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-The Project Gutenberg eBook of Souvenirs de la Cour d'Assises, by
-André Gide
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Souvenirs de la Cour d'Assises
-
-Author: André Gide
-
-Release Date: January 31, 2023 [eBook #69918]
-
-Language: French
-
-Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team
- at https://www.pgdp.net (This file was produced from images
- generously made available by The Internet Archive/Canadian
- Libraries)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUVENIRS DE LA COUR
-D'ASSISES ***
-
-
-
-
-
- ANDRÉ GIDE
-
- SOUVENIRS
- DE LA
- COUR D’ASSISES
-
- (4me édition)
-
-
- ÉDITIONS DE LA
- NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
- 35 & 37, RUE MADAME, PARIS
-
- 1913
-
-
-
-
-DU MÊME AUTEUR
-
-
-ont paru au _MERCURE DE FRANCE_
-
- LES CAHIERS D’ANDRÉ WALTER épuisé
- LES POÉSIES D’ANDRÉ WALTER épuisé
- LE VOYAGE D’URIEN, suivi de PALUDES (nouvelle édition) 1 vol.
- LES NOURRITURES TERRESTRES 1 vol.
- LE ROI CANDAULE, suivi de SAÜL (nouvelle édition) 1 vol.
- LE PROMÉTHÉE MAL ENCHAINÉ 1 vol.
- L’IMMORALISTE, récit 1 vol.
- LA PORTE ÉTROITE, récit 1 vol.
- PRÉTEXTES 1 vol.
- NOUVEAUX PRÉTEXTES 1 vol.
-
-
-_ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE_
-
- ISABELLE, récit 1 vol.
- LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE 1 vol.
-
-
-_TRADUCTION_
-
- RABINDRANATH TAGORE: L’Offrande Lyrique (Gitanjali) 1 vol.
-
-
-
-
- IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE VOLUME
- 70 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS SUR VERGÉ D’ARCHES
- (TEXTE INTÉGRAL RÉTABLI)
- DONT 20 HORS COMMERCE (A à T)
-
-
-
-
-_A JACQUES RIVIÈRE_
-
-
-
-
-De tout temps les tribunaux ont exercé sur moi une fascination
-irrésistible. En voyage, quatre choses surtout m’attirent dans une
-ville: le jardin public, le marché, le cimetière et le Palais de
-Justice.
-
-Mais à présent je sais par expérience que c’est une tout autre chose
-d’écouter rendre la justice, ou d’aider à la rendre soi-même. Quand on
-est parmi le public on peut y croire encore. Assis sur le banc des
-jurés, on se redit la parole du Christ: _Ne jugez point._
-
-Et certes je ne me persuade point qu’une société puisse se passer de
-tribunaux et de juges; mais à quel point la justice humaine est chose
-douteuse et précaire, c’est ce que, durant douze jours, j’ai pu sentir
-jusqu’à l’angoisse. C’est ce qu’il apparaîtra peut-être encore un peu
-dans ces notes.
-
-Pourtant je tiens à dire ici, d’abord, pour tempérer quelque peu les
-critiques qui transparaissent dans mes récits, que ce qui m’a peut-être
-le plus frappé au cours de ces séances, c’est la conscience avec
-laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses
-fonctions. J’ai vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence
-d’esprit du Président et sa connaissance de chaque affaire; l’urgence de
-ses interrogatoires; la fermeté et la modération de l’accusation; la
-densité des plaidoiries, et l’absence de vaine éloquence; enfin
-l’attention des jurés. Tout cela passait mon espérance, je l’avoue; mais
-rendait d’autant plus affreux certains grincements de la machine.
-
-Sans doute quelques réformes, peu à peu, pourront être introduites, tant
-du côté du juge et de l’interrogatoire, que de celui des jurés...[1] Il
-ne m’appartient pas ici d’en proposer.
-
- [1] Voir à ce sujet l’enquête du _Temps_, Nºs du 13 Octobre dernier,
- du 14 et sqq. et l’_Opinion_, Nºs du 18 et du 25 Octobre.
-
-
-
-
-I
-
-
-_Lundi._
-
-On procède à l’appel des jurés. Un notaire, un architecte, un
-instituteur retraité; tous les autres sont recrutés parmi les
-commerçants, les boutiquiers, les ouvriers, les cultivateurs, et les
-petits propriétaires; l’un d’eux sait à peine écrire et sur ses
-bulletins de vote il sera malaisé de distinguer le _oui_ du _non_; mais
-à part deux je-m’en-foutistes, qui du reste se feront constamment
-récuser, chacun semble bien décidé à apporter là toute sa conscience et
-toute son attention.
-
-Les cultivateurs, de beaucoup les plus nombreux, sont décidés à se
-montrer très sévères; les exploits des bandits tragiques, Bonnot, etc.
-viennent d’occuper l’opinion: «Surtout pas d’indulgence», c’est le mot
-d’ordre, soufflé par les journaux; ces Messieurs les jurés représentent
-la _Société_ et sont bien décidés à la défendre.
-
-L’un des jurés manque à l’appel. On n’a reçu de lui aucune lettre
-d’excuses; rien ne motive son absence. Condamné à l’amende
-réglementaire: trois cents francs, si je ne me trompe. Déjà l’on tire au
-sort les noms de ceux qui sont désignés à siéger dans la première
-affaire, quand s’amène tout suant le juré défaillant; c’est un pauvre
-vieux paysan sorti de la _Cagnotte_ de Labiche. Il soulève un grand rire
-général en expliquant qu’il tourne depuis une demi-heure autour du
-Palais de Justice sans parvenir à trouver l’entrée. On lève l’amende.
-
- * * * * *
-
-Par absurde crainte de me faire remarquer, je n’ai pas pris de notes sur
-la première affaire; un attentat à la pudeur (nous aurons à en juger
-cinq). L’accusé est acquitté; non qu’il reste sur sa culpabilité quelque
-doute, mais bien parce que les jurés estiment qu’il n’y a pas lieu de
-condamner pour si peu. Je ne suis pas du jury pour cette affaire, mais
-dans la suspension de séance j’entends parler ceux qui en furent;
-certains s’indignent qu’on occupe la Cour de vétilles comme il s’en
-commet, disent-ils, chaque jour de tous les côtés.
-
-Je ne sais comment ils s’y sont pris pour obtenir l’acquittement tout en
-reconnaissant l’individu coupable des actes reprochés. La majorité a
-donc dû, contre toute vérité, écrire «Non» sur la feuille de vote, en
-réponse à la question: «X... est il coupable de... etc.» Nous
-retrouverons le cas plus d’une fois et j’attends pour m’y attarder,
-telle autre affaire pour laquelle j’aurai fait partie du jury et assisté
-à la gêne, à l’angoisse même de certains jurés, devant un questionnaire
-ainsi fait qu’il les force de voter contre la vérité, pour obtenir ce
-qu’ils estiment la justice.
-
- *
-
- * *
-
-La seconde affaire de cette même journée m’amène sur le banc des jurés,
-et place en face de moi les accusés Alphonse et Arthur.
-
-Arthur est un jeune aigrefin à fines moustaches, au front découvert, au
-regard un peu ahuri, l’air d’un Daumier. Il se dit garçon de magasin
-d’un sieur X...; mais l’information découvre que M. X... n’a pas de
-magasin.
-
-Alphonse est «représentant de commerce»; vêtu d’un pardessus noisette à
-larges revers de soie plus sombre; cheveux plaqués, châtain sombre;
-teint rouge; œil liquoreux, grosses moustaches; air fourbe et arrogant;
-trente ans. Il vit au Havre avec la sœur d’Arthur; les deux beaux-frères
-sont intimement liés depuis longtemps, l’accusation pèse sur eux
-également.
-
-L’affaire est assez embrouillée: il s’agit d’abord d’un vol assez
-important de fourrures, puis d’un cambriolage sans autre résultat, en
-plus du saccage, que la distraction d’une blague à tabac de 3 francs, et
-d’un carnet de chèques inutilisables. On ne parvient pas à recomposer le
-premier vol et les charges restent si vagues que l’accusation se reporte
-plutôt sur le second; mais ici encore rien de précis; on rapproche de
-menus faits, on suppose, on induit...
-
-Dans le doute, l’accusation solidarise les deux accusés; mais leur
-système de défense est différent. Alphonse porte beau, a souci de son
-attitude, rit spirituellement à certaines remarques du président:
-
---Vous fumiez de gros cigares.
-
---Oh! fait-il dédaigneusement, des londrès à 25 centimes!
-
---Vous ne disiez pas tout à fait cela à l’instruction, dit un peu plus
-tard le président. Pourquoi n’avez-vous pas persisté dans vos négations?
-
---Parce que j’ai vu que ça allait m’attirer des ennuis, répond-il en
-riant.
-
-Il est parfaitement maître de lui et dose très habilement ses
-protestations. Ses occupations de «placier» restent des plus douteuses.
-On le dit «l’amant» d’une vieille fille de 60 ans. Il proteste: «Pour
-moi, c’est ma mère».
-
-L’impression sur le jury est déplorable. S’en rend-il compte? Son front,
-peu à peu, devient luisant...
-
-Arthur n’est guère plus sympathique. L’opinion du jury est que, après
-tout, s’il n’est pas bien certain qu’ils aient commis _ces vols-ci_, ils
-ont dû en commettre d’autres; ou qu’ils en commettront; que, donc, ils
-sont bons à coffrer.
-
-Cependant c’est pour _ce_ vol uniquement que nous pouvons les condamner.
-
---Comment aurais-je pu le commettre? dit Arthur, je n’étais pas au Havre
-ce jour-là.
-
-Mais on a recueilli, dans la chambre de sa maîtresse les morceaux d’une
-carte postale de son écriture, qui porte le timbre du Havre du 30
-octobre, jour où le vol a été commis.
-
-Or voici comment se défend Arthur:
-
---J’ai, dit-il en substance, envoyé ce jour-là à ma maîtresse non pas
-une carte, mais _deux_; et comme les photographies qu’elles portaient
-étaient «un peu lestes» (elles représentaient en fait l’Adam et l’Ève de
-la cathédrale de Rouen), je les avais glissées, image contre image, dans
-une seule enveloppe transparente, après y avoir mis double adresse, les
-avoir affranchies toutes les deux et avoir percé l’enveloppe aux
-endroits des timbres, pour en permettre la double oblitération. Au
-départ, un seul des timbres aura sans doute été oblitéré. A l’arrivée au
-Havre l’employé de la poste a oblitéré l’autre; c’est ainsi qu’il porte
-la marque du Havre.
-
-C’est du moins ce que j’arrivais à démêler au travers de ses
-protestations confuses, bousculées par un Président dont l’opinion est
-formée et qui paraît bien décidé à ne rien écouter de neuf. J’ai le plus
-grand mal à comprendre, à entendre même ce que dit Arthur, sans cesse
-interrompu et qui finit par bredouiller; le jury, qu’il ne parvient pas
-à intéresser, renonce à l’écouter.
-
-Son système pourtant se tient d’autant mieux qu’il est peu vraisemblable
-qu’un aigrefin aussi habile que semble être Arthur, ait laissé derrière
-lui--que dis-je? créé, le soir d’un crime, une telle pièce à conviction?
-De plus, s’il était au Havre lui-même, quel besoin avait-il d’écrire à
-sa maîtresse, au Havre, quand il pouvait aussi bien aller la trouver?
-
-Je sais que les jurés ont droit, sans précisément intervenir dans les
-débats, de s’adresser au Président pour le prier de poser aux accusés ou
-aux témoins telle question qu’ils jugent propre à éclairer les débats ou
-leur conviction personnelle, que toutefois ils ne doivent point laisser
-paraître... Vais-je oser user de ce droit?... On n’imagine pas ce que
-c’est troublant, de se lever et de prendre la parole devant la Cour...
-S’il me faut jamais «déposer», certainement je perdrai contenance: et
-que serait-ce sur le banc des prévenus! Les débats vont être clos; il ne
-reste plus qu’un instant. Je fais appel à tout mon courage, sentant bien
-que, si je ne triomphe pas de ma timidité cette fois-ci, c’en sera fait
-pour toute la durée de la session--et d’une voix trébuchante:
-
---Monsieur le Président pourrait-il demander à l’employé de la poste qui
-était tout à l’heure à la barre, si le timbrage du départ est toujours
-différent de celui de l’arrivée?
-
-Car enfin, s’il était possible de reconnaître que le timbre a bien été
-oblitéré à l’arrivée comme le prétend Arthur et non au départ, comme le
-prétend l’accusation, que resterait-il de celle-ci?
-
-Le Président, n’ayant pas suivi l’argumentation embrouillée d’Arthur, ne
-comprend visiblement pas à quoi rime ma question; pourtant il rappelle
-obligeamment le témoin:
-
---Vous avez entendu la question de Monsieur le juré. Veuillez y
-répondre.
-
-L’employé se lance alors dans une profuse explication qui tend à prouver
-que les heures des départs n’étant pas les mêmes que les heures
-d’arrivée, il n’y a pas de confusion possible; que du reste les lettres
-arrivantes et les lettres partantes ne se timbrent même pas dans le même
-local, etc. Cependant il ne répond pas à cela seul qui m’importe, et
-nous ne savons pas plus qu’auparavant si l’on a pu reconnaître sur le
-fragment de carte si le timbre est effectivement et sûrement un timbre
-de départ et non d’arrivée. Le témoin cependant a achevé son
-_explication_.
-
---Monsieur le juré, êtes-vous satisfait?...
-
-Je tâche de formuler une question nouvelle plus pressante que la
-première; puis-je dire pourtant que non, que je ne suis pas satisfait;
-que le témoin n’a pas du tout répondu à ma question; du reste, cette
-question, je sens bien que, non plus que le président, aucun des jurés
-ne l’a comprise; du moins aucun des jurés n’a compris pourquoi je la
-posais. Aucun n’a pu suivre l’argumentation d’Arthur, que moi-même je
-n’ai suivie qu’avec beaucoup de peine. Il a une sale tête, un physique
-ingrat, une voix déplaisante; il n’a pas su se faire écouter. L’opinion
-est faite, et quand bien même on viendrait à découvrir à présent que la
-carte n’est pas de lui...
-
---Les débats sont clos.
-
- * * * * *
-
-Un peu plus tard, dans la salle de délibération.
-
-Les jurés sont unanimes; résolument tournés contre les deux accusés sans
-nuancer ni consentir à distinguer l’un de l’autre: aigrefins à n’en pas
-douter et malandrins en espérance, qui n’attendent qu’une occasion pour
-jouer du revolver ou du casse-tête (trop distingués pour user du
-couteau, peut-être). Néanmoins, pour les deux vols, desquels ils avaient
-à répondre, on n’était point parvenu à prouver leur culpabilité mieux
-que par quelques rapprochements--qu’eux traitaient de coïncidences; et
-dans le réquisitoire, rien d’absolument décisif n’emportait la
-conviction des jurés. Coupables à n’en pas douter, mais peut-être pas
-précisément de _ces_ crimes. Était-il vraisemblable, admissible même,
-qu’Alphonse, à Trouville où il était fort connu, dans la rue de Paris si
-fréquentée, et à une heure point tardive, ait pu, sans être remarqué de
-personne, trimballer un ballot énorme qu’on estime avoir eu un mètre de
-large et deux de haut!--Il s’agit ici du premier vol, celui des
-fourrures.
-
-Enfin, pour aigrefins qu’ils fussent, ce n’étaient tout de même pas des
-_bandits_; je veux dire qu’ils _profitaient_ de la société, mais
-n’étaient pas insurgés contre elle. Ils cherchaient à se faire du bien,
-non à faire du mal à autrui... etc. Voici ce que se disaient les jurés,
-désireux d’une sévérité pondérée. Bref, ils se mirent d’accord pour
-condamner, mais sans excès; pour reconnaître la culpabilité, sans
-circonstances atténuantes, mais dépouillée également des circonstances
-aggravantes. Celles-ci pendaient au bout de ces questions: Le vol a-t-il
-été _commis la nuit?... à plusieurs?... dans un édifice habité?... avec
-fausses-clefs ou effraction?_
-
-Et comme il était de toute évidence que le vol avait été commis, et ne
-l’avait pu être autrement, les jurés, tout naturellement, _et malgré ce
-qu’ils s’étaient promis_, se trouvèrent entraînés à répondre: _oui_ à
-toutes les questions.
-
---Mais, Messieurs, disait un des jurés (le plus jeune et qui paraissait
-seul avoir quelques rudiments de culture), répondre _non_ à ces
-questions ne veut point dire que vous croyez qu’il n’y a pas eu
-d’effraction, que cela ne se passait pas la nuit, etc.; cela veut dire
-simplement que vous ne voulez pas retenir ce chef d’accusation.
-
-Le raisonnement les dépassait.
-
---Nous n’avons pas à entrer là-dedans, ripostait l’un. Nous devons
-simplement répondre à la question. Monsieur le chef du jury, veuillez la
-relire.
-
---«Le vol a-t-il été commis la nuit?»
-
---J’pouvons tout de même pas répondre: non, disaient les autres.
-
-Et malgré que quelques: _non_ furent trouvés dans l’urne, l’affirmative
-l’emporta de beaucoup.
-
-De sorte que tous ceux qui s’étaient promis de voter simplement:
-_coupable_, mais sans circonstances non plus atténuantes qu’aggravantes,
-se trouvèrent entraînés à voter les «atténuantes» pour _compenser_
-l’excès des «aggravantes», que les questions les avaient contraints
-d’accepter.
-
-Et sitôt après, en chœur:
-
---Ah! nous avons fait de la jolie besogne! C’est honteux! On ne va pas
-les punir assez! Circonstances atténuantes! S’il est possible! Si
-seulement on nous avait laissés voter _coupables_ tout simplement!...
-
-Au grand soulagement de chacun, le tribunal décida la peine assez forte
-(6 ans de prison et 10 ans d’interdiction de séjour) en tenant le moins
-de compte possible de la décision des jurés.
-
- * * * * *
-
-J’ai noté avec quelque détail la perplexité, la gêne qui règnent dans la
-salle du jury; je les retrouverai bien à peu près les mêmes à chaque
-délibération. Les questions sont ainsi posées qu’elles laissent rarement
-le juré voter comme il l’eût voulu, et selon ce qu’il estimait juste. Je
-reviendrai là-dessus.
-
-Je sors peu satisfait de cette première séance. J’en suis presque à me
-réjouir qu’Arthur me reste si peu sympathique, sinon je ne pourrais
-m’endormir là-dessus. N’importe! il me paraît monstrueux qu’on n’ait pas
-prêté l’oreille à sa défense. Et plus j’y réfléchis, plus elle me paraît
-plausible... C’est alors que me vint l’idée (comment ne m’était-elle pas
-venue plutôt?) que si la carte postale d’Arthur, ou du moins, suivant
-ses dires, que si les deux cartes accouplées portaient affranchissement
-des deux côtés de l’enveloppe, il suffisait que chacun des timbres fût
-de cinq centimes; et que, réciproquement, si le timbre sur le morceau de
-carte retrouvé était un timbre de cinq centimes, il fallait qu’il ne fût
-pas seul. Le timbre de dix centimes ne prouverait peut-être pas
-qu’Arthur eût tort; car peut-être n’a-t-il mis sous la même enveloppe
-les deux cartes qu’après les avoir affranchies... mais le timbre de cinq
-centimes prouverait sûrement qu’il a raison. Je me promets de demander
-demain au procureur général, que j’ai le bonheur de connaître, la
-permission d’examiner dans le dossier d’Arthur le petit morceau de
-papier.
-
- *
-
- * *
-
-_Mardi._
-
-Comme je passe devant la loge du concierge, celui-ci m’arrête et me
-remet une lettre. Elle est datée de la prison. Elle est d’Arthur.
-Comment a-t-il eu mon nom? Par son avocat sans doute.
-
-Cette question que j’ai posée au cours de l’interrogatoire, l’a laissé
-croire sans doute que je m’intéressais à lui, que je doutais s’il était
-coupable, que peut-être je l’aiderais...
-
-Il me supplie d’user de mon droit, de demander à l’aller voir dans sa
-cellule: il a d’importantes explications à me donner, etc.
-
-Je regarderai d’abord son dossier; si le morceau de carte postale est
-insuffisamment affranchi, je ferai part de mon doute au Procureur.
-
-J’ai pu voir, après la séance, le dossier: la carte postale porte un
-timbre de dix centimes. Je renonce.
-
-Et pourtant je me dis aujourd’hui que, si chaque timbre avait été de
-cinq centimes, l’employé de la poste, au départ, les aurait oblitérés
-tous les deux; et que c’est, au contraire, dans le cas où
-l’affranchissement d’un des côtés aurait été déjà par lui-même
-suffisant, que l’autre timbre aurait pu lui échapper et n’être oblitéré
-qu’à l’arrivée...
-
-
-
-
-II
-
-
-La seconde journée ouvre elle aussi par une «affaire de mœurs». Le
-président ordonne le huis clos; et pour la première fois, appliquant une
-récente circulaire du Garde des Sceaux, on fait sortir, à leur flagrant
-mécontentement, les soldats de service. _Leur présence_, dit cette sage
-circulaire, _ne semble point d’ailleurs le plus souvent indispensable_
-(sic), _car la salle est vide, et les gendarmes, en ce qui concerne
-l’accusé, font une garde suffisante_.
-
-Ah! que ne peut-on faire sortir aussi les enfants! Hélas! il faut bien
-qu’ils déposent: la fillette violée, d’abord; puis le frère de dix ans,
-quelques années de plus que la petite. Par pitié, Monsieur le Président,
-abrégez un peu les interrogatoires! Qu’avons-nous besoin d’insister?
-puisque les faits sont reconnus déjà, que le médecin a fait les
-constatations nécessaires, et que l’accusé a tout avoué. Le malheureux!
-Il est là, vêtu de guenilles, laid, chétif, la tête rasée, l’air déjà
-d’un galérien; il a vingt ans, mais si malingre, à peine s’il paraît
-pubère; il tient un papier à la main (je croyais que c’était défendu),
-un papier couvert d’écritures, qu’il lit et relit avec angoisse; sans
-doute il tâche d’apprendre par cœur les réponses que lui suggéra
-l’avocat.
-
-On a sur lui de déplorables renseignements; il fréquente des repris de
-justice et hante les cabarets malfâmés. Son casier: huit jours pour abus
-de confiance, et, peu après, un mois pour vol. Il est accusé maintenant
-d’avoir «complètement violé» la petite Y. D. âgée de sept ans.
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-Le Président reprend, sans emphase, sur un ton de réprimande presque
-douce, très apprécié des jurés:
-
---Eh bien! mon garçon, c’est pas bien ce que vous avez fait là.
-
---Je l’vois bien moi-même.
-
---Avez-vous quelque chose à ajouter? Exprimez-vous des regrets?
-
---Non, M’sieur le Président.
-
-Il est évident pour moi que l’accusé n’a pas compris la seconde
-question, ou qu’il répond seulement à la première. N’empêche qu’une
-rumeur d’indignation parcourt le banc des jurés et déborde jusqu’au banc
-des avocats.
-
-L’avocat de la défense fait demander à ce moment si l’accusé n’a pas été
-interné à l’hospice général, il y a onze ans? Reconnu exact.
-
-On appelle les témoins: la mère de la fillette d’abord; mais elle n’a
-rien vu et tout ce qu’elle peut dire, c’est que, lorsque rentrant du
-travail, elle a trouvé dans la rue sa petite en train de pleurer, elle a
-commencé par lui allonger deux taloches.
-
-A présent c’est le tour de l’enfant.[2] Elle est propre et gentille;
-mais on voit que l’appareil de la justice, ces bancs, cette solennité,
-l’espèce de trône où sont assis ces trois vieux messieurs bizarrement
-vêtus, que tout cela la terrifie.
-
- [2] Hier déjà nous avions vu comparaître une enfant; une fillette à
- peu près du même âge que celle-ci, et flanquée de sa mère également.
- Mais, certes, leur aspect plaidait en faveur de l’accusé et a
- beaucoup contribué, je suppose, à son acquittement. La mère avait un
- air de macquerelle, et tandis que le coupable sanglotait de honte
- sur le banc des accusés, la «victime» avançait très résolument vers
- la Cour. Comme elle tournait le dos au public, je ne pouvais voir
- son visage, mais les premiers mots que lui dit le Président, après
- que, pour l’avoir plus près de son oreille, il eût fait monter la
- petite sur une chaise: «Voyons! ne riez pas, mon enfant,»
- éclairèrent suffisamment le jury.
-
- Et encore:
-
- --Vous avez crié?
-
- --Non, Monsieur.
-
- --Pourquoi, à l’instruction, avez-vous dit que vous aviez crié?
-
- --Parc’ que j’m’étais trompée.
-
---Voyons, n’ayez pas peur, mon enfant; approchez.
-
-Et, comme hier déjà, on fait monter la petite sur une chaise, afin
-qu’elle soit à la hauteur où la Cour est juchée, et que le Président
-puisse entendre ses réponses. Il les répète aussitôt après à voix haute,
-pour l’édification des jurés. Nous voyons de dos la petite; elle
-tremble; et cette fois ce n’est plus le rire mais le sanglot qui la
-secoue. Elle sort un mouchoir de la poche de son tablier.
-
-Cet interrogatoire est atroce; moi aussi je sors mon mouchoir; je n’en
-peux plus... Et quelle inutile insistance pour savoir ce que l’autre lui
-à fait; puisqu’on le sait déjà, par le menu. La petite du reste ne
-_peut_ pas répondre, ou que par monosyllabes:
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-La voix de l’enfant est si faible que le Président, pour l’entendre, se
-penche et met contre son oreille sa main en cornet. Puis se redresse et
-tourné vers le jury:
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-L’avocat de cette triste cause a négligé de convoquer à temps les
-témoins à décharge. En vertu du pouvoir discrétionnaire du Président on
-entend néanmoins Madame X. une pauvre marchande-des-quatre-saisons qui a
-comme adopté ce malheureux être, parce que, dit-elle, «sa sœur a eu un
-enfant de mon fils».
-
-Madame X. a le teint violacé, le cou large comme une cuisse; un chapeau
-cabriolet à brides sur des cheveux tirés et lustrés; le tour des
-oreilles est dégarni; une barre noire en travers du front; sa main
-gauche en écharpe est enroulée de chiffons. Elle pleure. D’une voix
-pathétique elle supplie qu’on soit indulgent pour ce pauvre garçon «qui
-n’a jamais connu le bonheur». Elle le peint, fils d’alcooliques,
-toujours battu chez lui; «on le faisait coucher dans les cabinets»; il
-suffit de le regarder pour voir qu’il est resté enfant; il s’amuse avec
-des images, joue aux billes, à la toupie. Mais déjà précédemment il a
-tenté de «se coucher sur la petite», qui alors l’avait mordu à
-l’oreille. De la prison il écrit à la marchande de légumes, des lettres
-incohérentes. La brave femme sort de sa poche une liasse de papiers et
-sanglote.
-
- * * * * *
-
-L’interrogatoire est achevé. Le malheureux fait de grands efforts pour
-suivre le réquisitoire de l’avocat général, dont on voit qu’il ne
-comprend de ci de là que quelques phrases. Mais ce qu’il comprendra bien
-tout à l’heure, c’est qu’il est condamné à huit ans de prison.
-
-Entre temps le Président nous a appris que, de l’aveu de l’accusé à
-l’instruction, «c’est la première fois qu’il avait des rapports
-sexuels». Voici donc tout ce qu’il aura connu de «l’amour»!
-
- *
-
- * *
-
-La seconde affaire de cette seconde journée amène sur le banc des
-accusés un garçon de vingt ans à l’air doux, un peu morose et sans
-malice. Marceau a perdu sa mère à l’âge de quatre ans, n’a pas connu son
-père, a été élevé à l’hospice. Dès avant seize ans il avait fait deux
-places de mécanicien; poursuivi pour vol, le tribunal d’Yvetot l’avait
-condamné à six mois de prison avec bénéfice de la loi Béranger.
-
-A la suite de cette condamnation le mécanicien qui l’employait le
-renvoie: depuis, il travaille encore, mais au hasard et changeant
-souvent de patron, tour à tour valet de ferme, débardeur, mécanicien.
-Ceux qui l’emploient n’ont pas à se plaindre de lui; simplement on lui
-trouve «le caractère un peu sombre». Enhardi par ma question de la
-veille, je me hasarde à demander au Président ce que le témoin entend
-par là.
-
-Le témoin.--Je veux dire qu’il se tenait à l’écart et n’allait jamais
-boire ou s’amuser avec les autres.
-
-A cette époque de sa vie Marceau se trouve devoir:
-
-45 francs à un marchand de bicyclettes,
-
-70 francs au blanchisseur,
-
-7 francs au cordonnier.
-
-Avec le peu qu’il gagne, _comment pourrait-il s’en tirer, sans
-voler?_...
-
- * * * * *
-
-Son premier vol avait déjà été commis «avec préméditation»; le dimanche
-précédent, apprend-on, il avait acheté une bougie, puis, la veille du
-vol, emprunté à son patron un tournevis, qui lui servit à ouvrir le
-tiroir où se trouvaient les 35 francs qu’il avait pris.
-
-Le crime qui nous occupe aujourd’hui demandait une préparation plus
-savante. Ou du moins, une première tentative, qui échoua, servit en
-quelque sorte de répétition générale.
-
-La nuit du 26 mars, Marceau pénétrait donc une première fois dans la
-petite maison isolée qu’occupaient à *** la vieille Madame Prune,
-restauratrice, et sa bonne. Il brisait, au rez-de-chaussée, un carreau
-de la salle à manger, ouvrait la fenêtre et entrait dans la pièce. Il
-espérait, a-t-il avoué, trouver de l’argent dans un tiroir de la
-cuisine; mais la porte de la cuisine était fermée à clef; après quelques
-vains efforts pour l’ouvrir, il repartait en se promettant de revenir
-mieux outillé, le lendemain.
-
-Le 27 mars après-midi, doutant si le carreau brisé n’a pas jeté
-l’alarme, Marceau enfourchait sa bicyclette et retournait à ***,
-lorsqu’il avisa un morceau de fer-à-cheval sur la route; il le ramassa,
-pensant qu’il pourrait s’en servir. J’oubliais de dire que, la veille,
-il s’était muni d’une bougie, qu’il avait été acheter à Grainville. Donc
-Marceau s’en fut rôder autour de la maison, s’assura que tout y était
-tranquille et, je ne sais trop comment, se persuada qu’on n’avait rien
-suspecté--ce qui était vrai.
-
-L’interrogatoire de l’accusé suffit à reconstituer le crime. Marceau ne
-cherche pas à se défendre, pas même à s’excuser; il accepte d’avoir fait
-ce qu’il a fait, comme s’il ne pouvait pas ne pas le faire. On dirait
-qu’il s’est résigné d’avance à devenir ce criminel.
-
- * * * * *
-
-Le voici donc, dans la nuit du 27, à pareille heure, qui se retrouve à
-***. La fenêtre est restée ouverte, qu’il avait escaladée la veille, par
-où il rentre dans la salle à manger. Mais comme ce soir-là ses
-intentions sont sérieuses, il prend soin de refermer derrière lui les
-volets. Il tient à la main la lanterne de sa bicyclette; c’est une
-lanterne sans pied, qu’il ne peut poser, qui le gêne et que tout à
-l’heure, dans la cuisine, il va changer contre un bougeoir. Avec son
-fer-à-cheval il a forcé la porte. Le voici qui fouille les tiroirs: Onze
-sous! Ça ne vaut pas la peine qu’on s’arrête. Il les prendra tout à
-l’heure en repassant. Il monte au premier.
-
-Madame Prune et sa bonne occupent au premier les deux chambres à droite;
-dans les deux chambres de gauche, parfois on reçoit des voyageurs.
-Doucement Marceau s’assure que ces dernières chambres sont vides: il
-tient à la main un couteau à courte lame pointue, qu’il a trouvé dans un
-tiroir de la cuisine.
-
-Le Président.--Pourquoi aviez-vous pris ce couteau?
-
-Marceau.--Pour en ficher un coup à la bonne.
-
-Cependant la porte de celle-ci est fermée au verrou; Marceau s’efforce
-de l’ouvrir; mais entendant du bruit dans la chambre de la vieille, il
-court se cacher dans une des chambres inoccupées. Il souffle la bougie,
-et comme il se baisse pour poser le bougeoir à terre, le couteau, qu’il
-avait glissé dans sa veste, par chance, tombe; et dans le noir, il ne
-peut plus le retrouver. Quand il ressort sur le couloir, c’est désarmé
-qu’il se rencontre avec la vieille; heureusement pour elle, et pour lui.
-
- * * * * *
-
-Madame Prune vient déposer à son tour. C’est une digne et frêle petite
-vieille de quatre-vingt-un ans; elle se tient à peine et demande une
-chaise, qu’on apporte et où elle s’assied, près de la barre.
-
---J’entends donc craquer chez moi. Je me dis: Mon Dieu! qu’est-ce que
-c’est: j’entends craquer. C’est-y la grêle? Je me lève. J’ouvre la
-fenêtre sur le jardin; je ne vois rien. Je me recouche. Voilà les
-craquements qui reprennent. Je me relève encore. Plus rien. Je me
-recouche; il était minuit à ma pendule. Voilà que je vois de la lumière
-qui passe sous ma porte: Oh! que je me dis, c’est-il pas le feu?
-J’appelle ma bonne; elle ne vient pas. Tout de même, que je me dis,
-_j’étais plus courageuse autrefois_--et je suis sortie sur le couloir.
-Je vais à la porte de la bonne: Y a des voleurs chez moi, ma pauvre
-fille, ah! mon Dieu! Y a des voleurs chez moi! Elle ne répondait rien;
-sa porte était fermée.
-
- * * * * *
-
-C’est alors que Marceau, revenant sur le couloir, s’est jeté sur la
-vieille, qui ne fut pas difficile à tomber.
-
---Pourquoi avez-vous saisi Madame Prune à la gorge?
-
---Pour l’étrangler.
-
-Il dit cela sans forfanterie ni gêne, aussi naïvement que le Président
-avait posé la question.
-
-Un rire bruyant s’élève dans l’auditoire.
-
-L’avocat général.--La tenue du public est inexplicable et indécente.
-
-Le Président.--Vous avez tout à fait raison. Songez, Messieurs, que
-l’affaire que nous jugeons ici est des plus graves et de nature à
-entraîner pour l’accusé la peine capitale s’il n’y a pas reconnaissance
-de circonstances atténuantes.
-
-La bonne cependant appelait au secours, par la fenêtre. Un voisin
-répondit: «On arrive! on arrive!» En entendant venir, le gars prit peur
-et se sauva, laissant inachevé son crime.
-
-La Cour condamne Marceau à huit ans de travaux forcés.
-
- * * * * *
-
-A plusieurs reprises j’ai remarqué chez Marceau un singulier malaise
-lorsqu’il sentait que la _recomposition_ de son crime n’était pas
-parfaitement exacte--mais qu’il ne pouvait ni remettre les choses au
-point, ni _profiter de l’inexactitude_. C’est ce que cette affaire
-présenta pour moi de plus curieux.
-
- *
-
- * *
-
-Ce même jour nous avons à juger un incendiaire.
-
-Bernard est un journalier de quarante ans, à l’air gaillard, à la tête
-ronde: il est chauve, mais se rattrape sur les moustaches. Il porte une
-chemise molle, à rayures; une cravate formant nœud droit cherche à
-cacher le col qui est très sale. Il tient à la main une casquette usée.
-Bernard n’a pas d’antécédents judiciaires. Les renseignements fournis
-sur son compte ne sont pas mauvais; tout ce qu’on trouve à dire c’est
-que son caractère est «sournois». On ne le voit jamais au cabaret; mais
-certains prétendent qu’il «boit chez lui»; néanmoins il jouit de ses
-facultés. Son père, garde-champêtre estimé, s’est, dit-on, «adonné à la
-boisson»; il a deux frères, «alcooliques fieffés».
-
-On reproche à Bernard quatre incendies. Le feu est d’abord mis au
-pressoir de sa belle-sœur, veuve Bernard, le 30 décembre 1911.
-
-Le Président.--Qui a mis le feu?
-
-L’accusé.--C’est moi, Monsieur le Président.
-
-Le Président.--Comment l’avez-vous mis?
-
-L’accusé.--Avec une allumette.
-
-Le Président.--Pourquoi l’avez-vous mis?
-
-L’accusé.--J’avais pas de motifs.
-
-Le Président.--Vous aviez bu ce soir-là?
-
-L’accusé.--Non, Monsieur le Président.
-
-Le Président.--Est-ce que vous aviez eu des difficultés avec votre
-belle-sœur?
-
-L’accusé.--Jamais, mon Président. On s’entendait bien.
-
-Le Président.--Rentré à 7 h. 1/2 de chez votre patron, qu’est-ce que
-vous avez fait jusqu’à 9 h. 1/2?
-
-L’accusé.--J’ai lu le journal.
