être dans <i>tes</i> +souliers pour tout ce que l’Asie peut offrir.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se retournant</i>). — Voilà qui +prouve bien ta hideuse noirceur d’âme… ta +couche de bêtise… ta brutale étroitesse d’idées. +Tu n’as qu’un défaut. Tu es le meilleur +des bons zigues, et je ne sais pas ce que j’aurais +fait sans toi, mais… tu n’es pas marié. +(<i>Il branle gravement la tête.</i>) Prends une +femme, Jack.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>le visage comme un mur</i>). — Ou-é. +La femme de qui, de préférence ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Si tu te mets à faire le polisson, +je te quitte… Quelle heure as-tu ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>il chantonne</i>).</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">An’ since ’twas very clear we drank only gingerbeer,</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">Faith, there must ha’ been some stingo in the ginger !</div> +</div> + +</div> +<p>Rentrons, espèce d’enragé. Je vais te ramener +au logis, et tu vas te coucher.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que diable ai-je besoin de me +coucher ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Tends-moi ton cheroot pour +me donner du feu et tu vas voir.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>qui regarde le bout du cheroot +trembler comme un diapason</i>). — Je suis +dans un délicieux état !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Effectivement. Je vais te faire +prendre un verre et tu t’en iras dormir.</p> + + +<p class="did"><i>Ils rentrent et <span class="xs">M.</span> compose un +whisky-soda bien corsé.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oh, <i>bus ! bus !<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a></i> Cela va me +saouler comme un polonais.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> Assez ! assez ! (en hindoustani).</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Chose curieuse, cela n’aura +pas le moindre effet sur toi. Avale-moi cela, +jette-toi là, et mets-toi à faire dodo.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est absurde. Je ne dormirai +pas. Je <i>sais</i> que non !</p> + + +<p class="did"><i>Il tombe dans un lourd +sommeil au bout de sept +minutes. <span class="xs">LE CAP. M.</span> le +veille tendrement.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Pauvre vieux Gaddy ! J’en ai +vu déjà quelques-uns lancés dans le vide, +mais jamais aucun marcher au gibet dans ces +conditions-là. On ne peut jamais dire comment +ils vont prendre cela. Ce sont les pur-sang +qui suent au reculer dans l’attelage à +deux… Et c’est là l’homme qui a traversé +les pièces à la charge à Amdhéran, comme +un enragé. (<i>Il se penche sur <span class="xs">G.</span></i>) Mais c’est +pire que les pièces, vieux copain… pire que +les pièces, n’est-ce pas ? (<i><span class="xs">G.</span> se retourne dans +son sommeil et <span class="xs">M.</span> lui effleure gauchement le +front.</i>) Pauvre, cher vieux Gaddy ! Qui s’en +va comme les autres… qui s’en va comme +les autres… <i>L’ami qui vous est plus attaché +qu’un frère</i>… huit années. Sacrée petite +garce de fille… huit semaines ! Et… où est +votre ami ? (<i>Il fume inconsolablement jusqu’à +ce que l’horloge de l’église sonne trois +heures.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Debout ! Allons, équipe-toi !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Déjà ? N’est-ce pas trop tôt ? +N’aurais-je pas dû me raser de frais ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — <i>Non !</i> Tu es très bien comme +cela. (<i>A part.</i>) Il se mettrait le menton en +pièces.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pourquoi se presser ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Il faut que tu sois là le premier.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour servir de point de mire ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Justement. Tu fais partie du +spectacle. Où est le tripoli ? Tes éperons sont +dans un état honteux.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton bourru</i>). — Jack, +jamais tu ne feras cela pour moi ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>d’un ton plus bourru</i>). — Ferme +cela et habille-toi ! S’il me plaît de nettoyer +tes éperons, tu es sous <i>mes</i> ordres.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> s’habille. <span class="xs">M.</span> en +fait autant.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>faisant le tour en l’inspectant</i>). — Oui, +cela va. Seulement, ne prends pas cet +air de criminel. L’anneau, les gants, l’argent — cela +va bien pour moi. Laisse ta moustache +tranquille. Maintenant, si les poneys sont prêts, +nous allons partir.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>nerveusement</i>). — Il est beaucoup +trop tôt. Allumons un cigare ! Buvons +quelque chose ! Faisons…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Faisons les sacrés ânes !</p> + +<p><span class="xs">LES CLOCHES</span> (<i>au dehors</i>). —</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">« I — ci — bonnes — gens</div> +<div class="verse">La prière — vous attend. »</div> +</div> + +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Voilà les cloches ! Viens… +à moins que tu ne préfères rester. (<i>Ils s’éloignent +à cheval.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LES CLOCHES.</span> —</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">Oui nous honorons le roi,</div> +<div class="verse">La bru mettons en émoi…</div> +<div class="verse">Chaque nouvelle a son sort,</div> +<div class="verse">Nous sonnons le glas du mort.</div> +</div> + +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>descendant de cheval à la porte +de l’église</i>). — Dis-moi, ne sommes-nous +pas là beaucoup trop tôt ? Il y a du monde +à n’en plus finir dans l’intérieur. Dis-moi, ne +sommes-nous pas très en retard ? Reste près +de moi, Jack ! Que diable dois-je faire ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Assume une contenance à +l’entrée de la nef et attends-<i>la</i>. (<i><span class="xs">LE CAP. G.</span> +grogne, tandis que <span class="xs">M.</span> lui fait faire volte-face +devant trois cents yeux.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>d’un air suppliant</i>). — Gaddy, +si tu m’aimes, pour la grâce de Dieu, pour +l’honneur du régiment, tiens-toi droit ! Remplis +ton uniforme ! Aie l’air d’un homme ! J’ai +à parler une minute au pasteur. (<i><span class="xs">G.</span> est pris +d’une douce transpiration.</i>) Si tu t’essuies le +visage, jamais plus je ne serai ton témoin. +Poitrine ! (<i><span class="xs">G.</span> tremble visiblement.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>revenant</i>). — Voici qu’elle +arrive. Fais attention quand la musique va +commencer. Voilà l’orgue qui se met en +branle.</p> + + +<p class="did"><i>La mariée sort de la rickshaw +à la porte de l’église. +<span class="xs">G.</span> l’entrevoit et prend +courage.</i></p> + + +<p><span class="xs">L’ORGUE</span>. —</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">La Voix qui souffla sur Éden,</div> +<div class="verse">Le premier jour de mariage,</div> +<div class="verse">Et bénit le premier hymen,</div> +<div class="verse">A bravé les saisons et l’âge.</div> +</div> + +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>surveillant <span class="xs">G.</span></i>). — Ma parole ! +Il a pris bon air. Je ne l’en aurais pas cru +capable aujourd’hui.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Combien de temps va durer +cet hymne ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Cela va être fini tout de suite. +(<i>Anxieusement.</i>) Vas-tu te mettre à pâlir et +à ravaler ta salive ? Tiens bon, Gaddy, et +pense au régiment.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton mesuré</i>). — Dis donc, +il y a un gros lézard brun en train de grimper +le long de ce mur.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Oh ! ma mère ! Le dernier +degré d’affaissement !</p> + + +<p class="did"><i>La mariée monte à gauche +de l’autel, lève les yeux +une bonne fois sur <span class="xs">G.</span>, lequel +est subitement frappé +de folie.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à lui-même encore et encore</i>). — Petit +Poidsléger, une femme… une femme ! +Et je croyais que c’était une petite +fille.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>chuchotant</i>). — Garde à vous… +demi-tour à gauche.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> obéit machinalement, +et la cérémonie se +poursuit.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE PASTEUR.</span> — … à elle seule, tant que vous +vivrez tous deux ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>la gorge sèche</i>). — Ha-hmmm !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Dis oui ou non. Il n’y a pas +de seconde donne ici.</p> + + +<p class="did"><i>La mariée articule sa +réponse avec un sang-froid +parfait, et son père +en fait la remise.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>croyant montrer son savoir</i>). — Jack, +c’est à ton tour, maintenant, de faire +ma remise, <i>vite</i> !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Tu t’es remisé bien assez +comme cela toi-même. Sa main <i>droite</i>, mon +gars ! Récite ! Récite ! « Théodore Philip. » +As-tu oublié ton propre nom ?</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> s’embarrasse dans +le « oui », que la mariée +répète sans un tremblement.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Maintenant, l’anneau ! Suis +le pasteur ! Ne m’arrache pas mon gant ! +Le voici ! Grand Dieu, il a retrouvé sa +voix !</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">G.</span> répète la parole sacramentelle +d’une voix à se +faire entendre au bout de +l’église et tourne sur son +talon.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>d’un air désespéré</i>). — A vos +rênes ! Doucement sur le pavé ! Nous n’en +sommes pas à la moitié.</p> + +<p><span class="xs">LE PASTEUR</span> — … à conjoints, que l’homme +ne les sépare point.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span>, paralysé de peur, +a un mouvement de recul +après la bénédiction.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>vivement</i>). — Avance… d’une +longueur. Prends-la avec toi. Je ne viens pas. +Tu n’as rien à dire.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> monte à l’autel dans +tout un cliquetis de choses.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>en un râle perçant qui veut +dire un murmure</i>). — A genoux, têtu bandit ! +A genoux !</p> + +<p><span class="xs">LE PASTEUR</span> — … de laquelle vous êtes les +filles, tant que vous pratiquez le bien et ne +vous laissez troubler par aucune crainte.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Ça y est ! Rompez ! Par file +à gauche.</p> + + +<p class="did"><i>Tout le monde à la sacristie. +On signe.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Embrasse-la, Gaddy.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>frottant l’encre sous son gant</i>). — Hein ! +Quo-oi ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>Faisant un pas vers la mariée</i>). — Si +tu ne le fais pas, je vais le faire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>interposant le bras</i>). — Merci bien !</p> + + +<p class="did"><i>Embrassement général.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>n’en pouvant plus, à <span class="xs">M.</span></i>). — Ah, +nom de nom ! Est-ce que je peux maintenant +m’essuyer le visage ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Ma responsabilité finit là. +Demande plutôt à <i>Missis</i> Gadsby.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> recule comme +frappé d’une balle, et le +cortège sort de l’église à +coups de Mendelssohn pour +se rendre à la maison paternelle, +où ont lieu les +tortures d’usage autour +du <span lang="en" xml:lang="en">wedding-cake</span>.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à table</i>). — Debout, Gaddy. On +attend un <span lang="en" xml:lang="en">speech</span>.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>après trois minutes d’agonie</i>). — Ha-hmmm. +(<i>Tonnerre d’applaudissements.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Pas mal, pour un début. +Maintenant va changer d’équipement pendant +que la maman est en train de pleurer +sur — « la madame ». (<i><span class="xs">LE CAP. G.</span> disparaît. +<span class="xs">LE CAP. M.</span> se lève précipitamment en +s’arrachant les cheveux.</i>) Ce n’est pas encore +complet. Où sont les souliers ? Allez chercher +une <i>ayah</i>.</p> + +<p><span class="xs">L’AYAH.</span> — Missie <span lang="en" xml:lang="en">captain</span> <i>sahib band karo</i> +tous les <i>jutis</i><a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a>.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> Missie capitaine <i>sahib</i> a caché tous les souliers.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>brandissant son sabre dans +le fourreau</i>). — Femme, produis ces souliers ! +Que quelqu’un me prête un couteau à pain. +Il ne s’agit pas de fêler la tête de Gaddy plus +qu’elle ne l’est. (<i>Il tranche le talon d’une +mule de satin blanc et serre la mule dans sa +manche.</i>) Où est la mariée ? (A tout le monde +à la ronde.) Allez-y doucement avec ce riz. +C’est une coutume païenne. Donnez-moi le +gros sac.</p> + +<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>. +</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>. +</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div> + +<p class="did"><i>La mariée se glisse sans +bruit dans une rickshaw +et part vers le coucher du +soleil.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>en plein air</i>). — Envolée, +ma parole ! Tant pis pour Gaddy ! Le voici. +Allons, Gaddy, cela va chauffer plus dur qu’à +Amdhéran ! Où est ton cheval !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>furieusement, voyant que les +femmes sont hors de portée de voix</i>). — Où +est ma <i>femme</i>, n. de D…?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — A moitié route maintenant +de Mahasu. Il va te falloir chevaucher comme +le jeune Lochinvar<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> Voir la ballade de Walter Scott.</p> +</div> + +<p class="did"><i>Le cheval se présente en se +cabrant ; il refuse de laisser +<span class="xs">G.</span> l’approcher.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oh ! tu veux faire la bête, +n’est-ce pas ? Demi-tour, animal… cochon… +brute ! <i>Demi-tour !</i></p> + + +<p class="did"><i>Il force le cheval à tourner, +d’un coup de poignet à lui +briser la mâchoire inférieure ; +se jette en selle, +et donne des deux éperons +au beau milieu d’une grêle +du meilleur riz de Patna.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Sur ton amour et ta vie… +pousse, Gaddy ! Et que… Dieu te bénisse !</p> + + +<p class="did"><i>Il jette une demi-livre de +riz à <span class="xs">G.</span>, lequel disparaît, +penché en avant sur la +selle, dans un nuage de +poussière éclairée de soleil</i>.</p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Voilà perdu le vieux Gaddy. +(<i>Il allume une cigarette et s’éloigne en +flânant, et en chantant d’un air absent :</i>)</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">« You may carve it on his tombstone, you may cut it on his card,</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">That a young man married is a young man marred<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a>. »</div> +</div> + +</div> +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a></p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">« Vous pouvez le graver sur sa tombe, vous pouvez le graver sur sa carte,</div> +<div class="verse">Qu’un jeune homme marié est un jeune homme perdu. »</div> +</div> + +</div></div> +<p><span class="xs">MISS DEERCOURT</span> (<i>de son cheval</i>). — Vraiment, +capitaine Mafflin ! Vous parlez plus à +cœur ouvert que vous n’êtes poli !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — On dit que le mariage, +c’est comme le choléra. Me demande +qui sera la prochaine victime.</p> + + +<p class="did"><i>Une mule de satin blanc +glisse de sa manche et +tombe à ses pieds. Reste +livré à ses réflexions.</i></p> + + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">LE JARDIN D’ÉDEN</h2> + +<blockquote class="epi"> +<p>Et vous serez… comme des +dieux !</p> + +</blockquote> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Pelouse arômée de thym derrière +l’hôtellerie de Mahasu, dominant la petite +vallée boisée. A gauche, un aperçu de la +Forêt Morte du Fagoo ; à droite, les montagnes +de Simla. Tout au fond la ligne des +neiges. <span class="xs">LE CAP. GADSBY</span>, mari de trois semaines +maintenant, fume le calumet de paix sur +un tapis au soleil. Banjo et blague à tabac +sur le tapis. En l’air, les aigles du Fagoo. +<span class="xs">MRS. G.