-
- * * * * *
-
-Le premier janvier, c’est-à-dire deux jours plus tard, la maison de la
-belle-sœur y passe.
-
-Le Président veut que Bernard ait été ivre ce soir-là, et insiste pour
-le lui faire avouer. Bernard proteste qu’il était à jeun.
-
-Le soir de ce premier janvier, jour de fête, les parents se trouvent
-réunis, cousins, neveux, etc. Bernard refuse de souper avec eux et
-repart à 6 h. 1/2. Au cours de la conversation générale, comme on
-parlait de l’incendie de l’avant-veille, on se souvient de lui avoir
-entendu dire qu’on en verrait d’autres bientôt.
-
-Et quand cette même nuit le feu se déclare chez la veuve Bernard et que
-les voisins l’appellent et crient: «Au feu! Au secours!» lui, le plus
-proche voisin et le plus proche parent, s’enferme et ne reparaît qu’un
-quart d’heure après... Du reste il ne nie rien. Le second incendie,
-c’est lui qui en est l’auteur, ainsi que du premier et des deux autres
-qui suivirent.
-
-Le Président.--Alors vous ne voulez pas dire pourquoi vous vous les avez
-allumés?
-
-L’accusé.--Mon Président, je vous dis que j’avais aucun motif.
-
---C’est vraiment fâcheux qu’il avait ce goût-là, dit la veuve. Autrement
-on n’avait pas à se plaindre de son travail.
-
- * * * * *
-
-Appelé à témoigner, le médecin assermenté nous parle de l’étrange
-soulagement, de la détente que Bernard lui a dit avoir éprouvés après
-avoir bouté le feu.
-
-Il lui a avoué, du reste, n’avoir plus éprouvé la même détente après les
-incendies suivants, «de sorte qu’il avait regretté».
-
-J’eusse été curieux de savoir si cette étrange satisfaction du boute-feu
-et cette détente n’avaient aucune relation avec la jouissance sexuelle;
-mais malgré que je sois du jury, je n’ose poser la question, craignant
-qu’elle ne paraisse saugrenue.
-
-
-
-
-III
-
-
-_Mercredi._
-
-Encore un attentat à la pudeur; commis sur la personne de sa fille par
-un journalier de Barentin, père de cinq enfants dont l’aîné a douze ans.
-On demande le huis clos.
-
- * * * * *
-
-Lorsque le public fut de nouveau admis dans la salle, une rumeur
-d’indignation accueillit la décision du jury et son désir de reconnaître
-des circonstances atténuantes.
-
-Je fus assez surpris pour ma part (et déjà je l’avais été dans les
-précédentes affaires de cette nature) de voir la modération
-qu’apportaient ici la plupart des jurés. L’on fit valoir, dans la salle
-de délibération, que l’attentat avait été commis sans violences; enfin
-et surtout le grand désir que manifestait inconsciemment la femme de
-l’accusé de se débarrasser de son mari, la passion qu’elle ne put
-s’empêcher d’apporter dans sa déposition, affaiblit grandement la portée
-de son témoignage; l’accusé bénéficia également du peu de sympathie que
-nous pouvions accorder à la victime. Mais c’est ce que le public, par
-suite du huis clos, ne pouvait savoir. Même, à certains jurés la
-condamnation à cinq ans de prison parut excessive. Par contre, tous
-approuvèrent la déchéance de puissance paternelle.
-
-L’accusé écouta sans sourciller la condamnation à cinq ans; mais, en
-entendant sa déchéance, il poussa une sorte de grognement étrange, comme
-une protestation d’animal, un cri fait de révolte, de honte et de
-douleur.
-
- *
-
- * *
-
-L’étrange affaire dont nous nous occupâmes ensuite amena devant nous un
-commis principal au bureau de recettes des postes (bureau principal de
-Rouen).
-
-C’est un gros homme rouge, épais, carré d’épaules, et sans cou. Ses
-mains sont gourdes. Il porte un col bas, une petite cravate grise; les
-cheveux demi-ras sur un front bas. Il a quarante-sept ans, a fait la
-campagne de Madagascar où il a pris les fièvres paludéennes; il boit par
-accès et a été sujet à quelques hallucinations; l’examen médical
-reconnaît sa responsabilité atténuée. Mais depuis qu’il est au service
-des postes sa conduite est irréprochable--et il était à jeun lorsque, le
-matin du 2 Avril, il a soustrait du bureau une enveloppe contenant
-treize mille francs. Il reconnaît les faits, s’en excuse et ne cherche
-même pas à les expliquer. Tous les jours il était appelé à manier des
-sommes considérables; ce matin même, à côté de l’enveloppe aux treize
-mille francs, _une autre enveloppe en contenant quinze mille était là,
-également à sa portée, qu’il avait vue, qu’il n’a point prise_.
-
-Mais cette enveloppe de treize mille francs, tout à coup, il la met dans
-sa poche; il quitte la cabine des chargements en disant à son collègue
-qu’il va aux cabinets; prend tranquillement son paletot et son chapeau,
-et comme il est midi et demie, personne ne s’étonne de le voir sortir.
-Dehors il ne se sauve pas, il ne se cache de personne; il va dans un
-bordel voisin; dépense 246 francs à régaler la maisonnée; puis se
-réveille tout penaud, pour rapporter à la direction le reste de la somme
-et s’engager à rembourser la différence.
-
-Le jury rapporte un verdict négatif; la Cour acquitte.
-
-
-
-
-IV
-
-
-_Jeudi._
-
-La fille Rachel est accusée d’infanticide.
-
-Elle s’avance craintivement jusqu’à la barre; elle porte sur son corsage
-noir un châle de laine blanche. De la place où je suis, je distingue mal
-son visage; sa voix est douce. Elle est domestique à Saint Martin de B.,
-dans la même maison depuis l’âge de treize ans; elle en a dix-sept
-aujourd’hui.
-
-Elle était parvenue à dissimuler sa grossesse; les premières douleurs la
-saisirent comme elle était en train de traire les vaches. Elle rentra,
-coula le lait dans la laiterie, fit le ménage; mais les douleurs
-devinrent si fortes qu’elle dut s’asseoir; elle était affreusement pâle.
-
---Si tu es malade, monte te reposer dans ta chambre, dit sa maîtresse.
-
-La chambre de Bertha Rachel était au premier, à côté de celle des
-maîtres. Sitôt étendue sur sa paillasse, elle accoucha d’une petite
-fille.
-
-Elle avait «peur d’être grondée», et comme la petite criait, par crainte
-que les patrons n’entendissent, Bertha mit la main sur la bouche de la
-petite et l’y maintint jusqu’à ce que les cris aient cessé. Quand Bertha
-vit que l’enfant ne respirait plus, elle prit une paire de ciseaux dans
-sa jupe et en porta un petit coup à la gorge de l’enfant.
-
-Il ressort de l’instruction qu’elle n’a donné le coup de ciseaux
-qu’après que la petite était déjà morte étouffée. Le ministère public
-cherchera à établir que c’est pour constater que le sang avait cessé de
-couler. Je crois à plus d’inconscience. Le Président presse Bertha de
-questions, mais le rôle des ciseaux reste aussi peu clair.
-
-Quand Bertha Rachel se fut assurée que son enfant avait cessé de vivre,
-elle cacha le petit cadavre provisoirement dans son seau de toilette,
-jeta le placenta par sa fenêtre qui donnait précisément sur la fumière,
-puis tout aussitôt redescendit pour reprendre son travail.
-
-Le lendemain, avec un louchet elle creusa un trou derrière la grange, au
-bord du fossé; un petit trou, car elle était sans forces; où elle
-enterra l’enfant.
-
-La gendarmerie fut avertie peu de jours après par une lettre anonyme; et
-le cadavre de l’enfant fut retrouvé. Le Président ne croit pas devoir
-insister sur cette lettre anonyme, sur laquelle aucun renseignement
-n’est donné; et comme je ne suis pas du jury pour cette affaire, aucune
-question n’est posée à ce sujet; et l’on passe outre.
-
-Le Président.--Votre patronne, durant le temps de votre grossesse, ne se
-doutait de rien?
-
-L’accusée.--On voyait bien que je grossissais, mais ma patronne ne
-voulait pas le dire. Elle ne m’en a pas parlé du tout.
-
-Puis, à voix plus basse et un peu confusément, tout à coup:
-
---C’est l’fils du patron qui me l’a fait.
-
-Le Président.--Vous n’avez pas dit cela d’abord.--Puis se tournant vers
-le jury:--A l’instruction elle s’est obstinément refusée à dire qui
-était le père de l’enfant.
-
-La fille Rachel continuant sans écouter le Président:
-
---Il m’a conseillé de l’faire disparaître pour qu’on ne sache pas que
-c’était de lui.
-
-Le Président.--Le faire disparaître comment?
-
---En l’mettant dans la terre.
-
-Cela est dit sans intonation aucune; la pauvre fille paraît à peu près
-stupide.
-
-Le Président.--Comme l’accusée n’a rien dit de tout cela à
-l’instruction, on n’a pu appeler en témoignage celui dont elle parle à
-présent.--A l’accusée: Vous pouvez vous asseoir.
-
-A ce moment l’avocat défenseur se lève:
-
---Il est fâcheux que l’accusée ne nous ait pas parlé ici, ainsi qu’elle
-l’avait fait à l’instruction, des lectures du soir qu’on faisait, dans
-la ferme, en famille. On lisait les faits divers des journaux et les
-vieux parents qui faisaient la lecture s’appesantissaient de préférence,
-disait-elle, sur les infanticides.
-
-Le Président.--Maître X, je ne vois pas trop l’intérêt que ça peut
-avoir.
-
-Tant pis! Heureusement les jurés, eux, le voient bien; et tout le drame
-s’éclaire quand s’avance à la barre la patronne. C’est une vieille de
-plus de soixante ans, sèche et solide, comme momifiée, aux traits durs,
-aux yeux froids, aux lèvres serrées. Le visage est cerné par un bonnet
-de dentelle noire, et le ruban qui l’attache retombe sur un petit
-mantelet noir.
-
-Le Président.--Vous aviez la fille Rachel à votre service? Étiez-vous
-contente d’elle?
-
-La patronne.--Oh! oui, j’étais bien contente. Pour sûr je n’ai jamais eu
-à me plaindre d’elle.
-
-Le Président.--Vous ne vous êtes jamais aperçue de sa grossesse?
-
-La patronne.--Non, jamais. Si j’avais su son état, je ne l’aurais pas
-gardée, c’est sûr.
-
-Le Président.--A l’instruction vous avez dit que vous voyiez bien
-qu’elle devenait _fameuse_, mais que vous croyiez que ça venait de
-l’estomac. La veille du jour de l’accouchement vous avez vu du sang et
-de l’eau dans la cuisine, à l’endroit où la fille s’était assise.
-
-La patronne.--J’ai cru que c’était d’un poulet qu’on venait de vider.
-
-Et l’on sent encore dans la voix nette et sèche de la vieille cette
-volonté de ne rien savoir, de ne rien avoir vu, de ne rien voir.
-
-L’instruction a établi que, dans cette ferme isolée, ne venait jamais
-aucun homme et que la fille n’a pu voir que le mari de la patronne, âgé
-de 75 ans, ou que le fils, âgé de trente-deux ans, à l’une de ses rares
-et rapides apparitions. La vieille nous apprend également qu’il fallait
-passer par sa chambre pour entrer dans celle de la servante,--ceci dit
-comme pour bien montrer que ça ne peut pas être son fils qui... etc...
-
-Et le Président visiblement désireux de ne pas laisser dévier l’affaire
-et de limiter l’accusation, passe outre.
-
- * * * * *
-
-La déposition du docteur ne nous apprend rien de nouveau; il explique
-très longuement que l’enfant a vécu, de sorte qu’on se trouve en
-présence d’un cas, non d’avortement, mais d’infanticide; pourtant le
-coup de ciseaux, légèrement donné et comme avec précaution, était plutôt
-pour s’assurer que l’enfant était mort; mais il a respiré car, dans la
-cuvette d’eau où il l’a mise, la masse pulmonaire flottait.
-
- * * * * *
-
-Tandis que le jury délibère, une rumeur circule dans la salle: le fils
-de la patronne est dans la salle; on se le montre, assis à côté d’elle.
-Gêné par les regards hostiles, il tient la tête basse, appuyée contre le
-pommeau de sa canne et je ne parviens pas à le voir.
-
- * * * * *
-
-La fille Rachel, reconnue coupable mais comme ayant agi sans
-discernement, est acquittée et rendue à ses parents.
-
- *
-
- * *
-
-On amène devant nous Prosper, surnommé Bouboule, tailleur d’habits; né à
-X... en 86.
-
-Extraordinaire tête de plumitif (il ressemble à s’y méprendre à Z...)
-vaste front bombé, longs cheveux plats partagés sur le milieu de la
-tête; épaisseur générale du torse et des membres, petites mains larges
-et courtes; doigts auxquels semble manquer une phalange; le vêtement de
-prison qu’il a gardé l’engonce et le grossit encore. Le juré, mon voisin
-de droite, se penchant vers moi:
-
---Il n’a pas l’air intelligent!
-
-Mon voisin de gauche, à demi-voix:
-
---Il n’a pas l’air bête!
-
-De dix à quatorze ans, il s’était fait condamner quatre fois pour vol;
-trois fois remis à ses parents, on l’envoyait enfin à la maison de
-correction où il resta jusqu’à sa majorité, soumis à une surveillance
-spéciale.
-
-Depuis sa première libération il a été poursuivi cinq fois. De vingt à
-vingt-quatre ans il travaille à D. où il retrouve Bègue, un ancien
-camarade de la colonie pénitentiaire; c’est ensemble, toujours ensemble
-qu’ils vont opérer. A chaque fois qu’ils cambriolent, on retrouve dans
-la cuisine les restes d’un festin impromptu; sur la table, des
-bouteilles vides et deux verres; et des étrons sur le tapis du salon. A
-chaque fois, ils ne se contentent pas de voler, mais font toujours le
-plus de dégâts possible; dans telle villa où ils n’ont pu trouver
-d’argent, ils laissent en évidence un couvercle de boîte d’amidon, où
-ces mots, de l’écriture du Bègue: «Bande de cochons, fallait laisser de
-l’argent.»
-
-Ce Bègue, six mois précisément avant le jour où nous sommes, a été
-condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour avoir dévalisé plusieurs
-villas à N. et à P. «avec des circonstances de violence donnant à
-l’affaire une tournure particulièrement grave», dirent les journaux. A
-ce moment un des accusés faisait défaut: c’est Prosper qu’on arrêta
-trois mois après à Y. où il s’était réfugié après de nombreuses
-pérégrinations en Espagne.
-
-Bègue avouait tout, paraît-il. Prosper nie tout, au contraire; il se
-prétend victime d’une méprise, victime de sa ressemblance avec Bouboule;
-car Bouboule, dit-il, ce n’est pas lui. Cette déclaration soulève un
-grand rire dans la salle.
-
-Encore qu’elle ne me persuade pas, je voudrais pouvoir suivre un peu
-mieux sa défense; mais le Président la bouscule et ne laisse pas
-Bouboule ou Prosper s’expliquer.
-
-A quel point il appartient au Président de gêner ou de faciliter une
-déposition (fut-ce inconsciemment), c’est ce que je sens de nouveau, non
-sans angoisse, et combien il est malaisé pour le juré de se faire une
-opinion propre, de ne pas épouser celle du Président.[3]
-
- [3] Je crois volontiers que cette dernière remarque ne s’appliquerait
- pas également à tous les jurys--à celui de la Seine en particulier.
-
-Prosper parle d’une voix sourde, qu’on a quelque mal à entendre, et il
-semble avoir grande peine à s’exprimer. Au cours de son interrogatoire,
-sentant les mailles du filet, autour de lui, qui se resserrent, il dit
-que la fatalité s’acharne contre lui, parle de «coalition»; il devient
-livide et de grosses gouttes de sueur commencent de rouler de son front.
-
-Le gardien d’une des villas cambriolées, M. X., appelé à témoigner, fait
-une déposition très émouvante et très belle. Son sang-froid, son
-courage, semblent avoir été admirables; admirable aussi la modestie de
-son attitude, de son récit, que les journaux ont reproduit. Inutile d’y
-revenir.
-
- * * * * *
-
-Je note ce curieux trait, au cours de l’interrogatoire: Immédiatement
-après le cambriolage à N., Bouboule s’en revenant vers D., à minuit,
-rencontre sur la route un ouvrier qu’il connaissait. Quel étrange besoin
-eut-il de l’arrêter, quand il était si simple de passer outre; de lui
-demander une cigarette (a-t-il cru peut-être que cela paraîtrait à
-l’autre plus _naturel_) et, après quelques minutes de conversation,
-peut-être subitement pris de peur, de dire à l’autre:
-
---Surtout ne dis pas tu m’as rencontré cette nuit.
-
- * * * * *
-
-Les jurés furent d’accord pour répondre affirmativement à toutes les
-questions posées, et la Cour condamna Prosper aux travaux forcés à
-perpétuité.
-
-
-
-
-V
-
-
-Encore un attentat à la pudeur; le quatrième. Cette fois la victime n’a
-pas six ans; c’est la fille de l’accusé...
-
-Pour ce cas comme pour les autres, je voudrais savoir quelle est la part
-de l’occasion; le crime eût-il été commis si l’accusé avait eu le
-choix...? et faut-il y voir préférence, ou simplement facilité plus
-grande, trompeuse promesse d’impunité?
-
-Germain R. a souillé son enfant pendant que sa femme était à l’hôpital
-pour de nouvelles couches.
-
-Il est petit, laid, de triste aspect; sa tête est bestiale. Il porte,
-sur une vareuse de cotonnade noir-jaunâtre, un épais cache-nez
-bleu-violet. Il nie obstinément, avec un air buté, stupide. Les
-témoignages recueillis sur lui sont mauvais. «Il pense à lui plutôt qu’à
-sa famille.»
-
-Le Président.--Il était souvent ivre?
-
-Le témoin.--En grande partie tous les jours.
-
-Et un autre témoin:--I’s’saoûle et laisse ses enfants crever d’faim.
-
-Ils couchent tous, le père, la mère et les deux petits de six et trois
-ans, dans la même pièce sans lit, sur la paille. On prétend que déjà
-précédemment il avait voulu toucher la petite. Une fois il la fit entrer
-avec lui dans un sac; mais il avait coutume de coucher dans un sac, et
-comme on était en hiver, il peut dire que c’était pour se réchauffer. On
-ne sait. La petite ne veut ou ne peut rien dire. Sur la chaise où on la
-fait monter, pour être plus près de l’oreille du président, elle pleure
-silencieusement et par instant un gros sanglot la secoue. On n’obtient
-d’elle pas le moindre mot. On dirait qu’elle a peur d’être punie elle
-aussi. (Elle est à l’Assistance Publique. Un homme en livrée, à gros
-boutons de cuivre, l’avait amenée, qui reste assis sur un des bancs des
-témoins.)
-
-Puis vient la femme R. épouse de l’accusé. Elle ne serait point trop
-laide si sa face n’était si terriblement boucanée. Elle a l’aspect d’une
-«femme de journée». Ses cheveux sont tirés en arrière et lustrés; un
-petit châle de laine noire tombe sur un tablier bleu.
-
-Le Président.--Qu’est ce que vous avez fait pour obvier à cet
-inconvénient?
-
-Le témoin.--???
-
-Il arrive plus d’une fois que le Président pose une question en des
-termes complètement inintelligibles pour le témoin ou le prévenu. C’est
-le cas.
-
-On procède à l’interrogatoire de l’unique témoin: la voisine:
-
-Le Président.--Enfin vous n’avez rien vu!
-
-Le témoin.--C’est que je suis entrée ou trop tôt, ou trop tard.
-
-Et, comme après tout, l’on ne sait à quoi s’en tenir, si nous condamnons
-R., ce sera sur des présomptions (comme bien souvent) et non point tant
-pour l’acte reproché, si douteux, mais bien pour sa conduite générale;
-et aussi pour en débarrasser sa famille.
-
- *
-
- * *
-
-Je suis de nouveau chef du jury pour la dernière affaire de ce jour.
-
-Joseph Galmier, âgé de vingt ans, fils d’Anaïse Albertine (quels noms on
-rencontre! Samedi dernier, la pauvre femme X., dans l’affaire Z., où je
-n’ai trouvé rien de curieux à relever, répondait aux noms
-d’Adélaïde-Héloïse! Est-ce un sentiment poétique qui pousse les miséreux
-à baptiser si étrangement leurs enfants?) est accusé d’avoir commis deux
-vols, avec les circonstances aggravantes: de nuit; dans une maison
-habitée; avec effraction; avec complices.
-
-Galmier est journalier au Havre; tête point laide, banale, rougeoyante;
-nez un peu trop pointu; cheveux ramenés sur le front; moustache
-naissante; l’air d’un guerrier normand de Cormon. Bien bâti et de formes
-assez élégantes; porte un jersey sous une veste déteinte.
-
-Condamné précédemment à six mois.
-
-Arrêté la nuit, porteur d’un pince-monseigneur, en compagnie de rôdeurs
-munis de fausses clefs.
-
-Dans une lettre au Procureur, il a fait des aveux complets; mais il dit
-à présent que, cette lettre, un repris de justice l’a forcé à l’écrire.
-Et il nie tout.
-
-Le Président.--Quel repris de justice?
-
-L’accusé.--Je n’ose pas le nommer. Il m’a menacé d’un mauvais coup en
-sortant, si je parlais.
-
-Le Président reste sceptique.
-
- * * * * *
-
-Je transcris mes notes telles quelles. Toutes ne s’appliquent peut-être
-pas à cette cause en particulier:
-
-... L’accusé qui parle le plus vite possible, par grande peur que le
-Président ne lui coupe la parole (ce qu’il fait du reste constamment) et
-qui cesse d’être clair--et qui le sent... le malheureux qui défend sa
-vie.
-
- * * * * *
-
-L’innocent sera-t-il plus éloquent, moins troublé que le coupable?
-Allons donc! Dès qu’il sent qu’on ne le _croit_ pas, il pourra se
-troubler d’autant plus qu’il est moins coupable. Il outrera ses
-affirmations; ses protestations paraîtront de plus en plus déplaisantes;
-il perdra pied.
-
-Le côté _chien_ du commissaire de police, dans ses dépositions; son ton
-rogue. Et l’air _gibier_ que prend aussitôt le prévenu. L’art de lui
-donner l’air coupable.
-
-Le malheureux qui se rend compte, mais seulement au moment où il
-l’entreprend, que sa défense est insuffisante. Son effort maladroit pour
-la corser.
-
- * * * * *
-
-L’imprudence du malfaiteur et cette sorte de vertige qui l’amène à
-dépenser aussitôt la somme qu’il vient de voler. Galmier achète un
-pardessus, un complet, des chemises, bretelles, mouchoirs, cravates,
-etc.; il donne un franc de pourboire au commis qui lui apporte le paquet
-(il loge à côté du magasin).
-
- * * * * *
-
-La joie des malfaiteurs professionnels, lorsqu’ils rencontrent un
-_bleu_, flottant et un peu niais, qui consentira à prendre le crime à sa
-charge. (On lui a promis de lui payer un avocat.)
-
- * * * * *
-
-La version la plus simple est celle qui toujours a le plus de chance de
-prévaloir; c’est aussi celle qui a le moins de chance d’être exacte.
-
- *
-
- * *
-
-L’affaire suivante en amène cinq devant nous. Elle devrait en amener
-six, mais l’un a pris la fuite. L’aîné n’a que vingt-deux ans. C’est une
-bande de chapardeurs. Huit vols sont relevés à leur charge. Ils avouent
-tout.
-
-C’est Janvier qu’on a pincé d’abord; le plus jeune; il refusait de
-nommer ses complices. Sans domicile depuis huit jours, il couchait avec
-un autre de la même bande; le 12 février dernier, il chipait une
-saucisse à un étalage; coût: quinze jours, avec sursis.
-
-Janvier sourit facilement, joliment; il a du mal à ne pas sourire; il
-est de belle humeur. Il ne plaisante pas, mais on sent encore frémir
-dans ses réponses un souvenir de l’amusement du vol, des parties de vol
-où l’on s’aventurait ensemble. On jouait à voler, à chaparder... Cette
-joie va recevoir tout à l’heure un fameux coup de trique sur la tête.
-
-Peut-on jamais se relever d’une condamnation? Peut-on s’en relever _tout
-seul_?...
-
-“He can be saved now. Imprison him as a criminal, and I affirm to you
-that he will be lost.”[4]
-
- [4] Ce sont les paroles que John Galsworthy prête à l’avocat défenseur
- dans son drame: _Justice._
-
-
-
-
-VI
-
-
-Nombre de jurés se font récuser; aussi mon nom sort-il souvent de
-l’urne; pour la neuvième fois, je fais donc partie du jury. Dans la
-salle de délibération, les jurés insistent pour que j’accepte la
-présidence que M. X. me prie de prendre à sa place; il paraît qu’il en a
-le droit. Seul _intellectuel_, ou presque, parmi eux, je redoutais
-l’hostilité malgré les grands efforts que je faisais pour la prévenir.
-Aussi suis-je extrêmement sensible à ce témoignage de considération. Il
-est vrai de dire qu’à quelques-unes des affaires précédentes le chef des
-jurés s’était montré bien fâcheusement incapable et que, par suite de
-ses incompréhensions, de ses hésitations, de ses maladresses, la
-délibération et les votes avaient été d’une lenteur exaspérante.
-
-L’affaire ne présente pas grand intérêt en elle-même. Elle nous revient
-de la correctionnelle dont elle ressortissait plutôt, mais où la Cour
-s’est déclarée incompétente.
-
-M. Granville, journalier, a été attaqué à une heure du matin, rue du
-Barbot, à Rouen, par un malandrin qui lui a pris les deux pièces de cent
-sous qu’il avait en poche. La victime se déclare incapable de
-reconnaître son agresseur; mais, à ses cris, Mme Ridel avait mis le nez
-à sa fenêtre et prétend avoir pu reconnaître en lui le sieur Valentin,
-journalier, qui comparaît à présent devant nous.
-
-Valentin nie éperdument et prétend être resté couché chez lui toute la
-nuit. Et d’abord: comment Mme Ridel aurait-elle pu le reconnaître? la
-nuit était sans lune et la rue très mal éclairée.
-
-Là-dessus proteste Mme Ridel: l’agression a eu lieu tout près d’un bec
-de gaz.
-
-On interroge le gendarme qui a aidé à instruire l’affaire; on interroge
-d’autres témoins: L’un place le bec de gaz à cinq mètres; l’autre à 25.
-Un dernier va jusqu’à soutenir qu’il n’y a pas de bec de gaz du tout à
-cet endroit de la rue.
-
-Mais Valentin a un méchant passé, une réputation déplorable, et si le
-substitut du procureur, qui soutient l’accusation, ne parvient pas à
-nous prouver que Valentin est le coupable, l’avocat défenseur ne
-parvient pas à nous persuader qu’il est innocent. Dans le doute, que
-fera le juré? Il votera la culpabilité--et du même coup les
-circonstances atténuantes, pour atténuer la responsabilité du jury.
-Combien de fois (et dans l’affaire Dreyfus même) ces «circonstances
-atténuantes» n’indiquent-elles que l’immense perplexité du jury! Et dès
-qu’il y a indécision, fût-elle légère, le juré est enclin à les voter,
-et d’autant plus que le crime est plus grave. Cela veut dire: oui, le
-crime est très grave, mais nous ne sommes pas bien certains que ce soit
-celui-ci qui l’ait commis. Pourtant il faut un châtiment: à tout hasard
-châtions celui-ci, puisque c’est lui que vous nous offrez comme victime;
-mais, dans le doute, ne le châtions tout de même pas par trop.
-
- * * * * *
-
-Dans plusieurs affaires que j’ai été appelé à juger, j’ai été gêné, et
-tous les jurés qui jugeaient avec moi parleraient de même, par la grande
-difficulté de se représenter le théâtre du crime, le _lieu_ de la scène,
-sur les simples dépositions des témoins et l’interrogatoire de l’accusé.
-Dans certains cas, cela est de la plus haute importance. Il s’agit par
-exemple ici de savoir à quelle distance d’un bec de gaz une agression a
-été commise. Tel témoin, placé à tel endroit précis, a-t-il pu
-reconnaître l’agresseur? Celui-ci était-il suffisamment éclairé?--On
-sait la place exacte de l’agression. Sur la distance où l’agresseur se
-trouvait du bec de gaz, _tous_ les témoignages différent: l’un dit cinq
-mètres, l’autre vingt-cinq... Il était pourtant bien facile de faire
-relever par la gendarmerie un _plan_ des lieux, dont au début de la
-séance on eût remis copie à chaque juré. Je crois que dans de nombreux
-cas ce plan lui serait d’une aide sérieuse.
-
- *
-
- * *
-
-Ce même jour, une troisième affaire: Conrad, au cours d’une dispute avec
-X. lui a flanqué des coups qui ont entraîné la mort.
-
-Je note, au cours de cette fin de séance, qui du reste n’offre pas grand
-intérêt:
-
- * * * * *
-
-Combien il est rare qu’une affaire se présente _par la tête_ et
-simplement.
-
- * * * * *
-
-Combien il arrive que soit artificielle la simplification dans la
-représentation des faits du réquisitoire.
-
- * * * * *
-
-Combien il arrive facilement que l’accusé s’enferre sur une déclaration
-de par à côté, dont la gravité d’abord lui échappe.
-
---«Alors, _fou de colère_...» dit Conrad au cours de son récit (il
-s’agit du coup de couteau donné à sa maîtresse au moment que celle-ci
-voulait le tuer).
-
-Et le Président tout aussitôt l’interrompant:
-
---Vous entendez, messieurs les jurés: fou de colère.
-
-Et le ministère public s’emparera triomphalement de cette phrase
-malencontreuse que le prévenu ne pourra plus rétracter--tandis qu’il
-appert que ce n’est là qu’une formule oratoire où Conrad, très soucieux
-du beau-parler, s’est laissé entraîner pour faire phrase.
-
-
-
-
-VII
-
-
-_Mardi._
-
-Encore un attentat à la pudeur; le dernier de ceux que nous sommes
-appelés à juger. Celui-ci est particulièrement pénible, car l’accusé, un
-jeune journalier de Maromme était atteint de blennorrhagie et a
-contaminé la victime. On a sur lui les plus mauvais renseignements:
-insolent, ivrogne, impatient au travail; déjà précédemment il a voulu
-entraîner dans un bois une fillette de dix ans à qui il offrait des sous
-et des bonbons.
-
-La petite qui comparaît devant nous, n’a que six ans et demi. Il l’a
-attirée dans sa chambre en lui offrant «une petite tabatière.»
-
-On la force à répéter devant nous, par le menu, ce qu’elle a déjà dit à
-l’instruction, et que le coupable a avoué, et que le médecin a constaté.
-Il semble qu’on prenne à tâche que cette petite se souvienne. Au reste
-elle n’a pas été violée; il semble que l’accusé ait pris à son égard
-certaines précautions, grâce auxquelles il espérait peut-être ne pas la
-contaminer; grâce auxquelles il bénéficie des circonstances atténuantes.
-
- *
-
- * *
-
-L’affaire Charles que nous jugeons ensuite avait fait quelque bruit dans
-les journaux. La salle est comble; c’est une affaire «sensationnelle».
-L’assistance est très excitée. On se redit de banc en banc le nombre des
-coups de couteau dont a été frappée la victime: le médecin n’en a pas
-compté moins de cent-dix!
-
-La victime était la maîtresse de Charles. Juliette R. n’avait que
-dix-sept ans lorsqu’il la rencontra pour la première fois, il y a de
-cela trois ans. Elle vivait avec un amant dont Charles aussitôt prit la
-place, abandonnant pour elle femme et enfants, après onze ans de
-mariage. Charles a trente-quatre ans; il est cocher, a fait déjà
-plusieurs places; mais les renseignements recueillis sur lui par ses
-divers patrons sont bons. Sa femme non plus n’avait pas à se plaindre de
-lui, malgré qu’il lui faisait parfois «des scènes». Après qu’il se fut
-installé avec cette fille, Madame Charles, à plusieurs reprises, tâcha
-de le ramener, de le reprendre; mais rien n’y fit, et l’instruction dit
-qu’il avait la fille «dans la peau, suivant l’expression». Il habite
-alors avec Juliette R., place de M., chez Madame Gilet. Celle-ci parfois
-les entendait se disputer.
-
---C’est vrai. Juliette me reprochait d’envoyer à mes enfants une partie
-de mes gages. Mais jamais je ne l’ai menacée.
-
-Et Madame Gilet reconnaît que les querelles n’étaient ni fréquentes, ni
-prolongées.
-
-La voix de Charles est grave; son aspect n’est pas déplaisant; il est
-grand, fort, bien fait de sa personne, sans pourtant rien de bellâtre ou
-de fat; il me semble que rien qu’à le voir on eût deviné qu’il était
-cocher; et non pas cocher de fiacre: cocher de maison.
-
-Il ne se défend pas, ne s’excuse pas même: on le sent soucieux de
-présenter les faits tels qu’ils se sont passés et sans chercher à
-influencer le jury en sa faveur. Pourquoi le Président essaye-t-il de le
-faire se couper, se contredire? Sans doute, en ancien juge
-d’instruction, par habitude professionnelle.
-
---Vous avez quelque peu varié, lui dit-il, dans la reconnaissance des
-mobiles du crime.
-
-C’est aussi que Charles ne s’explique pas trop bien à lui-même comment
-ni pourquoi il a tué. Il aimait éperdument cette femme; il avait
-_besoin_ d’elle. Le soir du 12 mars, veille du crime, ils soupèrent
-ensemble.
-
---Après souper je me suis couché avec elle, comme de coutume; mais elle
-s’est refusée. C’est comme ça que ça a commencé.
-
---Vous vous êtes alors disputé avec elle?
-
---A cause de cela, oui.
-
---Voici le motif que vous donnez du crime. Vous aviez d’abord donné une
-autre explication.
-
-L’accusé ne proteste pas; son geste semble dire: c’est possible.
-
---La nuit ensuite a été tranquille?
-
---Oui, Monsieur.
-
---Vous avez dit aussi que vous étiez jaloux; c’est même là l’explication
-que vous aviez donnée d’abord. Est-ce que vous lui connaissiez un amant?
-
---Elle n’en avait pas.
-
---Cependant elle était triste; au magasin des Abeilles où elle
-travaillait, on a dit qu’elle était anxieuse; elle avait peur de vous.
-Un jour elle à confisqué votre rasoir. Craignait-elle de vous voir vous
-en servir contre elle?
-
---A ce moment j’étais malade. On lui avait dit de me l’enlever pour que
-je ne m’en serve pas contre moi.
-
---Arrivons au treize mars.
-
---Nous nous sommes dit bonjour au matin; je suis descendu chercher le
-journal.
-
---Vous n’avez pas bu?
-
---La veille, avant le souper, j’avais pris deux tasses de café à B.;
-mais ce matin j’étais à jeun. En remontant près d’elle, je lui ai de
-nouveau demandé... Elle a encore refusé. Alors, comme elle ne voulait
-toujours pas, j’ai perdu la tête. J’ai pris un couteau sur la table,
-près de moi; je l’ai frappée au cou. _Le couteau me collait dans la
-main._
-
---Elle était encore couchée?
-
---Au premier coup, oui.
-
---A ce moment elle a cherché à se sauver; elle a sauté du lit. Vous vous
-êtes jeté sur elle; elle est tombée.
-
---A la fin en effet je l’ai retrouvée à terre.
-
---A la fin? N’allons pas si vite! Nous ne sommes encore qu’au
-commencement. Elle est tombée à terre, disons-nous; et alors vous avez
-continué à la frapper, à la frapper comme un forcené, criblant de coups
-de couteau son cou, son visage et ses poignets.
-
---Je ne me souviens que du premier coup.
-
---C’est trop facile. Vous lui avez donné plus de cent coups; d’après la
-déclaration d’un témoin, vous la mainteniez à terre d’une main, et de
-l’autre vous frappiez partout.
-
---Quand je me suis réveillé, Juliette était morte; j’étais penché sur
-elle; il y avait du sang partout... Je n’avais pas vu venir Madame
-Gilet.
-
---Entendant les cris de la malheureuse, elle était venue à son secours.
-Elle vous a vu la frapper avec une telle violence et une telle rapidité
-que cela ressemblait, a-t-elle dit, usant d’une image frappante, au
-timbrage des lettres dans les bureaux de poste. Vous entendez, Messieurs
-les jurés, au timbrage des lettres dans les bureaux de poste!
-
-Et, là-dessus, le Président, joignant la mimique à la parole, donne
-quelques grands coups de poing sur son pupitre creux, éveillant un tel
-tonnerre qu’un rire peu décent secoue l’auditoire. Certainement ça ne
-devait pas faire ce bruit-là.