</span> sort du bungalow.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">MRS. G.</span> — Mon mari !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>paresseusement, avec une jouissance +intense</i>). — Hein, quo-oi ? Dites-le encore.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — J’ai écrit à maman pour lui +annoncer que nous serons de retour le 17.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Lui avez-vous fait part de mes +tendresses ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non, j’ai gardé tout pour moi. +(<i>S’asseyant à son côté.</i>) J’ai pensé que cela ne +vous ferait rien.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec une feinte sévérité</i>). — Cela +me fait beaucoup. Comment saviez-vous +que tout était pour vous ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — J’ai deviné, Phil.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec ravissement</i>). — <i>Pe-tit</i> +Poidsléger !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je voudrais bien ne pas me voir +donner ces petits noms de sport, vilain.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous aurez tous les noms +qu’il me plaît. Vous est-il jamais venu à l’esprit, +madame, que vous êtes ma femme ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, certes. Je n’ai pas encore +cessé de m’en étonner.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ni moi. Cela semble étrange ; +et cependant, je ne sais comment, cela ne +l’est pas. (<i>Avec confiance.</i>) Vous comprenez, +cela n’aurait pu être personne autre.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>doucement</i>). — Non. Personne +autre… ni pour moi ni pour vous. <i>Tout</i> cela +a dû être arrangé dès l’origine des choses. +Phil, redites-moi ce qui vous a fait m’aimer.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Comment eussé-je pu m’en +empêcher ? Vous étiez <i>vous</i>, vous savez.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Est-ce que vous avez jamais +senti le besoin de vous en empêcher ? Dites +la vérité !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>l’œil malicieux</i>). — Oui, chérie, +tout au commencement, mais seulement au +commencement. (<i>Il rit tout bas.</i>) Je vous +appelais — penchez-vous tout près et je vais +vous le dire à l’oreille — « une petite bécasse ». +Ho ! ho ! ho !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>le prenant par la moustache et le +forçant à s’asseoir sur son séant</i>). — « Une… +petite… bécasse ! » Voulez-vous bien ne pas +rire de votre crime ! Et encore vous avez eu +le… le… l’affreux toupet de demander ma +main !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’avais alors changé d’avis. +Et vous n’étiez plus une petite bécasse.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Merci, monsieur ! Et quand l’ai-je +été jamais ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — <i>Jamais !</i> Mais ce premier jour +où vous m’avez donné du thé sous cette petite +robe de mousseline couleur fleur de pêcher, +vous aviez l’air — vous aviez vraiment l’air, +ma chère amie — d’un si absurde petit moucheron. +Et je ne savais que vous dire.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tordant la moustache</i>). — Ainsi, +vous avez dit « petite bécasse ». Sur ma +parole, monsieur, moi, je vous ai appelé « ce +grrrrand animal-là » ; mais je regrette de ne +pas vous avoir appelé quelque chose de pire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>très humblement</i>). — Je m’excuse, +mais vous me faites affreusement mal. +(<i>Intermède.</i>) Vous avez toute permission de +me torturer encore aux mêmes conditions.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! <i>pourquoi</i> me l’avez-vous +laissé faire ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>regardant le long de la vallée</i>). — Sans +raison particulière, mais… si cela +vous amusait ou vous faisait le moindre +bien vous pouvez… essuyer ces chères petites +bottines-là sur moi.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>étendant le bras</i>). — Taisez-vous ! +Oh ! taisez-vous ! Philippe, mon roi, je vous +en prie, ne parlez pas comme cela. C’est tout +à fait ce que, moi, je ressens. Vous êtes beaucoup +trop bon pour moi. Tellement trop bon !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Moi ! Je ne suis pas digne de +vous approcher. (<i>Il l’entoure de son bras.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, vous en êtes digne. Mais +moi… qu’ai-je jamais fait ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Donné un tout petit brin de +votre cœur, n’est-ce pas, ma reine ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ce n’est rien, cela. N’importe +qui le ferait. On ne pourr… pourrait jamais +s’en empêcher.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Chaton, vous allez me rendre +horriblement fat. Et cela, juste au moment où +je commençais à me sentir si humble.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Humble ! je ne crois pas que ce +soit dans votre caractère.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qu’est-ce que vous en connaissez, +de mon caractère, petite impertinente ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ah ! mais je le connaîtrai, n’est-ce +pas, Phil ? J’aurai le temps, durant toutes +les années et encore les années à venir, de +connaître tout ce qui vous concerne ; et il n’y +aura pas de secrets entre nous.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Petite sorcière ! Je pense que +vous me connaissez déjà à fond.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je crois pouvoir deviner. Vous +êtes égoïste ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Un peu bêta ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — <i>Très.</i></p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et un chéri.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela, c’est comme il plaît à +ma <span lang="en" xml:lang="en">lady</span>.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Alors, il plaît à votre <span lang="en" xml:lang="en">lady</span>. (<i>Une +pause.</i>) Savez-vous que nous sommes deux +grandes personnes solennelles, sérieuses.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>lui inclinant son chapeau de +paille sur les yeux</i>). — Vous, grande personne ! +Peuh ! Vous êtes un bébé.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et nous disions des bêtises.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, continuons à dire des +bêtises. J’aime assez cela. Chaton, je vais +vous dire un secret. Vous promettez de ne pas +le répéter ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ou-ui. Rien qu’à vous.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je vous aime.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vrai-ment ! Pour combien de +temps ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour toujours et toujours ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est beaucoup.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous pensez ? Je ne peux pas +me contenter de moins.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous devenez tout à fait brillant.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je cause avec <i>vous</i>.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Joliment tourné. Tenez levée +votre stupide vieille tête et je vais vous rendre +cela !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>affectant un suprême mépris</i>). — Prenez-la +vous-même si vous la voulez.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — J’ai grande envie de… et pourquoi +pas ?</p> + + +<p class="did"><i>Elle la lui prend, et se le voit +rendre avec usure.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Petit Poidsléger, c’est mon +avis que nous <i>sommes</i> une paire d’idiots.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Nous sommes les deux seuls +gens sensés du monde ! Demandez à l’aigle. +Le voilà qui vient par ici.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ah ! j’ose dire qu’il a vu pas +mal de gens sensés à Mahasu. On prétend que +ces oiseaux-là vivent une éternité.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Combien de temps ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cent vingt ans.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Cent vingt ans ! O-oh ! Et dans +cent vingt ans, où seront-ils, ces deux gens +sensés ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qu’est-ce que cela peut faire +tant que nous sommes ensemble maintenant ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>faisant du regard le tour de l’horizon</i>). — Oui. +Rien que vous et moi… moi +et vous… dans tout le vaste, vaste monde +jusqu’à la fin. (<i>Son regard se pose sur la ligne +des neiges.</i>) Comme les montagnes ont l’air +énormes et calmes ! Croyez-vous qu’elles s’inquiètent +de nous ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne saurais affirmer les +avoir particulièrement consultées. Moi, je +m’en inquiète, cela me suffit.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>se rapprochant de lui</i>). — Oui, en +ce moment… mais plus tard. Qu’est-ce c’est +que ce petit barbouillage noir sur les neiges ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Une tempête de neige, là-bas, +à quarante milles. Vous allez la voir se déplacer +au fur et à mesure que le vent la charrie +sur les flancs de ce contrefort, et puis, plus +rien.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et puis, plus rien. (<i>Elle frissonne.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>anxieusement</i>). — Vous ne vous +refroidissez pas, petite, n’est-ce pas ? Il vaut +mieux me laisser aller chercher votre manteau.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non. Ne me quittez pas, Phil. +Restez ici. Je crois que j’ai peur. Oh ! pourquoi +les montagnes sont-elles si <i>effroyables</i> ? +Phil, promettez-moi, promettez-moi que vous +m’aimerez <i>toujours</i>.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qu’est-ce qu’il y a donc, chérie ? +Je ne peux promettre plus que je n’ai fait ; mais +je ne cesserai de le promettre encore et encore +si vous voulez.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>la tête sur l’épaule de son mari</i>). — Dites-le +donc… dites-le. N-non… ne le +dites pas ! Les… les… aigles riraient. (<i>Se +remettant.</i>) Mon mari, vous avez épousé une +petite oie.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>très tendrement</i>). — Vraiment ? +Je me contente de ce qu’elle est, tant qu’elle +est à moi.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>promptement</i>). — Parce qu’elle est +à vous ou parce qu’elle est moi en personne ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Parce qu’elle est l’un et l’autre. +(<i>Piteusement.</i>) Je ne suis pas très fort, ma +chère amie, et je ne crois pas pouvoir me faire +comprendre convenablement.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — <i>Je</i> comprends. Pip, voulez-vous +me dire quelque chose ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tout ce que vous voudrez. +(<i>A part.</i>) Je me demande ce qui va venir +maintenant.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>hésitante, les yeux baissés</i>). — Vous +m’avez raconté une fois, dans le temps +jadis — il y a des siècles et des siècles — que +vous aviez été fiancé déjà auparavant. Je n’ai +rien dit… <i>alors</i>.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>naïvement</i>). — Pourquoi +cela ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>levant les yeux sur ceux de son +mari</i>). — Parce que — parce que j’avais peur +de vous perdre, mon cœur. Mais maintenant… +racontez-le… <i>s’il vous plaît</i>.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il n’y a rien à raconter. J’étais +alors terriblement vieux — presque vingt-deux +ans — et elle avait au moins cela.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ce qui veut dire qu’elle était +plus vieille que vous. Je n’aimerais pas qu’elle +eût été plus jeune. Eh bien ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Eh bien ! je me crus amoureux +et en raffolai quelque peu, et… oh ! +oui, ma parole, je me livrai à la poésie. Ha, +ha !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous n’avez pas écrit un vers +pour <i>moi</i> ! Qu’est-ce qui se passa ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je m’en vins par ici, et toute +l’affaire s’en alla en fumée. Elle écrivit pour +dire qu’il y avait eu malentendu, et puis elle +se maria.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous aimait-elle beaucoup ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non. Au moins elle ne le laissa +pas voir, autant que je me rappelle.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Autant que vous vous rappelez ! +Vous rappelez-vous son nom ? (<i>Elle l’écoute +et baisse la tête.</i>) Merci, mon mari.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Qui, si ce n’est vous, en avait +le droit ? Maintenant, Petit Poidsléger, vous +êtes-vous jamais trouvée mêlée à quelque sombre +et horrible drame ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Si vous m’appelez <i>missis</i> Gadsby, +peut-être vous le raconterai-je.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>prenant sa voix de commandement</i>). — <i>Missis</i> +Gadsby, confessez !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Juste Ciel, Phil ! Je n’eusse +jamais cru que vous pouviez prendre cette +terrible voix.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous ne connaissez pas encore +le quart de mes talents. Attendez que +nous soyons installés dans les plaines, et je +vous montrerai comment j’aboie après mes +hommes. Vous alliez dire, chérie ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je… n’ose guère continuer, après +cette voix-là. (<i>Chevrotant.</i>) Phil, n’ayez +jamais l’audace de me parler sur ce ton-là, +quoi que je puisse faire !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mon pauvre petit amour ! Mais +vous tremblez toute. Je <i>suis</i> si fâché. Il va +sans dire que je n’ai jamais eu l’intention de +vous bouleverser. Ne me racontez rien. Je +suis une brute.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non, vous n’êtes pas une brute, +et je vais vous raconter… Il y eut un homme.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>gaiement</i>). — Y eut-il ? L’heureux +mortel !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tout bas</i>). — Et je crus que je +l’aimais.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mortel deux fois heureux ! Eh +bien ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et je crus que je l’aimais… et +je ne l’aimais pas… et alors vous êtes venu… +et c’était vous que j’aimais, beaucoup, <i>beaucoup</i>. +Oui, vraiment. C’est tout. (<i>Face voilée.</i>) +Vous n’êtes pas fâché, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Fâché ? Pas le moins du monde. +(<i>A part.</i>) Bon Dieu, qu’ai-je fait pour mériter +cet ange ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>à part</i>). — Et il ne m’a même pas +demandé le nom ! Comme les hommes sont +drôles ! Mais c’est peut-être aussi bien.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cet homme ira au ciel parce +que jadis vous avez cru l’aimer. Je me demande +si, moi, vous me remorquerez jamais +là-haut ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>fermement</i>). — Je n’irai pas si +vous n’y allez pas.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Merci. Dites-moi, Chaton, je +ne connais pas beaucoup vos croyances religieuses. +Vous avez été élevée à croire en un +ciel et tout cela, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui. Mais c’était un ciel capitonné, +avec des livres d’hymnes dans tous les +bancs.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>branlant la tête avec une conviction +intense</i>). — Qu’à cela ne tienne. Il y +en a un de vrai, un ciel.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — D’où apportez-vous ce message, +mon prophète ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — D’ici ! Parce que nous nous +aimons tous deux. De sorte que tout va +bien.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tandis qu’une troupe de langurs<a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a> +mène fracas à travers les branches</i>). — De +sorte que tout va bien. Mais Darwin +dit que nous descendons de ces animaux-là !</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> Espèce de singes qui pullulent dans l’Inde.