-
---Votre maîtresse s’est écriée: «Ah! Madame, sauvez-moi! Il a un
-couteau!» Alors vous avez repoussé Madame Gilet, que votre contact a
-ensanglantée. «Retirez-vous; ça ne vous regarde pas», lui avez-vous dit;
-puis, vous remettant à frapper la malheureuse, d’un dernier coup vous
-lui avez tranché la cariatide (_sic_). (Madame Gilet dira tout à l’heure
-que le dernier coup était «porté au front»). Qu’avez-vous à dire?
-
---Je ne me souviens pas de tout cela.
-
---Pourtant quand les agents, qu’avait été prévenir Madame Gilet, sont
-arrivés, ils ont été étonnés par votre sang-froid. Vous n’aviez même pas
-l’air ému, paraît-il. Le couteau était sur la table. Vous vous êtes
-laissé saisir.
-
---J’étais abruti d’horreur.
-
---Non pas! Vous avez tranquillement dit: «Avertissez ma femme», et comme
-les agents allaient vous emmener, vous avez demandé la permission de
-vous laver les mains avant de descendre dans la rue.
-
---Je me rappelle en effet avoir donné l’adresse de ma femme, pour qu’on
-la prévienne.
-
---Ensuite, n’avez-vous pas voulu vous pendre?
-
---Jamais.
-
---On avait cru cela. On avait trouvé dans la chambre un piton, de force
-à supporter un gros poids; on a retrouvé également une lanière.
-N’avez-vous pas parlé alors d’une volonté de suicide?
-
---Je n’ai jamais parlé de ça.
-
---N’importe. En définitive vous reconnaissez tous les faits; et vous
-donnez de votre crime cette explication: que Juliette vous refusait ses
-avantages.
-
---J’ai vu passer devant moi quelque chose de terrible, ce matin-là.
-
---Enfin... elle est morte, la pauvre fille! Si elle ne voulait plus de
-vous, vous n’aviez qu’à retourner auprès de votre femme et de vos
-enfants. Pourquoi la tuer?
-
---Je ne cherchais pas à la tuer. (Rumeur d’indignation dans
-l’auditoire.)
-
---Allons donc! Avec cent coups de couteau!
-
-La majorité des jurés pense avec le Président qu’on cherche plus à tuer
-quand on donne cent coups de couteau que lorsqu’on en donne un seul.
-Pourtant l’examen médical de la victime nous apprend que ces cent-dix
-blessures dont on a pu relever la trace sur la face, sur le cou, à la
-région supérieure du thorax, sur les mains, (sur le cou les plus
-nombreuses), étaient régulières pour la plupart, et, toutes, petites et
-peu pénétrantes. (En Russie on eût vu là sans doute un «crime rituel».)
-Une seule blessure avait atteint la carotide et déterminé une hémorragie
-foudroyante.
-
-N’étant pas du jury, je ne puis demander si, peut-être, il dépendait de
-la forme et de la dimension de l’arme qu’aucune des blessures ne fût
-profonde. Mais il ne paraît pas; et le docteur dira tout à l’heure que
-Charles avait frappé «d’une façon tremblante, ne faisant pas entrer son
-arme et comme s’il voulait seulement mutiler».
-
-Les doigts étaient tailladés; la victime avait dû essayer de se
-protéger.
-
- * * * * *
-
-Madame Augustine, veuve Gilet, logeuse, appelée à témoigner, dépose
-d’une voix monotone:
-
---Charles et la fille Juliette demeuraient chez moi. Je n’avais pas à me
-plaindre d’eux. Le 13 mars au matin, j’entendis des cris; j’entrai chez
-eux; elle était à terre et je le vis qui la frappait. Je lui saisis le
-bras pour le retenir. Il se retourna et me dit: «Retirez-vous.» Juliette
-n’était pas morte; quand elle me vit chercher à le retenir, elle me dit:
-«Ah! faites attention, il a un couteau!» Alors il la frappa encore une
-fois; il retourna le couteau dans la plaie; ça a fait: crrac! (Mouvement
-d’horreur et rumeurs dans la foule; les jurés eux mêmes sont très
-impressionnés par le récit de Madame Gilet, et particulièrement par ce
-dernier détail. Pourtant, sur une demande de l’avocat défenseur, le
-docteur X. nous dira tout à l’heure: «Aucune des blessures n’indique que
-le couteau ait jamais été retourné dans la plaie»). C’est comme si le
-couteau avait du mal à pénétrer. J’étais stupéfiée. Il frappait vite,
-comme on timbre les lettres. Il a peut-être porté vingt-cinq coups
-devant moi. Quand j’ai voulu l’arrêter et qu’il s’est retourné, il m’a
-ensanglantée; j’étais en peignoir; j’ai retrouvé du sang par tout mon
-linge. J’avais si peur, que je ne remarquai pas l’état de la chambre; ce
-n’est qu’ensuite que j’ai vu que le lit était plein de sang. La veille
-au soir je n’avais pas entendu de bruit. Il ne venait personne chez eux.
-Juliette était tranquille et travaillait régulièrement. On n’avait rien
-à lui reprocher. A lui non plus. Il se conduisait bien. Je ne l’ai
-jamais vu ivre.
-
---Est-ce tout ce que vous pouvez dire sur lui?
-
---L’été dernier, à la suite d’une chute, il avait été longtemps malade.
-Ma première idée, quand je l’ai vu frapper Juliette, c’est qu’il était
-devenu fou. Il paraissait l’aimer beaucoup. Ce n’est que quand Juliette
-m’a dit: «Il a un couteau» que j’ai compris qu’il avait une arme.
-Jusqu’à ce moment j’avais cru qu’il frappait avec le poing.
-
-Charles.--Je n’ai pas vu Mme Gilet. J’ai idée d’elle; c’est tout.
-
-Mme Gilet.--Après une pareille boucherie, je comprends qu’on perde la
-tête. Le dernier coup a dû être porté au front. Mais il ne faisait pas
-clair; il était six heures moins un quart; et je n’y voyais guère. Rien,
-avant, dans la conduite de Charles, ne faisait pressentir ce drame; s’il
-y avait des discussions, ils se raccommodaient à peine fâchés.
-
-Mademoiselle Gilet, appelée à son tour, dira:
-
---Ils chicanaient parfois, sauf à s’embrasser cinq minutes après.
-
-Après la déposition de la logeuse et de sa fille, nous entendons celle
-des gardiens de la paix:
-
-Le chef de poste M.:
-
---Quand nous avons voulu conduire au poste l’accusé, il nous a
-dit:--«Donnez-moi au moins le temps de me laver les mains.» Il ne
-paraissait ni soûl, ni fou. Il était plutôt calme.
-
-Et M. V., commissaire de police:
-
---Au bureau central, j’ai vu Charles. Il était un peu énervé; mais pas
-ivre. Il m’a dit, après quelques hésitations: «Je l’ai tuée parce
-qu’elle me faisait dépenser de l’argent. Du reste j’allais me jeter à
-l’eau quand on m’a arrêté.»
-
-Le Président.--Eh bien! vous voyez, Charles, vous donniez d’abord du
-mobile du crime une explication qui n’est pas celle d’aujourd’hui.
-Voyons, parlez.
-
-L’accusé.--Que voulez-vous que je réponde? Je vous ai dit la vérité.
-
-M. V.--J’avais l’impression qu’il ne la disait pas alors, et qu’il
-dissimulait le mobile du crime. En effet, il donne d’autres raisons
-aujourd’hui... Tout cela me semblait si bizarre: je lui ai pris les
-mains, je lui ai relevé les paupières: il était ni ivre, ni fou.
-
- * * * * *
-
-Mme Charles vient à la barre, témoigner que, pendant dix ans,
-c’est-à-dire jusqu’au moment où il rencontra la fille Juliette, elle
-n’avait rien eu à reprocher à son mari.
-
-M. le Docteur X... est appelé à parler de Charles; il nous le présente
-d’abord comme un garçon sain et bien portant; aucune tare dans son
-atavisme. Mais il a six doigts à une main; il est sujet à des vertiges,
-à des pertes de mémoire; il a de la difficulté à s’orienter, des défauts
-de prononciation (j’avoue que je ne les ai pas remarqués),
-l’appréhension de faire une chute dans la rue. Le Docteur parle encore
-d’instabilité de jugement, d’indécision et d’absence de volonté (et
-n’est-ce pas là ce qui permit cette brusque transformation du désir
-insatisfait en énergie?), puis conclut enfin en disant que, sans être
-dans un état de démence, dans le sens où l’entend l’article 64 du code
-pénal, «l’examen psychiâtrique et biologique, ainsi que la nature
-d’impulsivité spéciale de son crime, indiquent une anomalie mentale qui
-atténue sa responsabilité».
-
-«Son acte, avait-il dit quelques instants auparavant, a été accompli
-sans que l’idée de tuer ait été bien précisée dans son cerveau. On en
-trouve la preuve dans la distribution des coups de couteau que j’ai
-décrite».
-
-Comment l’avocat défenseur lui-même n’ira-t-il pas plus loin et ne
-dira-t-il pas que, non seulement Charles ne _voulait_ pas tuer, mais
-même qu’il tâchait obscurément, tout en mutilant sa victime, de _ne pas_
-la tuer; que, sans doute, précisément pour ne pas la tuer, _il avait
-empoigné le couteau à même la lame_, et que c’est seulement ainsi que
-l’on peut expliquer que les coups fussent à la fois forts et causant des
-blessures si peu profondes, et que Charles eût des coupures aux doigts
-(rapport du médecin). Et n’est-ce pas aussi pour cela que Mme Gilet ne
-voyait pas le couteau et croyait qu’il frappait avec son poing?
-
-Rien de tout cela n’est dit par Maître R., l’avocat défenseur de la
-victime. Il s’appuie sur le rapport des médecins pour demander aux jurés
-de ne pas aller plus loin que les experts et de reconnaître à l’accusé
-une responsabilité atténuée.
-
-J’ai longuement insisté sur ce cas, car il fit éclater la lamentable
-incompétence des jurés. Il ressortait avec évidence de l’instruction,
-des témoignages, du rapport des médecins, que l’idée de tuer n’était pas
-nettement établie dans le cerveau de Charles; qu’en tout cas l’on
-n’avait pas affaire à un professionnel du crime, et plus peut-être à un
-sadique qu’à un assassin, que si jamais, enfin, crime pouvait être dit
-passionnel...
-
-Après une demi-heure de délibération, on les voit rentrer dans la salle,
-congestionnés, les yeux hagards, comme ébouillantés, furieux les uns
-contre les autres et chacun contre soi-même. Ils rapportent un verdict
-affirmatif sur la seule question de meurtre posée par la cour; quant aux
-circonstances atténuantes _que demandait l’accusation elle-même_, peu
-disposée pourtant à la clémence--ils les ont refusées.
-
-En conséquence de quoi Charles est condamné aux travaux forcés à
-perpétuité.
-
- * * * * *
-
-De hideux applaudissements éclatent dans la salle; on crie: «bravo!
-bravo!», c’est un délire. La femme de Charles, restée dans la salle, se
-lève cependant, en proie à l’angoisse la plus vive; elle crie: «C’est
-trop! ah! c’est trop!» et s’évanouit. On l’emmène.
-
-Mais, sitôt après la séance, les jurés, consternés du résultat de leur
-vote (n’avaient-ils pas compris que de ne pas voter l’affirmative pour
-la demande des circonstances atténuantes, équivaut à voter la négative?)
-s’assemblaient à nouveau et, précipités dans l’autre excès, signaient un
-recours en grâce à l’unanimité.
-
-Sans doute auraient-ils voté tout bonnement d’abord les circonstances
-atténuantes, si Madame Gilet n’avait pas dit que le couteau, en se
-retournant dans la plaie, avait fait: «Crrac!»
-
- * * * * *
-
-Expliquerai-je un peu l’affolement des jurés si je dis que,
-l’avant-veille, avait paru dans le _Journal de Rouen_, en tête, un
-article sur «Les jurés et la loi de sursis» (Nº du 17 Mai 1912) que
-j’avais vu passer de main en main, de sorte que tous mes collègues, ou
-presque, l’avaient lu? Prenant prétexte d’une affaire qui venait de se
-juger à Paris, où les réponses du jury avaient forcé la cour d’acquitter
-trois précoces malandrins, cet article s’élevait contre l’indulgence. On
-y lisait:
-
- «_Jamais les jurés parisiens n’avaient donné une telle preuve de
- faiblesse que dans l’affaire où, à la stupéfaction générale, ils
- viennent d’acquitter trois jeunes cambrioleurs convaincus d’avoir
- tenté de piller un pavillon..._
-
- _Cette indulgence outrée et absurde s’explique peut-être dans le cas
- particulier par l’attitude extraordinaire de la plaignante, qui avait
- demandé l’acquittement de ses agresseurs et aurait même, paraît-il,
- manifesté l’intention d’adopter l’un d’eux...[5] Mais est-il besoin de
- faire remarquer que les jurés qui, eux, doivent avoir la tête solide
- et posséder l’expérience de la vie, ne pouvaient subir le même accès
- de niaise sentimentalité_ (ce «niais» n’est pas très chrétien,
- Monsieur le chroniqueur) _et qu’ils ont, par conséquent, manqué à leur
- devoir en refusant de condamner des coupables avérés, et que rien ne
- leur signalait comme particulièrement intéressants?_
-
- [5] Combien ne serait-il pas intéressant de connaître le résultat de
- cette rare expérience!
-
- _Cet étrange verdict, que la presse a condamné de façon unanime, etc._
-
- _En ce temps, où les crimes se multiplient, où l’audace et la férocité
- des malfaiteurs dépassent toutes les bornes connues_ (ô Flaubert!),
- _où les jeunes gens même entrent si hardiment dans la mauvaise voie,
- etc..._»
-
-Qui dira la puissance de persuasion--ou d’intimidation--d’une feuille
-imprimée sur des cerveaux pas bien armés pour la critique, et si
-consciencieux pour la plupart, si désireux de bien faire!...
-
---Le Président m’a dit que jusqu’à présent nous avions très bien jugé,
-répétait, il y a quelques jours, un des jurés; et ce satisfecit du
-Président courait de bouche en bouche, et chacun des jurés
-s’épanouissait à le redire. Ils en rabattirent bientôt.
-
-
-
-
-VII
-
-
-Considérée d’abord comme un simple délit, l’affaire que nous eûmes à
-juger ce jour-là, avait déjà passé devant le tribunal correctionnel du
-Havre; l’un des accusés, protestant contre sa condamnation à deux ans,
-fit appel. C’est Yves Cordier, cordonnier; il comparaît en compagnie de
-C. Lepic et de Henri Goret, ses complices; des deux filles Mélanie et
-Gabrielle. Ils sont accusés tous les cinq d’avoir entraîné le marin
-Braz, après l’avoir soûlé, de l’avoir «passé à tabac» et dépouillé de
-l’argent qu’il portait sur lui. Ce marin, reparti en voyage, n’a pu
-répondre à la citation, non plus qu’il n’avait pu comparaître, lorsque
-l’affaire était passée en correctionnelle. Il avait déposé sa plainte
-sitôt après l’agression; puis, ayant recouvré son argent, l’avait
-retirée peu de jours après, avant de se rembarquer à nouveau. Si
-l’affaire suivait son cours c’était, à proprement parler, malgré lui.
-
-Cordier est un grand gars de dix-huit ans, un peu épais, blond, aux yeux
-bleus, au visage ouvert et qu’on imagine volontiers souriant; on dirait
-un marin; il a gardé la grosse vareuse cachou de la prison; il pleure
-continûment; par moments, il se tamponne le visage avec un mouchoir à
-carreaux qu’il roule en boule dans sa main droite; la main gauche est
-enveloppée d’un linge.
-
-Lepic est un journalier du Havre; son état-civil lui donne vingt-cinq
-ans; il a ce qu’on appelle: une sale tête; pommettes saillantes; énorme
-moustache, nez pointu; on n’est pas étonné d’apprendre qu’il a déjà été
-condamné sept fois pour vol. Il tient une petite casquette entre ses
-mains; d’affreuses mains, noueuses et, l’on dirait, mal dessinées. Il
-n’a pas de linge; ou, s’il en a, ne le montre pas. Près de lui, Henri
-Goret paraît fourvoyé. Cette espèce de fils de famille, ne semble pas de
-la même classe sociale que les autres; il a du linge, lui, et même un
-protège-col; une petite cravate à nœud droit; son visage aux moustaches
-naissantes serait presque joli s’il n’était avili, abruti; sa voix est
-frêle, fausse et voilée; il ne sait que faire de ses grosses mains
-gourdes. Le père de Goret tient un débit de boissons et une sorte
-d’hôtel borgne près du grand bassin. Henri Goret n’a pas vingt ans; il a
-épousé une putain qui s’est fait flanquer en prison peu de temps après
-le mariage.--N’importe! Henri se présente assez bien; certainement la
-décence, et j’allais dire la distinction de sa tenue, prédispose en sa
-faveur les jurés; elle accuse la roture et le dénuement des deux autres.
-
-Passons au récit de «la scène de violences dont sont impliqués ces
-individus», comme dit le _Journal de Rouen_ (16 Mai):
-
- * * * * *
-
-C’est le 4 octobre 1911, au soir, que Cordier fit la connaissance de
-Lepic. Ce dernier, sans doute, eut vite fait de comprendre à quel
-complaisant débonnaire il avait affaire. Ensemble ils s’en vont aux
-Folies. La représentation finie, ils commencent à vadrouiller par les
-rues. Ils croisent deux marins, Braz et Crochu. Crochu est ivre-mort,
-difficile à traîner; Braz interpelle les deux autres et leur demande
-s’ils ne connaissent pas un logement où l’on puisse coucher le soûlard.
-Tous trois emmènent Crochu rue de la Girafe, chez Lestocard. On le
-laisse là, et Braz, reconnaissant de l’aide que lui ont prêtée Lepic et
-Cordier, offre à ceux-ci une consommation.
-
-Ils ressortent, bras dessus, bras dessous de chez Lestocard, et ne se
-quitteront pas de sitôt. Place du Vieux Marché, ils rencontrent deux
-femmes, les filles Gabrielle et Mélanie; les emmènent. Il est deux
-heures du matin. Place Gambetta, c’est Cordier qui offre une
-consommation. Puis ils retournent place du Vieux Marché; au café Fortin
-Braz paye une nouvelle tournée. A ce moment se joint à eux le jeune
-Goret. Il était là, dans le café, près du comptoir; lui n’est pas ivre.
-Quand les autres sortent, il sort aussi. J’admets que Braz, déjà très
-ivre, ne l’ait pas beaucoup remarqué.
-
-Il est alors près de quatre heures du matin. Braz voudrait bien aller se
-coucher, mais les autres l’entraînent. Ils errent au hasard tous les six
-et atteignent la rue Casimir Delavigne. Braz n’en peut plus; il voudrait
-qu’on le laissât. «Il est temps de s’aller coucher maintenant». Mais
-Lepic ne l’entend pas ainsi; il prétend l’entraîner hors la ville.
-
---«Viens-t’en donc! J’ai un jardin là-haut, auprès du fort de
-Tourneville. Nous cueillerons des roses. J’te vas donner un bouquet que
-t’en garderas longtemps le souvenir.» (déposition de la fille
-Gabrielle.)
-
-En vain Gabrielle tire le marin par la manche; elle voudrait le retenir;
-mais il n’est plus en état de rien entendre, ou du moins d’entendre
-raison. Tous repartent et commencent à monter la longue côte.
-
-Une fille se penche vers l’autre:--Ça ne va-t’y pas se gâter?... Pour
-sûr ils vont lui faire son affaire.
-
---Non, répond l’autre; il y a toujours des soldats près du fort.
-
-Braz est entre Lepic et «celui qui a la main en écharpe» (déposition de
-Braz).--Cette «main en écharpe» l’a beaucoup frappé.--Les filles
-suivent, puis Goret à quelque distance en arrière.
-
-C’est à cinq heures, c’est-à-dire immédiatement avant l’aube (5
-octobre), qu’ils descendent dans le fossé du fort; sous quel prétexte?
-je ne sais. Les deux filles restent en haut.
-
-Que se passe-t-il alors? Il est malaisé de l’établir. Le marin n’est
-plus là pour le raconter; de plus, au moment de l’agression, il était
-ivre et il est vraisemblable qu’il n’ait pu se rendre que vaguement
-compte de la manière dont on l’attaquait et du rôle particulier de
-chacun de ses agresseurs. Nous n’aurons donc, pour nous éclairer, que le
-témoignage des intéressés. Or, chacun des accusés proteste de son
-innocence; du moins cherche-t-il à restreindre le plus possible sa part
-de responsabilité. (Lepic, plus catégorique, niera même avoir été de la
-partie: on s’est trompé; ça n’est pas lui.)
-
- * * * * *
-
-On procède à l’interrogatoire de Cordier:
-
-C’est sans doute un bien méchant gars: il a déjà subi trois
-condamnations pour vol; il n’avait que quatorze ans la première fois; il
-est rendu à ses parents; il recommence; de nouveau on le renvoie à sa
-famille; à la troisième fois on le confie à une colonie disciplinaire.
-Mais il prend en telle horreur ce régime, qu’il s’enfuit et retourne
-près de sa mère. Madame Cordier est la veuve d’un marin; elle tient une
-maison de blanchissage et emploie plusieurs ouvrières. Yves Cordier est
-le dernier de cinq enfants. Le puîné est au régiment; les autres sont
-placés, mariés, font une honnête carrière; toute la famille est
-honorablement notée. Le cadet, celui qui nous occupe, semble
-particulièrement aimé; et non seulement de sa mère et de ses frères,
-mais également par les voisins. Ses patrons donnent de lui de bons
-témoignages; on nous lit une lettre d’un de ceux-ci, qui parle avec
-éloge de «sa conduite et sa probité» et demande à le reprendre à son
-service. C’est chez lui que Cordier reprenait déjà du travail deux jours
-après sa première libération[6].
-
- [6] Je ne donne ici que les renseignements qui nous furent fournis par
- la Cour, et non ceux que je pus, de mon côté, recueillir ensuite.
-
-Il est à remarquer que la déposition de Cordier et celles des deux
-filles concordent point par point. D’après leur récit, Goret aurait
-brusquement sauté au cou du marin par derrière et aurait roulé à terre
-avec lui. Puis, tandis que Lepic le baillonnait, Goret l’aurait fouillé
-et aurait passé à Cordier l’argent qu’il trouvait dans les poches. Cet
-argent, Cordier le repassait presque aussitôt après à Lepic. Goret
-donnait encore au marin deux derniers coups de pied sur la nuque, et
-l’on repartait.
-
-Chacun allait de son côté; mais rendez-vous était pris pour se retrouver
-un peu plus tard, dans une chambre, rue du Petit Croissant, chez Goret
-même, et se partager l’argent.
-
-C’est là que la police, aussitôt prévenue par le marin, les arrêta.
-
- * * * * *
-
-Le Président bouscule l’interrogatoire des deux filles. Il appert que
-les témoins «de moralité douteuse» ne jouissent pas d’un grand crédit
-dans son esprit; et cela est tout naturel. Malheureusement, ici nous
-n’avons que ceux-ci pour nous instruire. Gabrielle, pressée de
-questions, qui se succèdent sans qu’elle ait le temps d’achever ses
-réponses, et qui sent que le Président ne lui fait point crédit, se
-trouble. Elle ne peut guère placer que des monosyllabes, répondre que
-par oui ou par non. Elle veut dire (c’est du moins ce qu’il me semble)
-que Cordier n’a pas participé à l’agression, et n’a fait que recevoir
-l’argent que les autres lui passaient. Si vous croyez que c’est
-facile!... Évidemment tout cela a été déjà élucidé à l’instruction: cet
-interrogatoire, pour le juge qui a étudié l’affaire, ne peut et ne
-_doit_ apporter rien de nouveau; mais pour le juré, tout est neuf: il
-cherche à se faire une opinion; il s’inquiète et doute si peut-être
-l’affaire n’a pas été bouclée trop vite, et l’opinion que s’en est faite
-le Président.
-
-Le Président.--Est-ce Cordier qui lui mettait la main sur la bouche?
-
-La fille Gabrielle.--Non, mon Président.
-
-Le Président.--Alors c’est lui qui a porté les coups.
-
-La fille Gabrielle.--Non, mon Président.
-
-Le Président.--Enfin, l’un frappait, l’autre baillonnait, le troisième
-fouillait. Braz dit que c’est Cordier qui l’a frappé; vous dites que
-c’est Cordier qui l’a fouillé. Il y a eu sans doute quelque confusion
-dans la lutte et par conséquent dans les témoignages aussi. Il ressort
-de tout cela que la responsabilité des trois accusés a été engagée au
-même degré, et c’est ce qui paraît évident. Fille Gabrielle, vous pouvez
-vous rasseoir.
-
-La fille Gabrielle est la dernière interrogée; on va passer aux
-plaidoiries. Alors le Président, selon l’usage, se tournant vers «celui
-qui a la main en écharpe»:
-
---Vous n’avez rien à ajouter au rapport du témoin?
-
-Cordier, qui sent que tout va finir, en sanglotant:
-
---Monsieur le Président, j’dis la vérité, j’l’ai pas touché.--Puis dans
-un élan pathétique, du plus fâcheux effet:--Je l’jure sur la tombe de
-mon père...
-
-Le Président.--Mon enfant, laissez donc votre père tranquille.
-
-Cordier, continuant.--... pas même du bout du doigt...
-
- * * * * *
-
-Pour Cordier, non plus que pour les autres, aucun témoin à décharge n’a
-été cité. On a bien donné lecture de la lettre d’un des patrons de
-Cordier; mais pourquoi n’entendons-nous pas sa mère?--Parce que Yves
-Cordier n’a pas voulu qu’elle fût appelée; il s’est même refusé à donner
-son adresse.
-
-Le Président.--Pourquoi n’avez-vous pas voulu donner l’adresse de votre
-mère?
-
-Cordier ne répond pas.
-
-Le Président.--Alors vous refusez de nous dire pourquoi vous n’avez pas
-voulu donner l’adresse de votre mère?
-
-Hélas! mon Président, est-ce donc si difficile à comprendre? ou
-n’admettez-vous pas que Cordier ait pu vouloir épargner une honte à sa
-mère? Si vous pouviez voir la pauvre femme, comme j’ai fait ensuite,[7]
-sans doute vous ne vous étonneriez plus.
-
- [7] «Je ne me refuse aucunement à vous donner l’adresse de ma mère,
- m’écrivit peu de temps après Cordier, de la prison--car, si je ne
- l’ai donnée au juge, c’était pour ne pas qu’elle se présente au
- Palais.»
-
-Je suis consterné, épouvanté, de sentir que l’interrogatoire va se clore
-et que le cas particulier de Cordier va demeurer si peu, si mal éclairé.
-Car je ne sais presque rien de lui, mais il m’apparaît déjà que ce
-garçon n’a rien de féroce, rien d’un bandit. Il ne me semble même pas
-impossible qu’il ait accompagné le marin, poussé par une sorte de
-sympathie vague... Ne saurais-je inventer nulle question, puisque, juré,
-j’ai le droit d’en poser, qui puisse jeter ici quelque lueur, et
-m’éclairer moi-même--car peut-être que je m’abuse et qu’Yves Cordier,
-après tout, ne mérite point la pitié. Cette question, je n’aurai plus le
-droit de la poser, dès que les plaidoiries auront commencé. Je n’ai plus
-qu’un instant, et déjà l’avocat de Cordier se lève... Alors, d’une voix
-étranglée, le cœur battant, je _lis_ ceci, que je viens d’écrire,
-craignant sinon de ne pouvoir trouver mes mots et achever ma phrase:
-
---Monsieur le Président, pouvons-nous savoir quelle somme a été prise à
-la victime et dans quelle proportion le partage s’est fait ensuite entre
-les accusés?
-
-Le Président procède à un court interrogatoire et nous apprenons: que 92
-francs ont été soustraits à Braz;--que, sur cette somme, 5 francs ont
-été donnés à chacune des deux femmes pour acheter leur silence;--que
-Cordier a reçu 10 francs, qu’il remettait aussitôt après aux agresseurs;
-et que, du reste de la somme, soit 72 francs, Lepic et Goret ont gardé
-chacun la moitié.
-
-Ah! s’il m’était permis de tirer des conclusions et, d’après ces
-chiffres précis, de chiffrer précisément la part de responsabilité de
-chacun!... L’avocat de Cordier, du moins, le fera-t-il?--Non. Sa
-plaidoirie du reste est solide, habile; mais il ne peut faire que
-Cordier n’ait un casier judiciaire déjà chargé. Il ne peut faire non
-plus que Cordier, peu de temps après son arrestation, ou plus
-précisément, je crois: après la première instruction--n’ait écrit au
-Procureur la lettre la plus absurde, la plus folle:
-
-«Je ne connais ni Lepic, ni Goret, y disait-il. Ils n’étaient pas là.
-C’est moi seul qui ai fait le coup, avec un de mes amis du port. Je ne
-regrette qu’une chose: c’est de ne pas avoir achevé le marin.»
-
-Lettre manifestement écrite sous la pression de Lepic, dira l’avocat
-défenseur, et sans doute sous ses menaces. (Lepic chercha également à
-intimider les deux femmes en les menaçant de son couteau «catalan».)
-N’a-t-on pas persuadé à Cordier que, en tant que mineur, il ne risquait
-guère et ne pourrait être condamné sévèrement?
-
-Cette lettre, du reste, l’accusation, tout en la relevant, n’en tient
-pas grand compte. Il arrive parfois, souvent même, que le Procureur
-reçoive de la prison semblables «aveux» destinés parfois à éclairer la
-justice, parfois à l’égarer; lettres écrites, parfois même, sans but et
-sans raison, dans le désœuvrement de la geôle. N’importe! cette lettre,
-dans l’esprit des jurés, est du plus déplorable effet. J’ai moi-même le
-plus grand mal à me l’expliquer par le peu que l’instruction m’a révélé
-du caractère (et de l’absence de caractère) de Cordier.
-
-Après la première plaidoirie de la défense, le tribunal demande une
-suspension de séance et nous allons dîner.
-
- * * * * *
-
-Quand, deux heures après, nous rentrons au Palais, l’avocat de Cordier
-_n’est plus là_. Certes, je n’irai pas jusqu’à dire que les avocats des
-deux autres accusés ont _profité_ de cette absence, mais pourtant, comme
-ce n’est qu’en chargeant Cordier qu’ils pouvaient décharger leur client,
-la présence du défenseur de Cordier n’aurait pas été inutile. Cordier
-restait tout abandonné à la discrétion des deux autres.
-
-Et ce n’est pas seulement par là que Cordier eut à pâtir de passer en
-jugement le premier. Sans doute, si elle s’était d’abord déchargée sur
-Lepic, la sévérité des jurés se serait montrée moins intransigeante. Ce
-fut Goret qui, passant troisième, profita de la réaction; du reste, son
-linge, sa tenue, son air fourbe, avaient favorablement impressionné le
-jury.
-
-Nous ne fûmes pas plutôt dans la salle de délibération qu’un long,
-maigre «primaire» à cheveux blancs, sortit de sa poche un papier où il
-avait consigné toutes les charges contre Cordier, et principalement ses
-condamnations précédentes. En vérité ce furent celles-ci qui
-l’emportèrent et dictèrent le nouveau jugement. Tant il est difficile
-pour le juré de ne pas considérer une première condamnation comme une
-charge et de juger le prévenu en dehors de l’ombre que cette première
-condamnation porte sur lui.
-
-En vain, un autre juré donna lecture de la lettre d’un des autres
-patrons de Cordier, extrêmement favorable à celui-ci--lettre qui n’avait
-pas été versée au dossier et que je ne sais qui venait, je ne sais
-comment, de lui remettre tandis que nous passions dans la salle de
-délibération--ce que je croyais formellement interdit...
-
---Tout ça, c’est des bandits, reprenait un autre juré. Faut en
-débarrasser la société.
-
-C’est ce qu’on fit dans la mesure du possible. Cordier fut condamné à
-cinq ans de réclusion et dix ans d’interdiction de séjour. Goret, à
-l’heure où j’écris ces lignes, est relâché depuis trois mois.
-
- * * * * *
-
-Cette nuit je ne puis pas dormir; l’angoisse m’a pris au cœur, et ne
-desserre pas son étreinte un instant. Je resonge au récit que me fit
-jadis au Havre un rescapé de la Bourgogne: Il était, lui, dans une
-barque avec je ne sais plus combien d’autres; certains d’entre ceux-ci
-ramaient; d’autres étaient très occupés tout autour de la barque à
-flanquer de grands coups d’aviron sur la tête et les mains de ceux, à
-demi noyés déjà, qui cherchaient à s’accrocher à la barque et
-imploraient qu’on les reprît; ou bien, avec une petite hache, leur
-coupaient les poignets. On les renfonçait dans l’eau, car en cherchant à
-les sauver on eût fait chavirer la barque pleine...
-
-Oui! le mieux c’est de ne pas tomber à l’eau. Après, si le ciel ne vous
-aide, c’est le diable pour s’en tirer!--Ce soir je prends en honte la
-barque, et de m’y sentir à l’abri.
-
-Avant de rentrer me coucher, j’avais longtemps erré dans ce triste
-quartier près du port, peuplé de tristes gens, pour qui la prison semble
-une habitation naturelle--noirs de charbon, ivres de mauvais vin, ivres
-sans joie, hideux. Et dans ces rues sordides, rôdaient de petits
-enfants, hâves et sans sourires, mal vêtus, mal nourris, mal aimés...
-
-Mais Cordier, lui, est fils d’une honnête famille; il a eu de bons
-exemples sous les yeux. Si on lui tend la perche, peut-être qu’on
-pourrait le sauver.
-
-Le lendemain matin, je m’en vais trouver son avocat et lui soumets le
-projet de requête que voici (il s’agit, du reste, d’une demande non de
-recours en grâce, mais simplement de diminution de peine):
-
- _Attendu_
-
- _Que le seul témoignage contre l’accusé Cordier est celui de la
- victime, M. Braz, ivre au moment où elle a été attaquée;_
-
- _Que du reste M. Braz, marin, reparti en voyage, n’a pu être atteint
- par la citation et par conséquent être entendu à l’audience;_
-
- _Qu’il ressort néanmoins de sa première déposition qu’il a été attaqué
- par derrière et qu’il n’a pu voir l’agresseur.--_
-
- _D’autre part,_
-
- _Attendu_
-
- _Que la déposition de Cordier concorde entièrement avec celles des
- filles Gabrielle et Mélanie, seuls témoins de l’agression, et qu’il
- ressort de leurs dires que Cordier n’a point pris part à l’attaque,
- mais s’est contenté de recevoir l’argent de la victime, que Goret et
- Lepic, les deux agresseurs, lui tendaient;_
-
- _Qu’il ressort de ces dépositions que Goret, beaucoup moins ivre que
- les autres, n’ayant participé à aucune des précédentes «tournées»,
- suivait le groupe par derrière, à l’insu de Braz, jusqu’au moment où
- il a bondi sur lui; que Lepic entraînait le marin avec une intention
- précise; et qu’il semble que Cordier, faible de caractère, presque
- incapable de résister à l’entraînement et de plus complètement ivre,
- n’ait fait que suivre._
-
- _Que ceci trouve, du reste, confirmation dans le fait que, lors du
- partage, Goret et Lepic se réservant la forte somme, ont jugé
- suffisant de lui donner 10 francs, comme ils avaient remis 5 francs à
- chacune des deux filles, pour prix du silence._
-
- _Attendu_
-
- _Que la déclaration de Cordier recueillie au cours de l’instruction,
- dont se sont servis les avocats défenseurs des autres accusés, et le
- ministère public: «C’est moi seul qui ai fait le coup avec un autre
- camarade; ni Lepic, ni Goret n’étaient là; je ne regrette qu’une
- chose, c’est de ne pas l’avoir achevé», est manifestement inspirée par
- la crainte de Lepic, dangereux repris de justice--qui, de même, a
- cherché à intimider les deux femmes--et qu’il n’y a pas lieu par
- conséquent de tenir compte de cette déclaration._
-
- _Attendu_
-
- _Que si Cordier était coupable (du moins dans la mesure qu’on l’a dit)
- il est hors de vraisemblance qu’il eût cherché à reporter son affaire
- devant une autre juridiction, comme il a fait lorsque la
- Correctionnelle du Havre lui a infligé une peine de deux ans._
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-L’avocat, obligeamment, m’indique telle modification de forme qu’il
-croit devoir y apporter, insiste sur le rapport du médecin légiste qui
-estime que Cordier est «d’une intelligence au-dessous de la moyenne,
-qu’il s’exprime avec une certaine difficulté, que sa mémoire lui fait
-parfois défaut» et conclut à une responsabilité atténuée. Puis il
-m’indique la marche à suivre pour la faire signer, approuver du
-Procureur général et envoyer à qui de droit.