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec sérénité</i>). — Ah ! Darwin +ne fut jamais amoureux d’un ange. Voilà qui +règle la question. Sstt, espèces de brutes ! +Des singes, vraiment ! Vous ne devriez pas +lire ces livres-là.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>se croisant les mains</i>). — S’il plaît +à mon seigneur et maître de publier sa proclamation.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Taisez-vous, chère amie. Il +n’y a pas d’ordres entre nous. Seulement, j’aimerais +mieux que vous ne les lisiez pas. Ils +ne conduisent à rien et cassent la tête aux +gens.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Comme vos premières fiançailles.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec un calme immense</i>). — C’était +un mal nécessaire, et qui m’a conduit +à vous. N’êtes-vous rien ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pas tant que cela, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tout ce monde-ci et l’autre +pour moi.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>très tendrement</i>). — Mon cher, +cher petit mari ! A mon tour <i>vous</i> dirai-je +quelque chose ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, si ce n’est pas terrible… +au sujet des autres hommes.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est au sujet de ma propre +vilaine petite personne.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, ce doit être charmant. +Allez, ma chère amie.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>lentement</i>). — Je ne sais pas pourquoi +je vous le dis, Pip, mais si jamais vous +vous remariiez… (<i>Intermède.</i>) Enlevez votre +main de ma bouche ou je <i>mords</i> ! Dans l’avenir, +donc, rappelez-vous… je ne sais pas trop +comment dire cela !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>reniflant avec indignation</i>). — N’essayez +pas. « Me remarier », vraiment !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je dois. Écoutez, mon mari. +Jamais, jamais, <i>jamais</i> ne dites à votre +femme quoi que ce soit que vous ne vouliez +pas qu’elle se rappelle ni qui fasse l’objet +de ses pensées toute sa vie. Parce qu’une +femme — oui, je <i>suis</i> une femme — <i>ne peut +pas</i> oublier.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ma parole, comment savez-vous +cela ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>avec confusion</i>). — Je ne le sais +pas. Je ne fais que le deviner. Je suis — j’étais — une +sotte petite fille ; mais je sens +que j’en sais tant — oh ! tellement plus que +vous, mon bien aimé ! Pour commencer, je +suis votre femme.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est ce que j’ai été induit à +croire.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et j’aurai besoin de connaître +chacun de vos secrets… de partager avec vous +tout ce que vous savez.</p> + + +<p class="did"><i>Elle ouvre les yeux autour +d’elle d’un air désespéré.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est ce que vous ferez, mon +amie, c’est ce que vous ferez… mais ne regardez +pas comme cela.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Dans votre propre intérêt, ne +m’arrêtez pas, Phil. Je ne recommencerai +jamais une conversation de ce genre avec +vous. Il <i>ne</i> faut <i>pas</i> me dire ! Du moins, pas +maintenant. Plus tard, quand je serai une +vieille dame, cela ne fera rien ; mais si vous +m’aimez, montrez-vous bon, très bon pour +moi ; car cette heure de ma vie, <i>jamais</i> je +ne l’oublierai ! Vous ai-je fait comprendre ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je le crois, enfant. Ai-je rien +dit encore que vous désapprouviez ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Serez-vous <i>très</i> fâché ? Cette… +cette voix, et ce que vous avez dit à propos +de l’engagement…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais c’est vous qui avez +<i>demandé</i> qu’on vous le raconte, chérie.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et <i>c’est</i> pourquoi vous n’auriez +pas dû me le raconter ! Vous devez être le +juge, et, oh ! Pip, malgré tout mon amour +pour vous, je ne serai jamais capable de vous +aider ! Je ne ferai que vous empêcher, et il +vous faut juger en dépit de moi !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air méditatif</i>). — Nous +avons un grand nombre de choses à découvrir +ensemble, Dieu nous vienne en aide à tous deux — répétez-le, +chaton — mais nous nous comprendrons +l’un l’autre de mieux en mieux +chaque jour ; et je crois que je commence à +voir, maintenant. Comment, diable, êtes-vous +arrivée à savoir l’importance <i>au juste</i> qu’il y +avait à me donner <i>justement</i> cette inspiration-là ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je vous ai dit que je ne sais pas. +Seulement, de manière ou d’autre, il semblait +que, dans toute cette nouvelle vie, j’étais +guidée pour votre salut aussi bien que pour +le mien.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Alors, Mafflin avait +raison ! Elles savent, et nous… nous sommes +aveugles… tous. (<i>Gaiement.</i>) Il me semble que +nous perdons un peu pied, ma chère amie, ne +trouvez-vous pas ? Je me rappellerai, et si je +viens à faillir, puissé-je être châtié comme je +le mérite.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Il n’y aura pas de châtiment. +C’est d’ici que nous allons faire voile pour +la vie… vous et moi… et personne autre.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et personne autre. (<i>Une +pause.</i>) Vous avez les cils tout mouillés, ma +jolie ! Vit-on jamais si absurde petite fille ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Entendit-on jamais dire de telles +bêtises ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>secouant les cendres de sa pipe</i>). — Ce +n’est pas ce que nous disons, c’est ce que +nous ne disons pas, qui est utile. Et tout ce +que nous avons dit est profonde philosophie. +Mais personne ne comprendrait… même si +on le mettait dans un livre.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Quelle idée ! Non… rien que +nous autres, ou les gens comme nous… s’il +y a des gens comme nous.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un ton doctoral</i>). — Tous les +gens, qui ne sont pas comme nous, sont +d’aveugles idiots.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>s’essuyant les yeux</i>). — Croyez-vous, +alors, qu’il existe des gens aussi heureux +que nous ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il doit en exister — à moins +que nous ne nous soyons approprié tout le +bonheur du monde.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>regardant vers Simla</i>). — Les +pauvres gens ! Si c’était vrai, tout de même !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Eh bien, dans ce cas, gardons +tout le fourbi pour nous, car c’est trop +chouette pour le perdre… hein, petite femme +à moi ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! Pip ! Pip ! Jusqu’à quel +point êtes-vous un homme grave et marié, et +jusqu’à quel point un horrible gavroche ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quand vous me direz jusqu’à +quel point vous aviez dix-huit ans à votre +dernier anniversaire, et jusqu’à quel point +vous êtes aussi vieille que le sphinx et deux +fois aussi mystérieuse, peut-être vous écouterai-je. +Prêtez-moi ce banjo. La nature m’incite +à hurler au coucher du soleil.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Faites attention ! Il n’est pas +accordé. Ah ! cela fait mal !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>tournant les chevilles</i>). — C’est +étonnamment difficile de garder un banjo au +diapason convenable.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est la même chose avec tous +les instruments de musique. Qu’est-ce que +cela va être ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — « Vanité », et que les montagnes +entendent. (<i>Il chante d’un bout à +l’autre le premier couplet et la moitié du +second. Se tournant vers <span class="xs">MRS. G.</span></i>) Maintenant, +le chœur ! Chantez, chaton !</p> + +<p><span class="xs">TOUS DEUX ENSEMBLE.</span> (<i><span lang="it" xml:lang="it">Con brio</span>, à l’horreur +des singes, lesquels sont en train de +s’installer pour la nuit.</i>)</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse i2">« Vanité, tout est vanité, »</div> +<div class="verse i2">Disait la Sagesse railleuse…</div> +<div class="verse i2">Sur quoi, pressant de ma Beauté</div> +<div class="verse i2">La main délicate et moelleuse,</div> +<div class="verse i2">Répondis : « Si c’est vanité,</div> +<div class="verse i2">Qui donc s’en irait être sage ?</div> +<div class="verse i2">Qui donc s’en irait être sage ?</div> +<div class="verse i2">Qui donc s’en irait être sa-age ?</div> +<div class="verse">(<i lang="it" xml:lang="it">Crescendo</i>)</div> +<div class="verse i2">Non, restons sur la vanité ! »</div> +</div> + +</div> +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un air de défi au gris du ciel +crépusculaire</i>). — « Restons sur la vanité. »</p> + +<p><span class="xs">L’ÉCHO</span> (<i>du contrefort du Fagoo</i>). — Vanité !</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">MADAME BARBE-BLEUE</h2> + +<blockquote class="epi"> +<p>Ouvrez tout, allez partout ; +mais pour ce petit cabinet, je +vous défends d’y entrer.</p> + +<p class="sign"><i>La Barbe-Bleue.</i></p> + +</blockquote> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Le bungalow des <span class="xs">GADSBY</span> dans les +plaines. Un dimanche matin, onze heures. <span class="xs">LE +CAPITAINE GADSBY</span>, en manches de chemise, est +penché sur un harnachement complet de hussard, +depuis la selle jusqu’à la corde de +bivouac, lequel est proprement rangé sur le +plancher de son cabinet. Il fume une vieille +bouffarde de bruyère, et la pensée lui ride le +front.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à lui-même, en maniant une +têtière</i>). — Jack est un âne. Il y a du cuivre +là-dessus de quoi charger une mule — et si +les Américains connaissent rien à rien, on +peut faire tout sauter, sauf le mors. Pas +besoin non plus du licol d’abreuvoir. De la +blague ! — Une demi-douzaine de parures de +chaînes et de porte-mousqueton pour un seul +cheval ! Absurde ! (<i>Se grattant la tête.</i>) +Voyons, réfléchissons à tout, en prenant les +choses au commencement. Ma parole, j’ai +oublié le barême des poids ! N’importe. Garderons +le mors seulement, et éliminerons tous +les cuivres, depuis la croupière jusqu’au poitrail. +Pas de poitrail du tout. Une simple +courroie… comme les Russes. Hi ! Jack n’aurait +jamais pensé à cela !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>entrant précipitamment, la main +bandée</i>). — Oh ! Pip, je me suis brûlé la main +avec ces horribles, horribles confitures de +Tiparee !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air absent</i>). — Hein ! Quo-oi ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>l’œil tout grand de reproche</i>). — Je +me suis brûlée <i>af</i>-freusement ! Cela ne +vous fait rien ? Et moi qui tenais tant à ce +que ces confitures confiturent comme il faut !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pauvre petite femme ! Laissez-moi +embrasser la place et qu’il n’y paraisse +plus. (<i>Déroulant le bandage.</i>) Petite farceuse ! +Où est-elle, cette brûlure ? Je ne la +vois pas.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Au bout du petit doigt. Là !… +C’est une grosse, grosse brûlure !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>baisant le petit doigt</i>). — Bébé ! +Laissez Hyder veiller aux confitures. +Vous savez que je ne tiens pas aux chatteries.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vrai-ment ?… Pip !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas de ce genre en tout cas. +Et maintenant, sauvez-vous, Minnie, et laissez-moi +à mes bas calculs. Je suis occupé.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>s’installant avec calme sur une +chaise longue</i>). — Je le vois. Quel gâchis vous +faites ! Pourquoi avez-vous apporté toutes +ces machines en cuir qui empestent la maison ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour faire joujou. Est-ce que +cela vous ennuie, ma chère ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Laissez-<i>moi</i> faire joujou aussi. +Cela me ferait plaisir.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je crains que non, chaton… +Ne pensez-vous pas que ces confitures vont +brûler, ou quoi que ce soit que font les confitures +lorsqu’une adroite petite femme de +ménage ne les surveille pas ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je croyais vous avoir entendu +dire que Hyder pouvait s’en occuper. Je l’ai +laissé dans la verandah, en train de les remuer… +quand je me suis fait tant de mal.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>l’œil revenant au harnachement</i>). — Po-oovre +petite femme !… Trois +livres quatre onces et sept onces font trois +livres onze onces, et on peut réduire cela +à deux livres huit onces, rien qu’avec un +peuu-tit peu de soin, sans rien affaiblir. La ferrure, +c’est de la blague dans des mains incompétentes. +Quel besoin d’une poche à fers quand +un homme s’en va en éclaireur ? Il ne peut +pas le coller d’un coup de langue… comme +un timbre-poste… ce fer ! Balivernes !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Qu’est-ce qui est des balivernes ? +Puhh ! Avec quoi nettoie-t-on ce cuir ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Avec de la crème, du champagne +et… Écoutez, chère amie, avez-vous +vraiment besoin de me parler à propos de +quelque chose d’important ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Non. J’ai fini mes comptes, et je +pensais que cela m’amuserait de voir ce que +vous faisiez.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Eh bien, amour, maintenant +vous avez vu et… cela ne vous ferait-il rien ?… +c’est-à-dire… Minnie, je suis <i>vraiment</i> occupé.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous voulez que je m’en aille ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, chère amie, pour un +petit moment. Ce tabac va coller à votre +robe, et des affaires de sellerie ne vous intéressent +pas.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Tout ce que vous faites m’intéresse, +Pip.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, je le sais, je le sais, +chère amie. Je vous dirai tout ce qui concerne +cela à quelque jour, lorsque j’aurai +tiré la chose au clair. En attendant…</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — On va me renvoyer de la pièce +comme un enfant ennuyeux ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — No-on. Ce n’est pas exactement +cela que je veux dire. Mais, vous comprenez, +je vais être là à piétiner de côté et +d’autre, à changer ces choses de place en +place, et je serai toujours à vous gêner. Ne +croyez-vous pas ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Est-ce que je ne peux pas le +faire ? Laissez-moi essayer.</p> + + +<p class="did"><i>Elle étend la main vers +la selle de cavalier.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bonté divine, enfant, pas touche ! +Vous allez vous faire du mal. (<i>Ramassant +la selle.</i>) Les <i>numdahs</i> ne sont pas faits +pour se voir maniés par des petites filles. +Voyons, où voulez-vous que je le mette ?</p> + + +<p class="did"><i>Il tient la selle levée au-dessus +de sa tête.</i></p> + + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>la voix altérée</i>). — Nulle part. +Pip, comme vous êtes bon… et fort ! Oh ! +qu’est-ce que c’est que cette vilaine barre +rouge à l’intérieur de votre bras ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>baissant vivement la selle</i>). — Rien. +C’est une marque quelconque. (<i>A part.</i>) +Et Jack qui vient à l’heure du tiffin<a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a> avec +<i>ses</i> idées toutes faites !</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> Second déjeuner, dans l’Inde.</p> +</div> +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je sais bien que c’est une marque, +mais je ne l’avais pas vue encore. Elle +court tout du long du bras. Qu’est-ce que c’est ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Une coupure… si vous voulez +savoir.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Si je veux savoir ! Naturellement +que je le veux ! Je ne tiens pas à voir mon +mari taillé en morceaux de cette façon-là. Comment +est-ce arrivé ? Est-ce un accident ? Racontez-moi, +Pip.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air renfrogné</i>). — Non, +ce n’est pas un accident. J’ai reçu cela… d’un +homme… en Afghanistan.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — A la guerre ? Oh ! Pip, et vous +ne me l’avez <i>jamais</i> dit !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je l’avais complètement oublié.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Tenez votre bras en l’air ! Quelle +horrible, vilaine cicatrice ? Êtes-vous sûr que +cela ne fait plus de mal maintenant ? Comment +cet homme vous a-t-il fait cela ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>regardant d’un air désespéré +à sa montre</i>). — Avec un coutelas. Je suis +tombé… le vieux Van Loo plutôt… qui me +tomba sur la jambe, de sorte que je ne pouvais +pas me sauver. Et alors cet homme s’en vint +et se mit en devoir de me tailler en tranches +pendant que j’étais les quatre fers en l’air.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! taisez-vous ! C’est assez !… +Eh bien, qu’arriva-t-il ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne pouvais atteindre à ma +fonte, et c’est alors que Mafflin arriva fort à +propos pour mettre fin à la petite fête.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Comment ? Un paresseux comme +lui ; je ne crois pas cela.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ? Je ne pense pas que +l’homme eut beaucoup de doute à cet égard. +Jack lui trancha la tête.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Tran-cha-la-tête ! « D’un seul +coup », comme on dit dans les livres ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne suis pas sûr. J’étais trop +intéressé à moi-même pour en savoir long à +ce propos. N’importe comment, la tête était +tranchée, et Jack donnait au vieux Van Loo +des coups de poing dans les côtes pour le +faire se lever. Maintenant vous savez tout, +chère amie, et maintenant…</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous voulez que je m’en aille, naturellement. +Vous ne m’aviez jamais parlé de +cela, quoique nous soyons déjà depuis <i>si longtemps</i> +mariés ; vous ne me <i>l’eussiez</i> jamais dit +si je n’avais pas découvert la chose ; vous <i>ne +me dites</i> jamais quoi que ce soit sur vous, ou +ce que vous faites, et ce qui vous intéresse.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Chérie, je suis toujours avec +vous, dites-moi ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Toujours dans mes jupes, alliez-vous +dire. Je sais que vous y êtes ; mais votre +<i>pensée</i> est toujours ailleurs.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>essayant de dissimuler un sourire</i>). — Vraiment ? +Je ne m’en doutais pas. +Je suis horriblement fâché.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>piteusement</i>). — Oh ! ne vous +moquez pas de moi ! Pip, vous savez ce que +je veux dire. Quand vous lisez une de ces +choses sur la cavalerie, par cet idiot de prince… +Pourquoi ne reste-t-il pas prince, celui-là, au +lieu de faire le garçon d’écurie ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Le prince Kraft, un garçon +d’écurie !… Oh ! ma mère ! Ne faites pas attention, +chère amie. Vous alliez dire ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Peu importe ; vous ne vous +inquiétez pas de ce que je dis. Seulement… +seulement vous vous levez pour arpenter la +pièce, en regardant devant vous, et alors Mafflin +arrive pour dîner, et une fois que je suis +dans le salon, je vous entends, vous et lui, +causer, causer, causer, de choses que je ne +peux pas comprendre, et… oh ! je deviens <i>si</i> +lasse et me sens <i>si</i> seule !… Je ne cherche +pas à me plaindre ni à être un sujet d’ennui, +Pip ; mais c’est comme cela… oui, c’est +comme cela !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ma pauvre chérie ! Je n’y ai +jamais pensé. Pourquoi n’invitez-vous pas à +dîner quelques gens agréables ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Des gens agréables ! Où donc +les trouver ? D’horribles toupies ! Et si je le +<i>faisais</i>, cela ne m’amuserait pas. Vous savez +que je ne veux que <i>vous</i>.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et vous m’avez à coup sûr, +amour ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je ne vous ai pas ! Pip, pourquoi +ne me faites-vous pas entrer dans votre +existence ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Plus que je ne fais ? Ce serait +difficile, chère amie.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, je le suppose… à vos +yeux. Je ne vous suis d’aucune aide… nullement +un compagnon ; et vous aimez mieux +qu’il en soit ainsi.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — N’êtes-vous pas quelque peu +déraisonnable, chaton ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>frappant du pied</i>). — Je suis la +femme la plus raisonnable du monde… lorsqu’on +me traite d’une façon convenable.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Et depuis quand vous ai-je +traitée d’une façon qui ne fût pas convenable ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Toujours… et depuis le commencement. +Vous le <i>savez</i> bien.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, je ne le sais pas ; mais +je ne demande qu’à être convaincu.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>désignant le harnachement</i>). — Là !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que voulez-vous dire ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Qu’est-ce que tout <i>cela</i> veut dire ? +Pourquoi ne m’en parle-t-on pas ? Est-ce si +précieux ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’oublie sa valeur exacte pour +le gouvernement quant à présent. Ce que cela +veut dire, c’est ce que c’est beaucoup trop +lourd.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Alors pourquoi y toucher ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pour le rendre plus léger. +Écoutez-moi, petit amour, j’ai une idée et +Jack en a une autre, mais nous sommes tous +deux d’accord que tout ce harnachement est +d’environ trente livres trop lourd. La question +est de savoir comment le réduire sans +en affaiblir aucune partie, et en même temps +comment permettre au cavalier de porter tout +ce dont il a besoin pour son propre confort — chaussettes, +chemises et choses de ce +genre.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi ne les emballe-t-il pas +dans une petite malle ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>l’embrassant</i>). — Oh ! petit +ange ! Les emballer dans une petite malle, +vraiment ! Les housards ne trimbalent pas de +malles, et c’est une chose on ne peut plus +importante que de faire opérer au cheval tout +le transport.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mais pourquoi avez-vous besoin, +vous, de vous tracasser à ce sujet ? Vous +n’êtes pas un simple cavalier.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ; mais je commande à +quelques douzaines d’entre eux ; et le harnachement +est presque tout, à l’heure qu’il est.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Plus que <i>moi</i> ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Petite sotte ! Naturellement +non ; mais c’est une affaire dans laquelle je +suis terriblement intéressé, attendu que si +moi ou Jack, ou moi et Jack, venons à bout +de quelque espèce de selle plus légère et tout +cela, il est possible que nous arrivions à la +faire adopter.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Comment ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Sanctionner en Angleterre, +où l’on fera un modèle poinçonné, un modèle +que tous les selliers doivent copier ; et +de la sorte, elle sera employée par tous les +régiments.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et cela vous intéresse ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela fait partie de ma profession, +vous savez, et ma profession est +beaucoup pour moi. Tout, dans l’équipement +d’un soldat, est important, et si nous pouvons +l’améliorer, cet équipement, tant mieux +pour le soldat et pour nous.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Qui « nous » ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Jack et moi ; seulement les +idées de Jack sont trop radicales. Pour quel +motif ce gros soupir, Minnie ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! rien… Et vous avez fait de +tout cela un secret pour moi ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Pas un secret, exactement, +ma chère amie. Je ne vous en ai rien dit parce +que je ne pensais pas que cela vous amuserait.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et suis-je faite seulement pour +qu’on m’amuse ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non, naturellement. Je veux +dire simplement que cela ne pouvait pas vous +intéresser.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est <i>votre</i> travail et… et si vous +vouliez me le permettre, je ferais tous les calculs. +Si ces choses sont trop lourdes, vous +savez de combien, et il vous faut avoir une +liste de choses dressée d’avance pour arriver à +l’allègement souhaité, et…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — J’ai bien mes deux listes de +comparaison quelque part dans la tête ; mais +il est difficile de dire la légèreté que l’on peut +donner à une têtière, par exemple, avant d’en +avoir fait faire vraiment un modèle.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mais si vous lisiez tout haut la +liste, je pourrais l’écrire sous votre dictée, et +l’épingler là en face, juste au-dessus de votre +table. Cela ne ferait-il pas l’affaire ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ce serait tout ce qu’il y a de +plus charmant, chère amie, mais ce serait +aussi vous donner de l’ennui pour rien. Je ne +peux pas travailler de cette manière-là. Je +fais cela à vue de nez. Je connais l’échelle de +poids actuelle, et l’autre — celle à laquelle je +tâche de travailler — montera et descendra +au point que je ne pourrais être certain, même +si je la couchais par écrit.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je suis <i>si</i> désolée. Je pensais +que je pourrais vous aider. N’y a-t-il rien +autre en quoi je pourrais être utile ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>faisant du regard le tour +de la pièce</i>). — Je ne vois rien. Vous êtes +pour moi d’une aide constante, vous savez.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui ? Comment ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous êtes vous, naturellement, +et tant que vous êtes près de moi… je +ne saurais expliquer exactement… mais c’est +dans l’air.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Et c’est pourquoi vous vouliez +me renvoyer ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est seulement quand j’essaie +de faire du travail… du travail de manœuvre +comme ceci.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mafflin est préférable, alors, +n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>sans réfléchir</i>). — Naturellement +oui. Jack et moi avons passé deux ou +trois années penchés sur le même sillon à +propos de ce harnachement. C’est notre dada, +et cela peut, à quelque jour, rendre de réels +services.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>après une pause</i>). — Et c’est tout +ce dont vous me tenez écartée ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’en êtes pas très écartée +maintenant. Prenez garde que l’huile de +ce mors ne passe sur votre robe.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je voudrais… je voudrais tant +pouvoir effectivement vous aider. Je crois que +je le pourrais… en quittant cette pièce. Mais ce +n’est pas cela que je veux dire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Que Dieu m’accorde +patience ! Je voudrais qu’elle s’en aille. (<i>Haut.</i>) +Je vous assure que vous ne pouvez rien pour +moi, Minnie, et il faut absolument que je m’y +mette. Où est ma blague ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>se dirigeant vers la table à écrire</i>). — La +voilà, ours. Dans quel gâchis vous tenez +votre table !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — N’y touchez pas. Il y a de +l’ordre dans mon désordre, aussi étrange que +cela puisse vous paraître.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>à la table</i>). — Je veux voir… Est-ce +que vous tenez des comptes, Pip ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se penchant sur le harnachement</i>). — Si +vous voulez. Êtes-vous en train de ravager +dans les papiers de service ? Faites attention.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi ? Je ne vais rien déranger. +Bonté divine ! Je n’avais pas idée que +vous eussiez quoi que ce soit à faire avec tant +de chevaux malades.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je voudrais bien qu’il en soit +autrement, mais ils insistent pour tomber +malades. Minnie, à votre place, je ne mettrais +vraiment pas le nez dans ces papiers-là. Il se +peut que vous tombiez sur quelque chose qui +ne vous plaise pas.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi voulez-vous toujours +me traiter en enfant ? Je sais que je ne dérange +rien de toutes ces sales choses-là.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>avec résignation</i>). — Très bien ; +alors, ne m’accusez pas s’il vous arrive quoi +que ce soit. Amusez-vous avec la table et +laissez-moi continuer avec le harnachement. +(<i>Glissant la main dans la poche de son pantalon.</i>) +Oh ! diable !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>le dos tourné</i>). — Pourquoi cela ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Rien. (<i>A part.</i>) Cela ne dit +pas grand’chose, mais je voudrais bien l’avoir +déchiré.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>examinant tout ce qu’il y a sur +la table</i>). — Je sais que je vais me faire détester +par vous, mais je veux voir à quoi cela +ressemble, votre travail. (<i>Une pause.</i>) Pip, +qu’est-ce que c’est que des « boutons de farcin » ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ha ! Vous voulez vraiment +savoir ? Ce n’est rien de joli.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Ce <i>Journal de Science Vétérinaire</i> +déclare que c’est d’un « intérêt palpitant ». +Expliquez-moi.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Il se peut que cela +détourne son attention.</p> + + +<p class="did"><i>Il donne une description +longue, et dégoûtante à +dessein, de la morve et +du farcin.</i></p> + + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! cela suffit. Ne poursuivez +pas !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais vous vouliez savoir… +Alors ces machines-là suppurent, coulent et +se propagent…</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pip, vous me faites mal au cœur ! +Vous n’êtes qu’un horrible et dégoûtant écolier.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à genoux parmi les brides</i>). — C’est +vous qui me l’avez demandé. Ce n’est pas +ma faute si vous êtes là à me tracasser pour +vous raconter des horreurs.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Pourquoi n’avez-vous pas dit +non ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Juste Ciel, enfant ! Êtes-vous +venue ici simplement pour me tyranniser ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Moi, vous tyranniser ? Comment +le pourrais-je. Vous êtes si fort. (<i>A deux +doigts d’une crise.</i>) Assez fort pour me prendre +dans vos bras et me mettre à la porte +pour m’y laisser pleurer, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il me semble que vous êtes +un petit bébé déraisonnable. Allez-vous tout +à fait bien ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Est-ce que j’ai l’air malade ? +(<i>Retournant à la table.</i>) Qui est cette amie à +la grande enveloppe grise avec le gros monogramme +dessus ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ce n’était donc pas +sous clef, saperlipopette ! (<i>Haut.</i>) « Dieu l’a +faite, qu’elle passe donc pour une femme<a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a>. » +Vous vous rappelez ce que c’est que les boutons +de farcin ?</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> Shakespeare. <i>Le Marchand de Venise.</i></p> +</div> +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>montrant l’enveloppe</i>). — Ceci n’a +rien à faire avec <i>eux</i>. Je vais l’ouvrir. Le +puis-je ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Certainement, si vous y tenez. +Je préférerais que non, cependant. Je ne +demande pas à voir vos lettres à la petite Deercourt.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous faites aussi bien, monsieur. +(<i>Elle tire la lettre de l’enveloppe.</i>) Maintenant, +puis-je regarder ? Si vous dites non, je vais +pleurer.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’avez jamais pleuré à +ma connaissance, et je ne crois pas que vous +le puissiez.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je m’en sens tout près aujourd’hui, +Pip. Ne soyez pas dur avec moi. (<i>Elle +lit la lettre.</i>) Cela commence au milieu, sans +« Cher capitaine Gadsby », ou quoi que ce +soit. Comme c’est drôle !