-
-Une sorte de timidité, la crainte aussi de ne rien obtenir en demandant
-trop, le sentiment de la justice--car malgré tout je ne puis considérer
-Cordier comme innocent--me détournent de demander le recours en grâce
-tout simple. Je me rends compte peu après que je ne l’eusse pas plus
-malaisément obtenu. Plusieurs jurés en effet ont médité sur cette
-affaire; la nuit leur a porté conseil; ils sont prêts à approuver ma
-requête, et je n’ai point de peine à recueillir les signatures de huit
-d’entre eux. Un des autres, un énorme fermier rougeoyant, plein de
-santé, de joie et d’ignorance, comme on parle devant lui de la maladie
-d’un prisonnier et de l’absence de soins par quoi sa maladie aurait
-empiré:
-
---S’il crève c’est autant de gagné pour la société. A quoi bon les
-soigner? s’écrie-t-il. Faut leur dire ce que répondait le médecin, à
-l’autre qui voulait se faire couper son doigt pourri:--«Pas la peine,
-mon garçon! tombera bien tout seul.»
-
-Je dois ajouter que cette boutade n’amène les rires que de quelques-uns.
-
-Les deux autres qui se refusèrent à signer donnèrent cette raison:
-qu’ils avaient voté suivant leur conscience et qu’on aurait par trop à
-faire s’il fallait revenir sur chaque affaire jugée.
-
-Evidemment: mais j’eusse été tout de même curieux de connaître le
-dossier des deux précédentes condamnations de Cordier. S’il fut jugé
-alors comme nous l’avons jugé hier...[8]
-
- [8] Aussitôt que j’eus un jour libre, j’allai au Havre et rendis
- visite à la mère du condamné. J’eus quelque mal à la retrouver, car
- la pauvre femme avait dû changer d’adresse pour fuir les propos et
- les regards injurieux des voisins. Dès qu’elle comprit pourquoi je
- venais, elle m’entraîna dans une petite pièce écartée où les
- ouvrières qu’elle emploie ne pussent pas nous entendre.
-
- Elle sanglote et peut à peine parler; une de ses filles
- l’accompagne, qui complète les récits de la mère:
-
- --Ah! Monsieur, me dit celle-ci, ça a été une grande misère pour
- nous quand mon autre fils (le puîné) a été pris par le service. Il
- était de bon conseil et Yves l’écoutait toujours. Quand il s’est
- échappé de la colonie, il n’a plus osé habiter à la maison, par
- crainte qu’on ne le reprenne. C’est alors que, sans domicile, il a
- commencé de fréquenter les pires gens qui l’ont entraîné et perdu.
-
- Tous les renseignements que je recueille ensuite sur Yves
- Cordier--de sa mère, de sa sœur, de son dernier patron, de son frère
- que je vais voir à la caserne--confirment entièrement l’opinion qui
- commençait à se former en moi:
-
- Yves Cordier est sans jugement; de tête faible et déplorablement
- facile à entraîner. Bon à l’excès, disent-ils tous: c’est dire
- aussi: sans résistance. Son désir d’obliger autrui va jusqu’à la
- manie, jusqu’à la sottise. C’est pour un camarade «qui en avait
- besoin» qu’Yves Cordier aurait volé une vieille paire de chaussures,
- son premier vol.
-
- Quand, à la colonie pénitentiaire, sa mère, usant de la permission,
- lui apportait des friandises: «Si c’est pour lui que vous apportez
- ça, Madame, lui disait le gardien, c’est pas la peine; il donne tout
- aux autres et ne gardera rien pour lui.»
-
- A la colonie, sur les conseils d’un camarade, il se fit tatouer le
- dos de la main gauche. Un autre camarade lui persuada, aussitôt
- après, que ce tatouage apparent pourrait le gêner dans la vie, et
- Yves, docile à ce nouveau conseil, appliqua sur le tatouage un
- emplâtre de sel et de vitriol qui lui mangea la chair jusqu’à l’os
- (et c’est pourquoi, le jour du délit, il avait sa main en écharpe).
-
- --Ce garçon avait seulement besoin d’être dirigé, me dit enfin son
- patron cordonnier, qui me parle de lui en termes émus et ne demande
- qu’à le reprendre à son service...
-
-Quelque temps après j’obtins satisfaction de ma requête: La peine de
-Cordier est réduite à trois ans de prison.
-
-Mais hélas! après la prison ce sera le bataillon d’Afrique. Et au sortir
-de ces six ans, qui sera-t-il... _que_ sera-t-il?...
-
-
-
-
-IX
-
-
-On a gardé pour la fin l’affaire la plus «conséquente». Celle qui nous
-occupe ce dernier jour menace d’être si longue qu’on nous convoque dès 9
-heures du matin. La séance durera jusqu’à plus de 10 heures du soir,
-coupée à deux reprises aux heures des repas. Il s’agit des vols commis à
-la gare de dépôt de Sotteville sur les marchandises confiées à la
-Compagnie de l’État.
-
-Depuis le nouveau régime de cette compagnie, les réclamations
-surabondent et l’on se plaint de toutes parts de vols sans nombre,
-certains extrêmement importants.
-
-Un grand soupir de soulagement se fit entendre dans la presse et dans le
-public lorsqu’on apprit qu’une nombreuse bande de voleurs et de
-recéleurs avait été pincée. On ne nous en offre pas moins de seize à
-juger; le bruit court dès le début de la séance que nous aurons à
-répondre à plus de 100 questions.
-
-La lecture de l’acte d’accusation ne va pas sans nous causer quelque
-étonnement. On s’attendait à plus, à mieux; devant l’importance de
-certains détournements, que les jurés se rappelaient l’un à l’autre
-avant l’ouverture de la séance, les chaparderies reprochées aux prévenus
-nous paraissent des peccadilles, et l’étonnement cède vite à l’ennui, à
-la fatigue, et même, pour quelques-uns des jurés, à l’agacement, à
-l’exaspération, au cours de l’interrogatoire.
-
-Une interminable discussion s’engage pour savoir si trois bouteilles et
-demi de Cointreau ont été volées par la femme X., ou achetées par elle,
-ainsi qu’elle le soutient, à la femme B. qui, elle, soutient que la
-femme X. ne lui a jamais acheté de liqueurs. La femme X. porte un petit
-poupon dans ses bras qui pleure et voudrait déposer lui aussi.
-
-X., époux de la prévenue, reconnaît s’être approprié «un restant de
-bouteille de kirsch»; mais il n’a jamais donné cette paire de
-chaussettes à Y.; au contraire, il les a reçues de ce dernier. Quant au
-service à découper, c’est Z. qui, etc...
-
-X. est bon ouvrier; il gagne cent sous par jour, plus une indemnité; il
-est père de quatre enfants. Sa déposition concorde avec celle de B. qui
-dit avoir reçu de N. de la moutarde et de M. du café et du thé, du reste
-en quantités dérisoires: par contre il n’a rien reçu de D. ni de E. Il
-reconnaît avoir accompagné N. quand il a chipé le pot de moutarde, mais
-lui-même il n’a rien pris. N. ne fait point difficulté de reconnaître le
-vol du pot de moutarde.
-
-M. est père de quatre enfants lui aussi; il avoue le détournement de 5
-kilos de riz et de quelques morceaux de charbon; c’est bien lui qui a
-donné à B. deux kilos de café et de thé; mais il les avait lui-même
-reçus de R.
-
-La femme M. n’a jamais voulu garder chez elle quoi que ce soit de
-provenance douteuse.
-
-Par contre, la femme W. mère de six enfants, est convaincue d’avoir
-recélé de la chicorée, du riz et un pot de peinture. Elle soutient que
-ces denrées lui étaient fournies par M. seul.
-
-T. nettoyeur au dépôt de Sotteville, père de trois enfants, et dont la
-femme est mourante à l’hôpital, nous persuade qu’il n’a jamais rien
-volé; sa déposition concorde entièrement avec celle de M. Mais il ne
-parvient pas à se laver de l’accusation de recel.
-
-La femme Y. avoue le recel d’une paire de chaussettes, celle qu’Y. à
-donnée par la suite à X.
-
-Un âpre dialogue se poursuit quelque temps entre la femme O., une
-hideuse pouffiasse au teint de géranium, et la femme P. qui sanglote et
-fait de grands efforts pour montrer qu’elle est de rang supérieur;
-chacune des deux reproche à l’autre de lui avoir apporté de l’huile et
-des harengs.
-
-P., le mari de la dernière, n’est pas employé à la compagnie. C’est un
-homme de cinquante ans, d’aspect énergique, grisonnant et à fortes
-moustaches, père de famille; précédemment condamné pour coups et
-blessures; il vit de ce que lui rapporte son jardin. Ce jardin ouvre sur
-la voie, à quelques pas d’un viaduc. En passant sous le viaduc on
-gagnait l’autre côté de la voie. (Un plan, ici encore, nous rendrait
-service.) Nul lieu ne pouvait être mieux choisi pour les recels. P.
-reconnaît avoir recélé les denrées apportées par O. et par X. Il
-reconnaît même avoir fait le guet, une fois, «plutôt pour ma sécurité
-personnelle», ajoute-t-il.
-
-O. fils, âgé de quinze ans, reconnaît avoir reçu de la femme P. un
-paquet d’étoffe, mais soutient qu’il en ignorait la provenance; etc.
-etc...
-
-Durant la seconde suspension de la séance, les jurés en allant dîner
-échangent leurs impressions. Pour la première fois ils se tournent
-contre le ministère public; c’est un revirement d’opinion très net et
-des plus curieux à observer.
-
-Ils se redisent, ce qui ressort des rapports, que ces vieux employés
-étaient demeurés fidèles tout le temps qu’ils avaient travaillé sous la
-direction de l’ancienne compagnie; si maintenant ils prêtaient la main à
-la gabegie générale, la nouvelle direction n’en était-elle pas
-responsable? «Quand tout à coup, dira l’un de leurs avocats, ces hommes
-ont vu sur leur casquette, inscrit à la place du mot _Ouest_, le mot
-_État_, chacun d’eux a pensé: _l’État_ c’est moi! Quoi d’étonnant s’ils
-se sont donné quelque licence?» Sans doute on compte sur la condamnation
-de ceux-ci pour calmer l’opinion publique! Désespérant de saisir les
-vrais coupables, ou, qui sait? peut-être craignant de les saisir, on
-veut faire payer à leur place les fauteurs de ces peccadilles! Non! non,
-les jurés ne seront pas si naïfs et ne se prêteront pas à ce jeu; ils ne
-briseront pas la carrière de ces pères de famille, pour les beaux yeux
-de l’accusation et de la noble Compagnie de l’État. Certains déjà se
-réjouissent à penser à la tête que fera tantôt le Président quand, sur
-les réponses des jurés, qui, sur toute la ligne, se préparent à voter
-«non coupable», force sera d’acquitter tous les prévenus. Quelle belle
-fin de session ce sera. Les journaux vont en parler pour sûr!
-
-Le Président sans doute a eu vent de ces dispositions; son front
-lorsqu’il réapparaît devant nous à la reprise de séance, nous semble un
-tantinet rembruni. Nous écoutons le réquisitoire; nous écoutons les
-plaidoiries. Dans la crainte que quelqu’un de nous ne défaille, on a
-pris soin de nommer deux jurés supplémentaires qui se tiennent prêts à
-relayer. Et nous prenons grand’pitié d’eux durant la délibération.
-Malgré que nous soyons d’accord et tous décidés par avance, cette
-délibération durera plus d’une heure et demie, le chef du jury se
-refusant obstinément à sérier les questions et nous forçant à voter pour
-presque chacune. Enfermés dans une petite salle à part, les jurés
-supplémentaires doivent s’amuser! Ont-ils au moins des journaux et des
-cigarettes? On prie le garde de service d’aller s’en informer.
-
- * * * * *
-
-Un point reste assez délicat: nous ne voulons pas condamner ces
-chapardeurs, c’est entendu; mais, sur le bout du banc, se tenait une
-vieille sorcière de recéleuse à la tignasse déteinte et à la voix
-éraillée, qui ne mérite pas d’échapper. Comme disait l’avocat général,
-citant un mot célèbre: le recéleur fait le voleur. Montrons que nous
-avons compris, et laissons retomber le châtiment sur le premier. Nous
-rentrons dans la grand’salle tout amusés déjà, avec des sourires de
-sympathie pour les pauvres jurés supplémentaires.
-
-A son tour la Cour se retire. Elle revient au bout d’un instant. Le
-Président en effet fait grise mine.
-
---Messieurs, dit-il, je suis désolé d’avoir à relever, sur la feuille
-que vous m’avez remise, un illogisme qui rend votre vote non
-valable,--une distraction évidemment--et qui va me forcer, à mon grand
-regret, de vous prier de retourner dans la salle de délibération pour
-mettre d’accord vos réponses. Vous votez: _oui_ pour le recel; _non_,
-pour le vol. Pour qu’il y ait recel, il faut qu’il y ait eu vol. On ne
-peut pas recéler le produit d’un vol qui n’a pas été commis.
-
-Evidemment; mais c’est cet illogisme apparent qui précisément nous
-plaisait. Nous pensions être libres de condamner qui nous voulions; et,
-condamner le recéleur en acquittant le voleur, n’était-ce pas
-sous-entendre que nous estimions qu’il y avait eu recel de plus de
-marchandises que les vols en question n’en avaient apportées, recel
-d’autres denrées, du produit d’autres vols, dont le ministère public
-n’avait pas saisi les auteurs. Décidément nous nous surfaisions notre
-importance. Nous sommes rappelés au sentiment de la limite de nos
-pouvoirs.
-
-Nous rentrons en file dans la petite salle de délibération, si penauds
-et la tête si basse que j’ai peine à retenir mon rire. Les jurés
-supplémentaires eux aussi sont de nouveau coffrés.
-
-Nous modifions nos réponses dans la mesure de l’indispensable et
-aboutissons à je ne sais plus quel compromis.
-
-
-ÉPILOGUE
-
-Trois mois après.
-
-La scène se passe en wagon, entre Narbonne où j’ai laissé Alibert, et
-Nîmes.
-
-Dans un compartiment de troisième classe: un petit gars, de seize ans
-environ, point laid, l’air sans malice, sourit à qui veut lui parler;
-mais il comprend mal le français, et je parle mal le languedocien. Une
-femme d’une quarantaine d’années, en grand deuil, aux traits
-inexpressifs, au regard niais, aux pensées irrémédiablement enfantines,
-coupe sur du pain une saucisse plate dont elle avale d’énormes bouchées.
-Elle se fait l’interprète du jouvenceau et la conversation s’engage avec
-mon voisin de droite, une épaisse citrouille qui sourit du haut de son
-ventre aux choses, aux gens, à la vie.
-
-En projetant beaucoup de nourriture autour d’elle, la femme explique que
-cet adolescent est appelé des environs de Perpignan à Montpellier où il
-doit comparaître ce même jour devant le tribunal; non point en accusé,
-mais en victime: il y a quelques jours, des apaches de la campagne l’ont
-attaqué sur une route à minuit et laissé pour mort dans un champ, après
-lui avoir pris le peu d’argent qu’il avait sur lui.
-
-On commence à parler des criminels:
-
---Ces gens-là, il faudrait les tuer, dit la femme.
-
---Vous leur donnez des vingt, des trente condamnations, explique mon
-voisin; vous les entretenez aux frais de l’État; tout ça ne donne rien
-de bon. Qu’est-ce que cela rapporte à la société? je vous le demande un
-peu, Monsieur, qu’est-ce que cela lui rapporte?
-
-Un autre voyageur, qui semblait dormir dans un coin du wagon:
-
---D’abord ces gens-là, quand ils reviennent de là-bas, ils ne peuvent
-plus trouver à se placer.
-
-Le gros Monsieur.--Mais, Monsieur, vous comprenez bien que personne n’en
-veut. On a raison; ces gens-là, au bout de quelque temps, recommencent.
-
-Et comme l’autre voyageur hasarde qu’il en est qui, soutenus, aidés,
-feraient de passables et quelquefois de bons travailleurs, le gros
-Monsieur, qui n’a pas écouté:
-
---Le meilleur moyen pour les forcer à travailler, c’est de les mettre à
-pomper au fond d’une fosse qui s’emplit d’eau; l’eau monte quand ils
-s’arrêtent de pomper; comme ça ils sont bien forcés.
-
-La Dame en deuil.--Quelle horreur!
-
---J’aimerais mieux les tuer tout de suite, gémit une autre dame.
-
-Mais, comme la Dame en deuil l’approuve, celle qui d’abord avait émis
-cette opinion, sans doute de cette sorte de gens qui trouvent un cheveu
-à leur propre opinion dès qu’elle n’est plus exprimée par eux-mêmes:
-
---Mon père, lui, _qui était du jury_, il avait coutume de ne les
-condamner qu’à perpétuité. Il disait qu’on devait leur laisser le temps
-de se repentir.
-
-Le gros Monsieur hausse les épaules. Pour lui un criminel, c’est un
-criminel; qu’on ne cherche pas à le sortir de là.
-
-La Dame qui n’a presque rien dit, émet timidement cette pensée que la
-mauvaise éducation est souvent pour beaucoup dans la formation du
-criminel, de sorte que souvent les parents sont les premiers
-responsables.
-
-Le gros Monsieur, lui, croit qu’après tout l’éducation n’est pas
-toute-puissante et qu’il est des natures qui sont vouées au mal comme
-d’autres sont vouées au bien.
-
-Le Monsieur du coin se rapproche et parle d’hérédité:
-
---La meilleure éducation ne triomphera jamais des mauvaises dispositions
-d’un fils d’alcoolique. Les trois quarts des assassins sont des enfants
-d’alcooliques. L’alcoolisme...
-
-La Dame en deuil l’interrompt:
-
---Et puis aussi l’habitude des femmes, à Narbonne, de porter un foulard
-noir sur la tête; un médecin a découvert que ça leur chauffait le
-cerveau...
-
-Mais elle croit pourtant qu’il y aurait moins de crimes si les parents
-n’étaient pas si faibles.
-
---On en a jugé un, à Perpignan, continue-t-elle; il avait commencé comme
-cela: tout petit enfant, un jour, il a pris une petite pelote de fil
-dans le panier à ouvrage de sa mère; sa mère l’a vu et ne l’a pas
-grondé; alors, quand l’enfant a vu qu’on ne le punissait pas, il a
-continué: il a volé d’autres personnes et puis, vous comprenez, il a
-fini par assassiner. On l’a condamné à mort et voici ce qu’il a dit au
-pied de l’échafaud.--Elle gonfle sa voix, et mon manteau se couvre de
-débris de mangeaille.--Pèrres et mèrres de famille, j’ai commencé par
-voler un peloton de fil, et si cette première fois ma mère m’avait puni,
-vous ne me verriez pas sur l’échafaud aujourd’hui! Voilà ce qu’il a dit;
-et qu’il ne se repentait de rien, sauf d’avoir étranglé dans un berceau
-un petit enfant qui lui souriait.
-
-Le gros Monsieur, qui n’écoute pas plus la Dame que celle-ci ne
-l’écoute, revient à son idée: On ne traite pas assez sévèrement ces
-gens-là:
-
---On n’en fera jamais rien de bon; et du moment qu’on les laisse vivre,
-il ne faut pourtant pas que ce soit pour leur plaisir, n’est-ce pas?
-Naturellement, ces criminels, ils se plaignent toujours; rien n’est
-assez bon pour eux... Je connais l’histoire d’un qui avait été condamné
-par erreur; au bout de vingt-sept ans, on l’a fait revenir, parce que le
-vrai coupable, au moment de mourir, a fait des aveux complets; alors le
-fils de celui qu’on avait condamné par erreur a fait le voyage, il a
-ramené de là-bas son père, et savez-vous ce que celui-ci a dit à son
-retour?--qu’il n’était pas trop mal là-bas. C’est-à-dire, Monsieur,
-qu’il y a bien des honnêtes gens en France, qui sont moins heureux
-qu’eux.
-
---Dieu l’aura puni, dit la grosse Dame en deuil après un silence
-méditatif.
-
---Qui ça?
-
---Eh! le vrai criminel, pardine! Dieu est bon, mais il est juste, vous
-savez.
-
---Ça m’étonne tout de même que le prêtre ait raconté la confession, dit
-l’autre dame; ils n’ont pas le droit. Le secret de la confession, c’est
-sacré.
-
---Mais, Madame, ils étaient plusieurs qui ont entendu cette confession;
-quand il s’est vu mourir, qu’est-ce qu’il risquait? Il a demandé au
-contraire qu’on le répète. Il y a sept ans de cela. Vingt-sept ans après
-le crime. Vingt-sept ans! pensez. Et personne ne s’en doutait; il avait
-continué à vivre, considéré dans le pays.
-
---Quel crime avait-il donc commis, demande le Monsieur du coin.
-
---Il avait assassiné une femme.
-
-Moi.--Il me semble, Monsieur, que cet exemple contredit un peu ce que
-vous avanciez tout à l’heure.
-
-Le gros Monsieur devient tout rouge:
-
---Alors vous ne croyez pas ce que je vous raconte?!
-
---Mais si! mais si! vous ne me comprenez pas. Je dis simplement que cet
-exemple prouve que quelquefois un homme peut commettre un crime isolé et
-ne pas s’enfoncer ensuite dans de nouveaux crimes. Voyez celui-ci: après
-ce crime il a mené, dites-vous, vingt-sept ans de vie honnête. Si vous
-l’aviez condamné, il y a de grandes chances pour que vous l’ayez amené à
-récidiver.
-
---Mais, Monsieur, la loi Béranger précisément... commence l’autre dame.
-Celle en deuil l’interrompt:
-
---Alors vous n’appelez pas ça un crime, de laisser vingt-sept ans un
-innocent faire de la prison à sa place?
-
-Le second Monsieur hausse les épaules et se renfonce dans son coin. La
-citrouille s’endort.
-
-A Montpellier, le petit gars descend; et sitôt qu’il est parti, la Dame
-en deuil, qui cependant a achevé son repas et remet dans son panier le
-reste du saucisson et du pain:
-
---A voyager comme ça depuis le matin, il doit avoir faim, cet enfant!
-
-
-
-
-APPENDICE
-
-Réponse à une enquête
-
-(_Opinion_ du 25 octobre 1913)
-
-«_Les Jurés jugés par eux-mêmes._»
-
-
-Sans doute ces questions sont «dans l’air». J’ai passé les dernières
-semaines de cet été à mettre au net mes souvenirs de Cour d’Assises, qui
-commenceront prochainement à paraître en revue, puis en volume.
-
-J’ai cru que le simple récit des affaires que nous avions été appelés à
-juger serait plus éloquent que des critiques. L’enquête de l’_Opinion_,
-pourtant, m’engage à tâcher de formuler celles-ci.
-
-Que parfois grincent certains rouages de la machine-à-rendre-la-justice,
-c’est ce qu’on ne saurait nier. Mais on semble croire aujourd’hui que
-les seuls grincements viennent du côté du jury. Du moins on ne parle
-aujourd’hui que de ceci; j’ai dû pourtant me persuader, à plus d’une
-reprise--et non pas seulement à cette session où je siégeais comme
-juré--que la machine grince souvent aussi du côté des interrogatoires.
-Le juge interrogateur arrive avec une opinion déjà formée sur l’affaire
-dont le juré ne connaît encore rien. La manière dont le président pose
-les questions, dont il aide et favorise tel témoignage, fût-ce
-inconsciemment, dont au contraire il gêne et bouscule tel autre, a vite
-fait d’apprendre aux jurés quelle est son opinion personnelle. Combien
-il est difficile aux jurés (je parle des jurés de province) de ne pas
-tenir compte de l’opinion du président, soit (si le président leur est
-«sympathique») pour y conformer la leur, soit pour en prendre tout à
-coup le contre-pied--c’est ce qui m’est nettement apparu dans plus d’un
-cas, et ce que, dans mes souvenirs, j’ai exposé sans commentaires.
-
-Il m’a paru que les plaidoiries faisaient rarement, jamais peut-être (du
-moins dans les affaires que j’ai eues à juger) revenir les jurés sur
-leur impression première--de sorte qu’il serait à peine exagéré de dire
-qu’un juge habile peut faire du Jury ce qu’il veut.
-
- * * * * *
-
-L’interrogatoire par le juge... peut-être une autre enquête de
-l’_Opinion_ soulèvera-t-elle plus tard cette question délicate. N’ayant
-pas assisté à des séances de Cour criminelle en Angleterre, je ne puis
-pressentir si peut-être l’interrogatoire par les avocats et le ministère
-public, ne présente pas des inconvénients plus graves encore... en tout
-cas ce n’est pas à cela que vous m’invitez à répondre aujourd’hui.
-
- * * * * *
-
-Mon opinion sur la composition du jury?--C’est que cette composition est
-extrêmement défectueuse. Je ne sais trop comment avait pu se recruter
-celui dont je me trouvais faire partie, mais à coup sûr, s’il était le
-résultat d’une _sélection_, c’était d’une sélection à rebours[9].--Je
-veux dire que tous ceux qui, dans les villes ou dans les campagnes,
-eussent pu paraître mériter en être, semblaient avoir été soigneusement
-éliminés--à moins qu’ils ne se fussent faits récuser.
-
- [9] L’un des jurés de ma session savait à peine lire et écrire; sur
- ses bulletins de vote le _oui_ et le _non_ étaient si malaisément
- reconnaissables que plus d’une fois on dut le prier de répondre à
- neuf oralement.
-
-Mais vous-même? me dira-t-on.--Si je n’avais pas insisté auprès du maire
-de ma commune chargé de dresser les premières listes, pour qu’il y
-portât régulièrement mon nom depuis six ans, je suis bien assuré qu’il
-ne m’aurait pas proposé--_par peur de me déranger_. Encore craignais-je
-après avoir reçu ma citation, d’être récusé, en qualité
-_d’intellectuel_, soit complètement, soit successivement pour chaque
-affaire.
-
-(On me l’avait fait craindre, et je me souvenais que mon père, nommé
-juré, avait été systématiquement éliminé, en tant que juriste, chaque
-fois que son nom était sorti de l’urne.)
-
-Il n’en a rien été. Et comme certains de mes collègues se faisaient
-fréquemment récuser, j’ai pu siéger dans un grand nombre d’affaires, et
-assister plus d’une fois aux perplexités, au désarroi, à l’affolement du
-jury.
-
-Je n’étais pourtant pas de cette affaire où les jurés, après avoir
-répondu de telle manière que la Cour dût condamner l’accusé aux travaux
-forcés à perpétuité--épouvantés du résultat de leur vote, se réunirent
-aussitôt après séance et, précipités d’un excès dans un autre, signèrent
-un recours en grâce pur et simple.
-
- * * * * *
-
-On a proposé que le chef du jury soit désigné, non par le sort, comme
-actuellement (premier nom sorti de l’urne) mais, dans la salle de
-délibérations, par un vote--comme il advient parfois. Et je crois que ce
-serait là une réforme très heureuse. Car j’ai vu, dans certains cas, tel
-chef de jury contribuer par ses indécisions, ses incompréhensions, ses
-lenteurs, au désordre qu’un bon chef de jury pourrait au contraire
-empêcher. (Il est vrai d’ajouter que le plus incapable était aussi bien
-celui qui était le plus fier de sa place et le moins disposé à la
-céder).
-
-Ce n’est pas que pour être un bon juré une grande instruction soit
-nécessaire, et je sais certains «paysans» dont les jugements (un peu
-butés parfois) sont plus sains que ceux de nombre d’intellectuels; mais
-je m’étonne néanmoins que les gens complètement déshabitués de tout
-travail de tête, soient capables de prêter l’attention soutenue qu’on
-réclame ici d’eux, des heures durant. L’un d’eux ne me cachait pas sa
-fatigue; il se fit récuser aux dernières séances; «sûrement je serais
-devenu fou», disait-il. C’était un des meilleurs.
-
-Aussi bien je crois que l’opinion du juré se forme et s’arrête assez
-vite. Il est, au bout de deux ou trois quarts d’heure, sursaturé--ou de
-doute, ou de conviction. (Je parle du juré de province).
-
-En général, ici comme ailleurs, la violence des convictions est en
-raison de l’inculture et de l’inaptitude à la critique.
-
-Si donc on est en humeur de réforme, il me semble que la première
-réforme devrait porter sur la formation des listes de recrutement des
-jurés, de sorte que l’on portât sur celles-ci, non les plus desœuvrés et
-les plus insignifiants, mais les plus aptes. Il faudrait également que
-ces derniers tinssent à honneur de ne pas se faire récuser.
-
- * * * * *
-
-J’ai entendu proposer ces derniers temps, que le jury soit appelé à
-délibérer avec la Cour et à statuer avec elle sur l’application de la
-peine. Oui peut-être... Du moins est-il fâcheux que les jurés puissent
-être surpris par la décision de la Cour et penser: nous aurions voté
-différemment si nous avions pu prévoir que notre vote allait entraîner
-peine si forte--ou si légère.
-
-Il faut dire surtout que les questions auxquelles le juré doit répondre
-sont posées de telle sorte qu’elles prennent souvent l’aspect de
-traquenards, et forcent le malheureux juré de voter contre la vérité
-pour obtenir ce qu’il estime la justice.
-
-Plus d’une fois j’ai vu de braves paysans, décidés à ne pas voter les
-circonstances aggravantes, devant les questions: le vol a-t-il été
-commis la nuit... avec effraction... à plusieurs (ce qui précisément
-constitue les circonstances aggravantes) s’écrier désespérément:
-«J’pouvons tout d’même pas dire que _non_.» Et voter ensuite les
-_circonstances atténuantes_, au petit bonheur, en manière de palliatif.
-
-Si les questions ne peuvent être posées différemment (et j’avoue que je
-ne vois pas bien comment elles pourraient être posées)--il serait bon
-que, au début de la première séance, les jurés reçussent quelques
-instructions qui pourraient prévenir leur incertitude, leur angoisse et
-leur désarroi.
-
- * * * * *
-
-On a proposé que la feuille des questions fut remise à chacun d’eux, sur
-copie séparée, avant l’ouverture de la séance; cette mesure me paraît
-présenter de sérieux avantages--et je ne vois pas quels inconvénients.
-
-Je proposerais aussi que dans certains cas, un plan topographique fut
-remis à chacun des jurés, lui permettant de se représenter plus aisément
-le théâtre du crime: Dans telle affaire d’agression nocturne, où je fus
-appelé à siéger, la conviction des jurés dépendait uniquement de ceci:
-l’accusé était-il assez près d’un réverbère et suffisamment éclairé,
-pour que Madame X, de sa fenêtre, ait pu le reconnaître? Quelques
-témoins, appelés à la barre, placèrent le réverbère l’un à cinq mètres,
-l’autre à vingt-cinq, du lieu précis de l’agression. Un troisième alla
-jusqu’à prétendre qu’il n’y avait pas de réverbère du tout à cet endroit
-de la rue... N’eût-il pas été bien simple de faire dresser par la
-gendarmerie un plan des lieux?
-
- * * * * *
-
-Monsieur Bergson demande que chacun des jurés soit tenu de motiver et
-d’expliquer son vote... Evidemment; mais il ne m’est pas du tout prouvé
-que le juré le plus malhabile à parler soit celui qui sente et pense le
-plus mal. Et réciproquement, hélas!
-
-
-
-
- ACHEVÉ D’IMPRIMER LE SIX
- JANVIER MIL NEUF CENT QUATORZE PAR
- «L’IMPRIMERIE SAINTE CATHERINE»
- QUAI ST. PIERRE, BRUGES, BELGIQUE.
-
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUVENIRS DE LA COUR
-D'ASSISES ***
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-
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-
-</style>
-</head>
-<body>
-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<p style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of <span lang='fr' xml:lang='fr'>Souvenirs de la Cour d&#039;Assises</span>, by André Gide</p>
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
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-are not located in the United States, you will have to check the laws of the
-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-</div>
-
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>Souvenirs de la Cour d&#039;Assises</span></p>
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: André Gide</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: January 31, 2023 [eBook #69918]</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p>
- <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)</p>
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>SOUVENIRS DE LA COUR D&#039;ASSISES</span> ***</div>
-<p class="c large top2em">ANDRÉ GIDE</p>
-
-<h1>SOUVENIRS<br />
-<span class="small">DE LA</span><br />
-COUR D’ASSISES</h1>
-
-<p class="c">(4<sup>me</sup> <span class="i">édition</span>)</p>
-
-
-<p class="c gap"><span class="small">ÉDITIONS DE LA</span><br />
-<span class="large g">NOUVELLE REVUE FRANÇAISE</span><br />
-35 &amp; 37, RUE MADAME, PARIS</p>
-
-<p class="c">1913</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top4em">DU MÊME AUTEUR</p>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td colspan="2" class="c"><div>ont paru au <i>MERCURE DE FRANCE</i></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">LES CAHIERS D’ANDRÉ WALTER</td>
-<td class="bot">épuisé</td></tr>
-<tr><td class="drap">LES POÉSIES D’ANDRÉ WALTER</td>
-<td class="bot">épuisé</td></tr>
-<tr><td class="drap">LE VOYAGE D’URIEN, suivi de PALUDES (nouvelle édition)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">LES NOURRITURES TERRESTRES</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">LE ROI CANDAULE, suivi de SAÜL (nouvelle édition)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">LE PROMÉTHÉE MAL ENCHAINÉ</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">L’IMMORALISTE, récit</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">LA PORTE ÉTROITE, récit</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">PRÉTEXTES</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">NOUVEAUX PRÉTEXTES</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td colspan="2" class="c"><div><i>ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE</i></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">ISABELLE, récit</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="drap">LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-<tr><td colspan="2" class="c"><div><i>TRADUCTION</i></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">RABINDRANATH TAGORE : L’Offrande Lyrique (Gitanjali)</td>
-<td class="bot">1 vol.</td></tr>
-</table>
-<div class="break"></div>
-
-
-<p class="c top6em"><span class="xsmall">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE VOLUME</span><br />
-70 <span class="xsmall">EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS SUR VERGÉ D</span>’<span class="xsmall">ARCHES</span><br />
-(<span class="xsmall">TEXTE INTÉGRAL RÉTABLI</span>)<br />
-<span class="xsmall">DONT</span> 20 <span class="xsmall">HORS COMMERCE</span> (A à T)</p>
-
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top6em large"><i>A JACQUES RIVIÈRE</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">De tout temps les tribunaux ont exercé sur moi une
-fascination irrésistible. En voyage, quatre choses surtout
-m’attirent dans une ville : le jardin public, le marché, le
-cimetière et le Palais de Justice.</p>
-
-<p>Mais à présent je sais par expérience que c’est une
-tout autre chose d’écouter rendre la justice, ou d’aider
-à la rendre soi-même. Quand on est parmi le public on
-peut y croire encore. Assis sur le banc des jurés, on se
-redit la parole du Christ : <i>Ne jugez point.</i></p>
-
-<p>Et certes je ne me persuade point qu’une société puisse
-se passer de tribunaux et de juges ; mais à quel point la
-justice humaine est chose douteuse et précaire, c’est ce
-que, durant douze jours, j’ai pu sentir jusqu’à l’angoisse.
-C’est ce qu’il apparaîtra peut-être encore un peu dans
-ces notes.</p>
-
-<p>Pourtant je tiens à dire ici, d’abord, pour tempérer
-quelque peu les critiques qui transparaissent dans mes
-récits, que ce qui m’a peut-être le plus frappé au cours
-de ces séances, c’est la conscience avec laquelle chacun,
-tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses fonctions.
-J’ai vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence
-d’esprit du Président et sa connaissance de chaque affaire ;
-l’urgence de ses interrogatoires ; la fermeté et la modération
-de l’accusation ; la densité des plaidoiries, et l’absence de
-vaine éloquence ; enfin l’attention des jurés. Tout cela
-passait mon espérance, je l’avoue ; mais rendait d’autant
-plus affreux certains grincements de la machine.</p>
-
-<p>Sans doute quelques réformes, peu à peu, pourront être
-introduites, tant du côté du juge et de l’interrogatoire,
-que de celui des jurés…<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a> Il ne m’appartient pas ici d’en
-proposer.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Voir à ce sujet l’enquête du <i>Temps</i>, N<sup>os</sup> du 13 Octobre dernier,
-du 14 et sqq. et l’<i>Opinion</i>, N<sup>os</sup> du 18 et du 25 Octobre.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">I</h2>
-
-
-<p class="date"><i>Lundi.</i></p>
-
-<p>On procède à l’appel des jurés. Un notaire, un
-architecte, un instituteur retraité ; tous les autres sont
-recrutés parmi les commerçants, les boutiquiers, les
-ouvriers, les cultivateurs, et les petits propriétaires ; l’un
-d’eux sait à peine écrire et sur ses bulletins de vote il sera
-malaisé de distinguer le <i>oui</i> du <i>non</i> ; mais à part deux
-je-m’en-foutistes, qui du reste se feront constamment
-récuser, chacun semble bien décidé à apporter là toute
-sa conscience et toute son attention.</p>
-
-<p>Les cultivateurs, de beaucoup les plus nombreux, sont
-décidés à se montrer très sévères ; les exploits des bandits
-tragiques, Bonnot, etc. viennent d’occuper l’opinion :
-« Surtout pas d’indulgence », c’est le mot d’ordre, soufflé
-par les journaux ; ces Messieurs les jurés représentent la
-<i>Société</i> et sont bien décidés à la défendre.</p>
-
-<p>L’un des jurés manque à l’appel. On n’a reçu de lui
-aucune lettre d’excuses ; rien ne motive son absence.