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Non, ce n’est pas +« Cher capitaine Gadsby », ou quoi que ce soit, +maintenant. Comme c’est drôle !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Quelle étrange lettre ! (<i>Elle lit.</i>) +« Ainsi, le papillon a fini par s’approcher trop +près de la chandelle, et s’est vu passer de la +flamme dans la… dirai-je respectabilité ? Je le +félicite, et j’espère qu’il aura tout le bonheur +qu’il mérite. » Qu’est-ce que cela veut dire ? +Vous félicite-t-elle à propos de notre mariage ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, je le suppose.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>lisant toujours la lettre</i>). — On +dirait que c’est une de vos amies particulières.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui. C’était une excellente brave +dame… une Mrs. Herriott… femme d’un +certain colonel Herriott. J’ai connu quelques-uns +de ses parents au pays, il y a de cela +longtemps… avant de venir par ici.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Il y a des femmes de colonel qui +sont jeunes… aussi jeunes que moi. J’en ai +connu une qui était plus jeune.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, ce ne pouvait être Mrs. +Herriott. Elle était assez âgée pour être votre +mère, ma chère amie.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je me rappelle maintenant. Mrs. +Scargill parlait d’elle au tennis chez les Duffin, +avant que vous ne veniez me chercher, mardi. +Le capitaine Mafflin disait que c’était une +« bonne vieille dame ». Savez-vous, je crois +que Mafflin est très maladroit de ses pieds.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Ce brave Jack ! +(<i>Haut.</i>) Pourquoi, chère amie ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Il avait posé sa tasse à terre, et +il a littéralement marché dedans. J’ai eu ma +robe toute éclaboussée de thé… la grise. Je +voulais vous le dire déjà auparavant.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Il y a en Jack l’étoffe +d’un stratégiste, bien qu’il emploie des moyens +un peu rudes. (<i>Haut.</i>) Vous ferez bien de faire +faire une nouvelle robe, alors. (<i>A part.</i>) +Prions pour que cela détourne son attention.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh ! elle n’est pas tachée le moins +du monde. Je croyais seulement devoir vous +le dire. (<i>Revenant à la lettre.</i>) Quelle extraordinaire +personne ! (<i>Elle lit.</i>) « Mais ai-je +besoin de vous rappeler que vous avez assumé +une charge de tutelle » — qu’est-ce que cela +peut bien être, qu’une charge de tutelle ? — « qui, +vous le savez vous-même, peut aboutir +à des Conséquences… »</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — C’est le plus sûr de +les laisser voir tout au fur et à mesure qu’elles +mettent le nez dessus ; mais il me semble qu’il +y a des exceptions à la règle. (<i>Haut.</i>) Je vous +ai dit qu’il n’y avait rien à tirer de bon du +fait de remettre de l’ordre sur ma table.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un air absent</i>). — Que <i>veut</i> +dire cette femme ? Elle continue de parler de +Conséquences — de « presque inévitables +Conséquences » avec un grand C — pendant +une demi-page. (<i>Devenant écarlate.</i>) Oh ! +bonté divine ! Mais c’est abominable !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>promptement</i>). — Croyez-vous ? +Cela ne montre-t-il pas une sorte d’intérêt +maternel à notre égard ? (<i>A part.</i>) Dieu merci, +Harrie enveloppait toujours prudemment ce +qu’elle voulait dire ! (<i>Haut.</i>) Est-il absolument +nécessaire de continuer la lettre, ma chérie ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est de l’impertinence — c’est +simplement horrible. Quel <i>droit</i> avait cette +femme de vous écrire de cette façon ? Elle +n’eût pas dû le faire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quand vous écrivez à la petite +Deercourt, je remarque que vous remplissez +trois ou quatre feuillets. Ne pouvez-vous pas +laisser une vieille femme babiller sur du papier +une fois par hasard ? Elle n’a que de +bonnes intentions.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Cela m’est égal. Elle n’eût pas +dû écrire, et si elle l’a fait, vous eussiez dû +me montrer sa lettre.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Ne pouvez-vous pas comprendre +pourquoi j’ai gardé la lettre pour +moi seul, ou faut-il entrer dans de longues +explications… comme j’ai fait pour les boutons +de farcin ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un ton furieux</i>). — Pip, je vous +<i>déteste</i> ! C’est aussi mal que ces idiotes de +sacoches, là, sur le plancher. Peu importe si +cela m’eût plu ou non, vous eussiez dû me la +donner à lire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’est tout un. Vous l’avez +prise vous-même.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oui, mais si je ne l’eusse pas +prise, vous n’en eussiez soufflé mot. Je crois +que cette Harriet Herriott — c’est comme un +nom dans un livre — est une vieille fouine +qui vient s’immiscer dans ce qui ne la regarde +pas.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Tant que vous resterez +bien persuadée qu’elle <i>est</i> vieille, je ne +me soucie guère de ce que vous pensez. +(<i>Haut.</i>) Fort bien, ma chère amie. Vous plairait-il +de lui écrire pour le lui dire ? Elle est +à sept mille milles d’ici.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je n’ai pas besoin d’avoir rien à +faire avec elle, mais vous eussiez dû m’en +parler. (<i>Tournant à la dernière page de la +lettre.</i>) Et elle prend des airs protecteurs à +mon égard aussi. Je ne l’ai jamais vue, moi ! +(<i>Elle lit.</i>) « Je ne sais pas comment il en +retourne avec vous ; selon toute probabilité +humaine jamais je ne le saurai ; mais quoi que +j’aie pu dire jadis, je prie pour <i>elle</i> plus que +pour vous, afin que tout aille bien. J’ai appris +ce que c’est que la souffrance, et je n’ose souhaiter +que quiconque vous est cher partage +ma science. »</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bon Dieu ! Ne pouvez-vous +laisser cette lettre tranquille, ou, tout au +moins, ne pouvez-vous vous abstenir de la lire +à haute voix ? Je l’ai déjà parcourue. Remettez-la +sur le bureau. M’entendez-vous ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>d’un air irrésolu</i>). — Je… je n’en +ferai rien ! (<i>Elle regarde <span class="xs">G.</span> en face.</i>) Oh ! Pip, +<i>je vous en prie</i> ! Je ne voulais pas vous fâcher… +Non, vraiment, je ne voulais pas. +Pip, je suis si désolée, je sais que je vous ai +fait perdre votre temps…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>d’un air renfrogné</i>). — Oui, +vous me l’avez fait perdre. Maintenant, +voulez-vous être assez bonne pour vous en +aller… s’il n’y a plus rien dans mon cabinet +où vous ne soyez impatiente de fourrer le nez ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>étendant les mains</i>). — Oh ! Pip, +ne me regardez pas comme cela ! Je ne +vous ai jamais encore vu regarder comme +cela et cela me fai-ait mal ! Je suis si désolée. +Je n’aurais pas dû venir ici du tout, +et… et… et… (<i>Sanglotant.</i>) Oh ! soyez-moi +bon ! Soyez-moi bon ! Il n’y a que vous… au +monde !</p> + + +<p class="did"><i>Elle s’abandonne sur la +chaise longue, en se cachant +le visage dans les +coussins.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>à part</i>). — Elle ne sait pas +comme elle m’a fouetté au sang. (<i>Haut, se +penchant sur la chaise.</i>) Je n’ai pas eu l’intention +d’être dur, ma chère amie… non, vraiment. +Vous pouvez rester ici aussi longtemps +que voulez et faire ce que vous voulez. Ne +pleurez pas comme cela. Vous allez vous +rendre malade. (<i>A part.</i>) Que diable a-t-il pu +lui arriver ? (<i>Haut.</i>) Ma chérie, qu’est-ce que +vous avez ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>le visage toujours caché</i>). — Laissez-moi +m’en aller… laissez-moi m’en aller +dans ma chambre. Seulement… seulement +dites-moi que vous n’êtes pas fâché contre +moi.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Fâché contre <i>vous</i>, amour ! +Cela va sans dire que non. C’était contre +moi-même que j’étais fâché. C’est le harnachement +qui m’avait fait sortir de mon caractère… +Ne vous cachez pas le visage, chaton. +Il faut que je l’embrasse.</p> + + +<p class="did"><i>Il se penche plus près, <span class="xs">MRS. +G.</span> lui glisse le bras droit +autour du cou. Plusieurs +intermèdes et beaucoup +de sanglots.</i></p> + + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>tout bas</i>). — Ce n’était pas des +confitures que je voulais vous parler quand je +suis entrée pour vous dire…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Peste soit des confitures et +du harnachement ! (<i>Intermède.</i>)</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>encore plus faiblement</i>). — Mon +doigt n’était pas brûlé <i>du tout</i>. Je… je voulais +vous parler de… de… de quelque chose +autre, et… je ne savais pas comment.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dites, alors. (<i>La regardant +au fond des yeux.</i>) Hein ? Quo-oi ? Minnie ! +Voyons, ne vous en allez pas ! Vous ne voulez +pas dire ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>hors d’elle, reculant jusqu’à la portière +et se cachant le visage dans ses plis</i>). — Les… +les Presque Inévitables Conséquences !</p> + + +<p class="did"><i>Elle s’enfuit par la portière +tandis que <span class="xs">G.</span> essaie de +l’attraper et s’en va se verrouiller +dans sa chambre.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>les bras pleins de la portière</i>). — Oh ! +(<i>Tombant lourdement sur la chaise +longue.</i>) Je ne suis qu’une brute… un cochon… +un tyran et un galopin. Ma pauvre, pauvre +petite chérie ! « Faite seulement pour qu’on +l’amuse…? »</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">LA VALLÉE DE L’OMBRE</h2> + +<blockquote class="epi"> +<p>Connaissant le Bien et le Mal.</p> + +</blockquote> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Le bungalow des Gadsby dans les +plaines, en juin. Des coolies de punkah endormis +dans la verandah que <span class="xs">LE CAP. GADSBY</span> +arpente de haut en bas. Charrette du <span class="xs">DOCTEUR</span> +sous le porche. <span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> erre de côté +et d’autre partout et avec inquiétude dans la +maison. Trois heures quarante du matin. +34° de chaleur dans la verandah.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>s’en venant dans la verandah +et touchant <span class="xs">G.</span> à l’épaule</i>). — Vous feriez +bien de rentrer la voir en ce moment.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>la couleur de la cendre d’un +bon cigare</i>). — Hein, quo-oi ? Oh ! oui, sans +doute. Qu’est-ce que vous disiez ?</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>syllabe par syllabe</i>). — Al — lez… +dans… la… chambre… la… voir. Elle +veut vous parler. (<i>A part, d’un air bourru.</i>) +Ensuite ce sera <i>lui</i> que j’aurai sur les bras.</p> + +<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>dans la salle à manger +à moitié éclairée</i>). — Est-ce qu’il n’y a +pas ?…</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>d’un air farouche</i>). — Chut, +petit insensé.</p> + +<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER.</span> — Laissez-moi faire mon +affaire. Gadsby, arrêtez une minute !</p> + + +<p class="did"><i>Il entreprend de suivre <span class="xs">G.</span></i></p> + + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR.</span> — Attendez qu’elle vous envoie +chercher au moins… <i>au moins</i>. Malheureux, +il va vous tuer si vous entrez là ! Pourquoi +le tracassez-vous comme cela ?</p> + +<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>s’en venant dans la +verandah</i>). — Je lui ai donné un grog bien +corsé. Il en a besoin. Vous l’avez oublié +durant les dix heures qui viennent de s’écouler, +et… vous vous êtes oublié vous-même +aussi.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">G.</span> pénètre dans la chambre +à coucher, laquelle est +éclairée par une veilleuse. +Sur le plancher une ayah +fait semblant de dormir.</i></p> + + +<p><span class="xs">UNE VOIX</span> (<i>du lit</i>). — Tout le long de la +rue… en voilà des feux de joie ! <i>Ayah</i>, allez +les éteindre ! (<i>Semblant en appeler à témoin +ceux qui écoutent.</i>) Comment pouvoir dormir +avec une remise de décorations dans ma +chambre ? Non… pas une remise de décorations. +Quelque chose autre. <i>Qu’est-ce</i> que +c’était ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>tâchant de se rendre maître de +sa voix</i>). — Minnie, je suis ici. (<i>Se penchant +sur le lit.</i>) Ne me reconnaissez-vous pas, +Minnie ? C’est moi… c’est Phil… c’est votre +mari.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>machinalement</i>). — C’est moi… +c’est Phil… c’est votre mari.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Elle ne me reconnaît pas ! +C’est votre mari à vous, chérie.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Votre mari à vous, chérie.</p> + +<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>sous le coup d’une inspiration</i>). — <i>Memsahib</i> +comprendre tout ce que <i>moi</i> +dire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Fais-moi comprendre d’elle, +alors… vite !</p> + +<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>la main sur le front de Mrs. G.</i>). — <i>Memsahib !</i> +Capitaine Sahib ici.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — <i>Salaam do<a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a>.</i> (<i>Avec humeur.</i>) +Je sais que je ne suis pas présentable.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> Salue-le.</p> +</div> +<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>à part, à <span class="xs">G.</span></i>). — Dites « bonjour », +comme à déjeuner.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Bonjour, petite femme. Comment +allons-nous aujourd’hui ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — C’est Phil. Pauvre vieux Phil ! +(<i>D’un ton acerbe.</i>) Phil, espèce de bête, je +ne peux pas vous voir. Venez plus près.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Minnie, Minnie ! C’est moi… +Vous me reconnaissez ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>d’un ton moqueur</i>). — Sans +doute, que je vous reconnais. Qui ne reconnaîtrait +l’homme qui s’est montré si cruel +pour sa femme… presque la seule qu’il ait +jamais eue ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, chère amie. Oui… sans +doute, sans doute. Mais ne voulez-vous pas +lui parler ? Il voudrait tant vous parler !</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Jamais ils ne le laisseront entrer. +Le docteur l’empêcherait, même s’il était +dans la maison. Il ne viendra jamais. (<i>D’un +ton désespéré.</i>) Oh ! Judas ! Judas ! Judas !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>étendant les bras</i>). — Ils l’ont +laissé entrer, et il a toujours été dans la maison. +Oh ! mon amour… est-ce que vous ne +me reconnaissez pas ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>chantonnant</i>). — « Et il arriva à +l’onzième heure que cette pauvre âme se +repentit. » Elle frappa aux portes, mais elles +étaient fermées… serrées comme un emplâtre… +un grand emplâtre tout brûlant. Ils +ont collé notre certificat de mariage tout en +travers de la porte, et elle était en fer chauffé +à blanc… Vraiment les gens devraient faire +plus attention, vous savez.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Que faire ? (<i>Il la prend dans +ses bras.</i>) Minnie ! parlez-moi… à Phil.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Que vais-je dire ? Oh ! dites-moi +ce qu’il faut dire avant qu’il soit trop +tard ! Ils s’en vont tous et je ne peux rien +dire.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Dites que vous me reconnaissez ! +Dites seulement que vous me reconnaissez !</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>qui est entré sans bruit</i>). — Par +pitié, ne prenez pas la chose trop à +cœur, Gadsby ! Cela se produit quelquefois. +Ils ne vous reconnaissent pas. Ils disent toutes +sortes de choses bizarres… comprenez-vous ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, oui ! Allez-vous-en +maintenant, elle va me reconnaître ; vous +l’ennuyez. Il le <i>faut</i>… N’est-ce pas qu’il le +faut ?</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR.</span> — Elle le fera avant… Me +permettez-vous d’essayer…?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Tout ce que vous voulez, +pourvu qu’elle me reconnaisse. Ce n’est +qu’une question d’… heures, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>sur le ton professionnel</i>). — Tant +qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, vous +savez. Mais ne comptez pas dessus.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne compte sur rien. Rappelez-la +à elle si c’est possible. (<i>A part.</i>) +Qu’ai-je fait pour mériter cela ?</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>se penchant sur le lit</i>). — Voyons, +Mrs. Gadsby ! Nous serons guérie +demain. Il <i>faut</i> le prendre, sans quoi je ne +laisserai pas Phil vous voir. Ce n’est pas mauvais, +n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Des médecines ! <i>Toujours</i> des +médecines ! Ne pouvez-vous pas me laisser +tranquille ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oh ! laissez-la en paix, docteur !</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>se retirant en arrière — à +part</i>). — Dieu me pardonne si j’ai mal fait. +(<i>Haut.</i>) Dans quelques instants elle devrait +revenir à elle ; mais je n’ose vous dire de +vous attendre à quoi que ce soit. C’est seulement…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quo-oi ? Continuez donc.</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>tout bas</i>). — Une façon de +hâter le dernier effort.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, laissez-nous seuls.</p> + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR.</span> — Ne vous occupez pas de ce +qu’elle dira pour commencer, si vous pouvez. +Ils… ils… ils se retournent quelquefois, en +cet état-là, contre ceux qu’ils aiment le plus… +C’est dur, mais…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Est-ce moi son mari, ou est-ce +vous ? Laissez-nous seuls pour ce que nous +avons de temps à rester ensemble.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>confidentiellement</i>). — Et nous +avons été fiancés de la façon <i>la plus</i> soudaine, +Emma. Je t’assure que je n’y ai jamais pensé +un seul moment ; mais, pauvre de moi !… je +ne sais pas <i>ce que</i> j’aurais fait s’il ne <i>s’était +pas</i> proposé.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Elle pense à la petite Deercourt +avant de penser à moi. (<i>Haut.</i>) Minnie !</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Pas dans les boutiques, chère +maman. Vous pouvez faire venir les feuilles +naturelles de Kaintu, et (<i>riant faiblement</i>) ne +vous occupez pas des fleurs… La soie blanc +mat ne convient qu’aux veuves, et je <i>ne veux +pas</i> en porter. Cela ressemble à un suaire.</p> + + +<p class="did"><i>Une longue pause.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je n’ai jamais encore demandé +de faveur. S’il est quelqu’un qui m’écoute, +qu’elle me reconnaisse… quand je devrais, +moi aussi, mourir !</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>très faiblement</i>). — Pip, mon +cher Pip.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je suis ici, chérie.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Qu’est-ce qui est arrivé ? Ils +m’ont tellement ennuyée avec les médecines +et un tas de choses, et ils ne voulaient pas +vous laisser venir me voir. Je n’avais jamais +encore été malade. Est-ce que je suis malade +en ce moment ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous… vous n’êtes pas très +bien.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Comme c’est drôle ! Est-ce qu’il +y a longtemps que je suis malade ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quelques jours ; mais vous +n’allez pas tarder à vous remettre.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Croyez-vous, Pip ? Je ne me +sens pas bien et… Oh ! qu’est-ce qu’on a fait +à mes cheveux ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je ne… ne… ne sais pas.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — On les a coupés. Si c’est possible !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — C’était sans doute pour vous +tenir la tête plus fraîche.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Absolument une perruque de +gamin. J’ai l’air affreuse, hein ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’avez jamais paru plus +jolie de votre vie, ma chère amie. (<i>A part.</i>) +Comment vais-je lui demander de me dire +adieu ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Je ne me <i>sens</i> pas jolie. Je me +sens très malade. Mon cœur ne marche pas. +C’est presque mort à l’intérieur de moi, et +j’éprouve quelque chose de drôle dans les +yeux. Tout me semble à la même distance… +vous, l’armoire, la table… à l’intérieur de mes +yeux ou à des milles de distance. Qu’est-ce +que cela veut dire, Pip ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous êtes un peu fiévreuse, +chérie… très fiévreuse. (<i>Défaillant.</i>) Mon +amour ! mon amour ! Comment vous laisser +aller ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — C’est ce que je pensais. Pourquoi +n’avoir pas commencé par le dire ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quoi ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Que je vais… mourir.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Mais, vous n’allez pas mourir ! +Vous ne mourrez pas !</p> + +<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>au coolie de punkah, pénétrant +dans la verandah après un coup d’œil au lit</i>). — <i>Punkah +chor do !<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a></i></p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> Cesse de tirer le punkah.</p> +</div> +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — C’est dur, Pip. Si, si dur après +une année… rien qu’une année. (<i>Gémissant.</i>) +Et je n’ai que vingt ans. La plupart +des jeunes filles ne sont même pas mariées, +à vingt ans. Ne peut-on rien faire pour me +tirer de là ? Je ne <i>veux</i> pas mourir.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Chut, ma chère amie. Vous +ne mourrez pas.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Quel besoin de parler ? <i>Secourez</i>-moi ! +Vous ne m’avez jamais encore +fait défaut. Oh ! Phil, aidez-moi à rester en +vie. (<i>Fiévreusement.</i>) Je ne crois pas que +vous vouliez que je vive. Vous n’avez pas été +triste le moins du monde quand cette horreur +de bébé est mort. J’aurais voulu le +tuer !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se passant la main sur le front</i>). — On +n’est pas fait pour supporter de pareilles +choses… ce n’est pas permis. (<i>Haut.</i>) +Minnie, amour, je mourrais pour vous si +cela pouvait vous secourir.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Ne parlons plus de mort. Il y +en a déjà assez comme cela. Pip, n’allez pas, +vous, mourir aussi.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Si seulement j’osais.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Il dit : « Jusqu’à ce que la mort +nous sépare. » Rien après… et du reste cela +ne servirait à rien. Cela s’arrête à la mort. +<i>Pourquoi</i> cela s’arrête-t-il là ? Et une vie si +courte, encore. Pip, je regrette que nous +nous soyons mariés.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Non ? Tout, mais pas cela, +Minnie !</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Parce que vous oublierez et que +j’oublierai. Oh ! Pip, n’oubliez pas. Je vous +ai toujours aimé, quoique parfois je fusse +contrariante. Si j’ai jamais rien fait qui vous +ait déplu, dites que vous me pardonnez en ce +moment.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous n’avez jamais rien fait +qui m’ait déplu, chérie, sur mon âme et sur +mon honneur, jamais. Je n’ai pas la moindre +chose à vous pardonner.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — J’ai boudé toute une grande +semaine à propos de ces pétunias. (<i>Avec un +léger rire.</i>) En ai-je été, une petite misérable, +et quelle peine cela vous a faite ! Pardonnez-le-moi, +Pip.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Il n’y a rien à pardonner. Ce +fut ma faute. Ils <i>étaient</i> trop près de l’allée +des voitures. Pour l’amour de Dieu, ne parlez +pas ainsi, Minnie ! Il reste tant de choses +à dire et si peu de temps pour les dire.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Dites que vous m’aimerez toujours… +jusqu’à la fin.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Jusqu’à la fin. (<i>Hors de lui.</i>) +C’est un mensonge. Cela n’en peut être qu’un, +attendu que nous nous sommes aimés. Ce +n’est pas la fin.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>retombant dans une sorte de +délire</i>). — Mon paroissien, à moi, a au dos +une croix d’ivoire, et <i>il</i> le dit, donc c’est vrai. +« Jusqu’à ce que la mort nous sépare. » — Mais +c’est un mensonge. (<i>Parodiant un +geste de <span class="xs">G.</span></i>) Un sacré mensonge ! (<i>D’un air +insouciant.</i>) Oui, je jure aussi bien que le +cavalier Pip. Je ne peux pas faire penser ma +tête, pourtant. C’est parce qu’ils m’ont coupé +les cheveux. Comment <i>pouvoir</i> penser avec +une tête de hérisson ? (<i>D’un ton implorant.</i>) +Tenez-moi bien, Pip ! Gardez-moi avec vous +toujours, toujours. (<i>Retombant.</i>) Mais si vous +vous mariez avec la petite Thorniss, quand +je serai morte, je reviendrai hurler sous la +fenêtre de votre chambre toute la nuit. Oh ! +zut ! Vous me prendrez pour un chacal. Pip, +quelle heure est-il ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Le jour va paraître, ma chère +amie.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Je demande où je serai demain +à cette heure-ci.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Voudriez-vous voir le pasteur ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Pourquoi le verrais-je ? Il me +dirait que je vais au ciel ; et ce ne serait pas +vrai, puisque vous êtes ici. Vous rappelez-vous +quand il a renversé sa glace sur tout son pantalon +au tennis des Gasser ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, chère amie.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Je me suis souvent demandé +s’il avait acheté un autre pantalon ; et pourtant +le sien était si brillant qu’on ne pouvait +vraiment pas s’en apercevoir à moins qu’on +vous le dise. Faisons-le venir pour le lui +demander.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>gravement</i>). — Non. Je crois +que cela ne lui ferait pas plaisir. Avez-vous +la tête à l’aise, chérie ?</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>faiblement, avec un soupir de +contentement</i>). — Ou-ué ! De grâce, Pip, quand +vous êtes-vous rasé la dernière fois ? Vous +avez le menton pire que le rouleau d’une boîte +à musique… Non, ne le relevez pas. Je l’aime +comme cela. (<i>Une pause.</i>) Vous disiez que +vous n’aviez jamais pleuré. Vous pleurez sur +toute ma joue.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je… je… je ne peux pas +m’en empêcher, ma chère amie.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Comme c’est drôle ! Je ne pourrais +pas pleurer en ce moment, quand il +s’agirait de ma vie. (<i><span class="xs">G.</span> frissonne.</i>) Ce dont +j’ai besoin, moi, c’est de chanter.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Cela ne vous fatiguerait-il pas ? +Il vaut peut-être mieux que non.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Pourquoi ? Je ne veux pas qu’on +m’ennuie. (<i>Elle commence d’une voix chevrotante +et rauque.</i>)</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">« Minnie fait un gâteau d’avoine, Minnie brasse de l’ale,</div> +<div class="verse">Tout cela parce que son Yannik va rentrer de la mer,</div> +<div class="verse i3">(C’est la manœuvre, Pip.)</div> +<div class="verse">Rouge comme rose devient-elle, qui fut si pâle,</div> +<div class="verse">Et dit : (Êtes-vous sûr que marche l’horloge du clocher ?) »</div> +</div> + +</div> +<p>(<i>Avec humeur.</i>) Je savais bien que je ne +pourrais pas monter jusqu’à la dernière note. +Comment est-ce, à la main gauche ? (<i>Elle tire +ses mains de dedans le lit et se met à jouer +du piano sur le drap.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>s’emparant de ses mains</i>). — Ahh ! +Ne faites pas cela, chaton, si vous +m’aimez.</p> + +<p><span class="xs">LA VOIX.</span> — Si je vous aime ? Naturellement, +que je vous aime, qui pourrais-je aimer d’autre ?</p> + + +<p class="did"><i>Une pause.</i></p> + + +<p><span class="xs">LA VOIX</span> (<i>très clairement</i>). — Pip, voici que +je m’en vais. Il y a quelque chose qui m’étouffe +affreusement. (<i>Indistinctement.</i>) Dans +les ténèbres… sans vous, mon cœur… Mais +c’est un mensonge, cher ami… il ne faut pas +y croire… Pour jamais et jamais, vivants ou +morts. Ne me laissez pas m’en aller, mon +mari… tenez-moi bien… Ils ne peuvent pas… +quoi qu’il arrive. (<i>Elle tousse.</i>) Pip… <i>mon</i> Pip ! +Pas pour toujours… et… si… tôt ! (<i><span class="xs">LA VOIX</span> +cesse.</i>)</p> + + +<p class="did"><i>Suspension de dix minutes. +<span class="xs">G.</span> s’ensevelit le visage +dans les draps, tandis +que <span class="xs">L’AYAH</span> se penche sur +le lit, du côté opposé, et +tâte le sein et le front de +<span class="xs">MRS. G.</span></i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>se levant</i>). — <i>Docteur sahib ko +salaam do<a id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a>.</i></p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_27" href="#FNanchor_27"><span class="label">[27]</span></a> Dites au docteur.</p> +</div> +<p><span class="xs">L’AYAH</span> (<i>toujours contre le lit, avec un cri +aigu</i>). — Aï ! Aï ! ma <i>memsahib</i> ! Pas morte — pas +mourir — <i>Poussîna agya !</i><a id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a> (<i>Farouchement +à <span class="xs">G.</span></i>) <i>Tum jao docteur sahib ko +jaldi<a id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a> !</i> Oh ! ma <i>memsahib</i> !</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_28" href="#FNanchor_28"><span class="label">[28]</span></a> La transpiration est venue.</p> +</div> +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_29" href="#FNanchor_29"><span class="label">[29]</span></a> Vous aller au docteur.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>entrant précipitamment</i>). — Retirez-vous, +Gadsby. ( <i>Il se penche sur le +lit.</i>) Hein ? Le di… Qu’est-ce qui vous a inspiré +d’arrêter le punkah ? Sortez, mon brave… +allez-vous-en… attendez dehors. <i>Allez !</i> +Ici, ayah ! (<i>Par-dessus son épaule, à <span class="xs">G.</span></i>) Remarquez-le, +je ne promets rien.</p> + + +<p class="did"><i>Le jour paraît au moment +où <span class="xs">G.</span> pénètre en trébuchant +dans le jardin.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>retenant son cheval à la grille +au moment où il passe pour se rendre à la +manœuvre, et très gravement</i>). — Mon vieux, +comment cela va-t-il ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>ébloui</i>). — Je ne sais pas bien. +Arrête un instant. Viens prendre un verre ou +quelque chose. Ne te sauve pas. C’est le moment +où cela devient drôle. Ha ! ha !</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>à part</i>). — Qu’est-ce qui <i>m</i>’arrive ? +Gaddy a vieilli de dix ans en une nuit.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>lentement, tout en maniant la +têtière du cheval</i>). — Ta gourmette est trop +lâche.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — En effet. Remets-la comme +il faut, veux-tu ? (<i>A part.</i>) Je vais être en +retard pour la manœuvre. Pauvre Gaddy.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">LE CAP. G.</span> attache et détache +la gourmette sans savoir +ce qu’il fait, et finalement +reste là debout à regarder +du côté de la verandah. +Le jour grandit.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE DOCTEUR</span> (<i>sorti de la gravité professionnelle, +piétinant à travers les corbeilles +de fleurs pour venir serrer la main à <span class="xs">G.</span></i>) — C’est… +c’est… c’est !… Gadsby, il y a des +chances… de sacrées chances ! L’étincelle, +vous savez ! La transpiration, vous savez ! Je +l’avais bien <i>deviné</i>. Le punkah, vous savez ! +Une femme diantrement intelligente, votre +ayah. Elle a arrêté le punkah juste au bon +moment. De sacrées chances ! Non… vous +n’entrerez pas. Nous allons la tirer de là, je +vous le promets sur ma réputation… si Dieu +le permet. Envoyez un homme avec ce billet +chez Bingle. Deux têtes valent mieux qu’une. +Surtout l’ayah ! Nous allons la tirer de là. +(<i>Il bat précipitamment en retraite dans la +maison.</i>)</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> (<i>la tête sur le cou du cheval de +<span class="xs">M.</span></i>) — Jack ! Je gr… gr… grois que j’… j’… +je bais me donner salement en spectagle.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>reniflant ouvertement et tâtant +dans sa manchette de gauche</i>). — Je b’… b’… +je b’y donne déjà. Mon vieux, que te dire ? +Je suis si gontent… Le diable d’emporte, +Gaddy ! Du es un grand idiot, et boi, un +autre. (<i>Se reprenant.