-Condamné à l’amende réglementaire : trois cents francs,
-si je ne me trompe. Déjà l’on tire au sort les noms de
-ceux qui sont désignés à siéger dans la première affaire,
-quand s’amène tout suant le juré défaillant ; c’est un
-pauvre vieux paysan sorti de la <i>Cagnotte</i> de Labiche. Il
-soulève un grand rire général en expliquant qu’il tourne
-depuis une demi-heure autour du Palais de Justice sans
-parvenir à trouver l’entrée. On lève l’amende.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Par absurde crainte de me faire remarquer, je n’ai pas
-pris de notes sur la première affaire ; un attentat à la
-pudeur (nous aurons à en juger cinq). L’accusé est
-acquitté ; non qu’il reste sur sa culpabilité quelque doute,
-mais bien parce que les jurés estiment qu’il n’y a pas
-lieu de condamner pour si peu. Je ne suis pas du jury
-pour cette affaire, mais dans la suspension de séance
-j’entends parler ceux qui en furent ; certains s’indignent
-qu’on occupe la Cour de vétilles comme il s’en commet,
-disent-ils, chaque jour de tous les côtés.</p>
-
-<p>Je ne sais comment ils s’y sont pris pour obtenir
-l’acquittement tout en reconnaissant l’individu coupable
-des actes reprochés. La majorité a donc dû, contre toute
-vérité, écrire « Non » sur la feuille de vote, en réponse à
-la question : « X… est il coupable de… etc. » Nous retrouverons
-le cas plus d’une fois et j’attends pour m’y attarder,
-telle autre affaire pour laquelle j’aurai fait partie du jury
-et assisté à la gêne, à l’angoisse même de certains jurés,
-devant un questionnaire ainsi fait qu’il les force de voter
-contre la vérité, pour obtenir ce qu’ils estiment la
-justice.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>La seconde affaire de cette même journée m’amène sur
-le banc des jurés, et place en face de moi les accusés
-Alphonse et Arthur.</p>
-
-<p>Arthur est un jeune aigrefin à fines moustaches, au
-front découvert, au regard un peu ahuri, l’air d’un Daumier.
-Il se dit garçon de magasin d’un sieur X…; mais
-l’information découvre que M. X… n’a pas de magasin.</p>
-
-<p>Alphonse est « représentant de commerce » ; vêtu d’un
-pardessus noisette à larges revers de soie plus sombre ;
-cheveux plaqués, châtain sombre ; teint rouge ; œil
-liquoreux, grosses moustaches ; air fourbe et arrogant ;
-trente ans. Il vit au Havre avec la sœur d’Arthur ; les
-deux beaux-frères sont intimement liés depuis longtemps,
-l’accusation pèse sur eux également.</p>
-
-<p>L’affaire est assez embrouillée : il s’agit d’abord d’un
-vol assez important de fourrures, puis d’un cambriolage
-sans autre résultat, en plus du saccage, que la distraction
-d’une blague à tabac de 3 francs, et d’un carnet de
-chèques inutilisables. On ne parvient pas à recomposer le
-premier vol et les charges restent si vagues que l’accusation
-se reporte plutôt sur le second ; mais ici encore rien
-de précis ; on rapproche de menus faits, on suppose, on
-induit…</p>
-
-<p>Dans le doute, l’accusation solidarise les deux accusés ;
-mais leur système de défense est différent. Alphonse porte
-beau, a souci de son attitude, rit spirituellement à certaines
-remarques du président :</p>
-
-<p>— Vous fumiez de gros cigares.</p>
-
-<p>— Oh ! fait-il dédaigneusement, des londrès à 25
-centimes !</p>
-
-<p>— Vous ne disiez pas tout à fait cela à l’instruction,
-dit un peu plus tard le président. Pourquoi n’avez-vous
-pas persisté dans vos négations ?</p>
-
-<p>— Parce que j’ai vu que ça allait m’attirer des ennuis,
-répond-il en riant.</p>
-
-<p>Il est parfaitement maître de lui et dose très habilement
-ses protestations. Ses occupations de « placier »
-restent des plus douteuses. On le dit « l’amant » d’une
-vieille fille de 60 ans. Il proteste : « Pour moi, c’est ma
-mère ».</p>
-
-<p>L’impression sur le jury est déplorable. S’en rend-il
-compte ? Son front, peu à peu, devient luisant…</p>
-
-<p>Arthur n’est guère plus sympathique. L’opinion du
-jury est que, après tout, s’il n’est pas bien certain qu’ils
-aient commis <i>ces vols-ci</i>, ils ont dû en commettre d’autres ;
-ou qu’ils en commettront ; que, donc, ils sont bons à
-coffrer.</p>
-
-<p>Cependant c’est pour <i>ce</i> vol uniquement que nous
-pouvons les condamner.</p>
-
-<p>— Comment aurais-je pu le commettre ? dit Arthur,
-je n’étais pas au Havre ce jour-là.</p>
-
-<p>Mais on a recueilli, dans la chambre de sa maîtresse
-les morceaux d’une carte postale de son écriture, qui
-porte le timbre du Havre du 30 octobre, jour où le vol
-a été commis.</p>
-
-<p>Or voici comment se défend Arthur :</p>
-
-<p>— J’ai, dit-il en substance, envoyé ce jour-là à ma
-maîtresse non pas une carte, mais <i>deux</i> ; et comme les
-photographies qu’elles portaient étaient « un peu lestes »
-(elles représentaient en fait l’Adam et l’Ève de la cathédrale
-de Rouen), je les avais glissées, image contre image,
-dans une seule enveloppe transparente, après y avoir mis
-double adresse, les avoir affranchies toutes les deux et avoir
-percé l’enveloppe aux endroits des timbres, pour en
-permettre la double oblitération. Au départ, un seul des
-timbres aura sans doute été oblitéré. A l’arrivée au
-Havre l’employé de la poste a oblitéré l’autre ; c’est ainsi
-qu’il porte la marque du Havre.</p>
-
-<p>C’est du moins ce que j’arrivais à démêler au travers
-de ses protestations confuses, bousculées par un Président
-dont l’opinion est formée et qui paraît bien décidé à ne
-rien écouter de neuf. J’ai le plus grand mal à comprendre,
-à entendre même ce que dit Arthur, sans cesse interrompu
-et qui finit par bredouiller ; le jury, qu’il ne parvient
-pas à intéresser, renonce à l’écouter.</p>
-
-<p>Son système pourtant se tient d’autant mieux qu’il est
-peu vraisemblable qu’un aigrefin aussi habile que semble être
-Arthur, ait laissé derrière lui — que dis-je ? créé, le
-soir d’un crime, une telle pièce à conviction ? De plus, s’il
-était au Havre lui-même, quel besoin avait-il d’écrire à sa
-maîtresse, au Havre, quand il pouvait aussi bien aller la
-trouver ?</p>
-
-<p>Je sais que les jurés ont droit, sans précisément intervenir
-dans les débats, de s’adresser au Président pour le
-prier de poser aux accusés ou aux témoins telle question
-qu’ils jugent propre à éclairer les débats ou leur conviction
-personnelle, que toutefois ils ne doivent point laisser
-paraître… Vais-je oser user de ce droit ?… On n’imagine
-pas ce que c’est troublant, de se lever et de prendre la
-parole devant la Cour… S’il me faut jamais « déposer »,
-certainement je perdrai contenance : et que serait-ce sur
-le banc des prévenus ! Les débats vont être clos ; il ne
-reste plus qu’un instant. Je fais appel à tout mon courage,
-sentant bien que, si je ne triomphe pas de ma
-timidité cette fois-ci, c’en sera fait pour toute la durée de
-la session — et d’une voix trébuchante :</p>
-
-<p>— Monsieur le Président pourrait-il demander à l’employé
-de la poste qui était tout à l’heure à la barre, si le
-timbrage du départ est toujours différent de celui de
-l’arrivée ?</p>
-
-<p>Car enfin, s’il était possible de reconnaître que le timbre
-a bien été oblitéré à l’arrivée comme le prétend Arthur
-et non au départ, comme le prétend l’accusation, que
-resterait-il de celle-ci ?</p>
-
-<p>Le Président, n’ayant pas suivi l’argumentation
-embrouillée d’Arthur, ne comprend visiblement pas à
-quoi rime ma question ; pourtant il rappelle obligeamment
-le témoin :</p>
-
-<p>— Vous avez entendu la question de Monsieur le juré.
-Veuillez y répondre.</p>
-
-<p>L’employé se lance alors dans une profuse explication
-qui tend à prouver que les heures des départs n’étant pas
-les mêmes que les heures d’arrivée, il n’y a pas de confusion
-possible ; que du reste les lettres arrivantes et les
-lettres partantes ne se timbrent même pas dans le même
-local, etc. Cependant il ne répond pas à cela seul qui
-m’importe, et nous ne savons pas plus qu’auparavant
-si l’on a pu reconnaître sur le fragment de carte si
-le timbre est effectivement et sûrement un timbre de
-départ et non d’arrivée. Le témoin cependant a achevé
-son <i>explication</i>.</p>
-
-<p>— Monsieur le juré, êtes-vous satisfait ?…</p>
-
-<p>Je tâche de formuler une question nouvelle plus
-pressante que la première ; puis-je dire pourtant que non,
-que je ne suis pas satisfait ; que le témoin n’a pas du tout
-répondu à ma question ; du reste, cette question, je sens
-bien que, non plus que le président, aucun des jurés ne l’a
-comprise ; du moins aucun des jurés n’a compris pourquoi
-je la posais. Aucun n’a pu suivre l’argumentation
-d’Arthur, que moi-même je n’ai suivie qu’avec beaucoup de
-peine. Il a une sale tête, un physique ingrat, une voix
-déplaisante ; il n’a pas su se faire écouter. L’opinion est
-faite, et quand bien même on viendrait à découvrir à
-présent que la carte n’est pas de lui…</p>
-
-<p>— Les débats sont clos.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Un peu plus tard, dans la salle de délibération.</p>
-
-<p>Les jurés sont unanimes ; résolument tournés contre
-les deux accusés sans nuancer ni consentir à distinguer
-l’un de l’autre : aigrefins à n’en pas douter et malandrins
-en espérance, qui n’attendent qu’une occasion pour jouer
-du revolver ou du casse-tête (trop distingués pour user du
-couteau, peut-être). Néanmoins, pour les deux vols,
-desquels ils avaient à répondre, on n’était point parvenu
-à prouver leur culpabilité mieux que par quelques rapprochements — qu’eux
-traitaient de coïncidences ; et dans
-le réquisitoire, rien d’absolument décisif n’emportait la
-conviction des jurés. Coupables à n’en pas douter, mais
-peut-être pas précisément de <i>ces</i> crimes. Était-il vraisemblable,
-admissible même, qu’Alphonse, à Trouville où il
-était fort connu, dans la rue de Paris si fréquentée, et à
-une heure point tardive, ait pu, sans être remarqué de
-personne, trimballer un ballot énorme qu’on estime avoir
-eu un mètre de large et deux de haut ! — Il s’agit ici du
-premier vol, celui des fourrures.</p>
-
-<p>Enfin, pour aigrefins qu’ils fussent, ce n’étaient tout de
-même pas des <i>bandits</i> ; je veux dire qu’ils <i>profitaient</i> de la
-société, mais n’étaient pas insurgés contre elle. Ils cherchaient
-à se faire du bien, non à faire du mal à
-autrui… etc. Voici ce que se disaient les jurés, désireux d’une
-sévérité pondérée. Bref, ils se mirent d’accord pour condamner,
-mais sans excès ; pour reconnaître la culpabilité,
-sans circonstances atténuantes, mais dépouillée également
-des circonstances aggravantes. Celles-ci pendaient au bout
-de ces questions : Le vol a-t-il été <i>commis la nuit ?… à
-plusieurs ?… dans un édifice habité ?… avec fausses-clefs ou
-effraction ?</i></p>
-
-<p>Et comme il était de toute évidence que le vol avait
-été commis, et ne l’avait pu être autrement, les jurés,
-tout naturellement, <i>et malgré ce qu’ils s’étaient promis</i>, se
-trouvèrent entraînés à répondre : <i>oui</i> à toutes les questions.</p>
-
-<p>— Mais, Messieurs, disait un des jurés (le plus jeune
-et qui paraissait seul avoir quelques rudiments de culture),
-répondre <i>non</i> à ces questions ne veut point dire que vous
-croyez qu’il n’y a pas eu d’effraction, que cela ne se passait
-pas la nuit, etc. ; cela veut dire simplement que vous
-ne voulez pas retenir ce chef d’accusation.</p>
-
-<p>Le raisonnement les dépassait.</p>
-
-<p>— Nous n’avons pas à entrer là-dedans, ripostait l’un.
-Nous devons simplement répondre à la question. Monsieur
-le chef du jury, veuillez la relire.</p>
-
-<p>— « Le vol a-t-il été commis la nuit ? »</p>
-
-<p>— J’pouvons tout de même pas répondre : non,
-disaient les autres.</p>
-
-<p>Et malgré que quelques : <i>non</i> furent trouvés dans l’urne,
-l’affirmative l’emporta de beaucoup.</p>
-
-<p>De sorte que tous ceux qui s’étaient promis de voter
-simplement : <i>coupable</i>, mais sans circonstances non plus
-atténuantes qu’aggravantes, se trouvèrent entraînés à
-voter les « atténuantes » pour <i>compenser</i> l’excès des
-« aggravantes », que les questions les avaient contraints
-d’accepter.</p>
-
-<p>Et sitôt après, en chœur :</p>
-
-<p>— Ah ! nous avons fait de la jolie besogne ! C’est
-honteux ! On ne va pas les punir assez ! Circonstances
-atténuantes ! S’il est possible ! Si seulement on nous avait
-laissés voter <i>coupables</i> tout simplement !…</p>
-
-<p>Au grand soulagement de chacun, le tribunal décida la
-peine assez forte (6 ans de prison et 10 ans d’interdiction
-de séjour) en tenant le moins de compte possible de la
-décision des jurés.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>J’ai noté avec quelque détail la perplexité, la gêne qui
-règnent dans la salle du jury ; je les retrouverai bien à
-peu près les mêmes à chaque délibération. Les questions
-sont ainsi posées qu’elles laissent rarement le juré voter
-comme il l’eût voulu, et selon ce qu’il estimait juste. Je
-reviendrai là-dessus.</p>
-
-<p>Je sors peu satisfait de cette première séance. J’en suis
-presque à me réjouir qu’Arthur me reste si peu sympathique,
-sinon je ne pourrais m’endormir là-dessus.
-N’importe ! il me paraît monstrueux qu’on n’ait pas prêté
-l’oreille à sa défense. Et plus j’y réfléchis, plus elle me
-paraît plausible… C’est alors que me vint l’idée (comment
-ne m’était-elle pas venue plutôt ?) que si la carte postale
-d’Arthur, ou du moins, suivant ses dires, que si les deux
-cartes accouplées portaient affranchissement des deux
-côtés de l’enveloppe, il suffisait que chacun des timbres
-fût de cinq centimes ; et que, réciproquement, si le
-timbre sur le morceau de carte retrouvé était un timbre
-de cinq centimes, il fallait qu’il ne fût pas seul. Le
-timbre de dix centimes ne prouverait peut-être pas
-qu’Arthur eût tort ; car peut-être n’a-t-il mis sous la même
-enveloppe les deux cartes qu’après les avoir affranchies…
-mais le timbre de cinq centimes prouverait sûrement qu’il
-a raison. Je me promets de demander demain au procureur
-général, que j’ai le bonheur de connaître, la permission
-d’examiner dans le dossier d’Arthur le petit
-morceau de papier.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p class="date"><i>Mardi.</i></p>
-
-<p>Comme je passe devant la loge du concierge, celui-ci
-m’arrête et me remet une lettre. Elle est datée de la
-prison. Elle est d’Arthur. Comment a-t-il eu mon nom ?
-Par son avocat sans doute.</p>
-
-<p>Cette question que j’ai posée au cours de l’interrogatoire,
-l’a laissé croire sans doute que je m’intéressais à lui,
-que je doutais s’il était coupable, que peut-être je
-l’aiderais…</p>
-
-<p>Il me supplie d’user de mon droit, de demander à l’aller
-voir dans sa cellule : il a d’importantes explications à me
-donner, etc.</p>
-
-<p>Je regarderai d’abord son dossier ; si le morceau de
-carte postale est insuffisamment affranchi, je ferai part de
-mon doute au Procureur.</p>
-
-<p>J’ai pu voir, après la séance, le dossier : la carte postale
-porte un timbre de dix centimes. Je renonce.</p>
-
-<p>Et pourtant je me dis aujourd’hui que, si chaque
-timbre avait été de cinq centimes, l’employé de la poste,
-au départ, les aurait oblitérés tous les deux ; et que c’est,
-au contraire, dans le cas où l’affranchissement d’un des
-côtés aurait été déjà par lui-même suffisant, que l’autre
-timbre aurait pu lui échapper et n’être oblitéré qu’à
-l’arrivée…</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">II</h2>
-
-
-<p>La seconde journée ouvre elle aussi par une « affaire
-de mœurs ». Le président ordonne le huis clos ; et pour
-la première fois, appliquant une récente circulaire du
-Garde des Sceaux, on fait sortir, à leur flagrant mécontentement,
-les soldats de service. <i>Leur présence</i>, dit cette
-sage circulaire, <i>ne semble point d’ailleurs le plus souvent
-indispensable</i> (sic), <i>car la salle est vide, et les gendarmes, en ce
-qui concerne l’accusé, font une garde suffisante</i>.</p>
-
-<p>Ah ! que ne peut-on faire sortir aussi les enfants !
-Hélas ! il faut bien qu’ils déposent : la fillette violée,
-d’abord ; puis le frère de dix ans, quelques années de plus
-que la petite. Par pitié, Monsieur le Président, abrégez un
-peu les interrogatoires ! Qu’avons-nous besoin d’insister ?
-puisque les faits sont reconnus déjà, que le médecin a fait
-les constatations nécessaires, et que l’accusé a tout avoué.
-Le malheureux ! Il est là, vêtu de guenilles, laid, chétif,
-la tête rasée, l’air déjà d’un galérien ; il a vingt ans, mais
-si malingre, à peine s’il paraît pubère ; il tient un papier
-à la main (je croyais que c’était défendu), un papier couvert
-d’écritures, qu’il lit et relit avec angoisse ; sans doute
-il tâche d’apprendre par cœur les réponses que lui
-suggéra l’avocat.</p>
-
-<p>On a sur lui de déplorables renseignements ; il fréquente
-des repris de justice et hante les cabarets malfâmés. Son
-casier : huit jours pour abus de confiance, et, peu après,
-un mois pour vol. Il est accusé maintenant d’avoir « complètement
-violé » la petite Y. D. âgée de sept ans.</p>
-
-<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div>
-<p>Le Président reprend, sans emphase, sur un ton de
-réprimande presque douce, très apprécié des jurés :</p>
-
-<p>— Eh bien ! mon garçon, c’est pas bien ce que vous
-avez fait là.</p>
-
-<p>— Je l’vois bien moi-même.</p>
-
-<p>— Avez-vous quelque chose à ajouter ? Exprimez-vous
-des regrets ?</p>
-
-<p>— Non, M’sieur le Président.</p>
-
-<p>Il est évident pour moi que l’accusé n’a pas compris
-la seconde question, ou qu’il répond seulement à la
-première. N’empêche qu’une rumeur d’indignation parcourt
-le banc des jurés et déborde jusqu’au banc des
-avocats.</p>
-
-<p>L’avocat de la défense fait demander à ce moment si
-l’accusé n’a pas été interné à l’hospice général, il y a
-onze ans ? Reconnu exact.</p>
-
-<p>On appelle les témoins : la mère de la fillette d’abord ;
-mais elle n’a rien vu et tout ce qu’elle peut dire, c’est que,
-lorsque rentrant du travail, elle a trouvé dans la rue sa
-petite en train de pleurer, elle a commencé par lui allonger
-deux taloches.</p>
-
-<p>A présent c’est le tour de l’enfant.<a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a> Elle est propre et
-gentille ; mais on voit que l’appareil de la justice, ces
-bancs, cette solennité, l’espèce de trône où sont assis
-ces trois vieux messieurs bizarrement vêtus, que tout cela
-la terrifie.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Hier déjà nous avions vu comparaître une enfant ; une fillette
-à peu près du même âge que celle-ci, et flanquée de sa mère également.
-Mais, certes, leur aspect plaidait en faveur de l’accusé et a
-beaucoup contribué, je suppose, à son acquittement. La mère avait
-un air de macquerelle, et tandis que le coupable sanglotait de honte
-sur le banc des accusés, la « victime » avançait très résolument vers la
-Cour. Comme elle tournait le dos au public, je ne pouvais voir son
-visage, mais les premiers mots que lui dit le Président, après que,
-pour l’avoir plus près de son oreille, il eût fait monter la petite sur
-une chaise : « Voyons ! ne riez pas, mon enfant, » éclairèrent suffisamment
-le jury.</p>
-
-<p>Et encore :</p>
-
-<p>— Vous avez crié ?</p>
-
-<p>— Non, Monsieur.</p>
-
-<p>— Pourquoi, à l’instruction, avez-vous dit que vous aviez crié ?</p>
-
-<p>— Parc’ que j’m’étais trompée.</p>
-</div>
-<p>— Voyons, n’ayez pas peur, mon enfant ; approchez.</p>
-
-<p>Et, comme hier déjà, on fait monter la petite sur une
-chaise, afin qu’elle soit à la hauteur où la Cour est juchée,
-et que le Président puisse entendre ses réponses. Il les
-répète aussitôt après à voix haute, pour l’édification des
-jurés. Nous voyons de dos la petite ; elle tremble ; et
-cette fois ce n’est plus le rire mais le sanglot qui la
-secoue. Elle sort un mouchoir de la poche de son tablier.</p>
-
-<p>Cet interrogatoire est atroce ; moi aussi je sors mon
-mouchoir ; je n’en peux plus… Et quelle inutile insistance
-pour savoir ce que l’autre lui à fait ; puisqu’on le sait
-déjà, par le menu. La petite du reste ne <i>peut</i> pas répondre,
-ou que par monosyllabes :</p>
-
-<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div>
-<p>La voix de l’enfant est si faible que le Président, pour
-l’entendre, se penche et met contre son oreille sa main en
-cornet. Puis se redresse et tourné vers le jury :</p>
-
-<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div>
-<p>L’avocat de cette triste cause a négligé de convoquer
-à temps les témoins à décharge. En vertu du pouvoir
-discrétionnaire du Président on entend néanmoins
-Madame X. une pauvre marchande-des-quatre-saisons
-qui a comme adopté ce malheureux être, parce que, dit-elle,
-« sa sœur a eu un enfant de mon fils ».</p>
-
-<p>Madame X. a le teint violacé, le cou large comme une
-cuisse ; un chapeau cabriolet à brides sur des cheveux
-tirés et lustrés ; le tour des oreilles est dégarni ; une barre
-noire en travers du front ; sa main gauche en écharpe est
-enroulée de chiffons. Elle pleure. D’une voix pathétique
-elle supplie qu’on soit indulgent pour ce pauvre garçon
-« qui n’a jamais connu le bonheur ». Elle le peint, fils
-d’alcooliques, toujours battu chez lui ; « on le faisait
-coucher dans les cabinets » ; il suffit de le regarder pour
-voir qu’il est resté enfant ; il s’amuse avec des images,
-joue aux billes, à la toupie. Mais déjà précédemment il
-a tenté de « se coucher sur la petite », qui alors l’avait
-mordu à l’oreille. De la prison il écrit à la marchande de
-légumes, des lettres incohérentes. La brave femme sort
-de sa poche une liasse de papiers et sanglote.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>L’interrogatoire est achevé. Le malheureux fait de
-grands efforts pour suivre le réquisitoire de l’avocat général,
-dont on voit qu’il ne comprend de ci de là que quelques
-phrases. Mais ce qu’il comprendra bien tout à l’heure,
-c’est qu’il est condamné à huit ans de prison.</p>
-
-<p>Entre temps le Président nous a appris que, de l’aveu
-de l’accusé à l’instruction, « c’est la première fois qu’il
-avait des rapports sexuels ». Voici donc tout ce qu’il aura
-connu de « l’amour » !</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>La seconde affaire de cette seconde journée amène sur
-le banc des accusés un garçon de vingt ans à l’air doux,
-un peu morose et sans malice. Marceau a perdu sa mère
-à l’âge de quatre ans, n’a pas connu son père, a été élevé
-à l’hospice. Dès avant seize ans il avait fait deux places
-de mécanicien ; poursuivi pour vol, le tribunal d’Yvetot
-l’avait condamné à six mois de prison avec bénéfice de la
-loi Béranger.</p>
-
-<p>A la suite de cette condamnation le mécanicien qui
-l’employait le renvoie : depuis, il travaille encore, mais au
-hasard et changeant souvent de patron, tour à tour valet
-de ferme, débardeur, mécanicien. Ceux qui l’emploient
-n’ont pas à se plaindre de lui ; simplement on lui trouve
-« le caractère un peu sombre ». Enhardi par ma question
-de la veille, je me hasarde à demander au Président ce
-que le témoin entend par là.</p>
-
-<p>Le témoin. — Je veux dire qu’il se tenait à l’écart
-et n’allait jamais boire ou s’amuser avec les autres.</p>
-
-<p>A cette époque de sa vie Marceau se trouve devoir :</p>
-
-<p>45 francs à un marchand de bicyclettes,</p>
-
-<p>70 francs au blanchisseur,</p>
-
-<p>7 francs au cordonnier.</p>
-
-<p>Avec le peu qu’il gagne, <i>comment pourrait-il s’en tirer,
-sans voler ?</i>…</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Son premier vol avait déjà été commis « avec préméditation » ;
-le dimanche précédent, apprend-on, il avait
-acheté une bougie, puis, la veille du vol, emprunté à son
-patron un tournevis, qui lui servit à ouvrir le tiroir où se
-trouvaient les 35 francs qu’il avait pris.</p>
-
-<p>Le crime qui nous occupe aujourd’hui demandait une
-préparation plus savante. Ou du moins, une première
-tentative, qui échoua, servit en quelque sorte de répétition
-générale.</p>
-
-<p>La nuit du 26 mars, Marceau pénétrait donc une
-première fois dans la petite maison isolée qu’occupaient
-à *** la vieille Madame Prune, restauratrice, et sa
-bonne. Il brisait, au rez-de-chaussée, un carreau de la
-salle à manger, ouvrait la fenêtre et entrait dans la pièce.
-Il espérait, a-t-il avoué, trouver de l’argent dans un
-tiroir de la cuisine ; mais la porte de la cuisine était
-fermée à clef ; après quelques vains efforts pour l’ouvrir,
-il repartait en se promettant de revenir mieux outillé, le
-lendemain.</p>
-
-<p>Le 27 mars après-midi, doutant si le carreau brisé n’a
-pas jeté l’alarme, Marceau enfourchait sa bicyclette et
-retournait à ***, lorsqu’il avisa un morceau de fer-à-cheval
-sur la route ; il le ramassa, pensant qu’il pourrait
-s’en servir. J’oubliais de dire que, la veille, il s’était muni
-d’une bougie, qu’il avait été acheter à Grainville. Donc
-Marceau s’en fut rôder autour de la maison, s’assura que
-tout y était tranquille et, je ne sais trop comment, se
-persuada qu’on n’avait rien suspecté — ce qui était vrai.</p>
-
-<p>L’interrogatoire de l’accusé suffit à reconstituer le
-crime. Marceau ne cherche pas à se défendre, pas même
-à s’excuser ; il accepte d’avoir fait ce qu’il a fait, comme
-s’il ne pouvait pas ne pas le faire. On dirait qu’il s’est
-résigné d’avance à devenir ce criminel.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le voici donc, dans la nuit du 27, à pareille heure,
-qui se retrouve à ***. La fenêtre est restée ouverte,
-qu’il avait escaladée la veille, par où il rentre dans la
-salle à manger. Mais comme ce soir-là ses intentions sont
-sérieuses, il prend soin de refermer derrière lui les volets.
-Il tient à la main la lanterne de sa bicyclette ; c’est une
-lanterne sans pied, qu’il ne peut poser, qui le gêne et que
-tout à l’heure, dans la cuisine, il va changer contre un
-bougeoir. Avec son fer-à-cheval il a forcé la porte. Le
-voici qui fouille les tiroirs : Onze sous ! Ça ne vaut pas
-la peine qu’on s’arrête. Il les prendra tout à l’heure en
-repassant. Il monte au premier.</p>
-
-<p>Madame Prune et sa bonne occupent au premier les
-deux chambres à droite ; dans les deux chambres de
-gauche, parfois on reçoit des voyageurs. Doucement
-Marceau s’assure que ces dernières chambres sont vides :
-il tient à la main un couteau à courte lame pointue,
-qu’il a trouvé dans un tiroir de la cuisine.</p>
-
-<p>Le Président. — Pourquoi aviez-vous pris ce couteau ?</p>
-
-<p>Marceau. — Pour en ficher un coup à la bonne.</p>
-
-<p>Cependant la porte de celle-ci est fermée au verrou ;
-Marceau s’efforce de l’ouvrir ; mais entendant du bruit dans
-la chambre de la vieille, il court se cacher dans une
-des chambres inoccupées. Il souffle la bougie, et comme il
-se baisse pour poser le bougeoir à terre, le couteau, qu’il
-avait glissé dans sa veste, par chance, tombe ; et dans le
-noir, il ne peut plus le retrouver. Quand il ressort sur le
-couloir, c’est désarmé qu’il se rencontre avec la vieille ;
-heureusement pour elle, et pour lui.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Madame Prune vient déposer à son tour. C’est une
-digne et frêle petite vieille de quatre-vingt-un ans ; elle
-se tient à peine et demande une chaise, qu’on apporte
-et où elle s’assied, près de la barre.</p>
-
-<p>— J’entends donc craquer chez moi. Je me dis : Mon
-Dieu ! qu’est-ce que c’est : j’entends craquer. C’est-y la
-grêle ? Je me lève. J’ouvre la fenêtre sur le jardin ; je
-ne vois rien. Je me recouche. Voilà les craquements qui
-reprennent. Je me relève encore. Plus rien. Je me
-recouche ; il était minuit à ma pendule. Voilà que je
-vois de la lumière qui passe sous ma porte : Oh ! que je
-me dis, c’est-il pas le feu ? J’appelle ma bonne ; elle ne
-vient pas. Tout de même, que je me dis, <i>j’étais plus
-courageuse autrefois</i> — et je suis sortie sur le couloir.
-Je vais à la porte de la bonne : Y a des voleurs chez
-moi, ma pauvre fille, ah ! mon Dieu ! Y a des voleurs
-chez moi ! Elle ne répondait rien ; sa porte était fermée.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>C’est alors que Marceau, revenant sur le couloir, s’est
-jeté sur la vieille, qui ne fut pas difficile à tomber.</p>
-
-<p>— Pourquoi avez-vous saisi Madame Prune à la gorge ?</p>
-
-<p>— Pour l’étrangler.</p>
-
-<p>Il dit cela sans forfanterie ni gêne, aussi naïvement que
-le Président avait posé la question.</p>
-
-<p>Un rire bruyant s’élève dans l’auditoire.</p>
-
-<p>L’avocat général. — La tenue du public est inexplicable
-et indécente.</p>
-
-<p>Le Président. — Vous avez tout à fait raison. Songez,
-Messieurs, que l’affaire que nous jugeons ici est des plus
-graves et de nature à entraîner pour l’accusé la peine
-capitale s’il n’y a pas reconnaissance de circonstances
-atténuantes.</p>
-
-<p>La bonne cependant appelait au secours, par la fenêtre.
-Un voisin répondit : « On arrive ! on arrive ! » En entendant
-venir, le gars prit peur et se sauva, laissant
-inachevé son crime.</p>
-
-<p>La Cour condamne Marceau à huit ans de travaux
-forcés.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>A plusieurs reprises j’ai remarqué chez Marceau un
-singulier malaise lorsqu’il sentait que la <i>recomposition</i> de
-son crime n’était pas parfaitement exacte — mais qu’il
-ne pouvait ni remettre les choses au point, ni <i>profiter de
-l’inexactitude</i>. C’est ce que cette affaire présenta pour moi
-de plus curieux.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Ce même jour nous avons à juger un incendiaire.</p>
-
-<p>Bernard est un journalier de quarante ans, à l’air
-gaillard, à la tête ronde : il est chauve, mais se rattrape
-sur les moustaches. Il porte une chemise molle, à
-rayures ; une cravate formant nœud droit cherche à
-cacher le col qui est très sale. Il tient à la main une
-casquette usée. Bernard n’a pas d’antécédents judiciaires.
-Les renseignements fournis sur son compte ne sont pas
-mauvais ; tout ce qu’on trouve à dire c’est que son
-caractère est « sournois ». On ne le voit jamais au
-cabaret ; mais certains prétendent qu’il « boit chez lui » ;
-néanmoins il jouit de ses facultés. Son père, garde-champêtre
-estimé, s’est, dit-on, « adonné à la boisson » ;
-il a deux frères, « alcooliques fieffés ».</p>
-
-<p>On reproche à Bernard quatre incendies. Le feu est
-d’abord mis au pressoir de sa belle-sœur, veuve Bernard,
-le 30 décembre 1911.</p>
-
-<p>Le Président. — Qui a mis le feu ?</p>
-
-<p>L’accusé. — C’est moi, Monsieur le Président.</p>
-
-<p>Le Président. — Comment l’avez-vous mis ?</p>
-
-<p>L’accusé. — Avec une allumette.</p>
-
-<p>Le Président. — Pourquoi l’avez-vous mis ?</p>
-
-<p>L’accusé. — J’avais pas de motifs.</p>
-
-<p>Le Président. — Vous aviez bu ce soir-là ?</p>
-
-<p>L’accusé. — Non, Monsieur le Président.</p>
-
-<p>Le Président. — Est-ce que vous aviez eu des difficultés
-avec votre belle-sœur ?</p>
-
-<p>L’accusé. — Jamais, mon Président. On s’entendait
-bien.</p>
-
-<p>Le Président. — Rentré à 7 h. ½ de chez votre
-patron, qu’est-ce que vous avez fait jusqu’à 9 h. ½ ?</p>
-
-<p>L’accusé. — J’ai lu le journal.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le premier janvier, c’est-à-dire deux jours plus tard,
-la maison de la belle-sœur y passe.</p>
-
-<p>Le Président veut que Bernard ait été ivre ce soir-là,
-et insiste pour le lui faire avouer. Bernard proteste qu’il
-était à jeun.</p>
-
-<p>Le soir de ce premier janvier, jour de fête, les parents
-se trouvent réunis, cousins, neveux, etc. Bernard refuse
-de souper avec eux et repart à 6 h. ½. Au cours de la
-conversation générale, comme on parlait de l’incendie
-de l’avant-veille, on se souvient de lui avoir entendu dire
-qu’on en verrait d’autres bientôt.</p>
-
-<p>Et quand cette même nuit le feu se déclare chez la
-veuve Bernard et que les voisins l’appellent et crient :
-« Au feu ! Au secours ! » lui, le plus proche voisin et
-le plus proche parent, s’enferme et ne reparaît qu’un quart
-d’heure après… Du reste il ne nie rien. Le second incendie,
-c’est lui qui en est l’auteur, ainsi que du premier et des
-deux autres qui suivirent.</p>
-
-<p>Le Président. — Alors vous ne voulez pas dire pourquoi
-vous vous les avez allumés ?</p>
-
-<p>L’accusé. — Mon Président, je vous dis que j’avais
-aucun motif.</p>
-
-<p>— C’est vraiment fâcheux qu’il avait ce goût-là, dit la
-veuve. Autrement on n’avait pas à se plaindre de son
-travail.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Appelé à témoigner, le médecin assermenté nous parle
-de l’étrange soulagement, de la détente que Bernard lui a
-dit avoir éprouvés après avoir bouté le feu.</p>
-
-<p>Il lui a avoué, du reste, n’avoir plus éprouvé la même
-détente après les incendies suivants, « de sorte qu’il avait
-regretté ».</p>
-
-<p>J’eusse été curieux de savoir si cette étrange satisfaction
-du boute-feu et cette détente n’avaient aucune relation
-avec la jouissance sexuelle ; mais malgré que je sois du
-jury, je n’ose poser la question, craignant qu’elle ne paraisse
-saugrenue.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">III</h2>
-
-
-<p class="date"><i>Mercredi.</i></p>
-
-<p>Encore un attentat à la pudeur ; commis sur la personne
-de sa fille par un journalier de Barentin, père de
-cinq enfants dont l’aîné a douze ans. On demande le huis
-clos.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Lorsque le public fut de nouveau admis dans la salle,
-une rumeur d’indignation accueillit la décision du jury
-et son désir de reconnaître des circonstances atténuantes.</p>
-
-<p>Je fus assez surpris pour ma part (et déjà je l’avais été
-dans les précédentes affaires de cette nature) de voir la
-modération qu’apportaient ici la plupart des jurés. L’on
-fit valoir, dans la salle de délibération, que l’attentat avait
-été commis sans violences ; enfin et surtout le grand
-désir que manifestait inconsciemment la femme de l’accusé
-de se débarrasser de son mari, la passion qu’elle ne put
-s’empêcher d’apporter dans sa déposition, affaiblit grandement
-la portée de son témoignage ; l’accusé bénéficia
-également du peu de sympathie que nous pouvions
-accorder à la victime. Mais c’est ce que le public, par
-suite du huis clos, ne pouvait savoir. Même, à certains
-jurés la condamnation à cinq ans de prison parut excessive.
-Par contre, tous approuvèrent la déchéance de puissance
-paternelle.</p>
-
-<p>L’accusé écouta sans sourciller la condamnation à cinq
-ans ; mais, en entendant sa déchéance, il poussa une sorte
-de grognement étrange, comme une protestation d’animal,
-un cri fait de révolte, de honte et de douleur.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>L’étrange affaire dont nous nous occupâmes ensuite
-amena devant nous un commis principal au bureau de
-recettes des postes (bureau principal de Rouen).</p>
-
-<p>C’est un gros homme rouge, épais, carré d’épaules, et
-sans cou. Ses mains sont gourdes. Il porte un col bas,
-une petite cravate grise ; les cheveux demi-ras sur un
-front bas. Il a quarante-sept ans, a fait la campagne de
-Madagascar où il a pris les fièvres paludéennes ; il boit
-par accès et a été sujet à quelques hallucinations ; l’examen
-médical reconnaît sa responsabilité atténuée. Mais
-depuis qu’il est au service des postes sa conduite est irréprochable — et
-il était à jeun lorsque, le matin du 2 Avril,
-il a soustrait du bureau une enveloppe contenant treize
-mille francs. Il reconnaît les faits, s’en excuse et ne
-cherche même pas à les expliquer. Tous les jours il était
-appelé à manier des sommes considérables ; ce matin
-même, à côté de l’enveloppe aux treize mille francs, <i>une
-autre enveloppe en contenant quinze mille était là, également
-à sa portée, qu’il avait vue, qu’il n’a point prise</i>.</p>
-
-<p>Mais cette enveloppe de treize mille francs, tout à coup,
-il la met dans sa poche ; il quitte la cabine des chargements
-en disant à son collègue qu’il va aux cabinets ;
-prend tranquillement son paletot et son chapeau, et comme
-il est midi et demie, personne ne s’étonne de le voir sortir.
-Dehors il ne se sauve pas, il ne se cache de personne ; il
-va dans un bordel voisin ; dépense 246 francs à régaler la
-maisonnée ; puis se réveille tout penaud, pour rapporter
-à la direction le reste de la somme et s’engager à rembourser
-la différence.</p>
-
-<p>Le jury rapporte un verdict négatif ; la Cour acquitte.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">IV</h2>
-
-
-<p class="date"><i>Jeudi.</i></p>
-
-<p>La fille Rachel est accusée d’infanticide.</p>
-
-<p>Elle s’avance craintivement jusqu’à la barre ; elle porte
-sur son corsage noir un châle de laine blanche. De la place
-où je suis, je distingue mal son visage ; sa voix est douce.
-Elle est domestique à Saint Martin de B., dans la même
-maison depuis l’âge de treize ans ; elle en a dix-sept
-aujourd’hui.</p>
-
-<p>Elle était parvenue à dissimuler sa grossesse ; les
-premières douleurs la saisirent comme elle était en train
-de traire les vaches. Elle rentra, coula le lait dans la
-laiterie, fit le ménage ; mais les douleurs devinrent si fortes
-qu’elle dut s’asseoir ; elle était affreusement pâle.</p>
-
-<p>— Si tu es malade, monte te reposer dans ta chambre,
-dit sa maîtresse.</p>
-
-<p>La chambre de Bertha Rachel était au premier, à côté
-de celle des maîtres. Sitôt étendue sur sa paillasse, elle
-accoucha d’une petite fille.</p>
-
-<p>Elle avait « peur d’être grondée », et comme la petite
-criait, par crainte que les patrons n’entendissent, Bertha
-mit la main sur la bouche de la petite et l’y maintint jusqu’à
-ce que les cris aient cessé. Quand Bertha vit que
-l’enfant ne respirait plus, elle prit une paire de ciseaux dans
-sa jupe et en porta un petit coup à la gorge de l’enfant.</p>
-
-<p>Il ressort de l’instruction qu’elle n’a donné le coup de
-ciseaux qu’après que la petite était déjà morte étouffée.
-Le ministère public cherchera à établir que c’est pour
-constater que le sang avait cessé de couler. Je crois à plus
-d’inconscience. Le Président presse Bertha de questions,
-mais le rôle des ciseaux reste aussi peu clair.</p>
-
-<p>Quand Bertha Rachel se fut assurée que son enfant avait
-cessé de vivre, elle cacha le petit cadavre provisoirement
-dans son seau de toilette, jeta le placenta par sa fenêtre
-qui donnait précisément sur la fumière, puis tout aussitôt
-redescendit pour reprendre son travail.</p>
-
-<p>Le lendemain, avec un louchet elle creusa un trou
-derrière la grange, au bord du fossé ; un petit trou, car
-elle était sans forces ; où elle enterra l’enfant.</p>
-
-<p>La gendarmerie fut avertie peu de jours après par une
-lettre anonyme ; et le cadavre de l’enfant fut retrouvé.
-Le Président ne croit pas devoir insister sur cette lettre
-anonyme, sur laquelle aucun renseignement n’est donné ;
-et comme je ne suis pas du jury pour cette affaire,
-aucune question n’est posée à ce sujet ; et l’on passe outre.</p>
-
-<p>Le Président. — Votre patronne, durant le temps de
-votre grossesse, ne se doutait de rien ?</p>
-
-<p>L’accusée. — On voyait bien que je grossissais, mais
-ma patronne ne voulait pas le dire. Elle ne m’en a pas
-parlé du tout.</p>
-
-<p>Puis, à voix plus basse et un peu confusément, tout à coup :</p>
-
-<p>— C’est l’fils du patron qui me l’a fait.</p>
-
-<p>Le Président. — Vous n’avez pas dit cela d’abord. — Puis
-se tournant vers le jury : — A l’instruction elle s’est
-obstinément refusée à dire qui était le père de l’enfant.</p>
-
-<p>La fille Rachel continuant sans écouter le Président :</p>
-
-<p>— Il m’a conseillé de l’faire disparaître pour qu’on ne
-sache pas que c’était de lui.</p>
-
-<p>Le Président. — Le faire disparaître comment ?</p>
-
-<p>— En l’mettant dans la terre.</p>
-
-<p>Cela est dit sans intonation aucune ; la pauvre fille
-paraît à peu près stupide.</p>
-
-<p>Le Président. — Comme l’accusée n’a rien dit de tout
-cela à l’instruction, on n’a pu appeler en témoignage celui
-dont elle parle à présent. — A l’accusée : Vous pouvez
-vous asseoir.</p>
-
-<p>A ce moment l’avocat défenseur se lève :</p>
-
-<p>— Il est fâcheux que l’accusée ne nous ait pas parlé ici,
-ainsi qu’elle l’avait fait à l’instruction, des lectures du soir
-qu’on faisait, dans la ferme, en famille. On lisait les
-faits divers des journaux et les vieux parents qui faisaient
-la lecture s’appesantissaient de préférence, disait-elle, sur
-les infanticides.</p>
-
-<p>Le Président. — Maître X, je ne vois pas trop l’intérêt
-que ça peut avoir.</p>
-
-<p>Tant pis ! Heureusement les jurés, eux, le voient bien ;
-et tout le drame s’éclaire quand s’avance à la barre la
-patronne. C’est une vieille de plus de soixante ans, sèche
-et solide, comme momifiée, aux traits durs, aux yeux
-froids, aux lèvres serrées. Le visage est cerné par un
-bonnet de dentelle noire, et le ruban qui l’attache
-retombe sur un petit mantelet noir.</p>
-
-<p>Le Président. — Vous aviez la fille Rachel à votre
-service ? Étiez-vous contente d’elle ?</p>
-
-<p>La patronne. — Oh ! oui, j’étais bien contente. Pour
-sûr je n’ai jamais eu à me plaindre d’elle.</p>
-
-<p>Le Président. — Vous ne vous êtes jamais aperçue de
-sa grossesse ?</p>
-
-<p>La patronne. — Non, jamais. Si j’avais su son état, je
-ne l’aurais pas gardée, c’est sûr.</p>
-
-<p>Le Président. — A l’instruction vous avez dit que vous
-voyiez bien qu’elle devenait <i>fameuse</i>, mais que vous
-croyiez que ça venait de l’estomac. La veille du jour de
-l’accouchement vous avez vu du sang et de l’eau dans la
-cuisine, à l’endroit où la fille s’était assise.</p>
-
-<p>La patronne. — J’ai cru que c’était d’un poulet qu’on
-venait de vider.</p>
-
-<p>Et l’on sent encore dans la voix nette et sèche de la
-vieille cette volonté de ne rien savoir, de ne rien avoir
-vu, de ne rien voir.</p>
-
-<p>L’instruction a établi que, dans cette ferme isolée, ne
-venait jamais aucun homme et que la fille n’a pu voir
-que le mari de la patronne, âgé de 75 ans, ou que le fils,
-âgé de trente-deux ans, à l’une de ses rares et rapides
-apparitions. La vieille nous apprend également qu’il
-fallait passer par sa chambre pour entrer dans celle de la
-servante, — ceci dit comme pour bien montrer que ça ne
-peut pas être son fils qui… etc…</p>
-
-<p>Et le Président visiblement désireux de ne pas laisser
-dévier l’affaire et de limiter l’accusation, passe outre.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>La déposition du docteur ne nous apprend rien de
-nouveau ; il explique très longuement que l’enfant a
-vécu, de sorte qu’on se trouve en présence d’un cas, non
-d’avortement, mais d’infanticide ; pourtant le coup de
-ciseaux, légèrement donné et comme avec précaution,
-était plutôt pour s’assurer que l’enfant était mort ; mais il
-a respiré car, dans la cuvette d’eau où il l’a mise, la
-masse pulmonaire flottait.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Tandis que le jury délibère, une rumeur circule dans
-la salle : le fils de la patronne est dans la salle ; on se le
-montre, assis à côté d’elle. Gêné par les regards hostiles,
-il tient la tête basse, appuyée contre le pommeau de sa
-canne et je ne parviens pas à le voir.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>La fille Rachel, reconnue coupable mais comme ayant
-agi sans discernement, est acquittée et rendue à ses parents.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>On amène devant nous Prosper, surnommé Bouboule,
-tailleur d’habits ; né à X… en 86.</p>
-
-<p>Extraordinaire tête de plumitif (il ressemble à s’y
-méprendre à Z…) vaste front bombé, longs cheveux
-plats partagés sur le milieu de la tête ; épaisseur générale
-du torse et des membres, petites mains larges et courtes ;
-doigts auxquels semble manquer une phalange ; le vêtement
-de prison qu’il a gardé l’engonce et le grossit encore.
-Le juré, mon voisin de droite, se penchant vers moi :</p>
-
-<p>— Il n’a pas l’air intelligent !</p>
-
-<p>Mon voisin de gauche, à demi-voix :</p>
-
-<p>— Il n’a pas l’air bête !</p>
-
-<p>De dix à quatorze ans, il s’était fait condamner quatre
-fois pour vol ; trois fois remis à ses parents, on l’envoyait
-enfin à la maison de correction où il resta jusqu’à sa
-majorité, soumis à une surveillance spéciale.</p>
-
-<p>Depuis sa première libération il a été poursuivi cinq
-fois. De vingt à vingt-quatre ans il travaille à D. où il
-retrouve Bègue, un ancien camarade de la colonie pénitentiaire ;
-c’est ensemble, toujours ensemble qu’ils vont
-opérer. A chaque fois qu’ils cambriolent, on retrouve
-dans la cuisine les restes d’un festin impromptu ; sur la
-table, des bouteilles vides et deux verres ; et des étrons
-sur le tapis du salon. A chaque fois, ils ne se contentent
-pas de voler, mais font toujours le plus de dégâts possible ;
-dans telle villa où ils n’ont pu trouver d’argent, ils laissent
-en évidence un couvercle de boîte d’amidon, où ces mots,
-de l’écriture du Bègue : « Bande de cochons, fallait
-laisser de l’argent. »</p>
-
-<p>Ce Bègue, six mois précisément avant le jour où nous
-sommes, a été condamné aux travaux forcés à perpétuité,
-pour avoir dévalisé plusieurs villas à N. et à P. « avec
-des circonstances de violence donnant à l’affaire une
-tournure particulièrement grave », dirent les journaux.
-A ce moment un des accusés faisait défaut : c’est Prosper
-qu’on arrêta trois mois après à Y. où il s’était réfugié
-après de nombreuses pérégrinations en Espagne.</p>
-
-<p>Bègue avouait tout, paraît-il. Prosper nie tout, au contraire ;
-il se prétend victime d’une méprise, victime de sa
-ressemblance avec Bouboule ; car Bouboule, dit-il, ce n’est
-pas lui. Cette déclaration soulève un grand rire dans la
-salle.</p>
-
-<p>Encore qu’elle ne me persuade pas, je voudrais pouvoir
-suivre un peu mieux sa défense ; mais le Président la
-bouscule et ne laisse pas Bouboule ou Prosper s’expliquer.</p>
-
-<p>A quel point il appartient au Président de gêner ou de
-faciliter une déposition (fut-ce inconsciemment), c’est ce
-que je sens de nouveau, non sans angoisse, et combien il
-est malaisé pour le juré de se faire une opinion propre, de
-ne pas épouser celle du Président.<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Je crois volontiers que cette dernière remarque ne s’appliquerait
-pas également à tous les jurys — à celui de la Seine en
-particulier.</p>
-</div>
-<p>Prosper parle d’une voix sourde, qu’on a quelque mal
-à entendre, et il semble avoir grande peine à s’exprimer.
-Au cours de son interrogatoire, sentant les mailles du
-filet, autour de lui, qui se resserrent, il dit que la fatalité
-s’acharne contre lui, parle de « coalition » ; il devient
-livide et de grosses gouttes de sueur commencent de
-rouler de son front.</p>
-
-<p>Le gardien d’une des villas cambriolées, M. X., appelé
-à témoigner, fait une déposition très émouvante et très
-belle. Son sang-froid, son courage, semblent avoir été admirables ;
-admirable aussi la modestie de son attitude, de son
-récit, que les journaux ont reproduit. Inutile d’y revenir.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Je note ce curieux trait, au cours de l’interrogatoire :
-Immédiatement après le cambriolage à N., Bouboule
-s’en revenant vers D., à minuit, rencontre sur la route
-un ouvrier qu’il connaissait. Quel étrange besoin eut-il de
-l’arrêter, quand il était si simple de passer outre ; de lui
-demander une cigarette (a-t-il cru peut-être que cela
-paraîtrait à l’autre plus <i>naturel</i>) et, après quelques minutes
-de conversation, peut-être subitement pris de peur, de
-dire à l’autre :</p>
-
-<p>— Surtout ne dis pas tu m’as rencontré cette nuit.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Les jurés furent d’accord pour répondre affirmativement
-à toutes les questions posées, et la Cour condamna
-Prosper aux travaux forcés à perpétuité.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">V</h2>
-
-
-<p>Encore un attentat à la pudeur ; le quatrième. Cette
-fois la victime n’a pas six ans ; c’est la fille de
-l’accusé…</p>
-
-<p>Pour ce cas comme pour les autres, je voudrais savoir
-quelle est la part de l’occasion ; le crime eût-il été
-commis si l’accusé avait eu le choix…? et faut-il y voir
-préférence, ou simplement facilité plus grande, trompeuse
-promesse d’impunité ?</p>
-
-<p>Germain R. a souillé son enfant pendant que sa femme
-était à l’hôpital pour de nouvelles couches.</p>
-
-<p>Il est petit, laid, de triste aspect ; sa tête est bestiale.
-Il porte, sur une vareuse de cotonnade noir-jaunâtre, un
-épais cache-nez bleu-violet. Il nie obstinément, avec un
-air buté, stupide. Les témoignages recueillis sur lui sont
-mauvais. « Il pense à lui plutôt qu’à sa famille. »</p>
-
-<p>Le Président. — Il était souvent ivre ?</p>
-
-<p>Le témoin. — En grande partie tous les jours.</p>
-
-<p>Et un autre témoin : — I’s’saoûle et laisse ses enfants
-crever d’faim.</p>
-
-<p>Ils couchent tous, le père, la mère et les deux petits
-de six et trois ans, dans la même pièce sans lit, sur la
-paille. On prétend que déjà précédemment il avait voulu
-toucher la petite. Une fois il la fit entrer avec lui dans
-un sac ; mais il avait coutume de coucher dans un sac,
-et comme on était en hiver, il peut dire que c’était pour
-se réchauffer. On ne sait. La petite ne veut ou ne peut
-rien dire. Sur la chaise où on la fait monter, pour être
-plus près de l’oreille du président, elle pleure silencieusement
-et par instant un gros sanglot la secoue. On
-n’obtient d’elle pas le moindre mot. On dirait qu’elle a
-peur d’être punie elle aussi. (Elle est à l’Assistance
-Publique. Un homme en livrée, à gros boutons de
-cuivre, l’avait amenée, qui reste assis sur un des bancs
-des témoins.)</p>
-
-<p>Puis vient la femme R. épouse de l’accusé. Elle ne
-serait point trop laide si sa face n’était si terriblement
-boucanée. Elle a l’aspect d’une « femme de journée ». Ses
-cheveux sont tirés en arrière et lustrés ; un petit châle de
-laine noire tombe sur un tablier bleu.</p>
-
-<p>Le Président. — Qu’est ce que vous avez fait pour
-obvier à cet inconvénient ?</p>
-
-<p>Le témoin. —  ???</p>
-
-<p>Il arrive plus d’une fois que le Président pose une
-question en des termes complètement inintelligibles pour
-le témoin ou le prévenu. C’est le cas.</p>
-
-<p>On procède à l’interrogatoire de l’unique témoin : la
-voisine :</p>
-
-<p>Le Président. — Enfin vous n’avez rien vu !</p>
-
-<p>Le témoin. — C’est que je suis entrée ou trop tôt,
-ou trop tard.</p>
-
-<p>Et, comme après tout, l’on ne sait à quoi s’en tenir,
-si nous condamnons R., ce sera sur des présomptions
-(comme bien souvent) et non point tant pour l’acte reproché,
-si douteux, mais bien pour sa conduite générale ; et
-aussi pour en débarrasser sa famille.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Je suis de nouveau chef du jury pour la dernière
-affaire de ce jour.</p>
-
-<p>Joseph Galmier, âgé de vingt ans, fils d’Anaïse Albertine
-(quels noms on rencontre ! Samedi dernier, la pauvre
-femme X., dans l’affaire Z., où je n’ai trouvé rien de
-curieux à relever, répondait aux noms d’Adélaïde-Héloïse !
-Est-ce un sentiment poétique qui pousse les miséreux
-à baptiser si étrangement leurs enfants ?) est accusé
-d’avoir commis deux vols, avec les circonstances aggravantes :
-de nuit ; dans une maison habitée ; avec effraction ;
-avec complices.</p>
-
-<p>Galmier est journalier au Havre ; tête point laide,
-banale, rougeoyante ; nez un peu trop pointu ; cheveux
-ramenés sur le front ; moustache naissante ; l’air d’un
-guerrier normand de Cormon. Bien bâti et de formes assez
-élégantes ; porte un jersey sous une veste déteinte.</p>
-
-<p>Condamné précédemment à six mois.</p>
-
-<p>Arrêté la nuit, porteur d’un pince-monseigneur, en
-compagnie de rôdeurs munis de fausses clefs.</p>
-
-<p>Dans une lettre au Procureur, il a fait des aveux
-complets ; mais il dit à présent que, cette lettre, un repris
-de justice l’a forcé à l’écrire. Et il nie tout.</p>
-
-<p>Le Président. — Quel repris de justice ?</p>
-
-<p>L’accusé. — Je n’ose pas le nommer. Il m’a menacé
-d’un mauvais coup en sortant, si je parlais.</p>
-
-<p>Le Président reste sceptique.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Je transcris mes notes telles quelles. Toutes ne
-s’appliquent peut-être pas à cette cause en particulier :</p>
-
-<p>… L’accusé qui parle le plus vite possible, par grande
-peur que le Président ne lui coupe la parole (ce qu’il fait
-du reste constamment) et qui cesse d’être clair — et qui
-le sent… le malheureux qui défend sa vie.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>L’innocent sera-t-il plus éloquent, moins troublé que
-le coupable ? Allons donc ! Dès qu’il sent qu’on ne le <i>croit</i>
-pas, il pourra se troubler d’autant plus qu’il est moins
-coupable. Il outrera ses affirmations ; ses protestations
-paraîtront de plus en plus déplaisantes ; il perdra pied.</p>
-
-<p>Le côté <i>chien</i> du commissaire de police, dans ses
-dépositions ; son ton rogue. Et l’air <i>gibier</i> que prend
-aussitôt le prévenu. L’art de lui donner l’air coupable.</p>
-
-<p>Le malheureux qui se rend compte, mais seulement
-au moment où il l’entreprend, que sa défense est insuffisante.
-Son effort maladroit pour la corser.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>L’imprudence du malfaiteur et cette sorte de vertige
-qui l’amène à dépenser aussitôt la somme qu’il vient
-de voler. Galmier achète un pardessus, un complet, des
-chemises, bretelles, mouchoirs, cravates, etc. ; il donne
-un franc de pourboire au commis qui lui apporte le
-paquet (il loge à côté du magasin).</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>La joie des malfaiteurs professionnels, lorsqu’ils rencontrent
-un <i>bleu</i>, flottant et un peu niais, qui consentira
-à prendre le crime à sa charge. (On lui a promis de lui
-payer un avocat.)</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>La version la plus simple est celle qui toujours a le
-plus de chance de prévaloir ; c’est aussi celle qui a le
-moins de chance d’être exacte.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>L’affaire suivante en amène cinq devant nous. Elle
-devrait en amener six, mais l’un a pris la fuite. L’aîné
-n’a que vingt-deux ans. C’est une bande de chapardeurs.
-Huit vols sont relevés à leur charge. Ils avouent tout.</p>
-
-<p>C’est Janvier qu’on a pincé d’abord ; le plus jeune ; il
-refusait de nommer ses complices. Sans domicile depuis
-huit jours, il couchait avec un autre de la même bande ;
-le 12 février dernier, il chipait une saucisse à un étalage ;
-coût : quinze jours, avec sursis.</p>
-
-<p>Janvier sourit facilement, joliment ; il a du mal à ne
-pas sourire ; il est de belle humeur. Il ne plaisante
-pas, mais on sent encore frémir dans ses réponses un
-souvenir de l’amusement du vol, des parties de vol où
-l’on s’aventurait ensemble. On jouait à voler, à chaparder…
-Cette joie va recevoir tout à l’heure un fameux
-coup de trique sur la tête.</p>
-
-<p>Peut-on jamais se relever d’une condamnation ? Peut-on
-s’en relever <i>tout seul</i> ?…</p>
-
-<p lang="en" xml:lang="en">“He can be saved now. Imprison him as a criminal,
-and I affirm to you that he will be lost.”<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> Ce sont les paroles que John Galsworthy prête à l’avocat défenseur
-dans son drame : <i>Justice.</i></p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">VI</h2>
-
-
-<p>Nombre de jurés se font récuser ; aussi mon nom sort-il
-souvent de l’urne ; pour la neuvième fois, je fais donc
-partie du jury. Dans la salle de délibération, les jurés insistent
-pour que j’accepte la présidence que M. X. me
-prie de prendre à sa place ; il paraît qu’il en a le droit.
-Seul <i>intellectuel</i>, ou presque, parmi eux, je redoutais l’hostilité
-malgré les grands efforts que je faisais pour la prévenir.
-Aussi suis-je extrêmement sensible à ce témoignage
-de considération. Il est vrai de dire qu’à quelques-unes
-des affaires précédentes le chef des jurés s’était montré
-bien fâcheusement incapable et que, par suite de ses
-incompréhensions, de ses hésitations, de ses maladresses,
-la délibération et les votes avaient été d’une lenteur
-exaspérante.</p>
-
-<p>L’affaire ne présente pas grand intérêt en elle-même.
-Elle nous revient de la correctionnelle dont elle ressortissait
-plutôt, mais où la Cour s’est déclarée incompétente.</p>
-
-<p>M. Granville, journalier, a été attaqué à une heure du
-matin, rue du Barbot, à Rouen, par un malandrin qui lui
-a pris les deux pièces de cent sous qu’il avait en poche. La
-victime se déclare incapable de reconnaître son agresseur ;
-mais, à ses cris, M<sup>me</sup> Ridel avait mis le nez à sa fenêtre
-et prétend avoir pu reconnaître en lui le sieur Valentin,
-journalier, qui comparaît à présent devant nous.</p>
-
-<p>Valentin nie éperdument et prétend être resté couché
-chez lui toute la nuit. Et d’abord : comment M<sup>me</sup> Ridel
-aurait-elle pu le reconnaître ? la nuit était sans lune et
-la rue très mal éclairée.</p>
-
-<p>Là-dessus proteste M<sup>me</sup> Ridel : l’agression a eu lieu tout
-près d’un bec de gaz.</p>
-
-<p>On interroge le gendarme qui a aidé à instruire
-l’affaire ; on interroge d’autres témoins : L’un place le
-bec de gaz à cinq mètres ; l’autre à 25. Un dernier va
-jusqu’à soutenir qu’il n’y a pas de bec de gaz du tout à cet
-endroit de la rue.</p>
-
-<p>Mais Valentin a un méchant passé, une réputation
-déplorable, et si le substitut du procureur, qui soutient
-l’accusation, ne parvient pas à nous prouver que Valentin
-est le coupable, l’avocat défenseur ne parvient pas à nous
-persuader qu’il est innocent. Dans le doute, que fera le
-juré ? Il votera la culpabilité — et du même coup les
-circonstances atténuantes, pour atténuer la responsabilité
-du jury. Combien de fois (et dans l’affaire Dreyfus même)
-ces « circonstances atténuantes » n’indiquent-elles que
-l’immense perplexité du jury ! Et dès qu’il y a indécision,
-fût-elle légère, le juré est enclin à les voter, et d’autant
-plus que le crime est plus grave. Cela veut dire : oui, le
-crime est très grave, mais nous ne sommes pas bien certains
-que ce soit celui-ci qui l’ait commis. Pourtant il faut
-un châtiment : à tout hasard châtions celui-ci, puisque
-c’est lui que vous nous offrez comme victime ; mais,
-dans le doute, ne le châtions tout de même pas par trop.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Dans plusieurs affaires que j’ai été appelé à juger, j’ai été
-gêné, et tous les jurés qui jugeaient avec moi parleraient
-de même, par la grande difficulté de se représenter le
-théâtre du crime, le <i>lieu</i> de la scène, sur les simples dépositions
-des témoins et l’interrogatoire de l’accusé. Dans
-certains cas, cela est de la plus haute importance. Il s’agit
-par exemple ici de savoir à quelle distance d’un bec de
-gaz une agression a été commise. Tel témoin, placé à tel
-endroit précis, a-t-il pu reconnaître l’agresseur ? Celui-ci
-était-il suffisamment éclairé ? — On sait la place exacte de
-l’agression. Sur la distance où l’agresseur se trouvait du
-bec de gaz, <i>tous</i> les témoignages différent : l’un dit cinq
-mètres, l’autre vingt-cinq… Il était pourtant bien facile de
-faire relever par la gendarmerie un <i>plan</i> des lieux, dont
-au début de la séance on eût remis copie à chaque juré.
-Je crois que dans de nombreux cas ce plan lui serait d’une
-aide sérieuse.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Ce même jour, une troisième affaire : Conrad, au cours
-d’une dispute avec X. lui a flanqué des coups qui ont
-entraîné la mort.</p>
-
-<p>Je note, au cours de cette fin de séance, qui du reste
-n’offre pas grand intérêt :</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Combien il est rare qu’une affaire se présente <i>par la
-tête</i> et simplement.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Combien il arrive que soit artificielle la simplification
-dans la représentation des faits du réquisitoire.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Combien il arrive facilement que l’accusé s’enferre sur
-une déclaration de par à côté, dont la gravité d’abord lui
-échappe.</p>
-
-<p>— « Alors, <i>fou de colère</i>… » dit Conrad au cours de son
-récit (il s’agit du coup de couteau donné à sa maîtresse
-au moment que celle-ci voulait le tuer).</p>
-
-<p>Et le Président tout aussitôt l’interrompant :</p>
-
-<p>— Vous entendez, messieurs les jurés : fou de colère.</p>
-
-<p>Et le ministère public s’emparera triomphalement de
-cette phrase malencontreuse que le prévenu ne pourra plus
-rétracter — tandis qu’il appert que ce n’est là qu’une
-formule oratoire où Conrad, très soucieux du beau-parler,
-s’est laissé entraîner pour faire phrase.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">VII</h2>
-
-
-<p class="date"><i>Mardi.</i></p>
-
-<p>Encore un attentat à la pudeur ; le dernier de ceux que
-nous sommes appelés à juger. Celui-ci est particulièrement
-pénible, car l’accusé, un jeune journalier de Maromme
-était atteint de blennorrhagie et a contaminé la victime.
-On a sur lui les plus mauvais renseignements : insolent,
-ivrogne, impatient au travail ; déjà précédemment il a
-voulu entraîner dans un bois une fillette de dix ans à qui
-il offrait des sous et des bonbons.</p>
-
-<p>La petite qui comparaît devant nous, n’a que six ans et
-demi. Il l’a attirée dans sa chambre en lui offrant « une
-petite tabatière. »</p>
-
-<p>On la force à répéter devant nous, par le menu, ce
-qu’elle a déjà dit à l’instruction, et que le coupable a
-avoué, et que le médecin a constaté. Il semble qu’on
-prenne à tâche que cette petite se souvienne. Au reste elle
-n’a pas été violée ; il semble que l’accusé ait pris à son
-égard certaines précautions, grâce auxquelles il espérait
-peut-être ne pas la contaminer ; grâce auxquelles il
-bénéficie des circonstances atténuantes.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>L’affaire Charles que nous jugeons ensuite avait fait
-quelque bruit dans les journaux. La salle est comble ; c’est
-une affaire « sensationnelle ». L’assistance est très excitée.
-On se redit de banc en banc le nombre des coups de
-couteau dont a été frappée la victime : le médecin n’en a
-pas compté moins de cent-dix !</p>
-
-<p>La victime était la maîtresse de Charles. Juliette R.
-n’avait que dix-sept ans lorsqu’il la rencontra pour la
-première fois, il y a de cela trois ans. Elle vivait avec un
-amant dont Charles aussitôt prit la place, abandonnant
-pour elle femme et enfants, après onze ans de mariage.
-Charles a trente-quatre ans ; il est cocher, a fait déjà
-plusieurs places ; mais les renseignements recueillis sur lui
-par ses divers patrons sont bons. Sa femme non plus n’avait
-pas à se plaindre de lui, malgré qu’il lui faisait parfois
-« des scènes ». Après qu’il se fut installé avec cette fille,
-Madame Charles, à plusieurs reprises, tâcha de le ramener,
-de le reprendre ; mais rien n’y fit, et l’instruction
-dit qu’il avait la fille « dans la peau, suivant l’expression ».
-Il habite alors avec Juliette R., place de M.,
-chez Madame Gilet. Celle-ci parfois les entendait se
-disputer.</p>
-
-<p>— C’est vrai. Juliette me reprochait d’envoyer à mes
-enfants une partie de mes gages. Mais jamais je ne l’ai
-menacée.</p>
-
-<p>Et Madame Gilet reconnaît que les querelles n’étaient
-ni fréquentes, ni prolongées.</p>
-
-<p>La voix de Charles est grave ; son aspect n’est pas
-déplaisant ; il est grand, fort, bien fait de sa personne, sans
-pourtant rien de bellâtre ou de fat ; il me semble que rien
-qu’à le voir on eût deviné qu’il était cocher ; et non pas
-cocher de fiacre : cocher de maison.</p>
-
-<p>Il ne se défend pas, ne s’excuse pas même : on le sent
-soucieux de présenter les faits tels qu’ils se sont passés et
-sans chercher à influencer le jury en sa faveur. Pourquoi
-le Président essaye-t-il de le faire se couper, se contredire ?
-Sans doute, en ancien juge d’instruction, par habitude
-professionnelle.</p>
-
-<p>— Vous avez quelque peu varié, lui dit-il, dans la
-reconnaissance des mobiles du crime.</p>
-
-<p>C’est aussi que Charles ne s’explique pas trop bien à
-lui-même comment ni pourquoi il a tué. Il aimait éperdument
-cette femme ; il avait <i>besoin</i> d’elle. Le soir du
-12 mars, veille du crime, ils soupèrent ensemble.</p>
-
-<p>— Après souper je me suis couché avec elle, comme
-de coutume ; mais elle s’est refusée. C’est comme ça que
-ça a commencé.</p>
-
-<p>— Vous vous êtes alors disputé avec elle ?</p>
-
-<p>— A cause de cela, oui.</p>
-
-<p>— Voici le motif que vous donnez du crime. Vous
-aviez d’abord donné une autre explication.</p>
-
-<p>L’accusé ne proteste pas ; son geste semble dire : c’est
-possible.</p>
-
-<p>— La nuit ensuite a été tranquille ?</p>
-
-<p>— Oui, Monsieur.</p>
-
-<p>— Vous avez dit aussi que vous étiez jaloux ; c’est
-même là l’explication que vous aviez donnée d’abord.
-Est-ce que vous lui connaissiez un amant ?</p>
-
-<p>— Elle n’en avait pas.</p>
-
-<p>— Cependant elle était triste ; au magasin des Abeilles
-où elle travaillait, on a dit qu’elle était anxieuse ; elle avait
-peur de vous. Un jour elle à confisqué votre rasoir.
-Craignait-elle de vous voir vous en servir contre elle ?</p>
-
-<p>— A ce moment j’étais malade. On lui avait dit de
-me l’enlever pour que je ne m’en serve pas contre moi.</p>
-
-<p>— Arrivons au treize mars.</p>
-
-<p>— Nous nous sommes dit bonjour au matin ; je suis
-descendu chercher le journal.</p>
-
-<p>— Vous n’avez pas bu ?</p>
-
-<p>— La veille, avant le souper, j’avais pris deux tasses
-de café à B. ; mais ce matin j’étais à jeun. En remontant
-près d’elle, je lui ai de nouveau demandé… Elle a encore
-refusé. Alors, comme elle ne voulait toujours pas, j’ai
-perdu la tête. J’ai pris un couteau sur la table, près de
-moi ; je l’ai frappée au cou. <i>Le couteau me collait dans la
-main.</i></p>
-
-<p>— Elle était encore couchée ?</p>
-
-<p>— Au premier coup, oui.</p>
-
-<p>— A ce moment elle a cherché à se sauver ; elle a
-sauté du lit. Vous vous êtes jeté sur elle ; elle est tombée.</p>
-
-<p>— A la fin en effet je l’ai retrouvée à terre.</p>
-
-<p>— A la fin ? N’allons pas si vite ! Nous ne sommes
-encore qu’au commencement. Elle est tombée à terre,
-disons-nous ; et alors vous avez continué à la frapper, à la
-frapper comme un forcené, criblant de coups de couteau
-son cou, son visage et ses poignets.</p>
-
-<p>— Je ne me souviens que du premier coup.</p>
-
-<p>— C’est trop facile. Vous lui avez donné plus de
-cent coups ; d’après la déclaration d’un témoin, vous la
-mainteniez à terre d’une main, et de l’autre vous frappiez
-partout.</p>
-
-<p>— Quand je me suis réveillé, Juliette était morte ;
-j’étais penché sur elle ; il y avait du sang partout… Je
-n’avais pas vu venir Madame Gilet.</p>
-
-<p>— Entendant les cris de la malheureuse, elle était venue
-à son secours. Elle vous a vu la frapper avec une telle
-violence et une telle rapidité que cela ressemblait, a-t-elle
-dit, usant d’une image frappante, au timbrage des lettres
-dans les bureaux de poste. Vous entendez, Messieurs les
-jurés, au timbrage des lettres dans les bureaux de poste !</p>
-
-<p>Et, là-dessus, le Président, joignant la mimique à la
-parole, donne quelques grands coups de poing sur son
-pupitre creux, éveillant un tel tonnerre qu’un rire peu
-décent secoue l’auditoire. Certainement ça ne devait pas
-faire ce bruit-là.</p>
-
-<p>— Votre maîtresse s’est écriée : « Ah ! Madame,
-sauvez-moi ! Il a un couteau ! » Alors vous avez repoussé
-Madame Gilet, que votre contact a ensanglantée.