</i>) Attention ! Voici venir +Trompe-le-Diable.</p> + +<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>qui n’est pas dans la +confidence du docteur</i>). — Nous… nous ne +sommes que des hommes en ces sortes de +choses, Gadsby. Je sais que mes paroles, +en ce moment, ne peuvent être d’aucun +secours…</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>avec jalousie</i>). — Alors, ne +parlez pas. Laissez-le tranquille. Ce n’est pas +tel qu’il y ait lieu de croasser. Tiens, Gaddy, +porte le <i>chit</i><a id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a> à Bingle, et… train d’enfer ! +Cela te fera du bien. Je ne peux pas y aller.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_30" href="#FNanchor_30"><span class="label">[30]</span></a> Billet.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER.</span> — Lui faire du bien ! +(<i>Souriant.</i>) Donnez-moi le <i>chit</i>, et je vais y +aller en voiture. Laissez-le se coucher. Votre +cheval barre le chemin à ma charrette… <i>si +vous permettez !</i></p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>lentement, sans tirer sur la +bride</i>). — Je vous demande pardon… je +m’excuserai. Par écrit, si vous y tenez.</p> + +<p><span class="xs">LE SOUS-AUMÔNIER</span> (<i>tapant sur le cheval +de <span class="xs">M.</span></i>) — Voilà qui suffira, merci. Rentrez, +Gadsby, et je vais ramener Bingle… hem, +hem… « train d’enfer ».</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> (<i>seul</i>). — Je n’aurais eu que ce +que je mérite s’il m’avait cinglé le visage. Il +sait aussi ce que c’est que de mener un cheval. +Je ne me soucierais guère d’aller à cette +allure dans une charrette en bambou. Quelle +foi il lui faut en son… bourrelier ! Allons, +hue, cocotte !</p> + + +<p class="did"><i>Il s’éloigne au galop pour +se rendre à la manœuvre, +en se mouchant, tandis +que le soleil se lève.</i></p> + + + +<p class="c gap xs">INTERVALLE DE CINQ SEMAINES</p> + + +<p class="gap"><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>très pâle et le visage tiré, en peignoir +du matin au petit déjeuner</i>). — Comme +la pièce paraît grande et étrange, et, oh ! +comme je suis contente de la revoir ! Quelle +poussière, pourtant ! Il faut que je parle aux +domestiques. Du sucre, Pip ? J’ai presque +oublié. (<i>Sérieusement.</i>) N’ai-je pas été très +malade ?</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Plus malade que je n’eusse +voulu. (<i>Tendrement.</i>) Oh ! vilain petit chaton, +quelle peur vous m’avez faite !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Je ne recommencerai plus.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Vous ferez bien. Et maintenant +tâchez de reprendre vos couleurs, sans +quoi je me fâcherai. N’essayez pas de soulever +le samovar. Vous allez le renverser. Attendez.</p> + + +<p class="did"><i>Il s’en vient en faisant +le tour jusqu’au haut +bout de la table, et soulève +le samovar.</i></p> + + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>vivement.</i>) — <i>Khitmatgar, bowarchikhana +sî kettlé lao<a id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a>.</i> (<i>Attirant la tête +de <span class="xs">G.</span> tout contre la sienne.</i>) Mon Pip aimé, +<i>je</i> me rappelle.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_31" href="#FNanchor_31"><span class="label">[31]</span></a> Majordome, allez chercher une bouilloire à la cuisine.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Quoi ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Cette dernière et terrible nuit.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Alors, tâchez maintenant +d’oublier tout cela.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>doucement, les yeux se remplissant +de larmes</i>). — Jamais. Cela nous a rapprochés +<i>bien</i> près l’un de l’autre, mon mari. +Là ! (<i>Intermède.</i>) Je vais donner une <i>sarie</i><a id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a> +à Junda.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_32" href="#FNanchor_32"><span class="label">[32]</span></a> Robe.</p> +</div> +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Je lui ai donné cinquante +<i>dibs</i><a id="FNanchor_33" href="#Footnote_33" class="fnanchor">[33]</a>.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_33" href="#FNanchor_33"><span class="label">[33]</span></a> Roupies.</p> +</div> +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — C’est ce qu’elle m’a dit. C’était +une récompense énorme. Est-ce que j’en valais +la peine ? (<i>Plusieurs intermèdes.</i>) Finissez ! +Voici le <i>khitmatgar</i>… Deux morceaux ou un +seul, Monsieur ?</p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">LE DÉBORDEMENT DU JOURDAIN</h2> + +<blockquote class="epi"> +<p>Si les gens de pied vous ont +fatigué quand vous avez couru +avec eux, comment pourriez-vous +courir contre ceux qui +sont à cheval ? Si vous espériez +d’être en assurance dans une +terre de paix, que ferez-vous +parmi des gens aussi fiers que +le Jourdain lorsqu’il se déborde ?</p> + +</blockquote> + + +<p class="gap drap"><span class="xs">DÉCOR.</span> — <i>Le bungalow des <span class="xs">GADSBY</span> dans les plaines, +un matin de janvier. <span class="xs">MRS. G.</span> discute avec +le portefaix dans la verandah de derrière. +<span class="xs">LE CAP. M.</span> arrive à cheval.</i></p> + + +<p class="gap"><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Bonjour, Mrs. Gadsby. Comment +se portent le Petit Prodige et l’Orgueilleux +Propriétaire ?</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Vous les trouverez dans la +verandah de devant ; traversez la maison. +Pour le moment je remplis le rôle de Marthe.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Accablée par les soucis des +khitmatgars ? Je me sauve.</p> + + +<p class="did"><i>Il passe dans la verandah +de devant, où <span class="xs">GADSBY</span> surveille +<span class="xs">GADSBY JUNIOR</span>, âgé +de dix mois, en train de +ramper sur la natte.</i></p> + + +<p><span class="xs">LE CAP. M.</span> — Qu’est-ce qu’il te prend, Gaddy, +de gâter ainsi la matinée d’un honnête +homme ? (<i>Apercevant <span class="xs">GADSBY JUNIOR</span>.</i>) Ma +parole, ce poulain-là se devient à merveille ? +Un bon appoint d’os, là, sous le genou.</p> + +<p><span class="xs">LE CAP. G.</span> — Oui, c’est un petit gredin plein +de santé. Ne crois-tu pas que les cheveux lui +poussent ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Jetons un coup d’œil. Hi ! Hst ! Ici, +général Luck, que nous fassions notre rapport +sur vous.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>dans l’intérieur</i>). — De quel nom +absurde le baptiserez-vous encore la prochaine +fois ? Pourquoi l’appelez-vous comme +cela ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — N’est-ce pas notre inspecteur général +de cavalerie ? Ne s’en vient-il pas dans sa +voiture, haute comme cela, tous les matins +où les Hussards Roses font la manœuvre ? +Ne gigotez pas, brigadier. Donnez-nous votre +opinion personnelle sur la façon dont le troisième +escadron a défilé. Un brin décousus, +n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Tout ce que je désire, c’est de ne +jamais revoir un tas de bouifs pareils aux +derniers bleus. Ils m’ont fourni plus que ma +belle part… en mettant la pagaille dans mon +escadron. C’est à faire vomir !</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Quand vous aurez un commandement, +vous tâcherez de faire mieux, jeune homme. +Commence-t-on à marcher ? Tenez-vous à +mon doigt pour essayer. (<i>A <span class="xs">G.</span></i>) Cela ne peut +lui faire mal aux boulets, n’est-ce pas ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Oh ! que non. Ne le laisse pas retomber, +cependant, sans quoi il va t’enlever tout +le cirage de tes bottes avec sa langue.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>dans l’intérieur</i>). — Qui est-ce qui +déblatère contre mon fils ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Et mon filleul. J’ai honte de toi, +Gaddy. Jack, donnez-lui un coup de poing +dans l’œil, à votre père. N’allez pas accepter +cela ! Frappez-le encore !</p> + +<p><span class="xs">G.</span> (<i lang="it" xml:lang="it">sotto voce</i>). — Pose à terre le <i>butcha</i> et +viens au bout de la verandah. Je préférerais +que ma femme n’entende pas… pour le moment.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Tu as l’air terriblement sérieux. +Rien de grave ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Cela dépend entièrement de ton point +de vue. Écoute, Jack, tu ne seras pas plus dur +qu’il ne faut vis-à-vis de moi, n’est-ce pas ? +Viens par ici plus loin… En deux mots +voici l’affaire : je suis décidé… ou tout au +moins je pense sérieusement… à lâcher le +service.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Hhhein ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Ne pousse pas de cris. Je vais envoyer +ma démission.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Toi ! Es-tu fou ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Non… seulement marié.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Voyons ! Qu’est-ce tout cela veut dire ? +Tu ne peux avoir dans l’idée de <i>nous</i> quitter. +C’est <i>impossible</i>. Le plus bel escadron du +plus beau régiment de la plus belle cavalerie +du monde entier n’est-il pas assez bon pour +toi ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> (<i>secouant la tête par-dessus son épaule</i>). — Elle +n’a pas l’air de prospérer dans ce +pays abandonné du ciel et de la terre, et il y +a aussi le <i>butcha</i> à considérer, et tout cela, +tu sais.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Dit-elle qu’elle n’aime pas l’Inde ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — C’est là le pire. Elle n’en soufflerait +mot de peur d’avoir à me quitter.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Pour quoi les montagnes sont-elles +faites ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Pas pour ma femme à moi, en tout +cas.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Tu en sais trop, Gaddy, et… je ne +t’en aime pas mieux pour cela !</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Que m’importe ? Il lui faut l’Angleterre, +et le <i>butcha</i> n’en irait que mieux. Je +vais tout lâcher. Tu ne comprends pas ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>chaudement</i>). — Je comprends <i>ceci</i> : +cent trente-sept jeunes chevaux à peaufiner +de façon quelconque avant que Luck revienne +par ici ; des recrues qui ont un poil dans la +main et qui nous causeront plus de turbin +que les chevaux ; le camp comme certitude dès +la première saison froide ; nous-mêmes les +premiers à mobiliser ; le pétard russe prêt à +éclater en cinq minutes, et toi, le meilleur de +nous tous, te retirant de tout ! Réfléchis un +peu, Gaddy. Tu <i>ne vas pas</i> faire cela.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Mais, sacrebleu, un homme a des +devoirs vis-à-vis de sa famille, je suppose.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Je me rappelle un homme, cependant +qui m’a dit, la nuit après Amdhéran, alors +que nous étions à la corde sous le Jagai, et +qu’il avait laissé son sabre — en passant, l’as-tu +jamais payé à Ranken<a id="FNanchor_34" href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a>, ce sabre ? — dans +la tête d’un Utmanzai… qui m’a dit qu’il ne +me lâcherait jamais, ni moi ni les Roses, tant +qu’il vivrait. Je ne le blâme pas de me lâcher, +moi — je ne vaux pas les quatre fers d’un +chien — mais je le blâme de lâcher les Hussards +Roses.</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_34" href="#FNanchor_34"><span class="label">[34]</span></a> Ranken, le grand fabricant de sabres, à Londres.</p> +</div> +<p><span class="xs">G.</span> (<i>d’un air gêné</i>). — Nous n’étions guère +plus que des gosses, alors. Te rends-tu compte, +Jack, de la tournure que les choses ont prise ? +Ce n’est pas comme si nous étions au service +pour gagner notre pain. Nous avons plus ou +moins, nous tous, la sale galette. Je suis peut-être, +sous ce rapport, plus veinard que d’autres. +Il n’y a pas pour moi d’obligation de +rester au service.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Aucune pour toi comme pour nous, +sauf l’obligation vis-à-vis du régiment. S’il ne +te plaît pas d’obéir à cette obligation-là, naturellement…</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Ne te montre pas par trop dur vis-à-vis +d’un semblable. Tu sais bien que quantité +d’entre nous n’acceptent la chose que pour +quelques années, et puis s’en reviennent à +Londres reprendre la vie avec les autres.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Pas des quantités, et ces gens-là ne +sont pas <i>nous</i>.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Et puis il faut aussi considérer les affaires +qu’on a au pays… mon coin de terre et +les revenus, et tout cela. Je ne pense pas que +mon père aille bien loin maintenant, et cela, +c’est le titre et tout ce qui s’ensuit.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Tu as peur de ne pas figurer correctement +dans le <span lang="en" xml:lang="en">Stud Book</span> à moins de retourner +au pays. Prends six mois, alors, et reviens +en octobre. Si je pouvais estourbir un frère +ou deux, je crois que je serais quelque chose +comme marquis. Le premier imbécile venu +peut l’être ; mais il faut des <i>hommes</i>, Gaddy…, +des hommes comme toi… pour mener +proprement des escadrons flanc-garde. Ne va +pas te mettre dans la tête que tu retournes au +pays pour prendre ta place et faire la roue +au milieu de douairières kabouli au nez rouge. +Tu n’es pas bâti pour cela. C’est moi qui te +le dis.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Tout homme a le droit de vivre sa +vie aussi heureusement qu’il peut. Tu n’es pas +marié, toi.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Non… grâce à la Providence et à la +femme ou deux qui ont eu le bon sens de me +refuser.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Alors tu ne sais pas ce que c’est que +d’entrer dans sa chambre et de voir la tête de +sa femme sur l’oreiller, pour se demander, +alors que tout le reste est sauf et la maison +sous les verrous pour la nuit, si les poutres +du toit ne vont pas céder et la tuer.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Révélations première et +seconde ! (<i>Haut.</i>) Ssss ! J’ai connu un homme +qui se grisait jadis à notre mess et m’a confié +qu’il n’aidait jamais sa femme à monter à +cheval sans prier pour qu’elle se rompe le +cou avant de rentrer. Tous les maris ne se +ressemblent pas, tu vois.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Que diable cela peut-il avoir à faire +avec mon cas ? Il fallait que cet homme-là +fût fou, ou sa femme pas grand’chose de +rare.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Pas ta faute si les deux +n’étaient pas tout ce que tu dis. Tu as oublié +le temps où la Herriott t’avait fait perdre la +raison. Tu as toujours eu le don d’oublier. +(<i>Haut.</i>) Pas plus fou que les gens qui vont à +l’autre extrême. Sois raisonnable, Gaddy. Les +poutres de ton toit sont assez solides.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Ce n’était qu’une façon de parler. Je +me suis toujours senti inquiet et tracassé au +sujet de ma femme depuis cette affreuse affaire +d’il y a trois ans… quand… j’ai failli la +perdre. Peux-tu t’en étonner ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Oh ! un obus ne tombe jamais deux +fois à la même place. Tu as payé ta part de +malheur… Pourquoi serait-ce ta femme qui +se trouverait choisie plutôt que celle d’un +autre ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — S’il ne s’agissait que de parler, je +peux le faire tout aussi raisonnablement que +toi, mais tu ne comprends pas… tu ne comprends +pas. Et puis il y a le <i>butcha</i>. Dieu +seul sait où son ayah le mène s’asseoir quand +arrive le frais ! Il a un petit commencement +de rhume. N’as-tu pas remarqué ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — La bonne blague ! Le <i>brigadier</i> crève +de santé. Il a le museau comme une feuille de +rose et le coffre d’un poulain de deux ans. +Qu’est-ce qui a bien pu te démoraliser ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — La frousse. En un mot comme en +cent : la frousse !</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Mais qu’est-ce qu’il y <i>a</i> pour y donner +lieu ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Tout. C’est effarant.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Ah ! je devine.