-« Retirez-vous ; ça ne vous regarde pas », lui avez-vous
-dit ; puis, vous remettant à frapper la malheureuse, d’un
-dernier coup vous lui avez tranché la cariatide (<i>sic</i>).
-(Madame Gilet dira tout à l’heure que le dernier coup
-était « porté au front »). Qu’avez-vous à dire ?</p>
-
-<p>— Je ne me souviens pas de tout cela.</p>
-
-<p>— Pourtant quand les agents, qu’avait été prévenir
-Madame Gilet, sont arrivés, ils ont été étonnés par votre
-sang-froid. Vous n’aviez même pas l’air ému, paraît-il. Le
-couteau était sur la table. Vous vous êtes laissé saisir.</p>
-
-<p>— J’étais abruti d’horreur.</p>
-
-<p>— Non pas ! Vous avez tranquillement dit : « Avertissez
-ma femme », et comme les agents allaient vous emmener,
-vous avez demandé la permission de vous laver les mains
-avant de descendre dans la rue.</p>
-
-<p>— Je me rappelle en effet avoir donné l’adresse de ma
-femme, pour qu’on la prévienne.</p>
-
-<p>— Ensuite, n’avez-vous pas voulu vous pendre ?</p>
-
-<p>— Jamais.</p>
-
-<p>— On avait cru cela. On avait trouvé dans la chambre
-un piton, de force à supporter un gros poids ; on a retrouvé
-également une lanière. N’avez-vous pas parlé alors d’une
-volonté de suicide ?</p>
-
-<p>— Je n’ai jamais parlé de ça.</p>
-
-<p>— N’importe. En définitive vous reconnaissez tous les
-faits ; et vous donnez de votre crime cette explication :
-que Juliette vous refusait ses avantages.</p>
-
-<p>— J’ai vu passer devant moi quelque chose de terrible,
-ce matin-là.</p>
-
-<p>— Enfin… elle est morte, la pauvre fille ! Si elle ne
-voulait plus de vous, vous n’aviez qu’à retourner auprès
-de votre femme et de vos enfants. Pourquoi la tuer ?</p>
-
-<p>— Je ne cherchais pas à la tuer. (Rumeur d’indignation
-dans l’auditoire.)</p>
-
-<p>— Allons donc ! Avec cent coups de couteau !</p>
-
-<p>La majorité des jurés pense avec le Président qu’on
-cherche plus à tuer quand on donne cent coups de couteau
-que lorsqu’on en donne un seul. Pourtant l’examen
-médical de la victime nous apprend que ces cent-dix
-blessures dont on a pu relever la trace sur la face, sur le
-cou, à la région supérieure du thorax, sur les mains, (sur
-le cou les plus nombreuses), étaient régulières pour la
-plupart, et, toutes, petites et peu pénétrantes. (En Russie
-on eût vu là sans doute un « crime rituel ».) Une seule
-blessure avait atteint la carotide et déterminé une
-hémorragie foudroyante.</p>
-
-<p>N’étant pas du jury, je ne puis demander si, peut-être,
-il dépendait de la forme et de la dimension de l’arme
-qu’aucune des blessures ne fût profonde. Mais il ne paraît
-pas ; et le docteur dira tout à l’heure que Charles avait
-frappé « d’une façon tremblante, ne faisant pas entrer son
-arme et comme s’il voulait seulement mutiler ».</p>
-
-<p>Les doigts étaient tailladés ; la victime avait dû essayer
-de se protéger.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Madame Augustine, veuve Gilet, logeuse, appelée à
-témoigner, dépose d’une voix monotone :</p>
-
-<p>— Charles et la fille Juliette demeuraient chez moi.
-Je n’avais pas à me plaindre d’eux. Le 13 mars au matin,
-j’entendis des cris ; j’entrai chez eux ; elle était à terre et
-je le vis qui la frappait. Je lui saisis le bras pour le retenir.
-Il se retourna et me dit : « Retirez-vous. » Juliette n’était
-pas morte ; quand elle me vit chercher à le retenir, elle
-me dit : « Ah ! faites attention, il a un couteau ! »
-Alors il la frappa encore une fois ; il retourna le couteau
-dans la plaie ; ça a fait : crrac ! (Mouvement d’horreur et
-rumeurs dans la foule ; les jurés eux mêmes sont très
-impressionnés par le récit de Madame Gilet, et particulièrement
-par ce dernier détail. Pourtant, sur une
-demande de l’avocat défenseur, le docteur X. nous
-dira tout à l’heure : « Aucune des blessures n’indique
-que le couteau ait jamais été retourné dans la plaie »).
-C’est comme si le couteau avait du mal à pénétrer.
-J’étais stupéfiée. Il frappait vite, comme on timbre les
-lettres. Il a peut-être porté vingt-cinq coups devant moi.
-Quand j’ai voulu l’arrêter et qu’il s’est retourné, il m’a
-ensanglantée ; j’étais en peignoir ; j’ai retrouvé du sang
-par tout mon linge. J’avais si peur, que je ne remarquai
-pas l’état de la chambre ; ce n’est qu’ensuite que j’ai vu
-que le lit était plein de sang. La veille au soir je n’avais
-pas entendu de bruit. Il ne venait personne chez eux.
-Juliette était tranquille et travaillait régulièrement. On
-n’avait rien à lui reprocher. A lui non plus. Il se conduisait
-bien. Je ne l’ai jamais vu ivre.</p>
-
-<p>— Est-ce tout ce que vous pouvez dire sur lui ?</p>
-
-<p>— L’été dernier, à la suite d’une chute, il avait été
-longtemps malade. Ma première idée, quand je l’ai vu
-frapper Juliette, c’est qu’il était devenu fou. Il paraissait
-l’aimer beaucoup. Ce n’est que quand Juliette m’a dit :
-« Il a un couteau » que j’ai compris qu’il avait une arme.
-Jusqu’à ce moment j’avais cru qu’il frappait avec le
-poing.</p>
-
-<p>Charles. — Je n’ai pas vu M<sup>me</sup> Gilet. J’ai idée d’elle ;
-c’est tout.</p>
-
-<p>M<sup>me</sup> Gilet. — Après une pareille boucherie, je comprends
-qu’on perde la tête. Le dernier coup a dû être
-porté au front. Mais il ne faisait pas clair ; il était six
-heures moins un quart ; et je n’y voyais guère. Rien,
-avant, dans la conduite de Charles, ne faisait pressentir ce
-drame ; s’il y avait des discussions, ils se raccommodaient
-à peine fâchés.</p>
-
-<p>Mademoiselle Gilet, appelée à son tour, dira :</p>
-
-<p>— Ils chicanaient parfois, sauf à s’embrasser cinq
-minutes après.</p>
-
-<p>Après la déposition de la logeuse et de sa fille, nous
-entendons celle des gardiens de la paix :</p>
-
-<p>Le chef de poste M. :</p>
-
-<p>— Quand nous avons voulu conduire au poste l’accusé,
-il nous a dit : — « Donnez-moi au moins le temps de me
-laver les mains. » Il ne paraissait ni soûl, ni fou. Il était
-plutôt calme.</p>
-
-<p>Et M. V., commissaire de police :</p>
-
-<p>— Au bureau central, j’ai vu Charles. Il était un peu
-énervé ; mais pas ivre. Il m’a dit, après quelques hésitations :
-« Je l’ai tuée parce qu’elle me faisait dépenser de
-l’argent. Du reste j’allais me jeter à l’eau quand on m’a
-arrêté. »</p>
-
-<p>Le Président. — Eh bien ! vous voyez, Charles, vous
-donniez d’abord du mobile du crime une explication qui
-n’est pas celle d’aujourd’hui. Voyons, parlez.</p>
-
-<p>L’accusé. — Que voulez-vous que je réponde ? Je vous
-ai dit la vérité.</p>
-
-<p>M. V. — J’avais l’impression qu’il ne la disait pas
-alors, et qu’il dissimulait le mobile du crime. En effet, il
-donne d’autres raisons aujourd’hui… Tout cela me semblait
-si bizarre : je lui ai pris les mains, je lui ai relevé les
-paupières : il était ni ivre, ni fou.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>M<sup>me</sup> Charles vient à la barre, témoigner que, pendant
-dix ans, c’est-à-dire jusqu’au moment où il rencontra la
-fille Juliette, elle n’avait rien eu à reprocher à son mari.</p>
-
-<p>M. le Docteur X… est appelé à parler de Charles ;
-il nous le présente d’abord comme un garçon sain et bien
-portant ; aucune tare dans son atavisme. Mais il a six
-doigts à une main ; il est sujet à des vertiges, à des pertes
-de mémoire ; il a de la difficulté à s’orienter, des défauts
-de prononciation (j’avoue que je ne les ai pas remarqués),
-l’appréhension de faire une chute dans la rue. Le Docteur
-parle encore d’instabilité de jugement, d’indécision et
-d’absence de volonté (et n’est-ce pas là ce qui permit
-cette brusque transformation du désir insatisfait en
-énergie ?), puis conclut enfin en disant que, sans être dans
-un état de démence, dans le sens où l’entend l’article 64
-du code pénal, « l’examen psychiâtrique et biologique, ainsi
-que la nature d’impulsivité spéciale de son crime, indiquent
-une anomalie mentale qui atténue sa responsabilité ».</p>
-
-<p>« Son acte, avait-il dit quelques instants auparavant,
-a été accompli sans que l’idée de tuer ait été bien précisée
-dans son cerveau. On en trouve la preuve dans la distribution
-des coups de couteau que j’ai décrite ».</p>
-
-<p>Comment l’avocat défenseur lui-même n’ira-t-il pas
-plus loin et ne dira-t-il pas que, non seulement Charles
-ne <i>voulait</i> pas tuer, mais même qu’il tâchait obscurément,
-tout en mutilant sa victime, de <i>ne pas</i> la tuer ; que, sans
-doute, précisément pour ne pas la tuer, <i>il avait empoigné
-le couteau à même la lame</i>, et que c’est seulement ainsi que
-l’on peut expliquer que les coups fussent à la fois forts et
-causant des blessures si peu profondes, et que Charles eût
-des coupures aux doigts (rapport du médecin). Et n’est-ce
-pas aussi pour cela que M<sup>me</sup> Gilet ne voyait pas le couteau
-et croyait qu’il frappait avec son poing ?</p>
-
-<p>Rien de tout cela n’est dit par M<sup>e</sup> R., l’avocat
-défenseur de la victime. Il s’appuie sur le rapport des
-médecins pour demander aux jurés de ne pas aller plus
-loin que les experts et de reconnaître à l’accusé une
-responsabilité atténuée.</p>
-
-<p>J’ai longuement insisté sur ce cas, car il fit éclater la
-lamentable incompétence des jurés. Il ressortait avec
-évidence de l’instruction, des témoignages, du rapport
-des médecins, que l’idée de tuer n’était pas nettement
-établie dans le cerveau de Charles ; qu’en tout cas l’on
-n’avait pas affaire à un professionnel du crime, et plus
-peut-être à un sadique qu’à un assassin, que si jamais, enfin,
-crime pouvait être dit passionnel…</p>
-
-<p>Après une demi-heure de délibération, on les voit rentrer
-dans la salle, congestionnés, les yeux hagards, comme
-ébouillantés, furieux les uns contre les autres et chacun
-contre soi-même. Ils rapportent un verdict affirmatif sur
-la seule question de meurtre posée par la cour ; quant aux
-circonstances atténuantes <i>que demandait l’accusation elle-même</i>,
-peu disposée pourtant à la clémence — ils les ont
-refusées.</p>
-
-<p>En conséquence de quoi Charles est condamné aux
-travaux forcés à perpétuité.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>De hideux applaudissements éclatent dans la salle ; on
-crie : « bravo ! bravo ! », c’est un délire. La femme de
-Charles, restée dans la salle, se lève cependant, en proie à
-l’angoisse la plus vive ; elle crie : « C’est trop ! ah ! c’est
-trop ! » et s’évanouit. On l’emmène.</p>
-
-<p>Mais, sitôt après la séance, les jurés, consternés du
-résultat de leur vote (n’avaient-ils pas compris que de ne
-pas voter l’affirmative pour la demande des circonstances
-atténuantes, équivaut à voter la négative ?) s’assemblaient
-à nouveau et, précipités dans l’autre excès, signaient un
-recours en grâce à l’unanimité.</p>
-
-<p>Sans doute auraient-ils voté tout bonnement d’abord
-les circonstances atténuantes, si Madame Gilet n’avait pas
-dit que le couteau, en se retournant dans la plaie, avait
-fait : « Crrac ! »</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Expliquerai-je un peu l’affolement des jurés si je dis
-que, l’avant-veille, avait paru dans le <i>Journal de Rouen</i>, en
-tête, un article sur « Les jurés et la loi de sursis » (N<sup>o</sup> du
-17 Mai 1912) que j’avais vu passer de main en main, de
-sorte que tous mes collègues, ou presque, l’avaient lu ?
-Prenant prétexte d’une affaire qui venait de se juger à
-Paris, où les réponses du jury avaient forcé la cour
-d’acquitter trois précoces malandrins, cet article s’élevait
-contre l’indulgence. On y lisait :</p>
-
-<blockquote>
-<p>« <i>Jamais les jurés parisiens n’avaient donné une telle
-preuve de faiblesse que dans l’affaire où, à la stupéfaction
-générale, ils viennent d’acquitter trois jeunes cambrioleurs convaincus
-d’avoir tenté de piller un pavillon…</i></p>
-
-<p><i>Cette indulgence outrée et absurde s’explique peut-être dans
-le cas particulier par l’attitude extraordinaire de la plaignante,
-qui avait demandé l’acquittement de ses agresseurs et
-aurait même, paraît-il, manifesté l’intention d’adopter l’un
-d’eux…<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a> Mais est-il besoin de faire remarquer que les jurés
-qui, eux, doivent avoir la tête solide et posséder l’expérience de
-la vie, ne pouvaient subir le même accès de niaise sentimentalité</i>
-(ce « niais » n’est pas très chrétien, Monsieur le
-chroniqueur) <i>et qu’ils ont, par conséquent, manqué à leur
-devoir en refusant de condamner des coupables avérés, et que
-rien ne leur signalait comme particulièrement intéressants ?</i></p>
-</blockquote>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> Combien ne serait-il pas intéressant de connaître le résultat
-de cette rare expérience !</p>
-</div>
-<blockquote>
-<p><i>Cet étrange verdict, que la presse a condamné de façon
-unanime, etc.</i></p>
-
-<p><i>En ce temps, où les crimes se multiplient, où l’audace et la
-férocité des malfaiteurs dépassent toutes les bornes connues</i>
-(ô Flaubert !), <i>où les jeunes gens même entrent si hardiment
-dans la mauvaise voie, etc…</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Qui dira la puissance de persuasion — ou d’intimidation — d’une
-feuille imprimée sur des cerveaux pas bien
-armés pour la critique, et si consciencieux pour la plupart,
-si désireux de bien faire !…</p>
-
-<p>— Le Président m’a dit que jusqu’à présent nous avions
-très bien jugé, répétait, il y a quelques jours, un des
-jurés ; et ce satisfecit du Président courait de bouche en
-bouche, et chacun des jurés s’épanouissait à le redire. Ils
-en rabattirent bientôt.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">VII</h2>
-
-
-<p>Considérée d’abord comme un simple délit, l’affaire que
-nous eûmes à juger ce jour-là, avait déjà passé devant
-le tribunal correctionnel du Havre ; l’un des accusés,
-protestant contre sa condamnation à deux ans, fit appel.
-C’est Yves Cordier, cordonnier ; il comparaît en compagnie
-de C. Lepic et de Henri Goret, ses complices ; des
-deux filles Mélanie et Gabrielle. Ils sont accusés tous les
-cinq d’avoir entraîné le marin Braz, après l’avoir soûlé,
-de l’avoir « passé à tabac » et dépouillé de l’argent qu’il
-portait sur lui. Ce marin, reparti en voyage, n’a pu
-répondre à la citation, non plus qu’il n’avait pu comparaître,
-lorsque l’affaire était passée en correctionnelle. Il avait
-déposé sa plainte sitôt après l’agression ; puis, ayant recouvré
-son argent, l’avait retirée peu de jours après, avant de se
-rembarquer à nouveau. Si l’affaire suivait son cours c’était,
-à proprement parler, malgré lui.</p>
-
-<p>Cordier est un grand gars de dix-huit ans, un peu
-épais, blond, aux yeux bleus, au visage ouvert et qu’on
-imagine volontiers souriant ; on dirait un marin ; il a
-gardé la grosse vareuse cachou de la prison ; il pleure
-continûment ; par moments, il se tamponne le visage avec
-un mouchoir à carreaux qu’il roule en boule dans sa
-main droite ; la main gauche est enveloppée d’un linge.</p>
-
-<p>Lepic est un journalier du Havre ; son état-civil lui
-donne vingt-cinq ans ; il a ce qu’on appelle : une sale tête ;
-pommettes saillantes ; énorme moustache, nez pointu ; on
-n’est pas étonné d’apprendre qu’il a déjà été condamné
-sept fois pour vol. Il tient une petite casquette entre ses
-mains ; d’affreuses mains, noueuses et, l’on dirait, mal
-dessinées. Il n’a pas de linge ; ou, s’il en a, ne le montre
-pas. Près de lui, Henri Goret paraît fourvoyé. Cette
-espèce de fils de famille, ne semble pas de la même classe
-sociale que les autres ; il a du linge, lui, et même un
-protège-col ; une petite cravate à nœud droit ; son
-visage aux moustaches naissantes serait presque joli s’il
-n’était avili, abruti ; sa voix est frêle, fausse et voilée ; il
-ne sait que faire de ses grosses mains gourdes. Le père de
-Goret tient un débit de boissons et une sorte d’hôtel borgne
-près du grand bassin. Henri Goret n’a pas vingt ans ; il a
-épousé une putain qui s’est fait flanquer en prison peu de
-temps après le mariage. — N’importe ! Henri se présente
-assez bien ; certainement la décence, et j’allais dire la
-distinction de sa tenue, prédispose en sa faveur les jurés ;
-elle accuse la roture et le dénuement des deux autres.</p>
-
-<p>Passons au récit de « la scène de violences dont sont
-impliqués ces individus », comme dit le <i>Journal de Rouen</i>
-(16 Mai) :</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>C’est le 4 octobre 1911, au soir, que Cordier fit la
-connaissance de Lepic. Ce dernier, sans doute, eut vite
-fait de comprendre à quel complaisant débonnaire il avait
-affaire. Ensemble ils s’en vont aux Folies. La représentation
-finie, ils commencent à vadrouiller par les rues. Ils
-croisent deux marins, Braz et Crochu. Crochu est ivre-mort,
-difficile à traîner ; Braz interpelle les deux autres et
-leur demande s’ils ne connaissent pas un logement où l’on
-puisse coucher le soûlard. Tous trois emmènent Crochu
-rue de la Girafe, chez Lestocard. On le laisse là, et Braz,
-reconnaissant de l’aide que lui ont prêtée Lepic et Cordier,
-offre à ceux-ci une consommation.</p>
-
-<p>Ils ressortent, bras dessus, bras dessous de chez
-Lestocard, et ne se quitteront pas de sitôt. Place du Vieux
-Marché, ils rencontrent deux femmes, les filles Gabrielle
-et Mélanie ; les emmènent. Il est deux heures du matin.
-Place Gambetta, c’est Cordier qui offre une consommation.
-Puis ils retournent place du Vieux Marché ; au café Fortin
-Braz paye une nouvelle tournée. A ce moment se
-joint à eux le jeune Goret. Il était là, dans le café, près
-du comptoir ; lui n’est pas ivre. Quand les autres sortent,
-il sort aussi. J’admets que Braz, déjà très ivre, ne l’ait pas
-beaucoup remarqué.</p>
-
-<p>Il est alors près de quatre heures du matin. Braz
-voudrait bien aller se coucher, mais les autres l’entraînent.
-Ils errent au hasard tous les six et atteignent la rue Casimir
-Delavigne. Braz n’en peut plus ; il voudrait qu’on le
-laissât. « Il est temps de s’aller coucher maintenant ». Mais
-Lepic ne l’entend pas ainsi ; il prétend l’entraîner hors
-la ville.</p>
-
-<p>— « Viens-t’en donc ! J’ai un jardin là-haut, auprès
-du fort de Tourneville. Nous cueillerons des roses. J’te vas
-donner un bouquet que t’en garderas longtemps le
-souvenir. » (déposition de la fille Gabrielle.)</p>
-
-<p>En vain Gabrielle tire le marin par la manche ; elle
-voudrait le retenir ; mais il n’est plus en état de rien
-entendre, ou du moins d’entendre raison. Tous repartent
-et commencent à monter la longue côte.</p>
-
-<p>Une fille se penche vers l’autre : — Ça ne va-t’y pas se
-gâter ?… Pour sûr ils vont lui faire son affaire.</p>
-
-<p>— Non, répond l’autre ; il y a toujours des soldats près
-du fort.</p>
-
-<p>Braz est entre Lepic et « celui qui a la main en écharpe »
-(déposition de Braz). — Cette « main en écharpe » l’a
-beaucoup frappé. — Les filles suivent, puis Goret à quelque
-distance en arrière.</p>
-
-<p>C’est à cinq heures, c’est-à-dire immédiatement avant
-l’aube (5 octobre), qu’ils descendent dans le fossé du fort ;
-sous quel prétexte ? je ne sais. Les deux filles restent
-en haut.</p>
-
-<p>Que se passe-t-il alors ? Il est malaisé de l’établir. Le
-marin n’est plus là pour le raconter ; de plus, au moment
-de l’agression, il était ivre et il est vraisemblable
-qu’il n’ait pu se rendre que vaguement compte de la
-manière dont on l’attaquait et du rôle particulier de chacun
-de ses agresseurs. Nous n’aurons donc, pour nous éclairer,
-que le témoignage des intéressés. Or, chacun des accusés
-proteste de son innocence ; du moins cherche-t-il à
-restreindre le plus possible sa part de responsabilité. (Lepic,
-plus catégorique, niera même avoir été de la partie : on
-s’est trompé ; ça n’est pas lui.)</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>On procède à l’interrogatoire de Cordier :</p>
-
-<p>C’est sans doute un bien méchant gars : il a déjà subi
-trois condamnations pour vol ; il n’avait que quatorze ans
-la première fois ; il est rendu à ses parents ; il recommence ;
-de nouveau on le renvoie à sa famille ; à la troisième fois
-on le confie à une colonie disciplinaire. Mais il prend en
-telle horreur ce régime, qu’il s’enfuit et retourne près de
-sa mère. Madame Cordier est la veuve d’un marin ; elle
-tient une maison de blanchissage et emploie plusieurs
-ouvrières. Yves Cordier est le dernier de cinq enfants. Le
-puîné est au régiment ; les autres sont placés, mariés, font
-une honnête carrière ; toute la famille est honorablement
-notée. Le cadet, celui qui nous occupe, semble particulièrement
-aimé ; et non seulement de sa mère et de ses
-frères, mais également par les voisins. Ses patrons donnent
-de lui de bons témoignages ; on nous lit une lettre d’un
-de ceux-ci, qui parle avec éloge de « sa conduite et sa
-probité » et demande à le reprendre à son service. C’est
-chez lui que Cordier reprenait déjà du travail deux jours
-après sa première libération<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Je ne donne ici que les renseignements qui nous furent fournis
-par la Cour, et non ceux que je pus, de mon côté, recueillir ensuite.</p>
-</div>
-<p>Il est à remarquer que la déposition de Cordier et celles
-des deux filles concordent point par point. D’après leur
-récit, Goret aurait brusquement sauté au cou du marin
-par derrière et aurait roulé à terre avec lui. Puis, tandis
-que Lepic le baillonnait, Goret l’aurait fouillé et aurait
-passé à Cordier l’argent qu’il trouvait dans les poches.
-Cet argent, Cordier le repassait presque aussitôt après à
-Lepic. Goret donnait encore au marin deux derniers coups
-de pied sur la nuque, et l’on repartait.</p>
-
-<p>Chacun allait de son côté ; mais rendez-vous était pris
-pour se retrouver un peu plus tard, dans une chambre, rue
-du Petit Croissant, chez Goret même, et se partager
-l’argent.</p>
-
-<p>C’est là que la police, aussitôt prévenue par le marin,
-les arrêta.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le Président bouscule l’interrogatoire des deux filles.
-Il appert que les témoins « de moralité douteuse » ne jouissent
-pas d’un grand crédit dans son esprit ; et cela est tout
-naturel. Malheureusement, ici nous n’avons que ceux-ci
-pour nous instruire. Gabrielle, pressée de questions, qui se
-succèdent sans qu’elle ait le temps d’achever ses réponses, et
-qui sent que le Président ne lui fait point crédit, se trouble.
-Elle ne peut guère placer que des monosyllabes, répondre
-que par oui ou par non. Elle veut dire (c’est du moins ce
-qu’il me semble) que Cordier n’a pas participé à l’agression,
-et n’a fait que recevoir l’argent que les autres lui passaient.
-Si vous croyez que c’est facile !… Évidemment tout cela
-a été déjà élucidé à l’instruction : cet interrogatoire, pour
-le juge qui a étudié l’affaire, ne peut et ne <i>doit</i> apporter
-rien de nouveau ; mais pour le juré, tout est neuf : il
-cherche à se faire une opinion ; il s’inquiète et doute si
-peut-être l’affaire n’a pas été bouclée trop vite, et l’opinion
-que s’en est faite le Président.</p>
-
-<p>Le Président. — Est-ce Cordier qui lui mettait la main
-sur la bouche ?</p>
-
-<p>La fille Gabrielle. — Non, mon Président.</p>
-
-<p>Le Président. — Alors c’est lui qui a porté les coups.</p>
-
-<p>La fille Gabrielle. — Non, mon Président.</p>
-
-<p>Le Président. — Enfin, l’un frappait, l’autre baillonnait,
-le troisième fouillait. Braz dit que c’est Cordier qui l’a
-frappé ; vous dites que c’est Cordier qui l’a fouillé. Il y a
-eu sans doute quelque confusion dans la lutte et par
-conséquent dans les témoignages aussi. Il ressort de tout
-cela que la responsabilité des trois accusés a été engagée
-au même degré, et c’est ce qui paraît évident. Fille
-Gabrielle, vous pouvez vous rasseoir.</p>
-
-<p>La fille Gabrielle est la dernière interrogée ; on va
-passer aux plaidoiries. Alors le Président, selon l’usage, se
-tournant vers « celui qui a la main en écharpe » :</p>
-
-<p>— Vous n’avez rien à ajouter au rapport du témoin ?</p>
-
-<p>Cordier, qui sent que tout va finir, en sanglotant :</p>
-
-<p>— Monsieur le Président, j’dis la vérité, j’l’ai pas
-touché. — Puis dans un élan pathétique, du plus fâcheux
-effet : — Je l’jure sur la tombe de mon père…</p>
-
-<p>Le Président. — Mon enfant, laissez donc votre père
-tranquille.</p>
-
-<p>Cordier, continuant. — … pas même du bout du doigt…</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Pour Cordier, non plus que pour les autres, aucun
-témoin à décharge n’a été cité. On a bien donné lecture
-de la lettre d’un des patrons de Cordier ; mais pourquoi
-n’entendons-nous pas sa mère ? — Parce que Yves Cordier
-n’a pas voulu qu’elle fût appelée ; il s’est même refusé à
-donner son adresse.</p>
-
-<p>Le Président. — Pourquoi n’avez-vous pas voulu donner
-l’adresse de votre mère ?</p>
-
-<p>Cordier ne répond pas.</p>
-
-<p>Le Président. — Alors vous refusez de nous dire pourquoi
-vous n’avez pas voulu donner l’adresse de votre mère ?</p>
-
-<p>Hélas ! mon Président, est-ce donc si difficile à comprendre ?
-ou n’admettez-vous pas que Cordier ait pu
-vouloir épargner une honte à sa mère ? Si vous pouviez
-voir la pauvre femme, comme j’ai fait ensuite,<a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a> sans
-doute vous ne vous étonneriez plus.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> « Je ne me refuse aucunement à vous donner l’adresse de ma
-mère, m’écrivit peu de temps après Cordier, de la prison — car, si
-je ne l’ai donnée au juge, c’était pour ne pas qu’elle se présente au
-Palais. »</p>
-</div>
-<p>Je suis consterné, épouvanté, de sentir que l’interrogatoire
-va se clore et que le cas particulier de Cordier va
-demeurer si peu, si mal éclairé. Car je ne sais presque
-rien de lui, mais il m’apparaît déjà que ce garçon n’a rien
-de féroce, rien d’un bandit. Il ne me semble même pas
-impossible qu’il ait accompagné le marin, poussé par une
-sorte de sympathie vague… Ne saurais-je inventer nulle
-question, puisque, juré, j’ai le droit d’en poser, qui puisse
-jeter ici quelque lueur, et m’éclairer moi-même — car
-peut-être que je m’abuse et qu’Yves Cordier, après tout,
-ne mérite point la pitié. Cette question, je n’aurai plus le
-droit de la poser, dès que les plaidoiries auront commencé.
-Je n’ai plus qu’un instant, et déjà l’avocat de Cordier se
-lève… Alors, d’une voix étranglée, le cœur battant, je
-<i>lis</i> ceci, que je viens d’écrire, craignant sinon de ne pouvoir
-trouver mes mots et achever ma phrase :</p>
-
-<p>— Monsieur le Président, pouvons-nous savoir quelle
-somme a été prise à la victime et dans quelle proportion
-le partage s’est fait ensuite entre les accusés ?</p>
-
-<p>Le Président procède à un court interrogatoire et nous
-apprenons : que 92 francs ont été soustraits à Braz ; — que,
-sur cette somme, 5 francs ont été donnés à chacune des
-deux femmes pour acheter leur silence ; — que Cordier
-a reçu 10 francs, qu’il remettait aussitôt après aux agresseurs ;
-et que, du reste de la somme, soit 72 francs, Lepic
-et Goret ont gardé chacun la moitié.</p>
-
-<p>Ah ! s’il m’était permis de tirer des conclusions et,
-d’après ces chiffres précis, de chiffrer précisément la part
-de responsabilité de chacun !… L’avocat de Cordier, du
-moins, le fera-t-il ? — Non. Sa plaidoirie du reste est
-solide, habile ; mais il ne peut faire que Cordier n’ait un
-casier judiciaire déjà chargé. Il ne peut faire non plus que
-Cordier, peu de temps après son arrestation, ou plus précisément,
-je crois : après la première instruction — n’ait
-écrit au Procureur la lettre la plus absurde, la plus
-folle :</p>
-
-<p>« Je ne connais ni Lepic, ni Goret, y disait-il. Ils
-n’étaient pas là. C’est moi seul qui ai fait le coup, avec
-un de mes amis du port. Je ne regrette qu’une chose :
-c’est de ne pas avoir achevé le marin. »</p>
-
-<p>Lettre manifestement écrite sous la pression de Lepic,
-dira l’avocat défenseur, et sans doute sous ses menaces.
-(Lepic chercha également à intimider les deux femmes
-en les menaçant de son couteau « catalan ».) N’a-t-on
-pas persuadé à Cordier que, en tant que mineur, il ne
-risquait guère et ne pourrait être condamné sévèrement ?</p>
-
-<p>Cette lettre, du reste, l’accusation, tout en la relevant,
-n’en tient pas grand compte. Il arrive parfois, souvent
-même, que le Procureur reçoive de la prison semblables
-« aveux » destinés parfois à éclairer la justice, parfois à
-l’égarer ; lettres écrites, parfois même, sans but et sans
-raison, dans le désœuvrement de la geôle. N’importe !
-cette lettre, dans l’esprit des jurés, est du plus déplorable
-effet. J’ai moi-même le plus grand mal à me l’expliquer
-par le peu que l’instruction m’a révélé du caractère (et
-de l’absence de caractère) de Cordier.</p>
-
-<p>Après la première plaidoirie de la défense, le tribunal
-demande une suspension de séance et nous allons dîner.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Quand, deux heures après, nous rentrons au Palais,
-l’avocat de Cordier <i>n’est plus là</i>. Certes, je n’irai pas
-jusqu’à dire que les avocats des deux autres accusés ont
-<i>profité</i> de cette absence, mais pourtant, comme ce n’est
-qu’en chargeant Cordier qu’ils pouvaient décharger leur
-client, la présence du défenseur de Cordier n’aurait pas
-été inutile. Cordier restait tout abandonné à la discrétion
-des deux autres.</p>
-
-<p>Et ce n’est pas seulement par là que Cordier eut à
-pâtir de passer en jugement le premier. Sans doute, si elle
-s’était d’abord déchargée sur Lepic, la sévérité des jurés
-se serait montrée moins intransigeante. Ce fut Goret qui,
-passant troisième, profita de la réaction ; du reste, son
-linge, sa tenue, son air fourbe, avaient favorablement
-impressionné le jury.</p>
-
-<p>Nous ne fûmes pas plutôt dans la salle de délibération
-qu’un long, maigre « primaire » à cheveux blancs, sortit
-de sa poche un papier où il avait consigné toutes les
-charges contre Cordier, et principalement ses condamnations
-précédentes. En vérité ce furent celles-ci qui
-l’emportèrent et dictèrent le nouveau jugement. Tant il
-est difficile pour le juré de ne pas considérer une première
-condamnation comme une charge et de juger le prévenu
-en dehors de l’ombre que cette première condamnation
-porte sur lui.</p>
-
-<p>En vain, un autre juré donna lecture de la lettre d’un
-des autres patrons de Cordier, extrêmement favorable à
-celui-ci — lettre qui n’avait pas été versée au dossier et que
-je ne sais qui venait, je ne sais comment, de lui remettre
-tandis que nous passions dans la salle de délibération — ce
-que je croyais formellement interdit…</p>
-
-<p>— Tout ça, c’est des bandits, reprenait un autre juré.
-Faut en débarrasser la société.</p>
-
-<p>C’est ce qu’on fit dans la mesure du possible. Cordier
-fut condamné à cinq ans de réclusion et dix ans d’interdiction
-de séjour. Goret, à l’heure où j’écris ces lignes, est
-relâché depuis trois mois.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Cette nuit je ne puis pas dormir ; l’angoisse m’a pris
-au cœur, et ne desserre pas son étreinte un instant. Je
-resonge au récit que me fit jadis au Havre un rescapé de
-la Bourgogne : Il était, lui, dans une barque avec je ne
-sais plus combien d’autres ; certains d’entre ceux-ci
-ramaient ; d’autres étaient très occupés tout autour de la
-barque à flanquer de grands coups d’aviron sur la tête et
-les mains de ceux, à demi noyés déjà, qui cherchaient à
-s’accrocher à la barque et imploraient qu’on les reprît ;
-ou bien, avec une petite hache, leur coupaient les poignets.