</p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">« You don’t want to fight,</div> +<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">And by Jingo when we do,</div> +<div class="verse" lang="en" xml:lang="en">You’ve got the kid, you’ve got the wife,</div> +<div class="verse i2" lang="en" xml:lang="en">You’ve got the money, too<a id="FNanchor_35" href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a>. »</div> +</div> + +</div> +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_35" href="#FNanchor_35"><span class="label">[35]</span></a></p> + +<div class="flex"> +<div class="poetry"> +<div class="verse">« Vous ne voulez pas vous battre,</div> +<div class="verse">Et par Jingo quand nous nous battons,</div> +<div class="verse">Vous avez le petit, vous avez la femme,</div> +<div class="verse">Vous avez l’argent aussi. »</div> +</div> + +</div> +<p>Chanson qui fut composée lors d’un projet de guerre entre +l’Angleterre et la Russie, en 1878, et qui a donné naissance +au mot « jingoïsme ». Ici, Mafflin modifie le texte du troisième +vers qui, dans la chanson originale, est : « <i lang="en" xml:lang="en">We’ve +got the men, we’ve got the ships.</i> »</p> +</div> +<p>Hein, c’est à peu près le cas ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Je suppose que oui. Mais ce n’est pas +pour moi. C’est à cause d’<i>eux</i>. Du moins, je +le crois.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Es-tu sûr ? En envisageant les choses +de sang-froid, ta femme est pourvue même +au cas où tu serais nettoyé dès ce soir. Elle +a une demeure seigneuriale où se retirer, de +l’argent, et le <i>brigadier</i> pour continuer à +porter le nom illustre.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Alors c’est pour moi-même ou parce +qu’ils sont une partie de moi. Tu ne le vois +pas. Ma vie est si bonne, si agréable, telle +qu’elle est, que j’ai besoin de la rendre tout +à fait stable. Est-ce que tu ne comprends +pas ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Parfaitement. « Tranchée-abri pour +cheval d’officier », comme on dit dans la +ligne.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Et j’ai tout ce qu’il faut en main pour +la rendre telle. J’en ai soupé, de la tension +morale et de la bile à leur sujet ici, et je ne +vois pas qu’il y ait pour moi la moindre difficulté +à envoyer tout promener. Cela me coûtera +seulement… Jack, j’espère que tu ne +connaîtras jamais la honte par laquelle j’ai +passé durant ces derniers six mois.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Tiens bon là ! Je n’ai pas besoin qu’on +me dise. Tout homme a ses hauts et ses bas.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> (<i>riant amèrement</i>). — Tu crois ? Qu’est-ce +que tu dis du monsieur qui tend le cou +pour voir où son cheval met le pied ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Dans mon cas, cela signifie que j’ai +fait la noce, et que j’arrive à la manœuvre +avec le mal aux cheveux ! Cela passe en trois +foulées.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> (<i>baissant la voix</i>). — Cela ne passe +jamais avec moi, Jack. J’y pense toujours. +Phil Gadsby ayant la frousse d’une chute à +la manœuvre ! Un joli tableau, n’est-ce pas ? +Dessine-le pour moi.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>gravement</i>). — Dieu me pardonne ! Un +homme comme toi ne peut pas en arriver à ce +degré-là. Une chute n’a rien d’agréable. Mais +on ne pense jamais à cela.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Tu crois ? Attends d’avoir à toi femme +et enfant, et alors tu sauras comment le grondement +de l’escadron derrière vous vous fait +froid tout le long du dos.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Et c’est là l’homme qui +menait à Amdhéran après que Bayal-Deasin +eût été dévissé, et nous étions tous en +<i>méli-mélo</i>, et il sortit de la bagarre ruisselant +comme un boucher. (<i>Haut.</i>) Balivernes ! +Les files peuvent toujours s’entr’ouvrir, et +vous pouvez toujours plus ou moins chercher +votre chemin. Nous autres, nous n’avons pas +la poussière pour nous embêter, comme les +hommes, et qu’est-ce qui a jamais entendu +parler d’un cheval mettant le pied sur un +homme.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Jamais… tant qu’il est en état de +voir. Mais est-ce qu’ils se sont entr’ouverts +pour le pauvre Errington ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Oh ! voilà qui est puéril !</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Je sais que cela l’est, et pire que cela. +Peu m’importe. Tu as monté Van Loo. Est-ce +une bête à chercher son chemin… surtout +lorsque nous partons à bonne allure à l’attaque +en colonne ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — C’est une fois par hasard que nous +partons à l’attaque en colonne, et alors seulement +pour épargner du temps. Est-ce que +tu n’as pas assez de trois longueurs ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Oui… tout à fait assez. C’est juste ce +qu’il faut d’espace pour se voir écrasé dans les +règles. Je parle en chien hargneux, je le sais +bien ; mais ce que je veux te dire, c’est que, +ces derniers trois mois, je me suis senti tous +les sabots de l’escadron au bas du dos chaque +fois que j’ai commandé.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Mais, Gaddy, c’est terrible !</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — N’est-ce pas délicieux ? N’est-ce pas +royal ? Un capitaine de Hussards Roses gorgeant +d’eau son cheval avant la manœuvre +comme le sacré soulaud de colonel d’un régiment +indigène.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Tu n’as jamais fait cela !</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Une fois seulement. Il gargouillait +comme une outre, et mon vieux chef m’a +regardé du coin de l’œil. Tu connais l’œil du +vieux Haffy. J’ai eu peur de recommencer.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Je te crois. C’était le meilleur moyen +de flanquer une hernie au pauvre Van +Loo, et de te faire esquinter. Tu le <i>savais</i> +bien.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Peu m’importait. Cela lui enlevait le +mordant.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — « Lui enlevait le mordant ! » Gaddy, +il… il… il <i>ne faut pas</i>, tu sais ! Pense aux +hommes.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Cela, c’est encore une chose dont j’ai +peur. Crois-tu qu’ils savent ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Espérons que non ; mais ils sont +salement prompts à reluquer le frouss… de +petites choses de ce genre. Écoute, mon vieux, +envoie la femme au pays pour la saison chaude +et viens au Kashmir avec moi. Nous aurons +un bateau sur le Dal ou traverserons le Rhothang… +nous flânerons ou nous chasserons +le bouquetin ou… ce qui te plaira. Seulement, +<i>viens</i> ! Tu boudes un brin sur ton +avoine, et tu dis des bêtises. Regarde le colonel… +tout vieux lascar ventripotent qu’il +est. Lui aussi a une femme et des châteaux à +n’en plus finir. Y en a-t-il un de nous capable +de lui damer le pion à cheval… malgré +sa goutte et tout ? Moi, je ne peux pas, et je +crois savoir ce que c’est que de pullupper.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Il y a des gens autrement bâtis. Je +n’ai pas le nerf. Dieu m’aide, je n’ai pas le +nerf ! J’ai raccourci mes étriers d’un cran et +demi pour avoir les genoux bien aux sacoches. +Je n’y peux rien. J’ai tellement peur +qu’il m’arrive quoi que ce soit ! Sur mon âme, +on devrait me casser devant l’escadron pour +couardise.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Un vilain mot, cela. Je n’aurais jamais +le courage d’avouer.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Mon intention, en commençant, était +de mentir sur mes véritables motifs, mais… +mais j’ai perdu l’habitude de te mentir, mon +vieux. Jack, motus, n’est-ce pas ?… Mais je +sais bien que c’est inutile avec toi.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — ’Turellement. (<i>Presque tout haut.</i>) +Voilà que les Roses paient cher leur Orgueil.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Hein ! Quo-oi ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Ah ! tu ne sais pas ? Les hommes ont +toujours appelé Mrs. Gadsby l’Orgueil des +Hussards Roses depuis qu’elle nous est arrivée.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Ce n’est pas <i>sa</i> faute. Ne le crois pas. +C’est entièrement la mienne.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Que dit-elle ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Je ne lui ai pas encore positivement +soumis la question. C’est la meilleure petite +femme de la terre, Jack, et tout le reste… +mais ce n’est pas celle qui conseillerait à un +homme de rester attaché à son métier si ce +métier s’interposait entre lui et elle. Au moins, +je crois…</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — N’importe. Ne lui dis pas ce que tu +m’as dit. Appuie sur la succession du titre et +des terres.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Elle devinerait. Elle est dix fois +plus fine que moi.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Alors elle acceptera le sacrifice +et pensera un petit peu plus mal de lui +pour le reste de ses jours.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> (<i>d’un air absent</i>). — Dis-moi, est-ce +que tu me méprises ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Drôle de façon de poser la question. +Est-ce qu’on te l’a quelquefois posée ? Réfléchis +une minute. Quelle réponse faisais-tu ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Comment, j’en suis <i>là</i> ? Je ne peux +guère m’attendre à davantage ; mais c’est un +brin dur quand c’est son meilleur ami qui se +retourne contre vous et…</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — C’est ce que je trouve. Mais tu auras +des consolations… intendants et drainages, +l’engrais liquide, la <i lang="en" xml:lang="en">Primrose League</i><a id="FNanchor_36" href="#Footnote_36" class="fnanchor">[36]</a> et, +peut-être, si tu as de la veine, le commandement +d’un régiment de cav-ale-rie <span lang="en" xml:lang="en">yeomanry</span>… +épaulette et galons, je crois, mais pour ce +qui est de faire du cheval… Quel âge as-tu ?</p> + +<div class="footnote"><p><a id="Footnote_36" href="#FNanchor_36"><span class="label">[36]</span></a> La ligue des Conservateurs.</p> +</div> +<p><span class="xs">G.</span> — Trente-trois ans. Je sais que c’est…</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — A quarante tu seras un imbécile de +gros propriétaire. A cinquante tu te feras +pousser dans une petite voiture, et le <i>brigadier</i>, +s’il te ressemble, passera son temps à +effaroucher toutes les petites colombes de… +quel est le nom du patelin où tu vas ? En +outre, Mrs. Gadsby aura pris de l’embonpoint.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> (<i>mollement</i>). — Voilà qui dépasse un +peu la plaisanterie.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Tu crois ? N’est-ce pas dépasser la +plaisanterie que de lâcher le service ? Cela +vous demande en général cinquante ans pour +arriver à cette plaisanterie-là. Tu as bien +raison, cependant. Cela dépasse la plaisanterie. +Tu t’es arrangé pour la faire au bout de +trente-trois ans.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — N’appuie pas sur l’amertume de la +chose. Seras-tu content si j’avoue être un +lâcheur, un froussard et un couard ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Non, attendu que je suis le seul +homme au monde à pouvoir te parler de la +sorte sans me faire assommer. Il ne faut pas +prendre à cœur, de cette façon-là, tout ce +que je t’ai dit. Je ne parlais — en grande +partie, du moins — que par pur égoïsme, +parce que, parce que… Oh ! zut, mon vieux… +je me demande ce que je ferai sans toi. Naturellement, +tu as l’argent, la terre, et tout… +et tu as ici deux bons motifs pour veiller à toi.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Cela ne rend pas la chose plus douce. +Je me sauve… je le sais bien. J’ai toujours +eu quelque part en moi un point faible… et +je n’ose risquer aucun danger à cause d’<i>eux</i>.</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Pourquoi diable le ferais-tu ? Tu es +tenu de penser à ta famille… tenu d’y penser. +Er-hmm. Si je n’étais pas fils cadet, je m’en +irais aussi… que je sois pendu si je ne le ferais +pas !</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Merci, Jack. C’est un gentil mensonge, +mais c’est le plus noir que tu aies proféré +depuis quelque temps. Je sais ce que je fais, +et l’entreprends en connaissance de cause. +Mon vieux, c’est plus fort que moi. Qu’est-ce +que tu ferais à ma place ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>à part</i>). — Peux pas m’imaginer une +femme en permanence entre moi et le régiment. +(<i>Haut.</i>) Ne saurais dire. Fort probable +que je ne ferais pas mieux. Je suis fâché pour +toi… affreusement fâché… mais « si ce sont +tes sentiments », je crois… oui, je crois que +tu agis sagement.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Vrai ? Je l’espère. (<i>Tout bas.</i>) Jack, +sois très sûr de toi-même avant de te marier. +Je suis un ingrat ruffian de le dire, mais le +mariage — même un mariage aussi réussi que +le mien — est une entrave à l’ouvrage d’un +homme, lui paralyse le bras droit, et, oh, cela +disperse vos idées de devoir aux quatre vents ! +Quelquefois — aussi bonne et aussi douce +qu’elle soit — quelquefois j’aurais presque le +désir d’avoir conservé ma liberté… Non, ce +n’est pas exactement cela que je veux dire.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> (<i>arrivant dans la verandah</i>). — A +propos de quoi ce branlement de tête, Pip ?</p> + +<p><span class="xs">M.</span> (<i>se retournant vivement</i>). — A propos +de moi, comme d’habitude. Le vieux sermon. +Votre mari me conseille de me marier. Jamais +vu pareil monomane !</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mais pourquoi non ? Je ne dis +pas que vous ne rendiez quelque femme très +heureuse.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Voilà la loi et les prophètes, Jack. +Peu importe le régiment. Rends une femme +heureuse. (<i>A part.</i>) Bon Dieu !</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Nous verrons. Il faut que j’aille faire +le désespoir d’un de nos cuisiniers. Je ne veux +pas qu’on nourrisse mes petits housards de +tibias de bœufs de trait. (<i>Avec vivacité.</i>) Pour +sûr que les fourmis ne sauraient être bonnes +pour le <i>brigadier</i>. Il est en train de les ramasser +sur la natte pour les boulotter. Ici, +<span lang="es" xml:lang="es">Señor Comandante</span> Don Salenez, venez me +parler. (<i>Il soulève <span class="xs">G. JUNIOR</span> dans ses bras.</i>) +Vous voulez ma montre ? Vous ne seriez jamais +capable de la mettre dans votre bouche, mais +vous pouvez essayer.</p> + + +<p class="did"><i><span class="xs">G. JUNIOR</span> laisse tomber la +montre, et brise cadran +et aiguilles.</i></p> + + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Oh, capitaine Mafflin, je suis +désolée ! Jack, méchant, méchant petit vilain. +Ahhh !</p> + +<p><span class="xs">M.</span> — Cela n’a pas la moindre importance, +je vous assure. Il traiterait l’univers de la +même façon s’il pouvait le prendre dans ses +mains. Tout est fait pour servir de jouet et +se voir brisé, n’est-ce pas, jeune homme ?</p> + +<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>. +</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>. +</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div> +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Mafflin n’a pas dû trouver drôle +du tout de voir sa montre brisée, quoiqu’il +ait été trop poli pour le dire. C’est entièrement +sa faute. Pourquoi l’avoir donnée à +l’enfant ? Ces petites pattes-là sont très, très +faibles, n’est-ce pas, mon Jacquot ? (<i>A Gadsby.</i>) +Pourquoi voulait-il vous voir ?</p> + +<p><span class="xs">G.</span> — Cette sale boutique du régiment, +comme d’habitude.</p> + +<p><span class="xs">MRS. G.</span> — Le régiment ! <i>Toujours</i> le régiment. +Ma parole, je me sens quelquefois +jalouse de Mafflin.</p> + +<p><span class="xs">G.</span> (<i>avec lassitude</i>). — Le pauvre vieux +Jack ? Je ne crois pas que vous en ayez besoin. +N’est-ce pas l’heure pour le <i>butcha</i> de faire +son somme ? Apportez une chaise ici pour +vous, ma chère amie. J’ai à vous parler.</p> + + +<p class="c gap xs">ET TELLE EST LA FIN DE L’HISTOIRE DES GADSBY</p> + +<div class="break"></div> + + +<p class="c top4em"><span class="i">ACHEVÉ D’IMPRIMER</span><br> +<span class="small">le vingt septembre mil neuf cent cinq</span><br> +<span class="xs">PAR</span><br> +BLAIS ET ROY<br> +<span class="xs">A POITIERS</span><br> +pour le<br> +MERCVRE<br> +<span class="xs">DE</span><br> +FRANCE</p> + + + + +<div style='text-align:center'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74052 ***</div> +</body> +</html> + |