-On les renfonçait dans l’eau, car en cherchant à les sauver
-on eût fait chavirer la barque pleine…</p>
-
-<p>Oui ! le mieux c’est de ne pas tomber à l’eau. Après,
-si le ciel ne vous aide, c’est le diable pour s’en tirer ! — Ce
-soir je prends en honte la barque, et de m’y sentir à
-l’abri.</p>
-
-<p>Avant de rentrer me coucher, j’avais longtemps erré
-dans ce triste quartier près du port, peuplé de tristes gens,
-pour qui la prison semble une habitation naturelle — noirs
-de charbon, ivres de mauvais vin, ivres sans joie,
-hideux. Et dans ces rues sordides, rôdaient de petits
-enfants, hâves et sans sourires, mal vêtus, mal nourris,
-mal aimés…</p>
-
-<p>Mais Cordier, lui, est fils d’une honnête famille ; il a eu
-de bons exemples sous les yeux. Si on lui tend la perche,
-peut-être qu’on pourrait le sauver.</p>
-
-<p>Le lendemain matin, je m’en vais trouver son avocat
-et lui soumets le projet de requête que voici (il s’agit, du
-reste, d’une demande non de recours en grâce, mais
-simplement de diminution de peine) :</p>
-
-<blockquote>
-<p class="ind"><i>Attendu</i></p>
-
-<p><i>Que le seul témoignage contre l’accusé Cordier est celui de
-la victime, M. Braz, ivre au moment où elle a été attaquée ;</i></p>
-
-<p><i>Que du reste M. Braz, marin, reparti en voyage, n’a pu
-être atteint par la citation et par conséquent être entendu à
-l’audience ;</i></p>
-
-<p><i>Qu’il ressort néanmoins de sa première déposition qu’il a
-été attaqué par derrière et qu’il n’a pu voir l’agresseur.</i> —</p>
-
-<p><i>D’autre part,</i></p>
-
-<p class="ind"><i>Attendu</i></p>
-
-<p><i>Que la déposition de Cordier concorde entièrement avec
-celles des filles Gabrielle et Mélanie, seuls témoins de l’agression,
-et qu’il ressort de leurs dires que Cordier n’a point pris
-part à l’attaque, mais s’est contenté de recevoir l’argent de la
-victime, que Goret et Lepic, les deux agresseurs, lui tendaient ;</i></p>
-
-<p><i>Qu’il ressort de ces dépositions que Goret, beaucoup moins
-ivre que les autres, n’ayant participé à aucune des précédentes
-« tournées », suivait le groupe par derrière, à l’insu de Braz,
-jusqu’au moment où il a bondi sur lui ; que Lepic entraînait
-le marin avec une intention précise ; et qu’il semble que
-Cordier, faible de caractère, presque incapable de résister à
-l’entraînement et de plus complètement ivre, n’ait fait que
-suivre.</i></p>
-
-<p><i>Que ceci trouve, du reste, confirmation dans le fait que,
-lors du partage, Goret et Lepic se réservant la forte somme,
-ont jugé suffisant de lui donner 10 francs, comme ils avaient
-remis 5 francs à chacune des deux filles, pour prix du silence.</i></p>
-
-<p class="ind"><i>Attendu</i></p>
-
-<p><i>Que la déclaration de Cordier recueillie au cours de
-l’instruction, dont se sont servis les avocats défenseurs des
-autres accusés, et le ministère public : « C’est moi seul qui ai
-fait le coup avec un autre camarade ; ni Lepic, ni Goret
-n’étaient là ; je ne regrette qu’une chose, c’est de ne pas l’avoir
-achevé », est manifestement inspirée par la crainte de Lepic,
-dangereux repris de justice — qui, de même, a cherché à
-intimider les deux femmes — et qu’il n’y a pas lieu par conséquent
-de tenir compte de cette déclaration.</i></p>
-
-<p class="ind"><i>Attendu</i></p>
-
-<p><i>Que si Cordier était coupable (du moins dans la mesure
-qu’on l’a dit) il est hors de vraisemblance qu’il eût cherché à
-reporter son affaire devant une autre juridiction, comme il a
-fait lorsque la Correctionnelle du Havre lui a infligé une
-peine de deux ans.</i></p>
-</blockquote>
-
-<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div>
-<p>L’avocat, obligeamment, m’indique telle modification de
-forme qu’il croit devoir y apporter, insiste sur le rapport
-du médecin légiste qui estime que Cordier est « d’une
-intelligence au-dessous de la moyenne, qu’il s’exprime avec
-une certaine difficulté, que sa mémoire lui fait parfois
-défaut » et conclut à une responsabilité atténuée. Puis il
-m’indique la marche à suivre pour la faire signer, approuver
-du Procureur général et envoyer à qui de droit.</p>
-
-<p>Une sorte de timidité, la crainte aussi de ne rien obtenir
-en demandant trop, le sentiment de la justice — car
-malgré tout je ne puis considérer Cordier comme innocent — me
-détournent de demander le recours en grâce
-tout simple. Je me rends compte peu après que je ne
-l’eusse pas plus malaisément obtenu. Plusieurs jurés en
-effet ont médité sur cette affaire ; la nuit leur a porté
-conseil ; ils sont prêts à approuver ma requête, et je n’ai
-point de peine à recueillir les signatures de huit d’entre
-eux. Un des autres, un énorme fermier rougeoyant, plein
-de santé, de joie et d’ignorance, comme on parle devant
-lui de la maladie d’un prisonnier et de l’absence de soins
-par quoi sa maladie aurait empiré :</p>
-
-<p>— S’il crève c’est autant de gagné pour la société. A
-quoi bon les soigner ? s’écrie-t-il. Faut leur dire ce que
-répondait le médecin, à l’autre qui voulait se faire couper
-son doigt pourri : — « Pas la peine, mon garçon ! tombera
-bien tout seul. »</p>
-
-<p>Je dois ajouter que cette boutade n’amène les rires que
-de quelques-uns.</p>
-
-<p>Les deux autres qui se refusèrent à signer donnèrent
-cette raison : qu’ils avaient voté suivant leur conscience
-et qu’on aurait par trop à faire s’il fallait revenir sur
-chaque affaire jugée.</p>
-
-<p>Evidemment : mais j’eusse été tout de même curieux
-de connaître le dossier des deux précédentes condamnations
-de Cordier. S’il fut jugé alors comme nous l’avons
-jugé hier…<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> Aussitôt que j’eus un jour libre, j’allai au Havre et rendis visite
-à la mère du condamné. J’eus quelque mal à la retrouver, car la
-pauvre femme avait dû changer d’adresse pour fuir les propos et les
-regards injurieux des voisins. Dès qu’elle comprit pourquoi je
-venais, elle m’entraîna dans une petite pièce écartée où les ouvrières
-qu’elle emploie ne pussent pas nous entendre.</p>
-
-<p>Elle sanglote et peut à peine parler ; une de ses filles l’accompagne,
-qui complète les récits de la mère :</p>
-
-<p>— Ah ! Monsieur, me dit celle-ci, ça a été une grande misère
-pour nous quand mon autre fils (le puîné) a été pris par le service.
-Il était de bon conseil et Yves l’écoutait toujours. Quand il s’est
-échappé de la colonie, il n’a plus osé habiter à la maison, par crainte
-qu’on ne le reprenne. C’est alors que, sans domicile, il a commencé
-de fréquenter les pires gens qui l’ont entraîné et perdu.</p>
-
-<p>Tous les renseignements que je recueille ensuite sur Yves Cordier — de
-sa mère, de sa sœur, de son dernier patron, de son frère que
-je vais voir à la caserne — confirment entièrement l’opinion qui
-commençait à se former en moi :</p>
-
-<p>Yves Cordier est sans jugement ; de tête faible et déplorablement
-facile à entraîner. Bon à l’excès, disent-ils tous : c’est dire aussi :
-sans résistance. Son désir d’obliger autrui va jusqu’à la manie,
-jusqu’à la sottise. C’est pour un camarade « qui en avait besoin »
-qu’Yves Cordier aurait volé une vieille paire de chaussures, son
-premier vol.</p>
-
-<p>Quand, à la colonie pénitentiaire, sa mère, usant de la permission,
-lui apportait des friandises : « Si c’est pour lui que vous apportez ça,
-Madame, lui disait le gardien, c’est pas la peine ; il donne tout aux
-autres et ne gardera rien pour lui. »</p>
-
-<p>A la colonie, sur les conseils d’un camarade, il se fit tatouer le
-dos de la main gauche. Un autre camarade lui persuada, aussitôt
-après, que ce tatouage apparent pourrait le gêner dans la vie, et
-Yves, docile à ce nouveau conseil, appliqua sur le tatouage un
-emplâtre de sel et de vitriol qui lui mangea la chair jusqu’à l’os (et
-c’est pourquoi, le jour du délit, il avait sa main en écharpe).</p>
-
-<p>— Ce garçon avait seulement besoin d’être dirigé, me dit enfin
-son patron cordonnier, qui me parle de lui en termes émus et ne
-demande qu’à le reprendre à son service…</p>
-</div>
-<p>Quelque temps après j’obtins satisfaction de ma requête :
-La peine de Cordier est réduite à trois ans de prison.</p>
-
-<p>Mais hélas ! après la prison ce sera le bataillon d’Afrique.
-Et au sortir de ces six ans, qui sera-t-il… <i>que</i> sera-t-il ?…</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">IX</h2>
-
-
-<p>On a gardé pour la fin l’affaire la plus « conséquente ».
-Celle qui nous occupe ce dernier jour menace d’être si
-longue qu’on nous convoque dès 9 heures du matin. La
-séance durera jusqu’à plus de 10 heures du soir, coupée à
-deux reprises aux heures des repas. Il s’agit des vols
-commis à la gare de dépôt de Sotteville sur les marchandises
-confiées à la Compagnie de l’État.</p>
-
-<p>Depuis le nouveau régime de cette compagnie, les
-réclamations surabondent et l’on se plaint de toutes parts
-de vols sans nombre, certains extrêmement importants.</p>
-
-<p>Un grand soupir de soulagement se fit entendre dans la
-presse et dans le public lorsqu’on apprit qu’une nombreuse
-bande de voleurs et de recéleurs avait été pincée. On ne
-nous en offre pas moins de seize à juger ; le bruit court
-dès le début de la séance que nous aurons à répondre à
-plus de 100 questions.</p>
-
-<p>La lecture de l’acte d’accusation ne va pas sans nous
-causer quelque étonnement. On s’attendait à plus, à
-mieux ; devant l’importance de certains détournements,
-que les jurés se rappelaient l’un à l’autre avant l’ouverture
-de la séance, les chaparderies reprochées aux prévenus
-nous paraissent des peccadilles, et l’étonnement cède vite à
-l’ennui, à la fatigue, et même, pour quelques-uns des jurés,
-à l’agacement, à l’exaspération, au cours de l’interrogatoire.</p>
-
-<p>Une interminable discussion s’engage pour savoir si
-trois bouteilles et demi de Cointreau ont été volées par la
-femme X., ou achetées par elle, ainsi qu’elle le soutient, à
-la femme B. qui, elle, soutient que la femme X. ne lui a
-jamais acheté de liqueurs. La femme X. porte un petit
-poupon dans ses bras qui pleure et voudrait déposer lui
-aussi.</p>
-
-<p>X., époux de la prévenue, reconnaît s’être approprié
-« un restant de bouteille de kirsch » ; mais il n’a jamais
-donné cette paire de chaussettes à Y. ; au contraire, il les
-a reçues de ce dernier. Quant au service à découper,
-c’est Z. qui, etc…</p>
-
-<p>X. est bon ouvrier ; il gagne cent sous par jour, plus
-une indemnité ; il est père de quatre enfants. Sa déposition
-concorde avec celle de B. qui dit avoir reçu de N. de la
-moutarde et de M. du café et du thé, du reste en quantités
-dérisoires : par contre il n’a rien reçu de D. ni de E. Il
-reconnaît avoir accompagné N. quand il a chipé le pot de
-moutarde, mais lui-même il n’a rien pris. N. ne fait point
-difficulté de reconnaître le vol du pot de moutarde.</p>
-
-<p>M. est père de quatre enfants lui aussi ; il avoue le
-détournement de 5 kilos de riz et de quelques morceaux
-de charbon ; c’est bien lui qui a donné à B. deux kilos de
-café et de thé ; mais il les avait lui-même reçus de R.</p>
-
-<p>La femme M. n’a jamais voulu garder chez elle quoi
-que ce soit de provenance douteuse.</p>
-
-<p>Par contre, la femme W. mère de six enfants, est
-convaincue d’avoir recélé de la chicorée, du riz et un pot
-de peinture. Elle soutient que ces denrées lui étaient
-fournies par M. seul.</p>
-
-<p>T. nettoyeur au dépôt de Sotteville, père de trois
-enfants, et dont la femme est mourante à l’hôpital, nous
-persuade qu’il n’a jamais rien volé ; sa déposition concorde
-entièrement avec celle de M. Mais il ne parvient pas à se
-laver de l’accusation de recel.</p>
-
-<p>La femme Y. avoue le recel d’une paire de chaussettes,
-celle qu’Y. à donnée par la suite à X.</p>
-
-<p>Un âpre dialogue se poursuit quelque temps entre la
-femme O., une hideuse pouffiasse au teint de géranium, et la
-femme P. qui sanglote et fait de grands efforts pour montrer
-qu’elle est de rang supérieur ; chacune des deux reproche à
-l’autre de lui avoir apporté de l’huile et des harengs.</p>
-
-<p>P., le mari de la dernière, n’est pas employé à la
-compagnie. C’est un homme de cinquante ans, d’aspect
-énergique, grisonnant et à fortes moustaches, père de
-famille ; précédemment condamné pour coups et blessures ;
-il vit de ce que lui rapporte son jardin. Ce jardin ouvre
-sur la voie, à quelques pas d’un viaduc. En passant sous
-le viaduc on gagnait l’autre côté de la voie. (Un plan, ici
-encore, nous rendrait service.) Nul lieu ne pouvait être
-mieux choisi pour les recels. P. reconnaît avoir recélé les
-denrées apportées par O. et par X. Il reconnaît même
-avoir fait le guet, une fois, « plutôt pour ma sécurité
-personnelle », ajoute-t-il.</p>
-
-<p>O. fils, âgé de quinze ans, reconnaît avoir reçu de la
-femme P. un paquet d’étoffe, mais soutient qu’il en
-ignorait la provenance ; etc. etc…</p>
-
-<p>Durant la seconde suspension de la séance, les jurés en
-allant dîner échangent leurs impressions. Pour la première
-fois ils se tournent contre le ministère public ; c’est un
-revirement d’opinion très net et des plus curieux à observer.</p>
-
-<p>Ils se redisent, ce qui ressort des rapports, que ces
-vieux employés étaient demeurés fidèles tout le temps
-qu’ils avaient travaillé sous la direction de l’ancienne
-compagnie ; si maintenant ils prêtaient la main à la gabegie
-générale, la nouvelle direction n’en était-elle pas
-responsable ? « Quand tout à coup, dira l’un de leurs
-avocats, ces hommes ont vu sur leur casquette, inscrit à
-la place du mot <i>Ouest</i>, le mot <i>État</i>, chacun d’eux a pensé :
-<i>l’État</i> c’est moi ! Quoi d’étonnant s’ils se sont donné
-quelque licence ? » Sans doute on compte sur la condamnation
-de ceux-ci pour calmer l’opinion publique !
-Désespérant de saisir les vrais coupables, ou, qui sait ?
-peut-être craignant de les saisir, on veut faire payer à leur
-place les fauteurs de ces peccadilles ! Non ! non, les jurés
-ne seront pas si naïfs et ne se prêteront pas à ce jeu ; ils
-ne briseront pas la carrière de ces pères de famille, pour les
-beaux yeux de l’accusation et de la noble Compagnie de
-l’État. Certains déjà se réjouissent à penser à la tête que
-fera tantôt le Président quand, sur les réponses des jurés,
-qui, sur toute la ligne, se préparent à voter « non coupable »,
-force sera d’acquitter tous les prévenus. Quelle belle fin
-de session ce sera. Les journaux vont en parler pour sûr !</p>
-
-<p>Le Président sans doute a eu vent de ces dispositions ;
-son front lorsqu’il réapparaît devant nous à la reprise de
-séance, nous semble un tantinet rembruni. Nous écoutons
-le réquisitoire ; nous écoutons les plaidoiries. Dans la
-crainte que quelqu’un de nous ne défaille, on a pris soin
-de nommer deux jurés supplémentaires qui se tiennent
-prêts à relayer. Et nous prenons grand’pitié d’eux durant
-la délibération. Malgré que nous soyons d’accord et tous
-décidés par avance, cette délibération durera plus d’une
-heure et demie, le chef du jury se refusant obstinément
-à sérier les questions et nous forçant à voter pour presque
-chacune. Enfermés dans une petite salle à part, les jurés
-supplémentaires doivent s’amuser ! Ont-ils au moins des
-journaux et des cigarettes ? On prie le garde de service
-d’aller s’en informer.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Un point reste assez délicat : nous ne voulons pas
-condamner ces chapardeurs, c’est entendu ; mais, sur
-le bout du banc, se tenait une vieille sorcière de recéleuse
-à la tignasse déteinte et à la voix éraillée, qui ne
-mérite pas d’échapper. Comme disait l’avocat général,
-citant un mot célèbre : le recéleur fait le voleur. Montrons
-que nous avons compris, et laissons retomber le
-châtiment sur le premier. Nous rentrons dans la grand’salle
-tout amusés déjà, avec des sourires de sympathie pour les
-pauvres jurés supplémentaires.</p>
-
-<p>A son tour la Cour se retire. Elle revient au bout d’un
-instant. Le Président en effet fait grise mine.</p>
-
-<p>— Messieurs, dit-il, je suis désolé d’avoir à relever, sur
-la feuille que vous m’avez remise, un illogisme qui rend
-votre vote non valable, — une distraction évidemment — et
-qui va me forcer, à mon grand regret, de vous prier de
-retourner dans la salle de délibération pour mettre d’accord
-vos réponses. Vous votez : <i>oui</i> pour le recel ; <i>non</i>, pour le
-vol. Pour qu’il y ait recel, il faut qu’il y ait eu vol. On
-ne peut pas recéler le produit d’un vol qui n’a pas été
-commis.</p>
-
-<p>Evidemment ; mais c’est cet illogisme apparent qui
-précisément nous plaisait. Nous pensions être libres de
-condamner qui nous voulions ; et, condamner le recéleur
-en acquittant le voleur, n’était-ce pas sous-entendre que
-nous estimions qu’il y avait eu recel de plus de marchandises
-que les vols en question n’en avaient apportées, recel
-d’autres denrées, du produit d’autres vols, dont le ministère
-public n’avait pas saisi les auteurs. Décidément nous nous
-surfaisions notre importance. Nous sommes rappelés au
-sentiment de la limite de nos pouvoirs.</p>
-
-<p>Nous rentrons en file dans la petite salle de délibération,
-si penauds et la tête si basse que j’ai peine à retenir mon
-rire. Les jurés supplémentaires eux aussi sont de nouveau
-coffrés.</p>
-
-<p>Nous modifions nos réponses dans la mesure de l’indispensable
-et aboutissons à je ne sais plus quel compromis.</p>
-
-
-<p class="c gap small">ÉPILOGUE</p>
-
-<p>Trois mois après.</p>
-
-<p>La scène se passe en wagon, entre Narbonne où j’ai
-laissé Alibert, et Nîmes.</p>
-
-<p>Dans un compartiment de troisième classe : un petit
-gars, de seize ans environ, point laid, l’air sans malice,
-sourit à qui veut lui parler ; mais il comprend mal le
-français, et je parle mal le languedocien. Une femme d’une
-quarantaine d’années, en grand deuil, aux traits inexpressifs,
-au regard niais, aux pensées irrémédiablement
-enfantines, coupe sur du pain une saucisse plate dont elle
-avale d’énormes bouchées. Elle se fait l’interprète du
-jouvenceau et la conversation s’engage avec mon voisin
-de droite, une épaisse citrouille qui sourit du haut de son
-ventre aux choses, aux gens, à la vie.</p>
-
-<p>En projetant beaucoup de nourriture autour d’elle, la
-femme explique que cet adolescent est appelé des environs
-de Perpignan à Montpellier où il doit comparaître ce
-même jour devant le tribunal ; non point en accusé, mais
-en victime : il y a quelques jours, des apaches de la campagne
-l’ont attaqué sur une route à minuit et laissé pour
-mort dans un champ, après lui avoir pris le peu d’argent
-qu’il avait sur lui.</p>
-
-<p>On commence à parler des criminels :</p>
-
-<p>— Ces gens-là, il faudrait les tuer, dit la femme.</p>
-
-<p>— Vous leur donnez des vingt, des trente condamnations,
-explique mon voisin ; vous les entretenez aux frais
-de l’État ; tout ça ne donne rien de bon. Qu’est-ce que
-cela rapporte à la société ? je vous le demande un peu,
-Monsieur, qu’est-ce que cela lui rapporte ?</p>
-
-<p>Un autre voyageur, qui semblait dormir dans un coin
-du wagon :</p>
-
-<p>— D’abord ces gens-là, quand ils reviennent de là-bas,
-ils ne peuvent plus trouver à se placer.</p>
-
-<p>Le gros Monsieur. — Mais, Monsieur, vous comprenez
-bien que personne n’en veut. On a raison ; ces gens-là, au
-bout de quelque temps, recommencent.</p>
-
-<p>Et comme l’autre voyageur hasarde qu’il en est qui,
-soutenus, aidés, feraient de passables et quelquefois de bons
-travailleurs, le gros Monsieur, qui n’a pas écouté :</p>
-
-<p>— Le meilleur moyen pour les forcer à travailler, c’est
-de les mettre à pomper au fond d’une fosse qui s’emplit
-d’eau ; l’eau monte quand ils s’arrêtent de pomper ; comme
-ça ils sont bien forcés.</p>
-
-<p>La Dame en deuil. — Quelle horreur !</p>
-
-<p>— J’aimerais mieux les tuer tout de suite, gémit une
-autre dame.</p>
-
-<p>Mais, comme la Dame en deuil l’approuve, celle qui
-d’abord avait émis cette opinion, sans doute de cette sorte
-de gens qui trouvent un cheveu à leur propre opinion dès
-qu’elle n’est plus exprimée par eux-mêmes :</p>
-
-<p>— Mon père, lui, <i>qui était du jury</i>, il avait coutume de
-ne les condamner qu’à perpétuité. Il disait qu’on devait
-leur laisser le temps de se repentir.</p>
-
-<p>Le gros Monsieur hausse les épaules. Pour lui un
-criminel, c’est un criminel ; qu’on ne cherche pas à le
-sortir de là.</p>
-
-<p>La Dame qui n’a presque rien dit, émet timidement
-cette pensée que la mauvaise éducation est souvent pour
-beaucoup dans la formation du criminel, de sorte que
-souvent les parents sont les premiers responsables.</p>
-
-<p>Le gros Monsieur, lui, croit qu’après tout l’éducation
-n’est pas toute-puissante et qu’il est des natures qui sont
-vouées au mal comme d’autres sont vouées au bien.</p>
-
-<p>Le Monsieur du coin se rapproche et parle d’hérédité :</p>
-
-<p>— La meilleure éducation ne triomphera jamais des
-mauvaises dispositions d’un fils d’alcoolique. Les trois
-quarts des assassins sont des enfants d’alcooliques.
-L’alcoolisme…</p>
-
-<p>La Dame en deuil l’interrompt :</p>
-
-<p>— Et puis aussi l’habitude des femmes, à Narbonne,
-de porter un foulard noir sur la tête ; un médecin a
-découvert que ça leur chauffait le cerveau…</p>
-
-<p>Mais elle croit pourtant qu’il y aurait moins de crimes
-si les parents n’étaient pas si faibles.</p>
-
-<p>— On en a jugé un, à Perpignan, continue-t-elle ; il
-avait commencé comme cela : tout petit enfant, un jour,
-il a pris une petite pelote de fil dans le panier à ouvrage
-de sa mère ; sa mère l’a vu et ne l’a pas grondé ; alors,
-quand l’enfant a vu qu’on ne le punissait pas, il a
-continué : il a volé d’autres personnes et puis, vous
-comprenez, il a fini par assassiner. On l’a condamné
-à mort et voici ce qu’il a dit au pied de l’échafaud. — Elle
-gonfle sa voix, et mon manteau se couvre de débris
-de mangeaille. — Pèrres et mèrres de famille, j’ai
-commencé par voler un peloton de fil, et si cette première
-fois ma mère m’avait puni, vous ne me verriez pas sur
-l’échafaud aujourd’hui ! Voilà ce qu’il a dit ; et qu’il ne se
-repentait de rien, sauf d’avoir étranglé dans un berceau
-un petit enfant qui lui souriait.</p>
-
-<p>Le gros Monsieur, qui n’écoute pas plus la Dame que
-celle-ci ne l’écoute, revient à son idée : On ne traite pas
-assez sévèrement ces gens-là :</p>
-
-<p>— On n’en fera jamais rien de bon ; et du moment
-qu’on les laisse vivre, il ne faut pourtant pas que ce soit
-pour leur plaisir, n’est-ce pas ? Naturellement, ces criminels,
-ils se plaignent toujours ; rien n’est assez bon pour
-eux… Je connais l’histoire d’un qui avait été condamné
-par erreur ; au bout de vingt-sept ans, on l’a fait revenir,
-parce que le vrai coupable, au moment de mourir, a fait
-des aveux complets ; alors le fils de celui qu’on avait
-condamné par erreur a fait le voyage, il a ramené de
-là-bas son père, et savez-vous ce que celui-ci a dit à son
-retour ? — qu’il n’était pas trop mal là-bas. C’est-à-dire,
-Monsieur, qu’il y a bien des honnêtes gens en France, qui
-sont moins heureux qu’eux.</p>
-
-<p>— Dieu l’aura puni, dit la grosse Dame en deuil après
-un silence méditatif.</p>
-
-<p>— Qui ça ?</p>
-
-<p>— Eh ! le vrai criminel, pardine ! Dieu est bon, mais
-il est juste, vous savez.</p>
-
-<p>— Ça m’étonne tout de même que le prêtre ait
-raconté la confession, dit l’autre dame ; ils n’ont pas le
-droit. Le secret de la confession, c’est sacré.</p>
-
-<p>— Mais, Madame, ils étaient plusieurs qui ont entendu
-cette confession ; quand il s’est vu mourir, qu’est-ce qu’il
-risquait ? Il a demandé au contraire qu’on le répète. Il y a
-sept ans de cela. Vingt-sept ans après le crime. Vingt-sept
-ans ! pensez. Et personne ne s’en doutait ; il avait continué
-à vivre, considéré dans le pays.</p>
-
-<p>— Quel crime avait-il donc commis, demande le
-Monsieur du coin.</p>
-
-<p>— Il avait assassiné une femme.</p>
-
-<p>Moi. — Il me semble, Monsieur, que cet exemple
-contredit un peu ce que vous avanciez tout à l’heure.</p>
-
-<p>Le gros Monsieur devient tout rouge :</p>
-
-<p>— Alors vous ne croyez pas ce que je vous raconte ?!</p>
-
-<p>— Mais si ! mais si ! vous ne me comprenez pas. Je dis
-simplement que cet exemple prouve que quelquefois un
-homme peut commettre un crime isolé et ne pas
-s’enfoncer ensuite dans de nouveaux crimes. Voyez
-celui-ci : après ce crime il a mené, dites-vous, vingt-sept
-ans de vie honnête. Si vous l’aviez condamné, il y a
-de grandes chances pour que vous l’ayez amené à récidiver.</p>
-
-<p>— Mais, Monsieur, la loi Béranger précisément… commence
-l’autre dame. Celle en deuil l’interrompt :</p>
-
-<p>— Alors vous n’appelez pas ça un crime, de laisser
-vingt-sept ans un innocent faire de la prison à sa place ?</p>
-
-<p>Le second Monsieur hausse les épaules et se renfonce
-dans son coin. La citrouille s’endort.</p>
-
-<p>A Montpellier, le petit gars descend ; et sitôt qu’il est
-parti, la Dame en deuil, qui cependant a achevé son repas
-et remet dans son panier le reste du saucisson et du pain :</p>
-
-<p>— A voyager comme ça depuis le matin, il doit avoir
-faim, cet enfant !</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">APPENDICE</h2>
-
-<p class="c">Réponse à une enquête</p>
-
-<p class="offr">(<i>Opinion</i> du 25 octobre 1913)</p>
-
-<p class="c">« <i>Les Jurés jugés par eux-mêmes.</i> »</p>
-
-
-<p>Sans doute ces questions sont « dans l’air ». J’ai passé
-les dernières semaines de cet été à mettre au net mes
-souvenirs de Cour d’Assises, qui commenceront prochainement
-à paraître en revue, puis en volume.</p>
-
-<p>J’ai cru que le simple récit des affaires que nous avions
-été appelés à juger serait plus éloquent que des critiques.
-L’enquête de l’<i>Opinion</i>, pourtant, m’engage à tâcher de
-formuler celles-ci.</p>
-
-<p>Que parfois grincent certains rouages de la machine-à-rendre-la-justice,
-c’est ce qu’on ne saurait nier. Mais on
-semble croire aujourd’hui que les seuls grincements viennent
-du côté du jury. Du moins on ne parle aujourd’hui
-que de ceci ; j’ai dû pourtant me persuader, à plus d’une
-reprise — et non pas seulement à cette session où je
-siégeais comme juré — que la machine grince souvent
-aussi du côté des interrogatoires. Le juge interrogateur
-arrive avec une opinion déjà formée sur l’affaire dont le
-juré ne connaît encore rien. La manière dont le président
-pose les questions, dont il aide et favorise tel témoignage,
-fût-ce inconsciemment, dont au contraire il gêne et
-bouscule tel autre, a vite fait d’apprendre aux jurés quelle
-est son opinion personnelle. Combien il est difficile aux
-jurés (je parle des jurés de province) de ne pas tenir
-compte de l’opinion du président, soit (si le président leur
-est « sympathique ») pour y conformer la leur, soit pour
-en prendre tout à coup le contre-pied — c’est ce qui
-m’est nettement apparu dans plus d’un cas, et ce que,
-dans mes souvenirs, j’ai exposé sans commentaires.</p>
-
-<p>Il m’a paru que les plaidoiries faisaient rarement,
-jamais peut-être (du moins dans les affaires que j’ai eues
-à juger) revenir les jurés sur leur impression première — de
-sorte qu’il serait à peine exagéré de dire qu’un juge
-habile peut faire du Jury ce qu’il veut.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>L’interrogatoire par le juge… peut-être une autre
-enquête de l’<i>Opinion</i> soulèvera-t-elle plus tard cette question
-délicate. N’ayant pas assisté à des séances de Cour
-criminelle en Angleterre, je ne puis pressentir si peut-être
-l’interrogatoire par les avocats et le ministère public, ne
-présente pas des inconvénients plus graves encore… en
-tout cas ce n’est pas à cela que vous m’invitez à répondre
-aujourd’hui.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Mon opinion sur la composition du jury ? — C’est que
-cette composition est extrêmement défectueuse. Je ne sais
-trop comment avait pu se recruter celui dont je me trouvais
-faire partie, mais à coup sûr, s’il était le résultat
-d’une <i>sélection</i>, c’était d’une sélection à rebours<a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>. — Je
-veux dire que tous ceux qui, dans les villes ou dans les
-campagnes, eussent pu paraître mériter en être, semblaient
-avoir été soigneusement éliminés — à moins qu’ils ne se
-fussent faits récuser.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> L’un des jurés de ma session savait à peine lire et écrire ; sur
-ses bulletins de vote le <i>oui</i> et le <i>non</i> étaient si malaisément reconnaissables
-que plus d’une fois on dut le prier de répondre à neuf
-oralement.</p>
-</div>
-<p>Mais vous-même ? me dira-t-on. — Si je n’avais pas
-insisté auprès du maire de ma commune chargé de dresser
-les premières listes, pour qu’il y portât régulièrement mon
-nom depuis six ans, je suis bien assuré qu’il ne m’aurait
-pas proposé — <i>par peur de me déranger</i>. Encore craignais-je
-après avoir reçu ma citation, d’être récusé, en qualité
-<i>d’intellectuel</i>, soit complètement, soit successivement pour
-chaque affaire.</p>
-
-<p>(On me l’avait fait craindre, et je me souvenais que
-mon père, nommé juré, avait été systématiquement
-éliminé, en tant que juriste, chaque fois que son nom
-était sorti de l’urne.)</p>
-
-<p>Il n’en a rien été. Et comme certains de mes collègues
-se faisaient fréquemment récuser, j’ai pu siéger dans un
-grand nombre d’affaires, et assister plus d’une fois aux
-perplexités, au désarroi, à l’affolement du jury.</p>
-
-<p>Je n’étais pourtant pas de cette affaire où les jurés,
-après avoir répondu de telle manière que la Cour dût
-condamner l’accusé aux travaux forcés à perpétuité — épouvantés
-du résultat de leur vote, se réunirent aussitôt
-après séance et, précipités d’un excès dans un autre, signèrent
-un recours en grâce pur et simple.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>On a proposé que le chef du jury soit désigné, non par
-le sort, comme actuellement (premier nom sorti de l’urne)
-mais, dans la salle de délibérations, par un vote — comme
-il advient parfois. Et je crois que ce serait là une réforme
-très heureuse. Car j’ai vu, dans certains cas, tel chef de
-jury contribuer par ses indécisions, ses incompréhensions,
-ses lenteurs, au désordre qu’un bon chef de jury pourrait
-au contraire empêcher. (Il est vrai d’ajouter que le plus
-incapable était aussi bien celui qui était le plus fier de sa
-place et le moins disposé à la céder).</p>
-
-<p>Ce n’est pas que pour être un bon juré une grande
-instruction soit nécessaire, et je sais certains « paysans »
-dont les jugements (un peu butés parfois) sont plus sains
-que ceux de nombre d’intellectuels ; mais je m’étonne
-néanmoins que les gens complètement déshabitués de
-tout travail de tête, soient capables de prêter l’attention
-soutenue qu’on réclame ici d’eux, des heures durant.
-L’un d’eux ne me cachait pas sa fatigue ; il se fit récuser
-aux dernières séances ; « sûrement je serais devenu fou »,
-disait-il. C’était un des meilleurs.</p>
-
-<p>Aussi bien je crois que l’opinion du juré se forme et
-s’arrête assez vite. Il est, au bout de deux ou trois quarts
-d’heure, sursaturé — ou de doute, ou de conviction.
-(Je parle du juré de province).</p>
-
-<p>En général, ici comme ailleurs, la violence des convictions
-est en raison de l’inculture et de l’inaptitude à la
-critique.</p>
-
-<p>Si donc on est en humeur de réforme, il me semble
-que la première réforme devrait porter sur la formation
-des listes de recrutement des jurés, de sorte que l’on
-portât sur celles-ci, non les plus desœuvrés et les plus
-insignifiants, mais les plus aptes. Il faudrait également
-que ces derniers tinssent à honneur de ne pas se faire
-récuser.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>J’ai entendu proposer ces derniers temps, que le jury
-soit appelé à délibérer avec la Cour et à statuer avec elle
-sur l’application de la peine. Oui peut-être… Du moins
-est-il fâcheux que les jurés puissent être surpris par la
-décision de la Cour et penser : nous aurions voté différemment
-si nous avions pu prévoir que notre vote allait
-entraîner peine si forte — ou si légère.</p>
-
-<p>Il faut dire surtout que les questions auxquelles le juré
-doit répondre sont posées de telle sorte qu’elles prennent
-souvent l’aspect de traquenards, et forcent le malheureux
-juré de voter contre la vérité pour obtenir ce qu’il estime
-la justice.</p>
-
-<p>Plus d’une fois j’ai vu de braves paysans, décidés à
-ne pas voter les circonstances aggravantes, devant les
-questions : le vol a-t-il été commis la nuit… avec effraction…
-à plusieurs (ce qui précisément constitue les circonstances
-aggravantes) s’écrier désespérément : « J’pouvons
-tout d’même pas dire que <i>non</i>. » Et voter ensuite
-les <i>circonstances atténuantes</i>, au petit bonheur, en manière
-de palliatif.</p>
-
-<p>Si les questions ne peuvent être posées différemment (et
-j’avoue que je ne vois pas bien comment elles pourraient
-être posées) — il serait bon que, au début de la première
-séance, les jurés reçussent quelques instructions qui pourraient
-prévenir leur incertitude, leur angoisse et leur
-désarroi.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>On a proposé que la feuille des questions fut remise à
-chacun d’eux, sur copie séparée, avant l’ouverture de la
-séance ; cette mesure me paraît présenter de sérieux
-avantages — et je ne vois pas quels inconvénients.</p>
-
-<p>Je proposerais aussi que dans certains cas, un plan
-topographique fut remis à chacun des jurés, lui permettant
-de se représenter plus aisément le théâtre du crime : Dans
-telle affaire d’agression nocturne, où je fus appelé à siéger,
-la conviction des jurés dépendait uniquement de ceci :
-l’accusé était-il assez près d’un réverbère et suffisamment
-éclairé, pour que Madame X, de sa fenêtre, ait pu le
-reconnaître ? Quelques témoins, appelés à la barre, placèrent
-le réverbère l’un à cinq mètres, l’autre à vingt-cinq,
-du lieu précis de l’agression. Un troisième alla jusqu’à
-prétendre qu’il n’y avait pas de réverbère du tout à cet
-endroit de la rue… N’eût-il pas été bien simple de faire
-dresser par la gendarmerie un plan des lieux ?</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Monsieur Bergson demande que chacun des jurés soit
-tenu de motiver et d’expliquer son vote… Evidemment ;
-mais il ne m’est pas du tout prouvé que le juré le plus
-malhabile à parler soit celui qui sente et pense le plus
-mal. Et réciproquement, hélas !</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-
-<p class="c top6em small">ACHEVÉ D’IMPRIMER LE SIX<br />
-JANVIER MIL NEUF CENT QUATORZE PAR<br />
-« L’IMPRIMERIE SAINTE CATHERINE »<br />
-QUAI ST. PIERRE, BRUGES, BELGIQUE.</p>
-
-
-
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-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>SOUVENIRS DE LA COUR D&#039;ASSISES</span> ***</div>
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-</div>
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-or any Project Gutenberg&#8482; work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg&#8482; work, and (c) any
-Defect you cause.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-</div>
-
-</div>
-</div>
-</body>
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